Sance 2: en quoi le rcit de la rencontre entre Candide et l'esclave de
Surinam permet-il de construire un rquisitoire contre l'esclavage?
Objectifs culturels: percevoir la porte argumentative d'un texte narratif, identifier lironie,
comprendre en quoi le registre pathtique peut se mettre au service de la persuasion
Objectifs mthodologiques : identifier les cibles de la critique, rdiger la conclusion dune
lecture analytique mene en classe (reformuler et synthtiser les remarques essentielles
permettant de rpondre la problmatique)
Support: Candide, Voltaire, 1759
Introduction:
Voltaire est un auteur du XVIIIme sicle, sicle des Lumires. Le sicle des Lumires est le
sicle des remises en question, fondes sur la raison et l'ide de libert. Les philosophes sont
engags contre les oppressions religieuses, morales et politiques. Ils combattent l'irrationnel,
l'arbitraire, la superstition. Ils ont influenc sur la dclaration d'indpendance des Etats-Unis
(une nouvelle nation est proclame, ils se sparent de la Grande-Bretagne) et la Rvolution
franaise.
Voltaire est un philosophe qui crit contre l'intolrance (et contre notamment le fanatisme
religieux). Pour lui, il ne peut y avoir de progrs de l'humanit et de la civilisation sans
tolrance. Il est engag au service de la vrit, de la justice, de la libert de penser.
Candide est un conte philosophique. Le personnage principal, Candide, parcourt le monde
pour mettre l'preuve la philosophie optimiste de son ami Pangloss, certain de vivre dans le
meilleur des mondes possible. Quand il arrive au Surinam, Candide revient couvert de trsors
de l'Eldorado. Cette rencontre constitue donc un choc brutal et un retour la ralit du mal.
- Tentative de problmatisation
- Quelle est la position physique dans laquelle Candide trouve l'esclave? Que rvle t-elle?
I) Description de l'esclave et art de la mise en scne romanesque
L'esclave est "tendu par terre"l.1, alors que Candide est debout. Cette position l'inscrit
d'emble dans une situation d'infriorit. La position physique rvle ici la position sociale.
L'esclave est immobile, il attend son matre, alors que Candide est en mouvement. Cette
attitude reflte leur condition: l'un est libre de ses mouvements, l'autre pas.
- En quoi la premire phrase, qui dcrit l'apparence physique de l'esclave, est surprenante?
La premire phrase est surprenante car elle nonce sur un mme plan le fait que l'esclave n'ait
qu'une moiti d'habit et qu'il soit amput d'une jambe et d'un bras. La priorit mise sur
l'absence d'une moiti de vtement est aberrante. Il y a l une distorsion ironique. Le narrateur
donne l'impression de ne pas faire de diffrence entre un vtement dchir et une amputation.
Il nonce sur le ton de la banalit une chose horrible. Le dcalage entre l'objectivit du constat
et l'horreur de la situation dcrite permet de surprendre le lecteur, de l'interpeller. Les svices
semblent d'autant plus atroces qu'ils sont noncs avec distance.
- A qui Voltaire dcide t-il de laisser la parole? Quel type de discours rapport choisit-il?
Pourquoi, votre avis?
Voltaire dcide de laisser la parole l'esclave car il donne ainsi l'impression d'offrir au lecteur
un vritable tmoignage. Laisser parler directement la victime permet de susciter l'intrt du
lecteur, de le faire ragir, de l'mouvoir (le pathtique est prsent ici), et d'tre galement plus
critique. L'accusation a donc plus d'impact.
- Comment apparat l'esclave travers son discours? Quelle est sa situation morale ?
L'esclave apparat ici rsign. Ses paroles sont marques par un respect du blanc instinctif (il
rpond un oui monsieur Candide plein de politesse) et par une grande fatalit. Il affirme
une attitude de soumission, de passivit ("J'attends mon matre") et semble accepter son sort
("c'est l'usage" l.7). Il explique ensuite calmement l'usage, qui renvoie au Code noir. Il
construit des phrases faisant apparatre la mme structure (l.8 10 : paralllisme de
construction : "quand nous" "on nous"): le rsultat semble tre obtenu sans aucune
motion. Voltaire met en relief un formalisme administratif par le ton faussement dtach, ce
qui renforce lhorreur de la situation :"je me suis trouv dans les deux cas" l.10.
(Cette phrase ne contient aucune intention de se plaindre !)
- Que dsigne le pronom "nous" dans son discours"?
L'esclave ne parle pas en son nom propre: "nous" reprsente ici tous les esclaves. Le constat
n'est pas seulement celui de sa situation personnelle mais il tablit l'histoire de tous les
esclaves.
- Quel discours, rapport directement, l'esclave intgre t-il au sien? Quel effet cela cre t-il?
L'esclave intgre son discours un souvenir personnel, les paroles de sa mre. Cette parole
vivante est un rappel mouvant du pass (pathtique).
- Qui le pronom "on", puis le pronom "vous" dsignent-ils dans le discours de l'esclave?
II) Le discours de l'esclave: un rquisitoire contre l'esclavage
Le pronom "on" dsigne les matres en gnral, et le pronom "vous" les europens, et ici plus
particulirement les franais. Ce sont eux les responsables du malheur de lesclave.
- Comment est nomm le matre? Que rvle le choix de Voltaire de l'appeler ainsi?
Le matre s'appelle Vanderdendur, que l'on pourrait prononcer "vendeur la dent dure". On
voque ces deux qualits : le ngoce, et la maltraitance. Dailleurs, il ngociant est
ironiquement qualifi de "fameux" : il n'est pas employ ici dans un sens positif, mais ngatif.
Ce ngociant est clbre pour sa cruaut. Lironie apparat galement dans la rfrence la
toile porte par lesclave, donn par son matre : la toile est le tissu utilis pour emball la
marchandise, pour les objets. Esclave = marchandise
- Qui justifie que les matres traitent ainsi leurs esclaves? Quelle phrase le dit explicitement?
Qu'est-ce qui fait la force critique de cette phrase ?
Ce sont les Europens qui justifient que les matres traitent ainsi leurs esclaves. La phrase l.11
"C'est ce prix que vous mangez du sucre en Europe" le dit explicitement. La force critique
de cette phrase repose essentiellement sur l'ironie mordante avec laquelle Voltaire utilise le
mot "prix". Pour que les Europens achtent du sucre toujours moins cher, il faut que les
esclaves vendent leur vie. Il y a ici un jeu entre le sens concret de "prix", c'est--dire le cot,
et le sens abstrait, ngatif, qui est celui du chtiment, de la peine. Cest un raccourci efficace
entre l'esclave et le sucre, l'esclave et l'conomie, qui met en avant le contraste entre le plaisir
superflu des Europens et les conditions de vie inhumaines des esclaves.
Voltaire entre ici dans le sentiment propre de lesclave. Le texte bascule dans la subjectivit
argumentative.
- Quelle autre catgorie de personne cautionne cela tout en tenant des propos contraires ?
Comment peut-on qualifier cette attitude ?
Les prtres cautionnent cela tout en tenant des propos contraires. Voltaire dnonce leur
hypocrisie. Il met en avant la contradiction entre le prcepte l.18 "nous sommes tous enfants
d'Adam, blancs et noirs" et la pratique de l'esclavage.
L encore, lironie de Voltaire est perceptible travers les expressions l.19 je ne suis pas
gnalogiste et l.20 vous mavouerez puisque lesclave sous-entend quil suffit dun peu
de bon sens pour sapercevoir de lhypocrisie des prtres, pour sapercevoir que leur discours
ne correspond pas leurs actes. Lincohrence est flagrante. Lesclave apparat ici plus lucide
que les prtres ne semblent le croire.
- En quoi peut-on dire que Voltaire dnonce galement l'attitude de la mre?
La mre tient des propos positifs sur l'esclavage et encourage son fils faire confiance aux
seigneurs blancs. Voltaire condamne ici l'illusion optimiste de cette mre, car elle conduit
l'esclavage, et renverse mme le systme des valeurs fondamentales puisque devenir esclave
devient pour elle un honneur. Voltaire fait clairement apparatre une contradiction entre le
discours rsign de l'esclave et le discours optimiste de la mre. la litote et l'numration l.16
accentuent cette contradiction: au lieu d'avoir trouv la fortune, il se trouve plus malheureux
qu'un animal obissant. Voltaire veut faire s'entrechoquer l'image attendrissante des animaux
de compagnie, bien traits, et celle des esclaves exploits et brutaliss.
- Rdigez vous-mmes ma conclusion de cette explication de texte en respectant le plan
suivant:
. Une phrase pour rsumer globalement l'extrait
. Reformulation du premier axe: un tmoignage pathtique au service de la dnonciation
. Reformulation du deuxime axe: l'ironie au service de la dnonciation
. Une phrase pour rpondre la problmatique.
. Ouverture partir de la question suivante: de quel genre pourrait se rapprocher ce texte, qui
utilise un rcit pour critiquer?
Conclusion :
Voltaire utilise dans cet extrait de Candide, deux procds visant persuader le lecteur de
labomination de lesclavage : le pathtique, et lironie. Le pathtique, prsent travers la
description de lesclave, terre, nu, mutil, travers le souvenir des paroles de sa mre, et
travers enfin lattitude compatissante de Candide, sensibilise le lecteur sur le traitement
horrible qui tait rserv aux esclaves. Lmotion est une force de persuasion, elle permet de
toucher le lecteur avant de lamener sa propre rflexion. Lironie, quant elle, est prsente
travers limpression de constat qui se dgage de ce texte, et travers les multiples accusations.
Voltaire est ironique quand il prsente les mutilations comme une banalit, quand il met en
avant le contraste entre la souffrance des esclaves et le plaisir des Europens, quand il
souligne labsurdit et lhypocrisie du discours chrtien. Ainsi, le rcit de la rencontre entre
Candide et lesclave de Surinam constitue bel et bien un rquisitoire contre lesclavage. Le
rcit met en place une scne pathtique dans laquelle lauteur va pouvoir librement laisser
sexprimer son ironie mordante envers les diffrentes catgories profitant de lesclavage et des
multiples souffrances quil engendre. Cet extrait de Candide, conte philosophique, qui utilise
un rcit pour critiquer et donner rflchir, se rapproche ainsi de lapologue : il a une porte
morale et renferme un enseignement.