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La Statistique Coloniale en Algerie 1830 1962

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La statistique coloniale en Algrie (1830-1962)

Entre la reproduction du systme mtropolitain et les impratifs dadaptation la ralit algrienne


! Kamel Kateb
u milieu des annes 1870, avec le soutien de dmographes tel que J. Bertillon, le docteur R. Ricoux dveloppe une action de lobbying en Algrie et en France pour que la statistique dmographique soit dgage de lemprise des bureaucrates et que le travail de collecte et de traitement des donnes en Algrie soit confi des spcialistes qui mneraient leur activit en coopration avec les milieux universitaires et scientifiques. Il propose en mme temps la cration dun institut de statistique dmographique Alger. Les rves statistiques de ce mdecin n Philippeville aujourdhui Skikda se heurteront la dure ralit de lAlgrie coloniale : dune part, un Gouvernement gnral de lAlgrie aux objectifs se limitant au contrle des populations et la fiscalit ; dautre part, le problme pos par la population indigne (insuffisances de ltat civil, analphabtisme, grande mobilit, indiffrence, etc.) Il faudra attendre la fin de la Seconde guerre mondiale avec la cration de lInsee, pour quen Algrie se dveloppe un effort srieux de rflexion sur la fiabilit des donnes collectes et par suite sur le traitement des statistiques imparfaites. Les objectifs de cet article consistent dcrire le processus de construction de lappareil statistique en Algrie et les tches qui lui ont t assignes pendant les diffrentes tapes de sa construction.

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Introduction : contexte historique et objectifs


Le dix-neuvime sicle voit lmergence et lorganisation dappareils de collecte et danalyse des donnes statistiques de population dans les principaux pays occidentaux (Prusse 1810, Belgique 1830, France 1831, Angleterre 1832...). Parmi les pays sous domination coloniale, lAlgrie est lun des rares tre dot dun appareil statistique la fin du dixneuvime sicle. La constitution de la IIIe Rpublique en France et la substitution en Algrie dun rgime civil au rgime militaire existant jusqualors permet lmergence dun bureau de collecte de donnes statistiques et de statistique des populations (1878). Si, pour les pays europens qui engagent ou sont la veille dengager leur rvolution industrielle, ces appareils statistiques correspondent une volont de modernisation de lappareil dtat dans le processus de construction du fait national et sont conscutifs des rformes structurelles, pour lAlgrie (ensemble de dpartements franais lpoque) cest loin dtre le cas (la socit algrienne nprouve pas le

besoin de se compter : pas de service militaire, pas de fiscalit individualise, absence dinstruction publique, la scolarisation relevant de la famille, etc.) Il sagit plutt dune intrusion de la modernit, dans un espace territorial et culturel o les conditions conomiques et sociales de la construction dun tat moderne sont loin dtre runies et ne sont mme pas envisageables. Cet appareil de collecte de donnes statistiques se constitue et sorganise pour rpondre aux besoins dabord dinventaire, ensuite de gestion des nouveaux

dpartements franais. Il est, de ce fait, profondment influenc par les conceptions franaises et correspond au modle construit en France (un appareil centralis o le travail statistique et denqutes sont du ressort exclusif de ltat). Par consquent, parmi les pays coloniss, lAlgrie, par lanciennet de la collecte et de la publication des donnes statistiques aussi bien conomiques que dmographiques, offre un terrain dinvestigation particulirement favorable la rflexion. De nombreuses tudes et recherches se sont intresses lhistoire des institutions et des pratiques statistiques dans les pays occidentaux (A. Blum, A. Desrosires, K. Ipsen, Stanziani, et dautres) ; trs peu, en revanche, ont concern les pays anciennement coloniss. Le prsent travail se fixe pour objectif de dcrire et tudier les conditions de mise en place dune organisation dont le rle premier est de fournir au gouvernement franais des informations chiffres sur la situation des tablissements franais en Algrie . Nous limiterons cependant ce travail la statistique dmographique, car elle nous semble tre la plus mme de

Courrier des statistiques n 112, dcembre 2004

Kamel Kateb
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nous clairer sur les objectifs et le rle assigns cet appareil de collecte de donnes statistiques, et celle sur laquelle les contraintes sont les plus fortes. En consquence, les objectifs de ce travail consistent dcrire le processus dlaboration de lappareil

statistique en Algrie et les tches qui lui sont confies pendant les diffrentes tapes de sa construction. Nous montrerons que ce processus reste intimement li aux objectifs de lappareil politique colonial et que son action et la fiabilit des rsultats

sont conditionns en premier lieu non seulement par les conceptions et le rle de la statistique qui ont cours dans la socit franaise de lpoque, mais aussi par la vision qua ladministration franaise de la population indigne algrienne.

La statistique coloniale en Algrie (1830-1962)


Lobjet de ce travail est de montrer aussi que ladministration franaise, dans son action de collecte des statistiques dmographiques, ne rsoudra que tardivement et partiellement le problme pos par la population indigne (insuffisance de ltat civil, analphabtisme, grande mobilit, indiffrence, etc.) La raison principale en est que cette administration est victime de la volont dune partie de la population europenne dAlgrie dassimiler les trois dpartements franais en Algrie la France et den exclure la population indigne. La raison seconde en est la faible autonomie accorde lappareil statistique mis en place charg dvaluer et dorienter la politique dmographique coloniale. vs des naissances, dcs, mariages et divorces par nationalit concernent dabord les seuls Europens ; ensuite, les besoins de la guerre et de la gestion administrative conduisent llargissement de la collecte des donnes de population aux indignes qui rsident dans les villes. La statistique indigne occupe cependant une portion congrue de la statistique gnrale ; les catgories statistiques utilises pour la dcrire ont un prisme ethnique tendu, selon la couleur de peau, la religion et les rites (Kateb, 1998). Naturellement, ces relevs concernent les populations sous contrle de larme franaise (soit un sous-ensemble de la population algrienne, une partie importante chappant ce contrle ; il faudra prs de quarante ans pour quil stende toute la population indigne). La plus grande partie de la collecte des donnes statistiques est ainsi le fait de ladministration militaire. Les bureaux arabes (institus le 1er fvrier 1844), composs dofficiers de larme franaise, se chargent de cette collecte dans lensemble des tribus dabord, puis dans les seuls territoires sous commandement militaire, au fur et mesure de la progression du cantonnement des tribus et de llargissement des territoires dits civils. Ils effectueront les premiers recensements et dnombrements des tribus indignes algriennes (1844-45, 1856, 1866). Les officiers des bureaux arabes dans la ralisation de cette tche se font aider par les Cheikhs (chefs de tribus dans les douars-communes ), les Cads et autres notables. Dans les villes et les centres de colonisation des communes de plein exercice (majoritairement peupls de colons europens), les maires et administrateurs, en appui avec les administrations municipales, remplissent les mmes fonctions que les bureaux arabes . En ce qui concerne les indignes dans les territoires civils, les chefs de tribus (Cheikhs) et les juges musulmans (Cadis) constituent les relais des travaux de collecte des naissances et dcs. Les enqutes des recensements dans les villes et territoires civils sont effectues par des agents recenseurs. Ils se recrutent jusqu la fin du sicle au sein des agents municipaux. La prsence dune population europenne de plus en plus nombreuse ds les premires annes et lobjectif de crer une colonie de peuplement induisent des besoins de gestion administrative. Au sein de ladministration militaire, la nomination dadministrateurs civils cre des conflits de prrogatives avec les militaires, conflits qui ne seront rsolus que par la dpartementalisation de lAlgrie (dcret du 4 mars 1848), qui devient alors partie intgrante du territoire franais. La nomination de prfets et de sous-prfets dans les territoires civils inaugure lintroduction de la mthode prfet-maire (une partie du traitement statistique se fait leur niveau partir des listes nominatives) alors en vigueur en France, et qui va dominer le dpouillement et lexploitation des recensements jusquen 1948. Le travail de recueil des donnes statistiques est li lactivit du Gouverneur gnral dAlgrie (GGA), dans le sens o, tous les ans, celui-ci transmet un rapport au parlement sur la situation de la colonie, rapport dont les chiffres servent montrer les progrs raliss (do lintrt de contrler la collecte et la production de ces donnes). Le GGA en fait tat dans ses diffrentes publications, dabord dans les Tableaux des tablissements franais en Algrie (TEF) (1838-1867), ensuite dans les exposs annuels sur la situation en Algrie destins au gouvernement franais et au conseil du gouvernement. La Statistique Gnrale de lAlgrie , construite sur le modle de la Statistique gnrale de la France , prend le relais des TEF en 1868. De 1856 1872, le processus de pacification de lAlgrie et le contrle administratif de son territoire sont mens leur terme. Mais cette priode reste marque par les oprations militaires en Kabylie, dans le Constantinois et le Sud-Oranais. Elle est trouble aussi par les famines et les pidmies de cholra et de typhus. Cest dans ce contexte de rsistance la pntration colo-

Construction dun appareil statistique sur le modle franais


La collecte de statistiques de population accompagne la conqute et le processus de colonisation
En Algrie, la collecte des donnes statistiques en gnral et celle relative la dmographie sont intimement lies au processus de mise en place de lappareil administratif colonial. La collecte et la publication des donnes statistiques sont rgulires et systmatiques. Elles touchent aux diffrents aspects de la vie conomique, politique et sociale de la nouvelle colonie. Leur objectif est dinformer les gouvernements franais des oprations de guerre et des progrs du processus de colonisation de lAlgrie. Il faut dmontrer que la colonisation de lAlgrie est une opration rentable et que les populations europennes nont pas de grandes difficults sy acclimater, au moment o, en France, le doute et le scepticisme rgnent. Au plan dmographique, ladministration militaire, ds la conqute (1833), organise le suivi de lvolution de la population europenne installe en Algrie. partir de 1836, elle effectue leur recensement dans les villes sous son contrle. Les rele-

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niale et de guerre, que le premier recensement de lAlgrie est effectu en 1856. Cest la premire tentative de recensement gnral de la population (indigne algrienne et europenne) sur tout le territoire soumis ladministration civile et ladministration militaire, soit peu prs lactuelle Algrie du Nord (sauf la Kabylie) et quelques lments des territoires du Sud : Biskra Laghouat, Djelfa, Gryville. Jusqu lindpendance, les recensements se feront tous les cinq ans, aux mme dates que ceux effectus en France. Les techniques de dnombrement sont transposes de France, mais ntant pas adaptes lAlgrie coloniale, elles se heurtent rapidement aux conditions locales, malgr des efforts continus pour les amliorer. Le Gouverneur gnral rpercute aux prfets les instructions labores pour la France, mais la spcificit du pays (notamment lhabitat et le genre de vie, par exemple le fait quune grande partie de la population soit nomade) impose sur le terrain de multiplier les techniques de dnombrement des populations. La population recense est alors divise en trois groupes : Le premier fait lobjet dun dnombrement nominatif, par inscription sur un questionnaire de famille, des personnes domicilies en territoire civil (villes, centres de colonisation) et dans les centres de colonisation du territoire militaire. Le second fait lobjet dun dnombrement sommaire par le comptage des tentes et des douars des tribus du territoire de commandement (administr par les autorits militaires). La population est dduite du nombre de tentes et de gourbis en appliquant un ratio de cinq sept habitants par tentes. Le troisime fait lobjet dun dnombrement numrique pour les populations inscrites en bloc, aujourdhui dites comptes part (Breil, 1957). Jusquau dbut du vingtime sicle, les oprations de recensement sta-

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lent sur plusieurs mois ; par consquent, les doubles comptes et les omissions sont possibles. Les proccupations la base de ces oprations sont le dnombrement des populations des divisions administratives pour des raisons de fiscalit ou dordre politique. La particularit vient du fait que rapidement sinstalle une dualit, dun ct une socit vivant dans le territoire civil et gre statistiquement selon les normes franaises de lpoque, et de lautre une socit vivant dans les territoires de commandement militaire et gre sommairement du point de vue statistique.

Prminence des politiques et bureaucrates sur les spcialistes de la statistique


En 1870, la chute de lempire et lavnement de la 3e Rpublique conduisent la fin du rgime militaire en Algrie la demande des franais dAlgrie. Un Gouvernement gnral civil de lAlgrie est institu. Il est rattach au ministre de lintrieur et non plus celui de la guerre. Ds la fin de linsurrection de 1871, lAlgrie du Nord est pacifie ; il y a une extension progressive du contrle de ladministration franaise. Les territoires sous administration militaire ne concernent plus que le Sud du

La statistique coloniale en Algrie (1830-1962)


pays. Les services du gouvernement gnral de lAlgrie sont rorganiss. Un processus dassimilation de lAlgrie la France est engag. Le Gouverneur gnral de lAlgrie est pratiquement un super prfet et en 1878 lensemble des affaires de lAlgrie est trait Paris par les diffrents ministres. La rorganisation des services du Gouvernement gnral qui sen suit permet la cration de trois directions, chacune delles tant divise en bureaux. Un bureau de statistique est constitu au sein de la direction des travaux publics. Il se charge de la publication de la Statistique Gnrale de lAlgrie et de ltat actuel de lAlgrie . La Statistique Gnrale de lAlgrie , publication trisannuelle, a comme vocation de se charger des renseignements gnraux donner au public . Elle prend la relve des anciens Tableaux des tablissements franais en Algrie dont elle conserve les rubriques1. Mais ce nest quen 1878 qumerge un vritable service statistique auprs du Gouvernement gnral de lAlgrie. Un dbut de spcialisation commence soprer au sein des services statistiques, que les dmographes essaieront de mettre profit pour appliquer en Algrie les recommandations des congrs internationaux de statistiques et de dmographie. Parmi eux, le docteur R. Ricoux (encadr 1), mdecin lhpital de Constantine, se lance dans les tudes dmographiques, encourag par les Bertillon pre et fils. Des efforts sont dvelopps par les dmographes et statisticiens de la population qui voluent autour des annales de dmographie internationale avec le soutien du congrs international de dmographie pour la constitution dun bureau de statistique de la population en Algrie spar des statistiques gnrales (Ricoux, 1978). Le docteur R. Ricoux appuie cette volont commune de mettre sur pied un Bureau de statistique de population, en relevant dans les annales internationales de dmographie les insuffisances des publications de

Encadr 1. Le docteur R. Ricoux Anatole Ren Joseph Ricoux, n le 21 janvier 1843 Philippeville (aujourdhui Skikda), est le fils de Louis Toussaint Ricoux, courtier Philippeville et de Juana Moncada. Mdecin chef lhpital de Constantine dans les annes 1870 et 1880, il se signale par ses tudes dmographiques portant principalement sur la population europenne dAlgrie. Ses relations avec les Bertillon (pre et fils) et par la suite avec les milieux internationaux de la dmographie lui valent doccuper le poste de responsable du bureau de la statistique au gouvernement gnral de lAlgrie. Cependant ce poste semble avoir sonn le glas de son activit scientifique en dmographie tout au moins. La proccupation du docteur R. Ricoux est dtudier les modalits dacclimatement des Franais en Algrie ; mais il entend viter le mtissage avec une race qui polluerait le sang franais, ce qui aurait une consquence ngative pour la civilisation franaise. Cest ainsi quil affirme que lhistoire des civilisations est assez riche de faits pour clairer la question : les tats-Unis dAmrique, o le mtissage est presque nul, ont une colonisation et une civilisation plus avances que le Mexique, le Brsil et les rpubliques du Sud . Il mourra le 22 avril 1933, lge de 90 ans, dans sa ville natale.

Principales publications : Contribution ltude de lacclimatation des Franais en Algrie , Paris, 1874. La dmographie figure , ditions Masson, 304 p., Paris, 1880. Recherches sur la mortalit de la premire enfance , in Annales de dmographie internationale, Paris, 1882. Population europenne en Algrie pendant lanne 1884 , 1885.

la Statistique gnrale de lAlgrie . Selon lui, la rpartition selon la nationalit et la discrimination entre citoyens franais ne tient pas suffisamment compte de la ralit des populations vivant en Algrie. Il y a dabord confusion entre les indignes isralites et les Franais, ensuite les Franais ne sont pas diffrencis des naturaliss. Enfin, il propose pour les indignes une rpartition qui diffrencierait les races en Algrie. Les catgories statistiques dfinissant les populations indignes sont ainsi avances. Les Algriens seront caractriss dabord par leur appartenance religieuse, ensuite par leur appartenance ethnique apparente, Arabe ou Berbre. Concernant ltat civil, il signale labsence dindications relatives la nationalit, lge des dcds, et labsence de rfrences aux lieux de naissance des maris et des dcds. Finalement, les efforts dvelopps par Ricoux et ses amis semblent, en apparence, aboutir la cration dun Bureau de statistique de la population en Algrie . Sur proposition des dputs, MM. Paul Bert et Thomson,

un amendement dans ce sens est dpos lors de ladoption du budget de lAlgrie pour lanne 1881 ; il est vot par le parlement franais. Cette mise sur pied est annonce dans la chronique dmographique du fascicule n 2 des Annales de dmographie internationales de 1880. Le fascicule n 1 des annales de lanne 1881 annonce que le bureau fonctionnera partir du 15 aot 1881 sous la direction du docteur R. Ricoux, qui est un collaborateur des Annales et un adhrent au congrs international de dmographie. Ce bureau tarde cependant tre cr et finalement le docteur Ricoux ne sera que le chef des travaux de la statistique dmographique et mdicale au sein du bureau de statistique du Gouvernement gnral. Le docteur Ricoux a le dsir de confier le travail de collecte et de traitement des donnes statistiques des spcialistes qui mneraient leur acti1. Cette publication ne se dbarrassera de lhritage de sa devancire quen 1891 ; elle abandonne la partie de louvrage rserve larme et la marine, pour se consacrer aux seuls problmes statistiques.

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vit en coopration avec les milieux universitaires et scientifiques. Il veut que la statistique dmographique soit laffaire des savants beaucoup plus que celle des bureaucrates. Il propose la cration Alger dun institut de statistique dmographique destin la formation des professionnels et qui assure en mme temps un prolongement scientifique leurs travaux quotidiens. Mais en dfinitive, ces projets ne correspondent pas aux objectifs du Gouverneur gnral de lAlgrie. Laction de R. Ricoux sinscrit dans les dbats ouverts par les statisticiens au congrs international de Berlin de 1867 qui visent dgager les statisticiens de lemprise des politiques et des bureaucrates, en crant des bureaux centraux de statistique. En France, il semble que ce soit la tradition bureaucratique2 qui lemporte avec ses rpercussions sur lAlgrie. Le Dr Ricoux joue, en plus, un rle non ngligeable dans lintrt quexpriment les dmographes franais du dbut du vingtime sicle pour ltude des populations algriennes, dont il ouvre le chemin avec sa dmographie figure ; ce livre constitue le premier travail systmatique danalyse dmographique des populations europennes en Algrie et secondairement des populations indignes. Lanonymat des auteurs des travaux (dont il se plaint dailleurs), qui a cours dans les publications statistiques, ne permet pas davoir une ide prcise du rle que joue Ricoux dans le bureau de statistique. En 1885, il publie nanmoins, avec lautorisation du Gouverneur gnral de lAlgrie Tirmann, un bulletin qui traite de la population europenne en Algrie pendant lanne 1884 . Les proccupations exprimes pendant les congrs internationaux (sparation des Franais, des Isralites indignes et des naturaliss, discrimination des populations indignes par ethnies, centralisation du dpouillement, recensement jour fixe, etc.) sont prises en compte dans les vingt annes qui suivent sa nomination. En dfinitive, la tentative de mettre sur pied en Algrie un bureau de statistique libr de la tutelle des politiques et des bureaucrates choue en mme temps que lespoir de crer un institut de statistique dmographique. Bien que lensemble des recommandations faites par les milieux de la dmographie internationale soient mises en uvre, il ne semble pas que, sur le plan du traitement des statistiques de population et des recensements, il y ait des changements substantiels. La mthode reste celle qui prvaut depuis le dbut. Le service de la Statistique gnrale regroupe les statistiques de lAlgrie et les publie avec une trs grande rgularit dans la Statistique Gnrale de lAlgrie , avec comme mention sur la page de garde : dress par ordre du Gouverneur Gnral . Au dbut du vingtime sicle, la structure administrative est pratiquement acquise avec les moyens matriels correspondants pour raliser les missions qui lui sont confies. Il reste cependant rgler le problme du personnel qualifi pour le faire voluer dun bureau denregistrement et de collationnement des statistiques un vritable bureau de statistique producteur de donnes, dinformations et danalyses statistiques. Si lon en croit J. Breil, le personnel qualifi dans ce domaine est pratiquement inconnu en Algrie jusquen 1940 (Breil, Boyer, 1958).

Les efforts de mise aux normes mtropolitaines de lappareil administratif


La rforme administrative engage avec le dcret du 23 aot 1898 et la loi du 19 dcembre 1900 donne lAlgrie une entit politique dote de la personnalit civile avec une autonomie financire. Elle rtablit les prrogatives du Gouverneur gnral de lAlgrie, en mme temps quelle dote la colonie dune assemble (les dlgations financires) charge de statuer sur les finances du pays (le budget de lAlgrie devient indpendant du budget gnral de ltat franais). Cette rforme suscite un regain dintrt pour les travaux statistiques. Par un arrt en date du 28 dcembre 1900, le Gouverneur Gnral de lAlgrie, M. Jonnart, cre trois directions au gouvernement gnral. Il intgre le bureau de la statistique gnrale de lAlgrie au deuxime bureau de la direction de lagriculture du commerce et de la colonisation au mme titre que les services des douanes, des banques, des chambres et tribunaux de commerce3. Le programme trac au nouveau service de statistique est de rendre annuelle la publication de la Statistique gnrale de lAlgrie , prcdemment trisannuelle, et de reprendre les rubriques abandonnes dans les dernires annes du dixneuvime sicle. A partir de 1906, le service de statistique est destinataire des bulletins individuels, des fiches de familles et des diffrents bordereaux constitus loccasion des recensements dans la perspective dune exploitation centralise des recensements.

Rformes et contestation du service central de statistique


La premire contestation de lactivit des services statistiques en Algrie est luvre de R. Ricoux au moment o ils se mettent en place. Cette critique repose sur lexistence dun projet alternatif celui du Gouvernement gnral. Ce nest pas le cas dans la seconde contestation qui a lieu dans lentre deux guerres. Elle se dveloppe un moment o le Gouverneur gnral manifeste une volont damlioration des activits de ses services semblable celle qui sest dj manifeste au dbut du sicle sous limpulsion de M. Jonnart. Mais cette volont na pas les mmes incidences sur la qualit des publications statistiques que celle manifeste au dbut du sicle. Lexploitation centralise des bulletins individuels du recensement (regroups Alger depuis 1906) par

2. Stanziani, A : Les sources dmographiques entre contrle policier et utopies technocratiques, le cas russe, 1870-1926. in Sminaire dHistoire de la statistique dmographique ; dcembre 1996 ; Paris Ined. 3. Gouvernement gnral de lAlgrie : Bulletin Officiel anne 1900, Alger 1901, Imp. Administrative et commerciale.

La statistique coloniale en Algrie (1830-1962)


les services de la statistique gnrale constitue le noyau du programme du Gouverneur. Elle est engage sans succs ds le recensement de 1926. Le Gouverneur gnral de lAlgrie est conduit en 1927 rorganiser ses services et dfinir un nouveau programme dans le cadre de la prparation des festivits de commmoration du centenaire de la conqute de lAlgrie. Le Service de la Statistique gnrale qui dpend de la direction de lagriculture, du commerce et de la colonisation, est remplac en 1929 par le Service central de la statistique et dpend de la direction du commerce et de lindustrie, du travail et de la prvoyance sociale. La publication priodique Statistique gnrale de lAlgrie est remplace par lAnnuaire statistique de lAlgrie . Les justifications sont toujours lies la ncessit dadopter les mthodes statistiques employes en mtropole . Cependant, les services statistiques, en plus des tches qui leur sont dvolues, doivent rpondre un objectif politique : valoriser la prsence franaise en Algrie et mesurer, aussi exactement que possible, la grandeur de leffort accompli par la France en Algrie 4. Afin daccrotre les chances de russite de son programme, le Gouverneur gnral met sur pied en 1929 (arrt du 3 juillet) une commission consultative du recensement dmographique5 pour dabord donner un avis qualifi sur le dpouillement du recensement de 1926 et ensuite faire des suggestions dordre pratique au sujet des conditions dans lesquelles devront tre poursuivies les oprations du dnombrement de 1931 . La prsence des cinq juristes dans la commission doit permettre de trouver les critres adquats susceptibles de lever les indterminations en matire de nationalit dans lexploitation des bulletins individuels. Ces derniers aussi bien en 1926 quen 1931 semblent inexploitables. A cet gard, les enseignements fournis par le dernier dnombrement de 1926 sont tout fait caractristiques. Faute dun contrle suffisant,
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sur place, de la part des agents communaux chargs des oprations, cette enqute a t vicie en ses rsultats, dans une proportion telle que le service charg du dpouillement na pu remdier que dans une faible mesure aux erreurs et aux lacunes contenues dans la documentation de base qui lui a t transmise... De trs nombreux bulletins individuels se sont rvls insuffisamment ou incorrectement remplis. Pour la majeure partie des indignes pars, les feuilles de familles ont t fort mal tablies ou contrles. Trs nombreux, furent parmi les formulaires de ces deux catgories, ceux qui nindiqurent ni lge, ni le sexe, ni le degr dinstruction, ni le nombre denfants, ni mme la commune du domicile 6. Bien que des amliorations soient apportes aux bulletins individuels et au recensement lui-mme, le dpouillement systmatique des bulletins individuels du recensement de 1931 rvle les mmes insuffisances que celles constates lors du dpouillement de celui de 1926. Ds lors, le service technique de dpouillement [charg du report du contenu des questionnaires dans des tableaux] prouve dassez nombreuses difficults. Cest ainsi que les rponses consignes sur les questionnaires individuels par les habi-

tants eux-mmes laissent souvent dsirer, en raison de leur caractre obscur, incertain ou fragmentaire. Nombre de ces documents, en effet, nindiquent ni la nationalit, ni lge, ni le sexe, ni le degr dinstruction, ni le nombre denfants, ni mme la commune du domicile. Enfin les mentions consignes sur des dizaines de milliers de bulletins sont rdiges en langue arabe 7. Cet chec est, dans les deux cas, imput par les services statistiques aux agents recenseurs et aux contrleurs. Ils sont toujours recruts par les mairies qui ont charge lensemble des frais affrents aux dnombrements. Leur formation et leur contrle sont assurs par des contrleurs communaux, agents occasionnels et temporaires, souvent insuffisants avec les manques gagner que cela induit. Il nest cependant pas tonnant que de tels problmes se posent
4. Gouvernement gnral de lAlgrie : Annuaire statistique de lAlgrie 1926 ; Alger 1927. 5. Cette commission prside par le S.G. du gouvernement gnral comprend, outre les diffrents directeurs du Gouverneur gnral de lAlgrie et le chef du Service central de statistique, le premier prsident et le procureur gnral de la cour dappel dAlger, ainsi que le doyen de la facult de droit, auquel sajoutent deux enseignants de cette mme facult et enfin, un professeur de linstitut de gographie dAlger. 6. Gouvernement gnral de lAlgrie : circulaire du 26 janvier 1931. 7. Gouvernement gnral de lAlgrie : Statistique de la population algrienne ; TI septembre 1934 ; Alger.

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pour les bulletins individuels. Ce qui est surprenant cest que le problme ne soit soulev qu cette date. Les agents recenseurs ont affaire une population dont lanalphabtisme est considrable. En 1954, les chiffres fournis par le recensement donnent 86,3 % danalphabtes du sexe masculin et 95,4 % du sexe fminin. Les agents recenseurs doivent par consquent remplir eux-mmes tous les questionnaires dans la mme journe ; cest une tche probablement impossible raliser dans les zones rurales, lorsquil y a un agent recenseur pour cent mnages et de grandes distances parcourir. Par consquent, les efforts dvelopps pour que le traitement des recensements ne soient plus laffaire des seuls maires, avec la supervision des sous-prfets et des prfets, est pratiquement un chec. Les tentatives de traitement centralis des bulletins individuels du recensement sont renouveles loccasion de lexploitation du recensement de 1936 avec un succs partiel. Elles donnent lieu, de la part du service central des statistiques de la direction des services conomiques du gouvernement gnral de lAlgrie, la publication de lexploitation du recensement concernant le dpartement dOran, sous le titre de statistique de la population algrienne ; elle donne la rpartition des habitants par nationalit ou race, sexe, ge, lieu de naissance, tat matrimonial, degr dinstruction et profession. Le second point du programme du Gouverneur gnral dAlgrie porte sur le traitement centralis des actes dtat civil. A partir du premier janvier 19358 est introduit en Algrie, pour la seule population europenne, le systme des fiches individuelles remplies ou modifies par les diffrentes communes pour tout acte de ltat civil au moment de son enregistrement. Ce systme, en vigueur en France depuis 1907, transfre au service central de statistique llaboration des tableaux des naissances, dcs et mariages, qui jusqualors sont remplis annuellement dans chaque commune aprs dpouillement des registres dtat civil, puis centraliss par lintermdiaire des sous prfectures et des prfectures. Ces dernires nont plus qu centraliser trimestriellement les bulletins remplis au niveau communal et les diriger vers le service statistique du Gouverneur gnral qui se charge partir de cette date de leur dpouillement. Les communes sont ainsi dcharges du travail dlaboration statistique qui leur incombe depuis des dcennies. Le processus de centralisation de la statistique dmographique est alors progressivement men son terme, tout au moins en ce qui concerne la population dorigine europenne, car ltat civil des indignes a daprs linstruction du Gouverneur Gnral de lAlgrie des modalits particulires, qui exigeront peut-tre par la suite, une adaptation du nouveau mode de notation . Ceci va conduire llaboration des tables de nuptialit, natalit, mortalit et causes de dcs pour la population europenne. Lannuaire Statistique consacrera ainsi une soixantaine de pages aux statistiques de population europenne et une vingtaine de pages celles de la population musulmane. Le troisime point du programme porte sur les publications des services de la statistique du GGA. Le Service central de statistique publie la statistique gnrale de lAlgrie , le Rpertoire statistique des communes de lAlgrie tous les cinq ans loccasion de la publication des rsultats du recensement, et une statistique de la population algrienne . En 1928, la Statistique Gnrale de lAlgrie est remplace par lAnnuaire statistique de lAlgrie . Malgr une volont manifeste damliorer le processus de collecte et de traitement des donnes statistiques, il reste marqu par son caractre administratif. Il y a peu ou pas de statisticiens et de dmographes impliqus dans ce travail. Le Service central de statistique narrive pas chapper la mthode qui consiste confier une seule personne le soin de regrouper et de collationner les statistiques labores par les mairies et les prfectures. Il nest par consquent pas tonnant que lactivit du service central de statistique fasse lobjet de critiques qui lamnent par deux fois ragir contre les attaques supposes ou relles9 et justifier son travail et ses difficults10. Les critiques portent sur lutilit des donnes statistiques publies, sur labsence dindices et danalyse accompagnant les donnes statistiques ainsi que sur le degr de fiabilit des donnes elles-mmes, enfin sur les dlais de publication. Ces critiques transparaissent travers les justifications publies en 1933 et en 1934 dans les avertissements faisant office dintroduction lAnnuaire Statistique de lAlgrie . Les rponses ces critiques, dveloppes par le Service central de la statistique, portent sur le rle et la porte des statistiques dans le monde et en Algrie et sur leur ncessit dans un tat moderne. Elles insistent sur la faiblesse des moyens humains, matriels et financiers mis la disposition du Service central de la statistique comparativement aux moyens mis la disposition des bureaux de statistique dont disposent dautres pays. Les critiques de lentre deux guerres sont reprises au lendemain de la Seconde guerre mondiale. En 1948, linspecteur gnral de lInsee G. Bournier, dans une srie darticles consacrs aux services statistiques dOutre-mer (Bournier 1948), met un jugement trs ngatif sur lactivit du Service Central de la Statistique de lAlgrie. Il estime quil nexiste en son sein aucun agent qui ait un minimum de formation statistique. Et selon ses dires, jusquen 1941, la carence en matire de statistique y est complte et cong-

8. GGA : texte de linstruction du 30 septembre 1934, concernant la statistique de ltat civil ; in Annuaire statistique de lAlgrie, anne 1935. 9. De qui viennent ces attaques ? Les archives ne permettent pas de le savoir, seuls les griefs tant cits. 10. Service central de Statistique : Annuaires statistiques de lAlgrie, 1933 et 1934.

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nitale . Il considre que lAnnuaire statistique est sans conteste le plus critiquable parmi les trois annuaires dAfrique du Nord. Cependant, les critiques des administrateurs de lInsee (Bournier ou Breil) sinsrent dans le processus de transformation du service de statistique amorc la faveur de la Seconde guerre mondiale aussi bien en France (Touchelay, 1993) quen Algrie. En 1941, dans le prolongement des dcisions prises en mtropole, il y a cration Alger dune direction rgionale du service national de la statistique, sous la direction du lieutenant colonel Braconnot. LAlgrie se trouve alors dote de deux services de statistique ; ct de la Direction rgionale du SNS, il y a toujours le Service central de la statistique rattach la direction de lconomie (sous direction du commerce). Les deux services auraient d fusionner selon le dcret du 28 juillet 1942. Mais cette fusion ne se ralise quen 1946. Le dbarquement alli en Afrique du Nord entrane la rupture des relations avec la mtropole de Vichy. Lantenne du S.N.S. est ainsi passe sous contrle des autorits locales. Elle effectue les tches qui lui sont dvolues (identification des personnes nes de 1880 1940, recensement des activits professionnelles de 1941, identification des fiches de dmobilisation et mise jour des rpertoires par exploitations des bulletins de dcs mtropolitains). Jusqu la fin aot 1946 les services de statistiques nont aucune activit civile. Cette fusion ne donne pas lieu la cration dune direction rgionale de lInsee, le service de statistique rsultat de la fusion des deux organismes tant intgr ladministration algrienne. Cependant des liens troits sont maintenus, des administrateurs de lInsee sont envoys en mission dexpertise en Algrie. Certains dentre eux sont dtachs dans les services statistiques du gouvernement gnral o ils occuperont des responsabilits (en 1948, il y a quatre administrateurs de lInsee en activit en Algrie). Le nouveau service reoit en permanence le concours du personnel de lInsee, soit dtach, soit envoy pour des missions de courte dure. La dcentralisation est engage ds 1947 avec la dsignation de responsables lchelon des prfectures de Constantine et dOran. Les moyens humains et matriels sont renforcs ; ds 1948 un atelier mcanographique est dot dun matriel lectrique moderne pour le traitement des recensements. Pour la premire fois les services statistiques semblent disposer des moyens humains et matriels ncessaires, mais les populations locales semblent absentes de son personnel dencadrement. Il ny a aucun Franais de confession musulmane dans lencadrement ni dans le personnel de la Statistique gnrale de lAlgrie. Il nexiste toujours pas de structure locale de formation et denseignement de la dmographie. Soixante dix ans aprs R. Ricoux, le rve qui lhabitait que soit cr un institut de dmographie dont chercheurs et enseignants collaboreraient la Statistique gnrale de lAlgrie nest toujours pas ralis. Tous les travaux et tudes statistiques relvent de ladministration ou sont faits sous son autorit. Les analyses dmographiques sont ralises en France, lexception de celles de J. Breil (dtach par lInsee au gouvernement gnral de lAlgrie) et de J.-J. Rager (qui fait sa thse dtat luniversit dAlger). Elles sont focalises principalement sur la croissance inquitante de la population musulmane et sur le mouvement migratoire vers la France. ans, comme en France, et les auteurs qui travaillent sur la dmographie de lAlgrie, tels que R. Pearl (Pearl 1926), dateront, aprs critique des sources, les recensements de 1881 et 1886 comme susceptibles davoir une fiabilit suffisante pour que leurs rsultats soient retenus comme base de leur travail dinvestigation. Les efforts les plus importants sont orients vers llargissement du dnombrement nominatif et sur la rduction du dnombrement sommaire qui ne persiste que dans les territoires sous commandement militaire. Le bulletin individuel est introduit pour la population europenne avec une volont dlargir son utilisation la population indigne algrienne. Le recensement jour fixe, introduit en France en 1881, est appliqu en 1886, sauf pour les communes mixtes et indignes des territoires de commandement. Les recensements de 1921, 1926, 1931 et 1936 vont dans le mme sens que les prcdents. Ils visent largir lapplication des mthodes de dnombrement en vigueur en France. Il sagit deffectuer le recensement jour fixe, dlargir lutilisation du bulletin individuel, de centraliser leur dpouillement (dcid en 1905) et surtout dliminer le dnombrement sommaire des populations indignes. On tente aussi, mais sans grande efficacit, de transposer en Algrie les principes poss en France pour amliorer et clarifier la technique des recensements. Dans les territoires du Nord, le dnombrement des Europens est effectu au moyen des bulletins individuels, de feuilles de mnage et de bordereaux de maison analogues ceux utiliss en France aux mmes dates. En ce qui concerne les indignes, trois cas sont distinguer, suivant le territoire o ils rsident. Dans les agglomrations europennes, les indignes sont dnombrs au moyen de bulletins individuels et de feuilles de mnage. Les questions du bulletin individuel sont rdiges en franais et en arabe, elles portent sur les noms, prnoms, sexe, lieu de naissance, lge en nombre rond (pour les Europens cest la date

Efforts dadaptation limits face la ralit indigne


chec partiel de la mise aux normes mtropolitaines des recensements et de ltat civil
Les efforts de mise aux normes de la mtropole ne concernent pas seulement lappareil statistique, mais aussi tout le travail de collecte, de traitement et de publication des donnes statistiques. A partir de 1856, les recensements sont raliss avec une grande rgularit tous les cinq

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de naissance qui est demande), ltat matrimonial, le nombre denfants, la nationalit, la langue parle, la connaissance du franais crit, la profession. Dans les agglomrations de plus de mille habitants, et exclusivement composes dindignes, le dnombrement se fait au moyen du bulletin individuel du type prcdent mais la feuille de mnage est remplace par un bordereau de famille, simple tat numrique des membres de la famille prsents ou momentanment absents, et des htes de passage. Enfin, les populations indignes vivant dans des zones dhabitat parses ou dans des agglomrations de moins de mille habitants sont dnombres au moyen dune feuille de famille ; elle comporte, sur sa premire page, un questionnaire relatif au chef de famille, portant les mmes questions que celles figurant sur le bulletin individuel indigne et, sur les autres pages, des indications relatives aux membres de la famille prsents ou momentanment absents, aux domestiques et aux htes de passage. Dans les territoires du Sud sous commandement militaire, dans les communes dites indignes, il nest pas tabli de bulletin individuel. On se borne en dresser un relev numrique dune faon globale par fraction de tribu, par Ksour ou centre important au moyen de listes fournies par les chefs indignes, vrifies et contrles par les autorits locales. Ils sont mentionns sur des tats comportant, par douar ou tribu, les renseignements sur le sexe, lge, ltat civil, la nationalit et la profession. En matire dtat civil, Les Tableaux des tablissements franais en Algrie publient ds leur parution les donnes statistiques relatives aux naissances et dcs. Si la collecte de ces donnes est satisfaisante pour les populations europennes, il nen est pas de mme pour la population indigne. Cette dernire na aucune tradition de dclaration des naissances, dcs et mariages. Des registres sont progressivement ouverts son intention et des dispositions administratives sont prises partir de 1852 par le Gouverneur gnral dans le but dlargir les enregistrements. La mise en place des services de ltat civil en dehors des villes et des centres de colonisation devient indispensable pour amliorer le niveau des enregistrements de ces donnes mais elle savre insuffisante. Les mesures partielles engages ne suffisent pas assurer une couverture satisfaisante de ces enregistrements. De plus, le systme didentification des individus dans la population indigne, caractris par labsence de nom patronymique, est une entrave au fonctionnement du march foncier qui doit se substituer aux mesures administratives et rpressives de rcupration des terres au profit de la colonisation. Cest pourquoi une opration denvergure est engage dans les deux dernires dcennies du dix-neuvime sicle. Lenregistrement des actes de ltat civil, point de dpart de toute la chane de travail qui aboutit la production des chiffres sur le mouvement naturel de la population, devient obligatoire ds 1882 (loi du 23 mars). En plus de son caractre de mise aux normes et dordre public (le refus dinscrire les vnements dtat civil est considr comme un refus de lautorit publique, dans une priode o le code de lindignat est appliqu en Algrie), cette constitution de ltat civil sinscrit, aussi et sans nul doute, dans le processus dindividualisation de lindigne face aux services administratifs, aprs lavoir rendu saisissable face aux services de contrle et de rpression policire. Les pouvoirs publics mobilisent des moyens humains et financiers importants pour fonder un tat civil indigne (registre matrice, octroi de nom patronymique, constitution darbre gnalogique, dlivrance de carte didentit). Cependant, la fin de lopration de constitution de ltat civil, seulement un peu moins de la moiti de la population totale est enregistre ltat civil. Il semble que ce processus ne soit pas fait sans difficults et que les zones couvertes par lopration connaissent des omissions qui sont signales par diffrentes administrations ds 1909. Ainsi, en 1913 les renseignements fournis par les prfectures faisaient ressortir pour la colonie un nombre domissions suprieur 100 000 (Benet, 1937). Les listes nominatives des recensements de 1906 et 1911 montrent que lopration na pas touch toutes les populations, y compris celles du Nord du pays. Ainsi, dans la tribu des Guenadza (commune mixte de Djebel Nador, arrondissement de Mostaganem), les indignes algriens nont ni nom patronymique ni date de naissance prcise, y compris pour les nouvelles naissances. Par contre, dans larrondissement voisin de Mascara, la liste nominative de la commune de Palikao montre que les indignes algriens, y compris ceux habitant la zone parse (habitat non agglomr), sont pourvus dun patronyme. Cest la preuve que lopration est concrtise dans cette localit. Lopration de correction est engage, mais elle est interrompue par le dclenchement de la Guerre 191418. Elle reprend en 1924 et est poursuivie jusquen 1934 puis connat une reconduite annuelle exceptionnelle jusqu 1938. Les communes ayant fait lobjet dune opration dhomologation dans le cadre de la mise en place de ltat civil, voient chaque anne des listes souvrir en mairies pour des oprations de rgularisation qui font lobjet dun jugement collectif. Les frais judiciaires sont assums par ltat, ce qui nest pas le cas lorsque la rgularisation rsulte dun jugement individuel. Le Sahara, contrl par larme, passe en matire denregistrement des actes dtat civil sous lautorit dofficiers dtat civil partir de 1901 (arrt du 19 juin 1901 et du 20 septembre 1901). La totalit du territoire actuel de lAlgrie est lpoque, selon la loi en vigueur, soumise enregistrement. Seuls les nomades y chappent. Ce nest quen 1952 quils y seront soumis avec linstitution de bureaux dtat civil itinrants. Mais en ralit une grande partie de la population saharienne nest pas enregistre ltat civil (Tabutin Vallin, 1973).

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photographie tire du site www.alger50.com

bre de questions poses par les bulletins prvus pour la mtropole. Comme vous le remarquerez lexamen des imprims-types que je vous adresserai prochainement, ces innovations visent surtout les indications relatives la nationalit ou lorigine ethnique, ainsi quaux naturalisations de divers modes 13. Si la publication des rsultats du recensement de 1936 par les services statistiques du gouverneur gnral de lAlgrie en 1939 privilgie la rpartition des populations par nationalit ou race , dans le fond la rpartition selon la religion est prsente, bien que les objectifs officiellement exprims soient la rpartition selon la nationalit et les groupes ethniques. Aprs la deuxime guerre mondiale, la rpartition des populations prendra une autre caractrisation. En ce qui concerne la rpartition des populations selon les nationalits, le sujet musulman disparat. Lindigne ne sera plus dsign par son statut juridique. Les populations sont rparties en deux grands groupes, musulmans et non musulmans , et lintrieur de chaque groupe, on trouve deux sous-groupes, franais et trangers . La population algrienne musulmane est dans sa globalit dans le groupe franais (les trangers tant essentiellement des tunisiens, marocains, italiens, espagnols, anglais). Ainsi on retrouve une diffrenciation entre les Franais musulmans et non musulmans, de mme quentre trangers musulmans et non musulmans. Nous passons sans transition dune identification religieuse implicite une identification religieuse explicite par rapport la seule religion musulmane. La nationalit devient un sousgroupe, et cette fois pour lensemble de la population recense, alors que jusqu prsent cela ne concernait que la population indigne. En dernire analyse, la tradition franaise de rpartition de la population selon

Recensements algriens : La norme face la ralit des populations


Ces efforts de mise aux normes franaises se heurtent rapidement aux particularits de la situation en Algrie. Les circulaires et les directives aux agents recenseurs ont comme objectifs dhomogniser le travail effectu sur le terrain pour faciliter son exploitation. Pour les premiers recensements, le gouverneur gnral de lAlgrie se contente de rpercuter les circulaires labores en France en laissant aux prfets et commandants des territoires militaires le soin de ladaptation des directives de la mtropole en fonction des difficults rencontres sur le terrain. En revanche, partir de 1901, surtout avec larrt des oprations militaires et lextension du territoire civil pratiquement toute lAlgrie du Nord, le Gouverneur gnral se charge, avec ses services statistiques, de rdiger des circulaires de mise en uvre des oprations de recensement et dadaptation des questionnaires. Car si la plupart des oprations de recensements en Algrie ont partiellement les objectifs de ceux effectus en mtropole, elles ont aussi des objectifs spcifiques la situation de colonie de peuplement

(rapport de force dmographique entre les populations en matire de peuplement) que connat ce pays. En 1886, dj, la circulaire rpercute par le Gouverneur Gnral de lAlgrie aux prfets diffre de celle de la mtropole par une partie relative aux nationalits11. Mais elle est quand mme introduite par lhabituel : Les instructions ont t calques sur celles de M. le ministre de lintrieur aux prfets de la mtropole 12. La rpartition des populations selon la nationalit constitue une diffrence fondamentale avec les recensements de la mtropole. Tout dabord, ladministration franaise a du mal classer et identifier la population indigne algrienne : arabe, arabe des tribus, musulmans, sujets franais auxquels on adjoint les qualificatifs arabes, mzabites, kabyles, isralites indignes. Ensuite, la population franaise isralite dorigine indigne est discrimine jusquen 1931 (les catgories statistiques distinguent ces Franais des autres Franais). La commission, installe en 1929 pour prparer le recensement de 1931, a pour mission de trouver une solution cet pineux problme : Mes services ont modifi spcialement pour lAlgrie un certain nom-

11. Source : BOGGA, anne 1886, n 1014, p. 308. 12. GGA : circulaire de 1886 et 1891 aux prfets et gnraux commandants de division. 13. GGA : circulaire du 26 janvier 1931 destine aux prfets, p. 24.

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carnets de prvision et les feuilles de contrles sont conservs, la rcapitulation par une liste nominative de commune nest plus ralise quen un exemplaire, les maillons intermdiaires constitus par les sousprfectures et les prfectures sont supprims ; en dfinitive, seuls huit sortes dimprims sont maintenues au lieu des dix-neuf en 193614. Ces modifications sont le rsultat du rapport dexpertise labor par J. Breil (administrateur de lInsee et futur responsable des services statistiques du gouvernement gnral de lAlgrie).

Encadr 2. La mthodologie et les sources Cet article rsulte dun travail entam depuis plusieurs annes, portant sur lhistoire statistique des populations de lAlgrie pendant la priode coloniale. Il est plus prcisment centr sur lmergence du problme ethnique, son traitement pendant la colonisation, lassimilation politique, et enfin son traitement dmographique. Il fallait par consquent inventorier, tudier et analyser les statistiques des populations produites pendant la priode de colonisation de lAlgrie. Par une analyse critique des sources (recensements, tat civil et archives de ladministration franaise), les dynamiques dmographiques des diffrentes populations de lAlgrie sont mises en relation avec lhistoire politique (conqute, assimilation la France, processus de dcolonisation), conomique (bouleversement du cadre foncier, destruction du systme agropastorale dominant et dclin de lartisanat face la pntration des produits industriels mtropolitains) et sociale (nomadisme, organisation tribale, structures familiales) de lAlgrie coloniale. Il est apparu trs rapidement que ce travail serait incomplet sil ne sintressait pas au mode de production des donnes statistiques et leur organisation. Pour cela, il a t ncessaire de consulter, en plus de la littrature produite lpoque, les archives de lAlgrie disponibles dans trois endroits : le Centre des archives historiques de larme de terre (CAHAT), les archives du Muse du Val de grce (service de sant des armes), enfin le Centre des archives dOutre-mer Aix-en-Provence (CAOM). Les archives de lAlgrie disponibles au CAOM sont le fond le plus important ; elles stalent sur toute la priode (1830-1962), contrairement celles dposes au CAHAT qui, elles, concernent principalement les priodes 1830-1871 et 1954-1962. Les archives du CAOM sont constitues par les fonds des ministres, les fonds du Gouvernement gnral de lAlgrie, ceux des diffrents dpartements de lAlgrie (Alger, Oran et Constantine) et les dons des personnalits. Ces fonds concernent tous les aspects de la vie de la colonie (gestion des affaires indignes, justice, migration, colonisation, affaires lectorales, rformes administratives, instruction publique, tat civil) et nont pas en gnral de classement thmatique unique, en dehors des fonds 1G du dpartement dOran qui regroupent les rsultats des recensements de 1906 et 1911 ; ils contiennent les listes nominatives et les tableaux rcapitulatifs qui correspondent ces recensements. Une partie non ngligeable du fonds reste non communicable en vertu des lois et dcrets sur la gestion des archives. Elles concernent tous les dossiers personnels et les dossiers o sont cits des noms de personnes encore vivantes. Les actes dtat civil (naissances, dcs) communicables, microfilms, sont accessibles en libre service. En plus des archives, le CAOM gre un fonds documentaire assez important concernant lAlgrie, comprenant un nombre considrable de livres traitant des diffrents aspects de la vie de lAlgrie (ethnographie, histoire, gographie, dmographie, etc.) On y trouve aussi un certain nombre de revues (Annales de gographie, Bulletin de la socit de gographie dAlger et de lAfrique du Nord, Bulletin de la socit de gographie et darchologie dOran) dans lesquelles ont t publis des articles sur les diffrents recensements de lAlgrie. Y figure enfin toute la srie des annuaires de la statistique gnrale de lAlgrie (sauf ceux de lanne 1913).

Des donnes statistiques nombreuses dont la fiabilit est constamment conteste


Comparativement aux autres pays en dveloppement et colonies, lAlgrie dispose de donnes statistiques de population relativement nombreuses ; elles concernent une priode historique plutt longue. Cependant, tous les chercheurs, et parfois les spcialistes mmes qui produisent les donnes statistiques, mettent en cause la fiabilit de ces donnes. Ces contestations touchent aussi bien les donnes de ltat civil que les rsultats des dnombrements. Tous les auteurs concordent sur le peu de crdibilit des rsultats ds quil sagit des autochtones. Les critiques manent du Dr Ricoux en 1880, de Breil en 1955, ou des services de la statistique gnrale elle-mme15. En effet, le degr de fiabilit des recensements dpend naturellement des objectifs retenus par les autorits politiques pour la collecte statistique, et de la rigueur statistique des institutions en charge de les collecter et de les traiter. Mais il dpend galement des populations que ces recensements dcrivent. Concernant la population, elle peut percevoir le recensement comme une intrusion dans sa vie prive. Elle peut aussi ne pas voir son utilit et par consquent la contester. Il est vident que la rprobation et le manque de motivation des recenss influent sur la qualit des rponses fournies. La population indigne algrienne, si

la nationalit cde la place en Algrie une rpartition selon des catgories ethnico-religieuses puis religieuses. Aprs la Seconde guerre mondiale, le dtachement permanent de spcialistes de lInsee et les missions frquentes pour un certain nombre dautres spcialistes aboutissent des modifications dans la ralisation mme des recensements. Au

14. Gouverneur gnral de lAlgrie : rsultats statistiques du dnombrement de la population 1948, volume 1. 15. Statistiques gnrales de lAlgrie : dnombrement de 1948.

dnombrement jour fixe est substitu le dnombrement de priode. Les oprations de distribution et de collecte des questionnaires stalent sur une priode allant de huit trente jours selon la nature et ltendue de la commune. Il y a une simplification des questionnaires et une rduction de leur nombre, par la suppression du bulletin individuel dune part, et dautre part ladoption dune feuille de famille (modle 1) rdige en franais, arabe et kabyle, dune feuille de famille (modle 2) pour les trangers, et dune liste nominative pour les populations comptes part. Les

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elle nignore pas les inconvnients de ces recensements (utilisation des listes par ladministration fiscale), ne peroit en revanche aucun avantage cette intrusion de lautre (au sens de celui qui est diffrent par ses murs et sa religion) dans sa vie prive, bien quil ny ait pas, en apparence, dopposition ouverte aux oprations de recensement de sa part. Elle sera, jusqu lindpendance, souponne de manquer de sincrit dans ses rponses. Les diffrentes circulaires du Gouverneur gnral de lAlgrie traduisent souvent cette inquitude, relevant : ... la rpugnance des indignes rpondre des questions o ils voient une enqute indiscrte sur leur famille, les dplacements des populations nomades, les complaisances de certains chefs, la ngligence de quelques autres, voire mme les incidences dune politique fiscale locale dsireuse denfler le nombre des consommateurs indignes... (Demonts, 1923). Le mariage prcoce des filles est aussi souponn dtre lorigine de sous-enregistrement aussi bien ltat civil que lors des oprations de recensement : Il est bien certain par exemple quen Afrique, comme en Europe, la rpartition des individus daprs le sexe, lge et ltat civil est une notion indispensable au dmographe la condition toutes fois que les tableaux qui nous donnent ces chiffres soient sincres et vridiques ; reste savoir la valeur que peuvent bien avoir les tableaux algriens (Demonts, 1923). Plus de trente annes plus tard, J. Breil revient sur la fiabilit des rponses fournies par les recenss : Quant aux anomalies de structure, elles proviennent aussi bien des facteurs prcdents que de limprcision et de linsincrit des rponses faites par les recenss . Mme les documents officiels, dans leur prsentation des diffrents recensements, soulignent les insuffisances des recensements antrieurs et mettent laccent sur les efforts faits pour accrotre le degr de fiabilit du recensement quils prsentent. J. Breil signale deux problmes pratiques essentiels qui daprs lui ne peuvent trouver aisment une solution et qui se posent ds lors quun recensement est programm : le premier est celui du recrutement des agents recenseurs dans une population presque entirement illettre ; le second est li la mobilit de la population. En effet, comment saisir lindividu si lon ne peut le fixer un domicile nettement dfini ? (Breil, 1957 et 1960). Quant ltat civil indigne, l o il existe, il souffre des mmes dfauts. Dans les douars, il est tenu par les cads et dans les centres de colonisation par des adjoints spciaux. Dans les centres europens, les naissances sont plus rgulirement dclares. Dans les douars, tout dpend du secrtaire du cad, le khodja. Ici encore, ce sont les chiffres de natalit fminine qui sont les moins srs... Une monographie labore par Letellier affirme quen pleine Casbah dAlger, ltat civil souffre des mmes dfauts. Les enfants ny sont pas toujours inscrits leur naissance, surtout lorsque la mre a t marie avant lge autoris par la loi (Chevalier, 1947). Les chiffres publis sont trs sujets caution pour les enfants en bas ge, au moins jusqu deux ou trois ans ; ils sont, dautres part, certainement trop faibles pour les femmes, ainsi que pour les vieillards des deux sexes (Henry, 1947). lAlgrie coloniale sont dtermins, dune part par les objectifs politiques et fiscaux de ltat franais, dautre part, par le dveloppement de lappareil statistique dans la mtropole elle-mme. Sur le plan politique, il sagit de suivre le dveloppement du peuplement europen qui a vocation se substituer la population autochtone quil faut bouter hors du Tell afin de librer les terres fertiles. Jusqu lentre deux guerres, la croissance dmographique des populations europennes est, selon les statistiques, suprieure celle de la population indigne algrienne. Les statistiques se proccupent des populations trangres et des populations franaises dorigine trangre, car il sagit dassurer la prminence du sang franais . En termes plus clairs, seuls le dnombrement et la rpartition de la population par nationalit semblent alors dignes dintrt. Il faut lnergie du Dr R. Ricoux et lappui des milieux de la dmographie franaise et internationale pour que des progrs soient enregistrs dans lorganisation et le traitement des donnes statistiques. Il faut dire que le milieu et lorganisation sociale des populations indignes algriennes sont des contraintes quil nest pas facile de surmonter. Mais il faudra en fin de compte attendre la fin des annes quarante pour que soient runis en Algrie un appareil statistique moderne et le personnel qualifi susceptibles de mener bien le travail statistique de collecte, de traitement et danalyse des rsultats de recensement des populations. Labondance des sources statistiques disponibles ne doit nanmoins pas faire perdre de vue quen ce qui concerne la population indigne algrienne dalors, un travail de correction des donnes statistiques est raliser encore aujourdhui. Cest dailleurs la volont de tous ceux qui tudient et analysent la dmographie algrienne et qui, la suite du travail dj entam par J. Breil et J.-N. Biraben dans les annes 1950-1960, souhaitent le mener son terme.

Conclusion : le chemin parcouru et celui quil reste parcourir


Le rythme et les tapes de ldification de lappareil statistique dans

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Kamel Kateb

Lauteur Kamel Kateb, titulaire dun doctorat en dmographie de lcole des hautes tudes en sciences sociales (EHESS), est chercheur dmographe lInstitut National dtudes Dmographiques (INED). Il participe dans ce cadre aux travaux des units de recherche migrations internationales et minorits et histoire critique des sources et des mthodes . Ses recherches portent sur lhistoire des populations des pays du Maghreb, sur les systmes ducatifs de ces pays et sur les migrations entre le Maghreb et lEurope. Publications concernant lAlgrie coloniale : Kateb Kamel, 2001, Europens, indignes et Juifs en Algrie (1830-1962) , Paris, Ined/PUF ; XXVI + 386 p. Kateb Kamel, 2000, Les politiques franaises dassimilation en Algrie , in Linvention des populations , Paris, diteur Odile Jacob, mars, pp. 201-222. Kateb Kamel, 2001, Immigrs et Indignes dans lAlgrie coloniale (la gestion des flux migratoires), dans Identifications ethniques. Rapports de pouvoir, compromis, territoire , ouvrage collectif sous la direction dHlene Bertheleu, Paris, dition LHarmattan, septembre 2001, pp. 23-43. Kateb Kamel, 1998, La gestion statistique des populations dans lempire colonial franais : le cas de lAlgrie, 1830-1960 , in Histoire & Mesure, Paris, juillet 1998, XIII-1/2, pp. 77-111. Kateb Kamel, 1997, La gestion administrative de lmigration algrienne vers les pays musulmans au lendemain de la conqute de lAlgrie (1830 1914) , in Population, n 2, Paris, avril 1997, pp. 399-428. Kateb Kamel, 1998, Algrie 1954 : faible esprance de vie la naissance et surmortalit fminine aux diffrents ges , in Population, n 6, Paris, novembre-dcembre 1998, pp. 1207-1.

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La statistique coloniale en Algrie (1830-1962)

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Courrier des statistiques n 112, dcembre 2004

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