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Manuel de linguistique franaise

MRL 8

Manuals of
Romance Linguistics
Manuels de linguistique romane
Manuali di linguistica romanza
Manuales de lingstica romnica

Edited by
Gnter Holtus and Fernando Snchez Miret

Volume 8

Manuel de
linguistique
franaise
dit par
Claudia Polzin-Haumann et Wolfgang Schweickard

ISBN 978-3-11-030208-0
e-ISBN (PDF) 978-3-11-030221-9
e-ISBN (EPUB) 978-3-11-039413-9
Library of Congress Cataloging-in-Publication Data
A CIP catalog record for this book has been applied for at the Library of Congress.
Bibliographic information published by the Deutsche Nationalbibliothek
The Deutsche Nationalbibliothek lists this publication in the Deutsche Nationalbibliografie;
detailed bibliographic data are available on the Internet at http://dnb.dnb.de.
2015 Walter de Gruyter GmbH, Berlin/Boston
Cover image : Marco2811/fotolia
Typesetting : jrgen ullrich typosatz, Nrdlingen
Printing and binding : CPI books GmbH, Leck
Printed on acid-free paper
Printed in Germany

www.degruyter.com

Manuals of Romance Linguistics


Les Manuals of Romance Linguistics, nouvelle collection internationale de manuels de
linguistique romane (en abrg MRL), prsentent un panorama encyclopdique, la
fois synthtique et systmatique, de la linguistique des langues romanes tenant
compte des derniers acquis de la recherche.
Prenant le relais des deux grands ouvrages de rfrence disponibles jusqualors
aux ditions De Gruyter, le Dictionnaire de linguistique romane en huit volumes (Lexikon der Romanistischen Linguistik, LRL, 19882005) et lHistoire des langues romanes en
trois volumes (Romanische Sprachgeschichte, RSG, 20032008), quil aurait t impensable de rviser dans des dlais raisonnables, les MRL se sont donns comme objectif
doffrir une prsentation actualise et approfondie de ces vues densemble, et de les
complter en y intgrant des domaines et des courants de recherche nouveaux et
importants ainsi que des thmes qui, jusqu prsent, navaient encore jamais fait
lobjet dun traitement systmatique.
La collection des MRL a par ailleurs une structure par modules nettement plus
souple que celle des anciens ouvrages de rfrence. 60 volumes sont prvus, qui
comprennent chacun entre 15 et 30 articles environ, soit un total de 400 600 pages.
Chacun dentre eux prsente les aspects essentiels dun thme donn, de faon la
fois synthtique et clairement structure. La ralisation de chaque volume spar
exigeant moins de temps que celle dune grande encyclopdie, les MRL peuvent
prendre plus aisment en considration les dveloppements rcents de la recherche.
Les volumes sont conus de manire pouvoir tre consults indpendamment les
uns des autres tout en offrant, pris ensemble, un aperu gnral de tout lventail de
la linguistique actuelle des langues romanes.
Les volumes sont rdigs en diffrentes langues franais, italien, espagnol,
anglais, voire, exceptionnellement, portugais , chacun dentre eux tant intgralement rdig dans une seule langue dont le choix dpend du thme concern. Langlais permet de donner une dimension internationale et interdisciplinaire aux thmes
qui sont dun intrt plus gnral, dpassant le cercle des tudes romanes stricto
sensu.
La collection des MRL est divise en deux grandes parties thmatiques : 1) langues
et 2) domaines. Dans la premire sont prsentes toutes les langues romanes (y
compris les croles), chacune dentre elles faisant lobjet dun volume part entire.
Les MRL accordent une attention particulire aux petites langues, aux linguae minores,
qui jusqualors navaient pas t traites de manire systmatique dans le cadre de
panoramas densemble : on y trouvera des volumes portant sur le frioulan, le corse, le
galicien ou encore le latin vulgaire, mais aussi un Manual of Judaeo-Romance Linguistics and Philology.
La seconde partie comprend des prsentations systmatiques de toutes les sousdisciplines, traditionnelles ou nouvelles, de la linguistique romane, avec un volume
spar rserv aux questions de mthode. Laccent est mis en particulier sur des

VI

Manuals of Romance Linguistics

domaines et des courants nouveaux et dynamiques qui prennent de plus en plus


dimportance dans la recherche comme dans lenseignement mais qui navaient pas
encore t suffisamment pris en compte dans les prcdents ouvrages densemble
comme par exemple les Grammatical Interfaces, les recherches sur le langage des
jeunes ou le langage urbain, la linguistique informatique et la neurolinguistique, les
Sign Languages ou la linguistique judiciaire. Chaque volume offre un aperu clairement structur sur lhistoire de la recherche et ses plus rcents dveloppements dans
chacun de ces domaines.
Les directeurs de la collection sont fiers davoir pu confier ldition des diffrents
volumes des MRL des spcialistes de renom international en provenance de tous les
pays de langues romanes, et dautres encore. Les diteurs sont responsables aussi
bien de la conception des volumes dont ils ont bien voulu se charger que du choix des
contributeurs. On peut ainsi tre assur dy trouver, en plus dune prsentation
systmatique de ltat actuel des thories et des connaissances, un grand nombre de
rflexions et daspects novateurs.
Pris dans leur ensemble, ces volumes indpendants constituent un panorama
gnral aussi vaste quactuel de notre discipline, destin aussi bien ceux qui
souhaitent sinformer seulement sur un thme particulier qu ceux qui cherchent
embrasser les tudes romanes actuelles sous tous leurs aspects. Les MRL offrent ainsi
un accs nouveau et novateur la linguistique des langues romanes, dont elles
accompagnent de manire adquate et reprsentative le dveloppement continu.
Juin 2015
Gnter Holtus (Lohra/Gttingen)
Fernando Snchez Miret (Salamanca)

Table des matires


0

Claudia Polzin-Haumann et Wolfgang Schweickard


Introduction
1

Le franais dans lhistoire


1

Philipp Burdy
Le franais dans lhistoire : depuis ses origines jusquau XVIe sicle

Christian Schmitt
Le franais dans lhistoire : du XVIIe sicle nos jours

Gerhard Ernst
La diachronie dans la linguistique variationnelle du franais

Hlne Carles et Martin Glessgen


La philologie linguistique et ditoriale

11

39

72

108

Le franais moderne
5

Eva Martha Eckkrammer et Stphanie Lescure


Amnagement linguistique et dfense institutionnalise de la langue :
France
133
Dietmar Osthus
Linguistique populaire et chroniques de langage : France

160

Ursula Reutner
Amnagement linguistique et dfense institutionnalise de la langue :
Francophonie
171
Carolin Patzelt
Linguistique populaire et chroniques de langage : Francophonie

196

Felix Tacke
Amnagement linguistique et dfense institutionnalise de la langue :
les franais rgionaux et les langues des minorits
216

VIII

Table des matires

Judith Visser
10 Linguistique populaire et chroniques de langage : les franais rgionaux
et les langues des minorits
242
Thomas Krefeld
11 Limmdiat, la proximit et la distance communicative
Anja Overbeck
12 La communication dans les mdias lectroniques
Kristina Bedijs
13 Langue et gnrations : le langage des jeunes

262

275

293

Annette Gerstenberg
14 Langue et gnrations : enjeux linguistiques du vieillissement
Elmar Schafroth
15 Sexe et genre

314

334

Joachim Lengert
16 Les franais rgionaux

365

Esme Winter-Froemel
17 Le franais en contact avec dautres langues

401

Elmar Eggert
18 Le franais dans la communication scientifique et internationale
Johannes Kramer et Aline Willems
19 Le franais dans le monde : Europe

457

Edith Szlezk
20 Le franais dans le monde : Canada

478

Sabine Diao-Klaeger
21 Le franais dans le monde : Afrique

505

Pierre Swiggers
22 Grammaticographie

525

Xavier Gouvert et Ulrike Heidemeier


23 Lexicographie
556

432

Table des matires

Tendances mthodologiques et didactiques actuelles


Paul Gvaudan
24 La linguistique cognitive

585

Britta Thrle
25 La linguistique applique

618

Christiane Fcke
26 Le franais dans lenseignement scolaire et universitaire
Christina Reissner
27 La recherche en plurilinguisme

659

Achim Stein
28 Linguistique franaise et ressources lectroniques
Michael Schreiber
29 Traduction
696

Index

717

681

639

IX

Claudia Polzin-Haumann et Wolfgang Schweickard

0 Introduction
La recherche linguistique sur le franais na pas cess de faire, ces derniers temps,
dimportants progrs dans de nombreuses sous-disciplines. Bon nombre de travaux
viennent dtre publis, renfermant un potentiel innovateur important bien des
gards, aussi bien pour la diachronie que pour la langue contemporaine. Aux cts de
lespagnol et de litalien, le franais reste dans lensemble la langue romane la mieux
tudie. Depuis toujours, en linguistique franaise, le ton nest pas donn uniquement
par la recherche en France qui, bien sr, bnficie globalement de linfrastructure
universitaire la plus dveloppe. Dautres pays europens o la tradition de cette
discipline est solidement implante continuent jouer un rle important, comme
lAllemagne, lAutriche, la Suisse, la Grande-Bretagne ou les pays scandinaves.
De faon gnrale, on peut nanmoins observer que lancrage de la recherche
dans une perspective panromane, qui a longtemps domin notamment dans les pays
germanophones, est peu peu relgu au second plan. Alors quaux dbuts de la
discipline, linguistique et littrature romanes taient mme considres comme un
tout, il nest plus possible aujourdhui de faire srieusement face la multitude des
donnes et des publications. Actuellement, les recherches spcifiquement romanistes
sont surtout effectues l o la comparaison entre les diffrentes langues romanes et
les diffrents systmes linguistiques apportent un supplment de connaissances. Au
vu de la diffrenciation croissante des domaines de recherche, il ne sagit pourtant
que de cas dexception. Ltymologie et la smantique historique, o la valeur heuristique de la comparaison panromane est bien visible, en sont lexemple type (cf.
Buchi/Schweickard 2014). La meilleure description de ltat actuel de la recherche
romaniste dans son ensemble est donne par Martin Glessgen qui, dans son ouvrage
de rfrence Linguistique romane. Domaines et mthodes en linguistique franaise et
romane (12007 ; 22012), dresse un panorama du dveloppement historique de cette
discipline, de ses domaines de recherche, de son infrastructure et de ses perspectives.
Les tiquettes Philologie romane ou Linguistique romane sont les termes
gnriques qui continuent tre employs principalement dans les pays germanophones pour dsigner lensemble des philologies romanistes individuelles. En Allemagne, en Autriche et en Suisse germanophone, la plupart des chaires portent les
dnominations de Philologie romane ou de Linguistique romane mme si, bien
entendu, aucun romaniste ne peut plus apprhender lensemble de la Romania sous
toutes ses facettes. En rgle gnrale, les attributions des chaires de Romanistique
incluent nanmoins la recherche portant sur deux langues romanes, ce qui garantit
au moins, si la problmatique sy prte, de pouvoir largir fructueusement les perspectives en allant au-del dune philologie particulire. La tendance croissante la
spcialisation devrait cependant se maintenir pour lessentiel, sous leffet notamment
de pressions politiques toujours plus fortes incitant dfinir plus nettement les

Claudia Polzin-Haumann et Wolfgang Schweickard

contours de la discipline. En plus, du point de vue conomique, les langues nont pas
le mme poids. Ainsi, lconomisation du secteur ducatif contribue elle aussi la
rduction de la perspective traditionnelle romaniste en mettant laccent plutt sur
lutilit dune langue donne que sur la valeur heuristique lie la connaissance
de plusieurs langues romanes.
La transformation structurelle de la discipline saccompagne de profonds changements dans le domaine des langues de publication. Lallemand, en tant que langue du
pays o est ne la romanistique, voit sa porte se rduire continuellement, et son
utilisation dcrotre dans sa pratique non seulement active, mais aussi comme langue
de lecture. Les jeunes romanistes qui ne veulent pas passer inaperus dans les pays
romans ont intrt rdiger leurs travaux dans une langue romane. On observe en
outre depuis un certain temps dj que mme les tudes qui regardent des sujets
spcifiques la linguistique romane sont publies en anglais, ce qui leur assure un
cho bien plus large. Cette tendance est renforce par les maisons ddition qui en
tirent un avantage conomique. Le dbat passionn dclench par le monde politique
propos de lintroduction de langlais comme langue denseignement dans les universits franaises est symptomatique du fait que langlais est en train de simposer
dfinitivement comme lingua franca. Cet exemple montre bien le potentiel explosif
dune thmatique dans laquelle des considrations pratiques se heurtent la prservation du patrimoine culturel.
En ce qui concerne en revanche la forme prise par la publication des travaux de
recherche en linguistique romane, malgr des innovations dans le domaine des
mdias utiliss, comme les livres numriques et diverses offres en ligne, il est un point
sur lequel on ne constate pas encore de changements dcisifs : jusqu prsent, la
publication des ouvrages scientifiques de qualit seffectue presque exclusivement
sous lgide des maisons ddition. Les avantages qui en rsultent sont une garantie de
qualit grce au travail des directeurs de publication et une bonne visibilit en raison
du potentiel marketing des maisons ddition. Certes, de nombreuses initiatives existent aussi dans les domaines de la romanistique et du franais pour saffranchir de
cette emprise (la rubrique Ressources en ligne / Online-Ressourcen de la Zeitschrift fr romanische Philologie rend rgulirement compte des principaux projets en
la matire). Nanmoins, il est actuellement impossible de prvoir si et quand les
formes de publication en libre accs (cf. aussi ce sujet Agnetta 2015) parviendront
simposer de manire significative sur un march indpendant des diteurs, et si cela
vaudra galement pour les monographies de qualit, notamment les thses de doctorat et dhabilitation diriger des recherches.
Lune des tches des chercheurs est de porter un regard critique sur les rsultats
obtenus par la recherche fondamentale en linguistique romane. Le travail de pure
documentation seffectue laide des rpertoires bibliographiques appropris. Mais il
ne sagit pas seulement de trouver des indications sur des titres, ou des informations
particulires. Aujourdhui, il est tout fait possible de parvenir de bons rsultats en
maniant habilement les moteurs de recherche et les plates-formes appropris. Il reste

Introduction

cependant indispensable dadopter une perspective plus globale pour systmatiser les
grandes tendances de la recherche et daborder de faon critique les rsultats obtenus.
Jouissant dune longue tradition, particulirement en Allemagne, les manuels de
romanistique et autres publications de synthse sont le lieu privilgi de tels commentaires et critiques, conduisant le cas chant des approfondissements et des prolongements. Le prototype en est louvrage de Gustav Grber Grundriss der romanischen
Philologie (11888 ; 219041906). Depuis, des publications de synthse similaires ont t
rgulirement publies, chaque projet apportant ses propres accents. Dans la perspective du franais, il faut mentionner la publication en 1990 du vol. 5/1 du Lexikon der
Romanistischen Linguistik (LRL) qui contient des contributions portant sur lhistoire de
la langue, sa systmatisation et le cadre sociolinguistique. Ces dernires sont compltes par diffrents articles sur le franais dans les autres volumes de louvrage. Le
Handbuch Franzsisch (Kolboom/Kotschi/Reichel 12002 ; 2008) couvre des domaines
dtudes particuliers de la linguistique, mais aussi des thmatiques propres la
recherche en littrature et en civilisation. LHistoire linguistique de la Romania (Ernst
et al. 2003 ; 2006 ; 2008) se consacre lanalyse systmatique des langues romanes
dans une perspective diachronique. La Cambridge History of the Romance Languages
(Maiden/Smith/Ledgeway 2011; 2013), ne dans lespace anglophone, aborde le franais dans le contexte global des langues romanes. Le Manuel des langues romanes
(Klump/Kramer/Willems 2014) est ce jour le dernier ouvrage publi. Dans la tradition
plus que centenaire des manuels de romanistique, les volutions les plus importantes
concernant la structure et les contenus sont le renforcement de la spcialisation
thmatique et le renversement des positions de la diachronie, qui prvalait par le
pass, et de la synchronie aujourdhui dominante. Les recherches en littrature et en
linguistique prennent des trajectoires de plus en plus divergentes, leurs seuls points
de convergence et de rencontre significatifs se situant dans le domaine historique et la
philologie ditoriale.
Parmi les volutions dcrites, plusieurs se retrouvent aussi dans la conception
des Manuals of Romance Linguistics (MRL) : recul de lallemand comme langue de
publication en romanistique, tendance lusage de langlais mme pour les sujets
spcifiquement romans, et spcialisation croissante dans le domaine dune seule
langue romane. Le prsent volume ne sinscrit donc pas dans une perspective spcifiquement romaniste, mais, du point de vue de sa conception, se situe dans la ligne
douvrages de synthse portant sur des langues romanes particulires, comme lEnciclopedia dellitaliano (Simone 2010/2011) ou les volumes de la srie des Manuals of
Romance Linguistics consacrs des langues romanes spcifiques. Les diteurs et les
auteurs de ce volume se sont nanmoins efforcs dintgrer autant que possible
lexprience pouvant tre puise aux sources de la linguistique romane traditionnelle.
La structure thmatique du prsent manuel reflte ltat de la recherche et les
perspectives dans les principales sous-disciplines de la linguistique franaise. Dans le
cadre de la recherche historique (1 Le franais dans lhistoire : depuis ses origines
jusquau XVIe sicle ; 2 Le franais dans lhistoire : du XVIIe sicle nos jours ; 3 La

Claudia Polzin-Haumann et Wolfgang Schweickard

diachronie dans la linguistique variationnelle du franais ; 4 La philologie linguistique et ditoriale) effectue ces dernires annes, cest surtout celle ddie aux
aspects familiers et populaires aussi bien que rgionaux et dialectaux du franais qui
a continu se consolider. Sous le terme cl de verticalisation , des innovations
mthodologiques provenant de sous-disciplines trs productives se consacrant la
langue actuelle, comme la linguistique variationnelle, ont t intgres pour jeter un
regard nouveau sur le diasystme historique du franais et ses processus dvolution.
Certes, il y a dj plusieurs dcennies que la linguistique historique a commenc
prendre ses distances par rapport la position dominante des textes littraires et de la
langue crite comme sources dtude. Ce processus est cependant bien loin dtre
achev. Cest surtout laugmentation considrable du nombre de sources historiques
qui y contribue, celles-ci apportant bien des gards de nouvelles connaissances et
permettant une apprhension plus exacte des stades de lvolution historique (cf.
Schweickard 2011). Manuscrits et imprims anciens sont aujourdhui dun accs
beaucoup plus ais quautrefois, grce la numrisation et aux remarquables progrs
effectus par les bibliothques. Le projet dirig Zurich par Martin Glessgen sur les
plus anciens documents linguistiques de la France (Glessgen 2008), ainsi que les
ditions de textes privs effectues par Gerhard Ernst et Barbara Wolf (Ernst/Wolf
2005), montrent de faon exemplaire les progrs pouvant tre raliss dans ces
conditions. Il en va de mme pour la lexicographie (23 Lexicographie) et la grammaticographie (22 Grammaticographie), qui voient souvrir des perspectives entirement nouvelles.
Cest toutefois la dimension contemporaine de la langue qui se trouve au cur du
prsent manuel. On entend donner limage la plus reprsentative possible des lignes de
recherche traditionnelles et rcentes pour les diffrentes sous-disciplines. Avec lvolution extrmement rapide des technologies de linformation et de la communication, la
recherche doit faire face ces dernires annes de nouveaux dfis (12 La communication dans les mdias lectroniques). Des rsultats importants ont t obtenus aussi bien
au niveau historique que synchronique dans les domaines de la dfense de la langue et
de la politique linguistique, de la linguistique populaire, ainsi que des langues rgionales et minoritaires de France et de lespace francophone (5 Amnagement linguistique et dfense institutionnalise de la langue : France ; 6 Linguistique populaire et
chroniques de langage : France ; 7 Amnagement linguistique et dfense institutionnalise de la langue : Francophonie ; 8 Linguistique populaire et chroniques de
langage : Francophonie ; 9 Amnagement linguistique et dfense institutionnalise
de la langue : les franais rgionaux et les langues des minorits ; 10 Linguistique
populaire et chroniques de langage : les franais rgionaux et les langues des minorits ; 16 Les franais rgionaux ; 19 Le franais dans le monde : Europe ; 20 Le
franais dans le monde : Canada ; 21 Le franais dans le monde : Afrique). Lapprofondissement des recherches portant sur le langage des jeunes et sur celui des gnrations ges sest poursuivi (13 Langue et gnrations : le langage des jeunes ;
14 Langue et gnrations : enjeux linguistiques du vieillissement). Le changement de

Introduction

statut du franais, en France et dans le monde, constitue un domaine de discussion


particulirement important. Ce sont surtout les rapports tendus entre le franais et
langlais qui font lobjet de dbats controverss (17 Le franais en contact avec
dautres langues). Lun des aspects de ces rapports est linfluence de langlais sur le
franais. De nouveaux mots franais sont crs grands frais pour remplacer les
emprunts. En dpit de mesures lgislatives daccompagnement, les succs restent
modestes, dautant plus que suite la dcision du Conseil constitutionnel de 1994 les
rglementations en question sont limites au domaine public. Du point de vue linguistique, aucun danger rel nest de toute faon visible ce niveau pour le franais. Il sagit
seulement de protger le lexique franais sous une forme qui soit la plus authentique
possible. tant donn que cest prcisment par le contact avec dautres langues au fil
des sicles que le franais sest forg sa forme actuelle juge si exemplaire, cette
discussion recle indniablement une composante schizophrne.
Le changement de rle du franais comme langue vhiculaire et langue des
publications scientifiques a, en revanche, nettement plus dimportance (18 Le franais dans la communication scientifique et internationale). Dans nombre de domaines, lun aprs lautre, le franais se voit relgu au second rang par langlais comme
langue de communication. Que la sphre politique slve par tous les moyens contre
ce dclin progressif de limportance du franais est tout fait comprhensible. Plus
encore que la lgislation, la promotion dune communaut francophone forte devrait
apporter certains succs.
ct des thmes ne touchant que le franais pris en lui-mme, ce manuel fait
aussi une place aux recherches dont le contenu et la mthode les situent la croise
de diffrentes sous-disciplines linguistiques. Cest le cas des tudes portant sur la
langue de la proximit et de la distance (11 Limmdiat, la proximit et la distance
communicative), de la discussion sur la langue et le genre (15 Sexe et genre), mais
aussi de la linguistique cognitive (24 La linguistique cognitive), de la linguistique de
corpus (28 Linguistique franaise et ressources lectroniques) et de la traductologie
(29 Traduction).
Une place spcifique est attribue un choix de thmatiques issues de la linguistique applique et de la didactique (25 La linguistique applique ; 26 Le franais
dans lenseignement scolaire et universitaire ; 27 La recherche en plurilinguisme).
En ce qui concerne le statut du franais langue trangre dans le cursus scolaire et
comme matire universitaire, certains symptmes lis sa perte de vitesse ne peuvent
tre ignors. Outre langlais, le franais a vu saffirmer ces dernires annes et
dcennies un concurrent vigoureux au sein des langues romanes, lespagnol. Du point
de vue allemand, lexception est constitue par les rgions frontalires de lOuest et
du Sud de lAllemagne, o le statut particulier du franais dans le cursus scolaire a pu
tre prserv, voire dans certains cas consolid (comme en Sarre). La position du
franais en tant que discipline universitaire semble actuellement encore relativement
stable au niveau europen. Mais une poque o les politiques de recherche sintressent avant tout une logique de quantification et de profitabilit des retombes

Claudia Polzin-Haumann et Wolfgang Schweickard

pratiques, il est indniable que sa comptitivit a globalement pti dans lventail des
disciplines reprsentes luniversit. Lexemple des tats Unis montre de faon
impressionnante le danger que fait peser sur la discipline une telle menace. Aprs une
priode dapoge lie lmigration force de linguistes juifs pendant la priode nazie
(Malkiel, Pulgram, Kahane), et malgr la prsence dexcellents chercheurs comme
Steven Dworkin, la linguistique franaise ny est aujourdhui plus gure reprsente
dans le spectre gnral des disciplines universitaires.
Ce manuel a pour objectif de livrer la communaut scientifique une vue
densemble actuelle, ainsi que des commentaires critiques sur les contenus et les
tendances de la linguistique franaise, en essayant de donner galement des impulsions aux recherches venir. Il sadresse en outre aux tudiants de linguistique
franaise, auxquels il sera utile comme ouvrage de rfrence, mais aussi lors de la
prparation aux examens.
Nous tenons remercier Candida Andreas, Francesco Crif, Svenja Sommer,
Kerstin Sterkel et Lisa umski (tous de Sarrebruck) pour leur prcieux soutien dans la
prparation des articles pour limpression, Emmanuel Faure (Berlin) pour la rvision
linguistique de lIntroduction, ainsi que Christine Henschel et Ulrike Krau, des
ditions De Gruyter, pour la collaboration toujours agrable et fiable. Nous remercions tout particulirement les auteurs du volume pour leur soutien collgial dans
toutes les phases du projet.

Bibliographie
Agnetta, Marco (2015), Technik, die begeistert ?! Zur Open-Access -Debatte in der Sprach- und Translationswissenschaft, in : Claudia Polzin-Haumann/Alberto Gil (edd.), Angewandte Romanistische
Linguistik : Kommunikations- und Diskursformen im 21. Jahrhundert, St. Ingbert, Rhrig Universittsverlag, 1128.
Buchi, va/Schweickard, Wolfgang (edd.) (2014), Le Dictionnaire tymologique Roman (DRom).
Gense, mthodes et rsultats, Berlin/Mnchen/Boston, de Gruyter.
Ernst, Gerhard/Wolf, Barbara (2005), Textes franais privs des XVIIe et XVIIIe sicles, CD-Rom,
Tbingen, Niemeyer.
Ernst, Gerhard, et al. (edd.) (2003 ; 2006 ; 2008), Romanische Sprachgeschichte. Ein internationales
Handbuch zur Geschichte der romanischen Sprachen / Histoire linguistique de la Romania.
Manuel international dhistoire linguistique de la Romania, 3 vol., Berlin/New York, de Gruyter.
Glessgen, Martin (12007 ; 22012), Linguistique romane. Domaines et mthodes en linguistique franaise et romane, Paris, Colin.
Glessgen, Martin (2008), Les lieux dcriture dans les chartes lorraines du XIIIe sicle, Revue de
Linguistique Romane 75, 391468.
Grber, Gustav (ed.) (11888 ; 219041906), Grundriss der romanischen Philologie, vol. 1 : Geschichte
und Aufgabe der romanischen Philologie / Quellen der romanischen Philologie und deren
Behandlung / Romanische Sprachwissenschaft, Strassburg, Trbner.
Klump, Andre/Kramer, Johannes/Willems, Aline (edd.) (2014), Manuel des langues romanes, Berlin/
Boston, de Gruyter.

Introduction

Kolboom, Ingo/Kotschi, Thomas/Reichel, Edward (edd.) (12002 ; 22008), Handbuch Franzsisch :


Sprache, Literatur, Kultur, Gesellschaft, Berlin, Schmidt.
LRL = Holtus, Gnter/Metzeltin, Michael/Schmitt, Christian (edd.) (1990), Lexikon der Romanistischen
Linguistik (LRL), vol. 5/1 : Franzsisch, Tbingen, Niemeyer.
Maiden, Martin/Smith, John Charles/Ledgeway, Adam (edd.) (2011 ; 2013), The Cambridge History of
the Romance Languages, 2 vol., Cambridge, Cambridge University Press.
Schweickard, Wolfgang (2011), Medienwandel und (Wrterbuch-)Kultur. Die Quellengrundlagen der
historischen Lexikographie, in : Clemens Zintzen (ed.), Die Zukunft des Buches. Vortrge des
Symposions der Geistes- und sozialwissenschaftlichen Klasse und der Klasse der Literatur,
Mainz, am 20. Mai 2010, Mainz/Stuttgart, Steiner, 5364.
Simone, Raffaele (ed.) (2010/2011), Enciclopedia dellitaliano, 2 vol., Roma, Treccani.

Le franais dans lhistoire

Philipp Burdy

1 Le franais dans lhistoire : depuis ses


origines jusquau XVIe sicle

Abstract : Larticle a pour but dillustrer dans les grandes lignes lhistoire du franais
avant sa standardisation. Nous nous pencherons aussi bien sur des points dhistoire
externe de la langue que sur des aspects relatifs son histoire interne : ainsi, nous
traiterons, dune part, les plus anciens textes, lemploi du franais en tant que langue
littraire et langue administrative au Moyen ge, le rle de lle-de-France dans le
cadre de la koinisation, les rpercussions de lhumanisme sur le dveloppement du
franais au XVIe sicle, et, dautre part, des points de grammaire de lancien et du
moyen franais ainsi que lvolution du lexique.

Keywords : franais, histoire, diachronie, Moyen ge, XVIe sicle


1 Avant-propos
Lhistoire du franais se subdivise habituellement en trois priodes : lancien franais,
le moyen franais et le franais moderne. Cependant, la dlimitation prcise du
moyen franais est toujours controverse (cf. Baum 2003, 46ss.). Nous adoptons ici la
priodisation propose entre autres par Marchello-Nizia (2005, 4). Dans ce qui suit,
nous traiterons donc de lancien franais (du IXe au XIIIe sicle), du moyen franais
(XIVe et XVe sicles) et des dbuts du franais moderne (XVIe sicle).

2 Les dbuts : du IXe au XIe sicle

Les premiers tmoignages de lexistence dun parler roman nettement distinct du latin
dans la partie nord de lancienne Gaule sont des tmoignages indirects. En 813, les
synodes de Reims et de Tours reconnurent les langues vulgaires comme langues de la
messe en plus du latin (MGH Conc. II,1, 255 et 288) :

[Reims] XV. Ut episcopi sermones et omilias sanctorum patrum, prout omnes intellegere possent,
secundum proprietatem linguae praedicare studeant.
[Tours] XVII. [] Et ut easdem omelias quisque aperte transferre studeat in rusticam Romanam
linguam aut Thiotiscam, quo facilius cuncti possint intellegere quae dicuntur.

la mme poque, dans les diocses de Lyon et dArles, on ne trouve aucune dcision
relative aux langues utilises dans la messe. Cela donne supposer que dans les zones
o se dveloppaient loccitan et le franco-provenal, au dbut du IXe sicle, la distance

12

Philipp Burdy

entre la langue du culte et la langue du peuple ntait pas encore si importante que
lutilisation de la rustica romana lingua dans le prche et t ncessaire (cf. Richter
1983, 441). En dautres termes, la communication verticale entre les lettrs et les
illettrs (cf. Banniard 1992, 38), encore intacte aux VIIe et VIIIe sicles, a cess de
fonctionner plus tt dans le Nord de lancienne Gaule que dans le Sud. Van Uytfanghe
(2012, 441) suppose pour ce qui deviendra le domaine dol une diglossie intralinguale inconsciente vers 700800.
Une autre illustration de cette situation de plus en plus diglossique dans la partie
nord de la Galloromania est fournie par les Gloses de Reichenau.1 Compiles au
IXe sicle au plus tt (Raupach 1972, 297s.), les environ 5.000 gloses se subdivisent en
deux parties : les gloses bibliques (3152) et les gloses alphabtiques (1725), drives de
diffrents textes, comme les Origines dIsidore de Sville et la Rgle de saint Benot.
Tout en tant un glossaire latin-latin, cet ouvrage comporte un nombre assez lev de
gloses considrer comme latines-romanes. Nous en donnons quelques exemples
(Klein 1968) :

46 Pulcra : bella [fr. beau], 100 Semel : una vice [fr. une fois], 114 Fauillam : scintillam [fr.
tincelle], 141 Ager : campus [fr. champ], 247 Liberos : infantes [fr. enfants], 580 Scabrones :
uuapces [fr. gupes], 686 Sartago : patella [fr. pole], 1377 Iecore : ficato [fr. foie], 1669 Vuas :
racemos [fr. raisins], 2975 Coturnix : quaccola [fr. caille]

Le fait quun document linguistique tel que les Gloses de Reichenau soit apparu cette
poque ne doit rien au hasard : les efforts fournis par des intellectuels comptant parmi
les plus estims de lpoque carolingienne, comme Alcuin dYork et Paul Diacre, en
vue de rapprocher le latin crit contemporain du modle du latin classique commenaient porter leurs fruits. Au cours du VIIIe sicle, on constate dans les textes latins
un net retour aux normes phontiques et morphologiques du latin classique. Cette
volution fait partie du renouveau culturel appel renaissance carolingienne . En
raison de la distance croissante entre code crit et code oral, ce mouvement a donc
involontairement favoris lmergence des premiers textes se rapprochant plus de la
langue parle quauparavant.
Ce sont les fameux Serments de Strasbourg (Grtner/Holtus 1995 ; Avalle 2002 ; Lo
Monaco/Villa 2009) qui constituent le premier document non-latin proprement
parler.2 Ce document juridique reproduit littralement des serments prts en roman
et en vieux haut-allemand par Charles le Chauve et Louis le Germanique en lan 842.
Le scribe seffora dlibrment transcrire ces serments, transmis dans un contexte
latin, tels quils ont t prononcs lors de lalliance militaire des deux petits-fils de

1 Le ms. Karlsruhe Landesbibl. Aug. perg. CCXLVIII date de la premire moiti du Xe sicle (Bischoff
1981, 48).
2 La plus ancienne partie du ms. unique BnF lat. 9768 date de la fin du Xe sicle (cf. Grtner/Holtus
1995, 99). La localisation de la langue des Serments est peu claire (cf. Avalle 2002, 271295). Hilty (2010,
276) se prononce pour une rgion dans lEst qui comprend la Lorraine et la partie nord de la Bourgogne.

13

Le franais dans lhistoire : depuis ses origines jusquau XVIe sicle

Charlemagne contre leur frre Lothaire. Voici les termes des serments (Lo Monaco/
Villa 2009, 78ss.) :

Pro Deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament, dist di in avant, in quant Deus
savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo, et in aiudha et in cadhuna cosa, si
cum om per dreit son fradra salvar dift, in o quid il mi altresi fazet, et ab Ludher nul plaid
nunquam prindrai qui, meon vol, cist meon fradre Karle in damno sit.
Si Lodhuuigs sagrament, qu son fradre Karlo iurat conservat, et Karlus meos sendra de suo part
non lotanit, si io returnar non lint pois, ne io ne neuls cui eo returnar int pois, in nulla aiudha
contra Lodhuuuig nun li iv er.

Naturellement il manquait encore au scribe les moyens graphiques pour crire la


langue vulgaire parle dans le Nord de la Galloromania ; aussi la transcription des
serments ressemble-t-elle beaucoup aux documents latins de lpoque mrovingienne. On y trouve par exemple le graphme <i> pour [ (savir, podir, dift) ainsi que
toujours <a> pour [ (salvar, fradre). Les diphtongues issues des voyelles toniques
libres, typiques de lancien franais (ie, ou, ue etc.), font compltement dfaut. En
revanche, les formes verbales sont incontestablement franaises, surtout celles du
futur (salvarai, prindrai). De mme, la flexion nominale deux cas de lancien franais
est dj prsente (Karlus/Karlo, Lodhuuigs/Lodhuuuig). Le lexique, lui aussi, est caractris par la langue parle : avant au lieu de ante, plaid au lieu de foedus, dreit (fr. mod.
droit) au lieu de ius, savir (fr. mod. savoir) au lieu de scire. Cest surtout la morphologie
qui nous amne classifier le texte des Serments de Strasbourg sinon comme franais,
en tout cas comme non-latin . Cependant, face aux Serments, on a limpression
dassister, pour ainsi dire, au dveloppement le plus pouss des pratiques graphiques
de lpoque mrovingienne. Il faudra attendre encore quelques dcennies pour voir
natre quelque chose de rellement innovateur sur le plan graphique.
Le second document franais transmis est la Squence (ou Cantilne) de sainte
Eulalie (env. 900),3 un bref rcit du martyre de la vierge Eulalie de Mrida, sainte
hispanique du IVe sicle. En voici le texte intgral (Berger/Brasseur 2004, 63) :

Buona pulcella fut Eulalia,


Bel auret corps, bellezour anima.
Voldrent la veintre li Deo inimi,
Voldrent la faire daule servir.
Elle nont eskoltet les mals conselliers
Quelle Deo raneiet chi maent sus en ciel.
Ne por or ned argent ne paramenz,
Por manatce regiel ne preiement,

3 Le ms. unique Valenciennes 150 est pratiquement contemporain la composition du pome (cf.
Berger/Brasseur 2004, 59 et 161). Quant la localisation du ms., Berger/Brasseur se limitent le situer
dans une rgion de la langue dol proche du germanique, tandis que des recherches prcdentes
lavaient attribu au domaine wallon (cf. ibid., 163 ; Avalle 2002, 321s.).

14

Philipp Burdy

Nule cose non la pouret omque pleier


La polle sempre non amast lo Deo menestier.
E poro fut presentede Maximiien
Chi rex eret a cels dis soure pagiens.
II li enortet, dont lei nonque chielt,
Qued elle fuiet lo nom christiien.
Ellent adunet lo suon element :
Melz sostendreiet les empedementz
Quelle perdesse sa virginitet ;
Poros furet morte a grand honestet.
Enz enl fou lo getterent com arde tost :
Elle colpes non auret, poro nos coist.
A czo nos voldret concreidre li rex pagiens ;
Ad une spede li roueret tolir lo chief.
La domnizelle celle kose non contredist :
Volt lo seule lazsier, si ruovet Krist.
In figure de colomb volat a ciel.
Tuit oram que por nos degnet preier
Qued auuisset de nos Christus mercit
Post la mort et a Lui nos laist venir
Par souue clementia.

Effectivement, ce document se distingue par une physionomie linguistique tout fait


diffrente (cf. Chaurand 1999, 33s.). Bien quil soit peine plus rcent que les Serments
de Strasbourg, on y trouve dj la ralisation graphique des diphtongues issues des
voyelles toniques libres : <ie> (chief), <ei> (concreidre), <ou> (bellezour), <uo> (buona) et
des graphmes qui cherchent rendre laffrique palatale [ts] (manatce, enz, czo). De
plus, il faut signaler certaines graphies qui prfigurent apparemment des traits dialectaux connus par des documents plus rcents provenant du Nord-Est de la langue dol,
comme diaule, seule, auuisset. Cependant, les plus rcentes recherches au sujet de la
Cantilne les considrent comme peu significatives et se limitent qualifier luvre
comme appartenant au domaine dol (Berger/Brasseur 2004, 162).4 Bien que des
appellatifs dorigine germanique fassent encore dfaut, le vocabulaire de lEulalie
ouvre la voie lvolution du lexique de lancien franais : peu prs 70% des mots
utiliss dans la cantilne subsisteront pendant tout le Moyen ge (Berger/Brasseur
2004, 161s.). On y rencontre aussi les premiers latinismes, par exemple element, figure,
virginitet.5 En mme temps, la Cantilne de sainte Eulalie, uvre essentiellement ecclsiastique, constitue le dbut de la littrature franaise. Les quelques textes immdiatement postrieurs sont galement des documents tmoins de la vie religieuse, savoir le
Fragment de Valenciennes, la Passion de Clermont-Ferrand et la Vie de saint Lger.

4 En cela, Berger/Brasseur se rapprochent dides dj exprimes par Delbouille (1970, 194).


5 Dans les Serments de Strasbourg, en revanche, on a plutt affaire des mots latins qu des
latinismes proprement dits.

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Le franais dans lhistoire : depuis ses origines jusquau XVIe sicle

Le Fragment de Valenciennes ou Sermon anonyme sur Jonas est le fragment dun


brouillon de sermon crit tantt en latin, tantt en franais (cf. les ditions De Poerck
1955 ; Avalle 2002).6 Il ne nous transmet que quelques bribes en prose, crites partiellement en notes tironiennes. Avalle (2002, 364) situe le texte dans lOuest du domaine
wallon. Daprs De Poerck (1955, 56 et 65s. ; 1963, 12), lhomlie a vraisemblablement
t rdige et prononce Saint-Amand (dp. Nord) au cours de la premire moiti du
Xe sicle (au plus tt en 937). Nous en donnons ici un extrait (Avalle 2002, 338) :

[v10] <enim dunc> Ionas propheta habebat mult laboret e mult penet, a cel populum co dicit ; e
faciebat grant jholt et eret mult las.
[v11] <Et preparauit Dominus> un edre sore sen cheve, qet umbre li fesist e repauser si podist.

Les deux prochains textes mentionner ici font traditionnellement partie de linventaire des plus anciens documents du franais : la Passion de Clermont-Ferrand et la Vie
de saint Lger. Le premier texte est un rsum fragmentaire du rcit de la Passion, le
second est une vie de saint compose daprs un modle latin. Dans les grandes
lignes, la recherche autour de ces textes est unanime : la confection des parties du ms.
Clermont-Ferrand Bibl. mun. 240 qui contiennent les deux uvres remonterait aux
environs de lan 1000. En revanche, la localisation du manuscrit et de la rdaction
originale des deux pomes est toujours trs controverse. Le caractre hybride des
deux textes, oscillant entre roman dol et roman doc, avait port certains philologues
supposer que, dans les deux cas, il sagissait de remaniements de textes originairement franais en pays doc (cf. le bilan de recherches dans Van Hoecke 1999, 203ss.).
Postrieurement, lattribution des deux documents au patrimoine linguistique du
franais a t relativise (Avalle 2002, 449549 pour la Passion ; De Poerck 1964
et Van Hoecke 1999 pour les deux textes). Avant de donner un bref commentaire
philologique, nous en rappelons quelques vers (Avalle 2002, 374 et 513s.) :

La vie de saint Lger


[I.] Dominedeu devemps lauder
et a sus sanez honor porter ;
in su amor cantomps delsanz,
quae por lui augrent granz aanz ;
et or es temps et si est biens
quae nos cantumps de sant Lethgier.

[II.] Primos didrai vos dels honors


quae il awret ab duos seniors ;
apres ditrai vos dels aanz
que li suos corps susting si granz,

6 Le ms. unique (Valenciennes, Bibliothque municipale 521) date de la premire moiti du Xe sicle
(De Poerck 1955, 65 ; Avalle 2002, 336) et faisait autrefois partie de la reliure dun codex.

16

Philipp Burdy

et Ewruns, cil deumentiz,


que lui a grand torment occist.
Passion
[I.] Hora vos dic vera raizun
de Jes Christi passun :
los sos affanz vol remembrar
per qu cest mund tot a salvad.

[II.] Trenta tres an et alques plus,


des qu carn pres, in terra fu.
Per tot obred que verus Deus,
per tot sosteg qu hom carnels.
[III.] Peccad negun unqu non fiz,
per eps los nostres fu aucis.
La sua morz vida nos rend,
sa passuns toz nos redenps.

Au lieu de situer les rdactions originales dans le domaine dol, De Poerck (1963, 16 et
1964, 21s.) met lhypothse dune composition des deux uvres vers lan 1000 dans
les environs de la ville de Clermont-Ferrand. Cette dernire serait aussi le lieu de la
confection du manuscrit (galement vers lan 1000 ; ibid.). Avalle (2002, 449ss. et
497s.), en revanche, identifie le Poitou, cest--dire la zone frontalire des domaines
doc et dol, comme zone dorigine de la Passion (fin du Xe s.). En ce qui concerne la
Vie de saint Lger, il dfend lide dune rdaction originale dans le domaine picardowallon au Xe sicle (Avalle 2002, 422ss.). Linsertion du pome dans le ms. de Clermont
quil attribue la zone poitevine aurait eu lieu avant la fin du Xe sicle (Avalle 2002,
427s.). Enfin, Van Hoecke (1999, 210s. et 216s.) sest rapproch du point de vue de De
Poerck en dmontrant que quelques prtendus wallonismes et picardismes dans la Vie
de saint Lger sont plutt des archasmes quil est encore impossible de localiser.
Quant aux plus anciens textes en gnral, il tire la conclusion suivante, proche des
observations faites par Delbouille (1970) :

Certes, certains dentre eux ont un coloris qui annonce quelques caractristiques des scriptae et
de la koin soit du domaine dol, soit du domaine doc. Dautres, en particulier la Passion et la
Vie de saint Lger de Clermont-Ferrand, prsentent des formes qui prfigurent des traits caractristiques des deux traditions graphiques qui allaient se dvelopper. Mais on a tort, nous semble-til, de vouloir dj retrouver tout prix, dans ces textes anciens, les distinctions nettes qui se
profilent dans les documents des sicles ultrieurs (Van Hoecke 1999, 216).

Faisons le point : la priode du plus ancien franais (de 842 la fin du XIe sicle) ne
nous a lgu que trs peu de documents, qui ne sont dailleurs que difficilement
attribuables aux dialectes dont nous navons connaissance qu travers des documents datant de sicles ultrieurs. Tout en considrant dventuelles pertes de manu

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Le franais dans lhistoire : depuis ses origines jusquau XVIe sicle

scrits, il ne parat pas trop audacieux daffirmer que pendant les 250 premires annes
de lhistoire du franais, son usage lcrit tait un cas exceptionnel. Abstraction faite
des Serments de Strasbourg, les quelques documents dont nous disposons sont des
uvres littraires de peu dampleur qui proviennent du milieu ecclsiastique. Tout
change vers lan 1100.

3 La langue vulgaire en plein essor : le XIIe sicle

3.1 Le franais langue littraire


Au cours des premires dcennies du XIIe sicle, le nombre de manuscrits en franais
augmente sensiblement. Pour la premire fois, on rencontre des textes de plus grande
ampleur. Pourtant, cette volution ne se produit pas sur le continent, o lon ne trouve,
pour le moment, que trs peu de textes crits en franais :7 suite la conqute de
lAngleterre en 1066 par Guillaume le Conqurant, duc de Normandie, lhistoire du
franais crit se dplace pour un certain temps vers la Grande-Bretagne. Effectivement,
cest l quune grande partie des uvres littraires franaises du XIIe sicle ont t
composes et crites. Ces textes se rpartissent sur des genres diffrents : la Vie de saint
Alexis (pique religieuse), la Chanson de Roland, le Voyage de Charlemagne (pique
profane),8 Li quatre Livre des Reis, les psautiers dOxford et Cambridge (traductions ou
paraphrases dextraits de la Bible), le Bestiaire et le Lapidaire de Philippe de Thaon, le
Jeu dAdam (dbut du thtre en franais), les Lais de Marie de France et la Loi
Guillaume (premier document juridique en franais). Pourquoi cette closion de la vie
littraire en Angleterre ? Apparemment, plusieurs facteurs y ont contribu (cf. Wolf
21991, 77). En Angleterre, il existait depuis plusieurs sicles dj une tradition dcriture
de la langue vulgaire, savoir le vieil anglais. La langue des envahisseurs jouissait du
plus grand prestige, jouant un rle comparable celui du latin sur le continent. En
outre, lusage du franais servait prserver lidentit dune lite politique qui tait en
minorit. tant donn le grand nombre de manuscrits confectionns, cest donc en
Angleterre que se forme la premire scripta proprement dite de lancien franais,
cest--dire un ensemble de conventions graphiques qui refltent un certain degr des
prononciations dialectales (cf. 4). Cette scripta anglo-normande ressort dj des

7 Les voici : le Cantique des Cantiques, ms. BnF lat. 2297 (1re moiti du XIIe s.) ; le Sponsus, ms. BnF
lat. 1139 (f. 32117 env. 1100) ; le Crmonial dune preuve judiciaire, ms. BnF lat. 2403 (dbut (?) du
XIIe s.) ; lptre de saint tienne (ms. Tours, non cot, env. 1130). Tous ces textes peuvent tre consults
dans Foerster/Koschwitz (71932), le Sponsus galement dans Avalle (2002, 668672).
8 Lide fausse selon laquelle ces clbres reprsentants du genre de la chanson de geste auraient
t composs en le-de-France est en fait le produit de limagination drudits du XIXe sicle (cf.
Aebischer 1965, 22). Beckmann (2012) apporte de nouveaux indices sur la relation troite entre la
Chanson de Roland et la cour anglo-normande.

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Philipp Burdy

textes les plus anciens crits en Angleterre, tels le ms. L de la Vie de saint Alexis (env.
1120) ou le ms. O de la Chanson de Roland (2e q. XIIe s.). Voici quelques caractristiques
de langlo-normand (cf. Rohlfs 31968, 94) :

tonique en syllabe ouverte aboutit ei, mais jamais oi : mei, teile, fei
tonique en syllabe ouverte aboutit probablement ou, mais est crit u, de mme que o protonique
et o devant nasale : nevu, flur, cunseil, duner, raisun, cunte
Les voyelles nasales et sont encore distinctes : grant ne rime pas avec vent
Les diphtongues nasales i et i ne sont plus distinctes : peine rime avec vilaine
La dsinence typique de limparfait est -o(u)e, par exemple chanto(u)e, chanto(u)es
Le dveloppement de a devant nasale vers au (anglo-normand tardif) : chaumbre, graunt

compter de la fin de la domination normande en Angleterre (1204), la langue


franaise sy maintient durant plus dun sicle en tant que langue littraire ;9 elle y
sera mme employe jusquau XVe sicle comme langue administrative et judiciaire.10
Lactivit littraire en franais qui caractrise la vie culturelle en Angleterre au
XIIe sicle a eu un effet stimulant sur celle du continent. Quelques-unes des plus
vieilles chansons de geste franaises postrieures la Chanson de Roland et datant
davant 1150, comme Gormont et Isembart et le Couronnement Louis, ont peut-tre t
composes sur le continent. Vers le milieu du XIIe sicle, le pote normand Wace,
inspir par la cour dAngleterre, traduit en franais lHistoria Regum Britanniae de
Geoffroy de Monmouth (Roman de Brut) ; la mme poque, on voit natre le premier
reprsentant du roman antique, le Roman de Thbes, dans le sud-ouest du domaine
dol. Lauteur du Roman de Troie, Benot de Sainte-Maure, continue une autre uvre
de Wace, le Roman de Rou (chronique normande), en crivant sa Chronique des ducs
de Normandie (poitevin, vers 1175). Ces dernires uvres ont elles aussi t composes sur ordre dHenri II dAngleterre, si bien quon peut dire que les genres de la
chronique versifie et du roman antique sont troitement lis la cour normannoangevine. Sur la base de cette littrature, Chrtien de Troyes, alors au service de
Marie de Champagne et Philippe de Flandre, crit pendant le dernier tiers du XIIe sicle ses fameux romans courtois (rec et nide, Cligs, Lancelot, Yvain, Perceval). En
revanche, on ne constate aucune activit littraire en langue vulgaire au centre du
royaume, cest--dire en le-de-France.11 Apparemment, la cour royale captienne en

9 Pour lentire poque de lancien franais, le Complment bibliographique du DEAF recense au total
2900 localisations de manuscrits, parmi lesquelles 833 mss. anglo-normands, ce qui est le nombre le
plus lev parmi toutes les localisations (cf. DEAFBibl).
10 Cf. Trotter (2003), qui souligne que lchange linguistique a continu bien aprs la rupture du lien
entre la Normandie et lAngleterre.
11 Pour la notion de France et d le-de-France au Moyen ge cf. Bernus (2010, 10) : lpoque
des premiers Captiens, on dnommait France la toute petite rgion qui, au nord de Paris, est
dlimite au sud par la Seine et par la Marne, au nord par la Thve, () louest par lOise et lest par
la Beuvronne () ; cf. les noms de lieux Baillet-en-France, Bonneuil-en-France, Chtenay-en-France,

19

Le franais dans lhistoire : depuis ses origines jusquau XVIe sicle

alliance avec lglise ntait pas intresse par cette nouvelle littrature (cf. Hausmann 1996, 164 ; Cerquiglini 2007, 177). Il importe de souligner que les manuscrits
qui nous transmettent les uvres littraires composes sur le continent ne remontent
gure des dates antrieures 1200.12 De ce bref aperu du dveloppement littraire,
il convient de tirer les conclusions suivantes pour lhistoire de la langue cette
poque : au XIIe sicle, le franais stablit dfinitivement comme langue littraire,
dabord en Angleterre, puis sur le continent. Lclosion de la littrature en langue
vulgaire est situer auprs des grands vassaux du roi de France, y compris le roi
dAngleterre, duc de Normandie, et non auprs de la cour royale. Le nombre trs
rduit de manuscrits franais continentaux porte croire que, malgr lessor que
connat la littrature franaise au cours du XIIe sicle, le copiage de manuscrits en
langue franaise ntait pas encore pratiqu couramment en dehors de lAngleterre
avant lan 1200.

3.2 lments de lvolution interne de lancien franais


Une caractristique importante de lancien franais est lvolution spontane des
voyelles toniques libres :

() [ > ei > oi > oe : va > veie > voie, sro > seir > soir
() [ > ou > eu : dos > dous > deus, hra > oure > eure
[ > ie : ptra > pierre, pde > piet
[ > uo > ue : nvu > *nuof > nuef, fililu > filluel
[ > e : faba > feve, mare > mer, lavare > laver

Mareil-en-France, Roissy-en-France. La notion d le-de-France napparat quau XIVe sicle (Froissart) et se rfre une rgion plus vaste, cf. la carte dans Bernus (2010, 13). Cette rgion, dans lesprit
des gens du temps, parat toujours tre situe au nord de la Seine , mais la conception quon se fait
de ce pays demeure vague et variable (Bernus 2010, 11).
12 Seuls le ms. Tours 903 de la Chronique des ducs de Normandie et le fragment Ble N I 2 Nr. 83 du
Roman de Troie datent de la fin du XIIe sicle, ce dernier ayant t transcrit en Angleterre. Le fragment
dAuberi de Besanon (dbut du XIIe s.) est attribuer au domaine franco-provenal, ce qui vaut en
partie aussi pour le fragment V de la Chanson de saint Alexis (fin du XIIe s.) (cf. Mlk/Holtus 1999 et
Burdy 2006). Dautres mss. franais continentaux antrieurs lan 1200 sont trs rares. Ils constituent
souvent des traductions de textes religieux latins. Mis part les mss. mentionns dans la note 7, on
rappellera les suivants, lgrement plus rcents pour certains : Li sermon saint Bernart, ms. BnF fr.
24768 (lorr. fin du XIIe s.) et ms. Berlin Staatsbibl. Phillipps 1925 (lorr. env. 1200) ; Traduction des
homlies de Grgoire le Grand sur zchiel, ms. Bern 79 (lorr. env. 1200) ; Sermones in cantica de saint
Bernard, ms. Nantes Muse Dobre 5 (pic./wall. env. 1200) ; Epistle saint Bernart a Mont Deu, ms.
Verdun Bibl. mun. 72 (Verdun env. 1200) ; Les 17 homlies de Haimon, ms. Ars. 2083 (lorr. dbut
du XIIIe s.). Pour les quelques tmoins non-littraires de la mme poque cf. Pfister (1973, 225ss.).

20

Philipp Burdy

En position finale, toutes les voyelles sauf a samussent :

multu > mout, veni > vin, octo > huit, > fine > fin, luna > lune

Les consonnes nasales provoquent la nasalisation des voyelles prcdentes et entravent en partie leur volution normale :

[ + nasale > i : rana > rine, fame > fim


[ + nasale > : corna > corne, pma > pme
[ + nasale > i : plnu > plin, mnus > mins
[ + nasale > i : bne > bin
[ + nasale > u : bnu > bun
+ nasale > : nu > n, lna > lne
+ nasale > : vnu > vn

Lancien franais se distingue par une forte tendance la palatalisation :

ka > : caput > chief, campu > champ, vacca > vache
k
[ > ie : caput > chief, cane > chien
-kt- > i t : factu > fait, tractare > traitier
-kl-, -gl- > : oc(u)lu > ueil, > vig(i)lare > veillier

La morphologie verbale de lancien franais est caractrise par des alternances


vocaliques (cf. le schma dans Wartburg 121993, 100s.) :

voyelle du latin

2e pers. du sg.

2e pers. du pl.

plr as > ploures

plortis > plorez

prbas
> prueves

probtis > provez

+ palatale

*appdias
> apuies

*appoditis > apoiiez

lavas > leves

lavtis > lavez

a + nasale

amas > aimes

amtis > amez

spr as > espoires

spertis > esperez

lvas
> lieves

levtis > levez

+ palatale

prtias
> prises

pretitis > preisiez

a]

*adcaptas > achates

*adcapttis > achetez

21

Le franais dans lhistoire : depuis ses origines jusquau XVIe sicle

Dans certains cas, la voyelle est tantt accentue, tantt intertonique :

2e pers. du sg.

2e pers. du pl.

aditas > aides

adiuttis > aidiez

*parulas > paroles

*paraulatis > parlez

mandcas > manjes

manductis > mangiez

Au parfait, il faut distinguer entre les types de conjugaison forte et faible :

Conjugaison forte : la 1re, la 3e et la 6e personne sont accentues sur le radical :

vin (vni)

pris (prsi)

di (dbui)

vens

press

des

vint

prist

dt

venmes

presmes

demes

venstes

presstes

destes

vndrent

prstrent

drent

Conjugaison faible : toutes les personnes sont accentues sur la dsinence :

chantai (cantavi)

parti (partivi)

vali (*vali)

chantas

partis

vals

chanta(t)

partit

valt

etc.

etc.

etc.

La morphologie nominale de lancien franais distingue un cas sujet (nominatif) dun


cas objet (accusatif) (cf. le schma dans Wartburg 121993, 101s.) :

n. m. parisyll.

avec -s (murus)

sans -s (pater)

nom. sg.

murs

pere

acc. sg.

mur

pere

nom. pl.

mur

pere

acc. pl.

murs

peres

n. m. imparisyll.
nom. sg.

(nepos, nepote)

(*baro, barone)

nies

ber

22

Philipp Burdy

acc. sg.

nevout

baron

nom. pl.

nevout

baron

acc. pl.

nevouz

barons

(flos)

(rosa)

nom. sg.

flour(s)

rose

acc. sg.

flour

rose

nom. pl.

flours

roses

acc. pl.

flours

roses

(inexistant)

(soror, sorore)

nom. sg.

suer

acc. sg.

serour

nom. pl.

serours

acc. pl.

serours

n. f. parisyll.

n. f. imparisyll.

Les pronoms/dterminants dmonstratifs sorganisent en un systme de deux degrs


de proximit. Le 1er degr se rfre ce qui est proche des interlocuteurs, le 2e degr
ce qui est loign (Wolf 21991, 65s.) :

er

1 degr

2 degr

m. sg.

m. pl.

f. sg.

f. pl.

nom.

cist

cist

ceste

ces

dat.

cestui

cesti

acc.

cest

cez

ceste

ces

nom.

cil

cil

cele

celes

dat.

celui

celi

acc.

cel

cels

cele

celes

Lancien franais prserve quelques restes de la comparaison synthtique du latin


(Wolf 21991, 63s.) :

nom.

acc.

melior

mieldre

meillour

peior

pire

peiour

maior

maire

maiour

minor

moindre

menour

grandior

graindre

graignour

Le franais dans lhistoire : depuis ses origines jusquau XVIe sicle

23

Le lexique de lancien franais (cf. Stefenelli 1981, ch. IV) senrichit pratiquement ds
ses dbuts de mots savants (latinismes), surtout, mais pas exclusivement, dans la
littrature religieuse (cf. Wolf 21991, 71) : honestet, virginitet, angele, cristientet, decliner, fecunditet, humilitet, imagene, justise, nobilitet, siecle. Les premiers emprunts
des langues de contact remontent galement au Moyen ge : mots arabes, transmis
par lespagnol : algalife calife, almaur mir, amirail, azur ; mots anglais : bat, batel
bateau, est, nord, ouest, sud ; mots normands : guinder hisser un mt, hune plateforme arrondie lavant, marsouin (Wolf 21991, 71 et 73).
Lenrichissement du vocabulaire au moyen de la drivation et, dans une moindre
mesure, de la composition dpasse de beaucoup limportance de lemprunt lexical.
Prenons par exemple la formation de verbes. Le XIIe sicle voit la cration de bon
nombre de formations parasynthtiques, par exemple accourcir, alentir, amoindrir,
asservir, embellir, endurcir, rajeunir. Le suffixe -oiier (fr. mod. -oyer) est galement
productif, avec entre autres festoiier, flamboiier, foudroiier, larmoiier, tornoiier (cf.
Wolf 21991, 72). tant donn le grand nombre de drivs, le nombre de synonymes
dans le lexique de lancien franais atteint des hauteurs vertigineuses : Benot de
Sainte-Maure, un des auteurs les plus importants de cette poque, utilise demore,
demoree, demorance, demorier pour retard (tous drivs du verbe demorer) et comme
synonyme de folie, il utilise aussi folage et folor (Wartburg 121993, 99 ; pour dautres
exemples cf. Burdy 2013, 222s.). Cette richesse en synonymes se fait galement sentir
en dehors de la formation de mots. Benot connat souvent un grand nombre de mots
divers pour exprimer un seul concept, on en recense par exemple 17 pour combattre :
chapler, (re)combattre, estriver, fornir bataille, joindre, (re)joster, torner, torneier, entremesler, sei entreferir, sei entredoner, sei entrassembler, sei entrebattre, sei entraler
(Wartburg 121993, 98 ; cf. aussi Stefenelli 1967). linverse, beaucoup de mots dveloppent une forte polysmie. Ainsi, chez Chrtien de Troyes par exemple, faillir, plet et
treire ont plus de 30 significations (cf. les entres dans Foerster/Breuer 51973). Il est
vident qu cette poque, on nprouvait encore aucun besoin de bien dlimiter le
sens dun mot par rapport dautres.

3.3 Tmoignages du prestige de lidiome du centre


Vers 1200, on trouve dans des uvres littraires des passages qui tmoignent dun
certain prestige dont jouissait le franois , lidiome de France ou bien, dans des
textes plus rcents (fin du XIIIe s.), celui de Paris.13 Bien que la signification de la
notion de France dans la littrature en langue vulgaire la fin du XIIe sicle soit
trs peu claire (cf. note 11), il est incontestable quil existait un cart de prestige entre
les diffrents idiomes gallo-romans. Dans sa chanson no III (env. 1180), le trouvre

13 Cf. le clbre article de Pfister (1973, 217ss.) et Lodge (1997, 135ss.).

24

Philipp Burdy

Conon de Bthune situe indirectement le prestigieux idiome appel franchois


Pontoise, donc en le-de-France, cf. le passage cit dans Pfister (1973, 217).14 Pourtant,
nous ne disposons daucun document en langue vulgaire transcrit au XIIe sicle dans
cette rgion. Nous avons dj insist sur le fait que tous les textes antrieurs au
XIIIe sicle, littraires comme non-littraires, ont t transcrits dans lEst et dans
lOuest de la langue dol, dans la zone frontalire avec loccitan ou bien en Angleterre. Il sensuit que ce prestige dont parlent certaines sources littraires ne se peut
rapporter qu lidiome parl en le-de-France vers la fin du XIIe sicle. Toute hypothse qui suppose une littrature existant autour de Paris ds le IXe sicle et qui aurait
servie de modle aux autres rgions a dj t dnonce comme anachronique par
Delbouille (1970, 199).15 Au lieu de rfrencer la littrature secondaire au sujet de la
koinisation et de lirradiation linguistique du centre de la France, nous nous bornerons prsenter dans le chapitre suivant les recherches les plus rcentes autour de ce
problme.

4 La langue vulgaire conquiert de nouveaux


domaines : le XIIIe sicle

Au dbut du XIIIe sicle, le nombre de textes transmis en franais augmente considrablement. Comme ctait dj le cas en Angleterre (voir 3.1), les manuscrits provenant
des diffrentes rgions de la langue dol se distinguent par des conventions graphiques qui leur sont propres, appeles scriptae . En bref, ces conventions graphiques
reposent en partie sur les diffrents dialectes parls dans la partie septentrionale de la
Galloromania,16 mais sont en mme temps marques par des caractristiques interrgionales : on emprunte occasionnellement des formes et des graphmes aux zones
dialectales voisines. Par consquent, nous pouvons dcouvrir dans la scripta dune
certaine rgion des graphies qui ny correspondent aucune ralit phontique,
comme soipt sept dans louest (le graphme <oi> y reprsente [], cf. Gossen 1967,
82). La Picardie a par exemple constitu un foyer dirradiation de certaines graphies

14 Cerquiglini (2007, 180ss.), en revanche, remet en question le fait quil sagisse ici dopposer des
parlers.
15 Cf. cependant la rplique de Hilty (1973).
16 La date partir de laquelle on peut parler dune dialectalisation progressive dun ancien idiome
olique assez homogne est toujours controverse : alors que Gossen (1957, 428) et Hilty (1968, 11)
font remonter la diffrenciation dialectale en Galloromania septentrionale lpoque mrovingienne
ou du moins au IXe sicle, Delbouille (1970, 194s.) et West (1979, 377 et 397) supposent une homognit plus longue de lespace olique . Selon Remacle (1992, 167), lindividualisation du Nord-Est de
la Gaule est dj trs marque vers 1100, mais il nexclut pas une date plus tardive (1200).

25

Le franais dans lhistoire : depuis ses origines jusquau XVIe sicle

du fait de son norme productivit littraire. Voici les scriptae principales de la langue
dol pendant la 1re moiti du XIIIe sicle :17

Anglo-normand : Lai du Cor, Roman de Horn, Boeve de Haumtone (cf. 3.1)


Picard : Adam de la Halle, Aucassin et Nicolette, Herman de Valenciennes
Normand : La Clef damors, Chastoiement dun pere a son fils
Wallon : Li Dialoge Gregoire lo Pape, Pome moral
Champenois : Chrtien de Troyes, Guiot de Provins, Villehardouin
Lorrain : Li sermon saint Bernart, Gerbert de Metz
Bourguignon : Girart de Rossillon
Poitevin : Benot de Sainte-Maure, Roman de Troie, Roman de Thebes

Pour une description des caractristiques des diffrentes scriptae cf. Gossen (1967) et
LRL II/2, nos 139145. Linnovation qui a lieu vers 1200 ne consiste pas seulement
propager les conventions graphiques rgionales, mais galement les appliquer au
domaine non-littraire : effectivement, depuis les dernires annes du XIIe sicle, on
assiste la confection de chartes en langue vulgaire (cf. Lusignan 1999, 102ss.). Cette
innovation part de lAngleterre (Suffolk 1187 et 1199) et, au cours des dcennies
suivantes jusqu 1240, gagne le Nord (Picardie), lEst (Wallonie, Lorraine, Champagne, Bourgogne), le Sud-Ouest (Poitou) et le Sud (Bourbonnais), cf. le tableau dans
Berschin/Felixberger/Goebl (22008, 192). Il est vident que la confection de chartes et
lactivit littraire en franais sont deux phnomnes troitement lis, parce que les
rgions qui produisent des manuscrits littraires et celles qui confectionnent des
chartes en se servant de leurs scriptae sont peu prs les mmes (cf. Burdy 2011,
148s.). Lle-de-France, on le sait, fait encore dfaut :18 De toute vidence, la royaut,
lglise et lUniversit ont longtemps uvr contre lemploi du franais lcrit.

4.1 Lle-de-France monte au crneau


Ce nest quen 1241 que lon voit natre la premire charte royale en langue franaise (cf.
Videsott 2010). Les premiers manuscrits littraires attribuables lle-de-France sont
encore plus rcents (dernier tiers du XIIIe s.). La scripta royale se distingue au dbut
par certaines caractristiques qui refltent probablement le parler de lle-de-France,
comme la dsinence eins de la 1re pers. du pl. (cf. Grbl 2013, 362s.). Vers la fin du

17 Chaque rgion est suivie dexemples dauteurs et duvres littraires transmises dans la scripta
correspondante.
18 Mme sil est vrai quil existait dj un change interrgional de manuscrits littraires au XIIe sicle
(Grbl 2013, 344), le centre de la France napportait videmment aucun matriau propre contribuer
cet change. Nanmoins, cette circulation de textes littraires favorisait probablement dj un certain
nivellement linguistique de la langue littraire avant lapparition des premiers textes franais crits en
le-de-France (cf. Grbl 2013, 374).

26

Philipp Burdy

XIIIe sicle, on assiste une drgionalisation de la scripta utilise en le-de-France, en


ce sens que des graphmes prouvs comme trop locaux se voient vincs par des
formes empruntes aux scriptae voisines qui taient dj mieux tablies. Comme le
dmontre Grbl (2013, 357), les dsinences verbales -ent, -ions, -aient, cest--dire celles
du futur franais standard, ne sont pas autochtones en le-de-France, mais viennent de
Normandie, tandis que le suffixe -eau (cf. la forme autochtone -iau) est peut-tre anglonormand. Enfin, Paris faisant originairement partie de la zone o devant palatale
aboutit [], le graphme <oi> (ainsi que la prononciation [w]) a t import du NordEst : ainsi, on crivait droit, froid, toit en le-de-France, alors que la prononciation locale
tait [dr], [fr] etc. (Grbl 2013, 347, 355). En conclusion, Grbl dcrit la scripta de llede-France qui commence se former pendant la 2e moiti du XIIIe sicle comme une
forme intermdiaire entre diffrentes scriptae rgionales (2013, 366), donc comme
un compromis linguistique denvergure supra-rgionale (2013, 369). Cest exactement cette varit neutre dveloppe par lcrit qui deviendra plus tard le franais
standard (2013, 345). En dautres termes, le francien , comme on est habitu appeler
la scripta de lle-de-France, na jamais exist comme varit autochtone (4 La philologie linguistique et ditoriale). Grbl (2013, 368) est donc convaincu qu Paris, on na
commenc parler la langue crite qu une poque postrieure au Moyen ge. En cela,
Grbl rfute lhypothse de Lodge (2004), qui suppose la formation Paris aux XIIe et
XIIIe sicles dune koin orale qui serait la base dune koin crite destine devenir
plus tard le franais standard. Lodge ainsi que Grbl reprennent donc lhypothse
remontant aux annes 1980 que le franais du centre devait tre une varit mixte et
non pas un dialecte mdival pur , comme on le croyait auparavant (cf. Lodge 2010,
10). la mme occasion, Lodge refuse lide dj avance par Cerquiglini (2007, 165
214), que la koin crite pourrait tre dorigine littraire (Lodge 2010, 11). Au contraire, il
suppose que lvolution dmographique et sociale de la ville de Paris aux XIIe et
XIIIe sicles serait lorigine de la formation dune koin orale composite :

Mais, dans une socit mdivale largement illettre, o la premire langue crite fut une
langue trangre (le latin), il est difficile de voir comment une koin crite, en langue vulgaire,
aurait pu prendre une dimension orale et se propager comme langue parle. Il serait bien plus
fructueux de chercher les origines de la koin la base du franais standard dans les processus
habituels de la koinisation, pour lesquels toutes les conditions taient runies Paris cette
poque une explosion dmographique, due essentiellement limmigration, amenant un
brassage dialectal dans la masse des locuteurs. Cela serait tout fait en accord avec ce que lon
voit arriver dans les grandes villes qui mergent dans le monde actuel (Lodge 2010, 11).

Grbl (2013, 367), en revanche, doute quaux XIIIe et XIVe sicles, on ait dj parl
Paris cette varit mixte. Ajoutons aux objections formules par Grbl (2013, 346ss.),
surtout de nature dialectologique, une critique du point de vue historique : en rapprochant la situation sociale Paris au Moyen ge central de ce que lon voit arriver
dans les grandes villes qui mergent dans le monde actuel , on risque de commettre
un anachronisme, tant donn que nous ignorons les consquences linguistiques de

27

Le franais dans lhistoire : depuis ses origines jusquau XVIe sicle

ce phnomne social cette poque. En dautres termes, la naissance dun parler


urbain Paris aux XIIe et XIIIe sicles reste prouver historiquement.
En tout cas, il nest peut-tre pas illgitime de croire que ce mlange de diffrentes scriptae que constitue la langue crite en le-de-France ds la seconde moiti du
XIIIe sicle contient aussi du moins une certaine partie autochtone, savoir ces
caractristiques, quelles quelles soient, perues comme prestigieuses ds la fin du
XIIe sicle.

4.2 La propagation du franais du centre


Le remplacement progressif des scriptae rgionales par celle du centre de la France
vers la fin du XIIIe sicle concerne dabord la langue littraire. Un des derniers auteurs
qui utilisent une langue marque dialectalement sera le chroniqueur picard Froissart
au XIVe sicle. En revanche, la langue des chartes rdiges la mme poque prserve
plus longtemps son caractre dialectal ; on assiste mme une plus forte rgionalisation de la langue des chartes vers la fin du XIIIe sicle.19 En ralit, cest un dernier
panouissement des scriptae rgionales avant leur disparition progressive. Dans ce
processus, ce sont les rgions du nord-est et de lest qui maintiennent leurs conventions graphiques rgionales le plus longtemps.20

4.3 La langue littraire gagne de nouveaux terrains


Au dbut du XIIIe sicle, la langue vulgaire sempare dun domaine littraire rserv
auparavant au latin, savoir la prose. Cest le genre de la chronique en langue
vulgaire, dj bien prsent au XIIe sicle, qui passe en premier du vers la prose. En
effet, les premiers tmoignages de la prose franaise sont les rcits de la quatrime
croisade par Geoffroi de Villehardouin (env. 1209) et Robert de Clari (env. 1216). Ce
nest qu la fin du XIIIe sicle que commence la traduction des Grandes chroniques de
France, donc de lhistoriographie royale. Il faut attendre le milieu du XIVe sicle pour
que les Grandes chroniques soient rdiges en franais. Mais la littrature en vers
souvre elle aussi des genres nouveaux, par exemple la littrature raliste (Roman
de Renart,21 Fabliaux) qui nat en partie du milieu bourgeois et la littrature
allgorique (Guillaume de Lorris/Jean de Meung, Roman de la Rose), didactique et
morale (Bible de Guiot de Provins). Le premier pote dune certaine importance
travaillant Paris est Rutebeuf (actif dans le troisime quart du XIIIe sicle). Il a lgu

19 Cf. Grbl (2013, 372) pour le lorrain et le picard.


20 Cf. la carte instructive dans Gossen (1957, 429) : en Picardie, en Wallonie et en Lorraine, labandon
des scriptae commence seulement au XVe sicle et stend selon les rgions jusquau XVIIe sicle.
21 Les dbuts du Roman de Renart remontent mme la fin du XIIe sicle.

28

Philipp Burdy

des uvres de diffrents genres, surtout satiriques. Les genres les plus anciens,
savoir la chanson de geste et le roman courtois, subsistent aussi au XIIIe sicle.
Certains de ces romans courtois font ainsi lobjet de continuations en prose, tels
Perceval ou Tristan.

5 Le franais du centre simpose dfinitivement et


subit des changements typologiques : les XIVe et
XVe sicles

Pendant le XIIIe sicle, la royaut a russi tendre son pouvoir au dtriment des
petits seigneurs et des villes (avant tout les riches villes picardes) qui avaient perdu
leur libert. Cependant, les grands vassaux du roi sont eux aussi tombs en dchance : la Champagne et la Normandie sont rattaches au domaine royal et finissent
par perdre leur importance culturelle. Tous les anciens foyers littraires steignent
au profit de Paris. Vers 1300, la capitale du royaume nest pas seulement le centre
politique de la France, mais aussi son centre littraire, ce qui est dautant plus
remarquable quand on considre que culturellement parlant, lle-de-France avait une
influence quasiment nulle un demi-sicle auparavant. Si lusage du latin se rduit, ce
nest plus au profit des dialectes, mais au profit de la langue de Paris. Ni la faiblesse
des premiers Valois qui se lancent dans la guerre de Cent Ans contre lAngleterre
(13371453), ni certaines tendances particularistes qui ont men la constitution
temporaire des dynasties latrales comme le duch de Bourgogne (13631477)
nont pu compromettre le triomphe du franais de Paris. Cependant, ce dernier, on le
verra, a d subir de profonds changements linguistiques au cours de cette longue
poque dinstabilit politique et sociale.

5.1 La littrature en moyen franais


la mme poque, les tudes universitaires Paris et Montpellier connaissent un
essor important, le droit romain et la philosophie de lantiquit attirent lattention des
rudits. Ainsi, Nicole Oresme traduit Aristote en franais (13701377) et lenrichit de
beaucoup de mots savants. Dans le champ de la littrature franaise, lintrt pour
les genres de lpoque fodale fait place de nouvelles formes, comme la littrature
de mmoire de Philippe de Commines (14471511) et la nouvelle (Les quinze joies de
mariage, milieu du XVe s. ; Les Cent Nouvelles nouvelles, 2e moiti du XVe s.). Le
thtre religieux et profane continue fleurir (Miracles de Nostre Dame par personnages, 13391382 ; La farce du Maistre Pathelin, env. 1460) et la posie atteint de
nouveaux sommets avec les uvres de Guillaume de Machaut (env. 13001377),
Eustache Deschamps (env. 1345env. 1405), Christine de Pisan (1365env. 1430),

29

Le franais dans lhistoire : depuis ses origines jusquau XVIe sicle

Alain Chartier (env. 1385env. 1430) et Franois Villon (1431aprs 1463).22 Linvention de limprimerie vers le milieu du XVe sicle a galement eu des rpercussions sur
la propagation des uvres littraires franaises : mme si la part des textes franais
imprims au XVe sicle ne dpasse pas les 20%, on trouve dj des impressions du
Roman de la Rose, des Cent Nouvelles, des Quinze joies de mariage, du Maistre Pathelin
et de Franois Villon (cf. Wolf 21991, 85). Bien entendu, la confection de manuscrits,
devenue beaucoup moins chre depuis la propagation du papier comme matriau de
base (milieu du XIVe s.), continue galement (ibid.).

5.2 lments de lvolution interne du moyen franais


La plupart des diphtongues caractristiques de lancien franais (cf. 3.2) se simplifient :23

eu > : fleur > fl (r), deus > d


ue > : puet > p (t), cuer > c(r)
pal.
ie > e : mangier > manger, chief > chef
au (< a + lKons.) > : autre > tre, chevaus > chev(s)24

Les voyelles atones samussent, ce qui mne la gnralisation de loxytonisme :

Voyelles en hiatus : eage > age, mer > mur, gaagner > gagner, raenon > ranon, fes > fis
e lintrieur des mots : sairement > serment, derrenier > dernier
e final samut dabord aprs voyelle (vue), ensuite aprs consonne (perte)

Les consonnes finales samussent aussi (-t, -p, -s, -n, -l, -r ; le sort de -f est moins clair
(clef, cerf etc.)). On notera que ce phnomne concerne galement les infinitifs (-er,
-oir, -ir) et certains suffixes (-eur = -eux). Par la chute des consonnes nasales, les
voyelles nasales acquirent une valeur phonologique : pain [p] vs. paix [p].
Avec lamussement du e final et des consonnes finales, le franais passe dfinitivement du type postdterminant au type prdterminant , car ds le moment o
par exemple la 2e et la 3e personne du singulier prsent sont homophones (chantes =
chante), ce ne sont que les pronoms personnels sujets qui dterminent la personne (tu
chantes vs il chante).
Les consonnes affriques se simplifient :

- > s-, > , > : ciel, charbon, jardin

22 Pour une belle anthologie de la littrature franaise la fin du Moyen ge, cf. Rickard (1976).
23 La diphtongue ai stait dj monophtongue en ancien franais : maistre > mstre, pais > ps etc.
24 Ce changement phontique nest accompli quau XVIe sicle.

30

Philipp Burdy

En ce qui concerne la morphologie nominale du moyen franais, il importe dobserver


la perte de la dclinaison deux cas. Il ne subsiste que lancien cas objet, sauf pour
certains substantifs dsignant des personnes, par exemple fils, sur, sartre, peintre.
Cependant, on rencontre encore des tournures figes comme la grace Dieu, la faute sa
femme, cf. fr. mod. Htel-Dieu, rue Flaubert etc.
En moyen franais, lanalogie exerce une influence importante sur la flexion des
noms et des verbes :

Rfection analogique de certaines dsinences nominales (Wolf 21991, 87) :

sg.

pl.

genoil

genous

sg. genou

mantel

manteaus

sg. manteau

chevel

cheveus

sg. cheveu

conseil

conseus

pl. conseils

pareil

pareus

pl. pareils

Les adjectifs picnes sont harmoniss avec ceux qui saccordent au genre : ainsi, on
obtient le schma suivant : grand (-d latinisant), grande daprs bon, bonne (auparavant grant m., grant f.). Cette harmonisation nest accomplie quau XVIe sicle (cf.
Wartburg 121993, 128).
Dans le champ de la flexion verbale, la forme de la 1re pers. du sg. prsent sans -e
(type chant, aim) est remplace par une forme avec -e (chante, aime) suivant le modle
des verbes du type entre, dote qui comportent toujours le -e final (cf. Rickard 1976, 26).
Les alternances vocaliques dans la conjugaison (cf. 3.2) se rduisent : cest souvent la forme accentue sur la terminaison qui lemporte sur celle accentue sur le
radical, ainsi lieves leves, espoires esperes, mais lunification dans le sens oppos
se rencontre aussi : amons aimons, amer aimer (cf. Wartburg 121993, 127).
En moyen franais, les dmonstratifs (cf. 3.2) dveloppent deux sries distinctes :
lune pour lemploi dterminatif, lautre pour lemploi pronominal (cf. MarchelloNizia 2005, 170) :

Emploi dterminatif :

m. sg.

m. pl.

f. sg.

f. pl.

er

ce/cest

ces

ceste

ces

cel

ces

cele

ces

1 degr
2 degr

31

Le franais dans lhistoire : depuis ses origines jusquau XVIe sicle

Emploi pronominal :

m. sg.

m. pl.

f. sg.

f. pl.

er

cestui

ceus ci

ceste

cestes

celui

ceus la

cele

celes

1 degr
2 degr

On notera lapparition des particules ci et la pour la structuration du systme pronominal.


En ce qui concerne la syntaxe du moyen franais,25 il faut signaler lemploi de
plus en plus frquent des pronoms sujets. Pour linstant, ils prservent encore une
certaine autonomie, comme dans les exemples suivants : Il tres debonnairement
sarrestoit a or leur supplications ; Je, Eustace, te prie ; Je qui suis Fortune nommee (cf.
Rickard 1976, 32). Dans la mesure o la dclinaison nominale disparat, les phrases
suivent de plus en plus un ordre sujetverbeobjet, tandis quen ancien franais,
lordre des actants tait encore libre (cf. Wartburg 121993, 129s.). Cela nempche pas
quau XVe sicle, on trouve encore beaucoup de constructions du type OVS : Un
autre parlement assembla ce duc ; Semblable bienfait nous envoie Dieu ; Celle femme
onc ne vi (cf. Wartburg 121993, 130 ; Rickard 1976, 27s.).
Quant au lexique des XIVe et XVe sicles (cf. Wolf 21991, 8893), on constate
lintroduction dun grand nombre de mots savants dans le franais. Ils sont dus avant
tout aux traducteurs, comme Oresme et Bersuire (cf. 5.1). Oresme utilise entre autres
les latinismes et grcismes suivants : maldiction, hrtique, existence, convexe, gomtrique, prparatif, rgularit, spculation, aristocratie, dmocratie, oligarchie. Il nest
pas rare que des drivs savants remplacent des drivs forms auparavant sur la
base du lexique hrditaire, par exemple maldiction au lieu de maudisson, certitude
au lieu de certance, certe.26 Le nombre demprunts aux langues voisines saccrot
aussi. Ainsi, le moyen franais senrichit de mots provenant des langues suivantes (cf.
Wolf 21991, 89ss. ; Zink 1990, 110ss.) :

Occitan : bastille, cabane, escargot, auberge, cadet, railler, terrasse


Nerlandais : boulevard, drogue, paquet, amarrer
Allemand : bourgmestre, arquebuse, burgrave, lansquenet
Italien : alarme, archipel, banque, banqueroute, brigade, cavalier, courtisan, mdaille, poste
Arabe ( travers litalien) : douane, calibre, zro
Dialectes franais : norm.-pic. cabaret, cble, accabler, escalope, ricaner, cauchemar ; champ.
foin (remplace fain), avoine (remplace aveine) ; dial. de lEst beurre (remplace burre) ; fr.-prov.
crtin, marron, avalanche

25 Cf. les prsentations dtailles dans Marchello-Nizia (2005) et Zink (1990).


26 Pour plus dexemples, cf. Burdy (2013, 221s.).

32

Philipp Burdy

Le nombre de drivs franais nest plus aussi lev quau XIIIe sicle, mais important
(cf. Zink 1990, 98110 ; Wolf 21991, 92s.). Les verbes en -oyer abondent, avec apitoyer,
poudroyer, tutoyer, vousoyer, de mme que les formations parasynthtiques, comme
aboutir, aplatir, raccourcir, abtir, empuantir. La formation de participes en -u continue dtre productive, avec par exemple cossu, pointu, touffu. De nombreux suffixes,
entre autres -ment, -age, -ance, -aison, -ation, -ure sont disponibles pour la formation
dabstraits (cf. Burdy 2013, 222s.). Il est tout naturel de trouver un nombre de suffixes
assez lev joint au mme radical, par exemple arestage, arestance, arestement,
dotance, doteison, formation, formaison, formance. Ainsi, le nombre de synonymes
dans le lexique du moyen franais reste important.

5.3 Lorthographe du moyen franais


Aux XIVe et XVe sicles, la graphie reflte encore moins la phontique qu lpoque
prcdente. On continue crire des diphtongues qui phontiquement nen sont
plus : <eu> est prononce ou , <ei> et <ai> reprsentent .27 Les consonnes finales et
le s devant consonne, amus eux aussi, sont prsents dans la graphie comme auparavant : coup, fort, estoile etc. Un trait typique des manuscrits et des imprims en moyen
franais sont les graphies (pseudo-)latinisantes (cf. Rickard 1976, 22s.) : les copistes
ou les typographes insrent dans les mots des consonnes non prononces qui voquent leurs tymons latins ou, du moins, des mots que lon tient pour leurs tymons :
soubz (subtus), chault (calidus), doigt (digitus), faict (factum), sepmaine (septimana),
poids (pondus), savoir (scire). Ce phnomne est apparemment un reflet des tudes
intenses et des traductions de textes latins cette poque (cf. 5.1), mais les copistes
trouvaient aussi un intrt prolonger le texte copier, car ils taient pays la ligne
(cf. Wolf 21991, 93). Quelques-unes des consonnes latinisantes se sont maintenues
jusquen franais moderne, par exemple dans poids, doigt.28 Dans certains cas, elles
ont mme fini par modifier plus tard la prononciation, par exemple celle du mot oscur
obscur [obskyr]. Marchello-Nizia (2005, 115) prcise que vers le milieu du XIVe sicle, linsertion de telles consonnes tait encore presque inconnue, tandis que dans des
manuscrits copis vers 1400, cette convention est dj assez tablie. En gnral, les
rimes constituent un bon indicateur de la prononciation de lpoque, cf. dessoubz :
vous ; escripre : souffire ; oultre : moustre. Certains flottements graphiques sont susceptibles dindiquer des flottements de prononciation dans lusage de lpoque, cf.

27 On notera que dans des mss. datant du XIIIe sicle, le e ouvert est rendu maintes reprises par <e>,
par exemple fet (=fait), pes (= paix). Sur ce point, les conventions graphiques de lancien franais tardif
taient plus progressistes que celles de lpoque suivante.
28 On en trouvera beaucoup dexemples dans le domaine des noms propres (noms de famille) : Febvre,
Lenepveu, -ault dans Foucault, Renault ; (noms de lieux :) Sceaux (Ceaus), Hrault (Erau), Saint-Arnould
(Arnou) etc. (cf. Dauzat 31988, 272ss. ; 1963, 67ss.).

Le franais dans lhistoire : depuis ses origines jusquau XVIe sicle

33

soutil/subtil/subtile, souffire/suffire, segnefier/signifier, deviser/diviser (cf. Rickard


1976, 22). Enfin, il faut mentionner une autre innovation graphique du moyen franais, savoir les graphmes g et y la fin des mots. Des graphies comme ung pour un
visent probablement faciliter la lecture tant donn que les critures de lpoque ne
facilitaient pas la diffrenciation entre les mots un, mi, vu, nu. Le -y qui remplace
beaucoup de -i finaux avait videmment la mme fonction, ce qui explique les
orthographes trs rpandues uny, amy, cecy, hardy etc. (ibid.).

6 Le franais moderne sannonce : le XVIe sicle

6.1 Cadre historique


Cest la veille du XVIe sicle que commence la campagne dItalie initie par Charles
VIII. Cet vnement marque pour la France le dbut du contact avec lhumanisme
italien. Cest notamment lhumanisme vulgaire qui devait caractriser la poursuite de
lhistoire du franais au XVIe sicle, car il dclencha en France le discours et la
rflexion sur la langue maternelle. Cest pendant ce sicle quon doit situer le
commencement des tudes de la langue vulgaire, ce qui est, en France ainsi quailleurs, un symptme de lpoque moderne. Le franais pntre mme dans des domaines scientifiques et techniques rservs au latin auparavant, les activits traductrices
des sicles prcdents continuent (Amyot traduit Plutarque en 1559) et atteignent
aussi la Bible (Lefvre dtaples 1530, Olivetan 1535) (cf. Rickard 1968, 614). En ce qui
concerne la prose, on sort des sentiers battus du XVe sicle, avec Rabelais, Pantagruel
(1532), Gargantua (1534) ; Marguerite de Navarre, LHeptamron (1558) ; Montaigne,
Essais (15801588). Dans le cadre de la Rforme protestante, des pamphlets en
franais paraissent, comme celui de Calvin, Institution de la religion chrtienne (1541/
1560, original latin 1536). Les tudes de lhumanisme italien provoquent aussi une
nouvelle orientation de la langue potique : lcole de la Pliade dsapprouve la
posie des grands rhtoriqueurs du XVe et du dbut du XVIe sicle (entre autres
Georges Chastellain, Octavien de Saint-Gelais et Jean Marot) et aspire limitation
des potes antiques et italiens. Ainsi, on introduit dans la posie franaise lode et
le sonnet, qui remplacent la ballade. Le thtre mdival avec ses mystres et ses
farces cde galement sa place des drames qui imitent des modles antiques. Les
matres penser de la Pliade sont Joachim Du Bellay sur le plan thorique et
Pierre Ronsard sur le plan pratique. Dans sa fameuse Deffence et illustration de la
langue franoise (1549),29 Du Bellay donne des conseils pour la ralisation dune

29 Bien entendu, le franais navait gure besoin de dfense cette poque, car il avait dj consolid
sa place ct du latin. Du Bellay avait emprunt son argument Sperone Speroni, Dialogo delle lingue
(1542) (cf. Rickard 1968, 16).

34

Philipp Burdy

littrature aristocrate : pour augmenter le lexique du franais, il recommande


lutilisation de mots savants (latinismes et grcismes), de nologismes, darchasmes et de dialectalismes. Ronsard, en tant qucrivain, prfre ces derniers, utiliss
aussi par Montaigne, aux latinismes. Cependant, en dpit de sa crativit linguistique, la Pliade na apport quune trs maigre contribution rellement durable au
lexique franais.
ct de la littrature aristocrate propage par la Pliade, le XVIe sicle voit
natre les premiers efforts dinventaire et de codification de la langue franaise (cf.
Rickard 1968, 28s.). Citons par exemple :

Grammaires :
John Palsgrave, Lesclarcissement de la langue francoyse (1530)
Jacques Dubois, In linguam Gallicam Isagge () (1531)
Louis Meigret, Le trtt de la grammre franoze (1550)
Robert Estienne, Traicte de la grammaire francoise (1557)
Pierre de la Rame, Gramere (1562), Grammaire (1572)

Dictionnaires :
Robert Estienne, Dictionarium latinogallicum (1538), Dictionaire franois-latin (1539)

Dans une certaine mesure, ces tentatives sont mettre en rapport avec le dveloppement de limprimerie. Paris, vers le milieu du XVIe sicle, un cinquime des livres
imprims sont dj des livres en franais (Wolf 21991, 97). Lorthographe de ces livres se
trouve uniquement dans les mains des imprimeurs. Pour des raisons conomiques, ils
prfrent les graphies traditionnelles transmises par les manuscrits de lpoque prcdente aux propositions de rforme propages par exemple par Meigret, Le trtt de la
grammre franoze (1550) et Peletier du Mans, Dialogu d lOrtograf et Prononciation
Franos (1550), qui plaidaient pour une orthographe phontique. Estienne, diteur
influent et humaniste, continuait utiliser lorthographe conservatrice pour ses publications, parmi lesquelles le dictionnaire atteignit des tirages levs et servit de modle
orthographique (cf. Wolf 21991, 106ss. ; Rickard 1968, 3548). Les signes diacritiques
comme les accents, la cdille, le trma et lapostrophe font lobjet de discussions au
XVIe sicle, mais on ne parvient pas encore des conventions dfinitives.
La propagation du franais en tant que langue crite dans le royaume est dj en
plein essor, ce qui entrane la substitution successive du franais loccitan dans le
Midi. Ce nest quen 1539 que ce processus est cautionn officiellement par les
fameuses Ordonnances de Villers-Cotterts. Cette disposition exclut lusage dans des
documents officiels de tout idiome autre que le franais, cest--dire non seulement le
latin, mais galement toutes les autres langues et dialectes vulgaires (Rickard 1968,
22s.) :

[art. 111] Nous [c.-.-d. Franois Ier] voulons que doresnavant tous arrestz ensemble toutes aultres
procedures soient proncez enregistrez & delivrez aux parties en langage maternel franois &
non aultrement.

35

Le franais dans lhistoire : depuis ses origines jusquau XVIe sicle

On nglige souvent le fait que par les mmes ordonnances, Franois Ier rendit obligatoire dans ses possessions la fixation des noms de famille (cf. Dauzat 31988, 40).
Cest galement au cours du XVIe sicle quapparat pour la premire fois la
notion de l usage (Meigret, Trtt, 1550). Ds lors, il tait hors de doute que lusage
exemplaire du franais tait localis Paris, mais un aspect restait encore assez
vague : qui le reprsentait exactement ? tait-ce le langage du parlement, cest--dire
de la cour de justice de Paris (Estienne, Tory), le langage de la cour royale (Peletier du
Mans, Meigret) ou bien le parler de toutes les couches sociales Paris (de la Rame) ?
En tout cas, le bon franais est dtermin comme lidiolecte dune lite : ds le
moment o commence la rflexion sur la langue vulgaire, le langage du peuple
franais est mis hors-jeu (cf. Wolf 21991, 99s.).

6.2 lments de lvolution interne du franais au XVIe sicle

Les diphtongues et triphtongues au et eau (dans sauter ou marteau) se simplifient


dfinitivement en [(e)o]. Cette volution est rejete par les grammairiens, de mme
que la prononciation [wa] au lieu de [w] (roi, vouloir etc.) (cf. Gougenheim 1974,
22ss.). Les voyelles nasales [/] et [y/ ] se rapprochent, si bien que Deimier interdira
la rime vaindivin, humainchemin (Lote 1991, 273).
Une innovation du XVIe sicle est constitue par le fait que certains changements phontiques se voient entravs ou bien annuls par la raction des thoriciens de la langue : ainsi, louverture de e devant r vers a (Villon faisait rimer garde
avec perde) ne simpose pas. Il nen subsiste que quelques mots isols comme dartre
(a. fr. dertre), larme (a. fr. lairme) (cf. Gougenheim 1974, 18 ; Wolf 21991, 100). Le
changement du -r- intervocalique en -s- sonore (Pazis, pze etc.) se gnralise tout
aussi peu. En franais moderne, on nen trouve le tmoignage que dans chaise
comparer chaire et besicles (< bericle) (cf. Gougenheim 1974, 29 ; Wartburg 121993,
156).30
Au XVIe sicle, on assiste au plus important afflux de mots savants de toute
lhistoire du franais, cf. la liste dresse par Wolf (21991, 102), mme si certains rudits
sy opposent (Tory, Estienne, Meigret). Le contact intensif avec lItalie apporte au
franais un grand nombre ditalianismes (env. 500 ; cf. les exemples dans Wolf 21991,
104s.). Lintervention de certains puristes au cours de la seconde moiti du XVIe sicle
ne se fit gure attendre : dans ses publications intitules Traict de la conformit du
langage franois avec le grec (1565), Deux dialogues du nouveau langage Franois,
italianiz () (1578) et De la precellence du langage Franois (1579), Henri Estienne
lve la voix contre les mots italiens dans le franais. Consquence du purisme ou

30 Dans le domaine des noms de lieux, on en trouve autant dexemples ; cf. le type Ozoir (< oratoriu).

36

Philipp Burdy

non, un grand nombre ditalianismes emprunts au XVIe sicle se sont avrs phmres, tandis que dautres, condamns en partie par Estienne, entrent dans le lexique
franais pour y rester jusqu nos jours : alerte, assassin, bizarre, cadre, campagne,
crature, disgrce, faade, grotesque, manquer, pdant, russir, soldat (Wolf 21991,
105 ; Rickard 1968, 17).
En considrant linfluence au XVIe sicle dautorits capables de retarder lvolution spontane de la langue vulgaire, symptme des temps modernes, il nest peuttre pas illgitime de ne plus attribuer ce sicle au moyen franais.

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Christian Schmitt

2 Le franais dans lhistoire : du XVIIe sicle


nos jours

Abstract : Larticle fournit des informations sur les principales tapes de lhistoire de
la langue franaise du XVIIe sicle jusqu lpoque moderne. Laccent est mis sur
lhistoire linguistique interne et externe et sur les dveloppements en lexicographie et
en grammaticographie.

Keywords : histoire linguistique, priodisation, franais classique, Sicle des Ides,


franais moderne

1 Remarques prliminaires : la priodisation du


franais

Du point de vue diachronique, la grammaire historique traditionnelle distingue entre


trois stades linguistiques de la langue dol : lancien franais, le moyen franais et le
franais moderne. Les trois tapes peuvent tre caractrises par trois tendances
diffrentes : 1) la formation des dialectes finissant par la prdominance de la varit
diatopique de lle-de-France, en accord avec ltymologie (< little Francia isle de
France, par interprtation populaire), 2) la formation dune langue nationale, en
usage dans le Royaume franais et, finalement, 3) la standardisation et lvolution
normative de plus en plus prononce de ce franais langue nationale par les grammairiens, les littraires, les scientifiques et dautres groupes dintellectuels sous lgide de
ltat dfenseur du bon franais (Rat 1963).
Notre sujet englobe trois sicles marqus par la discussion sur lusage commence
vrai dire au XVIe sicle par Meigret, Robert Estienne, Mathieu, de la Rame, Henri
Estienne et tant dautres qui ont reconnu la ncessit de sopposer la tradition de la
grammaire latine ; mais, contrairement au sicle de la Renaissance, il ne sagit pas de
lusage tout court, cest le b o n u s a g e prconu au XVIe sicle par Henri Estienne qui
se trouve au centre dintrt de la discussion sur la standardisation linguistique.
Lusage linguistique, il est vrai, ne constitue pas un critre nouveau : tout ainsi que le
gustus urbis et lurbanitas (cf. Neumann 1968, 88ss.) le critre de lusus usage se trouve
dans les traits linguistiques de lantiquit et dans les observations mtalinguistiques
(Fgen 2000 ; Mller 2001) ; en ce qui concerne lusage, le texte primordial est fourni
par le trait De lingua Latina de Varron dfendant le principe de lusage gnral par la
phrase bien connue et souvent cite ego populi consuetudinis non sum ut dominus,
at ille meae est (ed. Spengel 1885, vol. 9, 5s.) et reconnaissant, par consquent, les
effets de lanalogie et de lanomalie linguistiques comme forces essentielles en accord
avec Cicron qui lui avoue usum loquendi populo concessi, scientiam mihi reserva

40

Christian Schmitt

vi [ Jai concd lusage linguistique au peuple et me suis rserv la science ]


(Orator ad Marcum Brutum 48, 159s. ; cf. p. ex. de la Rame 1572, 30, et Henri Estienne,
ed. Feugre 1853, 56s.). Cest par les textes de Julius Scaliger que la grammaire moderne
a connu le principe Auctoritas ex usu pendet (lautorit dpend de lusage) expos
dans le chapitre CXCII de son trait important De causis linguae Latinae :

Nam quum, hoc interpretandi munus Usu, Autoritate, Ratione constare dixerint : sane intelligendum est, usum sine ratione non semper moveri, veluti si aspirat Trophaeum, & Anchoram,
quae leniter Graecis aliis proferuntur, Atheniensium exemplo sciamus factum esse. Autoritas
vero quid aliud, qum Usus est ?
(ed. 1597, 448).
[mais puisquils ont dit que lusage, lautorit et la raison taient les principes de lvaluation, on
peut certainement comprendre que lusage ne peut pas toujours changer sans raison comme,
p.ex., nous savons que les formes aspires trophaeus et anchora (qui correspondent aux sourdes
[p] et [k] chez les autres Grecs) se sont formes daprs la prononciation athnienne. Par
consquent : est-ce que la norme est autre chose que lusage ?]

Ce passage central contient dj les notions-cls de la discussion linguistique des sicles


suivants : u s a g e , a u t o r i t e t r a i s o n ; il montre en mme temps que la caractrisation du Grand sicle par Marzys savre insuffisante pour qui sur un point seulement,
la norme du XVIIe sicle reprend lune des orientations du XVIe ; cartant les influences savantes et littraires, elle prend pour seule source lusage parl (1974, 331).
Dun ct il oublie le critre de lautorit cher aux humanistes et de lautre il passe
sous silence le fait que Philalthe dj a prvu la discussion sur les diffrents critres
de lusage en argumentant de la faon suivante :

Si lusage de la langue franaise tait pareil en tous lieux, ce que vous dites auroit quelquapparence ; mais vu quil y a de la controverse quant lusage, il faut avoir recours ailleurs qu
lusage (Henri Estienne, cf. Franois 1959, vol. 1, 146).

On est donc en droit de dfendre la thse de Lausberg (1950) pour qui Malherbe a
continu une discussion entame par les humanistes qui ont repris un des sujets
linguistiques primordiaux pour les grammairiens de lAntiquit : la dfinition de
lusage linguistique crit et oral.

2 Le XVIIe sicle : la gense du franais moderne

quelques exceptions prs, les grammaires de la Renaissance sont nourries par les
doctrines de lantiquit classique. Au XVIIe sicle, commencement du franais moderne (Klare 1998, 116ss.), tout change comme le documente(ra) le Grand Corpus des
grammaires franaises (sous la direction de Bernard Colombat et de Jean-Marie
Fournier) contenant les grammaires franaises les plus marquantes de lge classique,
cest--dire les ouvrages grammaticaux qui ont anim un dbat trs fervent sur les
problmes normatifs du franais au sicle classique et sur les traits caractristiques

Le franais dans lhistoire : du XVIIe sicle nos jours

41

du franais et renoncent, en gnral, une perspective diachronique (mme dans les


ouvrages crits en latin), en prparation chez Garnier :

Jean Masset, Exact et tres-facile acheminement la langue franoise, 1606.


Charles Maupas, Grammaire et syntaxe franoise, 21618 [1607].
Antoine Oudin, Grammaire franoise rapporte au langage du temps, 21640 [1632].
Claude Mauger, French Grammar with additions, 1684 [1653].
Thomas de La Grue, La vraye Introduction la Langue franoise, 1669 [avant 1655].
Claude Irson, Nouvelle methode pour apprendre facilement les principes et la puret de la langue
franaise, 1662 [1656].
Laurent Chiflet, Essay dune parfaite Grammaire de la langue franoise, 1659.
Antoine Arnauld/Claude Lancelot, Grammaire Gnrale et Raisonne, 1676 [1660].
Denis Vairasse dAllais, Grammaire Mthodique contenant en abrg les Principes de cet art et les
rgles les plus ncessaires la langue franaise, 1681.
Louis de Courcillon de Dangeau, Opuscules sur la grammaire, 1694.
Pierre de La Touche, Lart de bien parler franois (2 vol.), 1730 [1696].

Ces tudes portent avant tout sur la variation sociolinguistique du franais devenu
langue nationale, sur les problmes normatifs, sur lusage littraire, la traduction
idiomatique et lapprentissage de la varit parisienne reconnue comme archtype
canonique. Dans la tradition rhtorique ces grammaires doivent galement enseigner
lart de parler en respectant les figures imposes par la tradition textuelle et les formes
reconnues comme meilleures varits conformment une pragmatique dtermine,
avant tout, par lusage littraire et les premires autorits.
Ces grammaires sont souvent accompagnes par un genre typiquement franais
qui commence apparatre au milieu du XVIIe sicle avec les remarques de Vaugelas
(Ayres-Bennett 2004 ; Marzys 2009). Ces textes sont runis dans un autre Corpus
(Corpus des remarques sur la langue franaise, XVIIe sicle), sous la direction de
Wendy Ayres-Bennett (2011) qui montre jusqu quel point le public cultiv sest
occup de subtilits grammaticales et dans quelle mesure les amateurs du beau
langage (Rat 1963) sintressaient aux idiotismes qui posaient problme ceux qui
voulaient se distinguer du commun par un usage linguistique exemplaire. Tout dixseptimiste voulant comprendre les rgles souvent contradictoires du franais classique ainsi que les chemins souvent compliqus sa codification et sa standardisation est tenu de connatre ce corpus produit par les remarqueurs :

Acadmie franaise, Observations de lAcadmie Franoise sur les Remarques de M. de Vaugelas,


Paris, 1704.
Louis-Augustin Alemand, Nouvelles Observations, ou Guerre civile des Franois, sur la langue,
Paris, 1688.
Nicolas Andry de Boisregard, Rflexions, ou Remarques critiques sur lusage present de la langue
franoise, Paris, 1692 [1689], et Suite des rflexions critiques sur lusage present de la langue
franoise, Paris, 1693.
Dominique Bouhours, Remarques nouvelles sur la langue franoise, Paris, 1692 [1675], et Suite des
Remarques nouvelles sur la langue franoise, Paris, 1693 [1692].
Marguerite Buffet, Nouvelles Observations sur la langue franoise, Paris, 1668.

42

Christian Schmitt

Scipion Dupleix, Libert de la langue franoise dans sa puret, Paris, 1651.


Franois de la Mothe Le Vayer, Lettres touchant les nouvelles remarques sur la langue franoise,
Paris, 1669 [1647].
Jean Mac, Methode universelle pour apprandre facilement les langues, pour parler puremant et
escrire nettemant en franois, Paris, 1651 [1650 ?].
Gilles Mnage, Observations de Monsieur Mnage sur la langue franoise, Paris, 1675 [1672], et
Observations de Monsieur Mnage sur la langue franoise. Segonde partie, Paris, 1676.
Paul Tallemant, Remarques et decisions de lAcadmie franoise, Paris, 1698.
Claude Favre de Vaugelas, Remarques sur la langue franoise utiles ceux qui veulent bien parler
et bien escrire, Paris, 1647, et Nouvelles Remarques de M. de Vaugelas sur la langue franoise.
Ouvrage posthume. Avec des observations de M.***** [Louis-Augustin Alemand], Paris, 1690.

Les observations savrent peu systmatiques mais les diffrents textes peuvent servir
dintroduction lhistoire des ides linguistiques, la conception normative et
grammaticale du Sicle de Louis XIV, la variation diatopique et sociolinguistique et
aussi une meilleure comprhension de la cration littraire en France.
Le XVIe sicle tait proccup par llaboration quantitative du franais langue
nationale ; la discussion du XVIIe sicle est dtermine, avant tout, par la dfinition
de rgles fixes et la rglementation dun usage linguistique peu solidement tabli.
La discussion sur la standardisation de la langue commence en 1605, avec les
fameux Commentaires sur Desportes de Malherbe (cf. Brunot 1891) ; en accord avec la
rhtorique classique (Lausberg 1950), Malherbe critique svrement lemploi darchasmes, de nologismes et contre la tradition des remarqueurs de la Renaissance
(Schmitt 1977) des mots rgionaux et des mots de mtiers comme incompatibles
avec le sermo purus et dilucidus , en commentant laide dannotations en marge
du texte de Desportes et critiquant quelques potes du XVIe sicle. Ces gloses taient
dabord destines amliorer les textes potiques et finalement reconnues pour la
conversation de gens cultives qui approuvaient lintention de Malherbe de corriger et
dgasconner la cour marque par linfluence de diffrentes varits soit dorigine
trangre, comme litalien, soit de provenance rgionale ou occitane, et de sociolectes
situs en marge du parler commun (Franois 1959, vol. 1, 274ss.). Le refus des rgionalismes et phnomnes sociolectaux peut tre qualifi de catgorique (Schmitt 1977) ;
cette prise de position justifie, pour Vaugelas, lemploi dune mtaphore mdicale :

Ce nest donc pas une acquisition si aise faire que celle de la puret du langage, puis quon
ny sauroit parvenir que par les trois moyens que jay marquez, et quil y en a deux qui
demandent plusieurs annes pour produire leur effet ; Car il ne faut pas simaginer que de faire
de temps en temps quelque voyage la Cour, et quelque connoissance avec ceux qui sont
consommez dans la langue, puisse suffire ce dessein. Il faut estre assidu dans la Cour et dans la
frequentation de ces sortes de personnes pour se prevaloir de lun et de lautre, et il ne faut pas
insensiblement se laisser corrompre par la contagion des Provinces en y faisant un trop long
sejour (ed. Marzys 2009, vol. 1, 71).

Pour les nologismes Vaugelas parle de mots (nouveaux) et souvent dans une
diction encore plus favorable dun mot, dune expression en usage depuis peu,
depuis quelque temps , etc. (cf. Remarques 61, 69, 78ss., 157, 213, 239, 254, 346, 355,

43

Le franais dans lhistoire : du XVIIe sicle nos jours

464, 492, 534, 553, 570) et de mots qui nont jamais t dits on est beaucoup plus
tolrant selon la recommandation dHorace ( Licuit semperque licebit / Signatum
praesente nota producere nomen , ars poet. 58s.), comme le montre, par exemple, le
commentaire sur la drivation plume plumeux (se) adjuge Malherbe :

Mais puis que jay resolu de traiter fond toute la matiere de lUsage, il faut voir sil est vray,
comme quelques-uns le croyent, quil y ait de certains mots qui nont jamais est dits, et qui
neantmoins ont quelquefois bonne grace ; mais que tout consiste les bien placer. En voicy un
exemple dun des plus beaux et des plus ingenieux esprits de nostre siecle, qui il devroit bien
estre permis dinventer au moins quelques mots, puis quil est si fertile et si heureux inventer
tant de belles choses en toutes sortes de sujets, entre lesquels il y en a un dune invention
admirable, o il a dit,

Dedale navoit pas de ses rames plumeuses


Encore travers les ondes escumeuses
(ed. Marzys 2009, vol. 1, 105).

Vu limportance attribue lusage, on est en droit davoir des doutes, si Vaugelas se


servirait aujourdhui des arguments ports dans les Remarques contre occasionner
tre loccasion de (PRob 2009, 1725a) : [] on dit, affectionner, se passionner,
daffection et de passion, et plusieurs semblables, et nantmoins si lon veut bien
parler, on ne dira pas ambitionner, occasionner, dambition, et doccasion, non plus
que prtexter, pour prendre prtexte, et se medeciner pour prendre medecine. Je say
bien quils sont en la bouche de la pluspart du monde ; mais non pas dans les escrits
des bons Autheurs (ed. Marzys 2009, vol. 2, 302s.).
Les dictionnaires du Sicle de Louis le Grand tmoignent dune normalisation
rgulire du vocabulaire franais (Richelet 1680 ; Furetire 1690 ; Acadmie franaise
1694) ; les diffrentes tapes de la standardisation lexicale sont connues (cf. Popelar
1976, 8ss.), les prfaces qui font souvent preuve de rigueur voire de duret et svrit
extrmes comme le Dictionnaire de lAcadmie franaise 1694, ont souvent t
commentes (cf. Berschin/Felixberger/Goebl 22008, 236ss.). Malgr certaines incompatibilits avec le vocabulaire de lhonnte-homme (Popelar 1976, 16ss.), le dictionnaire de lAcadmie franaise reste fidle aux principes dposs dans les statuts de
lillustre compagnie (Brunot 19051953, vol. 3/1, 35) :

24. La principale fonction de lAcadmie sera de travailler avec tout le soin et toute la diligence
possible donner des rgles certaines notre langue, et la rendre pure, loquente et capable de
traiter les arts et les sciences.
25. Les meilleurs auteurs de la langue franoise seront distribus aux Acadmiciens pour
observer tant les dictions que les phrases qui peuvent servir de rgles gnrales, et en faire
rapport la Compagnie, qui jugera de leur travail et sen servira aux occasions.
26. Il sera compos un Dictionnaire, une Grammaire, une Rhtorique et une Potique sur les
observations de lAcadmie .

44

Christian Schmitt

Il dtermine avant tout la norme littraire sans oublier que lusage littraire, lui-aussi,
est sujet au changement et aux critres sociologiques qui constituent la nature des
langues vivantes.
Pour les grammaires du franais classique la polymorphie verbale due lalternance vocalique (Buridant 2000, 230406) reprsente le problme principal de la
norme. Le moyen franais a connu la formation dun systme verbal hypertrophique
(Eckert 1986, 230ss.) et de nombreux sous-systmes en concurrence, et cette rivalit a
t lgue aux poques dcisives pour la standardisation du franais national. Vaugelas est encore loin dune systmatisation des paradigmes comme le documente
lhsitation entre je vais et je vas (ed. Marzys 2009, vol. 1, 82) et ne sait pas rsoudre
les problmes qui rsultent de lopposition entre l analogie et l usage :

De tout ce discours il sensuit que nostre langue nest fonde que sur lUsage ou sur lAnalogie,
laquelle encore nest distingue de lUsage, que comme la copie ou limage lest de loriginal, ou
du patron sur lequel elle est forme, tellement quon peut trancher le mot, et dire que nostre
langue nest fonde que sur le seul Usage ou desja reconn, ou que lon peut reconnoistre par les
choses qui sont connus, ce quon appelle Analogie (ed. Marzys 2009, 80).

Les irrgularits morphologiques concernent comme aujourdhui avant tout les


systmes verbaux priphriques qui sopposent trs souvent lvolution phontique
normale et la structuration selon certains rapports de similitude entre des groupes
verbaux qui se distinguent cependant par lusus loquendi. Mais, comme la formul
Antoine Oudin, le grammairien ne doit pas se contenter denregistrer des formes
doubles, voire triples, sa tche est de faire un choix :

Mon dessein nestoit que daugmenter la grammaire du sieur Maupas : toutefois y ayant
recogneu force antiquailles rformer, & beaucoup derreurs reprendre, outre une confusion de
discours repetez, obscurs, & pedantesques, ie me suis resolu de vous en faire une moderne, afin
de purger le monde en mesme temps des ordures que iay trouves autre part, & vous desabuser
entierement (1632 : Aux curieux , fo a3r).

Et lusage au XVIIe sicle offrait un choix assez important dans les grammaires
parisiennes, plus riche encore dans les grammaires crites par des provinciaux et
extrmement variable dans les grammaires crites ltranger qui enregistraient tout
ce que leurs auteurs pouvaient dcouvrir dans les textes ou entendre dans les cours
rgionales (Schmitt 2002, 157ss.).
Les observations peuvent se rfrer des formes simples, comme p. ex. la troisime personne du pluriel du premier groupe verbal ( La troisime plurire change
la, en . Gardez-vous de dire Aimarent, Parlarent, Criarent, la mode de Gascongne ,
Maupas 21618, 103 ro), soit des irrguliers ou des paradigmes marginaux. En gnral,
lusage lemporte, et cest ainsi que le verbe semondre admonester, avec sa morphologie irrgulire, na aucune chance de survivre :

45

Le franais dans lhistoire : du XVIIe sicle nos jours

verbe

Oudin 21640

Rayot 1656

semondre

Si la necessit nest bien grande, ie


ne conseilleray personne duser de ce
verbe (180)

Das kann nicht passiren, bey denen die


wohl reden (215)

Pour les paradigmes marginaux nous nous limitons trois exemples assez instructifs :
chaloir, clor(r)e et douloir :

verbe

Oudin 21640

chaloir

impersonnel ne sescrit plus (169)

Rayot 1656

Impersonale, non amplius scribitur. Alias


habet in praesenti, il chaut : Imperf. il
chaloit : Parf. simp. il chalut : Futurum il
chaudra Imperat. quil chaille : Part. chalant :
praeterit. particip. passivi chalu (189s.)

clorre

utere verbo fermer & enfermer (184)

il vaut mieux se servir des verbes


fermer & enfermer (174)

douloir

On se peut encore servir de linfinitif


de ce verbe, toutefois il est antique ; au
reste, ie me deuls ou deuils, doulus,
doulu, deuilleray, & deuille, sont bannis
du langage moderne

Infinitivus adhuc, est in usu ; alias utimini :


ie me deuls ou deuils & c. doulus, doulu,
deuilleray, & deuille in hoc seculo non sunt
in uso (193)

On comprend facilement que les grammairiens ne recherchent pas la forme rare mais
plutt les formes analogiques qui sont galement prfres dans le cas des verbes
bnir (Maupas 21618, 113 v ; Oudin 1632, 155s.), cueillir (Maupas 21618, 114 r ; Oudin
1632, 157), har (Maupas 21618, 115 r/v ; Oudin 1632, 158s.), secourre (Maupas 21618,
123s. ; Oudin 1632, 179) et vestir (Maupas 21618, 117 r ; Oudin 1632, 164 r) ; mais la
grammaire franaise est encore loin dune standardisation comme la galement
retenu Fouch : Risons ne sest pas maintenu. De la Faye signale cependant encore
en 1613, ct de rioy, un imparfait risoy quil condamne dailleurs [La Faye crit :
etliche [!] sagen Risoy, aber unrecht [1613, 314] ; C.S.], et Bernard (1607) donne pour
le subjonctif les deux formes rise et rie (21967, 102). Mais dans le dsordre qui marque
la morphologie verbale des XVIIe et XVIIIe sicles (Schmitt 1995 ; 1997) cest de loin la
morphologie du futur avec sa variation excessive qui lemporte (Schmitt 2001a) et il
nest pas surprenant de constater quun chanteur parisien du XXe sicle se serve
encore des valeurs connotatives de mourirai (Renaud, Le sirop de la rue) et nous nous
en allerons (Renaud, Ds que le vent soufflera).
Les tmoignages des grammairiens nous informent bien sur la prononciation du
franais classique (Martinet 21974 ; Cohen 1946) ; la comparaison avec lusage rel du
XXe sicle (Martinet/Walter 1973) permet didentifier les forces principales de lvolution moderne (Schmitt 1984) : la restitution des consonnes finales, p. ex., est due, avant

46

Christian Schmitt

tout, lorthographe phontique, comme le montre fr. soif besoin de lorganisme en


eau, prononc [swa] en 1700 et [swaf] au XXe sicle (Martinet/Walter 1973, 812). Le
document le plus fiable est d Ren Milleran (1694) qui, dans ses deux tomes de
<grammaire fransaize>, a mis en lettres italiques toutes les lettres qui lui ont paru
superflus, except surtout les verbes o je nai presque rien chang (1694, I, 3) ; la
transcription de son texte en franais moderne permettrait donc dlaborer une phontique contrastive de deux stades linguistiques et de conclure que bon nombre de
consonnes finales ont t restitues au cours des sicles en accord avec lorthographe
tymologique normative :

[-f] final devant consonne


buf gras [bgra]
uf de poulle [dpul]
buf rti [broti]
uf mollet [mol]
couvre-chef [kuvre]

Au sujet de leur prononciation, il remarque : Dites donc che-deuvre, couvre-ch, eu


de poulle, beu-rti, eus mollais, etc. (Milleran 1694, vol. 2, 46).

[-k] final devant consonne


coq dinde [kdd]
cinq chevaux [svo]
jen ai cinq [ans]
avec [av] (Milleran 1694, vol. 1, 5, etc.)
donc [d] (ibid., 11, 12, etc.)

[-s] final devant consonne


sens de la regle [sdlargl()] (ibid., 3, 29, 30, etc.)
dun Pasteur fils du Roi [fidyrwa] (ibid., 60, 74, etc.)
sus dites, s-dits [sydit, sydi] (ibid., 44, 84, 93, etc.)
murs [mr] (ibid., I, 164)

[-r] final devant consonne, qui montre une divergence systmatique :


velours [vlu], fr.m. [vlur]
toujours [tuu], fr.m. [tuur]
jour [u], fr.m. [ur] (ibid., 26)
discours [disku], fr.m. [diskur] (ibid., 66)
-eur [-], fr.m. [-r] (ibid., vol. 2, 100ss.), exemples : coupeur de bourses [kupdburs],
fr.m. [kuprd()burs], bateur destrade [batdestrad], fr.m. [batrdestrad], joueur
dinstrumens [udstryma], fr.m. [urdstryma], professeur [prfs], fr.m. [prfsr] (ibid., vol. 1, 2), p(l)usieurs [p(l)ysj], fr.m. [plysjr] (ibid., 2, 27, 65, 68, etc.),
meilleur [mj, fr.m. [mjr] (ibid., 21), auteur [ot], fr.m. [otr] (ibid., 16)

et concerne les verbes termins par -ir (ibid., vol. 2, 100ss.), les adjectifs quand <-r> est
suivi dune consonne (interdisant la liaison) et bon nombre de substantifs issus de
verbes :

Le franais dans lhistoire : du XVIIe sicle nos jours

47

les verbes termins par -ir (ibid., 100ss.), exemples :

batir [bati], fr.m. [batir]


courir [kuri], fr.m. [kurir]
servir [srvi], fr.m. [srvir] (ibid., vol. 1, prface)
grossir [grsi], fr.m. [grsir] (ibid.)
afermir [afrmi] (ibid.), etc.

ladjectif cher, quand le [-r] est suivi dune consonne :

cher pour [epur], fr.m. [rpur] (ibid., vol. 1, 75)

loisir [lwazi], fr.m. [lwazir], plaisir [plzi], fr.m. [plzir], souvenir [suvni], fr.m. [suvnir]
(ibid., 75), miroir [mirwa], fr.m. [mirwar] (ibid., 66), mouchoir [muwa], fr.m. [muwar] (ibid.,
66) (etc.).

On peut en conclure que le changement phontique [-r] [] [-r] sexplique par


linfluence de lorthographe sur la prononciation qui commence galement influencer la prononciation des cultismes partiellement intgrs (avec les prfixes sub-, ob- et
ab-) :

Milleran 1694

[Warnant +]

Martinet/Walter 1973

PRob 2009
absenter

[absate]

[apsate]

16 X [absate], 1 X [ab-]

obtenir

[ob- et optni]

[ptnir]

16 X [ptnir], 1 X [b-]

subtiliser

[syp- et sybtilize]

[syptilize]

14 X [syptilize], 3 X [syb-]

abject

[abkt]

[abkt]

17 X [abkt]

Cette tendance correspond aussi lvolution phontique de [r] et [l] en syllabe


intrieure :

surtout [sytu] (Milleran 1694, vol. 2, 16)


mercredi [mkrdi] (ibid., 102)
quelque [kk] (ibid., vol. 1, 6 ; vol. 2, 147, etc.)
quelquun [kk] (ibid., vol. 2, 69) et quelque-s-uns (ibid., vol. 1, 78)
quelquefois [kkfwa] (ibid., 9, etc.)
poulpe [pup] (ibid., vol. 2, 69)

ou de [s] devant consonne :

puis que, pu-que [pyik] (ibid., vol. 1, 1, 12, etc.)


lors que [lrk] (ibid., 3, etc.)

et confirme, par consquent, la thse de Buben (1935) qui a observ une forte
influence de lorthographe tymologique franaise sur la prononciation du franais

48

Christian Schmitt

moderne documente, galement, par Martinet/Walter (1973) dans leur analyse de la


conscience linguistique des Franais.
Jusquau XVIe sicle, peu prs, une poque o peu de gens savaient lire ou
crire dans la langue du peuple et les rudits sexprimaient avant tout en latin, les
varits linguistiques et les discours ont, en gnral, dtermin lvolution phontique de la langue vernaculaire ; depuis le XVIIe sicle, on constate une interdpendance de plus en plus nette entre le code graphique (extrmement conservateur en
franais) et le code phonique. Cette coordination entre graphie et phonie a eu pour
effet que la phonie suit la graphie et que la coordination peu systmatique tablie
entre phonie et graphie contribue de plus en plus la dpendance de la prononciation
par rapport lorthographe (Schmitt 1984, 434), comme le montre le croquis suivant :

parole

communication crite

phonique

graphique

parl

crit

Cette volution a commenc au XVIe sicle et est toujours dactualit dans lvolution
phontique du franais national, comme le tmoigne Muller qui parle des principales
tendances de lallongement consonantique en cas de gmination graphique et dune
articulation de graphmes consonantiques pure valeur graphique dans la langue
contemporaine et labore la rgle historique suivante pour le phontisme franais :

Laction exerce dans le sens contraire, cest--dire linfluence de la langue crite sur la langue
parle, est particulirement frappante lorsquelle touche la phonie et change les normes de
prononciation. Au cours de lhistoire du franais, le phnomne de spelling pronunciation
(prononciation influence par lorthographe du mot) apparat sur une large chelle lpoque de
la Renaissance, au moment o la latinisation de la graphie entrane une latinisation de la
prononciation (1985, 88).

Cette tendance a beaucoup plus dinfluence sur lvolution de la langue que des
vnements plutt phmres et marginaux comme la p r c i o s i t (du Salon de la
Marquise de Rambouillet et des fameux S a m e d i s de Mlle de Scudry) connue encore
aujourdhui par le biais des Prcieuses ridicules de Molire. Somme toute, on peut dire
que les remarques des prcieuses souvent combines avec la prciosit desprit, ainsi
que les ouvrages des gens savans en la langue comme Mnage (auteur dobservations et dun dictionnaire dtymologie) et mme la Grammaire de Port-Royal, oppo

Le franais dans lhistoire : du XVIIe sicle nos jours

49

se au Bon usage et au langage de la Cour et adeptes au principe rationaliste ont eu


moins dinfluence sur la standardisation du franais que les remarqueurs qui
comme Vaugelas ont dfendu le principe du Bon usage. La Grammaire gnrale et
raisonne contenant les fondements de lart de parler expliqus dune manire claire et
naturelle. Les raisons de ce qui est commun toutes les langues et des principales
diffrences qui sy rencontrent ; et plusieurs remarques nouvelles sur la langue franoise
(1660) des Jansnistes Antoine Arnauld (16151695) et Claude Lancelot (16151695)
qui selon les thories du cartsianisme met laccent sur la raison humaine et
labore des interdpendances entre la langue (franaise) et la logique occupe une
place centrale dans la discussion du XVIIIe sicle, mais ses mots-cls (raison, clart,
nettet, ordre et prcision) nont pas su dterminer la pense grammaticale, mais
plutt contribu documenter la grande divergence et lcart fondamental entre la
langue humaine (en gnral : le franais) et la logique comprise comme analyse
formelle et tude critique de la connaissance. Le concept de Vaugelas qui a compris
que lusage fait beaucoup de choses par raison mais aussi des choses incompatibles
avec la raison correspond mieux aux faits de langage et survit dans la grammaire
devenue classique de Grevisse, Le bon usage (11936 ; 142008) alors que les conceptions
linguistiques et philosophiques ont trouv leur continuation dans les traits sur la
clart et la logique du franais souvent bass sur Les avantages de la langue franoise
(de Le Laboureur, 1669) et Lexcellence de la langue franoise (de Charpentier, 1683)
qui mettent laccent surtout sur lordre logique e la phrase franaise permettant la
quintessence que ce qui nest pas clair nest pas franais .
Les ides linguistiques trouvent leur rpercussion immdiate dans la langue
littraire : la premire moiti du XVIIe sicle a le mrite davoir dvelopp les normes
de la prose classique (Guez de Balzac 15971654 ; Voiture 15971648), la seconde a
contribu prciser les rgles du style et de lexpression littraire partir des chefsduvre de lpoque classique (Pierre Corneille, 16061684 ; Jean Racine, 16331699 ;
Nicolas Boileau 16361711). On peut dire que les principes du bon usage et de lordre
direct naturel ainsi que les rgles potologiques de lantiquit basant sur la vraisemblance et la biensance trouvent leur ralisation parfaite dans le classicisme franais ;
seules la comdie (Molire 16221673) et, parfois la fable classique (La Fontaine, 1621
1695 ; cf. Stefenelli 1987) laissent deviner quil existe, ct du franais classique, une
autre varit du franais qui intresse depuis une trentaine dannes la linguistique
historique dans le cadre de lhistoricit du code parl (Schmitt 1980), de la diachronie
des varits idiolectales du franais parl la cour, connu par le biais du journal de
Jean Hroard (Ernst 1985 ; Prmann-Zemper 1986 ; Foisil 1989) ou du franais des
paysans connu travers les agrables confrences de deux paysans de Saint-Ouen et
de Montmorency sur les affaires du temps (Birk 2004) qui contiennent tous des traits
typiques du franais populaire et dialectal peu abords dans les grammaires et
lexiques du XVIIe sicle ; pour dautres volutions intrieures et les dcisions de
lAcadmie (p. ex. une femme aimante vs. une femme aimant ses enfants) voir Klare
(1998, 135s.), en ce qui concerne lhistoire externe voir Schmitt (2003, 814ss.).

50

Christian Schmitt

3 Le franais au Sicle des Ides


Il est difficile dlaborer des tendances claires en ce qui concerne lvolution du
franais au XVIIIe sicle : ltranger, on admire la grammaire de Port Royal et les
publications de lAcadmie franaise (Le Dictionnaire de lAcadmie franaise 21718 ;
31740 ; 41762 ; 51798 [= lan VII de la Rpublique]), on adopte les principes de la
logique et glorifie la beaut de la langue franaise, mais le discours normatif en
France est dirig, avant tout, par la tradition, cest--dire par la continuation des
doctrines grammaticales du sicle classique telles quelles ont t transmises par les
uvres normatives depuis les Remarques de Vaugelas. La lexicographie ne connat
pas le mme succs que celle du Grand sicle, tout spcialement Richelet (1680),
Furetire (1690) et Corneille (1694, avec le vocabulaire artisanal), mais les orientations
spciales des dictionnaires encyclopdiques ouvrent de nouveaux horizons et mettent
laccent sur des aspects jusquici ngligs :

Le dictionnaire universel franois et latin des pres de Trvoux (1704, 3 vol. ; 1721, 5 vol. ;
1732, 5 vol. ; 1743, 6 vol. ; 1752, 7 vol. ; 1771, 8 vol. ; Paris) continuant, dans un certain sens le
Dictionnaire universel de Furetire, est le porte-parole de la tradition (catholique) oppose
lesprit de lEncyclopdie.

LAbb Girard, auteur dune Ortografe franoise (1716) et dun trait sur la Justesse de la
langue franoise, ou les diffrentes significations des mots qui passent pour synonimes (1718) a
le mrite davoir initi le dbat sur les rgles synchroniques du franais de son poque, dans
les Vrais principes de la langue franoise (1747). En mettant laccent sur la parfaite connaissance de la force des mots et leur usage sociolinguistique il est devenu un des fondateurs de
la smantique avec son ouvrage de 1718 qui a connu un succs clatant qui sexprime en de
nombreuses rditions (1736 ; 1740 ; 1769).

Philibert Joseph Le Roux, grand inconnu des dictionnaires historiques du franais, est le
continuateur dOlivier Chereau, auteur du Jargon ou langage de largot reform (Lyon 1630/
1632, 1634) avec son Dictionnaire comique, satyrique, critique, burlesque, libre et proverbial
(17181786 ; cf. Barsi 2003) qui informe sur les mots du franais courant ngligs ou vits
par les autres dictionnaires, comme p. ex. bonbon mot denfant pour dire du sucre, des
drages, dautres douceurs (Barsi 2003, 87) ou coupe-gorge terme de joueur qui dit autant
que coup fatal (ibid., 189), etc. Ce dictionnaire qui prte une ide claire du substandard et
des varits du franais mriterait une attention spciale des tymologistes.

Les lexicographes daujourdhui sintressent peu au dictionnaire nologique de Desfontaines (1726 ; 21750), trop puriste et attach aux ides des anciens ; et le Dictionnaire
philosophique portatif de Voltaire (1764) ne dpasse pas lintrt port lidologie du Sicle
des Ides domine par le rationalisme.

Le dictionnaire de Franois Feraud qui se distingue par ses observations prcises sur les
diffrents styles, les usages sociaux et rgionaux (Dictionnaire critique de la langue franaise, 3 vol., Marseille 1787) correspond le mieux aux exigences lexicologiques actuelles.
Lorthographe choisie par lauteur, oppose la tradition tymologique de lAcadmie
franaise, a certainement t dfavorable lexpansion de cet ouvrage soigneusement

Le franais dans lhistoire : du XVIIe sicle nos jours

51

compos destin aux jeunes gens et aux trangers. Le dictionnaire de labb Feraud reflte
lantagonisme entre le rationalisme cartsien et le sensualisme dvelopp par John Locke
et connu en France par lEssai sur lorigine des connaissances humaines (1746) de Condillac.

Malgr la formation dinnombrables nologismes, lemprunt lexical considrable aux


langues voisines, avant tout langlais, et un style moins soign dans les textes
journalistiques, on peut constater, quau Sicle des Ides, en France, la tendance est
au conservatisme, une prise de position linguistique plutt hostile lvolution
dun moyen de communication admir par lEurope entire. Vaugelas nest, peuttre, plus au got du jour, mais les leons donnes par lAcadmicien et sa lutte
contre les latinisants et son engagement en faveur dune idologie base sur le bon
got de la Cour et de la ville [de Paris] ne sont pas tombs en oubli ; et on peut dire,
avec Ayres-Bennett/Caron (1996) que les observations de lAcadmie franaise sur
les Remarques de Vaugelas au dbut du XVIIIe sicle et, avant tout, les Remarques de
lAcadmie franaise sur le Quinte-Curce de Vaugelas labores entre 1719 et 1720 et
recueillies par Dacier, alors Secrtaire perptuel, sont lorigine dun renouveau et
dun relvement de la valeur linguistique du thoricien classique incontournable,
soit dans le domaine lexical, soit au niveau grammatical : la revue Courrier de
Vaugelas (18681881) forme encore aujourdhui une sorte de prototexte pour le
discours normatif, et au XXe sicle, Grevisse a dlibrment choisi le titre de sa
grammaire (Le bon usage, 11936) qui doit tre compris comme intertextualit voquant les recueils de Vaugelas et les remarques gnrales qui traitent de la mthodologie si souvent aborde et dbattue dans les Remarques de 1747, spcialement au
sujet des doutes de la langue, de linterdpendance entre la raison et lusage et de la
dfinition de la puret et de la nettet et des fautes que lon peut commettre contre
ces catgories centrales ainsi que contre le gnie de la langue franaise. On peut
donc constater que France emerged into the modern period with a very strong
linguistic tradition and an apparent ide fixe that any form of French other than le
bon usage was unworthy of serious study (Ayres-Bennett/Jones 2007, 5) et que cette
prise de position qui a marqu le XVIIIe et le XIXe sicles a entrav la formation
dune linguistique variationniste et sociologique franaise. En ce qui concerne la
norme lexicale, le XVIIIe sicle reste malgr la Querelle des anciens et des
modernes un stade linguistique qui prolonge lpoque classique et se caractrise
par un purisme littral et, avant tout, archasant, et cette tradition vaut galement
pour la grammaticographie moins importante pour Rickard (1977, 121s.) que les
dictionnaires grammaticaux :

Im 18. Jahrhundert sind einige bedeutsame nderungen in der allgemeinen Einstellung zur
Sprache zu erkennen. Gegenber der Vorstellung, da der Sprachgebrauch die Grundlage der
Grammatik sein sollte, setzt sich das Prinzip der Logik durch. Die zahlreichen aufeinanderfolgenden Ausgaben der Grammaire de Port-Royal inspirierten Grammatiken mit hherer Zielsetzung,
die ebenfalls auf rationalen Grundstzen aufgebaut waren. Die wichtigsten darunter sind die

52

Christian Schmitt

Grammatiken von Rgnier-Desmarais (1706), Restaut (1730), Girard (1747), De Wailly (1754),
Beauze (1767), Condillac (1775) und U. Domergue (1778) .

[Au 18e sicle, on peut reconnatre plusieurs changements dans la conception de la langue.
Lide de lusage comme base de la grammaire est remplace par le principe de la logique. Les
nombreuses ditions successives de la Grammaire de Port Royal inspirrent des types de grammaires plus exigentes bases, elles aussi, sur les principes de la raison. Parmi elles, les grammaires les plus importantes sont celles de Rgnier-Desmarais (1706), Restaut (1730), Girard (1747), De
Wailly (1754), Beauze (1767) et U. Domergue (1778)]

Ce jugement correspond, plus ou moins, lopinion de Klare rsumant que [d]er


Wortschatz hat im 18. Jh. eine wesentliche Umgestaltung erfahren ; alle Gebiete des
gesellschaftlichen Lebens wurden lexikalisch ausgebaut , mais [w]eitgehende Stabilitt herrschte dagegen auf grammatischem Gebiet, soweit Hoch- und Literatursprache betroffen sind (1998, 149) ; mme la grammaire officialise de lAbb Charles
Franois Lhomond (17271794), les lments de grammaire franoise (91794) nont pas
contribu lintgration de la langue du peuple dans le standard national. Pour la
grammaire, la situation reste comparable celle du standard lexical : les dfinitions
du dictionnaire de lAcadmie (51798) sont plus que significatives :

on y trouve, dun ct, la remarque assez rpandue : On dit communment, que la voix du
peuple est la voix de Dieu, pour dire, quOrdinairement le sentiment gnral est fond sur la
vrit (II, 277 c),

mais de lautre, populairement signifie dune manire populaire. Il nest gure dusage que
dans cette faon de parler. Cest parler populairement que de se servir de cette expression
(II, 323 b).

Le Supplment (II, 765776) contenant les mots nouveaux en usage depuis la Rvolution, ne reflte pas de changement conceptuel en ce qui concerne le parler populaire :
parler ou crire populairement continue signifier parler ou crire mal. La grammaire
et le dictionnaire franais rvolutionnaires ne portent pas ce bonnet rouge rclam
par Victor Hugo. Seul le genre poissard connu, avant tout par les pices de thtre
de Jean-Joseph Vad (17151757) a profit des effets provoqus par ce vocabulaire et
par les tours syntaxiques qui caractrisent les farces et les vaudevilles et, souvent
aussi, par les chansons populaires thmes satiriques ou politiques truffes de termes
et expressions marachers que le peuple franais na toujours pas oublis.
Les varits sociales et rgionales du franais existent toujours, mais ce sont
avant tout les dialectes et langues rgionales qui, aprs le rapport fameux de labb
Grgoire (9 prairial de lan II, cest--dire le 28 mai 1794) se caractrisent par une
existence prcaire puisque

la Rvolution, aprs avoir initialement favoris la propagation des ides nouvelles par le biais
des dialectes, revenait, par lappareil des lois, une tradition dj tablie, selon laquelle la

Le franais dans lhistoire : du XVIIe sicle nos jours

53

dfense du franais en France est un combat politique. Dans les circonstances graves o se
trouvait la France, les langues rgionales apparaissent comme celles de lennemi, et la toutepuissance exerce par la langue franaise sur les autres langues tait conue comme seule
capable de garantir lunit et lintgrit du pays (Hagge 1996, 87).

Les jeux sont faits : lvolution normative initie par la royaut franaise la Renaissance (Gossen 1957, 427ss.), a trouv son achvement, le parler de lle-de-France est
devenu la langue de la nation (Schmitt 2008, 297s.) et la base de la langue littraire :
cette langue universelle de lEurope cultive est devenue une langue mre (Caput
1975, vol. 2, 84s.) qui enrichit les langues voisines bien plus quelle nen accueille des
lments lexicaux ou conceptuels.

4 Le franais au XIXe sicle

Au niveau politique le principe rvolutionnaire de l galit a sans doute contribu


la constitution dun tat monolingue et la thse de la langue une pour la nation une
et indivisible, dj formule en 1791, qui a prcd le projet duniversalit nationale
(Balibar 1985, 249ss.), tel quil est exprim et formul par la seconde loi linguistique
franaise de 1794 (cf. Schmitt 2000, 730). La dmocratisation linguistique de lonomastique (cf. Hrsch 1994), la francisation de la vie publique et le culte et le triomphe
de la raison (aux dpens de la superstition et du fanatisme) formule en bon franais
national tant dans lintelligence et la comprhension des citoyens que dans la
connaissance et lapplication des sciences mergence au XIXe sicle dans les laboratoires universitaires et la recherche industrielle dans les nouveaux centres urbains
peuvent tre considres comme lments constituants et propositions gnralement
acceptes dans un sicle agit et violent marqu par linstabilit au niveau politique
et social qui commence par lEmpire de Napolon Ier (18041814 ; 1815) et finit par la
Troisime Rpublique (18701940) adonne, lintrieur de la France europenne,
lenseignement primaire en franais national uniforme et, lextrieur, une politique colonialiste (en rivalit avec lAngleterre). La devise politico-linguistique du
sicle ( une nation une langue ) unit les diffrentes couches de la socit, lorganisation de lenseignement populaire dans la langue nationale figure comme intrt
principal constant et durable gnralement accept (cf. Caput 1975, vol. 2, 155).
Le service militaire (obligatoire depuis 1789) a certainement contribu acclrer
lunification linguistique et faire disparatre les langues rgionales et les nombreux
dialectes. La norme et les principes traditionnels de la grammaire (raisonne et
raisonneuse) nont pas chang, Domergue et Girault-Duvivier ont respect et continu
les rgles classiques, et, si Alexis Franois (en citant Desmarais) a insist sur le fait
que la langue de Racine et de Bossuet vocifra le sang et le carnage ; elle rugit avec
Danton, elle hurla avec Marat, elle siffla comme le serpent dans la bouche de
Robespierre. Mais elle resta pure (1959, II, 175), on est en droit de dire que le purisme

54

Christian Schmitt

rvolutionnaire a t suivi par un souci excessif de la puret de langage, de la


correction grammaticale et lexicale, par rapport un modle idal et intangible
durant tout le XIXe sicle et que ce soin et cette proccupation linguistiques ont
galement absorb les esprits dans les domaines littraires, dans les textes technologiques et scientifiques et mme dans la communication politico-sociale. Le maintien
de la norme classique a certainement contribu au phnomne de la crise du
franais provoqu par une divergence de plus en plus sensible entre la langue
littraire et les diffrents niveaux de loralit qui est lorigine de la fameuse phrase
de Martinet constatant que

[l]es Franais nosent plus parler leur langue parce des gnrations de grammairiens, professionnels et amateurs, en ont fait un domaine parsem dembches et dinterdits. Dans un monde
qui change un rythme chaque jour acclr, les Franais, comme tous les humains, ont sans
cesse besoin de nouveaux mots et de nouveaux tours. Or, on les a dresss obir, respecter le
prcdent, ninnover en rien ; ils nosent pas forger un mot compos, utiliser librement un
suffixe de drivation, procder des combinaisons inattendues (21974, 29) ;

cest donc au XIXe sicle quon commence dcouvrir lnorme foss qui spare la
linguistique et le purisme ou, comme la indiqu le titre original de larticle de
Martinet, que les grammairiens tuent la langue .
Le romantisme se sert dune langue littraire qui connat un emploi mtaphorique
spcial et utilise un vocabulaire affectif et motionnel particulier, souvent proche du
style lyrique exprimant des sentiments intimes et communiquant au lecteur les
motions de lauteur ; mais ce lyrisme se sert dune langue littraire conventionnalise et continue, somme toute, la tradition classique des mots nobles et respecte les
normes acadmiques tant sur le niveau morphologique que sur le niveau grammatical : il vite les chelons bas et vulgaires du vocabulaire, et lexpression orale assez
frquente dans la prose romantique est en gnral soumise des rgles qui
dnoncent un certain souci de la puret du langage, mme dans les textes thoriques
de Victor Hugo qui suivait les principes de Vaugelas et mprisait la rhtorique
moyens dexpressions neutres et insipides. Louverture de la langue littraire a donn
accs au mot juste et au mot propre ainsi qu largot, langue de la misre, mais la
valeur de diffrentes couches sociolinguistiques na pas chang depuis le sicle
classique : les registres socialement dfinis gardent leur tonalit, les adjectifs
commun, populaire, ordinaire, bas, vulgaire et leurs familles de mots respectives
restent des marqueurs comme lpoque de Vaugelas (Schmitt 1986, 148s.) et font
partie de ce quon appelle aujourdhui le substandard (Albrecht 1986/1990, vol. 1,
65ss., vol. 3, 44ss.). Avec Hugo, la prose franaise commence reflter la multitude
des varits utilises par les locuteurs de toutes les classes et des diffrents groupes
sociaux, mais le systme de notation des signes linguistiques ainsi que les valeurs
attribues aux phnomnes de la dviation linguistique et de lcart de la norme
classique nont que peu chang. Dun ct, Victor Hugo, tout comme les auteurs du
ralisme et du naturalisme (p. ex. Balzac, Stendhal, Flaubert, George Sand, Maupas

55

Le franais dans lhistoire : du XVIIe sicle nos jours

sant et Zola) ont essay de payer tribut la ralit linguistique avec tous les aspects
vulgaires du rel et prconis la description objective des faits, des objets et des
personnages de la vie du travail, de la ralit banale et quotidienne (du tiers tat
comme des criminels et des gens en marge de la socit, tout comme le vrisme
italien), de lautre ils ont tenu faire preuve de leur matrise du bon franais (crit et
littraire) et de leur connaissance de la grammaire normative qui ne concident pas
avec les dialogues des protagonistes et le style indirect libre comme le documentent,
p. ex., les films Germinal (de Berri, 2005 ; avec Renaud, Depardieu et Miou Miou) et
Les Misrables (de Dayan, 2009 ; avec Malkovich et Depardieu) qui continuent
impressionner le grand public apprciant lusage des varits sociales.
Les dictionnaires du XIXe sicle refltent la richesse du vocabulaire franais,
sans pouvoir prtendre lexhaustivit. On peut tablir la distinction entre deux
types lexicographiques : les dictionnaires qui soccupent plutt du vocabulaire
classique et traditionnel, comme le dictionnaire de lAcadmie franaise (61835, une
russite qui est toujours reconnue par la lexicographie franaise ; 71878), le Dictionnaire de la langue franaise (contenant une riche nomenclature, la prononciation
avec lorthographe, la signification, une partie historique et une partie tymologique
base sur la comparaison des mmes formes dans le franais, dans les patois et
dans lespagnol, litalien et le provenal ou langue doc ) de lAcadmicien mile
Littr (4 vol. + 1 Supplment, 18631872 ; 1878) qui englobe avant tout le franais
classique et le vocabulaire des grands crivains du Sicle des Ides, et le Dictionnaire Gnral de la langue franaise du XVIIe sicle nos jours, de Hatzfeld/Darmesteter/Thomas (2 vol., 18901900), qui est prcd dun trait, trs comptent pour
lpoque, de la formation du franais qui na pas t apprci sa juste valeur,
appartiennent au premier groupe ; mais le vocabulaire du XIXe sicle est mieux
enregistr et dfini dans le Dictionnaire gnral et grammatical des dictionnaires
franais. Extrait et complment de tous les dictionnaires les plus clbres [], de
Napolon Landais (2 vol., Paris 1834 [111851]), le Dictionnaire national ou dictionnaire
universel de la langue franaise de Bescherelle [lan] (2 vol., Paris 1845 ; 91861) qui
enregistre galement le vocabulaire scientifique, et le Grand Dictionnaire universel
du XIXe sicle de Pierre Larousse (15 vol., Paris 18661876) qui se distingue des deux
autres par ses aspirations lexhaustivit et ses tendances encyclopdiques font
partie du second : pour le FEW, ce dictionnaire de Larousse reprsente la source
lexicale la plus importante pour le XIXe sicle. La Faye (Synonymes franais, Paris
21858) continue les travaux de lAbb Girard (1718) et de Roubaud (1785) qui portent
sur la synonymie (Gauger 1973) et, avec son Dictionnaire analogique de la langue
franaise ou rpertoire complet des mots par les ides et les ides par les mots (Paris
1862), Boissire prsente un nouveau type lexicographique : le dictionnaire onomasiologique (qui a eu peu dinfluence sur les travaux lexicologiques du XIXe sicle).
La richesse du vocabulaire franais, des innombrables latinismes utiliss dans les
textes scientifiques et techniques et des emprunts aux langues voisines, surtout
langlais, se reflte galement dans le Trsor de la langue franaise (16 vol., Paris

56

Christian Schmitt

19711994) qui runit le vocabulaire commun et le vocabulaire spcial franais


partir de la Rvolution franaise jusquau XXe sicle mais oublie, dans bien des cas,
la prcision des filiations et des modes dintgration. Le TLF est avant tout un
dictionnaire descriptif et se distingue par cette prise de position des grands dictionnaires du XXe sicle (cf. Mator 1968, 203).
Sil est vrai que le dictionnaire de Littr correspond une certaine fixation et
une rglementation relative, le TLF veut suffire des buts scientifiques en livrant un
dpouillement minutieux de tous les textes historiques et en dcrivant la nature et
valeur des contextes et les variations historiques. Quant aux dictionnaires spcialiss
du type Dictionnaire de mdecine, de chirurgie, de pharmacie et des sciences qui sy
rapportent (Paris 1855 ; 211908) dmile Littr, faute de pouvoir accorder place aux
plus importants de ces rpertoires et aux noms des diteurs qui ont refondu et revu les
nombreuses rditions et rimpressions force est de renoncer leur numration : la
complexit et la porte de ces uvres lexicographiques ne permet mme pas de les
traiter sous laspect slectif ; on peut rsumer quau XIXe sicle toute science dispose
de son dictionnaire ou mme de plusieurs qui peuvent aspirer la scientificit ou la
vulgarisation (cf. la liste des dictionnaires dans Quemada 1968, 596634 ; la description typologique dans Caput 1975, vol. 1, 161).
Quant la grammaire, on peut constater que les grammairiens se contentent
davoir objet avec la langue qui se caractrise par le fameux ordre naturel ou
direct , selon le Discours sur luniversalit de la langue franaise (1783) formul par
Rivarol : sujet + verbe + complment et quune langue qui nomme dabord le sujet du
discours, ensuite le verbe qui dsigne laction et enfin lobjet de cette action, tant
incorruptible, na pas besoin damliorations ou de rgles complmentaires : le franais est une langue grammaire claire, ce qui nest pas clair, et ordonn nest pas
franais. Le XIXe sicle produit avant tout des annales de grammaire, des revues
grammaticales et des journaux grammaticaux et didactiques dits par des socits
damateurs du beau langage, mais le progrs mthodique des grammaires utilises
dans les collges et mme des manuels de Domergue ou de Girault-Duvivier reste
assez modeste (cf. Franois 1959, vol. 2, 177).
Il nest donc pas tonnant de constater, vers la fin du sicle, un emploi de plus en
plus frquent de mtaphores dsignant un tat de maladie caractris par une
sclrose et un purisme excessifs : la langue dcrite par les grammaires ntait plus
celle de lusage contemporain : le code scriptural et le code oral staient trop
loigns, on commenait constater la fameuse crise du franais et dcouvrir un
problme linguistique pour le sicle suivant dfini dans des dclarations pessimistes
de nombreux auteurs et provoque par la notion de fixit errone et injustifiable, voire
inadmissible et fausse des amateurs du franais (cf. Bengtsson 1968, 7s.).

57

Le franais dans lhistoire : du XVIIe sicle nos jours

5 Le franais au XXe sicle

Dans le cadre dune langue trop rigidement standardise la dfinition de la norme


linguistique peu suivie et souvent inconnue se pose de nouveau. Les amateurs de
beau langage comme la plupart des chercheurs sont daccord sur la ncessit de
dfendre le franais national (Gordon 1978) et dans la plupart des publications
changement et transformation sont assimils dformation et massacre du
franais (Schmitt 1990, 361ss. ; 2001b ; Winkelmann 1990). Il est significatif quun titre
comme Les dformations de la langue franaise (Deschanel 41898) ait trouv quatre
rditions en une anne ; comme bon nombre douvrages linguistiques publis pour
le grand public ce livre part de la constatation douteuse que la langue franaise, si
belle, va se corrompant (ibid., 5) ; Deschanel lutte contre de savants philologues qui
acceptent tout, sans protester (ibid., 7), se met sur le ct dHorace et de Vaugelas
et apprcie les mtaphores pathologiques de Littr qui correspondent ses ides sur
lvolution du franais :

Comme un mdecin, dit-il [scil. Littr], qui a eu une pratique de beaucoup dannes et de
beaucoup de clients, parcourant la fin de sa carrire le journal quil en a tenu, en tire quelques
cas qui lui semblent instructifs, de mme jai ouvert mon journal, cest--dire mon Dictionnaire, et
jy ai choisi une srie danomalies qui, lorsque je le composais, mavaient frapp et souvent
embarrass (ibid., 9).

Lorsquil entreprit ensuite sa grande uvre de linguistique, il ne put manquer dobserver que le langage aussi avait ses maladies. Et, aprs avoir accompli son
principal ouvrage, il y fit un post-scriptum sur la pathologie des mots, sur les altrations et dformations quils subissent. Les changements de signification, de prononciation, de constructions et de tours, de genre et la cration de mots mal venus sont
pour lui les tmoins infaillibles de la dformation du langage et les consquences
dun laxisme intolrable.
Dans La dfense de la langue franaise qui porte le sous-titre la crise de la
culture franaise , Albert Dauzat (1912) reste, sans doute, un peu moins pathtique,
mais sa vue densemble est tout de mme extrmement pessimiste. Bien quil napprcie pas le pays de la langue de Goethe et de Bismarck (1912, 22) il cite loccitaniste
Anglade pour mouvoir vivement son public : M. Anglade fait remarquer que cet
enseignement [scil. de la langue nationale] est beaucoup mieux organis en Allemagne quen France, et il insiste pour quil soit institu dans toutes nos Universits
(1912, 76).
Le pessimisme culturel se trouve dans de nombreux traits linguistiques du
e
XX sicle qui ne servent pas lillustration de cette langue internationale mais la
dfense dune thse qui porte prendre lvolution et le changement linguistiques du
mauvais ct : la langue nationale serait envahie de lextrieur et perdrait sa prcieuse syntaxe (Boulenger/Thrive 1924) ; lcriture ne connatrait que labus des
rgles grammaticales et lemploi de mots mal choisis (Curnonsky/Bienstock 1928) ; il y

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Christian Schmitt

aurait un massacre rgulier de la langue nationale, mme par ladministration (Moufflet 1930) et le franais serait en grand danger (Lalanne 1957) ; le franais serait la
drive (Thrive 1962) et foutrait le camp (Thvenot 1976), pour ne citer que quelques
contributions loquentes significatives qui trouvaient les applaudissements de lAcadmie franaise (Hermant 1923) comme le documente la dfense dAbel Hermant
(1929) qui figure comme prface des remarques de Lancelot, auteur du Figaro (supplment littraire), sur la situation de la langue nationale (cf. aussi Thrive 1926), et
qui connaissent une actualisation par les interventions de ltat en France dans la
domaine de la langue (Schmitt 1990, 354ss. ; de Saint Robert 2000, 31ss.), en accord
avec la volont politique de tous les partis politiques et de nombreuses associations
unies pour dfendre le patrimoine national.
Les raisons qui ont amen cette dfense et provoqu cette attitude de rsistance
sont faciles expliquer : le XVIIIe sicle connat des rgles et normes lexicales bases
sur un modle social ferm auquel se conformait par surcrot la littrature du sicle de
Louis XIV qui deviendra la rfrence et le paradigme linguistique exemplaires du
XVIIIe sicle peu soucieux de lusage parl mme des rudits contemporains : le XIXe
sicle a continu reconnatre la priorit de lcrit sur loral et prfr une attitude
diachronique, les variations ne servaient que de dcor pour la reprsentation figure
des couches en marge de la socit.
Cest donc avant tout la situation politique sous la Quatrime Rpublique qui
cause des changements linguistiques et une volution du franais due un systme
du suffrage universel, comme la formul Marcel Cohen (41973, 298) :

Les auteurs du 20e sicle ont trouv ds labord un terrain dbarrass des contraintes du
classicisme et des emphases du romantisme, la posie et la prose rapproches entre elles, un
public toujours plus tendu et dsormais sans pruderie dune part, dautre part accoutum
toutes sortes de techniques .

Cet auteur qui nous devons aussi des chroniques sur la langue franaise prsentes
avec une sagacit perspicace (Herrmann 1988), a certainement raison dexpliquer les
normes du XXe sicle par un (nouveau) rapprochement de la langue crite et de la
langue parle, comme il a t magistralement dcrit par Ludwig Sll (21980, 122ss.) et,
comme dautres auteurs (cf. Mller 1990) par les caractristiques du monologue
intrieur ou du style direct permettant de plus en plus frquemment de substituer le
style parl ou la variation sociale marque au style crit ; le substandard doit son
entre avant tout au brassage social des compagnons des tranches de 19141918
comme le documente, entre autres, Le Feu, de Barbusse qui a initi une littrature
ouvrire et populaire qui va jusqu Franois Bon, auteur bien connu des artisans et
du proltariat industriel, en passant par le Voyage au bout de la nuit et la Mort crdit
de Louis-Ferdinand Cline et les romans ouvriers de lexistentialisme spcialement de
Jean-Paul Sartre (Schmitt 1979b) qui garde et respecte des normes stylistiques et
grammaticales bien plus traditionnelles dans ses pices de thtre (Klare 1998, 1). Le
manque de normes claires et univoques dun ct, d des critres sociologiques

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Le franais dans lhistoire : du XVIIe sicle nos jours

dune nation dmocratique et colonialiste et les efforts pour une forme du franais
universel, incompatible avec les rgles classiques et des formes rigides de lautre, ont
contribu lvolution dun systme linguistique polyvalent caractris par de nombreuses concessions, soit la francophonie (europenne ou aux franais hors dEurope), soit aux groupes de locuteurs (rgionaux ou sociolectaux) de lHexagone ; il
existe mme des programmes dillustration et de dfense du franais assez quivoques, voire ambigus tant donn que les amateurs du beau langage correct ne savent
pas bien ce quil faut mettre en lumire ou illustrer, et ignorent contre qui ou quelles
forces nuisibles le franais mrite dtre dfendu puisquil nest pas attaqu (cf.
Schmitt 1990 ; Trabant 1995, avec plusieurs contributions). Les nombreuses chroniques de langage, elles aussi, manquent de cohrence (cf. Quemada 1970/1972 ;
6 Linguistique populaire et chroniques de langage : France) et suivent un programme plutt disparate (Schmitt 2011), mme dans la presse engage qui soccupe
avant tout des mots trangers et du franglais.
Comme la expliqu Bodo Muller dans son tableau des varits, registres et niveaux
de langue, le problme de la norme linguistique se prsente diffremment dans une
socit dmocratique pratiquant le pluralisme dans tous les domaines de la vie :

La langue, prise dans son ensemble, est un macrosystme et la norme prescriptive, un registre
labor pour tre plac au-dessus de tous les sous-systmes. Une norme prescriptive nest pas en
soi meilleure que les autres registres ; elle ne peut pas tre arbitraire si elle veut avoir des chances
de se voir accepte. Pour simposer lensemble de la communaut linguistique, il lui faut
saffirmer historiquement, socialement, culturellement, fonctionnellement. Ceci implique que le
moindre acte normatif a besoin dun fondement recueillant lapprobation du plus grand nombre
ou du moins celui dun groupe faisant autorit en matire de langue, sinon il reste sans effet. Il y
a lieu de se demander dans ce contexte sur quoi le franais normatif et les dcrets de ses
lgislateurs sappuient. Autrement dit : comment est-il possible de dgager de la multiplicit infinie
des usages une langue modle ? (1985, 292).

Ce ne sont donc plus les bonnes socits qui dcident du bon usage, les actes de
normalisation dpendent en premier lieu du jugement et de la pratique de la pluralit
des locuteurs, mais les principes du bon usage retenus dans la grammaire de
Grevisse (11936 ; 142008) ne sont pas pour ainsi dire abandonns grce lenseignement scolaire et universitaire et la grammaire utilise dans lducation nationale qui
dispense une culture traditionnelle. En gnral, on peut parler dun brassage tous
les niveaux ; dans les tranches se rencontrent des soldats issus de toutes les aires
linguistiques et de diffrentes classes sociales, le franais populaire commence se
rpandre et gagner de limportance. Albert Dauzat nous devons une description de
lArgot de la guerre (1918) et Gaston Esnault un portrait du Poilu tel quil se parle
(1919) ; cette tendance vers un subcode commun est accompagne par une standardisation notamment mdiatique due aux journaux, la radio et au cinma. En mme
temps, ce brassage est aussi provoqu par les langues dimmigrs en contact, comme
le remarque Alain Rey auteur dune petite histoire illustre de la langue franaise
(2008, 106) :

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Christian Schmitt

Tandis que les dialectes et les langues rgionales reculaient, des vagues dimmigration arrivrent en France, en Belgique wallonne, parlant dautres langues que le franais : italien, espagnol,
polonais avant 1940, arabe maghrbin, berbre, croles, langues africaines aprs. De nouveaux
bilinguismes sinstaurent, tandis que ceux qui confrontaient les patois et des langues comme le
breton ou le catalan tendent se rduire. Mais il se produit des ractions, des rsistances
militantes, qui saffirment plus nettement la fin du XXe sicle (coles Diwan en Bretagne,
Calandretas en Occitanie o lon enseigne en breton, en occitan). Ces rsistances ne compensent
pas la perte de transmission familiale. Lalsacien, le basque, le corse rsistent mieux, tandis
que le francique de Lorraine et le flamand seffritent, que le catalan de France se rveille dans
certains milieux sous linfluence de la Catalogne espagnole. De nombreuses langues importes
coexistent avec le franais, larmnien, les langues des Roms, le yiddish, larabe maghrbin et le
berbre, des langues asiatiques et africaines ; chacune des communauts ayant ses pratiques,
modules selon les situations gographiques et sociales .

Cependant, cette contribution au brassage linguistique ne peut pas tre compare


celle de langlais toujours critique (tiemble 21973) mais nanmoins respecte par
son apport la langue scientifique (tiemble 1966) car langlais sest impos depuis
un sicle comme langue des sciences et des techniques et la fameuse phrase du
gnral de Gaulle Il est en effet dintrt national que nos savants et techniciens
sinspirent, dans lemploi de notre langue, du respect que la langue franaise se doit
elle-mme (tiemble 1966, 177) nest rest quun vu pieux sans aucun espoir dans
un monde domin par les affaires. On a donc beau dcider La langue de la Rpublique est le franais (loi Bas-Lauriol, de 1975) : une telle dcision se rvlera
toujours inefficace dautant plus que les mots de substitution (cf. Trabant 1995) ont
plutt fait rire les Franais par leur lourdeur et leur aspect structural oppos au gnie
de la langue (Schmitt 1979a ; 1990). On peut constater que les diffrentes formes de
norme ou de dfinitions du franais moyen se drobent de plus en plus une
caractrisation convaincante et socialement acceptable et que la variation diastratique ne peut plus tre suivie par la lexicographie franaise (Treu 1975).
En ce qui concerne les perspectives essentielles de lvolution linguistique on
peut retenir les facteurs suivants et les transformations dj retenues par les tudes
sur le franais du XXe sicle (Dsirat/Hord 1976 ; Muller 1985 ; Antoine/Martin 1985 ;
1995 ; Klare 1998 ; Tritter 1999 ; Antoine/Cerquiglini 2000) qui traitent la fois des
aspects volutifs internes et extralinguistiques concernant tous les domaines de la
grammaire et, avant tout, le lexique qui se distingue par une rapidit spciale du
changement.
Le phontisme est assez stable et sapproche de plus en plus de la prononciation
parisienne qui a rduit les oppositions quantitatives devenues rgionales (cf. Martinet
in Antoine/Martin 1985, 2540), pour lpoque de 19141945 Carton parle mme dun
petit nombre de changements (ibid., 56) et mme pour lpoque de 19452000
Carton qualifie lvolution du vocalisme de lente et progressive (in Antoine/Cerquiglini 2000, 27). Avec Georges Straka on peut accepter quon ne rencontre pas une
seule nouvelle tendance volutive partir de 1900, et celles qui sont apparues pour la
premire fois dans la seconde moiti du XIXe sicle sont relativement peu nombreu

Le franais dans lhistoire : du XVIIe sicle nos jours

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ses (1981, 246). Linfluence de la graphie sur la phonie est certainement sous-estime
(Schmitt 1984) : cest avant tout au XXe sicle quune tendance connue depuis la
Renaissance apparat sur une large chelle grce au fait de lenseignement obligatoire : lorthographe se prononce, mme dans les cas o la latinisation savre fausse
(cf. <g> dans legs). Quant lorthographe, on peut constater quelle continue
pencher plutt vers des principes tymologico-historiques et que ce caractre historique de la graphie franaise apparat plus nettement dans la graphie des voyelles
(Muller 1985, 82) ; la bataille de lorthographe aux alentours de 1900 est reste sans
rsultats et constitue un chec comparable linsuccs des commissions ministrielles et des activits lgislatives de Bas/Loriol (1975), de Toubon (1994) et des engagements de la presse francophone (Trabant 1995 ; Schmitt 2011) : cest toujours le
purisme classique qui lemporte plus ou moins (Klein-Zirbes 2001).
Tout ainsi que lorthographe, la morphosyntaxe du franais se caractrise par une
stabilit relative : la disparition du pass simple nest pas un phnomne rcent et la
prfrence du futur proche na pas encore eu dinfluence sur la situation du futur
simple, lexception de la langue parle. La morphologie du nom marque par la
redondance dans le code crit continue suivre les rgles du franais classique, sans
respecter des normes trop astucieuses (cf. lexemple de glaeul). La syntaxe du
franais parl se distingue de celle du franais crit par la brivet des phrases et la
simplicit de leur construction (Muller 1985, 97) ; la situation est comparable celle
de la syntaxe domine, dun ct, par le poids du pass (classique) et le respect et la
rvrence des puristes et des grandes uvres littraires, et un usage simplificateur
pratiqu avant tout par la presse et les mdia crits, sonores et visuels qui apprcient
une certaine libert dexpression et ne respectent pas toujours les traditions acadmiques. Cest ainsi que Goosse, dans son tude sur lvolution de la syntaxe franaise
arrive la conclusion peu susceptible dclaircir que parmi les faits envisags dans
son aperu certains montreraient un phnomne rciproque et dautres un phnomne inverse (in Antoine/Cerquiglini 2000, 141) ; mais, somme toute, la plupart des
phnomnes caractrisant lvolution syntaxique sont dues la dichotomie entre
langue crite et langue parle (Sll 21980, 111 ss.) et quon ne saurait parler dune
tendance dtermine et homogne, ni mme dun rseau de facteurs convergents qui
orienteraient les structures syntaxiques dans des directions aisment reprables telles
que simplification des systmes, renforcement doppositions rentables au dtriment
doppositions en perte de vitesse, etc. (Dsirat/Hord 1976, 158). Il y a trop de
facteurs qui participent la transformation du systme syntaxique et toute interprtation diachronique exige une certaine prudence.
La perspective diatopique et la reprsentation diatopique se dfinissent bien plus
facilement : les dialectes et parlers franais ont disparu ou sont en voie de disparition ;
le franais rgional qui se caractrise par lidentification avec le franais commun,
dans la conscience mtalinguistique du locuteur rgional connat actuellement une
situation favorable (16 Les franais rgionaux) ; son entre dans la littrature locale,
rgionale et provinciale a suscit un intrt, toujours croissant, aux lments du

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Christian Schmitt

franais qui sont dune utilisation golinguistique et contribu, avant tout dans le
domaine de la lexicologie, linstauration dune lexicographie variationnelle francophone qui se comprend, par rapport au franais national, comme linguistique diffrentielle. Leur analyse socio-pragmatique dmontre clairement que ces diatopismes
exercent des fonctions bien dtermines dans le discours et dans le mtadiscours des
auteurs provinciaux (cf. Wissner 2013, 366). La littrature rgionale aidant, la dialectologie traditionnelle devrait donc se transformer en linguistique variationnelle ou
diffrentionnelle (Stehl 2012).
En ce qui concerne la perspective diastratique, on peut constater que la qualit
des registres dpend, avant tout, du statut social des locuteurs, mais, les mdias et
lenseignement favorisant ce dveloppement, un nivellement gnral commence
stablir, les parlers des couches suprieures et infrieures connaissent des convergences un niveau intermdiaire qui ne correspond ni au code labor ni au code
restreint : un systme rpublicain galitaire ne peut pas accepter ou mme privilgier
lexistence de barrires linguistiques et doit sengager en faveur du franais moyen
situ entre le bon usage et le franais populaire. En 1985, Muller, rsumant les
enqutes daprs-guerre, dfendit la thse suivante :

Concernant la formation des divers niveaux sociaux, il ne faut pas seulement tenir compte de
lopposition entre la province et la capitale ou entre la campagne et la ville ; dans les grandes
villes, il peut mme y avoir des diffrences de quartier quartier. Ces dmarcations sociales sont
particulirement sensibles dans les diffrents arrondissements parisiens o les 16e, 17e et 8e
arrondissements louest sopposent trs nettement aux faubourgs ouvriers de lest. Les carts
sociaux entranent conjointement des diffrences linguistiques : si le parler faubourien (franais
populaire de Paris) est chercher lest, la supernorme, si on veut la situer sociologiquement, est
localise louest, dans les riches quartiers rsidentiels (ibid., 185).

Entretemps, le nivellement a progress et on peut constater que du point de vue


phontique ou lexical le franais est dmocratis et que les rgles classiques conversationnelles dantan apparaissent comme affectes et admiration ou imitation dun
comportement linguistique de milieux dits distingus dun autre temps, dun usage
prim et obsolte qui na plus sa place dans la socit moderne nexiste plus.
Autrefois, on pouvait faire sensation avec un pass simple ou un subjonctif de
limparfait bien forms, la fin du XXe sicle ces mmes formes sont marques par
lobsolescence et dprcies ; mais les changements survenus narrivent inquiter
que certains intellectuels soucieux de la puret du franais qui ont trouv leur champ
de bataille avant tout dans la lutte contre la grammaire marque et smeuvent, en
premire ligne, contre toute infiltration susceptible daltrer le systme traditionnel.
En ce qui concerne le lexique franais en volution, il suffit de consulter les trois
tomes de lHistoire de la langue franaise (Antoine/Martin 1985, 25ss. ; 1995, 271ss. ;
Antoine/Cerquiglini 2000, 151ss.) pour constater que lvolution du lexique du franais a t si rapide, pour ne pas dire brutale, quil est difficile den rendre compte en
quelques pages autrement que de faon superficielle et quen outre, les aspects du
changement sont si varis quil [nest pas] possible demployer une mthode statis

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Le franais dans lhistoire : du XVIIe sicle nos jours

tique (Humbley in Antoine/Cerquiglini 2000, 71). Les dictionnaires de langue nous


enseignent que les hirarchisations traditionnelles ont perdu leur valeur dautrefois et
que les apprciations des lexicographes manquent de cohrence et se contredisent
souvent dun dictionnaire lautre (les valeurs sociales demploi des mots, p. ex. pop.,
mod., fam. arg., etc., sont mal dfinies ; les valeurs inscrites dans le temps, p. ex.
vieilli, mod., etc. restent spculatives et les variantes qui ont attribu des niveaux de
langues sont souvent signales en dpendance des auteurs lexicologues respectifs) :
Bon nombre de termes, didiomatismes, de locutions, ont pass en peu de temps de
largot dans le franais populaire, du franais populaire dans le franais familier, de la
sous-norme dans la norme dusage. Ce quon qualifiait dargot, il y a des annes, a fini
par devenir populaire, et la distance qui existait encore au dbut du XXe sicle entre le
bon usage et le vocabulaire familier, est moins sensible aujourdhui (Muller 1985,
234) ; le vocabulaire est certainement la partie la plus instable de la langue, on ne
peut pas connatre le volume total du lexique franais, mais le volume toujours
croissant des dictionnaires, d avant tout aux langues de spcialits et aux langues
techniques et reflet incontestable des changements provoqus par lvolution des
sciences et llargissement rgulier des grands domaines (astronautique, aviation,
chemins de fer, lectricit et lectronique, mathmatiques et physique, armements,
sports) (Humbley, in : Antoine/Cerquiglini 2000, 73) montre que le franais moderne
produit inlassablement des nologismes internes et senrichit en mme temps par la
nologie externe synonyme, pour la plupart des cas, dinfluence de langlais.
Le Vocabulaire dorientation scientifique (Phal/Beis/Gougenheim 1971), par
contre, savre assez stable, comparablement au lexique du franais fondamental
utilis depuis longtemps dans lenseignement (Zeidler 1980) ; mais sa fonction reste
limite relier le vocabulaire foncirement commun et le vocabulaire spcialis.
LHistoire de la langue franaise 19452000 (Antoine/Cerquiglini 2000) fournit
une premire dscription encore assez incomplte de lvolution des lexiques franais
qui commence par la langue de la presse, et finit par le vocabulaire des sports et des
loisirs sportifs ; mais il est vident que cette contribution ne peut pas respecter les
mille et plus sciences humaines et les sept cent sciences exactes traites dans les
diffrents dictionnaires modernes (cf. aussi Muller 1985, 186s.).
Les dictionnaires et les traits de formation de mots (Thiele 1987) oublient de
rappeler que la tendance du renforcement de la productivit lexicale ne saffaiblit pas
car le franais participe comme les autres langues de culture, ce quon a lhabitude
de caractriser comme formations eurolinguistiques (cf. Schmitt 1996, 119 ss.; pour
leuromorphologie, voir Feig 2005). Leurolinguistique, discipline assez rcente (Hinrichs 2010), concerne en premier lieu le domaine des langues de spcialits modernes
et constitue un chemin intermdiaire entre les mots savants et les mots hrditaires :
la formation de nologismes par des crateurs de mots cultivs laide dlments
latins (ou [grco-]latins) conformment aux rgles du latin (classique, mdival, ou
moderne) ou nolatin (Schmitt 2013). Ce type de formation connat la plus haute
productivit lpoque actuelle et se doit au fait que la langue de la recherche

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Christian Schmitt

scientifique a t le latin, au moins jusquau XVIIe sicle, et que les lments (grco-)
latins qui manquent de valeur motive et se distinguent par une prcision smantique peu influence par la langue commune sont spcialement apprcis par les
spcialistes qui ont besoin dun nom propre tout concept pour viter la polysmie,
comme le documentent les analyses sur -(o)mane et -(o)manie (Hfler 1972) qui
annoncent dj la future transformation des systmes prfixaux et suffixaux (cf. Stotz
19962004, vol. 2, 352), et, du point de vue typologique il n y a aucune diffrence
entre les formations telles que loterie (< nerl. lot + morphme), grontologie (< grcolatin geron/t/- + morphme) et conceptualisation (< lt. concept/u/al- + morphme) ; de
telles formations peuvent avoir des origines bien diffrentes, comme, p. ex., morphologie, d J.W. Goethe et centripte/centrifuge d Newton, ce qui montre que non
seulement les francophones rudits mais tous les membres de la communaut
scientifique participent lactivation de ce principe morphologique et laugmentation de la force la plus productive dans lvolution du franais moderne. Chose
curieuse : moins le latin est enseign dans les lyces europens plus il est incontournable pour lvolution du vocabulaire et indispensable pour la planification linguistique (Schmitt 1979a) si apprcie en France (Depecker 2001). Ce nolatin va marquer
lvolution ultrieure du franais et dterminera les entres dans les dictionnaires et
les nouvelles rgles productives et expansives des uvres grammaticales dans le
futur.

6 Bilan et perspectives
Compare aux transformations du moyen-ge et de la Renaissance si importantes et
intenses (Eckert 1986), lvolution du franais classique au franais moderne a t,
somme toute, plutt lobjet dun effort de purification, de rglementation et fixation
dun niveau atteint au Grand sicle et de conservation dun seul systme de communication, cest--dire dune norme linguistique du type ne varietur. Le fait que le
franais comme toutes les langues romanes et non romanes a pris et continue
prendre une importante varit dusages dans le temps, lespace, la situation et
moins perceptiblement et clairement lunit politique assez jeune de la francophonie na pas entrav llaboration dune langue nationale standardise et assez homogne, voire uniforme imite en dehors de lHexagone o la langue de lle-de-France
est admire par les Belges et par les Suisses et, plus encore, par les habitants des
D.O.M. ou les locuteurs des anciennes colonies qui ont gard le franais comme
langue (co)officielle. Contrairement lespagnol avec une norme pluricentrique le
franais tend, depuis trois sicles, lunicit littraire et scolaire base, historiquement parlant, sur le bon usage de la capitale qui runit les grandes maisons de presse,
les journaux, les institutions nationales, les mdias et ladministration scolaire et
universitaire qui rpand, depuis la Rvolution, la fiction du franais unitaire et dune
norme commune et unifie pour la Rpublique une et indivisible qui devrait trouver

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Le franais dans lhistoire : du XVIIe sicle nos jours

une contrepartie linguistique, la langue nationale standardise qui fait pendant


lunit politique.
Bien des activits linguistiques sont issues de cette fiction ; certains efforts ont
t couronns de succs et la norme assez rigide a exerc, longue vue, de modrateur et de ralentisseur et contribu freiner la crativit et produire des anticodes
comme largot, les diffrents jargons et des langages cryptiques historiquement
propres au milieu peu connus dans des domaines linguistiques qui connaissent une
standardisation moins rigide. Les essais dune dissociation linguistique assez marque doivent tre compris comme un signe de reconnaissance exprimant lappartenance un groupe o le sentiment didentit, n de bons rapports entre collgues,
peut se transformer en camaraderie pour aboutir tantt lesprit de clan, tantt la
complicit (Muller 1985, 213) ; ce besoin qui ne caractrise non seulement les
personnes qui vivent en marge de la socit mais aussi le locuteur commun une
langue trop rgle ne saura jamais satisfaire et, comme lexprime Chervel (1977) la
grammaire tout ainsi que lorthographe resteront pour tous les Franais, une matire
assez rbarbative.

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Gerhard Ernst

3 La diachronie dans la linguistique


variationnelle du franais
Abstract : Le diasystme de la langue, systme de sous-systmes, situs dans les
dimensions de lespace (varits diatopiques), de lorganisation sociale (varits
diastratiques) et des types de communication (varits diaphasiques ou diasituationnelles) subit des changements au cours des sicles (variation diachronique).
Ces changements peuvent se produire soit au sein des varits elles-mmes (changements intravariationnels) soit dans la structure du diasystme : apparition ou
disparition de varits, ou changements dans les rapports entre celles-ci (changements intervariationnels). Le prsent texte, en tenant compte de lhistoire socioculturelle, esquisse le rle du facteur temps pour diffrents types de varits, ainsi
que pour lorganisation de lensemble variationnel qui constitue larchitecture du
franais.

Keywords : architecture variationnelle, changement linguistique intra-/intervariationnel, gense/diffusion dun changement linguistique, varits de limmdiat/de la
distance, linguistique variationnelle perceptive, banalisation, koinsation/standardisation, scriptae, franais avanc

1 Quest-ce que la linguistique variationnelle ?

Dans la linguistique romane actuelle, il y a consensus sur la conception dune langue


comme diasystme , un systme de systmes, de varits, qui sont conditionnes
par des facteurs extralinguistiques. Elles existent dans au moins quatre dimensions (pour les dbuts de cette conception, lie aux noms de Leiv Flydal et Eugeniu
Coseriu cf. Vlker 2011 ; pour dautres conceptions cf. Sinner 2013) :
a) la dimension diatopique ;
b) la dimension diastratique ;
c) la dimension diaphasique ou diasituationnelle ;
d) la dimension diachronique.

Chaque membre de la communaut linguistique a sa place dans lespace gographique et dans le rseau social ; cest pourquoi sa parole, son usage de la langue sera
conditionn par le lieu (gographique) de sa formation linguistique et par sa position
dans la socit de son poque. Il sagit dans ces cas de variation selon lusager. Pour le
facteur diaphasique ce mme usager aura le choix entre plusieurs varits pertinentes
dans les diffrentes situations communicatives ; cest pourquoi on parle ici de variation selon lusage. Pour cette terminologie, cf. Gadet (2007, 23).

La diachronie dans la linguistique variationnelle du franais

73

La dimension diachronique nest pas toujours mentionne dans les prsentations


de la thorie linguistique variationnelle. Un petit panorama de la prsence ou de
labsence de la diachronie dans les modles de la linguistique variationnelle se trouve
dans Vlker (2011) ; cf. dernirement Sinner (2013, 231237). On pourrait tout bonnement supposer que dans une grande partie de ces publications la diachronie manque
pour le simple fait que les auteurs se limitent faire la thorie du diasystme actuel,
tout en considrant comme donne la dimension historique du systme tridimensionnel dcrit. Des coupes synchroniques dune varit doivent certainement prcder la
recherche diachronique, mais il est aussi bien vident que le diasystme dune langue
historique et les varits qui le constituent subissent des changements le long de laxe
temporel. Les coupes historiques dune langue naturelle donnent des rsultats comme
le franais de lan 1100, de lge classique, de lanne 2014 eux-mmes systmes de
varits tridimensionnels. Notons quen diachronie, des changements peuvent se
produire au sein des varits (changement intravariationnel dans la terminologie
dAlbrecht 2003), que de nouvelles varits peuvent apparatre (mais pas de nouvelles
dimensions), ou que larchitecture de la langue peut se modifier cause de changements dans les rapports entre varits (changement intervariationnel).
Cette approche thorique parat tout dabord fort cohrente et maniable, condition que les varits et les textes (crits et oraux) raliss dans celles-ci puissent tre
localiss chaque fois un point prcis du systme de varits quadridimensionnel
(y compris la diachronie) : p. ex. langage mdical spcialis de lanatomie, textes
techniques imprims, Paris, 1550 ou langue des Parisiennes cultives dans les
situations formelles en 2013 . Pourtant, elle prsente galement une srie de problmes, qui ont men ces dernires annes des discussions intenses et des modifications importantes.
a) Il faut tout dabord constater cest l une vidence quun trs grand nombre
dlments phoniques, morphologiques, syntaxiques et lexicaux sont communs
de nombreuses varits ; sans quoi elles ne feraient pas partie du mme diasystme. Il convient alors de se demander combien dlments (et de quel type :
phontiques, morphologiques, syntaxiques, lexicaux) particuliers sont ncessaires pour pouvoir parler dune varit.
b) Les varits sont videmment une abstraction, une construction de linguistes. On
ne trouvera gure de textes concrets qui prsentent une varit linguistique dans
sa forme pure. La variation se trouve dans la langue dun mme auteur, dans un
mme texte, voire dans une mme phrase.
c) Les varits linguistiques sont raisonnablement dfinies sur la base de
facteurs extralinguistiques : la diffrenciation gographique, les groupes sociaux,
les diffrentes circonstances de la communication (le mdia, le sujet de lnonc,
linterlocuteur, le degr de familiarit entre les interlocuteurs, la situation). Les
facteurs gographiques et ceux lis la position dans la socit semblent relativement clairs : le lieu de naissance et de lacquisition du langage est fixe. Parmi les
facteurs sociaux ni lge ni le sexe ne sont soumis la volont du locuteur. Le

74

Gerhard Ernst

facteur position dans le rseau social est dj moins clair. En sociolinguistique, on considre gnralement que le niveau dtudes ou dinstruction est
dterminant ; dautres facteurs comme la profession ou le lieu de rsidence (ville/
campagne) y sont troitement lis (Gadet 2007, 92s.). Toutefois, pour le facteur
tudes/instruction , les transitions progressives sont caractristiques. Pour les
recherches portant sur des textes des sicles passs, il faut ajouter quil existe
certes des tudes sur le degr dalphabtisation en divers endroits diverses
poques (cf. celle, classique, de Furet/Ozouf 1977), mais que le chemin suivi dans
son instruction par tel ou tel scripteur des sicles passs ne peut tre reconstitu
que rarement ou titre exceptionnel. De plus, le facteur tudes/instruction na
pas toutes les poques le mme effet diffrenciateur pour la diversification
sociale (et partant, pour les varits diastratiques). En particulier, lenseignement
primaire obligatoire instaur en 1882 a limit les effets de ce facteur sur la
classification sociologique, de mme que pour la constitution de varits diastratiques, menant ainsi au remplacement maintes fois constat par les sociolinguistes de la variation diastratique par la diaphasique (cf. p. ex. Muller 1985, 175 ;
Gadet 22007, 16). En outre, la diffrence des facteurs biologiques, lappartenance un groupe social donn peut changer au cours de la vie sous leffet dune
initiative personnelle ou des vicissitudes de la biographie.
d) cela sajoutent le flou des lignes de dmarcation concernant la relation entre les
varits linguistiques et les facteurs extralinguistiques mentionns : dans des
situations appropries, les personnes dun niveau social lev parlent ou crivent
elles aussi un franais relch concordant sur plusieurs points avec le franais
des personnes moins instruites. Gadet (2007, 24s.) en tire la conclusion que

diatopique, diastratique et diaphasique interagissent en permanence. Les locuteurs emploient


dautant plus de formes rgionales que leur statut socioculturel est plus bas et que la situation est
plus familire. Le spectre diastratique est donc plus large vers le bas de lchelle sociale []
Lopposition [entre diastratique et diaphasique ; GE] nexiste que dans la dfinition des termes :
un mme trait linguistique peut, en des progressions parallles, correspondre une position
sociale favorise, ou un usage formel de distance. Franais populaire et franais familier
partagent bon nombre de traits, et il est impossible dtablir une liste des formes relevant de
chacun .

Les rflexions prcdentes pourraient mettre en doute la belle conception des varits
linguistiques. Elle est utile pour rendre compte des raisons de lhtrognit dune
langue, mais on voit facilement quelle est trop abstraite.
On a trouv plusieurs faons de rpondre ces difficults. Les linguistes daujourdhui tendent fusionner le diastratique avec le diaphasique. Sornicola (daprs
Dufter/Stark 2002, 89) les runit dans une seule dimension quelle appelle variation
pragmatique . Gadet (2007, 25) met en doute la notion de varit dans la mesure o
en reprsentant la langue selon un certain nombre de varits, elle les conoit leur
tour comme homognes . Dufter/Stark (2002, 102) en arrivent mme la conclusion
quil nexiste aucun support au concept dun ordre linaire des ensembles de

75

La diachronie dans la linguistique variationnelle du franais

variantes linguistiques en corrlation biunivoque avec une chelle sociale ou un axe


stylistique .
Koch/Oesterreicher, qui nous devons llaboration de la thorie de la linguistique variationnelle en Europe, nignorent pas les problmes ici discuts : pour eux ni
les varits ni les dimensions variationnelles ne sont des tiroirs hermtiques , elles
permettent la monte unidirectionnelle dun phnomne dans la chane variationnelle
du diatopique au diastratique et de l au diaphasique (Koch/Oesterreicher 2011, 16).
Dune porte thorique encore plus importante me semble tre un autre modle,
labor galement par Koch et Oesterreicher, et qui, depuis les annes 90 du sicle
dernier a trouv un accueil trs favorable parmi les linguistes variationnistes, mme si
la terminologie qui y est lie (konzeptionelle Mndlichkeit oralit conceptionnelle
pour la langue de textes crits qui sapprochent du ple de limmdiat communicatif)
et une certaine ngligence du mdia phonique ont connu des critiques (Hunnius 2012).

Figure 1 : daprs Koch/Oesterreicher (2008, 2576)

Ce modle tient compte de la distinction fondamentale entre le mdia de ralisation


dune part (code phonique/code graphique) et la conception de lautre, qui correspond la situation communicative (de limmdiat/de la distance ; pour les paramtres
de ces situations cf. Koch/Oesterreicher 2011, 7). Avant Sll (1985), cette distinction
ntait pas toujours faite dune manire trs claire. videmment, ce modle nignore
pas quand mme les multiples rapports qui existent entre la conception et le mdia.
Une discussion de cette dernire problmatique se trouve dj dans Selig (1997).
Le modle de Koch/Oesterreicher est dabord un modle des situations communicatives. Ce sont elles qui dterminent les diffrents types de texte et les instruments

76

Gerhard Ernst

linguistiques requis (cf. les exemples donns dans Koch/Oesterreicher 2011, 12). ces
diffrents types de textes correspondent, dans le diasystme dune langue, des varits sur le plan diaphasique (diasituationnel), influences en bonne partie par le
facteur diastratique (li la position dans la socit).
Pour Koch (1999) le continuum communicatif entre immdiat et distance constitue une quatrime dimension variationnelle (si on laisse de ct la diachronie). Cette
position nest pas accepte partout (cf. surtout les arguments de Dufter/Stark 2002 ;
Selig 2011 et dernirement la discussion dtaille de ce problme dans Sinner 2013,
209226). tant donn les problmes poss par les dimensions diaphasique et diastratique (en tant que dimensions laissant au locuteur ou scripteur le choix entre
plusieurs variantes) il serait raisonnable (au moins dans le cadre de cet article) de
rserver la dnomination diastratique aux langues de spcialit et aux facteurs qui
ne sont pas soumis la volont du locuteur (ou du scripteur), comme lge et le sexe,
et de se servir, pour le reste, du modle des situations communicatives de limmdiat
et de la distance.

2 Problmes des sources dune linguistique


variationnelle historique
Problme spcifique de la dimension diachronique, toutes les varits du pass ne
sont pas accessibles galement aux chercheurs. Il faut tout dabord se rsigner au fait
que la communication orale directe des sicles passs, avant linvention du microphone, est perdue tout jamais. De larges pans du spectre des varits (la langue de
limmdiat, normalement ralise oralement, secteur A de la Figure 1) sont de ce fait
perdus pour la recherche historique ou ne lui sont accessibles quau prix de grandes
difficults ou dans des cas exceptionnels, avec de grandes incertitudes (cf. galement
Lindschouw/Schsler 2013, qui mettent laccent sur les questions de syntaxe). Ce qui
est conserv et directement observable pour lhistorien de la langue, cest exclusivement la partie suprieure du schma. Pour ce qui est de la partie infrieure, on peut
tout au plus esprer en trouver des traces indirectes dans les textes crits, surtout
dans les types suivants de sources, qui sont dans leur majorit des transcodages du
secteur A dans lcrit du secteur C (Ernst 1980 ; Ayres-Bennett 2004, 2735 ; Schafroth
2005, 433437 ; Lodge 2009, 202) :
transcriptions historiques de propos effectivement prononcs ;
discours directs fictifs dans la littrature ;
modles de dialogues proposs par des textes didactiques ;
autres textes mtalinguistiques ;
legal documents, including depositions, verbatim reports of court evidence
such as in defamation cases, or inquisitorial material from witchcraft interrogations (Ayres-Bennett 2004, 35) ;

77

La diachronie dans la linguistique variationnelle du franais

textes crits par des personnes qui ne suivent pas strictement les normes du
franais crit de leur temps, soit par manque de connaissance (personnes dites
peu-lettres ) soit parce que les textes ont un caractre priv et ne sont pas
destins la publication (lettres prives, livres de famille, autobiographies de
caractre priv etc.) ;
tudes comparatives entre le franais europen et le franais (et les croles bass
sur le franais) hors dEurope, permettant des conclusions sur la langue parle du
pass.

Pour chacun de ces types des doutes sur lauthenticit (reflet direct et fidle du parl)
sont possibles (cf., entre autres, Schafroth 2005, 420423), mais ici vaut plus que
jamais le mot de Labov, selon lequel la linguistique historique peut tre considre
comme the art of making the best use of bad data (Labov 1994, 11).
Un autre problme des textes du pass concerne leur interprtation sous laspect
de la linguistique variationnelle : tout ce qui aujourdhui fait partie dune varit de
limmdiat, navait pas ncessairement la mme caractristique dans le pass. Ce
nest pas tellement un problme pour les phnomnes universaux, anhistoriques du
parl : hsitations, rptitions, pauses etc. Mais ce type mme de phnomnes ne se
trouve pratiquement jamais dans les textes crits. Un trait plus contingent, au
contraire, comme la prononciation [i] pour il (Blanche-Benveniste 2010, 56), la phrase
segmente ou le remplacement de nous par on pourrait thoriquement avoir, dans
un texte des sicles passs, une attribution variationnelle diffrente de celle daujourdhui (Selig 1997, 218 ; Schafroth 2005, 422s.).

3 Esquisse de lhistoire de quelques varits du


franais
3.1 La variation diatopique
Pour le franais hors dEurope, 20 Le franais dans le monde : Canada ; 21 Le
franais dans le monde : Afrique ; pour la variation diatopique daujourdhui 16 Les
franais rgionaux.
Les idiomes vernaculaires du Moyen ge issus du latin parl en Gaule constituent
des entits linguistiques indpendantes. Le terme dialectes franais serait
commode, mais impropre, parce quil ne sagit pas de varits dviantes dune
langue standardise ; il faut plutt y voir des idiomes indpendants, mme sils
partagent beaucoup de traits linguistiques qui rendent possible la comprhension
rciproque et une conscience linguistique commune (Rey/Duval/Siouffi 2007, 105). Ils
ne sont pas, bien entendu, observables directement au chercheur daujourdhui. On
dispose tout de mme de textes de la priode prcdant la standardisation de la

78

Gerhard Ernst

langue nationale, qui prsentent des varits linguistiques diffrencies dans lespace : les textes administratifs (chartes) et les textes littraires du Moyen ge. Les
rgions du Nord (Artois), de lEst (Lorraine) et du Sud (Poitou), ainsi que lAngleterre
furent les premires voir apparatre des chartes en langue vulgaire (au lieu du latin)
vers le milieu du XIIIe sicle (Berschin/Felixberger/Goebl 2008, 190ss.). Pour ldition
des chartes cf. le projet Les plus anciens documents linguistiques de la France
(Glessgen/Kiha/Videsott 2011 ; Glessgen/Duval/Videsott, d. lectronique). La ncessit dune recontextualisation de ces textes, cest--dire la reconstitution du cadre
socioculturel et situationnel qui dterminait leur fonction communicative est souligne par Vlker (2004). La diffrenciation diatopique (et, en gnral, diasystmatique) des textes crits en langue vulgaire, une espce de varit rgionale crite,
constitue un objet dtude central pour lhistoire du franais du Moyen ge ; elle
peut aussi clairer un certain degr lhistoire des varits parles dans le Nord de la
France.
Mme dans une priode qui est encore loin de la standardisation lchelle
nationale, les manuscrits du Moyen ge ne refltent pas directement loral dune
rgion : il y a dune part la tendance latinisante des scribes (et des copistes) du
premier Moyen ge dans la transposition de loral dans lcrit et, de lautre, les
tendances traditionalistes (surtout pour la graphie, dans les correspondances phonographiques, mais aussi pour certaines formules) des textes tardifs (Goebl 1995, 325).
Ces traditions se formrent dans les chancelleries des cours fodales et dans les
scriptoria des monastres. Ces lieux dcriture professionnelle avaient chacun ses
propres habitudes graphiques, morphologiques, ses particularits lexicales et ventuellement syntaxiques, o lon observe, certes, un substrat local / rgional, mais
leurs textes (les chartes comme les textes littraires) ne prsentent presque jamais une
surface linguistique homogne, expression dune varit diatopique homogne de
lcrit. Comment expliquer ces divergences internes ? Dees (1987, IX) pose la question
dans les termes suivants :

la variabilit observe pour le wallon du 13e sicle doit-elle tre attribue linfluence de
pressions externes, et plus spcialement lintrusion de formes trangres de provenance
centrale [= francienne, GE], ou bien peut-on considrer quun dosage dlments variables et
dlments invariables est naturel pour un dialecte mdival ? .

En remplaant dans la phrase de Dees lexpression impropre un dialecte mdival


par une scripta mdivale , on trouve parmi les historiens de la langue essentiellement des tenants des deux rponses esquisses par Dees. Ce dernier lui-mme, sur la
base danalyses de chartes datables et localisables (1980) et de manuscrits de textes
littraires (1987), rsultant en cartes dialectologiques et en statistiques de la frquence
des phnomnes rgionaux / dialectaux, ne croit pas une konisation prcoce des
scriptae manant du centre, et il voque une pluralit de causes qui pourraient tre
lorigine de la variabilit dans les textes dune mme rgion ou lintrieur dun seul
texte.

79

La diachronie dans la linguistique variationnelle du franais

Les rponses dautres linguistes vont plutt dans un autre sens : ils soulignent le
rle de la scripta francienne, la varit du centre (Goebl 1970, 317 ; Holtus 1990, 579 ;
West 1995, 303). Et pourquoi justement la varit du centre ? Greub/Chambon (2008,
2509) considrent comme dcisive la position gographique centrale de lle-deFrance, position qui fait quun dialecte situ au centre dun domaine linguistique est
moins divergent des autres [] que ceux-ci ne le sont entre eux . Ils distinguent entre
a) le fait que la langue de communication de lespace linguistique dol tend
structurellement ressembler au dialecte du centre parisien et b) linfluence du
dialecte francien (ibid.).
La variation diatopique des scriptae se perd au bas Moyen ge sous la pression de
la varit utilise dans les chartes de la chancellerie royale manant de Paris. Videsott
(2013), en soulignant lapparition tardive du franais dans ces chartes, dont le premier
texte franais ne date que de 1241, explique par l que la scripta parisienne apparat
ds les dbuts sous une forme plus supralocale que dautres scriptae , tout en
restant nettement identifiable lintrieur des scriptae oliques jusque dans la
deuxime moiti du XIIIe sicle. Ce nest quun sicle plus tard quelle exerce son
influence sur les autres scriptae (Videsott 2013, 3538). Videsott nexclut mme pas
une influence de cette varit crite sur loral dans la priode suivante. Il soppose
ainsi Lodge (2004), qui dfend la naissance de la kon parisienne comme le rsultat
dun mouvement de bas en haut.
La question du rapport entre les aires gographiques des scriptae mdivales et
les varits diatopiques parles modernes trouve une rponse sur la base des recherches (et des cartes qui en rsultent) de Dees et de Goebl :

le centre de gravit de la rpartition spatiale de tel trait dialectal [] se trouvait au Moyen ge


plus ou moins l o il se trouve encore de nos jours []. Les comparaisons entre les donnes
scripturaires mdivales et les donnes dialectologiques modernes y ayant trait, ont fait voir []
un tonnant paralllisme gographique entre le niveau crit mdival et le niveau oral moderne
(Goebl 1995, 327 ; cf. aussi Goebl 2001, 846 ; similairement Greub/Chambon 2008, 2511 et, pour la
scripta picarde, Lusignan 2012, 75).

Un tel paralllisme pourrait tre confirm ou rfut par un atlas linguistique du


franais mdival. Mhren discute les problmes et les possibilits dun tel atlas sur la
base du DEAF, mais il est sceptique quant la transposition mcanique des donnes
du DEAF sous forme datlas (Mhren 2005, 113).
Suite la disparition des scriptae rgionales et paralllement au prestige toujours
croissant du franais parisien on assiste la formation dabord lcrit, puis dans le
mdia oral dun autre type dentits marques diatopiquement, mais dune extension plus vaste : les franais rgionaux , bass sur la langue de rfrence manant
de Paris. Ils coexistent, depuis le XVIe sicle avec les dialectes primaires successeurs
directs du latin parl, pour enfin se substituer eux, en se gnralisant de haut en
bas, selon laxe diastratique (Greub/Chambon 2008, 2554). Le recul des dialectes se
poursuivit dans les sicles suivants ; il sest considrablement acclr au XIXe sicle

80

Gerhard Ernst

par lintroduction de la scolarit obligatoire et gratuite sous Jules Ferry (1881/1882).


Mais la situation de contact se fit sentir dans les deux sens : les dialectes fonctionnant
comme substrat eurent une influence considrable sur les variantes rgionales, ce qui
rsulte dans les nombreux parallles entre les varits diatopiques modernes recueillies dans les atlas linguistiques du XXe sicle et ce quon sait des dialectes primaires
du Moyen ge. Au lieu dun remplacement des dialectes par les franais rgionaux on
pourrait alors y voir plutt une espce de koinsation (Berschin/Felixberger/Goebl
2008, 289ss.). Mais sous les deux aspects, on ne saurait contredire Glessgen/Thibault
(2005, V), qui jugent rsolument propos de la situation des dialectes primaires au
XXe sicle : La prsence des dialectes dol en France ne relve plus aujourdhui que
de lhistoire mme si la date du certificat de dcs reste inconnue.
Pour la formation de la varit franais de Paris Lodge (2004, 79) voit an
unbroken line of descent between the spoken koin which developed in medieval
times and the colloquial speech of today . Cette koin se serait dveloppe during a
spectacular surge of demographic growth in the twelfth and thirteenth centuries .
Sur cette base dj konise se serait forme plus tard la varit franais standard .
Dautres linguistes sopposent cette vue des choses. Lebsanft (2005), sur la base
dune lettre de rmission dans un procs de 1388, fait voir que vers la fin du XIVe sicle
il tait encore possible un Picard de ridiculiser ( Paris) un Parisien en imitant le
langage de celui-ci. Lebsanft en tire la conclusion qu ce stade, il nexistait pas
encore dans le petit peuple de kon parisienne orale considr par les non-Parisiens
comme une varit non-marque et exemplaire.
Comme les franais rgionaux se sont dvelopps sur la base dun franais
standard mergent (ou, selon lautre interprtation, constituent un compromis entre
les dialectes primaires et un franais standard), un franais rgional du Midi sest
mme form en Occitanie depuis que celle-ci a adopt le franais comme varit
haute.
Ces dernires dcennies, on observe dans lInternet une intense activit journalistique visant conserver, voire propager lusage des varits diatopiques comme le
wallon et le picard (Michel 2008). tant donn les circonstances socioculturelles
actuelles, leur succs nest aucunement assur.

3.1.1 Exemple de la variation diatopique : la Picardie

Pour le franais picard au Moyen ge, cf. dernirement Lusignan (2012).


West (1995) considre comme vidente linfluence du francien, au XIIIe sicle,
sur les autres scriptae mais il relve aussi la position forte de la scripta picarde, due
la domination conomique et culturelle de la Picardie durant cette priode (cf., avec
plus de dtails, Lusignan 2012). La scripta picarde (comme celle dautres rgions)
apparat sous deux formes (variation diaphasique interne, due aux genres diffrents

La diachronie dans la linguistique variationnelle du franais

81

des textes) : la scripta des textes administratifs et celle des textes littraires. Dans la
concurrence entre la scripta administrative et le latin cest un aspect sociolinguistique
qui joue un rle considrable : lutilisation de la scripta (picarde) au lieu du latin est
fortement lie aux auteurs et aux destinataires de la bourgeoisie urbaine. La scripta
picarde littraire a exerc une certaine influence sur les textes littraires dautres
rgions. Elle semble toutefois avoir t plus loigne du picard oral que celle des
textes administratifs (West 1995, 304, en suivant Gossen).
Dans les textes administratifs, la scripta picarde a rsist plus longtemps que
celles des autres rgions lavancement dune norme commune provenant du centre.
Et de cette manire les dbuts de la littrature en moyen picard, qui met un tout
autre souci rester proche du dialecte oral, sont donc pratiquement contemporains
des dernires chartes en scripta franco-picarde (West 1995, 303). West fait ici
allusion aux premiers textes dune littrature dialectale (picarde) qui se sert consciemment du dialecte des fins littraires (la littrature dialectale rflchie). Ces
textes furent composs, en rgle gnrale, par des lettrs. Mais des hommes du peuple
comme Franois Cottignies dit Brle-Maison, marchand, chanteur des rues et chansonnier Lille (16781740), et son fils Jacques-Franois Decottignies, marchand
mercier (17061762) (cf. Carton 1965 ; 2003), publient eux aussi paralllement des vers
en franais et en patois. Pour ces derniers on peut lgitimement se demander dans
quelle mesure ils refltent le vrai patois lillois . Carton (1965, 57) juge raison :
videmment lemploi du vrai patois est une entreprise hasardeuse : le langage y est
artificiel, car personne ne sexprime tout fait naturellement en vers . Et pourtant ces
textes, tout comme ceux de la priode allant du XVIe au XVIIe sicle (Flutre 1970 ;
1977), peuvent fournir des matriaux pour reconstruire la ligne diachronique qui
stend entre le picard du Moyen ge et celui de lpoque moderne. Ces matriaux
sont prstructurs dans les chapitres et les annexes grammaticales et lexicales de
Flutre (1970, 189517), Flutre (1977, 17175), Carton (1965, 383435), Carton (2003,
4356 ; 361457). Pour qui voudrait faire lhistoire de la varit diatopique (ou des
varits diatopiques) de Picardie, il reste pourtant le problme de vrifier la correspondance entre le picard de ces auteurs et le picard oral des sicles sparant le Moyen
ge et le XIXe sicle ( 3.3.3).
Les textes des peu-lettrs de cette poque posent des problmes semblables mais
non identiques : on y trouve, certes, des traits (graphiques, lexicaux, plus rarement
morphologiques) qui pourraient servir dattestations pour tablir la ligne diachronique unissant le dialecte du Moyen ge la varit diatopique moderne. Mais le
regard port sur larrire-plan dialectal est soumis de fortes restrictions ( 3.3.6).

82

Gerhard Ernst

3.2 La variation diastratique


3.2.1 Varits des ges de la vie
3.2.1.1 Langage des enfants
La diachronie joue certainement un rle dans les varits linguistiques dtermines
par le facteur ge de la vie . Ainsi, lacquisition du langage par lenfant est-elle un
procs qui se droule dans le temps selon des principes considrs comme universels.
Mais il sagit l dune diachronie lie une priode de la vie dun individu, une
diachronie qui sort du cadre de la prsente tude consacre aux varits supraindividuelles. La transcription semiphontique des propos dun petit enfant du dbut du
XVIIe sicle (le Journal dHroard ; pour ce texte 3.3.1) ne contient pas de phnomnes du langage enfantin qui a) dpassent la biographie linguistique individuelle et
qui b) peuvent varier dans le temps.

3.2.1.2 Le franais des jeunes


Le langage des jeunes (entre 13 et 17/18 ans environ; 13 Langue et gnrations : le
langage des jeunes) suppose lexistence dune catgorie sociale jeunesse , qui ne
sest constitue quavec les socits industrielles du XXe sicle (Bernhard/Schafroth
2008, 2390). Au cours des sicles prcdents, les jeunes rejoignaient plus tt le monde
des adultes, leur langage tait avant tout dtermin par la position sociale de la
famille. De la sorte, une histoire de la varit franais des jeunes ne peut couvrir
quun laps de temps rduit (en gros, partir du milieu du XXe sicle).
Certes, le langage des jeunes est li un groupe de la socit auquel tout
individu appartient un certain temps sans possibilit de choix, il est donc considrer comme une varit diastratique. Toutefois, lemploi du langage des jeunes
dpasse probablement la limite dge de 17/18 ans. Par ailleurs, tous les membres de
la classe dge des 1317/18 ans ne sont pas automatiquement des locuteurs du
langage des jeunes, comme pourrait le faire croire sa forte notorit dans la presse
priodique et la publicit ; des tudes empiriques srieuses sur sa diffusion effective
auprs de lensemble des jeunes et sa diffrenciation rgionale manquent toujours.
Il faudrait en outre tenir compte du fait quen gnral, les jeunes disposent galement dautres varits, non-juvniles et recourent seulement (ou principalement)
au langage des jeunes dans la communication avec dautres jeunes : they appear
to know the difference between the way they speak within their peer groups and
with outsiders, especially adults (Gadet 2003, 82 ; Bedijs 2012, 51). De ce point de
vue, on pourrait galement songer classer le langage des jeunes comme varit
diaphasique.
Les caractristiques gnrales du langage des jeunes pour la priode durant
laquelle il est dlimitable restent sans doute les mmes, indpendamment du temps et
de lespace, puisque les intentions qui y sont lies, comme la provocation et la dmarca

83

La diachronie dans la linguistique variationnelle du franais

tion vis--vis de la gnration prcdente, le cryptage, la crativit ludique (Bernhard/


Schafroth 2008, 2392), restent les mmes. La ralisation particulire de ces caractristiques supratemporelles, dpassant le cadre des langues distinctes, est toutefois lie
une culture et une langue dtermines et peut changer en diachronie. Mis part les
phnomnes plutt rares relevant de la prononciation, de la morphologie et de la
syntaxe ( ce sujet, cf. Gadet 2003, 78s.), cest avant tout le lexique qui est concern.
Ainsi le langage des jeunes des banlieues des grandes villes (facteur diatopique, li
des facteurs sociologiques !) est-il soumis depuis quelques annes, outre ses multiples
emprunts langlo-amricain, linfluence des langues arabe, berbres, africaines
occidentales, ainsi que du romani. Les mcanismes permettant de jouer avec le langage
peuvent eux aussi se modifier avec le temps. Cest ainsi que la redcouverte et la
diffusion du verlan (langage lenvers ), vieille technique de cryptage venue de
largot, peuvent tre dates des annes 80 et 90 du XXe sicle (Bernhard/Schafroth
2008, 2397).
En gnral, les individus jeunes abandonnent lusage du langage des jeunes en
arrivant lge adulte. Le langage des jeunes ne peut donc tre considr comme la
langue du futur, mme si des lments lexicaux isols sont repris dans la varit
franais familier (Bernhard 2000, 296). Une telle banalisation , rendant caduc
leffet de dmarcation par rapport au monde des adultes, est sans doute la raison de
lobsolescence souvent rapide des mots de ce langage (attestations dans Helfrich
2003, 94 et Bernhard/Schafroth 2008, 2399).

3.2.1.3 Le franais des personnes ges


Pour le groupe des personnes ges (14 Langue et gnrations : le langage des
personnes ges), il existe un problme de dlimitation similaire celui des jeunes :
partir de quand est-on g au sens en question ? Une limite raisonnable peut tre fixe
avec lge de la retraite, vu ses consquences pour la position dans la socit.
part les aspects biologiques et variables individuellement, tels que la modification du timbre de la voix, une accentuation et une intonation trs explicites, des
priodes intonatives plus courtes, la frquence de phnomnes datermoiement et
dhsitation, les difficults trouver les mots (Gerstenberg 2011, chap. 7 ; chap. 9), les
personnes ges ne connaissent pas de propre varit, lie lge, qui puisse avoir
une dimension historique. De mme, laccroissement constat de la dialectalit et des
variantes de moindre prestige chez les personnes ges (Mattheier 1987, 81, repris par
Gerstenberg 2011, 33 ; Gadet 2007, 79 : relchement langagier par rarfaction des
enjeux sociaux ) est li la biographie individuelle de chacun.
Un changement linguistique supraindividuel, et donc pertinent pour la diachronie du diasystme, sobserve cependant dans une certaine mesure sur la base des
diffrences dusage linguistique entre les jeunes et les personnes ges, mme si ces
derniers ne constituent pas davantage un groupe homogne que les jeunes et que
lindividualit joue un grand rle, peut-tre mme plus que chez les jeunes. Les

84

Gerhard Ernst

statistiques collectes auprs dun nombre important de locuteurs permettent toutefois de distinguer certaines tendances. Dans le discours dun groupe de personnes trs
ges, on trouve encore des occurrences de (mes) gosses, vieillard, bougrement, ma
foi, remplacs dans le langage dun groupe moins g (enfants / fils, filles ; vieillard ;
trs ; ) (Gerstenberg 2011, 194s.). Dans le domaine de la morphosyntaxe, on observe
chez les locuteurs gs une im Verhltnis zum Gegenwartsfranzsischen auffllige
Hufigkeit von ne (ne pas, ne jamais etc.) ( frquence frappante de ne (ne pas,
ne jamais, etc.) par rapport au franais contemporain ), ainsi que eine offenbar
generationsspezifisch noch vorhandene Verwendung von nous ( un emploi encore
effectif de nous, manifestement li la gnration ), qui confirme e contrario des
tendances dj constates ailleurs du franais oral ou familier (Gerstenberg 2011, 234 ;
245).

3.2.2 La langue selon les sexes


De mme que lge, le sexe dun individu influe sur sa position dans la socit
(15 Sexe et genre). Les diffrences dans la biologie et le rle social ont des consquences pour loralit et lcriture des hommes et des femmes. Les diffrences dues
la biologie (comme la hauteur de la voix) ne possdent pas de dimension diachronique et peuvent tre ngliges ici. Cependant, des sicles durant, les diffrences
biologiques ont t considres comme la base des diffrences (supposes ou relles)
dans la faon de parler des sexes. Notons que laccent tait en gnral mis sur le sexe
fminin, dont le langage tait considr comme une dviance par rapport au cas
normal du langage masculin. Ainsi, le discours sur la garrulitas (loquacit) fminine a
une longue tradition (Kramer 1997, 15s.). En France, cest en particulier du XVIe au
XVIIIe sicle que lattribution de phnomnes langagiers au sexe fminin et ses
caractristiques considres comme typiques joue un rle particulier : mollesse, dlicatesse, douceur des femmes (opposes la rudesse masculine) sont ainsi rendues
responsables de phnomnes notamment phontiques (cf. les dtails dans Kramer
1997, 32ss. ; Neumann-Holzschuh/Heinemann 2008, 2381ss.). Kramer (1997, 38) constate que les remarques mtalinguistiques de cette priode concernent des phnomnes bass non sur la diffrence biologique des sexes, mais sur le niveau peu lev de
lducation des jeunes filles dans toutes les couches de la socit.
Par ailleurs, du fait prcisment de leurs connaissances lacunaires du latin et du
grec, Vaugelas voit les femmes de la cour comme des personnes de rfrence pour le
bon usage , car elles ne sont pas influences par les perturbations de lvolution
naturelle de la langue dues au latin, langue trangre (Kramer 1997, 42). Dans le
mme ordre dides, on soulignera le rle des salons des XVIIe et XVIIIe sicles, tenus
par des femmes et qui ont contribu au dveloppement dune conscience linguistique
approfondie et llaboration dun standard (Neumann-Holzschuh/Heinemann 2008,
2382). volution particulire, la tendance des prcieuses recourir des nologis

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La diachronie dans la linguistique variationnelle du franais

mes souvent dconcertants et des priphrases pour viter les termes considrs
comme trop bas a t caricature par Molire, dont les Prcieuses ridicules ne refltent
toutefois pas la ralit (Ayres-Bennett 2004, 172176). Tandis que labsence de culture
classique chez les femmes tait considre comme positive pour le bon usage (oral),
sa prsence pouvait en revanche tre caricature comme inconvenante, comme le
montre le type des femmes savantes (Ayres-Bennett 2004, 112 ; pour une vue
exhaustive du womens language au XVIIe sicle incluant des dtails sur ses
specific features , cf. Ayres-Bennett 2004, 111180).
Un rle important dans la discussion sur lopposition entre langage des femmes
et langage des hommes revient galement la question du caractre conservateur ou
innovateur, mais aussi de la dialectalit plus ou moins forte de la varit considre.
Tant que des communauts traditionnelles et marques par la ruralit constituent la
base de lobservation, il est probable quen raison du moindre contact des femmes
avec lextrieur, la caractrisation du langage des femmes comme tant plus conservateur et plus dialectal est valable (Neumann-Holzschuh/Heinemann 2008, 2379).
Avec leffacement de la rpartition traditionnelle des rles depuis le milieu du XXe sicle environ, les choses changent, mme si les femmes et les hommes ne forment en
aucun cas des groupes homognes. Die aufstiegsorientierten Frauen im stdtischen
Raum sprechen normorientierter, um ihren noch prekren Status abzusichern (Les
femmes de lespace urbain dsireuses de faire carrire parlent de manire plus
conforme la norme, afin de garantir leur statut encore prcaire, Jungbluth/Schlieben-Lange 2001, 334, daprs Labov). Et mme au sein de communauts traditionnelles et rurales, le contact avec les varits de prestige conduit plutt chez les femmes
labandon du dialecte, en raison de leur rle dducatrices (Bierbach/Ellrich 1990,
251).
Indpendamment de laffinit avec dautres varits, les diffrences entre le
discours fminin et masculin sont attribues la diffrence entre les attentes lies au
rle (domination masculine vs. retenue fminine), se manifestant chez les femmes par
le fait de parler moins fort, une manire indirecte de dire les choses et une plus grande
retenue dans la prise de parole (Jungbluth/Schlieben-Lange 2001, 336). ma connaissance, il nexiste pas encore dtudes srieuses consacres la question de savoir si
de telles diffrences sont restes les mmes au cours des dernires dcennies, ou bien
si elles ont t abandonnes, paralllement lvolution de la socit.

3.2.3 Langues de spcialit


Les spcialistes dune matire (mdecins, menuisiers, linguistes ) se servent dun
langage, dune varit, qui leur est particulire. On pourrait alors penser ranger ces
varits parmi les varits diastratiques, lies un groupe social. Il nen est rien :
mme les spcialistes ne se servent de leur varit spcialise que dans les
circonstances professionnelles. Les langues de spcialit se situent donc dans la

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Gerhard Ernst

dimension diaphasique. Mme pour les sujets de leur spcialit, les spcialistes
connaissent des situations communicatives diffrentes qui exigent des stratgies
communicatives diffrentes : le langage utilis par un mdecin-chercheur dans une
revue doncologie sera diffrent de celui utilis dans une conversation avec ses
collgues sur le mme sujet ; et celui-ci ne sera pas le mme que celui dont il se sert
vis--vis dun patient. Pour les diffrents degrs de Fachlichkeit (spcialisation
linguistique) Pckl (1990, 268s.) distingue entre Theoriesprache (langage thorique,
scientifique), Werkstattsprache (langage datelier, langue spcialise familire) et
Verteilersprache (langage utilis dans la communication avec les non-spcialistes).
Cest une catgorisation valable grosso modo pour beaucoup de langues de spcialit.
Mais elle dpend de la situation particulire de chaque discipline et des types de texte
(ou de discours) quelle connat. Cf. pour la langue juridique la catgorisation de
V. K. Bhatia (dans Ondelli 2007, 105), qui est beaucoup plus diffrencie selon les
types de texte. Pour la langue des sports , Schweickard (1987, 3) arrive six varits
au moins, sans mme tenir compte de la diversit des disciplines.
Chaque langue de spcialit volue avec le dveloppement de la spcialit ellemme. Mais son existence est aussi conditionne par la situation socioculturelle et par
le prestige des langues en concurrence. Cest ainsi que le franais, dans les premiers
sicles de son existence, ne connaissait gure de langage des sciences (sil est permis
dutiliser le mot sciences au sens moderne ; cf. Kramer 2008, 3354) ou de la
religion, des varits rserves au latin jusqu la Renaissance. Pour lhistoire du
lexique des langues de la science cf. les projets de Ducos/Salvador 2013 (Moyen ge)
et de Giacomotto-Charra 2013 (pour la priode 14001650).
Au cours du XXe sicle cest langlais qui est devenu la langue dominante dans les
sciences, et ceci sous deux aspects : lusage de langlais comme langue des textes
scientifiques et la pntration de termes anglais dans le franais scientifique (pour
plus de dtails cf. Pckl 1990, 275 ; Haarmann 2008 ; Faure 2010).

3.2.3.1 Un exemple : la langue de la mdecine


Parmi les varits linguistiques des sciences, celle de la mdecine et son histoire
jouissent dun intrt particulier de la part des linguistes. En mdecine les premiers
textes franais (du XIIIe sicle) adresss un public de spcialistes taient des
traductions dun texte latin (Flinzner 2006, 2214 ; Kramer 2008, 3355), qui pour sa part
pouvait continuer une tradition arabe (cf. Trotter 2005). La tradition des textes
mdicaux traduits en franais (et dautres langues) senrichit au XIVe sicle avec Henri
de Mondeville et Guy de Chauliac (Tittel 2004). Dans un domaine du langage mdical
du Moyen ge utilisant le franais et le latin, celui des maladies de la peau, un
excellent aperu est donn par Vedrenne-Fajolle (2012), qui conclut cependant avec
scepticisme : Comment, dans ces conditions difficiles, articuler de faon satisfaisante histoire des formes et histoire des significations ? , objectif quelle juge ellemme peut-tre inatteignable (ibid., 208). Pour des recherches ultrieures sur le

87

La diachronie dans la linguistique variationnelle du franais

lexique du langage de la mdecine entre 1320 et 1500, on aura utilement recours


Jacquart/Thomasset (1997).
Au XVIe sicle, les textes mdicaux spcialiss crits en franais gagnent du
terrain, mme si Ambroise Par, chirurgien la cour du roi de France, mais sans
formation universitaire, fut parfois vivement critiqu pour ses textes crits en franais.
Il se dfendit en invoquant la plus large diffusion des textes ainsi rendue possible.
La rdaction de textes franais scientifiques (ici mdicaux) se heurtait une
terminologie spcialise encore insuffisamment standardise. On aboutit alors une
certaine pluralit synonymique, due la coexistence de termes latins la graphie/
phonie presque identique celle des mots correspondants de la langue vulgaire, les
auteurs accentuant plus ou moins lune ou lautre tendance (Faure (2010) ; Vons
(2011) pour la dnomination des dents ; Clment (2011) pour la dnomination du
clitoris ; cf. les rflexions des traducteurs du XVIe sicle sur ladoption de la terminologie latine et sur la critique contemporaine de ce phnomne dans Osthus 2011, 108
116). Paralllement aux tendances existant dans la littrature de lpoque, leffort
denrichissement de la langue franaise a sans doute jou un rle : Jacques Grvin,
auteur dun trait danatomie de 1569, dclare explicitement ne pas vouloir btir sa
prsentation sur des pierres empruntees ailleurs (cest--dire la terminologie des
auteurs antiques), mais fouir des carrieres francaises (cit dans Vons 2011, 16).
Au XVIIe sicle, sicle de lhonnte homme, les lments techniques dans la
langue commune (orale et crite) taient proscrits. La honte du mot technique
devient une sorte de distinction sociale (Brunot 1966, 423, avec nombreuses prises
de position de lpoque). Refltant cette situation, le Dictionnaire de lAcadmie
Franaise de 1694 bannissait les termes des Arts & des Sciences qui entrent rarement
dans le Discours . Ils furent relgus dans un volume complmentaire, le Dictionnaire des Arts et des Sciences (Thomas Corneille 1694). Le dveloppement de la
littrature mdicale spcialise en langue franaise au cours du XVIIe sicle ne sen
trouva pas entrav : [E]n 1600, la mdecine nemploie pas beaucoup plus la langue
nationale quen 1525 ; aprs 1685, par contre, la littrature mdicale en latin disparat
pratiquement. La terminologie en sera profondment modifie (Qumada 1955, 11).
Pour la terminologie actuelle de la mdecine, cf. le Dictionnaire de lAcadmie
de la Mdecine, version 2013, avec ses 48525 entres (www.academie-medecine.fr/
dictionnaire).
Le langage spcialis de la mdecine, notamment sa terminologie, est bien
entendu li lvolution de la mdecine elle-mme. En outre, du point de vue du
changement diachronique les mmes facteurs et tendances que dans la langue
commune y sont luvre. Pour un changement smantique en cours, d une
mtonymie, cf. dans ce dictionnaire sous tiologie : tude des causes des maladies
[]. Dans le jargon mdical actuel, le mot tiologie est souvent mal utilis, de faon
emphatique la place de cause ou dorigine .
En fonction du degr dextension de la connaissance dun langage spcialis
(p. ex. celui du sport) ou scientifique (comme celui de la mdecine), ses termes

88

Gerhard Ernst

techniques (souvent avec changement smantique mtonymique ou mtaphorique)


peuvent tre adopts par la langue commune. Une certaine scientifisation de la
communication publique favorise de telles volutions. Schmitt (1998, 224) cite virus,
symptme, syndrome, affection, contamination dans un texte qui dplore le mauvais
tat de la langue franaise (cf. aussi Muller 1985, 210). Des lments de formation des
mots peuvent tre concerns, cf. p. ex. les nombreuses attestations releves dans la
presse quotidienne par Fabellini (2003) des suffixes ite et ose, comme thrombose
parlementaire, ncrose dun systme de pouvoir monopolistique, eurosclrose, dclinose, bruxellose, collectionnite, rformite, etc.
La question des spcificits (et de leur diachronie) des langages scientifiques,
voire techniques au sens large, au-del des aspects lexicaux et terminologiques, p. ex.
dans le domaine de la syntaxe, se pose naturellement. Il est difficile dy apporter une
rponse satisfaisante. Mme pour la synchronie du prsent, il nexiste pratiquement
pas dtudes (Blumenthal 1983). Lun de ces rares travaux en conclut, sur la base
dune tude de corpus, que mis part la prsence de termes spcifiques dans les types
de textes spcialiss, scientifiques et non-scientifiques, on ne trouve gure de belastbare Kriterien fr Wissenschaftssprachlichkeit auf der sprachlichen Oberflche (critres fiables de la scientificit dun langage la surface de la langue, Maa 2011, 289).

3.3 La diachronie des varits de limmdiat


Seront repris ici les types de sources dans lesquels on peut esprer trouver des traces
de varits de limmdiat des sicles passs ( 2). Pour plusieurs de ces sources il
sagit, rappelons-le, de la transposition lcrit de varits ralises dhabitude
oralement. Et beaucoup de ce qui a t dit dans les tudes dhistoriens de la langue
propos de lhistoire du franais parl (comme conception) peut valoir ici sous le
signe des varits de limmdiat , mme si lon part de textes crits ( loral dans
lcrit ).

3.3.1 Transcriptions historiques de propos effectivement prononcs


Cest un cas extrmement rare de trouver un texte des sicles passs qui reproduise
exactement des propos effectivement prononcs. On trouvera, bien sr, des phrases
isoles, prononces par des personnages clbres et censes attester le caractre, la
manire dtre et dagir de cette personne. Mais ces passages ont dhabitude un
caractre anecdotique ; la personne laquelle est attribue la phrase respective pourrait lavoir dite dune manire ou dune autre. Du point de vue strictement linguistique un tel texte nest absolument pas fiable.
Une heureuse trouvaille nous est transmise par ce quil est convenu dappeler le
Journal dHroard, journal tenu au jour le jour par le mdecin du Dauphin et futur roi

89

La diachronie dans la linguistique variationnelle du franais

Louis XIII, depuis la naissance de celui-ci (1601) jusqu sa propre mort (1628). Le
mdecin enregistre non seulement les aspects mdicaux, conformment son devoir
professionnel, mais aussi nombre de dtails relatifs lducation de cet enfant royal,
ses activits, son volution intellectuelle et aussi beaucoup de ses propos prononcs
dans un contexte situationnel donn. Hroard choisit pour les propos du petit enfant
au moins jusqu son couronnement en 1610 une espce de notation phontique, ce
qui donne avec de nombreuses petites corrections banales (p. ex. je men va, corrig
sur jiray) une grande fiabilit mme leurs aspects formels (Ernst 1985 ; Ernst 1989 ;
Prmann-Zemper 1986). On pourrait contester la valeur de ce texte comme source de
notre connaissance du franais parl (familier) du XVIIe sicle. Il serait certainement
exagr de considrer les propos de cet enfant royal comme reprsentant le franais
de son temps. Mais au vu du caractre trs familier des situations recueillies par
Hroard et en tenant dment compte du facteur acquisition du langage par lenfant ( 3.2.1.1), on y trouvera au-del des phnomnes de prononciation les
traces de toute une srie de phnomnes du franais parl au dbut du XVIIe sicle
dans une situation familire (Ernst 1985, 35102 ; Prmann-Zemper 1986 ; Ernst
1989) : des traces (encore trs faibles) dune gnralisation de on nous ; la distribution des pronoms dadresse tu / vous, ventuellement sous linfluence du milieu royal
(cf. aussi Kristol 2009b), la srialisation des pronoms objets, lemploi des dmonstratifs et de larticle partitif, la morphologie verbale, lusage du subjonctif et du pass
simple (tous les deux frquents ! pour la distribution du pass simple et du pass
compos cf. Ossenkop 1999) ; sen aller + inf. vs. aller + inf. pour le futur proche, la
ngation sans ne (avec le seul forclusif), plusieurs types de mise en relief et de
rhmatisation, les diffrents types de dislocation, la raret des interrogations par
intonation et la frquence des interrogations par inversion (simple et complexe), les
phrases secondaires sans que, le dcumul (rare) du pronom relatif. Plusieurs de ces
phnomnes attendent encore des tudes approfondies pour analyser les lignes
diachroniques qui les lient aux sicles prcdents et au franais parl familier
moderne. Pour donner un exemple : Martineau/Mougeon (2003) attribuent les nombreuses attestations de lomission de ne dans le langage du Dauphin au facteur
langage enfantin . Mais vu que le nombre domissions du ne augmente nettement
avec lge du Dauphin (Dufter/Stark 2007, 123), cette thse est peu probable et
lautorit du Journal dHroard sur ce point prime sur celle de loralit fictive des
textes littraires du XVIIe sicle.

3.3.2 Textes didactiques


Dans la recherche des traces du franais parl autrefois on a pens aux textes
didactiques, qui au Moyen ge et jusquau XVIIe sicle avaient souvent la forme de
dialogues modles. Mais le modle enseign correspond rarement la ralit dans
le pass comme aujourdhui. Les auteurs de ces textes nont pas intrt enseigner les

90

Gerhard Ernst

hsitations, les rptitions inutiles , les marqueurs du discours, les phnomnes


existant dans la ralit concrte mais considrs comme incorrects ; manquent les
phnomnes non verbaux, les mimiques, les dialogues se droulent en gnral dune
faon plus linaire et plus monothmatique quen ralit (Radtke 1994, 2830 ; Kristol
1992, 49s.). En tenant compte de ces restrictions, de tels textes offrent malgr tout des
matriaux pour notre connaissance des varits de limmdiat situationnel (avec
transposition du parl dans le mdia crit). Certains de ces dialogues offrent mme le
choix entre plusieurs possibilits de sexprimer. Kristol (1992), en analysant les
manires de langage des XIVe et XVe sicles, souligne entre autres la richesse des
formes allocutives, diffrentes entre elles selon la position sociale des partenaires du
dialogue, mme si leur emploi trs frquent semble plutt artificiel et scolaire
(52).
La mode des textes didactiques sous forme de dialogue se prolongea au moins
jusquau XVIIIe sicle. Radtke (1994), dans son tude des manuels de franais des
XVIIe et XVIIIe sicles, analyse entre autres les formules dadresse, la macrostructure
(ouverture et fin) ainsi que les microstructures (les particules du dialogue) de ces
dialogues en les comparant la situation du franais parl moderne. Pour le systme
des allocutifs il note le remplacement dun systme bas sur les hirarchies sociales
par des salutations sur la base du degr dintimit ; parmi les particules du discours,
celles qui servent confirmer la certitude de ce qui est dit (certes, certainement,
vraiment) connaissent un fort dclin. Radtke en arrive la conclusion : Zwar verkrpern die sprachlichen Vernderungen keinen radikalen Bruch im Gesprchsverhalten, aber vom 17. zum 20. Jahrhundert sprechen einige wichtige Anzeichen fr einen
regen Wandel in der Gesprchskonstitution (Les modifications linguistiques ne
reprsentent certes pas une rupture radicale dans lattitude conversationnelle, mais
du XVIIe au XXe sicle, quelques indices importants tmoignent dun net changement
dans la constitution de la conversation, Radtke 1994, 343).

3.3.3 Les varits de limmdiat dans la littrature


Dans quelle mesure la littrature, que ce soit le thtre ou la prose narrative, peut-elle
contribuer notre connaissance de varits du pass, notamment celles de limmdiat ? Il convient de songer tout dabord des genres littraires dans lesquels la
caractrisation linguistique joue un rle : la comdie plutt que la tragdie et, dans la
prose narrative, surtout la littrature bouffonne et satirique. Mais leur valeur documentaire, leur authenticit est discutable. Mme les auteurs de comdies ou de
littrature narrative bouffonne ou satirique nont pas lintention de reflter fidlement
la plate ralit linguistique et autre. Il sagit, en gnral, de textes planifis, crits par
des personnes qui appartiennent un milieu cultiv et qui ncrivent pas pour le bas
peuple. Pour ne nommer quun exemple des plus connus : la caricature de la langue
des paysans et de celle des mdecins dans les comdies de Molire nest pas un reflet

91

La diachronie dans la linguistique variationnelle du franais

raliste des varits dialectales dans les environs de Paris ou de la varit langue
des mdecins dans la communication avec un patient . Et la langue des personnes
qui agissent dans les mazarinades du XVIIe sicle ou dans les sarcelades et dans le
genre poissard du XVIIIe sicle ne reflte pas vraiment le franais parl par le bas
peuple parisien de lpoque. Les auteurs, dans leur utilisation dune varit linguistique non-standard des fins littraires, se servent principalement de deux procds :
ils choisissent parmi les traits de cette varit ceux quils considrent comme saillants et ils en font un usage exagr (cf. avec plus de dtails Thun 2005). Cest ainsi
que Lodge (2004, 137140) a trouv dans lEpistre du biau fys de Pazy, caricature en
185 vers du style de vie et de la langue dun jeune couple bourgeois de Paris, 74
occurrences de la confusion entre [r] et [z], frquence sans aucun doute exagre.
Lhistorien variationniste de la langue trouvera tout de mme de la matire pour ses
recherches, comme la dmontr Lodge plusieurs reprises : il voit dans de tels textes
le reflet de la conscience linguistique de lpoque (cf. Lodge 1995 ; 2004 ; 2007 ; 2009,
214). Les tableaux donns par Lodge dans ces recherches (surtout Lodge 2004, 187)
font voir quels sont les traits saillants qui caractrisent, dans la perspective des
auteurs et de leur public, une varit de limmdiat marque comme basse dun
point de vue social ; ils donnent de plus la possibilit de conjecturer la ralit
linguistique orale par le biais du travestissement caricatural crit.
Dans une autre perspective, Kristol (2009a) souligne lutilit de certains textes
littraires qui attestent des situations de plurilinguisme (concurrence de deux langues
ou de deux varits dune langue) : la valeur identificatrice attribue au franais et au
dialecte local dans un texte de DAubign (1619) comme dans un roman de 1900, le
caractre non-ridicule de lcolier limousin (dans le Pantagruel de Rabelais) ds lors
qu il parle son idiome natal, lintercomprhension entre les diffrentes varits
diatopiques et diastratiques dans les comdies de Molire, la non-comprhension par
des lecteurs de passages en dialecte dans un roman neuchtelois de 1882. Loptique
de Kristol comme celle de Lodge se rapprochent ainsi de la linguistique variationnelle
perceptive (perzeptive Variettenlinguistik) prne par Krefeld/Pustka (2010).

3.3.4 Le franais hors dEurope


Mme si nous renonons ici illustrer lhistoire des varits de franais doutre-mer, il
faut mentionner le rle de ces varits dans la reconstruction du franais parl
(varits de limmdiat) du temps de la colonisation. Leur tmoignage peut complter
les donnes dautres types de sources : la raret de on nous dans le Journal
dHroard, Hunnius (2002, 20s.) oppose la normalit de ce phnomne dans le
franais du Canada, qui continuerait la situation du franais hexagonal parl du
XVIIe sicle, soutenant ainsi lopinion de Prmann-Zemper (1986, 109) qui, sur ce
point, interprte les donnes du Journal dHroard comme le rsultat de la situation
particulire du petit prince. Reste la question de savoir si un phnomne existant en

92

Gerhard Ernst

germe dans les premires annes du XVIIe sicle pouvait se dvelopper et se diffuser
paralllement en France comme dans le Nouveau Monde. Lexistence de je-ons pour
la premire personne du pluriel dans les dialectes acadiens de la Nouvelle-cosse est
l pour prouver que cette forme nest pas seulement une caricature de la varit
paysanne dans les comdies de Molire ou dans les mazarinades (Hunnius 2002, 21)
et que son absence dans un texte comme le Journal dHroard relve trs probablement de la dimension diastratique.
Certains parallles entre les croles base franaise ceux de lOcan Indien
comme ceux des Carabes pourraient galement contribuer notre connaissance du
franais parl de limmdiat au moment de la colonisation (cf. Ernst 1980, 11 ; Stein
1987).

3.3.5 Textes mtalinguistiques


Lhistoire des textes mtalinguistiques grammaires, dictionnaires et autres ouvrages
de caractre prescriptif qui compltent dune manire non systmatique les observations normatives des grammairiens nous renseigne sur la formation et le dveloppement du standard littraire. Celui-ci trouve sa place comme les autres varits dans
larchitecture variationnelle dune langue (cf. la discussion dans Krefeld 2011). Mais le
standard a un rle particulier, celui de varit de rfrence. Les autres varits se
dfinissent par rapport celle-ci et, dans la majorit des tudes, elles sont dcrites
sous laspect diffrentiel. Comme le standard est souvent considr comme la normalit , constituant la base des tudes sur les autres varits, les recherches sur sa
formation ne se font pas, en gnral, sous lenseigne de la linguistique variationnelle
(historique) et cest pourquoi nous renvoyons, pour lhistoire de la varit standard,
aux articles 1 Le franais dans lhistoire : depuis ses origines jusquau XVIe sicle ;
2 Le franais dans lhistoire : du XVIIe sicle nos jours. Mais il ne faut pas oublier
que justement, les tudes portant sur le standard et son dveloppement contiennent
aussi des informations sur ce qui nest pas le standard, sur ce qui est refus comme
incorrect, dialectal, trop familier ou populaire, archaque, sur ce qui est permis loral
(de limmdiat communicatif), mais non lcrit.
Pour la diachronie du genre textuel Remarques et observations sur la langue
franaise , textes gnralement normatifs, qui discutent les normes des diffrents
secteurs de la langue en critiquant les ventuelles dviations, cf. Ayres-Bennett/
Seijido 2011 (surtout pour les XVIIe et XVIIIe sicles). Dans cette tude on a renonc
inclure les publications du type Les provincialismes corrigs , qui taient la mode
dans la deuxime moiti du XVIIIe et au cours du XIXe sicle. La tradition des
observations de ce type a t continue au XXe sicle par les chroniques de langage
des journaux et des priodiques littraires (10 Linguistique populaire et chroniques
de langage : les franais rgionaux et les langues des minorits) o lon distingue
souvent ce quil faut dire (ou crire) de ce quil ne faut pas dire (tendance normative)

93

La diachronie dans la linguistique variationnelle du franais

ou de ce qui se dit gnralement (tendance descriptive). On prsume que le dclin des


chroniques de ce type est d au dclin de toute autorit, mme langagire (AyresBennett/Seijido 2011, 266, qui citent Charles Muller), ce qui revient dire que lautorit de la varit standard littraire a diminu de beaucoup.

3.3.6 Textes de limmdiat priv


Parmi les types de sources, qui refltent lcrit les varits de limmdiat (ralises,
en gnral, dans le mdia oral), les textes privs manuscrits ont une importance
particulire. Ici entre en jeu le facteur social : les membres des couches suprieures
de la socit, qui ont connu une formation scolaire solide (avec des diffrences
individuelles et les dficits bien connus dans la formation scolaire des filles) ont un
contact troit avec lcriture, ils connaissent le standard de leur temps. Mais le
caractre priv de ces textes (lettres prives, livres de raison, journaux de famille
etc.) leur permet un certain laisser-aller, ils se sentent moins lis aux normes
cause du caractre plus immdiat , plus intime de la situation communicative. Ils
descendent, pour ainsi dire, dun niveau linguistique haut vers le bas, la langue de
leurs textes peut ainsi se rapprocher du franais familier, se dplacer vers le ct
gauche de la fig. 1.
Les auteurs provenant des couches socialement dfavorises de la socit savent
crire, ce qui, au moins jusqu lintroduction de lcole gratuite et obligatoire (1881/
1882), les lve au-dessus de la moyenne de la population, mais leur formation
scolaire a bien des lacunes. Ils ont dun ct une pratique limite de lcriture et de
lautre, un respect particulier vis--vis de lacte dcrire, li la vague conscience de
lexistence dun standard, quils ne connaissent que partiellement et duquel ils
sapprochent par le bas sans latteindre parfaitement. Mme pour ce dernier point, il
ne faut pas trop gnraliser. Cest ainsi quun Mntra, vitrier parisien de la deuxime
partie du XVIIIe sicle, affect par les ides rvolutionnaires, tout fait sr de lui et
des valeurs de sa classe, prend dlibrment avec le standard linguistique de la bonne
socit des liberts, auxquelles un Chavatte, honnte ouvrier textile lillois de la
deuxime moiti du XVIIe sicle ou les auteurs dun livre de famille issus dun milieu
paysan du XVIIIe nauraient jamais song (Ernst 2010). Lattitude de Mntra peut tre
rapproche de celle des jeunes (venant trs souvent des couches sociales infrieures)
qui produisent dans les chat-rooms dInternet (milieu informel malgr le caractre
publique du net) des textes o la langue standard du XXIe sicle est dlibrment
nglige et violente.
Si nous disposons de peu de textes des peu-lettrs des sicles passs, cela est d
deux facteurs principaux. Premirement, ces auteurs ont peu doccasions dcrire : on
trouve des lettres de soldats envoyes la famille ou (plus rarement) aux autorits, ou
des lettres changes entre les migrs et leur famille reste dans le village natal ;
part ces lettres, les textes en question sont des livres de raison, livres de famille, de

94

Gerhard Ernst

rares journaux intimes, des autobiographies, des chroniques des vnements locaux
auxquels les auteurs ont assist. Deuximement, un texte crit par un cordonnier ou
par un paysan ordinaire sera rarement considr comme digne dtre conserv
travers les sicles, au contraire des textes produits par des personnes de la bonne
socit, mme si lorigine ces derniers textes, privs, ntaient pas destins la
publication.
Lintrt des linguistes pour lhistoire des varits de limmdiat et leur espoir de
trouver des traces de loral dans ces textes crits ont conduit toute une srie
dditions avec ou sans commentaire linguistique. Avec leur dition du livre de
raison dun meunier qubcois Juneau/Poirier (1973) ont initi une ligne de travaux
ditoriaux consacrs aux textes de personnes disposant dune formation scolaire
limite. Dans Amelang (1998) on trouvera des indications bibliographiques intressantes de ce point de vue ; il faut pourtant choisir parmi les auteurs de diffrentes
origines sociales et les ditions plus ou moins fiables dun point de vue linguistique.
On y ajoutera au moins Fillon (1982), Ernst/Wolf (2005) et les banques de donnes
diriges lUniversit dOttawa par France Martineau, partiellement accessibles. Un
spcimen des textes dont disposent ces banques de donnes est publi dans Martineau/Bnteau (2010). Pour le Canada, 20 Le franais dans le monde : Canada.
Pour les correspondances prives cf. Lodge (2013 ; correspondance prive du XVIe
sicle), Branca-Rosoff/Schneider (1994 ; priode rvolutionnaire), Schlindwein
(2003 ; lettres changes entre les soldats de la Rpublique de Mayence et leurs
familles, 17921813) ; on notera galement le projet prsent dans Steuckardt (2013 ;
le franais des lettres de soldats peu-lettrs, 19141918). Le Corpus de franais
familier ancien, entrepris dans le cadre du Laboratoire de franais familier ancien de
lUniversit dOttawa, contient un recueil de 5000 lettres, crites du XVIIe au XXe sicle ; malheureusement, ce corpus nest accessible que directement au laboratoire.
Pour des informations ultrieures, cf. Martineau (2010).
lintrt des linguistes variationnistes sajoute la ligne de recherche des sociologues qui fouillent les archives la recherche des documents de la vie prive du pass :
livres de famille, livres de raison, correspondances prives (cf. Cassan/Bardet/Ruggiu
2007 ; Bardet/Arnoul/Ruggiu 2010). On espre voir sortir de ces travaux des ditions
qui respectent la forme linguistique du manuscrit.
Quels sont les rsultats pour lhistoire de la langue, conue comme diasystme, que lon peut attendre de ces ditions de textes ? En aucun cas une histoire
de la langue de limmdiat. Chaque auteur a sa propre faon de rsoudre les
problmes existant linterface varits de limmdiat / ralisation dans le mdia
crit . Les diffrences dans le degr de formation scolaire et dans la matrise de
lcrit, le degr diffrent du respect pour le mdia crit, les divers types de textes
et dintentions communicatives (chroniques de la ville natale, autobiographies,
livres de famille, notes personnelles, lettres prives) tout cela rend impossible
une gnralisation par simple addition des phnomnes observs. Cette restriction
nexclut pourtant pas la possibilit de suivre isolment lhistoire de certaines

95

La diachronie dans la linguistique variationnelle du franais

variables en tirant, avec prudence, des conclusions de plusieurs textes, mme de


caractre diffrent.
Si lon traite dans les paragraphes suivants le systme graphique, il importe de ne
pas confondre code et conception. Tout comme la prononciation, la syntaxe, le lexique
et la pragmatique sont soumis la variation entre immdiat et distance, la graphie
aussi connat des dviations par rapport au standard, dues lignorance ou la
ngligence de la norme de la part des auteurs. Cela vaut pour les traits laissant
transparatre une prononciation dviante (diaphasique ou diatopique) vis--vis du
standard comme pour ceux qui ne concernent que la graphie.
Parmi ces derniers, il y a dabord les amalgames graphiques de deux ou plusieurs
mots (causs par labsence de lapostrophe ou non), quon trouve galement dans les
manuscrits dauteurs renomms des XVIIe et XVIIIe sicles (Seguin 1998 ; Pellat 1998).
Entre le XVIe et le XVIIIe sicle lusage de lapostrophe et la sparation correcte des
mots ne semblent pas faire des progrs en diachronie ; au contraire, dans le livre de
famille dune famille paysanne du Bourbonnais, texte qui stend du dbut du
XVIIe sicle jusqu la deuxime moiti du XVIIIe, cest curieusement le premier de la
famille qui met lapostrophe dune faon plus rgulire que ses fils et petit-fils (Ernst
2014, 171). Plus rarement, on trouve dans les textes des peu-lettrs des mots coups en
deux, phnomne qui est encore plus rare (ou qui fait dfaut) dans les manuscrits des
auteurs lettrs.
Dautres phnomnes graphiques non-standard qui ne sont pas lis au plan
phonique : a) la frquence des fausses lettres tymologiques (jesta jeta, hocquementer augmenter, hunis unis etc.), forme d hypercorrection, rsultant dun effort de
scripturalit ; b) les graphies qui ne suivent pas les normes des typographes, sans
transgresser les rgles des correspondances phonographiques (en/an ; in/ain ; on/om ;
au/o ; setait/ctait ; jans/gens ; proffond, etc.) ; c) des graphies qui ne tiennent pas
compte des rgles de position, sans faire prsumer une particularit de la prononciation (gans gens, ysu issu, scesait cessait, scocial social etc.) ; d) les hsitations
entre consonnes simples et doubles, non seulement l o cette distinction na pas
deffet sur la prononciation (consoller, nous somes, noffrage, etc.), mais aussi des
graphies qui, dans le systme phonographique standard, auraient des consquences
pour la prononciation (jeunnese, usses uss). Les phnomnes purement graphiques
se rarfient depuis lintroduction de lcole obligatoire (1881/1882), sans disparatre
compltement. Pour plus de dtails cf. Ernst 2014.
Dautres particularits de la graphie des textes privs, en refltant la prononciation des auteurs, nous livrent avec une densit variable dun auteur lautre des
traces de la prononciation familire et / ou dialectale du temps. Ainsi les picardismes
typiques quon trouve dans la Chronique de Chavatte : escapa chappa, carpentier
charpentier, gaune jaune, gardin jardin (Ernst/Wolf 2005, 1. Pierre-Ignace Chavatte). La rduction des groupes occlusive + liquide en fin de mot, aujourdhui
frquente dans le franais familier, est dj atteste un peu partout dans les textes de
ce type au cours des XVIIe et XVIIIe sicles : maiste matre, pouve pauvre, peupe

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Gerhard Ernst

peuple, artique article ct dhypercorrections du type hostre hte, romple


rompre, peupre peuple. Certaines graphies des XVIIe et XVIIIe sicles permettent de
voir que la restitution de consonnes finales na pas encore atteint la prononciation
familire : suit suif, ladvenis lavenir, naturer naturel(le), peut peur, estot estoc,
fugitix fugitif.
Dans le cas dautres phnomnes graphiques on peut difficilement dcider sil
sagit dun fait dialectal ou de la ngligence graphique dune distinction phonique
peu saillante comme la prsence ou labsence de la sonorit consonantique dans
diffrentes rgions de la France : poudre poutre, dans tant, ocmante augment,
bestiferes pestifrs etc. (tous les exemples sont pris dans Ernst/Wolf 2005).
Pour la syntaxe des textes non destins un grand public il est difficile ou
impossible de donner une description uniforme. En gnral, les auteurs sont conscients des exigences du mdia crit. Des effets perturbateurs viennent de deux cts :
des lments de la langue parle familire ayant chapp au contrle des auteurs
(voire introduits dune manire dlibre, comme dans le cas de Mntra), et leffort
de scripturalit qui comporte plusieurs types dhypercorrection.
ct de textes o domine la parataxe, on trouve des constructions trs labores
qui se terminent par diffrents types danacoluthes. Le dcumul du pronom relatif
(phnomne du franais parl familier) jouxte, dans un mme texte (du XVIIe sicle),
une prfrence prononce pour le pronom lequel (dun style trs lev) employ tort
et travers (Ernst 2014). Quant la cohsion dun texte, la redondance des pronoms
rfrentiels peut tre accompagne de passages ou la rfrence nest pas exprime par
des procds syntaxiques (Fournier 1998, 211 : approche mmorielle vs. approche
textuelle). Des recherches plus dtailles devraient clairer le statut variationnel et
lhistoire des superpositions de deux constructions : un verbe dtermin coordonn
avec un infinitif : [un jeune homme fut puni] pour ce qu avoit desrobes des briques et
les revendre a dautres (Ernst/Wolf 2005, Chavatte 252r). Des constructions similaires
se trouvent dans les textes des peu-lettrs jusque dans le XXe (ou XXIe) sicle (BrancaRosoff 2013).
Des recherches ultrieures pourront dterminer, dans quelle mesure les traits qui
caractrisent les textes des peu-lettrs correspondent des tendances rpandues dans
la communaut des peu-lettrs dune priode, dune langue entire ou, peut-tre,
mme de plusieurs langues ou sil sagit dans chaque cas de traits individuels, de
fautes idiosyncratiques.

4 Varits et changement linguistique


Le diasystme des varits est soumis aux changements diachroniques dau moins
trois faons :
changements lintrieur dune varit ;
passage dune variante dune varit lautre ou diffusion plusieurs varits ;

97

La diachronie dans la linguistique variationnelle du franais

changements dans les relations entre les varits : naissance ou disparition dune
varit, fusion de deux ou plusieurs varits.

On distingue, en gnral, entre la gense dune innovation et sa diffusion. La gense


est conditionne par les exigences dune situation communicative : le besoin de
clart, lemphase, laffectivit ou lexpressivit. Stefenelli (1992) discute ces facteurs
pour lhistoire du latin parl : dans une situation affective on usait (et quelquun aura
us pour la premire fois), dans une intention rhtorique, des verbes plorare hurler,
comedere liquider le repas, manducare bouffer, manger en faisant du bruit, dune
manire vulgaire pour donner ses propos une emphase qui ntait pas garantie par
les verbes jusqualors usuels flere et edere. Plus tard, mais encore en latin parl
informel, ce procd se banalisa, suite son usage trs frquent, les mots concerns
perdant les nuances affectives et expressives et dpassant ainsi les frontires entre les
varits de limmdiat et de la distance : esp. comer, fr. manger, pleurer trouvent leur
place dans toutes les varits franaises (et espagnoles). Ces processus peuvent se
rpter pour les mmes concepts et cest ainsi que dans le franais informel, familier
daujourdhui, manger est concurrenc (pour des raisons semblables) par bouffer.
Pour les innovations syntaxiques Koch prend lexemple des temps du pass : Le
Journal dHroard montre clairement quau dbut du XVIIe sicle le pass simple et le
pass compos taient encore bien distincts dans leur fonctions, mme dans le
discours oral, dans les varits de limmdiat : le pass simple pour raconter dune
faon neutre les vnements du pass (je me coupi laute jou au doi dan la [sic] jadin
jy mi de la tere je fu jncontinen guery, Ernst 1985, 81), le pass compos pour les
explications et les commentaires (je veu equire ma petite oraison pou la donn a
messire Rober j [il] me la demande, Ernst 1985, 490). De cette faon, le pass
compos, plus subjectif, plus li lego hic nunc de la communication pouvait
servir veiller et maintenir lintrt de lauditeur. Plus tard ce procd dune
rhtorique du quotidien se banalisa et le pass compos put devenir le seul temps du
pass des varits de limmdiat, tendant mme se rpandre dans certaines zones de
la communication de la distance (Koch 2002, 5, 11).
Des changements (lexicaux) lintrieur dune varit sannoncent par des changements frquentiels dans le temps. Cest lide que suit Klden (1987) sur la base de
Brunet (1981) pour la Schriftsprache, la langue des textes crits, documente dans le
TLF. On relvera parmi ses rsultats la prfrence toujours croissante (depuis 1789)
donne dans les textes crits aux variantes lexicales considres comme sprechsprachlich parles au dtriment des variantes propres un standard de la distance
(Klden 1987, 405).
La question de savoir dans quelles varits ( parl (immdiat) vs. crit (de la
distance) ) les innovations apparaissent prioritairement et dans quelle direction elles
se diffusent a jou un grand rle dans la linguistique romane. Elle a t pose par des
discussions propos du franais dit avanc (terme et concept crs par Frei 1929)
et sest poursuivie par la controverse allemande portant sur lge du franais

98

Gerhard Ernst

parl (cf. Hunnius 2008, 2425s. ; Koch/Oesterreicher 22011, 148). Dans ce dernier cas,
la terminologie est dj discutable : le franais parl commence avec la naissance du
franais tout court. Et si lobservateur daujourdhui ne voit pas de clivage entre les
domaines de limmdiat et de la distance jusquau XVIIe sicle (Koch/Oesterreicher
22011, 149), ceci est trs probablement d au manque de documents textuels et non
labsence de varits de limmdiat (parl). Mais le point essentiel est plutt de savoir
si certains phnomnes du franais parl moderne sont des innovations rcentes ou
sils existent depuis longtemps. La rponse sera nuance : la recherche linguistique
de ces dernires dcennies a russi montrer dun ct la continuit, la stabilit de
plusieurs phnomnes du parl qui taient jusque l souvent considrs comme
innovations rcentes, destines faire partie du franais standard du futur. Le sjour
plurisculaire de ces traits dans la salle dattente de lhistoire (compartiment varits de limmdiat oral ) ne semble pas favoriser leur prompte expansion dans le
standard. Dautre part, ce standard, on le sait, se montre en gnral relativement
hostile aux innovations, et ce pour des raisons tenant aux fonctions de base de la
communication de la distance spatiale et temporelle, qui exige une certaine stabilit
des moyens linguistiques (Koch/Oesterreicher 22011, 18). Mais le milieu socio-culturel
varie aussi dans le temps et le prestige du franais standard nest plus le mme
aujourdhui que du XVIIe au XIXe sicle. En consquence, certains traits du franais
parl sont de plus en plus accepts dans le standard daujourdhui. Ils pourraient
ainsi supplanter, dans quelques types de discours du domaine de la distance, les
variantes qui taient jusqu rcemment considres comme les seules correctes : le
dclin de certains types de liaison (r, k, p) qui ne sont maintenus que dans le
franais cultiv , varit trs proche du ple de la distance (Muller 1985, 229) ; on au
lieu de nous dans la Umgangssprache der Gebildeten (langue familire des lettrs) (Koch 2002, 9) ; le pass compos ayant repris les fonctions du pass simple
dans la tradition discursive des hot news de la presse crite (Koch 2002, 11).

5 Histoire de larchitecture du diasystme franais


La langue franaise est ne et sest dveloppe comme langue parle dans les
situations de la communication immdiate sur la base du latin parl. Le latin, comme
toutes les langues historiques, tait constitu en diasystme, avec des varits diatopiques, diastratiques, des varits (crites) de la distance et des varits (orales) de
limmdiat. Vers la fin de lantiquit le clivage entre oralit (de limmdiat) et criture
(de la distance) augmenta, allant jusqu menacer, voire entraver lintercomprhension verticale (cest--dire, la comprhension des varits de la distance, mme dans
le mdia oral, de la part des illettrs). Avec la rforme carolingienne du latin (autour
de 800), qui comprenait non seulement la rforme purement mdiale de la prononciation la lecture, mais aussi une puration conceptionnelle du domaine de la
distance de certains lments relevant du langage de limmdiat (Koch/Oesterrei

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La diachronie dans la linguistique variationnelle du franais

cher 2008, 2579), la scission entre latin et langue vernaculaire devint dfinitive. Mais
ce qui sopposait au latin, langue de tous les types de discours crits, ce ntait pas
encore le franais : ctaient des idiomes issus directement des varits locales du
latin parl. Par la suite, ces idiomes pntrrent progressivement dans des types de
discours (dans la romanistique allemande on parle de Diskurstraditionen ; cf. FrankJob 2005) du domaine crit, rservs jusqualors au latin. Ce processus, dont la
prsentation dtaille dpasserait le cadre de cet article, eut ds le Moyen ge des
consquences essentielles :
a) au sein des varits des changements structurels, ncessaires pour faire face aux
exigences des nouveaux types de discours ; dans ce cadre on ne peut pas ignorer
le rle des traductions partir du latin (cf. Albrecht 2006) et la relatinisation dont
leffet se fait sentir surtout dans la graphie, le lexique et la syntaxe ;
b) la formation dun diasystme, de larchitecture variationnelle dune langue historique, le franais ;
c) une konisation des varits diatopiques et la standardisation subsquente
dune langue commune, dans lintrt de lintercomprhension sur un vaste
territoire. La discussion sur la nature de la konisation est encore ouverte :
mlange de dialectes comme consquence dune forte immigration dans le Paris
mdival (Lodge 2004, 3779 ; 2011), ou dlocalisation sur la base dune communication crite supralocale (dernirement Videsott 2013, 3538). Grbl (2011)
plaide avec de bons arguments pour une prise en considration impartiale des
deux aspects.

Depuis le dbut du XVIe sicle, la langue nationale, son architecture variationnelle et


la varit exemplaire de la communication de distance ont fait lobjet de discussions
de la part des intellectuels, avec lingrence des autorits tatiques et semi-tatiques.
Ces discussions portrent dabord sur la codification dune norme prescriptive (XVIIe
XVIIIe sicles), puis sur son acceptation (XIXeXXe sicles) comme modle linguistique de la distance par lensemble de la population. Elles pouvaient se baser sur une
varit dj slectionne (au moins du point de vue diatopique : Paris), dans laquelle
avaient t labors de nombreux types de discours (XIVeXVIe sicles) (Lodge 2011,
66, qui se sert de la terminologie de Haugen ; pour plus de dtails 1 Le franais dans
lhistoire : depuis ses origines jusquau XVIe sicle ; 2 Le franais dans lhistoire : du
XVIIe sicle nos jours). Mais il ne faut pas oublier que ces discussions et leurs
rsultats ne concernent quune partie de lhistoire du franais, vrai dire, une seule
varit : celle du standard exemplaire des situations communicatives de la distance.
Est-il possible, sur la base de la situation actuelle, de faire des prvisions, pour
lavenir de larchitecture du franais, et spcialement pour les futurs rapports entre
varits de limmdiat et varits de la distance ? On observe aujourdhui des tendances contradictoires. Laccs de plus en plus facile linformation pour lensemble de
la population depuis le XXe sicle, ainsi que le haut niveau de formation scolaire
favorisent un certain nivellement, proche du ple de la distance, des varits de la

100

Gerhard Ernst

langue. Mais dautre part, les nouveaux moyens de communication produisent de


nouveaux types de discours qui ont leurs propres varits linguistiques. La spcialisation professionnelle comporte dun ct un largissement de larchitecture variationnelle ; mais elle exerce aussi une certaine influence sur les autres varits (crites et
mme parles) par la banalisation dune terminologie spcialise ( 3.2.3.1). Enfin, la
varit standard ne jouit plus de la mme autorit que dans la premire moiti du
XXe sicle : de vastes secteurs des varits de limmdiat (prononciation, phnomnes
de syntaxe, lexique familier) ont obtenu droit de cit dans le langage public. Tout
cela semble contribuer la densification dun rseau fait dun nombre croissant de
varits qui sinterpntrent, procdant tendanciellement une homognisation
de larchitecture variationnelle.

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Hlne Carles et Martin Glessgen

4 La philologie linguistique et ditoriale


Abstract : La philologie comporte la critique textuelle ainsi que les analyses littraire
et linguistique des textes dits. Les objectifs et mthodologies de ces trois aspects de
la philologie sont distincts. Le prsent article met en relief le rle de la philologie
linguistique dans ltablissement du texte et dans sa description. Le traitement
linguistique des textes oliques mdivaux implique les paramtres de lespace, du
temps et des genres textuels (textes littraires religieux et profanes, textes dun savoir
spcialis, textes documentaires) ainsi que les diffrents alas de la production
textuelle. Ltablissement des textes peut faire appel diffrents types ddition, mais
repose toujours sur une analyse des divers domaines du langage (grapho-phontique,
morphologie, lexique, ventuellement syntaxe textuelle). La philologie linguistique
dispose dune mthodologie tablie et efficace, mais souffre dune faible prsence
dans lenseignement universitaire.

Keywords : philologie, ecdotique, genres textuels, lexicographie historique, variation


diasystmatique

1 Dfinition de la philologie (linguistique)


Le terme de philologie comprend au sens large, et initialement, lintgralit des
sciences littraires et linguistiques. Cest le sens des concepts allemand Romanische
Philologie et italien Filologia romanza. Dans le sens troit, actuellement plus rpandu, il se rfre la thorie et la pratique ditoriales qui comportent la critique
textuelle, mais galement des pans interprtatifs. Il existe une distinction de fait
entre une philologie littraire (plus intresse par les aspects de construction
littraire, de mise en forme textuelle, de stylistique ou de mtrique) et une philologie
linguistique (plus cible sur la description des systmes grapho-phontiques,
morphologiques et syntaxiques et sur les aspects lexicaux). Il est certain que la
pratique ditoriale gagne ne pas oprer de frontire tanche entre ces deux
philologies, mais il est aujourdhui patent que lon a affaire deux univers disciplinaires et mthodologiques distincts (cf. Wilhelm 2015, 1 qui dcrit en dtail les
diffrents aspects de ce clivage).
La philologie linguistique est, certes, pratique, mais elle na jamais t rige en
systme (citons p. ex. les travaux de F. Zufferey ou dA. Varvaro ou encore les rflexions de G. Contini qui sont la base du no-lachmannisme italien ; cf. Contini
2007, notamment 7597, La critica testuale come studio di strutture [1971]). Or, cest
seulement une fois admise la scission entre philologie littraire et linguistique quil
devient possible de dfinir le rle de la philologie linguistique autant dans ltablissement et la comprhension du texte que dans la dfinition de son ancrage spatio

La philologie linguistique et ditoriale

109

temporel. La philologie littraire a trop longtemps nglig les implications linguistiques ne serait-ce que du travail strictement ditorial. Les scientifiques littraires ont
une telle familiarit des textes quils en ont une connaissance presque intuitive. On
pourrait presque dire que, par tradition, ils ne peroivent pas laltrit du savoir
linguistique puisque la comprhension des textes mdivaux est dans leur discipline
un pralable sine qua non. Mettre en relief limportance de la linguistique pour la
philologie ditoriale et prciser les interactions entre lanalyse linguistique et ltablissement des textes, contient pourtant un potentiel notable pour la philologie des
prochaines annes.
Indpendamment de ses orientations plus spcifiques, la philologie ditoriale est
une science moins doctrinale que pratique : elle sexprime par la publication dditions de textes et par la rflexion sur les problmes qui lui sont inhrents bien plus
que par une rflexion abstraite et thorique. La complexit de la philologie sexplique
par la multitude des cas de figure concrets, par la diversit des disciplines impliques
(littrature, linguistique, histoire) et par les diffrentes finalits de chacune dentre
elles. Sajoute par ailleurs sa dimension internationale : la philologie dont la langue
dobjet est le franais est exerce notamment, en dehors des pays francophones, en
Italie, en Allemagne, aux Pays-Bas, dans les pays scandinaves et anglo-amricains
(cf. Duval 2006). Les nombreuses traditions nationales suivent partiellement des voies
diffrentes, gnrant ainsi une science pluricentrique . Labsence de mthodologie
commune a t souvent reproche la philologie, mais cette absence est intrinsque
la discipline ; la philologie consiste plus en un faisceau de rgles mthodologiques
quen une doctrine homogne.
La philologie ditoriale couvre naturellement toute la trajectoire diachronique du
franais, du IXe sicle jusquaujourdhui. Elle a toutefois connu un dveloppement
particulier pour le franais mdival en se concentrant par tradition non seulement
sur les textes pleins (cf. infra, 3.2), mais encore sur les textes littraires. Lextension et
la richesse de la production crite du franais mdival ne sauraient pourtant tre
rduites la seule expression littraire. Ds le Moyen ge, la complexit des traditions
textuelles sexprime avec une grande intensit (cf. infra, 3.3). Cette priode a par
consquent suscit les interrogations philologiques les plus pineuses, mme si la
Renaissance, les XVIIe et XVIIIe ou les XIXe et XXe sicles demeurent des champs
dtudes passionnants.

2 Orientation bibliographique
La diversit interne de la philologie explique limmensit de la bibliographie ayant
pour objet cette discipline. Ce constat vaut dj pour le seul domaine de la langue
dol mdivale trait ici. Les rpertoires disponibles sont assez complets pour la
littrature profane ; concernant les autres genres, ils fournissent des informations
plus partielles :

110

Hlne Carles et Martin Glessgen

le Grundri der romanischen Literaturen des Mittelalters (GRLMA 1968) donne le meilleur
aperu interprtatif pour les diffrents genres textuels de la littrature profane ainsi que
pour les sources historiographiques (vol. 11/111/3) ;

le Manuel bibliographique de la littrature franaise du Moyen ge de R. Bossuat et de ses


successeurs (19511986) est presque exhaustif jusquau milieu des annes 1980 ; il est
complt ensuite par la Bibliographie der franzsischen Literaturwissenschaft dO. Klapp et
de sa fille A. Klapp-Lehmann (1960) ;

les bibliographies des grands dictionnaires mdivaux intgrent galement dans une mesure significative la littrature religieuse et celle dun savoir spcialis (cf. infra, 3.4) ;

dautres genres trs spcifiques ont t traits par la Typologie des sources du Moyen ge
occidental de L. Gnicot (TypSources, 1972) ;

lInventaire systmatique (InvSyst, 1997) dcrit la quasi-totalit des manuscrits connus


antrieurs 1250, tous genres textuels confondus (complts, pour les textes documentaires, par la collection des DocLing, 1204ca 1300) ;

enfin, lInstitut de recherche et dhistoire des textes (IRHT) runit un nombre considrable
dinformations sur des manuscrits individuels et ses fichiers sont en voie de numrisation
(cf. <irht.cnrs.fr>).

Les ouvrages de type interprtatif sont lgion et ne pourront tre mentionns ici que
de manire trs ponctuelle. On se reportera notamment, pour de plus amples renvois
bibliographiques, au manuel ddi intgralement la Philologie de ldition dans la
collection des Manuals of Romance Linguistics (MRL 4, ed. D. Trotter), auquel nous
renvoyons de manire systmatique. De nombreux aspects de linguistique diachronique, sous-jacents la philologie linguistique, ont t traits par ailleurs dans la
Romanische Sprachgeschichte (RSG, 20032008, cf. art. 7, 103, 107, 116, 121, 128, 175,
181, 185, 187, 192, 197, 198).

3 Les objets dobservation


3.1 Lespace du franais crit mdival
Le franais mdival est mis lcrit au Bas Moyen ge dans pratiquement toutes les
rgions o il est galement parl. Lespace dialectal olique tel quil se prsente au
dbut du XXe sicle dans lALF permet une premire approche de cette distribution.
La tradition mdiviste distingue dans cet espace deux ensembles scriptologiques ,
lun plutt occidental, lautre plutt oriental : les rgions plutt occidentales
concernent la Normandie, Paris et lle-de-France, lOuest et la Bretagne romane, le
Centre (comprenant lAnjou, la Touraine et lOrlanais) et enfin le Sud-Ouest (Vende,
Saintonge et Poitou). Les rgions plutt (nord-)orientales sont le Nord et la Flandre

111

La philologie linguistique et ditoriale

franaise, la Picardie, la Wallonie, la Champagne, la Lorraine, la Franche-Comt, la


Bourgogne ainsi que le Bourbonnais (cf. Pfister 1993).
Les analyses dialectomtriques rcentes partir des deux atlas de Dees (1980 ;
1987) montrent toutefois un paysage scriptologique plus complexe (cf. Goebl 2012,
cartes 17s., 23s.) et plus en cohrence avec la nature linguistique des textes oliques.
Les textes mdivaux ne refltent pas les varits dialectales de loral, mais correspondent des varits rgionales semi-artificielles. Celles-ci slaborent jusquau XIVe sicle dans la logique dune codification pluricentrique avant de connatre une homognisation plus importante, entre autres sous limpact du modle parisien (cf. Glessgen
2012b ; 1 Le franais dans lhistoire : depuis ses origines jusquau XVIe sicle).
Quant lespace golinguistique concern, deux remarques complmentaires
simposent :

dune part, le Poitou na pas appartenu tout au long de son histoire lespace linguistique
olique. Initialement occitans, les parlers poitevins se sont orients de manire significative
vers le franais, aprs lan 1000 ou 1100 (Pignon 1960, 516) ;

le cas de Paris et de lle-de-France (qui nest plus dialectophone depuis au moins le


XVIIIe sicle) soulve dautres problmes : cet ensemble est souvent terminologis comme
francien , mais il nexiste pratiquement pas de texte vernaculaire de Paris avant le milieu
du XIIIe sicle. Cela sexplique notamment par le fait que la mgapole runissait un grand
nombre de personnes formes qui ont longtemps fait appel exclusivement la langue de
prestige qutait le latin (cf. Videsott 2013 ; Grbl 2013). Ainsi, Paris na pas pu jouer de rle
rel dans le paysage de lcrit olique avant ca 1300. Le terme francien ne recouvre donc
aucune ralit linguistique avant le XIVe sicle ; son utilisation pour lpoque postrieure
reste aussi sujette caution.

En dehors de ces rgions o le franais est la langue hrditaire, lcrit olique est
galement prsent, pour des raisons extralinguistiques, en territoire francoprovenal,
en Angleterre, dans lOrient latin et en Italie du Nord :

Le franais est quasiment exclusif lcrit dans lintgralit de lespace francoprovenal. Les
fonctions communicatives se rpartissent entre les dialectes francoprovenaux dune part
qui constituent la langue de communication quotidienne et une scripta franaise de type
sud-oriental, qui est importe en raison de son prestige sociolinguistique. Lcrit olique
a longtemps t la seule partie visible et il est difficile de dfinir prcisment quel fut
lespace linguistique francoprovenal lpoque mdivale. Des recherches philologiques
et toponymiques rcentes ont permis de prciser lextension du francoprovenal loral qui
sest avre bien plus large quaujourdhui (en partie la Franche-Comt, la Bourgogne y
inclus Cluny , la Suisse romande ainsi que la grande rgion autour de Lyon ; cf. Zufferey
2006 ; Chambon/Mller 2013 ; cf. aussi, pour le domaine aujourdhui almanique, Kristol
2002).

Limplantation du franais en Angleterre est essentiellement lie la conqute normande


(1066). Il sagissait alors dune langue parle parmi une lite militaire, politique et culturelle.
Sa prsence loral est trs minoritaire (environ 10.000 colons francophones cohabitent

112

Hlne Carles et Martin Glessgen

avec prs de 1,5 million dhabitants autochtones), mais elle est stable jusquau milieu du
XIIIe sicle et peut-tre au-del. lcrit, le franais occupe une place plus importante qu
loral et pendant plus longtemps, langlais ne devenant majoritaire qu partir de ca 1430. La
scripta franaise pratique en Angleterre est terminologise comme anglo-normand, mme
si une appellation neutre comme franais insulaire serait plus adquate tant donn la
diversit de la provenance rgionale des immigrants francophones (cf. Trotter 2012 ; 2013
[2014]).

En Orient latin, le franais est utilis comme langue acrolectale surtout aux XIIe et XIIIe sicles, notamment dans les tats Croiss (Royaume de Jrusalem, Principaut dAntioche,
Comt de Tripoli, 10991291) et, plus longtemps, dans le Royaume de Chypre (11971489). Si
le volume textuel produit en Orient est plus restreint quen Angleterre, il comporte nanmoins plusieurs centaines de textes appartenant des genres divers (cf. les rpertoires de
Minervini 2010, 142146 ; 2012, 99104).

La production textuelle olique de lItalie du Nord aux XIIIe et XIVe sicles reste en revanche
un phnomne trs ponctuel et sans correspondance loral. Les quelques dizaines de
textes exclusivement littraires, rdigs dans ce franais dItalie (mal terminologis
comme franco-italien ou franco-vnitien), correspondent une scripta olique donne (souvent de type nord-oriental) qui comporte de nombreux italianismes, surtout lexicaux et
grapho-phontiques (cf. le recensement jour de Holtus/Wunderli 2005 et la synthse
scriptologique de Capusso 2007).

3.2 La chronologie textuelle et linguistique


La priodisation du franais mdival rpond, dans une optique philologique, essentiellement aux conditions de sa production textuelle. Dans ce sens, on retiendra trois
moments-cl, communs aux diffrentes langues crites de lEurope mdivale :

(1)

dabord, lmergence des langues vernaculaires lcrit, en contexte latin ou sous forme de
micro-textes, partir de ca 800,

(2)

la production de textes vernaculaires pleins, partir de ca 1100,

(3)

enfin, la diffusion de limpression lettres mobiles transforme les conditions de la manuscript culture partir de ca 1500 (cette date se place entre linvention de Gutenberg en 1453
et la diffusion plus massive des livres imprims partir du milieu du XVIe sicle).

On distingue donc une poque prparatoire de lcrit franais mdival comprise


entre ca 800 et ca 1100 et une poque centrale comprise entre ca 1100 et ca 1500 qui
souvre enfin sur une poque moderne dont les constellations sloignent au fur et
mesure des paramtres mdivaux.

La philologie linguistique et ditoriale

113

3.2.1 Lpoque pr-textuelle


Les premiers lments romans font leur apparition lcrit aux alentours de 800. Cela
vaut pour le franais tout comme loccitan, litalien et les varits ibroromanes. Il
sagit de microtextes, souvent avec une forte charge pragmatique, mais il sagit
surtout dlments lexicaux, morphologiques voire infra-lexmatiques insrs en
contexte latin.
Entre les VIe et VIIIe sicles, priode de leur mergence loral, les langues
romanes nont pas laiss que trs peu de traces dans lcrit (cf. nanmoins les
lgendes montaires mrovingiennes, Chambon/Greub 2000). Llaboration de la
scripturalit dans les fragments vernaculaires est une consquence de la Rforme
carolingienne qui a entran une intensification de la culture de lcrit. La restauration
du latin normatif dpoque antique sest ainsi accompagne dune plus forte conscience linguistique ; le foss creus entre le latin et les langues vernaculaires devint
de plus en plus apparent (cf. le concile de Tours, 813). Pour pouvoir rpondre aux
besoins communicatifs dun monde dsormais romanophone, de nombreux lments
vernaculaires sont insrs avec un habillage graphmatique et morphologique plus
ou moins latinis.
Lintgration des lments romans concerne :

des lexmes souvent frquents loral (avec ou sans correspondant en latin crit de
lAntiquit) qui ont une charge pragmatique particulire dans les documents en question,

des toponymes dont lidentification dans les actes administratifs ou de la pratique juridique
tait indispensable et pour lesquels une latinisation aurait pu mettre en cause la bonne
comprhension et la validit des actes,

de manire plus restreinte, certaines marques morphologiques comme larticle dfini et


certains traits syntaxiques dans lordre des constituants.

Paralllement aux lments romans en contexte latin dont la nature et le rle nont t
dcrits que rcemment (cf. Chambon 1998 ; Carles 2011), apparaissent des microtextes, tudis quant eux trs en dtail par la philologie romane depuis prs dun sicle.
Citons les Serments de Strasbourg (en contexte latin, 842 (?), rdaction ventuellement
plus tardive, ms. fin Xe s.), dont la romanit est indissociable dune forte relatinisation. Ces prmices du franais lcrit ont souvent tromp le regard des chercheurs,
qui ont pu y voir lexpression dun protofranais alors que lon sait les langues
romanes dj pleinement formes cette poque. La comprhension du vernaculaire
fragmentaire doit tre replace dans un contexte de lcrit o le latin est omniprsent
et jouit dun prestige trs lev. Lmergence du franais la scripturalit ne pouvait
pas ne pas en tenir compte. Les mcanismes de latinisation sont la rponse la plus
habile des scribes linsertion progressive de la langue vhiculaire de loral. Un peu
plus tard, la Squence de Sainte Eulalie (texte et ms. fin du IXe sicle) tmoigne dune
plus grande autonomie du franais lcrit. Mais les tmoignages textuels oliques

114

Hlne Carles et Martin Glessgen

restent trs rares jusquau XIe sicle (cf. infra, 3.3.1/3.3.2 et InvSyst 1, 311, Table
chronologique).
Lmergence des langues romanes lpoque pr-textuelle concerne presque
exclusivement les genres textuels documentaires et, ponctuellement, la littrature
religieuse. Par ailleurs, la production littraire et scientifique reste attache la
langue classique (cf. Stotz 19962004).
Lpoque pr-textuelle est dune importance capitale pour apprhender la nature
des langues mdivales dans les premiers sicles de leur histoire et pour cerner la
lente laboration de leur systme graphmatique. Cette priode, longtemps mise
lcart par la linguistique historique, jette une lumire utile sur lmergence que lon a
longtemps cru soudaine des textes littraires romans pleins, comme la Chanson de
Roland vers 1100.

3.2.2 La langue mdivale lpoque textuelle


Lpoque textuelle est traditionnellement la seule considre par la philologie car
les scientifiques ont trop longtemps confondu la gense dune langue lcrit avec
sa gense loral. Lpoque des textes pleins souvre demble sur une riche production littraire reprsente entre autres par les romans en vers de Wace ou de
Chrtien de Troyes. La diffusion du papier au dtriment du parchemin comme
support de lcrit partir des XIIIe et XIVe sicles saccompagne ensuite dune forte
intensification de lcrit pour tous les genres textuels (cf. infra, 3.3). La prolifration
des copies de textes travers les sicles constitue dailleurs lune des plus grandes
difficults des diteurs modernes cerner de manire adquate la textualit mdivale (cf. infra, 4.1).
lintrieur de cette priode textuelle se place, en franais, le passage de lancien
au moyen franais que lon date de manire conventionnelle aux alentours de 1350.
Dun point de vue linguistique interne, cette progression est traditionnellement dfinie par labandon de la flexion deux cas (dont les manquements se relvent ds les
premiers tmoins crits) et par la fixation de lordre des constituants (SVO). La
chronologie et, encore plus, la ralit ontologique de ce changement linguistique
restent sujettes caution (cf. Baum 2003). Les volutions qui se manifestent au niveau
textuel entre le XIIIe et le XVe sicle sont toutefois considrables et tmoignent dune
oralit vernaculaire en perptuelle transformation.
Des problmes de priodisation se posent galement pour dterminer la fin de la
priode mdivale. La transformation des pratiques textuelles lies la diffusion des
livres imprims est une donne objective. Ce facteur externe se double toutefois de la
transformation interne quest le passage du moyen franais au franais moderne.
Nous ne reproduirons pas dans ce cadre toutes les tiquettes chronologiques appliques au franais (pr-classique, classique etc.) qui, dans une optique grapho-centrique, morcellent la langue sans tenir compte du caractre permanent de son volu

115

La philologie linguistique et ditoriale

tion. Concernant les paramtres lis au changement linguistique du franais cette


poque, nous retenons comme orientation gnrale ltude quantificatrice de notre
regrette amie Claire Vachon (2010) qui permet de placer entre ca 1480 et ca 1630 les
transformations internes constitutives de llaboration de la norme classique du
franais.
Les questions philologiques appliques lpoque moderne sont bien entendu
extrmement varies, autant concernant la gestion des textes manuscrits que celle des
textes imprims (cf. p. ex. Duval 2015 pour lpoque trop nglige du XVIIe sicle).
Enfin, la nouvelle rvolution mdiale de linformatique et de linternet, qui fait cho
la rvolution de Gutenberg, clt toujours en termes philologiques les cinq sicles
de la priode moderne comprise entre ca 1500 et ca 2000 pour souvrir sur une
nouvelle poque de lcrit du franais.
Ce simple aperu met en vidence que le traitement philologique des poques
pr-textuelle et textuelle fait appel des mthodologies diffrentes et quil ouvre
galement dautres perspectives, autant sur les textes que sur leurs contextes. Ici,
comme ailleurs, ce sont davantage les facteurs externes et non de linguistique
interne qui dterminent les approches philologiques.

3.3 Les genres textuels


Lcrit mdival sinscrit dans le cadre de genres textuels qui correspondent des
contextes communicatifs dfinis dont ils reprsentent une mise en forme emblmatique. La structure textuelle de ces genres et, partiellement, leur vocabulaire traversent les diffrentes langues, et leur catgorisation pour le franais est galement
valable pour les autres langues mdivales. De manire trs gnrale, il est possible
de distinguer cinq ensembles textuels qui sont, pour la plupart, fortement articuls
(cf. pour ce chapitre GRLMA ; InvSyst ; Glessgen 2012a, 422433).

3.3.1 Les sources forte charge pragmatique


Les sources forte charge pragmatique apparaissent comme les tout premiers tmoignages vernaculaires lcrit. Pour le franais, mentionnons le glossaire de Kassel
(VIIIe/IXe s.) et, de nouveau, les Serments de Strasbourg (842, ms. fin Xe s.). Ces
sources restent toutefois, lpoque pr-textuelle, trs restreintes en nombre et en
volume. Malgr leur transmission comme tmoins uniques, ces textes ou para-textes,
souvent fragmentaires et proches du latin, sont extrmement difficiles comprendre
et cerner dun point de vue linguistique. Les difficults dinterprtation et leur rle
de prcurseurs expliquent que ces tmoignages ont connu de nombreuses ditions et
des tudes trs minutieuses (on prendra pour exemple les 40 pages denses de Berschin/Berschin/Schmidt 1981 sur la Passion de Augsburg, longue dune ligne de

116

Hlne Carles et Martin Glessgen

manuscrit, et rinterprte par Hilty 1994 comme tant non pas du franais, mais de
loccitan).

3.3.2 La littrature religieuse


Les textes religieux apparaissent galement trs tt en franais, avec des textes
hagiographiques (Squence de Sainte Eulalie fin IXe s., Vie de saint Lger francooccitane Xe s., Vie de saint Alexis fin XIe s., Voyage de saint Brendan db. XIIe s.). La
littrature religieuse vernaculaire prend comme modle le latin et connat de nombreuses traductions, notamment de la Bible dont la transmission est souvent partielle
et ne devient intgrale qu partir de la fin du XIIIe s. On connat par ailleurs des textes
franais lis au culte (liturgie, sermons, prires), la spiritualit (thtre religieux,
traits moraux) ou la doctrine (rgles dordres religieux), alors que la discussion
thologique ou la littrature pamphltaire ne se dvelopperont qu partir du XVIe sicle en langue vernaculaire (cf. pour le genre des Nols, Rzeau 2013). Le volume
textuel de la littrature religieuse est relativement important, et celle-ci a servi de
modle aux dbuts de la littrature profane ; elle est toutefois bien moins tudie
lexception du thtre religieux et des traductions de la Bible (cf. Buridant 2015).

3.3.3 La littrature profane


La littrature profane se dveloppe en franais partir de ca 1100, avec les Chansons
de gestes (Chanson de Roland, Cycle de Guillaume), suivies de prs des romans en vers
et des Lais, puis des romans en prose (roman arthurien), de la littrature allgorique
et satirique ou des fabliaux. Les genres littraires se diversifient notablement par la
suite, surtout partir du XIVe sicle (les genres lyriques musicaux comme les ballades, rondeaux ou complaintes, les nouvelles, les dits et dbats, la littrature politique,
le thtre profane). La littrature profane franaise se fait forte, travers le Bas Moyen
ge, de plusieurs milliers duvres, souvent transmises par de nombreuses copies.
Mais notons que cest le seul ensemble textuel qui a connu depuis les deux derniers
sicles une attention constante et intense de la part des philologues et des linguistes.
Grce aux nombreuses ditions et tudes, souvent trs soignes, cet ensemble textuel
fournit les donnes les plus sres et les plus immdiatement accessibles au chercheur.
Par consquent, la littrature profane est non seulement surreprsente en philologie
ditoriale mais aussi dans les tudes sur lvolution du franais.

La philologie linguistique et ditoriale

117

3.3.4 Les textes dun savoir labor ou pratique


Les textes dun savoir labor runissent des domaines de connaissances trs divers,
mais qui ont en commun une tradition sculaire, dans laquelle les facteurs dimitation
et de variation se rpondent. La tradition la plus dense concerne les textes mdicobiologiques (chirurgie, art dentaire, traits de cautrisation ; pharmacope, herbiers ;
hippiatrie et mdecine des rapaces), souvent dascendance lointaine arabe et grecque.
Les textes mathmatiques et astronomiques/astrologiques sont moins nombreux, de
mme que les traits juridiques ou rhtoriques, plus souvent circonscrits la langue
latine. En revanche, les genres historiographiques (chroniques, annales) connaissent
un certain dveloppement en franais. La plupart de ces traditions textuelles apparaissent au XIIe sicle, mais se dveloppent surtout aux XIVe et XVe sicles.
Les textes dun savoir pratique, ou pour employer une formulation paradoxale
dun savoir non livresque (D. Trotter) concernent une srie de petits genres de
faible tradition textuelle et souvent sans antcdents latins (traits dagriculture, de
chasse, darpentage, de cuisine, de peinture, cartes gographiques, collections de
proverbes).
Dans lensemble, cette multitude de textes, riche en variation lexicale plus quen
diversit syntaxique, na t que partiellement prise en considration par la recherche
philologique.

3.3.5 Les textes documentaires


Lensemble textuel de loin le plus grand est celui des textes documentaires manant
de la gestion, de la pratique judiciaire ou de ladministration. Les premiers actes en
franais apparaissent vers 1200 (Douai, 1204) aprs quelques rares antcdents
anglo-normands (Trotter 2015, 4.3) , mais lutilisation de la langue vernaculaire au
dtriment du latin sacclre considrablement partir de 1300. La pratique judiciaire
produit de nombreux actes (consignant surtout des ventes et des donations pieuses,
des accords et des arbitrages), la gestion foncire et le commerce engendrent des
relevs et listes, des livres de comptes ou encore des lettres. La diversit syntaxique et
lexicale de lcrit documentaire est considrable et largement sous-exploite allant
bien au-del des lments de strotypie, trop souvent retenus comme significatifs de
ces genres.

3.4 Les alas de la production textuelle


Si la chronologie des diffrents ensembles textuels nest pas identique, cela vaut
galement pour leur distribution golinguistique. Selon les poques et les rgions, la
densit et la diversit des genres peuvent varier. LAngleterre et la Picardie, proche

118

Hlne Carles et Martin Glessgen

des riches villes commerantes de la Flandre, sont prcoces dans la production


vernaculaire tandis que la Bourgogne avec sa forte tradition monastique ou encore
Paris, centre drudition par excellence, restent fidles au latin jusquau milieu du
XIIIe sicle.
Le volume global des textes peut tre valu assez prcisment pour la littrature
profane. Le Complment bibliographique du DEAF runit ca 6.000 titres, la bibliographie du DMF ca 1.600, celle de lAND ca 1.000 (chiffres qui comprennent des textes
voire mme des recueils de documents volumineux, mais aussi des textes trs courts).
Ces entres se recoupent partiellement et leur nombre est suprieur celui des textes
ou recueils ( cause des diffrentes ditions dune uvre donne), mais bien infrieur
celui des manuscrits (pour la plupart regroups sous une seule entre). La grande
majorit des textes runis par ces bibliographies exemplaires concerne la littrature
profane et dans une moindre mesure la littrature religieuse ou les textes dun savoir
labor ou pratique ; les textes documentaires, en revanche, sont rares.
Il faudra sans doute supposer un ensemble de 2.000 3.000 textes littraires
profanes franais crits travers quatre sicles entre ca 1.100 et ca 1.500. Lon peut
galement supposer que la quasi-totalit des textes littraires conservs aujourdhui a
t rpertorie dans les bibliothques du monde et que presque tous ont fait lobjet
dune dition, plus ou moins satisfaisante. Une valuation chiffre de la littrature
religieuse ou des textes dun savoir labor ou pratique est plus incertaine. Ces textes
nont pas encore tous t identifis et leur stade ddition reste trs partiel. Ces
ensembles dpassent certainement la littrature profane, mais par un facteur sans
doute infrieur dix. La grande inconnue de la linguistique historique reste lcrit
documentaire dont le volume textuel est suprieur plusieurs milliers de fois tous les
autres genres confondus, mais dont le nombre de textes dits et analyss est trs
largement infrieur celui des seuls textes littraires. Cest donc l que le plus de
dcouvertes reste faire, mme si ce domaine reste en dehors des proccupations de
la philologie littraire.
Ltude des genres mdivaux doit prendre en considration, tout moment, le
modle latin. Ce dernier est omniprsent pour les professionnels de lcrit mdival,
presque tous bilingues et certainement conscients des diffrences autant sociolinguistiques quinternes entre le code latin et le code franais. Entre le dbut du XIIe et le
XVIe sicle, le franais crit a connu dans un processus constant une influence de plus
en plus marque du latin. Toutefois, le franais garde son autonomie linguistique ; la
syntaxe des chartes franaises, pour prendre un seul exemple, se dtache nettement
du modle latin, mme si la structure des actes reproduit les schmas textuels
labors depuis lAntiquit (cf. la synthse de Buridant 2015 et le rpertoire lectronique en cours Duval/Vielliard s. d. ; cf. galement, pour laspect particulier, mais
significatif des textes vernaculaires en caractres hbreux Kiwitt 2015).
Chaque genre entretient par ailleurs une relation particulire avec le phnomne
des copies et des adaptations textuelles dans le processus de transmission. Les textes
littraires (profanes ou religieux) connaissent souvent de nombreuses copies indui

119

La philologie linguistique et ditoriale

sant frquemment des rinterprtations de contenu. Les textes dun savoir labor
rpondent plus souvent au schma de la compilation, intgrant diffrentes sources
dans une nouvelle composition. Les textes documentaires enfin, sont rarement copis
plus de deux ou trois fois (copie contemporaine, transcription dans un cartulaire,
copie du cartulaire), mais sinscrivent par leur caractre sriel dans une suite ininterrompue de radaptations dun nombre limit de schmas textuels. Au-del des
attitudes divergentes, certaines constantes se relvent pour les diffrents genres : en
ligne gnrale, les copies transforment fortement les systmes grapho-phontique et
morphologique de leurs antcdents, mais en respectent souvent les choix lexicaux
ou syntaxiques.
Enfin, lencodage matriel des textes varie fortement selon les poques ; cela
concerne les supports parchemin, puis papier et les outils dcriture, lvolution
des critures et des modles de mise en page ou encore lutilisation de cahiers ou de
codex. Ces mmes contraintes conditionnent la production des diffrents genres textuels, production qui est ralise concrtement dans les mmes tablissements (
savoir les scriptoria ecclsiastiques et les chancelleries, puis au fur et mesure,
galement dans des lieux de travail individuels). En revanche, les textes destins
jouer un rle de reprsentation connaissent lemploi de matriaux plus prcieux et sont
crits dans des critures plus soignes, alors que les textes dusage font toujours appel
des cursives moins soignes et des supports moins coteux. Cela sobserve galement pour certains textes littraires de genre mineur comme les fabliaux ou les farces.

4 Les approches philologiques


4.1 Ldition
Les textes franais mdivaux dans toute leur diversit reprsentent un ensemble qui
se prte aux tudes les plus diverses. Le point de dpart oblig de toute analyse,
linguistique ou littraire, est la description des manuscrits et des textes ainsi que leur
dition. Lecdotique, la thorie de la critique textuelle, reprsente par consquent le
noyau de toute proccupation philologique.
Les paramtres gnraux sont simples et valent pour tous les genres : il sagit de
runir lintgralit des manuscrits qui peuvent tre considrs comme des tmoins
dun mme texte, dtablir les liens de dpendance qui existent entre eux et de choisir
un type ddition donne. Ces oprations ne sont pas faciles mettre en uvre
puisquelles supposent une bonne connaissance des conditions de conservation du
patrimoine crit mdival, une bonne comprhension de la langue dol mdivale,
une grande familiarit avec les traditions textuelles, des capacits de structuration et
une grande rigueur dans le travail de dtail. Mais au-del de ces lments lis la
formation et la personnalit des chercheurs individuels, le choix du type ddition
soulve des problmes thoriques et pratiques parfois insurmontables.

120

Hlne Carles et Martin Glessgen

La rflexion ecdotique a occup de nombreux rudits depuis le XIXe sicle,


travaillant essentiellement sur des textes littraires (citons Karl Lachmann 17931851,
Gaston Paris 18391903, Joseph Bdier 18641938, Mario Roques 18751961, Paul
Maas 18801964, Flix Lecoy 19031997, Albert Henry 19102002, Gianfranco Contini
19121990, DArco Silvio Avalle 19202002 ou encore le regrett Cesare Segre 1928
2014, cf. Carapezza 2015). Grce la qualit et la prcision de cette tradition interprtative, tous les cas de figure ont pu tre envisags et ont reu une attention
minutieuse.
Les ides de fond peuvent tre grossirement rsumes ainsi :

(1) La premire tape du recensement des manuscrits formant une tradition textuelle
mne ltablissement dun stemma qui repose sur les dpendances respectives des
manuscrits. Les mthodes pour tablir un stemma ont pu tre prcises depuis les
travaux fondateurs de K. Lachmann (ds 1816) et de J. Bdier (Le Lai de lOmbre 1913
et 1928, cf. Corbellari 1997, 505ss.). Des sondages effectus sur la structure textuelle,
sur des passages et sur des lexmes choisis peuvent donner des orientations prcieuses pour viter une comparaison intgrale des manuscrits. Mais mme circonscrite,
cette premire tape reste indispensable et fastidieuse, puisquelle suppose une transcription au moins partielle des diffrents tmoins. La stemmatologie contient par
ailleurs un certain potentiel pour des interrogations dordre socio-historique. Lidentification de la filiation et de la transmission des diffrents manuscrits permettrait de
mieux cerner les lieux de leur gense et dtablir des liens entre eux.

(2) Le choix pour tablir une dition partir de linventaire raisonn quest le stemma
dpend fortement de la nature de la transmission textuelle :

il peut savrer judicieux de choisir un manuscrit (relativement ancien et relativement


complet) comme manuscrit de base et prendre en considration tous les autres manuscrits
de la tradition seulement pour apporter des corrections ponctuelles ou pour tmoigner dune
divergence lexicale ou textuelle (cf. Leonardi 2011) : cest ldition critique classique depuis
les ditions de J. Bdier du Lai dOmbre (1913) et, surtout, de la version anglonormande de la
Chanson de Roland (1922) ;

mais plus une tradition textuelle est clate, moins cette solution est satisfaisante. Il est
alors possible de retenir plusieurs prototypes textuels en parallle et de produire pour
chacun dentre eux une dition part ;

il est galement possible de reconstituer un texte thorique partir de diffrents manuscrits,


cette solution frquente, notamment en Italie se heurtant toutefois la forte variation
diatopique et diachronique prsente dans chaque tmoin ;

enfin, il est possible dditer chacun des manuscrits paralllement : cest le principe de
ldition synoptique comme celle des huit manuscrits des Fabliaux (Noomen 19831998). Ce
type ddition est possible sous une forme diplomatique, cest--dire la reproduction fidle
dun maximum dlments du manuscrit, ou sous une forme critique, qui intervient dans la

La philologie linguistique et ditoriale

121

structuration du texte (ponctuation, paragraphes) et admet des mendations pour rendre le


texte cohrent (tout en explicitant les diverses interventions).

Il est important de voir que la qualit dune dition repose moins sur le choix du
type ddition dtermin en grande partie par la nature de la tradition textuelle et
par les finalits de ldition (littraire ou linguistique, grand public ou rudite) que
sur la cohrence de sa ralisation (choix des critres de transcription, prise en
considration de la prsentation matrielle des tmoins, absence ou non de fautes de
transcription, indication plus ou moins prcise des interventions ditoriales, nombre
et adquation des mendations). Des paramtres objectifs pour lvaluation dune
dition donne sont difficiles identifier ; notons que la tradition des tudes dol ne
dispose pas, ce jour, dun standard gnralement reconnu (cf. lorientation propose
par Bourgain/Guyotjeannin/Vielliard 20012002).
Par ailleurs, la rvolution mdiale de linternet a ouvert de nouvelles perspectives
ditoriales. La technologie informatique permet notamment la combinaison de diffrents types dditions dans un mme environnement (dition diplomatique et dition
critique combines comme dans les Plus anciens documents linguistiques de la France
[DocLing], dition diplomatique dun tmoin dfini et dition critique de plusieurs
prototypes textuels comme dans le projet de la Chanson dAspremont [Asprem]). Elle
permet galement dintgrer la reproduction photographique des manuscrits (cf.
Bozzi 2015) et elle ouvre des nouvelles voies pour la description linguistique des textes
(cf. infra, 4.2).
Linformatique a pu renforcer ainsi la tendance actuelle qui consiste prendre
plus fortement en considration les manuscrits individuels comme tmoins dun tat
de langue et dune interprtation prcise dun texte. Cette tendance a toujours exist
dans la tradition italienne et sest intensifie par ailleurs suite la discussion sur la
New Philology (cf. Cerquiglini 1989 ; Glessgen/Lebsanft 1997). Pour lanalyse
linguistique, les tmoins individuels sont en effet plus immdiatement exploitables
que les ditions critiques qui reposent sur diffrentes sources et oprent des mendations plus ou moins explicites. La rfrence un manuscrit unique est mme indispensable pour toute tude grapho-phontique ou morphologique. Toutefois, il reste
important de pouvoir se rfrer une dition critique lorsque lon tudie le lexique ou
la syntaxe dun auteur donn car une critique textuelle soigne est indispensable la
bonne comprhension du texte. Les philologues linguistes tendent par consquent
travailler sur des textes reposant sur peu de manuscrits, voire un seul (cf. lexemple
emblmatique de Paul Meyer, Palumbo ms. ; cf. aussi Wilhelm 2015, 2).
Il est enfin important de souligner que ldition nest pas sparable de sa description linguistique puisque celle-ci intervient obligatoirement dans ltablissement du
texte. Ajoutons que les exploitations souhaites dune dition par son auteur conditionnent la nature de celle-ci : la philologie linguistique prfre les ditions de
manuscrits individuels tandis que la philologie littraire prfre les ditions critiques
voire reconstructives permettant une lecture suivie. Une dition nest donc jamais

122

Hlne Carles et Martin Glessgen

indpendante de son utilisation (parfois seulement potentielle), et elle nest pas, et ne


devrait jamais tre, une fin en soi (cf. Beltrami 2013, A che serve unedizione critica ?) :
la philologie reste strile si elle ninterprte pas les textes, soit dans une optique
littraire, linguistique, ou historique.

4.2 La description linguistique


Les ditions mdivistes sont traditionnellement accompagnes dune introduction
comportant des lments descriptifs concernant autant la tradition textuelle et lancrage littraire que les aspects grapho-phontiques et morphologiques significatifs du
texte. Ltablissement du texte est enfin suivi dun glossaire dampleur et dexigence
mthodologique trs variable. Ces lments sont gnralement considrs comme
appartenant au travail philologique. Cela sexplique par le fait, nous lavons dit, que
ldition suppose une analyse linguistique prparatoire, pour cerner la valeur des
graphmes, apprhender les variations flexionnelles, comprendre chaque unit lexicale (non seulement pour sassurer de la cohrence smantique du texte mais aussi
pour segmenter correctement les mots, structurer le contenu par la ponctuation et
oprer, si ncessaire, des mendations). Par ailleurs, lanalyse linguistique fournit des
informations essentielles pour la localisation et, dans une certaine mesure aussi, pour
la datation autant du texte originel (et perdu) que celle des copies transmises. Ce
travail prparatoire nest pas toujours apparent, mais il peut aussi mener, dans une
dition donne, la rdaction de chapitres linguistiques volumineux.
De manire plus gnrale, soulignons que tout travail linguistique reposant
directement sur des sources textuelles mdivales peut tre considr comme philologique. En effet, la prise en considration de la critique textuelle est indispensable
lanalyse linguistique des tmoins mdivaux, o chaque paramtre essentiel tels le
lieu, la date, lauteur ou le genre textuel contient une dimension interprtative,
souvent dlicate. La philologie se ralise galement dans une analyse linguistique,
mme thmatique, base sur un corpus textuel, mme si ce corpus a t tabli par un
tiers. En fin de compte, ltude de la langue mdivale est tout aussi insparable dun
socle philologique que ldition dun texte ne lest de son analyse linguistique.

4.2.1 La question de loptique diffrentielle


Selon les domaines du langage concerns, lanalyse linguistique dans un cadre
ditorial poursuit des finalits variables et appelle des angles dapproches diffrents.
Mais dans tous les cas il faut distinguer les particularits dun texte ou dun manuscrit
et les caractristiques de la langue un moment donn, dans une rgion ou dans un
genre dfinis. La description philologique sinscrit donc par dfinition dans une
logique diffrentielle : quest-ce qui est propre au texte/manuscrit en question ? Cette

La philologie linguistique et ditoriale

123

interrogation suppose lexistence dune rfrence qui puisse servir de point de comparaison. Or, en labsence dun standard mdival, ce terme de comparaison devrait tre
lensemble des paramtres propres au diasystme du franais lpoque concerne,
dans toute sa variation. Concrtement, il faudrait mesurer un texte en le comparant
tous les autres textes oliques analyss, autrement dit ltat gnral de nos connaissances sur la langue mdivale. Toutefois, si lon dispose aujourdhui dexcellents
dictionnaires qui constituent une rfrence solide pour le lexique, nulle synthse
nexiste pour les domaines grapho-phontique, morphologique et syntaxique. Tout
diteur de texte se retrouve donc en face de plusieurs milliers dautres ditions de
texte, contenant chacune un certain nombre dinformations linguistiques sans
compter les donnes non exploites par lditeur et doit se positionner dans sa
propre description par rapport cette mosaque insaisissable. En consquence, la
grande majorit des descriptions linguistiques accompagnant les ditions renoncent
lexigence de contrastivit et optent pour une procdure traditionnelle et strotype,
en salignant sur quelques modles antrieurs considrs comme russis.
Il est difficile de remdier cet tat de fait puisque les problmes voqus sont de
nature structurelle. Mais il est important den prendre conscience pour pouvoir oprer
des choix individuels cohrents et pour pouvoir dvelopper dans les annes venir
une stratgie de recherche qui pourrait mener la fois une meilleure connaissance
de la langue mdivale et un meilleur fondement du travail diffrentiel sur les textes
et manuscrits.

4.2.2 Ltude grapho-phontique


Il est regrettable de constater que, traditionnellement, la description grapho-phontique des introductions aux ditions de texte ne se place pas dans une optique
phonologique. Celle-ci, pourtant dj ancienne, permettrait de cerner le statut des
graphmes et de leur valeur dans une logique de systme. Il est certain que les
scriptae mdivales produisent des formes graphmatiques qui nont parfois aucune
correspondance naturelle avec une prononciation donne et qui sont le reflet dinterfrences entre diffrentes formes crites, par exemple :

la forme a(i)nrme me, par interfrence entre an(e)me et arme (cf. Pfister 1993, 37),
dans la scripta lorraine, il existe les variantes estaule (avec vocalisation rgionale de /b/
prconsonantique), estauvle (avec un lment svarabhaktique peut-tre li loral), estable
(forme latinisante ou/et influence par des rgions voisines sans vocalisation de la bilabiale)
et, enfin, estauble (emprunt de la scripta bourguignonne o la forme reflte une interfrence
entre les types crits <able> et <aule>, cf. Glessgen 2008, 450).

Nanmoins le cadrage phonologique permettrait de dpasser le caractre anecdotique


de remarques graphocentriques et dapprocher la variation graphmatique de manire plus rigoureuse.

124

Hlne Carles et Martin Glessgen

Les ouvrages qui peuvent orienter lanalyse grapho-phontique sont peu nombreux : lanalyse dordre phonologique de J.-M. Pierret (1994), la description phontique de La Chausse (1989), louvrage fondateur de Fouch (19521969) ainsi que les
deux Atlas de Dees (1980 ; 1987) qui reprsentent, malgr leurs dfauts mthodologiques, les seuls rpertoires gnraux de la variation dans les scriptae oliques. Le plus
important desideratum de la recherche serait de runir idalement sur une base de
donnes, par consquent volutive les lments descriptifs concernant la graphophontique mdivale parpills dans les milliers dditions existantes. Une telle
synthse demanderait un effort considrable mais rendrait enfin srieusement envisageable un travail diffrentiel.
Enfin, il est important de prendre conscience du fait que la variation diatopique,
omniprsente dans les scriptae mdivales, rpond en mme temps des critres
sociologiques. Dans un mme espace gographique, lon peut trouver des scriptae
plus ou moins rgionalises, selon le prestige des rdacteurs, selon la porte
communicative des textes (Vlker 2003) ou selon les genres textuels. Un lieu
dcriture mdival nest donc pas simplement dtermin par un lieu gographique
et il peut mme tre dlocalis, comme cest le cas des grandes chancelleries princires (Glessgen 2008 ; Videsott 2013). Soulignons encore que toute tude scriptologique
contient une dimension interprtative ecdotique, notamment dans le cas de transmissions textuelles complexes (p. ex. Zinelli 2008).

4.2.3 Ltude morphologique et syntaxique


Le cas de la morphologie flexionnelle est trs semblable celui de la grapho-phontique. Il existe un important relev de prs de 20.000 graphies verbales (et 500.000
occurrences) du franais mdival, tabli par Robert Martin (cf. Martin/Kunstmann
2004). Mais ce relev est actuellement en cours dlaboration et ne comporte que
partiellement des informations diasystmatiques.
Pour les marques grammaticales et la syntaxe, en revanche, la configuration est
radicalement diffrente : les fonctions morphologiques et la structure de la phrase ne
font pas partie, traditionnellement, des lments descriptifs des ditions. Lessor des
tudes syntaxiques date des annes 1960, un moment o les modles ditoriaux
taient dj tablis depuis longtemps. Curieusement, cette absence ne porte pas un
fort prjudice ltablissement des textes, puisque la cohsion du systme grammatical de la langue fait que sa variation ne sinscrit que trs peu dans les dimensions
diatopique ou diastratique. Elle suit, au moins pour la syntaxe complexe, les contraintes et les ncessits expressives des genres textuels et des traditions de discours.
Il est nanmoins dplorer que la philologie linguistique ait largement sousexploit jusquaujourdhui lanalyse syntaxique des genres textuels. Le manque dintrt flagrant pour lanalyse grammaticale de lancienne langue se reflte mme dans
la diffusion des livres. On pense notamment la faible disponibilit douvrages de

125

La philologie linguistique et ditoriale

rfrence dorientation moderne (cest le cas de Systmes morphologiques de lancien


franais dAndrieux et Baumgartner 1983 ou encore de la Grammaire nouvelle de
lancien franais de C. Buridant 2000, ouvrages tous deux puiss) au profit de
manuels scientifiquement dpasss et conus pour la prparation des concours de
lenseignement secondaire en France. La recherche sur la syntaxe du franais mdival a certes connu un dveloppement rel dans les dernires dcennies. Mais autant
dans le domaine de la morphologie que de la syntaxe, les deux traditions philologique
et linguistique se sont loignes de manire particulirement flagrante.

4.2.4 Ltude lexicale


La lexicologie constitue la part linguistique sans doute la plus prsente dans la
philologie ditoriale. Pourtant, cest ici que les points de vue linguistiques et philologiques divergent le plus. La lexicologie mdiviste suppose la comprhension de
chaque lexme dans un texte ou un manuscrit donn, et la vrification de sa distribution dans le temps et dans lespace pour tablir un glossaire. Seule la lexicographie de
rfrence garantit dans cette optique une bonne comprhension des textes et peut
dterminer de manire non subjective la nomenclature du glossaire. Elle permet
galement ltablissement de dfinitions (et non dquivalences en franais moderne)
qui sinscrivent dans lexcellente tradition lexicologique monolingue du franais. Cela
concerne notamment lutilisation du FEW, prsent disponible en ligne (<www.atilf.
fr/few>), ct des dictionnaires historiques (Gdf, TL, DEAF, DMF, AND).
Or, les conseils dtablissement de glossaires formuls par des lexicologues
(Buridant 1999 ; Chambon 2006) nont malheureusement pas eu limpact souhaitable
sur la pratique ditoriale du franais mdival (cf. plus rcemment Roques 2011 ;
Buridant s. p. ; Mhren 2015). Il ny a en effet quasiment que les auteurs rattachs
directement ou indirectement, par leurs matres, aux centres actuels de lexicographie
qui produisent des glossaires textuels quilibrs et cohrents. La situation est encore
plus grave pour lanalyse des matriaux toponymiques et anthroponymiques prsents
dans les textes (cf. toutefois les nombreuses tudes exemplaires de J.-P. Chambon,
p. ex. 2014).
Ce constat quelque peu droutant est rcemment contrebalanc par lessor de la
lexicographie informatique. Le Dictionnaire lectronique de Chrtien de Troyes
(DCT), de P. Kunstmann (2013), place la description du vocabulaire de cet auteur
emblmatique dans un cadre lexicographique moderne et prpare le terrain des
analyses de nature interprtative. Par ailleurs, le vocabulaire contenu dans le corpus
des Plus anciens documents linguistiques de la France (DocLing) est prsent intgr
dans la base lexicographique du DEAFPr et peut tre interrog partir de celle-ci.
On espre que se tisseront ainsi de nouveaux liens entre les textes et les outils de
rfrence et quils permettront une description lexicologique plus adquate des
textes.

126

Hlne Carles et Martin Glessgen

Notons enfin quil existe, pour le franais mdival, une grande tradition dtudes
lexicologiques portant sur des auteurs dfinis ou des thmatiques spcifiques (telles
que les termes lis la ngation, les formules de salutation, le vocabulaire agricole ou
des sentiments) et qui se rclament juste titre de la philologie.

4.2.5 Problmes interprtatifs


Ltablissement des textes et la description de leurs particularits linguistiques se
placent naturellement dans un contexte dinterrogations plus gnrales. Ainsi, la
relation entre loral et lcrit contient un rel potentiel de recherche pour lanalyse des
textes mdivaux. Mme si loral nest pas immdiatement saisissable, il est omniprsent dans les textes crits qui sen dtachent de manire plus ou moins marque. Il
serait donc possible de dceler dans les diffrents genres textuels les deux tendances
dun encodage refltant les structures de loral et celle dune complexification textuelle de conception scripturale.
Cette opposition rejoint la variation diasystmatique dans les scriptae. La rgionalit de lcrit mdival reste galement un domaine dtude particulirement porteur, mme sil connat une tradition dj ancienne. Les rcentes possibilits de quantification permettent en effet dtablir avec une relle prcision le degr de rgionalit
ou de dialectalit dun texte ou manuscrit donn, ce qui permet de le replacer avec
justesse dans le contexte communicatif de lpoque.
Enfin, les interrogations sur le rle des acteurs individuels dans le paysage de
lcrit permettraient non seulement de mettre en relief lindividualit langagire des
textes ou manuscrits singuliers, mais aussi de mieux cerner lusage et le changement
linguistiques. Lidentification de la part didiosyncrasie des scribes et des auteurs
jetterait ainsi un pont entre philologie linguistique et littraire.

5 Les lieux de la philologie linguistique


Il faut enfin prendre en considration la question des lieux o sexprime la
philologie linguistique. Elle emprunte les vecteurs essentiels des sciences modernes
tels que lenseignement, les publications, les rencontres scientifiques ou encore les
associations savantes.
Concrtement, les grands dictionnaires de lancienne langue restent un des lieux
les plus actifs de la philologie linguistique. Par ailleurs, les travaux spcifiques
connaissent une bonne prsence parmi les publications monographiques, les articles
et comptes rendus de revues ainsi que parmi les ralisations en philologie lectronique (cf. pour le genre particulirement dvelopp du compte rendu, Roques 2015).
En revanche, si les rencontres scientifiques sont lgion en philologie purement
ditoriale ou littraire, elles sont bien moins frquentes en philologie linguistique (cf.

127

La philologie linguistique et ditoriale

pourtant sa prsence constante dans les congrs triennaux de la Socit de Linguistique Romane). Ce constat est corrl avec la prdominance littraire dans les associations philologiques (comme la Socit des anciens textes franais, la Socit de langue
et de littrature mdivales doc et dol ou la Socit internationale renardienne). Dans
lenseignement, enfin, la philologie linguistique reste priphrique et il nexiste que
trs peu de manuels qui sinscrivent dans son optique (p. ex. Duval 2009 ; Glessgen
2012a, 420456).
Le constat gnral est donc double : une relle existence de la discipline dans les
vecteurs de la recherche de pointe soppose une assez faible prsence dans lenseignement et dans les cercles habituels de communication scientifique. Lon peut
souhaiter que sopre un rquilibrage dont la ralisation supposerait toutefois que la
linguistique thorique autant que la philologie littraire reconnaissent la philologie
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Le franais moderne

Eva Martha Eckkrammer et Stphanie Lescure

5 Amnagement linguistique et dfense


institutionnalise de la langue : France

Abstract : Cet article sattache dcrire la politique linguistique mene par la France
(le pays latin qui dtient la plus longue tradition en la matire) sur son territoire, aux
niveaux diachronique et synchronique. Il propose daborder le sujet sous deux
aspects complmentaires : dune part, il expose, travers un aperu historique du
cadre lgislatif, lamnagement linguistique comprenant la construction, la gestion,
la rglementation de la langue franaise, mais qui implique galement lacte de la
cultiver et celui de prendre en compte les consquences sociales inhrentes ces
problmatiques. Et dautre part, il prsente les institutions tatiques ddies la
dfense du franais et charges den assurer la protection et la vitalit. Il savre,
aprs analyse des phnomnes, que les efforts dploys se concentrent, toutefois, sur
la langue nationale et son hgmonie, et non sur les langues rgionales ou minoritaires territoriales et/ou allochtones.

Keywords : lois linguistiques de la France, institutions damnagement linguistique


en France, sociolinguistique

1 Introduction
Lintervention humaine sur la langue et son usage, sur le comportement linguistique
et lattitude envers les langues, donc sur la situation linguistique dans son ensemble,
reprsente une activit recherche, plus ou moins consciente, de lHomme. La langue
inclut ou exclut aux niveaux social et politique, elle soutient et consolide la formation
dtats (cf. Schmitt 1988 ; Baggioni 1997), et, en formant une ou plusieurs normes
(langues pluricentriques ou polynomiques cf. Kloss 1969 ; Marcellesi 1984 ; 1987 pour
les concepts), elle favorise la formation de communauts aux identits spcifiques (cf.
Lapierre 1993). Il existe, par consquent, une dualit entre le processus de grer,
rglementer et laborer la langue elle-mme en valorisant les ressources disponibles
(laction sur la langue ou bien le corpus de la langue, cf. Kloss 1969, 81 ; Calvet 1996,
64) et celui dagir sur les langues coprsentes sur un territoire donn, par ex. le latin,
le franais et loccitan lpoque mdivale en France (cf. Polzin-Haumann 2006), de
ce fait le statut.1

1 Parfois, le terme status est galement employ (cf. par ex. loy 1997), mais ne simpose pas.

134

Eva Martha Eckkrammer et Stphanie Lescure

Le statut et le corpus dune langue se contraignent mutuellement et entranent


galement des changements au niveau du prestige (critre dvolution linguistique
introduit et labor par Haarmann 1990).2 Mme si le critre du prestige savre
beaucoup moins mesurable, la corrlation entre les critres de corpus et statut avec
des aspects de prestige est cruciale, selon Haarmann (1988, 21), pour une thorie de la
langue standard, tant au niveau diachronique quau niveau synchronique. Le prestige plus que le statut et le corpus est menac lorsque dautres langues commencent se faire concurrence dans les mmes domaines ou dpassent une langue dans
certains contextes (par ex. actuellement, le franais et dautres langues sont menacs
par langlais dans le domaine de la science). Lorsque le fonctionnement dune langue
dans les divers domaines sociolinguistiques garantit llaboration du corpus (cf.
Haarmann 1993, 289), celui-ci est affaibli par cette concurrence et le pouvoir socioculturel de la langue se voit menac.
Comme toute intervention sur la ou les langues et, par consquent, les efforts
fournis pour influencer le comportement linguistique des autres (Cooper 1989, 45),
sinscrit dans le domaine de lamnagement linguistique, il faut bien en prciser la
terminologie (voir Labrie/Nelde 1994, 119 sur la confusion terminologique dans ce
domaine). En suivant le modle defficacit planificatrice de Haarmann (1993, 298),
les activits dlaboration dune langue commencent toujours par des individus qui
secondent, de manire plus ou moins consciente, une langue en lutilisant dans des
domaines de plus en plus prestigieux, surtout lcrit. Par ex., lutilisation croissante
des langues romanes vernaculaires dans des documents juridiques au Moyen ge ou
bien la grammaire occitane dAlibert de 1935, dans le cas de la revitalisation dune
langue minoritaire. Ces activits de soigner et cultiver la langue ne reprsentent quun
amnagement informel (Sprachpflege) qui se transforme une fois que les individus
impliqus sorganisent et reoivent un soutien officiel graduel en politique linguistique (Sprachpolitik). Ds linstant o la politique linguistique est mise en place par
des institutions finances par le Royaume ou bien ltat, dans notre cas la France, on
observe un accroissement subsquent de lefficacit planificatrice qui peut aboutir
une dfense institutionnalise et structure de la langue. Le terme dfense, issu de la
terminologie martiale, apparat de faon croissante en matire de langue partir du
XVIe sicle lorsque Joachim du Bellay publia sa Deffense et Illustration de la Langue
Francoyse (1549) pour promouvoir, sur la base dun manifeste, non seulement lenrichissement de la littrature, mais aussi celui de la langue.3 Il encadre, dans la
terminologie actuelle, les notions de protection et sauvegarde de la langue, dans
notre cas exerces par des institutions.

2 Par ex. : lexpansion de lusage dune langue (pareillement hors du pays dorigine), sa rpartition
fonctionnelle, son officialisation par la lgislation ou ses largissements lexical, morphosyntaxique et
terminologique.
3 [] nous ont laiss nostre Langue si pauure, et nue, quelle a besoign des ornementz, et (sil fault
ainsi parler) des plumes dautruy (du Bellay 1892 [1549], 56).

Amnagement linguistique : France

135

Il est bien vident que les deux ples de lamnagement linguistique et de la


politique linguistique sont troitement lis ou mme amarrs ds que lamnagement linguistique implique, dans beaucoup de cas, une politique linguistique
mene par des entits officielles. Mais contrairement au terme politique linguistique
(language policy), il ne fait pas exclusivement rfrence lintervention planificatrice extrieure de ltat (mene avec un certain dirigisme) et renferme galement la
notion sociolinguistique, cest--dire les implications sociales, les accords sociaux
ncessaires et leurs marges de manuvre. Cette distinction tant pose, le terme
amnagement linguistique remplace ce quon appelait dans les annes 60, en suivant la ligne de recherche tablie par Haugen (1959), planification linguistique
(language planning)4 et simpose dans la plupart des pays francophones. Lamnagement linguistique et la dfense institutionnalise composent la glottopolitique de
la France, un terme plus rarement utilis qui dsigne selon ses crateurs Guespin/
Marcellesi (1986, 5) les diverses approches quune socit a de laction sur le
langage, quelle en soit ou non consciente , cest--dire les cadres lgislatif et social
des interventions.
Lgifrer une situation linguistique et une langue implique, dabord, dintervenir
sur le choix de la langue officielle ou bien de plusieurs langues officielles (statut)
parmi les langues coprsentes sur un territoire donn (cf. Calvet 1996, 88s.). Mais
part cette dcision sur la langue juridique, administrative et scolaire, la lgislation
linguistique assied la formation dune norme (un standard) et requiert la modification
et ladaptation de la langue pour la rendre plus adquate aux dfis de la modernit
(cration de terminologies) pour dicter aussi le bon usage . Dans cette ligne, on
appelle galement ces activits ingnierie linguistique afin de renforcer la notion
pratique de la cration et de lunification terminologique.
La normalisation linguistique, terme utilis par Boyer (2010, 69) pour lensemble des interventions sur les langues en prsence (planification du statut,
promotion des normes dusage), est un terme forg dans un cadre sociologique
(Aracil 1982 [1965]) et adopt par les sociolinguistes catalans dans les annes 70.
Initialement, il fut cr pour dsigner le processus sociolinguistique de rcupration de droits linguistiques et de refonctionnalisation de la langue catalane (cf.
Torres 1984) dans un environnement diglossique. Lorsque le terme normalisation
soutient la notion dune normalit linguistique qui nest pratiquement pas concevable
(cf. Eckkrammer 2012, 62s.), il est remplac par des termes comme (re)fonctionnalisation.
En conclusion, il est absolument ncessaire, dune part, de diffrencier la politique linguistique (ou glottopolitique) dun tat de la mise en uvre concrte planificatrice de celle-ci, dite amnagement linguistique. Dautre part, les interventions sur la

4 Cest sous linfluence du linguiste Jean-Claude Corbeil et les vnements au Qubec que ce remplacement seffectue.

136

Eva Martha Eckkrammer et Stphanie Lescure

langue (planification du corpus) visant la cration dune norme (normativisation,


standardisation)5 sont distinguer des interventions sur les langues en prsence
(cf. Boyer 2010, 69), cest--dire la reconnaissance officielle, la promotion de la langue
dans tous les domaines socioculturels et dans le mme ordre dides, la propagation
et la diffusion de normes dusages, par ex. des termes scientifiques adopts par les
commissions (cf. 3). Dans cette deuxime perception, il faut envisager galement les
critres qui dterminent la position internationale dune langue (cf. Kloss 1974), donc
le statut international dune langue comme langue secondaire ou bien diplomatique
et la planification de celui-ci.

2 Aperu diachronique des activits damnagement


des langues de la marche victorieuse la chute
Parmi les pays latins, cest la France qui dtient la plus longue tradition damnagement linguistique. Le grand nombre dordonnances, rglements et lois qui concernent
les questions de langue(s) dmontre une attitude active des entits officielles du
Moyen ge (cf. Schmitt 1990) jusqu nos jours.

2.1 La concurrence entre le latin et les langues vernaculaires


Malgr les premires tentatives de rglementer lusage de la langue vernaculaire et
sacrale partir du IXe sicle dans le domaine de lglise, lhgmonie du latin en
contextes crits et prestigieux ntait pas remise en question, cest--dire une dfense
institutionnalise de la langue proprement parler nexistait pas lpoque mdivale (cf. Polzin-Haumann 2006, 1476 ; Schmitt 1990, 355). Nanmoins, la concurrence
entre les langues vernaculaires et le latin devenait de plus en plus visible, notamment
dj dans le canon 17 du Concile de Tours (813) dans lequel les vques, rejoints par
Charlemagne, dterminrent un nouveau rglement de langue sacrale : les homlies,
afin que tous puissent les comprendre plus effectivement, ne seraient plus prononces en latin, mais en rusticam Romanam linguam aut Theodiscam, quo facilius
cuncti possint intellegere quae dicuntur (Lot 1931, 105), cest--dire dans un protogallo-roman ou en langue germanique. Ds le XIIe sicle, le latin vit son hgmonie de
langue crite perdre du terrain dans certains domaines (dont le droit) au profit des
langues dites alors vulgaires . [Cest ainsi qu] la fin du [XIIe] sicle et au dbut du
XIIIe sicle [que] le franais accd[a] au statut de langue juridique (Duval 2007, 272).

5 La codification, donc la cration dune orthographe officielle, sinscrit dans la mme ligne (cf.
Boyer 2010, 69).

137

Amnagement linguistique : France

Il convient de prciser que le recul progressif du latin dans les crits cette priode
nest pas d lincomptence prsume des personnes matrisant lcrit, mais au fait
que ce latin ntait plus pratiqu du tout loral ; la majorit de la population de
lpoque ntait donc plus en mesure de le comprendre (Glessgen 2012, 373 ; cf. aussi
Grbl 2014).
La fin de la guerre de cent ans introduisit une nouvelle re puisque le rle de
loccitan, jusqu ce point une langue prestigieuse dans les domaines dcriture,
recula successivement en faveur de la langue vernaculaire du centre (le de France),
dite franoys, qui commena propulse par une nouvelle hgmonie politique et
une qualit administrative du royaume stendre inlassablement (Polzin-Haumann 2006, 1476). La ncessit dune langue unique et obligatoire pour le domaine
royal devenait de plus en plus vidente : les premiers dits royaux favorisant la
propagation du franais (ou parfois celle dautres langues vulgaires) furent publis et
rduisirent ainsi lusage du latin (sous Louis XI, 14611483, et Charles VIII, 1470
1498, voir note 6 ; Schmitt 1990, 355).

2.2 Le droit sexprime en franais ou ldit de Villers-Cotterts


(1539)
Au niveau linguistique, le paysage juridique de la France de la fin du XVe sicle et du
dbut du XVIe sicle, revtait un caractre hybride : les enseignements universitaires
seffectuaient toujours en latin, tandis que les plaidoiries snonaient dans les
parlers dialectaux respectifs. Le franais reprsentait alors pour lensemble des usagers, tous partis confondus, une troisime langue, au statut savant proche de celui
du latin (Siouffi 2007, 462). Cet htroclisme langagier engendra une belle confusion.
Ainsi, les tmoins entendus lors des procs, incapables de reconnatre leurs dpositions rdiges en latin, protestrent vhmentement. La situation linguistique se
devait donc dtre rgle au plus vite et se prtait parfaitement une intervention
royale. Franois Ier, alors roi de France, signa ainsi, en 1539, lOrdonnance gnrale
en matire de justice et de police , Villers-Cotterts, en Picardie (Acadmie des
Sciences Morales et Politiques 1983, tome IX, 3e partie). Cette ordonnance trs longue
(192 articles), dsormais nomme dit de Villers-Cotterts, ne constitue pas une loi sur
le franais proprement parler, mais elle comporte deux articles (110 et 111) qui
traitent de la langue :

Et afin quil ny ait cause de doubter sur lintelligence desd. arrestz, nous voullons et ordonnons
quils soient faictz et escriptz si clerement quil ny ayt ne puisse avoir aucune ambiguite ou
incertitude, ne lieu a en demander interpretacion [Article 110].
Et pour ce que telles choses sont souventesfois advenues sur lintelligence des motz latins
contenuz esd. arrestz, nous voulons que doresnavant que tous arrestz, ensemble toutes autres
procedures, soit de noz courtz souveraines ou autres subalternes et inferieures, soient de
registres, enquestes, contractz, commissions, sentences, testaments, et autres quelzconques

138

Eva Martha Eckkrammer et Stphanie Lescure

actes et exploictz de justice ou qui en dpendent, soient prononcez, enregistrez et dlivrez aux
parties en langaige maternel franois et non autrement [Article 111].

Bien que lexistence dautres documents de ce type soit atteste ds la fin du XVe sicle
(et dans lesquels il apparat clairement que les dialectes et langues rgionales de
France concurrencent le franais, au mme titre que le latin6), ldit de VillersCotterts est considr comme la premire loi linguistique de France et marque ainsi
un grand tournant dans lhistoire de la langue de ce pays : alors que les textes taient
exclusivement rdigs en latin, les articles 110 et 111 imposrent lusage de la langue
franaise dans les tribunaux et pour ltablissement de lensemble des actes juridiques. Ceci sous le prtexte dassurer aux citoyens une meilleure comprhension des
documents officiels, des dpositions, tmoignages et/ou des accusations faites leur
encontre :

[c]ar si le besoin de clart, invoqu dans [l]article [111], avait t une raison srieuse, et non un
prtexte, on aurait admis, comme dans les ordonnances prcdentes, lemploi des idiomes
dialectaux. Or, lordonnance stipule schement que tout doit dsormais tre rdig en langage
maternel franais et non autrement . Et rien ne put sopposer cette dcision royale : on demeura
sourd aux nombreuses rcriminations des parlements provinciaux [] (Hagge 1996, 52s.).

Les consquences de ldit de Villers-Cotterts, dcrites en dtail par Schmitt (1990,


357s.) en sappuyant sur louvrage monumental de Brunot (1966), sinscrivaient dans
une stratgie pleinement prescriptive et centraliste car le principe que le souverain
dictt lusage de la langue (cuius regio, eius lingua) persistait comme pense dominante. Par consquent, les territoires occups pendant le rgne de Louis XIV subissaient une politique assimilatrice, donc une francisation qui bouscula surtout lusage
du catalan, de loccitan et de lalsacien dans les domaines crits (lcole, ladministration, la science, etc.). Selon Wolf (1972, 15), il est vident que ldit de Villers-Cotterts
et les rglements et comportements linguistiques qui en rsultaient avaient plus
dimpact sur la situation linguistique en France et le statut du franais que la
fondation de lAcadmie franaise en 1635 qui exerait son influence en matire de
corpus (cf. 3.1). la fin du XVIIIe sicle, la langue franaise stait transforme en un
rquisit indispensable pour nimporte quelle activit officielle dans le Royaume, cest-dire en langue nationale qui dominait les activits scolaires, administratives,
juridiques et culturelles, autant en France que dans les colonies (cf. Schmitt 1990,
358).

6 Cf., par ex., LOrdonnance sur le reglement de la justice au pas de Languedoc (Charles VIII,
1490), autorisant le choix entre le langage franois ou maternel . Pour une plus ample documentation ce propos, cf. Siouffi (2007, 463s.).

Amnagement linguistique : France

139

2.3 Les incidences de la Rvolution franaise sur la langue


nationale
La dcennie rvolutionnaire (de 1788~1789 au coup dtat de Bonaparte du 18 Brumaire, An VIII, soit le 9 novembre 1799), par del les bouleversements politiques,
socitaux, religieux et reprsentationnels quelle engendra, assit paralllement, en
matire linguistique, les prmices dune politique de la langue. En effet, la Rvolution
fit sienne la langue franaise, emblme alors de la libert, de la Dclaration des Droits
de lHomme et du Citoyen, de la Rpublique. Dans son rapport la langue franaise,
elle se retrouva ainsi enferme dans un dilemme : reconsidrer et imposer un idiome
unique (le franais) savraient positifs pour laboutissement de son projet politique.
En revanche, cette dmarche slevait directement contre les principes rvolutionnaires fondamentaux car litiste puisquelle sadressait un public clair en franais,
savoir laristocratie, la bourgeoisie et une infime minorit des Franciliens ; le franais
tant totalement tranger au peuple des provinces de cette poque.
Les diverses tentatives damnagement linguistique, notamment entre 1791 et
1793, labores pour parer au problme de la langue (cf. en dtail Balibar/Laporte
1974), nous pousse alors nous interroger sur linfluence relle que la Rvolution a
exerce sur la langue franaise. Est-elle parvenue assouvir son ambition gigantesque en matire de politique de la langue, transformer en profondeur la langue
franaise ? Contrairement aux XVIe et XVIIe sicles o la mode linguistique de la cour
et des salons prconisait labandon des rgionalismes qui sentaient bon leurs terroirs
(tant au niveau de la prononciation qu celui du lexique) afin de se fondre dans la
masse, la Rvolution stait tout dabord oriente vers la diversit linguistique et avait
accueilli les dialectes dans la propagation des ides rvolutionnaires. Des traductions
des dcrets en langues rgionales (y compris en croles) taient prvues par lAssemble nationale (14 janvier 1790, sur proposition du dput Franois-Joseph Bouchette). Toutefois, elle se rtracta et finit par dclarer une guerre froce cette
diversit au nom de lunification de la nation. Parler franais devint alors un acte de
patriotisme et garantissait la visibilit du principe rpublicain de lgalit (Schmitt
1990, 358). La langue franaise sinstrumentalisa dans un grand nombre dinitiatives
linguistiques qui virent le jour sous la Rvolution. Pour illustrer nos propos sur cette
priode tourmente, nous nous contenterons de retenir les vnements les plus
marquants.
La Socit des amateurs de la langue franaise, fonde en octobre 1791 par le
grammairien et journaliste Franois-Urbain Domergue, planta lun des jalons liminaires des proccupations de la langue des premires annes rvolutionnaires. Elle
sassigna pour objectif de rgnrer le franais (cest--dire reconsidrer la description
lexicale du franais pour rdiger un dictionnaire sur des bases philosophiques ).
Cette Socit ne perdura pas face la concurrence froce laquelle elle se trouva
confronte. Toutefois, la Socit innova dans la mesure o elle prconisait ladage
tous seront gaux en droit : hommes, femmes, acadmiciens, littrateurs, habitants

140

Eva Martha Eckkrammer et Stphanie Lescure

de la capitale, habitants des dpartements, correspondants franais, correspondants


trangers (Siouffi 2007, 940).
Henri Jean-Baptiste Grgoire, dit lAbb Grgoire, initia indubitablement laction
rvolutionnaire la plus clbre. LAbb Grgoire, n en 1750 Vho (en Lorraine), tait
un prtre catholique et un homme politique franais qui, entre autres, sintressait
vivement aux questions sociales. Il symbolisa lune des grandes figures de la Rvolution. Il fut lartisan de la premire enqute ethnolinguistique : le 13 aot 1790, il
envoya un questionnaire, une srie de questions relatives aux patois et aux murs
des gens de la campagne (Certeau/Julia/Revel 1975, 13), des correspondants (plus
ou moins assidus pour effectuer le collectage des donnes) des principales provinces
de France. Cette enqute comprend 43 questions sur les patois, rparties en trois
catgories (philologique, sociolinguistique et sociale), dont lobjectif devait retracer la
rpartition et la vitalit des patois, recenser toutes les formes en usage et valuer les
perspectives dacquisition du franais pour les citoyens. Les questions 28 ( Remarque-t-on quil [le patois] se rapproche insensiblement de lidiome franais, que
certains mots disparaissent, et depuis quand ? ), 29 ( Quelle serait limportance
religieuse et politique de dtruire entirement ce patois ? ) et 30 ( Quels en seraient
les moyens ? ) attirent lattention et laissent prsager trs clairement le dessein de
lAbb Grgoire, savoir anantir les patois .
Ce questionnaire motiva son Rapport sur la ncessit et les moyens danantir les
patois, et duniversaliser lusage de la langue franaise quil prsenta la Convention
nationale le 16 Prairial, An II (soit le 4 juin 1794). Selon ce rapport, lAbb Grgoire
estime que sur une population de 28 millions dhabitants, 6 millions ignoreraient le
franais, 6 millions seraient incapables de soutenir une conversation suivie et seulement 3 millions seraient capables de le parler purement . Son rapport se voulait
universaliste et se terminait sur un volontarisme marqu . Son action fut pourtant
ressentie tout autrement : il lui fut vivement reproch davoir initialis la minoration
et la marginalisation des langues et cultures rgionales, malgr lhonneur que lon
voua son intention dinstruction .
Somme toute, lAbb Grgoire ne vit mme pas les balbutiements de son projet
utopique et autoritaire ; la modification des usages linguistiques de millions de
personnes ne pouvant pas tre, lvidence, mene bien aussi vite. Son enqute
aura cependant servi apporter une vision claire du paysage linguistique franais,
fort diversifi, de cette poque (Rey 2007, 947s.).
Le Rapport et projet de dcret sur lorganisation des coles primaires prsents la
Convention nationale au nom de son Comit dInstruction Publique (24 Vendmiaire, An
I, soit le 15 octobre 1792) du dput Lanthenas est indissociable de celui de lAbb
Grgoire dans la mesure o il rappelle la position politique confdratrice (mme si
davantage nuance) soutenue par lAbb Grgoire. Ce projet, ddi avant tout
lorganisation spcifique de lenseignement primaire et galement destin diffuser
le franais, nadoptait pas, en revanche, une conception uniforme quant limportance et au bien-fond des patois et langues rgionales. Aux yeux de Lanthenas, ces

Amnagement linguistique : France

141

derniers savraient, certes, superflus pour certaines provinces, mais ils demeuraient
politiquement pertinents pour les zones frontalires. Ainsi, lalsacien, le lorrain, le
corse, le basque et le breton tablissaient un lien entre la France et ses pays limitrophes ; le fait que ces populations soient bilingues reprsentait donc un intrt direct
pour la Rpublique.
Dans les annes 17931794, la question de la langue tourne lobsession. Bertrand Barre de Vieuzac, lun des artisans de la Terreur7, dclencha loffensive en
faveur de lexistence dune langue nationale unique.
Le 8 Pluvise, An II (soit le 27 janvier 1794), son Rapport du Comit de salut public
sur les idiomes fut prsent devant la Convention ; il sopposait avec virulence aux
patois et langues rgionales : Le fdralisme et la superstition parlent bas-breton,
lmigration et la haine de la rpublique parlent allemand, la contre-rvolution parle
italien et le fanatisme parle basque (Hagge 1996, 71). Ce rapport prconisait, entre
autres, lenvoi dinstituteurs dans les dpartements afin de mieux diffuser la langue
franaise. Cette initiative, malgr un engouement vigoureux pour le franais, naboutit pas en raison de moyens (humains et financiers) insuffisants.
Le dcret du 2 Thermidor, An II (soit le 20 juillet 1794) sur la langue franaise
entrina la terreur linguistique, imposa le franais comme langue unique de ladministration et pourchassa les langues rgionales et autres patois locaux.
Finalement, cest la scolarisation croissante, revendique pendant la Rvolution,
mais aboutie seulement aprs des dcennies dinstruction rpublicaine ( fin du
XIXe sicle ; cf. les lois Jules Ferry du 28 mars 1882 relatives lenseignement
obligatoire en primaire, de 6 13 ans) qui ralisera, effectivement mais autrement, le
programme initial propos par lAbb Grgoire, ainsi que lindustrialisation et lexode
rural, le service militaire obligatoire et lavance des mdia qui conduiront la
gnralisation de lusage du franais parmi les Franais. Le statut de la langue
franaise comme langue officielle de la Grande Nation qui commencera sinfiltrer
travers lenseignement et les mdias de faon croissante, lcrit comme loral,
jusque dans les coins et recoins les plus reculs du pays, est un fait accompli. La
puissance politique grandissante de la France aux XVIIIe et XIXe sicles entrana, en
outre, son accession au statut de langue des lites aristocratiques internationales et,
mme dans une certaine mesure, de la bourgeoisie des grandes capitales, sans
mentionner le grand nombre dindividus dans les colonies qui adoptrent, plus ou
moins volontairement, le franais comme langue civilisatrice . En bref, le nombre
de personnes qui apprenaient le franais comme langue seconde augmenta considrablement, provoquant un accroissement substantiel du prestige de la langue (cf.
Kloss 1974, cf. 1).

7 Priode stalant de mars 1793 (avec la naissance du tribunal rvolutionnaire) au 28 juillet 1794 (avec
la chute de Robespierre). Elle fut caractrise par les excutions de masse et le rgne de larbitraire.

142

Eva Martha Eckkrammer et Stphanie Lescure

2.4 Le franais, langue diplomatique ? / Le Trait de Versailles


(1919)

Le trait de Rastatt, conclu entre lAutriche et la France en 1714 pour mettre fin la
guerre de succession dEspagne, offre la langue franaise son entre peu ou prou
officielle dans la vie diplomatique : pour la premire fois dans un trait international,
le franais y figure comme langue unique, en lieu et place du latin. On prcise toutefois
quil ne sagit l que dune exception afin de pouvoir mener bien les ngociations
avec le Marchal de Villars, plnipotentiaire franais qui ne matrise pas le latin.
Ds lors, entre 1714 et 1763, les traits internationaux furent normalement rdigs
en franais,8 mais chaque fois une mention spciale tait ajoute, prcisant que
lusage linguistique prsent nimpliquait pas obligatoirement son adoption officielle
en vue de futurs contrats (Berschin/Felixberger/Goebl 22008, 224). Cest seulement
aprs cette priode de transition que lon accepta lutilisation officielle du franais :
cest le cas partir du Trait de Paris, en 1763, qui mit fin la guerre de Sept Ans,
ruine de lEmpire colonial franais ; malgr la dfaite, on adopta la langue de la
France. Paradoxalement, nous constatons alors que ltablissement dune langue
comme moyen de communication international ne dpend pas dun pouvoir politique
quelconque car, dans aucun des traits dcisifs dalors, ni celui de Rastatt, ni celui de
Paris, la France ntait apparue comme vainqueur.
Ladoption conventionnelle du franais comme langue diplomatique unique en
Europe sera maintenue jusquau trait de Versailles. Si lon nglige la gne de
certains, durant une priode, admettre que le franais soit appliqu de faon
systmatique, alors de fait on sen tait servi durant deux sicles.
Le Trait de Versailles mit fin la Premire Guerre Mondiale. Il constitua lun des
rsultats de la Confrence de la Paix, qui eut lieu au Quai dOrsay, Paris, du 18
janvier 1919 au 20 aot 1920, o taient runis les reprsentants de 27 tats vainqueurs. Il fut sign le 28 juin 1919 dans la galerie des Glaces du chteau de Versailles
par lAllemagne et les puissances allies et associes. Il fut rdig en franais et en
anglais, les deux versions faisant galement foi.
Bien que la Confrence ait runi 27 nations, le Trait de Versailles a, en ralit, t
labor par quatre personnes : David Lloyd George (Grande-Bretagne), Vittorio Orlando (Italie), Georges Clmenceau (France) et Thomas Woodrow Wilson (tats-Unis
dAmrique). Au niveau linguistique, la langue de Shakespeare, seule langue
comprise par les quatre protagonistes, devint ainsi, ct du franais, la langue de
travail de la confrence et fut adopte officiellement pour la rdaction du Trait de
Versailles.

8 Exception faite pour le trait de 1718, conclu entre lAllemagne, lAngleterre et la France pour la
pacification de lEurope, qui fut rdig en latin. Les rserves alors mises par la France au niveau
linguistique furent acceptes.

Amnagement linguistique : France

143

Ctait la premire fois, depuis le Trait de Rastatt (1714), que le franais ntait plus
la seule langue officielle de la diplomatie occidentale. De nombreux reproches furent
adresss Clmenceau, jug coupable davoir plac langlais au mme rang que le
franais. Des protestations se firent entendre de la part du Prsident de la Rpublique
franaise et de lAcadmie franaise, ainsi que dans lopinion publique franaise.
Pourtant, en droit international, il ny a jamais eu de dposition crite au sujet
dune langue diplomatique. Le choix dune langue plutt quune autre se fait par
accord entre les partis, qui, au moment des ngociations, sont sur un pied dgalit ; il
nest donc pas ncessairement li une dominance politique ou militaire de lun des
ngociateurs. Il semble alors que des raisons pragmatiques aient conduit labandon
du franais comme langue diplomatique unique.
Vraisemblablement, des raisons extrieures ont galement contribu au cours des
choses. On nacceptait pas la prsence dinterprtes lors des confrences, dune part
en raison de lampleur secrte des ngociations, et dautre part parce quau dbut du
XXe sicle, ce ntait simplement pas la coutume.9
Il est vident que la valeur communicative de la langue franaise saffaiblit pour
la premire fois dans un domaine socioculturel. La langue atteignit, par consquent,
lapoge de prestige et commena au milieu du XXe sicle sa lutte contre la concurrence croissante de langlais (langue des deux nations partenaires les plus importantes dans la lutte contre le rgime nazi) qui menaait, dans un premier temps, le
franais, surtout dans son rle de langue seconde et diplomatique, donc de lingua
franca internationale.

2.5 Usage obligatoire du franais dans lespace public via la loi


Bas-Lauriol (1975)
Dans la seconde moiti du XXe sicle, qui se voit fortement caractrise par linfluence
socioculturelle dominante des tats-Unis, la concurrence de langlais devient de plus
en plus visible et passe manifestement de lextrieur lintrieur de la France. En 1975,
pour la premire fois, la politique linguistique moderne sadressait directement au
citoyen. Dj trois ans auparavant, les premires commissions de terminologie avaient
t instaures (cf. 3) afin dimposer, par dcrets, des nologismes en guise de succdans pour les termes trangers, notamment pour les anglicismes. Il sagissait ici dun
travail en amont en vue de ltablissement de la loi relative lemploi de la langue
franaise. Cette loi n 751349, issue dun projet initial de deux parlementaires (M. Le
Douarrec et M. Bas), fut vote lunanimit par le Parlement le 31 dcembre 1975. Elle
est nomme daprs M. Bas et M. Lauriol (un rapporteur), do le nom de loi Bas-Lauriol.

9 Cf. les dbuts de linterprtation simultane lors du procs de Nuremberg, aprs la Seconde Guerre
Mondiale.

144

Eva Martha Eckkrammer et Stphanie Lescure

La loi Bas-Lauriol prescrit lusage obligatoire de la langue franaise dans lensemble des espaces publics et interdit strictement lemploi de termes trangers chaque
fois quil existe un quivalent franais agr par les commissions de terminologie.
Ainsi,
[] les transactions, dnominations et mode demploi des produits, rdactions des offres et
contrats de travail, inscriptions sur biens publics ou privs, informations ou prsentations de
programmes de radiodiffusion et de tlvision [] (Hagge 1996, 151)

doivent obligatoirement tre tenus en franais. Sont exclus de cette rglementation


les seuls produits connus du grand public par leur appellation trangre : [l]es
dispositions de l'article 1er ne sont pas applicables la dnomination des produits
typiques et spcialits d'appellation trangre connus du plus large public (Loi no
751349 du 31 dcembre 1975 relative lemploi de la langue franaise, Art. 2). En
outre, la loi prvoit que le texte franais puisse tre complt par des traductions dans
une autre langue. En cas dinfraction au respect de cette loi, des amendes, allant de
80 FF 5.600 FF, pouvaient tre exiges partir du 1er janvier 1977.
La loi Bas-Lauriol, principalement voue lutter contre les anglicismes, vit le jour
dans un double contexte qui incitait prner langlais tout prix. Dune part, celui du
dveloppement des relations et changes internationaux, de la mondialisation, de
lhgmonie revendique du monde anglo-saxon (surtout aux niveaux scientifique et
technique) et celui de mythes largement rpandus, dautre part :

[d]es lgendes entretenues par les systmes mondiaux transports, htellerie, colloques internationaux prtendent quon parle anglais dans toute lAsie, ce qui est totalement faux, ou bien
en Europe, ce qui nest partiellement vrai que dans le nord du continent. Les succs franais
lexportation ou dans la carrire scientifique, dit-on, supposent la matrise de langlais, ce qui
nest exact que dans quelques domaines (Rey 2007, 1290).

Toutefois, le catastrophisme anglo-saxon prdit ne fut pas peru par lopinion


publique franaise et cette loi, disposant dune faible marge de manuvre, se rvla,
en ralit, tre dune efficacit toute relative.

2.6 Rvision de la Constitution franaise : la loi constitutionnelle


de 1992

Suite la signature du trait de Maastricht, le 7 fvrier 1992, la crainte du recul du


franais dans une Europe unie se fit sentir (cf. Braselmann 1999, 9).10 La Constitution

10 La modification apporte la Constitution rsulte directement de lacclration du processus


dintgration de lEurope et de la proccupation de voir la langue franaise tre ainsi supplante
(Braselmann 1999, 9, trad. SL).

145

Amnagement linguistique : France

de la Ve Rpublique (rgime sous lequel la France vit depuis octobre 1958) fut ainsi
modifie le 25 juin 1992 sous la forme dun premier point dans larticle 2 (titre 1er) : La
langue de la Rpublique est le franais. (Constitution de la Rpublique franaise,
Art. 2). En premier lieu, il atteste plutt que ltat prend conscience dun problme,
proclament les voix critiques :

Certes, proclamer le franais langue officielle de la France est avouer que cela nest plus si
vident que cela pour certains, comme nous lavons vu dans les entreprises et la haute administration. Mais pour traiter un problme, il faut bien commencer par le poser (Montenay 2005,
226s.).

Peu aprs, le changement constitutionnel devient sentencieux et, bien videmment,


lorsque lUnion europenne vise protger les langues rgionales et minoritaires en
prsentant la Charte europenne des langues rgionales ou minoritaires la mme
anne, il attribue la langue franaise une position suprieure unique et lgalement
incontestable. La reconnaissance de nimporte quelle autre langue sur le territoire
franais, devient, de cette manire, une infraction la Constitution (cf. 4 ; 16 Les
franais rgionaux).

2.7 La loi Toubon (1994) : [c]ette loi est un combat en faveur de la


langue franaise (J. Toubon)

Jacques Toubon, ministre franais de la Culture et de la Francophonie de mars 1993


mai 1995, prsenta au Conseil des ministres, le 23 fvrier 1994, un projet de loi destin
remanier et largir la loi Bas-Lauriol de 1975 sur lemploi du franais (avec,
notamment, une intensification de la rglementation linguistique pour les congrs
scientifiques, lenseignement, les mdias, etc.). Cette loi, dsormais Loi Toubon, fut
finalement vote le 4 aot 1994, aprs avoir subi certains rajustements, suite une
saisine du Conseil Constitutionnel qui, dans sa dlibration du 29 juillet 1994, avait
dclar contraire la constitution certains alinas (dans 7 articles sur 24) et les avait
censurs (notamment, pour certaines dispositions, en raison dune infraction la
libert dexpression inscrite dans la Dclaration des Droits de lHomme et du Citoyen
de 1789, Art. 11).
La loi Toubon dcrte que la langue franaise est la langue de lenseignement,
du travail, des changes et des services publics. Elle est le lien privilgi des tats
constituant la communaut de la francophonie (Loi no 94665, Art. 1). Elle prescrit
lusage de la langue franaise dans tous les congrs scientifiques organiss sur le
territoire franais. Dautres langues sont, bien entendu, autorises, mais les programmes doivent obligatoirement tre rdigs en franais et toutes les publications
des actes desdits congrs sont tenus de comporter, pour le moins, un rsum en
franais.

146

Eva Martha Eckkrammer et Stphanie Lescure

Le lgislateur souligne que la langue denseignement, et donc celle des mmoires


et thses, des examens et concours, est le franais.11 La mention des principes
denseignement ayant trait aux langues constitue, en revanche, une nouveaut : [l]a
matrise de la langue franaise et la connaissance de deux autres langues font partie
des objectifs fondamentaux de lenseignement (Loi no 94665, Art. 11, II). Contrairement la loi de 1975, le statut des langues minoritaires est garanti : [l]es dispositions
de la prsente loi sappliquent sans prjudice de la lgislation et de la rglementation
relatives aux langues rgionales de France et ne sopposent pas leur usage (Loi
no 94665, Art. 21).
Nanmoins, il semble que, de nouveau, la disposition ait davantage servi
protger le franais (li au concept de lexception culturelle) contre, notamment,
linfluence excessive de langlais, lev au rang de langue de travail et de communication dans les organisations internationales.

2.8 Langlais : langue denseignement dans les universits


franaises ?

Lenseignement en anglais dispens dans les universits franaises a t pos comme


principe dans un nouveau projet de loi sur luniversit ; principe qui revient par-l
mme sur la loi stipulant que le franais est galement la langue des mmoires et
thses, des examens et concours. Or, nous venons de le voir (cf. 2.5), la loi Toubon
impose le franais comme la langue de lenseignement de toutes les coles ou
universits publiques ou prives en France.
Genevive Fioraso, ministre franaise de lEnseignement suprieur et de la Recherche depuis le 16 mai 2012, a labor ce projet de loi relatif lenseignement
suprieur et la recherche dont larticle 2 prvoit lintroduction de langlais en
qualit de langue denseignement dans les cours universitaires (Projet de Loi Fioraso
2013). La ministre a prsent ce projet de loi au Conseil des ministres le 20 mars 2013.
Il est singulier de noter que ce projet de loi (de 69 articles) na pas suscit beaucoup
dintrt de la part des protagonistes lors des dbats et que seul larticle 2 a provoqu
une vritable polmique.
De nombreuses personnes dans lopinion publique et/ou parmi les intellectuels,
beaucoup dassociations pour la dfense de la langue franaise, pour la Francophonie, de linguistes, de professeurs duniversit (y compris des anglicistes), dcrivains,
etc. ont protest vhmentement. Les membres de lAcadmie franaise se sont
galement offusqus :

11 Deux exceptions sont admises : pour les cursus universitaires de langues trangres dont les cours
sont assurs dans les langues trangres respectives, et lorsque lenseignant est un intervenant
tranger invit, il a galement le droit dutiliser une langue trangre.

Amnagement linguistique : France

147

[i]l ne parat ni opportun, ni mme possible dadopter pareille disposition de loi dont la valeur
symbolique serait dautant plus grande quelle serait plus vague et qui inaugurerait de vritables
franchises linguistiques dans les universits franaises (Acadmie franaise 2013).

Les principaux reproches mis lgard de cette loi frlent parfois peut-tre le
politiquement incorrect, mais reposent sur une solide argumentation, sans appel.12
Largument avanc par la ministre amliorer lattractivit de lenseignement suprieur franais vis--vis des tudiants trangers (Piquemal 2013) est fortement
contest :

[i]l est faux, concrtement, de dire que toute la recherche se fait en anglais aujourdhui. 780
universits dans le monde utilisent le franais pour la formation et la recherche. Le franais est
une langue internationale de savoir, au mme titre que langlais, le mandarin ou lhindi. Les faits
sont l (Cerquiglini cit par Piquemal 2013).

Malgr les trs nombreuses protestations, le projet de loi Fioraso a t adopt par le
Snat le 3 juillet 2013 et par lAssemble nationale le 9 juillet 2013. La loi a t
promulgue le 23 juillet 2013. La France a donc choisi de saligner sur la politique
danglicisation adopte par ses partenaires dEurope du Nord, sans tenir compte des
rsultats ngatifs reports au moins par lAllemagne,13 et sans prendre en considration le fait fondamental que, contrairement la Scandinavie, aux Pays-Bas et
lAllemagne, [elle] nest pas en comptence de miser sur [langlais] (Truchot
2013).
En conclusion, les interventions de ltat franais sur les langues est encore
perceptible dans le comportement linguistique de ses concitoyens, mme sil faut
admettre que la grande majorit de la population nest pas (ou trs peu) initie aux
travaux des commissions terminologiques et lois linguistiques dcrtes. La mondialisation et les dfis dun pays dimmigration requirent un amnagement linguistique
chaque fois moins dirigiste et ouvert aux droits des minorits, cest--dire adapt la
diversit du XXIe sicle.

12 Notamment ici, le linguiste Bernard Cerquiglini et langliciste et sociolinguiste Claude Truchot (cf.
Truchot 2013).
13 LAllemagne a galement pratiqu une politique danglicisation dans ses universits durant une
dcennie. Elle reconnat elle-mme aujourdhui que le bilan nest pas satisfaisant (cf. Hochschulrektorenkonferenz 2011).

148

Eva Martha Eckkrammer et Stphanie Lescure

3 La pratique de lamnagement linguistique :


les interventions sur la langue

Lexistence dune autorit et dun ou plusieurs organismes et institutions responsables des questions de la langue reprsente un fait accompli dans lhistoire du
franais, et ce ds ses premiers pas essentiels en direction de la standardisation.
Lintervention sur la langue elle-mme dbute gnralement avec la pratique de
standardisation. Pour quune langue tende son usage dans divers domaines socioculturels, il faut quelle soit fixe dans son usage, cest--dire quil est indispensable
dlaborer et dofficialiser une orthographie, de promouvoir ldition dune grammaire et dun dictionnaire officiels. Ces travaux servent de rfrence quand la langue
vit une diffusion par les documents administratifs, scolaires, etc. Parfois, il est quasiment impossible de discerner avec prcision entre des organismes qui interviennent
sur le statut (cf. 2) et ceux, qui effectuent les travaux pratiques sur la langue car la
motivation de leur fondation rside, dans la majorit des cas, dans une volont
dassurer le statut de la langue travers les interventions dirigistes sur le corpus de la
langue (cf. 1). Cest pourquoi, il faut galement signaler, dans ce chapitre, linteraction
de ces deux aspects de la politique linguistique.
Les premires avances concernant la dfense de la langue, qui senracinent dans
une sensibilisation croissante en matire de langue due au contact grandissant avec
lItalie et sa conscience linguistique leve, se notent dans les cercles intellectuels et
littraires au tournant des XVe et XVIe sicles (cf. Haas 1991, 15). La langue nationale
est surtout dfendue par les hommes de lettres (Geoffroy Tory, Joachim du Bellay, cf.
1) et simpose peu peu dans quelques domaines de lenseignement.

3.1 Les dbuts : lamnagement non-institutionnalis

Plusieurs tentatives de capter et de dcrire les rgles de la langue franaise et den


runir et standardiser le vocabulaire sont videntes dans une premire phase de
normativisation non-institutionnalise (amnagement informel, Sprachpflege, cf. 1),
promue par des individus, en majorit des hommes de lettres, dont plusieurs grammairiens (cf. Winkelmann 1990, 338ss.).
Ds le XVIe sicle, le bon usage se fixe en se rfrant au sociolecte de la plus
saine partie de la cour et la langue littraire (cf. Haas 1991, 20ss.). Le pote de la cour
Franois de Malherbe (15551628) se voue explicitement la standardisation de la
langue. En sappuyant sur les rgles de la rhtorique de Quintilien, il met une
critique acerbe sur les crits (littraires) de lpoque (problmes morphosyntaxiques
et phontiques, choix lexicaux, etc.), qui subissent une rception intense. Son successeur, Claude Favre de Vaugelas (15581650), li en qualit de secrtaire lAcadmie
franaise (cf. 3.2), poursuit son travail normativiste en considrant galement la

Amnagement linguistique : France

149

langue orale qui lui parat plus importante comme modle que les textes des auteurs
classiques. Sa distinction entre le bon usage, rpandu au sein dune lite de voix ( la
cour), et le mauvais usage, bien diffus parmi la plus grande partie du peuple,
caractrise longtemps le discours dirigiste. Il est noter que, dans sa critique,
Vaugelas sappuie dj sur les crits des auteurs contemporains (dont la plupart sont
membres de lAcadmie franaise), et fait lloge de la langue parle par les femmes
des salons (cf. Winkelmann 1990, 340ss.). Mais, en essence, la norme se dveloppe
sous linfluence de la langue de la cour et la langue littraire, particulirement depuis
linstigation de Malherbe et de Vaugelas qui font jaillir lide que les deux langues
devraient converger le plus possible. Lobjectif constant de lamnagement institutionnalis demeure : atteindre un point de maturit similaire celui du latin.
La critique linguistique normativiste, en promulguant la puret et llgance de la
langue franaise, se communalise de plus en plus jusqu la fin du XVIIe sicle (cf.
Settekorn 1988, 64) et apporte un lan de fracheur lamnagement institutionnalis.
Celui-ci dbute en 1635 avec la fondation de lAcadmie franaise.

3.2 LAcadmie franaise et la standardisation du franais


La fondation de lAcadmie franaise par le cardinal de Richelieu en 1635,14 motiv
sans doute aussi par lide de lunification du royaume (pour lhistoire dtaille de
linstitution, cf. Caput 1986), engendre une institution dote dune mission claire :
travailler, avec tout le soin et toute la diligence possibles, donner des rgles
certaines notre langue et la rendre pure, loquente et capable de traiter les arts et
les sciences (Statuts et Rglements de lAcadmie Franoise du 22 fvrier 1635,
Art. 24). LAcadmie sefforce, par consquent, de faire progresser la codification et la
standardisation de la langue aussi bien que de llargissement lexical et terminologique. La base de ces travaux rside clairement dans la langue des rudits.

Les meilleurs auteurs de la langue franoise seront distribus aux Acadmiciens, pour observer
tant les dictions, ou les phrases qui peuvent servir de rgles gnrales, et en faire rapport la
Compagnie, qui jugera de leur travail et sen servira aux occasions (Statuts et Rglements de
lAcadmie Franoise du 22 fvrier 1635, Art. 25).

Ainsi, lAcadmie prvoit la publication dun dictionnaire, dune grammaire, dune


rhtorique et dune potique (Art. 26) en se consacrant, dans la premire tape, la
lexicalisation. La premire dition du dictionnaire (Dictionnaire de lAcadmie franaise 1694) accueille, dans la diction de Vaugelas, ce que lon peroit lpoque
comme le bon usage. Cependant, dans le dtail, luvre nest pas seulement un

14 Lide initiale provient dun groupe dauteurs et de grammairiens autour de Valentin Conrart (cf.
Winkelmann 1990, 342).

150

Eva Martha Eckkrammer et Stphanie Lescure

recueil de la langue contemporaine des honntes gens, cest--dire des auteurs,


orateurs et autres personnes de la cour, mais il rassemble galement, de faon
consciente (cf. Popelar 1976, 206ss.), des mots obsoltes et populaires qui disparaissent en grande partie dans les ditions du XVIIe sicle. Ceci est certainement un effet
de la critique formule aprs la premire dition, et aussi celui dun bouleversement
stratgique de la lexicalisation dans le sicle suivant. En crant la norme, on ne se
contente plus dliminer les formes fluctuantes de lorthographe et de recueillir
lusage de la cour suivant le modle de la langue, autant crite quorale, mais lon
sattache procder selon le critre de la conformit historique, cest--dire en suivant
exclusivement le modle des auteurs classiques (projet avec frocit par Voltaire).
LAcadmie voit, aprs un dbut assez critiqu (Schmitt 1990, 358), dans ses annes
de gloire (Dictionnaires rdits en 1718, 1740, 1762, 1798, 1835, 1877, 19321935, 1992),
une phase de forte activit, pas toujours strictement normative, dirige vers la standardisation du franais (cf. Baum 1989). Une fois conclue la francisation du pays (cf. 2.2),
elle poursuit son action dinstitution illustre de rfrence et de contrle des termes et
expressions choisis, mais elle subit de plus en plus les reproches du dirigisme rigide et
du conservatisme. Malgr tout, il est vident que la bourgeoisie, chaque fois plus forte
et plus cultive, adopte le concept courtois de norme linguistique et se joint, de cette
manire, laristocratie dans sa lutte contre les rgionalismes et dialectalismes. LAcadmie accompagne lintroduction de la scolarit obligatoire au XIXe sicle, sa grammaire est publie, finalement, en 1932. La rhtorique et la potique, prvues ds le
dbut, ne verront jamais le jour. Par consquent, son rle dans la pratique damnagement saffaiblit constamment. LAcadmie se contente plutt de contrler les dcisions
prises par les commissions ministrielles de terminologie (ds 1972, cf. 3.2) et de publier
ses dcisions dans le Journal officiel de la Rpublique franaise (JORF), le moyen de
diffusion officielle de ltat franais jusqu nos jours.
Pourtant, durant le XXe sicle, LAcadmie perd constamment de limportance.
Son dictionnaire, commenc en 1992, est toujours en cours et en est au deuxime
tome de sa neuvime dition (Cornilleau 2010, 398). La lexicographie franaise se
fait ailleurs ( 23 Lexicographie). Sa lenteur, son enracinement dans la tradition et
son incapacit intervenir dans les dcisions vitales de la langue, mais aussi son
incomptence (en matire linguistique), cest--dire le choix des membres, ont soulev beaucoup de polmique (cf. Cornilleau 2010, 397404).
LAcadmie devient de plus en plus incapable de rpondre, par sa propre force,
aux crises du franais et aux dfis du dveloppement considrable des sciences et
des techniques. Malgr cela, elle continue dans une position rudite comme gardienne fossilise des interventions amnagistes et des prix littraires.15

15 Toutefois, sa prsence en ligne se propose de promouvoir le contact interactif avec les francophones en offrant des possibilits de poser une question sur un point prcis de la langue ou bien de
consulter le Dictionnaire.

Amnagement linguistique : France

151

3.3 Les institutions garantes de la dfense de la langue franaise


Laffaiblissement de lautorit de lAcadmie, la lutte pour le statut de langue diplomatique, technique et scientifique et les nombreuses interventions lgislatives (cf. 2)
motives par cette sauvegarde mnent, dans la priode daprs-guerre, linstauration
de nombreux offices, socits, comits, conseils, commissions, etc., caractre officiel
ou semi-officiel, la dfense du franais. Mller (1985, 42) parle denviron 90 institutions. Ces dernires ont subi de multiples rednominations et diversifications, il savre
donc impossible de les traiter dans leur totalit. Nous nous limitons ainsi aux institutions
les plus importantes qui disposent de moyens de diffusion (pour un aperu historique,
cf. Haas 1991, 3742, pour lactualit, cf. Mller 1985, 4043 ; Cornilleau 2010, 396428).
Outre lobservation et la prise de position en matire de langue, leurs activits sont
principalement orientes vers les largissements lexical et terminologique.16
En 1957, lOffice du vocabulaire franais runit des crivains et linguistes et les
charge de protger la langue en incluant lopinion du grand public, par ex. en ce qui
concerne le choix de nologismes. Jusquen 1974 leurs conclusions sont publies dans
la revue Vie et Langage . LAssociation Dfense de la langue franaise , instaure
sous lgide de lAcadmie en 1958, se focalise, pour sa part, de manire traditionaliste, sur les infractions des rgles (Mller 1985, 41).
Dans la deuxime moiti du XXe sicle, ltat domine, de plus en plus, la scne de
la dfense institutionnalise. En 1966, sous lautorit du premier ministre Georges
Pompidou et Charles de Gaulle en fonction de Prsident de la Rpublique, le Haut
comit pour la dfense et lexpansion de la langue franaise est institu. Les douze
dix-huit membres ont pour mission :

[d]tudier les mesures propres assurer la dfense et lexpansion de la langue franaise ;


dtablir les liaisons ncessaires avec les organismes privs comptents, notamment en matire
de coopration culturelle et technique ; de susciter ou dencourager toutes initiatives se rapportant la dfense et lexpansion de la langue franaise (Dcret n 66203 du 31 mars 1966,
JORF du 7 avril 1966).

Ce comit, plus tard renomm en Haut Comit de la langue franaise (1973), fournit
divers dcrets relatifs lenrichissement de la langue franaise. Il est soumis
plusieurs rorganisations et assure des interventions linguistiques importantes qui

16 nommer pour la priode avant-guerre : la Socit nationale pour la dfense du gnie franais et
la protection de langue franaise contre les mots trangers, les nologismes inutiles et toutes dformations qui la menacent (1911), lAssociation franaise de normalisation en matire de langage technique
(AFNOR, 1926), et lOffice de la langue franaise (OLF, 1937). Ce dernier publiait ses rsultats dans la
revue Le Franais moderne . Les activits les plus durables sont prsentes lAFNOR qui cre, en
1954, le Comit dtude des termes techniques franais pour lutter contre les anglicismes dans la
terminologie technique et prconise, en 1973, aprs la publication de listes terminologiques dans
plusieurs revues, la cration dune banque terminologique automatise, appele Normaterm.

152

Eva Martha Eckkrammer et Stphanie Lescure

seront dterminantes pour les dveloppements postrieurs (surtout ceux des annes
70, cf. Schmitt 1979, 39).
En 1984 le Haut Comit pour la langue franaise est remplac par deux organismes : le Comit consultatif et le Commissariat gnral la langue franaise (aussi
appel le Haut Commissariat la langue franaise).17 Ce commissariat sera substitu,
en 1989, par la Dlgation gnrale la langue franaise (DGLF), rebaptise en
Dlgation gnrale la langue franaise et aux langues de France (DGLFLF) partir
du 2001, qui agit sous la tutelle du ministre de la Culture et de la Communication
comme organisme tourn vers lintrieur et contrle lapplication de la loi Toubon.
Son rle est celui dun service qui vise la coopration interministrielle pour
laborer la politique linguistique de ltat en liaison avec les autres ministres et
inclut, pour la premire fois, la mission de renforcer la diversit linguistique.
La DGLFLF publie chaque anne, au nom du gouvernement, le Rapport au
Parlement sur lemploi de la langue franaise (cf. par ex. DGLFLF 2013) et veille
llaboration et la diffusion de la terminologie propose par la Commission gnrale
de la terminologie et nologie (CGTN) en liaison avec lAcadmie franaise et les
Commissions spcialises de terminologie et nologie (CSTN) de chaque ministre.
Pour apprhender le dfi de la diffusion des rsultats des institutions, il est recommand dexaminer un projet en dtail.

3.4 France Terme comme exemple pour la diffusion


Ltude sociolexicologique de Chansou (2003) qui observe mticuleusement les aspects sociaux, conomiques, politiques et linguistiques de lamnagement lexical en
France entre 1950 et 1994, relve explicitement le fait qu il ne suffit pas de crer des
termes (Chansou 2003, 180), mais de connatre les comportements linguistiques et
les mcanismes sociaux qui sont en cause pour suivre de tout prs, pourquoi et
comment certains termes sont accepts et dautres rejets (cf. Chansou 2003).
France Terme, comme projet et partenariat institutionnel, est implant par le
dcret n 96602 du 3 juillet 1996 relatif l'enrichissement de la langue franaise
(pour lapplication de la loi Toubon) avec le but de crer et de diffuser des termes et
expressions nouveaux pour combler les lacunes terminologiques dans les domaines
scientifique, conomique et technique. Les dix-huit commissions spcialises de
terminologie et nologie, institues au niveau des diffrents ministres franais
(CSTN), constituent, subsquemment, un rseau qui rapporte les rsultats de leurs
consultations la CTGN, place directement sous lautorit du Premier ministre.
En mettant disposition un outil de recherche terminologique, le dispositif du
site virtuel France Terme vise diffuser les termes accepts et recommands antrieu

17 Celui-ci est mis la disposition du ministre charg de la Francophonie partir de 1986.

153

Amnagement linguistique : France

rement (par le JORF) pour orienter les usagers du franais scientifique et technique.
Mme si la protection et la sauvegarde du franais ne sont pas propulses littralement dans largumentation, celle-ci dvoile, clairement, lobjectif dfensif du projet :

Certes, le franais est bien vivant et ladaptation de son vocabulaire aux volutions du monde
contemporain se fait en grande partie directement, dans les laboratoires, les ateliers ou les
bureaux dtudes. Mais pour viter que, dans certains domaines, les professionnels soient obligs
de recourir massivement lutilisation de termes trangers qui ne sont pas comprhensibles par
tous, la cration de termes franais pour nommer les ralits daujourdhui doit tre encourage
et facilite : la production terminologique en franais est donc un impratif (France Terme
2014).

Les arguments, maintes fois voqus, comme la vitalit, lintelligibilit, le perfectionnement et lenrichissement de la langue, servent de mots dordre dans un discours de
justification des activits de dfense. Lexemple France Terme, en relevant la facilit
de son usage, montre toutefois, que les dispositifs lectroniques soutiennent activement le processus de diffusion par une accessibilit aise aux termes convenus
officiellement et facilite le dialogue avec le grand public (voir les sections Bote
ides ou Nous crire du site).
Il est donc vident que la dfense institutionnalise de la langue franaise,
consciente de la force qui rside dans la possibilit de participation publique et
laction civile, soriente de plus en plus vers une ouverture au public, afin de concourir lacceptation des termes et daffronter, de cette manire, les critiques de ce type :

Ltat ayant peu investi dans ltude des processus de diffusion, le sort de ces termes est laiss
quasiment au hasard. Leur caractre obligatoire est en gnral ignor, lexistence mme des
arrts est peu connue, et leffet normatif de ces textes est trs faible (loy 1997, 14).

Par consquent, la nouvelle ligne dorientation inclut lobservation minutieuse des


conditions dimplantation des nologismes dans lusage commun, leur chec ou
acceptation aussi bien que leur passage de la langue officielle la langue consensuelle : les entits officielles commencent comprendre que lamnageur et lamnagiste doivent regarder la ralit en face et tre inlassablement en veil et en contact
avec les interlocuteurs pour bien percevoir les volutions. France Terme pourrait,
donc, tre mentionn comme exemple dun interventionnisme mesur qui enferme
une rorientation vers les enjeux sociaux dans le processus damnagement, cest-dire une vraie glottopolitique (cf. 1).

4 Conclusions
Une varit voit le jour, impose et fixe par le souverain, slargit aux ncessits
dusage administratif et comme langue diplomatique, russit en tant que langue de
science et technique et devient un moyen important de cohrence et de prosprit

154

Eva Martha Eckkrammer et Stphanie Lescure

sociale (en dtail, Lodge 1993 ; 1997). Formul plus directement : qui ne parle pas
franais est contre le Roi, contre la Rvolution, contre ltat, contre lidentit nationale (cf. Berschin/Felixberger/Goebl 22008, pour une vue densemble). Ce continuum
de pense, bien enracin, qui ne vise gure accepter lunit dans la diversit (par ex.
les patois), mais qui recherche toujours un standard assez labor du franais,
conduit au fait que ce standard soit constamment surveill, protg et labor par les
intellectuels, et surtout par les entits officielles, notamment depuis 1635 avec lAcadmie franaise (cf. 3.2).
Au XXe sicle, quand le franais se voit de plus en plus menac par langlais et
commence perdre sa primaut comme langue diplomatique internationale, ltat
intervient en fondant divers organismes et institutions pour mettre en place des
mesures. Mme si les gouvernements franais ont t trs ingalement actifs dans ce
domaine (Montenay 2005, 212), il devient quasi obligatoire que chaque gouvernement montre son souci dfensif pour la langue nationale et une certaine activit dans
lintervention (cf. loy 1997, 15).

Dun gouvernement lautre, les nuances politiques se marquent dans la thmatique et dans la
manire de faire : par exemple le choix dun style rpressif, dun ton scuritaire, ou encore la
manire de raliser des innovations dans la visibilit ou dans lconomie, sous la forme de
modifications dorganigramme, comme le montre depuis 1980 lvolution des institutions voues
la langue franaise (loy 1997, 16).

Les grands promoteurs de la question sont les gouvernements sous lautorit de


Charles de Gaulle et Georges Pompidou, aussi bien que, comme nous lavons dj
observ pour le cadre lgislatif, la politique des annes 70, 90 par lessor des comits
linguistiques en vigueur (cf. 3.3).
Nous avons constat que le cadre lgislatif se trouve troitement li aux institutions actives en matire de langue nationale, et bien moins en matire de langues
minoritaires, rgionales ou allochtones, mme si les entits responsables subissent
une rorientation (vidente dans la dnomination) comme dans le cas de la DGLFLF
(cf. 3.3). Les ordonnances, arrts, dcrets et lois imposent et protgent surtout
lhgmonie du franais dans une perspective douverture aux autres langues (cf.
DGLFLF, en ligne). La non-ratification de la Charte europenne des langues rgionales
ou minoritaires de 1992, qui sest continuellement explique par lincompatibilit de
la Charte avec la Constitution franaise (prcisment lamendement du 1992, cf. 2.6),18
exemplifie cette attitude. Il traite, en consquence, dune politique linguistique assez
efficace qui selon les critres de Kloss (cf. 1) vise avec une ouverture envers les
langues minoritaires et rgionales essentiellement assurer le statut privilgi de la

18 La dclaration interprtative prpare par les autorits allait sensiblement au-del des auteurs de
la Charte ; ainsi la procdure de ratification est suspendue jusqu une ventuelle rvision de la
Constitution un avnement peu probable court terme (cf. Landick et al. 2003, 6265).

155

Amnagement linguistique : France

langue franaise comme langue unique nationale. Les mesures introduites par les
organismes de la dfense institutionnalise (cf. 3) garantissent llaboration, lactualisation et la purification recherche du franais, donc le dveloppement soutenu du
corpus de la langue franaise. Les institutions et activits sont bien nombreuses et
varies, mais au niveau de la pratique de lamnagement linguistique, ce qui
manque, cest une volont politique de coordonner, de runir et de faire travailler
efficacement au sein dun seul et mme organisme (Cornilleau 2010, 396). Cornilleau
(2010) critique surtout le fait que les amnageurs nuvrent quen ordre dispers et
sans laide irremplaable du poids de ltat, le seul qui puisse faire obstacle aux
intrts commerciaux de la mondialisation dont langlo-amricain est larme redoutable (ibid., 396). Toutefois, il est vident que le prestige de la langue franaise est
toujours norme, d lhistoire glorieuse dans une large mesure. La chute du franais
au niveau du statut international reprsente un vrai dfi pour la glottopolitique de
ltat franais, la peur de langlais persiste depuis presque une centaine danne. En
mme temps, le travail concret, par ex. celui de la terminologie, devient chaque fois
plus pragmatique, la relation avec langlais dans la vie publique quotidienne chaque
fois moins rigide et coince.
Chansou (2003, 181) soppose, par ex., activement une rationalisation excessive
en matire lexicale qui conduit des propositions irralistes.

Les anglicismes ne doivent pas tre rejets dune faon systmatique. Une langue vit demprunts, et lon constate que certains termes trangers sont adopts dans lusage parce quils
rpondent en dfinitive un besoin durable. On sattachera donc avant tout privilgier la clart
de la communication (Chansou 2003, 181).

Une telle proposition aurait t perue comme un sacrilge il y a quelques dcennies, et mme de nos jours, elle implique une approximation de la ralit sociolinguistique (loin dune norme sociolectale et litaire) qui exige un exercice sur la
corde raide pour adapter la langue un monde qui change toute vitesse. Toutefois, dans la mme ligne, Chansou (2003) revendique, ainsi que Cornilleau (2010)
et beaucoup dautres, un interventionnisme dcid de la part de ltat franais
(Chansou 2003, 181).
Si le statut de la langue est bien stable en France et irrversiblement ancr dans la
Constitution (cf. 2.4), le besoin dlaboration de corpus augmente pour garantir la
vitalit et avec elle le maintien du prestige de la langue (cf. 1). Pour couronner une
telle initiative de succs, une vritable politique dinformation et une modification
de limage publique de laction des pouvoirs publics sont ncessaires afin dloigner
les interventions des contraintes et rpressions (cf. Chansou 2003, 181 ; dans la mme
ligne, Klinkenberg 2001). Il est fort possible quune telle ouverture permettra galement une acceptation croissante de la notion de langue polynomique ou de langue
polycentrique (cf. 1). Celle-ci librerait, sans doute, lamnagement linguistique en
France, selon lexemple de lespagnol, des exigences exagres dune standardisation
indivisible.

156

Eva Martha Eckkrammer et Stphanie Lescure

Les responsables de lamnagement linguistique en France, une fois unifis,


peuvent certainement compter sur la sagesse infiltre, tout au fil des annes, dans les
usages (au moins officiels) et continuer dans le rle de mre salvatrice de la langue et
pense (cf. Hagge 2012) franaises.

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Lgifrance le service public de la diffusion du droit : http://www.legifrance.gouv.fr (24.01.2014).

Dietmar Osthus

6 Linguistique populaire et chroniques de


langage : France

Abstract : Depuis le milieu des annes 1990 les rflexions mtalinguistiques des nonexperts font bien partie des recherches dans le cadre de la linguistique applique
comme de la sociolinguistique. Dans cet article nous traiterons les racines de cette
linguistique populaire qui remontent dans la tradition franaise jusquau XVIIe
sicle avec mme des prcurseurs mdivaux et qui forment une partie essentielle
du discours normatif. La casuistique linguistique fait progressivement place des
manuels contre les vulgarismes et des chroniques de langage relayes par la
presse crite partir du XIXe sicle. Aujourdhui lInternet hberge maintes activits
mtalinguistiques qui permettent mme des changes entre experts et profanes
en matire linguistique.

Keywords : linguistique populaire, casuistique linguistique, discours normatif, rflexion mtalinguistique


1 Remarques prliminaires
La premire dcennie du nouveau millnaire marque une forte pousse des recherches sur la linguistique populaire, en France comme lchelle internationale. Avec
la publication de louvrage de Niedzielski/Preston (2003 [11999]), lutilit dune
linguistique populaire (angl. folk linguistics) commence simposer dans plusieurs
branches des sciences du langage, notamment en sociolinguistique et en linguistique
applique. Dautres champs dtude comme la didactique des langues (Paveau 2005),
les recherches sur les discours normatifs (Osthus 2003 ; Damar 2010) ou la dialectologie (Falkert 2012) ont bien pris en compte des phnomnes lis aux rflexions et
discours mtalinguistiques des non-experts. Pour dsigner ce champ dtudes, il
existe toute une panoplie de termes diffrents (Stegu 2008). La philologie romane a
cr le terme linguistique des profanes , probablement en analogie lallemand
Laien-Linguistik qui dsigne selon le germaniste Gerd Antos (1996) tout type
dactivits mtalinguistiques destines aux non-experts, ce qui est distinguer dune
popularisation des rsultats de la linguistique dite scientifique . Paveau (2005, 96)
propose galement des dsignations comme linguistique spontane ou nave ou
bien linguistique du sens commun , comme dautres parlent de la linguistique
hors du temple (Achard-Bayle/Paveau 2008). Malgr lintgration tardive des folk
disciplines dans le champ scientifique franais (Paveau 2005, 97), on peut constater
une rception croissante de leurs thormes, notamment travers les publications
de Marie-Anne Paveau, Laurence Rosier (par ex. Paveau/Rosier 2008), ou de Guy

161

Linguistique populaire : France

Achard-Bayle, une rception qui se reflte galement dans la traduction franaise de


larticle dfinitoire du pionnier de la linguistique populaire aux tats-Unis Denis
Preston (2008) ; pour des questions terminologiques 8 Linguistique populaire et
chroniques de langage : Francophonie, 1,2 ; 10 Linguistique populaire et chroniques
de langage : les franais rgionaux et les langues des minorits, 2.1.1, 2.1.2). Au niveau
international, il existe depuis 2007 un rseau de recherche au sein de lAssociation
Internationale de Linguistique Applique (AILA) charg danalyser limpact des
conceptions mtalinguistiques populaires sur le langage quotidien comme sur lenseignement et lacquisition des langues (Wilton/Wochele 2011). Faire des recherches sur
la linguistique populaire peut bien contribuer deux tches diffrentes : Premirement il sagit de prendre au srieux les conceptions mtalinguistiques des non-experts
pour faciliter le dialogue entre linguistes et profanes (Polzin-Haumann/Osthus
2011). Dans un deuxime temps il sagit galement de dcouvrir les faits de langue
travers des conceptualisations populaires. La dialectologie perceptuelle ne nous
renseigne pas seulement sur les perceptions, mais galement sur les dialectes. Il nest
pas exclure que les concepts mtalinguistiques partags par le peuple nenrichissent les connaissances linguistiques des experts .
Dans cette perspective, les manifestations mtalinguistiques populaires tmoignent de degrs dexpertise bien divers. Sil nest pas problmatique de classifier
p. ex. les pamphlets puristes comme textes ne transmettant que peu dexpertise
scientifique, les chroniques de langage rdiges par exemple par dminents
linguistes ou lexicographes servent toutefois bien vhiculer des conceptions
issues de la linguistique acadmique. Le point commun entre ces diffrents documents est quils ne sadressent ni un public dexperts, pas plus quils ne contribuent
la recherche linguistique proprement dite. Les chroniques de langage comme leurs
anctres, les remarques sur la langue popularises partir du XVIIe sicle (AyresBennett 1997 ; Ayres-Bennett/Seijido 2011), contribuent relayer des rflexions mtalinguistiques un vaste public. De tels textes sont souvent le point de dpart des
dbats mtalinguistiques supplmentaires autrefois dans des salons littraires, ou
travers le courrier des lecteurs, aujourdhui sous forme de commentaires dans les
rseaux sociaux. Ces textes essaient en gnral de donner des orientations normatives
aux lecteurs. Les attitudes prescriptivistes font ainsi partie de ces manifestions populaires.
Avec Paveau (2005, 97s.) nous pouvons distinguer trois types de pratiques linguistiques populaires : premirement, des thorisations mtalinguistiques spcifiques,
p. ex. la hirarchisation entre loral et lcrit, deuximement, les prescriptions
comportementales pour la plupart teintes de purisme linguistique, et troisimement, les interventions sur la langue, p. ex. dans la correction de fautes frquentes.
Dans cet article, nous traiterons dabord de plusieurs types dactivit mtalinguistique, cest--dire de plusieurs genres de textes que lon peut qualifier de linguistique populaire pour ensuite mesurer limportance dune linguistique des nonexperts aujourdhui en France.

162

Dietmar Osthus

2 Les tendances de la linguistique populaire


2.1 De la casuistique linguistique des remarqueurs aux chroniques
de langage
Bien que la rflexion linguistique des profanes ne soit pas une invention de la
Renaissance les rflexions sur la langue datent mme davant linvention de limprimerie, comme p. ex. les manires de langage, destines surtout aux apprenants
allophones du franais (Streuber 19621969 ; Kaltz 1997 ; Osthus 2006, 1535) , cest
avec la naissance dun centre culturel et politique lpoque de labsolutisme que
lusage linguistique devient lobjet de vifs dbats publics.
Les lites du XVIIe sicle participent de faon active la rception duvres mtalinguistiques comme les diffrentes Remarques, Observations, Rflexions ou Doutes
sur la langue franaise. Le premier de ces textes, les Remarques sur la langue franoise,
utiles ceux qui veulent bien parler et bien escrire de Claude-Favre de Vaugelas (1647), a
connu un grand succs et se trouve ainsi au dbut de la formation dun nouveau genre.
Malgr le succs ditorial et son influence sur la pense mtalinguistique et normative,
ce genre des Remarques est souvent considr comme tant hors de la tradition
grammaticale au sens strict du terme (Ayres-Bennett/Seijido 2011, 7).
Les uvres dans la tradition de Vaugelas ont en gnral des points communs.
Faute de structure hirarchise, les textes comprennent des articles allant de
quelques lignes jusqu plusieurs pages sur des questions lies lusage de mots,
expressions ou phrases. Quelques auteurs observent au moins lordre alphabtique,
dautres comme Vaugelas (1647) rdigent une suite de remarques casuistiques
sans principe de classement apparent. Souvent, les remarques dclenchent polmiques et controverses entre leurs auteurs. Ayres-Bennett/Seijido (2011, 9s.) prsentent
ainsi un corpus qui consiste dun ct en recueils dobservations comme Vaugelas
(1647) ou Mnage (21675) dautre ct en commentaires et critiques de ces recueils
comme les Lettres touchant les nouvelles remarques sur la langue franoise (La Mothe
Le Vayer 1669). La culture de polmique mtalinguistique contribue populariser ce
genre de textes. Louis-Augustin Alemand (Anon. 1688) va jusqu qualifier les points
controverss souvent dailleurs lexpression danimosits personnelles entre les
diffrents remarqueurs comme p. ex. Dominique de Bouhours et Gilles Mnage
comme Guerre civile des Franois sur la langue . Ce qui runit les diffrents
auteurs, cest lambition de prsenter des manuels de faons de parler lgantes
(Swiggers 1990, 849). Dans la collaboration des grammairiens et des gens du
monde (Caput 1972, 223) le public des Remarques et Observations sur la langue est
invit se conformer aux normes dfendues dans les textes. De plus, les dbats sur le
langage se poursuivent dans les salons littraires ou des cercles privs. Le public vis
nest pas compltement homogne (Ayres-Bennett/Seijido 2011, 51), allant dun public
principalement compos dhonntes gens jusqu des textes qui sadressent explicitement un lectorat fminin (Buffet 1668).

163

Linguistique populaire : France

Le genre des remarques reste particulirement populaire jusquau milieu du


XVIIIe sicle, ce dont tmoignent le foisonnement de nouveaux textes et les rditions
des recueils du XVIIe sicle. Cest partir du XIXe sicle que les dbats sur la casuistique linguistique sinvitent dans les nouveaux mdias de lpoque, savoir la presse
priodique. Comme les journaux deviennent les mdias dominants, la correction
linguistique et le discours normatif font partie du journalisme de lpoque. Brunot
(1968, HLF vol. X/2, 726734) montre la prsence dune attitude normative, comme
latteste la devise du Journal de Vaucluse de 1801 :

Il entre dans nos vues de concourir autant quil sera en nous lpuration de la langue
franaise ; nous marquerons du sceau de la rprobation les expressions nouvelles qui nauront
pas reu la sanction des gens de lettres, et surtout les gasconismes, les provincialismes (cit
daprs HLF X/2, 726).

Barbara Grtz (1990, 50) montre la continuit entre la tradition textuelle des Remarques et Observation et la critique mtalinguistique de la presse priodique. De 1861
1881, il existe mme un journal bimensuel Le Courrier de Vaugelas consacr la
propagation universelle de la langue franaise , traitant principalement comme
lindique le frontispice des questions grammaticales et philologiques. Au contraire
du Courrier de Vaugelas qui cherche combiner (voire mme rconcilier) les
perspectives normativiste et philologique, les chroniques de langage parues dans les
grands journaux adoptent souvent des positions anti-philologiques. partir des
annes 1910, notamment, la dichotomie entre grammairiens et philologues commence
saccentuer. Cest avec lide de la crise de la langue que les commentateurs
puristes, dfendant une vision traditionaliste du bon usage, sloignent de plus en
plus des positions de la philologie acadmique. Quelques auteurs comme Abel
Hermant (18621950) se font le porte-parole dune critique grammaticale de type
puriste. Dans ses chroniques publies sous le nom de plume Lancelot qui fait
allusion la grammaire raisonne dite de Port-Royal (Arnauld/Lancelot 1660) il
cultive une aversion surtout envers la linguistique descriptive, reprochant ainsi aux
philologues leur esprit de contradiction ou de perversit (23.1.1935 ; Hermant 1936/
1938) et dfendant une conception traditionaliste de la faute linguistique :

Lusage est souverain en fait de langage, mais il ne lgitime pas plus une faute ou une locution
vicieuse que lhabitude, dans lordre de la morale, ne lgitime le pch (Hermant 1929, 35).

Beaucoup de ses chroniques ragissent soit aux questions ou remarques des lecteurs,
soit aux objections faites par dautres chroniqueurs de journaux concurrents. Les
chroniques de Lancelot sont parmi les articles les plus populaires du Temps et du
Figaro des annes 1920 et 1930. Avec sa condamnation pour avoir collabor avec
loccupant, Abel Hermant est discrdit aprs la libration et mme dchu de lAcadmie franaise.
La tradition des chroniques de langage se poursuit aprs la Seconde Guerre
Mondiale. Les chroniques continuent de discuter des questions de la correction

164

Dietmar Osthus

grammaticale et de plus en plus le rle des emprunts langlais. Cellard (1983)


identifie quatre classes de chroniques : lanecdote, la dfense du franais (surtout
contre linfluence de langlais et les fautes vulgaires ), la prescription/proscription
et lobservation. Aux chroniqueurs de tendance puriste sopposent dautres comme
Marcel Cohen qui publie rgulirement ses Regards sur la langue franaise dans
lHumanit, tout en sopposant ouvertement au purisme linguistique :

Notre langue doit tre activement dfendue contre ceux qui tendent restreindre sa vie en
opposant des blmes et des condamnations aux changements volutifs qui sont dans la nature
des choses. Elle doit tre protge contre les censeurs dont la seule proccupation [] est de
prserver la prennit des rgles enseignes depuis le dbut du 19e sicle, lappui dune
orthographe elle-mme immobilise (Cohen 1966, 7).

Le purisme devient ainsi la cible dattaques anti-puristes, identifiables par une attitude non-conformiste qui acquiert une certaine popularit notamment partir des
annes 1960. Toujours est-il que les positions en faveur des rformes de lorthographe
ou des simplifications grammaticales restent minoritaires.
Cest partir des annes 1960 que les linguistes et philologues comme Jacques
Cellard (Le Monde), Alain Rey (Radio France, TV5) ou Maurice Grevisse (Le Soir) font
leur entre dans les rangs des chroniqueurs. La chronique de langage ne se limite plus
la presse crite, mais se retrouve galement dans les mdias audiovisuels et
partir des annes 1990 sur Internet. Toujours est-il que les chroniqueurs remplissent
la fonction de directeur des consciences linguistiques (Cellard 1983, 664) et rpondent ainsi au besoin des lecteurs davoir des orientations normatives. Bien quil y ait
une certaine popularisation des recherches linguistiques, la plupart des chroniques
traitent des aspects pratiques de norme et dusage linguistique. Aujourdhui, les
mdias contribuent galement par des sites interactifs comme langue, sauce piquante,
le blog des correcteurs du Monde (http://correcteurs.blog.lemonde.fr), commenter
lactualit mtalinguistique. Ainsi se cre un espace de dialogue entre journalistes,
experts en linguistique et le public intress.

2.2 Les traits normatifs destins au grand public


A ct des remarques, observations et chroniques, on trouve en France une longue
tradition de traits normatifs qui tmoignent moins dune rflexion mtalinguistique
que dune correction normative. Dans le contexte de la standardisation linguistique,
ce sont les correcteurs de fautes vulgaires qui jouent un rle central. Sous forme de
listes anti-barbari , o lon oppose les fautes aux formes correctes , ont t
publis surtout partir du dbut du XIXe sicle maints traits qui contribuent
imposer le franais standard. Les Gasconismes corrigs des Desgrouais (11766)
connaissent plusieurs rditions jusque dans les annes 1820 et plusieurs imitations
(Schlieben-Lange 1991, 120s.). Le trait de Dsgrouais ou bien luvre anonyme Les

165

Linguistique populaire : France

Flandricismes, wallonismes et expressions impropres dans la langue franaise. Ouvrage


dans lequel on indique les fautes que commettent frquemment les Belges en parlant
lidiome franais ou en lcrivant ; avec la dsignation du mot ou de lexpression propre,
ainsi que celle des rgles qui font viter les fautes contre la syntaxe (11806 ; 1811)
rpondent un besoin dorientation normative dun public pour lequel la matrise du
franais normalis devient un facteur de mobilit et prestige sociaux. Ce qui est
remarquable, cest que les auteurs de tels traits viennent principalement du groupe
des notables locaux. Cela prouve qu lchelle locale et rgionale, les lites
urbaines sont bien les protagonistes de la francisation , voire de limposition dune
orientation normative vers le franais de Paris. La normativit des remarques qui
dterminent le bon usage selon lusage dun groupe social choisi fait place un
discours puriste, le ce qui se dit est devenu dire et ne pas dire : ce mode-l rejoint les
manuels de savoir vivre, faire et ne pas faire (Paveau/Rosier 2008, 58). Cest ainsi
que beaucoup de manuels de politesse ou de bonnes manires contiennent des
chapitres consacrs aux comportements linguistiques (Osthus 2006, 1537). Les usages
linguistiques forment donc une partie intgrale des normes comportementales. Souvent il sagit de donner des conseils pour se conformer un modle idalis comme
ltait au sicle classique lhonnte homme qui se dmarque entre autres par ses
comportements linguistiques de ses contemporains.
Avec Paveau/Rosier (2008, 5766) on peut diviser les traits en trois types :
premirement, les ouvrages pour prescrire et proscrire , cest--dire tout ouvrage
destin corriger les fautes vulgaires (Franois 1959, vol. II, 172), deuximement,
les ouvrages pour samliorer et senrichir qui contribuent souvent de manire
ludique (Schmitt 2003) aligner les comptences linguistiques des lecteurs aux
normes, et troisimement, les ouvrages plaisants qui vhiculent souvent de faon
humoristique et anecdotique des attitudes puristes envers la langue, ce qui sexprime
p. ex. par un amour des mots rares ou bien des plaisanteries sur la variation sociale.
Les sites Internet ironiques (Paveau/Rosier 2008, 66) se font souvent les porteparoles du purisme contemporain. ce type de publications sajoutent galement les
missions tlvises comme p. ex. les dicos dor, la fameuse dicte de Bernard Pivot
(19852005), ou lmission Merci professeur (TV5 Monde) avec Bernard Cerquiglini.
Mme lAcadmie franaise hberge sur son site Internet un blog sous le titre Dire, ne
pas dire (http://www.academie-francaise.fr/dire-ne-pas-dire, 17.04.2015) qui vhicule
au-del de lorientation normative des faits anecdotiques. Les frontires entre informations para-lexicographiques, anecdotes tymologiques, polmiques puristes et lhumour mtalinguistique restent dsormais floues. Il existe un march pour des ouvrages qui popularisent dun ct lintrt mtalinguistique et qui vhiculent dun autre
ct des conceptions normatives, permettant ainsi aux lecteurs de se comporter
conformment aux normes exiges. La liste bibliographique (Paveau/Rosier 2008,
349355) montre le foisonnement dactivits ditoriales qui soit prnent un franais
correct , soit ont une porte mtalinguistique, ce qui les rend intressantes au
public, p. ex. en montrant des curiosits, variations ou anecdotes sur la langue.

166

Dietmar Osthus

2.3 Les activits mtalinguistiques des profanes sur les


rseaux interactifs

Depuis toujours, des questions mtalinguistiques sont des sujets de conversation


quotidienne. Cependant, ce type dactivit de linguistique populaire reste difficile
valuer. Vu la continuit dans les publications servant populariser les questions
mtalinguistiques, il est lgitime de supposer galement une certaine continuit dans
les proccupations mtalinguistiques des profanes au cours de lhistoire. En fait,
les lettres aux diteurs de jadis traitent souvent les mmes aspects que les tweets
mtalinguistiques daujourdhui. Avec ltablissement dInternet, il est dsormais
possible de retracer de tels dbats de plus prs. La gnralisation dInternet permet
des non-experts de participer des dbats mtalinguistiques, qui jusquici navaient
pas eu les moyens de sexprimer dans les mdias traditionnels. Il y a de nouveaux
modes dexpression et surtout une dmocratisation des dbats. Dans diffrentes
tudes effectues partir de la fin des annes 1990 (p. ex. Osthus/Polzin-Haumann
2006 ; Osthus 2003 ; 2006 ; Damar 2010 ; Dring/Osthus/Polzin-Haumann 2012) on a
pu constater la grande diversit des dbats et des activits mtalinguistiques relays
sur Internet. Dans le cadre de la philologie romane, nous avons pu observer plusieurs
types de dbats. Parmi eux, on peut citer les discussions ayant une tendance puriste,
ceux rassemblant des questions mtalinguistiques de toute sorte, ceux tournant
autour des questions normatives (Telle ou telle expression, est-elle correcte ou non ?) et
ceux faisant preuve dun activisme en faveur des minorits linguistiques (voir galement Visser 2012), etc. Donc, la linguistique des profanes est assez loin dtre homogne.
Pour valuer ces dbats, on peut distinguer entre les dbats explicites qui ont lieu
dans des forums destins aux dbats autour de la langue, comme p. ex. le newsgroup
fr.lettres.langue.francaise qui existe depuis le dbut des annes 1990 (Osthus 2003)
ou la foire discussion Franais, notre belle langue (Schrader-Kniffki 2012), et les
dbats implicites cest--dire des discussions mtalinguistiques qui sinsrent dans
des forums thmatiques consacrs principalement des sujets non-linguistiques.
Les tudes confirment une large prsence dattitudes puristes qui se traduisent
par des dbats sur la lgitimit des emprunts de langlais. Notamment les participants
aux forums mtalinguistiques rejettent les anglicismes, tout en se servant souvent de
mtaphores conceptuelles prenant pour domaines-sources les champs smantiques
de la guerre, de la catastrophe naturelle ou bien de la mdecine (Osthus/PolzinHaumann 2006, 96105). Les strotypes sur la menace que reprsenterait la suprmatie de la langue anglaise au niveau international sont bien vhiculs sur les forums
dInternet. Les dbats relays sur les nouveaux mdias se trouvent ainsi dans la
continuit des traditions de linguistique populaire plus anciennes. Beaucoup de
participants ces dbats sur Internet font explicitement rfrence aux autorits
puristes comme p. ex. Ren Etiemble ou les propositions terminologiques autorises
par lAcadmie franaise. Malgr ces attitudes majoritaires qui tmoignent le plus

Linguistique populaire : France

167

souvent dun prescriptivisme ardu, il y a galement dautres positionnements plus


modrs. De plus, les dbats sur Internet fournissent un espace de discussion entre
linguistes, amateurs de la langue qui montrent souvent des degrs dexpertise
tonnants et simples locuteurs. Linscurit linguistique, voire les doutes normatifs,
poussent les internautes poser des questions mtalinguistiques. Pour rpondre ces
questions, les animateurs des forums et sites mtalinguistiques recourent le plus
souvent aux jugements des autorits normatives, notamment les dcisions de lAcadmie franaise ou bien les dictionnaires normatifs comme le Petit Robert. Cest ainsi
que le purisme par Internet renforce les autorits traditionnelles en matire de
norme linguistique.
Nanmoins, ces dbats sont loin dtre consensuels. Le spectre va de langlophobie prononce jusqu ceux qui ridiculisent leur tour les dfenseurs acharns de la
langue pure . Le constat de Damar (2010, 128) que

le purisme des internautes envers leur langue ne se manifeste pas de la mme manire selon
llment linguistique observ. [] Les commentaires puristes sont diffrents selon que le point
abord concerne la syntaxe ou la morphologie (Damar 2010, 128)

se confirme dans dautres recherches. En outre, les attitudes linguistiques envers la


variation diastratique sont p. ex. gnralement plus ngatives quenvers les diffrents
franais rgionaux et extra-hexagonaux (Osthus 2015). Cest notamment la vocation
internationale de la langue franaise qui est dfendue par les internautes francophones, venant de diffrents pays francophones. Comme les dbats entre internautes se
jouent un niveau international, une partie importante des participants partagent
une certaine conception du franais comme langue pluricentrique.
Avec larrive des rseaux sociaux et des incontournables plateformes vidos
comme Dailymotion ou Youtube partir des annes 2005/2010, les dbats mtalinguistiques stendent de nouveaux types dexpressions. Les forums mtalinguistiques font progressivement place des groupes de discussion sur Facebook, tandis
que le nombre de participants aux forums traditionnels et aux newsgoups (Osthus
2003) ne cesse de diminuer. Les clips vido et les dbats suscits par la publication ou
le partage des vidos forment dsormais une partie importante des activits mtalinguistiques des profanes . Dans le fond, les prises de position ne se distinguent
gure des traditions de la linguistique populaire. On peut nanmoins constater quil
est souvent plus important de divertir les lecteurs-spectateurs que de les informer ou
les inciter des dbats intellectuels sur la langue.

168

Dietmar Osthus

3 Conclusion : importance et perspective dune


linguistique populaire en France

Un public de non-experts est impliqu dans des dbats mtalinguistiques depuis


plusieurs sicles. Mme sil est lgitime de supposer au lieu du simple antagonisme
entre savant et populaire plutt un continuum entre ces deux ples (Falkert
2012, 125), le dbat entre profanes et les attitudes mtalinguistiques populaires
se distinguent bien des attitudes adoptes en linguistique. Lanalyse du discours
mtalinguistique populaire permet dsormais de comprendre les conditions sociales
soit de lvolution, soit de lenseignement des langues. Les valorisations sociales de
diffrentes formes et varits font partie de lethnographie des locuteurs.
Les tudes sur la linguistique des varits perceptives (Boughton 2006 ; Falkert
2012 ; Krefeld/Pustka 2010) soulignent limportance dintgrer les reprsentations
sociales de la langue dans ltude scientifique de celle-ci.
Ltude des attitudes mtalinguistiques offre de multiples perspectives. Des recherches comparatives permettraient de vrifier (ou de rfuter) lhypothse dune
exception franaise supposant que les Franais seraient plus puristes que les
autres locuteurs (Paveau/Rosier 2008, 7). Dimportantes sources restent encore
exploiter, notamment les dbats et conflits mtalinguistiques vhiculs dans la
communication lectronique, et dans une perspective historique la documentation sur les attitudes mtalinguistiques contenues dans les lettres prives, les journaux intimes, le courrier des lecteurs du pass (Wilton/Wochele 2011). Ainsi, on
pourrait voir de plus prs les volutions quont subies les conceptions que les
francophones se font de leur langue. Sans cette dimension populaire , la linguistique reste incomplte.

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Ursula Reutner

7 Amnagement linguistique et dfense


institutionnalise de la langue :
Francophonie

Abstract : Larticle esquisse dabord le concept de francophonie, en prsentant diffrentes interprtations du terme ainsi que diverses approches pour dterminer le
nombre de locuteurs et catgoriser les pays francophones (1), pour donner ensuite un
aperu de lexpansion du franais dans le monde et des diffrents modes de dcolonisation (2). Cest la suite de celle-ci que sest dveloppe lOrganisation internationale
de la Francophonie, dont seront retraces lhistoire et la composition (3). partir de
cette base, seront prsents diffrents types damnagements linguistiques au sein de
la francophonie : en ce qui concerne lamnagement du statut, on donnera des
exemples de diffrenciation fonctionnelle, de territorialit et dunilinguisme (4) ;
quant lamnagement du corpus, on exposera le dveloppement de normes explicites par les processus de slection, dimplmentation, de codification et dlaboration
linstar du Qubec, de la Belgique et de la Suisse, ce que viendront complter des
remarques sur les normes implicites au sein dautres rgions (5).

Keywords : francophonie, amnagement linguistique, dcolonisation, terminologie,


politiquement correct

1 Le concept de francophonie
1.1 La dsignation
Un monde divis en races et ethnies, en puissances coloniales et colonies cest la
conception du monde au XIXe sicle. Il nest pas dusage, lpoque, de classifier les
peuples en fonction de leur langue. Cest donc une nouveaut que le gographe
Onsime Reclus entreprit dans son tude France, Algrie et colonies (1880), o il se
rfra aux ethnies employant le franais par le terme de francophonie. Mais ce nest
que vers 1960 que lexpression se rpand : en 1959, elle apparat chez Queneau (cf.
TLF) ; peu aprs, Sdar-Senghor lui apporte le sens de civilisation franaise et la
rapproche ainsi de celle de francit en tant que caractres propres la communaut
de langue franaise : en 1962, dans le numro spcial du journal Esprit Le franais
dans le monde et en 1966, lors de la confrence La francophonie comme culture
lUniversit de Laval.
Aujourdhui, lexpression regroupe au moins cinq types dinterprtation : dans
son sens de francophonie linguistique, elle dcrit lensemble des locuteurs du franais
dans le monde, dans celui de francophonie gographique, les pays dans lesquels le

172

Ursula Reutner

franais est utilis, au sens de francophonie culturelle, les nations que relient la culture
et les valeurs franaises, en tant que francophonie institutionnelle, les organismes
chargs de protger la langue et la culture franaises, et comme francophonie politique, lOrganisation internationale de la Francophonie.

1.2 Nombre des locuteurs


Ltendue dmographique de la francophonie linguistique varie en fonction de la
dfinition : si lon ne recense que les locuteurs de langue maternelle franaise, on
parvient environ 75 millions de personnes. Mais il existe galement une dfinition
plus large du locuteur francophone comme personne ayant une connaissance de la
langue franaise, quelle soit partielle ou complte (OLF 2010, 17) ; celle-ci constitue
la base des chiffres de lOIF, qui dclare au moins 220 millions de francophones : 87,5
millions (40%) en Europe, 79 millions (36%) en Afrique subsaharienne et dans
lOcan Indien, 33,5 millions (15%) en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, 17 millions
(7,5%) en Amrique et dans les Carabes, ainsi que 2,5 millions (1,2%) en Asie et
Ocanie.
Ces chiffres levs tmoignent de niveaux de comptence trs varis, puisquils
comprennent tant les locuteurs rels du franais, qui lont appris comme langue
premire (langue maternelle) ou langue seconde (personnes qui emploient le franais
de manire habituelle dans leur pays et le matrisent couramment), que les locuteurs
occasionnels, qui lutilisent seulement dans certaines circonstances ou ne le matrisent que de manire rudimentaire ou spcialise.
Si lon recense, en revanche, les habitants des pays dans lesquels le franais jouit
dun statut officiel, on ignore quel pourcentage de la population le matrise rellement
et on exclut les locuteurs des pays forte population francophone dans lesquels il
nest pas la langue officielle. Pour reprsenter plus fidlement la ralit, il vaut mieux
prendre en compte la frquence de lemploi et ses domaines, mais cest bien plus
complexe : la situation est dj diffrente en Val dAoste de celle de la Suisse voisine
et prsente dautres varits encore en Afrique francophone.

1.3 Catgorisation des pays


Une catgorisation approximative des pays francophones sappuie sur lemploi du
franais comme langue vhiculaire et/ou vernaculaire : la variante du franais comme
langue vhiculaire et vernaculaire englobe par ex. la France, la Romandie, la Wallonie
et le Qubec. Dans le scnario du franais exclusivement comme langue vhiculaire,
lemploi du franais se restreint des situations de communication formelles, alors
que la communication quotidienne se droule dans dautres langues. Cest grosso
modo le cas pour les pays francophones dAfrique subsaharienne, mme si le rle de

173

Amnagement linguistique : Francophonie

langue vhiculaire du franais est remis en cause, dans certains dentre eux, par des
langues vhiculaires autochtones, et dans dautres, par la vernacularisation du franais mme. Comme exemple de la variante du franais exclusivement comme langue
vernaculaire, nous avons la situation diglossique du Qubec avant la Rvolution
tranquille, o le franais tait la varit basse, domine par langlais comme varit
haute. La situation actuelle des minorits francophones dans dautres rgions de
lAmrique du Nord (Ouest du Canada, Nouvelle-Angleterre, Louisiane) sapproche
galement de cette situation, mme si elles bnficient, diffrents degrs, de
mesures damnagement externes. Dans la ralit linguistique, il existe donc tant de
nuances que la tripartition ne peut tre envisage que comme une reprsentation de
prototypes.
Plus respectueuse des nuances, la typologie de Chaudenson (entre autres 1991)
distingue entre le status dune langue et son corpus, en incluant des pourcentages. La
catgorie du status englobe chez lui le statut juridique, politique et conomique de la
langue, son rle dans le systme ducatif, les mdias et le secteur priv ; et la
catgorie du corpus, tout ce qui concerne la production langagire : mode dappropriation de la comptence (langue maternelle, seconde langue, langue denseignement), la nature de la comptence, lemploi en tant que langue vhiculaire ou
vernaculaire ainsi que le corpus au sens propre. Les deux catgories constituent les
axes dun systme de coordonnes dans lequel Chaudenson situe les pays analyss :
les valeurs presque maximales pour status (100%) et corpus (98%) sont attribues la
France. Un status lev en combinaison avec un corpus faible est le propre de
nombreux tats africains dont le franais est la langue officielle, mais nest parl que
par une minorit (par ex. Burkina Faso : status 77,5%, corpus 18%). Un corpus
considrable et un status faible distinguent la Flandre, le franais ny tant pas la
langue officielle, mais sa prsence dans la socit tant relativement forte (status env.
22%, corpus env. 50%). Un status minimum (5,5%) accompagn dun corpus presque
inexistant (2,5%) caractrise la situation Sainte-Lucie, un tat certes associ la
francophonie, mais dans lequel le franais ne joue presque plus aucun rle.

2 Diffusion du franais dans le monde


Les enjeux de lamnagement actuel du franais dans les diffrents pays sexpliquent
lorsquon passe en revue les processus de son expansion en Europe et dans le monde,
ainsi que son recul.

2.1 Expansion en Europe


La diffusion du franais en Europe est due lexpansion militaire de la France et son
prestige culturel. Du point de vue militaire, outre les croisades, on pense surtout la

174

Ursula Reutner

conqute normande de lAngleterre en 1066. Langlo-normand devient la langue de la


classe dirigeante et connat un essor particulier en tant que langue littraire sous
Henri II (11541189) et son pouse Alinor dAquitaine. Jusqu Henry IV (13991413),
premier roi dont langlais est la langue maternelle, il sest coul trois sicles de
multilinguisme au cours desquels langlais a subi une nette francisation. Parmi les
nombreux exemples lexicaux, rappelons seulement les expressions culinaires pork,
beef, veal, mutton ou venison pour la viande de swine/pig, cow, calf, sheep, et deer ou
des couplets comme commence begin, combat fight ou gain win. En 1362, Edward
III assigne, encore en franais, le statut de langue judiciaire langlais, mais ce nest
quen 1731 que lusage de langlais devient obligatoire dans les tribunaux.
Cependant, plus que par les interventions militaires, la diffusion du franais en
Europe a t dtermine par des facteurs culturels tels que linternationalit de la
Sorbonne et surtout le prestige de la littrature en ancien franais, qui a inspir la
littrature nationale de plusieurs pays et pouss de nombreux auteurs utiliser le
franais pour leurs uvres : le Trsor de Brunetto Latini ou la description du voyage
de Marco Polo dicte Rustichello de Pise nen sont que quelques exemples.
Le XVIe sicle est domin par lhgmonie culturelle italienne, mais voit natre
une deuxime vague dexpansion du franais qui atteint son apoge dans la deuxime
moiti du XVIIe sicle et surtout au XVIIIe sicle. Les Huguenots, chasss de France
par les guerres de religion et surtout par ldit de Nantes (1685), occupent de bons
postes en Angleterre, aux Pays-Bas et en Allemagne protestante, o ils rpandent leur
langue et leurs coutumes. En Angleterre, Henri VIII (15091547) crit des lettres en
franais Anne Boleyn, et lisabeth Ire (15581603) traduit Marguerite de Navarre. En
Allemagne, Leibniz rdige des uvres en franais (par ex. les Essais de Thodice,
1710), et Frdric II (17401786) crit galement en franais, invite Voltaire sa cour,
et fait du Franais Maupertuis le prsident de lAcadmie de Berlin qui dcorera
Rivarol pour son essai De luniversalit de la langue franaise (1784). Lide de
luniversalit est profondment ancre comme lieu topique, bien que reprsentant un
mythe plutt que la ralit, puisque mme en France, seule une minorit de la socit
matrisait cette langue. Tout au contraire de la haute socit europenne : Catherine II
de Russie (17621796) accueillait des troupes franaises dans son Thtre de lErmitage et aujourdhui encore, on ressent lampleur de la gallomanie russe la lecture
des passages en franais de Guerre et Paix de Tolsto ou la vue du Grand Magasin au
Pont Rouge Saint-Ptersbourg, dont la devanture propose des chaussures et autres
cravates la vente.
Le franais a longtemps occup le rle incontest de langue des relations internationales : le poids dcisif de Louis XIV (16431715) dans la politique europenne lui
a assur un statut de langue de la diplomatie, ses ennemis se trouvant eux-mmes
dans lobligation de lapprendre pour ne pas se retrouver lcart lors des ngociations. Il sest impos compltement aprs la guerre de succession dEspagne (trait de
Rastatt 1714) et tait employ jusque dans les confrences et les traits ne concernant
pas la France.

Amnagement linguistique : Francophonie

175

Ce nest qu partir du XIXe sicle que le franais est srieusement concurrenc


dans le domaine des sciences par lallemand, et dans ceux de lconomie et des
technologies modernes par langlais, dont la suprmatie comme langue scientifique
stend de nombreuses disciplines avec la monte en puissance des tats-Unis la
suite des deux guerres mondiales. Langlais dispute galement au franais sa prpondrance en tant que langue des relations internationales : il est mis sur un pied
dgalit avec le franais, dabord dans le trait de Versailles (1919), ensuite au sein de
la Socit des Nations et de lONU, qui reconnat galement larabe, lespagnol, le
mandarin et le russe comme langues officielles, et enfin dans la Communaut/Union
Europenne.

2.2 Colonisation
Le rle du franais comme langue mondiale dcoule de lexpansion coloniale du
pays, lance au XVIe sicle avec la fondation de la Nouvelle France par Jacques Cartier
(1534). La colonisation prend son essor au XVIIe sicle, en Amrique, avec la cration
des villes de Qubec (1608) et de Montral (1642 Ville Marie), la prise de possession
des les carabes comme la Guadeloupe (1635 Karukera) et la Martinique (1635), la
cession de Saint-Domingue (partie occidentale dHispaniola, aujourdhui Hati) par
lEspagne (trait de Ryswick 1697), et lexploration du bassin du Mississippi par
Cavelier de la Salle (1682) ; en Afrique, avec limplantation de comptoirs de commerce
sur la cte mditerranenne (ds 1603 en Tunisie) et atlantique (1659 Saint-Louis du
Sngal, 1686/1687 Assinie burnenne).
Aux XVIIe et XVIIIe sicles, la France entre galement en possession de plusieurs
les de lOcan Indien : La Runion (1638 le Bourbon), Madagascar (1642 le Dauphine), Maurice (1715 Isle de France), et les Seychelles (1742 les La Bourdonnais).
Au XIXe sicle commence la colonisation du territoire africain : sajoutent lAlgrie (1830), Djibouti (1884) et des pays africains dont rsultent plus tard deux entits
dadministration : lAfrique occidentale franaise (AOF, 18951958) avec le Sngal
(1854), le Bnin (1883 Dahomey), le Mali (1883 Soudan), la Cte dIvoire (1893), la
Guine (1893), le Burkina Faso (1896 Haute-Volta), le Niger (1897), et la Mauritanie
(1902) ; et lAfrique quatoriale franaise (AEF, 19101958), qui correspond aux pays
actuels du Gabon (1839), de la Rpublique Centrafricaine (1889 Oubangui-Chari), du
Congo (1891) et du Tchad (1899).
Suite la Premire Guerre mondiale, les ex-colonies allemandes du Cameroun et
du Togo (18841919) sajoutent, en grande partie, lEmpire franais, et les excolonies allemandes du Burundi et du Rwanda (18901919 partie de lAfrique orientale allemande), la colonie belge de la Rpublique dmocratique du Congo (Congo
Belge ; de 1971 1997 sous le nom de Zare).
Au Maghreb, la Tunisie (1881) et le Maroc (1912) deviennent des protectorats
franais, tandis que lAlgrie (1830) est intgre dans la mtropole, qui tablit une

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Ursula Reutner

colonie de peuplement, touffe les structures indignes, et pratique une politique


dacculturation massive.
Lengagement franais en Indochine se met en place en 1859, lorsque Napolon
III fait occuper Saigon sous le prtexte dy protger le christianisme. Viennent ensuite
le Vit-Nam (18621867 Cochinchine, 1883 Annam, 1884 Tonkin), le Cambodge (1863),
et le Laos (1893).

2.3 Dcolonisation
Lorsque la France constitue un deuxime empire colonial au XIXe sicle en Afrique,
elle a dj perdu la plupart des possessions de son premier empire en Amrique.
Certes, elle a conserv une partie de ses colonies antillaises, particulirement rentables grce la culture de la canne sucre, mais pour bien des Franais le Canada ne
reprsentait que quelques arpents de neige (cf. par ex. la figure du Martin in
Voltaire 1759, 209s., chapitre vingt-troisime : Cest une autre espce de folie, dit
Martin. Vous savez que ces deux nations sont en guerre pour quelques arpents de
neige vers le Canada, et quelles dpensent pour cette belle guerre beaucoup plus que
tout le Canada ne vaut ). Ainsi, lissue de la guerre de Sept Ans (trait de Paris
1763), le Qubec est cd lAngleterre, ce que Voltaire commente laconiquement,
dj en 1762, dans une lettre au comte de Choiseul : Jaime beaucoup plus la paix
que le Canada (Voltaire 1837, 528). LAngleterre stait alors dj empare de
lAcadie (trait dUtrecht 1713), dont elle chassa les colons partir de 1755, au cours
du Grand Drangement. Une partie dentre eux se rfugia en Louisiane, o ils diffusrent la culture (a)cadienne (angl. cajun), mais en 1763, la Louisiane passa sous le
contrle de la Couronne espagnole et, aprs un court intermde franais sous Napolon Ier (18001803), elle fut vendue aux tats-Unis. Hati, les ides de la Rvolution
franaise dclenchrent des troubles dune telle ampleur quen 1804, ils aboutirent
lindpendance et la fondation du premier tat au monde tre gouvern par
danciens esclaves. Celui-ci sera reconnu en 1825 par la France en change dune forte
indemnisation pour la perte territoriale.
Ce nest quaprs la Seconde Guerre mondiale que le processus de dcolonisation
proprement parler se met en marche. Il connatra diffrentes formes : la voie sans
doute la plus inhabituelle est celle de lassimilation, quempruntent partir de 1946 la
Martinique, la Guadeloupe, la Guyane franaise, et La Runion, en devenant des
dpartements doutre-mer.
Dautres dynamiques permettent laccs lindpendance travers des engagements politiques ou militaires. Sur le plan politique, lempire colonial devient, en
1946, lUnion franaise (qui regroupe dabord des tats et territoires associs, puis,
partir de 1956, des rpubliques semi-autonomes), et, en 1958, la Communaut franaise, qui ouvre ses membres la voie vers la souverainet, que la plupart des excolonies franaises en Afrique obtiennent en 1960.

177

Amnagement linguistique : Francophonie

En Indochine, la dfaite du Japon, qui occupait les territoires franais durant la


Seconde Guerre mondiale, a dj conduit une vacance de pouvoir, leur permettant
dacqurir la souverainet en 1953/1954. Au Maghreb, la Tunisie et le Maroc prennent
leur indpendance en 1956, alors que lAlgrie y parvient en 1962 seulement, aprs
des annes dune guerre civile sanglante.

3 LOrganisation internationale de la Francophonie


(OIF)
Leffondrement de lempire colonial renforce les protagonistes du mouvement francophone, soucieux de redfinir les relations entre les pays rcemment devenus indpendants et les autres tats francophones ainsi que de remdier la crise du franais,
amorce par la perte de son hgmonie en tant que langue des sciences et de la
diplomatie internationale et par la concurrence anglo-amricaine croissante. Les
rpercussions de leur engagement se manifestent dans lvolution de la Francophonie
comme organisation politique (pour plus de dtails cf. Bostock 1986 ; Lger 1987 ; Ttu
31992 ; Erfurt 2005 et les articles dans les manuels de franais de Holtus/Metzeltin/
Schmitt 1990 ; Kolboom/Kotschi/Reichel 2002).

3.1 Origines et volution


Parmi les premires actions menes dans le but de dfendre le franais figure la
fondation de lAlliance franaise (1883) par Faidherbe. partir des annes 1950, vient
sy ajouter une plthore dassociations prives et publiques, nationales et internationales : en 1952, lUIJPLF (Union internationale des journalistes de la presse de la langue
franaise, depuis 2001, UPF, Union internationale de la presse francophone) ; en 1954,
lUCF (Union culturelle franaise) ; en 1960, la CONFEMEN (Confrence des Ministres de
lducation [CME] des pays africains et malgaches dexpression franaise, rebaptise,
en 1987, CME des pays ayant en commun lusage du franais, en 1994, CME des pays
ayant le franais en partage, et, depuis 2012, CME des tats et gouvernements de la
Francophonie) ; en 1961, lAUPELF (Association des universits partiellement ou entirement de langue franaise, fusionne en 1994 avec lUREF, Universit des rseaux
dexpression franaise, et transforme en 1998 en AUF, Agence universitaire de la
Francophonie) ; en 1966, lOCAM (Organisation commune africaine et malgache) ; en
1967, le CILF (Conseil international de la langue franaise) ; et, en 1967, lAIPLF
(Association internationale des parlementaires de langue franaise, en 1989, rebaptise
Assemble, depuis 1998, APF, Assemble parlementaire de la Francophonie).
la fin des annes 1960, des politiciens qubcois et africains expriment leur
volont dune coopration politique plus troite quelle ne lest alors au sein de la

178

Ursula Reutner

CONFEMEN et de lOCAM. Le Qubec, voyant la francophonie comme un moyen de


consolider sa propre position par rapport au gouvernement fdral, reoit le soutien
inattendu de la France en 1967, avec la dclaration Vive le Qubec libre ! lance
par un de Gaulle emport par lenthousiasme, lors de son discours au balcon de
lhtel de ville de Montral devant une foule en liesse. Quand le Qubec, invit par le
Gabon la confrence du CONFEMEN, y participe sans avoir consult Ottawa, le
Canada rompt ses relations diplomatiques avec le Gabon. Ntant jusqualors quun
membre fondateur du Commonwealth et un ambassadeur du Canada anglophone
avant tout, mais demandant tre le seul reprsentant du pays sur la scne internationale, Ottawa dveloppe son tour un intrt pour la francophonie.
Lautre impulsion majeure sera donne par les chefs dtat africains qui souhaitent prserver lhritage culturel colonial. Parmi ces pres de la francophonie
figurent les prsidents sngalais Lopold Sedar Senghor, tunisien Habib Bourguiba,
nigrien Hamani Diori et libanais Charles Hlou. Lorganisation politique laquelle
ils aspirent se heurte pourtant au refus de la France, qui prfre les traits bilatraux
avec des tats individuels un rle de primus inter pares de la Francophonie. Aprs
une longue course dobstacles (Kazadi 1991, 49), les objectifs du groupe sont
dfinis dans le cadre de la coopration culturelle et technique et lagence du mme
nom, lACCT, est fonde en 1970.
Depuis les annes 1980, la concurrence de langlais est de plus en plus confronte
la propagation du multilinguisme aux dpens de lunilinguisme franais. Ce cheminement idologique vers un dialogue des cultures sobserve par ex. dans le fait que
lACCT a considrablement favoris la transcription et lanalyse des croles, alors que
dans la mentalit franaise traditionnelle, ces langues taient plutt carter.
Le Haut Conseil de la Francophonie (HCF), fond en 1984, est la premire organisation dont la dnomination porte le terme de francophonie. De 1986 2007, il a publi
un rapport biennal sur (ltat de) la Francophonie dans le monde (dans un premier
temps sous lgide de la France, aprs 2002 sous celle de lOIF, puis ralis tout les
quatre ans par lObservatoire de la langue franaise, cf. OLF 2010). La Francophonie
est intgre dans la politique officielle des pays. La principale avance vers son
tatisation est la mise en place de sommets bisannuels qui confortent son autorit de
manire continue : Versailles (France, 1986), Qubec (Canada-Qubec, 1987), Dakar
(Sngal, 1989), Chaillot (France, 1991), Grand Baie (Maurice, 1993), Cotonou (Bnin,
1995), Hano (Vit-Nam, 1997), Moncton (Canada-Nouveau-Brunswick, 1999), Beyrouth (Liban, 2002), Ouagadougou (Burkina Faso, 2004), Bucarest (Roumanie, 2006),
Qubec (Canada-Qubec, 2008), Montreux (Suisse, 2010), Kinshasa (Congo, 2012),
Dakar (Sngal, 2014).
la fin de la guerre froide, la Francophonie saisit cette opportunit pour tendre
son influence politique internationale. En accueillant un grand nombre de nouveaux
membres dans lesquels le franais ne joue quun rle minime au quotidien, non
seulement elle renforce son htrognit interne, mais elle met aussi nettement en
vidence le dtachement entre francophonie et comptence linguistique. Cette nou

179

Amnagement linguistique : Francophonie

velle politique dadmission peut sappuyer sur des liens historico-culturels, mais le
changement idologique semble maner avant tout de raisonnements conomiques et
politiques. Au plan terminologique, il sexprime par la dnomination des sommets,
intituls ds 1993, Confrences des chefs dtats et de gouvernements des pays ayant en
commun lusage du franais en [] ayant le franais en partage.
Face ces nouvelles prtentions politiques, un centre de dcision supranational
tel que lACCT tombe dans la dsutude. En 1997, il est remplac par la structure
pyramidale de lOrganisation internationale de la Francophonie (OIF) sous la direction
dun secrtaire gnral : de 1997 2002, lgyptien Boutros Boutros-Ghali (1997
2002), qui succdrent le Sngalais Abdou Diouf et, depuis le 1er janvier 2015, la
Qubcoise Michalle Jean, ne en Hati. Paralllement, les comptences de lACCT
sont rduites, elle est rebaptise AIF (Agence intergouvernementale de la Francophonie) et place sous lgide du secrtaire gnral de lOIF. Les sommets constituent les
plus hautes instances de cette structure et saccompagnent de la Confrence ministrielle de la Francophonie (CMF) et du Conseil permanent de la Francophonie (CMP).
Ainsi se parachve le passage, initi par la mise en place des sommets, dune politique
supranationale une politique intergouvernementale.

3.2 tats membres


La fondation de lACCT datant de 1970, la Francophonie est nettement plus jeune que
le Commonwealth, fond en 1931 par le Statut de Westminster. Celui-ci se distingue de
lOIF par plusieurs aspects. Tout dabord, par opposition au secrtaire gnral de la
Francophonie, il est plac sous lautorit de la Couronne dAngleterre. Ensuite, son
facteur unificateur est plutt de nature conomique, contrairement la base linguistique et culturelle de la Francophonie. Enfin, il se limite aux pays de lancien Empire
Britannique, auquel manquent des protagonistes majeurs comme les tats-Unis,
lAfrique du Sud, Irlande ou Pakistan, alors que lextension de la Francophonie
dpasse dj lEmpire colonial du XIXe sicle avec la Belgique et le Canada, et plus
encore avec larrive de nouveaux pays au cours des vingt dernires annes. Nanmoins, le Commonwealth regroupe 2,2 milliards de personnes, contre seulement 890
millions pour la Francophonie.
En 2015, lOIF comprend 80 pays : 57 membres, dont 3 associs (a) et 1 suspendus
(s), et 23 observateurs (o), dont un suspendu (s). Dans ce qui suit, ils seront classs
selon le statut dont jouit le franais dans chaque pays : (a) langue officielle, (b) langue
co-officielle ou (c) ni lun ni lautre. Chaque catgorie est subdivise selon lappartenance gographique, puis lintrieur de cette sous-catgorie, selon les dates dadhsion lACCT/OIF, et pour les dates identiques, ordonns par ordre alphabtique.
(a) Le franais est la langue officielle unique de 15 entits, toutes devenues
membres dans les annes 1970/1977 ou 1980/1981 : en Europe, ce sont la France
(1970) et Monaco (1970) ; en Afrique, le Bnin (1970), le Burkina Faso (1970), la Cte

180

Ursula Reutner

dIvoire (1970), le Gabon (1970), le Mali (1970), le Niger (1970), le Sngal (1970), le
Togo (1970), la Rpublique dmocratique du Congo (1977), le Congo (1981), et la
Guine (1981). Sy ajoutent le Qubec (1971) et la Fdration Wallonie-Bruxelles
(1980), tous deux ne formant pas des pays souverains, mais faisant partie dautres
tats membres par lesquels ils estiment ne pas tre suffisamment reprsents.
Ceux-ci sont lists dans la catgorie (b) du franais comme langue co-officielle
aux cts dune ou de plusieurs autres langues, qui compte 17 pays : en Europe, la
Belgique (1970 + flamand, allemand), le Luxembourg (1970 + allemand, luxembourgeois), et la Suisse (1996 + allemand, italien, romanche) ; en Amrique, le Canada
(1970 + anglais), Hati (1970 + crole), et comme troisime entit faisant partie dun
tat fdral le Nouveau-Brunswick (1977 + anglais) ; en Afrique, le Burundi (1970 +
kirundi), le Rwanda (1970 + anglais, kinyarwanda), le Tchad (1970 + arabe), la
Centrafrique (s1973 + sango), le Cameroun (1975 + anglais), Djibouti (1977 + arabe), et
la Guine quatoriale (1989 + espagnol) ; dans lOcan Indien et Pacifique, Madagascar (1970 + malgache), les Seychelles (1976 + crole, anglais), les Comores (1977 +
shikomor, arabe), et Vanuatu (1979 + anglais, bichlamar).
(c) Dans 48 tats, le franais nest ni langue officielle, ni co-officielle. Dans une
partie dentre eux, il est ancr historiquement et aujourdhui encore, partiellement
tabli comme langue quotidienne, alors que le ralliement dautres pays se justifie
plutt par le rayonnement culturel du franais. Plusieurs dentre eux sont devenus
membres aprs la chute de la Rpublique Sovitique, dont lOIF a su profiter au
niveau gopolitique.
Les pays dEurope de lEst ayant adhr aprs la restructuration de lEurope
orientale, bien que le franais ny joue, au mieux, quun rle symbolique, sont la
Bulgarie (1991 bulgare), la Roumanie (1991 roumain), la Moldavie (1996 moldavien), la Pologne (o1997 polonais), lAlbanie (1999 albanais), la Lituanie (o1999
lituanien), la Rpublique tchque (o1999 tchque), la Slovnie (o1999 slovne), la
Macdoine (2001 macdonien), la Slovaquie (o2002 slovaque), la Croatie (o2004
croate), la Gorgie (o2004 gorgien), la Hongrie (o2004 hongrois), la Serbie
(o2006 serbe), lUkraine (o2006 ukrainien), lArmnie (2008 armnien), la
Lettonie (o2008 letton), la Bosnie-Herzgovine (o2010 croate, bosnien, serbe),
lEstonie (o2010 estonien), le Montngro (o2010 montngrin), et le Kosovo
(o2014 albanais, serbe). Les pays du reste de lEurope qui se sont ajouts au cours
du troisime millnaire sont Andorre (2004 catalan), lAutriche (o2004 allemand),
la Grce (2004 grec) et Chypre (a2006 grec, turc).
Parmi les membres dAmrique qui naccordent pas de statut officiel au franais,
figurent les deux les voisines des DOM antillais, la Dominique (1979 anglais) et
Sainte-Lucie (1981 anglais), dont le rle de pomme de discorde entre colonialistes
anglais et franais explique la coexistence de langlais avec un crole base lexicale
franaise. Sy ajoutent la Rpublique dominicaine (o2010 espagnol), lUruguay
(o2012 espagnol), le Costa Rica (o2014 espagnol), et le Mexique (o2014 espagnol). En Afrique, il y a deux pays du Maghreb, la Tunisie (1970 arabe) et le Maroc

Amnagement linguistique : Francophonie

181

(1981 arabe, berbre), o le franais nest plus une langue officielle en raison de la
politique darabisation entreprise depuis lindpendance, mais reste bien prsent
dans la vie quotidienne, ainsi que la Guine-Bissau (1979 portugais), la Mauritanie
(1980 arabe), lgypte (1983 arabe), le Cap-Vert (1996 portugais), Sao Tom-etPrincipe (1999 portugais), le Ghana (a2006 anglais), et le Mozambique (o2006
portugais). La participation du Proche Orient est assure par lancien membre bien
francophone que reprsente le Liban (1973 arabe), et par les nouvellement concerns mirats arabes unis (o2010 arabe) et Qatar (a2012 arabe) ; celle de lExtrme
Orient, par les pays de lancienne Indochine sous lEmpire : Vit-Nam (1970 vietnamien), Laos (1972 laotien) et Cambodge (1991 khmer), auxquels sest rcemment
ajoute la Thalande (o/s2008). La liste des membres ayant une langue officielle autre
que le franais se termine avec lle Maurice dans lOcan Indien (1970 anglais).

4 Amnagement linguistique externe


Ces diffrentes catgories du statut du franais dans les tats membres de lOIF
rsultent de lamnagement linguistique entrepris. Ce concept se rfre une politique qui vise modifier le status et/ou le corpus dune langue la dfense et
lillustration de la langue, dans les termes de Du Bellay. Sur le plan du status
(amnagement externe), il dsigne les mesures prises pour modifier les domaines
demploi des langues dans une socit (en allemand Sprachenpolitik), sur le plan du
corpus (amnagement interne), une politique consacre slectionner, adapter, laborer et codifier le corpus dune langue (en allemand Sprachpolitik).
Le statut dune langue comme langue officielle peut tre inscrit dans la Constitution. Celle de la France stipule par ex. : La langue de la Rpublique est le franais
(art. 2), celle de la Confdration suisse Les langues nationales sont lallemand, le
franais, litalien et le romanche (art. 4), et celle de lAutriche Die deutsche
Sprache ist, unbeschadet der den sprachlichen Minderheiten bundesgesetzlich eingerumten Rechte, die Staatssprache der Republik (art. 8, al. 1 Lallemand est la
langue officielle de la Rpublique dans la mesure o elle ne porte pas atteinte aux
droits accords par la loi fdrale aux minorits linguistiques), mais labsence dune
telle prcision ne remet pas en cause lexistence de facto dune langue officielle, qui
ne fait pas de doute aux tats-Unis ou en Allemagne bien que leurs Constitutions ne
mentionnent pas, respectivement, langlais et lallemand.
tant donn que la constitutionnalit ne figure pas comme critre dcisif pour
dterminer le statut dune langue, les politiques linguistiques des diffrents pays sont
plus complexes et aboutissent un ventail de situations spcifiques (pour une vue
densemble, cf. les articles dans les manuels sur la francophonie dits par Valdman
1979 ; Robillard/Beniamino 1993/1996 ; Reutner en prp. ; dans les manuels du franais de Holtus/Metzeltin/Schmitt 1990 ; Kolboom/Kotschi/Reichel 2002 ; dans les
histoires du franais dAntoine/Cerquiglini 2000 ; dErnst et al. 2003 ; de Picoche/

182

Ursula Reutner

Marchello-Nizia 41996 ; ainsi que le portrait global dress par Deniau 1983 ; Pll 2001 ;
et, pour plus de dtails, la bibliographie indique dans les paragraphes suivants).
Dans le cadre dun article de manuel, il semble judicieux de dgager trois scnarios
principaux : dans deux dentre eux, la coexistence du franais avec une ou plusieurs
autres langues est rglemente en protgeant soit certaines des fonctions du franais
dans lensemble du pays (4.1), soit toutes ses fonctions sur un territoire spcifique
(4.2) ; dans le troisime scnario, cest ltablissement du franais en tant que langue
unique qui est ralis en supplantant la langue dominante (4.3).

4.1 Diffrenciation fonctionnelle


La premire variante de la diffrenciation fonctionnelle comprend des ralits particulirement htrognes qui seront illustres titre dexemple par le Luxembourg, le
Val dAoste, des les crolophones, ainsi que des pays africains.
Le duch de Luxembourg (rattach aux Pays Bas en 1815, souverain depuis la
cession du quartier wallon en 1839) dispose de trois langues officielles. Le bilinguisme
tabli en 1848 ( Lemploi des langues allemande et franaise est facultatif , art. 30) a
t aboli en 1948, suite lexprience de deux guerres mondiales, et transform en
trilinguisme en 1984 : depuis, la langue maternelle et quotidienne de la population
autochtone luxembourgeoise est langue nationale et avec quelques restrictions
galement la troisime langue officielle. Le franais est enseign lcole partir de
la deuxime anne, remplace par la suite lallemand comme langue denseignement
et domine, conjointement avec lallemand, la communication officielle. tant donn
que 16% de la population se compose dimmigrs portugais auxquels sajoutent
ditaliens et dautres groupes romanophones, cest le franais qui lemporte sur
lallemand et gagne aussi de plus en plus les domaines non-officiels (Dahmen et al.
1992 ; Kramer 1984 ; Sieburg 2013).
Une autre variante de diffrenciation fonctionnelle caractrise le Val dAoste
(partie de la Savoie depuis 1032, vite largement autonome, intermde franais de 1798
1814, attribution lItalie en 1860, rgion autonome depuis 1948). Sa langue autochtone est le dialecte franco-provenal valdtain ; mais le franais, dclar langue
officielle unique ds 1561, tait bien tabli au moment de lunification de lItalie. La
politique ditalianisation qui sensuit est applique avec un zle particulier contre
toutes les langues minoritaires du pays au cours du Ventennio fascista double
dcennie fasciste : partir de 1922, lenseignement en franais et les journaux
franais sont interdits, les toponymes sont italianiss et litalien est tabli comme
seule langue judiciaire. loppos du Haut-Adige et sauf pour la capitale Aoste
(Aosta), les noms italiens sont remplacs de nouveau par les toponymes autochtones
aprs la dfaite des fascistes. La Constitution de 1947 prcise dans larticle 6 : La
Repubblica tutela con apposite norme le minoranze linguistiche La Rpublique
protge les minorits linguistiques avec des normes appropries (concrtis par la loi

183

Amnagement linguistique : Francophonie

612 de 1999) et proclame, dans larticle 116, le Val dAoste rgion autonome, dont le
statut dautonomie de 1948 stipule que la langue franaise et la langue italienne
sont galises (art. 38). Nanmoins, litalien domine aujourdhui clairement la vie
officielle de la rgion et la majorit des valdtains le dclarent comme langue
maternelle. Pour le franais, il ne reste que les domaines de lducation et du tourisme
(cf. Jablonka 1997 ; Bauer 1999).
Les Antilles franaises sont un exemple de diffrenciation fonctionnelle pour
loutre-mer : lemploi du crole sy restreint gnralement la vie quotidienne, alors
que les domaines prestigieux de lcole, de ladministration et des mdias sont
domins par le franais. Il serait pourtant rducteur de vouloir cantonner le franais
au rle de langue vhiculaire et le crole, celui de langue vernaculaire. Dune part,
le crole est concurrenc par le franais dans son rle de langue quotidienne, pour le
moins au sein de la jeune gnration qui a grandi avec les deux langues. Dautre part,
il existe depuis longtemps des initiatives visant tablir le crole dans les domaines
du langage distanci. Le crole a en effet connu une reconnaissance lgislative
significative au tournant du sicle avec la Loi dorientation pour loutre-mer, qui
stipule dans larticle 34 que les langues rgionales en usage dans les dpartements
doutre-mer font partie du patrimoine linguistique de la Nation et tend la Loi
Deixonne de 1951 aux croles. Non sans faire surgir un dbat passionn, un CAPES est
mis en place en 2001, ce qui institutionnalise la formation des professeurs de crole
(cf. Reutner 2005).
Sur dautres les crolophones, le franais est la langue co-officielle : aux Seychelles avec langlais et le crole, en Hati, en diglossie avec le crole comme varit
basse, qui est la seule langue matrise par la grande majorit. En revanche, sur lle
Maurice, le franais est bien la langue des mdias, de la littrature, et le moyen de la
communication de la bourgeoisie, mais la langue officielle de ladministration est
langlais, alors que le crole est la seule langue connue par presque toute la population et la langue quotidienne de la grande majorit, non seulement des Croles, mais
galement de nombreux Mauriciens dorigine indienne qui ont immigr aprs labolition de lesclavage, forment presque deux tiers de la population totale et ont apport
des langues dites ancestrales comme le bhojpuri (Berrout-Oriol et al. 2011 ; Carpooran 2003).
En Afrique subsaharienne, le franais nest gnralement que la langue maternelle dune minorit, mais demeure malgr tout la langue officielle ou co-officielle des
18 tats francophones. Leur constitution en tant qutats indpendants, au cours de
la grande vague de dcolonisation qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, requrait
une dcision sur la langue officielle. Il peut sembler contraire aux intrts indpendantistes de maintenir lidiome de lancienne puissance coloniale, mais plusieurs
aspects jouaient en sa faveur : au moment de lindpendance, le franais tait bien
tabli au sein de ladministration, du systme scolaire, et disposait dun lexique bien
plus labor que les langues africaines. Dans les jeux de pouvoir entre diffrents
groupes de population, il offrait en outre lavantage de la neutralit interne et pouvait

184

Ursula Reutner

agir comme lment de cohsion. De plus, lindpendance a partiellement libr le


franais du stigmate de lalination, mme si dans la majorit des pays, un trs grand
nombre des habitants voient leurs perspectives dascension sociale freines par le fait
quils ne sont pas, plus de 80% de la population, locuteurs rels.
Lenvironnement linguistique diffre dans chacun des 18 pays francophones
dAfrique noire, mais il est tout de mme possible de distinguer deux configurations de
base, qui, loin de constituer une dichotomie, forment plutt les ples dun continuum.
lune des extrmits de ce dernier, une ou plusieurs langues africaines font office de
langue(s) vhiculaire(s) en plus du franais. Sur le plan externe, ces langues autochtones restreignent la domination du franais dans quelques domaines ; sur le plan
interne, elles possdent le potentiel dinfluencer sur le franais. Citons, titre dexemple, le Burundi avec le kirundi comme langue vernaculaire matrise par presque tous
les habitants, qui rduit le franais certains domaines de la distance communicative
(cf. Frey 1996, 11). Une situation similaire sobserve avec le sango en Centrafrique et le
wolof au Sngal, qui est, avec le pular, le serere, le mandingue, le dioula et le
soninke, lune des six langues nationales du pays, et que plus de 80% de la population
emploient comme langue premire ou seconde. Daprs les chiffres de Rossillon (1995,
88), en 2003, 68% des Sngalais navaient aucune connaissance du franais, 21% ne
le parlaient quau niveau L1 (minimum deux ans dapprentissage du franais), 11% au
niveau L2 (minimum six ans dapprentissage du franais). Et pourtant, linstruction
scolaire est conue pour des apprenants de langue maternelle, ce qui conduit au
constat que le franais est mal enseign et mal assimil (Daff 1996, 569).
lautre extrmit du continuum, on rencontre des situations dans lesquelles un
grand nombre de langues autochtones sont employes paralllement au franais. Cette
situation de concurrence entre les langues africaines est profitable au statut du franais, aucune de ces langues nayant suffisamment de poids pour remettre en cause sa
domination dans les contacts interrgionaux. Labsence de langue autochtone dominante peut tre illustre par les exemples du Cameroun avec 239 langues, du Congo
avec 70 langues (dont le lingala, le munukutuba et le lari comme langues vhiculaires
locales) ou la Cte dIvoire avec environ 60 langues, dont le dioula, parl tout de mme
par 65% de la population, mais limit aux contacts commerciaux et troitement li
lIslam. Le franais reprsente une alternative viable pour la comprhension interethnique : daprs les donnes de Rossillon (1995, 84) en 2003, 33% le matrisent au
niveau L1, 16% au niveau L2 et seulement 51% ne le parlent pas du tout.

4.2 Diffrenciation territoriale


Autrement que par le principe de la diffrenciation fonctionnelle, le plurilinguisme
peut se grer par le moyen de la territorialit, qui compte les exemples classiques de
la Suisse et de la Belgique. Commenons par la Suisse (Confdration helvtique sous
dominance germanophone partir de 1291, Rpublique helvtique en faveur de

185

Amnagement linguistique : Francophonie

lgalit linguistique de 1798 1814, Constitution tablissant le trilinguisme en 1848,


reconnaissance du romanche comme quatrime langue nationale en 1938). La Constitution actuelle stipule, depuis sa dernire rvision totale de 1999, que les langues
officielles de la Confdration sont lallemand, le franais et litalien. Le romanche est
aussi langue officielle pour les rapports que la Confdration entretient avec les
personnes de langue romanche (art. 70, al. 1) et ajoute Les cantons dterminent
leurs langues officielles. Afin de prserver lharmonie entre les communauts linguistiques, ils veillent la rpartition territoriale traditionnelle des langues et prennent en
considration les minorits linguistiques autochtones (art. 70, al. 2). Lunilinguisme
franais a t choisi par les cantons de Genve, de Neuchtel et de Vaud, et tait
galement lun des arguments en faveur de ltablissement en 1979 dun nouveau
canton, le Jura rgion francophone catholique, rattache par le Congrs de Vienne
de 1814 au canton germanophone protestant de Berne, mais devenue souveraine suite
des mouvements indpendantistes couronns de plbiscites. Les cantons de Berne,
de Fribourg et du Valais ont opt pour le bilinguisme franco-allemand. Le seul canton
trilingue est celui des Grisons avec lofficialit de lallemand, de litalien et du romanche, le seul canton unilingue italien le Tessin ; le reste des 23 cantons (+ 3 semicantons) est unilingue allemand (cf. Schlpfer/Bickel 2000).
Lunit du pays nest pas remise en question par la territorialit linguistique, bien
que les diffrents groupes de population ne puissent pas coexister dans une absence
totale de conflits, en Suisse comme dans tout autre pays dmocratique. Ce nest pas
un hasard si la proportionnalit joue un rle pivot dans le choix du personnel
politique et que des mtaphores culinaires comme celle de la barrire de rsti, qui
sparerait la Suisse germanophone de la Suisse francophone, ou encore celle, un peu
moins rpandue, de la barrire de polenta, qui sparerait le Tessin des Grisons, ne
sont pas toujours employes sur le ton de la plaisanterie. Mais en aucun cas, elles ne
sont comparables au rideau de betteraves, la frontire linguistique belge (tablie en
1932, adapte et fixe en 1963) qui spare la Flandre de la Wallonie.
En Belgique (Bourgogne de 1384 1477, sous domination habsbourgeoise partir
de 1477, intermde franais sous Napolon de 1794 1814, unification avec les Pays Bas
et le Luxembourg par le Congrs de Vienne en 1815, indpendance en 1830), il y a deux
protagonistes linguistiques : les Flamands (Rgion Flandre, Vlaams Gewest, et Communaut flamande, Vlaamse Gemeenschap, unies en 1980 pour former la Vlaamse Raad),
et les francophones (Rgion Wallonie et Communaut franaise). Sy ajoutent une
minorit germanophone (Communaut germanophone denviron 65.000 locuteurs) et
la Rgion de Bruxelles-Capitale, officiellement bilingue. Le fait que les francophones
dominent effectivement la capitale nest pas acceptable pour les Flamands, dautant
plus que celle-ci est en train de dborder sur la priphrie flamande. Depuis 1963, six
communes priphriques fort pourcentage francophone jouissent de droits exceptionnels qui leur facilitent la communication avec ladministration. De telles communes
facilits sont tablies galement le long des frontires linguistiques franco-nerlandaise et franco-allemande pour protger les minorits linguistiques respectives.

186

Ursula Reutner

Le conflit linguistique en Belgique est virulent : les francophones ne reprsentent


que 40% environ de la population totale de la Belgique et constituent, de ce fait, une
minorit quantitative. En dpit de la prpondrance numrique des Flamands, ils
formaient la majorit qualitative lors de la fondation de ltat belge en 1830, lessor
de lindustrie minire au XIXe sicle leur garantissant la dominance conomique, et
le prestige du franais comme langue culturelle de la bourgeoisie flamande galement, leur assurant la dominance culturelle. Mais le succs du mouvement dmancipation flamand (Vlaamse Beweging), le dclin de lindustrie minire et lascension
conomique de la rgion flamande ont remis en question la domination de la
population franaise. Ces changements de pouvoir se traduisent par des modifications lgislatives : de la Constitution de 1830, qui stipulait lofficialit de la version
franaise des lois uniquement, en passant par la dclaration de la co-officialit du
flamand dans les provinces flamandes en 1873 et dans tout le pays en 1898,
jusquaux lois linguistiques des annes 30 et 60 et aux nombreux rformes constitutionnelles (1970, 1980, 1988/1989, 1993). Mais il reste difficile, jusqu prsent,
dinstaurer un quilibre satisfaisant entre Flamands et francophones. En tmoignent
les lections de 2010, qui se sont soldes par une victoire crasante des sparatistes
flamands de la Nieuw-Vlaamse Alliantse (N-VA), mais ont galement fait des socialistes francophones du Parti Socialiste (PS) la deuxime puissance politique du pays, et
plus particulirement la formation du gouvernement qui a suivi ces lections et dur,
de juin 2010 dcembre 2011, au total 535 jours (cf. Blampain et al. 1997 ; Reutner
2009b).

4.3 Unilinguisme franais


Ltablissement de la territorialit par la marginalisation dune langue concurrente
bien enracine est une voie exceptionnelle qui a t emprunte par le Qubec. Au
regard de la prsence historique de langlais, ainsi que de lenvironnement triplement
anglophone du Qubec langlais tant la langue de la majorit canadienne, du pays
limitrophe des tats-Unis et la langue mondiale , il peut paratre utopique daspirer
imposer le monolinguisme franais. Or, de nombreux Qubcois estiment justement
que lalternative du bilinguisme franco-anglais nest pas raliste, puisquelle mnerait
forcment la marginalisation du franais et donc au monolinguisme anglais : Le
dbat ne peut pas tre le mme quen France. Le Qubec est un lot francophone au
contexte nord-amricain. Le dbat est trs enflamm ici parce que a touche notre
culture, notre identit. Pour nous, cest une question de survie (Guy Bertrand de
Radio-Canada in Reutner 2009a, 172), dans un contexte nord-amricain, there will
always be one language which is more equal than another and that would be English.
[] Je leur dis [aux dfenseurs de la langue anglaise] : Vous ntes pas une vraie
minorit, vous tes les reprsentants dune majorit extrieure ! (Grald Paquette
de lOQLF in Reutner 2009a, 172).

187

Amnagement linguistique : Francophonie

Revenons quelque temps en arrire : en 1763, lorsque le pays tombe aux mains
des Anglais, les Qubcois se sentent trahis par la France et, avec langlicisation, trs
vite trangers dans leur propre pays. Avec la fondation de ltat fdral en 1867 (Acte
de lAmrique du Nord Britannique, AANB) le Canada devient de jure bilingue, mais de
facto, cest la politique dassimilation qui prend le dessus. Les francophones, catholiques et conservateurs, ne contrent dabord la prdominance anglo-protestante que
par un taux de natalit lev (revanche des berceaux) et ce nest quau cours de la
Rvolution tranquille (19601962) quils dveloppent la confiance ncessaire pour
manifester une relle opposition. Le gouvernement fdral met en place la Commission royale denqute sur le bilinguisme et le biculturalisme (1963) et vote la Loi sur les
langues officielles (1969), dans laquelle le bilinguisme institutionnel est fix lchelle
nationale. Mais le bilinguisme ne parvient pas rsoudre les problmes prsents au
Qubec. La Commission denqute sur la situation de la langue franaise et sur les droits
linguistiques au Qubec, mise en place ct qubcois en 1968, constate entre autres le
rle marginal des comptences en franais pour une carrire au sein dentreprises
qubcoises et la prfrence accorde aux anglophones que cela implique (cf. Gendron 1972).
Le chemin lgislatif vers le monolinguisme se droule en trois tapes : la Loi 63,
Loi pour promouvoir la langue franaise au Qubec (1969), introduite par le gouvernement de lUnion nationale, rend le franais obligatoire dans les coles anglophones,
mais laisse le choix de la langue denseignement et se contente de formuler des
objectifs pour la langue sur le lieu de travail et en matire daffichage public : Sous
une appellation trompeuse, cette loi officialisait le bilinguisme qubcois (Rocher
2002, 19). La Loi 22 ou Loi sur la langue officielle (1974) des libraux comporte
galement de nombreuses lacunes, qui ne pourront tre combles quavec la Loi 101,
aussi appele Charte de la langue franaise (1977), du Parti qubcois. Cette dernire
stipule : Le franais est la langue officielle du Qubec (art. 1) et reprsente un
choc pour le Qubec anglophone. [] Du jour au lendemain, [il] devenait minoritaire
(Caldwell 2002, 29).
La Loi 101 dclenche une guerre linguistique dans laquelle les francophones
conservent lavantage, bien que les anglophones obtiennent la modification de certains articles : la reconnaissance des textes lgislatifs et juridiques dans leur version
franaise uniquement (art. 713) entre en contradiction avec larticle 133 de lAANB,
et, en 1979, elle est dclare anticonstitutionnelle (arrt Blaikie). Laccs aux coles
anglaises, restreint ceux dont les parents ont reu un enseignement primaire en
anglais au Qubec (clause Qubec, art. 73), en exclut les Anglo-Canadiens venus
sinstaller et se voit modifi en 1984 par une dcision de la Cour suprme, base sur la
clause Canada (art. 23) de la Charte canadienne des droits et liberts (1982). Cette
dernire garantit galement la libert dexpression, que beaucoup estiment incompatible avec lobligation dutiliser une signaltique exclusivement franaise (art. 58).
Dclare anticonstitutionnelle (arrt Ford), elle est modifie dans un premier temps
par la Loi 178 (1988), qui autorise dautres langues lintrieur des tablissements

188

Ursula Reutner

publics et commerciaux, pourvu que le franais reste prdominant, puis suite des
critiques de la part de la Commission des droits de lhomme de lONU par la Loi 86
(1993), qui autorise les autres langues en extrieur galement (cf. Reutner 2009a,
162s.).
Si la langue daffichage peut paratre purement symbolique pour certains, dautres y voient une protection contre le retour au bilinguisme et (puisquil deviendrait
inutile pour les anglophones dapprendre le franais) la ranglicisation de la
province. La russite que cela reprsente pour les amnagistes qubcois apparat
clairement lvocation de la situation dcrite par le voyageur Alexis de Tocqueville
en 1831 : [] il est facile de voir que les Franais sont le peuple vaincu. Les classes
riches appartiennent pour la plupart la race anglaise. Bien que le franais soit la
langue presque universellement parle, la plupart des journaux, les affiches, et
jusquaux enseignes des marchands franais sont en anglais ! Les entreprises
commerciales sont presque toutes en leurs mains. Cest vritablement la classe
dirigeante du Canada (1831, 202).
prsent, le principal dfi consiste rglementer limmigration : cet effet, le
Qubec a obtenu un transfert de la comptence fdrale lchelon provincial afin de
pouvoir accueillir en priorit les immigrants de pays francophones (France, Hati,
Liban, Maghreb, Vit-Nam) (cf. Commission 2001 ; Plourde 2000 ; Valdman/Auger/
Piston-Hatlen 2005).

5 Amnagement linguistique interne


La pluricontinentalit du franais est la consquence de lexpansion coloniale, responsable galement de celle de langlais, de lespagnol et du portugais. Des diffrences existent toutefois : dune part, le franais se distingue par sa tradition en tant
quancienne langue universelle, par la rflexion mtalinguistique qui y est associe,
et par limportance exceptionnelle accorde au bon usage. Dautre part, le groupe
dominant de locuteurs francophones est concentr en Europe, alors que le poids
dmographique de langlophonie, de lhispanophonie et de la lusophonie rside en
Amrique. la diffrence de Londres, de Madrid ou de Lisbonne, Paris joue encore
aujourdhui un rle central dans la dfinition de la norme. Or, les pays francophones
extrieurs la France commencent de plus en plus revendiquer leur souverainet
linguistique et aborder la valorisation explicite de varits nationales. Cest particulirement le cas au Canada, en Belgique et en Suisse qui ralisent un amnagement
interne sur plusieurs plans : en slectionnant les formes locales devant relever du bon
usage de la langue et en fondant des institutions qui sen occupent (5.1), ainsi quen
codifiant le lexique et lorthographe et en laborant des rgles autonomes sur le plan
de la terminologie et du politiquement correct (5.2). Pour expliquer la formation et
lemploi de normes endognes implicites, nous terminerons sur quelques exemples
de lAfrique et de la Carabe (5.3).

189

Amnagement linguistique : Francophonie

5.1 Slection et implmentation


Au vu de la forte pression exerce par la norme parisienne, les varits rgionales ou
nationales sont traditionellement stigmatises. Le recueil Flandricismes, wallonismes
et expressions impropres dans le langage franais (1803) de Poyart en Belgique ou le
Manuel des difficults les plus communes de la langue franaise (1841) de Maguire au
Qubec sont les premiers dune longue srie douvrages correctifs du style dites, ne
dites pas (cf. Martel/Cajolet-Laganiere 1996, 21s., 27s.). De nombreux francophones
priphriques en taient persuads : [.] nous parlons mal, nous parlons trs mal
(Quievreux 1928). La langue concurrente tait accuse dune prtendue corruption
linguistique, comme le montrent bien le titre parlant de Tardivel au Qubec Langlicisme, voil lennemi (1880) ou la Chasse aux belgicismes (Hanse/Doppagne/
Bourgeois-Gielen 1971 ; 1974) promue par les puristes wallons pour stigmatiser les
flandricismes en Belgique.
Cest en 1969 que sexprime pour la premire fois officiellement lide que les
particularits lexicales ne sont pas uniquement des dviances connotation pjorative, mais quelles peuvent galement servir pour reflter la ralit du pays : lOLF
anoblit alors des expressions se rapportant des spcificits qubcoises dans sa liste
de Canadianismes de bon aloi, qui contient par ex. des amrindianismes relatives la
faune et la flore comme ouaouaron, et constitue un pas important, du moins symboliquement, pour surmonter lancien complexe dinfriorit.
LOffice [depuis 2002 Office qubcois] de la langue franaise (O[Q]LF) est lune
des deux institutions fondes en 1961 pour amliorer la qualit de la langue dans la
francophonie priphrique, lautre tant lOffice du bon langage (OBL) en Belgique.
Plusieurs organismes sont mis en place pour conseiller les gouvernements sur des
questions linguistiques : au Qubec, en 1977, le Conseil [depuis 2002 Conseil suprieur]
de la langue franaise (C[S]LF), en Belgique, en 1985, le Conseil suprieur de la langue
franaise (CSLF), et en Suisse, en 1992, la Dlgation la langue franaise (DLF).
En Louisiane, le Council for the Developpement of French in Louisiana (CODOFIL)
est cr au cours du Civil Rights Mouvement en 1968, afin de soutenir le franais en
tant que deuxime langue. Cependant, la norme vise tant celle du franais standard, les enseignants tant recruts en France, en Belgique et au Qubec, et les
particularits locales ntant pas tenues en compte, le complexe dinfriorit linguistique de la population na fait que saccrotre et linitiative risquait dtre contreproductive. Mais en fin de compte, la politique de francisation rencontre tout de mme le
succs grce lengagement des intellectuels cadiens et au soutien de jeunes Louisianais bilingues (cf. Clermont/Beniamino/Thauvin-Chapot 2006).
Pour lenseignement au Qubec, lAssociation qubcoise des professeurs de franais uvre en 1977 pour que la norme du franais dans les coles du Qubec soit le
franais standard dici , dfini comme tant la varit du franais socialement
valorise que la majorit des Qubcois francophones tendent utiliser dans les
situations de communication formelles (cf. Martel/Cajolet-Laganire 2000, 380)

190

Ursula Reutner

un compromis appropri entre le renforcement outrance des particularits locales et


lalignement aveugle sur la norme parisienne.
Les prsentateurs de Radio-Canada font figure de modle pour la prononciation
qubcoise et peuvent consulter les employs dun vaste dpartement de leur socit
charg prcisment de la qualit linguistique.

5.2 Codification et laboration


Les nouvelles normes implicites ont t traduites en normes explicites, cest--dire
codifies dans des dcrets, des arrts et des dictionnaires. Linscurit linguistique
qubcoise dbouche jusqu prsent sur des ouvrages correctifs de haute qualit,
parmi lesquels le Multidictionnaire [des difficults] de la langue franaise ([1988] 62015)
de Marie-va de Villers ou le guide de correspondance Le franais au bureau ([1977]
62005) dHlne Cajolet-Laganire et Nolle Guilloton. Mais cest la tradition de
dictionnaires globaux non-diffrentiels qui est exceptionnelle pour un pays de la
francophonie priphrique : le Dictionnaire gnral de la langue franaise au Canada
([1954/1957] 21971 ; 31979 sous le nom du Dictionnaire nord-amricain de la langue
franaise) de Louis-Alexandre Blisle, le Dictionnaire du franais plus lusage des
francophones dAmrique (DFP 1988) de Claude Poirier, et le Dictionnaire qubcois
daujourdhui (DQA [1992] 21993) de Jean-Claude Boulanger. La dmarche rvolutionaire du DFP et du DQA consiste enregistrer les qubcismes sans marque topolectale, alors que ce sont les francismes qui sont marqus une mthode adapte pour
dcrire le franais du pays sans aucun jugement de valeur, mais inadapte pour
renseigner lutilisateur dans son emploi linguistique et modifie pour cette raison
dans le projet Franqus, qui est ralis sur la base dun corpus linguistique qubcois
et commercialis en ligne depuis 2011 sous le nom dUsito (pour plus de dtails, cf.
Schafroth 2014, 197207).
Une immense nomenclature franaise a t dveloppe par lOQLF, souvent en
remplacement des mots anglais par des mots franais (par ex. courriel au lieu de-mail),
qui peuvent avoir des rpercussions galement en France. La Banque de dpannage
linguistique (BDL), qui rpond des questions frquentes sur la langue, et le Grand
dictionnaire terminologique (GDT, anciennement Banque de terminologie du Qubec,
BTQ), qui compte plus de 3 millions dentres, peuvent tre consults gratuitement sur
Internet. Le fait que lexpression de terminologue soit une cration du Qubec illustre
bien le caractre sans prcdent du travail terminologique quon y entame.
La Suisse saligne plus sur la norme parisienne que le Qubec, mais apporte
galement sa propre marque : pour la rforme de lorthographe lance en 1990, la
France a consult le CLF du Qubec et le CSLF de la Belgique, mais pas la Suisse, qui
sest sentie ignore. Ce nest quen 1996 que la DLF, fonde prcisment dans ce
contexte en 1992, a fait connatre sa prise de position vis--vis de lapplication de la
rforme en Suisse (cf. DLF 2002).

191

Amnagement linguistique : Francophonie

Une dmonstration de la souverainet helvtique apparat galement dans la


crativit romande en matire de fminisation, que la France a pratique de manire
assez frileuse. Comme la Belgique et le Qubec, la Suisse lance des initiatives
majeures qui commencent trouver un cho en France galement autre bel
exemple de linfluence que la francophonie priphrique est capable dexercer sur le
centre (cf. Pll 2005). La fminisation nest que lun des aspects de la grande vague
du politiquement correct, cest--dire dun mouvement visant garantir le traitement
respectueux des minorits qualitatives. Celui-ci a saisi en particulier le Canada, tat
limitrophe du pays dorigine de la nouvelle philosophie, qui la adopte non seulement plus tt, mais galement plus nettement que la France : un des exemples les
plus connus est probablement le canadianisme ge dor pour le troisime ge (cf.
Reutner 2013).

5.3 Normes endognes implicites


La vernacularisation du franais dans un certain nombre de pays dAfrique y mne
galement lapparition de varits propres : en Cte dIvoire, par ex., dune part, au
franais local ivoirien, une varit marque rgionalement, mais proche du standard,
et dautre part, au franais populaire ivoirien, issu dune simplification de la langue
dans le contexte de lacquisition non guide, mais employ galement depuis par des
Ivoriens plus cultivs de manire situationnelle, et, en plus, au nouchi, n comme
argot de la population dfavoris, mais voluant en langage des jeunes (cf. Ploog
2002 ; Kouadio NGuessan 2007). De telles varits sont-elles perues comme des
dviations incorrectes ou comme un enrichissement ? Assistera-t-on un jour lamnagement systmatique des normes endognes du franais en Afrique galement ?
Longtemps dlaisses, les langues vhiculaires africaines seraient des candidates
encore plus urgentes lamnagement interne en Afrique. Si Picoche/Marchello-Nizia
(41996, 120) expliquent le maintien du franais en tant que langue officielle par
l inadaptation la vie moderne des langues africaines, celle-ci est aussi due la
politique franaise dassimilation, lorigine du peu dattention dont les langues
autochtones ont fait lobjet. Un arrt de 1924 parle clairement en ce sens : Le franais
est seul en usage dans les coles. Il est interdit aux matres de se servir avec les lves
des idiomes du pays (in : Lafage 1990, 768).
Non seulement en Afrique, le franais daujourdhui englobe la concurrence entre
diffrentes normes rgionales implicites pouvant tre stigmatises en fonction de la
situation : la loyaut locale comme un manque dducation, lalignement sur la norme
parisienne comme un manque de loyaut locale, qualifi de fransquilloner, pincer son
franais ou parler avec la bouche en cul de poule. La fiert dexercer sa propre
influence sur le franais est bien documente sur le plan musical et littraire. La
rappeuse ivoirienne Nash dclare en 2013 : Et nous continuons de le mener ce
combat qui est de montrer au monde entier que le nouchi nest pas quun phnomne

192

Ursula Reutner

urbain ivoirien, mais une valeur universelle [] Pour que les gens voient limportance
du Nouchi [sic], au-del du langage du ghetto, ils voient une richesse pour le pays .
Le Prix Goncourt a t accord Antonine Maillet (1979, premire laurate
canadienne), Tahar Ben Jelloun (1987 premier laurat marocain et africain) ou Amin
Maalouf (1993 premier laurat libanais), et son jury valorise de plus en plus lenrichissement du franais par les particularits de la francophonie. Lauteur guadeloupen Patrick Chamoiseau, qui a obtenu le Prix en 1992 pour son roman Texaco, et
dautres acteurs de la crolit dclarent firement : La crolit, comme ailleurs,
dautres entits culturelles a marqu dun sceau indlbile la langue franaise. Nous
nous sommes appropris cette dernire. Nous avons tendu le sens de certains mots.
Nous en avons dvi dautres. Et mtamorphos beaucoup. Nous lavons enrichie tant
dans son lexique que dans sa syntaxe. Nous lavons prserve dans moult vocables
dont lusage sest perdu. Bref, nous lavons habite (Bernab/Chamoiseau/Confiant
1993, 46).

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Carolin Patzelt

8 Linguistique populaire et chroniques de


langage : Francophonie

Abstract : Larticle traite de la linguistique populaire dans les pays francophones hors
de la France. Laccent est mis sur une contemplation des chroniques de langage, un
ensemble darticles propos de la langue qui paraissent rgulirement dans des
journaux, o ils occupent une rubrique fixe. Partant dun aperu des travaux portant
sur les chroniques de langage dans le monde francophone, on expose surtout la
situation des chroniques au Canada, en Suisse et en Belgique. Lors de lexamen des
pays en question, larticle fait appel tant aux jugements normatifs contenus dans les
chroniques de langage qu limportance quaccordent les profans aux renseignements prononcs dans les chroniques.

Keywords : chroniques de langage, linguistique populaire, Canada, franais fdral,


Belgique

1 Introduction
Selon Brekle (1989, 39), la linguistique populaire sentend comme une pratique
sociale qui comprend :

tous les noncs quon peut qualifier dexpressions naturelles (cest--dire qui ne viennent pas
des reprsentants de la linguistique comme discipline tablie) dsignant ou se rfrant des
phnomnes langagiers ou fonctionnant au niveau de la mtacommunication. Il faut y ajouter les
noncs dans lesquels on utilise de faon explicite ou implicite les qualits phontiques,
smantiques, etc. des units dune langue afin de produire des rsultats pertinents pour la
rgulation du comportement social dun individu ou dun groupe social .1

Ainsi, la linguistique populaire2 englobe, la fois, la circulation des idologies


linguistiques et des recommandations des comportements langagiers parmi des
amateurs de langage et non pas par des professionnels en linguistique. Or, il faut
se rendre compte du fait quil y a bien des zones intermdiaires entre experts et non

1 Antos accentue laspect de consultation, en soulignant le fait que la linguistique populaire constitue
une discussion de lusage du langage dans la communication (cf. Antos 1996, 13).
2 Cette expression est un calque dune srie de dnominations anglo-saxonnes bases sur folk-, traduit
en franais par populaire , spontan ou mme naf (cf. Paveau 2005, 96). On trouve diffrentes dsignations dans la littrature linguistique. Osthus (2006), p. ex., propose les termes linguistique
des profanes ou linguistique populaire, tandis que Paveau/Rosier (2008) utilisent le terme linguistique
damateur.

197

Linguistique populaire : Francophonie

experts. Ainsi, les activistes participant aux dbats populaires font souvent preuve
de connaissances tonnantes (cf. Osthus 2006). Paveau (2007) considre la linguistique populaire comme un cadre thorique et mthodologique dunification dun
ensemble de pratiques linguistiques profanes reposant sur une conception perceptive
de la norme et produisant diffrents types de discours sur la langue (cf. Lobin 2015,
35). Selon Paveau (2005), la linguistique populaire rassemble, avant tout, trois catgories fondamentales de pratiques linguistiques : descriptives (on dcrit lactivit de
langage), normatives (on prescrit les comportements langagiers) et interventionnistes
(on intervient sur les usages de la langue, cf. Paveau 2005, 98). Les questions lies la
norme et aux comportements langagiers des locuteurs se discutent dans les diffrentes formes de mass mdia, ce qui comprend des ouvrages de rfrence, des pages
internet, des chroniques de langage, ainsi que des essais spars ou les lettres de
lecteur dans les quotidiens (cf. Osthus 2006).
La linguistique populaire en tant que discipline linguistique fut beaucoup travaille aux tats-Unis depuis les annes 1960 sous lappellation de Folk Linguistics, ainsi
quen Allemagne sous le nom de Laienlinguistik (littralement : linguistique des
amateurs). Or, elle a toujours suscit moins dintrt dans les pays francophones (cf.
Achard-Bayle/Paveau 2008, 7). Le format le plus prsent en France ainsi que dans
dautres pays francophones comme le Canada depuis la fin du XVIIIe sicle est la
chronique de langage, publie dans la presse crite et renseignant le lecteur sur des
problmes de langue et du bon usage .

2 Les chroniques de langage dans la Francophonie


2.1 Les chroniques de langage comme genre
Comme lindique Remysen (2009a, 1), les chroniques de langage contiennent des
commentaires et des jugements propos des usages que les locuteurs font de leur
langue. Plus particulirement encore, elles contiennent des conseils et des orientations propos des bons et des mauvais usages, notamment dans le but de les
modifier. Les conseils portent surtout sur les emplois lexicaux, mais les usages
observs par les chroniqueurs peuvent tre de nature assez diverse. Dans la mesure
o les chroniqueurs abordent gnralement des points problmatiques et dbattus
par ceux qui veulent se conformer au bon usage de la langue, les chroniques de
langage sont troitement lies au discours normatif (cf. Cellard 1983, 661ss. ; Daoust
2000 ; Quemada 19701972, vol. 1, i). Par ailleurs, travers la description et lvaluation que les chroniqueurs proposent des usages comments, leur discours rend
compte, la fois, de leur conception de la langue, cest--dire de leurs reprsentations
linguistiques (cf. Daoust 1974, 51ss.).
Caractrises par une production abondante et une large diffusion, les chroniques
de langage connaissent une riche tradition dans plusieurs pays francophones, surtout

198

Carolin Patzelt

en France (6 Linguistique populaire et chroniques de langage : France) et au Canada. On sait bien que le franais parl par llite parisien commena vite servir de
norme de rfrence, ce qui donna lieu un certain purisme linguistique. Or, tout ce
qui tait conforme cette norme imaginaire fut jug comme reprsentant le bon usage
et la francophonie lextrieur de Paris commena se rfrer plus ou moins
inconsciemment cette norme (cf. Reinke 2004). Les chroniques de langage constituent, pourtant, un phnomne sociolinguistique important (cf. Remysen 2009a, 2).
Quemada (19701972, vol. 1, i) a t lun des premiers souligner lintrt que
prsente lanalyse de leur discours :

[Les chroniques de langage] reprsentent [] une somme de tmoignages privilgis pour ce


qui touche la puret et lesthtique de la langue, et plus gnralement, pour la dfinition
ou la prservation de tel ou tel bon usage . [] Le fait mrite [] une attention des plus
scrupuleuses puisque, si le contenu des articles ne prsente pas un gal intrt (ils peuvent
mme en tre tout fait dpourvus), les questions abordes sont en revanche toujours rvlatrices de situations propres au franais du moment. Considres dans leur ensemble, elles
apportent des donnes significatives sur lvolution des principaux aspects de la langue
daujourdhui .

2.2 Travaux portant sur les chroniques de langage dans le monde


francophone
Les chroniques de langage ayant pour objet la langue franaise ont donn lieu un
certain nombre de travaux ce jour. Nous tenons compte ici de ceux qui portent sur
les chroniques publies hors de France, notamment au Canada, en Belgique et en
Suisse. Tout dabord, il faut mentionner les textes de porte gnrale, ce qui englobe
des ouvrages portant sur lhistoire de la langue franaise qui contiennent quelques
paragraphes consacrs aux chroniques de langage.3 Sans clairement la dfinir, tous
les auteurs mentionns associent la chronique de langage au discours sur le bon
usage et sur la norme :

[Les chroniqueurs] montrent leur manire leur respect pour ce quils pensent tre la bonne
langue [] en inclinant du ct conservateur, souvent avec lenvie de trancher en montrant leur
savoir, plutt qu ils ne cherchent sinformer des causes des changements et de leurs justifications possibles. [] (Cohen 1967, 345).

Certains chroniqueurs ont mme explicitement comment leur propre activit. Cest
le cas, notamment, de Ren Georgin (1965), en France, et de Louis-Paul Bguin
(1976), au Canada franais. Ces chroniqueurs se sont essentiellement interrogs sur

3 Ce qui montre bien que celles-ci sont considres comme un phnomne sociolinguistique non
ngligeable (cf. Caput 19721975, vol. 2, 246s. ; Cohen 1967, 345 ; Daoust 2000 ; Gadet 1999, 643ss.).

199

Linguistique populaire : Francophonie

leur rle normatif et pdagogique en tant que chroniqueur linguistique, ainsi que
sur la relation quils entretiennent avec leur public (cf. Remysen 2009a, 7). part
ces ouvrages, il y a aussi des inventaires des chroniques de langage, dont il
convient de mentionner deux uvres importantes ayant pour objet la langue
franaise : tout dabord, la premire Bibliographie de chroniques de langage (Quemada 19701972), ouvrage publi en France et prsentant, en deux tomes, une
bibliographie signaltique de lensemble des chroniques publies [en France] depuis le milieu du sicle (Quemada 19701972, vol. 1, ii). Cette bibliographie est le
fruit du dpouillement dune vingtaine de priodiques, publis entre 1950 et 1970
(cf. Remysen 2009a, 8).
Le Canada franais, son tour, dispose dune bibliographie semblable, publie
sous la direction dAndr Clas (19751976). Celle-ci recense les chroniques parues
dans huit quotidiens et un hebdomadaire canadien-franais, couvrant une priode
qui va de 1879 1970 (Remysen 2009a, 8). Quemada (19701972, vol. 1, ii) signale en
outre, dans sa prface, que dautres projets dinventaires seraient en prparation en
Belgique et en Suisse, mais ceux-ci ne semblent jamais avoir donn lieu des
publications (cf. Remysen 2009a). Ainsi, Skupien Dekens (1998, 156) souligne labsence de rpertoire des chroniques publies en Suisse romande et, malgr quelques
mmoires de licence destins inventorier des chroniques belges (cf., entre autres,
Bourgeois 1981 ; De Coster 1981), aucune bibliographie gnrale nest disponible pour
la Belgique francophone, contrairement la France et au Canada franais (Remysen
2009a, 8).
Concernant le concept de chronique, il est notable que dans leurs bibliographies
respectives, Quemada et Clas donnent un sens trs large au terme chronique de
langage :

[] nous avons donn au concept de chronique de langage un contenu extensive ; seront donc
retenus [sic] par principe toutes les rubriques destines au grand public et relatives la langue
franaise actuelle, travers son usage, ses tendances, les institutions qui la rgissent, ltudient
ou la diffusent, ainsi que les commentaires consacrs des ouvrages dactualit sur la langue.
Parmi toutes ces rubriques, une place prpondrante revient dvidence aux Courriers des
lecteurs comme aux chroniques rgulires, et se trouvent par consquent exclus tous les articles
de vulgarisation encyclopdique sur la langue (tymologie, anthroponymie, dialectalismes) []
(Quemada 19701972, vol. 1, iii).

Lorganisation des bibliographies en question suit un classement thmatique qui rend


compte des diffrents domaines de la langue abords par les chroniqueurs. Ainsi, les
articles recenss par Quemada sont regroups en cinq chapitres (cf. Quemada 1970
1972, vol. 1, ixxxviii, et vol. 2, xixxx) : 1 problmes gnraux ; 2 prononciation et
graphie ; 3 lexique ; 4 syntaxe ; 5 tudes de style. Dans la bibliographie de Clas,
laquelle prsente sensiblement la mme organisation, des rubriques supplmentaires
ont videmment t ajoutes pour mieux reflter les particularits des sujets abords
dans les priodiques canadiens-franais (Remysen 2009a, 9). On trouve p. ex., dans le
chapitre Problmes gnraux , les rubriques Patois canadien , Parlers dAca

200

Carolin Patzelt

die et Parisian French (cf. Clas 19751976, vol. 1, x), absentes dans la bibliographie de Quemada.4

3 Les chroniques de langage au Canada


3.1 Importance des dbats sur la qualit de langue au Canada
Au Canada franais, lapparition des chroniques de langage remonte la seconde
moiti du XIXe sicle. Leur apparition concide, donc, avec les premires manifestations dune conscience linguistique propre aux Canadiens franais, fortement marque par un sentiment dinscurit linguistique.
Parmi les francophones au Canada, les questions dordre linguistique occupent
une place importante dans la presse qui regorge de textes de tout genre sur la langue,
et parmi lesquels figurent les chroniques de langage. Comme la soulign Jean-Paul
Vinay, ces textes sont significatifs des rapports que les Canadiens franais entretiennent avec leur langue :

[] Lun des aspects les plus intressants de la presse quotidienne CF [canadienne-franaise]


rside dans le grand nombre darticles, ditoriaux, lettres la Rdaction, comptes-rendus, etc.,
relatifs des questions de linguistique. Montral comme Qubec, la langue est la une, tout
au moins pour les journaux srieux comme Le Devoir ou Le Soleil. [] Il faudrait pouvoir publier
plusieurs volumes de ces textes, de valeur ingale, certes, mais toujours rvlateurs dun tat
desprit bien particulier au CF [Canada franais] (Vinay 1973, 332).

Ds le XIXe sicle, le dbat sur la qualit de langue au Qubec a t trs prsent dans
les mdias, soit la tlvision, soit la radio ou la presse crite, et ici plus particulirement dans les chroniques de langage. Limportance des dbats sur la qualit de la
langue au Qubec sexplique par lhistoire du franais au Canada :
Le franais en usage au Qubec fut longtemps dvaloris, bien que les premiers
jugements de valeur que les voyageurs franais firent de la langue parle dans la
Nouvelle-France au dbut du XIXe sicle fussent plutt positifs (cf. Reinke 2004, 3).
Ces voyageurs furent confronts un franais relativement standardis qui se greffa
sur les patois des nouveaux arrivs. Par contraste, il est noter que les patois
concurrenaient encore le franais en France mtropolitaine. En outre, comme les
colons franais venaient de villes qui disposaient dun systme ducatif dvelopp, ils
avaient une bonne connaissance du franais. Ainsi, les voyageurs considraient ce
franais import au Qubec comme tant pur.

4 Il semble que certains auteurs se sont inspirs de la perspective thmatique adopte dans ces
bibliographies des fins de recherche ; cest notamment le cas des travaux de Bouchard (2002) et de
Daoust (1974).

Linguistique populaire : Francophonie

201

Dans la suite, la conqute anglaise en 1760 rompit entirement les liens avec la
France. Par consquent, le franais qubcois ntait plus en contact avec le franais
de France. Ainsi, la langue au Qubec se caractrisa non seulement par la dominance
dun registre populaire parl par la majorit de la population lpoque, mais aussi
par linfluence de langlais qui introduisit beaucoup demprunts pendant lpoque de
la conqute. Au dbut du XIXe sicle, la population anglaise jugea le franais qubcois comme tant archaque et populaire. Elle critiqua le grand nombre danglicismes
quelle considrait comme la raison principale de la dgradation du franais au
Qubec. En gnral, on estime que le franais commena se dgrader aprs la
conqute anglaise, celle-ci constituant le dbut dune autoperception ngative qui a
longtemps domin le rapport des Qubcois leur propre langue. Ctait surtout
lintelligentsia canadienne-franaise qui, ds le milieu du XIXe sicle, commena
dnoncer la langue de ses compatriotes lorsquelle prit conscience du fait que cette
langue prsentait plusieurs diffrences par rapport celle qui avait cours en France
(cf. Remysen 2012, 422).
Au dbut du XXe sicle, lorsquune intensification du contact entre le Qubec et la
France fut en cours, les Qubcois commencrent sapercevoir de plus en plus des
diffrences existantes entre le franais qubcois et le franais de la France (cf. Reinke
2004, 7). Tout cela contribuera la mise en place dun mouvement de correction de la
langue, dont les chroniques de langage feront partie intgrante (cf. Remysen 2012,
422).
Ainsi, le discours sur la qualit de langue sest dsormais concentr la relation
entre le franais qubcois et le franais de la France. La relation problmatique que
le Qubcois entretient avec sa langue est souvent caractrise par la notion dinscurit linguistique. Cette inscurit linguistique se manifeste dans lutilisation de dictionnaires qui dcrivent ou prescrivent les usages tels quils existent dans la varit
exogne, par la consultation des services linguistiques et par la discussion sur la
qualit de la langue utilise lcole, dans ladministration, au travail et dans les
mdias (cf. Reinke/Ostiguy 2005).

3.2 Les jugements normatifs dans les chroniques de la langue au


Canada
Au vu de cette inscurit linguistique, il nest pas tonnant quau Qubec, les chroniques de langues aient une tradition particulirement riche (cf. Remysen 2010). Elles
contiennent des commentaires propos des faits de langues qui constituent des
difficults et qui risquent de poser problme ceux qui souhaitent se conformer au
bon usage (cf. Remysen 2011, 53). De plus, elles apportent une contribution
importante llaboration dune norme. Les premires chroniques de langue apparues vers la fin du XIXe sicle taient essentiellement prescriptives. Ce ntait qu
partir du XXe sicle quapparurent aussi des chroniques plus descriptives (cf. ibid.).

202

Carolin Patzelt

Apparemment, il y a toujours des critres assez fixes qui dterminent si un usage


est acceptable ou pas. Ainsi, en gnral, lusage dune expression est considr
comme tant la norme si lcart smantique dune expression est faible compar son
usage en France, si les mots expriment bien ce quils dsignent (cf. Remysen 2010,
675), si la formation des mots est faite selon les rgles en France, quand ils comblent
un vide lexical (ibid., 676), si lusage dun mot apparat dans les dictionnaires et
dans les grammaires utilises en France, pour des raisons uniquement esthtiques
(ibid., 677), si un emploi est bien ancr dans lusage des Canadiens et si un emploi a
un caractre franais (ibid., 678). Parmi ces arguments, celui de lusage en France
est le plus important (ibid., 679).
Les reprsentations de la langue sont troitement lies la perception que les
Qubcois se font de leur identit en tant que groupe linguistique (cf., entre autres,
Bouchard 2002). Le Qubec est dailleurs souvent donn en exemple pour illustrer
comment une revendication identitaire forte peut contribuer au dveloppement dune
image plus positive dune varit de langue qui, sur le march linguistique, est juge
illgitime par certains (cf., p. ex., Francard 1998).
Selon Remysen (2009a), les jugements normatifs auxquels donnent lieu les
emplois canadiens se situent sur un continuum qui va de la condamnation sans
appel dun emploi son acceptation pleine et entire. Or, entre ces deux ples on
trouve une multitude de jugements moins clairs. Les diffrents chroniqueurs
peuvent, en plus, entretenir un rapport trs divergent avec la norme. ce propos,
Remysen propose de classer les divers chroniqueurs en tenant compte non seulement du type de prises de position normatives qui prdominent dans leur discours, mais aussi de limportance quils accordent la description des emplois
valus.

3.3 Les chroniqueurs de la ChroQu


Actuellement, les chroniques qubcoises de langage sont recueillies dans une base
de donnes textuelles dnomme ChroQu (cf. Gagn/Verreault/Mercier 2004).
Cette base, mise au point lUniversit Laval par Claude Verreault, fut labore
partir de la bibliographie dAndr Clas (19751976), puis elle a t complte par
des dpouillements supplmentaires. Elle comprend aujourdhui une quarantaine
de chroniques de langage (cf. Remysen 2005 pour plus de dtails). Outre la mise
en rseau de plusieurs chroniques qubcoises de langage, permettant ainsi leur
consultation en ligne et leur exploitation des fins de recherche, ce projet a pour
objectif de prciser le rle que les chroniques de langage ont jou dans la
construction de limaginaire linguistique qubcois ainsi que de caractriser la
pratique lexicographique particulire dont elles relvent. Par la suite, on donnera
un bref aperu des chroniqueurs les plus connus qui figurent dans la base
ChroQu.

Linguistique populaire : Francophonie

203

1)

tienne Blanchard (18831952) a non seulement publi des ouvrages de type


normatif,5 mais il est galement lauteur de divers lexiques qui dnotent des
proccupations dordre terminologique. LAcadmie franaise a reconnu la
contribution de Blanchard en le nommant officier en 1930 et en couronnant son
Dictionnaire de bon langage ainsi que son Manuel du bon parler. La base ChroQu
comprend plusieurs chroniques publies par Blanchard, que ce soit sous son
propre nom ou sous un de ses pseudonymes, notamment Paul Lefranc ou Jacques
Clment. Ces chroniques, pour la plupart parues dans La Presse ou encore dans le
Bulletin du parler franais au Canada, sont identifies par les sigles BlanchAngl,
BlanchAnn, BlanchBLang, BlanchParlMieux, ClmMots et LefrLangFr.
2) partir des annes 1970, Pierre Beaudry (19171996) se fit aussi connatre auprs
du grand public. En plus de participer des missions la radio et la tlvision,6
il tint plusieurs chroniques de langage, entre autres dans la revue LInter (1971
1972) et dans La Presse (19721979). Les prises de position de Beaudry suscitaient
frquemment la controverse. Il a continu lutter pour la correction du franais
jusqu la fin de sa vie, comme en font foi ses dernires chroniques parues dans
La Presse (1991) et dans Le Devoir (19951996). Dans la base ChroQu, ces deux
chroniques sont identifies par le sigle BeaudFrLois et BeaudLang.
3) Cest partir de la fin des annes 1950 que Grard Dagenais (19131981) commena se prononcer publiquement sur les questions de langue. Sa rubrique Rflexions sur nos faons dcrire et de parler , qui paratra dans Le Devoir de 1959
1961, marqua le dbut de sa carrire comme chroniqueur de langage. Tout au
long de cette carrire, Dagenais publia pas moins de sept sries de chroniques
dans trois priodiques (Le Devoir, La Patrie et La Presse) et dans un magazine
(All Police). Plusieurs de ces chroniques ont par la suite t reprises, partiellement ou intgralement, dans des recueils (cf. Dagenais 1973), ce qui tmoigne de
leur succs. Dagenais sillustra galement comme chroniqueur dans les mdias
audio-visuels. Il tait rgulirement invit la tlvision de Radio-Canada et
anima des missions de radio, comme Parlons-nous franais ? (sur les ondes
de CKAC ; cf. Zolty 1968, 50) et Pour un Qubec franais (sur les ondes de
CKVL ; cf. Beaudry 1974).
Les propos tenus par Dagenais sont toujours fortement teints de purisme et le
chroniqueur navait quun seul objectif en tte, celui de montrer aux Qubcois
comment on parle et crit en France :

[] Lusage (on ne le rptera jamais assez : celui de France, pas le ntre, qui ne compte
pas en franais, sauf dans des cas extraordinaires) repose sur un instinct de la langue qui

5 Dont En garde !, 1912, rdit jusquen 1925 ; le Dictionnaire de bon langage [1914, rdit jusquen
1949], et le Manuel du bon parler, 1927, rdit jusquen 1960.
6 Il fut invit plusieurs reprises lmission Langage de mon pays, diffuse la radio de RadioCanada.

204

Carolin Patzelt

sgare rarement. Il sappuie aussi sur des faits qui nexistent quen France mais dont nous
devons tenir compte sous peine de ne pas tre compris des Franais, cest--dire sous peine
disolement (Dagenais 1960a, 2).

Comme plusieurs de ses contemporains, Grard Dagenais sinquita de lavenir


du franais en Amrique du Nord. Il est toutefois un des rares chroniqueurs de
langage aborder de front la question sous un angle politique, comme il le fait
dans la chronique Pour un Qubec franais associ un Canada bilingue
(19711973). Il y affirme que le franais ne peut vivre au Canada que par
lexistence dun tat franais (Dagenais 1971, 32). Dj en 1960, Dagenais avait
souhait un certain dirigisme [] en matire de langue lorsquil avait plaid
pour ltablissement dun office de la langue franaise (Dagenais 1960b, 7),
institution qui verra le jour en mars 1961. Dagenais a certainement t lun des
chroniqueurs de langage les plus influents de son poque. Pour cette raison,
toutes ses chroniques ont t intgres dans la base ChroQu, o elles sont
identifies par les sigles DagDites, Dagcriv, DagFr, DagGaz, DagMots, DagQcFr
et DagRfl.
4) Jean Darbelnet (19041990), tant donn son intrt pour lanalyse comparative
de langlais et du franais, sintressa de trs prs aux pays bilingues et aux
consquences sociales et linguistiques de la cohabitation des langues. De nombreux articles portant sur la situation linguistique qui prvaut au Canada et au
Qubec tmoignent de ces proccupations, tout comme le rapport sur le rle de la
traduction dans langlicisation du franais en Amrique du Nord quil a rdig
pour le compte de la Commission royale denqute sur le bilinguisme et le
biculturalisme (Darbelnet 1965). Plusieurs de ces textes ont t runis dans Le
franais en contact avec langlais en Amrique du Nord, livre paru en 1976. Sans
surprise, la question de langlicisation est aussi omniprsente dans les publications de Darbelnet titre de chroniqueur de langage. Ainsi, tant dans la rubrique
La langue et la vie (publie dans lhebdomadaire montralais Notre Temps de
1957 1962) que dans la Petite chronique de la langue franaise (parue de 1963
1967 dans LEnseignement secondaire, une revue destine aux enseignants),
Darbelnet commente de nombreux anglicismes utiliss au Qubec et sinterroge
sur leur lgitimit. Dans la base ChroQu, ces chroniques sont identifies par les
sigles DarbLang et DarbPChron. Darbelnet eut aussi loccasion de faire connatre
ses ides sur la langue auprs du grand public dans lmission La parole est dor,
diffuse la radio de Radio-Canada, laquelle il participa de 1966 1968 en
compagnie de Ren de Chantal et de Marcel Par (cf. Zolty 1968).7

7 Pour les informations sur les chroniqueurs cits ici, cf. http://catfran.flsh.usherbrooke.ca/chroque/
chroniqueurs_beaudry.php (27.04.2015).

205

Linguistique populaire : Francophonie

3.4 La place du dictionnaire dans les chroniques de langage


canadiennes-franaises
Comme la soulign Bouchard (22002, 280), les chroniqueurs du Canada franais
voient gnralement le dictionnaire comme la seule rfrence infaillible . Nanmoins, partir des annes 1920, il y eut un changement notable de postures, parce
quun nombre croissant de chroniqueurs commencrent remettre en question certaines pratiques des lexicographes franais, surtout concernant linclusion danglicismes. En outre, ds les annes 1970, on commena revendiquer que les dictionnaires
franais souvrirent aux particularits canadiennes signe que lattitude adopte
lendroit de ces ouvrages stait modifie au fil du temps (cf. Remysen 2013, 519s.).
Les dictionnaires franais ctoient dans le discours des chroniqueurs canadiens
quelques dictionnaires publis au Canada. Il sagit surtout de dictionnaires de correction, auxquels le chroniqueur a recours pour donner plus de poids ses prises de
position normatives. Aux yeux du chroniqueur Blanchard, il est clair que les dictionnaires faits au Canada ne peuvent tre que de nature prescriptive, renforant par le
fait mme limage selon laquelle le franais des Canadiens est largement imparfait et
lacunaire (cf. Remysen 2013, 525).
Les dictionnaires de traduction occupent galement une place relativement
importante dans le discours de beaucoup de chroniqueurs canadiens. Ces ouvrages
ne servent pas seulement traduire, mais ils sont aussi invoqus pour autoriser un
certain emploi de mot dont le lecteur avait dout. La profonde inscurit linguistique
des locuteurs, lie un besoin des travaux correctifs et des uvres qui orientent sur
lacceptabilit des lments langagiers explique que ce type douvrages soit relativement frquemment mentionn. Certains lecteurs demandent p. ex. au chroniqueur de
se prononcer sur la lgitimit dun mot qui est absent des dictionnaires ou sur la
description dun mot dans un dictionnaire. Pourtant, les lecteurs prouvent des
difficults interprter le contenu des dictionnaires et ils sen remettent au chroniqueur pour les aider le faire. Par consquent, des chroniqueurs comme Blanchard
insistent quelques reprises sur limportance de bien savoir se servir du dictionnaire.
Selon ces auteurs, la responsabilit du chroniqueur, ou bien son rle pdagogique, ne
devrait pas se limiter se prononcer sur la lgitimit dun certain emploi, mais il
devrait aussi donner aux lecteurs des pistes qui leur permettraient de mieux tirer
profit du dictionnaire (cf. Remysen 2013 ; Lajeunesse 2010).

3.5 Le traitement de canadianisme/qubcisme dans les


chroniques de langage
Il est intressant que les chroniqueurs recourent diverses dnominations pour
qualifier les emplois quils identifient comme ayant cours dans la langue des Canadiens. Certaines de ces appellations se basent sur des critres surtout gographiques

206

Carolin Patzelt

(rgionalisme, provincialisme etc.), tandis que dautres ont un caractre historique


(comme archasme, anglicisme) ou normatif (faute, barbarisme, solcisme). Il faut
ajouter cette liste les termes canadianisme et qubcisme, qui ont toujours une
porte gographique, mais dont il nexiste pas de dfinition cohrente dans la littrature (cf. Remysen 2009b, 210). Selon Remysen (ibid.), seul un petit nombre de mots est
qualifi de canadianisme ou de qubcisme par les chroniqueurs. En outre, il constate
que plusieurs chroniqueurs nutilisent jamais ces termes. La grande majorit des
emplois que les chroniqueurs qualifient de canadianismes ou de qubcismes relvent
du lexique. Barbaud est le seul chroniqueur qui aborde explicitement la question des
caractristiques morphosyntaxiques du franais canadien, ce qui lamne proposer
le terme de qubcisme grammatical, quil oppose au qubcisme lexical.
Comme le dmontre Remysen (2009b), les termes canadianisme et qubcisme,
bien quils ne soient pas frquemment utiliss par les chroniqueurs, donnent lieu
des interprtations bien diffrentes, et leurs diffrentes significations peuvent mme
revenir chez le mme chroniqueur. Le sens le plus ancien de canadianisme que
Remysen (ibid., 215) dcouvre dans son corpus est celui de faute propre lusage des
Canadiens . Cest ainsi quArthur Buies sen sert dans sa chronique publie en 1888,
aprs avoir utilis surtout lexpression barbarisme canadien dans sa chronique publie antrieurement (Buies 18651866, cf. Remysen 2009b, 215). Tout comme Buies,
Grard Dagenais (1960a ; 1960b) utilise le terme souvent avec une connotation pjorative, et cest prcisment cette connotation vhicule par le terme canadianisme qui
explique pourquoi Dagenais prfre recourir dautres expressions lorsquil veut
exclure une telle connotation. Il se sert notamment des expressions canadianisme de
bon aloi ou canadianisme franais pour qualifier des particularismes canadiens quil
juge acceptables.
Le terme qubcisme voque gnralement une interprtation plus objective, mais
il existe au moins un chroniqueur assez connu, notamment Pierre Beaudry, qui se sert
du terme dans un sens extrmement pjoratif (cf. Remysen 2009b, 216). Pour Philippe
Barbaud, par contre, le terme qubcisme dsigne uniquement les particularismes
qubcois acceptables (cf. Remysen 2009b). En outre, il y a plusieurs chroniqueurs
qui estiment que canadianisme et qubcisme devraient tre rservs exclusivement
aux innovations cres au Canada. Pour Dagenais, p. ex., ces innovations se limitent
gnralement aux seuls nologismes lexicaux, mais il y a aussi des chroniqueurs qui
estiment que les innovations smantiques ne sont pas du tout exclues.
Dans une telle perspective, ni canadianisme ni qubcisme ne peuvent donc tre
utiliss pour dsigner les emplois archaques ou les emplois dialectaux. Cest pour
cette raison que Daviault considre que les particularismes canadiens qui sont des
survivances dialectales ou des archasmes constituent des prtendus canadianismes,
contrairement aux vritables canadianismes. En somme, lanalyse par Remysen
(2009b) montre que la diversit des points de vue est trs troitement lie aux
diffrentes positions sur ce qui devrait tre considr comme canadien-franais tout
court, comme la galement soulign Daoust (2000, 200) et, surtout, la position

Linguistique populaire : Francophonie

207

normative des chroniqueurs. Par consquent, les chroniqueurs sinterrogent souvent


sur la porte ou lextension de ces termes, ainsi que sur la lgitimit de ces emplois.
Toutefois, mme sils sadressent un public compos de lecteurs canadiens-franais,
les chroniqueurs ne se limitent souvent pas commenter des faits de langue particuliers lusage des Canadiens. En outre, les canadianismes ne sont pas toujours
identifis tels quels, ce qui rend le discours des chroniques plus complexe analyser
(cf. Remysen 2009a, 6).

4 Les chroniques de langage dans dautres pays


francophones
4.1 La Suisse
Bien que le Canada reprsente le pays francophone le mieux document quant aux
chroniques de langage, il vaut galement considrer la situation dans des pays
francophones de lEurope, notamment la Suisse et la Belgique. Il est bien connu que
la situation du franais en Suisse romande reprsente une situation particulire
cause de lexistence de plusieurs langues officielles. Larticle 116 de la Constitution
fdrale stipule que lallemand, le franais, litalien et le romanche sont les langues
nationales de la Suisse. Les langues officielles de la Confdration sont lallemand, le
franais et litalien (cf. Camartin 1985, 253). Il existe pourtant un dsquilibre entre les
trois langues officielles qui affecte aussi le franais, occupant le second rang dans
lordre dimportance des langues officielles. En Suisse romande, territoire recouvrant
les cantons de Genve, du Jura, de Neuchtel, de Vaud et en partie les cantons de
Fribourg et du Valais, 20,4% de la population parlent le franais (cf. Lobin, 2015, 31).
Or, en Suisse romande, le monolinguisme a t une constante tout au long de
lhistoire et peut compter sur dardents partisans. Ainsi, toute officialisation dune
autre langue est perue par grand nombre de personnes comme une atteinte au moins
virtuelle dune part la position du franais en Suisse (on craint un rtrcissement du
territoire francophone), dautre part lidentit8 culturelle de la Romandie (Knecht/Py
1996, 1865).
Bien avant lapparition de la premire chronique de langage, on vit dj apparatre des collections de barbarismes ainsi que de nombreuses publications traitant
des problmes linguistiques en Suisse. Puis, partir du XVIIe sicle, furent publies les premires chroniques, p. ex., l Essai des remarques particulires sur la
langue franoise pour la ville de Genve par Franois Poulain de LaBarre. Jusquau

8 La question de savoir sil existe ou pas une identit romande a fait lobjet de dbats controverss
(Seiler/Knsel 1989).

208

Carolin Patzelt

XXe sicle on trouve de nombreuses publications linguistiques dans la presse crite et


la radio, tandis quaujourdhui le genre de chronique de langage a presque fait
disparatre des journaux en Suisse (cf. Molitor 2004, 56). En cas dinscurit linguistique, on sadresse plutt la Dlgation la langue franaise (DLF), institution
fonde en 1992, qui a pour but d observer les pratiques et usages de la langue
franaise en Suisse (http://www.dlf-suisse.ch).
En 1959 fut dj cr le Fichier franais de Berne, un cercle initi par les traducteurs des services administratifs fdraux, visant la sauvegarde et lamnagement
de la langue franaise en Suisse. Le cercle vise lutter surtout contre les altrations
de la langue et fait front aux traductions hasardeuses (http://www.fichier-francais.
ch). Ce qui a survcu comme chronique , ce sont surtout les chroniques de Jacques
Bron, publies sur le site de lAssociation de Dfense du franais (http://defensedufrancais.ch).9
Au contraire du dveloppement observable au Canada, on constate la persistance
dune grande inscurit linguistique en Suisse romande, laquelle est fortement lie
linfluence de lallemand sur le franais en Suisse :
La rgion linguistique francophone na de contigit quavec le territoire germanophone au dtriment de voisinages avec les autres langues latines de Suisse. Ceci
renforce la position privilgie du contact linguistique franais-almanique, dj trs
forte en raison du poids dmographique majoritaire de lallemand en Suisse (Knecht/
Py 1996, 1863).10 Par consquent, les discussions linguistiques des profanes sur
internet se montrent trs marques par le conflit entre le rapport franais-allemand et
la crainte des germanismes (cf. Matthey/De Pietro 1997, 167). Dans cette discussion
sinscrivent, p. ex., des contributions comme celles de Forster (1994) :

Chers Confdrs, vous avez, en partage, lusage de la langue franaise. [] De tout temps [],
le franais dici a t expos la langue majoritaire de ce pays, que lon appelle, sans doute
plus par simplification que par ignorance, lallemand . [] Le franais de Suisse, donc ? Le
franais fdral y fleurit, surtout dans des textes venant des services fdraux, mais aussi
quotidiennement dans la bouche et sous la plume de Romands, contamins. [] Le franais,
langue des Romands ? Le franais, dont il faudrait se proccuper chez nous ? Linterventionnisme si interventionnisme il y a hsite entre la romandisation et le Kantnligeist
(https://sites.google.com/site/reynaldfrancaisfederal/).

9 LAssociation fut fonde en 2004, dun constat inquitant : lhgmonie des anglo-amricanismes
dans la vie quotidienne qui met en danger [les] langues nationales (http://defensedufrancais.ch,
27.04.2015).
10 Ainsi, le franais en Suisse subit une forte influence par lallemand dans le cadre de textes officiels.
tant donn que la grande majorit des textes publics est initialement rdige en allemand, les
Romands sont confronts une multitude de traductions, ceci ayant un impact direct sur la qualit de
la langue (cf. Lobin 2015, 32).

209

Linguistique populaire : Francophonie

Ces mots sont extraits dune lettre ouverte du 29 septembre 2011 que Reynald Forster,
blogueur actif pour la dfense de la langue franaise en Suisse romande, adressa aux
cantons de Suisse occidentale. Il tait intervenu dj en 2005 auprs des responsables
de lducation et de linstruction publique des cantons romands avec deux lettres dans
lesquelles il dplorait titre dexemple lexpression problmatique de notice demballage . Il qualifie celle-ci de virus , ayant dsormais atteint toute lindustrie pharmaceutique suisse (https://sites.google.com/site/reynaldfrancaisfederal). Comme le rvle le texte de lune des lettres ouvertes, ce fut dj en 2005 que Reynald Forster tait
la recherche dune plateforme approprie et envisageait de se plaindre en public :
Pour ma part, la seule chose que je naie pas encore faite, cest de monter sur une
grue, Place fdrale. propos : o se trouve notre Hyde Park Corner pour la Suisse
romande? (https://sites.google.com/site/reynaldfrancaisfederal). Se dsesprant de
linertie et du non-professionnalisme des autorits responsables, il se rsolut choisir
une forme de communication participative et interactive qui permettait le transfert de
connaissances entre partenaires gaux et se mit bloguer sur ce sujet ds 2007.
En gnral, on constate chez les blogueurs une peur profonde de la contamination du franais par lallemand. Parmi les sujets les plus discuts par les profanes se
trouve la dnomination du franais de la Suisse comme franais fdral , ce terme
figurant aussi dans le Dictionnaire suisse romand (Thibault/Knecht 2004, 3791) :

Franais germanis (ou simplement fautif) des textes produits par ladministration centrale,
ainsi que par les entreprises et agences de publicit dont le sige social est situ en Suisse
almanique ; (par ext.) franais germanis (ou fautif) pratiqu par les Suisses almaniques (et,
ventuellement, par les Suisses romands) .

Linfluence de lallemand est tant ressentie dans la conscience linguistique des


locuteurs que dans une enqute sur les jugements dacceptabilit,11 ltude rvla que
lidentification dun item non-standard comme germanisme entrane une plus grande
svrit son gard (Ldi et al. 1995, 130). Il suffit quun terme soit ressenti comme
influenc par lallemand pour que son acceptabilit diminue (Matthey 2003, 97). Les
auteurs de ltude ont interprt ce rsultat comme lindice dune conscience linguistique fortement monolingue et surtout trs mfiante vis--vis de tout ce qui vient de
lallemand (cf. ibid.).
Selon Kolde (1981, 51), les Romands ont une haute conscience deux-mmes au
niveau linguistique et culturel. Par rapport leur langue, ils ont une attitude plus
normative que les Suisses almaniques. Ils soutiennent la dfense de la langue dans
le sens du maintien de la puret, p. ex. travers des blogs sur Internet.

11 Une centaine de Neuchtelois furent invits valuer sur une chelle de 1 7 lacceptabilit dans
une conversation entre amis et dans une situation formelle de 40 noncs comportant des rgionalismes, des germanismes (rels ou fantasmatiques), des anglicismes et quelques exemples de franais
standard (cf. De Pietro 1995, 238).

210

Carolin Patzelt

4.2 La Belgique
En Belgique tout comme ailleurs dans la francophonie europenne , lexpansion
du franais commun comme langue parle au XIXe sicle conduisit des formes
intermdiaires entre les patois et le franais standard. Perus, pour longtemps,
comme des formes contamines et vicies du bon langage, ces franais rgionaux
constiturent la premire cible dun purisme prnant lalignement total sur le franais
de Paris et menant une inscurit linguistique profondment intriorise.
Ce courant puriste trouva son accomplissement dans luvre Chasse aux belgicismes (Hanse/Doppagne/Bourgeois-Gielen 1971). Ce dictionnaire correctif devenait un
vritable succs de librairie (cf. Pll 2007, 31ss.) et fut constamment utilis par les
locuteurs pour clarifier des doutes linguistiques. Cependant, actuellement et depuis
quelques temps dj, on assiste un notable rejet du modle franais et une autovaluation beaucoup moins dprciative de la pratique de langage, laquelle a aussi
conduit un changement de la conception lexicographique : Un rcent dictionnaire
diffrentiel Belgicismes. Inventaire des particularits lexicales du franais de Belgique
(cf. Bal/Doppagne/Goosse 21994) gratifie les mots quil recense de toutes les vertus,
car ils exprime[nt], au-del des ralits et des sentiments prsents, le got du pass,
le bonheur de lenfance, les souvenirs dtudiants, le plaisir des mots oublis et
retrouvs [] (ibid.). Curieux dtail signaler : deux des auteurs de ce dictionnaire
avaient collabor la Chasse aux belgicismes, et la plupart des mots et expressions
dnoncs dans le clbre recueil de mots viter apparaissent dans Belgicismes sans
faire lobjet de critique.
En outre, dans les annes 1990, les instances de la politique linguistique en
Communaut franaise de Belgique (CFB : Conseil suprieur de la langue franaise,
Service de la langue franaise) se lancrent dans des activits damnagement linguistique, cest--dire quelles intervinrent sur le corpus de la langue, et ce souvent
indpendamment de la France. Ainsi, la Belgique francophone a poursuivi sa propre
politique, aussi en ce qui concerne la Rforme de lorthographe de 1990, dont
lapplication est recommande alors que ces propositions sont restes lettre morte en
France. Moreau/Brichard/Dupal (1999) ont pu montrer que la fusion, dans limaginaire linguistique, entre les catgories belge et incorrect (et inversement : franais et
correct) nest plus pertinente et quil existe une catgorie spciale de belgicismes : il
en est des nobles , qui chappent la stigmatisation : ceux qui prennent leur
ancrage dans le groupe socioculturellement dominant (Moreau/Brichard/Dupal 1999,
10).
Cela dit, il nest pas tonnant que les chroniques de langage, de nos jours,
montrent une attitude plutt positive envers les belgicismes. Ceux-ci se dnomment et
se contrastent avec les expressions de la France, mais on ne vise pas les corriger .
Bien au contraire, les belgicismes sont souvent traits comme des signes didentit
linguistique des Belges. Le plus souvent, ces chroniques attestent un refus conscient
des emprunts du franais aux langues de contact (cf. Reutner 2009), notamment au

Linguistique populaire : Francophonie

211

flamand et aux dialectes gallo-romands. En outre, on critique souvent linflux des


anglicismes dans la langue franaise, mais la critique ne se dirige presque jamais
envers le franais belge en tant que varit propre et distincte du franais hexagonal.
Parmi les chroniqueurs les plus connus en Belgique, il faut mentionner Henry
Landroit, qui crit une chronique dans le journal Le Ligueur o il essaye dexpliquer
lorigine de nologismes comme babysitter. Comme beaucoup de chroniqueurs en
Belgique, il soccupe surtout des anglicismes. Le style des chroniques est lger, mais
prescriptif et sert orienter le lecteur concernant lusage des anglicismes.
Andr Goosse, grammairien belge, est un autre chroniqueur connu, notamment
pour tre le successeur de Maurice Grevisse. Il a rdit et mis jour louvrage de ce
dernier, Le Bon Usage.12 Goosse a, quinzaine aprs quinzaine, et ce pendant prs dun
quart de sicle (de 1966 1990), publi dans le quotidien belge La libre Belgique des
chroniques de langage intitules Faons de parler, rdiges dans un style simple et
souriant, et dont une collection est disponible en livre aujourdhui (cf. Goosse 2011).
Outre le Bon Usage, Maurice Grevisse a publi plusieurs ouvrages scolaires ou
utilitaires traitant de difficults linguistiques. On mentionnera spcialement les Problmes de langage (19611970) o Grevisse runit les chroniques littraires publies
dans le journal La Libre Belgique. Il faut galement mentionner les chroniqueurs
Pierre Mlot, avec ses discussions souriantes de belgicismes, et Albert Doppagne,
professeur de lUniversit Libre de Bruxelles et membre du Conseil International de la
langue franaise. Doppagne participa, entre autres, llaboration des uvres Chasse
aux belgicismes (1971), et Belgicismes. Inventaire des particularits lexicales du franais
en Belgique (1994). En fin de compte, Clante, docteur en philosophie et lettres, rdige
une chronique dans le journal belge Le Soir intitule En bons termes . Clante offre
aussi au lecteur une chronique rgulire de recherche sur la langue franaise intitule
Les incontournables de Clante .13

5 Rsum
Au Qubec, la plupart des journaux grand tirage ont acueilli, partir du milieu du
XIXe sicle, des chroniques de langage visant corriger la langue des Qubcois.
ces chroniques sajoutent de nombreux autres types darticles publis dans la presse
crite, soit des ditoriaux, soit des lettres dopinion. Toutes ces publications ont pour
but dinfluencer en quelque sorte lopinion publique concernant des questions linguistiques. Bien que les chroniques de langage noccupent pas une place aussi
dominante dans dautres pays francophones quau Canada, la presse constitue, dans

12 Lequel ne peut pas tre considr comme grammaire ordinaire, englobant, entre autres, des
chroniques de langage.
13 Cette chronique se publie dans les brochures du Cercle dOr, appartenant au club belge dorthographe (http://lecercledor.jimdo.com).

212

Carolin Patzelt

tous les pays, un moyen puissant et important pour commenter des questions de
langue et pour commenter et influencer le processus de standardisation et fixation de
la langue crite. Entre les pays francophones, ce sont surtout le Canada et la Belgique
dont les discours mtalinguistiques sont largement diffuss dans la presse.14 Les
profanes utilisent de plus en plus linternet pour changer des opinions et du savoir
sur de nombreuses questions linguistiques. En outre, la langue utilise par les
journalistes sert souvent de modle, ainsi quune tude de la presse crite permet de
mieux comprendre lmergence de normes standard locales (cf. Percy 2012).

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Felix Tacke

9 Amnagement linguistique et dfense


institutionnalise de la langue : les franais
rgionaux et les langues des minorits

Abstract : Larticle dresse un panorama de la politique vis--vis de la diversit linguistique en France, savoir les varits autres que le franais standard (dialectes dol,
franais rgionaux) et les langues des minorits (langues rgionales, langues minoritaires, langues de France ). Partant des notions damnagement linguistique et de
dfense (institutionnalise) de la langue, larticle esquisse dabord la situation actuelle et identifie les principaux acteurs impliqus pour se focaliser ensuite sur
lamnagement linguistique (statut, corpus) des langues rgionales parles en France
mtropolitaine. Il est dmontr quen dpit des progrs dans le domaine de lenseignement, lamnagement linguistique des langues autres que le franais, dsormais
appeles langues de France , sinscrit dans une politique publique patrimoniale
valeur avant tout symbolique.

Keywords : langues rgionales, politique linguistique, lgislation linguistique, enseignement, standardisation


1 Politique linguistique et cadre thorique


Analyser la politique franaise vis--vis de la diversit linguistique en France (varits
du franais, langues rgionales, langues de France ) renvoie tout dabord une
discussion des termes techniques essentiels, savoir les notions d amnagement
linguistique et de dfense (institutionnalise) de la langue . Dsignant laction
dlibre dinfluencer lusage dune langue, le terme damnagement linguistique,
calque du concept de tradition sociolinguistique amricaine language planning,1 se
rfre avant tout la thorie de la standardisation linguistique dEinar Haugen. Dans
loptique de Haugen (1959 ; 1983 ; 1987), la planification linguistique intgre le processus dune standardisation en quatre tapes constituant un schma qui porte sur la
distinction essentielle, introduite auparavant par Kloss (1969), de planification/amnagement du statut (status planning) et du corpus (corpus planning) de la langue et qui
les combine dans une matrice carre avec les notions de forme et fonction .
Dans une succession idale, il sagirait de : 1. Selection (decision procedures) ,

1 Le terme damnagement linguistique a t utilis pour la premire fois en 1973 par Jean-Claude
Corbeil, alors directeur de lOffice de la langue franaise au Qubec, lexemple, entre autres,
d amnagement du territoire , dj usuel en franais depuis le XIXe sicle.

217

Amnagement linguistique : franais rgionaux et langues des minorits

2. Codification (standardization procedures) , 3. Implementation (educational


spread) , 4. Elaboration (functional development) (Haugen 1983, 275). Alors que
les processus 1 et 2 portent sur la planification linguistique au sens propre, les
processus 3 et 4 constituent la culture de la langue (calque franais de language
cultivation ; all. Sprachkultur/Sprachpflege, cf. Lebsanft 1997). Tout en voquant la
tradition (textuelle) initie par Joachim Du Bellay avec sa clbre Deffence, et illustration de la langue franoyse (1549), la notion de dfense (institutionnalise) de la langue
est, quant elle, synonyme de culture de la langue.2 Dans ce contexte, il est donc
important de noter que celle-ci opre par convention terminologique, comme le
souligne Lebsanft (2005, 291) sur un standard bien tabli .
Pour raconter lhistoire de la langue franaise, Anthony Lodge (1997) voque le
succs d un dialecte devenu langue .3 Haugen, dans son schma, fait lesquisse de
lvolution de la langue standard partir du choix du parler de lle-de-France, sa
codification, sa transformation en langue nationale et son application ultrieure la
communaut franaise entire, notamment travers lcole de Jules Ferry. Or, le
franais sest substitu dabord au latin dans le domaine communicatif de la distance,
pour stablir ensuite dans le domaine de la proximit sur la quasi-totalit du territoire
(cf. Vigier 1979), et ce au dtriment des autres langues parles en France.4
Si, dans le cadre de cet expos, il est question de la politique linguistique
franaise envers les varits autres que le franais standard (dialectes dol, franais
rgionaux) et des langues des minorits (langues rgionales, langues minoritaires,
langues de France ), ce nest que dans une interprtation large que les notions
cites peuvent tre appliques. Tenant compte du nombre des idiomes traiter, de
leurs statuts et de ltat respectif de leur standardisation (sil y en a), on esquissera
dabord leur situation (politique) gnrale dans la France daujourdhui (2) pour
donner ensuite un aperu des principaux acteurs (tatiques, rgionaux, associatifs,
privs) impliqus (3). Dans le cadre des langues rgionales parles en France, lexpos
se focalisera sur lamnagement de leurs statuts (4) et sur lamnagement des corpus
(5) en vue de lintgration de certaines de ces langues dans lenseignement public.

2 Cf. les titres darticles n 125, 126c et 128 dans le manuel dErnst et al. (20032008) et lexposition
thorique dans Polzin-Haumann (2006, 14721474) ; lexpression allemande (institutionalisierte)
Sprachpflege y est traduite par dfense (institutionnalise) de la langue.
3 Ainsi le titre de la traduction franaise de son livre French : From Dialect to Language (Lodge 1993).
Sur lapproche historiographique de Lodge, cf. Lebsanft (2003).
4 propos des notions langage de la proximit et langage de la distance 11 Limmdiat, la proximit
et la distance communicative ; sur la culture de la langue franaise base sur le bon usage
5 Amnagement linguistique et dfense institutionnalise de la langue : France.

218

Felix Tacke

2 La diversit linguistique en France : situation


actuelle

La France, comme la plupart des pays du monde, est culturellement et linguistiquement diverse. Partant dune conception de variation gographique, cette diversit se
constitue notamment par des strates de systmes linguistiques rgionaux stendant
au-dessous de la langue commune (Muller 1985, 135) sur lesquelles se situent non
seulement les ralisations diffrentes de la langue franaise et ses varits dialectales,
mais aussi les rgions franaises marques par la coexistence avec dautres langues
dites rgionales . Si la diversit relve de la ralit des pratiques linguistiques,
lamnagement linguistique, quant lui, renvoie la sphre politique et la conception culturelle qui, notamment dans le cadre de la politique linguistique tatique, est
projete sur le pays. Tandis que certaines langues sont politiquement favorises,
dautres ne sont mme pas prises en compte. Ainsi, les langues parles par les
groupes immigrants (souvent beaucoup plus nombreux que les locuteurs des langues
dites traditionnelles ) ne sont gnralement pas considres de la mme faon que
les langues parles traditionnellement 5 dans ce pays et donc reconnues en tant
que partie du patrimoine culturel rgional ou national. Dailleurs, force est de constater que dans la Constitution ne sont mentionnes que les langues rgionales, malgr
linclusion de quelques langues de tradition rcente (Cerquiglini 1999) dans le
cadre plus largi des langues de France (cf. infra).

2.1 Les varits du franais, les langues rgionales et les langues


minoritaires
A partir dune conception gographique de la diversit linguistique en France mtropolitaine et partant de la langue la plus rpandue (cf. laperu dans Muller 1985), cest
dabord le franais standard qui, soumis la variation, donne lieu des varits
rgionales dites franais rgionaux ( le standard dans ses modalits concrtes ,
Chambon 2005, 7). Ces ralisations concrtes du standard au niveau rgional se
manifestent surtout par des ralisations phontiques particulires ( accents ) et des
spcificits au niveau lexical ( rgionalismes ). En revanche, mme si les langues
dol (picard, gallo, wallon etc.) sont par convention rattaches au franais en tant que
dialectes du type ol, elles se sont dveloppes plus ou moins indpendamment
partir du latin parl et elles peuvent prsenter des diffrences majeures par rapport au

5 Lexpression traditionnel/traditionnellement transcrivant le concept dautochtonie est pourtant


problmatique, cf. Lebsanft (2012, 2729) et, pour une tude approfondie, Tacke (2015, cap. 4).

219

Amnagement linguistique : franais rgionaux et langues des minorits

franais. Dsignes dialectes locaux ou patois ,6 ces varits parles dans la


partie nord du pays par un nombre dcroissant de locuteurs sont aujourdhui menaces (cf. Eloy 1998).
part les varits du franais et les langues de la mme origine typologique, ce
sont les langues des minorits qui constituent la France en tant que pays plurilingue.
Au sens large, le terme langues des minorits peut se rfrer gnralement trois
groupes de langues distincts :

a)

les langues rgionales ,7 traditionnellement prsentes sur le territoire national : le basque


parl dans le dpartement des Pyrnes-Atlantiques, le breton (celtique) parl en Bretagne ;
quatre langues romanes : loccitan dans le Midi, le catalan dans le dpartement des Pyrnes-Orientales, le franco-provenal dans la rgion Rhne-Alpes et le corse ; plusieurs
varits germaniques : le flamand dans le dpartement du Nord et des dialectes almaniques et franciques en Alsace et dans le dpartement de la Moselle ;
les langues non-territoriales 8 ou minoritaires , cest--dire toutes les langues qui,
malgr leur prsence traditionnelle dans le pays, ne peuvent tre associes une rgion
dtermine ;
les langues migrantes ou trangres parles par des groupes migratoires qui ne sont
ni traditionnellement prsents ni gographiquement concentrs.

b)

c)

Ainsi, au moment de classer les langues, se dgagent les critres essentiels suivants :

Tableau 1 : Classement des langues selon les critres de territorialit et dhistoricit


(cf. Tacke 2015, 36)
classement des langues

territorial

langues rgionales
langues non-territoriales

langues migrantes / trangres

historique/traditionnel

6 propos de la dnomination patois en tant que reprsentation sociolinguistique, cf. Boyer


(2013).
7 En France, ces langues ont t dsignes galement langues provinciales rfrant lancienne
distribution administrative du pays (cf. la Ptition pour les langues provinciales de 1870/1903) et langues
et dialectes locaux (cf. la Loi Deixonne [1951]) jusqu ce que le terme langues rgionales soit tabli
dans le langage officiel au moment o la Charte europenne des langues rgionales et minoritaires fut
annonce au tournant des annes 1980/1990. En linguistique, on utilise en outre les termes plus
analytiques de langues autochtones (se rfrant lhistoricit du lien au sol maintenu par les
locuteurs) ou bien langues ethniques (cf. p. ex. Bec 1963 ; Kremnitz 1975 ; Muller 1985, 11), alors que
le concept dethnicit est peu usuel en France (cf. Guillorel 2013, 145).
8 La distinction entre langues territoriales et langues sans territoire sinspire, encore une fois, du
classement subjacent la Charte. Bien que le rapport au territoire des langues soit remis en question
dans la politique franaise (cf. Bertile 2010 ; Sibille 2010 ; Tacke 2015, cap. 6.4), la catgorie des langues
non-territoriales a t intgre au discours officiel (cf. p. ex. Cerquiglini 1999 ; CLR 2013).

220

Felix Tacke

Il nest pas possible de gnraliser quant la situation sociolinguistique de ces


langues, leur vitalit (CLR 2013, 11 ; cf. Aln Garabato/Boyer 2007) dpendant de
paramtres divers tels que la dmographie (nombre de locuteurs, ge etc.), les
politiques, les questions de statut (statut officiel, prsence institutionnelle, visibilit
dans lespace public, prsence dans lenseignement et dans les mdias) et de corpus
(tat de standardisation etc.). Tandis que lusage des langues rgionales rgresse et se
limite surtout au domaine communicatif de la proximit, notamment la vie prive
des locuteurs et au milieu agricole, les langues migrantes sont plutt parles dans
les milieux sociaux bas (cf. CLR 2013, 13) et ne rsistent que deux ou trois gnrations
avant que le franais ne simpose.
Des chiffres prcis et comparables nexistent que sur les langues rgionales et
certaines langues dont lusage est trs frquent en France.9 Ainsi, parmi les langues
les plus pratiques figurent larabe (dialectal) avec 950.000 locuteurs (et 220.000
locuteurs occasionnels) ainsi que le berbre et ses varits rgionales avec entre 1,5 et
2 millions de locuteurs. Voici lusage des langues rgionales :10

Tableau 2 : Usage des langues rgionales en France (source : INSEE 1999 / CLR 2013, 94)

locuteurs rguliers

locuteurs occasionnels

650.000

230.000

basque

50.000

breton

280.000

600.000

catalan

110.000

corse

70.000

100.000

flamand

30.000

50.000

franco-provenal

80.000

130.000

langues dol

580.000

730.000

occitan langue doc

600.000

1.600.000

langue
alsacien et francique mosellan (platt)

9 Cf. lenqute famille associe au recensement de 1999 (INSEE 1999) qui est le dernier recensement
gnral ainsi que les tableaux bass sur celle-ci dans le rapport du CLR (2013, annexe V, 9498).
10 Le CLR (2013, 12) constate une baisse de la pratique des langues rgionales [], au profit du
franais et un dclin gnral en France mtropolitaine en comparant les donnes rsultant du
recensement de 1999 et celles de lenqute information et vie quotidienne (INSEE 2011).

221

Amnagement linguistique : franais rgionaux et langues des minorits

2.2 Lapproche politique officielle de la diversit linguistique


Suite la Rvolution et en particulier ltablissement de lcole obligatoire, gratuite
et laque avec les lois Ferry11 de 1881/1882 sous la IIIe Rpublique, le franais est
devenu non seulement la langue nationale, mais aussi, au dtriment des langues
rgionales et des formes dialectales locales, le moyen de communication compris et
parl par toute la population de France mtropolitaine (cf. p. ex. Droixhe/Dutilleul
1990 ; Schmitt 2003 ; Martel 2013). Si la politique linguistique officielle a toujours
tendu vers la dfense du franais standard et lunification linguistique du pays (cf.
Schmitt 1990 ; 2000 ; Polzin-Haumann 2006 ; Gerner 2006 ; Escud 2013), ce nest qu
partir de ladoption de la loi Deixonne en 1950/1951 et en particulier depuis la fin des
annes 1990 quelle a commenc sintresser, peu peu, lamnagement de ce que
lancienne ministre de la Culture, Aurlie Filippetti, a rcemment nomm la pluralit
linguistique interne (CLR 2013, annexe II, 86 ; cf. Aln Garabato 2013). Cet intrt de
la part des autorits publiques est notable depuis lavnement de la Charte europenne des langues rgionales ou minoritaire ( la Charte ) en 1992, et il sest
amplifi sensiblement partir de 1998, lors des dbats autour dune possible ratification de la Charte par la France suite sa signature le 7 mai 1998.12 Ds lors, la France
sest engage dans une politique publique et notamment dans un discours
favorable la promotion de son patrimoine linguistique.13
Or le traitement politique et le statut officiel attribu aux langues et varits
constituant la diversit linguistique de la France sont fort ingaux et difficilement
comparables. La politique linguistique officielle oscille, depuis 1999, entre dun ct,
laction concrte et une lgislation favorables aux langues rgionales et, de lautre
ct, un discours tout dabord symbolique portant sur le cadre beaucoup plus largi
des langues de France . Cette nouvelle notion (cf. Bertile 2010 ; Sibille 2010 ; 2013)
remonte la liste dresse en 1999 par Bernard Cerquiglini, alors directeur de la
Dlgation gnrale la langue franaise (DGLF), avec lobjectif de dterminer quelles
seraient les langues correspondant aux critres fixs par la Charte et faisant partie du
patrimoine linguistique de la France. Cerquiglini (1999) proposa alors une liste
contenant, du fait de linclusion des langues parles dans les territoires dOutre-Mer,
un total de 75 langues quil rangea sous ltiquette de langues de France 14 pour
souligner lapproche culturelle et patrimoniale de la politique linguistique franaise.

11 Loi du 16 juin 1881 tablissant la gratuit absolue de lenseignement primaire dans les coles
publiques ; Loi du 28 mars 1882 sur lenseignement primaire obligatoire.
12 La littrature autour du dbat est abondante, cf. p. ex. les contributions dans Clairis/Costaouec/
Coyos (1999) ; Viaut (2002) ; Conseil de lEurope (2003) ; Lebsanft (2004) ; Willwer (2006, 97218) ;
Woehrling (2011, 5864) ; Aln Garabato (2013, 327334) ; Polzin-Haumann (2015). Sur lapplication de
la Charte en Europe cf. les articles dans le manuel de Lebsanft/Wingender (2012).
13 Pour un aperu de lhistoire du droit des langues en France, cf. Woehrling (2013).
14 propos de lusage antrieur de lexpression, cf. Sibille (2010, 89s.).

222

Felix Tacke

Ne subissant que des modifications mineures et sans valeur juridique, la liste ainsi
que la notion ont pourtant t reprises maintes fois dans le discours politique
patrimonial et notamment au sein du ministre de la Culture et la DGLF qui, en 2001,15
sest vue rebaptise Dlgation gnrale la langue franaise et aux langues de
France (DGLFLF). Lexpression de langues de France ainsi officialise figure dsormais dans de nombreux textes valeur normative (cf. Sibille 2010, 9092). La liste
propose dans le rapport Cerquiglini (1999) peut surprendre plus dun titre :16 le
franais, langue nationale et langue de la Rpublique (Constitution, art. 2), ny est
pas inscrit. Se trouvent galement exclus de la liste, et donc de la politique linguistique, les franais rgionaux considrs comme de simples dialectes ( faons de
parler cette langue ).17 En revanche, Cerquiglini choisit dy faire figurer, au-del des
langues rgionales de France traditionnellement prises en compte,18 les langues
rgionales parles en Outre-mer et les langues dol.19 Selon lui, ce choix se justifie car
lcart na cess de se creuser entre le franais et les varits de la langue dol, que
lon ne saurait considrer aujourdhui comme des dialectes du franais . Parmi les
langues non-territoriales , il mentionne dun ct des langues de tradition ancienne
( judo-espagnol, romani, yiddish ) et la langue des signes franaise, et de lautre
ct l arabe dialectal , l armnien occidental et le berbre en estimant que la
tradition [dusage en France] peut tre rcente et que ces langues ne sont
protges par aucun pays.20
Bien que le concept de langue de France soit dsormais intgr au champ
politico-administratif (cf. Sibille 2010), il est nanmoins important de noter que la
politique linguistique franaise, mme si elle commence modestement sengager
dans lamnagement de la/sa diversit linguistique, favorise sensiblement les langues
rgionales (traditionnelles) de France mtropolitaine auxquelles se destine laction

15 Dcret n 2001950 du 16 octobre 2001 modifiant le dcret n 89403 du 2 juin 1989 instituant un
Conseil suprieur de la langue franaise et une dlgation gnrale la langue franaise.
16 Seront cites les langues telles quelles figurent dans la version actuelle de la liste publie dans le
rapport du CLR (2013, annexe IV, 92s.).
17 Tandis que les franais rgionaux hors de France, notamment le franais parl au Qubec, sont
susceptibles de former les bases pralables des codifications de standards nationaux (pour le franais
en tant que langue polycentrique, cf. Pll 1998 ; 2002 ; 2012 ; Francard 2001 ; Lebsanft 2005, 291s.) et
quils peuvent ainsi faire partie dun amnagement linguistique concret, les franais rgionaux de
France ne constituent pas lobjet dune standardisation quelconque (Lebsanft 2005, 292).
18 Basque, breton, catalan, corse, dialectes almanique et francique (alsacien et francique mosellan), flamand occidental, francoprovenal, occitan ou langue doc (gascon, languedocien, provenal,
auvergnat, limousin, vivaro-alpin), parlers liguriens .
19 [F]ranc-comtois, wallon, champenois, picard, normand, gallo, poitevin-saintongeais, lorrain,
bourguignon-morvandiau .
20 Dans la doctrine franaise assume par Cerquiglini, cest la notion de citoyen qui semble pertinente
au moment de dterminer les langues retenir. Il sensuit quen thorie toute langue parle par des
citoyens franais pourrait figurer parmi les langues de France, alors que selon le droit du sol , les
enfants ns de limmigration sont des citoyens franais ds la seconde gnration.

223

Amnagement linguistique : franais rgionaux et langues des minorits

politique depuis ladoption de la loi Deixonne. Cette prfrence saffirme, semble-t-il,


par la mention, dans le nouvel article 751 de la Constitution, non pas des langues
de France mais des langues rgionales et se manifeste nettement dans la lgislation leur gard et le statut tant juridique que socitaire qui en dcoule. Par la suite,
on se focalisera donc sur les langues rgionales.21

3 Les acteurs institutionnels


La politique linguistique patrimoniale de ltat relve, comme le consacre (de manire
implicite) le nouvel article 751 de la Constitution (cf. infra, 4.1), dune responsabilit
partage entre ltat et les collectivits territoriales. Au niveau de ltat, les ministres
de la Culture et de lducation constituent les principaux acteurs. Parmi les institutions officielles ayant pour objectif lamnagement linguistique figure en premier lieu
la DGLFLF, subordonne au ministre de la Culture. La dfinition de ses missions
contient une mention des langues de France :

Elle veille inscrire les langues de France dans les politiques culturelles. Elle dveloppe leur
observation, encourage leur prservation et contribue leur valorisation. Elle met en uvre,
conjointement avec les ministres et organisations concerns, les actions de lEtat destines
promouvoir le plurilinguisme, conforter la place de la langue franaise dans les pays francophones et renforcer la diversit linguistique en Europe et dans le monde .22

En outre, dans lintention de redfinir une politique publique en faveur des langues
rgionales et de la pluralit linguistique interne , a t institu, le 6 mars 2013, au
sein du mme ministre, le Comit consultatif pour la promotion des langues rgionales et de la pluralit linguistique interne (CLR).
Au niveau des rgions dont les comptences sont codifies dans le Code gnral
des collectivits territoriales, les relations sont analogues : dun ct, la politique
patrimoniale est assume par les directions gnrales des affaires culturelles, de
lautre ct, ce sont les acadmies (les circonscriptions administratives de lducation
nationale) qui sont responsables dorganiser lenseignement des langues rgionales
selon les termes ngocis par voie de conventions entre ltat et les collectivits
territoriales. Loin dtre homognes, les politiques menes par ces acteurs varient
dune rgion et dune langue rgionale lautre (cf. Clairis et al. 2011, 111) ; dans le cas
de loccitan, elle varie ainsi mme par rapport aux diffrentes varits, lespace de la

21 De la mme manire, le CLR considre quune application de la Charte, mme dfaut dune
ratification, ne pouvait tre uniforme pour toutes les langues appartenant la liste des langues de
France et met en avant les six langues reconnues dans lenseignement public (alsacien, basque,
breton, catalan, corse, occitan).
22 Dcret n 20091393 du 11 novembre 2009 relatif aux missions et lorganisation de ladministration centrale du ministre de la culture et de la communication, article 6.

224

Felix Tacke

langue dpassant largement celui dune seule rgion. En plus dinnombrables associations prives engages dans leur promotion,23 les langues rgionales comptent sur
le support de quelques institutions officielles de statuts juridiques divers :24 lOffice
pour la langue et la culture dAlsace (Elsassisches Sprochmt), lOffice public de la
langue basque (Euskararen Erakunde Publikoa), lOffice public de la langue bretonne
(Ofis Publik ar Brezhoneg) et le Centre interrgional de dveloppement de loccitan.
Parmi les associations (de type loi 1901 25) les plus importantes figurent lInstitut de
la langue rgionale flamande (Akademie voor Nuuze Vlaemsche Taele), lInstitut culturel basque (Euskal Kultur Erakundea), la Dfense et Promotion des Langues dOl et
lInstitut dtudes occitanes (Institut dEstudis Occitans). Le catalan, quant lui,
repose sur le support de lInstitut dtudes catalanes (Institut dEstudis Catalans)
Barcelone.
Selon lanalyse des structures institutionnelles incluse dans le rapport du CLR
(2013), le manque de cohrence des stratgies de promotion des langues rgionales
empche, jusqu prsent, la mise en place dune politique linguistique efficace ; pour
une telle politique, il faudrait, selon lui (2013, 54), [m]ieux structurer les rles de
ltat et des collectivits territoriales notamment par la cration dun Comit
interministriel pour les langues rgionales et le plurilinguisme interne .

4 Statut officiel et cadre lgal


Escud (2009, 35) parle, concernant la situation lgale des langues autres que le
franais, du statut toujours prcaire rserv en France aux langues de France .
Bien quil existe dinnombrables dispositions relatives aux langues rgionales et
langues de France dans la lgislation franaise, celles-ci ne constituent pas pour
autant un cadre lgal dont dcoulerait un statut juridique prcis. Contrairement aux
lois sur les langues nationales et cantonales suisses,26 un Code des langues de
France avec l ambition de recueillir toutes les dispositions relatives aux langues
rgionales ou minoritaires, souvent parses, et parfois mal connues comme la
propos le CLR (2013, 49), nexiste pas. dfaut dun code rassemblant toute la
lgislation relative aux langues rgionales, il est donc ncessaire de citer, en
partant de la Constitution, les textes valeur normative les plus pertinents, cest-

23 Sur le rle des associations, cf. Louran (2011).


24 Soit les tablissements publics de coopration culturelle reposant sur la Loi n 20026 du
4 janvier 2002 relative la cration dtablissements publics de coopration culturelle, soit les Groupement dIntrt Public , constitus selon larticle 21 de la Loi n 82610 du 15 juillet 1982 dorientation
et de programmation pour la recherche et le dveloppement technologique de la France.
25 Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat dassociation.
26 SR 441.1 Loi fdrale sur les langues nationales et la comprhension entre les communauts
linguistiques (Loi sur les langues, LLC) du 5 octobre 2007, cf. Tacke (2012).

Amnagement linguistique : franais rgionaux et langues des minorits

225

dire les dispositions lgislatives (lois), rglementaires et infra-rglementaires (ordonnances, dcrets, arrts, circulaires) qui rgissent lusage de ces langues dans
les diffrentes sphres de la vie publique. Sera alors pris en compte de manire
plus dtaille, du fait de son importance, le Code de lducation qui contient toutes
les dispositions normatives (lois et rglements) concernant des langues rgionales
depuis 1951 dans ce domaine cl de lamnagement linguistique. part cette
lgislation explicite envers les langues rgionales, il est indispensable de prendre
en considration la lgislation concernant la langue franaise dont dcoule, de
manire implicite, le cadre gnral dans lequel lamnagement des langues rgionales peut se dployer.

4.1 Fondements constitutionnels, engagements internationaux


La libert dexpression, garantie par larticle 11 de la Dclaration des droits de
lhomme et du citoyen de 1789, inclut galement, bien quimplicitement, la libert de
chacun demployer la langue de son choix. En France, une rglementation ultrieure
de l usage priv des langues nest ainsi pas prvue. Au contraire, dans la sphre
publique , lusage du franais simpose un fait qui a t consacr au niveau
constitutionnel en 1992 par lintroduction de larticle 2 : La langue de la Rpublique
est le franais . Malgr son objectif principal, savoir dassurer le rle du franais
face linfluence croissante de langlais,27 la porte relle dudit article sest avre
beaucoup plus ample et elle limite clairement le cadre dans lequel toute politique et
toute lgislation favorables aux langues autres que le franais est envisageable.
Concrtement, de lapplication de larticle 2 dcoule que le franais est, indiscutablement, la langue dans laquelle [] doivent sexprimer les autorits de la Rpublique (Carcassonne 1998, par. 41), intgres, selon la jurisprudence, non seulement
par les personnes morales de droit public et les personnes de droit priv dans
lexercice dune mission de service public , mais galement par les usagers dans
leurs relations avec les administrations et services publics (ibid., par. 47). Si,
toutefois, lusage dune langue rgionale, y compris dans les relations avec la sphre
publique, nest pas en soi interdit (ibid., par. 62), celui-ci ne peut pour autant
constituer un droit. Dans ce sens, Bertile (2011, 86) en conclut que lusage public des
langues rgionales relve ainsi, en ltat actuel du droit, davantage dune tolrance
constitutionnelle que dun droit .28

27 Carcassonne (1998, par. 35) souligne en outre que larticle 2 ntait expressment pas vis contre
lusage des langues rgionales (cf. Assemble nationale, sance du 12 mai 1992, JO, 13 mai 1992, 1019
1022). Cf. aussi Braselmann (1999).
28 Lexpression de tolrance constitutionnelle lgard des langues rgionales a t formule pour
la premire fois, selon Bertile, par Jean-ric Schoettl (1999), alors secrtaire gnral du Conseil
constitutionnel.

226

Felix Tacke

Or, au lieu de changer le cadre lgal pour permettre des mesures de sauvegarde
efficaces, la politique linguistique franaise sest apprte plutt nenvisager la
diversit linguistique que dans le cadre dune logique purement patrimoniale.29 Cest
dans ce sens quen 2008, dans le cadre de la rforme constitutionnelle,30 larticle 751
fut introduit dans la Constitution constatant dsormais que [l]es langues rgionales
appartiennent au patrimoine de la France . Loin dtre une reconnaissance officielle
des langues rgionales, larticle insiste sur la dmarche culturelle sans envisager un
changement quelconque de leur statut dans la vie publique : Linscription au patrimoine est une valorisation qui nengage aucune promotion active (Sauzet 2009,
10). Mme si linsertion de larticle dans le titre XII consacr aux collectivits territoriales semble indiquer laffirmation d un principe de responsabilit partage (CLR
2013, 47) entre celles-ci et ltat (cf. Carcassonne 2011 ; Bertile 2011),31 il sagit donc
tout dabord dun acte symbolique.
Parmi les engagements internationaux assums par la France figurent deux
conventions de lUnesco, savoir celle pour la sauvegarde du patrimoine culturel
immatriel et celle sur la protection et la promotion de la diversit des expressions
culturelles qui avaient dj t ratifies par la France en 2006. Au contraire, la
Charte du Conseil de lEurope, instrument de sauvegarde beaucoup plus concret et se
consacrant explicitement aux langues rgionales et minoritaires, a dj t signe par
la France en 1998 mais na pas t ratifie depuis cause du verdict du Conseil
constitutionnel. Celui-ci avait estim, dans sa dcision du 15 juin 1999,32 que plusieurs
dispositions de la Charte taient contraires la Constitution, notamment aux principes d indivisibilit de la Rpublique, dgalit devant la loi et dunicit du peuple
franais ainsi qu larticle 2 en ce quelles tendent reconnatre un droit
pratiquer une langue autre que le franais non seulement dans la vie prive mais
galement dans la vie publique, laquelle la Charte rattache la justice et les auto

29 Face au jacobinisme, lapproche patrimoniale marquait dj le discours des dfendeurs des


langues rgionales dont fait preuve la Ptition pour les langues provinciales de 1870 (cf. Moliner 2010).
30 Loi constitutionnelle n 2008724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve
Rpublique, JORF n 0171 du 24 juillet 2008, p. 11890.
31 Dans ce sens, le CLR (2013, 47) estime que larticle constitutionnel devrait tre complt par un
Code des langues de France au niveau lgislatif pour lui donner une porte oprationnelle .
Carcassonne (2011, 83) est galement de lavis que l on pourrait tout fait, en se fondant sur larticle
751, faire voluer notre lgislation dans des conditions peu prs indiscutables, auquel cas serait
ainsi dmontre lutilit de cet article .
32 Dcision du Conseil constitutionnel n 99412 DC du 15 juin 1999, JORF n 139 du 18 juin 1999,
p. 8964. Linterprtation qua donne le Conseil constitutionnel, autant de la Constitution que de la
Charte, a t considre extrmement rigide, extrmement ferme par Carcassonne (2011, 78) qui,
auparavant (Carcassonne 1998), lavait juge compatible avec la Constitution sous certaines rserves.
Woehrling (2011, 58s.) estime mme que le Conseil constitutionnel na pas respect les rgles qui sont
communment admises dans linterprtation dune convention internationale .

227

Amnagement linguistique : franais rgionaux et langues des minorits

rits administratives et services publics . Une modification de la Constitution permettant de ratifier la Charte est improbable.33

4.2 Dispositions lgislatives et rglementaires


On exposera par la suite la normative gnrale qui encadre lusage public des langues
rgionales dans les secteurs particulirement importants sous langle dune politique
patrimoniale de sauvegarde et de promotion, savoir lenseignement, les mdias, le
domaine des services publics, de ladministration et de la justice.34

4.2.1 Enseignement
La lgislation en matire des langues rgionales remonte la Loi Deixonne35 de 1951
qui, pour la premire fois, intgrait quelques langues rgionales, savoir le basque,
le breton, le catalan et loccitan (dautres langues furent ajoutes plus tard) dans
lenseignement publique.36 Le dispositif lgal, qui est pass par nombre de dcrets et
a t codifi notamment par les lois dites Haby (1975), Savary (1984), Toubon (1994) et Fillon (2005),37 est aujourdhui intgr dans le Code de lducation.
Si, sous le titre de dispositions gnrales , le Code stipule que [l]a langue de
lenseignement, des examens et concours, ainsi que des thses et mmoires dans les
tablissements publics et privs denseignement est le franais , cest parmi les
exceptions qui peuvent tre justifies quil donne en premier lieu les ncessits

33 plusieurs reprises, une ratification de la Charte a t voque puis refuse par les autorits (sur la
dialectique sous-jacente, cf. Lebsanft 2004). Dernirement, lactuel prsident de la Rpublique, Franois Hollande, a pris ses distances avec sa promesse lectorale de la faire ratifier : lAssemble
nationale, la ministre de la Culture a indiqu que lexcutif a estim quil ntait pas possible, quelle
que soit la rdaction envisage, dintroduire dans notre Constitution une disposition permettant de
ratifier la Charte europenne des langues rgionales ou minoritaires, sans introduire de contradiction
majeure avec les articles 1er, 2 et 3 de la Constitution (Assemble nationale, 1re sance du mardi
23 avril 2013, JO, 24 avril 2013, p. 4827).
34 Cf. Le corpus juridique des langues de France (DGLFLF 2012) dont la dernire actualisation date
davril 2012. Tout en profitant du corpus, la normative expose par la suite est mise jour (octobre
2013) et inclut les dveloppements ultrieurs notamment au sein de lducation nationale.
35 Loi n 5146 du 11 janvier 1951 relative lenseignement des langues et dialectes locaux.
36 propos de la lgislation en matire de lenseignement, cf. Berthaud (1951) ; Gardin (1975) ;
Giacomo (1975) ; Giordan (1975) ; Marcellesi (1975) ; Lespoux (2013) ; sur la gense de la Loi Deixonne,
cf. Moliner (2010 ; 2013).
37 Loi n 75620 du 11 juillet 1975 relative lducation ( Haby ) ; Loi n 8452 du 26 janvier 1984 sur
lenseignement suprieur ( Savary ) ; Loi n 94665 du 4 aot 1994 relative lemploi de la langue
franaise ( Toubon ) ; Loi n 2005380 du 23 avril 2005 dorientation et de programme pour lavenir
de lcole ( Fillon ).

228

Felix Tacke

de lenseignement des langues et cultures rgionales ou trangres (art. L1213).38


Aussi le franais est-il incontestablement la langue scolaire tandis que les langues
et cultures rgionales constituent tout dabord une matire. Leur enseignement est
rglement par les articles L31210 L312111, modifis substantiellement dans le
cadre de la refondation de lcole de la Rpublique ,39 le 8 juillet 2013. Dsormais,
larticle L31210 sinscrit clairement dans la logique patrimoniale de larticle 751 de
la Constitution. En rsum, il stipule que, vis--vis du franais et dans le cas des
langues et cultures rgionales , il ne peut sagir que dun enseignement facultatif dispens prioritairement dans les rgions o elles sont en usage et dont les
modalits seraient dfinies par voie de convention entre lEtat et les collectivits
territoriales . Il prvoit deux formes denseignement : 1 Un enseignement de la
langue et de la culture rgionales ; 2 Un enseignement bilingue en langue franaise
et en langue rgionale . La juridiction a dfini nettement les limites de ces dispositions. Ainsi, un arrt et plusieurs circulaires ayant pour but dintroduire une troisime mthode dite d immersion , qui aurait impliqu l utilisation principale de
la langue rgionale (art. 3), ont t annuls suite des requtes prsentes de la part
de plusieurs syndicats denseignants.40 Suivant larrt du Conseil dtat, lenseignement dune langue rgionale qui dpasse la parit horaire avec le franais irait audel des ncessits de lapprentissage dune langue rgionale et excderait les
possibilits de drogation lobligation dutiliser le franais comme langue denseignement .41
Si ces dispositions sont en vigueur pour les langues rgionales en France mtropolitaine et relvent notamment dune politique symbolique visant leur tolrance
dans le secteur public et tant cense tre verrouille par le principe du caractre
facultatif (Bertile 2011, 89), seule la langue corse est dote dun statut spcial :
larticle L312111 du Code la prsente ainsi comme une matire enseigne dans le
cadre de lhoraire normal .
Au-dessous de cette normative gnrale, le cadre lgal permettant un enseignement des langues rgionales est complexe, diffrenci selon le niveau dtudes
(maternelles, primaires, secondaires, suprieures), les modalits des preuves (diplme national du brevet, baccalaurat), les concours du CAPES etc. ; son application
varie en outre selon les rgions (treize acadmies mtropolitaines sur un total de 26
offrent un enseignement de langues rgionales). Enfin, les possibilits mises en place
ne sont pas identiques pour toutes les langues. En voici un aperu :

38 Larticle intgre larticle 11 de la loi Toubon dsormais abrog.


39 Loi n 2013595 du 8 juillet 2013 dorientation et de programmation pour la refondation de lcole
de la Rpublique.
40 Arrt du 31 juillet 2001 relatif la mise en place dun enseignement bilingue en langues rgionales
soit dans les coles, collges et lyces langues rgionales , soit dans les sections langues rgionales dans les coles, collges et lyces, JORF n 180 du 5 aot 2001, p. 12757.
41 Dcisions du Conseil dtat n s 238653238655238681238710240435 du 29 novembre 2002.

Amnagement linguistique : franais rgionaux et langues des minorits

229

Tableau 3 : Lenseignement des langues rgionales dans le service public de lenseignement


(bas sur CLR 2013, 94s.)
matire
langue et culture rgionale

enseignement bilingue

alsacien et francique mosellan


(platt)

oui

oui (allemand/
filire Abibac)

langue

basque

oui

oui

breton

oui

oui

catalan

oui

oui

corse
flamand

gnralis (primaire)

oui

non
(nerlandais langue trangre)

non

non

non

oui (gallo)

non

oui

oui

franco-provenal
langues dol
occitan langue doc

part le service public, auquel sapplique la normative expose ci-dessus, des coles
prives sous contrat de ltat dites statut associatif contribuent la transmission
scolaire des langues rgionales (Code de lducation, art. L4425ss.). Or cest dans ce
cadre que des coles associatives spcifiques (ABCM-Zweisprachigkeit, Bressola,
Calandreta, Diwan, Ikastola, Seaska etc.) proposent un enseignement fond sur la
mthode de limmersion.42 Certaines coles prives, de diffrents statuts, permettent
galement lapprentissage du flamand, du franco-provenal ainsi que de quelques
langues dol (au-del du gallo43) selon les rgions dans lesquelles elles sont en
usage.

4.2.2 Mdias
Le secteur public audiovisuel est rgl par la loi Lotard 44 de 1986 (pour un
aperu, cf. Gendry 2011). Modifie en 2009,45 celle-ci sinscrit dsormais explicitement
dans la politique patrimoniale favorable aux langues rgionales tout en perptuant
nettement la hirarchie existante entre celles-ci et le franais. Cest ainsi que la
mission linguistique de limportant Conseil suprieur de laudiovisuel, cr en 1989,

42 propos des coles Calandretas, cf. Sumien (2009).


43 Sur ltat de lenseignement du gallo, cf. Le Coq (2009).
44 Loi n 861067 du 30 septembre 1986 relative la libert de communication.
45 Loi n 2009258 du 5 mars 2009 relative la communication audiovisuelle et au nouveau service
public de la tlvision.

230

Felix Tacke

continue se limiter la dfense et lillustration de la langue et de la culture


franaises (art. 31) sans faire mention dautres langues ; en revanche, les socits
faisant partie du secteur public sont dornavant tenues, entre autres, dassurer non
seulement la promotion du franais, mais aussi le cas chant, des langues rgionales et de mettre en valeur la diversit du patrimoine culturel et linguistique de la
France (art. 4311). Ceci vaut tout particulirement pour les diffusions en rgion
(art. 44), tche assume dans la pratique notamment par France 3 (France Tlvisions)
et le rseau France Bleu (Radio France). La promotion de lusage dans la presse
nest assure que faiblement par un dcret46 de 2004 prvoyant des fonds daide la
presse hebdomadaire auxquels les socits intresses, selon le rapport du CLR (2013,
40s.), nont que rarement droit. En somme, les structures lgales mises en place en
faveur des langues rgionales pour le secteur public audiovisuel restent faibles.

4.2.3 Services publics, administration et justice


Les services publics, ladministration et la justice (entre autres) reprsentent tout
particulirement la Rpublique ; ainsi, se rfrant larticle 2 de la Constitution, la
langue officielle ne peut y tre que le franais. Ceci signifie concrtement quen termes
juridiques, il est exclu que quiconque dun ct du guichet comme de lautre
puisse se prvaloir dun droit user dune langue autre que le franais (CLR 2013,
42). Or, dfaut dun statut juridique clair, si lusage des langues rgionales nest pas
pour autant interdit, il relve dune approche de tolrance. Celle-ci se manifeste, par
exemple, dans la loi Toubon (relative lemploi de la langue franaise) de 1994
dont les auteurs ont jug ncessaire de prciser expressment que les dispositions
sappliquent sans prjudice de la lgislation et de la rglementation relatives aux
langues rgionales de France et ne sopposent pas leur usage (art. 21).47 Si nombre
de circulaires portant sur la mise en uvre de la loi contiennent une disposition
similaire, il perdure toutefois des hsitations parmi les responsables par rapport aux
possibilits dusage des langues rgionales. Selon lestimation du CLR (2013), la
difficult dinterprter la rglementation conduit parfois une attitude plus restrictive
des responsables des services publics (43), avec pour consquence une tendance
interdire ce qui nest pas expressment autoris par les textes (48). La jurisprudence
confirme le cadre restrictif impos par larticle 2 de la Constitution ; ainsi, rcemment,
ladoption de plusieurs lois du pays par lassemble de la Polynsie franaise a t
dclare illgale par le Conseil dtat parce quau cours de la sance, son premier

46 Dcret n 20041312 du 26 novembre 2004 relatif au fonds daide la presse hebdomadaire


rgionale et locale.
47 Sur la loi Toubon cf. Becker (2004).

231

Amnagement linguistique : franais rgionaux et langues des minorits

vice-prsident et plusieurs orateurs staient exprims en tahitien.48 Il en va de mme


dans le domaine de la justice : pendant les procdures judiciaires, lusage dune
langue rgionale nest pas tolr moins que le justiciable ne parle pas le franais ce
qui, en rgle gnrale, nest pas le cas en France mtropolitaine. Au-del de ce cadre
gnral resserr, un nombre croissant de textes normatifs fait allusion aux langues
de France sous le signe de la politique patrimoniale sans pour autant dpasser le
domaine du symbolique.49

5 Standardisations et enseignement
Face limpossibilit de traiter au mme titre lamnagement des corpus des langues
rgionales parles en France mtropolitaine et en tenant compte de la complexit des
situations respectives (histoire et tat de leurs codifications, coexistence/concurrence
de plusieurs normes etc.), il ne sagira pas den donner un tat des lieux gnral,50
mais de sattarder sur la question des langues (crites) utilises ou utiliser lheure
de transmettre leur usage par la voie de lcole, ces questions impliquant celles du
matriel pdagogique, de la conception du programme pour les coles, collges,
lyces etc. Vu que le domaine de lenseignement est le seul secteur qui, jusqu
prsent, sinscrit systmatiquement dans la politique tatique favorable aux langues
rgionales, cest donc ici que se pose effectivement la question de la norme linguistique suivre. videmment, la problmatique de la norme linguistique est particulirement pertinente pour les langues uniquement ou essentiellement en usage en
France, cest--dire pour le breton, le corse et loccitan. En revanche, la problmatique
du choix dune norme est moindre dans le cas du basque et du catalan qui, de lautre
ct de la frontire espagnole, sont tablies de faon beaucoup plus forte en tant que
langues crites dans diffrentes Communauts Autonomes o elles disposent dun
rgime de co-officialit et dune histoire en tant que langues littraires. Finalement,
les locuteurs des langues de France parles en Alsace et dans les pays mosellans
peuvent se prvaloir, eux, de la culture de la langue allemande, traditionnellement
utilise en tant que langue crite.
partir des programmes denseignement de langues rgionales au palier 2 du
collge publis par le ministre de lducation nationale en 2010 (MEN 2010) et

48 Dcision du Conseil dtat n s 361767, 361768, 361912, 361913, 361990, 361991, 362028 du 3 juin
2013.
49 Cf. p. ex. larticle 16 de la Loi n 95115 du 4 fvrier 1995 dorientation pour lamnagement et le
dveloppement du territoire, modifie par la Loi n 99533 du 25 juin 1999 et larticle 2 du Dcret
n 2002898 du 15 mai 2002 relatif aux attributions du ministre de la culture et de la communication.
50 Cf. les contributions sur les codifications des langues de France dans Guillorel/Sibille (1993),
Caubet/Chaker/Sibille (2002) et, rcemment, laperu de Caubet et al. (2013). Sur la codification de
langues minoritaires en gnral, cf. Winkelmann (1990).

232

Felix Tacke

considrs prototypiques pour le traitement officiel des questions normatives,51 seules


les langues rgionales intgres au service public de lenseignement, savoir (suivant
la dsignation officielle) la langue rgionale dAlsace et des pays mosellans, le basque,
le breton, le catalan, le corse et loccitan seront par la suite prises en compte.52 En
gnral, parmi les objectifs atteindre par les lves, tels quils sont mis par le
ministre, cest un langage clair et standard qui doit tre enseign. Il est dsormais
pertinent de spcifier la relation entre les varits (dialectales) locales respectives et le
ou les standards codifis pour chacune des langues mentionnes prcdemment.

5.1 Langue rgionale dAlsace et des pays mosellans


Lenseignement de ce quest appeles, dans les programmes denseignement, les
diffrentes varits constituant la langue rgionale dAlsace et des pays mosellans
(MEN 2010, 94) lie lapprentissage du dialecte celui de lallemand standard qui peut
tre poursuivi par lenseignement de lallemand en tant que langue trangre. Si,
selon le programme scolaire, il convient daider llve sappuyer sur sa comptence dialectale, voire la ractiver, pour linciter un usage large des possibilits qui
lui sont offertes dans la langue allemande (ibid., 118), il est clair que la langue
rgionale est conue notamment en tant que moyen dapprentissage de la langue
allemande standard.

5.2 Basque
Lenseignement du basque suit la norme codifie en Espagne (Euskara Batua) par
lAcadmie de la langue basque (Euskaltzaindia) (cf. Coyos 2013), la dimension
gographique et historique (accents, variantes linguistiques, tymologie) (MEN
2010, 10) ntant quun sujet parmi dautres.53

51 Arrt du 7 juin 2010 fixant les programmes denseignement de langues rgionales au palier 2 du
collge, JORF du 22 juin 2010 / Bulletin officiel du Ministre de lducation nationale n 27 du 8 juillet
2010 ; les programmes se trouvent dans lannexe de larrt.
52 Dans ce contexte, il est intressant de noter que ce sont prcisment le flamand (parl galement en
Belgique), les langues dol et le franco-provenal, cest--dire des langues sans tradition littraire
remarquable, utilises surtout loral et souvent considres comme des dialectes ou des patois par
leurs propres locuteurs, qui sont exclues de lenseignement public des langues. Si, par rapport ces
langues, il existe des revendications politiques et des initiatives de codification, celles-ci sont rcentes et
sinscrivent dans le courant de la revitalisation des langues lie lide que la sauvegarde dune langue
nest possible que par sa standardisation (cf. la problmatique dans Gal 2006 ; 2010 ; Lebsanft 2012, 36s.).
53 Cependant, Sarraillet (2009, 6) indique que la rgion la plus orientale, o le dialecte conserve des
formes archaques et une prononciation influence par le gascon voisin, dispense un enseignement en
dialecte jusquau collge ou au lyce selon les filires .

233

Amnagement linguistique : franais rgionaux et langues des minorits

5.3 Breton
Le breton standard enseign lcole correspond la graphie unifie (cf. Favereau
2002 ; Broudic 2013, 446449). Tenant compte du fait que cette forme constitue un
compromis entre les diffrentes varits diatopiques du breton, lenseignement est
cens confronter les lves des textes varis authentiques et, en tant que sujet
denseignement, la dimension gographique et historique (accents, variantes linguistiques, tymologie) (MEN 2010, 30).

5.4 Catalan
Les enseignants du catalan peuvent se prvaloir de la norme codifie du catalan
standard tel quil est cultiv en Catalogne (Espagne). Si la langue standard, base
essentiellement sur le catalan central, et le catalan septentrional parl dans le dpartement des Pyrnes-Orientales ne sont pas identiques, les programmes scolaires
prvoient lenseignement de lorthographe et de la grammaire du standard, cultives
notamment lInstitut dtudes catalanes Barcelone (cf. Lebsanft 2002), tout en
signalant, par une approche contrastive, les particularits phonologiques, grammaticales et orthographiques de la varit du nord (cf. Sanchiz/Bonet 2009).

5.5 Corse
Intgr au service public de lenseignement depuis 1974,54 le corse est un cas spcial
ne disposant pas dune langue commune susceptible dtre standardise (sur la
question des normes, cf. Chiorboli 1999 ; 2002). Pour son enseignement, on sest alors
rsolu, au milieu des annes 1980, adapter le concept de langue polynomique
propos par Marcellesi (1983 ; cf. Di-Meglio 2009 ; Giacomo-Marcellesi 2013, 471s.).
Ceci prvoit lapprentissage de la varit locale ou bien du rgiolecte, complt par
lenseignement de la variation du corse dans lobjectif damener les locuteurs
considrer toutes les varits dialectales du corse comme dgale valeur une
approche qui relve plutt dune ducation (Comiti 2009, 166s.). Dans le programme denseignement figurent ainsi, parmi les comptences transmettre, les
[v]arits dialectales (trois rgions linguistiques) (MEN 2010, 68).

54 Dcret n 7433 du 16 janvier 1974 relatif lenseignement des langues et dialectes locaux.

234

Felix Tacke

5.6 Loccitan
La question des normes est particulirement difficile dans le cas de la langue dnomme occitan langue doc au sein du service public de lenseignement. tant
donn que, historiquement, loccitan ne dispose pas non plus (cf. le corse) dune
langue standard mais de plusieurs codifications concurrentes dont aucune nest
accepte par les locuteurs ou leurs reprsentants politiques dans toutes les rgions
(cf. Sibille 2002 ; Sauzet 2002 ; Polzin-Haumann 2006, 14781480), lenseignement
dune langue unifie na pu tre tabli. En revanche, cest la langue occitane conue
en tant que somme de ses varits (Cerquiglini 1999) qui fait objet de la rglementation officielle de lenseignement depuis larrt de 1988 portant programme du
baccalaurat (pour une analyse, cf. Sarpoulet 2009).55 Il en dcoule un enseignement
de la langue locale et la prise en compte pdagogique de la diversit dialectale de
lespace occitan dans son unit fondamentale (Verny 2009, par. 19). En tant que
modle linguistique suivre par les enseignants, les programmes denseignement de
2010 se diffrencient en quatre varits rgionales, savoir le languedocien, le
provenal, le gascon et le limousin. Pour le provenal, les exemples sont en outre
prsents dans les deux grandes graphies en usage, la graphie classique et la
graphie mistralienne , lui laissant ainsi le choix du systme qui conviendra le
mieux sa situation denseignement (MEN 2010, 77). Lenseignement bas sur la
langue de lenvironnement des lves est, comme dans le cas du corse, de conception
linguistique assez moderne. Aussi, parmi les sujets traiter, est-il inclus lenseignement des normes graphiques, prsentes en tant que standardisation pluricentrique (ibid., 91) de la langue occitane.56

6 Conclusions
Depuis le dbut des dbats autour de ladoption par la France de la Charte europenne
des langues rgionales ou minoritaires en 1998, la politique linguistique franaise a
commenc sintresser, certes modestement, aux langues autres que le franais
dans le cadre dune approche culturelle et patrimoniale. Lextension des missions de
la Dlgation gnrale la langue franaise (DGLF) aux langues de France
(DGLFLF) et lintroduction dans la Constitution de larticle 751 ( Les langues rgionales appartiennent au patrimoine de la France ) marquent le caractre avant tout
symbolique de cette politique. Dernirement, la tentative de [r]edfinir une politique
publique en faveur des langues rgionales et de la pluralit linguistique interne

55 Arrt du 15 avril 1988, Bulletin officiel du Ministre de lducation nationale n 17 du 5 mai 1988
( Les programmes du baccalaurat ).
56 La mention entre guillemets du caractre pluricentrique est accompagne de la rfrence
Sumien (2006).

235

Amnagement linguistique : franais rgionaux et langues des minorits

(CLR 2013) au sein du ministre de la Culture semble viser un amnagement plus


concret notamment des langues rgionales. Nanmoins, tant que le cadre lgal concernant les langues de France nest pas modifi substantiellement pour leur donner
un statut juridique prcis dans la sphre publique, les activits de promotion ne
suffiront pas freiner le dclin constant de leur usage. Les avances rcentes en
matire denseignement public des langues rgionales ny peuvent pas changer
grand-chose. En mme temps, lapproche en termes damnagement des corpus
correspond bien lesprit actuel du temps. En effet, au lieu dimposer des standards
non ou peu accepts par les communauts linguistiques respectives travers le service
de lenseignement public, les autorits adaptent des solutions en fonction de chaque
langue particulire et appliquent des concepts linguistiques modernes, notamment
dans le cas du corse et de loccitan (langue polynomique, norme pluricentrique).
Or, grce non seulement la politique publique patrimoniale mais aussi au
contexte europen de plus en plus favorable la diversit linguistique, la connaissance des langues autres que le franais ainsi que leur acceptation en tant que
richesse culturelle de la nation augmentent. La DGLFLF y contribue avant tout par
lorganisation de colloques et de publications ou par leur financement, ces dernires
tant facilement reconnaissables, semble-t-il, lusage du terme politique langues
de France dans les titres respectifs (cf. p. ex. Caubet/Chaker/Sibille 2002 ; Cerquiglini 2003 ; Aln Garabato/Boyer 2007 ; Sauzet/Pic 2009). LHistoire sociale des langues de France (Kremnitz 2013) en est lexemple le plus rcent. Dans ce sens, Cerquiglini (2003, 9s.) croit la fiction dune France monolingue termine et dclare
propos de la diversit linguistique : Ce patrimoine immatriel, parfois menac,
dune grande varit et dune grande richesse, doit tre connu de nos concitoyens :
cest leur bien commun, il appartient au patrimoine de lhumanit. Il contribue au
rayonnement de notre pays .

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Judith Visser

10 Linguistique populaire et chroniques de


langage : les franais rgionaux et les
langues des minorits

Abstract : Depuis lintroduction des nouveaux mdias, la linguistique populaire a


gagn en visibilit. Dun ct, la chronique de langage, genre de la linguistique
populaire par excellence, ne se publie plus seulement dans des mdias traditionnels,
mais aussi sur internet. De lautre ct, ceux qui sintressent aux franais rgionaux
et aux langues de minorit ont plus de possibilits de publier des textes et des
informations. Larticle analysera dabord la notion de linguistique populaire dans le
contexte des franais rgionaux et des langues de minorit avant dlaborer une
typologie des chroniques. La deuxime partie prsentera des portraits et des analyses
exemplaires des chroniques linguistiques des langues de minorits et de quelques
franais rgionaux que lon peut trouver dans le paysage mdiatique de la France.

Keywords : linguistique populaire, chroniques de langage, franais rgionaux, langues de minorit, mdias

1 Introduction
Depuis lintroduction des nouveaux mdias, lactivit linguistique de personnes prives sans formation philologique a gagn en visibilit. De plus en plus objet de
recherches et de discussions, cette linguistique populaire ne se limite pas la langue
standard : les franais rgionaux et les langues de minorit, traditionnellement passs
sous silence en France, ont trouv un mdia pour la diffusion de textes et dinformations. La chronique de langage est un genre de texte caractristique de la vulgarisation
des connaissances linguistiques. Depuis lintroduction dinternet, elle a volu et la
discussion sest diversifie quant aux thmes et aux acteurs.
Aprs une caractrisation de la linguistique populaire et de la chronique de
langage, nous identifierons les franais rgionaux et les langues de minorit dont
il sera question. Notre typologie de chroniques se basera sur la langue employe dans
les textes et sur le type de mdia utilis. Laperu pour les langues les plus importantes se centrera sur la chronique de langage, tout en esquissant dautres tendances
importantes que lon pourrait intgrer sous ltiquette linguistique populaire.

243

Linguistique populaire : franais rgionaux et langues des minorits

2 Linguistique populaire et langues rgionales et


minoritaires : tentative de dfinition

2.1 Linguistique populaire et chroniques de langage


2.1.1 Linguistique populaire
Le terme linguistique populaire peut tre considr comme (quasi-)quivalent de
lallemand Laien-Linguistik (Antos 1996) et de langlais Folklinguistics (p. ex. Niedzielski/Preston 2000). Ces termes techniques et les disciplines quils reprsentent
montrent un intrt grandissant des linguistes pour la perspective des non-spcialistes. Or, la linguistique populaire nest pas un phnomne qui est apparu au XXIe sicle.
Il y a toujours eu un intrt de la part des non-spcialistes pour les questions de
langage, mais il faut pouvoir parler dune linguistique comme discipline pour en
distinguer une linguistique populaire (Demel 2006, 1523s.). Depuis la cration des
nouveaux mdias, son existence est encore beaucoup plus vidente. La linguistique
populaire peut tre une linguistique faite pour le peuple (donc ceux qui nont pas de
formation en linguistique) et elle peut tre une linguistique faite par le peuple. Bien
que tout le monde ait une ide intuitive du concept populaire, une distinction claire
entre quelquun qui peut tre considr comme un expert et quelquun qui ne le serait
pas nest ni possible ni souhaitable. Il sagit dun continuum, ou bien, comme le
propose Stegu, dune construction discursive (2012, 33) ; pour des questions terminologiques 6 Linguistique populaire et chroniques de langage : France, chap. 1 ;
8 Linguistique populaire et chroniques de langage : Francophonie, chap. 1, 2.1).
Dans tout ce qui touche les langues de minorit ou rgionales, les soi-disant
spcialistes, les dialectologues, ont parfois moins de comptences dans la langue
rgionale ou minoritaire que les non-spcialistes. Ils sont donc experts dans la discipline linguistique, mais les locuteurs natifs pourraient avoir des problmes les
accepter comme tels. Les linguistes ont un intrt professionnel pour la langue quils
discutent. Leur formation linguistique sexprime dans une argumentation plutt
cohrente et objective, base sur des modles thoriques et une mthodologie reconnue. Leur but est de rpertorier tout ce qui reste de la langue rgionale ou minoritaire
et, si possible, de dclencher ou pousser une normalisation. Le non-expert, par
contre, est quelquun qui sait parler la langue en question, qui a des (grands)parents
qui lont parle, qui vit dans la rgion, qui a un intrt personnel la culture en
question ou qui est locuteur dune autre langue rgionale. Il a tendance baser son
argumentation, souvent subjective et pleine dmotions, sur des lieus communs
scientifiques (Demel 2006, 1523). Du fait quil sintresse une sous-varit de la
langue rgionale et que cette sous-varit a une grande valeur identitaire (Haarmann
1996, 219, 225), lide de la standardisation le sduit en thorie. Mais en pratique, toute
proposition concrte se heurte au fait quune standardisation est incompatible avec

244

Judith Visser

ses intrts personnels. Par consquent, un linguiste prototypique nest pas forcment
reprsentatif des besoins des locuteurs.

2.1.2 Chroniques de langage


Les chroniques de langage ont une riche tradition dans le monde francophone
(Remysen 2005, 267). Leur analyse sest beaucoup centre sur le franais standard
dans les diffrents pays de la Francophonie. Par contre, les chroniques qui soccupent
des langues de minorits et rgionales ont attir moins dintrt. Pourtant, cest au
XXe et XXIe sicle que lon trouve une production croissante de chroniques de langages au sens troit, cest--dire dans linterprtation classique, mais aussi des types de
textes qui ont des points communs avec cette chronique classique et qui pourraient tre considrs comme des sortes de successeurs cette tradition discursive.
Une tentative de comparaison entre chronique classique et dautres activits doit se
baser sur une dfinition de celle-ci : en partant dune analyse de diffrentes dfinitions, Remysen fait ressortir les caractristiques les plus importantes : il sagit de
rubriques fixes, destines au grand public, publies plus ou moins rgulirement,
souvent dans des journaux ; elles discutent de lusage (du bon et du mauvais) de la
langue franaise actuelle, des institutions qui soccupent de lamnagement linguistique, prsentent les ouvrages dactualit (Quemada 1970/1972 ; Schwarze 1977 ;
Cellard 1983), peuvent contenir des anecdotes (souvent tymologiques) (Cellard 1983,
651s.), et ressemblent parfois des anti-barbaris du type ditesne dites pas (Osthus
2006, 1538) :

La chronique de langage est un ensemble de discours sur la langue, plus particulirement


encore sur les bons et les mauvais usages de la langue. Elle est diffuse priodiquement sous
forme de rubriques dans les mdias crits (articles de journal ou de revue) ou lectroniques
(missions de radio ou de tlvision). La chronique est signe par une mme personne, physique
ou morale [] (Remysen 2005, 271).

Lauteur typique est une personne laquelle on reconnat une comptence en


matire de langue (ibid.). Il pourrait sagir de membres de lAcadmie Franaise, de
lexicographes ou grammaticographes ou bien plus gnralement d hommes de
lettres (Cellard 1983, 652).
Nous avons soulign que, dans le contexte des chroniques qui soccupent de
langues rgionales ou minoritaires, une telle reconnaissance de comptences langagires pourrait poser des problmes, puisquil y a souvent un dcalage entre les
opinions des linguistes et celle des locuteurs. Pour la chronique des langues minoritaires et rgionales, le groupe des possibles destinataires est assez rduit. Normalement, les chroniques sont publies dans des journaux tirage trs limit. prsent,
on trouve un nombre considrable de chroniques ou bien de publications qui ont
des caractristiques en commun avec elle sur internet. Cette volution est attri

245

Linguistique populaire : franais rgionaux et langues des minorits

buable au caractre dmocratique et participatif de ce mdia (Lsebrink et al. 2004,


250). Mais, contrairement ce que lon pourrait penser au vue de la grande importance dinternet dans la socit daujourdhui, il ne sagit pas dun mdia de masse
(ibid., 245). Les contributions en langues rgionales qui y sont publies ne touchent
donc pas non plus le grand public. Les thmes traits ne peuvent pas tre les mmes
que pour le franais, parce que les conditions de dpart pour les franais rgionaux et
les langues minoritaires sont trs diffrentes.

2.2 Les franais rgionaux et les langues de minorit


Il parat ncessaire de justifier le choix des varits diatopiques que nous allons
discuter dans le contexte de cet article. En faveur dune cohrence interne du manuel,
pour des raisons de practicabilit, mais aussi en tenant compte de la politique
linguistique actuelle en France, nous allons prendre en considration, et de faon
exemplaire,
les langues minoritaires endognes de la France hexagonale, et plus prcisemment lalsacien, le basque, le breton, le catalan, le corse, le flamand occidental, le
francoprovenal et loccitan (et ses varits diatopiques) (cf. Cerquiglini 1999) ;
les langues rgionales qui, linguistiquement, pourraient tre considres comme
des dialectes de la langue dol, comme le picard, le normand etc., qui ont t
sujets une certaine acceptation officielle dans le cadre du Rapport Cerquiglini
(ibid.).

Linguistiquement et concernant le statut damnagement linguistique, il y a une


diffrence considrable entre des langues typologiquement autonomes (comme le
basque) et celles qui ne le sont pas (comme le picard). La distinction entre langue
minoritaire et langue rgionale ne rflte que partiellement cette diffrence. Du point
de vue des locuteurs, la dlimitation entre langue et dialecte pose plus de problmes
que les rsultats du rapport Cerquiglini ou les catgorisations des linguistes ne le
suggrent. Si lon se limite la discussion de langues comme loccitan, le basque, le
normand ou le picard, on coupe une partie du tableau de la linguistique populaire.
Notre choix de dlimitation doit donc tre considr comme une limitation scientifique, non pas comme une dcision populaire .
Il est videmment tout fait impossible de prsenter un compte rendu quilibr et
accompagn dune analyse de chaque chronique de langage dans chaque langue.
Nous allons ainsi nous limiter esquisser les tendances les plus rvlatrices.

246

Judith Visser

3 Typologie des chroniques


3.1 Langue employe
Mme sil existe des chroniques crites en langue bretonne, picarde ou alsacienne, on
est assez souvent confront des textes rdigs en franais standard : En utilisant les
langues locales, les chroniqueurs ne peuvent que sadresser aux locuteurs natifs, dont
le nombre est presque partout en chute, et non pas tous ceux que lon pourrait
gagner comme possibles no-locuteurs ou dfenseurs de la langue en danger dextinction. Une fonction des chroniques est dveiller lintrt dun plus grand nombre de
personnes envers la langue rgionale en question, puisque cest cet intrt-l qui est
indispensable pour la sauvegarder. Pour y arriver, il faut crire en franais. Il est aussi
possible que quelques acteurs ne soient pas capables dcrire un texte cohrent dans
la langue en question : le dsir de publier des contributions propos dune langue
rgionale nest pas toujours accompagn de la facult de sexprimer dans celle-ci.

3.2 Types de mdias


Jusqu la fin du XXe sicle, ce sont surtout le journal ou la radio par lesquels est
diffus un nombre plutt restreint de chroniques. Il peut sagir dune publication
rgionale, non seulement rserve la langue minoritaire, comme par exemple dans
le cas du quotidien La Libert du Morbihan qui publie des chroniques en breton, ou
bien dun journal qui soccupe entirement de la langue en question, comme Le Liaun,
La gaztt de la consorteri Bertayn Galeizz , qui soccupe du gallo. Aujourdhui,
quelques journaux avec des chroniques sont accessibles sur internet. Les journaux
sont souvent crits en partie en franais et en partie en langue minoritaire ; parfois, le
lecteur peut choisir entre une version en franais ou en langue minoritaire.
Depuis quelques annes, la prsence des langues rgionales dans la presse
locale, la radio et la tlvision profite dun changement de loi (North 2011, 32s.). la
radio, la chane rgionale France Bleu offre une grande varit des chroniques de
langage dans ou propos de la langue rgionale (cf. chap. 4). la tlvision, cest
France 3 qui a respect les obligations de son cahier des charges concernant la
diffusion des langues rgionales en 2011 (AFDMC 2012). Selon lAssociation Franaise de Droit des Mdias et de la Culture, France 3 offre des missions dans les
principales langues parles sur le territoire mtropolitain (ibid.), une possibilit
qui sadresse aux rgions Alsace, Aquitaine, Bretagne, Corse, Midi Pyrnes, Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Cte-DAzur (ibid.). Elle sexprime dans des missions ou catgories dmissions comme
Bbbel Pltz (France 3 Alsace), [] nouveau lieu o lon cause de tout en
alsacien [] ,
Bali Breizh (France 3 Bretagne),

Linguistique populaire : franais rgionaux et langues des minorits

247

Pyrnes-Pirineos (France 3 Languedoc-Roussillon),


VAP : VIURE AL PAIS (version occitane)/VIURE AL PAS (version catalane), []
espace ddi la langue rgionale [] (France 3 Aquitaine).

Il sagit dmissions qui traitent aussi des questions de langage, en mettant laccent
sur toute la culture rgionale.
Au XXIe sicle, internet fait apparatre des formes de communication qui ont des
points communs avec la chronique traditionnelle. Au dbut, ctait la page web
personnelle qui pouvait remplir certaines fonctions dune chronique (pour le Picard,
cf. Visser 2008). De plus, on trouvait des listes de diffusion, comme p. ex. achteure
(Picard pour maintenant , Engelaere 26.02.2014). Comme les types de communication dinternet changent trs vite, la page personnelle et la liste de diffusion ne
jouent plus un tel rle. Aujourdhui, ce sont plutt les forums de discussions ou bien
les blogs qui servent de lieux pour publier des anecdotes, des tymologies etc.
propos des langues (cf. chap. 4). Internet offre en plus la possiblit de publier des
produits audiovisuels qui nont pas eu accs la tlvision (et galement de
republier ceux qui y avaient accs), par exemple sur Youtube ou sur des sites
personnels.
Quant lanalyse de la linguistique populaire sur internet, il faut toutefois tre
conscient du fait quelle ne peut jamais tre exhaustive ni reprsentative et que le
linguiste narrive pas identifier les nonciateurs dune manire fiable (Bakrim 2007,
25s.; Visser paratre).

4 Linguistique populaire et langues minoritaires et


rgionales : aperu des activits

4.1 La chronique de langage : Portraits et analyses exemplaires

Lanalyse qui suit se centre sur les langues numres auparavant : alsacien, basque,
breton, catalan, corse, flamand (occidental), francoprovenal et occitan. Quant aux
langues dol, nous nous limitons quelques exemples, surtout au picard et au
normand. Ltude exemplaire est cense faire ressortir les caractristiques de la
chronique de langue minoritaire et rgionale, de donner un bref aperu de ce type de
chronique dans le paysage mdiatique de la France, et de montrer la richesse des
types de textes et de communication dans le domaine de la linguistique populaire des
langues minoritaires et rgionales en France.

248

Judith Visser

4.1.1 Alsacien
Pour lalsacien et depuis 2003, la dialectologue Danile Crvenat-Werner crit des
Flneries lexicales pour lAmi Hebdo (Crvenat-Werner 2013). Elles sont galement
publies sous forme de livre avec pour titre Ces mots que nous aimons/E Hmpfele
sm Wortschtz (7 tomes). La couverture des livres illustre limportance de la langue
rgionale pour lidentit des locuteurs, puisquelle montre une slection de mots
rgionaux groups en forme de coeur. France Bleu, Crvenat-Werner dissque
pour vous un mot en alsacien (France Bleu a). Il sagit dune chronique centre sur le
lexique (p. ex. Fasenacht kiechle , 03.03.2014).
Une analyse exemplaire de deux tomes de Ces mots que nous aimons (4 et 7)
donne des ides propos des caractristiques dune chronique de langue rgionale ou
minoritaire et indique les pistes les plus importantes pour de futures analyses. Les
chroniques sont crites en franais et regroupes selon des thmes qui ont un rapport
troit avec la vie tradionnelle et la culture rgionale. La structure des chroniques est
similaire : elles commencent par la prsentation du mot, la traduction en allemand (et
parfois aussi en franais), lnumration des variantes de prononciation, et ltymologie ; p. ex. :

Le verbe fstehn (aufstehn), prononc ainsi Strasbourg, Bouxwiller, Petersbach, ufsteh


Colmar, Mulhouse, Saint-Louis, Sierentz, fstoh Oltingue, en allemand du Moyen ge fstn, est
compos de stehn (stehen, se tenir), prcd du prfixe f (auf, qui indique ici un mouvement
ascendant, une ouverture), en allemand du Moyen ge stn et f. [] (Crvenat-Werner 2013, 5).

Aprs, lauteur prsente des synonymes, des locutions, des pratiques culturelles lies
au mot en question et donne souvent des recettes, sil sagit dun thme li la vie
culinaire. L encore, on peut trs bien voir quune fonction de la chronique est de
transmettre des connaissances culturelles et traditionnelles, pas seulement par rapport la langue rgionale, mais aussi par rapport la vie en gnrale. Apparemment,
les racines allemandes de lalsacien jouent un rle important, puisque les donnes
tymologiques contiennent toujours des rfrences lallemand du Moyen ge, mais
assez souvent aussi letimologia remota, p. ex. :

Le mot Zckerbeck [] est compos de Zcker (Zucker, sucre), en allemand du Moyen ge


zukerzuker / zucker, qui, comme notre mot franais sucre, vient du nom italien zucchero, repris du
mot arabe skkr, issu dune vieille langue indienne, et de Beck (Bcker, boulanger) en allemand
du Moyen ge becken, construit partir du verbe backen, en allemand du Moyen ge backen, qui
remonte au verbe germanique bak-a (ibid., 90).

Bien quil sagisse dune chronique crite par une spcialiste, lauteur se fait trs
souvent porte-parole des locuteurs en citant les informations quelle a reues de gens
qui possdent encore les connaisances de la langue et culture rgionale, p. ex. : Une
dame de Blaesheim, Blaase, dit : []. Un monsieur de Mothern, Mathre : []. Une

Linguistique populaire : franais rgionaux et langues des minorits

249

dame de Lmpertsloch : [] (ibid., 65). Ici, le peuple fait fonction dautorit. Il


semble y avoir une intention de dialoguer avec les lecteurs, de recevoir des ractions
et commentaires, parce que la plupart des chroniques se termine par une question ou
un appel, introduit par des formules comme avez-vous remarqu (p. ex. ibid., 87)
ou savez-vous (p. ex. ibid., 89). tant linguiste et dialectologue, Crvenat-Werner
ne se prsente pas comme telle. Quand elle parle de lalsacien, mais aussi du franais,
mais sans faire jamais rfrence lallemand, elle utilise les pronoms nous, nos, notre
dans des expressions comme nous appelons (p. ex. 2014, 23), nous utilisons (p. ex.
2013, 45), nous disons (ibid., 46), nous comprenons (p. ex. 2014, 36), nos ans (2013,
33), notre proverbe (ibid., 54) etc. Des phrases qui commencent par les lexicologues
nous rappellent (ibid., 52) ou bien [l]es linguistes nous rappellent (ibid., 87)
montrent quelle se met en scne comme un membre du groupe des locuteurs.

4.1.2 Basque
Dans le domaine de lamnagement linguistique, le basque profite de son statut
transfrontalier :

[] lAcadmie de la langue basque, Euskaltzaindia, est une institution transfrontalire cre en


1919. Elle a labor partir des annes 1960 une forme standard de lcrit, euskara batua, le
basque unifi, qui sest diffus assez largement des deux cts de la frontire dans lenseignement, les grands mdias et ladministration dEuskadi, cohabitant de faon plus ou moins
heureuse avec des parlers locaux l o ils nont pas disparu (Coyos 2013, 436).

Or, chaque standard, transfrontalier ou non, se heurte au sentiment identitaire. Cest


une des raisons pour lesquelles on trouve des discusssions de locuteurs et dautres
personnes intresses, p. ex. sur le Forum Babel. Loffice public de la langue basque,
cr en 2004 (Castet 2011, 241), est un facteur important pour la sauvegarde et
propagation de la langue minoritaire et offre, entre autres, des informations (p.ex.
propos de lenseignement) et des outils linguistiques (dictionnaires, logiciel tlcharger etc). Il y a depuis des dcennies des associations qui oeuvr[ai]ent [] en
faveur de la langue basque (ibid., 241). Depuis les annes 90, Euskal Konfederazioa
regroupe les acteurs (fdrations, responsables de lenseignement, quotidiens, radios
etc.) qui se consacrent la dfense et la propagation de la langue basque (ibid.,
242). Quant la tlvision, le programme de France 3 a dj t mentionn. Selon
Gendry du Conseil suprieur de laudiovisuel, France Bleu Pays Basque propose, entre
autres, une chronique culturelle bilingue (2011, 178) ; cette offre montre de nouveau le lien troit entre langue et culture rgionale.

250

Judith Visser

4.1.3 Breton
Le breton a une tradition de chroniques plutt riche. Un des chroniqueurs les plus
connus est Joseph Marie (Job) Jaffr, qui crivait des chroniques en breton pour le
quotidien La Libert du Morbihan. Elles ont t recueillies par Daniel le Doujet, aussi
chroniqueur du journal, et publies sous le titre Etrezomp E Brezhoneg (plusieurs
tomes). Le Doujet a crit dautres contributions en breton, par ex. pour Ouest-France.
Les rsums sur son site universitaire montrent quil ne sagit pas de chroniques de
langage au sens troit, mais plutt de contributions sur la culture bretonne en
gnral. Bretagne actuelle offre une chronique en franais avec une vido de JeanManuel Queiroz qui, elle aussi, traite des thmes lis la culture, la socit et la
langue bretonne. France Bleu (Breizh Izel, Amorique) offre [d]iverses chroniques en
breton ou en franais autour du breton, du vocabulaire et de ses expressions
(Gendry 2011, 179).
Lexemple du breton suggre quune chronique dune langue rgionale ou minoritaire poursuit dautres intrts que celle dune langue nationale. Par contre, les
auteurs dont il a t question jusquici ressemblent au chroniqueur du franais,
puisquil sagit dun crivain et dun linguiste.
Il y a des journaux en breton, mais [i]l ny a jamais eu de quotidien []. Les
priodiques ne sont pas diffuss en kiosque et sacquirent essentiellement sur abonnement [] (Broudic 2011, 217). Le programme de tlvision est assez limit (ibid., 219). Il
y a plus dactivit sur internet (Brezhoweb, Broudic 2013, 450). Le breton bnfice dun
soutien institutionnalis : lexistence doffices de langue comme lOfis Publik ar Brezhoneg aide tablir le contact entre spcialistes et non-spcialistes. Broudic, du Centre de
recherche bretonne et celtique UBO, Brest, a sa propre page web (Langue bretonne),
quelque chose que lon peut observer galement chez dautres chercheurs de langues
rgionales (cf. Visser paratre). Il y tient un blog. Quant la communication entre
spcialistes et non-spcialistes, il est intressant de noter quil offre un service de
courriel en rpondant des questions autour de la langue bretonne. Lactivit des
non-spcialistes est remarquable par ex. dans la version bretonne de lencyclopdie
Wikipedia (Wikipedia br) (Broudic 2013, 450). Wikipedia existe dailleurs dans beaucoup dautres langues rgionales et minoritaires (Born 2007).

4.1.4 Catalan
Le catalan peut profiter des activits de normalisation en Catalogne (Lagarde 2013,
460). Cependant, lexistence dun point de rfrence au del de la frontire nimplique
pas une absence de problmes de normativisation :

Bien quindniablement favorise par la dimension transfrontalire, la Catalogne du


Nord nchappe pas pour autant la question rcurrente de lcart entre catalanophonie

251

Linguistique populaire : franais rgionaux et langues des minorits

populaire et expressions savantes, et celle de la vitalit relle de la langue catalane sur son
territoire (ibid., 461).

la radio, cest de nouveau France Bleu Roussillon qui offre de petites missions. Le
dico daqui (France Bleu b), glossaire du franais parl dans le Roussillon qui
regroupe les mots et les expressions qui nont pas trouv dquivalent en franais
(Gendry 2011, 179), souligne lintrt de la linguistique populaire des langues minoritaires et rgionales pour le lexique. Mais lmission est aussi un exemple pour une
chronique, non sur la langue minoritaire (le catalan), mais sur le franais rgional. Le
mme prsentateur offre une petite leon de catalan (France Bleu c, Gendry 2011,
179). Sa conception est prototypique : Il nous apprend un mot de tous les jours, un
terme du vocabulaire de base. Il nous en donne lorthographe et ltymologie, en
prcise le sens et nous incite le rpter aprs lui. Tout a avec le sourire ! Il est
encore une fois question du lexique, le prsentateur donne des informations tymologiques, et lmission sert lamusement.
En plus de France Bleu, Radio Arrels et France 3 (cf. chap. 3.2) transmettent en
catalan. Le Forum Babel offre une sous-catgorie sur le catalan, en partie en langue
franaise.

4.1.5 Corse
Ctait un mouvement social et culturel (Giacomo-Marcellesi 2013, 465) qui a abouti
la reconnaissance officielle de la langue corse (ibid.). Le rle des non-linguistes
est donc important pour lamnagement linguistique dune langue minoritaire. Dans
son histoire, le corse devait situer ses activits de normalisation entre les traditions
italiennes et franaises. Le Forum Babel, qui est une initiative (en langue) franaise,
regroupe les discussions autour du corse sous la catgorie Forum italien . Le dbut
du fil de discussion Corsu (corse, corso), qui est en italien, montre que beaucoup de
discussions populaires sont de caractre assez superficiel et que ceux qui discutent
ou posent des questions ne sont souvent pas capables de parler la langue en question :

[Gaillimh] Vorrei sapere cio che pensate della lingua corsa ? A vostro parere, e come litaliano o
no ? Ho notato che molte parole che finiscono cin la o in italiano finiscono con la u in
corsico Che pensate ? Che cosa/e avesti notato ?

[Hiruma] Il corso, non italiano una lingua propia a se stessa. Molte parole finiscono con la o
anche in spagnolo, portuguese che avete * e non avesti

[Mancino] Veramente, io ho gi sentito parlare cors , ed molto vicino allitaliano. Infatti, il


corsico (credo che si dica piuttosto cosi, no ?) viene dal Toscano Che il dialetto da cui viene
litaliano (Dante Alighieri, che era Fiorentino, scriveva gi a 75 per cento in italiano modern !).
Quindi, anche se i Corsi non vorrano mai essere paragonati agli Italiani, le loro lingue rimangono
molto vicine ! ! [] [graphie de loriginal, J.V.] (Projet Babel).

252

Judith Visser

Des pratiques culturelles, comme le thtre ou la chanson, peuvent tre troitement


lies la question de la langue (Giacomo-Marcellesi 2013, 469). La prsence du corse
dans la presse augmente (ibid., 471).

4.1.6 Flamand occidental


Le flamand occidental na t reconnu que trs tard, en 2003, comme langue
rgionale de France (Ryckeboer 2013, 475). Il sagit de nouveau dune langue
transfrontalire. Cest le nerlandais qui, dans son histoire, figurait comme modle,
une langue standard qui est perue comme trangre , parce que difficile
comprendre, sans explications pralables, pour le locuteur de flamand dialectal de
France (ibid., 476). videmment, le nerlandais nest pas utile pour la formation identitaire de la communaut linguistique flamande de France (ibid.). Le
flamand occidental est reprsent en France par le Comit Flamand de France et
LInstitut de la Langue Rgionale Flamande. Le Comit offre un bulletin contenant
des articles qui ont des points en commun avec la chronique, mais qui napparaissent quirrgulirement, p. ex. La page en flamand/page flamande . Des mouvements et associations comme Cercle Michiel de Swaen, Menschen Lyk Wyder,
Tegaere Toegaen, Het Reuzekoor et des vnements comme lUniversit populaire
flamande contribuent la propagation du flamand (Ryckeboer 2013, 485). la
radio, cest Radio Uylenspiegel qui offre des missions en langue rgionale (Gendry
2011, 183).

4.1.7 Francoprovenal
La prsence du francoprovenal dans les mdias est limite :

Sa visibilit est faible ; laire gographique et le nom mme du francoprovenal sont peu connus
des locuteurs : ils utilisent spontanment le mot patois, terme qui dsigne gnralement, sans
connotation particulire, un parler villageois ou, ventuellement, lensemble des parlers dune
rgion : patois dauphinois, bressan, lyonnais Toutefois, le terme francoprovenal est actuellement en train de se rpandre dans une frange de la population, sous leffet des mouvements de
promotion de la langue rgionale (Bert/Longre 2007, 43).

Il y a donc un problme de fragmentation de laire dialectale et un manque de


conscience linguistique chez les lecteurs : Cette langue rgionale na jamais t
ressentie comme un facteur didentification, dappartenance une communaut
rgionale plus vaste quun village ou au mieux une contre (ibid., 50). Le domaine
francoprovenal ne se limite pas la France. Des sites suisses comme www.patois.ch
(Valaisan) ou des missions comme La chronique : Patois (Canal 9) montrent que
lintrt pour le sujet existe. Il est intressant de noter que cette mission est cons

253

Linguistique populaire : franais rgionaux et langues des minorits

truite comme un quiz. De nouveau, le but est dentretenir les spectateurs avec des
questions qui visent le patrimoine culturel.
Par contre, le site francoprovencal.com, Le site de larpitan en France, Suisse et
Italie , est une initiative transfrontalire . Le terme arpitan remplace assez souvent
celui de francoprovenal :

Le terme arpitan qui signifie montagnard ou berger a t repris au dbut des annes septante
(1970) pour rpondre au besoin de lever la confusion gnre par le terme francoprovenal. La
forme particulire arpitan a t choisie pour sa ressemblance avec le nom de la seconde grande
langue gallo-romane, loccitan. Arpitan est form partir de la racine pr-indo-europenne alp-,
dans sa variante dialectale moderne arp- ; [] (ibid.).

Il sagit dune appellation qui a un certain succs, en particulier dans les rseaux de
jeunes militants et sur internet (Bert/Martin 2013, 496). Le site offre des informations
propos dactivits culturelles lies au francoprovenal ; il relie des sites de Radio
dialectale, la Wikipedia en arpitan (Wikipedia frp), donne des informations sur la
graphisation etc. Lopinion des locuteurs est explicitement prise en compte, puisquil
existe la possibilit dcrire lassociation et de demander des explications ou
commentaires. Pourtant, lactivit sur le site est assez faible, ce qui est typique pour
beaucoup de pages Web qui soccupent des langues minoritaires. Comme dautres
langues rgionales, larpitan dispose dune page sur Facebook (Facebook Arpitania),
qui montre de nouveaux types de discussions qui se caractrisent par une bidirectionnalit et la participation de personnes qui nont pas de formation philologique.
LInstitut Pierre Gardette, associ luniversit de Lyon, ne sadresse pas au
peuple , bien que Bert/Longre (2007, 41) le caractrisent comme un lieu de
carrefour o se croisent chercheurs, locuteurs et acteurs de la promotion du francoprovenal, o schangent des informations, se tissent des liens o slaborent des
projets . Des sites comme celui de la langue savoyarde montrent la fragmentation de
laire linguistique, mais aussi lintrt de toute la socit pour le francoprovenal,
puisque ce site-l cible une audience populaire .
Selon Bert/Longre (2007, 43), [l]e nombre dassociations ou de clubs ddis au
patois augmente . Des exemples comme Amis du Francoprovenal en Pays Lyonnais
(ibid., 44), suggrent, puisquils offrent trs peu de textes en langue rgionale, que les
comptences linguistiques des lecteurs et peut tre aussi de ceux qui soccupent du
site sont assez rduites. Dans les associations et dans leurs auditoires, Bert/Longre
(ibid., 46s.) identifient trois groupes dacteurs : les locuteurs natifs , les semilocuteurs ( locuteurs tardifs , cest--dire des personnes qui lorigine navaient
que des comptences passives) et des jeunes de 20 35 ans qui aujourdhui encore
comprennent le dialecte sans le parler.

254

Judith Visser

4.1.8 Occitan et Gascon


Pour loccitan, il y avait un discours normatif dj au Moyen ge (p. ex. Swiggers
2011). La perte de fonctions communicatives de loccitan partir surtout du XVIe sicle
ne mena pas une disparition totale de celui-ci, mais les tentatives de normativisation
qui existaient se caractrisaient par un rayon daction trs restreint (Polzin-Haumann
2006, 1478s). Les activits lies lamnagement linguistique prouvent que les
locuteurs eux-mmes tendaient accepter la dvalorisation de la langue rgionale
comme patois (ibid., 1479). Au XIXe sicle, les tentatives de restandardisation, surtout
dans lenvironnement de la Flibrige, signifiaient un certain tournant (ibid., 1479) et
tmoignaient dune activit de non-spcialistes dans lamnagement linguistique,
favorise par le manque dinstitutions officielles (Osthus 2006, 1543). Encore aujourdhui, toute activit populaire dans le domaine de lamnagement linguistique peut
tre mise en corrlation avec lexistence ou la non-existence dinstitutions linguistiques.
La cration de lInstitut dEstudis Occitans en 1945 (Polzin-Haumann 2006, 1480)
peut donc tre considre comme un pas en avant pour la linguistique populaire
occitane. LInstitut offre une lettre dinformation en langue franaise et occitane qui
permet au public de sinformer rgulirement. La revue Oc, fonde en 1923 et conue
plutt comme une revue littraire, publie des contributions propos de la langue
occitane, avec, entre autres, une chronique de Ramon Chatbrt (Questions de lenga,
Tarn, 1983, cf. Osthus 2006, 1543). Contrairement aux exemples qui ont t discuts
dans le contexte de lalsacien, Chatbrt se centre sur la discussion de la grammaire.
Comme Crvenat-Werner, lauteur utilise les pronoms de la premire personne du
pluriel (nosautres, Osthus 2006, 1543). Les auteurs veulent donc crer un sentiment de
groupe. Tandis que Chatbrt crit en occitan, Osthus indique lutilisation du franais
dans dautres textes du domaine de la linguistique populaire occitane (ibid.).
Dans son analyse de chroniques occitanes dans la presse rgionale, Weth fait les
mmes observations : dans ses exemples, lauteur (Charles Mouly) essaie galement
dtablir une intimit entre lui et les lecteurs. Il raconte des anecdotes pour capter
le lecteur (Weth 2002, 86). Pour crer un sentiment dintimit, il a recours la langue
de la vie prive, au patois , qui est li loralit. Tandis que ceci est facile raliser
dans ses chroniques la radio, le passage lcrit dans la presse, tout en gardant une
impression doralit, est plus difficile (ibid., 86s.). Le dsir de crer une intimit entre
auteur et lecteur est donc un argument en faveur et contre lemploi de la langue
rgionale dans une chronique. En utilisant loccitan, le sentiment dintimit entre
lauteur et le lecteur occitanophone est trs grand, mais ce procd cre une grande
distance par rapport au lecteur francophone.
La chronique A tu den parlar du journal La Nouvelle Rpublique des Pyrenes,
galement analyse par Weth, va plus loin : Elle offre [] la possibilit tout lecteur
de rdiger un article (Weth 2002, 92s.). Cest encore un exemple en faveur du
dialogue entre auteurs et lecteurs (ibid., 93).

255

Linguistique populaire : franais rgionaux et langues des minorits

Dans son tude de publications priodiques en langue doc , Aln Garabato


(2007, 21) dcouvre des diffrences remarquables quant aux thmes traits entre

[] les revues qui utilisent la graphie mistralienne et celles qui utilisent la graphie classique. Ce
sont les premires qui privilgient le plus la cration culturelle et la vie de lassociation, ainsi que
le folklore et la cuisine ou lhistoire. Dans les revues graphie classique [] dautres proccupations sont abordes : les questions de politique linguistique, de revendication, de norme, les
informations sur dautres langues minoritaires ou dautres sujets sociaux ([.]). Leur rle en tant
que vecteurs de la culture occitane est toujours important mais ces publications donnent une
image moins fige de loccitanit .

Loccitanit ne se limite alors pas aux questions de langue. Les activits lies la
linguistique populaire ne sont point libres didologie. Le fait que ces revues sont
rdiges par des non-professionnels (ibid., 22) souligne limportance du peuple
dans toute lactivit linguistique qui soccupe des langues minoritaires et rgionales.
La liste des fonctions de ce type de revues dresse par Aln Garabato est plus ou
moins applicable des sites web et des revues dialectales dautres domaines
linguistiques :

1. Maintenir les liens avec une culture, une rgion, une ville/village. []. 2. Informer des
manifestations festives, militantes, des parutions de livres []. 3. Faire connatre [] les crations
occitanes, fondamentalement littraires []. 4. Contribuer la diffusion dune certaine norme []
(rgles de prononciation ou dcriture, lexiques, tudes grammaticales). 5. [] montrer que lon
peut crire sur nimporte quel sujet en occitan et donc contribuer (modestement) la normalisation de la langue [italique dans loriginal, J.V.] (ibid., 22s.).

France Bleu offre des chroniques comme Lenga dOc ( Joanda explique la langue et
la culture dOccitanie , France Bleu d) et Les mots dOc ( Une leon dOccitan chaque
matin sur France Bleu Toulouse, avec Graud Delbs , France Bleu e). La dernire est,
comme le montre le titre, encore une fois une mission qui explique du vocabulaire,
mais aussi des toponymes. Lintrt pour les noms de lieux sexplique par leur valeur
symbolique pour lidentit rgionale. Sur France Bleu Prigord, une mission quivalente sappelle Le mot en c ; sur France Bleu Vaucluse, il y a des chroniques qui
commentent des proverbes, des expressions ou des histoires (Gendry 2011, 180).
Quant lactivit sur internet, on pourrait citer le Blog Rubrica en Oc du quotidien
Sud Ouest, qui montre que la linguistique populaire des langues minoritaires et
rgionales se caractrise par un ancrage dans des institutions caractre local, mme
si les contributions sont accessibles dans le monde entier grce linternet. Dans le
Forum Babel, il existe une sous-catgorie Forum langue doc, dune activit restreinte
(Projet Babel). Les titres des discussions, p. ex. Villages de la ligne cha/ca ,
Comparaison historique des diffrents dialectes doc , De las grafias e de las
viarietats doccitan , Mts e expressions de vstre pas , Historique de la classification des langues doc , La prononciation du h en gascon etc. montrent quil y a
un grand intrt de la part des non-spcialistes pour diffrentes questions de langage.

256

Judith Visser

Lintrt pour des problmes dorthographe, mais aussi pour lhistoire des diffrents
dialectes est assez caractristique de ce type de linguistique populaire (cf. Visser
2008 ; 2012 ; paratre).
Pour toute offre autour du gascon que nous allons mentionner ici, mme si,
dune perspective identitaire, il est discutable de grouper cette varit diatopique sous
ltiquette occitan on peut renvoyer lInstitut Barnais & Gascon, surtout sa Lettre
et son blog. Toutes ces formes de communication, parfois en franais, parfois en
gascon, offrent un corpus danalyse trs riche, mais galement trs htrogne. Pour
le barnais, Gendry mentionne une chronique bilingue intitule Les mots en c (2011,
178). Sud Ouest publie une chronique de Jean-Jacques Fni intitule Parlam gascon,
analyse par Weth (2002, 90). Elle est rdige en gascon, avec un chapeau en franais.
Lauteur donne des informations sur la langue et culture occitanes et commente les
usages linguistiques caractristiques (ibid.). Comme stratgies pour inciter le public
lire loccitan, Weth identifie la diversit thmatique , les diffrentes manires de
sadresser au lecteur au cours de lnonc , le fait que lauteur ici aussi essaie de
crer une communaut avec le lecteur, symbiose qui se dfinit par lusage du
gascon (ibid., 91), et que les chroniques contiennent des lments dialogiques
(ibid.). En vue de limportance des variets diatopiques pour le sentiment identitaire
des locuteurs, il est intressant de noter que lauteur vite toujours le glottonyme
occitan (ibid.). Finalement, cest le chapeau en franais, dans lequel la langue
franaise est [] prive dune rfrence propre. Elle nassume que la fonction de
renvoyer larticle rdig en occitan (ibid., 92), qui invite la lecture.

4.1.9 Langues dol


Le grand nombre de langues rgionales de la famille des langues dol empche den
parler exhaustivement. Nous discutons quelques exemples qui montrent que lactivit
ressemble tout ce que nous avons vu jusquici :
France Bleu offre aussi des missions pour les langues dol. Sur France Bleu
Cotentin par exemple, pour le normand, Rmi Pzeril de lassociation Magne vous
fait dcouvrir, ou re-dcouvrir, le parler normand, par le biais dune caunchounette
ou une chanson. Il nous en explique le vocabulaire et nous initie la culture
normande . Sur France Bleu Nord, il est possible dcouter le picard avec les
chroniques dEva Di Battista, Jos Ambre et Alain Dawson (Chtimipicard). Sur la
mme chane, lhoroscope, donc un type de texte populaire, est donn en chti
(Gendry 2011, 179), varit diatopique du picard. France Bleu Picardie offre une
chronique avec un conteur qui donne lorigine des lieux et des surnoms des habitants des communes de la Somme (ibid., 180). Sur France Bleu Berry, on pouvait
couter Le mot berrichon (20122013, France Bleu g).
Le linguiste Alain Dawson est responsable du site Chtimipicard.com. On y trouve
quelques articles lis des questions de langage, dans la rubrique Busiaches rfle

Linguistique populaire : franais rgionaux et langues des minorits

257

xions . Sur internet, les experts participent donc activement la vulgarisation des
connaissances sur la langue rgionale.
Il y a aussi des forums de discussions. Encore une fois, on peut faire rfrence au
Projet Babel avec la catgorie langues dol . Le caractre souvent idologique des
discussions autour de langues minoritaires et rgionales est mis en vidence p. ex. par
le fil de discussion du Forum Normanring ( Pour une Normandie Rgion autonome ), NoutLungue EudNourmandie.
Sur le site Chespicards, on trouve des vidos propos du picard (cf. Visser
paratre), intitules Les mots Picards et publies par Jean-Pierre Semblat. Il sagit de
reproductions dmissions sur SaintQuentinTV. Le titre des vidos et le fait quils
apparaissent rgulirement, bien qu intervalles trs grands, montrent quil sagit
dun type de chronique de langage.

4.2 Dautres activits dans le domaine de la linguistique populaire


Jusquici, les explications se sont centres sur la chronique de langage, tout en
abordant dautres activits du domaine de la linguistique populaire. Les guides de
langage mritent galement dtre mentionns. On observe un nombre considrable
de publications qui traitent des langues de minorit et rgionales, surtout celles de la
collection Pour les Nuls, p. ex. pour le breton (Le Bihan/Denis/Mnard 2009), le
basque (Coyos/Salaberria 2009) ou le chti (Gryson/Poulet 2009), mais aussi la collection de poche de la maison ddition Assimil (catalan : Radatz 2002/2011, francoprovenal : Martin 2005, chtimi/picard : Dawson 2004 ; 2005). Parmi les auteurs, nous
reconnaissons des linguistes dj mentionns au chapitre 4.1.
En France, la bande dessine a une si grande importance quelle est considre
comme le 9me art . Cette importance se rflte dans lexistence dun grand nombre
de traductions de BDs trs connues, comme Tintin ou Astrix, en langue minoritaire et
rgionale. Ces traductions ont une valeur symbolique et sont parfois mme des
manifestations linguistiques : Dans le cas du picard, p. ex., Astrix : Le grand foss, a
t traduit en picard (Chvillage cop in II) avec le but de concilier la langue du nord
avec celle du sud (Goscinny/Uderzo ; Prface des traducteurs ; cf. Visser paratre).

5 Conclusions
En France, comme ailleurs, il y a une grande activit dans le domaine de la linguistique populaire centre sur les langues rgionales et minoritaires. Comme acteurs,
nous trouvons des linguistes, des journalistes, des institutions, et, surtout sur internet, des non-spcialistes. La communication se caractrise souvent par une bidirectionnalit, pas seulement sur internet, qui favorise linteraction, mais aussi dans la
chronique de presse. Les mdias caractristiques de la chronique des langues minori-

258

Judith Visser

taires et rgionales sont la radio (surtout France Bleu), la presse (rgionale) et


internet. Quant au contenu, on peut observer une tendance privilgier le lexique.
Les textes contiennent beaucoup dlments culturels et historiques. Les auteurs
essaient de prsenter les thmes dune manire agrable et crent une intimit avec le
lecteur. Pour pouvoir tre lus ou couts par beaucoup de personnes, ils crivent
souvent en franais ou intgrent des lments franais (chapeaux, traductions) dans
leur texte.
De nos jours, les langues rgionales et minoritaires sont rduites leurs fonctions
culturelles. Cest donc la discussion autour de la langue et la vulgarisation de
certaines connaissances de celle-ci qui jouent un rle primordial. Lattention qui est
porte ces pratiques culturelles est trop rduite jusqu prsent ; le nombre de
publications qui analysent des chroniques de langage est insignifiant. Il reste beaucoup faire et beaucoup dcouvrir.

6 Bibliographie
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Chtimipicard = http://chtimipicard.free.fr/ (24.03.2014).
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Engelaere, Olivier = http://home.nordnet.fr/~oengelaere/achteure/ (26.02.2014).
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Facebook Arpitania = https://www.facebook.com/arpitania (02.04.2014).
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Linguistique populaire : franais rgionaux et langues des minorits

261

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France 3 Bretagne = http://bretagne.france3.fr/emissions/france-3-breizh (04.03.2014).
France 3 Corse = http://corse.france3.fr/ (04.03.2014).
France 3 Languedoc-Roussillon = http://languedoc-roussillon.france3.fr/emissions/pyreneespirineos (04.03.2014).
France Bleu a = http://www.francebleu.fr/langue-regionale/mot/e-wort-e-daa/le-mot-du-jour-erbsdans-la-flanerie-lexicale-de-l-ami-hebdo (04.03.2014).
France Bleu b = http://www.francebleu.fr/emissions/le-dico-d-aqui (21.03.2014).
France Bleu c = http://www.francebleu.fr/emissions/un-mot (02.04.2014).
France Bleu d = http://www.francebleu.fr/emissions/lenga-d-oc (22.08.2013).
France Bleu e = http://www.francebleu.fr/emissions/les-mots-d-oc-0 (09.10.2013).
France Bleu f = http://www.francebleu.fr/langue-regionale/les-mots-d-oc/les-mots-d-oc-boboccitan-ete-23-08 (11.03.2014).
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Francoprovencal.com = http://www.francoprovencal.com/ (02.04.2014).
Institut de la Langue Rgionale Flamande = http://www.anvt.org/ (21.03.2014).
Institut Barnais & Gascon = http://www.languegasconne.com/ (12.03.2014).
Institut dEstudis Occitans = http://www.ieo-oc.org/Lettre-en-francais (11.03.2014).
Institut Pierre Gardette = http://www.univ-catholyon.fr/acces-direct/fac-ecoles-instituts/institutpierre-gardette/ (12.03.2014).
Langue bretonne = http://www.langue-bretonne.com (21.03.2014).
le Doujet, Daniel = http://perso.univ-rennes2.fr/daniel.ledoujet (20.08.2013).
Le Liaun = http://www.bertaeyn-galeizz.com (14.09.2012).
Loffice public de la langue basque = http://www.mintzaira.fr (21.03.2014).
Normanring = http://normanring.forum-actif.net/ (24.03.2014).
Oc = http://www.ocrevista.com (11.03.2014).
Ofis Publik ar Brezhoneg = http://www.opab-oplb.org/ (12.03.2014).
Parlam gascon = http://parlamgascon.blogs.sudouest.fr/archives/ (24.03.2014).
Projet Babel = http://projetbabel.org (17.03.2014).
Queiroz, Jean-Manuel = http://www.bretagne-actuelle.com/jean-manuel-de-queiroz-secoue-toibretagne-/chronique/la-chronique-de-jean-manuel-de-queiroz/402-12-17 (11.05.2015).
Rubrica en Oc = http://occitan.blogs.sudouest.fr (11.03.2014).
SaintQuentinTV = www.saintquentintv.fr/ (04.03.2014).
Site de la Langue Savoyarde = http://www.langue-savoyarde.com (02.04.2014).
Valaisain = http://www.patois.ch (26.02.2014).
Wikipedia br = http://br.wikipedia.org (21.03.2014).
Wikipedia frp = http://frp.wikipedia.org/wiki/Re%C3%A7ua (02.04.2014).

Thomas Krefeld

11 Limmdiat, la proximit et la distance


communicative
Abstract : Aprs la rvolution mdiale amene par la victoire de linternet il est indispensable de repenser les rapports entre mdialit, variabilit et spatialit. Les nouvelles
conditions communicatives exigent notamment de diffrentier entre limmdiat, cest-dire loralit spontane dune situation face--face, dun ct, et lemploi du langage
mdiatis par certaines techniques, soit-elles traditionelles comme lcriture ou actuelles comme les options lectroniques. Dans un certain sens, lhistoire et le progrs des
mdias ont toujours et continuellement t stimuls par leffort de librer les interlocuteurs de la coprsence spatiale, obligatoire pour se parler immdiatement.

Keywords : variation, oralit, graphie, nouveaux mdias, langage mdiatis


la mmoire de Peter Koch

1 La quatrime dimension de la variation linguistique


Le modle en question dans cet article a t propos et labor plusieurs reprises par
Peter Koch et Wulf Oesterreicher (1985 ; 1990/22011 ; 2001) ; il a t dvelopp dans la
tradition de la linguistique variationnelle telle quelle avait t esquisse par Eugenio
Coseriu depuis les annes 50 (cf. Dufter/Stark 2002). Les deux concepts cls, limmdiat et la distance , dsignent les ples extrmes dune dimension particulire de
la variation linguistique, ct des dimensions diatopique (ou dialectale), diastratique (ou sociale) et diaphasique (ou stylistique). Cette quatrime dimension servirait
positionner les divergences entre loralit et la scripturalit dans lensemble des
variantes linguistiques ; elle se distingue donc essentiellement de la diatopie comme
de la diastratie parce quelle se situe aux trois niveaux du langage humain (Coseriu
31994, 7), qui sont les niveaux universel, historique et individuel/actuel. La quatrime
dimension englobe alors la parole (dans le sens saussurien), cest--dire lactivit
verbale du locuteur et non pas seulement la langue, comme lexpression langue de
limmdiat/de la distance pourrait faire croire. Elle savoisine par contre de la
diaphasie car le style aussi est un effet du discours qui implique la slection des units
verbales par le locuteur mme ; lopposition de tradition britannique entre la variation according to user et la variation according to use est trs claire cet gard
(cf. Halliday/McIntosh/Strevens 1964 ; Krefeld 2010).
Limmdiat et la distance communicatifs se distinguent par toute une srie de
paramtres et reprsentent des options conceptionnelles pour la mise en parole
dune information. Chaque paramtre est dfini comme continuum dont les extrmes

Limmdiat, la proximit et la distance communicative

263

seulement sont marqus dans la figure suivante par deux termes opposs ( gauche et
droite) :

Figure 1 : Paramtres de caractrisation de limmdiat et la distance communicative


(Koch/Oesterreicher 2001, 586 ; figure complte par la premire ligne)

immdiat communicatif
affinit avec le code phonique

distance communicative
affinit avec le code crit

communication prive

communication publique

interlocuteur intime

interlocuteur inconnu

motionnalit forte

motionnalit faible

ancrage actionnel et situationnel

dtachement actionnel et situationnel

ancrage rfrentiel dans la situation

dtachement rfrentiel de la situation

coprsence spatio-temporelle

sparation spatio-temporelle

coopration communicative intense

coopration communicative minime

dialogue

monologue

communication spontane

communication prpare

libert thmatique

fixation thmatique

etc.

etc.

Les diffrentes options conceptionnelles qui rsultent des diverses possibilits de


combinaisons entre les extrmes et les degrs intermdiaires de tous les paramtres
permettent de dessiner le profil conceptionnel de nombreux discours et traditions
discursives (cf. Koch 1997 ; Wilhelm 2001 ; 2003 ; Kabatek 2005) de la conversation
spontane entre amis jusqu la formulation dune loi. On notera que les grades
intermdiaires, qui ne sont pas verbaliss dans la Figure 1, ntaient jamais rendus
oprationnels par les auteurs ; cf. Androutsopoulos 2007, 80). Selon Koch/Oesterreicher, tous ces discours et genres se manifestent travers deux, et seulement deux,
options mdiales , assavoir la phonie et la graphie. En principe, chaque constellation conceptionnelle peut parfaitement tre matrialise par lune ou lautre de ces
options mdiales , mais il existe des affinits assez fortes : plus une conception
sapproche du ct gauche de la Figure 1 ( immdiat ), plus elle a tendance se
manifester sous forme phonique et plus elle sapproche du ct droit ( distance ),
plus elle tend vers la graphie.
Le croisement des deux types doptions (conception et mdia) avait t formul
pour la premire fois par un autre linguiste allemand :

Cest au romaniste Ludwig Sll que nous devons la conceptualisation la plus explicite et la plus
convaincante en matire doralit et de scripturalit (cf. Sll 1974, 1119 = 31985, 1725). Lui aussi
met en vidence la diffrence fondamentale entre laspect mdial et laspect conceptionnel dun
nonc. II faut, effectivement, insister sur le fait que la ralisation mdiale, phonique ou

264

Thomas Krefeld

graphique, est, en principe, indpendante de lallure linguistique de lnonc. Cest ce


dernier aspect conceptionnel que Sll applique les termes de langue parle et de langue crite.
Les options conceptionnelles et mdiales permettent quatre combinaisons possibles : parl
phonique , parl graphique , crit phonique , crit graphique (Koch/Oesterreicher 2001,
585).

Les options conceptionnelles et mdiales se distingueraient fondamentalement, tant


donn que la conception reprsente un continuum de formes et que le ct mdial est
conu comme dichotomie.
Llaboration de cette approche par Koch/Oesterreicher est remarquable en raison
de sa souplesse et son applicabilit peu fiable du reste parce que non oprationnelle. Elle a trouv un cho assez fort (cf. Hennig/Feilke, en prparation) qui nest pas
du tout restreint aux pays de langue allemande ; la traduction espagnole des auteurs
mmes a sans doute contribu ce succs, mais aussi la rception par dautres
linguistes, comme p. ex. Franoise Gadet (2003) dans le contexte francophone ou
Araceli Lpez Serena (2007) dans le contexte hispanophone.
Cependant, plus de 40 ans aprs lide initiale de Ludwig Sll de croiser les deux
oppositions et presque 30 ans aprs la premire reformulation et rinterpretation de
ce modle dans le cadre du diasystme linguistique la manire de Eugenio Coseriu,
il est indispensable de tenir compte du moment historique dans lequel cette approche
est ne : lpoque, on constatait que le structuralisme en tant que paradigme
descriptif des langues particulires ne tiendrait plus ce quil avait promis. Nanmoins
on a tent de conserver la linguistique de la langue (dans le sens saussurien) en y
intgrant un maximum de variation ; les langues particulires, ou : historiques,
taient donc reconues comme architecture de varits, chacune reprsentant une
langue saussurienne, au moins potentielle. Par consquent, le standard, lui aussi,
se voyait attribuer le statut de varit (dite varit exemplaire par Coseriu 31994,
55). Dans le mme temps, on voyait la ncessit dintgrer au modle certains
procds universels de la variation, et il touchait justement la dimension de
limmdiat et de la distance de satisfaire ce besoin de relier les langues particulires
avec leurs idiosyncrasies, dune part, et la facult langagire universelle, dautre part.

Figure 2 : Limmdiat, la distance et les trois niveaux du savoir linguistique


(allem. Sprachwissen selon Coseriu)
Immdiat
communicatif
universel

distance
communicative

performances cognitives ( langage )

varit linguistique ( langue )

niveau

historique
individuel/actuel

tradition discursive
discours ( parole )

265

Limmdiat, la proximit et la distance communicative

Finalement, et au-del de la concurrence des modles thoriques, il faut voir la


condition pistmologique de la linguistique il y a 40 ans, car cette discipline portait
encore, et beaucoup plus nettement quaujourdhui, lempreinte de la tradition philologique. Les donnes brutes avec lesquelles on travaillait taient par dfaut crites ou
correspondaient aux catgories drives de lemploi crit : il a fallu redcouvrir les
donnes authentiques de loral. tant donn maintenant que lcriture est trs clairement un mdia, cest--dire un moyen technique dont on se sert pour reprsenter la
langue sous forme visuelle, il est bien comprhensible que le terme de mdia a
dabord t interprt de faon plus gnrale, comme manifestations physiques qui
stimulent certaines modalits sensorielles (Koch/Oesterreicher 22011, 14 ; trad.
Th. K.) et ensuite comme mdias techniques denregistrement et de transmission
(ibid.). Mdia dsigne donc dans le contexte cit la matrialit perceptible du signe
linguistique, soit-elle phonique, visuelle ou tactile (graphie Braille).
Cette dfinition de mdia soulve des questions substantielles qui incitent
dconstruire le modle en question et repenser les rapports entre mdialit, variabilit, et spatialit. Ces questions touchent dabord aux conditions concrtes de la
production et de la perception de la parole qui restent totalement implicites, comme si
elles taient ngligeables. Ensuite le concept de mdia, la base des options
mdiales , nest pas clair du tout.

2 La rvision de limmdiat
En considrant toutes les formes perceptuelles comme mdiales , on tablit un
paralllisme fort problmatique, car il est impossible, dun point de vue anthropologique, de mettre en doute le primat de la phonie : la communication linguistique
lmentaire et naturelle est produite par le systme articulatoire et perue par les
modalits sensorielles, laudition avant tout, mais avec un support de la vision non
ngligeable (Krefeld/Pustka 2014) ; dans ce sens, la phonie se droule effectivement
face face, et non pas seulement de la bouche aux oreilles . La temporalit de la
production acoustique comme de la perception auditive, cest--dire le caractre
rigoureusement fugitif (verba volant) de la parole, explique la nature linaire du signe
linguistique. tant donn que cette communication orale na besoin daucun support
technique, on pourrait la dfinir comme immdiate, tout en remotivant cette dsignation, son tymologie la qualifiant initialement de non mdiatise . Dans ce cas-l,
la smantique de ltymologie vaut toujours : la phonie nest pas un mdia appliqu la langue, parce quelle est la condition mme du langage humain des points
de vue phylogntique et ontogntique. Aussi les langues non-crites sont-elles
absolument compltes. Il serait impossible de conceptualiser lorganisation systmique et la fonctionnalit dune langue quelconque (ou du langage au sens universel)
sans recourir larticulation ou laudition do la ncessit de diffrencier
catgoriquement entre, dun ct, la forme perceptible ( matrialit ), qui peut tre

266

Thomas Krefeld

phonique, graphique ou tactile (dans le cas de lcriture Braille), avec la perception


correspondante et, dautre ct, la production de cette forme ( matrialisation ), qui
peut tre immdiate ou mdiatise (dans le prsent article cette variante est prfre
mdi).
La communication de base limmdiat phonique ne se distingue ncessairement que par trois des critres identifis dans la partie gauche de la Figure 1 :
lancrage actionnel et situationnel ;
lancrage rfrentiel dans la situation ;
la coprsence spatio-temporelle.

Tous les autres critres numrs dans la Figure 1 (communication prive, interlocuteur intime, motionnalit forte, coopration communicative intense, dialogue,
communication spontane, libert thmatique) ne sont pas essentiels mais accessoires ; ils ne sont lis loralit que par une certaine affinit. De plus, il faut tenir compte
du fait que les trois critres essentielles de loralit immdiate ont le mme fondement
anthropologique parce quils reprsentent tous les trois des fonctions de la spatialit
de la communication, plus prcisment de la proximit (ou distance minimale) des
communicants : les interlocuteurs sont suffisamment prs lun de lautre pour scouter en parlant voix normale, cest--dire ni en criant, ni en chuchotant, et en mme
temps ils partagent la situation actuelle commune ; cette situation est perue avec
tous les sens disponibles et est ventuellement modifie par des ractions pratiques
non verbales, spontanes ou prmdites.
Le schma classique de Roman Jakobson se laisse facilement prciser pour
rsumer cette constellation fondamentale de la communication.

Figure 3 : Limmdiat et les facteurs inalinables de la communication verbale


(en majuscules et en italiques ceux proposes par Jakobson 1963, 214)

267

Limmdiat, la proximit et la distance communicative

On notera que immdiat est lquivalent franais, que Koch/Oesterreicher eux-mmes


ont tabli pour le terme allemand de Nhesprache langue de proximit, qui soppose
smantiquement Distanzsprache langue de distance (cf. Koch/Oesterreicher 22011,
10, n. 7). Il sagit dun choix bien justifi, bien que les deux concepts (proximit et
immdiat) ne soient pas synonymes ; leur relation smantique est plutt dordre
mronymique, parce que limmdiat, cest--dire la phonie issue de larticulation et
perue par les organes de sens, implique la coprsence spatio-temporelle des communicants aussi bien que lancrage actionnel et rfrentiel du message fugitif dans le
contexte situationnel actuel. En bref : lIMMDIAT implique la PROXIMIT et dans la
proximit la co-prsence temporelle est implique par la co-prsence spatiale.

Figure 4 : Limmdiat et les implications factorielles (symbolises par les rectangles taille
dcroissante)

Deux observations sont importantes pour comprendre le statut particulier unique de


limmdiat phonique : dabord, le fait que limplication de limmdiat et de la proximit
nest pas corrlative : ni lancrage actionnel et rfrentiel dans la situation, ni la
coprsence spatio-temporelle des communicants implique limmdiat. Ensuite, il savre que chaque modification au niveau dun seul ou de plusieurs des facteurs telles
quelles sont spcifies dans la Figure 3 exclut obligatoirement limmdiat. En lexprimant de faon positive : chaque modification de ces facteurs implique une quelconque
mdiatisation de la communication, sans toutefois exclure automatiquement la proximit (cf. infra) ; la distance communicative telle quon la trouve chez Koch/Oesterreicher peut parfaitement tre de nature mtaphorique, contrairement la proximit qui
est forcment concrte quand elle est implique par limmdiat. Cest pourquoi le
rapport entre limmdiat et la distance est catgoriquement asymtrique. Dans ce sens,
lopposition fondamentale nest pas celle entre le phonique et le graphique , ni

268

Thomas Krefeld

entre la proximit et la distance , mais entre limmdiat , ncessairement


phonique, et le mdiatis , sous forme phonique, graphique ou tactile.

Figure 5 : Production, mdiatisation et forme perceptuelle du message verbal

En rsum de ce chapitre : la rvision de limmdiat fait clater le cadre thorique du


modle en question ; larticulation et laudition nont besoin daucun support mdial
et constituent en mme temps des performances trs concrtes, cest--dire impossibles classer parmi les options conceptionnelles . De plus, elle fournit une dfinition de mdia rpondant aux besoins de la linguistique : un mdia est tout moyen
qui permet de communiquer verbalement malgr une distance qui dpasse la porte
de la voix ou malgr la co-prsence manquante des communicants.
Dans un deuxime temps, il sera maintenant ncessaire desquisser limpact des
mdias sur la production et la soi-disant conception du message verbal.

3 Le message verbal mdiatis


Les 20 annes qui se sont passes depuis la premire dition (1990) du manuel de
Koch/Oesterreicher ont vu la rvolution mdiale la plus radicale quon puisse imaginer et les auteurs, videmment, nont pas manqu dajourner leur livre dans la
seconde dition (22011). Ainsi, la communication mdiatise par ordinateur y est
explicitement mentionne :

Man knnte nun auf den Gedanken kommen, dass das Schema [des Nhe-Distanz-Kontinuums], das allein die Medien Phonie und Graphie bercksichtigt, nicht ausreicht, die Komplexitt, dieser neuesten medialen Entwicklungen zu erfassen. Einer solchen Einschtzung ist jedoch
entschieden zu widersprechen (Koch/Oesterreicher 22011, 14).1

1 On pourrait parvenir lide, que le schma [i.e. le continuum immdiat-distance ; Th. K.] qui
considre seulement la phonie et la graphie, ne serait pas suffisant pour tenir compte de la complexit
des tout derniers dveloppements mdiaux. Il faut sopposer fermement un tel jugement (Koch/
Oesterreicher 22011, 14 : trad. Th. K.).

269

Limmdiat, la proximit et la distance communicative

Les auteurs insistent donc sur le fait que leur modle ne serait aucunement mis en
question par ces nouvelles formes de communication ; ils le voient, tout au contraire,
confirm par le fait que le tchat est un des plus beaux exemples illustrant la
possibilit de se rapprocher au sein du mdia graphique, toutefois de faon limite
limmdiat communicatif, dialogique et spontan 2 (Koch/Oesterreicher 22011, 14 ;
trad. Th. K.). Ils concluent donc que les nouvelles formes de communications peuvent
parfaitement tre expliques par les mdias de la phonie et de la graphie qui
seraient des catgories anthropologiquement fondes (ibid. ; trad. Th. K.).
Largumentation est pourtant plus suggestive que convaincante. Christa Drscheid (sous presse) en tire une consquence aussi stricte que claire quand elle
affirme quil sagit dun concept de mdia incompatible avec celui de la linguistique
des mdias, parce quil ne se laisse tout simplement pas appliquer aux dveloppements rcents.
Cette position est sans doute incontestable, mais elle ne rsout pas non plus les
problmes inhrents qui concernent dj le fondement anthropologique rclam
par Koch/Oesterreicher. Il faudrait, encore une fois, distinguer la production de la
perception pour voir les diffrences entre phonie et graphie : dans le cas de la phonie,
les deux aspects, larticulation et laudition, sont effectivement conditionns par
lquipement neurophysiologique de lhomme. Dans le cas de la graphie, par contre,
ce nest valable que pour la perception visuelle, cest--dire la lecture ; sa production
par le moyen le mdia de lcriture nest videmment pas fonde dans la
neurophysiologie.
Voyons donc comment les facteurs inalinables de la communication (selon
Figure 3) peuvent tre mdiatiss et comment la mdiatisation se rpercute sur les
options conceptionnelles et sur la variation linguistique. Le point de dpart est sans
aucun doute le fait que la communication immdiate non mdiatise est absolument incompatible avec la distance des communicants. Il ne serait mme pas exagr
de dire que tout progrs mdial a t stimul par leffort de librer la communication
verbale de la prison de la proximit ; cest pourquoi linvention du premier mdia,
lcriture, a caus une profonde rorganisation de la civilisation et de la socit, qui,
par la suite, a men la scripturalit gnrale (concernant le progrs mdial comme
moteur de lhistoire de la civilisation cf. Raible 2006). Le message crit est un objet
durable, qui survit la situation de sa production et qui, en rtro-perspective historique,
a bien souvent mme survcu la communaut des locuteurs ( langues mortes ).
Les consquences linguistiques du message-objet sont multiples ; dabord il permet et exige de se concentrer sur le message et de le retravailler ; le texte crit tend
vers la prcision logique et smantique. La rflexion du message verbal sintensifie

2 En version originale : Der chat ist sogar eines der schnsten Beispiele dafr, dass im graphischen
Medium eine relative, allerdings auch in diesem Fall noch limitierte Annherung an dialogische,
spontane Nhesprache mglich ist (Koch/Oesterreicher 22011, 14).

270

Thomas Krefeld

normment par lcrit et, de fait, sous les conditions de la distance des communicants et du dtachement situationnel. Dans le mme temps, il est facile de reproduire
le message crit, de telle manire quil devient lobjet de plusieurs lecteurs, qui
dcouvrent ses imperfections, relles ou supposes et proposent ensuite dautres
textes etc. Plus concrtement, le passage lcrit (cf. Selig/Frank/Hartmann 1993)
dclenche toute une gamme de changements et de dveloppements dont il se fait
accompagner continuellement, mais qui sont normment acclrs par la premire
rvolution mdiale, linvention de limprimerie. Citons au moins les trois volutions
suivantes :

(1) llaboration croissante de la langue aussi bien dans le lexique que dans la
syntaxe (p. ex. en ce qui concerne les techniques de subordination) ;
(2) ltablissement dune norme dabord descriptive (ou bien, ce qui revient au
mme, la rduction de la variation linguistique dans lusage crit) ;
(3) lmergence dun discours mtalinguistique, sous forme crite, qui aboutit une
norme prescriptive, cest--dire une varit standard.

Ces trois volutions sont intimement lies entre elles, sans quil soit possible de
schmatiser leur enchanement historique. On pourrait dire, p. ex. et grosso modo, que
(2) prcde (3) dans le cas de litalien (cf. Krefeld 2011), tandis que le franais a connu
le dveloppement inverse. Mais llment bien plus important encore que ces diffrences historiques, cest le rle dcisif des varits standard, qui se sont formes sous les
conditions de la distance communicative, pour lorganisation de larchitecture des
langues, parce quelles constituent les varits de rfrence autour desquelles toutes
les autres varits de ces langues se regroupent.
Dans lactualit, cest--dire aprs la deuxime rvolution mdiale marque par
les nouveaux mdias, la situation est radicalement diffrente. Les nouvelles technologies russissent mdiatiser la distance des communicants de telle faon quils
puissent dialoguer quasiment en synchronie (cf. Drscheid 2003 ; Hess-Lttich/Wilde
2003), grce leur co-prsence temporelle ; le dcalage temporel (la soi-disant
latence) est minime et ngligeable dans la communication humaine quotidienne,
dans lactivit commerciale en ligne, toutefois, il procure un avantage certain aux
bourses relies par des cbles moins longs.
Tandis que le premier mdia qui permettait le dialogue synchronique distance
spatiale, le tlphone, tait limit la phonie, les nouveaux mdias lectroniques
conquirent les formes visuelles, soit comme forme supplmentaire (dans la vidotlphonie), soit comme forme alternative. Cest justement lexploit de la graphie pour
dialoguer en co-prsence dans un contexte cr partiellement par le mdia qui mrite
lintrt des linguistes pour plusieurs motifs (cf. Androutsopoulos 2007).
La graphie mdiatise par lordinateur reprsente pour une grande masse de
personnes la seule graphie quils pratiquent trs frquemment. Il est justifi de parler
dune revalorisation et augmentation substantielle de la graphie dans la communica

271

Limmdiat, la proximit et la distance communicative

tion vcue de tous les jours parce quil sagit dans la plupart des cas de gens qui ne se
serviraient pas, ou trs rarement, de lcriture traditionnelle (analogue). Lcriture
utilise, cependant, nest plus la mme et les conditions demploi sont totalement
diffrentes. Avant tout, les affinits entre les options conceptionnelles et mdiales
postules par Koch/Oesterreicher ne sont plus valables :

[w]ir alle kennen phonisch realisierte uerungen, deren sprachlicher Duktus kaum unserer
Intuition von Mndlichkeit entspricht (z.B. Grabrede, Erklrungen bei einer Schlossfhrung
oder Festvortrag) ; andererseits gibt es aber auch graphisch realisierte uerungen, die sich
schwerlich mit unseren Vorstellungen von Schriftlichkeit decken (z.B. Privatbrief, oder neuerdings besser noch chat, ferner Sprechblasen ( !) in Comics) (Koch/Oesterreicher 22011, 3).3

Lexistence de ces ides de scripturalit (Vorstellungen von Schriftlichkeit )


chez la plupart des personnes qui utilisent couramment les services de messagerie est
fortement contestable ; par consquent on devrait renoncer associer automatiquement lcriture la distance communicative selon les critres de la Figure 1 ; cela
entrane galement labandon de lide des liens troits entre lcriture et la varit
standard. Contrairement au standard, la graphie mdiatise par lordinateur se distingue par une variabilit leve (cf. Frehner 2008), de sorte que la seconde rvolution
mdiale semble emmener une dstandardisation qui concerne toute larchitecture de
la langue ; elle produira par consquent des effets oppose celles de limprimerie.
Les variantes de cette nouvelle graphie non-standard concernent aussi les principes fondamentaux de lcriture alphabtique, tant donn que les usagers se servent
plus ou moins rgulirement de signes idographiques (dont les fameuses moticnes) quon ne peut pas lire parce quils ne rendent pas des entres lexicales mais des
concepts ou scnes extralinguistiques ou bien des modalits motives.
Les moticnes mettent en relief une autre particularit de la communication
mdiatise par lordinateur, qui est incompatible avec la dichotomie des options
conceptionelles et mdiales . part les rares moticnes frquentes qui ont
aussi une reprsentation alphabtique (bien que non phonique) comme :-) [= J] ou :-(
[= L], il sagit dun inventaire de signes proposs par le service de messagerie, cest-dire par le mdia mme. Dautres services, notamment les mdias sociaux confrontent
les usagers trs peu, voire un seul signe visuel (p. ex. le like de Facebook <) dot
dun sens bien spcifique. Cela veut dire que la partie du message exprime par ce
signe non alphabtique, qui est dailleurs trs important du point de vue pragmatique,
chappe compltement aux options conceptionnelles parce que lusager na aucun

3 Nous connaissons tous des nonciations ralises phoniquement dont lallure linguistique correspond trs peu notre intuition d oralit (p. ex. une oraison funbre, les explications au cours de la
visite guide dun chteau, ou une allocution de fte) ; dautre ct il y a des nonciations ralises
graphiquement, qui concident difficilement avec nos ides de scripturalit (p. ex. une lettre prive,
ou rcemment, encore mieux, le tchat, et les bulles dans les bandes dessines) (Koch/Oesterreicher
2
2011, 3 ; trad. Th. K.).

272

Thomas Krefeld

choix concernant lexpression de linformation correspondante ; autrement dit : la


tche conceptionnelle est accomplie, du moins partiellement, par le (choix du) mdia.
Selon le service de messagerie, il y existe galement dautres composantes du
message qui sont prprogrammes, comme la thmatisation de certains mots-cls, les
formules de salutation etc. Lautonomie des mdia et lindpendance croissante de la
forme perceptuelle du message lgard des conditions de sa production se manifeste
encore dans la possibilit de transformer automatiquement des entres phoniques
sous forme graphique par des systmes de reconnaissance vocale ou, dans le sens
inverse, des entres graphiques sous forme phonique par des systmes de synthse
vocale. Ces techniques sont encore restreintes quelques langues standard ; mais il
est dj vident que laffinit troite des options conceptionnelles et des formes
perceptuelles est dpasse. La figure suivante rsume la mdiatisation par lordinateur en co-prsence temporelle.

Figure 6 : Communication mdiatise par lordinateur en co-prsence temporelle

On a reproch Koch/Oesterreicher davoir oubli les mdias (cf. Androutsopoulos


2007, 80). Cette critique parat quelque peu trange lgard de lopposition fondamentale entre options conceptionnelles et mdiales ; ce qui est cependant
critiquable, cest moins loubli que la dfiguration du mdia. La rduction de dfinition la forme perceptuelle du signe linguistique ne laisse pas de place pour concevoir le rle toujours plus actif des mdias dans la vie quotidienne. Il suffit de rappeler
quils peuvent mme substituer linterlocuteur et diriger nos actions par des messages
tout fait rfrentiels et directement ancrs dans la situation actuelle, comme les
systmes de navigation le font dj trs frquemment. Avec la prochaine multiplication des applications daugmented reality, la communication verbale entre humains et
machines sera bientt indispensable dans beaucoup de circonstances.

4 Bibliographie

273

Limmdiat, la proximit et la distance communicative

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Anja Overbeck

12 La communication dans les mdias


lectroniques
Abstract : Lapparition de ce quon appelle les nouveaux mdias a sans doute raviv
la discussion sur la communication (pas uniquement) dans la recherche linguistique.
La polyvalence grandissante des mdias lectroniques exige une approche thorique
pluridimensionnelle et pluridisciplinaire. La question se pose donc de savoir si les
modles traditionnels sont encore adaptables dans les diffrents domaines, comme
p. ex. la linguistique textuelle, la recherche sur le franais crit et le franais parl, la
recherche sur la langue des jeunes ou la pragmatique. Larticle prsentera les thories
et modles actuels (dont espace et temps, metteur et rcepteur, langage parl et
langage crit, anonymat et politesse, types de textes et types de discours), avant
danalyser les caractristiques langagires concrtes de la communication en ligne . Comme conclusion, seront esquisses les perspectives de cette science moderne
et interdisciplinaire.

Keywords : communication, nouveaux mdias, mdias lectroniques, langage (du)


rseau, linguistique textuelle

1 Communication et mdias lectroniques


La communication et ses multiples mcanismes constituent un propre champ de recherche au plus tard depuis les dbuts de lanalyse de la conversation dans les annes 1960.
Mais cest surtout depuis lapparition de ce quon appelle les nouveaux mdias que
ltude sur la communication a connu un vritable regain dintrt (pas uniquement)
dans la recherche linguistique. Au sens large du terme, la tlgraphie, le tlphone, la
radiophonie, la radiodiffusion et la tlvision reprsentent aussi des mdias lectroniques alors que depuis les annes 1990, on ne considre comme lectroniques
presque plus que les services rendus par Internet, qui seront par consquent au centre
de cet article. Dautres mdias lectroniques contemporains sont le tlphone portable,
le CD-ROM et le-Book (ainsi que la revue lectronique et lIntranet selon les dfinitions).
Ces mdias ont en commun le fait de servir principalement la communication. Le lien
entre mdias et communication est donc un phnomne souvent trait et qui fait lobjet
de nombreuses publications (actuellement surtout dans le domaine des mdias en ligne
anglophones, cf. notamment la revue Media and Communication, Ble 2013), en revanche il manque encore un aperu de lvolution des mdias lectroniques dans une
perspective linguistique (cf. pour le moment Leonhard et al. 2001 ; voir comme aperu
sur les dbuts des recherches Allaire 1990 ; Herring 1996 ; Helfrich/Klden 1998 ;
Handler 2001 ainsi que le Journal of Computer-Mediated Communication 1995).

276

Anja Overbeck

La polyvalence grandissante des mdias lectroniques, rsultant des progrs


techniques, exige aussi une approche thorique pluridimensionnelle et pluridisciplinaire. Ainsi, non seulement la recherche communicationnelle et la pragmatique participent au dbat mais dautres disciplines comme lanalyse textuelle du discours et la
linguistique textuelle sy intressent une fois de plus, en se confrontant la problmatique des types de textes, mais cette fois dans les mdias lectroniques. La question se
pose donc de savoir si les modles traditionnels sont encore adapts et adaptables
(p. ex. de Beaugrande/Dressler 1981 ; Brinker 1993 ; Linke/Nussbaumer/Portmann
1994). De mme, la recherche sur le langage crit et le langage parl, qui sappuie
surtout sur les thories de Koch/Oesterreicher (1985, cf. aussi 2001), se voit confronte
de nouvelles questions notamment quant au degr doralit des propos crits dans
les mdias lectroniques. En sociolinguistique, cest surtout la recherche sur la langue
des jeunes qui se focalise de plus en plus sur les phnomnes de communication dans
les mdias lectroniques, puisque les jeunes gnrations en reprsentent les principaux usagers (cf. Neuland 2003 ; 2007 ; 2008 ; Boyer 2007 ; Auzanneau/Juillard 2012 ;
Bedijs 2012). Certains aspects comme la politesse ou le face work ( partir des thories
de Brown/Levinson 1987) jouent galement un rle important dans les tudes actuelles
sur la communication. Le chapitre 2 entrera en dtail sur tous les aspects cits. Les
disciplines non linguistiques comme linformatique, la sociologie ou la psychologie
sont bien entendu galement impliques dans la recherche sur la communication.
Elles ne seront nanmoins pas le centre du propos de cet article.
La communication dans les mdias lectroniques semble aussi jouer un rle
majeur en dehors du discours scientifique proprement dit. Les questions principales
du grand public portent souvent sur linquitude que la langue parle dans les
mdias lectroniques pourrait entraner une baisse gnrale du niveau de langue (en
particulier pour les jeunes). Les institutions ducatives craignent la perte des normes
grammaticales, qui pourrait mener un dclin de la langue (cf. Plester/Wood/Joshi
2009). Ce sont les phnomnes suivants qui sont considrs comme particulirement
typiques (et critiques) du langage dInternet :
abrviations (p. ex. sigles, acronymes, syllabogrammes) ;
phnomnes relevant de loralit dans la langue crite (graphies phontisantes) ;
remplacement de la mimique et de la gestique (mticons, rptitions) ;
rduction du lexique et place importante de la langue vulgaire ;
forte simplification syntaxique.

Les caractristiques langagires concrtes de la communication en ligne seront


analyses dans le chapitre 3. Dans le discours scientifique, cette volution est considre comme moins problmatique, comme il sera montr dans le chapitre 4. La
question de lexistence mme dun netspeak (Netzsprache, langage (du) rseau, cyberlangage, ciberlenguaje, linguaggio cyber etc.), cest--dire dune forme de langue
spcifique aux mdias lectroniques, qui se distinguerait fondamentalement dune
langue norme, quelles quen soient dailleurs ses caractristiques, suscite aussi le

La communication dans les mdias lectroniques

277

dbat (cf. entre autres Crystal 2001 et 2011 ; Anis 2002 ; Dejond 2002 ; 2006 ; Drscheid
2004). Le chapitre 4 sera consacr aussi ce sujet.
Le choix de la terminologie employer est li la discussion publique et
acadmique car une dfinition unique des termes servant dcrire la communication
dans les mdias lectroniques est loin dexister. Mme le terme mdia est utilis de
manire diffrente. Ce nest que lentement que le postulat commence simposer
supposant que la notion de mdia pour lanalyse des formes de communication
nest utilisable que dans une perspective technique et ne devrait se rfrer quexclusivement au moyen concret de communication (tlphone portable, ordinateur, fax
etc. ; cf. Drscheid 2003 et dj Holly 1997). Mme la dnomination de la communication dans les mdias lectroniques varie dune langue lautre. En italien, lexpression comunicazione mediata dal computer, drive de langlais Computer Mediated
Communication (CMC) sest impose, elle est aussi courante en espagnol dAmrique
latine (Comunicacin Mediada por la Computadora), alors quen Espagne, cest plutt
lexpression Comunicacin Mediada por Ordenador (CMO) qui est utilise. Le pendant
franais Communication Mdie/Mdiatise par Ordinateur (CMO) est considr
comme peu courant, on trouve plutt communication virtuelle ou cybercommunication.
En allemand aussi, on vite actuellement le terme Computervermittelte Kommunikation (CVK), souvent au profit de digitale Kommunikation ou de virtuelle Kommunikation. Aussi la proposition bien raisonne de Jucker/Drscheid (2012), Keyboard-toScreen Communication (KSC), na pas pu simposer (cf. ce sujet aussi Herring 2007, et
Herring/Skin/Viranen 2013). Tous ces termes ont cependant en commun un certain
manque de prcision (dautant plus que la communication na pas lieu exclusivement
sur ordinateur), ce qui souligne la difficult de trouver une terminologie adquate et
partage. En consquence, nous privilgierons la paraphrase plus gnrale de
communication dans les mdias lectroniques.

2 Thories et modles
Certaines formes de communication dans les mdias lectroniques comme les courriels, les SMS et le tchat ont dj fait lobjet de nombreuses tudes, contrairement
p. ex. la tlphonie et aux rseaux sociaux. Ce fait nest d quen partie la
constitution de corpus : ce qui est relativement simple pour les tchats, qui sont en
grande partie publics et faciles daccs, lest beaucoup moins pour les SMS ou les
courriels privs (pour le tchat cf. Beiwenger 2001 ; Anis 2002 ; Pierozak 2003a ;
2003b ; Thaler 2003 ; 2012 ; Pistolesi 2004 ; Kailuweit 2009 ; des corpus dj existant
sont p. ex. le Dortmunder Chat-Korpus ou le Eulogos Corpus di conversazioni da chatline in lingua italiana). Ce sont cependant ces deux dernires formes qui sont au centre
des tudes rcentes.
Le courriel est trs variable, aussi bien au niveau de la langue que du contenu,
mais sa forme extrieure est relativement fixe : objet, en-tte, formules de politesse,

278

Anja Overbeck

corps du texte, ventuellement des pices jointes etc. (cf. Ziegler/Drscheid 2002 ;
Pistolesi 2004 ; Frehner 2008 ; Schnitzer 2012 ; Drscheid/Frehner 2013).
Le SMS quant lui est peut-tre encore plus clairement dfini dun point de vue
formel en raison des 160 signes composant au maximum le message, ce qui explique
le nombre important dtudes (cf. Anis 2001 ; 2002 ; 2007 ; Schlobinski et al. 2001 ;
Schlobinski 2003 ; Pistolesi 2004 ; Schnitzer 2012 ; pour un aperu gnral voir Thurlow/Poff 2013). Le projet belgo-germano-suisse sms4science rassemble des donnes
plurilingues de SMS en allemand, en rhto-roman, en italien et en franais dans un
corpus, qui tait mis disposition du public depuis peu (cf. Schweizer SMS-Korpus,
Drscheid/Stark 2011 et Sthli/Drscheid/Bguelin 2011 ; voir aussi la banque de
donnes de SMS du Centrum Sprache und Kommunikation de luniversit de Mnster
2012 et le projet belge Faites don de vos SMS la science, cf. Cougnon 2008). Pour la
communication par SMS, la (socio)linguistique sintresse surtout au langage des
jeunes (cf. Schlobinski et al. 2001 ; Schlobinski 2003 ; Baron 2008) et la pragmatique
(cf. Thurlow 2003 ; Androutsopoulos 2007 ; Anis 2007 ; Cougnon 2011). En ce qui
concerne la linguistique variationnelle, les SMS sont particulirement pertinents pour
la recherche sur le langage crit et le langage parl (cf. chapitre 2.3), parce quils font
preuve dune forte variation au niveau de la graphie et des carts par rapport la
langue standard (cf. Almela Prez 2001 ; Yus 2001 et 2010 ; Anis 2004 ; Linard 2005 ;
Bieswanger 2007 ; Cougnon 2008 ; Cougnon/Ledegen 2010).
Le chapitre 3 sera consacr ces caractristiques langagires qui sont particulirement marques, surtout en franais. Dautres formes de communication comme les
rseaux sociaux mriteraient dtre analyss plus en dtail (voir pour le moment
Millerand/Proulx/Rueff 2010 ; Storrer 2011 ; Overbeck 2012 ; 2014 ; Bedijs/Held/Maa
2014).
Les traits suivants sont considrs comme caractristiques de lensemble de la
communication dans les mdias lectroniques, bien quune partie dentre eux soit
bien sr commune la communication non lectronique :
indpendance spatio-temporelle ;
grande facilit daccs dun grand nombre dinterlocuteurs ;
communication presque exclusivement crite ;
absence de gestes et dexpression du visage, compense par dautres stratgies ;
haut degr danonymat des interlocuteurs ;
simplification de laccs aux traces crites de la communication.

Les aspects langagiers rsultant de ces caractristiques ainsi que les modles et
thories sy rfrant seront abords dans les chapitres suivants.

279

La communication dans les mdias lectroniques

2.1 Espace et temps


Le dveloppement des nouveaux mdias dans les dernires dcennies a men un
changement de perspective en linguistique, surtout par rapport au concept spatiotemporel. Contrairement la communication en face face, lusage des mdias
lectroniques est li une indpendance relative de lespace et du temps. partir du
moment o la communication est dtache de la coprsence relle des interlocuteurs,
elle est rgie par dautres rgles que dans la communication en direct. Le fait que ceci
sapplique aussi une correspondance pistolaire prouve lexistence cite prcdemment de nombreux points communs entre les diffrents types de mdias de communication lectronique et non lectronique.
Les tudes actuelles ont surtout dvelopp des modles visant clairer dune
part la distinction entre lespace virtuel et lespace rel et dautre part les aspects
temporels de la communication ainsi que le lien entre ces deux dimensions (cf.
Gerstenberg/Polzin-Haumann/Osthus 2012). Christa Drscheid a dvelopp le modle
de la communication synchrone, quasi-synchrone et asynchrone (cf. Drscheid 2003 ;
Overbeck 2012) : lors dune conversation tlphonique, les deux interlocuteurs se
trouvent certes dans des espaces rels diffrents, pourtant ils sont dans un espace
communicatif commun par la synchronie du dialogue et des conditions de communication similaires. Ce nest pas le cas du courriel, o la communication se droule en
grande partie de manire asynchrone (en gnral, le destinataire lit le courriel plusieurs minutes ou plusieurs heures aprs rception) et donc sans partager le mme
espace communicatif commun. Dans le modle de Drscheid, les formes communicatives lectroniques considres comme plutt synchrones comme le tchat et les
messageries instantanes jouent un rle spcial : mme si la communication se
droule ici dans un espace communicatif commun et le canal de communication est
ouvert des deux cts, la production et la rception des noncs sont produites
successivement cause de leur scripturalit mdiale. Autrement qu une conversation face face, les interlocuteurs ne peuvent pas sinterrompre mutuellement. Ainsi
Drscheid appelle ces formes communicatives quasi-synchrones. Selon ce modle, les
formes de communication se distinguent donc de la manire suivante :
les formes orales plutt synchrones : tlphonie, tlphonie sur Internet, vidoconfrence, radiodiffusion, radiophonie ;
les formes orales plutt asynchrones : message sur le rpondeur ;
les formes scripturales quasi-synchrones : tchat, messageries instantanes ;
les formes scripturales asynchrones : e-Book, CD-ROM, courriel, SMS, forum Internet, blog, rseaux sociaux.

Cette distinction est bien sr discutable : en ce qui concerne p. ex. la radiodiffusion, le


degr de synchronicit dpend fortement du genre dmission (une interview directe
tant trs synchrone, une interview enregistre non). En plus, on peut douter du fait
que les rseaux sociaux puissent tre considrs comme une forme de communica

280

Anja Overbeck

tion, car ils reprsentent au sens strict plutt des plate-formes, qui combinent des
formes de communication trs diffrentes, comme la fonction de tchat sur Facebook
ou la messagerie directe de Twitter. Lespace communicatif correspond dans presque
tous les cas au cadre temporel, ainsi les formes synchrones de communication ontelles lieu en majorit dans le mme espace de communication et donc les formes
asynchrones en revanche dans des espaces diffrents. Il sagit nanmoins ici de
diffrencier les espaces rel et virtuel, ce que lexemple du tchat illustre trs clairement : les tchateurs communiquent de manire quasi-synchrone, ils se trouvent en
gnral avec leurs appareils dans des lieux rels diffrents mais sentretiennent dans
un seul chatroom virtuel commun. Si la communication est asynchrone, cet espace
virtuel commun est dans la plupart des cas inexistant.

2.2 metteur et rcepteur


La classification des types de relations numriques entre metteur et rcepteur offre
une manire supplmentaire de classifier les formes de communication. Pendant que
le nombre de participants une conversation en face face est toujours limit une
quantit dfinie et fixe (majoritairement one-to-one), toutes les combinaisons sont
possibles pour la communication lectronique, jusqu un nombre infini. Une correspondance par courriel a aussi lieu le plus souvent entre deux personnes, mais le
nombre de participants peut cependant augmenter par des moyens trs simples
(comme par exemple les mails en chane ou de publicit ou la fonction de transfert de
messages). Cest le contraire pour le tchat : la communication se droule en gnral
entre de nombreux participants, or elle est galement possible pour deux personnes
grce aux private rooms ou aux messages privs. Dans ce cas aussi, seule une
classification dcrivant une certaine tendance est possible :
majoritairement one-to-one : radiophonie, tlphonie, tlphonie sur Internet,
courriel, SMS ;
majoritairement one-to-many : blog, blog vido, forum Internet, rseaux sociaux ;
majoritairement many-to-many : radiodiffusion, revue lectronique, tchat, vidoconfrence.

Le chapitre 4 reviendra sur les relations complexes entre les diffrentes formes de
communication, qui peuvent se complter, sinterrompre ou saccompagner mutuellement, ce qui rend une hirarchisation dautant plus difficile et a des consquences sur
le processus de rception. Il sagit ici dune sorte de fragmentation, dj connue des
mdias lectroniques plus traditionnels (comme la tlvision lorsque les annonces
de la bourse dfilent dans un bandeau sous lcran de lmission dun autre genre, cf.
Fix 2011, 9).

281

La communication dans les mdias lectroniques

2.3 Langage parl et langage crit


Mme si presque toutes les formes de communication lectroniques sont bases sur
des propos crits ( lexception de la radiophonie, la tlphonie, des vidoconfrences
etc.), leur proximit par rapport la langue parle, dont le chapitre 3.1 traitera les
caractristiques langagires particulires, est indubitable. Cest pour cette raison que
les tudes sur le langage parl et le langage crit ont t utilises ds les premiers
projets de recherche pour caractriser la langue dans les mdias lectroniques, mme
si par exemple Sll (1974) et Koch/Oesterreicher (1985) se rapportent encore aux
mdias analogues. Le modle de Sll de la double diffrenciation de propos
langagiers entre le mdia (code graphique/phonique) et la conception (oral/crit) (cf.
Sll 1974, 1725) a t repris par Koch/Oesterreicher qui reprsentent aussi la relation
entre le code phonique et le code graphique au niveau mdial comme une dichotomie
alors que loral et lcrit sont perus comme les extrmits dune ligne continue. Il en
rsulte un axe sur lequel peuvent tre places les diverses formes de communication
(cf. Koch/Oesterreicher 1985, 18) : dans une perspective conceptuelle, des affinits
particulires existent entre phonique + parl (ex. : conversation familire) et graphique + crit (ex. : rglement administratif). Nanmoins, gnralement, dans une
perspective mdiale, des transgressions sont possibles, cest--dire quil existe aussi
des formes de communication qui correspondent aux deux autres combinaisons
possibles : phonique + crit (ex. : expos) et graphique + parl (ex. : interview
imprime). Le placement relatif des formes dexpression sur cette ligne continue
conceptuelle rsulte par consquent de plusieurs paramtres communicatifs, qui
constituent eux-mmes des formes de communication diffrentes. De l naissent
diffrents types de constellations du discours, qui sont marqus par certaines conditions de communication ainsi que par diffrentes manires de sexprimer. Koch/
Oesterreicher parlent dans ce contexte de langage de la proximit et de langage
de la distance . On peut nanmoins se demander si ce modle rpond aux particularits des formes de communication dans les mdias lectroniques. Certains ont tent
de lappliquer (cf. Kattenbusch 2002 ; Drscheid 2003 ; Berruto 2005), pourtant
aucune de ces tudes nest suffisamment prcise pour couvrir la totalit des nouvelles formes de communication (cf. Kailuweit 2009 ; Overbeck 2012 ; 2014 ; sous
presse). Nanmoins, un premier classement est possible :

Parmi les formes mdiales phoniques :


celles plutt parles : la radiophonie, la tlphonie, la tlphonie sur Internet ;
celles plutt crites : la radiodiffusion, la vidoconfrence, le blog vido.

Parmi les formes mdiales graphiques :


celles plutt parles : le tchat, le SMS, le forum Internet, le blog ;
celles plutt crites : le courriel, la revue en ligne, le-Book, les rseaux
sociaux.

282

Anja Overbeck

Les formes les plus rcentes comme le blog vido et les rseaux sociaux rendent une
classification difficile, car leur usage est trs variable : de nombreux tweets sur Twitter
sont plutt marqus par un emploi empreint de distance, donc de conception crit ,
alors que sur Facebook, il est ncessaire de distinguer les profils (plutt empreints de
distance) et le tchat interne de Facebook (plutt marqu par le langage de la proximit). Le blog vido peut avoir une conception crite , mais il peut aussi reprsenter
une conception spontane et donc parle . Une forme de communication comme le
courriel peut aussi bien tmoigner dune certaine distance que de proximit, et les
fonctions supplmentaires comme lajout de pices jointes ne font que multiplier ces
possibilits. Dans tous les cas, ce sont toujours lobjectif de la communication et
lintention de lmetteur qui sont dcisifs pour la dimension doralit.

2.4 Anonymat et politesse


Le fort degr danonymat existant entre les interlocuteurs est une des caractristiques
de la communication dans les mdias lectroniques. Internet est le moyen de surmonter des distances considrables et permet de crer des liens entre des personnes
absolument trangres. Les aspects des relations entre les interlocuteurs et donc de la
politesse jouent un rle important, en particulier dans les forums Internet thmatiques, dans le tchat et dans le domaine de lvaluation sur les pages daccueil (valuation dhtels, de produits, invitation donner son avis). Malgr la charte de bonne
conduite sur Internet (netiquette), qui a t instaure pour pratiquement toutes les
formes de communication lectronique, il arrive rgulirement que des utilisateurs
enfreignent les rgles de politesse, Face Threatening Acts selon Brown/Levinson
(1987). Dans la communication sur les forums ou dans les tchats, comme lors des
valuations, il ne sagit pas souvent de communication entre deux personnes mais
plutt dinteractions entre plusieurs utilisateurs parfaitement trangers qui se cachent
derrire un pseudonyme dans un espace virtuel et commentent les propos ou les actes
dautres usagers. Dautres personnes suivent la discussion passivement et interviennent ponctuellement (cf. Thaler 2012 ; Maa 2012). Une sorte de situation anonyme de
dispute peut se dvelopper qui peut mme mener des changes hostiles et insultants
(flaming) (cf. Helfrich 2014). La psychologie sociale explique ce comportement par une
consquence de lanonymat qui ferait perdre toute retenue (cf. Dring 1997). En
revanche, ce phnomne est plutt rare dans les formes de communication non
anonymes comme la radiophonie, la tlphonie ou la vidoconfrence. Les mdias
lectroniques reprsentent donc un vaste sujet de recherche pour ltude de la
politesse (cf. Held/Helfrich 2011 ; Thaler 2012 ; Bedijs/Held/Maa 2014).

283

La communication dans les mdias lectroniques

2.5 Types de textes et types de discours


Comme il a t mentionn dans lintroduction, la distinction des catgories reprsente
de vritables difficults dans la recherche dues une terminologie floue. Cette confusion terminologique mrite une attention particulire, dont le premier pas consisterait
diffrencier les critres de dfinition et concrtiser la notion beaucoup trop vaste
du terme de mdia . Il faudrait distinguer les notions de mdia et de mdialit et ne
considrer comme mdia que le moyen matriel et concret avec lequel des signes
peuvent tre produits, mmoriss, transmis et reus (cf. Drscheid 2003). De plus, une
diffrenciation entre forme de communication, type de texte et type de discours serait
ncessaire : les mdias de communication seraient par consquent le fax (en tant
quappareil), lordinateur et le tlphone portable ; les formes de communication
quant elles seraient le fax (en tant que message), le courriel ou le SMS, alors que les
types de textes seraient (selon Brinker 1993) la commande, la lettre damour ou le mail
publicitaire, et les types de discours seraient le tchat politique, le tchat de conseil ou
dautres propos dordre thmatique.
La linguistique textuelle se voit donc contrainte de sinterroger sur la validit des
modles traditionnels de types de textes pour les mdias lectroniques, alors quils
taient dj controverss pour la communication non lectronique (cf. de Beaugrande/Dressler 1981 ; Brinker 1993 ; Linke/Nussbaumer/Portmann 1994). Les tudes
actuelles partent du fait que les nouveaux mdias nont pas donn lieu de nouveaux
types de textes, mais seulement une variation et une combinaison des modles dj
connus (cf. Adamzik 2000 ; Eckkrammer 2001 ; Jakobs 2003 ; Rehm 2006 ; Janich
2008 ; Adam 32011 ; Fix 2011 ; Overbeck 2014).
Dans tous les cinq domaines mentionns (comme dans une quantit dautres), la
recherche en est encore ses dbuts, dautant plus que le dveloppement technique
ouvre en permanence de nouveaux dfis thoriques.

3 Phnomnes linguistiques typiques de la


communication dans les mdias lectroniques
Il convient prsent dnumrer les caractristiques reconnues comme typiques de la
communication dans les mdias lectroniques. Le chapitre prcdent a dj montr
que ces traits particuliers ne concernent jamais lintgralit des formes de communication et quil existe toujours des recoupements avec la communication dans les
mdias non lectroniques. Il ne sagit donc que desquisser des tendances et non des
rgles gnrales dfinitives. Quil est par consquent aussi impossible de parler dun
langage du rseau clairement dfini, sera rsum dans le chapitre 4.

284

Anja Overbeck

3.1 Phontique et phonologie


La plupart des signes distinctifs du langage dans les mdias lectroniques concerne le
domaine de la phontique et de la phonologie, notamment en franais o la phonie et
la graphie sont particulirement loignes lune de lautre. Les nombreux textes crits
forte composante orale (cf. chap. 2.3) se servent souvent de lonomatope ou
dautres moyens graphiques qui symbolisent une proximit par rapport la langue
parle. Trois diffrentes tendances stratgiques sont observables : dune part, des
moyens graphiques sont utiliss pour exprimer des motions, dautre part pour imiter
la langue parle, mais aussi pour raccourcir certaines combinaisons de signes. Les
exemples suivants sont en majorit tirs de Anis (2002 ; 2007), qui appelle nographies toutes les graphies scartant de la norme.

Expression des motions :


mticons (ou emoji) ;
tirements graphiques des lettres (Nooooon !, Ahhhhhhhhhhhhhhhhhh) ;
tirements graphiques des signes de ponctuation (Bonjour !!!!, Pourquoi ???) ;
scriptura continua (ohmondieu !, jenesaisquoi) ;
majuscules (ECRIS-MOI !).

Imitation de la langue parle :


graphies phontisantes (biz bises, ossi aussi, bo beau, c cest, jsui, chuis je
suis) ;
variantes phontiques (moua, moa moi, pa, po pas, ui, ouais oui).

Rductions graphiques :
squelettes consonantiques (tt tout, ds dans, tjs toujours, tps temps) ;
syllabogrammes (l elle, c cest/sais/sait, 1 un(e), 2m1 demain, a+ plus
(tard)) ;
sigles (mdr mort de rire, stp sil te plat, asv ge sexe ville, ptdr pt de rire).

Les sigles se trouvent surtout dans les SMS et le tchat, nanmoins le critre dconomie de place et de manque de temps ne sont sans aucun doute quune des explications possibles de ce phnomne (cf. Bieswanger 2007). La constitution dun sentiment de groupe, rsultant de la matrise de conventions communes, qui est surtout
visible sur les rseaux sociaux en serait une autre (cf. Neumann-Braun/Authenrieth
2011). Par ailleurs, cette manire dcrire est lie un certain plaisir cratif, d au ct
ludique de la communication en ligne (cf. Overbeck 2012). Il en rsulte des dialogues
(ici un change de SMS) souvent peu comprhensibles pour les personnes extrieures :

285

La communication dans les mdias lectroniques

A : YA KELK1 ?
B : Oui ya moa. Koman ca va ?
A : Bi1. E twa ? Tapa lR bi1 ?
B : Ca va. Sof k G raT mon RER.

Le dernier exemple montre que la combinaison de plusieurs phnomnes phontiques et morphologiques est aussi typique.

3.2 Lexique
La majorit des phnomnes lexicaux qui se trouvent dans les formes de communication des mdias lectroniques est commune au langage des jeunes (cf. Boyer 2007). La
ralisation formelle dpend cependant fortement de chaque utilisateur et son intention comme de la forme de communication : sur un site de rencontre, dautres domaines lexicaux sont abords que dans un forum culinaire ou un tchat entre experts
dchecs ; aussi dans les mdias sociaux, cest le contexte thmatique qui dtermine
principalement le lexique utilis. Dans les forums et autres formes courtes dvaluation (htel, restaurant), de commentaire ( propos darticles de journaux) ou de
discussions sur des sujets spcifiques, on trouve souvent un vocabulaire particulirement motionnel (cf. chapitre 2.4).
Les phnomnes suivants sont trs frquents et correspondent eux aussi ceux
du langage des jeunes, ils sont dailleurs surtout employs par ce groupe dutilisateurs :
troncations (ordi ordinateur, lut salut, tain putain) ;
anglicismes (chatter, kisser, easy) ;
verlan (meuf femme, donf fond, ouf fou, fca caf, tci cit) ;
code-switching (Je me sentais easy ; Tu te prends pour the king of the world ?, cf.
Cougnon 2011 ; Androutsopoulos 2013).

Il nest nanmoins pas possible de parler dun lexique dInternet propre et valable
de manire gnrale.

3.3 Morphologie
Morphologiquement, de nombreuses abrviations, qui sont souvent lies des caractristiques phontiques (cf. chap. 3.1), sont dignes dintrt. Il sagit en majorit de la
simplification de graphies qui sont particulirement nombreuses en franais ( est,
pe peux/peut, c cest). Parfois, ces rductions ne respectent plus la limite des mots
(vrpa verrai pas, mapel mappeler). Il est aussi possible de trouver des manires
dcrire rappelant des graphies trangres, notamment de langlais (bizoo bisou,

286

Anja Overbeck

kikoo coucou). Dans les langues o les dialectes sont trs prsents, lemploi de
termes issus de ces varits est frquent, par exemple en italien, mais aussi en
allemand (cf. des formes comme le romanesco porello poverino, lallemand du nord
Mudda Mutter ou le bavarois mia wir). Mais aucune gnralisation nest possible,
puisque aussi dans le champ de la morphologie, les stratgies langagires utilises
dpendent toujours du contexte de la communication et des intentions des interlocuteurs.

3.4 Syntaxe
La multimodalit et la variation de formes de communication dans les mdias lectroniques sopposent donc une analyse systmatique, si bien quil existe encore peu
dtudes syntaxiques. Ceci peut tre expliqu par le fait que la syntaxe correspond
toujours dautres phnomnes comme loralit et le langage de jeunes. De nombreux
exemples permettent dcarter lhypothse selon laquelle la limitation de signes de
certaines formes (comme le SMS et le Tweet) serait lorigine dune syntaxe fortement
rduite. Certains Tweets, limits 140 signes ou SMS, 160 signes, sont pourvus
dune syntaxe complexe, avec des structures hypotaxiques (cf. Overbeck 2012).
Parmi les caractristiques syntaxiques les plus frquentes, il faut citer les structures elliptiques, la chute du ne dans la ngation, labsence de concordance des temps
et des modes et lusage des marqueurs du discours. Les donnes syntaxiques varient
aussi en fonction du type de texte et de discours. Ainsi, un courriel peut contenir une
lettre officielle de type formel ou une invitation dner entre amis dans un registre
familier, la complexit langagire dpendant au niveau syntaxique de lobjectif du
message.
Dans lensemble, la communication dans les mdias lectroniques se caractrise
par une grande variation due aux diverses conditions dutilisation et aux divers
contextes. La frquence des occurrences de certains phnomnes suggre lexistence
dune langue plus ou moins nouvelle et homogne, qui ne rsiste cependant pas
une analyse plus prcise.

4 Conclusion et perspectives
Il nest donc pas possible de parler dun langage du rseau ou dun cyberlangage . Certes, chaque forme de communication prsente des traits langagiers spcifiques, nanmoins les recoupements avec dautres formes de communication lectronique ainsi que des formes non lectroniques sont tellement nombreuses quil est
difficile den dterminer clairement des limites. La tentative artificielle de fixer un
netspeak homogne comme le fait Crystal (2001) pose plusieurs problmes (cf. Drscheid 2004) :

287

La communication dans les mdias lectroniques

on ne peut pas construire dunit puisque lhtrognit est la caractristique


principale des mdias lectroniques ;
de nombreux traits spcifiques ne sont typiques que de certains contextes dutilisation et pas pour la totalit de la communication dans les mdias lectroniques ;
plusieurs caractristiques typiques apparaissent galement dans dautres
contextes ;
lutilisation de ces traits spcifiques dpend fortement du contexte de la communication et de lmetteur et ses intentions.

Ces formes de communication ne sont donc pas nouvelles, en revanche les normes et
les contextes de la communication le sont. Les progrs techniques perptuels produisent de nouvelles combinaisons possibles o plusieurs formes de communication sont
lies (rseau social avec tchat intgr, blog avec des vidos ou des formes mixtes
comme Viber ou WhatsApp).
Scientifiquement parlant, les rserves mises dans le chapitre 1 propos de
lvolution des conventions linguistiques notamment dans les Social Media, peuvent
tre nuances. Des premires tudes montrent quil ny a aucun signe annonant une
baisse du niveau de langue ou la perte des normes grammaticales (cf. p. ex. les
rsultats du projet Zurich Schreibkompetenz und neue Medien, cf. http://www.
schreibkompetenz.uzh.ch/ et Drscheid/Wagner/Brommer 2010). Il sagit en revanche dun largissement des domaines fonctionnels de lcriture, puisque les jeunes
sont incits crire plus. En gnral, ils savent trs bien distinguer les styles et les
registres et adaptent leur manire dcrire consciemment ou inconsciemment linterlocuteur et au contexte, mme dans la communication en ligne. Ces formes de
communication lectronique peuvent galement tre intgres dans un contexte
scolaire, et de manire crative (cf. Barth/Rauch 2011). Les formes multimodales du
Web 2.0 mnent donc plutt une diversification des types de textes et au dveloppement fonctionnel de lcrit qu un appauvrissement de la langue (cf. Storrer 2010 et
2011).
En rsumant, on peut attribuer les caractristiques suivantes aux formes de
communication lectroniques (cf. Fix 2011) :
plurifonctionnalit : la majorit des formes de communication sont utilisables
dans plus dune dimension ;
variabilit : dans les mdias lectroniques, il est possible de modifier, de complter ou de changer les textes infiniment ;
ouverture du processus de lecture : le sens de la lecture nest plus clairement
dtermin car il peut changer la direction tout moment ;
fragmentation : des formes de communication peuvent tre imbriques, des messages sont interrompus ou complts par dautres messages, les limites entre les
diffrentes formes de communication deviennent de plus en plus floues ;
diversit des auteurs : dans les mdias lectroniques, la notion mme dauteur
individuel disparat souvent.

288

Anja Overbeck

Bien que ces caractristiques nexistent pas seulement depuis la naissance dInternet,
elles ne font actuellement que se renforcer. Il faudra donc lavenir davantage
analyser les formes particulires que les formes de communication dans leur totalit :
pour obtenir des rsultats prcis, lanalyse de diffrents types de textes et de discours
sous la surface de la communication dans les mdias lectroniques est plus prometteuse.

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Kristina Bedijs

13 Langue et gnrations : le langage des


jeunes

Abstract : La varit nomme langage des jeunes attire lattention des linguistes
aussi bien que celui du grand public. La crativit dont font preuve les jeunes
locuteurs nourrit le soupon dune dcadence linguistique chez la jeune gnration,
mais suscite aussi les recherches linguistiques les plus diverses. Cette contribution
prsente dabord le contexte terminologique du langage des jeunes et ses principales
caractristiques. La partie 2 expose les modles et thories sociolinguistiques et
variationnels les plus influents autour du langage des jeunes. La partie 3 prsente les
diffrentes options danalyse du langage des jeunes en mettant laccent sur la linguistique de corpus. La partie suivante dtaille les phnomnes de la varit tous les
niveaux du systme. La contribution ouvre finalement une perspective sur les futures
recherches en matire de langage des jeunes, comme lhistoire de la varit et ses
modalits dans les diverses rgions francophones.

Keywords : langage des jeunes, sociolinguistique, variation diastratique, variation


diaphasique, changement linguistique, nologisme, lexicologie

1 Objet de recherche : le langage des jeunes

Une vue globale du langage des jeunes franais implique des champs scientifiques
tels que la linguistique variationnelle, la sociolinguistique, la lexicologie et la pragmatique, mais aussi des disciplines non linguistiques comme la sociologie, la psychologie, lhistoire contemporaine et les sciences de la culture, auxquelles le phnomne du langage des jeunes est troitement li.
On constate demble un problme terminologique : la dsignation du phnomne en question est htrogne. Le nombre de noms disposition pour dsigner une
varit du franais est tonnant. La plupart se compose dun mot qui se rfre la
forme de parler (argot, jargon, jargot, langue, langage, parler, parlure, slang, tchatche,
verlan) et dun autre qui se rfre la communaut de locuteurs (banlieue, cit,
collgiens, cole, jeunes, jeunesse, Keums, populaire, rebeu, rues) voire une caractristique ou un mot spcifique (verlan, wesh ; cf. Bedijs 2012, 4345 ; Bulot 2005 ;
Goudaillier 1997 ; Merle 1997 ; voir aussi les discussions terminologiques et conceptuelles de Lamizet 2004 et Fral 2012). Cependant, dans la plupart des cas, la
diffrence terminologique ne fait que dlimiter des nuances dun mme fait linguistique ou de prsenter ce dernier sous un jour plus ou moins favorable (cf. Auzanneau/
Juillard 2012, 14). Le terme langage des jeunes relve de la systmatique variationnelle,
en tenant compte du fait quil sagit dune certaine forme de sexprimer (langage) dun

294

Kristina Bedijs

certain groupe social (les jeunes), base sur une langue (le franais) toujours reconnaissable. Ces points seront exposs dans la partie 2.4.
Le langage des jeunes fut sujet du dbat public politique, ducatif, culturel et
mdiatique avant mme dtre lobjet de la recherche linguistique (cf. Auzanneau/
Juillard 2012, 15 ; Fagyal 2004, 43). Malgr la critique de ceux qui rclament lusage du
franais standard et voient menace la norme, il y a aussi des opinions positives. Les
mdias et leur faon de couvrir le sujet jouent un rle important dans le dbat, ils
savent fasciner et scandaliser le grand public (cf. Boyer 2007, 157s.). Aussi critiqu
quil soit, le langage des jeunes se voit commercialis de tous cts : sous forme de
dictionnaires, littrature et produits mdiatiques destins aux jeunes (ou faisant
semblant de ltre) ; tout un march qui entretient les strotypes dj existants et en
cre de nouveaux (cf. Trimaille 2004b, 128). Parmi les phnomnes tantt contradictoires couramment cits comme caractristiques, on trouve :
une vitesse orale acclre,
une rduction du lexique et une concentration sur les mots vulgaires,
une crativit lexicale extraordinaire,
une prdilection pour les emprunts surtout de langlais,
une rduction morphologique et morphosyntaxique,
la cration du jeu morphologique du verlan,
une perte de la norme entranant une dcadence linguistique.

Ces points seront exposs entre autres dans la partie 4.


Depuis les annes 80, on peut constater un intrt croissant envers le langage des
jeunes (et envers les varits non-standard en gnral) de la part des linguistes (cf.
Auzanneau/Juillard 2012, 6 ; Boyer 2007, 153). On trouve alors de plus en plus de
recherches en linguistique variationnelle, sociolinguistique et lexicologie. Le Centre
de Recherches Argotologiques (CARGO), actif entre 1986 et 1998 luniversit Paris V,
sengage dans la documentation sociolinguistique et lexicographique du langage des
jeunes.
Pendant les annes 90 et le dbut des annes 2000, on constate un grand nombre
de publications franaises concernant le langage des jeunes. ltranger (en Allemagne, au Canada et au Royaume-Uni, p. ex.), les linguistes continuent tudier ce
phnomne, souvent dans une perspective contrastive, avec un accent sur le plurilinguisme interne ou dans la perspective de la didactique des langues trangres (voir
3.2).
Les premiers rsultats des lexicologues, les dictionnaires du langage des
jeunes (p. ex. Andreini 1985 ; Fischer 1988 ; Gottschalk 1931 ; Merle 1986) et les
glossaires publis par des non-linguistes ont donn limpression quil sagit dun
phnomne principalement lexical, cest--dire dun vocabulaire spcifique. Dautres
chercheurs soulignent que le langage des jeunes est une varit surtout orale (cf.
Neuland 2007, 13). Il faut toutefois reconnatre que le systme entier de la langue est
affect.

295

Langue et gnrations : le langage des jeunes

2 Thories et modles
2.1 Les locuteurs du langage des jeunes
Pour dlimiter une varit nomme daprs un groupe social, il faut dabord savoir
dfinir ce dernier. Qui sont les locuteurs du langage des jeunes ? Comment dfinir
jeune ? Ce problme relve de la sociologie, de la psychologie, de la biologie et
de la politique et chacune de ces disciplines trouve des rponses diffrentes ce
sujet. Selon Zimmermann (2002, 486), la jeunesse en tant que catgorie sociale est
une construction de la culture occidentale contemporaine une vision partage
par le sociologue Bourdieu ( La jeunesse nest quun mot , titre dun essai
programmatique de 1984). Les diffrentes approches des diverses disciplines en
font preuve.
La loi franaise a instaur plusieurs seuils importants mi-chemin entre lenfance
et la majorit 18 ans. Du point de vue biologique et psychologique, la priode de
ladolescence est dtermine par des facteurs de dveloppement individuel, corporel
et mental qui ne concident pas forcment. Dans la perspective de la sociologie, la
jeunesse se distingue de lenfance et de la vie adulte par des pratiques culturelles
graduellement acquises, dont la capacit et la volont dassumer un rle professionnel, familial, culturel et politique (cf. Hurrelmann/Quenzel 112012, 39, voir aussi pour
la sociologie franaise Amsellem-Mainguy/Timoto 2012 ; Galland 72009 ; Mauger
1994).
Il en rsulte que les protagonistes du langage des jeunes ne sont pas les mmes
dans toutes les tudes, car les chercheurs en linguistique peuvent privilgier tous ces
critres leur manire. Tout chercheur aura ses arguments pour la constitution de son
chantillon, mais il faut tre prudent au moment de comparer les rsultats. La tranche
dge nest quun aspect qui sajoute aux nombreux problmes dhomognisation du
groupe : comme pour toute recherche comparative lie un fait social, on doit
galement tenir compte du moment et de la situation de la rcolte des donnes, du
milieu et du sexe des participants, de leur niveau ducatif etc.

2.2 Histoire du langage des jeunes


Nous avons aujourdhui une vision plutt dtaille des lments et des dynamismes
de cette varit depuis les annes 80 (cf. Bernhard 2000 ; Knopp 1979 ; Sourdot 1997 ;
Zimmermann 2003). Cependant, il manque toujours une comprhension de lhistoire
variationnelle ds les dbuts. On suppose quune varit spcifique des jeunes qui va
au-del dun vocabulaire collgien ait merg dans les pays industrialiss la fin de
la Deuxime Guerre Mondiale (cf. Bedijs 2012, 37), un moment-cl de lhistoire qui est
lorigine de nombreux changements dans les socits modernes. La dure prolonge
de lducation scolaire et universitaire pour un nombre croissant de scolariss et

296

Kristina Bedijs

tudiants a entran une entre dans la vie active et la fondation dune propre famille
de plus en plus tardives. En mme temps, les jeunes ont dispos de plus de temps
libre et de plus dargent quils pouvaient utiliser pour leurs loisirs. Un march de
produits et services destins aux jeunes a rapidement merg, contribuant la
diffrenciation des diverses sous-cultures jeunes : la musique, le cinma, les vtements, les sports
Mme si lhistoire du langage des jeunes est trs jeune en comparaison avec la
plupart des autres varits du franais, il est dautant plus difficile de dcrire ses
volutions un problme d surtout au manque de documents authentiques (cf.
Neuland 2008, 112). Les progrs de la sociolinguistique historique sont limits aux
documents rdigs par crit, tandis que le langage des jeunes est en premier lieu une
varit orale limite au groupe de pairs. Les documents crits devraient se limiter aux
journaux intimes, petites notes personnelles et autres, tous peu susceptibles dtre
conservs longtemps. Pour lanalyse du langage parl, tout dpend des documents
auditifs ou audiovisuels. Mais comme lintrt gnral pour les jeunes nest apparu
que tardivement, il est difficile de trouver des enregistrements authentiques de jeunes
locuteurs. prsent, il nexiste aucune collection historique du langage des jeunes
franais.
Lavenir, par contre, semble assur. Avec larrive des nouveaux mdias surtout
les rseaux sociaux , les jeunes ont commenc se prononcer en public et par crit
dans leur varit. Les chanes nationales de radio et de tlvision enregistrent leur
programme dans les archives de lInstitut National de lAudiovisuel (INA) et il nest
pas difficile dy trouver des missions prsentant de jeunes locuteurs. Pour les propos
non publics, il reste le problme dthique discut dans la partie 3.1.1.

2.3 Fonctions du langage des jeunes


On peut dcrire le langage des jeunes comme un code exclusif (we code, cf. Gumperz
1977, 6). Les locuteurs sen servent surtout pour deux raisons :
a) lexclusion du groupe externe (out-group), normalement constitu par tous ceux
qui ne sont pas accepts dans le groupe de pairs, comme les parents, les professeurs, les autorits, les enfants plus jeunes, mais aussi dautres groupes de
pairs rivalisants.
b) le renforcement du groupe interne (in-group), normalement le groupe de pairs
constitu par les amis proches.

Cette double fonction sociale sexplique par le besoin (plus ou moins prononc chez
les individus) des jeunes de se diffrencier des gnrations de leurs parents et de leurs
jeunes frres et surs, de se crer une propre identit et de trouver leur place dans un
rseau social dont les dynamiques de rles changent en permanence. Il est rassurant
de se voir accept par un groupe qui partage les mmes gots et intrts, et cela se

Langue et gnrations : le langage des jeunes

297

traduit aussi par le langage. Lexclusioninclusion au niveau linguistique fonctionne


sur tous les plans :
le lexique des jeunes concerne souvent des objets qui les intressent et qui sont
inconnus des adultes, ou alors les jeunes prfrent dissimuler le sujet de la
conversation (drogues, criminalit, violence) en crant des mots nouveaux,
certains lments prosodiques et phontiques peuvent identifier un groupe de
pairs,
la syntaxe est marque par des lments sous-standard qui crent une impression
de jeunes dviants,
la morphosyntaxe est crative et sert galement exclure ceux qui ne savent pas
la manipuler de la mme faon,
les formules rituelles ne sont acceptes que par ceux qui font partie du groupe.

2.4 Le langage des jeunes dans le systme variationnel


La question de savoir o placer le langage des jeunes dans le systme variationnel
nest pas encore rsolue la liste des dnominations mentionne ci-dessus en
tmoigne. Certains le qualifient de varit, dautres de registre, dautres encore de
style (cf. Bedijs 2012, 4750). Presque tous reconnaissent que leur dfinition est
insuffisante. Le problme semble tre que la linguistique variationnelle classique est
plutt stricte en attribuant un seul niveau de variation diatopique, diastratique ou
diaphasique une certaine forme de parler. La classification du langage des jeunes
comme varit diastratique serait ainsi justifie puisquil est dtermin par lge des
locuteurs et donc par un facteur social. Par contre, cette forme de parler nest utilise
que sous certaines conditions, avec certaines personnes, dans certaines situations, ce
qui justifierait la classification comme variation diaphasique ou registre. La qualification de style est une variante plus troite de la catgorie de registre, centre sur
lindividu.
Le langage des jeunes est une forme de parler qui montre clairement que la
variation ne peut plus tre vue dans une perspective monofactorielle (cf. Auzanneau/
Juillard 2012, 6). Toute varit se caractrise par plusieurs aspects qui relvent de
diffrents niveaux variationnels. Koch/Oesterreicher (2011, 13) ont ajout le niveau de
la proximit et de la distance dans la conception et la ralisation de lnonc, un
aspect quil faut prendre en compte lors de la description dune forme de parler.
Encore faut-il considrer le changement diachronique qui affecte chaque langue
naturelle.
Dans cette optique, une description variationnelle du langage des jeunes devrait
se dtacher dun seul niveau et intgrer autant de variables que possible. On ne
parlera donc pas du langage des jeunes en tant que varit diastratique ou registre,
mais on reconnatra que tous les niveaux du diasystme apportent leur grain cette
forme de parler, et que certains facteurs sont plus saillants que dautres (ainsi, les

298

Kristina Bedijs

niveaux diastratique et diaphasique sont videmment trs dcisifs un modle


variationnel qui essaie dintgrer tous les plans se trouve dans Bedijs 2012, 55). tous
les niveaux, il faut constater que ces facteurs sont dune importance variable pour le
parler. Le sexe, le milieu social, la famille, le degr dducation, lhabitat tous des
facteurs sociaux varient et affectent le parler des individus au cas par cas. Cest pour
cela que certains refusent de classifier le langage des jeunes comme varit et le
dfinissent comme idiolecte individuel. cela, il faut rpondre que cette notion
ignore les points communs partags par beaucoup de jeunes locuteurs et ne permettrait plus danalyser leur parler de manire systmatique.

2.5 Changement linguistique


On peut aujourdhui rejeter lide largement rpandue que le langage des jeunes est
responsable dune suppose dcadence linguistique (cf. Begag 1997, 36 ; Dannequin 1999, 77 ; Doran 2007, 499 ; Gonalves 2010, 6). Cependant, il est certain que
cette varit contribue dune manire importante au changement linguistique, un
processus naturel qui a toujours eu lieu dans toutes les langues. Une innovation
linguistique qui se rpand dans la communaut des locuteurs peut long terme
trouver une place fixe dans le systme. Si les jeunes qui sont les adultes de lavenir
et donc ceux qui tablissent la norme conservent un trait de leur varit de jeunesse,
celui-ci pourrait faire un jour partie de la norme.
Le langage des jeunes nest pas une varit isole, mais base sur et en contact
avec les autres varits du diasystme (cf. Neuland 2008, 91). Elle dpend du contexte
social dans lequel elle volue. Cela signifie que des facteurs externes comme les
mdias, la mode, la musique, la publicit et toute sorte de produits influencent
lidentit des jeunes et leur besoin de se distinguer par leur langage (cf. Billiez/
Trimaille 2001, 116). Cet effet est trs bien observable sur le plan lexical, o les jeunes
crent constamment de nouveaux mots ou donnent un nouveau sens ceux qui
existent.
Pour relativiser le rle des jeunes dans le processus de changement, il faut
constater quils ne forment pas la majorit des locuteurs dans une communaut. Ceux
qui tablissent les rgles de conduite (et la forme de parler en fait partie) sont (du
moins aujourdhui) les adultes actifs qui ne tolrent pas lusage du langage des jeunes
dans beaucoup de situations. Ce sont donc les jeunes qui se voient obligs de
sadapter : Ce nest pas forcment ainsi que les jeunes parleront quand ils seront
quadragnaires (Carton 2000, 25s.). De plus, ils ne sont pas les seuls diffuser leurs
innovations : les politiciens et les mdias sont dexcellents crateurs de mots, et les
jeunes se laissent influencer par ces derniers, si bien quon ne sait pas toujours si une
innovation a dabord t cr par les jeunes ou par les mdias (cf. Fagyal 2004). De
mme, beaucoup dadultes reprennent volontiers les expressions jeunes saisies
chez leurs enfants ou dans les mdias. Sans ces reprises et la diffusion dans une

299

Langue et gnrations : le langage des jeunes

grande partie de la communaut linguistique, les innovations jeunes nauraient


certainement pas cette force de changement.

3 Domaines de recherche
3.1 Analyses de corpus
Pour obtenir une description tant soit peu complte du langage des jeunes, il faut
avant tout mener des recherches de corpus qui permettent ensuite daller plus loin,
dintgrer dautres approches linguistiques ou de franchir les limites de la discipline
pour appliquer les rsultats dautres domaines de la vie sociale. Les outils modernes
en linguistique de corpus rendent possibles des recherches automatises ou semiautomatises, ce qui facilite le reprage des caractristiques saillantes dune varit :
les frquences lexicales, lordre des mots, lusage des temps et modes, etc. Il est aussi
possible de comparer ces rsultats avec ceux dun corpus de rfrence pour relever la
diffrence entre la varit tudie et la norme.
La grande difficult que pose le langage des jeunes aux linguistes de corpus est
son dynamisme. Un corpus synchronique ne reprsente quun chantillon phmre
de la varit. En mme temps, il faut tenir compte des effets sociaux et rgionaux sur
les donnes du corpus. La diachronie pose les mmes problmes en ajoutant celui de
la difficult dobtenir des donnes quivalentes pour tout lespace de temps que le
corpus doit couvrir.
Bien quil existe de nombreuses tudes du langage des jeunes bases sur corpus,
ceux-ci ne sont ni documents systmatiquement ni accessibles au grand public.
Linventaire IRCOM des corpus oraux et multimodaux (IRCOM 2011) naffiche aucun
corpus oral ddi au langage des jeunes. Ainsi, il est lheure actuelle impossible de
mener des mta-analyses dans des corpus dj existants pour comparer les rsultats
ou dcouvrir des volutions du langage.

3.1.1 Corpus de conversation


La conversation spontane est la manifestation linguistique qui offre la vision la plus
authentique dune varit. Cela vaut dautant plus pour le cas du langage des jeunes
qui est avant tout une varit orale. La constitution de corpus de conversation est
donc importante pour les recherches sur le langage des jeunes.
La cration dun corpus implique toujours la question de lauthenticit du matriel (cf. Mouchon 1985). Toute saisie dnoncs se situe entre deux ples : lenregistrement clandestin et lenregistrement ouvert. Les deux ont leurs avantages et leurs
inconvnients. Lenregistrement ouvert signifie que le locuteur est conscient dtre
enregistr, il a consenti au pralable. Cette technique est prfrable du point de vue

300

Kristina Bedijs

thique, car il est problmatique dutiliser des conversations enregistres linsu des
participants, mme si les fins de lanalyse sont purement scientifiques.
Nanmoins, un enregistrement ouvert entrane habituellement ce que Labov (cf.
Labov 1972b, 209 ; 1984, 30) appelle le paradoxe de lobservateur (observers paradox) : leffet de changement de comportement chez une personne qui se sait observe.
Les noncs perdent de leur authenticit si les locuteurs ne parlent pas de la mme
manire quils le feraient sans lenregistreur. Cet effet est problmatique pour lanalyse du langage des jeunes, car cette varit est trs sensible en termes de strotypisation et de stigmatisation. On ne peut pas exclure quun locuteur conscient de
lenregistrement exagre ou minimise les caractristiques de son comportement linguistique. Cela montre la difficult gnrale recueillir un langage des jeunes non
altr pour une analyse de corpus (cf. Bernhard/Schafroth 2006, 2393s.). Finalement,
tout chercheur ayant le projet de constituer un corpus oral devra se poser la question
de lthique et dcider quel moment et dans quelle mesure il rvlera ses objectifs
aux locuteurs une dcision dautant plus cruciale que ces derniers sont mineurs.

3.1.2 Corpus de mdias


Parmi les corpus de mdias, on distingue ceux qui contiennent des noncs authentiques et ceux dont le langage est mdialis. Les premiers enregistrent des situations de
communication non factices : le courrier des lecteurs dans la presse jeune (souvent
choisi comme sujet de mmoire de mastre), des interviews et documentaires la
tlvision, des conversations tlphoniques la radio, des entres dans les forums,
blogs et rseaux sociaux sur internet (cf. Michot 2008), des chats, des billets crits en
classe, des textos (cf. Michot 2007 ; Moise 2007 ; sms4science 2008), etc. Ces
donnes pr-enregistres ne sont pas affectes par la prsence de lobservateur, mais
il faut respecter le degr dintimit des donnes. Sil sagit de documents privs
(comme les billets ou les messages dans un rseau social), il faut demander lautorisation ultrieure des locuteurs.
Un corpus de langage des jeunes mdialis, lui, est un chantillon non authentique extrait des mdias. Il sagit l des expressions de caractres jeunes au cinma
(cf. Bedijs 2012) et la tlvision, dans la publicit, dans certaines bandes dessines
(cf. Bolle 1997), dans beaucoup de textes de chansons (surtout du rap, lui aussi trs
populaire aux mmoires de mastre), dans les pices radiophoniques, dans les revues
et la littrature destines au jeune public, etc. Il est impossible de tirer les mmes
conclusions dune analyse de ce langage imit que dune analyse du langage authentique. Ceci nempche pas que les analyses du langage mdialis peuvent contribuer
clairer la perception du langage des jeunes par les adultes et les strotypes
rpandus dans la socit. Les deux aspects savrent rvlateurs surtout sil y a la
possibilit de comparer les rsultats avec ceux dune analyse du langage authentique.

301

Langue et gnrations : le langage des jeunes

3.2 Le langage des jeunes et la didactique


Traditionnellement, lenseignement scolaire du franais tait le haut-lieu du franais
standard. Depuis quelques dcennies, il faut pourtant constater que cela reprsente
de moins en moins la ralit sociale des lves. Pour beaucoup de jeunes issus de
limmigration, le franais nest pas la (seule) langue maternelle ou ne joue pas le rle
principal au quotidien. Le langage des jeunes fait partie du plurilinguisme interne, la
proportion dinfluences trangres varie, et les registres sont de plus en plus difficiles
dmler. Cette situation est aujourdhui un dfi que les professeurs doivent relever,
documente dans plusieurs films p. ex. Lesquive (2003), La journe de la
jupe (2008) et Entre les murs (2008). La discussion na pas encore atteint un
consensus, ce qui nest pas tonnant vu quil y a trs peu de recherche ce sujet (une
exception tant le numro spcial Les langues des lves dans Le Franais
aujourdhui , Bertucci/David 2003).
La question de lintgration du plurilinguisme interne se pose aussi pour la
didactique du franais langue trangre (FLE). Le Cadre europen commun de rfrence pour les langues (CECRL) dont les exigences sont reprises par le code de
lducation (cf. Assemble Nationale 2013) demande des comptences communicatives qui font preuve dune conscience des diffrences de registre (Conseil de
lEurope 2000, 94). De nombreux chercheurs en didactique ont argument pour
lintgration de la variation des jeunes en classe de FLE et propos des approches
pdagogiques (pour lAllemagne, p. ex. Krmer 1996 ; Meiner 1999 ; Michler 2011 ;
Schmelter 2011 ; pour lItalie Lepori 2010). Il sagit surtout de reconnatre la valeur de
cette varit pour la communication quotidienne des jeunes, ce qui devient crucial au
moment dune situation de rencontre concrte. Que ce soit en change scolaire ou
dans un rseau social sur internet, les apprenants doivent tre prpars un usage
non-conventionnel par les jeunes interlocuteurs. Par leur comptence interculturelle,
les apprenants reconnatront un usage comparable leurs propres pratiques nonstandard lors dune conversation entre pairs.

3.3 Linguistique applique et travail social


Beaucoup de grandes villes de France possdent des quartiers dits sensibles ou
dfavoriss , la banlieue parisienne tant la plus connue de ces zones. Les jeunes
de ces quartiers se voient souvent stigmatiss par leur origine et sans perspective pour
lavenir (une attitude appele la galre ). Ils ont dvelopp un langage particulirement marqu qui fascine la fois par son degr de dviance de la norme que par sa
richesse lexicale, sa crativit morphosyntaxique et lalternance de codes. Si les deux
premiers aspects se rfrent plutt lexclusion des non-initis, le code-switching
(voir 4.3.2) tient la coprsence de nombreuses langues dans un espace restreint, et
est donc un signe dinclusion du groupe de pairs.

302

Kristina Bedijs

Le reproche quune mauvaise ducation des jeunes de milieux modestes entrane


une dcadence linguistique peut faire lobjet du travail social pour sensibiliser les
jeunes aux diffrences entre leur propre usage et le standard, p. ex. en laborant des
glossaires (cf. Collectif 2007 ; Tengour 2000, et de nombreux sites privs en ligne).
Ainsi, les jeunes produisent un document qui leur vaudra la reconnaissance de leurs
pairs et peut-tre mme de la part des adultes. En mme temps, les jeunes raisonnent
sur les tymologies et signifis et discutent le rle du langage de leur groupe par
rapport celui des groupes rivalisants. Ces projets ne sont pas comparables aux
mthodes des lexicographes acadmiques, tant donn que les glossaires ne rvlent
rien sur la frquence des mots ni sur la phontique et la prosodie ; de mme, leur
actualit est dune courte dure. Ils clairent nanmoins quelques domaines difficiles
tudier sur le terrain en tant que linguiste : les champs smantiques affects, les
significations des mots, les modles de cration lexicale, les emprunts, les changements orthographiques, etc.

4 Phnomnes linguistiques typiques du langage


des jeunes
Dans la partie suivante seront prsentes les caractristiques les plus saillantes du
langage des jeunes tel quil a t dcrit par la recherche.

4.1 Syntaxe
Comme le langage des jeunes est ax sur le mode oral, il est trs difficile de tracer une
limite entre les phnomnes propres des registres familiers et vulgaires parls et ceux
propres au seul langage des jeunes. En gnral, on peut constater que les phnomnes connus de la syntaxe de loral sont tous prsents et plus frquemment utiliss.
Parmi les phnomnes de loral, on peut citer llision du ne dans la ngation.
Phnomne souvent analys, on trouve pourtant peu dtudes sur ne dans le langage
des jeunes. Armstrong (2002, 158) trouve un taux de ralisation de 1,1% chez des
jeunes gs de 11 19 ans, Gadet (2000, 163) compte 3% chez deux rappeurs de la
banlieue parisienne. Le taux de ralisation en conversation informelle varie selon
Meisner (2010, 1951) entre 4,17% et 40,31%, ces rsultats sont donc difficiles
comparer.
Dautres phnomnes syntaxiques du langage des jeunes nont pas encore t
analyss systmatiquement (surtout en comparaison aux usages des adultes) : la
concordance des temps et des modes ; lusage des marqueurs du discours ; la construction de phrases complexes. On peut estimer que les jeunes sen tiennent plutt
aux registres du sous-standard : ils vitent souvent les temps complexes comme le

303

Langue et gnrations : le langage des jeunes

subjonctif prsent (celui du pass nexiste pas dans le langage des jeunes) ; ils ne
respectent pas toujours la concordance des temps, p. ex. dans la phrase conditionnelle ; ils prfrent la coordination la subordination, vitant ainsi des structures
plus complexes comme les relatives ; ils connaissent un grand nombre de structures
focalisantes comme la phrase segmente et la mise en relief ; la construction de
limpratif est variable ; les phrases interrogatives sont construites autour du pronom
interrogatif dont la position peut varier selon leffet dsir, etc.

4.2 Morphologie
La morphologie connat plusieurs phnomnes quon peut dfinir comme propres au
langage des jeunes. Dabord, la conversion, cest--dire le changement de classe dun
mot sans changement morphologique : ce phnomne est frquent chez les jeunes
locuteurs surtout lorsquil sagit dutiliser un adjectif dans la fonction dun adverbe ou
vice versa. Souvent, la forme choisie est plus conomique que la forme standard, mais
il semble que cela nest pas toujours lexplication pour ce phnomne. Une hypothse
serait que le langage des jeunes tend lunification des formes. On peut observer
galement lusage dadjectifs sans accord du genre ou du nombre, autre indice pour
cette hypothse. Cependant, il semble ne pas y avoir de rgles, et dautres phnomnes vont dans la direction oppose.
Cela vaut surtout pour lintensification, que ce soit par prfixation (super beau),
par une particule intensifiante (compltement belle) ou par un substantif qualificatif
(une bte de fille). Les trois ne peuvent pas tre qualifis de procds de simplification.
Il est typique du langage des jeunes de prfrer certains prfixes, particules et
substantifs pendant un certain temps et den trouver dautres ds que la mode est
passe. La valeur de lintensification varie selon le contexte, car mme sil sagit dun
intensifiant la smantique clairement positive ou ngative, il peut galement servir
intensifier de la manire oppose.

4.3 Lexique
Cest dans le domaine du lexique que se manifeste le ct cratif et hermtique du
langage des jeunes. Le lexique particulier des jeunes sert se dmarquer des adultes
et dautres groupes de pairs par lincomprhension, crer un esprit de pairs au sein
du groupe par la comprhension et ngocier les rles individuels par lhabilet
linguistique de chacun. Toutes ces raisons rendent ncessaire un renouvellement
constant du lexique (cf. Fagyal 2004).
La cration ne concerne pas de manire gale tout le lexique : sont affects
surtout les domaines smantiques importants pour la vie quotidienne et la culture des
jeunes. On peut mentionner notamment : amour et sexualit, violence, drogues et

304

Kristina Bedijs

criminalit, cole, loisirs, vtements et apparence physique. De plus, les mots pour
exprimer les motions (positives et ngatives) et les insultes, vulgarismes et jurons
jouent un rle important dans le lexique jeune.

4.3.1 Nologismes
Les procds de cration de nouveaux mots sont nombreux. Linvention ad hoc le
nologisme stricto sensu en est certainement la moins importante, beaucoup plus
frquente est la cration partir du matriau linguistique existant. Pruvost/Sablayrolles (2003, 118) distinguent les procds de cration morpho-smantiques (parmi eux,
laffixation, la composition et la dformation), syntactico-smantiques (changements
de sens et/ou de fonction) et morphologiques (troncation et siglaison). La combinaison de procds est frquente, surtout lorsquil sagit de phrasmes. Voici quelques
exemples connus :

prfixation : nul > archi-nul

suffixation : directeur > dirlo, cinma > cinoche (Ces exemples montrent que la suffixation pure est
rare. Il sagit frquemment dune troncation et resuffixation, le suffixe provenant souvent de
largot classique ou ayant une connotation ngative.)

reduplication : con > con-con

troncation : examen > exam, cinma > cin (apocope), musique > zic, tlphone > phone (aphrse)

verlan : mtro > trom (voir aussi 4.3.4)

synapsie : bote + bac > bote bac (signifi : lyce priv)

conversion : une fille bien, risquer gros

mtaphore : allumer qqn (signifi : flirter avec qqn)

mtonymie : abattoir (signifi : cole)

autres figures : interprter selon le contexte, on trouve souvent lironie, la litote, ladynaton et
autres figures crant un effet dexagration intentionnelle

Les jeux smantiques dont les figures de style font partie sont un procd frquent
qui consiste donner un nouveau signifiant un signifi connu, p. ex. pour voiler un
signifiant tabouis par un signifi anodin, ou pour crer un effet amusant. La resmantisation fonctionne ad hoc, mais comme le montrent les exemples ci-haut, il existe
beaucoup de crations lexicalises. Les jeunes locuteurs utilisent souvent une rduction ou un largissement du champ de signifis, une concrtisation ou une abstraction
(moins frquente), une visualisation de processus invisibles, un jeu sur les analogies

Langue et gnrations : le langage des jeunes

305

possibles (p. ex. visuelles) du signifi, voire un dcouplage total du contexte original.
Cest surtout ce dernier qui est difficile dcoder pour les non-initis. Les jeux de
similarits sont souvent de caractre ludique et font partie de la fonction divertissante
du langage des jeunes.

4.3.2 Emprunts
Lemprunt des langues trangres est une autre manire dintroduire de nouveaux
mots dans le lexique. Mme si ce procd a toujours eu lieu, le langage des jeunes est
suspect den abuser. Mais comme pour la plupart des phnomnes dits typiques du
langage des jeunes, il ny a pas dtude systmatique qui prouverait un taux demprunts plus lev que dans le langage courant.
Les emprunts dans le langage des jeunes proviennent en grande partie de langlais. Cela sexplique par le fait que la culture jeune des pays anglophones, surtout
des tats-Unis, a servi dexemple pour les jeunes Europens depuis la fin de la
Deuxime Guerre Mondiale. Mme si les jeunes de lHexagone ont vite cr leur propre
culture, beaucoup dlments culturels amricains marquent les tendances en France
et introduisent des mots nouveaux dans le langage. Il sagit la fois demprunts pour
des objets auparavant inconnus et demprunts qui permettent dconomiser linguistiquement. Vu lomniprsence de langlais, les emprunts anglais perdent vite leur
caractre obscur.
Cela est diffrent pour la plupart des autres langues. Depuis les annes 70
environ, on trouve dans le langage des jeunes de plus en plus demprunts aux divers
dialectes de larabe. Ils sont introduits surtout par les jeunes issus de limmigration
maghrbine. Larabe ntant pas enseign dans les coles, les emprunts sont beaucoup moins transparents pour les non-initis. Ainsi, ils peuvent servir occulter le
langage, mais aussi exprimer un lment identitaire. Cest aussi le cas pour les
autres langues introduites par les immigrants : le romani, les langues des D.O.M./
T.O.M., les langues maghrbines et subsahariennes. Limportance du milieu social
devient plus visible si lon prend en compte que ce ne sont pas uniquement les jeunes
issus de limmigration (souvent bilingues) qui pratiquent le code-switching ou le
code-mixing entre le franais et les langues du quartier, mais aussi les jeunes des
familles franaises dites de souche .
Si les mots anglais sont souvent prononcs la franaise , dautres langues ne
connaissent pas cette francisation. Pour larabe, on peut mme observer lintroduction de phonmes inconnus en franais, un effort qui na pas lieu lorsquil sagit des
langues europennes. Une hypothse serait que les emprunts de ces dernires se font
souvent travers lcrit (publicit, etc.) et souffrent des interfrences au moment du
transfert loral, alors que les emprunts des langues de limmigration proviennent
directement des conversations quotidiennes.

306

Kristina Bedijs

4.3.3 Vulgarismes
Les jeunes locuteurs sont souvent accuss dutiliser un nombre dmesur de vulgarismes. cela, il faut rpondre que ce ne sont pas les jeunes en gnral, mais certains
groupes de locuteurs qui incorporent beaucoup dinsultes et de jurons dans leur
usage, et que certains locuteurs adultes ne se comportent pas de manire diffrente en
termes de langage. En mme temps, ladolescence est le temps du dpassement des
limites pour trouver sa place dans la socit ce qui vaut aussi pour le langage.
Plusieurs sociologues et sociolinguistes (cf. Assef 2004 ; Labov 1972a ; Lglise 2004 ;
Lglise/Leroy 2008 ; Lepoutre 1997 ; Mose 2011 ; Vettorato 2008) soulignent que
linsulte nest pas forcment un signe de mpris, mais quelle peut prendre la forme
dun rituel dans un groupe de pairs. Insulter un ami sans se faire sanctionner est un
signe de confiance fort ; savoir commenter toute rplique par un gros mot peut
valoir du respect. Le jeu rituel de rpliques comiques Ta mre consiste insulter
tour de rle la mre de linterlocuteur (cf. Labov 1972a, 297353) celui qui ne sait
plus riposter perd le jeu. Ces exemples montrent que les gros mots et autres
dviances du comportement linguistique correct jouent un rle important dans la
vie des jeunes, servent structurer les hirarchies de groupe, se dmarquer des
attentes des adultes et former sa propre identit.

4.3.4 Verlan
Le verlan, caractristique du langage des jeunes par excellence, est un jeu sur la
structure des mots qui rend lnonc incomprhensible aux non-initis. Au dbut des
annes 80, ce caractre obscurcissant permettait aux jeunes dlinquants de parler
ouvertement de leurs activits sans tre compris. Le procd tant simple et ludique,
il sest vite rpandu parmi les jeunes, perdant ainsi laspect de code secret. Au milieu
des annes 90, les jeunes de tous les milieux sociaux utilisaient le verlan. Il semble
quaujourdhui, il se soit retir dans les milieux sous-privilgis de ses origines, les
jeunes bourgeois nutilisant plus que certaines crations lexicalises.
Le mot verlan est la cl du procd : on dcoupe les syllabes dun mot et les
rarrange lenvers, selon le modle S1 S2 > S2 S1. Exemple :

lenvers [l.v] > [v.l] > verlan

Le dcoupage se base normalement sur la ralisation orale. Cela rend possible des
verlanisations de mots monosyllabiques comme femme en meuf, o a lieu un procd
daccentuation dune syllabe muette :

[fa.m] > *[fa.m] > *[m.fa] > *[m.f] > *[m.f] > [mf]

307

Langue et gnrations : le langage des jeunes

Le fonctionnement du verlan est expliqu plus en dtail dans Antoine (1998) ; Bachmann/Basier (1984) ; Calvet (1993) ; Lefkowitz (1989 ; 1991) ; Mla (1991) ; Plnat
(1995). Des tudes sur son utilisation se trouvent dans Gonalves (2010) ; Kundegraber
(2008) ; Mla (1997) ; Seux (1997).

4.4 Phontique et phonologie


Le langage des jeunes utilise gnralement les phnomnes du franais parl familier,
ce qui implique souvent un accent expressif, llision frquente de vibrantes, liquides
et syllabes faibles, ainsi que dautres procds connus dune prononciation ngligente. Les tudes menes sur la prononciation des jeunes locuteurs se concentrent sur
les jeunes des banlieues (cf. Conein/Gadet 1998 ; Doran 2007 ; Fagyal 2010a ; 2010b ;
Gadet 2003a ; 2003b), leur langage prsentant des caractristiques plus saillantes que
celui des jeunes des milieux aiss. Laccent dit de banlieue ou des cits se
caractrise par un accent de phrase sur la pnultime syllabe (cf. Liogier 2002, 47) ; un
dbit oral plus lev qui entrane de nombreuses contractions et lisions (cf. Begag
1997, 35 ; Doran 2007, 501) ; des rductions de voyelles interconsonantiques (qui
donnent des groupements de consonnes inhabituels) et lpenthse inhabituelle de
schwa (cf. Fagyal 2010b, 120) ; une dsonorisation des occlusives voises et une
prononciation trs dure donnant un effet dexplosion (cf. Bedijs 2012, 223) ; laffrication de palatales (cf. Fagyal 2010b, 120) ; lintgration de phonmes de langues
trangres (cf. Liogier 2002, 46, voir aussi 4.3.2). Selon Fagyal, ces caractristiques se
doivent surtout au contact avec les langues nord-africaines dans les banlieues et
seraient dj en voie dexpansion dans les milieux ouvriers (cf. Fagyal 2010b, 120).
Jusqu prsent, ces tudes concernent majoritairement des adolescents masculins.

4.5 Pragmatique
Certains rituels du langage des jeunes sont trs caractristiques. Cest surtout laffirmation du groupe de pairs, p. ex. par lchange dexpriences communes. Les citations de films, sries tlvises, jeux vido etc. sont trs populaires et font aussi lobjet
de variations amusantes que seuls les initis comprennent (cf. Neuland 2008, 150).
Pour se rassurer quant lappartenance au groupe, beaucoup de jeunes inventent des
rituels de salutation plus ou moins complexes, intgrant non seulement des formules
verbales, mais aussi des gestes. La formule de salutation peut fonctionner comme un
code qui inclut les uns et exclut les autres. De mme, il est frquent que les jeunes
sadressent la parole par un surnom que seuls les membres du groupe ont le droit
dinventer et dutiliser. Il peut tre form sur la base du vrai prnom (par abrviation,
suffixation, paronomase, etc.), mais il y a toute sorte de surnoms cratifs qui sont lis
un trait du caractre de la personne, son apparence physique ou ses gots.

308

Kristina Bedijs

Surtout lorsquil sagit de jeunes des cits, le groupe de pairs est vu comme une
famille et les membres se nomment frres, surs, cousins et cousines un phnomne qui na pas encore fait lobjet dune tude systmatique sociopragmatique (pour
une analyse lexicale du champ smantique de la famille cf. Pozas 2000).
Le besoin de connatre sa place dans un groupe de pairs se manifeste aussi dans
le discours sur le respect. Il se rfre un comportement social et verbal que la
recherche en politesse verbale dcrit par les termes de positive face et negative face (cf.
Brown/Levinson 1987, 61) : le locuteur sadresse lautre dans le respect de sa libert
dagir et de son dsir dtre accept. La limite est facile dpasser, p. ex. par une
insulte un acte de langage qui vise normalement blesser et dvaloriser lautre.
Laffaire est plus complique dans le cas des jeunes, car il est frquent que linsulte
prenne la forme dun rituel social (voir 4.3.3).
Un autre rituel qui sert manifester du respect et souligner sa propre crdibilit
est le jurement (cf. Begag 1997, 32 ; Trimaille 2004a, 68). Une formule comme je te
jure donne plus de poids un nonc et aussi au locuteur. Cette formule tant dj
assez use, on y ajoute souvent une personne ou un objet de grande importance sur
lequel on jure. Les jeunes des banlieues ont cr les formules du genre je te jure sur
la tte de ma mre et je te jure sur le Coran de La Mecque , inspires par la culture
arabe trs prsente dans leurs quartiers. Toutefois, elles sont aujourdhui rpandues
dans des milieux sans aucun lien lislam.

5 Conclusions et perspectives
A la fin de ce bref aperu sur le langage des jeunes, on peut constater que, vu le
caractre dviant de cette varit, il est difficile de trouver des recherches acadmiques neutres. Le ct prescriptif met en avant linterdpendance suppose dune
ignorance de la norme et de lchec scolaire et conomique de certains milieux
sociaux. Le ct descriptif prend souvent parti pour linnovation et la crativit du
langage des jeunes. La recherche se concentre sur les aspects problmatiques de la
varit et nglige beaucoup de questions importantes (un point relev aussi par
Auzanneau/Juillard qui critiquent les recherches centr[e]s sur la recherche du
dviant , 2012, 7).
Ainsi, du vaste faisceau de variables sociales, la majorit na pas encore t objet
danalyse : on en sait beaucoup sur le langage des jeunes des grandes villes et de la
banlieue parisienne (cf. le numro spcial Les parlers jeunes Pratiques urbaines et
sociales des Cahiers de Sociolinguistique , Bulot 2004), mais trs peu sur les
jeunes qui vivent ailleurs, que ce soit dans une petite ville ou la campagne. Il ny a
pas danalyses des diffrences entre les langages masculin et fminin. De mme, si les
milieux sous-privilgis font rgulirement lobjet dtudes sociolinguistiques, le
langage des milieux moyens et aiss est rarement analys systmatiquement. Le
niveau dducation est souvent implicite dans les recherches sociolinguistiques, mais

309

Langue et gnrations : le langage des jeunes

il faudrait isoler cet aspect pour obtenir des rsultats solides ce qui permettrait
finalement dtablir un lien entre lducation et la matrise de diffrents varits et
registres du franais.
La Francophonie tant une communaut linguistique pluricentrique, les jeunes
locuteurs hors de France ne se calquent pas forcment sur le langage des jeunes
Parisiens. Il existe un grand nombre dtudes sur les formes de parler des jeunes au
Qubec, au Maghreb et en Afrique subsaharienne (les autres rgions francophones
sont beaucoup moins bien documentes), mais elles sont rarement mises en rapport
avec les rsultats pour la France. Mme dans cet article, il a fallu laisser de ct la
Francophonie en faveur dune prsentation plus approfondie de la situation en France.
Lhistoire du langage des jeunes offre encore de nombreux objets de recherche. Le
grand dfi relever sera dtablir des corpus diachroniques qui se prtent lanalyse.
Cet enjeu existe galement pour les analyses en synchronie, car ltablissement de
corpus authentiques (du moins lorsquil sagit de loral) est toujours problmatique.
On peut esprer quon trouvera des critres thiques acceptables pour tablir des
corpus oraux et que les nouveaux mdias (forums, rseaux sociaux) pourront bientt
tre analyss en tant que grands corpus du langage des jeunes crit.

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Annette Gerstenberg

14 Langue et gnrations : enjeux


linguistiques du vieillissement

Abstract : Lapproche des phnomnes linguistiques lis au vieillissement commence


par la dfinition mme du terme central d ge , du concept de vieillissement
normal et de ses conditions (normal healthy aging), ainsi que des termes employs
par la sociolinguistique et de leurs connotations. On montre ici la complexit
laquelle la recherche linguistique doit faire face ds quelle travaille sur le vieillissement. On illustre ce propos par un rsum des rsultats obtenus par les tudes de
psycholinguistique, de linguistique pragmatique (analyse conversationnelle), de linguistique variationnelle et de linguistique applique. Il sagit finalement de formuler
les principales questions que soulve ce domaine de recherche encore relativement
rcent, et desquisser de possibles directions de recherche.

Keywords : vieillissement, sociolinguistique, analyse du discours, variation, psycholinguistique


1 Introduction
Le langage parl dans le vieillissement constitue une thmatique plutt marginale
dans le cadre de la linguistique romane comme de la recherche sur le franais. Dans
les enqutes sociolinguistiques et dialectologiques, la fonction des locutrices et
locuteurs gs est gnralement rduite la reprsentation de groupes linguistiquement conservateurs qui tmoignent dtats de langue passs.
Dans la linguistique internationale, la recherche sur le vieillissement
commence sexprimer ds les annes 1970. Plusieurs tudes ont trait de la
diminution des comptences linguistiques lie au vieillissement (Cohen 1979) ainsi
que de ses aspects somatiques comme la modification de la voix (p. ex. Helfrich
1979). Une autre approche se dveloppe en cho aux recherches sur le genre et sur
les comportements linguistiques sexistes ou racistes. Les tudes menes sur
lageism, directement inspires de celles portant sur le sexisme, soulignent lemploi
de termes pjoratifs et dimages ngatives dun ct et, de lautre, la raret dattributs positifs qualifiant le vieillissement (p. ex. angl. mature, sage, venerable, cf.
Nuessel 1982).
Un nouveau domaine de recherche voit le jour dans les annes 1980, celui des
dynamiques communicatives du vieillissement normal. Au lieu danalyser les dficits
et le dclin des comptences cognitives et somatiques au cours du vieillissement, on
aborde plutt, pour le vieillissement, la construction interactionnelle de lidentit de
la personne ge (cf. Coupland/Coupland 1990, 452).

315

Langue et gnrations : enjeux linguistiques du vieillissement

Lvolution de la recherche sur le vieillissement accompagne lamlioration des


conditions socio-dmographiques. Lesprance de vie continue daugmenter en mme
temps que la sant cognitive et somatique dcline moins vite. Les conditions de vie
sont plus favorables une participation active des personnes ges la vie sociale.
Lensemble de ces conditions devrait susciter un intrt plus vigoureux de la recherche sociolinguistique pour les questions lies au vieillissement. Le grand dfi consiste
non seulement reformuler les questions de la recherche actuelle, mais aussi
trouver de nouvelles pistes qui aboutissent une vritable sociolinguistique du
vieillissement.

1.1 Structure de larticle


Les premiers paragraphes prsentent plusieurs dfinitions de lge, le concept de
vieillissement normal ainsi que ses conditions (normal healthy aging ; Coupland/
Coupland 1990 ; Brouillet/Syssau 2000 ; Brouillet 2011).
Dans un second temps, nous prsentons un tat des recherches actuelles les plus
importantes, commencer par les rsultats obtenus dans lanalyse des aspects
cognitifs et somatiques ainsi que de leurs consquences pour la communication
interpersonnelle (2). On adopte ensuite une orientation sociolinguistique plus stricte
pour traiter de la relation entre la chronologie individuelle et collective dune part et
le langage dans son volution individuelle et collective dautre part. Cette relation
constitue lun des aspects centraux de la discussion actuelle sur le changement
linguistique (3). On finit par deux tudes de cas : la construction de lge en situation
de communication (4) et limportance de la variable ge dans des tudes de
linguistique variationnelle (5). On aborde en conclusion quelques tudes de linguistique applique (6).
Cette structure met en vidence la complexit de la recherche linguistique mene
sur le vieillissement, mais aussi les perspectives quelle ouvre pour la recherche sur le
franais. Nous ne visons pas ce faisant prsenter une varit nglige du franais
qui serait dote dune suppose homognit. Dans le cadre des recherches menes
sur le langage des jeunes, on a critiqu ( juste titre) la tentation dunifier le spectre
vaste et vari des pratiques langagires des jeunes (p. ex. Cherubim/Hilgendorf 2003,
234 ; 13 Langue et gnrations : le langage des jeunes). Quand on travaille sur le
vieillissement, il sagit de trouver des solutions pour respecter la personnalit des
locutrices et locuteurs telle quelle sest dveloppe tout au long de leur vie, dautant
que, dans ses aspects collectifs, cest--dire dans les pratiques gnrationnelles, elle
est historiquement conditionne et variable.

316

Annette Gerstenberg

1.2 Terminologie
La polysmie attache aux termes dge et de vieillissement ncessite que lon en
prcise ses diffrentes acceptions. On distingue gnralement diffrents niveaux de
sous-classification de lge. La catgorie la plus simple est celle de lge chronologique, dtermin par lanne de naissance. Un deuxime niveau est li ltat de
sant : on distingue alors le vieillissement normal et le vieillissement caractris par
des manifestations pathologiques ( 2.1). Cette diffrence se reflte dans la distinction
entre le troisime et le quatrime ge ( lapparition du handicap , Jaeger 1992, 4).
Daprs Baltes (2007, 16), la diffrence entre le troisime et le quatrime ge correspond grosso modo aux dcennies 6080 ans ( troisime ge ) et entre 80100 ans
( quatrime ge ) ; le troisime ge est caractris par une htrognit considrable, due la plasticit cognitive, la variabilit et lindividualit biographique.
Durant le quatrime ge, cette variabilit toujours approximative sattnue et
donne progressivement lieu une relative homognit, due aux processus pathologiques et la multi-morbidit qui sinstallent avec lavance en ge.
La dfinition de lge peut enfin tre lie aux mcanismes du systme sociopolitique (ge social). En France, laugmentation de la population ge est aujourdhui considrable en raison du vieillissement de la gnration du baby-boom et de
lesprance de vie croissante des personnes ges de plus de 60 ans ( vieillissement
par le haut, cest--dire par une croissance du nombre de plus de 60 ans , Blanchet/
Le Gallo 2013). Lge charnire de 60 ans en France (en Belgique et au Canada de 65 et
en Suisse de 65/64), qui reprsentait la limite entre la participation la vie professionnelle et la retraite, a perdu de son importance dans la mesure o le pourcentage des
plus de 60 ans qui continuent travailler continue augmenter (Govillot 2013). Dans
les statistiques officielles, en France, on retient lge de 60 ans pour dterminer le
pourcentage des personnes ges ; mais cet usage est loin dtre adopt par tous.
Au cours des dernires dcennies, le terme de seniors sest impos dans le langage
des mdias. On utilise cet anglicisme en parlant des plus de 50 ans (GRLF, s.v.) afin
dviter toute dsignation discriminatoire ; ce terme est galement prsent dans
lusage administratif. Pour citer un exemple, le programme Bien Vieillir du Secrtariat dtat aux personnes ges, lanc en 2013, concerne les seniors de 50 65 ans
(Aquino 2013). Ce groupe des personnes ges est politiquement reprsent par la
Ministre dlgue auprs de la ministre des affaires sociales et de la sant, charge
des personnes ges et de lautonomie ; linstauration de ce nouveau ministre a
contribu activement modifier les pratiques officielles : il a ainsi propos de substituer au mot vieillir, qui comporte obligatoirement une connotation ngative ,
lexpression davancer en ge (Delaunay 2012).
La terminologie employe en contexte officiel correspond des critres socioconomiques ou ltat de sant et dautonomie des individus. On distingue ainsi les
seniors en activit, les personnes ges en bonne sant, les personnes ges fragiles et
les personnes ges en perte dautonomie (Aquino 2013, 10). Toutes ces propositions,

317

Langue et gnrations : enjeux linguistiques du vieillissement

ainsi que les tentatives dtablir des nologismes connotation positive, suscitent des
discussions dans les mdias (Jost 2012).
Si les terminologies officielles tentent de qualifier lge social, lusage du franais
commun relve de bien dautres conceptions de lge. ct de langlicisme cit de
seniors (sniors) et de la dnomination neutre de personnes ges ou de grand ge, on
emploie les termes plus familiers de vieux, vieillard, ou mamie / mammy (GRLF s.v.),
etc. La concurrence entre lensemble de ces termes saccompagne de connotations
nuances qui doivent tre analyses dans leurs contextes respectifs (cf. pour lallemand Cherubim 2001 ; pour langlais cf. Covey 1988 ; Koll-Stobbe 2005) ou daprs la
connotation quils dclenchent chez les sujets gs eux-mmes (Misiti/Carbone 2002).

1.3 tudes
Locutrices et locuteurs gs sont reprsents dans les enqutes en dialectologie, mais
il est rare que la signification de lge soit prise en considration. Lexemple de lAbb
Rousselot (1891) na pas trouv de successeurs. Rousselot prsentait diffrentes gnrations dune mme famille comme autant de tmoins qui reprsentaient les tats
successifs de parlers anciens. On peut en fait reconnatre dans cette dmarche lhypothse de lapparent time ( 3.1). La recherche psycholinguistique mene sur le
vieillissement se dveloppe aprs la seconde guerre mondiale en lien notamment avec
lutilisation de tests de dnomination dans le diagnostic de troubles du langage (Ska/
Goulet 1989 ; cf. Fox/Birren 1949 ; pour la situation en francophonie, cf. Feyereisen/
Hupet 2002 ; Lindorfer 2012). Les approches en analyse conversationnelle lances par
Coupland/Coupland ont t reprises dans dautres pays (Fiehler 1996 ; Fiehler/Thimm
2003), mais assez peu dans les pays francophones. Dans les enqutes sociolinguistiques, lge charnire de 60 ans est frquemment utilis pour dlimiter le groupe le
plus g de lchantillonnage (p. ex. dans C-ORAL-ROM, Cresti/Moneglia 2005), mais
il est rare que lon fasse droit une rflexion approfondie sur la signification sociolinguistique de lge en tant que tel (p. ex. Clermont/Cedergren 1979). Dans le cas des
autres langues romanes, on ne trouve pas non plus beaucoup dtudes exclusivement
consacres au vieillissement, mises part celles menes sur litalien par Taddei
Gheiler (2005) ou par Preti (1991) sur le portugais du Brsil. Plus rcemment, la
recherche sur le vieillissement sest fonde sur des corpus spcialiss comme LangAge (Gerstenberg 2011), Corpage (Bolly/Masse/Meire 2012) ou CorpAGEst (Bolly 2013 ;
Bolly/Thomas 2015 ; Bolly/Boutet, soumis).

2 Le vieillissement cognitif et somatique


En employant les termes de cognitif et somatique, nous mettons laccent sur les
conditions physiques et les problmes mdicaux dune part, et sur les conditions

318

Annette Gerstenberg

neurocognitives dautre part. videmment, il nexiste pas de limite nette entre ces
deux domaines. Mais nous prfrons lattribut somatique celui de physiologique, qui
qualifie les fonctions crbrales ou les fonctions plus proprement corporelles (cardiorespiratoires p. ex.).

2.1 Le vieillissement normal : les limites

Le vieillissement normal, cest--dire celui qui nest affect par aucun trouble pathologique li au vieillissement, est caractris par une croissance, une dcroissance ou
un tat stable, selon des tempi variables (Bosshardt 1994). Les diffrences entre
individus plus jeunes et plus gs ne concernent pas seulement les comptences
linguistiques, mais aussi les corrlations que lon peut observer entre les diffrentes
comptences (Kemper/Sumner 2001). Le terme du vieillissement normal reste,
lheure actuelle, assez gnral ; il doit tre spcifi par la recherche future, qui devra
considrer p. ex. les diffrentes tapes de la vieillesse telles que les mettent en place
les sciences grontologiques (Zellner-Keller 2009, 152). Pour distinguer les priodes
successives de la vieillesse, Guillet (2007) distingue lge construire grce la
longvit, lge de la maturit, lge de la fin de la vie et les dsordres du grand ge
[phnomnes de dmence].
Ltude des phnomnes linguistiques que lon observe dans le vieillissement
peut contribuer mieux comprendre la limite entre le vieillissement normal et le
vieillissement affect par des dveloppements pathologiques comme la maladie
dAlzheimer. Yuan et al. (2011), en analysant la composition du lexique dans luvre
de trois auteurs anglophones, montrent lvidence que le dclin du lexique est plus
rapide en cas de dmence.
Un indicateur efficace de lappartenance au vieillissement normal nous semble
tre celui de la responsivit . Cest l un critre que les tudes sociolinguistiques,
parmi dautres critres possibles (autonomie, maladies graves, etc.), pourraient adopter. Le critre de responsivit correspond une adquation plus ou moins grande des
rponses aux questions dans le respect du principe de coopration (Grice 1975), et la
qualit de la rencontre dans son ensemble, y compris une dure minimum qui reflte
ltat de sant et garantit que le sujet, dans une situation de communication rgulire,
peut participer de faon active. Ces critres sociolinguistiques de participation sociale
peuvent savrer plus robustes que les tests de comptences cognitives dans la tradition du MMS, qui ne prennent pas en considration les conditions somatiques
(systme cardio-respiratoire). De plus, la ralisation de tests peut impliquer lactivation de strotypes qui ne sont favorables ni la performance des sujets (Hess/
Hinson/Hodges 2009) ni au dveloppement dune relation dgalit entre les sujets et
les chercheurs ; en revanche, lapplication de critres sociolinguistiques proprement
dits semble plus adquate pour dcrire les participants gs. Lanalyse dun chantillon sociolinguistique prcis peut en outre servir de base pour tablir une norme inter

Langue et gnrations : enjeux linguistiques du vieillissement

319

groupe, partir de laquelle diffrents cas particuliers (chappant cette norme)


peuvent tre tudis sous langle de leur appartenance ou non au vieillissement
normal (Gerstenberg 2011, 62 ; Bolly/Boutet soumis).

2.2 Thories du vieillissement cognitif


La ncessit de prendre en considration les conditions somatiques et cognitives du
langage et de leur production/rception ne se limite pas aux questions du vieillissement. Le dclin cognitif commence entre 20 et 30 ans (Salthouse 2009). De ce fait, les
problmes de comptences cognitives, il est vrai plus visibles dans le cas de locutrices
et locuteurs gs, peuvent galement susciter lintrt des sociolinguistes dans le cas
de locutrices et locuteurs plus jeunes. Les conditions psycholinguistiques jouent un
rle important ds la jeunesse.
La recherche sur la production linguistique et les comptences cognitives a
identifi quatre domaines centraux qui relvent de dveloppements non pathologiques :

1)

La mmoire du travail (working memory) peut affecter la complexit syntaxique. Au niveau


de la syntaxe, Maxim/Bryan/Thompson (1994) observent une diminution des constructions
complexes au cours du vieillissement. Une srie dtudes comparatives exprimentales
montre des structures syntaxiques moins complexes et moins denses chez les personnes
ges que chez les jeunes (Burke/Shafto 2008, 424 ; cf. Kemper 2015, 62s.).
Linhibition cognitive (inhibition deficits) peut affecter la rception du langage, dans la
mesure o les perturbations (bruits de fonds, irritations visuelles) sont limines de faon
moins efficace et drangent la concentration.
La vitesse du traitement (general slowing) peut affecter soit la production, soit la rception
linguistique.
La Transmission Deficit Hypothesis comprend des troubles de la parole comme le TOT (Tip Of
the Tongue, mot sur le bout de la langue). Le trouble du mot sur le bout de la langue
augmente avec le vieillissement y compris dans les conditions du normal aging (cf. Shafto
et al. 2007). Le modle psycholinguistique qui distingue domaine smantique, domaine
phonologique et domaine visuel (orthographique) explique ce phnomne par le ralentissement de la transmission dun domaine lautre. On a surtout observ des difficults pour
laccs aux informations phonique et graphique, alors que linformation smantique semblait rester stable (cf. OHanlon/Kemper/Wilcox 2005 ; Burke/Shafto 2008 ; Abrams/Farrell
2011).

2)

3)
4)

Les recherches sur le dveloppement du lexique confirment les hypothses selon


lesquelles la vieillesse saccompagne dune accumulation du savoir (Pennebaker/
Stone 2003). Les comptences lexicales et le savoir smantique restent apparemment
assez stables dans le vieillissement (Verhaeghen 2003). Ramscar et al. (2014) proposent comme contre-point aux thories du dclin cognitif les diffrents modles de
lapprentissage tout au long de la vie qui implique la croissance continue du savoir
lexical. Dans deux sries dentrevues menes avec 28 locutrices et locuteurs gs de

320

Annette Gerstenberg

63 91 en 2005 et de 70 98 en 2012, diffrentes mesures de richesse lexicale ont t


examines ; la richesse lexicale (type-token-relation) ne changeait pas de faon significative dans lintervalle des sept ans, mais le taux de mots de haute frquence
diminuait significativement ce qui pourrait indiquer un emploi mesur des nergies
dpenses dans la production langagire (Gerstenberg 2015).
Le dveloppement cognitif concerne aussi des phnomnes communicatifs. La
verbosit , qui correspond au strotype du langage parl dans le vieillissement, a
trouv des explications contradictoires. Le phnomne de verbosit (verbosity / offtopic verbosity, OTV ; cf. Gold/Arbuckle 1995) est caractris par une augmentation de
propos hors sujet et de digressions. Dun ct, on explique lOTV par un dclin de
linhibition, cest--dire par une distinction plus faible entre informations importantes
et informations moins importantes. De lautre ct, si lon suit la pragmatic change
hypothesis, on explique lOTV par une modification de lvaluation des informations
reues, que ce soit en raison de la densit de linformation ou de la signification
personnelle. En dautres termes, la verbosit est un outil communicatif qui remplit
des fonctions prcises : elle souligne limportance dun message ou bien alors rend le
taux dinformation moins dense et donc plus accessible (Arbuckle/Nohara-LeClair/
Pushkar 2000).

2.3 Aspects somatiques


Cest surtout la voix qui est affecte par des changements somatiques non pathologiques. Ces changements concernent les systmes respiratoire, phonatoire, supraglottal
et nerveux (Linville 1996 ; Zraick/Gregg/Whitehouse 2006, 134). Ces aspects sont
dune importance particulire pour la perception de la voix ge : lge des locutrices
et des locuteurs est en effet estim essentiellement sur la base de limage acoustique.
Les traits les plus importants sont le souffle dans la voix et un niveau lev de
frquence fondamentale. Les corrlats acoustiques de ces traits prsentent des valeurs
qui augmentent lge des locutrices et locuteurs (jitter et shimmer ; Baken 2005). La
perception des traits acoustiques caractrisant la voix ge peut tre influence par
ailleurs par des strotypes culturels (Benjamin 1986, 37). De plus, lusage de traits
phonologiques prestigieux ou dintonations polies peuvent diffrer selon le
sexe et la gnration (ibid., 42). Dans leur production comme dans leur perception, les
traits acoustiques de la voix ne sont pas purement somatiques : ils sont partiellement
conditionns par lenvironnement socioculturel.
Certains changements somatiques comme la diminution des capacits auditives
influent directement la communication. Une focalisation prosodique plus marque
semble constituer une compensation plus efficace que laugmentation du volume de
la voix de linterlocutrice ou de linterlocuteur (Cohen/Faulkner 1986).

321

Langue et gnrations : enjeux linguistiques du vieillissement

3 Changement linguistique et dveloppement tout


au long de la vie
3.1 Les approches de lapparent time et du communal change
Un modle rpandu et trs souvent utilis implicitement est celui que Labov (1994, 28)
appelle lapparent time ; ce modle rend compte de la distribution de diffrentes
formes linguistiques selon les groupes dge dune socit. Lusage que font de la
langue les diffrents groupes dge reflte, dans la perspective de lapparent time,
diffrentes tapes de la diachronie linguistique. Une explication alternative au changement linguistique est celle du communal change, qui inclut toutes les gnrations
dune socit. Hockett (1950, 453) propose une rinterprtation linguistique du terme
dage-grading, issu de lanthropologie : les membres dune socit appartiennent
des sous-groupes dges similaires qui prsentent des particularits socio-culturelles,
socio-conomiques, etc. La pertinence des modles de lage-grading (adaptation du
comportement linguistique tout au long de la vie) ou de lapparent time (changement
gnrationnel) dpend des variables linguistiques en jeu (Labov 1994, 112 ; Cheshire
2005, 1559).
Betten (2003) souligne un aspect important qui concerne les diffrents domaines
du changement linguistique. Son analyse de lallemand parl par les Juifs qui migrrent aprs 1933 en Isral se fonde sur des entretiens mens entre 1989 et 1994 avec des
locutrices et locuteurs gs de 70 100 ans. Betten observe les effets de lapparent
time non seulement dans la conservation de structures syntaxiques du Weimarer
Deutsch , qui suit les normes linguistiques des annes 1920, mais aussi dans les
choix diaphasiques faits par les tmoins, qui avaient tendance rechercher des
registres de langue levs.

3.2 Cohortes, gnrations


Le dveloppement du langage dans le vieillissement est conditionn par les processus somatiques et cognitifs mentionns ci-dessus. Il faut cependant souligner en
mme temps limportance des transformations historiques qui contribuent laugmentation de la qualit de vie, et tenir compte des dynamiques historiques qui
influent les styles socio-culturels et le changement des normes linguistiques (Cherubim 1998, 76).
Dans ce contexte, on reprend le concept de cohortes (Ryder 1965) ou gnrations en tant quensembles marqus (par des vnements et des conditions historiques) et marquants (exerant une influence sur la socit, cf. Mannheim 1964 [1928]).
La relation parfois assez directe entre vnements historiques et usage linguistique sobserve par exemple dans certaines expressions des soixante-huitards qui ont

322

Annette Gerstenberg

connu un norme succs (Zimmermann 1990, 243). On a dcrit aussi, chez les
habitants du Qubec, des diffrences dusage importantes entre les personnes nes
avant ou aprs la deuxime guerre mondiale ; la prolongation de la scolarit a
notamment contribu une plus grande diffusion des formes du franais standard
(Kemp 1981 ; Kemp/Yaeger-Dror 1991). En France, lcole de la Troisime Rpublique
a tabli lidal dune normativit presque littraire, et ce encore jusquaux annes
soixante. Ces gnrations ont en effet particip justement au changement de norme
aprs 1968 et lidal dune langue qui fasse jeune (Gerstenberg 2011). Ce
changement collectif (communal change) peut saccompagner dune adaptation linguistique aux exigences de son propre groupe dge (age-grading). Suivant lhypothse de Gadet (2003, 55), la retraite se caractrise souvent par un relchement
langagier. Le phnomne de lage grading, de ladaptation linguistique aux normes
de son propre groupe dge, a t dcrit comme universel. Mais les modalits et les
ralisations plus ou moins exprimes de cette adaptation sont elles-mmes sujettes
au changement historique et diffrent entre les gnrations ; cest l un aspect qui
mrite dtre mieux tudi.

4 Aspects communicatifs
4.1 Rcits
La rorientation des recherches sur le langage parl dans le vieillissement a conduit
dune part critiquer lhypothse des dficits (qui considre dabord le dclin des
comptences langagires) et dautre part identifier certaines comptences qui samliorent avec le vieillissement, comme les comptences communicatives mises au
jour dans le domaine du rcit oral (storytelling) ( older adults have a heightened
understanding of the interpersonal dynamics of communication [] Overall, older
adults are rated as better storytellers than younger adults, a preference that is not
limited to their own cohort , Abrams/Farrell 2011, 60). Diffrentes hypothses ont t
avances pour expliquer les ractions positives aux rcits de personnes ges ; ces
ractions positives sont suscites par lemploi dune structure narrative plus
complexe, comportant des constructions en acm, ainsi que par une capacit ragir
immdiatement aux interventions des interlocutrices et interlocuteurs ; elles sexpliquent ensuite par une rduction de la vitesse de parole et par une prosodie plus
marque (ibid., 61).
La production de rcits oraux est une activit frquemment pratique dans le
vieillissement, qui contribue dans une grande mesure la (re)construction dune
identit personnelle (Kastenbaum 2003). Les versions rptes dun mme rcit autobiographique tmoignent dun figement considrable, mais aussi dune capacit
dadaptation aux ncessits interactionnelles de la situation dans laquelle elles sont
profres (Barth-Weingarten/Schuman/Wohlfahrt 2012).

323

Langue et gnrations : enjeux linguistiques du vieillissement

4.2 La construction communicative de lge


Dans la recherche linguistique dorientation pragmatique, la variable dge ne constitue pas uniquement une variable dpendante qui soit clairement dtermine par la
chronologie. Lge est plutt considr comme un effet des stratgies communicatives
mises en place par les interlocutrices et interlocuteurs, quils appartiennent diffrentes gnrations ou au mme groupe dge. Dans cette approche, il sagit davantage de
comprendre la construction interactionnelle de lge que de mesurer des comptences
langagires (Coupland/Coupland 1990, 461).
L mergence communicative lie au vieillissement et lidentification de personnes ges avec leur ge parat tre une ressource communicative importante.
Contrairement dautres traits biographiques comme le sexe, le niveau social ou
lorigine ethnique, lge des locutrices et locuteurs fait trs souvent lobjet de discussions. Plusieurs tudes ont permis de raliser un catalogue des stratgies communicatives employes frquemment par des personnes ges (Coupland/Coupland 1990,
461 ; cf. Fiehler 2002). Ces stratgies sont caractrises par la mention de lge
chronologique, la mention du rle ou des caractristiques qui correspondent cet ge
et la spcification dune identit lie au vieillissement en termes de sant, de dcroissance et de mort. Daprs le contexte, la mise en relief de lge en situation de
communication (age making) sert tablir une position sociale forte et une bonne
exprience ou, au contraire, annoncer sa propre fragilit ou des dficits constats,
la painful self-disclosure (PSD, Coupland 2004, 84). Les moments o les locutrices et
locuteurs cherchent leurs mots indiquent des moments de traitement des insuffisances
quils ont eux-mmes perues. La dsignation explicite, par la locutrice ou le locuteur,
du problme du mot sur le bout de la langue (p. ex. : vous voyez a veut pas sortir )
peut tre considre comme une stratgie de compensation (Zellner-Keller 2007).
La rfrence explicite lge chronologique ne sobserve pas seulement dans les
rcits concernant le pass, mais aussi dans des descriptions ou des narrations portant
sur un sujet contemporain. La mention du pass dans les rcits de personnes ges,
mais aussi dans le discours de tous les jours, sert parfois sidentifier avec ce pass ;
mais ce talking back doit galement tre analys comme un moyen efficace dassurer sa
propre position dans lespace chronologique contemporain (Boden/Bielby 1986, 85).
Un cas particulier de construction de lge en situation de communication sobserve dans lemploi spcifique des pronoms on/nous. La rfrence dictique de ce
pronom renvoie frquemment un nous qui dsigne lensemble de la gnration de la
locutrice ou du locuteur, dans des expressions comme a nous a marqus. Le on de
gnration peut lui aussi renvoyer aux valeurs dune gnration entire (on tait
persuads que sans travail on sen sort pas ; on parlait pas de droits [] dans ma
jeunesse, ctait toujours le devoir, le travail) ou des expriences partages (lexode
nous a beaucoup marqus, Gerstenberg 2011, 125s.).
Outre le renvoi par les pronoms on/nous un ensemble gnrationnel, on trouve
des mentions explicites du terme de gnration. Pour lucider la ralit laquelle

324

Annette Gerstenberg

renvoie ce terme polysmique, on peut raliser une analyse squentielle partir de


laquelle on montre comment la dfinition de sa propre gnration se construit en
fonction dun contexte de communication (Gerstenberg 2009).

4.3 Marques lexicales diachroniques


La perception dun lexique vieilli ne correspond pas ncessairement un usage
rel de termes effectivement dsuets (Blanchet 2001, 71s.). De plus, lide que lon se
fait de lge dune locutrice ou dun locuteur dpend non seulement de lusage de
termes dsuets, mais aussi dune rflexion mtalinguistique propose par les sujets
parlants, lorsquils commentent lemploi dun terme moderne vs. vieilli (Coseriu 1988,
134). linstar de Rey-Debove (1978, 253), on peut parler dune connotation autonymique qui se rfre aux aspects diachroniques du langage (on dit aujourdhui
marginal , ibid.). Dans le corpus LangAge, on rencontre frquemment ce type de
marques diachroniques du lexique. La forme de ces marques suit trs souvent on
disait [a] lpoque, ou dans le temps on disait [a]. Dans dautres cas, un terme
moderne est mentionn ct dun terme qui dans la perception de la locutrice ou
du locuteur apparat comme vieilli (grand cultivateur vs. agriculteur ; nourrice vs.
aide maternelle, Gerstenberg 2011, chap. 8.2). On pourrait qualifier ces doublets de
chronosynonymes (par analogie avec les gosynonymes), ou plus prcisment de
chronosynonymes perus.

5 La variation : traits extralinguistiques et


linguistiques

La variable ge fait partie des variables rgulirement prises en considration dans


(presque) toutes les tudes empiriques. Gnralement, cest une dfinition chronologique de lge que lon observe dans cet emploi sociolinguistique. La signification de
lge des locutrices et locuteurs dans sa dimension qualitative joue un rle encore
marginal dans lanalyse empirique (Eckert 1997, 167).

5.1 La variation diatopique, diastratique et diaphasique


Ainsi, en comparant les usages linguistiques de diffrents parlers rgionaux, on a
observ un usage plus actif dlments marqus diatopiquement par les locutrices et
locuteurs gs ; certains termes connaissent cependant une renaissance chez les
gnrations plus jeunes, qui nest pas circonscrit la rgion dorigine dun rgionalisme (Germi/Lucci 1985, 203, pour la rgion gapenaise).

325

Langue et gnrations : enjeux linguistiques du vieillissement

Dans les manuels linguistiques, le langage parl par des locutrices et locuteurs
gs est parfois qualifi de langue de groupe (Mller 1975, 136). On a mme parl
de grolecte ou de grontolecte (Veith 2002, 173). Lvidence empirique dun tel
postulat reste cependant trs discutable. Cherubim/Hilgendorf (2003, 235) nexcluent
pas la possibilit dune particularit du langage des personnes ges (dt. Alterssprache), qui serait caractris par des fonctions communicatives ou des stratgies
smiotiques particulires. Sinner (2013, 162) voit dans cette htrognit terminologique le symptme dune sous-discipline en train de stablir.
Concernant le comportement linguistique des personnes ges, labsence dtudes empiriques spcialises conduit des opinions assez contradictoires. Le phnomne dorientation diaphasique des personnes ges nest trait dans la plupart des
manuels que de faon marginale. Dun ct, on parle dun langage trs conservateur
des personnes ges (Mller 1975, 141 ; Ager 1990, 118 : Older speakers are likely to
be more conservative, pedantic, and linguistically defensive than younger ones ), de
lautre ct on parle du relchement qui accompagne la retraite (cf. supra, Gadet
2003, 55).
Linvestigation scientifique des usages langagiers a mis en vidence limportance
de facteurs individuels (Baltes 2007, 16) dont rsulte une grande htrognit caractrisant le langage de personnes ges. Il semble adquat dviter une terminologie
qui parle de faon globale du langage des personnes ges.

5.2 Les niveaux internes de variation


Les tudes phonologiques de Martinet (1971), effectues en 1941 avec des prisonniers
de guerre franais, ne montrent pas de stratification dge nette dans ce groupe
dofficiers socialement assez homogne (entre 20 et 60 ans) alors que pour certains
phnomnes on observe une rpartition par gnrations. Trente ans plus tard (1968
1971), de nouvelles enqutes ont t menes pour le Dictionnaire de la prononciation
franaise dans son usage rel (Walter 2001, 325327). Certaines tendances se confirment pour la priode considre : on observe p. ex. chez les jeunes la perte de
lopposition, pour le a, entre la voyelle postrieure et la voyelle antrieure, ainsi que
lopposition entre les voyelles nasales / / et // ; on observe en revanche, chez la
gnration la plus ge, la conservation de ces distinctions. Toutefois, concernant
certains phnomnes, aucune stratification dge nest observe (opposition entre les
voyelles fermes/ouvertes en finale ouverte).
Autre trait affect par une orientation normative plus ou moins exprime des
locutrices et locuteurs : la liaison (Mallet 2009, 92, 201 : plus le locuteur tait g,
plus la frquence de la liaison tait leve ; donnes du corpus PFC, Phonologie du
Franais Contemporain).
Dans beaucoup dtudes, les variables morphosyntaxiques montrent une tendance conservatrice des locutrices et locuteurs gs, ainsi que des pourcentages

326

Annette Gerstenberg

levs pour les variables innovatrices dans les groupes dge plus jeunes (pour le
ne de ngation, cf. p. ex. Ashby 1991 ; Armstrong 2001 ; Hansen/Malderez 2003). Cette
variabilit se situe entre le changement linguistique en cours et les dynamiques de la
norme linguistique. Comme lont soulign plusieurs chercheurs, le changement linguistique est li non seulement la frquence dun phnomne, mais aussi au
prestige sociolinguistique (p. ex. Hausmann 1979, 444). Le choix du registre qualifi
dappropri pour une situation communicative comme celle dune enqute nest pas
seulement un facteur qui perturbe les rsultats empiriques : cest en soi un sujet de
recherche en linguistique diachronique.
Une partie du lexique employ par des locutrices et locuteurs gs peut tre
considre comme vieilli (Mller 1975, 141 ; Ager 1990, 118 ; Fiehler 1997). Si lon
prend en considration des paires de variantes formelles vs. moins formelles (travail
vs. boulot, ami vs. copain), on constate que les groupes dge de 65 ans et plus font un
emploi lev des variantes formelles (Beeching 2007). Ce phnomne nest cependant
pas trs frquent (Thimm 2002). Lemploi de termes historiquement dpasss peut en
revanche susciter lintrt des locutrices et locuteurs eux-mmes, comme en attestent
lemploi de marques diachroniques (cf. supra), ou de recueils comme celui de Guillaume/Beyler (2004/2005). On observe par ailleurs, dans le langage de certaines
personnes ges, la reprise de termes rcents, parfois accompagns de marques
mtalinguistiques (dur dur dur / comme disent les jeunes ; LangAge, Gerstenberg 2011,
195). Cette reprise de termes du langage actuel dpend de la nature des changes
linguistiques pratiqus : changes avec les enfants, avec les petits enfants ou avec des
membres de la mme gnration.

5.3 Perspectives
Les rsultats obtenus par les tudes empiriques mentionnes ci-dessus soutiennent
partiellement lide de lapparent time : ils montrent en effet une tendance des
locutrices et locuteurs gs adopter un langage plus conservateur. Limpact de la
variable de lge tant encore peu explor, les traits linguistiques analyss ne permettent pas de reconnatre, pour lensemble des phnomnes observs, les contours
dune varit ge du franais. Malgr la mise au jour de diffrences claires entre
un usage innovant des jeunes et un usage conservateur des plus anciens, force est de
constater que la plupart de ces phnomnes ne sont pas abords sous langle du
changement en temps rel (real time). Les exemples mentionns renvoient aussi au
processus dadaptation au langage actuel et aux effets du communal change.

327

Langue et gnrations : enjeux linguistiques du vieillissement

6 Linguistique applique
6.1 Strotypes et ageism
Le langage parl des ans est reprsent par les mdias selon des strotypes (comme
la verbosit : senex loquax, Cherubim/Hilgendorf 2003, 234) que lon retrouve pourtant aussi dans les usages individuels ou dans les usages collectifs. La composante
discriminatoire de ces strotypes, qui soutiennent lageism, est tudie depuis les
annes 1960 (Butler 1969 ; Barbato/Feezel 1987). Lattention porte aux strotypes
ngatifs de la vieillesse stimule ltude dexpressions comme vieux salaud, vieux pourri ou vieux baveux, et de leur connotation dprciative (Berman/Sobkowska-Ashcroft
1986, 140). La reprsentation de la vieillesse est par ailleurs trs souvent associe
des strotypes positifs comme la sagesse (ibid., 142).

6.2 Elderspeak
La communication dans les hpitaux et dans les maisons de retraite est dans une
certaine mesure marque par les rgles du parler lentement, soigneusement, simplement (Caporael/Culbertson 1986, 109 ; cf. Cohen 1979, 428 : speech [to old
people] should be slow and messages short ). De ce genre de rgles peut rsulter une
sorte de baby talk que lon adresse aux personnes ges quon appelle elderspeak ,
dont lefficacit a t discute ; Cohen/Faulkner (1986) soulignent au contraire limportance de la prosodie (focal stress).
Les stratgies communicatives des aide-soignants et des infirmires sont devenues un sujet dtude pour la linguistique applique, qui dfinit les traits caractristiques de lelderspeak (emploi de diminutifs, tutoiement, voix trs haute sans accentuation efficace, etc. ; cf. Sachweh 2003 ; Backhaus 2013) et contribue amliorer la
formation des soignants griatriques en matire de communication.

6.3 Rencontre intergnrationnelle


Les diffrences de comportements linguistiques entre les gnrations peuvent affecter
soit la communication intra-groupe, p. ex. familiale (Williams/Harwood 2004 ; Gerstenberg 2012), soit la communication inter-groupe (Tuckman 1953). Un aspect important de ce domaine est analys dans le cadre de la thorie de ladaptation communicative (CAT, Communication Accomodation Theory) qui aborde les diffrentes formes
que prend lorientation du comportement propre en fonction du comportement
linguistique (peru) de linterlocutrice ou linterlocuteur et de son besoin (peru). Ce
sont par exemple les cas o la PSD (painful self-disclosure) rompt les rgles (inofficielles) de la CAT : la PSD au dbut dune conversation peut embarrasser des locutrices et

328

Annette Gerstenberg

locuteurs plus jeunes (underaccomodation, Barker/Giles/Harwood 2004). Lvaluation de ce phnomne a mis en vidence le fait que les cas de PSD sont moins
embarrassants pour les sujets gs eux-mmes que pour des tmoins plus jeunes
(Bonnesen/Hummert 2002, 291).

7 Resum
Ltude du langage de personnes ges nous apprend que le rapport complexe qui lie
un individu et un collectif (gnration) reste en grande partie explorer. La conception homognisante de la linguistique variationnelle a aid mettre en vidence les
diffrences entre groupes dges, mais elle na pas vrifi ce stade le rle jou par les
facteurs de variation lintrieur de ces groupes, ni leurs possibles co-variation et
interrelation. Limpact des facteurs extralinguistiques mriterait lui aussi dtre explor par le biais dune analyse approfondie et critique (stratification socioprofessionnelle, conditions/qualit de vie, normes culturelles).
Il est important de rappeler que les personnes ges font partie des communauts
linguistiques dont soccupent les sciences du langage. De ce point de vue, la (socio-)
linguistique tout comme la psycholinguistique, la sociologie, la psychologie et
lhistoire trouve sa place et participe pleinement aux initiatives pluridisciplinaires
mergentes dans le domaine.

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Elmar Schafroth

15 Sexe et genre
Abstract : Le prsent article, qui traite un sujet particulirement complexe, se situe
la croise de plusieurs domaines de la linguistique : morphologie, syntaxe, linguistique textuelle, histoire de la langue, typologie, sociolinguistique et politique linguistique. Comme le genre nest, tout dabord, quune catgorie linguistique, il sagit de
dcrire, dans un premier temps, sa raison dtre et son fonctionnement sur le plan
morphologique, syntaxique et textuel (laccord). Mais dans beaucoup de langues dont
le franais, le genre est aussi bas, au moins partiellement, sur le sexe biologique. De
cette relation, qui nest pas toujours congruente mais, au contraire, caractrise par
plusieurs types dasymtrie, rsultent diffrentes manires daborder cette thmatique
polyvalente qui seront prsentes ici, dont des synthses de la controverse autour de
la fminisation des titres, des thories de la linguistique fministe et des approches
fonctionnelles, universelles et typologiques.

Keywords : genre, lexique, accord, typologie, fminisation


1 Distinctions terminologiques et conceptuelles


fondamentales
Depuis la moiti du XXe sicle, il semble exister un consensus en linguistique selon
lequel le sexe dsigne la diffrence biologique entre hommes et femmes ou mles et
femelles alors que le genre est un phnomne de langue (on verra pourtant plus tard
que le terme genre a connu un largissement smantique dans les dernires dcennies, cf. chap. 9). En allemand, on exprime les deux concepts, rendu par le mme
lexme, Geschlecht, par des adjectifs pithtes : natrliches (ou biologisches) Geschlecht (sexe) et grammatisches Geschlecht (genre).
Leiss (1994, 289s.) souligne que le mot Geschlecht signifiait lorigine, comme le
latin genus, entre autres, espce, sorte, acception quil a perdue au cours du temps
(cf. aussi Corbett 1991, 1). Le sujet genre (et sexe) est amplement trait, rfr
plusieurs langues, dans Corbett (1991), Unterbeck et al. (2000), Hellinger/Bumann
(20012003) et Aikhenvald (2000 ; 2004) ; des exposs sommaires sur le genre en
franais se trouvent dans Hrm (2000), Schafroth (2003), Elmiger (2008), et, avec le
franais compar dautres langues, dans Schwarze (2008). Les aspects relatifs la
fminisation linguistique et des questions sociolinguistiques, psychosociales et
sociopolitiques sont abords et labors dans Schafroth (1998), Becquer et al. (1999),
Hellinger/Bumann (20012003), Khaznadar (2002), Baider (2004), Elmiger (2008),
Bereni et al. (2008), Dister/Moreau (2009), Baider/Elmiger (2012), Hergenhan (2012),
Burr (2012) et Greco (2014).

335

Sexe et genre

Le genre est dabord une catgorie lexicale, inhrente au substantif, qui joue sur
laxe paradigmatique du systme linguistique, et il est, en mme temps, une catgorie
grammaticale qui rpartit les substantifs dune langue dans des classes diffrentes et
tablit laccord grammatical sur laxe syntagmatique entre un substantif (ou un nom
propre) et les membres de la phrase qui en dpendent (les aspects de laccord et de la
classification dterminent la catgorie du genre en mme temps, cf. Schwarze 2008,
285) :

Le genre est une proprit du nom, qui le communique, par le phnomne de laccord [], au
dterminant, ladjectif pithte ou attribut, parfois au participe pass, ainsi quau pronom
reprsentant le nom (Grevisse, 464).

En franais, comme dans les autres langues romanes sauf le roumain, il y a deux
genres, le masculin et le fminin. En allemand il y a, en plus, comme en latin, en
roumain ou dans les langues slaves, le genre neutre.
Dans les langues romanes, le neutre du latin a disparu par suite de syncrtisme
des formes et par analogie, les substantifs stant rpartis sur la classe des masculins
(VINUM > vin, GENUS > genre, FLUMEN > fleuve, COR > cur, CORNU > cor), et, dans des cas
moins nombreux, sur le fminin (MARE > mer, lat. class. FOLIUM , plur. FOLIA , puis, en
bas lat., plur. collectif FOLIA (sing.) > feuille, de mme PIRUM , plur. (collectif) PIRA >
poire, GAUDIUM , GAUDIA > joie, LABRUM , lat. pop. LABRA > lvre, VELUM > voile (lat. pop.
*VELA , plur. neutre pris pour un subst. fm. sing. de VELUM ), et lat. class. FLOS , FLORIS
(m), lat. pop. FLORE > fleur) (cf. Wolf/Hupka 1981, 91s. ; Rainer 2004, 1698s.)). Lintgration du neutre aux deux autres genres grammaticaux vaut aussi pour les adjectifs
et les pronoms (cf. Glegen 22012, 203).
Langlais na plus de genre pour les substantifs, mais il a conserv un petit reste
de trois genres sous forme de quelques pronoms (cf. chap. 6). Il existe des langues qui
nont pas de genre, comme le basque et les langues finno-ougriennes, et dautres,
surtout en Afrique, qui disposent de quatre ou mme cinq genres (cf. Corbett 2013a).
Mais il ny a pas de langue qui nait quun seul genre (cf. chap. 6).
Corbett (1991, 151, pass.) tablit une distinction entre controller gender, i. e. les
genres selon lesquels les substantifs sont distribus (masculin, fminin en franais), et
target genders, i. e. les genres que portent les lments pithtes (i. e. les dterminants et
les adjectifs pithtes), les adjectifs attributs, les verbes (en franais seulement sous
forme de participes), les pronoms personnels (sujet, objets, relatifs, interrogatifs, indfinis, dmonstratifs, possessifs), et, selon le type de langue, dautres parties du discours.
En franais, le substantif ne dispose pas de marquage morphologique systmatique du genre, comme en italien par exemple, o les morphmes -o et -a, refltent,
quelques exceptions prs,1 masculin et fminin (albero arbre, schiuma

1 En latin, la classe de substantifs en -a en principe ne reflte pas le genre fminin dune manire
directe, mme si la plupart en est fminine (p. ex. domina, mensa), mais elle est tout dabord caract

336

Elmar Schafroth

cume) le paradigme du gender alternation, comme en latin, en grec ancien ou en


souahli (cf. Koch 2001, 1165). Ce contenu grammatical se traduit en franais seulement de faon indirecte, par une cible (target), i. e. un lment prdterminant, qui
extriorise le genre inhrent au substantif (cf. Corbett 1991, 105115ss. ; Booij
22007, 108 ; Prvost 2009, 236ss.). En particulier, le genre grammatical des substantifs
sexprime :

a) au singulier, par larticle indfini (un/une) et dfini (le/la),2 si le lexme suivant


ne commence pas par une voyelle, ce qui dclenche llision : un stage/une plage,
le chausson3/la boisson, mais larme (m)/larmoire (f) ; au pluriel, linformation
genre est neutralise : des stages/des pages, etc. et ne peut tre dcode que par
laccord avec un adjectif pithte ou attribut (ou un particip pass) permettant la
flexion selon le genre (i et ii) :

i) les stages lointains, les plages lointaines,


ii) des chaussons chers, des boissons chres,
iii) les armes magnifiques, les armoires magnifiques.

Le genre reste inexprim (iii) quand ladjectif est picne, cest--dire quand il ne
varie pas selon le genre, comme cest le cas pour ladjectif magnifique. Quant la
diffrence entre le code graphique et le code phonique, il faut souligner le marquage
absent dans la chane parle orale (ii) : [deos] et [debwas].

b) au singulier, par les dterminants dmonstratifs (ce stage/cette plage, mais, au


pluriel, ces stages/ces plages) et des possessifs (mon chausson/ma boisson, mais, au
pluriel, mes chaussons/mes boissons). Ceci vaut pour la 1re, 2ime et 3ime personne
au singulier (mon/ma, ton/ta, son/sa) tandis que les dterminants possessifs des
trois personnes du pluriel ne varient pas selon le genre (notre/nos, votre/vos, leur/
leurs).
Il faut tenir compte quen franais le genre et le nombre du dterminant possessif
saccordent avec le substantif quils modifient et pas avec le possesseur, comme p. ex.
en allemand. comparer i) La commission a perdu son prsident, ii) La commission
a perdu ses membres, iii) Die Kommission hat ihren Vorsitzenden verloren, iv) Die
Kommission hat ihre Mitglieder verloren. (Le cas, en allemand, se conforme pourtant
au substantif suivant).

ristique dun certain type de dclinaison (ici, la dclinaison en -ae ou la premire dclinaison).
Noublions pas des lexmes comme poeta (pote) et nauta (matelot), qui sont masculins (poeta
mortuus, nauta bonus) (cf. aussi Booij 22007, 108).
2 Nous ne considrons pas ici larticle dfini contract ( + le = au, de + le = du), un autre phnomne
de marquage du genre (masculin) au moyen dun dterminant.
3 Chausson : ptisserie forme dun rond de pte feuillete repli et farci ou fourr (PR).

Sexe et genre

337

c) au singulier et au pluriel, par les dterminants interrogatifs (iv) et exclamatifs (v) et


quelques-uns des dterminants indfinis (vi) :

iv) quel stage ?, quelle plage ? (quels stages ?, quelles plages ?),
v) quel chausson !, quelle boisson ! (quels chaussons !, quelles boissons !),
vi) tout larme, toute larmoire (tous les armes, toutes les armoires) aucun/aucune seulement au
singulier (aucun stage, aucune plage), certains au pluriel (certains armes, certaines armoires).4

Tous les autres cas de marquage du genre qui se rfrent directement au substantif
ont trait aux suffixes de lexmes complexes (drivs), comme -eur/-euse, ien/-ienne,
qui expriment le sexe auquel ils se rfrent (vendeur /vendeuse , technicien
/technicienne ).
Delaite/Polgure (2013) distinguent deux types de paires lexicales bases sur le
sexe : les drivs, comme berger/bergre ou avocat/avocate, considrs comme quasisynonymes, et les paires qui relvent dune opposition contrastive relative au sexe,
comme mre/pre, talon/jument. Dans le cadre du Rseau Lexical du Franais (RLF),
une mise en uvre de la thorie Sens-Texte dIgor Meluk, les deux cas sont traits
comme des liens paradigmatiques, encods par deux fonctions lexicales diffrentes
(Synsex et Fem/Masc), la grande majorit (1560 liens) concernant les paires quasisynonymes, une minorit (120 liens) la relation le type mre/pre.
Quand il sagit de machines ou dappareils techniques comme aspirateur ou
moissonneuse-batteuse, il est vrai que les morphmes drivationnels renseignent sur
le genre (-eur est masculin, -euse est fminin), mais celui-ci est tout de mme arbitraire
(ou tout au plus bas sur le concept sous-jacent, cest--dire appareil ou machine)
et non pas motiv par une mtaphore quelconque du sexe (cf. les synonymes photocopieur, photocopieuse et machine photocopier, qui soulignent le caractre arbitraire
du genre des substantifs dsignant des rfrents inanims). Le fait que lave-vaisselle
soit masculin relve en outre du type de composition verbe-substantif (syntaxiquement prdicat-objet direct) dont les produits sont toujours masculins (porte-avions,
essuie-glace, pare-chocs, tourne-disque) un autre cas darbitraire donc.

2 Laccord en genre : cibles, rendement fonctionnel


et hirarchie de laccord

Comme nous avons vu, la caractristique la plus importante du genre est laccord sur
laxe syntagmatique. Celui-ci peut tre effectu en franais par les lments pithtes
(les dterminants et les adjectifs pithtes), dcrits en chap. 1, mais aussi par dautres
cibles : les adjectifs attributs (La maison est grande), les participes (La dcision a t

4 Pour dautres dterminants indfinis, je renvoie Grevisse.

338

Elmar Schafroth

prise), les pronoms personnels (sujet : La voiture elle ; objet direct : Je la vois, la
voiture ; objet indirect conjoint : Je lui ai donn un coup de balai ( ma chambre) ;
pronom indirect disjoint : Jai tlphon elle) ; les pronoms relatifs (La voiture de
laquelle jai parl), les pronoms interrogatifs (Laquelle des deux voitures est toute
neuve ?), les pronoms indfinis (Certaines de ces opinions sont bizarres), et les
pronoms dmonstratifs (Celle-ci est la plus belle photo), pronoms possessifs (Cette cl
nest pas la mienne).

(1) Sa nouvelle voiture sera livre avec beaucoup de retard. Elle a t commande il y a six mois
et nest toujours pas arrive !

Dans la phrase (1) le substantif voiture est identifi comme appartenant au genre
fminin ( la diffrence dautres noms dautomobiles comme autocar ou camion par
exemple, qui sont masculins). Linformation que le lexme voiture est fminin est
exprime encore six fois : par le pronom possessif sa, ladjectif pithte nouvelle, les
trois participes passs (livre, commande, arrive) et le pronom sujet elle. Dans la
chane parle, le genre est donc une catgorie qui, travers le principe de laccord
grammatical, est hautement redondante. Martinet, dans son article Genre et sexe,
paru en 1999, va mme jusqu mettre en doute lutilit informationnelle de la
catgorie genre en tant que telle et souligne le caractre contestable de la rgle de
laccord grammatical du genre :

La conclusion simpose que linformation quapporte aux usagers de la langue lexistence des
genres fminin et masculin est pratiquement inutile, alors quelle leur impose le maniement
constant de distinctions de faible valeur informative parce que les accords ne font que rpter les
distinctions dj exprimes ou venir immdiatement (Martinet 1999, 9).

Et lauteur en voit aussi des consquences pdagogiques :

Les prescriptions orthographiques relatives laccord des participes passs sont lexemple le
plus frappant des difficults que rencontrent les Franais dans la rdaction de la langue crite
(ibid.).

Dautre part, le rendement fonctionnel du genre au niveau de laccord grammatical


peut tre considrable, comme dans les cas suivants :

(2a) une tasse de th trs chaud


(2b) une tasse de th trs chaude
(3a) Il sagit de la premire opration de financement structur
(3b) Il sagit de la premire opration de financement structure.

y regarder de plus prs, la valeur informative du genre aux niveaux smantique,


grammatical et communicatif, nest pertinente que dans le cas de laccord entre
substantif et modifieurs nominaux (les cibles). Devoir apprendre le genre de noms

Sexe et genre

339

dsignant des rfrents inanims, comme sable et table, du point de vue pdagogique et conomique, est un grand effort, ou, pour reprendre les mots de Mathieu
(2007, 72), une contrainte formelle impose par lemploi du nom . Mais dautre
part, du point de vue de la rception, ces marques daccord reprsentent le seul
moyen dont les locuteurs (surtout les enfants) disposent pour apprendre le genre dun
substantif (Bessler 1999, 21) !
Les effets que peut avoir la distance entre une cible et le substantif ont t tudis
par Corbett (1991, 226ss.). Son modle dune hirarchie de laccord, ici modifi,
partiellement selon Bessler (1999, 15), nous montre quil y a des diffrences dans la
probabilit de la ralisation de laccord en fonction de la proximit de la cible avec le
substantif :

dterminant, adjectif pithte < verbe (participe pass),5 adjectif attribut < pronom relatif <
pronom personnel.

Cette hirarchie, originairement conue pour les langues slaves, peut tout de mme
tre applique au franais. Elle nous dit que, dans un cas de conflit entre genre et
sexe, plus on passe vers la droite, plus les cibles ont tendance manifester laccord
smantique (et non plus laccord grammatical). Corbett (1991, 227) donne comme
exemple Sa Majest fut inquite, et de nouveau il envoya La Varenne son ministre , o le substantif majest, de genre fminin, mais dsignant un homme, est repris
non par le pronom elle, grammaticalement correct, mais par il, exprimant ainsi
laccord smantique. Jai appliqu ce principe aux noms de mtiers et aux titres
(Schafroth 1998 ; 2003 ; 2004), dont la fminisation a depuis toujours pos des
problmes dus des rsistances plutt psychosociales que linguistiques mais qui
semblent rsolus principalement, semble-t-il, depuis la publication ministrielle,
Femme, jcris ton nom (Becquer et al. 1999). La difficult consistait dans la nonfminisation de quelques noms (masculins) dsignant des professions haute de
gamme comme professeur, directeur (dune entreprise), recteur, avocat, mdecin,
crivain et dautres. Non seulement dans la littrature, les mdias, les manuels
scolaires, les grammaires et les dictionnaires, mais aussi dans lusage des femmes
concernes elles-mmes, on trouvait la forme masculine. Des phrases comme (4)
taient tout fait normales encore dans les annes 1990 :6

5 En franais, le participe pass est la seule forme verbale qui peut disposer dune marque de genre. Il
faut aussi prciser que le participe pass peut bien sr apparatre aprs ladjectif (comme en 5) et mme
aprs le pronom relatif.
6 Dans la deuxime dcennie du XXIe sicle, mme un quotidien conservateur comme Le Figaro utilise
les nouvelles fminisations professeure, auteure et crivaine (pour ne pas parler du Monde et de la
Libration, qui pratiquent cet usage depuis plus longtemps dj). Mail il faut ajouter quencore en 2014
le contexte dans lequel apparaissent ces formes nouvelles est souvent li des femmes trangres alors
que pour les femmes franaises lusage du masculin se maintient encore plus souvent, et ceci dans tous
les trois quotidiens mentionns. Jai appel cela caractre de citation dune fminisation innovatrice

340

Elmar Schafroth

(4) Jacqueline Lafontaine-Dosogne, professeur lUCL, chef de dpartement honoraire aux


MRAH (Le Soir, 15/03/1995 ; cf. Schafroth 2004, 344).

Ici, la hirarchie de laccord nest pas pertinente parce que le point de rfrence
nominal a t identifi en tant que femme, de manire que les autres cibles, professeur
et chef, deux appositions, peuvent violer la correspondance entre sexe et genre sans
causer des dommages communicatifs importants. Dans (5) pourtant, une phrase
clbre prononce par lancien Premier ministre Jacques Chirac le 6 mai 1988 lors du
retour de Dominique Prieur, agente secrte (forme fminine selon Becquer et al. 1999)
et capitaine de marine, il y a un conflit direct entre sexe et genre :7

(5) Le capitaine Prieur est actuellement enceinte et laccord prvoyait que, dans ces circonstances, elle pouvait tre rapatrie Paris (cit daprs Gervais 1993, 137 ; cf. Schafroth 2004, 342).

Un autre exemple, donn par Grevisse (438) corrobore la rgle tablie par Corbett :

(6) George Sand a lair trs simple, toute naturelle, mais elle est complexe, elle est mme
mystrieuse (P. Clarac, dans la Revue dhist. litt. de la Fr., juillet-aot 1976, p. 531).

La hirarchie de Corbett savre donc juste : Abstraction faite de laccord dj ralis


sur enceinte (ladjectif nexiste que dans sa forme fminine, cf. PR), le pronom sujet,
apparemment, ne pouvait pas tre il, pour des motifs non seulement smantiques
mais aussi communicatifs, et laccord du participe pass (rapatrie) en est seulement
la consquence logique. La hirarchie de laccord est la plus efficace l o il y a un
conflit entre sexe et genre dans le substantif avec lequel saccordent les cibles. Un
exemple connu est le mot allemand Mdchen (jeune fille), qui est neutre, mais dont
la reprise par un pronom fminin, surtout dans la langue parle, est trs frquente
parce que le poids smantique lemporte sur laccord grammatical. En franais, ces
cas se rencontrent dans les asymtries lexicales entre genre et sexe discutes au
chap. 4.

3 Code graphique et code phonique


Comme nous avons au chap. 1, la perception du genre dpend aussi du type de
code (graphique ou phonique). Alors que la ralisation graphique permet lidentification du genre dans (7) et (8), loral peut mme tre priv de toute trace de genre
(9, 10) :

ou inusite (Schafroth 1998 ; 2001). Cf. la rfrence Valrie Trierweiler dans la Libration du
11 septembre 2014 (cf. URL-Lib) : Cest un autoportrait pathtique de lauteur du livre par elle-mme
folle amoureuse, insupportable qui pleure, avale des cachets [] (cest moi qui mets en gras).
7 Des attestations semblables se trouvent dans Khaznadar (2002, 179ss.).

Sexe et genre

341

(7) Je suis sr de navoir jamais t si dtermin (sans marque fminine = masculin)


(8) Je suis sre de navoir jamais t si dtermine (avec marques fminines = fminin)
(9) [sy] [determine] (sans aucune marque = quel genre ?)
(10) [sy] [determine] (sans aucune marque = quel genre ?)

Dans ces cas-l il y a peu de redondance en franais quant au genre, mme au niveau
graphique, compar litalien (11 et 12) :

(11) Sono sicuro di non essere mai stato cos determinato


(12) Sono sicura di non essere mai stata cos determinata (cf. Schafroth 2004 ; Prvost 2009).

la diffrence de litalien, de lespagnol ou du portugais, pour ne citer que quelquesunes des langues nolatines disposant dune morphologie flexionnelle de genre, en
franais il ny a pas de dsinence morpho-phonologique prototypiquement masculine, comme le -o dans les trois langues romanes mentionnes, qui est le morphme
par excellence pour dsigner le masculin (abstraction faite de cas comme it./esp./
port. poeta, hritage direct du latin). Dautre part, il y a au moins des corrlations
entre la dsinence phonique /-o/ et le genre masculin en franais, la graphie reprsentant au moins neuf cas divers :

/-o/ : <-au>, <-aud>, <-ault>, <-aut>, <-eau>, <-eot>, <-o>, <-ot>, <-t>

Ces graphies sont reprsentes p. ex. dans noyau, cabillaud, meursault, artichaut,
anneau, cageot, cargo, abricot, impt. Mais il y a plusieurs exceptions, vrifies sur la
base de la nomenclature du PR, o les noms ou units lexicales sont fminins bien
quil finissent en /-o/ : les lexmes chaux, eau, faux, guyot (poire), libido, peau,
plusieurs douzaines dabrviations (souvent familires) comme biblio, chimio, mayo,
mto, moto, et des acronymes comme C.A.O. (conception assiste par ordinateur) ou
P.A.O. (publication assiste par ordinateur). Il existe mme des noms en /-o/ dsignant
un tre de sexe fminin :

bimbo (anglic. jeune femme la fminit provocante et strotype)


camelot (Canada, fminin possible : personne qui livre les journaux domicile)

Dans dautres cas, surtout chez les adjectifs, cest la consonne finale qui fait la
diffrence loral entre masculin et fminin, p. ex. masc. plat [pla] vs. fm. plate
[plat], masc. gros [gro] vs. fm. grosse [gros]. En raison de la marque perceptible du
fminin, certains linguistes, surtout gnrativistes, considrent la forme fminine
comme base et en drivent le masculin en supprimant la consonne finale. Cf. la
critique de cette approche par Rainer (2004, 1700) qui signale, en tant quobjection
une telle approche, la sonorisation de la consonne finale dans la forme fminine
(masc. fautif [fotif] vs. fm. fautive [fotiv]) et le fait que la consonne finale se ralise
aussi devant un substantif masculin quand il y a liaison : un petiT enfant.

342

Elmar Schafroth

4 Asymtries lexicales entre sexe et genre


Lexemple du capitaine Dominique Prieur, enceinte et rapatrie (chap. 3 (5)), et de
bimbo et camelot dsignant des femmes, font partie dune srie dasymtries lexicales
entre genre et sexe en franais. Elles concernent notamment deux cas :

a) lusage dun masculin (gnrique) par rapport une femme cest le cas de nonfminisation de quelques noms de mtier mentionn prcdemment. Lintervention
ministrielle lance en vue de diffuser largement lemploi de nouvelles formes fminines, inusites et fortement susceptible de ntre pas accueillies avec enthousiasme par
la population, sest dabord effectue dans le secteur public et, aprs quelque rserve,
aussi dans les mdias, surtout dans les quotidiens libraux ou de gauche. La consquence en est une coexistence de formes comme auteur et auteure dans un mme
journal, lusage dauteur ne signifiant pourtant pas automatiquement que le genre
masculin tait intentionnel : Lemploi picne est expressment tolr (cf. Becquer
et al. 1999), cest--dire Elle est auteur ou Madame X, auteur de Y sont des cas accepts.
Selon une analyse effectue par Schafroth (2013, 106), sur 60 lemmes, connus
pour avoir toujours pos des problmes de fminisation, le Petit Robert a rduit la
marque n.m. (i. e. pas de forme fminine) de 44 23 cas entre 1981 et 2008, et
augment la fminisation par suffixation (chercheuse) de 15 27 cas, lusage picne
(le/la ministre) de 1 10 cas. Le Petit Larousse illustr, entre 1988 et 2007, a registr en
2008 15 noms exclusivement masculins (par rapport 41 en 1998), 36 fminisations
par suffixation (18) et 9 picnes (1).
Un autre type de coexistence est celle entre fminisation dun nom de mtier
(p. ex. historienne) et la persistance du masculin (professeur) dans une mme phrase
(Schafroth 2013, 107). Lusage de la construction de compromis femme professeur,
femme mdecin, critiqu par les fministes, est devenu beaucoup plus rare et est li
des conditions dinformations textuelles particulires (cf. Schafroth 1998).
Le cas du dput UMP Julien Aubert, qui, le 7 octobre 2014, lAssemble
nationale, a interpell, plusieurs reprises, la prsidente de la sance, Sandrine
Mazetier, en dbutant son propos par Madame le prsident et non pas Madame
la prsidente , est significatif (cf. URL-An1). La vhmence avec laquelle la prsidente a insist sur le titre correct alors que le dput se dfendait dappliquer
seulement les rgles de lAcadmie franaise, et le fait que le dput ait t sanctionn
par le retrait du quart de son indemnit parlementaire pendant un mois, tmoignent
dun changement de conscience dans la socit franaise, outre lexistence dune
disposition officielle dans lInstruction gnrale du bureau de lAssemble nationale
qui exige cet usage : Les fonctions exerces au sein de lAssemble sont mentionnes avec la marque du genre command par la personne concerne (Art 19, cf.
URL-An2). Mais lexemple montre aussi quil y a encore de la rsistance : Le politicien
dun parti de droite se dfend en accusant la gauche d idologiser la langue, quil
appelle novlangue (cf. URL-An3).

343

Sexe et genre

b) des lexmes dont le genre reprsente le sexe oppos ce que le genre laisse
supposer ou dont le genre ne reprsente que partiellement le sexe reflt par le genre.
Il sagit de lexmes comme sentinelle, estafette ( Anciennement courrier charg
dune dpche , PR), vigie, ordonnance, recrue, tous les quatre ayant une connotation neutre. En plus, il y a les titres de respect, Sa Saintet (en sadressant au pape ou
en parlant de lui) et Son minence (pour les cardinaux).
Une valeur nettement ngative ou mme une connotation pjorative fait pourtant
partie du sens des mots suivants, tous caractriss par une anomalie dans la relation
entre genre et sexe (sources : PR, TLFi, Grevisse, 486, 487) :8

genre masculin : bas-bleu (pj. femme prtentions littraires ; intellectuelle


pdante), laideron9 (jeune fille ou jeune femme laide) ; tendron (fam. et vieilli trs
jeune fille en ge dtre aime, relativement un homme plus g) ;

genre fminin : lope (arg. homosexuel effmin), lopette (fam. et pj. homme
lche et veule), femmelette (fam. homme faible, sans nergie), frappe (arg. ou pop.
jeune voyou), gouape (pop. mauvais sujet, voyou), tapette tante tantouze (fam.
et vulg. homosexuel effmin (PR)), souillon (fam. vieilli homme malpropre, peu
soign).

Le substantif souillon, qui na jamais eu une forme fminine (*souillonne), tait picne autrefois
(le/la souillon) et dsignait une femme malpropre, peu soigne dans sa mise et dans sa personne, une femme de mauvaise vie, prostitue de bas tage, aujourdhui Mod. servante
malpropre, sale (PR).

En outre, il y a des substantifs genre masculin ou fminin qui peuvent se rfrer


une femme ou un homme :

i) sens ou connotation neutres (ou positifs) :

genre fminin ou : alto, basse, trompette, figure, idole, personnalit, personne,


star, vedette, victime ;

8 Ce que nous ne pouvons pas traiter ici, cest lusage de lexmes dsignant les parties gnitales pour
se rfrer un homme ou une femme. Fourment-Aptekman (2001) fait remarquer que [l]e sexe
fminin, mtonymie de la femme, constitue linjure de base (con) qui sadresse aux hommes [].
Adresse une femme, cette injure se redouble dune fminisation grammaticale qui semble plutt
laffaiblir. Les injures les plus usites aujourdhui sont celles qui mettent lhomme dans une position
sexuellement fminine (encul ou pd) et qui ne diffrent donc pas fondamentalement de linjure de
base (ibid., 155). Cf. aussi lusage du mot pussy en allemand (surtout des jeunes) pour dsigner un
homme ou un garon effmin ou craintif. En italien, par contre, un homme naf et crdule peut tre
appel minchione (qui est une expression vulgaire pour le membre viril).
9 Entretemps on trouve aussi la forme laideronne ; une laideron a exist aussi (cf. PR, Grevisse, 486).

344

Elmar Schafroth

genre masculin ou : ange, caractre, cas, contralto, coryphe, tre, exemple,


factotum, gourmet, mannequin,10 membre, modle, original, otage, personnage, phnomne, spcimen, symbole, tmoin, type ;

ii) sens ou connotation pjoratifs :

genre fminin ou : bte ( concours, de scne), brute, canaille, crapule,


fripouille, mauviette, (espce d) ordure ;

genre masculin ou : bandit, charlatan, coquin, escroc, gangster, louchon,11


saligaud.

Dune certaine faon, le Guide daide la fminisation (Becquer et al. 1999) aide
supprimer quelques-unes de ces anomalies genre-sexe : coryphe, factotum, modle et
tmoin sont dclars picnes (un/une coryphe etc.), le mannequin dsigne un
homme, la mannequin ou la mannequine une femme.
Un cas particulier concerne les doublets fonctionnels , cest--dire la coexistence des formes masculine et fminine dun nom de mtier : Ils sont pertinents au
niveau des noms de mtier (c) (cf. Schafroth 1998, 188195) et au niveau des insultes (d).

(c) En ce qui concerne des paires lexicales comme ambassadeur/ambassadrice, directeur/directrice, secrtaire (m/f), le masculin dsigne toujours une profession de haut
prestige alors que le fminin est utilis souvent en tant que mtaphore (p. ex. les
ambassadrices de la mode franaise,) ou pour faire rfrence des professions ou
activits moins prestigieuses ou typiquement fminines (p. ex. inspectrice dpartementale la jeunesse et aux sports). Le cas de matre/matresse est particulier cause
de la signification pjorative toujours en usage, ce qui a deux consquences : Si lon
utilise matresse il est important dajouter, si le contexte ne suffit pas pour dsambiguser, un complment du nom (matresse de maison, dcole, de piano, de ballet,
auxiliaire sauf dans le contexte universitaire : la matre de recherches, de confrences, assistante), dans les cas o matre est un titre du domaine juridique, le Petit
Robert ne donne pas de forme fminine.

(d) En ce qui a trait aux insultes, le dsquilibre smantique et valuatif a dj t


tudi maintes fois, du point de vue synchronique et diachronique (cf. Lindemann
1977 ; Melka/Zwanenburg 1993 ; Schafroth 1998) : dj au Moyen ge il y avait coexistence de formes comme dispenseor (intendant, administrateur) et dispensairitz

10 Il y a aussi lusage du dterminant fminin (une mannequin) (cf. PR).


11 Grevisse (486) pourtant signale que [l]ouchon (masc.) semble stre dit surtout des femmes .

345

Sexe et genre

(femme qui dpense trop), ou moienor (arbitre, mdiateur) et moieneresse (entremetteuse) (Schafroth 2001, 131). Dautres doublets refltent la pjoration des femmes :
le masculin est neutre ou positif, le fminin dprciatif ou offensif. Il suffit de rappeler
des exemples comme allumeur/allumeuse, courtisan/courtisane, entraneur/entraneuse, gars/garce, salaud/salope, sauteur/sauteuse, mme si quelques-unes de ces
formes (masculines et fminines) sont marques vieillies par le Petit Robert (cf. aussi
Yaguello 1978 ; 1989 ; 2014 ; Baider 2004).

5 Asymtries syntaxiques entre sexe et genre et


entre les deux genres
Le masculin lemporte sur le fminin (Damourette/Pichon 19111927, 368). Telle
est la description sobre dune autre forme dasymtrie entre genre et sexe (rfrents
anims), mais aussi entre les deux genres (rfrents inanims). Ce phnomne, aussi
appel servitude grammaticale, est connu dans toutes les langues romanes.12 Voici en
substance ce quon lit ce sujet dans Grevisse (338) : Si les noms sont de genres
diffrents, lpithte se met au genre indiffrenci, cest--dire au masculin . Mais il
ne sagit pas seulement de lpithte (13 et 14) mais aussi du pronom anaphorique et
de ladjectif attribut (2) :

(13) le texte et la signature examins par le tribunal


(14) Robert, Serge, Yvonne et Claire sont tous les quatre partis en vacances. Ils sont tous trs
sportifs (Klein/Kleineidam 1983, 216)

Dans les anciens tats de la langue franaise, laccord de ladjectif ou du verbe se


faisait selon le substantif qui prcdait immdiatement.13 Malherbe critiquait cet
usage, Vaugelas par contre lacceptait pour ladjectif pithte (p. ex. les pieds & la
teste nu), mais pas pour lattribut (inacceptable : Le mari & la femme sont importunes ; Schafroth 1998, 100ss.). Les auteurs du XVIIe sicle, souvent aussi ceux du
XVIIIe, suivaient, dans une large mesure, la tradition de faire laccord selon le
masculin (cf. aussi Brunot 31936, 647ss.).

La tradition grammaticale, qui correspond un certain sentiment des usagers, estime choquant
pour loreille que le nom fminin soit dans le voisinage immdiat de ladjectif. En ralit, cela ne
ressortit pas seulement loreille (cette exigence est dailleurs exprime propos de textes qui ne

12 En italien, par exemple, cet usage stend aux substantifs : un groupe form par un garon et une
ou mme vingt jeunes filles on sadresse par la forme ragazzi.
13 Moreau (1991, 10) signale quau Moyen ge il y avait souvent des paires grammaticales du type
iceux et icelles, cils et celes, maint et maintes, tuit et toutes, ceci par analogie avec les noms de mtier,
dont les deux genres taient souvent juxtaposs.

346

Elmar Schafroth

sont pas destins la lecture voix haute) ; cela correspond la tendance trs ancienne selon
laquelle les mots saccordent avec llment le plus proche [] (Grevisse, 338).

Les grammaires franaises, tout au long de leur longue histoire, ont connu trois
variantes pour rgler des phrases comme (13) et (14) :

A) Cest toujours le masculin qui lemporte (un tact et une dlicatesse parfaits)
B) Laccord en genre et nombre seffectue avec le substantif qui prcde immdiatement (un tact et une dlicatesse parfaite)
C) Laccord en genre se fait avec le substantif qui prcde tout en considrant le
pluriel (un tact et une dlicatesse parfaites).
Le problme na pas t rsolu ce jour, mais la variante A est celle qui est enseigne
dans les coles et les grammaires traditionnelles.14 Il va de soi que de nos jours,
compte tenu surtout des modifications de la langue que les mouvements fministes
ont engendres, un tel usage qui favorise de manire gnrale le masculin est hautement problmatique. Des constructions alternatives en sont souvent la consquence.

6 Aspects universels et typologiques du genre


Les plus importants aspects relatifs au sujet genre et sexe au niveau typologique,
dcrits dans The World Atlas of Language Structures seront brivement rsums ciaprs (Corbett 2013a ; 2013b ; 2013c) :

i) parmi les 257 langues analyses, 145 ne possdent pas de genre (en Europe, entre
autres, le basque, le hongrois et le finnois), 50 langues ont deux genres (p. ex. le
franais, larabe, le haoussa, le cri), 26 disposent de trois genres (dont lallemand,
langlais, le russe, le grec moderne, le tamoul), 12 de quatre (dont le zand en Afrique
centrale ou le pirah en Amazonie), et 25 de cinq ou mme plus genres (comme, p. ex.,
le peul, le congolais, le zoulou en Afrique, ou le mixtec au Mexique). Parmi les
langues quatre genres il y a le bourouchaski, parl au Pakistan, o les substantifs se
rpartissent aux genres suivants (cf. Berger 1998, 33) : tres humains masculins,
tres humains fminins, animaux et une partie des objets inanims, noms abstraits, liquides et les autres objets inanims ;

14 Brunot (31936, 648) rappelle que la servitude grammaticale est une pure convention qui fait
prfrer le masculin au fminin .

347

Sexe et genre

ii) alors que 145 langues sur 257 nont pas de genre 85 ont un genre bas sur le sexe
(p. ex. le francais, langlais, lallemand, le letton, le russe), et 28 ont un genre qui nest
pas bas sur le sexe (p. ex. le congolais, le swahili, le cri) ;

iii) en ce qui concerne lattribution du genre (gender assignement system), il se pose la


question de savoir comment les sujets parlants savent quun substantif appartient
tel ou tel genre ? On distingue deux classes typologiques : les langues dont le genre
est attribu exclusivement selon le signifi des substantifs (systmes strictement
smantiques) 53 (sur 257) langues, dont langlais et le gorgien , et les langues dont
lattribution est base surtout, mais pas exclusivement, sur le critre smantique, tous
les autres substantifs tant classifis selon un critre formel (systmes principalement
smantiques) (59 langues, dont le franais, lallemand). Un systme strictement
smantique signifie quil ny a pas dattribution formelle (en italien, par contre,
lattribution formelle fonctionne, grosso modo, le morphme -o tant attribu au
masculin, le morphme -a au fminin) : en kannada, langue dravidienne (au sud de
lInde), tous les noms dsignant des hommes et des garons sont masculins, les noms
dsignant des femmes et des jeunes filles sont fminins (les dits, les dmons et les
corps clestes inclus). Tous les autres noms (nourrissons et animaux inclus) sont
neutres.
Dans le domaine de la recherche des universaux linguistiques, les dfinitions de
Greenberg (21966) sont gnralement acceptes. Le plus important des universaux qui
se rfrent au genre linguistique est le suivant :
Universal 36. If a language has the category of gender, it always has the category of
number (ibid., 95).
Ceci signifie que la catgorie du genre implique celle du nombre, mais
linverse nest pas ncessairement vrai. Quand il y a la catgorie du genre dans
une langue il existe aussi celle du nombre (cf., p. ex. le francais, lallemand, mme
langlais). Quand il y a la catgorie du nombre (comme dans les langues finnoougriennes) il ny a pas (forcment) la catgorie du genre (ces langues nont pas
de genre). Une telle relation de dpendance typologique nous invite y reconnatre
une parent principale et universelle entre les significations grammaticales du
genre et celles du nombre (cf. Leiss 1994, 288). Cette parent, selon NeumannHolzschuh (2006, 267), est confirme par lvolution rcente de certains croles
franais ( number in creole languages seems to function in a similar way to
gender in early Indo-European ).
Booij (22007, 129s.) ajoute une autre observation typologiquement pertinente, qui
concerne la relation entre genre et sexe :

If a language distinguishes between masculine and feminine gender, morphologically simplex


nouns denoting male and female beings tend to be masculine and feminine respectively .

Corbett (2013a) contribue une dfinition importante du terme systme genres :

348

Elmar Schafroth

The defining characteristic of gender is agreement : a language has a gender system only if we
find different agreements ultimately dependent on nouns of different types. In other words, there
must be evidence for gender outside the nouns themselves .

Il nest donc pas suffisant quune langue ait des paires lexicales bases sur le sexe
pour tre considre une langue genre. Ce qui est dcisif, cest lvidence syntaxique, celle de laccord. En kanouri (au Nigeria), il y a des contrastes lexicaux comme
td garon, fils et fro (jeune) fille, mais il ny a pas de genre parce quil ny pas
daccord. Langlais, par contre, est une langue genre grammatical15 mme sil na
pas de substantifs porteurs de genre (morphologiquement simples, abstraction faite
donc de cas comme waiter et waitress), et mme si le microsystme pronominal (he/
his/him/himself, she/her/herself, it/its/itself) nest quun petit reste dun ancien systme flexionnel genre (do le terme pronominal gender system). En plus, les
pronoms he et she (avec leurs formes flchies) sont directement lis au sexe alors que
le pronom it ne reprsente pas, comment on pourrait penser, le neutre, mais se rfre
aux rfrents inanims, sans considrer les personnifications fminines (entretemps
vieillissantes) pour des navires, voitures ou pays. Les pronoms who et which, eux
aussi, sont smantiquement motivs, mais ils refltent lopposition entre les traits
humain VS . non humain (les objets inanims y inclus).
Dans une langue sans genre (cf. aussi Trudgill 1999, 139s.) comme lestonien, il
ny a, premire vue, pas de possibilits grammaticales immdiates de distinguer, par
les dterminants possessifs, le genre du possesseur (laccord en genre est mis en
caractres gras) :16

(15)

Mu
Ma
My

de ms
sur a vendu
sister sold

(16)

Mu vend ms
Mon frre a vendu
My
brother
sold

oma
sa
her

auto
voiture
car

oma
sa
his

auto
voiture
car

(15) et (16) sont identiques en estonien en ce qui concerne lidentification du possesseur par rapport la chose possde. Cest donc le contexte situationnel qui dsambiguse ces relations comme en franais dailleurs o le dterminant possessif, comme
nous avons vu au chap. 1, saccorde avec la chose possde et non pas avec le
possesseur, la diffrence de langlais ou de lallemand. Langlais est, si lon veut,
plutt une langue genre fonctionnelle dans (15) et (16) que le franais.

15 English [] has a gender system based on semantic criteria. It is [] a pronominal gender system,
since gender is reflected only in personal, possessive and reflexive pronouns (Corbett 1991, 12).
16 Les exemples ont t relevs auprs de collgues estoniens lors dun sjour luniversit de Tartu
en septembre 2014.

Sexe et genre

349

Une langue sans genre, ici toujours lestonien, est nanmoins capable de mettre
en jeu le sexe quand il sagit de clarifier des relations importantes comme celles de la
possession dune voiture :

(17)

Mu
Ma
My

de
sur
sister

(18)

Mu vend
Mon frre
My
brother

ms
oma
a vendu sa
sold
his

poja

auto
(poja = son fils)
voiture (sa = la voiture de son fils)
car
(= her sons car)

ms
oma
a vendu sa
sold
her

ttre

auto
(ttre = sa fille)
voiture (sa = la voiture de sa fille)
car
(= his daughters car)

Quand la complexit des relations logiques entre des personnes augmente, comme
dans (17) et (18), une langue comme lestonien, qui ne dispose pas de genre grammatical, est tout de mme capable (morphologiquement) pas moins bien dailleurs que
le franais17 dexprimer les rapports de proprit.
Les caractristiques de systmes genre sont rsumes dans Aikhenvald (2004,
1031s.) : i) Le nombre de genres est limit ; ii) chaque nom appartient un genre (ou,
parfois, plus dun genre) ; iii) il y a toujours quelque base smantique, dans les
systmes genre, mais les langues diffrent selon le degr de smanticit, qui,
gnralement, exprime les traits [anim], [humain], [sexe], et parfois aussi [forme] et
[dimensions] ; iv) quelques constituants en dehors du substantif doivent saccorder
avec celui-ci selon le genre.

7 Genre et sexe quelle relation ?

Citons dabord Trudgill (1999, 138) qui met en vidence une diffrence fondamentale
entre genre et sexe :

It is much less surprising that human languages have gender distinctions for human beings
than that they have grammatical gender, since the distinction between male and female is the
most fundamental one there is between human beings .

Lorigine du genre semble un mystre. Il y a plusieurs thories dont deux sont les plus
frquentes. Il y a dabord la thorie sexe-genre, soutenue par un des grands reprsentants de la linguistique historico-comparative, le germaniste Jacob Grimm. Sinscrivant dans la tradition de Humboldt, qui sattaqua au problme de la relation entre la
langue et la pense (Glegen 22012, 463), cette thorie, pas exempte dun certain

17 Il va sans dire quen franais il y a des stratgies analogues celles de lestonien pour dsambiguser les relations. Dans Ma sur a vendu sa voiture il y a bien sr toujours la possibilit, par le cotexte et/
ou le contexte, dclaircir qui appartient la voiture en fin de compte.

350

Elmar Schafroth

romantisme, disait que le genre grammatical est issu de la diffrenciation biologique


des deux sexes travers les principes de la mtaphorisation, de lanthropomorphisme
et de lanimisme. D limagination de lhomme, qui traitait les choses comme des
tres vivants, le genre reflterait les particularits et les comportements typiques des
hommes et des femmes. La main est un substantif fminin parce que comme les
femmes (selon Grimm) elle est plus petite, plus passive, moins forte et plus
rceptrice que le pied, qui est masculin (1890, 403s.).18 Le nogrammairien Karl
Brugmann (1889 ; 1890) adoptait une position diamtralement oppose, la thorie
genre-sexe (le sexe est driv du genre), selon laquelle la catgorie de genre
lorigine navait aucune relation avec le sexe naturel. Les suffixes fminins indoeuropens -- et -i- (--), dont la forme phontique ntait que le produit dune volution
fortuite, avaient des fonctions grammaticales (entre autres celle de former, selon la loi
de lanalogie, des classes nominales), mais navaient pas la tche de dsigner des
tres anims : des substantifs comme lat. dea, equa, lupa, ou indien ancien ptn
patronne, taient, tout comme lat. aqua et ind. anc. bhm dsignant des objets
inanims, sans aucun trait sexuel. Linterprtation dune fminit physique dans
ces suffixes nest quune volution secondaire, donc postrieure. Cette position devait
avoir de nombreux partisans parmi les linguistes et prvaut encore aujourdhui (cf.
Leiss 1994 ; Corbett 1991). La thorie de la sexuation du genre a eu, elle aussi, un
succs considrable, surtout vers la fin du XIXe et dans le premier quart du XXe sicle
(p. ex. Bral 1889 ;19 Meillet 1921 ; Damourette/Pichon 19111927). Les auteurs de la
grammaire Des mots la pense attribuent aux choses une sexuisemblance mtaphorisante (le genre est appel sexuisemblance) :

Il existe des cas dans lesquels nous arrivons apercevoir consciemment ce symbolisme
mtaphorique. Un moteur communique la puissance et laction toutes les machines sans force
propre qui lui obissent ; ces machines, la balayeuse, la perceuse, la moissonneuse, etc. ne
peuvent rien sans lui (Damourette/Pichon 19111927, 380).

La citation suivante est encore plus significative :

Les noms fminins de toutes les machines-outils sont particulirement suggestifs. On dirait
quils ont pour prototype la pondeuse, cest--dire la poule, tre minemment fminin, dont la
fcondit foncire se manifeste par un acte indfiniment rpt (ibid.).

18 Das grammatische genus ist demnach eine in der phantasie der menschlichen sprache entsprungene ausdehnung des natrlichen auf alle und jede gegenstnde (343). (Il en ressort que le genre
grammatical est une expansion du naturel, sortie de limagination du langage humain, qui affecte tous
et tous les objets). Cf. aussi les rflexions grimmiennes sur les deux substantifs mer et mre, homophones et tous les deux fminins, chez Bachelard (1942). ce propos cf. aussi Fourment-Aptekman (2001).
19 Bral (1889) contredisait cette thorie en allguant le cas du neutre qui rpartissait les substantifs
[] selon un axe anim/inanim. Selon Bral, cette opposition tmoignait des croyances animistes des
anciens peuples indo-europens (Mathieu 2007, 58).

351

Sexe et genre

premire vue, dj la Grammaire gnrale au XVIIe sicle, appele aussi Grammaire


de Port-Royal, a adopt la thse de lorigine du genre sur la base du sexe :

Or les hommes [] ont jug propos de varier les mesmes noms adjectifs, y donnant
diuerses terminaisons, lors quils appliquoient aux hommes, & lors quils sappliquoient aux
femmes, comme en disant, bonus vir, vn bon homme, bona mulier, vne bonne femme. Et cest
ce quils ont appell genre masculin & feminin. [] Do il est arriu que par rapport aux
hommes & aux femmes, ils ont distingu tous les autres noms substantif en masculins &
feminins (ibid., 39s.).

L o le rfrent est inanim, pourtant, Lancelot et Arnauld soulignent le caractre


arbitraire du genre (arbor tant fminin en latin, arbre masculin en franais, en ce qui
concerne dens et dent, cest le contraire, ibid., 40) et en dduisent que le genre
masculin ou feminin dans vn mot ne regarde pas proprement sa signification (ibid.,
42).
Dans lEncyclopdie, on observe une opinion sur la relation entre sexe et genre
similaire celle exprime dans la Grammaire gnrale. Beauze (1757), lauteur de
larticle genre dans lEnclopdie remarque :

La distinction des sexes semble avoir occasionn celle des genres pris dans ce sens, puisquon a
distingu le genre masculin & le genre fminin, & que ce sont les deux seuls membres de cette
distribution dans presque toutes les langues qui en ont fait usage (Beauze 1757, 589).

Mais il a ses doutes : si le sexe tait la base du genre, tous les animaux devraient avoir
soit le genre masculin (pour les mles) soit le genre fminin (pour les femelles), ce qui
nest pas le cas. Et les choses, de manire consquente, ne devraient mme pas avoir
de genre, ou elles devraient avoir le genre neutre, qui nexiste plus en franais (ibid.,
590). Finalement il conclut :

Mais il ne faut pas simaginer que la distinction des sexes ait t le motif de cette distribution
des noms ; elle nen a t tout au plus que le modele & la regle jusqu un certain point ; la
preuve en est sensible (ibid.).

Entre les deux camps linguistiques motivation sexue du genre et rpartition


arbitraire des noms (de Brugmann Martinet) , on rencontre parfois des positions
mixtes qui considrent et le caractre arbitraire du genre et sa rmotivabilit partielle
sur le plan smantique et formel (cf. Kpcke/Zubin 1984).
En rsum, on peut dire que bien que des linguistiques comme Martinet ou
Corbett aient considr, juste titre, le genre comme nettement arbitraire (catgorie
lexicale pour classifier les substantifs et moyen grammatical pour tablir les relations
entre les lments interdpendants de la phrase) il est indniable quil y a des
corrlations entre la morphologie des substantifs (dsignant des rfrents inanims)
et leur genre et il y a des classes smantiques dont les membres, subordonnables
sous un hyperonyme ou non, ont (dans la plupart des cas) le mme genre : les mtaux
en franais, les jeux, les vents et les boissons alcooliques en allemand. Dun point de

352

Elmar Schafroth

vue synchronique, Brugmann na donc plus entirement raison, et la thorie sexegenre se manifeste encore aujourdhui : dans le folklore, dans la littrature enfantine,
dans les Beaux Arts, dans la posie et mme en linguistique (cf. Yaguello 1989 ; 2014).
Lanthropomorphisme et lanimisme de quelques objets sexuables sont donc loin
dtre morts

8 Le genre est-il compltement arbitraire ?

Le genre des noms inanims nest pas dtermin par le sens de ces noms :
Le mur, la muraille. Le ruisseau, la rivire, le fleuve. La mer, locan.
Comp. aussi le soleil, la lune lallemand die Sonne (fm.), der Mond (masc.).
Le genre des noms inanims na pas non plus de rapport constant avec la forme de ces noms.
Il est donc impossible de donner des rgles rigoureuses ce sujet. [].
Le genre des noms inanims est d leur origine et aux diverses influences quils ont subies.
Beaucoup de noms ont chang de genre au cours de lhistoire (Grevisse, 468).

La locution discuter du sexe des anges, qui signifie se livrer des discussions
byzantines, oiseuses (Petit Robert 2014), rvle un premier cas dasymtrie entre
genre et sexe en franais : genre masculin, sexe douteux. En gnral, si lon laisse
part les injures (cf. chap. 4), il y a pourtant correspondance entre langue et ralit
extra-linguistique : le genre masculin dsigne un homme ou un mle, le genre fminin
une femme ou une femelle. Les incongruits entre genre et sexe sexpliquent par deux
procdures : des questions purement linguistiques, relevant demprunts (sentinelle et
estafette sont dorigine italienne, le mot vigie a t emprunt au portugais, tous les
deux dsignant des hommes) ou de procdures smantiques telles que la mtonymie,
comme dans le cas des mots ordonnance (Anciennement domestique militaire) et
recrue (en 1550 encore ensemble des soldats qui viennent complter un corps de
troupes, plus tard, en 1800, nouveau soldat, cf. TLFi).
Le genre grammatical a-t-il donc un lien essentiel avec le sexe ? Cette question a
longtemps t discute et a entran une srie dopinions controverses.

Ce nest que pour une partie des noms anims [] quil y a un lien entre le genre et le sexe de
ltre dsign ; cest ce que certains appellent le genre naturel (Grevisse, 467).

Bien que le genre grammatical soit fondamentalement arbitraire, mis part les cas
des genres sexus, il semble exister des corrlations entre forme et genre qui
permettent une certaine prvisibilit partir de la structure morphologique (a) ou
phonologique (b) des dsinences des mots (cf. Surridge 1986 ; 1993 ; Corbett 1991, 57
61 ; Mller 1995, 3s. ; Lyster 2006 ; Prvost 2009, 237s. ; Jeanmaire 2014). Quelquesunes de ces rgles seront prsentes dans ce qui suit :

(a) corrlations entre morphmes et genre, analyses selon leur type de formation de
mots :

Sexe et genre

353

Les nominalisations dverbales en -tion (p. ex. cohabitation, pilation) sont toutes
fminines, celles en -age (p. ex. accrochage, compactage)20 et en -ment (p. ex. croulement, glissement) masculins. Des mots composs du type V-N sont tous masculins
(p. ex. un brise-glace, un essuie-main(s), un tire-fesses, fam. tlski, remonte-pente).
Les drivs en isme sont tous masculins ;

(b) corrlations entre phonmes et genre :


Au moins 90% des substantifs se terminant en // et // sont masculins (p. ex.
affluent, caftan, boudin, dclin), plus de 90% des noms en /m/ sont masculins (p. ex.
abme, carme), surtout sils ne finissent pas en /ym/, qui sont souvent fminins
(p. ex. coutume, grume, plume). Environ 90% des substantifs en /z/ sont fminins
(p. ex. braise, cerise).
Parfois le dernier phonme permet seulement la dduction dassez peu de rgularits (les substantifs en // sont fminins environ 70%). Si lon considre par contre
les deux derniers phonmes, on arrive un autre taux de prvisibilit (les substantifs
se terminant en /j/ sont fminins 99,8%). Dans un rsum gnralis, Corbett
(1991, 60) donne les rgles suivantes :

i) les substantifs en /z/, /zj/, /j/ et /tj/ sont fminins ;


ii) tous les autres substantifs finissant en // sont masculins.

Une recherche par critres dans le Petit Robert confirme ces corrlations, sauf pour
le cas de /tj/ o il y a au moins les contre-exemples antrustion, bastion, carbocation,
castion, qui sont masculins.
On peut en plus se demander sil ny a pas de rgularits smantiques. En
allemand, par exemple, tous les types de vent (Wind, Orkan, Sturm, Tornado) sont
masculins, de mme toutes les boissons alcoolises sauf la bire. En danois et sudois
standard, quelques liquides peuvent alterner entre le genre neutre (pour dsigner la
substance elle-mme) et le genre commun (par rapport une quantit dun liquide),
p. ex. sud. kaff-et du caf vs. en kaffe un caf (cf. Koptjevskaja-Tamm 2004, 1070).
Pour le franais, on pourrait donner comme exemple les dnominations des mtaux
(argent, chrome, cuivre, or, platine, plomb, zinc etc.), cest--dire lappartenance de ces
lexmes au groupe des mtaux peut tre considr comme critre pour pouvoir les
attribuer au genre masculin (cf. Kpcke 1982, 13 ; Surridge 1989 ; 1993 ; Schwarze
2008, 140ss. ; Jeanmaire 2014).21

20 Il faut pourtant tenir compte du fait que les substantifs dont la suite de phonmes [a] fait partie du
radical sont souvent fminins : cage, nage, page1, rage, plage, mais stage ou mage, page2, qui sont
masculins (les deux derniers pourtant constituant des lexmes sexus).
21 Une combinaison entre smantique et morphologie est le suffixe -ier qui dsigne arbre qui porte le
fruit dsign par le radical dans les noms comme poirier, abricotier, cerisier, prunier, cognassier
(< coing), etc. Ces substantifs sont tous masculins.

354

Elmar Schafroth

9 Sexe et genre comme sujets de recherche


Dans un cadre de recherche plus gnral, le rapport entre hommes et femmes a
intress plusieurs disciplines, dont lhistoire, lanthropologie et lethnologie, la
sociologie, la pdagogie et la psychologie. Ltude des diffrences sexuelles telles
quelles se manifestent surtout au niveau social, a engendr un usage particulier du
mot anglais gender, qui, au sens grammatical, signifie tout dabord genre (linguistique). Sous linfluence du fminisme, gender a acquis une nouvelle acceptation au
sens de rapports sociaux de sexe, do le terme social gender. Tous les aspects qui
concernent la construction sociale du genre et la relation entre sexe, genre, langage et
pouvoir sont rsums dans le terme de (social) gender, qui a rencontr un terrain
fertile dans beaucoup de disciplines scientifiques : Les sujets discuts sous cet angle
ont t p. ex. le dbat nature/culture (Offen 2006, 3) au XVIIIe et la biologisation
des femmes par les mdecins au XIXe sicle (ibid., 5),22 les premires combattantes
prcoces du fminisme comme la libre penseuse Maria Deraismes, qui parla expressment des deux genres, distincts des deux sexes, critiquant le sexisme du savoir
thologique tabli (Offen 2006, 5).23
LOED donne comme paraphrase smantique de gender dans cette acception :

Psychol. and Sociol. (orig. U.S.). The state of being male or female as expressed by social or
cultural distinctions and differences, rather than biological ones ; the collective attributes or
traits associated with a particular sex, or determined as a result of ones sex. Also : a (male or
female) group characterized in this way (OED online).

Mme si la premire attestation remonte seulement au milieu du XXe sicle ( lanne


1942, pour tre exact), lusage de gender au lieu de sex est beaucoup plus ancien et
peut tre considr le prcurseur de lemploi du mot gender dans ce sens moderne :

In the 20th cent., as sex came increasingly to mean sexual intercourse [], gender began to
replace it (in early use euphemistically) as the usual word for the biological grouping of males
and females (OED online).24

22 Cf. aussi Laceur (1990), qui dans son livre Making Sex, veut montrer, par lvidence historique,
that almost everything one wants to say about sex however sex is understood already has in it a
claim about gender. Sex [] is explicable only within the context of battles over gender and power
(ibid., 11).
23 Offen (2006) montre que les contenus de ce que dsigne le terme gender sont dj reprables dans
lhistoire franaise. Parfois pourtant elle va trop loin dans son interprtation : Je doute que dans
larticle genre de lEncyclopdie (Beauze 1757, cf. chap. 7) lauteur associe le mot genre avec les traits
sexuels et leurs constructions sociales (Offen 2006, 4).
24 La premire attestation de gender au sens de sex remonte 1474 ( His heyres of the masculine
gender of his body lawfully begotten , OED online, s. v. gender 3a).

355

Sexe et genre

Lide dun social gender est pourtant connue en France depuis Simone de Beauvoir et
son uvre Lautre sexe (1949, 13), dans lequel nous trouvons la citation devenue
fameuse On ne nat pas femme : on le devient , mais ce nest qu travers le livre
dAnn Oakley, Sex, Gender and Society (1972), quun nouveau concept est n :

Sex is a word that refers to the biological differences between male and female : the visible
differences in genitalia, the related difference in procreative function. Gender , however, is a
matter of culture : it refers to the social classification into masculine and feminine (Oakley
1972, 16).

En France, le terme gender na jamais eu beaucoup de succs et est souvent qualifi


danglicisme inutile :25

lexception de quelques-unes [], les universitaires franaises ont longtemps rsist lusage
du mot genre , prfrant parler de masculin/fminin , de diffrence sexuelle ou de rapports sociaux de sexe (Offen 2006, 2).

Du point de vue officiel , exprim dans les publications de nature normative, en


France et au Qubec, lemprunt gender nest pas tolr :

Sous linfluence de langlais gender, qui peut dsigner le sexe auquel appartient une personne
ou renvoyer la condition fminine et aux disparits entre les sexes, le mot genre est parfois
utilis tort comme synonyme de sexe ou de catgorie sexuelle. On vitera ces anglicismes
smantiques en ayant recours des expressions franaises plus explicites (OQLF, Banque de
dpannage linguistique, s. v. genre).

Dans le Journal officiel du 22 juillet 2005, on trouve une demi-page ddie la


Recommandation sur les quivalents franais du mot gender . Au lieu de gender,
un usage abusif du mot genre , on pourra prfrer, suivant le contexte, des
locutions telles que hommes et femmes, masculin et fminin ; ainsi on traduira gender
equality par galit entre hommes et femmes, ou encore galit entre les sexes (JO).26
Toutefois, lusage du mot anglais se rpand de plus en plus en franais, comme
tmoigne le livre Introduction aux Gender Studies (Bereni et al. 2008). Il faut pourtant
noter que le sous-titre, Manuel des tudes sur le genre, contient le mot franais !27

25 propos de lusage du terme genre cf. Hof (1995) ; Thbaud (2004 ; 2006) ; Bereni et al. (2008).
Elmiger (2008, 47) traduit gender par genre socioculturel, qui se rapporte la dichotomie socialement impose en rles et traits de caractre masculins et fminins .
26 Il est significatif que la Socit dtudes Canadiennes, une association allemande (Gesellschaft fr
Kanada-Studien), ait traduit le nom de la section Women and Gender Studies en franais comme tudes
sur les femmes et le genre (en allemand Frauen- und Geschlechterstudien).
27 Cf. aussi la polmique, dbut 2014, propos de lenseignement lcole lmentaire de la thorie
du genre qui refuserait de considrer quil existe une diffrence entre les sexes. Il ne sagit pourtant
pas dun terme officiel, ce sont surtout des mouvements conservateurs ou traditionalistes qui lont
utilis.

356

Elmar Schafroth

En ce qui concerne la linguistique, le sujet sexe et genre a t abord sous deux


angles divers : dans une perspective relative au systme linguistique et dans une
perspective visant examiner lusage de la langue (tudie dabord par la dialectologie, ensuite par la sociolinguistique ; cf. Bierbach/Ellrich 1990 ; Heinemann/Neumann-Holzschuh 2009).
Selon ces tudes, menes aussi pour langlais, les femmes sont plus sensibles
envers la norme linguistique et ont une meilleure autovaluation par rapport leur
qualit de langue que les hommes (overt prestige des femmes envers la langue
standard, covert prestige des hommes envers le vernaculaire). En ce qui concerne la
question du caractre innovateur ou conservateur du langage fminin, les donnes
sont trop contradictoires (Schafroth 1998, 35s.).
Alors que la langue se manifeste toujours dans des situations concrtes et quelle
est sous la responsabilit des sujets parlants qui lutilisent, le systme dune langue
nest pas influenable ni altrable par les locuteurs dune manire immdiate. Changer des discriminations, des injustices ou des asymtries quelconques dans une
langue nest possible qu travers lusage dans le temps. Les fminisations novatrices
en franais et lusage de la lettre I en allemand au milieu dun mot fminis au
pluriel (comme StudentInnen), pour dsigner tudiantes et tudiants, la procdure
dite Binnen-I, sont des exemples loquents. Le but de certaines linguistes fministes
tait pourtant autre jutilise limparfait parce que lre de la linguistique fministe
radicale semble appartenir au pass : dmasquer les systmes linguistiques (notamment ceux de langlais, de lallemand et du franais) comme profondment patriarcaux, et transformer radicalement les paradigmes et les structures de la langue.
Labandon du masculin gnrique, non seulement au singulier mais aussi au pluriel,
est une de ces revendications, qui, somme toute, a fini par engendrer un changement
linguistique dans beaucoup de contextes. Ainsi, il nexiste quasiment plus de dirigeants dun parti, dun syndicat ou dune entreprise, qui, quand il parle en public,
nutilise pas les doublets du type Franaises et Franais ou citoyennes et citoyens, une
reformulation qui fait partie de tous les guides de rdaction de textes non sexistes (ou
dsexiss ). La linguistique en France, en rsum, a donc aid proposer des rgles
susceptibles de crer un usage galitaire (par rapport aux sexes) et tablir,
lchelle nationale, la fminisation rigoureuse de tous les noms de mtiers, acquisition intellectuelle et pratique trop longtemps attendue (cf. chap. 4).
Il nest pas surprenant que, comme suite dune idologisation outre de la
linguistique fministe, soient aussi nes des ides premire vue rvolutionnaires,
comme labandon du pronom anglais he (pratiqu en fait dans la lexicographie
britannique o they et their remplacent he et his rfrs au pronom indfini someone),
labandon des noms composs anglais sur -man (chairperson et humankind au lieu de
chairman et mankind), labandon des termes de professions portant une marque de
genre (flight attendant au lieu de steward et stewardess), ou, mesure absolument
justifie, labandon de la distinction entre Mrs et Miss, Madame et Mademoiselle,
Frulein et Frau, langlais et lallemand ayant presque totalement abandonn la

357

Sexe et genre

dnomination de la femme non marie. Citons, en ce qui concerne le franais, la


publication Fminiser ? Vraiment pas sorcier ! :

Outre lutilisation de termes professionnels au fminin, les partisans de la fminisation recommandent de ne plus utiliser dsormais que le titre Madame pour dsigner une femme ou
sadresser elle (Dister/Moreau 2009, 19).

Pour lallemand, la linguiste Luise Pusch (1984, 61ss.) a propos de briser le


systme linguistique en renonant au masculin gnrique par lintroduction dun
nouveau paradigme morphologique. Au lieu du systme dualiste der Lehrer (le
professeur) et die Lehrerin (la professeure) , qui rvle selon la linguiste le caractre
secondaire des femmes (le suffixe -in ayant t ajout la base masculine), elle
propose un triple systme : das Lehrer en tant que forme gnrique se rapportant et
lun et lautre sexe, et der Lehrer, die Lehrer pour dsigner un homme ou une
femme la solution idale pour supprimer le masculin gnrique.
Il va sans dire que les rsistances contre les propositions fministes ont t
considrables, dans les mdias et parmi les linguistes, pas seulement masculins (cf.
Ulrich 1988). Les arguments principaux contre ces points de vue ont t celui de la
contingence des procs linguistiques travers lhistoire et celui du caractre innocent de la langue. Vouloir atteindre des buts comme ceux conus par les fministes
implique les facteurs de pouvoir et de violence. Tel tait le reproche majeur des
adversaires de ces thories, faisant rfrence des vnements historiques o des
interventions de lextrieur quon pense au purisme du XVIIe sicle ou aux contraintes provoques par lesprit du politiquement correct ont amen des changements
linguistiques.
Dautres approches en linguistique concernent lie lien entre grammaire et cognition (cf. Unterbeck et al. 2000), lacquisition des langues, les questions typologiques
(cf. Corbett 1991 ; Koch 2001, chap. 6) et les sujets de variation et de contact linguistiques, les croles inclus (cf. Trudgill 1999 ; Neumann-Holzschuh 2006 ; Rottet 2005).
Dans le domaine de la recherche sur lacquisition des langues, par exemple, on a
montr que les enfants allemands, lge de 36 mois, ralisent correctement les
articles selon le genre dans 90% des cas. Lapprentissage du marquage du genre est
donc accompli chez les enfants apprenant lallemand comme langue maternelle
lge de trois ans (Szagun 52013, 80s.). Clark (1985, 706) confirme ces donnes pour le
franais langue maternelle : By age 3, children appear to make few errors in their
choices of articles. Occasional late gender errors are reported [] for second-language
learners aged 5 or 6 []. Reports of such errors in spontaneous usage during the early
stages, however, are not as common as errors in adjective-noun agreement, e. g. the
use of *gros porte for grosse porte big door at 2 ;5 (cf. aussi Mller 2000).

358

Elmar Schafroth

10 Perspectives et desiderata
Parmi les domaines de recherches linguistiques dignes dtre approfondis lavenir
en ce qui concerne ltude du genre, on pourrait faire rfrence trois. Le premier est
la linguistique variationnelle, qui, encore trop souvent, manque dtudes plurilatrales en vue denglober, dans une perspective plus large et comparative, plusieurs types
de varits linguistiques. La Base de donnes lexicographiques panfrancophone (Poirier 2004), des recueils comme Le francais en Amrique du Nord (Valdman/Auger/
Piston-Hatlen 2005), ou le projet de recherche Grammaire compare du franais
acadien et louisianais, dirig par Ingrid Neumann-Holzschuh (cf. Neumann-Holzschuh/Brasseur/Wiesmath 2005), sont des exceptions mritoires. Il serait sans aucun
doute enrichissant de comparer les varits diatopiques (surtout celles appeles
marginales comme le franais acadien ou le franais louisianais), les varits
diaphasiques et diastratiques du franais et les croles franais par rapport la valeur
et lvolution de la catgorie genre (dont lrosion, exprime p. ex. par la tendance
linvariabilit de certaines formes grammaticales). Les questions suivantes se
posent : y a-t-il des corrlations relatives au marquage du genre entre les varits qui
subissent des procs centrifuges et entre celles qui sont lobjet de procs centriptes
(tous les deux par rapport au franais standard) ? Est-ce que lattrition (par acquisition incomplte des normes [] dans un contexte dtiolement linguistique , Rottet
2005, 250), constatable p. ex. dans le franais louisianais, engendre des phnomnes
drosion du genre comparables ceux dautres varits franaises nord-amricaines
non standardises ou au franais populaire de France ou aux croles franais
(quelque diffrents quils soient) ? Est-ce que, dautre part, le genre dans le cas des
procs centriptes (normalisation linguistique et dcrolisation) est restitu de
manire semblable (cf. Neumann-Holzschuh 2006) ?28
Le deuxime domaine de recherche approfondir est celui de lapprentissage du
genre dans le contexte de langue trangre. Quil sagisse dapprenants jeunes ou
adultes, le fait quils ne possdent aucun des automatismes de la langue maternelle
gnre, durant lexpression orale ou crite dans la langue cible, linvitable orientation vers les structures de la langue source. Nous savons tous combien les locuteurs
natifs peuvent tre impitoyables quand un locuteur, bien quil matrise bien une
langue trangre, fait une faute de genre dans cette langue ! Un erreur au lieu dune
erreur par exemple. La didactique de lenseignement des langues trangres ne
dispose pas encore, ni pour le franais ni pour lallemand, dun catalogue de descriptions contrastives qui comprenne les rgularits phonologiques, morphologiques
et smantiques par rapport lattribution du genre (cf. chap. 8), sans parler de

28 Cf. Chaudenson (1974, 350), par rapport la disparition de certaines marques morphologiques du
genre (et du nombre) en crole runionnais : Si lon prend comme base de rfrence le franais parl,
la distance est-elle si grande entre la situation du franais et celle du crole ? .

359

Sexe et genre

logiciels propres lapprentissage du genre dans une langue trangre. Tandis que
nous disposons de quelques tudes nes dans le cadre de recherche sur lacquisition
des langues L1 (dont le franais) ou dans le contexte du bilinguisme (surtout allemand/franais et anglais/franais), qui traitent aussi le genre (cf. Clark 1985 ; Mller
2000 ; Prvost 2009), je nai pas connaissance de travaux de recherche fondamentale
sur lapprentissage du genre dans le contexte du franais L2.
Enfin, il serait souhaitable davoir beaucoup plus de rsultats danalyses relatives
aux diffrences dusage linguistique entre les sexes.29 Ici, beaucoup de linguistes (et
non seulement eux) rptent les mmes clichs, peu fiables et pas suffisamment
prouvs de manire empirique. Tant que les tudes sur les diffrences linguistiques
relatives au sexe ne distinguent pas nettement entre les dterminants sexe et pouvoir et tant quelles ne considrent pas systmatiquement tous les facteurs de la
variation linguistique et le cadre pragmatique de chaque communication, nous ne
serons pas capables de dmontrer que les hommes interrompent vraiment plus
souvent ou que les femmes utilisent plus de signaux discursifs

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29 Il ny a que relativement peu dtudes pour le franais. Dans Armstrong/Bauvois/Beeching (2001)


ce sujet est abord, il est vrai (p. ex. par des tudes sur la particule pragmatique enfin dans le discours
des hommes et des femmes, ou sur la question de savoir si le discours des femmes est plus motionnel
et dictique que celui des hommes), mais lvidence empirique est peu convaincante. Il convient
cependant de noter la publication dtudes plus rcentes (dans Baider/Elmiger 2012 ou dans Guillaume/Perini 2011), qui traitent de nouveaux sujets relatifs au genre dans lanalyse discursive.

360

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Joachim Lengert

16 Les franais rgionaux


Abstract : Larticle esquisse des aspects thoriques et descriptifs dune varit diatopique du franais, les franais rgionaux ou rgiolectes . Sont abords la
terminologie, les critres de dfinition et la typologie des rgiolectes. Ensuite, on a
tent une description sommaire portant sur la synchronie des rgiolectes actuels,
notamment de France (phontique/phonologie, grammaire, lexique/smantique/
phrasologie). Enfin, sont dcrites les sources historiques (archasmes, dialectismes,
crativit interne, emprunts).

Keywords : archasme, emprunt, patois, rgionalisme, variation diatopique


1 Terminologie
Les franais rgionaux ou rgiolectes reprsentent un des phnomnes principaux de
la diversification du franais et constituent, ds les annes 1980, un des domaines de
prdilection de la recherche variationniste (cf. pour un rsum de la recherche,
jusquaux annes 70 : Dauzat 1933 ; Straka 1977b ; Rzeau 1995).
Boulanger (1980, 43s.) a relev 73 termes qui peuvent dsigner cette varit
golinguistique. De nos jours, le terme le plus rpandu, en rfrence au franais
europen, est celui de franais rgional , qui remonte au dbut du XXe sicle
(Dauzat 1906, 203). Dautres usages, p. ex. franais local , franais rural ou
parler rgional (Brun 1931), sont beaucoup plus rares. On dsigne les franais
rgionaux particuliers en y rajoutant le nom dune rgion ou dune localit, p. ex.
franais rgional alsacien/dAlsace . En rfrence aux rgiolectes non hexagonaux,
on prfre souvent franais en Belgique , etc., afin dviter limage trompeuse
dune variante unitaire, dlimite nettement sur le plan gographique. Le terme
franais rgional ne sapplique que rarement aux variantes extra-europennes,
pour des raisons sociolinguistiques. Daprs Poirier (1995, 17), qui souligne le fait que
linfluence du franais de Paris se fait ressentir dans une moindre mesure au Qubec,
o le franais constitue une varit nationale ayant sa propre norme, on ne pourrait lemployer quen rfrence une rgion particulire du Qubec. La dnomination
rgiolecte pour les variantes rgionales du franais est plus rcente (p. ex. Salmon
2006) ; on notera encore le terme topolecte (p. ex. Rey 1986, 38s.).
Les usages isols caractristiques des franais rgionaux europens sont dsigns
par le terme de rgionalisme (depuis Dauzat 1927 [TLFi]), ou par des termes gnraux
tels que particularits lexicales , etc. solution prfre par les dictionnaires du
franais dAfrique et dautres rgions exolingues. Plus rcemment, certains chercheurs
ont propos le synonyme plus gnral et moins marqu connotativement de diatopisme (Chambon 1999, etc.). Surtout par rapport aux varits extra-hexagonales, on

366

Joachim Lengert

se sert de termes tels que belgicisme , helvtisme et qubcisme / canadianisme qui ont le dsavantage dinsinuer lexistence dun franais belge , etc.,
conu comme plus ou moins uniforme. Pour certaines rgions de France, on emploie
des dnominations analogues tels que normandisme , provenalisme , etc.

2 Dfinition
Vu la diversit des approches dfinitoires (cf. linventaire dans Poirier 1987, 140s.),
certains auteurs ont parl dun concept flou et Corbeil (1986, 60) a mme propos
dabandonner la notion de franais rgional. En fait, sa dfinition soulve divers
problmes. Il faut lucider des concepts tels que la rgion , tenir compte de la
situation linguistique (endolingue ou exolingue) et sociolinguistique et du domaine
linguistique dcrit (phontique, etc.). En France, la distinction entre patois et rgiolecte nest pas toujours aise, surtout en dehors du domaine occitan et francoprovenal (cf. Rzeau 1984, 13s. ; Martin 1997, 59s.). Notons encore les dficits des dictionnaires et des grammaires (cf. Taverdet 1990, 709s. ; Serme 1998, 51s.) et la possibilit de
perte du statut de rgionalisme par la drgionalisation , soit par extension dun
rgionalisme, soit par polygnse.
La dfinition des rgiolectes se fait gnralement dans une perspective contrastive qui les distingue de lusage non dlimit sur le plan gographique. Cela prsuppose, dans une perspective normative, lexistence dune norme ou, dans une perspective descriptive, lusage soit dun centre (socio-)gographique, soit de lensemble ou
de la majorit des locuteurs francophones. L encore, on constate le mme dsaccord
terminologique (franais standard/neutralis, central, commun/gnral ou, de faon
plus neutre, franais de rfrence). Des linguistes qubcois en particulier (cf. Poirier
1987, 146s.) ont rfut ce concept, tout en prconisant lanalyse autonome des varits
diatopiques et en parlant de normes nationales, locales ou endognes. En rfrence
au lexique, Baggioni (2000, 48s.) met en garde contre lhypothse dune norme
nationale unitaire et plaide en faveur dune norme internationale la fois souple et
unifie dnomme aussi supranorme qui coexisterait avec des normes
locales usites dans des situations communicatives plus restreintes.
Vu la difficult dune dfinition prcise, certains auteurs admettent tout simplement un certain nombre de cas douteux (Straka 1977a, 230 ; Tuaillon 1983, 10),
dautres procdent des sous-catgorisations. Ainsi Carton (1981) a propos le modle
suivant pour la zone lilloise : a) franais commun, b) franais rgional, mlange
dominante de franais commun, c) franais dialectal (local), mlange dominante
dialectale, d) patois. De telles tentatives de subdivision se heurtent au problme de
leur dlimitation et de la validit de leurs critres. Dautres enfin admettent un
continuum affectant tant la comptence individuelle que lusage social entre le
franais standard et ses diffrentes varits mais aussi, selon certains (p. ex. Francard
1991, 377), les patois, l o ils coexistent encore avec les rgiolectes.

367

Les franais rgionaux

2.1 Critre gographique


Marqus par la tradition dialectologique, certains auteurs ont dfini le concept de
rgion de faon assez statique (cf. Bruneau 1961, 174). De nos jours, il est conu de
faon plus flexible :

[] le franais rgional sera donc pour nous la RUNION de tous les faits linguistiques ORAUX
ou CRITS, positifs ou ngatifs, produits par des utilisateurs de la langue franaise et limits sur
le plan gographique un point ou un ensemble de points plus ou moins important (Taverdet
1977, 41s.).

La parution du DRF a permis de dgager des aires typiques dextension relativement


grande (Chambon 2005, 12s. ; Goebl 2005) et dtablir une typologisation arologique
(cf. Thorel 2005, 133 ; Lagueunire 2007, 317). Certains auteurs ont mis en avant une
conception monocentrique de la langue franaise, p. ex. Tuaillon (1983, 2 ; pour une
critique cf. Corbeil 1984, 34) :

[] un rgionalisme linguistique est un cart de langage (phontique, grammatical ou lexical)


qui oppose une partie de lespace franais au reste du domaine et plus prcisment la fraction
du domaine linguistique dont fait partie la capitale du pays, car laire linguistique qui comprend
Paris est de toute faon qualitativement majoritaire .

De nos jours, elle est largement abandonne en faveur dune perspective pluricentrique, do la naissance du terme francisme pour dsigner les particularits du
franais de France (Hausmann 1986, 8s.).

2.2 Critre linguistique


Traditionnellement, les rgiolectes sont dcrits comme des entits diffrentielles,
distinctes de lusage gnral. Certains chercheurs, notamment des dialectologues, ont
ni quils forment des systmes au sens structurel (Straka 1977a, 231) et y ont reconnu
un ensemble de traits rgionaux isols (Warnant 1973, 113). Dautres auteurs
admettent lexistence de systmes phontiques et phonologiques ainsi que de micro-systmes lexicaux (Taverdet 1977, 42). Mller (1975, 117) dfinit les franais
rgionaux comme une couche linguistique intermdiaire entre les patois et le franais
commun, une espce dinterlangue, vision problmatique par le fait quil traite les
rgiolectes et le franais standard comme deux entits diffrentes (cf. Tuaillon 1983,
19). Brun (1946, 137) y voit le rsultat de la francisation du domaine occitan, du moins
au tout dbut de lapprentissage du franais par les occitanophones comportant la
naissance phmre de variantes de transition mixtes.
Toutes ces conceptions ont t remises en question ds les annes 80 (cf. dj
Voillat 1971, 217s.). On y substitue une vision globale qui identifie le franais rgional
comme lensemble des usages linguistiques dune communaut francophone bien

368

Joachim Lengert

localise sur le plan gographique (Poirier 1987, 142 ; cf. Francard 1991, 374). Dans
cette optique, les rgiolectes ne sont plus conus ni comme inventaires de traits isols
ou systmes partiels, ni comme interlangues, ni comme langues intermdiaires ou
autonomes. Ils ne sopposent pas au franais standard : Les franais rgionaux ne
sont pas autre chose que les formes relles et concrtes du franais tout court
(Chambon 1997, 15 ; cf. Chambon/Greub 2009, 2556). Cette posture thorique a des
rpercussions sur la conception du franais standard, qui nest plus identifi la
norme du bon usage , mais qui ne se manifesterait concrtement que sous forme de
ralisations gographiquement particularises (Chambon 2005, 7). Chaudenson
(1996, 396s.) a propos un modle de compromis. Le franais rgional comporterait
quatre ensembles de faits linguistiques, dont deux (C et D) vraiment spcifiques :
un ensemble A (majorit absolue des phnomnes linguistiques non soumis une
variation quelconque assimilable ce que lon considre comme franais commun),
un ensemble B (phnomnes sujets la variation caractre non rgional, p. ex. si
javais su/si jaurais su), un ensemble C (phnomnes sujets la variation
caractre rgional, p. ex. Amrique du Nord on/franais commun sous tension/franais central branch) et un ensemble D (phnomnes linguistiques rgionaux non
soumis une variation quelconque, tel le pronom y le, en domaine francoprovenal,
dans une phrase du type jy sais pas je ne le sais pas).

2.3 Critres sociolinguistiques et variationnels


Wolf (1972, 176) a caractris le franais rgional par sa subordination linguistique
et par sa subordination sociolinguistique la kon . Cette subordination est manifeste dans la tradition des crits normatifs et dans un sentiment dinfriorit des
locuteurs, qui seraient conscients du fait que leur usage rgional reprsente un cart
de la norme quils auraient tendance corriger. Ces caractristiques ne sont pourtant
pas exclusives aux rgiolectes et Wolf lui-mme doit excepter, en matire de lexique,
les rgionalismes de bon aloi , cest--dire les statalismes et les rgionalismes
indispensables parce quils refltent une particularit extralinguistique spcifique.
Un autre critre sociolinguistique, le caractre inconscient des rgionalismes, qui
distinguerait notamment les rgiolectes des patois, a dj t signal par Brun (1931,
17). Il est mentionn dans la plupart des contributions du colloque de Dijon de 1976
(cf. Straka 1977a, 229s. ; Gonon 1977, 148), et Martin (1997, 58) affirme galement,
quoiquavec prcaution, que les traits rgionaux [] sont le plus souvent employs
inconsciemment . Cependant, la conscience linguistique des locuteurs est trop
complexe pour tre pertinente comme trait dfinitoire absolu : Paquot (1988, 37), sur
la base dune enqute o les sujets taient censs identifier 29 canadianismes de
divers types, signale quune moyenne de 50,46% des informateurs ont identifi
lensemble des mots. Qui plus est, ses rsultats dmontrent que lidentification du
rgionalisme varie selon le mot (cf. ibid., 38, tableau III.1) : si un anglicisme comme

369

Les franais rgionaux

jumper sauter, bondir (92,6%) est un canadianisme conscient pour une large majorit, en revanche vivoir salle de sjour (7,4%) ne lest pas.
Piron (1978, 22) et dautres ont soulign laffinit du franais rgional au langage
parl, mais cest l un critre tout aussi relatif. Si les rgionalismes sont en fait plutt
marginaux dans le langage de la presse ( lexception des statalismes, de lusage des
annonces ou encore de lemploi intention stylistique), ils apparaissent dans la
langue littraire ds le XVIe sicle (cf. Baldinger 1957, 65s.) et cest surtout partir du
XIXe sicle (cf. Rzeau 1995, 687 ; 2007, 266) que lusage littraire de rgionalismes
devient un lment de style chez des auteurs tels que G. Sand ou A. Daudet. Rzeau
(1995, 681s.) souligne aussi limportance de textes crits privs comme source du
franais rgional.
Certains auteurs ont voulu caractriser les rgiolectes comme un phnomne
essentiellement rural, p. ex. Taverdet (1990, 715). Cette hypothse correspond une
pratique de recherche hrite de la dialectologie (pour une critique, cf. Chambon
1997, 16s.) bien des tudes dcrivent les particularits de localits relativement
petites en milieu campagnard , mais il est vident que les rgiolectes sont aussi un
phnomne des grandes villes.

2.4 Critre chronologique


Borodina (1982, 33) a fait valoir le critre de la naissance tardive des rgiolectes, afin
de les distinguer des patois. Selon elle, il sagirait pour lessentiel dun phnomne
qui daterait du dbut du XIXe sicle, par suite de limposition du franais commun
comme langage parl. Daprs Lengert (1994, 459), qui a extrait un chantillon de 949
helvtismes dun corpus restreint au langage littraire, les couches chronologiques se
prsenteraient comme suit :

Tableau 1 : Chronologie des rgionalismes (Suisse romande)


sicle
XI XVII
e

XVIII
XIXe

XXe

rgionalismes

156

16,4%

71

7,5%

(18001849)

111

(18501899)

254

(19001949)

215

(19501994)

142

11,7%

} 365

} 38,5%

26,8%
22,7%

} 357

} 37,6%

15,0%

Si lon compare ces donnes la statistique cite dans Manno (2004, 346), tablie sur
la base des 880 articles du DSR, les informations sont similaires : XIeXVIIe sicle
208 rgionalismes (23,7%), XVIIIe sicle 92 (10,5%), XIXe sicle 268 (30,4%), XXe sicle

370

Joachim Lengert

312 (35,4%). Malgr certaines divergences, le rgiolecte est essentiellement un phnomne des XIXe et XXe s.
Ce postulat a t combattu par Chambon (1997, 20, etc.), qui reconnat dans
lexpansion du franais ainsi que dans llaboration dune variante de rfrence par la
lexicographie et la grammaticographie des arguments pour situer le dbut de rgiolectes relativement stables la fin du XVe et au dbut du XVIe sicle. Cette hypothse
a t dfendue, avec quelques modifications, par Chambon/Greub (2009, 2553s. ; cf.
aussi Greub 2007) qui, sappuyant sur des arguments historiques internes (lvolution
du systme phonologique et du lexique) et externes (la diffusion du franais dans la
Galloromania), aboutissent la conclusion que la formation des franais rgionaux est surtout un fait du 16e s. , du moins en ce qui concerne le lexique et la
grammaire.

3 Typologie
On peut distinguer les rgionalismes positifs traits linguistiques concrets des
rgionalismes ngatifs, savoir des lments faisant partie de lusage gnral qui sont
(presque) absents de lusage dune ou de plusieurs communauts rgionales (cf.
Sguy 31978 [11950], 11). Voillat (1971, 226s.) cite le cas de ladjectif brun, qui serait en
usage en Suisse romande, tandis que marron y serait inexistant. En ce qui concerne
les rgiolectes europens, ce concept thorique a eu peu de rpercussions pratiques.
Malgr Salmon (1991, 28) qui postule labsence avre [] dun trs grand nombre de
mots en franais rgional du Lyonnais, les exemples restent isols et dpourvus de
fondement statistique. Par contre, ltude de Martel (1987) recense un nombre considrable de mots du franais de France inexistants ou de frquence trs basse en
franais qubcois. Ds la fin des annes 80, certains dictionnaires qubcois, tel le
DQA (1992), signalent des francismes, donc des rgionalismes ngatifs (cf. Verreault 1996, 200s., pour des exemples et leur critique).
La notion de rgionalismes de frquence comporte des units lexicales significativement plus (ou moins) frquentes dans une varit diatopique (ou plusieurs
varits diatopiques) que dans le reste de la francophonie. Thibault (1996, 359s.)
distingue les rgionalismes de frquence intralinguistiques et extralinguistiques. Les
premiers sont motivs par labsence ou la frquence trs basse, en franais rgional,
dun synonyme ou dune variante de forme connus en franais gnral ; les seconds
sont relis lusage ou au degr de connaissance dune ralit extralinguistique. Pour
dterminer la frquence on peut se rfrer la lexicographie gnrale (cf. Thibault
2007, 469s.) tandis que les dictionnaires de frquence ne sont que dune utilit limite
pour des recherches variationnistes. Martel/Cajolet-Laganire (2004) et Thibault
(2007) mettent en vidence lutilit des banques de donnes textuelles, qui, malgr
leurs dficits, permettent dobjectiver ce concept qui attend encore des analyses
systmatiques.

371

Les franais rgionaux

On peut classifier les particularits rgionales synchroniquement, diachroniquement ou diatopiquement. Une sous-catgorie est celle des statalismes , terme cr
par Pohl (1984) qui a souvent t appliqu au vocabulaire officiel, mais qui dsigne
tout fait linguistique frquent dont laire gographique sarrte ou dont lusage se
rarfie nettement la frontire politique dun pays.
On a labor diverses typologies spcifiques qui, pour la plupart, se rfrent au
lexique (cf. Boulanger 1985, 132s. ; Massion 1987, 64s. ; Pauleau 1995, 207 ; Serme
1998, 190s.). Dans une classification globale, Poirier (1995) distingue, dun point de
vue historique, les archasmes, les dialectismes, les innovations et les emprunts (
langlais et aux langues amrindiennes). Synchroniquement il systmatise les divergences entre le franais de France et le franais qubcois :

qubcisme lexmatique : le mot (simple ou complexe) nexiste pas en franais de France (en
fait, dans certains cas, ce nest que le signifiant qui nexiste pas en France, p. ex. parmi les
attestations apportes par Poirier (1995, 32), achaler importuner).
qubcisme smantique : le mot existe en franais de France, mais avec un sens dnotatif
diffrent ou plusieurs sens dnotatifs diffrents.
qubcisme grammatical : le mot existe en franais de France, mais le comportement
grammatical nest pas le mme. Daprs Poirier, les diffrences peuvent affecter lappartenance des classes de mots diffrents, le comportement flexionnel (p. ex. des diffrences de
genre ou de nombre) ainsi que des phnomnes de construction syntaxique.
qubcisme phrasologique : une unit phrasologique existe au Qubec, mais pas en
France.
qubcisme de statut : le mot existe en franais de France et en franais qubcois, mais il a
un statut diffrent.

Cette dernire catgorie, dans laquelle rentrent galement les rgionalismes de


frquence, comprend diffrents phnomnes connotatifs ou diasystmatiques. Nous
reproduisons ici, sous forme simplifie et modifie (informations supplmentaires
daprs DHFQ et Dulong 1999), le tableau synthtique tabli par Poirier (1995, 43) :

Tableau 2 : Classification des rgionalismes lexicaux (Qubec)

archasme

lexmatique

smantique

grammatical phrasologique de statut

abrier couvrir

suon bonbon
fix au bout
dun btonnet

dinde s.m.

avoir le corps
drang avoir
la diarrhe

vase boue

gal adv.

cur de jour
longueur
de jour

moulin scie
scierie
dialectalisme placoter
bavarder
amrindianisme

atoca sorte
dairelle
(< iroquoien
(a)toxa)

aboyer (soign au
Qubec, usuel en
France)

caribou renne du
Canada (< micmaque kleboo,
etc.) (plus usuel
au Qubec)

372

Joachim Lengert

anglicisme

lexmatique

smantique

grammatical phrasologique de statut

drave transport, flottage


du bois
(< angl. drive)

char voiture
(< angl. car)

argents pl.
(< angl.
moneys)

parler travers
son chapeau
parler tort
et travers
(< angl. to talk
through ones
hat)

condom prservatif (usuel au


Qubec, langage
technique en
France)

se faire passer
un sapin se
faire duper

arachide (usuel
au Qubec,
langage commercial en France)

innovation

cartable cahier
anneaux

marchable
o lon peut
marcher

autobus n.f.

lexception des amrindianismes, cette classification nest pas spcifique au franais qubcois et peut sappliquer sans difficults dautres rgiolectes en situation
de franais langue maternelle. On pourrait y ajouter les rgionalismes formels, cest-dire des variantes (morpho)phontiques de mots, p. ex. franais standard poireau
franais rgional (populaire ?) porreau (cf. DSR 2004, 595s.). En situation exolingue,
elle doit tre adapte la variante respective, tel que lillustrent plusieurs contributions du volume de Francard/Latin (1995). Ainsi Pauleau (1995, 205) signale, en
franais de Nouvelle-Caldonie, labsence darchasmes et de dialectismes.

4 Caractristiques linguistiques
Il nexiste pas de rgionalismes graphiques, lexception de graphies rgionales
refltant une prononciation diffrente, p. ex. France sbile [sebil] Suisse romande
sbille [sebij]. Dans le cas demprunts, la graphie peut varier en fonction de diffrents
degrs dadaptation, p. ex. block (Qubec) bloc (France) ou, au contraire, balloune
(Qubec) ballon (France) (Rzeau 1987, 203s.). Des traditions typographiques divergentes peuvent amener des diffrences. Ainsi, lon crit la date 1-1-2013 ou 1/1/2013 en
France, tandis quen Suisse romande, on peut galement lcrire 1.1.2013, probablement sous linfluence de lallemand.

4.1 Phontique. Phonologie


Dans la perspective des locuteurs, les particularits phontiques sont englobes sous
le terme d accent , peu prcis et non exempt de connotations normatives (cf. Carton
et al. 1983, 3) ; terme qui a pntr aussi dans le discours scientifique (p. ex. Woehrling 2009). Leur analyse variationnelle soulve plusieurs problmes (cf. Hambye
2007, 365s.) : ltablissement de corpus est complexe, la variabilit phontique et
phonologique est grande, ce qui rend difficile lidentification des particularits rgio

373

Les franais rgionaux

nales et leur distinction de phnomnes diastratiques et diaphasiques ou encore de


tendances dvolution gnrales. La spcificit dune variante rgionale ne rsulte pas
forcment de l(in)existence dun phnomne, mais de sa frquence plus ou moins
leve, et un systme phonologique rgional peut prsenter plusieurs sous-systmes
(cf. Rittaud-Hutinet 1991).
Au XXe sicle, on constate dune part lexistence de nombreuses monographies
visant le lexique qui contiennent des remarques sur la prononciation rgionale, p. ex.
Brun (1931, 2846). Dautre part, la variation diatopique du franais devient lobjet de
lattention des phonticiens, ds la fin du XIXe sicle. Un des pionniers est Koschwitz
(1892), avec son tude comparative de la prononciation parisienne et genevoise. Les
phonticiens ont tent les premires synthses large chelle, tel Fouch (1936) ou
Carton (1973, 236) qui admet neuf traits phontiques caractristiques de la France
septentrionale :

absence de liaisons facultatives (i(l) vient / avec)


tendance la fermeture des voyelles non accentues (propos [popoze] au lieu de
[ppoze])
harmonisations vocaliques (raidi [edi] au lieu de [di])
amussements de e muets facultatifs
assimilations consonantiques (Isral [izal] au lieu de [isal])
relchement articulatoire, do timbres peu nets et sons de transition (thtre [teja:t] au lieu
de [tea:t])
ingalit de la dure syllabique
simplification de groupes consonantiques (escalier [skaje] au lieu de [skalje])
patterns dintonation ayant une fonction syntaxique

La seule tentative globale de description phontique des particularits du Nord-Est,


du Midi et du franais parisien, est louvrage but didactique de Carton et al. (1983 ;
cf. les textes enregistrs sur http://accentsdefrance.free.fr/). Le nombre rduit des
enqutes menes surtout en milieu rural et la restriction une seule localit explore
dans chaque zone rendent problmatique la gnralisation des rsultats, dont nous
retenons ici quelques spcificits consonantiques de trois rgions de lEst (Carton
et al. 1983, 14s.) :

Tableau 3 : Traits consonantiques de trois rgiolectes de lEst

occlusives

Jura
(Lamoura, dpt. Jura)

Alsace
Lorraine
(Riquewihr, dpt. Haut-Rhin) (Grardmer, dpt. Vosges)

dsonorisation des
occlusives sonores en
position finale ou devant
, p. ex. habitude [tud]

1. tendance la sonorisation aspiration de locclusive


des occlusives sourdes
sourde initiale, p. ex. tapait
[tp]
(occlusives douces
sourdes ), p. ex. pice [bjs]

2. aspiration de locclusive
sourde initiale, p. ex. qualit
[klite]

374

Joachim Lengert

fricatives

Jura
(Lamoura, dpt. Jura)

Alsace
Lorraine
(Riquewihr, dpt. Haut-Rhin) (Grardmer, dpt. Vosges)

[] > [d], p. ex. Julien


[dylj]

1. sonorisation de [f, s]
( possible ), p. ex. franais
[vr:z]

dsonorisation de [v, z, ]
en finale > [f, s, ], p. ex.
neige [ne:]

2. dsonorisation de fricatives sonores ( possible ),


p. ex. jaune [o:n]

nasales

[] > [n], p. ex. vigne [vi:n]

latrales

[l] final aprs une occlusive


> , p. ex. peuple [pp]

[] recul, fortement vibr [r] apical ( gnralement ),


et sourd, p. ex. abri [abi ] p. ex. rgle [r:gl]

vibrantes

[] final trs recul et


assourdi ou affaibli
( parfois ; aussi aprs
une occlusive), p. ex. alors
[alo], encore [ko:]

h aspir initial prononc [h],


h aspir initial en syllabe
accentue prononc [h], p. ex. p. ex. haut [ho]
hache [ha]

h aspir

1. simplification par
1. simplification par
amussement, p. ex. quelque amussement, p. ex.
[kek]
mtallurgiste [is]

groupes
consonantiques

2. simplification par
interversion, p. ex. mtre
[mtr]

En phonologie, Martinet (1945) fait figure de pionnier, tant par sa conception thorique qui surpasse la vision structuraliste classique dun systme linguistique homogne que par sa mthode dune enqute systmatise. Cette approche innovatrice a
t labore partir des annes 70 par un groupe de chercheurs, dont on lira les
rsultats dans Walter (1982). laide dun questionnaire complt par des conversations enregistres, les auteurs ont men une enqute dans toute la Galloromania
(France, Belgique, Suisse, Val dAoste) pour systmatiser les diffrences diatopiques
du diasystme phonologique segmental (phonmes, principaux allophones, oppositions), ce qui a permis quelques gnralisations (ibid., 203s.) :

le maintien, dans de nombreuses rgions, darchasmes tels que la diffrenciation quantitative du systme vocalique, lexistence de systmes comprenant 5 ou mme 6 voyelles
nasales, la survivance de la consonne latrale []
la pression, chez bien des informateurs, entre le systme rgional traditionnel et celui qui se
diffuse partir de la rgion parisienne

Les auteurs constatent une scission marque entre les rgions mridionales et nonmridionales, p. ex. en ce qui concerne la ralisation du schwa. La frontire entre

375

Les franais rgionaux

langue dol et langue doc serait situer plus au sud, lancien domaine francoprovenal aurait subi largement linfluence olique. Dans une zone centrale qui va de la
Saintonge jusquen Franche-Comt existent des particularits phonologiques cohrentes, distinctes du systme du franais courant, tandis que linfluence du franais
parisien est notable dans certaines zones de lEst (Champagne), de lOuest (Maine,
Orlanais) et du Centre-Sud (Centre, Bourgogne). Ds la fin des annes 90, lapproche la plus importante de la variation diatopique du systme phonologique est le
projet PFC (= Phonologie du Franais Contemporain) (cf. Detey et al. 2010 et http://
www.projet-pfc.net/) qui se distingue de ses prdcesseurs par la mthode et par les
buts thoriques et pratiques, dont voici les plus importants : a) lorientation panfrancophone ; b) la ralisation denqutes mthodiquement labores et opres sur
un chantillon important dinformateurs ; c) ltablissement dune base de donnes
du franais oral, mise disposition sur internet ; d) lorientation didactique. Cest de
ce projet que provient lessentiel des informations qui suivent.
Daprs Woehrling (2009, 17 ; cf. aussi Lyche 2010, 143s.), le systme phonologique du franais standard est largement rpandu dans la moiti nord de France,
quelques exceptions prs (Nord, Alsace). Lyche (2010, 150s.) signale, parmi les instabilits du systme vocalique dpendant des rgions, la disparition de lopposition
/a/ ~ //, lantriorisation de /o, /, la postriorisation du schwa et lvolution des
voyelles nasales. Le consonantisme semble tre relativement uniforme, lexception
de la variation de // ou de la perte de // > /nj/. Certaines analyses rcentes incitent
croire que limportance de la variation phonologique rgiolectale serait en recul, par
rapport certains traits et de manire ingale selon les rgions, tandis que la variation
diastratique deviendrait plus importante (cf. Boughton 2007).
On trouve une synthse des particularits phonologiques du Midi dans Durand
(2009) et Coquillon/Durand (2010). Le Midi , selon Durand, comprend la rgion
occitanophone dfinie par Bec (1963) ainsi que le Pays basque et le Roussillon
catalanophone. LAuvergne et le Limousin semblent tre des zones de transition qui
partagent des traits avec le Midi (systmes vocaliques) et le Nord (disparition du
schwa, voyelles nasales). Le vocalisme semble tre assez stable, compar p. ex. la
description de Brun (1931). Le systme vocalique oral minimal, caractris par la
disparition de lopposition quantitative et la rduction des diffrences daperture,
comporte sept units (Durand 2009, 130) :

ferm
ouvert

palatal
i
E

vlaire
u
O

E, , O marquent des voyelles moyennes dont la ralisation semble dpendre


surtout de la position (mi-ouvert //, //, // en syllabe ferme ou devant un schwa
dans la syllabe suivante, mi-ferm /e/, //, /o/ en syllabe ouverte). Ce systme est
sujet des variations rgionales. Ainsi on relve, en Gascogne, en Languedoc et en

376

Joachim Lengert

Provence, la conservation de lopposition /e/ ~ //. cela sajoute le problme


complexe du schwa. Il est ralis [] (non arrondi), mais aussi []/[] (arrondi). Son
degr de ralisation dpend de la rgion, de la position lintrieur du mot et de la
prsence ou non dun -e graphique (cf. Durand 2009, 141s.). En ce qui concerne
les voyelles nasales, lopposition // ~ / / est conserve, mais cest surtout leur
ralisation avec appendice consonantique [] qui constitue un trait mridional
spcifique. Ce phnomne se produit soit aprs une voyelle orale ([e], [], [],
[a]), soit aprs une voyelle nasalise ([]/[], [ ], [], [) (pour linterprtation phonologique, cf. ibid., 147s.). Le systme consonantique ne diffre pas essentiellement de celui du franais de rfrence, on retiendra les particularits suivantes
(ibid., 149s.) :

dvoisement total ou partiel en finale de mot (p. ex. gas [gas], sud [syt])
voisement rgressif (p. ex. islamique [izlamik] et mme en position initiale, slip [zlip])
simplification des groupes consonantiques internes ou finaux (p. ex. infect [fk])
remplacement de // par /nj/
survivance de //, dans la vieille gnration
substitution du r apical [r] (attest encore et l dans la vieille gnration) par un r
postrieur [] (chez les locuteurs ns aprs 1945)
diffrences de distribution et de comportement lintrieur du mot des semi-consonnes,
tendance la dirse (p. ex. lier, nouer : [lje], [nwe] en franais standard, [lije], [nue] en
franais mridional)

Malgr quelques travaux prliminaires, la variation prosodique rgiolectale na suscit de lintrt que rcemment ; on se reportera notamment Simon (2012).

4.2 Grammaire
Les particularits grammaticales ne semblent pas former une caractristique majeure
des rgiolectes (cf. Brun 1931, 144 ; Blanche-Benveniste 1991, 218). Tuaillon (1983,
370), parmi les 950 entres releves dans le franais rgional de Vourey (dpt. Isre),
ne compte que 29 traits grammaticaux (3,05%) et Martin (1997, 61) admet un taux
moyen de moins de 5% des matriaux relevant de la grammaire. titre dexemple, on
comparera le relev simplifi des faits grammaticaux essentiels signals dans trois
rgions diffrentes de la Galloromania :

377

Les franais rgionaux

Tableau 4 : Traits grammaticaux de trois rgiolectes galloromans


francoprovenal
domaine dol
Franche-Comt : Authoison Dauphin : Vourey
(Dondaine 1977, 52s.)
(Tuaillon 1983, 371)

domaine doc
Toulouse (Moreux/Razou
2000, 618s.)

nom : nombre gent s.f.sg. personne : cest


une bonne gent

-s du pluriel prononc dans


certains emprunts loccitan

nom : genre

divergences de genre, p. ex. divergences de genre,


fourmi, s.m. au lieu de s.f.
p. ex. horloge, s.m. au
lieu de s.f.

(1) -e du fminin gnralement


prononc
(2) divergences de genre, p. ex.
livre s.f. au lieu de s.m.

rection divergente : Il est


pareil comme son pre au lieu
de pareil

adjectif

verbe : emploi (1) je suis t au lieu de jai


des auxiliaires t ( est constant )

(2) rester, tomber, partir :


pass compos form avec
avoir au lieu de tre, pour
exprimer une action : il a
parti 5 heures

je suis t au lieu de jai je suis t au lieu de jai t


( reste frquent chez les
t ( est en voie de
rgression )
vieux )

(3) expression du futur


proche par la priphrase
vouloir + infinitif : il veut
pleuvoir

verbe :
participe

participe pass de coudre :


coudu au lieu de cousu

verbe :
infinitif

emploi de la locution avoir


besoin avec un infinitif
actif : ces carreaux ont
besoin de laver au lieu de
dtre lavs

participes tronqus
(adjectifs verbaux),
p. ex. gonfle gonfl

verbe : temps pass surcompos dans la pass surcompos dans pass surcompos dans la
proposition conditionnelle : la proposition principale proposition principale : Je lai
si javais eu pens
et temporelle : Aprs
eu connu
quon a eu mang []

verbe :
construction

(1) v.pron. au lieu de v.tr.,


p. ex. se penser

(2) v.tr. direct au lieu de v.


intr./v.tr. indirect, p. ex.
causer une fille la courtiser

(3) rection divergente, p. ex.


se dcider de au lieu de se
dcider

v.pron. au lieu de v.tr. :


saider qqn. aider
qqn.

(1) v.tr. au lieu de v.intr., p. ex.


tomber le crayon

(2) accord divergent : Je lai


faite venir

(3) rection divergente, p. ex.


sentir lail au lieu de sentir
lail

378

Joachim Lengert

francoprovenal
domaine dol
Franche-Comt : Authoison Dauphin : Vourey
(Dondaine 1977, 52s.)
(Tuaillon 1983, 371)

domaine doc
Toulouse (Moreux/Razou
2000, 618s.)

article indfini des devant le article dfini devant les


prnoms : le Pierre, la
syntagme adjectif + nom :
des bonnes saucisses
Jeannette

(1) article dfini au lieu du


pronom possessif : Mets-toi le
chapeau

article

(2) omission de larticle dans


le tour Dans demi-heure
pronom

(1) pronom dobjet y [yi/i] au (1) pronom neutre de la (1) emploi du datif thique : Je
lieu de lui : i faut i donner 3e personne y au lieu de me le mange
manger
le : jy veux
(2) omission du pronom
(2) leurs deux au lieu de tous (2) ordre des pronoms
impersonnel : Hier a fait huit
jours que
les deux : ils sont alls leurs personnels compldeux
ments de la 3e personne : je lui le donne
(3) nous deux mon pre

mon pre et moi


(4) tout chacun/tout chaque
au lieu de chacun/chaque
les autres fois autrefois quelque chose / quelquun
plus au lieu de dautre

adverbe

tout partout au lieu de


partout

ngation

point au lieu de pas : jen ai position divergente de


point je nen ai pas
la ngation : en pas +
grondif : [] on aura
fini bien avant midi, en
pas forant.

numral

deux trois quelques

deux-trois quelques

prposition

vers au lieu de auprs de :


il est vers moi ; aprs au
lieu de dans : la clef est
aprs la serrure

en place que parce que

conjonction

Ce choix limit (cf. toutefois pour des rsultats similaires, p. ex. Brun 1931, 4749 ;
Sguy 31978 [11950], 4157 ; Wolf/Fischer 1983, 189194), permet un certain nombre
de gnralisations. Les rares particularits flexionnelles sont fortement menaces par
la pression des formes quivalentes considres comme normativement correctes (cf.
Sguy 31978 [11950], 41). Parfois il sagit de faits lexicaliss, ainsi Moreux/Razou
(2000, 620) signalent la conservation du morphme dorigine occitane -o comme
marque du fminin des noms, mais uniquement comme composante de quelques
phrasmes du type tchicos et micos chichement. En dehors de la flexion, les
particularits grammaticales rgiolectales constituent frquemment des paradigmes
restreints ou sont lies des mots isols, notamment aux mots grammaticaux. On est
confront des phnomnes de rection ou des collocations grammaticales. Malgr

379

Les franais rgionaux

labsence de donnes statistiques explicites, on peut supposer que la frquence de


bien des rgionalismes grammaticaux est plus basse que celle des synonymes gnraux et on relve des restrictions demploi, p. ex. lusage oral, ou des stigmatisations. En revanche, la fminisation des noms de mtier (auteure, professeure) a eu plus
dimpact au Qubec ou en Suisse romande quen France.
On peut sattendre un nombre plus important de rgionalismes syntaxiques (cf.
p. ex. Salmon 2006, 273294), puisque les carts sont moins notables quen
morphologie. En revanche, ils ne sont pas toujours faciles dpister et demandent
des corpus extensifs. Bon nombre de traits syntaxiques rgionaux sont plutt
marqus diaphasiquement ou relvent de lusage oral (cf. Gadet 2009). Sur la base
dexemples classifis tort ou raison comme rgionalismes, Blanche-Benveniste
(1991) fournit une typologie (morpho-)syntaxique (dont les localisations sont forcment incompltes) :

Tableau 5 : Typologie des rgionalismes syntaxiques


type

caractrisation

exemple

[pseudoinfraction la norme, usite dans


rgionalisme] toutes les rgions francophones

que dont, o ( ce film exactement quil


parle ) [Marseille]

possibilit dexpression valeur


auxiliaire avoir au lieu de tre ( Jai mont
fonctionnelle, qui nest pas conforme plusieurs fois Paris ) [Marseille]
la norme

rgionalisme
de frquence
rgionalisme

phnomnes rpandus un peu


partout, peut-tre plus frquents
dans certaines rgions

relatifs/indfinis/interrogatifs renforcs par


cest que ( mais o cest que je vais le
mettre ) [Marseille]

faits lexico-syntaxiques :
constructions

tre aprs + inf. tre en train de ( je suis


aprs faire ma lessive ) [Forez]

faits de micro-grammaire
(structuration dlments
grammaticaux restreints)

y le ( la prcision faut pas y chercher ldedans ) : le/la en fonction individualisante,


y en fonction globale [domaine
francoprovenal]

faits dextension du systme

dtermination du nom par un article dfini, un


possessif ou un dmonstratif, lintrieur de
constructions impersonnelles ( et il venait la
batteuse ) [ usages [] peu connus au nord
de la Loire ]

Des analyses telles que Valli (1999) sur le franais parl Marseille (p. ex. lemploi de
larticle partitif : beaucoup des gens) remettent en question une conception absolue
des rgionalismes syntaxiques. Lauteur souligne que leur usage peut dpendre du
niveau dinstruction des locuteurs et met lhypothse que le statut de rgionalisme
se manifeste galement par une frquence plus leve de traits qui appartiennent au
franais populaire.

380

Joachim Lengert

4.3 Lexique
Malgr labsence de marquage dans de nombreux glossaires, le lexique prsente la
mme structuration variationnelle que le lexique gnral. Bourcelot (1973, 225) distingue p. ex., en rfrence au rgiolecte de la Haute-Marne, des mots familiers
(enrotter sembourber) ou soutenus (se diligenter se hter) et allgue lexemple du
rgionalisme neutre riblette s.f. ensemble du foie, des poumons, de la cervelle et de la
saigne du porc, tandis que cochonnade et cochonnaille sont rputs vulgaires .
La lexicographie rgiolectale (cf. Hausmann 1986, 5s., pour une typologie gnrale ; Thibault 2008, pour un survol historique ; Bavoux 2008) est caractrise par sa
qualit htrogne (cf. la critique de Chambon 1997, 11s.). Les seuls dictionnaires la
hauteur de la mthodologie lexicographique actuelle sont le DHFQ (1998), le DRF
(2001), le DRFA (2007) et encore le DSR (1997, 2004). Le DRF (cf. Heinz 2005), qui
porte sur la France entire, compte parmi ses avantages une description gographique
(entre autres laide de plus de 300 cartes) et historique explicite, des dfinitions
smantiques et grammaticales prcises, un marquage variationnel et une exemplification philologique trs riche.

4.3.1 Formation de mots


En franais europen, la morphologie lexicale des rgiolectes na gure t lobjet
dtudes systmatiques. Mme sur la base de grands corpus numriques, il est difficile
didentifier les nologismes rgiolectaux. Il convient de distinguer les formations
non-spcifiques attestes dans un corpus rgional des nologismes internes typiques de lusage dune rgion. Afin de dceler ces spcificits, une vision purement
synchronique, fonde sur la transparence morphologique, ne convainc pas : repourvoir v.tr. nommer qqn. pour combler un dpart [] (DSR, 654s. ; GR, 8, 274) ne dvie
pas des fonctions du prfixe re- en franais standard, cest uniquement le fait quil a
t lexicalis en Suisse romande et non pas ailleurs qui permet de le classifier de
driv rgiolectal. Dans cette optique diachronique, il faut exclure les pseudodrivs (Lengert 2000), cest--dire des formations motives synchroniquement,
mais qui ne reprsentent pas des nologismes internes (cf. des attestations ibid.,
305s., p. ex. dcesser cesser, attest en Suisse romande depuis 1824, mais qui est un
lment repris au franais populaire).
Limportance quantitative de la morphologie lexicale rgiolectale ressort de Manno (2002, 47), qui, sur la base de 1286 formes enregistres dans le DSR (1997), relve
385 (29,9%) formations de mots immanentes (la suffixation et la composition constituent les procds les plus importants, cf. infra, 5.4). Les procds de formation sont
fondamentalement les mmes quen franais standard. Un cas comme celui du suffixe
diminutif dorigine nerlandaise/flamande, -je, -ke, en franais rgional de Bruxelles,
dans des drivs (occasionnels ?) base franaise tel que mademoiselleke (Baetens

381

Les franais rgionaux

Beardsmore 1971, 109s.) est isol et soumis des restrictions de frquence et dusage
( par plaisanterie ). Les particularits semblent tre plutt graduelles (drivs isols,
formation de variantes de mots gnraux, productivit et fonctionnalit daffixes,
etc.).
En gnral, les remarques ponctuelles des ouvrages plus rcents ne dpassent
pas le niveau descriptif atteint par les prcurseurs de lanalyse de la morphologie
lexicale rgiolectale, Wiler (1909, 44s.) et Boillot (1929, 40s., 67s.). Une des rares
exceptions se trouve dans Moreux/Razou (2000, 627s.) qui analysent notamment
laffixation. Ils indiquent un inventaire de 18 suffixes rgionaux typiques dont les plus
frquents sont les suffixes diminutifs hypocoristiques -ou et -et ainsi que le suffixe
pjoratif as. Ces suffixes entrent dans 318 (24,75%) des 1285 mots recueillis par les
auteurs, mais la majorit absolue de ces drivs ont un quivalent en occitan et ne
constituent pas des formations internes, dont on ne relve que trs peu de reprsentants, p. ex. maigrot/maigrichot adj. maigrelet. Seulement deux suffixes typiques
(-ou, -ot) sont encore couramment reprsents parmi les tmoins urbains de la jeune
gnration qui, en outre, a tendance franciser les suffixes rgionaux, ainsi pgous
adj. poisseux ; sale cde la place pgueux. La vitalit actuelle des suffixes, en
franais rgional de Toulouse, reste malaise systmatiser, et les auteurs prfrent
parler, au lieu de productivit, de disponibilit (ibid., 640) des suffixes rgionaux
frquents, usits sporadiquement et surtout comme lments expressifs.

4.3.2 Smantique
Les rgionalismes smantiques sont des units lexicales qui sont gnralement ou
largement rpandues et dont le signifi reprsente des particularits propres une
rgion ou plusieurs rgions, tandis que le signifiant est identique. Il sagit surtout de
mots, plus rarement de phrasmes, p. ex. Normandie, rgion parisienne tout de suite
maintenant, en ce moment < immdiatement, sans dlai (DRF, 944s.). Il existe deux
types, les rgionalismes smantiques inclusifs et exclusifs daprs Serme (1998, 193) :
ou bien le sens rgional coexiste avec le sens gnral ou bien il sy substitue. On peut
les catgoriser par rapport au sens du franais de rfrence, p. ex. (exemples tirs du
DRF) :

mtaphore : Est, Sud-Est jsus grosse saucisse de porc [] ;


mtonymie : Lyon ficelle chemin de fer cble ou crmaillre < rgional Lyon cble ou
systme de traction du funiculaire ;
restriction : Sud-Est quartier lune des parties obtenues lors du dcoupage dune oie ou dun
canard [] < partie dun animal de boucherie ;
extension : Ouest, Centre, Est, Sud-Est, Suisse romande curie btiment dune exploitation
agricole o lon abrite [] le btail < btiment pour les chevaux ;
euphmisme : Sud-Est fatigu (gravement) malade < dont les forces ont diminu [] ;
mlioration : Sud-Ouest con terme dadresse fam. ou pop. ;

382

Joachim Lengert

antonomase : Midi et l laguiole s.m. fromage pte presse, non cuite, de couleur jaune
[] < fromage de Laguiole < Laguiole, localit de lAveyron ;
calque : Midi plier envelopper < occitan pleg.

4.3.3 Phrasologie
La phrasologie rgiolectale a suscit peu dintrt. On ne dispose pas, en francophonie europenne, de dictionnaires spcifiques de qualit. En comparant franais de
France et franais qubcois, Roques (1993, 132s.) a esquiss la typologie synchronique suivante : a) locutions identiques ; b) locutions ayant un sens diffrent : France
avoir le pied marin tre accoutum la mer Qubec ne pas avoir le pied marin
tituber en tat divresse ; c) locutions ayant une forme diffrente : Qubec avoir les
deux pieds dans la mme bottine ne pas tre dbrouillard France ne pas avoir les
deux pieds dans le mme sabot ; d) locutions qubcoises sans quivalent en franais
de France [et linverse] : changer de pied dancre modifier son approche ; e) locutions
qubcoises qui ont des quivalents en franais rgional de France ; f) emprunts du
franais qubcois au franais hexagonal.
Lapproche actuelle la plus ample et systmatique est le projet BFQS (cf. Lamiroy 2010) qui labore un dictionnaire compar des locutions verbales de quatre
variantes nationales du franais (Belgique, France, Qubec, Suisse = BFQS). Gographiquement, les auteurs regroupent les phrasmes en 15 catgories (ibid., 51) qui
comprennent le franais commun, les variantes nationales et leurs diverses combinaisons, p. ex. pour coter cher BFQS coter les yeux de la tte, FS coter bonbon,
B coter un pont. Ce sont notamment les caractristiques structurelles et formelles
des phrasmes qui ont t dcrites (p. ex. BFS se mettre en quatre, Q se fendre en
quatre faire tout son possible, etc.), mais aussi les relations smantiques, tels les
gosynonymes (p. ex. pour ne plus pouvoir supporter : BFS en avoir ras le bol
Q avoir son load, etc.).

5 Sources historiques
En ce qui concerne lorigine des rgiolectes, on a dabord mis laccent sur les patois et
les archasmes. Bruneau (1953, 549) caractrise encore le franais rgional comme un
mlange de reliques anciennes et de faits patois plus ou moins franciss . Mais dj
Brun (1931, 9) mentionne la cration smantique et Sguy (31978 [11950], 9) souligne limportance des emprunts. Baldinger (1961b, 161) est un des premiers rendre
compte des quatre sources principales : le patois, larchasme (lexical ou smantique),
lvolution spontane (lexicale ou smantique) et lemprunt.

383

Les franais rgionaux

5.1 Influence dialectale


Par analogie avec le contact entre gaulois et latin dans la Galloromania, certains
auteurs (Mller 1975, 117 ; Straka 1977a, 237s., etc.) ont appliqu le concept de substrat
pour caractriser linfluence des patois franais et francoprovenaux sur les franais
rgionaux. Cette conception a t critique p. ex. par Chauveau (2005) qui essaie dy
substituer un modle plus complexe de contacts linguistiques multilatraux.
On peut diffrencier diffrents types dinfluences patoises sur les rgiolectes :
dialectismes phontiques ou phonologiques, grammaticaux ainsi que lexicaux, smantiques et phrasologiques. De Vincenz (1974, 11) constate qu aucune forme
morphologique du patois na t emprunte directement par le franais local cette
constatation semble tre largement gnralisable. En revanche, des influences morphologiques peuvent affecter le genre, p. ex. Magny-ls-Aubigny (dpt. Cte-dOr)
serpent s.f. au lieu de s.m. (Rouffiange 1983, 259) ou lemploi des verbes, p. ex. La
Mure (dpt. Isre) savorter avorter, daprs le modle du patois savort (Serme
1998, 210 ; Duc 1990, 19, plaide en faveur dun archasme).
Dans le lexique, linfluence des patois est particulirement manifeste. En passant
en franais rgional, les mots patois sadaptent, dans la plupart des cas, aux structures formelles du franais de rfrence. Citons quelques rgionalismes de Magny-lsAubigny (dpt. Cte-dOr) daprs Rouffiange (1983) :

Tableau 6 : Exemples dadaptation phontico-morphologique de rgionalismes dorigine patoise


(Bourgogne)
mot patois

rgionalisme

adaptation
phontique

adaptation
morphologique

[trezi] v.intr. commencer


sortir de terre [] (222)

trsir v.intr.

r (?)

dsinence verbale ir

[rust] s.f. chanterelle,


girolle (239)

roussottes s.f.
(pl. ?)

[] > []

suffixe [rgional] otte

[kwi] v.intr. pousser de


petits cris aigus [] (249)

couigner v.intr.

[] > [e]

dsinence verbale er

[vrdjo] s.m. gros lzard


vert (259)

verdeau s.m.

[djo] > [do]

suffixe eau

Ce sont des correspondances (rapprochements phontiques et analogies morphologiques) et des rfections (substitutions lexicales) qui expliquent ces processus dadaptation. Dans le lexique, on relve des adaptations par tymologie populaire, mais
Dondaine (1977, 61) cite aussi un cas de rfection lexicale supposant une certaine
conscience des structures morphologiques, auprs des locuteurs de Traves (dpt.
Doubs), o daprs lquivalence tourner patois vir, le mot patois virm devient
entournement vertige. Il ny a quun nombre restreint de mots qui maintiennent des

384

Joachim Lengert

traits formels propres aux patois (Chambon 1999, 56, 64, parle de marqueur phontique
dialectal ou de marque phonique). Certains auteurs ont essay de rserver le terme de
patoisisme ce type de rgionalismes, pour bien les distinguer des dialectismes
adapts formellement au franais commun. Linfluence des patois se manifeste galement par des calques, p. ex. Sud-Est, Sud-Ouest donner suppurer < patois bailler
(DRF, 372), qui sont favoriss par la proximit formelle des mots dans deux systmes
apparents, p. ex. Meyrieu-les-tangs (dpt. Isre) truffe s.f. pomme de terre < patois
trufa (Martin/Pellet 1987, 162). Un problme mthodique majeur est soulev par la
question de savoir si on a affaire des calques smantiques proprement dits qui
constituent des cas de polysmie ou des emprunts de mots patois qui aboutissent
des homonymies, en franais rgional (cf. la discussion dans Serme 1998, 211s.).
Il est difficile dapprcier sa juste valeur limportance quantitative des patois. La
seule comparaison globale des structures lexicales, en patois, en franais rgional et
en franais commun, a t ralise par De Vincenz (1974, 102) qui, sur la base dun
corpus de 2131 mots, tablit 13 catgories dont voici le relev simplifi (comportant
des modifications du calcul statistique) :

Tableau 7 : Structures lexicales contrastives (Dauphin)


mots

lm: allumer

625

29,3

catgorie

exemple

I. identit
II. concordance partielle

sl: soulier

150

7,0

III.VI. divers types de


calques

notamment le calque homophonique, p. ex.


ri > arranger arranger et chtrer

487

22,9

VII.XII. divers types de


remplacement

avant tout par des termes du franais commun,


p. ex. r: > eau de vaisselle

495

23,2

XIII. survivance du terme


patois, adapt au rgiolecte

url: > choureler glaner les noix ou les


chtaignes

374

17,6

Linfluence du patois savre importante (XIII. et en partie III.VI.), mais reste limite.
Pourtant ce sont notamment les dialectologues qui ont eu tendance surestimer
lapport des patois (cf. Bloch 1921, 121 ; Dondaine 1977, 62 ; Tuaillon 1983, 42).
Cest surtout Chambon qui a combattu la thse de lorigine patoise des rgiolectes
(cf. 1997, 20s. ; 1999, 13s., 60s. ; Chambon/Chauveau 2004). Il critique lautomatisme
qui suppose, lors dquivalences entre patois et franais rgional, que les mots patois
sont plus anciens et quen consquence, ceux-ci doivent provenir du patois. Il refuse
une explication polygntique des rgionalismes, qui fait remonter un seul rgionalisme diffrents tymons dialectaux (ou variantes formelles dtymons), selon les
rgions, et y substitue, dans une large mesure, celle de la migration de mots par
emprunt dautres rgiolectes. Cette hypothse est troitement relie une mise en
relief des particularits de la diffusion du franais et la thorie des centres urbains

Les franais rgionaux

385

diffuseurs. Dans son tude des 49 rgionalismes recueillis par Dauzat (1915) Vinzelles (dpt. Puy-de-Dme), Chambon (1999, 57s.) aboutit une double conclusion :
lorigine du franais rgional est caractrise par une multiplicit de sources et
linfluence des patois occitans proprement dits est assez rduite (moins de 10% des
matriaux).

5.2 Archasmes
On parle darchasmes pour dsigner et expliquer des particularits conservatrices des
franais rgionaux, bien que cet emploi ne soit justifi que dans la perspective du
franais de rfrence. Serme (1998, 11) propose de rserver ce terme lusage stylistique du phnomne et de parler de survivances quand il sagit du maintien dun
lment linguistique dans une varit du franais. Lidentification dun archasme
lexical peut se heurter divers problmes (cf. Serme 1998, 91s., 304s.). Il nest pas
toujours vident si on a affaire une survivance ininterrompue ou une nouvelle
cration rgiolectale, et de nombreux rgionalismes peuvent sexpliquer la fois par
survivance, par influence dialectale (cf. Straka 1981, 42) ou par emprunt (cf. quant la
distinction entre archasme et occitanisme, Sguy 31978 [11950], 9).
On peut classifier les archasmes selon leur appartenance un domaine du
systme linguistique (cf. Serme 1998, 214s., et Thibault 1996, 336s., pour une
description approfondie de la plupart des exemples suivants). Les archasmes phontiques ou phonologiques concernent la phontique lexicale (p. ex. Suisse romande se nayer se noyer) ou le systme phontique ou phonologique (p. ex. la
conservation des quatre voyelles nasales). Les archasmes grammaticaux peuvent
relever de la rection verbale, p. ex. Alsace, Suisse romande aider qqn. aider qqn.,
ou de la flexion nominale, p. ex. horloge, s.m. au lieu de s.f., qui sont des survivances dusages encore vivants au XVIIe sicle (ou des dialectismes), attests dans
plusieurs rgions. Parmi les archasmes lexicaux, on distingue des mots simples ou
complexes, p. ex. Belgique, Alsace etc. pissoir urinoir, dont le processus de rgionalisation nest entam quau XXe sicle (DRF, 789), ou Suisse romande pique-bois
pic, pivert. En phrasologie, on trouve des locutions (p. ex. Basse Bretagne que
Dieu lui fasse paix ! formule de souhait quand on parle dun dfunt, DRF, 722) ou
des variantes archaques de locutions restes vivaces en franais gnral, sous une
autre forme, p. ex. Suisse romande bonne heure de bonne heure. Notons enfin les
archasmes smantiques, p. ex. Midi peureux qui inspire la peur (gnral jusquau
XVIe sicle) (DRF, 770s.).
Sur la base dun inventaire limit de 112 rgionalismes, Serme (1998, 246s.) a
tabli une catgorisation selon laquelle la majorit des survivances seraient des
archasmes lexicaux (46 = 41,07%), suivis de prs des archasmes smantiques (40 =
35,71%). Il ny aurait quune minorit darchasmes vritables (7 = 6,25%), tandis que
la majorit absolue des survivances existe aussi en patois.

386

Joachim Lengert

5.3 Emprunts
Le concept demprunt en matire de rgionalismes est vague. On y range les influences dautres langues ; bien des auteurs parlent galement d emprunts aux
patois . Ces deux catgories peuvent se combiner, ainsi des emprunts loccitan sont
en fait des emprunts un patois occitan particulier. Des chercheurs tels que Chambon
(cf. supra, 5.1) prennent en compte galement les emprunts dun rgiolecte
dautres rgiolectes ou dautres varits.
Derrire des caractrisations sommaires du type germanisme peut se cacher une
ralit plus complexe, tel quil ressort de Thibault (2000, 72s. ; cf. DSR) qui, en
rfrence aux germanismes de la Suisse romande, tablit le modle suivant :

Tableau 8 : Typologie exemplaire des emprunts (Suisse romande)


emprunts
directs

indirects

aux patois almaniques


de Suisse

lallemand

dAlsace et du
lallemand
Bade-Wurtemberg de Suisse

caquelon
knepf(l)es petites
rcipient de boules de pte
cuisine en
terre cuite
[]

latinismes

anglicismes

dies academicus
crmonie
universitaire []

tip-top
parfait,
impeccable

lallemand
standard
commun

rstigraben
benzine
diffrences de essence
mentalit entre
Romands et
Almaniques

Cette catgorie de mots est couramment la cible du discours normatif qui interprte
de faon errone certains rgionalismes, notamment comme calques. Ces ractions
puristes peuvent aboutir des emplois diffrents. Ainsi, tandis quon emploie p. ex.
les anglicismes sponsor et stick en France, on prfre une innovation interne ou un
calque de langlais au Qubec, commanditaire et bton dsodorisant (cf. CajoletLaganire/Martel/Thoret 2000, 208). La catgorie de lemprunt peut concider avec
dautres sources historiques : goal but, apparu depuis 1882 en France o il sort de
lusage vers le milieu du XXe sicle (marqu vieilli ds 1956, Hfler 1982, 111)
constitue de nos jours un belgicisme (Goosse 1984, 33 ; Francard et al. 2010, 187 :
[] cadre qui dlimite le but). Il sagit donc la fois dun anglicisme et dun
archasme.
Les emprunts peuvent tre typiques du rgiolecte ou exister en franais de
rfrence, et prsenter alors des particularits formelles (cf. supra, 4), grammaticales
ou smantiques. Il existe des emprunts directs et indirects, p. ex. boiler chauffe-eau,
connu en (Basse-)Alsace, dans la Moselle et en Suisse romande (DRFA, 116s. ; DSR,
140s.) qui est un anglicisme (boiler) transmis par le biais de lallemand (Boiler). On

387

Les franais rgionaux

relve des emprunts multiples, indpendants lun de lautre, qui peuvent alors prsenter des rsultats dintgration formelle ou smantique diffrents, p. ex. choke, s.m.
starter dune voiture < anglais choke, au Qubec [to:k], en Belgique [ok, tok] et en
Suisse romande [to:k, tk] (DSR 239 ; Francard et al. 2010, 102). Les structures
lexicales des emprunts peuvent diffrer : job s.m. (Qubec s.f.) travail rmunr,
emploi est un anglicisme largement rpandu ( fam. TLFi), en revanche les drivs
jobbage (jobber + suffixe -age), jobber (< anglais to job ; cf. aussi Francard et al. 2010,
206), jobette (job + suffixe -ette), jobbeur (< anglais jobber) (Dulong 1999, 288s.) sont
typiques de lusage qubcois. Des remprunts se produisent sporadiquement, p. ex.
cordon-bleu s.m. escalope de veau fourre dune tranche de jambon blanc et dune
tranche de gruyre, attest en Suisse romande et en Alsace (DRFA, 180s.), qui
provient de lallemand Cordon bleu (< franais cordon-bleu bonne cuisinire). La
spcificit de lusage rgional peut dpendre de la frquence. DRFA (355, 493s.) cite
les composs manteau de pluie s.m. impermable et rue principale rue la plus
importante dun village, connus dans la France entire, mais particulirement frquents en Alsace, probablement sous linfluence de lalmanique Rajemantel/Huptstrooss ou de lallemand Regenmantel/Hauptstrae.
En phontique ou en phonologie, on est confront des emprunts lexicaliss qui
restent confins des xnismes. Moreux/Razou (2000, 612) citent lexemple de
laffrique [t], en franais rgional de Toulouse, que lon rencontre lintrieur
demprunts loccitan : accroutchadis s.m. obstacle ou asprit o lon saccroche
< occitan acrotchads. Le caractre rgiolectal demprunts gnralement rpandus
peut rsider dans leur phontisme diffrent, d une adaptation divergente. Ce
phnomne a t illustr par Goosse (1984, 29), en rfrence aux anglicismes : club
France [klb] Belgique [klyb] (prononciation du XIXe sicle, TLFi) et [klyp].
proprement parler, il ne sagit demprunts phontiques ou phonologiques que sils
affectent le systme de la langue rceptive, en dehors de mots demprunt. Ainsi
Rousseau Payen (1979, 106s.) note, Hilbesheim (dpt. Moselle), parmi les traits
attribuables au dialecte almanique, une tendance au relchement articulatoire des
occlusives, la ralisation de [h] (en haut [ho]) ou la tendance la fermeture des
voyelles (avec [ave], uf [f]). En grammaire, les emprunts semblent tre largement
restreints lemploi de certaines classes de mots (prpositions, articles, etc.) et aux
caractristiques constructionnelles de mots isols, p. ex. en franais rgional alsacien
et suisse romand, attendre sur qqn. attendre qqn. daprs lallemand auf jmdn. warten
(DRFA 75s.).
On peut distinguer dans le lexique, selon le degr dadaptation formelle, les
emprunts (units lexicales totalement ou fortement adaptes) le qubcisme pinotte
ne dnonce plus, premire vue, son origine anglaise (< peanut) (cf. Perriau/Seutin
1984, 153) et les xnismes (emprunts comportant une ou plusieurs caractristiques
formelles qui ne sont pas propres au systme de la varit emprunteuse). La complexit des calques ressort de Thibault (2000, 75s.), qui distingue cinq catgories diffrentes (smantiques, morphosyntaxiques, syntaxiques, phrasologiques, pragmati

388

Joachim Lengert

ques). Fischer (1985), sur la base dune analyse statistique dun chantillon de 190
particularits lexicales tires de Wolf/Fischer (1983), propose une typologie statistique, dont voici le rsum simplifi:
Tableau 9 : Typologie statistique des emprunts (Alsace)
calques lexicaux (73%)
calques-traductions (93%)

calques approximatifs
(7%)

aucune ressemblance avec les structures de


la langue donneuse sur le plan du signifiant

ressemblance sur le plan du


signifiant

calque selon des


calque selon des
structures prexistan- structures propres
tes en franais (37%) la langue donneuse/
transfert de relations
grammaticales (60%)

calque selon
des structures
prexistantes
en franais
(3%)

calque selon
des structures
propres la
langue donneuse (0%)

carte vues carte


postale < Ansichtskarte

clinique de
poupe <
Puppenklinik

Michel son chien <


dem Michel sein
Hund

se mettre sale se
salir < sich schmutzig
machen

calques smantiques (27%)


analogie smantique analogie smantique
(78%)
et phontique (20%)
th infusion < Tee

pouvoir savoir
< knnen

analogie phontique/calque par tymologie populaire


(2%)
soigner pour quelque chose soccuper de quelque
chose < sorgen fr

La trs grande majorit des emprunts phrasologiques provient de calques, p. ex. en


Alsace (cf. DRFA) : avoir libre tre en cong [] < frei haben. On ne relve que peu de
xnismes, p. ex. Belgique half en half loc.adv. en deux parties gales, emprunt au
flamand (Francard et al. 2010, 197). Signalons encore des phrasmes hybrides qui sont
soit des calques partiels conservant des composantes de la langue donneuse (en fr.
rgional dAgde (dpt. Hrault) avoir le bomi avoir des nauses, en avoir assez
< occitan av lou bomi, Camps 1977, 208) soit des formations immanentes, sans
modle tranger, comportant des composantes lexicales empruntes (qubcois a
frappe dans le dash cest tonnant, DesRuisseaux 1990, 127).
Il est difficile de tenter une stratification globale des emprunts dans les franais
rgionaux europens. Pour ce qui est de la France, la seule tentative est celle de Buchi
(2005, cf. notamment linventaire, 8394) qui se sert des donnes du DRF :

Les franais rgionaux

389

Tableau 10 : Statistique des emprunts dans les rgiolectes de France


emprunts

156

56%

allemand/alsacien

31

11%

patois franais

21

8%

breton

14

5%

francoprovenal

13

5%

galloroman [emprunts attribuables plusieurs langues


galloromanes]

12

4%

gascon

11

4%

langues romanes [catalan, espagnol, italien ou emprunts


attribuables plusieurs langues romanes]

3%

latin

1%

nerlandais/flamand

1%

anglais

1%

basque

1%

langue prteuse
occitan

Parmi les 1052 entres dnombres par cet auteur, 276 sont des emprunts (26%),
comprenant les dialectismes dol. Ce chiffre, qui dpasse la marge quantitative
denviron 10 15% demprunts releve par dautres tudes (cf. infra, 5.5), est interprt par Buchi comme le rsultat de la slection de linventaire du DRF. De nombreux
emprunts proviennent de zones de contacts linguistiques intenses, ce qui explique la
part importante doccitanismes, de germanismes et de bretonnismes, tandis que les
anglicismes et les italianismes sont nettement sous-reprsents, si on compare leur
taux celui de langue commune.

5.4 volution interne


De nos jours, limportance des crations autonomes lexicales (cf. supra, 4.3.1), smantiques (cf. supra, 4.3.2), phontiques et grammaticales des rgiolectes est largement
reconnue. Elles peuvent apparatre dans diverses rgions, par polygnse. Ainsi
Thibault (1996, 354s.) signale des helvtismes et qubcismes ns indpendamment :
case postale bote postale ou rouleau pte rouleau ptisserie. En franais
europen, la seule systmatisation statistique de ce secteur a t effectue par Manno
(2002, 47), qui a extrait du DSR (1997) les 556 (43,2%) rgionalismes romands ns par
cration interne :

390

Joachim Lengert

Tableau 11 : Crativit interne du rgiolecte (Suisse romande)


141 (11,0%)

Rgionalismes smantiques

187 (23 + 164) (14,5%)

drivation affixale
Procds de
drivation

(prfixale et suffixale)
49 (8 + 41) (3,8%)

drivation non affixale


(rgression et conversion)

30 (2,3%)

Morphologie flexionnelle

8 (0,6%)

Formes apocopes et autres procds

141 (11,0%)

Composition

Il nest pas tonnant que, daprs ces donnes, ce soient la suffixation, la composition
et le changement de sens qui constitueraient les facteurs les plus importants.

5.5 Statistique lexicale


La quantification historique des rgionalismes se heurte des problmes dattribution
une source prcise et aux conceptions mthodiques divergentes. Ainsi Chambon/
Greub (2009, 2560s.) substituent la classification traditionnelle (archasmes, dialectismes, innovation, emprunt) par une typologie modifie applique au lexique,
comprenant cinq classes :

rgionalismes dpendants de mouvements de laire : a) mots rgionaux dont laire sest


tendue (ce qui amne des emprunts dans un ou plusieurs rgiolecte(s) voisin(s) ou, en cas
dexpansion maximale, la drgionalisation) ; b) mots rgionaux dont laire sest rtrcie ; c)
mots dusage gnral dont laire sest rtrcie (sous-catgorie des archasmes et des emprunts au franais gnral ou une de ces varits)
rgionalismes de toujours (mots dorigine patoise, attests depuis le Moyen ge)
innovations
dialectismes
emprunts

En ce qui concerne la systmatisation diachronique, la Suisse romande constitue un


cas privilgi, puisquon dispose de deux statistiques reposant sur le DSR, Manno
(2004, 341s.) qui analyse 1286 units lexicales contenues dans les 880 articles de ce
dictionnaire et Chambon (2005, 15) qui a pris en compte un chantillon de 200 mots,
choisis au hasard :

391

Les franais rgionaux

Tableau 12 : Sources diachroniques du rgiolecte (Suisse romande)


Manno

Chambon

catgorie

% catgorie

mots

130143 10,1%11,1% archasmes du franais gnral

archasmes
archasmes
dialectalismes

37

2,9%

archasmes
autres
catgories

0,3%

%
8%

diatopismes remontant au franais


rgional mdival ou lancien
francoprovenal

12%

dialectalismes

262307 20,6%23,9% emprunts (plus rcents) aux patois


galloromans de Suisse

12%

germanismes

137165 10,7%12,8% emprunts lallemand et lallemand


rgional
emprunts au suisse almanique
3538

autres emprunts
(italianismes,
latinismes,
anglicismes, fr.
rgionaux)

2,7%3% emprunts litalien

rgionalismes
de statut

1217

0,9%1,3%

rgionalismes
inclassables /
cas incertains

18 / 8
= 26

1,4% / 0,6%
= 2%

7%
2%

emprunts langlais

1%

emprunts au franais du Lyonnais et


de la Savoie

1%

innovations
555640 43,2%49,8% innovations du
franais de Suisse morpholexicales
romande
innovations
smantiques

crations
autonomes

7%

23%
} 50%

27%

Malgr quelques diffrences de dtail, dues des conceptions mthodiques divergentes, les rsultats sont similaires : linnovation interne est la source la plus importante, suivie de linfluence des patois ; les archasmes et les emprunts constituent des
sources mineures. Chambon lui-mme (2005, 15) a dmontr la relativit de ces
chiffres. Sur la base dun chantillon restreint de 100 mots du franais rgional de
Roanne (dpt. Loire), il aboutit un rsultat fondamentalement diffrent : a) archasmes du franais gnral : 40% ; b) diatopismes remontant au moyen franais de
la rgion : 1% ; c) emprunts aux patois : 10% ; d) emprunts au franais de la rgion
lyonnaise : 34% ; e) emprunts des varits de franais autres que lyonnaises : 13% ;

392

Joachim Lengert

f) innovations franaises autochtones : 2%. La stratigraphie diachronique des rgiolectes peut donc varier considrablement selon les rgions.
Synchroniquement, lapproche classificatoire la plus rpandue des rgionalismes
lexicaux est celle conue au sein dun champ conceptuel ( Begriffssystem ). Dans
son ouvrage sur le franais rgional de Vourey, Tuaillon (1983, 372) en fournit un
exemple :

Tableau 13 : Structure onomasiologique du lexique rgional (Dauphin)


%

catgorie
1.

Corps, attitudes physiques, 77


maladies

catgorie

8,23

16.

Jardin

16

1,71

2.

Comportements, caractres 62

6,63

17.

Travail du bois

34

3,63

3.

Le temps quil fait

22

2,35

18.

Foin

31

3,31

4.

Animaux sauvages

56

5,98

19.

levage, animaux
domestiques

71

7,59

5.

Plantes non cultives

37

3,95

20.

Charcuterie, boucherie 17
la maison

1,81

6.

Construction, rues

19

2,03

21.

Vigne

50

5,34

7.

Mtiers, socit, famille

26

2,78

22.

Vin, alcool

32

3,42

8.

Jeux

12

1,28

23.

Champ : labour,
engrais, limites,
mesures

21

2,24

9.

Pche, chasse

0,85

24.

Moissons, autres
cultures

28

3,00

10.

Cuisine, nourriture

39

4,17

25.

Lait, beurre, fromages 16

1,71

11.

Meubles, ustensiles
domestiques

0,96

26.

Arboriculture

27

2,98

12.

Habits, lessive,
raccommodage

16

1,71

27.

Noix

19

2,03

13.

ducation des enfants

0,53

28.

Vhicules, harnais,
joug

23

2,45

14.

Sol, rivires

22

2,35

Divers, inclassables

124

13,26

15.

Travail (gnralits)

16

1,71

Il est instructif de comparer ce classement celui de Manno (2004, 349), tabli sur la
base des 763 mots contenus dans lindex onomasiologique du DSR. Malgr la dissemblance des analyses dune part un rgiolecte campagnard et villageois, recueilli
dans une aire trs restreinte, dautre part une varit nationale tant urbaine que rurale
rpandue dans une aire relativement grande on constate des similitudes : en Suisse,
lhomme (31,1%) et sa nourriture (14,5%), ainsi que lagriculture (12,6%), sont gale

393

Les franais rgionaux

ment bien reprsents. La diffrence la plus notable rside dans limportance des
statalismes qui reprsentent presque un tiers (31,7%) des helvtismes.

6 Perspectives
En ltat actuel de la recherche, on peut formuler un certain nombre de desiderata.
Une bibliographie exhaustive fait dfaut, en France comme ailleurs. Les bibliographies de Baldinger (1961a) et de Rzeau (1986) sont vieillies et lacunaires ; dfaut,
on pourra sen tenir Wissner (2012). Quant au lexique, ltude des rgiolectes urbains
et des technolectes rgionaux ainsi que ltude historique des rgionalismes demanderait tre intensifie. Il faudrait des dictionnaires de la qualit du DRFA, pour les
autres rgions de la France. Llaboration dune sorte de TLF rgiolectal mis part
la question de savoir si un tel projet est ralisable est controverse. Piron (1978,
139s.) a dj envisag un inventaire gnral des usances de la francophonie ;
Rzeau (2007, 266), cependant, se montre plutt sceptique quant lutilit dun
trsor compilant, sans les approfondir, un grand nombre de donnes . Mme sil est
quantitativement htrogne et de qualit ingale, lbauche dun tel trsor, sous
forme lectronique consultable sur Internet, a t labore par le projet BDLP-Internationale (Base de donnes lexicographiques panfrancophone, cf. http://www.bdlp.
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Esme Winter-Froemel

17 Le franais en contact avec dautres langues


Abstract : Dans ce chapitre seront analyss les contacts entre le franais et dautres
langues. Dans une perspective historique, il sagira de dterminer quelles sont, au
cours des diffrentes poques, les conditions externes qui dterminent la faon dont
se ralise le contact linguistique, et quelles sont les langues majeures auxquelles le
franais a emprunt. Dans une perspective thorique, nous nous interrogerons sur les
types de scnarios du contact que lon peut observer, et sur les modalits et les types
dinfluences que lon peut tablir. Nous focaliserons le rle de langlais, qui est
souvent ressenti comme linfluence la plus importante dun point de vue quantitatif
aussi bien que qualitatif, et nous analyserons les ractions individuelles et institutionnelles face aux emprunts et particulirement face aux anglicismes. Nous verrons que,
dans une perspective historique, le rle particulier de langlais se relativise ; en mme
temps, les tudes linguistiques nous permettent de dmentir certaines craintes exprimes dans des travaux dorientation puriste.

Keywords : contact linguistique, emprunt, calque, purisme, anglicisme


1 Introduction
De manire gnrale, les langues ne reprsentent pas des entits isoles et stables ; au
contraire, elles entrent constamment en contact entre elles, sinfluenant mutuellement, ce qui peut engendrer des innovations linguistiques et des processus de
changement linguistique (signalons toutefois que cette description doit se comprendre dans un sens figur, puisque ce ne sont pas les langues qui agissent, mais les
locuteurs qui, dans leurs noncs, font certains choix, dont le recours des mots
emprunts ; ce sont uniquement ces choix qui donnent naissance un changement
ventuel dans la langue). Ainsi, dans toute son histoire, la langue franaise a connu
des priodes de contacts plus ou moins intenses avec dautres langues et cultures.
Dans cet article, nous analyserons dabord diffrentes priodes de contact en nous
interrogeant sur les conditions socio-historiques et les critres qui nous permettent de
caractriser ces scnarios de contact linguistique (cf. la deuxime partie de cette
contribution). La troisime partie sera consacre ltude du contact entre le franais
et langlais, langue qui, lpoque actuelle, reprsente de loin la langue de contact la
plus importante pour le franais, dun point de vue quantitatif aussi bien que qualitatif. Cest aussi dans la perception des locuteurs que langlais joue un rle particulier,
puisque ceux-ci assimilent souvent emprunt linguistique et anglicisme (et ce constat
est dailleurs valable non seulement pour le franais, mais aussi pour les autres
langues europennes). Dans une perspective diachronique, il sera intressant danalyser dans quelle mesure le contact avec langlais reprsente vritablement un cas

402

Esme Winter-Froemel

particulier. Dans la quatrime partie, nous nous pencherons sur les possibilits de
caractriser, selon des critres linguistiques, diffrents types dinfluence (notamment
les emprunts au sens troit et les calques, ainsi que leurs sous-catgories respectives) ;
de mme, nous nous intresserons aux modalits qui peuvent sobserver lors de
lintgration des emprunts la langue daccueil. La cinquime partie sera rserve
lanalyse des ractions au contact linguistique et de ses effets sur le franais. Nous
examinerons les ractions puristes, qui insistent sur les effets ngatifs du contact,
considr comme un danger ou une menace pour la langue daccueil. Toutefois, nous
verrons quil y a galement, diffrentes poques de lhistoire du franais, des
ractions plus favorables aux emprunts, qui soulignent que les effets du contact
linguistique peuvent aussi tre perus comme un enrichissement qui ne menace
nullement lexistence et le fonctionnement de la langue daccueil.
Remarque terminologique : Pour dsigner les langues impliques dans les situations de contact linguistique, nous emploierons ici les termes langue source/langue
dorigine et langue cible/langue daccueil, que nous considrerons comme synonymes.

2 Scnarios du contact linguistique dans lhistoire


du franais
Les phnomnes de contact linguistique nont lieu, comme la soulign Weinreich
(61968 [11953]), que pour les locuteurs individuels, cest--dire que toute situation de
contact linguistique revient en ralit une situation de contact entre deux langues
pour un individu particulier. Par consquent, il nous semble utile de nous interroger
sur la faon dont les langues entrent en contact dans la conscience des locuteurs et
dans leur activit linguistique cognitive et sociale. En mme temps, si on considre
lvolution dune langue particulire, on note que les priodes marques par de fortes
influences dune autre langue sont galement des priodes dchanges culturels
intenses, de sorte que lon peut affirmer que, de manire gnrale, le contact linguistique et le contact culturel vont de pair. Dans la diachronie du franais, il ny a pas
seulement une multitude dinfluences de langues de contact, mais on peut galement
constater que ces influences ont lieu sous des conditions bien diffrentes. Cela nous
permet de distinguer diffrents scnarios de contact selon des critres socio-historiques et socio-dmographiques.
On a propos diffrents termes pour dsigner le champ dtude en question
(emprunt/borrowing/Entlehnung, cf. Deroy 1956 ; Haugen 1950 ; Lehngut, Betz 1949 ;
31974 ; Transferenz, Clyne 1975 ; interfrence/interference/Interferenz, Weinreich
61968, etc.), et la thmatique que nous venons de soulever a t aborde par diffrents
courants de recherche. La linguistique historique et la philologie romane ont propos
les concepts de substrat, superstrat et adstrat pour dcrire diffrents scnarios du
contact linguistique. La sociolinguistique anglophone sest penche sur la distinction

403

Le franais en contact avec dautres langues

entre emprunt et alternance de code linguistique (code-switching) ainsi que sur la


distinction entre les phnomnes demprunt proprement dits (angl. borrowing)
dune part et les phnomnes dinfluence de substrat (angl. substratum interference)
dautre part (cf. Poplack 1980 ; 2001 ; 2004 ; Poplack/Sankoff 1988 ; Heller/Pfaff 1996 ;
King 2000, 8689 ; Riehl 2004, 2022 ; Onysko 2007, 3638 ; Bullock/Toribio 2009,
5s.).
Au-del de ces courants de recherche, dautres domaines qui ont trait aux phnomnes du contact linguistique sont la traduction, la recherche sur les langues croles
ainsi que la recherche dans le domaine dacquisition des langues secondes (FLE/
franais langue trangre). Ces dernires approches sintressent, entre autres, aux
effets dinterfrence entre la langue maternelle et la langue seconde et, le cas chant,
aux interfrences entre plusieurs langues acquises/apprises et aux transferts potentiels qui peuvent faciliter la comprhension et lapprentissage de langues trangres
(cf. Gass/Selinker 2009 ; Dabne/Degache 1996 ; Mller-Lanc 2003 ; Steinhauer
2006). Certains travaux rcents visent galement renouer avec certains concepts
traditionnels de la sociolinguistique pour analyser comment les accents trangers
peuvent tre interprts en tant que marqueurs sociaux (cf. Kristiansen 2001). Une
autre perspective poursuivie dans la recherche rcente concerne les processus cognitifs qui se droulent lors de la comprhension et de linterprtation dnoncs de
locuteurs ayant un accent non natif (cf. Hanulkov et al. 2012).
Dans ce qui suit, nous commencerons par une exposition du modle de substrat,
superstrat et adstrat pour donner un aperu de lvolution du franais en contact avec
dautres langues au fil de son histoire.

2.1 Substrats et superstrats


Leffet du contact linguistique le plus prototypique est probablement celui dun
emprunt lexical. Dans ce cas, suite une situation de contact entre un locuteur natif
de la langue A et dun interlocuteur natif de la langue B, un nouveau mot ou une
nouvelle expression de la langue A est introduit dans la langue B, comme cest le cas
pour le franais base-ball, manager et week-end. Ces emprunts sont relativement
rcents et faciles identifier en tant qulments emprunts, et les mots continuent
exister dans la langue source (langlais). Toutefois, dans lhistoire du franais, nous
pouvons galement observer des priodes de contact avec dautres langues et cultures
qui se passent sous des conditions historiques bien diffrentes.
Pour dcrire les scnarios fondamentaux de contact linguistique qui peuvent
sobserver dans lvolution du franais, on peut recourir aux termes de substrat ,
superstrat et adstrat . Le premier de ces termes a t propos par le linguiste
italien Graziadio Isaia Ascoli ; il dsigne les langues de peuples conquis qui ont
coexist pendant un certain temps avec la langue des conqurants (ici, le latin/le
roman), mais qui ont finalement t abandonnes (cf. Klare 1998, 32s.). Le terme de

404

Esme Winter-Froemel

superstrat, forg par Walther von Wartburg, en contrepartie, se rfre aux langues de
peuples qui ont envahi le terrain aprs que la romanisation a eu lieu et qui ont exerc
une certaine influence sur la langue, mais qui ont galement t abandonnes plus
tard. Ainsi, dans les deux cas, cest la langue du stratum qui survit, et ce stratum
volue partir du latin (vulgaire) en passant par une tape pr-romane vers les
langues romanes, dont le franais. Le terme dadstrat, enfin, cr par Marius Valkhoff,
dsigne les langues voisines qui coexistent avec le stratum sans que lune des deux
langues soit supplante par lautre (cf. Tagliavini 1998, 209).
Dans la recherche en langue franaise, on trouve parfois aussi un emploi divergent des termes de substrat et de superstrat , dfinis respectivement comme la
langue des vaincus qui est abandonne et comme la langue des conqurants qui
simpose (cf. Bertrand 2008). Ici, il sagit ainsi dune conception binaire qui ne prvoit
pas de stratum , et on perd la distinction claire entre les deux aspects qui entrent
dans les dfinitions dAscoli et de von Wartburg (langues autochtones vs. langues qui
arrivent plus tardivement, langues qui sont abandonnes vs. langues qui se maintiennent). Pour cette raison, nous nous baserons sur les dfinitions proposes par ces
derniers auteurs dans les rflexions suivantes.
Avant de passer aux exemples concrets dinfluences de substrat et de superstrat
dans lhistoire du franais (pour les langues adstrat, cf. 2.2 et 2.3), il convient dajouter
quelques remarques sur la notion dinterfrence de substrat (substratum interference,
Thomason/Kaufman 1988, 3745). Cette notion a t forge dans la recherche anglophone, o elle a t oppose la notion demprunts proprement dits (borrowing ;
dautres termes employs dans les travaux prcdents sont RL [recipient language/
langue daccueil] agentivity, ou borrowing transfer, termes qui sont contrasts ceux
de SL [source language/langue de dpart] agentivity ou imposition transfer, Van
Coetsem 2000, 65). Dans la dfinition de ces deux termes, on retrouve les mmes
critres que dans la dfinition du terme de substrat que nous venons dexposer, mais
on peut constater que les catgories ne concident pas exactement. Ainsi, selon
Thomason et Kaufman, les emprunts sont caractriss par le fait dtre effectus par
les locuteurs natifs intgrant de nouveaux lments dans leur langue, qui est maintenue sans que les socits se fondent ; par contre, dans les cas dinterfrence de
substrat, de nouveaux lments sont introduits par des locuteurs non natifs qui ont
imparfaitement acquis la langue, et ces locuteurs adoptent la nouvelle langue au
dtriment de leur langue originelle. Par consquent, les situations demprunt se
rapprochent des situations dadstrat ; les situations dinterfrence de substrat, au
contraire, reprennent le concept de substrat, mais pourraient englober aussi les
influences de langues superstrats, puisque les deux critres fondamentaux (acquisition de la nouvelle langue et abandon de la langue dorigine) sont galement satisfaits
pour ce dernier scnario de contact linguistique. Cela nous permet de constater que la
distinction anglophone nenvisage pas la question de savoir sil sagit de langues de
peuples conqurants, vainqueurs et politiquement suprieurs, ou bien de celles de
peuples conquis, vaincus et de ce fait infrieurs. Ce qui est mis en avant, par contre,

405

Le franais en contact avec dautres langues

ce sont les conditions du contact linguistique pour les locuteurs individuels. De fait,
dans le cas de borrowing, il sagit de situations ponctuelles dans lesquelles les
locuteurs ont recours une certaine expression dune autre langue pour exprimer un
certain concept, tandis que dans le cas dune interfrence de substrat, ils adoptent
entirement (mais imparfaitement) une nouvelle langue. Sils introduisent dans ce
processus dacquisition de nouveaux lments et structures dans la langue, il sagit
dun processus non intentionnel dont ils ne sont peut-tre mme pas conscients. Dans
cette perspective, on a soulign une caractristique additionnelle qui distingue les
scnarios demprunts dune part et les scnarios dinterfrence de substrat dautre
part : tandis que les emprunts soprent au niveau des lexmes ou partir du niveau
des lexmes, les interfrences de substrat peuvent galement concerner des lments
grammaticaux, cest--dire des lments moins libres de la langue (cf. Croft 2000,
203) ; toutefois, le degr de corrlations entre emprunts et lments lexicaux dune
part, et influences de substrat et lments grammaticaux dautre part, reste controvers.
Essayons de prciser respectivement quelles sont les langues principales ayant
exerc une influence sur le franais, et sous quelles conditions ces influences ont eu
lieu. En ce qui concerne les influences de substrat, il sagit des dialectes gaulois parls
sur le territoire lors de la conqute de la Gaule au IIe et au Ier sicle avant J.-C. (cf.
Huchon 2002, 3437). Les parlers gaulois coexistent pendant environ quatre sicles
avec le latin, peut-tre mme jusquau VIe ou VIIe sicle (cf. Bertrand 2008, 24), mais
finalement le latin simpose en tant que langue de ladministration. Nanmoins, les
parlers gaulois ont laiss certaines traces dans le vocabulaire, et plus spcifiquement
dans le vocabulaire de la vie rurale (p. ex. les noms danimaux alouette, bouc, mouton
et truie, les termes botaniques bruyre, chne, if, les termes pour dcrire le paysage
berge, chemin, quai, talus, et les termes de lagriculture charrue, ruche, cervoise) et
parfois dans celui de lartisanat, des vtements et de lalimentation (p. ex. charpente,
charrue, bret, braie, cervoise, crme). Les influences gauloises ont peut-tre t
facilites par la proximit relative du gaulois et du latin (cf. les exemples du gaul. alto
et du lat. altus profond ainsi que du gaul. bovi et du lat. bos, bovis boeuf) ; en mme
temps, les emprunts sintroduisent normalement sous une forme latinise. Au total,
environ 150 mots dorigine gauloise ont survcu dans le lexique du franais contemporain. De plus, linfluence du substrat se note dans quelques milliers de toponymes ;
de fait, le suffixe -ac/-ay que nous retrouvons dans Cognac, Loudac, Carnac, Tournay,
Gournay/Gornac, Bernay/Bernac, etc. remonte une origine gauloise (cf. Bertrand
2008, 2435 ; Picoche/Marchello-Nizia 31994, 324) ; de mme le suffixe -un, issu du
gaulois -dunum/-durum dsignant une citadelle, une forteresse ou un lieu de dfense
a t conserv dans Verdun, Meudon, Lyon, etc. Enfin, la numrotation par vingt,
conserve dans quatre-vingts, etc., remonte galement aux Gaulois.
De nouvelles situations de contact linguistique se produisent plus tard avec les
langues germaniques (cf. Bertrand 2008, 3746 ; Huchon 2002, 4751 ; Klare 1998,
40s.). Dans un premier temps, le contact linguistique a lieu dans le contexte de

406

Esme Winter-Froemel

contacts commerciaux et politiques (cf. des emprunts comme savon, maon, banc et
garder ainsi que les noms de couleurs de chevaux tels que brun, fauve et gris, etc.), et
on peut donc parler dans ce cas dinfluences du type adstrat. Ensuite, le contact se
renforce avec les invasions germaniques du Ve et du dbut du VIe sicle, de sorte que
nous pouvons identifier une influence de superstrat. Cest surtout la langue des
Francs qui laisse de nombreuses traces dans la langue franaise (cf. la dsignation
Francia, une forme latinise de Franko). De fait, la langue des envahisseurs francs
coexiste avec la langue et la culture gallo-romaines jusquau Xe sicle, priode
pendant laquelle les Francs se romanisent et se christianisent progressivement, de
sorte que le gallo-roman simpose finalement en tant que langue de la vie religieuse,
culturelle, commerciale et politique. Nanmoins, le francique influe sur la langue
diffrents niveaux. En ce qui concerne la phontique, le h aspir, qui avait disparu du
latin, est rintroduit avec des emprunts tels que heaume et honte, et cette prononciation peut affecter galement des mots du fonds latin tels que le latin altus qui devient
le fr. haut. De plus, le phonme initial [w] dorigine germanique sintroduit dans une
forme adapte [gw] voluant ensuite vers [g] dans des mots comme *werra, qui
donnera le fr. guerre (cf. aussi les mots gagner, garon et gupe). Au niveau lexical,
plus de mille mots franciques ont t introduits en ancien franais, dont peu prs
700 ont t conservs dans le franais contemporain. Les apports se localisent dans
certains domaines du vocabulaire, notamment le vocabulaire de la guerre (flche,
bouclier, garder, guerre, hache, haubert, heaume, etc.) et celui de ladministration
(bannir, baron, fief, gage, snchal, marchal, chambellan, ban, etc. ; cf. DMOE, p. 35),
le lexique de la vie rurale (bl, bois, gerbe, haie, houx, roseau, saule, etc.) ainsi que les
noms de couleurs (blanc, bleu, blond, gris, brun). Linfluence germanique se note
galement dans les noms propres, p. ex. Alain, Eude et Roland. De plus, on retrouve le
suffixe -ard, dorigine francique et signifiant fort dans de nombreux noms (p. ex.
Richard, Bernard, Grard) ; de mme pour le suffixe -aud/-ald, du germanique walden
diriger, gouverner (p. ex. Arnaud, Renaud) et pour le suffixe -isk qui volue vers -ois
et ensuite -ais et qui se retrouve dans des noms dhabitants comme Franais et
Anglais.
Plus tard, vers 800, les Normands (ou Vikings) envahissent la cte normande et
sy installent durablement. Ils introduisent encore quelques mots germaniques en
(ancien) franais, surtout dans le domaine de la marine (p. ex. tillac, cingler, turbot,
marsouin), mais abandonnent vite leur langue maternelle pour adopter le franais. Du
reste, lors des invasions de Guillaume de Conqurant, ils introduiront cette langue
nouvellement acquise sur le territoire de lAngleterre.

2.2 Adstrats savants


Poursuivant notre parcours de lhistoire du franais, on note que le moyen franais et
le franais du XVIe sicle marquent des priodes pendant lesquelles le lexique slar

407

Le franais en contact avec dautres langues

git considrablement, les emprunts jouant un rle important dans ce contexte. Parmi
les langues de contact figurent les langues romanes et les dialectes du franais, mais
aussi le latin, ce qui veut dire que ce dernier ne reprsente pas seulement le stratum
qui se conserve et volue vers les langues romanes dont le franais fait partie, mais il
exerce galement une influence dadstrat, ou plus prcisment dadstrat culturel
(pour le rle du latin dans lvolution des langues europennes, cf. Schweickard
1991). Dans ce cas, le contact linguistique ne seffectue pas dans la communication
orale et directe, mais de manire indirecte, travers les textes de lAntiquit qui sont
lus et traduits par des traducteurs comme Nicole Oresme (cf. Huchon 2002, 119).
Llaboration du franais se poursuit aux XVIIe et XVIIIe sicles et va de pair avec le
refoulement du latin, qui se conclut par son abandon en tant que langue scientifique.
Nanmoins, au cours de ce processus, le latin continue jouer un rle important,
dans la mesure o le lexique scientifique franais nouvellement cr se basera
souvent sur le latin et sur le grec, cf. le fr. questre, potable, sidral, tellurique,
agriculture, auriculaire, articulation, rotule, ainsi que le fr. gramme, litre, mtre, postulat, oxygne, hydrogne, entomologie, etc. (cf. Reinheimer-Rpeanu 2004 ; Bertrand
2008 ; Rey/Duval/Siouffi 2007, 455975) ; dans ces derniers cas, linfluence du grec
seffectue souvent par lintermdiaire du latin (p. ex. le fr. mtaphore est emprunt au
latin metaphora, lui-mme emprunt au grec, de mme pour le fr. symptme, symtrie,
hystrique). partir du XVIe sicle, par contre, on relve aussi des emprunts directs
la langue grecque (p. ex. hygine, analyse). Ces emprunts concernent souvent le
vocabulaire de la mdecine, de la rhtorique et de la politique.
De plus, on observe que de nombreux lments latins et grecs entrent dans la
formation des mots. Dun point de vue morphologique, il est intressant de noter que
dans ces compositions savantes, certains lments apparaissent toujours gauche
(p. ex. anti-, archi-, auto-, extra-, micro-, ultra-, pseudo-, micro-, tous dorigine
grecque), dautres, toujours droite (p. ex. -cide, -fre, -fuge, -vore, dorigine latine, et
crate, phage, phobe, tque, graphie, dorigine grecque) ; dautres encore peuvent
sutiliser position variable, et dans ce cas, ils ont souvent une signification partiellement diffrente (cf. p. ex. philo- dans philosophe, philologue vs. -phile dans bibliophile,
hydrophile, germanophile ; phono- dans phonologie, phonographe vs. -phone dans
aphone, tlphone, saxophone, microphone ; anthropo- dans anthrophosophe, anthropophage vs. -anthrope dans philanthrope, misanthrope ; logo- [de la parole] dans
logopdie, logorrhe vs. -logue [spcialiste de] dans anthropologue, philologue, ophtalmologue, etc.). Si la position de ces lments lintrieur des mots devient fixe, sils
donnent lieu des sries de mots et sils se combinent des lments du lexique
hrit (ou des bases relevant de strates du lexique plus anciens) (p. ex. cinphile,
francophile, microfiche, micro-onde, pseudomembrane), on peut les rapprocher de
prfixes ou de suffixes, mais leur statut morphologique reste en partie controvers (cf.
Lehmann/Martin-Berthet 1998, 116s. et 181183).
Retournant au latin, on peut constater que le contact intense avec le latin
(classique) sous forme dadstrat culturel mne encore une autre particularit du

408

Esme Winter-Froemel

lexique franais, notamment la coexistence de mots hrits du latin (mots populaires) et mots emprunts plus tard cette langue (mots savants) lintrieur de
nombreuses familles de mots. Par exemple, pour dsigner le concept de lanimal
mme, on a la forme cheval, issue du latin vulgaire caballus (et signifiant lorigine
cheval hongre/mauvais cheval, cf. DHLF) ; pour les concepts apparents plus
scientifiques et/ou techniques, par contre, on a des formes comme questre, quitation, etc. ayant comme base la forme du latin classique equus ; de mme pour le fr.
boire < lat.vulg. bibere ct du fr. potable (latin classique potare), ainsi que pour le
fr. toile < lat.vulg. stella ct du fr. sidral, sidr, sidration (cf. latin classique
sidus). De manire gnrale, cette coexistence de formes populaires et savantes
entrane un taux infrieur dunits linguistiques motives, cest--dire dunits dont
le sens peut se dduire partir dautres units du lexique (en allemand, par
exemple, la relation est souvent transparente, comme par exemple dans trinken
boire et trinkbar potable). En outre, nous pouvons trouver dans certains cas deux
reflets diffrents dun mme tymon latin, tels que chose cause (du lat. causa),
frle fragile (du lat. fragilis), troit strict (du lat. strictus), entier intgre (du lat.
integer), droit direct (du lat. directus), forge fabrique (du lat. fabrica), nager
naviguer (du lat. navigare) etc. (cf. Klare 1998, 76). Dans ces paires de mots, appeles
doublets lexicaux, on peut constater quen gnral, le mot savant reste plus proche
du latin tant au niveau de la prononciation et de la graphie qu celui de la
signification.
En outre, linfluence de ladstrat culturel latin se note aussi dans lvolution de la
prononciation et de la graphie de certains mots ayant toujours appartenu au fonds
lexical. De fait, dans certains cas, ceux-ci nont nanmoins pas suivi lvolution
phontique rgulire, et ils ont conserv, ou un certain moment repris, une forme
plus proche du latin. Par exemple, le mot larme aurait d aboutir une forme *lerme
selon les lois phontiques, de mme pour livre (o le mot latin liber aurait d voluer
vers *loivre), charit (au lieu de *chart), esprer et esprit (qui conservent la consonne
[s], qui aurait d samur selon lvolution typique du latin au franais, comme dans
le fr. pe, du lat. spat(h)a/spata, fr. paule, du latin imprial spat(h)ula, fr. pi, du
lat. spicum, fr. pice, du lat. species, etc.). Les mots avec cette volution phontique
irrgulire, appels mots mi-savants, relvent surtout du domaine de la religion et
du droit, ce qui sexplique par le contact permanent qui avait lieu dans ces domaines
entre la population et les rudits employant la langue latine. De manire gnrale, on
peut constater que le latin chrtien a jou un rle considrable dans lhistoire des
langues romanes, ce qui se constate par exemple dans le mot parler (cf. aussi litalien
parlare) qui remonte au latin chrtien tardif parabolare, driv du mot parabola ayant
le sens de rcit allgorique du Christ (et nouveau, ct du verbe parler, on trouve
des drivs savants qui remontent la forme du latin classique loqui, p. ex. locution,
locuteur, interlocuteur, allocution, etc.).
Outre les contacts permanents avec le latin et le grec, pendant toute la priode
mdivale et jusquau XVIe sicle, on note une forte influence de la langue arabe, qui

409

Le franais en contact avec dautres langues

a lieu sous diffrentes formes (cf. Bertrand 2008, 5774). Premirement, il sagit de
contacts lis au commerce, qui se refltent dans limportation de mots comme carafe,
douane, magasin, tasse, azur, orange, alezan, girafe, abricot, artichaut, coton, pinard,
estragon, safran, sucre, etc. (certains de ces emprunts ont lieu par lintermdiaire de
lespagnol et de litalien). Deuximement, il y a les contacts lis aux croisades, qui se
refltent galement dans un certain nombre dapports lexicaux (amiral, arsenal,
assassin, calife, mir, etc.). Dans ces deux cas, il sagit de situations dadstrat. Troisimement, toutefois, le contact avec larabe sopre aussi dune manire plus indirecte,
travers des textes crits. Dune part on peut penser ici des auteurs littraires et
des ouvrages tels que les Mille et une nuits, qui remontent une source persane ou
indienne, mais qui deviendront clbres en Europe partir dune traduction en arabe.
Ensuite, cest le domaine de la science qui est concern ici, incluant les sciences
humaines aussi bien que les sciences dures. Parmi les auteurs arabes, on peut citer
Avicenne et Averros. De plus, de nombreux ouvrages philosophiques et scientifiques
datant de lAntiquit sont traduits du grec en passant par lintermdiaire de larabe
vers le latin et les langues romanes, et ces traductions donnent lieu des emprunts
tels que chiffre, zro, chimie, lixir, antimoine, sirop, ainsi que algbre, alchimie, alcool,
artichaut, etc. (dans ces derniers emprunts, nous pouvons observer une agglutination
de larticle arabe). Pour ces apports lexicaux, la situation se rapproche davantage
dune situation de contact avec un adstrat culturel, puisque le contact ne se passe que
de manire indirecte, travers les textes. En mme temps, il convient toutefois de
noter que ces contacts avec larabe sont des contacts ponctuels (les emprunts sont
effectus par un nombre rduit de personnes), alors que pour le latin et le grec, il
sagit de langues vraiment omniprsentes dans le domaine savant .

2.3 Le franais en contact avec dautres langues, romanes et non


romanes
Quelles sont les autres langues qui ont jou un rle dadstrat dans lhistoire du
franais ? Une langue qui, pendant des sicles, a exerc une influence considrable
sur la langue franaise est litalien (cf. Hope 1971 ; Bertrand 2008, 89105 ; DMOE ;
Aschenberg 2011). Ds le XIIIe sicle, on constate des contacts intenses entre le
franais et litalien dans le domaine de la littrature, comme le montre le fait que des
auteurs comme Brunetto Latini et Marco Polo crivent ou font rdiger leurs textes en
franais galement. Ces contacts deviennent encore plus intenses pendant la Renaissance, et litalien devient une langue de plus en plus la mode (cf. les emprunts de
caleon et veste). Ainsi, on peut observer une vritable passion pour lItalie en France,
qui se traduit par une srie demprunts dans le lexique des arts. Dans le domaine de la
musique, on peut citer ballet, concert, opra, srnade, solfge, sourdine, tnor ; pour
ce qui est de larchitecture, des arts dcoratifs et des beaux-arts, il y a p. ex. les mots
belvdre, baldaquin, balcon, arabesque, grotesque, figurine, fresque, modle qui sont

410

Esme Winter-Froemel

emprunts. Et mme si le nombre demprunts litalien se rduit considrablement


partir du XVIIe sicle, une certaine influence persiste, et on peut encore relever
quelques emprunts qui entrent dans la langue franaise une poque plus tardive,
p. ex. toccata, emprunt au dbut du XVIIIe sicle (cf. PR).
Certains de ces emprunts semploient aussi dans plusieurs arts diffrents, p. ex. le
terme grotesque, qui est lorigine un terme darchitecture dsignant un style dornement, deviendra un terme de la critique dart et surtout de la critique littraire. Un cas
intressant est aussi lemprunt du mot pantalon, qui dsigne dabord un certain
personnage de la Commedia dellarte, un vieillard cupide et hypocrite, et ensuite son
habit caractristique, qui est une sorte de salopette allant du cou aux pieds ; le sens
moderne de ce mot apparat avec la Rvolution (cf. DHLF). Le fait que des troupes de
comdiens italiens sont invits Paris (la premire troupe est celle des Gelosi, qui se
met au service du roi vers 1568, cf. dAuriac 1878, 19) et quils donnent des spectacles
Paris depuis le XVIe sicle confirme que litalien a t dans une situation de contact
intense avec le franais. Ainsi, dans les premires pices des comdiens italiens, les
canevas sont en italien, et la langue italienne continue semployer dans les pices
de la Comdie-Italienne du XVIe et XVIIe sicle. (Toutefois, le franais gagnera de plus
en plus de place dans les pices avec lengagement dacteurs franais, et au dbut du
XVIIIe sicle, litalien sera compltement abandonn dans le nouveau Thtre
Italien ; cf. Attinger 1950 ; Guardenti 1990 ; Rivara 1996).
Mais les emprunts la langue italienne ne concernent pas seulement le domaine
des arts. Premirement, il faut citer aussi les dites guerres dItalie , qui ont lieu de
la fin du XVe sicle jusqu la moiti du XVIe sicle et qui entranent limportation
dune srie de mots du domaine de la guerre (p. ex. alarme, alerte, bataillon, bravade,
canon, cartouche, sentinelle, soldat, etc.). Deuximement, il y a galement des contacts
commerciaux qui facilitent lemprunt de termes du commerce et des finances (p. ex.
bilan, banqueroute, [biens] liquides, contrebande). Pendant la Renaissance, litalien a
galement exerc une forte influence sur dautres langues europennes, mais le
contact entre le franais et litalien reprsente tout de mme un cas particulier cause
du contexte historique (notamment les guerres dItalie) et des relations particulirement troites entre la cour franaise et la famille des Medici Florence.
De plus, de manire gnrale, il semble intressant de noter que le contact long et
intense entre litalien et le franais a galement provoqu des ractions trs critiques,
auxquelles nous reviendrons dans la cinquime partie de cette contribution. En mme
temps, les influences nont pas t unidirectionnelles, tout au contraire, le franais a
aussi considrablement influ sur la langue italienne (cf. ltude de Hope 1971). La
mme observation est dailleurs valable pour le franais et lespagnol (cf. Dworkin
2012, 118138) ainsi que pour le franais et langlais.
Une autre langue romane ayant exerc une influence relativement longue et
importante sur le franais est lespagnol, ce qui se note par une srie demprunts
lexicaux, qui ont eu lieu partir du XIIe sicle et jusqu aujourdhui. Souvent, ces
mots dsignent des ralits trangres , p. ex. il sagit de termes culinaires (chorizo,

411

Le franais en contact avec dautres langues

gaspacho, paella, vanille), de termes qui se situent dans le contexte de la tauromachie


(corrida, aficionado), celui de lhabillement (sombrero, mantille), etc. un moindre
degr, on peut galement citer le portugais (p. ex. caravelle, bossa nova, capoeira,
fado), mais le portugais a surtout une fonction de langue intermdiaire, ce qui est
galement le cas pour lespagnol. Ainsi, nous trouvons, ct des emprunts lespagnol et au portugais proprement dits , des emprunts dsignant des objets provenant
des pays de lAmrique, de lAsie et de lAfrique. Pour lespagnol, on peut citer les mots
avocat, cacahute, cacao, caman, cannibale, caoutchouc, chocolat, cigare, hamac,
mas, puma, tabac et tomate ; pour les emprunts qui passent par le portugais, il y a
cajou, piranha, macaque, mangue, cobaye (qui signifie dabord cochon dInde et ne
prend que plus tardivement le sens de personne ou animal sur qui on tente une
exprience) etc. Ainsi, les mots que nous venons de citer proviennent, en ralit,
dautres langues telles que le nahuatl, les langues hatiennes, les langues des Carabes, etc., mais leur importation seffectue par lespagnol et le portugais, qui figurent
comme des langues intermdiaires (cf. Bertrand 2008, 173184).
Ensuite, on peut aussi relever un certain nombre demprunts dautres langues
(cf. Bertrand 2008), dont les langues germaniques, les langues slaves, les langues
orientales et les langues africaines. Les Vikings qui sinstallent sur les ctes de la
Normandie aux IXe et Xe sicles font entrer quelques mots du vieux norois dans le
lexique du franais (p. ex. carlingue, crabe, crique, hauban, homard, flotte, vague). Ces
emprunts, qui concernent surtout le domaine de la navigation, peuvent se classifier
demprunts par superstrat (cf. le paragraphe 2.1 ci-dessus). En outre, on trouve aussi
des emprunts dorigine germanique plus rcents, qui relvent de situations de contact
du type adstrat, p. ex. dredon, fjord, geyser, ski, slalom, narval et renne. Le contact
avec le nerlandais se reflte dans les mots bbord, dgringoler, frelater, maquiller,
tribord, vrac, yacht, yole, etc. ; de mme, on peut relever quelques emprunts lallemand (p. ex. accordon, blinder, calche, leitmotiv, loustic, trinquer, du verbe allemand
trinken boire ainsi que des emprunts plus rcents lis au contexte des guerres
mondiales tels que bunker, nazi, putsch et stalag, qui vient dune forme abrge de
lallemand Stammlager camp de base [de prisonniers de guerre]).
Pour les langues slaves, on peut citer une srie demprunts au russe ; souvent, il
sagit de mots dsignant des objets ou des ralits de la vie et de lhistoire de la Russie
et de lUnion Sovitique (p. ex. bolchevique, boyard, kolkhoze, perestroka, rouble,
soviet, tzar/tsar, intelligentsia, balalaka, datcha, mazout, taga, toundra ; pour les
termes gastronomiques, on peut citer blinis, borchtch, samovar et vodka). De mme, on
trouve quelques emprunts au polonais (chapka, cosaque, mazurka). En ce qui
concerne les langues orientales, il sagit premirement de langues du Proche et du
Moyen-Orient (le turc, p. ex. laiton et caviar [emprunt par lintermdiaire de litalien],
ainsi que le persan, p. ex. pyjama [emprunt par lintermdiaire de langlais], turban,
jasmin [emprunt par lintermdiaire de larabe], caravane, divan, douane ; pour les
emprunts au turc, cf. Schweickard 2014 ; pour les emprunts dans le domaine culinaire, cf. aussi Schweickard 2015). En outre, on trouve quelques emprunts aux

412

Esme Winter-Froemel

langues de lExtrme-Orient ; parmi ces emprunts, les mots dorigine japonaise


concernent souvent, mais pas exclusivement, le domaine du sport (p. ex. akido,
karat, judo, dan, mais on trouve aussi bonza, bonze, geisha, kamikaze, kimono, sak,
samoura). Les emprunts au chinois sont parfois des emprunts directs (ta chi, yin et
yang) ou encore des emprunts par lintermdiaire du japonais (shogun, soja, zen) ;
parfois, leur parcours est controvers (p. ex. le nom du jeu de go). Finalement, les
emprunts aux langues africaines concernent surtout des noms danimaux (chimpanz,
macaque, gnou, ts-ts) ou encore des objets et des ralits africains (bamboula,
balafon, kora) ; comme nous lavons dj vu plus haut, ici encore, certains emprunts
passent par lintermdiaire dautres langues. Au total, toutefois, le nombre demprunts aux langues dAfrique est relativement restreint en franais mtropolitain.
Avant de passer lanalyse du rle de langlais, il convient de noter que les
langues rgionales sont aussi en contact avec le franais, ce qui a donn lieu un
certain nombre demprunts. Citons lexemple des emprunts au breton bijou, bigouden,
baragouin, biniou et menhir. Linfluence du breton se note galement dans certains
prnoms assez courants, tels quArthur, Gwnola, Gwnalle, Herv, Ronan, Tanguy,
Yannick, Yves, etc. Toutefois, les prnoms reprsentent une catgorie particulire, et
les modes de prnoms dorigine trangre mriteraient dtre discutes plus en dtail
(cf. les modes de prnoms anglais ou italiens, cf. Fischer 2008 pour une tude des
modes de prnoms dorigine anglophone en Allemagne).

3 Le contact avec langlais


Pour le franais actuel, tout comme pour les autres langues europennes majeures,
langlais reprsente la langue de contact la plus importante dun point de vue
quantitatif aussi bien que qualitatif. Cette situation nest nullement particulire au
franais, et on peut constater une forte importance de langlais lchelle mondiale,
de sorte que bon nombre des emprunts langlais sont partags par diffrentes
langues. Ces emprunts du type leader, manager, badminton, tennis, blues, jazz, internet, etc. (pour plus dexemples, voir ci-dessous) peuvent se classifier dinternationalismes (Braun 1990 ; Schaeder 1990 ; Volmert 1990). Dans une perspective linguistique, il semble important dinsister sur cette particularit, puisquici, le contact entre
la langue source (langlais) et la langue cible (p. ex. le franais) nentrane pas
seulement un rapprochement de ces deux langues, mais effectue aussi un rapprochement entre diffrentes langues cibles qui ont emprunt les mots anglais. De plus, on
peut constater que ce vocabulaire international est souvent cr partir de racines
latines ou grecques (cf. Volmert 1996), ce qui peut augmenter la transparence des
mots travers les diffrentes langues et faciliter leur importation dans dautres
langues.
En outre, il convient de signaler que le contact entre le franais et langlais ne
sopre pas seulement vers le franais ; bien au contraire, pendant le Moyen ge, le

Le franais en contact avec dautres langues

413

franais a eu une influence notoire sur la langue anglaise (Bertrand 2008, 148s.).
Depuis Guillaume le Conqurant au XIe sicle et jusquau rgne de Henry IV, cest-dire jusquau dbut du XVe sicle, lancien franais, et plus prcisment sa varit
normande, sera la langue maternelle des rois dAngleterre et la langue parle la cour
anglaise. Dans ce contexte se dveloppe la littrature anglo-normande, qui est une
littrature de langue franaise produite en Angleterre (p. ex. les Lais de Marie de
France). La forte influence du franais sur langlais se reflte dans des emprunts de
mots frquents tels que langl. cat (< a.fr. chat), car (< a.fr. car/char), challenge (< a.fr.
chalengier) et castle (< a.fr. chastel), et on estime quenviron 40% du vocabulaire
anglais remontent une origine franaise (Bertrand 2008, 148).
Par consquent, certains mots que le franais a imports de langlais sont en
ralit des emprunts aller-retour, cest--dire quil sagit de mots anglais dorigine
franaise qui, par la suite, sont rintroduits dans le lexique du franais, comme
dans le cas des formes challenge et car, que nous venons de citer. Le mot car a t
emprunt dans un sens spcifique, celui de voiture de tramway, vhicule sur rails,
qui ne sest pas maintenu. La forme fr. car autocar pourrait sanalyser, en revanche,
comme une abrviation du fr. autocar, galement emprunte langlais, o autocar
signifiait automobile (cf. DHLF s.v. car2 ; nous reviendrons aux phnomnes de
changements smantiques/divergences smantiques qui peuvent accompagner les
emprunts dans le paragraphe suivant). En outre, on peut donner lexemple du fr.
sport, qui remonte langl. sport/disport, emprunt lancien franais desport, et
celui du fr. tennis, qui a t emprunt langlais tennis, qui a, son tour, emprunt ce
mot au franais du XIVe sicle pour dsigner le jeu de paume ; il sagit ici plus
prcisment de limpratif du verbe franais tenir, cri par le serveur dans ce jeu, qui a
fourni la base pour la dsignation du jeu. De plus, le mot adopte en franais galement le sens de terrain de tennis, o langlais a (tennis) court uniquement ; ce dernier
mot reprsente galement un emprunt aller-retour en franais (ancien franais court,
cort angl. court fr. court ; cf. DHLF). Mentionnons finalement le cas du mot
anglais jean(s), qui remonte la dsignation franaise du nom de la ville italienne de
Gnes, do lon importait cette toile (cf. les dsignations en moyen anglais Gene, Jene,
Jeyne, Jayne et Jane et celle de lancien/moyen franais Janne(s), cf. OED, DHLF).
Il semble intressant de noter que dans une perspective historique, le contact
relativement intensif avec langlais ne reprsente pas un cas unique ; de fait, on peut
le rapprocher de la situation au XVIe sicle, o de nombreux mots italiens entrent
dans le lexique du franais, et o lon trouve galement des discours trs critiques
comme celui dHenri Estienne qui souligne les dangers de linfluence italienne,
ressentie comme trop importante (cf. Bertrand 2008, 147 et la partie 5.1 ci-dessous).
Linfluence de langlais sur le franais sintensifie de plus en plus avec lindustrialisation, cest--dire partir du XIXe sicle, et le contact devient encore plus
intense aux XXe et XXIe sicles. Souvent, les emprunts concernent des domaines
spcifiques du lexique tels que le vocabulaire industriel (cf. bulldozer, cargo, express,
fuel(-oil), pipe-line, rail, tramway, tunnel), la politique et la gestion dentreprises (cf.

414

Esme Winter-Froemel

budget, leader, lobby, manager, marketing, staff, jury, boycotter, interview, meeting,
lock-out, speaker). Dans le domaine du sport, on voit apparatre le terme de sport
mme, et, de la mme faon, badminton, baseball, basket-ball, bobsleigh, bowling,
boxe, cricket, croquet, curling, football, golf, handball, hockey, rafting, rugby, snooker,
squash, surf, tennis, volley-ball, challenge, fair-play, match, record, sprint, etc. ; pour ce
qui est de la musique et de la danse contemporaines, on peut citer beat, bebop, big
band, blues, boogie(-woogie), folk, fox-trot, funk, grunge, jazz, heavy metal, new age,
pop, punk rock, rap, reggae, rock n roll, slow fox, soul, swing, techno, twist, etc. ; dans
le domaine du commerce, de la mode et du style de vie, il y a blue jean(s), clip, dandy,
look, marketing, shopping, week-end, etc. Parmi les emprunts rcents figurent enfin
beaucoup de termes qui relvent du vocabulaire de linformatique et de linternet
(p. ex. blog, bug, (t)chat, internet, mail/e-mail, spam, web, etc.).
De manire gnrale, le paysage mdiatique international joue un grand rle dans
la diffusion de langlais dans le monde. Limportance de ce facteur sest encore renforce au cours des dernires annes avec le succs grandissant de linternet et des
technologies de communication quil offre : aujourdhui, chaque locuteur peut,
quelque heure qui soit, accder des documents en anglais, p. ex. sur des sujets
dactualit, et cela non seulement sous forme de documents crits (articles de presse,
reportages, etc.), mais aussi sous forme de documents oraux disponibles sur internet, et
en accdant directement des stations de radio et des chanes de tlvision anglophones etc. De plus, les utilisateurs ne doivent pas se contenter dun rle de consommateur
passif, mais les nouvelles formes de communication offrent galement des possibilits
dentrer directement en contact avec des locuteurs dautres langues et dautres pays.
En mme temps, le degr de bilinguisme des locuteurs franais est relativement
lev, ce qui facilite galement les emprunts. De fait, en France, langlais est la langue
trangre la plus importante dans la formation scolaire (Humbley 2002, 113) ; il est
actuellement enseign ds lcole primaire (au plus tard), de sorte que les couches
jeunes de la population disposent de connaissances de plus en plus approfondies de
la langue. De plus, lemploi de la langue anglaise a aussi lieu dans des milieux
professionnels ; par consquent, on peut affirmer que la pratique de langlais et le
niveau du bilinguisme augmentent globalement.
Linfluence de langlais au niveau lexical semble tre hors de question. Pour les
autres niveaux danalyse linguistique, par contre, on sest interrog sur la question de
savoir si la structure de la langue franaise a galement t influence par langlais ou
non. Par exemple, par lemprunt de mots comme shopping, la prononciation [] sest
introduite, mais son statut reste controvers : devrait-on prendre en compte la diffusion marginale de cette prononciation au sein de la langue franaise, ou sagit-il tout
simplement dun nouveau phonme de la langue franaise, puisquil est possible de
trouver les paires minimales campine camping [kpin kpi] et chopine shopping
[pin pi] ? La plupart des auteurs ont opt pour la deuxime solution, mais cette
analyse ne fait pas compltement lunanimit (cf., pour plus de dtails, Schweickard
1998, 297).

Le franais en contact avec dautres langues

415

Au niveau de la morphosyntaxe, cest surtout dans les discours puristes comme le


livre Parlez-vous franglais ? dtiemble (1964) que lon peut trouver un large ventail
de structures nouvelles qui, selon les auteurs, indiqueraient une influence anglaise.
Parmi les structures les plus souvent cites figurent lantposition de ladjectif (une
srieuse affaire, une positive attitude, une considrable catastrophe, les rcents progrs), lemploi du comparatif et du superlatif au lieu du positif, lemploi de composs
du type dterminant-dtermin (Alpes Htel au lieu de Htel des Alpes), lusage
frquent de la voix passive (des critiques ont t formules au lieu de on a formul des
critiques), laccumulation dadjectifs (une moderne et somptueuse demeure) et lutilisation dadjectifs au lieu dadverbes (acheter franais, sourire jeune, penser socialiste, cf.
Beinke 1990, 8589 ; McLaughlin 2011). Certaines de ces structures, qui existent sous
une forme analogue en anglais, sont en effet bien documentes en franais actuel.
Nanmoins, il reste prouver que les structures franaises doivent sexpliquer ncessairement et exclusivement par le contact avec langlais ; de fait, il ny a pratiquement
pas dtudes sur ce thme qui dpassent la simple numration dexemples rassembls au hasard. Une exception mritoire cette tendance est ltude rcente de
McLaughlin (2011), qui vise combler cette lacune en analysant un corpus dinformations de presse labores dans une agence de presse franaise pour traduire des
informations de presse en langue anglaise. Malgr les objectifs volontairement restreints de ltude de McLaughlin (elle nanalyse que trois phnomnes o on pourrait
souponner une influence anglaise, et ntudie quun type de texte spcifique), son
analyse permet daffirmer que pour le niveau syntaxique, on peut relever certains
effets du contact, mais en mme temps, il parat lgitime daffirmer que les effets du
contact avec langlais sont surestims dans les travaux dorientation puriste. Ainsi, il
semble avantageux dassumer que le contact linguistique reprsente tout au plus un
facteur parmi dautres expliquant les changements syntaxiques en cours.

4 Modalits de linfluence et enjeux de


limportation/intgration des emprunts
Aprs ce panorama historique des contacts entre la langue franaise et dautres
idiomes, essayons maintenant de dterminer quels sont les types dinnovations qui
peuvent rsulter de situations de contact linguistique. Commenons par deux phnomnes qui impliquent un contact entre diffrentes langues, mais qui, cependant, ne
reprsentent pas demprunts proprement dits : les crations lexicales et les fauxemprunts (Winter 2005 ; Winter-Froemel 2009a).
Les crations lexicales (ou emprunts-crations, cf. Humbley 1988) comme le fr.
ordinateur permettent de rendre le sens dun mot tranger (en loccurrence langl.
computer), sans quil soit import (cf. lall. Computer) ni quil soit imit sur la base
dlments dj prsents dans la langue, cest--dire sans que la conceptualisation

416

Esme Winter-Froemel

sur laquelle repose le mot tranger soit reproduite avec des formes de la langue
daccueil (un exemple de cette dernire stratgie fournit lall. Rechner, qui est driv
du verbe rechnen calculer et imite ainsi la conceptualisation du nom anglais driv
du verbe compute). Tandis que ces dernires formes peuvent se classifier demprunts
au sens large, cest--dire quelles reprsentent des formes influences par un modle
de la langue source, une telle influence au niveau des structures ou de la conceptualisation est absente pour les crations lexicales. Pour elles, linfluence de la langue
source se limite inciter la cration dun quivalent dans la langue cible, de
sorte que lon peut parler dinnovations induites par une situation de contact linguistique. Lincitation linnovation peut aboutir soit une formation de mots (cf. le fr.
ordinateur), soit une innovation smantique (p. ex. le fr. tmoin a t propos pour
rendre langl. cookie [informatique], et cette innovation peut sexpliquer par une
innovation mtaphorique partant du sens dorigine du mot franais ; de mme pour le
fr. animateur, cr pour rendre langl. disc-jockey).
Dans les travaux antrieurs, le statut des crations lexicales leur appartenance
au domaine des emprunts est controvers. Certains auteurs les rangent parmi les
calques (cf. Betz 1949 ; Kiesler 1993) ; dautres mettent laccent sur le fait que la forme
de ces mots doit sexpliquer indpendamment de la forme du mot tranger, de sorte
que lon pourrait la rigueur parler dun emprunt de concept, mais pas dun soustype demprunt (Hfler 1971, 64 ; 1981 ; Bcker 1975, 87 et 96s.). Cette controverse peut
se rsoudre si on distingue deux approches distinctes qui sont en jeu ici (cf. Winter
2005 ; Winter-Froemel 2009a ; 2011), lune onomasiologique quelles stratgies
peuvent recourir les locuteurs de la langue daccueil pour rendre un terme tranger ? , lautre smasiologique et tymologique sous quelles formes peut se manifester linfluence dun mot ou dune expression de la langue dorigine dans la langue
daccueil ? (Nous verrons par la suite quil y a encore un troisime critre qui entre en
jeu ici, savoir la prsence ou absence de marques formelles trangres).
Les deux approches dfinissent des champs danalyse distincts, mais connexes.
Selon la premire question, on peut identifier trois stratgies de base pour rendre un
mot tranger dans la langue daccueil (importation du mot de la langue source,
innovation par analogie, et innovation indpendante). Dans une optique semblable,
Polzin-Haumann (2012) distingue trois options fondamentales, celle de traduire (cf.
les catgories de linnovation analogue et de linnovation indpendante), celle dintgrer lemprunt (cf. limportation, avec des adaptations possibles au systme de la
langue cible), et celle de lignorer (que nous laissons de ct ici.)
Limportation du mot de la langue source et linnovation par analogie sont
galement prises en compte par lapproche smasiologique et tymologique, qui
renvoie au domaine des emprunts au sens large. Ceux-ci se ralisent donc selon ces
deux options principales, qui sont les emprunts au sens troit du terme (cf. lall.
Computer) et les calques (cf. lall. Rechner). Alors que les premiers se caractrisent par
limportation de la forme de la langue dorigine, les derniers reprsentent des innovations par analogie un modle tranger. Comme pour les innovations induites par

417

Le franais en contact avec dautres langues

une situation de contact linguistique, on peut encore opposer ici les innovations par
formation de mots (cf. fr. franc-maon daprs angl. free-mason, fr. lune de miel
daprs angl. honeymoon, fr. vol domestique daprs angl. domestic flight, fr. libre
penseur daprs angl. free-thinker, etc.) et les innovations par innovation smantique
(cf. fr. toile rseau de fils, le rseau tlmatique mondial cr daprs langl. web,
qui repose sur une conceptualisation analogue ; de mme pour le fr. souris rongeur,
dispositif de pointage, cr daprs langl. mouse). Ensuite, cette systmatique peut
tre largie en y intgrant diffrents sous-types des deux catgories, p. ex. en distinguant, au sein des innovations par formation de mots, entre traductions fidles
(Lehnbersetzung, cf. les exemples cits ci-dessus) et traductions (en partie) infidles
(Lehnbertragung, p. ex. all. Wolkenkratzer daprs angl. sky-scraper, o la traduction
littrale serait Himmelkratzer). Le terme de calque est parfois galement rserv aux
seules formations de mots par analogie un modle tranger ; dans ce cas, loption
alternative est dsigne par le terme de nologisme smantique ou emprunt smantique (cf. Bertrand 2008). Toutefois, il semble avantageux de regrouper les deux types
dinnovations par analogie, qui imitent tous les deux la conceptualisation de la
langue source. Par ailleurs, le terme demprunt smantique (et son quivalent allemand de Lehnbedeutung) semble problmatique, puisque, dans une perspective
smiotique, il est impossible demprunter le sens dun mot exclusivement (cf. la
dfinition saussurienne du signe linguistique comme une unit deux faces ;
Saussure 1969 [11916], 145). Pour une discussion approfondie des catgories qui ont
t proposes dans ce contexte, cf. Winter (2005) et Winter-Froemel (2009a ; 2011).
Signalons encore que dans larticle fondamental de Haugen (1950), on trouve une
classification lgrement divergente, savoir tripartite, qui prvoit outre les deux
catgories que nous venons de distinguer (importation et innovation par analogie)
une catgorie mixte, lemprunt partiel. Ce dernier se caractrise selon Haugen par le
fait de combiner les deux oprations qui sont fondamentales pour les autres types,
limportation et la substitution morphmatiques. Par exemple, dans lall. Webseite,
qui traduit langl. web page, une partie de lexpression est directement importe de la
langue source (web), tandis que le deuxime lment page est substitu par lall. Seite,
qui a le mme sens dorigine (cf. Winter-Froemel 2009b, 196).
Une deuxime catgorie ayant un statut assez problmatique dans la recherche
antrieure est celle des faux-emprunts ou des pseudo-emprunts (Cypionka 1994).
Ceux-ci se caractrisent par le fait quils semblent tre des emprunts au sens troit
du terme ils prsentent des marques qui les distinguent du lexique autochtone ,
mais quils nexistent pas dans la prtendue langue source. Dans certains travaux,
cette catgorie est dfinie un niveau purement synchronique selon le critre
contrastif (cest--dire que lon assume un faux-emprunt ds quil y a une divergence
par rapport la forme de la langue source ; cf. tiemble 1964 ; Furiassi 2003 ; 2010),
mais ces divergences peuvent galement tre le rsultat de changements morphologiques ou smantiques lors de la situation demprunt, de changements ultrieurs
dans la langue source ou cible, ou bien encore de la disparition du mot dans la

418

Esme Winter-Froemel

langue source ou cible. Par exemple, premire vue, il semble impossible dexpliquer le sens du fr. slip culotte partir de langl. slip, qui ne semploie pas dans ce
sens. Toutefois, des tudes diachroniques montrent que le mot franais a dabord
signifi caleon de sport, et ce sens reprend directement un des sens du mot anglais
dans lexpression bathing slips, emploi qui a disparu plus tard (cf. OED, DHLF, EWDS
s. v. Slip, Cypionka 1994, 212). De mme, le fr. smoking peut sexpliquer par une
troncation du modle tranger angl. smoking jacket (Cypionka 1994, 206209 ; Humbley 2008b, 234).
Ainsi, on peut galement adopter une approche diachronique et restreindre la
catgorie des faux-emprunts aux formes qui nont jamais eu de forme dorigine en
tant que telle dans la prtendue langue source (cf. Haugen 1950, 220s. ; Deroy 1956,
63 ; Tesch 1978 ; Carstensen 1981 ; Hfler 1990 ; Cypionka 1994 ; Jansen 2005, 33 ;
Winter-Froemel 2009a). Ces formes sont donc crs lintrieur de la langue cible ,
mais en ayant recours des lments non autochtones (p. ex. le fr. record-man,
tennisman, camping-car, ou lall. picobello), de sorte que lon peut les qualifier
dinnovations allognes (cf. Humbley 2008b). Par consquent, il ne sagit encore pas
demprunts proprement dits, mais de phnomnes qui relvent dun champ dtude
connexe, qui se dfinit par la question suivante : quels types de marques formelles
trangres peuvent se manifester dans le lexique dune langue donne, et comment
peut-on les expliquer ?
Cela nous ramne la catgorie la plus prototypique demprunts, les emprunts
par importation. Comme nous lavons dj vu, les formes de la langue dorigine
prsentent souvent des marques formelles qui nexistent pas dans le lexique hrit, et
la question se pose donc de savoir si ces marques vont subsister lors de limportation
du mot ou si par contre elles disparatront, cest--dire que les locuteurs opteront pour
une stratgie dintgration qui remplace les lments non conformes au systme de la
langue daccueil par des lments qui sy conforment. Si on regarde lhistoire du
franais, et si on la compare celle dautres langues, on constate que les diffrentes
options sont bien documentes. Tandis que les emprunts relativement rcents sont
souvent faciles identifier dun point de vue formel ils contiennent souvent des
segments graphiques trangers et sont souvent prononcs dune manire non
conforme aux rgles du franais (p. ex. football, leader, clown, week-end, etc.) ,
lorigine trangre de mots tels que le fr. redingote ne se rvle quaprs consultation
de sources qui documentent ltymologie de ce mot (angl. riding coat). De manire
gnrale, on note une tendance plus forte lintgration pour les emprunts plus
anciens en franais, tandis que pour les emprunts rcents, on conserve souvent la
graphie dorigine (dautres langues comme lespagnol, par contre, optent plus facilement pour une intgration plus forte, cf. esp. chfer [du fr. chauffeur], esp. plat [du fr.
plateau] et esp. gisqui [qui coexiste avec la graphie whisky, tous les deux emprunts
langl. whisky]).
Pour lhistoire du franais, on a distingu trois priodes fondamentales par
rapport lintgration des emprunts au niveau de la prononciation et de la graphie

419

Le franais en contact avec dautres langues

(cf. Roudet 1908 ; Pergnier 1989, 36 ; Meisenburg 1993). La premire priode, qui
stend jusqu la fin du XVIIIe sicle, est caractrise par des emprunts par voie orale,
dont la prononciation sadapte la langue cible et dont la graphie se fixe ensuite
partir de la prononciation intgre (p. ex. fr. redingote ; de mme pour langl. bowlinggreen, emprunt sous la forme de boulingrin en franais). Pendant la deuxime
priode, qui va jusquau dbut du XXe sicle, les emprunts passent en revanche
surtout par la voie crite, de sorte que la graphie des mots reste identique ou trs
proche de celle de la forme dorigine ; par contre, les emprunts se prononcent selon
les rgles de la langue daccueil, ce qui entrane une forte divergence par rapport la
prononciation de la langue source (cf. lexemple de langl. black-jack, qui donne le fr.
black-jack [blakak]). La dernire priode, qui stend jusqu nos jours, se caractrise
enfin par une graphie et une prononciation relativement proches de celles de la forme
dorigine. Cette stratgie dintgration faible donne souvent des formes qui violent les
rgles de prononciation/dcriture du franais, et mme si le mot emprunt ne
prsente ni de phonmes ni de graphmes trangers , il peut poser des problmes
pour la lecture ou lcriture (cf. fr. baby [bebi], fan [fan] etc.).
ct des formes faiblement intgres, on trouve parfois des emprunts ou des
variantes de certains emprunts qui se caractrisent par une forte intgration au niveau
de la graphie ; souvent, leur emploi est motiv pour des raisons ludiques et/ou
expressives (cf. le fr. niouses pour news). Souvent, ces formes restent des emplois
marginaux, confins des contextes dun faible degr de normalisation comme la
langue de linternet, mais dans certains cas, ces graphies peuvent russir et entrer
dans les dictionnaires tablis, comme cest le cas pour la forme pipole, qui coexiste
avec la graphie people (cf. PR).
Sur le plan thorique, la question de lintgration des emprunts renvoie lopposition entre Fremdwort et Lehnwort, qui a t propose dans la recherche germanophone (dans la littrature anglophone, on distingue entre transfert et intgration, ou
encore entre adoption et adaptation, importation et substitution ; Haugen 1950 ; Hock/
Joseph 1996). En gros, le Fremdwort est considr comme un emprunt non intgr, le
Lehnwort comme un emprunt intgr. Toutefois, si on regarde ces dfinitions de plus
prs, elles ne sont pas suffisamment claires. De fait, les dfinitions antrieures ont
recours deux critres bien distincts : dune part, le statut des mots peut svaluer par
rapport la conformit la forme de la langue source (p. ex. Carstensen 1968), et
dautre part, on peut analyser leur conformit au systme de la langue cible (p. ex.
Kiesler 1993 ; cf. Winter-Froemel 2008a). En combinant les deux alternatives (conformit ou non-conformit) qui existent pour chacun de ces critres, on obtient non
seulement deux, mais quatre options fondamentales qui permettent une analyse
dtaille des structures dun mot emprunt donn. Par exemple, pour les graphies fr.
people et pipole, les segments graphiques <p>, <p>, <l> et <e> sont conformes la
forme de la langue source aussi bien quau systme de la langue cible (correspondance) ; le segment <eo>, par contre, reprsente un transfert (conforme la forme de
la langue source, non conforme au systme de la langue cible), tandis que la graphie

420

Esme Winter-Froemel

<i> illustre la possibilit inverse dune intgration (non-conformit la forme de la


langue source, conformit au systme de la langue cible). La quatrime possibilit
(non-conformit par rapport aux deux critres) peut enfin sillustrer par la graphie
<ck> dans le franais bifteck (cf. la graphie du mot dorigine angl. beef steak) ; ici, on
peut parler dun allognisme.
Lors dune situation demprunt sobservent galement des changements au
niveau de la morphologie. Comme nous lavons dj vu avec lexemple du fr.
smoking, il peut y avoir des troncations de la forme source, qui ne reprsentent rien
dautre quun type de changement morphologique qui peut accompagner les emprunts. Une autre question qui se pose est celle de lattribution du genre grammatical
et celle de la flexion des noms et des verbes, qui devient ncessaire lors de la
rutilisation et de la diffusion de lemprunt au sein de la langue cible. Pour les noms,
la stratgie standard est celle dune pluralisation par un -s final (cf. fr. fans, clubs,
aussi bien que tagliatelles, spaghettis, o on note un changement numral, puisque
les formes dorigine it. tagliatelle et spaghetti sont des pluriels, qui sont rinterprtes
comme des singuliers en franais). Les verbes sont gnralement insrs dans le
paradigme des verbes rguliers en -er (fr. chatter, cliquer), ou les locuteurs optent
pour une paraphrase du type faire + N (light verb strategy ; cf. Wichmann/Wohlgemuth 2008), qui vite le problme de la flexion verbale de llment emprunt (p. ex.
fr. faire un chat, faire clic, etc.).
De mme, il est intressant danalyser les emprunts selon une perspective smantique. Premirement, les mots de la langue source, souvent polysmiques, ne seront
emprunts que dans un seul de leurs sens, celui qui est actualis dans la situation
concrte de contact linguistique qui reprsente le point de dpart de lemprunt (p. ex.
le sens du fr. match comptition sportive nest quun des sens du mot anglais, o
cette forme signifie galement allumette, quivalent, correspondance, etc. ; de
mme pour la forme squash qui a aussi le sens de courge en anglais, etc.). Mais bien
sr, il peut y avoir dautres situations demprunt ultrieures, dans lesquelles le mot
dorigine sera emprunt dans un autre de ses sens. Deuximement, on observe parfois
de vritables changements smantiques, qui se limitent toutefois deux types, qui
sont la spcialisation (p. ex. fr. sombrro chapeau larges bords vs. esp. sombrero
chapeau, fr. people gens clbres vs. angl. people gens) et la mtonymie (fr. flipper
billard lectrique vs. angl. flipper levier dans le jeu de billard ; cf. Winter-Froemel
2012). Ces changements peuvent sexpliquer par une ranalyse smantique de la part
de lauditeur dans la situation de contact, qui, dans un premier temps, passe compltement inaperue. Pour les spcialisations, on peut supposer que dans la situation du
contact linguistique, le mot dorigine a dsign un rfrent spcifique (en loccurrence
un chapeau larges bords et une personne clbre), et que le locuteur et lauditeur
choisissent tout simplement un niveau dabstraction diffrent pour conceptualiser le
rfrent ou interprter le mot en question. Pour les emprunts avec un changement
mtonymique, on peut galement supposer quils ont eu lieu dans une situation de
contact linguistique o le mot peut sinterprter dans les deux sens (p. ex. si le mot

421

Le franais en contact avec dautres langues

flipper est inscrit sur les leviers du jeu et sur lappareil mme), de sorte quil peut tre
smantiquement ranalys par lauditeur.
Un dernier aspect relatif aux modalits dinfluence se rfre la question de
savoir si linnovation dsigne un nouveau concept, qui navait jusque-l pas de
dsignation (p. ex. flipper), ou par contre, si linnovation vient concurrencer un mot
dj existant dans la langue (p. ex. fr. people ct de clbrits, news ct
dactualits). Pour caractriser ces deux options, on a parl demprunts de ncessit et demprunts de luxe (cf. Winter-Froemel 2011, 295319 ; Onysko/WinterFroemel 2011). Les exemples demprunts cits dans les paragraphes 2 et 3 ci-dessus
montrent que les emprunts du premier type reprsentent un groupe trs important du
point de vue quantitatif et qualitatif (cf. opra, pantalon, chorizo, paella, tagliatelles,
pizza, caman, blinis, bulldozer, snooker, jazz, etc.), cest--dire que lon a affaire ici
un facteur important favorisant lemprunt, qui peut sintroduire dans la langue cible
pour combler une lacune lexicale et permettre de dsigner des rfrents et des
concepts nouveaux ou propres la culture de la langue source.
Toutefois, les termes traditionnels demprunt de luxe et demprunt de ncessit
sont gnralement employs dans une perspective puriste, qui admet la rigueur les
emprunts de ncessit, mais condamne strictement les emprunts de luxe. Par exemple, Lenoble-Pinson (1991, 6) affirme que Langlomanie contribue rpandre des
anglicismes inutiles [] . Or, une telle attitude puriste semble trs problmatique ; de
plus, la description traditionnelle des deux catgories nest pas pertinente, puisque
les emprunts de ncessit pourraient galement tre remplacs par des innovations indpendantes (cf. ci-dessus) et ne sont donc pas ncessaires ; inversement,
les emprunts de luxe sont choisis par les locuteurs pour raliser certains buts
communicatifs (p. ex. celui dobtenir des effets pragmatiques par lemploi dune
forme novatrice et marque), et en ce sens, ils sont donc galement ressentis comme
ncessaires. Par consquent, il semble avantageux de reconcevoir cette alternative en
introduisant des termes plus neutres (p. ex. katachrestische vs. nichtkatachrestische
Innovationen, cf. Winter-Froemel 2011).

5 Ractions au contact linguistique


Trs souvent, si on parle de ractions au contact linguistique, ce sont surtout ou
exclusivement les ractions ngatives qui sont mises en avant, cest--dire, les ractions qui soulignent les dangers que lon suppose maner du contact linguistique
pour la langue cible et pour la communication lintrieur de la langue cible. On note
galement que cest surtout dans les priodes de contact intense avec certaines
langues sources donnes que de fortes ractions contre les emprunts se manifestent,
et ces langues sont souvent ressenties comme une menace. Toutefois, il ne sagit l
que dun type de raction possible. Dans ce qui suit, nous analyserons dabord les
ractions individuelles et les avantages et dsavantages potentiels que les diffrents

422

Esme Winter-Froemel

types demprunts et leurs alternatives offrent aux locuteurs, pour ensuite passer aux
ractions institutionnelles et aux mesures officielles visant contrler certains effets
du contact linguistique pour la langue franaise.

5.1 Ractions individuelles, avantages et dsavantages potentiels


des emprunts face dautres stratgies nologiques
En ce qui concerne les ractions individuelles au contact linguistique lpoque
actuelle, on pourra penser dabord aux discussions autour des notions du franglais
et de langlomanie, notions qui ont t forges pour accuser les dangers que lon
suppose maner du contact avec langlais pour la langue franaise. La prise de
position la plus emblmatique est probablement celle du livre dcidment puriste
Parlez-vous franglais ? de Ren tiemble (1964), mais on peut galement relever
dautres prises de position trs ngatives ds le dbut du XXe sicle. Parmi les
premires manifestations critiques, on peut citer celle dtienne Blanchard, qui, en
1912, essaie de dfendre le franais au Canada face langlais (cf. Bertrand 2008,
162s.). Ensuite, de nombreux autres auteurs comme Ren Georgin dnoncent la
prtendue invasion de mots anglais en France, surtout depuis les annes 1950.
De plus, dans le contexte de ces discussions seront publis de nombreux ouvrages de consultation du genre Dictionnaire du bon franais, Dictionnaire des difficults
du franais, o on dconseille (ou condamne) lemploi danglicismes et propose des
substituts. Le succs de ces ouvrages ayant une forte orientation normative tmoigne
du grand intrt de larges groupes de lecteurs pour ces questions, et dune certaine
proccupation par rapport aux prtendus dangers.
Or, ct de ces discours puristes, il y a aussi des tudes linguistiques qui visent
recenser les anglicismes de manire systmatique et analyser lenvergure relle de
linfluence anglaise selon une perspective plus neutre (cf. les dictionnaires danglicismes publis par Hfler [DDA-H] et Rey-Debove et Gagnon [DDA-RDG] ainsi que le
DMOE, etc., cf. Hfler 1970 ; 1980) ; globalement, les travaux des linguistes arrivent
la conclusion que linfluence de langlais est beaucoup moins importante que les
auteurs puristes ne le suggrent.
De plus, les aspects potentiellement problmatiques de linfluence anglaise et le
rle particulier des discours puristes dans la discussion actuelle se relativisent si on
remonte dans lhistoire de la langue franaise. De fait, lpoque de la Renaissance,
on trouve des attitudes tout fait analogues (p. ex. celle dHenri Estienne) qui
dnoncent, cette fois-ci, les dangers du contact avec litalien et le recours exagr
des expressions dorigine italienne. Aujourdhui, toutefois, quelques 400 ans plus
tard, on peut constater que le contact relativement intensif avec litalien na nullement
nui la perptuation de la langue franaise, et la prsence de mots italiens dans le
lexique du franais actuel ne met pas en danger le fonctionnement de la langue
franaise.

423

Le franais en contact avec dautres langues

En outre, on trouve galement des ractions nettement diffrentes face aux


emprunts dans lhistoire du franais. Les situations de contact linguistique peuvent
galement contribuer crer une conscience de lidentit de la langue ; p. ex. tout au
dbut de la priode de lancien franais, lidentit de cette langue franaise nest
ressentie que face au latin, aprs la rforme carolingienne, qui aboutit en quelque
sorte une nouvelle situation de contact linguistique avec le latin classique.
Ensuite, il y a aussi des priodes et des auteurs caractriss par une volont
marque dintgrer les emprunts, quils considrent comme un enrichissement apport la langue, ce qui rsulte dans ce que lon pourrait appeler une joyeuse
coexistence de diffrents styles, registres, manires dexpression, etc. Un des auteurs
les plus importants ayant montr une telle attitude est Rabelais, dans les textes
duquel sont documents de nombreux emprunts et dautres nologismes.
Dans une perspective linguistique, on peut enfin constater que chacune des
trois stratgies de base pouvant tre choisies par les locuteurs dans des situations
de contact linguistique (cf. le paragraphe 4 ci-dessus) prsente certains avantages,
mais aussi certains inconvnients potentiels en ce qui concerne la communication
autant que les efforts cognitifs requis pour la production et linterprtation de
lnonc (Winter-Froemel 2008b). Par exemple, les emprunts par importation augmentent la proximit des langues entre elles (langues source et cible et/ou diffrentes langues cibles), ce qui peut faciliter la communication internationale et lapprentissage de langues trangres. Par contre, les emprunts par importation ne peuvent
normalement pas tre motivs partir dautres lments du lexique de la langue
cible. Pour les innovations par analogie et les innovations indpendantes, par
contre, la situation est inverse : ces innovations ne causent pas de problmes
particuliers dans lacquisition/apprentissage de la langue (parce quelles ne contiennent pas de structures marques), mais elles impliquent une prise de distance par
rapport la langue source, qui peut gner la communication internationale (cf. le fr.
baladeur et ordinateur face aux mots internationaux walkman et computer, etc.). En
ce qui concerne les innovations par analogie ( calques et emprunts smantiques ), il semble intressant de noter que les travaux puristes formulent des
jugements contradictoires par rapport cette stratgie : dune part, les puristes y
voient une bonne stratgie pour viter lemprunt par importation, dautre part, ils
dnoncent cette stratgie, qui reprsenterait, selon eux, une influence particulirement dangereuse, puisque masque (cf. Braselmann 2002, 206s. ; Winter-Froemel
2008b, 17s.). Pour les emprunts par importation, enfin, leur intgration ou nonintgration peut galement svaluer selon les paramtres que nous venons dexposer (proximit/distance par rapport la langue source, statut marqu/non marqu
au sein de la langue cible, etc.).

424

Esme Winter-Froemel

5.2 Ractions institutionnelles


Outre les ractions puristes individuelles, la situation du franais en contact avec
dautres langues est galement caractrise par une politique institutionnelle bien
dveloppe (pour une vue densemble, cf. Beinke 1990 ; Schmitt 1990 ; 1998 ; Plmer
2000 ; Schweickard 2005 ; pour une analyse des facteurs historiques et politiques qui
ont contribu au dveloppement dune grande proccupation pour la langue dans la
politique franaise, voir Thody 1995, 799). De manire gnrale, dans la planification
linguistique, on peut distinguer entre les mesures qui visent promouvoir lusage
dune certaine langue sur un niveau global, face dautres langues, dune part (status
planning), et les mesures visant rgler lusage de certaines formes lintrieur de la
langue (orthographe, substitution danglicismes, etc. ; corpus planning) dautre part
(cf. Polzin-Haumann 2006, 1473).
Ce sont surtout les influences de langlais qui sont vises ici, et depuis le milieu
des annes 1960 il existe en France une srie dinstitutions charges de promouvoir
lemploi de la langue franaise lchelle nationale ou mondiale et de la protger face
certaines influences trangres (dans ce qui suit, nous nous concentrerons essentiellement sur la situation en France ; la politique poursuivie au Canada face aux anglicismes est nettement diffrente de celle de la France ; cf. Bertrand 2008, 164). Parmi
ces institutions, on trouve le Haut Comit pour la Dfense et lExpansion de la Langue
Franaise, cr en 1966 par Georges Pompidou, qui prendra plus tard le nom de Haut
Comit pour la Langue Franaise. Plus tard, en 1984, cette institution sera remplace
par le Commissariat Gnral et le Comit Consultatif de la langue franaise, ce dernier
faisant place son tour en 1989 au Conseil Suprieur de la Langue Franaise et la
Dlgation Gnrale la Langue Franaise (DGLF), rebaptise Dlgation Gnrale
la Langue Franaise et aux Langues de France (DGLFLF) en 2001. Pour la Belgique, on
peut citer la Maison de la Francit ; au Canada, cest lOffice qubcois de la langue
franaise qui soccupe de la politique linguistique qubcoise en proposant une
Banque de dpannage linguistique et un dictionnaire terminologique recommandant
des substituts pour certains termes anglais (cf. Lenoble-Pinson 1991).
Paralllement, on a mis en place des commissions de terminologie pour diffrents
secteurs du lexique (tourisme, postes et tlcommunications, informatique, sport,
etc. ; cf. Humbley 1988 ; 2002 ; 2008a). Ces commissions ont la tche dlaborer des
substituts pour des termes techniques et scientifiques trangers, et ces substituts
recommands sont publis dans le Journal officiel, mis la disposition des locuteurs
anxieux dviter les anglicismes. Certains des quivalents recommands sont entrs
dans lusage (p. ex. baladeur pour walkman, logiciel pour software, puce pour chip,
palmars pour hit-parade, VTT pour mountain bike), dautres, par contre, nont pas t
adopts (p. ex. champ pour [tennis] court, ardoise lectronique pour notepad computer,
arrosage pour spamming, etc.). Depuis 1996, la Commission Gnrale de Nologie et
de Terminologie soccupe de la planification linguistique au niveau des terminologies.

Le franais en contact avec dautres langues

425

En ce qui concerne la substitution ventuelle danglicismes par des quivalents


franais, un rle important revient aux dictionnaires galement, surtout aux dictionnaires normatifs tels que le Dictionnaire de lAcadmie franaise (DAF), ayant le but
dtablir des normes concernant la ralisation des emprunts en franais (cf. Rey 2011).
De plus, certaines mesures lgislatives visent contrler que les recommandations
officielles sont respectes. Ainsi, la dite loi Bas-Lauriol (1975) proscrit lusage des
quivalents dans la rdaction dactes et de contrats sur le territoire franais, et ce but
sera repris et renforc par la dite loi Toubon en 1994 :

Dans la dsignation, loffre, la prsentation, la publicit crite ou parle, le mode demploi ou


dutilisation, ltendue et les conditions de garantie dun bien ou dun service, ainsi que les
factures et quittances, lemploi de la langue franaise est obligatoire. Le recours tout terme
tranger ou toute expression trangre est prohib lorsquil existe une expression ou un terme
approuvs dans les conditions prvues par le dcret no 7219 du 7 janvier 1972 relatif lenrichissement de la langue franaise. [] (Article 1er de la loi No 751349 du 31 dcembre 1975
relative lemploi de la langue franaise [loi Bas-Lauriol], publi dans le Journal officiel du
4 janvier 1976, cit daprs Beinke 1990, 374 ; cf. aussi Schmitt 1979, 39).

Dans lensemble, on peut donc relever toute une srie dinstitutions charges de
lamnagement linguistique et de la dfense institutionnalise de la langue franaise.
En ce sens, les institutions refltent un souci constant du bon fonctionnement de la
langue franaise, qui peut tre vu comme une particularit de la politique linguistique
de lHexagone.

6 Conclusion
Notre tude de la langue franaise en contact avec dautres langues a rvl quau
cours de toute son histoire, la langue franaise a constamment intgr des lments
emprunts dautres langues, surtout au niveau lexical. Lampleur des emprunts peut
varier selon les priodes et les langues, mais les situations de contact linguistique
sont une constante dans lvolution de la langue, et les emprunts reprsentent un
phnomne qui peut sobserver pratiquement tout moment de lhistoire de la
langue. En outre, nous avons vu que contact linguistique et contact culturel vont de
pair, de sorte que les tudes sur les emprunts peuvent fournir des informations
prcieuses sur les faits culturels et inversement. cet gard, les emprunts peuvent se
concevoir comme un vritable enrichissement de la langue, puisquils peuvent introduire des dsignations pour des concepts et des objets jusque-l inconnus. En mme
temps, les locuteurs ont parfois recours aux emprunts pour des raisons stylistiques.
De manire gnrale, les emprunts reprsentent un type de nologisme parmi dautres, et par l, ils dmontrent lactivit crative des locuteurs qui, par leurs noncs,
contribuent de faon constante recrer la langue. Cette dynamique inhrente se
manifeste de manire trs nette dans les emprunts tout rcents qui se caractrisent
par une coexistence de variantes circulant dans des documents non officiels (cf. p. ex.

426

Esme Winter-Froemel

les diffrentes variantes de lemprunt people en franais actuel, ou la coexistence de


diffrentes formes pour le pluriel de mots emprunts comme pizzas et pizze). Lemploi
dune certaine forme peut tre restreint des groupes particuliers au sein de la
communaut linguistique, et ce sont donc des micro-normes et la dimension sociale
du langage qui sont galement en jeu ici.

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Elmar Eggert

18 Le franais dans la communication


scientifique et internationale
Abstract : Larticle dcrit la position de la langue franaise dans la communication
scientifique et internationale. Mme si les relations internationales sont domines par
langlais, le franais continue dtre une des langues les plus importantes lchelle
mondiale, parce quil joue un rle important comme langue vhiculaire dans un trs
grand nombre dinstitutions internationales et suprargionales. La langue franaise
jouit dun soutien rsolu par plusieurs organisations publiques ce qui lui assure la
position de seconde langue internationale dans les domaines de la politique, des
mdias, de lconomie et mme le domaine du sport international. Lenseignement du
franais comme langue trangre augmente considrablement. Pour la communication scientifique, la langue franaise reste dlgue une langue mineure, malgr les
grands efforts du gouvernement franais et le soutien rsolu de lOrganisation Internationale de la Francophonie lors de ces dernires dcennies.

Keywords : langue vhiculaire, communication internationale, communaut scientifique, Francophonie, soutien institutionnel

1 Introduction
Les sciences parlent anglais cette affirmation, pourtant trop simpliste, dcrit assez
bien limpression gnrale du rle prpondrant de langlais dans les sciences. Pourtant, le monde est plurilingue et, mme dans la communication internationale et
scientifique, il y a plusieurs langues qui sont utilises. Le rle dune langue lchelle
internationale peut tre dtermin par son usage dans les affaires publiques, cest-dire dans les domaines de la politique, des mdias, de lconomie, de lducation et
des sciences. Cependant, limportance peut diffrer sensiblement selon ces fonctions.
Le franais a maintenu, ct dautres langues comme lespagnol ou le russe, une
certaine position dans la communication internationale, mme sil est en train de
perdre du terrain et du poids, ce que plusieurs acteurs contestent (sur lvolution du
prestige du franais en Europe, cf. Bochmann 2013). De plus en plus, langlais
simpose dans les domaines de lconomie, des technologies et des sciences, mais le
franais reste, par exemple, la deuxime langue de communication diplomatique du
monde. Lespace domin par le franais est dnomm francophone (cf. lorigine et la
discussion sur le terme dans Pll 1998, 59 ; Erfurt 2013).
Avant de dcrire la position du franais dans le monde, il faut se rendre compte
de ce qui est dsign par communication internationale et communication
scientifique . Le franais dans les sciences est comment au chapitre 2. Le troisime
chapitre dcrit la position du franais dans la communication internationale en

433

Le franais dans la communication scientifique et internationale

dtaillant les domaines dans lesquels le franais a su garder une certaine importance,
non seulement selon le rglement juridique, mais aussi dans la pratique linguistique.
Les institutions de promotion du franais dans la communication internationale
seront brivement esquisses au chapitre 4 avant de conclure sur le rle du franais
au niveau international.

1.1 Dtermination thorique des concepts de langue


internationale

Le franais est une langue historique complexe qui comprend plusieurs sous-systmes utiliss dans des situations multiples par des groupes de locuteurs respectifs. Il
faut, dans cette optique, diffrencier, p. ex., le franais parl par de jeunes banlieusards (13 Langue et gnrations : le langage des jeunes) de familles dimmigrs dans
une situation de dispute aux alentours de Paris du franais crit des journaux
qubcois dans une notice dactualit internationale ou du franais parl par des
tudiantes en philosophie dans une discussion scientifique. En outre, lusage de la
langue que font les locuteurs dune autre langue maternelle est distinguer de lusage
des francophones maternels.
Plusieurs termes sont utiliss pour dsigner les langues employes dans la
communication internationale : le terme de langue de communication est oppos
langue vhiculaire et langue auxiliaire . Dautres termes, comme langue
administrative , sont plus clairs, parce quils dsignent le domaine dapplication,
dans ce cas, lusage dans ladministration.
Une langue vhiculaire niveau international est, daprs le TLFi (s.v. vhiculaire)
une langue qui permet la communication entre des peuples ou ethnies de langues
diffrentes qui soppose une langue vernaculaire. Cette dernire est la langue qui
est lie un espace et un groupe de locuteurs prcis qui sidentifient avec cet espace
et cette langue. Pour eux, cest le moyen d y puiser leur inspiration et leur source
dexpression, [] la langue de lidentit et de lappartenance (Martel 2001, 3). Par
contre, la langue vhiculaire est linstrument de communication entre individus et
groupes [] nayant pas la mme langue premire (Martel 2001, 3). Lusage de la
langue est donc indpendant de lidentit des groupes impliqus.
La langue vhiculaire est utilise pour remplir une fonction primordiale, celle de
se faire comprendre linguistiquement dans des rencontres internationales, pendant
des changes ou des runions de groupes de cultures diffrentes qui, dans ce contact
culturel, sinfluencent mutuellement ; cest souvent par le biais de la langue vhiculaire que se ralisent les emprunts culturels et surtout linguistiques.
Hay (2009, 66) distingue, en plus, la langue auxiliaire de ces concepts :

Une langue auxiliaire internationale (parfois nomme IAL [abrviation de langlais International Auxiliary Language] ou auxlang) ou interlangue est une langue utilise comme moyen de

434

Elmar Eggert

communication entre les peuples de diffrentes nations qui nont pas de langue commune. Une
langue auxiliaire internationale est principalement une langue seconde .

On a recours une langue auxiliaire quand il faut pallier temporairement une


situation dans laquelle les interlocuteurs ne partagent aucune langue maternelle.
Tandis que les langues vhiculaires sont normalement des langues naturelles et
quelles sont utilises dans toute sorte de communication entre diffrents groupes
culturels, les langues auxiliaires peuvent tre des langues artificielles et tre le moyen
dune communication plus spcifique, p. ex. celle des confrences internationales :

Les langues construites, telles que lespranto, sont souvent appeles langue auxiliaire .
Lexpression est galement utilise pour certaines langues naturelles comme le latin ou le grec
ancien (utilises une poque o ces langues ntaient plus vernaculaires). [] Sur le plan
smantique, langue auxiliaire a donc une extension plus grande que langue vhiculaire
puisque la langue auxiliaire englobe les langues mortes et sapplique des domaines spcialiss (Hay 2009, 66).

Comme langue seconde apprise des finalits pragmatiques, elle nest souvent
matrise que partiellement de sorte quelle se rapproche des langues mixtes : Il faut
toutefois remarquer que le terme vhiculaire connote langue ngativement. Langue
vhiculaire est souvent compris comme signifiant sabir,1 langue dappoint rudimentaire. [] (ibid.).
Les consquences pour la comprhension culturelle sont fondamentales : si la
langue vhiculaire joue alors le rle de passerelle, ou de charnire entre deux autres
langues, par rapport auxquelles elle se place en position de retrait et tente ainsi de
transcender les cultures (ibid.), on admet que les interlocuteurs sont rduits quitter
leur langue identitaire et leur monde dexpressions traditionnelles sils ont recours
un instrument intermdiaire. Ils aspirent matriser cette langue fonctionnellement,
machinalement, afin darriver lobjectif essentiel, mais rduit, celui de se faire
comprendre. Alors, les langues vhiculaires et surtout les langues auxiliaires sont
essentiellement diffrentes des langues vernaculaires, mme si les deux sont apprcier au mme degr selon leurs fonctionnalits. Mais cette distinction est dautant
plus importante quil sagit dexprimer des ides personnelles, de transmettre des
moments de crativit et dchanger ses penses dans une tradition culturelle. Certaines discussions demandent un ancrage dans la langue premire, tandis que pour
dautres buts, il suffit de saccorder par un langage neutre, la langue secondaire, telle
quelle est apprise par la plupart des gens.
Les langues vhiculaires sont internationales si elles servent une communication internationale et non seulement rgionale comme p. ex. en Suisse. Le dveloppement de la mondialisation entrane une augmentation de la communication interna

1 Cf. la dfinition dans le TLFi (s.v. sabir) : Langue mixte, gnralement usage commercial, ne du
contact de communauts linguistiques diffrentes .

Le franais dans la communication scientifique et internationale

435

tionale. De plus en plus de domaines sont rgls par les tats au niveau supranational
et, par consquent, de plus en plus de rglements, de lois, de contrats juridiques, de
conventions sociales, de traits conomiques, daccords bilatraux ou multilatraux,
etc. acquirent une validit supranationale et sont rdiger dans une langue internationale et vhiculaire. En gnral, ce sont les langues dune grande expansion dans
le monde et dune large diffusion dans plusieurs pays, surtout langlais, larabe,
lespagnol, le franais ou le russe.

1.2 La communication scientifique


Dans notre monde interconnect, les sciences font partie de la communication internationale et la question de la langue devient virulente. Mais, pour la communication
scientifique, il faut un langage spcial remplissant des fonctions spcifiques qui
dpassent les exigences lusage ordinaire de la langue commune. Afin de pouvoir
exprimer toutes les penses thoriques et abstraites possibles, il faut que le langage
dispose de structures lexicales et syntaxiques qui permettent de hirarchiser et de
coordonner des ides et rflexions intellectuelles au plus haut niveau dabstraction.
Ceci ne requiert pas seulement une terminologie systmatique et prcise, mais surtout
des traditions discursives2 de discussions sur des rflexions scientifiques. Faute
dhabitude danalyser des objets dtude et den soupeser des arguments en utilisant
un style de langage de plus en plus complexe, une socit narrivera pas un langage
scientifique mme si on met tout un rpertoire ncessaire de termes techniques la
disposition dune communaut linguistique. Cest la raison pour laquelle seulement
une petite partie des langues du monde servent de langues scientifiques (Haarmann
2008, 3360), qui sont le produit de recherches continues de plusieurs gnrations de
chercheurs (cf. Spillner 1994 ; Stein 2003).
Par consquent, lusage dune langue dans les sciences ne dpend pas du nombre
de locuteurs au monde, mais de lactivit et des intrts des chercheurs. Il est mme
possible dinstaurer une langue scientifique dans certains domaines suite la volont
dtablir des traditions dtudes scientifiques de la part dune socit, comme le
montre le renouveau du catalan la fin du XXe sicle (cf. March Noguera 2001). La
communication scientifique nest fondamentalement pas limite une nation ni ses
langues nationales (sauf dans des socits autocratiques qui imposent un isolement
national), elle est donc essentiellement internationale vu que le dbat entre chercheurs dpasse toutes les frontires. Par consquent, la distinction entre une communication scientifique endoglossique et exoglossique, propose par Kloss (1969), cest-dire lusage des langues vernaculaires par opposition des langues non-autoch

2 Cf. le concept linguistique des traditions discursives, p. ex. Lebsanft/Schrott (2015).

436

Elmar Eggert

tones utilises pour la communication scientifique, parat inadquate parce quelle


dcrirait avant tout la situation de la communication nationale.
Le domaine de la communication scientifique est concurrenc par plusieurs
langues, le choix de la langue dpendant de plusieurs critres : la langue des tudes
principales dans le domaine, la langue maternelle des chercheurs ( un moindre
degr) ou lappartenance du congrs ou de la revue scientifique une langue nationale, donc les exigences de la politique linguistique respective, mais cest aussi lobjet
de recherche qui dtermine la langue : sil sagit dun objet li une entit culturelle
et rgionale de lespace francophone, la tendance utiliser le franais est beaucoup
plus leve que dans les domaines thoriques comme les mathmatiques. Il est
vident que les chercheurs sont conscients des consquences de leur choix linguistique et quils rflchissent sur la langue utiliser pour arriver leur but datteindre
un grand public de collgues du monde entier. Cest donc la finalit de la contribution
qui dtermine avant tout la langue utilise. Aussi dans lchange oral, p. ex. lors des
colloques internationaux, les chercheurs sont obligs de se servir dune langue
vhiculaire sils ne partagent pas de langue primaire.
La communication scientifique peut tre diffrencie selon les univers discursifs
(technique, sciences, institutions), les genres textuels (monographie, examen oral,
confrence) qui dterminent le mdium de la communication et la situation de
communication qui se caractrise par le niveau dexpertise des interlocuteurs ou
mme la constellation pragmatique (Maa 2011, 275s.).

1.3 Une langue unique dans les sciences ?

Plusieurs raisons sont discutes pour appuyer langlais comme langue scientifique
commune : une langue commune surmonterait la diversit linguistique et crerait une
communaut scientifique globale qui permettrait la communication sans obstacles ;
elle assurerait la diffusion mondiale et une rception globale des tudes scientifiques
et leurs rsultats (Trabant 2012, 101) dont profiteraient avant tout les chercheurs de
petites communauts linguistiques ; en plus, des standards de prsentation de rsultats scientifiques qui permettraient de simpliquer plus facilement dans le discours
spcifique seraient alors tablis (Knapp 2012, 110).
Par contre, comme une langue scientifique unique nest pas la langue maternelle
de beaucoup de chercheurs, elle est demble une langue vhiculaire, secondaire
dans la communication supranationale. Elle se forme dans les interactions des
chercheurs de diffrentes langues et cultures, donc, elle senrichit de termes provenant de toutes ces langues et cultures, cest--dire quil sagit dun mlange de
plusieurs langues et surtout de traditions discursives. Une telle langue mondiale se
convertirait inluctablement en langue vhiculaire, une lingua franca, qui est le
moyen de communication destin la dsignation dobjets concrets au moment o
des locuteurs de langues diffrentes se rencontrent, donc une langue qui sert

Le franais dans la communication scientifique et internationale

437

principalement la communication sur les besoins du quotidien laide dun


rpertoire limit de signes (Trabant 2012, 103s.). Cela correspond lattitude rationnelle dans les sciences o lon cherche liminer la part subjective de la saisie de
lhomme sur la nature.
Mais le sens des mots dune langue est toujours le sens qui sest constitu dans
des traditions discursives, dans des cultures spcifiques prsentant des imaginations
populaires marques. Si lon enlevait le caractre de la spcificit culturelle dune
langue, pour pouvoir couvrir toutes les cultures si diffrentes quelles soient, on
crerait une langue dpourvue de sens linguistiques propres qui ne servirait qu
dsigner des entits concrtes. Or, dans les sciences, on nest pas rduits la dsignation objective, tout au contraire, on a besoin de tout lventail demplois stylistiques
et rhtoriques ; seulement une matrise assez labore de la langue permet une
communication scientifique russie telle quelle est possible dans la langue maternelle aprs une formation spciale. Surtout dans les domaines des lettres et arts, les
penses se forment dans la manifestation linguistique de processus interprtatifs
(Trabant 2012, 105ss.). Il est donc indispensable que les scientifiques aient recours aux
styles les plus complexes pour pouvoir exprimer en leur langue la complexit de leurs
penses, dans toutes les langues, aussi en anglais. Mme langlais comme langue
naturelle articule une vision du monde particulire. En se servant de langlais comme
langue scientifique internationale, on repose toujours sur la vision particulire de
cette langue, au dtriment des visions diffrentes ou seulement complmentaires des
autres langues et cultures.
En principe, langlais nest pas une langue vhiculaire, mais cause des fonctions
et lusage quen font les locuteurs dans la communication internationale, mme les
chercheurs et scientifiques, il se transforme en langue vhiculaire internationale.
Il faut donc, notamment pour les sciences, prserver les autres cultures de
penses qui sont lies aux autres langues utilises. On peut envisager, pour la
communication internationale, une traduction supplmentaire, sans la destiner
supplanter les autres langues. Par consquent, cest laide du multilinguisme que
lon arrive viter la destruction des diffrentes cultures de savoir qui se sont formes
pendant les derniers sicles.3 Dailleurs, la traduction douvrages scientifiques en
franais est, ct de publications primaires en franais, un enjeu de la politique
linguistique de la France (RPELF12).

3 Dans le mme sens de lopposition une langue scientifique unique va la contribution de Oesterreicher (2012) ; plus ouverts langlais comme langue scientifique se montrent Knapp (2012) et Ehlich
(2012).

438

Elmar Eggert

2 Le franais dans les sciences


Le potentiel socioculturel dune langue scientifique moderne se dtermine par sa
relation avec langlais dominant dans le monde des sciences (Haarmann 2008, 3359,
Kramer 2008), ce qui vaut notamment pour le franais. La production de la prose
scientifique dans une langue est le principal primtre de limportance dune langue
scientifique internationale, mais comme il savre extrmement difficile de quantifier
la production scientifique du franais, nous renonons, except quelques chiffres
suivants, des chiffres de comparaison dans ce domaine au profit des rflexions sur
la valeur du franais comme langue scientifique.
La base de donnes transdisciplinaire de revues scientifiques Scopus, qui contient
plus de 21.000 revues (environ 80 % en anglais), peut tre analyse pour arriver une
tendance dans lemploi des diffrentes langues. Les articles publis dans ces revues
peuvent tre tris selon la langue choisie : de 1996 2011, la relation du nombre
darticles en anglais avec ceux en franais sest vu augmente de 5:1 (5 articles en
anglais sur un en franais) 7:1 et est donc reste assez stable, tandis que pour
litalien, le ratio est pass de 11:1 30:1, ce qui implique une tendance beaucoup plus
forte labandon de litalien dans les articles scientifiques des revues recenses dans
Scopus. Ceux qui continuent publier en franais le font surtout dans le domaine
mdical (36,4 %) ainsi que dans les Sciences sociales et Lettres et Arts (36,5 %), tandis
que ceux qui publient en allemand le font surtout (34,5 %) dans les Sciences naturelles physiques (Weijen 2012).

2.1 Le franais scientifique


Mme si les chercheurs tendent fortement utiliser la principale langue vhiculaire,
langlais, le franais reste une langue des sciences reconnue dans certains domaines.
Il faut donc mettre en vidence dans quels domaines le franais continue dfendre
une position de langue scientifique. Comme le franais scientifique nest pas contrl
par ltat qui ne peut pas influencer directement son usage dans les sciences, celui-ci
dpend de la bonne volont des chercheurs. Pour rendre lusage du franais possible
et probable, la communaut scientifique francophone doit disposer durgence des
outils permettant lexpression, en langue franaise, de sa crativit comme lavait
dj signal Guillou (1989, 4). Cest pourquoi les membres de lOrganisation Internationale de la Francophonie (OIF)4 sont dcids maintenir une place pour le franais
scientifique, ne serait-ce que dans les projets de recherche entre les partenaires
francophones. Ils sont convaincus que lavenir de la langue franaise en tant que

4 Les principales organisations dont le centre dintrt est le franais dans la communication internationale seront dcrites et commentes au chapitre 4.

Le franais dans la communication scientifique et internationale

439

langue internationale est li son emploi dans les domaines scientifiques et que la
francophonie ne peut russir que si elle se transforme en une ralit conomique,
scientifique et technologique (Guillou 1989, 1).
La recherche et lenseignement suprieur sont deux aspects complmentaires,
dans le domaine des sciences, dont le centre est luniversit. Comme les universits
sont des institutions publiques qui se laissent diriger par la politique, elles servent
dinstrument pour la politique linguistique. Cest ainsi qua t fonde lAgence
Universitaire francophone (AUF) qui est une association duniversits qui utilisent le
franais comme langue denseignement et de recherche (cf. chap. 4).

2.2 La publication et les congrs scientifiques


La publication en franais est le critre le plus important pour le dveloppement dun
franais scientifique comptitif, comme le rclame la Dlgation gnrale la langue
franaise et aux langues de France : Il est imprieux de renforcer la production et la
diffusion de la recherche scientifique en franais. Il convient de favoriser chez les
chercheurs une thique de la publication en franais et de soumettre lobtention
de subventions de recherche des critres de publication en franais. (RPELF12,
172s.) Pourtant, ce faisant, la politique linguistique scarte du multilinguisme quelle
veut rattraper par la traduction de travaux raliss en franais vers dautres langues et
inversement.
Certaines revues se sont imposes et jouissent dune reconnaissance internationale, comme les Cahiers de lexicologie, les Cahiers de Recherches Mdivales et
Humanistes etc. Ces revues qui traitent la langue et la culture franaise sont, bien
videmment, majoritairement en franais, mais il y a aussi dautres revues qui
touchent des domaines indpendants de lorigine franaise ou francophone comme la
mdecine (La Revue de Mdecine Interne), la gographie etc. videmment, linfluence
de ces revues reste essentiellement nationale. Ltude de Bajerski (2011, 305) sur les
revues de gographie montre que les revues gographiques franaises, allemandes et
espagnoles servent presque exclusivement la communication scientifique lintrieur du pays en employant la langue nationale.
En France, un grand nombre de congrs internationaux se passent en anglais.
Pourtant, larticle 6 de la loi Toubon prvoit que lusage du franais doit tre possible
pour toute personne francophone et quun rsum en franais doit accompagner
les interventions (Becker 2004, 113117 ; www.legifrance.gouv.fraffichTexte.do?cid
Texte=LEGITEXT000005616341, 05/05/2014). Concernant la langue de publication
des institutions publiques, larticle 7 dtermine :

Les publications, revues et communications diffuses en France et qui manent dune personne
morale de droit public, dune personne prive exerant une mission de service public ou dune
personne prive bnficiant dune subvention publique doivent, lorsquelles sont rdiges en
langue trangre, comporter au moins un rsum en franais .

440

Elmar Eggert

Le choix de la langue peut sriger en obstacle pour la communication scientifique de


sorte quil y ait un cart entre la qualit de la recherche et la rception restreinte
cause du choix de la langue. Le dfi est donc de diffuser, au niveau mondial, les
rsultats de recherche rdigs aussi en franais et pas seulement en anglais.

2.3 La terminologie scientifique


Pour remplir la mission de renforcer lemploi du franais dans les sciences, la langue
franaise doit tre dveloppe et modernise de telle forme quelle puisse tre utilise
dans les sciences modernes. La Commission de terminologie et FranceTerme sont les
deux institutions charges de la tche de crer des nologismes et de proposer des
termes quivalents aux anglicismes qui pntrent la langue franaise surtout dans les
domaines des sciences et de la technique, o ils sont employs souvent par mimtisme ou de mconnaissance , daprs le jugement de lOIF (LFM10, 134). Les spcialistes dans les diffrentes disciplines emploient frquemment et avec plaisir des termes
anglais, parce quils sont en troit contact avec le langage scientifique international,
domin par langlais.5 Cependant, les propositions de FranceTerme pour le langage
scientifique savrent parfois insuffisantes parce quelles comprennent un grand
nombre de termes qui ne sont pas beaucoup utiliss ; par contre, les termes utiliss
dans les sciences sont souvent des anglicismes ou des termes dorigine diffrente qui
nont pas dquivalent dans la base de donnes (Oberhauser 2011, 230s.).
En plus, pour la matrise du franais scientifique, il faut disposer de livres
dexercices, p. ex. Dalcq/Van Raemdonck/Wilmet (1989). Pourtant, le franais scientifique nest pas un ensemble homogne de structures syntaxiques ou morphologiques : il y a une grande variation selon les diffrentes branches des sciences (Maa
2011, 289). De toute faon, chaque discipline a son propre style, ses propres tournures
et une terminologie spcifique qui la caractrisent.

3 La position du franais dans la communication


internationale
Le rle dune langue internationale ne se dtermine pas seulement par le nombre de
locuteurs dans le monde, mais par le statut dont elle jouit dans les principaux
domaines dapplication. Le facteur dmographique peut indiquer limportance internationale dune langue, mais il nen est quun critre parmi dautres ; mme si le

5 Cf. la liste des anglicismes relevs par lAdministration fdrale helvtique (www.bk.admin.ch/
dienstleistungen/db/anglizismen/index.html?lang=fr).

441

Le franais dans la communication scientifique et internationale

chinois est, de loin, la langue qui est parle par le plus grand nombre dindividus au
monde, il est certes difficile de le considrer comme langue internationale, et encore
moins comme langue vhiculaire internationale ni langue auxiliaire, sauf dans
certains cas de figure qui pourraient se prsenter en Asie de lEst.
Une zone dinfluence gopolitique peut tre marque par une langue. Cest le cas
de langlais qui domine, en tant que langue internationale, dans une trs grande
partie du monde, mais le franais et lespagnol sont deux autres langues dune grande
importance pour la communication internationale, notamment lespace francophone.

3.1 Nombre de francophones


Pour dterminer le nombre de francophones, sur une base scientifique solide, il faut
dfinir le terme et donc distinguer plusieurs sous-groupes de personnes sachant le
franais. Des tudes antrieures sur les francophones staient bases sur deux types
de francophones :

Dans la premire catgorie se trouvaient les francophones dfinis comme personnes capables
de faire face, en franais, aux situations de communication courante . Dans la deuxime
catgorie figuraient les francophones partiels , cest--dire les personnes ayant une comptence rduite en franais, leur permettant de faire face un nombre limit de situations
(LFM10, 25).

part le degr de la comptence dans la langue, il vaut mieux considrer lusage de


la langue quen font les personnes dans la vie quotidienne. Les critres appliqus par
lOIF sont donc le degr dalphabtisation (si les personnes savent lire et crire en
franais) et le degr dappropriation de la langue par les populations ( donc la forte
prsence dans tous les domaines dactivit et tous les environnements (sociaux,
conomiques, administratifs, audiovisuels) LFM-S10, 6). Ils ne tiennent pas compte,
surtout pour les pays africains, de ceux qui sont seulement capables de sexprimer
oralement en franais ou de le comprendre ni des gens gs de moins de 10 ans. Cela
mne des chiffres qui dvient clairement des chiffres destimations antrieures. Ne
sont plus compts ces locuteurs du franais qui parlent couramment et rgulirement
la langue sans avoir suivi une scolarisation, tandis que dautres qui ont appris le
franais lcole sans forcment lutiliser au quotidien sont inclus. Lampleur de leur
comptence lcrit nest pourtant pas spcifie dans la partie mthodologique
(LFM10, 1726). Lenseignement en et du franais est un critre qui est utilis pour
lestimation de plusieurs pays o il ny avait pas de statistiques sur lemploi de la
langue.6

6 On ne distingue plus entre langue maternelle (ou primaire) et langue secondaire, parce que les cas
de figure se prsentent dune manire beaucoup plus varie que ne lindique cette bipartition.

442

Elmar Eggert

Sans vouloir approfondir la problmatique du recensement scientifique, diffrent


selon les pays, on peut retenir lestimation du nombre de francophones en 2010 220
millions (LFM10, 9 ; 7 Amnagement linguistique et dfense institutionnalise de la
langue : Francophonie, chap. 1.2). Dans ces pays qui ont un systme dducation o le
franais est la seule langue denseignement, il faut considrer un nombre de francophones plus important quenvisag jusqu prsent.
Pour lAfrique (y inclus les les de lOcan Indien), lObservatoire de la langue
franaise de lOIF dresse plusieurs tableaux avec le nombre et le pourcentage de
francophones dans chaque pays membre. Si lon en fait la somme, on arrive
92,5 millions de francophones, selon les nouvelles mthodes de recensement de lOIF.
Le nombre de francophones au Canada slve 9,5 millions plus un peu moins de
2 millions de francophones Hati et sur les autres les des Carabes (Guadeloupe,
Martinique). Pour les tats-Unis, les auteurs mettent en question les 2,1 millions de
francophones du recensement de 2000 et avancent un chiffre de 5 6 millions, vu que
plus de 11 millions de personnes aux tats-Unis avaient dclar une origine ethnique
franaise, franco-canadienne, cadjine ou hatienne (LFM10, 10). LEurope Centrale et
de lEst compte, selon ces chiffres, 4,47 millions de francophones, lEurope de lOuest,
avec la France, la Belgique, la Suisse et tous les autres pays de la Francophonie tels
que la Roumanie ou la Grce, 74,4 millions de francophones. En Extrme-Orient
(Cambodge, Vietnam etc.) et sur les les de lOcanie (Nouvelle-Caldonie, cf. Tairraz
2012 ; Vanuatu etc.), le nombre de francophones slve 2,3 millions, plus 20.000
francophones en Armnie et Gorgie.
Dans les rgions de langue franaise nationale et officielle, lusage vhiculaire du
franais se ralise entre les maternels et les alloglottes, p. ex. les touristes, les
rsidents trangers etc. Dans les rgions de langue franaise officielle, mais pas
nationale, lusage vhiculaire se montre dans ladministration, dans les rapports
conomiques et aussi politiques, comme cest le cas au Luxembourg (Truchot 2001,
21). Le franais y est souvent acquis par le systme dducation et non pas par
transmission orale.

3.2 Le franais dans les institutions internationales


Les institutions internationales peuvent tre des organisations gouvernementales ou
non gouvernementales, les ONG. Elles se subdivisent dans des organisations rgionales ou mondiales. Les organisations supranationales qui ont la comptence de
prendre des dcisions valables directement dans les tats-membres, mme contre leur
gr, constituent un cas spcial ; avec ce mandat, la langue de leurs dbats et dcrets
est dcisive et extrmement importante, surtout parce que linterprtation des textes
en plusieurs langues officielles peut diverger sensiblement (Burr 2008, 3340).
Depuis la discussion sur les langues de lONU sa confrence fondatrice de 1945,
on distingue entre langue officielle et langue de travail , appele souvent

443

Le franais dans la communication scientifique et internationale

langue procdurale par la diplomatie franaise (cf. lhistorique des langues de


lONU dans Burr 2008, 3343ss.). Comme langue bien prsente sur les cinq continents,
le franais se maintient comme langue de communication dans les organisations
internationales et supranationales aussi bien que dans les organisations non gouvernementales. niveau mondial, le franais est prsent dans les diffrentes institutions
des Nations unies : il est une des six langues officielles de lONU et du Conseil de
Scurit, avec langlais, lespagnol, le russe, larabe et le chinois, mais se partage le
rle de langue de travail surtout avec langlais et, dans certaines organisations comme
la FAO ou lILO avec lespagnol.
Comme la ralit linguistique dans les institutions est souvent moins favorable
une connaissance et lusage du franais, lOIF rclame, depuis 1987, une prsence
dans les documents officiels et elle sest donc charge de suivre la prsence du
franais dans les institutions internationales et a, pour cela, labor des Documents de
suivi du Vade-mecum relatif lusage de la langue franaise dans les organisations
internationales. Le document le plus rcent, doctobre 2012, recense toutes les activits
en faveur du multilinguisme dans les diffrentes organisations (DVULFOI). La pratique dmontre que 90 % de tous les textes publis dans les bureaux de lONU New
York sont rdigs dabord en anglais et puis traduits en franais, ce qui cause un dlai
ennuyeux. Dans la Formule de renseignements pour la correspondance de 1995, qui
signale le choix de langue de travail des reprsentants permanents des tats-membres
auprs du Secrtariat de lONU, 65 % des dlgations ont indiqu langlais, 20 % le
franais et environ 10 % lespagnol comme langue de travail. Larticle 53 du Rglement
intrieur de lAssemble gnrale stipule : Langlais, larabe, le chinois, lespagnol, le
franais et le russe sont la fois les langues officielles et les langues de travail de
lAssemble gnrale, de ses commissions et de ses sous-commissions. Si une
dlgation fournit des textes dans plusieurs langues officielles, elle doit indiquer
clairement lequel est considrer comme texte officiel.
Le franais est toujours la seule langue officielle de lUnion postale universelle,
mais langlais en est une langue de travail, tout comme les autres langues officielles
des Nations unies. Il est, ct dautres langues, langue officielle dans les institutions
internationales suivantes : lOrganisation de coopration et de dveloppement conomiques (OCDE), lOrganisation des Nations unies pour lducation, la Science et la
Culture (UNESCO), la Confrence des Nations unies pour le commerce et le dveloppement (CNUCED), le Conseil conomique et social des Nations unies (ECOSOC), lOrganisation des Nations unies pour lalimentation et lagriculture (FAO), le Haut-commissariat des Nations unies pour les rfugis (HCR), lOrganisation du Trait de lAtlantique
Nord (OTAN), lOrganisation Internationale du Travail (OIT), lOrganisation mondiale
de la sant (OMS), lOrganisation Mondiale du Commerce (OMC), lOrganisation Mondiale de la Proprit Intellectuelle (OMPI), le Fonds des Nations unies pour lEnfance
(UNICEF) (www.diplomatie.gouv.fr). Au sein des Nations unies, le franais est la
langue de travail prfre dans la Commission conomique pour lAfrique (CEA). Tandis que la langue de la Banque mondiale est langlais, une grande part de ses

444

Elmar Eggert

informations sont donnes en franais, comme le rapport annuel, une situation


pareille au Comit International de la Croix Rouge. Larticle 39 du statut de la Cour
Internationale de Justice (CIJ) dit que Les langues officielles de la Cour sont le
franais et langlais , mais, selon le paragraphe 2, La Cour, la demande de toute
partie, autorisera lemploi par cette partie dune langue autre que le franais ou
langlais .
Dans la vie sportive internationale, le franais jouit dun prestige traditionnel,
parce quil est la langue officielle du Comit international olympique (CIO) et, par
consquent, langue officielle des Jeux olympiques (v. RULFAJO). Il est dailleurs
langue officielle des Jeux de la Francophonie qui ont t crs en 1989. La langue
franaise est aussi langue officielle de lAgence mondiale anti-dopage (AMA) et de la
Fdration internationale de football association (FIFA).

3.3 Les organisations internationales rgionales


Dans les institutions rgionales, le franais est particulirement important en Afrique,
p. ex. dans la Communaut conomique des tats de lAfrique de lOuest (CEDEAO) et
dans lUnion africaine (UA). Jusquaux annes 1990, le franais a t la langue
prdominante dans les institutions de la Communaut europenne, parce quil tait la
langue la plus commune aux six pays fondateurs, quil tait beaucoup enseign dans
plusieurs de ses pays membres et que les siges des organisations se trouvaient dans
des rgions francophones, Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg (Truchot 2001, 26).
Cest pourquoi le franais a maintenu une position importante dans les institutions
europennes et, autre domaine important, en tant que langue vhiculaire en Afrique
(Hohenecker 2012, 187).
Langlais et le franais sont les deux langues officielles du Conseil de lEurope,
lallemand, litalien et le russe servent aussi de langues de travail. Il faut bien
diffrencier le Conseil de lEurope, avec ses 47 pays membres, de lUnion europenne
qui a dtermin trois langues procdurales, le franais, langlais et lallemand, ct
des 24 langues officielles (en 2014) (www.diplomatie.gouv.fr). Dans lUnion europenne, toutes les langues officielles des pays sont reconnues comme langues officielles de lUE en galit, dans toutes les institutions comme la Commission europenne,
le Parlement europen, le Conseil europen, la Cour de Justice. Pourtant, le franais est
la seule langue qui semploie dans les dlibrations de la Cour de Justice de lUnion
Europenne : Les juges la Cour font leurs dlibrs uniquement en franais car il
nest admis aucun interprte en raison du secret du dlibr (Hohenecker 2012, 189).
Truchot (2001, 2528) dcrit lvolution des langues des textes primaires de la
Commission europenne entre 1986 et 1998 et il montre la tendance que le franais
recule et langlais augmente dans ces textes. Mais la situation est diffrente dans la
pratique langagire qui est partage entre un rle de langue interne des fonctionnaires de la Commission, principalement le franais, et un rle de langue externe pour

445

Le franais dans la communication scientifique et internationale

lchange avec dautres experts et la reprsentation lextrieur, endoss majoritairement par langlais. Hohenecker (2012, 189) affirme quil y aurait huit dlgations des
reprsentations permanentes dont la langue de communication prfre tait le
franais ; le franais persiste donc dans la communication orale interne et il se
maintient dans certaines niches en bnficiant toujours et pratiquement sans exception du plus haut statut juridique en tant que langue officielle et/ou langue de
travail .

3.4 Le franais dans les mdias lchelle internationale


Le franais est la langue de plusieurs chanes de tlvision internationales qui ont
pour but de renseigner sur lactualit en franais. Les chanes internationales franaises, surtout FRANCE 24, Monte Carlo Doualiya et RFI, sont regroupes dans la socit
nationale de France Mdia Monde (jusquen 2013 LAudiovisuel Extrieur de la France)
qui met aussi bien en franais quen plusieurs langues et qui a pour mission de
contribuer dvelopper linfluence de la France dans le monde avec un double
objectif, celui de la Francophonie et de la Francophilie (www.france24.com/static/
infographies/presse/FRANCE24_PressKit_0712_FR.pdf, 25/04/2014). Daprs ce dossier de presse de 2012, France 24 est regarde, en mai 2012, par prs de 45 millions de
tlspectateurs hebdomadaires. La chane est reue par 245 millions de foyers et dans
plus dun million de chambres dhtels partout dans le monde . La page Internet de
France Mdia Monde annonce laudience actuelle : Chaque semaine, en audience
mesure sans extrapolation, France 24 rassemble 41,7 millions de tlspectateurs, RFI
compte 34,5 millions dauditeurs (www.francemediasmonde.com/page/presenta
tion-mission.html). Radio France Internationale (RFI) produit des missions en franais et en 12 langues trangres, elle [] enregistre 8 millions de visites tous les mois
dans les nouveaux mdias (www.francemediasmonde.com/page/a-propos-rfi.html,
30/04/2014). Une autre chane internationale dinformations qui met mondialement
aussi en franais est Euronews dont France Tlvisions est membre fondateur. Cette
chane est reue par plus de 294 millions de foyers dans 150 pays [] et est la
premire chane internationale dinformation en Europe (www.francetelevisions.fr/
international/recevoir_les_chaines_a_l_etranger.php, 30/04/2014). Pour assurer une
couverture dans les dpartements doutre mer, France Tlvisions offre le rseau
Outre-mer 1re dont les chanes sont Guadeloupe 1re, Martinique 1re, Guyane 1re,
Runion 1re et Mayotte 1re.
La chane TV5 Monde est la seule chane internationale qui mette uniquement en
franais, mais avec des sous-titres pour faciliter la comprhension. Cette chane de
tlvision gnraliste mondiale francophone (cre en 1984 linitiative de la France
et de ses partenaires francophones Suisse, Communaut franaise de Belgique,
Canada, Qubec), constitue aujourdhui un des tous premiers rseaux mondiaux de
tlvision internationale. Reue par plus de 200 millions de foyers qui reprsentent

446

Elmar Eggert

20% des foyers du monde entier et 59% des foyers cble et satellite, TV5 Monde couvre
200 pays et territoires. Laudience cumule mondiale est de 54 millions de tlspectateurs (www.francetelevisions.fr/international/operateurs.php, 29.04.2014). Elle est
une chane partenaire de France Mdia Monde qui en dtient 49 %. Les mdias
internationaux franais couvrent ainsi une part importante de la communication
mondiale tout en reliant laspect politique la langue, parce que la vision du monde
est toujours en relation avec la culture et la langue respectives (Trabant 2014, 22ss.). Il
faut ajouter les entreprises qui fournissent des contenus pour lmission en franais,
tout dabord France Tlvisions Distribution (FTD) qui complte laction internationale
de France Tlvisions en proposant des programmes de fiction, des productions de
documentaires ou magazines. Le Canal France International (CFI) est, depuis 25 ans,
loprateur de la coopration franaise en faveur des mdias des pays dAfrique, de
la Mditerrane, des Balkans, du Caucase et de lAsie. Filiale du groupe France
Tlvisions, le CFI est subventionn par le ministre franais des Affaires trangres et
du Dveloppement international pour animer un rseau de partenaires du secteur des
mdias (www.cfi.fr/presentation-de-cfi/notre-mission/fiche-d-identite, 28.04.2014).
Le franais est aussi une des grandes langues utilises sur Internet. Le service de
statistiques sur Internet a publi un classement des langues utilises sur Internet en
lan 2011; le franais y occupe la huitime position avec 59,8 millions dinternautes,
aprs langlais, le chinois, lespagnol, le japonais, le portugais, lallemand et larabe ;
ce chiffre signifie que 3 % de tous les internautes du monde utilisent le franais. Mais
de tous les 347 millions de francophones dans le monde, seulement 17 % utilisent
linternet (www.internetworldstats.com/stats7.htm), ce qui est le pourcentage le plus
bas de cette statistique, probablement d au taux lev de non-lettrs en franais
dans les pays francophones africains. Le service W3Techs de lentreprise autrichienne
damlioration de logiciel Software Quality Management publie un classement de
lutilisation des principales langues naturelles sur les pages Internet, classement qui
est actualis tous les jours. Cette liste indique que le franais est utilis dans 3,9 % des
pages de contenu dont on connat la langue ce qui la place au sixime rang (w3techs.
com/technologies/overview/content_language/all).

3.5 Le film en franais


Le film franais jouit dune protection spciale depuis le concept de lexception
culturelle franaise des annes 1990. Sappuyant sur la Dclaration universelle sur la
diversit culturelle de lUNESCO (2001) et la Dclaration sur la diversit culturelle du
Conseil de lEurope (2000),7 surtout larticle 2 qui stipule Des politiques culturelle et

7 Les difficults engendres par la diversit culturelle (cf. Baasner 2005) sont souvent cartes dans
ces missions de promotion de la culture.

447

Le franais dans la communication scientifique et internationale

audiovisuelle qui favorisent et respectent la diversit culturelle doivent tre considres comme un complment ncessaire de la politique commerciale. La diversit
culturelle a un rle conomique essentiel jouer dans le dveloppement de lconomie du savoir (wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=389833), la France soutient avec des
moyens considrables le cinma franais et les cooprations francophones. Elle veut
faire face luniformit due une prdominance dacteurs commerciaux, avec un
certain succs. Selon lObservatoire europen de laudiovisuel, organisme du Conseil
de lEurope avec la collaboration de la Commission europenne qui a pour objectif de
collecter et de diffuser les informations relatives laudiovisuel en Europe, le cinma
franais est particulirement vivant : Bien quelle ait atteint son plus bas niveau
depuis des annes, la France reste le march de lUE o la part de march des films
nationaux est la plus leve, les productions locales reprsentant 33 % du total des
entres (contre 40 % en 2012), suivie par lItalie (31 %) (www.obs.coe.int/-/pr-berli
nale-2014).

3.6 Le franais en politique et en diplomatie


Le comportement linguistique des locuteurs et, spcialement celui des diplomates, est
une politique linguistique implicite qui peut tre rendue explicite. La politique franaise oblige les fonctionnaires utiliser le franais dans les relations internationales
si le franais est langue de travail ou langue officielle, et lOIF incite un emploi plus
frquent du franais en diplomatie. Le programme de lOIF Le franais dans la
diplomatie et la fonction publique prvoit diffrents moyens daction destins
renforcer les capacits de travail en franais des diplomates et des fonctionnaires
(RPELF13, 170). Lanalyse de Hohenecker (2012) met en vidence lefficacit de la
politique linguistique francophone dans le domaine de la diplomatie ; il montre
quenviron un quart du travail des diplomates viennois (de langue allemande) est
ralis en franais et que 20 % lutilisent souvent ou principalement. Malgr lhgmonie de langlais, le franais conserve une certaine position diplomatique, grce la
politique linguistique de lOIF (Hohenecker 2012, 195 ; cf. Perschl 1995).

3.7 Le franais dans lconomie


Dun ct, dans le domaine de lconomie, lemploi de langlais est en croissance ; sur
le march des biens en France, plusieurs entreprises se servent de plus en plus aussi
de langlais : Un certain nombre de Franais, notamment des dirigeants dentreprises, considrent que la langue franaise est trop marque par le territoire national, et
prfrent afficher leurs ambitions internationales en anglais seulement (Truchot
2001, 30). Cette tendance montre lampleur de limpact de lconomie mondiale sur
lusage de la langue mme en France. De lautre ct, selon lestimation du gouverne

448

Elmar Eggert

ment franais de 2012, la part de lactivit conomique mondiale qui relve de tout
lespace francophone slve 15 % (de la richesse mondiale) ou 20% (du commerce
mondial de marchandises). La Fondation pour les tudes et recherches sur le dveloppement international (FERDI) a men une tude en 2012 sur les rapports entre la
langue franaise et lconomie. Un de leurs rsultats est que le fait de parler la mme
langue, en loccurrence le franais, permettrait un commerce additionnel de 22 % en
moyenne (RPELF13, 166). Il savre que les pays qui partagent une langue commune
avec celle des pays dune conomie forte sont susceptibles daugmenter leurs flux
commerciaux. Donc, le partage du franais stimule lconomie des pays francophones
(www.diplomatie.gouv.fr, cf. aussi Gingembre 2011).

3.8 Lenseignement du franais ltranger


ct du primat de langlais dans le monde des affaires, le franais est encore la
deuxime langue internationale, parle sur plusieurs continents et enseigne des
centaines de milliers de personnes dans presque tous les pays du monde. Lavenir du
franais nest plus voir dans une position primordiale, mais dans un multilinguisme
comprenant la langue franaise. Maugey (2012, 217) part dun nombre de 120 millions
de locuteurs qui ont le franais comme premire langue et de 150 millions qui
lutilisent comme deuxime langue. Comme le franais est une des rares langues
tre enseignes dans presque tous les pays, il faut ajouter un nombre considrable de
francophones dans tous les autres pays qui nappartiennent pas lOIF, comme la
Grande-Bretagne, lItalie, lAllemagne et le Mexique.
Au cours de lanne 20122013, 6.711 tudiants taient inscrits dans les 80 formations de niveaux licence ou master de lAUF en Asie du Sud-Est (Cambodge, Laos,
Vietnam), contre 4.203 dix ans plus tt, donc une croissance de 60 % (RPELF13, 174).
Le franais serait la premire langue trangre enseigne en Inde, avec environ un
million dapprenants et une croissance de 30 % sur deux ans (LFM12, 5). Ces chiffres
sont la raison pour laquelle Maugey (2009, 222 ; 2012, 217) dit reconnatre un certain
essor du franais dans le monde.
Selon Truchot (2001, 23s.), le nombre dlves qui apprennent le franais en
Europe dans les annes 1990 est rest stable et slve environ 30 %, un taux qui va
jusqu 70 % en Grande-Bretagne o le franais est la premire langue trangre
enseigne. Ladhsion lUnion europenne a favoris lenseignement du franais
dans plusieurs pays, p. ex. en Espagne ou en Sude. La position trs forte du franais
en Roumanie est souligne par Truchot (2001, 22/24). En plus du systme scolaire, le
franais y est appris beaucoup dans les centres de lAlliance franaise, les Centres
culturels franais de lInstitut franais et dautres coles de langue.

Le franais dans la communication scientifique et internationale

449

4 Les institutions de promotion du franais dans la


communication internationale
Lusage du franais dans la communication internationale, non seulement dans
lespace francophone, est le centre dintrt de plusieurs institutions nationales et
internationales, soit (inter-)gouvernementales ou non gouvernementales. Parmi les
nombreuses organisations et associations en soutien de la langue franaise dans le
monde, ne seront esquisses que certaines institutions juges dune importance
majeure.

4.1 Institutions de la France


La France a tabli une politique linguistique fortement institutionnalise dont les
organisations sont situes au plus haut niveau, elles dpendent du premier ministre
et, pour les relations internationales, du ministre des Affaires trangres. Cet engagement se fonde sur une vocation que ressentent les dirigeants politiques franais, celle
de croire en luniversalisme du message humaniste de la France , selon les propos
de Georges Pompidou (Marleix Saint-Gilles 2000, 393).

4.1.1 La DGLFLF
La premire institution de la politique linguistique en France est la Dlgation gnrale la langue franaise et aux langues de France (DGLFLF), sous lgide du Ministre
franais de la culture, qui a pour mission dlaborer la politique linguistique du
Gouvernement en liaison avec les autres dpartements ministriels. Elle dfend la
promotion et lemploi du franais et veille favoriser son utilisation comme langue de
communication internationale. Elle sefforce de valoriser les langues de France et de
dvelopper le plurilinguisme (www.culture.gouv.fr/culture/dglf/). Ses activits se
droulent selon les priorits suivantes : garantir aux citoyens le droit de recevoir une
information et de sexprimer en franais, faire matriser le franais tous les habitants
pour leur permettre lintgration dans la socit et lpanouissement personnel. Paralllement, la DGLFLF soutient le multilinguisme actif et passif, cest--dire lapprentissage des langues trangres et le respect des autres langues, surtout les langues de
France. Elle organise annuellement la Semaine de la langue franaise et actualise le
vocabulaire franais en le dotant de nologismes pour remplacer les mots jugs
inappropris, surtout les anglicismes, parce que leur emploi viole le droit des citoyens
au franais. Lorganisme le plus important pour tout intress est sans doute le
dictionnaire terminologique FranceTerme, bas sur les travaux de la Commission
gnrale de terminologie et de nologie. Le site de FranceTerme (www.culture.fr/

450

Elmar Eggert

franceterme) de la DGLFLF vise mettre disposition des termes recommands au


Journal Officiel de la Rpublique franaise.
La page WikiLF (wikilf.culture.fr) offre des possibilits de contribuer lenrichissement de la langue franaise. Il est possible de suggrer des termes quivalents un
anglicisme ou un autre nologisme, de donner lavis sur un terme propos ou une
technique de traduction et de suivre les dbats sur les propositions lexicales, p. ex.
des termes quivalents comme aide en ligne pour langlicisme hotline, fond spculatif
pour hedge fund ou voyagiste pour tour operator.
Pour en savoir plus sur la situation linguistique en France et leurs pratiques, la
DGLFLF a cr en 1999 lObservatoire des pratiques linguistiques qui dveloppe des
corpus oraux des diffrentes langues et des instruments de recherche.

4.1.2 LAEFE
LAgence pour lenseignement franais ltranger (AEFE) est une institution du Ministre des Affaires trangres (MAE) qui a pour but de surveiller les tablissements
denseignement franais du rseau scolaire mondial dans les pays non-francophones.
Elle assure donc le lien des francophones ltranger avec lducation en franais et
contribue ainsi la diffusion de la langue et culture franaises.
Comme lenseignement bilingue francophone ltranger est une des priorits du
MAE, un programme de renforcement de lducation en franais a t lanc pour
proposer aux lves des sections bilingues francophones de grande qualit dans des
programmes nationaux qui constituent le rseau FrancEducation. Le LabelFrancEducation, cr en 2012, a pour but de distinguer lexcellence et louverture internationale
de ces tablissements (RPELF13, 158).

4.2 Institutions internationales


4.2.1 LOIF
Les rgions du monde dans lesquelles le franais joue un rle important sont clairement identifiables parce quelles sont hautement organises dans linstitution politique de lOrganisation Internationale de la Francophonie (OIF), fonde sur la base de
la Charte de la Francophonie de 1997/2005 et reprsente par son Secrtaire Gnral.
LOIF regroupe 53 tats, presque tous les pays o le franais est parl et plusieurs
non-francophones, et elle organise les Sommets de la Francophonie pour runir les
chefs des tats-membres. Ses objectifs principaux sont : promouvoir la langue franaise et la diversit culturelle et linguistique, promouvoir la paix, la dmocratie et les
droits de lHomme, appuyer lducation et la recherche et dvelopper la coopration
(www.francophonie.org/L-Organisation-internationale-de.html). Les activits sorga

451

Le franais dans la communication scientifique et internationale

nisent autour de ses quatre oprateurs : lAssociation internationale des maires francophones (AIMF), lAgence universitaire de la Francophonie (AUF), lUniversit Senghor
Alexandrie, qui est une institution de 3e cycle dont la vocation est de former et de
perfectionner des cadres africains, et la chane de tlvision internationale en franais
TV5 Monde (cf. chap. 3.4). LAUF, qui favorise lemploi de la langue franaise, compte
actuellement, en 2014, 739 tablissements dans 98 pays (RPELF13, 174). Son but est
dtablir une communaut scientifique francophone et la faire rayonner au niveau
international. LAUF offre un site de revues scientifiques de toute discipline, le portail
des ressources scientifiques et pdagogiques qui sintitule Savoirs en partage (http://
www.savoirsenpartage.auf.org/). LAssemble parlementaire de la Francophonie est
un organe consultatif de lOIF.
LObservatoire de la langue franaise est une institution instaure en 2007 au sein
de lOIF, suite la Rsolution sur la langue franaise adopte au Sommet de la
Francophonie Qubec avec la mission de perfectionner lobservation de la langue
franaise, de mme dans les quatre pays ou rgions suivantes : lAlgrie, les tatsUnis, ltat dIsral et le Val dAoste o elle observe aussi la situation en valuant
leurs statistiques officielles pour en dduire des chiffres sur les francophones dans ces
rgions. La plus rcente publication de lObservatoire de la langue franaise (LFM10)
est une tude base sur plusieurs mthodes de recensement qui mnent un nouveau
calcul du nombre de francophones (cf. chap. 3.1). LObservatoire sengage mme
anticiper [lvolution du franais dans le monde] en cernant mieux les enjeux et les
dfis auxquels elle doit rpondre (LFM10, 3).
En 2012, lOIF a publi un Rapport sur lusage de la langue franaise aux Jeux
Olympiques et Paralympiques qui dtaille les normes et lusage de la langue franaise
lors de cet vnement sportif. LOIF cherche tendre lusage du franais lors des
manifestations sportives par le recrutement de volontaires francophones ou la cration dun dpartement de traduction anglais-franais (LFM12, 8).

4.2.2 Le RAPF
En 2011, lOIF a cr le Rseau des associations professionnelles francophones (RAPF)
afin de sunir pour mieux dfendre lusage de la langue franaise dans le monde du
travail. Membres de ce rseau sont les associations professionnelles, p. ex. des notaires (ANF), des gomtres (FGF), des ingnieurs et scientifiques (UISF) ou des physiothrapeutes (FIOPF). Ce rseau se propose de dvelopper des stratgies de protection
et de promotion de la langue franaise dans les usages professionnels, techniques,
scientifiques, juridiques, conomiques et financiers. Les membres sengagent contribuer la valorisation du franais dans ces domaines lchelle internationale.

452

Elmar Eggert

4.2.3 LAPFA
Lassociation Actions pour promouvoir le franais des affaires (APFA) est une association place sous le patronage de la DGLFLF, de lOIF et de lUnion internationale de la
Presse francophone qui a pour but principal de promouvoir le franais des affaires
pour faire connatre et faire apprcier les mots justes de la langue des affaires
travers son fondement, sa pratique et son volution (apfa.asso.fr). Ils dcernent les
prix Mot dOr dans plusieurs catgories, p. ex. Le Mot dOr des Entreprises du spectacle
ou Les Mots dOr des Professionnels de 2014, aussi les Mots dOr des lves et des
tudiants, des apprenants francophones et francophiles, en conomie et gestion et en
franais des affaires. Le Mot dOr de la Traduction est le prix dcern chaque anne
la meilleure traduction pour souligner le travail des traducteurs en faveur de la
reconnaissance des autres cultures, de la valorisation de la diversit culturelle et du
dialogue interculturel entre les peuples (www.presse-francophone.org/apfa/apfa/
traducti.htm). En plus, ils publient des listes terminologiques, p. ex. le lexique des
mots des affaires, de linformatique, de linternet et du sport.

4.2.4 LOQLF
LOffice Qubcois de la langue franaise (OQLF) est une organisation instaure par
lAssemble nationale du Qubec en 1977 dans la Charte de la langue franaise qui a
t modifie le 12 juin 2002. LOffice poursuit lobjectif de dfinir et de conduire la
politique qubcoise en matire dofficialisation linguistique, de terminologie ainsi
que de francisation de lAdministration [sic] et des entreprises; de veiller ce que le
franais soit la langue habituelle et normale du travail, des communications, du
commerce et des affaires dans lAdministration et les entreprises (www.oqlf.gouv.
qc.ca/office/mission.html). Son Grand dictionnaire terminologique (GDT) peut tre
consult en cas de doute sur le terme appropri. Sont offerts des services daide en
matire linguistique dont la Banque de dpannage linguistique avec des conseils
rcurrents et la Banque de noms de lieux du Qubec. LOQLF publie galement des
lexiques spcifiques utilisables dans plusieurs domaines dentreprise ou de technologie.

4.2.5 LUIPF
LUnion internationale de la Presse francophone (UPF) est une organisation internationale non gouvernementale fonde en 1950 (jadis Association internationale des journalistes de langue franaise) qui regroupe actuellement plus de 3.000 journalistes de
langue franaise dans une centaine de pays et qui est reconnue par les plus grandes
institutions internationales comme lONU, lUNESCO et le Parlement europen (www.

453

Le franais dans la communication scientifique et internationale

presse-francophone.org/index.php). La dfense de la libert de la presse, la formation


des journalistes et lutilisation de la langue franaise sont ses missions.

5 Conclusion
Malgr la position dominante de langlais dans la communication internationale, le
franais continue tre une des langues internationales importantes cause de sa
fonction de langue vhiculaire dans un grand nombre dinstitutions internationales
et rgionales. Grce un soutien dlibr et un haut degr dinstitutionnalisation,
la langue franaise se maintient globalement dans le domaine politique, dans les
mdias, dans lconomie et mme sur la scne sportive internationale. Lenseignement du franais langue trangre progresse mme visiblement. Mais le rle du
franais dans les sciences est, au niveau international, plutt marginal, malgr les
efforts de plusieurs dcennies de la politique linguistique franaise bien dtermine.

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Johannes Kramer et Aline Willems

19 Le franais dans le monde : Europe

Abstract : Nous traiterons dans cet article des manifestations du franais en Europe,
cest--dire dans les pays o le franais est la langue officielle soit parce quil est la
langue-mre dun nuclus important de la population (le sud de la Belgique, louest
de la Suisse) soit parce quil est inscrit dans les traditions communicatives du pays
(Luxembourg, Andorre, les les anglo-normandes, la valle dAoste). Par contre, le
franais hexagonal ne sera pas intgr dans la thmatique de larticle car ses aspects
varis sont traits dans dautres articles du prsent volume.

Keywords : Franais en Belgique, Franais dans la Suisse, Franais au Luxembourg,


Franais en Val-dAoste, Franais aux les anglo-normandes

1 Belgique
La Belgique (officiellement Royaume de Belgique / Koninkrijk Belgi / Knigreich
Belgien) est un tat de taille moyenne (32.545 km2, 11.008.000 habitants) du NordOuest de lEurope continentale, situ entre les Pays-Bas au nord, la France au sud et
lAllemagne lest. Le nom Belgique remonte ladjectif belgique (attest en 1583) :
une forme humaniste drive du latin B ELGICUS (daprs le nom de la tribu gauloise
des B ELGAE ) ; les historiens et gographes aimaient appeler les Pays-Bas espagnols et
autrichiens Belgium ou provinciae Belgicae, et la rvolution brabanonne de 1789
baptisa sa rpublique phmre tats Belgiques Unis. Le substantif ethnique Belgique
a suivi lhistoire de la Belgique jusqu sa constitution en tat indpendant (1830)
(Rey 1992, 204), et a t le nom du pays depuis ce temps-l.
Pour comprendre le systme compliqu de lorganisation de ltat belge, il peut
tre utile de citer les cinq premiers articles de la constitution :

Art. 1 : La Belgique est un tat fdral qui se compose de communauts et de rgions.


La Belgique comprend trois communauts : la Communaut franaise, la Communaut
Art. 2 :
flamande et la Communaut germanophone.
Art. 3 : La Belgique comprend trois rgions : la Rgion wallonne, la Rgion flamande et la
Rgion bruxelloise.
Art. 4 : La Belgique comprend quatre rgions linguistiques : la rgion de langue franaise, la
rgion de langue nerlandaise, la rgion bilingue de Bruxelles-Capitale et la rgion de
langue allemande. []
Art. 5 : La Rgion wallonne comprend les provinces suivantes : le Brabant wallon, le Hainaut,
Lige, le Luxembourg et Namur. La Rgion flamande comprend les provinces suivantes : Anvers, le Brabant flamand, la Flandre occidentale, la Flandre orientale et le
Limbourg.

458

Johannes Kramer et Aline Willems

La Belgique est donc un royaume parlementaire fdral compos de trois Communauts franaise, flamande et germanophone rattaches aux particularits
individuelles (langue, culture, enseignement, sant, recherche, aide), et de trois
Rgions rattaches au sol : la Wallonie (y compris les communes germanophones),
la Flandre et Bruxelles (cf. Lagasse 2007, 80). Environ 90% des Bruxellois, qui sont
francophones, appartiennent la Communaut linguistique franaise, tandis que les
10% nerlandophones restant font partie de la Communaut nerlandaise. La division en rgions linguistiques se superpose aux communauts linguistiques : ainsi
Bruxelles (la seule region bilingue), le choix de la communaut laquelle on veut
appartenir est laiss la dcision de chacun ; dans le reste du pays on appartient
forcment la region linguistique de la commune o on vit et par consquent la
communaut correspondante. La Belgique est donc un tat avec trois langues qui
sont strictement lies un territoire dtermin, cest--dire avec un monolinguisme
territorial ; seule la capitale Bruxelles est bilingue. La frontire linguistique entre le
nerlandais, le franais et lallemand, la fixation de la zone bilingue de la capitale
et la mise en vidence de quelques facilits linguistiques dans des communes
limitrophes au nord et au sud de la frontire est fixe depuis 1962, et ce trac ne
peut plus tre modifi ; letablissement de la frontire depuis les Romains jusqu
notre poque est trait avec tous les dtails historiques par Brigitte Raskin (2012),
complter par ltude sociolinguistique de la frontire franco-allemande dAnnette
Gramms (2008).
Les trois langues parles en Belgique appartiennent diffrentes grandes familles
linguistiques. Les dialectes nerlandais sont le flamand et les parties mridionales du
brabanon et du limbourgeois (cf. Kramer 1984, 114) ; les varits allemandes appartiennent aux dialectes rhnans, plus prcisement ralits ripuaires dans le Nord et
empreintes mosellano-franciques dans le Sud (cf. Begenat-Neuschfer 2010) ; et la
dialectologie franaise diffrencie le wallon, prsent dans la plus grande partie du
pays, le picard oriental louest dans la province de Hainaut, et le lorrain dans la
partie sud de la province de Luxembourg (cf. Kramer 1984, 116). Dans la langue
courante, flamand (Vlaams) est la dsignation de toutes les manifestations du nerlandais parl en Belgique, et wallon (Waals) est lappellation de toute forme parle du
franais lexception du franais bruxellois. Depuis 1990, on ne parle plus officiellement dans la Communaut franaise comme auparavant de dialectes franais,
mais on classifie le wallon, le picard et le lorrain comme langues rgionales endognes.
Cette mutation se refre aux paragraphes de la Charte europenne des langues rgionales ou minoritaires du Conseil de lEurope, que du reste la Belgique na ni signe ni
ratifie ; dans ce document, les dialectes ne sont pas pris en considration, et on se
promet une revalorisation du wallon, du picard et du lorrain par une nouvelle
nomenclature qui par ailleurs na aucune justification linguistique (cf. Tacke 2012a,
9092).
Pour les introductions gnrales la situation linguistique de la Belgique on doit
se rfrer des tudes qui ne sont pas trs rcentes et qui doivent donc tre ajustes

Le franais dans le monde : Europe

459

la situation actuelle constitutionelle. Les 25 contributions qui forment le recueil publi


dAnne Begenat-Neuschfer (2007) offrent une analyse plus ou moins actuelle. Larrire-plan historique et les faits linguistiques sont traits par Johannes Kramer (1984,
57154), et complts par la dissertation de Michael Treude (1996), offrant un supplment concernant les dveloppements constitutionnels jusquaux annes 90. Kramer (2014) compare les phnomnes du nationalisme linguistique belge avec des
aspects analogues dans les pays des Balkans. La partie francophone de la Belgique,
particulirement dans ses manifestations culturelles et littraires, se trouve au centre
dun livre de Ren Andrianne (1984), complt par un manuel de classe par le mme
auteur et par Norbert Becker (1988). Les diverses apparences du franais en Belgique
sont illustres par la contribution dans le recueil de Daniel Blampain (1999), ou lon
comparait sa situation linguistique avec celle de la Suisse et du Canada (De Coster
2007). Le caractre spcifique du franais belge et linscurit linguistique qui peut en
rsulter est trait par Jean Ren Klein/Corinne Rossari (2003).
Le vocabulaire est le champ o lon voit trs clairement la spcificit du franais
de Belgique. La base des tudes linguistiques sur les belgicismes est une dissertation
volumineuse de Jacques Pohl datant de 1950, qui na jamais t publie cause de ses
16 volumes, mais qui a t consulte par la plupart des chercheurs. Toutes les
recherches sur le vocabulaire franais en Belgique mettent en vidence les mots quon
ne trouve pas dans le franais hxagonal contemporain ou qui y ont une signification
divergente. Il existe des collections commentes de mots (Massion 1987 ; Fuchs 1988 ;
Bal et al. 1994 ; Lebouc 1998 ; Mercier 2000 ; Francard et al. 2010), ainsi que des
introductions plutt populaires (Genion 2010), et des recherches sur lacceptation des
belgicismes dans les dictionnaires gnraux du franais (Spickenbom 1996). Un
dictionnaire du franais bruxellois a t publi par Lebouc (2006).
Beaucoup de belgicismes sexpliquent par linfluence du nerlandais, qui forme,
au moins Bruxelles, un substrat du franais. Aprs la monographie classique de
Hugo Baetens Beardsmore sur le franais rgional de Bruxelles (1971), Paul V. Cassano
offre une introduction aux influences du nerlandais sur la phonologie (19911993a),
la morphologie et la syntaxe (19911993b). Jeanine Treffers-Daller examine les rsultats du mlange entre nerlandais et franais Bruxelles (1994). Quelques questions
de prononciation et de grammaire sont traites par Lebouc (1998). Enfin, Doris
Panowitsch traite avant tout de la coexistence sociolinguistique du franais et du
nerlandais dans la capitale belge (1994).
La relation entre le franais et lallemand dans les cantons de lest est beaucoup
moins critique que celle entre le franais et le nerlandais, tout dabord parce que
lallemand et le franais ont plus ou moins le mme prestige europen, mais aussi
parce que le nombre dAllemands (70.000) ne forme aucune menace linguistique
pour le franais. Une monographie dAnne Begenat-Neuschfer (2010) mentionne
lensemble des problmes de la DG (= Deutschsprachige Gemeinschaft communaut
de langue allemande). Lhistoire du rle de lallemand lcole est retrace par Ursel
Schmitz (1994).

460

Johannes Kramer et Aline Willems

Une attention perptuelle est consacre aux phnomnes dialectaux. LAtlas


linguistique de la Wallonie, conu en 1935 par Jean Haust, reste une source inpuisable
dans ce domaine ; une dizaine de volumes sont apparus jusqu aujourdhui (1 : 1953 ;
2 : 1969 ; 3 : 1955 ; 4 : 1976 ; 5 : 1991 ; 6 : 2006 ; 8 : 1994 ; 9 : 1987 ; 15 : 1997 ; 17 : 2011), et
la srie continue sereinement. On trouve des enregistrements linguistiques de textes
dialectaux dans la collection Limes (1992). Le dialecte wallon de Bastogne est dcrit
par Christoph Gro selon la mthode traditionnelle de la grammaire historique et
comparative (2006).
Lonomastique, quant elle, a toujours t un point fort des tudes romanes en
Belgique. Herbillon (1986) reste ltude classique sur les noms des communes
wallonnes, accompagne de Herbillon/Germain (1996) pour ce qui concerne les noms
de famille. Lhistoire des appellations wallon et Wallonie, un parcours de mots entre
celtique, germanique et roman, est retrace par Albert Henry (1990).

2 Suisse
La Suisse (officiellement Confdration suisse, Schweizerische Eidgenossenschaft,
Confederazione svizzera, Confederaziun svizra ou en latin Confoederatio Helvetica
(CH)), est situe au centre de lEurope, dans les Alpes occidentales et centrales, entre
lAllemagne au nord, la France louest, lItalie au sud et lAutriche lest ; la
frontire entre la Suisse et lAutriche se trouve le petit tat germanophone du Liechtenstein (160 km2, 36.000 habitants). La Suisse a une superficie de 14.285 km2 et
compte prs de 7.952.555 habitants, dont 63,7% de langue allemande, 20,4% de
langue franaise, 6,5% de langue italienne et 0,5% de langue romanche (rhtoromane). Le nom Suisse est une francisation du nom allemand Schweiz, qui est une
variante de la langue cultive du nom de lieu Schwyz, attest au Xe sicle sous les
formes Suuites, Suittes, Schwitz (LSG/DTS 2005, 819). Lexplication du nom est difficile ; peut-tre sagit-il dun nom de dfrichement joindre la racine indo-europenne *sueit roussir, brler, donc brlis. Selon la tradition, la Suisse existe depuis
le 1 aot 1291, date de la cration de la premire confdration entre les futurs cantons
Uri, Schwyz et Nidwald ; depuis 1815 la Suisse a sa figure gographique moderne. La
confdration comprend 26 cantons responsables de toutes les questions politiques
lexception des affaires trangres et de la dfense qui relvent de la comptence du
gouvernement fdral. Les 1,75 millions de francophones vivent dans la Romandie.
Dans quatre cantons (Genve, Jura, Neuchtel, Vaud) le franais est la seule langue
officielle, dans trois cantons (Berne, Fribourg, Valais) les communes romandes font
usage du franais.
Normalement, les francophones de la Suisse se nomment les Romands, et on parle
de la Suisse romande (en allemand : Welschschweiz). Lhistoire de ce mot est assez
confuse. De la forme latine romanice en langue romane rsulte le mot franais
romanz ; on a vu dans cette forme un cas-sujet, qui donna loccasion de construir un

Le franais dans le monde : Europe

461

cas-rgime analogique romant ou romand. Du XIIIe sicle au XVIe sicle, ce mot est
appliqu lancien franais, mais partir de 1550 on appelle le franais de la Suisse
occidentale langue romande, et depuis le XVIIe sicle les habitants de cette rgion sont
appells les Romands (cf. Kramer 1998, 153s.).
La Constitution fdrale de la Confdration suisse du 18 avril 1999 comprend trois
articles concernant les langues. La responsabilit principale en matire de questionnement linguistique relve du pouvoir des cantons, qui peuvent la transmettre aux
communes ; la Confdration est responsable des conditions gnrales

Art. 4 : Langues nationales.


Les langues nationales sont lallemand, le franais, litalien et le romanche.
Art. 18 : Libert de la langue.
La libert de la langue est garantie.
Art. 70 : Langues.
(1.) Les langues officielles de la Confdration sont lallemand, le franais et litalien.
Le romanche est aussi langue officielle pour les rapports que la Confdration entretient avec les personnes de langue romanche.
(2.) Les cantons dterminent leurs langues officielles. Afin de prserver lharmonie
entre les communauts linguistiques, ils veillent la rpartition territoriale traditionnelle des langues et prennent en considration les minorits linguistiques autochtones.
(3.) La Confdration et les cantons encouragent la comprhension et les changes
entre les communauts linguistiques.
(4.) La Confdration soutient les cantons plurilingues dans lexcution de leurs tches
particulires .

Il y a deux introductions rcentes la situation linguistique de la Suisse en gnral :


le volume rdig par Jean-Pierre Vouga et Max Ernst Hodel (1990) traite des problmes
dun pays bilingue ; Pierre Knecht donne un aperu de La Suisse et [de] la francophonie de demain (1990) ; et Bernard Comby, Paul Boschung et Jacques Lefert soccupent du bilinguisme dans trois cantons franco-allemands, Valais (1990, 8992),
Fribourg (1990, 9398), Berne (1990, 99105). Le recueil publi par Bickel/Schlpfer
(2000), une refonte complte dArquint et al. (1982), offre une vue densemble de
lhistoire des langues en Suisse, des quatre rgions linguistiques, du plurilinguisme
des Grisons (Carigiet 2000) et de la standardisation rcente du romanche connue sous
le nom de Rumantsch Grischun (Arquint 2000). La partie ddie la Suisse francophone est sign par Pierre Knecht, qui dcrit tout dabord la situation dialectale
appele description du pass (2000, 139 : Vergangenheitsbeschreibung, car les
dialectes sont morts ou du moins moribonds depuis les annes 1930 ; leur vocabulaire
a t sauv par la collection des matriaux linguistiques faite au commencement du
XXe sicle pour le Glossaire des patois de la Suisse romande qui continue apparaitre
pas srs mais lents (actuellement on prpare les mots avec g- et f-). La seconde
partie de la contribution de Pierre Knecht est ddie au franais standard (2000, 164
176), aujourdhui la forme normale du franais dans la Romandie. Il ny a pas de
franais suisse caractristique ; on trouve quelques particularits qui existent aussi dans les rgions limitrophes de la France, des rgionalismes restreints quelques

462

Johannes Kramer et Aline Willems

communes et des mots qui se rfrent des institutions typiquement suisses (2000,
165). Il existe beaucoup moins dinfluences allemandes quon croie gnralement, et
beaucoup dexpressions apparamment figes sur un modle allemand sont en vrit
des locutions franaises archaques (il faut lui aider). Gnralement les Suisses de
langue franaise suivent les prscriptions parisiennes, et seulement dans les annes
plus rcentes on essaie des voies propres (p. ex. des fminisations inconnues en
France). Laperu de Christian Schmitt (1990), rdig avant la revision de la Constitution en 1999, traite uniquement du franais.
Le rle des langues dans le domaine public est esquiss par Ribedaud (2010) et
par Widmer (2004) o lon donne une valuation de la rvision de la Constitution de
1999. Ds le 01.02.1995, la Suisse avait dj accept la Charte europenne des langues
rgionales ou minoritaires, entre en vigeur pour la Suisse le 01.02.1999. Il existe une
dissertation trs dtaille qui compare la situation suisse celle franaise (Willwer
2006), et lon peut dire que la Suisse et le Conseil de lEurope ont tabli une coopration exemplaire (cf. Tacke 2012b, 280). Normalement, la Suisse, les cantons et les
communes ont trac un rseau pour la coexistence des langues du pays qui ne laisse
pas de place aux conflits linguistiques, toutefois une exception persiste : le canton du
Jura sest form le 1er janvier 1979 la suite dun plbiscite positif de tous les cantons
suisses pour mettre fin aux querelles avec le canton Berne dont le Jura faisait partie.
Cette sparation se fonde en premier lieu sur la diffrence linguistique entre le Jura
francophone et le canton germanophone de Berne, mais il y a aussi une diversit
religieuse entre catholiques jurassiens et protestants bernois. Le rle de la langue
dans ce conflit est examin par Pierre-Andr Comte (2010) et les racines idologiques
sont couvertes par Claude Hauser (1997).
Le vocabulaire romand traditionnel a pratiquement disparu de la vie quotidienne,
mais lintrt de la population pour les formes rgionales et locales du franais est
rest trs vif : le Dictionnaire suisse-romand (Thibault/Knecht 1997) et sa version
condense sans rfrences bibliographiques (Thibault/Knecht 2000) ont eu un grand
succs. Ce dictionnaire avec ses 1.100 entres est le complment suisse aux dictionnaires de la langue franaise apparus en France, et a rendu obsoltes des travaux
antrieurs comme p. ex. Nicollier (1990). Le rle du franais rgional le long de la
frontire franco-suisse est le sujet dune dissertation de Christian Billod-Morel (1997).
Un chef duvre de la toponomastique est le Dictionnaire toponymique des
communes suisses (LSG/GTS) publi en 2005 par Andres Kristol et son quipe. On y
trouve une explication trs dtaille des noms des 2.866 communes politiques suisses
avec un rsum de la discussion scientifique ; la prononciation locale et les premires
attestations historiques de noms sont toujours donnes.

463

Le franais dans le monde : Europe

3 Luxembourg
Le Luxembourg (officiellement Grand-Duch de Luxembourg) est un tat de taille
plutt petite (2.586 km2, 483.800 habitants dont 250.900 trangers ;1 cf. SIP 2008, 1)
dans louest de lEurope continentale situ entre le Belgique au nord et nord-ouest, la
France au sud et lAllemagne lest. Le nom Luxembourg remonte Ltzelburg (qui
devient Luxembourg au XIXe sicle), nom dun petit chteau fort difi au Xe sicle par
le comte Sigefroi. Ce nom provient du mot ancien germanique Lucilinburhuc
signifiant petit chteau. Le mot germanique est choisi car le territoire fait partie du
Sacrum Romanum Imperium nationis Germanicae et on y parle donc le haut allemand
(cf. SIP 2008, 2).
Cest aussi par lhistoire du pays que sexplique le multilinguisme caractrisant
le Luxembourg daujourdhui (cf. Kartheiser 2007, 1 ; Kramer 2015) : au XIXe sicle le
pays se compose de deux grands quartiers linguistiques. Le nord-ouest est la partie
francophone o lon parle le wallon et le franais devient la langue crite alors que
le dialecte luxembourgeois est parl dans la partie germanophone au sud-est o
lallemand rempli la fonction de langue crite. Bien que la ville de Luxembourg soit
situe dans le quartier germanophone, ladministration choisit dutiliser le franais.
Le franais gagne de plus en plus de terrain comme langue vhiculaire : dabord
sous loccupation du Luxembourg par les troupes de Louis XIV, puis sous limpact
de la Rvolution franaise. La langue vernaculaire de la vie quotidienne devient le
luxembourgeois. En 1839, les frontires actuelles du pays sont fixes durant la
confrence de Londres. Alors que le territoire se situe maintenant entirement dans
la partie germanophone, le francais lemporte comme langue de ladministration,
de la justice et de la vie politique (cf. SIP 2008, 2). Pendant la Deuxime Guerre
mondiale et sous loccupation allemande, le luxembourgeois devient la langue de
la Rsistance et est ensuite dclar unique langue maternelle dans un rfrendum organis par loccupant (SIP 2008, 3). Ce statut nest plus menac aprs la
guerre et la langue senrichit progressivement de mots franais. partir des annes
1960, le Luxembourg connat une grande vague dimmigration. Les nouveauxarrivants sont principalement originaires des pays latins et prfrent en consquent
le franais comme moyen de communication avec les Luxembourgeois (cf. SIP
2008, 3).
Lanne 1984 marque le premier succs de la langue luxembourgeoise dans son
volution dune langue vernaculaire vers une langue vhiculaire, car elle devient la
seule langue nationale du Luxembourg avec la Loi du 24 fvrier 1984 :

1 Parmi eux 31.456 sont dorigine franaise (i. e. 6,1% de la population au Luxembourg) et les chiffres
du recensement de 2001 montrent que le nombre de Franais rsidant au Luxembourg a augment de
57,4% jusquau recensement de 2011 (cf. Heinz/Peltier/Thill 2013, 1).

464

Johannes Kramer et Aline Willems

Art. 1er. Langue nationale


La langue nationale des Luxembourgeois est le luxembourgeois.
Art. 2.
Langue de la lgislation
Les actes lgislatifs et leurs rglements dexcution sont rdigs en franais. Lorsque
les actes lgislatifs et rglementaires sont accompagns dune traduction, seul le
texte franais fait foi. []
Langues administratives et judiciaires
Art. 3.
En matire administrative, contentieuse ou non contentieuse, et en matire judiciaire,
il peut tre fait usage des langues franaise, allemande ou luxembourgeoise, sans
prjudice des dispositions spciales concernant certaines matires (SCL 1984,
196s.).

En ralit, il existe un solide quilibre linguistique dans ladministration : les actes


lgislatifs sont rdigs en franais mais en revanche et probablement suite au
premier article de la loi mentionne, la langue parle dans la Chambre des dputs
(Parlement) est plutt le luxembourgeois (cf. SIP 2008, 4). Ainsi, en 1996, le
Premier ministre [de lpoque] Jean-Claude Juncker a pour la premire fois prononc
la dclaration annuelle du gouvernement [] en Ltzebuergesch (SIP 2008, 4).
La tendance prfrer le luxembourgeois comme langue franche au Luxembourg
se voit galement dans le recensement de la population 2011, o la question Quelle(s)
langue(s) parlez-vous habituellement : la maison, avec les proches ? lcole, au
travail ? a rapport que 70,5% des sonds utilisaient la langue luxembourgeoise,
55,7% le franais et 30,6% lallemand. Avec ces chiffres on constate aussi quen
moyenne 2,2 langues sont utilises, ce qui fait du Luxembourg un pays multilingue
(cf. Fehlen et al. 2013a, 1). De plus, environ 20% parlaient langlais ou le portugais
dans les situations en question (cf. Fehlen et al. 2013a, 1).2 Mais ces chiffres ne
refltent pas compltement la situation relle du pays car ils ne rendent pas compte
des travailleurs frontaliers qui exercent une forte influence sur le paysage linguistique (cf. Fehlen et al. 2013a, 2).
Daprs les donnes du recensement de 2011, Fehlen et al. (2013a, 2) peuvent aussi
constater que le nombre de langues parles dpend de lge le maximum de
langues avec une moyenne arithmtique de 2,6 idiomes parls est attest pour les 15
19 ans, puis le nombre dcrot progressivement. En outre, la langue parle dpend
de la nationalit (cf. ibid.) comme le montre le tableau 1 :

2 Fehlen et al. (2013a, 2) citent les taux de langues parles au travail, lcole et/ou la maison
daprs le recensement de 2011 comme suit : 70,5% Luxembourgeois ; 55,7% Franais ; 30,6% Allemand ; 21,0% Anglais ; 20,0% Portugais ; 6,2% Italien ; 12,1% Autres.

465

Le franais dans le monde : Europe

Tableau 1 : Langues utilises au Luxembourg selon la nationalit du rpondant en pourcent (source :


STATEC RP 2011 cf. Fehlen et al. 2013a, 3)

luxembourgeois

allemand

franais

portugais

italien

anglais

autres

Luxembourgeois

96,4

35,1

46,6

5,7

3,8

17,6

5,7

trangers

32,2

24,1

69,2

41,3

9,8

26,0

21,5

Allemands

50,5

87,5

40,8

1,5

2,4

36,4

9,6

Franais

25,3

18,0

97,5

3,4

5,1

32,8

7,7

Portugais

34,9

17,4

67,9

96,9

2,0

8,0

2,6

Italiens

37,6

19,3

73,2

5,9

84,3

24,5

6,3

Britanniques

17,9

20,2

50,1,

1,2

3,5

97,9

10,3

Belges

30,4

21,3

92,1

1,5

3,2

33,2

20,4

Nerlandais

50,6

49,3

46,9

2,6

2,5

47,8

77,5

Montngrins

49,2

35,7

50,4

2,0

1,0

6,1

86,5

Espagnols

21,6

17,1

76,5

11,3

9,7

44,4

84,4

Autres

23,8

24,7

54,3

8,4

3,4

43,9

68,4

La langue luxembourgeoise se prsente donc comme porteuse de lidentit nationale,3


car 96,6% des Luxembourgeois dclarent la parler, alors que seulement 46,6% dentre
eux parlent le franais. On observe aussi que la langue franaise est prfre comme
moyen de communication entre les trangers qui viennent dautres pays romanophones. De plus, lutilisation du franais dpend fortement de la situation gographique :
le nombre dutilisateurs prfrant le franais comme langue principale est le plus
lev le long de la frontire avec la Belgique. Les taux sont galement relativement
forts pour la capitale (cf. Fehlen et al. 2013b, 3s.).
Une autre raison de la suprmatie du luxembourgeois se trouve dans le systme
ducatif du pays (cf. Fehlen et al. 2009, 91101, 122131) : lenseignement prscolaire
est majoritairement donn en luxembourgeois et les autres langues ne sont introduites qu lcole primaire.

lage de six ans, les enfants apprennent lire et crire en allemand ; lanne suivante, ils
commencent lapprentissage du franais. La langue vhiculaire de lenseignement primaire est
lallemand (SIP 2008, 5).

3 Pour plus dinformations cf. aussi Fehlen et al. (2009) une enqute sociolinguistique sr le
multilinguisme au Luxembourg.

466

Johannes Kramer et Aline Willems

Carte 1 : Le franais comme langue principale par communes


(source : STATEC RP2011 cf. Fehlen et al. 2013, 4)

La situation change lcole secondaire : lallemand reste prdominant dans lenseignement secondaire technique tandis que lenseignement secondaire classique se sert
du franais comme langue vhiculaire ( lexception des cours de langue) (cf. SIP
2008, 5). Dans le secteur de lducation tertiaire, ltat a cr lUniversit du Luxem

467

Le franais dans le monde : Europe

bourg en 2003 qui tient parmi ses principes fondamentaux le caractre multilingue
de son enseignement (cit. p. SIP 2008, 6) ou pour citer le slogan prsent sur son site
internet franais : University of Luxembourg | Multilingual. Personalised. Connected. (http://wwwfr.uni.lu/, 21.09.2013).
Le Luxembourg est aussi trilingue en ce qui concerne les mdias et la culture :
pour la presse crite, les Luxembourgeois prfrent lire lallemand comme le constate
Bender-Berland (2000, 36s.), mais la langue choisie dpend galement du sujet trait
dans les articles (cf. aussi Fehlen et al. 2009, 110122 ; SIP 2008, 8s. ; cette situation
est similaire pour la situation du franais dans la littrature et au cinma cf. p. ex. SIP
2008, 10).
La norme linguistique avise par les locuteurs est celle de lHexagone mais
comme dans toutes les situations o diffrentes langues entrent en contact, elles
sinfluencent mutuellement (cf. Pll 1998, 60). Ainsi Doppagne constate dj en 1971
la nasalisation imparfaite rendant les phonmes franais [] et [] peu prs semblables et la dsonorisation des consonnes finales (p. ex. <grand> [gr]) (cf. Doppagne
1971, 11s.).4 La plus grande diffrence entre le franais parl en France et au Luxembourg se trouve toutefois dans le lexique (cf. p. ex. Bender-Berland 2000, 38s.). Les
Luxembourgeois ont tendance utiliser plusieurs mots qui ne sont plus au got du
jour dans lHexagone (p. ex. en gard en ce qui concerne, nonobstant malgr/en
dpit de, fabrique usine) et ils ont intgr des belgicismes (p. ex. tapis-plain moquette, tirette fermeture-claire, le rgent le professeur principale, un ajournement
un examen de rattrapage ; Bender-Berland 2000, 39) ainsi que des germanismes
(p. ex. se blamer commettre un impair < lux. sech blamiren, componiste compositeur < all. Komponist, culture civilisation < all. Kultur, omineux fatal < all. omins ;
Kramer 1992, 209s.) dans leur franais. En outre, les locuteurs luxembourgeois
utilisent des calques dorigine allemande comme p. ex. : ensemble avec concurrement
avec < all. zusammen mit ; place de travail emploi < all. Arbeitsplatz ; respectif/
respectivement autrement dit < all. respektive beziehungsweise ; signer responsable
prendre la responsabilit < all. verantwortlich zeichnen (Bender-Berland 2000, 41) ; et
peuvent alors avoir recours un certain nombre de faux amis : raffinesse raffinement, en revanche en retour, fidlement conformment (ibid., 42s.). La liste des
diffrences entre le franais luxembourgeois et celui de lHexagone peut tre
largie par la syntaxe, la morphosyntaxe ainsi que par la grammaire (cf. p. ex. ibid.,
4449), car pour la plupart des Luxembourgeois le franais reste une langue secondaire, mais les deux varits du franais restent toujours intercomprhensibles.

4 Bien que lanalyse de Doppagne ne soit pas tout fait actuelle, Bender-Berland (2000, 38) constate
que les recherches rcentes nont pas prouv de rsultats contraires.

468

Johannes Kramer et Aline Willems

4 Andorre
Andorre (officiellement Principat dAndorra) est un petit tat (468 km2, 78.115 habitants, dont 43% Andorrans, 28% Espagnols, 15% Portugais, 5% Franais) au cur des
Pyrenes. Le nom Andorra est attest au dbut du IXe sicle (cf. Coromines 1994, 189)
mais ltymologie reste obscure, quoiquil existe le nom latin A NDURENSIS en Andalousie (cf. CIL II 1693). Selon la lgende, Charlemagne aurait accord une charte de libert
aux Andorrans pour les rcompenser de leurs combats contre les Arabes, cet vnement tant relat au dbut de lhymne andorran (El gran Carlemany, mon pare, dels
Alarabs me deslliur). En 1278, un trait instaura la souverainet partag (pareatge)
entre lvque dUrgell et le comte de Foix. Depuis 1607, le chef de ltat franais et
lvque dUrgell sont les coprinces dAndorre. Dans la constitution adopte par
rfrendum du 14 mars 1993, Andorre est devenu coprincipaut parlementaire avec
un conseil gnral qui choisit un chef du gouvernement (Cap de Govern) ; le rle des
coprinces est purement symbolique.
La langue parle en Andorre est une varit du catalan nord-occidental (Veny
101993, 120151). La constitution de 1993 fixe le catalan comme langue officielle
dAndorre (art. 2, 1 : La llengua oficial de lEstat s el catal), et les dispositions
dexcution du 16 dcembre 1999 (Llei dordenaci de ls de la llengua oficial) rglent
les dtails. Tous les Andorrans ont lobligation de connatre la langue catalane et de
lemployer (art. 4), les institutions publiques doivent se servir du catalan (art. 8), les
communications sociales se font en catalan (art. 25), etc.
Pourtant, lespace laiss aux autres langues, cest--dire au franais et lespagnol, reste vaste. Tout dabord, trois types dcoles sont reprsents : le systme
scolaire franais (avec un enseignement spcifique de la langue catalane et de la
culture andorrane) qui prpare aux examens franais, le systme espagnol (en langue
espagnole avec un enseignement spcifique de la langue catalane et de la culture
andorrane) et le systme andorran en catalan qui comprend des cours en espagnol et
en franais ; les deux coles religieuses suivent le systme espagnol. La majeure partie
des Andorrans apprennent donc les langues franaise et espagnole lcole, et vu le
caractre touristique de lconomie du pays, le franais et lespagnol sont une necessit dans la vie de tous les jours au contact des trangers. Larticle 23 de la loi sur les
langues porte le titre prometteur El catal, llengua de leducaci, mais la teneur du
texte sanctionne le maintien du vieux systme qui ne favorise pas le catalan ( Tot el
que fa referncia a la llengua en lmbit educatiu es regula per la legislaci especfica
en aquesta matria i pels convenis internacionals establerts ). Mme dans les coles
maternelles et dans les garderies, on peut recourir au franais ou lespanol a
lefecte de facilitar la comunicaci (art. 24). Les communications qui sadressent aux
trangers, avant tout dans le secteur du tourisme, peuvent tre rdiges en lidioma
que faciliti la comunicaci (art. 13), donc pas en catalan normalement. Le personnel
du secteur social et mdical doit alors connatre dautres langues pour communiquer
avec ceux ne connaissant ni ne comprenant le catalan.

469

Le franais dans le monde : Europe

Ainsi, on voit bien que lAndorre est un pays largement trilingue, avec sa langue
propre, le catalan, qui est appuye par la lgislation, et avec deux autres langues
supplmentaires, lespagnol et le franais, qui sont pratiquement indispensables dans
la vie de tous les jours et qui sont enseignes dans les coles.

5 Les les anglo-normandes


Les les anglo-normandes sont situes dans le golfe de Saint-Malo do elles tirent
leurs deux autres appellations, les de la Manche/LArchipel de la Manche (angl.
Channel Islands) et constituent un archipel reli au Royaume-Uni, mais juridiquement indpendant depuis plus de 800 ans (cf. Leclerc 2011, 1 ; Sallabank 2011, 21).5
Politiquement, elles se sont organises en deux baillages (angl. bailiwicks)6 sous la
dpendance de la Couronne britannique (mais ne sont ni des colonies britanniques ni
des parties du Royaume-Uni ; cf. Leclerc 2011, 1). Elles sont composes du baillage de
Jersey (avec crhou, Minquiers et autres lots inhabits ; 118,2km2, 97.850 habitants,
une hausse de 10% depuis 2001 ; cf. SJSU 2012, 2) et du baillage de Guernsey (avec
Aurigny, Sercq, Herm, Jthou, Brecqhou, Burhou et Lihou ; 78km2, 63.090 habitants ;
cf. PCSG 2013, 3, 7). Guernsey, langlais est la seule langue officielle depuis 1966,
mais Jersey le franais tient un statut co-officiel (cf. Leclerc 2011, 2), utilis seulement comme signe douverture des sances parlementaires et pendant des scrutins
car les membres de lAssemble votent avec les mots pour et contre (cf. Leclerc
2011, 4). Daprs Leclerc (2011, 2) [o]n estime que les insulaires parlent couramment
le franais dans une proportion de 11% mais la plupart, soit 98%, tiennent langlais
comme langue maternelle (cf. Leclerc 2011, 2). Il apparait que la question des langues
naurait aucune importance pour les gouvernements des deux baillages, car personne
na intgr de questions relatives lusage ou la comptence dans les recensements
(cf. PCSG 2013 ; SJSU 2012). Leclerc (2011, 6) commente ce fait de la manire suivante :
En ralit, les gouvernements des les Anglo-Normandes nont pas de politique
linguistique autre que la non-intervention car on ne trouve la langue franaise que
dans certains toponymes, odonymes et formulations juridiques, mais elle noccupe
aucune place dans la vie quotidienne des insulaires (except les gens qui travaillent
dans le tourisme) (cf. p. ex. Sallabank 2011, 21), et cela malgr le statut du franais,
langue de la littrature, de lducation et de la religion, jusquau XXe sicle (cf.
Sallabank 2011, 22).

5 Les les ne sont pas membres de lUnion Europenne (U. E.), pour plus dinformation cf. p. ex. Lsch
(2000, 40s.), qui constate aussi que les baillages ne sont pas associs lU. E., bien quon trouve cette
dclaration souvent dans la littrature secondaire (cf. Lsch 2000, 3).
6 I. e. a territory headed by a bailiff (Sallabank 2011, 21), alors un territoire dirig par un huissier.

470

Johannes Kramer et Aline Willems

Toutefois, des varits franco-normandes7 ont survcu dans les registres bas de
la communication. Ces patois teints de vieux franais, de dialectismes des
Vikings ainsi que de vieil anglais (cf. Leclerc 2011, 2) sont aujourdhui menacs car
practically all native speakers are aged over 70 (Sallabank 2011, 19 ; cf. aussi
Moseley 2010, s. p.) : Jersey, cest le jrriais qui est parl par 3,2% de la population
daprs le recensement de 2001 (soit 2.874 locuteurs, dont 2/3 avaient plus de 60 ans
et seulement 113 personnes le dclare comme leur langue quotidienne), et Guernesey, le guernesiais ou dgrnsiais survit avec 1.327 locuteurs en 2001 (soit 2,22% de
la population, parmi lesquels 70,4% avaient plus de 65 ans ; cf. Sallabank 2011,
24).8 Ces deux langues sont dclares diffrentes, mais intercomprhensibles selon
Leclerc (2011, 2) et (Sallabank 2011, 22) pendant que Brasseur (1978a, 49) postule que
lintercomprhension des locuteurs des les est trs faible . En plus, sur lle de
Sercq on parle le serquiais ou srtchais, une ancienne varit du jrriais, mais il
nexiste aucune statistique officielle sur le nombre des locuteurs.9 Jusquau milieu
du XXe sicle on parlait galement lauregnais dans lle dAurigny, mais cette
langue est classe comme disparue depuis la mort du dernier locuteur maternel
dans les annes 1960 (cf. Moseley 2010, s. p.). Comme le dgr dintercomprhension de ces varits est controvers, Lsch (2000, 45) se pose la question de savoir
sil y avait une koin dans les les anglo-normandes : historiquement les les nen
avaient pas besoin, car le franais tait la langue vhiculaire (ou High Variety selon
Fishman) et les insulaires se servaient dune varit rgionale pour communiquer
avec les locuteurs des diffrents dialectes insulaires (cf. Lsch 2000, 4547). Ces
suppositions sont renforces par des recherches lexicales et phontiques : tandis
que le jrriais, le guernesiais et le sercquais disposent de plusieurs caractristiques
linguistiques distinctes, on trouve aussi des points communs. titre dexemple, la
1re personne du pluriel est la mme que la 1re du singulier, jallons , et la
palatalisation des groupes /kl/, /gl/, /pl/, /bl/ et /fl/ (p. ex. fr. claire , guer.
cllare /kjai/, jr. clai /kje/ ; fr. blanc , guer. bllanc /bj/, jr. blianc
/bj/), mais il faut aussi constater que les caractristiques phontiques communes
dans les les sont aussi les mmes que dans les autres parlers normands (cf.
Brasseur 1978a ; 1978b ; Sallabank 2011, 22s.).
Pour lutter contre la mort des parlers, des associations de citoyens se sont formes
comme p. ex. lOffice du Jrriais (cf. www.jerriais.org.je, 23.09.2013) et le Comit de la
Culture Guernesiaise et depuis quelques annes, les gouvernements des deux baillages ont commenc sengager. Depuis 2003, les lves des coles primaires peuvent

7 Leclerc (2011, 1) soutient lhypothse que les les de Guernesey, de Serq et de Herm formaient une
seule le lpoque romaine et que les les de Jersey, dAurigny, des Ecrhou et de Chausey faisaient
partie du continent, dou les ressemblances parmi les dialectes.
8 Pour des donnes dtailles sur le nombre des locuteurs, leur ge et la strucutre sociolinguistique cf.
p. ex. Lsch (2000, 5975) ; Jones (2001, 4569 ; 2005, 1518).
9 Les nombres varient de 12 20 locuteurs entre 2007 et 2009 (cf. Sallabank 2011, 25).

471

Le franais dans le monde : Europe

apprendre le guernesiais comme langue facultative ; Jersey, des classes comparables


existent depuis 1991 sous la dnomination Salut Jersey . Le gouvernement de
Guernesey a publi une Language Strategy 20112015 (CLD 2011) et a de plus
lintention de crer une commission gouvernementale pour conserver le guernesiais
(cf. CLD 2013 ; Sallabank 2007 ; Leclerc 2011, 48).

6 Le Val-dAoste
Le Val-dAoste (dnomination officielle depuis 2001 : Rgion autonome de la Valle
dAoste/Regione Autonoma della Valle dAosta ; cf. Leclerc 2013, 2) est une des cinq
rgions autonomes dItalie, situ au nord-ouest du pays la frontire de la France
(Savoie) et de la Suisse (Valais). Elle est peupl de 126.802 habitants, soit 0,2% de la
population totale de lItalie (cf. ISTAT 2011, 6). Avec une superficie de 3.263 km2, elle
est la plus petite des rgions italiennes et qualifie comme une rgion de montagne
encercle par les plus hauts sommets dEurope (Josserand 2003, 33). Selon Barb
(2003, 11), la situation linguistique saffiche comme une triglossie dfinie de la
manire suivante : 1) italianisation croissante dans laquelle litalien remplace la
diglossie franais(HV)/patois(LV) ; 2) le francoprovenal/patois10 occupe le deuxime
rang des langues utilises le plus frquent avec 3) le franais au troisime rang. Le
dernier recensement linguistique officiel date de 1921, mais en 2001 la Fondation
mile Chanoux (20082013, s. p.) a effectu une enqute sociolinguistique qui prouve
que litalien est la langue maternelle de 71,5% des Valdtains et que cette langue est
utilise par 96% des habitants. 12,8% ont indiqu le patois et 3,4% le francoprovenal
comme L1 pendant que le franais occupe le septime rang avec 1,05%. Nanmoins,
lObservatoire de la langue franaise cite 90.000 francophones en 2010 au Val-dAoste
(cf. ObLF 2010, 1), comme le franais est la langue co-officielle de litalien dans cette
rgion. Selon Leclerc (2013) cette co-officialit existe plutt sur le papier que dans la
ralit : depuis 1948, les droits linguistiques des francophones au Val-dAoste sont
dfinis par le Statut spcial de la Valle dAoste :

Article 38
1) La langue franaise et la langue italienne sont parit en Valle dAoste.
2) Les actes publics peuvent tre rdigs dans lune ou lautre langue, lexception des actes
de lautorit judicaire, qui sont rdigs en italien.

10 Au Val-dAoste on appelle gnralement le francoprovenal patois , patou ou dialetto


(cf. Leclerc 2013, 3). Ce glottonyme, assez courant et sans connotation pjorative, est souvent accompagn de caractrisations gographiques (cf. Jablonka 2014, 516). La Fondation mile Chanoux nexplique pas pourquoi elle distingue les deux dnominations francoprovenal et patois dans la
rponse sur la langue maternelle, car il nexiste pas de diffrenciation dans les autres questions (cf.
Fondation mile Chanoux 20082013, s. p.).

472

Johannes Kramer et Aline Willems

3)

Les administrations de ltat prennent leur service dans la Valle, autant que possible, des
fonctionnaires originaires de la rgion ou qui connaissent le franais
(Conseil de la Valle/Consiglio Regionale della Valle dAosta 2008, s. p.).11

Malgr cette situation juridique la langue italienne est prpondrante au Parlement local, car beaucoup de reprsentants ne comprennent pas le franais et les lois
sont dabord rdiges en italien et puis traduites en franais (Leclerc 2013, 13). De
mme, il vaut mieux ne pas rclamer son droit de parler franais en justice, car les
juges en poste au Val-dAoste ne sont pas tenus de connatre cette langue (ibid.,
13s.), en consquent les verdicts sont toujours rendus en italien, la seule langue
officielle de ltat italien. Conformment au Statut spcial (cf. supra), ladministration
locale emploie, autant que possible, des fonctionnaires originaires de la rgion o au
moins ceux, qui ont russi un examen en franais. Toutefois, dans la ralit, sadresser ladministration en franais au dtriment de litalien, peut dramatiquement
prolonger les processus (cf. Leclerc 2013, 14s.).
Le statut spcial stipule aussi dans larticle 39 que :

1) [d]ans les coles de tout ordre et degr qui dpendent de la Rgion, un nombre dheures gal
celui qui est consacr lenseignement de litalien est rserv, chaque semaine,
lenseignement du franais.
2) Certaines matires peuvent tre enseignes en franais
(Conseil de la Valle/Consiglio Regionale della Valle dAosta 2008, s. p.).

Notons que lutilisation du franais comme langue denseignement dpend du bon


vouloir de ladministration. [] [S]eul lenseignement du franais, ainsi que certains
cours de civilisation valdtaine se font dans cette langue (Josserand 2003, 100).
Selon lenqute de Josserand (2003, 100s.), litalien est la langue dominante pendant
et lextrieur du cours.12 Dans ce contexte, il nest pas surprenant que les lves
valdtains sont trs distants de la moyenne OCDE concernant leur comptences
rceptives du franais, comme le prouvait le test PISA de 2010 (cf. AECR 2013, 13).
part le franais comme varit haute (HV) selon la dnomination de Fishmann , il existe galement le francoprovenal ou patois (cf. note 10) comme
langue parle au Val-dAoste. Comme lenqute de la Fondation mile Chanoux
pouvait le montrer, la situation de cette varit romane est plus favorable que celle du
franais, car elle est parle quotidiennement (cf. Josserand 2003, 53) et le nombre de
dialectophones est plus haute que celui des francophones13 (cf. Fondation mile

11 Pour plus dinformations concernant des lois linguistiques en Italie en vue de protger le franais
en Val dAoste cf. p. ex. Leclerc (2013, 1127) ; Josserand (2003, 138142) ; Bauer (1999, 141199).
12 Pour plus dinformations sur le systme ducatif et le choix de langue, cf. p. ex. Leclerc (2013, 16
19) ; Schulz (1995, 8091).
13 Sur la vitalit des trois langues en Val dAoste (soit italien, francoprovenal et franais) cf. les
enqutes de Schulz (1995), Bauer (1999) et Bert (2011).

Le franais dans le monde : Europe

473

Chanoux 20082013, s. p.).14 De plus, le Bureau rgional pour lethnologie et la


linguistique (BREL) a t fond pour soutenir le francoprovenal, organisant des cours
spciaux ainsi quannuellement le Concours Cerlogne (cf. Leclerc 2013, 3, 19).

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14 Pour une discussion de la question du vrai franais valdtain, le franais standard ou le


francoprovenal cf. p. ex. Jablonka (1997, 146151).

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Edith Szlezk

20 Le franais dans le monde : Canada

Abstract : Larticle donne un aperu de llaboration, des usages et du statut des


varits du franais canadien. Aprs un survol de la situation dmographique daujourdhui et de lhistoire de la francophonie au Canada, il traite de la politique et
notamment de la dfense de la langue franaise ds les dbuts jusqu nos jours, et
des institutions qui assurent son maintien dans un pays majoritairement anglophone.
La section suivante rsume les thories de la gense des varits du franais canadien
avant de citer les caractristiques linguistiques de ces mmes varits dans les
domaines de la prononciation, du lexique et de la morphosyntaxe. Le dernier souschapitre est ddi au problme de la norme qui se pose encore et toujours au Canada
franais.

Keywords : varits, anglicismes, politique linguistique, norme, francophonie


1 Introduction : situation dmographique

Cest avec Jacques Cartier, sous le rgne de Franois Ier, que commence en 1534 lhistoire de la langue et de la culture franaises sur le continent nord-amricain, mme
sil fallut attendre 1604, sous Henri IV, pour que la France se proccupe dtablir en
Amrique une colonie de peuplement. Plus de 400 ans plus tard, le franais du
Canada est devenu la principale varit secondaire du franais standard, et dans
lensemble, la part des francophones dans la population canadienne reste stable,
mme si le nombre des locuteurs diminue dans lOuest canadien, du fait de la
domination de langlais et de la pression assimilatrice qui en rsulte. Selon les chiffres
du recensement canadien (2011), 21,3% des Canadiens, soit 7.054.975 personnes,
dclarent avoir le franais comme langue maternelle, la trs grande majorit de ces
locuteurs (86,5%, soit 6.102.210 personnes) vivant au Qubec ; cette province est la
seule ayant le franais pour unique langue officielle, et par ailleurs, avec sa superficie
couvrant 1.667.712 km2, elle est la plus vaste des 10 provinces canadiennes.
Le deuxime groupe par importance numrique (7% des francophones, soit
493.295 locuteurs) se trouve dans lOntario, province voisine situe louest du Qubec, dont la colonisation par les Franais commena au dbut du XVIIe sicle. lest
du Qubec, lAcadie (daprs une thorie baptise ainsi par ses dcouvreurs en
rfrence lantique Arcadie, contre clbre pour la beaut de ses paysages),
regroupe le Nouveau-Brunswick (233.530 loc.), la Nouvelle-cosse (31.105 loc.) et lledu-Prince-douard (5.190 loc.), appeles provinces maritimes ; en incluant la province de Terre-Neuve-et-Labrador (2.480 loc.), on compte un total de 272.305 locuteurs
(3,9% des francophones) dans lensemble des quatre provinces dites atlantiques .
Dans lOuest canadien, on distingue trois groupes ayant le franais pour langue

Le franais dans le monde : Canada

479

Carte 1 : Le Canada ( 1998, PUL et TLFQ)

maternelle : les Mtis, descendants des unions entre colons franais et femmes amrindiennes ; le groupe majoritaire, celui des Canadiens franais de souche qubcoise ;
et enfin les Franais venus dEurope. Dans les provinces du Manitoba, de la Saskatchewan, de lAlberta, de la Colombie-Britannique et les territoires que constituent le
Yukon, le Nunavut et les Territoires du Nord-Ouest, ils regroupent au total 187.159
personnes (2,6% du total canadien) (cf. Sautter 2000 ; Statistiques Canada 2011). On
mentionnera galement brivement les principales minorits francophones nord-amricaines hors du Canada. En Louisiane, baptise ainsi en lhonneur de Louis XIV par
Robert Cavelier de la Salle en 1682 et stendant lorigine du golfe du Mexique aux
Grands Lacs, la population francophone est issue de diffrents groupes : les Cadiens
ou Cajuns, descendants des Acadiens (originaires du Canada) dports en 1755 par les
Britanniques dans le cadre du Grand Drangement , les colons franais (appels
croles blancs et majoritairement anglophones depuis le XIXe sicle), ainsi que les
anciens esclaves, parlant un crole base franaise. Le nombre des locuteurs est
difficile valuer en raison de la catgorisation linguistique problmatique du recensement amricain qui, sauf exception, ne distingue ni entre les varits du franais, ni
entre franais et croles base franaise : la catgorie est intitule French (including

480

Edith Szlezk

Patois, Creole, Cajun) . On estime le total environ 115.000 locuteurs, y compris les
crolophones (cf. U.S. Census Bureau 2013). Sur les dtails historiques ainsi que les
particularits linguistiques des diffrentes varits du franais en Louisiane, cf. Corbett (1990) ; Neumann-Holzschuh (2000 ; 2005) ; Rottet (2001) ; Valdman (1997) ;
Valdman et al. (2005). La Nouvelle-Angleterre, forme par les tats du Connecticut, du
Maine, du Massachusetts, du New Hampshire, du Rhode Island et du Vermont, tait au
XIXe sicle la rgion la plus industrialise au monde aprs la Grande-Bretagne. Lessor
industriel a entran, notamment entre 1830 et 1920, un afflux massif de main duvre,
venue pour lessentiel des rgions voisines de lEst du Canada, ce qui explique que la
Nouvelle-Angleterre soit galement surnomme le Qubec den bas . Le nombre de
locuteurs est en fort recul depuis la Seconde Guerre mondiale, on lestime aujourdhui
aux alentours de 270.000 300.000 personnes (cf. U.S. Census Bureau 2013). Pour
davantage de dtails sur lhistoire et les particularits linguistiques des diffrentes
varits du franais en Nouvelle-Angleterre, on se reportera Brault (1986) ; Fox/
Smith (2005) ; Neumann-Holzschuh (2003 ; 22008) ; Szlezk (2010).

2 Histoire de la francophonie au Canada


Jacques Cartier, envoy en 1534 par Franois Ier pour garantir la France une part du
Nouveau Monde, explore le Saint-Laurent, principale voie navigable dAmrique du
Nord, et dbarque dans son estuaire, afin den prendre possession au nom du roi de
France. En 1535, lors de son second voyage, il atteint une chane de collines aisment
reprable quil appelle Mont Ral en lhonneur de son souverain. Mme si le poste
de mission fond cet endroit en 1642 par les jsuites porte lorigine le nom de VilleMarie, ltablissement qui en rsulte finira par adopter le nom de Montral . Mais
dans un premier temps, la France, qui senlise dans le chaos des guerres de Religion
(15621598), ne donne pas suite ses ambitions coloniales en Amrique du Nord et ce
nest que sous Henri IV que lon renoue avec les voyages de Cartier. Si au XVIe sicle,
ctaient encore les eaux poissonneuses qui suscitaient lintrt, les convoitises sont
dsormais attires par la traite des fourrures, bien plus lucrative. Issu dune ligne de
navigateurs, Samuel de Champlain est charg en 1603 dun voyage dexploration et
fonde des comptoirs le long du Saint-Laurent dans les annes suivantes, jusquen
1634. En 1604, avec Pierre du Gua, il tablit une centaine de personnes sur lle SainteCroix (Acadie, auj. Maine) ; en 1605, il fonde sur la cte nord-ouest de la Nouvellecosse la premire colonie du Canada, lhabitation de Port-Royal (rebaptise par la
suite Annapolis, elle fut la capitale de la Nouvelle-cosse jusqu la fondation de
Halifax en 1749). En 1608, pour des raisons stratgiques, il difie sur un resserrement
du Saint-Laurent un comptoir, quil nomme Qubec , terme dsignant en langue
algonquine un passage o le fleuve se rtrcit. Comme la colonie de Nouvelle-France
stagne sur le plan conomique, le Nouveau Monde nattire au dbut que peu de
colons. Jusquen 1660, seuls 2.000 personnes environ simplantent au Canada,

481

Le franais dans le monde : Canada

cause notamment des conflits frquents avec les peuples autochtones, et ce sont
majoritairement des hommes. En raction cette situation est organise limmigration
de jeunes femmes, appeles filles du Roi : Entre 1663 et 1673, plus de huit cents
jeunes filles clibataires migrent en Nouvelle-France dans le cadre dun effort de
peuplement indit (GdQ 2008, 7). Mais la situation dmographique, toujours instable, nest pas le seul problme. Outre la menace constante que font peser les
Amrindiens (notamment les Iroquois), les hostilits entre colons anglais et franais
sexacerbent en 1613 la suite de la destruction de Port-Royal par les Anglais. Bien
que lAmrique franaise voie tout dabord son territoire saccrotre vers lOuest et le
Sud (en 1682, le delta du Mississippi est explor), les nombreuses guerres coloniales
franco-anglaises changent bientt la donne. Aprs sa dfaite lors de la guerre de
Succession dEspagne, la France est contrainte, aux termes du trait dUtrecht de
1713, de cder lAcadie et Terre-Neuve aux Anglais qui, durant les quarante prochaines annes, encouragent les colons de langue franaise y rester pour des raisons
tant conomiques que militaires (Dubois 2005, 81). Cependant, larrive de colons
anglophones de plus en plus nombreux entrane une campagne de britannisation et,
pour les Acadiens qui refusent aussi bien le dpart vers dautres territoires franais
que le serment de fidlit la couronne britannique, la dportation dune majorit
dentre eux (env. 8.000 12.000 personnes entre 1755 et 1762), dans des conditions
souvent inhumaines. Au cours de ce quon a appel le Grand Drangement , ils
sont emmens de force vers dautres colonies anglaises, entre autres le Massachusetts, ou se rfugient en Louisiane. De l, une partie dentre eux retournent au Canada
o, retrouvant ceux qui avaient pu se cacher dans les forts, ils forment la base
ethnique des Franco-Canadiens des provinces atlantiques actuelles (Bolle 1990,
741). Quelques milliers dentre eux senfuient galement au Qubec en 1759 : Il y
aurait aujourdhui plus dun million de Qubcois de descendance acadienne (GdQ
2008, 8). En 1763, le trait de Paris entrine officiellement la Conqute anglaise ,
aprs lextension aux colonies de la guerre de Sept Ans. Ainsi prend dfinitivement fin
limmigration franaise dans lancienne Nouvelle-France. LOntario et les provinces
de lOuest continuent toutefois bnficier dune immigration venue du Qubec, ce
qui conduit la constitution des actuelles communauts francophones. Contrairement lAcadie, la question de lexpulsion ne se pose pas au Qubec, o lon tient
compte de ce groupe ethnique politiquement minoris, mais numriquement important : LActe de Qubec (1774) ne comporte pas de dispositions prcises sur la
langue, mais dans lensemble on peut juger quil est favorable aux francophones,
puisque les lois franaises sont restitues au civil, que les garanties religieuses sont
explicitement renouveles [] (Thibault 2003, 898). En 1784, la province du Nouveau-Brunswick est spare de la Nouvelle-cosse, et en 1791, lActe constitutionnel
divise le Canada en une partie occidentale, le Haut-Canada et une partie orientale, le
Bas-Canada. La pression assimilatrice toujours plus forte et la suprmatie de langlais
entranent des rsistances et conduisent mme la rbellion ouverte, comme celle de
1837, mene par le Parti patriote. En 1840, lActe dUnion fait de langlais la seule

482

Edith Szlezk

langue officielle, mme si le bilinguisme survit de facto, situation confirme officiellement en 1848. Toutefois, le dsquilibre dmographique entre les francophones et les
anglophones, dont le nombre augmente constamment du fait de limmigration continue, devient de plus en plus problmatique. Certes, les Canadiens franais, sous
linfluence entre autres de lglise catholique, parviennent stabiliser le rapport
numrique grce une fcondit extrmement leve : en 80 ans, leur nombre est
presque multipli par dix, phnomne galement appel revanche des berceaux
(Pll 1998, 63). Nanmoins, en 1851, [l]a population de langue anglaise dpasse celle
de langue franaise et les Canadiens franais sont, pour la premire fois, minoritaires
dans lensemble de la colonie (GdQ 2008, 14). Enfin, en 1867, lActe de lAmrique
du Nord britannique cre la Confdration canadienne, compose de quatre provinces, le Qubec, lOntario, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-cosse, qui se voient
confrer une large autonomie elles parviennent conserver leurs spcificits en ce
qui concerne la culture, la religion et le droit civil (Wolf 1987, 46) , larticle 133
garantissant galement le bilinguisme au niveau officiel. Par la suite, la proportion de
francophones dans la population reste stable, mais il faut attendre les annes 1960
pour que, dans une province au moins, le Qubec, ils parviennent prendre conscience collectivement de loriginalit et de la spcificit de leur culture et de leur
langue et agir en consquence : Aprs une longue priode caractrise par limmobilisme des structures sociales, la premire moiti des annes soixante assiste un
processus de rformes politiques, conomiques et sociales menes par le nouveau
gouvernement libral de Lesage. Cette priode est passe lHistoire sous le nom de
Rvolution tranquille (Thibault 2003, 900). Malgr lexistence au sein de ce mouvement dlments extrmistes, comme le Front de Libration du Qubec groupuscule
dextrme-gauche accus davoir perptr des attentats et entran la mort de plusieurs personnes durant son existence, entre 1963 et 1972 , les forces modres
dominent. Bien que lon ne puisse pas dterminer avec certitude les rpercussions de
la visite du gnral de Gaulle en 1967, au cours de laquelle il a lanc son clbre Vive
le Qubec ! Vive le Qubec libre ! au-del dun refroidissement durable des relations franco-canadiennes , on assiste dans les annes suivantes la cration par
Ren Lvesque du Mouvement Souverainet-Association, dont lobjectif est lindpendance du Qubec au sein dune union conomique avec le Canada. En 1968, ce
mouvement politique devient un parti, le Parti Qubcois (PQ), qui se donne pour
mission, outre lindpendance du Qubec, de dfendre la langue franaise. Une fois
arriv au gouvernement, il organise deux rfrendums destins fonder constitutionnellement une sparation : aprs la victoire lectorale de 1976 et ladoption en 1977 de
la Loi 101, qui fait du franais la langue officielle du Qubec, on se risque, en 1980,
mettre en uvre ce projet, qui est toutefois rejet par une majorit de 59,56% des
lecteurs. En 1982, la constitution canadienne chappe dfinitivement au contrle du
Parlement britannique, mais cela ne suffit pas satisfaire les partisans de lautonomie. Le Parti Libral du Qubec (PLQ), fond en 1867 et dorientation fdraliste,
revient au pouvoir en 1985, freinant jusquen 1994 toutes les vellits indpendantis

483

Le franais dans le monde : Canada

tes. La victoire lectorale du PQ, en1995, assure lorganisation dun nouveau rfrendum, dont lenjeu est au moins implicitement la scession de la province. Cette foisci, le rsultat est serr, mais les 50,58% de non entranent un nouveau rejet de
lindpendance, attribu par les analystes lectoraux la minorit anglophone et aux
peuples autochtones. Le PQ reste ensuite au pouvoir jusquen 2003, y revenant
ensuite partir de 2012, mais le mouvement indpendantiste encaisse dernirement
un nouveau revers en 2014 : le PLQ remporte les lections avec 41,5% des suffrages
lun des points centraux du programme lectoral du PQ tant lorganisation dun
nouveau rfrendum sur la sparation davec le Canada, que le PLQ refuse plus
catgoriquement que jamais (cf. FAZ 2014). Il est possible que lattitude du gouvernement canadien ait jou un rle, celui-ci essayant depuis le milieu des annes 1990 de
satisfaire le besoin exprim par le Qubec dune reconnaissance explicite de son
identit et de sa culture spcifiques. En 1997, la Dclaration de Calgary reconnat le
caractre unique de la socit qubcoise , bas notamment sur lusage dominant
de la langue franaise dans cette province. En 2006, le gouvernement conservateur de
Stephen Harper demande, dans la motion sur la nation qubcoise [q]ue cette
Chambre reconnaisse que les Qubcoises et les Qubcois forment une nation au
sein dun Canada uni (Schultze 2014). Ds 1968, lAssemble lgislative provinciale
avait t rebaptise Assemble nationale du Qubec , attestant ainsi le dsir dtre
reconnu comme une nation. Pour les partisans de lautonomie, outre les aspects
conomiques la dpendance troite du Qubec vis--vis du Canada est incontestable
sur ce plan , cest sans doute lemploi du terme de nation qui a convaincu nombre
dentre eux que le Canada reconnaissait durablement la situation particulire de leur
province, satisfaisant ainsi leurs revendications. Les menaces pesant sur la Confdration canadienne sont-elles durablement cartes ? Cest ce que montreront les
prochaines annes du gouvernement du PLQ.

3 Politique linguistique et dfense de la langue


Lorsque la France doit dabord cder lAngleterre lAcadie et Terre-Neuve en 1713 au
trait dUtrecht, puis le reste du Canada en 1763 au trait de Paris, commence pour la
population francophone la lutte pour la survie de sa langue et de sa culture : Ds
1765, une ptition est adresse au roi dAngleterre pour rclamer lemploi du franais
dans le systme de justice et dans les ordres du roi (Auger 2005, 41). LActe de
Qubec de 1774 rtablissait certes les lois civiles franaises et les Canadiens franais
ne devaient nullement renoncer leur foi catholique, mais lusage de la langue
franaise nest pas pris en compte. LActe dUnion donne naissance en 1840 une
Province du Canada (Canada-Uni) ayant langlais pour seule langue officielle. Les
francophones canadiens, numriquement majoritaires, se retrouvent face une classe
dominante anglophone qui ne cache pas son mpris. En 1848, le franais est reconnu
juridiquement, mais les francophones sont de plus en plus opprims conomique

484

Edith Szlezk

ment, politiquement et aussi numriquement. Ce nest donc pas avant la fondation de


ltat canadien moderne en 1867 (Acte de lAmrique du Nord britannique) que
lexistence dune identit franco-canadienne et du bilinguisme sont reconnus. Nanmoins, ou prcisment cause de laspect dfinitif de cette dcision, la conscience
des Canadiens franais reste marque par un sentiment dinfriorit et de rupture avec
la mre-patrie, comme lexprime de manire exemplaire la devise du Qubec, forge
en 1883 et officialise en 1939, Je me souviens . En 1902 est fonde la premire
institution de dfense de la langue, la Socit du parler franais au Canada, qui se
consacre ltude des varits du franais canadien et publie en 1930 le Glossaire du
parler franais au Canada, recueil de deux millions d observations lexicales
commentes tymologiquement, ce qui en fait un jalon majeur dans ltude du
franais canadien (Bolle 1990, 751). LUniversit Laval, fonde en 1852 sous sa
forme actuelle, organise rgulirement depuis 1912 des congrs consacrs lanalyse
de divers aspects de la politique linguistique, ainsi que de la description du franais
du Canada. Plusieurs revues sont en outre publies, comme Laction franaise partir
de 1917, surtout attaches combattre les anglicismes. En dpit de quelques progrs
dans le domaine de la politique linguistique en 1910, des billets de transports
bilingues sont introduits au Qubec (Loi Lavergne), tandis quen 1935, les billets de
banque deviennent bilingues au niveau fdral et des concessions faites aux
provinces (langlais et le franais sont sur un pied dgalit au Parlement fdral et
lAssemble lgislative du Qubec), langlais continue de facto dominer la politique
et lconomie, ce qui dfavorise les francophones :

Le vocabulaire technique qu[e] [le travailleur francophone] [] emploie son travail est anglais.
[] Langlais tant la langue de travail, le travailleur sera [] amen faire certaines lectures ou
suivre certains cours de perfectionnement en anglais. Dans le domaine de travail o le franais
nest pas utile, le travailleur francophone du Qubec se trouve ainsi plac, dans sa propre
province, sur le mme pied quun immigrant qui ignorerait totalement le franais et qui a opt
pour langlais et pour lui et pour ses enfants (Dulong 1973, 420).

Les immigrants qui se tournent presque automatiquement vers langlais et ne font


aucun effort pour apprendre le franais ne sont pas le seul sujet qui chauffe les
esprits. Alors mme que se fait sentir chez les francophones un recul du taux de
natalit, leur mcontentement se manifeste surtout face la pression assimilatrice
croissante ainsi qu la situation du systme scolaire et ducatif. Au cours de la
Rvolution tranquille des annes 1960, le Qubec essaie alors de dlimiter et de
former une socit qubcoise distincte par le biais dune politique dindpendance
linguistique : Il faut affirmer avec force que tout lavenir de notre province doit
sdifier en fonction du fait franais (Jean Lesage 1960, cit dans GdQ 2008, 21).
Lexpression Canadien(ne) franais(e) est remplac par Qubcois(e) , dans un
souci daffirmation de lidentit culturelle entranant par l-mme une dmarcation
implicite vis--vis des autres rgions partiellement francophones. Le rsultat de ces
efforts est tout dabord, en 1963, la cration de la Commission royale denqute sur le

Le franais dans le monde : Canada

485

bilinguisme et le biculturalisme, qui rvle de nets dficits dans le statut des deux
langues et partant, entre anglophones et francophones :

The Constitution formally recognized both French and English in 1867 in the federal field (and
in Quebec). However, it has become evident to us that this re-cognition was incomplete in many
respects []. Therefore, we recommend that English and French be formally declared the official
languages of the Parliament of Canada, of the federal courts, of the federal government, and of
the federal administration. This equality of the French and English languages must be complete
[]. It must be indisputable (Library and Archives Canada 2014).

En 1969, la Loi sur les langues officielles (amende en 1988) fait du Canada une
fdration officiellement bilingue reconnaissant au niveau fdral le franais aux
cts de langlais. Cest ainsi que les dbats parlementaires sont traduits simultanment, que les textes lgislatifs doivent tre promulgus et adopts dans les deux
langues, que lemballage et ltiquetage des produits alimentaires ou manufacturs
sont rdigs dans les deux langues, ou encore que les timbres-poste sont bilingues.
Les services fdraux sont disponibles dans les deux langues, mais uniquement l
o le nombre le justifie . Il y a en effet entre les diffrentes provinces des divergences
considrables en ce qui concerne le statut, la fonction et la diffusion du franais (Erfurt 2005, 56).

Tableau 1 : Les langues officielles et leur statut par province canadienne (SALIC 2014)
Province/territoire

Langue(s) officielle(s) et statut

Alberta

anglais de jure, mais justice bilingue

Colombie-Britannique

anglais de facto

le-du-Prince-douard

anglais de facto

Manitoba

anglais de jure, mais justice bilingue

Nouveau-Brunswick

anglais et franais de jure

Nouvelle-cosse

anglais de facto

Ontario

anglais de facto, mais bilinguisme reconnu

Qubec

franais de jure, mais bilinguisme reconnu

Saskatchewan

anglais de jure, mais justice bilingue

Terre-Neuve

anglais de facto

Yukon

anglais et franais de jure, mais statut ambigu

Territoires du Nord-Ouest

anglais et franais de jure

Nunavut

anglais et franais de jure, inuktitut, inuinnaqtun de facto

En Ontario, p. ex., le bilinguisme est obligatoire pour les domaines de la lgislation,


des services judiciaires et de lducation. Depuis 1986, il existe un Office des affaires
francophones et des coordinateurs linguistiques dans tous les ministres. Le Nou

486

Edith Szlezk

veau-Brunswick est la seule province officiellement bilingue et ce, dans les domaines
de la lgislation, de la justice, de lducation et des services gouvernementaux, sur la
base tout dabord de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, promulgue en 1969, puis de la Loi reconnaissant lgalit des deux communauts
linguistiques officielles (1981), principe galement ancr depuis 1993 dans la constitution canadienne. En 2002, la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick est
remplace par la nouvelle Loi sur les langues officielles, qui largit la porte de la
loi originale aux municipalits et aux soins de sant et institue non seulement un
mcanisme de plainte, mais aussi lobligation du gouvernement de faire la promotion
des deux langues officielles (Dubois 2005, 94). Le Qubec, pour sa part, est la seule
province qui soit officiellement francophone unilingue, tout en reconnaissant le
bilinguisme lAssemble nationale et pour les tribunaux, dans lducation et dans
les services gouvernementaux. Le Qubec, chteau fort de la francophonie canadienne (GdQ 2008, 15), a impos son statut dunilinguisme officiel par tapes. En
1969 est promulgue la Loi pour promouvoir la langue franaise (Loi 63), premire loi
linguistique du Qubec. Elle accorde le libre choix de la langue denseignement aux
immigrants [] et tous les Qubcois. Elle oblige [] galement les coles anglaises
assurer une connaissance dusage de la langue franaise aux enfants qui lenseignement est donn en langue anglaise . En 1974 suit la Loi sur la langue officielle
(Loi 22), qui fait du franais la langue officielle du Qubec, faisant p. ex. de la version
franaise des textes de loi la version de rfrence, rendant obligatoire lemploi du
franais pour la signalisation, laffichage et les domaines similaires, et imposant aux
entreprises dsireuses dtablir des rapports avec ladministration ladoption de programmes de francisation. Ces dispositions sont tendues et renforces en 1977, aprs
la victoire lectorale du Parti qubcois lanne prcdente ; sous le gouvernement de
Ren Lvesque, le Qubec adopte la Charte de la langue franaise (Loi 101) : Le
franais est la langue officielle du Qubec . Cest la raison pour laquelle le Qubec
daujourdhui, aprs un dbat des annes 2000, ne partage pas la conception canadienne du multiculturalisme et prfre promouvoir linterculturalisme, qui reconnat la
diversit ethnique mais la tolre seulement condition quelle ne remette pas en
cause le statut de la langue franaise. La Loi 101 implique p. ex. que les enfants ne
peuvent frquenter des coles publiques anglophones que sous certaines conditions
bien dfinies, que la signalisation dans lespace public, ainsi que toutes les descriptions de produits, doivent tre rdiges en franais, et elle tend les dispositions
lgislatives de la Loi 22 concernant les programmes de francisation des entreprises. La
loi est modifie plusieurs reprises, dernirement en 2002 (Loi 104) et en 2010 (Loi
115), en particulier (mais pas exclusivement) dans le systme scolaire et ducatif,
domaine dans lequel les dispositions dorigine ntant pas conformes la constitution. Cette loi rorganise galement les institutions charges de la politique linguistique qubcoise, au premier rang desquelles lOffice qubcois de la langue franaise
(OQLF, 8 membres, env. 250 collaborateurs), cr par la fusion de lOffice de la langue
franaise (OLF, fond en 1961) et de la Commission de la protection de la langue

487

Le franais dans le monde : Canada

franaise (CPLF, fonde en 1977). LOQLF est lorganisme principal responsable de


lapplication de la Charte de la langue franaise : il surveille la situation linguistique
au Qubec, a pour fonction lofficialisation linguistique et terminologique et lattribution des champs dapplication de la loi, notamment le traitement des plaintes et la
francisation des milieux de travail. Le Conseil suprieur de la langue franaise,
compos de huit membres, assiste le ministre responsable de lapplication de la
Charte de la langue franaise sur toute question relative la langue franaise au
Qubec. En outre, il dcerne des prix des personnes ou institutions qui se sont
illustres dans leurs activits de promotion du franais. Ainsi, le Qubec a mis en
place en matire de politique linguistique et de dfense de la langue une base sans
commune mesure avec les autres provinces, contribuant de faon sensible la
stabilit de la francophonie canadienne. Notons enfin que le maintien de la langue
franaise au Qubec a certainement t galement favoris par le fait que la province
slectionne les immigrants comme le Canada dans son ensemble et les Etats-Unis ,
60% dentre eux parlant dj le franais leur arrive. De surcrot, une conception
structure de la francisation facilite lassimilation linguistique ( ce sujet, cf. lnonc
qubcois de politique en matire dimmigration et dintgration, 1990) : outre une large
palette de cours de franais pour immigrants sur place, il existe galement toute une
srie de cours en ligne. Si un cours est suivi, une aide financire peut tre demande
pour la dure du cours (cf. Trudelle 2014). Sur lhistoire des mesures de politique
linguistique et des organisations de dfense de la langue, cf. Auger (2005) ; Conrick/
Regan (2007) ; Helbich (2009) ; Morris (2003) ; Wolf (1987).

4 Gense des varits canadiennes du franais


La majeure partie des Franais qui stablissent aux XVIIe et XVIIIe sicles dans les
colonies franaises dAmrique du Nord proviennent du Nord-Ouest, de lOuest et du
Centre de la France. Si la classe suprieure francophone parle un franais correct et
sans accent (Bolle 1990, 745) aux oreilles des visiteurs europens, ce qui sexplique
par lorigine des lites, mais aussi par la mise en place prcoce dun systme scolaire
et ducatif administr par les jsuites qui crent en 1635 la premire cole pour les
garons (cf. Wolf 1987, 1417), les classes sociales infrieures parlaient sans doute
un franais fortement marqu par les dialectes des diverses rgions dorigine. Cette
diversit linguistico-culturelle de la francophonie du Canada contraste avec lhomognit relative du franais canadien, atteste ds le XVIIIe sicle (cf. Lard 1995, 4 ;
Neumann-Holzschuh 22008, 111). La thse selon laquelle il y aurait eu dans le
Nouveau Monde un choc des patois (cf. Barbaud 1984) conserve des adeptes, mais
il semble pourtant plus probable que les divergences diatopiques naient pas t
sensibles au point dempcher lintercomprhension, et/ou que les colons, loin
dtre de purs patoisants qui naient pu se comprendre (Pll 1998, 73), aient plutt
t largement intgrs un systme diglossique : les colons taient gnralement

488

Edith Szlezk

dorigine citadine et donc susceptibles de connatre le franais, parfois en plus de leur


patois, et [] cest ce franais relativement populaire, teint dun certain nombre de
rgionalismes, quils ont immdiatement parl entre eux (Auger 2005, 53). De plus,
le maintien du franais comme varit de prestige, outre sa fonctionnalit comme
lingua franca, a pu jouer un rle non-ngligeable (cf. Pll 1998, 72s.). la suite de la
Conqute anglaise, le contact avec la France est rompu partir de 1763, et cette
rupture est due non seulement la situation politique, mais certainement aussi au
manque dintrt dont fait preuve la mre-patrie je crois que la France peut tre
heureuse sans Qubec (cit dans Reutner 2009, 158), affirme Voltaire. Les Canadiens
francophones sont donc largement isols, ce qui vaut tant pour lvolution naturelle
de la langue en France que pour une partie des processus de slection normative et
des interventions rgulatrices sur lvolution naturelle de la langue, telles quelles
sont caractristiques de llaboration et de la dfense dun usage exemplaire (Wolf
1987, 18). Par l-mme sont prserves dans lusage linguistique canadien des particularits de la prononciation, de la morphosyntaxe et du lexique dorigine rgionale
et/ou refltant un usage linguistique plus ancien, celui des XVIIe et XVIIIe sicles, qui
apparaissent aujourdhui en partie dans les dialectes dol ou bien dans le franais
populaire parl en France (cf. Gadet 1992, 64 ; Lard 1995, 39) ; cet gard, il est
souvent impossible de distinguer lorigine des particularits issues dun tat de
langue ancien de celles dues un usage linguistique dialectal (cf. Wolf 1987, 18).
Outre les rgionalismes, archasmes et autres innovations (sur lesquelles on reviendra
plus en dtail propos du lexique), le franais du Canada est galement marqu par
des influences multiples des langues de substrat ou dadstrat :

Dans une large proportion, [] [les Qubcois francophones] sont les descendants de colons
franais qui se sont tablis dans la colonie laurentienne au XVIIe sicle, mais divers autres
groupes dimmigrants sont venus, partir de la seconde moiti du XVIIIe sicle, se fondre dans la
communaut de dpart, dabord en provenance des les Britanniques et des colonies amricaines,
puis, poque rcente, des quatre coins du monde. Paralllement ces apports migratoires, il
sest produit un important phnomne de mtissage avec les Amrindiens. [] Les premiers
colons avaient apport avec eux divers usages du franais qui ont fusionn en une varit
commune dont un bon nombre de traits dorigine se sont conservs jusqu nos jours ; cet
hritage se sont ajouts des emprunts aux langues amrindiennes et, surtout, diverses varits
danglais, selon les groupes qui arrivent, ainsi que des crations lexicales qui ont jalonn
lhistoire de la langue depuis lpoque de la colonisation (Poirier 1998a, xv).

5 Caractristiques des varits canadiennes du


franais
Lun des problmes poss par la description des varits canadiennes du franais est
labsence dune norme homogne, codifie. Dfinie ds 1977 par lAssociation qubcoise des professeurs de franais, au moins pour le franais qubcois Que la

489

Le franais dans le monde : Canada

norme du franais dans les coles du Qubec soit le franais standard dici. Le
franais standard dici est la varit de franais socialement valorise que la majorit
des Qubcois francophones tendent utiliser dans les situations de communication
formelle (http://www.cslf.gouv.qc.ca) , sa fixation et sa description constituent
encore aujourdhui de purs desiderata des planificateurs linguistiques canadiens (cf.
Neumann-Holzschuh 2000, 252s.). Les caractristiques du franais canadien, prsentes de faon non-exhaustive dans les lignes suivantes, figurent pour lessentiel dans
le domaine de limmdiat communicatif et on les retrouve frquemment soit dans les
dialectes dol du Nord et de lOuest, soit dans le franais populaire. Dune manire
gnrale, on peut constater qu lexception des innovations et des influences des
adstrats et substrats, les diffrences linguistiques avec le franais de commun se
manifestent la plupart du temps non pas en tant que telles, mais dans la frquence
et la diaphasie, cest--dire lattribution dun certain usage linguistique tel ou tel
registre et contexte dusage, comme le montre lexemple de puis [pi], conjonction de
coordination considre comme familire au Qubec et comme populaire en
France (cf. Gadet 1992, 64 ; Grevisse 2008, 1261). Deuxime point, il sera question
dans la suite de ce propos du franais qubcois et du franais acadien, car malgr
les diffrences rgionales, on peut gnraliser pour ces deux groupes de varits ce
que Flikeid a postul pour lacadien : Il est certain que les diffrentes varits
rgionales [] ont suffisamment dlments en commun pour les caractriser comme
groupe unitaire (Flikeid 1991, 195 ; cf. galement Poirier 1998a, xxix). Il ne sera
procd une diffrenciation entre qubcois et acadien que lorsquexistent des
divergences flagrantes ; en effet, le franais acadien prsente une tendance plus
marque la conservation dlments dun tat de langue plus ancien, mais il
correspond dans de nombreux domaines au franais qubcois (Pll 1998, 83).
Aussi subsumera-t-on lensemble, dans le cadre de ce rapide aperu des phnomnes
langagiers, sous lappellation globale de franais canadien . Les varits de franais parles lextrieur du Qubec et de lAcadie, en particulier par la communaut
la plus nombreuse hors du Qubec, celle des Franco-Ontariens, ne seront pas
voques plus avant, car il sagit principalement de franais qubcois ; faute dinstitutions centrales de dfense de la langue, celui-ci prsente des formes diffrentes,
portant p. ex. davantage la marque des archasmes, mais aussi dun nombre suprieur dinnovations et danglicismes dus la prdominance de langlais. Une prsentation des caractristiques de ces varits se trouve dans Mougeon/Beniak 1989. Par
ailleurs, pour les causes de la variation golinguistique du franais en Amrique du
Nord, on se permettra de renvoyer le lecteur Poirier (1996).

5.1 Prononciation
Le systme phonologique du franais canadien est identique celui du franais
commun, mis part le maintien de lopposition des voyelles nasales [] (dans brin) et

490

Edith Szlezk

[ ] (dans brun), ainsi que de lopposition des voyelles [a] (dans patte) et [] (dans
pte), qui sont en France en voie de dphonologisation au profit de [] et [a] (cf.
Marchal 1990, 252 ; Meney 1999, IX).

Dans le domaine phontique, on relvera pour le franais canadien les traits spcifiques suivants (cf. Bolle 1990 ; Brasseur 2001 ; Chaurand 1995 ; Marchal 1990 ; Maury/
Tessier 1991 ; Meney 1999 ; Ostiguy/Tousignant 1993 ; Wolf 1987) :

a) Voyelles orales, voyelles nasales, diphtongues :

oi [wa], [w], [we], [w], [], [o].


[] [], [] : [v] je vas.
[e], [] + consonne/r + consonne [a] : [amaik] Amricain, [masi] merci.
[y] [i] : [depite] dput.
[u] [y] : [sysl] sous-sol.
[o] [u] : [nasjunalite] nationalit.
[] [y] : [bly] bleu.
[i, u, y] faibles : [ave] arriver, [vzave] vous avez.
[i] [u], [i] : [kuzin] cuisine, [pi] puis.
[] [a], [], articul plus en avant quen franais.
[] [], se prononce avec la bouche plus ferme quen franais standard.

Le franais du Qubec tend en outre des diphtongaisons, phnomne qui cre un


obstacle lintercomprhension entre Qubcois et non-Qubcois (Meney 1999, XI ;
aperu gnral dans Meney 1999), p. ex. :

[] [ai], [ae], [a], [e] [i] [ei] (p.ex. dans pre).


[] [y], [y] (p.ex. dans beurre).
[a], [] [], [o], [u], [o], [u], [ou] (p.ex. dans garage, encore).

Lallongement des voyelles prtoniques et des diphtongues cre un rythme de parole


souvent qualifi de typiquement canadien (Pll 1998, 76) : [k:p] je comprends.

b) Les consonnes

affrication de [t] et [d] devant [i] et [y] en franais qubcois : [ptsi] petit, [tsY lip]
tulipe, [maladzi] maladie, [dzyR ] dur, phnomne qui donne aux non-Qubcois limpression que les Qubcois ont une prononciation relche (Meney
1999, XI).
palatalisation de [t] et [d] devant [j] en [t] et [d], surtout en franais acadien :
[at:] entire, [akad] acadien.

491

Le franais dans le monde : Canada

palatalisation de [k] et [g] au voisinage dune voyelle palatale : [kjye] cur,


[gjita:] guitare.
chute des consonnes occlusives la finale des mots, et particulirement des
liquides [l] et [] : [lis] liste, [kapab] capable, [ab] arbre.
chute de deux consonnes la finale des mots: [minis] ministre, [mY s] muscle.
chute du [] final : [l] leur, [miwe] miroir.
maintien du [s] final dans certains mots, comme [a:s] gens, [s:s] ceux.
maintien du [t] final dans des mots comme [tut] tout, [ft] fait.
dissimilation du [] intervocalique : [klid:] corridor.
mtathse des liquides [l] et [] : [kupl] couple, [bt] breton.

Le franais acadien conserve en outre le h aspir initial, qui devient parfois [] : [hibu]
hibou, [ale] haler.

5.2 Lexique
Daprs Poirier (1980), une large partie du vocabulaire du franais canadien est
identique celui du franais commun, mais il y a souvent une divergence dans les
contextes dusage et/ou les connotations des lments du franais commun. On peut
prendre comme exemple automobile, auto et voiture, connus en franais qubcois,
mais employs dans dautres contextes en raison du rle des rgionalismes char et
machine : auto remplace automobile comme mot gnrique , machine, et plus
rarement char, correspondant comme termes usuels neutres lemploi franais de
voiture, tandis que voiture dsigne plutt en franais canadien un vhicule traction
animale . Comme pour la prononciation et la morphosyntaxe, le franais canadien se
distingue donc par la survivance dlments archaques et rgionaux. On peut en
outre retenir que le franais canadien

se distingue cependant des parlers qui lui ont donn naissance par les emprunts quil a
accepts des langues avec lesquelles il est entr en contact : lamrindien dabord, qui la peu
marqu, langlais par la suite, qui a jou un rle important dans le dveloppement de certains
secteurs de son vocabulaire. Il se distingue galement par les nombreux nologismes (Poirier
1980, 52).

On trouvera une vue dtaille des spcificits lexicales des varits du franais
canadien dans Auger (2005), Brasseur (2001), Chaurand (1995), Lard (1995), Meney
(1999), Pronnet (1989) et Poirier (1980).
On signalera par ailleurs la spcificit que constitue lutilisation des termes
sacrs de la religion catholique comme jurons (Meney 1999, XXII) en franais
qubcois : baptme, bonyeu bon Dieu, clice, calvaire, ciboire, crisse/Christ, hostie,
sacrement, tabarnac(le), viarge. Du reste, ceux-ci sont intressants non seulement du
point de vue du lexique, mais aussi (de plus en plus) en tant que marqueurs discursifs
multifonctionnels, au niveau de la pragmatique ( ce sujet, cf. Drescher 2009).

492

Edith Szlezk

a) Archasmes et rgionalismes
La difficult, dj signale au paragraphe 3, quil y a distinguer nettement archasmes et dialectalismes se pose en particulier dans le domaine du lexique (cf. Poirier
1980, 58). Comme il sagit ici de donner un simple aperu des traits caractristiques
du franais canadien, on renoncera dans ce contexte une diffrenciation et on
renverra Auger (2005), Bolle (1990), Meney (1999), Poirier (1980), Pll (1998) et
Wolf (1987). Voici quelques exemples frquents darchasmes et de dialectalismes :
abrier couvrir, cause que parce que, achaler embter, cette heure/asteur
maintenant, adret habile, adroit, amarrer attacher, assir asseoir, barre du jour
aurore, bavasser bavarder, bl dInde mas, blonde petite amie, bord ct, casser
cueillir, causer bavarder, chssis fentre, champlure robinet, chaudire seau,
chicoter tracasser, conter raconter, couverte couverture, dbarquer descendre,
djeuner petit djeuner, dner djeuner, doutance doute, doux-temps priode de
dgel, scarter se perdre, envaler avaler, estomac poitrine, seins, tre de valeur
tre dommage, tre en famille tre enceinte, flambe flamme, gageure pari, garrocher lancer, godendart scie passe-partout, gros beaucoup, grand, icitte ici, jaser
bavarder, mais que ds que, marier pouser, menterie mensonge, mitaine moufle, mouillasser tomber une pluie fine, niaiser traner, noirceur obscurit, uvrer
travailler, pantoute pas du tout, parlage bavardage inutile, pas pire pas mal, assez
bien, secousse moment, soulier chaussure, souper dner, t lheure toute
lheure, trale bande, grande quantit, veille soire, venir devenir.

b) Amrindianismes
Dans la seule province du Qubec vivent aujourdhui encore 11 peuples autochtones,
dits Premires Nations : Abnaquis, Algonquins, Atikamekw, Cris, Innus, Malcites, Micmacs, Mohawks, Naskapis et Wyandots (Hurons). Auger fait cependant la
constatation suivante : Les effets du contact avec les langues amrindiennes sont
somme toute relativement limits et naffectent que le lexique. Cest dans la toponymie que la prsence autochtone ressort le plus clairement. [] La faune et la flore
constituent un autre domaine dinfluence notable (Auger 2005, 58). Quelques exemples demprunts amrindiens (surtout dorigine iroquoise et algonquine) : toponymie
Canada village, groupe de tentes, Chicoutimi jusquo cest profond, Manitoba
passage du Grand Esprit, Mcatin cest une grosse montagne, Mgantic lieu o il y
a de la truite de lac, Pribonka l o le sable se dplace, Qubec l o le fleuve se
rtrcit, Saguenay source de leau ; faune et flore achigan perche noire, atoca
plante des marais baies rouges, carcajou glouton, caribou renne du Canada,
chicoutai mre des marais, maskinong poisson deau douce, ouananiche saumon
deau douce, ouaouaron grenouille gante, pimbina fruit de la viorne trilobe,
touladi grosse truite grise ; autres domaines babiche lanire de peau dlan

Le franais dans le monde : Canada

493

servant garnir les raquettes, comtique traneau esquimau tir par les chiens,
micoine grande cuillre ou louche en bois, mitasse sorte de gutre ou de jambire de
toile, nigog harpon, oragan grand vase en bois, sagamit bouillie de farine de mas
et viande.

c) Anglicismes
Depuis 1763 et la perte du lien avec la France, le franais canadien est soumis
linfluence croissante de langlais (cf. Maury/Tessier 1991, 44), culminant au XIXe sicle dans lafflux dinnombrables danglicismes :

Cest partir du dbut du XIXe sicle, dans le contexte socio-politique nouveau cr par la
Conqute anglaise, que les Qubcois commencent sintresser eux-mmes leur vocabulaire.
laccent enjou, parfois admiratif, du voyageur en pays de dcouverte succde le ton morose
du puriste inquiet de lavenir de la langue franaise au Canada. Cest, il est vrai, lpoque o set
de vaisselle remplace service de vaisselle, o casserole recule devant saucepan et o les marchands estiment rentable de traduire leurs enseignes en anglais, mme si leur clientle est
majoritairement franaise. Les lettrs ragissent cette nouvelle invasion anglaise par la publication de lexiques et de manuels correctifs (Poirier 1998a, xi).

Dans le cadre de campagnes anti-anglicismes aux accents parfois fanatiques, le joual,


sociolecte du franais qubcois issu de la culture populaire urbaine de Montral, est
et l condamn comme dgnr, avant de connatre une renaissance dans la
seconde moiti du XXe sicle. En fait, si lon adopte une perspective globale, la part
des anglicismes dans le langage courant est en ralit relativement faible, ils napparaissent de faon massive que dans lconomie et les finances, la politique, lartisanat
et la technique (cf. Auger 2005, 59 ; Poirier 1980, 67), ainsi blow-out clatement de
pneu, brake frein, clock montre, pendule, dash tableau de bord, overtime heures
supplmentaires, puncher percer, poinonner, windshield pare-brise. Cependant,
langlophobie a men au remplacement danglicismes, usuels en France mme, par
des termes dorigine franaise, souvent des calques de forme, sans que lemploi des
premiers disparaisse pour autant (cf. Auger 2005, 61) : arrt stop, chien chaud hot
dog, carr petite place, square, courriel e-mail, dfi challenge, difice building,
fin de semaine week-end, hambourgeois hamburger, laine dacier paille de fer,
motoneige scooter des neiges, magasiner shopping, tlcopie fax, traversier ferry/
ferry-boat, vol nolis charter. Certains de ces contre-anglicismes constituent la
recommandation officielle en France galement. En franais canadien, les anglicismes lexicaux sont le plus souvent adapts au systme phonologique du franais, ce
qui se reflte en partie dans la graphie. Cela est d au fait que [c]ontrairement
lusage franais qui parat recevoir les anglicismes surtout par voie crite [], le
Qubcois adopte gnralement les mots anglais quil entend. Il rpte ces mots en
rendant approximativement au moyen des sons franais les prononciations anglaises

494

Edith Szlezk

quil a perues (Poirier 1980, 71). En outre, les verbes, mais aussi les noms et les
adjectifs, sont frquemment intgrs morphologiquement (cf. Meney 1999, XXIII).
Quelques exemples demprunts anglo-amricains courants : badloque malchance
( badluck), bque arrire ( back), bines haricots, fves ( beans), une bit un
peu, bitcher qqn. dire du mal de qqn. ( to bitch about), bobpine pince cheveux
( bobby pin), boul terreur, tyran ( bully), cheap bon march, chum ami, condo
(minium) appartement en coproprit, connestache amidon de mas, farine de mas
( cornstarch), cute mignon, joli, fancy chic, fantaisie, fly dfonc, excentrique,
fou, fun plaisir, game jeu, gamique astuce ( gimmick), highway route grande
circulation, home-brou bire faite la maison ( home-brew), knocker frapper ( to
knock), last call dernier appel, layteur plus tard/ plus ( later), lighter briquet,
lousse lche, ample ( loose), mchemalots guimauve ( marshmallow), ouaginne
charrette ( wagon), paparmane menthe poivre ( peppermint), phoner tlphoner, pinotte cacahoute ( peanut), ploguer brancher ( to plug), shop usine,
signe vier ( sink), smatte habile, chic, gnial ( smart), une job steade un poste
fixe ( a steady job), tinque rservoir ( tank), tof/toffe ardu, difficile ( tough),
touch/touchy dlicat, toune mlodie, chanson ( tune), trustable fiable, watcher
regarder, zipper fermeture clair. part les emprunts directs, on trouve bon nombre
de calques de sens et de forme, propos desquels Poirier constate : Langlicisme
smantique [] et langlicisme syntagmatique [] passent habituellement inaperus
mais ils sont peut-tre plus nombreux que les emprunts directs (Poirier 1980, 69).
Ces calques de sens et aussi de forme propres au qubcois sont un obstacle la
comprhension entre Qubcois et autres francophones (Meney 1999, xxiv). Exemples : ami(e) de fille petite amie ( girlfriend), ami de garon petit ami ( boyfriend),
annonces classes petites annonces ( classified ads), application candidature,
balance solde, bien-tre social aide sociale ( social welfare), boissons allonges
long drinks, brassire soutien-gorge, centre dachats centre commercial ( shopping center), centre-jardin jardinire ( garden center), chambre pice ( room),
change monnaie, changer lhuile faire la vidange ( to change the oil), charger
demander ( to charge), copie exemplaire ( copy), crme glace glace ( ice
cream), dite rgime ( diet), laborer dvelopper ( to elaborate), favoriser prfrer ( to favor), habilet comptence, exprience ( ability), heures daffaires
heures douverture ( business hours), sidentifier prsenter son identit ( to
identify oneself), inspecter vrifier ( to inspect), lave-auto station de lavage ( car
wash), ecteur de nouvelles prsentateur ( newsreader), longue-distance interurbain
( long distance), lumires feu de circulation ( lights), mature mr ( mature), se
mettre haut tre dfonc ( to get high), mettre le blme sur qqn. faire porter qqn. la
responsabilit ( to put the blame on), sobjecter sopposer ( to object to),
parade dfil, prendre action agir ( to take action), prendre un break faire une
pause ( to take a break), prendre une marche faire une promenade ( to take a
walk), sur la rue dans la rue ( on the street), tomber en amour tomber amoureux
( to fall in love). En outre, linfluence anglo-amricaine a permis la survivance de

Le franais dans le monde : Canada

495

mots dorigine franaise aujourdhui tombs en dsutude en franais commun, mais


proches de termes anglo-amricains quivalents ; ce sont les anglicismes dits de
maintien : barbier coiffeur ( barber), breuvage boisson non-alcoolise ( beverage), grand assez assez, suffisamment grand ( big/tall enough).

d) Innovations
Les innovations se sont effectues en franais canadien essentiellement par largissement ou glissement smantique, souvent partir du vocabulaire marin ; la plupart du
temps, ces phnomnes se rapportent au nouvel environnement auquel taient
confronts les colons franais :

En dbarquant en Nouvelle-France, les colons franais ont t mis en contact avec des ralits
nouvelles, ayant trait la gographie, la faune et la flore, aux conditions climatiques. Ils se
sont servis pour les dsigner des mots quils employaient dans la mre patrie en parlant de
ralits similaires mais il sest dvelopp autour du noyau smantique de ces mots des smes
nouveaux, des connotations particulires (Poirier 1980, 74).

En outre, de nombreux nologismes procdent par suffixation, que ce soit au moyen


p. ex. de oune, marqu (en diastratie), ou bien de suffixes, frquents en franais
commun trs productifs en franais canadien : able, age, erie, eux (pour plus de
dtails, cf. Lard 1995). Quelques exemples dinnovations canadiennes : adonner tre
favorable, allable praticable, accessible, avionnerie usine de construction aronautique, atocatire champ dairelles, bas-culotte collant, berline traneau rudimentaire deux siges, bleutire champ de myrtilles, bombe bouilloire, borde de neige
chute de neige abondante, carriole traneau hippomobile sur patins bas, cgep type
dtablissement scolaire, collge, chevreuil espce de cerf, dbarbouillette gant de
toilette, dbarquer descendre dun moyen de transport, dpanneur picerie de nuit,
picier de nuit, dormable o lon peut dormir, embarquer monter dans un moyen de
transport, rablire fort drables, foufounes fesses, minoune chatte (femelle du
chat et sexe de la femme), vieille voiture, niaisage perte de temps, connerie, parlable
aimable, adorable, accueillant, piasse/piastre dollar, poudrerie tempte de neige,
rafales de neige, prlart linolum, suisse petit cureuil, tamia ray, rejoignable
atteignable, respirable o lon peut respirer, tataouineux hsitant, toutoune
femme ou fille petite et corpulente, tuque bonnet de laine souvent garni dun
pompon, voyageable o lon peut voyager.

Par ailleurs, le franais canadien joue un rle pionnier dans le domaine de la


fminisation des noms de mtiers : Si la France se rsout depuis peu utiliser des
formes fminines pour dsigner les femmes ministres, juges, professeurs et ambassadeurs, le Qubec a amorc ce virage ds les annes 1980 et lusage des formes
fminines sy est fermement tabli (Auger 2005, 63 ; cf. aussi OQLF) ; cest le cas

496

Edith Szlezk

pour agente, ambassadrice, une architecte, auteure, camionneure, chercheure/chercheuse, chirurgienne, docteure, doyenne femme qui dirige une facult universitaire,
crivaine, gouverneure, informaticienne, ingnieure, une juge, mairesse, metteure en
scne, une ministre, praticienne, prsidente, professeure, rectrice.

5.3 Morphosyntaxe
Comme dans les domaines de la prononciation et du lexique, il sagit, sur le plan
morphosyntaxique, dans de nombreux cas de dialectalismes ou bien de survivances
dun tat de langue antrieur.

En franais canadien parl, la ngation sans la particule ne est gnralise


sans marquage diaphasique ni diastratique. On trouve en outre la double ngation : jai pas vu personne je nai vu personne, i ont pas rien appris lcole ils
nont rien appris lcole.
Dans les phrases affirmatives, le futur priphrastique domine nettement et ce,
galement pour les verbes dont les formes du futur simple continuent tre
employes en franais parl commun : (i) va tre, va avoir, va falloir, va pouvoir.
Au Qubec particulirement, la question par inversion est frquemment employe
loral. Cela permet dexpliquer la gense de la particule interrogative -tu ou -ti :
Cet lment, qui se place aprs le verbe conjugu pour former une question, []
trouve son origine dans linversion du pronom sujet il dans linversion simple et
complexe (Parle-t-il franais ? []) (Auger 2005, 56). Ex. : Tu viens-tu ?Est-ce que
tu viens ?.
Linterrogatif comment est rarement employ seul ou en combinaison avec est-ce
que ; on lui prfre, dans les questions directes et indirectes, des constructions
avec que, c(e) que, cest que, cest cque, cque cest que ; ex. : Comment que tes
rentre ici?, I me disent comment cest cque ce faut que je dise a.
Les varits canadiennes du franais affichent une tendance la gnralisation
de lauxiliaire avoir ; ex. : Quand tas sorti, i a venu icitte.
Les formes verbales prsentent de nombreuses variantes morphologiques, comme
le prsent je vas je vais, au futur et au conditionnel i voira il verra, vous voirez
vous verrez, vous prenderiez vous prendriez, vous metteriez vous mettriez,
limparfait i fonsaient ils faisaient, i sontaient ils taient, ainsi qu linfinitif
sassir sasseoir, aver avoir, buver boire, liser lire, vquir vivre. Les formes de
participe pass de plusieurs verbes divergent par rapport au franais commun,
p. ex. rpons rpondu, notamment en franais acadien : coudu cousu, couri
couru, li lu, mouri mort, offri offert, ouvri ouvert, plait plu, vi vcu. Un
trait typique du franais acadien est la terminaison verbale -ont ou iont/yont
(subjonctif) la 3e pers. pl. : i chantont ils chantent, qui faisiont quils fassent,
qui syont quils soient. Le subjonctif est par ailleurs rarement employ, ce que

497

Le franais dans le monde : Canada

Brasseur attribue la frquence des formes ambivalentes (Brasseur 2001,


XLVI). Quand il lest, il prsente gnralement des formes particulires : que tu
seis/seyes que tu sois, que je faise/faisse/feuse que je fasse, que jalle que
jaille, qui aye quil ait. En franais acadien, le verbe faire prsente, outre la
conjugaison fais, fais, fait, faisons, faisez, faisont, une forme unique [fe] toutes
les personnes. Un tel non-accord du verbe en nombre avec son sujet se retrouve
galement avec nous-autres et vous-autres, souvent combins la 3e pers. sing. :
vous-autres va la chasse. Comme en franais populaire, la combinaison de
pronoms de la 1re ou 2e pers. avec un verbe la 3e est particulirement frquente
dans les relatives : cest pas moi qui y a donn.
Il existe des temps surcomposs, p. ex. : i croyait jamais qui arait iu fait il ne
croyait jamais quil laurait fait.
Linfinitif peut avoir en franais canadien une valeur conditionnelle, mme sans
introduction par : Jacques avoir eu une auto, i serait venu si Jacques avait eu
une voiture, il serait venu.
La valence de certains verbes varie : marier se marier et pouser. Pour quelques
valences prpositionnelles aussi (personnelles et verbales), on observe des carts
par rapport au franais standard, sous linfluence soit de tendances archasantes,
soit de langlais ; on trouve ainsi : aider qqn., aimer de, avoir confiance qqn.,
donner qqn., hsiter de, intresser qqn., tre prt pour, tre responsable pour, tre
satisfait avec, rpondre qqn.
Laspect sexprime, en franais canadien comme en franais standard, laide de
priphrases verbales, dont voici les principales : tre aprs faire qqch. tre en
train de faire qqch., tre pour faire qqch. tre sur le point de faire qqch., venir
juste de faire qqch. venir de faire qqch., venir que finir par faire qqch., p. ex. on
vient quon oublie les mots on finit par oublier les mots.
En ce qui concerne les prpositions, on observe lemploi de au lieu de pour pour
exprimer le destinataire : i a fait btir une maison aux filles il a fait btir une
maison pour les filles, ainsi que lemploi de de pour depuis : i tait parti du matin
il tait parti depuis le matin. est gnralement employ au lieu de de dans les
constructions possessives, y compris en combinaison avec un dterminant possessif : le char mon pre, sa sur mon mari. Grevisse relve dailleurs :
reste, peu prs partout, trs vivant pour marquer lappartenance (Grevisse
1993, 531).
Dans le domaine du genre nominal, il existe avec le franais commun des
diffrences ayant des causes diverses. Certaines remontent un tat de langue
antrieur, comme cest souvent, mais pas toujours le cas pour la fminisation des
substantifs initiale vocalique : accident, ge, air, amour, appareil, argent, avion,
emploi, escalier, t, hiver, hpital, ouvrage. On trouve aussi des exceptions
masculines, p. ex. affaire, auto, tape, ide, image. On observe galement des
diffrences dans le genre des emprunts langlais. Ainsi, en franais canadien,
les emprunts anglais finale vocalique tendent tre masculins et ceux finale

498

Edith Szlezk

consonantique, fminins, cf. un arna (stade de hockey sur glace), un party vs.
une business, une job, une sandwich, une toast, une van.
En ce qui concerne le nombre, le pluriel des noms en -al est form comme en
franais populaire en -als : des chevals, des originals.
Le systme pronominal prsente des divergences considrables avec le franais
commun, qui ne peuvent tre toutes abordes ici. On remarquera tout dabord la
tendance la gnralisation du tutoiement au Qubec, tandis quen franais
acadien, on peut constater que [l]e maintien du vouvoiement sobserve dans les
mmes conditions quen franais daujourdhui (Brasseur 2001, LII). Le pronom
sujet peut gnralement tre omis, surtout la 1re pers. sing., et tout particulirement le i(l) impersonnel en combinaison avec falloir, sembler, y avoir. Les pronoms adverbiaux en et y peuvent se rfrer des personnes, et y remplace souvent
lui ou leur comme pronom objet, notamment en cas domission du pronom COD le
antpos : jy ai donn je le leur ai donn. Le pronom objet leur peut aussi tre
remplac par les : i les a dit il leur a dit. Nous-autres, vous-autres et eux-autres (en
franais acadien galement zeux/ieux/ieusses/ielles) remplacent les pronoms toniques nous, vous et eux/elles, mais aussi les pronoms atones nous, vous et ils/
elles. En franais qubcois, nous semble avoir totalement disparu de la langue
parle (cf. Lagueux 2005, 59), et en franais acadien, il est souvent remplac par
je : javons nous avons. Le tableau suivant des pronoms sujet de la 3e personne
offre un exemple de la variation dans le domaine pronominal, sans aucune
prtention lexhaustivit :

Tableau 2 : Les pronoms sujet de la 3e personne


franais commun
il

franais canadien
i : [i] + consonne, [j] + voyelle

lui
a
elle
on

a + consonne, al(le) + voyelle


i + verbe au pluriel
a + verbe au singulier
tu + verbe au singulier

ils

i : [i] + consonne, [j] + voyelle, [il] + voyelle

eux-autres
zeux, ieux (acadien)
elles

i : [i] + consonne, [j] + voyelle, [il] + voyelle

eux-autres
zeux, ieux (acadien)

499

Le franais dans le monde : Canada

limpratif ngatif, la position des pronoms diffre du standard : demande-moi


pas !, dis-moi-le pas !
On mentionnera en outre les formes des pronoms relatifs, commencer par qui,
lid en qu devant voyelle ou apparaissant sous la forme que devant consonne,
notamment en cas de postposition de la prposition : la fille que je sors avec la
fille avec qui je sors, le gars que je travaille pour le gars pour qui je travaille. Dont
est souvent remplac par que, p. ex. dans la fille que je te parle la fille dont je te
parle ; en franais acadien que remplace aussi qui et dans lequel. O est
complt par que ou c(e)que, voire remplac par que : lusine o cqui faisaient
des chemises, lcole qui allaient. Au lieu de ce qui, on trouve entre autres qui cest
qui, quest ce qui et au lieu de ce que, on rencontre aussi quoi que, quoi cque, que
cest que, quest-ce que, quest-ce que cest que, et en franais acadien galement
a : a i fait, i dbarre la grange.
Les dterminants dmonstratifs ce, cet, cette, ces apparaissent communment
sous les formes c, ct(e), ctes (avec pour variantes graphiques s, st, ste, stes). En
renforcement, le clitique adverbial l peut tre ajout au nom : ctemps-l. Ce
clitique peut, combin larticle dfini, assumer la fonction du dmonstratif : je
cherche le mot-l.
Tout se rencontre, indpendamment de ses fonctions dadverbe, de pronom ou
dadjectif indfini, sous la forme gnrique [tut], souvent graphie toute.
La complexit du systme des conjonctions de coordination et de subordination
est considrable, on ne donnera ici que quelques exemples de variation. Comme
en franais parl, puis/pis ou et puis/et pis sont employs en tant que coordonnants dans lnumration : vous avez sign un billet pis un engagement. Pour ce
qui est des conjonctions temporelles, avant que peut tre employ sans que,
entranant lindicatif : a veut dire te faire penser avant tu le fais. Quand, pour sa
part, est frquemment (surtout, mais pas exclusivement en franais acadien)
combin que, c(e)que ou encore cest que : quand cque les enfants tiont petits.
Jusqu ce que, en franais acadien jusqu tant que, semploie avec lindicatif et
se rduit souvent jusqu : je nous assisions l [] jusqu je tombions endormis.
Mais que, qui se substitue quand ou ds que, dclenche le subjonctif : appellemoi mais que tu sois prte appelle-moi quand tu seras prte. Dans les circonstancielles de but et de consquence, de sorte que est le plus souvent remplac par
(a) fait (que), alors ou donc. En franais acadien, le si conditionnel semploie
avec que : jaurais peut-t pu lire en franais si que jaurais pu avoir cette pratique.
Lemploi du conditionnel dans les subordonnes en si est courant, au Qubec
comme ailleurs. Les subordonnes de cause peuvent tre introduites par parce
(souvent sans que), () cause (que), au/par rapport (que), p. ex. : i ne viendra pas
cause qui est malade. Dans les concessives et les contrastives, mme si et bien que
sont remplacs par (quand) mme (que) : cest chaud, quand mme qui fait frt
ailleurs.

500

Edith Szlezk

Pour davantage de dtails sur les caractristiques morphosyntaxiques des varits


canadiennes du franais, on se reportera Auger (2005), Bolle (1990), Brasseur
(2001), Chaurand (1995), Gesner (1979), Lard (1995), Maury/Tessier (1991), Meney
(1999), Neumann-Holzschuh (2000) et Wolf (1987), ouvrages desquels sont tirs les
exemples ci-dessus.

6 Problmes de norme et de normalisation


Aprs la Conqute anglaise , la langue franaise a volu au Canada indpendamment des volutions langagires, mais aussi des mesures de politique linguistique et
de dfense de la langue affectant le franais de France. Sil existe au Canada une
norme implicite (avec variation diaphasique), telle quelle est p. ex. pratique par les
prsentateurs et journalistes de Radio Canada, la question de la norme explicite,
prescriptive, continue se poser. En ce qui concerne sa dtermination, il y a longtemps eu deux modles au Qubec : la rfrence au substandard quest le joual, et
dautre part, le franais hexagonal. La norme hexagonale est dsormais majoritairement rejete pour plusieurs raisons. Tout dabord, elle ne reflte en rien la ralit
langagire et culturelle : Cest que la province de Qubec nest pas la France, et ne
pourra jamais ltre. Pour parler et crire comme les Franais, il nous faudra dabord
penser, sentir et vivre comme les Franais. [] cest une impossibilit (Pelletier, cit
dans Lsebrink 1997, 35). Par ailleurs, depuis la tratrise de Paris de 1763, cest-dire la signature du trait de paix avec lAngleterre, la relation entre le Canada
francophone et la France est tendue. Linguistiquement, ce conflit est bas sur la
prtention de la France tre la seule rfrence lgitime en matire de norme et de
bon usage. Malgr la Loi 101, les varits du franais canadien sont donc non
seulement menaces par langlais, cause de son importance internationale et de sa
position dominante dans lconomie et les mdias canadiens et amricains Paquette
parle dune menace extrieure (Reutner 2009, 171) , mais aussi par le manque
dacceptation de la part de la France. Malgr la prise de conscience nationale et le
sursaut dorgueil qui se sont exprims dans la Rvolution tranquille, le complexe
dinfriorit linguistique subsiste, se traduisant p. ex. dans le grand nombre douvrages puristes parus jusque dans les annes 1970, comme le Dictionnaire correctif du
franais canadien de Dulong, datant de 1968. Dornavant, la cration dun standard dici , destin prendre davantage en compte la ralit linguistique nordamricaine, contrairement au standard hexagonal du franais (Erfurt 2005, 58), est
lobjectif des mesures de politique linguistique et de dfense de la langue. Toutefois,
une telle norme devrait consister en une description scientifique de tous les aspects
de la norme implicite, tenant compte des varits du franais canadien. Les Acadiens,
pour leur part, prouvent un sentiment dinfriorit face au Qubec. Certaines rgions
acadiennes sanglicisent de plus en plus, dautres se rapprochent de la norme prescriptive franaise (cf. Flikeid 1991). Avec lOffice qubcois de la langue franaise, les

501

Le franais dans le monde : Canada

Qubcois ont une institution de standardisation qui fait dfaut aux Acadiens et aux
autres francophones canadiens. Le Trsor de la langue franaise au Qubec (TLFQ),
projet lanc dans les annes 1970 afin de crer une infrastructure de recherche qui
permette le dveloppement dune vritable lexicographie franaise dans le cadre
dune recherche approfondie sur lhistoire et lusage actuel du vocabulaire franais au
Qubec , a pour ralisation principale le Dictionnaire historique du franais qubcois (Poirier 1998). Ses autres apports la lexicographie concernent surtout des
ouvrages destins au grand public. Le TLFQ joue ainsi un rle de leader dans le
dveloppement de la lexicographie comme discipline au Qubec. En outre, le projet
en cours de dictionnaire FRANQUS promet de fournir un ouvrage apte dcrire le
franais contemporain dusage public, reprsentatif de lactivit sociale, culturelle,
conomique, politique et scientifique au Qubec (http://franqus.ca/projet) mais
un tel projet nexiste que pour le franais qubcois. Il est peu probable que les
varits canadiennes du franais russissent smanciper sans se rapprocher les
unes des autres : Le Qubec et ses voisins francophones auront besoin les uns des
autres pour promouvoir lavenir du franais sur le continent amricain (Sanders, cit
par Schafroth 2009a, 232). De plus, le Qubec et lAcadie sont la recherche dune
norme sans avoir rsolu la question de sa forme propre : crera-t-on une norme
rgionale soumise la norme hexagonale et si oui, comment dfinira-t-on la dimension rgionale ? Ou bien tablira-t-on un modle pluricentrique comme pour langlais (cf. Schafroth 2009b) ? Mme si la Commission des tats gnraux sur la situation et lavenir de la langue franaise au Qubec, forme en juin 2000 afin de faire
le point sur la politique linguistique qubcoise et de proposer des priorits daction
pour lavenir de la langue franaise au Qubec , fait remarquer dans la conclusion de
son rapport 2001 que les Qubcois sont devenus plus confiants quant lavenir de
leur langue, elle constate nanmoins : Les acquis sont l, mais trs fragiles . Sans
une norme reconnue par la majorit des francophones nord-amricains, cela ne
changera pas dans un avenir proche : Le travail de la norme endogne [] reste
poursuivre (Auger 2005, 74).

7 Bibliographie
7.1 Articles, monographies, dictionnaires
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Sabine Diao-Klaeger

21 Le franais dans le monde : Afrique

Abstract : La situation des varits franaises en Afrique est complexe et varie dun
pays lautre, tant du point de vue de leur statut sociopolitique et du rle quils jouent
dans la socit en question parmi les autres langues prsentes, que du point de vue de
leurs usages et formes quils y ont dvelopps. LAfrique subsaharienne dans toute sa
diversit se distingue profondment de lAfrique du Nord (Grand Maghreb) et des les
africaines au sud-est du continent. Le franais nest pas, pour la plus grande partie
des populations la langue primaire, mais a priori une langue secondaire. Lon assiste
des effets dinterlangue, dappropriation fonctionnelle et/ou identitaire, de vernacularisation, dhybridation, etc. Les diffrences davec le franais parl en France se
montrent aux niveaux phontique, prosodique, lexical, morphosyntaxique et pragmatique.

Keywords : franais en Afrique, Francophonie, contact de langues, varits du franais, appropriation du franais

1 Introduction
La situation du franais, ou plutt des franais en Afrique est complexe et varie dun
pays lautre, tant du point de vue de son statut sociopolitique et du rle quil joue
dans la socit en question parmi les autres langues prsentes, que du point de vue
des usages et des formes quil y a dvelopps. LAfrique subsaharienne dans toute sa
diversit se distingue profondment de lAfrique du Nord (Grand Maghreb) et des les
africaines au sud-est du continent. Le franais ntant pas, pour la plus grande partie
des populations la langue primaire, mais a priori une langue acquise, apprise sur le
tas ou bien lcole (jusqu diffrents niveaux de comptence, cela dpend du
contact plus ou moins intense avec le franais et du niveau dtudes), lon assiste
des effets dinterlangue, dappropriation fonctionnelle et/ou identitaire, de vernacularisation, dhybridation, etc. Tous ces facteurs contribuent la grande complexit du
sujet.

2 Bref aperu historique


La colonisation des les dans lOcan Indien commence ds la deuxime moiti du
XVIIe sicle : 1665 lle de Bourbon (aujourdhui La Runion), 1715/1721 lle de France
(aujourdhui Maurice), 1770 les Seychelles. Madagascar nest colonis quen 1895. Ceci
explique pourquoi, contrairement aux autres les, il ne sy est pas dvelopp de
francocrole.

506

Sabine Diao-Klaeger

La colonisation franaise au Maghreb commence en 1830 en Algrie (indpendance 1962), la Tunisie (18811956) et le Maroc (19121956) sont protectorats. Tandis
que la prsence des colons franais en Algrie en fait une colonie de peuplement, la
Tunisie et le Maroc sont considrs comme des colonies dexploitation, ce qui nest
pas sans consquences pour la langue franaise dans ces pays (cf. infra).
La prsence franaise en Afrique subsaharienne dbute au XVIIe sicle, avec les
premiers comptoirs (commerce dor, de gomme arabique, traite desclaves) lembouchure du fleuve Sngal (1638), puis Saint-Louis (1659) et Gore (1677). Suite
cette longue priode de comptoirs, le XIXe sicle marque le dbut de lentreprise de
colonisation franaise et belge, et lon peut dire que cest ce moment-l que
commence lhistoire de la langue franaise en Afrique. Saint-Louis, au Sngal, voit
louverture de la premire cole franaise, le fameux instituteur Jean Dard donnant sa
premire classe au mois de mars 1817 (cf. Makouta-Mboukou 1973 ; Calvet 2010).
En 1857, Napolon III cre par dcret le premier bataillon de tirailleurs sngalais.
Leur langue vhiculaire est dabord le bambara, mais lorigine ethnique des engags
se diversifiant, on passe peu peu au franais : partir de 1922, on dispensera des
cours de franais tous les hommes de troupe, puis on prendra en charge lenseignement de leurs enfants et lon rservera enfin des emplois ceux qui parlent et lisent le
franais (Calvet 2010, 41s.) ce qui a un impact considrable sur la diffusion du
franais.
Entre 1895 et 1958, le gouvernement franais regroupe huit colonies en une
fdration nomme AOF (Afrique occidentale franaise) : la Mauritanie, le Sngal, la
Cte dIvoire, le Niger, le Soudan franais (aujourdhui Mali), la Guine, la HauteVolta (aujourdhui Burkina Faso) et le Dahomey (aujourdhui Bnin). Entre 1910 et
1958, les colonies franaises de lAfrique centrale sont runies quant elles en la
fdration de lAEF (Afrique quatoriale franaise) qui regroupe le Gabon, le MoyenCongo (compos des actuels Gabon et Rpublique du Congo), lOubangui-Chari
(aujourdhui Rpublique centrafricaine) et le Tchad. Djibouti devient colonie franaise
partir de 1898 sous le nom de Cte franaise de Somalis et le Cameroun est plac
sous protectorat franais en 1919 et jouit dun statut spcial (commissariat autonome).
En 1883 est cre lAlliance franaise qui a pour but de propager la langue
franaise dans les colonies, ltranger et en France. Les lois Jules Ferry de 1881 et
1882 rendent lcole primaire en France obligatoire, gratuite et laque. La mise en
place de lenseignement colonial traine pourtant. La seule chose qui semble claire,
mme si cela ne se fait pas sans discussion, concerne la langue denseignement qui
reste le franais, excluant toutes langues locales. En somme, lcole ne touche
quune petite fraction des populations autochtones [] : la mtropole se borne
former ceux dont elle a besoin pour le fonctionnement de la colonie (Pll 2005, 141 ;
pour un aperu sur lenseignement colonial, cf. p. ex. Barthlmy/Picard/Rogers
2010 ; Calvet 2010).
Aprs les indpendances dans les annes 60, le franais reste langue denseignement dans les ex-colonies subsahariennes, lenseignement du franais dans lex

Le franais dans le monde : Afrique

507

AOF ou AEF [est] encore largement orient par les instructions et programmes officiels
franais centraliss ; ce nest que progressivement que les pays indpendants creront
leurs propres textes (Verdelhan-Bourgade 2014, 29). Un aperu de la situation du
franais comme langue denseignement et langue enseigne aujourdhui en Afrique
se trouve dans OLF 2014 (OLF = Observatoire de la langue franaise), o lon prsente
aussi linitiative ELAN-Afrique, lance en 2012, dont lobjectif est de promouvoir
dans huit pays dAfrique subsaharienne (Bnin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun,
Mali, Niger, Rpublique dmocratique du Congo, Sngal) lusage conjoint des langues africaines et de la langue franaise dans lenseignement primaire (OLF 2014,
363). La question de lutilisation des langues nationales lcole, et des langues
choisir si choix il devrait y avoir, constitue depuis les indpendances une proccupation majeure dans la plupart des pays francophones en Afrique subsaharienne. Dans
plusieurs pays, lon assiste au moins depuis une vingtaine dannes des exprimentations avec les langues nationales lcole, surtout primaire (pour un aperu cf.
p. ex. Scheller 2013).
Le Congo Belge (aujourdhui Rpublique dmocratique du Congo), le Burundi et
le Rwanda sont jusqu leur indpendance respectivement colonie et protectorats
sous mandat belge. Le colonisateur belge laisse une plus large place aux langues
locales lcole que la France ; ainsi, au Congo Belge, le gouvernement met en place
ds le dbut du XXe sicle un enseignement en langue locale les trois premires
annes de scolarisation ce qui a des consquences aujourdhui encore : depuis son
indpendance en 1960, la RDC continue cette politique et emploie les langues nationales (le lingala, le ciluba, le kikongo et le kiswahili) comme langues dalphabtisation dans les premires annes de scolarisation (Leconte 2014, 839).

3 Le statut du franais en Afrique aujourdhui


3.1 Statut des pays au sein de lOIF et choix du franais comme
langue (co-)officielle
Les pays africains membres de lOIF (Organisation internationale de la francophonie)
se divisent en (1) ceux qui confrent au franais le statut de langue (co-)officielle en
le mentionnant dans leur constitution, et (2) ceux qui ont une autre langue officielle.
Sy ajoute le Mozambique, qui dtient le statut dobservateur dans lOIF et dont la
langue officielle est le portugais.
1)

Parmi les premiers se trouvent les pays suivants (la langue co-officielle, sil y en a, est
indique entre parenthses) : le Bnin, le Burkina Faso, le Burundi (avec le kirundi), le
Cameroun (avec langlais dailleurs le seul pays o sapplique un principe de territorialit,
cest--dire o une partie du pays est considre comme francophone, lautre comme
anglophone), les Comores (avec larabe), la Cte dIvoire, Djibouti (avec larabe), le Gabon,

508

Sabine Diao-Klaeger

2)

la Guine-Conakry, Madagascar (avec le malgache), le Mali, le Niger, la Rpublique centrafricaine (avec le sango), la Rpublique dmocratique du Congo, la Rpublique du Congo, la
Rpublique de Guine-quatoriale (avec lespagnol et le portugais), le Rwanda (avec le
kinyarwanda et langlais), le Sngal, les Seychelles (avec langlais et le crole), le Tchad
(avec larabe) et le Togo. Lon peut ajouter ici La Runion et Mayotte, qui ne sont pas des
pays africains, mais nen demeurent pas moins des rgions francophones en Afrique en tant
que dpartements franais doutre-mer (DOM).
Dclarer le franais comme (une des) langue(s) officielle(s) du pays ne veut pourtant pas
dire que toute la population ou mme quune majorit parle ou matrise le franais.
Le statut de langue (co)officielle ne nous dit rien non plus sur la situation sociolinguistique
du franais dans ces pays (les domaines dans lesquels il est utilis, son rapport avec les
langues nationales et les diffrentes formes de contact ventuelles, les attitudes des locuteurs vis--vis des diffrentes langues, etc.), ni sur son dveloppement historique et son
suppos futur, pas plus que sur ses diffrentes volutions phonologiques, lexicales, morphosyntaxiques et pragmatiques, dues aux processus dappropriation, dhybridation et de
diversification (cf. infra).
Parmi les seconds se trouvent les pays suivants (la langue officielle est indique entre
parenthses) : le Cap-Vert (portugais), lgypte (arabe), le Ghana (anglais), le Maroc (arabe),
lle Maurice (anglais), la Mauritanie (arabe), la Rpublique de Guine-Bissau (portugais),
So Tom et Principe (portugais) et la Tunisie (arabe).
La dcision de ces pays dadhrer lAgence intergouvernementale de la Francophonie
(loprateur principal de lOIF) sexplique par diffrentes raisons historiques, politiques,
conomiques. En dehors des avantages structurels et financiers et bien sr dune fonction
symbolique, valables pour tous les pays adhrents lOIF, lon peut avancer dautres motifs
plus spcifiques pour certains pays. Ainsi, la Guine-Bissau, le Ghana ou le Cap-Vert sont
gographiquement proches, voire entours de pays francophones avec lesquels ils entretiennent des liens culturels et conomiques. Cest pour cette raison quils ont fait le choix de
promouvoir le franais dans leur systme scolaire, en tant que langue seconde obligatoire,
et/ou dans dautres domaines comme la communication internationale.
Pour dautres pays, comme le Maroc, la Tunisie et la Mauritanie, les liens avec la langue
franaise sont historiquement tisss et ancrs dans leur histoire coloniale. Le (Grand)
Maghreb a t profondment marqu par le modle franais, non seulement du point de vue
de la langue, mais aussi du point de vue de linfrastructure administrative, de la conception
de lenseignement scolaire et suprieur, etc. Depuis la politique darabisation mise en place
partir des annes 80, les domaines dans lesquels le franais est utilis ont diminu : il est
aujourdhui envisag comme une langue trangre statut prfrentiel et de langue denseignement il est devenu langue enseigne (cf. pour le (Grand) Maghreb en gnral : Grandguillaume 2008 ; Glegen 1997 ; Laroussi 1997 ; pour le Maroc : Benzakour 2012 ; Benzakour/
Gaadi/Quefflec 2000 ; pour la Tunisie : Mejri 2009 ; pour lAlgrie qui nest pas membre
de lOIF, mais historiquement le plus francis des pays du Maghreb : Dourari 2006 ;
Sebaa 2013 ; pour la Mauritanie : Boudart 2013 ; Ould Zein/Quefflec 1997).

3.2 Chiffres
Le dernier rapport de lOLF (2014, 8) recense 273,8 millions de francophones dans le
monde, dont 43% vivraient en Afrique subsaharienne, dans locan Indien et en
Afrique du Nord.

509

Le franais dans le monde : Afrique

LOLF ne distingue plus, dans son rapport de 2014, entre francophones et


francophones partiels comme il le faisait dans ses textes antrieurs.1 Dsormais,
on ne compte que des francophones tout court. Voici les chiffres de lOLF :

Tableau 1 : Population francophone dans les pays africains (OLF 2014, 1617 ; lgrement modifi
dans sa forme)

TATS ET GOUVERNEME
GOUV ERNE MENTS
NTS M EMBRES
EMBR ES ET OBSERV
OBSERVA
ATEURS
TEURS DE L OIF

Population en 2015
(en milliers)

Francophones
(en milliers)

En pourcentage de la
population totale

33.955

10.657

31 %

A FRIQUE DU N ORD

Maroc

4.080

529

13 %

11.235

6.090

54 %

84.706

2.800

3%

Bnin

10.880

3.848

35 %

Burkina Faso

17.917

3.965

22 %

Burundi

10.813

897

8%

Cameroun

23.393

9.334

40 %

508

55

11 %

Centrafrique

4.803

1.410

29 %

Congo

4.671

2.717

58 %

Congo

71.246

33.222

47 %

21.295

7.218

34 %

900

450

50 %

1.751

1.070

61 %

Mauritanie
Tunisie
2

gypte

A FRIQUE SUBSAHARIENNE
SUBSAHARIE NNE ET OCA
OCAN
N INDIEN

Afrique subsaharienne

Cabo Verde

(Rpublique
dmocratique du)
Cte dIvoire
Djibouti
Gabon

1 Seules les personnes capables de faire face, en franais, aux situations de communication courante , taient alors considres comme francophones , tandis que les personnes ayant une
comptence rduite en franais, leur permettant de faire face un nombre limit de situations (OLF
2010, 17) taient, elles, qualifies de francophones partielles . Dans le rapport de 2010, lon avait
dj commenc abandonner cette distinction, mais uniquement pour certains pays dAfrique francophone.
2 Lgypte figure parmi les pays du Moyen Orient dans le tableau de lOLF. Puisquil se trouve sur
le continent africain, jai dcid, pour prsenter la liste complte des pays francophones en Afrique, de
lintgrer dans la catgorie pays de lAfrique du Nord .

510

Sabine Diao-Klaeger

TATS ET GOUVERNEME
GOUV ERNE MENTS
NTS M EMBRES
EMBR ES ET OBSERV
OBSERVA
ATEURS
TEURS DE L OIF

Ghana

26.984

219

0,8 %

Guine

12.348

2.974

24 %

1.788

275

15 %

Guine-Bissau

799

231

29 %

Mali

16.259

2.744

17 %

Mozambique

27.122

81

0,3 %

Niger

19.268

2.439

13 %

Rwanda

12.428

700

6%

203

41

20 %

Sngal

14 967

1.714

13 %

Tchad

13.606

1.714

13 %

Togo

7.171

2.787

39 %

Guine quatoriale

So Tom et Prncipe

O CCAN
AN I NDIEN
NDIE N

770

196

25 %

24.235

4.847

20 %

1.254

911

73 %

94

50

53 %

Comores
Madagascar
Maurice
Seychelles

Sy ajoutent les francophones de Mayotte et de la Runion ; lOLF ne les reprsente


pas par des entres spares, mais amalgams avec les autres D.O.M. :

France Outre-mer

2.847

2.374

83 %

Plusieurs facteurs sont prendre en compte quand on parle du nombre des francophones en Afrique. Il faut considrer les chiffres sur la langue franaise en Afrique
avec extrme prudence et sous rserve, sachant que :

1)

La dfinition de francophone nest pas claire. Qui peut tre considr comme francophone, sur quels critres se base-t-on ? La comptence ( mesurer comment ?), les
annes passes lcole avec le franais comme langue denseignement ou langue
enseigne ? Ne sont vrais francophones que les locuteurs ayant le franais comme
langue primaire ou aussi les locuteurs qui lutilisent comme langue seconde (ce qui
est le cas pour la plupart des locuteurs en Afrique francophone), ou mme comme
langue trangre ?
Si lon veut prendre en compte dautres chiffres que ceux de lOLF pour faire des
comparaisons, analyser des dveloppements on se trouve devant le problme que les
auteurs parlent de diffrentes catgories de francophones. LOLF vient, on la dj dit,
dabandonner sa distinction entre francophones et francophones partiels . Lafage

511

Le franais dans le monde : Afrique

(1990), suite aux travaux de lIRAF,3 prsente un modle nuanc avec six degrs de
diffrenciation, allant de No ( non-francophones ) via N1 ( francophones caractriss par
la seule oralit [] ) jusqu N5 ( francophones ayant effectu des tudes universitaires ).
Chaudenson (1989) distingue entre francophones , francophonodes et francoaphones , Rossillon (1995) entre locuteurs potentiels et locuteurs rels ; Napon (1992)
parle du franais des lettrs et des non-lettrs . Lendroit o se situe la frontire entre
les diffrents niveaux de comptence reste un point de discussion directement li la
question de la norme du franais (norme exogne, normes endognes pour une discussion
cf. p. ex. Akissi Boutin/Gadet 2012).
Si lon considre comme francophones uniquement les personnes qui savent lire et crire le
franais (comme ctait le cas dans le rapport de lOLF 2010), on arrive mais ceci serait un
point discuter dun ct des estimations plus fiables , plus solides , mais de
lautre ct on ne prend en compte que le taux de scolarisation/dalphabtisation dans les
pays (cette mthode destimation indirecte est dcrite en dtail dans OLF 2010, 2127, et
dans OLF 2014, 15), qui ninforme pas forcment sur les comptences en franais des
personnes, mme si le franais est la langue denseignement. Ce qui implique quon nglige
les locuteurs qui ne sont pas passs par lcole, qui lont appris sur le tas , de faon nonguide, mais qui savent bien se dbrouiller en franais, et cela dans diverses situations
de communication.
Les statistiques de base sur lesquelles repose le rapport de lOLF lui sont fournies par les
administrations et institutions publiques des tats eux-mmes, et mme si on se fie des
enqutes et recensements nationaux et de la mthodologie de calcul de lOLF, on peut se
poser la question de savoir si les statistiques de base pour tout un continent suivent la mme
mthodologie et prennent les mmes paramtres en considration. LOLF se rend compte de
cette difficult en prcisant les problmes mthodologiques ainsi que quelques cas spcifiques comme celui de la Cte dIvoire o selon une enqute de TNS Sofres Abidjan, 99 %
des rpondants savent parler le franais, mais seulement 75 % savent lcrire (des chiffres
aussi prcis nexistent dailleurs que ponctuellement) et en invitant le lecteur la vigilance
dans linterprtation des chiffres (2010, 1127).
Pour essayer de calculer le nombre de locuteurs du franais en Afrique, quels pays ou
rgions faut-il prendre en compte ? Dans le tableau de lOLF, lon ne trouve p. ex. pas
lAlgrie, pour la simple raison quelle nest pas membre de lOIF. Selon lOffice national des
statistiques dAlgrie (cit daprs OLF 2010, 9), environ 11 millions dAlgriens dclaraient
savoir lire et crire le franais en 2008 ce qui reprsente un chiffre non ngligeable.

2)

3)

4)

4 Quelques caractristiques des varits franaises


en Afrique
Seront prsents ici uniquement les phnomnes les plus pertinents, la description
des caractristiques des varits franaises en Afrique doit rester schmatique. Il nest
pas possible de dcrire ici les particularits de chaque varit franaise dans les
diffrents pays africains, et encore moins la variation au sein de chaque pays, car

3 Institut des recherches sur lavenir du franais qui malheureusement nexiste plus.

512

Sabine Diao-Klaeger

variation il y a videmment : [] le franais des lites est tout aussi africain que celui
des non-lettrs, malgr lnorme cart qui les spare sur le plan formel, tout simplement parce que toutes les varits subissent linfluence, des degrs divers, de
lappropriation comme langue seconde (Pll 2005, 139).
Les tudes sur les varits du franais en Afrique se concentrent gnralement sur
la phontique, le lexique et la morphosyntaxe. Rares sont encore les travaux sur des
questions pragmatiques.

4.1 Phontique et prosodie


Quefflec (1997, 67) constate pour la Centrafrique : Lcole quelles que soient les
instructions officielles qui continuent privilgier implicitement la varit exogne
joue dsormais un rle dmultiplicateur dans la diffusion de la varit msolectale
locale, la seule que la grande majorit des matres connaissent, enseignent et utilisent . Ceci concerne videmment aussi la prononciation du franais. Batiana (1993,
207) il parle de la situation au Burkina Faso exprime ce fait de la manire
suivante : La plupart des francophones burkinabs sont passs par lcole. Au
primaire, lenfant apprend parler le franais en rptant les sons, les mots puis les
phrases aprs linstituteur. Cest dire donc que lenfant apprend daprs la prononciation de son matre []. Le franais quils [= les instituteurs] parlent et quils enseignent
aux lves est celui qui est issu de lhabitus verbal local .
L o on parlerait aujourdhui dune norme endogne qui est transmise par les
instituteurs, Makouta-Mboukou dans les annes 70 sindigne encore propos des
fautes de prononciation , qui seraient le signe qui trahit les francophones noirs :
Un style parfois impeccable se dtache sur un fond articulatoire dfectueux o se
bousculent des [] rouls, des [] zzays, des voyelles nasales dnasalises, des
consonnes orales prnasalises, des sifflantes sonores ou sourdes transformes en
chuintantes sonores ou sourdes, des occlusives explosives devenues implosives, des
labiales dlabialises, des palatales dpalatalises, des ouvertes fermes, ou des
fermes ouvertes, des antrieures vlarises, des [u] qui deviennent des [i], des [] qui
deviennent des [e], des [ ] qui deviennent des [] (sic !), le tout produisant une
cacophonie assourdissante (Makouta-Mboukou 1973, 65s.).
Aujourdhui, on ne parlerait plus de fautes et encore moins de cacophonie ,
mais de traits de prononciation largement rpandus dans les varits du franais en
Afrique, qui sont donc les suivants (soulignons que ces traits se manifestent plus ou
moins selon les locuteurs, et quil y en a qui nen manifestent quasiment pas) :
Les voyelles antrieures arrondies sont souvent prononces de faon non-arrondie (cur prononc [kr] ; plus prononc [plis]). Le schwa peut tre remplac par un
[e] (depuis prononc [depi]). Le /r/ est roul, sauf en finale. Lon entend des dnasalisations (boulangerie prononc [bulaei]). Certains locuteurs remplacent les fricatives
prpalatales par leurs correspondants alvolaires (chaque prononc [sak]). Ceci est

513

Le franais dans le monde : Afrique

quelquefois accompagn de restructurations syllabiques, p. ex. quand les locuteurs


veulent reproduire le schme CVCV, (penthse : train prononc [t], (riz) gras
prononc [gaa] ; aphrses et apocopes).
Les carts vis--vis du franais standard sont surtout attribuables linfluence
des langues primaires des locuteurs.
La prosodie peut tre marque par une langue primaire tons, ce qui mne une
accentuation que Lafage caractrise de mlodie en vagues ou en dents de scie
(1990, 776 ; cf. aussi Bal 1998, 400 : do lexpression hacher le franais ), souvent
de caractre HBHB (ton haut, ton bas, ton haut, ton bas). La question de savoir sil
existe un systme tonal propre certaines varits du franais en Afrique a t jusque
l aborde par peu de chercheurs (cf. p. ex. Bordal 2013 pour la Centrafrique ; Boukari
2010 pour la Cte dIvoire).

4.2 Lexique
Le lexique est sans doute le domaine le plus dcrit et tudi pour les varits du
franais en Afrique. partir de lanne 1978, lquipe IFA (Inventaire des particularits
du franais en Afrique, projet lanc par lAUPELF4) publie des Inventaires/Dictionnaires des particularits/innovations (les titres fluctuent) lexicales de diffrents pays en
Afrique (Caprile 1978 pour le Tchad ; Quefflec 1979 pour le Niger ; Blond et al. 1979
pour le Sngal ; Fak 1979 pour le Zare ; Quefflec/Jouannet 1982 pour le Mali). En
1983, sort lInventaire des particularits lexicales du franais en Afrique noire (quipe
IFA 32004). En 1975 dj, Duponchel avait publi un Dictionnaire du franais de Cte
dIvoire et Lafage un Dictionnaire des particularits du franais au Togo et au Dahomey.
Au dbut des annes 80, la BDLP (Base de donnes lexicographiques panfrancophone,
patronne par lAUF) prolonge les descriptions entreprises par lIFA et met en ligne
depuis 2004 des inventaires pour diffrents pays de la Francophonie (pour lAfrique :
Algrie, Burundi, Cameroun, Centrafrique, Congo-Brazzaville, Cte dIvoire, Madagascar, Maroc, Maurice, Runion, Rwanda et Tchad) qui sont rgulirement mises
jour et qui sont consultables sous www.bdlp.org.
En 1980, lILA (Institut de linguistique applique dAbidjan) et lILF (Institut de la
langue franaise, CNRS) crent lObservatoire du franais contemporain en Afrique qui
publie partir de la mme anne une revue sous ce mme nom. Aujourdhui, cette
revue porte le titre Le Franais en Afrique, les 27 numros dsormais parus (entre 1980
et 2012) sont disponibles sous lURL http://www.unice.fr/ILF-CNRS/ofcaf/. A ct des
numros qui prsentent des recueils darticles, on trouve aussi des volumes consacrs
aux franais dans diffrents pays africains qui se prsentent comme des inventaires

4 Association des universits partiellement ou entirement de langue franaise ; aujourdhui AUF


(Agence universitaire de la francophonie).

514

Sabine Diao-Klaeger

lexicaux : 1986 pour la Haute Volta (n 6, Lafage), 2000 pour le Gabon (n 14,
Boucher/Lafage), 2003 pour la Cte dIvoire (n 16+17, Lafage), 2004 pour la Tunisie
(n 18, Naffati/Quefflec), 2005 pour le Tchad (n 20, N.N.) et 2009 pour le Cameroun
(n 24, Nzesse).
Mentionnons aussi les publications lexicographiques de lEDICEF dans la collection Actualits linguistiques francophones, pour lle Maurice (de Robillard 1993), la
Runion (Beniamino 1996), le Burundi (Frey 1996), la Centrafrique (Quefflec 1997) et
la Guine (Diallo 1999), disponibles dans la bibliothque de lAUF sous http://www.
bibliotheque.auf.org.
Lon peut, comme propos par Lafage, classer les particularismes (car on parle ici
de tout phnomne qui diffre de lusage attest en France) lexicaux en trois catgories : (a) particularits smantiques, (b) particularits lexmatiques et (c) variation de
lusage (terme emprunt Lafage 1993, 28).
Les exemples rentrent parfois dans plusieurs catgories la fois. Ils sont tirs des
dictionnaires et inventaires indiqus ci-dessus, les dfinitions ont t simplifies et
abrges.

(a) Particularits smantiques


extension de sens
gter (tous pays) : verbe-outil trs frquent qui peut remplacer des verbes avec le
sme destruction, comme abmer, dtruire, casser, gaspiller, salir (Le moteur de
la voiture est gt !)
frre, sur (tous pays) : personne de la mne gnration avec laquelle on sent des
liens communs
beaux (B.F.) : la famille du conjoint, la belle-famille (Tas vu tes beaux rcemment ?)
envoyer (C.I., B.F.) : apporter (Tu peux menvoyer le sel, sil te plat ?)
restriction de sens
frquenter (tous pays) : aller lcole (Je ne sais pas lire, je nai pas frquent.)
attendre (B.F.) : tre enceinte (Ma femme ne peut pas venir, elle attend.)
synecdoque/mtonymie :
crpes (B.F.) : chaussures de tennis
cou-pli (CAM) : homme daffaires ; homme riche qui sduit les jeunes filles avec
son argent (La fille tait fche avec son cou-pli.)
coloniser (RW) : exploiter, senrichir en profitant de sa propre situation sociale
modification de la connotation
le vieux/la vieille (tous pays) : dsignation respectueuse pour le pre/la mre,
loncle/la tante, etc., mais aussi pour dautres personnes ges (Je vais voir la
vieille au village, elle est malade.)
abmer (R.D.C.) : (sans connotation) rendre enceinte
gargote (SEN) : (sans connotation) restaurant trs bon march, sommairement
install

Le franais dans le monde : Afrique

515

modification de la dnotation
couloir (B.F., C.I., CAM, MA, NIG) : piston (Il y a des gens qui doivent leurs postes
aux couloirs !)
aller tlphoner/aller poster une lettre (B.F.) : aller aux toilettes

(b) Particularits lexmatiques


composition/drivation
taxi-brousse (BE, B.F., C.I., MA, NIG, SEN) : taxi collectif inter-urbain qui sarrte
la demande et peut prendre huit dix passagers
enceinter (tous pays) : rendre enceinte
couder (B.F.) : bousculer coup de coudes pour se frayer un chemin
emprunts des langues locales
chiwangue/chicouangue/chicwang (R.D.C., R.C., TCH, C.A.) : pain de manioc,
pte de manioc fermente et cuite leau, dans une feuille de bananier
maf, du wolof (SEN) : plat base de viande ou de poisson dans une sauce base
darachides (beurre de cacahutes)
to/tau/t, du mandingue (BE, B.F., C.I., MA, SEN, TO) : pte base de farine de
mil/de mas/ de sorgho
goorgoorlou/gorgorlou, du wolof (SEN) : personne qui se dbrouille, qui sait se
procurer le ncessaire mme avec de maigres revenus ( goorgoorlouisme, faire
du goorgoorlou)
baraka/barka abarika, de larabe par le moor, le dioula, le fulfulde (B.F.) :
merci
abrviation
aff (B.F.) : les affaires (Cest comment, les aff ?)
do (CAM) : largent (de dollar) (Regarde la voiture il a du do, le gars !)
beau (B.F., C.A., C.I., MA, NIG, SEN, R.D.C) : beau-frre (Hier jai parl mon
beau.)
rduplication
combien combien ? (C.I., BUR, MA, R.D.C.) : adv. interr. ; calque de langues
bantoues en gnral (du kirundi, du swahili ?) et des langues mand (bambara,
dioula) (Ces mangues tu fais combien combien ?)
faon faon (B.F., C.I., NIG.) : dune manire trs bizarre (Il a fait a faon faon.)

(c) Variation de lusage


rorganisation des registres (cf. Prignitz 1994, 54 : Dmler quels registres,
quels styles appartiennent tels usages, si ce nest pas une tche facile dans un
discours franais en France mme, devient trs prilleux et quasi vain dans un
contexte africain )
bouffer (B.F., C.I., SEN, TCH, R.D.C.) : (non marqu) manger
(se) dmerder (tous pays) : (non marqu) se dbrouiller
boniche (SEN) : bonne

516

Sabine Diao-Klaeger

modification de la collocation
boire une cigarette (B.F.) : fumer une cigarette
de toutes les manires, de toutes les faons (BE, B.F., C.I., SEN, TO) : de toute
manire, de toute faon (au B.F. aussi : de toutes les mille manires/faons).

4.3 Morphosyntaxe
Au niveau de la morphosyntaxe, lon constate des particularits dans le paradigme
verbal. La revue Le Franais en Afrique y consacre un numro rcent (n 26, 2011 :
Autour du verbe ), dans lequel on trouve entre autres un article de Blumenthal sur
la frquence leve et les spcificits de faire comme verbe support. Il travaille avec la
banque de donnes Varitexte (http://syrah.uni-koeln.de/varitext/) qui rassemble,
pour lAfrique subsaharienne, une dizaine dannes de journaux camerounais, sngalais et ivoiriens. Des exemples de locutions verbales avec faire dans la presse
francophone africaine seraient : faire la propret (nettoyer), faire un accident (avoir
un accident), faire un regard (lancer un regard) (Blumenthal 2011).
Les constructions hypothtiques sont un autre phnomne mentionner. Ainsi,
lon constate chez des locuteurs de diffrents niveaux de scolarisation et dans diffrents pays la forme priphrastique allerIMP+infinitif pour exprimer une hypothse
irrelle ou potentielle : Sinon, si javais les moyens, jallais chercher une [maison] pour
moi et mes femmes (exemple malien de Skattum 2011, 65).
Calvet (2010, 139144, sappuyant sur Massoumou 2001) relve des tendances au
niveau de la productivit de verbes du premier groupe (en -er). Les nologismes
verbaux africains seraient majoritairement du premier groupe (ce qui va dans le mme
sens quen France). Exemples : chogobiter (B.F. = essayer de parler, surtout de
prononcer comme un Franais alors quon est africain, cf. Batiana 1993), ambiancer
(B.F., C.I., RW, TCH = se comporter gaiement, quipe IFA 2004). Les innovations
africaines sen sparent [= du franais de France] en crant de nouveaux verbes
inconnus dans les franais du Nord, mais en mme temps respectent ses tendances
formelles en empruntant les mmes procds (Calvet 2010, 140). Le mme phnomne est observable en drivation nominale : trs productifs ici sont les suffixes
daction en -eur/-euse (C.A. : dcoucheur pour mari infidle, dmerdeur pour dbrouillard), les suffixes de profession/de tendances politiques en -iste/-isme (C.A. :
bokassisme pour le fait de soutenir Bokassa) et des drivations en -erie qui dsignent
des lieux o lon vend certains produits, comme p. ex. essencerie (station dessence)
et dibiterie (SEN : restaurant qui offre des grillades) (exemples de Calvet 2010, 140s.,
sappuyant sur Daloba 2008).
Les prpositions et de sont parfois remplaces par des prpositions smantiquement moins abstraites comme pour et sur. Romero (2007, 63) donne des exemples
burkinabs : je le confirme avec tue-tte ; a peut porter prjudice sur la position de
larme.

517

Le franais dans le monde : Afrique

Un dernier point voquer ici serait la comparaison. Manessy (1994, 223s.)


explique les particularits de ce phnomne par la smantaxe : Des expressions
telles que il est beau que toi, il court vite que moi [] ne sont intelligibles que par
rapport une conception de la comparaison qui parat bien tre panafricaine et en
vertu de laquelle lun des deux objets compars est valu, pour la grandeur
mesurer, par rfrence lautre pris pour talon .

4.4 Pragmatique/organisation de lnonc


Le discours rapport, un phnomne syntactico-discursif, a fait lobjet de diffrentes
tudes sur les franais parls en Afrique (cf. Ploog 2004 ; Peuvergne 2011). Que y joue
un rle important : il garde son rle de subordonnant syntaxique dans la majorit
des cas, [mais] il joue [] aussi parfois un rle discursif de marqueur de dbut de
discours (voix du locuteur ou voix rapport) (Akissi Boutin/Gadet 2012, 29). DiaoKlaeger ( paratre) donne un exemple burkinab : je ne peux pas dire ma femme que
je tai tromp (te dsignant la femme du locuteur).
Un autre moyen privilgi, en France comme dans les varits du franais en
Afrique, pour marquer le dbut dun discours rapport, est lemploi de marqueurs
discursifs (on citera p. ex. Peuvergne 2011). Les marqueurs du discours ou motsbalises (Manessy 1992), depuis quelques dcennies en vogue comme sujet dtude,
nont que rarement fait lobjet danalyse en ce qui concerne lAfrique francophone. Ils
se distinguent de par leur forme et/ou de par leurs fonctions des marqueurs discursifs
utiliss en France. On citera comme exemples les tudes de Abolou (2010) qui dcrit
lemploi de non et k en Cte dIvoire, Diao-Klaeger ( paratre), qui analyse de, ke,
mme et ou bien au Burkina Faso et Skattum (2012), qui consacre un article bon au
Mali.

5 Aspects sociolinguistiques et langues en contact


5.1 Phnomnes gnraux
Plusieurs caractristiques sociolinguistiques runissent les pays africains francophones, malgr toute leur diversit. Ainsi, lAfrique francophone se distingue au niveau
(socio-)linguistique des autres rgions francophones du monde par les aspects suivants :
Le franais y est parvenu par une colonisation qui a eu lieu relativement tard (au
XIXe sicle), lexception des les sur la cte est. Ceci a des consquences par
rapport la forme du franais introduit ; en Afrique francophone, on ne trouve
pas le genre de formes archaques au niveau de la prononciation, de la morphosyntaxe ou du lexique que lon trouve p. ex. au Qubec.

518

Sabine Diao-Klaeger

Le contact entre les colonisateurs et les coloniss en Afrique subsaharienne nest


pas comparable celui entre les Franais et les esclaves dans les rgions
aujourdhui crolophones : jamais ny a-t-il eu de contact continu aussi proche
entre les colonisateurs et les coloniss en Afrique continentale comme entre les
matres europens et les esclaves africains durant la phase de la socit
dhabitation (cf. Chaudenson p. ex. 1992 ; 2003) sur les les qui a privilgi
lvolution des croles.
Le franais en Afrique ny est a priori pas (sauf exception, surtout dans les
grandes villes, et l dans les familles aises) langue primaire des locuteurs. Dans
leur vie quotidienne, ils sont pourtant en contact permanent avec la langue
franaise, au moins dans les zones urbaines : lcole comme langue denseignement, dans leur consommation mdiatique (tlvision, radio, presse crite, affiches politiques ou publicitaires, etc.), dans leurs rapports avec ladministration,
la justice, le milieu mdical, dans leurs activits culturelles (cinma, spectacle) et
au travail. Lafage dcrit ce fait en 1990 comme suit : Sauf pour une frange
extrmement rduite de la population de certains pays (Cte-dIvoire, Gabon,
Sngal ), cest une langue seconde mais non cependant une langue vritablement trangre (1990, 769, SDK qui souligne). Avec le dveloppement de la
scolarisation de masse, le franais nest plus aujourdhui une langue de prestige,
mais l objet dune appropriation croissante (Quefflec 2009, 45).
Le franais en Afrique est, dans la plupart des cas, en contact avec plusieurs,
voire une multitude de langues. Lon peut distinguer deux types de formes de
contact entre le franais et les langues africaines :

1)

Le franais est confront une autre langue dominante et/ou vhiculaire (communication
interethnique) dans le pays (Lafage 1990, 773 appelle cette situation discontinuit linguistique ).
Ceci est dabord le cas pour le Rwanda et le Burundi o respectivement le kinyarwanda et le
kirundi, ct du franais et/ou de langlais, est la langue comprise et utilise pour la
communication interethnique par toute la population (mme sil ne faut pas nier une
certaine diversit linguistique de profondeur , cf. Munyankesha 2011, 135).
Puis au Sngal, en Centrafrique, au Mali et en Guine, lon constate certes une grande
diversit linguistique, mais dans chacun de ces pays on trouve une langue nationale de
grande extension : le wolof au Sngal (une vingtaine de langues rpertories, dont 14 qui
ont le statut de langues nationales ; le wolof comme langue primaire et/ou secondaire est
parl par peu prs 85% de la population, cf. Diallo 2010, 19), le sango en Centrafrique (64
langues rpertories ; le sango comme langue primaire et ou/secondaire est parl par la
quasi-totalit de la population, cf. Bordal 2013, 29), le bambara au Mali, le malink en
Guine.
Le franais est confront une situation sans autre langue vhiculaire niveau national
(Lafage 1990, 773 appelle cette situation continuit linguistique ).
Ceci est le cas p. ex. pour la Cte dIvoire, le Cameroun et la Rpublique Dmocratique du
Congo : les langues nationales vhiculaires ny ont quune extension rgionale. Lon assiste
ici une situation o le franais pntre dans des domaines dusage vernaculaire, cest-dire une appropriation qui va de paire avec une profonde modification du franais. Un bon

2)

519

Le franais dans le monde : Afrique

exemple de cette appropriation est le FPI, le franais populaire ivoirien. Il sagit dun franais
parl communment en Cte dIvoire (voire Abidjan ?) qui diffre du franais standard /
de la norme exogne et qui se distingue en mme temps des varits ivoiriennes argotiques comme le nouchi. Kube (2005, 112, trad. dans Boukari 2010, 97) explique : Lusage
du franais en Cte dIvoire sest diffrenci par la suite au point quil nest pas possible
aujourdhui de dfinir exactement ses varits sur la base de leurs caractristiques linguistiques, ni dattribuer celles-ci des groupes sociaux bien circonscrits. On constate plutt une
multitude dusages et modes dappropriation qui dpendent surtout du contexte dusage et
moins de la catgorie socioculturelle laquelle appartient le locuteur .

5.2 Les parlers hybrides


Dautres exemples dappropriation sont les parlers hybrides comme le nouchi en Cte
dIvoire ou le francanglais au Cameroun. Selon Quefflec (2009), labsence dune
langue vhiculaire locale est le facteur central qui fait natre et voluer des parlers
hybrides hypothse relativise par Calvet (2010, 136) qui avance lexemple du Gabon
(pas de vhiculaire africain, mais pas de parler mixte non plus) comme contreargument.
Un parler hybride peut tre considr comme une pratique linguistique partage
de faon durable (contrairement lalternance codique). Il reflte une identit nationale supra-ethnique et une certaine raction contre le franais en tant que langue
officielle et, dune certaine manire, il est le rsultat dune forme de standardisation , dune plus grande complexit que lalternance codique, et dune extension
gographique plus vaste.
Une des raisons du succs des parlers hybrides viendrait selon certains auteurs de
linscurit linguistique des locuteurs pas seulement en ce qui concerne le franais,
mais aussi en ce qui concerne les langues ethniques (du village ) que les jeunes
dans les grandes villes matrisent souvent mal (phnomne dnomm par Bretegnier
1996, 916, d inscurit bilinguistique et dcrit par Kube 2009 pour les jeunes
Abidjanais et par Bagouendi-Bagere Bonnot 2007 pour les jeunes de Libreville).

5.2.1 Le Nouchi (Cte dIvoire)


Selon Akissi Boutin (2004, 281) le nouchi est cr au dbut des annes 80 par les
loubards et enfants des rues dans un but cryptique Abidjan, et combine des
lments du FPI et des langues locales. Assez vite, il volue dans ses usages et connat
une extension rapide parmi les lves et tudiants, mais aussi dans dautres villes du
pays, et devient ainsi le parler des jeunes urbains (sensuit une diffrenciation en
plusieurs varits du nouchi). Il se propage entre autres par le zouglou, le reggae et le
coup-dcal. Pour Kube (2005, 41), il sagit l dune appropriation identitaire du
franais, le nouchi nayant pas seulement une fonction communicative interethnique.

520

Sabine Diao-Klaeger

Les jeunes sy identifient en tant quIvoiriens, expriment et affirment leur crativit,


entre autres parce que cette langue ne leur impose pas de difficults par rapport au
respect dune norme, comme cest le cas pour le franais de lcole. Le nouchi gagne
aujourdhui de plus en plus de terrain et est aussi utilis en dehors du milieu jeune et
urbain. Lors de la campagne lectorale 2010 en Cte dIvoire, les trois candidats
Ouattara, Gbagbo et Konan Bdi glissent des mots nouchi dans leurs discours
(videmment pour impressionner la jeunesse).
Voici quelques exemples :5
Chuis 1enjay de la 2go.
1 de langl. enjoy ; 2origine incertaine, fille = La fille me plat/je suis amoureux delle.
Fo 3blbl, mon frre !
3 du baoul, sasseoir, se calmer = Vas-y doucement, mon ami !
4B(a)ramogo, on dit qwa ?
4 du franais bras (droit) + du dioula mg, personne = Cher ami, quoi de neuf ?
Y 5triz.
5 aphrse du franais matriser = Je suis rest cool, jai matris la situation.
6Fianss ! Ya pa 7dra !
6 aphrse du franais confiance ; 7 de lexpression franaise tre dans de beaux draps = Cest
bon, ne tinquite pas ! Il ny a pas de problme !

5.2.2 Le Francanglais ou Camfranglais (Cameroun)


Au Cameroun, la mosaque des langues est particulirement complexe, car aux 248
272 langues africaines (les chiffres varient selon les auteurs) sajoutent le franais et
langlais comme langues officielles ainsi que le pidgin-english ou kamtok qui est en
fait une langue crole. Dj dans les annes 70, de Fral y constate la prsence dun
idiome quelle nomme dabord franais makro [= vouyou] , une manifestation
vernaculaire du franais (de Fral 2010, 9). Aujourdhui, on connat ce parler sous
les noms de Francanglais ou Camfranglais (cf. Feussi 2008 qui est le premier
montrer que les locuteurs eux-mmes utilisent plutt la dsignation Francanglais ).
Comme le nouchi en Cte dIvoire, il est le moyen dexpression de la jeunesse
moderne, urbaine, a priori francophone. Poser un systme francanglais autonome par
rapport au franais ne semble pas vident au niveau linguistique (il sagirait plutt du
recours un certain stock ditems lexicaux anglais et/ou pidgin et de langues camerounaises comme le duala et lewondo), mais si on prend en compte les reprsentations quont les locuteurs de leur parler, on peut certainement parler dune langue
autre (de Fral 2010, 19).

5 http://www.nouchi.com, exemples lgrement modifis.

521

Le franais dans le monde : Afrique

Voici un exemple (Ngo Ngok Graux 2005, 241, lgrement modifi dans sa
forme) :6

L1 : donc cest un 1djo [do] qui : euh : a toujours t : euh humili xxx dans sa vie puisquil
/tait, ltait/ dabord euh un enfant btard et : 2all [l] les 3djague [dag]/qui, que/ lui
tait en train de 4try [traij] dans all [l] sa 5life [laif] taient seulement l pour
L2 : le 6ndem [dm]
1douala mec, 2anglais tout(es), 3dorigine camerounaise inconnue fille, 4anglais essayer,
5anglais vie, 6dorigine camerounaise inconnue tromper

6 Avenir
Avec une augmentation de plus de 11 millions [depuis 2010, SDK], lAfrique subsaharienne constitue [] le vritable cur de la croissance francophone (OLF 2014, 21).
Toutefois, mais derrire laugmentation gnrale du nombre de locuteurs francophones en Afrique se cachent de grandes diffrences entre les pays. Ainsi, lon peut
constater un gain plus ou moins important de locuteurs de franais (entre 5% et 9%
par an sur les quatre dernires annes) dans les pays suivants : Bnin, Burkina Faso,
Burundi, Cameroun, Comores, Congo, Gabon, Guine, Madagascar, Niger, Sngal et
Togo (OLF 2014, 22), d surtout aux dveloppements positifs du taux de scolarisation.
Dans dautres pays, notamment au Mali et en Cte dIvoire, lon enregistre par contre
une baisse, attribuable aux crises politiques des dernires annes qui ont cr des
annes blanches pendant lesquelles les coles et les universits ne fonctionnaient
plus. En Tunisie, la baisse de 8% entre 2010 et 2014 sexplique par larabisation
progressante du pays. Le Rwanda constitue un cas part, o le faible pourcentage de
francophones risque de diminuer encore, avec la nouvelle politique scolaire qui
impose ds 2008 langlais comme seule langue officielle denseignement tous les
niveaux (en 2010, cette dcision est revue en faveur du kinyarwanda au niveau du
premier cycle ; cf. Munyankesha 2011 ; Ntakirutimana 2014).

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6 Transcription : double points = allongement, xxx = incomprhensible, // = multi interprtation.

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Pierre Swiggers

22 Grammaticographie
Abstract : Ce chapitre fournit un aperu de lvolution de la grammaticographie
franaise (= la description grammaticale du franais), depuis le Moyen ge jusqu
lpoque actuelle. Cette volution est marque par la longue continuit du modle
latinisant centr autour des classes de mots, qui aux XVIIe et XVIIIe sicles a fait
lobjet dune rflexion pistmologique et dun remaniement mthodologique et qui,
au XIXe sicle, a t adapt lenseignement scolaire. Au XXe sicle, la grammaticographie franaise sest affronte aux courants linguistiques, ce qui a entran une
modlisation variable de la description grammaticale et un largissement vers les
domaines de la smantique et de la pragmatique. lheure actuelle, la grammaticographie du franais se caractrise par lemploi de nouvelles technologies et par
lmergence de grands projets collectifs.

Keywords : analyse (grammaticale et logique), classes de mots, description linguistique, grammaire et enseignement, grammaire et linguistique, grammaticographie
franaise

1 Introduction
Ce chapitre retrace lhistoire de la grammaticographie du franais depuis ses dbuts
jusqu lpoque contemporaine.
Les sources premires sont dcrites dans Stengel (1890 ; rdition avec additions :
Stengel/Niederehe 1976 ; cf. Swiggers 1979) pour la priode 14001800 ; Chervel
(1982, deuxime dition augmente 2000) pour la priode 18001914 ; pour des fiches
descriptives des principales grammaires du franais depuis 1400, cf. Colombat/Lazcano (19982000, vol. I). Rpertoires de manuels de franais publis en Italie : Minerva
(1996) et Minerva/Pellandra (1997) ; en Espagne : Fischer/Garca-Bascuana/Gmez
(2004). Signalons que plusieurs anciennes grammaires franaises sont aujourdhui
disponibles dans une dition moderne (cf. Colombat/Fournier/Ayres-Bennett 2010
[projet en cours]). Pour des aperus historiographiques, cf. Livet (1859), Loiseau
(1875), Chevalier (1968 ; 1994), Padley (19761988, o sont juxtaposes les traditions
descriptives du latin et des vernaculaires), Stfanini (1994), Swiggers (1990 ; 2001 ;
2007a ; 2007b) et diverses contributions dans Schmitter (1996 ; 2007). Pour des
informations biographiques sur certains grammairiens (et prcepteurs de langues), cf.
Stammerjohann (22009) et Brekle et al. (19922005). Sur lhistoire de lenseignement
et lhistoire de la grammaticographie didactique du franais, cf. Chervel (2006, avec
amples indications bibliographiques) et la revue Documents pour lhistoire du franais langue trangre ou seconde publie par la Socit internationale pour lhistoire
du franais langue trangre ou seconde (SIHFLES) ; pour une prsentation des

526

Pierre Swiggers

objectifs de la SIHFLES et pour un bilan et quelques perspectives de la recherche


conduite sous lgide de la SIHFLES, voir le n 52 (juillet 2012) de Recherches et
applications (Le franais dans le monde) : Histoire internationale de lenseignement du
franais langue trangre ou seconde : problmes, bilans et perspectives.
Par grammaticographie terme qui rpond lexicographie nous entendons lactivit descriptive prenant comme objet les structures grammaticales dune
langue ; il sagit en loccurrence du franais. La langue franaise, de diffusion internationale ds le Moyen ge, a t dcrite par des auteurs (grammairiens/linguistes)
franais et non franais. Lhistoire de cette activit grammaticographique (et de ses
rsultats) sinscrit, en premier lieu, dans ce quon appelle lhistoriographie de la
linguistique .
Pour un aperu du domaine, des objectifs, des mthodes et de la bibliographie de
base de lhistoriographie de la linguistique, cf. Swiggers (2004). Pour une rflexion
pistmologique sur lhistoire de la grammaticographie (franaise), cf. Swiggers
(1996) ; voir aussi les contributions dans Colombat/Fournier/Raby (2012).
Par rapport lobjet histoire de la grammaticographie du franais , plusieurs
dcisions stratgiques, lies des choix mthodologiques et en rapport troit avec des
options analytiques et terminologiques prcises, sont envisager (cf. Swiggers
1998b ; 2010 ; 2012a ; 2012b). Lhistoire de la terminologie grammaticale reste faire ;
pour quelques travaux dhistoriographie de la terminologie, cf. Yvon (1904 ; 1907 ;
19531954 ; 19551956) et Swiggers (2006b ; 2008 ; 2013b). Sur la terminologie et le
mtalangage linguistiques, cf. les contributions dans Colombat/Savelli (2001).
Ces dcisions concernent des questions et des options qui se situent diffrents
niveaux :

(a) Quant au statut quon accorde la langue qui fait lobjet de la description grammaticale :
sagit-il de la langue en tant quelle est enseigne, apprise et dcrite comme langue seconde/
trangre, ou sagit-il de la langue maternelle ou nationale ?
(b) Quant linsertion disciplinaire de lapproche historiographique : on peut concevoir et
pratiquer lhistoire/lhistoriographie de la grammaticographie comme une branche, ou partie
intgrante, de lhistoire des ides, ou de lhistoire des sciences, ou encore de lhistoire de la
culture (au sens large : histoire des socits et de leurs institutions).
(c) Quant la perspective historiographique : on peut opter pour une perspective diachronique
(et volutive), ou pour une superposition danalyses en synchronie, ou pour une vise achronique, qui part de problmes descriptifs (ou thoriques) et passe en revue, de manire transversale, les types de solutions quon peut relever au cours de lhistoire.
(d) Quant la priodisation : il sagit ici du rapport entre le temps de lhistoire et lorganisation
du discours historiographique. Deux grandes possibilits se prsentent : une priodisation de
type externe, qui se base sur des coupes historiques arbitraires, mais commodes, et une priodisation de type interne, base sur des caractristiques propres chaque priode.
(e) Quant la dmarche descriptive et explicative de lhistoriographe : lhistoriographe dispose
dune large gamme de formats de prsentation, qui va de lexpos analytique et numratif
une synthse hautement thorisante (sintressant surtout aux concepts et aux modles grammaticographiques), en passant par un aperu narratif (o les faits relevs sont subsums par un
discours gnralisant) et une description structurale .

527

Grammaticographie

Vu lampleur dans le temps, vu lextension de la base documentaire et vu la complexit des problmes traits par les grammairiens, on retracera ici les jalons dun long
parcours, qui a conduit la grammaire franaise de ltat dune grammaire dapprentissage (mthodique) celui dune grammaire lappui dune philosophie et dune
langue philosophique , le franais de lge classique, ensuite une production
grammaticale dusage scolaire, et finalement une grammaticographie modlise en
dialogue plus ou moins troit avec les courants en linguistique.

2 Aux origines de la description grammaticale du


franais : la grammaticographie franaise au
Moyen ge

La description grammaticale du franais sest dabord dveloppe en Angleterre :


cest en terre britannique que, ds le XIIIe sicle, le franais fait lobjet de descriptions
orthographiques et morphologiques (ainsi que lexicales).1 Les textes manuscrits qui
tmoignent de ces types dactivit sont : un Trait de la conjugaison franaise
(Cambridge, Trinity College, R.3.56 ; vers 1250), Le tretiz ki Munseignur Gauter de
Bithesway fist a ma dame Dyonise de Montechensi pour aprise de langage (texte rdig
aprs 1250), Tractatus orthographiae de T.H. (British Library Additional 17716 ; vers
1300), Orthographia Gallica (British Library, Harley 4971 ; Cambridge, University
Library Ee.4.20), quelques traits de conjugaisons (Cambridge, University Library,
Dd.12.23, Ee.4.20, Gg.6.44 ; British Museum, Harley 4971 ; British Library, Sloane 512 ;
Oxford, Magdalen 188), le Nominale sive verbale in Gallicis cum expositione eiusdem in
Anglicis (Cambridge, University Library Ee.4.20 ; vers 1340), les Manires de langage
(nombreux manuscrits ; vers 1390), Tractatus ortographie gallicane per M. T. Coyfurelly
(Oxford, All Souls College 182 ; vers 1400).
La plus ancienne grammaticographie franaise reflte la forte influence des
modles latins (surtout Donat, dont lArs minor est traduit en ancien franais ; cf. B.N.
lat. 14095, Bibl. Mazarine 3794 ; Berne, Burgerbibl. 439) :2 le plus ancien trait
proprement grammatical est le Donait franois (Oxford, All Souls College, 182).3 Dj
dans les plus anciens traits, on rencontre les problmes qui pseront de tout leur
poids sur la tradition grammaticale franaise : la volont de maintenir un systme
casuel pour les noms (afin de rendre compte de certaines fonctions syntaxiques) ; la

1 Pour des aperus, cf. Lambley (1920), Streuber (19621964), Lusignan (1986), Kristol (1989), Kibbee
(1991).
2 Voir Stengel (1879), Stdtler (1988) et Colombo Timelli (1996).
3 Il est suivi de deux traits porte plus restreinte, Cy comence le Donait soloum douce franceis de
Paris (British Museum, Sloane 513 ; vers 1410) et Donati liber (Cambridge, University Library, Dd. 12.23
et Gg. 6.44 ; vers 1415).

528

Pierre Swiggers

lente reconnaissance dun systme de dtermination nominale (cf. Swiggers 1985b) ;


la distinction malaise entre substantif et adjectif ; la description du systme verbal
franais, trs diffrent de celui du latin (cf. Swiggers 2006b).
Le Donait franois, rdig la demande dun certain Johan Barton, offre un
aperu assez bien structur des catgories du franais. Le texte est divis en plusieurs
sections qui suivent larticulation de plus en plus complexe de la langue. Les premires sections offrent un classement des lettres (en 5 voyelles et 15 consonnes) et
abordent quelques problmes de prononciation. Les sections suivantes concernent la
morphologie. Dabord lauteur tudie les accidents des mots : espce, figure,
nombre, genre, qualit (= nom propre vs nom appellatif), cas, degrs de comparaison,
mode (muef), et genre verbal (actif, passif, neutre). Cette discussion est suivie par une
analyse de quelques parties du discours : le nom (substantif et adjectif), le pronom,4
et le verbe. Les dernires lignes du Donait franois contiennent un rappel du nombre
des modes et des temps du verbe franais et une brve analyse de la formation de
certains temps laide des auxiliaires tre et avoir. De ces deux verbes, le paradigme
(en texte suivi) est fourni au lecteur ; le trait inachev (ou sa copie inacheve) sarrte
aux formes de la troisime personne du pluriel du pass simple.
Au cours du XVe sicle, le franais sera vinc en Angleterre par langlais dans
presque tous les domaines o la communication se passe en langue vernaculaire (le
franais rsistera encore sous la forme du Law French utilis dans les tribunaux). Mais
lintrt culturel du franais, qui renforcera sa position au XVIe sicle, explique la
forte prsence, tout au long du XVIe sicle, dune grammaticographie du franais
assure par des auteurs anglais ou des prcepteurs stant tablis en Angleterre
(Palsgrave, Du Wes, Bellot, Holyband, etc. ; voir ce propos Kibbee 1989, avec dutiles
renseignements bibliographiques).

3 La grammaire franaise au XVIe sicle : sous la


main des imprimeurs

lpoque de la Renaissance, la grammaticographie franaise est caractrise par un


souci croissant de centralisation et de normalisation. Mais le franais na ni une
orthographe codifie, ni une forme sociolectale standard. Cest dans ce contexte
quil faut situer les descriptions grammaticales et les traits orthographiques de la
premire moiti du XVIe sicle : issus avant tout des milieux de prcepteurs, de
traducteurs ou dimprimeurs, ils visent proposer une premire codification du
franais, en tenant compte du rapport entre langue parle et langue crite.

4 On relve une distinction, peu explicite, entre le article et le pronom personnel et lintuition de
lexistence dune voix pronominale en franais (sur lhistoire de cette problmatique, cf. Stfanini
1962).

Grammaticographie

529

Sur lactivit linguistique lpoque de la Renaissance, voir laperu de Percival


(1975) ; sur la description grammaticale des principales langues romanes, voir Kukenheim (1932). Pour des aperus de lactivit grammaticale et lexicographique au XVIe
sicle prenant comme objet le franais, voir Livet (1859), Demaizire (1983) et Swiggers/Van Hoecke (1989) ; pour une bibliographie raisonne cf. Goyens/Swiggers
(1989). Sur lhistoire de lorthographe franaise, voir Beaulieux (1927) ; sur lorthographe lpoque de la Renaissance, voir Catach (1968), o sont confrontes les
propositions thoriques et les pratiques relles. Pour un vaste aperu de lhistoire de
(la description) de la prononciation du franais, voir Thurot (18811883). Le processus
de normalisation du franais a t dcrit, sur une chelle chronologique variable,
dans Breitinger (1867), Neumann (1959), Glatigny (1989), Trudeau (1992).

I)

Il faut mentionner dabord des textes qui contiennent un appel mettre en rgles le franais
et ceux qui proposent une systmatisation orthographique (soit plutt phontico-phonologique , soit plutt tymologique) : Champ Fleury (1529) de limprimeur Geoffroy Tory ; le
Tres utile et compendieux traite de lart et science dorthographie gallicane (texte anonyme de
1529) ; la Briefve doctrine pour deuement escripre selon la propriete du langaige franoys
(1533) ; le trait dtienne Dolet propos des Accents de la langue franoyse (1540) et le Traite
touchant le commun usage de lescriture franoise de Louis Meigret (1542) ;5 ce dernier texte
dclenchera une vive polmique avec Peletier du Mans et Guillaume des Autels. Dans la
seconde moiti du XVIe sicle, deux auteurs importants se joindront au parti des rformateurs : le philosophe, mathmaticien et grammairien Petrus Ramus et un matre dcole aux
ides originales et hardies, Honorat Rambaud. Le premier a t responsable de la rgularisation de i/j et u/v (lettres dites ramistes ) et le second a propos un alphabet nouveau
(qui tmoigne dune rflexion approfondie sur le systme phonologique du franais) ; cf.
Hermans/Van Hoecke (1989).
Les premires grammaires imprimes du franais commencent paratre dans les annes
1530 ; pour la priode 15301550 il faut signaler quatre grammaires importantes. La premire, de John Palsgrave (Lesclarcissement de la langue francoyse compose par maistre Jehan
Palsgrave Angloys natyf de Londres et gradue de Paris, Londres, 1530), peut tre considre
comme une grammaire contrastive (augmente de listes de notes) ; lauteur a fourni une
classification intressante des pronoms et des constructions verbales. Celle de Jacques
Dubois/Jacobus Sylvius (In Linguam Gallicam Isagge, un cum eiusdem Grammatica Latino-Gallica, ex Hebraeis, Graecis, & Latinis authoribus, Paris, 1531), comporte un trait de
phontique historique et une grammaire, essentiellement base sur le modle de Donat,
dans laquelle lauteur dcrit les parties du discours en franais : nom, pronom, verbe,
adverbe, participe, prposition, conjonction et interjection. La grammaire de Louis Meigret
(Le trtt de la grammre franoze, ft par Lous Migret Lonos, Paris, 1550) est la premire
grammaire en franais publie par un Franais (cf. Hausmann 1980). Meigret, grammairien
original, offre des observations intressantes sur des aspects formels et smantiques des
parties du discours (tout particulirement le nom, le pronom et le verbe). Jean Pillot/Joannes
Pillotus est lauteur dune grammaire du franais (Gallicae linguae institutio Latino sermone
conscripta, Paris, 1550) qui a connu un trs grand succs au XVIe sicle ;6 son ouvrage

II)

5 Le texte fut termin en 1531, mais aucun imprimeur navait accept de le publier.
6 Rditions de louvrage : en 1551, 1555, 1558, 1560, 1561, 1563, 1572, 1575, 1581, 1586, 1620, 1621, 1622,
1631, 1641.

530

Pierre Swiggers

fournit un cadre de description latinisant, qui le rendait trs accessible un public dtudiants et de savants.

Leffort de ces premiers grammairiens du franais est important du point de vue


thorique, dans la mesure o ils russissent montrer que le franais possde, tout
comme le latin, des rgles cest--dire une structuration pouvant tre mise en
rgles et quil est capable de jouer un rle comme langue de culture. Le travail de
ces grammairiens sinsre ainsi dans le vaste projet de la dfense et illustration des
langues vulgaires .
Dans la seconde moiti du XVIe sicle, dautres grammairiens franais suivront
dans leurs traces : cest le cas surtout du lexicographe Robert Estienne, auteur dun
Traict de la grammaire Franoise (Paris, 1557) qui se distingue par sa clart typographique et par la nettet de ses dfinitions et de sa description, et du philosophe
grammairien Pierre de la Rame/Petrus Ramus, qui a publi deux ditions, assez
diffrentes, de sa grammaire franaise (Gramre, Paris, 1562 ; Grammaire de P. De la
Ramee. Lecteur du Roy en lUniversite de Paris, Paris, 1572). Ramus propose une
classification intressante des classes de mots (mots ayant nombre : nom et verbe ;
mots sans nombre : adverbe et conjonction) et une description originale des conjugaisons verbales et du systme des pronoms. Il se montre aussi un bon observateur des
contextes de distribution (p. ex. pour distinguer les adjectifs et les pronoms possessifs).
Mais la grammaticographie franaise de la seconde moiti du XVIe sicle est
majoritairement reprsente par des grammaires contrastives (franais/allemand
ou nerlandais7 ou anglais8) : il faut mentionner ici les ouvrages de Gabriel
Meurier (La Grammaire franoise, contenante plusieurs belles reigles propres &
necessaires pour ceulx qui desirent apprendre ladicte langue, Anvers, 1557 ; cf. De
Clercq 2000), Jean Garnier/Jo(h)annes Garnerius (Institutio Gallicae linguae, in
usum iuventutis Germanicae. Ad illustrissimos iuniores Principes, Landtgrauios
Haessiae, conscripta, Genve, 1558), Grard du Vivier (Grammaire Franoise, touchant la lecture, Declinaisons des noms & Coniugaisons des Verbes, Cologne, 1566 ;
Briefve institution de la langue franoise, expliquee en Aleman, Cologne, 1568),
Antoine Cauchie/Antonius Caucius (Grammatica Gallica, suis partibus absolutior,
quam ullus ante hunc diem ediderit, Ble, 1570), Peeter Heyns (Cort onderwys van
de acht deelen der Franoischer Talen, Anvers, 1571), Jean Bosquet (Elemens, ou
institutions de la langue Franoise, Mons, 1586), et Johannes Serreius (Jean Serre/
Serrier ?) (Grammatica Gallica, compendiosa, utilis, facilis ac dilucida, in qua omnia
fere a variis probatis et bonis authoribus utiliter et scite tradita, perspicua brevitate

7 Ds le XVIe sicle, le franais a fait lobjet dun enseignement grammatical et lexical dans plusieurs
villes des anciens Pays-Bas (mridionaux et septentrionaux) ; voir Riemens (1919, 1576) et Swiggers/
De Clercq (1993).
8 Cf. Streuber (19621964) et Kibbee (1989 ; 1991).

531

Grammaticographie

et ordine bono concinnata sunt : ita ut quae antea variis hinc inde ex libris cum
taedio et molestia quarenda erant in hoc unum volumen congesta et redacta sint :
et a quovis huius linguae studioso utiliter et fructuose legi ac disci possunt,
Strasbourg, 1598) ; pour une analyse comparative du contenu des manuels grammaticaux franais du XVIe sicle rdigs lintention dun public germanophone,
voir Swiggers (1992a).

4 Le XVIIe sicle
Cest vers les annes 1630 que le franais entre dans sa phase classique . Cest le
franais classique qui sera ds lors dcrit dans les nombreuses grammaires pratiques
parues dans la priode 16301700, et qui affichent de plus en plus un caractre
contrastif (franais-anglais ; franais-allemand ; franais-nerlandais, franais-italien, etc.).
On trouvera dutiles informations biobibliographiques et mthodologiques sur
les activits des enseignants de franais (et dautres langues modernes) dans Schrder (1980 ; 19891995 ; 1992) et dans Caravolas (1994). Pour des informations bibliographiques sur les grammaires franaises du XVIIe sicle, voir Swiggers/Mertens
(1984). Pour diverses tudes portant sur des grammaires et manuels de franais
publis en Europe entre 1500 et 1700, cf. De Clercq/Lioce/Swiggers (2000). Sur les
(nombreuses) grammaires franaises rdiges lusage des Allemands, voir le relev
bibliographique de Stengel (1890) et Stengel/Niederehe (1976) et cf. les tudes de
Dorfeld (1905), Schmidt (1931) et Greive (1993). Sur les grammaires franaises rdiges pour des nerlandophones, voir Riemens (1919, 77155) et Swiggers/De Clercq
(1993). Sur les grammaires du franais lusage des Italiens, voir Mormile (1989) et
plusieurs contributions portant sur lItalie dans De Clercq/Lioce/Swiggers (2000) ;
cf. aussi les rpertoires bibliographiques de Minerva (1996) et Minerva/Pellandra
(1997).
Avant la parution de la Grammaire de Port-Royal en 1660, quatre grammairiens
franais ont tent dnoncer des principes gnraux et des rgles sres. Le premier fut
Charles Maupas (Grammaire Franoise, Contenant reigles tres certaines et addresse tres
asseuree la nave connoissance & pur usage de nostre langue, Bloys, 1607 [rditions : 1618, 1623, 1625, 1632, 1638]), qui a formul des rflexions intressantes
propos de lemploi des articles et propos de la fonction des temps verbaux. La
grammaire de Maupas fut corrige et adapte par Antoine Oudin (Grammaire Franoise, rapporte au langage du temps, Paris, 1632 [rditions : 1633, 1636, 1640, 1645,
1648, 1656]), auteur de la premire grande grammaire dcrivant le franais classique
(cf. Winkler 1912). Une grammaire originale, et tmoignant dun remarquable effort de
systmatisation, est celle de Claude Irson (Nouvelle methode pour apprendre facilement les principes et la puret de la langue franoise, Paris, 1656 [rditions : 1662,
1667]). Celle de Laurent Chiflet (Essay dune parfaite grammaire de la langue franoise,

532

Pierre Swiggers

Anvers, 1659),9 moins originale mais trs didactique, combine la description grammaticale avec les observations lexicologiques et stylistiques du courant puriste illustr
par les Remarques sur la langue franoise (Paris, 1647) de Claude Favre de Vaugelas.
La grammaire de Chiflet sera utilise dans les tablissements de lordre des jsuites.
Le travail de Vaugelas (cf. Ayres-Bennett 1987), qui sera rvis par Olivier Patru,
Valentin Conrart et Jean Chapelain, sinsre dans le courant puriste (entam au
XVIe sicle et continu jusqu lpoque actuelle), qui prend pour objet lexamen
normatif dexpressions et de constructions et la proscription de tours dsuets ou
considrs comme vulgaires. Luvre de Vaugelas sera continue dans la seconde
moiti du XVIIe sicle par Gilles Mnage et, surtout, par le jsuite Dominique Bouhours (Les Entretiens dAriste et dEugne, Paris, 1671 ; Doutes sur la langue franoise,
Paris, 1674 ; Remarques nouvelles sur la langue franoise, Paris, 1675) qui a eu une
grande influence sur la langue des grands crivains classiques.10
Toutes ces grammaires sont organises autour du schma des parties du discours,
comprenant le nom (= le nom substantif et le nom adjectif), le pronom, le verbe,
ladverbe, le participe, la prposition, la conjonction, linterjection et larticle (de plus
en plus reconnu comme partie du discours). La section morphologique, le plus
souvent prcde dune partie grapho-phontique, dfinit le sens de chaque partie du
discours et fournit une description de ces accidents.
En 1660 parat, Paris, chez Pierre Le Petit, la Grammaire gnrale et raisonne de
Port-Royal (les auteurs, Claude Lancelot et Antoine Arnauld, ont prfr garder
lanonymat). Cette grammaire systmatise le schma des parties du discours en le
rapportant une thorie des oprations mentales. Les oprations de lesprit, envisages du point de vue de lanalyse dialectique, sont de trois types : concevoir, juger et
raisonner. Les deux premires oprations permettent de faire la distinction entre deux
sortes de mots :

(a) les mots qui se rapportent au concevoir et qui signifient les objets de notre pense : noms,
articles, pronoms, participes, prpositions et adverbes ;
(b) les mots qui se rapportent au juger et qui signifient la forme (ou la manire) de notre
pense : verbes, conjonctions et interjections.

La Grammaire de Port-Royal, qui fournit plusieurs apports originaux, p. ex. dans


lanalyse de la dtermination du nom, dans la dfinition du verbe comme marque de
lacte nonciatif du locuteur et dans lanalyse des temps et des modes, a oblig les
grammairiens postrieurs repenser mthodiquement les fondements de la grammaire.11 Un exemple illustratif est fourni par Denis Vairasse dAllais, auteur dune

9 Pour la liste des trs nombreuses rditions de la grammaire de Chiflet, voir Swiggers/Mertens (1984,
98100).
10 Sur le courant du purisme et la thorie du bon usage , voir Franois (1905), Weinrich (1960), Wolf
(1982) et Trudeau (1992) ; sur Bouhours, voir Rosset (1908).
11 Sur la vogue des termes mthode, mthodique, voir Swiggers (1984c ; 2007b, 667672).

533

Grammaticographie

Grammaire mthodique contenant en abrg les principes de cet art et les rgles les plus
ncessaires de la langue franoise dans un ordre clair et naturel (Paris, 1681) et de A
short and methodical introduction to the French tongue (Paris, 1683). Vairasse nous
fournit une thorie originale de la dtermination du nom : celle-ci dpend non des
articles, mais de la signification des substantifs, do la distinction entre noms
dividuels (comme : du vin, du pain) et noms individuels (dsignant des objets individuellement nombrables : un livre, un arbre).
propos de la Grammaire de Port-Royal, de son lien avec les courants philosophiques de lpoque, et de sa position dans la tradition de la grammaire gnrale ,
voir, e.a., Donz (1967), Chevalier (1968, 483539 [= 2006, 487543] ; 1994, 4861),
Dominicy (1984), Swiggers (1984b) et Pariente (1985). Pour une liste des rditions de
la Grammaire de Port-Royal, voir Swiggers/Mertens (1984, 100102). Sur la tradition
de la grammaire gnrale, voir Joly/Stfanini (1977).
la fin du XVIIe sicle parat Lart de bien parler franois (Amsterdam, 1696
[rditions : 1710, 1720, 1730, 1737, 1747, 1760, 1762, 1772]) de Pierre de la Touche : cet
ouvrage combine le modle classique des grammaires (comportant une phontique et
une orthographe, une morphologie et une syntaxe) avec le contenu des ouvrages
puristes prsentant des remarques , doutes ou observations sur la langue
franaise.
En complment cet aperu centr sur les ouvrages plutt thoriques, il faut
relever limportante activit grammaticographique dploye au XVIIe sicle par des
enseignants de franais en territoire alloglotte. Un des grands centres denseignement
de franais fut Strasbourg (cf. Swiggers 1998a), o plusieurs matres de franais ont
t actifs et ont publi des grammaires ou des manuels dapprentissage du franais.12
En Angleterre, les ouvrages qui ont eu le plus de succs sont ceux de Claude Mauger
(French grammar, Londres, 1653 [nombreuses rditions au XVIIe sicle] ; cf. Bouton
1972), de Guy Mige (A short and easie French grammar, Londres, 1658 [nombreuses
rditions au XVIIe et au XVIIIe sicle]), de Paul Festeau (French Grammar, Londres,
1667 [nombreuses rditions au XVIIe sicle]) et dAbel Boyer (The Compleat FrenchMaster, Londres, 1694 [rditions jusqu la fin du XVIIIe sicle]). Pour les Pays-Bas,
on peut mentionner les noms de Thomas la Grue et ses fils Jean-Joachim et Philippe,
de Nathaniel D(h)uez, de Jean-Nicolas Parival, de Barthlemy Pilat, de Pierre Marin,
et pour les rgions germanophones ceux de Jean Menudier (Le Secret dapprendre la
langue franoise, Francfort, 1680 [nombreuses rditions] ; Le Gnie de la langue
franoise, Ina, 1681) et, surtout, de Jean-Robert des Pepliers, auteur dune Grammaire
royale franoise & allemande contenant une Methode nouvelle & facile pour apprendre
en peu de temps la langue franoise (Berlin, 1689), un manuel de langue qui a eu des

12 Pour la premire moiti du XVIIe sicle, on peut mentionner les noms de Samuel Bernhard,
Philippe Garnier, Daniel Martin et Stephan Spalt ; cf. la liste de leurs publications dans Swiggers
(1998a).

534

Pierre Swiggers

dizaines de rditions jusquau dbut du XIXe sicle et qui a t traduit en danois, en


nerlandais, en russe et en sudois (cf. Stengel 1890, 5861 et Swiggers/Mertens 1984,
103104).
Pour un relev bibliographique gnral, cf. Stengel (1890) et Stengel/Niederehe
(1976). Sur les ouvrages didactiques de Th. La Grue et ses fils, de D(h)uez, de Parival,
de Pilat et de Marin, voir lappendice bibliographique dans Riemens (1919, 223271) ;
sur D(h)uez et Marin, voir Loonen (1995 ; 1997) ; cf. Swiggers (2007b, 678680). Au
sujet de la mthode didactique de Menudier, voir Caravolas (1994, t. 1, 157159).

5 La grammaire franaise au XVIIIe sicle, ou la


grammaire (gnrale) ltat naturel

Au XVIIIe sicle, la grammaire franaise volue vers une vritable science , intgrant une thorie systmatique des classes de mots et de leurs accidents et une thorie
de la construction phrastique (cf. Swiggers 2006a). Cette volution, en rapport avec
les courants philosophiques du sicle des Lumires (cf. Ricken 1978 ; Hoinkes 1991),
sest droule en plusieurs tapes ; pour un bilan de lactivit grammaticale au
XVIIIe sicle, voir Swiggers (1997).
Dans la premire moiti du sicle, les efforts de grammairiens traditionnels
comme Franois-Sraphin Rgnier-Desmarais (Trait de la grammaire franoise, Paris,
1705 [rditions : 1706, 1707]) et de Pierre Restaut (Principes gnraux et raisonns de
la grammaire franoise avec des observations sur lorthographe, les accents, la ponctuation, et la prononciation. Et un abreg des rgles de la versification franoise, Paris,
1730),13 qui, tout en restant fidles au modle latinisant, fournissent des descriptions
intressantes des articles, des pronoms et des verbes, ont incit des grammairiens
perspicaces comme Claude Buffier (Grammaire franoise sur un plan nouveau, pour en
rendre les principes plus clairs & la pratique plus aise, contenant divers traits sur la
grammaire en gnral, sur lusage, sur la beaut des langues et sur la manire de les
apprendre, sur le style, sur lorthographe, Paris, 1709 [rditions : 1711, 1714, 1723, 1724,
1729, 1731, 1732, 1741, 1754]) et Gabriel Girard (Les vrais principes de la Langue
Franoise ou la parole rduite en mthode, conformment aux loix de lusage, Paris,
1747) approfondir la rflexion grammaticale. Buffier, qui dans son analyse de la
proposition opre avec quatre parties (le nom, le verbe, le modificatif et le terme de
supplment) a fait entrer la syntaxe dans une nouvelle phase : celle de lanalyse de la
construction phrastique par un ensemble de relations qui permettent de relier non

13 Pour la liste des trs nombreuses rditions et adaptations de la grammaire de Restaut, voir Stengel
(1890, 81s. ; Stengel/Niederehe 1976, 81s. et 217) ; propos de linfluence de Restaut sur la tradition
postrieure, cf. Swiggers (1985a).

Grammaticographie

535

seulement des phrases, mais aussi divers types de syntagmes. On assiste ici au
dpassement dune syntaxe qui se limitait au modle logique dun rapport prdicatif
entre un sujet et un prdicat et la transition vers une syntaxe tudiant la constitution
de groupes syntagmatiques et prenant aussi comme objet les relations incidentes au
schma prdicatif (cf. Swiggers 1983a). Avec Girard, la grammaticographie du franais
souvre au champ de la typologie des langues et une approche smantico-syntaxique du discours. Lapport le plus novateur de Girard rside dans sa thorie du
rgime, cest--dire tout ce qui concerne les rapports de dpendance entre les mots
dune phrase. Si Girard admet lanalyse en sujet et prdicat, il largit ce modle
binaire en y ajoutant cinq fonctions syntaxiques ; cela donne un total de sept
fonctions : subjectif, attributif, objectif, terminatif, circonstanciel, conjonctif et adjonctif
(de ces sept fonctions, les deux premires sont indispensables). Lanalyse du rgime
comporte deux aspects : le but du rgime et ses moyens dexpression. En ce qui
concerne le premier aspect, le rgime peut avoir une incidence sur la structure, cest-dire la composition de la phrase, et, dautre part, sur lexpression des parties
constructives par des mots. Dans le premier cas, on parle de rgime constructif (= les
fonctions syntaxiques qui entrent dans la composition de la phrase et qui en constituent les macro-constituants), dans le second de rgime nonciatif (= la construction
des mots lintrieur dune fonction). Le deuxime aspect du rgime est galement
double. Il sagit ici de lemploi correct des mots qui sont les seuls & ncessaires
moyens du rgime. Lemploi des mots dans la phrase se caractrise par un arrangement particulier o chaque mot a sa place. En outre, les mots y revtent une forme
spcifique qui correspond leur fonction dans la phrase. Le rgime qui rgle larrangement des mots est appel rgime dispositif, celui qui dcide de la forme des mots
sappelle rgime de concordance.
La rflexion sur les fondements de la grammaire sera poursuivie par les deux
principaux grammairiens de lEncyclopdie : Csar Chesneau Du Marsais et Nicolas
Beauze.
Loeuvre grammaticale de Du Marsais (cf. Sahlin 1928) comprend plusieurs textes
fondateurs : Exposition dune mthode raisonne pour aprendre la langue latine (Paris,
1722) ; Les vritables principes de la grammaire ou nouvelle grammaire raisonne pour
aprendre la langue latine (Paris, 1729) ; Logique et principes de grammaire. Ouvrages
posthumes en partie et en partie extraits de plusieurs traits qui ont dj paru de cet
auteur (Paris, 1729). Beauze est lauteur de trs nombreux articles grammaticaux
rdigs pour lEncyclopdie (17511765 [17 volumes de texte]) et rviss en vue de leur
publication dans lEncyclopdie mthodique : Grammaire et littrature (Paris/Lige,
17821786), et dune remarquable Grammaire gnrale, ou exposition raisonne des
lments ncessaires du langage, pour servir de fondement ltude de toutes les
langues (Paris, 1767) ; cf. Bartlett (1975), Swiggers (1984a ; 1986).
Du Marsais, latiniste et spcialiste de grammaire et de rhtorique, avait subi
linfluence de lempirisme lockien ; ancien prcepteur et matre de pension, il sest
intress lenseignement de la grammaire franaise et on lui doit dimportantes

536

Pierre Swiggers

rflexions sur le lien entre les adjectifs et les articles (et autres actualisateurs), sur la
concordance, ainsi que sur les notions de syntaxe et de construction .

Je crois quon ne doit pas confondre Construction avec Syntaxe. Construction ne prsente que
lide de combinaison & darrangement. Cicron a dit selon trois combinaisons diffrentes, accepi
litteras tuas, tuas accepi litteras, & litteras accepi tuas. Il y a l trois Constructions, puisquil y a
trois diffrents arrangements de mots : cependant il ny a quune Syntaxe ; car dans chacune de
ces Constructions, il y a les mmes signes des rapports que les mots ont entre eux ; ainsi, ces
rapports sont les mmes dans chacune de ces phrases. Chaque mot de lune indique galement le
mme corrlatif qui est indiqu dans chacune des deux autres ; ensorte quaprs quon a achev
de lire ou dentendre quelquune de ces trois propositions, lesprit voit galement que litteras est
le dterminant daccepi, que tuas est ladjectif de litteras ; ainsi, chacun de ces trois arrangements
excite dans lesprit le mme sens, jai reu votre lettre. Or ce qui fait, en chaque langue, que les
mots excitent le sens que lon veut faire natre dans lesprit de ceux qui savent la langue, cest ce
quon appelle Syntaxe. La Syntaxe est donc la partie de la Grammaire qui donne la conoissance
des signes tablis dans une langue pour exciter un sens dans lesprit (article Construction de
lEncyclopdie et de lEncyclopdie mthodique ; cet article de Du Marsais est longuement cit par
Beauze dans larticle Rgime).

Luvre de Du Marsais a t continue, dans le sens dune systmatisation plus


rigide, par Beauze, qui a organis la grammaire en deux grandes branches : lorthographe (tude des lettres, des signes diacritiques, et de lemploi de types de caractres), et lorthologie, cette dernire tant subdivise en lexicologie et en syntaxe. La
lexicologie est divise en trois sous-branches, qui tudient respectivement le materiel des mots (= phontique et prosodie), la valeur des mots (= morphosyntaxe),
et ltymologie des mots. La classification daprs la valeur combine des
critres grammaticaux formels, des critres logico-smantiques et des critres discursifs : elle tablit un clivage entre mots affectifs (= interjections) et mots nonciatifs, ces
derniers tant diviss en quatre classes de mots dclinables (noms et pronoms, classes
de mots dsignant des tres dtermins ; adjectifs et verbes, classes de mots dsignant
des tres indtermins), et trois classes de mots indclinables (conjonctions ou mots
de liaison discursive ; et deux types de mots suppltifs : les adverbes et les
prpositions). La deuxime branche de lorthologie est la syntaxe. Lobjet central de
celle-ci est la proposition dont on examine la matire et la forme. La matire est
constitue par la totalit des parties qui composent la proposition : parties logiques
(les fonctions sujet , attribut et copule , quoi sajoute le complment 14)
et parties grammaticales ( les mots que les besoins de lnonciation & de la langue
que lon parle y font entrer, pour constituer la totalit des parties logiques ). Cette
matire doit tre organise par une forme, qui confre un arrangement particulier aux
parties de la proposition. Lorganisation formelle de la proposition rpond trois

14 Cf. ltude dtaille de Chevalier (1968, rdition 2006) ; sur lhistoire du terme complment au
XVIIIe sicle, cf. De Clercq/Swiggers (1990).

537

Grammaticographie

principes de structuration : la concordance, le rgime et la construction (cf. Swiggers


1989).
Dans la ligne de leffort de systmatisation conceptuelle et terminologique de Du
Marsais et de Beauze, labb Jean-Franois Fraud se profilera comme un technicien
de la terminologie grammaticale, avec son Dictionnaire grammatical de la langue
franoise (Avignon, 1761), couvrant les domaines de lorthographe, de la prononciation, de la prosodie et des rgles grammaticales .
la fin du XVIIIe sicle, la grammaire sera intgre au programme ducatif des
Idologues (cf. Baum 1982), un groupe de penseurs qui sinspirent de la philosophie
sensualiste de labb tienne Bonnot de Condillac (Essai sur lorigine des connoissances humaines, Paris, 1746).
Condillac a publi une Grammaire comme premier tome de son Cours dtude pour
linstruction du Prince de Parme (1775) ; louvrage a connu de nombreuses rditions :
sous le titre Principes gnraux de grammaire pour toutes les langues, avec leur
application particulire la langue franoise en 1788 ; sous le titre Principes de
grammaire franoise en 1802 ; sous le titre Grammaire et leons prliminaires en 1803 ;
sous le titre Grammaire franoise et art dcrire en 1808 ; sous le titre Grammaire et art
dcrire en 1818.
Les Idologues se sont nourris de lenseignement philosophique et grammatical
de Condillac, mais ils font aussi appel la grande tradition de la grammaire gnrale
(Port-Royal, Girard, Du Marsais, Beauze), leur propre formation linguistique et
philologique, et, surtout, leur exprience de professeurs et dducateurs. Il faut
mentionner dabord les apports de Roch-Ambroise-Cucurron Sicard (Elmens de
grammaire gnrale, applique la langue franaise, Paris, 1799 [rditions : 1802,
1803]), pour qui le nom est la catgorie linguistique centrale, et Antoine-Louis-Claude
Destutt de Tracy (Elments didologie, vol. II : Grammaire, Paris, 1803), chez qui on
trouve une analyse intressante des modes verbaux. Mais les deux grammairiens les
plus importants se rattachant au mouvement de lIdologie sont Franois-Urbain
Domergue et Antoine-Isaac Silvestre de Sacy. Domergue a laiss une uvre lexicographique et grammaticale15 impressionnante : Grammaire franoise simplifie ou Trait
dOrthographe, avec des notes sur la prononciation et la syntaxe, des observations
critiques, et un nouvel essai de prosodie (Lyon, 1778) ; Grammaire franoise simplifie.
Purement lmentaire lusage des classes infrieures + Grammaire franoise simplifie. Soumise au raisonnement, lusage des classes suprieures (Lyon, 1788) ; Grammaire franoise simplifie lmentaire (Paris, 1791) ; Grammaire gnrale analytique
distribue en diffrents mmoires lus et discuts lInstitut national de France (Paris,
1799). Dans son approche grammaticale, la proposition est centrale. Lanalyse de la
proposition se droule sur deux axes : laxe grammatical et laxe logique (sur ce
dernier axe, Domergue distingue le sujet , l attribut compos et le compl

15 Sur Domergue, voir Busse (1985) et Busse/Dougnac (1992).

538

Pierre Swiggers

ment ). Domergue a pos les bases dune thorie de la rection et de la valence, en


distinguant diffrents types de complments (prochains vs loigns ; directs vs indirects). Son approche orientation propositionnelle le conduit renouveler la terminologie des classes de mots (avec diffrentes sortes dattribut et un surattribut) ; lauteur
introduit aussi des dsignations nouvelles pour les temps et les modes. Chez Silvestre
de Sacy (Principes de grammaire gnrale, mis la porte des enfans, et propres servir
dintroduction ltude de toutes les langues, Paris, 1799 [rditions : 1803, 1815]), la
notion (toujours centrale) de proposition est insre dans un cadre communicatif plus
large (cf. Swiggers 1983b). Lapport fondamental de lauteur rside dans la modlisation de la structure propositionnelle qui comporte les aspects suivants :

(a) la modlisation par rapport la conjonction dune structure formelle et dune structure
smantique dans une unit propositionnelle : lanalyse centre sur les classes de mots est
dispose lintrieur dune dcomposition en macro-constituants (smantico-logiques) ;

(b) la modlisation par rapport la dcomposition des termes de la proposition : ceux-ci (appels
parties du discours par Silvestre de Sacy) reoivent un remplissage au niveau lexmatique des
classes de mots (appeles espces de mots) ;

(c) la modlisation par rapport la coexistence du principe de linarit et du principe de


relationnalit dans la proposition : ici, lauteur applique la distinction traditionnelle entre
syntaxe (= le domaine des rapports entre les mots) et construction (= le domaine du positionnement des formes).

De plus, Silvestre de Sacy fournit des apports intressants propos de la diathse et


des types prdicatifs de verbes, propos de lattribut du complment dobjet direct
(quil appelle sur-attribut), et propos de diverses fonctions morphosyntaxiques
(lauteur parle de cas : cas absolus, cas adverbiaux, cas complmentaires). Se
rclamant dun double hritage celui des grammaires gnrales et celui des grammaires de principes , Silvestre de Sacy se montre soucieux de vrifier les principes gnraux travers la diversit des moyens utiliss par les langues quil a tudies
(langues romanes et germaniques, langues smitiques, langues finno-ougriennes, le
basque, etc.).
En marge de cette volution vers une thorisation de la grammaire, il faut relever
lintense activit de grammairiens-praticiens (ou grammatistes ) qui nous ont laiss
des grammaires pratiques, dont certaines ont connu un trs grand succs. Pour la
France, il faut mentionner les ouvrages de Nol-Franois de Wailly (Grammaire
franoise ou la manire dont les personnes polies et les bons auteurs ont coutume de
parler et dcrire, Paris, 1754)16 et de Franois-Charles Lhomond (Elmens de la

16 partir de la rdition en 1763, cet ouvrage, qui a connu des dizaines de rditions au XVIIIe et au
XIXe sicle, porte comme titre Principes gnraux et particuliers de la langue franoise confirms par des
exemples choisis.

539

Grammaticographie

grammaire franoise, Paris, 1780 [nombreuses rditions aux XVIIIe et XIXe sicles]).17
Parmi les ouvrages pratiques destins aux trangers, on peut mentionner ceux de
Antonio Galmace (Llave nueva y universal para aprender con brevedad y perfeccin la
lengua francesa, Madrid, 1748), de Pierre-Nicolas Chantreau (Arte de hablar bien
francs o gramtica completa, Madrid, 1786 ; nombreuses rditions aux XVIIIe et
XIXe sicles), de Jean-Pont-Victor de Levizac (Lart de parler et dcrire correctement la
langue franoise, ou nouvelle grammaire raisonne de cette langue lusage des
trangers, Londres, 1797 [rditions : 1800, 1801, 1809, 1818, 1822]), de Johann Valentin Meidinger (Kurzgefasste und sehr deutliche practische franzsische Grammatik,
Berlin, 1783 [avec des dizaines de rditions jusque dans la seconde moiti du
XIXe sicle]) et de Simon Debonale (Neue franzsische Grammatik fr Schulen, Hamburg, 1798 [avec de nombreuses rditions jusque dans les annes 1830]).

6 La grammaire franaise au XIXe sicle

Au XIXe sicle, la grammaire franaise entre dans une nouvelle phase, du point de vue
institutionnel. La scolarisation, aprs la rforme scolaire de 1802, a entran une
prolifration de grammaires, souvent pauvres en qualit, destines lenseignement
primaire et secondaire.
Sur les grammaires scolaires du XIXe sicle, voir la bibliographie de Chervel
(1982 ; 2000), o lon trouvera aussi toutes les informations sur les rditions des
manuels grammaticaux. Sur les manuels grammaticaux scolaires lusage de germanophones entre 1850 et 1950, voir Niederlnder (1981). Sur les rapports entre grammaire et enseignement scolaire, voir Delesalle/Chevalier (1986).
Les nombreuses grammaires scolaires, gnralement dues des enseignants ou
des inspecteurs, relguent larrire-plan la thorie. Le remplacement, en 1802, des
coles centrales par les lyces, restaure la position du latin (mme si les comptences
sont dfaillantes, tant du ct des lves que de celui des matres) et favorise un
enseignement o il est plus important de connatre des rgles que de penser. La
grammaire gnrale meurt dune lente mort ;18 la dernire grammaire gnrale voir
le jour est celle du grammairien luxembourgeois Pierre Burggraff (Principes de grammaire gnrale, ou Exposition raisonne des lments du langage, Lige, 1863). Il est
vrai quen 1811 Charles Girault-Duvivier publie une Grammaire des grammaires (qui
sera rdite jusquen 1886), mais cet ouvrage ne saurait passer pour une synthse de
la grammaire gnrale, voire pour une encyclopdie totale de la grammaire (cf.
Levitt 1968 ; Christmann 1971).

17 La grammaire de Lhomond, grammaire lmentaire oriente vers le latin, a t largie par Charles
Le Tellier en une grammaire modestement raisonne , imposant lexercice de lanalyse logique et de
lanalyse grammaticale.
18 Voir les contributions dans Bourquin (2005).

540

Pierre Swiggers

La fonction de la grammaire, dans ce nouveau contexte de scolarisation, est


ancillaire : elle doit sous-tendre lexplication des textes et lenseignement de lorthographe. Un trait typique des grammaires scolaires est la juxtaposition dune analyse
grammaticale (en classes de mots) et une analyse logique (en sujet, copule, attribut)
de la phrase (cf. Chevalier 1979). Au centre de lenseignement grammatical se trouvent
le problme orthographique de laccord du participe pass et lapprentissage de
conjugaisons de verbes (irrguliers). Avec Chervel (1977), on peut distinguer deux
vagues :

(a) la premire grammaire scolaire , rcuprant lhritage de Lhomond (lmens de la grammaire franoise [cf. supra, 5]) et reprsente de faon emblmatique par le succs commercial que fut la Nouvelle grammaire franaise de Franois-Joseph-Michel Nol et CharlesPierre Chapsal (Paris, 1823 [plusieurs dizaines de rditions jusque dans les annes 1930,
avec des exercices]). Cette grammaire prne une analyse grammaticale centre sur la nature
et la fonction des mots. Elle est entirement au service de lorthographe : lenseignement
grammatical sert donner un fondement aux rgles de laccord du verbe avec son sujet,
laccord de lattribut avec le sujet, laccord du participe avec le rgime direct. Au centre de
cette grammaire sont les problmes lis la fonction sujet , aux complments, la
fonction attribut , et au participe. La doctrine grammaticale consiste en une combinaison
peu russie de critres smantiques et de critres syntaxiques.

(b) la deuxime grammaire scolaire , diffuse dans louvrage succs de Larive et Fleury19 et
recourant une analyse logique tendue. Cette nouvelle grammaire scolaire labore une
thorie du complment circonstanciel (oppos au complment direct ) et introduit les
notions de complment dattribution et de complment dagent . Le modle repose sur
des intuitions smantiques, qui reoivent une base formelle (par un jeu de questions : Qui
fait (quoi) ( qui) (quand) (comment) (pourquoi) ?). Son apport essentiel rside dans la
distinction des phrases subordonnes : division en phrases relatives, compltives et circonstancielles ; elle aboutira une division fonde sur la nature des propositions dans
leur rapport avec des classes de mots (propositions substantives, adjectives et adverbiales).

Malgr les attaques de philologues et de linguistes, comme Lon Cldat,20 auteur


dune Grammaire raisonne de la langue franaise (Paris, 1894) et dune Grammaire
classique de la langue franaise (Paris, 1896) et Ferdinand Brunot (cf. infra, 7), cette
grammaire scolaire sest maintenue, comme en tmoigne le succs de traits dorthographe, de manuels de conjugaison et de livres dexercices danalyse logique et
grammaticale.

19 Larive/Fleury [pseudonymes de Merlette et Hauvion], La premire anne de grammaire, Paris,


1871 ; La deuxime anne de grammaire, Paris, 1871 ; La troisime anne de grammaire, Paris, 1875 ;
Grammaire prparatoire par demandes et par rponses avec exercices faciles (nombreuses rditions
tout au long du XIXe sicle et au XXe sicle, jusque dans les annes 1950 ; voir Chervel 2000, 149, 155,
158).
20 Sur luvre grammaticale et linguistique de Cldat, voir Swiggers (2013a) et les contributions dans
Lauwers/Swiggers (2010).

541

Grammaticographie

Il faut signaler qu partir des annes 1860 grce louverture intellectuelle due
lintroduction de la linguistique historico-comparative allemande , la grammaire
lcole a pu profiter, bien que modestement, de lorientation diachronique (cf. Desmet/Swiggers 1992) : en tmoignent les ouvrages dAuguste Brachet (Nouvelle grammaire franaise fonde sur lhistoire de la langue lusage des tablissements dinstruction secondaire, Paris, 1874) et dAlexis Chassang (Nouvelle grammaire franaise.
Cours suprieur avec des notions sur lhistoire de la langue, Paris, 1878). Une place
part revient luvre de Cyprien Ayer,21 grammairien suisse sinspirant des ides
pdagogiques du Pre Girard et des conceptions linguistiques de Karl Ferdinand
Becker, qui a publi une Grammaire franaise (Lausanne, 1851), une Grammaire
usuelle de la langue franaise (Ble/Genve/Lyon/Paris, 1878 [rdition Neuchtel :
1883]), une Grammaire lmentaire du franais (Ble/Genve/Paris, 1880) et une
importante Grammaire compare de la langue franaise (Neuchtel, 1876 [ Ble,
Genve et Paris : 1876, 1882, 1885, 1900]).

7 La grammaire franaise au XXe sicle

Dans les premires dcennies du XXe sicle, les grammaires scolaires, comme celles,
de facture traditionnelle, de Lopold Sudre (Grammaire franaise, Paris, 1907), de
Paul Crouzet, G. Berthet et Marcel Galliot (Grammaire franaise simple et complte
pour toutes les classes, 1909 [nombreuses rditions]), de Maxime Lanusse et Henri
Yvon (Cours complet de grammaire franaise, 3 vol., Paris, 19141926), de Jean Calvet
et Charles Chompret (Grammaire franaise [Cours lmentaire/Cours moyen/Cours
suprieur], 3 vol., Paris, 1917 [nombreuses rditions]), se voient concurrences par les
grammaires que publient les grandes maisons ddition, comme la Grammaire Larousse du XXe sicle (Paris, 1936, auteurs : Flix Gaiffe, Ernest Maille, Ernest Breuil,
Simone Jahan, Lon Wagner et Madeleine Marijon) ou par les grammaires allure
scientifique, qui sont luvre de grammairiens ou de linguistes professionnels ; il faut
toutefois signaler que souvent les grammaires rdiges par des linguistes (et dialectologues) professionnels adoptent un cadre dexposition trs traditionnel et ne comportent gure dinnovations mthodologiques ou descriptives, mme si une ouverture de
la grammaire la stylistique est amorce. On peut mentionner comme exemples la
Grammaire pratique de la langue franaise lusage des honntes gens (Paris, 1937) de
Charles Bruneau et Marcel Heulluy et la Grammaire franaise (Paris, 1937) dOscar
Bloch et Ren Georgin.
Pour des vues globales sur la grammaticographie franaise au XXe sicle, voir
Wagner (19681973), Chevalier (1985), Huot (1991), Krassin (1994), Wilmet (1995 ;

21 Sur luvre grammaticale de Cyprien Ayer, cf. Fryba-Reber/Swiggers (2013, avec bibliographie des
publications linguistiques dAyer, pp. 2329).

542

Pierre Swiggers

2000) et Lauwers (2004). Sur la production scolaire, voir Choppin (1986 ; 1997). Sur le
contexte de lenseignement, voir Prost (1968).
Une place spciale revient luvre monumentale de Jacques Damourette et
douard Pichon, Des mots la pense. Essai de grammaire de la langue franaise
[EGLF] (7 vol., Paris, 19281940).22 Les auteurs, envisageant la langue comme un
mode de pense (spcifique une nation), recourent une terminologie toute nouvelle (cf. le fascicule de Tables, tablies par Henri Yvon, qui constitue un supplment).
Le plan de louvrage est le suivant : le premier volume contient une introduction et
prsente une esquisse de la structure grammaticale du franais, suivie dune description phontico-phonologique, et dune section consacre au nom ; le volume suivant
est consacr ladjectif nominal, ladverbe, linterjection et la phrase nominale.
Le troisime volume traite de la morphologie verbale et de la phrase verbale, le
quatrime des propositions subordonnes, de limpratif, de linterrogation et du
verbe unipersonnel. Le cinquime volume est consacr aux auxiliaires et aux accidents du verbe : temps, modes et voix. Le sixime volume traite de la fonction
strumentale (fonction pi-prdicative , que remplissent les articles, les pronoms
possessifs et relatifs, les conjonctions, etc.), de la ngation et de la restriction, de la
personne et de la quantit. Le dernier volume est consacr aux adjectifs et adverbes
de quantit et aux mots de liaison.
Dans la mme veine psychologisante sinscrit louvrage de Ferdinand Brunot
publi en 1922 : La Pense et la langue. Mthode, principes et plan dune thorie
nouvelle du langage applique au franais (Paris, 1922 ; cf. Melis 1994). Lauteur
propose dorganiser la description grammaticale daprs une classification des contenus exprims ; sa description se veut un expos mthodique des faits de pense,
considrs et classs par rapport au langage, et des moyens dexpression qui leur
correspondent (p. VII). Le principe qui sous-tend louvrage est smiologique : il
sagit danalyser lide commune qui relie les signes divers exprimant le mme
contenu (p. XVIII). La division de louvrage reflte par ailleurs une approche plutt
onomasiologique : lauteur aborde ainsi lexpression des tres , des choses , des
ides et leurs noms , des sexes et genres , des nombres , des faits , du
sujet et de la personne , des circonstances , des faits par rapport nos
sentiments et nos volonts , des relations et des hypothses (pour un aperu
dtaill, cf. la table des matires de louvrage, p. 953982).
Brunot fut un critique svre des grammaires scolaires (cf. Melis/Swiggers 1992),
et davantage de la trs mdiocre Grammaire de lAcadmie franaise (Paris, 1932).23
Lchec de la Grammaire de lAcadmie incitera des grammairiens tenter une
description plus complte et mieux structure. En 1936, le Belge Maurice Grevisse

22 Sur lapport thorique et empirique de lEGLF, voir les contributions dans Travaux de linguistique
910 (19821983).
23 Cf. Brunot (1932) ; Swiggers (1992b).

543

Grammaticographie

publie la premire dition de son Bon Usage. Grammaire franaise avec des remarques
sur la langue franaise daujourdhui. Cette grammaire [BU], sadressant un public
trs large, deviendra aussitt une grammaire de rfrence ; elle doit son succs
mondial au plan limpide qui est adopt, la trs riche documentation, larticulation
solide des diverses parties, au respect des cadres de la grammaire traditionnelle (ce
qui nexclut pas des discussions approfondies et innovatrices de certains problmes
grammaticaux). Grevisse fera accompagner cette grammaire de rfrence dune srie
douvrages didactiques (exercices ; manuels de correction du langage ; exposs sur le
participe pass, lemploi des prpositions, etc.). Actuellement, louvrage en est sa
quinzime dition, considrablement remanie par Andr Goosse,24 qui a renouvel
sur plusieurs points le plan dorganisation et le dtail de la description en y intgrant
les acquis de la linguistique moderne (Le Bon Usage. Grammaire franaise, Bruxelles/
Paris, 2011). Aprs 75 ans dexistence, Le Bon Usage, qui totalise presque 2000 pages,
est sans le moindre doute la meilleure grammaire de consultation de la langue
franaise : la richesse de linformation, avec des exemples puiss dans diffrents
genres textuels ainsi que dans la langue orale, la qualit des commentaires (nullement puristes), la clart de lexpos et de la prsentation (typographique) en font un
instrument de rfrence incontournable.
Pour un aperu gnral de la contribution belge la grammaire franaise, voir
Trousson/Berr (1997). Un ouvrage grammatical qui a connu un grand succs scolaire
en Belgique est la Grammaire franaise lusage des Athnes, des Collges et des
coles moyennes de Bernard Van Hollebeke et Oscar Merten (Namur, 1870 [nombreuses rditions et rvisions au XIXe et au dbut du XXe sicle]). Sur le phnomne
Grevisse, voir Lieber (1986). propos des aspects de documentation, de description et
de soubassement thorique du Bon Usage, voir les contributions dans Travaux de
linguistique 1213 (19851986) : Tradition grammaticale et linguistique : Le Bon Usage
de M. Grevisse.
Dans la deuxime moiti du XXe sicle, la grammaticographie franaise sera de
plus en plus expose linfluence et lattrait de courants linguistiques. Les rapports
entre la discipline grammaticale et la linguistique, encore trs ambigus dans la
premire moiti du sicle (cf. Lauwers 2004), sarticuleront dans le sens dune exploitation didactique des acquis dun ou de diffrents modles en linguistique ; cette
exploitation se reflte dans les grammaires franaises publies depuis 1950.
La Grammaire Larousse (cf. supra) a pass travers quelques rditions refltant
les modes changeantes en linguistique. En 1964, une quipe compose principalement danciens lves de Robert-Lon Wagner ( savoir : Jean-Claude Chevalier,
Michel Arriv, Claire Blanche-Benveniste et Jean Peytard) publia la Grammaire [La

24 Andr Goosse a soign, aprs la mort de Maurice Grevisse (en 1980), les 12e (1986), 13e (1993), 14e
(2007) et 15e (2011) ditions du BU, quil na cess denrichir et de peaufiner. Louvrage est toujours
publi sous les noms de Grevisse et Goosse.

544

Pierre Swiggers

rousse] du franais contemporain (Paris, 1964 [rditions : 1973, 2002] qui exploite
certaines techniques structuralistes (comme la commutation) et utilise le concept de
transformation. Lassimilation tardive du structuralisme amricain et lutilisation
clectique du gnrativisme se refltent fidlement dans les travaux de Jean Dubois,
publis chez Larousse (Grammaire structurale du franais, 3 vol., Paris, 19651969 ; et,
avec Ren Lagane : La nouvelle grammaire du franais, Paris, 1973). La mme maison
ddition a publi les travaux, dinspiration harrisienne, de Maurice Gross (Grammaire
transformationnelle du franais : Syntaxe du verbe/Syntaxe du nom, 2 vol., Paris, 1968
1977).
Si on dresse le bilan du demi-sicle qui a suivi lmergence du structuralisme
amricain (19251975), on constate que limpact du structuralisme25 sur la grammaticographie franaise a t minime pendant cette priode (mis part un travail,
explicitement structuraliste, comme celui de Robert A. Hall, Structural Sketch :
French, Baltimore, 1948). La grammaticographie franaise est reste en gnral de
facture traditionnelle ou psychologisante, avec parfois de fines observations (plus ou
moins systmiques ), comme chez Gustave Guillaume (tudes sur larticle, sur le
systme des temps), Cornelis de Boer (Introduction ltude de la syntaxe du franais,
Genve, 1933 ; Syntaxe du franais moderne, Leyde, 1947), Georges et Robert Le Bidois
(Syntaxe du franais moderne. Ses fondements historiques et psychologiques, Paris,
19351938), Albert Dauzat (Grammaire raisonne de la langue franaise, Lyon, 1947) et
Georges Galichet (Essai de grammaire psychologique, Paris, 1947). Le structuralisme
europen a laiss son empreinte, de manire varie, sur des grammaires comme celles
de Georges Gougenheim (Systme grammatical de la langue franaise, Paris, 1938), de
Robert-Lon Wagner et Jacqueline Pinchon (Grammaire du franais classique et moderne, Paris, 1962 [nombreuses rimpressions]) et de Walther von Wartburg et Paul
Zumthor (Prcis de syntaxe du franais contemporain, Berne, 1947).
ltranger, les modles structuralistes ont pu fournir le cadre mthodologique
de quelques descriptions grammaticales (comme celle de Teodora Cristea, Grammaire
structurale du franais contemporain, Bucarest, 1974, qui exploite les acquis du
structuralisme de Genve, de Prague et de Copenhague, en combinaison avec des
techniques du structuralisme et du gnrativisme amricains) ou de certains travaux
plus thoriques (comme celui de Knud Togeby, Structure immanente de la langue
franaise, Paris, 1965). Dans les pays scandinaves, les descriptions grammaticales du
franais (et dautres langues romanes) se caractrisent en gnral par une riche

25 lexception du structuralisme particulier que reprsente la psychomcanique de Gustave


Guillaume, qui a marqu profondment la grammaire franaise, limpact des courants structuralistes
sur la linguistique et la grammaticographie franaises a t plutt restreint. Linfluence quont exerce
sur la grammaticographie les travaux de linguistes (comparatistes) comme Meillet (19211936), Tesnire (1959) et Benveniste (19661974) a t sporadique et slective. Sur linfluence qua exerce la
psychomcanique de Guillaume sur la grammaticographie et la linguistique franaises, cf. Soutet
(2005).

545

Grammaticographie

documentation, exploite des fins taxonomiques. Une approche trs originale


fondement structuraliste, mais exploitant de faon judicieuse la dimension textuelle de la langue est fournie par Harald Weinrich dans sa Textgrammatik der
franzsischen Sprache (Stuttgart, 1982 ; trad. fr. Grammaire textuelle du franais, Paris,
1989).
Depuis 1975, la grammaticographie franaise a subi de plus en plus linfluence de
modles thoriques, franais ou trangers : on dispose maintenant de descriptions
grammaticales qui se basent sur la thorie de la psychomcanique (cf. Grard Moignet, Systmatique de la langue franaise, Paris, 1981 ; Bernard Pottier, Thorie et
analyse en linguistique, Paris, 1987 ; Olivier Soutet, La syntaxe du franais, Paris,
1989), sur le structuralisme fonctionnaliste dAndr Martinet (cf. A. Martinet, ed.,
Grammaire fonctionnelle du franais, Paris, 1979 ; A. Martinet, Syntaxe gnrale, Paris,
1985 ; Jacques Popin, Prcis de grammaire fonctionnelle du franais, Paris, 1993), sur
lapproche pronominale (cf. Claire Blanche-Benveniste et al., Pronom et syntaxe,
Paris, 1984), et surtout sur lune ou lautre version gnrativiste (cf. Llia Picabia et
Anne Zribi-Hertz, Dcouvrir la grammaire franaise, Paris, 1981 ; Anne Delaveau et
Franoise Kerleroux, Problmes et exercices de syntaxe franaise, Paris, 1985). Il existe
par ailleurs de bonnes grammaires vise didactique, qui appliquent une version
mitige du structuralisme (formaliste) ou de la psychomcanique du langage, tout en
subordonnant la thorie linformation pratique : on peut mentionner ici la grammaire de Christian Baylon et Paul Fabre (Grammaire systmatique de la langue
franaise, Paris, 1978) et luvre trs riche de Henri Bonnard, auteur dune Grammaire
franaise des lyces et collges (Paris, 1950), dune Grammaire franaise. Principes
dune description structurale ; tude normative des formes et de leurs emplois (Paris,
1967) et du Code du franais courant (Paris, 1981) ; on peut y ajouter la Grammaire utile
du franais (Paris, 1991) dvelyne Brard et Christian Lavenne et la Grammaire du
franais (Paris, 1994) de Delphine Denis et Anne Sancier-Chateau, qui se prsente
sous forme darticles alphabtiques rangs sous quatre grandes divisions (les catgories grammaticales/les fonctions/la phrase/le verbe).
Dans les annes 1990, on a vu paratre des grammaires orientation discursive , proposant (et concrtisant) une approche pragmatique de la grammaire et
prtant beaucoup dattention aux phnomnes qui relvent de lnonciation (comme
fait de parole en corrlation avec des structures linguistiques de divers niveaux) et de
larticulation du discours : cest le cas p. ex. de Patrick Charaudeau, Grammaire du
sens et de lexpression (Paris, 1992 [plusieurs rditions]) et dAlain Frontier (La
grammaire du franais, Paris, 1997).
Deux grammaires rcemment publies ont acquis le statut douvrage de rfrence.
La Grammaire mthodique du franais (Paris, 1994 [rditions : 1997, 1998, 2004,
2007, et dition profondment remanie : 2009]) de Martin Riegel, Jean-Christophe
Pellat et Ren Rioul est non seulement une trs solide grammaire de consultation,
mais cest aussi un ouvrage de rflexion thorique (de nature structuraliste et fonctionnaliste), couvrant la phontique, lorthographe et la ponctuation, la syntaxe de la

546

Pierre Swiggers

phrase simple, la syntaxe de la phrase complexe, le rapport entre grammaire et


lexique, et des phnomnes de rfrence, dnonciation et de structuration du texte.
Louvrage, qui connat actuellement un trs grand succs, sadresse des tudiants et
des enseignants de franais, ainsi qu un large public dutilisateurs confronts avec
des difficults du franais contemporain. La grammaire contient des renvois systmatiques la littrature grammaticale et linguistique secondaire.26 La Grammaire critique du franais (Bruxelles, 1997 [rditions : 1998, 2003, 2007, 2010]) de Marc Wilmet
fournit une description du franais en dialogue constant avec les analyses traditionnelles et les travaux linguistiques modernes. Le but de cette grammaire est damener
le lecteur une rflexion linguistique personnelle sur les structures grammaticales du
franais. Loriginalit de louvrage rside avant tout dans le traitement orientation
smantique offert lintrieur des diverses classes de mots (surtout le nom, larticle et
le pronom) et dans lapproche du syntagme nominal (distinction entre lments
quantifiants, lments caractrisants et lments quantifiants-caractrisants).
De plus, la grammaticographie franaise peut se rjouir de lexistence de travaux
de synthse ou de traitement encyclopdique par concepts ; signalons ici les volumes
de Robert-Lon Wagner (La grammaire franaise, vol. 1 : Les niveaux et les domaines.
Les normes. Les tats de langue ; vol. 2 : La grammaire moderne. Voies dapproche.
Attitudes des grammairiens, Paris, 19681973), les prcieux articles grammaticaux
rdigs par Henri Bonnard dans le Grand Larousse de la langue franaise (Paris, 1971
1977), et les guides publis par Jolle Gardes-Tamine (La grammaire, 2 vol., Paris,
1988) et par Michel Arriv en collaboration avec Franoise Gadet et Michel Galmiche
(La grammaire daujourdhui. Guide alphabtique de linguistique franaise, Paris,
1986).

8 Conclusion et perspectives
Lpaisseur croissante de cet expos est un reflet la fois de lexpansion progressive27
dans la production de grammaires grammaires pratiques surtout, mais aussi grammaires qui tmoignent dune vritable rflexion et de la formation dun corps de
doctrine, tout particulirement dans llaboration dune morphosyntaxe (do une
rarticulation du traitement des parties du discours). Il faudrait y ajouter des analyses
menes sur des sujets comme : le classement des parties du discours, les concepts

26 La Grammaire mthodique tmoigne dun remarquable effort dintgration de concepts et de


principes qui relvent des thories smantiques et pragmatiques actuelles ; plus spcifiquement, elle
incorpore les vues innovatrices du linguiste strasbourgeois Georges Kleiber.
27 On peut sen faire une ide en comptant le nombre dentres dans linventaire de Stengel (1890),
portant sur la priode 14001800, mme si celui-ci prsente un certain nombre de lacunes et derreurs :
38 numros pour le XVIe sicle, 183 numros pour le XVIIe sicle et 377 numros pour le XVIIIe sicle.

547

Grammaticographie

thoriques mis en uvre ou fonctionnant dans limplicite, les termes grammaticaux,


les rapports avec des champs annexes.28
Si, du Moyen ge jusqu la fin du XVIIIe sicle, le schma grco-latin des parties
du discours se maintient en gnral, les points nvralgiques ont t la place donner
aux articles (et le nombre dlments caser dans cette classe), le statut du participe,
lorganisation de la classe des pronoms (problme ardu), et lhomognisation de la
classe des prpositions en rapport avec le traitement des articles. On reconnatra aussi
qu lintrieur de chacune des classes, plusieurs arnes de discussion et plusieurs
zones dintervention catgorisante se sont prsentes : quon pense la subdivision
des espces de noms ou, surtout, lanalyse des temps et des modes. Parmi les
changements les plus importants, il faut retenir la sparation de ladjectif avec le
substantif, comme deux parties du discours autonomes (cette innovation, si importante pour une bonne description de la morphosyntaxe du franais, sest fait attendre
jusquen 1747, avec les Vrais principes de Girard) et ltablissement de la classe
darticles comme dterminants (grce Du Marsais et Beauze).
Et, synthse faite, il faudrait se pencher alors sur des questions mtahistoriographiques , comme celles de ladquation descriptive (et explicative) des positions
dcrites, des rseaux intellectuels, des contraintes cognitives, des facteurs incidents
socio-culturels, conomiques et politiques , de lvolution de la langue franaise,29
enfin des signes de progrs et de reculs . En labsence de tout cela, on se bornera
formuler quelques conclusions dordre factuel et voquer, rapidement, certaines
perspectives.
Lvolution de la grammaticographie franaise, depuis le Moyen ge, se caractrise par :

(a) une augmentation quantitative (en proportion avec le nombre de producteurs ) de


travaux grammaticaux (de plus en plus pointus) ;
(b) une diversification en termes (i) de modles descriptifs, (ii) de publics viss (diffrenciation
par rapport au niveau-seuil et par rapport au niveau-cible), (iii) diffrenciation entre grammaire de langue maternelle et grammaire de langue seconde ou trangre, (iv) de plans
descriptifs ( spcialisation des produits en fonction de plans danalyse et de description
orthographe, phontique/phonologie, morphologie, syntaxe, phrasologie ou expression crite , ainsi que de dimensions transversales (grammaire-lexicologie ; grammairesmantique) ;
(c) un rapprochement croissant entre grammaticographie et linguistique, dabord en termes
gnraux (adhsion, plus ou moins fidle, aux grandes orientations thoriques : linguistique structurale/fonctionnelle/transformationnelle etc.), ensuite en termes de rattachement
des modles trs spcifiques ;

28 En fait, cest tout le champ de ce quon appelle aujourdhui les sciences sociales qui devrait tre
mobilis ici, en connexion troite avec le contexte institutionnel changeant.
29 Parmi les histoires de la langue franaise, celle de Ferdinand Brunot (19051936) accorde une large
place au travail investi dans la langue, par les grammairiens, lexicographes, thoriciens et observateurs ; voir aussi Seguin (1972) pour le XVIIIe sicle.

548

Pierre Swiggers

(d) depuis quelques dcennies, par une pollinisation croise de plus en plus intense entre
lactivit linguistique et dautres disciplines (didactique et didaxologie ;30 sciences de la
communication ; psychologie cognitive, ) ainsi que par le recours de nouvelles technologies (utilisation de grands corpus ; traitement automatique du langage ; extraction de
donnes) ; cette synergie a des retombes sur diffrentes phases de lactivit grammaticographique (collecte et slection de matriaux ; attitude lgard de lacceptabilit de
donnes ; traitement descriptif ; prsentation et mise disposition des rsultats descriptifs) ;
(e) lapparition, la suite dinitiatives institutionnelles, dentreprises collectives : travaux dquipes et de laboratoires , publications rpondant des projets de collaboration internationale ou des opportunits ditoriales. On peut mentionner comme grands projets
collectifs en cours de publication ou de ralisation : une grande grammaire du franais (sous
la direction dAnne Abeill) et une encyclopdie grammaticale du franais (projet dirig par
Marie-Jos Bguelin, Alain Berrendonner, Jos Deulofeu et Dominique Willems).

Tout laisse prvoir que dans le futur (proche et lointain), la grammaticographie


franaise se dveloppera dans le sens dune discipline ( pratique souvent encore
individuelle, mais de plus en plus collaborative ) dans laquelle ltude de la
grammaire et ltude de la logique interagiront de faon troite, en intgrant davantage les dimensions smantique, pragmatique et cognitive de lexprience et du
comportement langagiers. Elle voluera, videmment, en fonction de lvolution de la
langue franaise, de ses varits et de sa variation, et en rapport avec les besoins
changeants dun public de demandeurs de plus en plus diversifi. Toutefois, la
grammaticographie conservera ses traits incontournables : respect de donnes empiriques (servant dexemplification), effort danalyse systmatique et mthodique (en
rfrence des niveaux, des paradigmes et des lments reprsentatifs), recours un
mtalangage technique , reconnaissance de la distinction entre, au moins, la
nature des lments et leur fonction. Et elle continuera osciller entre des penchants
en tension depuis belle lurette : formalisme et approche plutt discursive ; normativisme et libralisme ; thorisation et vise pratique ; lambition dembrasser tout
et le choix dune treinte cible. Terrain de bataille depuis lAntiquit (grammatici
certant), la grammaire est aussi un lieu de tiraillement interne.

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30 Pour ce concept ( contenu plus riche que celui de didactologie, propos par Galisson (1986), voir
Swiggers (2010, 81s.).

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Xavier Gouvert et Ulrike Heidemeier

23 Lexicographie
Abstract : La lexicographie franaise est lune des plus productives au monde : la
langue franaise est dote dune tradition dictionnairique plurisculaire, conditionne tant par la place de la langue nationale dans lhistoire politique et sociale de la
France que par une longue rflexion mthodologique et mtalinguistique. Le prsent
article aborde la lexicographie franaise sous trois aspects. Un aperu historique (1)
rsume les grands courants dvolution du genre lexicographique en France, du XVIe
sicle nos jours. Dans une deuxiem section (2) sont examins limportance et les
effets de la numrisation des dictionnaires. La situation actuelle de la lexicographie
franaise, aprs ce quil est convenu dappeler son ge dor, occupe la troisime et
dernire section (3).

Keywords : dictionnaire, lexicographie, mtalexicographie, langue nationale, histoire


de la langue, numrisation

1 La lexicographie franaise : aperu historique

La lexicographie franaise est hritire dune tradition qui remonte la premire


moiti du XVIe sicle ; le monde francophone a connu, notamment aux XIXe et XXe
sicles, une production dictionnairique pratiquement innombrable, stendant de la
vulgarisation commerciale la recherche lexicologique la plus avance. Au cours
dune histoire lexicographique de prs dun demi-millnaire, la France est devenue le
pays du dictionnaire (Hausmann 1985a, 36) par excellence (sur lhistoire de la
lexicographie franaise, cf. Quemada 1967 ; 1990 ; Mator 1968 ; Wooldridge 1977 ;
Bray 1990 ; Rey 1990).

1.1 Aux origines : de la glossographie mdivale au foisonnement


humaniste

Pourvue dune longue tradition crite en langue nationale, influence dun ct par
une culture humaniste tributaire des textes grecs et latins de lAntiquit et, de lautre,
par la latinit de lglise catholique, la civilisation franaise a dvelopp sa tradition
lexicographique monolingue sur la base des premiers glossaires latins du Moyen ge ;
cette volution, qui la rapproche de celle du reste de lEurope, la distingue de celle
des autres civilisations du monde (cf. Quemada 1967, 39s. ; Boisson/Kirtchuk/Bjoint
1991, 284 ; Bray 1990, 1788). Il est gnralement admis que la lexicographie moderne
du franais a connu son dbut officiel en 1539 (cf. Quemada 1967, 11s. ; Wooldridge
1977, 23 ; Bray 1990, 1792 ; Monfrin/Vielliard 1990, 7).

557

Lexicographie

Issu dune famille dimprimeurs, lhumaniste Robert Estienne (1498/15031559 ; cf.


Mator 1968, 5 ; Baldinger 1982, 9) publie trois dictionnaires qui seront dune importance majeure pour la lexicographie latine et franaise : dabord le Latinae linguae
Thesaurus (1531), dictionnaire majoritairement latin sur le modle du Dictionarium de
Calepinus (1502), quil avait la tche de rditer (cf. Wooldridge 1977, 19s. ; Quemada
1990, 872 ; Bray 1990, 1792) ; puis le Dictionarium latinogallicum (1538), dans lequel les
entres latines sont traduites ou expliques en franais ( sermone patrio ; cf. Bray
1990, 1793). Cest en 1539, lanne mme o Franois Ier dicte lordonnance de VillersCotterts, quEstienne publie le Dictionaire francoislatin, considr comme le premier
dictionnaire nomenclature franaise et qui marque sporadiquement, presquaccidentellement , le dbut de la lexicographie franaise monolingue (Bray 1990, 1793).
La lexicographie humaniste est marque, ct de ceux dEstienne, par les
travaux de Jean Nicot (15301604). Son Thresor de la langue franoyse, publi dans
une dition posthume en 1606, est louvrage le plus troitement associ Robert
Estienne par le simple fait quil sagit de laboutissement dun effort pour rditer
son Dictionaire aprs sa mort (cf. Wooldridge 1977, 8 ; Bray 1990, 17931794). Contrairement ce que suggre son titre, le Thresor nest mas monolingue :

Il appartient cette catgorie de dictionnaires que B. Quemada [] a qualifis de semibilingues : cest un rpertoire dans lequel la langue objet [en loccurrence le franais] est
utilise aussi pour des commentaires ou des exemples plus ou moins tendus (Bray 1990,
1794).

1.2 Labsolutisme lexicographique : lAcadmie franaise et ses


concurrents

On sait que lAcadmie franaise fut fonde le 29 janvier 1635 par le cardinal de
Richelieu, daprs le modle italien de lAccademia della Crusca (1583, Florence ; cf.
Quemada 1985). Son objectif principal, travailler avec tout le soin et toute la
diligence possibles donner des rgles certaines notre langue et la rendre pure,
loquente et capable de traiter les arts et les sciences (article XXIV des statuts de
lAcadmie), devait aboutir au premier dictionnaire de langue franaise entirement
monolingue. Cependant, ce projet fut devanc par celui de Pierre Richelet (1626
1698), qui fit paratre en 1680, Genve, le Dictionnaire franois (cf. Quemada 1985,
77). Du fait du monopole royal quavait obtenu lAcadmie, Richelet dut en effet
publier son dictionnaire ltranger. Aprs son introduction clandestine en France, ce
dernier connut un grand succs, dont tmoignent ses nombreuses rditions (cf. Bray
1990, 17961798 ; Quemada 1990, 874). En 1694 parut enfin le Dictionnaire de lAcadmie franaise (DAF), rdit huit fois jusquen 1935 (21718, 31740, 41762, 51798, 61835,
71878, 819321935) et dont la neuvime dition est en cours de parution depuis 1992
(cf. Quemada 1985, 79s. ; Bray 1990, 17981800 ; cf. aussi le site web de lAcadmie

558

Xavier Gouvert et Ulrike Heidemeier

franaise). Le DAF, dictionnaire slectif et normatif, se fonde sur le bon usage du


XVIIe sicle, dfendu par Vaugelas, auteur des Remarques sur la langue franaise, qui
avait particip, jusqu sa mort en 1640, la rdaction de cet ouvrage (cf. Mator
1968, 7073). Le dictionnaire est unique par son refus de recourir aux citations
dauteurs les Acadmiciens illustrent les lemmes par leurs propres exemples et sa
vision ahistorique de la langue, excluant toute indication tymologique (du moins
jusqu la neuvime dition). Il continue jouer un rle symbolique, mais central,
dans la normalisation de la langue nationale.

1.3 La rvolution encyclopdiste : la lexicographie au sicle des


Lumires

La pense philosophique du sicle des Lumires influena lhistoire de la production


lexicographique franaise de manire dcisive. Antoine Furetire (16191688), membre de lAcadmie franaise de 1662 1685, labora le premier dictionnaire vocation
encyclopdique, le Dictionnaire Universel (DU), qui parut aprs sa mort, en 1690 (cf.
Bray 1990, 1800). Son dbat avec lAcadmie lopposa cette institution autant que
soppose le DU au DAF : avec Furetire, la lexicographie franaise vcut sa premire
rupture pistmologique ; on distinguera ds lors le dictionnaire de langue, qui se
rfre au signe linguistique ( dictionnaire de mots ), du dictionnaire encyclopdique, qui explique le rfrent ( dictionnaire de choses ; cf. Quemada 1985, 77 ;
1990, 874 ; Pruvost 2002a, 32s.). Furetire est le prcurseur des grandes productions
dans le domaine encyclopdique qui paratront aux XIXe et XXe sicles. Conformment la tradition pdagogique de leur compagnie, les jsuites de Trvoux capitale
de la principaut de Dombes indpendante du royaume de France et chappant alors
aux dcrets royaux concernant limprimerie (Bray 1990, 1801) publirent en 1704 le
Dictionnaire universel franois et latin (le Trvoux, cf. Quemada 1982, 341). Celui-ci
tait, dans sa premire dition, une reprise de la deuxime dition du dictionnaire de
Furetire (cf. Bray 1990, 1801), si bien quil contribua loubli de ce dernier. La
proccupation philosophique qui sous-tendait ces deux ouvrages laube du XVIIIe
sicle culmine dans le travail monumental de Denis Diderot (17131784) et Jean Le
Rond dAlembert (17171783), qui publient entre 1751 et 1772 lEncyclopdie ou Dictionnaire raisonn des sciences, des arts et des mtiers. Comme son titre lindique, lEncyclopdie se veut une synthse exhaustive des connaissances accumules dans tous les
domaines du savoir humain. La richesse et loriginalit de louvrage tiennent la
prsentation des matires sous trois formes : des articles de type lexicographique
(lemme, dfinition, commentaire), des planches illustres et lgendes, ainsi quun
riche apparat critique constitu de notes en fin de volumes. Pour cette mme raison,
louvrage dborde largement le cadre de la lexicographie, et son influence dans
lhistoire intellectuelle de la France et de lEurope est considrable (cf. Blom 2004 ;
Fischer 2004 ; Hoinkes 2012).

Lexicographie

559

Du point de vue dictionnairique, en tout cas, la publication de lEncyclopdie fit


bientt tomber dans loubli tant le Dictionnaire de Furetire que celui de Trvoux (cf.
Mator 1968, 95 ; Bray 1990, 1802).

1.4 Linflation dictionnairique : naissance dune lexicographie pour


le grand public

Lpoque pr- et post-rvolutionnaire en France est marque par une grande production lexicographique. Il convient dabord de noter lmergence, la fin du XVIIIe
sicle, des premiers dictionnaires abrgs versions de poche des grands ouvrages , dabord diffusion restreinte, mais appels connatre une popularit croissante (cf. Quemada 1982, 342344 ; 1990, 874875). LAcadmie franaise sassure un
rle darbitre de la norme, notamment en prenant, partir de la troisime dition du
DAF (1740), des dcisions dterminantes pour lorthographe franaise. Celle-ci ne
connatra plus de grands changements partir de la sixime dition en 1835 (cf.
Wooldridge 1977, 221 ; Quemada 1990, 876).
Deux hommes incarnent lmergence de la premire lexicographie commerciale qui caractrise cette poque. Le premier est Charles Nodier (17801844), figure
tutlaire du premier romantisme franais, membre influent de lAcadmie et de
multiples socits savantes, gnralement regard comme linstituteur de la linguistique en France (cf. Vaulchier 1984). On lui doit notamment un Dictionnaire raisonn
des onomatopes franaises (1808) et un Examen critique des dictionnaires de la langue
franaise (1828). Bien que Nodier ny ait pas contribu, son nom apparat sur le
frontispice de la deuxime dition du Dictionnaire universel de Victor Verger, qui parut
en 1826. Il ncrivit en ralit que lAvertissement de ce dictionnaire (cf. Vaulchier
1984, 97). Le second pionnier de la lexicographie grand public est Napolon
Landais (18041852), moins clbre pour sa production romanesque que pour son
uvre lexicographique et grammaticographique : son Dictionnaire gnral et grammatical des dictionnaires franais (1834), en particulier, fut lun des succs de librairie des
annes 1830 et 1840 (cf. Pruvost 2002a, 46).
La premire moiti du XIXe sicle voit en outre la cration de deux maisons
dditions qui modleront le march dictionnairique en France en lui donnant une
orientation commerciale, dtermine par les besoins du grand public (cf. Quemada
1990, 876). Louis Hachette (18001864) fonde en 1826 la Librairie Hachette, appele
devenir au XXIe sicle la premire maison ddition en France. Avide dacqurir et de
transmettre le savoir, Pierre Larousse (18171875) fonde en 1850 la Librairie Larousse,
maison ddition qui se spcialisera dans la production douvrages de rfrence (cf.
Pruvost 2002c). Dans un esprit dducation des masses, il publie partir de 1863 en
fascicules, puis ds 1866 en tomes, un dictionnaire encyclopdique, le Grand Dictionnaire Universel du XIXe sicle (cf. Quemada 1990, 875 ; Pruvost 2002a, 55). La direction
de la Librairie Larousse sera reprise, la fin du sicle, par Claude Aug (18541924),

560

Xavier Gouvert et Ulrike Heidemeier

lequel fera paratre deux dictionnaires encyclopdiques, le Nouveau Larousse illustr


(18971904, 7 vol.), puis le Petit Larousse illustr (1905, 1 vol. ; cf. Rey 1990, 1820
1822 ; Pruvost 2002a, 5458).
Condisciple et ami de Louis Hachette, le philologue et polygraphe mile Littr
(18011881) publie entre 1863 et 1873 le Dictionnaire de la langue franaise, universellement connu comme le Littr. Son ambition de dpart, la rdaction dun dictionnaire
tymologique (cf. Roques 1982), culmina dans un projet beaucoup plus vaste, celui de
donner une monographie de chaque mot (Prface, p. XXXVIII). Littr introduisit la
proccupation tymologique et grammaticale dans la pratique dictionnairique, et
marqua ainsi le dbut de la lexicographie scientifique et philologique (cf. Mator
1968, 118124 ; Quemada 1990, 878s.). Le Littr allait devenir avec le Dictionary of
the English Language (1755) de Samuel Johnson et le Deutsches Wrterbuch (1854) des
frres Grimm lun des dictionnaires les plus influents de lhistoire occidentale.

1.5 Aprs Littr : gense de la lexicographie moderne (18701925)

Dans un esprit similaire celui de Littr, mais dans lespace, plus modeste, de deux
volumes, parut le Dictionnaire gnral de la langue franaise (DGLF, 118891901),
labor par Adolphe Hatzfeld, Arsne Darmesteter et Antoine Thomas trois auteurs
incarnant le sommet de la grammaire historique de leur temps. La vision diachronique
du DGLF, qui peut tre considr comme le meilleur rpertoire historico-philologique du franais moderne (Quemada 1990, 879), reflte exactement les avances de
la recherche en linguistique de la fin du sicle. Cet intrt scientifique pour la langue
et son histoire se rvle paralllement dans un tout autre domaine : les dictionnaires
de lancien franais. Deux opera magna consacrs la langue mdivale marquent la
priode : le Dictionnaire de lancienne langue franaise et de tous ses dialectes (Gdf,
18801902) de Frdric Godefroy, ainsi que lAltfranzsisches Wrterbuch (TL, 1925
2002) dAdolf Tobler et Erhard Lommatzsch. Ils reprsentent tous deux un modle et
une avance considrable pour ce champ dtude (cf. Kantor/Stumpf 1974 ; Quemada
1990, 879). Prolongeant ce vaste mouvement de renouveau, mais port par une
ambition heuristique plus gigantesque encore, cest finalement le Franzsisches Etymologisches Wrterbuch (FEW, 19222002, 25 vol.), conu par Walther von Wartburg
(18881971) dans la continuation de lAtlas Linguistique de la France de Jules Gilliron,
qui fera poque dans le deuxime quart du XXe sicle. Le FEW vise dresser un
tableau complet, comparatif et historique, du lexique galloroman (franais, francoprovenal, gascon, occitan) dans une perspective gntique, cest--dire en partant de
ltymon commun aux lexmes anciens et modernes. Ce dictionnaire est, par sa
conception et son contenu, une rfrence indispensable et incomparable pour ltude
scientifique du lexique franais (cf. Wartburg 1961 ; Monfrin/Vielliard 1990, 8s. ;
Bchi/Chambon 1995 ; Bchi 1996 ; Chauveau/Seidl 2003 ; Chauveau/Buchi 2011,
101107 ; Buchi/Renders 2013, 645655).

561

Lexicographie

1.6 19501995 : un ge dor pour la lexicographie franaise ?

Malgr certaines productions importantes parues entre les deux guerres, comme le
Dictionnaire encyclopdique dAristide Quillet en 1934 (cf. Pruvost 2002a, 67s.), il
convient de constater une priode d hibernation de la lexicographie de langue
entre 1925 et 1950 (Rey 1990, 1826). Ce nest quaprs cette date que lvolution
lexicographique allait tre durablement influence par deux Franais qui, ns la
mme poque, poursuivaient, pour des raisons diffrentes, la mme ide : Paul Imbs
(19081987) et Paul Robert (19101980).
Le Colloque International Lexicologie et lexicographie franaises et romanes,
organis Strasbourg (1216 novembre 1957), reprsente un vnement important
dans la rflexion autour de la rapparition du dictionnaire de langue ; les principaux
spcialistes de lpoque en lexicologie et lexicographie y discutrent la question
du Nouveau Littr (Imbs 1961a, non pagin) pour constater la ncessit dun
Trsor gnral de la Langue franaise qui serait le tmoin objectif et impartial du
vocabulaire franais et un exemple-type de la lexicographie scientifique moderne dans lhritage de Littr (Imbs 1961b, 285). Ce projet fut ralis, sous la
direction du recteur Paul Imbs et lgide du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) dans le Centre de Recherche pour un Trsor de la Langue Franaise
(CRTLF), install Nancy, qui allait devenir lInstitut National de la Langue Franaise (INaLF, aujourdhui ATILF). Une quipe dune centaine de personnes, constitue spcialement cet effet, labora pendant 30 ans, avec les moyens techniques
les plus avancs les 16 volumes du Trsor de la Langue Franaise (TLF), publis
entre 1971 et 1994. Le TLF reprsente un norme travail philologique et lexicologique, fond sur un vaste corpus de textes littraires, scientifiques et techniques des
XIXe et XXe sicles corpus exploit par un traitement automatique informatis et
qui allait devenir la base Frantext (cf. Martin 1969 ; Pruvost 2002b, 1s. ; Bernard/
Montmont 2010, 34 ; Buchi/Pierrel 2009).
Venu dun tout autre horizon que Paul Imbs, le juriste Paul Robert poursuivait
depuis la fin des annes 1940 lide de prolonger Littr en le modernisant et en
rdigeant un dictionnaire analogique de la langue franaise (cf. Galarneau 2002 pour
sa vie et son uvre). Il fonda en 1951 sa propre maison ddition (nomme alors
Socit du Nouveau Littr) et publia, entre 1953 et 1964, les six volumes de son
Dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise (cf. Rey 1990, 1827
1828 ; Pruvost 2002a, 6870). En 1968 parut, sous la direction dAlain Rey, Josette
Rey-Debove et Henri Cottez trois auteurs en contact avec la recherche linguistique
contemporaine , le Petit Robert, qui se fonde sur son grand prdcesseur en rduisant et modlisant sa nomenclature et son contenu (cf. Rey 1990, 18281829 ; Pruvost
2002a, 70s.) ; rgulirement rdit, le Petit Robert devait faire la fortune de la maison
Robert. Dautres ouvrages, tels que le Dictionnaire du franais contemporain (DFC,
1967) du lexicologue Jean Dubois (cf. Mator 1968, 149151 ; Quemada 1990, 876 ; Rey
1990, 18321833 ; Pruvost 2002a, 72s.), ou le Dictionnaire du franais vivant (DFV,

562

Xavier Gouvert et Ulrike Heidemeier

1972), de Maurice Davau, Marcel Cohen et Maurice Lallemand (cf. Pruvost 2002a,
73s.), ont vu le jour dans cette priode prospre de la lexicographie franaise ; priode
que lon a pu qualifier, par son lustre et clat , de demi-sicle dor de la lexicographie franaise (Pruvost 1995, 6 ; pour une vision globale de la production lexicographique de la fin du XXe sicle, cf. Corbin 1991 ; Pruvost 1995).

1.7 Innovation ou surenchre ? (19952015)

Si la seconde moiti du XXe sicle correspond lge dor de la lexicographie


franaise, celle-ci semble tre dans une situation de stagnation depuis la fin de cette
poque (cf. Corbin 1998 ; 2008, 1228). Lanne 1994 peut tre considre comme une
date-clef : elle symbolise le tricentenaire du DAF, lachvement du TLF et lessor de
lre informatique, correspondant lapparition publique de lInternet (cf. Pruvost
1995, 22). Les consquences de ces deux derniers vnements se mesurent pleinement
aujourdhui : les dictionnaires de langue et encyclopdiques en plusieurs volumes
(TLF, Grand Robert, Grand Larousse), de qualit incomparable, cdent dun ct aux
versions en un volume parmi lesquelles le Petit Robert et le Petit Larousse tiennent
la premire place et de lautre aux ressources lectroniques, payantes ou gratuites,
qui reprsentent une concurrence pour le dictionnaire imprim. En mme temps, on
assiste une floraison des dictionnaires de vulgarisation, qui proposent au grand
public des thmatiques de toute sorte, sans rapport direct avec la lexicographie
proprement dite. Ces derniers occupent, dans la production imprime, la place libre
par les dictionnaires encyclopdiques.
Du fait de sa quantit et de sa diversit, il est pratiquement impossible de donner
un aperu de la totalit de la production dictionnairique du XXIe sicle. On peut
toutefois en donner une mesure approche travers un chantillon reprsentatif du
march dictionnairique en France, obtenu par plusieurs canaux : (A) le catalogue de
la Bibliothque nationale de France (BnF), (B) loffre des grandes maisons ddition :
Robert, Hachette et Larousse, (C) les Chiffres cls de ldition du Syndicat national
de ldition (SN) et (D) linventaire des productions lexicographiques manant du
secteur public.

(A) Le catalogue de la BnF


Si lon effectue une recherche avance dans le catalogue de la BnF, en combinant les
indicateurs dictionnaire (toute la notice) et 2012 (dates), on aboutit un rsultat
de 653 notices (recherche effectue le 03.11.2013). Une analyse des cent premiers titres
de cet effectif, lexclusion de tout ouvrage qui ne correspond pas un dictionnaire
de/en langue franaise, permet des observations intressantes sur la production
lexicographique de lanne 2012 : la majorit des titres, environ 80%, sont des diction

Lexicographie

563

naires encyclopdiques, qui prsentent des informations relatives un domaine de


spcialit. Ces ouvrages peuvent relever de la recherche universitaire (comme le
Dictionnaire critique de lacteur) ou de la littrature exprimentale (Dictionnaire des
longues distances), mais il sagit le plus souvent duvres de vulgarisation (Dictionnaire amoureux des jardins, Dictionnaire impertinent de la mode, etc.). On note, dans
ce dernier cas, la prdominance de quelques collections connues du grand public :
collection Petit dictionnaire sentimental et fantaisiste, chez Beaupr, collection Dictionnaire insolite, chez Cosmopole, collection Dictionnaire impertinent, chez F. Bourin,
collection Petit dictionnaire nerv, aux ditions de lOpportun, collection Dictionnaires amoureux, chez Plon-Grasset, collection Petit dictionnaire insolite, aux ditions
Larousse. Au total, quatre rsultats seulement sont considrer comme de rels
dictionnaires de langue franaise : Le Petit Robert, Le Robert illustr & Dixel, Larousse
poche 2013 et Le Dictionnaire Hachette de la langue franaise mini.

(B) Les maisons ddition : Robert, Larousse, Hachette

Le succs des ditions Robert est fond sur le Petit Robert millsim et ses produits
drivs (cf. Corbin 2008, 1230), ce que rvle aussi le catalogue en ligne de cette
maison. On y trouve, dans la section Dictionnaires gnralistes , les dictionnaires
suivants (tat de novembre 2013) : Le Robert illustr & son dictionnaire internet 2014,
Le Petit Robert 2014, Le Petit Robert des noms propres 2014, Dictionnaire Le Robert de
poche plus 2014, Le Robert de poche 2014, Le Robert pratique, Le Petit Robert micro et
Le Robert Brio. Les mmes ouvrages (Robert illustr, Le Petit Robert, Le Petit Robert des
noms propres) apparaissent dans plusieurs versions diffrentes (normal, grand format, format de poche, en coffret, abonnement en ligne, etc.). En outre, loffre tlchargeable pour iPad/iPhone est particulirement grande (Dictionnaire des mots
croiss et de jeux de lettres, Le Petit Robert, Dictionnaire Le Robert, etc.). La section
Grands dictionnaires offre trois ouvrages dans des versions diverses : Le Grand
Robert de la Langue Franaise, Le Dictionnaire historique de la langue franaise et Le
Dictionnaire culturel en langue franaise. Outre ces produits, le catalogue contient une
cinquantaine douvrages sous Dictionnaires scolaires et Dictionnaires thmatiques (Le Robert Benjamin, Le Robert Collge, Conjuguez sans faute, Dictionnaire des
synonymes et des nuances, Dictionnaire des citations du monde, Le Petit dcodeur de la
mdecine, etc.) ; les mmes ouvrages apparaissent souvent en version normale et en
version de poche.
La maison Larousse, filiale depuis 2004 du groupe Hachette Livre, comprend
dans son catalogue 350 titres au total et prsente 75 nouveaux titres par an (cf. http://
www.hachette.com/dictionnaires-et-encyclopedies.html, 03.11.2013). Outre les produits phares, le Grand Larousse illustr 2014 et le Petit Larousse illustr 2014, le
catalogue comprend de nombreux ouvrages, classer comme dictionnaires gnraux,
scolaires, spcialiss, thmatiques et culturels : Dictionnaire de conjugaison, Diction

564

Xavier Gouvert et Ulrike Heidemeier

naire insolite des mots oublis, Dictionnaire des synonymes et contraires, Le Lexis Le
dictionnaire rudit de la langue franaise ou bien Larousse des noms propres, Dictionnaire Larousse des Maternelles, Larousse Junior Poche, Dictionnaire du collge, Le
Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Petit dictionnaire insolite de
largot, Dictionnaire des analogies, Savoir rdiger Les indispensables Larousse. La
prdominance des ouvrages scolaires (Collection Dictionnaires pdagogiques, Collection Parascolaire), encyclopdiques et de vulgarisation (Collection Petit Dictionnaire
insolite), mais aussi, moins nombreux, des dictionnaires de langue (Collection Grands
Dictionnaires Larousse), est en outre mentionner.
Hachette ducation poursuit lobjectif de diffuser le savoir vers le grand public,
produisant ainsi une large gamme douvrages didactiques et scolaires ; lditeur est la
premire rfrence en France dans ce secteur. Avec un catalogue de 4 500 titres et 500
nouveaux titres par an (cf. http://www.hachette.com/dictionnaires-et-encyclopedies.
html, 03.11.2013), Hachette ducation ne prsente que peu douvrages de lexicographie franaise, qui se regroupent sous deux collections : la collection Dictionnaires
scolaires, avec des ouvrages comme le Dictionnaire Hachette Benjamin 58 ans, le
Dictionnaire Hachette Junior CE-CM 811 ans ou le Dictionnaire Hachette Junior de
poche ; et la collection Dictionnaires gnralistes de franais : Dictionnaire Hachette
2014, Mini Dictionnaire Hachette Franais, Dictionnaire des synonymes, Le mini Correcteur dorthographe ou Le Dictionnaire et lAtlas Hachette.
On peut constater que les trois maisons se partagent stratgiquement le march
de ldition dictionnairique en France : Robert domine les dictionnaires de langue,
Larousse le secteur encyclopdique et Hachette ducation les publications scolaires,
et ce autour de quelques ouvrages gnraux (Le Petit Robert, Le Petit Larousse illustr,
Le Dictionnaire Hachette), prsents sous forme diffrente et en une nouvelle dition
chaque rentre scolaire ou fin danne (cf. Bray 1989, 42). On trouve galement
plusieurs ouvrages traitant les synonymes, lanalogie, lorthographe ou la grammaire,
ainsi que des produits au format de poche, mini ou compact ( les petits utilitaires
bon march , Corbin 1998, 95). La quantit douvrages dans chaque catalogue est
considrable ; or, les effectifs refltent en ralit limportance des rditions/rimpressions et non pas celle de nouvelles productions.

(C) Le Syndicat national de ldition (SN)


Le SN mne une enqute annuelle visant recueillir les chiffres de vente dans le
domaine de ldition. Sur cette base, le syndicat labore une statistique intitule Les
chiffres cls de ldition ; selon la statistique de lanne 2013 (http://www.sne.fr/
img/pdf/Telechargements/chiffrescles_juin2013.pdf, 13.11.2013), qui se fonde sur les
donnes de 2012, le domaine des Dictionnaires et encyclopdies reprsente en 2012
au total 3% du chiffre daffaires (CA) du march ditorial ; dans ces 3%, les Dictionnaires de franais occupent 1,1% et les Encyclopdies et dictionnaires thmati

565

Lexicographie

ques 0,3%. Ces chiffres reprsentent une hausse par rapport lanne prcdente,
o le secteur a enregistr 2,3% du CA global, mais une baisse vidente par rapport au
CA dil y a 6 ans par exemple (13 % ; cf. http://www.sne.fr/dossiers-et-enjeux/economie.html, 13.11.2013). En comparaison, les deux premires branches sont Littrature (24,2%) et Beaux livres et livres pratiques (16,8%), et la branche la plus
faible Cartes gographiques et atlas (1,4%). Malgr ces chiffres bas en terme de CA
du march global, la branche Dictionnaires et encyclopdies reprsente nettement
le plus grand chiffre de ventes moyennes par titre (10188), par rapport Littrature
(6300) et Cartes gographiques et atlas (5004), par exemple.

(D) Le secteur public en France et hors de France


Ce secteur (le CNRS, lUniversit, etc.) se caractrise par des projets de haute ambition, qui dpendent des moyens financiers et humains mis en place par ltat, ainsi
que par une production de longue dure. Logiquement, le rythme et la quantit de
production sont inversement proportionnels la qualit du travail lexicographique
produit. Le laboratoire ATILF est le centre de la lexicographie scientifique en France.
Il abrite plusieurs projets dictionnairiques qui bnficient tous dune publication
volutive en version numrise (cf. Pierrel 2008b) : la refonte partielle de la tranche
alphabtique B du FEW, le Dictionnaire du Moyen Franais (DMF), TLF-tym, TLFsup,
la Base des Mots Fantmes, ainsi que le projet RELIEF (2.1.3.). Parmi les projets
institutionnels raliss hors de France, nous ne citerons que les plus reprsentatifs : le
Dictionnaire tymologique de lAncien Franais (DEAF), ralis Heidelberg sous la
direction de Thomas Stdtler (Allemagne) ; lAnglo-Norman Dictionary (AND), ralis
Aberystwyth, sous la direction de David Trotter (Grande-Bretagne) ; le Glossaire des
Patois de la Suisse Romande (GPSR), ralis par le Centre de dialectologie et dtude
du franais rgional de lUniversit de Neuchtel (Suisse) ; les travaux du Valibel
(Centre de recherche sur les varits linguistiques du franais en Belgique) de lUniversit Catholique de Louvain, sous la direction de Michel Francard, publis dans un
premier ouvrage, le Dictionnaire des belgicismes (2010) (Belgique) ; le Dictionnaire
historique du franais qubcois, ralis au sein du Trsor de la langue franaise au
Qubec lUniversit Laval sous la direction de Claude Poirier ; le dictionnaire USITO,
ralis lUniversit de Sherbrooke (Canada). En outre, deux plateformes en ligne
sont mentionner : le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL),
projet port par le CNRS, offrant un portail des ressources numrises de la lexicologie
et lexicographie franaise ; la Base de donnes lexicographiques panfrancophone
(BDLP), accessible via le site http://www.bdlp.org/, projet sous la responsabilit de
Claude Poirier et sous le patronage de lAgence universitaire de la Francophonie,
ayant pour objectif de fournir une base de donnes lexicographiques de la francophonie.

566

Xavier Gouvert et Ulrike Heidemeier

2 La lexicographie lectronique du franais


2.1 Quels dictionnaires lectroniques ?

lheure actuelle, on donne le nom de dictionnaire lectronique des productions fort


diverses, parmi lesquelles il faut distinguer au moins quatre sortes doutils.
2.1.1 Le prototype du dictionnaire informatis consiste en la simple numrisation (ou
photocopie digitale) dun dictionnaire imprim (cf. Tarp 2012, 257) ; le travail de
Terence Russon Wooldridge, pionnier de linformatisation de dictionnaires anciens (Pruvost 2000, 189), qui numrisa les dictionnaires de la srie tienne-Nicot,
fut lun des premiers du genre (cf. Rey 2010, 72s.) ; depuis, le travail du laboratoire
ATILF Nancy et de lARTFL (American and French Research on the Treasury of the
French Language, https://artfl-project.uchicago.edu/) a permis doffrir un large ventail de dictionnaires anciens numriss, tels que les dictionnaires de Jean Nicot, de
lAcadmie franaise (en plusieurs ditions) et de Littr (cf. Trotter 2013, 666 ; cf. aussi
la plateforme CNRTL).

2.1.2 Il existe, dautre part, des transcriptions informatiques de la version imprime ;


elles proposent des outils de navigation, donc un accs automatique au texte recherch (cf. Tarp 2012, 258). La plupart des dictionnaires lectroniques dpassent la simple
reproduction du contenu original, en offrant des voies daccs linformation inconcevables dans un ouvrage imprim : lhyperlien et lhypertexte sont les inventions
techniques qui ont permis au dictionnaire numrique de surpasser rellement le
dictionnaire-papier (cf. Tarp 2012, 258s.). Initie en 1991, sous lgide du CNRS,
linformatisation du TLF fut lentreprise la plus ambitieuse mene jusqualors dans ce
domaine, compte tenu de la complexit et de la taille de louvrage (cf. Pierrel/
Dendien/Bernard 2004 ; Pierrel 2006 ; 2008a ; Buchi/Pierrel 2009 ; Schafroth 2012).
Aujourdhui, la plupart des dictionnaires commerciaux et scientifiques existent en
version digitale, et lvolution de ce secteur va de pair avec celle des outils lectroniques. Dans le secteur public, lun des chantiers les plus en vue quoique controvers (cf. Greub 2013) est linformatisation du FEW, en cours sous la responsabilit
de Yan Greub et de Pascale Renders au laboratoire ATILF (cf. Chauveau 2006 ;
Renders 2010 ; 2011 ; Greub 2012).

2.1.3 Il convient de distinguer ces ouvrages numriss des dictionnaires purement


numriques, cest--dire conus et publis numriquement.
Un exemple-type de cette seconde catgorie est le Dictionnaire du Moyen Franais,
dont lide initiale remonte 1980 (cf. Buchi/Renders 2013, 656) : cr par Robert Martin
avec lambition de doter le franais bas-mdival dun instrument comparable au TLF,
le DMF est labor au laboratoire ATILF (actuellement sous la direction de Sylvie BazinTachella, www.atilf.fr/dmf). Aprs un premier volume dessai, publi en 1998, la

Lexicographie

567

publication sur papier de ce dictionnaire fut abandonne en faveur dune banque de


donnes volutive encode au format gnrique XML (Extensible Markup Language ;
cf. Buchi/Renders 2013, 656). Le DMF illustre ce quon a pu appeler la lexicographie
volutive (cf. http://www.atilf.fr/dmf/PresentationDMF2012.pdf) : il ne sagit pas de
rdiger un dictionnaire lettre par lettre, mais de procder par enrichissement progressif du contenu. Grace lencodage en XML, la consultation du dictionnaire peut se
faire par toutes sortes d entres (par lemme, tymon, ouvrage cit, locution,
rfrence bibliographique etc.). Des recherches sont galement possibles dans les
sources primaires qui sont la base du dictionnaire. Les articles interactifs permettent daccder, via des hyperliens, tout type dinformations et de renvois qui
dpassent le simple contenu linguistique du dictionnaire (accs aux articles dautres
dictionnaires, aux lexies, etc.). Dans sa version la plus rcente (DMF2012, mise en
ligne le 2 juillet 2012), le DMF compte 62.371 entres ; il constitue le dictionnaire de
rfrence du moyen franais, une somme philologique et linguistique, et une illustration brillante de la collaboration entre linguistique et informatique.
Le Rseau Lexical du Franais sintgre au cadre thorique de la lexicologie
explicative et combinatoire , volet lexical de la thorie Sens-Texte, et procde des
travaux dIgor Meluk et dAlain Polgure, raliss lUniversit de Montral (Observatoire de Linguistique Sens-Texte). Le projet RELIEF (REssource Lexicale Informatise
dEnvergure sur le Franais), en cours depuis 2011 au sein du Laboratoire ATILF, vise
crer une vaste banque de donnes des units lexicales du franais contemporain, en
se concentrant notamment sur les relations smantiques et combinatoires entre les
lexmes (cf. Lux-Pogodalla/Polgure 2011). Constituant une ressource lexicale multidimensionnelle, le RLF se range parmi les travaux tels que WordNet ou FrameNet.
Tout la fois smasiologique et onomasiologique, paradigmatique et syntagmatique,
il sagit dun projet ambitieux qui na pu passer de la virtualit conceptuelle la
ralisation concrte qu la faveur des avances informatiques du dbut du XXIe
sicle. Sur les autres banques de donnes lectroniques concernant la langue franaise, cf. Trotter (2013, 667s.).

2.1.4 Un dernier type est constitu par des dictionnaires lectroniques polyvalents,
capables de rpondre automatiquement et prcisment nimporte quelle requte
formule par lutilisateur. Depuis 1996, la firme Druide Informatique, de Montral,
commercialise Antidote, qui runit un correcteur du franais crit, plusieurs dictionnaires du franais ainsi que des indications grammaticales en un seul logiciel (la
version actuelle est Antidote 8 ; cf. http://www.antidote.info).
Parmi les ressources gratuites, on pense invitablement Wikipedia et son
complment Wiktionary (Wiktionnaire en version francise), ressources libres et universelles, daccs mondial, permettant la collaboration des usagers et offrant un accs
rapide et facile linformation recherche (cf. Rey 2010, 76). Le Wiktionnaire se
prsente mme comme un dictionnaire multidimensionnel, qui offre non seulement
des dfinitions, mais aussi des informations mtalexicales (historiques, paradigmati-

568

Xavier Gouvert et Ulrike Heidemeier

ques, syntagmatiques etc.). Wikipedia (cf. Clfen 2012) possde un rayonnement et un


nombre dutilisateurs qui dpassent sans doute ceux de toutes les encyclopdies
conues ce jour.

2.2 Horizons et limites


Les avantages de ldition numrique sont vidents et connus : la portabilit, la
rapidit de consultation (cf. Ha/Schmitz 2010, 3), lubiquit, lactualisation permanente et lamplitude potentiellement infinie (cf. Martin 2008, 1252 ; Gasiglia 2009,
262). Ses dangers le sont galement. Dune part, cette volution met en pril le mtier
mme des lexicographes, lesquels travaillent de plus en plus comme des ouvriers
sous-qualifis qui font fonctionner des machines et appliquent des consignes (Bjoint 2007, 20). Dautre part, il existe un risque rel de nivellement qualitatif vers le
bas : nombreuses sont les plateformes en ligne qui noffrent que des compilations
ou de simples traductions, voire donnent nimporte qui la possibilit dcrire
absolument nimporte quoi. Ce que le dictionnaire gagne en quantit et en popularit,
il peut le perdre en qualit et en autorit (cf. Ha/Schmitz 2010, 4).

3 Panorama de loffre lexicographique actuelle


3.1 Dictionnaires de langue
3.1.1 Dictionnaires gnraux
Le type le plus rpandu de dictionnaire du franais est le dictionnaire gnral de la
langue franaise , disponible sous diffrents formats. Un tel dictionnaire, descriptif
et global, prtend la reprsentation exhaustive du lexique de la langue, sans oprer
de choix ni de restriction intentionnelle dans la nomenclature. Le TLF (100.000
entres), qui se situe au juste milieu entre la recherche scientifique et la vulgarisation
du contenu linguistique (cf. Buchi/Renders 2013, 656), et le DAALF, avec son successeur Le Grand Robert de la langue franaise (100.000 entres), constituent les exemples-types de cette catgorie. Le TLF (TLFi, accs gratuit) ainsi que le Grand Robert
(accs par abonnement) existent en version lectronique.

3.1.2 Dictionnaires normatifs


Le dictionnaire normatif prescrit un certain usage du signe lexical, quil sagisse de sa
graphie, de sa ralisation phontique, de ladquation entre son signifiant et son
signifi ou de son emploi diasystmatique. La tradition des dictionnaires normatifs est

Lexicographie

569

particulirement ancienne en France, en raison du centralisme linguistique promu


par ltat franais depuis la Renaissance. Larchtype du dictionnaire normatif est le
DAF (cf. Mator 1968, 200).

3.1.3 Dictionnaires diffrentiels


Par dictionnaire diffrentiel, on entend le rpertoire lexical dune varit spcifique
(lecte) de la langue, excluant ce qui appartient sa varit standard.

3.1.3.1 Variation diachronique (ancienne langue)


La priode de lancien franais est lobjet de quatre ouvrages immenses tant par leur
nomenclature que par leur qualit dlaboration : le Dictionnaire de lancienne langue
franaise de Frdric Godefroy (18801902), lAltfranzsisches Wrterbuch de Adolf
Tobler et Erhard Lommatzsch (19252002), le DEAF (1974 ; 3.2.1.1) et lAnglo-Norman
Dictionary (22005, 119771992). Parmi les dictionnaires de vulgarisation figurent le
Lexique de lancien franais de Frdric Godefroy (1901) et le Dictionnaire de lancien
franais (gnral, donc non diffrentiel) dAlgirdas Greimas (1969). Lensemble du
moyen franais est couvert par le DMF. Louvrage de poche traitant cette priode
est le Dictionnaire du moyen franais dAlgirdas Greimas/Teresa-Mary Keane (1992). Le
Dictionnaire de la langue franaise du seizime sicle dEdmond Huguet (19251967)
fait autorit pour la langue de la Renaissance. Les spcificits du franais du XVIIe
sicle sont la matire du Dictionnaire du franais classique de Jean Dubois, Ren
Lagane et Alain Lerond (1971).

3.1.3.2 Variation diatopique (rgionalismes)


La catgorie des dictionnaires diatopiques est reprsente par ce que lon a surnomm
le triumvirat de la lexicographie rgionale du franais (cf. Trotter 2013, 668) : le
Dictionnaire suisse romand dAndr Thibault, datant, pour sa premire dition, de
1997 ; le Dictionnaire historique du franais qubcois (Poirier 1998), ralis au sein du
Trsor de la langue franaise au Qubec lUniversit Laval sous la direction de
Claude Poirier ; et le Dictionnaire des rgionalismes de France de Pierre Rzeau (2001).
Ces trois dictionnaires sont novateurs du point de vue mthodologique, par les
prmisses scientifiques qui les prcdent et par le standard quils tablissent pour les
futurs dictionnaires de franais rgional (cf. aussi Trotter 2013, 668). En 2010, les
travaux du Valibel (Centre de recherche sur les varits linguistiques du franais en
Belgique) de lUniversit Catholique de Louvain ont permis de complter cette srie
par un quatrime pilier, le Dictionnaire des belgicismes, publi sous la direction de
Michel Francard.

570

Xavier Gouvert et Ulrike Heidemeier

3.1.3.3 Variation diastratique (parlures et argots)


La variation diastratique de la langue (contemporaine) demeure le parent pauvre de
la lexicographie franaise. Il nexiste pas de dictionnaire scientifiquement labor
portant sur les varits sociolinguistiques dans la francophonie : cette dimension est
en partie prise en charge par la lexicographie des diatopismes (qui relvent majoritairement, mais non exclusivement, de la varit sociolinguistique basse). Le march est
cependant bien pourvu en rpertoires dargot et de diastratismes urbains (parlers dit
de banlieue ), ouvrages damplitudes et de qualits trs diverses : Le parler marseillais de Robert Bouvier (1999), Dictionnaire de largot franais et de ses origines (2001)
et Dictionnaire de largot et du franais populaire (2010) de Jean-Paul Colin, Dictionnaire de largot dAlbert Doillon (2010) et Tout largot des banlieues dAbdelkarim
Tengour (2013).

3.1.3.4 Variation diaphasique (lexiques spcialiss)


Les technolectes et autres varits diaphasiques bnficient dune tradition lexicographique ancienne. Les champs lexicaux les plus abondamment traits correspondent
aux domaines qui intressent le lectorat le plus large : de manire prvisible, les
dictionnaires mdicaux (Larousse mdical, 2012, Dictionnaire mdical de lAcadmie
de Mdecine, 2015), culinaires (Dictionnaire de la cuisine dric Glatre, 2009), sportifs
(Le Robert des sports de Georges Petiot, 1982 ; Dictionnaire du rugby de Sophie
Lavignasse, 2010) et rotiques (Dictionnaire rotique de Pierre Guiraud, 1993) figurent
en tte de liste. Le trs riche Dictionnaire des noms de cpages de France de Pierre
Rzeau (1997) est un cas particulier, en ce quil traite un secteur lexical aux confins du
technolecte, du rgiolecte et de lonomastique.

3.2 Dictionnaires mtalinguistiques


Par opposition aux dictionnaires de langue, qui fournissent le signifi des lemmes, et
aux encyclopdies, qui dcrivent leur rfrent, on peut qualifier de mtalinguistiques
les dictionnaires qui mettent en relation chaque lexme avec dautres lexmes, soit
pour en faire lhistoire, soit pour le traduire, soit pour en donner le champ lexical
(dictionnaires analogiques et synonymiques) ou les affinits formelles (dictionnaires
des rimes, de lorthographe etc.). Nous nous restreignons ici aux dictionnaires tymologiques et bilingues.

Lexicographie

571

3.2.1 Dictionnaires tymologiques


3.2.1.1 tymologie lexicale
Le dictionnaire tymologique de rfrence pour le franais est le FEW de Walther von
Wartburg (1.5), qui, ct de sa version imprime en 25 volumes, est librement
consultable en version numrise (mode images) sur le site local du laboratoire ATILF
(https://apps.atilf.fr/lecteurFEW/). Cest au sein de ce mme laboratoire que, depuis
2006, une slection de notices tymologiques du TLF est soumise rvision dans le
cadre du projet TLF-tym, men sous la direction de Nadine Steinfeld (cf. Buchi 2005).
Bnficiant dune publication progressive en version lectronique, ces notices tymologiques sont consultables travers le site du projet (www.atilf.fr/tlf-etym). Un autre
projet-phare de la lexicographie diachronique et scientifique du franais est le Dictionnaire tymologique de lAncien Franais (DEAF), ralis Heidelberg sous les directions
successives de Kurt Baldinger, de Frankwalt Mhren, puis de Thomas Stdtler (cf.
Chauveau/Buchi 2011, 107s. ; Buchi/Renders 2013, 655) et qui constitue lautorit
lexicographique pour lancien franais. Du point de vue de la lexicographie de grande
distribution, on mentionnera le Robert Historique, diffus en trois volumes et tudiant
lhistoire de quelques 50.000 lexmes franais. Lhistoire (et la prhistoire) du lexique
franais dans le cadre des langues romanes est traite par le Dictionnaire tymologique
Roman (DRom) qui, depuis son lancement officiel en 2008 sous la direction dva
Buchi et de Wolfgang Schweickard, poursuit une rvision du Romanisches Etymologisches Wrterbuch de Wilhelm Meyer-Lbke (REW) selon les mthodes de la grammairecompare reconstruction (cf. Chambon 2010, 64s. ; pour une prsentation dtaille du
projet DRom, cf. http://www.atilf.fr/derom ; cf. aussi Buchi/Schweickard 2014).

3.2.1.2 Emprunts lexicaux


Plusieurs auteurs se sont consacrs ltymologie des lexmes franais dorigine
allogne. Les volumes 15 17 du FEW (Germanische Elemente) rpertorient la totalit
du lexique galloroman dont ltymon est germanique (du gotique lallemand moderne), lexception des anglicismes ; ces derniers se trouvent dans le volume 18
(Anglizismen). Le tome 19 du FEW, auquel sajoutent les Addenda de Raymond
Arveiller (1999), contient les Orientalia (emprunts au persan, au turc, larabe et aux
langues smitiques) ; le tome 20 est consacr aux emprunts aux autres langues non
romanes. Pour ce qui concerne les italianismes, on dispose de limportant travail de
Thomas E. Hope, Lexical Borrowing in The Romance Languages (1971) et de celui de
Bartina Harmina Wind, Les mots italiens introduits en franais au 16e sicle (1973).
Pour les emprunts langlais, on doit citer le Dictionnaire des anglicismes de Manfred
Hfler (1982), le Dictionnaire des anglicismes de Josette Rey-Debove et Gilberte Gagnon
(1991) et, pour le domaine canadien, le Dictionnaire des emprunts du franais
langlais de Louis Tardivel (1999). Les russismes sont traits par va Buchi dans son
Dictionnaire des emprunts au russe dans les langues romanes (2010).

572

Xavier Gouvert et Ulrike Heidemeier

3.2.1.3 tymologie des noms propres


La toponymie franaise est lobjet du Dictionnaire topographique de la France, entreprise ditoriale et scientifique initie en 1859, visant rassembler lensemble des
noms de lieux anciens et modernes de la France entire. Forte de 35 volumes dpartementaux, la collection qui en est issue, publie par le Comit des travaux historiques
et scientifiques, fait depuis 2009 lobjet dun projet de rdition lectronique visant
en rendre librement accessible lensemble des donnes. La toponymie du nord de la
France et de la Belgique est couverte par un dictionnaire en langue nerlandaise, le
Toponymisch Woordenboek de Maurits Gysseling (1960), galement numris. Pour la
Suisse romande, on doit citer le Dictionnaire toponymique des communes suisses
dAndres Kristol (2005), richement document et scientifiquement exigeant. On ne
dispose en revanche daucun dictionnaire tymologique des noms de lieux de France
ralis selon des standards scientifiques : le Dictionnaire tymologique des noms de
lieux en France dAlbert Dauzat et Charles Rostaing (1963), le Dictionnaire tymologique des noms de rivires et de montagnes en France dAlbert Dauzat, Gaston Deslandes et Charles Rostaing (1978) et la Toponymie gnrale de la France dErnest Ngre
(19901991) sont des ouvrages fantaisistes dont il est prudent de se dfier (cf. Gouvert
2008) ; la Toponymie de la France dAuguste Vincent (1937), travail ancien et non
rdit, demeure une rfrence recommandable. Lanthroponymie franaise nest
gure mieux dote. Le Dictionnaire tymologique des noms de famille de Marie-Thrse
Morlet, en dpit de la solide information de son auteur, propose des tymologies non
dmontres et non sources. Le projet PatRom (Patronymica Romanica. Dictionnaire
historique de lanthroponymie romane), qui devait combler cette lacune, sest interrompu sans postrit.

3.2.2 Les dictionnaires bilingues


Loffre de dictionnaires bilingues est innombrable, quil sagisse douvrages destins
aux francophones apprenant une langue trangre, aux trangers apprenant le franais, ou encore aux uns et aux autres (cf. Schafroth 2014, 225s.). Ces dictionnaires sont
majoritairement conus pour un public scolaire et universitaire, et leur production est
aujourdhui dcuple par le dveloppement de la branche FLE dans les universits
(cf. Trotter 2013, 669). En France, le secteur est domin par Hachette, Larousse et
Robert ; ces maisons travaillent souvent en collaboration avec des diteurs trangers,
tels que les Anglais Collins (avec Robert) et Oxford University Press (avec Hachette),
les Italiens Signorelli et Zanichelli (avec Robert), lAllemand Langenscheidt (avec
Hachette), le Nerlandais Van Dale (avec Robert). Les firmes britanniques Harraps et
Chambers, associes Larousse, appartiennent comme ce dernier Hachette Livre
(groupe Lagardre ; cf. aussi Trotter 2013, 669).
Sur la lexicographie bilingue franco-anglaise, on se reportera Hausmann
(1991) ; franco-allemande, Rettig (1991) ; franco-espagnole, Verdonk (1991) ; fran

573

Lexicographie

co-italienne, Bingen/Van Passen (1991) ; franco-sudoise, Kahlmann (1991). Pour


un aperu plus large sur la lexicographie bilingue, cf. Schafroth (2014, 223249).
Le dveloppement de la lexicographie numrique a touch, plus que tout autre, le
secteur des bilingues . Chaque grande maison ddition propose des versions
numriques payantes (souvent moins chres que la version imprime) de leurs
dictionnaires, et quelques-unes des versions gratuites (cf. le site de Collins : http://
www.collinsdictionary.com/). Les nouveaux outils de tlcommunication ont
contraint les diteurs sadapter la demande : ces derniers fournissent des applications pour les tablettes et tlphones mobiles.
Aprs deux dcennies dexprimentation dans ce domaine, Internet offre aujourdhui une myriade de sites de traduction, de traducteurs automatiques et de
dictionnaires collaboratifs gratuits et libres daccs. Parmi les outils les plus fiables
pour le franais, citons : le Wiktionnaire (http://fr.wiktionary.org) ; la plateforme
germanophone leo.org (dictionnaire collaboratif, gratuit, avec un forum de discussion
interactif ; cf. Schafroth 2014, 245248) ; http://fr.pons.com, site francophone de lditeur allemand Pons (ensemble de dictionnaires bilingues) ; GoogleTranslator (outil
automatique, mais paramtr en anglais) ; http://www.babla.fr (dictionnaire en ligne
pour 27 langues) ; Linguee, http://www.linguee.fr (dictionnaire plurilingue contenant
un milliard de traductions ) ; Reverso, http://dictionnaire.reverso.net/ (dictionnaire
traductif offrant la version audio de chaque vocable). Ces ressources lectroniques
constituent, pour les diteurs historiques , une concurrence plus que menaante ;
face une offre gratuite (finance par la publicit en ligne) dont la qualit peut galer
ou surpasser celle des dictionnaires bilingues traditionnels, on voit mal quelle part du
march ceux-ci pourraient, moyen terme, parvenir conserver.

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Tendances mthodologiques et didactiques actuelles

Paul Gvaudan

24 La linguistique cognitive
Abstract : La linguistique est issue de la controverse essentiellement amricaine entre
la grammaire et la smantique gnrative partir des annes 1960. Dune perspective
europenne, elle sinscrit dans la tradition ancienne des fondements psychologiques
de la linguistique. Cela explique, ct de nouvelles conceptions telles que la thorie
des scnarios ( frames ) et de la thorie du prototype, le succs de ce mouvement
bas sur lide de lancrage cognitif du langage. Aprs avoir fait tat de ces donnes
historiques, le prsent article consacre une section importante aux concepts fondamentaux de la linguistique cognitive, tels que les mcanismes associatifs, les scnarios, les catgories prototypiques, les concepts incarns , la subjectivit etc. La
seconde grande section de larticle est voue aux applications de la linguistique
cognitive en lexicologie diachronique et synchronique, en morphologie et en grammaire. Ces applications laissent entrevoir dans quelle mesure le courant de la linguistique cognitive est devenu une thorie part entire.

Keywords : linguistique cognitive, grammaire/syntaxe, lexicologie/morphologie,


changement smantique, grammaticalisation

1 Introduction
La linguistique cognitive est un mouvement scientifique qui sest form aux tatsUnis dans les annes 1970 et qui, d sa rception en Europe et dans le monde ainsi
qu son laboration progressive, est devenu un des piliers de la science du langage.
Les principes de ce mouvement sont :

[i]

Le langage nest pas une facult cognitive autonome, mais dpend de la disposition
cognitive gnrale des locuteurs

[ii] La grammaire des langues particulires est un instrument de conceptualisation de la ralit


dans lesprit des locuteurs
[iii] Les langues particulires et les comptences linguistiques des locuteurs sont le rsultat de
lactivit nonciative

Du principe [i] on peut dduire que le fonctionnement du langage est soumis aux
mmes mcanismes de lesprit que toutes les autres activits mentales. Cette ide
implique les principes [ii] et [iii], car si le langage dpend de la disposition cognitive
des locuteurs, cest dune part parce quil est pour eux un instrument de conceptualisation, savoir de reprsentation du monde ([ii]) et dautre part parce que les langues
particulires et leur connaissance sont lmanation de lactivit linguistique des
locuteurs ([iii]).

586

Paul Gvaudan

Du principe [ii] rsulte que la fonction symbolique du langage et des langues


particulires est la base de toutes les mthodes et thories dveloppes en linguistique cognitive, car lexpression linguistique se rapporte la reprsentation, limagination du monde. Or, conformment au principe [iii], la reprsentation (les concepts
cognitifs) est le rsultat dun processus de conceptualisation. Elle est dtermine par la
perception et par la communication. Par consquent, la linguistique cognitive est en
quelque sorte une linguistique de la parole.
Aprs un bref aperu historique dans la section 2, larticle prsent donne un
rsum des mthodes et thories de la linguistique cognitive dans la section 3 et de
leurs applications en linguistique dans la section 4.

2 Histoire de la linguistique cognitive


2.1 Le contexte pistmologique et la gense de la linguistique
cognitive
En Amrique, le structuralisme (Bloomfield 1933 ; Harris 1951 ; Hockett 1958) est
influenc par le bhaviourisme (Watson 1913 ; Pavlov 1927 ; Skinner 1938). Cette
dmarche prconise une mthodologie de la boite noire , qui consiste examiner
un systme par rapport ses proprits externes, sans soccuper de ses proprits
internes. On expose le systme examin un stimulus en observant sa raction.
Appliqus aux organismes biologiques, les stimuli rpts mnent un conditionnement (connu du clbre chien de Pavlov ). On retrouve lide de la boite noire dans
les analyses distributives des structuralistes amricains et dans la thorie de grammaire gnrative de N. Chomsky (1957 ; 1965), qui part du principe que toutes les
constructions morphosyntaxiques dune langue peuvent tre expliques indpendamment de toute considration smantique ou fonctionnelle (cest--dire de toute
connaissance interne de la signification des phrases dans cette langue).
La plus importante racine du mouvement cognitiviste est la smantique gnrative, qui repose sur la premire conception de transformation de Chomsky selon
laquelle la structure syntaxique des phrases correspond une structure profonde de
nature smantique. Alors que Chomsky abandonne bien vite cette ide, qui contredit
le principe de la boite noire, certains de ses premiers lves dveloppent la notion
initiale de transformation, en particulier J. Ross, J. McCawley et G. Lakoff (cf. Lakoff/
Ross 1968 ; McCawley 1973 ; Lakoff 1971 ; 1976 et le volume dirig par McCawley 1976).
Ce dernier deviendra par la suite un des principaux protagonistes de la linguistique
cognitive. Un autre reprsentant de premier rang la fois de la smantique gnrative
et de la linguistique cognitive est Ch. Fillmore. Vritable Chomskyen ses dbuts (cf.
Fillmore 1963), il dcouvre limportance de la smantique dans les annes 1960 et
publie un des travaux inaugurateurs de la smantique gnrative ( The case for
case , Fillmore 1968), dans lequel il dveloppe lide de rles smantiques. Il est

587

La linguistique cognitive

aussi un des premiers sengager sur la voie du cognitivisme (Fillmore 1975) et


prendre en considration les travaux par la suite fort influents de la psychologue
E. Rosch (1973, 1975a ; 1975b ; 1975c).1
Lapparition de la linguistique cognitive dans le cadre de la smantique gnrative se confirme par ailleurs avec le premier livre de R. Langacker (1972), qui traite des
rgles de mouvement dun point de vue fonctionnaliste et contribue ainsi au dbat
entre la syntaxe et la smantique gnrative. Par la suite, Langacker dveloppera la
grammaire cognitive et jouera un rle prpondrant dans le mouvement de la
linguistique cognitive (cf. notamment Langacker 1985 ; 1987/1991 ; 1990 ; 1991 ; 1999 ;
2006).

2.2 tapes de la rception et application de la linguistique


cognitive
En Europe, la linguistique cognitive venue dAmrique se heurte une tradition
linguistique tout fait diffrente dans la mesure o, ds la seconde moiti du
XIXe sicle, la linguistique historique et gnrale a intensment recours la psychologie et ses principes (cf., ct de beaucoup dautres, Darmesteter 1875 ; 1887 ; Paul
1880 ; Bral 1897 ; Wundt 1912 ; Nyrop 1913 ; Roudet 1921 ; Sperber 1923 ; Carnoy 1927 ;
Stern 1931 ; Bhler 1934). Le structuralisme europen est une sorte dantithse corrective du psychologisme et de son ancrage profond en linguistique. Et bien que la
dmarche psychologique saffaiblisse ds le milieu du XXe sicle, le paradigme nouveau venu doutre-mer ne semble que rpter ces anciennes ides et certains, y
compris des linguistes amricains venant des traditions de la typologie et de la
sociolinguistique, ont d penser un coup de marketing scientifique .
Mais, petit petit, beaucoup de chercheurs ont reconnu lopportunit dintgrer
leurs recherches dans un cadre reconnu comme scientifique , sans pour autant tre
structuraliste, gnrativiste ou mathmatique (smantique logique). De plus, certaines des ides de la linguistique cognitive taient vraiment innovatrices, comme celles
des thories des scnarios ( Frames , Fillmore 1975, Minsky 1975) et des prototypes
(Rosch 1973 etc.), ainsi que la conception radicalement smantique et en mme temps
conceptuelle de la grammaire dans les travaux de Langacker. Ds les annes 1980
apparaissent des tudes cognitives en dehors des tats-Unis.2 Ds lors, les publica

1 Fillmore sera par la suite galement le prcurseur de la grammaire constructionnelle (cf. Fillmore/
Kay/OConnor 1988), qui reprsente pour ainsi dire la branche la plus rcente de la linguistique
cognitive (cf. infra section 4.6).
2 Cf. dans le domaine de la smantique Schlyter (1982) ; Geeraerts (1983a ; 1983b ; 1985) ; Blutner
(1985) ; de la pragmatique Sperber/Wilson (1986) et de la lexicologie Wierzbicka (1980 ; 1985 ; 1988).
Dans la psychologie cognitive franaise Cordier (1980 ; 1983 ; 1993) ; Cordier/Dubois (1981) ; Dubois

588

Paul Gvaudan

tions en linguistique cognitive se multiplient, et au dbut du XXIe sicle, le cognitivisme est devenu un des plus larges courants de la linguistique internationale.

3 Mthodes et thories de la linguistique cognitive


Les mthodes et thories cognitives dveloppes dans les annes 19701980 sont
centres autour de la reprsentation mentale du monde, dont llment constitutif est
le concept cognitif. Dune part celui-ci est le rsultat dun processus de conceptualisation dans lesprit des locuteurs, dautre part il est le corrlat de la catgorisation,
savoir de lidentification dun phnomne externe. Dans cette section seront traits les
principes dassociation (section 3.1), le gestaltisme (section 3.2), la smantique des
scnarios (section 3.3), les tropes conceptuels (section 3.4), la smantique du prototype et les modles cognitifs idaliss (section 3.5) ainsi que la subjectivit linguistique (section 3.6).

3.1 Les associations de contigut, de similarit et de contraste


Lassociation entre deux reprsentations mentales est une des notions fondamentales
de la linguistique cognitive. Or, cette notion remonte aux philosophes de lantiquit,
notamment Aristote, qui, dans lopuscule De la mmoire et de la rminiscence
explique le fonctionnement de la mmoire par deux mcanismes associatifs :

Lors donc que la rminiscence a lieu en nous, [] notre esprit recherche ce qui a suivi, soit
partir de tel instant ou de tel autre, soit partir dune chose semblable ou contraire, soit mme
dun objet simplement voisin ; et cet effort de lesprit suffit pour produire la rminiscence .

(Aristote 1847, chap. II, 5, 125, mise en relief PG)

On peut rapprocher la rminiscence partir de tel instant ou tel autre celle


partir dun objet [] voisin , car dans le premier cas on a affaire un voisinage dans
le temps et dans le second un voisinage dans lespace. Il sagit dans les deux cas
dune forme de lassociation de contigut (cf. latin contiguus voisin, contingere
toucher). La rminiscence partir dune chose semblable ou contraire en revanche repose sur une association de similarit3 ou de contraste.

(1983) prsentent des travaux sur la catgorisation (autant smantique que psychologique) inspirs par
Rosch.
3 Similarit est le terme technique gnralement prfr similitude en psychologie et en linguistique
cognitive, entre autres pour sa correspondance avec les termes anglais (similarity) et allemand (Similaritt).

589

La linguistique cognitive

Aristote concevait la similarit et le contraste comme les deux ples dun continuum associatif (cf. Raible 1981, 20ss.). La notion et les types dassociation dAristote
se retrouvent notamment dans les uvres philosophiques de John Locke, David
Hume, David Hartley et John Stuart Mill, qui ont largement inspir la psychologie
associative du XIXe et du XXe sicle (cf. Blank 1997, 134). La conception des associations de similarit et de contigut est dailleurs aussi vieille que celle des tropes que
lon peut expliquer par ces association (ou vice-versa) : ainsi, la mtaphore exprime
une similarit et la mtonymie une contigut (cf. Blank 2001).

3.2 Principes dassociation et gestaltisme

Initi par un article du philosophe allemand Chr. v. Ehrenfels (1890), le gestaltisme


ou psychologie de la forme (Gestaltpsychologie) labore au dbut du XXe sicle une
thorie de limagination sensorielle qui jusquici na rien perdu de sa force explicative
et quil faut considrer comme une des bases les plus importantes des thories
cognitives. Ehrenfels avait constat que la perception est partiellement indpendante
des phnomnes individuels perus dans la mesure o limpression de celui qui
peroit comporte des structures et des entits qui vont au-del de lensemble de ces
phnomnes. partir de cette ide et de toute une srie dexpriences, les chercheurs
M. Wertheimer, W. Khler et K. Koffka de luniversit de Francfort-sur-le-Main dveloppent la psychologie de la gestalt et descellent les mcanismes mentaux selon
lesquels la conscience humaine construit des formes ou des figures partir de
donnes perceptuelles atomiques (cf. Wertheimer 1912 ; 1925 ; Khler 1920 ; 1929 ;
Koffka 1922 ; 1935 ; Metzger 1934 ; 1941). Selon la thorie de la gestalt , le fait de
percevoir une forme partir dun ensemble dinformation lmentaire rsulte des lois
psychologiques suivantes :

(i) Loi de la prgnance. Une certaine forme simpose par rapport dautres grce un caractre
saillant. Par ailleurs, les formes structure simple lemportent sur celles qui prsentent une
structure plus complexe. Il sagit de la loi gnrale du gestaltisme. On lappelle aussi loi de la
bonne forme (Gesetz der guten Gestalt).
(ii) Loi de la proximit. Les formes perues regroupent plutt des lments proches que des
lments distants.
(iii) Loi de la similitude. La correspondance dlments semblables lemporte sur celle dlments dissemblables.
(iv) Loi de la clture. Une forme compltement circonscrite par une ligne est plus facilement
reconnue comme telle quune forme ouverte .
(v) Loi de la ligne continue. Les lignes sont perues comme si elles se poursuivaient de la
manire la plus simple (le contact de deux lignes est toujours peru comme un croisement).
(vi) Loi de continuit. Les stimuli qui semblent prolonger des stimuli antrieurs sont perus
comme correspondant ceux-ci.
(vii) Loi du mouvement commun. Des lments en mouvement ayant la mme direction sont
perus comme un ensemble.

590

Paul Gvaudan

Les figures suivantes dmontrent leffet de quelques-unes de ces lois :

Figure 1 : Regroupement dlments et perception de forme (les figures [a] et [b] proviennent de Raible
(1981, 5)

Dans le dessin [A], nous voyons automatiquement des groupes de deux lignes dont
lcart est rduit : ainsi nous percevons trois formes. Thoriquement, on aurait pu
percevoir deux formes reliant les lignes plus loignes. Cest la loi de la proximit (ii)
qui nous impose la premire perception. Dans le cas du dessin [B], la loi de la
similitude (iii) nous fait percevoir des figures verticales et non horizontales. Dans le
cas du dessin [C], la loi de la ligne continue (v) nous force voir deux lignes croises
et nous empche dy voir deux angles. Ce nest que dans la figure [C] que nous
pouvons voir soit une croix soit deux angles qui se touchent, car il y a ici concurrence
entre la loi de la ligne continue (v) et la loi de la similitude (iii).
Les lois de la thorie de la gestalt prsupposent la possibilit dinterprter
diffrentes formes partir des mmes stimuli. Comme on la vu pour le dessin [A], on a
tendance y percevoir trois formes, mais on pourrait galement y voir deux formes.
Or, la priorit dune forme nest pas toujours si claire quelle apparat dans ce cas.
Parfois, il y a ambigut entre ce quest la forme ou la figure et ce quest le fond. Cest
ce quon appelle leffet figure-fond. Cet effet est frquemment exploit pour provoquer
des illusions optiques, comme dans le cas des images suivantes :

Figure 2 : Leffet figure-fond (Vase de Rubin 1921 et My Wife and My Mother-In-Law de W. E. Hill 1915)

591

La linguistique cognitive

Le gestaltisme refuse le principe de lassociation dans la mesure o celui-ci


convient lide dun psychologisme lmentaire essentiellement dtermin par des
stimuli isoles dont lassociation est lie aux vnements (associations de contigut)
et des traits inhrents (associations de similarit). Selon lapproche gestaltiste , ce
ne sont pas les lments qui forment le tout, mais le tout qui se constitue dlments.
En dautres termes : lesprit cherche percevoir des formes et nest pas (du moins pas
uniquement) conditionn, comme le prtend le bhaviourisme. Lapproche gestaltiste
est donc holistique ou analytique dans la mesure o elle conoit la perception comme
intgration des stimuli dans une forme projete par lesprit, alors que la psychologie
associative et le bhaviourisme prconisent une approche atomiste ou synthtique,
pour laquelle la perception complexe rsulte de la contigut ou de la similarit des
stimuli. Les principes contraires de ces deux approches, qui se manifestent de diffrente manire dans les mthodes et thories de la linguistique cognitive, forme une
sorte de dialectique : en effet, les lois (ii) et (iii) de la psychologie de la gestalt
peuvent galement tre lues comme confirmations des principes classiques dassociation.

3.3 La smantique des scnarios ou cadres ( frames )

La smantique des cadres ( Frame semantics ) prsente par Minsky (1975) dans
le domaine de lintelligence artificielle et par Fillmore (1975 ; 1982) dans le domaine de
la linguistique (cf. galement Rumelhart 1975) se dirige contre le modle logique des
traits smantiques intensionnels.
En smantique logique, on distingue traditionnellement entre lensemble de traits
correspondant une signification (sens ou intension) et lensemble de rfrents ou
doccurrences compatibles cette signification (dnotation ou extension).
Ce modle aristotlicien (Kleiber 1990, 21) dcrit les relations entre stimuli et
notions (perceptuelles ou non) en termes de conditions ncessaires et suffisantes ,
ce qui revient dire que la prsence de certains stimuli (traits smantiques) est
ncessaire et suffisante une certaine notion. Contre cette conception strictement
logique, Minsky et Fillmore soutiennent que, face une nouvelle situation, lesprit a
automatiquement recours des scnarios , cest--dire des strotypes de situations quil suffit de modifier pour une adaptation approprie la situation actuelle.

A frame is a data-structure for representing a stereotyped situation, like being in a certain kind
of living room, or going to a childs birthday party. Attached to each frame are several kinds of
information. Some of this information is about how to use the frame. Some is about what one can
expect to happen next. Some is about what to do if these expectations are not confirmed
(Minsky 1975, 211).

des strotypes de situation se lie toute une srie dinformations mmorises,


accessibles ds quon se retrouve dans une situation semblable. Dans un restaurant,

592

Paul Gvaudan

p. ex., le personnel de service nous mne une table, nous apporte la carte ; ensuite
nous faisons notre choix et attendons quon nous serve le repas ; aprs le dessert et un
ventuel caf, nous demandons laddition, payons et laissons un pourboire. Ce
scnario rpt maintes fois nous est tout fait familier. Comment se comporter et
quoi prter son attention ne demande que peu de rflexion, car le juste cours des
vnements nous est intuitivement prsent. Lide de cadre ( frame ) ou de
scnario correspond ce quesquisse Figure 3 (cf. galement Koch 1999a, 146149,
Gvaudan/Koch 2010, 109s.) :

Figure 3 : Le Scnario ou cadre RESTAURANT

Au sein du scnario RESTAURANT on peut identifier les vnements ou notions lmentaires tels que SERVICE , TABLE , CARTE , DESSERT , ADDITION etc. ( .. ). Ces lments sont
non seulement lis au type de situation quest le scnario RESTAURANT , mais galement
entre eux, comme le montre Figure 4 :

Figure 4 : Les liens de contigut du scnario RESTAURA


RESTAUR ANT
NT

La linguistique cognitive

593

tant donne leur apparition simultane ou successive, les relations cognitives entre
les lments sont des associations de contigut. Toutefois, ces associations sont
conues dun point de vue holistique, car, linstar du gestaltisme, cest travers
lidentification du tout que lesprit conceptualise les relations entre les parties.

3.4 Les tropes conceptuels et lhypothse de la cognition


incarne
Une variante la fois anthropologique et linguistique de linterprtation atomiste des
mcanismes dassociation se manifeste dans la notion de tropes conceptuels. Selon
Lakoff/Johnson (1980), une bonne partie de nos moyens dexpression langagire
provient de mtaphores abstraites, qui ne servent pas seulement dsigner, mais
galement concevoir des ides abstraites. Ainsi, ils constatent
A great deal of everyday, conventional language is metaphorical, and the metaphorical meanings are given by conceptual metaphorical mappings that ultimately arise from correlations in
our embodied experience (Lakoff/Johnson 1980, 247).

Dans cette approche les mtaphores conceptuelles constituent une projection des
expriences concrtes, notamment corporelles de ltre. Ces expriences, considres
comme primaires, servent forger des concepts abstraits cest ce quon peut appeler
la cognition incarne (cf. Lakoff/Johnson 1980, 271). Bien entendu, lide dune
volution ultrieure de la pense abstraite remonte la nuit des temps. Mais le clivage
systmatique de cette volution et de la mtaphore ainsi que des tropes en gnral est
plus rcent. On le retrouve dans les travaux de Sperber (1923) et dUllmann (1952) (cf.
galement Koch 1994 ; 1999a ; Blank 1997, 173181 ; Gvaudan 2007, 99s.). Ce dernier
observe la projection conceptuelle ( conceptual mapping ) travers lvolution
du vocabulaire :

[La] primaut du concret dans lvolution de lesprit humain se manifeste en smantique de


deux faons : par la provenance concrte de beaucoup de termes abstraits devenus opaques et
par la tendance universelle, et qui reste toujours en vigueur, de faire passer des mots du plan
matriel au plan moral (Ullmann 1952, 280).

En ce qui concerne la provenance concrte [] de termes abstraits devenus opaques Ullmann fournit les exemples suivants :

(1) lat. spiritus esprit < soufle


(2) fr. concevoir < lat. concipere prendre, saisir
Les cas de projetion mtaphorique du type SAISIR CONCEVOIR , COMPRENDRE sont
lgion et existent dans toutes les langues. Il ny a aucun doute que la projection du
concret sur labstrait est un phnomne universel. Mais Sperber (1923), Ullmann

594

Paul Gvaudan

(1952) et Lakoff/Johnson (1980) vont encore plus loin et constatent quil y a des
domaines source et des domaines cible de projection relis par des paradigmes
mtaphoriques. Les dsignations dans le domaine de largumentation p. ex. proviennent en partie du vocabulaire de guerre (on dfend ou attaque un argument, on
abandonne une ide), le domaine de largent et des finances sexprime par la terminologie du liquide (argent liquide, argent sec, marchs desschs, tre () sec, verser un
acompte, versement rgulier). Un domaine source peut avoir plusieurs domaines
cible, comme p. ex. lorientation verticale dans lespace : HAUT vs. BAS BON vs.
MAUVAIS ( qualit haute, basse, suprieure, infrieure etc., haute distinction, ides
hautes, basses, haute action, basses intentions etc.) ; HAUT vs. BAS POSITIONS SOCIALES
(le suprieur, rang infrieure, position leve, haut reprsentant, au sommet de la
hirarchie etc.).
Lakoff/Johnson (1980, 3540) sont dans les premiers signaler que la conceptualisation de labstrait se fait galement par la mtonymie, trope gnralement nglig
quand il sagit de labstraction conceptuelle. Cela ne les empche cependant pas
favoriser systmatiquement la mtaphore, p. ex. quand ils rangent le paradigme
ESPACE TEMPS (de 1 2 heures, longue dure, journe courte, petit moment etc.) parmi
les mtaphores et non parmi les mtonymies. Cette classification doit tre conteste,
car la projection de lespace sur le temps dcoule de lexprience corporelle fondamentale du mouvement physique, au sein duquel lespace et le temps sont associs
par un lien troit de contigut (la DURE correspond au CHEMIN ). Vu lhypothse de la
cognition incarne ( embodied ) poursuivie par Lakoff (1987, xii, 13) et gnralement admise en linguistique cognitive, il faudrait donc plutt parler dans ce cas de
mtonymie conceptuelle et dlargir lide des mtaphores conceptuelles par celle des
tropes conceptuelles.
Lide de la conceptualisation base de tropes implique deux principes quil
convient de souligner. Premirement, la projection du concret labstrait est un
processus synthtique, donc atomiste dans le sens dvelopp ci-dessus (3.3), puisque
cest lassociation qui y fait natre les concepts et non le contraire. Deuximement, le
langage est un lment pertinent du dveloppement cognitif et les tropes des instruments de conceptualisation.

3.5 De la smantique du prototype au modle cognitif idalis


Dans le domaine de la catgorisation, la linguistique cognitive sest approprie une
thorie de la psychologie cognitive essentiellement dveloppe par Eleonor Rosch
dans les annes 1970 et appele la thorie ou smantique du prototype (cf. Rosch 1973 ;
1975a ; 1975b ; 1975c ; 1978 ; Rosch/Mervis 1975 ; cf. galement Coleman/Kay 1981 ;
Lakoff 1987 ; Kleiber 1990). Il sagit dune thorie cognitive de la catgorisation, cest-dire de lidentification dun vnement (occurrence rfrentielle ou tat de chose),
peru comme appartenant un certain concept, voire une certaine catgorie .

595

La linguistique cognitive

Inspire par lide de ressemblance de famille de Wittgenstein4 et ltude de


Berlin/Kay (1969) sur les dsignations de base des couleurs ( basic color terms ),5 la
thorie du prototype suppose que la catgorisation se fait essentiellement par la
comparaison dune occurrence actuelle avec un prototype, qui est la reprsentation
idale (image visuelle ou auditive) dun membre de cette catgorie (cf. Rosch/Mervis
1975, 574s.). La smantique du prototype soppose au modle des conditions ncessaires et suffisantes (v. supra, 3.3), selon lequel un vnement correspond une catgorie ds quil remplit certaines conditions ncessaires et suffisantes.
En guise dexemple du modle des conditions ncessaires et suffisantes : si un
animal a un BEC , cest un OISEAU (BEC => OISEAU , condition suffisante), si cest un
OISEAU , il a une TTE (OISEAU => TTE , condition ncessaire).
Pour la thorie du prototype, en revanche, la catgorisation se fait uniquement
par ressemblance au prototype :

Si la sous-catgorie moineau, par exemple, constitue le prototype doiseau, cest par rapport la
perception ou schma cognitif que nous avons de cette sous-catgorie que fonctionnera le
principe dappariement (Kleiber 1990, 60).

Dautres oiseaux appartenant des sous-catgories non ou peu prototypiques du


concept OISEAU , comme le FAUCON , la POULE , lAUTRUCHE ou le PINGOUIN , seront donc
reconnus en tant quOISEAU par similarit avec le prototype. Ils seront identifis moins
vite que les exemplaires prototypiques et la rapidit de leur identification sera graduelle selon le degr de ressemblance au prototype : le faucon sera reconnu plus
rapidement que la poule, la poule plus rapidement que lautruche et celle-ci plus
rapidement que le pingouin.
Selon Rosch/Mervis (1975, 580s.), le degr de prototypicalit dun vnement par
rapport une catgorie dpend de certains attributs saillants ( salient attributes ) qui, bien que non ncessaires pour lappartenance la catgorie en question,
sont perus comme les plus pertinents. Cest p. ex. le cas de la proprit VOLER pour la
catgorie OISEAU . Rosch/Mervis (1975, 575) prtent de tels attributs une haute
valeur de signal ( cue validity ). Au mme titre que les membres dune catgorie
ne sont pas gaux (un MOINEAU est davantage OISEAU quun PINGOUIN ), les proprits
du prototype sont de qualit diffrente. On peut donc envisager la catgorisation

4 Wittgenstein (1953, 66s.) dcrit les diffrents sens du mot allemand Spiel jeu comme un rseau
complexe de similitudes qui se chevauchent et sentrecroisent ( ein kompliziertes Netz von hnlichkeiten, die einander bergreifen und kreuzen. ) et conclut quil ne peut saisir ces chanes de similitudes que par lexpression ressemblance de famille ( Familienhnlichkeiten ).
5 En comparant les expressions simples et frquentes des couleurs dans diffrentes langues Berlin/
Kay (1969) ont montr que certaines rpartitions spectrales sont frquemment dnommes et reconnues comme typiques ( le rouge le plus typique ), mais que la rpartition des termes diffre selon les
langues particulires. Ils ont galement dmontr les difficults de dlimitation des catgories correspondant aux termes linguistiques.

596

Paul Gvaudan

prototypique sous laspect de lextension (exemplaires prototypiques) et sous laspect


de lintension (proprit saillante, haute valeur de signal).
propos des notions dintension et dextension, voir 3.3. Selon Lakoff (1987, 169)
et Kleiber (1990, 99s.) laspect intensionnel des catgories prototypiques correspond
la thorie des strotypes de Putnam (1975).
Or, les proprits saillantes du prototype, comme VOLER pour OISEAU , sassocient
la catgorie par contigut, ce qui semble tre rest inaperu (mis part Koch 1999a,
149151, et, indirectement et trs brivement Croft/Cruse 2004, 91s.). Lattribut est
dautant plus saillant que lassociation de contigut est forte. Cela met en cause
lexclusivit du principe de ressemblance de famille et de similarit, car il savre qu
travers la valeur de signal la saillance du prototype se fonde sur des principes de
contigut (scnario). Les diffrents types dassociation prototypique se refltent
galement dans la dimension verticale (Kleiber 1990, 78) conue par Rosch et al.
(1976), qui distinguent un niveau de base des catgories naturelles dun niveau superordonn et dun niveau subordonn. OISEAU au niveau de base seraient superordonn
ANIMAL et subordonns MOINEAU , FAUCON , POULE et PINGOUIN .
Dun point de vue logique, on a affaire des relations dabstraction cela
implique linclusion de lextension concrte dans lextension abstraite (tous les exemplaires dOISEAU sont des exemplaires dANIMAL ) et linclusion de lintension abstraite
dans lintension concrte (toutes les proprits dANIMAL sont des proprits dOISEAU ).
En linguistique cognitive, on dsigne les inclusions conceptuelles par le terme
taxinomie (ou taxonomie), qui provient de la biologie traditionnelle :

In taxonomies of concrete objects, there is one level of abstraction at which the most basic
category cuts are made. Basic categories are those which carry the most information, possess the
highest category cue validity, and are, thus, the most differentiated from one another (Rosch
et al. 1976, 382).

De ce point de vue, la valeur de signal est la plus marque et la plus informative au


niveau de base. Les catgories de ce niveau dabstraction sont les plus accessibles par
lesprit et les premires acquises par lenfant. Il sagit des catgories les plus
inclusives [= abstraites, PG] desquelles on peut se faire une image concrte (Rosch
et al. 1976, 382). Dailleurs, la dimension verticale des catgories prototypiques se
manifeste dj dans les tudes de catgorisation, dans la mesure o celles-ci se
rfrent apparemment sans le vouloir et sans le remarquer des sous-catgories et
non des vnements. Cest la catgorie cognitive PINGOUIN qui est loin du prototype
dOISEAU , et non un certain pingouin. Ainsi, la thorie du prototype prsuppose une
structure cognitive taxinomique qui va au-del des associations de similarit et de
contigut (Gvaudan 2007, 88).
Ce problme a incit Rosch (1978) et surtout de Lakoff (1987) un remaniement
ultrieur de la thorie du prototype. Alors que dans la version standard (Kleiber
1990), le prototype est considr comme reprsentation et comme principe de structuration interne de la catgorie, le rle du prototype dans la version tendue se

597

La linguistique cognitive

rduit des effets prototypiques (Rosch 1978, 40 ; Kleiber 1990, 150). Dans la
version standard, la thorie du prototype est une thorie atomiste dans laquelle les
liens de similarit et de ressemblance de famille reprsentent la force constitutive
des catgories. Dans la version tendue, il sagit dune thorie holistique o interviennent les effets prototypiques sur le fond de catgories dj existantes. Le remaniement
de la thorie du prototype consiste donc en une inversion du sens explicatif prototype-catgorie (Kleiber 1990, 154). Reste la question du fondement cognitif des
catgories, laquelle Lakoff (1987, 6876) rpond par les modles cognitifs idaliss ( idealized cognitive model , dornavant MCI). Il entend par l des structures
conceptuelles adaptes aux objets et aux situations concevoir. Les mcanismes de
catgorisation dun MCI varient selon ces adaptations. Les MCI sont conus comme
des units holistiques qui regroupent les plus importantes thories de la linguistique
cognitive :

Each ICM [= MCI] is a complex structured whole, a gestalt, which uses four kinds of structuring
principles :

propositional structures, as in Fillmores frames

image schematic structures, as in Langackers cognitive grammar

metaphoric mapping, as described in Lakoff and Johnson

metonimic mapping, as described in Lakoff and Johnson (Lakoff 1987, 68).

Dans le modle des MCI, les effets prototypiques peuvent se produire de diffrentes
manires sur diffrents plans et partir de diffrents types dassociation. Quant aux
concepts, ceux-ci peuvent tre fonds sur les diffrents principes cognitifs ds lors,
mme les structures conceptuelles logiques sont concevables en termes de cognition.
Afin de rendre compte de ces diffrentes options de conceptualisation Lakoff (1987,
118ss.) introduit la distinction entre MCI populaires et scientifiques ( folk
models , scientific models , Taylor 1989, 68 parle de folk categories and expert
categories ). Dans un MCI populaire du concept OISEAU , le PIGOUIN ne sera pas
membre de la catgorie, alors quil le sera dans le MCI scientifique dOISEAU . Une
baleine peut tre membre dun MCI populaire de POISSON , mais ne lest pas dans le
MCI scientifique. Pour distinguer ces types de MCI, on peut avoir recours des
expressions linguistiques, que Lakoff (1973) nomme haies ( hedges , cf. galement Taylor 1989, 7580). En franais, celles-ci peuvent tre exprimes comme suit :

(3) fr. Strictement parlant, le pingouin est un oiseau


(4) fr. proprement parler, la baleine nest pas un poisson
A linstar des MCI plus ou moins scientifiques, on a appliqu lattribut prototypique des catgories grammaticales en linguistique cognitive (cf. infra les catgories prototypiques de Croft 2001 discutes dans la section 4.3).

598

Paul Gvaudan

3.6 La subjectivit en linguistique cognitive


Dans le cadre de la thorie cognitive, la subjectivit du sens de lnonciation et de
lnonc joue un rle prpondrant et a t largement traite dans le cadre de la
grammaire cognitive de R. Langacker (1985 ; 1987/1991 ; 1990 ; 1999 ; 2006) et dans
les travaux de E. Traugott (1989 ; 1995 ; 1999 ; Traugott/Dasher 2002) sur la grammaticalisation (cf. galement Smet/Verstraete 2006, ainsi que les recueils Stein/Wright
1995 et Athanasiadou/Canakis/Cornillie 2006 ; quant aux considrations avant la
lettre de la subjectivit, voir surtout Benveniste 1958 ; Lyons 1982). Or, les notions
de subjectivit de ces deux auteurs diffrent considrablement, ce qui a provoqu
une polmique (cf. Traugott 1989 ; 1995 ; 1999 ; Traugott/Dasher 2002 ; Langacker
1999 ; 2006).
Selon Langacker (2006, 17s.), la conception de subjectivit dfendue par Traugott
se rfre au contenu smantique de lnonc, alors que la sienne se rapporte
lactivit nonciative et interprtative du locuteur et de lallocutaire. Pour lui (1987,
128132 ; 1990), la subjectivit est dautant plus intense que la reprsentation des
participants du discours est implicite. Cela veut dire linverse que plus lnonc se
rfre aux interlocuteurs et les focalise, plus il est objectif. Par consquent, les
noncs performatifs explicites du type

(5) Je vous dis quelle est innocente


[traduction de lexemple (1a) de Langacker (1990, 11)]
prsentent le maximum dobjectivit, car ils dcrivent lnonciation mme (Langacker 1990, 11) dans je vous dis X lnonc reprsente lnonciation qui le produit.
Langacker analyse lnonc par rapport lnonciation, savoir en tant quinstruction dinterprtation. linverse de Langacker, Traugott (1989 ; 1995 ; 1999) dfinit
la subjectivit par la prsence et non pas par labsence de lnonciation dans
lnonc. Selon elle, les noncs (6)(a) et (7)(a) sont plus subjectifs que les noncs
(6)(b) et (7)(b), car les pronoms de premire personne sy rfrent au discours
actuel :

(6) (a) Je suis innocente


(b) Elle est innocente
(7) (a) Je pense quelle est innocente
(b) Il pense quelle est innocente
Dans les sens de Benveniste (1958), Traugott dtermine la subjectivit en
raison de la prsence dans lnonc dlments embrayeurs , qui renvoient
lnonciation. Elle semble mme reprendre intuitivement son ide de diffrentes dimensions (rfrentielle, illocutoire et performative) de la subjectivi

La linguistique cognitive

599

t.6 Ainsi, (6)(a) dcrit le locuteur en tant que rfrent, alors que (7)(a) le dcrit en
tant que responsable de lassertion, ce qui rend le pronom personnel effectivement
plus subjectif. Dans lnonc (5), le locuteur est dcrit en tant que tel, cest--dire en
tant que source de lnonciation ; dans ce cas le pronom est encore plus subjectif que
dans sa fonction illocutoire. Si en revanche Langacker considre que (6)(b) est plus
subjectif que (7)(a), cest parce que dans le premier cas, lassertion du locuteur est
implicite, alors que dans le second, son engagement est explicitement dcrit. Bien
que cette dmarche soit concevable, on peut se demander si le paramtre de lexplicitation suffit pour juger de la subjectivit relative dun nonc. Ainsi, on ne pourra
contester que lnonc dans (6)(a) est plus subjectif que celui de (6)(b), bien que
lassertion du locuteur soit implicite dans les deux cas. Ltat de choses dnots dans
(6)(a) implique la personne du locuteur, tandis que celui de (6)(b) est indpendant de
tout rapport au cadre de lnonciation.
La diffrence des approches de Traugott et Langacker vient du fait que Traugott
analyse les lments de lnonc, comme les pronoms personnels ou les auxiliaires
modaux, alors que Langacker se rfre son sens global. Lexemple (7)(a) montre la
lgitimit des deux points de vue. Premirement, le sujet de la principale de (7)(a)
parat plus subjectif que celui de la principale de (7)(b) dans la mesure o lassertion
du locuteur reste implicite dans les deux cas et o le rfrent sujet de (7)(b) nest pas
du tout concern par lnonciation (ce rfrent est donc moins subjectif). Deuximement, on constate en comparant (7)(a) (6)(b) que le contenu de la principale de (7)(a)
est galement exprim par lassertion de (6)(b), attribuable au locuteur en le disant
explicitement dans la principale de (7)(a), le locuteur donne donc une description
objective de son assertion.
Le fait de pouvoir remplacer je pense que par apparemment montre par ailleurs
que la subjectivit linguistique est lie au sujet plus global de la modalit (cf. Nuyts
2001). La comprhension de la subjectivit demande peut-tre un cadre thorique
plus ample que ceux que proposent Traugott et Langacker. Une alternative au sein du
paradigme de la smantique cognitive est la thorie des espaces mentaux propose
par Fauconnier (1984 ; 1985 ; 1997). Inspir par Ducrot (1984), cette thorie part du
principe que les diffrentes ralits auxquelles lesprit humain est confront sont
reprsentes par diffrents espaces mentaux , relis par des amalgames conceptuels . Un espace de base correspondant la ralit du locuteur et de lallocutaire
est modifi ou mis en rapport avec dautres espaces mentaux. Une assertion comme
celle de (6)(b) p. ex. se rfre un espace de base , quelle peut modifier ou largir.
Dans (7)(b) par contre, lassertion enchsse quexprime la subordonne correspond
un autre espace mental, celui du sujet de la principale (je). Pour Croft/Cruse (2004,

6 Cf. lanalyse de lexpression in fact dans Traugott (1999, 182184). Pour une conception systmatique de ces dimensions du sens cf. Gvaudan (2013).

600

Paul Gvaudan

33), cette approche est une alternative non mtaphysique au modle des mondes
possibles propag en smantique formelle (cf. Kripke 1980).

4 Les domaines dapplication de la linguistique


cognitive
Conformment au principe [ii] mentionn dans lintroduction de cet article, la linguistique cognitive sintresse ds ses dbuts aux relations symboliques, cest--dire aux
rapports de reprsentation entre la forme et le contenu linguistique. Ce faisant, elle
prend position contre le programme structuraliste, selon lequel la phonologie, la
morphologie et la syntaxe devaient elles seules rendre compte des structures dune
langue et indirectement mme (par les tests de substitution, de commutation etc.) de
ses structures smantiques ( smmes , smes etc.). Du point de vue de la
linguistique cognitive, cette approche modulaire ne peut tre que relative par rapport
la relation symbolique des signes linguistiques.
Cela implique un certain choix quant aux relations smiologiques tudies. Afin
de garder toute neutralit terminologique, on peut dterminer un signe comme
relation entre une expression ou forme (correspondant une signifiant) et un contenu
(correspondant un signifi). Comme le montre la Figure 5, les relations smiologiques correspondent soit ce rapport entre expression et contenu (relation [a] dans le
schma) soit au rapport entre expressions (relation [b] dans le schma) ou entre
contenus (relation [c] dans le schma) :

Figure 5 : Les relations smiologiques

Par ailleurs, on suivra la distinction traditionnelle de la dimension [a] en deux


perspectives :

La linguistique cognitive

601

la smasiologie [a1] : perspective de lexpression au contenu


lonomasiologie [a2] : perspective du contenu lexpression

Les auteurs du cognitivisme reprochent au structuralisme que lapproche modulaire


favorise ltude des relations [b] et [c] au dtriment des relations symboliques [a]. Du
point de vue de la linguistique cognitive les relations symboliques [a] sont, bien au
contraire, primaires, car elles associent les concepts phontiques et formels aux
concepts gnraux :

Dans le cadre de la grammaire cognitive, toutes les structures grammaticales sont juges
symboliques. Lexique, morphologie et syntaxe constituent un continuum dunits symboliques,
chacune forme par lassociation dune structure smantique et dune structure phonologique
(Langacker 1991, 106).

Lorientation de la linguistique cognitive vers la fonction symbolique des expressions


linguistiques va de pair avec lancrage psychologique et social de la langue, qui se
manifeste avant tout dans la parole. Or, comme le prdit le principe [iii] mentionn au
dbut de cet article, la parole ne tmoigne pas seulement de la langue, mais elle la
cre et engendre ainsi son volution diachronique. Par consquent, la conception
cognitive des langues incite la linguistique donner plus de poids aux donnes
linguistiques empiriques et historiques. Cette rhabilitation des faits de langue, plus
ou moins ngligs par le structuralisme, mne un renouveau de la linguistique
diachronique et des disciplines traditionnelles de la lexicologie, de la morphologie et
de la grammaire et syntaxe. La section prsente traite des applications de la linguistique cognitive dans les domaines du changement smantique (section 4.1), de la
lexicologie (section 4.2), de la morphologie cognitive (section 4.3), de la grammaticalisation (section 4.4), de la smantique de lnonc dans le cadre de la grammaire
cognitive (section 4.5) et de la grammaire constructionnelle (section 4.6).

4.1 Changement smantique


Lapplication des principes de la linguistique cognitive la smantique lexicale passe
par une rconciliation avec la smantique historico-philologique (Geeraerts 1991,
18).7 Geeraerts (1983a ; 1983b ; 1985 ; 1991) est le premier linguiste propager cette
rconciliation :

7 Avec Geeraerts, on peut nommer entre autres Paul (1880), Darmesteter (1887), Bral (1897), Wundt
(1912), Nyrop (1913), Carnoy (1927) et Stern (1931) ; voir section 2.2. De plus, il convient de nommer les
travaux dUllmann (1951 ; 1952 ; 1962), notamment inspirs par Roudet (1921). Pour une synopse cf.
lexcellent manuel de Kronasser (1952) ainsi que Nerlich (1992).

602

Paul Gvaudan

Jessaierai de montrer des similarits rvlatrices entre la grammaire cognitive et la tradition


philologico-historique []. En effet, tudier le dveloppement smantique des mots pour apprendre quelque chose sur les lois de lesprit humain sinsre facilement dans une tentative plus
gnrale qui consiste tudier lensemble des phnomnes linguistiques comme une manation
de la cognition humaine et une matrialisation des principes selon lesquels elle fonctionne
(Geeraerts 1991, 17).

Lexistence de telles rgles cognitives dans le changement smantique est gnralement admise par la tradition historico-smantique laquelle se rfre Geeraerts,
notamment dans les travaux de Roudet et dUllmann, qui proposent un modle dans
lequel les procds de changement smantique suivent la voie des associations
psychologiques de contigut et de similarit (cf. 3.1), que lon peut rsumer comme
suit :

Tableau 6 : Mcanismes du changement smantique selon Roudet (1921, 686692) et Ullmann


(1952, 220 ; 1962, 211227)

transfert de sens

transfert de nom

similarit

mtaphore

tymologie populaire

contigut

mtonymie

ellipse

Roudet (1921, 686692) dcrit le changement smantique comme rsultant dune


association par contigut entre les ides (mtonymie), dune association par
ressemblance entre les ides (mtaphore), des rapports syntagmatiques entre les
mots (ellipse) et des rapports associatifs entre les mots (mcanisme que Ullmann
1962, 220s., attribut au changement par tymologie populaire). On a constat par la
suite que le transfert de nom nest pas un changement smantique au sens strict,
savoir smasiologique (relation [a1] dans Figure 5), mais plutt un changement onomasiologique ([a2]) (cf. Geeraerts 1983a ; 1997, 94 ; Koch 1999b ; Gvaudan 2002 ;
2003 ; 2007) voire morphologique dans le cas de lellipse ([b]) et complexe dans le cas
de ltymologie populaire (cf. Gvaudan 2007, 17s., 130ss., 158ss.). Cependant, mme
si la dmarche de Roudet et Ullmann se rapporte en fait plus gnralement au
changement lexical, elle vise galement le changement smantique dans la mesure
o le transfert de sens sy explique par lexploitation des relations associatives de
similarit et de contigut dans les procds innovateurs de la mtaphores et de la
mtonymies procds du reste dj reconnus comme tels par Darmesteter (1887) et
Bral (1897).
Les travaux de Geeraerts ainsi que ceux de Koch (1991 ; 1994 ; 1995 ; 1999a ; 1999b ;
2002a ; 2002b ; 2005) et de Blank (1993a ; 1993b ; 1997 ; 1998), que lon peut considrer
comme les applications les plus importantes de la linguistique cognitive au changement smantique (cf. galement Nerlich 1992 ; Nerlich/Clark 1992 ; Gvaudan 2002 ;
2003 ; 2007 ; Gvaudan/Koch 2010), procdent tous une synthse entre lapproche

603

La linguistique cognitive

psychologique traditionnelle (Koch 2005, 3, parle de linguistique cognitive ante


litteram ) avec les principes du cognitivisme nouveau . En effet, la smantique des
scnarios ( frames ) et celle des prototypes sont des thories innovatrices et dans la
mesure o elles se fondent sur les principes de lassociation et du gestaltisme : les
auteurs en question sont en mesure de fournir des explications concluantes et exhaustives des phnomnes de changement smantique. Laspect dcisif de leurs analyses,
cest la mise en rapport des procds rhtoriques avec les associations psychologiques
(cognitive) : mtonymie contigut ( frame ), mtaphore similarit ( gestalt ),
spcialisation / gnralisation relation prototypique, etc.
Alors que Geeraerts (1997) souligne surtout le fondement prototypique des changements taxinomiques (spcialisation, gnralisation), Blank (1997) les rduit essentiellement lassociation de similarit ; Gvaudan (2007) admet une propre association logique fonde sur des associations de similarit et de contigut.
Au bout du compte, il savre que la systmatisation du changement smantique
se fait sur la base de relations associatives ou cognitives entre les concepts dsigns
(cf. Koch 1996), savoir sur le plan smiologique [d] selon Figure 5. Appliques de
manire gnrale au changement lexical et la lexicologie synchronique, ces relations
smantiques reprsentent, ct des relations symboliques ([a]), le principe explicatif
fondamental de la linguistique cognitive en lexicologie (cf. Geeraerts 1997 ; Blank
1998 ; Koch 1999b ; Gvaudan 1999 ; 2002 ; 2007 ; Koch/Marzo 2007).

4.2 Lexicologie des relations smantiques


Lexplication systmatique du changement smantique partir des relations smantiques ou cognitives (relation [c] dans Figure 5) a men en gnral une nouvelle
apprciation des structures lexicologiques synchroniques (Geeraerts 1985 ; Koch
1999b ; Blank 1998 ; 2001 ; Cruse 2000 ; Croft/Cruse 2004 ; ainsi que les manuels de
Cruse et al. 2002/2005, chapitres VII, VIII, XIII, XIV et XXXVIIIXL et de Geeraerts/
Cuyckens 2007, section I). Le point de dpart de la mise en valeurs des relations
smantiques est le constat que tout changement smantique innovateur mne la
constellation synchronique dune polysmie. Cela veut dire que lon peut considrer
les relations smantiques comme un principe gnral de structuration du lexique
mental (cf. Allport/Funnell 1981 ; Aitchison 1987 ; Babin 1998 ; Marquer 2005). En
lexicologie cognitive, les relations traditionnelles de la synonymie (relation [a2] dans
Figure 5) et de lhyponymie ([c]), la polysmie ([a1]) et lhomonymie ([b]), les champs
smantiques ([a2]) et les familles de mots ([b] et [c]) sont intgrs dans un ample
appareil de relations smantiques qui permet des descriptions dtailles et homognes des structures du lexique.
Ainsi, on peut expliquer le phnomne de la polysmie par la prsence dune
association entre les reprsentations mentales correspondant aux diverses significations dune forme lexicale. On constatera que les significations donner en location et

604

Paul Gvaudan

prendre en location de la forme lexicale louer sont associes par une relation de
contigut (les partenaires de la location partagent le mme scnario). La relation
smantique permet de distinguer la polysmie de lhomonymie, qui est une autre
forme dambigut lexicale. Celle-ci fait dfaut de toutes relations smantiques,
comme dans le cas de la signification de faire lloge de la forme lexicale louer, qui
ne prsente aucun rapport avec donner/prendre en location, si bien que les locuteurs
y voient deux lexmes dont les formes lexicales sont par hasard identiques. On a
traditionnellement fait la distinction de la polysmie et de lhomonymie laide de
ltymologie, selon laquelle on reconnat p. ex. que louer faire lloge vient du latin
LAUDARE , alors que ltymon de louer donner/prendre en location est LOCARE placer.
Toutefois, cette dmarche doit chouer l o lambigut lexicale remonte un
tymon commun, mais ne prsente pas de relation smantique fonde dans la conscience des locuteurs, comme dans le cas de voler avec ses significations se dplacer
dans lair et drober, entre lesquelles les locuteurs ne voient pas de rapport ( partir
de la signification tymologique de se dplacer dans lair sest dvelopp, par
mtonymie, le sens attraper dans la chasse au faucon, et par mtaphore celui de
drober ; les sens intermdiaires ont disparu). Ce nest qu laide des relations
smantiques, que lon peut faire tat des structures lexicales qui correspondent aux
comptences linguistiques des locuteurs.
Le fondement des relations smantiques a galement men une reconsidration
de la formation des mots et des paradigmes morpho-lexicaux ou familles de mots (cf.
Koch 1995 ; 1999b ; Blank 1998 ; 2001 ; Gvaudan 1999 etc. ; Tuggy 2005 ; Taylor 2015).
Dun point de vue cognitif et synchronique, la relation morphologique dun mot issu
dun procd de formation et du ou des mots la base de ce procd, comme p. ex.
messager et message, sajoute une relation smantique qui motive la parent des deux
units lexicales et rend transparent (en ce qui concerne la notion de transparence cf.
Gauger 1971 ; Blank 1998 ; Gvaudan 2007) le produit du procd, savoir messager.
tant donn la forte contigut entre les notions message et messager, on peut
admettre que la formation lexicale dans ce cas prcis va de pair avec une mtonymie
il sagit du moins du mme procd smantique (cf. Gvaudan 2002, 2). Dailleurs
on utilisait, en ancien franais, la forme message non seulement pour dsigner le
message, mais galement pour le messager. Lidentification des relations smantiques permet galement danalyser des composs endocentriques, comme poisson-scie
(subordination taxinomique + mtaphore/similarit), ou exocentrique, comme gratteciel (subordination taxinomique + mtonymie/contigut incorpores dans une mtaphore). Comme le montre la formation des mots (procd nonciatif) et son quivalent
synchronique, la famille de mot (tat de langue), les relations smantiques sont des
entits valables dans trois dimensions : dans la synchronie (polysmie, famille de
mots etc.) et la diachronie (changement lexical innovateur) de la langue ainsi que
dans lnonciation.
Cest dailleurs galement partir des relations smantiques et de leur application
dans tous les domaines de la lexicologie que P. Koch dveloppe les notions de

605

La linguistique cognitive

typologie lexicale (cf. Koch 1999b ; 2001) et le principe de motivation lexicale


(cf. Koch/Marzo 2007 ; Marzo 2013 ; Umbreit 2014).

4.3 Morphologie cognitive


tant donn que la morphologie concerne essentiellement le plan [b] selon Figure 5, il
est peu tonnant quelle soit la discipline la moins affecte par la linguistique
cognitive. Les rares travaux prsents dans ce domaine sont tous motivs par dautres
applications de la linguistique cognitive. Il sagit dune part des approches lexicologiques, qui analysent en profondeur la morphologie lexicale (cf. Babin 1998 ; Fradin
2003 ; Dal 2004 ; Umbreit 2014 ; Hartmann 2014). Dautre part, lintrt provient de la
grammaire cognitive selon Langacker (cf. Gaeta 2010) ou de la grammaire constructionnelle (Dal 2004 ; Booij 2010). Or, on a dj trait de la lexicologie cognitive dans
les sections prcdentes et on se penchera sur les grammaires cognitives et constructionnelles dans les sections suivantes. Un aspect important de ces dernires, quil
convient de mentionner ici, touche le traitement des parties du discours, savoir des
catgories lexicales.
La Radical construction grammar de W. Croft (2001), qui dfend une vue typologique de la grammaire constructionnelle, propose de traiter celles-ci comme des
catgories prototypiques variables et non comme des universaux (cf. galement
lapproche semblable de Langacker 1991). Pour le domaine lexical, il propose trois
catgories selon les fonctions rfrence , modification et prdication . Les
prototypes de ces catgories sont les noms non marqus (qui dnotent des OBJETS
et ont une fonction de rfrence ), les adjectifs non marqus (qui dnotent des
PROPRITS et ont une fonction de modification ) et les verbes non marqus
(qui dnotent des ACTIONS et ont une fonction de prdication ). ct des
contributions de la linguistique cognitive la morphologie, il faut galement mentionner les travaux sur la grammaticalisation, car ce sujet concerne essentiellement
la dimension smiologique [b] selon Figure 5 . Mais dans la mesure o il sagit dun
sujet trs bien dlimit et de surcrot diachronique, il convient de lui consacrer une
propre section.

4.4 Grammaticalisation
Quoique quelques-uns des plus importants travaux sur la grammaticalisation depuis
les annes 1980 ne relvent pas de la linguistique cognitive (notamment les ouvrages
fondamentaux de Lehmann 1982 ; Bybee 1985 ; Bybee/Perkins/Pagliuca 1994, qui sont
plutt typologiques, avec un ct tantt structuraliste dans le cas de Lehmann tantt
empiriste dans le cas de Bybee), la plupart des travaux qui ont t prsents dans ce
domaine sont du moins partiellement cognitivistes.

606

Paul Gvaudan

Seule la dmarche de Langacker (1990 ; 1999 ; 2006) se veut uniquement cognitiviste ; chez dautres auteurs importants comme Hopper (1987), Traugott (1989 ; 1995 ;
1999), Traugott/Dasher (2002), Detges (1998 ; 2003a ; 2003b ; 2004), Detges/Waltereit
(2002), Prvost (2006), Gurin (2007/2008), divers contributeurs des recueils Combettes/Marchello-Nizia (2003) ; Detges/Waltereit (2008) etc., lapproche cognitive se
combine avec des lments de pragmatique et des mthodes empiriques.
Laffinit de la linguistique cognitive aux phnomnes de grammaticalisation
sexplique par le fait que celle-ci est dclenche par des innovations linguistiques.
Cest ce que constate dj A. Meillet lorsquil propose le terme grammaticalisation :

[L]a grammaticalisation de certains mots cre des formes neuves, introduit des catgories qui
navaient pas dexpression linguistique, transforme lensemble du systme. Ce type dinnovations rsulte dailleurs de lusage qui est fait de la langue (Meillet 1912, 133).

Or, la cration de formes neuves rsulte selon Detges/Waltereit (2002) soit dune
stratgie expressive du locuteur, comme dans (8) et (9), soit dune ranalyse de la part
de lallocutaire, comme dans (10) :

(8) fr. conjugaison du futur (INF + {-ai, -as, -a, -ons [avons], -ez [avez], -ont}
lt. priphrase dontique (INF + {habeo, habes, habet, habemus, habetis, habent})
(9) fr. la ART . SING . F lt. illa(m) PRON . DM . SING . F
(10) fr. chez PRP lt. casa N . F . SING .ABLATIF dans la maison
Dans le cas de la conjugaison du futur (8), on peut admettre que les locuteurs ont
souvent dit je dois INF (habeo + INF ) pour souligner que lvnement en question
aura effectivement lieu. Au dpart de la grammaticalisation du paradigme du futur
synthtique du franais, on constate donc une stratgie expressive. Celle-ci est de
surcrot profondment mtonymique, car lobligation de raliser une action (modalit
dontique) implique sa ralisation certaine (modalit pistmique). Lvolution de
larticle dfini roman la partir du pronom dmonstratif latin illa(m) remonte aussi
une stratgie expressive du locuteur dont le caractre est mtonymique : pour assurer
la valeur du dfini (lindication que le rfrent est connu par lallocutaire), quon ne
pouvait pas exprimer en latin classique, les locuteurs se servait du dmonstratif. En
revanche, la grammaticalisation de lexemple (10) est issue dune ranalyse et non
dune stratgie expressive. Du ct de lallocutaire, on a pu interprter dans la
maison de X comme chez X. Cette ranalyse repose sur la contigut entre la sphre
dune personne et sa demeure. Il ne sagit pourtant pas dune mtonymie dans la
mesure o linnovation nest pas intentionnelle.
Les exemples discuts ici montrent assez bien le ct cognitif de la grammaticalisation, mais laissent galement entrevoir des aspects pragmatiques (expressivit,
ranalyses contextuelles) et morphosyntaxique, voire typologique. Ces derniers vont
bien au-del des relations symboliques (relation [a] dans Figure 5) et concerne en
premier lieu la morphologie ([b]), et cela deux niveaux : dune part la grammaticali

607

La linguistique cognitive

sation fait dune forme lexicale une forme grammaticale, comme dans (10), ou dune
forme grammaticale une forme encore plus grammaticale (ce quon peut mesurer
avec les paramtres de Lehmann 1982), comme dans (9) ; dautre part la grammaticalisation change le systme grammatical, comme le constate Meillet ci-dessus, en
faisant apparatre de nouvelles catgories, comme dans le cas des articles dfinis (10),
qui nexistent pas en latin classique. On parlera dans ce cas galement de changement
grammatical.

4.5 Smantique de lnonc et grammaire cognitive


Ds les annes 1970 R. Langacker dveloppe la grammaire cognitive dont linfluence sur la linguistique cognitive et la grammaire constructionnelle est considrable (cf. bibliographie). Face luvre immense de Langacker, on se bornera ici
voquer trois principes fondamentaux de cette thorie, savoir le caractre symbolique de la grammaire, son fondement sur lusage dans la parole et lexprience
incarne des locuteurs. Comme le montre la citation dans lintroduction de la
section 4, le caractre profondment symbolique du langage (dimension [a] de la
Figure 5) est le principe le plus fondamental de cette approche (cf. galement le
recueil reprsentatif de Haiman (1985) sur liconicit de la syntaxe ). Et par consquent, la thorie de Langacker consiste essentiellement expliquer le sens des
expressions grammaticales. Il considre la grammaire comme une smantique de
lnonc et lnonc comme une instruction la conceptualisation de la part de
lallocutaire :

Laspect le plus significatif de ce cadre thorique est sa conception de la smantique. Sens est
identifi conceptualization (au sens le plus large) ; les structures smantiques (cest--dire le
sens des expressions linguistiques) sont donc des conceptualisations qui vont dans le sens des
conventions linguistiques. Jadopte [] un modle encyclopdique de la smantique ; tous les
aspects de notre connaissance gnrale de lentit en jeu contribuent au sens de lexpression qui
la dsigne (Langacker 1991, 106)

En tant quinstruction la conceptualisation la grammaire est au service de lnonciation et de linterprtation. De ce fait, tout le systme linguistique, avec ses exceptions
et ses particularits lexicales nest quune manation de lactivit nonciative. Cest
pourquoi Langacker (1987, 46) conoit la grammaire cognitive comme thorie base
sur lusage . Par ailleurs, la conceptualisation est dtermine par les mcanismes de
la cognition incarne (voir section 3.4). Toute notion abstraite est drive des
archtypes de lexprience corporelle. Il sagit de domaines de bases (Langacker 1987, 147) irrductibles, lis aux membres et aux fonctions du corps humains,
lespace et au temps, aux facults de perception tactile, auditive et surtout visuelle.
Dans le cadre du principe symbolique, la grammaire cognitive de Langacker est
profondment smantique dans la mesure o elle favorise la dimension smiologique

608

Paul Gvaudan

du contenu (relations [c] dans Figure 5) au dtriment du plan de lexpression (relations [b] dans Figure 5). Cela se montre notamment dans son analyse de la prdication, qui dispose les arguments (entits smantiques exprimes en franais par les
complments sujet et objet) dans une constellation de figure-fond (cf. section 3.2).
Dans les langues accusatives comme le franais, le sujet correspond la figure et les
objets au fonds. Langacker (1987, 231ss.) nomme la figure trajecteur (trajector) et
les lments du fons repre (landmark, pour les termes franais cf. Kleiber 1993,
116). Dans lexemple (11) Martine est le trajecteur, tandis que la voiture et devant la
maison sont des repres :

(11) Martine a gar la voiture devant la maison


Ce schma danalyse des prdications a lavantage dtre universel dans un sens
typologique. En effet, quon ait affaire une langue accusative, ergative (comme la
basque) ou une langue topique (comme le japonais) ne change rien lanalyse
smantique de la prdication. Toutefois, le fait de choisir systmatiquement une
fonction syntaxique formelle (que sont le sujet en franais et le topique en japonais)
comme figure peut paratre problmatique dans certaines constructions, comme p. ex.
celles de (12)(a) et (13)(a) :

(12) (a) Il lui est venu lide de garer la voiture devant la maison
(b) Elle a eu lide de garer la voiture devant la maison
(13) (a) La musique lui plaisait
(b) Elle aimait la musique
Dans le cas de (12)(a), on a affaire un sujet impersonnel, donc un lment syntaxique formel, sans correspondance smantique. Dans ce cas, il est clair quon ne peut
pas srieusement envisager un trajecteur qui correspondrait au sujet. Lanalyse propose par Langacker ne fonctionne donc que dans la construction smantiquement
identique de (12)(b). Si, en revanche, on invoque une interprtation smantique du
sujet, on pourra identifier le trajecteur sans problmes, savoir lui dans (12)(a). Par
ailleurs, la diffrence syntaxique entre les expressions de (13)(a) et (13)(b) exprime
certes une diffrence smantique, mais pas en ce qui concerne les rles de elle/lui
et la musique (cf. Langacker 1987, 231). Linconvnient de lanalyse de Langacker
est quelle ne tient pas compte du sujet syntaxique, qui, comme le prouve lexemple
(12)(a) est une ralit grammaticale, du moins en franais et dans dautres langues.
La conceptualisation gestaltique de la prdication en termes de figure et fond
sinscrit dans le principe plus gnral du focal adjustment ( ajustement focal , cf.
Langacker 1987, 116ss.), auquel correspondent les diffrents types de perspective de
la conceptualisation du contenu (cf. galement la notion cognitive de fentrage
propose par Talmy 1988 ; 1993). ct de la hirarchie prdicative, lajustement

609

La linguistique cognitive

focal concerne entre autre le grounding (Langacker 1987, 126, fondement), cest-dire lancrage de lnonc dans la situation dnonciation, la deixis ainsi quen
gnral les diffrents paramtres de la subjectivit et de lobjectivit de lnonc (cf. la
section 3.6).

4.6 Une nouvelle conception de la morphosyntaxe : la grammaire


de construction ou constructionnelle

La grammaire constructionnelle est un ensemble de thories grammaticales influences par la grammaire cognitive, par la smantique gnrative, par la tradition des
grammaires typologiques et par la thorie de la valence (cf. Goldberg 1995 ; 2006 ;
Shibatani/Thompson 1996 ; Croft 2001 ; Croft/Cruse 2004 ; Franois 2008 ; 2011 ;
Bybee 2010 ; ainsi que les recueils de Fried/stman 2004 ; Fried/Boas 2005). On
attribue gnralement le dbut de ce mouvement une tude sur lexpression anglaise let alone sans parler de (Fillmore/Kay/OConnor 1988), qui mne une discussion sur la relation entre la rgularit et lidiomaticit dans la grammaire. Celle-ci
aboutit la constatation suivante :

[I]n the construction of a grammar, more is needed than a system of general grammatical rules
and a lexicon of fixed words and phrases. Those linguistic processes that are thought of as
irregular cannot be accounted for by constructing lists of exceptions : the realm of idiomaticity in
a language includes a great deal that is productive, highly structured, and worthy of serious
grammatical investigation (Fillmore/Kay/OConnor 1988, 534).

Selon Fillmore/Kay/OConnor, une langue ne se compose pas seulement dinventaires


et de rgles combinatoires, mais possde galement un domaine intermdiaire idiomatique. Croft (2001, 17) parle dun continuum entre syntaxe et lexique . La
construction est un lment flexible qui peut se trouver partout dans le continuum.
Elle peut tre schmatique et complexe comme dans le cas de la construction
[sujetprdicatobjet direct] en franais ou une forme substantielle et atomique comme le mot [grand], mais elle peut galement se trouver mi-chemin entre
substantiel et schmatique , comme dans le cas de [sujetrendrehommage
objet indirect], ou entre simple (atomique) et complexe , comme dans le cas de
[riche] ou [enrichissement]. Or, les approches des grammaires de construction conoivent les constructions intermdiaires soit top-down du schmatique au substantiel
soit bottom-up du substantiel au schmatique.
La principale reprsentante de la dmarche top-down est A. Goldberg (1995 ;
2006) dont le modle de lhritage schmatique se rfre essentiellement aux structures darguments de la prdication. Dans la tradition de la smantique gnrative et de
la grammaire des rles smantiques, qui est grosso modo compatible avec la thorie
de la valence, Goldberg propose de considrer certains schmas abstraits comme des
modles que lon retrouve dans le plan syntaxique de lexmes verbaux. On trouve

610

Paul Gvaudan

p. ex. souvent le schma [AGENT S verbe PATIENT O D BNFICIAIRE I O ], quhrite galement la construction [sujetrendrehommage objet indirect] mentionne ci-dessus.
Cet exemple montre du reste que, comme dans toutes les approches contructionnelles, les constructions sont conues comme entits symboliques ([a] selon Figure 5)
reliant le plan de lexpression celui du contenu.
Lapproche bottom-up par excellence des grammaires de construction est la
grammaire base sur lusage ( usage based grammar ; CF : Langacker dans la
section 4.5) de Bybee (2010), qui considre que linnovation, savoir le changement
grammatical (cf. section 4.4) ne peut sexpliquer que par lactivit nonciative des
locuteurs. Bybee (2010, 5s.) discute entre autres un exemple comparable la juxtaposition des expressions franaise je (ne) sais pas [sp] vs. je (ne) fume pas [fymp].
Du point de vu syntaxique, morphologique et phontique, ces deux expressions sont
tout fait comparables ( part la possibilit dassimilation du son [s] dans [p]) ; du
point de vue smantique galement, dans la mesure o il sagit dune prdication
ngative attribue au sujet ; sauf que [sp] nest pas seulement utilis comme
proposition principale, mais galement afin dattnuer une assertion ( Quest-ce que
tu prends ? Jsais pas, une bire ), cest--dire comme marqueur discursif ou
comme expression adverbiale de modalit.

5 Conclusion
Aujourdhui, la linguistique cognitive est devenue partie constituante de la plupart
des domaines de la linguistique interne,8 comme la grammaire fonctionnelle, la
typologie, la smantique lexicale et grammaticale, la pragmatique, la syntaxe et la
morphologie. Partant de principes thoriques provenant de la psychologique et de la
philosophie, ce courant scientifique a su apporter la linguistique des inspirations
innovatrices. Mais son succs en a fait un courant dispers dans la totalit des
sciences du langage. Lide dune thorie unitaire ne restera quun pisode. Cela dit,
elle a en premier lieu le mrite davoir rhabilit la fonction symbolique ou reprsentative du langage.

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8 De laquelle il faut distinguer la linguistique externe, savoir la linguistique variationnelle, la


sociolinguistique etc.

La linguistique cognitive

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Britta Thrle

25 La linguistique applique
Abstract : Dans cet article, la linguistique applique est considre comme une manire de faire de la linguistique qui est consciente des problmes linguistiques de la
vie pratique. Dans ce qui suit, nous prsenterons quelques principes et problmes
mthodologiques avant daborder quatre champs dapplication particulirement intressants du point de vue des pays et rgions germanophones dans lesquels le
franais est tudi et enseign comme langue trangre dans divers cadres institutionnels et utilis dans des contextes professionnels plurilingues. Les domaines traits
seront 1) lacquisition du franais comme langue trangre, 2) la didactique du franais langue trangre, 3) la langue et la communication de spcialit et 4) la communication plurilingue dans le monde du travail. Pour conclure, nous prsenterons
brivement le cadre institutionnel de la recherche en linguistique applique, cest-dire les associations et revues dans lesquelles la communaut des chercheurs est
organise et o leurs activits deviennent manifestes.

Keywords : Linguistique applique, interdisciplinarit, acquisition des langues, franais langue trangre, didactique, langue technique, langues de spcialit, traduction, plurilinguisme, organisations

1 Linguistique et linguistique applique


Dans son manuel de linguistique, le structuraliste Andr Martinet crit propos de la
linguistique applique : Sil a fallu attendre, pour quon parle de linguistique applique, que se soit constitue une linguistique tout court, cest simplement parce
que, pendant longtemps et presque jusqu nos jours, on navait gure pris conscience
de la lgitimit dune tude du langage humain en lui-mme, sous sa forme quotidienne, et quil ny avait nul besoin de distinguer une linguistique proprement dite de
quelque chose qui en aurait t des applications la solution de problmes pratiques (Martinet 1972, 209). En effet, jusquau XIXe sicle, ltude de la langue si
celle-ci ne faisait lobjet de rflexions philosophiques avait t, avant tout, une
tude applique. Cest--dire quon soccupait de la langue pour lamliorer, pour
garantir son fonctionnement comme moyen de communication ou pour procurer son
enseignement. Dans ce contexte, la constitution de la linguistique ( gnrale )
comme discipline scientifique indpendante des problmes pratiques est conue par
le structuraliste Martinet comme processus dmancipation. Depuis lors, la situation
parat tre renverse : cest la linguistique applique qui cherche se dfinir,
dlimiter son domaine de recherche, ses mthodes et objectifs. En tmoigne un grand
nombre de travaux ddis la discussion des objets, objectifs et mthodes propres et
appropris de la linguistique applique ainsi qu la nature des rapports de celle-ci

619

La linguistique applique

avec dautres disciplines et avec les autres domaines de la linguistique. Est-ce la


linguistique applique qui applique les connaissances acquises en science fondamentale aux problmes pratiques (linguistics applied) ? Faut-il, au contraire, une thorie
propre la linguistique applique (applied linguistics) (cf., entre autres, Khlwein
1980, 22s. ; Platen/Vogel 2001, 69s. ; Knapp/Antos 2009, ix ; Stegu 2011b, 25) ? Ces
problmes et questions largement dbattus depuis les annes 1970 et qui le sont
encore nont toutefois donn lieu ni des rponses unanimes ni la constitution
dune discipline de linguistique applique cohrente et clairement dlimite de la
linguistique tout court. Jugeant ce dbat strile , Candlin/Sarangi (2004, 1s.) proposent de le remplacer par une rflexion sur ce qui est effectivement la pratique en
linguistique applique. Allant dans le mme sens, Knapp/Antos (2009, xi) prfrent
ne pas considrer la linguistique applique comme discipline autonome, mais parler
plutt dune faon de faire de la linguistique consciente des problmes et relie
au monde pratique ou, autrement dit, comme une linguistique servant la rsolution de problmes . Il ny aurait donc quune linguistique pouvant sintresser aux
aspects thoriques et historiques autant qu des problmes pratiques de diverse
nature (Spillner 1990, 8s.).

2 Rflexions mthodologiques
Partant de lide que la linguistique applique ne constitue pas une discipline autonome, mais reprsente une manire de faire de la linguistique, la recherche dun
ensemble clos de mthodes et approches proprement appliques parat drisoire. Rien
que la grande diversit des problmes pratiques considrons, p. ex, le traitement
automatique des banques de donnes en lexicographie et la traduction orale dans la
communication mdecin-patient fait que toute tentative de proposer la mthodologie de la linguistique applique reste invitablement incomplte.1 Ceci ne signifie pas
que tout soit possible ( anything goes ), comme le craignent Menz/Gruber (2001, ix).
Mme si lon ne peut pas parler dune mthodologie propre la linguistique applique, on peut tout de mme en tablir quelques principes et procds caractristiques. En linguistique applique, il sagit normalement dapproches
pratiques : qui partent dun problme de vie pratique et qui sont orientes vers
la solution de celui-ci

1 Le manuel de Coffin/Lillis/OHalloran (2010a) Applied Linguistics Methods, p. ex., ne tient compte


que de la linguistique fonctionnelle de Halliday, de lanalyse critique du discours ainsi que de
lethnographie de la communication ce qui nous parat une vision trs rduite. En revanche, ce qui
parat possible et sens, cest la discussion des approches suivies au sein dun champ dapplication
particulier, comme le fait, p. ex. Harden (2006) pour la linguistique applique la didactique des
langues trangres.

620

Britta Thrle

empiriques : qui tudient ce problme partir de donnes collectes sur le


terrain et
interdisciplinaires : qui adaptent la mthodologie la nature du problme en
faisant appel, si besoin est, dautres disciplines.

Conformment ceci, le procd prototypique dune tude en linguistique applique est constitu des tapes suivantes (cf. Candlin/Sarangi 2004, 3) :
dclenchement de la recherche par un problme
identification des aspects critiques particuliers
slection des mthodes de recherche appropries
collection de donnes
analyse
exploitation et diffusion des rsultats.

Ltude en linguistique applique part du problme de vie pratique , et non pas du


problme thorique de la discipline. Une premire tche est alors didentifier les
aspects critiques de ce problme. La mthode la plus approprie son tude dpend
de la nature du problme, de manire quil peut savrer ncessaire dadapter les
mthodes choisies ou de dpasser les frontires disciplinaires de la linguistique pour
dvelopper une approche interdisciplinaire. Le travail interdisciplinaire, souvent
voqu comme caractristique constitutive de la linguistique applique (p. ex. Gruber/Menz 2001), reprsente lun des grands dfis de celle-ci. Si lon regarde les textes
programmatiques de la linguistique applique, la notion dinterdisciplinarit se rfre
toute une gamme de constellations diffrentes. Interdisciplinarit peut signifier,
p. ex., quun chercheur possde ou se procure des comptences dans plusieurs disciplines (le sociolinguiste qui est familier avec des thories et mthodes de la sociologie) ou bien quun linguiste collabore avec un chercheur dune autre discipline dont
ce premier na pas, ou trs peu, de connaissances (Stegu 2001, 257). Dans tous les cas,
il faut que lclecticisme mthodologique des dmarches ne se fasse pas au dtriment
de lintgrit de lanalyse. Celle-ci doit toujours rester acceptable dans le cadre
thorique et mthodologique dorigine (Candlin/Sarangi 2004, 5).
Finalement, lorientation vers la solution pratique des problmes rels demande
non seulement une rflexion mthodologique concernant la recherche en linguistique
applique, mais aussi concernant lintervention (cf. Coffin/Lillis/OHalloran 2010b, 2).
Voil un autre dfi auquel la linguistique applique se trouve confronte. Parmi
les chercheurs, on peut distinguer grosso modo deux attitudes fondamentales
dont Stegu (2011a, 355) appelle lune critique et lautre axe sur lefficacit
( effizienzorientiert ). Dans lapproche critique , la linguistique applique est
plutt une activit descriptive qui identifie et fait lanalyse critique des problmes lis
la langue afin de mieux les comprendre. En revanche, lapproche axe sur
lefficacit se propose dlaborer des solutions pratiques. Toutefois, cette dernire
conception de la linguistique applique parat tre beaucoup moins rpandue de ce

La linguistique applique

621

quil est souvent prtendu. Platen/Vogel (2001, 92) y voient un dcalage entre prtention et pratique relle et jugent la linguistique applique une science sans consommateurs ( Wissenschaft ohne Verbraucher ). Ce dcalage parat tre d, entre
autres choses, la difficult de concilier les attentes des clients potentiels, qui
demandent souvent des instructions concrtes, avec les principes et possibilits de la
science qui ne veut (et ne peut) tre prescriptive, mais dont la tche est plutt de
rendre conscients le fonctionnement de la communication ainsi que les raisons de son
disfonctionnement ( awareness raising cf. Stegu 2011b, 32 ; voir aussi Candlin/
Sarangi 2004, 4).

3 Champs dapplication
Pendant longtemps, le domaine primordial et presque exclusif de la linguistique
applique a t lacquisition des langues, de manire que les deux termes soient plus
ou moins synonymes. Mais progressivement, la recherche en linguistique applique
sest diversifie. Aujourdhui, lAssociation Franaise de Linguistique Applique
(AFLA) propose sur son site web une liste de 19 domaines, parmi lesquels : les langues
de spcialit, lexicologie, lexicographie, politique linguistique, terminologie, troubles
du langage, traduction, langues en contact et variation linguistique (cf. <http://www.
afla-asso.org/>). Si nous nous proposons maintenant de prsenter quelques domaines
de recherche en linguistique applique, il est clair quune telle approche ne peut tre
thmatiquement exhaustive ni reprsenter ltat de la recherche de faon dtaille et
complte. Notre propos est plutt de montrer lintrt particulier quune linguistique
applique du franais peut avoir dans les pays et rgions germanophones dans
lesquels le franais reprsente souvent une langue trangre tudie et enseigne
dans divers cadres institutionnels et utilise dans des contextes professionnels plurilingues.2 Les domaines dapplication particulirement intressants dans ce contexte
sont : 1) lacquisition du franais comme langue trangre, 2) la didactique du franais
langue trangre, 3) la langue et la communication de spcialit, et 4) la communication plurilingue dans des contextes de travail. Pour chaque domaine, nous aborderons, titre dexemple, des problmes pratiques traits ainsi que les thories et
mthodes auxquelles on fait appel pour leur tude.

2 Vu que cet article sur la linguistique applique se trouve au sein dun manuel de linguistique
franaise, il faut se poser la question de savoir sil existe une linguistique applique spcifiquement
franaise ou romane. Stegu (2011b) donne une rponse ngative cette question en postulant quil ny
a quune linguistique applique gnrale pouvant porter sur des exemples en langues romanes, mais
pas de discipline linguistique applique proprement romane .

622

Britta Thrle

3.1 Lacquisition du franais comme langue trangre


La linguistique applique sintresse lacquisition ainsi qu lenseignement du
franais comme langue trangre.3 Ce sont des champs interdisciplinaires que la
linguistique applique partage avec dautres disciplines, comme la psychologie ou la
pdagogie, et lintrieur desquels se sont tablies des disciplines autonomes telles
que la psycholinguistique, la didactique des langues trangres ainsi que les recherches en apprentissage et enseignement des langues.
Une premire approche lacquisition du franais langue trangre, et certainement lune des plus anciennes, est lanalyse des fautes. Vers le milieu du XXe sicle,
des approches fondes sur les thories structuralistes et behavioristes sont parties de
lide que lapprentissage dune langue trangre doit se fonder sur la description
comparative de la langue maternelle et de la langue cible (hypothse contrastive). On
supposait quen matrisant bien les similarits et diffrences entre les deux, lapprenant tait rendu capable de transfrer les similarits (transfert positif) et dviter des
interfrences (transfert ngatif). Aujourdhui, il fait consensus que cette hypothse,
dans sa version forte, ne tient pas debout et que lacquisition ainsi que les fautes ne
peuvent pas tre expliques sur la seule base des contrastes entre langue cible et
langue maternelle.4 Nanmoins, lanalyse des fautes, qui ne part pas exclusivement
du transfert ngatif comme cause dune faute, peut trs bien contribuer une
meilleure comprhension du processus dacquisition. Le langage de lapprenant est
interprt comme interlangue ( interlanguage , Selinker 1972), cest--dire comme
un systme linguistique dynamique, restructur en permanence et oscillant entre le
systme de la langue maternelle et celui de la langue cible. Dans cette conception, les
fautes ont un caractre systmatique. Elles tmoignent du processus dacquisition et
on peut en dduire les squences dans lesquelles lacquisition se droule. Ces squences sont influences par la langue maternelle, mais aussi par les structures de la
langue cible. Cela implique quau cours du droulement de lacquisition, une faute
peut tre remplace par une autre, plus correcte dans le sens de plus proche du
systme de la langue cible . Concernant lacquisition de larticle et de la ngation
chez les apprenants germanophones du franais, Lavric (2009 ; 2011) montre que

les fautes schelonnent plus ou moins parfaitement, bien comme il faut, des plus simples aux
plus sophistiques, dune interlangue encore calque sur la langue maternelle vers une interlangue qui ressemble beaucoup la langue cible, mais en plus rgulier. Les interfrences de la
langue maternelle interviennent plutt au dbut du processus tandis que les chelons suprieurs

3 On ne tient pas compte ici de lacquisition du franais comme langue maternelle (cf. Kielhfer 1997)
et langue seconde.
4 Pour une critique de lhypothse contrastive voir, p. ex., Harden (2006, 5762) ou Edmondson/
House (22000, 222227). Un problme important li cette thse est la dfinition de ce quest une faute.
Une classification instructive est propose par Knapp-Potthoff (1987).

623

La linguistique applique

sont dicts par la logique de la langue cible, de rgle en exception, dexception en exception du
second degr (Lavric 2009, 189).

Pendant que lanalyse des fautes est principalement fonde sur les notions et mthodes de la linguistique structurale, dautres tudes sur lacquisition partent dapproches psycholinguistiques et cognitivistes. Les recherches dans ce domaine sintressent au traitement cognitif de linformation et sinterrogent, p. ex., sur lorganisation
des vocabulaires multilingues dans le lexique mental (Aitchison 1997 ; Raupach
21997). Une question particulirement intressante dans le cadre des langues romanes
concerne lacquisition du vocabulaire dune deuxime ou troisime langue trangre
appartenant la mme famille de langues (Mller-Lanc 2003 ; 27 La recherche en
plurilinguisme). Les tudes dans ce domaine sintressent en outre au traitement
rceptif et productif des textes oraux et crits en langue trangre (Brner/Vogel
1992 ; 1996) ainsi qu lacquisition de la grammaire en L2 (cf. p. ex. Brner/Vogel
2002).
Finalement, lapport linguistique ltude de lacquisition du franais langue
trangre consiste aussi en une approche interactionniste qui est largement influence par lanalyse ethnomthodologique de la conversation (Dausendschn-Gay 2001 ;
2003 ; Mondada/Pekarek-Doehler 2000 ; Pekarek-Doehler 2006). Les recherches qui
suivent cette approche ne partent ni du systme linguistique (comme le fait lanalyse
des fautes), ni des processus mentaux dans la tte des locuteurs (comme les
approches influences de la psycholinguistique). En focalisant laspect social et
interactif de lacquisition, elles conoivent le processus dacquisition comme se
configurant dans et travers le processus dutilisation du langage au sein de pratiques sociales les plus diverses (Pekarek-Doehler 2006, 128). Daprs cette approche,
les particularits du langage de lapprenant sont dues au fait que, dans des situations
dinteraction authentiques, les apprenants, tout en comptant sur la coopration de
linterlocuteur, emploient les formes et constructions linguistiques quils ont leur
disposition pour atteindre les objectifs communicatifs, et ce, de manire mthodique
et situe. Dans cette optique, conforme la conception sociopsychologique vygotskyienne de lacquisition (hypothse interactionniste), cest linteraction mme qui peut
tre considre comme dclencheur des processus dacquisition. Pour cela, les recherches sur les processus interactionnels dacquisition sintressent surtout ltude des
interactions exolingues authentiques, cest--dire aux interactions en situation de
contact entre apprenant et interlocuteur de langue maternelle franaise, caractrises
par les comptences asymtriques des participants (Dausendschn-Gay 2001). Dans
une conversation exolingue, les participants ne sont pas seulement engags dans leur
activit principale , mais accomplissent en mme temps un travail de formulation
coopratif pour viter ou pour rsoudre les problmes communicatifs, comme, p. ex.,
la recherche dun mot qui ne fait pas encore partie du lexique mental de lapprenant.
Le traitement interactif dun problme linguistique, qui est dabord une activit
locale, suppose la possibilit de retenir la solution trouve et ainsi lacquisition du

624

Britta Thrle

phnomne en question. Le procd conversationnel de repair (Schegloff/Jefferson/


Sacks 1990) reprsente donc, dans le contexte de la communication exolingue, une
squence potentiellement acquisitionnelle qui est dfinie comme

toute squence conversationnelle exolingue organise autour dun problme de formulation


rencontr par le locuteur alloglotte, et peru comme tel soit par lui-mme (et donnant lieu une
sollicitation daide) soit par son interlocuteur natif, pisode suivi de la prsentation dune donne
(input) traite comme telle par lalloglotte (Jeanneret/Py 2002, 37 ; cf. aussi De Pietro/Matthey/
Py 1989 ; Matthey 1996).

Dans ce contexte, lapproche interactionniste est galement capable dexpliquer les


particularits structurales de linterlangue des apprenants. Par exemple, un certain
usage de la dislocation gauche, quon peut observer chez les apprenants du franais
langue trangre mais non pas chez des locuteurs natifs, relve dun procd typique
de communication exolingue : lapprenant ratifie un lment lexical propos par
linterlocuteur pour lintgrer aprs coup (cf. Glich 1986) dans le cadre
syntaxique de lnonc (Pekarek-Doehler 2006, 134).

3.2 La didactique du franais langue trangre


Pour dcrire le rapport entre la didactique et les disciplines scientifiques qui interviennent dans ltude et la pratique de lenseignement et de lapprentissage des
langues, Schumann/Steinbrgge (2008) introduisent le concept de transformations
didactiques . La notion de transformation , dans ce contexte, ne se limite pas
une rduction ou lmentarisation des connaissances scientifiques un niveau de
base et nimplique pas non plus de hirarchie prtablie entre la didactique et la
linguistique (Steinbrgge 2008, 14). Les recherches en linguistique reprsentent plutt des ressources potentielles dans lesquelles la didactique doit puiser de manire
crative pour les transformer en savoir utile dans la pratique de lenseignement. Des
approches dans lesquelles la transformation didactique de connaissances linguistiques parat particulirement prometteuse sont, titre dexemple, la didactique des
associogrammes ( Wrternetze ) labore par Neveling (2004), la didactique de
lenseignement plurilingue et de lintercomprhension (Klein/Stegmann 2000) ainsi
que lapprentissage-enseignement sur corpus (Blauth-Henke/Heinz 2009).
Lapprentissage du vocabulaire peut tre considr comme un des problmes
principaux de lacquisition dune langue trangre. Lapproche des associogrammes
vise faciliter lappropriation et la mmorisation du vocabulaire en sappuyant sur la
structure et le fonctionnement procdural du lexique mental. Lexique mental est
une mtaphore qui renvoie au vocabulaire individuel dune personne ainsi qu la
faon dont ce vocabulaire est reprsent dans la mmoire long terme. Le lexique
mental ne contient pas seulement la forme (phontique ou graphique) et les significations dun mot, mais aussi dautres informations lies celui-ci. Ces informations sont

625

La linguistique applique

la base de possibles associations qui forment diffrents types de rseaux de


mots : rseaux thmatiques (le repas, les boissons, la cuisine, ), rseaux taxonomiques (lanimal, le chien, le chat, la souris), rseaux de caractristiques (petit-grand,
bon-mauvais, ), rseaux syntaxiques (jouer au chat et la souris), rseaux constitus
dune mme famille de mots (la tradition, traditionnel), rseaux sonores (un vers, vert,
un ver) ou rseaux affectifs (Neveling 2007). En sappuyant sur ces connaissances, on
peut dvelopper des techniques et stratgies dapprentissage qui tiennent compte du
caractre individuel du lexique mental ainsi que de son organisation en rseaux (pour
ltude et lvaluation didactique dtailles de ces techniques et stratgies voir Neveling 2004).
Dans lobjectif de promouvoir le plurilinguisme en Europe, le Cadre europen
commun de rfrence pour les langues (CECR) plaide pour la mise en place de
programmes qui favorisent lextension progressive des comptences langagires tout
au long de la vie et dont le but nest pas la matrise dune ou de plusieurs langues
avec le locuteur natif idal comme ultime modle , mais plutt de dvelopper un
rpertoire langagier dans lequel toutes les capacits linguistiques trouvent leur
place (Conseil de lEurope 2001, 11). La didactique de lintercomprhension rpond
ces exigences en visant lacquisition dune comptence partielle, la comptence
rceptive qui se fonde sur les connaissances dj acquises de lapprenant. Dans
lapproche dEuroComRom, modle le plus connu en Allemagne, lapprenant se sert
des connaissances dune langue romane dj acquise et qui fonctionne titre de
langue pont ( Brckensprache ) pour acqurir une comptence rceptive dans
une autre langue romane. La langue pont reprsente alors la base du transfert du
savoir linguistique de cette langue une autre. De cette manire, ltudiant qui sait le
mot fr. vin, p. ex., est capable de comprendre les mots vino (esp., ital.), vinho (port.), vi
(cat.), etc. de mme que sa connaissance de la formation des adverbes en ment en
franais lui permet lidentification des adverbes dans dautres langues romanes. La
contribution dune linguistique applique cette approche didactique est dabord la
recherche fondamentale consistant en ltude contrastive des langues romanes dont
les rsultats doivent tre systmatiss et mis disposition des fins didactiques. Cest
aussi la recherche en linguistique cognitive dont lobjectif est une meilleure connaissance du processus de lacquisition plurilingue, savoir, de lorganisation cognitive
des connaissances linguistiques en plusieurs langues, des processus du transfert ainsi
que des stratgies dapprentissage des personnes disposant des comptences plurilingues (cf., p. ex., Meiner 1998).5
Une troisime approche en didactique du franais langue trangre, troitement
lie des courants en linguistique applique, est lapprentissage sur corpus. Pour le

5 Pour une prsentation de lapproche des sept tamis de lintercomprhension cf. Meiner et al.
(2004) ; pour des exemples de mise en pratique des rsultats de recherche, cf. Polzin-Haumann (2012) ;
Polzin-Haumann/Reissner (2013).

626

Britta Thrle

linguiste de mme que pour lenseignant dune langue trangre les corpus sont une
ressource prcieuse de textes et discours authentiques. Ctait dj lobjectif du
Franais fondamental (Gougenheim et al. 1964) qui, sur la base des frquences du
franais parl, voulait faciliter lapprentissage du vocabulaire franais tel quil est
rellement parl. Ce sont donc des recherches sur les corpus du franais qui sont
la base des dictionnaires, grammaires et manuels. Les corpus sont, de plus, exploits pour crer du matriel authentique dapprentissage. Cest, p. ex., le cas du
Corpus dOrlans dont les conversations enregistres sont intgres au manuel Les
Orlanais ont la parole (Biggs/Dalwood 1976). En plus de la comptence orale
rceptive, cest lenseignement des genres textuels, de la politesse verbale ou des
collocations (Siepmann 2009) qui peut tirer profit des corpus linguistiques. Ceux-ci
peuvent galement servir identifier des dcalages entre lusage des locuteurs natifs
et celui des apprenants du FLE qui, loral, produisent le plus souvent un franais
crit oralis d la situation particulire de la communication en contexte scolaire. Les donnes tires de ces corpus contrastifs peuvent alors tre utilises afin de
rendre conscient ce dcalage dans la formation des enseignants du FLE (cf. le projet
LANCOM : Delahaie/Flament-Boistrancourt 2013). Il est clair que lexploitation des
corpus des fins didactiques nest pas une tche aise. Pourtant, lutilit des corpus
en didactique des langues ne se limite pas la dfinition du contenu de lapprentissage et la mise disposition du matriel authentique o le corpus mme nest pas
directement touch par ltudiant. Dveloppes plus tardivement, les approches
dans lesquelles lapprenant travaille directement avec le corpus profitent de la mise
en place de technologies adquates pendant les dernires dcennies. Elles permettent de dvelopper des formes dapprentissage-enseignement particulirement
conformes au concept dautonomie de lapprenant o celui-ci est conu comme
chercheur ou enquteur dirigeant lui-mme son processus dapprentissage
(cf. Tyne 2013, 8s.).

3.3 Langue et communication de spcialit


La communication dans les contextes professionnels nous parat tre, du point de vue
des pays et rgions germanophones, un centre dintrt de linguistique applique du
franais particulirement pertinent. Historiquement, le domaine de la Wirtschaftslinguistik (linguistique applique lconomie) trouve ses origines pendant le premier
quart du XXe sicle dans les coles de commerce o lon poursuit dabord une approche tymologique, enrichie ensuite dune approche synchronique et fonctionnelle
sous linfluence de lcole de Prague (pour un aperu historique cf. Winkelmann
2011). Cest galement dans lesprit fonctionnel de cette cole quon a entrepris la
description des langues de spcialit dont celle du franais. Sans pouvoir aborder les
travaux faits dans ce domaine, nous nous limiterons ici prsenter quelques rflexions concernant deux problmes pratiques lis lusage des langues techniques

La linguistique applique

627

trangres : lenseignement des langues de spcialit et la traduction des textes


techniques.
Dans lintention de faciliter aux trangers lapprentissage du lexique technique,
Phal (1971) cre un vocabulaire gnral dorientation scientifique qui rassemble, sur
la base des analyses de frquences, des termes et expressions communs aux langues
de spcialit franaises (cf. aussi Schmitt paratre). Au niveau du vocabulaire, ce
sont avant tout les faux amis qui reprsentent un dfi. Lavric/Obenaus/Weidacher
(2008) donnent des exemples de faux amis au sens troit comme all. Filiale (fr.
succursale) et fr. filiale (all. Tochtergesellschaft), mais analysent aussi dautres
piges lexicaux, comme, p. ex., les structures divergentes des lexiques de la
langue maternelle et de la langue cible (all. erleichtern vs. fr. allger, faciliter, soulager).
Lensemble des caractristiques structurales des langues techniques peut tre
dcrit comme style , cest--dire comme choix de moyens dexpression qui distingue ce style marqu (technique) dun autre non-marqu (de la langue courante)
(cf. Forner 1998, 1s.) signalant ainsi le caractre technique dun texte donn (voir aussi
Kalverkmper 1983, 131). Selon Forner, le style marqu rsulte de lapplication de
quatre procds de mise en texte : (1) les verbes relateurs, (2) lenchssement nominal,
(3) les analytismes, et (4) les adjectifs de relation. Ainsi, dans le style non-marqu
de la langue courante on pourrait trouver un nonc tel que : Si le gestionnaire planifie
srieusement, il pourra viter des erreurs coteuses. Dans le style marqu dun texte
technique, en revanche, on aurait recours, dans ce cas, des nominalisations et des
verbes relateurs de manire que le mme contenu soit exprim de la faon suivante :
La planification [] permet dviter des erreurs coteuses (Forner paratre). Une
mthode de lenseignement du style spcialis ( Fachstil ) est propose par Forner
(1998) (cf. aussi Forner paratre).
Finalement, les particularits de la communication spcialise se manifestent
aussi au niveau de la constitution du texte et des genres textuels. Partant dune
approche contrastive, certaines tudes ont fait ressortir les diffrences entre les textes
spcialiss franais et allemands (voir p. ex., Spillner 1992 ; 2007 ; Trumpp 1998 ;
Schlierer 2004 ; ainsi que les contributions aux recueils dEckkrammer/Hdl/Pckl
1999 ; Eckkrammer/Eder 2000 ; Adamzik 2001 ; Drescher 2002). Rcemment, cette
approche a t applique aux hypertextes, plus prcisment ltude contrastive des
sites web des entreprises dans diffrents pays (Snchez Prieto 2011 ; Schrder 2013).
Dans le domaine de la traduction spcialise, ltude de Reinart (2009) met
laccent sur laspect (inter)culturel en soulignant que la traduction spcialise exige
du traducteur, en plus de la comptence linguistique et du savoir technique, une
connaissance approfondie de la culture cible. Cette dernire exigence rsulte des
traits caractristiques des textes spcialiss qui ne relvent pas des caractristiques
structurales des langues, mais de diffrentes conventions culturelles qui touchent,
par exemple, les genres textuels (lorganisation des parties du texte, la ralisation de
certains actes de langage, les formes dadresse, etc.), lusage des moyens typographi

628

Britta Thrle

ques (en franais, au contraire de lallemand, les citations sont souvent doublement
marques en tant mises en italiques et entre guillemets, par exemple) ou bien la
structure conceptuelle dun domaine de savoir et par cela la structure de la terminologie. Dans le domaine conomique, par exemple, une comparaison entre les termes
franais et allemands

sant conomique wirtschaftliche Situation/Lage


secteurs dprims Krisenbranchen/krisengeschttelte Wirtschaftszweige
atonie de la conjoncture Konjunkturflaute

reflte les diffrentes coles de penses du XVIIIe sicle en France et du XIXe en


Allemagne (Reinart 2009, 130). En traduisant, il ne faut pas seulement connatre les
diffrences en question, mais aussi savoir dans quels contextes il convient dadapter
la traduction aux caractristiques de la culture cible et dans quelles situations il faut
rendre les traits du texte originel.
la diffrence de la traduction des textes crits, la traduction orale dans la
communication spcialise dispose de ressources interactionnelles. Apfelbaum
(2008), qui sintresse aux activits dune interprte lors dun sminaire dentranement technique, montre que celle-ci profite de la coprsence des participants pour
demander des clarifications techniques et que tous les participants sengagent
rechercher des termes techniques adquats de manire que la traduction, dans ce type
dinteraction professionnelle, puisse tre considre comme un achvement collectif
(ce qui nest pas le cas, par exemple, dans linterprtariat de confrences). Dans les
interactions professionnelles, linterprte intervient, en outre, comme lintermdiaire
interculturel qui vite ou rsout les conflits dus des traditions et normes discursives
divergentes (cf. Apfelbaum 2005). Cest aussi le cas de la traduction orale entre les
agents des institutions sociales, mdicales ou administratives et leurs clients (immigrs, touristes, p. ex.) qui ne parlent pas la mme langue. Dans ce contexte, les
interprtes sont souvent des personnes ayant des comptences dans les deux langues,
mais qui ne sont ni des interprtes professionnels ni forcment des spcialistes du
domaine du savoir ou de lactivit en question. Bien que cela soit la solution courante
(et aussi conomique) dans beaucoup de situations de communication spcialise
plurilingue, cette dmarche nest pas sans risque pour le succs de linteraction
succs qui est souvent dimportance vitale pour les personnes concernes et qui
dpend fondamentalement dune traduction correcte et prcise des faits techniques
ainsi que dune mdiation interculturelle habile, laquelle prend en considration les
possibles divergences au niveau des thmes tabou, de la verbalisation des actes de
langage, de lorganisation de lalternance des tours de parole, etc. (voir, p. ex., Meyer
2004 sur la traduction orale des interactions mdicales).

La linguistique applique

629

3.4 La communication plurilingue en milieu de travail


Dans lconomie mondialise, les milieux du travail sont de plus en plus des lieux de
communication interlinguistique et interculturelle. Dans les entreprises, des spcialistes dorigines diffrentes travaillent dans des quipes plurilingues, collaborent avec
des collgues de filiales situes dans dautres pays ou soccupent de clients disperss
travers le monde. La gestion de cette diversit linguistique reprsente un dfi ayant
suscit lintrt des recherches rcentes en linguistique applique (voir, titre
dexemple, les travaux issus du projet europen Dynamique des langues et gestion
de la diversit DYLAN dans Berthoud/Grin/Ldi 2013). Les tudes dans ce domaine
adoptent souvent une mthodologie sociolinguistique ou ethnographique base sur
des questionnaires, des interviews, lobservation participante, les enregistrements
audiovisuels, etc. Elles sintressent autant la perspective macro , portant sur la
politique linguistique des organisations, qu la perspective micro qui focalise les
procds et stratgies par lesquels les participants grent lusage des diffrentes
langues au cours de linteraction.
Au niveau de lorganisation, la politique linguistique comprend toute forme
dintervention de lentreprise sur les rpertoires linguistiques des employs et sur leur
emploi, dans la communication interne aussi bien quexterne (Ldi/Hchle/Yanaprasart 2010, 170 ; Lavric/Steiner 2012, 17). Lavric (2012, 167) distingue dans ce
contexte entre politique linguistique dont il est question sil y a une volont de
lorganisation tout entire aborder les problmes de communication et leur
apporter des solutions planifies et ralises doffice et bricolage o le problme
se pose fondamentalement au niveau personnel, comme si les ncessits linguistiques professionnelles ntaient rien dautre quun problme individuel de lemploy
[] . Dans la communication externe dune entreprise, on sadapte souvent la
langue du client de manire que, pour louverture de nouveaux marchs, il faut que
lentreprise dispose de comptences appropries.6 En ce qui concerne la communication interne dune organisation multilingue, il y a le choix entre plusieurs options
mono- ou plurilingues dont lune est la prescription de langlais comme lingua
franca. Quelle que soit loption choisie, son application nest presque jamais
complte ni sans contradictions. Il faut tenir compte du fait que toute politique
organisationnelle est soumise un calcul des cots, que les besoins (pluri)linguistiques ne sont pas les mmes dans tous les services dune entreprise7 et quen plus, les

6 Sur la base dune collection dtudes de cas, Lavric (2012, 173) observe que les comptences
linguistiques ne sont pas seulement une condition pour louverture de nouveaux marchs, mais parfois
mme son motif, car les agents du management cherchent des marchs surtout dans les pays dont ils
savent parler la langue.
7 Lavric/Steiner (2012) qui sintressent aux quipes de football montrent que les exigences linguistiques divergent selon des diffrentes positions des joueurs et que les membres du management ont
besoin dautres comptences que les joueurs etc.

630

Britta Thrle

relations entre la philosophie linguistique, les mesures concrtes de gestion et le


comportement effectif des employs sont complexes (Ldi et al. 2012, 46). Comme le
montrent ces auteurs, le principe apparemment dmocratique qui accepte toutes
les langues des participants ( chacun parle sa langue ), par exemple, peut savrer
un facteur de minoration dans le cas o la majorit numrique des personnes
prsentes parle une mme langue, de manire quune grande partie de linteraction
se passe dans celle-ci et par consquent dans une langue non prfre des autres
participants (la minorit numrique) (ibid., 60). Ici, une politique qui vise lgalit
des langues mne potentiellement la discrimination. Dans dautres cas, le comportement rel des membres de lorganisation ne correspond pas la politique linguistique officielle. Lavric (2012, 175) observe une certaine rsistance des membres la
politique linguistique l o celle-ci est en dpit du bon sens ou en dpit de ce qui est
prouv comme naturel (par exemple, langlais comme langue officielle dune
multinationale nest pas accept pour la communication interne dun mme site de
production). Dans dautres situations, les membres appliquent dans leur interaction
des stratgies afin dviter ou de rparer des discriminations dues la politique
officielle (Ldi et al. 2012). Cette observation nous mne la perspective micro .
Les tudes inspires de lanalyse conversationnelle montrent clairement que la
gestion des langues ne dpend pas exclusivement des facteurs externes et nest pas
prdtermine et fixe une fois pour toutes, mais constamment (re)ngocie au cours
de linteraction selon les besoins des participants qui essaient de garder la balance
entre le principe de progressivit (donc laccomplissement de lactivit du travail,
de la tche) et celui d intersubjectivit (cest--dire la participation du plus grand
nombre possible des personnes prsentes) (cf. Markaki et al. 2013). Mondada (2012)
montre que les ressources plurilingues sont aussi mobilises pour dfinir lactivit en
cours ainsi que le cadre de participation (Goffman 1981). Ainsi, dans une runion de
travail dabord monolingue, centre sur lexpos dun participant, une personne ne
parlant pas ou mal la langue utilise par celui-l peut tre marginalise par ce choix
linguistique et tre rduite au rle du bystander (Goffman 1981). Toutefois, en cas
de besoin, cette personne pourra tre intgre dans linteraction par un changement
de cadre qui saccomplit, entre autres choses, par ladoption dun mode plurilingue.
Dans ce cas, les participants la runion collaborent dans la constitution des
noncs et du sens en sengageant ensemble dans de petites traductions non
officielles , des rparations, des recherches collectives de mots, en recourant au code
switching, mettant ainsi en uvre une comptence linguistique collective (cf. aussi
Markaki et al. 2013 ; De Stefani/Miecznikowski/Mondada 2000).

La linguistique applique

631

4 Cadre organisationnel
Dans les premires sections de cet article, nous avons mis laccent sur le fait que la
linguistique applique ntait pas une discipline bien dlimite. Il nexiste ni un
ensemble clos de thmes ni une mthodologie qui soit exclusive de la linguistique
applique. En adoptant le point de vue de Knapp/Antos (2009, xi), nous avons
considr que la linguistique applique tait une manire de faire de la linguistique
particulirement intresse par les problmes de la vie pratique . Ce quest la
linguistique applique est avant tout dtermin par ce que font ceux qui la pratiquent : la communaut des chercheurs en linguistique applique (cf. aussi Candlin/
Sarangi 2004). Cette communaut est organise dans diverses associations aux
niveaux national, europen et mondial. Pour cela, il nest pas sans intrt de faire
lnumration de ces dernires et de prsenter brivement les revues dans lesquelles
les activits de la communaut se manifestent et deviennent visibles.

4.1 Associations
LAssociation Internationale de Linguistique Applique (AILA) reprsente la communaut des chercheurs en linguistique applique au niveau mondial. Lassociation a t
fonde en 1964 lors du Colloque international de linguistique applique Nancy
comme fdration dassociations nationales et rgionales de linguistique applique.
Tous les trois ans, lAILA organise des congrs internationaux (AILA World Congresses). La revue officielle de lassociation est lAILA Review dont le premier volume a t
publi en 1984 et dont les numros sont majoritairement des volumes thmatiquement
orients. Une srie monographique, lAILA Applied Linguistics Series (AALS), a t
lance en 2005. En 2006, est fonde lAILA Europe, un rseau europen de chercheurs
en linguistique applique dont lobjectif est de renforcer la coopration entre les
socits affilies en Europe. Une revue ddie la situation linguistique en Europe,
lEuropean Journal of Applied Linguistics (EuJAL), est mise en place depuis 2013.
La section franaise de lAILA, lAssociation Franaise de Linguistique Applique
(AFLA), a t fonde en 1964. En 2013, lassociation a co-organis un colloque
international sur les Cultures de recherche en linguistique applique (Nancy, 14
16 novembre 2013). Un colloque international sur les Terrains de recherche en
linguistique applique a suivi en 2015 (Paris-Diderot, 810 juillet 2015).8 Lorganisation nationale de linguistique applique en Suisse est la Vereinigung fr Angewandte

8 Les recherches en linguistique applique se ralisent souvent sans tre dnommes comme telles
aussi dans les laboratoires du Centre nationale de recherche scientifique (CNRS). titre dexemple,
nous mentionnons ici lunit de recherche mixte Analyse et Traitement Informatique de la Langue
Franaise (ATILF) Nancy, responsable du Trsor de la langue franaise (TLF), Praxiling
Montpellier et Interactions, Corpus, Apprentissage, Reprsentations (ICAR) Lyon.

632

Britta Thrle

Linguistik in der Schweiz/Association Suisse de Linguistique Applique (VALS-ASLA).


Elle entretient trois groupes dintrt spcial ( special interest groups ) qui coordonnent des travaux dans les trois domaines touchant aux langues de spcialit,
lenseignement des langues et au langage dans les mdias. Lassociation organise un
colloque VALS-ASLA annuel et publie une revue semestrielle (Bulletin Suisse de
Linguistique Applique). En Belgique, lAILA est reprsente par lAssociation Belge de
linguistique applique (ABLA). Sur le continent amricain, lAssociation canadienne de
Linguistique applique/Canadian Association of Applied Linguistics (ACLA/CAAL) organise des colloques annuels et publie la Revue canadienne de linguistique applique.
Dans les pays africains, lAILA est reprsente par lAILA Cameroon (CAMAILA). Au
Sngal, il y a le Centre de Linguistique Applique de Dakar (CLAD) qui publie la revue
Sciences et techniques du langage . En Allemagne lassociation Gesellschaft fr
Angewandte Linguistik (GAL) organise des rencontres annuelles et publie la revue
Zeitschrift fr Angewandte Linguistik (ZfAL) dans lesquelles, toutefois, les contributions traitant de problmes lis la langue franaise ou aux langues romanes sont
plutt rares.

4.2 Revues
La Revue Franaise de Linguistique Applique (RFLA) est associe lAFLA. La revue
est disponible depuis 1996 (les numros en ligne depuis 2001). Elle parat deux fois
par an et comporte des articles en cinq langues. Les derniers numros (20092015)
sont consacrs des thmes comme, p. ex., les langues de spcialit, les langues en
contact, la psycholinguistique, norme et variations de la langue parle, la terminologie, la traduction ou lenseignement des langues. la RFLA est associe la collection
douvrage Travaux et Recherches en Linguistique Applique.
Plus centres sur les thmes de lacquisition et de lenseignement des langues
(mais non pas limites exclusivement ceux-ci), les tudes de linguistique applique
(ELA) ont t cres en 1961. La revue parat quatre fois par an. Lunique langue de
publication est le franais. Les numros partir de 2001 sont disponibles en ligne. Les
thmes rcemment abords sont, entre autres, la traductologie, les parlers des mtiers, linterculturel dans les dictionnaires bilingues, le langage du sport, les publics
Erasmus, lenseignement des publics lointains, la lecture et lcriture lectronique
extra-scolaire et la formation des enseignants.
Le Bulletin suisse de linguistique applique est la revue de VALS-ASLA. Elle a t
cre en 1966 et parat deux fois par an. partir du numro 63/1996, la revue est
disponible au tlchargement sur le site web de lassociation. Les derniers numros
sont consacrs lapprentissage sur corpus, lespace dans linteraction sociale, la
gestion du plurilinguisme, aux comptences langagires dans la formation et dans la
vie professionnelle, lexploitation didactique des documents authentiques audio et
vido ainsi quaux langues en milieu scolaire, entre autres.

La linguistique applique

633

La Revue canadienne de linguistique applique/Canadian Journal of Applied Linguistics (RCLA/CJAL) est, depuis 1996, la revue de lACLA. Il sagit dune revue accs
libre dont les articles paraissent progressivement, formant quelques exceptions
prs un numro par an. La revue est fortement centre sur les thmes de lacquisition et lenseignement des langues trangres et secondes, mais on y trouve aussi,
dans une moindre mesure, des articles traitant des questions de politique linguistique, des langues minoritaires, de lidentit culturelle, etc.
Mises part les publications des associations, il nous parat utile de mentionner
titre dexemple et sans vouloir en donner une liste exhaustive quelques revues qui
ne comportent pas la linguistique applique dans le titre, mais dans lesquelles les
problmes linguistiques de vie pratique sont tout de mme dune grande importance. La revue Langage et Socit (1977) traite de thmes lintersection des sciences du langage et des disciplines sociales (sociologie, anthropologie, histoire). LIA
Langues, Interaction, Acquisition (2009) poursuit la publication de lancienne revue
Acquisition et Interaction en Langue trangre (Aile) (19922008). La revue bilingue
publie des travaux sur lacquisition des langues trangres, tout en largissant sa
thmatique la langue maternelle et lacquisition des langues des signes et la
gestualit. La Revue de linguistique et de didactique des langues (Lidil) (2003) prsente les travaux sur la linguistique et la sociolinguistique, lapprentissage et lacquisition du langage, la didactique des langues, le traitement automatique des langues
(TAL) ainsi que les technologies de linformation et de la communication pour
lducation (TICE). Finalement, Mta (1955) est une revue consacre la recherche
en traduction et en interprtation qui sadresse aussi aux chercheurs en terminologie
et en linguistique applique.

5 Conclusion
Nous avons considr la linguistique applique comme une manire de faire de la
linguistique particulirement intresse par les problmes linguistiques de la vie
pratique. Ce quest la linguistique applique se manifeste dans les activits de la
communaut des chercheurs sans quil y ait de programmatique consensuelle. Plutt
que de pouvoir prsenter une mthodologie close, nous nous sommes limits
esquisser la dmarche prototypique dune tude en linguistique applique. Dans les
sections thmatiques, il est devenu clair que les mthodes ne sont pas seulement
dveloppes partir de la nature du problme pratique en question, mais galement
nettement influences par les paradigmes dominants un moment donn (la linguistique structurale, cognitive, de corpus, ) ce qui confirme encore le fait que la
linguistique applique ne reprsente pas une discipline autonome, spare de la
linguistique tout court. Au cours de larticle nous avons abord des thmes qui nous
paraissent particulirement intressants du point de vue des pays et rgions germanophones o le franais est appris et enseign comme langue trangre et utilis comme

634

Britta Thrle

moyen de communication dans des contextes professionnels souvent plurilingues.


Cet intrt particulier dune linguistique applique au sein de la Romanistik ne se
reflte pas au niveau institutionnel. Mme sil y a bien sr des chercheurs travaillant
sur les langues romanes, la prsence des romanistes dans les organisations et aux
colloques de linguistique applique nest pas systmatique (cf. Dahmen et al. 2011,
VII, qui constatent mme un retard de la Romanistik par rapport aux linguistiques
allemande et anglaise).

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Christiane Fcke

26 Le franais dans lenseignement scolaire et


universitaire
Abstract : Cette contribution est divise en deux parties, la premire focalisant les
questions fondamentales propos de lacquisition dune langue, dcrivant les thories de lacquisition dune langue et, par la suite, les processus de lacquisition de la
langue premire (lacquisition du langage) et de lacquisition de la langue seconde/
trangre ainsi que les mthodes de lenseignement des langues. La deuxime partie
aborde les particularits culturelles et nationales de lenseignement du franais en
France, dans les pays francophones et dans les pays non-francophones tout en
distinguant entre lenseignement du franais langue premire, lenseignement du
franais langue seconde et lenseignement du franais langue trangre. Les exemples se rfrent en particulier lenseignement scolaire et universitaire en France, au
Maroc, au Canada et en Allemagne.

Keywords : acquisition dune langue, les mthodes de lenseignement des langues, le


franais en France, le franais dans les pays francophones, le franais dans les pays
non-francophones

1 Introduction
Lenseignement du franais comprend lenseignement du franais langue maternelle
ou premire (FLM), du franais langue seconde (FLS) ou bien du franais langue
trangre (FLE). Tout enseignement est influenc par une grande quantit de facteurs
complexes, tels les enseignants, les apprenants et linstitution ducative et en dehors
de cela par les discours scientifiques, politiques et sociaux ainsi que par les discours
pdagogiques, didactiques et autres. Pour cela, les discours concernant lenseignement des langues sont trs complexes et font lobjet de plusieurs disciplines scientifiques qui ont dvelopp de nombreuses mthodes de recherche, des thories sur
lacquisition des langues et des rflexions mthodiques et didactiques.
ct des distinctions entre lacquisition dune langue maternelle ou premire,
dune langue seconde et dune langue trangre, il est ncessaire de prendre en
compte les particularits de lenseignement du franais dans diffrents pays. En
France, le franais est surtout enseign comme langue premire, tandis que lenseignement du franais dans les pays francophones dpend plutt de diffrents statuts
de la langue : le franais y est-il langue vhiculaire, langue administrative, langue
minoritaire ou bnfice-t-il encore dun autre statut ? Lenseignement du franais
dans un pays non-francophone sera surtout un enseignement de franais langue
trangre. Ainsi, lapprentissage du franais pose des problmes diffrents et prsente
des caractristiques particulires dans ces cas varis.

640

Christiane Fcke

2 Lacquisition dune langue


2.1 Les thories de lacquisition dune langue
Sujet de recherche scientifique tudi dans plusieurs domaines, lacquisition dune
langue est lobjet danalyse, entre autres, de la pdagogie, de la psychologie de
lapprentissage, de la linguistique applique et de la didactique des langues. Ces
disciplines scientifiques distinguent plusieurs courants pistmologiques, chacun
dentre eux prsentant des modles pour expliquer lacquisition du langage (Bernicot/Bert-Erboul 2009, 91ss. ; Griehaber 2010, 9ss.) et lacquisition des langues secondes et trangres (Griehaber 2010, 127ss.) : les thories bhavioristes ou empiristes,
les thories nativistes et les thories cognitives et constructivistes.
Selon le bhaviorisme, le processus dapprentissage est conu comme imitation
dun comportement dclench par un stimulus qui cause des ractions ou bien des
rponses de forme quasi automatique (Skinner 1957). Cette approche est galement
influence par le structuralisme, qui part dune analyse synchrone et immanente de la
langue. Il en rsulte lhypothse contrastive (Lado 1971).
Les thories nativistes partent du principe que lacquisition dune langue nest
pas cause par lenvironnement, mais par une sorte de programme gntique, inn en
lhomme, qui lui donne la capacit dapprendre une langue premire et dautres
langues. Partant de lobservation que tous les enfants sont capables de lacquisition
de toute langue au dbut de leur vie, Noam Chomsky (1969) dveloppe lide de la
grammaire universelle. Cette conception nativiste ne distingue pas entre lacquisition
dune langue premire et lacquisition dautres langues puisque lon part des similitudes de ces processus psycholinguistes, donc de lhypothse de lidentit (Dulay/Burt
1974).
La thorie sur linterlangue est la troisime des trois grandes thories classiques
sur lacquisition dune langue seconde (Griehaber 2010, 137ss.). Lapprenant passe
par diffrents stades dapprentissage tout en construisant diffrents types derreurs
intelligentes . Ce phnomne sexplique par linterlangue (Selinker 1972), un stade
intermdiaire dans le processus de lacquisition dune langue.
Les approches cognitives et constructivistes, quant elles, partent de la capacit
humaine qui sapproprie le monde, ralis galement par lacquisition dune langue.
Parmi les approches cognitives figurent, entre autres, la psychologie du dveloppement de Piaget (1962) ou linteractionnisme symbolique (Mead 1970). Les approches
constructivistes vont encore plus loin. Cette pistmologie part de la construction de
la ralit et comprend les processus dapprendre, de comprendre et de reconnatre
comme processus de construction. Ainsi, apprendre signifie le fait de construire et de
viabiliser des hypothses, somme toute une thorie galement applique lacquisition dune langue.
Toutes les thories mentionnes ci-dessus focalisent sur un aspect de lacquisition dune langue sans toutefois tre capables dexpliquer tous les dtails de manire

Le franais dans lenseignement scolaire et universitaire

641

globale. Aprs avoir t lobjet de maints arguments critiques, on ne les considre


plus comme modle absolu pour expliquer lacquisition dune langue.

2.2 Lacquisition de la langue premire


Lacquisition de la langue maternelle ou premire, plutt lacquisition du langage
(Bernicot/Bert-Erboul 2009), dsigne le dveloppement linguistique pendant les premires annes chez lenfant. Cette acquisition saccomplit au bout de quelques annes
et les enfants obtiennent un niveau de locuteur natif surtout dans un contexte
dacquisition naturelle et avec peu denseignement ou dapprentissage explicite.
Selon les thories sur lacquisition de la langue premire, lacquisition du langage
oral du bb, allant de pair avec son dveloppement cognitif, se droule en plusieurs
tapes qui suivent un ordre chronologique selon lge de lenfant.
Les tapes du dveloppement du langage rsultent dans les capacits dapprendre former des phrases. On distingue les trois tapes suivantes : le dveloppement phonologique, le dveloppement smantique et, pour finir, le dveloppement de la morphologie et de la syntaxe (Bernicot/Bert-Erboul 2009, 49ss.). Ces
trois niveaux de langage voluent entre la naissance et lge de 12 ans, certainement au-del pour la morphosyntaxe et tout au long de la vie pour la smantique (ibid., 49).
Lacquisition du langage du bb est marque par la communication non-verbale
ou prverbale, par linteraction avec les adultes, se dveloppant travers des stimuli
extrieurs et avec son entourage. La communication non-verbale mne la communication linguistique, cest--dire la comprhension de mots simples, la production
des premiers sons et la prononciation des premiers mots, un premier rapprochement
entre le mot et la signification du mot. Ainsi, lacquisition du langage passe par deux
tapes : tout dabord larticulation des phonmes sans corrlation une signification,
ensuite lattribution dun sens la langue.
Le dveloppement smantique passe par diffrentes phases. Les enfants obtiennent un lexique expressif de plus en plus grand et se rendent compte de la valeur
smantique de tous les mots et de leur dnomination qui en suit. Les enfants de deux
ans sont en rgle gnrale capables de construire des phrases de deux mots et
utilisent les mots de la vie quotidienne. Par la suite, ils commencent former de plus
en plus de phrases compltes. lge de cinq ans, le langage de lenfant est comprhensible bien quil y ait encore des mots complexes sans prononciation correcte.
lge de six ans, les enfants disposent dun vocabulaire de 10.000 mots. La majorit
des enfants de cet ge est capable de suivre une conversation et dutiliser un style
contextuel (Bernicot/Bert-Erboul 2009, 56ss.).
Le dveloppement de la morphologie et de la syntaxe (Bernicot/Bert-Erboul 2009,
63ss.) est galement marqu par plusieurs tapes, celle des noncs de deux mots, la
grammaire pivot (Braine 1963), celle de la phrase, cest--dire le syntagme nominal

642

Christiane Fcke

et verbal, et puis celle des formes complexes (Bernicot/Bert-Erboul 2009, 63ss. ; cf.
Griehaber 2010, 7ss.).
Lacquisition de la langue est considre comme comptence de base qui influence lapprentissage en gnral et, de plus, se ralise en interdpendance avec le
dveloppement cognitif. Lacquisition du langage est suivie par lapprentissage de la
lecture et de lcriture ralis surtout dans lenseignement primaire. Les valuations
des comptences linguistiques des enfants ainsi que les cours de soutien linguistique
qui en rsultent obtiennent une importance de plus en plus croissante. Ainsi, lenseignement du franais dans les institutions prscolaires et scolaires, notamment
lcole primaire, joue un rle indispensable. Les cours de soutien linguistique poursuivent le but de rehausser le niveau linguistique dficitaire chez certains enfants
compar au niveau du dveloppement des autres enfants de leur ge.

2.3 Lacquisition de la langue seconde/trangre


Dans certains discours scientifiques sur lacquisition dune langue, il y a des distinctions nettes entre lacquisition dune langue seconde et lacquisition dune langue
trangre. Le franais langue seconde (FLS), langue effectivement pratique dans
lenvironnement quotidien du locuteur (Colls/Dufays 2003, 125), se rfre au cas
dun individu pour qui le franais tient une place privilgie aprs la langue maternelle. En France, les lves primo-arrivants reprsentent le groupe cible de lenseignement du FLS, phnomne d la migration. Au niveau de la socit, le franais joue
le rle dune langue administrative ou vhiculaire ce qui est le cas dans beaucoup de
pays francophones, p. ex. au Maghreb ou en Afrique centrale.
Lacquisition du franais langue trangre (FLE), au contraire, recouvre les
situations denseignement/apprentissage du franais aux trangers et/ou ltranger (Colls/Dufays 2003, 122). Le FLE se ralise dans une socit dans laquelle on
apprend la langue dans le systme ducatif sans que cette langue soit utilise dans la
vie quotidienne par la communaut linguistique. Tel est le cas pour le franais dans la
plupart des pays non-francophones, p. ex. en Allemagne, au Prou ou encore en
Chine. De plus, on peut distinguer entre les cours de FLE organiss par des institutions
franaises et enseigns par des locuteurs natifs, et le FLE enseign comme langue
trangre dans un pays non-francophone, p. ex. en Allemagne par des professeurs
allemands, soit des locuteurs non-natifs (cf. Marquill Larruy 2001).
Par lducation bilingue, on entend lenseignement du franais soit dans un
contexte de bilinguisme chez lindividu, soit dans un contexte de bilinguisme dans
une communaut (cf. Geiger-Jaillet 2005). Le bilinguisme chez lindividu se rfre
p. ex. au cas dun enfant n dune mre franaise et dun pre anglais. linverse, le
bilinguisme dans une communaut se rfre aux pays bilingues tel le Canada qui a
implment au Qubec un enseignement bilingue bas sur le principe de limmersion.
En partant de lide quon apprend mieux une langue seconde dans une situation

Le franais dans lenseignement scolaire et universitaire

643

naturelle et authentique que par lenseignement artificiel dune langue trangre, on


utilise cette langue dans beaucoup voire toutes les matires. Limmersion a pour
objectif la matrise dune langue seconde, comme cest le cas au Canada, ou bien la
prservation des langues autochtones minoritaires comme en France lalsacien, le
breton ou le corse. Ces formes dune ducation bilingue visent un bilinguisme
additif avec, comme idal, une matrise de deux langues au niveau dun locuteur natif
(cf. Fcke 2010, 85s.).
Le bilinguisme bas sur le principe de limmersion tel quil est pratiqu dans le
systme scolaire au Qubec se distingue de lducation bilingue selon le modle
EMILE (Enseignement dune Matire par lIntgration dune Langue trangre) ralis
lintrieur du systme dducation en Europe (cf. Coyle/Hood/Marsh 2010). Selon ce
modle encourag par le Conseil de lEurope, lenseignement dune matire se ralise
en utilisant une autre langue que celle qui domine ce systme ducatif, ce qui est le
cas dun cours dhistoire enseign en franais dans un lyce allemand.
Lducation plurilingue, par contre, se rfre une autre initiative de lUnion
Europenne promouvant daugmenter les connaissances des langues parmi les citoyens europens. La formule L+2 exprime lobjectif de la politique linguistique
visant augmenter le nombre des citoyens qui savent communiquer dans leur langue
premire plus deux autres langues. Ce but ne comprend pas le niveau dun locuteur
natif dans ces trois langues, mais plutt des comptences communicatives permettant
une communication sur un niveau moins lev (cf. Borel 2012).

3 Les mthodes de lenseignement des langues


Lhistoire de lenseignement des langues trangres/secondes est marque par plusieurs tapes (cf. Fcke 2010, 31ss.). Parmi les mthodes traditionnelles, cest la
mthode grammaire-traduction qui a marqu le plus les dbuts de lenseignement
moderne des langues trangres (Richards/Rodgers 1986). En sorientant sur lenseignement des langues anciennes tels le latin et le grec, lenseignement des langues
modernes est caractris par la dominance de la grammaire et de la traduction depuis
la deuxime moiti du XIXe sicle. Apprendre une langue quivaut connatre les
rgles grammaticales afin dtre capable de lire et de traduire des textes, surtout des
textes littraires.
La mthode directe rsulte du fait que lenseignement des langues modernes
stablit dans le systme scolaire vers la fin du XIXe sicle. On commence mettre
laccent sur les langues comme moyen de communication et, par consquent, sur la
langue parle et lacquisition naturelle. Ainsi, cette mthode est caractrise par un
enseignement monolingue sans rfrence la langue maternelle des apprenants, par
une simulation des situations de communication relles, par un focus sur les aptitudes orales, considrant les aptitudes crites comme secondaires (cf. Vitor 1882/
1984).

644

Christiane Fcke

Ltape suivante dans lhistoire de lenseignement des langues est marque par
deux mthodes similaires. La mthode audio-orale est influence par le structuralisme (Bloomfield 1933) et le bhaviorisme depuis les annes 1930. Lanalyse dune
langue ne part plus de la grammaire du latin mais se base sur les noncs et les actes
de langage. Lapprentissage est considr comme conditionn par les stimuli extrieurs qui dclenchent une rponse de lindividu. Par consquent, lenseignement du
franais est caractris par la rptition des exercices pattern drill afin de dominer le
franais de manire automatique.
La mthode audio-visuelle est un dveloppement largissant la mthode audioorale. Partant des mmes rflexions linguistiques, psychologiques et perfectionnes
du CREDIF (Centre de Recherche et dtudes pour la Diffusion du Franais) en France,
la mthode audio-visuelle-structuro-globale (Guberina 1965) est caractrise de plus
par le recours aux mdias. La langue est enseigne dans des contextes, des situations
authentiques et des dialogues excluant entirement la langue premire des apprenants ainsi quune approche cognitive tout en mettant laccent sur les exercices
pattern drill, sur la structuration catgorique dun cours en diffrentes phases et sur
les stimuli visuels.
Cest partir des annes 1970 que lon tmoigne dun renouvellement de lenseignement du franais avec lapproche communicative dans laquelle la comptence
communicative joue un rle primordial (Hymes 1972). On ne souligne pas lusage dun
franais correct sans fautes grammaticales, verbales ou syntaxiques, mais plutt une
communication approprie la situation et aux interlocuteurs. La conception de
lenseignement qui avant tait centre sur la perspective des enseignants et sur le
contenu est remplace par une perspective sur lapprenant et ses besoins comme
point de dpart des rflexions didactiques.
Par la suite, on a complt lapproche communicative en ajoutant dautres
dimensions, p. ex. la didactique interculturelle, la didactique du plurilinguisme, une
perspective cognitive et constructiviste (lautonomie de lapprenant, les stratgies
dapprentissage), les nouveaux mdias (lordinateur et linternet) et lorientation sur
lenseignement par les tches.
lheure actuelle, lenseignement des langues trangres est surtout influenc
par lorientation sur les comptences et les aptitudes. On peut constater un tournant
remplaant linput par loutput, cest--dire par les comptences, les savoirs et les
rsultats de lapprentissage des lves. En gnral, on part dune notion large des
comptences que lon regarde comme les capacits et les aptitudes cognitives dont
lindividu dispose ou quil peut acqurir pour rsoudre des problmes prcis, ainsi
que les dispositions motivationnelles, volitives et sociales qui sy rattachent pour
utiliser avec succs et responsabilit les rsolutions de problmes dans des situations
variables (Weinert 2001, 27s.).
Cette combinaison de la comptence et de la performance se reflte p. ex. dans les
discours de la didactique des langues focaliss sur les comptences interculturelles.
Suite au Cadre europen commun de rfrence pour les langues (CECRL) (Conseil de

645

Le franais dans lenseignement scolaire et universitaire

lEurope 2001), on tablit les trois dimensions quivalentes du savoir, du comportement et des attitudes pour dcrire les comptences interculturelles, ce qui sexprime
galement dans beaucoup de programmes scolaires nationaux.

4 Lenseignement du franais en France, dans les


pays francophones et non-francophones
Les descriptions susnommes partent de manire implicite dune approche universaliste qui postule une certaine uniformit de lacquisition du franais, des traditions de
lenseignement et de lapprentissage de la langue. Cependant, il faut galement
constater les diffrences, entre autres culturelles et nationales, dues aux contextes
spcifiques dans les diffrents pays, comme p. ex. le contexte sociopolitique, conomique et historique des systmes scolaires et universitaires. Comme une telle description de lenseignement du franais, forcment incomplte, ne saura englober les
caractristiques et les particularits de tous les pays, la description suivante est, titre
dexemple, focalise sur quatre pays : La France, exemple majeur de lacquisition du
franais langue premire et langue seconde dans la plupart des cas, le Maroc, le plus
souvent exemple pour lacquisition du franais langue seconde, le Canada, exemple
dun enseignement dimmersion particulier, ainsi que lAllemagne servant principalement dexemple pour lacquisition du franais langue trangre.
Dans une perspective globale, le franais est souvent considr comme la langue
concurrente de langlais, vritable langue de communication dominante dans le
monde entier, et de lespagnol, deuxime langue de communication mondiale si lon
part du nombre de locuteurs.1 Par rapport langlais lingua franca parle par 335
millions de locuteurs natifs et plus dun milliard de locuteurs danglais langue
seconde ou trangre et lespagnol langue de communication parle par 406
millions de locuteurs natifs et approximativement 60 millions de locuteurs de lespagnol langue seconde ou trangre le franais, galement considr comme langue
de communication mondiale, est utilis par beaucoup moins de locuteurs, soit seulement 70 millions de locuteurs natifs et 220 millions de locuteurs au total. Ces
chiffres2 ainsi que dautres aspects, p. ex. des raisons historiques, politiques, conomiques et sociales, expliquent la concurrence linguistique au niveau mondial ainsi

1 Si lon part du nombre absolu de locuteurs, il ne faut pas oublier le chinois qui est utilis par le plus
grand nombre de locuteurs au total. Contrairement langlais et lespagnol, le chinois ne joue pas le
rle de langue internationale ou de langue vhiculaire.
2 Les estimations du nombre des locuteurs dune langue diffrent, parfois considrablement, selon
diffrentes statistiques. Les chiffres prsents ici refltent les statistiques de Ethnologue (Lewis/
Simons/Fennig 2013), du British Council, de lInstituto Cervantes et de lOrganisation Internationale de
la Francophonie/lObservatoire de la langue franaise.

646

Christiane Fcke

que lintention politique de la France et dautres pays francophones de soutenir la


position du franais, souvent considr menac par la dominance de langlais. Ceci se
manifeste p. ex. en 1994 dans la loi Toubon en France (Braselmann 1999), destine
protger le patrimoine linguistique franais, dans maintes initiatives destines
soutenir le franais comme langue denseignement dans les universits ou de promulguer lapprentissage du franais langue trangre dans beaucoup de pays du monde
entier, p. ex. par lInstitut franais ou lAlliance franaise. Pour rsumer, il faut constater des craintes rpandues de la suprmatie linguistique et culturelle du monde
anglophone surtout dans beaucoup de pays non-anglophones.

4.1 Lenseignement du franais en France


4.1.1 Lenseignement du franais langue premire
En France, le franais dans lenseignement scolaire et universitaire se rapporte au
franais langue premire ou maternelle pour la grande majorit des apprenants. Cet
enseignement scolaire devient transparent laide des programmes scolaires qui
dterminent le contenu et les objectifs.
lcole lmentaire, le franais joue un rle primordial. Dans les horaires du
cycle des apprentissages fondamentaux, cest--dire dans les classes de CP et CE1, la
dure hebdomadaire de lenseignement du franais comprend 10 heures, alors que
dans le cycle des approfondissements des classes CE2, CM1 et CM2, on trouve encore 8
heures hebdomadaires denseignement du franais par semaine. Le programme du
cycle des apprentissages fondamentaux, focalis surtout sur lapprentissage de la
lecture et de lcriture, comprend des prcisions et des approfondissements sur le
langage oral, le domaine de la lecture/de lcriture, le vocabulaire, la grammaire et
lorthographe (Ministre de lEducation Nationale et Ministre de lenseignement
suprieur et de la recherche 2008) :

Au cours prparatoire, lapprentissage de la lecture passe par le dcodage et lidentification des mots, par lacquisition progressive des connaissances et comptences ncessaires
la comprhension des textes. Les apprentissages de la lecture et de lcriture, quil sagisse
des mots, des phrases, des textes, mens de pair, se renforcent mutuellement tout au long du
cycle. Ces apprentissages sappuient sur la pratique orale du langage et sur lacquisition du
vocabulaire. Ils saccompagnent dune premire initiation la grammaire et lorthographe.

Le programme du cycle des approfondissements poursuit lobjectif de la matrise du


franais, en ajoutant un programme de littrature labor daprs les axes principaux
des annes prcdentes.
Lobjectif de la matrise du franais doit tre poursuivi tout au long de la scolarit
obligatoire. Selon Le socle commun de connaissances et de comptences (Direction
gnrale de lenseignement scolaire 2008), la matrise de la langue franaise est

Le franais dans lenseignement scolaire et universitaire

647

considre comme comptence de base qui permet laccs tous les domaines du
savoir et lacquisition de toutes les comptences (ibid.). En ce qui concerne les
connaissances, on vise un usage correct du vocabulaire, de la grammaire et de
lorthographe. Cela comprend, entre autres, les connaissances dun vocabulaire juste
et prcis, du sens propre et figur dune expression, des structures syntaxiques
fondamentales, de la conjugaison des verbes ainsi que des principales rgles dorthographe lexicales et grammaticales. Au niveau des capacits (Direction gnrale de
lenseignement scolaire 2008, 6ss.), le socle donne des prcisions concernant les
domaines suivants : lire (p. ex. dgager lide essentielle dun texte lu ou entendu),
crire (p. ex. rsumer un texte), sexprimer loral (p. ex. prendre la parole en public),
utiliser des outils (p. ex. des dictionnaires) et dvelopper des attitudes (p. ex. lintrt
pour la lecture).
La fin des tudes secondaires est marque par le diplme national : le baccalaurat. Mme si en France il existe diffrentes filires du baccalaurat portant sur des
priorits diffrentes dans les matires principales, ils ont tous en commun le baccalaurat de franais.
Cette preuve est base sur un programme obligatoire de seconde et de premire.
Lobjectif du franais consiste en trois dimensions : la matrise de la langue, la
connaissance de la littrature ainsi que lappropriation dune culture (Ministre de
lEducation Nationale, Direction gnrale de lenseignement scolaire 2007, 7). Les
perspectives dtude sont centres autour de lhistoire littraire et culturelle, des
genres et des registres, des significations et de la singularit des textes et, pour
terminer, de largumentation et des effets de chaque discours sur ses destinataires.
Les connaissances portent sur les textes, surtout littraires, et sur la langue, cest-dire une matrise du vocabulaire, de la syntaxe et des formes de discours. Les objets
dtude exemplaires suivants servent illustrer ces perspectives. En outre, le programme contient, entre autres, dans le domaine du roman la lecture des auteurs tels
Balzac, Hugo, Duras, Tournier, Ben Jelloun et Pennac, mais galement des auteurs
non-francophones tels Dickens, Goethe et Tolsto. Cette liste complexe se poursuit de
la mme manire dans les autres genres littraires, p. ex. la posie depuis du Bellay
jusqu luard ou bien le thtre de Molire jusqu Brecht. Lexamen se ralise sous
forme orale et crite.

4.1.2 Lenseignement du franais langue seconde


Le franais est la langue seconde pour une minorit des apprenants, en gnral les
immigrs et leurs enfants, groupe cible dfavoris, qui poursuit lobjectif dapprendre
le franais pour des raisons dintgration sociale et linguistique. Le contexte de
lapprentissage diffre nettement entre les apprenants adultes et les enfants.
Lenseignement scolaire du franais langue seconde vise intgrer les jeunes
apprenants non francophones dans le systme ducatif et dans la socit franaise.

648

Christiane Fcke

Les comptences rceptives et productives en franais tant considres comme point


de dpart pour la comprhension de toutes les autres matires scolaires (cf. Colls/
Dufays 2003, 126), les cours de franais langue seconde contribuent lintgration en
diminuant une marginalisation seffectuant travers les comptences linguistiques
limites. Le franais langue seconde quivalant au franais langue de scolarisation
dans ce cas, lenseignement poursuit le but de rendre les lves capables de suivre les
cours normaux dans leur classe de rattachement et dobtenir un niveau suffisant
cette tche, souvent estim quivalent au niveau A2 ou B1 du DELF. Le systme
scolaire franais propose des classes dinitiation pour non-francophones (CLIN) lesquelles sont chelonnes, dans la plupart des cas, sur une dure de deux annes
scolaires lcole lmentaire ainsi que des classes daccueil (CLA) au collge, le plus
souvent, sur une dure dun an. Ces deux options sont proposes aux lves primoarrivants, galement nomms lves nouvellement arrivs en France (ENAF). La
scolarisation dans ces classes spcifiques est supervise par le Centre Acadmique
pour la scolarisation des nouveaux arrivants et des enfants du voyage (CASNAV)
(Ministre de lEducation nationale 2002).
La France propose galement des cours de FLE/FLS aux adultes locuteurs nonnatifs dans les entreprises, les comptences linguistiques de franais tant considres comme comptence professionnelle, raison pour laquelle les cours de franais
font partie de la formation professionnelle. Lorsquil sagit dapprenants adultes, le
franais langue seconde comprend des perspectives diffrentes du franais langue de
scolarisation, prparant plutt aux situations de la vie quotidienne des adultes. Ces
apprenants ont pour objectif de rsider en France de manire permanente, ce qui les
distingue nettement des apprenants du FLE (voir ci-dessous).

4.1.3 Lenseignement du franais langue trangre


En France, il y a galement la possibilit de participer des cours de franais langue
trangre. Le groupe cible, les locuteurs non-natifs, comprend entre autres des
tudiants trangers poursuivant lobjectif damliorer leur franais ou bien des touristes sintressant la langue franaise. Contrairement aux immigrs, ils rsident en
France pour un temps relativement limit, raison pour laquelle le franais, pour eux,
est langue trangre et non langue seconde. Ce secteur de lenseignement des langues
est marqu par des institutions telles les coles de langues prives et souvent commerciales, les universits ou bien lAlliance franaise, association dutilit ayant pour but
la promotion de la culture et de la langue franaises. Ces institutions, souvent
labellises, proposent des cours de franais, souvent acclrs, parfois combins avec
un cong-formation.
La France, ne voulant pas laisser le champ libre aux institutions prives, se voit
dans lobligation de dterminer et duniformiser le domaine du FLE, intrt qui se
manifeste entre autres dans les diplmes et les certificats valuant et attestant les

Le franais dans lenseignement scolaire et universitaire

649

comptences de franais des locuteurs non-natifs. Parmi ces diplmes, les plus
importants sont le Diplme dtudes en langue franaise (DELF) et le Diplme approfondi de langue franaise (DALF), cres par le ministre franais de lducation
nationale et administrs par le Centre international dtudes pdagogiques (CIEP) de
Svres. Ces diplmes, depuis 2005 adapts au CECRL (Conseil de lEurope 2001),
comprennent six niveaux diffrents : DELF A1 et A2, DELF B1 et B2, DALF C1 et C2,
chacun valuant les comptences rceptives et productives sparment et sadressant
quatre groupes cibles : aux enfants (DELF PRIM), aux adolescents (DELF junior/
scolaire), aux adultes (DELF tous publics ) et aux professionnels (DELF PRO). Ils
diffrent dans les thmatiques, la complexit ou le niveau des examens et les tablissements organisant les examens (cf. Lescure et al. 2001).
La structure et le format des tches correspondent des formats de tests valides,
fiables et objectifs, permettant ainsi un niveau lev de transparence et de comparabilit. Les contenus des exercices visent valuer la manire comment le candidat
arrive communiquer dans les situations de communication ralistes, focalisant ainsi
la langue trangre comme moyen de communication dans la vie quotidienne, ngligeant la fois les comptences de lecture et de comprhension des textes littraires
ou encore le domaine du savoir-tre.
Epreuve nationale et internationale, uniformise et standardise, le DELF montre
le chevauchement des domaines du franais langue trangre et du franais langue
seconde. Ainsi, depuis 2007, le DELF scolaire est propos aux enfants primo-arrivants, participants une classe daccueil (CLA) et qui peuvent passer les preuves du
DELF pour les niveaux A1, A2 ou encore B1.

4.1.4 Le franais dans lenseignement universitaire en France


En France, il existe diffrentes filires universitaires ayant un rapport avec le
franais, sadressant ceux qui sintressent approfondir leurs connaissances de
la langue et la culture franaises et poursuivant une profession dans laquelle ces
connaissances et comptences comptent beaucoup : professeur de franais dans une
institution scolaire, journaliste ou bibliothcaire, pour ne nommer que quelquesuns. Ces tudes visent de prime abord la formation des tudiants et leur
prparation pour la vie professionnelle. Elles comprennent, entre autres, les tudes
de lettres modernes poursuivant p. ex. un parcours de littrature, littrature gnrale
compare, tudes thtrales, cinma ou communication, les tudes de langues
trangres appliques, les tudes de linguistique ou les tudes de FLE. De plus, on
compte des cours de franais pour tudiants trangers qui peuvent passer galement
des certifications en DELF et DALF. Considrant limpossibilit de prsenter en dtail
le vaste choix de filires proposes dans une grande majorit des universits
franaises, nous nous proposons donc dillustrer le caractre de ces tudes laide
dun exemple.

650

Christiane Fcke

Ainsi, le dpartement de Didactique du Franais Langue Etrangre de lUniversit


de la Sorbonne Nouvelle Paris 3 propose des tudes de FLE comprenant sa connaissance et sa diffusion. Ces tudes incluent la formation de spcialistes de franais et
de didactique du franais langue trangre et seconde en vue de son enseignement
ltranger et aux trangers, la formation de jeunes chercheurs, lapprentissage et le
perfectionnement en franais dtudiants trangers, [] des activits de recherche en
didactique des langues et des cultures .3
ct des tudes de franais sajoutent les tudes en franais. Langue de scolarisation et langue dtat de France, en gnral le franais est utilis comme langue de
communication par les enseignants et les tudiants. Cependant, certaines filires
universitaires, surtout les sciences naturelles, revendiquent, elles, une perspective
internationale dans lesquelles les discours scientifiques sont domins par langlais,
entrainant ainsi son utilisation dans lenseignement. Ce dveloppement est fort
controvers.

4.2 Lenseignement du franais dans les pays francophones


La francophonie, terme utilis pour dsigner lensemble des personnes et des pays
parlant le franais, comprend un grand nombre de pays dans lesquels le franais jouit
de diffrents statuts : langue officielle, langue dtat, langue administrative, langue
denseignement, langue de culture, langue minoritaire, langue de communication,
langue vhiculaire. Selon lOrganisation internationale de la Francophonie (OIF),4 le
franais est utilis dans 57 tats et gouvernements par 220 millions de locuteurs sur
les cinq continents.
Lapprentissage du franais dpend du statut qui lui est accord par un pays. Ce
statut diffre galement dans les tats et gouvernements qui sont membres, associs
ou observateurs de la Francophonie : le franais y est parfois la langue premire/
langue maternelle (comme en France), la langue principale de la scolarisation
(comme dans maints pays dAfrique subsaharienne o le franais a un statut de
langue seconde), une langue importante dans lenseignement secondaire ou suprieur (comme en Afrique du Nord), une langue trangre parmi dautres (comme au
Vietnam) ou une langue utilise dans un enseignement bilingue dans un contexte
bilingue (comme au Canada).
Compte tenu de ces diffrences majeures, lObservatoire de la langue franaise
(OLF) distingue entre les diffrents statuts du franais tout en sparant galement les
apprenants en franais des apprenants du franais. En 2010, on part de 8,7 millions

3 http://www.univ-paris3.fr/departement-didactique-du-francais-langue-etrangere-dfle22792.kjsp
(1.1.2014).
4 Cf. www.francophonie.org (29.12.2013).

Le franais dans lenseignement scolaire et universitaire

651

dapprenants de franais dans les pays de lAmrique et des Carabes, de 27,2 millions
en Europe, de 26,4 millions en Afrique du Nord et au Moyen Orient, de 51,3 millions en
Afrique Subsaharienne et dans les pays de lOcan Indien, ainsi que de 2,4 millions en
Asie et Ocanie.5 Lvolution des apprenants de/en franais entre 2007 et 2010 montre
une augmentation nette du total des apprenants de/en franais en Asie et Ocanie et
surtout dans les pays africains, tandis que surtout en Europe et moins en Amrique et
dans les Carabes, le nombre dapprenants baisse nettement.6 Comme une description
individuelle de lensemble de ces pays francophones exigerait trop de place, nous
prsenterons en dtail et titre dexemple deux pays : Le Maroc o le franais tient
une place importante dans lenseignement secondaire et universitaire et le Canada,
pays avec une longue tradition dans lenseignement bilingue du franais bas sur
limmersion.

4.2.1 Lenseignement du franais au Maroc


Le franais occupe une place particulire au Maroc. Hritage du pass colonial, le
franais nest ni une langue officielle, ni une langue trangre proprement parler.
En fait, le franais est officiellement considr comme la premire langue trangre et
fonctionne comme langue de la modernit (Benzakour/Gaadi/Quefflec 2000, 70).
De plus, le franais est utilis comme langue vhiculaire et langue fonctionnelle dans
plusieurs domaines de la vie sociale.
Le paysage linguistique du Maroc est caractris par quatre langues le berbre,
larabe marocain, larabe standard et le franais qui forment une situation de
plurilinguisme ou de diglossie. Tandis que le berbre et larabe marocain occupent
des positions faibles, dprcies et marginalises, les deux autres langues dominent
la vie officielle et lenseignement suprieur. Le franais est considr comme synonyme de modernit, comme langue de classe et de culture (Benzakour/Gaadi/Quefflec 2000, 79), ce qui est d, entre autres, au fait que la langue est utilise dans les
domaines scientifiques et techniques ainsi que dans lconomie. Le statut du franais
est troitement li lducation au Maroc.
Le systme dducation du Maroc est marqu par le degr de dveloppement du
pays, sa situation conomique ou ses traditions culturelles. Depuis 1956, date marquant son indpendance, le Maroc poursuit des rformes profondes, un processus qui
est marqu surtout par larabisation de lenseignement, lunification des diverses
structures ducatives, la marocanisation du corps enseignant et la gnralisation de
lenseignement (Benzakour/Gaadi/Quefflec 2000, 87). Larabisation de lenseignement fondamental et de lenseignement secondaire est accomplie depuis la fin des

5 Cf. http://www.francophonie.org/IMG/pdf/Carte_apprenants.pdf (29.10.2013).


6 Cf. http://www.francophonie.org/IMG/pdf/Graph_tableau_apprenants.pdf (29.10.2013).

652

Christiane Fcke

annes 1980. Mme si depuis les annes 1950 la gnralisation de lenseignement fait
preuve dun succs considrable, le systme ducatif reste encore caractris par un
chiffre faible du taux brut de scolarisation ainsi que des chiffres levs du taux
dabandon et du redoublement. De plus, il faut partir dun niveau approximatif de
taux dalphabtisation de 57% des adultes en 2004 (Berrada Gouzi/El Aoufi 2007, 22)
qui reflte plus ou moins le taux dachvement de lenseignement primaire. De plus, il
existe une disparit significative entre les sexes et galement entre le milieu urbain et
le milieu rural, somme toute une tendance alarmante prenant en compte les efforts
pour la gnralisation de la scolarisation (ibid., 21).
Depuis lindpendance de la France, le Maroc a successivement arabis toutes les
matires dans lenseignement jusqu 1989. Le franais apparat comme langue
seconde obligatoire depuis la troisime anne de lenseignement fondamental (Benzakour/Gaadi/Quefflec 2000, 90).
Cependant, le franais reste langue denseignement dans certaines matires de
lenseignement suprieur. Comme le franais occupe une place importante dans
lenseignement universitaire, larabisation de lenseignement scolaire implique galement des inconvnients, diminuant les comptences de franais des lves et constituant ainsi un obstacle laccs aux tudes suprieures, dautant plus que larabe
standard et le franais reprsentent non seulement deux langues diffrentes mais
aussi deux cultures, orientales et occidentales, et deux modes de penses diffrentes
(Benzakour/Gaadi/Quefflec 2000, 92s.).
ct de ce systme ducatif officiel au Maroc, il existe un rseau des tablissements scolaires denseignement franais au Maroc (Service de Coopration et dAction Culturelle 2007) scolarisant une minorit litiste dlves dans ses grandes villes.
Ces coles bnficient de lhomologation du ministre franais de lEducation
nationale et dispensent un enseignement conforme aux programmes franais (ibid.).
Ce vestige du pass colonial assure une ducation franaise et contribue ainsi galement lenseignement du franais au Maroc.

4.2.2 Lenseignement du franais au Canada


Constitu de plus de 200 langues parles, le paysage linguistique du Canada est bien
htrogne, le franais et langlais sont langues officielles. La situation du franais
varie selon les provinces, parfois lapprentissage du franais langue seconde est
obligatoire, parfois facultatif. Pour rsumer, on distingue deux varits et deux
rgions, celle de lAcadie et celle de la Laurentia, une division due des raisons
historiques et linguistiques (cf. Nadasdi 2014).
Le franais est langue officielle du Qubec et langue co-officielle du NouveauBrunswick. Dans ces provinces rsident la fois la population francophone qui
apprend le franais mais galement un grand nombre danglophones. Il faut distinguer le Qubec avec une majorit francophone des autres territoires canadiens an-

Le franais dans lenseignement scolaire et universitaire

653

glophones. Quelque 20% de Canadiens se disent bilingues franco-anglais. La population francophone est compose de Qubcois, locuteurs natifs du franais, un tiers de
la population du Nouveau-Brunswick pour la plupart dorigine acadienne, galement
locuteurs natifs de franais, et une minorit francophone et bilingue dans dautres
provinces domines par les anglophones.
Le franais est la langue seconde la plus tudie au Canada, bien tablie dans le
systme scolaire entier. Il est appris comme langue premire par les monolingues,
comme langue de minorit par les francophones bilingues et comme langue seconde
ou trangre dans une grande varit de contextes diffrents. Ainsi, le franais
canadien est caractris par des varits rgionales entrainant un usage plus ou
moins soutenu.
Le franais langue trangre, tudi lextrieur du Qubec par les non-francophones, reprsente la forme dacquisition la plus rpandue au Canada. Cet enseignement est surtout concentr sur la grammaire afin de dvelopper des comptences de
communication fondamentales. Dans lensemble, ces programmes enseignent aux
lves davantage la comprhension du vocabulaire et des rgles de grammaire que la
production orale, permettant notamment de raliser une conversation libre.
Au Canada, on peut aussi apprendre le franais partir des programmes dimmersion depuis les annes 1960 (cf. Rebuffot 1993). Cet enseignement prsente diffrentes
formes dimmersion : limmersion totale o le franais est utilis comme langue
dinstruction dans lensemble des matires et limmersion partielle o le franais nest
utilis que dans certaines matires. On distingue diffrentes accentuations de ces
programmes concernant les degrs dencouragement des deux langues, ainsi une
immersion transitoire, de maintien ou denrichissement. De plus, on distingue selon
les groupes cibles limmersion prcoce (lves de 5 ans), limmersion moyenne (8 ans)
et limmersion tardive (11 ans) (cf. Fcke 2010, 88ss.). De nombreuses recherches sur
lducation bilingue ont indiqu un niveau trs lev defficacit, surtout au niveau
des comptences rceptives (cf. Cummins 1998).
Les adultes ont galement diverses possibilits dapprendre le franais comme
langue trangre, p. ex. dans des coles de langues prives, dans des institutions
comme lAlliance franaise ou lInstitut franais ou bien encore dans des universits.
Ces dernires offrent maintes occasions pour apprendre la langue et, dans le cas des
provinces francophones, mme un enseignement en franais.
Au Qubec, il faut distinguer lacquisition du franais par les non-francophones
et lacquisition du franais par les francophones (cf. Nadasdi 2014). Depuis les annes
1970, limportance du franais au Qubec ne cesse daugmenter, d une ducation
en franais de la majorit des rsidents. tre bilingue est devenu une caractristique
de la socit qubcoise qui inclut mme les rsidents anglophones (cf. Auger 2005).
Plus de 40% de la population qubcoise est bilingue franco-anglais, un chiffre bien
plus lev que dans les autres provinces canadiennes (17%).
Ontario et au Nouveau-Brunswick, lacquisition du franais est ralise par une
minorit francophone dans un contexte anglophone. Ontario, il existe un rseau

654

Christiane Fcke

labor dtablissements scolaires francophones dans lesquels les lves francophones dominent ainsi que des coles dimmersion de franais pour les lves nonfrancophones (cf. Rebuffot 1993). Le franais est utilis surtout dans des contextes
dducation, provoquant une rduction du nombre de locuteurs qui utilisent le plus
souvent une varit informelle du franais.
Le Nouveau-Brunswick est la seule province dans lAcadie dans laquelle le
franais, ct de langlais, a un statut de langue officielle. Depuis la Loi sur les
langues officielles du Nouveau-Brunswick en 1963, cette province est officiellement
bilingue. Un tiers de la population est francophone et un tiers se considre bilingue
(cf. Valdman/Auger/Piston-Hatlen 2005). Cette province dispose dun systme labor dcoles francophones. De plus, maintes rgions offrent des programmes dimmersion.

4.3 Lenseignement du franais en Allemagne


Comme lAllemagne est un pays non-francophone, lenseignement fait rfrence au
franais langue trangre. En raison du nombre relativement bas dlves francophones ou bilingues, le rle du franais langue premire ou seconde est pratiquement
inexistant.
Depuis le Trait de llyse en 1963, lenseignement du franais langue trangre
occupe une place prpondrante dans le systme ducatif en Allemagne, o le
franais est enseign dans le secteur primaire, secondaire et universitaire. Lanalyse
des statistiques montre des diffrences rgionales dues la structure fdrale du
systme ducatif. Les deux Lnder voisins de la France, la Sarre et le Bade-Wurtemberg, poursuivent une politique linguistique qui encourage davantage lapprentissage
du franais compar aux autres Lnder allemands. En Sarre, une majorit de 57% des
lves apprend le franais, dans le Bade-Wurtemberg, lapprentissage du franais est
obligatoire dans toutes les coles primaires situes le long du Rhin. La politique
linguistique obligeant les lves apprendre le franais avant langlais, cette dcision
conduit ce que les parents protestent vivement contre cet enseignement du franais.
Leur rsistance est due des convictions concernant limportance internationale de
langlais qui, selon eux, devrait tre appris avant le franais. Le pourcentage dlves
dans lenseignement du franais des autres Lnder est plus bas et slve approximativement 25% pour le Brandebourg et 9% pour la Bavire, la moyenne fdrale se
situant 16,9% en 2004. Ces chiffres restent relativement stables depuis ces dernires
annes (Hausmann 2007, 53s.).
Le systme ducatif allemand propose lapprentissage du franais langue vivante
1, 2 ou 3. Dans le cas du franais langue vivante 1, lenseignement commence en rgle
gnrale au dbut du secteur secondaire, cest--dire au lyce. Les lves sont alors
gs entre 10 et 11 ans. Jusqu lheure actuelle, le franais LV1 dans lenseignement
primaire constitue un cas particulier concernant une minorit dapprenants. Cet

Le franais dans lenseignement scolaire et universitaire

655

enseignement prcoce, tout comme les premires annes au lyce, est caractris par
une progression lente et une concentration sur loral appliquant les mthodes de la
pdagogie active. Dans la trs grande majorit des cas, le franais est appris comme
langue vivante 2, cest--dire partir de la classe 6 par des lves gs de 11 12 ans.
Compar au franais LV1, la progression est plus leve et lobjectif de cet enseignement consiste atteindre le niveau B1 (Niveau Seuil) du CECRL (Conseil de lEurope
2001) aprs cinq annes dapprentissage, cest--dire la Mittlere Reife, laquelle
correspond au brevet des collges (Kultusministerkonferenz 2003). Selon les standards ducatifs, lenseignement du franais se fixe comme objectif datteindre le
niveau B2 sur lchelle globale du CECRL (niveau avanc ou indpendant) la fin de
lenseignement secondaire, cest--dire le baccalaurat (Kultusministerkonferenz
2012, 14).
Lenseignement du franais est pass par diffrentes tapes (voir ci-dessus). La
premire moiti du XXe sicle est caractrise par la mthode grammaire-traduction et
par une conception du franais concentre sur la littrature, la culture et lhistoire de
la France ainsi que sur lusage correct de la langue. Cette conception tant la base
dun enseignement du franais concentr sur les fautes, celle-ci a fortement contribu
la rputation que le franais serait une langue difficile, suscitant ainsi une forte
dmotivation chez les lves. Les annes 1970 marquent un tournant des mthodes de
lenseignement des langues et lorientation sur la comptence communicative (cf.
Hymes 1972), accordant davantage la prparation aux situations de la vie quotidienne.
Depuis les annes 2000, lenseignement des langues en Allemagne suit lorientation
sur les comptences communicatives, interculturelles et mthodiques (Kultusministerkonferenz 2003 ; 2012). Au premier plan se trouve lenseignement par les tches,
une approche cognitive, p. ex. par les stratgies dapprentissage, ou bien lorientation
sur le plurilinguisme (cf. Fcke 2010, 52ss.).
Lenseignement universitaire du franais se ralise dans des cours de langues
visant une matrise du franais et il sadresse aux tudiants de langues et littratures
romanes ainsi quaux tudiants dautres matires souhaitant perfectionner leurs
comptences en franais. De plus, le franais constitue la base des tudes de franais
(tudes de bachelor, de master ou de formation des enseignants). En gnral, le
franais nest pas utilis comme langue denseignement.

5 Conclusion
Langue internationale vritable et langue vhiculaire dans de nombreux pays du
monde, le franais fait figure de langue maternelle, langue seconde et langue trangre pour un nombre considrable de personnes. Ainsi, lacquisition du franais est et
continue dtre un objet de recherche et joue un rle important dans lenseignement
scolaire et universitaire de maints pays. Cependant, le franais se voit confront la
prdominance de langlais comme lingua franca occasionnant vraisemblablement une

656

Christiane Fcke

baisse considrable du nombre des apprenants du franais dans certaines rgions du


monde lpoque actuelle. Il reste esprer que malgr limportance de langlais
comme premire langue mondiale des XXe et XXIe sicles, le franais continue jouer
un rle important dans lenseignement et contribue ainsi la pluralit culturelle et
linguistique du monde entier.

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Christina Reissner

27 La recherche en plurilinguisme
Abstract : Les dveloppements technologiques et socitaux des dernires dcennies
ont dbouch sur lapparition de nouvelles disciplines linguistiques qui quittent la
perspective habituelle monolingue en portant per definitionem sur plusieurs langues
la fois. Jadis localis dans le domaine de la linguistique compare, les perspectives
ont volu et lun des champs de recherche rcents dans le domaine de la linguistique
applique est celui de la recherche en plurilinguisme, Mehrsprachigkeitsforschung en
langue allemande.
La prsente contribution fournit un aperu des diffrents lments essentiels du
domaine en mettant laccent sur ltude de lducation au plurilinguisme dans ses
composantes linguistiques et politiques. Dans un premier temps, seront rsums le
fondement politique europen ainsi que les instruments europens mis la disposition des acteurs concerns pour promouvoir la diversit linguistique. Dans la seconde
partie, seront tals les fondements linguistiques de lintercomprhension (IC) en tant
quapproche plurielle ainsi que le rle du franais langue trangre (FLE) au vu de
lducation au plurilinguisme, en particulier dans le contexte scolaire et/ou universitaire allemand.

Keywords : plurilinguisme, ducation plurilingue, politique linguistique, linguistique


applique, intercomprhension

0 Introduction
Le point de dpart des rflexions suivantes se situe dans la reconnaissance de la
diversit linguistique en tant quatout prcieux pour les socits, en Europe et audel. Avec la mondialisation de lconomie et la mobilit des citoyens, les comptences linguistiques gagnent de plus en plus dimportance. Les transformations sociales,
conomiques, juridiques et culturelles commencent produire des retombes en
matire de politiques linguistiques et ducatives : lenseignement et lapprentissage
des langues gagnent du terrain dans les discussions, en particulier sous langle dune
approche transversale qui sous-tend une ducation au plurilinguisme en tant que
comptence globale, loin de se limiter au domaine linguistique. Avant dentrer dans
le vif du sujet, nous tenons prciser quelques notions de base.

660

Christina Reissner

1 Les notions de base


1.1 Les notions de pluri- et de multilinguisme
Vu la grande diversit de leur emploi, il savre utile de revenir dabord sur les notions
de plurilinguisme et de multilinguisme, des concepts fondamentaux notamment dans
la politique linguistique en Europe. Les notions ont t mises en circulation une
poque caractrise par le cloisonnement des enseignements des langues, chacune
enseigne indpendamment de lautre.1 Entre-temps, ces prsupposs ont t largement dpasss et remplacs par la vision globale de lensemble des comptences et
capacits langagires (et interculturelles) dun individu. Cest cette perspective qui est
la base du concept de comptence plurilingue et pluriculturelle. Celle-ci a fait lobjet
de nombreuses discussions ; nous nous limiterons regrouper les perspectives qui
font consensus entre les acteurs dans le domaine sans entrer dans un dbat spcifiant
les notions proposes par les diffrents acteurs, souvent polmique et contre-productif.2 Ainsi, la Charte europenne du plurilinguisme (CoE 1992) nous propose de dsigner
comme plurilinguisme lusage de plusieurs langues par un mme individu. Cette
notion se distingue de celle de multilinguisme qui signifie la coexistence de plusieurs
langues au sein dun groupe social .3 Alors que lUnion europenne (UE) continue
utiliser le terme multilinguisme pour dsigner et le niveau individuel et le phnomne socital, en conformit avec la terminologie anglophone ; la diffrenciation
entre pluri- et multi- linguisme apparat notamment dans les documents du
Conseil de lEurope (CoE), en particulier dans le Cadre europen commun de rfrence
pour les langues (CECR), publi en 2001 (CoE 2001).
Laspect global du systme langagier, son caractre composite et dsquilibr
ainsi que son adaptation en fonction des situations de communication ont rcemment
t largement pris en compte dans la littrature scientifique (cf. Candelier 2003 ;
Castellotti/Moore 2006 ; Causa 2011 ; Coste et al. 2009 ; Coste 2011 ; Zarate et al. 2008).
Ceci se reflte galement dans les formulations suivantes qui reprsentent grosso
modo la notion habituellement retenue, formule dans le CECR (CoE 2001) :

On dsignera par comptence plurilingue et pluriculturelle, la comptence communiquer


langagirement et interagir culturellement dun acteur social qui possde, des degrs divers,

1 En didactique allemande, on parle de habitus monolingue (monolingualer Habitus), Gogolin


(1994).
2 Ainsi, nous ne nous attardons pas dans la discussion sur la notion de comptence, mais constatons
avec Coste quil faut dpasser ce dbat autour de la distinction connaissance/comptence qui
strilise parfois les changes propos des objectifs ou des modalits de travail dans lenseignement
des langues (Coste 2011, sans indication de page).
3 Cf. le site de lObservatoire europen du plurilinguisme (OEP), o la Charte est soumise ptition depuis 2009 : http://www.observatoireplurilinguisme.eu/index.php?option=com_content&view=catego
ry&layout=blog&id=52&Itemid=89188957&lang=fr (20.11.2014).

661

La recherche en plurilinguisme

la matrise de plusieurs langues et lexprience de plusieurs cultures, tout en tant mme de


grer lensemble de ce capital langagier et culturel. On considrera quil ny a pas l superposition ou juxtaposition de comptences distinctes, mais bien existence dune comptence
complexe, voire composite, dans laquelle lacteur peut puiser (CoE 2001, 129).

Sur ce fond, le plurilinguisme est considrer la fois comme comptence et comme


valeur (ducative) (cf. Beacco/Byram 2007, 17ss.), les deux perspectives faisant partie
intgrante de la notion globale du terme (cf. Causa 2011, 26) telle que nous lutiliserons ici.

1.2 La notion de lducation plurilingue


Au niveau europen, le plurilinguisme constitue lun des principes fondateurs qui
couvre et encadre les activits en matire de politique linguistique, des institutions
europennes comme des pays membres. Lducation plurilingue, sous ses diverses
appellations auxquelles nous ne nous rfrerons pas en dtail, constitue une des
orientations actuelles dans le domaine de lenseignement et lapprentissage des
langues. Cest dans ce champ que se situe la Mehrsprachigkeitsforschung, la recherche
en plurilinguisme, qui fait lobjet de nos rflexions suivantes.
Lducation plurilingue, par-del lapprentissage purement linguistique, comprend une ducation transversale voire globale, dans le sens dune ducation qui
englobe galement le comportement et la conscience plurilingues la fois (cf. Candelier 2008). Il sagit de promouvoir une ouverture culturelle et une approche de laltrit,
mais galement de faciliter la construction dune identit plurilingue. Ainsi, lducation plurilingue est ancre aussi bien dans des disciplines linguistiques et sociolinguistiques que dans lapproche interculturelle, en favorisant le dveloppement de reprsentations et dattitudes positives lgard dautres langues, de leurs locuteurs et
dautres cultures. Lobjectif essentiel est de dvelopper une culture langagire , des
savoirs relatifs aux langues, en particulier dordre sociolinguistique. Ces savoirs
constituent un ensemble de rfrences aidant la comprhension du monde dans
lequel les lves vivent et vivront (Candelier et al. 2003, 22). Sous cet angle, lenseignement plurilingue sintgre galement dans lducation gnrale, dun point de vue
gnral et, plus spcifiquement, en termes de citoyennet, au regard de son europhilie
et de sa proximit avec une pdagogie pour la paix (cf. Klein/Stegmann 2000, 5).
La complexit et la diversit des approches, mthodes et mthodologies sur le
terrain sexpliquent en premier lieu par cette interdisciplinarit. Les diffrentes approches ncessitent dadapter les apports des diffrentes disciplines et domaines concerns et enrichissent ainsi le cadre thorique correspondant. De ce fait, la diversit des
apports reprsente aussi bien une source de complexit quun atout important qui
permet de profiter de multiples synergies.
Les considrations qui suivent relvent dabord de la politique linguistique europenne, qui incontestablement a pos les jalons pour lentre du plurilinguisme dans

662

Christina Reissner

les systmes ducatifs des pays membres, avant daborder, titre exemplaire, les
fondements linguistiques de lapproche de lIC ainsi que la question du rle du FLE pour
lenseignement plurilingue dans le contexte scolaire et universitaire en Allemagne.

2 Le contexte politique europen


La promotion dune ducation au plurilinguisme sinscrit dans la politique commune
de lUnion europenne et du Conseil de lEurope, le plurilinguisme des citoyens
europens tant un des objectifs principaux des leurs politiques. Malgr linfluence
limite dans les domaines de lducation et des politiques linguistiques, les deux
institutions sinvestissent dans la diversit culturelle et linguistique. Il nous semble
utile de rsumer brivement les nombreuses initiatives et activits europennes qui
sont lorigine de changements importants en matire de politiques linguistiques et
ducatives aux niveaux nationaux.

2.1 La politique linguistique de lUnion europenne


Ds ses dbuts, lUE aborde la question des langues. Le statut galitaire des langues
officielles et le plurilinguisme (cf. supra, chap. 1.1) font partie des valeurs essentielles
de lEurope : Le multilinguisme fait en effet partie du code gntique de lUnion
puisquil est inscrit dans le tout premier rglement adopt en 1958 qui dterminait les
langues utiliser par la Communaut conomique europenne de lpoque (UE
2008a, 1).
La promotion de la mobilit des Europens constitue lun des axes principaux de
la politique commune partir des annes 1980. Lapprentissage des langues est
favoris et des mesures en faveur de la diversit linguistique et des langues minoritaires sont prises. Avec le trait de Maastricht en 1992, une nouvelle tape dans lintgration europenne est marque par linstitution de la citoyennet europenne et le
lancement de lunion conomique et montaire. Lducation et la formation professionnelle composent lun des six nouveaux domaines prioritaires des politiques
communautaires.4
Le Livre blanc sur lducation et la formation est publi en 1995 (UE 1995) et vise
accorder, ct des questions conomiques et montaires, une attention prioritaire
au dveloppement personnel des citoyens. Pour la construction de la socit cognitive, il propose entre autres la matrise de deux langues communautaires comme un
label de qualit pour le march europen sans frontires. Outre son intrt pour

4 Cf. http://europa.eu/legislation_summaries/institutional_affairs/treaties/treaties_maastricht_fr.
htm (20.11.2014).

663

La recherche en plurilinguisme

lindividu, la matrise des langues est reconnue comme facteur-cl pour lidentit et la
citoyennet europenne. Ainsi, lUE constate : La matrise de plusieurs langues
communautaires est devenue une condition indispensable pour permettre aux citoyens de lUnion de bnficier des possibilits professionnelles et personnelles que
leur ouvre la ralisation du grand march intrieur sans frontiers (UE 1995, 54). En
2001, lAnne europenne des langues5 est organise en collaboration avec lUE et le
CoE pour encourager et promouvoir le multilinguisme et lapprentissage tout au long
de la vie, ce dernier prsentant lun des objectifs qui caractriseront dsormais la
politique europenne communautaire.
Depuis le sommet de Barcelone en 2002 (cf. UE 2002), avec la formule 2+1 , et
dans la vise globale de la croissance et de lemploi, est rclam lapprentissage dau
moins deux langues en plus de la langue maternelle, un but qui nest gure atteint dans
les tats membres (cf. UE 2012a). Le plan daction Promouvoir lapprentissage des
langues et la diversit linguistique (cf. UE 2003)6 confirme : En bref, la capacit de
comprendre dautres langues et de communiquer dans dautres langues constitue lune
des comptences de base que doivent avoir tous les citoyens europens (ibid., 4).
Un nouveau cadre stratgique pour le multilinguisme est publi en 2005 (UE 2005)
et dfinit comme lment essentiel de la politique europenne le rle majeur que
jouent les langues et le multilinguisme dans lconomie, ce qui amne encourager
lapprentissage et lusage des langues. Le cadre europen des comptences cls pour
lducation et la formation tout au long de la vie dfinit les bases essentielles de
lapprentissage, dont font partie la connaissance des langues trangres et les techniques pour apprendre apprendre (UE 2007).
En 2007, le groupe de haut niveau pour le multilinguisme lance le Forum des
entreprises pour le multilinguisme pour examiner les incidences que peuvent avoir les
comptences linguistiques sur les affaires et lemploi dans lUnion europenne.7 Le
Nouveau cadre stratgique de 2005 est remplac en 2008 par la communication
Multilinguisme : un atout pour lEurope et un engagement commun (cf. UE 2008b) ;
dsormais, la Commission aborde lapprentissage des langues dans le contexte de la
cohsion sociale et de la prosprit.
La croissance intelligente, durable et inclusive sont les nouvelles priorits du
programme Europe 2020 (UE 2010) ; lenseignement/apprentissage des langues et la
diversit linguistique continuent constituer des lments essentiels pour le dveloppement personnel et professionnel ainsi que pour la cohsion sociale et la comptiti

5 Cf. http://europa.eu/legislation_summaries/education_training_youth/lifelong_learning/c11044_
fr.htm (20.11.2014).
6 Depuis les annes 2000, la politique communautaire prend de plus en plus en compte les langues et
cultures pratiques en famille et dans la vie quotidienne, quelles soient rgionales ou issues de
limmigration.
7 Convoqu par le commissaire pour le multilinguisme L. Orban (le poste tant supprim ds la
lgislature suivante).

664

Christina Reissner

vit conomique. Ainsi, en 2012, la Commission tient rappeler son attention particulire lapprentissage des langues :

lheure de la mondialisation des changes, la capacit parler une langue trangre est un
facteur de comptitivit. Les langues contribuent de plus en plus accrotre lemployabilit et la
mobilit des jeunes; a contrario, les lacunes en la matire constituent un obstacle majeur la
libre circulation des travailleurs. Les entreprises exigent galement les comptences linguistiques
ncessaires leur fonctionnement sur un march mondialis (UE 2012b, 1).

Le programme actuel Erasmus pour tous (20142020),8 rassemble de nombreuses


activits dans plusieurs domaines, dont lenseignement suprieur et lcole.
Les textes de rfrence de lUE accordent une grande importance la question des
langues, surtout au cours de la premire dcennie des annes 2000. Au fil du temps,
la perspective volue : partant des questions lies la personnalit et lidentit de
lindividu, en passant par la cohsion sociale, les textes rcents sorientent de plus en
plus vers laspect conomique de lapprentissage des langues. De ce fait sont voqus
le rle des langues pour le march de travail et la plus-value des comptences
langagires en matire de comptitivit professionnelle ainsi que pour les entreprises
en Europe.

2.2 La politique linguistique du Conseil de lEurope


La mission du Conseil de lEurope, plus ancienne organisation europenne, est
lorganisation commune en domaine de la dmocratie, de la dfense des droits de
lhomme, de la cohsion sociale et de lducation ainsi que de la promotion de ltat
de droit sur le continent (CoE 2006). Sur ses 47 tats membres actuels, 28 sont
galement membres de lUE. Le Conseil de lEurope sengage dans le domaine de la
politique linguistique depuis les annes 50. Comme le Conseil nest pas en position de
dfinir une politique qui simposerait aux tats membres, il propose des apports pour
aider la prise de dcision aux niveaux nationaux dans lesprit de lunit du continent
en respectant les valeurs fondamentales communes.
Les premiers programmes du CoE visent la dmocratisation et des rformes de
lenseignement des langues ainsi que la formation des enseignants ; les projets des
annes 80 et 90 mettent laccent sur la dimension sociale et politique de lapprentissage
des langues. Lune des initiatives importantes dans ce champ aboutit la cration du
Centre europen des langues vivantes (CELV) en 1994. Son objectif est la promotion de
lducation aux langues, et dencourager lexcellence et linnovation dans lenseigne

8 Cf. le site web du programme : http://ec.europa.eu/programmes/erasmus-plus/index_fr.html


(20.11.2014).

665

La recherche en plurilinguisme

ment des langues et daider les Europens apprendre les langues de manire plus
efficace .9
La Charte europenne des langues rgionales ou minoritaires est le premier instrument multilatral europen juridiquement contraignant. Elle est destine dune
part protger et promouvoir les langues rgionales ou minoritaires en tant
quaspect menac du patrimoine culturel europen, et dautre part favoriser lemploi des langues rgionales ou minoritaires dans la vie prive et publique (CoE
1992).10
partir de 1997, les activits visent explicitement la promotion du plurilinguisme et du pluriculturalisme et sensibiliser au rle des langues pour la construction dune identit europenne et de la cohsion sociale en Europe. Le Conseil de
lEurope accorde une importance particulire au dveloppement du plurilinguisme,
cest--dire lenrichissement du rpertoire plurilingue dune personne tout au long
de la vie (CoE 2006, 5).
Les instruments principaux de la politique linguistique du CoE ont influenc
significativement les politiques linguistiques et ducatives dans les tats membres et
seront rcapituls brivement en ce qui suit.

2.2.1 Le Cadre europen commun de rfrence pour les langues


Avec le Cadre europen commun de rfrence pour les langues Apprendre, Enseigner,
valuer (CECR), le Conseil de lEurope propose en 2001 des lignes directrices communes pour fournir un cadre applicable toutes les langues et toutes les mthodes
dvaluation et denseignement en Europe (CoE 2001). Son objectif est dunifier les
aspects ducatifs et culturels de lenseignement des langues et de le rendre transparent, efficace et cohrent travers les tats membres. ce sujet, le CECR propose
dabord une terminologie commune pour faciliter la communication portant sur
lenseignement des langues.
Pour rendre comparables les niveaux de comptence en langues, il sarticule
autour dune chelle de six niveaux dcrivant diverses aptitudes linguistiques, regroups en une arborescence de trois niveaux gnraux : utilisateur lmentaire (A1A2),
utilisateur indpendant (B1-B2) et utilisateur expriment (C1C2) (ibid., 23s.). La
comptence communiquer langagirement est subdivise dans les comptences
linguistiques, sociolinguistiques et pragmatiques (ibid., 16s.). Les efforts descriptifs

9 Cf. le site web du CELV : http://www.ecml.at/ (20.11.2014).


10 Cf. le site internet de la Charte europenne des langues rgionales ou minoritaires du Conseil de
lEurope (textes intgraux, tat des signatures et ratifications, rapport explicatif etc.) : http://www.coe.
int/t/dg4/education/minlang/default_FR.asp? (20.11.2014).

666

Christina Reissner

sont centrs sur ces activits de communication (ibid., 39ss.). Le rfrentiel tablit un
regard novateur sur les savoir-faire, en introduisant la notion de la diffrenciation des
comptences. Cette approche permet une observation et reconnaissance explicite des
comptences partielles, jusquici quasiment ignores : La reconnaissance formelle de
capacits de ce type aidera promouvoir le plurilinguisme par lapprentissage dune
plus grande varit de langues europennes (ibid., 39ss.). Ancr dans lapproche
communicative et actionnelle de lenseignement et de lapprentissage des langues
(ibid., 46ss.), le CECR se focalise sur laction et la tche (ibid., 121ss.), visant lautonomie
des apprenants.
Le CECR propose une dfinition de la comptence plurilingue et pluriculturelle de
nature volutive ; sa richesse et sa diversit sont aussi importantes que le niveau de
comptence atteint dans une langue particulire. Lexprience interculturelle et la
dcouverte des modes de vie et de pense des autres trouvent toute leur place dans
cette perspective.
Somme toute, le Cadre introduit une description de la matrise langagire par
types de comptences et sous-comptences, inhabituelle voire inconnue jusquici
pour beaucoup dacteurs concerns. En plus, le CoE publie un guide qui relie les
examens de langues au rfrentiel dans le but d aider les concepteurs dexamens
laborer des procdures transparentes et concrtes pour situer leurs examens par
rapport au CECRL, les appliquer et en rendre compte dans un processus cumulatif
de perfectionnement continu (CoE 2009a, 1).
Dans les pays membres, on observe divers degrs de rattachement des programmes de langues vivantes au cadre de rfrence. Sa mise en uvre stend de labsence
totale de toute rfrence officielle jusqu son ancrage et implmentation dans la
lgislation. Ainsi, en France11 comme en Allemagne,12 les niveaux du CECR sont repris
dans les codifications ducatives.

2.2.2 Le Portfolio europen des langues


En 1997, le CoE publie le Portfolio europen des langues (PEL). Selon ses auteurs, il
peut servir comme moyen de prsentation de toutes les connaissances et expriences
langagires dun individu (CoE 2000 ; cf. aussi Castellotti et al. 2004). De plus, il lui
incombe une fonction pdagogique en initiant lautorflexion du processus dappren

11 Le code franais de lducation sy rfre dans son article D31216, cf. http://www.legifrance.gouv.
fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=89B78A105535CD9E3A48E6900BDF3433.tpdjo01v_1?idArticle=
LEGIARTI000006526467&cidTexte=LEGITEXT000006071191&dateTexte=20140525 (25.11.2014).
12 Cf. les Bildungsstandards , Kultusministerkonferenz 2012, http://www.kmk.org/ (25.11.2014).

667

La recherche en plurilinguisme

tissage et la sensibilisation linterculturel.13 Le Portfolio est conu en fonction de la


tranche dge du groupe cible.14
Avec lAutobiographie de rencontres interculturelles, un autre outil a vu le jour,
conu pour encourager la rflexion sur les expriences des personnes de diffrentes
origines culturelles (CoE 2009c).15

2.2.3 Les Guides pour llaboration des politiques linguistiques ducatives en


Europe et pour le dveloppement et la mise en uvre de curriculums pour une
ducation plurilingue et interculturelle
Le Guide pour llaboration des politiques linguistiques ducatives en Europe propose
des orientations pour lanalyse du multilinguisme et le dveloppement de politiques
adaptes une aire donne, en mme temps quil affirme que toute politique linguistique ducative doit avoir pour but de promouvoir et de prserver le concept de
diversit linguistique dans la socit et de plurilinguisme pour les individus (Beacco/Byram 2007, 8). Le Guide pour le dveloppement et la mise en uvre de curriculums
pour une ducation plurilingue et interculturelle (Beacco et al. 2010) vise une
meilleure mise en uvre des valeurs et principes de lducation plurilingue et interculturelle dans lensemble des enseignements de langue, quelles soient langues
trangres, rgionales ou minoritaires, langues classiques ou langue(s) de scolarisation (ibid., 7). Depuis 2009, la Plateforme de ressources et de rfrences pour lducation plurilingue et interculturelle est mise en place (CoE 2009b) pour soutenir les tats
membres souhaitant laborer leurs programmes relatifs lenseignement et lapprentissage des langues.

2.2.4 Le Cadre de rfrence pour les approches plurielles


Le Cadre de Rfrence pour les Approches Plurielles des Langues et des Cultures
(CARAP) met disposition un ensemble doutils pour la gestion des comptences et
ressources qui peuvent tre dvelopps par les approches plurielles, i. e. des approches didactiques qui mettent en uvre des activits denseignement-apprentissage
qui impliquent la fois plusieurs (= plus dune) varits linguistiques et culturelles
(Candelier et al. 2012, 6). Dans loptique des auteurs, le cadre se met en devoir de

13 Les documents du PEL peuvent tre consigns et mis jour le cas chant : leuropass de
comptences, le dossier, la biographie langagire, cf. le site web : http://europass.cedefop.europa.eu/
fr/home (25.11.2014).
14 Un guide pour ltablissement du PEL est disponible en ligne : http://www.coe.int/t/dg4/education/elp/default_fr.asp (25.11.14).
15 Cf. le site internet de lAutobiographie : http://www.coe.int/t/dg4/autobiography/ (25.11.2014).

668

Christina Reissner

complter les instruments tels que le CECR et le PEL, en dveloppant [] les


descripteurs qui font dfaut au CECR pour rendre compte concrtement de la perspective plurilingue quil prconise (ibid., 5).16
Le CARAP dveloppe le concept de la comptence plurilingue et pluriculturelle
comme une comptence complexe, composite et htrogne, sans superposition ou
juxtaposition de comptences distinctes, en accentuant le fait de lunit de lensemble
dynamique du rpertoire langagier disponible pour lacteur social (cf. ibid., 10). Le
Cadre met disposition un Rfrentiel qui prsente systmatiquement les comptences et les ressources internes (les savoirs, savoir-tre et savoir-faire) : [] ce sont les
ressources qui peuvent tre travailles concrtement en classe [] lenseignement
contribuant la mise en place des comptences via les ressources quelles mobilisent (ibid., 12). Un banc de matriaux didactiques se rfre aux diffrents types
dapproches ainsi quaux descripteurs du CARAP. Le Kit d(auto) formation pour les
enseignants et une introduction lusage du Cadre compltent les outils en libre accs
en ligne.17

3 Lducation au plurilinguisme : Les approches


plurielles

La perspective des auteurs du CARAP se fonde sur les quatre types suivants dapproches plurielles : lveil aux langues, lEnseignement interculturel, lIntercomprhension et la Didactique intgre (Candelier et al. 2012, 6). Il existe de multiples chevauchements et intersections entre et au travers des divers approches et concepts. Nous
nous limiterons donner des descriptions synthtisant les susdites approches plurielles sans expliciter les arrire-plans respectifs, hormis lIC romane qui sera discute
plus en dtail grce son rle particulier pour lducation au plurilinguisme et
lenseignement du franais langue trangre en Allemagne (cf. infra, chap. 4).

3.1 Lveil aux langues


Lveil aux langues est conu comme un accueil des lves dans la diversit des
langues ds le dbut de la scolarit pour les prparer vivre dans des socits
plurilingues et pluriculturelles. En gnral, lapproche intgre toutes les langues avec
toutes leurs varits et amne les apprenants travailler sur un grand nombre de

16 Candelier et al. (2012) donnent une vue densemble des arguments pour le caractre complmentaire du CARAP relatifs aux autres instruments du CoE.
17 Cf. le site web du CARAP : http://carap.ecml.at/Keyconcepts/ (25.11.2014).

669

La recherche en plurilinguisme

langues. Selon la dfinition de Candelier, il y a veil aux langues lorsquune part des
activits porte sur des langues que lcole na pas lambition denseigner (Candelier
2003, 1). Le concept vise sensibiliser la diversit linguistique et initier
lapprentissage des langues tout au long de la vie. Ainsi, on peut inclure cette
approche dans la perspective de Language Awareness dvelopp par Hawkins (1984).
Dans le contexte de lapproche de lveil aux langues, parmi dautres, on a vu se
dvelopper en particulier les programmes Evlang et Janua Linguarum (cf. Candelier
2003 ; Candelier et al. 2003), ainsi que le projet ELODIL visant favoriser lveil au
langage et louverture la diversit linguistique.18

3.2 Lapproche interculturelle


Les variantes de lapproche interculturelle sont nombreuses et recouvrent des thmatiques diverses. Dans lensemble, on peut observer sa mise en place dans les curricula
en tant quapproche transversale, voire globale. Les politiques du CoE et de lUE
sorientent vers la prise en compte de la dimension interculturelle, en particulier dans
les systmes ducatifs : Dans une approche interculturelle, un objectif essentiel de
lenseignement des langues est de favoriser le dveloppement harmonieux de la
personnalit de lapprenant et de son identit en rponse lexprience enrichissante
de laltrit en matire de langues et de culture (CoE 2001, 9). Le CECR vise
explicitement la prise de conscience interculturelle (ibid., 83). Or, il ne prcise pas
les contenus culturels ni les composantes de la comptence interculturelle (cf. Neuner
et al. 2003). Cependant, le CARAP constitue un outil pour llaboration des dmarches
pdagogiques articulant lacquisition des divers savoirs, savoir-tre et savoir-faire
relatifs la comptence interculturelle.

3.3 La didactique intgre


Les approches discutes jusquici sont fondes sur ce que nous appelons la didactique
du plurilinguisme ou encore la didactique intgre.19 Il sagit dun concept global et
transversal, qui sapplique en particulier dans le cadre de lenseignement scolaire.
Ainsi, le Guide pour llaboration des politiques linguistiques en Europe incite articuler les enseignements des langues les uns aux autres, en ce quils sont susceptibles

18 Cf. le site Ja-Ling sur le site du CELV : http://jaling.ecml.at/ ainsi que http://www.elodil.com
(25.11.2014).
19 En langue allemande on parle de Mehrsprachigkeitsdidaktik ; pour les diffrents aspects conceptuels entre les auteurs francophones et germanophones, cf. lexpos fortement rvlateur de Candelier
(2008, 76ss.).

670

Christina Reissner

de mettre en jeu des comptences communes (Beacco/Byram 2007, 40 ; cf. supra,


chap. 2.2.4).
Selon notre perspective, la didactique intgre sajoute aux didactiques dites
traditionnelles qui suivent une conception additive de lapprentissage dune langue
lautre. La conception de lenseignement bilingue des disciplines (dites) non linguistiques20 vise en premier lieu le travail dans une langue trangre, au travers dactivits
disciplinaires. Les activits dans le domaine de DNL/EMILE ne peuvent sinscrire dans
les approches plurielles que sil y a un travail comparatif entre les langues (Candelier
2008, 75). Dans ce dernier cas, il existe de nombreuses intersections entre la didactique
intgre, lenseignement bilingue ainsi que lapproche intercomprhensive.21
La didactique intgre vise mettre en rseau lensemble des comptences et
savoirs langagiers, en vue de dvelopper lapprentissage plurilingue et pluriculturel
en tant que continuum et en exploitant systmatiquement les pr-acquis des apprenants. Dans le contexte allemand, il sagit souvent de faciliter lapprentissage de la
deuxime et dautres langues trangres (Tertirsprachen), en reposant sur les
concepts de transfert et de la conscience plurilingue au sens large du terme. Nous
tenons constater que la didactique des langues tertiaires ainsi que celle de lIC (cf.
infra, chap.4) constituent des dimensions essentielles de la didactique du plurilinguisme en Allemagne, ct des rflexions portant sur lintgration des langues
dorigine et leur prise en compte dans le cadre du parcours de lapprenant. Toutes ces
dimensions font partie du concept global des curricula intgrs (cf. Hufeisen/Lutjeharms 2005 ; Hufeisen/Neuner 2003).

4 Linguistique et plurilinguisme
Grce aux politiques europennes, il incombe un rle cl au plurilinguisme dans le
domaine de lducation ; comme nous venons de le dvelopper, la stature du plurilinguisme individuel est non seulement due au phnomne de la globalisation, mais
aussi celui de leuropisation, notamment en matire de politiques ducatives.
Ces tendances se refltent galement dans le domaine linguistique ; depuis
quelque temps, diverses disciplines se reconstituent, en passant de lorientation
habituelle monolingue louverture la dimension plurielle, en portant per definitionem sur plusieurs langues la fois. Ainsi, lune des disciplines linguistiques rcentes
est celle de leurolinguistique qui se penche sur les langues dEurope dune vue
globale, tendue sur divers aspects comme i. e. lhistorique, la politique, la linguistique et le culturel (cf. Hinrichs 2010). Malgr sa dmarcation des disciplines (mono-)

20 Ou bien de lenseignement dune matire intgre une langue trangre (EMILE), en allemand
bilingualer Sachfachunterricht, en anglais Content and Language Integrated Learning (CLIL).
21 Cette question est lun des desiderata en matire de lducation plurilingue.

La recherche en plurilinguisme

671

philologiques traditionnelles, lorientation de leurolinguistique reste ancre dans les


disciplines linguistiques courantes ; de la sorte, prdominent dans ce domaine les
travaux qui se fondent essentiellement sur des conclusions manant des branches
linguistiques compare, contrastive et/ou historique.
Il en est de mme pour dautres concepts qui ont vu le jour au cours des dernires
dcennies, quittant la perspective monolingue en souvrant la dimension plurilingue : souvent, ils restent enracins dans les disciplines courantes. Mais ces nouvelles
approches recourent dautres rfrences thoriques et relvent dautres champs
linguistiques (et ceci bien au-del des sciences du langage). De par ce changement de
perspectives et linterconnexion insolite de champs de recherches diversifis, de
nouvelles synergies enrichissent le paysage scientifique qui se dmarque ainsi des
orientations traditionnelles.

4.1 De la linguistique compare lintercomprhension


Lobjet de la linguistique compare (ou encore comparative) traditionnelle consiste
en ltude historique et comparative des langues. Or, elle recherche les appartenances historiques des langues pour en dduire les lignes de parent qui sexpriment
souvent dans des structures communes ou voisines travers plusieurs langues.
Alors que la linguistique historique exploite les langues pour dcrire leur gnalogie
dun point de vue diachronique, la linguistique synchronique observe une langue
un instant donn. Cependant, la linguistique contrastive observe les relations entre
plusieurs langues partir dun point de vu appliqu, i. e. centr sur linfluence des
contrastes entre les diffrentes langues sur le processus dapprentissage. Au cours
des annes 1950, les analyses contrastives inspirent les recherches et thories
portant sur lapprentissage des langues trangres, la thorie focalisant en abondance les problmes et difficults manant du passage dune langue lautre
langue. Les concepts des faux amis et des interfrences se trouvent au centre de
lintrt (cf. Weinreich 1953).
Progressivement, de nouvelles vues scartent de ces perspectives pour se focaliser sur les avantages de la parent linguistique au lieu des dsavantages et problmes. Au fur et mesure, des questions de la linguistique applique comme celle de la
didactique des langues sont mises en jeu dans le domaine de la linguistique compare, en faveur du passage dune langue dautres. Des concepts pluri-langues sont
dvelopps, dont lIC entre langues apparentes, visant plusieurs langues la fois, en
particulier au sein dune famille linguistique, i. e. romane, germanique et slave.22 Il

22 Cf. le projet allemand EuroComRom/Germ/Slav (www.eurocom.uni-saarland.de ; cf. Hufeisen/


Marx 2007) ; pour le domaine francophone, cf. les projets Babelweb (http://www.babel-web.eu) ;
Galatea/Galanet/Galapro (http://www.galanet.eu ; cf. Degache 2003) ; EU&I (http://www.eu-inter

672

Christina Reissner

existe de multiples dfinitions de la notion de lIC qui varient en fonction de la


position de lauteur en question et de la tradition dans laquelle il sinscrit (cf. Jamet
2010 ; Caddo/Jamet 2013 ; Capucho/Oliveira 2005 ; Escud 2011). Les dfinitions
stendent de la perspective de la linguistique applique lenseignement et la
didactique des langues ; lIC peut tre conue littralement comme comprhension
rciproque ou bien de linteraction entre des locuteurs de diffrentes langues, mais
aussi comme objectif de lapprentissage linguistique (cf. Jamet 2008, 10). Dans ce
sens, et dans le concept allemand EuroCom, lIC vise comprendre dautres langues
sans les avoir apprises formellement (Doy 2005, 7 ; cf. aussi Klein/Reissner 2003, 19),
i. e. la comptence rceptive plurilingue (Meiner et al. 2004, 3).
En partant dune perspective de linguistique applique, le concept de lIC et des
mthodologies respectives se sont constitus notamment au cours des dernires
dcennies. Ainsi, le concept se situe dans le sillage des travaux comparatistes et des
exigences de la politique linguistique europenne visant la diversit linguistique et le
plurilinguisme : Le champ sest donc dplac de la linguistique vers la didactique
des langues en lien avec les politiques linguistiques (Jamet 2010, 7).

4.2 Les bases linguistiques de lintercomprhension romane


LIC entre langues typologiquement et gntiquement apparentes voire voisines
constitue lune des voies pour parvenir une ducation plurilingue et interculturelle,
et favoriser la diversit culturelle et linguistique en Europe. Ayant acquis une langue
romane, lapprenant dispose dun savoir qui peut lui servir de modle pour lapprentissage de toute autre langue romane. Comme le concept de lIC mise sur la rentabilit
de lexploitation de lensemble des connaissances pralables pour comprendre des
textes dans des langues supposes inconnues, il sappuie sur le travail infrentiel (cf.
Meiner/Reinfried 1998) et constitue un processus constructif de transformation et de
comparaison des langues entre elles.
Lun des premiers projets soutenus pour propager le plurilinguisme individuel en
Europe est le projet allemand EuroCom, dvelopp depuis les annes 1990 (Klein/
Stegmann 2000). Lapproche EuroCom se propose de sparer les bases communes de
transfert de forme et de fonction au travers des langues voisines afin de les exploiter
systmatiquement pour lacquisition dautres idiomes de la mme famille. Louvrage
de rfrence pour lIC romane pour des locuteurs de premire langue non-romanophone, EuroComRom Die Sieben Siebe : Romanische Sprachen sofort lesen knnen
(Klein/Stegmann 2000 ; version franaise Meiner et al. 2004), offre une systmatisa

comprehension.eu ; cf. Capucho/Oliveira 2005) ; EuRom4/5 (http://www.eurom5.com ; cf. BlancheBenveniste/Valli 1997) ; Miriadi (http://miriadi.net/).
Cf. galement le site web du rseau europen pour lIC, Redinter (http://www.redinter.eu) (tous les
sites consults le 25.11.2014).

673

La recherche en plurilinguisme

tion des bases linguistiques du transfert entre et travers les langues romanes. En
catgorisant les formes, fonctions et concepts parallles et/ou communs, elles facilitent le transfert entre les langues et les rendent plus transparentes. Or, les bases de
transfert permettent didentifier des lments connus et de comprendre plus facilement les autres langues romanes.
La systmatisation dEuroCom comprend sept catgories : les sept tamis. La
notion de tamis se rfre mtaphoriquement lacte de filtrage du matriel langagier
afin didentifier les lments communs et transparents.
Les deux premiers tamis se rfrent aux bases lexicales pour exploiter les transparences entre les langues latines : le lexique international avec des cultismes provenant des grandes cultures antiques, des scientismes et des nologismes, souvent
base latine ou anglo-amricaine, ainsi que le lexique pan-roman qui reflte lhritage
commun des langues romanes.
Les troisime et quatrime tamis fournissent les correspondances et les rgularits phontiques et les rapports phono-graphiques travers les langues romanes.
Dune part, sont systmatiss ici les correspondances phontiques qui permettent de
mieux identifier les lexmes qui ont subi des transformations phontiques tout au
long de leur histoire et qui sont cause de cela moins transparents et difficiles
reconnatre. Dautre part, les conventions graphiques et les diffrents systmes de
prononciation sont clairs par la systmatisation du quatrime tamis pour rendre les
langues-cible plus transparentes.
Les langues romanes partagent des structures syntaxiques de base qui sont
largement parallles et font lobjet du cinquime tamis. Il prsente neuf phrases
fondamentales pan-romanes ainsi que dautres structures syntactiques communes
telles que les propositions relatives et conditionnelles, lhypotaxe, le grondif, les
interrogations, la dualit des aspects etc. (Meiner et al. 2004, 225ss.). Les schmas
communs qui existent dans le domaine de la morpho-syntaxe, p. ex. la formation des
phrases nominales et des adverbes, les conjugaisons, les articles, les marques du
pluriel, laccord des adjectives etc., font lobjet du sixime tamis.
La dernire catgorie de bases de transfert se voue aux eurofixes, i. e. des prfixes
et des suffixes prsentant des intermorphmes et qui sont la base de la formation de
nombreux interlexmes. Ces lments facilitent lidentification ainsi que la catgorisation des mots dans les langues-cibles aussi bien que la segmentation des groupes
phrastiques pour accder plus facilement au sens de llment en question.
En ractivant ses connaissances pralables dans les domaines de lexique et de
grammaire, des structures de la langue ainsi que de par son exprience dapprentissage dune (ou plusieurs) langue(s) (trangres), lapprenant dispose des ressources
et des savoirs exemplaires pour dautres langues (cf. Klein/Stegmann 2000 ; Meiner
et al. 2004). Lintercomprhension sappuie donc sur une langue pont ou langue dpt
pour crer (dabord) une comptence rceptive pluri-langue (cf. Klein 2002). La
capacit tablir des rgularits inter- et intra-linguistiques et mettre en uvre des
stratgies daccs au sens sont des facteurs-cl pour le passage dune langue lautre.

674

Christina Reissner

4.3 Lintercomprhension un outil transversal


Le concept de lIC se caractrise par sa transversalit, non seulement en ce qui
concerne les lments et principes sous-jacents qui sont dcrits supra, mais aussi en
ce qui concerne sa classification dans le cadre des approches plurielles : ses objectifs
de sensibilisation aux langues des autres et de conscientisation du processus dapprentissage relvent des chevauchements avec lapproche de lveil aux langues qui
vise louverture la diversit linguistique et culturelle (cf. supra, chap. 3.1) ; en
mme temps, lIC correspond un modle de communication interculturel, qui facilite
laccs laltrit, dautres cultures ; finalement, lIC peut tre situe au centre des
approches du plurilinguisme, en tant que noyau de la didactique du plurilinguisme
(cf. Meiner 2005, 130), qui vise tablir des liens entre plusieurs langues et
cultiver les convergences et [] favoriser les synergies [] (Candelier 2003, 337).
Le plurilinguisme intercomprhensif se construit en exploitant systmatiquement
lensemble du potentiel transfrentiel qui va au-del des ressources strictement
langagires ; Doy indique ce propos les domaines de General knowledge, Cultural
knowledge, Situational knowledge, Behavioural knowledge, Pragmatic knowledge,
Graphic knowledge, Phonological knowledge, Grammatical knowledge et Lexical
knowledge (Doy 2005, 61). Toutefois, ce nest pas seulement la comptence linguistique qui est vise par lapproche intercomprhensive : lenseignement intercomprhensif [ne] table [] pas seulement sur des stratgies de transfert pour le dcodage
linguistique et contextuel des textes, mais aussi sur des stratgies qui concernent
lapprendre apprendre [] (Br 2008, 115) ainsi que lautonomisation des
apprenants. Les effets (mta-) cognitifs de lenseignement intercomprhensif se manifestent donc par la conscientisation des apprenants qui dveloppent une conscience
(language awareness ; Sprach(en)bewusstheit) de la diversit linguistique et culturelle
ainsi quune conscience de leur processus dapprentissage (language learning awareness ; Sprachlernbewusstheit) (cf. Br 2008 ; Doy/Meiner 2010).
En fonction du niveau dans la/les langue(s) pont, et en intgrant plusieurs
langues (dune mme famille), lapproche intercomprhensive sest avre remporter
des succs remarquables au niveau de lacquisition des comptences langagires (cf.
Reissner 2007). Les effets portant sur ces comptences, par ailleurs, se manifestent
dans deux directions : dune part, dune manire rtroactive, par la consolidation des
comptences pralables dans la langue qui sert de langue pont, et dautre part, proactivement, par les comptences de comprhension crite dans une ou plusieurs
langue(s)-cible (cf. Meiner 2003, 96).23

23 Les instruments du CECR et du CARAP mettent disposition des outils pour lvaluation multidimensionnelle, manire dvaluer les activits plurielles postule par Coste et al. (2009, 34). Caddo/
Jamet (2013) donnent une vue densemble des descripteurs respectifs du CARAP pour lIC (ibid., 8285)
qui, selon nos observations, peut tre largie plusieurs descripteurs non voqus dans leur travail (cf.
Reissner 2014).

La recherche en plurilinguisme

675

Somme toute, les rsultats du travail plurilingue mettent en relief les bnfices de
lapproche plurilingue et multidimensionnelle. Selon nos expriences et analyses de
lIC dans le groupe des langues romanes, lapproche se propose fortement pour
enrichir lenseignement des langues vivantes en largissant son horizon de la dimension plurielle et plurilingue. Concrtement, lIC permet douvrir de nouvelles perspectives pour lintroduction dans les langues parentes du franais dans lenseignement
qui sont, lexception de lespagnol, peu enseignes dans les systmes scolaires,
aussi bien en Allemagne quen France.24

5 Le Franais langue trangre et


lintercomprhension romane
Le taux dapprentissage du franais parmi les lves allemands est de 18,7%, celui de
langlais de 87% (Statistisches Bundesamt 2014, 21). Dans la trs grande majorit et
comme partout en Europe, langlais est enseign comme premire langue trangre.
Do le rle essentiel de lenseignement du FLE qui doit tre encourag et soutenu.
Dans ce contexte, le concept de lintercomprhension sert dargument dexcellence
pour dmontrer les avantages de lapprentissage du FLE qui savre extrmement
utile pour lapprentissage des langues romanes.
Le franais est une langue pont extrmement efficace pour dvelopper lIC
romane ; son code crit reflte de par son conservatisme en abondance les structures
communes des langues romanes. Le lexique de base ainsi que les lments les plus
frquents du franais fondamental comportent un taux important dlments partags
avec les autres langues romanes ainsi quavec langlais (cf. Meiner 1989, 377ss.). De
ce fait, les langues romanes apparaissent mutuellement transparentes. Des apprenants qui disposent des pr-acquis dans une langue romane, i. e. en langue franaise,
sont susceptibles de comprendre facilement dautres langues romanes. Pourtant, il ne
sagit pas seulement de louverture aux susdites grandes langues, mais aussi aux
langues rgionales comme loccitan ou le sarde, en ouvrant ainsi les perspectives des
apprenants au patrimoine des langues de la France (dans la mesure o il sagit de
langues latines). De l dcoule pour le FLE le rle supplmentaire de langue pont
pour lapprentissage intercomprhensif des langues romanes, p. ex. au sein du systme scolaire allemand.
la diffrence des autres Lnder allemands,25 en Sarre, 57% de la totalit des
lves apprennent le franais comme langue trangre. Cest surtout en raison de sa

24 En Allemagne, 4,5% des lves apprennent lespagnol, 8,7% le latin (anne scolaire 2012/13 ;
Statistisches Bundesamt 2014, 21).
25 Les 16 Lnder sont souverains en matire dducation ; la confrence permanente des ministres
de lducation a pour objet dharmoniser les politiques ducatives en constituant des standards

676

Christina Reissner

situation go- et historico-politique que la langue franaise joue un rle particulier en


Sarre, ce qui se reflte clairement dans sa politique linguistique. Ainsi, selon le
Sprachenkonzept 2011 Neue Wege zur Mehrsprachigkeit im Bildungssystem (cf.
Ministerium fr Bildung Saarland 2011), le franais, la langue du voisin, est enseign
ds le plus jeune ge. Le concept se montre explicitement ouvert lducation
plurilingue notamment dans lenseignement secondaire ; grce son rle-cl particulier en Sarre, le franais est conu comme langue pont pour lacquisition dautres
langues romanes : Sur la base des pr-acquis en langue franaise, des mesures pour
lenseignement plurilingue et intercomprhensif sont proposes pour promouvoir
lacquisition de comptences partielles dans dautres langues (ibid., 12, 40). Lenseignement plurilingue fait partie des programmes de formation initiale des futurs
enseignants de franais luniversit de la Sarre ainsi que de la formation continue
pour les enseignants de langues.
Toutefois, de nombreux projets portant sur lenseignement intercomprhensif ont
t raliss en Allemagne, notamment dans des tablissements scolaires et universitaires (cf. Br 2008 ; Reissner 2007 ; Strathmann 2010). Jusqu prsent, les langues
trangres sont majoritairement enseignes langue par langue et sans articuler les
unes aux autres. Le concept intercomprhensif prsente un instrument prometteur
pour y introduire le plurilinguisme et linterculturalit et pour mettre en place une
comptence intgre.
Les expriences pratiques montrent les potentiels du FLE pour un tel enseignement/apprentissage plurilingue bas sur lintercomprhension en langues romanes ;
comme les autres approches plurielles, elles pourraient servir de modle pour une
implmentation sur lensemble des tablissements scolaires en Allemagne, ainsi que
pour dautres constellations de langues ou dautres systmes ducatifs. Faute dancrage institutionnel, et dans un premier temps, louverture des esprits des apprenants
peut avoir lieu en introduisant des modules bass sur les approches plurielles discutes ci-dessus dans le cadre des programmes existants (adapts en fonction du
contexte et des conditions concrtes), i. e. portant sur les langues (rgionales) de la
France, sur les langues romanes dans leur ensemble ou bien au-del dune famille de
langue.

6 Conclusion
La mise en uvre des principes de lenseignement du plurilinguisme (au sens large)
dans les systmes nationaux reflte de plus en plus les politiques ducatives linguistiques europennes. Or, pour la majorit des Europens, le plurilinguisme envisag par

communs de qualit pour toutes les institutions ducatives allemandes, cf. www.kmk.org/
(25.11.2014) ; cf. Polzin-Haumann/Reissner (2012).

677

La recherche en plurilinguisme

les programmes et textes politico-ducatifs ne se matrialise gure dans la pratique.


Les systmes ducatifs restent largement cloisonns dans les principes traditionnels,
behavioristes, qui nenvisagent toujours pas les aspects transversaux de toute activit
dapprentissage. En gnral, les diffrentes disciplines et matires enseignes ne sont
toujours pas mises en rseau, les synergies existantes ne sont gure exploites.
Effectivement, il sagit l dobjectifs pdagogiques complmentaires aux concepts
pralables dorientation largement monolingue, et les enseignants doivent tre sensibiliss et forms pour largir leur rpertoire didactique. Il nous parat important de
pointer le rle de linitiation des enseignants aux concepts sous-jacents, i. e. aux
fondements linguistiques de lapprentissage pluriel et en particulier celui de la
sensibilisation et conscientisation des apprenants qui vont de pair avec leur autonomisation. Il ne suffit pas que lobjectif du plurilinguisme soit largement reconnu
pour quil soit effectivement atteint (cf. Knigs 2002, 30). La transmission dun
rpertoire didactique ouvert la pluralit est la conditio sine qua non pour progresser
dans la recherche dans le domaine de lducation plurilingue.

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Achim Stein

28 Linguistique franaise et ressources


lectroniques
Abstract : Cette contribution prsente les changements rcents que les ressources
lectroniques ont apports au contenu et aux mthodes de la recherche linguistique.
Elle prsente un choix de ressources linguistiques du point de vue des possibilits
techniques des linguistes thoriques , cest--dire non spcialiss dans le domaine du traitement automatique des langues (TAL).

Keywords : ressources lectroniques, traitement automatique des langues, outils linguistiques, corpus textuels, langages de balisage

1 Introduction
Il y a plus de vingt ans, Fillmore opposa de manire caricaturale la linguistique
thorique (armchair linguistics) la linguistique des corpus, et dit propos de leurs
reprsentants :

These two dont speak to each other very often, but when they do, the corpus linguist says to the
armchair linguist, Why should I think that what you tell me is true ? , and the armchair linguist
says to the corpus linguist, Why should I think that what you tell me is interesting ? (Fillmore
1992, 35).

cette poque les ordinateurs personnels avaient conquis une place sur le
bureau de beaucoup de linguistes, et certains sen servaient non seulement pour
rdiger leurs publications, mais pour analyser la matire premire, le langage. Il
ny a pas lieu dapprofondir la polmique de Fillmore, puisquil fait allusion
une opposition entre linguistique thorique et linguistique empirique qui est
aujourdhui obsolte, et ce pour deux raisons. Pour ce qui est de la linguistique
thorique, il est vrai quelle ne repose pas principalement sur les ressources
lectroniques, mais on peut nanmoins constater une tendance croissante
fonder les publications actuelles sur les donnes empiriques, que ce soit dans les
tudes synchroniques ou diachroniques. Pour ce qui est de la linguistique des
corpus, on constate quelle sappuie aujourdhui sur des ressources si importantes
et des outils si performants que ses rsultats clairent les recherches thoriques
au mme niveau que les disciplines empiriques bien tablies, comme la psycholinguistique p. ex.

682

Achim Stein

Cette contribution ne tentera pas de dresser linventaire des ressources disponibles : il y en aurait trop, et une liste sur papier se primerait vite1 et serait peu utile.
En revanche, elle tentera (a) dvaluer la signification des ressources pour la recherche linguistique actuelle, (b) de rflchir la faon dont elles influencent les
conditions de travail des linguistes thoriques 2 et les rsultats des recherches en
linguistique et (c) de prsenter certains dveloppements rcents qui aident
combler, notamment en linguistique de corpus, le foss entre les tudes thoriques
et empiriques.
La place quoccupe la linguistique lintrieur du domaine des humanits numriques (digital humanities) est partage par la linguistique computationnelle et la
linguistique proprement dite (ou, si lon prfre, traditionnelle ). Cette contribution
est crite dans la perspective du linguiste qui utilise certaines mthodes et applications computationnelles et qui a une exprience modeste dans le dveloppement de
ressources linguistiques utilises dans le traitement automatique des langues (TAL).

2 Ressources
2.1 Annotation et standardisation
Bien que nimporte quel texte brut puisse en principe tre lobjet dune tude linguistique, cette partie se consacrera exclusivement aux corpus annots . Cela signifie
que le texte est enrichi au moins dune annotation structurale, en gnral sous forme
dun balisage XML (Extensible Markup Language). Mme une telle annotation rudimentaire peut contenir de linformation linguistique lorsquelle reflte le dcoupage
dun texte en paragraphes, en phrases ou en mots. Une vritable annotation
linguistique ajoute cependant le rsultat de lanalyse phontique, morphologique,
syntaxique ou smantique au texte en question.
Cette volution de la linguistique de corpus a profondment chang et enrichi les
recherches en linguistique. Dune part, en approfondissant la coopration entre
linguistique et informatique, elle a contribu la cration de la linguistique computationnelle, de lautre elle a amen une partie des linguistes soit dvelopper des
ressources pour le TAL soit les exploiter pour dvelopper ou vrifier leurs hypothses thoriques.
Sur le plan technique, lannotation linguistique est en principe indpendante du
texte dans la mesure o les types dinformations se trouvent non seulement lint

1 Cest aussi pour cette raison que nous indiquerons le nom des sites ou des institutions plutt que de
fournir des URL (adresses internet) prcises, mais peu durables.
2 Pour faciliter ma tche, jutilise linguistes thoriques par opposition linguistes de corpus, conscient
du fait que ce choix terminologique nest pas le plus heureux, mais thorique est moins connot que
moyen (dprciatif pour les linguistes thoriques) ou normal (dprciatif pour les linguistes de corpus).

683

Linguistique franaise et ressources lectroniques

rieur du balisage XML, mais aussi bien dlimits, comme le montre lexemple suivant
o les annotations morphologie et lemme sont reprsentes par deux attributs
distincts de la balise mot :

(1)

<mot id="3125" morph="ADJ" lemme="gros">grosse</mot>

Un tel balisage permet dajouter ou de retirer certains types dinformation de la


ressource, voire de les stocker dans une ressource externe, indpendante du texte,
mais relie celui-ci moyennant les identifieurs (valeurs de lattribut id ). Il est
vident quau moment o lannotation ne se limite pas un seul lment, mais tablit
une relation entre plusieurs lments, des stratgies plus complexes sont mises en
oeuvre. Exemple (2) dfinit la branche dune structure syntaxique arborescente qui
relie deux mots : le mot trs (premire ligne : noeud terminal, balise t , adverbe) est
attach au mot grosse (deuxime ligne : noeud non terminal, balise nt , adjectif).
Cette relation est exprime par lattribut idref dans la premire ligne et spcifie
par lattribut cat comme Mod[ifieur] :

(2)

<t mot="trs" id="s1_393" idref="s1_394" cat="Mod" morph="ADV" lemme="trs"/>


<nt id="s1_394" morph="ADJ" lemme="gros">grosse</nt>

Le langage XML, tout en imposant certaines contraintes aux annotateurs, permet donc
de reprsenter les proprits des lments individuels aussi bien que les relations
entre eux. Il est donc suffisamment expressif pour rendre un grand nombre de
structures linguistiques. Mais les exigences dans le domaine de la standardisation
vont plus loin : XML nest quun standard technique permettant dencoder un texte
digitalis tout comme une banque de donnes gntique. Lexemple peut sembler
satisfaisant, mais il utilise des attributs et des valeurs arbitraires. La standardisation
du langage XML lintrieur dun domaine dapplication est en gnral confie des
spcialistes, comme p. ex. ceux du comit ISO/TC 37, o plusieurs groupes de travail
soccupent de la normalisation terminologique, des schmas dannotation, des formats de reprsentation pour les diffrents types de textes ou des banques de donnes
lexicales. Un autre exemple est la TEI (Text Encoding Initiative), qui recommande des
formats XML pour encoder les ressources textuelles. Si les recommandations de la TEI
sont aujourdhui respectes dans beaucoup de textes digitaliss, il nen est pas de
mme pour les ressources linguistiques, o le codage, mme en format XML, ne
respecte que rarement les mmes consignes. Dans lexemple, le choix des attributs
(mot, morph, lemme, cat) est aussi arbitraire que le choix des valeurs qui forment une
liste close, comme les parties de discours (ADV) ou les fonctions grammaticales
(Mod). Et ceci pour des raisons videntes : avec un peu de peine, les linguistes
pourraient peut-tre se mettre daccord sur le nombre des parties de discours (onze ?),
mais quen est-il de la terminologie, ou, pire encore, des abrviations utilises dans
lannotation ? Sans parler des principes danalyse (donc : adverbe ou conjonction ?
variable en fonction du contexte ou non ?). Et la fonction grammaticale Mod(ifieur)
indique clairement la partie prise pour une analyse syntaxique dpendancielle la

684

Achim Stein

Tesnire. La normalisation dans ce domaine, pourvu quelle respecte les thories


linguistiques et leur volution, serait donc forcment une tche interminable, et
vouloir imposer un jeu de catgories aux chercheurs serait probablement une dmarche voue lchec. Pour la mme raison, lannotation dune ressource ne peut pas
simplement se traduire : passer dun jeu de catgories un autre impliquerait souvent
de changer dapproche thorique. Mais dans la recherche il est de bonne coutume de
bien dfinir les catgories et les principes de son analyse. De la mme manire, il
devrait tre normal de tenir compte des catgories dj existantes, des les rutiliser,
ou dans le cas contraire de dclarer et de documenter ses propres catgories publiquement. cette fin, le comit TC 37 mentionn ci-dessus a cr le registre public ISOcat,
qui constitue ainsi un forum de rencontre entre la pratique des chercheurs et les
tentatives de normalisation. On peut donc sattendre ce que les ressources deviennent de plus en plus compatibles sur le plan de lannotation, tout en gardant leur
diversit sur le plan thorique.

2.2 Ressources lexicales


Tout comme dans le domaine des publications scientifiques, il est normal que les
dictionnaires actuels ainsi quune grande partie des dictionnaires anciens soient
disponibles en version digitale. La particularit du domaine lexicographique est la
forme de distribution : si les publications scientifiques sont en gnral distribues en
un format imprimable (normalement PDF) et permettent la recherche plein texte, les
dictionnaires se prsentent en gnral sous forme de banques de donnes, interrogeables en ligne ou lintrieur dune application. Dans les deux cas il se pose la question
de la longvit, car elle dpend de lentretien du site web ou du support du logiciel,
qui doivent rester compatibles avec lenvironnement informatique, cest--dire les
systmes dopration, les navigateurs, et certaines composantes du matriel. La
plupart des maisons ddition ne font aucun effort pour assurer leur longvit : le
passage une nouvelle version du systme dopration (sans parler du passage entre
des systmes diffrents) entrane souvent la ncessit dacqurir la nouvelle version.
Le problme de la longvit concerne alors le produit vendu, les donnes linguistiques sont bien entendu prcieusement conserves par la maison ddition. Cette
situation nest pas critiquable en elle-mme, car il sagit de rentabiliser linvestissement dans la production dun dictionnaire. Mais dun point de vue scientifique, il se
pose le problme de la non-vrifiabilit et de la non-reproduisibilit des rsultats ds
le moment o la ressource est prime . Cest donc aux chercheurs de sinterroger
trs critiquement sur la spcificit des ressources lexicales sur lesquelles ils/elles
fondent leurs travaux.
Le cas o les ressources lexicales sont tlchargeables gratuitement et distribues
en un format ouvert (plein texte, balisage XML etc.) est plus rare. Un tel format
pourrait faciliter un accs aux donnes plus indpendant des contraintes logicielles et

Linguistique franaise et ressources lectroniques

685

matrielles. Si lutilit des dictionnaires dusage actuels se heurte ces obstacles


techniques et commerciaux, la mise disposition des dictionnaires anciens est un
apport important la linguistique historique, tout comme dautres domaines. Les
oeuvres qui ont fait poque sont pour la plupart disponibles librement, du Dictionarium latinogallicum dEstienne jusquaux diffrentes ditions du Dictionnaire de lAcadmie franaise (cf. les sites de lATILF Nancy ou du projet ARTFL de luniversit de
Chicago). LATILF joue un rle dterminant dans la distribution des ressources. Son
dictionnaire le plus consult est sans aucun doute la version en ligne du Trsor de la
Langue Franaise (TLFi), mais les dictionnaires des poques antrieures du franais
sont tout aussi importants pour la recherche : le Dictionnaire de Moyen Franais
(DMF), accompagne de sa base textuelle, est le rsultat dune des plus grandes
entreprises scientifiques de lATILF, et son infrastructure technique, ralise par Gilles
Souvay, a permis de publier, sur le mme site, le Dictionnaire lectronique de Chrtien
de Troyes (DCT). Dune certaine manire ces dictionnaires symbolisent aussi le
passage dune poque de commercialisation une poque douverture, manifeste
par le fait que lATILF hberge de plus en plus de ressources librement accessibles.
Si lutilit des dictionnaires dpend donc surtout du mode et du format de leur
distribution, il nen est pas de mme pour les ressources lexicales qui sont issues de et
destines la recherche linguistique. Ainsi, les tudes en syntaxique ou en smantique peuvent profiter grandement dun ouvrage comme Dicovalence (van den Eynde/
Mertens 2010) qui rpertorie pour 8334 constructions verbales de plus de 3700 verbes
franais le nombre, le type et la forme pronominale des arguments, les structures
passives, ainsi que les traductions en anglais et en nerlandais. La ressource est en
accs libre, elle est bien documente, et grce son format (un simple fichier texte)
elle ne ncessite aucun logiciel de traitement particulier. Les ressources de ce type
sont extrmement utiles pour le dveloppement des outils linguistiques.
une chelle beaucoup plus grande, ceci vaut aussi pour Les verbes franais
(LVF, Dubois/Dubois-Charlier 1997). Avec des entres dtailles et semi-formalises
pour plus de 25.600 sens verbaux (de plus de 12.300 verbes), LVF constitue une
ressource qui fait que, pour une fois, le franais est mieux dcrit que langlais, au
moins dans ce domaine. La base numrique est un simple tableau en format Excel,
une ligne par construction, les types dinformation sont attribus aux colonnes du
tableau : lemme, oprateur smantique, domaine, classe smantique, exemple,
construction syntaxique, etc. Ce fichier et une version imprimable sont publiquement
disponibles sur le site de lUMR MoDyCo. Son contenu et sa structure sont dcrits en
plus grand dtail dans deux numros spciaux de Langages (Franois/Le Pesant/
Leeman 2007) et de Langue franaise (Leeman/Sabatier 2011). Ici, il sera plus intressant de voir que la conversion du LVF en un format XML, ralise par Hadouche/
Lapalme (2010), constitue en effet un enrichissement : elle a permis non seulement
linstallation de la ressource en ligne, sous forme de banque de donnes interrogeable
(sur le site du laboratoire Recherche applique en linguistique informatique, RALI, de
luniversit de Montral), mais elle a transform un fichier texte, statique, en une

686

Achim Stein

ressource extensible : le balisage XML permet dajouter des informations issues dautres projets de recherche sans nuire lintgrit de la ressource dorigine, qui peut tre
rcupre nimporte quel moment. Ce principe est un des grands atouts de ce
format, et il est appliqu aux ressources lexicales aussi bien quaux corpus, o il
permet soit dintgrer les diffrentes couches dannotation soit de les rpertorier dans
des fichiers indpendants, relis par des identifieurs. Cette mthode dannotation
dbarque (Loiseau 2007, stand-off annotation) rend les ressources plus maniables.

2.3 Outils
2.3.1 Annotation manuelle et annotation automatique
Une annotation suivant les principes mentionns plus haut peut se faire manuellement, assiste par des diteurs XML ou des outils spcialement conus pour des
tches dannotation spcialises (comme p. ex. lajout dune transcription phontique
un enregistrement). Cette mthode laborieuse est un exemple de transfert de
lexpertise des locuteurs et des linguistes (Fuchs/Habert 2001, 4), et linformation
ainsi transfre peut bnficier dautres recherches linguistiques. Mais puisque ces
annotations de haute qualit ne peuvent pas se faire une chelle plus large, elles
sont en gnral rserves des petits corpus spcialiss, comme les corpus historiques, ou plus couramment, des corpus de rfrence destins servir de standard
dor (gold standard) lentranement des outils dapprentissage automatique. Dans
ce qui suit, deux types doutils seront prsents, pour lannotation du mot et de la
phrase, respectivement : les tiqueteurs (part of speech taggers), parce que ltiquetage morphologique est aujourdhui assez facile raliser et parce quil permet de
mieux cibler les requtes dans un grand nombre de domaines (morphologie, lexicologie, syntaxe etc.), et les parseurs syntaxiques (parsers) parce que cest un domaine en
forte volution qui fournira des outils performants dans un avenir trs proche. Il est
vrai quen gnral, ces outils ont t dvelopps par des informaticiens ou des
linguistes computationnels, et trs souvent, ils ne seront pas la porte des linguistes
non spcialiss dans ces domaines. Il sagira donc dexpliquer les principes et les
problmes de leur fonctionnement ainsi que dinsister sur leur apport aux recherches
en linguistique franaise. Lintgration de ces outils spcialiss dans des solutions
plus globales sera discute dans le paragraphe 2.3.5.

2.3.2 Analyse morphologique


Comme la plupart des domaines du TAL aujoudhui, ltiquetage morphologique (part
of speech tagging) est largement domin par les modles probabilistes, qui peuvent

687

Linguistique franaise et ressources lectroniques

tre bass sur des lexiques ou non. Mais il existe aussi des systmes bass sur des
rgles, suivant la mthode de Brill (1992), qui utilisent des rgles graphiques et
contextuelles. Puisque lanalyse dune graphie prsuppose la rsolution des ambiguts homographiques (p. ex. entre porte graphie verbale ou nominale), les fonctions de
ltiquetage et de la lemmatisation sont souvent runies dans un mme outil. TreeTagger (Schmid 1994 ; le programme est gratuitement disponible sur son site : CIS,
Universitt Mnchen) en est un exemple : il utilise un lexique de formes graphiques
associes une tiquette morphologique (et optionnellement un lemme), ainsi
quun corpus dentranement pr-annot pour apprendre la probabilit contextuelle
des tiquettes (p. ex. : la position X dans le contexte X-nom-adjectif , un article
est plus probable quun verbe). Ces probabilits servent rsoudre les ambiguts
mentionnes. TreeTagger est compos de deux programmes : le programme dentranement lit le corpus dentranement et stocke linformation lexicale et les probabilits des catgories dans un fichier de paramtres. Ce processus est en gnral effectu
par les dveloppeurs qui disposent du corpus dentranement. Le deuxime programme est ltiqueteur proprement dit : il utilise les paramtres pour transformer un
texte brut en ressource annote (H. Schmid distribue les paramtres pour une quinzaine de langues, pour le franais cf. Stein/Schmid 1995). Ce processus dannotation
est trs rapide, mais il doit tre lanc sur la ligne de commande, ce qui peut sembler
rbarbatif aux utilisateurs habitus aux interfaces graphiques. Les formats dentre
(le texte brut) et de sortie (le texte annot) sont des fichiers de texte, un mot par ligne,
o le dcoupage des mots doit tre conforme celui du corpus dentranement. Ce
prtraitement exige dautres comptences de la part des utilisateurs. Certains systmes, comme TreeTagger, fournissent des scripts pour ce genre de traitement, mais les
textes bruts prsentent souvent des particularits qui ncessitent des manipulations
au-del du simple dcoupage lexical.
Aux ventuels problmes pratiques sajoutent les problmes mthodiques. Le hic
de tous les outils probabilistes est leur taux derreur : entrans sur un standard dor
de taille limite, ils ne seront jamais prpars tous les contextes imaginables et
commettront forcment des erreurs, et les systmes travaillant avec un lexique tomberont toujours sur des mots inconnus. Les outils se distinguent par les stratgies quils
adoptent pour palier ce problme des donnes non vues , mais un certain taux
derreur est invitable. Certains systmes peuvent afficher le degr de certitude
lorsquils prennent une dcision (p. ex. dans le cas dune ambigut homographique),
mais en gnral ces donnes ne sont pas incluses dans lannotation des corpus. Si une
telle ressource annote est utilise dans un travail de recherche, il est donc impratif
de prendre connaissance des principes dtiquetage et de tenir compte des taux
derreurs si on procde des interprtations quantitatives. Un deuxime problme est
le fait que les utilisateurs passifs , cest--dire ceux qui ne crent pas eux-mmes
leur corpus dentranement, dpendront toujours des paramtres disponibles, qui
reposent en grande majorit sur lanalyse dun langage assez standardis, souvent
des textes de journaux. Ces paramtres contiennent un jeu dtiquettes prdfini, ce

688

Achim Stein

qui force les utilisateurs adopter les principes dannotation (et les thories sousjacentes) du corpus dentranement. Si les tiqueteurs produisent des rsultats assez
satisfaisants dans lanalyse de la langue standardise, il nen est pas de mme pour
les ressources non canoniques , comme la langue parle ou ancienne, et dune
manire gnrale pour toutes les varits qui sloignent de la norme. Pour le moyen
franais, Gilles Souvay a dvelopp le systme LGerm (Souvay/Pierrel 2009). Celui-ci
se base sur les associations entre un lemme et ses graphies dune part et sur des rgles
flexionnelles de lautre. Grce LGerm, les utilisateurs peuvent interroger le DMF
malgr les variations graphiques, et mme en utilisant des formes du franais
moderne (cf. paragraphe 2.2).

2.3.3 Analyse syntaxique


Le deuxime type doutils prsent ici sont les parseurs syntaxiques. En principe, une
structure peut tre attribue nimporte quelle squence de mots, mais pour la
plupart des linguistes, lunit analyse sera la phrase. L encore, lanalyse peut se
baser sur des rgles linguistiques , p. ex. des rgles de rcriture : ces parseurs
sont en gnral moins robustes , car ils chouent au moment o ils rencontrent des
donnes qui ne correspondent pas leur grammaire . Les ambiguts, plus nombreuses au niveau syntaxique, constituent un autre problme. Pour ces raisons, et
aussi cause du progrs dans la puissance de calcul, le march est aujourdhui
domin par les parseurs probabilistes. Dun point de vue linguistique, le parsing
semble plus intressant que ltiquetage, car lannotation syntaxique implique une
dcision pour un modle de reprsentation grammaticale. Les relations entre les
lments (normalement les mots) sont encodes en graphes, et ces graphes peuvent
reprsenter les modles constituants aussi bien que les modles dpendanciels
(sans mentionner les diffrentes thories qui utilisent ces graphes). Il existe des
parseurs pour les deux, bien que les modles dpendanciels sembleraient avoir pris
le devant rcemment, entre autres parce quils prsentent des avantages dans le
traitement des langues ordre des mots libre. Ceci a cr un certain cart entre les
tudes syntaxiques thoriques et typologiques, assez solidement ancres dans le
modle constituants de la grammaire gnrative, et le TAL, qui penche vers les
structures plus lgres du modle dpendanciel. Cet cart se manifeste galement
entre les ressources actuelles, souvent dpendancielles, et les dinosaures parmi
les banques darbres crs luniversit de Pennsylvanie au dbut des annes 1990,
comme le Wall Street Journal, qui ont permis de dvelopper et dvaluer un grand
nombre doutils TAL. La seule banque darbres disponible pour le franais moderne
est la French Treebank (Abeill/Barrier 2004). Elle contient 12.531 phrases de Le
Monde, avec une annotation morphologique et syntaxique. Sa conversion en banque
dpendancielle et des expriences avec un parseur dpendanciel ont t ralises par
Candito/Crabb/Denis (2010).

Linguistique franaise et ressources lectroniques

689

Les parseurs sont forcment plus complexes que les tiqueteurs : les informations
traites sont lexicales (partie de discours) aussi bien que configurationnelles (ordre
des mots). Car lanalyse syntaxique se greffe en gnral sur une analyse lexicale,
souvent incluse dans les systmes. Lexemple prsent ici sont les outils mate (mate
tools, Bohnet 2010), gratuitement disponibles sur le site de Google Code. Ils incluent
entre autre un tiqueteur et un parseur dpendanciel, ainsi que des paramtres pour
langlais, lallemand et le franais. Le principe dentranement est le mme que celui
de ltiqueteur probabiliste, mais plus complexe, car les probabilits doivent tre
calcules pour chaque arc de tous les graphes reprsentant une structure dpendancielle, tout en incluant les informations lexicales. Le graphe qui runit les probabilits
les plus leves est retenu comme analyse. Ce processus dentranement est coteux :
il se fera normalement dans un environnement o plusieurs processeurs travaillent en
parallle. Il en rsulte des paramtres pour la morphologie, la lemmatisation (si
prsente dans le corpus dentranement) et les relations dpendancielles. Tout comme
avec ltiqueteur prsent dans le paragraphe 2.3.2, la partie analyse est une tche
plus lgre qui peut tre excute sur un ordinateur de bureau normal. Le format de
sortie est galement un format textuel compos de onze colonnes (cf. CoNLL-2009
Shared Task : Syntactic and Semantic Dependencies in Multiple Languages) dont les
plus importantes sont celle qui rpertorie les dpendances entre les nuds, cest-dire les mots dans un modle dpendanciel, et celle qui attribue une fonction grammaticale (sujet, objet, etc.) cette relation.
Dans le cas de lannotation syntaxique il est plus difficile de simaginer quelle
soit dun intrt gnral, puisque lanalyse morphologique est souvent suffisante pour
rsoudre les ambiguts lexicales. En plus, la complexit des parseurs et leurs exigences matrielles, au moins pour la partie entranement, laissent supposer que peu de
linguistes thoriques annotent leurs ressources syntaxiquement. Le fonctionnement
des parseurs a t prsent en plus grand dtail tout dabord parce que les premiers
corpus syntaxiquement annots ont t publis rcemment (cf. paragraphe 2.3.4),
mais aussi parce que les nouvelles plateformes linguistiques vont permettre un
accs beaucoup plus facile ces outils (cf. paragraphe 2.3.5).

2.3.4 Exemple : deux corpus annots pour lancien franais

La diffrence entre les modles syntaxiques mentionne plus haut (2.3.3) est exemplifie par les deux premiers corpus du franais historique qui sont syntaxiquement
annots, MCVF et SRCMF. Le corpus MCVF (Modliser le changement, les voies du
franais, Martineau 2009) a t publi par luniversit dOttawa. Il sagit dun corpus
diachronique contenant des textes entre le XIe et le XVIIIe sicle avec un total de plus
dun million de mots. Lpoque de lancien franais (avant 1350) est reprsente par
treize textes contenant 361.283 mots, ce qui quivaut 23.558 phrases dans la version
syntaxiquement annote. SRCMF (Syntactic Reference Corpus of Medieval French,

690

Achim Stein

Prvost/Stein 2013) est issu de la coopration de lENS de Lyon avec luniversit de


Stuttgart, finance par lANR et la DFG. Le corpus contient 266.383 mots en 24.173
phrases annotes et revues manuellement suivant un modle dpendanciel. MCVF et
SRCMF sont disponibles gratuitement.
Les diffrences entre les deux corpus montrent bien limbrication intime entre la
mthodologie employe pour la cration des corpus et leur utilit pour la recherche
linguistique o la disponibilit des mthodes et des ressources est dune importance
cruciale. MCVF est sans aucun doute le plus grand corpus franais diachronique
syntaxiquement annot. Cependant, les particularits de la mthodologie et des outils
dannotation font que le corpus nest pas extensible : il est vrai que les tiquettes de
lannotation sont bien documentes, mais les principes et les choix de leur attribution
le sont moins, et les outils dannotation (tiqueteur, parseur) ne sont ni documents
ni accessibles. Par consquent il est quasiment impossible daugmenter le corpus
suivant la mme mthodologie, ne serait-ce que pour remdier au problme invitable
de sa reprsentativit, p. ex., puisque les lacunes ne pourront pas tre combles par
des textes analyss de la mme manire. La comparaison directe de deux ressources
comme MCVF et SRCMF est quelque part injuste, car les points critiques qui viennent
dtre relevs sexpliquent par le fait que les mthodes mises en oeuvre pour crer
MCVF sont celles qui avaient t dveloppes dans les annes 1990 pour la cration
des corpus de lancien et du moyen anglais luniversit de Pennsylvanie, inspires
par les banques darbres mentionnes plus haut, et donc bien avant la publication de
la premire version de XML (en 1998). Sans la coopration avec luniversit de
Pennsylvanie, lannotation syntaxique de MCVF (qui bien entendu ne reprsente
quune partie de cet impressionnant projet GTRC ralis luniversit dOttawa)
naurait probablement pas vu le jour, mais en revanche elle naurait alors pas hrit
des dficits inhrents son format : il sagit dun format plein texte, o les constituants sont marqus par des parenthses, et qui ne peut tre interrog que par des
outils spcialement conus pour ce format, comme CorpusSearch (cf. la documentation la page Penn Corpora of Historical English sur le site web de luniversit de
Pennsylvanie). Il faut ajouter que pour des raisons pratiques une grande partie des
linguistes qui travaillent avec les banques darbres dans ce format opteraient probablement pour ce standard de facto, et non pour un standard bas sur un balisage XML.
Et enfin, il est tout fait possible de convertir les donnes, pourvu que la licence de la
ressource le permette. Le cas du MCVF montre que la recherche linguistique actuelle,
au moins celle qui aboutit des rsultats palpables et opte pour la publication et
la distribution de ces ressources, ne peut contourner certaines questions dordre
technique.
Le projet SRCMF, lanc en 2009, a pu profiter de ces expriences. Il se distingue
du corpus MCVF en premier lieu par le choix dun modle grammatical diffrent,
inspir par la grammaire dpendancielle de Tesnire (par opposition au modle
constituants du MCVF). Cette dcision avait t prise surtout pour des raisons linguistiques dune part, mais lide dune utilisation ultrieure pour entraner un parseur

Linguistique franaise et ressources lectroniques

691

dpendanciel avait galement jou un rle dans ces considrations. Concernant les
principes dannotation et la longvit des ressources discuts dans le paragraphe 2.2,
le projet SRCMF a essay dadopter la voie dune ouverture et dune accessibilit
maximale : en dehors dune documentation explicite des principes dannotation
(donc de la partie linguistique du projet), lannotation syntaxique est encode en un
format ouvert et bien dfini (RDF/XML), le processus dannotation se fait moyennant
le logiciel NotaBene (Mazziotta 2010a ; 2010b), qui est gratuitement disponible et qui
assure lexport en deux autres formats : TigerXML, qui permet dexploiter le corpus
avec loutil TigerSearch (galement gratuit) et CoNLL, qui permet dentraner des
parseurs dpendanciels (cf. paragraphe 2.3.3). Cette dmarche est cense faciliter
lagrandissement du corpus, et elle est actuellement applique la collection des Plus
anciens documents linguistiques de la France (DocLing, cf. Glegen 2003) qui recevront
une annotation syntaxique suivant le mme modle.

2.3.5 Les mta-outils : plateformes et portails

La standardisation des formats des ressources textuelles a sans doute attnu les
problmes crs par la digitalisation des ressources linguistiques. Mais la grande
majorit de la gnration actuelle na pas bnfici dune formation informatique, et
mme aujourdhui la formation de la nouvelle gnration de linguistes ne transmet
que trs exceptionnellement ces connaissances. Par consquent, la manipulation
dun fichier texte en dehors dun systme de traitement de texte (qui naurait de toute
faon pas les capacits ncessaires) ou la cration dun fichier XML dans un diteur
XML sont des tches qui ne relvent pas de la comptence des linguistes thoriques,
non spcialiss dans les corpus ou le TAL. Or, lutilisation des ressources digitalises
est tellement devenue monnaie courante que le besoin de fonder ses recherches sur
des donnes empiriques mme dans les domaines plus thoriques devient de plus en
plus pressant. Deux tendances rcentes peuvent tre considres comme rponses
cette situation.
La premire solution consiste envelopper les outils individuels et peu
conviviaux dans un environnement facilitant leur gestion, une sorte de plateforme
informatique. La plateforme TXM (Heiden/Magu/Pincemin 2010) a t dveloppe
dans le projet ANR Textomtrie dans le but de runir en un seul environnement les
techniques pour la gestion de grands corpus et pour faciliter les analyses statistiques
des donnes textuelles. Elle a t cre dans lesprit de lopen source : non seulement
elle est disponible librement et gratuitement, mais elle est conue pour lintgration
dautres outils linguistiques qui sont distribus dans cet esprit (pour plus dinformation et le lien daccs au portail TXM pour le web cf. le site Textomtrie de lENS de
Lyon). Les possibilits offertes par TXM ne seront dcrites que de faon sommaire ici,
mais pour les linguistes thoriques il est probablement de premire importance que le
logiciel contrairement dautres produits issus de la recherche en TAL soit trs

692

Achim Stein

bien document et que les dveloppeurs ainsi que les utilisateurs partagent leurs
expriences. TXM offre un mode demploi en ligne ou tlchargeable, des vidos, un
wiki et une liste de diffusion. Une fois install, le programme permet non seulement
dimporter des textes et deffectuer des recherches, mais aussi si les utilisateurs le
dsirent de les annoter en intgrant dautres outils, de visualiser les rsultats des
requtes ainsi que de les soumettre des analyses statistiques. Lutilisation minimale,
la recherche dans les corpus, est la porte de tous les utilisateurs. La possibilit de
grer des outils dannotation permet de crer une ressource enrichie lintrieur de la
plateforme, sans tre oblig de lancer manuellement les programmes, cest--dire
sans utiliser la ligne de commande. Ainsi, il est facile dajouter des tiquettes morphologiques ou des lemmes son corpus (cf. tiquetage morphologique, paragraphe
2.3.2), et ce processus est bien document. Par rapport dautres logiciels issus de la
recherche, TXM prsente par ailleurs lavantage dtre conu par une quipe franaise
qui accorde une certaine prfrence lexplication du traitement des ressources
franaises (dans la documentation, p. ex.). Mme si tous les utilisateurs ne sintressent pas lexploitation statistique des rsultats, qui est videmment lobjectif principal dun outil textomtrique, lutilisation dune telle plateforme TXM est un progrs
norme du point de vue des linguistes, car elle facilite grandement la manipulation
des corpus et des outils de corpus qui ntaient accessibles qu la minorit des
chercheurs qui acceptaient de consacrer une partie considrable de leur temps se
former dans ce domaine spcialis. Toujours est-il quil reste des inconvnients :
linstallation (bien quautomatise) du logiciel, sa configuration, la lecture dau moins
une partie de la documentation, sans oublier la gestion des donnes sur son ordinateur.
La deuxime solution est galement une sorte de plateforme, mais elle va plus
loin dans la mesure o elle remplace lutilisation locale des logiciels par des services
en ligne. Cette dmarche est dj bien tablie dans dautres domaines (logiciels
bureautiques, stockage des donnes etc.), et lUnion Europenne a lanc linitiative
CLARIN (Common Language Resources and Technology Infrastructure) pour ltablir
dans le domaine de la linguistique. Ceci nest pas le seul objectif de CLARIN : les
chercheurs en linguistique bnficieront aussi du virtual language observatory, rpertoriant les ressources disponibles pour diffrentes langues (9.542 ressources en franais, chiffre relev le 9.2.2014). Un des rsultats est la plateforme virtuelle Weblicht
(Web-based Linguistic Chaining Tool). Sa conception ressemble celui de TXM : en
peu de mots, Weblicht est destin faciliter le travail des linguistes en proposant
lutilisation en ligne dun grand nombre doutils pour diffrentes langues. Dans la
perspective des utilisateurs, la plateforme se prsente ainsi : le premier pas est le
tlchargement du texte. Weblicht analysera alors le texte et proposera tous les outils
qui correspondent son profil. Le rsultat dpendra entre autres de la langue, mais
aussi du format et des informations dj prsentes dans la ressource. Pour un texte
brut (non annot), le premier outil sera un tokeniseur capable de dcouper le texte
en entits analysables (en mots, p. ex.). Si cet outil est accept, Weblicht proposera

Linguistique franaise et ressources lectroniques

693

dautres outils danalyse pour le niveau lexical, p. ex. des tiqueteurs ou des lemmatiseurs. Parfois, il sera possible (ou ncessaire) de choisir entre plusieurs outils qui sont
disponibles pour excuter une mme tche. Au niveau suivant, aprs ltiquetage
morphologique, Weblicht pourra proposer un parseur dpendanciel pour ajouter une
structure syntaxique, et ainsi de suite. Les couches de traitement qui pourraient
suivre, sont la smantique (dsambigusation de mots, rsolution des anaphores), la
reconnaissance des mots propres, lalignement des mots ou des phrases dans des
corpus parallles (traductions), etc., suivant la disponibilit des outils, qui, videmment, varie selon la langue de la ressource. De cette manire, et guids par une
interface graphique conviviale (et par leurs besoins), les utilisateurs crent une chane
de traitement pour leur texte, compose dun ou de plusieurs de ces outils, et finissent
par lancer le traitement en cliquant sur un seul bouton. Le processus technique du
traitement sera alors distribu sur les serveurs fournis par le rseau des partenaires
CLARIN, et ceci prsente un autre avantage : il est ainsi possible de bnficier dun
outil mme sil est trop puissant ou trop coteux pour tourner sur un ordinateur de
bureau, puisquaucune installation nest ncessaire. Et parfois mme les experts en
TAL peuvent tre surpris par lexistence doutils qui nont t mis disposition que
rcemment. Bref, les plateformes en ligne sont proches dune solution de rve au
problme qui nous intressait : lcart entre la comptence et le besoin des linguistes
dans le domaine spcialis du TAL. Pourtant, au moins dans ltat de dveloppement
actuel de Weblicht, et considre du point de vue technique, mais parfois aussi de
celui du droit propritaire, cette mthode prsente linconvnient dimpliquer le
transfert des donnes un site virtuel pour les faire traiter. Et aprs le traitement il se
posera toujours la question de son utilisation ultrieure : les requtes et linterprtation de leurs rsultats devront se faire en local. Mais on peut supposer que les outils
dexploitation feront bientt partie de ces services, et il est vrai que les deux projets
prsents ici, Textomtrie et Weblicht se rapprochent dans la mesure o TXM permet
dtre install sur un serveur et pourrait donc proposer ces services dexploitation en
ligne (cf. la version de dmonstration sur le site du projet).

3 Conclusion
Somme toute faite, ltat de lart concernant les ressources et les outils permettant leur
exploitation pour la recherche linguistique a considrablement avanc pendant ces
dernires annes. Cette contribution a prsent un choix de ressources qui intressent
surtout la linguistique franaise, elle a retenu deux tendances gnrales comme tant
particulirement importantes : le dveloppement des mta-outils , qui facilitent la
gestion des donnes et lutilisation de certains logiciels TAL spcialiss, et la mise en
place des services en ligne qui permettent aux chercheurs de produire une ressource
annote indpendamment de toute installation locale. Ces dveloppements rcents
pourraient agrandir la porte des outils et des ressources lectroniques et ainsi

694

Achim Stein

contribuer combler le foss qui sest form entre la linguistique traditionnelle et la


linguistique computationnelle.

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(09.02.2014).

Michael Schreiber

29 Traduction
Abstract : Dans cet article, le phnomne de la traduction en langue franaise sera
trait sous trois perspectives (cf. Schreiber 2006) : 1. Histoire de la traduction, 2. La
traductologie moderne, 3. Traduction et linguistique. Tous les chapitres commenceront par une information bibliographique sommaire. Le premier chapitre montrera,
entre autres, quelles taient les langues sources les plus importantes pour la traduction en langue franaise, du Moyen ge nos jours, et quelles taient les mthodes de
traduction prdominant une certaine poque. Le deuxime chapitre prsentera
quelques thories et auteurs importants de la traductologie moderne en langue
franaise. Le troisime chapitre discutera un choix de problmes linguistiques de la
traduction et de linterprtation, rencontrs dans plusieurs domaines : de la phontique la rhtorique.

Keywords : traduction, traductologie, histoire de la traduction, traduction et linguistique, interprtation


1 Histoire de la traduction
Lhistoire de la traduction en France est relativement bien connue, grce un nombre
important de publications sur ce sujet. Plusieurs dentre elles traitent principalement
de la traduction littraire, notamment des grands traducteurs (Cary 1963). Les
publications plus rcentes proposent un panorama plus vaste. P. ex., Nies (2009) a
rassembl les dates sociologiques de nombreux traducteurs franais, pour la plupart
peu connus. La srie Histoire des traductions en langue franaise (Chevrel/Masson
2012ss.) ouvre le champ dans deux directions : gographiquement, vers la francophonie, et textuellement, vers la traduction non-littraire. Le premier volume consacr au
XIXe sicle (Chevrel/Dhulst/Lombez 2012) comporte entre autres les articles Sciences et technique , Philosophes et Textes juridiques .
Malgr ces publications importantes, laspect linguistique de lhistoire de la
traduction na pas t tudi de faon systmatique. Cest pourquoi les sous-chapitres
suivants se proposent de le mettre en exergue. Bien entendu, ce panorama ne saurait
tre exhaustif.

1.1 Moyen ge
Lhistoire de la traduction au Moyen ge en France, comme dans dautres parties
dEurope, est domine par les traductions verticales du latin vers la langue vulgaire
(cf. Folena 1991, 13). Selon Albrecht (1995), les nombreuses traductions du latin vers

697

Traduction

les langues romanes ont jou un rle important pour la relatinisation de celles-ci. Il
cite, dans ce contexte, le traducteur Nicole Oresme qui a travaill pour le roi Charles V
(le Sage), au XIVe sicle. Dans ses traductions, indirectes (grec > latin > franais) pour
la plupart, il introduit souvent un mot savant en y ajoutant un mot populaire ou une
paraphrase correspondante : agent et faiseur, puissance auditive ou puissance de
or, velocit et hastivet (Albrecht 1995, 21). Ce procd explicatif se retrouve dans
beaucoup de traductions de lpoque. Pckl, qui a tudi les contextes historique et
sociologique de cette cole de traduction , met laccent sur la ncessit communicative des traductions du latin vers la langue vulgaire la cour de Charles le Sage :

[] pour ce que les livres morals de Aristote furent faiz en grec, et nous les avons en latin moult
fort a entendre, le Roy a voulu, pour le bien commun, faire les translater en franois, fin que il et
ses conseilliers et autres les puissent mieulx entendre (Nicole Oresme, daprs Pckl 2006, 181).

Si la traduction est une pratique culturelle importante pendant le Moyen ge, il nen
existe pas encore, en franais, un concept bien dfini, exprim par un seul terme
technique. En effet, les traducteurs utilisent des mots et priphrases divers pour
dcrire leur activit :

Les plus frquemment utilises sont translater en franois, translation et translateur, dautres
formules surviennent plus rarement : convertir en franois [], mettre en latin [], transferer du dit
langaige latin en langue franoise [] (Brier 1988, 239).

1.2 Renaissance
Pendant la Renaissance, la langue latine perd de sa prdominance en tant que langue
source. Sous linfluence de lhumanisme, on traduit de plus en plus de textes grecs
daprs la langue originale. Lhumaniste Jacques Amyot, qui passe pour un prcurseur des belles infidles du XVIIe sicle (cf. Mounin 1955, 135), est connu pour sa
traduction lgante des Vies parallles de Plutarque (15591565).
Parmi les langues vulgaires, litalien devient la langue source la plus importante :

Jamais on ne traduisit plus de textes italiens que durant les dernires dcennies du XVIe sicle.
Entre 1570 et 1600, les libraires franais en publirent plus de quatre cents titres, dont la moiti
taient entirement nouveaux (Balsamo 1998, 90).

Les traductions de litalien ont une influence importante sur la langue et la littrature
franaises. Avec Marot, p. ex., le sonnet en tant que genre et en tant que terme
technique trouve sa place en France.
En outre, le XVIe sicle connat le premier thoricien de la traduction en France :
le traducteur et imprimeur tienne Dolet. En 1540, il publie un essai intitul La
manire de bien traduire dune langue en aultre qui comporte cinq rgles de traduction.
Cary souligne limportance linguistique de la quatrime rgle :

698

Michael Schreiber

Il [Dolet] met en regard les langues jeunes de son poque, dites vulgaires, et les grandes langues
de lantiquit classique, pour conseiller de ne pas se laisser envoter par la richesse, la finesse, la
varit de la langue de loriginal et de suivre le commun langage (Cary 1963, 12).

Cette formulation rappelle les principes de Luther pour la traduction de la Bible.


Certes, le XVIe sicle connat plusieurs traductions franaises de la Bible, mais aucune
delles naura une influence profonde sur la langue franaise :

Il ny a pas eu lquivalent de la Bible de Luther (1534) ou de la version du Roi Jacques (1611),


mme si la Bible dOlivtan souvent revue constitue lpine dorsale des traductions rformes.
Mais Olivtan na pas marqu le franais comme Luther lallemand (Bogaert 1991, 249).

1.3 XVIIe et XVIIIe sicles

Pendant le XVIIe sicle, la fonction principale des traductions change. Du Moyen ge


la Renaissance, les traductions ont enrichi la langue et la littrature franaises. Au
XVIIe sicle, tant donn les efforts entrepris pour normaliser la langue franaise et
donner des normes aux diffrents genres littraires, la traduction littraire devient un
moyen de formation du got classique (Zuber 1968), cest--dire quelle confirme
la norme plutt que dintroduire de nouvelles expressions ou formes littraires. Le but
principal des traductions de lpoque, appeles belles infidles , est de plaire au
lecteur :

Cest le nombrilisme de la socit de Louis XIV et sa volont dtre le phare de lEurope qui ont
donn la priorit au lecteur franais du XVIIe sicle, et non plus lauteur classique (Balliu
2002, 36).

Or, il y a aussi des voix critiques : Pierre Daniel Huet, dans son importante monographie en deux volumes, intitule De interpretatione (1661), plaide pour une traduction littrale, imitant le plus fidlement possible les structures de la langue source (cf.
Albrecht 1998, 69), et Madame Dacier dfend la position des anciens contre les
modernes dans la querelle sur la traduction dHomre (cf. Cary 1963, 51).
Le XVIIIe sicle connat un changement important quant aux langues sources des
traductions. Avec plus de 1000 traductions, la langue anglaise devient, de loin, la
langue source la plus importante. Selon Nies (2009, 61), l anglomanie de lpoque
est surtout un phnomne de traduction.
Quant la mthode de traduction, le modle des belles infidles est suivi par
de nombreux traducteurs, p. ex. dans les traductions des pices de Shakespeare.
Dans une traduction de De la Place, la pierre se transforme en marbre, et sweet
Hamlet devient un noble Prince (Stackelberg 1971, 589). Voltaire dfend les
traductions naturalisantes des drames de Shakespeare en ces termes : Shakespeare
tait un grand gnie, mais il vivait dans un sicle grossier ; et lon retrouve dans ses
pices la grossiret de ce temps, beaucoup plus que le gnie de lauteur (Mnz

699

Traduction

berg 2003, 265). Et les encyclopdistes soulignent lesprit crateur dun bon
traducteur :

[] lencyclopdiste [dAlembert] labore un classement entre les crivains et les traducteurs. Il


situe en premier lcrivain crateur, ensuite le bon traducteur, et la dernire position est rserve
lcrivain sans gnie (Groult 2001, 220).

tant donne la prdominance de la langue et la culture franaises au XVIIIe sicle en


Europe, cette poque connat de nombreuses traductions indirectes. Stackelberg
(1984, 186ss.) cite, entre autres, la traduction italienne (de Loschi) des Night Thoughts
de Young base sur la traduction franaise (de Le Tourneur) ; deux versions qui sont
des belles infidles typiques. Ainsi her song devient dabord sa douce chanson , puis la sua dolcissima canzonetta .
Cependant, le sicle des Lumires est aussi marqu par dimportantes traductions
de textes philosophiques et scientifiques, notamment de langlais. Le huguenot Pierre
Coste, p. ex., traduit plusieurs textes de Locke et le Trait dOptique de Newton (cf.
Rumbold 1991, 49ss.).

1.4 Rvolution franaise et XIXe sicle

La Rvolution franaise, connue aujourdhui pour sa politique linguistique en faveur


dune langue nationale unique, est une importante tape pour lhistoire de la traduction des textes politiques, juridiques et administratives, car elle instaure une vritable
politique des traductions. Brunot cite un dcret du 14 janvier 1790 prvoyant de
traduire les lois et dcrets de lAssemble nationale dans tous les idiomes quon
parle dans les diffrentes parties de la France (Brunot 1967, 25). Cette premire phase
de la politique des traductions est donc focalise sur les langues rgionales, notamment lallemand (en Alsace), le breton, le flamand, litalien et loccitan (cf. SchliebenLange 1996, 64ss.). Une deuxime phase, moins connue, concerne diverses langues
europennes, en incluant des langues de pays ennemis de la France. Aux Archives
nationales on peut trouver des traductions de dcrets et de discours en allemand,
anglais, espagnol, italien, nerlandais, polonais, russe et sudois, faites par le bureau
des traductions de la Convention nationale des fins de propagande, sous les
auspices du Comit de salut public (cf. Schreiber 2015). Un troisime volet de la
politique des traductions, galement peu tudi, porte sur les rgions occupes par la
France ou sous linfluence de la Grande Nation, et se poursuit durant lpoque
Napolonienne : Au ministre de la Justice, au bureau de lenvoi des lois, se font des
traductions du Bulletin des lois en allemand, italien et flamand. A partir de 1810, on
publie mme sparment un Bulletin hollandais , ct du Bulletin flamand
pour la Belgique (cf. Dhulst 2015).
Pendant le XIXe sicle, langlais reste la langue source la plus importante pour les
traductions en franais, suivie de lallemand (cf. Wilfert-Portal 2012, 270). Les romans

700

Michael Schreiber

de Walter Scott, p. ex., sont trs populaires en France, mais les traducteurs littraires
de lpoque sont assez mal lotis (Pickford 2012, 173). Sous linfluence du romantisme allemand, les mthodes de traduction changent. Selon Stackelberg (1971, 585),
la priode des belles infidles sachve dans les annes 1830 pour faire place des
traductions plus littrales. Chateaubriand traduit Poe, en suivant de prs la syntaxe
de la phrase anglaise.
lchelle de lenseignement, la pratique de la traduction des langues classiques
vers le franais, savoir la version latine et la version grecque , sert former le
style des lves, tandis que la traduction scolaire joue un moindre rle dans dautres
pays (cf. Chervel 2008, 568ss.).
Dans plusieurs pays bilingues ou multilingues, des textes politiques et juridiques
sont traduits en franais. En Suisse, pays officiellement trilingue partir de 1848, les
lois sont traduites de lallemand vers le franais et litalien. Au Canada, partir de
1875, le parlement publie les dbats des deux chambres dans les deux langues
officielles, cest--dire langlais et le franais (cf. Dullion 2012, 1085ss.).

1.5 XXe et XXIe sicles

Pendant le XXe sicle et le dbut du XXIe sicle, la prdominance de langlais comme


langue source des traductions en France va en grandissant. Lallemand vient en
deuxime position, devant litalien, lespagnol et le russe (cf. Sapiro 2008, 81).
Linguistiquement, beaucoup de traductions franaises se conforment aux normes
stylistiques du bon usage, comme celles de la prcision, de la concision, de lharmonie et de lobjectivit (cf. Grnbeck 1976, 3).
lchelle internationale, la mondialisation semble plutt favoriser la traduction
que de la rendre superflue :

[] le dveloppement spectaculaire de la traduction tant crite quorale lpoque contemporaine est dans une trs large mesure d lapparition des organismes internationaux (premire
mondialisation) ainsi quaux progrs techniques (deuxime mondialisation) (Oustinoff 2003,
111s.).

Les professions dans le domaine de la traduction et de linterprtation se spcialisent


de plus en plus. Le Guide des mtiers de la traduction-localisation et de la communication multilingue et multimdia de Gouadec (2009) contient des informations sur les
mtiers dinterprte de confrence, de liaison, dinterprte en langue des signes, de
lexicographe, terminologue, traducteur technique, traducteur littraire, traducteur
audiovisuel, localisateur de logiciels, localisateur de sites Web, localisateur de jeux
vido, rdacteur technique, de rviseur ou chef de projet.
Dans le domaine lgislatif, quelques pays bi- ou multilingues essaient de substituer la cordaction la traduction. P. ex., le Canada o

701

Traduction

Traditionnellement, les lois taient rdiges en anglais et ensuite traduites en franais. En 1978,
le ministre de la Justice du Canada met en uvre un mode de cordaction : deux rdacteurs, un
juriste anglophone et un juriste francophone, rdigent le texte de loi sparment et une quipe de
jurilinguistes les conseille pour assurer une concordance entre les versions (Lavoie 2003, 129).

Le Canada est aussi le premier pays connatre un systme de traduction automatique


qui fournit des rsultats acceptables, quoique dans un domaine restreint :

Taum-Mto, mis en uvre ds 1965 lUniversit de Montral, commence traduire des


bulletins mtorologiques ds 1977. Ce systme a deux caractristiques qui en font un systme en
utilisation relle : il est fond sur un sous-langage correspondant au style tlgraphique utilis
par les rdacteurs des bulletins (ne comportant par exemple ni articles ni verbes tenss) ce qui
simplifie la traduction. Deuximement, cest le systme lui-mme qui dtermine sil est capable
ou non de traduire une phrase. Sinon il fait appel un traducteur humain (Lon 2006, 2775).

2 La traductologie moderne
La traductologie, en tant que discipline plus ou moins autonome qui tudie la traduction sous diverses perspectives, se dveloppe partir des annes 1950. Louvrage
dOustinoff (2003), destin au grand public, donne un premier aperu. Pour une
introduction plus complte, voir Guidre (22010). Les paragraphes qui suivent prsentent quelques chercheurs et coles importants de la traductologie francophone. Ils se
limitent un choix de publications caractristiques (cf. Schreiber 2008).

2.1 Deux pionniers


Ayant publi leurs premires monographies dans les annes 1950, le linguiste Georges
Mounin et linterprte de confrence Edmond Cary, dorigine russe, font figure de
pionniers de la traductologie francophone. Si leurs positions semblent tre incompatibles premire vue (pour Mounin, ltude de la traduction relve de la linguistique,
tandis que Cary sest prononc contre une telle approche), les deux chercheurs
partagent nanmoins un intrt commun pour les mthodes de traduction. Dans sa
monographie intitule Les belles infidles (1955), Mounin prsente une typologie des
mthodes de traduction, base sur deux expressions mtaphoriques : les verres
transparents (traductions naturalisantes , orientes vers la culture cible) et les
verres colors (traductions exotisantes , fidles aux structures formelles du
texte source). Certes, cette dichotomie nest pas nouvelle, mais Mounin va plus loin
que ces prdcesseurs en appliquant ces deux principes de traduction trois champs
diffrents : la langue, la culture et le temps, tout en donnant des exemples historiques
pour chaque mthode de traduction (cf. Mounin 1955, 109ss.). Pour Mounin, le choix
de la mthode de traduction dpend donc avant tout du contexte historique.

702

Michael Schreiber

Un an aprs Les belles infidles de Mounin, Cary publie La traduction dans le


monde moderne (1956) o il dresse un panorama des diffrents types de traduction et
dinterprtation : la traduction littraire, la traduction technique, la traduction automatique et linterprtation de confrence, etc. Pour Cary, la mthode de traduction
dpend de plusieurs critres :

[] il nexiste pas de traduction dans labstrait. Le traducteur travaille sur un texte donn, une
certaine poque, dans un certain pays, pour un certain public, en vue dune utilisation dtermine du texte (Cary 1956, 25).

Puisquil prend en compte la fonction de la traduction, Cary pourrait tre considr


comme un fonctionnaliste ante litteram (cf. la thorie du skopos dans la
traductologie allemande partir des annes 1970, rsume par Guidre 22010, 72ss.).

2.2 La stylistique compare


La stylistique compare est une approche situe entre la linguistique contrastive et la
traductologie. Elle poursuit deux objectifs : la comparaison du style propre deux
langues et ltude des problmes de traduction entre celles-ci. Les deux livres classiques de cette approche sont la Stylistique compare du franais et de langlais des deux
Canadiens Jean-Paul Vinay et Jean Darbelnet (1958), et la Stylistique compare du
franais et de lallemand dAlfred Malblanc (51968). Le volume ddi au franais et
litalien, de Pierre Scave et Pietro Intravaia (1979), aura moins de succs.
En traductologie, la stylistique compare est surtout associe la classification
des procds techniques de la traduction : une liste de sept procds, allant du
procd le plus littral (lemprunt) au procd le plus libre (ladaptation). Cette
classification a t maintes fois discute, critique et modifie (cf. Henschelmann
2004).
Lapproche bilatrale de la stylistique compare, focalise sur deux langues, a fait
lobjet de critique de quelques linguistes. Cest pour largir lhorizon linguistique que
le romaniste Mario Wandruszka (1969) a propos une comparaison multilatrale de
textes traduits dans plusieurs langues romanes et germaniques, appele Interlinguistik (cf. Pckl 2001).

2.3 La thorie du sens

La thorie du sens , appele aussi thorie interprtative , a t labore par


Danica Seleskovitch et Marianne Lederer, de lESIT (cole Suprieure dInterprtes et
de Traducteurs), lUniversit Paris 3 (Sorbonne Nouvelle) o la traductologie fait
lobjet dun cursus de doctorat depuis les annes 1970. La thorie du sens a t
conue par Seleskovitch dans le champ de linterprtation (orale) et applique plus

703

Traduction

tard la traduction (cf. Seleskovitch/Lederer 1984). Le principe en est assez simple :


Pour viter une traduction mot--mot ( transcodage ) qui prsuppose des rapports
univoques entre les structures des deux langues, le traducteur (ainsi que linterprte)
doit interprter ( dverbaliser ) le sens du texte source et le rexprimer ( reverbaliser ) de manire idiomatique dans la langue cible, sans gard pour les structures de
la langue source.
Cette thorie , qui est plutt une recette pdagogique base sur lexprience
professionnelle quune thorie au sens strict, a t critique par dautres chercheurs,
notamment par Daniel Gile (1995), qui a plaid pour une tude empirique de linterprtation.

2.4 Sourciers et ciblistes

Jean-Ren Ladmiral, de lISIT (Institut Suprieur dInterprtation et de Traduction,


rattach lInstitut catholique de Paris), est surtout connu dans la traductologie
franaise pour la distinction faite entre sourciers et ciblistes , cest--dire entre
les traducteurs qui donnent la priorit au texte source et ceux qui donnent la priorit
au texte cible (cf. Ladmiral 1986). Dans le dbat vif suscit par cette distinction,
Ladmiral dfend la position des ciblistes et critique les sourciers :

[] le littralisme, que prnent lesdits sourciers, nest en ralit trs souvent chez le traducteur
quune forme de rgression face une difficult insurmonte (Ladmiral 1999, 45).

La position des sourciers a t dfendue, entre autres, par Antoine Berman et Henri
Meschonnic. Lapproche de Berman est base sur une tude de la thorie de la
traduction pendant le romantisme allemand (Berman 1984). Pour B. Godard, ce livre
signale le dbut dun virage thique en traductologie :

On aurait pu inscrire la transformation des thories de la traduction sous le signe dun virage
thique qui aurait t inaugur en 1984 avec la publication de Lpreuve de ltranger, car
Antoine Berman a privilgi lui aussi les rapports interculturels avec lautre. [] Il articule la
vise thique du traduire en termes de reconnaissance de lAutre : lessence de la traduction est
dtre ouverture, dialogue, mtissage, dcentrement (Godard 2001, 55).

Henri Meschonnic sest occup surtout de la traduction de la Bible. Il a critiqu les


traductions franaises existantes :

Les traductions courantes de la Bible se sont toutes rsignes ne garder que les ides
(lesprit) et ont abandonn sa forme loriginal, comme intraduisible. Elles transforment un
langage potique en sous-littrature o subsiste seul le sens (Meschonnic 1973, 411).

Meschonnic donne la priorit loralit du texte biblique, notamment au rythme. Il a


publi des traductions de plusieurs livres de lAncien Testament.

704

Michael Schreiber

2.5 Philosophes et sociologues


Ces derniers temps, la traductologie a t influence par des reprsentants de disciplines voisines, comme la philosophie et la sociologie. Nous citerons le philosophe
Jacques Derrida et les sociologues Pierre Bourdieu et Bruno Latour.
Derrida a dconstruit plusieurs distinctions dichotomiques classiques propres
la thorie de la traduction, p. ex., la distinction entre traduisibilit et intraduisibilit qui est, pour lui, un faux problme : Or je ne crois pas que rien soit jamais
intraduisible ni dailleurs traduisible (Derrida 2004, 563). Pour une application de
plusieurs concepts de la philosophie de Derrida la thorie de la traduction, cf. Dizdar
(2006).
Les thories du sociologue Pierre Bourdieu, p. ex., la thorie du champ littraire,
ont t importantes pour la naissance dune sociologie de la traduction , qui largit
les perspectives des tudes traductologiques :

[] dune part il y a lieu dintgrer au modle de pense pratique les conditions conomiques et
sociales qui rendent possible la traduction []. Dautre part, il convient galement dintgrer au
modle les activits des agents [], savoir en tout premier lieu les traducteurs, mais galement
les auteurs du texte source (et leurs diteurs), lditeur du texte cible et les autres agents ddition
du texte cible (Gouanvic 2007, 80).

Une autre thorie sociologique qui a t rcemment applique la traduction, est la


thorie de lacteur-rseau ( actor-network-theory ) de Bruno Latour. la diffrence de lapproche bourdieusienne, elle met laccent sur le processus de traduction
et inclut des acteurs non-humains (cf. Folaron/Buzelin 2007).

2.6 Thoriciens et praticiens


Avant de conclure ce chapitre, notons que la traductologie moderne souffre parfois
dun cart considrable entre thorie(s) et pratique(s). Lenseignant et praticien Daniel
Gouadec critique la multitude de thories et le statut peu claire de la discipline, dans
un article intitul Trop de traductologies tuent la traductologie (Gouadec 2006). Dans
plusieurs manuels, Gouadec dcrit les pratiques professionnelles dans le domaine de
la traduction, tout en renonant un cadre thorique explicite (cf., p. ex., Gouadec
2009).
Rares sont ceux qui publient sur des aspects thoriques et pratiques. On citera,
p. ex., Michel Ballard qui a publi, entre autres, une monographie sur lhistoire des
thories de la traduction (Ballard 21995) et un manuel pratique (avec exercices)
destin la traduction de langlais au franais (Ballard 22005).
Une tentative rcente de concilier thorie, pratique et enseignement est le livre La
traduction. La comprendre, lapprendre de Daniel Gile (2005), comme on peut le
reconnatre lintitul des chapitres : Les langues de travail du traducteur profes

Traduction

705

sionnel , lments pratiques pour la didactique de la traduction , lments de


traductologie , etc.

3 Traduction et linguistique
Les problmes linguistiques de la traduction dpendent largement de la paire de
langues concerne. Un certain nombre de manuels sont consacrs lintroduction
la traduction de diverses langues en franais ou vice versa. Citons, titre dexemple,
Ballard (22005, anglais-franais) et Hervey/Higgins (1992, franais-anglais), Truffaut
(1983, allemand-franais) et Henschelmann (1999, franais-allemand), ainsi que Podeur (2002, franais-italien et italien-franais). Pour une approche plus vaste, voir la
monographie dAlbrecht (2005), qui contient des exemples en plusieurs langues,
notamment romanes et germaniques.
Pour des raisons videntes, les paragraphes suivants ne pourront que traiter un
choix trs slectif de problmes linguistiques de traduction. Par ce choix, nous
essayerons de dmontrer des affinits entre quelques disciplines linguistiques et
certains types de traduction ou dinterprtation.

3.1 Phontique : le doublage

Il est vident que le doublage de films ou de sries tlvises prsente des problmes
dordre phontique. On peut, selon Herbst (1994), distinguer plusieurs types de
synchronisme, notamment un synchronisme quantitatif, qui relve de la dure de
lnonc, et un synchronisme qualitatif qui concerne louverture de la bouche et le
mouvement des lvres. Or, ce ne sont pas tous les sons qui posent problme. Parmi les
sons les plus problmatiques, on peut citer les consonnes bilabiales et labiodentales.
En guise dillustration, voici une citation tire du film Some like it hot et de sa version
franaise double (Certains laiment chaud) :

Daphne, your boyfriends waving at you ! .


Daphn, ton petit ami te fait signe ! (Le Nouvel 2007, 49; mes italiques, MS).

Ici, ladaptateur-dialoguiste franais a introduit ladjectif petit pour permettre la


prononciation synchrone des labiales [b] et [p]. Un autre effet de synchronisme se
prsente dans la prononciation des labiodentales [v] (dans waving ) et [f] (dans
fait ) tandis que la version franaise ne prsente pas dquivalents appropris pour
la bilabiale [w] et la labiodentale [f] (dans boyfriend ).
Toutefois, la ncessit dun synchronisme qualitatif se relativise dans certaines
situations, p. ex., si la bouche de lacteur nest pas clairement visible (cf. Reinart
2004, 94).

706

Michael Schreiber

3.2 Typographie : la traduction littraire

Dans la traduction littraire, des moyens typographiques, comme la ponctuation et


lemploi des alinas, peuvent jouer un rle non ngligeable, notamment propos des
signes qui marquent le discours direct (cf. Schreiber 2012). Si on suit les normes de
ponctuation, un texte narratif allemand prsente une frontire plus nette entre rcit et
discours quun texte franais. Ceci est surtout valable pour le traitement des incises.
Voici, en guise dillustration, un passage extrait de Balzac et sa traduction en allemand :

Votre cousin ne se ressemble plus lui-mme, dit le Portugais en riant la vicomtesse quand
Eugne les eut quitts. Il va faire sauter la banque .
Ihr Vetter ist ja ganz verwandelt , sagte der Portugiese lachend zur Grfin, nachdem Eugen sie
verlassen hatte. Er wird die Bank sprengen (Schreiber 2012, 250).

Ici, le texte source contient une incise largie. La distance entre la premire et la
deuxime partie du discours direct est plus grande que dans le cas dune incise
minimale du type dit-il . Par consquent, le lecteur doit faire un certain effort pour
interprter la phrase Il va faire sauter la banque comme faisant partie du discours
direct. Dans la traduction, les choses sont beaucoup plus claires : Lemploi strict des
guillemets exclut lincise du discours direct et y inclut la dernire phrase. Ce procd
est conforme aux rgles orthographiques de lallemand, et, par consquent, le cas
normal dans les traductions allemandes.
Or, tous les crivains ne suivent pas les rgles prescriptives de lorthographe.
Dans lexemple suivant, tir du roman Berlin Alexanderplatz, Alfred Dblin prsente
un collage du rcit et de plusieurs citations et allusions (conte de fe, chansons, etc.).
Comme il nemploie ni alina ni guillemets, il y a une fusion complte de tous ces
composants, typique pour ce roman. La traduction franaise, elle, prsente une image
totalement diffrente :

Das schwammige Weib lachte aus vollem Hals. Sie knpfte sich oben die Bluse auf. Es waren
zwei Knigskinder, die hatten einander so lieb. Wenn der Hund mit der Wurst bern Rinnstein
springt. Sie griff ihn, drckte ihn an sich. Putt, putt, putt, mein Hhnchen, putt, putt, putt, mein
Hahn.

La grosse fille rit gorge dploye. Elle dboutonna le haut de son corsage.
Il y avait une fois un prince et une princesse qui saimaient tendrement.
Quand le cleb,
Dans la plbe,
Fait un saut,
Un peu haut,
Il tient entre ses dents
Un saucisson apptissant

707

Traduction

Elle le prit dans ses bras.


Chouette, chouette, chouette,
Ma poulette
Toc, toc, toc,
Mon petit coq .
(Schreiber 2012, 249s.)

Avec laide de deux signes typographiques, les italiques et lalina, le mlange de


loriginal a t remplac par un arrangement nettement divis. On pourrait dire que le
style individuel de Dblin a t victime dun cartsianisme excessif de la traductrice
franaise.
Pour dautres problmes relatifs la traduction des textes narratifs, souvent sousestims, cf. Zuschlag (2002) et Roux-Faucard (2008).

3.3 Terminologie : la traduction spcialise

Daucuns pensent que la traduction spcialise ne devrait pas poser de problmes


majeurs, les termes techniques tant tous standardiss selon des critres extralinguistiques et, par consquent, facilement interchangeables dune langue en autre. Or, rien
nest moins vrai, car les langues de spcialit sont imprgnes de spcificits culturelles (cf. Albrecht 1992 ; Reinart 2005 et 2009). Cela est mme valable pour certains
termes des sciences exactes , comme la physique ou la chimie. Reinart cite le cas
des ponymes, savoir des termes techniques qui contiennent des noms propres,
souvent le nom dun scientifique de la culture source :

Ainsi, le principe de Carnot [note en bas de page : Daprs le physicien franais Sadi Carnot
(17971832)] est plus connu en allemand en tant que zweiter Hauptsatz der Thermodynamik
bien que la dsignation Carnotscher Kreisprozess existe aussi. [] De mme, le Blaugas qui
ne dsigne point, comme on pourrait le croire, un *gaz bleu , mais un gaz incolore dvelopp
par Blau et Riedinger [] sappelle gaz cyanogne en franais, etc. (Reinart 2005, 13).

Dans le cas de principe de Carnot, le traducteur allemand a donc le choix entre deux
synonymes (lponyme tant moins usit quen franais), tandis que le Blaugas est un
faux ami du traducteur franais.
Les divergences culturelles sont encore plus importantes dans le domaine du
langage conomique :

Ainsi, un comit dentreprise franais na pas les mmes comptences quun Betriebsrat allemand, le revenu minimum dinsertion ne correspond ni tout fait au Arbeitslosengeld ni Hartz
IV, une socit anonyme franaise peut avoir une structure et des organes diffrents de ceux
dune Aktiengesellschaft allemande, etc. Comme les termes rpondent aux besoins habituels
dexpression des usagers, les traducteurs se trouvent l aussi en face dquivalents partiels voire
de lacunes linguistiques quils doivent selon les contextes combler par diffrents procds de
traduction (Reinart 2005, 16).

708

Michael Schreiber

Au lieu dutiliser un quivalent partiel qui pourrait crer un malentendu, le traducteur


aura souvent recours un emprunt, un calque ou une priphrase explicative. Le choix
du procd de traduction appropri dpend du contexte. Schneiders (2007) discute
cette problmatique propos dun problme notoire du langage juridique : les noms
des tribunaux. Selon Schneiders (2007, 233), dans le cadre dune traduction littraire,
il serait tout fait lgitime de traduire Tribunal dInstance par lquivalent partiel
Amtsgericht, qui donnerait au lecteur allemand une ide approximative de linstitution dsigne. Pour la traduction juridique, en revanche, Schneiders propose de
traduire Tribunal dInstance par le calque analytique Erstinstanzgericht, qui signalerait au lecteur averti quelle catgorie de tribunal il a affaire, sans voquer le systme
juridique allemand.

3.4 Syntaxe : linterprtation simultane

Dans linterprtation simultane, les diffrences syntaxiques entre la langue source et


la langue cible peuvent causer des problmes importants. La place du verbe en
allemand, notamment dans les subordonnes et les constructions prdicat bipartite
( Satzklammer ), est un problme rcurrent. Afin dviter un dcalage trop grand
entre lnonc source et linterprtation, linterprte doit parfois anticiper le verbe
allemand. Cela est normalement possible dans le cas des formules conventionnelles
(salutations, remerciements, etc.). Feldweg cite, ce propos, le discours douverture
dune confrence internationale, qui commence en ces termes :

Meine Damen und Herren, zu Beginn unserer Tagung mchte ich den Herrn Oberbrgermeister
dieser schnen Stadt, in welcher wir heute und morgen zu Gast sein drfen, und in welcher wir
vor 17 Jahren schon einmal zusammenkamen, der auch freundlicherweise die Schirmherrschaft
ber unseren Kongress bernommen hat (Feldweg 1996, 48 ; mes italiques, MS).

Ce passage contient, jusquici, un verbe modal flchi ( mchte ), en tant que


premire partie du prdicat, mais on attend la seconde partie du prdicat, un infinitif.
Le discours a t interprt simultanment en anglais, franais et italien, trois langues
qui ne connaissent pas de Satzklammer . Les trois interprtes ont alors anticip
linfinitif le plus vraisemblable, danken (remercier). Or, lorateur a poursuivi en
disant bei Ihnen entschuldigen (excuser), obligeant les interprtes corriger ce
quils venaient de dire (Feldweg 1996, 49). En franais, on utilise dans une telle
situation un marqueur de reformulation comme cest--dire, mme si on ne reformule
la phrase, mais on la corrige.
Pour dautres problmes linguistiques de linterprtation simultane, cf. Niemann
(2012, allemand, anglais et franais) et Russo (2012, espagnol et italien).

709

Traduction

3.5 Linguistique des varits : le sous-titrage

Le sous-titrage est un type de la traduction audiovisuelle qui concerne, par dfinition,


la linguistique des varits, car il consiste transformer un nonc oral en un nonc
crit. Cette transformation implique la ncessit dabrger le texte, car la lecture des
sous-titres contenant une traduction complte dpasserait les capacits perceptives
des spectateurs. Heureusement, la redondance de la langue parle permet de rduire
les pertes smantiques dans le sous-titrage :

On peut par exemple remarquer quil y a normalement plus de redondance loral, plus
dhsitation, de rptitions, de marqueurs dinteraction, ainsi quun registre moins soutenu. En
mme temps, il ne faut pas oublier que, lors du transfert, les sous-titres crits ne seront pas lus
isolment, mais seront perus en tant que composante du texte multimodal que constitue le
programme audiovisuel (erban 2008, 92).

Pour illustrer le passage de la langue parle la langue crite, erban cite ce passage
extrait du film amricain Twelve Angry Men et de sa version franaise sous-titre
( Douze hommes en colre ) :

Look, maybe Maybe this is an idea. Now, I havent given it much thought, but it seems to me that
its up to us to convince this gentleman that hes wrong and were right. Now, maybe if we each
took a couple of minutes just to Well, it was just a quick idea. []
Jai une ide. Il me semble / que cest nous de convaincre monsieur / quil a tort et que nous
avons raison. / Chacun de nous pourrait / Enfin, je dis a comme a. / []
(erban 2008, 96).

Dans ce passage, le sous-titreur a limin plusieurs marqueurs dhsitation (en


italiques dans le texte), tout en gardant quelques mots et expressions qui voquent un
registre parl, p. ex., dans la dernire phrase ( Enfin, je dis a comme a. ).
Pour dautres problmes spcifiques du sous-titrage cf. Reinart (2004, 80ss.).

3.6 Rhtorique : la traduction des discours politiques

Il nest pas surprenant que la traduction des discours politiques pose des problmes
de nature rhtorique. En guise dexemple, nous analyserons une figure rhtorique qui
est typique pour les discours de Nicolas Sarkozy, lancien prsident de la Rpublique
franaise. Il sagit de lanaphore (dans le sens rhtorique), cest--dire, la rptition
des mots ou syntagmes en dbut de phrase. Cette figure est quasi omniprsente dans
les discours de Sarkozy et leur donne souvent un caractre pathtique. Voil un
passage dun discours quil a prononc le 16 mai 2007, aprs son entre en fonction
en tant que prsident de la Rpublique, et la traduction allemande officielle :

Je pense tous les Prsidents de la V Rpublique qui mont prcd.


Je pense au Gnral de Gaulle qui sauva deux fois la Rpublique, qui rendit la France sa
souverainet et ltat sa dignit et son autorit.

710

Michael Schreiber

Je pense Georges Pompidou et Valry Giscard dEstaing qui, chacun leur manire, firent tant
pour que la France entrt de plain-pied dans la modernit.
Je pense Franois Mitterrand, qui sut prserver les institutions et incarner lalternance
politique un moment o elle devenait ncessaire pour que la Rpublique soit tous les
Franais.
Je pense Jacques Chirac, qui pendant douze ans a uvr pour la paix et fait rayonner dans le
monde les valeurs universelles de la France .

Ich denke an alle Prsidenten der V. Republik, die mir vorausgegangen sind.
Ich denke an General De Gaulle, der die Republik zweimal gerettet hat, der Frankreich seine
Souvernitt und dem Staat seine Wrde und Autoritt zurckgegeben hat.
Ich denke an Georges Pompidou und Valry Giscard dEstaing, die jeder auf seine Weise
dafr gesorgt haben, dass Frankreich entschlossen den Schritt ins Zeitalter der Moderne vollzog.
Ich denke an Franois Mitterrand, der es verstanden hat, die Institutionen zu erhalten und zu
einem Zeitpunkt, wo ein politischer Wechsel erforderlich war, um die Republik zur Republik aller
Franzosen zu machen diesen politischen Wechsel zu verkrpern.
Ich denke an Jacques Chirac, der sich zwlf Jahre lang fr den Frieden eingesetzt und den
universellen Werten Frankreichs weltweit Ausstrahlung verliehen hat (Schreiber 2011, 395s.).

Le traducteur allemand a gard toutes les rptitions, probablement cause du


caractre solennel du discours.
Passons un autre discours, prononc le mme jour. Tout juste aprs son entre
en fonction, le prsident est all au Bois de Boulogne pour rendre hommage aux
martyrs du Bois de Boulogne , cest--dire un groupe de rsistants franais
assassins par la Gestapo allemande le 16 mai 1944. Ci-aprs un passage extrait de ce
discours, suivi de sa traduction allemande :

Ici en ce 16 aot 1944, ces 35 jeunes Franais qui vont mourir incarnent ce quil y a de plus noble
dans lhomme face la barbarie.
Ici en ce 16 aot 1944 ce sont les victimes qui sont libres et les bourreaux qui sont esclaves.
[] Ils [les rsistants] ont dit non , non la fatalit, non la soumission, non au
dshonneur, non ce qui rabaisse la personne humaine, et ce non continuera dtre entendu
bien aprs leur mort parce que ce non cest le cri ternel que la libert humaine oppose tout ce
qui menace de lasservir.
Ce cri nous lentendons encore.
Ce cri, je veux que dans les coles on apprenne nos enfants lcouter et le comprendre .

Die 35 jungen Franzosen, die am 16. August 1944 an dieser Stelle ihr Leben lassen mssen,
verkrpern das Edelste, was der Mensch im Angesicht der Barbarei in sich trgt.
An diesem 16. August 1944 im Bois de Boulogne sind es die Opfer, die frei sind, und die Scharfrichter unfreie Sklaven.
[] Sie [die Widerstandskmpfer] haben Nein gesagt, haben sich gewehrt gegen ein unabwendbar scheinendes Schicksal, gegen Unterwerfung, gegen Entehrung, gegen alles Erniedrigende,
und dieses Nein wird lange nach ihrem Tod weiter hrbar bleiben, denn dieses Nein ist der
immerwhrende Aufschrei, mit dem sich die menschliche Freiheit allem widersetzt, das sie zu
versklaven droht.
Diesen Aufschrei hren wir noch heute.

Traduction

711

Ich wnsche mir, dass unseren Kindern in den Schulen beigebracht wird, diesen Aufschrei zu
hren und zu verstehen (Schreiber 2011, 396s.).

Dans cette traduction, nous constatons, entre autres, deux choses :

1)

2)

Les anaphores sur Ici en ce 16 aot 1944 et Ce cri nont pas toujours t traduites en
tant quanaphores, cest--dire au dbut de la phrase. Ainsi, lemphase du discours a t
attnue.
Tandis que le mot non se trouve sept fois dans le texte source, lquivalent allemand
nein ne se trouve que trois fois dans le texte cible, ce qui donne encore un effet
dattnuation.
Le traducteur allemand avait peut-tre des difficults avec un discours si pathtique
propos dun sujet aussi douloureux. Mais, il y a aussi un problme de traduction plus
gnral : Sarkozy sappuie, dans une certaine mesure, sur une tradition rhtorique de la Ve
Rpublique. Plusieurs de ces prdcesseurs ont employ des anaphores dans leurs discours,
notamment Charles de Gaulle. Dans la politique rhtorique de la Rpublique fdrale
dAllemagne, en revanche, les figures rhtoriques pathtiques, comme lanaphore, semblent
tre moins frquentes, peut-tre cause de la connotation ngative du pathos aprs les
discours de propagande des nationaux-socialistes. Le traducteur dun discours politique
doit donc se poser la question de savoir sil donne la priorit au style individuel de lorateur
ou au style collectif de la culture cible (cf. Schreiber 2011).

Quant la traduction des discours politiques vers le franais, on sattendrait ce que


les traducteurs naient pas de problmes majeurs rendre des discours pathtiques
dans leur langue. Mais il nen est rien : Olivier Demissy-Cazeilles (2007, 145) cite des
traductions franaises de plusieurs discours de lancien prsident amricain George
W. Bush, dans lesquelles on trouve parfois les mmes effets dattnuation que dans
notre dernier exemple cit ci-dessus. Pour expliquer ces effets, on pourrait voquer les
raisons suivantes :

1)
2)

Beaucoup de traducteurs franais ont tendance attnuer des effets stylistiques marqus
(cf. Grnbeck 1976, 3).
Selon certains chercheurs, cette tendance de normalisation serait mme une proprit
universelle de la traduction (cf. Laviosa 2009, 308).

4 Conclusion
En guise de conclusion, notons quelques pistes pour la recherche future dans les
trois domaines traits dans cet article : Dans le domaine de lhistoire de la traduction, malgr dimportantes publications, une histoire linguistique de la traduction
en langue franaise fait toujours dfaut. Quant la traductologie francophone
moderne, si cette discipline prsente aujourdhui un grand ventail dapproches,
elle noffre pas encore de modle intgratif, englobant thorie(s), pratique et didactique. Pour ce qui est des problmes linguistiques des diffrents types de traductions, les problmes spcifiques de la traduction littraire et de la traduction spcia

712

Michael Schreiber

lise sont mieux tudis que ceux de la traduction audiovisuelle ou de linterprtation.

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Index
AANB (Acte de lAmrique du Nord Britannique) 1878, 482, 484
Acadmie de la langue basque (Euskaltzaindia) 232, 249
Acadmie franaise 4143, 4952, 55, 58, 87,
138, 143, 146, 148152, 154, 163, 165167,
203, 244, 342, 425, 542, 557559, 566,
685
Acadie 176, 478, 480481, 483, 489, 501, 652,
654
acadien 479, 481, 490, 500501, 653
accomodation 327
accord 30, 39, 46, 303, 334340, 345346,
348349, 377, 540, 673
hirarchie de l~ 337340
non-accord 497
ACCT (Agence de coopration culturelle et technique) 178179
acquisition 42, 191, 356, 358, 405, 625, 646
647, 653, 669, 674, 676
du franais 140, 618, 621624, 642, 645, 653,
655, 676
dun idiome 672
du langage 42, 73, 82, 89, 633, 639642
dune langue 161, 357, 359, 403404, 423,
618, 621, 624, 632633, 639643
naturelle 641, 643
plurilingue 625
adstrat 402404, 406409, 411, 488489
savant 406409
Afrique 175176, 179180, 188, 191, 335, 346,
365, 411412, 442, 444, 446, 505524
centrale 346, 506, 642
continentale 518
du Nord 172, 505, 508509, 650651
quatoriale 175, 506
francophone 172, 509 n. 1, 510, 517
noire 184, 513
occidentale 175
orientale 175
subsaharienne 172, 183, 309, 505509, 516,
518, 521, 650651
ageism 314, 327
Allemagne 57, 109, 142, 174, 181, 197, 294, 301,
412, 448, 457, 460, 463, 625, 628, 632,
639, 642, 645, 654, 662, 666, 668, 670,
675676, 711

allemand 23, 12, 31, 9798, 108, 141, 160, 175,


180182, 185, 207209, 229, 231232,
248249, 263264, 267, 277278, 286,
317, 334336, 340, 343 n. 8, 346348,
351353, 355 n. 26, 356359, 372, 386
387, 389, 391, 408, 411, 417, 438439,
444, 446447, 457467, 530531, 533,
541, 571572, 588 n. 3, 595 n. 4, 627628,
634, 659, 669 n. 19, 670 n. 20, 672, 689,
698700, 702, 705711
de Suisse 386
haut ~ 463
parl par les Juifs 321
rgional 391
standard (commun) 232, 386
Alliance franaise 177, 448, 506, 646, 648,
653
allognisme 420
Alsace 219, 224, 231232, 246, 365, 373375,
385388, 699
alsacien 60, 138, 141, 220, 222 n. 18, 223 n. 21,
229, 245249, 254, 365, 387, 389, 643
amnagement (linguistique) 133159, 171195,
208, 210, 216241, 244245, 249, 251,
254, 425
externe 173, 181188
informel 134, 148
interne 181, 188192
lexical 152
non-institutionnalis 148149
analogie 30, 39, 44, 160, 304305, 324, 335,
345 n. 13, 350, 383, 388, 416417, 423,
564
analyse syntaxique 124, 683, 688689
ancien franais 11, 1314, 1623, 29, 31, 32
n. 27, 39, 125, 174, 406, 413, 423, 461,
527, 560, 565, 569, 571, 604, 689, 681
ancien francoprovenal 391
ancrage
actionnel et situationnel 263, 266, 267
cognitif 585
psychologique 601
social 601
rfrentiel dans la situation 263, 266, 267,
609
spatio-temporel 108109
Andorre 180, 457, 468469

718

Index

anglais 17, 23, 51, 55, 60, 63, 86, 112, 134, 142
144, 146147, 154155, 164, 166, 173175,
178, 180181, 183, 186188, 190, 201, 204,
225, 285286, 294, 305, 317, 335, 346
348, 355356, 359, 371, 386387, 389,
391, 401, 403, 410416, 418, 420, 422,
424, 432, 435441, 443448, 451, 453,
464465, 469470, 478, 481486, 488
489, 491, 493, 497, 500, 507508, 518
521, 528, 530531, 571573, 609, 629630,
642, 645646, 650, 652656, 675, 685,
689690, 698702, 704705, 708
anglicisme 143144, 151 n. 16, 155, 166, 189,
201, 204206, 209 n. 11, 211, 285, 316317,
355, 368, 369, 372, 386387, 389, 391,
402, 421422, 424425, 440, 449450,
478, 484, 489, 493495, 571
anglo-normand 1718, 2526, 112, 117, 120,
174, 413, 565, 569
annotation 42, 682684, 686692
automatique 686
structurale 682
anonymat et politesse 275, 282
apparent time 317, 321, 326
apprentissage (des langues) 41, 184, 228229,
232233, 319, 357359, 367, 403, 423,
449, 465, 527, 533, 540, 622, 624627,
631633, 639-642, 644647, 650, 652,
654655, 659, 661664, 666667, 669
677, 686
approche
communicative 644, 666
interculturelle 661, 669
mmorielle 96
onomasiologique en grammaire 542
patrimononiale 221, 226 n. 29, 234
textuelle 96
appropriation 173, 441, 505, 508, 512, 518519,
624, 640, 647
aptitude 643644, 665
arbitraire 59, 337, 351353, 683
archasme 16, 34, 42, 51, 206, 365, 371372,
374m 382383, 385386, 390391, 488
489, 492, 497
argot 50, 54, 59, 63, 65, 83, 191, 293, 304, 519,
564, 570
association 588591, 593594, 596597, 601
603, 688
asymtrie 267, 334, 340, 342346, 352, 356

AUPELF (Association des universits partiellement ou entirement de langue franaise) 177, 513
autorit 93
grammaticale 40
lexicale 166167, 568569, 571
balisage 681684, 686, 690
banlieue 83, 293, 301302, 307308, 433, 570
barbarisme 206207
canadien 206
barrire (voir aussi rideau de betteraves)
de polenta 185
de rsti 185
basque 60, 141, 219, 220, 222 n. 18, 223 n. 21,
224, 227, 229, 231232, 245, 247, 249,
257, 335, 346, 389, 538, 608
BDL (Banque de dpannage linguistique) 190
bhavio(u)risme 586, 591, 622, 640, 644, 677
belge franais belge
belgicisme 189, 211, 366, 386, 459, 467, 565,
569
Belgique 60, 64, 165, 171, 175, 179180, 184
186, 188191, 194, 198199, 207, 210212,
232 n. 52, 316, 374, 382, 385, 387388,
424, 442, 445, 457460, 463, 465, 506
507, 543, 572, 632, 699
Belles Indles 697702
bilingue, bilinguisme 60, 118, 141, 182, 185,
187, 188189, 204, 228229, 249, 256,
305, 359, 414, 450, 457458, 461, 482,
484486, 519, 557, 573, 642643, 650
651, 653654, 670, 700
franco-allemand 185
franco-anglais 186, 653
bon usage usage
breton 60, 141, 219220, 222 n. 18, 223 n. 21,
224, 227, 229, 231233, 245247, 250,
257, 389, 412, 643, 699
bretonnisme 389
cadien 176, 189, 479
cajun 176, 479
calque 196 n. 2, 217, 382, 384, 386388, 401
402, 416417, 423, 467, 493494, 515,
708
partiel 388
Canada 94, 173, 176, 178180, 186188, 190
191, 196208, 211212, 294, 316, 424, 442,

Index

445, 459, 478504, 639, 642643, 645,


650654, 700201
canadianisme 191, 205207, 366, 368369
de bon aloi 189, 206
CARAP (Cadre de rfrence pour les approches
plurielles) 667669, 674 n. 23
casuistique linguistique 160, 162164
CAT (Communication Accomodation Theory) 327
catalan 60, 135, 138, 180, 219220, 222 n. 18,
223 n. 21, 224, 227, 229, 231233, 245,
247, 250251, 257, 375, 389, 435, 468469
CECRL (Cadre europen commun de rfrence
pour les langues) 301, 644, 649, 655, 666
champ smantique 308
changement
grammatical 420, 547, 607, 610
lexical 97, 298, 603604
linguistique intervariationnel 7273, 9697
linguistique intravariationnel 7273, 9697
morphologique 303, 417, 420
orthographique 302
phontique 29, 35, 47, 57
smantique 57, 8788, 304, 390, 413, 417,
420, 585, 601603
syntaxique 415
Charte canadienne des droits et liberts
(1982) 187
Charte de la langue franaise (1977) 187, 452,
482, 486487, 500
Charte europenne des langues rgionales ou
minoritaires 145, 154, 219 n. 7, 221, 227
n. 33, 234, 458, 462, 665
chroniques de langage 160170, 196215, 242
261
ChroQu (Base de donnes textuelles de chroniques qubcoises de langage) 202204
cibliste 703
CLARIN (Common Language Resources and Technology Infrastructure) 692693
clart 49, 97, 138, 155
classe de mots 371, 387, 525, 530, 534, 536,
538, 540, 546
code 95
crit / scriptural 12, 56, 61, 263, 675
graphique 48, 75, 281, 336, 340341
oral / parl 12, 49, 56
phonique 48, 75, 263, 281, 336, 340341
code-mixing 305
code-switching 285, 301, 305, 403, 630

719

codication 34, 41, 99, 111, 136 n. 5, 149, 171,


190191, 217, 222 n. 17, 231, 232 n. 52,
234, 528, 666
cognition 264, 314321, 357, 403, 423, 547
548, 585617, 625, 640642, 644, 655,
662, 674
incarne 593594, 607
cognitivisme 586588, 603, 605606, 623
colonisation 9192, 175176, 478, 488, 505
507, 517518
communication 64, 7273, 76, 79, 82, 86, 91,
100, 111, 146, 155, 172, 182183, 185, 189,
196, 209, 221, 229, 247, 250, 256257,
263, 265267, 269272, 275292, 300
301, 315, 320, 322324, 327, 359, 414,
421, 423, 432456, 463, 465, 468, 489,
508509, 511, 518, 528, 548, 586, 618619,
621, 624, 626630, 633634, 641, 643
645, 649650, 653, 660, 663, 665666,
674
de la distance 9899
de limmdiat 9798, 266, 269, 279, 407
diplomatique 432
crite 48, 99, 278, 281
lectronique 168, 275292
en ligne 275276, 284, 287
mdie/mdiatise par ordinateur 268269,
271272, 275, 277
orale 76, 265266, 281, 407, 445
politico-sociale 54
prive 263, 266
publique 88, 263
scientique 127, 432456
verticale 12
comptence (linguistique) 165, 172173, 178
179, 187, 232233, 243244, 253, 301, 314,
318319, 322323, 366, 441, 469, 472,
505, 509511, 539, 585, 604, 620, 623,
625630, 632, 642649, 652653, 655,
659661, 663674, 676, 687, 691, 693
direnciation des ~s 666
CONFEMEN (Confrence des ministres de lducation des tats et gouvernements de la
Francophonie) 177178
Conseil de lEurope 226, 444, 446447, 458,
462, 643, 660, 662, 664668
consonantisme 20, 29, 32, 4548, 9596, 123,
284, 307, 341, 373376, 408, 467, 490
491, 497499, 512, 528, 705

720

Index

constitution
andorrane 468
belge 186, 457459
canadienne 481482, 485486
franaise 144145, 154155, 181, 218, 222
228, 230, 234
luxembourgeoise 182
suisse 181, 184, 185, 207, 461462
valdtaine 182
constructivisme 640, 644
contact
culturel 33, 35, 85, 148, 184, 201, 250, 405
406, 408410, 414, 425, 433, 468, 488,
518
linguistique / de langues 59, 80, 85, 93, 150,
184, 201, 204, 208, 298, 307, 357, 383,
389, 401431, 434 n. 1, 440, 467, 491
492, 505, 508, 517521, 621, 623, 632
contigut 208, 588589, 591594, 596, 602
604, 606
continuum 76, 154, 168, 184, 202, 243, 264,
268 n. 1, 366, 589, 601, 609, 670
controller gender 335
coprsence spatio-temporelle 263, 266267
corpus 4041, 88, 94, 122, 125, 133134, 136,
136, 138, 148, 155, 162, 171, 173, 181, 190,
206, 210, 216217, 220231, 235, 256,
277278, 299302, 309, 317, 324325,
369, 372, 379380, 384, 415, 424, 450,
548, 561, 624626, 632633, 681682,
686693
du franais historique 689691
corse 60, 141, 219220, 222 n. 18, 223 n. 21,
228229, 231235, 245, 247, 251252, 643
cration lexicale 57, 135, 153, 302307, 389,
391, 415416, 488
crise du franais 54, 56, 150, 163, 177
CSTN (Commissions spcialises de terminologie et nologie) 152
cyberlangage 276, 286
DALF (Diplme approfondi de langue franaise) 649
dcadence linguistique 293294, 298, 302
dcolonisation 171, 176177, 183
dfense de la langue 33 n. 29, 39, 53, 57, 59,
133159, 164, 167, 171195, 208209, 216
241, 246, 249, 424425, 478, 483487,
489, 500, 530

DELF (Diplme dtudes en langue franaise) 648649


dstandardisation 271
DGLFLF (Dlgation gnrale la langue franaise et aux langues de France) 152, 154,
222, 223, 234235, 424, 449450, 452
dialectal/dialecte 14, 1617, 24, 2628, 31, 34,
39, 49, 4253, 6062, 7781, 83, 85, 91
92, 9596, 99, 110111, 126, 137139, 150,
160161, 182, 206, 211, 216222, 227 n. 35,
232234, 243, 245, 252253, 255256,
262, 286, 305, 314, 317, 356, 366367,
369, 371, 383385, 387, 405, 407, 458,
460461, 463, 470, 472, 487489, 541,
560, 565
dialect(al)isme 34, 199, 365, 371372, 383385,
389391, 470, 492, 496
diaphasie 72, 7476, 80, 82, 8586, 95, 262,
293, 297298, 321, 324325, 358, 373,
379, 489, 496, 500
diastratie 60, 62, 72, 7476, 79, 8288, 9192,
98, 125, 167, 262, 293, 297298, 324325,
358, 373, 375, 495496, 570
diasystme franais 4, 72108, 123124, 126,
264, 297298, 371, 374, 568
diatopie 39, 42, 61, 72, 7475, 7781, 83, 91,
95, 9899, 120, 124, 233, 245, 256, 262,
297, 324325, 358, 365400, 457524,
569
diatopisme 62, 365, 391, 570
dictionnaire 6364, 87, 92, 110, 123, 125126,
139, 148, 190, 202, 205, 209, 249, 294,
339, 365366, 370, 380, 382, 390, 393,
419, 422, 425, 459, 462, 501, 513514,
556582, 626, 647, 684685
bilingue 570, 572573, 632
de frquence 370
de langue 63, 558, 561562, 564, 568570
descriptif 56, 201, 325
direntiel 210
du XVIe sicle 34
du XVIIe sicle 43, 87, 149, 558559
du XVIIIe sicle 5052, 150
du XIXe sicle 5557, 150, 558
du XXe sicle 5556, 150, 558
encyclopdique 50, 558562
tymologique 48, 560, 570572
grammatical 51, 537, 559
mtalinguistique 570573

Index

normatif 167, 201, 203, 205, 210, 422, 424


425, 500
onomasiologique 55
smasiologique 567
terminologique 570573
didactique 160, 294, 301, 358, 548, 619 n. 1,
622, 624, 626, 633, 640, 644, 650, 671
672, 507
du franais langue trangre 301, 618, 621,
624626, 650
intgre / du plurilinguisme 644, 668670,
674
interculturelle 644
direnciation des comptences comptence
direnciation territoriale 184186
diplomatie 143, 178, 443, 447
discours 48, 76, 8486, 90, 97, 98100, 124,
706
mtalinguistique 56, 160, 68, 197198, 201,
212, 244, 270
normatif 5051, 149, 160, 163, 197, 254, 386
politique 222, 709711
puriste 165, 415
types du ~ 98100, 197
distance communicative 184, 262264, 267,
270271
diversit linguistique 117, 139, 152, 216, 218
223, 226, 230, 234235, 436, 450, 487,
518, 629, 659, 662663, 667669, 672,
674
doublage 705
doublets fonctionnels 344345, 356
dit de Villers-Cotterts Ordonnances de Villers-Cotterts
dition, types d~ 108, 119121
ducation 59, 84, 89, 183, 191, 209, 217, 225,
227, 233, 295, 298, 301302, 308309,
392, 432, 442, 450, 466, 469, 485486,
559, 633, 651654, 661664, 670, 675
n. 25
au plurilinguisme 659, 662, 668670
bilingue 642643, 653
plurilingue 643, 659, 661, 667, 670 n. 21,
672, 676677
elderspeak 327
metteur 275, 280, 287
emprunt 2324, 26, 31, 36, 51, 55, 83, 87, 123,
126, 155, 164, 166, 201, 210, 294, 302, 305,

721

352, 355, 365, 371372, 377, 382391,


401426, 433, 488, 491492, 494, 497,
515, 571, 702, 708
faux-emprunt 417418
intgration des ~s 415421
encyclopdie 539, 548, 564565, 568, 570
enseignement 53, 59, 6163, 74, 108, 125127,
137, 140141, 145147, 161, 168, 173, 182,
187, 189, 216217, 220, 221 n. 11, 223,
227229, 231235, 249, 301, 355 n. 27,
358, 439, 441442, 450, 458, 465468
472, 486, 506508, 510511, 518, 521, 525,
535, 537, 539540, 542, 618, 622, 624,
626627, 632633, 639670, 672, 674677
du franais 57, 432, 441, 448, 453, 472, 506,
510, 526, 533, 639, 642, 644656, 675
picne 30, 336, 342344
espace mental 599
espagnol 23, 55, 60, 64, 97, 155, 180, 188, 222,
264, 277, 341, 389, 409411, 418, 432,
435, 439, 441, 443, 446, 465, 468469,
508, 572, 645, 675, 699700, 708
tiquetage morphologique (part of speech tagging) 686687, 692693
EuroCom (eurocomprhension) 625, 671 n. 22,
672673
euromorphologie 63
europisation linguistique 670
veil aux langues 668669, 674
famille de mots 54, 408, 603604, 625
faux-emprunt emprunt
fminin 8485, 191, 308, 334335, 337348,
350357, 377379, 462, 495, 497
fentrage 608
amand 60, 180, 186, 210211, 219220, 224,
229, 232 n. 52, 247, 252, 380, 388389,
458, 699
occidental 222 n. 18, 245, 252
Flandre 110111, 118, 173, 185186, 457458
andricisme 165, 189
fondement anthropologique 266, 269
formation de(s) mots 23, 63, 88, 202, 352, 380
381, 407, 416417, 604
forme perceptuelle 265, 268, 272
francanglais / camfranglais 520521
franais
FLE (franais langue trangre) 301, 403,
453, 525, 572, 618, 621626, 639, 642,

722

Index

646, 648650, 653654, 659, 662, 675


676
FLM (franais langue maternelle) 357, 372,
639
FLS (franais langue seconde) 639, 642, 645,
647649, 652
acadien 358, 489491, 496499
avanc 72, 97
belge 211, 365366, 457, 459, 565, 569
de rfrence 79, 92, 198, 270, 358 n. 28, 366,
370, 376, 381, 383, 385386
du Canada 91, 200, 202203, 205207, 341,
422, 478504, 571, 653
fdral 196, 208209
louisianais 358
luxembourgeois 467
rgional 79, 167, 210, 216218, 222, 242, 251,
365400, 462, 565, 569
standard 26, 80, 98, 164, 189, 209 n. 11, 210,
216, 218, 221, 244, 246, 294, 301, 322, 358,
366368, 375376, 380, 461, 473 n. 14,
478, 489, 497, 513
suisse 461
France Terme 152153
francien 26, 7880, 111
francisation 53, 138, 150, 165, 174, 189, 305,
367, 452, 460, 486487
francit 171, 424
francophone 64, 109, 111112, 135, 150 n. 15,
167168, 171215, 223, 244, 254, 264,
293, 309, 317, 358, 366367, 375, 379,
393, 432433, 436, 438439, 441442,
444452, 458463, 471472, 478489,
494, 500501, 507514, 516517, 520521,
556, 565, 572573, 639, 642, 645648,
650654, 669 n. 19, 671 n. 22, 701, 711
Francophonie 59, 6162, 64, 145146, 152
n. 177, 171215, 309, 317, 370, 382, 393,
432, 439, 442, 444445, 450451, 461,
478, 480483, 486487, 505, 507508,
513, 565, 570, 650, 696
francoprovenal 11, 19 n. 2, 111, 182, 219220,
222 n. 18, 229, 232 n. 52, 245, 247, 252
253, 257, 366, 368, 375, 377379, 383,
389, 391, 471473, 560
franglais 59, 422
GDT (Grand dictionnaire terminologique) 190,
452

gnration 8284, 183, 220, 222 n. 20, 276,


293333, 376, 381
genre textuel 1718, 2728, 30, 41, 52, 8081,
9092, 108110, 112, 114119, 122, 124,
126, 161163, 197, 200, 208, 242, 263,
279280, 422, 436, 543, 626627, 647,
697698
grontolecte 325
Geschlecht 334
gestaltisme 588591, 593, 603, 608
grammaire 4041, 43, 254, 357, 370, 376379,
387, 459460, 467, 525555, 571, 585
586, 601, 607610, 623, 626, 641, 643,
646647, 653, 655, 673, 688
au XVIe sicle 34, 528531
au XVIIe sicle 49, 5152, 103, 251, 531534
au XVIIIe sicle 5052, 534539
au XIXe sicle 539541, 560
au XXe sicle 49, 51, 59, 125, 150, 211, 350,
541546
cognitive 587, 597598, 601602, 605, 607
609
constructionnelle / de construction 587 n. 1,
601, 605, 607, 609610
contrastive 529530
de la Renaissance 40, 4146, 50
dpendancielle 690
des rles smantiques 609
du standard 233
franaise / du franais 11, 34, 3941, 4346,
4951, 53, 56, 62, 65, 148, 150, 202, 211,
339, 346, 357358, 365366, 370, 376
379, 387, 459, 467, 525555, 564, 626, 653
gnrale 41, 49, 351, 532533, 539
gnrative 586, 688
histoire de la ~ 92, 525555
latine / du latin 39, 644
normative 55
occitane / de loccitan 134
scolaire 539542
universelle 640
grammaticalisation 585, 598, 601, 605607
grammaticographie 39, 51, 244, 370, 525555
histoire de la ~ 525526, 547
graphie 14, 24, 3234, 48, 61, 78, 87, 9597,
99, 124, 199, 233234, 255, 262263, 265,
268271, 276, 278, 284285, 341, 372,
408, 418420, 493, 499, 568, 687688
revalorisation de la ~ 270

Index

grapho-phontique 108, 112, 119, 121124,


532guernesiais 470471
Guernsey 469471
HCF (Haut Conseil de la Francophonie) 178
Hlvetisme 366, 369, 389, 393
historiographie de la linguistique 526
homonymie 384, 603604
humanisme 11, 3334, 40, 449, 457, 556557,
697
idiome 2324, 34, 77, 91, 99, 138141, 165,
183, 191, 217, 415, 464, 520, 672, 699
les anglo-normandes 457, 469471
immdiat communicatif 75, 92, 263264, 269,
489
immersion 228229, 642643, 645, 651, 653
654
innovation linguistique 25, 33, 35, 9798, 206,
209299, 308, 371372, 386, 390392,
401, 415418, 421, 423, 488489, 495
496, 513, 516, 541, 547, 606, 610
inscurit linguistique 167, 190, 200201, 205,
208, 210, 459, 519
interaction 257, 282, 314, 322323, 623624,
628630, 632, 640641, 672
intercomprhension 91, 9899, 467, 470, 487,
490, 624625, 659, 668, 670677
interculturalisme 486
interlangue 367368, 433434, 505, 622, 624,
640
internet 80, 93, 115, 121, 164167, 190, 197,
208209, 212, 242, 244247, 250, 253,
255, 257258, 262, 275276, 279282,
285, 288, 300301, 375, 393, 412, 414, 419,
445446, 452, 467, 562563, 573, 644
interprtation (orale) 633, 696, 700, 702703,
705, 708, 712
simultane 143 n. 9, 708
italianisme 36, 112, 389, 391, 571
italien 31, 35, 42, 55, 60, 113, 141, 180183, 185,
207, 248, 251, 270, 277278, 286, 317, 335,
341, 347, 352, 389, 391, 408413, 422,
438, 444, 460461, 465, 471, 531, 571573,
697, 699700, 702, 705, 708
jrriais 470
Jersey 469471
Journal dHroard 82, 8889, 9192, 97

723

koinsation 11, 24, 26, 72, 78, 80, 99


langage
de la distance 72, 7476, 95, 9799, 217,
262264, 266270, 281282, 297
de la proximit 217, 220, 266267, 281282,
297
des jeunes 8284, 91, 93, 183, 189, 191, 253,
275276, 278, 285287, 295313, 315,
318319, 322, 324328, 343 n. 8, 358, 381,
414, 433, 519520, 647
des personnes ges 8384, 314333
du rseau 286
mdiatis 262, 265272, 277
mdical 42, 73, 8687, 570
sexe et langage sexe
langue
auxiliaire 433434, 441
cible 358, 402, 412, 416421, 423, 622623,
627, 673674, 686, 703, 708
de contact 23, 210, 401402, 412
de limmdiat dans la littrature 9091
de spcialit 63, 8586, 618, 621, 626627,
632, 707
de travail 142, 146, 442445, 447, 484, 704
705
diplomatique 136, 142143, 151, 153154,
174, 177, 432, 447
internationale 57, 432435, 438441, 448,
453, 655
minoritaire / de minorit 111, 133134, 145
146, 154, 182, 187, 216261, 458, 462, 482,
633, 639, 643, 650, 653, 662, 665, 667
nationale 39, 4142, 53, 5758, 6465, 77
78, 87, 99, 133, 139141, 148, 154, 181
182, 184185, 207, 208 n. 9, 217, 221222,
250, 435436, 507508, 518, 556, 699
ocielle 135, 141, 143, 145, 153, 172173, 175,
179183, 185, 187, 191, 207, 442445, 447,
457, 460461, 468469, 472, 482483,
485486, 507508, 519521, 630, 650
652, 654, 662, 700
rgionale 5253, 60, 133, 138141, 145146,
154, 183, 216261, 412, 458, 462, 665, 675,
699
source 358, 402403, 412, 416421, 423,
696700, 703, 708
standard 93, 134, 217, 233234, 242, 252,
278, 356

724

Index

technique 63, 372, 618, 626627


vhiculaire 113, 172173, 183184, 191, 432
438, 441442, 444, 453, 463, 465466,
470, 506, 518519, 639, 642, 645 n. 1,
650651, 655
vernaculaire 48, 77, 99, 112118, 134, 136
137, 172173, 183184, 356, 433435, 463,
518, 520, 525, 528
latinisme 14, 23, 31, 34, 55, 386, 391
lgislation linguistique (voir aussi loi linguistique) 134 n. 2, 135, 146, 216, 221, 223
227, 230, 469
lemmatisation 687, 689, 693
lexicographie 39, 50, 55, 60, 62, 108, 125, 150,
356, 370, 380, 501, 526, 556582, 619, 621,
684, 700
bilingue 573
lexicologie 50, 55, 62, 125126, 152, 293, 294,
532, 536, 547, 556, 561, 565, 567, 585, 587
n. 2, 601, 603605, 621, 686
cognitive 603
lexique 11, 1314, 23, 3132, 34, 36, 49, 60,
6263, 83, 8687, 95, 99, 108, 121, 123,
139, 183, 188, 192, 199, 203, 206, 248, 251,
255, 258, 270, 276, 285, 294, 297, 303
307, 318319, 324, 326, 334, 365366,
368, 370371, 373, 380382, 390, 393
393, 405409, 411, 413, 417418, 422
424, 452, 467, 478, 488, 491496, 512
517, 546, 560, 568571, 601, 603, 609,
627, 641, 673, 675, 687
familier 100
hrit / hrditaire 31, 407, 418
mental 603, 623625
linguistique
compare 659, 671672
computationnelle 682, 694
dans les mdias 200201, 244
de(s) corpus 293, 299, 681682
des varits/variationnelle 51, 62, 72107,
168, 262, 278, 293294, 297, 314315,
328, 358, 610 n. 8, 709
populaire 160168, 196197, 242243, 245,
247, 251, 254257
textuelle 275276, 283, 334
littrature
profane 17, 28, 108110, 116, 118
religieuse 14, 17, 19 n. 12, 23, 28, 108, 110,
114, 116, 118

loi linguistique (voir aussi lgislation linguistique) 53, 133, 138, 147, 186, 472 n. 11, 486
Loi 101 Charte de la langue franaise (1977)
Loi Bas-Lauriol (1975) 60, 143145, 425
Loi Fioraso (2013) 146147
Loi sur la langue ocielle / Loi 22 (1974) 187,
486
Loi sur les langues ocielles (1969) 187,
485486, 654
Loi Toubon (1994) 145146, 152, 425, 439,
646
lorrain 25, 27 n. 19, 123, 141, 222 n. 19, 458
Louisiane 173, 176, 189, 479481
Luxembourg 180, 182, 185, 442, 444, 457458,
463467
luxembourgeois 180, 463465, 467
Maroc 175, 177, 180181, 506, 508509, 513,
639, 645, 651652
masculin 8485, 308, 335339, 341347, 350
357, 497
gnrique 342, 356357
MCI (modle cognitif idalis) 597
mdias 62, 64, 141, 145, 163164, 166, 173,
183, 200201, 220, 227, 229230, 242,
244, 246247, 249, 252, 257, 262, 265,
268269, 272, 294, 298, 300, 316317,
327, 339, 342, 357, 432, 445446, 453,
467, 500, 632, 644
analogues 281, 283
audiovisuels 164, 203
lectroniques 270, 275292
nouveaux ~ 163, 166, 242243, 262, 270, 275,
279, 283, 296, 309, 644
sociaux 271, 285
mtalexicographie 556, 567568
mtaphore 42, 54, 5657, 88, 166, 185, 267,
304, 337, 344, 350, 381, 407, 416, 589,
593594, 597, 602604, 624, 693, 701
mthodes de lenseignement des langues
audio-orale 644
audio-visuelle 644
directe 643
grammaire-traduction 643, 655
mtonymie 8788, 304, 343 n. 8, 352, 381,
420, 514, 589, 594, 602604, 606
milieu 17, 27, 60, 62, 65, 8990, 93, 220, 295,
298, 302, 305308, 369, 373, 414, 487,
518, 520, 528, 629630, 632, 652

Index

modle grammatical latin 525, 534


morphologie 1213, 44, 54, 64, 73, 81, 83, 108,
113, 119, 121125, 167, 285286, 294, 303
304, 334335, 341, 349, 352353, 357
358, 379381, 383, 390, 407, 417, 420,
440, 459, 494, 496, 527528, 532533,
547, 585, 600602, 604606, 610, 641,
682683, 686689, 692693
cognitive 601, 605
nominale 2122, 30, 61, 347348, 351353
verbale 2021, 45, 89, 383, 542
morphosyntaxe 61, 84, 134 n. 2, 148, 206, 294,
297, 301, 325, 379, 387, 415, 467, 478,
488, 491, 496500, 505, 508, 512, 516517,
536, 538, 546547, 586, 606, 609610,
641, 673
mot sur le bout de la langue 319, 323
moyen franais 11, 2833, 36, 39, 44, 114, 391,
406, 413, 565567, 569, 685, 688
multiculturalisme 486
multilinguisme 174, 178, 437, 439, 443, 448
449, 463465, 467, 623, 629, 660663,
667, 700
nativisme 640
nerlandais 31, 185, 229, 252, 380, 389, 411,
457459, 465, 530531, 534, 572, 685,
699
ngation 89, 126, 286, 302, 326, 378, 496,
542, 622
nologisme 34, 42, 51, 63, 143, 151, 153, 206,
211, 293, 304305, 317, 380, 417, 423, 425,
440, 449450, 491, 495, 516, 673
nettet 49, 51, 530
neutre 335, 340, 343, 345, 347348, 350 n. 19,
351, 353, 378, 528
Nieuw-Vlaamse Alliantse 186
nom propre 32 n. 28, 64, 335, 406, 528, 563
564, 572, 707
non-accord accord
non-standard standard
normalisation linguistique 43, 59, 135, 212
n. 14, 243, 250255, 358, 419, 500501,
529, 558, 683684, 698, 711
normand 18, 23, 25, 111, 174, 222 n. 19, 245,
247, 256257, 413, 470
normandisme 366
norme (linguistique) 12, 40, 48, 51, 5354, 57
61, 6365, 77, 81, 85, 9293, 95, 99, 115,

725

133, 135136, 149150, 155, 162, 164167,


171, 188192, 197198, 201202, 212, 231
235, 255, 270, 276, 284, 287, 294, 298
299, 301, 308, 319, 321322, 326, 356,
358, 365366, 368, 379, 425426, 451,
467, 478, 488489, 500501, 511512, 519
520, 559, 628, 632, 688, 698, 700, 706
nouveaux mdias mdias
Nouvelle-Angleterre 173, 480
numrisation 556, 565566, 571572
occitan 11, 24, 31, 34, 42, 60, 111, 113, 116, 133
134, 137138, 219220, 222224, 227, 229,
231232, 234235, 245, 247, 253256,
366367, 375, 377378, 381382, 385
389, 560, 675, 699
OIF (Organisation internationale de la Francophonie) 172, 177181, 438, 440443, 447
448, 450452, 507511, 650
OLF (Observatoire de la langue franaise) 178,
507511, 521, 650
O[Q]LF (Oce [qubcois] de la langue franaise) 151, 172, 189190, 452, 486487
oralit 12, 26, 40, 54, 56, 58, 7576, 7881,
8485, 8789, 9194, 9798, 111114, 123,
126, 137, 141, 149150, 161, 232 n. 52, 254,
262263, 265266, 271 n. 3, 276, 279,
281282, 284, 286, 294, 296, 299300,
302, 305307, 309, 322, 336, 340341,
358, 375376, 379, 407, 419, 436, 441
442, 445, 496, 511512, 543, 619, 626,
628, 641, 643, 646647, 653, 655, 700,
702703, 709
Ordonnances de Villers-Cotterts 34, 137138,
557
ordre logique 49
orthographe 3434, 4648, 50, 55, 61, 65, 136
n. 5, 148, 150, 164, 188, 190, 210, 233, 251,
256, 302, 319, 338, 424, 527529, 533
534, 536537, 540, 545, 547, 559, 564, 570,
646647, 706
painful self disclosure 323, 327
parler hybride 519521
parole (vs. langue) 48, 72, 262, 264265, 586,
601, 607
parseur syntaxique 686, 688691, 693
parties du discours classes de mots
Passion de Clermont-Ferrand 1416

726

Index

pathologie de la langue 57
patois 55, 60, 81, 140141, 154, 199200, 210,
219, 232 n. 52, 252254, 365369, 382
386, 389391, 461, 470472, 480, 487
488, 565
Pays basque 375
perception 91, 161, 197, 265266, 268269,
272, 320, 324, 401, 586, 589592, 595,
607, 709
priodisation 11, 3940, 112, 114, 526
philologie
ditoriale 108130
linguistique 108130
phontique 12, 24, 29 n. 24, 32, 3435, 44, 46
48, 62, 73, 82, 84, 89, 108, 112, 119, 121
124, 148, 196, 218, 276, 284285, 297,
302, 307, 350, 365367, 372376, 383
385, 387389, 406, 408, 470, 490, 505,
512513, 529, 532533, 536, 542, 545, 547,
568, 601, 610, 624, 673, 682, 686, 696,
705
phontisme 48, 60, 387
phonologie 29, 123124, 233, 284285, 307,
319320, 325, 341, 352, 358, 365, 367, 370,
372376, 383, 385, 387, 407, 459, 489
490, 493, 508, 529, 542, 547, 600601,
641, 674
phrasologie 365, 371372, 382383, 385,
387388, 547
picard 16, 2728, 7981, 218, 222 n. 19, 245
247, 256257, 458
picardisme 16, 95
planication linguistique 64, 134136, 216217,
424, 467
plurilinguisme 91, 184, 219, 223224, 278, 294,
301, 432, 449, 461, 573, 618, 621, 623
625, 628630, 632, 634, 643644, 651,
655, 659680
politique linguistique 133159, 171195, 210,
216218, 221224, 226234, 245, 255,
334, 424425, 436437, 439, 447, 449,
453, 469, 478, 483487, 500501, 621,
629630, 633, 643, 654, 659668, 672,
676, 699
politiquement (in)correct 147, 171, 188, 191, 357
polysmie 23, 64, 316, 324, 384, 420, 603604
Portfolio europen des langues 666667
pragmatique 62, 74, 95, 271, 275276, 278,
293, 307308, 315, 323, 359, 421, 436,

491, 505, 508, 512, 517, 525, 545546, 548,


587 n. 2, 606, 610, 665
prescriptivisme 161, 167
pr-textuel 113115
promotion de la langue 134136, 187, 221, 223
224, 226227, 230, 235, 252253, 424,
433, 449453, 486487, 501, 507508,
648, 665
propagation du franais 27, 34, 137, 163,
506
prosodie 297, 302, 320, 322, 327, 376, 505,
512513, 536537
protection de la langue 133134, 145146,
151, 153154, 164, 172, 182, 185, 188,
222, 226, 424, 451, 472 n. 11, 486487,
646, 665
prototype 595597, 605
smantique du ~ 588, 594597, 603
thorie du ~ 585, 587, 594597
proximit 22, 217, 220, 262274, 281282, 297,
589590
psycholinguistique 314, 317, 319, 328, 622
623, 632, 640, 681
psychologisme 542, 544, 587, 591
psychomcanique (de G. Guillaume) 544 n. 25,
545
purisme (linguistique) 35, 51, 5354, 56, 61,
161, 164165, 167, 198, 203, 210, 357, 401,
532 n. 10
quasi-synchronicit 270, 279, 280, 337
Qubec (province de ~) 135 n. 4, 171173, 175
180, 186191, 200206, 211, 222 n. 17,
309, 322, 355, 365, 371372, 379, 382,
386387, 445, 451452, 478501, 565,
569, 642643, 652653
qubcisme 190, 205207, 366, 371, 387, 389
raison 40, 49, 5153
rcepteur 275, 280
reconnaissance vocale 272
rexion mtalinguistique 39, 61, 76, 84, 92
93, 160168, 188, 212, 270, 324, 326, 556,
570
rgiolecte 233, 365370, 372373, 375378,
380387, 389393, 570
rgionalisme 42, 139, 150, 206, 209 n. 11, 218,
324, 365372, 379381, 383386, 389
393, 461, 488, 491492, 569

Index

rglementation de la langue 42, 56, 64, 133,


136, 138, 144146, 182, 225, 227231, 234,
433, 435
rgularit 353, 358, 609, 673
relation smantique 267, 382, 567, 603605
remarques sur la langue 4142, 161162, 543
responsivit 318
Rvolution franaise 5254, 56, 64, 9394,
139141, 154, 176, 221, 410, 463, 559,
699700
rvolution mdiale 115, 121, 262, 268, 270
271
Rvolution tranquille 173, 187, 482, 484, 500
rhtorique 33, 4143, 54, 97, 117, 148150,
407, 437, 535, 603, 696, 709711
richesse lexicale 23, 55, 90, 117, 301, 320
rideau de betteraves 185
Romandie (voir aussi Suisse romande) 172, 207,
460462
Rumantsch Grischun 461
scnario 172, 182, 401405, 585, 587588,
591596, 603604
scripta(e) 1617, 2427, 72, 7881, 111112,
123124, 126
scripturalit 9596, 113, 262263, 269, 271,
279
smantique 50, 64, 8788, 122, 166, 196, 202,
206, 265, 267, 269, 302304, 308, 319,
334, 338340, 344, 347349, 351, 353
355, 358, 365, 371372, 380391, 413,
416417, 420421, 423, 434, 494495,
514, 516, 525, 529, 536, 538, 540, 546548,
567, 585588, 591595, 598604, 607
610, 641, 682, 685, 693, 709
cognitive 599
de lnonc 598, 601, 607609
des scnarios 588, 591593, 603
du prototype prototype
formelle 600
gnrative 585587, 609
logique 587
Squence de Sainte Eulalie 1314, 113, 116
Serments de Strasbourg 1214, 17, 113, 115
sexe 73, 76, 295, 298, 334364, 542, 652
et langage 8485, 320, 323, 334364
signe idographique 271
similarit 305, 588589, 591, 595597, 602
604, 622

727

socit 26, 53, 5556, 5859, 62, 65, 7273,


76, 8285, 9394, 135, 173174, 181, 190,
245, 250, 253, 269, 295, 300, 306, 321,
342, 392, 404, 435, 445, 449, 483484,
505, 518, 526, 642, 647, 653, 659, 662,
667668, 698
sociolinguistique 4142, 52, 54, 74, 81, 111, 118,
133135, 140, 155, 160, 198, 216, 219 n. 6,
220, 276, 293294, 296, 306, 308, 314
315, 317319, 324, 326, 334, 356, 365366,
368369, 402403, 458459, 471, 508,
517521, 570, 587, 610 n. 8, 620, 629, 633,
661, 665
sourcier 703
sous-titrage 445, 709
standard 52, 84, 9293, 95, 99, 121, 123, 135,
154, 191, 217218, 222, 231235, 249, 264,
271, 302, 500, 690
grammatical 499
non-standard 91, 95, 209, 271, 294
standardisation
lexicale 43, 148
linguistique 11, 39, 4142, 4445, 49, 57,
59, 6465, 72, 7778, 87, 99, 136, 148
150, 155, 164, 200, 212, 216217, 220,
231234, 243, 254, 358, 461, 501, 519,
687688
statistique lexicale 78, 84, 691
statut du franais 133138, 141, 154155, 172
174, 179181, 184, 216, 221, 224, 444445,
469, 478, 485486, 505, 507511, 639,
650651, 654
strotype 117, 123, 166, 294, 300, 318, 320,
327, 341, 591, 596
stigmate 184
storytelling (rcits) 322
structuralisme 234, 374, 544545, 586587,
600601, 605, 618, 622, 640, 644
structure dpendancielle 689
stylistique 58, 75, 108, 262, 369, 385, 425, 437,
532, 541, 700, 702, 711
compare 702
subjectivit 97, 125, 243, 437, 537, 585, 588,
598600, 609
substandard 50, 54, 58, 500
substrat 402406
Suisse 181, 224, 252, 460462, 572
romande (voir aussi Romandie) 209, 387,
462, 569

728

Index

suisse almanique 391


superstrat 402406, 411
supranational 179, 435436, 442443
syntaxe 31, 52, 57, 61, 73, 76, 78, 83, 88, 95
97, 99100, 108, 113, 117119, 121, 123
125, 167, 192, 199, 270, 276, 286, 297,
302304, 319, 321, 334, 337, 345346,
348, 371, 373, 379, 387, 415, 435, 440,
459, 467, 517, 527, 533538, 540, 544
546, 585587, 600601, 607610, 624
625, 641, 644, 647, 673, 682683, 685
686, 688691, 693, 700, 708
synthse vocale 272
systme ducatif / scolaire 173, 183, 200, 448,
465, 468, 472 n. 12, 484, 486487, 500,
642643, 647648, 652654, 675
systme verbal
hypertrophique 44
priphrique 44
target gender 335
TEI (Text Encoding Initiative) 683
terminologie 7273, 75, 8788, 98100, 112
112, 134135, 143144, 147, 149153, 155,
161, 166, 171, 179, 188, 190, 203, 217, 243,
277, 283, 293, 316317, 325, 334, 365
366, 402, 424, 435, 440, 449, 452, 487,
594, 600, 621, 628, 632633, 660, 665,
682 n. 2, 683, 700, 707708
grammaticale 526, 537538, 542
texte
de limmdiat priv 9396
documentaire 108, 110, 114, 117119
littraire 25 n. 18, 78, 81, 89, 91, 108109,
114, 118120, 561, 643, 649
types de ~ 7576, 86, 88, 94, 244, 247, 275
276, 283, 287288, 683
textomtrie 691, 693
tradition discursive 244
traduction 1719, 2728, 3133, 8687, 99,
116, 139, 144, 166, 174, 186, 190, 196
n. 2, 204205, 208, 217 n. 2, 248, 257258,
264, 297, 336, 355, 388, 403, 407, 409,
415417, 437, 439, 443, 450452, 464,
493, 500, 527528, 534, 557, 568, 570,
573, 598, 618, 621, 627628, 630, 632
633, 643, 655, 684685, 693, 696715
automatique 573, 701702
exotisante 701

dle 417
histoire de la ~ 696701
idiomatique 573, 701702
indirecte 699
indle 417
littraire 696, 700, 702, 706708, 711
littrale 417698, 700
naturalisante 701
orale 619, 628, 700
simultane 485
sociologie de la ~ 704
spcialise 627, 707, 711712
technique 702
traductologie 632, 696, 701705, 711
Trait de Versailles 142143, 175
traitement automatique des langues 548, 561,
619, 633, 681682, 686
trope conceptuel 588589, 593594
typographie 32, 95, 372, 530, 543, 627628,
706707
typologie 2833, 56, 64, 173, 219, 242, 245
247, 334, 346349, 357, 365, 367, 370
372, 379380, 382, 386, 388, 390, 535,
587, 605606, 608610, 672, 688, 701
underaccomodation 328
unilinguisme 171, 178, 185188, 486
Union europenne 145, 175, 444, 447448,
643, 660, 662664, 669, 692
universel 50, 53, 55, 5859, 82, 163, 188, 192,
262, 264265, 322, 334, 346349, 558
559, 567, 593, 608, 711
usage
bon ~ 39, 49, 51, 59, 6264, 8485, 135, 148
149, 163, 165, 188, 197198, 201, 217, 368,
500, 532 n. 10, 543, 558, 700
crit 270
gnral 39, 367, 370, 390
parl 40, 58
Val dAoste 172, 182183, 374, 451, 457, 471
473
varit linguistique 26, 4042, 4850, 52, 54
55, 59, 64, 7283, 8586, 88, 9094, 96
100, 111, 113, 153, 168, 172173, 183, 188
189, 191, 201202, 211, 216223, 232235,
243, 245246, 256, 264, 270271, 286,
293301, 308309, 315, 326, 358, 365
366, 370, 385387, 390393, 413, 458,

Index

467468, 470, 472, 478480, 484, 487


489, 491, 496, 500501, 505, 511513, 517,
519, 548, 565, 569570, 652654, 666
668, 688, 698, 709
variation
diaphasique / diasituationnelle 72, 7476,
80, 86, 95, 262, 293, 297298, 321, 324
325, 358, 373, 379, 489, 496, 500, 570
diastratique 60, 62, 72, 7476, 79, 8288,
9192, 124, 167, 262, 293, 297298, 324
325, 358, 373, 375, 495496, 570
diatopique 39, 42, 6162, 72, 7475, 7781,
83, 91, 95, 9899, 120, 124, 233, 245, 256,

729

262, 297, 358, 365366, 370371, 373


375, 391, 487, 569570
verlan 83, 285, 293294, 304, 306307
Vie de saint Lger 1416, 116
vieillissement normal 314316, 318319
wallon 1516, 25, 60, 78, 80, 182, 189, 218, 222
n. 19, 457458, 460, 463
Wallonie 25, 27 n. 20, 111, 172, 180, 185, 458, 460
wallonisme 16, 165, 189
XML (Extensible Markup Language) 567, 682
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