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UNIVERSIT DE M0NTRAL

La mtaphysique du Dasein dans loeuvre de Martm Heidegger

Repenser lessence de la mtaphysique partit de la libert humaine

par

FRAN0Is JARAN-DUQUETTE

Dpartement de Philosophie
Facult des Arts et des Sciences

Thse prsente la Facult des tudes suprieures


en vue de lobtention du grade de Phitosophiae Doctor (Ph.
en Philosophie

fvrier 2006

o
Franois Jaran-Duquette, 2006.
..- (_

tIIh
Universit
de Montral
Direction des biblothques

AVIS

Lauteur a autoris lUniversit de Montral reproduire et diffuser, en totalit


ou en partie, par quelque moyen que ce soit et sur quelque support que ce
soit, et exclusivement des fins non lucratives denseignement et de
recherche, des copies de ce mmoire ou de cette thse.

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(D Facult des tudes suprieures

Cette thse intitule:

La mtaphysique du Dasein dans loeuvre de Martin Heidegger


Repenser lessence de la mtaphysique partir de la libert humaine

prsente par:

franois Jaran-Duquette

a t value par un jury compos des personnes suivantes:

Prsident-rapporteur

Directeur de recherche

Membre du jury

Examinateur externe

Reprsentant du doyen de la FES


Rsum
C Immdiatement aprs la publication dtre et temps en 1927, Heidegger reformulait son projet dune
ontologie fondamentale en des termes qm ne dissimulaient plus son intention mtaphysique. Ce projet dune
mtaphysique du Da.rein (1927-1930) prsentait une tonnante tentative de rebter et de refrnder et non encore

de d4basser les questions fondamentales de la mtaphysique. Sinspirant des travaux de Kant et dAristote,
Heidegger reprenait alors les problmes traditionnels de la mtaphysique notamment ceux du fondement, de la
libert et de la transcendance, autant de thmes qui restent encore peu abords dans tre et temps afin de rendre

possible un nouvel abord de la question de ltre laquelle le trait inachev de 1927 navait pas russi apporter
de rponse concrte
Cette mtaphysique du Dasein qui ne durera que trois annes constitue, dans loeuvre de Heidegger,
une tape autonome qui na pas reu toute lattention quelle mrite. Tout en paraissant poursuivre le projet de
son ontologie fondamentale de 1927, Heidegger se livre alors une explication avec la pense mtaphysique quil
se propose de reconduire, pour la premire fois, son fondement impens. Heidegger compte y parvenir en
partant de la double vocation ontologique et thologique de la mtaphysique classique, pense comme onto
tholqgie. Aprs avoir identifi lapparition de cette thmatique de lonto-thologie ds les cours du milieu des
aimes 1920, notre thse se propose daborder de front le corpus de la mtaphysique du Dasein afin de mettre en
vidence la manire dont Heidegger sy prend pour satisfaire lui-mme cette structure double de la
mtaphysique.
Notre recherche souhaite dans un premier temps mettre jour la rptition quopre Heidegger du
problme aristotlicien du monde. Considrant que la tradition na pas russi saisir lorientation essentielle de la
recherche dAristote sur le thelon, Heidegger retourne la Mtaphjsique pour montrer que linterprtation
thologique traditionnelle qui en a t faite laquelle Hcidegger oppose une interprtation thiotogique na fait

que dissimuler un problme non encore rsolu de la pense aristotlicienne. Nous nous attaquerons ensuite
lexplication de la thse forte selon laquelle la mtaphysique serait lvnement fondamental dans le Dasein o. Ce
travail permettra de mettre jour les racines les plus caches de la mtaphysique en rendant visible lorigine de son
questionnement dans la libert humaine.
Si lon a pu croire que la mtaphysique du Dasein ne constituait quun appendice lontologie
fondamentale ou encore, une simple rechute dans la mtaphysique, la prsente thse entend montrer que derrire
ces textes se cache un projet fondamentalement autonome qui, tout en tablissant le pont entre Etre et temps et les
Contributions hv philosophie, nen constitue pas moins une faon unique dans loeuvre de Heidegger daborder
lessence de la mtaphysique. Premire tentative pour penser le problme de ltre aprs lontologie fondamentale,
la mtaphysique du Dasein trouvera son achvement dans lexposition dun concept ontologique de libert qui
donnera Heidegger les instruments ncessaires pour poursuivre et repenser son cheminement.

Mots cls: Martin Heidegger Mtaphysique Dasein libert fondement


II

Abstract

Short]v after the publication of Being and Time in 1927, Heidegger reformulated bis proleci of
fimdamental ontology in terms that no longer dissimulated its metaphysical intentions. This projeci of a
metaphyscs ot Dasein (1927-1930) presented a stunning attempt to ntrieue and to kry the&rounds of and not yct
to overcome die fimdamental questions of metaphysics. Inspired by Kants and Anstodes works, Heidegger
reformulated the traditional problems most notably those of foundation, freedom and transcendence, diat were
stifi underexposed in Beiiig and Time in order to make possible u new approach to the question of being, to winch
he had failed in provide a concrete answer in bis uncompleted treatise of 1927.
This metaphysics of Dasein that only lasted for three years represents, in Heideggers work, an
independent step that has not yet received ail the attention it deserves. WIule stiil seeming to pursue bis 1927
project of a fundamental ontology, Heidegger attempts for the first time to bring back metaphysics toward Its
unseen foundation. Heidegger means to do so using the division of classic metaphysics in ontology and tbeokgy
as u guideline. After having identified tire emergence of die problem of onto-theology in die lecture courses of die
mid-1920s, we wi]i address die writings of tire metaphysics of Dasein in order to show how Heidegger planned to
satisfy this double structure ofmetaphysics.
first, we will discuss die Heideggenan retneval of Aristodes problem of die world. Considering that thc
tradition neyer succeeded in seizing tire essential orientation of Anstodes investigation on tire theon, Heidegger
retums to the MetapIysics in order in show that its traditional theological interpreration that he opposes to bis
own theioIgica/ interpretation dissinrulated a probtem flot yet solved in Aristodes thought. We wiil then
approach tins idea according to which metaphysics would be tire fundamental occurrence in Dasein. This will
lead us to uncover tire bidden roots of metaphysics by revealing tire ongin of its questions in human freedom.
If one might think that the metaphysics of Dusein only represented an appcndix to fundamental ontology
or u simple relapse in metaphvsics, tus investigation aims in show that bebind these texts is bidden an
independent project that, while bridging Being aud Tirne in tire Contributions to Phitosophj, constitutes u unique way in
Heideggers work to approach die essence ot metaphysics. Representing die first attempt to address die problem
of being after die unfolding of tire fundamental ontology, die metaphysics of Dasein wiil reach its achievement in
die exposition of an ontological concept of freedoni which will give Heidegger die necessary tools to pursue

and to rethink bis path.

Ky word: Matin ileidegger Metaphysics Dasein fteedom foundation


Table des matires

Note bibliqgraphique y.

INTRODUCTION 1.

Considrations introductives
LE PROJET DUNE MTAPHYSIQUE DU DAsEn 10.

Chapitre premier. La publication de Sein und Zeit et la premire rception


de ta pense heideggrienne 15.
Chapitre II. Une mtaphyvique pour combler tes lacunes de tanthropologie
phitosophique 25.
Chapitre III. Li mtaphysique de Max Schekr 35.
Chapitre W. Le saut dans la mtaptysique 45.
Chapitre V. Le corpus de ta mtaphysique du Dasein 51.

Premire partie
LA MTAPHYSIQUE 64.

Chapitre premier. ue peut tre et que doit tre la mtaphysique ? 65.


1. La polysmie de la mtaphysique 65.
2. La tche dinterprter correctement la itpdrti1 pt?oropia
dAristote 75.
3. Lintuition cache derrire le primat moderne accord i
lhomme 83.
4. La reprise de la thse kantienne dune metap/?ysica naturalis 86.
Chapitre II. La structure onto-thotogique de toute mtapysique 97.
1. La mtaphysique comme vrit de ltant comme tel
et dans son ensemble 99.
2. Les sources du concept donto-thologie 104.
3. Lapparition textuelle du concept de Ionto-thologie 115.
4. Le modle de lontologie Fondamentale : lefundamentum
ontique de lontologie 118.
5. La constitution onto-thologique de la mtaphysique du
Dasein 125.
iv

Deuxime partie
LE PROBLME DU MONDE 140.

Chapitre premier. Le monde saisi dans labordprtogique de ttant (aiu6Eu1) 146.


Chapitre II. Le monde du Dasem mythique 156.
Chapitre III. Les chemins empruntr par Heidegerpourpenser ta question du
monde 163.
1. La rnondant du monde 167.
2. Lhistoire du concept de monde 1 6$.
3. Lexamen comparatif avec la pierre et lanimal 173.
Chapitre 1V. Le monde comme concept transcendantal 176.
Chapitre V. De lidal transcendantal : tepassage illegitime du Oto V au
OE6 197.
Chapitre VI. La manftstet de ttant comme tel et dans son ensemble 207.
Chapitre VII. La thiologie heideggrienne et lunit de ta mtaphysique du Dasein 215.

Troisime partie
LE FONDEMENT ET LA LIBERT 222.

Chapitre premier. L homme commefondement de ta question mtaplysique


fondamentale 224.
Chapitre II. L unit de la mtaphyiique comprise comme vnementfondamenta/
dans k Dasein 230.
Chapitre III. De lessence dufondement 235.
1. De Vom [Vesen des Gntndes Der Sat rom Gnmd 236.
2. Le concept traditionnel de fondement 240.
3. Lessence du fondement 245.
Chapitre W. De lessence de ta libert humaine 256.
1. La libert eu gard au fondement 257.
2. Lintelligence ontologique de la libert 260.

CONCLUSION 274.

Annexe A LA LECTURE CHRONOLOGIQUE DE LOEUVRE DE MARTIN


HEIDEGGER 287.
Annexe B OccuRRENCES DES TERMES ONTO-THOLOGIE ET ONTO
THOLOGIQUE DANS LE CORPUS HEIDEGGMEN 301.

BIBLIOGRAPHIE 303.
I. Le copus heide<ggrien 1927-1930

303.
II. Textes de Mai-tin Heide<gger cits dans cette tude

309.
III. Ijttratzrre secondaire 315.
V

o
Note bibtiographiqzie

Tous les textes de Heidegger disponibles cbns la Gesumtauigahe (Frankfurt a. M.,


Vittono Klostermann, depuis 1975) sont cits selon cette dition (abrg GA suivi du numro
du tome et de la page), sauf pour Sein und Zeit que nous citons suivant b pagination originale
(Itibingen, Max Niemeyer Verlag, 182001, abrg S. u. Z.). Nous nous servons toujours, quitte
les modifier, des traductions franaises existantes (dont la liste complte est donne dans la
bibliographie). Nous navons indiqu la rfrence au texte franais que dans les cas o b
pagination de loriginal ntait pas reprise en marge.

Abrviations dcrits et de confrences cits partir de ta Gesamtausgabc

PL4 Phdnornenotogische Inteipretationen u Aristotetes (Anetge der hermeneutischen Situation)


(GA 62).

VWG J/om Wesen des Gntndes (GA 9).

KPM Kant und das ?robkm der Metapiysik (GA 3).

Ws ist Mettrp?ysik ? (GA 9).

17117W Yom Wesen der Wahrheit (GA 9).

Hum B nef ii ber den Hiimanismus (GA 9).

WME Einteztuig .u K7as ist Metaphjsik ? (GA 9).

SvG Der Sat rom Grund (GA 10).

KTS Kants These ilber das Sein (GA 9).


vi

Abrviations des textes qui ne sontpas disponibles dans la Gesamtausgabe

C
J-IPM Regel und das Probtem der Metaphysik (dans Hadrien France-Lanord et Fabrice
Midal (d.), La fte de la pense. Rommge d Franois Fdier, Pans, Lettrage
Distribution, 2001).

Ph. u. G. Phitosophieren raid Gtauben. Das Wesen der Wahrheit (retranscription faite par
Hermann Mrchen dune confrence prsente ii Marburg le 5 dcembre 1930).

SA Scheiings Abhandiung liber das Wesen der menschlichen Frieheit (1809), Tiibmgen, Max
Niemeyer Verlag, 1971.

I. u. D. Identitl zrnd D7vl, Pfullingen, Neske, 1957.

ZSD Zur Sache des Denkens, Ttibingen, Niemeyer, 1969.

Abrviations douvrages dautres auteurs souvent cits

L u. Ph. Georg Misch, Lebeniphilosophie und Phnomenologie, Darmstadt, Wissenschaftliche


Buchgesellschaft, 3i 967.

SMK Max Scheler, Die Stellung des Menschen 1m Kosmos, dans Spiite Schiften, Gesam7nette
IVerke, Bern et Mnchen, Francke, tome 9, 1976.
Pour Maria
Je souhaite remercier mon directeur de recherche, le Professeur Jean
Grondin, qui, du dbut la fin de llaboration de ce travail, a lu et
comment avec attention les textes qui le composent. Lintrt quil a
port mes recherches et la constance dans ses exigences ont
reprsent un appui solide pour la rdaction de cette thse. En tant que
chercheur, je suis redevable sa rigueur et sa probit intellectuelles.
Mon apprentissage lui doit aussi beaucoup: son enseignement a
profondment marqu ma comprhension de cc que doit tre la
philosophie.

Je souhaite aussi remercier le Professeur Ramn Rodriguez Garda de


lUniversit Complutense de Madrid qui, par ses conseils et son amiti, a
t un interlocuteur prcieux dans la ralisation de cette thse.

Le soutien financier de cette recherche a t assur par te Fond qubcois de recherche


sur ta socit et ta culture FRSC).
o
Introduction

La parution des deux premires sections de linachev Sein und Zeit aura t suivie dun

silence de deux ans. Il faudra en effet attendre jusquau printemps 1929 pour que Hcidcgger

fasse paratre une seconde publication majeure: Vom Wesen des Gr#ndes. Bien que lon ait pu

lgitimement attendre de ce trait quil complte louvrage de 1927, Heidegger y labore plutt

une problmatique nouvelle qui tourne autour dun concept que Sein und Zeit navait que trs

discrtement mentionn: la transcendance du Dasein. Au cours des annes qui vont suivre,

Heidegger ne cherche dailleurs pas tant rpondre la question laisse en suspens dans

IHauptwerk celle du rapport de ltre au temps , qu laborer, dans ses cours, ce quil

appelle une mtaphysique du Dasein , projet qui sloigne maints gards de lontologie

fondamentale. Si les textes publis la suite de Sein und Zeit laissrent difficilement deviner les

dtours quempruntait alors ie chemin de pense de Heidegger, la publication dans ldition

complte (Gesamtauigabe) des cours donns cette poque permet aujourdhui dtablir

clairement que derrire lexpression mtaphysique du Dasein se cachait un nouveau chemin

pour penser le problme de la philosophie. Frayant dautres voies vers la question de ltre,

Heidegger emploie alors une conceptualit nouvelle qui, sloignant dj de Sein und Zeit, ne se

situe pourtant pas encore dans le projet plus tardif de lhistoire & ttre. Se rclamant dune

pense mtapIysique qui ait poux thme central la transcendance, Heidegger semble soudainement

se rallier ce quil tentera de surmonter partir du milieu des annes 1930.


2

Sous lgide de la mtaphysique, Heidegger produit alors quelques-uns de ses textes

pbilosophiques les plus percutants. Cela peut nous laisser croire que cette association passagre

de la pense heideggnenne avec la mtaphysique naura pas t une simple rechute dans la

pense traditionnelle de la transcendance comme pourraient le laisser entendre de nombreux

textes plus tardifs dont la Lettre sur lhumanisme de 1946 , mais quelle aura permis une

rflexion philosophique authentique de se dployer. La publication relativement rcente des

manuscrits de Heidegger a permis de dcouvrir cette phase mconnue de loeuvre

correspondant llaboration dune mtaphysique du Dasein (1927-1 930).

Malgr lintrt vident que prsentent ces textes, il pourrait sembler paradoxal de

<t prendre au srieux cette tentative que fait Heidegger dinstaurer les fondements dune

nouvelle mtaphysique. Tous les textes crits partir de h moiti des annes 1930 travaillent

en effet dpasser la mtaphysique et, par le fait mme, rendent difficile laccs ce stade

de la pense heideggrienne. Il faut cependant rappeler qu partir du milieu des annes 1920,

Heidegger se passionne pour la Critique de ta raison pure de Kant quil interprte comme lunique

tentative explicite dans lhistoire dinterroger les conditions de possibilit de la mtaphysique. A

son tour, Heidegger prtend procder une refonte de lessence de la mtaphysique

permettant de lui fournir un fondement authentique. Rappelons aussi que si h mtaphysique a

t proscrite par les mouvements positiviste et nokantien, elle a nanmoins connu au

dbut du XX sicle une certaine rsurgence. Aux cts de ce mouvement philosophique

populaire qui se rclame de la rsurrection de la mtaphysique et que Heidegger vilipende

frquemment , les penseurs allemands les plus importants de lpoque Edmund Husserl,

Karl Jaspers, Max Scheler ont tous laiss entendre, une poque ou une autre, que la vise

vritable de leur pense tait mtaphysique. Cest donc sous linfluence conjointe de Kant et

sans doute de Max Scheler que Heidegger en vient souhaiter non pas dj dpasser la

mtaphysique, mais bien lui offrir la rigueur et la rsolution quelle na pas connues dans le
3

cours de son histoire. Si lon peut stonner de ce que le penseur du dpassement de la

mtaphysique quest Heidegger ait succomb la fin des annes 1920 au charme de la

<t reine des sciences , il ne faut pas pour autant condamner demble le projet.

Ltude qui suit souhaite contribuer la mise en lumire de ce moment singulier de la

pense heideggrienne. Les crits composant cette phase de loeuvre ont ceci de particulier

quils se rclament ouvertement de la mtaphysique. Situe mi-chemin entre lontologie

fondamentale du Heidegger I et cette esquisse de lhistoire de ltre du <t Heidegger II, la

mtaphysique du Dasein constitue la dernire tentative explicite doffrir une solution au

problme de la philosophie.

La publication en cours de la Gesamtauigabe a rendu accessibles ces textes situs la

frontire du tournant et qui constituent une entreprise autonome lintrieur dc la pense

heideggrienne. Entre la publication de Sein und Zeit en 1927 et la rdaction des textes

appartenant au nouveau commencement du milieu des annes 1930, Heidegger est pass

par un stade intermdiaire dans lequel la question des conditions de possibilit de la

mtaphysique se place tonnamment au centre de tous les dbats. Si le thme de la

mtaphysique napparat quasiment jamais lpoque o germe lontologie fondamentale

(1924-1927) il nest alors jamais question que dontologie et si Heidegger lui rserve le sort

que lon sait partir du milieu des annes 1930, la question de lessence de la mtaphysique

reprsente curieusement son enjeu central la fin des annes 1920. Le texte Kant und das

Pro btem der AIeraphysik avait dailleurs montr ds 1929 que cette solidarit entre Kant et

Heidegger avait pour fondement un grand respect pour la mtaphysique ainsi quune volont

commune den repenser et den transformer lessence. On sait dsormais que louvrage sur

Kant ntait pas un essai isol. La publication de lensemble des cours donnes entre 1927 et

1930 a en effet montr que la mtaphysique du Dasem ntait pas une ide propre la
4

quatrime partie de louvrage sur Kant, mais bien le titre dun projet philosophique auquel

Heidegger a consacr tous ses efforts aprs la publication de Sein und Zeit. Laccs la quasi-

totalit du corpus de la mtaphysique du Dasein permet aujourdhui de dresser un bilan de cette

mtaphysique qui, lencontre de lidalisme allemand, a brandi ltendard de la finitude.

Au cours de ces quelques annes, le confrontation avec la mtaphysique prendra une

tournure bien distincte de celle des textes antrieurs et ultrieurs. Il ne sagit plus seulement de

rveiller cette question de ltre oublie par la tradition, ni mme de tracer une histoire de ltre

la faveur dun pas en arrire . Dans le cadre de la mtaphysique du Dasein, Heidegger

admet ouvertement prendre le relais du projet mtaphysique kantien dans le but de mener

bon port le problme fondamental qui aurait d tre, mais qui na jamais t celui de la

mtaphysique: la question de ltre.

Le but de cette tude nest pas de tracer un portrait complet et exhaustif de lensemble

des thmes contenus dans ces cours. Parmi toutes les lectures possibles de la mtaphysique du

Dasein, nous choisissons le fil conducteur que constitue le questionnement sur lessence de la

mtaphysique. Plutt que de suivre pas pas le dploiement complet de ce projet, nous

tenterons plutt une caractrisation de la mtaphysique du Dasein partir de la thse de lonto

thotogie. Une telle lecture reprsente un pari risqu dans la mesure o cette ide bien connue

dune constitution onto-thologique de la mtaphysique est propre aux textes du second

Heidegger, principalement ceux crits partir des annes 1940. Mme si le terme apparat tout

dabord dans le cours sur la Phnomnotqgie de lesprit de lhiver 1930/31, on sait quil faudra

attendre une dcennie avant quil ne devienne habituel dans la terminologie heideggrienne.

Or, malgr labsence textuelle du terme, il existe une multitude dindices permettant de montrer

que, ds le milieu des annes 1920, Heidegger pensait dj lessence de la philosophie et non

seulement de la pense aristotlicienne mais bien de lensemble de la tradition philosophique


5

partir des traits constitutifs de lonto-thologie. Alors que Heidegger se propose, pour ainsi

dire, d entrer en mtaphysique la fin des annes 1920, il a en effet dj reconnu lexistence

dune structure propre toute mtaphysique. Ce sera dailleurs lune de nos principales tches

que dtablir de quelle faon Keidegger entend se rappropner une telle structure dans son

entreprise mtaphysique.

Nous choisissons le fil conducteur de lonto-thologie car il nous parat tre celui qui

illustre le mieux cette confrontation directe avec lessence de la mtaphysique. Dans la mesure

o la mtaphysique du Daseut souhaite prsenter une nouvelle fondation de la mtaphysique

tablie partir dune rflexion portant sur son essence, il nous importera tout dabord de bien

cerner lide que se fait Heidegger de cette essence. Il sagira pour nous dtablir, partir des

indications que donne Heidegger, les parallles qui existent entre la structure onto-thologique

de la mtaphysique traditionnelle et les articulations de cette mtaphysique nouvelle qui voit le

jour la fin des annes 1920. Ce sera pour nous loccasion de chercher mme le co?pus

heideggrien les traces dune fappropnation des thmes propres la pense mtaphysique

traditionnelle comprise comme connaissance de ltant comme tel et dans son ensemble >.

Cette caractrisation de la mtaphysique qui est la base de son interprtation comme

onto-thologie vise stigmatiser une incapacit penser ltre autrement qu partir dun tant

suprme, fondement de ltant dans son ensemble. Si Heidegger souhaite alors redorer le

blason de la mtaphysique, il le fera en montrant que ces deux orientations traditionnelles

ttant comme te ttant dans son ensembte cachent un problme rel quil appartient la pense

philosophique de mettre en lumire. Pensant ltre partir de ltant, la pense mtaphysique

post-aristotlicienne aurait ignor le problme de lunit du questionnement mtaphysique

quAristote tcherait de mettre en vidence. Cest dune mauvaise interprtation des crits

dAristote que serait issue la mtaphysique dans sa figure onto-thologique. La mtaphysique

heideggrienne> reprsente donc une tentative de repenser lessence de ta mtaphysique


6

partir des problmes propres la philosophie premire aristotlicienne de telle sorte que soient

rendues manifestes, par un effort de destruction >, les questions que la tradition a etes dans

loubli.

Si la mtaphysique du Dasein peut tre caractrise partir de sa reprise des

thmatiques antiques, elle admet aussi une dtermination autre qui lloigne des problmatiques

dAristote. Dans le cadre de la mtaphysique du Dasein, cest en effet surtout la mtaphysique

pense comme vnement fondamental dans le Dasein , voire comme Dasein qui va

intresser Heidegger. Concevant la mtaphysique comme appartenant la nature de lhomme,

Heidegger reprend lide kantienne dune metaphjsica naturatis contenue en lhomme et qui le

contraint interroger mtaphysiquement)) ltant effectif eu gard sa possibilit. Cest ainsi

que va slaborer toute une rflexion portant sur les conditions de possibilit de la

mtaphysique comprise non pas comme discipline, mais bien comme vnement advenant

dans lexistence humaine. Lunit de linterrogation de la mtaphysique ne sera plus ici aborde

partir de la possible convergence de ses diffrentes orientations, mais bien partir de la

nature de lhomme. Cest en pensant le Dasein comme projet jet)) que sera expose la

condition de possibilit dun tel vnement en 1m. Bien que cette caractrisation de la

mtaphysique sloigne grandement de la premire, Heidegger sefforcera encore dtablir des

parallles avec la structure double de la philosophie premire aristotlicienne.

U sagira donc, dans un premier temps, de montrer comment Heidegger caractrise la

nature de la mtaphysique partir des notions de fondement et de libert quil lie intimement

lessence transcendantale du Dasein. Orientant cette rflexion mtaphysique sur la nature

humaine, il faudra tenter de comprendre sous toutes ses formes cette rappropnahon que fait

Heidegger du primat qua accord la pense moderne lhomme. En pensant lessence du

Dasein partir de la transcendance, puis de la libert, Heidegger montre la voie une pense
7

qui, linstar de la philosophie moderne, place lhomme au centre , mais qui,

paradoxalement, pense lhomme comme un tre excentrique . Rpondre laccusation htive

danthrvpolo<gisme qui couronna la publication de Sein ttnd Zeit reprsente ainsi lun des enjeux

fondamentaux de la mtaphysique du Dasein.

Ce projet dune mtaphysique du Dasein est assez mal connu. La raison cela doit bien

entendu tre cherche dans la publication relativement rcente de la plupart des textes

composant son co?pus. Seul louvrage paru en 1929, Kant tmd das Probkm der Metaphjsik, avait

voqu cette entreprise. Limportant essai de la mme anne, Vom [Vesen des Grundes, na pas t

abord dans cette optique mtaphysique mme sil voquait de faon discrte, il va sans dire

la parent existant entre sa vise propre concevoir plus radicalement lessence de la

transcendance et llaboration dune nouvelle mtaphysique. La confrence qui inaugura le

retour de Heidegger Freiburg, iVas ist Metapbjsik?, annonait quant elle sans quivoque un

virage mtaphysique entrepris par lontologie fondamentale. Le projet dune mtaphysique

du Dasein ny tait cependant pas voqu. La confrence I7om [J7esen der Wahrheit datant de

1930 mais publie, dans une version remanie, en 1943 , bien quelle expose des thmes

explicitement lis la mtaphysique du Dasein, ne disait rien dudit projet que Heidegger est

dailleurs en train dabandonner.

Seule la publication des cours qui schelonnent sur la priode qui va de la parution de

Sein und Zeit (1927) labandon de la mtaphysique du Dasein (1930) a permis lunit de ce

projet de se dvoiler. Les cours appartenant cette poque ayant t publis entre le milieu des

annes 1970 et la fin des annes 19901, le temps est venu de se pencher sur ce projet en

1. Le cours du semestre dt 1927 (Die Gnindprobteme der Phnomenotqgie, Gesamtausgabe [abrg GJ, tome 24;
tr. par Jean-franois Courtine, Les problimes fondamentaux de hi phnommnolo,gie, Paris, Gaffimard, 1985) est paru en
1975, celui du semestre dhiver 1927/28 (Phiinomenoto,gische Interpretation von Kants K,itik der reinen Verniaft, GA 25;
tr. par Emmanuel Martineau, Interprtation pbnomnologique de hi Critique de la raison pnre de Kant, Paris, Gallimard,
1982) en 1977, celui du semestre dt 1928 (Afetap?ysische Anfangignnde der Logik im Auigaig von Leibni, GA 26) en
1978, celui du semestre dhiver 1928/29 (Einleitun,g in die Philosophie, GA 27) en 1996, celui du semestre dt 1929
8

prenant pour base textuelle la quasi-totalit des manuscrits qui le composent. Suivant ce que

lon connat des textes mdits du Nachtaji, seuls font dfaut aujourdhui des sminaires encore

indits et une srie de confrences dont, dans plusieurs cas, le contenu peut tre devin grce

aux cours donns simultanment1.

En guise dintroduction la mtaphysique du Dasein, nous souhaitons aborder le

contexte particulier dans lequel se situe ce projet. Nous commencerons donc par traiter de la

premire rception de Sein und Zeit qui concide dans le temps avec llaboration de la

mtaphysique du Dasein. Cherchant mieux marquer la distance qui existe entre son ontologie

fondamentale et lanthropologie philosophique qui est alors en vogue, Heidegger

tc radicalisera sa terminologie et tentera de faire valoir linspiration profondment

aristotlicienne et mtaphysique de sa pense. Nous tenterons alors de comprendre linfluence

qua pu avoir Max Scheler sur ce projet. Selon ce que Heidegger rapporte dc leur dernire

rencontre, une grande solidarit se serait tablie entre les deux penseurs quelque temps avant la

mort soudaine de Scheler en mai 1928. Cest dailleurs dans le cadre dun hommage ce

dernier que Heidegger fit part ses lves de son intention de tenter nouveau le <t saut dans

la mtaphysique.

La premire partie de notre tude sattaque quant elle au thme de la mtaphysique.

Abordant tout dabord les diffrents sens que le mot lui-mme peut porter, nous tenterons de

comprendre pour quels motifs 1-leidegger insiste soudainement sur le caractre mtaphysique

de sa pense. Nous montrerons ensuite de quelle faon, ds le milieu des annes 1920, apparat

cette caractrisation de la mtaphysique comme onto-thologie.

(Der deutsche Idealismus (Fichte, Schel/ing, Heget) und die philosophische Probkm/a,ge der Gegenwart, GA 28) en 1997, celui du
semestre dhiver 1929/30 (Die Grundbtgriffi der AIetaphysik. IVeit Endtichkeit Einsamkeit, GA 29/30; tr. par

Daniel Panis, Les concepts fondamentaux de la mtaphjsique. Monde-finitude-solitude, Paris, Gffimard, 1992) en 1983 et
celui du semestre dt 1930 (l7om IVesen der menschlichen Freiheit. Einleitung in die Philosophie, GA 31; tr. par
Emmanuel Martineau, De lessence de la libert humaine. Introduction laphilsoophie, Pans, Gallirnard, 1987) en 1982.
L Pour la liste exhaustive de tous les textes composant le corpus de la mtaphysique du Dasein (incluant les
changes pistoLaires), on se rfrera, dans la bibliographie, la section Le corpus heidcggrien. 1927-1930
9

Cest partir de ce que nous aurons tabli dans cette premire partie que nous

souhaitons aborder le projet dune mtaphysique du Dasein. Il est en effet possible de montrer

que la mtaphysique du Dasein se pfsente elle-mme comme une tentative de donner rponse

aux problmes fondamentaux qui se trouvent la base de ce dploiement onto-thologique de

la philosophie. Cette lecture de la mtaphysique du Dasein nous permettra de mettre en

vidence les divers problmes qui se posent Heidegger aprs la publication de Sein und Zeit et

qui dcoulent de cette rorientation mtaphysique.

La seconde partie portera sur le problme du monde que Heidegger associe au versant

thologique de sa mtaphysique, cest--dire au traitement du problme de ltant dans son

ensemble . Il sagira ici de montrer quaux cts de la problmatique ontologique de ltant

comnie tel , Heidegger a reconnu lexistence dune thmatique <t thologique connexe

dont lunit avec la premire fait problme. La troisime et dernire partie tentera, quant elle,

de mettre en lumire cette ide dune mtaphysique comme Dasein , cest--dire de montrer

comment la possibilit de la mtaphysique est alors envisage partir de la nature du Dasein. Ce

sont les thmes de lessence du fondement et de la libert qui nous permettront de nous

familiariser avec cette thse.

Nous avons d renoncer confronter linterprtation que fait Heidegger de lhistoire

de la mtaphysique celles quont pu proposer les <t interprtes attitrs des grands

mtaphysiciens que sont Aristote, Kant ou Regel. Notre tude a pour but danalyser une

certaine phase de loeuvre de Reidegger qui se fonde sur une lecture partiale de lhistoire de la

mtaphysique1.

1. Nous avons prfr ne pas inclure dans cette introducon quelques considraons mthodologiques
lecture
portant sur la possibilit des lectures chronologiques de loeuvre de Heidegger (voir lAnnexe A, La
<t

chronologique de loeuvre de Martin Efeidegger s).


Considrations introductives

Le projet dune mtaphysique du Dasein

On simagine volontiers et on rpand mme le bruit que je serais en


train dcrire Sein zmd Zeit, IL A la bonne heure. Mais tant donn que
Sein und Zeit tait pour moi un chemin, qui ma bien men quelque part,
mais que ce chemin nest plus foul et quil est mme dj recouvert,
je ne peux plus du tout crire Sei,t tind Zeit, II. Je ncris dailleurs
aucun livre n.

Martin HEIDEGGER, Lettre Elisabeth Blochmann


du 18 septembre 1932

Cest la fin du mois davril 1927 que parut, dans le Jahrbuch fur Philosophie und

phdnornenoto,gische Eorschun,g (volume 8), ce qui, encore aujourdhui, constitue louvrage le plus

important de loeuvre dc Martin Heidegger. Ayant suscit de grandes attentes dans le milieu

philosophique universitaire allemand, Sein und Zeit a immdiatement t reu comme un travail

novateur faisant aussitt de son auteur une figure majeure de la philosophie contemporaine,

non seulement en Allemagne, mais aussi dans ie monde entier. Lhistoire de la rdaction de cet

ouvrage est aujourdhui connue grce la publication dc la Gesamtau.gabe, mais aussi aux

travaux danalyse de Theodore Kisicl1. Le succs de louvrage est toutefois d en partie une

srie de malentendus et de lectures errones qui firent de Sein und Zeit tour tour un chef-

doeuvre de la littrature existentialiste, une grande contribution lanthropologie

1. Theodore Kisiel, The Genesis of Heidegge?r Being c Terne, Berkeley, University of California Press, 1993. Pour
lhistoire complte de la publication de louvrage, on se rfrera au chapitre A Documentary Chronology of the
Path to the Publication of Bein,g and Time, 1924-27 (477-489).
11

philosophique ou une chute dans lanthropologisme et le subjectivisme. La vise relle de

loeuvre rveiller la question de ltre naura t reconnue que tardivement.

Les thses fondamentales de Sein und Zeit nont pas t saisies immdiatement dans leur

radicalit. Il semble mme que les efforts que fait Heidegger pour penser lhomme non pas

comme un sujet connaissant mais bien comme cet tre-au-monde qui a souci de son tre

naient pas atteint leur but. La question de ltre qui occupe limportante introduction

louvrage ( 1-8) a souvent t nglige au profit de questions peut-tre plus secondaires

comi-ne celles de langoisse, de la mort ou du on 2. Les fines analyses de ces phnomnes

complexes finirent par porter ombrage la question qui constitue la vise propre de

lanalytique existendale du Dasein.

Pourtant, Heidegger a tent ds ies premiers chapitres de Sein und Zeit ( 10) de

procder une dlimitation de lanalytique existentiale par rapport aux sciences positives

qui tudient lhomme afin dviter tout malentendu concernant lintention de lanalytique

existentiale. Les diffrentes sciences de lhomme (anthropologie, psychologie, biologie) se

basent toutes, selon linterprtation heideggnenne, sur une ide thologico-anthrepologique

prconue de ce quest lhomme, provenant des traditions dc pense grecque et chrtienne3.

Ces sciences de lhomme aborderaient ainsi lhomme comme un animal rationute ayant, de

surcrot, la capacit de se dpasser lui-mme . Cette dfmition grecque de lhomme (ov

6yov xov) et ce fil conducteur thologique (la transcendance ) constituent un prjug de

i. On pourrait mme soutenir quelles ne lont peut-tre jamais t. La question de ltre et le primat de
lontologie en philosophie ont souvent t perus comme des rechutes dans la mtaphysique mme par ceux qui
Ont SUiVi Heidegger. Sur ces questions, nous renvoyons au texte de Jean Grondin, Pourquoi rveiller ta question
de ltre ? , dans Jean-Francois Matti (d.), Heidegger L7mgme de ltre, Paris, PUF, 2004, 44-47.
2. Un commentaire dEmil Staiger constitue un bon tmoignage de la premire rception de Sein md Zeit:
Dans le cours du semestre dt 1928 (...), jai lu pour la premire fois Sein wid Zeit. Du problme vritable, la
question de ltre, je nai tout dabord rien saisi la premire lecture. Je men suis tenu, comme la majorit des
lecteurs, aux chapitres qui traitent du on, de la curiosit, du souci, de ltre vers la mort, de langoisse et de
ltre-jet . Commentaire cit dans Dieter Thomii (d.), Heidegger-Handbuch. Leben, lVerk, Wirkuig,
Stuttgart! Wcimar,J. B. Metzlcr, 2003, 523.
3. Sein uiidZeitabrg S. u. Z., Tiibingen, Max Niemeyer Verlag, 200l, 48-49; tr. par Emmanuel Marti.neau,
Etre et temps, Paris, Authentica, 1985.
12

la tradition jamais remis en question et qui laisse indtermine la structure ontologique de

lhomme.

Ces remarques qui tentent de faire valoir 1 originalit ontologique de lanalytique

existentiale par rapport lanthropologie philosophique (Plessner, Gehien, Scheler), la

philosophie de la vie (Dilthey, Misch) et mme linterprtation phnomnologique de la

personnalit (Husseri, Schelem) ne semblent pas avoir t saisies par les premiers lecteurs de

Sein und Zeit. Avec son ontologie fondamentale , Heidegger ne souhaitait pas entrer dans des

dbats anthropologiques, mais bien rveiller la question bimillnaire de ltre en se fondant sur

une analyse complexe de la nature de lhomme quil baptise analytique du Dasein . Mais la

section qui devait offrir une conclusion lontologie fondamentale (< Temps et tre >) nayant

pas vu le jour, la vise essentiellement ontologique de loeuvre semble tre passe inaperue.

Nous souhaitons dans les pages qui suivent aborder la question de la rception de la

pense heideggrienne dans les annes qui suivirent la publication de Sein und Zeit. Si cette

rception nous intresse, cest principalement parce quelle concide avec cette entreprise quest

la mtaphysique du Dasein (1927-1930), entreprise qui, comme nous le verrons, peut tre lue

comme une premire mise au point quant lintention relle de Sein und Zeit. Nous tenterons

de montrer comment la tentative que fait Heidegger pour rpondre aux malentendus qui

planent alors sur son oeuvre la pouss une certaine radicalisation de sa thmatique. Si la

mtaphysique du Dasein conserve les thses fondamentales de lontologie fondamentale, son

vocabulaire se veut davantage explicite. La vise fondamentale de Sein und Zei, soutient alors

avec acharnement Heidegger, nest pas anthropologique mais ontologique; son but nest pas la

question de lhomme mais celle de ltre; il ne sagit pas ici de philosophie de la vie mais

dontologie et mme de mtaphjisique! Comme personne na su comprendre le renversement

quimplique, par rapport linterrogation courante, la primaut de la question du sens de ltre,


13

Heidegger se rclamera plus ouvertement dAristote et de Platon et prfrera lexpression

peut-tre encore ambigu dune ontologie fondamentale celle plus dcisive dune

mtaphysique du Dasein . Tous les textes qui suivront la publication de Sein und Zeit voquent

cette interprtation anthropologisante et soulignent la nature rnelapbyrique de lessai de 1927. La

discussion avec lanthropologie philosophique qui se dploie alors2 est dun intrt

fondamental pour la juste comprhension du rapport non anthropocentrique que Keidegger

cherche tablir entre lhomme et ltre. La rception de Sein und Zeit aura en fin de compte

soulev lune des questions les plus complexes de toute loeuvre de Heidegger: celle du lieu

quoccupe lhomme par rapport linterrogation sur ltre. La mise au point laquelle procde

Heidegger aprs la publication de Sein und Zeit lui donne loccasion de clarifier sa position et de

distinguer avec plus de prcision son entreprise de celle de lanthropologie philosophique3.

Dans le but dintroduire ce projet quest la mtaphysique du Dasei,i et den exposer la

gense , nous souhaitons en premier lieu aborder la premire rception de Sein und Zeit afin

dc mettre en relief linterprtation anthropoogisante de louvrage. Dans un second temps,

nous caractriserons de faon negative ic projet de la mtaphysique du Dasein en le

prsentant comme rponse la tendance lanthropologie qui caractrise la philosophie

moderne en gnral. Nous voquerons ensuite la lecture que fit Max Scheler du travail de

1 La citation dti Sophiste de Piston qui ouvre le travail [sc. Sein und Zeit], nen est pas un simple ornement
Kant znid das Probtem der Metap/ysik [abrg KPAlj, GA 3, 239; tn par Walter Biemel et Aiphonse de Waehlens,
Kant et le problme de lu mitapysique, Paris, Gallimard, collection Tel , 1981, 295).
2. Principalement dans louvrage sur Kant (KPM, 36-38), dans lessai sur le fondement (Vom lVesn des
Grandes [abrg ETVG], GA 9, 162, note 59; tr. par 1-Ienry Corbin, Ce qui fait ltre-essentiel dun fondement ou
raison s, dans Questions I et II, Paris, Gallimard, collection Tel s, 1981, 139-140, note 1) et dans le cours sur
lidalisme allemand de la mme anne (GA 2$, 2-4) et dans une confrence du 24 janvier 1929 intitule
Philosophische nthropolo,gie und Metaphjsik des Daseins orIrge, GA 80 ; indit).
(L
3. On peut reprocher Sein und Zeit ( 10) dcarter trop rapidement la possible confusion qui peut exister
entre lontologie fondamentale et les autres projets philosophiques contemporains (anthropologie philosophique,
philosophie de la vie, etc.). La mise au point qua constitu le Kantbuch de 1929 s pouss certains rviser leur
premire interprtation. Siegfried Marck, par exemple, s revu son interprtation dialectico-existentiale de Sein und
Zeit la lecture de ce texte. Claudius Stmbe, dans son article Kridk und Rezeption von Sein und Zeit in den
ersten Jahren nach seinem Erscheinen (Perspektivei; der Philosophie, 1983/9, 52-53), voque les diffrences qui
existent entre le premier et te second tonic de louvrage de Marck, Die Dtalektik in der Philosophie der Gegenwart,
Tiibingen, 1929 et 1931.
14

Keidegger affi de sodigner limportance qua pu avoir h rencontre de ces deux penseurs issus

de la phnomnologie quant au projet dune mtaphysique du Dasein. Pour clore ces

considrations introductives, nous tenterons une caractrisation de lensemble du corpus de la

mtaphysique du Dasein, caractrisation qui nous donnera loccasion de dfinir de faon

positive cette fois ce projet mtaphysique.


15

Chapitre premier

Lii publication de Sein und Zeit et laptrmire rception de la pense heideggrienne

Heidegger n rapidement compris que leffort dploy dans Sein und Zeit pour chapper

aux catgories par trop figes de la philosophie traditionnelle navait pas suffi. Bien que

Heidegger nait pas pris directement part aux dbats philosophiques de son poque, on

reconnatra que les efforts faits pour clarifier, dans des publications ou devant ses lves, la

position dfendue dans Sein und Zeit tmoignent dune certaine insatisfaction face au

<t Heidegger que lon prsente dans les revues. Heidegger savait que i <t effet de Sein und Zeit

ne pouvait se faire sentir du jour au lendemain, mais comme il lcrivit alors Karl Lwith, il

navait jamais rv dune rception aussi <t dmesurment superficielle .

Les textes les plus importants pour ce qui est de la rception immdiate de Sein und Zeit

sont trs certainement louvrage de Georg Misch (1878-1965), Lebensphilosophie und

an Beck en 1928. Nous


Phiinomenologie2, et les Phitosophische Hefre (n 1) dits par Ma

savons que Heidegger a lu avec attention te commentaire de Misch4 et quil n immdiatement

formul une rponse dans son cours de lt 1929. Aftn de bien cerner la rception premire

de la pense de Sein und Zeil, il nous parat important de dresser un portrait gnral de cette

1. Lettre du 3 septembre 1929 (rapporte dans Karl Ltiwith, Zu Heideggers Semsfrage: Die Natur des
Menschen und die Welt der Natur , dans Heide,gger Denker in dftger Zeit. Zur Stellun& der Philosophie im 20.
Jahrh;mdert, Sdrntliche Schrften 8, Stuttgart, ].B. Metzlersche Verlagsbuchliandlung, 1984, 277; cite par Otto
Pggeler, Die Metaphysik ais Problem bei Georg Misch , Dilthy-Jahrbuch, 1999-2000/12, 138).
2. Georg I\lisch, L.ebeniphilosophie zazd Phdnomenologie [abrg L u. Ph.], Darmstadt, Wissenschaft]iche
Buchgesellschaft, 1967. Louvrage est une compilation darticles parus dans le Phiksophischer Anetger (dit par
Helmud Plessner) entre 1929 et 1930 (vol. III, cahiers 2 et 3 ; vol. IV, cahier 3).
3. Qui contiennent, entre autres, des textes de Iviaximihan Beck (e Referat und Kritik von Martin Heidegger:
Sein und Zejt , 5-44) et de Herbert Marcuse (e Beitnige zu einer Phanomenologie des Histonschen
Materialismus , 45-68 ; repris dans Der deutsche Kiinstle,roman. FriiheAufrdte, Schtiften I, Frankfurt n. M., Suhrkamp,
197$). Dans son article Kritik und Rezeption von Sein und Zeit... >, Claudius Strube dresse un portrait des
crits les plus importants en langue allemande situs entre 1927 et 1931 qui ont port sur Sein und Zeit. Pour une
liste exhaustive de ces crits, on se rfrera Hans-Martin SaS, Heidegger-Bibliqgraphie, Meisenheim a. G., Anton
1-lain, 196$, 40-46.
4. Les notes que Heidegger a rdiges dans son exemplaire personnel de louvrage de Ivfisch ont t dites par
Claudius Strube: Heideggers Marginalien zu Mischs Auseinandersetzug mit der phanomenologischen
Ontologie s, Dilth9-Jahrbuch, 1999-2000/12, 186-221.
5. GA 28, 131-139, 244 et 310.
16

rception qui nous donnera une meilleure comprhension de la dfense que prsente alors

ci eggcf.

Les textes des Phitosophische 1-lefie de 192$ ont, dune faon gnrale, t mai reus par

Heidegger. Les commentaires que fait Herbert Marcuse dans une lettre leur diteur,

Maximilian Beck, montrent que ces textes reprsentaient aussi lopinion gnrale sur Sein und

Zeit: En ce qui concerne maintenant sa position lgard de votre compte-rendu, je nai rien

pu tirer dautre de Seidemann sinon que Heidegger tait furieux parce que bien des lecteurs ont

utilis votre article comme ersatz de son livre et nont pas lu, ou trs mal, Sein und Zeit. Parce

quil croyait entendre, dans votre critique, un grand nombre de ses collgues qui nont pas

voulu manifester leur opinion (mme sous caution, devrais-je sans doute crire), cest moins les

raisons objectives quil pouvait trouver dans votre compte-rendu qui ont dclench ses

attaques, si lon peut dire, que lcho des opinions de ses collgues . Or, lire de Heidegger

nest pas tant dirige contre b critique comme telle que contre la comprhension superficielle

de son ouvrage. La tentative de penser lhomme non pas comme un sujet oppos des objets,

mais bien comme un tre-au-monde a t saisie par Beck comme lessai de dpasser le

subjectivisme par une sorte dAiJhebun,g de la dichotomie entre conscience et monde, entre

sujet et objet. Heidegger aurait ainsi tent de dpasser les oppositions classiques entre idalisme

et ralisme, entre subjectivisme et objectivisme, en tentant une sorte de synthse que Beck

t. Lettre de Herbert et Sophie Marcuse leurs amis Beck du 9 juin 1929, dans Miche! Haar (d.), Martin
Heidegger abrg Heideggcr-L -Ier7te, Paris, Cahiers de lHeme, 1983, 164. Les comnientatres que fait Heidegger
Beck (le texte de Misch
J aspers dans la lettre du 24 septembre 1928 visent trs vraisemblablement la recension de qui sappelle un livre
ntant paru que lanne suivante): Je ne pense plus du tout quil y a peu jai publi ce

seules les notes critiques me le rappellent loccasion. Curieuses expriences que lon fait l. On na siixement
jamais crit pour ceux qui rdigent des notes critiques et choses de ce genre. Est-ce alors pour les contemporains
au souffle court? Jai dj lu si souvent que jtais la synthse devenue ralit depuis longtemps dailleurs
projete par dautres de Dilthey

et Husserl, assaisonne dun peu de Kierkegaard et de Bergson s. Beck crivait
en effet dans sa recension que Heidegger constituait la c< synthse de toutes les tendances vivantes de la
philosophie daujourdhui s, citant Dilthey, Husseil, Anstote, Augustin, Nietzsche et Kierkegaard (rapport par
I\fisch, L u. Ph., 2). 1me si lon comprend que Heidegger nait pas t heureux de ce portrait qui en fait une
sorte de pot-pourri de toutes les tendances philosophiques, on doit nanmoins reconnatre que Beck se rapproche
troitement de lide que se fait Heidegger des diverses influences quil a pu recevoir. Dans une lettre Bultmann
du 31 dcembre 1927, Heidegger mentionnait cet gard Augustin, Luther, Kierkegaard, Dilthey, Anstote,
Husseri, Rickert et Lask (rapporte par Theodore Kisiel, The Genesis 0fHeideggerr Being rI Time, 452).
17

qualifie de corrlattvisme (Korretafiitismits) et quil oppose sa perspective raliste

dorigine nietzschenn&. Ces dcouvertes fondamentales que sont ltre-au-monde ou la

coappartenance de ltre et du Dasein se trouvent ainsi rduites une simple tentative de

rconcilier ce que la tradition cartsienne a depuis longtemps spar. Comme on le sait,

Heidegger prtend dans Sein und Zeit penser la relation de lhomme au monde dune faon plus

originelle que ne la fait lensemble de la tradition subjectiviste issue de la pense de Descartes.

Son intention nest aucunement de procder une runification de la conscience et du monde,

une mdiation qui stablirait sur une reconnaissance de la justesse de la position initiale

cartsienne. Cest bien plutt hors de cette tradition, en de de la ferme distinction entre lego

et lens que prtend se dployer la pense de Heidegger.

Cest dailleurs cette lecture de Sein und Zeit qui sera vise lorsque Heidegger affirme,

dans son cours sur lidalisme allemand : <t Mais il ne sagit pas dune mdiation (Vermi#Iung) de

ces deux opposs prdonns que sont lens et le&o. (...) Il ne sagit pas de les runir ou de les

identifier, mais bien de montrer que chacun des membres de lopposition n st pas originaire,

quils doivent tre probtrnatiss de telle sorte que la tentative de les runir perde pied son point

de dpart >)2.
La tentative de Sein und Zeit de penser par-del le cartsianisme na pas t saisie

dans toute sa radicalit. Il faut cependant reconnatre que la lecture que lon en fait aujourdhui

est quelque peu biaise par la radicalisation que va connatre loeuvre de Heidegger plus tard

quant cette exigence dc penser par-del la subjectivit. Malgr cela, peut-on rellement

accuser Heidegger, la lecture de Sein und Zeit, de tenter une rconciliation du sujet et de

lobjet ? Lessai de problmatiser ces concepts figs et dc penser ce qui se tient sous eux est-il si

dissimul? Toute cette lutte contre lide dorigine cartsienne de lhomme comme sujet

1. Maximilian Beck, Die neue Problemiage der Erkenntnistheorie >, Deutsche t7erte//uhresschrift /r
IJteratunztissenschaft ,md Geistesgeschichte, 1928/4 (4), 629 sq. Voir, ce sujet, Claudius Stmbe, Heidegger erste
Entgcgnung auf die Kritik von Georg Misch >, DiIthi-Jahrbuch, 1997-1998/11, 193 et Kritik und Rezeption von
Sein und Zeit... , 48 sq..
2. GA 28, 135.
18

pistmologique ne semble donc pas avoir immdiatement port fruit. La critique que fait

Georg Misch nest dailleurs pas trs loigne de celle de Maximilian Beck.

Georg Misch, gendre et dfenseur de Wilhelm Dilthey, a fait paratre it partir de 1929

dans le Phitosophischer Ane.ger dit par Helmuth Plessner une srie darticles portant sur le

dbat entre la Lebeniphilosophie de Dilthey et les phnomnologies de Husseri et de Heidegger.

Ces textes prsentent une importance toute particulire. Non seulement sagit-il de la prise de

position la plus complte lpoque lgard de Sein und Zeit et de la mtaphysique du

Dasein , elle provient aussi dun lecteur averti . On sait en effet que Misch a non seulement

lu les Anmerkun,gen u Kart Jaipers Tychotogie der Wettanschauun,gen (1919/21), mais surtout les

Pliiinornenotogische Inteipretationen zu Aristoteles (octobre 1922)2 que Heidegger avait prsentes en

vue de sa candidature Gttingen et qui exposent ce que lon peut considrer comme une

premire version de lontologie fondamentale3. Indpendamment de la critique quen fit Misch

et de son rejet consquent de lit candidature de Heidegger4, la lecture de Sein und Zeit quil

prsente dans ses articles est une des lectures les plus claires it lpoque Misch tait en fin

dc compte lun des seuls connatre larrire-fond que constitue lhermneutique de la facticit.

Malgr tout, cest laspect Iogico-ontologique du travail de Heidegger que Misch va surtout

critiquer, en soutenant que lontologie fondamentale et sa question sur le sens de ltre

bloquent tout accs au phnomne de la uie. La reconnaissance par Heidegger de lapport de

1. Dans ia quatrime et dernire partie de son livre, vUsch aborde Vom U7esen des Grandes, Kant tend dits Probkm
derifetaphjsk et Was ist Metaphjsik ?.
2. Theodore Kisiel, The Genesis of Heideggere Bein.g e Time, 454-455. Il semble cependant quau moment de lire
Sein tend Zeit, Ivfisch ait oubli les travaux sur Adstote et Jaspers (Otto Pggeler, Die Metaphysik ais Probiem bei
Georg Misch , 134).
3. Le texte de lautomne 1922 sur Aristote proposait une tentative de dbroussailler le phnomne de la vie
que les traditions chrtiennes et grecques ont rendu opaque. Par un retour Aristote, Heidegger prtend retourner
aux phnomnes originaux qui ont forg notre comprhension de la vie. Comme la montr Theodote Kisiel, cest
de cet essai que provient la structure systmatico-historique de Sein tend Zeit (The Genesis of Heide,ggerr Being &
lime, 312).
4. Voir le compte rendu que rdigea Misch rapport dans la Postface aux Phdnomenotogische Interpretationen u
ristoteks (Am<ege der hermeneutischen Situation) [abrg PL4], dans Ditthy-Jahrbuch, 1989/6; tr. par Jean-Franois
Courtine, Interprtations phnomaoto,giques dAristote (Tableau de la situation hermneutique), Mauvezin, Trans-Europ
Repress, bilingue, 1992, 55-56.
19

Dilthey ses recherches ii sans doute t interprte de faon abusive par Misch. Si linfluence

de Dilthey sur Heidegger est indniable, il est sans doute risqu de faire de lauteur de Sein und

Zeit un reprsentant de la Lebeniphitosophie.

Dj en 1922, Misch considrait que, dans ses interprtations dAristote, Heidegger

aurait opr une sorte de synthse des mouvements alors en vogue>: il se situe, en mettant

en liaison lhistoire et la systmatique, dans la position actuellement trs souvent dfendue de la

Lebensphiosophie o se rencontrent pour se complter mutuellement la dmarche

hermneutique labore logiquement par Husserl et la mise en valeur philosophique de

lhistoire de lesprit prne par Dilthey . Ce que Ivlisch ne semble pas apercevoir, cest la

diffrence fondamentale qui existe entre le concept de vie de Dilthey et le Dasein que

Heidegger prsente alors. Cette mme conviction de Misch se rvle aussi dans ses textes de

1929: Heidegger dploierait selon lui une ontologie phnomnologique fonde sur les

prsupposs de la Lebeniphitosophie diltheyenne2.

Les articles de Misch sont gnralement bienveillants lendroit du travail de

Heidegger. Nanmoins, cette lecture kbensphitosophisch considre le tournant ontologique de la

phnomnologie auquel invite Sein irnd Zeit comme une erreur. Lontologie ne permettrait pas

daborder la question de la vie (Leben.frage), laquelle supporterait mal la formalisation

quimplique un tel questionnement3. L tre dont il est question dans Sein und Zeit serait un

concept issu de la logique qui ne rendrait aucunement justice linterne dynamique de la vie4.

Misch considre en effet que ltre constitue un concept driv du est de la copule logique,

ignorant que pour Heidegger, ltre ne se rduit pas au problme de la copule. Orientant sa

1. Ibid., 56. La recension de Maxiir an Beck voquait aussi cette synthse entre Husseri et Dilthey. Cette
mme opinion apparaissait aussi dans une recension du septime tome des Gesammelten Schnften de Dilthey faite
par Dietrich Mahnke (IJterarische Berichte aus dem Gebiete der Philosophie, 1928/15-16, 34-39). Voir, ce sujet,
Claudius Strube, Heidegger erstc Entgegnung... , 200.
2. Elzbieta Paczkowska-Lagowska, Ontologie oder Hermeneutik ? , in Zur phi/osopbischen Aktua/ikut
Heideggers, Bd. II bu Geipriich derZei4 Frankfurt a. M., Klostermann, 1990, 192.
3. L u. Ph., 61. Voir, ce sujet, Claudius Stnibe, Vergleichende Bemerkungen ber die Auseinandersetzung
zwischen Misch und Heidegger, Ditthgy-Jahrbuch, 1997-98/11, 167.
4. L w. Ph., 38-39.
20

philosophie sur ltre, Heidegger succomberait la domination de la logique et cette tentation

de trouver la philosophie un commencement absolu.

La lecture de Misch est fausse par sa comprhension du problme de ltre.

Considrant que Heidegger prend son point de dpart dans la Lebensphitosophie, Misch

naperoit pas que Sein und Zeit na pas pour but essentiel de mettre en lumire la vie du Dasein,

mais cherche bien plutt dterminer de quelle faon le temps se manifeste comme horizon

de ltre. Lentreprise de Heidegger se rsumerait, selon Misch, une tentative de montrer que

ltre, 1objet de la mtaphysique se prsentant comme science 2, trouve son fondement

ultime dans la vie humaine comprise comme temporalit. Ainsi, Heidegger se rallierait la

L.ebensphitosophie mais, contrairement Dilthey, ferait de lontologie la vise de celle-ci3. Le

remplacement de lexpression philosophie de la vie par analytique existentiale du Dasein

ne constituerait rien de majeur en somme.

La caractrisation de lexistence humaine partir de sa comprhension de ltre est

critique par Misch au motif quelle place au point de dpart de lanalyse un savoir , un

mode de connaissance . Cest ainsi que Sein und Zeit se prsenterait, malgr son acceptation

de la Lebeniphitosophie, comme un trait de rntap/ysique, comme une piiziia phiosophia5. Dans les

notes quil a faites au sujet des textes de Misch ainsi que dans son commentaire prsent dans

son cours de lt 1929, Heidegger se dfend contre ces accusations et tente de montrer o

prend source la mauvaise lecture que fait Misch de son ouvrage.

Cette lecture, tout comme celle de Beck, est reprsentative de cette premire rception

de louvrage qui, comme nous le dfendons, joua sans doute un rle important dans les

1. Claudius Stmbe, Vergleichende Bemerkungen... , 166.


2. .der Gegenstand der ais Wissenschaft auftretenden Metaphysik (L u. Ph., 3).
. .

3. Ibii, 6.
4. Ibid., 9.
5. Sous la plume de Misch qui dent son concept de mtaphysique de Dilthey qui, lui-mme, lhrite du

positivisme franais , ce terme ne peut avoir quune connotation ngative (Voir Claudius Strube, Heideggers
erste Entgegnung... , 186). Bien que Heidegger se dfende contre cette accusation (e 1-leideggers Marginalien
Mischs... s, 193), on sait que le trait mtaphysique dont parle vlisch est tout ii fait assum au moment o sont
publis ces textes.
21

tentatives ultrieures que fit Heidegger pour prciser lorientation ultime de sa pense. Ce qui
intresse Misch dans lessai de Heidegger, cest sa tentative desquisse systmatique du tout

structurel de lexistence humaine1. Lintention ontologique radicale est presque totalement

ignore par Misch qui ny voit quun trait mtaphysique , une sorte de rsidu dogmatique.

face cette caractrisation de son ouvrage comme une simple contribution lanthropologie

philosophique et qui ignore sa vise ontologique, Heidegger sinterroge: et la question de

lta ? 2 Et l o Misch reconnat que cette analytique du Dasein na pour but que de prparer

la question du sens de ltre, il ne parvient pas comprendre la question autrement que

comme celle de la copule. L o Misch tente de saisir le problme de ltre, il le comprend la

lumire dune ide errone de la philosophie: celle qui en fait une science rigoureuse3.

Comprendre ltre comme un concept manant de la logique de lnonc, cest rduire la

philosophie une vise pistmologique qui ne lui sied aucunement selon Heidegger.

Le commentaire que Heidegger expose lt 1929 suit la mme ligne dargumentation.

Par une exposition plus serre de lintention ontologico-mtaphysique de Sein und Zeit,

Heidegger montre que linterprtation vulgairement anthropologique ou tebengbitosophisch de

son oeuvre natteint pas la profondeur du questionnement qui y est expos. Heidegger

reconnat tout dabord quil estime positivement loeuvre de Dilthey, mais prcise

inundiatement quelle ne sert pas pour autant de cadre thorique Sein imd Zeit, comme

semble le croire Misch. Nous savons que Heidegger a entre autres critiqu Dilthey pour avoir

forg son concept de vie mme les acquis de la tradition cartsienne, cette tradition qui rie

pose la question de la philosophie premire ( quest-ce que ltant? ) quindirectement, en

tentant de dterminer ce qui distingue lego de tout ens4. Lerreur de toute philosophie de la

1. L n. Ph., 7.
2. u. die S ein s frage ? Q< Heideggers Marginalien zu Mischs... >, 192).
3. I<Jisch steht hier erst recht tinter dem Vorurteil d. Phulos. aIs Wiss., wenn et das Problem so stellt (thut,
203). Voir aussi GA 28, 134.
4. Claudius Strube, Heideggers erste Entgegnung... , 182. Cest un thme abord par Heidegger dans la
confrence Der Begriff der Zeit (Der Bgiiff der Zeit, GA 64; tr. par Michel Haar et Marc B. de Launav, Le
77

vie , cest de ne pas renouveler lontologie et de sappuyer sur une ontologie prdonne et de

comprendre la vie partir dun concept dtre non mis en question. Malgr les affinits que

Heidegger se reconnat dans Sein und Zeit avec Dilthey, lindtermination ontologique de ce

quil appelle vie lempche dc prendre directement appui sur la pense dc Dilthey

contrairement ce que croit Misch.

Heidegger sattaque aussi cette comprhension superficielle que Misch labore du

problme de ltre. Contrairement ce que croit Misch, le problme ne surgit pas du fait que

nous employions dans nos phrases la copule est , mais linverse: La comprhension de

ltre (...) nest pas quelque chose darbitraire, qui advient aussi et simplement parce que nous

disons est dans les noncs, mais inversement: nous ne nous exprimons ainsi que parce que

nous comprenons dj silencieusement ltre; nous ne pourrions mme pas nous taire si nous

ne comprenions ltre . Cette question de ltre ne se fonde donc pas dans un certain savoir de

ltre que nous aunons pu puiser dans des manuels dontologie ou de logique, mais bien dans la

comprhension de ltre du Dasein, cest--dire dans la finitude du Dasein humain. Face une

interprtation subjectivo-anthropologique de sa thse qui fait de tout tant un driv (Derivat)

du Dasein2, Heidegger oppose une question de ltre fonde dans la finitude du Dasein.

IVlisch croit pouvoir rduire la dichotomie de ltre et du temps cette autre

dichotomie traditionnelle: celle de lens et de lego. Selon une telle interprtation, Heidegger

partirait de lessence de lego (la temporalit) pour aborder le problme traditionnel et

mtaphysique de lens. Dans la plus pure tradition subjectiviste, Sein und Zeit prtendrait fournir

la rponse au questionnement grec sur lessence de ltant en partant dune analyse de la vie

inspire de la Lebenip/iitosophie.

concept de temps s, dans Heidegger-Lf-Ierne, 27-38) et dans les confrences de Casse! de 1925 (parues dans le
Ditthy-Jahrbuch, 1992-1993/8, 143-180, paraitre dans GA 80; tr. par Jean-Claude Gens, Les cwi/rences tie Casse!
(1925), Pafs \T 2003).
1. GA 28, 133.
2. Heideggers VIarginalien zu i\fischs... , 206.
23

Cette lecture anthropologsantc de Sein und Zeit semble donc gnralise pour ce qui est

de la premire rception de loeuvre. Plus proche de 1-Icidegger, Edmund Husseri (1859-193$)

a 1m aussi abord Sein und Zei sous un tel angle. Mme si Husseri na pas pris ouvertement

position au sujet de louvrage de Hcidcgger, nous savons que, dc faon gnrale, il considrait

aussi lentreprise comme se rapprochant des vises de lanthropologie philosophique et, donc,

comme sloignant de sa phnomnologie2.

Mme si la rupture tait sans doute dj consomme au moment de la parution de Sein

und Zeit, le fait que Husseri ne reconnaisse pas loriginalit de lontologie fondamentale et en

critique lanthropotgisrne na peut-tre pas surpris Heidegger, mais la peut-tre irrit. Bien que

Husserl ait tout dabord sembl ignorer h distance qui sparait sa phnomnologie de celle de

Heidegger la collaboration pour larticle de lEnyctopdie Britannica en tmoigne3 , on devra

reconnatre et Heidegger na pas t dupe4 que la confrence de juin 1931,

Phiinomenologie und Anthropologie , prsente Berlin devant 1600 personnes (selon ce

quen dit Heidegger), visait directement son ancien lve5.

Si Heidegger nest pas explicitement nomm dans cette confrence, on ne peut

manquer dy reconnatre une critique assez dure porte contre Sein itnd Zeit. Considrant que le

mouvement phnomnologique avait dvi de son orientation originale sous leffet dc la

Lebeniphi/osophie de Dilthey, Husseri voque cette tendance lanthropologie qui domine alors

1. Mentionnons aussi les travaux dErich Przywara, Dru Richtungen in der Ph.nomenoIogic (Sttmmen der
Ze14 1928/115, 252-264) et de Heinrich Barth, Ontologie und Idealismus. Eine Ausemandersctzung von
Heinrich Barth mit M. Heidegger)) (Zwtschen den Zeiten, 1929/7, 511-540) cits par Claudhus Stmbe (u Kndk und
Rezeption von Sein und Zeit. , 42-46).
-.

2. Voir ce sujet, les notes de Husseri dans son exemplaire de Sein und Zeit (Notes sur Hetdeger, Paris, Editions
de Minuit, 1993), ltude de Denise Souche-Dagues, La lecture husserlienne de Sein zmd Zeit, Philosophie,
1989/21 et celle de Franaise Dastur, Heide,ggeret la question anthropoto,gique, Louvain, Editions Peeters, 2003, 16.
3. Lensemble du dossier concernant la rdaction de cet article a t dit par Walter Biemel (Husserbana IX,
Phiinomenolqgische P.ycholo,gie, 237-301 et 590-615). En Franais, larticle et les remarques de F[eidegger ont t
publis dans Heide,gger-LFIerne, 38-46.
4. En tmoigne lentrevue accorde au Spiegel en 1966 dans laquelle Heidegger affirmait : Au dbut des
annes 1930, Husserl a procd un rglement de comptes public avec Max Scheler et moi (u Spie3el-Geiprdch mit
Martin Heide,gger (23. September 1966), R.eden und andere Zeagnisse eines Lebenswe,ges, GA 16 ; tr. par Franois Vezin,
Ecritspolitiquef 1933-7966, Pans, Gallimard, 1995, 249).
5. Voir aussi les lettres de Husserl Roman Ingarden (Brie/i an Roman fn,garden, La Haye, Martinus Nijhoff,
1968, 56 et 67).
24

la philosophie1. Cette rforme anthropologisante et psychologisante de la phnomnologie

transcendantale encouragerait, selon Husseri, prendre lhomme pour fondement vritable de

la philosophie et, certes, dans une doctrine dessence de son Dasein concret et mondain 2.

Heidegger nest pas nomm, mais il faudrait tre aveugle pour ne pas voir que cette critique du

subjectivisme de la nouvelle phnomnologie le visait directement.

On peut comprendre que de telles lectures aient pu dsillusionner Heidegger qui, il faut

le lui reconnatre, seffora de dployer une interprtation de lhomme qui sloigne des

concepts traditionnels (ego, Moi, raison, esprit, personne). Il semble que le 10 de Sein und Zeit

portant spcifiquement sur la diffrence entre lanalytique du Dasein et lanthropologie, la

psychologie et la biologie nait eu quun impact limit. Heidegger devait nanmoins sattendre

une rception de ce genre de la part de ses ans. Heidegger na sans doute jamais pens quun

Misch reconnatrait toute la superficialit de la position de la Lebeniphitosophie ou encore quun

Husserl abandonnerait sa phnomnologie transcendantale sous limpact de sa lecture dc Sein

und Zeit. Les dcouvertes philosophiques sont normalement voues naffecter que les

penseurs qui suivent jamais ceux qui prcdent.

1. 1m letzten Jahrzehnt macht sicli, vie bekannt, in der ingeren philosophischen Generation Deutsclilands
eine schnell anwachsende Hinwendung zu einer philosophischen Anthropologie geltend. WilheIm Diltheys
Lebensphilosophie, eine Anthropologie neuarliger Gestalt, ht jetzt eine starke Wirkung ans. Auch die sogenannte
phnomenologische Bewegung ist von der neuen Tendenz ergriffen worden Q< Phiinomenologie und
Anthropologie , dans Philosopy und PhenornenoIogical Rrsearch, 1940/1, 1).
2. 1m Menschen allein, und zwar in einer Wesenslchre seines konkret-welthchen Daseins, soil das wahre
Fundament der Philosophie liegen (ibid.).
25

Chapitre II

Une mtcrp/ysique pour combler les tacunes de lanthropolqgie philosophique

Lontologie fondamentale propose, pour donner rponse la question de ltre,

daborder la comprhension de ltre qui caractrise la constitution de cet tant que Heidegger

appelle Dasem. Dans cette optique, ltude de ltre nest possible que Ici o il3 n ltre, cest--

dire dans la comprhension quen a le Dasein, lment dc ce que, dans le cadre de la

mtaphysique du Dasein, Heidegger appelle la transcendance du Dasein. Mais cette tentative

de rgler le problme de la philosophie en prenant pour point de dpart lhomme a d se

heurter un malentendu invitable: lontologie fondamentale a t interprte comme une

anthropologie philosophique1.

Afin de dfaire linterprtation errone, Heidegger tente aprs la publication de Sein und

Zeit de rpondre ces critiques en mettant au clair ce qui distingue lanthropologie de sa propre

pense, celle de lontologie fondamentale ou de la mtaphysique du Dasein. En janvier 1929,

avant que ne paraissent louvrage sur Kant et lessai sur le fondement, Heidegger prononce une

confrence devant la Kant-Gesettschaft de Frankfurt intitule Pbilosophischc Anthropologie

und Metaphysik des Daseins 2. Le titre de la confrence laisse supposer que Heidegger y a

expos pour la premire fois sa mtaphysique de lexistence humaine en lopposant aux

critiques qui interprtrent Sein und Zeit comme une contribution lanthropologie

philosophique. Le fait quil ait donn cette confrence devant la Socit Kant nous incite aussi

1. Bien avant le 10 de Sein und Zeit, Heidegger prsentait dj sa position philosophique en lopposant celle
de lanthropologie philosophique (voir, pat exemple, P/tnomeno1ogie des religiiisen Lebens, GA 60, 159 et Ontotogte.
Herrneneutik der FaktiZitd4 GA 63, 24). Aprs la mtaphysique du Dasein, [4eidegger continuera souligner ces
diffrences (voir, par exemple, Niet<sche: Der [Ville ar Machi air Kunst, GA 43, 295; Nietsche: Der eurripische
Nihitismus, GA 48, 52; Die Metaphjsik des deutschen Ideatismus. Zur erneuten Auskuag von Schelling: Phitosophische
Untersuchungen liber das [Vesen der menschhchen Freiheit zrnd die damit usammenhngenden Gellenstdnde (1809), GA 49, 32 sq.
et 70 sq. et Besinnung, GA 66, 146 et 327). Mais la publication particulire, annonce dans le Kantbuch, qui devait
prendre position lgard des critiques mises jusqu prsent na jamais vu le jour (K?M, 234, note 293; tr.
290, note J).
2. G 80 (indit). Le contenu de cette confrence est sans doute trs proche de ce qui est expos dans
lintroduction au cours de lt 1929 ( 2-4) qui fait directement rfrence cette confrence du 24 janvier 1929
(GA 28, 18), ainsi que dans le Kantbuch ( 36-38).
26

conjccturer quil y aura t question de lide propre la mtaphysique du Dasein et la

pense critique kantienne de lexistence dune disposition naturelle pour la mtaphysique

(rnetapbjisica naturatis) en lhomme (voir infra, La reprise de la thse kantienne dune metaptysica

naturatis ).

Dans son ouvrage sur Kant et dans les cours qui lui sont contemporains, Heidegger

tente de montrer ce qui distingue son entreprise de celle de lanthropologie philosophique

dont les principaux reprsentants sont alors Helmuth Plessner et Max Scheler qui constitue

ses yeux le dernier avatar de lanthtvpoto,gisation de la philosophie. Cette mise au point trouve

dans loeuvre de Kant des arguments de poids pour montrer quil est possible de faire de la

mtaphysique en prenant pour point de dpart la question de lhomme sans pour autant chuter

dans lanthropologisme. Car, en effet, Kant a lui aussi soutenu que les grands problmes de la

mtaphysique authentique, de la rnetapIysica ipetialis, pouvaient tre rduits la seule question de

lhomme: Au fond, on pourra mettre tout ceci au compte de lanthropologie puisque les trois

premires questions [Que puis-je savoir? Que dois-je faire? Que mest-il permis desprer ?j se

rapportent la quatrime [Quest-ce que lhomme ?J 2. Un examen attentif de lanthropologie

kantienne nous permet nanmoins de constater que ce nest pas l que la mtaphysique

kantienne a trouv son fondement.

Lanthropologie empirique kantienne nc prtend en effet aucunement aborder la

question de lhomme eu gard une possible fondation de la mtaphysique. Comment

expliquer alors que Kant soutienne que la metaphysica ipetiatis puisse se rduire la question de

lhomme? Tout simplement parce que Kant conoit la fondation de la mtaphysique comme

une critique de ta raison pure, cest--dire une mise en lumire des ressources que lhomme

possde pour faire face aux questions de la mtaphysique. La question de lhomme qui prcde

1. Dans son cours de lt 1930 SUf lessence de la libert humaine, Heidegger crit au sujet de lanthropologie:
Il ne sagit plus dune mode, mais bien dune pidmie (CA 31, 122).
2. Dans lintroduction son cours de logique, Kant crit en effet que lon peut mettre toutes les questions de
la rnetaphjsicu .peda/is au compte de lanthropologie (cit en KPM, 207 tr. 264).
27

la fondation de la mtaphysique nest donc pas une question anthropoto,gique, mais une question

dun autre ordre qui est lhomme, eu gard la mtaphysique ? Si lon dsire parler ici

dant3ropokgie, il devrait sagir dune anthropologie pure, non empirique, cest--dire

philosophique1. Cest sur cette position kantienne que Heidegger souhaite tablir son

questionnement portant sur lhomme. Mais dans la mesure o lexpression anthropologie

philosophique ne manquerait pas de porter confusion, Heidegger prfre parler dune

mtaphysique de lhomme, de lexistence humaine dune mtaphysique du Dasein.

Lanthropologie empirique, quant elle, se dfinit comme <t science de lhomme ,

cest--dire comme ensemble de toutes les approches empiriques possibles permettant

dexplorer la nature de lhomme celles de la psychologie, de lethnologie, de la biologie, etc.

Mais ce qui caractrise essentiellement ce que lon appelle lanthropologie philosophique, cest

cette volont de rduire tous les problmes de la philosophie celui de lhomme. Il ne sagit

plus tant ici dune discipline scientifique que dune tendance fondamentale qui caractrise la

position de lhomme dans le monde comme centre absolu de ltant2. Dans la mesure o ltant

nest jamais visible qu travers les yeux de lhomme, quil nest jamais connu que grce la

facult de connatre humaine, quil nexiste, en fin dc compte, que par rapport la capacit qua

lhomme de percevoir lexistence, lanthropologie se voit mute au rang de philosophie

premire. La question de lhomme se trouve place au centre de telle sorte que toute autre

question portant sur la ralit histoire, art, nature est lie lhomme : cest--dire est tudie

partir du rapport dc lhomme ces choses . ii nest plus question des choses en soi , mais

seulement dc la connaissance que lhomme a de ces choses qui seule est mme de leur

donner une certaine ralit. Les choses sont tout dabord et ont seulement de la ralit si elles

1. Voir KPM, 37.


2. GA 28, 14 et KPM, 209 tr. 266.
3. GA 28, 15.
28

sont obtenues sur ce mode de la connaissance anthropologique >. Cette tendance

antbropologisante qui prtend dtrner la philosophie sur son propre terrain cest--dire le

questionnement qui porte sur ltre, la ralit et la vrit2 , cest ce que lon appelle

lantbropolqgisme lanthropologie comme tendance philosophique fondamentale . Cette

tendance fait de lanthropologie non seulement une science de lhomme, mais surtout une

science de tout ce qui est, une mtap)sique. Cest justement contre cette prtention de

lanthropologie philosophique dterminer les problmes fondamentaux de la philosophie que

slve Heidegger.

Car cette rduction des questions mtaphysiques fondamentales la question de

lhomme sappuie sur un fondement bien fragile. Malgr la somme remarquable des

connaissances accumules sur lhomme et cest ce que Max Scheler avait vu avec acuit

on peut dire qu aucune poque de lhistoire autant quaujourdhui, thomme na t un problme

pour lui-mme . Or, si lensemble des connaissances que nous possdons sur lhomme ne fait

que grossir le problme concernant son essence, cest parce que ces connaissances manquent

dorientation. Lanthropologie dit tout et tien sur lhomme sans savoir au juste ce quelle

cherche. Que veut-elle savoir de lhomme ? Sait-elle seulement comment linterroger?

Si l-Ieidcgger sen prend lanthropologie philosophique, cest essentiellement parce

celle-ci ne tente jamais de justifier partir de lessence de la philosophie sa soudaine

promotion, mais quelle sest tout simplement installe au sommet sans se soucier de la

pertinence de ses prtentions. Heidegger ne conteste donc pas limportance de la question de

lhomme il en fait mme la promotion en situant une analytique existentiale au seuil de son

. fbid.
2. Ibid., 16.
3. Ibid., 14 sq.
4. Ivlax Scheler, Die Stelhing des AIenschen im Kosmos [abrg SMKJ, dans Spte Schriften, Gesammette Werke [abrg
Glt%3, tome 9, Bern et Miinchen, Francke, 1976, 11; tr. par M. Dupuy, La situation de lhomme dans le monde, Paris,
Aubier, 1951, 20 (cit par Heidegger, KPM, 209 ; tr. 266).
29

ontologie fondamentale , mais refuse la faon non philosophique avec laquelle lanthropologie

philosophique a tabli lhomme au sommet des questions philosophiques. La critique de

Heidegger porte donc sur le manque dorientation dont fait montre lanthropologie

philosophique dans sa mise en question de lessence de lhomme. Quest-ce que

lanthropologie interroge au sujet de lhomme ? De quelle faon justifie-t-elle que cette mise en

question soit constitutive de la fondation de la philosophie, de la mtaphysique? Selon

Heidegger, elle ne ferait que donner lillusion de rpondre la question de ce quest lhomme et

dc ce quil doit faire. Lanthropologie philosophique ne tient aucunement compte de la tche

quelle sassigne (fonder la philosophie) lorsquelle interroge lhomme, perdant ainsi

compltement de vue la question complexe du lien entre anthropologie et mtaphysique.

Cest cette lacune de lanthropologie philosophique que la mtaphysique du Dasein

prtend combler. La mtaphysique heideggrienne reconnat que la question de lhomme ne

peut tre vite, quelle est mme essentielle une instauration des fondements (Grundle,gung) de

la mtaphysique. Mais lorsquil sagit dinterroger lhomme eu gard une telle instauration des

fondements, rien ne sert de chercher accumuler des donnes biologiques, somatiques ou de

psychologie pdagogique sur lhomme. Ce quil faut, cest interroger lhomme en direction de

lessence de la philosophie, dans loptique de la question de ltre2. Mais comment envisager

une telle entreprise ? Que signifie interroger lhomme en vue de la question de ltre?

Une telle tche implique tout dabord de sloigner des orientations habituelles de

lanthropologie. La question de lhomme dont il sagit na rien dune question

1. GA 28, 13.
2. Voir aussi ce qui en est dit dans la confrence He,gelund dus Probkm derMetaphysik du mois de mars 1930:
Poser pour de bon la question fondamentale de la mtaphysique (faire porter linterrogation sur lessence et le
fondement essentiel de ltre), cest prendre pour position de dpart et mettre en branle ni plus ni moins que
linterprtation du Dasein de lhomme comme temporalit en prenant la question de ltre pour fil conducteur.
pans la marge:] Llaboration de cette problmatique, cest-i-dire la question fondamentale de la mtaphysique, est
la mtaphysique du Dasein en lhomme (He,gel tend dus Probkm der MelapJysik [abrg HPM], texte bilingue dans
Hadden France-Lanord et Fabrice Midal (d.), Let fte de ta pense. Homma,ge Franais Fdier, Pans, Lettrage
Distribution, 2001, 54).
30

anthropologique1. Alors quinterroge-t-on? Si lanthropologie prend lhomme comme donne

dc base de son entreprise, la mtaphysique du Dasein, quant elle, interroge ce qui rend

possible lhomme, ce qui est encore plus originaire que lhomme, lessence originaire sur

laquelle ltre-homme se fonde 2. Lhomme nest donc plus interrog comme un tant parmi

les autres : cest le Da-sein dans lhomme qui fait question. Dans la mesure o cest ltre de

ltant homme qui est ici interrog, ce questionnement se constitue en un questionnement

?ntapysz que. Cest donc face la question anthropologique de lhomme que slve la question

mtaphysique du Dasein humain. La mtaphysique dans son ensemble ne se fonde pas dans

une anthropologie, ni mme dans une anthropologie philosophique, mais bien dans une

mtaphysique du Dasein .

Cest justement de cette faon que lontologie fondamentale a prtendu interroger

lhomme: en mettant en vidence la comprhension de ltre contenue dans le Dasrrn. Cest

ainsi quune premire mtaphysique du Dasein a vu le jour dans Sein und Zeit. Le

rapprochement progressif qui sest opr entre la pense heideggrienne et celle de Kant

cette poque permet denvisager une nouvelle formulation du mme problme. Dans la mesure

o Heidegger tente de tirer des enseignements de la tentative kantienne de penser le rapport

entre anthropologie et mtaphysique, cest la finitude du Dasein quil souhaite dsormais mettre

en valeur. Cette piste kantienne de la finitude, Heidegger la trouve dans ce renvoi des trois

questions de la ?netapI)sica .peciais celle de lhomme. Quy a-t-il de commun entre ces trois

questions, sous quel aspect, capable de les rduire la seule quatrime question, sont-elles

unes? Si lhomme sinterroge sur cc quil peut connatre, sur cc quil doit faire et sur ce quil

1m est permis desprer, cest quil lui importe de tracer les limites de son pouvoir, de son det;oiret

1. G/1 28, 235.


2. Ibid.
3. Ibid.
4. Heidegger affirme en effet dans son cours du semestre dt 1929 que Sein undZeitet Vom lVeeen des Grandes
consfinient lessai dune mtaphysique du Dasein comme ontologie fondamentale (Ibid., 239).
5. KPM, 215-216 ; tr. 22.
31
de son eipoir. Or, si ces trois traits de son humanit sont limits en quelque point que ce soit,

cest que lhomme est un tre fini et, qui plus est, un tre qui se soucie de cette finitude.
linstar de IK.ant qui considre que les trois questions de la metcphysica ipeciais forment lintrt

le plus profond de la raison humaine >, Heidegger soutiendra que la finitude de lhomme

constitue sa proccupation fondamentale, celle qui tablit les thmatiques de la mtaphysique

au sens authentique >.

Pourtant, ces questions propres la forme scolastique de la mtaphysique ne sont pas

celles qui poussent Heidegger la rflexion mtaphysique ni celles quil place au sommet de

son entreprise mtaphysique2. Cette piste quouvre Kant vers une interrogation essentielle sur

la finitude humaine, Heidegger souhaite cependant la suivre, car elle constitue la premire

rponse rflchie cette question de la connexion entre anthropologie et mtaphysique. Dans

la mesure o nous souhaitons interroger lhomme en direction de la question de ltre, en

direction de sa nature mtaphysique , cest la finitude qui doit intresser la mtaphysique de

lexistence humaine3. Mais de quelle faon la finitude du Dasein tablit-elle le pont entre la

question de lhomme et celle de ltre? Cest en soutenant que la comprhension de ltre est

elle-mme lessence la plus intime de la finitude , que Heidegger propose de penser ce lien.

Cest donc toujours la comprhension de ltre qui tablit le lien entre Dasein et tre. Mais celle-

ci est prsente dans louvrage sur Kant comme le signe palpable de la finitude de lhomme,

vou interroger ltre de ltant.

1. Ce serait cette piste de la finitude que lidalisme allemand aurait manqu de suivre. Cest donc comme
retour Kant par-del le nokantisme et lidalisme allemand que se comprend lentreprise de la
mtaphysique du Dasein. Pour la dduction dun concept de finitude partir des trois questions de la me/aphjiica
specialis, voir KPM, 21 6-217 ; tr. 272-273 et GA 28, 234-235.
2. Dans louvrage sur Kant, Heidegger soutient mme quil faut faire sortir la mtaphysique de ce cadre
scolastique dans lequel Kant la enferme (KPM, 221 ; tr. 277). Comme nous le ferons valoir dans ce travail, cest
davantage la formulation aristotlicienne du problme de la mtaphysique qui inspire Heidegger. Pour lui,
limportance de Kant rside essentiellement dans sa mise en question probablement unique dans lhistoire de la

philosophie de lessence de ta rnttzpIysique.


3. Kant voit dans la disposition naturelle de la raison humaine pour les questions de la metapIysica spedalis le
signe de sa nature mtaphysique. Heidegger se situe au-del de Kant en soutenant, dune certaine facon, que
cest la finitude qui constitue rellement cette disposition naturelle pour la mtaphysique dont ce que Kant appelle
lintrt le plus profond de la raison humaine nest quune manifestation particulire.
4. KPM, 229 tr. 285.
32

Heidegger opre donc un revirement de lordre de questionnement de lanthropologie

philosophique. La tendance lanthropologisme que Heidegger dcle dans la philosophie de

son poque prtend aborder les questions de la mtaphysique partir de la question de

lhomme. Lhomme tant le point focal de tout questionnement sur la ralit et la vrit, les

questions de la mtaphysique ne sont plus abordes qu partir de la question anthropologique

sur lhomme. La primaut de lhomme dans la mtaphysique du Dasein na dautre fin que de

servir la question de ltre. Cette question ne pouvant tre pose qu partir de la

comprhension de ltre propre au Dasein fini, cest en lui que linterrogation mtaphysique doit

prendre son point de dpart. Plutt que de dterminer lessence de la mtaphysique partir de

ce que lon tablit au sujet de lhomme, cest cette question portant sur lessence de la

mtaphysique qui permet de comprendre ce quest lessence la plus intime de lhomme le

Dasein, la finitude en lui. La mtaphysique ne trouve donc pas son fondement dans une

anthropologie, mais dans une mtaphysique une mtaphysique du Dasein1.

Il existe donc une certaine ambigut quant lusage de lexpression mtaphysique du

Dasein . Si, dans le cadre de ce travail, nous lemployons pour qualifier le projet mtaphysique

heideggrien dans son ensemble, on voit quici, Heidegger lutilise pour qualifier non pas la

mtaphysique comme telle, mais la fondation de la mtaphysique. Lexpression dsigne donc

tout dabord linterrogation mtaphysique qui porte sur le Dascin, cest--dire qui interroge

lhomme eu gard linstauration des fondements de la mtaphysique. Or, si Heidegger

reconnat que lexpression est positivement ambigu 2, cest quelle dsigne aussi la

1. Cette fondation mtaphjisique de la mtaphysique avait dj t aperue par Kant lorsquil qualifia sa Critique
de la raison pure de mtaphysique de la mtaphysique (KPM, 230; tr. 286 et GA 28, 41). Un texte de Besinnun,g
parle, quant 1m, de la mtaphysique du Dasein (celle de lVas ist Metaphysik ? et de Ktznt und das Proble,n der
Metaphjsik) comme dune mta-mtaphysique s, une mtaphysique qui va au-del de la mtaphysique (de la
dtermination de ltarmt de ltant) et qui accomplit ainsi lauthentique mtaphysique (GA 66, 376-377).
2. K1iW, 231 ; tr. 287.
33

mtaphysique qui advient ncessairement comme Dasein , cette mtaphysique quil dit tre

lvnement fondamental dans le Dasein 2.

Nanmoins, Heidegger nhsite pas non plus employer lexpression pour dsigner

lensemble de cette mtaphysique quil tente alors dlaborer. Selon les dernires pages de

louvrage sur Kant, la mtaphysique du Dasein a poux tche de dvoiler la structure dtre

propre au Dasein, de telle manire que cette structure se manifeste comme ce qui rend

intrinsquement possible la comprhension de ltre . Or, cette question de la condition de

possibilit de la comprhension de ltre, cette question encore plus originelle que celle de ltre

comme telle et qui cherche partir de quoi (von wo ans) on peut comprendre quelque chose de

tel que ltre , nest pas une question qui ne concernerait que lanalytique existentiale. Elle

constitue en fait lensemble de linterrogation de lontologie fondamentale, celle du rapport

entre ltre et le temps5. Selon cette affirmation, la mtaphysique du Dasein a donc une porte

au moins aussi large que celle de lontologie fondamentale. Seulement, Hcidegger largit encore

cette porte en affirmant immdiatement que lontologie fondamentale nest cependant que la

premire tape de la mtaphysique du Dasein 6. Lexpression mtaphysique du Dasein

semble donc indiquer davantage que linstauration du fondement de la mtaphysique. Elle est

employe ici pour dcrire lensemble de cet difice mtaphysique dont la premire tape est

lontologie fondamentale. La stricte quivalence entre les expressions <t analytique du Dasein et

mtaphysique du Dasein est aussi conteste lt 1928 alors que Heidegger soutient que

lanalytique [de lexistence du DaseLii] procde uniquement dans la vise de lontologie

1. Ibid.
2. lVas ist Metaphjsik ? [abrg W1vfi], GA 9, 121-122; tr. Questions I et II (Henry Corbin), 71; EIeidegger-LFIerne
tRoger Munier, 56. Voir aussi KPM, 242 ; tr. 298.
3. KPM, 232 ; tr. 288.
4. Ibid., 224 ; tr. 281.
5. Cette intime parent de la mtaphysique du Dasein avec lontologie fondamentale est aussi confirme
quelques pages plus loin Les explications qui ont t donnes sur lide dune ontologie fondamentale montrent
clairement que, si la problmatique dune mtaphysique du Dasein a t prsente comme Sein und Zeit, cest la
conjonction undde ce titre qui en exprime le problme central (ibid., 242; tr. 298).
6. Ibid., 232; tr. 288.
34

fondamentale. (...) La mtaphysique du Dasein lui-mme nest pas encore place au centre

En quel sens peut-on affirmer que lontologie fondamentale ne constitue que la premire tape

de la mtaphysique du Dasein? Ce sera lune des tches de notre travail de montrer que la

porte de la mtaphysique heideggrienne transcende les buts fixs dans Sein und Zeit pour

lontologie fondamentale.

De faon gnrale, on peut aussi rappeler que pour Heidegger, seule la mtaphysique

peut fonder la mtaphysique2. Ainsi, linstauration du fondement de la mtaphysique cest--

dire la mtaphysique du Dasein comprise comme analytique du Dasein est elle-mme

une mtaphysique savoir, la mtaphysique du Dasein comprise comme lensemble de la

mtaphysique. Lambigut qui plane sur lexpression mtaphysique du Dasein est dite

positive en ce que ses trois sens (1. mtaphysique advenant comme Dasein, 2. analyse

mtaphysique de lexistence du Dasein, 3. mtaphysique dont linstauration des fondements est

assure par une telle analyse) nindiquent en ralit quune seule et mme chose. La mtaphysique

du Dasein est une mtaphysique qui adrient comme Dasein de telle sorte quelle trouve son Jndement en une

anase mtaphysique de ltre du Dasein. Si, dans le cadre de cette recherche, nous employons

lexpression pour dsigner le projet mtaphysique que Hcidcgger dploie entre 1927 et 1930

dans son ensemble, nous ne trahissons donc aucunement le sens de cette expression positivement

quivoque.

1. GA 26, 171. Commentant ce passage, Jean Greisch crit: Analytique du Dasein et mtaphysique du
Dasein ne sont donc pas des expressions quon aurait le droit de tenir pour synonymes (o Le problme de la
chair: mi ratage de Sein und Zeiz , dans Ghislaine Florival (d.), Dimensions de lexzstei Eludes danthropolqgie
philosophique 1% Louvain/Paris, Edirions de lInstitut Supneur de Philosophie Louvain-la-Neuve/Editions
Peeters, 1994, 166).
2. GA 28, 41.
35

Chapitre III

L2 rntaphjisiqne de Max Schekr

Si la rception de Sein und Zeit a gnralement du Heidegger, on sait que la lecture

quen fit Max Scheler (1874192$) immdiatement aprs sa parntion a permis un certain

rapprochement des deux penseurs. Sans prjuger de linfluence de ce penseur sur le

dploiement dune mtaphysique du Dasein, on doit reconnatre limportance que Heidegger

lui-mme accorde ii leur dernier entretien qui eut lieu quelques mois avant la mort subite de

Scheler le 19 mai 192$. Le rcit dramatique quil fit de cet entretien montre quel point

Heidegger croyait en une certaine affinit de la pense de Scheler et de la sienne1.

Dans h mesure o il fait partie de ce mouvement qui prne un virage

anthropologique de la philosophie2, Max Scheler aurait pu ntre quune des nombreuses

cibles de la critique heideggrienne envers ce mouvement qui ninterroge jamais de faon

radicale ltre de lhomme. Pourtant, la profondeur de la pense de Scheler intresse dans

certaines limites Heidegger. Lhommage quil 1m rendit lt 1928 permet dapercevoir la

dimension toute particulire qua pu avoir la pense du philosophe de Koin pour Heidegger. Si

les circonstances qui entourent ces remarques sont propices ii une certaine exagration

lexpression la force philosophique la plus grande de lAllemagne moderne)> est peut-tre

abusive3 , on ne peut nanmoins douter de lexistence dune certaine solidarit entre les deux

penseurs. Les points de rencontre de leurs projets philosophiques respectifs sont dailleurs

1. Beaucoup plus importante, il nous semble, quavec celle de Jaspers mme si, dans leur correspondance.

Heidegger insiste sur la communaut de lutte qui les unit (j)ar exemple, dans la lettre du 27 juin 1922; les
lettres cites sans autre rfrence font partie des correspondances publies que lon retrouvera facilement dans hi
bibliographie). Comme en tmoigne lautobiographie de Jaspers, cette communaut de lutte naura jamais
vraiment exist chacun des penseurs ne sintressant que trop peu aux recherches de lautre (voir, titre
dexemple, Philosophische Autobio,graphie, Miinchen, R. Piper, 1977, 9$ sq.).
2. Dans des textes tardifs comme Erkenntnis undArbeit (1926, dans Die lvissensforrneu und die Geselschafr, GIV 8)
et Die S etIung des AIenschen im Kosmos (1927, GlU 9).
3. GA 26, 62. On ne peut manquer de deviner dans cette remarque une certame attaque dirige contre
Husseri.
36

exposs dans ce cours par Heidegger et hissent bien entrevoir lintrt que pouvait alors

prsenter Scheler pour lui.

Bien que dans lensemble des textes de Heidegger, Scheler soit souvent la cible de la

critique adresse lanthropologie philosophique, un rapprochement semble soprer partir

de lt 1925 alors que Heidegger manifeste un certain intrt pour cette interrogation sur

lhomme. Scheler a en effet aperu que lhomme ne pouvait tre abord comme une chose ou

une substance doue de quelque capacit ou pouvoir > et quil fallait bien plutt lapprocher

comme quelque chose de vcu. En accord avec cela, Scheler considre les actes non pas comme

des objets mais comme des expriences2. Heidegger reproche nanmoins Scheler davoir

aperu la question de ltre de ces actes lacte nest pas un objet mais quelque chose que

lon accomplit)> sans y avoir donn de rponse. Scheler omet de franchir ltape suivante:

Au s;!jet du mode d tre de laccomplissement de tcte et du mode dtre de celui qui t accomptit, te silence

rgne . Malgr tout, Scheler serait celui qui a le plus avanc sur ces questions. Enfm, tout en

prsentant sa critique de linterprtation que fait Scheler de la ralit comme rsistance

critique que lon retrouve dans Sein und Zeit, 43 b et contre laquelle Scheler sest dfendu4

Heidegger reconnat que Scheler a trait des problmes de la ralit avec une acuit toute

particulire5. Fond sur une racine commune Dilthcy et linterrogation

1. Pro/igomena er Geschtchte des Zeitbegri>ft, GA 20, 175.


2. Max Scheler, Der Fomuatismus in der Ethtk und die materiate IVertethik, 1916 (GW 2); comment par Heidegger
en GA 20, 175 sq.
3. GA 20, 177.
4. Dans les esquisses du cinquime chapitre de Ideatismus Rsatismus (GW9, 259 sq.).
5. GA 20, 303. On doit mme feconnatre que la dfinition du monde comme contrainte et rsistance (Tom
lVesea des Grondes) prsente une certaine parent avec lide de Scheler selon laquelle lexistence des choses est
rvle par la rsistance du monde contre laquelle peut slever la rduction phnomnologique (SMK, 43-44;
tr. 71-72).
37

phnomnologique husserlienne , on peut parler dun rapprochement graduet entre les deux

penseurs.

Ce nest cependant quaprs la mort de Max Scheler le 19 mai 1928 que Heidegger

sexprime ouvertement sur les liens qui lunissaient la pense de Scheler. Cette solidarit qui,

selon le tmoignage de Heidegger, se serait tablie dans les derniers mois de lexistence de

Scheler repose cependant davantage sur des textes que Scheler projetait alors dcrire que sur

ceux dj connus et dj publis de son vivant. Nous savons que Scheler avait t trs

impressionn la lecture de Sein und Zeit, ouvrage quil a lu et cotnment avec beaucoup

dattention2. En tmoignent ces textes du Nachtaj? qui devaient composer le cmquime chapitre

de linachev Idealismus Reaismus portant spcifiquement sur Sein und Zeit ainsi que les notes

de Scheler dans son propre exemplaire de louvrage3. Nonobstant certaines critiques que

Scheler met au sujet de thses dfendues par Heidegger, le jugement est dans lensemble

favorable: Malgr tout, jattends beaucoup de la suite de louvrage de Heidegger. Son livre

Sein und Zeif est louvrage le plus original et le plus indebendant dc toute tradition banalement

philosophique. Il sagit de louvrage le plus libre que lon trouve dans la philosophie allemande

contemporaine une approche (Angre/tn,) radicale et pourtant rigoureusement scientifique des

probtmes ksptus levs de ta phitosophie .

Selon un tmoignage de Manfred S. frings, Heidegger aurait alors considr Scheler

confine lun des seuls, si ce nest le seul avoir tout de suite reconnu le nouveau point de

1. Voir Michael Grollheim, Heidegger und die Philosophischc nthropologie (Max Scheler, Helmuth
Plessner, Amold Gehien). Von der Abwehr der anthropologischen Suhsumtion zur Kulturkritik des
Anthropozentrismus , dans Heide,gger-Handbuch, 335.
2. Richard Wisser, Fundamental-Anthropologie (Max Scheler) oder Fundamental-Ontologie (Martin
Heidegger) ? Ururisse einer entscheidenden Kontroverse an einem Scheideweg , dans I om lVe<g-Charakter
philosophischen Denkens. Geschichttiche Kontexte und rnenscbtiche Kontakte, Wiirzburg, Kmgshausen & Neumann, 199$,
224, note 41.
3. Ce cinquime chapitre de Idealismus Rea/ismxts tait d prvu lors de la publication partielle de louvrage

en 192$ (G l1 9, 235, note 1). Les textes de Scheler portant sur Scia iazd Zeit ont t publis dans les Spcte Scbriften
(GtV9).
4. GW9, 304.
38
dpart qui tait celui de Sein und Zeit1. Quel quait t le contenu de ce dernier entretien qui eut

lieu au mois de dcembre 1927 quelques mois seulement aprs la publication de Sein und Zeit

et quelques mois avant la mort de Max Scheler , on doit reconnatre quil aura marqu

Heidegger. Bien quil soit quelque peu risqu de soutenir avec Otto Pggeler que cette

rencontre avec Max Scheler aurait transform la pense de Heidegger en la poussant hors de

ses anciennes voies 2, on peut nanmoins reconnatre que Max Scheler a jou un rle dans

ladoption soudaine de ce vocabulaire metaphjsique qui caractrise la pense de Heidegger partir

de la mort de Scheler. Le <c saut dans la mtaphysique quvoque le cours de lt 1928 est une

entreprise conjointe que Heidegger pensait mener bien avec Scheler3. Cette mtaphysique du

Dasein qui commence alors slaborer doit sans doute quelque chose cet entretien avec

Scheler dans lequel la question fondamentale de Sein und Zeit avait t mise en relation avec b

pense mtaphysique de Max Scheler et sa conception propre de la phnomnologie4.

Si Heidegger a tout dabord rsist la tentation demployer un vocabulaire

mtaphysique pour sa pense dans les crits antrieurs la publication de Sein und Zeit lui

prfrant celui de lontologie Scheler, lui, lemployait dj depuis longtemps, bravant la

crainte caractristique de la philosophie post-kantienne pour toute pense mtaphysique5. Bien

que notre intention ne soit pas ici de tenter une interprtation de la mtaphysique de

Scheler, un usage particulier quil fait du terme va ici nous intresser. A lintrieur de son

anthropologie philosophique, la mtaphysique ne se prsente pas comme un domaine de

1. Ibid I\Tachwort des Heraziigebers , 362.


2. Die neue Begegnung mit Max Scheler venvandelte Heideggers Denken und stie8 es aus dan alten Bahnen
heraus (Otto Pggier, Ausgleich und anderer Anfang. Scheler und Heidegger , dans Ernst Wolfgang Orth et
Gerhard Pfafferott (d.), Sttidien ur Philosophie ton Max Scheler, Internationales I\Iax-Scheler-Colloquium Der
Mensch im Weltalter des Ausgleich (Universitiit zu Kln), Freiburg i. B., Alber, 1994, 181).
3. GA 26, 165.
4. GIV 9, Nachwort der Heratageberi; 362. Ajoutons que lessai Die Stelluug des Menschen im Kosmos de 1928 voque
une certaine mtaphysique de lhomme qui caractrise le rapport distinctif que lhomme en tant que tel
possderait avec Je fondement du monde (SMK, 31 ; tr. 52) et qui semble sassimiler la mtaphysique du
Dasein au sens de cette mtaphysique contenue dans le Dasein (ICPM, 231 ; tx. 287). La dernire section de cet
essai de Scheler ( Contribution la mtaphysique de lhomme ) annonce llaboration dune mtaphysique
venir.
5. Otto Pggeler, Ausgleich und anderer Anfang... , 180.
39
questionnement soumis aux principes dune telle anthropologie, mais bien comme le

dpassement de celle-ci, comme une mtanthropologie . Le point de dpart strictement

anthropologique de cette pense philosophique rend manifeste, dans son dploiement, des

problmes qui ne peuvent tre rsolus dans le cadre propre aux recherches anthropologiques,

puisque ceux-ci dbordent la simple question Quest-ce que lhomme ? . Ces problmes,

rendus visibles par le travail de lanthropologie philosophique, dbordent nanmoins les

possibilits propres au questionnement anthropologique. Ces questions mta

anthropologiques obligent lanthropologie philosophique se dpasser, ouvrant le champ un

questionnement autre. Cette mtanthropologie constitue pour Scheler la seule acception juste

et rigoureuse de la mtaphysique. La mtaphysique moderne ne doit donc plus se prsenter

comme cosmologie ou comme mtaphysique de lobjet (Gegenstandsmetaphysik), mais bien

comme mtanthropologic ou dans la mesure o lhomme est abord comme actualit

pouvant tre ralise (uolliehbare Aktuatitct) comme mtaphysique de lacte (AktmetapIysik)2.

Dune certaine faon, Scheler russit dpasser les limites que loptique anthropologico

philosophique lui impose.

Peut-on soutenir que cette anthropologie philosophique schlerienne qui reconnat ses

propres limites et la ncessit de son propre dpassement chappe b critique

heideggrienne? Malgr lintrt quaient pu prsenter pour Heidegger les dveloppements de

Scheler, il semble que lomission de cette question portant essentiellement sur le mode dtre

de lhomme mine davance la possibilit que cette mtanthropologic puisse valoir comme

mtaphysique authentique. La carence dorientation de cette interrogation sur lhomme qui

ne vise pas la question de ltre caractristique de toute anthropologie philosophique est aussi

une tare de cette mtanthropologie. La reconnaissance des limites de lanthropologie doit

1. Sur les rapports entre la mtanthropologie, la mtaphysique et les mtasciences chez Scheler, voir Felix
Hammer, Theonome Anthropolqgie? Max Scheters Menschenbild und seine Grenzen, La Raye, Martinus Nijhoff, 1972, 133
sq.
2. Philosophische lVettanschauung (1929), G[V 9, 83.
40

constituer le point de dpart de la mtaphysique, de telle sorte que la question portant sur

lhomme soit ds le dpart oriente vers la Grund/e,gung de la mtaphysique comme le prescrit la

mtaphysique du Dasein. Nanmoins, seule une relle confrontation entre la mtanthropologie

et la mtaphysique du Dasein permettrait de dterminer les points prcis o ces deux essais

divergent. Un tel travail permettrait sans doute de montrer que les points de convergence sont

plus nombreux quil ny parat1.

Dans le cours de lt 192$, Heidegger rsume ainsi ce dernier entretien quil eut avec

Scheler2: <(Lors de notre dernier et long entretien en dcembre 1927, nous nous sommes

entendus sur quatre points : 1) Le problme de la relation sujetobjet doit tre repos

compltement et libr de tous les efforts antrieurs pour le rsoudre. 2) Il ne sagit pas dune

question qui relve dune soi-disant pistmologie ; cest-a-dire quelle ne doit pas tre saisie eu

gard un sujet qui se saisit dun objet; une telle saisie ne peut tre tout dabord prsuppose.

3) Le problme a une importance centrale pour ce qui est de la possibilit de la mtaphysique

et est intimement li son problme fondamental. 4) Le quatrime et plus important point

daccord tait le suivant: compte tenu de la dsolation totale de la situation philosophique

actuelle, le moment est venu de tenter nouveau le saut dans la mtaphysique vritable, cest--

dire de la dployer de fond en comble . Si ces quatre points ont effectivement fait lobjet dun

accord entre 1-leidegger et Scheler, nous pouvons croire quune vritable communaut de

lutte sest alors installe entre les deux penseurs. Dune certaine faon, cest tout le

programme de la mtaphysique du Dasein qui est ici expos: repenser lessence de la

1. Lide dun dpassement interne de la problmatique anthropologico-philosophique nest sans doute pas
rrangre la problmatique de la rnttoutolcgie qui, elle aussi, se comprend comme le dpassement de soi-mme de
lmterrogation philosophique, de lontologie (GA 26, 199). Voir, ce sujet, Otto Pggeler, Ausgleich und
anderer Anfang... , 184 et Theodore Kisiel, Das Versagen von Sein und Zeil: 1927-1930 , dans Thomas
Rentsch (d.), Mania Heidegger. Sein und Zei. Berlin, Akademie Verlag, 2001, 263.
2. Pour ce qui est de limportance que reconnat alors Heidegger la pense de Max Scheler, on lira le
tmoignage de Gadamer dans Phi/osophisch L.ebah,r. Fine Riickschau, Frankfiirt a. M., Kiostermann, 1995, 4-l-45.
3. GA 26, 165.
4f

subjectivit de telle faon quelle soit libre de ses prjugs pistmologiques et quelle

permette le dploiement dune nouvelle mtaphysique qui soit la hauteur de son problme

fondamental. Nous ne saurons jamais si Scheler sest vraiment ralli un tel projet ce qui

impliquerait la reconnaissance de linsuffisance de son propre point de dpart

anthropologique , mais comme nous iavons mentionn, il tenait Sein und Zeit en haute estime.

On peut cependant se demander si les deux philosophes ont vraiment pu se mettre

daccord quant lidentification du problme fondamental de la mtaphysique. Il est en

effet probable que Scheler nait pas adhr la lecture heideggrienne de lhistoire de la pense
.
qui la rduit la simplicit dun problme fondamental Nanmoins, Heidegger

considrait que Scheler tait en quelque sorte sur la voie vers le problme de ltre. Dans son

texte Ideatismus Reatismus, Scheler soudent en effet que lambigut du rapport entre essentia et

lexistentia constitue lerreur fondamentale des deux voies philosophiques que sont lidalisme et

le ralisme2. Puis, dans Die Stettun,g des Menschen im Kosmos, Scheler crit mme que i aptitude

sparer lexistence de lessence constitue le caractre fondamental de lesprit humain, le

caractre qui est la base de tous les autres . Suivant linterprtation heideggnenne du

problme dc larticulation fondamentale de ltre , la mise en lumire du rapport entre

lessentia et lexistentia constitue lune des tches fondamentales de la mtaphysique dans la

mesure o elle reprsente un lment de rponse b question de ltre. Cest ainsi que

Scheler se rapprochait des proccupations heideggriennes. Heidegger reproche cependant

Scheler dtre trop optimiste quant la possible rsolution du problme. Cet optimisme de

Scheler contraste avec la position de Heidegger qui considre que la dcouverte du problme

fondamental ne constitue que le dbut dc la recherche philosophique. Si Scheler a aperu que

lobscurit entourant le problme de ltre minait la philosophie de lintrieur et quil a saisi

. fbid
2. Ibid.
3. SMK, 42; tr. 69. La parent entre cette caractrisation de Ihonzme et celle que fait Sein und Zeit partir de la
comprhension de ltre propre au Dasein est tonnante.
42

toute limportance de cette distinction entre essence et existence, il navait pas su, selon

Heidegger, entrevoir toute lampleur du problme qui souvrait alors. Lambigut du rapport

entre essentia et existentia nest en effet quune des diffrentes dimensions du problme de ltr&.

Mais la saisie radicale du problme de ltre nest sans doute pas le seul point de

dsaccord entre ces deux penseurs. La conception mme de ce que peut tre lessence

rnta-phjiique de lhomme diffre la base. Comme on le sait, Scheler a expos dans son essai

intitul Die SteItttng des Menschen im Kosinos lide selon laquelle lhomme serait capable dopposer

la ralit des choses un non nergtique 2. Cette capacit qui est la base de la

rduction phnomnologique dont se rclame Scheler et qui consiste retenir lacte, llan qui

nous fait exprimenter le monde comme rsistance3 dfrnit lhomme en son fondement.

Compar lanimal, qui toujours dit oui la ralit comme telle, mme dans le cas o il la

en aversion et la fuit, lhomme est ttre qui peut dire non, lascte de te, et lgard de tout

ce qui nest que ralit le protestant ternel . ce Neinsa,genk?Jnner Heidegger oppose une

conception de lhomme qui le dtenriine comme celui qui demande pourquoi (der nach dem

W7antm Fra,gende). Lhomme ne se dfinit donc pas seulement par cette libert face la ralit

des choses et qui lui permet de la mettre entre parenthses , mais surtout par cet lan qui va

de leffectivit des choses leur possibilit et duquel surgit, de faon ncessaire, b question

pourquoi ? . Comme nous le venons, cette caractrisation de lhomme comme Wantm

Fra,ger est un acquis fondamental de la mtaphysique du Dasein dont Heidegger tentera de

montrer les conditions de possibilit dans son essai sur le fondement (voir i,/ra, Lessence du

fondement >)).

f. Pour schmatiser, on sait qu cette poque Heidegger expose deux reprises ce quil appelle les quatre
problmes fondamentaux de la science de ltre . au nombre desquels on compte celui de larticulation
fondamentale de ltre en essenli.j et e.\istentia (voir GA 24, 4 et GA 26, 191-194).
2. SA1142;tr. 70.
3.Ibid.,44;tr.72.
4. Ibid.
5. GA 26, 280.
43

11 semble que Heidegger soit rapidement revenu de son enthousiasme pour Scheler.

Aprs lavoir considr un temps comme la plus grande force philosophique de la philosophie

contemporarne1, Heidegger retournera rapidement aux jugements quil avait ports sur loeuvre

de Scheler au dbut des annes 1920 et dans Sein und Zeit. Si dans le cours de lt 1929,

Heidegger avait laiss chapper quelques phrases qui reconnaissent lapport de Scheler 2, le

cours suivant, Die Grundbe,griffi der Metaphjsik, considre que lide de lhomme expose dans

Die Stellung des Menschen im Kosmos comme ltre qui unifie en lui-mme tous les degrs de

ltant constitue 1 erreur fondamentale de la position schlerienne qui doit

ncessairement lui barrer le chemin de la mtaphysique . Les voies de Heidegger et de Scheler

vers la mtaphysique se sparent donc ici. Lanthropologie philosophique, mme schlerienne,

ne peut prtendre attemdre la mtaphysique sans changer radicalement son point dc dpart.

Malgr cela, Heidegger reconnatra limportance de Scheler quant cette question des divers

degrs de ltant La problmatique de Scheler, aussi programmatique soit-elle reste, est

quand mme essentielle beaucoup de points de vue et elle est suprieure tout cc qui sest

fait jusquici .

Sans donc tenter de deviner les motifs qui ont pouss Heidegger faire le saut dans

la mtaphysique, on peut croire que linfluence de Scheler y fut pour quelque chose. La

concidence de lhommage Scheler et la naissance de ce projet de la mtaphysique du Dasein

nest peut-tre pas accidentelle et cache peut-tre une solidarit entre les deux penseurs que la

1. Ibid. 62.
2. Cest ce que rapporte Herbert Marcuse aprs avoir assist aux premires sessions du cours de lt 1929
(GA 2$) qui traitaient de la tendance it lanthropologie de la philosophie contemporaine (s Lettre de Herbert
Marcuse et Sophie Marcuse leurs amis Beck du 9 mai 1929, dans Heidegger-LHerne, 164). On doit cependant
souligner que le manuscrit qui nous est parvenu est davantage critique qulogieux envers Scheler. Heidegger ne
cite ses travaux sur lanthropologie que pour les critiquer. Son hommage Scheler se limite, dans ce cours,
une mention de cette phrase de Die Steltun,g des Menschen im Kosmos que lon retrouve aussi dans son ouvrage sur
Kant: On peut dire qu aucune poque de lhistoire autant quaujourdhui, flwmme na te un problme pour lui
mme (KPAI, 209 ; tr. 266 et GA 2$, 16).
3. G 29/30, 283 ; tr. 286-287.
4. Ibid
44

mort subite de Scheler aura empch de prosprer. Malgr labsence dun questionnement sur

lhomme orient explicitement et ds le dpart sur linstauration du fondement dc la

mtaphysique, Scheler a eu de nombreuses intuitions le rapprochant de la mtaphysique du

Dasein: lignorance de notre poque quant au problme de lhomme et limportance de mettre

en lumire larticulation fondamentale de ltre. Cette exigence pour lanthropologie de se

transformer en une mtanthropologie permet aussi de penser, moins expressment peut-tre

que dans la mtaphysique du Dasein, toutes les limitations de lanthropologie philosophique.


45

Chapitre W

Le t saut dans ta mtaphjsique

Comme nous venons de le voir, le dernier entretien que Heidegger eut avec Scheler

sest tenu sous lgide de la mtaphysique. Cette ncessit pour la pense de se jeter nouveau

dans la mtaphysique deviendra, dans les annes qui suivent, le fil conducteur de lentreprise

philosophique heideggnenne. Compte tenu de la dsolation totale de la situation

philosophique actuelle, linstant est venu de tenter nouveau le saut dans la mtaphysique

vritable, cest--dire de la dployer de fond en comble . Un saut dans la mtaphysique ,

voil ce quexige la situation philosophique actuelle. Mais ce saut navait-il pas dj eu lieu

avec Sein und Zeit? La tentative de rveiller la question de ltre que Heidegger prsente

dans cet ouvrage ntait-elle pas le fondement dune entreprise essentiellement mtaphyrique?

Sil est possible de rinterprter aposteriori lessai de 1927 comme une contribution lhistoire

de la mtaphysique, cest bien plutt contre la mtaphysique quil tait tout dabord dirig.

On se souviendra de la phrase qui ouvre Sein und Zeit: La question [de ltre] est aujourdhui

tombe dans loubli, quand bien mme notre temps considre comme un progrs de raffirmer

la mtaphysique 2
Ce dsir de rveiller la question fondamentale de la mtapIysique prtend

donc sinscrire en faux contre la mtaphysique . Que doit-on voir insinu dans ces guillemets

dans lesquels Heidegger enserre la mtaphysique?

Nous savons que ce ne sont pas Anstote, Surez ou Kant qui sont viss ici, mais bien

un certain courant mtaphysique en vogue au dbut du XXC sicle et dont les principaux

reprsentants taient Nicolai Hartmann (Grundjige eiuer Metaphysik der Erkenntnis, 1921), Georg

Simmel (Zur Metapysik des Todes, 1910; De,- Fragneutcharakter des Lebens. Ans den Vorstudien u

einer Metaphjsik, 1916) et Peter Wust (Die Aiftrstehung de,- Metap4ysik, 1920). Ces auteurs qui

1. GA 26, 165.
2. 5. u. z., 2.
46

bravrent linterdit supposment kantien en se rclamant dune rsurrection de la

mtaphysique sont raills plusieurs reprises par Heidegger lpoque de Sein und Zeitt. Cette

nouvelle mtaphysique qui se croit dispense des efforts requis pour rallumer une nouvelle

yyavtoia itEp1 tfj oxlix , Heidegger ne la mentionne jamais quen la mettant

entre guillemets, laissant planer un certain doute quant la lgitimit de cet usage du terme

mtaphysique

Paralllement ce mouvement mtaphysique et populaire, quelques auteurs se sont

aussi dresss contre le monopole du nokantisme en tentant de rhabiliter le Kant

mtaphysicien. Nous pensons ici i Max Wundt et son ouvrage Kant aIs Metaphysiker (1924),

mais aussi aux travaux de Heimsoeth, de Paulsen et dsterreich qui, entre la fin du XIX sicle

et le dbut du XXC sicle, luttrent contre lide selon laquelle Kant aurait mis un point final

la possibilit de la mtaphysique3. Bien que ces recherches oeuvrent dans la mme direction que

celles de Heidegger, celui-ci se montre critique leur gard en ce quils dcident demble de

sen tenir la conception de la Critique de ta raison pun? comme thorie de la connaissance et

ne traitent de la mtaphysique et des thmes mtaphysiques que dune manire subsidiaire et

accessoire . La domination de limage nokantienne de la Critique de ta raison pure est complte

f. Voir, par exemple, GA 63, 20 et Ptaton: Sophistes, GA 19, 256 et 447; tr. par Jean-Franois Courtine, Pascal
David, Domimque Pradelle, Philippe Quesne, Platon: Le Sophiste, Pans, Gallimard, 2001. Dans S. n. Z., en plus de
la premire phrase de louvrage, Heidegger voque louvrage de Nicolai Hartmann (59 et 208, note 1) et une
certaine mtaphysique de la mort qui vise vraisemblablement Georg Simmel et quil souhaite distinguer de son
analyse existentiale de la mort (24$).
2. 5. u. z., 2.
3. Voir les ouvrages cits par Leo Freuler dans son article Lorigine et le fonction de la metap/ysica naturatis
chez Kant (Revue de Metaphjisique et de morale, 1991/3, 373, note 5): F. Paulsen, Immanuet Kant. Sein Leben tard seine
Lehre (1898), K. sterreich, Kant und die Metaphysik >, Kant-Studien, Erdnzungshefte 2 (1906), 1-1. Heimsoeth,
Metaphysische Motive in der Ausbildung des kritischen Idealismus , Kant-Studicu 1924/29.
4. KPM, 6, note 4; tr. 66, note 1. Voir aussi ce quen crit Heidegger dans une lettre Hemrich Rickert du 25
juillet 1929 dans laquelle il commente le colloque de Davos: Nous tions tous les deux [sc. Cassirer et
Heidegger] daccord sur ceci que par lintroduction superficielle de la mtaphysique [dans linterprtation de la
Critique de ta raison pure], telle quelle advient chez Heimsoeth et chez dautres, non seulement rien nest gagn, mais
la profondeur de linterprtation antrieure de Kant nest mme pas encore atteinte
47

mme dans les milieux o lon reconnat le cit minemment mtaphysique de la pense

kantienne.

A lpoque de Sein und Zeit, Heidegger a donc pris position contre ces divers

mouvements mtaphysiques du dbut du XX sicle. Le terme mtaphysique napparat

dailleurs pratiquement jamais dans Sein und Zeit. Une seule occurrence du mot voque cc que

Heidegger nomme plus gnralement lontologie traditionnelle 2. Cet emploi nest cependant

pas habituel cette poque, bien quil le deviendra dans le cadre de la mtaphysique du Dusein

et dans les textes ultrieurs qui prsentent dsormais la pense occidentale sous le titre de

mtaphysique

Si Heidegger se rallie immdiatement aprs Sein und Zeit aux vises de la mtaphysique,

il ne changera jamais dopinion sur ces mouvements mtaphysiques populaires de son poque.

Dune certaine faon, ces philosophes usurpent Aristote le titre de mtaphysique, do

lusage obligatoire de guillemets pour voquer leur entreprise. maintes reprises dans le cadre

de la mtaphysique du Dasein , Heidcgger revient sur ces auteurs qui parlent un peu partout

dune rsurrection de la mtaphysique et qui ne condescendent pas retourner la vraie


;3
problmatique mtaphysique, celle quAristote identifia la question r r 6v

Or, le projet de Sein und Zeit a t plusieurs reprises interprt comme un essai de

mtaphyvique, non seulement par ses exgtes4, mais aussi par Heidegger lui-mme. On connat

1. Le no-kantien Rickert constitue sans doute une exception quant cette interprtation non mtaphysique
de loeuvre de Kant. Celui-ci se dfend dailleurs, dans une lettre Heidegger du 17 jirillet 1929, de faire de Kant
un thoricien de la connaissance . Rickert renvoie Heidegger son ouvrage Kant ais Phiiosoph der modenien Kidtur
Ein,geschichtphitosophischer Uersuch fiibingen, Mohr, 1924).
2. Au 6, Heidegger crit qu travers les Diiputationes Merap/ysicae de Surez, lontologie grecque a pntr la
mtaphysique et la philosophie transcendantale des temps modernes (S. z., 22). Ici, mtaphysique

toujours entre guillemets


ne caractrise pas la philosophie populaire du dbut du XX sicle, mais bien la
philosophie traditionnelle.
3. Voir, par exemple, GA 24, 19; GA 27, 216 et GA 29/30, 63; tt. 73.
4. Par exemple, Michel Haar Q La mtaphysique dans Sein tend Zeit dans La fracture dans lhistoire. Doute essais
sur Heide,gger, Grenoble, J. Million, 1994), Jacques Derrida (o Ousia et gramm dans Mares de la philosophie, Paris,
Ediflons de Minuit, 1972) et Jean-Franois Courtine (o Le platonisme de Heidegger dans Heide,gger et ki
phnomnoioCgie, Paris, Vrin, 1990).
4$

linterprtation plus tardive et critique qua faite Heidegger de son propre ouvrage, selon

laquelle Sein und Zeit naurait pas su poser la question de ltre sans retomber dans la

mtaphysique et le subjectivisme. Cest le langage de la mtaphysique qui selon cette

critique rendue clbre par le Brif liber dcii Hurnanismus de 1946 aurait nui llaboration de la

question de ltre en 1927: Un achvement et un accomplissement suffisant de cette pense

autre qui abandonne la subjectivit sont assurment rendus difficiles du fait que lors de la

parution de Sein und Zeit, la troisime section de la premire partie, Zeit und Sein, a t retenue

(voir Sein und Zei4 p. 39). Cest en ce point que tout se renverse. Cette section ne fut pas

publie, parce que la pense ne parvint pas exprimer de manire suffisante ce renversement

et nen vint pas bout avec laide de la langue de la mtaphysique


. Cette critique des

diffrents dfauts de lontologie fondamentale na cependant pas attendu les annes 1940 pour

se dployer. Ds le semestre dt 1927, quelques mois aprs la publication de Sein und Zeit,

Hedegger avait dj mis en question la volont de Sein und Zeit dobjectiver ltre et, donc, den

faire quelque chose dontique reproche que Heidegger a alors dj fait lensemble de la

tradition mtaphysique2. Cette critique se resserre partir du milieu des annes 1930,

principalement dans le texte des Beitige ur Phitosophie3.

1. Brif liber dcii Hurnanismus [abrg I-Item], GA 9, 327-328; te. 85. Bien que lon sentende gnralement pour
lire cette critique comme tant uniquement dirige contre Sein tend Zeit, on a rcemment propos une
interprtation plausible de la dernire partie de la phrase ( et nen vint pas bout avec laide de la langue de la
. .
.

mtaphysique ) comme une critique visant directement ce projet dune mtaphysique du Dasein qui suivit
immdiatement lchec de Sein tend Zeit (Steven G-alt Croweil, Metaphysics, Metontology, and the End of Bec 8
and Time , Phiosophj and Phenomeno/o,gica/ Research, 2000/2, 310-311). Dans la mesure o Sein tend Zeit nemploie
presque pas par rapport la mtaphysique du Dasein le langage de la mtaphysique , la critique semble en

effet mieux atteindre sa cible si elle vise les textes de la fin des annes 1920.
Une critique similaire est faite de lessai Vote; Wesen des Gntndes dans un texte intitul Die (Jbennaidueg der
Metaphysik (f 938/39). Heidegger soutient alors que des questions fondamentales ont t abordes dans le trait de
1929, mais quelles se sont emptres dans les broussailles mtaphysiques)) (AietapJysk tend Nihilis,aus, GA 67,
61). Lemploi dune terminologie transcendantale est considr comme une rechute dans la mtaphysique (ibid.
63) ou dans la mtaphysique de la mtaphysique (tbid, 68) et Heidegger critique non seulement lemploi dun
vocabulaire mtaphysique mais principalement lintention mtaphysique (ibid., 61).
2. GA 24, 458. Voir, ce sujet, jean Grondin, Heidegger et le problme de la mtaphysique, Dioti, 1999/6,
177-178.
3. Par exemple, Beitrge ur Philosophie (l/om Engnis), GA 65, 451. On notera nanrnoms quun texte situ rm
chemin entre les Beitr4ge et B nef liber tien Hiimanismus soutenait justement que dans Sein tend Zeit, il ny a[vaitJ plus
l trace de mtaphysique, mais un tout autre commencement (GA 49, 160 Schellings Abahandlung liber dus lVesen
der menschtichen freiheit (1809) [abrg SA], Thingen, Niemeyer, 1971, 227 ; tr. par jean-Eranois Courtine,
49

Avant que Heidegger ne plonge dans la mtaphysique du Dasein et se propose de

refonder la mtaphysique, il avait cependant dj conu la mtaphysique comme la possibilit

authentique de la pense philosophique. En plus de la remarque programmatique qui conclut

lessai sur Duns Scot de 1916 La philosophie ne peut se dispenser la longue de son

optique authentique, savoir la mtaphysique un court texte de la mme anne, Der

Zeitbe,grff in der Geschichtswissensctafr, annonait aussi quelque chose de semblable. Ce texte

souvre en effet sur un constat dsolant de la situation philosophique contemporaine qui se

voue uniquement la thorie de la connaissance et empche les vraies questions de la

philosophie de surgir. Mais de ce joug quexerce la thorie de la connaissance, crit alors

Heidegger, commence se dprendre depuis quelques annes un certain lan

mtaphysique , une tendance la mtaphysique qui rend manifeste toute linsuffisance de

la philosophie alors domine par le nokantisme. Dune certaine faon, Heidegger considre

dj que seule la mtaphysique peut permettre la philosophie dtre autre chose quune

thorie de la connaissance. Selon lexpression quil emploie, cest la volont de puissance de la

philosophie qui rclame ici ce qui lui revient de droit2.

Ce nest quaprs la publication de Sein und Zeit que Heidegger a rellement tent de

mener la philosophie son optique authentique . Louvrage de 1927 a soudainement t

Schellag. Le trait de 1809 szerltisence de la iilert brtrnaine, Pans, Gaflimard, 1977 GA 67, 125). Dans une lettre du
20 dcembre 1935, Heideggcr crivait Elisabeth Blochmann: Provisoirement, les feuilles saccumulent dans
une chemise ntituie: Critique de S. und Z. Je me mets lentement entendre ce livre, dont je saisis mieux
prsent la question; je vois la grande imprudence loge en ce livre, mais peut-tre est-il ncessaire de faire de tels
sauts pour prendre un quelconque lan . Il faudra donc attendre la publication de Zu egenen tero7fenthchungen
(GA 82) pour se faire une ide prcise du contenu de la chemise Critique de S. und Z. .
1. Die Kate,gorie- tend Bedeutun,gskbre des Dans Scotus, dans Friihe Schnflen, GA 1, 406; tr. par Florent Gabonau,
Trait des categories et de la sgeqfication chez Dans Sco4 Paris, Gallimard, 1970, 227. Cette affirmation de 1916 trouvera
un cho douze ans plus tard dans les Metaphjsische Anfan.gsgriinde der Lqgik im Azqgang von Leibnit,: Compte tenu de
la dsolation totale de la situation philosophique actuelle, linstant est venu de tenter nouveau le saut dans la
mtaphysique vritable, cest--dire de la dvelopper de fond en comble (GA 26, 165).
2. Der Zeirbgriff in der Geschicbtswissenschafi, GA 1, 415. Mentionnons aussi au passage cette lettre Engelbert
Krebs de 1919 dans laquelle Heidegger crit que son rejet du ystme du catholicisme ne va pas de pair avec un
rejet du christianisme et de la mtaphysique en un sens nouveau (cite par Hugo Oit, Mariai I-Ieide,gger. (Jnteneegs
ze semer Biographie, Frankfurt a. M., Campus, 198$, 106).
50
rinterprt comme une oeuvre de mtaphysique et Heidegger sest affair montrer comment

Sein und Zeit contribuait cette mtaphysique du Dasein . Pendant cette courte priode

mtaphysique (1927-1930), Sein und Zeit sera alors compris comme un ouvrage qui tente, par la

voie de la mtaphysique, de mener bon port le problme de ltre. Or, cest partir dune

valuation positive et soudaine du terme mtaphysique que Heidegger en vient qualifier sa

propre pense de mtaphysique.

Dans les cours et crits qui prcdent Sein und Zei4 les occurrences du terme

mtaphysique sont assez rares et essentiellement ngatives. titre dexemple, le cours du

semestre dt 1923 (Ontoto,gie. Hemzeneutik der Fakticjtiit, GA 63) ne laisse planer aucun doute

quant la position de Heidegger face la mtaphysique Par ontologie, nous nous rfrons

la mtaphysique ancienne; superstition (Abergtauben) et dogmatisme sans la moindre

possibilit ou tendance une recherche questionnante ftu frqgenstetender Forschung) >2.

Fonctionnant ici comme un synonyme de superstition et de dogmatisme , la mtaphysique

se donne comme limpossibilit mme de linterrogation philosophique. Comment Heidegger

en vient-il alors rclamer pour sa propre pense le titre de mtaphysique ?

1. Voir, ce sujet, Jean Greisch, Von der Hermeneutik der Faktizitt zur Metaphysik des Daseins (Martin
Heidegger) i>, Hem,eneutik und Metaptysik. Fine Probtemgeschichte, Mnchen, Wilhelm fink Verlag, 1993, 177 et 196.
Dans cette tude, lauteur soudent que la rticence dont fait preuve Heidegger dans lemploi du vocabulaire
mtaphysique jusqu Sein md Zeit est due non seulement son usage dans la philosophie populaire qui se rclame
dune rsurrection de la mtaphysique, mais aussi aux rpercussions encore visibles de lessai de Husseri de 1911,
Philosophie ais strenge lVissenschaft, qui soutenait que la philosophie na pas tant besoin dune rsurrection de la
mtaphysique que dune premire fondation (Erstbegrndun.g) comme science rigoureuse (178). Sur labsence de la
mtaphysique dans les textes antrieurs Sein und Zeit, on concultera aussi Jean Grondin, Der deutsche
Idealismus und Heideggers Verschrftmg des Problems der Metaphysik nach Sein und Zeit , dans Harald Seubert
(d.), Heideggers Zwie,gespriich mit dem Deutschen Ideaiismus, Kln, Bhlau, 2003, 42 sq. et Hans-Helmuth Gander,
Selbstverstndnis und Lebenswelt. Gnmndzftge einer phdnomenoiqgischen Hermeneutik im Ausgang von Husseri und Heide,gger,
frankfiirt a. M., Klostermann, 2001, 228.
2. GA 63, 3.
3. Nous retrouvons la mme chose dans les Phiinomenoiqgische Interpretationen u Aristoteks o Heidegger voque,
pour sen distinguer, les consolations mtaphysiques face aux prils ainsi quune certaine <t mtaphysique de
limmortalit et de lau-del (PIA, 4 et 12 = GA 62, 349 et 359).
51

Chapitre V

Le corpus de ta mtaphjsique du Dasem

Ce nest qu partir du cours Die Grttndprobteme der Phanomenoto,gie (GA 24) le cours qui

suit immdiatement la parution de Sein und Zeit et qui prtend complter partiellement

louvrage inachev que Heidegger commence prsenter un concept posit/de mtaphysique.

Ainsi, le cours de lt 1927 ne constitue pas seulement la premire prsentation de la

diffrence ontologique, il inaugure aussi cette association temporaire de la pense

heideggnenne avec la mtaphysique association qui prendra fin, comme nous le verrons,

lhiver 1930/3 1 dans le cours sur la Phnomnolcgie de tcsprit de Regel. Souhaitant, tout comme

dans Sein ;tnd Zeit, diffrencier son propre projet ontologique de celui de la mtaphysique

vulgaire , Heidegger crit alors : La science transcendantale de ltre na rien voir avec la

mtaphysique vulgaire qui traite dun tant quelconque qui se tiendrait derrire ltant connu

bien plutt: le concept scieutflque de mtaphjisique est identique au concept de philosophie en

gnral: science transcendantale critique de ltre, cest--dire ontologie . Lontologie

fondamentale de Sein und Zeit qui avait cette prtention daborder ltre sans le penser partir

dun tant quelconque qui se tiendrait derrire ltant connu peut ds lors se rclamer de ce

concept scientifique de mtaphysique x. Si ce cours nest cependant pas trs prolixe sur cette

mtaphysique authentique qui reste laborer, cest nanmoins dans celui-ci quest expos

pour la premire fois le concept de la transcendance du Dasein , concept par excellence de la

mtaphysique du Dasein. Heidegger expose en effet dans ce cours une phnomnologie de la

1. GA 24, 23 (nous soulignons). Notons que Heidegger emploie aussi le terme <t mtaphysique scientifique
pour qualifier la mtaphysique dont Kant tente dtablir la possibilit Qbii, 39). Rappelons quen fvrier 1929,
Husseri se rclamait lui aussi de la mtaphysique dans des termes assez similaires u ceux quemploie ici Heidegger:
[Les rsultats de notre explication de lexprience de Iautrel sont mtaptysiques, sil est vrai que la connaissance
ultime de ltre doit tre appele mtaphysique. Mais ils ne sont rien moins que de ta mtaphysique au sens habituel du
terme; cette mtaphysique, dgnre au cours de son histoire, nest pas du tout conforme lesprit dans lequel elle
a t originellement fonde en tant que philosophie premire (Cartesianische Meditationen, Htissertiana I, 166 ; tr.
par Gabrielle Peiffer et Emmanuel Levinas, Mditations cartsiennes, Paris, Vrin, 1996, 60, 223-224).
52

transcendance qui remet en question les prtentions de la phnomnologie

transcendantale husserlienne en exposant la superficialit de son concept de transcendance.

Mais laudace de Heidegger va encore plus loin: son recours la transcendance se rclame

aussi dun retour son concept kantien, dun retour Kant qui rejette avec force

linterprtation no-kantienne de Kant qui tait dominante lpoque2.

Le cours du semestre suivant sattardera dailleurs un texte modle pour ce qui est

de linstauration des fondements de la mtaphysique: la Critique de la raison pure. Bien que cette

Phdnomenotqgische Inteipretation von Kants Kritik der reinen Vernuitft (GA 25) ne fasse quvoquer en

conclusion les liens quentretient Sein und Zeit avec la mtaphysique, lintrt que manifeste

Heidegger pour le chef-doeuvre de Kant est lvidence centr sur la question de la possibilit

de la mtaphysique. Cest dailleurs dans ce cours quapparat pour la premire fois la question

quest-ce que la mtaphysique ? qui deviendra le titre dune confrence bien connue de

1929. Avant ce cours, la pense occidentale qui va des Grecs jusqu Hegel nest jamais pense

que comme philosophie ou comme ontologie traditionnelle . En plus dinterroger

lessence de la mtaphysique, la conclusion du cours indique pour la premire fois la grande

parent qui existe entre lentreprise de Sein und Zeit (lontologie fondamentale) et la question de

la mtaphysique : <c Universalit de ttre et radicatit du temps sont tes deux titres qui dsignent

unitairement tes tches exzes par une mditation plus profonde et plus pousse de ta possibilit de ta

1. Ce cours de lt 1927 concide dailleurs avec lune des dernires collaborations de Husseri et de Heidegger,
autour dun article pour 1Enyctopdie Britannica. Heidegger travaillait en mme temps S ldition de la Phdnomenotqgie
des inneren Zeitbewufitseins qui parut en 1928 (voir la Vorbemerkun,g des Heratqgebers date du mois davril 1928,
Husserliana X, XXIV-XXV).
2. Au mois de juillet 1927, Heidegger donnera Tiibingen une confrence intitule Plinomenolo<gie rend Theolo,gie
dont seule la seconde partie, Die Positivitiit der Theologie und ihr Verhltnis zur Phnomenologie (GA 9 ; tr.
par M. Mry, Thologie et philosophie >, dans Pierre Aubenque (d.), Dbats sur k Kantisme et la Philosophie (Davos,
mars 1929) et autres textes de 1929-793 1, Paris, Beauchesne, 1972, 101-121), a t publie dans laquelle il tente de

penser le rapport quentretient la philosophie lensemble des sciences positives et particulirement la thologie.
Cette confrence ce document de lpoque de Marbtng (Lettre Blochmann du 8 aot 1928) sera loccasion

pour Heidegger de critiquer lide selon laquelle thologie et philosophie constitueraient deux chemins (foi,
raison) pour aborder un seul et mme thme. Dfinissant la thologie comme la science ontique de la foi, il soutient
quelle est absolument diffrence de la philosophie, seule science ontoto,gique.
3. GA 25, 11.
53

mtap/ysz que . La mtaphysique dont il est ici question aura donc pour tche dclairer les liens

qui existent entre ltre et le temps.

Cet intrt que manifeste Heidegger pour Kant et pour la Critique de ta raison pure

remonte au cours de lhiver 1925/26 contemporain de la rdaction de Sein und Zeit dans

lequel Heidegger tente de librer le vrai Kant de son avatar no-kantien2. Cest alors que

stablit ce que lon est en droit dappeler un dialogue amoureux entre Heidegger et

lentreprise kantienne dune critique de la raison pure. Le dialogue se poursuivra aprs la

publication de Sein und Zeit dans le cours de lhiver 1927/28 et dans louvrage Kant und das

Probtem der Metaphjsik. Malgr ce que lon tait en droit dattendre aprs la publication de la

premire partie de Sein und Zeit, ce nest pas la doctrine kantienne du schmatisme et du

temps comme tape prparatoire dune problmatique de la temporatitas (Femporaitiit) , tche

annonce en 1927 ( 8), qui va alors intresser Heidegger. Cest bien plutt lide essentielle de

linstauration des fondements (Grtndte,guiz,g) de la mtaphysique qui motive Heideggcr rester

auprs de Kant, cormne en tmoigne lorientation initiale que prend le cours. Cest parce que

Kant participe de lhistoire de la mtaphysique et quil en modifie considrablement lessence

que stablit alors cette troite solidarit entre le projet mtaphysique kantien et ce

questionnement portant sur ltre et le temps.

1. Ibid., 426-427. La parent entre Sein und Zeit et la mtaphysique est reconnue dans de nombreu.x textes
cette poque. Voir, par exemple, G 27, 276 ; KPM, 203 et 239; tr. 257 et 295 ; Davofer Desputation ivischen Ernst
Cassirer und Martin Heidgger, GA 3, 282, 284 et 288; tr. pat Pierre Aubenque, Colloque Cassirer-Heidegger s,
Dbat surie Kantisme et la Philosophie, 37, 39 et 43.
2. Mais Kant na pas t un kantien. Et si maintenant on commence dcouvrir la mtaphysique chez Kant,
cela est mritoire comme contribution, contre lunilatralit des kantiens, un inventaire objectif de ce quil y a
chez Kant; mais rien de philosophiquement important nest gagn par l (Lo,gik. Die Fra,ge nach der lVahrhehit, GA
21, 117).
3. Cest Heidegger lui-mme qui parle de son amour pour Kant dans sa correspondance avec Jaspers
(Lettres du 10 dcembre 1925 et du 26 dcembre 1926).
4. 5. u. z., 40. Nous reprenons cette traduction Jean Grondin (Le tournant dans la pense de Martin Heide,gger,
Pans, PUF, 1987). Dans la mesure o Heidegger se sert des ressources du latin pour distinguer la Zeitlichkeit de la
Temporatit% nous pourrions aussi, nous qui parlons une langue latine, nous servir des ressources du grec et parler
de la chronicit ou de la chronologie de ltre. Cela est dailleurs en accord avec ce que Heidegger dploie lhiver
1925/26 aiors quil caractrise les considrations portant sur la Temporatitdt comme celles dune chronologie
phnomnologique (GA 21, 200).
54

Cette mditation sur la possibilit de la mtaphysique constituera dailleurs la vise

principale des cours qui suivront cette interprtation de K.ant. Ltude des Metaphysische

Anfangtgriiiide der Lo,gik im Au.gang von Leihni (GA 26) qui suit tentera dtablir les fondements

mtaphysiques dune togique philosophique cc que Heidegger baptisera, devant leffroi et

ltonnement de ses tudiants1, la mtaphysique de la vrit (Metaphjsik der Wahrheitf. Ce

cours qui annonce 1 entre en mtaphysique de la pense heideggrienne est contemporain

du premier crit mtaphysique publi, Vom Wesen des Gntndes, paru en avril 1929 mais

ten-nin en octobre 1928. Bien que ce texte soit plutt discret dans son usage de la

terminologie mtaphysique, laffirmation programmatique qui clt le traitement de la

transcendance du Dasein souligne la stricte appartenance de ce trait une certaine pense

mtaphysique: Une conception plus radicale et plus universelle de la transcendance va

ncessairement de pair avec une laboration plus originelle de lide de lontologie et, par l, de

ta mtaphjisique .

Lessai sur le fondement prsente une reformulation des principes de lontologie

fondamentale suivant trois concepts dsormais centraux: le fondement, la transcendance et la

libert. Ce nest qu travers cette laboration du problme du fondement que la transcendance

doit obtenir une dtermination plus originaire et plus globale, sa dtermination la plus

complte5. Cet essai est aussi loccasion pour Heidegger dc lier intrinsquement son concept de

1. Ich habe im vergangenen Sommer eine Logik ais Metaphysik der Wahrheit gelesen zum Schrecken und
Staunen der Schiiler (Lettre Jaspers du 24 septembre 1928).
2. Voir G 26, 126-131, 138, 144-145, 187 et 193. Dans une lettre Blochmann du 8 aot 1928, Heidegger
considre ce cours comme une voie nouvelle quil met en rapport avec la mtaphysique : Le dernier cours de
Marburg, cet t, frayait dj une voie noraelle, ou plutt il a consist fouler des sentiers dont je croyais quil ne
mtait permis, et pour longtemps, que de les pressentir. Toutes les questions parfaitement lgitimes que vous
posez sans ambigut relvent de ce champ de la mtaphysique (nous soulignons).
3. Suivant le tmoignage que constitue la lettre Blocbmann du 17 octobre 1928: je travaillais depuis au
texte pour le volume dhommages Husserl: Vom Wesen des Gmndes. La tentative, ctait darriver y dire
simplement quelques choses essentielles. Je lai termin aujourdhui mme . Le texte est paru quelques jours aprs
le soixante-dixime anniversaire de Husserl clbr le 8 avril 1929.
4. VWG, 140; tr. 108 (nous soulignons).
5. Ibid., 126 ; tr. 90.
55

transcendance celui de libert finie, annonant dj les dveloppements du cours de lt

1930 qui c1t le cycle de la mtaphysique du Dasein. De la premire la troisime section du

trait de 1929, nous assistons la transition du vocabulaire transcendantal qui est celui des

Gnindprobkme dci- Plitmnornenotogie (1927) celui de la finitude et de la libert qui sont,

respectivement, celui de louvrage Kant und das Probtem der Metaphjsik (1929) et celui de la

confrence T/om [l7esen der [J7ahrheit (1930).

Le cours de lhiver 1928/29, intitul simplement Einkitung in die Philosophie (GA 27) et

qui inaugure le retour de Heidegger Freiburg, prtendra quant lui mettre en vidence ce qui

distingue la philosophie de la science et de la vision du monde (Wettanschauun,g) afin dintroduire

aux problmes rntaphjsiques de la vrit et du monde. Ce cours prsente une laboration trs

dtaille de problmes apparus plus tt: celui tout dabord dune mtaphysique de la vrit ,

mais aussi celui du monde dont lessentiel se retrouve dans lessai sur le fondement. Heidegger

labore aussi dans ce cours une dfinition toute particulire de la mtaphysique, pense partir

de lacte fondateur du philosopher : la transcendance. Cest dailleurs partir de cette ide selon

laquelle philosopher, cest transcender de faon explicite)> que la conception dc la

mtaphysique comme vnement dans le Dasein va prendre racine.

Au mois de mars 1929, Heidegger est Davos pour une confrontation avec lun des

philosophes les plus importants de lpoque, Ernst Cassirer (1 874-1945). La discussion porte

1. Nous nous servirons pour les fins de cette recherche de la retranscnpdon faite par Hermann Mrchen
dune confrence intitule Philosophieren tmd G/artbe,i. Das lVesen der WiI]rheit [abrg Ph. u. G.] prsente Marburg
le 5 dcembre 1930 devant la Euaiz,getisch-theo/ogische fachschaft. Cette confrence constitue la premire version de
celle, remanie, publie en 1943 sous le titre Vom lVesen de,- lVahrheit [abrg I/1flt], GA 9. La variation dans le
titre est sans doute simplement due lauditoire devant lequel elle a t prsente. Heidegger a en effet prononc
nouveau cette confrence six jours plus tard freiburg sous le titre E om Wesen der lVahrheit qui correspond au titre
plus usuel de cette confrence (qui a aussi t prononce le 14 juillet 1930 Karlsruhe ; la confrence du 24 mai
1926 qui porte le mme titre prsentait un contenu sans doute plus proche du cours de lhiver 1925/26). Pour ces
questions, voir Theodore Kisicl, Heideggers Lehrveranstattungen, 1915-30 >, The Genesis of Heidegerr Betng &
Time, 461-46$.
56

sur Kant et oppose linterprtation phnomnologique heideggnenne celle, nokantienne,

dont Cassirer se fait ici le dfenseur. Heidegger sera trs ironique quant lintrt que

prsentrent ces cours, auxquels il naurait assist que pour le ski en haute montagne2. La

confrence que donna Heidegger Davos et le colloque men conjointement avec Cassirer

annoncent les dveloppements de Kant und dus Probtem der Metaphjsik et la rinterprtadon de

lontologie fondamentale comme mtaphysique du Dusein.

Cet ouvrage sur Kant, que Heidegger acheva la Pentecte 1929, est loccasion pour

Heidegger de livrer au public son interprtation phnomnologique de la Critique de la raison

pure et de procder une mise au point sur la premire rception de Sein und Zei4 deux ans

aprs sa parution3. Ce texte, prsent non pas comme une contribution lontologie mais bien

la mtaphysique, tente dlaborer la question de ltre partir de la finitude dans le Dasein

qui devient le nouveau visage de la comprhension de ltre.

Se percevant dsonriais comme hritier et dfenseur de la pense kantienne, Heidegger

entre alors en dbat avec ces autres hritiers que sont Fichte, Schelling et Regel. Dans son

cours de lt 1929, Der deutsche Ideutismus (Fzchte, Scheiing, He,get) und die phitosophische Prob/emkge

der Gegenwart (GA 28), Heidegger confronte sa pense de la finitude celles de Fichte et de

Hegel, figures qui reprsentent, selon Heidegger, labsolutisation de la mtaphysique critique

kantienne. Nanmoins, on ne manquera pas de noter que Schelling nest abord quen quelques

pages seulement, comme si Heidegger se le rservait pour un rle plus digne que celui de

1. Les retranscriptions du colloque ont t publies dans la Gesamtauigabe en annexe de Kant und das Problem der
Metap/ysik (GA 3) Leur traduction iltga/e est parue en 1972 dans Dbats snr le Kantisme et ili Philosophie.

2. Lettre jaspers du 2f dcembre 1928. A son retour de Davos, Heidegger crira Blochmann que
philosophiquement parlant , le colloque ne lui a rien appris (Lettre du 12 avril 1929). Pour ce qui est de la petite
histoire de ces cours, nous renvoyons lintressant texte de Pierre Aubenque, Le dbat de 1929 entre Cassirer
et Heidegget s, paru dans Jean Seideugart (d.), Ernst Cassire De Marbour Nezv-York, Paris, Cerf 1990. Ce texte
inclut en appendice des extraits dun article clairant de Jean Cavaills (< Les deuximes cours universitaires de
Davos s, 1929) qui ne faisait pas partie du dossier publi en 1972.
3. Le 24 janvier de cette mme anne 1929, Heidegger avait donn frankfurt une confrence mtitule
Phi/osophische Anthropotqgie rend Metaphjsik des Daseins. II aura alors vraisemblablement pris la dfense de sa
mtaphysique du Dasein contre cette interprtation anthropologtsante de Sein tard Zeit dont il n dj t

question.
57

repoussoir auquel sont confins Fichte et HegeL Il faut rappeler que lintrt de Heidegger

pour Schelling est djt trs grand et que bien avant le cours de lt 1936 portant sur le trait

de 1809, il sagissait dune figure philosophique dont Heidegger sinspirait volontiers. En

tmoignent les exercices phnomnologiques qua prsents Heidegger lhiver 1927/28

autour du trait de 1809 (indits), mais surtout les lettres de la mme poque de la

correspondance avec Jaspers dans laquelle Heidegger reconnat que Schelling lui est trs

prsent1.

Dans lintroduction t ce cours de lt 1929, Heidegger en profite pour exposer les

deux tendances qui caractrisent la philosophie de son poque: la tendance lanthropologie

et la tendance la mtaphysique. Il complte dans ce cours les dveloppements du Kantbuch sur

la diffrence fondamentale entre lanthropologie philosophique et sa mtaphysique du Dasein2.

Paralllement ce cours, Heidegger mne, dans un sminaire intitul Einf/ihrztng in das

akademische Studium (GA 28), une interprtation du mythe de la caverne. Cette analyse reprend

en partie les dveloppements de lt I 927 tout en anticipant sur ceux de lhiver 1931 /32.

Le 24 juillet 1929, Heidegger prononce Freiburg une confrence intitule [Vas ist

Metaphyrik? (GA 9), texte ouvertement mtaphysique dans lequel il tente, devant lensemble

des facults universitaires, de faire valoir la spcificit de la rflexion mtaphysique face aux

sciences. Abordant alors la question de ltre partir de lexprience du rien (Nichts), Heidegger

prsente publiquement et sans dissimulation cette nouvelle figure de la mtaphysique qui

1. Voir les lettres du 27 septembre et du 8 novembre 1927 ainsi que celle du 10 fvrier 1928. On mentionnera
aussi au passage le tmoignage de Gadamer dans lequel, voquant un sminaire de 1925 sur Schelling, il affirme
que Heidegger aurait reconnu en [Schellmgj son problme le plus intime, ceLui de la facticit, celui de lobscurit
indissoluble du fondement, en Dieu comme en tout ce qui est vraiment et qui ne relve pas seulement de la
logique. Cest ce qui fait sauter les Uniites du .yo grec ( Lhistoire de la philosophie , Gesammelte tVerke
[abrg Gt19 3, 306 tr. 183). Comme il nest question nulle part dun sminaire sur Schelliiig de 1925, Gadamer
se rfre probablement celui de lt 1927/28 auquel il a sans doute assist.
2. Rappelons que le 24 JanvIer de cette mme anne 1929, Heidegger avait donn Frankfurt une confrence
(indite) intitule Philasophische Anthropologie und Metapbjsik des Daseins.
3. GA 24, 400-405.
4. Vom lVesen der Wahrheit. Zu Piatons H?ihtetg1eichnis und Thedte4 GA 34, 21-147 ; tr. par Main Boutot, De lessence
de la vrit. Approche de t Atte,gorie de ta caverne et du Thtte de Flaton, Paris, GaUimard, 2001.
58

prtend rcuprer I interrogation qui se porte au-del de ltant, afin de reprendre celui-ci, comme let

et dans son ensemble, dans la saisie conceptuelle .

Le cours de lhiver 1929/30, Die Grundbegriffi der Metaphjsik. Wett Endtichkeit

Einsamkeit (GA 29/30) que Heidegger a qualifi de premire vraie leon de

mtaphysique
2
, prsente quant lui une rflexion de nature mtaphysique qui vienne

rompre avec les schmes de la pense mtaphysique traditionnelle. En accord avec le ton

adopt dans la confrence de juillet 1929, Heidegger prtend alors veiller une tonalit

fondamentale (lennui profond) qui permette ses auditeurs dentrer de plain-pied dans la

problmatique mtaphysique. Dans ce cours, Heidegger tente maintes reprises de lgitimer

lusage quil fait du terme mtaphysique . Comme nous le verrons, il prsente alors sa

mtaphysique comme la reprise des apories de la mtaphysique aristotlicienne, tablie

partir dune nouvelle intelligence du primat accord par la mtaphysique moderne lhomme.

Au mois de mars 1930, Heidegger prsente Amsterdam une confrence intitule He<get

und titis Probtem der Metaphjsik dans laquelle il tente de justifier sa solidarit avec lentreprise

mtaphysique, par-del laccomplissement ou lachvement que constitue b mtaphysique

hglienne. Cest alors que Heidegger a introduit cette distinction importante entre question

directrice (Leifrage) et question fondamentale (Grundfrage) de la mtaphysique. Si Hegel a

effectivement mis un point final au questionnement portant sur ltant comme tel et clans son

ensemble la question directrice , il a nanmoins omis de poser convenablement celle

1. 117M?, 118; tr. 53/67. Les souligns sont ceux du texte original (Bonn, Cohen, 1929, 24).
2. Meinc erste wirkliche Metaphystkvorlesung! Ja welche Vorbereitung uiid verschlossene Kraft verlangt

es, wahrhaft unmittetbar zu sein und doch sokratisch zu handein (Lettre i Julius Stenzel du 23 novembre 1929,
Heidegger Studies, 2000/16, 17).
3. Notons que lexpression mtaphysique du Dascin comme telle est absente de ce cours. Le vocabulaire de
la transcendance est lui aussi laiss de ct (seule exception: GA 29/30, 447 ; tr. 445). Le texte Unbenutzte
Vorarbeiten zut Vorlesung vom Wmtersemester: Die Grundbegnffe der Metaphysik. Welt Endlichket

Einsamkcit qui lemploie abondammen t prsente donc les derniers dveloppeme nts sur la transcendan ce du
Dasem (Heidegger Studies, 1991/7, 6-10).
59

portant SUf la condition de possibilit de la comprhension de ltre, celle du rapport de ltre

au temps la question fondamentale. Ici, cette mise en question de ltre nest pas encore saisie

comme le deassement de la mtaphysique mais bien comme la rebtition dune interrogation qui

na jamais compris sa tche fondamentale. La reprise de la question directrice constitue alors la

voie menant la question fondamentale.

Le cours qui clt le cycle de la mtaphysique du Dasein, Vom Wesen der rnenschtichen

Freiheit. Einteitua,g in die Philosophie (GA 3f), constitue une rare incursion dans la philosophie

pratique kantienne1. Le concept de libert constitue alors le concept mtaphysique

fondamental, dans la continuit de lessai sur le fondement de 1929 et comme le soutient la

confrence Voni Wesen der Wahrheit de 1930. Par une confrontation avec le concept kantien de

libert dploy dans la Critique de ta raison pratique, Heidegger tente dintroduire une

intelligence mtaphysique de la libert.

Si nous considrons ce cours comme le dernier de cette entreprise de la mtaphysique

du Dasein, ce nest pas seulement parce quil est le dernier employer lexpression

mtaphysique du Dasein 2, mais aussi parce quil prcde le cours Hegets Phdnomenotogie des

Geistes (GA 32) qui constitue la rupture de cette association de Heidegger avec la mtaphysique.

Contre la mtaphysique absolue hglienne, Heidegger ne souhaite pas prsenter une autre

mtaphysique, mais une pense autre, une pense qui dpasse lensemble de la mtaphysique et

qui ne cherche plus sinspirer des apones de la tradition mtaphysique quil qualifie

1. Dans son tude Der philosophische Umbmch in denJahren 192832. Von der Fundamentalontologie zut
Metaphysik des Daseins ,jean Greisch soudent que cest davantage le cours de lhiver 1931/32 (GA 34) qui clt
ce cycle en annonant la transition vers lpisode du rectorat (Heidegger-I-Iandbuch, 123). En nous basant
principalement sur labandon du vocabulaire mtaphysique, mais aussi de lexpression mtaphysique dci Dasein ,
nous considrons le cours de lt 1930 comme le dernier de cette entreprise.
2. GA 31, 206. On notera nanmoins que dans une lettre sa femme Elfriede du 19 mars 1933, Heidegger
parlait de la mtaphysique du Dasein allemand pour voquer lessence de son propre travail: Der Schein des
Abseitsstehens wird bleiben und doch wird nur so die Metaphysik des deutschen Daseins in semer
Unverbundenheit mit den Goechen zum wirkenden Werk werden krmen ). On peut y voir, si lon veut, un
ultime et funeste avatar de la mtaphysique du Dasein.
60

dsormais donto-thologie. Lontologie fondamentale ne se comprcnd plus alors comme une

mtaphysique du Dasein mais comme une ontochronie, cest--dire une pense qui a substitu

le pvo au ?6yo.

Or, ce cours constitue une rupture dans le parcours heideggrien dautres gards

aussi. Mme si Heidegger ne prsente gnralement plus la phnomnologie que pour en

critiquer les carences2, le cours de lhiver 1930/31 rompt compltement avec la figure

husserlienne de la phnomnologie: Dans lintrt dune comprhension relle, une

dissociation nette simpose donc entre lune et lautre phnomnologies [sc. celle de Hussed,

celle de Hegel, et cela spcialement aujourdhui, o tout porte ce nom de phnomnologie.

Allons mme plus loin: si nous nous rfrons la plus rcente publication de Husserl, qui

contient un dsaveu passionn de ceux qui avaient t jusque-l ses collaborateurs, nous ferons

mieux lavenir de nappeler phnomnologie que ce que Husseri lui-mme a cr et veut

promouvoir .

Quels sont les motifs rels qui ont pouss Heidegger hors de la mtaphysique? Ils sont

assez difficiles dterminer. On serait en fait plus enclins se demander ce qui a bien pu le

pousser entrer en mtaphysique4. Pour ce qui est de la sortie, la concidence dans le temps de la

mise sous silence du projet de la mtaphysique du Dasein avec cette interprtation de la

mtaphysique absolue hglienne offre sans doute une piste. Achevant la mtaphysique dans

1. Htgets Phdnomeno/o,gie des Geistes, GA 32, 144; tr. par Emmanuel Martineau, La Phnornnoto,gie de tiprit de
He,geI Paris, Gallimard, 1984
2. Mentionnons quand mme cette exception du cours de lhiver 1929/30 qui constitue un bel hommage
Husseri: Notre manire de questionner et de concevoir, qui se situe autrement avant toute argumentation, tout
point de vue et toute prise de position, fut nouveau veille par Husserl et le rveil signifie toujours une

radicalisation. Cette manire de questionner et de concevoir est une caractristique, peut-tre la caractristique
dcisive de la phnomnologie. Cest justement parce quelle est un lieu commun quelle en est la grandmir. Et pour
cette raison, elle ne cesse de passer facilement inaperue au profit de ce qui est accessoire mais ncessaire (GA
29/30, 338-339 ; tr. 339).
3. GA 32, 40. Le dsaveu dont Heidegger parle se rfre trs certainement au Nachwort aux ldeen ajout en
1930 (Husserliana V, 138-162) par Husseri et dans lequel il prend position contre Heidegger et Scheler.
4. Nous avons plus tt suggr le rle qua pu jouer la rception de Sein und Zeit ainsi que linfluence qua pu
avoir Max Scheler. Ce ne sont cependant que des indices et aucunement une explication complte et satisfaisante.
61

une pense qui annihile tous les efforts que fit Kant pour penser la finitude dans lhomme,

Hegel aurait ruin toute possibilit dune mtaplysique future souhaitant se prsenter comme

pense de la finitude. Cest aussi dans ce cours quapparat pour la premire fois lexpression

onto-thologie qui cherche rendre manifeste un mcanisme vici de la pense

mtaphysique et dont lusage, dans le colpus heideggnen, est propre cette pense qui souhaite

dpasser (hbenvinden) la mtaphysique, voire mme de se remettre (venuunden) du malaise

mtaphysique.

Mais cette explication dc labandon de la mtaphysique du Dasein accorde peut-tre

trop dimportance ce dbat avec la Phnomnologie de teiprit qui se dploie alors. Il ne faut pas

oublier que cette rencontre de h mtaphysique du Dasein fini et de la mtaphysique absolue

hglienne avait dj eu lieu lt 19292 sans que cela ait pour consquence labandon dudit

projet. Comme nous le verrons plus tard (voir infra, Lhomme comme fondement de la

question mtaphysique fondamentale ), la confrontation avec la mtaphysique hglienne aura

surtout pour consquence linvention de la terminologie dc la question fondamentale et de la

question directrice de la mtaphysique qui permettra de distinguer clairement entre h

mtaphysique acheve de Regel et cette mtaphysique nouvelle qui est celle du Dasein.

Pour tenter de comprendre labandon de ce projet mtaphysique, il faudrait sans doute

considrer qu partir de lt 1931, Heidegger sattarde une interprtation de textes

fondamentaux de h philosophie grecque la MtapIysique (0 1-3) dAnstote lt 1931 (GA

1. Cest la thse dfendue par jean Grondin dans Heidegger et le problme de la mtaphysique, 191-192, et
dans Der deutsche Idealismus und Heideggers. , 52-53.
2. Lopposition, terme terme, des deux mtaphysiques est dailleurs dj prsente dans ce cours: GA 28,
262-263 et 267-26$. Dans la confrence HegeJ .tind dise Problem der AIetapIysLle, Heidegger prsente sa mtap)ysiqzie
comme slaborant dans lantagonisme le plus vif avec Hegel sans pour autant abandonner lide dune
refondation de la mtaphysique: Ce qui est prsent en question est de savoir si, pour atteindre le sol et lespace
de la philosophie, lhomme doit en philosophant sabandonner et abandonner sa finitude et devenir Esprit absolu
ou si la question fondamentale de la mtaphysique explicitement pose (Etre et temps) namne pas justement
comprendre que, par nature, la philosophie nest pas appele slever lm&ni (Atfstie.g rir Unendlichkeit) et se
trouver galit avec labsolu mais quelle a, au contraire, entrer radicalement dans la finitude du Dasein (Einstie,g
in die End/ichkeit des Daseins) et sa vntable mortalit.(...) Et ainsi pouvons-nous ramener le problme de la
mtaphysique pris au sens de llaboration de la question fondamentale mais aussi comme explication avec Regel
la question : Phnonimnotogie de lesprit ou mtaphjsique dii Dasein (HPM, 56 tr. 57-59)
62

33), la Retibtique (livres VI et VII) et le Thtte de Platon lhiver 1931/32 (GA 34), des textes

de Parmnide et dAnaximandre lt 1932 (GA 35, mdit) et ce, comme il lcrit dans une

lettre Jaspers du mois de dcembre 1931, dans une optique de surveillant de galerie qui a

entre autres faire attention que les rideaux aux fentres soient ouverts et ferms de manire

correcte, afin que les quelques grandes oeuvres de la tradition aient, pour les spectateurs qui sy

pressent daventure, un clairage tant soit peu convenable . Image mise part continue-t-il,

je ne lis et ne travaille plus que lhistoire de la philosophie . Le chemin ouvert par Sein irnd

Zeit sest dsormais referm2. Laissant de ct pour un temps cette volont de dployer un

projet philosophique, Heidegger se consacre la lecture des textes philosophiques fondateurs

Jen viens souvent me demander crit-il Elisabeth Blocbmann en dcembre 1932 sil

ne serait pas plus essentiel de laisser l tous les essais de notre cm pour se consacrer

exclusivement oeuvrer en sorte que ce monde [sc. celui des Grecs] se dresse nouveau sous

nos yeux non comme hritage recevoir paresseusement, mais comme grandeur

commotionnante prendre en exemple .

Immdiatement aprs cette srie de cours sur les Grecs, Heidegger prendra un semestre

sabbatique (hiver 1932/33) et, au retour, il sera nomm recteur de lUniversit de Freiburg

(printemps 1933). Aprs lpisode du rectorat, cette autre pense dont les Beitrege portent le

sceau va prendre forme. Les cours sur les penseurs grecs temps bni pour le travail

constituent donc les derniers travaux avant le tournant (Kehre). Mais ils constituent aussi les

tout premiers balbutiements de ce nouveau commencement. Selon le manuscrit de Besinnrng,

le projet qui trouve sa premire forme dans lesquisse Vom Ereignis est dj tabli dans ses

1. Lettre jaspers du 20 dcembre 1931.


2. On simagine volontiers et on rpand mme le bruit que je serais en train dcrire Sein und Zn, II. A la
bonne heure. Mais tant donn que Sein ;ntd Zeit tait pour moi un chemin, qui ma bien men quelque part, mais
que ce chemin nest plus foul et quil est mme dj recouvert, je ne peux plus du tout crire Sein rd Zei4 II. Je
ncris dailleurs aucun livre (Lettre i Blochmann du 18 septembre 1932).
3. Lettre Blochmann du 19 dcembre 1932.
4. Lettre Blochmann du 20 dcembre 1935.
63
.
grandes lignes depuis le dbut de tanne 1932 Cest dire que la premire mise en forme de

la pense des Beitr4ge concide avec la fin du cours de lhiver 1931/32 portant sur la Rpublique

et le ihtte de Platon.

Dans les derniers moments avant le tournant, Heidegger aura tent, dans une

mtaphysique du Dasein , de suivre pour une dernire fois la voie trace par lhermneutique

de la facticit et par lontologie fondamentale afin de trouver un chemin qui mne au problme

de ltre. Cette identification dans le temps dun projet autonome, base essentiellement sur

lusage dune terminologie particulire, peut nanmoins paratre artificielle, voire arbitraire. Une

des vises de cette recherche sera donc aussi de montrer que la mtaphysique du Dasein

prsente une entreprise diffrente de celle de lontologie fondamentale prsente dans Sein zind

Zeit. Comme nous le verrons, le saut dans la mtaphysique quannonce Heidegger t lt 1928

ne constitue pas quun slogan lanc par provocation, mais reprsente une modification de

lorientation de la pense heideggrienne qui le mne ii un dialogue plus direct avec Anstote et

Kant, avec les mtaphysiques antique et moderne2.

1. GA66,424.
2. Rappelons quune liste exhaustive des textes composant le corpus dc la mtaphysique du Dascin, Le corpus
heideggrien. 1927-1930 , se trouve dans la bibliographie.
Premire partie La mtaphysique

Si quelquun prtend juger de mtaphysique ou mme y apporter sa


contribution, quil veuille bien considrer quil lui faut satisfaire
entirement aux conditions formules ici, soit quil admette ma
solution, soit quil la rfute fond et 1m en substitue une autre car il

ne peut lluder .

Immanuel KANT, Prol4gorn ces toute rntup hjsique friture

Avant de dterminer lorientation que prendra ce saut dans la mtaphysique dont

parle Heidegger partir de la fin des annes 1920, 11 nous importe de bien cerner la

signification quil donne au terme mtaphysique it cette poque. Comme nous lavons

soulign plus tt, cest partir du cours de lhiver 1927/28 sur la Critique de ta raison pure de

IKant que Heidegger a commenc interroger la nature de la mtaphysique, en prenant

linterrogation aristotlicienne comme paradigme. Lorsque Heidegger dclare vouloir reprendre

nouveaux frais lentreprise mtaphysique, la forme que devra adopter cette interrogation

mtaphysique est donc dj bien dtermine. Sil dit vouloir tenter le saut dans la

mtaphysique, ce nest pas dans le but, pour ainsi dire, daller au fond des choses ou de

traiter des choses dernires . Nous souhaitons ici montrer ce qua en tte Heidegger lorsquil

parle de mtaphysique en indiquant tout dabord les diffrents sens que peut porter le terme et

en tentant ensuite de prciser les tches quil lui associe.


65
Chapitre premier

9ue peut tre et que doit tre la mtaphjsique?

1. La polysmie de la mtaphysique

Mtaphysique est un terme dont lusage est devenu aujourdhui fort dlicat. Servant

plus souvent de repoussoir que dtendard, il nous importe ici de bien dfinir le champ

smantique que lexpression peut avoir chez Heidegger afin de mieux mettre en vidence le

sens quelle a dans la mtaphysique du Dasein. Comme on le sait, le terme est trs souvent

utilis, mme en philosophie, pour parler ironiquement des choses philosophiquement

importantes . ii est aussi employ pour voquer les choses qui se situent par-del la

connaissance et qui concernent davantage le pressentiment, lintuition et la croyance que la

raison. Cette signification vulgaire ou populaire du terme est caractristique dune pense

pour qui il y va de ces choses dernires qui se tiennent par-del lentendement courant et qui

emprunte un chemin difficile et obscur vers lensemble de toutes choses1.

Dans une optique historique, on se sert aussi du terme pour qualifier cette pense

pr-scientifique et pleine dimages que fut la philosophie antique et mdivale. vIais on

lutilise aussi pour ces penses modernes difficiles dapproche lidalisme allemand servant ici

de paradigme et qui appartiennent dj une poque rvolue. Cet usage tmoigne de

linfluence que continue davoir le positivisme dc Comte et une certaine lecture de la critique

kantienne jusqu aujourdhui. Mais le terme peut aussi caractriser une vise bien relle de la

philosophie de la philosophie passe trs certainement, mais sans doute aussi de la

philosophie actuelle.

f. Caractrisation que Heidegger prsente lt 1929 (GA 28, 22).


66
Dans une confrence de 1998 dans laquelle Dominique Jamcaud tente dexposer les

rapports possibles entre phnomnologie et mtaphysique, trois acceptions du terme

mtaphysique sa polysmie sont exposes. Cette distinction nous permettra de bien

mettre en relief les diffrents sens qua ports lexpression mtaphysique dans loeuvre de

Heidegger. Nous nous permettrons cependant de complter le portrait que prsente Jamcaud

afm de mieux cerner lusage quen fait Heidegger la fin des annes 1920.

De faon gnrale, la <t mtaphysique sert caractriser lensemble de la tradition

philosophique qui se trouve derrire nous et qin, prise comme ensemble, constitue lhistoire de la

mtaphjsique cest ce que Janicaud appelle le corpus de la mtaphysique. Il ne sagit pas

seulement dune somme de textes crits, cest--dire des oeuvres comme telles, mais surtout du

legs de mthodes et de penses2. Cette acception du terme est caractristique de cette rduction

hcideggnenne de lensemble de la pense occidentale tin seul mot: ta ntapIysique. Notre

rapport ce corpus livr en hritage pour celui qui se met ltude de la philosophie peut varier

normment. Il va de son rejet complet bas sur une croyance en un progrs de la pense

philosophique jusqu une rappropriation permettant la dtermination des tches actuelles de

la philosophie. La mtaphysique est donc corpus en ce quelle constitue lhritage ignor ou

recueilli de celui qui entreprend de faire sienne la tche de la philosophie.

En second heu, la mtaphysique peut tre conue comme destin (Verbinuis,). Cest en

effet une thse fondamentale que le <t second Heidegger a pu soutenir, la suite dc Nietzsche,

dans des textes comme Gbenvindung der AIetapysik (1936-l 946) ou Die Frcge nach der Technik

(1953). Selon cette thse bien connue des textes plus tardifs, lhomme occidental serait vou la

pense mtaphysique et le chemin parcouru par cette pense depuis Aristote jusqu la

1. Dominique Janicaud, <t Phnomnologie et mtaphysique >, dans JeanMarc Narbonne et Luc Langlois (d.),
Ls rntaphjsiq;ie. Son histoin, sa critiqne, ses eijeu, Pans/Qubec, Vrin/ PUL, 1999.
2. Ibid., 121.
67

domination technique de la totalit de ltant naurait rien darbitraire, mais constituerait bien

plutt un destin. Cette thse du dernier Heidegger, comme on le sait, invoque la possibilit de

clore cette re de la mtaphysique afin de permettre le passage une autre re. Ces questions

concernent cependant un stade ultrieur de la pense de Heidegger sur lequel nous ne nous

pencherons pas dans cette recherche. Le thme du nouveau commencement et du

dpassement de la mtaphysique ne sont en effet abords qu partir du milieu des annes

1930, aprs que lep,vjet de la mtaphysique du Dasein ait t abandonn.

En troisime lieu, la mtaphysique peut donc aussi tre comprise comme proj6t.

Considrer que la mtaphysique pourrait encore exister comme projet est sans doute une thse

audacieuse en cette poque qui prtend stre mancipe de son pass mtaphysique. Depuis

que le nokantisme a rduit les tches de la philosophie celles de lpistmologie et que le

courant analytique de la philosophie a voulu dmontrer que la mtaphysique ntait que leffet

pervers dabus de langage1, il nest plus de mise, en certains milieux, de considrer la

mtaphysique comme tche raliser. Malgr lambition norme de certains projets

philosophiques rcents, le titre de mtaphysique est rarement invoqu2.

Pour ce qui est de la mtaphysique du Dasein de Heidegger, cest surtout la distinction

entre le co?pus et le projet qui va nous tre utile. Cest en effet lune des tches fondamentales dc

celui qui veut bien saisir les textes des cours de la fin des annes 1920 que de dmler ce qui

appartient en propre la mtaphysique comme corpus la mtaphysique traditionnelle et

ce qui appartient cette mtaphysique comprise comme projet la mtaphysique du Dasein

1. Mentionnons simplement les textes de Rudolf Carnap, (J[benvindung der Metap!ysik durcli /ogische Aetayse der
Sprache (1931) et dAlfred J. Ayer, The Elimination ofMetapysics (1936).
2. Il faudrait cependant expliquer comment une proposition minemment mtaphysique comme Le monde est
tout ce qui arrive (der Wett ist ailes, was der Full ist) peut constituer le point de dpart dun texte non mtaphysique
comme celui du Tractatus logico-philosophicus de \Vittgenstein. On pourrait sans doute en dire autant de lYahrheit und
Afethode de Gadamer qui soutient que te monde est ce qui se prsente (darstellt) dans le langage (Gl 1, 447). Le
caractre mtaphysique de toute pense philosophique un tant soit peu ambitieuse peut en fait tre dmontr
facilement.
68

Nous compltons lexposition de Dominique Jamcaud en ajoutant un quatrime

lment cette polysmie. Ce quatrime sens recoupe en partie la dfinition de la

mtaphysique conmie corpus, mais tient compte dune distinction fondamentale dans lhistoire

de la mtaphysique: la mtaphysique comme temre. Cest en effet lune des caractristiques

fondamentales de la mtaphysique que davoir servi de repoussoir de nombreux

philosophes pour ltablissement dune philosophie authentique.

Dans lhistoire de la philosophie, trs peu dauteurs se sont, en fin de compte, rclams

ouvertement de la mtaphysique. Mme si on peut identifier lhistoire de la pense occidentale

lhistoire de la mtaphysique comme Heidegger le fait , la mtaphysique aura surtout

servi, dans cette histoire, de position passe contre laquelle sinscrivait la philosophie venir. A

cet gard, lexpression kantienne dune mtaphysique future constitue quelque chose dassez

unique. Il nous parat donc important de distinguer, pour ce qui est du corpus de la

mtaphysique, ce qui revient la mtaphysique authentique de ce qui revient la mtaphysique

cominc leurre. Cette signification caractrise lide que se fait la philosophie de la mtaphysique

antrieure, celle quil faut dpasser en exposant les piges dans lesquels elle est tombe.

Cest sans doute Descartes qui, en relguant lincertitude toutes les opinions pouvant

tomber sous le couperet du doute, a tabli le premier cette distinction fondamentale pour

lhistoire de la pense moderne entre une mtaphysique nave qui caractrise lensemble

de la tradition qui le prcde et une mtaphysique srieuse .


Descartes lui-mme

nemploie le terme mtaphysique quavec beaucoup de parcimonie et avec une certaine

ironie. La seule occurrence du terme dans ses Meditationes de prima Phitosophia dont seul le titre

1. On pourrait aussi soutenir que cette distinction constitue lacte de naissance de la philosophie comme telle,
dans la mesure o le combat de Platon contre les Sophistes peut tre rduit celui de la mtaphysique
authentique contre le leurre de la mtaphysique. Lidentification dune mtaphysique chez Platon et chez les
Sophistes pose cependant de nombreux problmes dans lesquels nous ne prtendons aucunement entrer.
69

franais voque la mtapbjsique! est, comme on le sait, ngativet. Sa philosophie 1m se

prsente comme prima phitosophia et seul le travail de linterprte, sur la base dun concept large

de mtaphysique, peut dceler chez Descartes la prsence dune mtaphysique. Sur les pas de

Descartes, le cartsianisme nhsitera pas tablir une distinction entre une mtaphysique

concernant les vrits gnrales qui peuvent servit de principes aux sciences particulires et

une autre, bourre de < considrations abstraites de quelques proprits imaginaires 2.

Cette distinction fondamentale entre ces deux mtaphysiques et h lutte des Lumires

contre lobscurantisme auront pour consquence au XVIII sicle de plonger dans le discrdit

lensemble de la mtaphysique3. Lintervention de Kant aura pu ou d venir rtablir lordre

grce aux distinctions quil tablit entre une mtaphysique dogmatique qui prtend rsoudre

directement les problmes de Dieu, de limmortalit de lme et de lorigine du monde et une

autre mtaphysique qui se prsente comme une science des premiers principes de h

connaissance humaine (KrT4 A $43/B $71) et au fondement de laquelle se tient une critique

de la raison pure . Cette mtaphysique de la mtaphysique comme lappelle Kant substitue

au nom orgueilleux dune ontologie celui dune analytique de lentendement pur (KrJ4 A

247/B 303). Malgr ces distinctions fondamentales, Kant sera gnralement associ une

dmonstration dfinitive de limpossibilit de la mtaphysique comme science.

Linterdit suppos kantien qui est tomb sur toute mtap1ysiqzte future aura oblig

lidalisme allemand utiliser avec grande parcimonie du titre de mtaphysique. Malgr cela,

Regel a reconnu que sa Science de ta Lsi,gique constituait ce quil appelle la mtaphysique

1. Descartes y voque une raison de douter bien lgre, et pour ainsi dire mtaphysique (AT, IX-I, 28).
Pour ce qui est de la mtaphysique chez Descartes, nous renvoyons au premier chapitre de ltude de Jean-Lue
Marion, Sur k prisme mtup1ysique de Descartes, IUF, Paris, 1986.
2. Malebranche, Entretiens sur la mtaphjsique et sur la religion, OEuvres compltes, A. Robinet (d.), tomes XII-XIII,
133 (cit par Jean-Lue Marion, La science toujours recherche et toujours manquante , Lii mtapysique. Son
histoire, sa critique, ses eqjeux, 26).
3. Pour mi portrait de la mtaphysique au sicle des Lumires, voir Leo Freuler, Lorigine et la fonction de la
metaphysica naturahs chez Kant , surtout 373-374. Lauteur y voque les attitudes n de Hume et de Rousseau contre
la strilit de la mtaphysique, celle de Voltaire contre la mtaphysico-thologo-cosmonigologie, ou celle du
baron dHolbach contre la mtaphysique comme pure science de mots
70

authentique . Dans une lettre Schelling, Fjchte reconnat quant lui que le terme

Wissenschafrlehre caractrise la mtaphysique elle-mme i. Comme nous le voyons ici, mme

dans lidalisme allemand, on reconnat que la philosophie doit accomplir la mtaphysique

authentique . Si [on hsite sen rclamer, cest, comme toujours, pour ne pas tre confondu

avec cette mtaphysique qui se nourrit de considrations abstraites de quelques proprits

ima,ginaires.

Une telle distinction se retrouvera aussi chez Hussefi qui, dans ses Mditations

cartsiennes, opposera une mtaphysique nave et oprant sur dabsurdes choses en soi une

mtaphysique comprise comme philosophie premire, cest--dire comme connaissance

ultime de ltre 2. Malgr tous les interdits et toutes les railleries, il semble que les grands

philosophes aient tous reconnu, un moment au moins, que lintention se tenant au

fondement de leur philosophie premire , critique de la raison pure o, doctrine de la

science ou autre <t phnomnologie transcendantale tait essentiellement mtaphjsique cest-

-dite quelle avait pour vise cette rntcihjisique authentique, bien distincte de cette mtaphjsique

naiie combattue. Comme nous allons maintenant le voir, cette distinction aura aussi son

importance chez Heidegger qui tente lui aussi dtablir une distinction entre sa

mtaphysique et toute autre mtaphysique, traditionnelle ou contemporaine. Cette signification

de la mtaphysique comme leurre est fondamentale pour toute lhistoire moderne de la

mtaphysique3.

1. Respectivement, Regel, Prface la premire dition de la lVissenschaft der Lo.gik et fichte, Lettre Schet/in,g du
mois de septembre 1799 (textes cits par Jean-Lue Marion, La science toujours recherche... , 27 et 29).
2. Cadesainische Meditationen, 60 et 64.
3. Nous prenons ici lexpression leurre comme lune des acceptions possibles de la mtaphysique. Depuis le
positivisme de Comte (1798-1857) en passant par la critique de lidalisme allemand faite par Feuerbach (1804-
1872) ou Marx (1818-1883), on a pu considrer que la mtaphysique navait dautre statut que celui dune
supercherie. Le nokandsme de la fin du XIXc sicle et du dbut du XX sicle se sera lui aussi servi de la
mtaphysique comme repoussoir, au nom dun retour Kant (Otto Liebmann, 1865), cest--dire cet
Allesrermu/rner qui rendit impossible toute mtaphysique future. Nietzsche (1844-1900), Dilthey (1833-1911) et
Bergson (1859-1941) auront, chacun sa faon, aussi tent de faire leur deuil de la mtaphysique. Lide selon
laquelle toutes les grandes penses se sont secrtement comprises comme des mtaphysiques authentiques est
donc tout fait discutable pour ce qui est du XIX sicle.
71

Pour quelles raisons Heidegger dcide-t-il, vers la fin des annes 1920, dattribuer

cette pense quil avait tout dabord conue comme ontologie fondamentale le titre de

mtuphyrique? Lentreprise mtaphysique heideggnenne sinscrit, comme nous lavons vu,

contre une certaine tendance la mtaphysique caractristique de la philosophie du dbut

du )Q( sicle, mais aussi contre la tradition mtaphysique qui, depuis Anstote, a perdu la

trace de son problme fondamental: celui de ltre. Cest dire que cette mtaphysique

authentique que Heidegger souhaite tablir projet srige contre la tradition mtaphysique

post-anstotlicienne corpus mais aussi contre les tentatives contemporaines qui se rclament

dune rsurrection de la mtaphysique leurre.

Mme si Heidegger se rclame ouvertement dune nouvelle pense mtaphysique

depuis au moins le semestre dt 1928, il semble que ce ne soit qu lhiver 1929/30 quil ait

perdu ses complexes eu gard une telle entreprise. Ce nest en effet qu lintrieur de ce

cours que Heidegger dcide de mettre au clair lusage quil fait du mot. Dans les cours

antrieurs, les rfrences une mtaphysique en projet ont quelque chose de plus discret et de

plus programmatique. Dans ce cours, Heidegger souhaite mettre au clair les raisons qui le

poussent employer le terme mtaphysique pour sa propre entreprise: De quel droit

revendiquons-nous encore le titre de mtaphysique pour cette interrogation

conceptuellement inclusive telle que nous tavons dfinie ? . Cette question est dautant plus

importante que Heidegger dit recourir au terme mtaphysique pour dsigner proprement le

philosopher tout en rcusant la mtaphysique au sens traditionnel comme discipline de la

philosophie 2. La mtaphysique traditionnelle doit donc tre rcuse, car elle ne se comprend

pas comme cette interrogation conceptuellement inclusive qui, seule, peut prtendre

1. GA 29/30, 37 ; u. 49. Une question similaire est pose au printemps 1930 2 <(Si la mtaphysique hglienne
reprsente bien laccomplissement de la mtaphysique, comment se peut-il que nous voulions encore parler dun
problme de la mtaphysique? (HPM, 36 ; tr. 37).
2. GA 29/30, 51; tr. 61.
3. Cest--dire une pense qui interroge ltant dans son ensemble de telle sorte que le questionneur soit inclus
dans le questionnement (cf. ibid., 2-3).
72

constituer le philosopher authentique. Pourtant, cest comme mtaphjsique que nous devons

comprendre cette pbilosopbie authentique qui reste riger. La question qui nous brle les

lvres est la suivante: pourquoi recourir ce mot qui, de faon gnrale, est associ une

pense dogmatique et non critique? Cest tout dabord par une brve orientation sur lhistoire

de lexpression que Heidegger tentera de justifier la lgitimit et la nature de lemploi du

terme mtaphysique pour [sesj considrations . Or, cette brve orientation sur lhistoire

de lexpression est en fait un retour au sens qua pour Anstote la philosophie premire, et,

comme nous le montrerons clans la suite, un tmoignage de la volont de Heidegger de

rcuprer un certain Aristote oubli de la tradition.

Si la mtaphysique recle encore quelque intrt pour Heidegger, cest

essentiellement parce quelle fait directement rfrence au problme fondamental mais oubli

du lien entre les deux orientations essentielles de la philosophie premire. Soutenant que le

problme de lunit de la mtaphysique a t problmatis mais jamais lucid par Anstote

c< nous ne trouvons rien, dans ce qui a t transmis de lui, qui nous clairerait sur la faon dont

ressort la problmatique unitaire qui prend pour objet la (pcn en ce double sens , cest--dire

comme v KO6?.ol.) et t uvxcov yvo;2 , Heidegger montre que la mtaphysique na

jamais t ce quelle aurait d tre, soit une poursuite de lentreprise dAristote qui, saventurant

dans la question de la rn, laissa sa mort son travail dans un tat encore problmatique. La

rception dogmatique de son oeuvre inaugurera le dclin de la philosophie antique en

annonant la mort de linterrogation vritablement philosophique3.

1. Ibid., 51; te. 61.


2. Ibid., 52 ; te. 62.
3. Ibid., 53; te. 63. Cest aussi ce que Heidegger soudent dans les premires lignes de Sein und Zeit: La
question soulev nest pourtant point arbitraire. Cest elle qui a tenu en haleine la recherche de Platon et
dAristote, avant de steindre bien entendu aprs eux, du moins en tant que question thmatique dune recherche
Jftctiue (S. u. z., 2).
73

cette mort de linterrogation mtaphysique, Heidegger oppose lentreprise dune

problmatique vivante de la mtaphysique qui permettrait cet Aristote oubli de refaire

surface et son problme de se prsenter comme tel. Ce nest donc pas la signification

technique du terme mtaphysique (r& j.tt rx (puica), la signification que lui donna

laristotlisme, que Heidegger pense lorsquil revendique le titre. Cest bien plutt la

problmatique originelle indique par le titre npnrj (ptocYocpia que Heidegger souhaite

rcuprer: Il en rsulte ..) pour nous la tche de procurer enfin au ternie qui se trouve tre l une

szgnflcation puise dans une comprhension onginette de ta icp.vt pi.?oaopi. Bref nous navons pas

le droit dinterprter la itpdrr ptoaopx partir de la mtaphysique. Il nous faut, au

contraire, justifier lexpression de miaphjsiqzd par une inteiprtation onginette de ce qui se passe dans ta
2
tpd)rrI qn?oaopia d4ristote Mais si le terme mtaphysique>) nat dune mauvaise

interprtation de ce quest la source la phitosophie premire, pourquoi Heidegger rcupre-t-il ce

terme supeificie4 confus et insouciant du vritable problme de ce quil doit dsigner ?

Pourquoi recourir un terme qui, maintenant dans les annes 1920, mais encore

aujourdhui , nest employ que lorsque lon veut donner limpression du profond, du

mystrieux, de ce qui nest pas accessible tout simplement ?

Il semble que lintrt que prsente pour Heidegger le terme mtaphysique soit li

la prsence en lui du prfixe IEr, qui signifie bien plus que le simple aprs de lexpression

r it r uica. Ce p.ir que la mtaphysique a interprt comme trani comme au-

del , comme la possibilit de tourner son regard par-del le monde sensible, Heidegger

lassocie cette mtaphysique inauthentique et traditionnelle. Le cetf1 recle cependant

dautres ressources: cest en effet aussi lindication dune tournure particulire (Umwendung),

1. GA 29/30, 60 ; li. 70.


2. IbL, 61-62; tr. 71.
3. Ibid. 62 ; tr. 72.
4. Ibii, 63 ; tr. 72. Sur lusage populaire du terme mtaphysique, voir aussi GA 28, 22.
74

dune modification par rapport la pense et linterrogation quotidiennes, tournure que le

philosopher implique.

Le recours au terme mtaphysique est donc difficile justifier dans la mesure o

Heidegger lassocie une interprtation fautive de la problmatique propre la 7tpdYUll

pt?oGopliX aristotlicienne. Pourtant, cest bien le terme que Heidegger choisit, comme sil

voulait nouveau dployer comme cela sest fait dans lhistoire une mtaphysique partir

des enseignements dAristote, une mtaphysique qui, cette fois, comprendrait la pense

aristotlicienne comme problme et non comme solution2. Nous verrons dans le cadre de cette

tude quel point la philosophie premire aristotlicienne imprime sa forme la pense

mtaphysique heideggrienne.

Nous voyons clairement que ce nest aucunement pour se rallier la rsurrection de la

mtaphysique que Heidegger emploie le terme, ni pour prsenter un nouvel avatar de cette

grande tradition mtaphysique . Comment se positionne-t-il face toute la tradition

mtaphysique? Nous pouvons dire quil porte sur elle un regard trs critique en ce quil la

considre tributaire dune interprtation inadquate dAristote. Il semble que Heidegger ne

reconnaisse qu Kant le privilge davoir probtmatis la mtaphysique, davoir reconnu laspect

problmatique de la reine de sciences . Cette apprciation de la tradition mtaphysique rend

particulirement paradoxal ce recours un mot quAristote na pas connu. Nanmoins, il

semble qu cette poque, Heidegger nhsite jamais se rapproprier les titres des penses

dont il souhaite branler les fondements. Nous pensons lontologie fondamentale qui invalide

1. GA 29/30, 66; tr. 75. Parmi la multitude de sens que le prfixe peut prendre (aprs, au milieu, avec, etc.),
lirr& peut voquer un changement comme dans les expressions reteOrro (immuable), [rercLJtpqxoat
(changement de forme) ou jrerx9rrn (changement de position). Pour une interprtation du jtrr de la
mtaphysique comme virage, voir ltude de Jean Beaufret, Quest-ce que la mtaphysique? (Heidegger Studies,
1985/1, 102) A vrai dire trre en Grec ne signifie pas seulementpost ou trans. Il indique aussi un virage, voire
une rvolution, comme dans le mot jier3o. (...) Toute la philosophie grecque est de mme avant la lettre une
pense en jiet, savoir une pense qui retourne le premier abord dune question en une question plus radicale,
que le premier abord de la question ne fait encore que masquer
2. A plusieurs reprises, Heidegger soutient que la mtaphysique nest tien dautre que le titre dun problme
(GA 28, 35, mais aussi KPM, 8 et 220-221 ; tr. 68 et 277 et GA 29/30, 85; tr. 92).
75

la tradition ontologique passe, mais aussi cette logique philosophique prsente lt 1928

et, plus tt, lhiver 1925/26 qui prtend remettre en question la logique traditionnelle,

ainsi qu lhermneutique, dont Heidegger a considrablement largi le champ auquel lavait

confine Dilthey, celui de la thorie de la connaissance. Dans le cadre de la mtaphysique du

Dasein, il sagira de penser la possibilit dune mtaphysique qui vienne mettre en vidence

toute la superficialit de la tradition mtaphysique post-atistotlicienne et son ratage de laspect

problmatique de la philosophie premire dAristote.

2. La tche dinterprter correctement la itpdrrri ptooopia dAristote

Le terme mtaphysique serait n du travail ddition dAndronicos de Rhodes au I

sicle de notre re. On donna le titre c& tet r pucixx > une srie dcrits dAristote

qui ne trouvrent pas leur place dans la classification en trois disciplines (logique, physique,

thique) qui avait alors cours dans la philosophie scolaire. Prsentant malgr tout une certaine

parent avec les crits de physique, les traits oir Anstote parlait de philosophie en son sens

vritable et premier trouvrent leur place derrire .ter) ceux de la physique. Ironiquement, ce

sont les textes qui abordent le philosopher vritable qui jetrent dans lembarras la philosophie

scolaire. La classification de la philosophie en trois disciplines na en effet pas prvu de place

pour la philosophie premire. Le titre t .tr& r xicx que lon donna la philosophie

vritable ne caractrise donc pas celle-ci selon sa nature et sa problmatique propres, mais

seulement de faon ngative, en tant quordonne des disciplines qui, par rapport e1le, sont

secondaires.

1. GA 29/30, 57 ; tr. 67.


76

Lexpression latine metaphjsica dont est issu notre quivalent franais ne fut forge

quau XIIC sicle. Or, ii cette poque, la itpti pt)wao(pia stait dj transforme en

adoptant la forme que lui imposait le titre r j1Et r& pxx . La philosophie premire

ou la mtaphysique est en effet devenue cette connaissance de ce qui se situe au-del du monde

physique et sensible, cest--dire du suprasensible. Le titre initialement technique r tet r

sest converti en une dcision prcise quant la nature de la philosophie premire.

Le tr qui servait indiquer lordre des traits aristotliciens (bosi) dissimulait en lui une autre

signification, celle de trans. Le mta-physique nindique alors plus ce qui vient, dans ltude

des choses, aprs le physique, mais bien le contenu et la nature propres cette science que

constitue la philosophie premire. Ce virage dans la signification du terme dcida en fin de

compte, selon Heidegger, du destin de la pbilosophie vritable en Occident.

Et pourtant, la philosophie premire dAristote semble elle aussi pouvoir tre

caractrise selon un certain it contenu en elle. La 1tpd)r pt7toGo(pic avait en effet

lambition de se dtourner des t, afin dinterroger ltant en gnral (v KaO6?o13) et

ltant vritable (nIndrtov yvo). Le virage du terme technique un terme li un contenu

nest donc pas absolument tranger la philosophie premire aristotlicienne. En ce sens, la

philosophie premire dAristote est bel et bien mtaphysique. On peut nanmoins considrer que

linterprtation que la thologie mdivale a faite de la mtaphysique comme connaissance de

ltant suprasensible dnature lintention initiale dAristote.

Le terme de mtaphysique a donc chez Heidegger une signification double. En son

sens traditionnel, elle constitue cette interprtation particulire de la philosophie premire

coimne connaissance du suprasensible . Mais dans la mesure o le terme peut servir

qualifier la philosophie vritable, il peut tmoigner dune comprhension originelle de la

philosophie premire. Heidegger distingue ainsi deux emplois du terme de mtaphysique: lun,

1. ce sujet, on consultera ltude de Luc Bnsson, Un si long anonymat , dans La mtapIysiqrie. Son histoire,
sa ciitique, ses enjeux.
77

traditionnel, n dune interprtation inadquate du travail dAristote; lautre, compris comme

cette tche de procurer au terme une signification puise dans une comprhension et une

interprtation originelles de ce qui se passe dans la itprr ptoaopia dAristote1.

Dans ses traits de mtaphysique , Aristote aurait attribu la philosophie premire

deux tches: celle dinterroger ltre de ltant (t 6v j 6v) et celle dinterroger ltant

proprement dit (t OEiov)2. Selon linterprtation quen donne Heidegger, Anstote aurait

identifi ces deux ordres de recherche sans cependant russir expliquer le lien qui les unissait

lune lautre. Bien avant dinterroger lessence de la mtaphysique comme telle, Heidegger

dfendait dj cette lecture du travail dAristote: Le double concept de science fondamentale

nest pas une impasse ni la juxtaposition de deux points de dpart diffrents qui nauraient tien

voir lun avec lautre, mais procde toujours de la ncessit, puise la chose mme, du

problme quAristote na pas domin, na pas non plus formul en tant que tel, et cest aussi

pourquoi il est tomb plus tard compltement dans loubli . Or, si les recherches dAristote

noffrent pas de solution ces questions, il est nanmoins possible de tenter une interprtation

de lorigine de cette double nature de linterrogation mtaphysique.

Selon linterprtation quen donne alors Heidegger, cette division interne la

mtaphysique pourrait trouver son fondement dans lquivoque du terme (pfl, nature

Nous savons limportance qua le concept dc p6rn pour lhistoire dc la philosophie. Dans la

mesure o lon dtermine normalement et la suite dAristote lveil de la philosophie

comme la naissance dune interrogation Q6yo) portant sur le fondement pi) de ltant

dans son ensemble le concept de pt se tient en effet la base de toute

1. GA 29/30,61-62; tr. 71.


2. Pour lexplication de la itpbr ocropn aristotlicienne, nous nous servons des nombreuses analyses que
Heidegger a prsentes cette poque: 6 25, 1; GA 26, 11-18 ; GA 28, 3 b et G 29/30, /3 8-9.
3. Die Grundbe,gnffi der antiken Philosophie, GA 22, 180; tr. par Alain Boutot, ConceptsJbndarnentaux de tu phttosophie
antiqne,Paris, Gallimard, 2003
4. Equivoque que notre mot nature a conserve. On parle de la nature comme <t lensemble des choses
naturelles , mais aussi de la <t nature des choses .
78

linterrogation philosophique1. Ce serait le contenu propre de ce mot qui aurait conduit

llaboration de la philosophie dans deux directions dont les recherches dAristote garderaient

lcho. Car tudier la p(xn peut signifier, dune part, tudier ltant dans son ensemble, cest-

-dire ce qui constitue pour la science moderne ta nature, lensemble des choses naturelles. Mais

de lautre, cela peut aussi signifier tudier a nature des choses, leur essence, cest--dire ce que les

choses ont de plus gnral.

La premire signification de (XIt tensembte des choses naturelles concerne donc

ltant tel quil rgne autour de nous. Afin dinterprter ce rgne, les premiers philosophes

portrent une attention toute particulire ce qui, au sein de ltant, manifestait le plus de

force, accablait et menaait le plus lhomme, et cela, cest la vote cleste, ce sont les astres,

cest la mer, cest la terre, cest ce qui menace constamment lhomme (...) ; cest ce qui (...)
rgne de soi-mme, sans lintervention de lhomme . Ce qui, en effet, en impose le plus

lhomme, cest ce qui ne dpend ni de son contrle ni de sa volont: ltant naturel qui crot et

existe partir de lui-mme. Or, au sein de cet ensemble (Gantes), un tant se manifeste comme

celui qui dtermine et domine tous les autres. Au sein des (pxret vtx existe en effet toujours

un tijauirtoetov yvo, un OEiov jouant le rle de dterminant ultime3.

La seconde signification de pxn comme synonyme dessence ne vise pas ltant

dans son ensemble, mais bien b nature de ltant. Ici, b considration nest pas limite aux

choses naturelles, puisque lon peut aussi parler de la nature des choses fabriques, de celle de

lesprit ou de lme, de la nature de loeuvre dart et de toute chose. Ici, nature fonctionne

comme synonyme dessence (ocia), comme <t loi interne dune chose .

Or, selon Heidegger, aucun des deux concepts na, au cours de lhistoire, pris le pas sur

lautre. Les deux significations se sont bien plutt maintenues lune ct de lautre, fixant

1. G.4 28, 24.


2. GA 29/30, 46 ; tr. 57.
3. IbiL, 49 ; tr. 60.
4. Ibid., 47 ; tr. 5$.
79

ainsi deux directions du questionnement, lesquelles sentrappartiennent et se rclament tout le

temps . Ces deux directions de linterrogation sur la pai. ont t explicitement fUrneS par

Aristote en un questionnement unique celui de la itpdr ptoao(pi.x: 11 ny a pas deux

disciplines distinctes: linterrogation sur ltant dans son ensemble et linterrogation sur ce

quest ltre de ltant, son essence, sa nature, Anstote les dsigne comme itprr pt2oaopi,

comme philosophie premire 2. Mais rien ne nous a t transmis sur la faon dont il pense

dans leur unit ces deux directions de linterrogation doublement oriente, et dans quelle

mesure, justement, cette interrogation constitue de faon unitaire le philosopher proprement

dit .

Cette problmatique unit de la philosophie premire naura pas survcu comme

pivbtme la mort dAristote. Cest la linterprtation que propose Heidegger de la

rcupration qui sera faite par la tradition de loeuvre dAristote. Le vritable saisissement

qui donna naissance linterrogation philosophique se serait vanoui aprs avoir atteint cette

apoge que constitue la pense dAristote4. travers le christianisme et la dogmatique

chrtienne, la mtaphysique se serait contente dinterroger le suprasensible, offrant au

problme de lunit de la philosophie premire une solution simple et tire mme loeuvre du

Stagirite: la itptr ptoop.c est universelle parce que premire (Aftap/iysique, E 1, 1026 a

31). Cest justement cette solution que Heidegger tient pour le grand problme de la pense

aristotlicienne.

Dans le cours de lhistoire de la mtaphysique, cest une interprtation bien dtermine

du Oov qui va orienter la comprhension de la mtaphysique. Oubliant quAristote lui-mme

navait pas connu le concept thologique de ltant crateuf, le christianisme a interprt le

1. Ibid., 48 ; tf. 58.


2. Ibid., 50; tr. 60-61.
3. Ibid., 50; tr. 61.
4. Ibid., 53 ; tr. 63.
80

OEiov aristotlicien comme le Dieu rvl de la religion chrtienne tablissant par l le thme

fondamental de la philosophie premire. Cette rcupration aurait t facilite, estime

Heidegger, par la division, selon deux orientations distinctes, prsente dans le livre E de la
.
MtapIysique de la itpri qn)oGocpx qui stablit sans riger en problme leur unit mme

La rappropriation de la mtaphysique laquelle travaille Heidegger la fin des annes

1920 doit tre comprise comme un retour aux problmes non rsolus, oublis ou jamais

aperus explicitement de h mtaphysique aristotlicienne. Les deux orientations ici identifies

de linterrogation mtaphysique constituent, comme nous le verrons, un cadre auquel se rfre

constamment la mtaphysique heideggnenne. Si Heidegger se rclame de la mtaphysique,

cest pour montrer que les rponses quont donnes Platon et Anstote la question de ltant

ne sont pas des rponses dfinitives mme si elles ont t tenues pour telles dans tout le

cours de lhistoire de la mtaphysique2. Pour illustrer ce rapport quil souhaite tablir avec la

naissance de la mtaphysique, Heidegger voque ainsi la premire closion platonicienne et

aristotlicienne: La lumire qui jaillissait alors tait si vive que ces deux grands penseurs en

restrent toujours pour ainsi dire aveugls, et quils ne purent rien faire dautre que de mesurer

et fixer pour la premire fois ce qui soffrait dabord eux : il fallait que la premire grande

moisson ft dabord rentre. Et depuis ce temps-l, lhistoire de la philosophie na cess de

battre cette rcolte, jusqu ne plus battre que la paille vide. Cest pourquoi le moment est venu

1. Ibid., 65; tr. 74. Dans un texte beaucoup plus tardif Heidegger reconnatra pourtant quon ne peut accuser
les thologiens davoir mal interprt la MIapiyslqi1e: Toutefois, il serait enfantin de prtendre que les
thologiens du Moyen Age ont mal compris Anstote ; ils lont bien plutt compris diffremment, suivant la faon
diffrente dont ltre se dispensait eux (DerSat rom Grwtd [abrg Svq, G 10, 117 ; ii. psi Andr Prau, Le
princte de raison, Gallimard, collection Tel 1983, 181).
,

2. A la question [directrice de la philosophie occidentale, ri r v ;J, Plaron et Aristote ont apport, non pas
tant directement que par lensemble de leur travail, une certaine rponse, rponse qui par la sifite, travers
lhistoire entire de la mtaphysique occidentale Jusqu sa conclusion grandiose par Regel, devait au fond tre
tenue pour la rponse dfinitive (GA 31, 37). Voir aussi 1 confrence He<gel ana das Prohkm der Metapiiysik : Mais
lexplication avec la mtaphysique de Regel nest pas une explication quelconque ; cette mtaphysique nest pas
simplement une mtaphysique parmi dautres, mais bien laccomplissement de la mtaphysique occidentale. Avec
Regel, nous posons cette quesuon fondamentale qui, lorsquelle sveilla laurore de la philosophie occidentale,
se trouva engage dans une certaine voie et inscrite dans un certain cadre dont elle ne put sortir (HPM, 18; tr.
19).
81

o il nous faut repartir pour une nouvelle moisson (...). Mais nous ny serons prpars que si

notre soc est aiguis, et non pas rouill et fauss sous laction des simples opinions, du

bavardage et de la littrature 1. Ainsi voyons-nous mieux en quel sens Heidegger envisage ce

retour Anstote . Face un champ prt tre moissonn mais aveugls par tant de lumire,

Platon et Aristote ont rcolt la premire grande moisson . Mais de cette premire rcolte, il

ne reste aujourdhui que de la paille vide et le moment est venu de retourner aux champs. Cette

image permet de bien saisir toute lambition de lentreprise heideggrienne et son rapport

lhistoire de la philosophie. partir dune comprhension juste et profonde du premier

commencement grec, Heidegger souhaite aller au-del de Platon et Aristote pour reprendre

nouveaux frais le questionnement directeur de la mtaphysique.

Cest donc principalement le problme jamais rsolu de lunit de la mtaphysique qui

motive ce retour Anstote. La tche que Heidegger se propose nest cependant pas de

rsoudre ce curieux ddoublement de la philosophie premire, mais bien d claircir les

sources de cette apparente dualit et la nature de la connexion des deux dterminations 2 de la

mtaphysique. Cette relation obscure entre la question de lv j et du Oov qui, aprs

Aristote, na plus jamais t interroge3 doit tre mise en question quant son unit et son

origine.

1. GA 31, 48.
2. KPA, 8; tr. 68. Dans son cours sur lidalisme allemand du semestre dt 1929, Heidegger soutient que
cest en rptant la question aristotlicienne de lunit de la philosophie premire quon rveillera la problmatique
endormie de la mtaphysique : En quoi consistent ces orientations de question (Fragerichtungen) : 5v j 5v Oeov

? Sont-elles lune ct de lautre de manire fortuite ou vont-elles ensemble de faon ncessaire et en soi ? (GA
28, 34). Voir aussi la confrence Hgel und dits Probtem der Metaphjsik de 1930: Et du fait quavec cette science
absolue est reconnue dans et partir dune raison leffectivit de ce qui est effectivement, cela signuic que se
trouve alors ralis ce quoi la philosophie proprement dite la philosophie en premire ligne a tendu demble

dans la tentative faite par Aristote quand il a fix pour tche la itpclirr qioootpx de dterminer lv j 5v, ce
que ltant est en tant qutant, lessence de ltant, cest--dire son tre. Une tche qui pour des raisons qui sont

vrai dire loin dtre claires pour nous allait de pair pour Aristotc avec la question de lv icctOnu, de ltant vu dans

son ensemble, question quil saisissait comme celle de la 9eoXoytid 1tror1np> (HPM, 34; tr. 35, nous
soulignons).
3. GA 29/30, 51-53 ; tr. 61-63.
82
La mtaphysique a interrog ltant dans son ensemble et en tant que tel, mais cela, elle

la fait dc faon inauthentique, cest--dire en perptuant les malentendus qui sont ns de la

mauvaise interprtation de la Mtaphjsiqiie dAristote. Tous les projets mtaphysiques qui ont

t dploys depuis lAntiquit rpondent cette structure fondamentale de la pense

philosophique qui constitue pour elle une sorte de joug. Mais son point de dpart, cette

structure aurait constitu une problmatique vivante qui aurait tenu Aristote en haleine sans

pour autant trouver de solution2. La rsolution des contradictions internes la Mtapiysiqzie

tente par la thologie mdivale ou la philologie moderne ne serait quune chappatoire face

la question fondamentale: comment comprendre le lien qui unit le problme de ltant dans

son ensemble et le problme de ltant comme tel? Cette question qui ne trouva pas de

rponse chez Aristote disparut avec lapparition du concept bibtiothcairr de Mtaphysique

qui, sans rien rsoudre, offrit une /parence dunit entre la thologie et lontologie.

Mais avant de passer la discussion de cette thse qui est lorigine de lide

heideggrienne de la constitution onto-thologique de la mtaphysique , il nous faut tenir

compte dun autre lment propre la mtaphysique du Dasein. Si nous devons parler dune

mtaphysique heideggrienne , on ne peut la rduire une rcupration du problme central

de la mtaphysique dAristote. En effet, la tradition na pas fait que recouvrir ce problme, elle

aura aussi eu dintressantes intuitions pour cc qui est du traitement du problme

mtaphysique fondamental. Mme si cette o,ieniaiion sur lhomme qui caractrise la philosophie

moderne depuis Descartes a t la cible dune critique sans prcdent par Heidegger

lpoque des cours sur Nietzsche surtout, mais aussi dans Sein ;ntd Zeit , il faut reconnae que

la philosophie heideggrienne a tir quelque chose de cet enseignement de la pense moderne.

Le primat accord par la pense moderne lhomme cache une certaine vrit de la pense que

1. 1bi, 67; tE. 75.


2. GA 28, 26 sq.
83

le traitement cartsien de la question en sorientant sur le cogito plutt que sur le mm a tue

dans loeuf.

3. Lintuition cache derrire le primat moderne accord lhomme

Lontologie fondamentale prsente dans Sein und Zeit accorde une importance cruciale

lhomme que Heidegger prsente sous la figure du Dasein . Caractris comme ce que lego,

le sujet, la raison et le moi ne sont jamais, le concept de Dasein tait alors employ pour

caractriser lhomme selon une optique inconnue de lontologie traditionnelle, savoir selon la

comprhension quil a de ltre. Cest parce quil est question en lui de son tre et de ttre que le

Dasein tait choisi comme ltant insigne partir duquel devait tre pose la question de ltre.

J\Ialgr leurs diffrences irrductibles, on ne peut nier que le Dasein ait conserv

quelques traits du sujet de la philosophie moderne. Heidegger voque dailleurs lui-mme la

possibilit de comprendre le Dasein partir du cogito mm, en inversant simplement la priorit du

cogi/o sur le munit. Cest dire quaux yeux de Heidegger, linsistance avec laquelle la philosophie

moderne avait trait du sujet pensant ntait pas le simple fait dune mprise mtaphysique.

Que la tradition ait ou non laiss indtermin le sens de ltre de la conscience importe trs peu

ici: elle a malgr tout reconnu que la philosophie ne pouvait se passer dune interrogation sur

linterrogateur.

Linterprtation que donnera Heidegger du rapport de lhomme ltre variera tout au

long de son oeuvre, sans jamais nier le fait que la pense ne peut slaborer sans penser son

rapport celui qui pense. Lintimc lien qui unit la question celui qui la pose, limplication de

1. S. u. z.,
211. Dans son tude Le,go et le Dai?in , Jean_Luc Marion commente ainsi ce texte: Il est
stupfiant que, au terme de lanalytique prparatoire du Danin et aprs lessentiel de sa destruction de Descartes,
Heidegger esquisse encore la possibilit dtme retranscription de lanalytique du Dasein dans les termes certes

dplacs et rinterprts de lego cartsien (Rduction et donation. Recherches sur HusserL I-Ieide,gger et Iaphnomnolqgie,

Paris, IUF, 1989, 156).


$4

celui qui interroge dans linterrogation, constituent un trait fondamental de la pense

philosophique que la modernit a soulign avec une insistance sans pareille. Cest dire que

malgr les risques que reprsentent lalzt)ropotqgzsme et lanttvpornoiphisrne pour ta pense,

lorientation sur lhomme de la pense moderne peut recler en elle une certaine positivit. Le

dbat avec lanthropologie philosophique nous a dailleurs familiariss avec la position de

Heidegger sur la place de lhomme dans ldifice mtaphysique.

Comme nous lavons vu plus tt, Heidegger a tent dans le cours de lhiver 1929/30 de

lgitimer lusage quil faisait du terme de mtaphysique . Cest entre autres au nom dun

retour Anstote que Heidegger prtend rcuprer lexpression. Mais cette orientation sur la

problmatique unit de la pense mtaphysique aristotlicienne ne suffit pas caractriser la

mtaphysique heideggrienne. Aux cts de ce questionnement antique portant sur ttant

comme tel et sur ltant dans son ensemble, 1-leidegger tente de mettre en lumire un trait

mtaphysique que lAntiquit na pas connu: le dtour oblig de tout questionnement par la

mise en lumire du questionneur.

Si Heidegger critique encore dans les Gritndbegriffi der Metaphjrik le fait que la

philosophie moderne soit passe ct de la question portant sur ltre de la conscience1, cest

nanmoins pour souligner son importance que cette orientation sur la conscience est alors

souligne. Evoquant les transformations qua subies la problmatique mtaphysique lpoque

moderne, Heidegger souligne que, malgr un certain durcissement de son concept (aprs

Suirez notamment, quelque chose de rellement nouveau sest accompli dans cette

nouvelle re mtaphysique. La mtaphysique na donc pas simplement volu comme elle le

fait depuis toujours, elle a aussi fait une dcouverte fondamentale: celle de 1 interrogation

inclusive dont F-leidegger se rclame. La mtaphysique ninterroge pas seulement en direction

1. GA 29/30, 84; tr. 91.


85

de ltre et de ltant, elle constitue une mterrogation o nous questionnons de manire telle

que nous-mmes, les questionneurs, sommes la fois compris dans la question, mis en

question . Ce trait propre la mtaphysique que Heidegger souhaite alors laborer

linterrogation conceptuellement inclusive 2 ne serait pas, selon lui, fondamental dans le

premier conuirencement de la mtaphysique chez les Grecs, ni mme dans sa reprise dans la

philosophie mdivale, mais dterminerait bien plutt la mtaphysique son ge moderne. Ce

nest que dans la philosophie moderne quapparat cet lment nouveau selon lequel le je qui

questionne est du mme coup mis en question . Bien quen ralit, une interrogation relle

sur la constitution dtre du je fasse dfaut la philosophie moderne, Heidegger reconnat que

lide dune interro,gation inclusive lui provient de la philosophie moderne. Or, cet lment na rien

daccessoire dans la pense mtaphysique heideggnenne: il est constitutif de la

.
problmatique vivante de la mtaphysique

Ainsi, il semble que nous puissions caractriser provisoirement la mtaphysique

heideggrienne suivant deux traits distincts. Elle interroge tout dabord suivant en cela les

enseignements dAristote ltant comme tel et dans son ensemble . Mais elle ninterroge

ainsi quen mettant en question suivant cette fois lorientation de h mtaphysique moderne

lhomme qui interroge. Il faut bien sr immdiatement souligner que si Heidegger se rclame

la fois de ht mtaphysique antique et de la mtaphysique moderne, cest chaque fois en un

sens non traditionnel, cest--dire en tentant de mettre jour ce que la tradition a enseveli. La

pense aristotlicienne, tout dabord, sera expose non pas comme un systme ferm et

cohrent, mais comme une pense minemment conflictuelle et aportique. Quant la

1. Ibid., 13 ; tr. 27.


2. Ibid., 3637 ; tr. 48-49.
3. Ibid., 84; tr. 91. on pourra quand mme se demander si le questionnement socratique ou les Confissions
dAugustin peuvent se comprendre autrement que comme des interrogations o lhomme lui-mme est mi en
question par le questionnement.
4. Ibid., 82; tr. 89.
86

mtaphysique moderne, le primat quelle accorde h conscience devra tre repens depuis le

dbut, de telle sorte que ltre de lhomme ne passe pas pour une vidence, mais soit rellement

problmatis.

Cette reprise du primat que la mtaphysique moderne accorde lhomme est tout fait

propre au travail philosophique que Heidegger dploie dans les annes 1920. Depuis

lhermneutique de la facticit jusqu la mtaphysique du Dasein et en passant par lontologie

fondamentale, tous les efforts de Heidegger sont caractriss par une vision du travail

philosophique rduit la simple mise en lumire de la nature humaine o. Comme nous allons

maintenant le montrer, la mtaphysique du Dasein se comprend elle-mme comme la reprise

dune thse propre la pense kantienne, celle de lexistence dune disposition naturelle de

lhomme pour la mtaphysique (metaphjiica naturatis).

4. La reprise de la thse kantienne dune metapbjsica naturalis

Dans le cadre de la mtaphysique du Dasein, Heidegger conoit la mtaphysique non

pas comme une science ou comme une branche de h philosophie >, mais bien comme un

vnement dans lexistence humaine. Cest ainsi quil va rinterprter les problmes

fondamentaux de la philosophie comme appartenant tous lessence mtaphysique du

1. Nous retrouvons ici les deux tendances mentionnes plus haut tendance lanthropologie, tendance

la mtaphysique que Heidegger caractrise dans lintroduction au cours de lt 1929. Bien quelles soient le fruit

de malentendus philosophiques, ces deux tendances dissimulent pourtant des questions vritables que Heidegger
tente alors de poser (voir G 28, 2-4). Cest aussi suivant ces deux tendances que Heidegger caractrisera la
mtaphysique de Hegel dans sa confrence Hgel und dcii Pmbkm der Metaphysik. Mais contrairement la
mtaphysique du Dasein, la mtaphysique hglienne constitue la continuation (Weiterge/)en) du point de dpart
antique et des thmes modernes quelle met loeuvre et aucunement une rebtition (Wiederholun.g) de la question
directrice traditionnelle (quest-ce que ltant conune tel?) qui puisse ouvrir la voie la question fondamentale de
la mtaphysique (quest-ce que ltre comme tel?) (HFM, 52 sq. ; tr. 53 sq.). Sur ce rapport entre la question
directrice et la question fondamentale de la mtaphysique, voir infra Lhomme comme fondement de la question
mtaphysique fondamentale
87

Dasein , comme ceux dune metaphysica ;zat,iratis contenue dans le Dasein . Cet intrt que

tmoigne Heidegger pour la mtaphysique aprs la publication de Sein rmd Zeit se prsente

comme la rponse une exigence de la nature humaine elle-mme. La mtaphysique tant

inscrite dans la nature de lhomme, le seul mode daccs au Dasein et aux problmes

philosophiques contenus en lui doit passer par une appropriation authentique de cette

mtaphysique naturelle, de cette metaphysica naturatis.

Avant que de passer linterprtation de cette disposition naturelle du Dasein pour la

mtaphysique, nous souhaitons mettre en lumire un principe mthodique qui a guid la

pense heideggrienne au cours des annes 1920. Contrairement aux textes qui prnent,

partir du milieu des annes 1930, le dpassement de la mtaphysique , les textes produits

dans les annes 1920 prennent tous la nature humaine pour point de dpart du travail

philosophique. Rappelons pour mmoire que lontologie fondamentale prsente dans Sein raid

Zeit prtendait mettre en lumire le sens de ltre en partant dun claircissement

hermneutique de la nature du Dasein comprise comme temporalit. Or, ce procd est propre

tous les textes crits dans les annes 1920, depuis lhermneutique de la facticit jusqu la

mtaphysique du Dasein. Abordant alors la tche de la philosophie partir de son origine dans

le Dasein, Heidegger prtend mettre en lumire dans un travail dinspiration kantienne les

conditions de possibilit du questionnement philosophique.

Si Heidegger aborde alors la philosophie partir du Dasein, cest parce quil la conoit

non pas comme la prsentation systmatique de nos connaissances mais bien comme une

activit, comme un comportement propre au Dasein. Dans la mesure o cest le Dasein qui

labore la philosophie en la dcouvrant ou en la dissimulant , ce sont les comportements du

Dasein comme tels qui doivent servir de factum brutum la recherche philosophique. Dc

1 hermneutique de la facticit la mtaphysique du Dasein , un seul principe mthodique

1. GA 26, 197.
88

guide le travail de Heidegger: pour aborder les problmes fondamentaux de la philosophie, il

nous faut porter notre attention sur ce qui permet, dans le Dasein, que de tels problmes

surgissent. Si donc la pense heideggrienne se modifie au cours de ces annes, ce sera tout

simplement parce que Heidegger conoit la nature humaine de diffrentes faons: comme un

tre vou linterprtation et la comprhension pour ce qui est de lhermneutique de la

factict (1922-1923), comme un tant qui a cette particularit de comprendre ltre pour ce

qui est de lontologie fondamentale (19241927)2 et, enfin, comme un tant dont ltre est

caractris par la transcendance pour ce qui est de la mtaphysique du Dasein (l927-1930).

Cest videmment le dernier de ces trois stades qui nous intresse ici. Nous

souhaitons montrer que cette tentative de penser la philosophie partir de lessence

mtaphysique du Dasein doit se comprendre comme un cho leffort kantien de justifier ses

recherches mtaphysiques partir dune disposition naturelle pour la mtaphysique inscrite

dans la raison humaine universelle (KrV, B 21-22). Cest en effet comme retour cet effort

mtaphysique dploy par Kant dans la Critique de ta raison pure que Heidegger comprend lui-

mme sa mtaphysique du Dasein .

Au dbut des annes 1920, alors quil commence prendre ses distances avec b version

husserlienne de b phnomnologie, Heidegger expose dans ses cours une vision originale de b

philosophie que lon dsigne, suivant le titre dun cours de lanne 1923, comme lHermneutique

de tafactidte. Sopposant aux tentatives de faire de b philosophie une science rigoureuse et

celles qui la rduisent b simple affirmation dune LVettanschauzm,g, Heidegger propose une

interprtation bien distincte de lobjet et de la mthode de b philosophie. Renonant au

1. Telle quelle se prsente dans les Ph>zorneno/qgische Inteipretationen u Anrtoteles de lautomne 1922 et dans le
cours de lt 1923, Ontolo,gie. Her7neneutik derFaktittd:.
2. Nous donnons par commodit plus que par souci dexactitude
le titre dontolqgie fondamentale i cette
entreprise que prsentent les tenes contemporains de Sein und Zeit
3. Bien que Heidegger commence i se rclamer de la mtaphysique ds le semestre dt 1927, ce nest
quentre lt 1928 et lt 1930 quil emploie lexpression mtaphysique du Dasein
89

fondement mthodique commode que constitue la prsence en personne (Leibhafizgkeit) des

expriences vcues (Husseri), Heidegger sattaque lirrductible facticit (Faktiildt) de

lexistence humaine.

Cest h vie humaine saisie dans sa facticit qui constitue alors pour Heidegger lobjet

ultime de la philosophie. Nayant pas encore assign la philosophie la tche fondamentale

dlaborer le questionnement sur ltre en gnral (Sein iiberhaupt) et dclaircir son sens,

Heidegger sintresse alors la comprhension de soi de lexistence humaine (das mensch/iche

Dasein) ou au Dasein humain pour autant quil est interrog en direction de son caractre

dtre . Lintrt que porte alors Heidegger au Dasein et la comprhension qui en constitue

le caractre ontologique originaire nest pas encore subordonn une fin plus haute et

reprsente la fin la plus propre de la philosophie. Le problme qui se pose alors et qui est

parfaitement illustr dans le texte de lautomne 1922 est le suivant: comment saisir

proprement ltre de lhomme si celui-ci se comprend lui-mme partir dune conceptualit

bimillnaire impropre ? La difficult face laquelle se retrouve la philosophie est celle de saisir

convenablement son objet en son tre, cest--dire tel quil est vc,itabernent derrire le

dguisement quil affiche quotidiennement.

Ceci explique le sens que prendra pour Heidegger la phnornnotogie. La vie nest plus

ou na jamais t pour elle-mme phnomnalement accessible, mais elle peut le devenir.

1 Der Gegenstand der philosophischen Forschung ist das menschlische Dasein ais von ihr befragt auf
seinen Semscharakter (PIA, 3; dans des formulations similaires: GA 63, 25 et 47). Mme si 1-Jeidegger u pu
crire que la question de ltre stait prsente lui comme problme ds la rencontre, en 1907, avec le texte de
Brentano Von der manniglichen Bedeutung des Seienden nach Aristoteks (voir ce sujet lvIein Wig in dec Phnomenologie ,
in Zur Sache des Denkens [abrg ZSD], Tiibingen, Niemeyer, 1969, 81 tr. par Jean Lauxerois et Claude Roels,
Mon chemin de pense et ta phnomnologie s, ,Questions lIT et IL Gallimard-te4 1990, 325-326), la publication
de la Gesamtauigabe a dvoil un portrait quelque peu diffrent de lapparition de la question. Il semble en effet que
la question du sens de ttre napparaisse comme k probtmefondamental de ta philosophie qu partir du semestre dhiver
1924/25 alors que Heidegger donne un cours sur le Sophiste de Platon. Voir, ce sujet, Theodore Kisiel, The
Genesis of Heideggerc Beiqg el Time, 308 sq. et Dorothea Frede, Sein. Zum Sinn von Sein und Seinsverstehen ,
dans Heidegger-Handbuch, 80 sq. Le cours de lt 1923 dont il est ici question voque bel et bien le problme du
sens de ltre la question de lontologie ( 1) mais le subordonne au problme plus fondamental qui est celui

de ltre de lhomme. Si Heidegger traite ici dontologie, ce nest en effet que pour souligner lindtermination
dans laquelle la philosophie s laiss ltre de lhomme (lobjet de la philosophie), le rduisant au mode dtre de
lobjet (Gtgenstaudsein, Gegenstdndlichkeit). La question ontologique du sens de ltre a donc sa raison dtre, mais elle
reste assujettie aux questions de lhermneutique de la facticit (GA 63, 2-3).
90

Pour faite de la vie un phnomne pour que la vie devienne une chose qui se donne telle

quelle est , il faut quelle soit dbarrasse de ces couches accumules au cours des sicles1. Or,

ce nest pas du sable qui recouvre lobjet du philosophe, mais bien des strates dinterprtations

successives accumules les unes sur les autres. Lexistence humaine ne se meut jamais que dans

ltre-interprt (in Ausgetegtheit), dans une interprtation qui se bloque souvent laccs elle-

mme cest--dire telle quelle est en son tre. Cest ainsi que sexplique, de son ct, le

recours que fait Heidegger lhermneutique2. Lhermneutique naura cependant plus ici pour

tche de dchiffrer les textes ou encore de fournir une fondation aux sciences humaines

(Dilffiey), mais bien de dcrypter la comprhension de soi de lexistence humaine. Lobjet de h

philosophie ltre du Dasein se tenant derrire des couches dinterprtation, h philosophie

ne peut tre autre chose que cet effort hermneutique de dbroussailler les interprtations.

Cest ainsi quest mis en vidence ce que nous avons appel le <t principe mthodique

qui guide Heidegger au cours des annes 1920. Si Heidegger fait de la philosophie une

hermneutique phnomnologique de la facticit , cest tout simplement parce que ltre de

lhomme a pour caractre ontologique fondamental ltre-interprt. Dans la mesure o rien ne

se donne la recherche philosophique qui ne soit davance imprgn dinterprtation, la

philosophie ne peut aborder son objet quen se faisant <t hermneutique . Or, cette conversion

hermneutique de h philosophie na rien de ladhsion un courant de pense ou une mode.

Cette conversion correspond en ralit une exigence formule par la nature humaine elle-

mme. Dans la mesure o celle-ci est constitue hermneutiquement , que tout rapport au

monde et soi-mme a pour constitution dtre la signifiance (Bedeutsamkeit), la philosophie si

elle veut suivre h mouvance de la nature humaine doit se comprendre comme effort

1. Nous renvoyons, pour ce qui est du sens de la phnomnologie, au 15 du cours du semestre dt 1923
(GA 63, 74 sq.)
2. Pour ce qui est de lhermneutique, nous renvoyons au 2 du mme cours (GA 63, 9 sq.)
91

hermneutique. Puisque cette hermneutique nest pas impose lexistence humaine mais

quelle en surgit, nous pouvons ici parler en cho Kant dune hernzeneutica naturalis.

Le mme principe mthodique guide lentreprise quest la mtaphysique du Dasei,/.

Dans le cadre de ce nouveau projet, Heidegger tente de comprendre la philosophie comme

une mise en lumire de ce qui fonde les comportements du Dasein. Mais plutt que de se

rfrer la comprhension comme ctait le cas dans lhermneutique de la facticit , Heidegger

parlera alors de transcendance pour voquer la constitution fondamentale de cet tant privilgi.

Aprs la publication de Sein und Zei4 le concept de la transcendance du Dasein va occuper le

centre des recherches de Heidegger jusqu devenir le phnomne par excellence de la

rflexion philosophique.

Rinterprtant alors tous les thmes fondamentaux de louvrage de 1927 partir du

phnomne unitaire de la transcendance, Heidegger tente de caractriser le rapport originaire

du Dasein son monde comme un rapport de transcendance: le Dasein transcende ltant en

direction du monde2. Fondement de tout comportement possible, la transcendance se prsente

comme ce qui advient depuis toqjours dans le cours de lexistence du Dasein. La philosophie va se

comprendre dornavant comme la mise en lumire de ce phnomne qui se produit en

permanence, bien que tacitement. La philosophie devra ainsi rendre explicite cet acte que constitue

la transcendance en portant attention cette condition de possibilit premire des

comportements du Dasein eu gard ltant. Philosopher, ce nest rien dautre que transcender

non pas tacitement, comme cela se fait normalement, mais de faon explicite, expressment3.

1. Jean Greisch crit que cette comprhension de la mtaphysique du Dasein comme mtaphysique advenant
ncessairement comme Dasein (JPivl 231 ; tr. 287) montre clairement que cette entreprise a recueil lhritage de
lhermneutique de la facticit < Von der Hermeneutik der Faktizitt zur... n, 19$).
2. VWG, 137-139 ; tr. 104-107.
3. La thmatique du dpassement explicite de ltant, de la transcendance expresse (atisdruck/iches
Transendieren), est traite dans le cours du semestre dhivet 1928/29, Ein/eitung in die Philosophie (GA 27, 2$-29)
ainsi que dans lessai Vom lVesen des Gnindes (160-161 ; tr. 138).
92

Dans la mesure o la philosophie surgit dsormais dun dpassement de ltant ,

Heidegger va se solidariser avec les vises de la nitapIysique, cest--dire de cette science qui se

dfinit conme transgression de lontique vers lontologique. Le Dasein se caracuinsant

dornavant comme transcendance, Heidegger va alors se rfrer constamment ce quil

appelle ((lessence mtaphysique du Dasein . Et cest partir de cette disposition naturelle

pour les questions de la mtaphysique quil entend aborder les problmes de la philosophie.

Or, dans ses travaux sur Kant, Heidegger a dj rencontr une thse assez semblable. Influenc

en cela par les crits mtaphysiques de Baumgarten, Kant avait dj parl dans la Critique de ta

raison pure dune <(disposition naturelle (Naturantage) de h raison humaine pour la

mtaphysique. Bien que Heidegger modifie le sens de cette metap/ysica naturalis, il nhsite pas

se rclamer de lentreprise kantienne de linstauration du fondement dune mtaphysique

conforme la nature de lhomme 2.

Le questionnement sur les conditions de possibilit de la mtaphysique que constitue la

Critique de ta raison pure apparat au crpuscule dun sicle gnralement hostile aux divagations

obscures des mtaphysiciens. La rputation de brise-tout (Allesrerrnatmer) que Kant sest

faite dans les milieux mtaphysiques (Mendelssohn, 1785) pourrait premire vue laisser

penser quil constitue laboutissement logique de cet esprit des Lumires. Cette rflexion

critique sur la mtaphysique aura finalement fait plus pour la survie de la pense

mtaphysique que pour son rejet3. Si Kant sintresse la mtaphysique, ce nest en fait pas

pour en dmontrer limpossibilit mais bien pour prner, cotnme il lcrit dans la prface aux

1. Parmi de nombreuses occurrences, KPM, 140 ; ir. 198; GA 26, 214 et 280 ; GA 27, 102 et 332 et GAl 28, 40
et 47.
2. Nous appelons ontologie fondamentale lanalytique de lessence finie de lhomme telle quelle prpare le
fondement dune mtaphysique conforme la nature de lhomme fdte ur Natur des Menschen geIi&ige
/vfetaphjsik) (KPM, 1 ; tr. 57).
3. Pour ce qui est du rle chez Kant de la rnetap/ysica naturalis , on consultera le travail dj cit de Leo
Freuler, Lorigine et la fonction de la rnetupIeicu ,tatttralis chez Kant
93

Prokgomnes toute mtaphysique future, une complte rforme de la mtaphysique selon un

plan jusqualors entirement inconnu 1.

Si Kant tient en haute estime la mtaphysique, cest quil a aperu que celle-ci tait

intimement lie ce quil appelle lintrt de la raison humaine universelle . Selon lui, nier

lexistence de la mtaphysique, cest en quelque sorte trahir lessence de la raison humaine elle-

mme2. Cest ainsi qu ct du questionnement concernant les conditions de possibilit de la

mtaphysique comme science stablit un second ordre de questions qui concernent la

mtaphysique titre de diiposition naittrelle. La mtaphysique est donc donne et relle comme

disposition naturelle (de faon subjective), mais seulement possible objectivement, cest--dire

comme science3.

La mtaphysique du Dasein telle que la prsente Heidegger partir de lt 1928 se

comprend comme b reprise de cette tentative kantienne dtablir une mtaphysique qui soit

conforme la nature humaine. En rfrence directe aux efforts de Kant pour penser la

mtaphysique partir de la nature humaine, Heidegger va redfinir lessence du Dasein et faire

de celui-ci un vritable animal metaphysicum4. Les dernires lignes de la confrence Quest-ce

que la mtaphysique ? de 1929 sont cet gard loquentes: La mtaphysique appartient la

1. Prol4gommnes toute mtaphjsique future, Prface, Ak. IV, 257. Heidegger nest pas le premier insister sur
laspect positivement mtaphysique de la pense kantienne. Bien que Reinhold ait dj, du vivant de Kant, remis en
question laccusation de Mendelssohn, ce nest pas avant la tin du XIXe sicle que le Kant mtaphysicien sera
reconnu comme tel. Contemporain de Heidegger, Max Wundt travaillait lui aussi dans les annes 1920 la
reconnaissance dc la mtaphysique kantienne (Kant ais Metaphysiker, 1924). Sur ces questions, Leo Freu]er, toc.
cit., 372-373.
2. Un passage des Proigomnes comment par Freuler (ioc. cit., 378-379) est cet gard trs loquent : Que
lesprit de lhomme renonce un jour compltement aux recherches mtaphysiques, on ne peut pas plus sy
attendre qu nous voir un jour suspendre notre respiration pour ne pas toujours respirer un air impur. Il y aura
donc toujours au monde, et qui plus est, en totit homme, surtout sil rflchit, une mtaphysique, que chacun, en
labsence dun talon connu de tous, se taillera sa guise (/1k. IV, 367).
3. Lintroduction la Critique de ta raison pure lexpose clairement : Cette espce de comiaissance peut en un certain
sens tre regarde comme donne, et la mtaphysique est relle, sans doute pas comme science, mais bien comme
disposition naturelle (metapIysica naturaiis) (B 21). Voir aussi, dans les Protegoanes: Si on peut dire quune
science est relle tout le moins dans lide de tous les hommes, ds quil est tabli que les problmes qui y
acheminent sont poss chacun par la nature de la raison humaine et du mme coup ne cessent invitablement de
donner lieu des essais de solution nombreux encore que dfectueux, il faudra quon dise aussi que la
mtaphysique est relle de faon subjective (et vrai dire ncessaire) et ds lors cest donc bon droit que nous
demandons comment elle est (objectivement) possible ? (/1k. IV, 40, 327, note).
4. Selon lexpression dArthur Schopenhauer (Sdmtiiche Werke, 1976, Bd. lI, 207).
94

nature de lhomme. Elle nest ni une branche de la philosophie dcole, ni un champ ouvert

des spculations sans frein elle est tvnementfondamentat [qui advient] dans te Dasein lui -mIme et

[qui advientl comme Dasein

Llaboration de cette mtaphysique du Dasein se dploie immdiatement aprs la

publication de Sein unit Zeit et stablit en parallle avec un travail soutenu sur la Critique de la

raison pure de Kant. Comme nous lavons indiqu, le point commun des entreprises

heideggnenne et kantienne semble tre la volont de justifier leurs recherches en se rclamant

de la nature humaine mme, cest--dire de sappuyer sur ce que chacun deux conoit comme

lessence mtaphjisique de lxistence humain?. Dans le cas de Heidegger, si lon peut affirmer que le

Dasein est dessence mtaphysique, cest parce que tous ses comportements sont prcds et ainsi

rendus possibles par un dpassement de ltant (transcendance) que la mtaphysique peut et

doit rendre explicite.

Dans la mesure o Heidegger soutient que cest de la nature mme du Dasein comprise

comme transcendance que jai]iit le questionnement philosophique, nous pouvons comprendre

con-n-nent et pourquoi il entend rcuprer et fonder la thse kantienne de la metaphjsica naturalis.

1. 1127v1?, 121-122; tr. Ouestions I et II (Henry Corbin), 71; Heidegger-L[-Ienie (Roger Munier), 56. Nous
reprenons ici le texte original de 1929: Die Metaphysik geh6rt zur Natur des Menschen. Sie st weder ein
Fach der Schulphilosopbie, noch ein feld wiilkiirlicher Einfiille sic ist das Gruncgcschehen im und ais Dasein setbst

(Bonn, Cohen, 1929, 28). Dans ldition actuelle des IVegmarken, le texte s t lgrement modifie: Die
Metaphysik gehrt zur Natur des Menschen. Sic ist weder cm Fach der Schuiphilosophie, noch ein Feld
willkiirlicher Einflle. Die Metaphysik ist das Grundgeschchen tin Dasein. Sie lst das Dasein selbst . Nous ne
pouvons manquer de souligner les ressemblances entre ce texte et une phrase tire du discours que Heidegger
pronona pour le soixante-dixime anniversaire de Husserl: La philosophie nest donc pas une doctrine, ni un
simple schme en vue de lorientation dans le monde, ni surtout un instrument ou loeuvre du Dusein humain, mais
bien celui-ci mime [sc. le DaseinJ, dans la mesure o il advient dans la libert et partir de son fondement)> (<t Edmund
Hussert riim siebenrz,gsten Geburtsta,g , G 16, 59).
2. Heidegger commente la dmarche kantienne dans son cours de lt 1930 sur lessence de la libert
humaine: n Dans quelle mesure ces questions Icelles de la metup,ysica speciahi] se fondent-elles dans la nature
humaine en gnral? Comment Kant prouve-t-il cette affirmation? Comment peut-elle ltre? Rponse: tout
simplement par un renvoi la nature humaine elle-mme. Si inconfortable que soit cette circonstance pour
linterprtation de Kant hier et aujourdhui, aucun artifice interprtatif ne saurait vacuer, ou mme seulement
attnuer, la signification de ce fait fondamental: mme la fondation, la justification de la mtaphysique
proprement dite nest rien dautre quun retour la nature humaine (GA 31, 205). Heidegger reconnat dans la
suite quune ide dtermine de lhomme (<t la conception chrtienne de lhomme ) prside linstauration
kantienne des fondements de la mtaphysique proprement dite, de la metaplysica specialis. Cest dans ce contexte
que Heidegger expose pour la dernire fois lide dune n mtaphysique du Dasein , dune mtaphysique qui
russisse stablir sans un tel prsuppos et mettre en relief toutes les difficults de problmatisation que
recle la nature humaine (ibid., 206).
95

Cest ainsi que, comme Kant, Heidegger tente de montrer que la mtaphysique est non

seulement un <t penchant mais bien une contrainte impose t lhomme par sa propre nature, un

besoin propre de sa raison. Dans une formulation encore plus forte: la mtaphysique <t est

tevnementJindamentat [qui advient] dans k Dasein lui-mme et qui advient] comme Dasein 2 La

mtaphysique nest donc pas seulement pense comme quelque chose de conforme ou de non

contradictoire la nature humaine. Cest bien plut6t comme ncessit transcendantale

quest conu le surgissement des questions mtaphysiques3.

Le projet que constitue la mtaphysique du Dusein a donc t caractris partir de

deux traits essentiels: sa rappropriation de h problmatique mtaphysique aristotlicienne (le

questionnement sur ltant comme tel et dans son ensemble) et son attention porte au primat

moderne accord lhomme. Ce trait moderne rapparat donc dans la mtaphysique du Dasein

partir de cette caractrisation de la mtaphysique comme <t vnement fondamental dans le

Dasein . Cest en abordant la nature mtaphysique du Dasein que nous parviendrons mieux

cerner le rapport quil entretient avec ttnement mtapbjsique (voir fra, <t Lunit de la

mtaphysique comprise comme vnement fondamental dans le Dasei ).

1. Kritik der reine,; ternu,ft, Introduction, B 21.


2. [17M?, 122; tr. uestions f et II (Henry Cotbin) 71; Heide,gger-LHerne (Roger Munier) 56. Nous suivons
encore ici le texte original de 1929.
3. Cette thse de la metapIysica naturulis ne survivra cependant pas telle quelle aux modifications que subira la
pense heideggrienne au milieu des annes 1930. La mtaphysique se prsentera alors de plus en plus comme ce
que la pense doit tenter de dpasser et non pitis comme son essence propre. La mtaphysique ne reprsentant
plus que lobstacle principal au problme de ltre, cette thse dfendue la fin des annes 1920 perdra alors toute
sa force. Aprs les annes 1920, la philosophie ne devra plus se plier la nature humaine, mais bien au contraire
travailler une modification, une transformation de la nature humaine qui rende possible lveil ce qui
sappellera alors la <(vrit de ltre . Lintroduction que Heidegger a ajoute en 1949 la confrence [Vas ist
Metapysik ? est sans doute le meilleur tmoignage de ce changement dans loeuvre de Heidegger en ce quelle
sattaque directement cette possbilit dtablir une mtaphysique qui soit confonne la nature humaine s.
Vingt ans aprs la parution de Kant ;md dasProbkm derMetap1ysik, Heidegger se dresse alors contre cette prtention
dinstaurer neuf les fondements de la mtaphysique et inclut dans les tches du dpassement de la
mtaphysique ce dpassement de la thse kantienne de la metaphystca naturalis: Dans la pense qui pense la
vrit de ltre, la mtaphysique est dpasse (benuunden). (...) Aussi longtemps que lhomme demeure la,umal
rationale, il demeure lanimal metapJyswum. Aussi longtemps que lhomme se comprend comme le vivant dou de
raison, la mtaphysique appartient, selon le mot de Kant, la nature de lhomme. Par contre, si elle russit retourner
au fondement de la mtaphysique, la pense pourrait bien entraner un changement de lessence de lhomme,
changement do sen suivrait peu peu une transformation de la mtaphysique (Einteitmig ru Was isi
Metaphjisik ? [abrg WMEj, GA 9, 367-368 (nous soulignons) ; tr. par Roger Iviunier, Introduction tQrt est-ce que
ta mtapl9sique ? , fuestions I et 11, 26).
96

Quant au trait antique de la mtaphysique, il nous faut maintenant tenter de

comprendre de quelle Eaon Heidegger entend se rappropner le problme aristotlicien de

lunit de la mtaphysique. Comme nous lavons mentionn plus tt, ce problme est

troitement li cette lecture onto-thologique de lhistoire de la mtaphysique. Afin de saisir

cette thse . partir de ses premires esquisses dans les annes 1920 et ainsi mettre en lumire le

rapport que peut entretenir la mtaphysique du Dasein avec lonto-thologie, nous allons ici

exposer la gense de cette thse de ta constitution onto-thotogique de ta mtaphjsique.


97

Chapitre II

La structure onto-thotqgique de toute mtaphysique

Lune des contributions fondamentales de la pense heideggnenne notre

comprhension de lhistoire de la philosophie est trs certainement davoir reconduit la

tradition occidentale ta simplicit dun probtme fondamental celui de ltre , problme que la

philosophie naurait elle-mme, dans le cours de son histoire, qu peine pressenti. Avec tout cc

quelle comporte de risqu et de potentiellement erron, cette dmarche a le grand mrite

doffrir la possibilit de lire lhistoire de la philosophie comme une succession de rponses

tacites cette question qui se tient lamre-plan de toute rflexion philosophique. En

contrepartie, cette prsentation de lhistoire de la pense occidentale ne manquera pas de

ngliger les particularits propre chaque dmarche philosophique prise individuellement.

A dfaut de saisir expressment cette question oublie, la mtaphysique aurait interrog

lessence et lexistence de ltant, octroyant tacitement, chacun de ses stades, une signification

ltre de ltant. Heidegger ne sest donc pas content dindiquer cela que la philosophie omet, il

a aussi tent de dterminer la manire de ce manquement, cest--dire la logique du dploiement

de la mtaphysique. Les philosophes auraient en effet omis de traiter de la question de ltre

dune faon toute particulire : en abordant lessence de ltant partir de lexistence dun tant

suprme dont la faon dtre servirait darchtype pour lessence de tout tant. Cest ce que

Reidegger a lui-mme appel le traitement onto-tholo,gique de la question de ltre de ltant.

Cette faon inadquate daborder la question fondamentale de la philosophie se dtermine ainsi

suivant trois axes bien prcis v Oeov 2.yo1.

1. Rappelons que le concept donto-tholog-ie constitue aujourdhui un outil philosophique que les historiens
de la philosophie nhsitent pas employer, quitte le crinquer. Nous pensons bien entendu aux travaux de Jean-
Lue Marion sur Descartes et sur Thomas dAquin (Sur k peisme mtupysique de Descartes; Saint Thomas et lonto
thologie , Revue thomiste, 1995/95) et louvrage de Jean-Franois Courtine sur Surez (Suare et le ystme de la
?ntaplsique, Paris, PuE, 1990), mais aussi ceux dOlivier Bouinois (o Quand commence Iontothologie?
Anstote, Thomas dAquin et Dans Scot , Revue thomiste, 1995/95; Heidegger, lontothologie et les structures
98

La formulation de cette thse bien connue selon laquelle toute pense mtaphysique

est constitue onto-tho/ogiquternent possde sa propre histoire. La publication des cours donns

dans les annes 1920 permet aujourdhui de nous faire une ide prcise des diffrentes

transformations qua pu subir cette thse, non pas tant dans son contenu qui varie trs peu

que dans le rle quelle joue lintrieur mme de la pense heideggrienne. Comme nous

tenterons de le faire valoir ici, le concept donto-thologie est sans doute celui qui se rvle tre

le plus fcond pour ce qui est de caractriser le rapport complexe que Heidegger a entretenu

avec la tradition mtaphysique eu gard son histoire, bien sr, mais aussi sa possibilit.

Nous commencerons par prsenter une dfinition prcise de la thse en nous servant

principalement des textes des annes 1940 o est expose la formulation canonique du

concept. Cette dfinition nous aidera ensuite retracer, mme le coptis heideggtien, les

premires occurrences silencieuses des lments constitutifs de lonto-thologie qui mnent

la formulation de la thse dans le cours sur la PhnornnoIogie de lesprit de Regel de lhiver

1930/31. En abordant la gense de cette thse partir des cours des annes 1920, nous serons

confronts la question suivante la mtaphysique du Dasein peut-elle et doit-elle tre

caractrise partir du schma dc lonto-thologie ? Si lonto-thologie est conue, partir des

textes tardifs, comme une structure propre cette pense mtaphysique quil sagit de dpasser,

nous verrons quelle possde un statut bien diffrent lpoque de la mtaphysique du Dasein.

mdivales de la mtaphysique , dans Constantino Esposito et Pasqu2le Porro (d.), Heidegger e i medietali.
Ouaestio: tti dcl Coioquio Inteniaionak, cassi,:o 10/13 rnaggio 2000, Bari, 2001), de Jean-Christophe Bardout
(ivlalebrunche et la nitaphjsiqri, Paris, pUj, 1 999) et de Vincent Carraud (Causa site ratio. La raison de la cause. de Sudrr
leibni, Paris, Pui, 2002).
99

1. La mtaphysique comme vrit de ltant comme tel et dans son ensemble

Comme on le sait, ce fut Kant qui, dans la Critique de la raison pure (A 632/B 660), a

employ pour la premire fois le terme ontothologie (Ontotheoto<giej1. Bien quil soit peu

plausible quil ait ignor lexistence du terme chez Kant, Heidegger na jamais reconnu la

paternit kantienne de ce concept quil emploie dans un sens radicalement autre. Lusage que

fait Kant du terme sinsre dans ce dbat quil a men depuis sa priode prcntique avec les

tentatives de dmontrer lexistence de Dieu partir de principes spculatifs de la raison.

Classifiant les diffrents types de thologie suivant la faon dont elles semploient dmontrer

lexistence de Dieu, Kant dfinit lontothotogie comme cette thologie rationnelle

transcendantale qui croit connatre lexistence de ltre originaire par simples concepts, sans

recours lexpriencc preuve dont Kant a dmontr limpossibilit plus tt (Cf A 592/B

620 sq.).

Le concept kantien dontothologie est donc li ce que lon appelle largument

ontologique et qui caractrise certaines preuves de lexistence de Dieu au nombre desquelles

on compte celle de Descartes. Cette acception kantienne du terme a dailleurs t explicitement

revendique par certains auteurs qui ont parl dontothotqgie indpendamment de Heidegger2.

Chez Heidegger, par contre, lonto-thotogie ne constitue pas un type de thologie, mais bien une

caractrisation de la mtaphysique eu gard sa double faon dinterroger ltant. Pour ce qui

est de la comprhension du concept heideggnen donto-thologie, lhistoire antrieure du

1. On notera au passage que cette orthographe du mot, sans tiret, diffre de celle de Heidegger qui lui prfre
onto-thologie ou encore onto-tho-logie .
2. Nous pensons ici Dieter Heinrich qui parlait de lontothologie dans la mtaphysique moderne (Der
ontoteqtsche Gotiesbeweis, Tiibingen, Mohr, 1960) et, sa suite, Xavier TiRette ( Largument ontologique et lhistoire
de lontothologie , rchiyes de Philosophie, 1962/25). Cest aussi dans ce sens quArthur Schopenhauer a parl
dune proposition ontothologique de Descartes , celle sur laquelle il appuie son argument ontologique (Uher die
vierfache 1VureI des Sates vom iureichenden Grunde, 8, Smtliche lVerke, CottaInsel, Smttgart/Frankfurt a. M., 1962,
Bd. 111 : Kleinere Schnften, 26).
100
terme nimporte donc que trs peu. Ce qui est dcisif, cest de voir quau-del dune certaine

homonymie, les deux concepts diffrent totalement.

Cest dans lintroduction ajoute i la confrence W/as ist Metaphjsik ? que Heidegger a

employ pour la premire fois, dans une publication, le terme onto-thologie. Ce texte donne

suite aux dveloppements que la thse reut au cours des annes 1940 dans le cadre des

travaux mens sur Nietzsche2 et sur Regel3. Le texte Die onto-theo-to,gische Veifassung der

Metapl/ysik (1957) reprendra quelques annes plus tard ces dveloppements en tentant de

penser partir dune telle structure lentre du Dieu chrtien dans la philosophie dorigine

grecque. Cest en prenant les textes des annes 1940 comme rfrence que nous tenterons tout

dabord de cerner les traits essentiels de cette constitution de la mtaphysique. Comme nous le

verrons plus loin, les textes des annes 1930 nemploient que trs rarement lexpression, lui

prfrant la plupart du temps des formulations distinctes4.

En substance, la thse dit ceci: <(La mtaphysique dit ce quest ltant en tant qutant.

Elle renferme un 6o (nonc) sur lv (ltant). (...) De la sorte, la mtaphysique reprsente


partout ltant comme tel dans son ensemble, ltantit de ltant Qoi de lv). Mais la

mtaphysique reprsente dune double manire ltantit de ltant: dabord la totalit dc ltant

comme tel, au sens de ses traits les plus gnraux (6v icaO6?oi, iotv6v) mais, en mme

temps, la totalit de ltant comme tel au sens de ltant le plus haut et, partant, divin (6v

1. Un tableau de lensemble des occurrences des termes onto-thologie et onto-thologique dans le


corpus heideggricn a t plac en Annexe.
Principalement le texte Die seinsgeschichttiche Bestimmu& des Nihilismus (1944/46) publi dans le deuxime tome
du Nietsche (GA 6.2) ; tr. par Pierre Klossowski, Nietsche II, Paris, Gaflimard, 1971.
3. Dans des textes tels que Erldutenin,g der Einkitun,g ye He,gets Phnomenotogie des Geistes (1942, dans He,ge4
GA 68) et Htgets Be,giff der Eifahnrns (1 942/43, dans Holwege, GA 5; tr. par Wolfgang Brokmeier, Regel et son
concept de lexprience , Chemins qui ne mnent nulle part, Paris, Gallimard, Collection Tel, 1986).

4. Les textes connus aujourdhui des Beitr4ge ur Philosophie (Vom Erergnis) (GA 65) et de Besinnun.g (GA 66) sont
trs prolixes pour ce qui est de lessence de la mtaphysique mais nemploient que de faon anecdotique
lexpression <t onto-thologie . Ces textes de la fin des annes 1930 et certains du dbut des annes 1940
emploient des formulations gnralement plus complexes pour caractriser lessence de la mtaphysique. Voir, par
exemple, Die Zeit des Wettbildes (1938, GA 5, 104 sq. ; tr. Chemins qui ne mnent nulle part, 135 sq.), Der europiiische
Nihitismus (1940, GA 6.2, 120 sq. et 149 sq. ; tr. 111 sq. et 136 sq.) et Nietctsches Metaphjsik (194f /42, GA 50,3 sq.).
101
.
KaO6o1), Kproeuov, OEiov) La mtaphysique a donc un thme unique (la totalit de

ltant, v iuOo1.)) quelle aborde chaque fois et toutes les poques suivant deux

manires : selon la gnralit (Kotvv) et selon la primaut (Kp6ratov).

La question de la mtaphysique est unique Quest-ce que ltant? mais elle

snonce de faon double: Quest-ce que ltant? snonce dune part: quest-ce que (en

gnral) ltant? et dautre part elle snonce: quest-ce que (lequel) est (absolument)

ltant ? 2
Il faut voir dans lunit de la question mtaphysique un signe de ce que ltant nest

pas interrog dans ces deux optiques de faon successive, mais bien de faon simultane. La

mtaphysique nest pas tout dabord ontologique, puis thologique, ou encore, thologique, puis

ontologique. Elle est toujours lafois ontologique et thologique, cest--dire onto-thologique,

au sens dun doublet (Zwitfalt) et non dun <t et >, dune addition3. Afin de bien comprendre

lexpression unitaire onto-thologie , il faut donc insister sur lindivisibilit du concept, sur sa

simuttanit. La mtaphysique ne se scinde jamais en ontologie et thologie au mme titre o la

philosophie peut se scinder en physique, logique et thique. Elle est, par essence, le

dploiement double dune question unique.

Cette unit du double pli de la mtaphysique, il faut la penser dans sa circularit. Les

deux ordres de question (ontologique, thologique) ne font pas que survenir simultanment, ils

sont aussi dpendants lun de lautre et se co-dtermincnt. La question portant sur les traits les

plus gnraux de ltant (question sur ltre de ltant) dtermine ce qui pour la mtaphysique

vaut comme tant. Cette dfinition de ce qui est sapplique ltant en entier, tout ce qui est,

1. WME, 378 ; tr. 39-40.


2. Die zwiefidtige Frage: Was ist das Seiende? lautet einmal: \Vas ist (iiberhaupt) das Seiende? Die Frage
lautet zum anderen: \Vas (welches) ist das (scfflechthin) Seiende ? Kants These iiber das Sein [abrg KTSI, GA 9,
449 ; tr. par Lucien Braun et Michel Haar, <t La thse de Kant sur ltre , uestions I et II, 383). On peut aussi
penser ce trait dc la mtaphysique partir de la dichotomie entre essence et existence: La thologie emprunte
lessentia de ltant lontologie. Lontologie, sciemment ou non, transfre ltant eu gard son existentia, cest--
dire en tant que ce qui existe, dans le premier fondement, que la thologie reprsente. Lessence onto-thologiquc
de la mtaphysique pense ltant eu gard lessentia et lexistentia (Die seiiqgeschichttiche Bestimmwzg des Nihitismus,
GA 6.2, 314; tr. 279-280).
3. Mit Zwietalt schon rnehrgesagt ais das bloBe und von v ij v und Geov (KTS, 449, nmerkung
b).
102

incluant ltant qui occupe le premier rang dans le domaine de ltant tant suprme, ens

summum, OE. Or, en rgime mtaphysique, cet tant suprme ne fait pas quoccuper le

premier rang: dans la mesure ou sa faon dtre est dterminante pour ltre de tout tant, il

Joue le rle de fondement pour ltre de ltant. Le Oe est, en effet, ce fondement

producteur qui tablit lunit de ltant, dterminant du mme coup ltre de ltant.

Cette interdpendance de lontologie et de la thologie rduit la mtaphysique une

circularit, une fondation rciproque que le logicien ne saurait tolrer. Ni la thologie ni

lontologie noccupe de fait le premier rang, chacune tant fondement de lautre: Ltre

comme fond fonde ltant, mais ltant de son ct fonde sa manire ltre et le cause. Ltant

ne le peut, toutefois, que pour autant quil est la plnitude de ltre: ltant maximum .

Celui qui cherche un fondement ultime pour la mtaphysique ne manquera pas dtre du: la

fondation dune telle science est par essence circulaire. Bien que lon ait pu rcemment

chercher privilgier la fondation tho-logique de ltant, Heidegger semble toujours

privilgier la circularit du questionnement mtaphysique2.

Enfin, un troisime trait dterminant et qui, en quelque sorte, effectue la synthse des

deux premiers moments que sont la simultanit et la circularit pour ce qui est de la notion

dontoffiologie est son caractre de structure. En ce sens, la mtaphysique nest pas seulement

onto-thotqgique, elle est surtout structure onto-thologiquement. Lonto-thologie constitue la

1. Ideutitiit und Denn [abrg I. u. D.], Pfullingen, Neske, 1957, 64; ix. par Andr Prau, Questions let II, 303.
2. Dans son article Saint Thomas dAqum et lontotho-logie ,Jean-Luc Marion caractrise lonto-thologie
selon une triple relation de fondation t Dans sa constitution onto-tho-logique, une mtaphysique sorganise
selon les multiples sens dune unique fondation; car cest bien daprs la fondation que sen dfinissent les deux
termes soit la fondation conceptuelle (Gt7mndung) des tants dans ltre, soit la fondation causale et selon la raison

suffisante (Begriindung) des tants par un tant par excellence. (...) Mais il y a sans doute ici place non seulement
pour un redoublement de la seconde fondation comme le suggre Heidegger mais bien pour une troisime

fondation de plein droit: celle non plus seulement des autres tants mais bien de ltre mme (et de sa fondation
conceptuelle) par ltant suprme (et sa fondation efficiente) (3435). Cette lecture particulire de lonto
thologie sinspire des rsultats de ltude Sur le prisme mtap/ysique de Descartes dans laquelle Marion montre que la
pense cartsienne ne peut tre rduite une seule onto-thologie mais quelle est bien plutt constitue par deux
figures de lonto-thologie (celle de la cgitatio et celle de la causa) dont la seconde est fondement de la premire. Il
resterait dterminer si ce schma se retrouve ailleurs que chez Descartes ou si celui-ci ne caractrise pas plutt
uniquement cette pense dexception qui constitue la transition entre deux res mtaphysiques. Notons enfin que
dans un texte un peu plus rcent, Marion prfre insister sur la simultanit des deux fondations (s Le principe
universel fonde la cause, qui, en retour, se fonde en 1m chacun ne fonde quen se laissant fonder. ), se
rapprochant alors de la suggestion proprement heideggrienne (s La science tougiurs recherche... o, 29).
103

structure (Struktur), la constitution (Veifassun,g), le cadre (Rahmen) ou larmature (Baugefitge) dc la

mtaphysique1. La thse de lontothologie soutient en effet que la question doublement

unique a t dploye dans le cours de lhistoire suivant une structure qui na jamais et

transgresse. Conue comme structure unique , comme loi universelle de la pense

occidentale, lonto-thologie serait le cadre lintrieur duquel la pense sest dveloppe. Une

telle thse refuse la pense mtaphysique toute capacit de transgression, cest--dire toute

innovation relle par rapport son origine onto-thologique.

Dans la mesure o nous souhaitons maintenant constater lapparition dans le cwpus

heideggrien de cette thse portant sur lessence de la pense occidentale, nous allons nous

guider sur trois traits essentiels de la thse heideggnenne: (1) la simultanit: la mtaphysique

pense ltant en mme temps selon sa gnralit et sa primaut; (2) la circularit: une dtermination

de ltre de ltant implique toujours lindication dun tant modle qui sert de fondement

ltre de ltant; ou, linverse: la dtermination dun tant modle donne la mesure tout

tant et se tient ainsi au fondement de la dtermination de ltre de ltant qui, son tour,

lgitime la primaut de ltant modle et (3) la structure: la pense mtaphysique obit une

structure double et circulaire quelle ne peut, de lintrieur, ni apercevoir ni remettre en cause.

1. La confrence de 1957, Die ontotheologische Veifassun& der MetapIysik, parlait dune constitution (E assu.j
mais aussi dune structure (Struktur) de la mtaphysique (I. u. D., 47; tr. 291) ; on retrouve les expressions
cadre (Rahmen, Rrihmenbau) dans lEinteitung in die Philosophie de lhiver 1928/29 (GA 27, 249 et 389) ; enfin, le
texte Mein We,g in die Phiinomenolo,gie parlait d armature (Bau<gflge) (ZSD, 82 ; tr. f2uestions III et IV 327).
104

2. Les sources du concept donto-thologie

Aprs avoir expos les lments constitutifs de ladite thse, nous souhaitons aborder la

question des sources de lonto-thologic. Bien que le.pression napparaisse quavec le cours

de lhiver 1930/31 sur la Phnomnoto,gie de /ciprit de Hegel, lide comme telle dune constitution

onto-ffiologique de la mtaphysique est plus ancienne. Il est en effet possible de faire

remonter au cours de lhiver 1924/25 sur le Sophiste de Platon (GA 19) la premire laboration

de cette ide. Comme lont montr des tudes rcentes, il semble que ce soit la lecture de

louvrage bien connu de Wemer Jaeger, Aristoteles. Grundtegung einer Geschichte semer Entwicktung

(Berlin, 1923), qui ait forc Heidegger prendre position dans le dbat sur lunit de la

Mtaphjsique dAristote et voquer pour la premire fois cette tension propre toute pense

philosophique. Comme nous le verrons ici, les questions qui surgissent de ce dbat contiennent

dj tous les dveloppements qui suivront sur la constitution onto-thologique de la

mtaphysique bien quil ne soit pas encore question de mtaphysique2.

Mais si lon suit le rcit autobiographique du texte Mcii, Weg in die Phdnomenologie (1963),

la question portant sur la tension entre ontologie et thologie aurait t prsente depuis les

annes de formation: Jassistais encore un cours de thologie dans les annes qui suivirent

1911, au cours de dogmatique de Cari Braig prcisment. (...) Cest par 1m que jentendis parler
pour la premire fois, lors de quelques promenades, au cours desquelles il me fut donn de

laccompagner, de limportance de Schelling et de Hegel pour la thologie spculative en

opposition la doctrine scolastique. Cest ainsi que la tension entre ontoto,gie et t/olo,gie ipculative

1. Nous pensons principalement larticle dEnrico Berti, La metafisica di Aristotele: onto-teologia o


ffloso[a prima ? (Rivista difilosofia neo-scolastica, 1993/86), mais aussi des travaux qui sen mspirent: Jean
Franois Courtine, Mtaphysique et ontothologie s, dans La mtap/ysique. Son I)tstoire, sa critique, ses eqjez/x, et
Olivier Bouinois, Quand commence lontothologie .

2. Comme nous lavons vu, Heidegger naborde de plein front la question de lessence de la mtaphjsique qu
partir du cours de lhiver 1927/28 o il pose pour la premire fois ta question: Quest-ce que la
mtaphysique? (GA 25, Il).
105

entra dans lhorizon de ma recherche comme iamjature de ta mtaphjsique . Si cette expression:

lai-mature de la mtaphysique (das Baug/ge der Metaphjsik) fait rfrence cela est

hautement vraisemblable la constitution onto-thotgique de la mtaphysique, Heidegger

souhaite ici souligner que cette tension entre lontologie et la thologie lui serait apparue au

tout dbut de ses tudes de philosophie.

Or, sil est tout fait vraisemblable que Heidegger ait rencontr dans un cours de

thologie la problmatique concernant lunit de lobjet de la mtaphysique, on ne peut

nanmoins en conclure quil avait dj en main une telle conceptualit. Il est en effet important

ici de distinguer entre lexistence de ces dbats entourant la nature de lobjet dc la

mtaphysique dinspiration aristotlicienne2 et la prsentation explicite de la thse de lonto

thologie. Cette thse ne se contente en effet pas de rendre manifeste cette tension interne la

pense dAristote et laristotlisme, mais cherche bien plutt dcouvrir une rgle gnrale

de la pense qui rgirait la philosophie entire et dont la Mtaphjsique dAristote ne contiendrait

pas la premire fomztitation mais la premire tentative de rsolution explicite du problme.

Les textes aujourdhui disponibles nous permettent de constater que les lments

ncessaires la formulation de la thse de lonto-thologie napparaissent pas, dans loeuvre de

Heidegger, avant le milieu des annes 1920, dans un dbat avec lexplication gntico-volutive

de la Mtaphysique faite par Jaeger. Invoquant une volution de la pense aristotlicienne qui

permettrait une rsolution chronotogique des contradictions internes la Mtap/ysique, Jaeger

permet une nouvelle fois loeuvre dAristote de recouvrer une certaine unit une unit

volutive , cette fois. Cette interprtation que Heidegger remettra en question dans son

cours sur le Sophiste met lhypothse dune transformation de la pense aristotlicienne qui,

1. ZSD, 82 ; tr. 327. Nous soulignons.


2. Nous pensons aux dbats que lon retrouve chez Bomtz ou Natorp la fin du XIXC sicle, mais aussi
ceux, beaucoup plus anciens, concernant le problme de lidentification de lens inquantum eus et de Dieu chez
Avicenne ou chez Averros. Lexposition systmatique que fait Francisco Surez de la Mtaphjszque dAristote
constitue elle aussi une contribution ses dbats.
106

dune thologie platonisante, voluerait vers une ontologie de la substance qui prend ses

distances davec Platon.

Le cours sur le Sophiste de Platon souvre sur un hommage Paul Natorp (mort la

mme anne 1924) dont Heidegger sinspirera sans doute dans son interprtation des apones

de la Mtaphysique dAristote. Selon Natorp1 qui rompait avec toute tentative dinterprtation

unitaire de la mtaphysique dAristote , louvrage serait constitu de deux recherches entre

elles distinctes et incompatibles lune portant sur la substance sensible (livres Z, H et G),

lautre sur la substance suprasensible (livres M, N et A). Lessai de rconciliation des deux

recherches (K 1-8 et les deux dernires phrases de E 1) serait donc inauthentique, voire loeuvre

dun disciple maladroit2. Face une telle interprtation de louvrage dAnstote, Jaeger prsente

dans son livre de 1923 une nouvelle manire d unifier la Mtaphysique dAristote. Mais celui-

ci ne se contente pas comme Surez de reconnatre et de systmatiser la dualit qui existe

dans la dfinition de la mtaphysique (metaphysica ,generatis/rnetaphysica speciatis), mais propose une

solution qui limine la contradiction en montrant quelle est le rsultat de la juxtaposition, dans

un seul ouvrage, de mtaphysiques dpoques diffrentes une Urmetaphysik et une

Spzitmetaphysik.

Cette solution ne satisfait aucunement Heidegger qui voit dans les contradictions

internes au travail dAristote un combat de la pense avec elle-mme, avec sa propre essence3.

Comment linterrogation mtaphysique peut-elle la fois aborder ltant en tant qutant et

ltant en tant que premier ? Comment luniversalit de la recherche mtaphysique est-elle

1. Thema und Disposition der anstoteischen Metaphysik , Philosophische Monatshfte, 1888/24, 37-65 et 540-
574. Voir, pour le commentaire, Endco Bern, La metafisica di Aristotele... s, 264 et jean-franois Courtine,
Mtaphysique et ontothologie , 142-145.
2. Pierre Aubenque, Le problme de ttre cheAristote, Pans, PUF, 1962, 40.
3. Notons que dans les cours antrieurs ii celui sur le Sophiste, Heidegger se rfre quelques reprises aux
textes de jaeger et ce, sans jamais le critiquer. Dans les premires pages du cours sur Aristote de lt 1924,
Heidegger recommande mme ses lves la lecture de lAristotees de Jaeger (Grwndbegnffl der aristote/ischen
Philosophie, GA 18, 4). Dans ce mme cours, Heidegger penche en faveur de linterprtation de Jaeger et contre
celle de Natorp quant lauthenticit du livre K (ibid., 323). Dans le cours sur le Sophiste de Platon, tout semble
sinverser: un hommage est rendu Natorp et la critique tombe lourdement sur louvrage dc ]aeger.
107

compatible avec sa primaut? Dans cette optique aportique, le livre E 1 la itpti

(ptXoao(pia est universelle parce que premire (1026 a 30) ne donnerait que lapparence

dune solution un problme qui demeure en ralit irrsolu. Ce nest pas le lieu ici de

confronter les diffrentes interprtations de la Mtaphy.rique dAristote, ni desquisser une

possible solution au problme. Ce qui nous intresse, cest plutt de montrer comment la prise

de position heideggrienne lgard de ces dbats a pu conduire la formulation de la thse de

lonto-thologie.

Linterprtation proprement heideggnenne du lien qui unit les deux recherches

contenues dans la Mtaphjisique dAristote est tout dabord prsente dans le cours de lhiver

1924/25. Heidegger y crit: Cette ide de la philosophie premire telle quAristote la

caractrise, comme la science originaire de ltant, se recoupe chez lui avec une autre science

fondamentale, quil dsigne comme Oeo2.oytici . La philosophie prennre consisterait donc


2
en deux sciences une 8eo2opic ctiiiri et une science qui considre lv V qui

porteraient tour tour le titre de pliilosophie premire3.

Or et cest sans doute ici quil innove le plus par rapport aux autres interprtations de

la mtaphysique , Heidegger soutient que ce ddoublement (Doppetmzg) nest pas unique la

Mtaphjisique dAristote et aux philosophies qui sen inspirent, mais quil sest maintenu dans

toute lhistoire de la philosophie au Moyen ge et jusque dans lontologie moderne et quil

tait dj prsent chez Platon4. Afin de bien comprendre lopposition ou la division qui rgne

au sein de la mtaphysique dAristote, Heidegger propose tout dabord de bien dfinir ce que

chacune des deux sciences Oooytici ttariti et science de lv a pour tche

1. GA 19, 221.
2. fbia
3. Nanmoins, Heidegger rserve gnralement le terme icpdr1 oaopixr pour nommer la problmatique
ontologique et celui de 9eoXoytid arin1 pour laspect proprement thologique de la pense aristotlicienne.
4. De ce ddoublement, on peut suivre la trace au Moyen Age et jusque dans lontologie moderne . Puis,
plus bas : Pourquoi la science et la philosophie grecques en sont-elles arrives ces deux sciences
fondamentales ? Chez Platon elles sont encore tout fait promisciie; elles sont chez 1w encore beaucoup moins
lucides que chez Aristote pourtant, Platon se meut en ralit dj dans ces deux dimensions (GA 19, 222).
108

daccomplir. Dune part, la OEooyuci aurait comme vise llucidation de ltant dans son

ensemble (des Scienden im Ganen), du >.ov1. Cette lucidation prendrait la forme, dans la

ivltaphjsique dAristote, dune mise en lumire dont loptique nest aucunement religieuse

des origines ou du fondement de cette totalit, cest--dire du moteur immobile compris

comme la prsence (Anwesenheit) la plus propre et la plus leve2. De lautre, lontologie3 aurait

pour thme ltant pour autant quil est prsent dans toutes ses dterminations , sans gard,

donc, sa particularit. Dans une note marginale ajoute plus tard, Heidegger souligne que les

thmes de la mtaphysique se rpartissent selon une dichotomie qui stablira dans le

vocabulaire heideggrien vers la fin des annes 1920 et qui servira caractriser la doubte nature

de la mtaphysique Ltant dans son ensemble. Ltant comme tel (Das Seiende im Ganen.

Das Seiende ais sotches)5. La mtaphysique titre que Heidegger, rappelons-le, ne donne pas

encore la tradition philosophique interroge donc simultanment dans deux directions

distinctes : elle interroge, dune part, ltant dans son ensemble (2ov) partir de ltant le plus

haut (rtjurarov yvo) et, de lautre, les dterminations de ltant en tant qutant.

Heidegger envisage ainsi ces deux modes de questionnement comme les deux dimensions

originaires de la mditation portant sur ltre , rejetant par l lide quelles pourraient

constituer deux stades de lvolution de la pense dAristote ou une incohrence lintrieur du

systeme aristotlicien.

Enfin, pour bien manifester quil a dj reconnu les trois axes propres au

questionnement onto-thologique, Heidegger conclut cette section sur la philosophie premire

1. Ibid.
2. ((La thologie a pour tche dlucider, dans ses origines, en ce par quoi il est ventat)lement, ltant comme
ensemble, le ov, ltant du monde, la nawre, le ciel et, pour le dire rapidement, tout ce qui est sous le ciel.
Remarquons que cette lucidation de ltant dans son ensemble de la nature
par le recours au moteur

immobile, na tien voir avec une preuve de lexistence de Dieu sur la base dune dduction causale (ibid.).
3. Heidegger parle d ((ontologie)> mme sil sagit bien entendu dun anachronisme.
4. GA 19, 223.
5. Ibid. Ce nest guavec le cours de lhiver 1928/29 que ces concepts stablissent fermement dans le
vocabulaire heideggrien.
6. IbiJ
109

aristotlicienne ainsi: En vrit et nous en arrivons ainsi la dernire caractristique de la

science fondamentale grecque, de la 7tpdYfl (p1.?>oao(pi cette science est oriente, en

dernire instance, sur le Xyo ou, pour le dire de manire plus prcise, elle est ainsi oriente

parce que son thme est ltant dans la mesure o il est v ?p.Evov, donc ltant abord

discursivement, ltant dans la mesure o il est thmatique pour le 5yo .

Nous retrouvons ici semble-t-il tous les lments qui caractriseront la thse de la

constitution onto-thologique de la mtaphysique: lv fj v, le Oeov et le )6yo. Mais

selon la caractrisation que nous avons faite plus tt de la thse heideggnenne simultanit,

circutarit et structure , manque encore ici cette rflexion particulire sur la relation

quentretiennent dans la philosophie lontologie et la thologie2. A lhiver 1924/25, aucune

mention nest faite du mode de co-appartenance de ces deux dimensions du questionnement

mtaphysique. Mais ds le cours du semestre dt 1926 intitul Gnindbe<grff der antiken

Phitosophie (GA 22), Heidegger reprend, pour les complter, les dveloppements du cours sur le

Sophiste. Ce cours constitue la premire partie de la premire exposition systmatique, dans

loeuvre de Heidegger, de lhistoire de la philosophie au fil conducteur dc la question de ltre3.

En prenant pour modle la recherche mene par Aristote au livre A de la Mtap/ysique o est

prsente lhistoire de la philosophie ii partir dun concept quelle na pas explicitement

thmatis, Ipl, mais qui est chaque fois prsent , Heidegger prsente chacun des

1. IbieL
2. Dans cette tude dj cite, Jean-Luc Marion remarque avec justesse: La puissante originalit de la thse
dune constinnion onto-tho-logique ne tient pas la distinction dans la mtaphysique dune ontologie et dune
thologie (le schma scolaire metaphjsica generatis/metaplyszca spe2alis y suffit largement), mais lexplication de leur
articulation mutuelle (e La science toujours recherche... , 29).
3. Le cours de lt 1926 va de Thals Aristote, Je cours de lhiver 1926/27 (Geschichte der Philosophie toii
Thomas von Aqtdn bis Kant, GA 23, indit) devrait continuer la prsentation jusqu Kant. Conurientant ces deux
cours, Heidegger crivait dans Die Gntndproblerne der PMnomenologie: On peut dailleurs montrer historiquement
que toutes les grandes philosophies depuis lAntiquit se comprennent en ralit plus ou moins explicitemeri
comme ontologie, et que cest en tant que telles quelles ont t recherches. Ivlais on peut galement montrer que
ces tentatives ont toujours chou nouveau, et pourquoi elles ont d chouer ainsi. Dans mes cours des deux
prcdents semestres sur La philosophie antique et Lhistoire de la philosophie de saint Thomas Kant, jen
ai fourni la dmonstration historique (G 24, 16).
110

philosophes de cette histoire en tentant dc montrer ce quils ont pens tacitement au sujet de

i crie.

Lexposition de la structure interne de la MtapIysique dAristote est ici beaucoup plus

directe que les quelques indications donnes dans le cours sur le Sophiste. La science

fondamentale chez Aristote, la philosophie premire, est ici apprhende non pas tant en ce

quelle est doublement oriente mais surtout en ce que ces deux orientations se coordonnent

en une circularit caractristique de la rflexion sur ltant en tant qutant . Aborder ltant

en tant qutant, cela peut tout dabord vouloir dire mettre au jour ltant qui satisfait le plus
2
adquatement lide dtre , ltant originaire dont provient ltant driv Mais cela peut

aussi signifier interroger ltre de ltant en gnral, pas seulement de ltant proprement dit
.
(egenttich), mais aussi de ltant driv quant son tre La philosophie qui a pour tche de

rpondre la question portant sur ltant en tant qutant est donc la fois thologie, science

de ltant vritable et le plus haut, et ontologie, science de ltre et ce, non pas

successivement mais bien en mme temps. Cest en effet du mme coup que sont poses la

question portant sur ltre de ltant et celle de savoir en quel tant satteste le plus purement

ltre proprement dit . Et la simultanit de ces deux questions nest pas quelque chose de

contingent, mais bien une ncessit du problme en question: ce nest qu mme ltant le

plus propre que peut tre obtenue lide de ltre et ce nest qu partir dune ide dtermine

de ltre que peut tre identifi ltant le plus propre.

1. Cette mthode est certains gards comparable celle quemploie Platon dans le Sophiste (245 e sq.). Dans
ce dialogue, Platon dgage du combat de gants ( vtotccicx) que se livrent les amis des formes et les fils
de la terre un concept minimal de ltre ( la puissance dagir ou de ptir >, &vajn roi3 xoi.ev icai ro
7t&aXerv) qui, sans avoir t explicitement thmatis par lune ou lautre des parties, peut servir les caractriser
toutes deux.
2. GA 22, 286.
3. Ibid.
4. Ibid., 307.
5. Ibid.
6. Ibid., 180 et 307.
lii

Mais si Heidegger insiste tant ici sur la simultanit de ce questionnement

mtaphysique ddoubl, cest encore une fois pour prendre position par rapport ]aeger.

Contre toute tentative de solution volutive (Jaeger) ou philosophique (la pure fictioc de

Thomas1), Heidegger prfre reconnatre quil y a l quelque chose dinsoluble


2. Insoluble

mais non incomprhensible. Lide de ltre que b itpmi pt2oaopI.a dans son versant

ontologique prtend aborder ne se donne jamais pour soi, mais seulement partir dun tant

dtermin quil est donn une deuxime science la Oeo?oyucr ittcutii dtudier. La

simultanit et b circularit du questionnement mtaphysique ont t reconnues par Heidegger.

Ici encore, Heidegger soutient que le problme de lunit de la pense mtaphysique

nest pas le problme dun penseur particulier ou dune poque particulire, mais bien le

problme le plus profond de toute la tradition mtaphysique. Le fait que cette tension entre

ontologie et thologie ne se retrouve pas seulement chez Aristote mais aussi au Moyen Age,

chez Kant et chez Hegel3 vient appuyer lide heideggrienne scion laquelle toute la

mtaphysique voire toute la pense occidentale serait constitue onto-thologiquement. Et

ce non pour avoir suivi aveuglment Aristote, mais bien comme le rsultat dune ncessit de la

pense philosophique elle-mme. La thse audacieuse que dploie ici Heidegger considre

donc la pense dAristote non pas comme lorigine de la problmatique onto-thologique mais

bien conmie la premire rponse explicite cette tension interne au questionnement

pbilosophiquc.

Dans le cours de lt 1927, Die Gmndprobleme de,- Phdnomenologie, cest dailleurs partir

de cette tension que Heidegger pense lessence de la mtaphysique4. Prenant Kant comme

exemple, Heidegger soudent que ce nest pas un hasard si cest en interrogeant la cognoscibffit

1. Ibid., 146.
2. Ibid
3. Ibii, 261. Pour ce qui est de Kant, voir GA 24, 37-38.
4. La prsence constante dans ces cours de tide inexprime comme telle de la constitution onto
thologique de la pense philosophiqu e nous laisse croire que le cours de lhiver 1926/27 (GA 23) prsentera
lecture t)nt-tho/oiqlre de ta philosophie depuis Thomas dAquin iusqu Kant.
112

de lexistence de ltant suprme quil en vient noncer sa thse sur ttre. Cette orientation de la

science de ltre sur ltant divin est tellement lie lhistoire de lontologie que dj Aristote
.
nommait OEooyia la rpdnr ptoocpic la philosophie premire Ici se manifeste ce trait

singulier, sur lequel nous butons toujours nouveau en philosophie, avant Kant, mais aussi

dans la philosophie post-kantienne, et surtout chez Regel, que le problme de ltre en gnral

se rattache trs troitement au problme de Dieu, de la dtermination de son essence et de la

dmonstration de son existence 2. Nous voyons clairement que ds cette poque, Heidegger

ne limite pas le problme lAntiquit ni mme la pbilosophie mdivale3 mais quil le

retrouve aussi dans la philosophie scolastique4, chez Kant et dans la pbilosophie post

kantienne jusque chez Regel.

Mais la question portant sur lessence de ta mtaphjsique et non de la philosophie

nest comme telle pose qu partir de lhiver 1927/28 dans La Phdzornenotqgische Interpretation von

Kants Kritik der reinen Vernunfi. Ce cours souvre en effet sur cette question fondamentale qui

deviendra bientt le titre dune des confrences les plus connues de Heidegger: Quest-ce

que la mtaphysique ? . Or, lexposition dc lessence de la mtaphysique se fait en rfrence

loeuvre dAristote et reprend des thmes dj dploys dans les cours analyss plus haut. Aprs

avoir voqu lhistoire du mot et son origine bibliothcaire, Heidegger en prsente le

contenu: dabord il y est demand (...) quel est le fondement ultime de ltant, et Anstote

dsigne cette interrogation comme question de la thologie ; dautre part, il sy trouve des essais

qui prennent pour objet de recherche le tout de ltant comme tel pour autant quil est tant, et

cette discipline qui senquiert dc ltant en tant qutant, de la signification de ltre de ltant

1. G 24, 38.
2. Ibid., 38-39.
3. Ibid., 111.
4. Ibid., 3$.
113
.
est dsigne comme 7tpd)rr pi)oaopi, philosophie premire Les deux sciences ici

voques thologie et ontologie ont ceci de particulier quelles constituent chacune une

faon de dpasser ltant donn dans lexprience: vers la totalit du monde et son fondement

dans le premier cas, vers ltre de ltant dans le second.

Dans les cours qui vont suivre, Heidegger va souligner avec toujours plus de prcision

la scission du concept de mtaphysique et insister sur la double orientation du questionnement

philosophique qui vise la fois tta,it dans son ensemble en egard sonfondement (thologie) et ttant

en tant qntant (ontologie). Cest en effet ainsi que Fleidegger caractrise la mtaphysique

traditionnelle dans tons les cours qui constituent le coipus de la mtaphysique du Dasei,?. Or,

comme il a t soulign plus tt, lune des caractristiques fondamentales du concept donto

thologie est quil voque une structure de la pense mtaphysique. Selon cette thse en effet, la

mtaphysique se plierait constaniment un cadre qui lempcherait de se transcender et

daborder de plein front la vraie question fondamentale, celle de ltre. Cet lment de

lonto-thologie cest--dire lemploi dun vocabulaire emprunt larchitecture ou la

gomtrie napparat qu lhiver 1928/29 dans lEinleittmg in die Philosophie.

voquant la division fondamentale au sein de la mtaphysique dcole entre netczptysh.a

,generalis et nieta-phjsica .qecialis, Heidegger explique que cette division est en son essence

dtermine par la philosophie antique qui avait fait de la mtaphysique la connaissance de

ltant comme tel dans son ensemble . Pour parler de cette orientation de la mtaphysique,

Heidegger parle dsormais de cadre (Rahmenban). Se profrle lhorizon ce dont nous avons

parl dans lintroduction : la thse heideggrienne de lonto-thologie reconnat h

mtaphysique une stnictun, un cadre au sein duquel elle doit se dvelopper et auquel elle doit

toujours sajuster : Les problmes sont coincs teingewdigt,) dans cette systmatique ; ils ne

L GA 25, 11-12.
2. Voir, par exemple, GA 26, 33 ; GA 27, 245 GA 28, 25-26 et 126 GA 29/30, 65-66 tr. 74-75 et G/-1 31,
37-38.
3. GA 27, 249. Voir aussi HPAI, 18; tr. 19.
114

demeurent vivants que dans la mesure o ce cadre (Rarnen) leur donne de lespace, et ces

problmes ne se fvlent quui partir de ce cadre . Ce cadre qui permet la mtaphysique de

se donner un contenu constitue donc en mme temps sa prison, le joug qui la contraint et ne

lui permet quune marge de manoeuvre relative. Mais ce cadre ne sest pas impos

arbitrairement. Heidegger soutient en effet que cette articulation de la mtaphysique

(Gtiederun<g der Metaphjisik) peut nous permettre de dcouvrir des indications quant au lieu o

chercher la <(problmatique originale 2. Bien que ce cadre de la mtaphysique traditionnelle ne

reprsente selon lui que les restes dgnrs de cette problmatique, il est possible de

remonter le temps et de tenter une incursion dans cette problmatique partir de la structure

ainsi reconnue.

A la fin des annes 1920 et au dbut des annes 1930, Heidegger caractrise donc dj

la mtaphysique selon cette formule brve: connaissance fondamentale de ltant comme tel

et dans son ensemble . Dans lhistoire de la mtaphysique, linterrogation . tho-logique

cest--dire portant sur ltant dans son ensemble sest oriente presque ds le dpart sur ce

qui, au sein de ltant, est le plus manifeste et sert de fondement au tout de ltant.

Linterrogation portant sur le genre par excellence (rtp.td)rarov yvo) a remplac

linterrogation sur ltant compris comme ensemble (&?>ov). Bien quAristote ait 1m-mme

lanc la mtaphysique dans cette direction en tentant de rsoudre le problme de ltre du

monde partir du premier moteur, il y aurait dans loeuvre du Stagirite une rflexion sur ltant

dans son ensemble, sur le monde, qui soit autonome de ces questions sur ltant le plus haut4.

1. GA 27, 389.
2. Ibtd., 389, note 2.
3. KPM, 8; tr. 68. Voir aussi, dans cet ouvrage, la caractrisation que Heidegger fait de la philosophie premire
aristotlicienne (220 ; tr. 277).
4. La question du prenuer moteur, chez Aristote, serait oriente sur une mise en lumire de ltant dans son
ensemble>) (G 22, 324-325 ; voir aussi 175 sq.). La rduction de la problmatique du premier moteur celle de
ltant suprasensible serait mie parfaite msmterpradon de ce qui, chez Aristote, est en tant que Oeov laiss au
moins comme problme (GA 29/30, 66 ; tr. 75).
115

Heidegger tentera dailleurs, dans le cadre de la mtaphysique du Dasein, de redonner vie ce

questionnement sur ltant dans son ensemble en lorientant autrement que sur la recherche du

fondement de ltant. Selon Heidegger, souvrait dans la Mtapbjsiqroe dAristote cet espace pour

un questionnement sur le monde qui ne se rduise par la question du fondement de ltant1.

Mais avant daborder cette question de larticulation propre la mtaphysique du Dasein, nous

souhaitons tenniflef notre exposition de la gense de la thse sur lonto-thologie en nous

penchant sur la premire apparition du concept au dbut des annes 1930.

3. Lapparition textuelle du concept de lonto-thologie

Lexpression onto-thologie napparat finalement quau semestre dhiver 1930/31,

dans un cours consacr une interprtation des premires sections de la Phnomnolo,gie de leiprit

de Hegel. Mais daprs tout ce que lon vient de voir, il serait malais de soutenir que cest

seulement alors quest apparue Heidegger lide dune structure onto-thologique de la

tradition mtaphysique. Heidegger soutient en effet depuis le milieu des annes 1920 que la

philosophie est, dans toute son histoire, oriente la fois ontologiquement et thologiquement.

Au moment o apparat textuellement le concept de lonto-thologie, Heidegger a dj soutenu

dans nombre de ses cours que la mtaphysique tait ainsi constitue.

Lorsque lexpression apparat, elle se prsente comme une caractrisation de la pense

philosophique lue partir de son aboutissement chez Regel. Cet achvement de la

mtaphysique, Heidegger linterprte alors comme un dplacement complet du poids de la

mtaphysique vers la thologie. Comme il lcrit dans le cours du semestre dt 1933, cest en

1. Voir, entre autres, CA 28, 24-26 ; KPM, 7 et 220 ; tr. 67 et 277 ; GA 29/30, 65-66 ; tr. 74-75.
116

tant que logique du Oe (Theo-Lo,gik) ou thologie absolue que la pense de Hegel

achve la mtaphysique occidentale2. Cest parce quil a cette mtaphysique hglienne en tte

que Heidegger peut affirmer: Linterprtation de ltre saisie spculativement et ainsi fonde

est ontoto,gie, mais de telle manire que ltant authentique est labsolu, 0E6. Cest it partir de son

tre que tout tant et que k 2.yo sont dtermins. Linterprtation spculative de ltre est onto

tho-/ogie. (...) Ce que nous voulons dire par lexpression ontothologie, cest que la

problmatique de lv en tant que problmatique logique est oriente en premire et dernire

instance sur le qui est alors dj conu lui-mme logiquement logiquement au sens

de la pense spculative .

Si cette caractrisation de lonto-thologie ne correspond pas parfaitement h

dfinition que Heidegger donne de la philosophie comme tension quitibre entre ontologie et

thologie, cest parce que h dfinition sapplique ici non pas lensemble de la tradition mais

bien la pense hglienne comprise comme logique du Gc. Il ne faudrait pas conclure pour

autant qu sa premire apparition et contrairement aux apparitions suivantes, lontothologie

dsigne une interprtation de ltre comme Dieu . Heidegger souligne dailleurs luimme que

son expression onto-tho-logie ne constitue pas seulement une interprtation de h pense

hglienne mais quelle sert indiquer lorientation la plus centrale du problme de ltre .

Dautres extraits du cours sur Hegel confirment que lonto-thologie constitue une

caractrisation de la philosophie dans son ensemble, chez Aristote et Platon, par exemple, mais

1. GA 28, 32.
2. Regels Metaphysik ist Theo-Logik uiid ais diese die Vollendung der abendhindischen Metaphysik (Die
Grundfruge der Philosophie, dans Sein und Wahrheit, GA 36/37, 70). Heidegger emploie aussi lexpression Theo
Legik dans les notes marginales ajoutes sa confrence Hegel rend das Probtem der Me1aplysik de 1930 (18, Anm. b
et 28, Anm. h; tr. 21 et 29).
3. GA 32, 141-142.
4. Olivier Bouinois, Heidegger, lontothologie et les structures mdivales de la mtaphysique , 380. Bien
que ce soit pour caractriser la pense hglienne quapparat pour la premire fois lexpression, on ne peut
soutenir quen 1930/31, le sens propre de lonto-tho-logie ne porte (...) pas sur lessence dc ia mtaphysique,
chez Anstote ou dans la totalit de lhistoire de la mtaphysique [et quil] se rsume en fait la question du lien
entre logique et divin (ibii, 383) ou encore, quil faille attendre 1949 et lEinkitutrg u lVas istMetapiysik ?, pour
que le concept donto-thologie reoi[ve] une extension universelle, dtache de son ancrage hglien)> (ibid.
384).
5. GA 32, 144.
117

aussi chez Descartes: Nous savons quAristote tablissait dj la connexion la plus troite

entre la philosophie au sens propre [ht irphri pt?oo(pia1 et la OEo2oytic1 ittorijn, sans

que nous soyons en mesure dobtenir par voie dinterprtation directe de rels aperus 5ur le
1
rapport qui unit la question de lv fl v et la question du Oov Et plus loin : La question

de l6 est onto-logique ds le coup denvoi grec, mais elle est en mme temps dj, comme il

apparat chez Platon et Aristote malgr le dfaut dun dveloppement conceptuel

correspondant, onto-tho-logique. Mais partir de Descartes, lorientation de la question se

fait en outre go-logique, lego ntant pas alors seulement central pour le logos, mais tout aussi

bien co-dterminant pour le dploiement du concept de OE6, ce qui dailleurs stait dj

prpar dans la thologie chrtienne. La question de ltre est alors [.rc. chez Descartesi en son

tout onto-tho-ego-logique 2.

Lquilibre circulaire entre ontologie et thologie avec lequel Heidegger a caractris

lensemble de la philosophie traditionnelle nest donc pas bris. Hegel constitue une exception

en tant quil achve la mtaphysique en la transformant en une logique du Oet. Comme lont

montr les analyses antrieures, Heidegger emploie dj le schma de lonto-thologie bien

avant que napparaisse le concept. Lonto-thologie dsigne une tension constante dans toute

lhistoire de la philosophie dont Aristote et Hegel font partie.

Cette exposition de lhistoire de lonto-thologie nous a permis dc mettre en lumire

la gense dun concept qui joue un rle fondamental dans les recherches philosophiques

actuelles. Les diffrents visages de lonto-thologie qui sont ainsi dvoils permettent de saisir

les intentions premires de la confrontation de Heidegger avec lhistoire de la mtaphysique.

Tentant de rendre justice contre linterprtation de Jaeger aux tensions internes la

Mtaphjsique dAristote, Heidegger aura dploy une vision profonde et originale du travail

philosophique et de ses tches venir. Maintenant que cette structure essentielle de toute

1. Ibid, 141-142.
2. Ibid., 183.
118

pense mtaphysique a t dtermine avec prcision, il nous importe de nous interroger sur le

contenu de cette mtaphysique sur laquelle nous prtendons jeter quelque lumire: la

mtaphysique du Dasein. Dans la mesure o Heidegger a, comme nous le verrons, soulign

quelques reprises que son entreprise mtaphysique devait tre comprise comme la

rappropriaflon des tensions qui habitent lensemble de la mtaphysique aristotlicienne, cette

recherche dune structure omo-thologique dans la mtaphysique du Dasein se trouve donc

pleinement justifie. Mais avant dattaquer cette question, il nous semble important daborder

cette entreprise ontologique que Heidegger a prsente en 1927 sous le titre de Iontotqgie

fondarnentate. Dans la mesure o Sein und Zeit ne prtend pouvoir laborer la question de ltre

quen identifiant un tant insigne le Dasein , peut-on soutenir que lontologie fondamentale

succombe la constitution onto-thologique? Et si elle y rsiste, quel mcanisme met-elle

en place pour viter de penser ltantit partir dun tant insigne?

4. Le modle de lontologie fondamentale: lefundamentum ontique de lontologie

Selon ce que soutient Sein und Zeit, lontologie traditionnelle naurait jamais russi

matriser, voire mme poser le problme de ltre. Lun des obstacles fondamentaux de cette

mise en question de ltre est, comme nous venons de le voir, lincapacit de le penser

autrement qu partir dun tant suprme qui fait figure de paradigme pour tout tant.

Nanmoins, lorsque Heidegger annonce le rveil de la question de ltre en 1927, il semble

quencore une fois lontologie ne puisse viter de sappuyer sus une rflexion portant sur un

tant le Dasein. Mais le rtMe de lanalytique existentiale dans ldifice de lontologie

fondamentale est bien distinct de celui de la thologie pour la mtaphysique comprise comme

onto-thologie. Si lontologie traditionnelle na jamais interrog ltre quen questionnant un


119

tant suprme, lontologie fondamentale, elle, prtendra ragir cette destine du

questionnement ontologique en reconnaissant lorigine onrique de son interrogation, mais sans

pour autant rpondre au problme de lontologie par llaboration dune recherche substitutive

sur un tant suprme. Pour viter le pige de lonto-thologie, il sagit de ne pas

dterminer ltant comme tant en sa provenance par le recours un autre tant ou, comme

le disait Platon, ne pas tfiO6v rtva &1yyrOt, raconter dhistoires >.

Dans le cours de lt 1926 qui est contemporain de la rdaction de Sein und Zeit mais

aussi, comme on la vu, de la gense de lide dune constitution onto-thologique de la

mtaphysique , Heidegger sinterroge sur la possibilit pour lontologie de se dployer de telle

sorte quelie ne vienne pas trouver son salut dans une considration portant sur un tant

minent. La question dcisive est de savoir comment le problme de ltre en vient

invitablement un tant vritabte; la question est de savoir sil peut y avoir en tout tat de

cause une ontologie qui se construirait en quelque sorte de faon pure, sans sorienter sur un

tant minent, que celui-ci soit caractris comme premier moteur, premier Ciel, ou quoi que

ce soit dautre 2 Une premire tentative dlaborer une onto/ogie pure sera prsente en 1927

sous le titre d ontologie fondamentale dans Sein unit Zeit.

Il est important de revenir ici sur la dmarche de lontologie fondamentale. Afm de

poser nouveau la question du sens dc ltre, lontologie fondamentale part du constat

suivant: lvidence du concept dtre, du est que nous employons dans tous nos

comportements lgard de ltant, manifeste une m,gme, celle de la comprhension de ltre

1. S. z., 6 et Platon, Sophiste, 242 e. Dans son essai Quest-ce que lhomme ? , Alain Renaut considre que
Heidegger naurait pas tenu cette promesse lpoque de Sein im Zeit. Seul le Heidegger plus tardif aurait en fait
russi chapper cette thologisation de la philosophie en renonant faire du Dasein le centre de rfrence
pour le traitement de la question de ltre. Selon Renaut, non seulement Sein niai Zut reste-t-il souponnable
dtfe, structuralement parlant, mtaphysique , il ne parviendrait pas non plus penser ltre autrement qu partir
dun tant (n Quest-ce que lhomme? Essai sur le chemin de pense de Martin Heidegger , Man ana World,
1976/1, 11-13).
2. GA 22, 329-330.
1 2()

dans laquelle nous vivons. f< Que toujours dj nous vivions dans une comprhension de ltre

et quen mme temps le sens de ltre soit envelopp dans lobscurit, voil qui prouve la

ncessit fondamentale de rpter la question du sens de 1 tre .

Linvestigation ontologique que prsente Sei.t und Zeit trouve ainsi son point dc dpart

dans lvidence nigmatique que constitue lintelligence moyenne du concept dtre. On

reconnatra que Keidegger stend peu sur la dmonstration de lexistence dune telle chose

quune comprhension a pnorz de ltre. Il affirme simplement que cette comprhension moyenne et

vague de ltre est rtirfait fein Faktum,) 2. Partant de ce fait , Heidegger considre que la tche de

lontologie est de tenter de percer lobscurit qui rgne sur cette intelligence vague de ltre,

cest--dire de rendre transparent le mode dtre de cet tant qui a entre autres la possibilit

essentielle (Seinsmbgtichkeit) de questionner ltre et en qui ltre fait question: le Dasein3.

La question du sens de ltre ne peut tre pose que si cet tant exemplaire quest le

Dasein est dtermin en son tre. Comme le constate Heidegger, il semble que cette entreprise ne

fasse que tourner en rond : Mais pareille entreprise ne se meut-elle point dans un cercle

manifeste ? Devoir dabord ncessairement dterminer un tant en son tre, puis, sur cette base,

vouloir poser seulement la question de ltre quest-ce dautre que tourner en rond ? Nest-ce

pas dj prsupposer pour llaboration de la question ce que seule la rponse cette

question doit apporter? . Cette circularit a-t-elle quelque parent avec celle qui a t mise en

vidence dans la section prcdente entre lontologie et la thologie ? Il faut en effet se poser la

question: le sens de ltre que Sein und Zeit cherche rendre transparent, Heidegger souhaite-t-

il le dchiffrer mme cet tant minent. quest le Dasein? En dautres mots: le Dasein est-il

1.5. u. Z.,4.
2. IbicL, 5. Voir aussi dans les Grundprobteme der PhdnomenoIogie: La prcdente discussion (...) nous a permis
de montrer, par des biais diffrents, que et comment la comprhension de ltre appartient au Dasein existant.
Nous nous sommes arrts devant ce fait celui dans lequel notis sommes savoir que nous comprenons ltre

,

sans pour autant le concevoir (GA 24, 289).


3. Ibid., 7. Le cours de lt 1926 esquissait ainsi la tche de lontologie fondamentale: Lontologie
fondamentale : mi tant est ncessairement exemplaire et devient ainsi lui-mme le thme, mais cela en visant la
comprhension de ltre au sens du concept de ltre>) (GA 22, 180).
4. S. u. Z., 7.
121

cet eus summum partir duquel se dtermine le mode dtre de tout tant? Cest justement dans

ce pige onto-thologique que Keidegger souhaite ne pas tomber.

Mme si lontologie fondamentale prend son point de dpart dans un tant dans

quelque chose dontique , elle le fait dune faon fondamentalement autre par rapport toute

la tradition ontologique. Le Dasein est-il rellement un tant minent, exemplaire, summum? Il

lest car la possibilit de lontologie tout entire repose sur lui. Mais contrairement ltant

minent de lontologie traditionnelle, le Dasein nest pas davantage que les autres tants. On ne

peut en effet aucunement dire que le Dasein existe dune faon plus excellente que les autres

tants, comme sil sagissait dune question de degrs . Le Dasein nest pas davanta,ge, mais

bien dune faon compltement distincte de celle des autres tants : il existe. Il y a donc une

incommeusurabitit complte entre ltre du Dasein et celui des autres tants. Ainsi, le mode dtre

du Dasein ne peut jamais servir de mesure pour le reste dc ltant et ce, mme par anatqgie. Si,

dans la scolastique et jusque chez Descartes, Dieu et ltant ont tout de mme ceci de commun

que chacun, sa faon, existe comme substance cest--dire sans avoir besoin du concours

daucune autre chose (nutta atia re indzeat ad existendum,7 , il ne semble pas que ce soit le cas

dans lontologie fondamentale. On ne peut en effet aucunement affirmer qu en un certain

sens , que par analogie , ltant intramondain lui aussi existe de telle faon s quil y va en son

tre de cet tre mme . Ltant quil soit matriel, animal, conceptuel, etc. nentretient

aucun rapport son propre tre. La faon dtre du Dasein nest donc ni fondatrice ni

exemplaire pour ltre de ltant. Lexemplarit ou lminence de ltre du Dasein est dune autre

1. Si ce 2 de Sein und Zeit peut prter confusion, Heidegger ajoute dans la marge : Mais le sens de ltre ne
doit pas tre lu mme cet tant (Aber nichi wird an diesem Seienden der Sain von Sein abgeIesen, (S. ii. z., 7, Anm. e).
2. Descartes, P,inctbia Phitosophiae, I, 51.
3. Cest la formulation que donne Sein tend Zeit du privilge onfique du Dasein: pour cet tant, il y va en son
tre de cet tre mme (es ,geht diesem Sejenden in seinem Sein um dieses Sein selbst) (S. u. Z., 12). Cette formule revient
comme un refrain dans Sein tend Zeit et dans tes cours contemporains. Cest la traduction du <t esgeht tim... (<t il
sagit de... , <t il est question de... , plus littralement il y va de... s) qui rend la formulation franaise lourde et
problmatique. Notons que dans Ltre et k nant, Sartre donnait une traduction de la formule heideggrienne dans
une langue plus claire: <t Certes, nous pourrions appliquer la conscience la dfinition que Fleidegger rserve au
Dasein et dire quelle est un tre [sc. un tant] pour lequel il est dans son tre question de son tre>) (Ltre et k nant.
Essai donto/o,giephnomnotqgzque, Paris, Gallimard, 1943, 29).
122

nature. Le primat insigne que le Dasein revendique sappuie sur la simple constatation quil ny a

dtre (objet de lontologie) que sil y a comprhension de ttre.

Lun des principes directeurs de lontologie fondamentale prsente dans Sein ;tnd Zeit

est lide selon laquelle lontologie ne peut tre onto/ogiquernent fonde. Ltre ntant accessible

une science de ltre qu la faveur dun dtour par la comprhension de ltre contenue

dans le Dasein, une analytique gnrale du Dasein se voit exige par lobjet mme de la

recherche. Si effectivement il ny a dtre que dans la comprhension de ltre, lanalytique du

Dasein qui a pour but de mettre en lumire cette comprhension de ltre propre au Dasein

devient la discipline fondamentale, fondatrice, de lontologie. Le dploiement mme dc la

science dc ltre est ainsi renvoy quelque chose dontique, le Dasein.

Mais est-ce que cela suffit pour chapper au schma traditionnel de lonto-thologre?

Dans la mesure o Sein mzd Zeit sinscrit en faux contre lensemble de la tradition qui na jamais

pens ltre qu partir de ltant, il semble que lon puisse reconnatre lentreprise de Sein und

Zeit une originalit certaine. Heidegger nhsite dailleurs aucunement reconnatre, dans une

lettre Karl Lwith, que le fondement onuque de lontologie fondamentale constitue lune des

dcouvertes les plus originales de Sein itnd Zei% dcouverte quil sattribue explicitement2.

Pourtant, Heidegger nhsite pas it tablir un parallle entre ceJ./ndamentunl ontique de

lontologie fondamentale et le fondement tho/qgique de la science dc ltre en tant qutre chez

Aristote: Lontologie a unfrndamenritrn ontique, qui dailleurs ne cesse de transparatre dun

bout lautre de lhistoire de la philosophie, et se manifeste par exemple dj travers cette

dclaration aristotlicienne : la science premire, la science de ltre est thologie . Ce renvoi

dc lontologie quelque chose dontique dans lentreprise heideggriennc est nanmoins bien

1. Contrairement i la mtaphysique qui, selon ce quon a vu, ne peut tre fonde que rntaptysiquemeut.
2. Auch ich bin der Uberzeugung, dail Ontologie nur onsch zu fundieren ist, und ici glaube, das hat bislang
noch niemand vor mir explizit gesehen und ausgesprochen (Lettre t Karl Lwith du 20 ao&t 1927, dans Zrir
phrtosophischeu Aktuatttt Reide,ggers, BdiI t 1m Geijrch der Zeit, 36).
3. C-1 24, 26.
123
diffrent de cette rfrence un premier moteur chez Aristote. Mais chez lun comme chez

lautre, il signale que lontologie nest, pour ainsi dire, jamais autosuffisante, quelle a toujours

besoin dun soutien ontique que ce soit un tant suprme qui vienne appuyer et fonder le

sens de ltre ou un tant qui manifeste une primaut mthodique quant linterrogation

portant sur ltre. Le renvoi de lontologie chez Heidegger un,ftinckzrnentitm ontique manifeste,

pour ainsi dire, la reconnaissance de la finitttde de la dmarche ontologique, le fait quelle

demeure malgr tout rive lexistence ontique du Dasein. En tant quoeuvre de la libert et de

la finitude dun Dasein humain, lontologie demeure toujours implicitement dans lontique (die

Ontik) qui lui donne son fondement1. Si lontologie slve au problme de ltre grce cette

transcendance caractristique du Dasein qui interroge ltre, cette interrogation na

cependant jamais lieu autrement quen un sol ontique o elle prend appui et sur lequel elle se

tient toujours tacitement.

Or, est-il possible doctroyer lontologie un fondement ondque sans obligatoirement

tomber dans le schme de lonto-thologie? Lonto/qgie pure que Heidegger labore est issue

dune pense qui a dj reconnu le schma onto-thologique de la mtaphysique traditionnelle

et qui tente de ne pas y succomber. Cest donc en connaissance de cause que Heidegger

essaie de penser le rapport dc lontologie son fondement ontiquc. En dautres mots,

Heidegger reconnat que le lien londque, un tant exemplaire, de toute recherche

ontologique est une ncessit son destin et quil serait vain de tenter dy chapper. Mais

cela ne signifie pas pour autant que lontologie soit contrainte de se laisser imposer un eus

summttrn pour y lire docilement le sens de ltre.

1. Heidegger voque dans son cours de lt 1928 cette <t ontique mtaphysique die metaphjsische Ontik) dans
laquelle se tient toujours et bien malgr elle lontologie : Lanalytique temporelle [de trej est en mme temps le
tournant (Kehrs), dans lequel lontologie elle-mme retourne expressment lOntique mtaphysique dans laquelle
elle se tient toujours implicitement (in die metapJysischc Ontik, in der di Ontotodie unausdn:kJich immer stehi) (G 26,
201).
124

Dans la mesure o Heidegger a reconnu lincommensurabilit des modes dtre de

ltant l-prsent fuorhanden et du Dusein, il nous parat impossible dc dceler une figure de

lonto-thologie dans laquelle ontologie et thologie se rpondent rciproquement dans

lontologie fondamentale. Interroger ltre en prenant pour fatium la comprhension dc ltre,

cela ne revient aucunement rduire tout ltant la subjectivit du Dusein et ce, pour la simple

et bonne raison qut ne signifie pas la mme chose pour lun et pour lautre. Rpondant la

critique de Misch, Heidegger se dfendait dailleurs dans son cours du semestre dt 1929

davoir rduit lens lego2, cest--dire davoir fait du Moi linstar des penses

antl]Tvpornorphtques dun Leibniz ou dun Fichte, un paradigme ontologique partir duquel

comprendre ltant en son tre comme monade ou comme Non-Moi. Sein und Zeil ne

souhaite aucunement saisir tout tant comme un driv (Derivat) du Dasein . faisant du

Dasein ltant exemplaire de la recherche ontologique tout en reconnaissant

lincommensurabilit des modes dtre de ltant l-prsent et du Dasein, Heidegger parvient-il

chapper lonto-thologie? Selon notre caractrisation de lonto-thologie, il semble que

nous devions rpondre par laffirmative. Il faut reconnatre quen diffrenciant les divers

modes dtre de ltant (principalement entre ltant l_prsent et le Dasein), on coupe la

racine la possibilit mme de la circularit onto-thologique. On peut donc soutenir que cest

faute davoir aperu cette incommensurabilit des modes dtre que la philosophie

traditionnelle a identifi un tant unique et exemplaire pour tout ltant4.

1. Nous reprenons la traduction franaise du tome 33 de la Gesamtauigabe, Aristoteks, Metap,ysik 9 1-3. Von
Wesen und [Virklichkeit der Kraft (Aristote, Mtaptysiqite (9 1-3. De lessence et de ta /it< de la force, Pans, Gaffimard,
199f, due Bernard Stevens et Pol Vandevelde) la traduction de Vorhandensein et vorhanden par o tre-l-prsent
et l-prsent et celle de das Vorhandene par (<ltant l-prsent ou, plus simplement, ltant qui est l . Si
cette traduction na pas le mrite de respecter la structure du mot Vorhandensein et la prsence en lui du mot
main (I-land,), elle a cependant lavantage dtre claire, agrable la lecture et tout fait en accord avec ce quoi
lexpression heideggnenne fait rfrence.
2. GA 28, 138.
3. Heideggers Marginalien zu Mischs... o, 206. Vom t12isen des Grnndes niait lui aussi que lontologie
fondamentale prtendt oprer une dduction ontique du tout de ltant qui nest pas la mesure du Dasetn
partir de ltant qua Dasein (VWG, 162, note 59 ; tr. 139, note 1).
4. Cest ce que soutient une note du cours de lhiver 1925/26, Ln,gik. Die Frage nacli der lVahrheit qui tablit un
lien entre lincapacit de Platon et Aristote tablir la diffrence entre ltre de ltant l-prsent et celui du Dasein
125

Outre ces quelques remarques tires de Sein und Zeit et des Grundprobterne der

Phnrnenotogie, Heidegger a en fin de compte peu discut ouvertement des implicanons

mthodologiques de la circularit de la dmarche ontologique. Cela devait dailleurs tre le

thme de la premire section de la troisime parue du cours annonc lt 1927 ( 6): Le

fundamentum ontique de lontologie et lanalytique du Dasein comme ontologie fondamentale


.

La dmarche de lontologie fondamentale est clairement explicite dans Sein und Zeii mais les

consquences de lirrductible facticit, de ltre-jet (Gewoy/nheit) du questionnement

ontologique ne sont peut-tre pas encore tout fait prises en compte par Heidegger. Il semble

que cette problmatique gagnera en importance dans les annes qui suivent et la radicalisation

de la thmatique de la finitude vienne dune certaine faon se substituer cette problmatique

du fondement onuque de lontologie.

5. La constitution onto-thologique de la mtaphysique du Dasein

Il semble donc tout fait raisonnable de dfendre que lontologie fondamentale ait

russi viter le pige de lonto-thologie en tentant de se constituer comme une ontotqgie pure,

cest--dire sans sorienter sur un tant minent. Pour ce qui est de la mtaphysique du Dasein

qui a fait suite lontologie fondamentale, il semble quil soit plus difficile de soutenir une telle

chose. Bien quelle ne se constitue pas comme une figure mtaphysique traditionnelle qui

ninterroge ltre qu partir dun tant suprme , la mtaphysique heideggricnne conserve

nanmoins toute une srie de traits quelle a tout dabord reconnus comme caractristiques de

et la structure double de la Mtaphyique dAristote: La recouvrement de cette diffrence [sc. de lexistence et de


1tre-l-prsent] et des modes correspondants dnonciaon et dinterprtation est en mme temps la racine de la
division de la mtaphysique aristotlicienne en ontologie purement fonnelle et thologie du vo3 (Die Verdecktheit
dieses Unterscbieds cind der entiprechencien tUeisen des iziprechens und Ausie,gens ist mit die ltfurreI des Zwiespatts des
Aristoteiischen MetapIysik ais reinfornzukr Ontotqgie und Theologie des voi) (GA 21, 410, note 1).
1. GA 24, 33.
126

la mtaphysique traditionnelle. La confrence Was itt Metaphysik? dfinissait linterrogation

mtaphysique comme celle qui c< se porte audel de ltant, dans le but de reprendre celui-ci,

comme tet et dans son ensembte, dans la saisie conceptuelle >. Lexpression ltant comme tel et

dans son ensemble nest donc pas rserve la mtaphysique dans sa figure traditionnelle,

mais caractrise tout autant la mtaphysique du Dasein. Si Sein und Zeil ne faisait aucunement

rfrence une telle problmatique, les cours et les crits de la mtaphysique du Dasein sont

quant eux truffs dindications concernant cette question.

Mais pour caractriser la mtaphysique du Dasein comme inteilv,gation sur ttant comme tet

et dans son ensemble, il nous faut tout dabord tenter didentifier dans le corpus ce quoi renvoient

ces deux expressions mtaphysiques tant comme tel et tant dans son ensemble .

Linterrogation qui se porte sur ltant comme tel ou sur ltant en tant qutant (5v fi 5v)

correspond cette question que lontologie traditionnelle prtend poser depuis Anstote. Nous

savons que Heidegger a identifi, immdiatement aprs la publication de Sein und Zei% une srie

de quatre problmes se prsentant comme les problmesfondamenlaitx de ta science de ttre2 et qui,

dans lhistoire de lontologie, peuvent tre identifis quatre thses sur ltre. Ces quatre

problmes ontologiques ne constituent donc pas des problmes traditionnels rvolus, mais

bien des questions que la tradition a effleures sans nanmoins y rpondre de faon

satisfaisante.

Le premier de ces quatre problmes correspond au problme de ta dftnrnce ontoto,gique

que Sein und Zeit na pas trait explicitement mais qui devient, immdiatement aprs, le titre de

la distinction entre ltre et ltant3. Bien quelle ait t nomme pour la premire fois dans lessai

sur le fondement de 1929, le cours de lt 1927 qui est disponible depuis 1975 prsente une

1. Metaphysik lst das Hinaujfragen ber das Seiende, uni es ats ein sotches und im Ganren fur das Begreifen
zurckzuerhalten (WfvI?, 118 ; ix. 67/54; les souligns sont ceux du texte original, Bonn, Cohen, 1929, 24).
2. Ces quatre problmes sont exposs ii lt 1927 (GA 24, 20-25 et 33) et i lt 1928 (GA 26, 191-1 94).
3. Sur la prsence de la diffrence ontologique dans Sein tend Zeti nous renvoyons ltude de jean-Lue
Marion, Ques6on de ltre ou diffrence ontologique , parue dans Riduction et donatio,i.
127

discussion trs complte du problme1. La question se serait pose Kant alors quil nonait

sa thse sur ttre ltre nest manifestement pas un prdicat rel mais sans que celui-ci ne

parvienne la traiter de faon radicale.

Le second problme est celui de larticulation fondarnentate de ttre, de la distinction entre

essentia et existentia, problme dorigine aristotlicienne mais qui caractrise plus essentiellement

la thse de lontologie mdivale sur ltre. Pourquoi tout tant est-il ncessairement dtermin

par son tre-quelque-chose (TYas-sein) et par un possible fait-dtre (DaJi-sein)? Cest une

question sur laquelle Heidegger stait pench dans divers textes depuis le dbut des annes

1920.

Le problme cher Sein und Zeit des diffrentes modifications de ltre et qui

reprsente, aux yeux de Heidegger, une dcouverte propre son ontologie fondamentale

constitue le troisime problme ontologique fondamental. La distinction entre les divers mode

dtre de ltant Sein und Zeit diffrenciait lexistence du Dasein de ltre-l-prsent des choses

matrielles et de ltre--porte-de-la-main (Zuhandenheit) des choses dutilit; le cours du

semestre dhiver 1928/29 ajoute dautres nuances en parlant de la rie (Leben) de lanimal, de la

subsistance (Bestand) des choses qui ne se rangent pas sous la catgorie des choses matrielles

(comme les nombres, lespace, etc.) ainsi que de leffectivit (TVirkichkeit) dans le cas de Dieu2

est en effet un des problmes ignors de lontologie du monde que les Grecs laborrent

sans distinguer ltre de lhomme de celui des tants intramondains. Dans lontologie moderne,

cette distinction apparat avec toute linsuffisance que lon sait dans la pense cartsienne qui

spara, en apparence du moins, la res extensa de la res cqgitans3. Or, le problme des modifications

possibles dc ltre est aussi celui du problme de lunit de la diversit de ltre. Bien que ltant

1. GA 24, 19-22.
2. GA 27, 71-72. Le cours de lt 1928 mentionnait aussi, comme rgions de ltant qui prsentent un mode
dtre distinct, lhistoire et les oeuvres dart (GA 26, 191).
3. Reconnaissons cependant que la distinction cartsienne entre rs cogita1ts et res e.\lensa nest sans doute pas
aussi superficielle que le soudent gnralement Heidegger.
128
se prsente suivant divers mode dtre, tous ces tants doivent, en tant qu tants, prsenter

quelque caractre commun.

Le quatrime et dernier problme de la science de ltre est celui du caractre vntatif

de ltre qui caractrise la connexion complexe qui unit ltre la vrit. On connat bien sr le

bel avenir auquel est promise cette ide dans loeuvre ultrieure de Heidegger. Dans le cadre de

la mtaphysique du Dasein, ce problme sera trait diffrentes reprises mais recevra sa

prsentation la plus clatante dans la discussion du livre 0 10 de la Mtaphjisique dAristote

lt 1930. Selon Heidegger, cest dans ce chapitre qui traite de lv i ?i1O que non

seulement le livre atteint son but propre, mais aussi que toute la philosopbie dAristote atteint

son point culminant 2. Dans le cadre du cours de lt 1927, cest nanmoins en discussion

avec la thse de la logique qui rduit la question de ltre au est, la copule que

Heidegger interroge ce lien entre ltre et la vrit. Si ce problme fait surface dans la logique, il

ne peut nanmoins tre convenablement trait par elle que si est saisi lenjeu mtap/ysiqite de la

question, cest--dire que si la logique se comprend comme mtaphjsique de ta erit.

Ces quatre problmes reprsentent lventail sans doute complet de ce que lon peut

appeler plus gnralement te problme de ttre. Notre tche nest cependant pas ici de montrr

quel traitement a reu chacun de ces problmes, ni encore de dterminer si cette liste est bel et

bien exhaustive. Ces problmes sont ceux qui ont orient lensemble du questionnement

ontologique que Heidegger a dploy partir de Sein und Zeit. Il semble donc que nous ayons

identifi ce quoi correspond, dans le corpus de la mtaphysique du Dasein, cette interrogation

portant sur ttant comme tel. Si nous souhaitons maintenant tisser des liens entre la structure

traditionnelle de la mtaphysique et la mtaphysique heideggnenne, il nous reste identifier ce

1. GA 31, 9. Comme lindique Hartmut Tieten, diteur de ce tome de la Gesarntasisgube, cette discussion
ne
figure pas dans le manuscrit du cours mais constitue une annexe spare du cours. Cest partir
du dossier
Aristote, Mtaphysique, 9 que lditeur a compos ce chapitre (voir Le Nachwort de lditeur).
2. GA 33, 11-12.
3. GA 26, 193.
129
. quoi correspond linterrogation mtaphysique portant sur ttant dans son ensemble pour cette

entreprise de la mtaphysique du Dasein.

Dans la mtaphysique traditionnelle, on sait que linterrogation sur ltant dans son

ensemble dbouche sur une rflexion tholqgique sur ltant suprme, celle qui interroge ltant

dans son ensemble eu gard t son fondement producteur, sa premire cause. Bien que cette

question puisse tre longuement dbattue, il semble que la mtaphysique du Dasein ne prsente

aucune trace dune thologie au sens classique du terme, une science de Dieu. Nanmoins,

lexpression ltant dans son ensemble apparat assez souvent depuis le dbut des annes

1920 et semble indiquer une problmatique indpendante des quatre problmes ontologiques

dj mentionns. Afin de cerner la structure propre la mtaphysique du Dasein, cest

principalement cet ordre de question qui va maintenant nous intresser. Lontologie

heideggrienne et son traitement du problme de ltre tant quelque chose de mieux connu et

de rgulirement trait dans la littrature secondaire1, cest ce second versant que, pour les

raisons qui seront exposes plus loin, nous ne qualifierons pas de thologique mais bien de

thiotogique que nous allons tenter de mettre en relief.

Nous souhaitons donc montrer, dans ce qui suit, que la mtaphysique du Dasein a tent

de suivre les traces de la structure double de la mtaphysique en pensant plus radicalement

encore cest--dire en mettant jour leur racine les problmes que la mtaphysique

traditionnelle na jamais fait quentrevoir ou queffleurer. Aux cts de la problmatique

proprement ontologique, Heidegger aurait ainsi ouvert un espace de questionnement o ltant

ne serait pas abord eu gard son tre ou son tantit, mais bien eu gard au fait quil forme

un ensemble, un lotit sans pour autant rduire cette recherche une interrogation thologique

sur le fondement de ltant.

1. Ce qui, videmment, nest aucunement la garantie dune comprhension juste du problme comme tel. Le
problme de ltre demeure trs certainement le problme le plus nigmatique de toute la pense heideggnenne
et ce, non seulement dans les textes plus tardifs o un certain hermtisme peut parfois rebuter le lecteur mais

dj dans les textes antrieurs qui tentent de briser la suppose vidence qui caractrise le concept dtre.
130

Afin dindiquer une premire piste pour le traitement du problme de ttant dans son

ensemble, nous souhaitons retourner cette premire exposition de la mtaphysique du Dasein

que constitue le cours de lt 1928. Ce cours qui annonce, dans un hommage ii. Scheler, un

retour t la mtaphysique, expose en diffrents passages la structure que devra adopter cette

mtaphysique venir. Lun deux, un texte trs souvent comment1, expose cette mtaphysique

partir dune rlaboration du plan de lontologie fondamentale. Comme on le sait, le concept

de la mtaphysique est dsormais constitu par lunit de deux problmatiques : lontologie

fondamentale et In mtontologie2. Or, ce qui va tout dabord nous intresser, cest que

Heidegger indique explicitement que cette division originale de la problmatique mtaphysique

ne fait quexprimer la transformation du seul problme fondamental de in philosophie elle-

mme, celui qui fut mentionn plus haut dans lintroduction avec le double concept de la

.
philosophie comme itpdnr pococpx et OEo?oyja Heidegger caractrise donc cette

version remanie de lontologie fondamentale comme une nouvelle rponse au seul et

unique problme fondamental de la philosophie qui a tenu en haleine les recherches

mtaphysiques dAristote. Dans ce texte de lt 1928, Heidegger signale que sa mtaphysique

prsente, linstar de la philosophie premire dAristote, une structure double ontologie

fondamentale et mtontologie , correspondant la division de la mtaphysique

aristotlicienne en rtpdnr (ptXooo(pi et 9Eo7oytic1 1ttafl1114.

Bien que cette mtontolqgie ne constitue en quelque sorte quune curiosit propre ce

cours du semestre dt 1928, il sagit nanmoins dun concept important si lon souhaite

1. I\Icnflonnons simplement Jean Greisch, Onto/qgie et ternporalit Esquisse dine inteipreation intgru/e de Sein und
Zeit, Paris, PU!;, 1994, 481-483 ; Jean Grondin, Der deutsche Idealismus und Heideers... , 46-47; Theodore
Kisici, Das Versagen von Sein und Zeit: 1927-1930 , 263-263 et Steven Galt Crowdil, Metaphysics,
I\fetontology, and the End of Beins and Tirne , 315 sq.
2. GA 26, 202.
3. Ibid.
4. Un passage trs schmatique du cours de lt 1926 vient dailleurs confirmer cette troite liaison entre la
mtontologie et la OcoXoytK?1 mariui aristotlicienne: La question de ltre se transcende elle-mme. Le
p,vbme ontoIogique se retourne !Mtontologiquc ; Orooyciei ; ltant dans son ensemble (GA 22, 106).
131
mettre en lumirc la structure de h mtaphysique que Heidegger prtend alors laborer.

Lidentification de la mtontologie avec une certaine 9Eooyudl ittatipi7 dinspiration

aristotlicienne permet videmment de penser la structure double de la mtaphysique du Dusein

ontologie fondamentale et mtontologie comme une rponse la division traditionnelle de

la mtaphysique que nous avons mise en vidence dans la premire partie de notre travail.

La prsentation de la mtontologie est faite par Heidegger dans un texte intitul

caractrisation de lide et de la fonction dune ontologie fondamentale et qui constitue la

prsentation dune nouvelle version du projet de lontologie fondamentale qui fut rendu

publique lanne antrieure. Par rapport sa prsentation de 1927, lontologie fondamentale

comporte une partie additionnelle que Heidegger appelle le revirement (der Urnschta&).

Lontologie fondamentale ne se limiterait donc plus linterprtation du Dasein comme

temporalit (quivalant aux deux parties publies de Sein und Zeii) et lexposition temporale du

problme de ltre (partie manquante de Sein und Zeit intitule Zeit und Sein ), mais

contiendrait aussi une troisime et probablement dernire partie qui prsenterait ce que

Heidegger appelle le dveloppement de la comprhension de soi de cette problmatique, sa

2
tche, sa limite

Ici encore, lontologie fondamentale devait tre suivie dune destruction de lhistoire de

la philosophie: Ce nest quavec et travers cette ontologie fondamentale que peut tre saisie,

dans une perspective dfinitive, la vie interne et cache de la mobilit fondamentale de la

philosophie occidentale . Le programme de cette destruction de lhistoire de lontologie est

cependant beaucoup plus vague que dans Sein und Zeit qui identifiait avec prcision les trois

moments de cette destruction, orients sur la question de ltre et du temps , mais se fonde

1. GA 26, 196-202. Le terme mtontologie apparat deux reprises dans ce cours avant cet appendice (ibid.,
174 et 165). Comme nous lavons mentionn, le terme est aussi prsent dans le cours du semestre dt 1926 (GA
22, 106) mais nous croyons y voir un ajout postrieur (voir infra,
Annexe A, La lecture chronologique de
loeuvre de Martm Heidegger r).
2. GA 26, 196.
3. Ibid.
132

nanmoins sur la mme conviction: lhistoire de lontologie ne pourra tre adquatement

comprise que dans la rptition (Wiederhotung) de ses problmes fondamentaux. De la mme

faon, lontologie fondamentale se comprend elle-mme encore comme la reptition de

problmatiques anciennes dont limportance nest pas due leur vnrable antiquit , mais

bien leur appartenance ce que Heidegger appelle dsormais lessence mtaphysique du

Dasein . Comme dans Sein und Zei4 la destruction soppose une simple transmission

extrieure des opinions et points de vue anonymes de la tradition cest ce que fait la

Probtemgescbichte no-kantienne selon Heidegger , mais bien de redonner vie aux problmes

traditionnels de telle sorte quils puissent se prsenter dans leur problmaticit relle et ainsi

subir, travers le questionnement vivant, de nouvelles transformations.

Lentreprise complte de lontologie fondamentale est donc encore guide par un

schma systmatico-bistorique propre Sein zinc! Zeit mais aussi aux textes antrieurs dans la

mesure o le dploiement de lontologie doit rendre possible une destruction

phnomnologique de la tradition2. Ce qui, par rapport Sein ztnd Zeit, a chang dans ce cours,

cest que le dploiement de cette ontologie ne sachve pas dans une exposition de la

temporatitas de ltre, mais plutt dans un reziirement de la problmatique ontologique identifi

une rflexion sur la dmarche propre lontologie fondamentale. Etant donn ltat

dinachvement de Sein zinc! Zei4 il est videmment difficile dassurer que cette dernire tape ne

faisait tjctivement pas partie des tches de la premire ontologie fondamentale3. On doit en

effet se limiter soutenir quelle ne faisait pas partie du plan initial expos dans lintroduction

lontologie fondamentale.

1. IbicL, 197.
2. Le cheminement peut nanmoins tre inverse. Dans le cours du semestre dt 1927, par exemple, la
question ontologique fondamentale du sens de ltre est elle-mme introduite partir de considrations
historiques. Dans ce cours, la destruction met jour les problmes rsoudre et prcde ainsi le traitement de la
question de ltre.
3. Quelques notes marginales ajoutes par Heidegger ce <(plan de louvrage)> peuvent le laisser croire en ce
quelles parlent, pour la section Zeit und Sein dun retour dans lorigine (Die Umkehr in die Herkrnzfr) que lon
pourrait identifier une remise en question du point de dpart donc des limites de lontologie fondamentale.

133
Il est possible que cette ide dun complment lontologie fondamentale soit apparue

ds le semestre dt 1927 alors que Heidegger projetait de dployer, aprs le traitement de la

question ontologique du sens de ltre en gnral , une troisime partie dont le thme aurait

t ta mthode scientifique de lontologie et lide de la phnomnologie .


Il est nanmoins

risqu de conjecturer sur le contenu de chapitres dont seuls subsistent les titres. Il nest

cependant pas impossible que ces considrations dordre mthodologique qui suivent le

traitement de la question de ltre devaient justement aborder la question de la tche et de la

limite de lontologie fondamentale. Dans la mesure o ces chapitres se situent aprs le

traitement de la question de ltre, on peut en effet penser quils navaient pas pour vise un

renforcement des fondations de lontologie fondamentale, mais peut-tre une remise en

question de ses fondements. Le traitement approfondi de la question du fundarnentum onfique

de lontologie annonc pour cette partie loriente en effet sur le thme de la finitude de h

dmarche philosophique qui prsente une parent certaine avec celui du revirement.

Dans lappendice mentionn plus haut, Heidegger exposait avec beaucoup de prcision

les limites de lontologie fondamentale. Dfinissant le concept de la mtaphysique comme

union de lontologie fondamentale et de la mtontologie, Heidegger soulignait que lontologie

fondamentale ne rpondait qu une partie des problmes mtapysiques. Mais quels sont les

problmes que lontologie fondamentale laissait de ct ? Selon le texte abord ici, il sagirait de

la question de ttant. Nanmoins, cette omission ne constituerait aucunement une ngligence

qui pourrait tre corrige aprs avoir t identifie, mais bien plutt une ex;gellce propre au

travail de lontologie qui interroge par-del ltant, vers ltre. Si lontologie est tout entire

oriente sur le problme de ltre, elle contient nanmoins en elle de faon latente la tendance

une transformation originaire et mtaphysique qui ne peut sactualiser qu partir du

1. Voir le Plan de cours (GA 24, 32-33).


134
moment o ltre est compris dans sa problmatique complte1. Cette tendance latente trouve

appui sur un fait indniable: il ny a dtre que si des tants sont dj l pour te Dasein.

La dmarche ici voque va contre-courant de celle de lontologie qui aborde ltre en

son apioiite. Or, cette apriont de ltre nest aperue qu la faveur dune certaine

conversion>) du regard. Si ltre est premiei; ce nest en effet jamais pour nous puisque

pour nous, cest bien ltant qui se prsente tout dabord , mais bien en soi , par nature 2.

Cette question de la primaut de ltre est la question propre lontologie qui considre quil ne

peut y avoir dtant que dans la mesure o il y a, davance, de ltre. Dans une perspective

distincte, on pourra nanmoins soutenir que cest ltant qui se prsente davance . Selon

Heidegger, ces rapports de ltre ltant et de ltant ltre nont jamais t tirs au clair dans

la tradition qui, faute de reconnatre la diffrence ontoto<gique, na su interprter ltre autrement

que comme un tant. Si ltre est antrieur ltant, ce nest pas au sens de lantriorit

conceptuelle on ne conoit ltre quen dernier , ni au sens de lantriorit ontique ltre

nest pas l-prsent (vorbanden) avant ltant mais bien de lantriorit ontotgique. Le problme

de lontologie est justement de dterminer avec prcision le sens de cette antriorit de ltre,

ce qui revient interroger le rapport quil entretient au temps3. Lantriorit ontotqgique de ltre

est ce qui sera demeur ontotqgiquement obscur et ambigu pour lontologie traditionnelle.

Or, nous voquions linstant une antriorit de ttant sur ltre. Cette antriorit, elle

aussi, serait demeure obscure et ambigu pour la tradition, non pas ontotogiquement mais bien

mtontologiquement1. Lontologie a pour tche de montrer que le rapport ltant propre au Dasein

est fond sur un rapport encore plus originaire ltre que Heidegger appelle la comprhension de

ttre. Mais lontologie se limite aborder cette antriorit dtermine de ltre sur ltant sans

pouvoir tenir compte du fait quil ny a comprhension de ltre que si le Dasein un tant

1. GA 26, 199.
2. Ibid., 184
3. Ibid., 186.
4. Ibid., 185.
135
comprend ttre: En dautres mots, la possibilit pour quil y ait de ltre dans la

comprhension a pour prsuppos lexistence factuelle du Dasein qui, son tour, a pour

.
prsuppos ltre-l-prsent factuel de la nature La possibilit mme du problme de ltre

repose donc sur lexistence dun ensemble ontique au sein duquel est jet le Dasein.

Si nous inversons la question de lontologie celle de lapnort outoogique de ltre sur

ltant , nous obtenons une seconde problmatique que Heidegger appelle la mtontologie

et qui a pour thme lantriorit rntontoqgique de ltant sur ltre. Cest de cette autre antriorit

que rsulte la ncessit dune problmatique particulire qui a maintenant pour thme , non

plus ltre, mais bien ltant dans son ensemble (das Seiende im Ganen) 2. La mtontologie

nest pas pour autant autonome de lontologie, mais appartient son essence en ce quelle

rsulte de son revirement (Urnschtag), de sa rc3ofj . La mtontologie ouvre donc tout un

champ de questionnement qui dpasse la porte de lontologie, mais qui rsulte nanmoins du

dploiement de celle-ci. Ici, le parallle avec la structure traditionndllc dc la mtaphysique que

nous avons dj dfinie comme linterrogation sur ltant comme tel et sur ttant dans son

ensernbte trouve un lment de justification.

Cette structure double de la mtaphysique quexpose Heidegger lt 1928 est-elle

propre la mtaphysique du Dasein ou avait-elle dj t prvue dans la premire version de

lontologie fondamentale en 1927 ? Sein und Zeit na pas reconnu clairement du moins que

lontologie fondamentale devait, une fois son but atteint, retourner son point de dpart et

rendre possible une mtontologie en inversant sa dmarche. On reconnatra nanmoins que

certains passages laissaient entendre que le traitement du problme de ltre nest pas le terme

du questionnement philosophique. Comme on le sait, le 7 de Sein und Zeit soutenait que

1. Ibid., 199.
2. Ibli
3. Ibii
136
lontologie phnomnologique devait non seulement prendre son point de dpart dans

lhermneutique du Dasein mais aussi rejaillir (urckschla<gen) sur elle, cest--dire avoir une

certaine rpercussion sur lexistence du Dasein1. Si lontologie fondamentale, une fois

dploye, devait rebondir sur lexistence du Dasein, on peut croire que le dpassement de

lontologie dans une mtontologie tait dune certaine faon dj annonc ds Sein und Zeit.

Lassociation dans le cours du semestre dt 192$ de la mtontologie une mtaphysique de

lexistence et aux questions de lthique appuient daffletirs fortement une telle hypothse2. On

voquera aussi les derniers dveloppements de la premire partie des Grundprobeme der

Phiinomenotogie o Heidegger parlait du caractre seulement pre].aratoire de lontologie

fondamentale t Nous caractrisons donc cette analytique du Dasein, ontologique et

prparatoire, comme ontologie fondamentale. Elle est prparatoire parce quelle ouvre la voie

llucidation du sens de ltre et de thorion de ta comprhension de ttn. Elle ne peut tre que

prparatoire parce quelle cherche seulement parvenir au fondement dune ontologie radicale.

Aprs la mise en vidence du sens de ltre et de lhorizon de lontologie, elle doit donc tre

rpte un niveau suprieur . Ici encore, Heidegger projette de rbter lanalytique

existentiale une fois accomplie llucidation du sens de ltre. Il nest cependant pas dit de

quelle faon le dploiement de la question du sens de ltre peut rebondir sur linterprtation

de lexistence humaine, ni surtout comment celle-ci peut contribuer llaboration de lthique.

La question de la mtontologie est trs clairement lie celle du rebondissement des

rsultats dune mise en lumire de ltre sur notre comprhension de lexistence concrte du

Dasein. Dans le cours du semestre dt 1928, Heidegger pensait ce revirement non pas comme

une possible suite au dploiement de lontologie fondamentale, mais bien comme une ncessit

propre lontologie qui, de par sa nature, tend une transformation. Celle-ci rsulterait,

1. 5. u. Z.,38 et436.
2. GA 26, 199. Voir, ce sujet, Jean Greisch, OntoIogie et temporalit 481 -483.
3. GA 24, 319.
137

comme nous lavons vu, dune mise en question ultrieure de la dmarche de lontologie de

sa tche, de sa limite , cest--dire dune radicalisation de lontologie fondamentale de

laquelle rsulte un revirement de lontologie lextrieur delle-mme >. Or, ce revirement est

aussi pens par Heidegger comme un tournant (Kebre) dans lequel lontologie elle-mme

retourne expressment lOntique mtaphysique (in die metaphysische Ontik) dans laquelle elle se

tient toujours implicitement 2. Cest par le mouvement de la radicalisation et de

luniversalisation que lon peut porter lontologie ce revirement qui est latent en elle. Cest

l que se produit le tournant (das Kehren), et on en arrive au revirement dans la mtontologie .

Cette mise en lumire de la nature de la mtontologie nous permet dj dentrevoir ce

quoi correspond chez Heidegger le traitement de la question de ttant dans son ensemble dont il

t question. Comme nous lavons vu, la question de ltant dans son ensemble est identifie

une thmatisation du point de dpart oblig du questionnement ontologique sur ltant comme

tel, sur ltre de ltant. Dans la mesure o lontologie nest jamais oriente autrement que de

ltant ltre, cest partir dun revirement quest rendu possible cet autre questionnement qui

va de ltre ltant. Souvre ici une interrogation mtaphjisique inaccessible lontologie que

Heidegger identifie au versant thologique de la mtaphysique aristotlicienne. Lappendice

dont il vient dtre question se clt en effet sur laffirmation que dans leur unit, lontologie

fondamentale et la mtontologie constituent le concept de la mtaphysique . Heidegger

souligne enfin: ce qui sexprime ici, cest la transformation du seul et unique problme

fondamental de la philosophie elle-mme et qui fut voqu plus haut dans lintroduction avec

.
le double concept de la philosophie comme itprii oo(ptx et OEo?oyi Cette

1. GA 26, 200. Nous avons voqu plus haut que lide schlrienne dune mtanthropologie rsultant de
lautodpassement de lanthropologie philosophique a pu constituer une source dinspiration pour cette
mtontologie.
2. Ibid, 201.
3. Ibid
4. Ibid., 202.
138

identification dc la mtontologie avec une certaine science thologique dinspiration

aristotlicienne peut tout dabord surprendre, mais nous verrons dans la deuxime partie de

cette recherche que ces deux questionnements thologiques sur ltant dans son ensemble

prsentent une parent vidente. Non seulement Heidegger considre-t-il le questionnement

mtontologique comme une rptition de la OEo2oy.KfI Etaiflfl aristotlicienne, mais il lui

dlgue le traitement de la question de ltant dans son ensemble. Dans ces textes

mtaphysiques, Heidegger nhsite aucunement prsenter sa propre pense suivant ce schma

qui se tient la source de la constitution onto-thologique.

La prochaine tape de notre mise en question de la structure de la mtaphysique

consistera donc en une mise en lumire de cette interrogation portant sur ltant dans son

ensemble. Comme on le verra, cest une problmatique que Heidegger a lui-mme identifie au

thme du monde tel quil est saisi dans labord prlogique. Il sagira pour nous de tenter de

comprendre comment ce questionnement particulier sur le monde constitue, avec lontologie

fondamentale, lunit de la mtaphysique (Deuxime partie: Le problme du monde). Mais dans la

mesure o le questionnement de la mtaphysique du Dasein nest pas pens par Heidegger

partir de la division du savoir mtaphysique en diffrentes disciplines, mais bien comme un

vnement advenant dans le Dasein lui-mme, cest lessence du Dasein qui permettra en

dernire analyse de comprendre si et comment cette mtaphysique peut tre structure suivant

la division traditionnelle. Cest partir de lessence du fondement et de celle de la libert que

nous tenterons de montrer en quoi la nature mtaphysique du Dasein constitue la source de b

structure double de la mtaphysique (Troisime partie: Le fondement et ta tiberte). Notre

caractrisation provisoire de la mtaphysique heideggnenne comme la rappropriafion de la

1. Ce que nous paraissons sparer ici grce des disciplines [sc. ontologie fondamentale et mtontologie] et
auxquelles nous apposons des dtres, nest en ralit quun f...) ou le phnomne premier de lexistence
hwnainc! (Ibii, 200).
139

probImafique mtaphysique antique fonde sur la reconnaissance du primat moderne accord

lhomme trouvera ainsi sa lgitimation ultime.


Deuxime partie Le problme du monde

Die Transzendenz hait sich vor dem Seienden im Ganzen, und


zwar ist das Seiende je inhaltich verscbieden (...). 1-{aben wir ein
Recht, diese Ganzheit Gott zu nermen ? Zunachst vas ist dieses

1m Ganzen iVe!? mir eme Forrn ?


Martin 1-IEIDEGG[R, Unbenutte Vorarbeiten rur Vorksuig


vom iVintersemester 1929/30

Nous avons vu dans la premire partie que la dcouverte par Heidegger de la

structure double de la mtaphysique datait du milieu des annes 1920, probablement comme le

rsultat dune prise de position eu gard aux interprtations de Paul Natorp et de Werner

Jaeger au sujet de lunit de la Mtaphjsique dAristote. La rflexion sur lessence de la

mtaphysique qui caractrise lensemble des textes de la mtaphysique du Dasein permet

Heidegger de bien distinguer ce qui a appartenu la mtaphysique traditionnelle et

inauthentique de ce qui doit appartenir une mtaphysique venir

Si nous avons dj identifi les problmes qui sont associs linterrogation portant sur

ltant comme tel ou ltant en tant qutant , il sagit maintenant de dterminer avec plus

de prcision en quoi consiste ce problme de <dtant dans son ensemble . ii nous faut tout

dabord noter que si Heidegger ne parle pas du tout de ltant , de la totalit , mais quil

emploie cette tournure particulire de ltant dans son ensemble , cest pour bien souligner

que ce dont il est ici question nest pas la thmatisation de la somme de tout ce qui est thme

que lon a traditionnellement considr inaccessible lentendement fini humain, lintuitus


141

deiivativus Bien que Heidegger ne soit jamais parfaitement clair sur ce quil entend lorsquil

emploie cette expression aucune dfinition nen est donne , il nous est cependant

possible, par laccumulation dindices trouvs dans les cours des annes 1920, de dterminer

plus prcisment ce qui se tient derrire cette notion.

Nous avons dj tabli que Heidegger associait lexpression une certaine lecture de

lhistoire de la mtaphysique qui comprend celle-ci comme connaissance de ltant comme tel

et dans son ensemble . La problmatique de ltant dans son ensemble entretient donc un

rapport certain encore non lucid avec le versant thologique de la mtaphysique

aristotlicienne (OEooyt1dI utar#iui). Comme nous lavons mentionn plus tt, la

rappropriation de la pense mtaphysique aristotlicienne laquelle convie la mtaphysique

du Dasein ne concerne pas seulement le questionnement ontologique sur ltre de ltant, mais

aussi une certaine faon quaurait eue Aristote de comprendre le monde pardi du concept du

divin (t Oov). Rcupre par la tradition chrtienne comme le problme spcifique du

fondement divin du monde ( OE), cette interrogation sur le monde comme ensemble

(?ov) se serait vanouie. La question portant sur ltre du monde serait une question propre

loeuvre dAristote que laristotlisme aurait manque en interrogeant le monde partir de son

fondement crateur. Afin dlucider les diverses interprtations que donne Heidegger des

concepts de OEov et de ov chez Aristote, il nous faut maintenant nous pencher sur ce

traitement thiotoique du problme du monde qui se prsente dans loeuvre de Heidegger des

annes 1920.

Heidegger a offert quelques reprises des dfinitions du concept aristotlicien de Oov

que lon pourrait qualifier de paennes . Insistant sur le fait que le concept na absolument

rien de religieux chez Aristote, il a tent de montrer quil servait davantage caractriser

labord premier du monde, dans tout ce quil eut de surprenant et denvotant pour les

premiers penseurs et qui fut lorigine de ltonnement grec. Heidegger associe donc le OEov
142

une certaine saisie du monde, de ltant qui nous entoure et qui nous subjugue. Dans le cadre

de cette rappropnation de la OEooytK1 rllJITI aristotlicienne, le phnomne du monde

sera abord cotmne ensembte et non eu gard son fondement. Cest en remplacement dune

certaine thologie (science du eE6, du fondement du monde) que Heidegger dploie ce que

nous appellerons sa thiolo,gie (science du OEov, du monde comme ensemble), une

problmatique spcifique qui soccupe de ltant dans son ensemble, de la manifestation dun

ensemble que lon caractrise comme monde.

Heidegger a tent de justifier cette interprtation de la notion aristotlicienne de OEov

plusieurs reprises. Dans le cadre des Gntndbegriffe der antiken Philosophie de lt 1926, il montre

comment la dmonstration de lexistence dun premier moteur dans la pense aristotlicienne

na rien de comniun avec une thse thologique sur lexistence dun Dieu crateur et quelle est

bien plutt issue dune rflexion ontologique portant sur ltre de ltant, dune tentative de

mise en lumire de ltant dans son ensemble . Le concept de OEov proviendrait ainsi de la

tentative de rendre inteffigible de faon ontologique ce quil y a dans le phnomne du

mouvement et seulement cela 2.

Dans la Phjsique aristotlicienne, le mouvement constitue une dtermination essentielle

des tants, des p6a vua. Dfendant lternit du mouvement, Aristote dmontre lexistence

dun premier moteur immobile qui rend comprhensible que ltant soit toujours m. Cest

dans un tel contexte caractrisation de ltre de ltant partir dun questionnement sur la

condition de possibilit du mouvement ternel que stablit la preuve de lternit du

mouvement. Le mouvement constituant la modalit la plus haute de ltant et la dtermination

la plus essentielle de ltre du monde, Aristote considre que le premier moteur est ltant

1. GA 22, 324.
2. Ibid, 329. La mme chose tait dj soutenue lautomne 1922: Mais pour Aristote, lide du divin ne
rsulte pas de lexplicitarion dun objet auquel on accderait travers une exprience religieuse fondamentale, le
9rov exprime bien plutt le caractre ontologique le plus lev qui rsulte de la radicaEsarion ontologique de
lide de ltre-m (PIA, 42). Dans le cours de lt 1922, Hedegger allait mme jusqu afrirmer mme que ((le
concept du divin provient du problme de la physique : du concept de vror (GA 62).
143

vritable (rtjiixyctov v), ltant le plus divin (OEtrrov). Or, selon 1-leidegger, cette

signification ontologique du Oettarov na rien voix avec Dieu ni la religion . Bien que la

scolastique ait pu rcuprer cette pense son compte, la thologie)> aristotlicienne nest

quune science de ltant vritable, oriente sur le problme purement thorique de ltre 2.

Selon le tmoignage de Gadamer, lexpression ltant dans son ensemble que

Heidegger employait depuis les annes 192O tait aurole dune prsence presque

mythique: Dj dans sa manire si particulire de sexprimer, la tournure ltant dans son

ensemble interdisait dassocier quelque formulation conceptuelle prcise cette question qui

portait sur ltre. (...) Dans la tournure de ltant dans son ensemble rsonnait sans doute

aussi ltre-dans (In-sein) qui avait reu une signification si particulire dans lexpression

ltre-dans-le-monde (In-der-Wett-sein). (...) Ce que Heidegger voulait exprimer par cette

formule, ctait manifestement ltonnement du premier commencement, tel quil stait

produit dans h pense grecque . Le tmoignage de Gadamer est prcieux en ce quil voque

les deux caractristiques fondamentales de ce concept de ltant dans son ensemble : 1. sa

parent avec le concept de monde et dtre-au-monde et 2. son lien avec la naissance de la

philosophie.

Si lexpression ltant dans son ensemble est gnralement associe au concept

aristotlicien de 9ov, cest nanmoins dans le cadre dune exposition du concept aristotlicien

de tout (Sov, Mtaphysique, 26) que lexpression ltant dans son ensemble apparat

tout dabord chez Heidegger. Le lien nest cependant pas bris puisque la tche dlucider ce

6ov est attribue la thologie aristotlicienne. Comme nous allons le voir, ltant dans son

1. GA 22, 324-325.
2. Ibii, 325.
3. Nous la retrouvons dj lt 1925 (GA 19, 214 et 222).
4. Nenere Philomphie L, GLV3, 426 ; tr. Les chemins de Heidegger, Paris, Vrin, 2002, 280.
144
ensemble compris comme ?ov constitue le point de dpart obligatoire de tout philosopher

possible, cest-a-dire le rapport primaire et prthorique du Dasein au monde. Nous trouvons

donc ici un premier indice qui nous permet de comprendre comment Heidegger envisage le

traitement thiotogique du phnomne de monde compris comme ltant dans son ensemble .

Mais ltant dans son ensemble se prsente aussi sous une autre figure dans la

mtaphysique du Dasein. Si lon peut interroger la manifestation prlogique de ltant en

tudiant le rapport du Dasein quotidien au monde, donc avant la mise en forme que lui

imprime le 6yoc, on peut aussi tenter une interprtation de ce rapport tel quil se donne avant

lapparition mme de la philosophie. Dans des considrations dinspiration anthropologique,

Heidegger tente lhiver 1928/29 dinterprter le passage du Dasein mythique au Dasein

mtaphysique en exposant le rapport du premier au monde, ltant dans son ensemble.

Nous aborderons donc, aprs avoir mis en lumire le traitement du concept de Oetov,

linterprtation pr-philosophique du monde que fait le Dasein mythique.

Dans la mesure o la thmatique mtaphysique de ltant dans son ensemble est

identifie la problmatique du monde, il nous faut tudier de plus prs les diffrents chemins

qua emprunts Heidegger afin de traiter dune telle problmatique: la thmatique de b

mondanit dans Sein und Zei4 lexposition de lhistoire du concept de monde dans Vom Wesen

des Gntndes et le traitement de la thse lhomme est configurateur de monde dans le cours de

lhiver 1929/30. Comme nous le verrons, la rflexion mtaphysique que Heidegger dploie la

fin des annes 1920 octroie au problme du monde une place fondamentale dans la structure

mme de la pense mtaphysique. Non seulement le problme du monde constitue-t-il une

voie daccs privilgie au problme de ltre, Heidegger soutient mme que le problme de

ltre se dploie ou se droule (entrottt sich) ncessairement en problme du mond&.

1. GA 27, 391.
145
la lumire de ces analyses, nous tenterons une caractrisation du monde comme

concept transcendanta/ Le Dasein tant dfini depuis lt 1927 partir de son essence

transcendantale , le monde se prsente alors comme la destination, le ce-vers-quoi du

mouvement de transcendance. Ce traitement du concept transcendantal de monde sera

loccasion pour nous daborder cette nouvelle interprtation du Dasein suivant son essence

mtaphysique. Nous terminerons cet examen du problme du monde en nous penchant sur

une tentative de penser la coappartenance des problmes de ltant comme tel et de ltant

dans son ensemble que Heidegger expose comme conclusion au cours de lhiver 1929/30.

Ce traitement exhaustif du problme mtaphysique du monde nous permettra de nous

faire une ide prcise de ce que signifie ce versant thiologique de la mtaphysique du

Dasein. Bien que notre intention ne soit aucunement den prsenter le contenu doctrinal ,

nous tenterons pour terminer de mettre en lumire cette theioto&ie heideggnenne partir dune

rfrence au chapitre De lidal transcendantal de la Critique de ta raison pure auquel

Heidegger fait explicitement rfrence lt 192$ et quil associe une comprhension

adquate de la problmatique mtaphysique. Comme nous le verrons alors, Kant permet

Heidegger de penser linterprtation fautive que la tradition fit de la OEo2oyiK irtattii

dAristote. Ce sera loccasion pour nous de faire une synthse de cette interprtation

heideggnenne qui aborde le monde non pas partir de son fondement mais bien comme

ensemble. Cest partir de cette analyse du problme mtaphysique du monde que nous

prtendons montrer que lunit de la mtaphysique du Dasein peut se comprendre comme

lunit du problme de ltre (de ltant comme tel) et du problme du monde (de ltant dans

son ensemble).
146

Chapitre premier

Le monde saisi dans labordprlogique de ttant (ai6Eut)

Depuis le dbut de son explication avec Aristote dans les annes 1920, Heidegger

cherch interprter la thologie aristotlicienne comme une science loigne de toute

proccupation religieuse. Cest alors quil commencera employer lexpression ltant dans

son ensemble qui nous intresse ici. Lorsquelle apparat, lexpression souhaite caractriser le

Oov dAristote qui, selon Heidegger, permettrait de penser le monde autrement quen

sorientant sur lide dun fondement divin (OE). Cette dfinition de la thologie

aristotlicienne se rapportait directement aux recherches dAristote mais tait aussi rvlatrice

des questions sur lesquelles Heidegger souhaitait se pencher. Ce qui est dit ici de la thologie

dAristote se rapporte donc aussi cette pense que Heidegger tente dlaborer et qui souhaite,

linstar de la pense aristotlicienne, aborder le phnomne du monde, de ltant dans son

ensemble, sans en interroger le fondement.

Afin de mettre en lumire cette interprtation du OEov aristotlicien laquelle procde

Heidegger dans les annes 1920, il nous faut donc remonter en amont de la mtaphysique du

Dasein. Bien que le cours du semestre dhiver 1924/25 sur lequel nous nous penchons

maintenant ne fasse pas comme tel partie de la mtaphysique du Dasein , les indications quy

donnait Heidegger sur ce concept ont t conserves dans le colpus qui fait lobjet de ce travail

(voir supra, La tche dinterprter correctement la tpdrri p oGopi dAristote ).


Selon linterprtation quen donne Heidegger, la thologie aristotlicienne aurait ((pour

tche dlucider, dans ses origines et dans ce par quoi il est vritablement, ltant comme tout

(das Seiende ais Gantes), le 2ov, ltant du monde, la nature, le ciel et, pour le dire rapidement,

tout ce qui est sous le ciel . Mettant en doute lenseignement thomiste quil reut, Heidegger

fait remarquer que cette lucidation de ltant dans son ensemble (des Seienden im Ganen) par le
147

recours au moteur immobile, na rien voir avec une preuve de lexistence de Dieu sur la base

dune dduction causale. La thologie a donc pour thme le tout dans son ensemble, le

2ov . Ces remarques permettent de dceler la possibilit chez Aristote dune thologie non

religieuse , une science du divin, du OEov compris comme le mode te plus lev de ltre de

ltant en un sens ontologique purement formel 2, cest--chie comme ce qui, parmi les

lments constitutifs du monde, est le plus manifeste, ce qui est l tout fait dcouvert
.
(vprara iiv S KaIo cuvatrKev)

La thologie dont il est ici question a donc pour tche dlucider ltant dans son

ensemble ou ltant comme ensemble , concept qui trouve son quivalent chez

Aristote dans le concept de 5ov4. Dans le cadre de ce cours sur le Sophiste, Heidegger traite

explicitement du livre A 26 qui est consacr la notion de Sov. En abordant ces sections,

nous souhaitons jeter quelque lumire sur cette expression ltant dans son ensemble

qui deviendra tout fait fondamentale dans la mtaphysique du Dasein. Dj ici, Heidegger

associe ce thme de ltant dans son ensemble une certaine lhotogie non pas la thologie

ecclsiale qui a pour thmatique essentielle Dieu et la foi en lui, mais une certaine thologie

mtaphysique qui soccupe du monde. Dans le traitement du livre A 26 de b Mttphysique

dAristote, Heidegger sintresse essentiellement la distinction qutablit le Stagirite entre

deux modalits dtermines du 2.ov le icaO6ou et le icaOKatov qui correspondent

deux modes daccs ltant le 267o et li81rn. Cette analyse a comme but premier de

mettre en vidence une dcision philosophique propre la pense dAristote et contre laquelle

Heidegger prtend slever: la primaut, en philosophie, de labord logique de ltant sur

1. GA 19, 222.
2. Ibii, 137. lt 1926, Heidegger parle du Oeov comme dun concept ontotqgique neutre (GA 22, 179).
3. GA 19, 137. La citation dAristote provient de Ethique Nicomaque, VI, 7, 1141 b 1 sq.
4. Vois GA 19, 222 et 630. Cette quivalence est encore voque dans les Beitrige ur Philosophie (Vom Eretgnis,):
Ltant dans son ensemble ? L ensemble a-t-il encore maintenant une ncessit? Ne se dsintgre-til pas
comme le dernier reste de ta pense systmatique? Quel ge a le ov dans lhrtoi,v de ttre ? (GA 65, 495-
496).
148

labord pr-thorique, quotidien, esthtique (taOTyn.ic)1. Lexpression ltant dans son

ensemble qui apparat alors sera donc associe ce rapport <f esthtique ltant dont la

pense heideggnenne souhaite souligner la primaut sur le rapport logique.

Dans le lexique que constitue le livre i de la Mtap/ysique, Aristote traite au chapitre 26

du concept de tout , du 6?ov. Heidegger sy intresse dans le cadre de son analyse des

premiers chapitres de la Mtaphjisique (A I et 2) o intervient la diffrence entre la simple

sensation et la science. voquant la diffrence qui existe entre ltant conu partir de son

E1o et ltant individuel simplement donn dans la sensation, Heidegger sarrte sur ces deux

significations que possde le 2<ov: en tant quil est abord par le Xyo, il est synonyme

duniversel (Oo), en tant quil est abord dans 1oOrrn, il est synonyme dindividuel

(K9lKaarov). Si Heidegger sintresse ces deux faons de concevoir le ?<.ov, cest pour

montrer que mme si Aristote considre comme plus lev le mode daccs ltant jrt

?6you (par opposition au mode vi) 26you), il ne peut que reconnatre la prsance, tout le

moins mthodique, de la sensation sur la science. Cette prsance de ltant simplement

donn (iti) dans le comportement quotidien que Heidegger associe lexpression

ltant dans son ensemble sur ltant conu logiquement (jiet X&you) est bien sr lune

des thses fondamentales pour comprendre le concept de monde que Heidegger dploie dans

lontologie fondamentale de Sein und Zeit.

O?<ov sentend de ce quoi il ne manque aucune des parties qui sont dites constituer

naturellement un tout 2. On dit dc ce quoi il ne manque aucune partie 1m appartenant par

nature, quil est entier, quil constitue un tout. Ltant qui se prsente avec tout ce qui

1. Nous employons le terme esthtique plutt que <(sensible


pour faire ressortir lorientation de cette
ide heideggrienne sur le concept aristotlicien d8iioi.
2. Mtap4ysique, 26, 1023 b 26 sq.
149

appartient son tre, ltant qui se tient au grand complet (vollstiindtg) >, cest ltant que lon

peut dire ov. Mais comme le remarque Anstote, lunit du 2ov peut tre constitue de

diffrentes faons. Tout dabord, chaque partie du ov peut tre elle-mme une, comme dans

le cas du ov tre vivant dont les parties le cheval, lhomme, le dieu, etc. constituent

autant dexemplaires dtres vivants. Le 2Lov a alors la signification dun universel, KuO62ou.

Dans dautres cas, lunit du ov se constitue par ladjonction de parties comme dans le cas

du ov homme dont les parties bras, jambes, tte, etc. ne constituent pas elles-mmes

des exemplaires dhommes et peuvent tre divises. Le ov a ici la signification de

lindividuel, icOKarov.

Si cette division prsente un intrt pour notre problmatique, cest parce que ce qui

distingue le KaO6o1j du KaGKaarov est essentiellement le mode daccs ltant qui

appartient au Dasein. Le KO.o, luniversel, nest en effet accessible au Dasein que dans la

mesure o celui-ci dcouvre ltant sur le mode du ytv . Le 1cO6o1) est un

2
y6ltEvov, un 6?ov, une entiret Ganhei qui ne se montre qui d travers k ?ytv A loppos, le

Sov compris comme KOibcatov na pas besoin de lintervention du 6yo pour se

constituer, dans la mesure o cest travers lk9r1cn quil se manifeste. Heidegger

considrant le X6yo et lcdGOrlcYu comme les deux possibilits extrmes en lesquelles [le

Dasein] est dcouvrant , on comprend lenjeu que cache cette simple distinction: ltre

vritable de ltant se donne-t-il travers le 6o ou travers lOrt ? Soulignant la

diffrence qui existe dans la construction des deux mots icar avec gnitif dans le cas de

KO?OEO et 1OEXT& avec accusatif pour KOKGuov , Heidegger soutient que la K96OED se

caractrise par le fait quil ne se montre que dans la mesure o il est expressment pris pour

1. GA 19, 79.
2. Ibid., 80.
3. Ibid., 83.
150

thme, tandis que le OKarov se manifeste lui-mme dans liGO1at sans tre

proprement thmatis .

Cette distinction entre un abord jiEr yo et un abord vu you de ltant est

une distinction qui apparaissait aussi dans les P/jmnomenola,gische Interpretationen zu Aristoteles de

1922. Dj dans cet essai, Heidegger soulignait la primaut de laOflGi. par rapport tout

abord logique de ltant. Se basant sur le De anima dAristote, Heidegger identifie l1aOrt

la simple manifestation de ltant qui est originellement vraie, cest--dire qui na mme pas la

possibilit de la fausset. Par contraste, la vrit logique nest jamais que le rsultat dune

synthse elle montre ltant en tant quil est tel ou tel , une vrit drive pour qui la fausset

constitue une perptuelle menace2. Dune certaine faon, la pense heideggrienne de cette

poque peut tre caractrise comme cette tentative de remonter depuis le logique Q6yo)

vers <t esthtique (acT9rat, &vEv Xyoii). Cest en effet ce que lon retrouve dans Sein und

Zeit qui retire la considration thorique de ltant sa prsance, mais aussi dans le dbat avec

le nokantisme autour de louvrage Kant und dos Problem der Metapbjsik quant la primaut de

lintuition chez Kant3. Mais comment Heidegger ose-t-il faire dAristote son alli dans cette

entreprise? Anstote ne soutient-il pas plutt le contraire, savoir, que ltant dcouvert dans

lioOra ne renferme en soi que peu ou pas du tout dtre ? Heidegger nest-il pas en

train de tirer Aristote lui, lencontre dc ses propres thses?

Cette distinction entre KO6o1J et KOKarov, Heidegger la trouve aussi dans les

Topiques dAristote o celui-ci distingue entre ltant qui nous est tout dabord familier dans

notre comportement quotidien et ltant tel quil est connu de faon absolue, cest--dire tel

quil est accessible au ).yo et au vo5. Selon Anstote, la masse (ol ito2oi) qui ne dlibre

pas et nest pas particulirement dispose h philosophie considre les choses telles quelles se

1. Ibid.
2. Dc anima, A 3, 427 b 12 et A 6, 430 b 1-2 (PIA, 31 sq.)
3. KPM, 4-6 et GA 25, 5.
4. Mtaphjsique, Z 3, 1029 b 8 sq. (cit en C-1 19, 84).
5. Topiques, IV, 4, 141 b 5 sq. (cit en GA 19, 83-$4).
151
donnent familirement, en leur entiret (Ganheit). Seul le philosophe, la faveur dune

dmarche rgressive vers lp 2 parvient voir la surface, la ligne et le point qui se

cachent derrire les corps tout dabord donns. Par rapport ce qui est ainsi vu par le

philosophe, ce qui est familier chacun et ce qui pour lui est premier (...) est souvent flou et
ne renferme en soi que peu ou pas du tout dtre . Ce passage vient donc confirmer que

selon le sens quAristote accorde ltre le 6yo est premier par rapport la1aOrctc quant

la saisie de ltant en son tre propre. Heidegger nous incite cependant lire le livre Z 3

jusquau bout: Pourtant, cest en partant de ces connaissances vagues, mais personnelles,

quil faut sefforcer darriver aux connaissances absolues, en passant (tetc43ivcov), comme

nous lavons dit, par les premires .

Si Heidegger insiste sur la dernire phrase du livre Z 3, cest quelle indique que malgr

le parti pris dAristote pour lorientation logique de la philosophie, il reconnat lui-mme la

prsance de l 9iicnc. Mme lorsque la philosophie russit slever jusquaux

connaissances absolues, elle ne doit jamais oublier que son point de dpart rside dans la

donne initiale que constitue 1aaOricnc. Mme si le philosophe parvient la ao(px, il doit

reconnatre que le soi sur lequel il sappuie pour ainsi slever est constitu de choses

simplement donnes, de choses familires et seulement vaguement connues, voire inconnues.

Nous reconnaissons ici, dans sa version aristotlicienne, la position que dfend Heidegger dans

Sein .tind Zeit selon laquelle le regard thorique et scientifique sur les choses a pour fondement

ultime le commerce quotidien avec les tants et quaussi loin que puissent nous mener les

recherches philosophiques, nous nchappons jamais cette situation de dpart. Aristote hisse

entendre ici que les connaissances absolues ne sont accessibles qu la faveur dun passage

(IIctaPivov) par les choses familires.

1. GA 19, 84.
2. Ibict
3. AIethjsique, Z 3, 1029 b 8 sq.
4. Ib/a, Z 3, 10 sq.
152

Heidegger ne cherche pas ici dnaturer la pense dAristote mais simplement

montrer ce que le Staginte a constat que la philosophie trouve son point de dpart dans les

choses familires et ainsi mettre en lumire cette dcision quil a prise et qui est dune

importance capitale pour lhistoire de la philosophie. Par le travail dinterprtation, il nous est

possible de montrer que dautres voies soffraient Aristote, quil les avait lui-mme aperues

et quil nous est possible de remettre en question ces dcisions. La prfrence que manifeste

Anstote pour ce qui est accessible par le 6yo sur ce qui est simplement donn dans le

rapport quotidien avec les choses nest pas quun simple trait anecdotique de la pense

aristotlicienne, mais bien une caractristique de la pense occidentale dans son ensemble et

que Heidegger conteste. En soulignant quAristote reconnat que la dmarche philosophique

prend son point de dpart dans les connaissances vagues >, quelle en mane, Heidegger

souhaite simplement mettre en vidence la dcision qua prise Anstote de favoriser le KO6?oiJ

sur le KOgKwytov, luniversel sur le particulier. Cest prcisment du K1corov de


.
lcc9icn quil sagit de venir bout pour recueillir en lui le premier tat-de-fait de ltant

Anstote na cependant pas accord toute limportance quil devait cette prsance de

laiOict t Ce quAristote lui-mme na russi accomplir que dans certaines limites, si bien

que, malgr cette tendance radicale, il nest pas parvenu lultime originaiit de ltre du

monde 2.

Lultime originant de ltre du monde? Par infidlit la donation premire des

phnomnes, par manquement aux rgles de la phnomnologie qui ordonnent de sen tenir

aux choses mmes, Anstote serait pass ct du phnomne du monde et aurait manqu den

dterminer adquatement ltre. Tranant avec lui une ide du sens de ltre troitement lie au

yo, Anstote naurait pas su apercevoir la richesse contenue dans le commerce quotidien

avec les choses et naurait pas su apprhender de faon originaire la dimension ontique du

1. GA 19, 85.
2. Tbid.
153
monde . Heidegger soutient quune telle dmarche est possible: nous pouvons aborder le

monde sans nous laisser guider par le concept togiqzte de ltre, le laisser se donner tel quil se

montre dans laicOrt selon un concept non pas logique, mais disons esthtique de

ltre. Iviais ce nest pas encore le but que poursuit cette interprtation de la 7VItphjsique

dAristote. Heidegger repousse en effet un autre moment lanalyse de cette dimension

ontique du monde2.

Dans ces quelques pages, Heidegger tente donc de montrer que si la philosophie peut

prtendre luniversel, elle ne le fait jamais quen prenant son point de dpart dans et en

transitant par le particulier. Cette ide selon laquelle il faut accorder la prsance la

perception du monde premire et vague sur la perception selon luniversel (ldo) de celui-ci,

souligne limportance du moment grec pour ce qui est de lorientation logique de toute la

philosophie subsquente. Sur quoi a-t-on lgitim cette orientation initiale? Cette orientation

impose na-t-elle pas ds sa naissance engag b philosophie dans une voie impropre?

Notre propos tait ici de trouver les origines de lexpression ltant dans son

ensemble , ce qui a ncessit une remonte en amont de la mtaphysique du Dasein. Cette

discussion sur la notion de ov prsente dans le cours du semestre dhiver 1924/25 nous a

permis de nous familiariser avec deux de ses variantes dont lune ouvre la voie une

dtermination authentique de ltre du monde. Cest cette signification du ov comme

1caOKaarov que Heidegger associe lexpression ltant dans son ensemble . Cette

expression permet en effet de caractriser ltant tel quil se donne avant b mise en forme que

lui impose le 6yo: Ltant, dans b mesure o il est donn, dans son mode de rencontre

immdiat, dabord seulement KaOou, dans son ensemble (1m Ganen), est un

1. Ibli, 86.
2. Une autre interprtation est possible, qui tente dapprhender la dimension ontique du monde en se
dtachant du concept dtre des Grecs. Mais cela sortirait du cadre de notre propos dans ce cours (ibii)
154

ayiov, un quelque chose dentreml . Cest en se rapportant ltant tel quil se

donne tVE) Xou, cest--dire avant la mise en forme que comporte labord discursif de

quelque chose>) en tant que quelque chose >, que Heidegger emploie effectivement

lexpression ltant dans son ensemble (das Seiende im Ganen). Le coimnentaire que nous

venons danalyser de la notion de S?ov chez Aristote et de cette distinction entre labord o,gique

et labord esthtique de ltant semble donc contenir un premier indice nous permettant de

percer la signification de lexpression ltant dans son ensemble .

Mais nous avons aussi not que Heidegger faisait de llucidation de ce ov la tche de

la thologie aristotlicienne dont, nous interrogeons la nature2. Sil reste encore beaucoup

dobscurit autour de cette thologie qui a pour objet ltant dans son ensemble , nous

pouvons nanmoins dores et dj affirmer que cette problmatique est lie cette tentative

heideggnenne de penser ltant du monde tel quil est avant lintervention du Xyo, cest--

dire tel quil se donne non pas dans la recherche conceptuelle et thorique du philosophe mais

bien dans le commerce quotidien et familier du Dasein naturel .

Or, cette problmatique de la manifestation prlogique de ltant nest pas seulement

un thme qui puisse tre abord partir du commerce quotidien du Dasein avec ltant. Dans la

mesure o lon associe ce rapport ltant lintervention du ?>6yoc telle quelle sopre dans la

philosophie, on peut aussi tenter dapprocher cette manifestation de ltant partir dune

analyse du monde du Dasein qui ne philosophe pas encore non pas du monde de louvrier qui

travaille, mais de celui du Dasein mythique pour qui la philosophie nest quune potentialit non

1. PIysique I, 1, 184 s 21 sq. (cit en GA 19, 144-145). Notons quici, Heidegger parlait du mode de rencontre
immdiat de ltant en employant lexpression waO6?.o1) l o lon attendait, selon ce qui a t expos plus haut,
1cO1cwyrov. Il faut cependant noter que Heidegger renvoie ici un texte de la Physique dAristote (1, 1, 184 a 21
sq.) o les expressions sont en effet interverties. Comme lexplique Heidegger, il ne faut cependant pas y voir une
contradiction dans lemploi des termes. Aristote affinne en effet en Physique I que la dmarche philosophique
progresse du KaO6rn au Oiuicaotov, contredisant en apparence le texte cit des Topiques. Mais en lisant plus
attentivement le texte, on voit quAristote soutient en fait que cette dmarche va du 1COoI) non encore
articul (ce que nous avons appel plus t& le 1c91carov) au KO{1cotov articul (qui correspond au
KOEGXoI)). Sur tout cela, voir le commentaire de Heidegger en GA 19, 86-90.
2. GA 19, 222.
155

actualise. Cest ainsi que par une analyse du premier rapport de lhomme ltant sinspirant

du travail des anthropologues de son poque, Heidegger expose dans le cours de lhiver

1928/29 une autre facette de ltant dans son ensemble .


156

Chapitre II

Le monde du Dasein mythique

Heidegger offre un premier aperu de cette comprhension mythologique du monde

dans le cadre du cours de lt 1928 alors quil tente une dfinition non thologique du concept

aristotlicien de r OEiov: La science la plus leve doit tre la science du plus lev, du

premier [Metaphjsique, E 1, 1026 a 21J. T OEov signifie simplement ltant les cieux:

lenvironnant et le foudroyant, cela sous lequel et dans lequel nous sommes jets, cela qui nous

envote et nous prend par surprise, le surpuissant (das t]bemzdchttge) . Heidegger identifie le

OEov ltant qui nous entoure et qui se manifeste dans sa surpuissance, ltant dans lequel

nous sommes jets (ewofin), le monde. Pour appuyer cette dfinition paenne du 9eov,

Heidegger rappelle que lemploi que fait Aristote dans le De ?uundo du verbe Oeo2oyv ne 1m

attribue pas le sens courant de disserter de la divinit , mais bien celui de contempler le

monde, le ic6to 2. La science du OEov, la Oeo7oyi.K1 p2oaoptct, devrait donc tre

comprise non pas tant comme thologie que comme science de tout ce qui nous entoure ,

de ltant dans son ensemble. Le Oov de la thologie aristotlicienne sur lequel Heidegger

prtend orienter sa thio/o,gie propre, sa science de ltant dans son ensemble , est ici lie s la

question de linterprtation de la surpuissance Gbermdchtigkeit) de ltant. Si cette mention

lt 1928 nest pas davantage explicite3, il sagit dun terme qui gagnera en importance dans le

cours suivant et dans la discussion du printemps 1929 avec Ernst Cassirer.

1. GA 26, 13. Voir aussi, pour ce qui est du rapport entre la notion de surpuissance et le problme du monde,
lieu
cette note schmatique tire des complments au cours de lt 1926 : Ltant: surpuissant et en premier
monde, nature au sens le plus large, rnc (GA 22, 191).
2. GA 26, 13. Le texte dAristote est le suivant: Leur sentiment sexplique du fait quils nont pas contempl
les ralits les plus hautes, je veux dite le monde et ce quil y a de plus grand dans le monde. (...) Quant nous,
pour
traitons donc de toutes ces choses, et, dans la mesure du possible, considrons leur caractre divin, et,
chacune dentre elles, sa nature, sa position et son mouvement)) (391 a 24 b 5; ix.
-
par J. Tricot, Paris, Vrin,
1949).
(cias
3. Heidegger voque encore dans le cours de lt 1928 la comprhension de ltre qua surpuissant
Verste/ien von Sein qua Ubermchti,g em) quil associe au problme de la transcendanc e du Dasein, mais quil refuse
157

Lintrt que prend pour nous cc concept de surpuissance se justifie par letroit rapport

que Heidegger 1m reconnat avec le concept aristotlicien de OEiov. Dans la section prcdente,

nous avons vu que ce concept aristotlicien et cette ide dune thologie non religieuse

apparaissaient dans une rflexion portant sur labord prlogique de ltant. La surpuissance dc

Ptant comprise comme comprhension mythique de ltre de ltant permet eUe aussi de

mettre en lumire la question de labord prlogique de ltant.

Dans le cours de lhiver 1928/29, Fleidegger va dployer en dtail une rflexion aux

accents anthropologiques sur le passage du Dasein mythique au Dasein mtaphysique ou

philosophique, ce Dasein qui parvient thmatiser expressment son rapport ltant. Ayant

rcemment travaill sur louvrage dErnst Cassirer, Das n1yt/]isc/]e Denkcn (Philosophie der

.rjimbotischen Formen, 2 partie, Berlin, 1925), Heidegger sen inspire pour dfendre une thse

portant sur lapparition des conditions de possibilit de la rflexion philosophique. Abordant

ce quil appelle non pas la pense (Denken) mythique mais bien lexistence (Dasein) mythique,

Heidegger explique, comment dmancipations en mancipations, le Dasein en vient t matriser

sa peur de ltant et matriser sa propre matrise de ltant de telle sorte quil puisse interroger

ltant philosophiquement.

daborder alors de peur dtre mcompris et que son interprtation Soit saisie comme une tentative de dbattre des
problmes religieux (GA 26, 211, note 3).
t. Cette analyse est dveloppe aux 39 44 du cours Einkiti;n,g in die Philosophie (GA 27). Bien que Cassirer
ny soit que discrtement mentionn (GA 27, 358, note 1), on reconnat aisment son apport i la rflexion de
Heidegger. La recension de louvrage de Cassirer que 1-leidegger fit paraitre en 1928 dans la Deutsche Literattireitu
ig
(repris dans GA 3 et traduit dans Dbats sur k Kantisme et k; Philosophie et ta discussion de Davos du printemps
1929 confirment dailleurs limportance de louvrage de Cassirer pour ce qui est de cette thmatique.
On stonnera de ce que Heidegger puisse avoir recours lanthropologie pour traiter un thme ontologique
important, celui de lapparition de la question de ltre. Jaspers sen est dailleurs tonn : Enfin, je vous remercie
pour le compte rendu de Cassirer, que je nai pour linstant parcouru quune fois. II me semble, par la clart de
lexpos et de la critique, un modle de compte rendu. Mais jai t surpris de voir que ce que je vous prophtisais
rcemment comme malentendu possible de votre philosophie, vous le fassiez vous-mme dans I application de
la philosophie de lexistence aux peuples primitifs (Lettre dejaspers du 8 juillet 1928).
158

Ce rcit historique de la gense de la philosophie ne nous intressera pas ici1. Ce qui va

plutt retenir notre attention, cest le fait que Heidegger ait reconnu que se donne, chez le

Dasein mythique, quelque chose de tel que ltant dans son ensemble et que cest chez 1w

que se prsente la premire interprtation de ce phnomne. Conformment i hi

comprhension de ltre qui serait la sienne ta Impuissance (fJberndchtgkeit) , te Dasein

mythique apprhende ltant dans son ensemble, le monde2, comme le surpuissant. Fonde sur

les analyses des rcits mythologiques qua menes Cassirer, lexplication heideggnenne

prtend en effet montrer que cest comme surpuissance que le Dasein mythique comprend

ltre de ltant. Reprenant Cassirer le concept de surpuissance (qui runit ceux de mana, de

wakanda, donrnda et de manitou), Heidegger tente de mettre en vidence lorigine non pas

philosophique mais bien nijitho/og;4ue de notre concept de monde.

Sans entrer ici dans la critique que prsente Heidegger dans son compte rendu de 1928

de louvrage de Cassirer, notons simplement que celle-ci est centre sur labsence chez Cassirer

dune conceptualit adquate pour aborder les phnomnes dont il est question. videmment,

cette conceptualit manquante, cest celle de lontologie fondamentale comprhension dc

ltre, souci, tre-jet, transcendance3. Nanmoins, linterprtation que donne Cassirer dc la

inana, de la surpuissance, est, selon Heidegger, bien oriente en ce quelle conoit la

surpuissance non pas comme un tant mais comme le <t comment (lVie) de la ralit, comme

1. Un travail comparatif entre le texte de Keidegger et touvrage de Cassirer devra montrer cotnment le
premier prtend rcuprer les thses du second tout en reconnaissant les limites intrinsques dune dmarche qui
nest pas fonde dans une ontologie fondamentale.
2. Heidegger identifie clairement dans ce cours le <t dans son ensemble au monde: Le Dasein transcende,
dpasse ltant dans son ensemble. (...) Mais que signifie ce dans son ensemble qui appartient la
transcendance? Cest ce vers quoi saccomplit le dpassement de ttant, ce vers quoi la transcendance transcende
(...). Cela vers quoi le Darein essentiellement transcendant transcende, nous lappelons le monde (G 27, 306-
307). Pour ce qui est de cette identification, voir aussi GA 29/30, 8, 12 et 251 ; tx. 22, 25-26 et 255.
3. Cette critique est dj prsente au li de Sein und Zeit o Heidegger reproche Cassirer de fonder son
travail sur larchitectonique de la Critique de 12 raisonpure plutt que sur une analytique existentiale. Selon ce qucrn
Heidegger, Cassirer aurait reconnu dans une conversation avec lui en dcembre 1923 h ncessit dune telle
analytique (S. u. z., 51, note 1).
159
ltre de ltant. Mais Cassirer ne matrisant pas le problme de la comprhension de ltre

propre au Dasein, il lui serait impossible de saisir le lien essentiel que la mana entretient avec la

constitution ontologique du Dasein. Se basant sur les acquis de lontologie fondamentale,

Heidegger esquisse lhiver 1928/29 comment cette interprtation de ltre de ltant comme

mana doit tre aborde.

Ltant ayant pour le Dasein mythique le caractre de la surpuissance, ltre-au-monde

doit alors tre compris comme un tre-livr cette surpuissance de ltant2. Heidegger voque

alors la transformation qui se produit dans le Dasein mythique lorsque celui-ci lve la tte et

prtend se mettre labri de cette surpuissance laquelle il est livr. Ne se percevant en un

premier temps lui-mme que comme partie intgrante de cette surpuissance, le Dasein finira par

se manifester, par apparatre , par prendre note de sa propre prsence au sein de ltant dans

son ensemble. Le Dasein se comprend alors comme un lieu tout particulier de ltant dans son

ensemble, celui o peut se manifester linconditionn, le divin3.

Cest ainsi que le Dasein interprterait partir dune ide du divin quil a en lui tout ce

qui lentoure: ltant dans son ensemble, le monde, eu gard son origine et son avoir-

lieu , est ainsi interprt partir de cette comprhension de ltre comme surpuissance. Cest

ainsi que natraient les rites et toute lorganisation rituelle qui permettent au Dasein dtablir un

certain contrle sur ltant, malgr sa surpuissance. La manifestation du monde comme das

UberrndC)tl,ge serait ainsi lorigine secrte de toute rflexion sur le divin et de toute thologie. La

thologie, quelle soit cosmique ou chrtienne, trouverait son origine dans linterprtation du

monde que le Dasein opre partir dune ide du divin (r OEov) quil a en lui. Heidegger

reproche dailleurs Schelling davoir interprt les grands mythes partir des catgories

f. B cbun5: Ernst CassirLr, Philosophie der jmbohsche# Forinen. 2. Teib Das nthisd)e Denken (1925,), GA 3, 266 u.
par jean-Made Fataud, Recension de Ernst Cassirer: Das mvthische Denken , Dbat sur k Kantisme et la
Philosophie, 96 sq.
2. GA 2, 357 sq..
3. Ibid, 361-362.
4. Ibid., 358.
160

thologiques que nous connaissons aujourdhui La dmarche correcte va dans un sens

inverse: ii nous faut interprter la religion et les mythes partir de ltre-au-monde et de ltre-

jet tels quils caractrisent le Dajein mythique. La religion trouve son origine dans le rapport

initial du Dasein au monde compris comme surpuissance. Cest partir dun tel portrait quil est

possible de comprendre lorigine et le dveloppement de la religion et de toute thologie

possible.

Bien que cette analyse anthropologique soit dune importance bien relative pour nous,

cette incursion dans cette thmatique prsente lhiver 1928/29 nous permet dapercevoir

une autre facette de ltant dans son ensemble, car cest encore une fois pour caractriser le

rapport prefogique du Dasein ltant quest ici employe lexpression. Aux cts dc ce rapport

que nous avons qualifi desthtique au monde, Heidegger explore une autre faon de penser cc

rapport prlogique au monde: le rapport vythique au monde. Ii ne sagit videmment pas dun

rapport pouvant tre mis en lumire par lanalyse de la quotidiennet du Dasein, comme ctait

le cas pour le premier. Un tel expos se fonde sur une analyse anthropologique de ce qua pu

tre le Dasein avant la thmansation expresse de la comprhension de ltre qui est en lui et qui

mnera llaboration de la premire ontologie.

Nous commenons apercevoir e lien qui doit unir, dans la mtaphysique du Dasein,

ce que Heidegger appelle ltant dans son ensemble au problme du monde. La thmatique de

ltant dans son ensemble que Heidegger a dj idcntific au versant thologique de la

mtaphysique traditionnelle pourrait donc tre associe au traitement du problme du monde

dans la mtaphysique du Dasein. Or, si dans lhistoire de lonto-thologie, ttant dans son

ensemble nest jamais abord que comme question sur ttant le plus lev compris colmue

G
1. Ibid., 361.
16f

fondement de ltant, il semble quici Heidegger ouvre la voie i une autre modalit de

questionnement.

Si le problme traditionnel de ltant dans son ensemble trouve son quivalent dans le

la
problme du monde dc la mtaphysique du Dasein, il faudrait donc caractriser

rappropriation que fait Heidegger de la mtaphysique antique t partir du traitement des

partir de
problmes de ltre et du monde. Cette caractrisation de la mtaphysique du Dajein

premire
la dichotomie entre ic problme du monde et le problme de ltre peut tonner i

vue. Cest pourtant ainsi que Heidegger dtermine lhiver 1928/29 le concept authentique

de la mtaphysique

Comme nous lavons vu, Heidcgger dfinit alors la mtaphysique traditionnelle


comme

b connaissance fondamentale de ltant comme tel et dans son ensemble . Lquivalence

de
reconnue entre ce que Heidegger appelle ltant dans son ensemble et son concept
(de
monde permet de penser la philosophie comme la tension entre les problmes de ltre

ltant conrme tel) et du monde (de ltant dans son ensemble) : Le problme du monde est

uni de faon originaire au problme de ltre; le problme dc ltre et le problme


du monde

dterminent tout dabord dans leur unit te coltcept authentique de rntapIysique 2. Mais le rapport

entre chacun de ces problmes est davantage esquiss qulabor: Le problme de ltre

apprhend en son originarit se dploie ncessairement en ce que nous appelons le

problme du monde . Puis, plus loin: De son ct, le problme du monde, une fois

dploy, ne se laisse pas isoler, mais perce t nouveau et rebondit sur la construction du

problme de ltre. Le problme de ltre se dploie en problme du monde, le problme du

e du Darein
1. KPM. Gi 3. 7 tr. 68. Notou que cette dfruition nest pas propre lpoque de la mtaphysiqu
conserve dans la suite de loeuvre. A simple titre dexemple. voir Beitr4ge zur Philosophie (Vom Errtgn4)
et quelle est
(1936-3$), G 65, 41; NietschesMerapbyrik (1 941/42), GA 50, 3 ; I. iL D., 45-49 ; tr. 289-292.
C 2. Ursprimghch einig mit dem Seinsproblem ist das Weltproblern, &md erst Seuisproblem und
in ihrer Emheit bestimmen dec echten Begjiffder Met4hysik (GA 27, 323-324 ; nous soulignons).
Weltproblem

dautre que la
3. IbiiL, 391. Voir aussi, GA 26, 282: La pro;ectlon dun monde dans la libert nest rien
temporabsation de la comprhensi on de ltre
162
monde senfonce en retour dans le problme
de ltre, cela signifie: les deux problmes
constituent la problmatique en soi unitaire de la
philosophie .

Or, comme ce cours saffaire le montrer, cest


partir du phnomne unitaire de la
transcendance dont les deux faces ici mises en relief sont la comprh
ension dc ltre et ltre

au-monde que doit tre pense cette tension interne la pens


e philosophique : Ce qui

point l comme la problmatique unitaire des prob


lmes de ltre et du monde, cest le
problme de la transcendance 2
Lunit de la philosophie peut tre comprise parti
r de lunit
de deux faces opposes dun seul et mme phnom
ne. Une fois de plus, Hcidegger reconnat
que sa propre entreprise mtaphysique est, linsta
r de celle dAristote, oriente doublement:

vers ltre et vers le monde. Lanalyse des diffrents


traitements que reoit le problme du
monde dans la mtaphysique du Dasein mettra en vid
ence ces liens que Heidegger ne fait ici
quesquisser entre le problme du monde et celui
dc ltre. Mais avant daborder la tentative
que fait Heidegger lhiver 1929/30 de penser
lunit de ltant comme tel et de ltant dans

son ensemble, nous souhaitons tout dabord tente


r de comprendre en quoi consiste, dans la
mtaphysique du Dasein, le problme du monde.
A cette fin, nous allons aborder premirement

les diffrents traitements qua reu le problme depuis


Sein ;md Zeit jusqu la mtaphysique du
Dasein. Nous caractriserons ensuite lapproche
proprement mta/hvsique du problme en

exposant le concept transcendantal de monde. Mais


tout dabord, il nous importe de tenter une

rponse une question fondamentale : en quoi le mon


de constitue-t-il un problme?

C L GA 27, 394.
2. Ibid., 395.
163

Chapitre III

Les chemins ernpmats par Heideerpour penser ta question du monde

Linterrogation mtaphysique portant sur le monde occupe une place importante dans

les textes qui suivent Sein raid Zeit lessai Vom Wesen des Gntndes et le cours de lhiver 1929/30

en tmoignent. Avant daborder le thme du monde tel quil est abord dans ces textes, il est

important de bien saisir en quoi consiste le statut problmatique du monde. Bien quil puisse tre

courant en mtaphysique de parler du < problme du monde comme thme de la

cosmolo,gia rationalis, par exemple , lide selon laquelle le monde constituerait un problme ne

va aucunement de soi. En quoi le monde pose-t-il problme? Le monde nest-il pas ce qui se

donne sans plus, ce quil y a de directement accessible, ce qui de tous les thmes de la

philosophie pose le moms problme?

De faon gnrale, nous pouvons garder en tte que ce qui se prsente comme vident

et obvie (das Setbstverstdnd/iche) est toujours, dans la perspective phnomnologique

heideggnenne, ce quil y a de plus problmatique. La tche de la philosopbie ne consiste donc

pas faire des dcouvertes nouvelles, mais bien dtruire cette apparence dvidence qui colle

ce qui est par trop connu afin de librer lhomme de lengourdissement que provoque

lvidence2. Or, cest justement dans sa simplicit et dans son vidence que rside ce que

Heidegger appelle labyssaht du monde .

Ctait dailleurs lune des tches fondamentales de Sein zinc! Zeit du moins, dans sa

partie publie que de dconstruire les lieux communs qui touchent le phnomne du monde

et de faire sortir de ses gonds notre comprhension normale et banale de ce phnomne.

Toutes les sections portant sur la mondanit du monde ( 14-24) nont dautre but que de

1. Sui cette dlinition de la phnomnologie comme science de lvident, voir Jean-Luc Manon, Rid.uction et
donation, 93 sq.
2. Wie iibetall in der Philosophie geht es auch hier nicht damm, unbekanntes Land zu entdecken, sondern
das lngst und Allzubekannte vom Schein und der Umnebelung zu befreien (GA 27, 306).
3. fbid., 50.
164
montrer lobscurit qui rgne sur notre comprhension du monde et sur le concept que nous

en avons. Heidegger nhsite dailleurs pas soutenir que le phnomne du monde a toujours

t escamot (iiber.brun,gen), non seulement dans lontologie moderne et chez Descartes, mais

depuis toujours et explicitement chez Parmmde . Avec cette thse forte nuance

ailleurs2 , Heidegger soutient donc quau point de vue philosophique, un concept adquat du

monde fait toujours dfaut.

Sil y a donc un problme du monde , ce nest pas tant parce que la question son

gard attend encore sa solution, mais bien parce que le monde comme tel na jamais t abord

dans toute sa problmadcit3. Depuis les Grecs, la question de ltre du monde a toujours t

formule comme la question portant sur la structure dtre de la nature >. Or, bien que le

concept de nature ait son origine dans la spatialit originaire du monde, il nen constitue pas

moins un concept driv et inadquat un concept issu dune dmondamsation (Entwetttichun,g)

du monde pour ce qui est de saisir ltre propre du monde5. Le monde nest pas cet tant qui

se tient face nous et qui se dfinit par son altrit ltant qui nest pas Dasein , mais bien

quelque chose qui doit tre compris partir de sa sgnjicatioii et donc, partir du Dasein pour

qui seul il signifie quelque chose.

L S. u. z., 100.
2. On peut croire quAugustin et Pascal font exception en ce quils ont tous deux abord le monde dans une
optique qui ntait pas celle de la connaissance (GA 20, 222). Dautre part, Heidegger soutient ailleurs que Kant a
russi faire du concept de monde un problme dans sa Dissertation de 1770 (GA 27, 250). Mentionnons aussi les
conclusions positives que Heidegger tire des diffrents survols historiques du concept de monde autour de lessai
Vom JPesen des Grandes (voir infra, Les chemins emprunts par Heidegger pouf penser la question du monde ).
3. Dans le cours de lhiver 1928/29, Heidegger prsente le caractre problmatique du monde>< en cinq
points: 1. Le concept de monde oscille entre deux significations (cosmologique et existentielle) qui sont relies ; 2.
Loscillation est due ce que nest pas mise en lumire la relation entre le Dasein et te monde 3. Dans sa
dtermination cosmologique, le monde ne se rfre quindirectement lhomme, en tant quil est un tant qui fait
partie de la totalit de ltant ; 4. Et pourtant, mme ce concept de monde est li intimement lhomme en ce quil
est une ide et, en cela, trouve son origine dans la nature humaine ; 5. Dans la seconde acception du concept
(existentielle), monde signifie tre-homme. Le problme du monde se rduit donc cette question: quelle est la
relation entre Dasein et monde ? (GA 27, 302-304).
4. GA 20, 231.
5. Cest ce que Heidegger dfend au 14 de S. ti. Z. et lt 1925 (GA 20, 21 a).
165
Or, labsence dune concepmalit adquate pour aborder le problme du monde nest
pas uniquement nuisible la saisie propre du phnomne de monde. Comme le soutient

Heidegger depuis le dbut des annes 1920, la comprhension qua le Dasein de lui-mme est

inadquatement drive de cette comprhension inadquate de surcrot du monde. Le Dasein

se comprend 1m-mme comme il comprend le monde, cest--dire comme un tant l-

prsent , comme une <(chose naturelle . Cette thse bien connue de Sein zrnd Zeit souligne

encore davantage limportance de la mconnaissance du monde qui rebondit sur le Dasein qui

tente une interprtation de soi. Heidegger parle alors dune rflexion ontologique (ontotogische

Riickstrah/un,g) de la comprhension du monde sur lexplication du Dasein . Ce reflet du

monde na pas seulement pour consquence que le Dasein se prend lui-mme pour un tant

intramondain (innenvetttich), mais il sobserve aussi laide dune conceptualit dorigine

mondaine. Comme il lcrivait dans les ?iinomenoto,gische Intepretationen <u ArLrtoteks de 1922, la

vie facricielle (...) parle la langue du monde (die Sprache der Wett) toutes les fois quelle se parle

elle-mme 2

Ce nest cependant pas linterprtation de soi qui constitue le centre de la

problmatique du monde. Elle lui est cependant troitement lie en ce que la justesse de

lexposition du phnomne du monde dans Sein und Zeit dpend de ce que le Dasein se

comprenne comme tre-au-monde et non comme tant intramondain comme soumis au

monde (ivetthiirzg) et non comme (<appartenant au monde (wettytgeh?irtg)3. Dans cette analyse

de la mondanit, le problme du monde concerne plus prcisment la comprhension qua le

Dasein de son monde et la structure de renvois qui en constitue le caractre premier. Or et il

1. S. ri. z., 15-16. Emmanuel Martineau traduit ontologische Riickstrahlung par le nologisme reflection
ontologique afin de souligner bien inutilement quil sagit bien du reflet et non dune action de la pense.

2. PIA, 11. Voir aussi, S. u. Z., 201 Le comprendre soriente, conformment la dchance, sur le
comprendre du monde
3. Dans une des notes marginales que Heidegger a ajoutes son exemplaire de Sein rend Zeit, Heidegger
souligne que le Dasein nest pas we/tjgeh?irrg comme ltant l-prsent, mais bien we/th&zg (S. u. Z., 65, Aiim. a).
166
sagit ici de lun des paradoxes de la pense de Sein zrnd Zeit , comment se fait-II que ce Dasein,

que lon caractrise conmie fondement de louverture du monde et qui joue, sa faon, le rle

dauteur du monde, peut-il ne rien comprendre au monde? Comme nous le venons par lanalyse

des textes qui suivent Sein und Zeit, cest parce que le monde ne fait pas uniquement partie de

laspect configurateur et projecteur du Dasein, mais de faon tout aussi fondamentale de son

aspect jet. Ce monde que le Dasein configure aussi paradoxal que cela puisse paratre lui

est impos. Pour employer une expression du cours de lhiver 1929/30, le Dasein est la fois

matre et serviteur du monde (Herr und Knecht der Wett) 2. Cest ce paradoxe que nous

tenterons dlucider dans ce qui suit.

Dans les textes et les cours de la mtaphysique du Dasein, de nombreuses tentatives ont

t faites en vue de rpondre la question quest-ce que le monde ? . Le cours de lhiver

1929/30 voque dailleurs ces chemins emprunts par Heidegger que sont lhistoire du concept de

monde expose dans le trait Vom Wesen des Grundes et lanalyse de lentente humaine et quotidienne

dit monde dploye dans Sein und Zeit. Cest un troisime chemin que ce cours souhaite suivre,

celui dun examen comparatif entre la pataret en monde de lanimal et de la configuration du monde

propre lhomme. Dans le cadre de cet examen, il sagira dexpliquer comment lhomme peut

avoir)> un monde tout en tant lui-mme un fragment du monde, au mme titre que lanimal

et que la pierre.

Nous souhaitons ici suivre ces trois chemins qui ne sont pas les seuls possibles3 afin

de mettre en lumire ce thme possible dun problmefondamental de la mtapIysique quest le

1. On peut ajouter que la source constitutive du monde dans Sein und Zeit nest peut-tre pas tant le Dasein
isol que le on)> (dus Mac). Cest ainsi que linaccessibilit et lopacit du monde peuvent aussi tre expliques
(voir Ruth M. Sonderegger. Heideggers Welt: Ihre Erscliossenheit und ffir Entzug , Heidegger Handbuch, 94).
Mais nous insisterons davantage sur le fait que le fondement de laptvjection du monde quest le Dusein nest jamais
qu un fondementjet.
2. G 29/30, 262; tr. 266.
3. Ibii, 264; tr. 268.
4. Ibid., 264 ; fr. 267.
167
monde. Ces diverses analyses permettront de prpar
er la caractrisation transcendantale du

monde que nous exposerons dans le chapitre W de


cette deuxime partie.

1. La mondanit du monde

Lanalyse de ta mondanit du monde telle quelle est mene


dans Sein raid Zeit est le
rsultat dune srie de tentatives faites pour penser le
monde que Heidegger a exposes dans

ces cours et confrences depuis la fin des annes .1910 et


tout spcialement dans les annes de
Marburg (1923-1928). Ces analyses bien connues de Heideg
ger tentent de montrer que ltre

du monde ne consiste pas tant dans son tendue (extens


w), comme le soutenait Descartes, que
dans le lien essentiel quil entretient avec le Dasein. Si lanaly
se cartsienne a fait fausse foute
ds le dpart, cest quelle a abord le monde s partir
dun comportement singulier, mais
aucunement originaire de ltre-au-monde: la connai
ssance. Dans son analyse, Heidegger
souhaite remonter aux fondements dun tel comportement
(le souci, die Soi,ge) et montrer en
quoi consiste le rapport premier du Dasein au monde
. Ces textes soutiennent que ltant qui fait

tout dabord encontre dans ie monde ambiant na pas le


mode dtre de ltant quaborde la
contemplation thorique, ltre-hi-prsent, mais celui de
ltant qui renvoie, de par son utilit

ou son importunit, au Dasein. Cest ainsi que la caractristiqu


e premire du monde ne serait

pas ltendue, mais bien la tournure et la significativit (Bewa


ndtnis raid Bedeutsamkeit).

Cet abord non cognitif du monde se rclame des tentativ


es philosophiquement fortes
mais qui neurent pas lefficace de celle de Descartes dAugustin et surtout de Pascal de
penser notre rapport primaire au monde partir de compo
rtements autres que labord cognitif.

Toute connaissance nest seulement quune appropriation


et une forme de ralisation de ce

1. Le texte de rfrence pour ce qui est de la gense des


sections sus la mondant du monde est, conune on
le sait, le cours du semestre dt 1925 (GA 20).
16$

qui a dg t dcouvert par dautres comportements primaires . Le comportement cognitif

ne serait pas le comportement dcouvrant originel mais ne ferait qu opiner sur des tats de

choses dj dcouvcrts Comme le souligne Heidegger, la connaissance est en fait peut-tre

plus propre recouvrir qu dcouvrir. En prenant pour point de dpart le concept de souci,

Heidegger prtend ainsi jeter un regard sur le monde tel quil se donne avant quil ne soit

abord dans loptique de la connaissance.

Ces thmes exposs dans Sein und Zeit sont par trop connus pour que nous ayons

nous y arrter davantage. Il est cependant important de souligner que Heidegger reconnat que

le cadre de lanalytique existentiale npuise pas la problmatique du monde. Aprs avoir men

la discussion hermneutique de lontologie cartsienne du monde 21), Heidegger

souligne que cette critique de lontologie cartsienne fonde sur lide de la mondanit du

monde ne trouvera sa lgitimation quau moment o lhorizon de sa possible

comprhensibilit aura t assign au concept de ltre en gnral 2. Le problme du monde

dpend donc comme beaucoup dautres, doit-on reconnatre de laccomplissement de

lontologie fondamentale. Une fois la question dc ltre rsolue , le problme du monde

pourra trouver sa lgitimation complte cest en effet ce quindique le renvoi la section 3 de

Jt
la partie sur lequel se clt la discussion avec Descartes3.

2. Lhistoire du concept de monde

La seconde voie qua emprunte Heidegger afin de mettre en lumire le problme du

monde est une exposition des significations principales que le monde a portes dans le cours

C 1. GA 20, 222.
2.S.zZ.,100.
3. Ibid., 100-101.
169
de son histoire. Cest tout dabord dans le cours de lt 1928 que Heidegger prsen
te cc

portrait historique de la notion de monde , depuis Parmmde jusqu Kant. Il en prsen


te
une version quelque peu modifie dans lessai de 1929, Vom Wesen des Grztndes,
et une

troisime, avec un traitement beaucoup plus dvelopp du concept dc monde kantien, lhiver

1928/29. Cette histoire des diffrentes significations du concept de monde a pour but
de
montrer que le concept dtre-au-monde nest pas un concept invent par lauteur
de Sein

und Zei% mais bien une ide pressentie dans toute la tradition philosophique mais dont
une

mise en forme ontologique expresse fait dfaut. Le but de cette analyse


est donc

essentiellement de montrer quaux cts de la signification vuigaire du <(monde compr


is

comme naWse la somme de tout ce qui est la philosophie a depuis toujours reconnu une

szgnflcation cosmolgique et une szgnftcation existentielle au monde, voyant en lui un


moment

structurel de ltre propre de lhomme.

Ds lcs commencements dcisifs de la philosophie antique apparat quelque chose

dessentiel. Kjioc ne vise pas cet tant-ci ou cet tant-la, pressant et oppres
sant, ni tout

ltant pris ensemble, mais signifie 1 tat (Zustand), cest--dire la ?flanirt (Lf7e) avec laquelle

ltant et cela, dans son ensemble (im Ganen,) est . La signification du monde comme nature

nest donc pas celle qui aurait prdomin h naissance de la philosophie. Le monde
ne se

rfre pas ltant comme tel mais plutt la manire dtre de ltant dans son ensem
ble .

Sappuyant sur les travaux de Karl Reinhardt (Parmenides und die Geschichte der g.iechischen

Philosophie, Frankfurt a. M., 1916), Heidegger soutient que lexpression ((ce monde-ci

(K6jio o&w) ne vise jamais, chez les philosophes prsocratiques, une partie de ltant

oppose une autre, mais dsigne bien plutt une manire dtre de ltant, un monde de ltant

f. GA 26, 218-232.
2. VWG, 142-155 ; tr. 11f-130.
3. GA 27, 239-304.
4. VWG, 142; tr. 112.
7O
par opposition un autre monde de ce mme tant . Chez Parmnide, Hracite ou

Anaxagore, lexpression monde se rfre donc une modalit possible de ltant parmi de

nombreuses autres. Monde sert dcrire la faon dont ltant se donne un Dasein. Cest ce

que Heidegger appelle la signification cosmologique du monde2.

Mais le concept de monde peut aussi tre pris dans sa signification existentielle . Une

telle signification aurait fait son apparition chez Hracite au fragment 89: Pour les veills il

y a un monde un et commun ; mais parmi ceux qui dorment, chacun sen dtourne vers le sien

propre . Ici, Hracite souligne que le monde nest pas quune saisie de ltant qui se donne,

mais quil est aussi intimement li lexistence de lhomme et quil tmoigne du rapport de

lhomme ltant dans son ensemble. Bien que cette signification existentielle du monde soit

surtout accentue chez les penseurs chrtiens, Heidegger souhaite montrer que dj chez les

Grecs, le monde na de sens que relativement au Dasein4. Cest ainsi que Heidegger tente une

caractrisation du concept de monde des premiers penseurs grecs : 1. Monde signifie plutt

une manire dtre de ltant (ciii Wie des Seins des Seienden) que cet tant lui-mme. 2. Cette

manire dtermine ltant dans son ensembk (im Ganen). (...) 3. Cette manire dans son ensemble

est en quelque sorte prliminaire (voin,gtg). 4. Cette manire [qui dtermine] de faon

prliminaire [ltant] dans son ensemble est elle-mme retative au Dasein humain. Le monde

appartient donc au Dasein humain, bien quil embrasse dans une totalit le Dasein et tout

tant . Mais bien que ces lments constitutifs du monde aient t pressentis dans

lAntiquit, le phnomne du monde naurait jamais t labor en problme ontologique

comme tel6.

1. Ibid
2. Ibid., 147; tr. 118.
3. Fragment LXXXJX de ldition Diels (Fragmente der Vorsokratiker) ; tr. Jean_Pierre Dumont (d.), Les .vles
prsotratiqaes, Paris, Gallimard, 1988, 86.
4. Dans son cours de lhiver 1928/29, Heidegger fait mme rfrence des recherches rcentes qui montrent
que le concept existentiel de monde nest pas spcifiquement notestamentaire, johannique ou hellnistique,
mais remonte beaucoup plus loin jusquaux cercles de la culture manichenne et mandenne (GA 27, 243).
5. lIVG, 113; tr. 113.
6. GA 26, 221.
171
Pour montrer la pertinence de cette division du concept de monde en concepts

cosmologique et existentiel, Keidegger parcourt lhistoire du terme jusqu Kant et rend

manifeste la prsence de cette dualit dans lhistoire de la philosophie. Cest dans le Nouveau

Testament que Heidegger trouve la premire caractrisation du concept existentiel, Monde

devient alors le titre dun mode de lexistence humaine, celui dans lequel lhomme se dtourne

de Dieu. Cest ainsi que dans la Premire 1putre aux Corinthiens, Paul parle du monde non pas

seulement pour voquer un tat propre ltant, mais surtout pour parler de ltat et de la

situation de ltre humain par rapport ltant et les biens du monde. Cest ainsi que

lexpression la sagesse du monde (f ofpi uo K6Io1)) sert dsigner la prtendue

sagesse de celui qui se dtourne de Dieu.

Cette accentuation du concept existentiel sera reflte dans les penses dAugustin et dc

Thomas. Pour Augustm, monde (mundus) sert dsigner tout dabord lensemble de ltant

compris comme eus creatum. Mais il dsigne aussi et surtout la faon dont certains habitent corde

in mundo, cest--dire avec le coeur dans 1e monde plutt quavec Dieu. Monde qualifie alors

ceux qui aiment le monde et qui y vivent avec le coeur et non seulement avec le corps. Aux

cts de sa signification cosmologique, Augustin reconnat donc 1m aussi lexistence dun

concept existentiel de monde. La mme chose peut tre dite de Thomas pour qui mundus

signifie universiun (concept cosmologique), mais aussi saecutum (concept existentiel) quand il est

oppos au mundus spintuatis.

Aprs Augusliri et Thomas, le concept existentiel perd de sa force dans la

mtaphysique moderne au profit du concept de nature. Chez Baumgarten et Crusius, par

exemple, le monde comme thme de la cosmoto,gia rationatis est rduit la somme de lens creatum

sans que ne soit soulign son lien essentiel avec lhomme. Il faudra attendre Kant pour que

rapparaisse h signification existentielle du monde. Mais cette rapparition ne constitue pas

C une simple rappropriation du concept chrtien de monde. Pour Kant, monde signifie tout
172

dabord comme chez Baumgarten 6 totalit des choses finies . Cette finitude des choses

nest cependant plus pense comme consquence du fait quelles ont t cres (ens creatum),

mais bien plutt partir du fait quelle sont lobjet possibk dtne connaissance finie. Cest dsormais

la connaissance finie de lhomme intuitus denvativus qui stablit comme source de la finitude

des choses du monde. Par ce biais, le concept existentiel de monde fait donc sa rapparition

dans la mtaphysique. Insistant nouveau sur lintime connexion qui unit ce problme

lessence de h mtaphysique, Heidegger soutient que dans la mesure o la Critique de ta raison

pun de Kant prsente une fondation de la mtaphysique dans son ensemble, le problme du

concept de monde doit donc ncessairement prendre une forme nouvelle qui concorde avec

cette transformation de lide de la mtaphysique . Cest dailleurs cette transformation de la

problmatique qui octroie Kant une place part dans cette histoire du monde

Ces quelques indications sur lhistoire du concept nous permettent dapercevoir que

Heidegger nest pas le seul avoir pens le monde dans sa relation essentielle avec lhomme.

Depuis Hracite, mais surtout depuis Augustin, le monde et lhomme sont troitement lis

tel point que lun ne peut tre pens sans lautre2. Cest dans cette voie que sengage lanalyse

existentiale lorsquelle pense le Dasein humain comme tre-au-monde et le monde comme cc

dans quoi (worin) un Dasein factuel vit en tant que tel Bien quelle ait pressenti ces

diffrentes significations du monde, la tradition philosophique ne les a cependant pas penses

correctement ni saisies ontologiquement dans leur unit. Cet usage du concept de monde est

les indications historiques qui prcdent ont d le montrer si peu arbitraire, que nous

cherchons par i lever h hauteur dun pro btrne prcis et nettement formul, un phnomne

1. VWG, 147 ; ix. 118.


2. Notons que linfluence dAugustin sur llaboration du concept heideggnen de monde est sans doute plus
importante que ne le bisse apercevoir cette rfrence un concept existentieL Il semble en effet que ce soit dans
un dialogue avec les Confrssions dAugustin (et principalement des phnomnes de tentatio et de curari) que
Heidegger ait tabli cette ide dune tripartition du monde (Umiveit, Mitwett, Selbstwe/t). Ces termes font leur
apparition dans le cours de lt 1921, A.u,gustinus und derNeup/atonismus (GA 60, 205-237).
3. S. u. Z., 65.
173
du Dasein qui, pour tre couramment bien connu dj, nest pas encore par l mme

ontologiquement saisi dans son unit

3. Lexamen comparatif avec la pierre et tanimai

Le dernier chemin que nous souhaitons voquer avant de passer lanalyse du

concept transcendantal du monde est lexamen comparatif que Heidegger dploie lhiver

1929/30 en formulant trois thses portant sur le monde. Dans ces analyses, il prtend laborer

le problme mtaphjisique du monde en comparant ce quest le monde pour le Dasein, pour

lanimal et pour La pierre. Notre objectif nest pas ici de fournir une analyse complte de ce

cours, mais plutt de souligner que Heidegger cherche penser les liens que nous avons

voqus entre les problmes du monde et de ltre.

Les trois thses directrices que Heidegger examine dans ce cours sont les suivantes t

1. la pierre (ce qui est matriel) est sans monde fuettios,) ; 2. lanimal est pauvre en monde frettarm)

3. lhomme est conJguratettr de monde fivettbitdend) >2. Cet examen comparatif a pour but de mettre

en relief les diffrentes faons qua ltant de se rapporter au monde. Il ne sagit donc pas

damliorer ou de prciser une description dj existante du monde, mais bien plutt de faire

ressortir laspect problmatique du concept de monde, de montrer en quoi le monde est le

thme possible dun problme fondamental de la 1nraplysique .

Lanalyse, qui commence par une comparaison de la pauvret en monde et de labsence

de monde, montre tout dabord que cest laccessibilit ltant qui diffrencie le monde de la

pierre de celui de lanimal. Dans la mesure o lanimal nest pas absolument priv de monde,

C 1. VIYG, 156 ; . 131.


2. GA 29/30, 263 ; tr. 267.
I Ibid., 264; tr. 267.
174

mais simplement pauvre en monde il a du monde cctte diffrence donne une premire

indication dc lessence du monde compris en son sens cosmologique: le monde est ttant

2
chaque fois accessible Le rapport de lanimal au monde est cependant nettement plus

pauvre que celui qui unit lhomme son monde. Si lanimal a accs de ltant, cest

toujours sur le mode de laccaparement (Benoinmenheit) de lanimal par le monde. Lanimal a accs

de ltant mais na jamais la possibilit de saisir celui-ci comme un tant. Ltre de ltant 1m est

refus et cest en cela quon le dit pauvre en monde . Lhomme, quant lui, est capable

dprouver ltant et de le voir se manifester en tant qutant3. Cest ainsi que le monde du

Dasein reoit une dfinition plus prcise qui permet de comprendre la pauvret en monde de

lanimal: le monde de lhomme se dfinit comme laccessibilit de ltant comme tel . Ainsi,

le concept de monde propre au Dasein comprend non seulement la manifestation de ltant,

mais aussi et surtout la capacit daborder cet tant comme tant, comme quelque chose qui est, de le

saisir en ce qui fait de lui un tant: son tre.

Ainsi, cette analyse comparative du monde de lanimal et du monde dc lhomme

nindique que bien peu de choses sur lessence du monde et absolument rien du fondement

de sa possibilit . Afin dentrer plus fond dans le problme du monde, cest la configuration

de monde qui doit devenir le thme de lanalyse. Mais dj, nous avons vu apparatre quelque

chose dessentiel quant la possibilit dlaborer les questions concernant le monde. Le monde

du Dasein ayant t dfini comme <c la manifestet de ltant en tant qutant , nous apercevons

le lien troit qui unit ce concept au problme de ltre (de ltant en tant qutant, et par

consquent, la comprhension de ltre qui caractrise le Dusein. Dans la mesure o le monde

du Dasein est troitement h la comprhension quil a de ltre, il semble que nous obtenions

1. Ibid., 293 ; t. 295.


2. Ibid., 290 ; t. 293.
3. Ibid., 390; t. 390.
4. Ibid., 391 ; t. 391.
5. Ibid., 395 ; t. 395.
175
ici un indice prcieux pour comprendre lide selon laquelle te pivhlme de ttre se debtoie

ncessairement en problme du inonde.

Laccaparement qui constitue la faon qua lanimal dtre en rapport avec ltant du

monde ferme tout accs ltant en tant qutant, cest--dire ltre de ltant. De son ct,

lhomme se dfinit par un comportement (Verhatten) envers le monde. Dans la discussion qui

suit, nous souhaitons aborder le problme transcendantal du monde , cest--dire la

caractrisation du monde tabhe dans le cadre de la mtaphysique du Dasein partir du

mouvement de transcendance qui caractrise le Dasein.

o
176

Chapitre W

Le monde comme concept transcendantal

Immdiatement aprs la publication de Sein und Zeit, la pense heideggrienne dfmit

soudainement la constitution du Dasein partir dun concept nouveau, celui de la transcendance.

Si Sein und Zeit employait dj sa faon un vocabulaire transcendantal en voquant lhorizon

transcendantal de la question de ltre, mais aussi en dfruissant ltre comme le transcenaens par

excellence et la vrit phnomnologique comme la veritas transcendentatis, ce nest qu partir

des Grztndptvbkme der Phiinomenotogie de lt 1927 que cette expression de la transcendance du

Dasein va servir la caractrisation des phnomnes propres au Dasein. Or, ce concept de

transcendance dont Heidegger va se rclamer dsormais prtend faire sienne une acception

plus originaire de la transcendance. Son emploi des concepts de transcendance , de

transcendant et de transcendantal constitue en effet une critique de la philosophie

transcendantak dont se rclamait la phnomnologie husserlienne et encore, dans une certaine

mesure, Sein tmd Zeit. Pense partir du dpassement de ltant vers ltre quaccomplit

continuellement le Dasein dans son rapport ltant, la transcendance ne sert plus qualifier ce

qui dpasserait lhomme (le monde, ltre, Dieu) mais bien un dpassement propre lhomme

lai-mme.

Le recours ce concept de transcendance du Dasein est lune des caractristiques

fondamentales de ce projet quest la mtaphysique du Dasein. Or, ce terme de transcendance

est sans doute lun des plus vieux mots de la mtaphysique et surtout, un mot qui a une

tradition des plus lourdes porter. Pourquoi Heidegger y recourt-il? Mme sil prtend quun

tel recours au concept de transcendance ne doit rien son acception traditionnelle, il nous faut

tout de mme interroger le rapport quentretient ce concept avec la tradition qui le prcde.
177

Le terme provient de la philosophie mdivale, de la thorie des transcendantaux de

Thomas dAquin, et dsigne les dterminations les plus gnrales de ltre de ltant. A chaque

tant, il appartient entre autres dtre (eus), davoir une essence Ces), dtre indivisible (unum),

etc. Retenons principalement que ces caractristiques propres i ltre de ltant sont dduites,

cest-a-dire quelles dcoulent (consequens) dc notre saisie de ltant et ne sont donc pas encore

penses comme les conditions de possibilit dc notre rapport ltant. Cest trs certainement

cet aspect qui diffrenne essentiellement lusage que fait Thomas dAquin du terme

t< transcendantal de lusage quen feront Kant et Heidegger pour qui la connaissance

transcendantale vise, respectivement, la connaissance a priori et la comprhension

prontologique de ltre de ltant2.

La remarque dordre terminologique qui ouvre la seconde partie de lessai Vom

Wesen des Gnmdes (f< La transcendance comme cadre de la question sur lessence du

fondement ) a pour but de distinguer le concept traditionnel de celui dont Heidegger va se

rclamer: Transcendance signifie dpassement (CJberstieg). Est transcendant (transendent),

cest-t-dire transcende (transendierend), ce qui effectue le dpassement, ce qui sy maintient

habituellement. En tant quvnement, le dpassement est le propre dun tant. Si on le saisit

dun point de vue formel, ce dpassement apparat comme une relation qui stend de

1. Voir, ce sujet, SeC, 116-117; tr. 179.


2. Il semble cependant que lide heideggrienne de h comprhension de ltre ait trouv dans le concept dens
de Thomas dAqurn une certaine source dinspiration. Rappelons pour mmoire la citation clairante de la Summa
theo/o,gica que Heidegger insre dans lmtroduction de Sent rend Zeit: e Illud quod primo cadit sub apprehensiones
est ens, cujus intellectus includitur in omnibus, quaecumque quis apprehendit (Summa theok,gica, Ia-IIae, q. 94 a;
ta. ce qui est saisi en premier lieu, cest ltre, dont la notion est incluse dans tout ce que lon conoit ) que
Heidegger traduit sans cependant modifier le sens et la porte de h citation ainsi : Ein Verstndnis des Seins

ist schon mit inbegnffen in allem, was einer am Seienden erfafit. (S. u. z., 3 ; tr. une comprhension de ltre
est toujours dj incluse dans tout ce que lon saisit de ltant >). Ce transcendantal quest lens prsente donc une
certaine familiarit avec ltre que comprend le Dasein. Ce qui cependant loigne les deux concepts, cest que lens
ne constitue quun transcendantal parmi dautres alors que ltre est, chez Heidegger, le transcendens par
excellence: e Etre et structure dtre excdent tout tant et toute dterminit tante possible dun tant. Ltre est
k transcendcns par excellence (schkchthin) (S. Z., 38). Heidegger ajoute dans une note de son exemplaire de Sein
iatd Zeit que ce terme transcendens ne doit pas tre ici entendu au sens scolastique et grco-platonicien dc
wotvv , mais bien en un sens qui renvoie lekstase du Darein, sa temporalit (Zeit/ichkeit) et celle de ltre
(Ternporalitdt} (IbidL, Aiim. a).
178

quelque chose vers quelque chose. En ce sens, fait essentiellement partie du dpassement

cela vers quoi seffectue le dpassement, ce que lon a lhabitude dc dsigner tort comme le

transcendant das Trunsendente2 .


Nous retrouvons donc ici deux sens du mot

transcendant que lallemand distingue plus facilement que le franais : ce vers quoi le

dpassement seffectue, ce qui est au-del, qui est transcendant, dus Transendente (qui

correspond lacception traditionnelle du tenne comme ce qui se dent au-dessus ) et celui

qui transcende, celui qui effectue le dpassement, dus Transr,endierende. Cest ce second sens qui

va intresser Heidegger dans la mesure o le I)asein ne se tient pas au-del de ltant, mais quil

ne peut sy rapporter que sil en comprend ltre que sil dpasse ltant en souvrant son tre,

que sil est transcendens.

Lusage philosophique traditionnel du terme transcendant correspond

habituellement ce premier sens : ce qui se dent au-del des choses normales, immanentes. Or,

bien qu immanent puisse vouloir indiquer la mme chose que sensible (par opposition

intelligible ), il signifie plus gnralement, dans ce que lon appelle la philosophie

transcendantale , lintrieur de la conscience . Le concept de transccndance caractrise

ainsi les objets par opposition un sujet, le monde par opposition une conscience. Ce

concept pistmolqgique de transcendance2 est dailleurs celui quemploie Husserl. Dans la

premire de ses Mditations cartsiennes de 1929, Kusserl dfinit le moi rsultant de lnoti

comme le moi transcendantal et phnomnologique, domaine de lepiieitce interne

transcendantale et ptinomnolqgiqtte . Le sens et la valeur existentielle du monde objectif ne

pouvant tre puiss quen moi-mme, le monde sera qualifi de transcendant ce qui se tient au

1. LIVG, 137; tr. 104. on en retrouve une bauche dans le cours de Lt 192$: Ainsi, transcendance signifie:
le dpassement, le dpasser, et le transcendant signifie cela vers quoi le dpassement est effectu, cela qui exige un
tel dpassement pour tre rendu accessible et saisissable, Lau-del, loppos; finalement, cela qui effictue la
transcendance (das Transendierend): ce qui accomplit le dpassement. La signification du mot englobe donc les sens
suivants: 1. une activit au sens le plus large du terme, un faire ; 2. au sens formel, une relation : le passage vers...,
partir de... ; et 3. quelque chose qui est alors dpass, une limite, une restriction, un gouffre, quelque chose qui
se tient au milieu (GA 26, 204).
2. Wir nennen diesen Transzendenzbegtiff daher den erkenntnistheoretischen (GA 26 206).
3. Edmund Hussed, Cartesianische Aleditationen, 65; tr. 54.
179
del de limmanence de la conscience, celle-ci tant comprise comme ce moi transcendantal qui

est tout sauf une partie du monde.

Il semble que ce soit cette acception du concept expose ds 1913 dans les fdeen u

einer reinen Phdnomeno/o,gie ttndphanomenottgzschen Philosophie que zise Heidegger dans la dfinition

du concept eistmoto<gique de transcendance. Trs tt, Heidegger sest lev contre lhritage

cartsien latent dans la phnomnologie de Hussed1. Cette ide dune transcendance qui

tablisse la scission entre un dedans (la conscience, limmanence des vcus) et un dehors (le

monde, la transcendance objective) et dont Heidegger fait ici la critique vise toute

philosophie transcendantale incluant la phnomnologie husserhenne2.

Aux cts de ce concept pistmologique, Heidegger voque aussi un concept

tholqgique de la transcendance. Ici, la transcendance nest plus oppose limmanence, mas bien

la contingence. Selon cette acception, la transcendance caractrise un dpassement par-del le

monde , vers un inconditionn conu comme condition de possibilit du monde contingent.

La relation de transcendance ne stablit plus entre le sujet et lobjet, mais bien entre ltant

conditionn en gnral auquel appartient la fois sujet et objet et linconditionn3. Ce sens

traditionnel de la transcendance qui est le sens que donne, par exemple, la pense chrtienne

son Dieu est dailleurs celui auquel Karl Jaspers faisait rfrence dans son ouvragr

Philosophie (Berlin, 1932).

Le concept proprement heideggrien de la transcendance prtend prendre ses distances

avec les concepts pistmologique et thologique. Malgr cette volont doriginalit, on ne

manquera pas de reconnatre que Heidegger se rapproche dune certaine acception

1. Une critique en rgle est mene lhiver 1923/24 dans lEzifehning in die phno;nenoiogische forschung (GA 17).
2. Voir, ce sujet, Anon L. Keikel, Immanence de ta conscience intentionnelle et transcendance du Da.eei s,
dans Franco Volpi (d.), Heidgger et lide de lap/;nomeiogte, La Raye, Martinus Nijhoff 1988, 165-166.
3. GA 26, 206.
4. Jaspers y distingue trois spheres dexistences concretes: le monde, le moi et la transcendance quil identifie a
ltre qui est au-del de la connaissance, du moi et du monde.
180

traditionnelle de la transcendance, celle de Kant Dans la philosophie critique, ce terme

dorigine scolastique est employ pour qualifier la dmarche suivie dans la C;itique de ta raison

pure, cest- dire la mthode transcendantale . Or, suivant cri cela lorientation de la

philosophie moderne sur la ,bnon, Kant appelle transcendantal non pas quelque chose qui

dcoulerait dc notre saisie de ltant (cousequens], mais bien quelque chose qui lanticipe

(antecedens), quelque chose dantrieur toute perception de ltant, une dtermination ap?ion1.

Le transcendantal nest donc plus une caractristique gnrale de ltant peipi, mais bien une

proprit de h perception de ltant qui en constitue la condition de possibilit. cette fin, Kant

qualifie de transcendantale toute connaissance qui soccupe en gnral non pas tant dobjets que

de notre mode de connaissance des objets en tant quil doit tre possible aprioti (KrV, B 25).

La philosophie transcendantale kantienne ne sintresse pas tout dabord aux objets de la

philosophie, mais bien notre mode de connaissance aplion de ces objets. Cette recherche des

conditions a pi-ion de la possibilit des objets est dite transcendsmtale et non transcendante. Kant

rserve en effet le terme transcendant au sens de ce qui survole (iiberfiitgend cette

prtendue connaissance qui se situe au-del des limites de lexprience humaine et dont la

mtaphysique dogmatique aurait fait la promotion. Cette mtaphysique est transcendante en

ce quelle remonte en de des objets de lexprience en direction dautres objets, inaccessibles

lexprience. La philosophie critique kantienne est transcendantak en ce quelle slve au-del

des objets en direction de leur objectivit ou de leur ralit3. Malgr ce titre de transcendantale,

la mthode kantienne demeure donc rive au domaine de lexprience possible et est pour

autant une mthode immanente. Si ce dpassement de lobjet de lexprience vers son objectivit

ce saut de lexprience possible vers la possibilit de lexprience peut intresser Heidegger,

cest quil anticipe sur cet autre dpassement, celui de ltant vers ltre, qui caractrise la

C 1.SvG, 117;Ir. 179.


2. GA 27, 207.
3. SC, 115-116 ; tr. 177-f78.
181
transcendance du Dasein. Cest donc en un sens trs proche de son acception kantienne que

Heideggcr emploiera le terme de transcendance

Dans louvrage Kant und dos Probtem der Metap4ysik ainsi que dans la Phdnomenotoische

fnteipretation von Kants K,itik der reinen Vertzunft prsente t lhiver 1927/28, Keidegger tente

dailleurs explicitement de tracer des parallles entre le concept de transcendance de la

mtaphysique du Dasein et celui de la logique transcendantale kantienne. Pensant une

quivalence entre les connaissances synthtiques a pnori chez Kant et la comprhension

anticipante et prontologique de ltre dans lontologie fondamentale, Heidegger aurait pu

alors paraphraser Kant et appeler transcendantale toute connaissance qui soccupe en gnral

non pas tant des tants que de la comprhension de ltre des tants en tant quelle doit tre

possible a priori 2. Ces travaux sur Kant manifestent clairement do Heidegger tient son

concept de transcendance. Nanmoins, nous devons souligner que ce que Heidegger reconnat

ici con-irrie une avance de la pense kantienne vers cette comprhension de ltre originaire qui

rend possible toute ontologie a nanmoins t frein par une srie de prsuppositions propres

la philosophie moderne et post-cartsiennc3. Dune certaine faon, Heidegger souhaite

radicaliser llan kantien en poussant la rflexion sur la transcendance un niveau que na su

apercevoir Kant et en poussant lontologie de la nature kantienne vers une ontologie

fondamentale4.

I. Voir, ce sujet, Ingtraud Grland, Tra1tsendn und Setbst. Einc Phare in Heideggers Denken, Frankfuit a. M.,
Klostermann, 1981, 15.
2. Les parallles sont nanmoins trs clairement tracs: Les connaissances synthtiques a priori sont les
connaissances qui se trouvent toulours dj et certes ncessairement au fondement de tout connatre de

ltant, cest--chie de lexprience de ltant, de la connaissance empinque, en tant que fondement qui rend
possible lexprience de ltant. Dans toute connaissance de ltant, de lonrique, il y a dj une certaine
connaissance de sa constitution dtre, il y a une comprhension dtre prontologique (GA 25, 81). Voir aussi
51-56, 193-194 et 219, ainsi que KPM, 42-43 ; tr. 102.
3. face ce concept traditionnel (kantien) de transcendance, il nous faut noter ceci: 1. il nest pas original,
mais repose sur une dtermination antrieure et non lucide, celle du sujet ; 2. ce concept se maintient en plus
dans ltroitesse que constitue le fait de se [ter la connaissance, comprise comme connaissance thorique,
comme recherche scientifique (GA 27, 208).
4. GA 26, 218-219.
182

Comme nous lavons dit, cest partir des Gnrndprobterne der Phdnomenoogie de lt 1927

que stait impose la transcendance comme trait caractristique et fondamental du Dasein. Le

concept prtend permettre une remonte vers les conditions de possibilit de ce que Husserl

appelait 1 <dntendonnalit . vIais dj dans le cours du semestre dt 1925, Heidegger avait

soutenu que lintentionnalit tait un phnomne driv qui devait tre reconduit un

phnomne plus originaire. Or, ctait alors le souci phnomne caractris comme un tre-

au-devant-de-soi (Sich-vonvg-sein) et un tre-dj-auprs (Schon-sein-bei) qui remplissait

cette fonction. Deux ans plus tard, cest la transcendance caractrise comme tre-au-dela de

ltant (Hinaussein liber das Seiende) 2 que Heidegger situe au fondement de lintentionnalit en

soutenant que la trouvaille de Brentano ne concerne en fin de compte que la relation ontique

du Dasein ltant relation fonde dans une transcendance ontologique .

Cette transcendance originaire (Urtransr.yndenzj4 consiste non pas en un se-diriger-

vers ltant (intentionnalit, transcendance ontique ), mais bien plutt en un dpassement de

ltant vers son tre que Heidegger ne conoit pas comme une caractristiqtte du Dasein, cest--

dire comme un (<tat de chose , mais bien comme un acte originaire , comme lUrhandtuig

des Daseins5. La transcendance nest donc ni la proprit de quelque tant suprieur, ni une

caractristique de lobjet (par opposition limmanence du sujet), mais bien une sorte dactivit

continuelle propre au Dasein et qui se tient au fondement de tout rapport ltant. Si ce

phnomne acquiert une importance telle, cest que Heidegger le conoit comme la

constitution fondamentale de tout comportement possible du Dasein6. Tous les phnomnes

1. GA 20, 406 sq. Voir ce sujet Jean Greisch, OIztolqgie et temporalit, 455. Notons que cette tension interne au
Dasein et caractrisdque du souci annonce lide de projet jet que Heidegger dploiera dans Sein und Zei Nous
verrons plus loin limportance qua cette ide pour ce qui est de lessence mtaphysique du Dasein (voir i.fra,
De lessence du fondement ).
2. W?J?, 115 ; tr. 62/53.
3. GA 25, 334.
4. GA 26, 170 et 194.
5. GA 27, 214. Au sujet de cet acte originaire du philosopher, voir Jean Greiscli, Der philosophischc
Umbruch in denJahren 1928-32, 117.
6. La transcendance nest pas un comportement quelconque et possible du Dasein (parmi dautres
comportements possibles) envers dautres tants, mais bien la constitution de base de son tre, en verni de
f83

qui jusqualors servaient de conditions de possibilit pour la rencontre de ltant ltre-au

monde, la comprhension de ltre, la vrit, la diffrence ontologique se trouvent unifis en

un phnomne unique, la transcendance, qui leur sert t tous de fondement1. La rencontre de

ltant dans le monde dpend essentiellement de ce que le Dasein ait pralablement dpass

ltant vis-t-vis duquel il se comporte. Pour que ltant fasse encontre dans le monde, il faut

que le Dasein puisse se rapporter aux structures fondamentales de ltant, tant pour ce qui est

de ltant qui nest pas i la mesure du Dasein, que pour ltant qui est Dasein, le mien ainsi que

celui des autres.

Le problme de la transcendance du Dasein tait timidement apparu au 69 dc Sein

und Zei% dans la section consacre ce que Heidegger appelait alors la transcendance du

monde 2. lintrieur de cette section surgit la question suivante: Quest-ce qui rend

ontologiquement possible que ltant puisse faire encontre lintrieur du monde et tre

objectiv en tant que tel? La rponse que donnait Heidegger cette question anticipait sur

les dveloppements de la mtaphysique du Dasein: (<Pour que devienne possible la

thmatisation dc ltant l-prsent, le projet scientifique de la nature, k Dasein doit ncessairement

transcender ltant thmatis. La transcendance ne consiste pas dans lobjectivation, cest celle-ci

qui prsuppose celle-la. Mais si la thmarisation de ltant l-prsent intramondain constitue un

revirement (Umschta,g) de la proccupation circonspectivement dcouvrante [i.e. le souci pour

ltant -porte-de-la-main], alors il faut quune transcendance du Dasein se trouve dj au

laquelle il peut tout dabord se comporter envers ltant (GA 26, 211). Ce rapport ltant ne doit cependant pas
tre limit au rapport thorique: La transcendance prcde tout mode possible dactivit en gnral, toute
vipt mais aussi toute prt (ibii, 236). Voir aussi dans Vom U7esen des Grundes : La transcendance (...)
dsigne quelque chose appartenant en propre au Dasein humain et ce, non pas comme un mode de comportement
possible parmi dautres et parfois ralis, mais bien comme ki constitutionfondamentale et antrieure tout comportement

de cet tant (VIVG, 137; 1x.104).


1. Cest en effet ce qui est affirm dans IEin/eitung in die Philosophie de lhiver 1928/29 de ltre-au-monde et de
la comprhension de ltre (GA 27, 307), de la vrit (ibitL, 209), de la diffrence ontologique (ibid., 210).
2. Pom ce qui est de la prsence du phnomne de la transcendance dans Sein tard Zei% voir Ingtraud Gorland,
Transenden und Selbst, 40 et 92.
3. S. u. z., 366.
184

fondement de ltre pratique auprs de ltant -porte-de-la-main .


Bien que Sein und Zeit

parle plus gnralement du souci pour voquer les rapports du Dasein ltant, on voit que

cette ide dune transcendance du Dasein si fondamentale dans les annes qui ont suivi

apparat dj ici.

Ailleurs dans Sein und Zeit, le vocabulaire de la transcendance revient plusieurs reprises

pour voquer, par exemple, in transcendance du monde ( 69) et de itre ( 7) ou pour

qualifier 1honon que constitue lexplication du temps pour la question de ltre (titre de la

premire partie partiellement publie de Sein und Zeit) et luniversalit du phnomne du souci

( 42). Ce nest donc pas un terme que Heidegger rfttse demployer, mme sil apparat comme

la transposition dans le langage transcendantal de la pense de lontologie fondamentale.

Mais ds Sein und Zeit et principalement au 69, rien ne fait obstacle ce que cette pense de

lontologie fondamentale se prsente sous les auspices de la transcendance. Cest dailleurs ainsi

que llve Gadamer a interprt Sein und Zeit: comme une rinterprtation transcendantale

des intuitions de base des cours donns sous lgide de lhermneutique de la facticit, comme

une sorte de rechute dans la pense husserlienne ou kantienne2.

Cest dans le cours du semestre dt 1927 que Heidegger a expos lide selon laquelle

ltre du Dasein doit tre compris comme transcendance. Cest en abordant ies conditions de

possibilit dc la diffrence ontologique que Heidegger voque tout dabord la transcendance:

Par la diffrenciation de ltre par rapport ltant, crit-il, nous sortons en effet, de manire

principielle, du domaine de ltant. Nous allons au-del, nous le transcendons . Dans la

mesure o la philosophie a pour thme ltre et dans la mesure o celui-ci ne peut tre atteint

que dans une diffrenciation davec ce qui est, davec ltant, la transcendance du Dasein signifie

non seulement la sortie hors du domaine de ltant , mais aussi lentre dans le champ de la

1. Ibid, 363-364.
2. Voir, entre autres, Neuerv Philosophie I, CLV 3, 309, 326 ; tr. fr. 189, 210, ainsi que Erinnerungen an
Heideggers An6inge , Di/thy-Jahrbuch, 1986-1987/4, 16.
3. GA 24, 23.
185
problmatique philosophique . Cette science de ltre ou ontologie fondamentale que

Heidegger souhaite alors dployer peut donc tre appele science transcendantale .

Llaboration du concept de transcendance prsente dans ces Gnindprobterne der Phdnorneno/ogie1

montre clairement quil nest pas ici question de la reprise de la phnomnologie

transcendantale de Husseri, mais bien de sa critique.

Ce qui se prsente tout dabord cointrie une critique de la comprhension superficielle

du phnomne de lintentionnaht va ainsi se transformer, it partir de 1928, en cet lment

central de la pense heideggnenne. Fondement de h comprhension de ltre, de ltre-au-

monde, mais aussi de ltre-jet, la transcendance deviendra alors le phnomne premier qui

permet dexpliquer que de ltant fasse encontre et quun monde puisse se constituer. La

transcendance ne caractrise donc pas seulement laspect configurateur du Dasein. Le fait que

celui-ci se tienne depuis toujours dans un monde, quil y soitjet4 constitue aussi te nerf de cette

ide de h transcendance.

Si nous retournons la remarque dordre terminologique qui ouvre la seconde

section de lessai l7om Weseiz des Grundes, nous pouvons caractriser le phnomne de h

transcendance du Dasein suivant les trois angles propres au dpassement (ce qui accomplit le

dpassement, ce vers quoi est orient le dpassement, ce qui est dpass dans le dpassement)2.

Ce qui est dpass, cest prcisment et uniquement ltant lui-mme, et en fait tout tant qui

peut se trouver dvoil au Dasein ou le devenir . Ce qui est transcend dans le dpassement,

cest donc tout tant qui se manifeste au Dasein et ce qui, dans ce mme mouvement de

dpassement, hwzscende, cest le Dasein lui-mme. Mais comment faut-il dterminer le ce-vers-

quoi (das Woratf/hin,) du dpassement? <(Nous nominons cela vers quoi le Dasein comme tel

1. Tbii, 41 8-429.
2. V1G, 137 sq ; tr. 104 sq.
3. IbitL, 139 ; tr. 106.
186
transcende le monde et dterminons pour linstant la transcendance
comme tre-ait-monde. Le

monde participe llaboration de la structure unitaire de la transce


ndance; en tant quil
appartient la transcendance, le concept dc monde est appet concept
trunscendantat.

Cest ainsi quapparat ce que nous cherchons ici lucider: le concep


t transcendantal
de monde. Si ce concept est dit transcendantal, cest quil se prsen
te comme un lment
constitutif de la structure ontologique ou mtaphysique du Dasein
qui transcende. Comme nous

lavons vu en parcourant lhistoire du concept de monde, Keideg


ger conoit ce concept selon

deux optiques distinctes dont la juxtaposition naurait jamais


t pense avant lui en son

essence. Le concept de monde est donc la fois cosmologique (il est


ltant dans son ensembk) et

existentiel (il dsigne le rapport quentretient le Dasein avec ltant


). Ce que la signification de

icajio, mundus, monde, prsente de mtaphysiquement essentiel, cest


quelle tend
linterprtation du Dasein dans son rapport ttant dans son ensemble 2.
Le monde nest donc
pas seulement un titre pour ltant dans son ensemble, mais pour celui-c
i en tant quil est
rapport au Dasein. Le concept transcendantal de monde, est donc ce
concept de monde qui
merge de la saisie de ltre du Dasein comme transcendance et qui
tablit lunion des deux

significations du concept. Le concept unitaire de monde doit tre


mis cn lumire selon deux

angles: comme manire (Wie) dtre de ltant dans son ensemble et


comme rapport du Dastin

ltant au sein duquel il se trouve.

Le Dasein existe de telle sorte que ltant lui est toujours ouvert dans
son ensemble.
Avant mme que le concept de monde ne puisse surgir, ltant dans
son ensemble est dj

manifeste au Dasein. Le Dasein possde ainsi, avant toute tentative dexaminer et de procder

des stratifications du monde, une comprhension tacite de la totalit que


constitue le monde.
Or, linstar de la comprhension prontologique dc ltre, la compr
hension pralable de h

totalit quest le monde rend possible que le monde se manifeste


au Dasein et quun rapport
C 1.IbL,139;tr. 107.
2. Ibid., 155-156; tr. 131.
187
entre les deux stablisse. Le comprendre chaque fois anticipant et embrassant de cet

ensemble et qui se prsente comme condition de possibilit de la manifestation dun monde,

Heidegger le caractrise comme un dpassement vers te monde.

Le monde coimiae ensemble ne doit pas tre abord comme la somme des tants

pouvant tre tablie a posteriori, mais bien comme ce do le Dasein se donne comprendre envers

quel tant il peut se comporter et de quelle faon il le peut , ou encore comme la totalit

originaire de ce que, en tant que libre, le Dasein se donne comprendre . Heidegger soudent

donc que le monde nest pas la somme de ltant effectif rencontr dans le monde , mais

bien plutt lensemble des diffrents rapports que le Dasein peut entretenir avec ltant. Le

concept transcendantal de monde constitue lannonce, pour ainsi dire, des rapports possibles que

le Dasein peut entretenir avec ltant l-prsent, avec les autres Dasein et avec lui-mme. Cest

ainsi que cette pr-comprhension de lessence du monde, en prfigurant tous les rapports avec

ltant, donne aussi au Dasein le modle pour le rapport soi-mme. Cest en projetant h

structure du monde que le Dasein dcouvre ltant quil est lui-mme et que se constitue son

ipsit. Cest dire quavant mme de pouvoir exister en vue de lui-mme (umwillen semer), le

Dasein existe en vue du monde. tipsit appartient le inonde ; celui-ci est essentiellement h

au Dasein . Le lien entre te monde et le Dasein est tel que le Dasein ne peut se rapporter soi-

mme sans tout dabord se rapporter au monde.

Cette dfinition du monde comme concept transcendantal rend manifeste ce que lon

appellera la tnjatiition du monde et qui correspond parfaitement la tripartition de la

transcendance du Dasein. Dans la mesure o lon dfinit le monde comme lensemble des

rapports que le Dasein peut entretenir avec ltant, on peut classer ces rapports selon trois

1. Das je vorgreifend-umgreifende Versiehen dieser Ganzheit aber ist berstieg zur Welt (ibii, 156 ; u.
132).
2. Respectivement, Welt ais Ganzheit ist kein Seiendes, sondem das, aus dem her d2s Dasem
sich zu
beckuten gibt, zu welchem Seienden und wie es sich dazu verhaiten kann (VWG, 157 tr. 132) et Die
; WeIt,
pnmr gekennzeiclmet durch das Umwillen, ist die ursprnghche Ganzheit dessen, was sich
das Dasem ais freies
zu verstehen gibi (GA 26, 247).
3. VWG, 157; tr. 133.
188
domaines essentiellement distincts: 1. les rapports avec ltant que e suis, 2. ceux
que itablis

avec ltant qui a le mme mode dtre que moi mais qui nest pas moi et
3. les rapports envers

ltant qui nest pas i la mesure du Dasein (nichtdaseinsmiijiig). Cet ventail des relations que le

Dasein entretient avec te monde permet r Keidegger dtablir une division triparti du
te monde:
le monde amblant (Umwett} constitu de lensemble des tants mtramondain
s, le monde
commun (Mitwett) que compose la communaut des Dasein et le monde propre
(Se/bstwelt)
constitu de ltant que je suis.

Ces concepts ne sont pas propres t la mtaphysique du Dasein, car ils taient dj

prsents par Heidegger dans ses cours depuis le dbut des annes 1920. Lanal
yse de la
mondanit du monde prsentait aussi la division de ltant suivant ce ternair
e: Nous devons

donc garder en tte que la mondanit napprsente (appriisentiert) pas seulem


ent des choses du

monde le monde ambiant en un sens troit mais aussi, mme si ce nest pas comme un

tant intramondain, te Mitdasein des autres et mon propre moi.


(...) Sur le fondement de cette

rencontre des autres, on peut distinguer ceux-ci des choses du monde dans le monde
(...)
amblant (Umwett,.) et dlimiter un monde commun Mitwett), alors que mon propre
Dasein, dans
la mesure o il est rencontr dans le monde ambiant (umwetttich) peut tre saisi comme
monde

propre (Setbstivelt) . En voquant cette distinction dans le cours de lt 1925 entre lUmwett, la

Mitwett et la Setbstwett, Heidegger ajoutait nanmoins cette remarque critique: Cest


ainsi que

jai vu les choses dans mes cours antrieurs et cest ainsi que jai conu ces termes Mais
. cela est

en son principe faux. (...) Les autres, mme sils sont rencontrs dans le monde, nont

absolument pas et nont jamais le mode dtre du monde. Les autres ne peuven donc
t pas tre

dsigns comme monde commun. La possible rencontre mondaine du Dusein et


du Mitdasein

est certes constitutive de ltre-au-monde du Dasein et de celui de lautre, mais ils ne devien
nent
pas pour autant quelque chose de mondain. Si lon rajoute la qualification avec
au

1. GA 20, 333
189
phnomne monde et nous parlons dun monde commun, les choses sont mal orientes

ds le dpart . Or, si cette terminologie du dbut des annes 19202 et qui provient sans

doute des recherches sur Augustm3 est absente de Sein und Zei, la tripartition nen continue

pas de caractriser le phnomne transcendantal du monde dont il est question en 192$.

Le monde est ainsi compris dans son rapport au Dasein. Comme nous lavons dj

soulign, cest la mise en lumire de b relation avec le Dasein qui constitue tout lenjeu de cette

exposition du phnomne de monde. Or, si le monde est un phnomne triple, cest parce qu

b base le Dasein est lui-mme caractris suivant un en vue de (Urnwitten) triple. La

tripartition de ltant correspond en effet parfaitement lessence du Dasein qui, ds lorigine,

est simultanment: ltre auprs... de ltant l-prsent, ltre-avec avec.., le Dasein des autres

et ltre envers. - - lui-mme . Le monde est donc compris comme rponse ou comme

cho lessence du Dasein. Le Dasein ouvre en effet les possibilits qua ltant de se

prsenter en tant la fois tre-auprs (Sein-bez), tre-avec (Mit-sein) et tre-envers (Zu-sein). Ltant qui

doit rpondre cette exigence du Dasein ne peut donc se prsenter quen tant que chose auprs

de laquelle se dent le Dasein, en tant que Mitdasein avec lequel le Dasein entre en relation ou en

tant que soi envers lequel se comporte le Dasein. Cest ainsi que se dtermine et se limite b

1. [kiL
2. Elle apparat dj au semestre dhiver 1919/20, Crtindprobkme der Phdetomenolo,gie (GA 5$). Voir Kistel, The
Genesis of Heideggere Beiig ni Time, 117-123 et 502-506.
3. Bien que la symtrie ne soit pas parfaite, il semble que la tripartition de la tentation quAugustin prsente
dans ses Confissions puisse tre mise en parallle avec la tripartition du monde chez Heidegger. Les cours du dbut
des amnies 1920 sur la phnomnologie de la religion sont fondamentaw pour ce qui est de ta gense des
concepts de base heideggriens comme cewc du souci, de ta vrit et de la temporalit. Sur ces questions, on
consultera ltude de Jean Greisch, Souci et tentation. La dette augustin enne , L Arbre de la yie et lArbre du savoir.
Les ratines phetomnolo,giques de lheiwineutique heide,ggrienne (19 19-7923), Les Editions du Cerf Paris, 2000, 219-251
celles de Jean Grondin, Heidegger und Augustinus. Zur hermeneutischen Wahrheit , dans Ewald Richter (d.),
Die FraiLe nach der Wahrhei% Frankfurt a. M., Klostermann, 1997, 161-173 et de Friednch-Wilhelm von Herrmann,
Augustinus und die phnomenologische Frage nach der Zeit , PhilosophischesJahrbuch, 1993/100, 96-113.
4. Le terme Selbstwelt ny apparat pas et Heidegger prfre lexpression le monde que je partage avec les
autres au terme de Mitwett quil rserve pour k monde du on mdiocrement dcouvert (S. u. z., 129). L Umwelt ,
terme qui signifie simplement lenvironnement en allemand, apparat quant lui rgulirement, linterdit ntant pas
tomb sur les choses intramondaines.
5. Eines Seienden, das gleichursprnghch ist: das Sein bei... Vorhandenem, das Mitsein mit... dciii Dasem
Anderer und 5cm zu... ihm selbst (VWG, 163 ; tr. 141). Dans le cours de lhiver 1928/29, Heidegger caractnse
la dispersion (Zerstreuuig) du Da du Dasein de la mme faon: le Dasein est toujours et cooriginairement tre-
auprs, tre-avec et tre-soi (Sein-be, Mit-sein und Selbst-sein) (GA 27, 148 et 333).
190
totalit quest le monde: non pas partir dune ide prconue de la nature, mais
bien a partir

de lessence propre du Dasein. Le monde est la totalit spcifique de la diversi


t dtre que,

dans ltre-avec avec lautre, dans ltre-auprs... et dans ltre-soi-mme (le Dasein),
on entend
.
de faon unitaire Cette unit de la dispersion du Dasein qui b fois constitue lunit du

monde , Heidegger la pense partir du concept gnral de len vue de (Urnwitten).

Ces rapports constitutifs de lessence transcendantale du monde sont abords partir

de len vue de qui caractrise la relation complte du Dasein au monde. Loin


donc de penser le

lien entre le Dasein et le monde comme celui de la trop simple juxtaposition dun sujet
et de ses

objets, Heidegger considre ce rapport comme un rapport intress . Le Dasein se rapporte

de trois faons ltant et cette tripartition doit tre aborde comme la project
ion triple des

possibilits propres au Dasein. Le monde se donne donc au Dasein comme


la totalit de len
vue de soi , cest--dire comme la totalit des possibilits dtre projetes par
le Dasein. Cette
notion dUmwillen et la prsence en elle de la volont (Witte) nous intressera plus tard

lorsque nous aborderons le thme de la libert du Dasein2. Pour linstant, import


il e simplement
de voir que cest en projetant son propre pouvoir-tre en existant en vue de tin-mme

que le
Dasein tablit la structure transcendantale du monde. Ce nest donc pas seulem
ent le rapport

soi ou ltre-soi-mme que Heidegger pense partir du phnomne de len


vite de. Le rapport
aux choses intramondaines auprs desquelles il se trouve ainsi que celui
quil entretient avec les

Mitdasein avec qui il existe sont aussi penss partir de len mie de
propre au Dasein: En tant

que Miisein, le Dasein est donc essentiellement en-vue-dautrui (umivitten


Anderer) . De la
mme faon, le rapport ltant intramondain, la proccupation (Besoigen),
est expose dans
louvrage de 1927 partir de la sigmflcativit (Bedeutsamkeit) et de la tournu
re (Bewandtnis) de

C 1. GA 27, 309.
2. Voir infra, De lessence de la libert humaine .
3.S.u.Z., 123.
191
ltant. Or, le complexe de renvois se comprend partir de la chane de pour-quoi (Wo.u) de

ltant qui met en vidence ten vue de quoi (Wontm-witkn,) auquel tout pourquoi reconduit
(...)
en dernire instance , cest--dire le Dasein dont ltre constitue le point dancrage de tout

complexe de renvois, (f tre avec lequel il ne peut plus retourner de rien puisquil est bien plutt

ltre en vue de quoi le Dasein est lui-mme comme il est 2. Cest dire que cette structure de len

vue de constitue une caractristique essentielle du projet du Dasein, non seulement de son propre

tre vers ses possibilits propres ou impropres, mais aussi celui de ltre de ltant qui est la

mesure du Dasein et de celui qui ne lest pas.

Pour conclure cette exposition du concept transcendantal de monde , nous

souhaitons mettre en lumire linterprtation que dploie alors Heidegger du dpassement vers

le monde, de la transcendance, partir du phnomne de len vue de soi-mme propre au Dasein.

Comme nous lavons soulign plus tt, 1-leidegger caractrise le inonde non pas comme un

tant, mais bien comme ce do le Dasein se donne d comprendre envers quel tant il peut se

comporter et de quelle faon il le peut . Dans la mesure o le Dasein est lui-mme un tant,

cest partir du monde que le Dasein se donne comprendre qui il est et donc, que se constitue

son ipsit. Mais si le Dasein existe en vite de lui-mme avant que dexister en vite du monde, cest

parce que la projection du monde qui rend possible lipsit fait elle-mme partie du Dasetn.

Nous pouvons ici parler de la co-appartenance du monde et du Dasein dans la mesure o

lipsit du Dasein ne se temporalise que l o il y a monde et quil ny a monde que l o le

Dasein existe en vue de lui-mme. Le monde se dfinit ainsi comme la totalit de ce que projette

le Dasein en existant en vue de lui-mme, comme le projet originaire des possibilits propres au

Dasein.

(3
2. Ibid., 124.
3. VWG, 157 ; ix. 132.
192
Si nous parlons ici dun concept transcendantal de monde, cc nest pas parce que le

monde sopposerait i liimnanence de h conscience, mais bien parce que ce concept de monde

mane du Dasein dont lessence mtaphysique se comprend comme transcendance. Le monde

ne doit pas tre compris comme ce qui fait encontre au Dasein, comme Non-Moi, mais bien

comme ce dont la possibilit mme est projete par le Dasein. La tripartition caractristique de

ltant qui se prsente dans le monde ne simpose pas au Dascin, mais rsulte bien plutt du

projet du Dasein. Cest en tablissant des diffrences ontologiques entre ltant quil est et

ltant quil nest pas, mais aussi entre tes diverses modalits de ltre dc ltant (existence, tre-

la-prsent, etc.) que le Dasein permet au monde dtre ce quil est, quil le laisse tre ce quil est.

La manire dont se prsente le inonde nappartient donc pas tant au monde quau Dasein lui-

mme quon le caractrise selon la transcendance, le souci ou len vue de. Ce concept

transcendantal de monde permet dapercevoir parfaitement comment les deux concepts

traditionnels de monde cosmologique et existentiel ne font quun.

Cest ainsi que nous pouvons comprendre ce que Keidegger indique en soutenant que

le monde ne doit pas tre compris comme la somme de tout ce qui est comme une quantit

qui se donnerait tout simplement au Dasein et dont le principal problme consisterait

dterminer ce qui en constitue le fondement , mais quil faut bien plutt lentendre comme un

ensemble, une totalit dont la possibilit est ouverte par le Dusein, mais dont leffectivit lui est

nanmoins impose. Cest donc en interrogeant lessence mtaphysique du Dasein que

Heidegger prtend mettre jour celle du monde. Heideg,ger permet ainsi llaboration dune

interrogation portant sur le monde qui ne soriente pas sur son fondement ontique. Le Dasein

peut bien ouvrir la possibilit du monde, il nen constitue pas pour autant la cause. Comme

nous lavons vu, Heidegger prtend quune telle interrogation a dj exist dans la Mtaphjisique

dAristote, dans cette problmatique du Oov dont la OEo2oytK ittriu devait interroger

la nature. Indpendamment de lexactitude philosophique ou philologique de cette supposition,


193
nous souhaitons mener bien cette exposition de la problmatique thiologique hcideggnenne

et tenter daborder le problme de la co-appartenance des problmes de ltre et du monde tel

quil se donne dans la formule mtaphysique ttant comme tet dans son ensembk. Cest en effet lun

des problmes fondamentaux de la mtaphysique du Dasein que de montrer ce qui unit

linterrogation sur lv celle portant sur le Oeiovt. Mais il nous faut aussi tenter de penser ce

qui, dans la tradition, a pu faire en sorte que le phnomne du monde nait jamais t abord

autrement quen regard dun certain fondement du monde que lon a appel <cDieu ou

OE6c. Nous tenterons de suivre une piste lance par Keidegger en montrant comment le

chapitre De lidal transcendantal de la Critique de ta raison pure permet de penser le passage

du OEov au Ot6. Mais avant dy venir, il nous faut souligner que cc traitement que rserve la

Mta/ysique dAristote au problme du monde a quelque chose dunique dans lhistoire de la

philosophie. Selon Heidegger, Platon lui-mme aurait manqu le phnomne du monde en

manquant le phnomne de la transcendance du Dasein.

Dans lessai sur le fondement, Keidegger rappelait en effet que Platon avait aperu le

phnomne de la transcendance au livre VI de la Reubtique en soutenant que le Bien se situait

au-del de ltantit (itKEtv tij oxrxx, 509 b). Si la problmatique platonicienne

semble bien loigne de cette tentative de penser la constitution mtaphysique

fondamentale 2 du Dasein, on doit reconnatre que les questions qui se posent Platon dans les

livres VI et VII de la Rtubtique se rapprochent de celles de Heidegger. Platon aurait cn effet t

contraint de poser la question de la possibilit de la vrit, de la comprhension et de ltre

et aurait ainsi peru la question sur le fondement originairement unitaire de la possibilit de la

vrit de la comprhension de ltre . En abordant les liens qui unissent la comprhension, la

1. GA 28, 32.
2. VWG, 160; tr. 136.

( 3. Die frage nach dem ursprnglich-einigen Grunde dec Mglichkeit der Wahrheit des Verstehens von
Sein (ibii, 160; tr 137). Cette ide dune vu,it de la comprhension de ltre absente de Sein und Zut

constitue trs certainement un rapprochement avec ta question portant sur la irit de ltre, expression qui
napparait quavec la confrence Von; UZesen der Wahrl,cit en 1930. Pour les fins de cette recherche, nous nous
194
vrit et ltre, Platon est contraint deffectuer explicitement le dpass
ement de ttant vers ltre

qui advient ncessairement mais dc faon cache dans chaque Dasein


. Nanmoins, Platon
naurait pas su saisir cette transcendance comme le propre de la
nature humaine et laurait

plutt loigne le pius possible de lhomme en interprtant l1tKE


tv tfi oxcL comme un

lieu hypercleste ( poiptvto tito) o sjourne le plus objectif des objets , soit les
ides.

Cest dailleurs partir de cette ide de l7tKetva rfj ocia


que Heidegger
prsentait, dans les Gnrndprobkme der Phiinomenotogie de lt 1927,
linterrogation sur les conditions
de possibilit de la comprheniion de tre. Exposant la nature d ce questio
nnement qui ne va plus

de ltant ltre mais bien de ltre au temps, Heidegger voquait


un certain dpassement de

ltre: La tche qui est la ntre nest donc pas seulement de partir
de ltant et de rtrocder
jusqu son tre, mais aussi, si nous voulons poser la question de
la condition de possibilit de
la comprhension de ltre conne tel, de ques;ionner au-del de ttre, en direction de ce vers quoi ttre
lui-mme, en tant que te4 est ouvert-en-projet 2. Or, ce dpassement de ltre
vers le temps, Heidegger
le prsentait alors en soulignant son lien intime ce dpass
ement platonicien de ltre

(7t1OEtva rfj oxTi) vers lide du Bien. En traant ce parall


le, Heidegger ne souhaite
videmment pas faire dc lontologie fondamentale ou de la mtaphysique du Dasein

une
entreprise platonicienne, mais bien plutt montrer que cette questio
n de la possibilit de la
comprhension de ltre en gnral na rien dune spculation
gratuite, personnelle et sans
consquence . Cest bien plutt pour souligner que la philosophie a toujours eu la prtent
ion
de dterminer la source de cette lumire qui permet ltant dtre
dvoil et ltre daccder

la clart du comprendre4. Mais plutt que dinterprter lltK


Etv r oxYl.tx comme

servirons de la retranscription faite par Hermann Mrchen dune


confrence mdite prononce i Marburg le 5
dcembre 1930 intitule Phitosophiereii und Glauben. Das [Vesen
der tVahrheit.
f. VIVG, 161 ; tr. 13$.
2. GA 24, 399.
3. fbid., 400.
4. Ibid., 400 et 402.
195

Platon (comme dpassement de ltre par lide du Bien) ou comme les noplatoniciens (

partir de la transcendance de lUn), Heidegger prfre le penser partir de lide

aristotlicienne de lo vica, comme len vue de (Umwiten) caractristique du Dasein.


La solution platonicienne est bien entendu distincte de celle de Heidegger. Ce nest

pas dans lide du Bien que Heidegger cherche lorigine de la comprhension de ltre, mais

bien dans le temps saisi comme temporatitas (femporatitiit). Mais plus essentielle que la rponse, la

question des conditions de possibilit de la comprhension de ltre est nanmoins commune

aux deux entreprises. Avec cette question, Heidegger ne cherche lui aussi qu sortir de la

caverne et accder la lumire 2. Se solidarisant avec 1intenvgation de Platon, Heidegger va

jusqu affirmer: Ce que nous cherchons, cest lltKEw rfi oiata . Mais

linterprtation que donnera Platon de cet au-del de ltre creuse un abme, comme nous

venons de le voir, entre ce problme et la nature humaine. Tout en reconnaissant limportance

de la problmatique platonicienne, Heidegger souligne que Platon a malgr tout manqu le

phnomne de la transcendance du Dasein. Pour Heidegger, ce dpassement de ltre nest pas

quelque chose qui appartiendrait une Ide ou un Dmiurge, mais bien le propre du Dasein

factuel qui se comporte envers ltant en comprenant ltre.

Cest ainsi quen loignant lyaOv du monde, Platon aurait manqu non seulement

de saisir convenablement le rapport de ltre au temps, mais aussi dinterprter adquatement le

monde comme phnomne propre au Dasein: De la mme faon que se prsente, la place

du phnomne du monde non reconnu, une rgion privilgie du toujours-tant, de mme, le

rapport avec le monde est interprt au sens dun comportement dtermin envers cet tant,

comme voev, intuitus, comme une intuition non mdiatise, raison . Nous voyons donc ici

Platon rater le phnomne du monde en linterprtant comme il a t de mise dans lhistoire

1. Jean Greisch, Der philosophische Umbrucli in den Jahren 1928-32 , 116.


2. Ibid., 404.
3. Ibid.
4. 11lG, 161 ; ix. 139.
196
de la philosophie partir de son fondement. Dans toute lhistoire de la philosophie, le

monde a t interprt partir dune region excellente et notre rapport au monde a t compris

partir de ce comportement driv quest la connaissance du monde. Afin de montrer que cette

interprtation de la philosophie traditionnelle faite partir de son interprtation thotogique du

monde nest pas propre Heidegger mais que Kant avant lui y avait eu recours, nous allons

nous pencher sur un chapitre de La Critique de ta raison pun auquel Heidegger fait explicitement

allusion et qui semble pouvoir expliquer ce qui contraint la pense ce passage it/egitime du

au OE.

C
197
Chapitre V

De lidal transcendantat : le passge illegitirne du OEo u au OE6

Selon la lecture que fait alors Keidegger de lhistoire de la mtaphysique, la

problmatique anstothcienne du Oov aurait ouvert des voies de questionnement que la

pense qui a suivi (dAugustin Hegel) na jamais su saisir, en se concentrant exclusivement sur

ce problme que constitue la fondation dc ltant dans son ensemble par un tant suprme

(OE6). Dans cette amorce aristotlicienne, il y a un problme fondamental que lon a

recouvert dans la tradition en msinterprtant ces choses de faon thologique, chrtienne et

anthropologique .

Ce que nous appellerons dans ce qui suit le passage illgitime du Oeov au Oe la

dviation tholo,gique de la problmatique thiotogique et qui caractrise lensemble de la

mtaphysique traditionnelle, Heidegger la thmatis plusieurs reprises comme enjeu

fondamental de ce retour Aristote quil prne alors. Cest en retournant ce problme du Gcov

que Heidegger souhaite mettre en vidence une problmatique propre Anstote et que

laristotlisme a mal interprte. Dans le cadre de la prsente discussion, cest lapport de la

pense kantienne cette problmatique de ltant dans son ensemble que nous souhaitons

mettre en relief.

Dans les Metaphjisische Anfan,ggriinde der Ligik im Ausang von Leibni de lt 1928,

Heidegger a voqu en introduction les dbats entourant le problme de lunit de la

mtaphysique aristotlicienne tels quils se sont prsents chez des auteurs comme Natorp et

J aeger. Interrogeant le problme traditionnel du lien unissant lontologie la thologie dans la

philosophie premire aristotlicienne, Heidegger voque explicitement les solutions proposes

1. GA 22, 330.
198
par les deux auteurs allemands avant de conclure que ces questions ne peuvent tre rsolue
s

uniquement grce linterprtation historico-philologique .


La question de lunit de h

mtaphysique aristotlicienne ne pourrait donc tre rsolue en se contentant de lire


loeuvre du

Stagirite, mais exigerait aussi une connaissance de lhistoire de la pense occide


ntale lintrieur

de laquelle sest manifeste lessence de la mtaphysique. Il ne suffit donc pas de bien conna
tre
Aristote, il faut aussi avoir soi-mme t touch par ces problmatiqu
es pour pouvoir

comprendre ce qui est en jeu ici. Keidegger insiste sur ce fait: cette interprtation elle-m
me
exige que nous soyons guids par une comprhension du problme qui soit h
hauteur de ce

dont il y est question. Et il nous faut tout dabord nous munir dune telle compr
hension 2.
La
connaissance de la nature propre linterrogation mtaphysique et qui a guid
lensemble de

son histoire lonto-thologie est ncessaire la saisie adquate du problme qui se pose

spcifiquement chez Aristote. Or, ce qui tout dabord tonne le lecteur, cest
que Heidegger

fasse explicitement rfrence un texte particulier de Kant dans une note: Voir,
ce sujet,
Kant: De lidal transcendantal, Critique de ta raison pure, A 571-$3/B 599-611 .

Bien que nous ne puissions ici nous prononcer sur la date prcise de cette remarq
ue
qui pourrait trs bien tre postrieure celle du cours , nous devons cependant reconnatre

que Hedegger a tabli un lien entre la problmatique mtaphysique aristotlicien


ne et ce
chapitre de la Critique & ta raison pun portant sur lidal transcendantal. La note est
relativement

nigmatique dans la mesure o elle ne dit pas en quoi ce chapitre peut constit
uer ce que
Heidegger appelle une comprhension du problme qui soit la hauteu
r de ce dont il est

question . Mais aucune quivoque nest possible quant ce fait: le chapitr


e De lidal

transcendantal constitue selon Heidegger une contribution une telle compr


hension. Ce

chapitre contient-il la solution au problme de lunit de la mtaph


ysique? voque-t-il

r 1.GA26,17.
2. Ibid.
3. Ibid., note 3.
199
plutt, comme chez Jaeger, la possibilit de mettre en vidence une certaine volution de la

pense aristotlicienne de la thologie vers lontologie, dune ancienne mtaphysique vers une

nouvelle?

Le chapitre cit de la Critique de ta raison pure introduit, comme on le sait, au traitement

des diffrentes preuves de la raison spculative en faveur de lexistence dun tre suprme et

donc, un thme minemment rntapbjsique et intimement h au problme de lunit onto

thologique de la mtaphysique. Cest dailleurs ainsi que Heidegger pense lappartenance de

Kant la tradition onto-thologique. Bien avant b confrence de 1961 intitule Kants These ilber

das Sein, Heidegger considrait dj lt 1927 que lnonc de cette thse ontologique

<(ltre nest manifestement pas un prdicat rel dans un contexte thologique ne devait pas

tonner: Kant examine te concept le plus universel de ltre en gnral la o prcisment il

traite de la cognoscibilit dun tant tout fait dtermin et insigne, celle de Dieu. Mais pour

qui connat lhistoire de la philosophie (lontologie), le fait est dautant moins surprenant quil

montre clairement comment Kant se situe demble dans la grande tradition de lontologie

antique et scolastique. Dieu est ltant suprme, summum eus, ttant le plus parfait, eus

pefrctissimum. Ce qui est le plus parfaitement est assurment ce qui, de la manire la plus

approprie, peut tre pris comme ltant exemplaire sur lequel lire lide de ltre .

Or, ce nest pas la thse de Kant sur ltre que renvoie ici Heidegger mais un

chapitre bien prcis de la &itique de ia raison pure dans lequel un problme tout particulier se

profile. Dc lidal transcendantal fournit en effet de prcieuses indications sur ce thme

dont il est souvent question dans la mtaphysique du Dasein et que Heidegger a associ la

pense dAristote: celui du passage du Oov au Oe. Il semble en effet que Kant ait, avant

Heidegger et dans des termes distincts, tent de penser ce qui a pu entraner la pense du OEov

telle quon la retrouve chez Aristote vers cette pense du Oc qui caractrise toute la pense

1. GA 24, 37-38.
200

post-anstotlicienne cest--dire, pour sexprimer avec Kant, de comprendre ce qui

conditionne lepassqge de tidat trunscendantat au Dieu de ta thologie.

Linterprtation que nous proposons ici de cette note de Heidegger est sans doute

risque. Il sagit dun renvoi non explicit que nous interprtons la lumire de notre

comprhension de lensemble du coipus de la mtaphysique du Dasein. Si les rfrences

Natorp et Jaeger ont dj t comments, seul Enrico Berti a tent, notre connaissance, de

donner une explication ce renvoi la Critique de la raison pun. Selon lui, cette note de

Hedegger serait une rfrence aux dveloppements prsents dans son ouvrage Kant und das

P,vblem der Metahjisik qui voquent la reprise faite par Kant de la distinction entre meta(hjlsica

generalis et metaphjsica ipecialis (ou entre philosophie transcendantale et mtaphysique

proprement dite ), distinction qui constituerait en quelque sorte un cho au sein de la

philosophie moderne la distinction aristotlicienne2. Malgr limportance de cette distinction

dans louvrage sur Kant, linterprtation de Berti ne tient pas compte de ce que Heidegger ne

renvoie pas la Critique de la raison pure dans son ensemble mais bien un chapitre prcis,

savoir De lidal transcendantal . Dans Kant und das Probkrn der Metaplysik, Heidegger

naborde finalement que trs brivement ce chapitre et il ny joue aucun rle dterminant3.

Notre interprtation de ce renvoi ne se base donc pas sur la lecture heideggnenne

dudit chapitre, mais plutt sur son contenu dont la parent avec la problmatique qui nous

intresse ici est flagrante. Une analyse de ce chapitre de la Critique de ta raison pure a dailleurs t

dploye par Heidegger dans son Einleitun,g in die Philosophie de lhiver I 92$/29. Malgr lintrt

quaurait d prsenter cette exgse du texte kantien pour notre propos, elle ne saventure

malheureusement presque jamais au-dela de la paraphrase. Un court renvoi notre

problmatique semble nanmoins y tre voqu. Dans cette analyse du chapitre De lidal

1. Par exemple, Jean-Franois Courtine ( Mtaphysique et ontothologie s) et Enrico Berfi (< La metajisica di
Aristotele ).
2. Enrico Berti, h?c. sL, 258-259.
3. KPM, 152; tr. 209-210.
4. GA 27, 290-297.
201
transcendantal , Heidegger parle dc lappartenance de cette thmatique kantienne la

problmatique traditionnelle de la theologia ralionalis: La construction de lidal transcendantal

nest donc rien dautre quune interprtation du concept de Dieu de la thologie chrtienne

effectue depuis la perspective de la possibilit de la connaissance des choses en soi dans leur

totalit . Mais Heidegger souligne immdiatement le caractre minemment philosophique du

concept kantien : Mais cette rfrence oc peut pas signifier quen vertu dune telle connexion,

le problme tombe par avance lextrieur de la discussion philosophique, mais quau

contraire, ce qui est ainsi indiqu, cest que dans la discussion de cette ide rside une

possibilit fondamentale de mise en lumire du problme de base de la philosophie antique et

de la faon dont celle-ci a eu un impact sur la philosophie scolastique mdivale 2. On peut

trs bien penser ici que Heidegger voque la rcupration faite par la philosophie mdivale de

ce problme fondamental de la pense aristotlicienne du premier moteur comme

problmatique thologique. Mais la brivet de cette remarque ne peut fonder flotte

interprtation. Le but que poursuit ici Heidegger est celui de complter sa dtermination du

concept kantien de monde et non dexpliquer b rcupration dans lhistoire de la mtaphysique

de la pense aristotlicienne.

Le texte intitul De lidal transcendantal (brotoypon transcendentate) constitue une

introduction toutes les questions concernant la possible dmonstration de lexistence dun

tre suprme qui clt la <t Thorie transcendantale des lments>) de la Critique de a raison purv.

Cest aprs avoir expos son Systme des ides transcendantales que IKant aborde ce quil

appelle lidal de la raison pure. Un ida4 crit Kant, est un concept qui ne sert pas de rgle

comme lide mais bien dta/on pour juger de lintgralit de la dtermination dune chose

concrte. Selon Kant, la dtermination partietk dune chose la seule dont soit capable

1. Ibid., 293.
2. fbid, 294.
202
lentendement humain stablit toujours en regard dune possible dtermination complte de

cette chose. Ainsi, nous possderions en nous I ide purement subjective dune

dtermination complte de la chose (prototypon} partir de laquelle nous pourrions valuer celle

que nous tablissons (econ). La raison poursuit cet idal de dtermination complte sans

jamais pouvoir latteindre: Aussi conoitelle un objet qui doit tre compltement

dterminable daprs des principes, bien qu cet gard les conditions suffisantes fassent dfaut

dans lexprience et que par consquent le concept mme soit transcendant (Krfr A 571 /B

599). Si une chose peut toujours tre dtermine avec plus de prcision, cest que nous

poursuivons un idal de dtermination complte, mme si celle-ci ne peut relever que dut;

entendement infini.

Analogiquement, Kant crit que lhomme juge du degr de vertu dune action en la

comparant un idal moral le sage stocien qui, sans avoir dexistence en-dehors de la

pense, concide parfaitement avec lide de sagesse (ibid, A 569/B 597 sq.). Or, de mme que le

sage stocien cet homme divin en nous nous sert dtalon pour valuer, au niveau moral,

la vertu dun individu, la raison pure possderait elle aussi, ait niveau spculat) un idal partir

duquel elle peut valuer le degr de compltude dc la dtermination dune chose. Le sage

stocien constitue donc la ralisation idale de lide de sagesse. Si lide donne la rgle , un

idal est une chose qui sert doriginal (protojpon) pour la complte dtermination dune copie

(ecpon) (ibid., A 569/B 597).

La raison spculative qui aspire dterminer de faon complte une chose doit

comparer cette dtermination partielle cet talon que constitue lensemble de toutes les

possibilits . Toute chose est ainsi conue dans son rapport avec la possibilit entire, titre

densemble qui comprend tous les prdicats des choses en gnral (...) et comme si elle

drivait sa propre possibilit de la part quelle a dans cette possibilit totale (ibid., A 572/B

601). Cet ensemble qui comprend tous les prdicats des choses en gnral est en quelque
203
sorte lentrept o sont stocks tous tes prdicats quon peut attribuer une chose, un

substratum transcendantal qui contient en quelque sorte toute la provision de matire


do

peuvent tre tirs tous les prdicats possibles des choses , (<lide dun tout de la ralit

(omnitudo realitatis) , un idal transcendantal (ibL, A 575-576/3 603-604). Ainsi, une chose

concrte est conue comme une limitation de cet ensemble total des prdicats, au mme titre

quune figure gomtrique reprsente une limitation de lespace infini qui en constitue
la

condition de possibilit fondamentale (ibid, A 57$/B 606). La dtermination intgrale dune

chose, pour peu que celle-ci Ft possible, se fait donc en limitant lensemble de tout le possible

ce qui constitue en propre la chose. Mais cela signifie que la dtermination complte dune

chose requiert la connaissance de tout te possibk qui ne se ralise jamais pour lintztitus

derivativus que constitue le sujet fini. Cette ide dun ensemble complet de tous les prdicats na

donc aucune existence in conrelo, mais seulement lintrieur de la raison pure (ibid., A 573/3

60f). Mais mme si celle-ci na pas de ralit objective pour nous, toute chose en tant que

limitation de lensemble (Inbe,grff) de tous les prdicats possibles est soumise cette totalit de

la ralit (omnitudo reatitatis) que constitue lidal transcendantal.

Quel statut ontologique Kant rserve-t-il ce concept extraordinaire quest lidal

transcendantal et qui a son sige uniquement dans la raison ? Cet ensemble de toute possibilit ou

de tous les prdicats possibks en ,gnrat est un idal, cest--dire quelque chose qui ne peut

absolument pas tre reprsent dans lexprience concrte mais qui na pas pour autant le statut

dune chimre. Lidal se tient en effet ((au fondement de la dtermination complte

ncessairement inhrente tout ce qui existe (ibid. A 576/B 604). Pour se reprsenter la

ncessaire dten-nination complte des choses, la raison ne prsuppose pas lexistence dun tre

conforme lidal, mais seulement lide de cet tre


(...). Lidal est donc pour elle loriginal

1. Notons que, sous la plume de Kant, nalitas ne renvoie pas teffectivit (actuatitas) mais
la possibilit
(possibilitas) de ltant: Lacception kantienne du terme ralit est dailleurs conforme
au sens littral du mot.
(.) Est rel ce qui appartient iane ns. Lorsquil parle de lomnitudo realitatis, Kant ne vise pas la totalit de ce qui
est effectivement l-prsent, mais au contraire la totalit que constitue la dterrninit
possible de la res (...). Reatitas
est par consquent synonyme ici de lexpression leibnizienne de parsibilitas, possibilit
(GA 24, 45).
204
protoypon,) de toutes les choses, qui toutes cnsembte, comme des copies dfectu
euses (ectypa,),

en tirent la matire de leur possibilit (ibid., A 577-578/B 605-606).

A cet idal, Kant attribue plusieurs noms. Il lappelle tout dabord ltre origina
ire (eus
originarium,) dans la mesure o cest de lui, du protoypon, que driven
t toutes choses Comprises

comme copies incompltes. Il est aussi, dans ta mesure o tout ce qui


a quelque existence se

dent en-dessous de lui, ttre suprme (eus summum). II est enfin ltre
de tous les tants (eits
entium) en tant que tout lui cst soumis comme conditionn. Or, si lidal transce
ndantal se
prsente comme ncessit pour lusage spculatif de la raison pure, on ne peut
nanmoins en

dduire, spcu/ntivement, lexistence objective1.

Cest en cet endroit que la raison spculative doit sarrter dans la dtermination
de
lidal transcendantal. Car tout ce quelle y ajoutera unit, simplicit, ternit, etc.

constituera une hjpostase qui permet t la raison de dterminer, illegitimemen4 lens orginarium

comme Dieu pens dans le sens transcendantal (A 580/B 608)2. La o: dterm


ination complte

des choses en gnral nest en effet pose que comme le concept de toute ralit,
mais
aucunement comme donne ot?ieciitement, comme constituant elle-mme une chose
(ibii). Pour

quune chose puisse tre dtermine intgralement, lide seule de lensem


ble des prdicats

possible suffit. Le monde, compris comme ide de la totalit des phnomnes, constit
ue donc
une copie dficiente (ecypon,), une simple limitation de cet ensemble origina
l, de ce prototype

que reprsente lidal transcendantal, lensemble dc toutes les possibilits. Nanm


oins, le

rapport de lun lautre, du monde lidal transcendantal, ne doit pas tre compris comme un

rapport causal. Si le monde se trouve inclus dans lidal transcendantal ( titre


de limitation de

1. on sait que ce nest pas dans lusage spculatif mais bien dans lusage pratique de
la raison que Kant conoit la
possibilit de dmontrer lexistence dun tre suprieur. Voir, ce sujet, le
Canon de la raison pure (A 795/B
823 sq.).
2. Tous ces dveloppements sur la dduction de lexistence dune chose
partir de son seul concept
constituent les conclusions de travaux que Kant mne depuis 1763 (Laniqnefon
dement possible dune dmonstration de
lexistence de Dieu). Pour ce qui est des transformations qua subies la pense
de Kant sur ces sujets, voir Alexis
Philonenko, Loeuvre de Kant, tome I: La philosophie prcddque et la Critique
de hm raison pure, Paris, Vrin, 1969, 40
sq. et Ferdinand Alqui, Lei critique kantienne de la mtaphjsiqmie, Paris, PUr, 1968, 105
sq.
205
lomnitudo reaIitatis, ce nest pas au sens dune dpendance ontique des
choses finies en tant
que cres lgard dun crateur existant , mais bien comme la restriction de la totalit

absolue des choses possibles.

Cest ainsi que, dduisant de lidal transcendantal lexistence dun


Dieu, la raison prend
cette ralit suprme se tenant au principe de la possibilit de toutes
choses comme fondement

(Gnind) de toute chose plutt que comme ensemble (Inbgiifl) (A


579/B 607). Ce qui est ici en

question est fondamental pour notre propos: cest un usage illgitime de la raison qui permet

dinterprter lensemble de ki ralit (omnitudo reatitatis) que constitue


lidal transcendantal comme

un fondement. Et cest moyennant cette rduction illgitime que lidal


de la raison pure le 3eul
dont la raison spculative soit capable devient lobjet dune tholqgie transcendantale (A

580/B 608). Car les trois expressions que Kant emploie pour dterm
iner lidal transcendantal

eus ortginanum, ens summum, eus entium ne dsignent point le rapport effectif dun objet

effectivement rel dautres choses; elles ne dsignent que le rappor


t de lide des concepts, et

nous laissent dans une complte ignorance touchant lexistence dun


tre dune supriorit si
minente (A 579/B 607).

Comment expliquer cette transformation de lensemble en fondement? (<Cet


idal de ltre
souverainement rel est donc, bien quil ne soit quune simple reprse
ntation, dabord ralis,
cest--dire converti en objet, ensuite hjpostasi et enfin, par un progr
s naturel de la raison vers

lachvement de lunit, personnfi (A 583 /B 611, note). Comme nous


le savons, cela ne porte
aucunement prjudice h possible existence dun tre souverain se situant
au fondement de
lexistence de toute chose. Ce que Kant souhaite ici montrer, cest
lincapacit dans laquelle se

trouve la raison, au niveau ipcuat/ de pouvoir approcher lexistence


dun tel tre. Et comme

nous lavons soulign, cet usage fflgrnme de la raison spculative la


pousse transformer
lensemble (bibe,gri9 que constitue lidal transcendantal en un fondem
ent (Gnind, ou, pour
C

1. GA 27, 295.
206

employer les termes dAristote, le 8sov en un OE. Cest la lumire de ces rsultats que

Kant abordera ensuite les diverses preuves de lexistence de Dieu dans les sections qui suivent.

Malgr le traitement de h question de lidal transcendantal quil prsentera lhiver

1928/29, Heidegger na donn aucun indice qui pourrait justifier notre interprtation de la note

du cours de lt 1928. Le parallle entre la problmatique thiologique heideggrienne et celle

prsente dans ce chapitre de la Critique de la raison pure nous semble cependant trop vident

tracer pour ne pas en faire mention. Selon cette lecture, il nous faudrait conclure quavec

lexpression ltant dans son ensemble , Heidegger cherche indiquer quelque chose de tel

que lensemble de toutes les possibilits partir duquel un tant concret (ecyton) peut tre

dtermin. Si, comme nous le verrons maintenant, ltant dans son ensemble sert indiquer

formellement lessence du monde, cest parce que le concept de monde heideggrien doit tre

compris comme lensemble des possibi]its duquel merge ltant, comme la rgl.e que doit

suivre ltant pour tre un tant. Ltant dans son ensemble permettrait de penser le monde

non pas dans son effecdvit mais eu gard sa condition transcendantale. Cest dire que le

monde ne concide pas avec ltant effectif la nature , mais avec lensemble de ltant, quil

soit effectif ou possible voire ncessaire.

Or, cest effectivement ainsi que Heidegger tentera de dfrnir ltant dans son

ensemble, quelques annes aprs la mtaphysique du Dasei,t, dans un cours de lt 1941

intitul Grundbegrij7. Bien que ce cours sloigne considrablement de lpoque que nous

souhaitons mettre en lumire ici. il est intressant de noter qualors, Heidegger dfinit 1 tant

dans son ensemble qui traduit le grec r 7t&v, et non t 2ov non pas comme visant

simplement la ralit du rel, mais aussi la possibilit du possible, mais encore la ncessit du

ncessaire .

1. Grundbegri/fe, GA 51, 24; tr. par Pascal David, (onceptsfondwnentaiix, Paris, Gallimard, 1985.
207
Chapitre VI

Li manjstet de ttant comme let et dans son ensemble

Si ce traitement de la question kantienne dc lidal transcendantal nous a permis de

mettre jour une certaine solidarit entre Heidegger et Kant quant linterprtation de la

mtaphysique traditionnelle, elle nous a aussi permis de mieux dlimiter le concept dun

questionnement portant sur ltant dans son ensemble . Cet ensemble que constitue lidal

transcendantal et que la tradition a interprt comme fondement offre un certain modle

pour la problmatique thioqgiqzte heideggrienne qui souhaite penser le monde sans en

interroger le fondement.

Dans le cadre du cours Die Grundbegriffi der IvIetaphysik de lhiver 1929/30, Heidegger

fait un pas supplmentaire en tentant de penser lunit des problmatiques de ltant dans son

ensemble et de ltant comme tel. Nous revenons ainsi tout naturellement ce cours dans

lequel, comme nous lavons vu, Heidegger a tent de caractriser la configuration du monde

qui caractrise lhomme en la comparant la pauvret en monde de lanimal et labsence de

monde de ltant simplement matriel. Cest dans le but de contribuer cette mise en lumire

de lexpression ltant dans son ensemble que nous allons maintenant nous plonger dans

une analyse de lexpression manifestet de ltant comme tel dans son ensemble dont

Heidegger se sert pour dterminer lessence du monde. Les analyses antrieures ont montr

que le problme de ltant dans son ensemble sapparentait au problme dc labord prlogique

de ltant caractris suivant le concept du ov KaOiccYrov. Nous nous sonrmes aussi

penchs sur la notion de surpuissance (Gbemidchtz,gkeit) que Heidegger trouvait chez Cassirer et

qui tait associe une interprtation prphilosophique et mythique du monde.

En identifiant le problme de ltant dans son ensemble celui du monde, nous nous

sommes demand si lon pouvait trouver dans la mtaphysique du Dasein une figure de cette
208
interrogation sur ltant comme tel et dans son ensemble qui caractrise la mtaphysique

traditionnelle. Bien que Heidegger ait dj identifi la structure onto-thologique cette

incapacit de la mtaphysique interroger ltre autrement qu partir de ltant, il semble que

la mtaphysique heideggrienne prtende nanmoins se rappropirer ces deux modes de

questionnement. Comme nous lavons vu, si la question de ltant comme tel t 6v 6v)

sapparente au problme ontologique de ltre de ltant, cest comme problme theio/ogiqite dii

monde que se prsente linterrogation sur ltant dans son ensemble (r OEov). Une telle

structure double de la mtaphysique du Dasein est dailleurs reconnue dans lEinteittrng in die

Philosophie de lhiver 1928/29 quand Heidegger soutient que le problme de ltre et le

problme du monde dterminent, dans leur unit, le concept authentique de b


)>.
mtaphysique

v1ais lexistence dans la mtaphysique du Dasein dun versant thologique ne rend que

plus urgente la rponse la question suivante : comment se rapportent lune lautre ces deux

faces de linterrogation mtaphysique? Nous avons vu en abordant le thme de lonto

thologie que le trait fondamental de cette lecture de lhistoire de la mtaphysique ne rsidait

pas tant dans la reconnaissance de deux ordres de questionnement cette division a t releve

et systmatise bien avant Heidegger que dans lidentification du rapport qui les unit. Dans

notre caractrisation de lonto-ffiologie, nous avons parl de la tiniilarit du questionnement

mtaphysique.

Y a-t-il donc ciniilarit entre la question sur ltant comme tel et celle sur ltant dans

son ensemble? Et si oui, sentend-elle au sens traditionnel de la rciprocit entre ce qui est

universel et ce qui est premier? Nous avons insist sur le fait que Heidegger refusait

didentifier dans sa rflexion ontologique un tant suprme dont le mode dtre paisse servir de

paradigme lensemble de ltant. En abordant la question du fondement ondque de

1. GA 27, 324.
209
lontologie, nous avons montr que le Dasein ne remplissait pas une telle fonction. Lunit dc

ltant, cest--dire dc ltant dans son enSCmt)le, ne sera pas etablie partir dun eus summum.

Souhaitant viter toutes ces voies traditionnelles pour penser lunit des deux ordres du

questionnement mtaphysique, Heidegger imprimera la mtaphysique des modifications qui

en transformeront lessence. En pensant dsormais la mtaphysique comme vnement dans

le Dasein , lunit de la mtaphysique ne sera plus interroge sur le champ de bataille de la

mtaphysique, mais partir de lessence mtaphysique de lhomme, partir des tensions qui

habitent le Dasein et qui le contraignent interroger ltant suivant de tels schmas. Mais avant

de nous pencher sur la nature mtaphysique du Dasein (troisime partie: Le fondement et la

libert), nous souhaitons nous arrter sur la conclusion du cours de lhiver 1929/30 dans

laquelle Heidegger juxtapose les expressions tant dans son ensemble et tant comme

tel , inaugurant ainsi une faon nouvelle de penser les liens entre le monde et ltre.

Dans notre tentative de mettre jour ce que Heidegger entend par ltant dans son

ensemble , cest la dernire section de ce cours qui va surtout nous intresser. Dans ces

quelques pages, Heidegger aborde de front cc quil appelle les conditions de possibilit du

monde , concept quil a dlimit provisoirement comme manifestet de ltant comme tel

dans son ensemble dans le cadre dc la comparaison des trois thses directrices. Comme nous

lavons vu plus haut, cest len tant que qui distingue essentiellement le monde pautYre de lanimal

du monde humain. Lanimal, contrairement lhomme, est accapar par le monde et ne parvient

jamais percevoir quelque chose en tant que quelque chose caractristique qui seule rend

possible un comportement envers ltant (Verhatten um Seiendem,. Le quelque chose en tant

que quelque chose avec lequel 1-leidegger caractrise cette dlimitation provisoire doit tre

compris adquatement si lon veut que ce concept de monde sinspire des acquis de lontologie

fondamentale et quil ne tombe dans les schmas de la mtaphysique traditionnelle.

1. GA 29/30, 293 et 397 ; tr. 292 et 39$.


210

Cette discussion portant sur lessence du monde rend manifeste quelque chosc de tout

fait fondamental pour notre recherche: la possible unit pense partir de lessence du

monde de ltant comme tel et de [tant dans son ensemble. La dlimitation provisoire du

monde comme manifestet de ltant comme tel dans son ensemble prsente en effet un

concept qui permet daborder lunit des orientations fondamentales de la mtaphysique: la

question ontologique de ltant comme tel et la question thologique de ltant dans son

ensemble. Il sagit maintenant, crit Heidegger, de dvelopper le problme de telle manire

que nous saisissions sa base ce qui unit intimement ces deux moments structuraux, et quainsi

nous ouvrions une brche dans le phnomne lui-mme >. Cest donc dans le but de faire

dvier la mtaphysique de son orientation traditionnelle sa soumission au ?6yo

JroepvttK que Heidegger mne cette analyse du phnomne de monde. En accord avec

la thse bien connue de Sein und Zeit, Heidegger souhaite montrer comment la dtermination

de ttant en tant qutant dans lnonc apophantique a pour origine la manifestation de ttant en

tant qit tant propre la manifestation prlogique du monde. La remise en question de cette

domination de la logique en mtaphysique permettrait seule daborder le problme du monde

de faon adquate, cest--dire sans succomber au concept logico-mtaphysique de nature2.

Keidegger reprend ici des thmes que nous avons mentionns plusieurs reprises: le

monde, tel quon doit lentendre en son sens mtaphysique, nest pas lquivalent de ce concept

moderne de nature, de la somme ou la totalit de ltant, mais doit tre compris partir de son

caractre densernbk ou encore ce quil appelle sa rondeur . Un tel concept de monde est le

seul qui puisse tre la mesure de la finitude du Dasein, cest--dire un concept qui ne prenne

pas comme modle de sa dtermination un entendement divin, un intuitus orzginanus, qui aurait

accs la totalit de ltant. Cet ensemble qui caractrise le monde ne dsigne pas tant son

1. Ibict, 420 ; tr. 420.


2. Cette connexion, devenue un heu commun, entre mtaphysique et logique est cclii mme qui empche,
sans que nous le voyions immdiatement, de dvelopper la problmatique originelle qui rend accessible le
problme du monde (Tbid, 421 r. 420).
3. Ibii, 412; tr. 412.
211
contenu matriel, que safone, celle de ltant qui est manifeste pour nous. Mais cette forme ne

constitue pas un cadre qui serait dduit a posteriori de notre exprience du monde. Cest bien

plutt elle qui rend possible a priori cette exprience dans la mesure o se dent son

fondement une conJiguration. Le caractre densemble de ltant nest donc pas une

caractristique dune ventuelle saisie conceptuelle de ce quest le monde: il est le fondement

de la manifestation de ltant.

Pour distinguer cette analyse de toute description du monde comme somme totale de

ltant, Heidegger rintroduit ici le vocabulaire de lindication formelle (fin-mate Anege) quil

employait au dbut des annes 1920, mais qui a t exclu de Sein zmd Zeit1. Lapparition de ce

terme dans le cours de lhiver 1929/30 constitue dailleurs son dernier emploi dans toute

loeuvre de Heidegger2. Saisi dans une (<description formelle (formale Charakteristik), le concept

de monde ne peut tre dfini autrement que comme la somme de ltant . cela, Heidegger

oppose une simple indication ou assignation formelle du monde qui le prsente comme ltant

dans son ensemble. On ne peut parler ici de dflnition du monde dans la mesure o lindication

formelle ne fait que proposer quelque chose. Seul le travail du Dasein qui philosophe et

comprend ce qui est dit permet de complter le chemin vers une saisie de ce qui est en

question. Heidegger crit ici que nous devons renoncer la voie, apparemment commode,

mais en soi impossible, qui consisterait parler directement de lessence du monde . Cette

voie la description formelle serait valide quand nous avons affaire des tants l-prsents,

mais ne pourrait tre employe lorsquil est question des concepts fondamentaux de la

philosophie. Le mieux que lon puisse faire dans le cas des concepts mtaphysiques, cest

dindiquer une voie qui mne leur dtermination, qui permette celui qui coute dtre guid

1. Au sujet de lindication formelle, voir Theodore C. W. Oudemans, Heicleggers logische


Untersuchungen s, Heidegger Stadies 1990/6; Grundbegriffe der Metaphvsik: Zur formalanzeigenden Struktur
der philosophischen Begriffe bci Heidegger , Heidgger Stiidies, 1991/7 ; Tbeodorc Kisiel, Lindication formelle
de la facticit sa gense et sa transformation s, in Jean-Franois Courtine (d.), I-Ieidegger 19 19-7929. De
/Yemzlneutiqtee de lufucticitd la mkrpIysiqne du Dasein, Paris, Vrin, 1996, 205-219.
2. Theodore Kisiel, The Genesis of Heide.ggerr Bel ng & Tirne, 497.
3. GA 29/30, 434; tr. 433.
212

vers cette dlimitation. Cest pourquoi Heidegger parle dune description provisoire du

C monde comme manifestet de ltant comme tel dans son ensemble. Cela nest pas une

dfinition du monde mais une indication qui rend possible pour le lecteur ou lauditeur

dapercevoir ce quest ie monde.

Par une analyse du phnomne du yo itopvttic6, Heidegger montre que len

tant que qui caractrise le monde comme manifestet de ltant en tant que tel dans son

ensemble doit tre compris comme condition de possibilit de lnonc et non le contraire,

cest--dire comme proprit de lnonc. Ce nest donc pas lnonc qui rend possible la saisie

de quelque chose en tant que quelque chose, mais linverse: le ?yo adopte la forme de la

manifestation de ltant. Ces questions renvoient aux chapitres de Sein und Zeit qui traitent de

len tant que apophantique et de len tant que existential-hermneutique


2. Ce nest que

sur la base de lexprience de la en tant que b exprience des plus courantes dans notre

commerce normal avec les choses et qui ne doit rien lnonc apophantique quest possible

lnonciation de la proposition a est b .

Par cette mise en lumire de la dimension originelle dans laquelle se situe et prend

naissance ten tant que se trouve clair un visage de cette relation qui unit len tant qtie et le dans

son ensemble. Cet tc en tant que hermneutique est co-dterminant de la manifestation originaire

du monde, de sa manifestation prlogique. Li la manifestation de ltant dans lattitude

quotidienne, len tant que se situe du ct de la comprhension prontologique de ltre, cette

comprhension qui na pas encore t porte au concept. Labord de ltant en tant qutant

vrit
qui, comme le soutient Sein und Zeit, se tient au fondement de la possibilit de la

nous
nonciative, serait donc contemporain de la manifestation prlogique de ltant dont

1. Ibid., 289 ; tr. 292.


2. S. u. Z., 33, 158, mais tout dabord GA 20, 143-161.
3. GA 29/30, 436; tr. 435.
213
avons dj trait plus tt en partant du Xov. Comme on le sait, la perception du marteau

comme objet trop lourd ne requiert pas lintervention de lnonc logique.

Heidegger tablit donc une parent entre lopposition de ltant dans son ensemble et

de la somme de ltant et lopposition entre len tant que hermneutique et len tant que

nonciatif. Ce renvoi Sein und Zeit nous permet donc de mieux saisir ce quest pour

Heidegger ltant dans son ensemble : la dimension ouverte par ce quil appelait, dans louvrage

de 1927, len tant que hermneutique. Le monde est donc encore ici associ cette

manifestation antprdicative de ltant, la vrit prlogique. Mais cette mise en lumire de la

manifestation prlogique de ltant sert ici une fin bien prcise: montrer quun lien se tisse

entre le problme de ltre et celui du monde. Le monde est en effet cet espace ouvert par len

tant que prlogique, cest--dire de ltant qui se prsente comme tant, sans pour autant se

manifester dans un nonc apophantique. Or, cette dimension de ltant en tant qutant, cest

aussi celle partir de laquelle peut tre interrog ltre de ltant. La volont de porter au

concept la comprhension prontologique de ltre exige en effet que la question de ltre soit

tout dabord pose partir du phnomne du monde dans lequel ltant en tant qutant se

manifeste originairement. En tentant de mettre jour laspect secondaire de len tant que de

lnonc logique et ainsi <t faire sortir cette tradition de ses gonds 2 , Heidegger a rvl une

racine commune au problme du monde (compris comme dimension prlogique de len tant que

hermneutique) et celui de ltre (linterrogation sur ltant en tant qutant).

Ce caractre antprdicatif du monde permet de comprendre pourquoi Heidegger

soutient que tout nonc portant sur ltant se fonde davance sur la configuration du monde3.

Sil nous est possible dnoncer des choses telles que <ta est b , cest parce que dans le monde

sest dj manifest a et b ainsi que <t a en tant que b . Lnonc parle toujours depuis un

1. IbitL, 440; tr. 439. Nous reprenons le vocabulaire de len tant que hermneutique Sein und Zeit mme sil
napparat plus dans ces cours de la mtaphysique du Dasein. Notons cependant que dans ces pages, Heidegger se
rfre luimme au 33 de S. u. Z.
2. GA 29/30, 469 ; ta. 466.
3. Ibiti, 486 ; ta. 483.
________

214

ensemble dj ouvert qui donne sens lnonc, un ensemble de tous les a et b possibles un

idal transcendantal. Afin dillustrer ce caractre densemble du monde, Keidcgger prend

lexemple du tableau de classe qui se trouve dplac de telle sorte que seuls certains tudiants

peuvent voir ce qui y est crit. Lnonc le tableau se trouve mal plac ne peut tre vrai que

dans la mesure o il est profr l o certaines normes permettent de dterminer ce qui est

bien ou mal plac. Lnonc nest donc pas vrai en soi, mais seulement partir dune

comprhension pralable de lensemble dans lequel il est profr. Dans la mauvaise position

du tableau est manifeste dj avec elle la salle de cours en tant quensemble (uts Gantes)

Lnonc portant sur la position du tableau parle donc depuis un certain ensemble (dans ce cas,

b salie de cours) qui rend possible la vrit dun tel nonc. Tout nonc parle toujours depuis

un tel ensembk. Les noncs ne peuvent jamais que se situer au-dedans de ce qui est dj

manifeste l dans son ensemble . Lnonc ne peut jamais tre port relativement un tant

isol, il doit parler depuis un ensemble dj expriment et dj connu2. Or, cet ensemble nest

jamais thmatis dans lnonc ni mme aperu par celui qui nonce. Cest nanmoins un

prsuppos ncessaire de tout nonc.

Cest en abordant les conditions de possibilit de lvnement que constitue cette

manifestation prlogique du monde que Keidegger va continuer son analyse du phnomne

Nous reviendrons dans la prochaine partie sur cette analyse qui prsente une certaine parent

avec celle de lessence du fondement prsente dans lessai de 1929. Nous tenterons alors de

penser la mtaphysique non plus partir de ses thmes et problmes, mais bien partir dc la

nature mtaphysique du Dasein.

C
1. Ibid., 501 ; tr. 497.
2. IbicL, 501 tr. 498.
215

Chapitre VII

La th iologic heide,ggrienne et lunit de ta mtaphysique du Dasein

Il semble donc que Heidegger ait laiss une place dans son (<difice mtaphysique

une problmatique tbiologique. Lontologie ne recouvrirait donc pas lensemble des problmes

mtaphysiques et ne reprsenterait quun versant de la problmatique mtaphysique totale. A

plusieurs reprises, Keidegger a en effet insinu que la mtaphysique contenait plus que

lontologie. Rappelons tout dabord lexposition programmatique dune problmatique

spciale qui a pour thme propre ltant dans son ensemble , une nouvelle recherche qui

rsulte du revirement (Umsch/ag) de lontologie et laquelle Heidegger a donn le titre de

mtontologie. Bien que Heidegger ny fasse que trs rarement rfrence, il considre que le

concept total de la mtaphysique se compose de lunit de lontologie fondamentale et de la

mtontologie. Cela lamne tracer un parallle explicite entre cette structure double de la

mtaphysique et celle que lon retrouve dans la Mtahjsiqzte dAristote2. Rappelons ensuite que

dans le cours suivant, Heidegger reconnatra que le problme de ltre ne recoupe pas le

concept authentique de la mtaphysique qui renvoie aussi au problme du monde. Heidegger

crit alors que ces deux problmes constituent la problmatique en soi unitaire de la

philosophie .

Lunit de la mtaphysique qui constitue, et de plusieurs manires, un problme

central de la mtaphysique du Dasein est donc dfinie de diffrentes faons par Heidegger.

Mais elle a ceci de caractristique quelle concerne la fois lunit dune question portant sur

ltant comme tel et dune autre portant sur ltant dans son ensemble. Dans le cadre de

1.GA26,199.
2. Ibid., 202.
3. GA 27, 394.
216
lEinteitung in die Philosophie de lhiver 1928/29, Heidegger propose une faon de penser lunit

de cette problmatique en soi unitaire de la philosophie : Cette problmatique unitaire

nest rien dautre que le problme de la transcendance . Si la transcendance constitue ce que

Heidegger appelle lessence du Dasein, cest donc en lui que devrait se jouer la possible

rsolution du problme de lunit de la mtaphysique. Cest i cette question que la dernire

partie de cette tude prtend apporter une rponse.

Bien que Heidegger nait lui-mme jamais affirm dans ces termes quil y ait dans son

entreprise un versant thologique ou thiologique , nous soutenons ici quil nous est

possible de dceler dans les textes de la mtaphysique du Dasein une pense du OEov, cest--

dire une mise en lumire dune problmatique dorigine aristotlicienne qui serait propre la

pense authentiquement mtaphysique, mais quaurait escamote la tradition philosophique.

Comme on le sait, cest principalement la face ontologique de h mtaphysique qui a intress

Heidegger. Lentreprise de lontologie fondamentale, mais aussi tous les dveloppements

entourant la <(science de ltre dans les cours qui suivirent la publication de Sein und Zeit

constituent trs certainement lapport le plus important de Heidegger la pense

mtaphysique. Mais, on la vu, cette ontologie ne se dploie jamais quen prenant appui sur

ltant, premier objet de toute recherche philosophique. Aussi haut que puisse slever la

science de ltre, aussi loin que puissent tre pousses ses gnralisations et ses doctrines, elle

ne peut le faire quen partant des connaissances vagues, en passant par elles. Si la philosophie

prtend interroger ltre de ltant, il faut reconnatre quun tel questionnement na dautre

possibilit que de prendre appui sus la considration premire qui est celle qui prend ltant

dans son ensemble.

C
1. Ibid., 395.
217

Alors quil sattaque la Mtaplysique dAristote au milieu des annes 1920, Keidegger

tente de montrer, comme nous lavons dit, que cette pense mtaphysique aristotlicienne nest

aucunement contradictoire comme lont soutenu les philologues de son poque , mais bien

problmatique, voire aportique. Puis, lorsquil se propose de dfinir ce que constitue la Oeo)oytid

de toute
irttkui, la thologie, dans la pense dAristote, Heidegger sloigne grandement

interprtation religieuse de cette science. Qualifiant lapproche scolastique et chrtienne de

compltement dpasse , Heidegger soudent alors que la problmatique aristotlicienne du

divin ( OEov) na rien dune problmatique religieuse mais quelle constitue une recherche

formelle au mme titre que lontologie. La problmatique du Ocov au sens ontologique

purement formel 2 ne concerne pas encore chez Aristote le problme de lexistence dun

fondement crateur du monde. Elle est bien plutt oriente sur le problme de ltre de ltant

et concerne la problmatique de ltant dans son ensemble, quelle aborde autrement queu

gard au fondement de cette totalit.

Nous avons vu que dans le cadre du cours sur le Sophiste de lhiver 1924/25, Heidegger

soutenait que la thologie aristotlicienne avait pour tache dlucider, dans ses origines, en cc

par quoi il est vritablement, ltant dans son ensemble, le ov, ltant du monde . Nous

avons aussi vu que ie concept de ov tait associ chez Heidegger labord prlogique du

monde, lhorizon quouvre le comme existendal-hermneudque de Sein und Zeit. Puis,

nous avons voqu cette interprtation du concept de OEiov que Heidegger avait dploye

dans la mtaphysique du Dasein quelque peu distincte. Si lexpression est encore associe un

abord prphilosophique de ltant, ce nest plus alors au sens de la quotidiennet du Dasein

quelle est vise, mais celui de la pnmitivit du Dasein, du Dasein mythique4.

l.GA22,325.
2. Ibid., 137.
3. Ibid., 222.
4. GA 26, 13 et 211, note 3 ; GA 27, 169 et 358 et GA 28, 355.
218
Mais conmient interroger dans ses origines, en ce par quoi il est vritablement , cet

tant dans son ensemble sans que ce questionnement se transforme en une recherche du

fondement crateur de ltant? Quelles sont ces possibilits que la pense aristotlicienne a

laiss ouvertes et quil sagit maintenant de penser, par-del la tradition? Lexposition dans

cette section du problme du monde a permis dentrevoir les grandes orientations dune telle

problmatique. La mise en lumire du concept transcendantal de monde nous a familiariss

avec une rflexion sur le monde qui ne prtende pas en interroger le fondement, mais qui tente

bien plutt de penser son appartenance au Dasein.

lintrieur de la mtaphysique du Dasein, le monde constitue une problmatique en

soi qui ne sert plus uniquement de chemin vers llaboration du problme de ltre comme

cest le cas avec le traitement de la mondanit du monde dans Sein und Zeit. Le problme du

monde a en effet gagn en autonomie partir dc lessai sur le fondement de 1929. Or, tout ce

qui a t ici expos au sujet dune possible thiotogie heideggnenne ne peut constituer quune

srie dindications tentant de mettre en lumire une intention propre la mtaphysique du

Dasein: celle de penser le monde autrement quen regard de son fondement, cest--dire de

penser le Oov autrement que comme OE. Que lon pense cette interprtation partir de la

rcupration chrtienne de la pense aristotlicienne ou partir de linterprtation de lidal

transcendantal comme Dieu de la thologie, le traitement adquat de ltant dans son ensemble

constitue un problme que la mtaphysique du Dasein reconnat comme sien.

Ce nest pas notre tche ici dexposer le contenu doctrinal dune telle thiotogie. Une

telle chose nexiste pas dans les textes et nous obligerait trs certainement forcer les crits

heideggnens vers une systmatisation quils nont pas connue. Bien que Heidegger ait reconnu

limportance dc la dualit propre au concept traditionnel de mtaphysique irptr

pr?oooplix et OEo?oudl itwtpr, rnetrphjisica generatis et metapIysica .rpeciatis , il na

cependant jamais prsent quelque chose de tel quun systme de la mtaphysique . Il semble
219

que le mieux que lon puisse faire soit de souligncr le statut qui est reconnu cette

problmatique qui fait face lontologie lintrieur de la mtaphysique. Car au-del des

oppositions que nous avons dj soulignes tre et monde, tant comme tel et tant dans son

ensemble, ontologie et mtontologie , il semble que ce qui doive attirer le plus notre attention

est le fait que Heidegger reconnaisse ici que toute ontologie conserve toujours un lien essentiel

avec tondque qui lui a donn naissance. Tout comme Anstote, Heidegger sait que ce nest

quen passant par ce qui na peu ou pas du tout dtre quon atteint les connaissances absolues.

En ce sens, Heidegger crit dans le cours de lt 192$ que lanalyse temporelle de ltre qui

constitue h vise de lontologie fondamentale doit consister en mme temps en un tournant

dans lequel lontologie elle-mme retourne expressment dans lontique mtaphysique (in die

meraphysische Ontik) dans laquelle lontologie se tient toujours implicitement . Lontologie ne

doit donc pas seulement reconnatre quelle provient dune rflexion sur lontique, dune

considration non encore philosophique de ltant dans son ensemble, elle doit aussi cest ce

que Heidegger indique ici


y retourner, puisquelle sy tient toujours implicitement.

Plus de cent ans aprs la leon dhumilit que servit Kant la mtaphysique en lui

montrant la voie transcendantale, Heidegger semble tenter dc rappeler lontologie lordre en

rvlant la lumire du jour le fondement ontique sur lequel elle se tient to;!jours implicitement et

qui procde de sa finitude.

La mtaphysique du Dasein est en effet une mtaphysique de la finitude une

mtaphysique qui se ralise factuellement et qui reconnat tre victitue de sa facticit. Cest ce que

Heidegger appelle la tendance latente de tontoto,gie fondamentale une tran.formation onginaite et

mtaphysique2. Comme nous lavons vu, cette ncessit pour lontologie de retourner son point

dorigine est alors expose par Heidegger partir de la structure mme du phnomne dc la

comprhension de ltre propre au Dasein humain: Ltant homme comprend ltre; dans

1. GA 26, 201.
2. Ibid, 199.
220

la comprhension de ltre rside en mme temps laccomplissement de la distinction entre

.
ltre et ltant; il ny a dtre que si le Dasein comprend ltre La possibilit de lontologie

dpend donc de lexistence non seulement de cet tant qui comprend ltre le Dasein mais

aussi de celle dune totalit dtant constituant le monde. Cest en effet la projection du monde

qui permet la comprhension de ltre de s <t actualiser 2 Lontologie ne peut donc

slaborer de faon autonome sans rfrence ce pan ontique de la mtaphysique, cette

problmatique de ltant dans son ensemble qui rsulte du revirement de lontologie. Or,

Heidegger crit que cette division du problme de la mtaphysique en disciplines

ontologie fondamentale, mtontologie constitue en fait le phnomne originaire de

lexistence humaine .

Nous avons provisoirement dfini la mtaphysique du Dasein partir de deux traits

essentiels. Nous avons en effet parl premirement de la rcupration faite par Keidegger de la

problmatique mtaphysique aristotlicienne, celle de ltant cotntne tel et de ltant dans son

ensemble. Une telle caractrisation de la mtaphysique du Dasein a t mene bien dans cette

partie portant sur le problme du monde. Nous avons ensuite voqu un second trait qui est

sans doute plus fondamental que le premier: celui de la rcupration de lorientation moderne

sur le sujet humain. Nous avons dj voqu en suivant plusieurs chemins cette caractristique

.fundamentum ontique de lontologie (voir supi-a, Le modle de lontologie fondamentale: le

fundamentum ontique de lontologie ), metaphysica naturalis (voir supra, La reprise de la thse

kantienne dune metaphysica naturatii). Bien que lintime lien unissant la mtaphysique lessence

du Dasein ait t maintes reprises aperu, il nous reste montrer ce que signifie cette thse

selon laquelle la mtaphysique est lvnement fondamental dans le Dasein et en quel sens

Heidegger soudent que la structure double de la mtaphysique trouve son origine et fondement

C 1.Ibid
2. Comme Heidegger lcrit dans ce mme cours la projection du monde dans la libert nest rien dautre
que llaboration dans le temps (die Zeirtguug) de la comprhension de ltre fihii, 282).
3. Ibid, 200.
221

dans la nature du Dasein. Cest par l&ude de la dernire section de lessai Vom Wesen des

Grundes que nous prtendons clairer cette relation entre lessence du Dasein comprise comme

transcendance et lunit de la mtaphysique.


Troisime partie Le fondement et la libert

Die Metaphysik gehrt zur Natur des Mcnschen. Ste ist weder cm
fach der Schuiphilosophie, noch ein FeId licher EmCille sie

ist da Gnin4geschehen im und ais Dzrein seibst .

Martin HEIDEGGER, W7as ist Metaphysik?

Dans la seconde partie de cette recherche, nous avons tent une caractrisation de la

mtaphysique du Dasein en prenant pour fil conducteur la question de ltant comme tel et

dans son ensemble question troitement lie la lecture onto-thologique de lhistoire de la

mtaphysique. Cest donc tout dabord cette reprise de linterrogation aristotlicienne que nous

avons tent de mettre en lumire. Mais que signifie en fin de compte cette rptition de la

question aristotlicienne portant sur ltant comme tel et dans son ensemble? Constitue-t-elle

vraiment lenjeu et la question fondamentale de b mtaphysique du Dasein? Peuton

rellement soutenir que son but soit de donner rponse cette question tire de la pense

ancienne en soulignant simplement la place insigne dsormais accorde au Dasein? La question

de ltant comme tel et dans son ensemble nest-elle pas plutt la question de la mtaphysique

traditionnelle, celle qui naborde jamais que ltantit de ltant et aucunement ltre comme tel?

La question de ltre telle que la pose Heidegger est une question que la tradition na

jamais formule, ni tacitement ni explicitement. La tradition mtaphysique se serait contente,

selon cette lecture bien connue de lhistoire de lontologie, dinterroger ltant suivant diverses
223

faons, sans jamais mettre en question ce partir de quoi ltre est compris. Si la mtaphysique

a mis en lumire les caractristiques principales de ltant, ses traits communs, elle na

cependant jamais remis en question la signification premire que donnrent les Grecs ltre

de ltant et qui continue dorienter notre comprhension des choses qui sonL

Si le but premier de Heidegger est dinterroger ce qui se tient derrire la comprhension

de ltre qui est la ntre en laborant ce quil appelle alors la question ftndamentute de ti

mtaphyrique celle qui interroge le lien entre ltre et le temps , pour quels motifs prtend-il,

dans le cadre de la mtaphysique du Dasein, se rapproprier ou rpter la question directrice

dorigine aristotlicienne de ltant comme tel et dans son ensemble? Cest le sens que prend

cette reprise (Wiederhotung) de la question directrice de la mtaphysique quil sagit ici de bien

saisit1.

L Pour ce qui est de la rptition (Wiederholrnzg) des questions de la mtaphysique, voir aussi GA 26, 197,
mais surtout la quatrime et dernire section de Kant und titis Problem der Metaphjsik.
224

Chapitre premier

L homme commefondement la qztestion mtquefonmentak

La distinction entre question fondamentale (Grundfra<ge) et <f question directrice

(Leifrage) apparat comme telle partir du printemps 1930 dans la conference He<get und das

Probtem der Metaphysik. Bien que Heidegger ait tabli bien avant cette date la diffrence qui

existe entre la question de ltre et du temps quil cherche laborer et celle de ltre de ltant,

de ltantit qui a gouvern lbistoire de la mtaphysique, la distinction entre ces deux questions

et le possible chemin menant de lune lautre nont pas t thmatiss explicitement avant, le

dernier droit de la mtaphysique du Dasein. Cette distinction deviendra essentielle partir du

moment o la mtaphysique du Dasein prtendra se confronter la mtaphysique hglienne

que Heidegger tient pour laccomplissement (Votkndung) de la mtaphysique occidentale- Afin

de justifier la coexistence dun projet mtaphysique nouveau et de cette thse de

laccomplissement de la mtaphysique, Heidegger tablira de faon tranche une distinction

entre la question laquelle Hegel a bel et bien donn rponse la question de la mtaphysique

traditionnelle portant sur ttant comme tel dans son ensemble et la question laquelle la

mtaphysique a toujours omis de rpondre celle portant sur ttre comme tel.

Si la mtaphysique a t accomplie par Hegel, cest parce quil a donn au premier

nonc sur ltre de ltant son dveloppement complet et sa dtermination concrte

absolue 2. La question directrice de la mtaphysique atteindrait son achvement quand Kegel

procde la runion et la mise en forme en un ensemble quilibr et cohrent de toutes les

1. Cette terminologie expose dans le cours du semestre dt 1930 sur lessence de la libert humaine
napparat pas encore dans le cours du semestre dt 1929 sur lidalisme allemand duquel provient la majeure
partie de cette confrence prononce Amsterdam le 22 mars 1930. Cest une terminologie que Sein und Zert
ignore (voir, ce sujet, la remarque dEmmanuel Martineau la p. 82 de sa traduction du cours de lhiver
( 1930/31, La Phttotaenotogie de lesprit de He,gn).
2. HPM, 36; tr. 37. Keidegger a dfendu cette thse dun accomplissement hglien de h mtaphysique
traditionnelle plusieurs reprises cette poque: HPM, 18 sq. ; tr. 19 sq. ; GA 28, 338 sq. ; GA 31, 16 sq. et un peu
plus tard, GA 36/37, 70 sq.
225

tentatives et tous les thmes essentiels apparus au cours de lhistoire de la mtaphysique .

(J Malgr cela, Heidegger soutient quil existe encore quelque chose de tel quun problme de la

mtaphysique problme qui ne voit le jour quau moment o la question fondamentale dc la

philosophie, celle sur ltre comme tel, est pose2. Or, cette question napparat ni dans loeuvre

de Hegel, ni dans lensemble du coipus de la mtaphysique. La question qui donne naissance la

mtaphysique, sa question directrice, est une question qui ne se penche que sur le fondement, sur

lpX1i de ltant en demandant quest-ce que ltant ? (ri r v ;). Cette mtenogadon sur

ltant, Hegel en a puis les possibilits. Aussi, cette pense qui prtend rellement mettre en

question ltre doit-elle radicaliser cet effort mtaphysique en se penchant sur l&pX1 non plus

de ltant, mais bien de ltre3.

On peut donc penser la question de ltre comme une radicalisation de celle portant sur

ltantit de ltant. Dans la confrence Hget und das Problem der Metap/jjsik, Heidegger indique

une voie menant cette question fondamentale partir de considrations portant sur la

question directrice. Or, on sait que le passage de la question directrice la question

fondamentale celui qui va de la mtaphysique traditionnelle la mise en question de ltre

comme tel est pens, partir de textes comme ceux des Beitr4ge ur Philosophie, non pas

comme la remonte vers le fondement de b question directrice de la mtaphysique, mais bien

partir dun saut qui constitue la fois le dpassement de toute mtaphysique . La pense

du nouveau commencement qui est celle de la fin des annes 1930 fait elle aussi usage de cette

terminologie, mais nentrevoit plus la possibilit dune progression de la question directrice la

I. HPM, 30 fr. 31.


2. fbid., 18 tr. 19.
3. HPM, 42, Anm. x; u. 43. Dans cette note marginale, Heidegger crit quil y a lieu dinterroger le lien qui
unit de faon ncessaire l&p et la question de ltre de telle sorte que la radicalisation de la question directrice
entrane avec elle ime transformation du concept de fondement (Grand). Dans la mesure o lessai Vom [Vesen des
Grandes de 1929 se dploie ce niveau de la question fondamentale, on peut soutenir que la redfinition du
concept de fondement quil opre et dont il sera bientt question rpond une telle exigence.
4. GA 65, 171.
226

question fondamentale. Ici, il sagit encore de redoubler leffort philosophique ou

mtaphysique, de le radicaliser de telle sorte que la question portant sur le fondement de ltant

se transforme en question portant sur le fondement de ltre2.

La question directrice a reu ds lAntiquit une rponse qui a t tenue pour dfinitive

dans la suite: ltre de ltant est oia, cest--dire la prrsence constante (die bestndi,ge

Anwesenheit) de quelque chose sur la base de quoi survient de faon inconstante toute

apparition et toute disparition >. Toutes les questions que la mtaphysique a pu par la suite

poser ltant se sont tablies sur cette interprtation temporelle particulire de ltre de ltant.

Or, la question fondamentale de la mtaphysique cherche justement mettre jour les motifs

cachs dune telle rponse, interroger lorigine de cette comprhension de ltre. Comme le

soutenait Sein und Zei4 ltre est compris dans la mtaphysique traditionnelle partir du temps,

partir des traits temporels que sont le prsent et le toujours . Cest donc ta mise en

question du tien troit qui unit /tre au temps la question du et de tre et temps qui

constitue la question fondamentale de la mtaphysique5.

De la question directrice la question fondamentale, il ny s jamais un progrs immdiat, homogne, qui


appliquerait une fois de plus la question directrice ( lestre) ; il sagit plutt dun saut, cest--dire la ncessit dun
autre commencement (GA 65, 76). Bien quau dbut des annes 1930 Heidegger parle plus volontiers de
llaboration de la Iet/ra,ge en Grundfra,ge, on notera nanmoins que dans le cours de lt 1930, il voque ce
vocabulaire du saut pour parler du passage au-del de la question directrice sans manquer de rappeter le

saut dans la mtaphysique de lt 1928 dont il s dj t question : En faisant signe vers le fait que ltre est
compris comme prsence constante, nous navons certes apport aucune rponse la question directrice, mais
nous avons conduit cette question devant labme de sa problmaticit. Et puis, au cri de tre et temps, nous
avons risqu le saut dans cet abme, mais nous marchons maintenant sans sol ni point dappui dans lobscurit
(GA 31, 115).
2. Le cours de lt 1930 illustre ainsi la radJca]isation de la question directrice en question fondamentale, cest-
-dire le passage de la question de ltant celle portant sur ltre et le temps: II en est rsult la srie de
questions suivantes: ti t 6v ;, Quest-ce que ltant? Quest ltant comme tel? Quest ltant du point de vue
de son tre? Quest-ce que ltre? Comme quoi ltre est-il en gnral compris? (GA 31, 111).
3. HPM, 38 ; tr. 39. Voir aussi GA 31, 73-74
4. Cette orientation sur le temps na cependant rien dalatoire. Le cours de lt 1930 soutient en effet que la
comprhension humaine de ltre doit ncessairement comprendre ltre partir du temps. Cest pourquoi, partout
o ltre devient thme dune manire ou dune autre, la lumire du temps doit se manifester (GA 31, 74; nous
soulignons).
5. La question fondamentale snonce: quelk est lessence du temps pour que ltre se fonde en 1u4 et que ki question de
ttre comme problme directeur de hi mtaphjsique puisse et doive tre det.(oje dans un tel horiton ? (ibid., 116).
227
Or, selon ce quen dit alors Heidegger, la mtaphysique ne pouvait commencer par

(E poser directement la question fondamentale, mais devait tout dabord faire sienne

linterrogation portant sur ltantit. Cest seulement aprs son accomplissement dans la Science

de ta logique de Hegcl que la mtaphysique peut tre en mesure dinterroger le sens temporel de

ltre qui a prsid au dploiement de la mtaphysique occidentale dans son ensemble.

La question mtaphysique traditionnelle trouverait son accomplissement dans le

traitement hglien de la question directrice sans pour autant mettre fin au problme de la

mtapIysique que la question fondamentale rend manifeste. Cest ainsi que la mtaphysique

hglienne ne constituerait que lachvement de la question portant sur ltantit de ltant la

question fondamentale de la mtaphysique ny tant ni formule ni rsolue1. La mtaphysique

du Dasein ne souhaite donc aucunement suivre Hegel, cest--dire continuer sur sa lance en le

corrigeant. Son intention est bien plutt de rpter (wiederboten) la question directrice de telle

sorte que ce questionnement en dvoile le fondement, le Gnmd qui gt en elle. La mtaphysique

du Dasein a pour tche de poser la question directrice de la mtaphysique traditionnelle afin de

rendre possible le questionnement mtaphysique fondamental portant sur ltre et le temps.

Mais linterrogation sur ltant nest pas pour autant une question arbitraire que lon suivrait

uniquement pour son intrt historique. Cest elle et seulement elle qui permet daccder la

question sur le sens de ltre, la question fondamentale de ltre et du temps2.

Comme nous le voyons ici, dans le cadre de cette confrence sur Hegel et du cours de

lt 1930 sur la libert humaine, cette question fondamentale appartient encore la

mtahjisique. Le passage de la question directrice la question fondamentale nest donc pas

encore saisi comme le dpassement de la mtaphysique comme telle, mais bien comme sa

1. Pour Heidegger, laccomplissement de la mtaphysique opr par Hegel nen est donc pas vfalment un
Mais si, de faon irrcusable, la question fondamentale de la mtaphysique est bien tutrouvable chez Regel,
comment pouvons-nous dire alors que la mtaphysique hglienne soit un accomplissement? Alors, elle nest
justement pas un accomplissement. Tel est bien le cas (HPM, 52; tr. 53). Cette nuance na de sens que st la
mtaphysique a encore un avenir , ce qui est encore vrai lpoque de la mtaphysique du Dasci,i.
2. GA 31, 116-117.
22$
radicatisation, comme lactualisation des potentialits latentes en elle. partir du cours sur la

Phnomnologie de te.iprit dc lhiver 1930/31, cette distinction entre question directrice et question

fondamentale deviendra peu peu une distinction opposant la mtaphysique la pense dc

ltre et du temps, voire la pense de lestre (Syn,.

Dans ce dernier moment de la mtaphysique du Dasein que constitue le cours de lt

1930, Heidegger crit que la mise en question du rapport de ltre au temps mene dans Sein

und Zeit aura permis de rendre le lecteur f< attentif lvnement fondamental de la

mtaphysique occidentale, de la mtaphysique de notre Dasein 2. La question fondamentale de

la philosophie, celle qui rige en problme la co-appartenance de ltre et du temps, est donc

intimement lie cc que Heidegger appelle la mtaphysique en lhomme . Conformment

aux lignes directrices de la mtaphysique du Dasein, Heidegger soutient que la transformation

de la question de ltantit en question de ltre et du temps nons contraint poser ta question de

lhomme . Mais cette orientation sur lhomme de la question fondamentale ne trouve pas sa

lgitimation dans le fait que, traditionnellement, un lien ait t reconnu entre le temps et lme

(Aristote, Augustin, Kant, Regel). Cest bien plutt parce que le Dasein est le site de la

comprhension ncessairement temporelle de ltre que cest en lui que trouve son Jndement la

question fondamentale de la mtaphysique. Cela, aucune mtaphysique avant celle du Dasein na

su le mettre en vidence. Malgr toute la richesse des enseignements que la philosophie

traditionnelle a fournis sur lessence du temps, lomission de la question fondamentale laurait

contrainte ne considrer lhomme que de faon accessoire, cest--dire comme un tant parmi

ltant quil lui est donn de considrer: Lorsque nous sommes pousss par la problmatique

de ltre et du temps au questionnement de lhomme, alors nous ne nous enqurons pas de

1. Bien que lintention ne soit plus mtapIysique, il est nanmoins encore question dans le cours sur la
Phnomnotogie de iptit dune transformation de la question chrectnce en question fondamentale (GA 32, 59).
2. GA 31, 115.
3. Ibid., 121.
229

lhomme pour autant quil est 1m aussi un tant au sein de la multiplicit dc ltant, mais pour

autant que te temps appartient thomme titre defrndement problmatique du problme de ttre radicatis .

Interroger lhomme eu gard la question de itre et du temps ou, selon louvrage sur Kant,

interrger thomme eu tgard une instauration desfondements de ta mtaphysique , ce nest pas interroger

lhomme comme un simple tant mais bien comme te fondement de ta question fondamentale de la

mtaphysique. Comme nous lavons annonc plus tt, il nous appartient maintenant daborder la

question dc lessence du Dasein de telle sorte que lessence de la mtaphysique et de sa question

fondamentale soient mises en lumire. Exposer la mtaphysique comme tivnementfondamental

dans te Dasein, cest ce quoi aspire la dernire tape de notre recherche.

1. 1b1C
230

Chapitre II

f L ttnit de hi mtap/ysiqite comprise comme vnementfondamental dans te Dasein

Dans sa confrence inaugurale du mois de juillet 1929, JJ7js ist Metapbysik?, I-Ieidcggcr

prsente devant lensemble des facults universitaires dc Freiburg une ide de la mtaphysique

sloignant grandement de son concept traditionnel: Le passage au-del dc ltant advient dans

[essence du Dasein. Mais ce passage au-del est la mtaphjsique mme. Do dcoule ceci: la

mtaphysique appartient la nature de lhomme. Elle nest ni une branche de la philosophie

dcole, ni un champ ouvert des spculations sans frein elle est [vnement fondamental [qui

advientj dans k Dasein lui-mme et qui advientj comme Dasein . La mtaphysique nest pas une

discipline, elle nest pas non plus un questionnement qulabore le Dasein: elle est le Dasein, elle

est ce qui en lui advient de plus fondamental. Cest cette ide dune mtaphysique comme Dasein

une des acceptions de la mtaphysique du Dasein 2 qui doit dsormais nous occuper.

Cette dfinition dc la mtaphysique comme vnement rompt avec lacception

traditionnelle du terme. Bien quelle ait en quelque sorte t prpare par lide kantienne dune

metaphjisica naturatis, elle constitue nanmoins une caractrisation nouvelle et unique dc la

mtaphysique. Si la philosophie peut encore tre une mtap/ysiqne, cc sera alors comme cette

mise en lumire du dpassement qui advient tacitement dans le Dasein et qui rend possible le

rapport ltant. La philosophie doit dsormais se comprendre comme la mise en lumire dc

ce phnomne advenant depuis to?qiui:r dans lexistence humaine mais que seul le travail

phnomnologique met au jour. Or, cette mise en lumire est concue comme une sorte de

1. lf?vI?, 121-122; tr. 71/56. Encore tct, nous suivons le texte original (Bonn, Cohen, 1929, 28).
2. Suivant la dfinition que nous avons tablie en introduction: La mtaplwsique du Dasezn est une
mtaphysique qui advient comme Dasezn de telle sorte quelle trouve son fondement en une analyse mtaphysique
de ltre du Dusein (voir supra, Une mtaphysique pour combler les lacunes de lanthropologie philosophique ).
3. Comme le souligne 1-leidegger dans ics Grundprobkrne der Phinornenoto<gie de lt 1927, cest en partant de
Iintentionnalit, la face visible de la transcendance, que lon peut rendre manifeste ce qui se tient au fondement
de tout comportement du Dasein. Bien que lmtentionnalit doive son existence la transcendance, ce nest qu
231

conversion du regard du Dasein qui doit dsormais porter attention ce qui advient en lui et

(E qui permet quun monde et ltant se donnent. La philosophie doit donc rendre explicite cet acte

originaire mais tacite que constitue la transcendance. Comme nous lavons dj voqu,

philosopher, ce nest rien dautre que transcender non pas tacitement, conmre cela se fait

normalement, mais de faon explicite, expressment.

Or, rendre explicite lvnement fondamental dans le Dasein, la mtaphysique , cest

ce quoi sattarde la troisime et dernire partie de lessai de 1929 Vom Wesen des Gntndes

Comme nous souhaitons maintenant le montrer, lexposition du triple concept de fondation

qui y est propose correspond une mise en lumire de la transcendance du Dasein, oriente

explicitement sur la question de la gense de linterrogation mtaphysique. Lessence du

fondement y est aborde partir du cadre que constitue le problme de la transcendance. Or, ce

cadre ne reprsente pas quune structure externe prparant la voie la dftrntion du

fondement. Lessence du fondement concide en effet avec la dfmition que donne F-Ieidcggcr

du phnomne de la transcendance compris comme point de rencontre du projet, de ltre-jet

et dc la vrit ontologique. Cest ainsi quen abordant la question du fondement, nous ne

ferons pas que toucher un thme mtaphysique parmi dautres. Cest la question de la

possibilit de la mtaphysique comprise comme vnement dans le Dasein qui sera traite.

Lunit de lessence du Dasein permettra donc dc fournir une rponse au problme dc lunit dc

la mtaphysique.

Suivant lorientation gnrale qua prise notre recherche sur la mtaphysique du Dasein,

nous souhaitons tout dabord souligner que Heidegger a lui-mme reconnu et de faon tout

fait tonnante le lien entre lunit de lessence du Dasein et celle, onto-thologiquc, de la

mtaphysique. Comme nous allons maintenant le voir, il a en effet trac un parallle, dans le

partir delle que lon peut connatre cette dernire: Linteniionnalit est la ratio cqgnoscendi de la transcendance
Cette dernire est la ratio essendi de lintentionnaht (GA 24, 91).
232
cadre des AIetaphjsische Atfingigiinde der Lgik de lt 192$, entre la division traditionnelle de la

mtaphysique dont il a t abondamment question et cette essence double du Dasein

compris comme projet jet . Nous trouvons donc ici le point de rencontre des deux traits

caractristique par lesquels nous avons dfini la mtaphysique du Dasein: celui du problme

antique de lunit de la mtaphysique et celui du primat accord la nature humaine dans la

pense moderne. Aprs avoir abord, dans lintroduction ce cours, la dfinition de la

philosophie quAristote donne dans la Mtaphjsique (F I et E 1), Heidegger tablit un parallle

avec sa propre mtaphysique , en rfrence directe ce qui avait t dploy dans Sein und

Zeit: Gardons en tte que la philosophie, en tant que philosophie premire, a un caractre

double: connaissance de ltre [itpYn ocYo(pia et connaissance du surpuissant

[9EooytK1 cirijn]. (Ce caractre double correspond au doublet dans tre et temps de

lexistence et de ltre-jet) . Heidegger reconnat donc ici sans cependant donner plus

dexplications que ce ddoublement de la Mtciphysique dAristote a trouv un certain cho

dans Sein und Zeit avec le doublet de lexistence et de ltre-jet . Afin de tenter une

interprtation de cette tonnante rfrence Sein und Zei4 nous devons tout dabord

dterminer en quoi consiste le doublet mentionn et ensuite expliquer en quel sens il peut

corre.rpondre la division aristotlicienne de la mtaphysique.

Lexistence (Existen) et ltre-jet fGewonheit,.) se prsentent dans Sein imd Zeit comme

deux des trois traits fondamentaux de ltre du Dasein, compris comme souci (Soee). Selon la

dfinition du souci donne au 58, ce phnomne embrasse lunit des dterminations

dtre que sont lexistence (ou le projet, Entwin/5, In facdcit (ou ltre-jet) et la dchance2. Le

doublet de lexistence et de ltre-jet dont parle b remarque de lt 192$ est un thme abord

plusieurs reprises par Heidegger sous la formule unique projet jet gewo/ner Entwit.93 et

1. GA 26, 13.
2. S. ii. z., 284.
3. Voir, par exemple, S. u. z.. 181 et 284-285 ; KPM, 235-236 tr. 291.
233

qui sert souligner que le projet propre au Dasein et sa comprhension de ltre nest pas

C comparable la Jpontanit du sujet transcendantal puisquil est fond sur la facticit dun Dasein

qui ignore lorigine de la transcendance dans lequel il est jet. Selon ccttc caractrisation du

Dasein, celui-ci se tiendrait la rencontre dune puii.ince de projeter les possibilits dun monde

te projet et dune impuissance complte face au retrait ou la fermeture dc certaines de ces

possibilits ltrejet.

Bien quil soit assez risqu de tenter dinterprter le parallle qutablit ici Heidegger, il

est cependant fort vraisemblable que celui-ci se rapporte la thse de lessai L7om Wesen des

Gnindes qui soutient que cest de la rencontre de ces deux structures opposes projet et tre-

jet que surgissent les questions de la mtaphysique, cest--dire celles qui interrogent la

possibilit des choses, par-del leur effectivit. Comme nous allons maintenant le voir, le

rapport entre le projet jet et lessence de la mtaphysique du t)asein la mtaphysique comme

Dasein est en effet clairement tabli dans lessai sur le fondement. Cest ainsi que cette

reconnaissance dun lien entre la structure double de la philosophie premire aristotlicienne et

la mtaphysique du Dasein sera mise en lumire2.

Nous proposons donc, dans cette troisime et dernire partie de notre recherche, de

nous pencher tout dabord sur la dernire section de lessai Vom [Vesen des Gnindes afin de saisir

comment Heidegger aborde la question de lvnement de la mtaphysique dans le Dasein

partir des notions de projet jet et de vrit ontologique. Dans la mesure o cet essai se conclut

sur une interprtation de lunit de la transcendance du Dasein comme libert, nous aborderons

ensuite la question de lessence de la libert humaine sur laquelle se conclut abruptement ce

. Voir franois Dastur, Heidegger et ta questio!1 anthropo/ogtque, 34.


2. Heidegger a donc reconnu trois reprises que la mtaphysique du Dasein prsentait, linstar dc la
Mutaphjisique dAristote, une structure double: 1. en voquant lunit du concept de la mtaphysique tablie par
lontologie fondamentale et la mtontologie (GA 26, 202); 2. en voquant lunit du concept authentique de la
mtaphysique tablie par le problme de ltre et le problme du monde (GA 27, 324) et 3. en voquant,
paralllement au problme de lunit de la mtaphysique aristotlicienne, celui dc lunit de lessence dii Dasein
(GA 26, 13).
234

projet de hi mtaphysique du Dasein. Cette intelligence de la transcendance comme libert

mettra un point final cette mise en lumire de lessence de la mtaphysique telle quelle est

dploye dans le cadre de hi mtaphysique du Dasein. Comme on le laissera ici entrevoir,

linstauration du concept de libert au fondement de ldifice de la mtaphysique du Dasein

reprsente le point final dun branlement progressif qui a men labandon du projet. Situant

la libert au fondement de toutes choses , la rfrence une possible instauration nouvelle

du fondement de la mtaphysique se tait aussi soudainement quelle avait t annonce.

tant donn limportance quoccupe la question du fondement non seulement dans la

mtaphysique du Dasein, mais dans lensemble de loeuvre dc Heidegger, nous chercherons tout

dabord souligner les points de convergence et de divergence qui existent entre deux

moments reprsentatifs de cette rflexion que sont lessai Vom lVesen des Gnmdes (1929) et le

cours beaucoup plus tardif intitul Der Sat vom Grund (1955/56). Afin de bien saisir lenjeu

philosophique que constitue llaboration nouvelle dune caractrisation de lessence du

fondement, nous proposerons tout dabord un survol historique du concept de fondement

depuis Aristote jusqu Heidegger.

Cet examen historique mettra en perspective lavance philosophique que constitue la

redfinition de lacte de fonder prsente dans la dernire partie de lessai sur le fondement et

qui servira de base notre examen de cette mtaphysique comprise comme vnement

fondamental dans te Dasein. Les considrations portant sur la libert libert eu gard au

fondement tout dabord, puis ce que nous appellerons la libert ontologique nous

permettront de jeter un regard sur les derniers efforts que fait Heidegger pour sauver la

mtaphysique avant quil ne dcide de la laisser elle-mme.


235

Chapitre III

De te.sente diiJbnderneni

La question de lessence du fondement apparat de faon frilgufante dans loeuvre de

Heidegger avec le trait Vom Wesen tics Grundes (avril 1929), la premire publication

dimportance depuis Sein und Zeit. Par sa seule situation chronologique, ce texte apparat dans

un contexte tout particulier pour qui souhaite comprendre ce qui est advenu de lontologie

fondamentale. Une chose est certaine: immdiatement aprs la publication de l4attptwerk, la

question de lessence du fondement se prsente Heidegger comme une tche fondamentale

pour la pense quil met alors en branle. Ces dveloppements, dont les thmes sont

essentiellement nouveaux par rapport Sein und Zeit, vont mener la pense heideggrienne vers

de nouvelles contres la question, entre autres, de lorigine transcendantale du pourquoi?

dans le plutt que otius quam) et celle de la libert comprise comme libert pour fonder.

Quelques annes avant lessai sur le fondement, Heidegger avait cependant dj abord

certains thmes lis au fondement comme celui dc la caractrisation du Dasein comme abme

(Ab,gnind au semestre dt 1925. Le cours de logique de lhiver 1925/26 abordait, quant 1m,

lexigence dc fondation propre la pense philosophique en soutenant que la thse du

scepticisme se tient en de de ces questions philosophiques fondamentales. Bien que le

sceptique nie la possibilit de fonder pleinement une connaissance, il ne remet jamais en doute

lexigence de fondation elle-mme, cest--dire lorigine du pourquoi ? et du parce que 2.

Cette question circulaire dans le cours suivant, Heideggcr demande : sur quoi se fonde

lexigence de fondement ? annonce dj le questionnement propre au trait sur le

fondement. Dans ces Gnindberiffi der antiken Philosophie de lt 1926, dans le cadre dune

1. GA 20, 402.
2. G 21. 23.
3. O se trouve le fondement de la cause et de la raison ? Pourquoi y a-t il un pourquoi, une raison ? (...)
quoi cela tient-il quil y ait quelque chose corrm-ie un fondement? On pourrait se demandet si ce nest pas l une
question circulaire (G/1 22, 47 et 223-224)
236

prsentation de lhistoire de lontologie antique, Heidegger aborde le problme du fondement

C partir dune histoire des concepts qui y sont lis, ceux dpXi, daitia et de tOKE4AE VO V,

mais aussi ii partir dune discussion du princziu;n rationis leibnizien1. Cette histoire sera enrichie

aux semestres dc lt 1928 et de lt 1929.

Lide mmc de fondement reprsente une des ides essentielles de la pense

occidentale. Mme si le princtium rationis de Leibniz napparat comme tel quaprs des sicles

dincubation lexpression est du cours Der Sat nom Gntnd , la philosophie a cherch

depuis son origine le fondement (tpf, aiti.c) des choses. Questionner en direction de lessence
du fondemcnt et du pourquoi ? , cest en fin de compte interroger lessence la plus profonde

de la philosophie. Mais cest aussi interroger par-del la philosophie traditionnelle puisque de la

mme faon quelle omet dinterroger ltre, la philosophie ne remet pas non plus en question

lexigence de fondement qui h co-dtermine. Le trait Vom Wesen des Grundes prtend ouvrir

une intelligence du fondement qui ne se limite plus t celle qua connue la philosophie depuis

ses dbuts. f aisant du fondement et de la libert pourfonder_ h condition ontologique dc tout

rapport ii ltant, Heidcgger radicalise linterrogation sur le fondement en se situant au-deh dc

la comprhension ontique du fondement qui lassimile ii la cause aristotlicicnne.

1. De I7om JVesen des Gnmdes Der Sat nom Grund

A lintrieur du parcours philosophique de Heidegger, deux textes importants ont pour

thme principal la question du fondement (Gnrnd): lessai de 1929 intitul Vom Wesen des

1. Ibiti, 11-14.
237
Grundes et le cours de 1955/56 qui porte le titre Der Sat nom Grttn. Les intentions de lun et

de lautre de ces textes situs aux deux extrmits de loeuvre sont bien distinctes et peuvent

tre caractrises partir du jugement que chacun deux porte sur le princiium rationis de

Leibni%.

Dans le texte de 1929, le principe de raison de Leihniz nest encore voqu que trs

rapidement. Heidegger y reconnat tout dabord que, malgr son titre, le Sat nom Grund ne dit

rien de lessence du fondement. Le principe parle au szqt de ttant Q< tout tant a un

fondement ) et laisse dans lobscurit lessence mme du fondement. Cette essence se trouve

en fait prsuppose pour ce principe comme une reprsentation vidente 2. Si Heidegger

considre malgr tout que ce principe peut le guider dans sa recherche, ce nest pas parce quil

donne quelque indication sur lessence du fondement mais bien parce que Leibniz a reconnu

quil tirait son origine de lessence de la vrit . Cest ainsi et seulement ainsi que le princ-tbium

rationis de Leibniz contribue cette mditation sur lessence du fondement.

partir dune rflexion sur les phnomnes de la vrit et dc la transcendance,

Heidegger montre que la condition de possibilit du fondement est la libert du Dasein. Dans le

cadre de cet essai, le Dasein se prsente comme celui qui exige ou non que soient fournies des

raisons ou des fondements. Par la libert quil exerce face au fondement (Freiheit zum Grunde), le

Dasein se trouve ainsi mis labri de lexigence de fondation. Compris comme origine du

fondement, le Dusein est alors lev au rang dc sans-/bnd, de ce qui est sans fondement

41.gnind,).

Le texte de 1955/56 partira du mme constat: le principe de raison nonce quelque

chose au sujet de ce qui est, mais nclaire pas ce que veut dire le mot fondement (Grund) .

1. Mentionnons aussi que, sans en tre le thme principal, la quesuon de lessence du fondement est trs
importante dans les Beirrage zir Philosophie. Voir, principalement, la cinquime sccimn Q< Die Griindtmg , G 65,
293 sq.).
2. VI17G,127;tr.91.
3. IbieL, 129 ; tr. 94.
4. SpG, 69 ; tr. 122.
238

Au contraire, il faut davance savoir ce quest un fondement pour comprendre ce que signifie la

sentence nihi est sine mtione. Mais le choix de lessai de 1929 de laisser de ct la <t trouvaille

leibnizienne pour dployer une recherche autonome sur lessence du fondement est alors

qualifi derreur. Mme si ce qui constitue lessence du fondement nest pas dtermin dans ce

principe , le principe de raison ne doit pas pour autant tre laiss de ct. Scion le texte de

1955/56, il peut malgr cela servir de fil conducteur la recherche portant sur lessence du

fondement2.

Pour que le principe de raison dise quelque chose de lessence du fondement, il sagit

tout simplement de lire autrement ce quil nonce. Plutt que dinterprter le principe comme

nonant quelque chose au sujet de ltant tout tant a un fondement , on peut lire cette

proposition en accentuant le lien que le principe tablit entre ltre et le fondement: rien nest

sans Jbndernent, nihil est sine ratione . Selon Heidegger, cette accentuation nous fait percevoir

une harmonie entre est et fondement, entre est et ratio . Cest cette lecture devenue

clbre du principe de raison qui permettra Heidegger dinterprter la phrase de Leibniz

comme un cho lorigine commune du fondement et de ltre (rn) dans le yo4. Tout

le cours tourne en effet autour de cette affirmation dduite du principe de raison : Etre et

fondement: le mme .

1. L1JG, 127 ; tr. 91 (Cit dans SvG, 67 ; tr. 120).


2. SvG, 68-69 ; tr. 121-122.
3. Ibid., 69 ; tr. 122.
4. Ibid., 160-16f ; tr. 232-233.
5. Ibid., 77 tr. 132. Cette co-appartenance de ltre et du fondement nest pas quelque chose que Heidegger a
seulement dploy dans les annes 1950. Bien que ce cours reprsente la premire tentative de mditer ii fond et
dans toutes ses consquences ce que signifie cette rnrnetde ltre et du fondement, nous retrouvons partout dans
loeuvre de Heidegger des rfrences u une telle parent (voir Gerd Haeffner, EIeide,gers Bgriff der Metaphysik,
Miinchen, Berchmanskolleg, 1974, 68 sq.). Dans le cadre de la mtaphysique du Dasein, en plus de lessai de 1929,
cest un thme que Heideggcr a abord dans les Meraphjsirche Afangsgribide der Lo,gik de lt 1928 (GA 26, 282-
284) et dans lEinleitungin die Philosophie de lhiver 1928/29 (GA 27, 392).
239

Dans lessai sur le fondement de 1929, Heidegger interroge cette co-appartenance en

Or,
( envisageant le fondement comme un trait transcendantal essentiel de ltre en ,gnrat .

cette appartenance du fondement ltre sexplique alors par ltroite parent que lessai tablit

entre lessence de la transcendance et celle du fondement. Le fondement se donne avec ltre

car ltre ne se donne que dans la transcendance: En tant quil est pralablement compris,

ltre fonde (begriindet) ccds lorigine de faon originaire. Et cest pourquoi chaque tant en tant

qutant annonce sa faon des fondements, que ceux-ci soient ou non proprement saisis et

adquatement dtennms. tant donn que ic fondement est un caractre transcendantal

essentiel de ltn en gnra4 le principe de raison sapplique ltant. Or, si lessence de ltre

appartient le fondement, cest parce quil ny a dtre (pas de ltant) que dans la transcendance

comprise comme la fondation situe qui projette un monde (wei/ es Sein (nicht Seiendes) nurgibt in

der Transrenden ais dciii we/tentwer/nd bflndtichen Griinden) 2. Ltre et le fondement se donnent

dans la transcendance et le Dasein transcendant, libre eu gard au fondement, se voit donc

octroyer le statut don,gine de cette exigence de fondation propre la philosophie.

Dans le cours dc lhiver 1955/56, Heidegger prsente une critique de cet essai de 1929

dans laquelle il crit que nous tous, y compris ceux qui, diverses reprises, se sont dj form

quelques penses sur lessence du fondement , navons pas encore senti cette puissance du

trs puissant principe de raison


.

Car selon linterprtation du principe donne alors, le

princz/iitrn rationis constitue un signe non quivoque de cet appel de ltre et de lexigence de

fondement quimpose le fondement lui-mme. Par rapport lessai de 1929, le rapport de

lhomme au fondement semble donc invers. Si, dans Vom [Vesen des Gritndes, le Dasein est pour

ainsi dire matre du fondement quand il exerce sa libert son gard, il est en 1955/56

1. lIVG, 172 tr. 154.


2. Ibid.
3. SvG, 37 tr. $3. Voir aussi Nous appelons zone cntique la zone que nous abordons maintenant, parce
quici, malgr la v-ue obtenue sur ce que dit le principe de raison, tous les progrs ultrieurs de notre examen
peuvcnt encore tre des progrs dans lerreur. Cette remarque vaut pour mon essai Vom Wesen des Gnmdes, qrn est
paru dabord dans les Mlaiqes offerts E. 1-Itisserl en 1929 (ibid. 67 tr. 120).
240

celui qui rpond lappel du fondement . Compris comme habitant et co-btisseur de

C) lclaircie de ltre , lhomme nest plus pens comme celui qui met loeuvre sa libert en

exigeant que soient rendues dcs raisons. Heidegger se demande : Est-ce que cest nous, les

hommes, qui soumettons notre propre pense reprsentative cette exigence quun fondement

soit toujours fourni? Ou bien est-ce le fondement lui-mme qui, de lui-mme, comme

fondement, impose une telle exigence notre pense reprsentative ? 2. La libert propre

lhomme ne se prsente plus comme cette libert eu gard au fondement , mais rside

dornavant dans cette libre possibilit de la pense que constitue le saut dune pense de ltant

une pense qui rpond lappel de ta vrit de ltre: Cest seulement arriv au lieu du saut

quon voit souvrir la rgion o rside lessence de la libert . Fournir un fondement ne sera

plus une libre interrogation du Dasein en direction du fondement, mais bien une rponse de

lhomme lappel fournir un fondement que lui envoie ltre.

Avant den venir au traitement que donne 1-leidegger en 1929 du problme dc lessence

du fondement, nous souhaitons, suivant lexemple de Heidegger, donner un court aperu du

concept traditionnel de fondement lintrieur de lhistoire de la philosophie. Pour cc faire,

nous exposerons ici une sorte de lexique permettant de prsenter les diffrentes figures du

fondement depuis Aristote jusqu Heidegger.

2. Le concept traditionnel de fondement

Nous traduisons par fondement le terme allemand G7md qui couvre un champ

smantique trs large. Pour sen tenir son sens philosophique, sa signification englobe les

1. ibid., 139; tr. 206.


2. Ibid., 59 ; tr. 110.
3. Ibid., 139; tr. 205.
241

concepts de fondement (<c principe , assise , sol ) et de raison (non pas comme

synonyme d entendement n, mais de motif ou d argument >). Cest pour cette raison

quHcnry Corbin hsita dans sa traduction de Vom Wesen des Grundes (en 193$) entre Jbndement

et raison en donnant le titre suivant : Ce qui fait ltre-essentiel dun fondement ou raison .

Pour ajouter la confusion, rappelons que quelques annes auparavant, A. Bcsscy avait traduit

lessai en lui donnant le titre De la nature de la cause 2. Or, si le Grund peut tre rendu en

franais tant par fondement que par raison ou cause , il nous importe tout dabord de

bien identifier les concepts de la philosophie traditionnelle auxquels Heidegger fait rfrence

lorsquil emploie le mot. Ces prcisions terminologiques, Heidegger les a lui-mme exposes

dans Uessai de 1929 et dans le cours du semestre de lt 1928, mais aussi plus tt dans celui de

lt 1926.

Le concept dc Grund dont se sert Heidegger est la traduction allemande du ratio latin

que lon retrouve au centre du principe de raison (princziurn rationis, Sat nom Gnrnd) leibnizien.

1. Traduction tout dabord parue dans le recueil 2tist-e que lu mtapIysiqze ?, Gallimard, Paris, 1938. Ce titre
exagrment long est celui qui continue de svir dans cc qui sert d dition franaise des lVgmarken, cest-
dire dans les quatre recueils de textes intituls [uestions. Sans ngliger lapport immense quont constitu ces
recueils poctr les tudes heideggriennes dans le monde francophone, il est peut tre temps de se doter dun
quivalent franais plus actuel des lVe,gmarken comme lont fait les diteurs anglais (Pathmarks, 1998), italien
(Selnavia, 1987) et espagnol (Hans, 2000).
2. Traduction parue dans les Recherches philosophiques, Paris, Boivin, 1931-32, 83-124. Dans cette version, A.
Bessey traduit indiffremment pX-Grnndet ttriov-Ursache par raison .
On notera que ces deux titres tmoignent aussi dune hsitation traduire lVesen par essence hsitation

qui na aucune raison dtre quand on sait ce que Heidegger entend par essence cette poque. Dans le cours
sur lessence de la libert humaine de lt 1931 (GA 31, 12, 30 et 178 sq.), Fleidegger n en effet clairement expos
ce quil fallait entendre par ce concept dessence quil emploie alors trs frquemment (De lessence du fondement, De
/essence de la vrit, De lessence de la libert humaine, etc.). Dans le cadre dune rflexion dordre mthodologique
sur la ic connaissance dessence , Heidegger affirme que le terme ne doit pas tre pris en son acception
traditionnelle et courante dessentia, mais bien plutt comme une caractrisation triple se prsentant comme la
dtertnmadon (1) du qtud de la chose en question, (2) de la possibiht intente du quid et (3) du fondement de la
possibilit interne du quid.
Cette cc mthode s pour la mise en lumire de lessence dune chose a bel et bien t suivie par Heidegger. La
confrence Vom Wesen der Wahrheit, par exemple, aborde lessence de la vrit selon ces trois angles en montrant
que lessence courante de la vrit (ladquation) a pour possibilit interne louverture du comportement (die
Ojenstndigkeit des Verha/tens) du Dasein qui n lui-mme pour fondement la libert du Dasein. Heidegger conclut
cette mise en lumire de lessence de la vrit par cette phrase : Lessence de lu vrit est la libert. Or, ce nest pas
parce que la vrit et la libert sont la mme chose, mais bien parce que la libert constitue le fondement de la
possibilit du qutd de la vrit que 1-leidegger nonce cette thse. (Une note marginale insre par Heidegger dans
son exemplaire personnel de cette confrence confirme dailleurs quil s suivi un tel schma: Wesen: 1.
quidditas das Was Kotvv; 2. Ermilgbchung Bedmgung der Mtiglichkeit; 3. Grund der Ermglichung ,

IlflU 177, Anm. s). Notons enfin que lon retrouve les premires traces)> de cet emploi de Wesen en son sens
verbal et qui deviendra habituel au milieu des annes 1930 dans le cours du semestre de lt 1929 (GA 28, 65-

67).
242
Mais le Gnsnd heideggrien renvoie aussi au concept dpXi de h mtaphysique grecque qui

signifie la fois commencement (principe, origine, point de dpart) et commandement

(pouvoir, gouvernement, matrise)1. Ratio traduction latinc du yo grec provient de nai;

tenir quelque chose pour quelque chose 2. Cest dailleurs ainsi que le fondement (Gntnd,

ratio,) peut aussi avoir le sens dun fondement pistmologique , dun argument (Agurnent,),

cest--dire tre compris comme la raison pour laquelle on tient pour vraie une proposition3.

Or, ce fondement pistmologique ou explicatif qui correspond un des sens dc lp le

premier partir de quoi il y a connaissance (Mtaphjsique, A 1, 1013 a 17 scj.) Aristote

lidentifie aussi lun des sens de la cause (aittov). Dans les Anaytiques postrieurs, il crit:

nous pensons connatre quelque chose de faon inconditionne f...) lorsque nous pensons

connatre la cause pour laquelle la chose est telle quelle est et pour laquelle elle ne peut pas tre

autrement quelle nest (A 2, 71 b 9 .cq.). Bien quaucune justification nen soit donne dans

son oeuvre, on sait quAristote tenait la cause pour un type dc fondement ou de principe

(pii.) : toutes les causes (airia) sont des principes pai.) >, crivait-il dans la Mtaphysique

(A 1, 1013 a 17). Les rapports troits quentretiendront les concepts de causa et dc ratio dans la

philosopbie moderne les deux termes seront mme indiffrencis chez Descartes trouvent

donc leur origine chez Aristote. Notre lexique du fondement soriente donc essentiellement sur

trois termes : prinripe, mais aussi cause et raison constituent lensemble des termes situer sotis

celui de fondement.

Selon la dfinition quen donne Aristote, principe (pij se dit de ce qui est premier

quant ltre, quant au devenir et quant b connaissance, ij rtv ij yi.yvrram j

1. Le terme conducteur pour ce que nous nommons fondement (Gntnd) correspond, dans la metaphvsique
grecque, au mot pJ dans les deux sens de commencement et de commandement ; dans la philosophie moderne
dautre part, il correspond au mot ratio (priiitibiiirn rationis siIcientis ; ,grande i/ludprnzaaiwn ; Leibmz) (GA 49, 161).
Voir aussi GA 67, 64.
2. GA 26, 136. Voir aussi G 49, 81.
3. GA 26, 137 et 146.
4. VWG, 124; tr. 8$.
243
vdxtcerat (ibid). Le premier chapitre du livre A de la Mtaphjisique constitue un expos du

conccpt dpi qui prend pour point de dpart lusage le plus quotidien du mot pour slever

ensuite sa signification la plus philosophique. Aristote numre une srie de six significations

appartenant au terme pf pour ensuite tenter une dfinition gnrale: Le caractre

commun de tous ces principes, cest dtre la source, le premier partir de quoi (r icptov

5Ov) ltre, la gnration ou la connaissance drive (ibid.). Suivant la lecture quen fait

Heidegger, le fondement ou le principe doit donc se dire de trois faons: fondement de ltre-

quelque-chose (tVas-sein) fondement du fait-dtre (Dafi-sein) et fondement de ltre-vrai (Wahr


,

sein)1 -

Mais cette tripartition du fondement manque, selon Heidegger, une rfrence au fait

que, de par son agir (Handetn,), le Dasein participe lui aussi de lessence du fondement. En plus

de se dire de lessence (fondement de ltre-quelque-chose), de la cause (fondement du fait-

dtre) et de largument (fondement de ltre-vrai), lpXi doit aussi se dire du mobile (Motir)

fondement de lagir propre au Dasein que Aristote aurait voqu dans lEthique Nicornaque avec

cette notion du ce en vue de quoi (oi vK) mais quil aurait omis dinclure dans sa

dfinition dc lp2. Or, bien que cette quadripartidon du fondement soit bel et bien voque

dans les MetapIysische Anfan<gsgnnde der Lo<gik, ce nest pas suivant ce modle que Heidegger

exposera lessence du fondement dans le trait Von; Wesen des Grundes.

Dans lhistoire de la mtaphysique, le concept de fondement sera graduellement

diffrenci suivant laxe tout dabord dfini de la cause fcausa cien.1) et de largument (ratio

cognoscendi), ce qui permit au problme du fondement de sortir de lobscurit3. Tant chez les

Grecs que dans la scolastique (chez Surez), la distinction entre cause et raison est imprcise.

1. 1 1flE, 124; tr. 87.


2. C 26. 137.
3. GA 22, 225.
244

Descartes lui-mme identifie la causa efficiens la ratio et participe ainsi de cette soumission de

C lensemble de ltant la seule causalit efficiente propre aux commencements de la

philosophie moderne. Leibniz, le pre du principe de raison, tablira fermement la distinction

entre ces deux concepts en soutenant que la cause dans les choses rpond la raison dans les

vrits . Aprs Leibniz, Christian Wolff reformulera le principe de raison en effectuant un

retour la tripartition aristotlicienne du concept dpf en fondement de ltre (Princbium

rationis sufficientis essendi, fondement du devenir (Pcinczjium rajionis sujjicientisfiendt et fondement

de la connaissance (Princzium rationis szffidentis cqgnscendi2. Chez Kant, le principe de raison

suffisante se limitera la raison comprise comme argument, cest--dire comme raison de tenir

quelque chose pour vrai (KrV, A 820/B 84$ sq.) et Hegel, par la suite, procdera nouveau

une identification de la cause et de la raison3. Le rapport quentretient la ratio avec le concept de

causa constitue une problmatique en soi dont lhistoire caractrise de faon essentielle la

philosophie moderne entire4.

Dans le cadre du questionnetnent propre au trait Vouz [Vesen des Gntndes, Heidegger

expose un concept de fondement command par une essence triple: cest en effet comme

possibilit (Mgtichkeit), sol (Boden) et lgitimation (Ausweis) quil entend le fondement5. Si cette

dfinition conserve quelque rfrence lessence, la cause, la raison ou largument, la

rflexion de Heidegger se situe nanmoins un niveau autre: il nest jamais question ici de

trouver des fondements ltant (eu gard son essence, son existence, sa connaissance,

etc.) mais bien de penser les conditions de possibilit du fondement de telle sorte quil soit

rig en problme mtaphysique. lencontre de cette histoire du fondement ici expose,

1. Pour ce qui est du problme dti fondement dans la philosophie moderne, nous renvoyons lrudit travail
de Vincent Carraud, Causa une rutio. La raison de la ctluse, de Suare7 L.eibnz7.
2. Formulations tires de Phe /osophta prima sine onto/ogia cites par Heidegger en GA 22, 48 et 225-226.
3. GA 22, 226.
4 Comme la mis en vidence Vincent Carraud dans son ouvrage, lhistoire de la philosophie moderne
commence avec la rduction de la causa la seule causalit efficiente et se termine l o la cause se trouve
subordonnee la ratio, chez Leibniz. Entre ces deux moments, Descartes identifie ta causa te/7iciens, et la ratio.
5. 1 1VG, 171 tr. 153.
245

Heidegger souhaite c. rveiller le problme du fondement , tout comme il a tent de rveiller

celui de ltre deux ans auparavant.

3. Lessence du fondement

Le trait sur le fondement se compose de trois sections. La premire sattarde it

montrer comment Leibniz drive son principe de raison dc lessence de la vrit et

lucider le lien plus gnral entre le problme du fondement et celui de la comprhension de

ltre de ltant. La seconde section sattaque, quant elle, une mise en lumire du

phnomne de la transcendance essentiellement compris comme tre-au-monde qui doit

constituer le cadre > lintrieur duquel Heidegger souhaite traiter le problme du fondement.

Nous nous sommes dj familiariss avec ce concept dans notre traitement du problme du

monde (voir supra, Le monde comme concept transcendantal ). Cest dans la troisime et

dernire section de lessai que lessence du fondement sera expose comme telle. Cest sur le

contenu de cette section et sur les textes qui sen rapprochent que nous souhaitons maintenant

nous pencher. Comme nous lavons dj soulign, cest dans le but de mettre en lumire lide

dune mtaphysique advenant comme Dasein que cette section nous intresse. Nous laissant

guider par cette piste que constitue le parallle tabli par Heidegger entre la rcprr t.oro(pirx

aristotlicienne et le projet jet, nous lirons la troisime section comme une rponse la

question de lorigine et la possibilit de la mtaphysique.

Si lon peut aborder lvnement de la mtaphysique partir de la dfinition du

fondement que donne Heidegger dans Vom tVesen des Gnindes, cest parce que le phnomne ici

1. Heidegger crit en effet que le problme du fondement a tout dabord besoin dun veil ([f eckun!J
(VIVG, 126 ; tr. 90).
246
tudi ne constitue pas seulement un thme philosophique parmi dautres, mais correspond

O bien plutot a 1 essence metaphvsique du Daiein que nous souhaitons ici mettre en relief C est a

partir de la caractrisation du Dasein comme piojet et que nous tudierons la question de la

mtaphysique comme vnement fondamental dans le I)ujein. Or, le concept de fondement

que Heidegger expose en 1929 est prcisment labor partir dune telle ide du Dasein. Si

lacte de fonder se comprend partir du projet, de ltre-jet et dc la vrit ontologique, cest

quil est pens eu gard la nature mtaphysique du Dasein. Interroger lessence du fondement,

cest ainsi mettre en question ce qui dans le Dasein rend possible une chose telle que la

mtaphysique. A partir dune lecture de la troisime section de lessai sur le fondement, nous

tenterons dans les pages qui suivent dclaircir la metaphjsica nuturatis contenue en lhomme,

cest--dire de montrer comment Heidegger envisage la possibilit et lunit de la mtaphysique

partir des structures ontologiques fondamentales du Dasein.

Si lessence du fondement doit tre prsente partir du problme de la transcendance,

cest parce que Heideggcr soutient que la transcendance constitue le cadre privilgi pour

llaboration de toute question concernant ltre de ltant, de toute question rntaIysique. Nous

avons mentionn plus tt que, dans cet essai, Heidcggcr liait troitement la possibilit

dlaborer plus originairement la mtaphysique notre capacit dc concevoir plus radicalement

et plus umvcrsellement lessence de la transcendance2. Saisir la transcendance non plus comme

une proprit de lobjet de la mtaphysique (Dieu, labsolu, le monde, etc.), mais comme

lessence mtaphysique de celui qui labore la mtaphysique en interrogeant ltre de ltant,

cest la tche que se propose la mtaphysique du Dasein.

Le questionnement portant sur lessence du fondement est donc dploy partir de

cette transcendance du Dasein que Heidegger a place au centre de tout questionnement

mtaphysique. Pourtant, cest partir de cette mise en lumire de lessence du fondement que,

1. Ibid., 159 ; tr. 136.


2. Ibid., 140; tr. 108.
247
selon Heidegger, la transcendance acquiert sa dtermination la plus complte. La rciprocit

qui existe entre ces deux phnomnes trouvera sa lgitimation dans la saisie de la

transcendance comme libert eu gard au fondement s>.

Le phnomne de la transcendance est prsent dans lessai sur le fondement comme la

structure unitaire dc trois phnomnes propres au Dasein: le projet dun monde (tVetentwu/),

ltre-absorb dans ltant (Eingenommen/eit im Seienden) et la vrit de la comprhension de ltre

ou vrit ontologique (ontoto,gische [J7ahrhei. Ces trois phnomnes constituent le caractre le

plus propre du Dasein, son essence transcendantale. En abordant cette tripartition du

phnomne de la transcendance, nous tenterons de saisir plus prcisment le lien quentretient

la mtaphysique avec la nature du Dusein.

Les deux premiers moments dc ta transcendance sont explicits dans lessai sur le

fondement comme ces deux moments propres au Dasein que Sein und Zeit ( 31) prsentait

comme le projet jet structure unitaire contenant les phnomnes du projet et de ltre-

jet2. Dans cet essai, Heidegger ne pense cependant pas uniquement la nature du Dasei.t

comme la tension entre ces deux notions antagonistes, mais aussi, en troisime lieu, comme le

rsultat de la confrontation. Comme nous allons ici le montrer, la rencontre du projet et de

ltre-jet ouvre la possibilit de la comprhension de ltre et, avec elle, la possibilit de toute

mtaphysique.

Lexpression projet jet , dans sa simple formulation, rend manifeste une sorte de

tension ou de contradiction interne aci Dasein. Compris comme projet, le Dusein a cette

particularit dtre lorigine de lesquisse des structures dtre qui permettent ltant de se

prsenter conime tant. Le Dasein est celui qui octroie ltant sa structure dtre, celui qui

esquisse les rapports possibles avec les tants qui constituent le monde. Cette projection du

1. Ibid, 126 tr. 90.


2. Voir, ce sujet, S. u. z., 181 et 284-285 KPAI, 235-236 tr. 291. Notons que dans lessai sur le fondement,
Heidegger prfrera le terme d absorption (Ftiqenornmenheit) celui d tre-jet (Gewor/nheit) pour dcore
ltre-toujours-dj-auprs-de-ltant qui caractrise le Dusein. Lquivalence est reconnue la toute fui de lessai
(VWG, 174-175 ; tr. 157-15$).
248
Dasein se trouve nanmoins contrebalance par laspect jet du Dasein la Gewoiftnheit qui

( indique que le Dasein se trouve toujours dj dans un monde qui lui est impos. Bien que le

Dasein soit matre de lesquisse des possibilits du monde, il est nanmoins toujotirs dit de

fait auprs des tants, cest--dire auprs de possibilits dj effectives. La projection tibre

trouve ainsi sa contrepartie dans cette contrainte que reprsente le monde effectif. Le Dasein,

conwne tant transcendant, se situe ainsi la rencontre dune puissance de projeter les

possibilits dun monde et dune impuissante complte face au retrait ou la fermeture dc

certaines de ces possibilits. Cette double nature constitue, comme lcrit Heidegger, la finitude

de la transcendance que louvrage sur Kant situait au fondement de la ncessit de la

mtaphysique .

Dans cette rflexion sur lessence du fondement, ces deux premiers traits

transcendantaux du Dasein sont saisis comme les deux premiers modes de la fondation (das

Griinden]: linstitution (das Stzften) et le prendre-sol (das Boden-nehmen). Comme le souligne

Heidegger, ces diffrentes manires de fonder appartiennent la transcendance du Dasein et

doivent donc tre dpouilles de leur signification banalement ontique issue du vocabulaire

de larchitecture pour acqurir leur signification proprement transcendantale, mtaphysique2.

Le premier mode de la fondation, linstitution, correspond ce que Heidegger a plus

tt appel le projet de len-vue-de-quoi (der Entwzif des Umwitten) et que lon a identifi la

configuration dun monde propre au Dasein. Comme nous lavons vu plus tt, la possibilit

quun monde se prsente au Dasein est issue de cette projection triple tSetbstwett, Umwett,

Mitwe/t) propre la trnscendance et qui dtermine davance la faon dont peut se donner

ltant. Cependant, cette projection des rapports possibles que peut entretenir le Dasein avec

1. KPM, 113 ; tr. 171. Sur cette double nature de la transcendance, von aussi: KPM, 119 ; tr. 176 ; GA 26, 212,
26$ et 279.
2. LIVG, 165 ; tr. 144.
249

ltant ne constitue pas un fapport effectif ltant. Le projet dun monde nest en effet

quune bauche pralable qui, tout en renvoyant au tout de ltant dvoil dans lhorizon

du monde >, se rfre de ltant non encore manifeste2. Le projet na comme tel jamais accs

qu la possibilit de ltant.

Ltant ne serait dailleurs jamais quune possibilit pour le Dasein si ce dernier ne

projetait le monde quen tant lui-mme situ au sein de ltant. Or, cet tre-toujours-dj-jet

dans ltant constitue un trait essentiel de la transcendance du Dasein. Le dpassement de ltant

qui la caractrise ne peut avoir lieu que si le Dasein est situ au sein de ltant. Est donc aussi

constitutif de la transcendance ce fait que le Dusein est investi, absorb par ltant (vont Seienden

ein,genomrnen). Or, cette absorption (Eingenornmenheit) du Dasein par ltant qui lentoure3,

constitue un appui pour le Dasein, la base sur laquelle stablit la projection du monde. Cest

ainsi que se dfinit ce second mode de la fondation: fonder au sens dappuyer, de prendre-sol

(B oden-nehrnen). Or, ces deux premires manires transcendantales de fonder, Heidegger les

conoit comme tant contemporaines , cest--dire comme nallant jamais lune sans lautre.

Transcendance signifie projet du monde, de telle sorte que celui qui projette soit transi

durchwatte par ltant quil dpasse et auquel il est accord . La transcendance du Dasein

prend donc ltant pour base de son dpassement, sappuie sur lui et trouve en lui un

fondement. Mais cette seconde faon de fonder nest ni antrieure ni postrieure

linstitution: Le Dasein nest absorb par ltant quen tant qutre-au-monde. Le Dusein fonde

(institue) le monde uniquement en se fondant [en prenant appuil au milieu de ltant .

1. Ibid., 157 ; tr. 132.


2. Ibid., 165-166 ; tr. 145.
3. Rappelons que cest aussi le terme que Heidegger emploie pour caractriser le rapport de lanimal au monde
(voir supra, e Lexamen comparatif avec la pierre et lanimal ). On sait que dans la comparaison de la pauvret en
monde de lanimal et de la configuration de monde propre lhomme, cest cssenticflcment la capacit qua
lhomme de saisir ltanr en tant qutant qui le distingue de lanimal. Dune certaine faon, lanimal est donc vou
dernecirer au niveau de cette absorption dans laquelle II est lui aussi jet et ne jamais transcender ttant qui
lentoure.
4. LIVG, 166 ; tr. 145.
5. JhId, 167 tr. 146-147.
250

La ralit du monde, son effectivit, peut donc tre comprise transcendantalemcnt

comme la rencontre de ces deux manires de fonder. Le Dasein, en projetant un monde la

fondation comme institution, le fondement comme possibilit , projette ses propres possibilits,

son propre pouvoir-tre-dans-le-monde. Mais par le fait de son existence effective la

fondation comme appui, comme prendre-so4 te fondement comme sot , seules certaines de ces

possibilits se trouvent ralises. Le monde effectif se traduit en effet par un retrait des

possibilits non effectives. Grce ce retrait, le monde se prsente comme quelque chose que

le Dasein peut saisir rellement. La transcendance agit ainsi la fois comme un essor et une

pIv)atzon (/iberschrnin,gend-entiehendf. Que le monde ne puisse acqurir de puissance que par le

moyen de la privation constitue, selon Heidegger, un tmoignage transcendantal de la


.
finitude de la libert du Dasein (...), de lessence finie de la libert en gnral

Bien que ces deux moments du projet et du retrait soient cooriginaires, il sen faut dc

beaucoup quils soient identiques. Dans lessai de 1929, Heidegger tente de penser au-del

du projet jet, cest--dire de dterminer ce quengendre cette confrontation entre lessor que

constitue le projet et la privation que constitue le fait dtre jet dans un monde. Selon son

essence, le projet (Bntwu./) des possibilits est chaque fois plus riche que la possession qui
.
repose dj en celui qui projette (mu Entverftnden) Le fait dtre jet au milieu de ltant

implique en effet une certaine ralisation des possibilits que le Dasein projette et cette

ralisation a pour consquence la fermeture du Dasein dautres possibilits. Lexistence

effective du Dasein, sa facticit (Fakti.itdt,) implique que certaines possibilits du monde lui

soient retires. Mais ce nest que par ce retrait (Entu,g) quont lieu la concrtion dun pouvoir-

tre-au-monde dtermin et la rencontre de ltant ctif et non seulement possible. Cette

1. Dune certaine faon, cette conception de leffectivit rappelle lide leibnizienne du c combat entre tous les
possibles qui tait de Ieffectivit une possibilit choisie au sem dune multiplicit de possibilits 1w prexistant.
2. 17117G, 167 ; tr. 147. Voir aussi GA 26, 279.
3. 17117G, 167 ; if. 147.
4. Ibid Voir aussi S. u. Z., 31, 145-148.
251
restriction de lcsqmsse des possibilits dun monde est la condition ncessaire pour que le

monde puisse faire sentir sa force . Ce nest donc qu partir de la rencontre des deux

premiers moments de la transcendance que devient possible le rapport quentretient le Dasein

avec ltant. Le simple fait de pouvoir se rapporter de ltant effectif dpend dc la rencontre,

dans le Dasein, du projet dun monde (essor) et de labsorption dans ltant (privation).

Ces deux premiers modes de la fondation sont incapables de dtenniner

indpendamment lun de lautre le rapport efficti/ ttant, cest--dire le rapport intentionnel. Le

projet suppose une certaine comprhension anticipante de ltre de ltant sans pour autant

constituer lui-mme un rapport du Dasein ltant (ciii Daseinsbeug um Seiendern). De son ct,

labsorption du Dasein au milieu de ltant ne permet pas non plus un comportement envers

ltant (en Verhatten u Seiendern,). Cest bien plutt la rencontre des deux modes de la fondation

(institution et appui) qui, dans leur unit caractristique, constituent la possibilit

transcendantale de lintentionnalit , la possibilit donc dun rapport effectif ltant. Cest

cette base ontologique de la manifestation dc ltant, issue de la rencontre des deux premiers

modes de la fondation, que Heidegger appelle la justification (das Begriinden), troisime mode

de la fondation. Cest ici quest fonde la possibilit de la manifestation de ltant, de la vrit

ontique.

Encore une fois, il faut entendre lexpression justifier en son sens ontologico

transcendantal et non en son sens courant qui en fait une dmonstration de propositions

dordre ontique et thorique 2, une recherche du pourquoi des choses. Dans la mesure o cette

fustilication ontoto<gique se comprend comme la condition de possibilit de lajstfication ontique, il

est de son essence de dvoiler la possibilit et lorigine transcendantale de la question du

pourquoi , propre tout questionnement ontique. Or, ce troisime mode de la fondation

1. 41G, 167; tr. 147.


2. Ibid., 168 ; tr. 149.
252
tant issu de la rencontre des deux premiers moments de la transcendance du Dasein, lorigine

du pourquoi va tre cherche mme lessence du Dasein, l o lessor du possible

rencontre la privation de leffectivit. La tendance du Dusein poser la question du

pourquoi naurait donc rien de contingent, mais ailkrait de la nature transcendantale du

Dasein de manire ncessaire1. Et cest prcisment dans cette capacit interroger par-del

leffectwit des choses et do surgit le pourquoi que rside lessence mtaphysique du

Dasein: En son essence mtaphysique, le Dasein est celui qui demande pourquoi 2. Dans la

mesure o cette origine du pourquoi est intimement lie au problme de la gense dc

linterrogation mtaphysique, cest partir de cette tendance du Dasein que nous tenterons de

comprendre la mtaphysique comme vnement dans le Dasein

Afin de tirer au clair lorigine du pourquoi, Heidegger dresse un inventaire de ses

diffrentes manifestations. La question pourquoi se rduit de fait trois formes principales

quillustrent les trois questions suivantes: Pourquoi ainsi et non autrement? Pourquoi ceci et

non cela ? Pourquoi, en dejinitive, quelque those et non pas rien ? . Cette liste exhaustive des

possibilits de linterrogation rend manifeste que le pourquoi est guid par une certaine

comprhension des structures fondamentales de ltre, pralable et prconceptuelle4. Ces

questions ne sorientent en effet pas au hasard: elles interrogent le comment de ltant (ainsi oct

autrement), le quoi de ltant (celui-d ou celui-l) et en tenant compte des limitations de

linterrogation mtaphysique traditionnelle lexistence de ltant (quelque chose ou iien). Le Dasein

qui demande pourquoi rend donc manifeste quil a dj en lui une comprhension des

structures fondamentales de ltre que sont lessence, lexistence et le comment des choses. La

1. Ibict
2. Das Dasein ist sernem metaphysschen \Vesen nach der nach dem Warum fragcndc (GA 26, 280).
3. VIVG, 169 ; tr. 150.
4. Ibid.
253

comprhension de ltre se trouve donc ouer le rle de condition de possibilit du

pourquoi

Chacune de ces questions tmoigne dc cc que la rencontre du projet et dc labsorption

dont il a t question a dj eu lieu dans le Dusein. Le pourquoi>) ne surgit jamais que du

conflit entre lcffectivit de ltant et sa possibilit, de telle sorte que ltant qui se prsente

effectivement ainsi ou comme celui-ri ou comme quelque chose dtant rende manifeste la

possibilit dun autrement ou dun cetui-l ou dun rien dtant. Lessence et lexistence de ltant

se prsentent elles aussi comme la rduction de tout le possible (protypon) une seule

possibilit effectue (ecbon). Cette rencontre du projet et de labsorption ou de ltre-jet que

constitue le Dasein ne reprsente donc pas une simple curiosit propre son essence, mais en

fin de compte la condition de possibilit de tout questionnement philosophique, de toute

mtaphysique. La mtaphysique ne surgit donc pas arbitrairement dune capacit que le Dasein

pourrait ou non dployer: elle est inscrite en lui et jaillit de sa nature de faon ncessaire. Dans

la mesure o cest de la nature mme du Dasein comprise comme transcendance que jaillit le

questionnement philosophique, nous comprenons enfin de quelle faon rapparait chez

Heidegger la thse kantienne de la metaphysica naturuis. Cest ainsi que, comme Kant, Kcidegger

tente de montrer que la mtaphysique est non seulement un penchant>) mais bien une

coittrainte impose lhomme par sa propre nature, un besoin propre dc sa raison1.

Mais en quoi consiste alors ce troisime mode de la fondation que Heidegger appelle la

justification (dus Begriinden,) et quil conoit comme rencontre des deux premiers modes?

Heidegger crit que si la comprhension dc ltre rend tout dabord possible le pourquoi ,

cela signifie quelle dtient dj la rponse premire et dernire de tout questionnement


2. La

comprhension de ltre nest donc pas une question, mais bien une rponse. Comme

1 K,itik der reine!! I-enzunf, Introduction, B 21.


2. 1 16) ; tr. 150.
254

transcendance, h comprhension de ltre justifie, cest--dire quelle donne la rponse la plus

originaire qui soit. Cette justification transcendantale qui anticipe tout questionnement

constitue ce que Heidegger appelle alors la vrit ontologique >.

La justification ontologique qui constitue le troisime et dernier mode de la fondation

transcendantale ne correspond donc pas h comprhension de ltre comme telle qui

sapparente davantage au projet , mais llaboration de la comprhension de ltre en vrit

ontologique. Cette laboration de la comprhension pr-ontologique de ltre en une

conceptualisation ontologique de ltre est un thme trs prsent dans Sein und Zei4 mais aussi

dans lensemble des textes de la mtaphysique du Dasein2. Cest en effet ainsi que Heidegger

conoit alors le travail mtaphysique: effectuer explicitement le dpassement de ltant que

constitue la transcendance de telle sorte que puisse tre thmatis ce qui rend possible tout

rapport ltant la comprhension de ltre.

Lvnement de h mtaphysique tel quil a lieu dans ie Dasein peut ainsi tre mis en

lumire. Nous avons tout dabord vu comment le pourquoi parvenait jaillir de cette

rencontre interne au Dasein compris comme projet jet. Or, la structure caractristique de la

question pourquoi nous a permis de montrer que se tient sa base une comprhension

anticipante de ltre qui, comme telle, demeure lextrieur de tout questionnement. Se donne

alors dans lessence du Dasein la possibilit dune laboration expresse de cette rponse que

constitue la v,it de ta comprhension de ttre. La rencontre du projet et de ltre-jet dans le Dasein

1. IbitL Heidegger emploie aussi les expressions vrit de la comprhension de ltre ibid., 160; tr. 137) et
dvoilement de ltre>) (Enthiilltheit des Seins) (ibid., 131 ; tr. 97).
2. Notons que ds les Gnmdprobterne der Pbiunomeno/ogie de lt 1927, Heidegger annonait dj la criuque de
cette ide. Aprs avoir expos la tche de la philosophie comme celle dune apprhension conceptuelle de la diffrence
ontologique (GA 24, 454, Heidegger remarquait quune telle dmarche courait le risque de faire dc ltre un objet,
cest--dire un tant (ibid., 459). Mais cette ide dune conceptualisation (Be,griffin) de ltre navait pas pour autant
t abandonne. Dans le cours sur Mtaphysique 0 1-3 de lt 1931, Hcidegger revient la charge alors quil
commente lide aristotlicienne selon laquelle ltre ne peut pas tre un genre: Si ltre nest pas un genre, alors
il ne peut pas non plus tre saisi comme concept, et il ne peut pas tre conceptualis begriffinj (...) Si lon nomme
dfinition la dlimitation du concept (le ptoi), cela veut dire alors que toute dtermination de ltre par le
moyen de la dfinition doit chouer par principe. Si ltre peut tre saisi, ce sera dune tout autre manire (GA
33, 37). Une critique en rgle de la dmarche de Sein tend Zeit sera accomplie dans les Beitrpe ur Philosophie
quelques annes plus tard (G 65, 451).
255
ne rend pas uniquement possible le questionnement en gnral mais aussi llaboration de la

comprhension de ltre tche que la mtaphysique du Dusein a reconnue comme sienne.

Le problme de ltre que la mtaphysique du Dusein labore a donc son origine dans la

transcendance du Dasein que Heidegger dfinit coturne projetant et situe, laborant une

comprhension de ltre (uts entwend-bflndtiche, Seinsversttndnis ausbitdend,) . En parfaite

correspondance avec cette dfmition de la transcendance, Heidegger prsente une intelligence

mtaphysique du fondement qui dent compte de sa structure triple: Lessence du fondement

est la triple ramification surgissant transcendantalement de lacte de fonder en [1] projet-

2
du-monde, [21 absorption dans ltant et [ lgitimation ontologique de ltant
Nous avons donc trouv une explication cette thse forte que Heidegger prsente la

fin des annes 1920 selon laquelle la mtaphysique nest pas une discipline de la philosophie

mais un vnement dans lexistence humaine, voire le Dasein lui-mme. La dmonstration de ce

que linterrogation mtaphysique surgit de la nature du Dasein et ce, de faon ncessaire,

permet Heideggcr de reprendre son compte cette ide kantienne selon laquelle lhomme a

une disposition naturelle pour les questions de la mtaphysique. Mettant en lumire ce qui

advient tacitement dans le Dasein pour que celui-ci puisse entrer en rapport avec ltant ou,

comme lcrit alors plusieurs reprises Heidegger, pour que ltant puisse faire son entre

dans le monde (Wetteiigang) , Heidegger a donn la transcendance sa dtermination

complte de telle sorte que la possibilit mme de la mtaphysique ait pu tre dmontre. Or,

ce qui a rellement t tabli dans Uom IVesen des Gnrndes en 1929, ce nest pas seulement la

possibitit de linterrogation mtaphysique, mais aussi sa ncessit. Afin de mettre un point final

cette troisime partie et cette recherche dans son ensemble, nous souhaitons maintenant

aborder le dernier concept-cl de la mtaphysique du Dasein: celui de la libert.

1. Ibid. 170; tr. 151.


2. Ibid., 171 ; tr. 153.
256

Chapitre W

De tessence de la libert humaine

La conclusion de Voni lVesen des Gnmdes annonce les derniers dveloppements de la

mtaphysique du Dasein en interprtant la transcendance et lessence du fondement partir

dun concept relativement nouveau dans loeuvre de Heidegger: celui de la libert1. Lanalyse de

la transcendance du Dasein qui apparat tout dabord dans les Gnmdprobleme der Phiinomenotogie du

semestre dt 1927 culmine dans une interprtation de cette mme transcendance comme

libert dans le trait de 1929. Cette interprtation sera complte lt 1930 dans Von, lVesen der

menschlichen Freiheit et dans la confrence de la mme anne intitule Voni Wesen der lVahrheit.

Afin de bien cerner ce concept heideggrien de libert, nous commencerons par

aborder la conclusion de I 7om tVese;z des Gnmdes o Heidegger dfinit la transcendance du

Dasein con-une libert eu gard au fondement . Nous tenterons ensuite dc comprendre

1 ontologisanon du concept traditionnel de libert (la spontanit) quopre Heidegger dans

le cours de lt 1.930 et dans la confrence sur la vrit. Du concept thico-pratique courant,

nous passerons t un concept ontologique et thorique de libert qui se prsente non seulement

comme condition de possibilit du premier, mais aussi comme fondement dc tous les

comportements possibles du Dasein.

1. Bien que Sein um-I Zeit ait parl dune libert eti gard la mort s freihezi mi TrnIe, qui dlie des illusions du
On (S. u. Z., 266), le concept ne Jouait pas alors ce rle fondamental quil aura dans les derniers moments de la
mtaphysique du Dasein.
257

1. La libert eu gard au fondement

Suivant ce que Heidegger expose au tout dbut de la troisime section de lessai sur le

fondement, la projection dun monde qui a t dfinie comme projection des rapports

possibles que le Dasein peut entretenir avec ltant ne peut tre adquatement comprise que

si nous mettons en vidence le libre vouloir qui se tient sous elle. Comme nous lavons vu en

exposant le concept transcendantal du monde (voir sitpra, Le monde comme concept

transcendantal ), la projection du monde est comprise comme la projection des possibilits

propres appartenant un Dasein. Cest parce que le Dasein existe en vite dii monde que sont

projets les diffrents rapports possibles avec ltant: ltre auprs... de ltant_l-prsent, ltre

avec.., le Dasein des autres et ltre-envers.., lui-mme. Or, cette projection oriente sur un en

tue de (Umwitten) contient en lui un aspect indniable de volition. Lexpression quemploie

Heidegger le hisse voir clairement < Umwillen , en vue de, est en effet construit sur le mot

iVilten , volont1 , et le sens mme de la thse le laisse deviner. Si le dpassement de ltant

vers le monde propre au Dasein soriente sur un en vite de et possde donc une certaine

finalit , on peut comprendre en quel sens une volont doit tre prsente derrire la

projection. Nanmoins, ce concept de libert avec lequel Heidegger caractrise le dpassement

vers le monde, b transcendance, ne doit pas tre identifi avec la libert entendue au sens

courant, comme libre -a,hitn?, comme spontanit ou capacit humaine de se situer au

commencement dune chane causale. Lii pivjection dit monde est libre non pas parce que le

Dasein pourrait lui-mme choisir, suivant son dsir, la forme laquelle ltant qui se prsente doit

se conformer, mais bien parce que cet tant que le Dasein rencontre ellctivement dans son

monde se prsente comme quelque chose dimpos, comme une contrainte. Pour que le Dasein

1. Le dpassement en vue de quelque chose nadvient que dans une volont, qui comme telle se projette
sur des possibilits de soi-mme (Der ,a?reiIkntiicl]e Llberslie,g ,geschieht ver in einm IL.tn der ais soicher si.h aif
Mbgiichkeiten sei,zerse/bst eniwiIt,) (1 WG, 163 tr. 141). Pour faire ressortir la parent des expression ;w,wilkntiich
et H7ilIen , Henry Corbm traduisait ainsi: ((Ce dpassement intentionnel nadvient que par une rn-tenflon, un
vouloir >.
258

puisse ressentir lobligation que constitue ltant du monde, il faut ncessairement que ce

dernier se prsente sur fond de libert. Ce nest en effet qu partir dc la libert que le fait

dobliger et le fait dtre-oblig (Bindmt und Verbindtichkeit)1 propres au rapport entre le projet

dun monde et ltre-jet au sein de ltant acquirent une certaine signification.

Si nous dfinissons le projet du monde comme un projet libre et ltre-jet conune une

contrainte impose au Dasein, il nous est possible de saisir en quel sens Heideggcr souhaite

souligner limportance du concept de libert. Le concept ici expos ne se limite donc pas la

libert comprise comme spontanit, cette libert dfinie partir de la causalit et qui nest

jamais exerce quau sein de ltant dj manifeste. Ici, la libert se prsente bien plutt comme

le projet transcendantal du monde par-del ltant. Identifie la transcendance et donc,

comme nous lavons v-u au chapitre prcdent, au fondement, la libert ne peut tre rduite

une espce particulire de causalit 2 qui limiterait son champ dexercice au seul plan

ontique. Comme le soutient alors Heidegger, cette interprtation dc la libert comme

causalit se meut avant tout dans une comprhension dtermine du fondement , cest--

dire du fondement comme cause (trtov). La libert comme transcendance nest cependant

pas quune espce particulire du fondement, mais bien lorigine du fondement en gnral.

Libert szgnfie tibert eu egard aujbndement .

Aprs avoir dfini lessence du fondement comme la triple ramification surgissant

transcendantalement de lacte de fonder en projet-du-monde, absorption dans ltant et

lgitimation ontologique de ltant


,
Heidegger jette un regard sur ce qui servit de point de

dpart sa recherche, soit le Sat rom Grund de Leibniz. En quel sens cette dfminon

1. 1 7lG, 164; tr. 142.


2. Ibict, 164; tr. 143.
3. fhid, 164-165 ; tr. 143.
4. Ibii, 165 ; tr. 143-144. Nous traduisons freibeit zirn Gnmde par libert eu egard au fondement qui nous
semble rendre pius adquatement lide de Heidegger que lexpression libert polir fonder dHenry Corbin ou
libert dbmverau fondement dA. Bessev.
5. Ibid., 171 ; tr. 153.
259

transcendantale du fondement nous permet-elle de mieux cerner le principe leibnizien? Selon

[-leidegger, la comprhension transcendantale du fondement permet de comprendre pourquoi

rien nest sans raison , ou mieux: pourquoi <c tout tant a son fondement . Cest en effet

parce que ltre pralablement compris justifie (begriindet) ltant que ce dernier annonce sa

facon mais ncessairement des fondements. Dans la mesure o le fondement constitue un

trait transcendantal essentiel de ltre en ,gnra/, le principe de raison sapplique donc ltant
2.

En se fondant sur son interprtation de la transcendance et du fondement comme libert,

Heidegger affirmera que la libert constitue lorigine du principe de raison.

Or, ce lien entre le fondement et la libert ne semble pas avoir chapp Leibm

lorsquil formula son principe, mme si cela aura t touff dans la formule courante rien

nest sans raison . Cette formulation courte oublie en effet quil sagit toujours de la raison

pour laquelle quelque chose est x plutt que j. Diffrentes formulations du principe rendent

manifeste que le pourquoi (cur) sexprime chez Leibmz comme un pourquoi... plutt

que (curpotius qitam,), qui tmoigne de la rencontre dans le principe de raison de la recherche

du fondement et dun certain moment de prjrence3. Cette prfrence appartiendrait lessence

du fondement dans la mesure o cest la libert qui permet au Dasein de dpasser le monde

vers sa possibilit propre. La mise en lumire de ce lien entre le pourquoi et le plutt que

permet de montrer que la formulation classique du principe de raison atteste tacitement de

sa condition de possibilit: la libert. Lorsque le Dasein interroge en direction du fondement

dun tant, il se meut alors forcment dans un certain cercle dupossibk. La trace de cette origine

dans la fondation de la libert finie de lessence du fondement se montre dans le potins quum

1. Ibid. 172 ; tr. 153.


2. Ibid., 172; (r. 154.
3. GA 26, 284. Pour la dtermination du principe de raison comme principe du pluldi quf , votr ibrd, 141
142.
260

des formulations du principe de raison . Le j)o/ius quam leibnizien ferait ainsi signe vers cette

ouverture libre de la possibilit dun monde.

Lexigence pour le Dasein que constitue le fondement trouve donc son origine dans sa

propre libert. Cest elle, en effet, qui rend possible que lon interroge pourquoi. .ptutot que... ?
. .

Le concept ici dploy de libert est donc dtermin par son rapport la notion de fondement

et se comprend comme libert eu gard au fondement


2. Cest donc la libert qui devient le

vritable fondement , ou mieux: le fondement du fondement (G nmd des Gritndes,)3.

2. Lintelligence ontologique de la libert

La conclusion du trait I7orn IVesen des Gnindes expose un concept de libert qui na rien

du concept de la philosophie pratique, mais qui se confond bien pluint avec celui de

transcendance que Heidegger si dfini comme origine de tout comportement humain. La libert

se prsente ainsi non comme une proprit du Dasein qui se manifesterait dans son rapport

avec ltant, mais bien comme ce qui rend possible le rapport ltant et sa manifestation. Le

rapport de ltant effectif nest possible que si a lieu dans le Dasein ia rencontre de la

projection libre dun monde et de labsorption contragnante dans ltant. Dans le cours sur

lessence de la libert humaine et la confrence sur lessence de la vrit de 1930, ces deux faces

de la libert du Dasein (obliger et tre-oblig) vont tre penses partir dun phnomne

unitaire: le laisser-tre (Sein-tassen) de ltant4. Afin de complter notre cheminement travers

la mtapliysicue du Dasein, il nous faut maintenant aborder cette question de la libert

1. t lU, 173; tr. 155.


2. Ibid.. 170; rr. 152; G 26, 277.
3. tbiL, 174; tr. 156.
4. Cette thmatique sera conserve aprs labandon de ta mtaphysique du Dasein. Ce thme, dj5 prsent dans
lEiukitmi in die Philosophie de lhiver 1928/29 et dans les GniizdligriJji derMetaphysik de lhiver 1929/30, se retrouve
dans la version publiee en 1943 de L 0171 lresen der lPihrheit (GA 9), mais aussi dans lVs hetJ.?t Denken ? de 1951-
1952.
261

ontologique . Dans le cadre de cette rflexion, la terminologie transcendantale sclipse pour

(J faire place ce concept de libert se tenant au fondement du dpassement de ltant propre au

Dasein. Cette mise en lumire de la libert ontologique concide avec les derniers efforts

mtaphysiques de Heidegger. Nous souhaitons donc, dans les pages qui suivent, conclure

notre recherche en mettant en relief le sens de ces efforts qui senracinent dans lvnement

mtaphysique fondamental qui advient dans le Dasein.

Aprs le trait de 1929, le thme de la libert a t explicitement thmatis dans le

cours du semestre dt 1930 intitul Vom [Vesen der rnenschtichen Freiheit. Einteitung in die

Philosophie. Reprenant la critique de la comprhension superficielle de la libert comme

spontanit ou causalit dj expose dans Von; Wesen des Grundes, Heidegger tente de remonter

le courant de pense qui a permis ce concept driv dapparatre. Le questionnement sur la

causalit partir duquel est dtennin le concept courant de libert provient des questions

aristotliciennes portant sur le mouvement. Or, dans la physique aristotlicienne, le

mouvement nest pas quun phnomne parmi dautres mais reprsente la caractristique

principale de ltant comme tel. La question de la libert comme causalit question dordre

pratique a donc partie lie avec les questions mtaphysiques sur ltant en tant qutant. Ce

lien entre libert et mtaphysique sera dailleurs mis en vidence par ce concept ontologique de

libert que Heidegger situe au fondement de la transcendance qui rend possible la rencontre

avec ltant. Nous avons donc ici deux concepts de libert fort loigns lun dc lautre et qui

forment c<le champ total au sein duquel se situe la libert comme problme: un phnomne

driv de la causalit lune extrmit, la condition de possibilit de la manifestation de ltant

de lautre.

Dans son cours sur la libert humaine, Heidegger souhaite donc dpasser le point de

vue kantien qui limite ses considrations la libert cotnme causalit pour atteindre un concept

1. GA 31, 132.
262
compris comme fondement de ta possibilit du Dasein comme ce qui se tient encore en de de ttre

et dit temps . La question de lessence de la libert ne doit donc pas apparatre aprs celle

portant sur les caractres propres ltant (mouvement, causalit), mais bien au point de dpart

de lentreprise philosophique, l o est mis en question le rapport de ltre au temps : nous

devons accomplis un complet dptacement du lieu de ta libert, do II rsulte ceci: te problme de ta

libert n est pas insr dans la question directrice et la questionJndamentale de laphilisophie, cest au contraire

la question directrice de la mtaphysique qui se fonde sur ta question de lessence de la libert 2.

Linterrogation sur la libert nest donc pas lune des questions de la mtaphysique, elle est ta

question qui se trouve lorigine de linterrogation mtaphysique sur ltant comme tel et dans

son ensemble, la question fondamentak. La question de lessence de la libert se trouve ainsi

promue au rang de question premire et de fondement de tous les thmes de la philosophie:

la libert, suivant notre nouvelle thse, est au fondement de la causalit, du mouvement, de

ltre en gnral. La libert nest pas une chose particulire parmi dautres, juxtapose dautres, elle est

pr-ordonne , et elle rtgitjitstement de part en part le tout en tant que tout. Dautre part, si ce dont nous

sommes en qute est la libert comme fondement de la possibilit du Dasein, alors elle est elle

mme en sou essence plus originelle que lhomme. Lhomme est seulement un administrateur de la

libert . La libert nest donc plus considre comme une caractristique propre lagir

humain. Tout sinverse: lhomme est dornavant compris comme une possession appartenant ta

iwerte4
I.

1. Ibict, 134.
2. Ibii
3. [hid.
4. fiait, 135. La mme ide est expose dans la confrence sur lessence dc la vrit de 1930: Si maintenant
lhomme se libre pour sa libert ftu semer Freiheit stch b/ndt,, alors la volont humaine ne dispose plus de la libert.
Lhomme ne la possde pas comme une qualit, mais inversement: la libert, en tant que ce Dasein existant et
ouvrant (uts dieses existente, ojjinharende Dusein), possde lhomme, et cela si originaireme
nt que ta libert seule le rend
possible (Philosophieren und Glauben. Dus fVesen der lVahrheit [abrg Ph. u. G.1, 6-7 I1lW, 190 ; tr. 178).
Rappelons que pour les fins de cette recherche, nous utilisons la retranscription faite par Hermann Mrchen
dune confrence indite prononce Marburg le 5 dcembre 1930 intitule Phitosophieren und Glauben. Das lVesen
C eler lt7ahr/jeit. La structure des versions de 1930 et de 1943 est similaire, en ce sens que les huit titres que Heidegger
insrs dans la version publie dc sa confrence peuvent tout aussi bien sappliquer au texte de 1930. Nous
avons donc tent, dans la mesure du possible, de donner la correspondance dans la version publie des passages cits
263
Ce problme mtaphysique de la libert >, cest en dbat avec Kant que Heideg,ger

souhaite le traiter. Il sagit de retourner ce concept de libert que Kant avait situ dans la

perspective du problme de la causalit afin de mettre lpreuve cette autre intelligence de la

libert comprise comme fondement de la possibilit du Dasein. Heidegger souhaite donc

opposer la libert comme cause (Ursache la libert comme fondement Grund) pour ainsi

poser la question suivante: ta tibert est-elle un problme de causatit ou bien ta causalit un problme de

libert ? 2 Si nous comprenons la libert comme libert eu egard au fondement, nous voyons

immdiatement se profiler la secondant du concept de libert fond dans la causalit. La

causalit ntant quune forme drive du fondement, nous pourrons conclure que la causalit

nest en ralit quun problme driv de celui dc la libert. A partir de la confrence sur la

vrit de 1930, nous souhaitons maintenant mettre en lumire ce concept de hbert compris

cormne condition de possibilit ontologique de la manifestation de ltant.

La confrence sur la vrit constitue un pas supplmentaire dans cet essai que fait

Heidegger pour dfinir la vrit non pas comme une caractristique de lnonc, mais comme

le propre du rapport du Dasein ltant. Cest cette tche que se sont affaires toutes les

rflexions sur la vrit que Heidegger a faites dans les annes 1920 au 44 dc Sein und Zeit et

dans diffrents cours (principalement les cours du semestre dhiver 1925/26, bgik. Die Frage

,zach der Wahrheit, du semestre dt 192$, Metaphysische Anfrngriinde der Lgik, et du semestre

dhiver 1928/29, Einleituig in die Philosophie). La confrence Vom tVesen der Ufabrieit reprsente

une perce nouvelle dans cette tentative en ce quelle fait dc la libert 1c fondement de lessence

de la vrit. Montrant que la rencontre de ltant et du Dasein nest possible que sur fond de

libert, Heidegger soutient en effet que la vrit a donc pour condition de possibilit la libert

du Dasein. Dans le but de cerner ce concept de libert qui se tient au findement de la

de la confrence de 1930. Malgr cela, les diffrences entre les deux textes sont trs grandes et il nest pas rare que
des passages entiers aient t compltement rcrits ou limins.
1. GA 31, 137.
2. fhitt
264

manifestation de ltant et ainsi comprendre la thse selon laquelle tssence de ta vrit est ta libert,

il faut porter une attention toute spciale la structure argumentative prsente dans cette

confrence. Cela nous permettra de voir comment ce concept ontologique dc libert est dune

certaine facon li lide kantienne de lautonomie de la volont.

La confrence sur la vrit commence par interroger lintelligence commune de la

vrit qui en fait une adaequatio rei et intellectus. Comme on le sait, Heidegger soutient alors

quune telle dfinition demeure superficielle tant et aussi longtemps que nest pas considre la

condition de possibilit dune telle adquation quil identifie au comportement du Dasein

ouvert sur ltant . Pour que lnonc puisse tre adquat la chose, il faut en effet que le

Dasein soit tout dabord ouvert ltant, quil sy rapporte. Ainsi, lnonc au sujet de quelque

chose est un comportement envers... (quelque chose), et lassimilation (An,gleichung) de

lnonc la chose est un se-conformer dans le comportement (in Sicha,teichen in; L7erhalten)
.

Ce renvoi au comportement du Dasein rend caduque toute comprhension de la vrit qui se

bornerait stablir du ct de lnonc. Lassimilation de lnonc la chose implique que lon

sorte du champ purement nonciatif et quon accde au domaine du comportement du

Dasein. Si lnonc a en propre cette possibilit de saccorder la chose, cest que lnonciation,

linstar de tous les comportements humains, prsente la chose laquelle il se rapporte comme

ceci ou comme ceta, comme elle est rellement ou autrement. Ainsi, laccord dun comportement

humain avec ltant nest pas le privilge de lnonciation, mais bien une caractristique de tout

rapport ltant:, du premier au dernier. Tout rapport ltant et non seulement le rapport

thorique propre lnonciation peut tre dit vrai ou faux, dans la mesure o il se rapporte

la chose telle qztette est ou telte qutte nestpas. Si lnonc larbre est en fer est faux, ce nest pas

cause de sa structure interne mais bien parce quil se rapporte ltant tel quitnest pas.

1. Ph. u. C, 3 ( IWW 183 tr. 169).


265

ns et
Heidegger largit ainsi la porte de la vrit tous les comportements humai

ues.
rompt avec le concept traditionnel qui tend limiter son usage aux comportements thoriq

Cette exigence que constitue le tel-quel (c so-wie } propre tout rapport trui ltant, ce

nest donc pas lnonc qui tout dabord la pose. 11 sy plie bien plutt en tant quil constitue un

rder ce
rapport Ptant. Tout comportement reoit cette exigence en hritage: celle de sacco
souvrir
envers quoi il se rapporte. Cet accord (Sich-einipiekn) quelque chose est donc un

(Sich-iffizen] ce envers quoi lon se comporte .

Mais llargissement de la porte du concept de vrit, de ltre-vrai des

comportements seulement thoriques lensemble des comportements ne rsout pas la

exige des
question fondamentale de la condition de possibilit de ladquation: qui ou quoi

accord soit
comportements quils saccordent avec ltant auquel il se rapporte ? Pour quun tel
juger de
possible, il faut que le comportement se laisse donner davance une rgle sur laquelle
e que
son accord avec la chose. Dans le plus pur esprit phnomnologique, Heideg,gcr indiqu
rapporte
pour quune telle chose se produise, il faut que le comportement laisse ce quoi il se

lui dans
donner la mesure. Le comportement doit donc ouvrir un espace de jeu devant

mesure,
lequel ce quoi il se rapporte puisse se prsenter comme quelque chose qui donne la

n, comme
comme quelque chose de contraignant (ais tin l3inaendes). Le comportement humai

il Faut
nous lavons dit, se tient au fondement de louverture du Dasein ltant. Nanmoins,

e chose dc
que ce qui se prsente au Dasein se tienne devant lui non pas comme quelqu

uation du
librement choisi, mais comme quelque chose dobligatoire (tin [7erbindiiches,). Ladq

effort
comportement ltant ne dpend aucunement du bon voctloir du Dasein mais de son

saccorder quelque chose qui lui est impos.

1. Ibid 3 ( VW1F 184 u. 170-171).


266
Comment peut-on concilier ces deux caractres apparemment contradictoires du

comportement louverture et le laisser quelque chose tre contraignant (das Offiubaren und das

Verbindtich-sein-tassen von etivas,) ? Si cest le comportement qui rend manifeste ltant, il semble

en effet difficile de comprendre que ce mme comportement doive ensuite aborder ltant

comme une contrainte. Le comportement peut-il tre la fois matre et serviteur de la

manifestation de ltant?

Avant de passer ltape suivante, rcapitulons brivement cc qui vient dtre dit. La

thse selon laquelle la vrit pourrait tre dfinie comme ladquation entre lentendement et la

chose est gnralement assimile cette conception de la vrit comme vrit de lnonc.

Lnonc tant ce qui a le caractre de la vrit, cest en lui que devrait avoir lieu ladquation,

laccord entre la chose et lentendement. Or, 1-leidegger fait remarquer que cet accord ne peut

avoir lieu que l o un rapport la chose comme tel est tout dabord tabli. Si lnonc est un

mode de louverture du Dasein, ce nest cependant pas le premier. Cest en effet par son

comportement que le Dasein rend tout dabord ltant accessible ltant sur lequel il peut par

ta suite noncer. Cest ainsi que Heidegger fait porter louverture propre au comportement du

Dasein la possibilit dtablir un accord entre lentendement et la chose. Mais pour que la non-

vrit soit possible, il faut aussi que le comportement puisse se rapporter ina&quaternent ltant

auquel il sert, quant sa manifestation, de fondement. Lexistence de la non-vrit implique

donc que ltant ne soit pas soumis de faon automatique au comportement, mais que celui-ci

doive prendre la mesure de ltant qui se prsente avec ses propres exigences. Comme lcrit

Heidegger, la mise en lumire de la vrit comme adquation exige que lon comprenne ce qui

unit les deux traits fondamentaux du comportement: loupe,ure un tant que le

comportement laisse tre contrazgnant pour lui1.

1. Ibid. 4 ( VIVIV, 185-1 86 tr. 172-173)


267
Il sagit donc ici de dterminer ce qui rend possible, paralllement cette manifestation

de ltant, i admission pralable dune liaison . Si quelque chose se prsente au Dasein sous

la figure de lobligation, cest que cela vient sopposer sa libert. Il faut en effet que le Dasein

aborde librement ltant pour que celui-ci se prsente comme une contrainte. Ainsi, ce nest que si

le Dasein a en propre un certain tre-libre envers quelque chose (Freisein zu etwai)2 que le

comportement prend davance la mesure sur ltant auquel il se rapporte. Laccord entre le

comportement qui ouvre et les exigences de ltant trouve donc sa condition de possibilit

dans la libert du Dasein. Cest ainsi que Heidegger peut soutenir que tssence de la vrit est la

11
twerte

Si cette dfinition de la vrit nous intresse ici, ce nest pas en raison de la

provocation quelle peut constituer pour la logique traditionnelle. Cest bien plutt la

dfinition de la libert qui est indirectement donne dans cette mise en lumire de lessence de

la vrit qui nous importe. Le concept de libert dont il est ici question ne prtend aucunement

dterminer la capacit dagir par soi-mme, de faire usage de son libre-arbitre, mais prsente un

sens essentiellement ontologique: elle constitue la condition de possibilit pour que de ltant

se manifeste tel quil se manifeste, cest--dire comme contrainte, comme mesure pour le

comportement libre du Dasein. Nous nous loignons ainsi du cadre traditionnel dans lequel la

philosophie rencontre la libert, celui de la volont et de lagir pratico-moral.

Comment doit-on alors comprendre ce lien qui unit ouverture et contrainte? Comme

nous lavons vu, le comportement qui rend possible la manifestation de ltant ne peut saisir

ltant comme vrai que sil le laisse se prsenter comme contrainte. Or, se prsenter comme

contrainte, cela signifie essentiellement prsenter ses exigences propres et ne pas se plier

1. Ibid.
2. Ibid.
3. Ibii ( t7WIJ 186; tr. 173).
268
celles que pourrait poser le comportement. II faut donc que le comportement quil soit

thorique, pratique ou autre laisse davance ltant tre ltant quil est, cest--dire tre

comme il est. Aussi trange que puisse paratre cette thse au dpart, elle constitue en fait une

vidence difficile nier. Dans la mesure o lon ne conoit plus le rapport ltant comme un

rapport de simple rception dun objet par un sujet et que lon fait une place lide dune

ouverture ltant du Dasein la projection de la possibilit dun monde , il nous faut

reconnatre que cette ouverture ltant, quand elle est adquate, laisse ltant tre ce quil est

et comme il est.

Or, cette ide dun laisser-tre de ltant ne doit pas tre interprte ngativement

comme un ne pas empcher quelque chose de se produire . Cest bien plutt positivement et

de faon plus originaire que lexpression est ici prise. Il ne sagit donc pas de laisser-tre

quelque chose au sens de lignorer (absehen von etwa4, mais bien de le laisser-tre pour quil

simpose, quil exerce une force sur nous et que lon prenne soin que ltant soit ce quil veut

et ce quil doit tre 2.


Or, ce dvoilement de ltant que permet le laisser-tre, cc serait cc que

la philosophie occidentale son point dc dpart a appel 7iOta3.

Cest ainsi que Heidegger russit penser lunit de lottveriun et laspect obtzgatoire de

ltant qui se manifeste. Les deux traits nomms plusieurs reprises du comportement, la

manifestation (Offinbaren) et le laisser-tre-contraignant (VerbiiU/ich-sein-taiten), qui jusquici dans

la saisie du comportement se sont disput le premier rang, ne sont pas distincts, mais

constituent une seule et mme chose: le laisser-tre, en tant que manifestation dvoilante de

ltant, est le se-tenir face au contraignant, nommment face ltant dans son tre-ainsi-et

1. Ibid (= r WW 188; tr. 175).


2. [bu, 6 ( VWW 188 ; tr. 176).
3. Ibid.
269

ainsi . Les deux traits caractristiques du rapport ltant sont donc les deux faces dun

phnomne unique le laisser-tre de ltant.

Le problme de lunit du laisser-tre rappelle bien entendu la rencontre dans le Dasein

du projet et de ltre-jet que nous avons aborde plus tt. L encore, il sagissait de penser ce

qui unit la projection libre dun monde, sa manifestation, et le rapport ltant effectif qui se

prsente comme contrainte. Lidentification de la transcendance et de la libert rend tout fait

comprhensible que la libert soit saisie par Heidegger comme une tension une tension entre

ce qm mane du Dasein et ce qui 1m est impos. Le concept de libert ajoute cependant la

comprhension de cette tension une nouvelle dimension: alors que le projet et ltre-jet

sunissent dans le concept de transcendance sans jamais sidentifier (car lopposition demeure),

la comprhension de la libert conwne laisser-tre permet dc penser lunit de ces deux faces

du Dasein.

Lunit de la tripartition de la transcendance et de celle de lessence du fondement a t

expose dans I/om W7esen des Gnmdes comme la libert eu egard au fondement. Cette ide est

cependant davantage voque que dmontre. Malgr les liens reconnus entre la projection du

monde et la libert2 et entre ltre-jet et la libert3, le trait de 1929 ne permet pas de penser

umtairement lvnement fondamental dans le Dasein. Au contraire, cet vnement nest pens

que comme une tension ou une opposition. Avec lide de la libert comme laisser-tre de

ltant, il semble que Hcidegger soit parvenu prcisment indiquer ce quont de commun la

projection et ttre-jet.

Lexpression laisser tre ltant>) est cependant quivoque. Laisser asse) signifie

la fois peut-tre davantage en allemand, mais aussi en franais permettre activement et consentir

passivement. En ce sens, laisser tre ltant signifie tout dabord permettre que ltant soit ,

1. [hid
2. T.7117G, 163.164; tr. 141-142.
3. Ibid., 174-175 ; tr.157-158.
270

voire faire que ltant soit . Mais laisser tre ltant , cest aussi consentir ce que ltant

soit (tel quil est) , cest--dire ne pas empcher que ltant soit (tel quil est) . Cest trs

certainement cette ambigut qui donne toute sa force cette expression qui, comme nous

lavons dit, sera conserve par-del la mtaphysique du Dasein et rcupre dans cette ide plus

tardive de laisser-tre ou de srnit (Getassenheit). lencontre de la pense occidentale

qui prtend toujours forcer ltant adopter le cadre quelle impose, cette pense encore

metapIysiqiiel exige du Dasein quil laisse tre ltant quil lui perme#e dtre de telle sorte

quil le laisse tre tel quil est quil y consente. Cette ide du rapport de lhomme ltant

sinscrit donc en faux avec la tradition occidentale qui, comme lcrira plus tard Heidegger,

naurait jamais jusqu maintenant laiss larbre tre debout l o il est l. Afin de clore cet

expos du concept de libert du Dasein comprise comme laisser-tre de ltant, nous souhaitons

ici nous arrter sur les dernires pages du cours Voni Wesen der menschtichen Freiheit o Heidegger

dresse un parallle intressant entre son concept de libert et lide dautonomie que lon

retrouve dans la morale kantienne.

Comme nous lavons mentionn plus haut, ce cours du semestre de lt 1930 tente de

faire valoir que, contrairement ce qua pens lensemble de la tradition mtaphysique, la

libert ne doit pas tre comprise partir de la causalit, mais quinversement, cest la causalit

qui doit tre aborde partir de la libert. Or, cette redfinition de la libert conduit Heidegger,

comme dans la confrence que nous venons de commenter, penser le rapport du Dasein

ltant partir des deux faces de lobligation: tre oblig et obliger. Si le f)asein permet librement

que de ltant se manifeste en le laissant faire encontre2, cette rencontre est nanmoins rgie

par des lois strictes et constantes qui correspondent celles quimpose la comprhension de

1. LVas heiftt Denken ?, GA 8, 46 ; tr. par Alovs Becker et Grard Granet, Qtiappe/te-t-cn penser?, Pans,
Quadrige/PuF, 1959, 45.
2. G 31, 302.
271
ltre. Le Dasein rend donc ltant manifeste en imposant une srie dc contraintes ltant se

prsente, par exemple, en dvoilant la fois son essence et son existence1 qui font en sorte

que le laisser-faire-encontre du Da.cein constitue la fois lattribution ce qui se manifeste

desdites contraintes. Ces structures rigides que ltant prsente toujours avec lui, cest le Dasein

qui les lui impose mais de telle sorte quil se les impose 1m-mme, pour son propre rapport

ltant.

Pour illustrer cette situation du Dasein simposant lui-mme des contraintes pour b

saisie de ltant, Heidegger crit: Loctroi pralable du caractre obligatoire est une auto-

liaison originaire: il laisse la liaison tre obligeante pour soi-mme, autrement dit, en termes

kantiens, it se donne une loi . Bien que ltant ait, comme nous lavons mentionn, ses propres

exigences , il ne se manifeste jamais quen se conformant cet espace de jeu quouvre le

Dasein en projetant ses structures dtre. Ltant se plie donc une obligation projete que

Heidegger interprte ici et trs schmatiquement la lumire de lthique kantienne: il se

donne une loi .

Ce parallle qutablit Heidegger nous permet de saisir ce quil entend lorsquil voque

la paradoxale obligation libre qui caractrise le projet au fondement de son rapport ltant

et que nous avons expose partir du laisser-tre de ltant. Nous savons que la thse de la loi

morale permet Kant de penser lautonomie de la volont sans pour autant faire de lhomme

un sujet moral sans rgle dc conduite: La libert, quand bien mme elle nest certes pas une

proprit de la volont se soumettant des lois de la nature, nest cependant nullement, pour

autant, sans lois: bien au contraire doit-elle tre une causalit se dployant suivant des lois

immuables, mais qui sont des lois dune espce particulire


(...). Ds lors, que peut donc bien

tre la libert de la volont, si ce nest une autonomie, cest--dire la proprit qua la volont

de constituer pour elle-mme une loi P (Gritndlegung urMetap/yszk derSitten, Ale. IV, 446-447).

1. Ibid.
2. Ibid., 302-303 nous soulignons.
272

Bien quil nobisse qu lui-mme en suivant la loi morale, lhomme est guid dans son action

par une loi qui lui apparat, malgr tout, comme une contrainte. Si nous souhaitons penser ce

que peut signifier le parallle tabli ici par Heidegger entre la loi morale kantienne et une

certaine loi ontologique , il nous faut considrer que le Dasein projette non pas sur son

action morale mais sur son rapport ltant une loi qui, tout en tant choisie librement, le

contraint. Cest ainsi, semble-t-il, que le rapport ltant peut tre pens partir de la libert.

La comprhension de ltre serait donc une sorte de loi ontologique que le Dasein se

donnerait lui-mme mais quil nprouverait pas moins comme une contrainte. Mais de quelle

faon lhomme choisit-il lui-mme et librement lentente quil a de ltre? Heidegger nen dit

encore rien ici. Mais lon sait que la comprhension de ltre ne tombe pas du ciel et quelle est

labore diffrentes poques de diffrentes faons, jamais explicitement, mais sans tre tout le

moins impose au Dasein. Que lon prenne pour exemple le dploiement des diffrentes

comprhensions de ltre qua connue la philosophie depuis les Grecs (tre-produit, tre-cr,

tre-reprsent, etc.), il sagit chaque fois du rsultat de ce que lon peut qualifier de

dcisions philosophiques volontaires . Projetant les structures dtre de ltant, le Dasein se

plie des dcisions quil ne saisit sans doute pas comme siennes, mais qui sont malgr tout

issues dun choix fait par sa libert ontologique ou mtaphysique. Lautonomie morale dont

parle Kant est ici ontologise 2.

1. Cest dailleurs ainsi que Heidegger va interprter, t lhiver 1931/32, la libration des prisonniers dans
lallgorie de la caverne <t La libration proprement dite consiste en un se-lier projetant (cin eniwerfindes Sith-binde,t),
non pas S accepter simplement dtre attach un lien, mais se-donner-soi-mme-pour-soi-mme-un-lien, et
en vrit un lien demeurant obligeant de prime abord et par avance de telle sorte que tout comportement ultrieur
particulier ne puisse ni tre ni devenir libre que par ce moyen (GA 34, 59). Puis, un peu plus loin, Heidegger
vcxjue la comprhension de ltre en termes de lgalit : <t Comprendre ltre, cela signifie projeter davance la
lgalit et la structure essentielles de ltant (ibid., 61).
2. franco Volpi a parl, dans le cas de Sein un Zeit, dune ontologisation de 1Ethique Nicomaque d<taistote
(<t Dasein comme pra.ds: Lassimilation et la radicalisation heideggtienne de la philosophie pratique dAristote ,

dans Franco Volpi (d.), Heidegger et fide de L ph,torniiotqgie) .A sa suite, nous pourrions parler ici de
lontologisation de la Critique de la raison pratique de Kant.
273
La nature du Dasein sert donc encore une fois d explication pour lunit de la

mtaphysique. Compris partir de sa capacit laisser tre ltant, le Dasein se prsente donc

comme fondement du questionnement mtaphysique. Ayant pass en revue les diffrentes

faons denvisager la mtaphysique comme vnement dans le Dc:sein, ce concept de libert

semble tre le seul qui permette de penser de faon unitaire cet vnement. La tension entre

projet et tre-jet ou entre les deux premiers modes de la fondation a mis en vidence la

rupture entre la possibilit et leffectivit qui se tient au fondement de la mtaphysique. Ce

nest cependant que dans linterprtation de la libert partir du Seintassen que nous pouvons

comprendre la mtaphysique comme manant dun phnomne unique et propre au Dasein. La

mtaphysique du Dasein touche donc ici sa fin Heidegger a montr la ncessit du

questionnement mtaphysique partir dune dtermination de lessence dc la libert humaine.


Conclusion

sEin metaphysischer Denker blieh Heidegger sicherlich, ais et emen


neuen Antang liber die bisherige Geschchte der Metaphysik hina.es
vorbereiten wollte. Ein neuer Anfang setzt niimhch einen Uberschritt,
eine Meta-Bewegung voraus. Sofern et dieser Transzcndenz
bewegung tolgt, bleibt Heidegger bis ztiletzt ais em groBardger
metaphysischer Denker. Der frtdiere Hedegger wuBte es aber
vielleicht besser ais der spitere .

Jean GR0NDrN, s Der deutsche Idealismus uiid Heideggers


Verschrfung des Problems der Metaphysik

Notre parcours sarrte ici. Cest en effet dans cette rflexion sur la libert humaine

propre la confrence sur la vrit et au cours sur lessence dc la libert humaine que sachve

la mtaphysique du Dasein , ce sentier, ce LIotiveg que Heidegger aura parcouru dans la

fort de la mtaphysique . Aprs ce cours de lt 1930, le vocabulaire mtaphysique ne sera

plus employ pour qualifier lauthentique pense de ltre et le projet dune mtaphysique du

Dasein disparatra. partir dici commence une nouvelle tape qui mne cette pense du

nouveau commencement que le texte des Beitr4ge rur Philosophie a rcemment mieux fait

connatre. Ce nest pius notre tche dexpliquer ce passage ultrieur, celui de la mtaphysique

du Dasei;z la pense des Beilr,ge tche quun hypothtique The Genesis ofHeidggers Beitrtge ur

Philosophie ne manquera pas de remplir lorsque la documentation le permettra.

Nous avons souhait, dans les pages qui ont prcd, mettre en lumire ce projet dune

mtaphysique du Dasein en prenant pour fil conducteur la question de lessence


de la
275

mtaphysique. Cette voie se sera avre fconde puisquelle nous aura permis de penser jusque

dans ses derniers sommets cette entreprise mtaphysique qui fait dsormais de la reine des

sciences un vnement situ au fondement de lexistence humaine. Cest en effet en tentant

de mettre en relief cette mtaphysique eu gard sa constitution onto-theologique que nous en

sommes venus interroger ce qui advient, dans le Dasein, pour quil y ait mtaphysique.

Notre chemin a dabord crois les tentatives que fait Heidegger partir du dbut des

annes 1920 pour saisir lhistoire de la pense comme un mouvement unitaire dont le

problme fondamental serait le mme du dbut la fm. Cette lecture ontologisante de

lhistoire de la philosophie qui contient en germe cette histoire de ltre (Seinigesctitchte) que

Heidegger mettra en branle plus tard prend forme dans les annes 1920 et saccompagne

dune rflexion sur lessence de la philosophie qui, trs tt, soriente essentiellement sur les

travaux mtaphysiques dAristote. Cest ainsi quau moment o apparat la question-cl

quest-ce que la mtaphysique ? , lhiver 1927/28, lessence de la philosophie a dj t

pense partir de ce trait onto-thologique qui serait propre lensemble de la tradition.

Dans la mesure o Heidegger avait dj reconnu une telle structure circulaire dans la

pense mtaphysique au moment o il prtendait lui-mme faire le saut dans la

mtaphysique, il nous a paru tout fait souhaitable de tenter une lecture de cette mtaphysique

du Dasein oriente sur cette question. Or, notre enqute naura pas t due, car Heidegger

reconnat lui-mme divers moments que des parallles peuvent tre tracs entre son projet et

celui, dorigine aristotlicienne, dune prima phitosophia. Ces rapprochements, on la vu,

permettent de penser la mtaphysique du Dasein suivant deux axes principaux, soit la reprise du

questionnement antique sur ltant comme tel dans son ensemble et la rappropriadon de

lorientation de la philosophie moderne sur lhomme.

Nous nous sommes donc tout dabord efforcs de dterminer si, dans le lot des

questions propres la mtaphysique du Dusein, on pouvait trouver quelque chose de tel quun
276

questionnement double, onto-thologique. Dans la mesure o la reprise faite par Heidegger du

questionnement ontologique dAristote est mieux connue, cest principalement celle dune

interrogation thologique ou thioto<gique qui posa problme. Cette recherche a t facilite par

cette obstination de Heidegger considrer que la thologie dAristote navait non

seulement rien voir avec ce que la pense chrtienne en fit, mais dissimulait surtout un

questionnement rel sur ie monde, omis par la tradition mtaphysique ultrieure. En partant

sur les traces de cette theiogie, nous avons mis jour tout un pan de la pense de Heidegger

qui, sans trouver sa place dans linterrogation proprement ontologique, est nanmoins

constitutif de son questionnement mtaphysique. Comme nous lavons vu, cest la question de

labord prlogique de ltant, essentielle la comprhension du monde telle que Heidegger la

dploie dans les annes 1920, qui constitue cette autre face de la mtaphysique

heideggnenne.

Dans un second temps, nous nous sommes penchs sur une dtermination de la

mtaphysique qu dfaut de mieux, nous pouvons qualifier dexistentielle. Dans la mesure o la

mtaphysique nest pas simplement comprise par Heidegger partir des questions qui sont les

siennes mais surtout partir de son vnement, de son advenir, nous avons par la suite

souhait caractriser la mtaphysique du Dasein comme cette mtaphysique qui appartient au

Dos ciii, comme la mtaphysique qui sidentifie lexistence humaine au point den constituer le

fondement. Or, lintelligence de la mtaphysique qui est primordiale dans ce projet, on a

remarqu quelle pouvait aussi tre interprte partir des lments de la philosophie premire

aristotlicienne. Mais Heidegger ne donne pas dindications sres pour interprter en quel sens

il y a correspondance entre la mtaphysique comme Dasein et la mtaphysique dAristote.

Dans la mesure o le doublet auquel Heidegger fait alors rfrence et que lon a prsent

comme le projet jet permet de comprendre lunit de lvnement de la mtaphysique dans

le Dusein, nous avons interprt ce renvoi comme indiquant une certaine fraternit entre les
277

entreprises aristotlicienne et heideggnenne quant lexistence du problme de lunit de la

pense mtaphysique. Mais devra-t-on pour autant penser le projet comme origine du

questionnement ontologique et ltrc-jet comme celle de lmtcrrogation thologique? Dans la

mesure o lontologie a pour tche ta mise jour des structures dtre projetes par le Dasein et

que la theiotogie prtend mettre en lumire le monde mforrne dans lequel le Dasein est jete, tout

nous pousse adopter une telle position.

Notre recherche sest acheve sur lexposition du concept heideggnen de libert tel

quil est expos dans les derniers moments de la mtaphysique du Dasein. Le laisser-tre partir

duquel la libert est alors comprise a permis de penser lunit du rapport double du Dasin

ltant (projection et tre-jet). Laissant tre ltant, le Dasein permet que ltant soit tout en

y consentant . Cette caractrisation de la libert permet dc penser lunit de lvnement

fondamental dans le Dasein (la mtaphysique) partir non plus dune tension interne mais

comme la caractristique dun seul et mme rapport ltant.

Le projet dc la mtaphysique du Dasein culmine ainsi dans lexposition dun concept

ontologique et mtaphysique de libert qui doit tre pens comme lorigine et la condition de

possibilit de toute libert ontique (spontanit, causalit, etc.), mais aussi de tout rapport

ltant, tant pratique, thorique questhtique. Cette exposition est-elle la cause de

I abandon du projet de la mtaphysique du Dasein ou constitue-t-elle tout simplement son

achvement? Doit-on ici parler, comme dans le cas de lontologie fondamentale de Sein und

Zeit, de 1 chec de la mtaphysique du Dasein? Ce projet a-t-il promis plus quil na

rellement donn?

Dans le cas de Sein und Zeit, il tait facile de dterminer non seulement au point de vue

philosophique, mais aussi au niveau simplement matriel que lontologie fondamentale

navait pas fourni les rsultats escompts . Linachvement dc louvrage tmoigne de ce que
278
la <t solution au problme initialement pos navait pu tre donne. Dans Ic cas du projet de la

mtaphysique du Dasein, la question se pose de savoir si son abandon correspond bel et bien

un chec.

On peut tout dabord noter que la critique de lontologie fondamentale laquelle

Heidegger sest livr partir du milieu des annes 1930 ne semble pas pargner la

mtaphysique du Dasein. Dans la mesure o lontologie fondamentale et la mtaphysique du

Dasein tentent toutes deux de penser ltre partir dune mise en lumire de lessence du Dasein,

labandon de toute subjectivit que, selon cette critique, Sein und Zeit naurait que

partiellement accompli na pas davantage t russi par la mtaphysique du Dasein. Et

pourtant, un commentaire tir des Beitrii,ge r.ur Philosophie de 1936-38 laisse entendre que lessai

Vom IYesen des Grundes prsentait bel et bien une tentative de remdier la crise dans

laquelle la question de ltre tait entre aprs la publication partielle de Sein und Zeit: Cest

pourquoi il devint ncessaire de surmonter ce moment dcisif la crise de la question de ltre,

quil fallait tout dabord poser de cette manire, et dviter par-dessus tout une objectivation de

lestre (eine Veigegeustdnd/ichm>g des Syns,) en retenant premirement linterprtation temporale de

lestre, puis par la tentative de rendre visible fa question de lestre indpendamment de cela

(la libert eu gard au fondement dans Vom Wesen des Grundes, mais justement, le schme

ontico-ontologique y reste tout fait maintenu dans sa premire partie)


En plus de retenir la

conclusion de lontologie fondamentale, Heidegger a donc tent de <t surmonter la crise de la

question de ltre par lexposition du concept de la libert eu egard au fondement dont nous avons

parl. Selon ce qui est dit ici, ces dveloppements constitueraient une voie nouvelle pour

aborder le problme de ltre, une voie indeendante de linterprtation temporale de ltre. Ainsi,

Heidegger reconnat que lessai dc 1929 tait dy si lon fait abstraction de la premire partie,

Das Problem des Grundes , qui restait fidle au schme ontico-ontologique de lontologie

1. GA 65, 451.
279

fondamentale une tentative de surmonter (7ibenvinden,) le procd obftctitiisant dploy dans Sein

und Zeit. Dans la premire partie de lessai, Heidegger exposait, partir dune discussion du

concept leibnizien de ratio, lensemble des thses centrales de Sein und Zeit. Aprs avoir trait du

phnomne de la transcendance du Dasein dans la seconde partie, lessai aborde, dans sa

troisime et dernire partie, le concept de libert eu gard au fondement que les Beitriige

associent une tentative de surmonter la crise de la question de ltre. Il semble donc que

lessai de 1929 effectue, de sa premire sa troisime partie, la transition qui mne lontologie

fondamentale un nouveau traitement de la question de ltre et qui sloigne de lobjectivation

prne par Sein und Zei?. En ralit, cest tout le cheminement de la mtaphysique du Dasein

(IC
que lessai de 1929 dcrit, depuis lontologie fondamentale de Sein und Zeit partie), en

passant par le thme de la transcendance du Dasein propre aux Grundprobteme der Phdnornenoo,gie

de lt 1927 et aux MetaphjiischeAtfang.griinde derL.qgik de lt 1928 (II partie) et en terminant

par le concept de la libert propre aux Gmndprobteme derMetaphjsik de lhiver 1929/30 et Vom

Wesen der rnenschichen Freiheit de lt 1930 (III partie).

Des notes marginales faites par Heidegger dans son exemplaire de Vom IVesen des

Griindes confirment dailleurs que quelque chose se produit entre la premire et la troisime

partie de lessai. Au seuil de la premire partie, Heidegger note en effet: Lesquisse de la

vrit de lestre est, ici encore, accomplie entirement lintrieur du cadre de la mtaphysique

traditionnelle (...). Un chemin en direction du dpassement (Cfbenvindun<g) de 1 ontologie

comme telle est ici suivi (voir hIC partie) 2. La premire partie de lessai qui, selon ce qui est ici

indiqu, ne ferait que suivre les voies de la mtaphysique traditionnelle permettrait nanmoins

douvrir un chemin vers le dpassement de cette mme mtaphysique. Une note ajoute la

premire page de la troisime partie va, elle aussi, dans ce sens : Dans la III partie, une

1. Rappelons que le cours du semestre de lt 1927 voque dans le dtail en quel sens la tentative de
conceptualiser cet tre trouv dans la comprhension prontologique doit tre saisie comme une objectivation
dc ltre . Notons aussi que la critique des Beitr4ge que nous voquons ici y tait djt annonce (GA 24, 458-459
voir aussi G 33, 37).
2. VIVG, 126, Anm. a.
280

esquisse en direction dune destruction de la E partie, cest--dire de la diffrence ontologique,

[de laj vrit ontico-ontologique. Dans la hIC parue, le pas dans un domaine qui force la

dmolition (Zerstiirun,g) de tout ce qui a prcd et qui rend ncessaire un complet revirement

(Umkippun,g) . Heidegger reconnat donc ici que la troisime parue constitue le dpassement

de la premire, cest--dire que tixposition de la libert eu egard au fondement entrepnnd ta destntction

des notions de base de tontolqgie fondamentale et que cette destruction rend ncessaire un complet retirement.

Lessai sur le fondement semble donc avoir un pied dans lontologie fondamentale et un autre

dans le dpassement propre ce que lon appelle le tournant de cette mme ontologie

fondamentale. Entre llaboration plus classique de la question de ltre dans les termes de

lontologie fondamentale dans la premire partie . comprhension prontologique de ltre,

conceptualisation expresse de ltre, vrit ontologique, diffrence ontologique, etc. et ce

dploiement nouveau, dans la troisime partie, dun concept de libert dfmi comme libert eu

egard aufondement, un revirement (Umkppung) aurait donc eu lieu2.

Ces commentaires ne sont pas contemporains de lessai Vom W7esen des Gntndes. Cest

bien plutt un Heidegger plus tardif qui, rtrospectivement, dcouvre que les germes du

dpassement de lontologie fondamentale se retrouvaient dj dans cet important essai de

1929. la suite de cet essai, le concept de libert qui accomplirait la destruction de

lontologie fondamentale va prendre, on la vu, de plus en plus dimportance. En quel sens

peut-on alors parler de 1 chec de la mtaphysique du Dasein? A quoi correspond donc

1 abandon de la mtaphysique du Dasein? Selon les commentaires que fit Hcidegger partir

du milieu des annes 1930, il semble que la mtaphysique du Dasein constituerait en ralit un

abandon de lontologie fondamentale qui, elle, stait solde par un chec. La mtaphysique du

1. Ibid., 163, nm. a.


2. Mentionnons que le manuscrit Besinnun,g de 1938-39 voquait lui aussi cette transition qui a lieu lintrieur
du trait Vom IVesen des Grandes: Partout dans Sein tend Zeit et jusquau seuil (an die Schivelle,) du trait F om lVesen
des Grandes, nous parlons et prsentons [les choses] de faon mtaphysique, mme si nous pensons dune autre
faon. Mais cette pense naccde pas la libert de labme qui lui est propre (GA 66, 321 -322). Il est clairement
indiqu ici que la pense de Sein tend Zeit se poursuit jusquau setdt du trait sur le fondement. Ici encore, la scission
entre la premire et la troisime partie de Vom Wesen des Grandes est souligne par Heidcgger.
281
Dasein serait une voie pour sunnonter la crise de la question de ltre qui permette la

transition depuis Sein und Zeit vers les tentatives plus tardives de traiter le problme de ltre. Le

saut dans la mtaphysique dont il a t question dans cette recherche effectuerait donc la

transition entre lontologie fondamentale et la pense gui se dploie aprs le tournant. La

mtaphysique du Dasein ne serait, en fin de compte, tien dautre que le tournant.

Si lon parle, dans le cas de Sein ;md Zeit, dun chec la rponse concrte i la

question du sens de ltre l promise dans lintroduction na jamais t fournie , il semble

impossible de le faire dans le cas de la mtaphysique du Dasein qui, comme telle, na formul

aucune promesse si ce nest celle dc deloyer de fond en comble ta mtaphysique vritable ou encore de

prsenter une nouvelle instauration de sesJndements. Comme nous venons de le voir, ce dploiement

de la mtaphysique permet la transition vers autre chose et ouvre la voie u une remise en

question de lontologie fondamentale. Elle accomplit sa tache en dcouvrant un concept

ontologique de libert qui vient se situer au fondement de cette comprhension de ltre qui

cons dtuait le Fakt;tm du projet de Sein und Zeit.

Dans la perspective des Beitrdge situs par-dela le tournant, on pourrait donc soutenir

quen accomplissant la dmolition fZerstJ77tn& de lontologie fondamentale ccst--dire en

ctuant le tournant , la mtaphysique du Dasein ne se prsente aucunement comme un chec.

L laboration plus originaire de lide de la mtaphysique dont parle Vom [fZesen des Gntndes

constituerait ainsi, dans cette perspective plus tardive, la premire esquisse du debassement de la

mtaphysique. Avant de mettre un point final cette recherche, nous souhaitons jeter un bref

coup doeil sur les textes qui suivent immdiatement la fin de la mtaphysique du Dasein.

Dans les annes qui suivent la mtaphysique du Dasein, de nouvelles proccupations

pas toutes philosophiques, comme on le sait surgissent chez Heidegger. Suivra tout dabord une

I. S. E. Z., 19.
282

nouvelle confrontation avec la mtaphysique de Regel lhiver 1930/311 qui se prsente non

pas sous les auspices dune mtaphysique du Dasein, comme ctait encore le cas dans la

confrence du mois de mars 1930, mais sous celles dune ontochrome 2, entreprise mort-ne

que Heidegger considrera plus tard comme dicte par une volont dopposition trop marque

la pense de Regel3. Ce cours reprend les oppositions dj exposes lt 1929 et dans la

confrence de 1930 mais nvoque plus la possibilit dune reprise (Wiederhotung) de la

problmatique mtaphysique aprs son accomplissement chez Hegel. Cet accomplissement est

dailleurs pens partir de la terminologie nouvelle de loizto-thotqgie et de faon plus prcise que

dans les textes antrieurs. Cette thse de laccomplissement dc la mtaphysique dans une

logique est en effet dploye partir du rapport entre thologie et ontologie qui nest plus un

rapport de rciprocit circulaire, mais tout simplement didentification. La thologie cette

logique du OE Fbeo-Lqgik) devient chez Regel lontologie de lens realissimum et se

confond dsormais avec la question de ltre de ltant en gnral4. Cette identification des

deux orientations fondamentales du questionnement mtaphysique se prsente dornavant

sous la figure de laccomplissement non pas seulement de la question directrice de la

mtaphysique, mais de la mtapIysique dans son ensemble. Regel aurait men son dploiement

complet lorientation initiale de la question de ltant sur le )yo en identifiant sans plus

ltant au concept, leffecdvit lide. Cest alors que, selon Heidegger, disparatrait

dfinitivement la possibilit de mettre en lumire le rapport de ltre au temps puisque, comme

lcrit Regel, le concept pur abotit le temps5.

1. Dans ce mme semestre de lhiver 1930/31, Heidegger effectue aussi un retour i ses premires amours
en abordant le livre XI des Confessions dAugustin qui, malgr son importance pour le dveloppement de la pense
heideggrienne, na plus fait lobjet de travaux pousss depuis la premire priode de freihurg. Hcidegger a aussi
prononc le 26 octobre 1930 au clotre de Beuron une confrence sur le mme thme ( Augnstinus: utd est
tempus ? Coqfessiones tib. Xl, GA 80 ; indit).
2. GA 32, 144.
3. GA 67, 95.
4. GA 32, 4. Ldenriflcation des concepts-cls de ce que Heidegger appelle alors I onto-tho-cgo-logie est
tablie la fin du cours Lesprit est savoir, 7yo ; lesprit est Moi, ego; lesprit est Dieu, Os ; et lesprit est
effecvit, ltant comme tel, v (ibid., 183).
5. Citation de la Phnoiamnolqgie de iesptit rapporte en GA 32, 17.
283
Laccomplissement de la mtaphysique concidant avec la disparition du temps , la

question fondamentale dont on a dit quelle devait interroger ltre et le temps ne sera plus

qualifie de <t mtaphysique . La distinction claire mise en avant dans la confrence du mois de

mars 1930 entre une mtaphysique accomplie et une mtaphysique venir est dans ce cours

qui commena en novembre de la mme anne passe sous silence. La mtaphysique est

dsormais pense comme cette entreprise qui commence chez Parmnide, Platon et Aristote et

qui dtermine ltre comme ou comme 6yo, une tradition que Heidegger appelle alors

lidalisme et dont Regel a offert la <t fondation consciente, expresse et absolue .

Ce cours sur Regel est suivi par une remonte en amont aux origines de la philosophie,

depuis le livre 0 de la MtapJysique dAristote (cours du semestre dt 1931) jusqu Parmnide

(sminaire du semestre dt 1931, cours du semestre dt 1932) et Anaxirnandre (cours du

semestre dt 1932), en passant par les grands textes de Platon que sont le Par?;nide (sminaire

du semestre dhiver 1930/31), la Rpublique et le Thtte (cours du semestre dhiver 1931/32) et

le P/jclre (sminaire du semestre dt 1932). Comme nous lavons dj mentionn en

introduction, 1-leidegger ne conoit plus dsormais son travail comme celui dun philosophe

qui doit entrer directement en dbat avec ces textes de la tradition, mais bien comme celui dun

surveillant de galerie qui permet ceux qui lcoutent de voir ces textes sous un

clairage tant soit peu convenable 2.

Le cours sur le livre O de la MtqpIysiqiie tentera tout dabord de dtenniner ce quest

exactement la mtaphysique : Savons-nous en effet ce que peut bien tre cela que nous

nommons si ordinairement mtaphysique? Non. Nous ne faisons aujourdhui que

succomber la magie de ce mot avec ses airs de profondeur et de rdemption . Heidegger en

1. GA 32, 204.
2. Lettre iJaspers du 20dcembre 1931.
3. GA 33, 3.
284

sait quelque chose, lui qui a pass les dernires annes tentei dinstaurer les fondements dune

nouvelle mtaphysique. Or, cc cours ne prtend plus retourner linterrogation aristotlicienne

afin de sabreuver aux apories que la tradition mtaphysique a ensevelies. La rptition

(Wiederbotrng) de la question directrice traditionnelle dont il a t amplement question nest plus

la tche que se propose ici Heidcgger. Cest bien plutt de dpassement (tJJberbo/;iiJ quil sera

question. Le travail dAristote ne peut plus servir de base pour le dploiement dune nouvelle

mtaphysique, plus originaire. Il ne sagit dsormais plus de refaire lexprience de la

question directrice de la mtaphysique, de la poser de telle sorte quelle nous mne la

question fondamentale, mais bien de sauter en amont dAristote, de le dpasser pour

atteindre ce que lui-mme na pas vu. La nuance entre la rptition et le dpassement est

subtile mais bien relle. La mtaphore de la moisson que nous avons voque plus tt (voir

s;t ra, La tche dinterprter correctement la itpbti pt?>.oopi.a dAristote prparait dj

un tel dpassement. partir de lhiver 1931/32 dans le cours sur Platon, la mtaphysique

sera dsormais associe cette perversion de la pense grecque qui, travers Platon,

interprtera ltre l)tE11 dc lix et la vrit partir de lp.oiwi.1. Platon fait pntrer la

pense dans la mtaphysique en ce quil limine cette intelligence de la vrit qui faisait de

l.iOcta une lutte contre la tendance la dissimulation (Kp(ntr9t) propre ii ltre

-t)2.

Paralllement ces cours sur Platon et Aristote, Heidegger donne au semestre dt

1931 et celui de lhiver 1931/32 des sminaires sur le problme de la mtaphysique chez

Kant. Revenant ces questions qui ont occup une grande partie de son travail dans les annes

1920, Heidegger aborde alors le texte de Kant sur les progrs de la mtaphysique (paru en

1804). Ces sminaires sont encore indits et le resteront sans doute encore ROUf longtemps. Ils

contiennent sans doute de prcieux renseignements sur le sort de la mtaphysique aprs

1. GA 34, 173 et 327-32$.


2. Ibid. 93.
285

labandon de la mtaphysique du Dasein. Aprs le cours du semestre dt 1932 sur Parmmde

et Anaximandre (encore indit, Heidegger prendra cong dc ses activits professorales le

temps dun semestre. Au retour, il sera nomm recteur de lUniversit de Freiburg.

* *

Le thme central de loeuvre de Heidegger est celui de ltre thme quil a trouv dans

la mtaphysique la plus traditionnelle, mais quil souhaite nanmoins penser dune faon

radicalement nouvelle. Durant toute sa vie, le penseur de Mellkirch naura de cesse de

questionner ltre de telle sorte que la mtaphysique se montre telle quelle est rellement: une

voie dont le pav a t tant foul que la circulation sy fait trop aisment. Heidegger aura

prfr au trac commode de cette route des sentiers escarps et solitaires. Mais sur cc

parcours, cest nanmoins la mtaphysique qui aura tenu le rle d ternelle compagne de

jeu .

Dans la mesure o il interroge ltre, Heidegger est donc un penseur rntaphjsique. De

ses premiers ses derniers textes, son questionnement est mtaphjsique. Bien quil sinterdise

gnralement demployer ce titre pour dcrire ce chemin de pense quil voudra fmalement

ano?lyme, on ne peut mer que cest la mtaphysique qui 1m fournit son thme et ses instruments

de pense. Ses proccupations philosophiques nont trait ni t lthique, ni la politique,

presque jamais ii lesthtique elles sont toutes rntapIyszques.

Et pourtant, il ne se sera lui-mme attribu ce titre que pendant une trs courte priode

trois annes exactement. Sagit-il dune simple digression sur la route que suit Heideggcr ou
286

doit-on voir dans cet usage terminologique une tentative distincte et peut-tre plus rigoureuse

en fin de compte que les autres de reprendre son questionnement essentiel P Nous avons fait le

pari de montrer que ce changement ntait pas anodin mais quil annonait le dploiement

dune entreprise propre loge entre loncologie fondamentale et cette tentative plus radicale de

penser ltre quil mnera urimdiatement aprs. On pourrait ne voir dans cette mtaphysique

du Du.rein quun simple appendice lontologie fondamentale qui nc ferait que prparer

maladroitement une pense plus acheve. Nous pensons plutt que cette priode possde

une unit et une grandeur propres. Mais lombre, immense, de Sein itnd Zeit et cette entreprise

plus tardive dune Auseinandersetung avec la mtaphysique ont trs certainement jou,

injustement, contre la reconnaissance de ces textes. Cette recherche aura peut-tre permis de

montrer que la mtaphysique du Dasein consiste en une confrontation directe avec la tradition

mtaphysique, une discussion qui prsente sa propre cohrence, sa propre faon daborder le

problme de ltre.

Nladrid, janvier 2006


Annexe A

La lecture chronologique de loeuvre de Martin Heidegger

Jai quitt une position antrieure, non pour lchanger Contre une
autre, mais parce que le heu o je me tenais auparavant, lui aussi,
ntait plus quune halte en cours de route. Ce qui demeure dans une
pense, cest le chemin

Martin 1-lEIDFGGER, Ans einem Gespriich von dersprache, 1953/54

Pour divers motifs tant philosophiques que personnels, Martin Heidegger n t peu

enclin publier ses crits. Les ouvrages parus du vivant de lauteur ne constituent,

quantitativement du moins, quune portion des textes conservs dans le Nach/aJ/ Loeuvre

rendue publique avant 1975 date laquelle commena la publication des OEuvres

Compltes (Gesamtausgabe,.) consiste essentiellement en une dizaine de cours, des recueils de

confrences et dessais2 et deux ouvrages proprement dits (Sein und Zeit, GA 2, et Kant zmd

1. Eieifhhrun,g in die MetapIysik (t 1935, publi en 1953, Tiibingen, Niemever ; GA 40), Die Fra8e nach dem Diig.
Zz Kiints Lehre von dey transendentakn Grandsdtren (hiver 1935/36, publi en 1962, Thingen, Niemeyer; GA 41),
Schet/in,gs Abhandhing liber das lVesen der menschhchen Freiheit (1809) (t 1936, publi en 1971, Tbingen, Niemever;
GA 42), de nombreux cours sur Nietzsche donns entre 1936 et 1946 et parus dans les deux volumes du Nietsche
(publi en 1961, Pftsflingen, Neske ; GA 6.1 et 6.2), tVas heejlt Denken ? (hiver 1951/52 et t 1952, publi en 1954;
GA 8) et Der SatsC vom Grand (hiver 1955/56, publi en 1957, Pfulhngen, Neske ; GA 10). Ajoutons cette liste
quelques sminaires publis: 1-leraklit (avec Eugen fnk lhiver 1966/67, publi en 1970, frankfurt s. M.,
Klostermann) et VierSeminare (1966-1 973, publi en 1977, Frankfurt s. ?L, Klostermann ; G 15).
2. Fr/aiiterun8 u Hlildertins Dichtung (publi en 1944, Frankfurt s. M., Klostermann ; GA 4) Ho/7we,e (publi en
1950, frankfurt s. M., Klostermann; GA 5), Ans derE,fahruug des Denkens (publi en 1954, Tbingen, Niemever;
GA 13), Vortrge ,rnd Attiiite (publi en 1954, Pfullingen, Neske; GA 7), Idenittt zmd Drenz (publi en 1957,
Pfullingen, Neske; GA Il, paratre), Unterwe,gs ur Sprache (publi en 1959, Pfullingen, Ncske; GA 12),
We,gmarken (publi en 1967, Frankfurt a. M., Klostermann ; GA 9), Zuer Sache des Denkens (publi en 1969,
Tbingen, Niemeyer; G 14, paratre) et Fnihe Schrifien (publi en 1972, frankfurt s. M., Klostermann ; GA 1).
288

das Probkm derMetaphjsik, GA 3). Mais loeuvre dj norme publie du vivant de lauteur ne

reprsente environ quun cinquime des 102 tomes dj prvus dans le plan de la Gesamtausgabe.

Depuis 1975, lditeur (Klostermann, Frankfurt a. M.) a dj fait paratre la presque totalit des

cours donns entre 1919 et 1944 (tomes 17 64; ne manquent que les tomes 23 et 35), de

nombreux textes qui font partie de la section Cf Traits indits, confrences, notes>) (tomes 64

69) et quelques tomes de la dernire section, Indications et notes (tomes 85, 87 et 90). Plus

de la moiti des tomes prvus dans le plan de publication sont donc dj parus.

Mme si les jalons importants de loeuvre ont t connus du vivant de lauteur, on doit

reconnatre que les volumes publis depuis sa mort ont permis aux tudes heideggriennes de

faire des sauts de gant dans la comprhension de sa pense. La rticence publier dont a fait

preuve lauteur une certaine poque (avant la parution de Sein und Zeil et durant la Seconde

Guerre) et la difficult dc le faire une autre poque (1945-1950) ont limit notre connaissance

non pas des grandes orientations de loeuvre, mais de son dveloppement interne qui, jusqu

aujourdhui, ne pouvait qu peine tre devin. Toutes les c1uestios concernant lvolution de

sa pense avant son apparition public1ue en 1927 ainsi que celles concernant les modifications

de cette mme pense aprs la parution de Sein ;tnd Zeit trouvent aujourdhui des lments de

rponse dans lnorme corpus disponible. En plus davoir rendu possible des tudes concernant

la gense de lontologie fondamentale et la mise en lumire dune hermneutique

phnomnologique de la facticit , la publication dc la Gesamtauigabe a aussi permis de

dcouvrir tout un pan mconnu du travail ralis partir du milieu des annes 1930 dont les

Beitnge ur Phitosophie (Vont Erezgnis) constituent le meilleur exemple.

Ltude prsente ici ne prtend cependant ni sattaquer lhermneutique de la

facticit ni cette pense du nouveau commencement . Cest bien plutt cette entreprise que

1. Nous pensons videmment louvrage fondamental de Theodore Kisiel, The Genesis of Heidegerr Beiig &
Time (1993), mais aussi celui de Jean Grcisch, Ontologie et temporalit. Essais dEue esquisse integrale deSein und Zett

(1994).
289

Heidegger a baptise la mtaphysique du Dasein qui retiendra notre attention. Cette phase

de loeuvre qui peut tout autant tre considre comme la remise en question de lontologie

fondamentale que comme le dernier avatar mtaphysico-subjectif avant le tournant (Kehre)

a beaucoup bnfici de la publication de la Gesamtaus<gabe. Mis part les textes Kant und das

Pro btem der Metap4ysik, Vom Wsen des Grundes et Was ist Metaphjsik ?, cette priode tait

pratiquement inconnue avant la publication des premiers tomes de la Gesamtau.tgabe en 1975.

Mme si la mtaphysique du Dasein na pas engendr comme cest en train de devenir le cas

avec lhermneutique de la facticit le dveloppement dun champ de recherches

philosophiques propre, ltude de ces textes nous permet nanmoins de mettre en lumire le

chemin de pense heideggnen qui spare la publication de Sein und Zeit du tournant des

annes 1930 et douvrir une rflexion sur la possibilit dune mtaphysique qui soit la

hauteur de la question de ltre telle que Sein zmd Zeit la formule.

Laccs ces ressources nombreuses a permis la naissance dun certain type de

recherches critiques de loeuvre de Heidegger. Mme si lvolution de la pense

heideggrienne avait t mise en vidence bien avant la publication de la Gesamtauigabe

pensons la distinction qutablit Wifliam J. Richardson entre un Heidegger I et un

Heidegger ii , lautocritique rendue clbre dans la Lettre sur lhumanisme de 19462, ainsi

qu toutes les questions portant sur le tournant , ltude de la chronologie de loeuvre nest

1. \V. J. Richardson, Heide,gger. Throtgh Phenomeno/ogy to Thou&ht, La I-lave, Martinus Ntjhoff, 1963. Cette
distinction a t admise avec les rserves quon connat par Heidegger Qhid., XXII t tr. Lettre Richardson

(avril 1962), dans ,Question III et II 348-319).


2. Dans ce texte, Heidegger fait le point sur les rapports entre la question de ltre telle quil la conoit alors et
cette mme question pose vingt ans auparavant dans Seut und Zeit. Les commentaires sont bien connus n Un
achvement et un accomplissement suffisant de cette pense autre qui abandonne la subecdvit sont assurment
rendus difficiles du fait que lors de la pamtion de Sein tutU Zeit, la troisime section dc la premire partie, Zeit tutU
Sein, a t retenue (voir Sein tend Zeit, 39). Cest en ce point que tout se renverse. Cette secon ne fut pas publie,
parce que la pense ne parvint exprimer de manire suffisante ce renversement et nen vient pas bout avec
laide de la langue de la mtaphysique (Hum, 327-328 ; tr. 84-85).
290
rellement rendue possible quaujourdhui1. La publication des cours donns par Heidegger

entre 1919 et 1944 a rendu manifeste tous les stades par lesquels est passe cette pense depuis

les premiers crits jusqu ses derniers travaux.

Il nous faut cependant nous poser la question: ces cours professs Freiburg et

Marhurg entre les annes 1920 et les annes 1940 constituent-ils un coipus fiable sur lequel nous

pourrions baser une dtermination des tapes du Denkwe<g de Heidegger? Ne sagit-il pas

seulement dc cours, cest--dire de matriel didactique prsent des tudiants de philosophie?

Plusieurs commentaires simposent ici. Tout dabord, ces manuscrits de cours que Heidegger a

prcieusement conservs et rgulirement annots constituent plus de b moiti des tomes de la

Gesamtausgabe. Leur importance matrielle est donc indniable. Il nous faut ensuite reconnatre

que selon le souhait de Heidegger, la Gesamtausgabe devait commencer par la publication des

cours et non des manuscrits indits. Ime sil est possible que Heidegger ait seulement

souhait ainsi prparer b lecture des crits indits, on ne peut nier quil accordait une

importance majeure ces manuscrits. Le fait que plusieurs de ces manuscrits de cours aient t

transforms en ouvrages de son vivant tmoigne aussi de limportance de ces textes.

Dans un texte de 1937/38 Beitae u IVztnsch und lVille , Heidegger insistait sur

limportance, pour le dploiement de sa pense, de ce dialogue avec la tradition que constitue

lensemble des cours : Derrire cette volont pdagogique de dploiement et de consolidation

de la force dinterrogation (Fragekraft) et derrire la libre matrise du mtier (derfreien Beheirscbung

des Handwerki) repose le mouvement vritable de la pense lui-mme comme effort en vue de

la mise en place du nouveau cormnencement. Cet autre questionnement en qute de la vrit

de lestre (Wahrheit des Syni) la diffrence de la question portant sur lessence de ltant ne

peut saccomplir que dans lexplication (Auseinandersetun<g) avec lhistoire antrieure et dans le

1. Pour ce qui es de la perspective chronologique, en plus des ouvrages cits de Jean Greisch et de
Theodore Kisiel, mentionnons quelques tudes Daniel Dahistrom, Heidggers Concept of Tristh, Cambridge,
Cambridge University Press, 2001 ; Dicter Thom, Die Zett des Setbst und die Zeit danach. Zur Kritik der Texgeschichte
Martin Heideggers 1910-1976, Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1990; Maxence Caron, Pense de ltre et ongine de /a
subjectivit, Paris, Le Cerf, 2005.
291
nouveau dvoilement de celle-ci. La discussion atteint sa conclusion avec les cours sur

Nietzsche . Un peu plus loin, il crit: Les cours demeurent toujours au premier plan: ils

sengagent lintrieur dune tonalit fondamentale (Gnindstirnrnung) sur une voie (Wegstrecke)

apparemment arbitraire et offrent partir de l les coups doeil sur lensemble (die Bticke in dus

Ganre) . Ce texte rend manifeste limportance que Heidegger accordait, pour le dploiement

de sa propre pense, cette discussion avec la tradition philosophique que constituent les

cours quil dit tre historiaux, mais jamais historiques (geschichttich, aber nie historisch) 2.

Enfin, mme si ces manuscrits ne sont que des cours et quils ne correspondent peut-

tre pas parfaitement, de par leur aspect didactique, la pense la plus intime de lauteur, on

doit reconnatre que le contenu philosophique livr en classe se rapproche normment de ce

que Heidegger a consenti publier. Mme si Sein und Zeit se prsente sous la forme dun trait,

on peut reconnatre dans les cours qui le prcdent immdiatement presque tous les lments

qui le constituent3. Pour ce qui est des publications contenues dans le co?pus abord dans cette

tude, lessai Ibm [Vesen des Grundes reprend souvent au mot prs des dveloppements

prsents en classe lt 192$ et lhiver 1928/29. Pour ce qui est du Kantbuch, Heidegger

soulignait lui-mme dans lavant-propos de la premire dition que lessentiel de son

interprtation provenait de cours professs sur la Critique de tu raison pure depuis lhiver

1925/26. Les publications contemporaines de lenseignement de Heidegger (1919-1944)

correspondent de faon gnrale des contenus prsents en classe.

1. GA 66, 420-421.
2. Ibid., 421. Notons au passage que dans ces quelques pages tires de Besinimng, Heidegger crit que les cours

les plus importants pour comprendre le dploiement de la question depuis Sei,i tmd Zeit sont ceux compris cntre le
semestre de lhiver 1930/31 (GA 32) et celui de lt 1937 (GA 43). Les cours de la mtaphysique du Dajcz,z
(1927-1930) sont volontairement ignors. Deux interprtations peuvent tre proposes : 1. Heidegger considre
ces cours comme une sorte de n rechute dans la mtaphysique et leur confre donc une importance mineure
dans le dveloppement de sa pense 2. Heidegger ne considre cette poque que comme la continuation du
questionnement propre 5cm und Zeit et ne conoit pas cette poque comme un dveloppement substantiel par
rapport louvrage de 1927.
3. On se rfrera bien entendu la grande tude de Theodore Kisiel pour lexposition de la gense des thmes
de Sein und Zeit.
4. Linterprtation de Kant qui sera reprise dans Knnt und das Prohiem derMetaphysik est contenue dans les cours
de lhiver 1925/26 (G 21), de lhiver 1926/27 (GA 23 ; indit), de lt 1927 (GA 24) et de lhiver 1927/28 (G
292

On reconnatra nanmoins que h publication de certains manuscrits indits (entourant

la rdaction des Beitnge) a malgr tout permis la mise . our de nombreux thmes que les cours

de lpoque nexposent qu mots couverts. Rien ne nous empche donc de croire que la

publication dans les annes . venir de certains manuscrits pourrait modifier la donne et

relguer au second plan les manuscrits provenant de lenseignement de lauteur. Mais pour

linstant, force est dadmettre que le matriel prsent dans les cours ne constitue pas une

source mineure pour aborder loeuvre, mais bien plutt des textes de premier ordre, constitus

dexposs prpars par lauteur, ordonns en vue dune publication et consults et annots au

hi des annes2. La richesse des textes qui nous sont parvenus exige de toutes faons quon les

prenne pour ce quils sont: des textes philosophiques de grande qualit.

Mais une question simpose: bien que la Gesarntauigabe rende accessible des textes qui

embrassent une priode trs large (1910-1976), est-ce la tche des tudes heideggriennes que

dc mettre en relief dans une perspective chronologique les divers sentiers qua emprunts

loeuvre tout au long de cc chemin de pense)>? Cette approche de loeuvre doit-elle tre

considre comme le moyen adquat pour en saisir le mouvement interne? Nombreux sont

ceux qui sopposent ce que lon suive, cours par cours, texte par texte, le dveloppement

de la pense de Heideg,ger. Niant la valeur dune lecture strictement chronologique de loeuvre,

certains commentateurs considrent quune lecture respectueuse de loeuvre doit plutt

25) et dans les cours universitaires de Davos de mars 1929 (GA 3 tr. Dbat sur te Kantisme et ta Phitosophte, mais
aussi dans quelques sminaires et confrences indits (sminaires de lhiver 1925/26, 1926/27 et 1928/29, la
confrence Kants Lebre vom Schematismus und die Frage nach dem Sinn des Seins prononce K[n en
janvier 1927 et une autre, dont le titre est inconnu, prononce Riga en septembre 1928).
1. Iilderlin u,zd das lVesen der Dichtun,g (1937) reprend les thmes dun cours profess lhiver 1934/35 (GA 39
vrifier), Ptutons Lehre ton der JVahrheit (1942) reprend les dveloppements du cours de lhiver 1931/32 et
Eriutening n Hbiderlins Dtchtmzg (1944) reprend les lments des cours de lhiver 1941/42 (GA 52) et de lt 1942
(GA 53). Bien quelles ne soient pas sans parent avec des Contenus prsents en classe, les confrences lJas ist
Metaphysik ? et Im Wesen der lVahrheit publies respectivement en 1929 et en 1943 constituent des exceptions.
2. De limportance de ces manuscrits tmoigne encore le fait qu lhiver 1932/33, Heidegger ait consacr son
semestre sabbatique relire ses propres manuscrits : Pour le moment, jtudie mes manuscrits, autrement dit je
me lis mol-meme et je dois avouer que cest l bien plus fmctuewc, pour le meilleur et pou le pire, que toute autre
lecture, dont je nai du reste gure lenvie ni le loisir (Lettre Elisabeth Blochmann du 18 septembre 1932).
293
sefforcer de rendre manifeste lunit de luvfe et de mettre en lumire, contre toute ide

dvolution, lunique question du Denkweg: celle de ltre et dc sa vrit1.

On a mme voulu montrer rcemment que Heidegger se serait lui-mme oppos t.

toute approche chronologique de son oeuvre. Sappuyant SUf une lettre Karl Lwith datant

du 20 aot 1927 dans laquelle Heidegger crit ne pas sintresser sa propre volution,

Thomas Kalary a t jusqu soutenir que les cours ne constituaient pas une source fiable pour

expliquer les aspects centraux de loeuvre de Heideg,ger. Dans cette lettre, 1-leidegger crivait:

Je ne mintresse pas mon dveloppement, mais si la question surgit, on ne peut btement

le recomposer partir de la squence des cours et de ce qui y est communiqu. Cette

considration trop courte oublie les perspectives centrales et les impulsions, tant vers lavant

que vers larrire )>2.


Selon cette lettre, les cours que la Gesamtauigabe a rendu disponibles ne

permettraient pas dexpliquer le <t dveloppement de la pense heideggnennc dans la mesure

oi ils ne donnent pas accs la perspectiite centrale qui la guide. Les cours ne seraient donc que la

manifestation externe des imp;ttsions qui sont rellement loeuvre en arrire-plan.

Nous ne pouvons manquer de souligner, dans un premier temps, que les indices que

nous a laisss Heidegger quant la manire dont nous devrions interprter son oeuvre ne

peuvent valoir de faon universelle et dogmatique. Les principes que Heidegger a pu formuler

quant au mode de lecture appropri de son oeuvre ne pourront jamais faire autorit sans que

ladite lecture ne se transforme en un docile acquiescement tout ce que dit le matre. Ce serait

le comble du manque de souci hermneutique que de devoir nous plier pour ce qui est de la

1. Dans des tudes rcentes parues dans les f-Ieidegger Studies (e Toward sketcbing the Genesis of Bein5 anti
Time, 2000/16 et e Hermcneunc Pre-conditions for Interpreting Heidegger, 1: 2002/18 et Il: 2003/19),
Thomas Kalary plaide pour une lecture qui prenne le texte des Beitroge rur Philosophie comme lunique site parut
duquel interprter lensemble de loeuvre (2002/18, 163). Contre toute lecture qui se serve du temps comme critre
discriminatoire pour interprter loeuvre, Kalary propose une lecture e unitaire de loeuvre, dans laquelle les
problmatiques napparaissent ni ne disparaissent mais Sont toutes prsentes, en puissance dii moins, depuis le
dbut. Selon ces principes, ltude de Theodore Kisiel portant sur la e gense de Sein anti Zeit constitue le comble
du sacrilge. Dans le mme ordre dide, voir aussi Frank Schalow, e Questioning the Search for Genesis : A Look
at Heideggers Early Freiburg and Marhurg Lectures , Heide,ggerStudies, 2000/16.
2. Lettre Karl L6with du 20 aot 1927 (<t Drei Bnefe Mariln Heideggers an Karl L6wtth t>, in Dietrich
Papenfuss et Otto Poggeler (d.), Zitrphttosophtschen Akti,ahtdt Heideggers, Bd. II: 1m Gespriich der Zeit, Frankftirt a.
M., Klostermann, 1990, 37).
294

lecture et de linterprtation dun auteur aux directives que celui-ci nous a laisses. Si on peut

nanmoins sintresser la vision quun auteur avait de sa propre oeuvre, il faut tou)ours tenir

compte que de tels commentaires sont situs historiquement , quils appartiennent une

poque particulire et ne peuvent aucunement prtendre valoir universellement. Que

vaudraient, par exemple, des indications donnes par Kant en 1770 sur la faon dont on doit

comprendre son oeuvre? Lapprciation de Hegel, dans le Systme de lEncyclopdie, de la

place quoccupe la Phnornnogie de tiprit nous force-t-elle lire ce texte comme une oeuvre de

second ordre nappartenant qu la philosophie de lesprit ? Le commentaire tir de la lettre

Lwith, par exemple, est nonc quelques mois aprs la publication de Sein und Zei4 poque

laquelle nous pouvons en faire lhypothse Heidegger ne prvoit pas encore les

dveloppements ultrieurs de son oeuvre. Mais si les commentaires que Heidegger a laisss sur

ces questions mritent vraiment notre attention, nous devons reconnatre que sa position nest

pas aussi tranche que le bissent croire ceux qui sopposent la lecture chronologique de son

oeuvre.

Les indications qua donnes Heidegger concernant la publication de la Gesamtuuigtibe

tmoignent de lintention dans laquelle il a souhait, aux derniers jours de sa vie, que soit

aborde la partie indite de son oeuvre. Or, celles-ci nous semblent plutt aller dans le sens

dun encouragement la lecture chronologique, cest--dire une lecture qui suivrait le chemin

qua parcouru loeuvre. Selon ce que lon sait de ces indications toujours indites1 et en se

basant sur les principes tablis du vivant de lauteur pour la publication de la Gesamtauigabc,

1. Le dernier prospectus en date de la Gesaiatausgabe (o Ausgabe letzter Hand , mars 2003) nen donne encore
que quelques fragments . Sur les questions concernant ces indications laisses par Heidegger et oublies par les
diteurs, voir les diffrents textes de Theodore Kisiel: Heideggers Gesamtaujube An International Scandai ot
Scholarship >, dans PhitosopIy Ioda3, 1995/39 ; On the Way to Being and Time Introduction to the Translation
of Heideggers Prok,gomena ur Geschichte des Zeithe,gnffr, dans Rssearch in Phenome,zoto, 1985/15 Edidon und
Ubersetzung. Unterwegs von Tatsachen zu Gedanken, von Werken zu Wegen o, dans Diettich Papenfuss et Otto
Poggeler (d.), Zur phllosophischen ktuatitdt Hezdepgcrs, Bd. III : 1m Spie,gel der lTeIi: Spruc/ie, (ibersetun,
Auseinant/rrsetyn, Frankfurt a. M., Klostermann, 1992, 89-107. Mentionnons aussi lexistence dun texte du mme
auteur, toujours mdit, intitul Heideggers Gesamtausgabe as a Philosophicat Problem: Prolegomena (qui
devrait ou devait paratre dans Jaakko Hintikka aod Robert S. Cohen (d.), On Cnticat Editiu,g in Phitosophy ami
Science, Boston Studies in the Phiiosophy of Science).
295
lunique but philosophique de la publication dc loeuvre tait dexpo
ser dans tout son dtail et

dans toute sa profondeur, le mouvement prcis du Denkwg de Heideg


ger, de son chemin de
pense suivant lordre de ses diffrentes tapes .
Linsistance sur les principes chronologiques

dont le plan initial tait de prsenter chaque crit dans son tat
dorigine, avant les multiples

modifications que lauteur lui-mme a pu ajouter avec le temps


se serait brusquement
amenuise dans le prospectus publi par lditeur en mars 197$,
le premier publi aprs la mort
de Heidegger et qui manifeste des changements radicaux dans
les principes ddition de

loeuvre2. Ldition <(de la dernire main (tetr.,yer Hand) , cette dition


qui prsente les textes

dans ltat o ils taient la mort de lauteur, tmoignerait donc davant


age des dcisions prises
par lditeur que de la volont de lauteur.

La lecture chronologique de loeuvre naurait aucunement t rcuse par


Heidegger,
mais bien prconise. Encore une fois, limportance dc tels commentaires
est toute relative. On
ne peut aucunement imposer au lecteur dun texte les principes de lecture
proposs par son
auteur. Il nous faut cependant souligner lintrt qua port Heideg
ger la fin de sa vie au

problme sur lequel nous reviendrons de la datation des ajouts marginaux et corrections

quil a faits sur ses manuscrits au fil de sa vie. Le principal souci


de Heidegger eu gard la

publication prochaine de son oeuvre tait alors limpossibilit dans


laquelle se trouveraient les
diteurs dc dater les diffrentes annotations ajoutes dans ses
manuscrits. Cela tmoigne

encore, selon nous, de lintrt que Heidegger vouait la chronologie


de son oeuvre.

Ce type dtude a dailleurs permis damliorer grandement notre connai


ssance et notre
comprhension de loeuvre de Heidegger. La lecture chronologiqu
e de loeuvre offre la
possibilit de saisir cette mobilit interne de loeuvre qui seule nous permet daper
cevoir ce que
1. Thcodore Kisiel, e Heideggers Gesamtaziigahe , 5.
2. Ibid. Voir aussi le texte de Kisiel, Edition und bersetzung
, 9O91. Lauteury compare larticle de f. W.

C von Hermann de septembre 1974 (<t Ein Denkweg wird stchtbar gemacht
septembre 1974) et le premier prospectus posthume de la Gesumtaziig
((critique dition critique de la dernire main .
frank/rter AIgemeine Zeitun, 26
,
abe 9W retire pour la premire fois ladjectif
296

cherche rellement Keidegger1. Tout le monde reconnatra que loeuvre de Heidegger est une

oeuvre en mouvement. Jamais elle ne trouve le repos, jamais elle ne ressent la satisfaction dtre en

parfait accord avec la chose mme jamais, pour le dire ainsi, elle nest tompttement

phnomnotqgique. Cette inadquation intrinsque de la pense son thme est justement ce qui

constitue le moteur de la pense heideggrienne, ce qui la fait se mouvoir. La publication des

manuscrits des cours donns par 1-leidegger est une chance unique de suivre, semestre par

semestre, les dplacements, les variations, les mtamorphoses et les tournants qua pu subir cette

oeuvre depuis son tout dbut.

Ces recherches, si elles sont menes avec soin, permettent dapercevoir non pas les

contradictions mais bien les variations dans le traitement des questions philosophiques. Il ne

sagit donc pas dune simple chasse aux modifications stylistiques ou conceptuelles, ni mme

dune analyse comparative de dfinitions. Cest bien plutt une tentative de comprendre

pourquoi, chaque instant, cette pense se transforme, pourquoi elle a recours tel instrument

philosophique plutt qu tel autre, pourquoi elle va chercher soudainement chez tel auteur une

ide, une phrase. Loin de ses tudes qui prsentent Heidegger comme un auteur parfaitement

autonome et impermable aux influences extrieures, ce type dtude permet aussi de montrer

comment la pense philosophique de son temps a pu avoir un impact sur son oeuvre, comment

la publication ou la lecture de certaines oeuvres ont pu influer sur le mouvement de sa propre

pense. Loin aussi de ces autres tudes qui considrent que seule une paraphrase en rgle

permet de ne pas trahir la pense du Matre , ces tudes chronologiques se permettent

1. Il est important de noter que ce type dtude ne doit pas se contenter dtre une recension des possibles
variations dans la terminologie, de lapparition et de labandon de concept ou des ventuelles contradictions
lintrieur du coitsiss heideggrien. Il sagit bien plutt de penser ce qui exige les possibles mtamorphoses, cest-
dire comprendre en quoi une pense est ou nest pas en adquation avec la chose mme et montrer la ncessit interne
des mouvements. Cette exigence mthodique, Marlne Zarader la formule ainsi e Il ne suffit pas de constater,
comme le font bon nombre de commentateurs, que des concepts sont raturs. Encore faut il suivre le
mouvement interne qui, aprs leur avoir donn vie, sens et fonction, exige leur suppression. Encore faut il, en
dautres termes, montrer linluctabilit dc certains effacements (e Etre et transcendance chez Heidegger s, Renie
de mtaplyrique et de morale, 1981/3, 308).
297

dtablir des liens lintrieur de loeuvre mme, de mettre en vidence des hsitations ou

C mme des repentirs que lauteur a pu avoir et, ainsi, de penser avec Heidecr et non aprs lin.

Le Wecharakter de loeuvre de Heidegger semble lui-mme exiger quon lise loeuvre en

gardant toujours en tte lemplacement chronologique o se situe tel ou tel texte. Mais ces

tudes ne doivent pas tre abuses par les changements de vocabulaire parfois surprenants de

Heidegger, ses abandons et ses reprises. Il ne sagit pas de dcouper loeuvre de Heidegger en

une infinit de parties et dannoncer la dcouverte dun tournant chaque fois quun

nouveau mot apparat. Si, pour donner un exemple, Heidegger se tourne vers Kant au milieu

des annes 1920 aprs avoir sjourn auprs dAristote dans les annes antrieures, cela ne

signifie aucunement que la pense de Heidegger prenne un nouveau dpart et que tout ce qui

prcd ce changement soit oubli ou reni. La lecture chronologique a bien plutt pour tache

dinterroger ce qui pousse Heidegger vers Kant et dexpliquer ce quen retire sa pense.

Grce la publication des cours, les mouvements de loeuvre qui, rappelons-le, ne

sont jamais des changements de direction, mais de plus subtiles variations dintrt ou de

perspective peuvent tre suivis semestre aprs semestre. Ainsi, il nous est possible de savoir

avec plus ou moins dexactitude ce qui se joue, par exemple, entre Lt rdaction de Sein xmd

Zeit et celle de Kant und dus Problem der Metuphjsik dont les parutions sont plus ou moins

contemporaines. Avec la parution des tomes 24 27 de la Gesamtausgabe, nous sommes

dsormais en possession de plus de 1600 pages de texte et non des moindres! qui

viennent, en quelque sorte, sintercaler entre ies deux ouvrages. Les notions de transcendance,

de finitude ou de libert qui sont des thmes-cls du Kantbuch mais que lon avait qu peine

entrevues avec Sein und Zei4 gagnent en clart la lecture de ces quelques volumes.

1. Cest en effet la caricature qui sert de repoussoir beaucoup. Voir, par exemple, lardcle de f rank Schalow,
Qucstioning the Search for Genesis s, 182-183.
298
Le grand inconvnient dc ce type dtude est bien entendu ltat dans lequel nous

parvient loeuvre de Heidegger. Ayant renonc exaucer les voeux de lauteur qui souhaitait une

dition parfaitement respectueuse de sa chronologie, les diteurs ont prfr publier les

manuscrits qui composent la Gesarntauigabe dans leur tat fmal, cest--dire sans distinguer le

texte initial et les nombreux ajouts qui jalonnent le texte. Les manuscrits des cours sont en

effet truffs de notes de la main de lauteur qui ont t ajoutes diffrentes priodes de sa vie.

Selon des tmoignages de premire main, Heidegger aurait souhait trouver une solution au

problme apparemment insoluble de la datation des ajouts afin que puissent apparatre les

diffrents stades dachvement des manuscrits. La tche semblait alors gigantesque dans la

mesure o les crits taient tous plus ou moins complets et ordonns, mais surtout parce quil

semblait impossible de les publier de telle sorte que le chemin chronologique de cette pense

soit rendu manifeste2. Les nombreuses annotations que lon retrouve dans tous les manuscrits

ne sont pas dates et ne le peuvent tre que dans certains cas o le vocabulaire employ ou

lorthographe particulire de certains mots permet de tenter une approximation. Les diteurs

ont renonc par souci dconomie mais peut-tre aussi devant lampleur de la tche

distinguer entre les annotations marginales et le texte continu. Ce choix ditorial fausse bien

entendu la tche que nous nous proposons ici, celle de cerner une des tapes privilgies de

loeuvre.

Un excellent exemple des erreurs quintroduit le travail empresse des diteurs de la

Gesamtatiigabe est linsertion postrieure, dans le manuscrit des Trtegomena iir Gese/ichte des

Zeitberiffi (t 1925), du vocabulaire existendal de Sein mzd Zeit (1927). Chacune des

occurrences de ce vocabulaire (Exi.rten existeniell, Existenia/ien, etc.) correspond, comme la

montr Theodore Kisiel, une insertion faite la main par Heidegger sur la transcription

1. En plus de ceux Cits par Kisiet, nous renvoyons au tmoignage de \Vatter Biemel dans son texte Le
professeur, le penseur, lami Zgerneine Zeitschrift fir Philosophie, 1977/1, 1-23 tr. dans Heideger-L Ierne, 127-
137) : Une dition critique qui prendrait un jour en considration toutes ces remarques marginales, ces ajouts et
supplments, demanderait un travail trs soigneux, surtout en ce qui concertie ics problmes de datation (132).
2. Theodore Kisiel, Heideggers Gesarntausgabe , 6.
299
stnographique du cours. Ces termes ne datent donc pas de 1925 mais sont des ajouts

contemporains de la rdaction finale, en mars 1926, de Sein und Zeit. Le lecteur de ce tome de la

Gesamtausgabe nen est cependant pas averti et ne peut en tirer quune unique conclusion: cest

lt 1925 que Heidegger a expos pour la premire fois le vocabulaire existential que

reprendra Sein uni! Zeit lanne suivante.

Pour le lecteur qui na pas accs aux manuscrits originaux, cette situation est sans issue.

Comment distinguer les ajouts postrieurs de lauteur du texte original? A titre dexemple,

prenons le problme de lapparition dun terme rare, celui de mtontologie , dans deux

cours, soit dans les tomes 22 et 26 dc la Gesamtauigabe. Sans entrer ici dans les questions

concernant la signification du terme, on peut se demander si son apparition date bel et bien de

1926 ou sil ne sagit pas dun ajout fait deux annes plus tard par lauteur qui, aprs avoir forg

un nouveau terme, sest souvenu avoir trait dune problmatique similaire deux annes

auparavant. Laspect trs schmatique de la remarque de 1926 Ontoto,gisches Probtem scht,gt

um ! Aetontotogisch; OEooyKf ; das Seiende im Ganzen )>2 ainsi que son absence dans les

notes de cours de Hermann Mrchen et de Waker Brcker nous porte croire quil sagit en

ralit dune note marginale ultrieure. Mais il est impossible de le savoir avec prcision sans

loriginal qui peut tre consult, il est vrai, au Deutsches Ijteraturarchiv Marbach , qui ne

permettrait peut-tre pas de dater la remarque, mais tout le moins de se faire une ide de la

disposition du texte et des ajouts qui y ont t faits. Il est encore possible que le terme ait t

employ cette poque par Heidegger mais quil nait pas t prononc en classe. Nous

pourrions mme supposer que le terme ne date ni de 1926 ni de 1928 mais quil a t cr

une date ultrieure et ajout simplement dans les marges de ces deux manuscrits que lon

1. Voir On the \Vay to Being and Tue, 197 et Edition und lJbersetzung , $9-90. Dans ce dernier article,
lauteur sest prt au mme travail de vrification pour les tomes 56/57 et 61 dont les rsultats sont donns en
annexe (106-107).
2. GA 22, 106.
300
connat. Ltat dans lequel les tomes de la Gesarntau.gabe sont publis ne nous permet pas de

trancher.

Mais, pourra-t-on nous objecter, comment concilier la volont des diteurs dc rendre

public un texte continu et lisible qui donne accs la pense heideggrienne et le dsir des

chercheurs de travailler sur un texte qui respecte parfaitement le manuscrit, quitte perdre en

lisibilit? Bien quau milieu des annes 1970, ni Heidegger ni ses diteurs naient pu concevoir

une solution satisfaisante, les progrs que linformatique a fait depuis rendraient dsormais

possible une publication connexe des manuscrits sur Cd-rom, permettant la consultation dune

photo du manuscrit. Ceci donnerait chaque chercheur la chance de se faire une ide de la

disposition du texte dans les divers manuscrits et ainsi, de porter un jugement sur les possibles

modifications qua subies le manuscrit depuis sa premire rdaction. Selon les principes suivis

prsentement pour ldition de la Gesarntausgabe, les dcisions que prend lditeur quant ces

questions font juridiction pour lensemble de la communaut des chercheurs. l3ien que cela ne

puisse rgler tous les problmes la datation exacte des notes marginales est impossible , une

publication sinspirant de certaines ditions sur Cd-rom rendrait de grands services aux tudes

heideggriennes. Notons cependant que les derniers volumes parus de la Gesarntauiguhe tiennent

davantage compte de ce fait en sparant ce qui appartient au manuscrit de Heidegger de ce qui

constitue les notes de cours dlves et en inscrivant en notes de bas de page les notes

marginales1. Du point de vue de la recherche cependant, nous sommes encore loin dune

dition satisfaisante.

1. Par exemple, les tomes 17 (dit par friednch-Wilhelm von Herrmann en 1994), 18 (dit par Mark
Michalski en 2002), 19 (dit par Ingehorg Schiiflier en 1992), 22 (dit par Petrajaeger en 1993) et 28 (dit par
Claudius Strube en 1997).
Annexe B

Occurrences des termes onto-thologie et onto


thologique dans le corpus heideggrien

Texte Anne Texte original Traduction

Heets Phnomenotoie 1930/31 GA 32, 140-144, 183,


des Geistes 193 et 209.

Die Gnindfrtge der 1933 GA 36/37, 281.


Philosophie

Scheiin: Vom Wesen 1936 GA 42, 84-89 et 112-


der rnenschtichen Freiheit 114 (E
SA, 61-62 et
(1309) 78-80 ; voir aussi $3).

Beitrge ur Phitosophie 1936/38 GA 65, 206.


(Vom Eretgnis)

Besinnuig 1938/39 GA 66, 374.

EntwhI ur Geschichie 1941 GA 6.2, 428. Nietsche II, 379.


des Seins aIs Metaphjsik

Die Meta15hjsik des 1941 GA 49, 94 ( 54 *

dentschen Ideatismus. 212).


Zur erneuten Auslgung
von Schetling:

Nietsches Metaphyrik 1941/42 GA 50, 69. Nietsche 11, 257

Hege Ertiiuierun,g der 1942 GA 68, 80-82, 97 et


fEinteitung u FIegets 141.
Phdnomenotogie des
Geistes

Les rfrences en franais ne sont indiques que lorsque la pagination de loriginal allemand nest pas reprise en
marge de la traduction.
2
Ce symbole () indique quaucune traduction franaise nest disponible.
302
Hegets Begriffder 1942/43 GA 5, 195 et 199- Chemins, 236-237 et
Efihnrng 203. 242-246.

Die seinigeschichttiche 1944/46 GA 6.2, 313-315. Nietsche II, 279-283.


Bestimmug des
Nihitismiis

Das Wesen des 1946/48 GA 67, 214-219.


Nihitismus

Einteitutg u Was ist 1949 GA 9, 378-380. QI&H 39-41.


Metaphysik ?

Die ontotheotogische 1957 I. u. D., 45-47, 49-52 ,QI&II, 289-291, 292-


Vefassung der et 6 1-66. 295 et 302-308.
Mettrp/ysik

Kants These liber das 1961 GA 9, 449-450. 9I&H 382-383.


Sein

Zur Sact)e des Denkens 1962/64 76. QHI&I 300.


Bibliographie

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Coztrs, sminaires, confrences, publications et documents

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Philosophie undphdnornenotqgische Forsch;tng, VIII) [GA 2]
publication Zur Geschichte des philosopbischen Lchrstuhls seit
1866 (tout dabord paru dans Die Phiutjps-Universitct rit
Marbug 1527-1927) [GA 1
8 juillet confrence Phnomenologie und Theologie fubingen)
I. Teil : Die mcht-phulosopbischen ais positive
Wissenschaften und die Philosophie ais transzendentale
Wissenschaft [GA 80 ; indit]
9 juillet confrence Phiinomenoiogie und Theologie fbingen)
lI. Teil: Die Positivitt der Theologie und ihr Verhltnis
zur Phnomenologie [GA 911
SS 1927 cours Die Grundprobieme dcr Phnomenologie [GA 24]
sminaire Ibungen fur Fortgeschrittene : Die Ontologie des
Aristoteles und Hegels Logik
sminaire Luthers Galater Kommentar (avec Rudoif Buitmann)
octobre document Versuch einer zweiten Bearbeitung (Encyclopaedia
Bnttanica) [Edmund Husseri, PheYnomenologische Pychologie,
Husserliana IX, 256263]2
WS 1927/28 cours Phiinomenologische Interpretation von Kants Kritik der
reinen Vemunft [GA 25]
sminaire Phanomenologische Ubungen fur Anfiinger tiber Begriff
und Begriffsbildung
sminaire Phanomenologische Cibungen fur Fortgcschrittcne
(Schelling, liber das Wesen der rnenschlichen Freiheit)
[C4 86 ; indit]

*
Les abrviations SS et WS sont employes pour dsigner respectivement les semestre dt (Sommersemestei
de mai ii juillet) et dhiver (ITntersemester de novembre fvner). Les traductions franaises sont indiques en note
lorsquil sagit de traductions publies affleurs que chez Gaffimard.
1. Tr. par M. Mry, n Thologie et philosophie o, Dbuts sur le Kantisme et ta Philosophie (Daios, mars 1929) et autres
textes de 1929-1931, Paris, Beauchesne, 1972, 101-121.
2. Tr. par Jean-Franois Courtine, Seconde version de larticle Phnomnologie o, dans \Iichel Haar (d.),
Marti,z Heidegger, Paris, Cahiers de 1Herne, 1983, 38-43.
304

192$

publication Besprechung: Ernst Cassirer, Philosophie der yrnboIischen


Fonnen. 2. lei!: Das mythische Denken (1925) (tout
dabord paru dans la Deutsche IJteratmeitui, 21. Heft
1928) [GA 3]2
14 fvrier confrence Theologie und Philosophie (Marburg)3
16 fvrier document Gutachten zut Habilitation von Karl Lwith [Karl
Lwith, Sdmt!iche Schriflen I, 470-473]
avril document Vorbemerkung des Herausgeber [Edmund Husseri,
P/inomenoiqgie des inneren Zeitbewusstseins, Husseliana X,
XXIV-XXVI
SS 1928 cours Metaphysische Anfangsgrnde der Logik im Ausgang
von Leibniz [GA 26J
sminaire bungen zu Anstoteles, Physik III
document Aus der letzten Marburger Vorlesung [GA 9]
aot document Gutachten zut Habilitation von Hans-Georg Gadamer
[extraits: Jean Grondin, Hans-Georg Gadame Fine
Biographie, Tiibingen, Mobi, 1999, 160-162]
septembre confrence Zum Thema Kant und die Metaphysik (Riga)5
WS 1928/29 cours Einlefrung in die Pbilosophie [GA 271
sminaire Phnomenologische hungen fur Anfiinger : Kant,
Gmndlegung zut Metaphysik der Sitten [GA 84 ; indit]
snunaire Phiinomenologische lbungen fuir fortgeschnttene: Die
ontologischen Grundsiitze und das Kategorienproblem

1929

document Heideggers Marginalien zu Mischs Auseinandersetzung


mit der phuinomenologischen Ontologie [Dithey
Ja/]rbl(ch, 1999-2000/12, 1 $7221]6

1. Les mdications concernant le contenu des tomes $4 et 86 de la Gesamtau.qabe sont tires de la bibliographie
tablie par Christian Sommer. Celles concernant le contenu du tome $0 proviennent du prospectus de lditeur
Klostermann.
2. Tr. par Jean-Marie fataud, Recension de E. Cassiret: Das mvduischc Denken , Dbats sur k Kivitisme et
la Philosophie, $5-100.
3. Reprise de la confrence du 9 juillet 1927 prononce Tbingen (( Die Posidinrt der Theologie und ihr
Verhiiltms zur Phiinomenologie ).
4. Certains extraits de ce cours talent dni parus avant la publication de ce tome de la Gesarntauigabe en 197$.
Le texte ;kus der letzten Marburger Vorlesung , paru en 1964 dans les Mtatges offerts RudolfBultmann pour
son quatre-vingtime anniversaire (Zeit und Geschichte, Tbingen, Mohr, 1964) et repris dans lVegmarken (G 9) en
l96, prsentaient certains dveloppements sur Leibmiz (GA 26, 5, 86-124). Une version courte de lhommage
Max Scheler (GA 26, 62-64) avait t publie dans Max Schckr im Ggeizwartseschehen der Philosophie,
Bern/Mtinchen, francke, 1975.
5. Cycle de confrences voqu par Heidegger dans la prface au Kanihuch (GA 3, XVI ; tr. 53).
6. Comme en tmoigne la rponse expose datis le cours de lt 1929 (GA 2$), Heidegger a lu le texte de
\hsch ds sa parution en 1929. Ces Matguzatien ne datent cependant peut-tre pas toutes de cette premire lecture
(voir lavant-propos de lditeur, 18$). Certaines remarques comme lemploi de lorthographe Sn qui

305

24 janvier confrence Philosopbsche Anthropologie und Metaphysik des


Daseins (Frankfurt) [GA 80 ; indit]
24 fvrier document Gliickwiinsche an Hans Spemann [GA 16]
17-27 mars confrence [Rsum de:] Kants Kxidk der reinen Vemunft und die
Aufgabe ciner Grundiegung der Metaphysik (Davos) et
[Rsum de :1 Davoser Disputatton zwischen Ernst
Cassirer und Martin Heidegger (tout dabord parus dans
la Davoser Revue Revue de Davos, W, 7, 15 avril 1929)
3]2
[GA
avril publication Vom [Vesen des Griindes (tout dabord paru dans le
9]3
Festscbrififiir Edrnund i-bisser! urn 70. Geburtsta,) [GA
document Edmund Kusseri zum siebzigsten Geburtstag (tout
dabord paru dans les Akadernische Mitteiun,gen, 4 srie,
N 3, freiburg, 14 mai 1929) [GA 16]
SS 1929 cours Der deutsche Idealismus (Ficlite, Schelling, Regel) und
die philosophische Problemiage der Gegenwart [GA 28]
sminaire Einffihrung in das akadernische Studium [GA 28]
sminaire Ubungen ftir Anfanger : Idealismus und Realismus mi
AnscffluB an die Hauptvorlesungen (Hegels Vorrede
zur Phanomenologie des Geistes) [GA 86 ; indit]
sminaire Obungen ft Fortgeschrittene : Vom Wesen des Lebens
mit besonderer Beriicksichdgung von Aristoteles, de
anima, de animalium motione und de ammalium incessu
t publication Kant und das Probkrn der Metaphjisik, Frankfurt a. M.,
Klosterman [GA 3]4
24 juillet confrence Was ist Mctaphysik? (Freiburg) [GA 1
octobre confrence Was ist Metaphysik? (Frankftirt a. M.)
WS 1929/30 cours Die Gnindbegriffe der Metaphysik. WeIt Endlichkeit

Einsamkcit [GA 29/30]


sminaire Obungen ft mittiere und fortgcschnttene Semester
lJber Gewihcit und Wahrheit im AnschluS an Descartes
und Leibniz
document Unbenutzte Vorarbeiten zur Vorlesung vom
Wintersemester: Die Grundbegnffe der Metaphysik.
Welt Endlichkcit Einsamkeit [f [eidgger Stitdies,

apparat deux reprises et dont Claudius Strube considre quil sagit de la premire apparition dans le telpus
heideggrien (ibidL, 217) peuvent laisser croire des ajouts ultrieurs.

1. Le contenu de cette confrence se rapproche sans doute beaucoup dc ce qui est expos dans les premires
sections du cours de lt 1929 qui portent sur lindtermination et les limites de lanthropologie philosophique.
Heidegger se rfre dailleurs explicitement cette confrence (GA 28, 18).
2. Tr. par Pierre Aubenque, Confrence du Professeur I\Iartin Heidegger sur la Critique de tu raison pure de
Kant et sur la tche dune fondation de la mtaphysique et Colloque Cassirer-I-letdegger Davos, printemps
1929) s, Dbats surie Kantisme et ta Philosophie, 21-24 et 2$-51.
3. Le texte a t achev en octobre 1928 selon ce que I-leideggcr confia Elisabeth Blochmann (Lettre du 17
octobre 1928). Il est paru quelques jours aprs te soixante-dixime anniversaire de Husserl clbr le $ avnl 1929.
Le f2 avril 1929, Heidegger crit Ehsabeth Blochmann quil attend les tirs part du discours quil a prononc
loccasion de la prsentation du festschrft, prsentation qui a donc d se tenir entre le 8 et le 12 avril de cette
mme anne. Le trait parut la mme anne chez lditeur Max Niemever.
4. Louvrage a t termin la Pentecte 1929 (comme en tmoigne lavant-propos de la premire dition,
KPM, xvi; tr. 54) et publi lt (Jaspers la reu au mois dc juillet 1929 voir la Lettre de Jaspers Heidegger du
14 juillet 1929).
306

1991/7, 5-121
4 dcembre confrence Die heutige Problemiage der Philosophie (Karlsruhe)
[GA 80 ; indit1
S dcembre confrence Was ist Metaphysik? (Heidelberg)
nodi publication WasistMetaphysik ?, Bonn, Cohen [GA

1930

21 mars confrence Die heutige Problemiage der Pbilosophie (Amsterdam)2


22 mars confrence Hegel und das Problem der Metaphysik (Amsterdam)
[texte bilingue (tr. par Franois Vezm) paru dans Hadrien
France-Lanord et Fabrice Midal (d), Lfte de ta pense.
Homma,ge franois Fdier, Paris, Lettrage Distribution,
2001, 16-62] (GA 80 ; indit]3
SS 1930 cours Vom Wesen der menschlichen Freiheit. Einletuvg in die
Philosophie [GA 311
sminaire bungen ft Anfanger : Ausgewiihlte Abschnitte aus
Kants Kritik der Urteilskraft [GA 84 ; indit]
3t) mai publication Studenten ebren Professor Heidegger (tout dabord
paru dans la Freibuiger Zeitung) [GA 161
publication Vorrede zur japanischen Ubersetzung von W/as ist
Metaphjsik ? [GA 161k
14 juillet confrence Vom Wesen der Wahrhcit (Karlsruhe)
$ octobre confrence Vom Wesen der Wahrheit (Bremen)
26 octobre confrence Augustinus: Quid est tempus? Confessiones lib. Xl (de
tempore) (Beuron) [GA 80 ; indit]5
WS 1930/31 cours Hegels Phiinomenologie des Geistes [GA 321
sminaire iJbungen fur Fortgescbrittene : Platons Parmenides (mit
Wolfgang Schadewait)
sminaire bungen fit Anfanger $ Augustinus, Confessiones lib.
XI (de tempore
5 dcembre confrence Philosoplueren und Glauben. Das Wesen der Wahrheit
(Marburg)6
Il dcembre confrence Vom Wesen der Wahrheit (Freiburg)

1. Selon Theodore Kisiel et lencontre de ce que le prospectus de la Gesamtausgabe indique, cest plutt la
confrence Was ist Metaphysik? que Heidegger aurait alors prononce (The Genesis of FJeideggerr Being ri Time,
561-562). La lettre Ehsabeth Blochmann du 18 dcembre 1929 sur laquelle se base Kisiel ne nous semble
cependant pas aussi tranche: Ces deux mois ont t quelque peu mouvements, sans compter dewc
confrences Karlsmhe et Heidelberg, ou jai fait ma confrence de mtaphysique . Rien nexclut que la
dernire partie de la phrase ne se rfre qua Heidelberg et que Heidegger alt bel et bien prononce la confrence
Die heutige Problemlage der Philosophie Karlsruhe (comme le soutient aussi lditeur de la confrence
Hegel und das Problem der Ivletaphysilc s, HPM, 58, Anm. f).
2. Reprise de la confrence prononce le 4 dcembre 1929 Karlsmhe.
3. Le contenu de cette confrence a t partiellement repris au semestre dt 1933 (GA 36/37, 70-77).
4. Tr. partielle par 3.-M. Sauvage, Martin Heidegger-Kojima Takebiko. Une correspondance (1963-1965) ,
Phitosophie, 1994/43, 3-21.
5. Sur cette confrence, on se rfrera aux quelques indications de Fnedrich W. von Herrmann dans son
article Augiistmus und die phnomenologische Frage nach der Zeit s, Phi/osophischesJahrbuch, 1993/100.
6. Dans le cadre de cette recherche, nous nous servirons dune retranscription indite de cette confrence due
Hermann Mrchen.
307

Correipondances

a) Correspondances dites qui contiennent des lettres comprises entre 1927 et


1930

Martin HEIDEGGER / Hannah ARENDT, Bneft 7925 bis 1975 imd andere Zeztnisse, Frankfiirt a.
M., Klostcrmann, 1998; ix. Lettres et autres documents. 1925-1975, Paris, Gallimard, 2001.

Martin HEIDEGGER / Elisabeth BLocI-IMANN, Britfwechset. 1918-1969, Marbach, Deutsche


Schillcr-gesellschaft, 1989; ix. Correipondance avec E/isabeth Blochmann. 1978-1969, Pans,
Gallimard, 1996.

Martin HEIDEGGER / Elfride HEIDEGGER,Mein tiebes See/chen k Brifi von Martin Heideger an
seine Frau E/ride. 1915-7970, Mtinchen, Deutsche Verlags-Anstak, 2005.

Martin HEIDEGGER / Edmund HussEPi. Brifwechset 19 16-7933, dans Edmund Husseri,


Briftvechset IV: Die Freihmer Schiiler, Hussertiana (Dokumente) III, Dor&echt, Kiuwer
Academic Publishers, 1994, 127-161.

Martin HEIDEGGER / Karl JASPERS, Brifivechse/ 1920-1963, Frankfiirt a. M., Klostermann,


1990 ; tr. correspondance avec KarlJaipers. 1920-7963, Paris, Gallimard, 1996.

Martin HEIDEGGER / Heinrich RICKERT, Brifr 1912-1933, Frankfiart a. M., Klostermann,


2002.

b) Lettres ou extraits de lettres envoyes entre 1927 et 1930

21 juillet 1927 Hans-Georg Gadamer (mentionne et commente dans Jean Grondin,


Hans-Geo, Gadamer. Eine Biographie, Tiibingen, Mohr, 1999, 149).
20 aot 1927 Karl Lwith (dans Dietnch Papenfuss et Otto Pggeler (d.), Zur
philosophischen ktuatitt Heideggers, Bd. II : Im Gespr/ich dr Zei4 Frankfurt
a. M., Klostermann, 1990, 33-38).
6 octobre 1927 RudolfBuftmann (extraits dans G[IBT, 488).
22 octobre 1927 Edmund Husserl (dans Edrnund Husseri, f [usserliana (Dokumente, III,
144-148 et Hussertiana IX Phdiomenolqgische Rychotqgie, 600-603)
31 dcembre 1927 RudolfBultmann (extraits dans GHBT, 452).
30 mai 1928 Matthus Lang (dans Hugo Ott, Mai-tin Heideggei: Untenuegr u semer
Bigraphie, Frankftirt a. M./New York, Campus, 1988, 55-56).
14aot1928 Julius Stenzel (dans HeideggertStitdies, 2000/16, 11-13).
WS 1928/29 Hans-Georg Gadamer (PhiL LehaI.ire, 217)2.
3 fvrier 1929 Karl Lwith (extraits dans Reidegger Denker in difttger Zeit. Zut Steltung

der Philosophie 1m 20. Jahrhuudert, Sdmtliche Schnften 8, Stuttgart, J.B.


Metzlerschc Verlagsbuchhandlung, 1984, 279).
24 fvrier 1929 Hans Spemann (GA 16, 55).

1. Tr. par Jean Franois Courtine, dans Heidegger-LHerne, 44-16.


2. Gadarner commente dans ce texte ce que Heidegger lui aurait crit dans une lettre son retour f reiburg
308
12 mars 1929 Julius Stenzel (dans Heidgger.r Studies, 2000/16, 14).
25 avril 1929 Julius Stenzel (dans Heidegger Studies, 2000/16, 1415).
3 septembre 1929 Karl Lwith (extraits dans Heide<gger Denker in diitfitger Zeit. Zur Stettung

der Philosophie im 20. Jahrhundert, Sarnttiche Schriften 8, Stuttgart, J.B.


Metzlersche Verlagsbuchhandlung, 1984, 277).
2 octobre 1929 Victor Schwoerer (dans Ufrich Stieg, Die Verjudung des deutschen
Geistes , Die Zei% 22 dcembre 1989)1.
23 novembre 1929 Julius Stenzel (Heidegger.rStudies, 2000/16, 16-17).
31 dcembre 1929 Julius Stenzel (Heide<gger.v Studies, 2000/16, 17-19).
17 avril 1930 Herbert Marcuse (carte postale conserve au Herbert Marcuse-Archiv
der Stadt- und Umversitiitsbibliothek in Frankfurt am Main).
18 avril 1930 Julius Stenzel (Heidegger.r Studies, 2000/16, 19-20).
10mai1930 Dr. Grimme (GA 16, 6162)2.
17 mai 1930 Dr. Grimme (GA 16, 63-65).
17 aot 1930 Julius Stenzel (Heidegers Studies 2000/16, 20-21).
26 septembre 1930 Herbert Marcuse (carte postale conserve au Herbert Marcuse-Archw
der Stadt- und Universitatsbibliothek in Frankfurt am Main).
4 novembre 1930 Julius Stenzel (Heideggers Studies, 2000/16, 22).
14 dcembre 1930 Herbert Marcuse (carte postale conserve au 1-lerbert Marcuse-Archiv
der Stadt- und Universitatsbibliothek in frankfurt am Main).
27 dcembre 1930 Julius Stenzel (Heideggers Studies, 2000/16, 23-24).

1. Tr. par franois Vezin, 1ciits politiques. 1933-1966, Paris, Gallimard, 1995, 282.
2. Tr. par Pascal David, Lettre au ministre Dr Gnmme , dans IViarrin I-Ieidcggcr, Corre.rpondance avec E/isabeth
Blochmann. 7978-1969, Paris, Gallimard, 1996, 447-448.
309

II. Textes de Martin Heide<gger cits dans cette tude

Textes contenus dans tEdition comptte


(Gesarntau.gabe, Frankfurt a. M., Kostermann, depuis 1975)

a) crits publis entre 1910 et 19761

Frii,e Schnften (1912-1916), GA 1, d. par Friedrich-Wilhelm von Herrmann, 1978 (Frankfurt a.


M., Klostermann, 1972).

Trait des categories et de ta sgnflcation chez Duns Scot, tr. par Florent Gabonau, Pans,
Gallimard, f970.

Sein und Zeit (1927), GA 2, d. par Fnedrich-Wilhelm von Herrmann, 1977 (Halle an der Saale,
Niemeyer, 1927 ; Tiibmgen, Niemeyer, 20O1)

tre et temps, tr. par Emmanuel Marrineau, Pans, Authenhca, 1985. Autres traductions
existantes: par Henry Corbm, Extraits du livre sur LBtre et k Temps [ 46-53 et 72-
761 dans Qust-ce que ta mtaphysique?, Paris, Gallirnard, 1938; par Rudoif Boehm et
Aiphonse de Waelhens, LEtre et te Temps [ 1-44j, Paris, Gallimard, 1964; par
franois Vezin, Etre et Temps, Paris, Gaflimard, 1986.

Kant und das P;vbkm der MetapIyik (1929) [1m Anhang: Besprechung: Ernst Cassirer,
Philosophie der svmbolischen Formen. 2. Tel: Das mvthische Denken (1925) , Davoser
Vortrge: Kants Kritik der reinen Vernunft und die Aufgabe einer Gmndlegung der
Metaphysik , Davoser Disputation zwischen Ernst Cassirer und Martin Heidegger et
Aufzeichnungen zum Kantbuch j, GA 3, d. par Friedrich-Wilhelm von Herrmann,
1991 (Bonn, Cohen, 1929 ; Frankfurt a. M., Klostermann, 61998)

Kant et k probtme de ta mtapbjsique, tr. par Walter Biemel et Aiphonse de WaeMens,


Paris, Gaflimard, collection Tel, 1981. Autre traduction existante: par Henry
Corbin, Extraits du livre Kant et k prbotme de ta mtaphjsique [ 46-53 et 72-761 dans
Qit est-ce que ta mtapIysique ?, 1938 ; Recension de : Ernst Cassirer, Das nythische
Denken , Confrence du Professeur Martin Heidegger sur la Critique de ta raison pure de
Kant et sur la tche dune fondation de la mtaphysique et Colloque Cassirer
Heidegger , tr. par Pierre Aubenque, dans Dbat sur k Kantisme et ta Phitosophie (Davos,
mars 1929,) et autres textes de 1929-1931, Paris, Beaucbesne, 1972.

Hotwege (1935-1946), GA 5, d. par Friedrich-Wiffielm von Herrmann, 1977 (Frankfurt a. M.,


Klostermann, 1960 ; Frankfurt a. M., Klostermann, 82003)

Cijemins qui ne mnent nutk part, tr. par Wolfgang Brokmeier, Paris, Gallimard, Collection
<Tel>, 1986.

1. Nous prsentons ces ouvrages en indiquant tout dabord leur rfrence dans la Gesamtaus5abe, pws, entre
parenthses, ldition originale et ldition actuelle ailleurs que chez Klostermann quand celle-ci existe. Nous
indiquons enswte, en retrait, les traductions franaises consultes pour les fins dc cette recherche.
310
Nietsche I (1936-39), GA 6.1, d. par Brigitte Schillbach, 1996 (Pftilhngen, Neske, 1961
Stuttgart, Klett-Clotta, 61998).

Njetrsc/je I, tr. par Pierre Klossowsld, Pans, Gaflirnard, 1971.

Nietsche II (1939-1946), GA 6.2, d. par Brigitte Schiflbach, 1997 (PMlingen, Neske, 1961
Stuttgart, Klett-Clotta, 61998).

Nietssche II, tr. par Pierre Klossowski, Paris, Gallimard, 1971.

[Vas heflt Denken? (1951-1952), GA 8, d. par Paola-Ludovika Conando, 2002 fubingen,


Niemeyer, 1954 ; Tbmgen, Niemeyer, 1997).

Quappelle-t-on penser?, tr. par Grard Granel, Pans, Quadrige/PUF, 1959.

We,gmarken (1919-1961), GA 9, d. pat Friedrich-Wilhelm von Herrmann, 1976 (Frankfurt a.


M., Klostermann, 1967 ; Frankfurt a. M., Klostermann, -1996).

Remarques sur la Pychotogie der Wettanschauungen de Karl Jaspers , tr. par P. Collomby,
dans Philosophie, 1986/11 et 12; Phnomnologie et thologie , tr. par M. Mry,
dans Dbat sur te Kantisme et ta Phitosophie, op. cit., 1972; Quest-ce que la
mtaphysique ? , ix. par Roger Mumer, dans IViichel Haar (d.), Martin Heide,gger, Paris,
Cahiers de lHeme, 1983 (autres traductions existantes : par Henrv Corbin, dans
Questions I et II, Paris, Gallirnard, collection Tel , 1981 ; par Emmanuel Martineau,
Pans, Authentica, 1988) ; Ce qui fait ltre-essentiel dun fondement ou raison , ix.
par Henry Corbm, dans uestions I et II (autre traduction existante: De la nature de la
cause , par A. Bessey, dans Recherches philosophiques, Paris, Boivin, 1931-1932) ; De
lessence de la vrit , tr. par Alphonse de Waelhens et Walter Biemel, dans Questions I
et II; La doctrine de Platon sur la vrit , ix. par Andr Prau, dans Question I et II;
Postface Q;t est-ce que ta m/aplysique ? , tr. par Rogcr Munier, dans Questions I et fi;
Lettre sur lhumanisme , tr. par Roger Munier, Ouestion III et H Paris, Gallimard,
collection Tel , 1990 ; La thse de Kant sur ltre , ix. par Lucien Braun et Michel
Haar, Questions I et II.

Der Sat nom Gnmd (1955-1956), GA 10, d. Petra Jaeger, 1997 (Pfullingen, Neske, 1957;
Stuttgart, Klett-Clotta, 81997).

Leprinctje de raison, ix. par Andr Prau, Gaflimard, collection Tel, 1999.

Identitdt und Drenr, (1955-1957), GA 11, indit (Phillingen, Neske, 1957 ; Stuttgart, Klctt
Clotta, 122002)

Identit et diffrence , ix. par Andr Prau, dans ,Questions I et If.

Untenvegs r.ur Sprache (1950-1959), GA 12, d. par Friedrich-Wilhem von Hcrrmann, 1985
(Neske, Pfullingen, 1959 ; Stuttgart, Klett-Ctotta, 2003).

Acheminement vers la parote, ix. par Jean Bcaufret, Wolfgang Brockmeier et Franois
fdier, Paris, Gaflimard, Tel , 1976.
311
Zur Sache des Denkens (1962-1964), GA 14, indit (Tflbingen, Niemeyer, 1969; Tbingen,
Niemever, 2000).

Mon chemin de pense et la phnomnologie , tr. par Jean Lauxerois et Claude


Rols, dans ,Questions III et IV

Reden und andere Zeugnisse eines L.ebensweges (1910-1976), GA 16, dit par Hermann Heidegger,
2000.

Martin Heidegger interrog par Der Spiegel. Rponses et questions sur lhistoire et
la politique , ix. par J. Launay, dans Ecrits potitiques. 1933-1966, Pans, Gallimard, 1995.

b) Lecons donnes entre 1919 et 1944

Binfhnii.g in die phnomenotogische Forschung (Wintersemester 1923/24), GA 17, d. par Friedrich


Williclni von Herrmann, 1994.

Gntndbe<grijfe der aristotetischen Philosophie (Sommersemester 1924), GA 18, d. par Mark


Michalski, 2002.

Ptaton Sophistes (Wintersemester 1924/25), GA 19, d. par Ingeborg Schiifller, 1992.

Ptaton : Le Sophiste, tr. par Jean-franois Courtine, Pascal David, Dominique Pradefle et
Philippe Quesue, Paris, Gallimard, 2001.

Pivlegonzena ur Geschichte des ZeitbegrHfi (Sommersemester 1925), GA 20, d. par Petra Jaeger,
1979.

Lgik. Die Frage nach der LVahrheit Wintersemester 1925/26), GA 21, d. par Wafter Biemel,
1976.

Die Gnindbegrff der antiken Philosophie (Soinmcrsemester 1926), GA 22, d. par Franz-K2r1
Bust, 1993.

Concepts fondamentaux de la philosophie antique, ix. par Alain Boutot, Paris, GaDimard, 2003.

Die Gnindprobleme der Phdnomenologie (Sommersemester 1927), GA 24, d. par Friedrich-Wilhelm


von Herrmann, 1975.

Les problmes fondamentaux de la phnomnolqgie, tr. par Jean-Franois Courtine, Paris,


Gallimard, 1985.

PhJnomenolgische intepretation von Kants Kntik cler reinen Vernzaft (Wintersemcster 1927/28), GA
25, d. par Ingtraud Girland, 1977.

Inteiprtation phnomnolqgique de la Critique de la raison pure de Kant, tr. par Etnmanuel


Martineau, Paris, Gallimard, 1982.
312
Metaphysische Ataigigriinde der Ligik im Auigang von Leibni (Sommersemester 1928), d. par
Kiaus Held, 197$.

Einkitung in die Phitosophie (Wintersemester 1928/29), GA 27, d. par Otto Saame et ma Saame
Speidel, 1996.

Der deutsche Ideatismus (Fichte, Schetting, Heget) und die phitosophische Probtemtage dcv Gegenwart
(Sommersemester 1929) [1m Anhang: Nachschrift Einfiihmng in das akadcmischc
Studium (Sommersemester 1929)], GA 2$, d. par Claudius Strube, 1997.

Die Grundbegrfi der Metcphjisik. [Vett Endtichkeit Einsamkeit (Wintersemester 1929/30), GA


29/30, d. par Fnedrich-Wilhelm von Herrmann, 1983.

Les concepts fondamentaux de ta mtaphjsique. Mondejinitude-sotitude, tr. par Daniel Panis,


Paris, Gallimard, 1992.

Vom [Vesen dcv menschtichen Freiheit. Einkitung in die Phitosophie (Sommersemester 1930), GA 31, d.
par Hartmut Tietjen, 1982.

De tessence de ta tibert humaine. Inttvduction ta phitsoophie, tr. par Emmanuel Martineau,


Paris, Gallimard, 1987.

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Conceptsfondamentaux, tr. par Pascal David, Paris, Gallimard, 1985.

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Phiinomenolqgie des retgiiisen Lebens. 1. Ein/eitung in die Phnomenotogie der Retigion (Vintersemester
1920/21). 2. Augustinus itnd fier 1\Teup/atonismus (Sommcrsemester 1921). 3. Die phitosophischen
Grundtagen fier mittelattertichen A4ystik (Ausarbeitung und Einleitung zu einer nicht gehaltenen
Vodesung 1918/19), GA 60, d. par Mattbias Jung, Thomas Regehly et Claudius Strube,
1995.

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(Sommersemester 1922) [1m Anhang: Phdnomenotogische Inteipretationen u Aristotetes (Anezge
fier hermeneutischen Situation, Ausarbeitung fur die Marburger und die Gtdnger
Pbilosopbische Fakultt (1922) ; tout dabord paru dans Ditthy-Jahrbuch, 1989/6, 235-274],
G/t 62, d. par G nther Neumann, 2005.

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franois Courtine, Mauvezin, Trans-Europ-Repress, 1992.

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GA 64, d. par Friedrich-Wilhelm von Herrmann, 2004.

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Hernnann, 1989.

Besinrntng (1938/39) [1m Anhang: Mein bishenger Weg (1937/38)1, GA 66, d. par Friedrich
Wi1heIni von Herrmann, 1997.

Metaphjisik und Nihilismus. 1. Die Gbendndung der Metaphysik (1938/39). 2. Das Wesen des
Nihitismus (1946-194$), GA 67, d. par Hans-Joachim fnednch, 1999.

Heget. 7. Die Negativitt (1938/39). 2. Ertauterung der Einteitung i He,gets Phdnomenologie de.
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Textes n appartenantpas ldition complte

Schetlin,gsAbhandtung ilber das IVesen der menschlic/jen Ureiheit (1809,), Tiibingen, Niemeyer, 1971.

Schelluig. Le trait de 1809 sur lessence de la libert humaine, tr. par Jean-Franois Courtine,
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Avec Edmund HUSSERL, <Versuch einer zweiten Bearbeitung (Encyclopaedia Bnttanica)


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