0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
214 vues19 pages

Ali Bencherif

Transféré par

avid2chat
Copyright
© Attribution Non-Commercial (BY-NC)
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
214 vues19 pages

Ali Bencherif

Transféré par

avid2chat
Copyright
© Attribution Non-Commercial (BY-NC)
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
Vous êtes sur la page 1/ 19

Choix et alternance de langues dans une conversation bilingue/ exolingue entre deux locutrices algriennes immigre/non-immigre

Mohammed Zakaria Ali-Bencherif Doctorant, Universit de Tlemcen


Synergies Algrie n 5 - 2009 pp. 119-137

Rsum : Cet article traite de la question du choix et de lalternance codiques en situation de contact de langues. Il sagit plus particulirement dune analyse quantitative portant sur les noncs produits et reus partir dune conversation bilingue qui sest droule entre une locutrice immigre et sa partenaire non-immigre. Lobjectif de la quantification des units de la conversation est de caractriser les choix de langues oprs par les locutrices ainsi que le poids de lalternance codique dans leurs changes langagiers. Par ailleurs, la frquence de lemploi de lune ou lautre langue ou les deux la fois nous amne, eu gard lasymtrie des rpertoires, rendre compte de ladaptation de chacune des deux locutrices sa partenaire. Mots-cls: Contact de langues, choix et alternance codiques, conversation bilingue/exolingue, asymtrie croise, longueur moyenne des noncs.

Abstract: The present article is an investigation of language choice and code-switching in language contact situation. The study is based on the quantitative analysis of utterances produced during a bilingual conversation between two interlocutors, one Algerian and the other French, originally from Algeria. The aim behind the quantification of utterances is to characterize the interlocutors language choices as well as the code switching during their language transactions. In rough the frequency one of language uses the other, or both of them, in spite of the asymmetry of both repertoires, the two interlocutors manage to accommodate to each other. Keywords: Language contact, choice and code switching, bilingual conversation, asymmetry, Mean length of utterance.

. : . . . . :

119

Synergies Algrie n 5 - 2009 pp. 119-137 Mohammed Zakaria Ali-Bencherif

1. Introduction Notre objectif est danalyser la frquence du choix et des alternances codiques dans une conversation bilingue entre deux locutrices, lune immigre et lautre non-immigre. Nous mettons lhypothse que dans les conversations entre les locuteurs immigrs/non-immigrs, il y a des lments qui relvent du bilinguisme et dautres qui relvent de lexolinguisme. Nous supposons galement, malgr la prpondrance de lune ou lautre langue dans la conversation bilingue entre limmigre et sa partenaire, que le choix et les alternances codiques assurent une adaptation mutuelle. Ceci nous conduit nous consacrer lanalyse des pratiques langagires afin de rendre compte de la comptence bilingue des locutrices qui prsentent des asymtries de part et dautre quant la mobilisation des ressources de larabe dialectal et du franais. Ainsi, nous dirons a priori, quil sagit dune comptence bilingue originale qui est ajuste la fois par les changes et par la mobilisation des ressources respectives des locuteurs. Bien que les locutrices soient conscientes la fois des asymtries des rpertoires et des comptences bilingues quelles manifestent, leurs pratiques langagires rvlent de nombreuses caractristiques et indices qui dterminent linvestissement, le choix et la ngociation des ressources langagires ainsi que la gestion des changes. Il est donc essentiel de dterminer dans quelle mesure et dans quelles situations les locutrices choisissent les deux langues et avec quelle frquence. Ainsi, nous essaierons de reprer des indices et des observables qui permettent de dfinir leur comptence bilingue et la gestion des interactions. Dans un premier temps, nous prsenterons sommairement la dmarche mthodologique adopte. Ensuite, nous traiterons par une approche quantitative la part de larabe dialectal et du franais, voire les deux la fois (alternes), dans la conversation et pour chacune des deux locutrices. Nous nous intresserons enfin, aux alternances codiques pour cerner la comptence bilingue des locutrices comme solution permettant le maintien des interactions. 2. Mthodologie Notre tude se base sur une conversation dune dure de 31 minutes et 23 secondes enregistre au sein dun milieu familial auprs de deux locutrices, lune descendante de limmigration algrienne en France (Farida) en vacances en Algrie et lautre non-immigre (Amaria). Le choix de les enregistrer au sein de la maison familiale est motiv par des raisons dordre mthodologique tant donn que la famille est devenue un terrain dinvestigation privilgi pour tudier les pratiques langagires (Deprez, 1999a, 2000). Lenregistrement de la conversation a t fait dans la chambre dAmaria grce un magntophone que nous lui avons remis et quelle a dispos discrtement sous la table. Plusieurs thmes ont t abords soit parce quils intressaient les locutrices soit parce que lune dentre elles voulait en parler. Les changements sont marqus par des interruptions et par lamorage de nouveaux thmes quAmaria suggre souvent sous forme de questions. Tout au
120

Choix et alternance de langues dans une conversation bilingue/exolingue entre deux locutrices algriennes immigre/non-immigre

long de la conversation qui a dur 31 minutes 23 secondes, Farida et Amaria ont parl des anctres de Farida, de la famille, des proches, du Ramadhan, de la matrise des langues et du quotidien des immigrs en France et en Algrie. Les deux locutrices ont t galement soumises un entretien semi-directif vise comprhensive pour avoir des informations sur leur pass langagier (biographie langagire) et sur leurs attitudes vis--vis de leur propre faon de parler. 3. Biographie et profils langagiers des participantes Le tableau ci-dessous synthtise quelques donnes concernant lidentit des deux participantes. Nous avons pris en compte lge, le lieu de naissance et de rsidence, la situation familiale, le niveau dinstruction, les contacts sociaux avec les langues quelles parlent et la connaissance de celles-ci. Il est prciser que ces donnes relatives la biographie et aux profils langagiers (Molini, 2006) nous servent de repres pour dterminer les caractristiques du rpertoire verbal des deux locutrices.
Prnoms des locutrices Age Lieu de naissance Lieu de rsidence Situation familiale Niveau dinstruction Contacts sociaux avec larabe Contacts sociaux avec le franais Connaissance de larabe Connaissance du franais
Tableau 1.

Amaria 31 ans Tlemcen (Algrie) Tlemcen (Algrie) Marie 9


me

Farida 28 ans Lille (France) Lille (France) Marie Baccalaurat + Selon les circonstances Usage courant Moyenne Bonne

AF

Usage courant Selon les circonstances Bonne Moyenne

Tableau rcapitulatif de la biographie des locutrices et leurs profils langagiers.

Farida, ge de 28 ans, est ne et vit en France (Lille, Nord Pas-de-Calais). Elle est titulaire dun bac comptabilit, examen au cours duquel elle a dailleurs pass une preuve darabe dialectal algrien loral. Elle est marie un Algrien qui a migr il y a cinq ans, et mre dune fille dun an et demi. Elle est conseillre tlphonique (dans la vente par correspondance) depuis un an. En ce qui concerne les langues, elle nous a affirm quelle emploie trs souvent le franais et larabe dialectal que ce soit en Algrie ou en France. Elle vient chaque anne en Algrie depuis son enfance. Amaria est ge de 31 ans. Elle est ne et vit en Algrie et a quitt lcole lge de 15 ans ; elle est par ailleurs marie, sans enfants, couturire de profession. Le franais reprsente pour elle une langue de communication qui a toujours eu une place dans son environnement social ct de larabe dialectal. Elle a affirm quelle les a toujours utilises dune manire alterne selon les circonstances avec les membres de sa famille, mme si parfois lusage

121

Synergies Algrie n 5 - 2009 pp. 119-137 Mohammed Zakaria Ali-Bencherif

se limite quelques mots ou expressions. Quant la prsence des immigrs, ils reprsentent pour elle non seulement une population tablie en France mais une partie de son vcu. Elle prcise que cest des membres de la famille qui nont jamais coup les liens avec le pays. Ils ont une partie de leur vie ici, notamment les proches avec qui elle passait parfois jusqu deux mois. Il sagit notamment de cousins et cousines ns ou ayant immigr aprs leur mariage. 4. Quantification des ressources du rpertoire verbal mobilises dans la conversation Les interactions entre les deux locutrices, limmigre et la non-immigre, rvlent de par les asymtries des rpertoires, une comptence bilingue de part et dautre : soit en alternant les deux langues, soit en choisissant lune ou lautre langue dans leurs changes1. En effet, la comparaison partir de la quantification des items des deux langues dans les conversations permet dobserver lusage du parler bilingue et le poids de chacune des deux langues. La prise en compte des noncs produits et des noncs reus par les deux locutrices en arabe dialectal et en franais nous permet de caractriser aussi bien les choix de langue effectus par les locutrices que le poids des langues dans les changes ainsi que les possibilits dappropriation et de ractivation du rpertoire verbal de chacune dentre elles. Pour tudier les choix et les alternances codiques, nous avons opt pour une approche quantitative. Cette dernire permet, dun ct, de dgager les indices partir desquels nous pouvons tudier le poids des deux langues dans les interactions, et de lautre, de caractriser les choix oprs par les locutrices ainsi que la frquence des alternances codiques. Trois indices sont prendre en considration: le nombre des units en arabe dialectal et en franais, la nature des tours de parole et la longueur moyenne des noncs. Nous avons dabord procd au calcul des units produites par les deux locutrices en arabe dialectal et en franais dans la conversation. Ensuite, nous avons dgag la nature des tours de parole(notamment le vecteur langagier) en les quantifiant par langue (arabe dialectal et franais), en tenant compte de ceux mixtes (en arabe dialectal et en franais) et de ceux nuls (ne contenant aucun lment verbal audible). Enfin, nous avons mis en vidence la longueur moyenne des noncs2 afin de cerner la comptence bilingue des locutrices plus prcisment lendurance dans les deux langues (selon les choix des locutrices) et les deux la fois. Il faut rappeler que lun des objectifs de notre analyse est de dgager travers le changement et les alternances de langues ce qui relve dune comptence bilingue voire exolingue qui permet chaque locutrice de converger avec sa partenaire lors des interactions. La mobilisation des ressources linguistiques et la faon dont les locutrices les investissent dans leurs conversations nous permettent de distinguer dans bien des cas, ce qui relve du bilinguisme et ce qui relve dune asymtrie du rpertoire voire dune situation exolingue. De mme que la mobilisation des ressources relatives aux deux langues par une locutrice, permet la ractivation3 de la langue qui nest pas bien matrise ou peu utilise (voire dsactive)4 par son interlocutrice.
122

Choix et alternance de langues dans une conversation bilingue/exolingue entre deux locutrices algriennes immigre/non-immigre

Chaque locutrice emploie les langues de son rpertoire de faon diffrente et selon des stratgies prcises. Notre point de dpart ici est la prise en compte du critre quantitatif dont la vise est de rendre compte de la rcurrence et de la frquence des deux langues dans les conversations suivant la rpartition des items en arabe dialectal, en franais et mixtes. Rappelons que le but de la quantification des ressources langagires mobilises lors des interactions est de voir laquelle des deux langues domine et chez quelle locutrice. 5. Calcul et analyse de la frquence des units (par langue et par locutrice) pour ltude du choix et des alternances codiques dans la conversation Avant de passer lanalyse des donnes, il nous semble ncessaire de prciser que les normes ayant servi pour le comptage des items de larabe dialectal et du franais sont inspires en partie de la recherche mene par Louise Dabne et Jacqueline Billiez (1988) sur les pratiques langagires des jeunes issus de limmigration algrienne Grenoble. Nous avons opt pour cette mthode (normes arbitraires prsentes en annexe) car il nous a t plus difficile au dpart de compter les units de larabe dialectal ou encore de certains emprunts accommods surtout quil est question dune transcription orthographique. De plus, nous pouvons souligner un certain nombre dlments morpho-phonologiques produits diffremment5 par les trois locutrices que ce soit en arabe dialectal ou en franais. Par ailleurs, se pose le problme du morphme li; dans le cas des units en arabe dialectal, il sagit de lexicalisation et de figement. Cest la raison pour laquelle nous avons transcrit certains termes en regroupant plusieurs items en bloc6 (dterminant, marques de dclinaisons qui contiennent le sujet et lobjet, les dmonstratifs, les possessifs, etc.). Il sagit en fait dun comptage bas sur les units produites par chaque locuteur et par rfrence la langue ou les langues utilises. Ainsi, nous pouvons distinguer les units de larabe dialectal insres dans des segments en franais, les units du franais insres dans des segments en arabe dialectal et les tours de parole monolingues en arabe dialectal. Outre la quantification des units des deux langues et les caractristiques des tours de parole (mixtes/monolingues) nous calculons la longueur moyenne des noncs produits par chaque locutrice. Pour ce qui est de la nature des tours de parole, nous avons distingu trois catgories: les tours de parole monolingues o nous avons les tours de parole en arabe dialectal, les tours de parole en franais, les tours de parole mixtes (bilingues) et les tours de parole nuls (sans aucun lment verbal). Les tours de parole monolingues correspondent lusage exclusif de larabe dialectal ou du franais. Dans le cas de larabe dialectal, les emprunts accommods et adapts (Hamers & Blanc, 1983) insrs dans des tours de parole en arabe dialectal sont considrs et comptabiliss comme des termes de larabe dialectal7. Dans les tours de parole mixtes, on trouve les ressources de larabe dialectal et du franais allant dune seule unit ou plus pour chacune des deux langues. Enfin, les tours de parole nuls correspondent soit un segment inaudible voire incomprhensible que nous tions incapable de transcrire, soit

123

Synergies Algrie n 5 - 2009 pp. 119-137 Mohammed Zakaria Ali-Bencherif

une participation avec des moyens non verbaux: hochement de tte, soupirs, sourires et gestes alternatifs par lesquels une locutrice ratifie ou refuse les propos de son interlocutrice. Comme nous lavons fait remarquer plus haut, les caractristiques linguistiques des tours de parole nous permettent de distinguer entre choix de langues et alternances codiques. Ainsi, nous parlerons de choix de langues quand les locutrices utilisent lune ou lautre langue sous forme de tour de parole monolingue ; et dalternances codiques quand les locutrices produisent des tours de parole mixtes ou bilingues. 6. Le poids des langues dans les changes entre les deux locutrices Les tableaux ci-dessous illustrent les rsultats rpartis en deux catgories arabe dialectal et franais obtenus dans la conversation. Les tableaux contenant des donnes statistiques correspondent aux spcificits de chaque conversation. Les histogrammes illustrent dune manire graphique les donnes mentionnes dans chaque tableau. Ils rendent plus apparents les carts soulevs dans les tableaux contenant les donnes chiffres. Dans la premire srie de calculs, nous nous intressons la frquence de larabe dialectal et du franais dans la conversation. Puis nous analysons le poids des deux langues pour chaque locutrice. Dans la seconde srie de calculs nous analysons pour chaque locutrice les caractristiques des tours de parole monolingues, mixtes et nuls dans la conversation. Enfin, nous examinons la longueur moyenne des noncs de chacune des locutrices dans la conversation. Dans la premire comme dans la deuxime srie de calculs, nous examinons les pourcentages concernant chaque langue et chaque locutrice. Il sagit en effet de faire une lecture des donnes verticalement et horizontalement. Par exemple, pour le premier indice (cest--dire la part des langues par locutrice) les pourcentages quon analyse verticalement se rapportent aux poids de chacune des deux langues dans la conversation. Alors que les pourcentages quon analyse horizontalement concernent lemploi de chaque langue par locutrice. Il en est de mme pour les totaux qui renvoient au total des units dans lensemble de la conversation. Pour ce qui est du deuxime indice qui concerne les caractristiques linguistiques des tours de parole, il y a les pourcentages relatifs au nombre de tours de parole produits par locutrice qui se lisent verticalement et ceux relatifs aux vecteurs langagiers qui se lisent horizontalement. 7. Une conversation bilingue: prpondrance du franais et convergences par les tours de parole mixtes Demble, le franais apparat comme langue matrice (Myers-Scotton, 1993) puisquelle est quantitativement dominante dans les changes. Ainsi, le pourcentage des units en franais est trs lev compar avec celui de larabe dialectal. Cela nempche pas que larabe dialectal soit souvent dominant dans la conversation ; il arrive que le nombre des units en arabe dialectal dans certaines squences mixtes soit suprieur celui des units en franais. Ceci
124

Choix et alternance de langues dans une conversation bilingue/exolingue entre deux locutrices algriennes immigre/non-immigre

sexplique par le fait que Farida produit davantage dunits en franais, tandis quAmaria qui produit plus dnoncs mixtes. Cette tendance reste prgnante dans la conversation mais avec quelques fluctuations qui sont relatives aux thmes, la situation et aux participantes.
Nombre des units en arabe dialectal Nombre des units en langue franaise Total
Tableau 2 :
80,00% 74,35%

(1410/5497) 25,65 %

70,00% 60,00% 50,00% 40,00% 30,00% 25,65%

(4087/5497) 74,35 % 5497

20,00% 10,00% 0,00%

Pourcentage des units en arabe dialectal et en franais dans la conversation.

Pourcentage des units


Arabe dialectal Franais

Graphique 1: Le poids des langues dans la conversation.

Langue Locutrice Farida

Arabe dialectal
18,94 % 764 54,18 % 80 % 44,16 % 646 45,82 % 20 % 1410 25,65 %

Franais
81,06 % 3270 55,84 % 817

Total
73,38 % 4034 26,62 % 1463

Amaria

Total

4087 74,35 %

5497 100 %

Tableau 3:

Pourcentage des units produites (en arabe dialectal et en franais) par chaque locutrice.
A

B
90,00% 80,00% 70,00% 60,00% 50,00% 40,00% 30,00% 20,00% 10,00% 0,00% 81,06% 55,84% 44,16% 18,94%

90,00% 80,00% 70,00% 60,00% 50,00% 40,00% 30,00% 20,00% 10,00% 0,00% 54,18%

80%

45,82%

20%

Farida
Arabe dialectal

Amaria
Franais

Arabe dialectal
Farida

Franais
Amaria

Graphique 2 (a et b):

Les tendances relatives au premier indice de la conversation.

Le pourcentage des units en franais slve 74,35 % (soit 4087 units) contre 25,65 % pour larabe dialectal (soit 1410 units)8. Sur lensemble des units de la conversation, qui est de 5497, Amaria a produit 646 units en arabe dialectal (soit 45,82 %) contre 764 pour Farida (soit 54,18 %). Pour la langue franaise, Farida a produit 3270 units (soit 80 %) tandis quAmaria en a produit 817

125

Synergies Algrie n 5 - 2009 pp. 119-137 Mohammed Zakaria Ali-Bencherif

(soit 20 %). Notons partir du Tableau 3 que Farida a produit un total de 4034 units (soit 73,38 %) contre 1463 units produites par Amaria (soit 26,62 %). En ce qui concerne le nombre des units produites en arabe dialectal, il est de Farida 764 units (soit 18,94 %) pour Farida contre 3270 en franais (soit 81,06 %) et de 646 pour Amaria soit 44,16 %contre 817 units en franais (soit 55,84 %). Les carts souligns par langue et par locutrice montrent la fois lemploi moindre de larabe dialectal par rapport au franais et ladaptation de chacune des locutrices sa partenaire, surtout de la part dAmaria qui converge en franais vers Farida. Nous constatons un lger cart entre Farida et Amaria en ce qui concerne larabe dialectal compar avec le nombre des units produites en franais par les deux locutrices. Nous pouvons expliquer ces diffrences partir de plusieurs facteurs: la situation9, le rpertoire verbal, les thmes abords, la position sociale et les places conversationnelles des deux locutrices. Pour ce dernier facteur, tout semble indiquer que Farida est beaucoup plus prolifique que son interlocutrice qui ne cesse dailleurs de linterroger sur son quotidien en France et sur ses vacances en Algrie10. Cette situation en questions-rponses fait quAmaria participe autant mais avec des noncs moins longs que ceux produit par Farida. Cependant, la position dAmaria en tant que rceptrice lamne dans beaucoup de squences ajuster sa faon de parler celle de Farida et construire des noncs mixtes.
Locutrices Tours de parole TP: franais 43,09 % TP: arabe dialectal (19/118) 5,92 % TP: mixtes (154/237) 50,65 % TP: nul Total par locutrice 00 0,65 % 304 (50 %) 304 (50 %) 27,63 % 02 02 (0,33 %) 608 (100 %) 64,98 % (83/237) 32,56 % 35,02 % 237 (38,98 %) 16,10 % (99/118) Farida 52,19 % (131/251) Amaria 47,81 % (120/251) 39,46 % 83,89 % Total TP 251 (41,28 %) 118 (19,41 %)

Tableau 4:

Les spcificits linguistiques des tours de parole dans la conversation.


A
90,00% 80,00% 70,00% 60,00% 50,00% 40,00% 30,00% 20,00% 10,00% 0,00%

B
83,89% 52,19% 47,81% 35,02% 16,10% 0 ,65% Franais Arabe dialectal Mixtes Nul 64,98%

60,00% 50,00% 40,00% 30,00% 20,00% 10,00% 0,00% 43,09%

50,65% 39,46% 32,56% 27,63%

5,92%

0,65%

Farida
Franais Arabe dialectal

Amaria
Mixtes Nul

Farida

Amaria

Graphique 3 (a et b)

reprsentant les tendances relatives au deuxime indice de la conversation.

126

Choix et alternance de langues dans une conversation bilingue/exolingue entre deux locutrices algriennes immigre/non-immigre

Dans cette conversation de 608 tours de parole, nous trouvons des tours de parole o le franais est utilis dune manire intensive et o le choix de langue est souvent non marqu, ce qui correspond ce que Bloom et Gumperz (1972) appellent alternances codiques conversationnelles(mtaphoriques). Ce qui laisse entendre galement une adaptation de la parole la situation. Et cest travers les alternances mtaphoriques que les changements de langues soprent au niveau intra-phrastique et qui correspondent ce que Louise Dabne et Jacqueline Billiez, (1988) et de Louise Dabne (1994) appellent des alternances codiques intra-actes , caractrises par la production de deux types dalternances: segmentales et unitaires. Toutes deux nous permettent de prendre en compte la longueur des noncs et par l doprer la distinction entre lalternance codique et lemprunt spontan. Toutefois, la rpartition des deux langues en tours de parole monolingues (en arabe dialectal ou en franais) et mixtes (en arabe dialectal et en franais) rvlent, malgr les carts souligns dans les deux graphiques (A et B), que la frquence des tours de paroles mixtes est presque aussi importanteque celle des tours de parole monolingues en franais : 237 tours de parole, dont 84 produits par Amaria (soit 35,02 %) et 154 par Farida (soit 64,98 %). Ce qui veut dire que Farida sadapte par les tours de parole mixtes plus que par larabe dialectal complet (5,92 % de tours de parole en arabe dialectal sur lensemble des tours de parole de Farida), alors quAmaria utilise plus le franais tout en maintenant larabe dialectal un niveau trs lev. Nous pouvons relever dautres indices sur le poids des deux langues et sur la concomitance concernant leur rpartition par tour de parole: Farida produit moins de tours monolingues en arabe dialectal (19 tours de parole, soit un taux de 16,10 %), quAmaria qui en a produit 99 (soit 84,61 %). En outre, le nombre de tours de parole en franais est de 131 soit 52,19 % tours pour Farida et 120 pour Amaria soit 47,81 %. Les rsultats retenus montrent non seulement la convergence entre les deux locutrices mais aussi un bilinguisme quilibr chez Amaria alors que Farida rvle une langue forte dont le taux slve 52,19 % par rapport aux autres types de tours de parole. Mais cela nest pertinent que lorsque les carts souligns entre Farida et Amaria en ce qui concerne le poids des deux langues et les caractristiques des tours de parole sont mis en corrlation. Les trois indices, rappelons-le, permettent de cerner le degr de bilinguisme et de dterminer les caractristiques de la conversation bilingue entre les locutrices (immigre/ non-immigre), notamment le choix de langues et les alternances codiques. Comme nous lavons soulign, la longueur moyenne des noncs est un indicateur important prendre en compte pour apprcier le parler bilingue.
LME pour les TP de Farida LME pour les TP de Amaria LME Pour lensemble de la conversation 13,26 04,81 09,04

Tableau 5 : Longueur moyenne des noncs pour chaque locutrice et pour lensemble de la conversation.

127

Synergies Algrie n 5 - 2009 pp. 119-137 Mohammed Zakaria Ali-Bencherif


LME
14 12 10 8 13,26

Graphique 5: Le troisime indice de la conversation.

Nous constatons travers le tableau 5 que la longueur moyenne des noncs pour lensemble 4,81 6 de la conversation est de 9,04 units par 4 2 squence. Nous relevons une moyenne de 0 13,26 units par squence pour Farida et LME de 4,81 units par squence pour Amaria. Nous remarquons que Farida a produit des squences plus longues que celles dAmaria, ce qui explique les carts relatifs aux pourcentages des units obtenues dans les deux langues concernant le premier indice (cf. les donnes du Tableau 3). Bien que les chiffres montrent quAmaria produit moins dunits par squence, nous constatons quelle converge avec Farida en choisissant la langue et les units quil faut pour le maintien des interactions. Il faut souligner galement que cest au niveau des tours de parole mixtes que la longueur moyenne des noncs se rvle plus importante.
Farida Amaria

Toujours est-il que le franais est prpondrant dans les interactions. Cest sur cette base que lon pourrait dire quil sagit dinteractions bilingues o les locutrices se basent sur des stratgies daccommodation (Giles et al., 1991) en convergeant plus par des tours de parole mixtes que monolingues. A noter aussi que les locutrices convergent par lalternance codique de type interintervention (Dabne & Billiez, ibid.). Ceci pour dire que mme si les tours de paroles en arabe dialectal sont relativement courts chez les deux locutrices, leur rle est essentiel dans la dynamique des interactions. Lemploi de lune ou lautre langue suscite la mobilisation des ressources bilingues soit sous formes dunits insres dans les tours de parole soit sous forme de tours de parole qui se combinent de manire alternative. En somme, les tendances dominantes soulignes dans la conversation montrent quil sagit dun parler bilingue o les deux locutrices mobilisent leurs ressources respectives de faons diverses. Une des caractristiques de ce parler bilingue est lalternance codique. Ces tendances prennent dautant plus dimportance quand on analyse des extraits contenant quatre ou cinq tours de parole. Nous avons de nombreux changes o les locutrices produisent des noncs compltement en franais ou en arabe dialectal et dautres mixtes. Par ailleurs, dans certains tours de parole on relve une ou deux units de larabe dialectal insres dans un segment contenant une dizaine dunits en franais et vice versa. Le choix de langues et lalternance codique sont en effet des pratiques courantes des locuteurs bilingues ou manifestant une comptence bilingue. Les locutrices oprent dans bien des cas des choix de langues en fonction de lide quelles veulent transmettre. 8. Remarques synthtiques sur les indices statistiques Pour prciser encore plus limportance des chiffres des tableaux ci-dessus relatifs aux diffrentes situations, il est primordial de mettre en exergue la longueur

128

Choix et alternance de langues dans une conversation bilingue/exolingue entre deux locutrices algriennes immigre/non-immigre

moyenne des noncs afin dexpliquer le poids des deux langues dans les changes sans tomber dans la gnralisation. La mise plat des valeursobtenues dans la conversation montre le degr dendurance11 et renseigne sur la nature12 de la prise de parole chez les deux participantes ainsi que le degr de dveloppement des ressources de leur rpertoire verbal. Ces moyennes restent relativement pertinentes compte tenu des carts mis en vidence entre les locutrices surtout si lon tient compte de la frquence et de la rpartition des langues pour chacune des deux locutrices. Cependant, la longueur moyenne des noncs est prendre en considration en ce qui concerne la domination des deux langues dans les interactions et le degr de matrise. De manire gnrale, ces tendances apparaissent comme rvlatrices de la prsence et du choix des langues dans la conversation. De mme que les carts souligns sont des indicateurs la fois des asymtries des rpertoires et dune comptence bilingue. Il sagit galement dadaptation linguistique et dintention dadaptation tant donn que les deux locutrices affichent des attitudes positives et des stratgies de convergence. Nous pouvons galement expliquer les carts concernant la longueur des noncs par dautres facteurs: linscurit linguistique affiche, linachvement des noncs, la frquence des formules de ratification et dadhsion (qui se limitent une13 ou deux units), les places conversationnelles, lhsitation rcurrente et le jeu de figuration (qui se manifestent par des lments comme les rgulateurs ou les marques daccord, oui, daccord, hein, mmh, etc.). Enfin, la longueur moyenne des noncs dans la conversation, le nombre des tours de parole par participante et la frquence des units des deux langues montrent que le changement de code se ralise principalement en fonction du locuteur, de la situation ou du thme abord14. Nous pouvons en effet souligner que le degr de participation et la frquence de lemploi de larabe dialectal et/ou du franais augmente ou diminue principalement selon les motivations des locutrices et les habitudes langagires. Par ailleurs, lorsque nous considrons les noncs reus et les noncs produits, nous constatons que chacune des deux locutrices tend sadapter en produisant, dans la foule des interactions, des noncs qui convergent avec ce qui prcde et amorcent ce qui va suivre. Deux constats simposent pour synthtiser les rsultats principaux avant de se pencher sur les caractristiques des deux locutrices: Premier constat : le franais est omniprsent dans les cinq conversations, cest aussi la langue que les deux locutrices non-immigres disent employer et matriser ct de larabe dialectal. Il en est de mme pour chez la locutrice issue de limmigration pour larabe dialectal puisque ce dernier est dclar tre prsent dans son environnement familial en France. Le rpertoire verbal des deux locutrices a t dvelopp sous la dpendance des diffrentes sphres de socialisation: la famille, lcole, les groupes de pairs et le pays dorigine des parents pour la descendante de limmigration (voir la biographie et le profil langagier des deux locutrices). Dans les deux cas (locutrice immigre/locutrice
129

Synergies Algrie n 5 - 2009 pp. 119-137 Mohammed Zakaria Ali-Bencherif

non-immigre) larabe dialectal constitue une langue de premire socialisation. En effet, la descendante de limmigration a dclar quelle a toujours employ larabe dialectal dans les changes familiaux surtout avec ses parents. Second constat : la perception des diffrences ou des insuffisances de part et dautre et le jugement que les locutrices portent sur leurs comptences permettent la fois ladaptation et la ngociation dune langue de base selon la situation, le(s) participant(s) et le thme. Par ailleurs, comme lefficacit de la communication est sous la dpendance de la gestion conjointe des interactions et de la mobilisation du rpertoire. Ajoutons galement que la frquence des deux langues et la longueur moyenne des noncs dans les conversations sont des indices dterminants de la place quoccupe chacune des langues chez les deux locutrices (comme langue de base ou langue matrice). 9. Les rpertoires verbaux des deux locutrices: quelles spcificits? Afin de bien cerner les tendances dominantes dans les interactions, un travail centr sur chacune des locutrices simpose. Vu ltendue de notre corpus, nous navons pas pu analyser quantitativement tous les noncs reus et produits15 pour chaque locutrice. Cependant, tout semble indiquer quil sagit de conversations bilingues o les deux locutrices mobilisent les ressources de leur rpertoire verbal en sadaptant mutuellement. De mme lanalyse quantitative montre que les choix de langues et les alternances codiques reprsentent les outils discursifs pour maintenir linteraction. Somme toute, il semble que les deux locutrices prsentent des comptences bilingues tant en production quen rception. En effet, elles nutilisent pas le franais et larabe dialectal avec la mme frquence et avec la mme aisance mais elles comprennent bien ce qui se dit dans les deux langues16. Farida: Frquence du franais et convergence par des tours de parole mixtes Comme nous avons pu le constater travers les analyses prcdentes, Farida utilise le franais plus que sa partenaire. Elle est aussi la plus active, prend la parole plus quelle et mobilise les ressources de son rpertoire bilingue de manire intense. En effet, ceci est bien dmontr travers la rpartition codique o lon trouve des tours de parole monolingues (en arabe dialectal ou en franais) et des tours de parole mixtes, indices dune pratique bilingue trs varie. La prise en compte des changes par des dyades communicationnelles nous permet de distinguer les choix et les alternances codiques (Deprez, 1999b) Nous pouvons reprsenter17 les pratiques langagires par tour de parole de Farida comme suit: a. Emploi exclusif du franais Farida Amaria

130

Choix et alternance de langues dans une conversation bilingue/exolingue entre deux locutrices algriennes immigre/non-immigre

b. Emploi exclusif de larabe dialectal Farida Amaria c. Emploi alternatif des deux langues Farida Amaria

Franais Arabe dialectal


Franais/arabe dialectal

Les trois reprsentations montrent que les choix de Farida se portent dabord sur le franais, langue quelle a lhabitude demployer dans son environnement. De fait, la frquence de lalternance franais/arabe dialectal se justifie par la ncessit de sadapter son interlocutrice et par le fait quelle possde une comptence bilingue. Elle puise le plus souvent dans chacune des deux langues pour sadresser sa partenaire au cours des interactions ; les trois solutions possibles (relatives au choix de langues et lalternance codique) le montrent clairement (voir a, b et c). Les changes entre Farida et Amaria sont gnralement domins par des tours de parole en franais et mixtes alors que les tours de parole en arabe dialectal proviennent surtout dAmaria. Mme si Farida en produit, elle le fait diffremment selon les thmes abords et la relation-rle. 2 Amaria: Ladaptation par le choix et lalternance codique Pour Amaria lusage du franais, langue acquise dans et travers divers rseaux sociaux (lcole, la famille, les proches, etc.), reste relativement partiel. En effet, Amaria parle souvent en arabe dialectal mme si le franais est prsent dans son environnement et quelle emploie elle-mme, occasionnellement ml ou altern, avec larabe dialectal. De fait, on saperoit quAmaria possde un rpertoire verbal bilingue suffisant pour communiquer avec Farida mme quand cette dernire ne parle quen franais. Cest notamment ladaptation mutuelle qui dynamise leurs interactions et contribue la ractivation de leur rpertoire puisquelles nutilisent pas leur deuxime langue avec la mme frquence. La similitude18 entre lenvironnement familial respectif dAmaria et de Farida rend possible la communication par la mobilisation des diffrentes ressources de leurs rpertoires bilingues respectifs. Il sensuit que le contexte social est a priori favorable lusage des deux langues la fois pour limmigre en France et pour les non-immigres en Algrie.

131

Synergies Algrie n 5 - 2009 pp. 119-137 Mohammed Zakaria Ali-Bencherif

Nous pouvons synthtiser les pratiques langagires dAmaria comme suit: a. Emploi exclusif du franais Amaria Farida

b. Emploi exclusif de larabe dialectal Amaria Farida

c. Emploi alternatif des deux langues Amaria Conclusion Dans les situations de contact de langues, le choix entre le mode monolingue (une des deux langues) ou bilingue (les deux langues la fois) nest jamais totalement stable. Il dpend en premier lieu de la comptence prsume de linterlocuteur. Dans le mode bilingue, il lest encore moins: cest ainsi que des marques transcodiques se multiplient, on passe spontanment et dun mutuel accord dune langue de base une langue enchsse et vice versa (Ldi, 2004: 131). En tout tat de cause, nous pouvons dire que le lieu, le moment, les relationsrles, la divergence des rpertoires, et les sujets de la conversation sont autant dlments pertinents et interdpendants voire dterminants dans le choix et le changement de langue et dans ladaptation linterlocutrice et la situation. Limportance que nous accordons ces facteurs tient au fait que les changements de langues qui surviennent dans les interactions bilingues sont multiples et complexes. Ce qui parait spcifique dans cette conversation cest le fait que chacune des locutrices converge vers lautre en produisant frquemment des alternances codiques. Cellesci renvoient des stratgies communicatives diverses: la ritration, lexplication, la paraphrase, le commentaire, la citation, lhumour, etc. La dominance du franais dans les interactions est aussi lie une comptence bilingue manifeste mais ingale chez les deux locutrices. Elle est matrialise notamment travers les alternances codiques qui sont considres comme une forme de choix de langue (Ldi & Py, 2003). Les changes monolingues en franais proviennent frquemment de la locutrice immigre; ceci a amen Farida

132

Choix et alternance de langues dans une conversation bilingue/exolingue entre deux locutrices algriennes immigre/non-immigre

son interlocutrice (non-immigre) non seulement produire plus dnoncs en franais mais surtout recourir larabe dialectal et/ou aux noncs mixtes (longs ou courts) chaque fois quelles prouvaient des difficults. Ainsi, les changements de langues sont tellement frquents et varis que les motivations leurs gards sont difficiles dterminer. Dune faon gnrale, la russite de la communication entre limmigre et sa partenaire non-immigre relvent des choix de langue et des alternances codiques. Ainsi, les ajustements se matrialisent par une gestion adquate de lingalit et ce malgr les carts statistiques souligns concernant lusage de lune et lautre langue, la longueur des noncs produits par les locutrices et la nature des tours de parole (mixtes, monolingues). A partir de l, on peut conclure que lasymtrie croise, que nous avons souligne, est un indice qui nous permet de considrer la communication entre limmigre et sa partenaire la fois bilingue et exolingue. Enfin, de tels rsultats mritent des approfondissements par une focalisation sur lanalyse des interactions par dyades. Notes
Ces deux alternatives (les deux choix possibles) relvent de deux stratgies de communication spcifiques aux locuteurs bilingues (Hamers & Blanc, 1983). 2 La longueur moyenne des noncs (LME) ou (MLU : Mean Length of Utterance en anglais) est appele aussi longueur moyenne de production verbale (LMPV) (Rondal, 2003: 130). La notion de LME est utilise par les psycholinguistes de dveloppement pour prciser le niveau langagier des enfants (Brown, 1973). La longueur moyenne des noncs ou le LMPV sobtient en divisant le nombre de mots ou de monmes obtenus dans un corpus de langage dune longueur dtermine par le nombre dnoncs (Rondal, 1983: 33). 3 La ractivation du rpertoire verbal est entendue dans une perspective dveloppementale o les lments reus par le locuteur de son interlocuteur conduisent au but communicatif et dynamisent linteraction. Voir (Anna Ghimenton, 2008a et 2008b) propos de la description des indices statistiques et pragmatiques qui contribuent au dveloppement du rpertoire plurilingue chez un jeune enfant de Vntie. 4 Dans le cas du locuteur bilingue, il peut sagir dun choix de langue face un locuteur avec qui il ne partage pas le mme code. Tout comme il peut sagir dun locuteur qui na pas loccasion dutiliser la deuxime langue, ce qui lamne oublier certaines formes. 5 Nous tenons prciser que les trois locutrices ont des origines gographiques diffrentes et elles nont pas le mme contact avec larabe dialectal. Cest pourquoi, dans de nombreux cas, les varits phonologiques ou morphologiques sont prendre en considration pour la dlimitation des units linguistiques qui ont le statut de morphme. 6 Certains psycholinguistes qui sintressent au dveloppement du langage chez lenfant adoptent dautres procdures de comptage, notamment pour analyser la longueur moyenne des noncs (Brown, 1973) cit par Jean-Adolphe Rondal (2003: 131). Par exemple pour le comptage de la longueur moyenne de production verbale, Jean-Adolphe Rondal (ibid.) considre que le mot bergre est compos de deux units (une unit et un morphme flexionnel qui exprime le genre fminin). 7 A noter que les emprunts intgrs sont considrs comme une ressource supplmentaire comme rsultat du bilinguisme arabe dialectal/franais. Leur manifestation dans les pratiques langagires des trois locutrices sera analyser comme un phnomne saillant ct des alternances codiques compte tenu des propos avancs par certains linguistes notamment Shana Poplack (1988). 8 Ces valeurs sont reprsentes dans le tableau 3 et dans le total en ligne horizontale du tableau 4. Cette manire de prsenter les donnes relatives au pourcentage des units en arabe dialectal et en franais et au pourcentage des units produites (en arabe dialectal et en franais) par locutrice
1

133

Synergies Algrie n 5 - 2009 pp. 119-137 Mohammed Zakaria Ali-Bencherif


est adopte pour lensemble des conversations. En effet, cette manire de faire facilite la mise en adquation entre les chiffres et les histogrammes qui les reprsentent. 9 Notons quil sagit dune seule situation (milieu familial) o les locutrices ont pris lhabitude dtre ensemble. En effet, pendant les quinze jours quelles ont passes ensemble avant le dbut des enregistrements elles ont abord divers sujets (selon notre complice). 10 Ceci constitue peut tre un biais de lenqute o la locutrice non-immigre sest comporte en tant que complice pour russir lenregistrement de la conversation par micro cach. Cest la raison qui la pousse poser plus de question et endosser le rle de lexplorateur. 11 Par endurance nous entendons la capacit de produire des noncs longs et des prises de parole consquentes (acheves et sans hsitations). Nous pouvons souligner ce propos chez les deux locutrices non-immigres lusage dun seul mot sous forme de mots phrase dans plusieurs squences (nous reviendrons sur ce type dexemple ultrieurement). 12 Il sagit dans la plupart des cas pour les deux locutrices non-immigres dune adhsion ou une ratification des propos de leur interlocutrice quelles expriment par des oui ou des rgulateurs comme mmh. Le nombre de tours de parole de ce genre est trs lev dans les cinq conversations. 13 Nous reviendrons sur la question de lalternance codique intra-actes notamment lalternance unitaire. 14 Nous aborderons ces questions en dtail laide dexemples dans lanalyse qualitative. 15 Ceci peut sapparenter ce que Nassira Merabti (1991, 1992) a tent de montrer chez un groupe dadolescents issus de limmigration algrienne en France en sappuyant sur les rseaux personnels de relations voire de communication. 16 Ces rsultats peuvent tre affins partir de lanalyse des interactions. 17 Les reprsentations schmatiques nous permettent de caractriser les rseaux de communication par dyades. La direction des flches indique le type de langues employes (seules ou alternes) par une locutrice avec son interlocutrice. La flche montante indique un emploi dominant des langues, la flche descendante indique un emploi minime des langues et la flche horizontale indique un emploi quilibr des langues entre les locutrices. 18 Ici, nous nous rfrons la prsence et lutilisation des deux langues en milieu familial. En gnral, la politique familiale (Deprez, 1996) concernant lutilisation de la langue de la culture dorigine par les membres de la famille (surtout pour les familles issues de limmigration algrienne en France) dpend du rle des parents comme passeurs de langue, des allers-retours au pays dorigine qui offrent des occasions de contact avec la langue dorigine des parents et de la volont des enfants eux-mmes apprendre et parler cette langue. Selon les dclarations de Farida, qui est la fois participante aux conversations et informatrice, elle a toujours utilis larabe dialectal avec les membres de sa famille notamment ses parents et son mari qui a migr il y a cinq ans. Beaucoup dtudes ont t consacres aux reprsentations et aux pratique langagires voire au maintien de la langue et de la culture dorigine chez les descendants de limmigration (Billiez, 1985; Billiez et al., 2003a et Billiez et al., 2003b; Billiez 2004b). En effet, ces travaux montrent que les filles sont les gardiennes de la langue et de la culture dorigine.

Bibliographie Billiez, J. 1985. La langue comme marqueur didentit in, Revue Europenne des Migrations Internationales, n 2, vol 1, pp. 95-105. Billiez, J. et al,. 2003a. Parler intragroupaux de filles et de garons: petits carts dans les pratiques, grands carts symboliques in, Jacqueline Billiez, & Didier Robillard, (coord.), Cahiers du franais contemporain, n 8, Franais: variations, reprsentations, pratiques, pp. 163-193. Billiez, J. et al. 2003b.Pratiques et reprsentations langagires de groupes de pairs en milieu urbain. Rapport de recherche (Dlgation gnrale la langue franaise et aux langues de France). Universit de Grenoble III, Avril 2003.
134

Choix et alternance de langues dans une conversation bilingue/exolingue entre deux locutrices algriennes immigre/non-immigre

Billiez, J. 2004. Et il fallut apprendre tudier les reprsentations . In, Laurent Gajo, Marinette Matthey, Danile Moore, Ccilia Serra, (ds.) Un parcours au contact des langues. Paris: Didier, pp. 253- 256. Blom, J-P . & Gumperz, J-J. 1972. Social meaning in linguistic structure: codeswitching in Norway . In Jan Petter Blom & Jonh Gumperz (ds.). Directions in sociolinguistics. The ethnography of communication: Basil Blackwell, pp. 407-433. Brown, R. 1973. A first language, they early stages. Cambridge, MA : Harvard University Press. Dabne, L. & Billiez, J. 1988. Linsertion des jeunes issus de limmigration algrienne. Aspects sociolinguistiques, discursifs et socio-politiques. Rapport de recherche, Centre de Didactique des Langues, Universit de Grenoble III. Dabne, L. 1994. Repres sociolinguistiques pour lenseignement des langues. Paris: Hachette. Deprez, Ch. 1996. Une politique linguistique familiale: le rle des femmes. In Education et socit plurilingue, (CMIEBP), n 1, pp. 35-42. Deprez, Ch. 1999a. Les enqutes micro. Pratiques et transmissions familiales des langues dorigine dans limmigration en France . In Louis-Jean Calvet, & Dumont (dir.), Lenqute sociolinguistique. Paris: LHarmattan, pp. 77-102. Deprez, Ch. 1999b. Quelques propos mtalinguistiques dapprenants et de bilingues sur lalternance des langues . In Vronique Castellotti & Danile Moore (coord.). Cahiers du franais contemporain, n5, Alternance des langues et construction des savoirs. pp.151-166. Deprez. Ch. 2000. Le jeu de langue dans les familles bilingues dorigine trangre. In Estudios de sociolingistica, n1, pp. 59-74. Giles, H. et al. 1991. Accommodation theory: communication, context, and consequence . In Howard Giles et al, (eds.). Contexts of accommodation. Cambridge University Press, pp.1-68. Ghimenton, A. 2008a. Lenvironnement langagier du trs jeune enfant dans la socit plurilingue de Vntie : description dindices statistiques et pragmatiques . In Mathieu Loiseau et al (coord), Autour des langues et du langage. Perspectives pluridisciplinaires, Actes du colloque international dtudiants chercheurs en didactique des langues et linguistique, Grenoble, 4-7 juillet 2006, Grenoble, PUG, pp. 283-289. Ghimenton, A. 2008b. Acquisition plurilingue chez un jeune enfant de Vntie: Etude de la frquence dusages des langues et des indices pragmatiques lors des interactions familiales. Thse de doctorat de sciences du langage, Universit Stendhal Grenoble III.

135

Synergies Algrie n 5 - 2009 pp. 119-137 Mohammed Zakaria Ali-Bencherif

Hamers, J-F. & Blanc, M. 1983. Bilingualit et bilinguisme. Bruxelles : Mardaga. Ldi, G. & Py,B. 2003. Etre bilingue. Berne: Peter Lang. Ldi, G. 2004. Pour une linguistique de la comptence du locuteur plurilingue. In Revue franaise de linguistique applique. Plurilinguisme et politique europennes, volume IX 2 dcembre 2004, pp. 125-135. Merabti, N. 1991. Pratiques bilingues et rseaux personnels de communication. Enqute auprs dun groupe dadolescents issus de limmigration algrienne dans la rgion grenobloise. Thse de doctorat, Universit Stendhal-Grenoble III. Merabti, N. 1992. Pratiques langagires et rseaux de relations dadolescents issus de limmigration algrienne . In Robert Bouchard, et al, (ds.). Acquisition et enseignement/apprentissage des langues. Actes du VIIIe colloque international Acquisition dune langue trangre: perspectives et recherches. Grenoble mai 1991, LIDILEM Grenoble, pp.286-297. Molini, M. 2006. Une approche biographique des trajectoires linguistiques et culturelles. In, Le franais dans le monde. Recherches et application, n 39, Biographie langagire et apprentissage plurilingue, pp. 6-10. Myers-Scotton, C. 1993. Social motivations for code switching. Evidence from Africa. Clarendon: Press Oxford. Poplack, S. 1988. Consquences linguistiques du contact de langues : Un modle danalyse variationniste. In Langage et socit, n 43, pp. 23-46. Rondal, J-A. 1983. Linteraction adulte-enfant et la construction du langage. Bruxelles: Pierre Mardaga. Rondal, J-A. 2003. Lvaluation du langage, Bruxelles: Pierre Mardaga.

136

Choix et alternance de langues dans une conversation bilingue/exolingue entre deux locutrices algriennes immigre/non-immigre

Annexe
Les normes de comptage des units pour le franais Exclamatifs= 1 unit: ah oui! ; ah bon! Connecteurs= 1 unit: comme a; cest a; parce que; quand mme. Circonstants lexicaliss: 1 unit: l-bas; des fois. Interrogations= 1 unit: est-ce que. 2 units: quest-ce que cest. Termes dilatoires= 1 unit: cest--dire; euh Quantitatifs un peu = 1 unit: un peu. Expressions verbales = 1 unit: a va; a dpend; il faut, il y a. Noms propres= 1 unit: Jacques Chirac, El Emir Abdelkader. Pronoms personnels= 1 unit: en fonctions sujet et objet; 2 units: dans le cas des verbes rflchis: je marrange. Dterminants= 1 unit: articles; possessifs; dmonstratifs etc. Les normes de comptage des units pour larabe dialectal Dterminants = 1 unit: - article: e, el; l (le, la, les) - pronomspersonnels + verbe : nemchi (je vais); temchi (tu vas) -dmonstratifs: hadaet hadak(celui-l) ; hadou et hadouk (ceux-l). - possessifs + nom apparaissent souvent sous forme de morphmes lis: tai (le mien) tana (le notre). Marque de nombre = 1 unit: mwalfine (habitus); msakine/msaken (les pauvres). Ngation = 1 unit: manrouHch (je ne vais pas). Emprunts= 1 unit: faliza (la valise), sauf les emprunts lexicaliss: 2 unit: drangha (drange la). Formes verbales = 1 unit : mchi (pars) ; yemchi (il part, il partira) pour laccompli et linaccompli. Quantitatif = 1 unit: kif kif. Formules de politesse= 1 unit: yselmek (merci). Formules de serments ou dinvocation Dieu = 1 unit: wallah ladm! (je le jure au nom de Dieu le tout puissant); lHamdoullah (Dieu soit lou).

137

Vous aimerez peut-être aussi