Jaran-Duquette Francois 2006 These PDF
Jaran-Duquette Francois 2006 These PDF
par
FRAN0Is JARAN-DUQUETTE
Dpartement de Philosophie
Facult des Arts et des Sciences
fvrier 2006
o
Franois Jaran-Duquette, 2006.
..- (_
tIIh
Universit
de Montral
Direction des biblothques
AVIS
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Universit de Mon tral
(D Facult des tudes suprieures
prsente par:
franois Jaran-Duquette
Prsident-rapporteur
Directeur de recherche
Membre du jury
Examinateur externe
de d4basser les questions fondamentales de la mtaphysique. Sinspirant des travaux de Kant et dAristote,
Heidegger reprenait alors les problmes traditionnels de la mtaphysique notamment ceux du fondement, de la
libert et de la transcendance, autant de thmes qui restent encore peu abords dans tre et temps afin de rendre
possible un nouvel abord de la question de ltre laquelle le trait inachev de 1927 navait pas russi apporter
de rponse concrte
Cette mtaphysique du Dasein qui ne durera que trois annes constitue, dans loeuvre de Heidegger,
une tape autonome qui na pas reu toute lattention quelle mrite. Tout en paraissant poursuivre le projet de
son ontologie fondamentale de 1927, Heidegger se livre alors une explication avec la pense mtaphysique quil
se propose de reconduire, pour la premire fois, son fondement impens. Heidegger compte y parvenir en
partant de la double vocation ontologique et thologique de la mtaphysique classique, pense comme onto
tholqgie. Aprs avoir identifi lapparition de cette thmatique de lonto-thologie ds les cours du milieu des
aimes 1920, notre thse se propose daborder de front le corpus de la mtaphysique du Dasein afin de mettre en
vidence la manire dont Heidegger sy prend pour satisfaire lui-mme cette structure double de la
mtaphysique.
Notre recherche souhaite dans un premier temps mettre jour la rptition quopre Heidegger du
problme aristotlicien du monde. Considrant que la tradition na pas russi saisir lorientation essentielle de la
recherche dAristote sur le thelon, Heidegger retourne la Mtaphjsique pour montrer que linterprtation
thologique traditionnelle qui en a t faite laquelle Hcidegger oppose une interprtation thiotogique na fait
que dissimuler un problme non encore rsolu de la pense aristotlicienne. Nous nous attaquerons ensuite
lexplication de la thse forte selon laquelle la mtaphysique serait lvnement fondamental dans le Dasein o. Ce
travail permettra de mettre jour les racines les plus caches de la mtaphysique en rendant visible lorigine de son
questionnement dans la libert humaine.
Si lon a pu croire que la mtaphysique du Dasein ne constituait quun appendice lontologie
fondamentale ou encore, une simple rechute dans la mtaphysique, la prsente thse entend montrer que derrire
ces textes se cache un projet fondamentalement autonome qui, tout en tablissant le pont entre Etre et temps et les
Contributions hv philosophie, nen constitue pas moins une faon unique dans loeuvre de Heidegger daborder
lessence de la mtaphysique. Premire tentative pour penser le problme de ltre aprs lontologie fondamentale,
la mtaphysique du Dasein trouvera son achvement dans lexposition dun concept ontologique de libert qui
donnera Heidegger les instruments ncessaires pour poursuivre et repenser son cheminement.
Abstract
Short]v after the publication of Being and Time in 1927, Heidegger reformulated bis proleci of
fimdamental ontology in terms that no longer dissimulated its metaphysical intentions. This projeci of a
metaphyscs ot Dasein (1927-1930) presented a stunning attempt to ntrieue and to kry the&rounds of and not yct
to overcome die fimdamental questions of metaphysics. Inspired by Kants and Anstodes works, Heidegger
reformulated the traditional problems most notably those of foundation, freedom and transcendence, diat were
stifi underexposed in Beiiig and Time in order to make possible u new approach to the question of being, to winch
he had failed in provide a concrete answer in bis uncompleted treatise of 1927.
This metaphysics of Dasein that only lasted for three years represents, in Heideggers work, an
independent step that has not yet received ail the attention it deserves. WIule stiil seeming to pursue bis 1927
project of a fundamental ontology, Heidegger attempts for the first time to bring back metaphysics toward Its
unseen foundation. Heidegger means to do so using the division of classic metaphysics in ontology and tbeokgy
as u guideline. After having identified tire emergence of die problem of onto-theology in die lecture courses of die
mid-1920s, we wi]i address die writings of tire metaphysics of Dasein in order to show how Heidegger planned to
satisfy this double structure ofmetaphysics.
first, we will discuss die Heideggenan retneval of Aristodes problem of die world. Considering that thc
tradition neyer succeeded in seizing tire essential orientation of Anstodes investigation on tire theon, Heidegger
retums to the MetapIysics in order in show that its traditional theological interpreration that he opposes to bis
own theioIgica/ interpretation dissinrulated a probtem flot yet solved in Aristodes thought. We wiil then
approach tins idea according to which metaphysics would be tire fundamental occurrence in Dasein. This will
lead us to uncover tire bidden roots of metaphysics by revealing tire ongin of its questions in human freedom.
If one might think that the metaphysics of Dusein only represented an appcndix to fundamental ontology
or u simple relapse in metaphvsics, tus investigation aims in show that bebind these texts is bidden an
independent project that, while bridging Being aud Tirne in tire Contributions to Phitosophj, constitutes u unique way in
Heideggers work to approach die essence ot metaphysics. Representing die first attempt to address die problem
of being after die unfolding of tire fundamental ontology, die metaphysics of Dasein wiil reach its achievement in
die exposition of an ontological concept of freedoni which will give Heidegger die necessary tools to pursue
Note bibliqgraphique y.
INTRODUCTION 1.
Considrations introductives
LE PROJET DUNE MTAPHYSIQUE DU DAsEn 10.
Premire partie
LA MTAPHYSIQUE 64.
Deuxime partie
LE PROBLME DU MONDE 140.
Troisime partie
LE FONDEMENT ET LA LIBERT 222.
CONCLUSION 274.
BIBLIOGRAPHIE 303.
I. Le copus heide<ggrien 1927-1930
303.
II. Textes de Mai-tin Heide<gger cits dans cette tude
309.
III. Ijttratzrre secondaire 315.
V
o
Note bibtiographiqzie
C
J-IPM Regel und das Probtem der Metaphysik (dans Hadrien France-Lanord et Fabrice
Midal (d.), La fte de la pense. Rommge d Franois Fdier, Pans, Lettrage
Distribution, 2001).
Ph. u. G. Phitosophieren raid Gtauben. Das Wesen der Wahrheit (retranscription faite par
Hermann Mrchen dune confrence prsente ii Marburg le 5 dcembre 1930).
SA Scheiings Abhandiung liber das Wesen der menschlichen Frieheit (1809), Tiibmgen, Max
Niemeyer Verlag, 1971.
SMK Max Scheler, Die Stellung des Menschen 1m Kosmos, dans Spiite Schiften, Gesam7nette
IVerke, Bern et Mnchen, Francke, tome 9, 1976.
Pour Maria
Je souhaite remercier mon directeur de recherche, le Professeur Jean
Grondin, qui, du dbut la fin de llaboration de ce travail, a lu et
comment avec attention les textes qui le composent. Lintrt quil a
port mes recherches et la constance dans ses exigences ont
reprsent un appui solide pour la rdaction de cette thse. En tant que
chercheur, je suis redevable sa rigueur et sa probit intellectuelles.
Mon apprentissage lui doit aussi beaucoup: son enseignement a
profondment marqu ma comprhension de cc que doit tre la
philosophie.
La parution des deux premires sections de linachev Sein und Zeit aura t suivie dun
silence de deux ans. Il faudra en effet attendre jusquau printemps 1929 pour que Hcidcgger
fasse paratre une seconde publication majeure: Vom Wesen des Gr#ndes. Bien que lon ait pu
lgitimement attendre de ce trait quil complte louvrage de 1927, Heidegger y labore plutt
une problmatique nouvelle qui tourne autour dun concept que Sein und Zeit navait que trs
discrtement mentionn: la transcendance du Dasein. Au cours des annes qui vont suivre,
Heidegger ne cherche dailleurs pas tant rpondre la question laisse en suspens dans
IHauptwerk celle du rapport de ltre au temps , qu laborer, dans ses cours, ce quil
appelle une mtaphysique du Dasein , projet qui sloigne maints gards de lontologie
fondamentale. Si les textes publis la suite de Sein und Zeit laissrent difficilement deviner les
complte (Gesamtauigabe) des cours donns cette poque permet aujourdhui dtablir
pour penser le problme de la philosophie. Frayant dautres voies vers la question de ltre,
Heidegger emploie alors une conceptualit nouvelle qui, sloignant dj de Sein und Zeit, ne se
situe pourtant pas encore dans le projet plus tardif de lhistoire & ttre. Se rclamant dune
pense mtapIysique qui ait poux thme central la transcendance, Heidegger semble soudainement
pbilosophiques les plus percutants. Cela peut nous laisser croire que cette association passagre
de la pense heideggnenne avec la mtaphysique naura pas t une simple rechute dans la
textes plus tardifs dont la Lettre sur lhumanisme de 1946 , mais quelle aura permis une
Malgr lintrt vident que prsentent ces textes, il pourrait sembler paradoxal de
<t prendre au srieux cette tentative que fait Heidegger dinstaurer les fondements dune
nouvelle mtaphysique. Tous les textes crits partir de h moiti des annes 1930 travaillent
en effet dpasser la mtaphysique et, par le fait mme, rendent difficile laccs ce stade
de la pense heideggrienne. Il faut cependant rappeler qu partir du milieu des annes 1920,
Heidegger se passionne pour la Critique de ta raison pure de Kant quil interprte comme lunique
frquemment , les penseurs allemands les plus importants de lpoque Edmund Husserl,
Karl Jaspers, Max Scheler ont tous laiss entendre, une poque ou une autre, que la vise
vritable de leur pense tait mtaphysique. Cest donc sous linfluence conjointe de Kant et
sans doute de Max Scheler que Heidegger en vient souhaiter non pas dj dpasser la
mtaphysique, mais bien lui offrir la rigueur et la rsolution quelle na pas connues dans le
3
mtaphysique quest Heidegger ait succomb la fin des annes 1920 au charme de la
<t reine des sciences , il ne faut pas pour autant condamner demble le projet.
pense heideggrienne. Les crits composant cette phase de loeuvre ont ceci de particulier
problme de la philosophie.
heideggrienne. Entre la publication de Sein und Zeit en 1927 et la rdaction des textes
appartenant au nouveau commencement du milieu des annes 1930, Heidegger est pass
(1924-1927) il nest alors jamais question que dontologie et si Heidegger lui rserve le sort
que lon sait partir du milieu des annes 1930, la question de lessence de la mtaphysique
reprsente curieusement son enjeu central la fin des annes 1920. Le texte Kant und das
Pro btem der AIeraphysik avait dailleurs montr ds 1929 que cette solidarit entre Kant et
Heidegger avait pour fondement un grand respect pour la mtaphysique ainsi quune volont
commune den repenser et den transformer lessence. On sait dsormais que louvrage sur
Kant ntait pas un essai isol. La publication de lensemble des cours donnes entre 1927 et
1930 a en effet montr que la mtaphysique du Dasem ntait pas une ide propre la
4
quatrime partie de louvrage sur Kant, mais bien le titre dun projet philosophique auquel
Heidegger a consacr tous ses efforts aprs la publication de Sein und Zeit. Laccs la quasi-
tournure bien distincte de celle des textes antrieurs et ultrieurs. Il ne sagit plus seulement de
rveiller cette question de ltre oublie par la tradition, ni mme de tracer une histoire de ltre
admet ouvertement prendre le relais du projet mtaphysique kantien dans le but de mener
bon port le problme fondamental qui aurait d tre, mais qui na jamais t celui de la
Le but de cette tude nest pas de tracer un portrait complet et exhaustif de lensemble
des thmes contenus dans ces cours. Parmi toutes les lectures possibles de la mtaphysique du
Dasein, nous choisissons le fil conducteur que constitue le questionnement sur lessence de la
mtaphysique. Plutt que de suivre pas pas le dploiement complet de ce projet, nous
thotogie. Une telle lecture reprsente un pari risqu dans la mesure o cette ide bien connue
Heidegger, principalement ceux crits partir des annes 1940. Mme si le terme apparat tout
dabord dans le cours sur la Phnomnotqgie de lesprit de lhiver 1930/31, on sait quil faudra
attendre une dcennie avant quil ne devienne habituel dans la terminologie heideggrienne.
Or, malgr labsence textuelle du terme, il existe une multitude dindices permettant de montrer
que, ds le milieu des annes 1920, Heidegger pensait dj lessence de la philosophie et non
partir des traits constitutifs de lonto-thologie. Alors que Heidegger se propose, pour ainsi
dire, d entrer en mtaphysique la fin des annes 1920, il a en effet dj reconnu lexistence
dune structure propre toute mtaphysique. Ce sera dailleurs lune de nos principales tches
que dtablir de quelle faon Keidegger entend se rappropner une telle structure dans son
entreprise mtaphysique.
Nous choisissons le fil conducteur de lonto-thologie car il nous parat tre celui qui
illustre le mieux cette confrontation directe avec lessence de la mtaphysique. Dans la mesure
tablie partir dune rflexion portant sur son essence, il nous importera tout dabord de bien
cerner lide que se fait Heidegger de cette essence. Il sagira pour nous dtablir, partir des
indications que donne Heidegger, les parallles qui existent entre la structure onto-thologique
jour la fin des annes 1920. Ce sera pour nous loccasion de chercher mme le co?pus
heideggrien les traces dune fappropnation des thmes propres la pense mtaphysique
traditionnelle comprise comme connaissance de ltant comme tel et dans son ensemble >.
onto-thologie vise stigmatiser une incapacit penser ltre autrement qu partir dun tant
suprme, fondement de ltant dans son ensemble. Si Heidegger souhaite alors redorer le
ttant comme te ttant dans son ensembte cachent un problme rel quil appartient la pense
quAristote tcherait de mettre en vidence. Cest dune mauvaise interprtation des crits
partir des problmes propres la philosophie premire aristotlicienne de telle sorte que soient
rendues manifestes, par un effort de destruction >, les questions que la tradition a etes dans
loubli.
thmatiques antiques, elle admet aussi une dtermination autre qui lloigne des problmatiques
pense comme vnement fondamental dans le Dasein , voire comme Dasein qui va
Heidegger reprend lide kantienne dune metaphjsica naturatis contenue en lhomme et qui le
que va slaborer toute une rflexion portant sur les conditions de possibilit de la
mtaphysique comprise non pas comme discipline, mais bien comme vnement advenant
dans lexistence humaine. Lunit de linterrogation de la mtaphysique ne sera plus ici aborde
nature de lhomme. Cest en pensant le Dasein comme projet jet)) que sera expose la
condition de possibilit dun tel vnement en 1m. Bien que cette caractrisation de la
nature de la mtaphysique partir des notions de fondement et de libert quil lie intimement
humaine, il faudra tenter de comprendre sous toutes ses formes cette rappropnahon que fait
Dasein partir de la transcendance, puis de la libert, Heidegger montre la voie une pense
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danthrvpolo<gisme qui couronna la publication de Sein ttnd Zeit reprsente ainsi lun des enjeux
Ce projet dune mtaphysique du Dasein est assez mal connu. La raison cela doit bien
entendu tre cherche dans la publication relativement rcente de la plupart des textes
composant son co?pus. Seul louvrage paru en 1929, Kant tmd das Probkm der Metaphjsik, avait
voqu cette entreprise. Limportant essai de la mme anne, Vom [Vesen des Grundes, na pas t
abord dans cette optique mtaphysique mme sil voquait de faon discrte, il va sans dire
retour de Heidegger Freiburg, iVas ist Metapbjsik?, annonait quant elle sans quivoque un
du Dasein ny tait cependant pas voqu. La confrence I7om [J7esen der Wahrheit datant de
1930 mais publie, dans une version remanie, en 1943 , bien quelle expose des thmes
explicitement lis la mtaphysique du Dasein, ne disait rien dudit projet que Heidegger est
Seule la publication des cours qui schelonnent sur la priode qui va de la parution de
Sein und Zeit (1927) labandon de la mtaphysique du Dasein (1930) a permis lunit de ce
projet de se dvoiler. Les cours appartenant cette poque ayant t publis entre le milieu des
annes 1970 et la fin des annes 19901, le temps est venu de se pencher sur ce projet en
1. Le cours du semestre dt 1927 (Die Gnindprobteme der Phnomenotqgie, Gesamtausgabe [abrg GJ, tome 24;
tr. par Jean-franois Courtine, Les problimes fondamentaux de hi phnommnolo,gie, Paris, Gaffimard, 1985) est paru en
1975, celui du semestre dhiver 1927/28 (Phiinomenoto,gische Interpretation von Kants K,itik der reinen Verniaft, GA 25;
tr. par Emmanuel Martineau, Interprtation pbnomnologique de hi Critique de la raison pnre de Kant, Paris, Gallimard,
1982) en 1977, celui du semestre dt 1928 (Afetap?ysische Anfangignnde der Logik im Auigaig von Leibni, GA 26) en
1978, celui du semestre dhiver 1928/29 (Einleitun,g in die Philosophie, GA 27) en 1996, celui du semestre dt 1929
8
prenant pour base textuelle la quasi-totalit des manuscrits qui le composent. Suivant ce que
lon connat des textes mdits du Nachtaji, seuls font dfaut aujourdhui des sminaires encore
indits et une srie de confrences dont, dans plusieurs cas, le contenu peut tre devin grce
contexte particulier dans lequel se situe ce projet. Nous commencerons donc par traiter de la
premire rception de Sein und Zeit qui concide dans le temps avec llaboration de la
mtaphysique du Dasein. Cherchant mieux marquer la distance qui existe entre son ontologie
qua pu avoir Max Scheler sur ce projet. Selon ce que Heidegger rapporte dc leur dernire
rencontre, une grande solidarit se serait tablie entre les deux penseurs quelque temps avant la
mort soudaine de Scheler en mai 1928. Cest dailleurs dans le cadre dun hommage ce
dernier que Heidegger fit part ses lves de son intention de tenter nouveau le <t saut dans
la mtaphysique.
Abordant tout dabord les diffrents sens que le mot lui-mme peut porter, nous tenterons de
comprendre pour quels motifs 1-leidegger insiste soudainement sur le caractre mtaphysique
de sa pense. Nous montrerons ensuite de quelle faon, ds le milieu des annes 1920, apparat
(Der deutsche Idealismus (Fichte, Schel/ing, Heget) und die philosophische Probkm/a,ge der Gegenwart, GA 28) en 1997, celui du
semestre dhiver 1929/30 (Die Grundbtgriffi der AIetaphysik. IVeit Endtichkeit Einsamkeit, GA 29/30; tr. par
Daniel Panis, Les concepts fondamentaux de la mtaphjsique. Monde-finitude-solitude, Paris, Gffimard, 1992) en 1983 et
celui du semestre dt 1930 (l7om IVesen der menschlichen Freiheit. Einleitung in die Philosophie, GA 31; tr. par
Emmanuel Martineau, De lessence de la libert humaine. Introduction laphilsoophie, Pans, Gallirnard, 1987) en 1982.
L Pour la liste exhaustive de tous les textes composant le corpus de la mtaphysique du Dasein (incluant les
changes pistoLaires), on se rfrera, dans la bibliographie, la section Le corpus heidcggrien. 1927-1930
9
Cest partir de ce que nous aurons tabli dans cette premire partie que nous
souhaitons aborder le projet dune mtaphysique du Dasein. Il est en effet possible de montrer
que la mtaphysique du Dasein se pfsente elle-mme comme une tentative de donner rponse
vidence les divers problmes qui se posent Heidegger aprs la publication de Sein und Zeit et
La seconde partie portera sur le problme du monde que Heidegger associe au versant
comnie tel , Heidegger a reconnu lexistence dune thmatique <t thologique connexe
dont lunit avec la premire fait problme. La troisime et dernire partie tentera, quant elle,
de mettre en lumire cette ide dune mtaphysique comme Dasein , cest--dire de montrer
sont les thmes de lessence du fondement et de la libert qui nous permettront de nous
de la mtaphysique celles quont pu proposer les <t interprtes attitrs des grands
mtaphysiciens que sont Aristote, Kant ou Regel. Notre tude a pour but danalyser une
certaine phase de loeuvre de Reidegger qui se fonde sur une lecture partiale de lhistoire de la
mtaphysique1.
1. Nous avons prfr ne pas inclure dans cette introducon quelques considraons mthodologiques
lecture
portant sur la possibilit des lectures chronologiques de loeuvre de Heidegger (voir lAnnexe A, La
<t
Cest la fin du mois davril 1927 que parut, dans le Jahrbuch fur Philosophie und
phdnornenoto,gische Eorschun,g (volume 8), ce qui, encore aujourdhui, constitue louvrage le plus
important de loeuvre dc Martin Heidegger. Ayant suscit de grandes attentes dans le milieu
philosophique universitaire allemand, Sein und Zeit a immdiatement t reu comme un travail
novateur faisant aussitt de son auteur une figure majeure de la philosophie contemporaine,
non seulement en Allemagne, mais aussi dans ie monde entier. Lhistoire de la rdaction de cet
ouvrage est aujourdhui connue grce la publication dc la Gesamtau.gabe, mais aussi aux
travaux danalyse de Theodore Kisicl1. Le succs de louvrage est toutefois d en partie une
srie de malentendus et de lectures errones qui firent de Sein und Zeit tour tour un chef-
1. Theodore Kisiel, The Genesis of Heidegge?r Being c Terne, Berkeley, University of California Press, 1993. Pour
lhistoire complte de la publication de louvrage, on se rfrera au chapitre A Documentary Chronology of the
Path to the Publication of Bein,g and Time, 1924-27 (477-489).
11
Les thses fondamentales de Sein und Zeit nont pas t saisies immdiatement dans leur
radicalit. Il semble mme que les efforts que fait Heidegger pour penser lhomme non pas
comme un sujet connaissant mais bien comme cet tre-au-monde qui a souci de son tre
naient pas atteint leur but. La question de ltre qui occupe limportante introduction
complexes finirent par porter ombrage la question qui constitue la vise propre de
Pourtant, Heidegger a tent ds ies premiers chapitres de Sein und Zeit ( 10) de
procder une dlimitation de lanalytique existentiale par rapport aux sciences positives
qui tudient lhomme afin dviter tout malentendu concernant lintention de lanalytique
Ces sciences de lhomme aborderaient ainsi lhomme comme un animal rationute ayant, de
i. On pourrait mme soutenir quelles ne lont peut-tre jamais t. La question de ltre et le primat de
lontologie en philosophie ont souvent t perus comme des rechutes dans la mtaphysique mme par ceux qui
Ont SUiVi Heidegger. Sur ces questions, nous renvoyons au texte de Jean Grondin, Pourquoi rveiller ta question
de ltre ? , dans Jean-Francois Matti (d.), Heidegger L7mgme de ltre, Paris, PUF, 2004, 44-47.
2. Un commentaire dEmil Staiger constitue un bon tmoignage de la premire rception de Sein md Zeit:
Dans le cours du semestre dt 1928 (...), jai lu pour la premire fois Sein wid Zeit. Du problme vritable, la
question de ltre, je nai tout dabord rien saisi la premire lecture. Je men suis tenu, comme la majorit des
lecteurs, aux chapitres qui traitent du on, de la curiosit, du souci, de ltre vers la mort, de langoisse et de
ltre-jet . Commentaire cit dans Dieter Thomii (d.), Heidegger-Handbuch. Leben, lVerk, Wirkuig,
Stuttgart! Wcimar,J. B. Metzlcr, 2003, 523.
3. Sein uiidZeitabrg S. u. Z., Tiibingen, Max Niemeyer Verlag, 200l, 48-49; tr. par Emmanuel Marti.neau,
Etre et temps, Paris, Authentica, 1985.
12
lhomme.
personnalit (Husseri, Schelem) ne semblent pas avoir t saisies par les premiers lecteurs de
Sein und Zeit. Avec son ontologie fondamentale , Heidegger ne souhaitait pas entrer dans des
dbats anthropologiques, mais bien rveiller la question bimillnaire de ltre en se fondant sur
une analyse complexe de la nature de lhomme quil baptise analytique du Dasein . Mais la
section qui devait offrir une conclusion lontologie fondamentale (< Temps et tre >) nayant
pas vu le jour, la vise essentiellement ontologique de loeuvre semble tre passe inaperue.
Nous souhaitons dans les pages qui suivent aborder la question de la rception de la
pense heideggrienne dans les annes qui suivirent la publication de Sein und Zeit. Si cette
rception nous intresse, cest principalement parce quelle concide avec cette entreprise quest
la mtaphysique du Dasein (1927-1930), entreprise qui, comme nous le verrons, peut tre lue
comme une premire mise au point quant lintention relle de Sein und Zeit. Nous tenterons
de montrer comment la tentative que fait Heidegger pour rpondre aux malentendus qui
planent alors sur son oeuvre la pouss une certaine radicalisation de sa thmatique. Si la
vocabulaire se veut davantage explicite. La vise fondamentale de Sein und Zei, soutient alors
avec acharnement Heidegger, nest pas anthropologique mais ontologique; son but nest pas la
question de lhomme mais celle de ltre; il ne sagit pas ici de philosophie de la vie mais
peut-tre encore ambigu dune ontologie fondamentale celle plus dcisive dune
mtaphysique du Dasein . Tous les textes qui suivront la publication de Sein und Zeit voquent
discussion avec lanthropologie philosophique qui se dploie alors2 est dun intrt
cherche tablir entre lhomme et ltre. La rception de Sein und Zeit aura en fin de compte
soulev lune des questions les plus complexes de toute loeuvre de Heidegger: celle du lieu
quoccupe lhomme par rapport linterrogation sur ltre. La mise au point laquelle procde
Heidegger aprs la publication de Sein und Zeit lui donne loccasion de clarifier sa position et de
gense , nous souhaitons en premier lieu aborder la premire rception de Sein und Zeit afin
moderne en gnral. Nous voquerons ensuite la lecture que fit Max Scheler du travail de
1 La citation dti Sophiste de Piston qui ouvre le travail [sc. Sein und Zeit], nen est pas un simple ornement
Kant znid das Probtem der Metap/ysik [abrg KPAlj, GA 3, 239; tn par Walter Biemel et Aiphonse de Waehlens,
Kant et le problme de lu mitapysique, Paris, Gallimard, collection Tel , 1981, 295).
2. Principalement dans louvrage sur Kant (KPM, 36-38), dans lessai sur le fondement (Vom lVesn des
Grandes [abrg ETVG], GA 9, 162, note 59; tr. par 1-Ienry Corbin, Ce qui fait ltre-essentiel dun fondement ou
raison s, dans Questions I et II, Paris, Gallimard, collection Tel s, 1981, 139-140, note 1) et dans le cours sur
lidalisme allemand de la mme anne (GA 2$, 2-4) et dans une confrence du 24 janvier 1929 intitule
Philosophische nthropolo,gie und Metaphjsik des Daseins orIrge, GA 80 ; indit).
(L
3. On peut reprocher Sein und Zeit ( 10) dcarter trop rapidement la possible confusion qui peut exister
entre lontologie fondamentale et les autres projets philosophiques contemporains (anthropologie philosophique,
philosophie de la vie, etc.). La mise au point qua constitu le Kantbuch de 1929 s pouss certains rviser leur
premire interprtation. Siegfried Marck, par exemple, s revu son interprtation dialectico-existentiale de Sein und
Zeit la lecture de ce texte. Claudius Stmbe, dans son article Kridk und Rezeption von Sein und Zeit in den
ersten Jahren nach seinem Erscheinen (Perspektivei; der Philosophie, 1983/9, 52-53), voque les diffrences qui
existent entre le premier et te second tonic de louvrage de Marck, Die Dtalektik in der Philosophie der Gegenwart,
Tiibingen, 1929 et 1931.
14
Keidegger affi de sodigner limportance qua pu avoir h rencontre de ces deux penseurs issus
Chapitre premier
Heidegger n rapidement compris que leffort dploy dans Sein und Zeit pour chapper
aux catgories par trop figes de la philosophie traditionnelle navait pas suffi. Bien que
Heidegger nait pas pris directement part aux dbats philosophiques de son poque, on
reconnatra que les efforts faits pour clarifier, dans des publications ou devant ses lves, la
position dfendue dans Sein und Zeit tmoignent dune certaine insatisfaction face au
<t Heidegger que lon prsente dans les revues. Heidegger savait que i <t effet de Sein und Zeit
ne pouvait se faire sentir du jour au lendemain, mais comme il lcrivit alors Karl Lwith, il
Les textes les plus importants pour ce qui est de la rception immdiate de Sein und Zeit
formul une rponse dans son cours de lt 1929. Aftn de bien cerner la rception premire
de la pense de Sein und Zeil, il nous parat important de dresser un portrait gnral de cette
1. Lettre du 3 septembre 1929 (rapporte dans Karl Ltiwith, Zu Heideggers Semsfrage: Die Natur des
Menschen und die Welt der Natur , dans Heide,gger Denker in dftger Zeit. Zur Stellun& der Philosophie im 20.
Jahrh;mdert, Sdrntliche Schrften 8, Stuttgart, ].B. Metzlersche Verlagsbuchliandlung, 1984, 277; cite par Otto
Pggeler, Die Metaphysik ais Problem bei Georg Misch , Dilthy-Jahrbuch, 1999-2000/12, 138).
2. Georg I\lisch, L.ebeniphilosophie zazd Phdnomenologie [abrg L u. Ph.], Darmstadt, Wissenschaft]iche
Buchgesellschaft, 1967. Louvrage est une compilation darticles parus dans le Phiksophischer Anetger (dit par
Helmud Plessner) entre 1929 et 1930 (vol. III, cahiers 2 et 3 ; vol. IV, cahier 3).
3. Qui contiennent, entre autres, des textes de Iviaximihan Beck (e Referat und Kritik von Martin Heidegger:
Sein und Zejt , 5-44) et de Herbert Marcuse (e Beitnige zu einer Phanomenologie des Histonschen
Materialismus , 45-68 ; repris dans Der deutsche Kiinstle,roman. FriiheAufrdte, Schtiften I, Frankfurt n. M., Suhrkamp,
197$). Dans son article Kritik und Rezeption von Sein und Zeit... >, Claudius Strube dresse un portrait des
crits les plus importants en langue allemande situs entre 1927 et 1931 qui ont port sur Sein und Zeit. Pour une
liste exhaustive de ces crits, on se rfrera Hans-Martin SaS, Heidegger-Bibliqgraphie, Meisenheim a. G., Anton
1-lain, 196$, 40-46.
4. Les notes que Heidegger a rdiges dans son exemplaire personnel de louvrage de Ivfisch ont t dites par
Claudius Strube: Heideggers Marginalien zu Mischs Auseinandersetzug mit der phanomenologischen
Ontologie s, Dilth9-Jahrbuch, 1999-2000/12, 186-221.
5. GA 28, 131-139, 244 et 310.
16
rception qui nous donnera une meilleure comprhension de la dfense que prsente alors
ci eggcf.
Les textes des Phitosophische 1-lefie de 192$ ont, dune faon gnrale, t mai reus par
Heidegger. Les commentaires que fait Herbert Marcuse dans une lettre leur diteur,
Maximilian Beck, montrent que ces textes reprsentaient aussi lopinion gnrale sur Sein und
Zeit: En ce qui concerne maintenant sa position lgard de votre compte-rendu, je nai rien
pu tirer dautre de Seidemann sinon que Heidegger tait furieux parce que bien des lecteurs ont
utilis votre article comme ersatz de son livre et nont pas lu, ou trs mal, Sein und Zeit. Parce
quil croyait entendre, dans votre critique, un grand nombre de ses collgues qui nont pas
voulu manifester leur opinion (mme sous caution, devrais-je sans doute crire), cest moins les
raisons objectives quil pouvait trouver dans votre compte-rendu qui ont dclench ses
attaques, si lon peut dire, que lcho des opinions de ses collgues . Or, lire de Heidegger
nest pas tant dirige contre b critique comme telle que contre la comprhension superficielle
de son ouvrage. La tentative de penser lhomme non pas comme un sujet oppos des objets,
mais bien comme un tre-au-monde a t saisie par Beck comme lessai de dpasser le
subjectivisme par une sorte dAiJhebun,g de la dichotomie entre conscience et monde, entre
sujet et objet. Heidegger aurait ainsi tent de dpasser les oppositions classiques entre idalisme
et ralisme, entre subjectivisme et objectivisme, en tentant une sorte de synthse que Beck
t. Lettre de Herbert et Sophie Marcuse leurs amis Beck du 9 juin 1929, dans Miche! Haar (d.), Martin
Heidegger abrg Heideggcr-L -Ier7te, Paris, Cahiers de lHeme, 1983, 164. Les comnientatres que fait Heidegger
Beck (le texte de Misch
J aspers dans la lettre du 24 septembre 1928 visent trs vraisemblablement la recension de qui sappelle un livre
ntant paru que lanne suivante): Je ne pense plus du tout quil y a peu jai publi ce
seules les notes critiques me le rappellent loccasion. Curieuses expriences que lon fait l. On na siixement
jamais crit pour ceux qui rdigent des notes critiques et choses de ce genre. Est-ce alors pour les contemporains
au souffle court? Jai dj lu si souvent que jtais la synthse devenue ralit depuis longtemps dailleurs
projete par dautres de Dilthey
et Husserl, assaisonne dun peu de Kierkegaard et de Bergson s. Beck crivait
en effet dans sa recension que Heidegger constituait la c< synthse de toutes les tendances vivantes de la
philosophie daujourdhui s, citant Dilthey, Husseil, Anstote, Augustin, Nietzsche et Kierkegaard (rapport par
I\fisch, L u. Ph., 2). 1me si lon comprend que Heidegger nait pas t heureux de ce portrait qui en fait une
sorte de pot-pourri de toutes les tendances philosophiques, on doit nanmoins reconnatre que Beck se rapproche
troitement de lide que se fait Heidegger des diverses influences quil a pu recevoir. Dans une lettre Bultmann
du 31 dcembre 1927, Heidegger mentionnait cet gard Augustin, Luther, Kierkegaard, Dilthey, Anstote,
Husseri, Rickert et Lask (rapporte par Theodore Kisiel, The Genesis 0fHeideggerr Being rI Time, 452).
17
Heidegger prtend dans Sein und Zeit penser la relation de lhomme au monde dune faon plus
une mdiation qui stablirait sur une reconnaissance de la justesse de la position initiale
cartsienne. Cest bien plutt hors de cette tradition, en de de la ferme distinction entre lego
Cest dailleurs cette lecture de Sein und Zeit qui sera vise lorsque Heidegger affirme,
dans son cours sur lidalisme allemand : <t Mais il ne sagit pas dune mdiation (Vermi#Iung) de
ces deux opposs prdonns que sont lens et le&o. (...) Il ne sagit pas de les runir ou de les
identifier, mais bien de montrer que chacun des membres de lopposition n st pas originaire,
quils doivent tre probtrnatiss de telle sorte que la tentative de les runir perde pied son point
de dpart >)2.
La tentative de Sein und Zeit de penser par-del le cartsianisme na pas t saisie
dans toute sa radicalit. Il faut cependant reconnatre que la lecture que lon en fait aujourdhui
est quelque peu biaise par la radicalisation que va connatre loeuvre de Heidegger plus tard
quant cette exigence dc penser par-del la subjectivit. Malgr cela, peut-on rellement
accuser Heidegger, la lecture de Sein und Zeit, de tenter une rconciliation du sujet et de
lobjet ? Lessai de problmatiser ces concepts figs et dc penser ce qui se tient sous eux est-il si
dissimul? Toute cette lutte contre lide dorigine cartsienne de lhomme comme sujet
1. Maximilian Beck, Die neue Problemiage der Erkenntnistheorie >, Deutsche t7erte//uhresschrift /r
IJteratunztissenschaft ,md Geistesgeschichte, 1928/4 (4), 629 sq. Voir, ce sujet, Claudius Stmbe, Heidegger erste
Entgcgnung auf die Kritik von Georg Misch >, DiIthi-Jahrbuch, 1997-1998/11, 193 et Kritik und Rezeption von
Sein und Zeit... , 48 sq..
2. GA 28, 135.
18
pistmologique ne semble donc pas avoir immdiatement port fruit. La critique que fait
Georg Misch nest dailleurs pas trs loigne de celle de Maximilian Beck.
Georg Misch, gendre et dfenseur de Wilhelm Dilthey, a fait paratre it partir de 1929
dans le Phitosophischer Ane.ger dit par Helmuth Plessner une srie darticles portant sur le
Ces textes prsentent une importance toute particulire. Non seulement sagit-il de la prise de
Dasein , elle provient aussi dun lecteur averti . On sait en effet que Misch a non seulement
lu les Anmerkun,gen u Kart Jaipers Tychotogie der Wettanschauun,gen (1919/21), mais surtout les
vue de sa candidature Gttingen et qui exposent ce que lon peut considrer comme une
et de son rejet consquent de lit candidature de Heidegger4, la lecture de Sein und Zeit quil
prsente dans ses articles est une des lectures les plus claires it lpoque Misch tait en fin
dc compte lun des seuls connatre larrire-fond que constitue lhermneutique de la facticit.
Malgr tout, cest laspect Iogico-ontologique du travail de Heidegger que Misch va surtout
1. Dans ia quatrime et dernire partie de son livre, vUsch aborde Vom U7esen des Grandes, Kant tend dits Probkm
derifetaphjsk et Was ist Metaphjsik ?.
2. Theodore Kisiel, The Genesis of Heideggere Bein.g e Time, 454-455. Il semble cependant quau moment de lire
Sein tend Zeit, Ivfisch ait oubli les travaux sur Adstote et Jaspers (Otto Pggeler, Die Metaphysik ais Probiem bei
Georg Misch , 134).
3. Le texte de lautomne 1922 sur Aristote proposait une tentative de dbroussailler le phnomne de la vie
que les traditions chrtiennes et grecques ont rendu opaque. Par un retour Aristote, Heidegger prtend retourner
aux phnomnes originaux qui ont forg notre comprhension de la vie. Comme la montr Theodote Kisiel, cest
de cet essai que provient la structure systmatico-historique de Sein tend Zeit (The Genesis of Heide,ggerr Being &
lime, 312).
4. Voir le compte rendu que rdigea Misch rapport dans la Postface aux Phdnomenotogische Interpretationen u
ristoteks (Am<ege der hermeneutischen Situation) [abrg PL4], dans Ditthy-Jahrbuch, 1989/6; tr. par Jean-Franois
Courtine, Interprtations phnomaoto,giques dAristote (Tableau de la situation hermneutique), Mauvezin, Trans-Europ
Repress, bilingue, 1992, 55-56.
19
Dilthey ses recherches ii sans doute t interprte de faon abusive par Misch. Si linfluence
de Dilthey sur Heidegger est indniable, il est sans doute risqu de faire de lauteur de Sein und
aurait opr une sorte de synthse des mouvements alors en vogue>: il se situe, en mettant
lhistoire de lesprit prne par Dilthey . Ce que Ivlisch ne semble pas apercevoir, cest la
diffrence fondamentale qui existe entre le concept de vie de Dilthey et le Dasein que
Heidegger prsente alors. Cette mme conviction de Misch se rvle aussi dans ses textes de
1929: Heidegger dploierait selon lui une ontologie phnomnologique fonde sur les
phnomnologie auquel invite Sein irnd Zeit comme une erreur. Lontologie ne permettrait pas
quimplique un tel questionnement3. L tre dont il est question dans Sein und Zeit serait un
concept issu de la logique qui ne rendrait aucunement justice linterne dynamique de la vie4.
Misch considre en effet que ltre constitue un concept driv du est de la copule logique,
ignorant que pour Heidegger, ltre ne se rduit pas au problme de la copule. Orientant sa
1. Ibid., 56. La recension de Maxiir an Beck voquait aussi cette synthse entre Husseri et Dilthey. Cette
mme opinion apparaissait aussi dans une recension du septime tome des Gesammelten Schnften de Dilthey faite
par Dietrich Mahnke (IJterarische Berichte aus dem Gebiete der Philosophie, 1928/15-16, 34-39). Voir, ce sujet,
Claudius Strube, Heidegger erstc Entgegnung... , 200.
2. Elzbieta Paczkowska-Lagowska, Ontologie oder Hermeneutik ? , in Zur phi/osopbischen Aktua/ikut
Heideggers, Bd. II bu Geipriich derZei4 Frankfurt a. M., Klostermann, 1990, 192.
3. L u. Ph., 61. Voir, ce sujet, Claudius Stnibe, Vergleichende Bemerkungen ber die Auseinandersetzung
zwischen Misch und Heidegger, Ditthgy-Jahrbuch, 1997-98/11, 167.
4. L w. Ph., 38-39.
20
Considrant que Heidegger prend son point de dpart dans la Lebensphitosophie, Misch
naperoit pas que Sein und Zeit na pas pour but essentiel de mettre en lumire la vie du Dasein,
mais cherche bien plutt dterminer de quelle faon le temps se manifeste comme horizon
de ltre. Lentreprise de Heidegger se rsumerait, selon Misch, une tentative de montrer que
ultime dans la vie humaine comprise comme temporalit. Ainsi, Heidegger se rallierait la
critique par Misch au motif quelle place au point de dpart de lanalyse un savoir , un
mode de connaissance . Cest ainsi que Sein und Zeit se prsenterait, malgr son acceptation
de la Lebeniphitosophie, comme un trait de rntap/ysique, comme une piiziia phiosophia5. Dans les
notes quil a faites au sujet des textes de Misch ainsi que dans son commentaire prsent dans
son cours de lt 1929, Heidegger se dfend contre ces accusations et tente de montrer o
Cette lecture, tout comme celle de Beck, est reprsentative de cette premire rception
de louvrage qui, comme nous le dfendons, joua sans doute un rle important dans les
3. Ibii, 6.
4. Ibid., 9.
5. Sous la plume de Misch qui dent son concept de mtaphysique de Dilthey qui, lui-mme, lhrite du
positivisme franais , ce terme ne peut avoir quune connotation ngative (Voir Claudius Strube, Heideggers
erste Entgegnung... , 186). Bien que Heidegger se dfende contre cette accusation (e 1-leideggers Marginalien
Mischs... s, 193), on sait que le trait mtaphysique dont parle vlisch est tout ii fait assum au moment o sont
publis ces textes.
21
tentatives ultrieures que fit Heidegger pour prciser lorientation ultime de sa pense. Ce qui
intresse Misch dans lessai de Heidegger, cest sa tentative desquisse systmatique du tout
ignore par Misch qui ny voit quun trait mtaphysique , une sorte de rsidu dogmatique.
face cette caractrisation de son ouvrage comme une simple contribution lanthropologie
lta ? 2 Et l o Misch reconnat que cette analytique du Dasein na pour but que de prparer
lumire dune ide errone de la philosophie: celle qui en fait une science rigoureuse3.
philosophie une vise pistmologique qui ne lui sied aucunement selon Heidegger.
Par une exposition plus serre de lintention ontologico-mtaphysique de Sein und Zeit,
son oeuvre natteint pas la profondeur du questionnement qui y est expos. Heidegger
reconnat tout dabord quil estime positivement loeuvre de Dilthey, mais prcise
inundiatement quelle ne sert pas pour autant de cadre thorique Sein imd Zeit, comme
semble le croire Misch. Nous savons que Heidegger a entre autres critiqu Dilthey pour avoir
forg son concept de vie mme les acquis de la tradition cartsienne, cette tradition qui rie
tentant de dterminer ce qui distingue lego de tout ens4. Lerreur de toute philosophie de la
1. L n. Ph., 7.
2. u. die S ein s frage ? Q< Heideggers Marginalien zu Mischs... >, 192).
3. I<Jisch steht hier erst recht tinter dem Vorurteil d. Phulos. aIs Wiss., wenn et das Problem so stellt (thut,
203). Voir aussi GA 28, 134.
4. Claudius Strube, Heideggers erste Entgegnung... , 182. Cest un thme abord par Heidegger dans la
confrence Der Begriff der Zeit (Der Bgiiff der Zeit, GA 64; tr. par Michel Haar et Marc B. de Launav, Le
77
vie , cest de ne pas renouveler lontologie et de sappuyer sur une ontologie prdonne et de
comprendre la vie partir dun concept dtre non mis en question. Malgr les affinits que
Heidegger se reconnat dans Sein und Zeit avec Dilthey, lindtermination ontologique de ce
quil appelle vie lempche dc prendre directement appui sur la pense dc Dilthey
problme de ltre. Contrairement ce que croit Misch, le problme ne surgit pas du fait que
nous employions dans nos phrases la copule est , mais linverse: La comprhension de
ltre (...) nest pas quelque chose darbitraire, qui advient aussi et simplement parce que nous
disons est dans les noncs, mais inversement: nous ne nous exprimons ainsi que parce que
nous comprenons dj silencieusement ltre; nous ne pourrions mme pas nous taire si nous
ne comprenions ltre . Cette question de ltre ne se fonde donc pas dans un certain savoir de
ltre que nous aunons pu puiser dans des manuels dontologie ou de logique, mais bien dans la
comprhension de ltre du Dasein, cest--dire dans la finitude du Dasein humain. Face une
du Dasein2, Heidegger oppose une question de ltre fonde dans la finitude du Dasein.
dichotomie traditionnelle: celle de lens et de lego. Selon une telle interprtation, Heidegger
mtaphysique de lens. Dans la plus pure tradition subjectiviste, Sein und Zeit prtendrait fournir
la rponse au questionnement grec sur lessence de ltant en partant dune analyse de la vie
inspire de la Lebenip/iitosophie.
concept de temps s, dans Heidegger-Lf-Ierne, 27-38) et dans les confrences de Casse! de 1925 (parues dans le
Ditthy-Jahrbuch, 1992-1993/8, 143-180, paraitre dans GA 80; tr. par Jean-Claude Gens, Les cwi/rences tie Casse!
(1925), Pafs \T 2003).
1. GA 28, 133.
2. Heideggers VIarginalien zu i\fischs... , 206.
23
Cette lecture anthropologsantc de Sein und Zeit semble donc gnralise pour ce qui est
a 1m aussi abord Sein und Zei sous un tel angle. Mme si Husseri na pas pris ouvertement
position au sujet de louvrage de Hcidcgger, nous savons que, dc faon gnrale, il considrait
aussi lentreprise comme se rapprochant des vises de lanthropologie philosophique et, donc,
und Zeit, le fait que Husseri ne reconnaisse pas loriginalit de lontologie fondamentale et en
critique lanthropotgisrne na peut-tre pas surpris Heidegger, mais la peut-tre irrit. Bien que
Husserl ait tout dabord sembl ignorer h distance qui sparait sa phnomnologie de celle de
manquer dy reconnatre une critique assez dure porte contre Sein itnd Zeit. Considrant que le
Lebeniphi/osophie de Dilthey, Husseri voque cette tendance lanthropologie qui domine alors
1. Mentionnons aussi les travaux dErich Przywara, Dru Richtungen in der Ph.nomenoIogic (Sttmmen der
Ze14 1928/115, 252-264) et de Heinrich Barth, Ontologie und Idealismus. Eine Ausemandersctzung von
Heinrich Barth mit M. Heidegger)) (Zwtschen den Zeiten, 1929/7, 511-540) cits par Claudhus Stmbe (u Kndk und
Rezeption von Sein und Zeit. , 42-46).
-.
2. Voir ce sujet, les notes de Husseri dans son exemplaire de Sein und Zeit (Notes sur Hetdeger, Paris, Editions
de Minuit, 1993), ltude de Denise Souche-Dagues, La lecture husserlienne de Sein zmd Zeit, Philosophie,
1989/21 et celle de Franaise Dastur, Heide,ggeret la question anthropoto,gique, Louvain, Editions Peeters, 2003, 16.
3. Lensemble du dossier concernant la rdaction de cet article a t dit par Walter Biemel (Husserbana IX,
Phiinomenolqgische P.ycholo,gie, 237-301 et 590-615). En Franais, larticle et les remarques de F[eidegger ont t
publis dans Heide,gger-LFIerne, 38-46.
4. En tmoigne lentrevue accorde au Spiegel en 1966 dans laquelle Heidegger affirmait : Au dbut des
annes 1930, Husserl a procd un rglement de comptes public avec Max Scheler et moi (u Spie3el-Geiprdch mit
Martin Heide,gger (23. September 1966), R.eden und andere Zeagnisse eines Lebenswe,ges, GA 16 ; tr. par Franois Vezin,
Ecritspolitiquef 1933-7966, Pans, Gallimard, 1995, 249).
5. Voir aussi les lettres de Husserl Roman Ingarden (Brie/i an Roman fn,garden, La Haye, Martinus Nijhoff,
1968, 56 et 67).
24
la philosophie et, certes, dans une doctrine dessence de son Dasein concret et mondain 2.
Heidegger nest pas nomm, mais il faudrait tre aveugle pour ne pas voir que cette critique du
On peut comprendre que de telles lectures aient pu dsillusionner Heidegger qui, il faut
le lui reconnatre, seffora de dployer une interprtation de lhomme qui sloigne des
concepts traditionnels (ego, Moi, raison, esprit, personne). Il semble que le 10 de Sein und Zeit
psychologie et la biologie nait eu quun impact limit. Heidegger devait nanmoins sattendre
une rception de ce genre de la part de ses ans. Heidegger na sans doute jamais pens quun
und Zeit. Les dcouvertes philosophiques sont normalement voues naffecter que les
1. 1m letzten Jahrzehnt macht sicli, vie bekannt, in der ingeren philosophischen Generation Deutsclilands
eine schnell anwachsende Hinwendung zu einer philosophischen Anthropologie geltend. WilheIm Diltheys
Lebensphilosophie, eine Anthropologie neuarliger Gestalt, ht jetzt eine starke Wirkung ans. Auch die sogenannte
phnomenologische Bewegung ist von der neuen Tendenz ergriffen worden Q< Phiinomenologie und
Anthropologie , dans Philosopy und PhenornenoIogical Rrsearch, 1940/1, 1).
2. 1m Menschen allein, und zwar in einer Wesenslchre seines konkret-welthchen Daseins, soil das wahre
Fundament der Philosophie liegen (ibid.).
25
Chapitre II
daborder la comprhension de ltre qui caractrise la constitution de cet tant que Heidegger
appelle Dasem. Dans cette optique, ltude de ltre nest possible que Ici o il3 n ltre, cest--
anthropologie philosophique1.
Afin de dfaire linterprtation errone, Heidegger tente aprs la publication de Sein und
Zeit de rpondre ces critiques en mettant au clair ce qui distingue lanthropologie de sa propre
avant que ne paraissent louvrage sur Kant et lessai sur le fondement, Heidegger prononce une
und Metaphysik des Daseins 2. Le titre de la confrence laisse supposer que Heidegger y a
critiques qui interprtrent Sein und Zeit comme une contribution lanthropologie
philosophique. Le fait quil ait donn cette confrence devant la Socit Kant nous incite aussi
1. Bien avant le 10 de Sein und Zeit, Heidegger prsentait dj sa position philosophique en lopposant celle
de lanthropologie philosophique (voir, pat exemple, P/tnomeno1ogie des religiiisen Lebens, GA 60, 159 et Ontotogte.
Herrneneutik der FaktiZitd4 GA 63, 24). Aprs la mtaphysique du Dasein, [4eidegger continuera souligner ces
diffrences (voir, par exemple, Niet<sche: Der [Ville ar Machi air Kunst, GA 43, 295; Nietsche: Der eurripische
Nihitismus, GA 48, 52; Die Metaphjsik des deutschen Ideatismus. Zur erneuten Auskuag von Schelling: Phitosophische
Untersuchungen liber das [Vesen der menschhchen Freiheit zrnd die damit usammenhngenden Gellenstdnde (1809), GA 49, 32 sq.
et 70 sq. et Besinnung, GA 66, 146 et 327). Mais la publication particulire, annonce dans le Kantbuch, qui devait
prendre position lgard des critiques mises jusqu prsent na jamais vu le jour (K?M, 234, note 293; tr.
290, note J).
2. G 80 (indit). Le contenu de cette confrence est sans doute trs proche de ce qui est expos dans
lintroduction au cours de lt 1929 ( 2-4) qui fait directement rfrence cette confrence du 24 janvier 1929
(GA 28, 18), ainsi que dans le Kantbuch ( 36-38).
26
(rnetapbjisica naturatis) en lhomme (voir infra, La reprise de la thse kantienne dune metaptysica
naturatis ).
Dans son ouvrage sur Kant et dans les cours qui lui sont contemporains, Heidegger
dont les principaux reprsentants sont alors Helmuth Plessner et Max Scheler qui constitue
ses yeux le dernier avatar de lanthtvpoto,gisation de la philosophie. Cette mise au point trouve
dans loeuvre de Kant des arguments de poids pour montrer quil est possible de faire de la
mtaphysique en prenant pour point de dpart la question de lhomme sans pour autant chuter
dans lanthropologisme. Car, en effet, Kant a lui aussi soutenu que les grands problmes de la
lhomme: Au fond, on pourra mettre tout ceci au compte de lanthropologie puisque les trois
premires questions [Que puis-je savoir? Que dois-je faire? Que mest-il permis desprer ?j se
kantienne nous permet nanmoins de constater que ce nest pas l que la mtaphysique
expliquer alors que Kant soutienne que la metaphysica ipetiatis puisse se rduire la question de
lhomme? Tout simplement parce que Kant conoit la fondation de la mtaphysique comme
une critique de ta raison pure, cest--dire une mise en lumire des ressources que lhomme
possde pour faire face aux questions de la mtaphysique. La question de lhomme qui prcde
1. Dans son cours de lt 1930 SUf lessence de la libert humaine, Heidegger crit au sujet de lanthropologie:
Il ne sagit plus dune mode, mais bien dune pidmie (CA 31, 122).
2. Dans lintroduction son cours de logique, Kant crit en effet que lon peut mettre toutes les questions de
la rnetaphjsicu .peda/is au compte de lanthropologie (cit en KPM, 207 tr. 264).
27
la fondation de la mtaphysique nest donc pas une question anthropoto,gique, mais une question
dun autre ordre qui est lhomme, eu gard la mtaphysique ? Si lon dsire parler ici
philosophique1. Cest sur cette position kantienne que Heidegger souhaite tablir son
Mais ce qui caractrise essentiellement ce que lon appelle lanthropologie philosophique, cest
cette volont de rduire tous les problmes de la philosophie celui de lhomme. Il ne sagit
plus tant ici dune discipline scientifique que dune tendance fondamentale qui caractrise la
position de lhomme dans le monde comme centre absolu de ltant2. Dans la mesure o ltant
nest jamais visible qu travers les yeux de lhomme, quil nest jamais connu que grce la
facult de connatre humaine, quil nexiste, en fin dc compte, que par rapport la capacit qua
premire. La question de lhomme se trouve place au centre de telle sorte que toute autre
question portant sur la ralit histoire, art, nature est lie lhomme : cest--dire est tudie
partir du rapport dc lhomme ces choses . ii nest plus question des choses en soi , mais
seulement dc la connaissance que lhomme a de ces choses qui seule est mme de leur
donner une certaine ralit. Les choses sont tout dabord et ont seulement de la ralit si elles
antbropologisante qui prtend dtrner la philosophie sur son propre terrain cest--dire le
questionnement qui porte sur ltre, la ralit et la vrit2 , cest ce que lon appelle
tendance fait de lanthropologie non seulement une science de lhomme, mais surtout une
science de tout ce qui est, une mtap)sique. Cest justement contre cette prtention de
slve Heidegger.
lhomme sappuie sur un fondement bien fragile. Malgr la somme remarquable des
connaissances accumules sur lhomme et cest ce que Max Scheler avait vu avec acuit
pour lui-mme . Or, si lensemble des connaissances que nous possdons sur lhomme ne fait
que grossir le problme concernant son essence, cest parce que ces connaissances manquent
dorientation. Lanthropologie dit tout et tien sur lhomme sans savoir au juste ce quelle
promotion, mais quelle sest tout simplement installe au sommet sans se soucier de la
lhomme il en fait mme la promotion en situant une analytique existentiale au seuil de son
. fbid.
2. Ibid., 16.
3. Ibid., 14 sq.
4. Ivlax Scheler, Die Stelhing des AIenschen im Kosmos [abrg SMKJ, dans Spte Schriften, Gesammette Werke [abrg
Glt%3, tome 9, Bern et Miinchen, Francke, 1976, 11; tr. par M. Dupuy, La situation de lhomme dans le monde, Paris,
Aubier, 1951, 20 (cit par Heidegger, KPM, 209 ; tr. 266).
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ontologie fondamentale , mais refuse la faon non philosophique avec laquelle lanthropologie
Heidegger porte donc sur le manque dorientation dont fait montre lanthropologie
lanthropologie interroge au sujet de lhomme ? De quelle faon justifie-t-elle que cette mise en
Heidegger, elle ne ferait que donner lillusion de rpondre la question de ce quest lhomme et
peut tre vite, quelle est mme essentielle une instauration des fondements (Grundle,gung) de
la mtaphysique. Mais lorsquil sagit dinterroger lhomme eu gard une telle instauration des
psychologie pdagogique sur lhomme. Ce quil faut, cest interroger lhomme en direction de
une telle entreprise ? Que signifie interroger lhomme en vue de la question de ltre?
Une telle tche implique tout dabord de sloigner des orientations habituelles de
1. GA 28, 13.
2. Voir aussi ce qui en est dit dans la confrence He,gelund dus Probkm derMetaphysik du mois de mars 1930:
Poser pour de bon la question fondamentale de la mtaphysique (faire porter linterrogation sur lessence et le
fondement essentiel de ltre), cest prendre pour position de dpart et mettre en branle ni plus ni moins que
linterprtation du Dasein de lhomme comme temporalit en prenant la question de ltre pour fil conducteur.
pans la marge:] Llaboration de cette problmatique, cest-i-dire la question fondamentale de la mtaphysique, est
la mtaphysique du Dasein en lhomme (He,gel tend dus Probkm der MelapJysik [abrg HPM], texte bilingue dans
Hadden France-Lanord et Fabrice Midal (d.), Let fte de ta pense. Homma,ge Franais Fdier, Pans, Lettrage
Distribution, 2001, 54).
30
dc base de son entreprise, la mtaphysique du Dasein, quant elle, interroge ce qui rend
possible lhomme, ce qui est encore plus originaire que lhomme, lessence originaire sur
laquelle ltre-homme se fonde 2. Lhomme nest donc plus interrog comme un tant parmi
les autres : cest le Da-sein dans lhomme qui fait question. Dans la mesure o cest ltre de
?ntapysz que. Cest donc face la question anthropologique de lhomme que slve la question
mtaphysique du Dasein humain. La mtaphysique dans son ensemble ne se fonde pas dans
une anthropologie, ni mme dans une anthropologie philosophique, mais bien dans une
mtaphysique du Dasein .
ainsi quune premire mtaphysique du Dasein a vu le jour dans Sein und Zeit. Le
rapprochement progressif qui sest opr entre la pense heideggrienne et celle de Kant
cette poque permet denvisager une nouvelle formulation du mme problme. Dans la mesure
entre anthropologie et mtaphysique, cest la finitude du Dasein quil souhaite dsormais mettre
en valeur. Cette piste kantienne de la finitude, Heidegger la trouve dans ce renvoi des trois
questions de la ?netapI)sica .peciais celle de lhomme. Quy a-t-il de commun entre ces trois
questions, sous quel aspect, capable de les rduire la seule quatrime question, sont-elles
unes? Si lhomme sinterroge sur cc quil peut connatre, sur cc quil doit faire et sur ce quil
1m est permis desprer, cest quil lui importe de tracer les limites de son pouvoir, de son det;oiret
cest que lhomme est un tre fini et, qui plus est, un tre qui se soucie de cette finitude.
linstar de IK.ant qui considre que les trois questions de la metcphysica ipeciais forment lintrt
le plus profond de la raison humaine >, Heidegger soutiendra que la finitude de lhomme
celles qui poussent Heidegger la rflexion mtaphysique ni celles quil place au sommet de
son entreprise mtaphysique2. Cette piste quouvre Kant vers une interrogation essentielle sur
la finitude humaine, Heidegger souhaite cependant la suivre, car elle constitue la premire
lexistence humaine3. Mais de quelle faon la finitude du Dasein tablit-elle le pont entre la
question de lhomme et celle de ltre? Cest en soutenant que la comprhension de ltre est
elle-mme lessence la plus intime de la finitude , que Heidegger propose de penser ce lien.
Cest donc toujours la comprhension de ltre qui tablit le lien entre Dasein et tre. Mais celle-
ci est prsente dans louvrage sur Kant comme le signe palpable de la finitude de lhomme,
1. Ce serait cette piste de la finitude que lidalisme allemand aurait manqu de suivre. Cest donc comme
retour Kant par-del le nokantisme et lidalisme allemand que se comprend lentreprise de la
mtaphysique du Dasein. Pour la dduction dun concept de finitude partir des trois questions de la me/aphjiica
specialis, voir KPM, 21 6-217 ; tr. 272-273 et GA 28, 234-235.
2. Dans louvrage sur Kant, Heidegger soutient mme quil faut faire sortir la mtaphysique de ce cadre
scolastique dans lequel Kant la enferme (KPM, 221 ; tr. 277). Comme nous le ferons valoir dans ce travail, cest
davantage la formulation aristotlicienne du problme de la mtaphysique qui inspire Heidegger. Pour lui,
limportance de Kant rside essentiellement dans sa mise en question probablement unique dans lhistoire de la
3. Kant voit dans la disposition naturelle de la raison humaine pour les questions de la metapIysica spedalis le
signe de sa nature mtaphysique. Heidegger se situe au-del de Kant en soutenant, dune certaine facon, que
cest la finitude qui constitue rellement cette disposition naturelle pour la mtaphysique dont ce que Kant appelle
lintrt le plus profond de la raison humaine nest quune manifestation particulire.
4. KPM, 229 tr. 285.
32
lhomme. Lhomme tant le point focal de tout questionnement sur la ralit et la vrit, les
sur lhomme. La primaut de lhomme dans la mtaphysique du Dasein na dautre fin que de
comprhension de ltre propre au Dasein fini, cest en lui que linterrogation mtaphysique doit
prendre son point de dpart. Plutt que de dterminer lessence de la mtaphysique partir de
ce que lon tablit au sujet de lhomme, cest cette question portant sur lessence de la
Dasein, la finitude en lui. La mtaphysique ne trouve donc pas son fondement dans une
Dasein . Si, dans le cadre de ce travail, nous lemployons pour qualifier le projet mtaphysique
heideggrien dans son ensemble, on voit quici, Heidegger lutilise pour qualifier non pas la
tout dabord linterrogation mtaphysique qui porte sur le Dascin, cest--dire qui interroge
reconnat que lexpression est positivement ambigu 2, cest quelle dsigne aussi la
1. Cette fondation mtaphjisique de la mtaphysique avait dj t aperue par Kant lorsquil qualifia sa Critique
de la raison pure de mtaphysique de la mtaphysique (KPM, 230; tr. 286 et GA 28, 41). Un texte de Besinnun,g
parle, quant 1m, de la mtaphysique du Dasein (celle de lVas ist Metaphysik ? et de Ktznt und das Proble,n der
Metaphjsik) comme dune mta-mtaphysique s, une mtaphysique qui va au-del de la mtaphysique (de la
dtermination de ltarmt de ltant) et qui accomplit ainsi lauthentique mtaphysique (GA 66, 376-377).
2. K1iW, 231 ; tr. 287.
33
mtaphysique qui advient ncessairement comme Dasein , cette mtaphysique quil dit tre
Nanmoins, Heidegger nhsite pas non plus employer lexpression pour dsigner
lensemble de cette mtaphysique quil tente alors dlaborer. Selon les dernires pages de
louvrage sur Kant, la mtaphysique du Dasein a poux tche de dvoiler la structure dtre
propre au Dasein, de telle manire que cette structure se manifeste comme ce qui rend
possibilit de la comprhension de ltre, cette question encore plus originelle que celle de ltre
comme telle et qui cherche partir de quoi (von wo ans) on peut comprendre quelque chose de
tel que ltre , nest pas une question qui ne concernerait que lanalytique existentiale. Elle
entre ltre et le temps5. Selon cette affirmation, la mtaphysique du Dasein a donc une porte
au moins aussi large que celle de lontologie fondamentale. Seulement, Hcidegger largit encore
cette porte en affirmant immdiatement que lontologie fondamentale nest cependant que la
semble donc indiquer davantage que linstauration du fondement de la mtaphysique. Elle est
employe ici pour dcrire lensemble de cet difice mtaphysique dont la premire tape est
lontologie fondamentale. La stricte quivalence entre les expressions <t analytique du Dasein et
mtaphysique du Dasein est aussi conteste lt 1928 alors que Heidegger soutient que
1. Ibid.
2. lVas ist Metaphjsik ? [abrg W1vfi], GA 9, 121-122; tr. Questions I et II (Henry Corbin), 71; EIeidegger-LFIerne
tRoger Munier, 56. Voir aussi KPM, 242 ; tr. 298.
3. KPM, 232 ; tr. 288.
4. Ibid., 224 ; tr. 281.
5. Cette intime parent de la mtaphysique du Dasein avec lontologie fondamentale est aussi confirme
quelques pages plus loin Les explications qui ont t donnes sur lide dune ontologie fondamentale montrent
clairement que, si la problmatique dune mtaphysique du Dasein a t prsente comme Sein und Zeit, cest la
conjonction undde ce titre qui en exprime le problme central (ibid., 242; tr. 298).
6. Ibid., 232; tr. 288.
34
fondamentale. (...) La mtaphysique du Dasein lui-mme nest pas encore place au centre
En quel sens peut-on affirmer que lontologie fondamentale ne constitue que la premire tape
de la mtaphysique du Dasein? Ce sera lune des tches de notre travail de montrer que la
porte de la mtaphysique heideggrienne transcende les buts fixs dans Sein und Zeit pour
lontologie fondamentale.
De faon gnrale, on peut aussi rappeler que pour Heidegger, seule la mtaphysique
mtaphysique. Lambigut qui plane sur lexpression mtaphysique du Dasein est dite
positive en ce que ses trois sens (1. mtaphysique advenant comme Dasein, 2. analyse
assure par une telle analyse) nindiquent en ralit quune seule et mme chose. La mtaphysique
du Dasein est une mtaphysique qui adrient comme Dasein de telle sorte quelle trouve son Jndement en une
anase mtaphysique de ltre du Dasein. Si, dans le cadre de cette recherche, nous employons
lexpression pour dsigner le projet mtaphysique que Hcidcgger dploie entre 1927 et 1930
dans son ensemble, nous ne trahissons donc aucunement le sens de cette expression positivement
quivoque.
1. GA 26, 171. Commentant ce passage, Jean Greisch crit: Analytique du Dasein et mtaphysique du
Dasein ne sont donc pas des expressions quon aurait le droit de tenir pour synonymes (o Le problme de la
chair: mi ratage de Sein und Zeiz , dans Ghislaine Florival (d.), Dimensions de lexzstei Eludes danthropolqgie
philosophique 1% Louvain/Paris, Edirions de lInstitut Supneur de Philosophie Louvain-la-Neuve/Editions
Peeters, 1994, 166).
2. GA 28, 41.
35
Chapitre III
quen fit Max Scheler (1874192$) immdiatement aprs sa parntion a permis un certain
lui-mme accorde ii leur dernier entretien qui eut lieu quelques mois avant la mort subite de
Scheler le 19 mai 192$. Le rcit dramatique quil fit de cet entretien montre quel point
dimension toute particulire qua pu avoir la pense du philosophe de Koin pour Heidegger. Si
les circonstances qui entourent ces remarques sont propices ii une certaine exagration
abusive3 , on ne peut nanmoins douter de lexistence dune certaine solidarit entre les deux
penseurs. Les points de rencontre de leurs projets philosophiques respectifs sont dailleurs
1. Beaucoup plus importante, il nous semble, quavec celle de Jaspers mme si, dans leur correspondance.
Heidegger insiste sur la communaut de lutte qui les unit (j)ar exemple, dans la lettre du 27 juin 1922; les
lettres cites sans autre rfrence font partie des correspondances publies que lon retrouvera facilement dans hi
bibliographie). Comme en tmoigne lautobiographie de Jaspers, cette communaut de lutte naura jamais
vraiment exist chacun des penseurs ne sintressant que trop peu aux recherches de lautre (voir, titre
dexemple, Philosophische Autobio,graphie, Miinchen, R. Piper, 1977, 9$ sq.).
2. Dans des textes tardifs comme Erkenntnis undArbeit (1926, dans Die lvissensforrneu und die Geselschafr, GIV 8)
et Die S etIung des AIenschen im Kosmos (1927, GlU 9).
3. GA 26, 62. On ne peut manquer de deviner dans cette remarque une certame attaque dirige contre
Husseri.
36
exposs dans ce cours par Heidegger et hissent bien entrevoir lintrt que pouvait alors
Bien que dans lensemble des textes de Heidegger, Scheler soit souvent la cible de la
de lt 1925 alors que Heidegger manifeste un certain intrt pour cette interrogation sur
lhomme. Scheler a en effet aperu que lhomme ne pouvait tre abord comme une chose ou
une substance doue de quelque capacit ou pouvoir > et quil fallait bien plutt lapprocher
comme quelque chose de vcu. En accord avec cela, Scheler considre les actes non pas comme
des objets mais comme des expriences2. Heidegger reproche nanmoins Scheler davoir
aperu la question de ltre de ces actes lacte nest pas un objet mais quelque chose que
lon accomplit)> sans y avoir donn de rponse. Scheler omet de franchir ltape suivante:
Au s;!jet du mode d tre de laccomplissement de tcte et du mode dtre de celui qui t accomptit, te silence
rgne . Malgr tout, Scheler serait celui qui a le plus avanc sur ces questions. Enfm, tout en
critique que lon retrouve dans Sein und Zeit, 43 b et contre laquelle Scheler sest dfendu4
Heidegger reconnat que Scheler a trait des problmes de la ralit avec une acuit toute
phnomnologique husserlienne , on peut parler dun rapprochement graduet entre les deux
penseurs.
Ce nest cependant quaprs la mort de Max Scheler le 19 mai 1928 que Heidegger
sexprime ouvertement sur les liens qui lunissaient la pense de Scheler. Cette solidarit qui,
selon le tmoignage de Heidegger, se serait tablie dans les derniers mois de lexistence de
Scheler repose cependant davantage sur des textes que Scheler projetait alors dcrire que sur
ceux dj connus et dj publis de son vivant. Nous savons que Scheler avait t trs
impressionn la lecture de Sein und Zeit, ouvrage quil a lu et cotnment avec beaucoup
dattention2. En tmoignent ces textes du Nachtaj? qui devaient composer le cmquime chapitre
de linachev Idealismus Reaismus portant spcifiquement sur Sein und Zeit ainsi que les notes
de Scheler dans son propre exemplaire de louvrage3. Nonobstant certaines critiques que
Scheler met au sujet de thses dfendues par Heidegger, le jugement est dans lensemble
favorable: Malgr tout, jattends beaucoup de la suite de louvrage de Heidegger. Son livre
Sein und Zeif est louvrage le plus original et le plus indebendant dc toute tradition banalement
philosophique. Il sagit de louvrage le plus libre que lon trouve dans la philosophie allemande
confine lun des seuls, si ce nest le seul avoir tout de suite reconnu le nouveau point de
1. Voir Michael Grollheim, Heidegger und die Philosophischc nthropologie (Max Scheler, Helmuth
Plessner, Amold Gehien). Von der Abwehr der anthropologischen Suhsumtion zur Kulturkritik des
Anthropozentrismus , dans Heide,gger-Handbuch, 335.
2. Richard Wisser, Fundamental-Anthropologie (Max Scheler) oder Fundamental-Ontologie (Martin
Heidegger) ? Ururisse einer entscheidenden Kontroverse an einem Scheideweg , dans I om lVe<g-Charakter
philosophischen Denkens. Geschichttiche Kontexte und rnenscbtiche Kontakte, Wiirzburg, Kmgshausen & Neumann, 199$,
224, note 41.
3. Ce cinquime chapitre de Idealismus Rea/ismxts tait d prvu lors de la publication partielle de louvrage
en 192$ (G l1 9, 235, note 1). Les textes de Scheler portant sur Scia iazd Zeit ont t publis dans les Spcte Scbriften
(GtV9).
4. GW9, 304.
38
dpart qui tait celui de Sein und Zeit1. Quel quait t le contenu de ce dernier entretien qui eut
lieu au mois de dcembre 1927 quelques mois seulement aprs la publication de Sein und Zeit
et quelques mois avant la mort de Max Scheler , on doit reconnatre quil aura marqu
Heidegger. Bien quil soit quelque peu risqu de soutenir avec Otto Pggeler que cette
rencontre avec Max Scheler aurait transform la pense de Heidegger en la poussant hors de
ses anciennes voies 2, on peut nanmoins reconnatre que Max Scheler a jou un rle dans
de la mort de Scheler. Le <c saut dans la mtaphysique quvoque le cours de lt 1928 est une
entreprise conjointe que Heidegger pensait mener bien avec Scheler3. Cette mtaphysique du
Dasein qui commence alors slaborer doit sans doute quelque chose cet entretien avec
Scheler dans lequel la question fondamentale de Sein und Zeit avait t mise en relation avec b
mtaphysique pour sa pense dans les crits antrieurs la publication de Sein und Zeit lui
que notre intention ne soit pas ici de tenter une interprtation de la mtaphysique de
Scheler, un usage particulier quil fait du terme va ici nous intresser. A lintrieur de son
anthropologique de cette pense philosophique rend manifeste, dans son dploiement, des
problmes qui ne peuvent tre rsolus dans le cadre propre aux recherches anthropologiques,
puisque ceux-ci dbordent la simple question Quest-ce que lhomme ? . Ces problmes,
questionnement autre. Cette mtanthropologie constitue pour Scheler la seule acception juste
Dune certaine faon, Scheler russit dpasser les limites que loptique anthropologico
Peut-on soutenir que cette anthropologie philosophique schlerienne qui reconnat ses
Scheler, il semble que lomission de cette question portant essentiellement sur le mode dtre
de lhomme mine davance la possibilit que cette mtanthropologic puisse valoir comme
ne vise pas la question de ltre caractristique de toute anthropologie philosophique est aussi
1. Sur les rapports entre la mtanthropologie, la mtaphysique et les mtasciences chez Scheler, voir Felix
Hammer, Theonome Anthropolqgie? Max Scheters Menschenbild und seine Grenzen, La Raye, Martinus Nijhoff, 1972, 133
sq.
2. Philosophische lVettanschauung (1929), G[V 9, 83.
40
constituer le point de dpart de la mtaphysique, de telle sorte que la question portant sur
et la mtaphysique du Dasein permettrait de dterminer les points prcis o ces deux essais
divergent. Un tel travail permettrait sans doute de montrer que les points de convergence sont
Dans le cours de lt 192$, Heidegger rsume ainsi ce dernier entretien quil eut avec
Scheler2: <(Lors de notre dernier et long entretien en dcembre 1927, nous nous sommes
entendus sur quatre points : 1) Le problme de la relation sujetobjet doit tre repos
compltement et libr de tous les efforts antrieurs pour le rsoudre. 2) Il ne sagit pas dune
question qui relve dune soi-disant pistmologie ; cest-a-dire quelle ne doit pas tre saisie eu
gard un sujet qui se saisit dun objet; une telle saisie ne peut tre tout dabord prsuppose.
actuelle, le moment est venu de tenter nouveau le saut dans la mtaphysique vritable, cest--
dire de la dployer de fond en comble . Si ces quatre points ont effectivement fait lobjet dun
accord entre 1-leidegger et Scheler, nous pouvons croire quune vritable communaut de
lutte sest alors installe entre les deux penseurs. Dune certaine faon, cest tout le
1. Lide dun dpassement interne de la problmatique anthropologico-philosophique nest sans doute pas
rrangre la problmatique de la rnttoutolcgie qui, elle aussi, se comprend comme le dpassement de soi-mme de
lmterrogation philosophique, de lontologie (GA 26, 199). Voir, ce sujet, Otto Pggeler, Ausgleich und
anderer Anfang... , 184 et Theodore Kisiel, Das Versagen von Sein und Zeil: 1927-1930 , dans Thomas
Rentsch (d.), Mania Heidegger. Sein und Zei. Berlin, Akademie Verlag, 2001, 263.
2. Pour ce qui est de limportance que reconnat alors Heidegger la pense de Max Scheler, on lira le
tmoignage de Gadamer dans Phi/osophisch L.ebah,r. Fine Riickschau, Frankfiirt a. M., Kiostermann, 1995, 4-l-45.
3. GA 26, 165.
4f
subjectivit de telle faon quelle soit libre de ses prjugs pistmologiques et quelle
permette le dploiement dune nouvelle mtaphysique qui soit la hauteur de son problme
fondamental. Nous ne saurons jamais si Scheler sest vraiment ralli un tel projet ce qui
anthropologique , mais comme nous iavons mentionn, il tenait Sein und Zeit en haute estime.
effet probable que Scheler nait pas adhr la lecture heideggrienne de lhistoire de la pense
.
qui la rduit la simplicit dun problme fondamental Nanmoins, Heidegger
considrait que Scheler tait en quelque sorte sur la voie vers le problme de ltre. Dans son
texte Ideatismus Reatismus, Scheler soudent en effet que lambigut du rapport entre essentia et
lexistentia constitue lerreur fondamentale des deux voies philosophiques que sont lidalisme et
le ralisme2. Puis, dans Die Stettun,g des Menschen im Kosmos, Scheler crit mme que i aptitude
caractre qui est la base de tous les autres . Suivant linterprtation heideggnenne du
mesure o elle reprsente un lment de rponse b question de ltre. Cest ainsi que
Scheler dtre trop optimiste quant la possible rsolution du problme. Cet optimisme de
Scheler contraste avec la position de Heidegger qui considre que la dcouverte du problme
. fbid
2. Ibid.
3. SMK, 42; tr. 69. La parent entre cette caractrisation de Ihonzme et celle que fait Sein und Zeit partir de la
comprhension de ltre propre au Dasein est tonnante.
42
toute limportance de cette distinction entre essence et existence, il navait pas su, selon
Heidegger, entrevoir toute lampleur du problme qui souvrait alors. Lambigut du rapport
entre essentia et existentia nest en effet quune des diffrentes dimensions du problme de ltr&.
Mais la saisie radicale du problme de ltre nest sans doute pas le seul point de
dsaccord entre ces deux penseurs. La conception mme de ce que peut tre lessence
rnta-phjiique de lhomme diffre la base. Comme on le sait, Scheler a expos dans son essai
intitul Die SteItttng des Menschen im Kosinos lide selon laquelle lhomme serait capable dopposer
la ralit des choses un non nergtique 2. Cette capacit qui est la base de la
rduction phnomnologique dont se rclame Scheler et qui consiste retenir lacte, llan qui
nous fait exprimenter le monde comme rsistance3 dfrnit lhomme en son fondement.
Compar lanimal, qui toujours dit oui la ralit comme telle, mme dans le cas o il la
en aversion et la fuit, lhomme est ttre qui peut dire non, lascte de te, et lgard de tout
ce qui nest que ralit le protestant ternel . ce Neinsa,genk?Jnner Heidegger oppose une
conception de lhomme qui le dtenriine comme celui qui demande pourquoi (der nach dem
W7antm Fra,gende). Lhomme ne se dfinit donc pas seulement par cette libert face la ralit
des choses et qui lui permet de la mettre entre parenthses , mais surtout par cet lan qui va
de leffectivit des choses leur possibilit et duquel surgit, de faon ncessaire, b question
montrer les conditions de possibilit dans son essai sur le fondement (voir i,/ra, Lessence du
fondement >)).
f. Pour schmatiser, on sait qu cette poque Heidegger expose deux reprises ce quil appelle les quatre
problmes fondamentaux de la science de ltre . au nombre desquels on compte celui de larticulation
fondamentale de ltre en essenli.j et e.\istentia (voir GA 24, 4 et GA 26, 191-194).
2. SA1142;tr. 70.
3.Ibid.,44;tr.72.
4. Ibid.
5. GA 26, 280.
43
11 semble que Heidegger soit rapidement revenu de son enthousiasme pour Scheler.
Aprs lavoir considr un temps comme la plus grande force philosophique de la philosophie
contemporarne1, Heidegger retournera rapidement aux jugements quil avait ports sur loeuvre
de Scheler au dbut des annes 1920 et dans Sein und Zeit. Si dans le cours de lt 1929,
Heidegger avait laiss chapper quelques phrases qui reconnaissent lapport de Scheler 2, le
cours suivant, Die Grundbe,griffi der Metaphjsik, considre que lide de lhomme expose dans
Die Stellung des Menschen im Kosmos comme ltre qui unifie en lui-mme tous les degrs de
ne peut prtendre attemdre la mtaphysique sans changer radicalement son point dc dpart.
Malgr cela, Heidegger reconnatra limportance de Scheler quant cette question des divers
quand mme essentielle beaucoup de points de vue et elle est suprieure tout cc qui sest
fait jusquici .
Sans donc tenter de deviner les motifs qui ont pouss Heidegger faire le saut dans
la mtaphysique, on peut croire que linfluence de Scheler y fut pour quelque chose. La
nest peut-tre pas accidentelle et cache peut-tre une solidarit entre les deux penseurs que la
1. Ibid. 62.
2. Cest ce que rapporte Herbert Marcuse aprs avoir assist aux premires sessions du cours de lt 1929
(GA 2$) qui traitaient de la tendance it lanthropologie de la philosophie contemporaine (s Lettre de Herbert
Marcuse et Sophie Marcuse leurs amis Beck du 9 mai 1929, dans Heidegger-LHerne, 164). On doit cependant
souligner que le manuscrit qui nous est parvenu est davantage critique qulogieux envers Scheler. Heidegger ne
cite ses travaux sur lanthropologie que pour les critiquer. Son hommage Scheler se limite, dans ce cours,
une mention de cette phrase de Die Steltun,g des Menschen im Kosmos que lon retrouve aussi dans son ouvrage sur
Kant: On peut dire qu aucune poque de lhistoire autant quaujourdhui, flwmme na te un problme pour lui
mme (KPAI, 209 ; tr. 266 et GA 2$, 16).
3. G 29/30, 283 ; tr. 286-287.
4. Ibid
44
mort subite de Scheler aura empch de prosprer. Malgr labsence dun questionnement sur
Chapitre W
Comme nous venons de le voir, le dernier entretien que Heidegger eut avec Scheler
sest tenu sous lgide de la mtaphysique. Cette ncessit pour la pense de se jeter nouveau
dans la mtaphysique deviendra, dans les annes qui suivent, le fil conducteur de lentreprise
philosophique actuelle, linstant est venu de tenter nouveau le saut dans la mtaphysique
voil ce quexige la situation philosophique actuelle. Mais ce saut navait-il pas dj eu lieu
avec Sein und Zeit? La tentative de rveiller la question de ltre que Heidegger prsente
dans cet ouvrage ntait-elle pas le fondement dune entreprise essentiellement mtaphyrique?
Sil est possible de rinterprter aposteriori lessai de 1927 comme une contribution lhistoire
de la mtaphysique, cest bien plutt contre la mtaphysique quil tait tout dabord dirig.
On se souviendra de la phrase qui ouvre Sein und Zeit: La question [de ltre] est aujourdhui
tombe dans loubli, quand bien mme notre temps considre comme un progrs de raffirmer
la mtaphysique 2
Ce dsir de rveiller la question fondamentale de la mtapIysique prtend
donc sinscrire en faux contre la mtaphysique . Que doit-on voir insinu dans ces guillemets
Nous savons que ce ne sont pas Anstote, Surez ou Kant qui sont viss ici, mais bien
un certain courant mtaphysique en vogue au dbut du XXC sicle et dont les principaux
reprsentants taient Nicolai Hartmann (Grundjige eiuer Metaphysik der Erkenntnis, 1921), Georg
Simmel (Zur Metapysik des Todes, 1910; De,- Fragneutcharakter des Lebens. Ans den Vorstudien u
einer Metaphjsik, 1916) et Peter Wust (Die Aiftrstehung de,- Metap4ysik, 1920). Ces auteurs qui
1. GA 26, 165.
2. 5. u. z., 2.
46
mtaphysique sont raills plusieurs reprises par Heidegger lpoque de Sein und Zeitt. Cette
nouvelle mtaphysique qui se croit dispense des efforts requis pour rallumer une nouvelle
entre guillemets, laissant planer un certain doute quant la lgitimit de cet usage du terme
mtaphysique
mtaphysicien. Nous pensons ici i Max Wundt et son ouvrage Kant aIs Metaphysiker (1924),
mais aussi aux travaux de Heimsoeth, de Paulsen et dsterreich qui, entre la fin du XIX sicle
et le dbut du XXC sicle, luttrent contre lide selon laquelle Kant aurait mis un point final
la possibilit de la mtaphysique3. Bien que ces recherches oeuvrent dans la mme direction que
celles de Heidegger, celui-ci se montre critique leur gard en ce quils dcident demble de
f. Voir, par exemple, GA 63, 20 et Ptaton: Sophistes, GA 19, 256 et 447; tr. par Jean-Franois Courtine, Pascal
David, Domimque Pradelle, Philippe Quesne, Platon: Le Sophiste, Pans, Gallimard, 2001. Dans S. n. Z., en plus de
la premire phrase de louvrage, Heidegger voque louvrage de Nicolai Hartmann (59 et 208, note 1) et une
certaine mtaphysique de la mort qui vise vraisemblablement Georg Simmel et quil souhaite distinguer de son
analyse existentiale de la mort (24$).
2. 5. u. z., 2.
3. Voir les ouvrages cits par Leo Freuler dans son article Lorigine et le fonction de la metap/ysica naturatis
chez Kant (Revue de Metaphjisique et de morale, 1991/3, 373, note 5): F. Paulsen, Immanuet Kant. Sein Leben tard seine
Lehre (1898), K. sterreich, Kant und die Metaphysik >, Kant-Studien, Erdnzungshefte 2 (1906), 1-1. Heimsoeth,
Metaphysische Motive in der Ausbildung des kritischen Idealismus , Kant-Studicu 1924/29.
4. KPM, 6, note 4; tr. 66, note 1. Voir aussi ce quen crit Heidegger dans une lettre Hemrich Rickert du 25
juillet 1929 dans laquelle il commente le colloque de Davos: Nous tions tous les deux [sc. Cassirer et
Heidegger] daccord sur ceci que par lintroduction superficielle de la mtaphysique [dans linterprtation de la
Critique de ta raison pure], telle quelle advient chez Heimsoeth et chez dautres, non seulement rien nest gagn, mais
la profondeur de linterprtation antrieure de Kant nest mme pas encore atteinte
47
mme dans les milieux o lon reconnat le cit minemment mtaphysique de la pense
kantienne.
A lpoque de Sein und Zeit, Heidegger a donc pris position contre ces divers
dailleurs pratiquement jamais dans Sein und Zeit. Une seule occurrence du mot voque cc que
Heidegger nomme plus gnralement lontologie traditionnelle 2. Cet emploi nest cependant
pas habituel cette poque, bien quil le deviendra dans le cadre de la mtaphysique du Dusein
et dans les textes ultrieurs qui prsentent dsormais la pense occidentale sous le titre de
mtaphysique
Si Heidegger se rallie immdiatement aprs Sein und Zeit aux vises de la mtaphysique,
il ne changera jamais dopinion sur ces mouvements mtaphysiques populaires de son poque.
lusage obligatoire de guillemets pour voquer leur entreprise. maintes reprises dans le cadre
de la mtaphysique du Dasein , Heidcgger revient sur ces auteurs qui parlent un peu partout
Or, le projet de Sein und Zeit a t plusieurs reprises interprt comme un essai de
mtaphyvique, non seulement par ses exgtes4, mais aussi par Heidegger lui-mme. On connat
1. Le no-kantien Rickert constitue sans doute une exception quant cette interprtation non mtaphysique
de loeuvre de Kant. Celui-ci se dfend dailleurs, dans une lettre Heidegger du 17 jirillet 1929, de faire de Kant
un thoricien de la connaissance . Rickert renvoie Heidegger son ouvrage Kant ais Phiiosoph der modenien Kidtur
Ein,geschichtphitosophischer Uersuch fiibingen, Mohr, 1924).
2. Au 6, Heidegger crit qu travers les Diiputationes Merap/ysicae de Surez, lontologie grecque a pntr la
mtaphysique et la philosophie transcendantale des temps modernes (S. z., 22). Ici, mtaphysique
linterprtation plus tardive et critique qua faite Heidegger de son propre ouvrage, selon
laquelle Sein und Zeit naurait pas su poser la question de ltre sans retomber dans la
critique rendue clbre par le Brif liber dcii Hurnanismus de 1946 aurait nui llaboration de la
autre qui abandonne la subjectivit sont assurment rendus difficiles du fait que lors de la
parution de Sein und Zeit, la troisime section de la premire partie, Zeit und Sein, a t retenue
(voir Sein und Zei4 p. 39). Cest en ce point que tout se renverse. Cette section ne fut pas
publie, parce que la pense ne parvint pas exprimer de manire suffisante ce renversement
diffrents dfauts de lontologie fondamentale na cependant pas attendu les annes 1940 pour
se dployer. Ds le semestre dt 1927, quelques mois aprs la publication de Sein und Zeit,
Hedegger avait dj mis en question la volont de Sein und Zeit dobjectiver ltre et, donc, den
faire quelque chose dontique reproche que Heidegger a alors dj fait lensemble de la
tradition mtaphysique2. Cette critique se resserre partir du milieu des annes 1930,
1. Brif liber dcii Hurnanismus [abrg I-Item], GA 9, 327-328; te. 85. Bien que lon sentende gnralement pour
lire cette critique comme tant uniquement dirige contre Sein tend Zeit, on a rcemment propos une
interprtation plausible de la dernire partie de la phrase ( et nen vint pas bout avec laide de la langue de la
. .
.
mtaphysique ) comme une critique visant directement ce projet dune mtaphysique du Dasein qui suivit
immdiatement lchec de Sein tend Zeit (Steven G-alt Croweil, Metaphysics, Metontology, and the End of Bec 8
and Time , Phiosophj and Phenomeno/o,gica/ Research, 2000/2, 310-311). Dans la mesure o Sein tend Zeit nemploie
presque pas par rapport la mtaphysique du Dasein le langage de la mtaphysique , la critique semble en
effet mieux atteindre sa cible si elle vise les textes de la fin des annes 1920.
Une critique similaire est faite de lessai Vote; Wesen des Gntndes dans un texte intitul Die (Jbennaidueg der
Metaphysik (f 938/39). Heidegger soutient alors que des questions fondamentales ont t abordes dans le trait de
1929, mais quelles se sont emptres dans les broussailles mtaphysiques)) (AietapJysk tend Nihilis,aus, GA 67,
61). Lemploi dune terminologie transcendantale est considr comme une rechute dans la mtaphysique (ibid.
63) ou dans la mtaphysique de la mtaphysique (tbid, 68) et Heidegger critique non seulement lemploi dun
vocabulaire mtaphysique mais principalement lintention mtaphysique (ibid., 61).
2. GA 24, 458. Voir, ce sujet, jean Grondin, Heidegger et le problme de la mtaphysique, Dioti, 1999/6,
177-178.
3. Par exemple, Beitrge ur Philosophie (l/om Engnis), GA 65, 451. On notera nanrnoms quun texte situ rm
chemin entre les Beitr4ge et B nef liber tien Hiimanismus soutenait justement que dans Sein tend Zeit, il ny a[vaitJ plus
l trace de mtaphysique, mais un tout autre commencement (GA 49, 160 Schellings Abahandlung liber dus lVesen
der menschtichen freiheit (1809) [abrg SA], Thingen, Niemeyer, 1971, 227 ; tr. par jean-Eranois Courtine,
49
lessai sur Duns Scot de 1916 La philosophie ne peut se dispenser la longue de son
la philosophie alors domine par le nokantisme. Dune certaine faon, Heidegger considre
dj que seule la mtaphysique peut permettre la philosophie dtre autre chose quune
Ce nest quaprs la publication de Sein und Zeit que Heidegger a rellement tent de
Schellag. Le trait de 1809 szerltisence de la iilert brtrnaine, Pans, Gaflimard, 1977 GA 67, 125). Dans une lettre du
20 dcembre 1935, Heideggcr crivait Elisabeth Blochmann: Provisoirement, les feuilles saccumulent dans
une chemise ntituie: Critique de S. und Z. Je me mets lentement entendre ce livre, dont je saisis mieux
prsent la question; je vois la grande imprudence loge en ce livre, mais peut-tre est-il ncessaire de faire de tels
sauts pour prendre un quelconque lan . Il faudra donc attendre la publication de Zu egenen tero7fenthchungen
(GA 82) pour se faire une ide prcise du contenu de la chemise Critique de S. und Z. .
1. Die Kate,gorie- tend Bedeutun,gskbre des Dans Scotus, dans Friihe Schnflen, GA 1, 406; tr. par Florent Gabonau,
Trait des categories et de la sgeqfication chez Dans Sco4 Paris, Gallimard, 1970, 227. Cette affirmation de 1916 trouvera
un cho douze ans plus tard dans les Metaphjsische Anfan.gsgriinde der Lqgik im Azqgang von Leibnit,: Compte tenu de
la dsolation totale de la situation philosophique actuelle, linstant est venu de tenter nouveau le saut dans la
mtaphysique vritable, cest--dire de la dvelopper de fond en comble (GA 26, 165).
2. Der Zeirbgriff in der Geschicbtswissenschafi, GA 1, 415. Mentionnons aussi au passage cette lettre Engelbert
Krebs de 1919 dans laquelle Heidegger crit que son rejet du ystme du catholicisme ne va pas de pair avec un
rejet du christianisme et de la mtaphysique en un sens nouveau (cite par Hugo Oit, Mariai I-Ieide,gger. (Jnteneegs
ze semer Biographie, Frankfurt a. M., Campus, 198$, 106).
50
rinterprt comme une oeuvre de mtaphysique et Heidegger sest affair montrer comment
Sein und Zeit contribuait cette mtaphysique du Dasein . Pendant cette courte priode
mtaphysique (1927-1930), Sein und Zeit sera alors compris comme un ouvrage qui tente, par la
voie de la mtaphysique, de mener bon port le problme de ltre. Or, cest partir dune
Dans les cours et crits qui prcdent Sein und Zei4 les occurrences du terme
semestre dt 1923 (Ontoto,gie. Hemzeneutik der Fakticjtiit, GA 63) ne laisse planer aucun doute
quant la position de Heidegger face la mtaphysique Par ontologie, nous nous rfrons
1. Voir, ce sujet, Jean Greisch, Von der Hermeneutik der Faktizitt zur Metaphysik des Daseins (Martin
Heidegger) i>, Hem,eneutik und Metaptysik. Fine Probtemgeschichte, Mnchen, Wilhelm fink Verlag, 1993, 177 et 196.
Dans cette tude, lauteur soudent que la rticence dont fait preuve Heidegger dans lemploi du vocabulaire
mtaphysique jusqu Sein md Zeit est due non seulement son usage dans la philosophie populaire qui se rclame
dune rsurrection de la mtaphysique, mais aussi aux rpercussions encore visibles de lessai de Husseri de 1911,
Philosophie ais strenge lVissenschaft, qui soutenait que la philosophie na pas tant besoin dune rsurrection de la
mtaphysique que dune premire fondation (Erstbegrndun.g) comme science rigoureuse (178). Sur labsence de la
mtaphysique dans les textes antrieurs Sein und Zeit, on concultera aussi Jean Grondin, Der deutsche
Idealismus und Heideggers Verschrftmg des Problems der Metaphysik nach Sein und Zeit , dans Harald Seubert
(d.), Heideggers Zwie,gespriich mit dem Deutschen Ideaiismus, Kln, Bhlau, 2003, 42 sq. et Hans-Helmuth Gander,
Selbstverstndnis und Lebenswelt. Gnmndzftge einer phdnomenoiqgischen Hermeneutik im Ausgang von Husseri und Heide,gger,
frankfiirt a. M., Klostermann, 2001, 228.
2. GA 63, 3.
3. Nous retrouvons la mme chose dans les Phiinomenoiqgische Interpretationen u Aristoteks o Heidegger voque,
pour sen distinguer, les consolations mtaphysiques face aux prils ainsi quune certaine <t mtaphysique de
limmortalit et de lau-del (PIA, 4 et 12 = GA 62, 349 et 359).
51
Chapitre V
Ce nest qu partir du cours Die Grttndprobteme der Phanomenoto,gie (GA 24) le cours qui
suit immdiatement la parution de Sein und Zeit et qui prtend complter partiellement
heideggnenne avec la mtaphysique association qui prendra fin, comme nous le verrons,
lhiver 1930/3 1 dans le cours sur la Phnomnolcgie de tcsprit de Regel. Souhaitant, tout comme
dans Sein ;tnd Zeit, diffrencier son propre projet ontologique de celui de la mtaphysique
vulgaire , Heidegger crit alors : La science transcendantale de ltre na rien voir avec la
mtaphysique vulgaire qui traite dun tant quelconque qui se tiendrait derrire ltant connu
fondamentale de Sein und Zeit qui avait cette prtention daborder ltre sans le penser partir
dun tant quelconque qui se tiendrait derrire ltant connu peut ds lors se rclamer de ce
concept scientifique de mtaphysique x. Si ce cours nest cependant pas trs prolixe sur cette
mtaphysique authentique qui reste laborer, cest nanmoins dans celui-ci quest expos
1. GA 24, 23 (nous soulignons). Notons que Heidegger emploie aussi le terme <t mtaphysique scientifique
pour qualifier la mtaphysique dont Kant tente dtablir la possibilit Qbii, 39). Rappelons quen fvrier 1929,
Husseri se rclamait lui aussi de la mtaphysique dans des termes assez similaires u ceux quemploie ici Heidegger:
[Les rsultats de notre explication de lexprience de Iautrel sont mtaptysiques, sil est vrai que la connaissance
ultime de ltre doit tre appele mtaphysique. Mais ils ne sont rien moins que de ta mtaphysique au sens habituel du
terme; cette mtaphysique, dgnre au cours de son histoire, nest pas du tout conforme lesprit dans lequel elle
a t originellement fonde en tant que philosophie premire (Cartesianische Meditationen, Htissertiana I, 166 ; tr.
par Gabrielle Peiffer et Emmanuel Levinas, Mditations cartsiennes, Paris, Vrin, 1996, 60, 223-224).
52
Mais laudace de Heidegger va encore plus loin: son recours la transcendance se rclame
aussi dun retour son concept kantien, dun retour Kant qui rejette avec force
Le cours du semestre suivant sattardera dailleurs un texte modle pour ce qui est
de linstauration des fondements de la mtaphysique: la Critique de la raison pure. Bien que cette
Phdnomenotqgische Inteipretation von Kants Kritik der reinen Vernuitft (GA 25) ne fasse quvoquer en
conclusion les liens quentretient Sein und Zeit avec la mtaphysique, lintrt que manifeste
Heidegger pour le chef-doeuvre de Kant est lvidence centr sur la question de la possibilit
de la mtaphysique. Cest dailleurs dans ce cours quapparat pour la premire fois la question
quest-ce que la mtaphysique ? qui deviendra le titre dune confrence bien connue de
1929. Avant ce cours, la pense occidentale qui va des Grecs jusqu Hegel nest jamais pense
parent qui existe entre lentreprise de Sein und Zeit (lontologie fondamentale) et la question de
la mtaphysique : <c Universalit de ttre et radicatit du temps sont tes deux titres qui dsignent
unitairement tes tches exzes par une mditation plus profonde et plus pousse de ta possibilit de ta
1. Ce cours de lt 1927 concide dailleurs avec lune des dernires collaborations de Husseri et de Heidegger,
autour dun article pour 1Enyctopdie Britannica. Heidegger travaillait en mme temps S ldition de la Phdnomenotqgie
des inneren Zeitbewufitseins qui parut en 1928 (voir la Vorbemerkun,g des Heratqgebers date du mois davril 1928,
Husserliana X, XXIV-XXV).
2. Au mois de juillet 1927, Heidegger donnera Tiibingen une confrence intitule Plinomenolo<gie rend Theolo,gie
dont seule la seconde partie, Die Positivitiit der Theologie und ihr Verhltnis zur Phnomenologie (GA 9 ; tr.
par M. Mry, Thologie et philosophie >, dans Pierre Aubenque (d.), Dbats sur k Kantisme et la Philosophie (Davos,
mars 1929) et autres textes de 1929-793 1, Paris, Beauchesne, 1972, 101-121), a t publie dans laquelle il tente de
penser le rapport quentretient la philosophie lensemble des sciences positives et particulirement la thologie.
Cette confrence ce document de lpoque de Marbtng (Lettre Blochmann du 8 aot 1928) sera loccasion
pour Heidegger de critiquer lide selon laquelle thologie et philosophie constitueraient deux chemins (foi,
raison) pour aborder un seul et mme thme. Dfinissant la thologie comme la science ontique de la foi, il soutient
quelle est absolument diffrence de la philosophie, seule science ontoto,gique.
3. GA 25, 11.
53
mtap/ysz que . La mtaphysique dont il est ici question aura donc pour tche dclairer les liens
Cet intrt que manifeste Heidegger pour Kant et pour la Critique de ta raison pure
remonte au cours de lhiver 1925/26 contemporain de la rdaction de Sein und Zeit dans
lequel Heidegger tente de librer le vrai Kant de son avatar no-kantien2. Cest alors que
stablit ce que lon est en droit dappeler un dialogue amoureux entre Heidegger et
publication de Sein und Zeit dans le cours de lhiver 1927/28 et dans louvrage Kant und das
Probtem der Metaphjsik. Malgr ce que lon tait en droit dattendre aprs la publication de la
premire partie de Sein und Zeit, ce nest pas la doctrine kantienne du schmatisme et du
annonce en 1927 ( 8), qui va alors intresser Heidegger. Cest bien plutt lide essentielle de
auprs de Kant, cormne en tmoigne lorientation initiale que prend le cours. Cest parce que
que stablit alors cette troite solidarit entre le projet mtaphysique kantien et ce
1. Ibid., 426-427. La parent entre Sein und Zeit et la mtaphysique est reconnue dans de nombreu.x textes
cette poque. Voir, par exemple, G 27, 276 ; KPM, 203 et 239; tr. 257 et 295 ; Davofer Desputation ivischen Ernst
Cassirer und Martin Heidgger, GA 3, 282, 284 et 288; tr. pat Pierre Aubenque, Colloque Cassirer-Heidegger s,
Dbat surie Kantisme et la Philosophie, 37, 39 et 43.
2. Mais Kant na pas t un kantien. Et si maintenant on commence dcouvrir la mtaphysique chez Kant,
cela est mritoire comme contribution, contre lunilatralit des kantiens, un inventaire objectif de ce quil y a
chez Kant; mais rien de philosophiquement important nest gagn par l (Lo,gik. Die Fra,ge nach der lVahrhehit, GA
21, 117).
3. Cest Heidegger lui-mme qui parle de son amour pour Kant dans sa correspondance avec Jaspers
(Lettres du 10 dcembre 1925 et du 26 dcembre 1926).
4. 5. u. z., 40. Nous reprenons cette traduction Jean Grondin (Le tournant dans la pense de Martin Heide,gger,
Pans, PUF, 1987). Dans la mesure o Heidegger se sert des ressources du latin pour distinguer la Zeitlichkeit de la
Temporatit% nous pourrions aussi, nous qui parlons une langue latine, nous servir des ressources du grec et parler
de la chronicit ou de la chronologie de ltre. Cela est dailleurs en accord avec ce que Heidegger dploie lhiver
1925/26 aiors quil caractrise les considrations portant sur la Temporatitdt comme celles dune chronologie
phnomnologique (GA 21, 200).
54
principale des cours qui suivront cette interprtation de K.ant. Ltude des Metaphysische
Anfangtgriiiide der Lo,gik im Au.gang von Leihni (GA 26) qui suit tentera dtablir les fondements
du premier crit mtaphysique publi, Vom Wesen des Gntndes, paru en avril 1929 mais
ten-nin en octobre 1928. Bien que ce texte soit plutt discret dans son usage de la
ncessairement de pair avec une laboration plus originelle de lide de lontologie et, par l, de
ta mtaphjisique .
doit obtenir une dtermination plus originaire et plus globale, sa dtermination la plus
complte5. Cet essai est aussi loccasion pour Heidegger dc lier intrinsquement son concept de
1. Ich habe im vergangenen Sommer eine Logik ais Metaphysik der Wahrheit gelesen zum Schrecken und
Staunen der Schiiler (Lettre Jaspers du 24 septembre 1928).
2. Voir G 26, 126-131, 138, 144-145, 187 et 193. Dans une lettre Blochmann du 8 aot 1928, Heidegger
considre ce cours comme une voie nouvelle quil met en rapport avec la mtaphysique : Le dernier cours de
Marburg, cet t, frayait dj une voie noraelle, ou plutt il a consist fouler des sentiers dont je croyais quil ne
mtait permis, et pour longtemps, que de les pressentir. Toutes les questions parfaitement lgitimes que vous
posez sans ambigut relvent de ce champ de la mtaphysique (nous soulignons).
3. Suivant le tmoignage que constitue la lettre Blocbmann du 17 octobre 1928: je travaillais depuis au
texte pour le volume dhommages Husserl: Vom Wesen des Gmndes. La tentative, ctait darriver y dire
simplement quelques choses essentielles. Je lai termin aujourdhui mme . Le texte est paru quelques jours aprs
le soixante-dixime anniversaire de Husserl clbr le 8 avril 1929.
4. VWG, 140; tr. 108 (nous soulignons).
5. Ibid., 126 ; tr. 90.
55
trait de 1929, nous assistons la transition du vocabulaire transcendantal qui est celui des
respectivement, celui de louvrage Kant und das Probtem der Metaphjsik (1929) et celui de la
Le cours de lhiver 1928/29, intitul simplement Einkitung in die Philosophie (GA 27) et
qui inaugure le retour de Heidegger Freiburg, prtendra quant lui mettre en vidence ce qui
aux problmes rntaphjsiques de la vrit et du monde. Ce cours prsente une laboration trs
dtaille de problmes apparus plus tt: celui tout dabord dune mtaphysique de la vrit ,
mais aussi celui du monde dont lessentiel se retrouve dans lessai sur le fondement. Heidegger
labore aussi dans ce cours une dfinition toute particulire de la mtaphysique, pense partir
de lacte fondateur du philosopher : la transcendance. Cest dailleurs partir de cette ide selon
Au mois de mars 1929, Heidegger est Davos pour une confrontation avec lun des
philosophes les plus importants de lpoque, Ernst Cassirer (1 874-1945). La discussion porte
1. Nous nous servirons pour les fins de cette recherche de la retranscnpdon faite par Hermann Mrchen
dune confrence intitule Philosophieren tmd G/artbe,i. Das lVesen der WiI]rheit [abrg Ph. u. G.] prsente Marburg
le 5 dcembre 1930 devant la Euaiz,getisch-theo/ogische fachschaft. Cette confrence constitue la premire version de
celle, remanie, publie en 1943 sous le titre Vom lVesen de,- lVahrheit [abrg I/1flt], GA 9. La variation dans le
titre est sans doute simplement due lauditoire devant lequel elle a t prsente. Heidegger a en effet prononc
nouveau cette confrence six jours plus tard freiburg sous le titre E om Wesen der lVahrheit qui correspond au titre
plus usuel de cette confrence (qui a aussi t prononce le 14 juillet 1930 Karlsruhe ; la confrence du 24 mai
1926 qui porte le mme titre prsentait un contenu sans doute plus proche du cours de lhiver 1925/26). Pour ces
questions, voir Theodore Kisicl, Heideggers Lehrveranstattungen, 1915-30 >, The Genesis of Heidegerr Betng &
Time, 461-46$.
56
dont Cassirer se fait ici le dfenseur. Heidegger sera trs ironique quant lintrt que
prsentrent ces cours, auxquels il naurait assist que pour le ski en haute montagne2. La
confrence que donna Heidegger Davos et le colloque men conjointement avec Cassirer
annoncent les dveloppements de Kant und dus Probtem der Metaphjsik et la rinterprtadon de
Cet ouvrage sur Kant, que Heidegger acheva la Pentecte 1929, est loccasion pour
pure et de procder une mise au point sur la premire rception de Sein und Zei4 deux ans
aprs sa parution3. Ce texte, prsent non pas comme une contribution lontologie mais bien
entre alors en dbat avec ces autres hritiers que sont Fichte, Schelling et Regel. Dans son
cours de lt 1929, Der deutsche Ideutismus (Fzchte, Scheiing, He,get) und die phitosophische Prob/emkge
der Gegenwart (GA 28), Heidegger confronte sa pense de la finitude celles de Fichte et de
kantienne. Nanmoins, on ne manquera pas de noter que Schelling nest abord quen quelques
pages seulement, comme si Heidegger se le rservait pour un rle plus digne que celui de
1. Les retranscriptions du colloque ont t publies dans la Gesamtauigabe en annexe de Kant und das Problem der
Metap/ysik (GA 3) Leur traduction iltga/e est parue en 1972 dans Dbats snr le Kantisme et ili Philosophie.
2. Lettre jaspers du 2f dcembre 1928. A son retour de Davos, Heidegger crira Blochmann que
philosophiquement parlant , le colloque ne lui a rien appris (Lettre du 12 avril 1929). Pour ce qui est de la petite
histoire de ces cours, nous renvoyons lintressant texte de Pierre Aubenque, Le dbat de 1929 entre Cassirer
et Heidegget s, paru dans Jean Seideugart (d.), Ernst Cassire De Marbour Nezv-York, Paris, Cerf 1990. Ce texte
inclut en appendice des extraits dun article clairant de Jean Cavaills (< Les deuximes cours universitaires de
Davos s, 1929) qui ne faisait pas partie du dossier publi en 1972.
3. Le 24 janvier de cette mme anne 1929, Heidegger avait donn frankfurt une confrence mtitule
Phi/osophische Anthropotqgie rend Metaphjsik des Daseins. II aura alors vraisemblablement pris la dfense de sa
mtaphysique du Dasein contre cette interprtation anthropologtsante de Sein tard Zeit dont il n dj t
question.
57
repoussoir auquel sont confins Fichte et HegeL Il faut rappeler que lintrt de Heidegger
pour Schelling est djt trs grand et que bien avant le cours de lt 1936 portant sur le trait
autour du trait de 1809 (indits), mais surtout les lettres de la mme poque de la
correspondance avec Jaspers dans laquelle Heidegger reconnat que Schelling lui est trs
prsent1.
akademische Studium (GA 28), une interprtation du mythe de la caverne. Cette analyse reprend
en partie les dveloppements de lt I 927 tout en anticipant sur ceux de lhiver 1931 /32.
Le 24 juillet 1929, Heidegger prononce Freiburg une confrence intitule [Vas ist
Metaphyrik? (GA 9), texte ouvertement mtaphysique dans lequel il tente, devant lensemble
des facults universitaires, de faire valoir la spcificit de la rflexion mtaphysique face aux
sciences. Abordant alors la question de ltre partir de lexprience du rien (Nichts), Heidegger
1. Voir les lettres du 27 septembre et du 8 novembre 1927 ainsi que celle du 10 fvrier 1928. On mentionnera
aussi au passage le tmoignage de Gadamer dans lequel, voquant un sminaire de 1925 sur Schelling, il affirme
que Heidegger aurait reconnu en [Schellmgj son problme le plus intime, ceLui de la facticit, celui de lobscurit
indissoluble du fondement, en Dieu comme en tout ce qui est vraiment et qui ne relve pas seulement de la
logique. Cest ce qui fait sauter les Uniites du .yo grec ( Lhistoire de la philosophie , Gesammelte tVerke
[abrg Gt19 3, 306 tr. 183). Comme il nest question nulle part dun sminaire sur Schelliiig de 1925, Gadamer
se rfre probablement celui de lt 1927/28 auquel il a sans doute assist.
2. Rappelons que le 24 JanvIer de cette mme anne 1929, Heidegger avait donn Frankfurt une confrence
(indite) intitule Philasophische Anthropologie und Metapbjsik des Daseins.
3. GA 24, 400-405.
4. Vom lVesen der Wahrheit. Zu Piatons H?ihtetg1eichnis und Thedte4 GA 34, 21-147 ; tr. par Main Boutot, De lessence
de la vrit. Approche de t Atte,gorie de ta caverne et du Thtte de Flaton, Paris, GaUimard, 2001.
58
prtend rcuprer I interrogation qui se porte au-del de ltant, afin de reprendre celui-ci, comme let
mtaphysique
2
, prsente quant lui une rflexion de nature mtaphysique qui vienne
rompre avec les schmes de la pense mtaphysique traditionnelle. En accord avec le ton
adopt dans la confrence de juillet 1929, Heidegger prtend alors veiller une tonalit
fondamentale (lennui profond) qui permette ses auditeurs dentrer de plain-pied dans la
lusage quil fait du terme mtaphysique . Comme nous le verrons, il prsente alors sa
partir dune nouvelle intelligence du primat accord par la mtaphysique moderne lhomme.
Au mois de mars 1930, Heidegger prsente Amsterdam une confrence intitule He<get
und titis Probtem der Metaphjsik dans laquelle il tente de justifier sa solidarit avec lentreprise
hglienne. Cest alors que Heidegger a introduit cette distinction importante entre question
effectivement mis un point final au questionnement portant sur ltant comme tel et clans son
1. 117M?, 118; tr. 53/67. Les souligns sont ceux du texte original (Bonn, Cohen, 1929, 24).
2. Meinc erste wirkliche Metaphystkvorlesung! Ja welche Vorbereitung uiid verschlossene Kraft verlangt
es, wahrhaft unmittetbar zu sein und doch sokratisch zu handein (Lettre i Julius Stenzel du 23 novembre 1929,
Heidegger Studies, 2000/16, 17).
3. Notons que lexpression mtaphysique du Dascin comme telle est absente de ce cours. Le vocabulaire de
la transcendance est lui aussi laiss de ct (seule exception: GA 29/30, 447 ; tr. 445). Le texte Unbenutzte
Vorarbeiten zut Vorlesung vom Wmtersemester: Die Grundbegnffe der Metaphysik. Welt Endlichket
Einsamkcit qui lemploie abondammen t prsente donc les derniers dveloppeme nts sur la transcendan ce du
Dasem (Heidegger Studies, 1991/7, 6-10).
59
au temps la question fondamentale. Ici, cette mise en question de ltre nest pas encore saisie
comme le deassement de la mtaphysique mais bien comme la rebtition dune interrogation qui
Le cours qui clt le cycle de la mtaphysique du Dasein, Vom Wesen der rnenschtichen
Freiheit. Einteitua,g in die Philosophie (GA 3f), constitue une rare incursion dans la philosophie
confrence Voni Wesen der Wahrheit de 1930. Par une confrontation avec le concept kantien de
libert dploy dans la Critique de ta raison pratique, Heidegger tente dintroduire une
du Dasein, ce nest pas seulement parce quil est le dernier employer lexpression
mtaphysique du Dasein 2, mais aussi parce quil prcde le cours Hegets Phdnomenotogie des
Geistes (GA 32) qui constitue la rupture de cette association de Heidegger avec la mtaphysique.
Contre la mtaphysique absolue hglienne, Heidegger ne souhaite pas prsenter une autre
mtaphysique, mais une pense autre, une pense qui dpasse lensemble de la mtaphysique et
qui ne cherche plus sinspirer des apones de la tradition mtaphysique quil qualifie
1. Dans son tude Der philosophische Umbmch in denJahren 192832. Von der Fundamentalontologie zut
Metaphysik des Daseins ,jean Greisch soudent que cest davantage le cours de lhiver 1931/32 (GA 34) qui clt
ce cycle en annonant la transition vers lpisode du rectorat (Heidegger-I-Iandbuch, 123). En nous basant
principalement sur labandon du vocabulaire mtaphysique, mais aussi de lexpression mtaphysique dci Dasein ,
nous considrons le cours de lt 1930 comme le dernier de cette entreprise.
2. GA 31, 206. On notera nanmoins que dans une lettre sa femme Elfriede du 19 mars 1933, Heidegger
parlait de la mtaphysique du Dasein allemand pour voquer lessence de son propre travail: Der Schein des
Abseitsstehens wird bleiben und doch wird nur so die Metaphysik des deutschen Daseins in semer
Unverbundenheit mit den Goechen zum wirkenden Werk werden krmen ). On peut y voir, si lon veut, un
ultime et funeste avatar de la mtaphysique du Dasein.
60
mtaphysique du Dasein mais comme une ontochronie, cest--dire une pense qui a substitu
le pvo au ?6yo.
Or, ce cours constitue une rupture dans le parcours heideggrien dautres gards
critiquer les carences2, le cours de lhiver 1930/31 rompt compltement avec la figure
dissociation nette simpose donc entre lune et lautre phnomnologies [sc. celle de Hussed,
Allons mme plus loin: si nous nous rfrons la plus rcente publication de Husserl, qui
contient un dsaveu passionn de ceux qui avaient t jusque-l ses collaborateurs, nous ferons
promouvoir .
Quels sont les motifs rels qui ont pouss Heidegger hors de la mtaphysique? Ils sont
assez difficiles dterminer. On serait en fait plus enclins se demander ce qui a bien pu le
pousser entrer en mtaphysique4. Pour ce qui est de la sortie, la concidence dans le temps de la
mtaphysique absolue hglienne offre sans doute une piste. Achevant la mtaphysique dans
1. Htgets Phdnomeno/o,gie des Geistes, GA 32, 144; tr. par Emmanuel Martineau, La Phnornnoto,gie de tiprit de
He,geI Paris, Gallimard, 1984
2. Mentionnons quand mme cette exception du cours de lhiver 1929/30 qui constitue un bel hommage
Husseri: Notre manire de questionner et de concevoir, qui se situe autrement avant toute argumentation, tout
point de vue et toute prise de position, fut nouveau veille par Husserl et le rveil signifie toujours une
radicalisation. Cette manire de questionner et de concevoir est une caractristique, peut-tre la caractristique
dcisive de la phnomnologie. Cest justement parce quelle est un lieu commun quelle en est la grandmir. Et pour
cette raison, elle ne cesse de passer facilement inaperue au profit de ce qui est accessoire mais ncessaire (GA
29/30, 338-339 ; tr. 339).
3. GA 32, 40. Le dsaveu dont Heidegger parle se rfre trs certainement au Nachwort aux ldeen ajout en
1930 (Husserliana V, 138-162) par Husseri et dans lequel il prend position contre Heidegger et Scheler.
4. Nous avons plus tt suggr le rle qua pu jouer la rception de Sein und Zeit ainsi que linfluence qua pu
avoir Max Scheler. Ce ne sont cependant que des indices et aucunement une explication complte et satisfaisante.
61
une pense qui annihile tous les efforts que fit Kant pour penser la finitude dans lhomme,
Hegel aurait ruin toute possibilit dune mtaplysique future souhaitant se prsenter comme
pense de la finitude. Cest aussi dans ce cours quapparat pour la premire fois lexpression
mtaphysique et dont lusage, dans le colpus heideggnen, est propre cette pense qui souhaite
mtaphysique.
trop dimportance ce dbat avec la Phnomnologie de teiprit qui se dploie alors. Il ne faut pas
hglienne avait dj eu lieu lt 19292 sans que cela ait pour consquence labandon dudit
projet. Comme nous le verrons plus tard (voir infra, Lhomme comme fondement de la
mtaphysique acheve de Regel et cette mtaphysique nouvelle qui est celle du Dasein.
1. Cest la thse dfendue par jean Grondin dans Heidegger et le problme de la mtaphysique, 191-192, et
dans Der deutsche Idealismus und Heideggers. , 52-53.
2. Lopposition, terme terme, des deux mtaphysiques est dailleurs dj prsente dans ce cours: GA 28,
262-263 et 267-26$. Dans la confrence HegeJ .tind dise Problem der AIetapIysLle, Heidegger prsente sa mtap)ysiqzie
comme slaborant dans lantagonisme le plus vif avec Hegel sans pour autant abandonner lide dune
refondation de la mtaphysique: Ce qui est prsent en question est de savoir si, pour atteindre le sol et lespace
de la philosophie, lhomme doit en philosophant sabandonner et abandonner sa finitude et devenir Esprit absolu
ou si la question fondamentale de la mtaphysique explicitement pose (Etre et temps) namne pas justement
comprendre que, par nature, la philosophie nest pas appele slever lm&ni (Atfstie.g rir Unendlichkeit) et se
trouver galit avec labsolu mais quelle a, au contraire, entrer radicalement dans la finitude du Dasein (Einstie,g
in die End/ichkeit des Daseins) et sa vntable mortalit.(...) Et ainsi pouvons-nous ramener le problme de la
mtaphysique pris au sens de llaboration de la question fondamentale mais aussi comme explication avec Regel
la question : Phnonimnotogie de lesprit ou mtaphjsique dii Dasein (HPM, 56 tr. 57-59)
62
33), la Retibtique (livres VI et VII) et le Thtte de Platon lhiver 1931/32 (GA 34), des textes
de Parmnide et dAnaximandre lt 1932 (GA 35, mdit) et ce, comme il lcrit dans une
lettre Jaspers du mois de dcembre 1931, dans une optique de surveillant de galerie qui a
entre autres faire attention que les rideaux aux fentres soient ouverts et ferms de manire
correcte, afin que les quelques grandes oeuvres de la tradition aient, pour les spectateurs qui sy
pressent daventure, un clairage tant soit peu convenable . Image mise part continue-t-il,
je ne lis et ne travaille plus que lhistoire de la philosophie . Le chemin ouvert par Sein irnd
Zeit sest dsormais referm2. Laissant de ct pour un temps cette volont de dployer un
Jen viens souvent me demander crit-il Elisabeth Blocbmann en dcembre 1932 sil
ne serait pas plus essentiel de laisser l tous les essais de notre cm pour se consacrer
exclusivement oeuvrer en sorte que ce monde [sc. celui des Grecs] se dresse nouveau sous
nos yeux non comme hritage recevoir paresseusement, mais comme grandeur
Immdiatement aprs cette srie de cours sur les Grecs, Heidegger prendra un semestre
sabbatique (hiver 1932/33) et, au retour, il sera nomm recteur de lUniversit de Freiburg
(printemps 1933). Aprs lpisode du rectorat, cette autre pense dont les Beitrege portent le
sceau va prendre forme. Les cours sur les penseurs grecs temps bni pour le travail
constituent donc les derniers travaux avant le tournant (Kehre). Mais ils constituent aussi les
le projet qui trouve sa premire forme dans lesquisse Vom Ereignis est dj tabli dans ses
la pense des Beitr4ge concide avec la fin du cours de lhiver 1931/32 portant sur la Rpublique
et le ihtte de Platon.
Dans les derniers moments avant le tournant, Heidegger aura tent, dans une
mtaphysique du Dasein , de suivre pour une dernire fois la voie trace par lhermneutique
de la facticit et par lontologie fondamentale afin de trouver un chemin qui mne au problme
de ltre. Cette identification dans le temps dun projet autonome, base essentiellement sur
lusage dune terminologie particulire, peut nanmoins paratre artificielle, voire arbitraire. Une
des vises de cette recherche sera donc aussi de montrer que la mtaphysique du Dasein
prsente une entreprise diffrente de celle de lontologie fondamentale prsente dans Sein zind
Zeit. Comme nous le verrons, le saut dans la mtaphysique quannonce Heidegger t lt 1928
ne constitue pas quun slogan lanc par provocation, mais reprsente une modification de
lorientation de la pense heideggrienne qui le mne ii un dialogue plus direct avec Anstote et
1. GA66,424.
2. Rappelons quune liste exhaustive des textes composant le corpus dc la mtaphysique du Dascin, Le corpus
heideggrien. 1927-1930 , se trouve dans la bibliographie.
Premire partie La mtaphysique
ne peut lluder .
parle Heidegger partir de la fin des annes 1920, 11 nous importe de bien cerner la
signification quil donne au terme mtaphysique it cette poque. Comme nous lavons
soulign plus tt, cest partir du cours de lhiver 1927/28 sur la Critique de ta raison pure de
nouveaux frais lentreprise mtaphysique, la forme que devra adopter cette interrogation
mtaphysique est donc dj bien dtermine. Sil dit vouloir tenter le saut dans la
mtaphysique, ce nest pas dans le but, pour ainsi dire, daller au fond des choses ou de
traiter des choses dernires . Nous souhaitons ici montrer ce qua en tte Heidegger lorsquil
parle de mtaphysique en indiquant tout dabord les diffrents sens que peut porter le terme et
1. La polysmie de la mtaphysique
Mtaphysique est un terme dont lusage est devenu aujourdhui fort dlicat. Servant
plus souvent de repoussoir que dtendard, il nous importe ici de bien dfinir le champ
smantique que lexpression peut avoir chez Heidegger afin de mieux mettre en vidence le
sens quelle a dans la mtaphysique du Dasein. Comme on le sait, le terme est trs souvent
importantes . ii est aussi employ pour voquer les choses qui se situent par-del la
raison. Cette signification vulgaire ou populaire du terme est caractristique dune pense
pour qui il y va de ces choses dernires qui se tiennent par-del lentendement courant et qui
Dans une optique historique, on se sert aussi du terme pour qualifier cette pense
lutilise aussi pour ces penses modernes difficiles dapproche lidalisme allemand servant ici
linfluence que continue davoir le positivisme dc Comte et une certaine lecture de la critique
kantienne jusqu aujourdhui. Mais le terme peut aussi caractriser une vise bien relle de la
philosophie actuelle.
mettre en relief les diffrents sens qua ports lexpression mtaphysique dans loeuvre de
Heidegger. Nous nous permettrons cependant de complter le portrait que prsente Jamcaud
afm de mieux cerner lusage quen fait Heidegger la fin des annes 1920.
philosophique qui se trouve derrire nous et qin, prise comme ensemble, constitue lhistoire de la
seulement dune somme de textes crits, cest--dire des oeuvres comme telles, mais surtout du
legs de mthodes et de penses2. Cette acception du terme est caractristique de cette rduction
rapport ce corpus livr en hritage pour celui qui se met ltude de la philosophie peut varier
normment. Il va de son rejet complet bas sur une croyance en un progrs de la pense
En second heu, la mtaphysique peut tre conue comme destin (Verbinuis,). Cest en
effet une thse fondamentale que le <t second Heidegger a pu soutenir, la suite dc Nietzsche,
dans des textes comme Gbenvindung der AIetapysik (1936-l 946) ou Die Frcge nach der Technik
(1953). Selon cette thse bien connue des textes plus tardifs, lhomme occidental serait vou la
pense mtaphysique et le chemin parcouru par cette pense depuis Aristote jusqu la
1. Dominique Janicaud, <t Phnomnologie et mtaphysique >, dans JeanMarc Narbonne et Luc Langlois (d.),
Ls rntaphjsiq;ie. Son histoin, sa critiqne, ses eijeu, Pans/Qubec, Vrin/ PUL, 1999.
2. Ibid., 121.
67
domination technique de la totalit de ltant naurait rien darbitraire, mais constituerait bien
plutt un destin. Cette thse du dernier Heidegger, comme on le sait, invoque la possibilit de
clore cette re de la mtaphysique afin de permettre le passage une autre re. Ces questions
concernent cependant un stade ultrieur de la pense de Heidegger sur lequel nous ne nous
En troisime lieu, la mtaphysique peut donc aussi tre comprise comme proj6t.
Considrer que la mtaphysique pourrait encore exister comme projet est sans doute une thse
audacieuse en cette poque qui prtend stre mancipe de son pass mtaphysique. Depuis
courant analytique de la philosophie a voulu dmontrer que la mtaphysique ntait que leffet
entre le co?pus et le projet qui va nous tre utile. Cest en effet lune des tches fondamentales dc
celui qui veut bien saisir les textes des cours de la fin des annes 1920 que de dmler ce qui
1. Mentionnons simplement les textes de Rudolf Carnap, (J[benvindung der Metap!ysik durcli /ogische Aetayse der
Sprache (1931) et dAlfred J. Ayer, The Elimination ofMetapysics (1936).
2. Il faudrait cependant expliquer comment une proposition minemment mtaphysique comme Le monde est
tout ce qui arrive (der Wett ist ailes, was der Full ist) peut constituer le point de dpart dun texte non mtaphysique
comme celui du Tractatus logico-philosophicus de \Vittgenstein. On pourrait sans doute en dire autant de lYahrheit und
Afethode de Gadamer qui soutient que te monde est ce qui se prsente (darstellt) dans le langage (Gl 1, 447). Le
caractre mtaphysique de toute pense philosophique un tant soit peu ambitieuse peut en fait tre dmontr
facilement.
68
mtaphysique conmie corpus, mais tient compte dune distinction fondamentale dans lhistoire
Dans lhistoire de la philosophie, trs peu dauteurs se sont, en fin de compte, rclams
servi, dans cette histoire, de position passe contre laquelle sinscrivait la philosophie venir. A
cet gard, lexpression kantienne dune mtaphysique future constitue quelque chose dassez
unique. Il nous parat donc important de distinguer, pour ce qui est du corpus de la
cominc leurre. Cette signification caractrise lide que se fait la philosophie de la mtaphysique
antrieure, celle quil faut dpasser en exposant les piges dans lesquels elle est tombe.
Cest sans doute Descartes qui, en relguant lincertitude toutes les opinions pouvant
tomber sous le couperet du doute, a tabli le premier cette distinction fondamentale pour
lhistoire de la pense moderne entre une mtaphysique nave qui caractrise lensemble
ironie. La seule occurrence du terme dans ses Meditationes de prima Phitosophia dont seul le titre
1. On pourrait aussi soutenir que cette distinction constitue lacte de naissance de la philosophie comme telle,
dans la mesure o le combat de Platon contre les Sophistes peut tre rduit celui de la mtaphysique
authentique contre le leurre de la mtaphysique. Lidentification dune mtaphysique chez Platon et chez les
Sophistes pose cependant de nombreux problmes dans lesquels nous ne prtendons aucunement entrer.
69
prsente comme prima phitosophia et seul le travail de linterprte, sur la base dun concept large
de mtaphysique, peut dceler chez Descartes la prsence dune mtaphysique. Sur les pas de
Descartes, le cartsianisme nhsitera pas tablir une distinction entre une mtaphysique
concernant les vrits gnrales qui peuvent servit de principes aux sciences particulires et
Cette distinction fondamentale entre ces deux mtaphysiques et h lutte des Lumires
contre lobscurantisme auront pour consquence au XVIII sicle de plonger dans le discrdit
grce aux distinctions quil tablit entre une mtaphysique dogmatique qui prtend rsoudre
autre mtaphysique qui se prsente comme une science des premiers principes de h
connaissance humaine (KrT4 A $43/B $71) et au fondement de laquelle se tient une critique
au nom orgueilleux dune ontologie celui dune analytique de lentendement pur (KrJ4 A
247/B 303). Malgr ces distinctions fondamentales, Kant sera gnralement associ une
Linterdit suppos kantien qui est tomb sur toute mtap1ysiqzte future aura oblig
lidalisme allemand utiliser avec grande parcimonie du titre de mtaphysique. Malgr cela,
1. Descartes y voque une raison de douter bien lgre, et pour ainsi dire mtaphysique (AT, IX-I, 28).
Pour ce qui est de la mtaphysique chez Descartes, nous renvoyons au premier chapitre de ltude de Jean-Lue
Marion, Sur k prisme mtup1ysique de Descartes, IUF, Paris, 1986.
2. Malebranche, Entretiens sur la mtaphjsique et sur la religion, OEuvres compltes, A. Robinet (d.), tomes XII-XIII,
133 (cit par Jean-Lue Marion, La science toujours recherche et toujours manquante , Lii mtapysique. Son
histoire, sa critique, ses eqjeux, 26).
3. Pour mi portrait de la mtaphysique au sicle des Lumires, voir Leo Freuler, Lorigine et la fonction de la
metaphysica naturahs chez Kant , surtout 373-374. Lauteur y voque les attitudes n de Hume et de Rousseau contre
la strilit de la mtaphysique, celle de Voltaire contre la mtaphysico-thologo-cosmonigologie, ou celle du
baron dHolbach contre la mtaphysique comme pure science de mots
70
authentique . Dans une lettre Schelling, Fjchte reconnat quant lui que le terme
authentique . Si [on hsite sen rclamer, cest, comme toujours, pour ne pas tre confondu
ima,ginaires.
Une telle distinction se retrouvera aussi chez Hussefi qui, dans ses Mditations
cartsiennes, opposera une mtaphysique nave et oprant sur dabsurdes choses en soi une
ultime de ltre 2. Malgr tous les interdits et toutes les railleries, il semble que les grands
-dite quelle avait pour vise cette rntcihjisique authentique, bien distincte de cette mtaphjsique
naiie combattue. Comme nous allons maintenant le voir, cette distinction aura aussi son
importance chez Heidegger qui tente lui aussi dtablir une distinction entre sa
mtaphysique3.
1. Respectivement, Regel, Prface la premire dition de la lVissenschaft der Lo.gik et fichte, Lettre Schet/in,g du
mois de septembre 1799 (textes cits par Jean-Lue Marion, La science toujours recherche... , 27 et 29).
2. Cadesainische Meditationen, 60 et 64.
3. Nous prenons ici lexpression leurre comme lune des acceptions possibles de la mtaphysique. Depuis le
positivisme de Comte (1798-1857) en passant par la critique de lidalisme allemand faite par Feuerbach (1804-
1872) ou Marx (1818-1883), on a pu considrer que la mtaphysique navait dautre statut que celui dune
supercherie. Le nokandsme de la fin du XIXc sicle et du dbut du XX sicle se sera lui aussi servi de la
mtaphysique comme repoussoir, au nom dun retour Kant (Otto Liebmann, 1865), cest--dire cet
Allesrermu/rner qui rendit impossible toute mtaphysique future. Nietzsche (1844-1900), Dilthey (1833-1911) et
Bergson (1859-1941) auront, chacun sa faon, aussi tent de faire leur deuil de la mtaphysique. Lide selon
laquelle toutes les grandes penses se sont secrtement comprises comme des mtaphysiques authentiques est
donc tout fait discutable pour ce qui est du XIX sicle.
71
Pour quelles raisons Heidegger dcide-t-il, vers la fin des annes 1920, dattribuer
cette pense quil avait tout dabord conue comme ontologie fondamentale le titre de
du )Q( sicle, mais aussi contre la tradition mtaphysique qui, depuis Anstote, a perdu la
trace de son problme fondamental: celui de ltre. Cest dire que cette mtaphysique
authentique que Heidegger souhaite tablir projet srige contre la tradition mtaphysique
post-anstotlicienne corpus mais aussi contre les tentatives contemporaines qui se rclament
depuis au moins le semestre dt 1928, il semble que ce ne soit qu lhiver 1929/30 quil ait
perdu ses complexes eu gard une telle entreprise. Ce nest en effet qu lintrieur de ce
cours que Heidegger dcide de mettre au clair lusage quil fait du mot. Dans les cours
antrieurs, les rfrences une mtaphysique en projet ont quelque chose de plus discret et de
plus programmatique. Dans ce cours, Heidegger souhaite mettre au clair les raisons qui le
conceptuellement inclusive telle que nous tavons dfinie ? . Cette question est dautant plus
importante que Heidegger dit recourir au terme mtaphysique pour dsigner proprement le
philosophie 2. La mtaphysique traditionnelle doit donc tre rcuse, car elle ne se comprend
pas comme cette interrogation conceptuellement inclusive qui, seule, peut prtendre
1. GA 29/30, 37 ; u. 49. Une question similaire est pose au printemps 1930 2 <(Si la mtaphysique hglienne
reprsente bien laccomplissement de la mtaphysique, comment se peut-il que nous voulions encore parler dun
problme de la mtaphysique? (HPM, 36 ; tr. 37).
2. GA 29/30, 51; tr. 61.
3. Cest--dire une pense qui interroge ltant dans son ensemble de telle sorte que le questionneur soit inclus
dans le questionnement (cf. ibid., 2-3).
72
constituer le philosopher authentique. Pourtant, cest comme mtaphjsique que nous devons
comprendre cette pbilosopbie authentique qui reste riger. La question qui nous brle les
lvres est la suivante: pourquoi recourir ce mot qui, de faon gnrale, est associ une
pense dogmatique et non critique? Cest tout dabord par une brve orientation sur lhistoire
terme mtaphysique pour [sesj considrations . Or, cette brve orientation sur lhistoire
de lexpression est en fait un retour au sens qua pour Anstote la philosophie premire, et,
essentiellement parce quelle fait directement rfrence au problme fondamental mais oubli
du lien entre les deux orientations essentielles de la philosophie premire. Soutenant que le
c< nous ne trouvons rien, dans ce qui a t transmis de lui, qui nous clairerait sur la faon dont
ressort la problmatique unitaire qui prend pour objet la (pcn en ce double sens , cest--dire
jamais t ce quelle aurait d tre, soit une poursuite de lentreprise dAristote qui, saventurant
dans la question de la rn, laissa sa mort son travail dans un tat encore problmatique. La
surface et son problme de se prsenter comme tel. Ce nest donc pas la signification
technique du terme mtaphysique (r& j.tt rx (puica), la signification que lui donna
laristotlisme, que Heidegger pense lorsquil revendique le titre. Cest bien plutt la
problmatique originelle indique par le titre npnrj (ptocYocpia que Heidegger souhaite
rcuprer: Il en rsulte ..) pour nous la tche de procurer enfin au ternie qui se trouve tre l une
szgnflcation puise dans une comprhension onginette de ta icp.vt pi.?oaopi. Bref nous navons pas
contraire, justifier lexpression de miaphjsiqzd par une inteiprtation onginette de ce qui se passe dans ta
2
tpd)rrI qn?oaopia d4ristote Mais si le terme mtaphysique>) nat dune mauvaise
Pourquoi recourir un terme qui, maintenant dans les annes 1920, mais encore
aujourdhui , nest employ que lorsque lon veut donner limpression du profond, du
Il semble que lintrt que prsente pour Heidegger le terme mtaphysique soit li
la prsence en lui du prfixe IEr, qui signifie bien plus que le simple aprs de lexpression
del , comme la possibilit de tourner son regard par-del le monde sensible, Heidegger
dautres ressources: cest en effet aussi lindication dune tournure particulire (Umwendung),
philosopher implique.
pt?oGopliX aristotlicienne. Pourtant, cest bien le terme que Heidegger choisit, comme sil
voulait nouveau dployer comme cela sest fait dans lhistoire une mtaphysique partir
des enseignements dAristote, une mtaphysique qui, cette fois, comprendrait la pense
aristotlicienne comme problme et non comme solution2. Nous verrons dans le cadre de cette
mtaphysique heideggrienne.
mtaphysique que Heidegger emploie le terme, ni pour prsenter un nouvel avatar de cette
mtaphysique? Nous pouvons dire quil porte sur elle un regard trs critique en ce quil la
semble qu cette poque, Heidegger nhsite jamais se rapproprier les titres des penses
dont il souhaite branler les fondements. Nous pensons lontologie fondamentale qui invalide
1. GA 29/30, 66; tr. 75. Parmi la multitude de sens que le prfixe peut prendre (aprs, au milieu, avec, etc.),
lirr& peut voquer un changement comme dans les expressions reteOrro (immuable), [rercLJtpqxoat
(changement de forme) ou jrerx9rrn (changement de position). Pour une interprtation du jtrr de la
mtaphysique comme virage, voir ltude de Jean Beaufret, Quest-ce que la mtaphysique? (Heidegger Studies,
1985/1, 102) A vrai dire trre en Grec ne signifie pas seulementpost ou trans. Il indique aussi un virage, voire
une rvolution, comme dans le mot jier3o. (...) Toute la philosophie grecque est de mme avant la lettre une
pense en jiet, savoir une pense qui retourne le premier abord dune question en une question plus radicale,
que le premier abord de la question ne fait encore que masquer
2. A plusieurs reprises, Heidegger soutient que la mtaphysique nest tien dautre que le titre dun problme
(GA 28, 35, mais aussi KPM, 8 et 220-221 ; tr. 68 et 277 et GA 29/30, 85; tr. 92).
75
la tradition ontologique passe, mais aussi cette logique philosophique prsente lt 1928
et, plus tt, lhiver 1925/26 qui prtend remettre en question la logique traditionnelle,
Dasein, il sagira de penser la possibilit dune mtaphysique qui vienne mettre en vidence
sicle de notre re. On donna le titre c& tet r pucixx > une srie dcrits dAristote
qui ne trouvrent pas leur place dans la classification en trois disciplines (logique, physique,
thique) qui avait alors cours dans la philosophie scolaire. Prsentant malgr tout une certaine
parent avec les crits de physique, les traits oir Anstote parlait de philosophie en son sens
vritable et premier trouvrent leur place derrire .ter) ceux de la physique. Ironiquement, ce
sont les textes qui abordent le philosopher vritable qui jetrent dans lembarras la philosophie
pour la philosophie premire. Le titre t .tr& r xicx que lon donna la philosophie
vritable ne caractrise donc pas celle-ci selon sa nature et sa problmatique propres, mais
seulement de faon ngative, en tant quordonne des disciplines qui, par rapport e1le, sont
secondaires.
Lexpression latine metaphjsica dont est issu notre quivalent franais ne fut forge
quau XIIC sicle. Or, ii cette poque, la itpti pt)wao(pia stait dj transforme en
adoptant la forme que lui imposait le titre r j1Et r& pxx . La philosophie premire
ou la mtaphysique est en effet devenue cette connaissance de ce qui se situe au-del du monde
Le tr qui servait indiquer lordre des traits aristotliciens (bosi) dissimulait en lui une autre
signification, celle de trans. Le mta-physique nindique alors plus ce qui vient, dans ltude
des choses, aprs le physique, mais bien le contenu et la nature propres cette science que
philosophie premire dAristote est bel et bien mtaphysique. On peut nanmoins considrer que
philosophie premire. Heidegger distingue ainsi deux emplois du terme de mtaphysique: lun,
1. ce sujet, on consultera ltude de Luc Bnsson, Un si long anonymat , dans La mtapIysiqrie. Son histoire,
sa ciitique, ses enjeux.
77
cette tche de procurer au terme une signification puise dans une comprhension et une
deux tches: celle dinterroger ltre de ltant (t 6v j 6v) et celle dinterroger ltant
proprement dit (t OEiov)2. Selon linterprtation quen donne Heidegger, Anstote aurait
identifi ces deux ordres de recherche sans cependant russir expliquer le lien qui les unissait
lune lautre. Bien avant dinterroger lessence de la mtaphysique comme telle, Heidegger
nest pas une impasse ni la juxtaposition de deux points de dpart diffrents qui nauraient tien
voir lun avec lautre, mais procde toujours de la ncessit, puise la chose mme, du
problme quAristote na pas domin, na pas non plus formul en tant que tel, et cest aussi
pourquoi il est tomb plus tard compltement dans loubli . Or, si les recherches dAristote
noffrent pas de solution ces questions, il est nanmoins possible de tenter une interprtation
mtaphysique pourrait trouver son fondement dans lquivoque du terme (pfl, nature
Nous savons limportance qua le concept dc p6rn pour lhistoire dc la philosophie. Dans la
comme la naissance dune interrogation Q6yo) portant sur le fondement pi) de ltant
llaboration de la philosophie dans deux directions dont les recherches dAristote garderaient
lcho. Car tudier la p(xn peut signifier, dune part, tudier ltant dans son ensemble, cest-
-dire ce qui constitue pour la science moderne ta nature, lensemble des choses naturelles. Mais
de lautre, cela peut aussi signifier tudier a nature des choses, leur essence, cest--dire ce que les
ltant tel quil rgne autour de nous. Afin dinterprter ce rgne, les premiers philosophes
portrent une attention toute particulire ce qui, au sein de ltant, manifestait le plus de
force, accablait et menaait le plus lhomme, et cela, cest la vote cleste, ce sont les astres,
cest la mer, cest la terre, cest ce qui menace constamment lhomme (...) ; cest ce qui (...)
rgne de soi-mme, sans lintervention de lhomme . Ce qui, en effet, en impose le plus
lhomme, cest ce qui ne dpend ni de son contrle ni de sa volont: ltant naturel qui crot et
existe partir de lui-mme. Or, au sein de cet ensemble (Gantes), un tant se manifeste comme
celui qui dtermine et domine tous les autres. Au sein des (pxret vtx existe en effet toujours
dans son ensemble, mais bien b nature de ltant. Ici, b considration nest pas limite aux
choses naturelles, puisque lon peut aussi parler de la nature des choses fabriques, de celle de
lesprit ou de lme, de la nature de loeuvre dart et de toute chose. Ici, nature fonctionne
comme synonyme dessence (ocia), comme <t loi interne dune chose .
Or, selon Heidegger, aucun des deux concepts na, au cours de lhistoire, pris le pas sur
lautre. Les deux significations se sont bien plutt maintenues lune ct de lautre, fixant
temps . Ces deux directions de linterrogation sur la pai. ont t explicitement fUrneS par
disciplines distinctes: linterrogation sur ltant dans son ensemble et linterrogation sur ce
quest ltre de ltant, son essence, sa nature, Anstote les dsigne comme itprr pt2oaopi,
comme philosophie premire 2. Mais rien ne nous a t transmis sur la faon dont il pense
dans leur unit ces deux directions de linterrogation doublement oriente, et dans quelle
dit .
rcupration qui sera faite par la tradition de loeuvre dAristote. Le vritable saisissement
qui donna naissance linterrogation philosophique se serait vanoui aprs avoir atteint cette
problme de lunit de la philosophie premire une solution simple et tire mme loeuvre du
Stagirite: la itptr ptoop.c est universelle parce que premire (Aftap/iysique, E 1, 1026 a
31). Cest justement cette solution que Heidegger tient pour le grand problme de la pense
aristotlicienne.
OEiov aristotlicien comme le Dieu rvl de la religion chrtienne tablissant par l le thme
Heidegger, par la division, selon deux orientations distinctes, prsente dans le livre E de la
.
MtapIysique de la itpri qn)oGocpx qui stablit sans riger en problme leur unit mme
1920 doit tre comprise comme un retour aux problmes non rsolus, oublis ou jamais
cest pour montrer que les rponses quont donnes Platon et Anstote la question de ltant
ne sont pas des rponses dfinitives mme si elles ont t tenues pour telles dans tout le
cours de lhistoire de la mtaphysique2. Pour illustrer ce rapport quil souhaite tablir avec la
aristotlicienne: La lumire qui jaillissait alors tait si vive que ces deux grands penseurs en
restrent toujours pour ainsi dire aveugls, et quils ne purent rien faire dautre que de mesurer
et fixer pour la premire fois ce qui soffrait dabord eux : il fallait que la premire grande
battre cette rcolte, jusqu ne plus battre que la paille vide. Cest pourquoi le moment est venu
1. Ibid., 65; tr. 74. Dans un texte beaucoup plus tardif Heidegger reconnatra pourtant quon ne peut accuser
les thologiens davoir mal interprt la MIapiyslqi1e: Toutefois, il serait enfantin de prtendre que les
thologiens du Moyen Age ont mal compris Anstote ; ils lont bien plutt compris diffremment, suivant la faon
diffrente dont ltre se dispensait eux (DerSat rom Grwtd [abrg Svq, G 10, 117 ; ii. psi Andr Prau, Le
princte de raison, Gallimard, collection Tel 1983, 181).
,
2. A la question [directrice de la philosophie occidentale, ri r v ;J, Plaron et Aristote ont apport, non pas
tant directement que par lensemble de leur travail, une certaine rponse, rponse qui par la sifite, travers
lhistoire entire de la mtaphysique occidentale Jusqu sa conclusion grandiose par Regel, devait au fond tre
tenue pour la rponse dfinitive (GA 31, 37). Voir aussi 1 confrence He<gel ana das Prohkm der Metapiiysik : Mais
lexplication avec la mtaphysique de Regel nest pas une explication quelconque ; cette mtaphysique nest pas
simplement une mtaphysique parmi dautres, mais bien laccomplissement de la mtaphysique occidentale. Avec
Regel, nous posons cette quesuon fondamentale qui, lorsquelle sveilla laurore de la philosophie occidentale,
se trouva engage dans une certaine voie et inscrite dans un certain cadre dont elle ne put sortir (HPM, 18; tr.
19).
81
o il nous faut repartir pour une nouvelle moisson (...). Mais nous ny serons prpars que si
notre soc est aiguis, et non pas rouill et fauss sous laction des simples opinions, du
retour Anstote . Face un champ prt tre moissonn mais aveugls par tant de lumire,
Platon et Aristote ont rcolt la premire grande moisson . Mais de cette premire rcolte, il
ne reste aujourdhui que de la paille vide et le moment est venu de retourner aux champs. Cette
image permet de bien saisir toute lambition de lentreprise heideggrienne et son rapport
commencement grec, Heidegger souhaite aller au-del de Platon et Aristote pour reprendre
motive ce retour Anstote. La tche que Heidegger se propose nest cependant pas de
Aristote, na plus jamais t interroge3 doit tre mise en question quant son unit et son
origine.
1. GA 31, 48.
2. KPA, 8; tr. 68. Dans son cours sur lidalisme allemand du semestre dt 1929, Heidegger soutient que
cest en rptant la question aristotlicienne de lunit de la philosophie premire quon rveillera la problmatique
endormie de la mtaphysique : En quoi consistent ces orientations de question (Fragerichtungen) : 5v j 5v Oeov
? Sont-elles lune ct de lautre de manire fortuite ou vont-elles ensemble de faon ncessaire et en soi ? (GA
28, 34). Voir aussi la confrence Hgel und dits Probtem der Metaphjsik de 1930: Et du fait quavec cette science
absolue est reconnue dans et partir dune raison leffectivit de ce qui est effectivement, cela signuic que se
trouve alors ralis ce quoi la philosophie proprement dite la philosophie en premire ligne a tendu demble
dans la tentative faite par Aristote quand il a fix pour tche la itpclirr qioootpx de dterminer lv j 5v, ce
que ltant est en tant qutant, lessence de ltant, cest--dire son tre. Une tche qui pour des raisons qui sont
vrai dire loin dtre claires pour nous allait de pair pour Aristotc avec la question de lv icctOnu, de ltant vu dans
son ensemble, question quil saisissait comme celle de la 9eoXoytid 1tror1np> (HPM, 34; tr. 35, nous
soulignons).
3. GA 29/30, 51-53 ; tr. 61-63.
82
La mtaphysique a interrog ltant dans son ensemble et en tant que tel, mais cela, elle
mauvaise interprtation de la Mtaphjsiqiie dAristote. Tous les projets mtaphysiques qui ont
philosophique qui constitue pour elle une sorte de joug. Mais son point de dpart, cette
structure aurait constitu une problmatique vivante qui aurait tenu Aristote en haleine sans
tente par la thologie mdivale ou la philologie moderne ne serait quune chappatoire face
la question fondamentale: comment comprendre le lien qui unit le problme de ltant dans
son ensemble et le problme de ltant comme tel? Cette question qui ne trouva pas de
qui, sans rien rsoudre, offrit une /parence dunit entre la thologie et lontologie.
Mais avant de passer la discussion de cette thse qui est lorigine de lide
compte dun autre lment propre la mtaphysique du Dasein. Si nous devons parler dune
de la mtaphysique dAristote. En effet, la tradition na pas fait que recouvrir ce problme, elle
mtaphysique fondamental. Mme si cette o,ieniaiion sur lhomme qui caractrise la philosophie
moderne depuis Descartes a t la cible dune critique sans prcdent par Heidegger
lpoque des cours sur Nietzsche surtout, mais aussi dans Sein ;ntd Zeit , il faut reconnae que
Le primat accord par la pense moderne lhomme cache une certaine vrit de la pense que
le traitement cartsien de la question en sorientant sur le cogito plutt que sur le mm a tue
dans loeuf.
Lontologie fondamentale prsente dans Sein und Zeit accorde une importance cruciale
lhomme que Heidegger prsente sous la figure du Dasein . Caractris comme ce que lego,
le sujet, la raison et le moi ne sont jamais, le concept de Dasein tait alors employ pour
caractriser lhomme selon une optique inconnue de lontologie traditionnelle, savoir selon la
comprhension quil a de ltre. Cest parce quil est question en lui de son tre et de ttre que le
Dasein tait choisi comme ltant insigne partir duquel devait tre pose la question de ltre.
J\Ialgr leurs diffrences irrductibles, on ne peut nier que le Dasein ait conserv
cogi/o sur le munit. Cest dire quaux yeux de Heidegger, linsistance avec laquelle la philosophie
moderne avait trait du sujet pensant ntait pas le simple fait dune mprise mtaphysique.
Que la tradition ait ou non laiss indtermin le sens de ltre de la conscience importe trs peu
ici: elle a malgr tout reconnu que la philosophie ne pouvait se passer dune interrogation sur
linterrogateur.
long de son oeuvre, sans jamais nier le fait que la pense ne peut slaborer sans penser son
rapport celui qui pense. Lintimc lien qui unit la question celui qui la pose, limplication de
1. S. u. z.,
211. Dans son tude Le,go et le Dai?in , Jean_Luc Marion commente ainsi ce texte: Il est
stupfiant que, au terme de lanalytique prparatoire du Danin et aprs lessentiel de sa destruction de Descartes,
Heidegger esquisse encore la possibilit dtme retranscription de lanalytique du Dasein dans les termes certes
dplacs et rinterprts de lego cartsien (Rduction et donation. Recherches sur HusserL I-Ieide,gger et Iaphnomnolqgie,
philosophique que la modernit a soulign avec une insistance sans pareille. Cest dire que
lorientation sur lhomme de la pense moderne peut recler en elle une certaine positivit. Le
Comme nous lavons vu plus tt, Heidegger a tent dans le cours de lhiver 1929/30 de
lgitimer lusage quil faisait du terme de mtaphysique . Cest entre autres au nom dun
retour Anstote que Heidegger prtend rcuprer lexpression. Mais cette orientation sur la
comme tel et sur ltant dans son ensemble, 1-leidegger tente de mettre en lumire un trait
mtaphysique que lAntiquit na pas connu: le dtour oblig de tout questionnement par la
Si Heidegger critique encore dans les Gritndbegriffi der Metaphjrik le fait que la
philosophie moderne soit passe ct de la question portant sur ltre de la conscience1, cest
nanmoins pour souligner son importance que cette orientation sur la conscience est alors
moderne, Heidegger souligne que, malgr un certain durcissement de son concept (aprs
Suirez notamment, quelque chose de rellement nouveau sest accompli dans cette
fait depuis toujours, elle a aussi fait une dcouverte fondamentale: celle de 1 interrogation
de ltre et de ltant, elle constitue une mterrogation o nous questionnons de manire telle
que nous-mmes, les questionneurs, sommes la fois compris dans la question, mis en
premier conuirencement de la mtaphysique chez les Grecs, ni mme dans sa reprise dans la
nest que dans la philosophie moderne quapparat cet lment nouveau selon lequel le je qui
questionne est du mme coup mis en question . Bien quen ralit, une interrogation relle
sur la constitution dtre du je fasse dfaut la philosophie moderne, Heidegger reconnat que
lide dune interro,gation inclusive lui provient de la philosophie moderne. Or, cet lment na rien
.
problmatique vivante de la mtaphysique
heideggrienne suivant deux traits distincts. Elle interroge tout dabord suivant en cela les
enseignements dAristote ltant comme tel et dans son ensemble . Mais elle ninterroge
ainsi quen mettant en question suivant cette fois lorientation de h mtaphysique moderne
lhomme qui interroge. Il faut bien sr immdiatement souligner que si Heidegger se rclame
sens non traditionnel, cest--dire en tentant de mettre jour ce que la tradition a enseveli. La
pense aristotlicienne, tout dabord, sera expose non pas comme un systme ferm et
mtaphysique moderne, le primat quelle accorde h conscience devra tre repens depuis le
dbut, de telle sorte que ltre de lhomme ne passe pas pour une vidence, mais soit rellement
problmatis.
Cette reprise du primat que la mtaphysique moderne accorde lhomme est tout fait
propre au travail philosophique que Heidegger dploie dans les annes 1920. Depuis
fondamentale, tous les efforts de Heidegger sont caractriss par une vision du travail
philosophique rduit la simple mise en lumire de la nature humaine o. Comme nous allons
dune thse propre la pense kantienne, celle de lexistence dune disposition naturelle de
pas comme une science ou comme une branche de h philosophie >, mais bien comme un
vnement dans lexistence humaine. Cest ainsi quil va rinterprter les problmes
1. Nous retrouvons ici les deux tendances mentionnes plus haut tendance lanthropologie, tendance
la mtaphysique que Heidegger caractrise dans lintroduction au cours de lt 1929. Bien quelles soient le fruit
de malentendus philosophiques, ces deux tendances dissimulent pourtant des questions vritables que Heidegger
tente alors de poser (voir G 28, 2-4). Cest aussi suivant ces deux tendances que Heidegger caractrisera la
mtaphysique de Hegel dans sa confrence Hgel und dcii Pmbkm der Metaphysik. Mais contrairement la
mtaphysique du Dasein, la mtaphysique hglienne constitue la continuation (Weiterge/)en) du point de dpart
antique et des thmes modernes quelle met loeuvre et aucunement une rebtition (Wiederholun.g) de la question
directrice traditionnelle (quest-ce que ltant conune tel?) qui puisse ouvrir la voie la question fondamentale de
la mtaphysique (quest-ce que ltre comme tel?) (HFM, 52 sq. ; tr. 53 sq.). Sur ce rapport entre la question
directrice et la question fondamentale de la mtaphysique, voir infra Lhomme comme fondement de la question
mtaphysique fondamentale
87
Dasein , comme ceux dune metaphysica ;zat,iratis contenue dans le Dasein . Cet intrt que
tmoigne Heidegger pour la mtaphysique aprs la publication de Sein rmd Zeit se prsente
inscrite dans la nature de lhomme, le seul mode daccs au Dasein et aux problmes
philosophiques contenus en lui doit passer par une appropriation authentique de cette
pense heideggrienne au cours des annes 1920. Contrairement aux textes qui prnent,
partir du milieu des annes 1930, le dpassement de la mtaphysique , les textes produits
dans les annes 1920 prennent tous la nature humaine pour point de dpart du travail
philosophique. Rappelons pour mmoire que lontologie fondamentale prsente dans Sein raid
hermneutique de la nature du Dasein comprise comme temporalit. Or, ce procd est propre
tous les textes crits dans les annes 1920, depuis lhermneutique de la facticit jusqu la
mtaphysique du Dasein. Abordant alors la tche de la philosophie partir de son origine dans
le Dasein, Heidegger prtend mettre en lumire dans un travail dinspiration kantienne les
Si Heidegger aborde alors la philosophie partir du Dasein, cest parce quil la conoit
non pas comme la prsentation systmatique de nos connaissances mais bien comme une
activit, comme un comportement propre au Dasein. Dans la mesure o cest le Dasein qui
Dasein comme tels qui doivent servir de factum brutum la recherche philosophique. Dc
1. GA 26, 197.
88
nous faut porter notre attention sur ce qui permet, dans le Dasein, que de tels problmes
surgissent. Si donc la pense heideggrienne se modifie au cours de ces annes, ce sera tout
simplement parce que Heidegger conoit la nature humaine de diffrentes faons: comme un
factict (1922-1923), comme un tant qui a cette particularit de comprendre ltre pour ce
qui est de lontologie fondamentale (19241927)2 et, enfin, comme un tant dont ltre est
Cest videmment le dernier de ces trois stades qui nous intresse ici. Nous
mtaphysique du Dasein doit se comprendre comme un cho leffort kantien de justifier ses
dans la raison humaine universelle (KrV, B 21-22). Cest en effet comme retour cet effort
mtaphysique dploy par Kant dans la Critique de ta raison pure que Heidegger comprend lui-
Au dbut des annes 1920, alors quil commence prendre ses distances avec b version
husserlienne de b phnomnologie, Heidegger expose dans ses cours une vision originale de b
philosophie que lon dsigne, suivant le titre dun cours de lanne 1923, comme lHermneutique
celles qui la rduisent b simple affirmation dune LVettanschauzm,g, Heidegger propose une
1. Telle quelle se prsente dans les Ph>zorneno/qgische Inteipretationen u Anrtoteles de lautomne 1922 et dans le
cours de lt 1923, Ontolo,gie. Her7neneutik derFaktittd:.
2. Nous donnons par commodit plus que par souci dexactitude
le titre dontolqgie fondamentale i cette
entreprise que prsentent les tenes contemporains de Sein und Zeit
3. Bien que Heidegger commence i se rclamer de la mtaphysique ds le semestre dt 1927, ce nest
quentre lt 1928 et lt 1930 quil emploie lexpression mtaphysique du Dasein
89
lexistence humaine.
Cest h vie humaine saisie dans sa facticit qui constitue alors pour Heidegger lobjet
dlaborer le questionnement sur ltre en gnral (Sein iiberhaupt) et dclaircir son sens,
Dasein) ou au Dasein humain pour autant quil est interrog en direction de son caractre
dtre . Lintrt que porte alors Heidegger au Dasein et la comprhension qui en constitue
le caractre ontologique originaire nest pas encore subordonn une fin plus haute et
reprsente la fin la plus propre de la philosophie. Le problme qui se pose alors et qui est
parfaitement illustr dans le texte de lautomne 1922 est le suivant: comment saisir
bimillnaire impropre ? La difficult face laquelle se retrouve la philosophie est celle de saisir
convenablement son objet en son tre, cest--dire tel quil est vc,itabernent derrire le
Ceci explique le sens que prendra pour Heidegger la phnornnotogie. La vie nest plus
1 Der Gegenstand der philosophischen Forschung ist das menschlische Dasein ais von ihr befragt auf
seinen Semscharakter (PIA, 3; dans des formulations similaires: GA 63, 25 et 47). Mme si 1-Jeidegger u pu
crire que la question de ltre stait prsente lui comme problme ds la rencontre, en 1907, avec le texte de
Brentano Von der manniglichen Bedeutung des Seienden nach Aristoteks (voir ce sujet lvIein Wig in dec Phnomenologie ,
in Zur Sache des Denkens [abrg ZSD], Tiibingen, Niemeyer, 1969, 81 tr. par Jean Lauxerois et Claude Roels,
Mon chemin de pense et ta phnomnologie s, ,Questions lIT et IL Gallimard-te4 1990, 325-326), la publication
de la Gesamtauigabe a dvoil un portrait quelque peu diffrent de lapparition de la question. Il semble en effet que
la question du sens de ttre napparaisse comme k probtmefondamental de ta philosophie qu partir du semestre dhiver
1924/25 alors que Heidegger donne un cours sur le Sophiste de Platon. Voir, ce sujet, Theodore Kisiel, The
Genesis of Heideggerc Beiqg el Time, 308 sq. et Dorothea Frede, Sein. Zum Sinn von Sein und Seinsverstehen ,
dans Heidegger-Handbuch, 80 sq. Le cours de lt 1923 dont il est ici question voque bel et bien le problme du
sens de ltre la question de lontologie ( 1) mais le subordonne au problme plus fondamental qui est celui
de ltre de lhomme. Si Heidegger traite ici dontologie, ce nest en effet que pour souligner lindtermination
dans laquelle la philosophie s laiss ltre de lhomme (lobjet de la philosophie), le rduisant au mode dtre de
lobjet (Gtgenstaudsein, Gegenstdndlichkeit). La question ontologique du sens de ltre a donc sa raison dtre, mais elle
reste assujettie aux questions de lhermneutique de la facticit (GA 63, 2-3).
90
Pour faite de la vie un phnomne pour que la vie devienne une chose qui se donne telle
quelle est , il faut quelle soit dbarrasse de ces couches accumules au cours des sicles1. Or,
ce nest pas du sable qui recouvre lobjet du philosophe, mais bien des strates dinterprtations
successives accumules les unes sur les autres. Lexistence humaine ne se meut jamais que dans
ltre-interprt (in Ausgetegtheit), dans une interprtation qui se bloque souvent laccs elle-
mme cest--dire telle quelle est en son tre. Cest ainsi que sexplique, de son ct, le
recours que fait Heidegger lhermneutique2. Lhermneutique naura cependant plus ici pour
tche de dchiffrer les textes ou encore de fournir une fondation aux sciences humaines
ne peut tre autre chose que cet effort hermneutique de dbroussailler les interprtations.
Cest ainsi quest mis en vidence ce que nous avons appel le <t principe mthodique
qui guide Heidegger au cours des annes 1920. Si Heidegger fait de la philosophie une
philosophie ne peut aborder son objet quen se faisant <t hermneutique . Or, cette conversion
Cette conversion correspond en ralit une exigence formule par la nature humaine elle-
mme. Dans la mesure o celle-ci est constitue hermneutiquement , que tout rapport au
elle veut suivre h mouvance de la nature humaine doit se comprendre comme effort
1. Nous renvoyons, pour ce qui est du sens de la phnomnologie, au 15 du cours du semestre dt 1923
(GA 63, 74 sq.)
2. Pour ce qui est de lhermneutique, nous renvoyons au 2 du mme cours (GA 63, 9 sq.)
91
hermneutique. Puisque cette hermneutique nest pas impose lexistence humaine mais
quelle en surgit, nous pouvons ici parler en cho Kant dune hernzeneutica naturalis.
une mise en lumire de ce qui fonde les comportements du Dasein. Mais plutt que de se
parlera alors de transcendance pour voquer la constitution fondamentale de cet tant privilgi.
rflexion philosophique.
comme ce qui advient depuis toqjours dans le cours de lexistence du Dasein. La philosophie va se
permanence, bien que tacitement. La philosophie devra ainsi rendre explicite cet acte que constitue
comportements du Dasein eu gard ltant. Philosopher, ce nest rien dautre que transcender
non pas tacitement, comme cela se fait normalement, mais de faon explicite, expressment3.
1. Jean Greisch crit que cette comprhension de la mtaphysique du Dasein comme mtaphysique advenant
ncessairement comme Dasein (JPivl 231 ; tr. 287) montre clairement que cette entreprise a recueil lhritage de
lhermneutique de la facticit < Von der Hermeneutik der Faktizitt zur... n, 19$).
2. VWG, 137-139 ; tr. 104-107.
3. La thmatique du dpassement explicite de ltant, de la transcendance expresse (atisdruck/iches
Transendieren), est traite dans le cours du semestre dhivet 1928/29, Ein/eitung in die Philosophie (GA 27, 2$-29)
ainsi que dans lessai Vom lVesen des Gnindes (160-161 ; tr. 138).
92
Heidegger va se solidariser avec les vises de la nitapIysique, cest--dire de cette science qui se
pour les questions de la mtaphysique quil entend aborder les problmes de la philosophie.
Or, dans ses travaux sur Kant, Heidegger a dj rencontr une thse assez semblable. Influenc
en cela par les crits mtaphysiques de Baumgarten, Kant avait dj parl dans la Critique de ta
mtaphysique. Bien que Heidegger modifie le sens de cette metap/ysica naturalis, il nhsite pas
Critique de ta raison pure apparat au crpuscule dun sicle gnralement hostile aux divagations
faite dans les milieux mtaphysiques (Mendelssohn, 1785) pourrait premire vue laisser
penser quil constitue laboutissement logique de cet esprit des Lumires. Cette rflexion
critique sur la mtaphysique aura finalement fait plus pour la survie de la pense
mtaphysique que pour son rejet3. Si Kant sintresse la mtaphysique, ce nest en fait pas
pour en dmontrer limpossibilit mais bien pour prner, cotnme il lcrit dans la prface aux
1. Parmi de nombreuses occurrences, KPM, 140 ; ir. 198; GA 26, 214 et 280 ; GA 27, 102 et 332 et GAl 28, 40
et 47.
2. Nous appelons ontologie fondamentale lanalytique de lessence finie de lhomme telle quelle prpare le
fondement dune mtaphysique conforme la nature de lhomme fdte ur Natur des Menschen geIi&ige
/vfetaphjsik) (KPM, 1 ; tr. 57).
3. Pour ce qui est du rle chez Kant de la rnetap/ysica naturalis , on consultera le travail dj cit de Leo
Freuler, Lorigine et la fonction de la rnetupIeicu ,tatttralis chez Kant
93
Si Kant tient en haute estime la mtaphysique, cest quil a aperu que celle-ci tait
intimement lie ce quil appelle lintrt de la raison humaine universelle . Selon lui, nier
lexistence de la mtaphysique, cest en quelque sorte trahir lessence de la raison humaine elle-
mtaphysique titre de diiposition naittrelle. La mtaphysique est donc donne et relle comme
disposition naturelle (de faon subjective), mais seulement possible objectivement, cest--dire
comme science3.
comprend comme b reprise de cette tentative kantienne dtablir une mtaphysique qui soit
conforme la nature humaine. En rfrence directe aux efforts de Kant pour penser la
1. Prol4gommnes toute mtaphjsique future, Prface, Ak. IV, 257. Heidegger nest pas le premier insister sur
laspect positivement mtaphysique de la pense kantienne. Bien que Reinhold ait dj, du vivant de Kant, remis en
question laccusation de Mendelssohn, ce nest pas avant la tin du XIXe sicle que le Kant mtaphysicien sera
reconnu comme tel. Contemporain de Heidegger, Max Wundt travaillait lui aussi dans les annes 1920 la
reconnaissance dc la mtaphysique kantienne (Kant ais Metaphysiker, 1924). Sur ces questions, Leo Freu]er, toc.
cit., 372-373.
2. Un passage des Proigomnes comment par Freuler (ioc. cit., 378-379) est cet gard trs loquent : Que
lesprit de lhomme renonce un jour compltement aux recherches mtaphysiques, on ne peut pas plus sy
attendre qu nous voir un jour suspendre notre respiration pour ne pas toujours respirer un air impur. Il y aura
donc toujours au monde, et qui plus est, en totit homme, surtout sil rflchit, une mtaphysique, que chacun, en
labsence dun talon connu de tous, se taillera sa guise (/1k. IV, 367).
3. Lintroduction la Critique de ta raison pure lexpose clairement : Cette espce de comiaissance peut en un certain
sens tre regarde comme donne, et la mtaphysique est relle, sans doute pas comme science, mais bien comme
disposition naturelle (metapIysica naturaiis) (B 21). Voir aussi, dans les Protegoanes: Si on peut dire quune
science est relle tout le moins dans lide de tous les hommes, ds quil est tabli que les problmes qui y
acheminent sont poss chacun par la nature de la raison humaine et du mme coup ne cessent invitablement de
donner lieu des essais de solution nombreux encore que dfectueux, il faudra quon dise aussi que la
mtaphysique est relle de faon subjective (et vrai dire ncessaire) et ds lors cest donc bon droit que nous
demandons comment elle est (objectivement) possible ? (/1k. IV, 40, 327, note).
4. Selon lexpression dArthur Schopenhauer (Sdmtiiche Werke, 1976, Bd. lI, 207).
94
nature de lhomme. Elle nest ni une branche de la philosophie dcole, ni un champ ouvert
des spculations sans frein elle est tvnementfondamentat [qui advient] dans te Dasein lui -mIme et
publication de Sein unit Zeit et stablit en parallle avec un travail soutenu sur la Critique de la
raison pure de Kant. Comme nous lavons indiqu, le point commun des entreprises
de la nature humaine mme, cest--dire de sappuyer sur ce que chacun deux conoit comme
lessence mtaphjisique de lxistence humain?. Dans le cas de Heidegger, si lon peut affirmer que le
Dasein est dessence mtaphysique, cest parce que tous ses comportements sont prcds et ainsi
Dans la mesure o Heidegger soutient que cest de la nature mme du Dasein comprise
1. 1127v1?, 121-122; tr. Ouestions I et II (Henry Corbin), 71; Heidegger-L[-Ienie (Roger Munier), 56. Nous
reprenons ici le texte original de 1929: Die Metaphysik geh6rt zur Natur des Menschen. Sie st weder ein
Fach der Schulphilosopbie, noch ein feld wiilkiirlicher Einfiille sic ist das Gruncgcschehen im und ais Dasein setbst
(Bonn, Cohen, 1929, 28). Dans ldition actuelle des IVegmarken, le texte s t lgrement modifie: Die
Metaphysik gehrt zur Natur des Menschen. Sic ist weder cm Fach der Schuiphilosophie, noch ein Feld
willkiirlicher Einflle. Die Metaphysik ist das Grundgeschchen tin Dasein. Sie lst das Dasein selbst . Nous ne
pouvons manquer de souligner les ressemblances entre ce texte et une phrase tire du discours que Heidegger
pronona pour le soixante-dixime anniversaire de Husserl: La philosophie nest donc pas une doctrine, ni un
simple schme en vue de lorientation dans le monde, ni surtout un instrument ou loeuvre du Dusein humain, mais
bien celui-ci mime [sc. le DaseinJ, dans la mesure o il advient dans la libert et partir de son fondement)> (<t Edmund
Hussert riim siebenrz,gsten Geburtsta,g , G 16, 59).
2. Heidegger commente la dmarche kantienne dans son cours de lt 1930 sur lessence de la libert
humaine: n Dans quelle mesure ces questions Icelles de la metup,ysica speciahi] se fondent-elles dans la nature
humaine en gnral? Comment Kant prouve-t-il cette affirmation? Comment peut-elle ltre? Rponse: tout
simplement par un renvoi la nature humaine elle-mme. Si inconfortable que soit cette circonstance pour
linterprtation de Kant hier et aujourdhui, aucun artifice interprtatif ne saurait vacuer, ou mme seulement
attnuer, la signification de ce fait fondamental: mme la fondation, la justification de la mtaphysique
proprement dite nest rien dautre quun retour la nature humaine (GA 31, 205). Heidegger reconnat dans la
suite quune ide dtermine de lhomme (<t la conception chrtienne de lhomme ) prside linstauration
kantienne des fondements de la mtaphysique proprement dite, de la metaplysica specialis. Cest dans ce contexte
que Heidegger expose pour la dernire fois lide dune n mtaphysique du Dasein , dune mtaphysique qui
russisse stablir sans un tel prsuppos et mettre en relief toutes les difficults de problmatisation que
recle la nature humaine (ibid., 206).
95
Cest ainsi que, comme Kant, Heidegger tente de montrer que la mtaphysique est non
seulement un <t penchant mais bien une contrainte impose t lhomme par sa propre nature, un
besoin propre de sa raison. Dans une formulation encore plus forte: la mtaphysique <t est
tevnementJindamentat [qui advient] dans k Dasein lui-mme et qui advient] comme Dasein 2 La
mtaphysique nest donc pas seulement pense comme quelque chose de conforme ou de non
questionnement sur ltant comme tel et dans son ensemble) et son attention porte au primat
moderne accord lhomme. Ce trait moderne rapparat donc dans la mtaphysique du Dasein
Dasein . Cest en abordant la nature mtaphysique du Dasein que nous parviendrons mieux
cerner le rapport quil entretient avec ttnement mtapbjsique (voir fra, <t Lunit de la
lunit de la mtaphysique. Comme nous lavons mentionn plus tt, ce problme est
cette thse . partir de ses premires esquisses dans les annes 1920 et ainsi mettre en lumire le
rapport que peut entretenir la mtaphysique du Dasein avec lonto-thologie, nous allons ici
Chapitre II
tradition occidentale ta simplicit dun probtme fondamental celui de ltre , problme que la
philosophie naurait elle-mme, dans le cours de son histoire, qu peine pressenti. Avec tout cc
lessence et lexistence de ltant, octroyant tacitement, chacun de ses stades, une signification
ltre de ltant. Heidegger ne sest donc pas content dindiquer cela que la philosophie omet, il
dune faon toute particulire : en abordant lessence de ltant partir de lexistence dun tant
suprme dont la faon dtre servirait darchtype pour lessence de tout tant. Cest ce que
1. Rappelons que le concept donto-tholog-ie constitue aujourdhui un outil philosophique que les historiens
de la philosophie nhsitent pas employer, quitte le crinquer. Nous pensons bien entendu aux travaux de Jean-
Lue Marion sur Descartes et sur Thomas dAquin (Sur k peisme mtupysique de Descartes; Saint Thomas et lonto
thologie , Revue thomiste, 1995/95) et louvrage de Jean-Franois Courtine sur Surez (Suare et le ystme de la
?ntaplsique, Paris, PuE, 1990), mais aussi ceux dOlivier Bouinois (o Quand commence Iontothologie?
Anstote, Thomas dAquin et Dans Scot , Revue thomiste, 1995/95; Heidegger, lontothologie et les structures
98
La formulation de cette thse bien connue selon laquelle toute pense mtaphysique
est constitue onto-tho/ogiquternent possde sa propre histoire. La publication des cours donns
dans les annes 1920 permet aujourdhui de nous faire une ide prcise des diffrentes
transformations qua pu subir cette thse, non pas tant dans son contenu qui varie trs peu
que dans le rle quelle joue lintrieur mme de la pense heideggrienne. Comme nous
tenterons de le faire valoir ici, le concept donto-thologie est sans doute celui qui se rvle tre
le plus fcond pour ce qui est de caractriser le rapport complexe que Heidegger a entretenu
avec la tradition mtaphysique eu gard son histoire, bien sr, mais aussi sa possibilit.
Nous commencerons par prsenter une dfinition prcise de la thse en nous servant
principalement des textes des annes 1940 o est expose la formulation canonique du
concept. Cette dfinition nous aidera ensuite retracer, mme le coptis heideggtien, les
1930/31. En abordant la gense de cette thse partir des cours des annes 1920, nous serons
textes tardifs, comme une structure propre cette pense mtaphysique quil sagit de dpasser,
nous verrons quelle possde un statut bien diffrent lpoque de la mtaphysique du Dasein.
mdivales de la mtaphysique , dans Constantino Esposito et Pasqu2le Porro (d.), Heidegger e i medietali.
Ouaestio: tti dcl Coioquio Inteniaionak, cassi,:o 10/13 rnaggio 2000, Bari, 2001), de Jean-Christophe Bardout
(ivlalebrunche et la nitaphjsiqri, Paris, pUj, 1 999) et de Vincent Carraud (Causa site ratio. La raison de la cause. de Sudrr
leibni, Paris, Pui, 2002).
99
Comme on le sait, ce fut Kant qui, dans la Critique de la raison pure (A 632/B 660), a
employ pour la premire fois le terme ontothologie (Ontotheoto<giej1. Bien quil soit peu
plausible quil ait ignor lexistence du terme chez Kant, Heidegger na jamais reconnu la
paternit kantienne de ce concept quil emploie dans un sens radicalement autre. Lusage que
fait Kant du terme sinsre dans ce dbat quil a men depuis sa priode prcntique avec les
Classifiant les diffrents types de thologie suivant la faon dont elles semploient dmontrer
transcendantale qui croit connatre lexistence de ltre originaire par simples concepts, sans
recours lexpriencc preuve dont Kant a dmontr limpossibilit plus tt (Cf A 592/B
620 sq.).
revendique par certains auteurs qui ont parl dontothotqgie indpendamment de Heidegger2.
Chez Heidegger, par contre, lonto-thotogie ne constitue pas un type de thologie, mais bien une
1. On notera au passage que cette orthographe du mot, sans tiret, diffre de celle de Heidegger qui lui prfre
onto-thologie ou encore onto-tho-logie .
2. Nous pensons ici Dieter Heinrich qui parlait de lontothologie dans la mtaphysique moderne (Der
ontoteqtsche Gotiesbeweis, Tiibingen, Mohr, 1960) et, sa suite, Xavier TiRette ( Largument ontologique et lhistoire
de lontothologie , rchiyes de Philosophie, 1962/25). Cest aussi dans ce sens quArthur Schopenhauer a parl
dune proposition ontothologique de Descartes , celle sur laquelle il appuie son argument ontologique (Uher die
vierfache 1VureI des Sates vom iureichenden Grunde, 8, Smtliche lVerke, CottaInsel, Smttgart/Frankfurt a. M., 1962,
Bd. 111 : Kleinere Schnften, 26).
100
terme nimporte donc que trs peu. Ce qui est dcisif, cest de voir quau-del dune certaine
Cest dans lintroduction ajoute i la confrence W/as ist Metaphjsik ? que Heidegger a
employ pour la premire fois, dans une publication, le terme onto-thologie. Ce texte donne
suite aux dveloppements que la thse reut au cours des annes 1940 dans le cadre des
travaux mens sur Nietzsche2 et sur Regel3. Le texte Die onto-theo-to,gische Veifassung der
Metapl/ysik (1957) reprendra quelques annes plus tard ces dveloppements en tentant de
penser partir dune telle structure lentre du Dieu chrtien dans la philosophie dorigine
grecque. Cest en prenant les textes des annes 1940 comme rfrence que nous tenterons tout
dabord de cerner les traits essentiels de cette constitution de la mtaphysique. Comme nous le
verrons plus loin, les textes des annes 1930 nemploient que trs rarement lexpression, lui
En substance, la thse dit ceci: <(La mtaphysique dit ce quest ltant en tant qutant.
mtaphysique reprsente dune double manire ltantit de ltant: dabord la totalit dc ltant
comme tel, au sens de ses traits les plus gnraux (6v icaO6?oi, iotv6v) mais, en mme
temps, la totalit de ltant comme tel au sens de ltant le plus haut et, partant, divin (6v
4. Les textes connus aujourdhui des Beitr4ge ur Philosophie (Vom Erergnis) (GA 65) et de Besinnun.g (GA 66) sont
trs prolixes pour ce qui est de lessence de la mtaphysique mais nemploient que de faon anecdotique
lexpression <t onto-thologie . Ces textes de la fin des annes 1930 et certains du dbut des annes 1940
emploient des formulations gnralement plus complexes pour caractriser lessence de la mtaphysique. Voir, par
exemple, Die Zeit des Wettbildes (1938, GA 5, 104 sq. ; tr. Chemins qui ne mnent nulle part, 135 sq.), Der europiiische
Nihitismus (1940, GA 6.2, 120 sq. et 149 sq. ; tr. 111 sq. et 136 sq.) et Nietctsches Metaphjsik (194f /42, GA 50,3 sq.).
101
.
KaO6o1), Kproeuov, OEiov) La mtaphysique a donc un thme unique (la totalit de
ltant, v iuOo1.)) quelle aborde chaque fois et toutes les poques suivant deux
snonce de faon double: Quest-ce que ltant? snonce dune part: quest-ce que (en
gnral) ltant? et dautre part elle snonce: quest-ce que (lequel) est (absolument)
ltant ? 2
Il faut voir dans lunit de la question mtaphysique un signe de ce que ltant nest
pas interrog dans ces deux optiques de faon successive, mais bien de faon simultane. La
mtaphysique nest pas tout dabord ontologique, puis thologique, ou encore, thologique, puis
au sens dun doublet (Zwitfalt) et non dun <t et >, dune addition3. Afin de bien comprendre
lexpression unitaire onto-thologie , il faut donc insister sur lindivisibilit du concept, sur sa
philosophie peut se scinder en physique, logique et thique. Elle est, par essence, le
Cette unit du double pli de la mtaphysique, il faut la penser dans sa circularit. Les
deux ordres de question (ontologique, thologique) ne font pas que survenir simultanment, ils
sont aussi dpendants lun de lautre et se co-dtermincnt. La question portant sur les traits les
plus gnraux de ltant (question sur ltre de ltant) dtermine ce qui pour la mtaphysique
vaut comme tant. Cette dfinition de ce qui est sapplique ltant en entier, tout ce qui est,
incluant ltant qui occupe le premier rang dans le domaine de ltant tant suprme, ens
summum, OE. Or, en rgime mtaphysique, cet tant suprme ne fait pas quoccuper le
premier rang: dans la mesure ou sa faon dtre est dterminante pour ltre de tout tant, il
producteur qui tablit lunit de ltant, dterminant du mme coup ltre de ltant.
lontologie noccupe de fait le premier rang, chacune tant fondement de lautre: Ltre
comme fond fonde ltant, mais ltant de son ct fonde sa manire ltre et le cause. Ltant
ne le peut, toutefois, que pour autant quil est la plnitude de ltre: ltant maximum .
Celui qui cherche un fondement ultime pour la mtaphysique ne manquera pas dtre du: la
fondation dune telle science est par essence circulaire. Bien que lon ait pu rcemment
Enfin, un troisime trait dterminant et qui, en quelque sorte, effectue la synthse des
deux premiers moments que sont la simultanit et la circularit pour ce qui est de la notion
dontoffiologie est son caractre de structure. En ce sens, la mtaphysique nest pas seulement
1. Ideutitiit und Denn [abrg I. u. D.], Pfullingen, Neske, 1957, 64; ix. par Andr Prau, Questions let II, 303.
2. Dans son article Saint Thomas dAqum et lontotho-logie ,Jean-Luc Marion caractrise lonto-thologie
selon une triple relation de fondation t Dans sa constitution onto-tho-logique, une mtaphysique sorganise
selon les multiples sens dune unique fondation; car cest bien daprs la fondation que sen dfinissent les deux
termes soit la fondation conceptuelle (Gt7mndung) des tants dans ltre, soit la fondation causale et selon la raison
suffisante (Begriindung) des tants par un tant par excellence. (...) Mais il y a sans doute ici place non seulement
pour un redoublement de la seconde fondation comme le suggre Heidegger mais bien pour une troisime
fondation de plein droit: celle non plus seulement des autres tants mais bien de ltre mme (et de sa fondation
conceptuelle) par ltant suprme (et sa fondation efficiente) (3435). Cette lecture particulire de lonto
thologie sinspire des rsultats de ltude Sur le prisme mtap/ysique de Descartes dans laquelle Marion montre que la
pense cartsienne ne peut tre rduite une seule onto-thologie mais quelle est bien plutt constitue par deux
figures de lonto-thologie (celle de la cgitatio et celle de la causa) dont la seconde est fondement de la premire. Il
resterait dterminer si ce schma se retrouve ailleurs que chez Descartes ou si celui-ci ne caractrise pas plutt
uniquement cette pense dexception qui constitue la transition entre deux res mtaphysiques. Notons enfin que
dans un texte un peu plus rcent, Marion prfre insister sur la simultanit des deux fondations (s Le principe
universel fonde la cause, qui, en retour, se fonde en 1m chacun ne fonde quen se laissant fonder. ), se
rapprochant alors de la suggestion proprement heideggrienne (s La science tougiurs recherche... o, 29).
103
unique a t dploye dans le cours de lhistoire suivant une structure qui na jamais et
occidentale, lonto-thologie serait le cadre lintrieur duquel la pense sest dveloppe. Une
telle thse refuse la pense mtaphysique toute capacit de transgression, cest--dire toute
heideggrien de cette thse portant sur lessence de la pense occidentale, nous allons nous
guider sur trois traits essentiels de la thse heideggnenne: (1) la simultanit: la mtaphysique
pense ltant en mme temps selon sa gnralit et sa primaut; (2) la circularit: une dtermination
de ltre de ltant implique toujours lindication dun tant modle qui sert de fondement
ltre de ltant; ou, linverse: la dtermination dun tant modle donne la mesure tout
tant et se tient ainsi au fondement de la dtermination de ltre de ltant qui, son tour,
lgitime la primaut de ltant modle et (3) la structure: la pense mtaphysique obit une
1. La confrence de 1957, Die ontotheologische Veifassun& der MetapIysik, parlait dune constitution (E assu.j
mais aussi dune structure (Struktur) de la mtaphysique (I. u. D., 47; tr. 291) ; on retrouve les expressions
cadre (Rahmen, Rrihmenbau) dans lEinteitung in die Philosophie de lhiver 1928/29 (GA 27, 249 et 389) ; enfin, le
texte Mein We,g in die Phiinomenolo,gie parlait d armature (Bau<gflge) (ZSD, 82 ; tr. f2uestions III et IV 327).
104
Aprs avoir expos les lments constitutifs de ladite thse, nous souhaitons aborder la
question des sources de lonto-thologic. Bien que le.pression napparaisse quavec le cours
de lhiver 1930/31 sur la Phnomnoto,gie de /ciprit de Hegel, lide comme telle dune constitution
remonter au cours de lhiver 1924/25 sur le Sophiste de Platon (GA 19) la premire laboration
de cette ide. Comme lont montr des tudes rcentes, il semble que ce soit la lecture de
louvrage bien connu de Wemer Jaeger, Aristoteles. Grundtegung einer Geschichte semer Entwicktung
(Berlin, 1923), qui ait forc Heidegger prendre position dans le dbat sur lunit de la
Mtaphjsique dAristote et voquer pour la premire fois cette tension propre toute pense
philosophique. Comme nous le verrons ici, les questions qui surgissent de ce dbat contiennent
Mais si lon suit le rcit autobiographique du texte Mcii, Weg in die Phdnomenologie (1963),
la question portant sur la tension entre ontologie et thologie aurait t prsente depuis les
annes de formation: Jassistais encore un cours de thologie dans les annes qui suivirent
1911, au cours de dogmatique de Cari Braig prcisment. (...) Cest par 1m que jentendis parler
pour la premire fois, lors de quelques promenades, au cours desquelles il me fut donn de
opposition la doctrine scolastique. Cest ainsi que la tension entre ontoto,gie et t/olo,gie ipculative
2. Comme nous lavons vu, Heidegger naborde de plein front la question de lessence de la mtaphjsique qu
partir du cours de lhiver 1927/28 o il pose pour la premire fois ta question: Quest-ce que la
mtaphysique? (GA 25, Il).
105
lai-mature de la mtaphysique (das Baug/ge der Metaphjsik) fait rfrence cela est
souhaite ici souligner que cette tension entre lontologie et la thologie lui serait apparue au
Or, sil est tout fait vraisemblable que Heidegger ait rencontr dans un cours de
nanmoins en conclure quil avait dj en main une telle conceptualit. Il est en effet important
thologie. Cette thse ne se contente en effet pas de rendre manifeste cette tension interne la
pense dAristote et laristotlisme, mais cherche bien plutt dcouvrir une rgle gnrale
Les textes aujourdhui disponibles nous permettent de constater que les lments
Heidegger, avant le milieu des annes 1920, dans un dbat avec lexplication gntico-volutive
de la Mtaphysique faite par Jaeger. Invoquant une volution de la pense aristotlicienne qui
permet une nouvelle fois loeuvre dAristote de recouvrer une certaine unit une unit
volutive , cette fois. Cette interprtation que Heidegger remettra en question dans son
cours sur le Sophiste met lhypothse dune transformation de la pense aristotlicienne qui,
dune thologie platonisante, voluerait vers une ontologie de la substance qui prend ses
Le cours sur le Sophiste de Platon souvre sur un hommage Paul Natorp (mort la
mme anne 1924) dont Heidegger sinspirera sans doute dans son interprtation des apones
de la Mtaphysique dAristote. Selon Natorp1 qui rompait avec toute tentative dinterprtation
elles distinctes et incompatibles lune portant sur la substance sensible (livres Z, H et G),
lautre sur la substance suprasensible (livres M, N et A). Lessai de rconciliation des deux
recherches (K 1-8 et les deux dernires phrases de E 1) serait donc inauthentique, voire loeuvre
dun disciple maladroit2. Face une telle interprtation de louvrage dAnstote, Jaeger prsente
dans son livre de 1923 une nouvelle manire d unifier la Mtaphysique dAristote. Mais celui-
solution qui limine la contradiction en montrant quelle est le rsultat de la juxtaposition, dans
Spzitmetaphysik.
Cette solution ne satisfait aucunement Heidegger qui voit dans les contradictions
internes au travail dAristote un combat de la pense avec elle-mme, avec sa propre essence3.
1. Thema und Disposition der anstoteischen Metaphysik , Philosophische Monatshfte, 1888/24, 37-65 et 540-
574. Voir, pour le commentaire, Endco Bern, La metafisica di Aristotele... s, 264 et jean-franois Courtine,
Mtaphysique et ontothologie , 142-145.
2. Pierre Aubenque, Le problme de ttre cheAristote, Pans, PUF, 1962, 40.
3. Notons que dans les cours antrieurs ii celui sur le Sophiste, Heidegger se rfre quelques reprises aux
textes de jaeger et ce, sans jamais le critiquer. Dans les premires pages du cours sur Aristote de lt 1924,
Heidegger recommande mme ses lves la lecture de lAristotees de Jaeger (Grwndbegnffl der aristote/ischen
Philosophie, GA 18, 4). Dans ce mme cours, Heidegger penche en faveur de linterprtation de Jaeger et contre
celle de Natorp quant lauthenticit du livre K (ibid., 323). Dans le cours sur le Sophiste de Platon, tout semble
sinverser: un hommage est rendu Natorp et la critique tombe lourdement sur louvrage dc ]aeger.
107
(ptXoao(pia est universelle parce que premire (1026 a 30) ne donnerait que lapparence
dune solution un problme qui demeure en ralit irrsolu. Ce nest pas le lieu ici de
possible solution au problme. Ce qui nous intresse, cest plutt de montrer comment la prise
lonto-thologie.
contenues dans la Mtaphjisique dAristote est tout dabord prsente dans le cours de lhiver
caractrise, comme la science originaire de ltant, se recoupe chez lui avec une autre science
Or et cest sans doute ici quil innove le plus par rapport aux autres interprtations de
Mtaphjisique dAristote et aux philosophies qui sen inspirent, mais quil sest maintenu dans
tait dj prsent chez Platon4. Afin de bien comprendre lopposition ou la division qui rgne
au sein de la mtaphysique dAristote, Heidegger propose tout dabord de bien dfinir ce que
1. GA 19, 221.
2. fbia
3. Nanmoins, Heidegger rserve gnralement le terme icpdr1 oaopixr pour nommer la problmatique
ontologique et celui de 9eoXoytid arin1 pour laspect proprement thologique de la pense aristotlicienne.
4. De ce ddoublement, on peut suivre la trace au Moyen Age et jusque dans lontologie moderne . Puis,
plus bas : Pourquoi la science et la philosophie grecques en sont-elles arrives ces deux sciences
fondamentales ? Chez Platon elles sont encore tout fait promisciie; elles sont chez 1w encore beaucoup moins
lucides que chez Aristote pourtant, Platon se meut en ralit dj dans ces deux dimensions (GA 19, 222).
108
daccomplir. Dune part, la OEooyuci aurait comme vise llucidation de ltant dans son
ensemble (des Scienden im Ganen), du >.ov1. Cette lucidation prendrait la forme, dans la
ivltaphjsique dAristote, dune mise en lumire dont loptique nest aucunement religieuse
comme la prsence (Anwesenheit) la plus propre et la plus leve2. De lautre, lontologie3 aurait
pour thme ltant pour autant quil est prsent dans toutes ses dterminations , sans gard,
donc, sa particularit. Dans une note marginale ajoute plus tard, Heidegger souligne que les
vocabulaire heideggrien vers la fin des annes 1920 et qui servira caractriser la doubte nature
de la mtaphysique Ltant dans son ensemble. Ltant comme tel (Das Seiende im Ganen.
Das Seiende ais sotches)5. La mtaphysique titre que Heidegger, rappelons-le, ne donne pas
distinctes : elle interroge, dune part, ltant dans son ensemble (2ov) partir de ltant le plus
haut (rtjurarov yvo) et, de lautre, les dterminations de ltant en tant qutant.
Heidegger envisage ainsi ces deux modes de questionnement comme les deux dimensions
originaires de la mditation portant sur ltre , rejetant par l lide quelles pourraient
systeme aristotlicien.
Enfin, pour bien manifester quil a dj reconnu les trois axes propres au
1. Ibid.
2. ((La thologie a pour tche dlucider, dans ses origines, en ce par quoi il est ventat)lement, ltant comme
ensemble, le ov, ltant du monde, la nawre, le ciel et, pour le dire rapidement, tout ce qui est sous le ciel.
Remarquons que cette lucidation de ltant dans son ensemble de la nature
par le recours au moteur
immobile, na tien voir avec une preuve de lexistence de Dieu sur la base dune dduction causale (ibid.).
3. Heidegger parle d ((ontologie)> mme sil sagit bien entendu dun anachronisme.
4. GA 19, 223.
5. Ibid. Ce nest guavec le cours de lhiver 1928/29 que ces concepts stablissent fermement dans le
vocabulaire heideggrien.
6. IbiJ
109
dernire instance, sur le Xyo ou, pour le dire de manire plus prcise, elle est ainsi oriente
parce que son thme est ltant dans la mesure o il est v ?p.Evov, donc ltant abord
Nous retrouvons ici semble-t-il tous les lments qui caractriseront la thse de la
selon la caractrisation que nous avons faite plus tt de la thse heideggnenne simultanit,
circutarit et structure , manque encore ici cette rflexion particulire sur la relation
Phitosophie (GA 22), Heidegger reprend, pour les complter, les dveloppements du cours sur le
En prenant pour modle la recherche mene par Aristote au livre A de la Mtap/ysique o est
thmatis, Ipl, mais qui est chaque fois prsent , Heidegger prsente chacun des
1. IbieL
2. Dans cette tude dj cite, Jean-Luc Marion remarque avec justesse: La puissante originalit de la thse
dune constinnion onto-tho-logique ne tient pas la distinction dans la mtaphysique dune ontologie et dune
thologie (le schma scolaire metaphjsica generatis/metaplyszca spe2alis y suffit largement), mais lexplication de leur
articulation mutuelle (e La science toujours recherche... , 29).
3. Le cours de lt 1926 va de Thals Aristote, Je cours de lhiver 1926/27 (Geschichte der Philosophie toii
Thomas von Aqtdn bis Kant, GA 23, indit) devrait continuer la prsentation jusqu Kant. Conurientant ces deux
cours, Heidegger crivait dans Die Gntndproblerne der PMnomenologie: On peut dailleurs montrer historiquement
que toutes les grandes philosophies depuis lAntiquit se comprennent en ralit plus ou moins explicitemeri
comme ontologie, et que cest en tant que telles quelles ont t recherches. Ivlais on peut galement montrer que
ces tentatives ont toujours chou nouveau, et pourquoi elles ont d chouer ainsi. Dans mes cours des deux
prcdents semestres sur La philosophie antique et Lhistoire de la philosophie de saint Thomas Kant, jen
ai fourni la dmonstration historique (G 24, 16).
110
philosophes de cette histoire en tentant dc montrer ce quils ont pens tacitement au sujet de
i crie.
directe que les quelques indications donnes dans le cours sur le Sophiste. La science
fondamentale chez Aristote, la philosophie premire, est ici apprhende non pas tant en ce
quelle est doublement oriente mais surtout en ce que ces deux orientations se coordonnent
en une circularit caractristique de la rflexion sur ltant en tant qutant . Aborder ltant
en tant qutant, cela peut tout dabord vouloir dire mettre au jour ltant qui satisfait le plus
2
adquatement lide dtre , ltant originaire dont provient ltant driv Mais cela peut
aussi signifier interroger ltre de ltant en gnral, pas seulement de ltant proprement dit
.
(egenttich), mais aussi de ltant driv quant son tre La philosophie qui a pour tche de
rpondre la question portant sur ltant en tant qutant est donc la fois thologie, science
de ltant vritable et le plus haut, et ontologie, science de ltre et ce, non pas
successivement mais bien en mme temps. Cest en effet du mme coup que sont poses la
question portant sur ltre de ltant et celle de savoir en quel tant satteste le plus purement
ltre proprement dit . Et la simultanit de ces deux questions nest pas quelque chose de
contingent, mais bien une ncessit du problme en question: ce nest qu mme ltant le
plus propre que peut tre obtenue lide de ltre et ce nest qu partir dune ide dtermine
1. Cette mthode est certains gards comparable celle quemploie Platon dans le Sophiste (245 e sq.). Dans
ce dialogue, Platon dgage du combat de gants ( vtotccicx) que se livrent les amis des formes et les fils
de la terre un concept minimal de ltre ( la puissance dagir ou de ptir >, &vajn roi3 xoi.ev icai ro
7t&aXerv) qui, sans avoir t explicitement thmatis par lune ou lautre des parties, peut servir les caractriser
toutes deux.
2. GA 22, 286.
3. Ibid.
4. Ibid., 307.
5. Ibid.
6. Ibid., 180 et 307.
lii
mtaphysique ddoubl, cest encore une fois pour prendre position par rapport ]aeger.
Contre toute tentative de solution volutive (Jaeger) ou philosophique (la pure fictioc de
mais non incomprhensible. Lide de ltre que b itpmi pt2oaopI.a dans son versant
ontologique prtend aborder ne se donne jamais pour soi, mais seulement partir dun tant
dtermin quil est donn une deuxime science la Oeo?oyucr ittcutii dtudier. La
nest pas le problme dun penseur particulier ou dune poque particulire, mais bien le
problme le plus profond de toute la tradition mtaphysique. Le fait que cette tension entre
ontologie et thologie ne se retrouve pas seulement chez Aristote mais aussi au Moyen Age,
chez Kant et chez Hegel3 vient appuyer lide heideggrienne scion laquelle toute la
ce non pour avoir suivi aveuglment Aristote, mais bien comme le rsultat dune ncessit de la
pense philosophique elle-mme. La thse audacieuse que dploie ici Heidegger considre
donc la pense dAristote non pas comme lorigine de la problmatique onto-thologique mais
pbilosophiquc.
Dans le cours de lt 1927, Die Gmndprobleme de,- Phdnomenologie, cest dailleurs partir
de cette tension que Heidegger pense lessence de la mtaphysique4. Prenant Kant comme
exemple, Heidegger soudent que ce nest pas un hasard si cest en interrogeant la cognoscibffit
1. Ibid., 146.
2. Ibid
3. Ibii, 261. Pour ce qui est de Kant, voir GA 24, 37-38.
4. La prsence constante dans ces cours de tide inexprime comme telle de la constitution onto
thologique de la pense philosophiqu e nous laisse croire que le cours de lhiver 1926/27 (GA 23) prsentera
lecture t)nt-tho/oiqlre de ta philosophie depuis Thomas dAquin iusqu Kant.
112
de lexistence de ltant suprme quil en vient noncer sa thse sur ttre. Cette orientation de la
science de ltre sur ltant divin est tellement lie lhistoire de lontologie que dj Aristote
.
nommait OEooyia la rpdnr ptoocpic la philosophie premire Ici se manifeste ce trait
singulier, sur lequel nous butons toujours nouveau en philosophie, avant Kant, mais aussi
dans la philosophie post-kantienne, et surtout chez Regel, que le problme de ltre en gnral
dmonstration de son existence 2. Nous voyons clairement que ds cette poque, Heidegger
retrouve aussi dans la philosophie scolastique4, chez Kant et dans la pbilosophie post
nest comme telle pose qu partir de lhiver 1927/28 dans La Phdzornenotqgische Interpretation von
Kants Kritik der reinen Vernunfi. Ce cours souvre en effet sur cette question fondamentale qui
deviendra bientt le titre dune des confrences les plus connues de Heidegger: Quest-ce
loeuvre dAristote et reprend des thmes dj dploys dans les cours analyss plus haut. Aprs
contenu: dabord il y est demand (...) quel est le fondement ultime de ltant, et Anstote
dsigne cette interrogation comme question de la thologie ; dautre part, il sy trouve des essais
qui prennent pour objet de recherche le tout de ltant comme tel pour autant quil est tant, et
cette discipline qui senquiert dc ltant en tant qutant, de la signification de ltre de ltant
1. G 24, 38.
2. Ibid., 38-39.
3. Ibid., 111.
4. Ibid., 3$.
113
.
est dsigne comme 7tpd)rr pi)oaopi, philosophie premire Les deux sciences ici
voques thologie et ontologie ont ceci de particulier quelles constituent chacune une
faon de dpasser ltant donn dans lexprience: vers la totalit du monde et son fondement
Dans les cours qui vont suivre, Heidegger va souligner avec toujours plus de prcision
philosophique qui vise la fois tta,it dans son ensemble en egard sonfondement (thologie) et ttant
en tant qntant (ontologie). Cest en effet ainsi que Fleidegger caractrise la mtaphysique
traditionnelle dans tons les cours qui constituent le coipus de la mtaphysique du Dasei,?. Or,
comme il a t soulign plus tt, lune des caractristiques fondamentales du concept donto
thologie est quil voque une structure de la pense mtaphysique. Selon cette thse en effet, la
daborder de plein front la vraie question fondamentale, celle de ltre. Cet lment de
,generalis et nieta-phjsica .qecialis, Heidegger explique que cette division est en son essence
ltant comme tel dans son ensemble . Pour parler de cette orientation de la mtaphysique,
Heidegger parle dsormais de cadre (Rahmenban). Se profrle lhorizon ce dont nous avons
mtaphysique une stnictun, un cadre au sein duquel elle doit se dvelopper et auquel elle doit
toujours sajuster : Les problmes sont coincs teingewdigt,) dans cette systmatique ; ils ne
L GA 25, 11-12.
2. Voir, par exemple, GA 26, 33 ; GA 27, 245 GA 28, 25-26 et 126 GA 29/30, 65-66 tr. 74-75 et G/-1 31,
37-38.
3. GA 27, 249. Voir aussi HPAI, 18; tr. 19.
114
demeurent vivants que dans la mesure o ce cadre (Rarnen) leur donne de lespace, et ces
se donner un contenu constitue donc en mme temps sa prison, le joug qui la contraint et ne
lui permet quune marge de manoeuvre relative. Mais ce cadre ne sest pas impos
(Gtiederun<g der Metaphjisik) peut nous permettre de dcouvrir des indications quant au lieu o
reprsente selon lui que les restes dgnrs de cette problmatique, il est possible de
remonter le temps et de tenter une incursion dans cette problmatique partir de la structure
ainsi reconnue.
A la fin des annes 1920 et au dbut des annes 1930, Heidegger caractrise donc dj
la mtaphysique selon cette formule brve: connaissance fondamentale de ltant comme tel
cest--dire portant sur ltant dans son ensemble sest oriente presque ds le dpart sur ce
qui, au sein de ltant, est le plus manifeste et sert de fondement au tout de ltant.
linterrogation sur ltant compris comme ensemble (&?>ov). Bien quAristote ait 1m-mme
monde partir du premier moteur, il y aurait dans loeuvre du Stagirite une rflexion sur ltant
dans son ensemble, sur le monde, qui soit autonome de ces questions sur ltant le plus haut4.
1. GA 27, 389.
2. Ibtd., 389, note 2.
3. KPM, 8; tr. 68. Voir aussi, dans cet ouvrage, la caractrisation que Heidegger fait de la philosophie premire
aristotlicienne (220 ; tr. 277).
4. La question du prenuer moteur, chez Aristote, serait oriente sur une mise en lumire de ltant dans son
ensemble>) (G 22, 324-325 ; voir aussi 175 sq.). La rduction de la problmatique du premier moteur celle de
ltant suprasensible serait mie parfaite msmterpradon de ce qui, chez Aristote, est en tant que Oeov laiss au
moins comme problme (GA 29/30, 66 ; tr. 75).
115
questionnement sur ltant dans son ensemble en lorientant autrement que sur la recherche du
fondement de ltant. Selon Heidegger, souvrait dans la Mtapbjsiqroe dAristote cet espace pour
Mais avant daborder cette question de larticulation propre la mtaphysique du Dasein, nous
dans un cours consacr une interprtation des premires sections de la Phnomnolo,gie de leiprit
de Hegel. Mais daprs tout ce que lon vient de voir, il serait malais de soutenir que cest
tradition mtaphysique. Heidegger soutient en effet depuis le milieu des annes 1920 que la
philosophie est, dans toute son histoire, oriente la fois ontologiquement et thologiquement.
mtaphysique vers la thologie. Comme il lcrit dans le cours du semestre dt 1933, cest en
1. Voir, entre autres, CA 28, 24-26 ; KPM, 7 et 220 ; tr. 67 et 277 ; GA 29/30, 65-66 ; tr. 74-75.
116
tant que logique du Oe (Theo-Lo,gik) ou thologie absolue que la pense de Hegel
achve la mtaphysique occidentale2. Cest parce quil a cette mtaphysique hglienne en tte
que Heidegger peut affirmer: Linterprtation de ltre saisie spculativement et ainsi fonde
est ontoto,gie, mais de telle manire que ltant authentique est labsolu, 0E6. Cest it partir de son
tre que tout tant et que k 2.yo sont dtermins. Linterprtation spculative de ltre est onto
tho-/ogie. (...) Ce que nous voulons dire par lexpression ontothologie, cest que la
instance sur le qui est alors dj conu lui-mme logiquement logiquement au sens
de la pense spculative .
dfinition que Heidegger donne de la philosophie comme tension quitibre entre ontologie et
thologie, cest parce que h dfinition sapplique ici non pas lensemble de la tradition mais
bien la pense hglienne comprise comme logique du Gc. Il ne faudrait pas conclure pour
dsigne une interprtation de ltre comme Dieu . Heidegger souligne dailleurs luimme que
hglienne mais quelle sert indiquer lorientation la plus centrale du problme de ltre .
Dautres extraits du cours sur Hegel confirment que lonto-thologie constitue une
caractrisation de la philosophie dans son ensemble, chez Aristote et Platon, par exemple, mais
1. GA 28, 32.
2. Regels Metaphysik ist Theo-Logik uiid ais diese die Vollendung der abendhindischen Metaphysik (Die
Grundfruge der Philosophie, dans Sein und Wahrheit, GA 36/37, 70). Heidegger emploie aussi lexpression Theo
Legik dans les notes marginales ajoutes sa confrence Hegel rend das Probtem der Me1aplysik de 1930 (18, Anm. b
et 28, Anm. h; tr. 21 et 29).
3. GA 32, 141-142.
4. Olivier Bouinois, Heidegger, lontothologie et les structures mdivales de la mtaphysique , 380. Bien
que ce soit pour caractriser la pense hglienne quapparat pour la premire fois lexpression, on ne peut
soutenir quen 1930/31, le sens propre de lonto-tho-logie ne porte (...) pas sur lessence dc ia mtaphysique,
chez Anstote ou dans la totalit de lhistoire de la mtaphysique [et quil] se rsume en fait la question du lien
entre logique et divin (ibii, 383) ou encore, quil faille attendre 1949 et lEinkitutrg u lVas istMetapiysik ?, pour
que le concept donto-thologie reoi[ve] une extension universelle, dtache de son ancrage hglien)> (ibid.
384).
5. GA 32, 144.
117
aussi chez Descartes: Nous savons quAristote tablissait dj la connexion la plus troite
entre la philosophie au sens propre [ht irphri pt?oo(pia1 et la OEo2oytic1 ittorijn, sans
que nous soyons en mesure dobtenir par voie dinterprtation directe de rels aperus 5ur le
1
rapport qui unit la question de lv fl v et la question du Oov Et plus loin : La question
de l6 est onto-logique ds le coup denvoi grec, mais elle est en mme temps dj, comme il
fait en outre go-logique, lego ntant pas alors seulement central pour le logos, mais tout aussi
prpar dans la thologie chrtienne. La question de ltre est alors [.rc. chez Descartesi en son
tout onto-tho-ego-logique 2.
lensemble de la philosophie traditionnelle nest donc pas bris. Hegel constitue une exception
en tant quil achve la mtaphysique en la transformant en une logique du Oet. Comme lont
avant que napparaisse le concept. Lonto-thologie dsigne une tension constante dans toute
la gense dun concept qui joue un rle fondamental dans les recherches philosophiques
actuelles. Les diffrents visages de lonto-thologie qui sont ainsi dvoils permettent de saisir
Mtaphjsique dAristote, Heidegger aura dploy une vision profonde et originale du travail
philosophique et de ses tches venir. Maintenant que cette structure essentielle de toute
1. Ibid, 141-142.
2. Ibid., 183.
118
pense mtaphysique a t dtermine avec prcision, il nous importe de nous interroger sur le
contenu de cette mtaphysique sur laquelle nous prtendons jeter quelque lumire: la
quelques reprises que son entreprise mtaphysique devait tre comprise comme la
pleinement justifie. Mais avant dattaquer cette question, il nous semble important daborder
cette entreprise ontologique que Heidegger a prsente en 1927 sous le titre de Iontotqgie
fondarnentate. Dans la mesure o Sein und Zeit ne prtend pouvoir laborer la question de ltre
quen identifiant un tant insigne le Dasein , peut-on soutenir que lontologie fondamentale
Selon ce que soutient Sein und Zeit, lontologie traditionnelle naurait jamais russi
matriser, voire mme poser le problme de ltre. Lun des obstacles fondamentaux de cette
mise en question de ltre est, comme nous venons de le voir, lincapacit de le penser
autrement qu partir dun tant suprme qui fait figure de paradigme pour tout tant.
quencore une fois lontologie ne puisse viter de sappuyer sus une rflexion portant sur un
fondamentale est bien distinct de celui de la thologie pour la mtaphysique comprise comme
pour autant rpondre au problme de lontologie par llaboration dune recherche substitutive
dterminer ltant comme tant en sa provenance par le recours un autre tant ou, comme
Dans le cours de lt 1926 qui est contemporain de la rdaction de Sein und Zeit mais
sorte quelie ne vienne pas trouver son salut dans une considration portant sur un tant
invitablement un tant vritabte; la question est de savoir sil peut y avoir en tout tat de
cause une ontologie qui se construirait en quelque sorte de faon pure, sans sorienter sur un
tant minent, que celui-ci soit caractris comme premier moteur, premier Ciel, ou quoi que
ce soit dautre 2 Une premire tentative dlaborer une onto/ogie pure sera prsente en 1927
suivant: lvidence du concept dtre, du est que nous employons dans tous nos
1. S. z., 6 et Platon, Sophiste, 242 e. Dans son essai Quest-ce que lhomme ? , Alain Renaut considre que
Heidegger naurait pas tenu cette promesse lpoque de Sein im Zeit. Seul le Heidegger plus tardif aurait en fait
russi chapper cette thologisation de la philosophie en renonant faire du Dasein le centre de rfrence
pour le traitement de la question de ltre. Selon Renaut, non seulement Sein niai Zut reste-t-il souponnable
dtfe, structuralement parlant, mtaphysique , il ne parviendrait pas non plus penser ltre autrement qu partir
dun tant (n Quest-ce que lhomme? Essai sur le chemin de pense de Martin Heidegger , Man ana World,
1976/1, 11-13).
2. GA 22, 329-330.
1 2()
dans laquelle nous vivons. f< Que toujours dj nous vivions dans une comprhension de ltre
et quen mme temps le sens de ltre soit envelopp dans lobscurit, voil qui prouve la
Linvestigation ontologique que prsente Sei.t und Zeit trouve ainsi son point dc dpart
reconnatra que Keidegger stend peu sur la dmonstration de lexistence dune telle chose
quune comprhension a pnorz de ltre. Il affirme simplement que cette comprhension moyenne et
vague de ltre est rtirfait fein Faktum,) 2. Partant de ce fait , Heidegger considre que la tche de
lontologie est de tenter de percer lobscurit qui rgne sur cette intelligence vague de ltre,
cest--dire de rendre transparent le mode dtre de cet tant qui a entre autres la possibilit
La question du sens de ltre ne peut tre pose que si cet tant exemplaire quest le
Dasein est dtermin en son tre. Comme le constate Heidegger, il semble que cette entreprise ne
fasse que tourner en rond : Mais pareille entreprise ne se meut-elle point dans un cercle
manifeste ? Devoir dabord ncessairement dterminer un tant en son tre, puis, sur cette base,
vouloir poser seulement la question de ltre quest-ce dautre que tourner en rond ? Nest-ce
question doit apporter? . Cette circularit a-t-elle quelque parent avec celle qui a t mise en
vidence dans la section prcdente entre lontologie et la thologie ? Il faut en effet se poser la
question: le sens de ltre que Sein und Zeit cherche rendre transparent, Heidegger souhaite-t-
il le dchiffrer mme cet tant minent. quest le Dasein? En dautres mots: le Dasein est-il
1.5. u. Z.,4.
2. IbicL, 5. Voir aussi dans les Grundprobteme der PhdnomenoIogie: La prcdente discussion (...) nous a permis
de montrer, par des biais diffrents, que et comment la comprhension de ltre appartient au Dasein existant.
Nous nous sommes arrts devant ce fait celui dans lequel notis sommes savoir que nous comprenons ltre
,
cet eus summum partir duquel se dtermine le mode dtre de tout tant? Cest justement dans
Mme si lontologie fondamentale prend son point de dpart dans un tant dans
quelque chose dontique , elle le fait dune faon fondamentalement autre par rapport toute
lest car la possibilit de lontologie tout entire repose sur lui. Mais contrairement ltant
minent de lontologie traditionnelle, le Dasein nest pas davantage que les autres tants. On ne
peut en effet aucunement dire que le Dasein existe dune faon plus excellente que les autres
tants, comme sil sagissait dune question de degrs . Le Dasein nest pas davanta,ge, mais
bien dune faon compltement distincte de celle des autres tants : il existe. Il y a donc une
incommeusurabitit complte entre ltre du Dasein et celui des autres tants. Ainsi, le mode dtre
du Dasein ne peut jamais servir de mesure pour le reste dc ltant et ce, mme par anatqgie. Si,
dans la scolastique et jusque chez Descartes, Dieu et ltant ont tout de mme ceci de commun
que chacun, sa faon, existe comme substance cest--dire sans avoir besoin du concours
daucune autre chose (nutta atia re indzeat ad existendum,7 , il ne semble pas que ce soit le cas
sens , que par analogie , ltant intramondain lui aussi existe de telle faon s quil y va en son
tre de cet tre mme . Ltant quil soit matriel, animal, conceptuel, etc. nentretient
aucun rapport son propre tre. La faon dtre du Dasein nest donc ni fondatrice ni
exemplaire pour ltre de ltant. Lexemplarit ou lminence de ltre du Dasein est dune autre
1. Si ce 2 de Sein und Zeit peut prter confusion, Heidegger ajoute dans la marge : Mais le sens de ltre ne
doit pas tre lu mme cet tant (Aber nichi wird an diesem Seienden der Sain von Sein abgeIesen, (S. ii. z., 7, Anm. e).
2. Descartes, P,inctbia Phitosophiae, I, 51.
3. Cest la formulation que donne Sein tend Zeit du privilge onfique du Dasein: pour cet tant, il y va en son
tre de cet tre mme (es ,geht diesem Sejenden in seinem Sein um dieses Sein selbst) (S. u. Z., 12). Cette formule revient
comme un refrain dans Sein tend Zeit et dans tes cours contemporains. Cest la traduction du <t esgeht tim... (<t il
sagit de... , <t il est question de... , plus littralement il y va de... s) qui rend la formulation franaise lourde et
problmatique. Notons que dans Ltre et k nant, Sartre donnait une traduction de la formule heideggrienne dans
une langue plus claire: <t Certes, nous pourrions appliquer la conscience la dfinition que Fleidegger rserve au
Dasein et dire quelle est un tre [sc. un tant] pour lequel il est dans son tre question de son tre>) (Ltre et k nant.
Essai donto/o,giephnomnotqgzque, Paris, Gallimard, 1943, 29).
122
nature. Le primat insigne que le Dasein revendique sappuie sur la simple constatation quil ny a
Lun des principes directeurs de lontologie fondamentale prsente dans Sein ;tnd Zeit
est lide selon laquelle lontologie ne peut tre onto/ogiquernent fonde. Ltre ntant accessible
une science de ltre qu la faveur dun dtour par la comprhension de ltre contenue
dans le Dasein, une analytique gnrale du Dasein se voit exige par lobjet mme de la
Dasein qui a pour but de mettre en lumire cette comprhension de ltre propre au Dasein
Mais est-ce que cela suffit pour chapper au schma traditionnel de lonto-thologre?
Dans la mesure o Sein mzd Zeit sinscrit en faux contre lensemble de la tradition qui na jamais
pens ltre qu partir de ltant, il semble que lon puisse reconnatre lentreprise de Sein und
Zeit une originalit certaine. Heidegger nhsite dailleurs aucunement reconnatre, dans une
lettre Karl Lwith, que le fondement onuque de lontologie fondamentale constitue lune des
dcouvertes les plus originales de Sein itnd Zei% dcouverte quil sattribue explicitement2.
dc lontologie quelque chose dontique dans lentreprise heideggriennc est nanmoins bien
1. Contrairement i la mtaphysique qui, selon ce quon a vu, ne peut tre fonde que rntaptysiquemeut.
2. Auch ich bin der Uberzeugung, dail Ontologie nur onsch zu fundieren ist, und ici glaube, das hat bislang
noch niemand vor mir explizit gesehen und ausgesprochen (Lettre t Karl Lwith du 20 ao&t 1927, dans Zrir
phrtosophischeu Aktuatttt Reide,ggers, BdiI t 1m Geijrch der Zeit, 36).
3. C-1 24, 26.
123
diffrent de cette rfrence un premier moteur chez Aristote. Mais chez lun comme chez
lautre, il signale que lontologie nest, pour ainsi dire, jamais autosuffisante, quelle a toujours
besoin dun soutien ontique que ce soit un tant suprme qui vienne appuyer et fonder le
sens de ltre ou un tant qui manifeste une primaut mthodique quant linterrogation
portant sur ltre. Le renvoi de lontologie chez Heidegger un,ftinckzrnentitm ontique manifeste,
demeure malgr tout rive lexistence ontique du Dasein. En tant quoeuvre de la libert et de
la finitude dun Dasein humain, lontologie demeure toujours implicitement dans lontique (die
Ontik) qui lui donne son fondement1. Si lontologie slve au problme de ltre grce cette
cependant jamais lieu autrement quen un sol ontique o elle prend appui et sur lequel elle se
tomber dans le schme de lonto-thologie? Lonto/qgie pure que Heidegger labore est issue
et qui tente de ne pas y succomber. Cest donc en connaissance de cause que Heidegger
ontologique est une ncessit son destin et quil serait vain de tenter dy chapper. Mais
cela ne signifie pas pour autant que lontologie soit contrainte de se laisser imposer un eus
1. Heidegger voque dans son cours de lt 1928 cette <t ontique mtaphysique die metaphjsische Ontik) dans
laquelle se tient toujours et bien malgr elle lontologie : Lanalytique temporelle [de trej est en mme temps le
tournant (Kehrs), dans lequel lontologie elle-mme retourne expressment lOntique mtaphysique dans laquelle
elle se tient toujours implicitement (in die metapJysischc Ontik, in der di Ontotodie unausdn:kJich immer stehi) (G 26,
201).
124
ltant l-prsent fuorhanden et du Dusein, il nous parat impossible dc dceler une figure de
cela ne revient aucunement rduire tout ltant la subjectivit du Dusein et ce, pour la simple
et bonne raison qut ne signifie pas la mme chose pour lun et pour lautre. Rpondant la
critique de Misch, Heidegger se dfendait dailleurs dans son cours du semestre dt 1929
davoir rduit lens lego2, cest--dire davoir fait du Moi linstar des penses
comprendre ltant en son tre comme monade ou comme Non-Moi. Sein und Zeil ne
souhaite aucunement saisir tout tant comme un driv (Derivat) du Dasein . faisant du
nous devions rpondre par laffirmative. Il faut reconnatre quen diffrenciant les divers
racine la possibilit mme de la circularit onto-thologique. On peut donc soutenir que cest
faute davoir aperu cette incommensurabilit des modes dtre que la philosophie
1. Nous reprenons la traduction franaise du tome 33 de la Gesamtauigabe, Aristoteks, Metap,ysik 9 1-3. Von
Wesen und [Virklichkeit der Kraft (Aristote, Mtaptysiqite (9 1-3. De lessence et de ta /it< de la force, Pans, Gaffimard,
199f, due Bernard Stevens et Pol Vandevelde) la traduction de Vorhandensein et vorhanden par o tre-l-prsent
et l-prsent et celle de das Vorhandene par (<ltant l-prsent ou, plus simplement, ltant qui est l . Si
cette traduction na pas le mrite de respecter la structure du mot Vorhandensein et la prsence en lui du mot
main (I-land,), elle a cependant lavantage dtre claire, agrable la lecture et tout fait en accord avec ce quoi
lexpression heideggnenne fait rfrence.
2. GA 28, 138.
3. Heideggers Marginalien zu Mischs... o, 206. Vom t12isen des Grnndes niait lui aussi que lontologie
fondamentale prtendt oprer une dduction ontique du tout de ltant qui nest pas la mesure du Dasetn
partir de ltant qua Dasein (VWG, 162, note 59 ; tr. 139, note 1).
4. Cest ce que soutient une note du cours de lhiver 1925/26, Ln,gik. Die Frage nacli der lVahrheit qui tablit un
lien entre lincapacit de Platon et Aristote tablir la diffrence entre ltre de ltant l-prsent et celui du Dasein
125
Outre ces quelques remarques tires de Sein und Zeit et des Grundprobterne der
La dmarche de lontologie fondamentale est clairement explicite dans Sein und Zeii mais les
ontologique ne sont peut-tre pas encore tout fait prises en compte par Heidegger. Il semble
que cette problmatique gagnera en importance dans les annes qui suivent et la radicalisation
Il semble donc tout fait raisonnable de dfendre que lontologie fondamentale ait
russi viter le pige de lonto-thologie en tentant de se constituer comme une ontotqgie pure,
cest--dire sans sorienter sur un tant minent. Pour ce qui est de la mtaphysique du Dasein
qui a fait suite lontologie fondamentale, il semble quil soit plus difficile de soutenir une telle
chose. Bien quelle ne se constitue pas comme une figure mtaphysique traditionnelle qui
nanmoins toute une srie de traits quelle a tout dabord reconnus comme caractristiques de
mtaphysique comme celle qui c< se porte audel de ltant, dans le but de reprendre celui-ci,
comme tet et dans son ensembte, dans la saisie conceptuelle >. Lexpression ltant comme tel et
dans son ensemble nest donc pas rserve la mtaphysique dans sa figure traditionnelle,
mais caractrise tout autant la mtaphysique du Dasein. Si Sein und Zeil ne faisait aucunement
rfrence une telle problmatique, les cours et les crits de la mtaphysique du Dasein sont
Mais pour caractriser la mtaphysique du Dasein comme inteilv,gation sur ttant comme tet
et dans son ensemble, il nous faut tout dabord tenter didentifier dans le corpus ce quoi renvoient
ces deux expressions mtaphysiques tant comme tel et tant dans son ensemble .
Linterrogation qui se porte sur ltant comme tel ou sur ltant en tant qutant (5v fi 5v)
correspond cette question que lontologie traditionnelle prtend poser depuis Anstote. Nous
savons que Heidegger a identifi, immdiatement aprs la publication de Sein und Zei% une srie
dans lhistoire de lontologie, peuvent tre identifis quatre thses sur ltre. Ces quatre
problmes ontologiques ne constituent donc pas des problmes traditionnels rvolus, mais
bien des questions que la tradition a effleures sans nanmoins y rpondre de faon
satisfaisante.
que Sein und Zeit na pas trait explicitement mais qui devient, immdiatement aprs, le titre de
la distinction entre ltre et ltant3. Bien quelle ait t nomme pour la premire fois dans lessai
sur le fondement de 1929, le cours de lt 1927 qui est disponible depuis 1975 prsente une
1. Metaphysik lst das Hinaujfragen ber das Seiende, uni es ats ein sotches und im Ganren fur das Begreifen
zurckzuerhalten (WfvI?, 118 ; ix. 67/54; les souligns sont ceux du texte original, Bonn, Cohen, 1929, 24).
2. Ces quatre problmes sont exposs ii lt 1927 (GA 24, 20-25 et 33) et i lt 1928 (GA 26, 191-1 94).
3. Sur la prsence de la diffrence ontologique dans Sein tend Zeti nous renvoyons ltude de jean-Lue
Marion, Ques6on de ltre ou diffrence ontologique , parue dans Riduction et donatio,i.
127
discussion trs complte du problme1. La question se serait pose Kant alors quil nonait
sa thse sur ttre ltre nest manifestement pas un prdicat rel mais sans que celui-ci ne
essentia et existentia, problme dorigine aristotlicienne mais qui caractrise plus essentiellement
la thse de lontologie mdivale sur ltre. Pourquoi tout tant est-il ncessairement dtermin
par son tre-quelque-chose (TYas-sein) et par un possible fait-dtre (DaJi-sein)? Cest une
question sur laquelle Heidegger stait pench dans divers textes depuis le dbut des annes
1920.
Le problme cher Sein und Zeit des diffrentes modifications de ltre et qui
reprsente, aux yeux de Heidegger, une dcouverte propre son ontologie fondamentale
constitue le troisime problme ontologique fondamental. La distinction entre les divers mode
dtre de ltant Sein und Zeit diffrenciait lexistence du Dasein de ltre-l-prsent des choses
semestre dhiver 1928/29 ajoute dautres nuances en parlant de la rie (Leben) de lanimal, de la
subsistance (Bestand) des choses qui ne se rangent pas sous la catgorie des choses matrielles
(comme les nombres, lespace, etc.) ainsi que de leffectivit (TVirkichkeit) dans le cas de Dieu2
est en effet un des problmes ignors de lontologie du monde que les Grecs laborrent
sans distinguer ltre de lhomme de celui des tants intramondains. Dans lontologie moderne,
cette distinction apparat avec toute linsuffisance que lon sait dans la pense cartsienne qui
spara, en apparence du moins, la res extensa de la res cqgitans3. Or, le problme des modifications
possibles dc ltre est aussi celui du problme de lunit de la diversit de ltre. Bien que ltant
1. GA 24, 19-22.
2. GA 27, 71-72. Le cours de lt 1928 mentionnait aussi, comme rgions de ltant qui prsentent un mode
dtre distinct, lhistoire et les oeuvres dart (GA 26, 191).
3. Reconnaissons cependant que la distinction cartsienne entre rs cogita1ts et res e.\lensa nest sans doute pas
aussi superficielle que le soudent gnralement Heidegger.
128
se prsente suivant divers mode dtre, tous ces tants doivent, en tant qu tants, prsenter
de ltre qui caractrise la connexion complexe qui unit ltre la vrit. On connat bien sr le
bel avenir auquel est promise cette ide dans loeuvre ultrieure de Heidegger. Dans le cadre de
lt 1930. Selon Heidegger, cest dans ce chapitre qui traite de lv i ?i1O que non
seulement le livre atteint son but propre, mais aussi que toute la philosopbie dAristote atteint
son point culminant 2. Dans le cadre du cours de lt 1927, cest nanmoins en discussion
avec la thse de la logique qui rduit la question de ltre au est, la copule que
Heidegger interroge ce lien entre ltre et la vrit. Si ce problme fait surface dans la logique, il
ne peut nanmoins tre convenablement trait par elle que si est saisi lenjeu mtap/ysiqite de la
Ces quatre problmes reprsentent lventail sans doute complet de ce que lon peut
appeler plus gnralement te problme de ttre. Notre tche nest cependant pas ici de montrr
quel traitement a reu chacun de ces problmes, ni encore de dterminer si cette liste est bel et
bien exhaustive. Ces problmes sont ceux qui ont orient lensemble du questionnement
ontologique que Heidegger a dploy partir de Sein und Zeit. Il semble donc que nous ayons
portant sur ttant comme tel. Si nous souhaitons maintenant tisser des liens entre la structure
1. GA 31, 9. Comme lindique Hartmut Tieten, diteur de ce tome de la Gesarntasisgube, cette discussion
ne
figure pas dans le manuscrit du cours mais constitue une annexe spare du cours. Cest partir
du dossier
Aristote, Mtaphysique, 9 que lditeur a compos ce chapitre (voir Le Nachwort de lditeur).
2. GA 33, 11-12.
3. GA 26, 193.
129
. quoi correspond linterrogation mtaphysique portant sur ttant dans son ensemble pour cette
Dans la mtaphysique traditionnelle, on sait que linterrogation sur ltant dans son
ensemble dbouche sur une rflexion tholqgique sur ltant suprme, celle qui interroge ltant
dans son ensemble eu gard t son fondement producteur, sa premire cause. Bien que cette
question puisse tre longuement dbattue, il semble que la mtaphysique du Dasein ne prsente
aucune trace dune thologie au sens classique du terme, une science de Dieu. Nanmoins,
lexpression ltant dans son ensemble apparat assez souvent depuis le dbut des annes
1920 et semble indiquer une problmatique indpendante des quatre problmes ontologiques
heideggrienne et son traitement du problme de ltre tant quelque chose de mieux connu et
de rgulirement trait dans la littrature secondaire1, cest ce second versant que, pour les
raisons qui seront exposes plus loin, nous ne qualifierons pas de thologique mais bien de
Nous souhaitons donc montrer, dans ce qui suit, que la mtaphysique du Dasein a tent
encore cest--dire en mettant jour leur racine les problmes que la mtaphysique
ne serait pas abord eu gard son tre ou son tantit, mais bien eu gard au fait quil forme
un ensemble, un lotit sans pour autant rduire cette recherche une interrogation thologique
1. Ce qui, videmment, nest aucunement la garantie dune comprhension juste du problme comme tel. Le
problme de ltre demeure trs certainement le problme le plus nigmatique de toute la pense heideggnenne
et ce, non seulement dans les textes plus tardifs o un certain hermtisme peut parfois rebuter le lecteur mais
dj dans les textes antrieurs qui tentent de briser la suppose vidence qui caractrise le concept dtre.
130
Afin dindiquer une premire piste pour le traitement du problme de ttant dans son
que constitue le cours de lt 1928. Ce cours qui annonce, dans un hommage ii. Scheler, un
retour t la mtaphysique, expose en diffrents passages la structure que devra adopter cette
mtaphysique venir. Lun deux, un texte trs souvent comment1, expose cette mtaphysique
fondamentale et In mtontologie2. Or, ce qui va tout dabord nous intresser, cest que
mme, celui qui fut mentionn plus haut dans lintroduction avec le double concept de la
.
philosophie comme itpdnr pococpx et OEo?oyja Heidegger caractrise donc cette
Bien que cette mtontolqgie ne constitue en quelque sorte quune curiosit propre ce
cours du semestre dt 1928, il sagit nanmoins dun concept important si lon souhaite
1. I\Icnflonnons simplement Jean Greisch, Onto/qgie et ternporalit Esquisse dine inteipreation intgru/e de Sein und
Zeit, Paris, PU!;, 1994, 481-483 ; Jean Grondin, Der deutsche Idealismus und Heideers... , 46-47; Theodore
Kisici, Das Versagen von Sein und Zeit: 1927-1930 , 263-263 et Steven Galt Crowdil, Metaphysics,
I\fetontology, and the End of Beins and Tirne , 315 sq.
2. GA 26, 202.
3. Ibid.
4. Un passage trs schmatique du cours de lt 1926 vient dailleurs confirmer cette troite liaison entre la
mtontologie et la OcoXoytK?1 mariui aristotlicienne: La question de ltre se transcende elle-mme. Le
p,vbme ontoIogique se retourne !Mtontologiquc ; Orooyciei ; ltant dans son ensemble (GA 22, 106).
131
mettre en lumirc la structure de h mtaphysique que Heidegger prtend alors laborer.
la mtaphysique que nous avons mise en vidence dans la premire partie de notre travail.
prsentation dune nouvelle version du projet de lontologie fondamentale qui fut rendu
comporte une partie additionnelle que Heidegger appelle le revirement (der Urnschta&).
temporalit (quivalant aux deux parties publies de Sein und Zeii) et lexposition temporale du
problme de ltre (partie manquante de Sein und Zeit intitule Zeit und Sein ), mais
contiendrait aussi une troisime et probablement dernire partie qui prsenterait ce que
2
tche, sa limite
Ici encore, lontologie fondamentale devait tre suivie dune destruction de lhistoire de
la philosophie: Ce nest quavec et travers cette ontologie fondamentale que peut tre saisie,
cependant beaucoup plus vague que dans Sein und Zeit qui identifiait avec prcision les trois
moments de cette destruction, orients sur la question de ltre et du temps , mais se fonde
1. GA 26, 196-202. Le terme mtontologie apparat deux reprises dans ce cours avant cet appendice (ibid.,
174 et 165). Comme nous lavons mentionn, le terme est aussi prsent dans le cours du semestre dt 1926 (GA
22, 106) mais nous croyons y voir un ajout postrieur (voir infra,
Annexe A, La lecture chronologique de
loeuvre de Martm Heidegger r).
2. GA 26, 196.
3. Ibid.
132
problmatiques anciennes dont limportance nest pas due leur vnrable antiquit , mais
Dasein . Comme dans Sein und Zei4 la destruction soppose une simple transmission
extrieure des opinions et points de vue anonymes de la tradition cest ce que fait la
Probtemgescbichte no-kantienne selon Heidegger , mais bien de redonner vie aux problmes
traditionnels de telle sorte quils puissent se prsenter dans leur problmaticit relle et ainsi
schma systmatico-bistorique propre Sein zinc! Zeit mais aussi aux textes antrieurs dans la
phnomnologique de la tradition2. Ce qui, par rapport Sein ztnd Zeit, a chang dans ce cours,
cest que le dploiement de cette ontologie ne sachve pas dans une exposition de la
une rflexion sur la dmarche propre lontologie fondamentale. Etant donn ltat
dinachvement de Sein zinc! Zei4 il est videmment difficile dassurer que cette dernire tape ne
faisait tjctivement pas partie des tches de la premire ontologie fondamentale3. On doit en
effet se limiter soutenir quelle ne faisait pas partie du plan initial expos dans lintroduction
lontologie fondamentale.
1. IbicL, 197.
2. Le cheminement peut nanmoins tre inverse. Dans le cours du semestre dt 1927, par exemple, la
question ontologique fondamentale du sens de ltre est elle-mme introduite partir de considrations
historiques. Dans ce cours, la destruction met jour les problmes rsoudre et prcde ainsi le traitement de la
question de ltre.
3. Quelques notes marginales ajoutes par Heidegger ce <(plan de louvrage)> peuvent le laisser croire en ce
quelles parlent, pour la section Zeit und Sein dun retour dans lorigine (Die Umkehr in die Herkrnzfr) que lon
pourrait identifier une remise en question du point de dpart donc des limites de lontologie fondamentale.
133
Il est possible que cette ide dun complment lontologie fondamentale soit apparue
question ontologique du sens de ltre en gnral , une troisime partie dont le thme aurait
risqu de conjecturer sur le contenu de chapitres dont seuls subsistent les titres. Il nest
cependant pas impossible que ces considrations dordre mthodologique qui suivent le
traitement de la question de ltre, on peut en effet penser quils navaient pas pour vise un
de lontologie annonc pour cette partie loriente en effet sur le thme de la finitude de h
dmarche philosophique qui prsente une parent certaine avec celui du revirement.
Dans lappendice mentionn plus haut, Heidegger exposait avec beaucoup de prcision
fondamentale ne rpondait qu une partie des problmes mtapysiques. Mais quels sont les
problmes que lontologie fondamentale laissait de ct ? Selon le texte abord ici, il sagirait de
qui pourrait tre corrige aprs avoir t identifie, mais bien plutt une ex;gellce propre au
travail de lontologie qui interroge par-del ltant, vers ltre. Si lontologie est tout entire
oriente sur le problme de ltre, elle contient nanmoins en elle de faon latente la tendance
appui sur un fait indniable: il ny a dtre que si des tants sont dj l pour te Dasein.
son apioiite. Or, cette apriont de ltre nest aperue qu la faveur dune certaine
conversion>) du regard. Si ltre est premiei; ce nest en effet jamais pour nous puisque
pour nous, cest bien ltant qui se prsente tout dabord , mais bien en soi , par nature 2.
Cette question de la primaut de ltre est la question propre lontologie qui considre quil ne
peut y avoir dtant que dans la mesure o il y a, davance, de ltre. Dans une perspective
distincte, on pourra nanmoins soutenir que cest ltant qui se prsente davance . Selon
Heidegger, ces rapports de ltre ltant et de ltant ltre nont jamais t tirs au clair dans
que comme un tant. Si ltre est antrieur ltant, ce nest pas au sens de lantriorit
nest pas l-prsent (vorbanden) avant ltant mais bien de lantriorit ontotgique. Le problme
de lontologie est justement de dterminer avec prcision le sens de cette antriorit de ltre,
ce qui revient interroger le rapport quil entretient au temps3. Lantriorit ontotqgique de ltre
est ce qui sera demeur ontotqgiquement obscur et ambigu pour lontologie traditionnelle.
Or, nous voquions linstant une antriorit de ttant sur ltre. Cette antriorit, elle
aussi, serait demeure obscure et ambigu pour la tradition, non pas ontotogiquement mais bien
mtontologiquement1. Lontologie a pour tche de montrer que le rapport ltant propre au Dasein
est fond sur un rapport encore plus originaire ltre que Heidegger appelle la comprhension de
ttre. Mais lontologie se limite aborder cette antriorit dtermine de ltre sur ltant sans
pouvoir tenir compte du fait quil ny a comprhension de ltre que si le Dasein un tant
1. GA 26, 199.
2. Ibid., 184
3. Ibid., 186.
4. Ibid., 185.
135
comprend ttre: En dautres mots, la possibilit pour quil y ait de ltre dans la
comprhension a pour prsuppos lexistence factuelle du Dasein qui, son tour, a pour
.
prsuppos ltre-l-prsent factuel de la nature La possibilit mme du problme de ltre
repose donc sur lexistence dun ensemble ontique au sein duquel est jet le Dasein.
ltant , nous obtenons une seconde problmatique que Heidegger appelle la mtontologie
et qui a pour thme lantriorit rntontoqgique de ltant sur ltre. Cest de cette autre antriorit
que rsulte la ncessit dune problmatique particulire qui a maintenant pour thme , non
plus ltre, mais bien ltant dans son ensemble (das Seiende im Ganen) 2. La mtontologie
nest pas pour autant autonome de lontologie, mais appartient son essence en ce quelle
champ de questionnement qui dpasse la porte de lontologie, mais qui rsulte nanmoins du
nous avons dj dfinie comme linterrogation sur ltant comme tel et sur ttant dans son
lontologie fondamentale en 1927 ? Sein und Zeit na pas reconnu clairement du moins que
lontologie fondamentale devait, une fois son but atteint, retourner son point de dpart et
certains passages laissaient entendre que le traitement du problme de ltre nest pas le terme
1. Ibid., 199.
2. Ibli
3. Ibii
136
lontologie phnomnologique devait non seulement prendre son point de dpart dans
lhermneutique du Dasein mais aussi rejaillir (urckschla<gen) sur elle, cest--dire avoir une
dploye, devait rebondir sur lexistence du Dasein, on peut croire que le dpassement de
lontologie dans une mtontologie tait dune certaine faon dj annonc ds Sein und Zeit.
lexistence et aux questions de lthique appuient daffletirs fortement une telle hypothse2. On
voquera aussi les derniers dveloppements de la premire partie des Grundprobeme der
prparatoire, comme ontologie fondamentale. Elle est prparatoire parce quelle ouvre la voie
llucidation du sens de ltre et de thorion de ta comprhension de ttn. Elle ne peut tre que
prparatoire parce quelle cherche seulement parvenir au fondement dune ontologie radicale.
Aprs la mise en vidence du sens de ltre et de lhorizon de lontologie, elle doit donc tre
existentiale une fois accomplie llucidation du sens de ltre. Il nest cependant pas dit de
quelle faon le dploiement de la question du sens de ltre peut rebondir sur linterprtation
rsultats dune mise en lumire de ltre sur notre comprhension de lexistence concrte du
Dasein. Dans le cours du semestre dt 1928, Heidegger pensait ce revirement non pas comme
une possible suite au dploiement de lontologie fondamentale, mais bien comme une ncessit
propre lontologie qui, de par sa nature, tend une transformation. Celle-ci rsulterait,
1. 5. u. Z.,38 et436.
2. GA 26, 199. Voir, ce sujet, Jean Greisch, OntoIogie et temporalit 481 -483.
3. GA 24, 319.
137
comme nous lavons vu, dune mise en question ultrieure de la dmarche de lontologie de
laquelle rsulte un revirement de lontologie lextrieur delle-mme >. Or, ce revirement est
aussi pens par Heidegger comme un tournant (Kebre) dans lequel lontologie elle-mme
retourne expressment lOntique mtaphysique (in die metaphysische Ontik) dans laquelle elle se
luniversalisation que lon peut porter lontologie ce revirement qui est latent en elle. Cest
quoi correspond chez Heidegger le traitement de la question de ttant dans son ensemble dont il
t question. Comme nous lavons vu, la question de ltant dans son ensemble est identifie
une thmatisation du point de dpart oblig du questionnement ontologique sur ltant comme
tel, sur ltre de ltant. Dans la mesure o lontologie nest jamais oriente autrement que de
ltant ltre, cest partir dun revirement quest rendu possible cet autre questionnement qui
va de ltre ltant. Souvre ici une interrogation mtaphjisique inaccessible lontologie que
dont il vient dtre question se clt en effet sur laffirmation que dans leur unit, lontologie
souligne enfin: ce qui sexprime ici, cest la transformation du seul et unique problme
fondamental de la philosophie elle-mme et qui fut voqu plus haut dans lintroduction avec
.
le double concept de la philosophie comme itprii oo(ptx et OEo?oyi Cette
1. GA 26, 200. Nous avons voqu plus haut que lide schlrienne dune mtanthropologie rsultant de
lautodpassement de lanthropologie philosophique a pu constituer une source dinspiration pour cette
mtontologie.
2. Ibid, 201.
3. Ibid
4. Ibid., 202.
138
aristotlicienne peut tout dabord surprendre, mais nous verrons dans la deuxime partie de
cette recherche que ces deux questionnements thologiques sur ltant dans son ensemble
dlgue le traitement de la question de ltant dans son ensemble. Dans ces textes
consistera donc en une mise en lumire de cette interrogation portant sur ltant dans son
ensemble. Comme on le verra, cest une problmatique que Heidegger a lui-mme identifie au
thme du monde tel quil est saisi dans labord prlogique. Il sagira pour nous de tenter de
vnement advenant dans le Dasein lui-mme, cest lessence du Dasein qui permettra en
dernire analyse de comprendre si et comment cette mtaphysique peut tre structure suivant
1. Ce que nous paraissons sparer ici grce des disciplines [sc. ontologie fondamentale et mtontologie] et
auxquelles nous apposons des dtres, nest en ralit quun f...) ou le phnomne premier de lexistence
hwnainc! (Ibii, 200).
139
zwar ist das Seiende je inhaltich verscbieden (...). 1-{aben wir ein
Recht, diese Ganzheit Gott zu nermen ? Zunachst vas ist dieses
structure double de la mtaphysique datait du milieu des annes 1920, probablement comme le
rsultat dune prise de position eu gard aux interprtations de Paul Natorp et de Werner
Si nous avons dj identifi les problmes qui sont associs linterrogation portant sur
ltant comme tel ou ltant en tant qutant , il sagit maintenant de dterminer avec plus
de prcision en quoi consiste ce problme de <dtant dans son ensemble . ii nous faut tout
dabord noter que si Heidegger ne parle pas du tout de ltant , de la totalit , mais quil
emploie cette tournure particulire de ltant dans son ensemble , cest pour bien souligner
que ce dont il est ici question nest pas la thmatisation de la somme de tout ce qui est thme
deiivativus Bien que Heidegger ne soit jamais parfaitement clair sur ce quil entend lorsquil
emploie cette expression aucune dfinition nen est donne , il nous est cependant
possible, par laccumulation dindices trouvs dans les cours des annes 1920, de dterminer
Nous avons dj tabli que Heidegger associait lexpression une certaine lecture de
lhistoire de la mtaphysique qui comprend celle-ci comme connaissance de ltant comme tel
et dans son ensemble . La problmatique de ltant dans son ensemble entretient donc un
du Dasein ne concerne pas seulement le questionnement ontologique sur ltre de ltant, mais
aussi une certaine faon quaurait eue Aristote de comprendre le monde pardi du concept du
fondement divin du monde ( OE), cette interrogation sur le monde comme ensemble
(?ov) se serait vanouie. La question portant sur ltre du monde serait une question propre
loeuvre dAristote que laristotlisme aurait manque en interrogeant le monde partir de son
fondement crateur. Afin dlucider les diverses interprtations que donne Heidegger des
concepts de OEov et de ov chez Aristote, il nous faut maintenant nous pencher sur ce
traitement thiotoique du problme du monde qui se prsente dans loeuvre de Heidegger des
annes 1920.
que lon pourrait qualifier de paennes . Insistant sur le fait que le concept na absolument
rien de religieux chez Aristote, il a tent de montrer quil servait davantage caractriser
labord premier du monde, dans tout ce quil eut de surprenant et denvotant pour les
premiers penseurs et qui fut lorigine de ltonnement grec. Heidegger associe donc le OEov
142
une certaine saisie du monde, de ltant qui nous entoure et qui nous subjugue. Dans le cadre
sera abord cotmne ensembte et non eu gard son fondement. Cest en remplacement dune
certaine thologie (science du eE6, du fondement du monde) que Heidegger dploie ce que
problmatique spcifique qui soccupe de ltant dans son ensemble, de la manifestation dun
plusieurs reprises. Dans le cadre des Gntndbegriffe der antiken Philosophie de lt 1926, il montre
na rien de comniun avec une thse thologique sur lexistence dun Dieu crateur et quelle est
bien plutt issue dune rflexion ontologique portant sur ltre de ltant, dune tentative de
mise en lumire de ltant dans son ensemble . Le concept de OEov proviendrait ainsi de la
des tants, des p6a vua. Dfendant lternit du mouvement, Aristote dmontre lexistence
dun premier moteur immobile qui rend comprhensible que ltant soit toujours m. Cest
dans un tel contexte caractrisation de ltre de ltant partir dun questionnement sur la
la plus essentielle de ltre du monde, Aristote considre que le premier moteur est ltant
1. GA 22, 324.
2. Ibid, 329. La mme chose tait dj soutenue lautomne 1922: Mais pour Aristote, lide du divin ne
rsulte pas de lexplicitarion dun objet auquel on accderait travers une exprience religieuse fondamentale, le
9rov exprime bien plutt le caractre ontologique le plus lev qui rsulte de la radicaEsarion ontologique de
lide de ltre-m (PIA, 42). Dans le cours de lt 1922, Hedegger allait mme jusqu afrirmer mme que ((le
concept du divin provient du problme de la physique : du concept de vror (GA 62).
143
vritable (rtjiixyctov v), ltant le plus divin (OEtrrov). Or, selon 1-leidegger, cette
signification ontologique du Oettarov na rien voix avec Dieu ni la religion . Bien que la
scolastique ait pu rcuprer cette pense son compte, la thologie)> aristotlicienne nest
quune science de ltant vritable, oriente sur le problme purement thorique de ltre 2.
Heidegger employait depuis les annes 192O tait aurole dune prsence presque
ensemble interdisait dassocier quelque formulation conceptuelle prcise cette question qui
portait sur ltre. (...) Dans la tournure de ltant dans son ensemble rsonnait sans doute
aussi ltre-dans (In-sein) qui avait reu une signification si particulire dans lexpression
produit dans h pense grecque . Le tmoignage de Gadamer est prcieux en ce quil voque
philosophie.
aristotlicien de 9ov, cest nanmoins dans le cadre dune exposition du concept aristotlicien
de tout (Sov, Mtaphysique, 26) que lexpression ltant dans son ensemble apparat
tout dabord chez Heidegger. Le lien nest cependant pas bris puisque la tche dlucider ce
6ov est attribue la thologie aristotlicienne. Comme nous allons le voir, ltant dans son
1. GA 22, 324-325.
2. Ibii, 325.
3. Nous la retrouvons dj lt 1925 (GA 19, 214 et 222).
4. Nenere Philomphie L, GLV3, 426 ; tr. Les chemins de Heidegger, Paris, Vrin, 2002, 280.
144
ensemble compris comme ?ov constitue le point de dpart obligatoire de tout philosopher
donc ici un premier indice qui nous permet de comprendre comment Heidegger envisage le
traitement thiotogique du phnomne de monde compris comme ltant dans son ensemble .
Mais ltant dans son ensemble se prsente aussi sous une autre figure dans la
tudiant le rapport du Dasein quotidien au monde, donc avant la mise en forme que lui
imprime le 6yoc, on peut aussi tenter une interprtation de ce rapport tel quil se donne avant
Nous aborderons donc, aprs avoir mis en lumire le traitement du concept de Oetov,
identifie la problmatique du monde, il nous faut tudier de plus prs les diffrents chemins
mondanit dans Sein und Zei4 lexposition de lhistoire du concept de monde dans Vom Wesen
des Gntndes et le traitement de la thse lhomme est configurateur de monde dans le cours de
lhiver 1929/30. Comme nous le verrons, la rflexion mtaphysique que Heidegger dploie la
fin des annes 1920 octroie au problme du monde une place fondamentale dans la structure
voie daccs privilgie au problme de ltre, Heidegger soutient mme que le problme de
1. GA 27, 391.
145
la lumire de ces analyses, nous tenterons une caractrisation du monde comme
concept transcendanta/ Le Dasein tant dfini depuis lt 1927 partir de son essence
loccasion pour nous daborder cette nouvelle interprtation du Dasein suivant son essence
mtaphysique. Nous terminerons cet examen du problme du monde en nous penchant sur
une tentative de penser la coappartenance des problmes de ltant comme tel et de ltant
dans son ensemble que Heidegger expose comme conclusion au cours de lhiver 1929/30.
Dasein. Bien que notre intention ne soit aucunement den prsenter le contenu doctrinal ,
nous tenterons pour terminer de mettre en lumire cette theioto&ie heideggnenne partir dune
dAristote. Ce sera loccasion pour nous de faire une synthse de cette interprtation
heideggnenne qui aborde le monde non pas partir de son fondement mais bien comme
ensemble. Cest partir de cette analyse du problme mtaphysique du monde que nous
lunit du problme de ltre (de ltant comme tel) et du problme du monde (de ltant dans
son ensemble).
146
Chapitre premier
Depuis le dbut de son explication avec Aristote dans les annes 1920, Heidegger
proccupation religieuse. Cest alors quil commencera employer lexpression ltant dans
son ensemble qui nous intresse ici. Lorsquelle apparat, lexpression souhaite caractriser le
Oov dAristote qui, selon Heidegger, permettrait de penser le monde autrement quen
sorientant sur lide dun fondement divin (OE). Cette dfinition de la thologie
aristotlicienne se rapportait directement aux recherches dAristote mais tait aussi rvlatrice
des questions sur lesquelles Heidegger souhaitait se pencher. Ce qui est dit ici de la thologie
dAristote se rapporte donc aussi cette pense que Heidegger tente dlaborer et qui souhaite,
Heidegger dans les annes 1920, il nous faut donc remonter en amont de la mtaphysique du
Dasein. Bien que le cours du semestre dhiver 1924/25 sur lequel nous nous penchons
maintenant ne fasse pas comme tel partie de la mtaphysique du Dasein , les indications quy
donnait Heidegger sur ce concept ont t conserves dans le colpus qui fait lobjet de ce travail
tche dlucider, dans ses origines et dans ce par quoi il est vritablement, ltant comme tout
(das Seiende ais Gantes), le 2ov, ltant du monde, la nature, le ciel et, pour le dire rapidement,
tout ce qui est sous le ciel . Mettant en doute lenseignement thomiste quil reut, Heidegger
fait remarquer que cette lucidation de ltant dans son ensemble (des Seienden im Ganen) par le
147
recours au moteur immobile, na rien voir avec une preuve de lexistence de Dieu sur la base
dune dduction causale. La thologie a donc pour thme le tout dans son ensemble, le
2ov . Ces remarques permettent de dceler la possibilit chez Aristote dune thologie non
religieuse , une science du divin, du OEov compris comme le mode te plus lev de ltre de
ltant en un sens ontologique purement formel 2, cest--chie comme ce qui, parmi les
lments constitutifs du monde, est le plus manifeste, ce qui est l tout fait dcouvert
.
(vprara iiv S KaIo cuvatrKev)
La thologie dont il est ici question a donc pour tche dlucider ltant dans son
ensemble ou ltant comme ensemble , concept qui trouve son quivalent chez
Aristote dans le concept de 5ov4. Dans le cadre de ce cours sur le Sophiste, Heidegger traite
explicitement du livre A 26 qui est consacr la notion de Sov. En abordant ces sections,
nous souhaitons jeter quelque lumire sur cette expression ltant dans son ensemble
qui deviendra tout fait fondamentale dans la mtaphysique du Dasein. Dj ici, Heidegger
associe ce thme de ltant dans son ensemble une certaine lhotogie non pas la thologie
ecclsiale qui a pour thmatique essentielle Dieu et la foi en lui, mais une certaine thologie
deux modes daccs ltant le 267o et li81rn. Cette analyse a comme but premier de
mettre en vidence une dcision philosophique propre la pense dAristote et contre laquelle
1. GA 19, 222.
2. Ibii, 137. lt 1926, Heidegger parle du Oeov comme dun concept ontotqgique neutre (GA 22, 179).
3. GA 19, 137. La citation dAristote provient de Ethique Nicomaque, VI, 7, 1141 b 1 sq.
4. Vois GA 19, 222 et 630. Cette quivalence est encore voque dans les Beitrige ur Philosophie (Vom Eretgnis,):
Ltant dans son ensemble ? L ensemble a-t-il encore maintenant une ncessit? Ne se dsintgre-til pas
comme le dernier reste de ta pense systmatique? Quel ge a le ov dans lhrtoi,v de ttre ? (GA 65, 495-
496).
148
ensemble qui apparat alors sera donc associe ce rapport <f esthtique ltant dont la
du concept de tout , du 6?ov. Heidegger sy intresse dans le cadre de son analyse des
sensation et la science. voquant la diffrence qui existe entre ltant conu partir de son
E1o et ltant individuel simplement donn dans la sensation, Heidegger sarrte sur ces deux
significations que possde le 2<ov: en tant quil est abord par le Xyo, il est synonyme
duniversel (Oo), en tant quil est abord dans 1oOrrn, il est synonyme dindividuel
(K9lKaarov). Si Heidegger sintresse ces deux faons de concevoir le ?<.ov, cest pour
montrer que mme si Aristote considre comme plus lev le mode daccs ltant jrt
?6you (par opposition au mode vi) 26you), il ne peut que reconnatre la prsance, tout le
ltant dans son ensemble sur ltant conu logiquement (jiet X&you) est bien sr lune
des thses fondamentales pour comprendre le concept de monde que Heidegger dploie dans
O?<ov sentend de ce quoi il ne manque aucune des parties qui sont dites constituer
nature, quil est entier, quil constitue un tout. Ltant qui se prsente avec tout ce qui
appartient son tre, ltant qui se tient au grand complet (vollstiindtg) >, cest ltant que lon
peut dire ov. Mais comme le remarque Anstote, lunit du 2ov peut tre constitue de
diffrentes faons. Tout dabord, chaque partie du ov peut tre elle-mme une, comme dans
le cas du ov tre vivant dont les parties le cheval, lhomme, le dieu, etc. constituent
autant dexemplaires dtres vivants. Le 2Lov a alors la signification dun universel, KuO62ou.
Dans dautres cas, lunit du ov se constitue par ladjonction de parties comme dans le cas
du ov homme dont les parties bras, jambes, tte, etc. ne constituent pas elles-mmes
lindividuel, icOKarov.
Si cette division prsente un intrt pour notre problmatique, cest parce que ce qui
appartient au Dasein. Le KO.o, luniversel, nest en effet accessible au Dasein que dans la
2
y6ltEvov, un 6?ov, une entiret Ganhei qui ne se montre qui d travers k ?ytv A loppos, le
considrant le X6yo et lcdGOrlcYu comme les deux possibilits extrmes en lesquelles [le
Dasein] est dcouvrant , on comprend lenjeu que cache cette simple distinction: ltre
diffrence qui existe dans la construction des deux mots icar avec gnitif dans le cas de
KO?OEO et 1OEXT& avec accusatif pour KOKGuov , Heidegger soutient que la K96OED se
caractrise par le fait quil ne se montre que dans la mesure o il est expressment pris pour
1. GA 19, 79.
2. Ibid., 80.
3. Ibid., 83.
150
thme, tandis que le OKarov se manifeste lui-mme dans liGO1at sans tre
proprement thmatis .
une distinction qui apparaissait aussi dans les P/jmnomenola,gische Interpretationen zu Aristoteles de
1922. Dj dans cet essai, Heidegger soulignait la primaut de laOflGi. par rapport tout
abord logique de ltant. Se basant sur le De anima dAristote, Heidegger identifie l1aOrt
la simple manifestation de ltant qui est originellement vraie, cest--dire qui na mme pas la
possibilit de la fausset. Par contraste, la vrit logique nest jamais que le rsultat dune
synthse elle montre ltant en tant quil est tel ou tel , une vrit drive pour qui la fausset
constitue une perptuelle menace2. Dune certaine faon, la pense heideggrienne de cette
poque peut tre caractrise comme cette tentative de remonter depuis le logique Q6yo)
vers <t esthtique (acT9rat, &vEv Xyoii). Cest en effet ce que lon retrouve dans Sein und
Zeit qui retire la considration thorique de ltant sa prsance, mais aussi dans le dbat avec
le nokantisme autour de louvrage Kant und dos Problem der Metapbjsik quant la primaut de
lintuition chez Kant3. Mais comment Heidegger ose-t-il faire dAristote son alli dans cette
entreprise? Anstote ne soutient-il pas plutt le contraire, savoir, que ltant dcouvert dans
lioOra ne renferme en soi que peu ou pas du tout dtre ? Heidegger nest-il pas en
Cette distinction entre KO6o1J et KOKarov, Heidegger la trouve aussi dans les
Topiques dAristote o celui-ci distingue entre ltant qui nous est tout dabord familier dans
notre comportement quotidien et ltant tel quil est connu de faon absolue, cest--dire tel
quil est accessible au ).yo et au vo5. Selon Anstote, la masse (ol ito2oi) qui ne dlibre
pas et nest pas particulirement dispose h philosophie considre les choses telles quelles se
1. Ibid.
2. Dc anima, A 3, 427 b 12 et A 6, 430 b 1-2 (PIA, 31 sq.)
3. KPM, 4-6 et GA 25, 5.
4. Mtaphjsique, Z 3, 1029 b 8 sq. (cit en C-1 19, 84).
5. Topiques, IV, 4, 141 b 5 sq. (cit en GA 19, 83-$4).
151
donnent familirement, en leur entiret (Ganheit). Seul le philosophe, la faveur dune
cachent derrire les corps tout dabord donns. Par rapport ce qui est ainsi vu par le
philosophe, ce qui est familier chacun et ce qui pour lui est premier (...) est souvent flou et
ne renferme en soi que peu ou pas du tout dtre . Ce passage vient donc confirmer que
selon le sens quAristote accorde ltre le 6yo est premier par rapport la1aOrctc quant
la saisie de ltant en son tre propre. Heidegger nous incite cependant lire le livre Z 3
jusquau bout: Pourtant, cest en partant de ces connaissances vagues, mais personnelles,
quil faut sefforcer darriver aux connaissances absolues, en passant (tetc43ivcov), comme
Si Heidegger insiste sur la dernire phrase du livre Z 3, cest quelle indique que malgr
connaissances absolues, elle ne doit jamais oublier que son point de dpart rside dans la
donne initiale que constitue 1aaOricnc. Mme si le philosophe parvient la ao(px, il doit
reconnatre que le soi sur lequel il sappuie pour ainsi slever est constitu de choses
Nous reconnaissons ici, dans sa version aristotlicienne, la position que dfend Heidegger dans
Sein .tind Zeit selon laquelle le regard thorique et scientifique sur les choses a pour fondement
ultime le commerce quotidien avec les tants et quaussi loin que puissent nous mener les
recherches philosophiques, nous nchappons jamais cette situation de dpart. Aristote hisse
entendre ici que les connaissances absolues ne sont accessibles qu la faveur dun passage
1. GA 19, 84.
2. Ibict
3. AIethjsique, Z 3, 1029 b 8 sq.
4. Ib/a, Z 3, 10 sq.
152
montrer ce que le Staginte a constat que la philosophie trouve son point de dpart dans les
choses familires et ainsi mettre en lumire cette dcision quil a prise et qui est dune
importance capitale pour lhistoire de la philosophie. Par le travail dinterprtation, il nous est
possible de montrer que dautres voies soffraient Aristote, quil les avait lui-mme aperues
et quil nous est possible de remettre en question ces dcisions. La prfrence que manifeste
Anstote pour ce qui est accessible par le 6yo sur ce qui est simplement donn dans le
rapport quotidien avec les choses nest pas quun simple trait anecdotique de la pense
aristotlicienne, mais bien une caractristique de la pense occidentale dans son ensemble et
prend son point de dpart dans les connaissances vagues >, quelle en mane, Heidegger
souhaite simplement mettre en vidence la dcision qua prise Anstote de favoriser le KO6?oiJ
Anstote na cependant pas accord toute limportance quil devait cette prsance de
laiOict t Ce quAristote lui-mme na russi accomplir que dans certaines limites, si bien
que, malgr cette tendance radicale, il nest pas parvenu lultime originaiit de ltre du
monde 2.
phnomnes, par manquement aux rgles de la phnomnologie qui ordonnent de sen tenir
aux choses mmes, Anstote serait pass ct du phnomne du monde et aurait manqu den
dterminer adquatement ltre. Tranant avec lui une ide du sens de ltre troitement lie au
yo, Anstote naurait pas su apercevoir la richesse contenue dans le commerce quotidien
avec les choses et naurait pas su apprhender de faon originaire la dimension ontique du
1. GA 19, 85.
2. Tbid.
153
monde . Heidegger soutient quune telle dmarche est possible: nous pouvons aborder le
monde sans nous laisser guider par le concept togiqzte de ltre, le laisser se donner tel quil se
montre dans laicOrt selon un concept non pas logique, mais disons esthtique de
ltre. Iviais ce nest pas encore le but que poursuit cette interprtation de la 7VItphjsique
ontique du monde2.
Dans ces quelques pages, Heidegger tente donc de montrer que si la philosophie peut
prtendre luniversel, elle ne le fait jamais quen prenant son point de dpart dans et en
transitant par le particulier. Cette ide selon laquelle il faut accorder la prsance la
perception du monde premire et vague sur la perception selon luniversel (ldo) de celui-ci,
souligne limportance du moment grec pour ce qui est de lorientation logique de toute la
philosophie subsquente. Sur quoi a-t-on lgitim cette orientation initiale? Cette orientation
impose na-t-elle pas ds sa naissance engag b philosophie dans une voie impropre?
Notre propos tait ici de trouver les origines de lexpression ltant dans son
discussion sur la notion de ov prsente dans le cours du semestre dhiver 1924/25 nous a
permis de nous familiariser avec deux de ses variantes dont lune ouvre la voie une
1caOKaarov que Heidegger associe lexpression ltant dans son ensemble . Cette
expression permet en effet de caractriser ltant tel quil se donne avant b mise en forme que
lui impose le 6yo: Ltant, dans b mesure o il est donn, dans son mode de rencontre
immdiat, dabord seulement KaOou, dans son ensemble (1m Ganen), est un
1. Ibli, 86.
2. Une autre interprtation est possible, qui tente dapprhender la dimension ontique du monde en se
dtachant du concept dtre des Grecs. Mais cela sortirait du cadre de notre propos dans ce cours (ibii)
154
donne tVE) Xou, cest--dire avant la mise en forme que comporte labord discursif de
quelque chose>) en tant que quelque chose >, que Heidegger emploie effectivement
lexpression ltant dans son ensemble (das Seiende im Ganen). Le coimnentaire que nous
venons danalyser de la notion de S?ov chez Aristote et de cette distinction entre labord o,gique
et labord esthtique de ltant semble donc contenir un premier indice nous permettant de
Mais nous avons aussi not que Heidegger faisait de llucidation de ce ov la tche de
la thologie aristotlicienne dont, nous interrogeons la nature2. Sil reste encore beaucoup
dobscurit autour de cette thologie qui a pour objet ltant dans son ensemble , nous
pouvons nanmoins dores et dj affirmer que cette problmatique est lie cette tentative
heideggnenne de penser ltant du monde tel quil est avant lintervention du Xyo, cest--
dire tel quil se donne non pas dans la recherche conceptuelle et thorique du philosophe mais
un thme qui puisse tre abord partir du commerce quotidien du Dasein avec ltant. Dans la
mesure o lon associe ce rapport ltant lintervention du ?>6yoc telle quelle sopre dans la
philosophie, on peut aussi tenter dapprocher cette manifestation de ltant partir dune
analyse du monde du Dasein qui ne philosophe pas encore non pas du monde de louvrier qui
travaille, mais de celui du Dasein mythique pour qui la philosophie nest quune potentialit non
1. PIysique I, 1, 184 s 21 sq. (cit en GA 19, 144-145). Notons quici, Heidegger parlait du mode de rencontre
immdiat de ltant en employant lexpression waO6?.o1) l o lon attendait, selon ce qui a t expos plus haut,
1cO1cwyrov. Il faut cependant noter que Heidegger renvoie ici un texte de la Physique dAristote (1, 1, 184 a 21
sq.) o les expressions sont en effet interverties. Comme lexplique Heidegger, il ne faut cependant pas y voir une
contradiction dans lemploi des termes. Aristote affinne en effet en Physique I que la dmarche philosophique
progresse du KaO6rn au Oiuicaotov, contredisant en apparence le texte cit des Topiques. Mais en lisant plus
attentivement le texte, on voit quAristote soutient en fait que cette dmarche va du 1COoI) non encore
articul (ce que nous avons appel plus t& le 1c91carov) au KO{1cotov articul (qui correspond au
KOEGXoI)). Sur tout cela, voir le commentaire de Heidegger en GA 19, 86-90.
2. GA 19, 222.
155
actualise. Cest ainsi que par une analyse du premier rapport de lhomme ltant sinspirant
du travail des anthropologues de son poque, Heidegger expose dans le cours de lhiver
Chapitre II
dans le cadre du cours de lt 1928 alors quil tente une dfinition non thologique du concept
aristotlicien de r OEiov: La science la plus leve doit tre la science du plus lev, du
premier [Metaphjsique, E 1, 1026 a 21J. T OEov signifie simplement ltant les cieux:
lenvironnant et le foudroyant, cela sous lequel et dans lequel nous sommes jets, cela qui nous
envote et nous prend par surprise, le surpuissant (das t]bemzdchttge) . Heidegger identifie le
OEov ltant qui nous entoure et qui se manifeste dans sa surpuissance, ltant dans lequel
nous sommes jets (ewofin), le monde. Pour appuyer cette dfinition paenne du 9eov,
Heidegger rappelle que lemploi que fait Aristote dans le De ?uundo du verbe Oeo2oyv ne 1m
attribue pas le sens courant de disserter de la divinit , mais bien celui de contempler le
comprise non pas tant comme thologie que comme science de tout ce qui nous entoure ,
de ltant dans son ensemble. Le Oov de la thologie aristotlicienne sur lequel Heidegger
prtend orienter sa thio/o,gie propre, sa science de ltant dans son ensemble , est ici lie s la
lt 1928 nest pas davantage explicite3, il sagit dun terme qui gagnera en importance dans le
1. GA 26, 13. Voir aussi, pour ce qui est du rapport entre la notion de surpuissance et le problme du monde,
lieu
cette note schmatique tire des complments au cours de lt 1926 : Ltant: surpuissant et en premier
monde, nature au sens le plus large, rnc (GA 22, 191).
2. GA 26, 13. Le texte dAristote est le suivant: Leur sentiment sexplique du fait quils nont pas contempl
les ralits les plus hautes, je veux dite le monde et ce quil y a de plus grand dans le monde. (...) Quant nous,
pour
traitons donc de toutes ces choses, et, dans la mesure du possible, considrons leur caractre divin, et,
chacune dentre elles, sa nature, sa position et son mouvement)) (391 a 24 b 5; ix.
-
par J. Tricot, Paris, Vrin,
1949).
(cias
3. Heidegger voque encore dans le cours de lt 1928 la comprhension de ltre qua surpuissant
Verste/ien von Sein qua Ubermchti,g em) quil associe au problme de la transcendanc e du Dasein, mais quil refuse
157
Lintrt que prend pour nous cc concept de surpuissance se justifie par letroit rapport
que Heidegger 1m reconnat avec le concept aristotlicien de OEiov. Dans la section prcdente,
nous avons vu que ce concept aristotlicien et cette ide dune thologie non religieuse
apparaissaient dans une rflexion portant sur labord prlogique de ltant. La surpuissance dc
Ptant comprise comme comprhension mythique de ltre de ltant permet eUe aussi de
Dans le cours de lhiver 1928/29, Fleidegger va dployer en dtail une rflexion aux
philosophique, ce Dasein qui parvient thmatiser expressment son rapport ltant. Ayant
rcemment travaill sur louvrage dErnst Cassirer, Das n1yt/]isc/]e Denkcn (Philosophie der
.rjimbotischen Formen, 2 partie, Berlin, 1925), Heidegger sen inspire pour dfendre une thse
ce quil appelle non pas la pense (Denken) mythique mais bien lexistence (Dasein) mythique,
sa peur de ltant et matriser sa propre matrise de ltant de telle sorte quil puisse interroger
ltant philosophiquement.
daborder alors de peur dtre mcompris et que son interprtation Soit saisie comme une tentative de dbattre des
problmes religieux (GA 26, 211, note 3).
t. Cette analyse est dveloppe aux 39 44 du cours Einkiti;n,g in die Philosophie (GA 27). Bien que Cassirer
ny soit que discrtement mentionn (GA 27, 358, note 1), on reconnat aisment son apport i la rflexion de
Heidegger. La recension de louvrage de Cassirer que 1-leidegger fit paraitre en 1928 dans la Deutsche Literattireitu
ig
(repris dans GA 3 et traduit dans Dbats sur k Kantisme et k; Philosophie et ta discussion de Davos du printemps
1929 confirment dailleurs limportance de louvrage de Cassirer pour ce qui est de cette thmatique.
On stonnera de ce que Heidegger puisse avoir recours lanthropologie pour traiter un thme ontologique
important, celui de lapparition de la question de ltre. Jaspers sen est dailleurs tonn : Enfin, je vous remercie
pour le compte rendu de Cassirer, que je nai pour linstant parcouru quune fois. II me semble, par la clart de
lexpos et de la critique, un modle de compte rendu. Mais jai t surpris de voir que ce que je vous prophtisais
rcemment comme malentendu possible de votre philosophie, vous le fassiez vous-mme dans I application de
la philosophie de lexistence aux peuples primitifs (Lettre dejaspers du 8 juillet 1928).
158
plutt retenir notre attention, cest le fait que Heidegger ait reconnu que se donne, chez le
Dasein mythique, quelque chose de tel que ltant dans son ensemble et que cest chez 1w
mythique apprhende ltant dans son ensemble, le monde2, comme le surpuissant. Fonde sur
les analyses des rcits mythologiques qua menes Cassirer, lexplication heideggnenne
prtend en effet montrer que cest comme surpuissance que le Dasein mythique comprend
ltre de ltant. Reprenant Cassirer le concept de surpuissance (qui runit ceux de mana, de
wakanda, donrnda et de manitou), Heidegger tente de mettre en vidence lorigine non pas
Sans entrer ici dans la critique que prsente Heidegger dans son compte rendu de 1928
de louvrage de Cassirer, notons simplement que celle-ci est centre sur labsence chez Cassirer
dune conceptualit adquate pour aborder les phnomnes dont il est question. videmment,
surpuissance non pas comme un tant mais comme le <t comment (lVie) de la ralit, comme
1. Un travail comparatif entre le texte de Keidegger et touvrage de Cassirer devra montrer cotnment le
premier prtend rcuprer les thses du second tout en reconnaissant les limites intrinsques dune dmarche qui
nest pas fonde dans une ontologie fondamentale.
2. Heidegger identifie clairement dans ce cours le <t dans son ensemble au monde: Le Dasein transcende,
dpasse ltant dans son ensemble. (...) Mais que signifie ce dans son ensemble qui appartient la
transcendance? Cest ce vers quoi saccomplit le dpassement de ttant, ce vers quoi la transcendance transcende
(...). Cela vers quoi le Darein essentiellement transcendant transcende, nous lappelons le monde (G 27, 306-
307). Pour ce qui est de cette identification, voir aussi GA 29/30, 8, 12 et 251 ; tx. 22, 25-26 et 255.
3. Cette critique est dj prsente au li de Sein und Zeit o Heidegger reproche Cassirer de fonder son
travail sur larchitectonique de la Critique de 12 raisonpure plutt que sur une analytique existentiale. Selon ce qucrn
Heidegger, Cassirer aurait reconnu dans une conversation avec lui en dcembre 1923 h ncessit dune telle
analytique (S. u. z., 51, note 1).
159
ltre de ltant. Mais Cassirer ne matrisant pas le problme de la comprhension de ltre
propre au Dasein, il lui serait impossible de saisir le lien essentiel que la mana entretient avec la
Heidegger esquisse lhiver 1928/29 comment cette interprtation de ltre de ltant comme
doit alors tre compris comme un tre-livr cette surpuissance de ltant2. Heidegger voque
alors la transformation qui se produit dans le Dasein mythique lorsque celui-ci lve la tte et
premier temps lui-mme que comme partie intgrante de cette surpuissance, le Dasein finira par
se manifester, par apparatre , par prendre note de sa propre prsence au sein de ltant dans
son ensemble. Le Dasein se comprend alors comme un lieu tout particulier de ltant dans son
Cest ainsi que le Dasein interprterait partir dune ide du divin quil a en lui tout ce
qui lentoure: ltant dans son ensemble, le monde, eu gard son origine et son avoir-
lieu , est ainsi interprt partir de cette comprhension de ltre comme surpuissance. Cest
ainsi que natraient les rites et toute lorganisation rituelle qui permettent au Dasein dtablir un
certain contrle sur ltant, malgr sa surpuissance. La manifestation du monde comme das
UberrndC)tl,ge serait ainsi lorigine secrte de toute rflexion sur le divin et de toute thologie. La
thologie, quelle soit cosmique ou chrtienne, trouverait son origine dans linterprtation du
monde que le Dasein opre partir dune ide du divin (r OEov) quil a en lui. Heidegger
reproche dailleurs Schelling davoir interprt les grands mythes partir des catgories
f. B cbun5: Ernst CassirLr, Philosophie der jmbohsche# Forinen. 2. Teib Das nthisd)e Denken (1925,), GA 3, 266 u.
par jean-Made Fataud, Recension de Ernst Cassirer: Das mvthische Denken , Dbat sur k Kantisme et la
Philosophie, 96 sq.
2. GA 2, 357 sq..
3. Ibid, 361-362.
4. Ibid., 358.
160
inverse: ii nous faut interprter la religion et les mythes partir de ltre-au-monde et de ltre-
jet tels quils caractrisent le Dajein mythique. La religion trouve son origine dans le rapport
initial du Dasein au monde compris comme surpuissance. Cest partir dun tel portrait quil est
possible.
Bien que cette analyse anthropologique soit dune importance bien relative pour nous,
cette incursion dans cette thmatique prsente lhiver 1928/29 nous permet dapercevoir
une autre facette de ltant dans son ensemble, car cest encore une fois pour caractriser le
rapport prefogique du Dasein ltant quest ici employe lexpression. Aux cts dc ce rapport
que nous avons qualifi desthtique au monde, Heidegger explore une autre faon de penser cc
rapport prlogique au monde: le rapport vythique au monde. Ii ne sagit videmment pas dun
rapport pouvant tre mis en lumire par lanalyse de la quotidiennet du Dasein, comme ctait
le cas pour le premier. Un tel expos se fonde sur une analyse anthropologique de ce qua pu
tre le Dasein avant la thmansation expresse de la comprhension de ltre qui est en lui et qui
Nous commenons apercevoir e lien qui doit unir, dans la mtaphysique du Dasein,
ce que Heidegger appelle ltant dans son ensemble au problme du monde. La thmatique de
dans la mtaphysique du Dasein. Or, si dans lhistoire de lonto-thologie, ttant dans son
ensemble nest jamais abord que comme question sur ttant le plus lev compris colmue
G
1. Ibid., 361.
16f
fondement de ltant, il semble quici Heidegger ouvre la voie i une autre modalit de
questionnement.
Si le problme traditionnel de ltant dans son ensemble trouve son quivalent dans le
la
problme du monde dc la mtaphysique du Dasein, il faudrait donc caractriser
partir de
problmes de ltre et du monde. Cette caractrisation de la mtaphysique du Dajein
premire
la dichotomie entre ic problme du monde et le problme de ltre peut tonner i
vue. Cest pourtant ainsi que Heidegger dtermine lhiver 1928/29 le concept authentique
de la mtaphysique
de
reconnue entre ce que Heidegger appelle ltant dans son ensemble et son concept
(de
monde permet de penser la philosophie comme la tension entre les problmes de ltre
ltant conrme tel) et du monde (de ltant dans son ensemble) : Le problme du monde est
dterminent tout dabord dans leur unit te coltcept authentique de rntapIysique 2. Mais le rapport
entre chacun de ces problmes est davantage esquiss qulabor: Le problme de ltre
problme du monde . Puis, plus loin: De son ct, le problme du monde, une fois
dploy, ne se laisse pas isoler, mais perce t nouveau et rebondit sur la construction du
e du Darein
1. KPM. Gi 3. 7 tr. 68. Notou que cette dfruition nest pas propre lpoque de la mtaphysiqu
conserve dans la suite de loeuvre. A simple titre dexemple. voir Beitr4ge zur Philosophie (Vom Errtgn4)
et quelle est
(1936-3$), G 65, 41; NietschesMerapbyrik (1 941/42), GA 50, 3 ; I. iL D., 45-49 ; tr. 289-292.
C 2. Ursprimghch einig mit dem Seinsproblem ist das Weltproblern, &md erst Seuisproblem und
in ihrer Emheit bestimmen dec echten Begjiffder Met4hysik (GA 27, 323-324 ; nous soulignons).
Weltproblem
dautre que la
3. IbiiL, 391. Voir aussi, GA 26, 282: La pro;ectlon dun monde dans la libert nest rien
temporabsation de la comprhensi on de ltre
162
monde senfonce en retour dans le problme
de ltre, cela signifie: les deux problmes
constituent la problmatique en soi unitaire de la
philosophie .
C L GA 27, 394.
2. Ibid., 395.
163
Chapitre III
Linterrogation mtaphysique portant sur le monde occupe une place importante dans
les textes qui suivent Sein raid Zeit lessai Vom Wesen des Gntndes et le cours de lhiver 1929/30
en tmoignent. Avant daborder le thme du monde tel quil est abord dans ces textes, il est
important de bien saisir en quoi consiste le statut problmatique du monde. Bien quil puisse tre
cosmolo,gia rationalis, par exemple , lide selon laquelle le monde constituerait un problme ne
va aucunement de soi. En quoi le monde pose-t-il problme? Le monde nest-il pas ce qui se
donne sans plus, ce quil y a de directement accessible, ce qui de tous les thmes de la
De faon gnrale, nous pouvons garder en tte que ce qui se prsente comme vident
pas faire des dcouvertes nouvelles, mais bien dtruire cette apparence dvidence qui colle
ce qui est par trop connu afin de librer lhomme de lengourdissement que provoque
lvidence2. Or, cest justement dans sa simplicit et dans son vidence que rside ce que
Ctait dailleurs lune des tches fondamentales de Sein zinc! Zeit du moins, dans sa
partie publie que de dconstruire les lieux communs qui touchent le phnomne du monde
Toutes les sections portant sur la mondanit du monde ( 14-24) nont dautre but que de
1. Sui cette dlinition de la phnomnologie comme science de lvident, voir Jean-Luc Manon, Rid.uction et
donation, 93 sq.
2. Wie iibetall in der Philosophie geht es auch hier nicht damm, unbekanntes Land zu entdecken, sondern
das lngst und Allzubekannte vom Schein und der Umnebelung zu befreien (GA 27, 306).
3. fbid., 50.
164
montrer lobscurit qui rgne sur notre comprhension du monde et sur le concept que nous
en avons. Heidegger nhsite dailleurs pas soutenir que le phnomne du monde a toujours
t escamot (iiber.brun,gen), non seulement dans lontologie moderne et chez Descartes, mais
depuis toujours et explicitement chez Parmmde . Avec cette thse forte nuance
ailleurs2 , Heidegger soutient donc quau point de vue philosophique, un concept adquat du
Sil y a donc un problme du monde , ce nest pas tant parce que la question son
gard attend encore sa solution, mais bien parce que le monde comme tel na jamais t abord
dans toute sa problmadcit3. Depuis les Grecs, la question de ltre du monde a toujours t
formule comme la question portant sur la structure dtre de la nature >. Or, bien que le
concept de nature ait son origine dans la spatialit originaire du monde, il nen constitue pas
du monde pour ce qui est de saisir ltre propre du monde5. Le monde nest pas cet tant qui
se tient face nous et qui se dfinit par son altrit ltant qui nest pas Dasein , mais bien
quelque chose qui doit tre compris partir de sa sgnjicatioii et donc, partir du Dasein pour
L S. u. z., 100.
2. On peut croire quAugustin et Pascal font exception en ce quils ont tous deux abord le monde dans une
optique qui ntait pas celle de la connaissance (GA 20, 222). Dautre part, Heidegger soutient ailleurs que Kant a
russi faire du concept de monde un problme dans sa Dissertation de 1770 (GA 27, 250). Mentionnons aussi les
conclusions positives que Heidegger tire des diffrents survols historiques du concept de monde autour de lessai
Vom JPesen des Grandes (voir infra, Les chemins emprunts par Heidegger pouf penser la question du monde ).
3. Dans le cours de lhiver 1928/29, Heidegger prsente le caractre problmatique du monde>< en cinq
points: 1. Le concept de monde oscille entre deux significations (cosmologique et existentielle) qui sont relies ; 2.
Loscillation est due ce que nest pas mise en lumire la relation entre le Dasein et te monde 3. Dans sa
dtermination cosmologique, le monde ne se rfre quindirectement lhomme, en tant quil est un tant qui fait
partie de la totalit de ltant ; 4. Et pourtant, mme ce concept de monde est li intimement lhomme en ce quil
est une ide et, en cela, trouve son origine dans la nature humaine ; 5. Dans la seconde acception du concept
(existentielle), monde signifie tre-homme. Le problme du monde se rduit donc cette question: quelle est la
relation entre Dasein et monde ? (GA 27, 302-304).
4. GA 20, 231.
5. Cest ce que Heidegger dfend au 14 de S. ti. Z. et lt 1925 (GA 20, 21 a).
165
Or, labsence dune concepmalit adquate pour aborder le problme du monde nest
pas uniquement nuisible la saisie propre du phnomne de monde. Comme le soutient
Heidegger depuis le dbut des annes 1920, la comprhension qua le Dasein de lui-mme est
prsent , comme une <(chose naturelle . Cette thse bien connue de Sein zrnd Zeit souligne
encore davantage limportance de la mconnaissance du monde qui rebondit sur le Dasein qui
tente une interprtation de soi. Heidegger parle alors dune rflexion ontologique (ontotogische
monde na pas seulement pour consquence que le Dasein se prend lui-mme pour un tant
mondaine. Comme il lcrivait dans les ?iinomenoto,gische Intepretationen <u ArLrtoteks de 1922, la
vie facricielle (...) parle la langue du monde (die Sprache der Wett) toutes les fois quelle se parle
elle-mme 2
problmatique du monde. Elle lui est cependant troitement lie en ce que la justesse de
lexposition du phnomne du monde dans Sein und Zeit dpend de ce que le Dasein se
monde (ivetthiirzg) et non comme (<appartenant au monde (wettytgeh?irtg)3. Dans cette analyse
1. S. ri. z., 15-16. Emmanuel Martineau traduit ontologische Riickstrahlung par le nologisme reflection
ontologique afin de souligner bien inutilement quil sagit bien du reflet et non dune action de la pense.
2. PIA, 11. Voir aussi, S. u. Z., 201 Le comprendre soriente, conformment la dchance, sur le
comprendre du monde
3. Dans une des notes marginales que Heidegger a ajoutes son exemplaire de Sein rend Zeit, Heidegger
souligne que le Dasein nest pas we/tjgeh?irrg comme ltant l-prsent, mais bien we/th&zg (S. u. Z., 65, Aiim. a).
166
sagit ici de lun des paradoxes de la pense de Sein zrnd Zeit , comment se fait-II que ce Dasein,
que lon caractrise conmie fondement de louverture du monde et qui joue, sa faon, le rle
dauteur du monde, peut-il ne rien comprendre au monde? Comme nous le venons par lanalyse
des textes qui suivent Sein und Zeit, cest parce que le monde ne fait pas uniquement partie de
laspect configurateur et projecteur du Dasein, mais de faon tout aussi fondamentale de son
aspect jet. Ce monde que le Dasein configure aussi paradoxal que cela puisse paratre lui
est impos. Pour employer une expression du cours de lhiver 1929/30, le Dasein est la fois
matre et serviteur du monde (Herr und Knecht der Wett) 2. Cest ce paradoxe que nous
Dans les textes et les cours de la mtaphysique du Dasein, de nombreuses tentatives ont
1929/30 voque dailleurs ces chemins emprunts par Heidegger que sont lhistoire du concept de
monde expose dans le trait Vom Wesen des Grundes et lanalyse de lentente humaine et quotidienne
dit monde dploye dans Sein und Zeit. Cest un troisime chemin que ce cours souhaite suivre,
celui dun examen comparatif entre la pataret en monde de lanimal et de la configuration du monde
propre lhomme. Dans le cadre de cet examen, il sagira dexpliquer comment lhomme peut
avoir)> un monde tout en tant lui-mme un fragment du monde, au mme titre que lanimal
et que la pierre.
Nous souhaitons ici suivre ces trois chemins qui ne sont pas les seuls possibles3 afin
1. On peut ajouter que la source constitutive du monde dans Sein und Zeit nest peut-tre pas tant le Dasein
isol que le on)> (dus Mac). Cest ainsi que linaccessibilit et lopacit du monde peuvent aussi tre expliques
(voir Ruth M. Sonderegger. Heideggers Welt: Ihre Erscliossenheit und ffir Entzug , Heidegger Handbuch, 94).
Mais nous insisterons davantage sur le fait que le fondement de laptvjection du monde quest le Dusein nest jamais
qu un fondementjet.
2. G 29/30, 262; tr. 266.
3. Ibii, 264; tr. 268.
4. Ibid., 264 ; fr. 267.
167
monde. Ces diverses analyses permettront de prpar
er la caractrisation transcendantale du
1. La mondanit du monde
ne serait pas le comportement dcouvrant originel mais ne ferait qu opiner sur des tats de
plus propre recouvrir qu dcouvrir. En prenant pour point de dpart le concept de souci,
Heidegger prtend ainsi jeter un regard sur le monde tel quil se donne avant quil ne soit
Ces thmes exposs dans Sein und Zeit sont par trop connus pour que nous ayons
nous y arrter davantage. Il est cependant important de souligner que Heidegger reconnat que
le cadre de lanalytique existentiale npuise pas la problmatique du monde. Aprs avoir men
souligne que cette critique de lontologie cartsienne fonde sur lide de la mondanit du
Jt
la partie sur lequel se clt la discussion avec Descartes3.
monde est une exposition des significations principales que le monde a portes dans le cours
C 1. GA 20, 222.
2.S.zZ.,100.
3. Ibid., 100-101.
169
de son histoire. Cest tout dabord dans le cours de lt 1928 que Heidegger prsen
te cc
troisime, avec un traitement beaucoup plus dvelopp du concept dc monde kantien, lhiver
1928/29. Cette histoire des diffrentes significations du concept de monde a pour but
de
montrer que le concept dtre-au-monde nest pas un concept invent par lauteur
de Sein
und Zei% mais bien une ide pressentie dans toute la tradition philosophique mais dont
une
comme naWse la somme de tout ce qui est la philosophie a depuis toujours reconnu une
dessentiel. Kjioc ne vise pas cet tant-ci ou cet tant-la, pressant et oppres
sant, ni tout
ltant pris ensemble, mais signifie 1 tat (Zustand), cest--dire la ?flanirt (Lf7e) avec laquelle
ltant et cela, dans son ensemble (im Ganen,) est . La signification du monde comme nature
nest donc pas celle qui aurait prdomin h naissance de la philosophie. Le monde
ne se
rfre pas ltant comme tel mais plutt la manire dtre de ltant dans son ensem
ble .
Sappuyant sur les travaux de Karl Reinhardt (Parmenides und die Geschichte der g.iechischen
Philosophie, Frankfurt a. M., 1916), Heidegger soutient que lexpression ((ce monde-ci
(K6jio o&w) ne vise jamais, chez les philosophes prsocratiques, une partie de ltant
oppose une autre, mais dsigne bien plutt une manire dtre de ltant, un monde de ltant
f. GA 26, 218-232.
2. VWG, 142-155 ; tr. 11f-130.
3. GA 27, 239-304.
4. VWG, 142; tr. 112.
7O
par opposition un autre monde de ce mme tant . Chez Parmnide, Hracite ou
Anaxagore, lexpression monde se rfre donc une modalit possible de ltant parmi de
nombreuses autres. Monde sert dcrire la faon dont ltant se donne un Dasein. Cest ce
Mais le concept de monde peut aussi tre pris dans sa signification existentielle . Une
telle signification aurait fait son apparition chez Hracite au fragment 89: Pour les veills il
y a un monde un et commun ; mais parmi ceux qui dorment, chacun sen dtourne vers le sien
propre . Ici, Hracite souligne que le monde nest pas quune saisie de ltant qui se donne,
mais quil est aussi intimement li lexistence de lhomme et quil tmoigne du rapport de
lhomme ltant dans son ensemble. Bien que cette signification existentielle du monde soit
surtout accentue chez les penseurs chrtiens, Heidegger souhaite montrer que dj chez les
Grecs, le monde na de sens que relativement au Dasein4. Cest ainsi que Heidegger tente une
caractrisation du concept de monde des premiers penseurs grecs : 1. Monde signifie plutt
une manire dtre de ltant (ciii Wie des Seins des Seienden) que cet tant lui-mme. 2. Cette
manire dtermine ltant dans son ensembk (im Ganen). (...) 3. Cette manire dans son ensemble
est en quelque sorte prliminaire (voin,gtg). 4. Cette manire [qui dtermine] de faon
prliminaire [ltant] dans son ensemble est elle-mme retative au Dasein humain. Le monde
appartient donc au Dasein humain, bien quil embrasse dans une totalit le Dasein et tout
tant . Mais bien que ces lments constitutifs du monde aient t pressentis dans
comme tel6.
1. Ibid
2. Ibid., 147; tr. 118.
3. Fragment LXXXJX de ldition Diels (Fragmente der Vorsokratiker) ; tr. Jean_Pierre Dumont (d.), Les .vles
prsotratiqaes, Paris, Gallimard, 1988, 86.
4. Dans son cours de lhiver 1928/29, Heidegger fait mme rfrence des recherches rcentes qui montrent
que le concept existentiel de monde nest pas spcifiquement notestamentaire, johannique ou hellnistique,
mais remonte beaucoup plus loin jusquaux cercles de la culture manichenne et mandenne (GA 27, 243).
5. lIVG, 113; tr. 113.
6. GA 26, 221.
171
Pour montrer la pertinence de cette division du concept de monde en concepts
manifeste la prsence de cette dualit dans lhistoire de la philosophie. Cest dans le Nouveau
devient alors le titre dun mode de lexistence humaine, celui dans lequel lhomme se dtourne
de Dieu. Cest ainsi que dans la Premire 1putre aux Corinthiens, Paul parle du monde non pas
seulement pour voquer un tat propre ltant, mais surtout pour parler de ltat et de la
situation de ltre humain par rapport ltant et les biens du monde. Cest ainsi que
Cette accentuation du concept existentiel sera reflte dans les penses dAugustin et dc
Thomas. Pour Augustm, monde (mundus) sert dsigner tout dabord lensemble de ltant
compris comme eus creatum. Mais il dsigne aussi et surtout la faon dont certains habitent corde
in mundo, cest--dire avec le coeur dans 1e monde plutt quavec Dieu. Monde qualifie alors
ceux qui aiment le monde et qui y vivent avec le coeur et non seulement avec le corps. Aux
concept existentiel de monde. La mme chose peut tre dite de Thomas pour qui mundus
signifie universiun (concept cosmologique), mais aussi saecutum (concept existentiel) quand il est
exemple, le monde comme thme de la cosmoto,gia rationatis est rduit la somme de lens creatum
sans que ne soit soulign son lien essentiel avec lhomme. Il faudra attendre Kant pour que
C une simple rappropriation du concept chrtien de monde. Pour Kant, monde signifie tout
172
dabord comme chez Baumgarten 6 totalit des choses finies . Cette finitude des choses
nest cependant plus pense comme consquence du fait quelles ont t cres (ens creatum),
mais bien plutt partir du fait quelle sont lobjet possibk dtne connaissance finie. Cest dsormais
la connaissance finie de lhomme intuitus denvativus qui stablit comme source de la finitude
des choses du monde. Par ce biais, le concept existentiel de monde fait donc sa rapparition
dans la mtaphysique. Insistant nouveau sur lintime connexion qui unit ce problme
pun de Kant prsente une fondation de la mtaphysique dans son ensemble, le problme du
concept de monde doit donc ncessairement prendre une forme nouvelle qui concorde avec
problmatique qui octroie Kant une place part dans cette histoire du monde
Ces quelques indications sur lhistoire du concept nous permettent dapercevoir que
Heidegger nest pas le seul avoir pens le monde dans sa relation essentielle avec lhomme.
Depuis Hracite, mais surtout depuis Augustin, le monde et lhomme sont troitement lis
tel point que lun ne peut tre pens sans lautre2. Cest dans cette voie que sengage lanalyse
dans quoi (worin) un Dasein factuel vit en tant que tel Bien quelle ait pressenti ces
correctement ni saisies ontologiquement dans leur unit. Cet usage du concept de monde est
les indications historiques qui prcdent ont d le montrer si peu arbitraire, que nous
cherchons par i lever h hauteur dun pro btrne prcis et nettement formul, un phnomne
concept transcendantal du monde est lexamen comparatif que Heidegger dploie lhiver
1929/30 en formulant trois thses portant sur le monde. Dans ces analyses, il prtend laborer
lanimal et pour La pierre. Notre objectif nest pas ici de fournir une analyse complte de ce
cours, mais plutt de souligner que Heidegger cherche penser les liens que nous avons
Les trois thses directrices que Heidegger examine dans ce cours sont les suivantes t
1. la pierre (ce qui est matriel) est sans monde fuettios,) ; 2. lanimal est pauvre en monde frettarm)
3. lhomme est conJguratettr de monde fivettbitdend) >2. Cet examen comparatif a pour but de mettre
en relief les diffrentes faons qua ltant de se rapporter au monde. Il ne sagit donc pas
damliorer ou de prciser une description dj existante du monde, mais bien plutt de faire
de monde, montre tout dabord que cest laccessibilit ltant qui diffrencie le monde de la
pierre de celui de lanimal. Dans la mesure o lanimal nest pas absolument priv de monde,
mais simplement pauvre en monde il a du monde cctte diffrence donne une premire
indication dc lessence du monde compris en son sens cosmologique: le monde est ttant
2
chaque fois accessible Le rapport de lanimal au monde est cependant nettement plus
pauvre que celui qui unit lhomme son monde. Si lanimal a accs de ltant, cest
toujours sur le mode de laccaparement (Benoinmenheit) de lanimal par le monde. Lanimal a accs
de ltant mais na jamais la possibilit de saisir celui-ci comme un tant. Ltre de ltant 1m est
refus et cest en cela quon le dit pauvre en monde . Lhomme, quant lui, est capable
dprouver ltant et de le voir se manifester en tant qutant3. Cest ainsi que le monde du
Dasein reoit une dfinition plus prcise qui permet de comprendre la pauvret en monde de
lanimal: le monde de lhomme se dfinit comme laccessibilit de ltant comme tel . Ainsi,
mais aussi et surtout la capacit daborder cet tant comme tant, comme quelque chose qui est, de le
nindique que bien peu de choses sur lessence du monde et absolument rien du fondement
de sa possibilit . Afin dentrer plus fond dans le problme du monde, cest la configuration
de monde qui doit devenir le thme de lanalyse. Mais dj, nous avons vu apparatre quelque
chose dessentiel quant la possibilit dlaborer les questions concernant le monde. Le monde
du Dasein ayant t dfini comme <c la manifestet de ltant en tant qutant , nous apercevons
le lien troit qui unit ce concept au problme de ltre (de ltant en tant qutant, et par
du Dasein est troitement h la comprhension quil a de ltre, il semble que nous obtenions
Laccaparement qui constitue la faon qua lanimal dtre en rapport avec ltant du
monde ferme tout accs ltant en tant qutant, cest--dire ltre de ltant. De son ct,
lhomme se dfinit par un comportement (Verhatten) envers le monde. Dans la discussion qui
o
176
Chapitre W
transcendantal de la question de ltre, mais aussi en dfruissant ltre comme le transcenaens par
transcendance dont Heidegger va se rclamer dsormais prtend faire sienne une acception
mesure, Sein tmd Zeit. Pense partir du dpassement de ltant vers ltre quaccomplit
continuellement le Dasein dans son rapport ltant, la transcendance ne sert plus qualifier ce
qui dpasserait lhomme (le monde, ltre, Dieu) mais bien un dpassement propre lhomme
lai-mme.
est sans doute lun des plus vieux mots de la mtaphysique et surtout, un mot qui a une
tradition des plus lourdes porter. Pourquoi Heidegger y recourt-il? Mme sil prtend quun
tel recours au concept de transcendance ne doit rien son acception traditionnelle, il nous faut
tout de mme interroger le rapport quentretient ce concept avec la tradition qui le prcde.
177
Thomas dAquin, et dsigne les dterminations les plus gnrales de ltre de ltant. A chaque
tant, il appartient entre autres dtre (eus), davoir une essence Ces), dtre indivisible (unum),
etc. Retenons principalement que ces caractristiques propres i ltre de ltant sont dduites,
cest-a-dire quelles dcoulent (consequens) dc notre saisie de ltant et ne sont donc pas encore
penses comme les conditions de possibilit dc notre rapport ltant. Cest trs certainement
cet aspect qui diffrenne essentiellement lusage que fait Thomas dAquin du terme
t< transcendantal de lusage quen feront Kant et Heidegger pour qui la connaissance
Wesen des Gnmdes (f< La transcendance comme cadre de la question sur lessence du
dun point de vue formel, ce dpassement apparat comme une relation qui stend de
ist schon mit inbegnffen in allem, was einer am Seienden erfafit. (S. u. z., 3 ; tr. une comprhension de ltre
est toujours dj incluse dans tout ce que lon saisit de ltant >). Ce transcendantal quest lens prsente donc une
certaine familiarit avec ltre que comprend le Dasein. Ce qui cependant loigne les deux concepts, cest que lens
ne constitue quun transcendantal parmi dautres alors que ltre est, chez Heidegger, le transcendens par
excellence: e Etre et structure dtre excdent tout tant et toute dterminit tante possible dun tant. Ltre est
k transcendcns par excellence (schkchthin) (S. Z., 38). Heidegger ajoute dans une note de son exemplaire de Sein
iatd Zeit que ce terme transcendens ne doit pas tre ici entendu au sens scolastique et grco-platonicien dc
wotvv , mais bien en un sens qui renvoie lekstase du Darein, sa temporalit (Zeit/ichkeit) et celle de ltre
(Ternporalitdt} (IbidL, Aiim. a).
178
quelque chose vers quelque chose. En ce sens, fait essentiellement partie du dpassement
cela vers quoi seffectue le dpassement, ce que lon a lhabitude dc dsigner tort comme le
transcendant que lallemand distingue plus facilement que le franais : ce vers quoi le
dpassement seffectue, ce qui est au-del, qui est transcendant, dus Transendente (qui
qui transcende, celui qui effectue le dpassement, dus Transr,endierende. Cest ce second sens qui
va intresser Heidegger dans la mesure o le I)asein ne se tient pas au-del de ltant, mais quil
ne peut sy rapporter que sil en comprend ltre que sil dpasse ltant en souvrant son tre,
habituellement ce premier sens : ce qui se dent au-del des choses normales, immanentes. Or,
bien qu immanent puisse vouloir indiquer la mme chose que sensible (par opposition
ainsi les objets par opposition un sujet, le monde par opposition une conscience. Ce
premire de ses Mditations cartsiennes de 1929, Kusserl dfinit le moi rsultant de lnoti
pouvant tre puiss quen moi-mme, le monde sera qualifi de transcendant ce qui se tient au
1. LIVG, 137; tr. 104. on en retrouve une bauche dans le cours de Lt 192$: Ainsi, transcendance signifie:
le dpassement, le dpasser, et le transcendant signifie cela vers quoi le dpassement est effectu, cela qui exige un
tel dpassement pour tre rendu accessible et saisissable, Lau-del, loppos; finalement, cela qui effictue la
transcendance (das Transendierend): ce qui accomplit le dpassement. La signification du mot englobe donc les sens
suivants: 1. une activit au sens le plus large du terme, un faire ; 2. au sens formel, une relation : le passage vers...,
partir de... ; et 3. quelque chose qui est alors dpass, une limite, une restriction, un gouffre, quelque chose qui
se tient au milieu (GA 26, 204).
2. Wir nennen diesen Transzendenzbegtiff daher den erkenntnistheoretischen (GA 26 206).
3. Edmund Hussed, Cartesianische Aleditationen, 65; tr. 54.
179
del de limmanence de la conscience, celle-ci tant comprise comme ce moi transcendantal qui
Il semble que ce soit cette acception du concept expose ds 1913 dans les fdeen u
einer reinen Phdnomeno/o,gie ttndphanomenottgzschen Philosophie que zise Heidegger dans la dfinition
du concept eistmoto<gique de transcendance. Trs tt, Heidegger sest lev contre lhritage
cartsien latent dans la phnomnologie de Hussed1. Cette ide dune transcendance qui
tablisse la scission entre un dedans (la conscience, limmanence des vcus) et un dehors (le
monde, la transcendance objective) et dont Heidegger fait ici la critique vise toute
tholqgique de la transcendance. Ici, la transcendance nest plus oppose limmanence, mas bien
La relation de transcendance ne stablit plus entre le sujet et lobjet, mais bien entre ltant
traditionnel de la transcendance qui est le sens que donne, par exemple, la pense chrtienne
son Dieu est dailleurs celui auquel Karl Jaspers faisait rfrence dans son ouvragr
1. Une critique en rgle est mene lhiver 1923/24 dans lEzifehning in die phno;nenoiogische forschung (GA 17).
2. Voir, ce sujet, Anon L. Keikel, Immanence de ta conscience intentionnelle et transcendance du Da.eei s,
dans Franco Volpi (d.), Heidgger et lide de lap/;nomeiogte, La Raye, Martinus Nijhoff 1988, 165-166.
3. GA 26, 206.
4. Jaspers y distingue trois spheres dexistences concretes: le monde, le moi et la transcendance quil identifie a
ltre qui est au-del de la connaissance, du moi et du monde.
180
dorigine scolastique est employ pour qualifier la dmarche suivie dans la C;itique de ta raison
pure, cest- dire la mthode transcendantale . Or, suivant cri cela lorientation de la
philosophie moderne sur la ,bnon, Kant appelle transcendantal non pas quelque chose qui
dcoulerait dc notre saisie de ltant (cousequens], mais bien quelque chose qui lanticipe
(antecedens), quelque chose dantrieur toute perception de ltant, une dtermination ap?ion1.
Le transcendantal nest donc plus une caractristique gnrale de ltant peipi, mais bien une
proprit de h perception de ltant qui en constitue la condition de possibilit. cette fin, Kant
qualifie de transcendantale toute connaissance qui soccupe en gnral non pas tant dobjets que
de notre mode de connaissance des objets en tant quil doit tre possible aprioti (KrV, B 25).
philosophie, mais bien notre mode de connaissance aplion de ces objets. Cette recherche des
conditions a pi-ion de la possibilit des objets est dite transcendsmtale et non transcendante. Kant
prtendue connaissance qui se situe au-del des limites de lexprience humaine et dont la
des objets en direction de leur objectivit ou de leur ralit3. Malgr ce titre de transcendantale,
la mthode kantienne demeure donc rive au domaine de lexprience possible et est pour
autant une mthode immanente. Si ce dpassement de lobjet de lexprience vers son objectivit
cest quil anticipe sur cet autre dpassement, celui de ltant vers ltre, qui caractrise la
Dans louvrage Kant und dos Probtem der Metap4ysik ainsi que dans la Phdnomenotoische
fnteipretation von Kants K,itik der reinen Vertzunft prsente t lhiver 1927/28, Keidegger tente
alors paraphraser Kant et appeler transcendantale toute connaissance qui soccupe en gnral
non pas tant des tants que de la comprhension de ltre des tants en tant quelle doit tre
possible a priori 2. Ces travaux sur Kant manifestent clairement do Heidegger tient son
concept de transcendance. Nanmoins, nous devons souligner que ce que Heidegger reconnat
ici con-irrie une avance de la pense kantienne vers cette comprhension de ltre originaire qui
rend possible toute ontologie a nanmoins t frein par une srie de prsuppositions propres
fondamentale4.
I. Voir, ce sujet, Ingtraud Grland, Tra1tsendn und Setbst. Einc Phare in Heideggers Denken, Frankfuit a. M.,
Klostermann, 1981, 15.
2. Les parallles sont nanmoins trs clairement tracs: Les connaissances synthtiques a priori sont les
connaissances qui se trouvent toulours dj et certes ncessairement au fondement de tout connatre de
ltant, cest--chie de lexprience de ltant, de la connaissance empinque, en tant que fondement qui rend
possible lexprience de ltant. Dans toute connaissance de ltant, de lonrique, il y a dj une certaine
connaissance de sa constitution dtre, il y a une comprhension dtre prontologique (GA 25, 81). Voir aussi
51-56, 193-194 et 219, ainsi que KPM, 42-43 ; tr. 102.
3. face ce concept traditionnel (kantien) de transcendance, il nous faut noter ceci: 1. il nest pas original,
mais repose sur une dtermination antrieure et non lucide, celle du sujet ; 2. ce concept se maintient en plus
dans ltroitesse que constitue le fait de se [ter la connaissance, comprise comme connaissance thorique,
comme recherche scientifique (GA 27, 208).
4. GA 26, 218-219.
182
Comme nous lavons dit, cest partir des Gnrndprobterne der Phdnomenoogie de lt 1927
concept prtend permettre une remonte vers les conditions de possibilit de ce que Husserl
soutenu que lintentionnalit tait un phnomne driv qui devait tre reconduit un
phnomne plus originaire. Or, ctait alors le souci phnomne caractris comme un tre-
cette fonction. Deux ans plus tard, cest la transcendance caractrise comme tre-au-dela de
ltant (Hinaussein liber das Seiende) 2 que Heidegger situe au fondement de lintentionnalit en
soutenant que la trouvaille de Brentano ne concerne en fin de compte que la relation ontique
ltant vers son tre que Heidegger ne conoit pas comme une caractristiqtte du Dasein, cest--
dire comme un (<tat de chose , mais bien comme un acte originaire , comme lUrhandtuig
des Daseins5. La transcendance nest donc ni la proprit de quelque tant suprieur, ni une
caractristique de lobjet (par opposition limmanence du sujet), mais bien une sorte dactivit
phnomne acquiert une importance telle, cest que Heidegger le conoit comme la
1. GA 20, 406 sq. Voir ce sujet Jean Greisch, OIztolqgie et temporalit, 455. Notons que cette tension interne au
Dasein et caractrisdque du souci annonce lide de projet jet que Heidegger dploiera dans Sein und Zei Nous
verrons plus loin limportance qua cette ide pour ce qui est de lessence mtaphysique du Dasein (voir i.fra,
De lessence du fondement ).
2. W?J?, 115 ; tr. 62/53.
3. GA 25, 334.
4. GA 26, 170 et 194.
5. GA 27, 214. Au sujet de cet acte originaire du philosopher, voir Jean Greiscli, Der philosophischc
Umbruch in denJahren 1928-32, 117.
6. La transcendance nest pas un comportement quelconque et possible du Dasein (parmi dautres
comportements possibles) envers dautres tants, mais bien la constitution de base de son tre, en verni de
f83
ltant dans le monde dpend essentiellement de ce que le Dasein ait pralablement dpass
ltant vis-t-vis duquel il se comporte. Pour que ltant fasse encontre dans le monde, il faut
que le Dasein puisse se rapporter aux structures fondamentales de ltant, tant pour ce qui est
de ltant qui nest pas i la mesure du Dasein, que pour ltant qui est Dasein, le mien ainsi que
und Zei% dans la section consacre ce que Heidegger appelait alors la transcendance du
monde 2. lintrieur de cette section surgit la question suivante: Quest-ce qui rend
ontologiquement possible que ltant puisse faire encontre lintrieur du monde et tre
objectiv en tant que tel? La rponse que donnait Heidegger cette question anticipait sur
transcender ltant thmatis. La transcendance ne consiste pas dans lobjectivation, cest celle-ci
laquelle il peut tout dabord se comporter envers ltant (GA 26, 211). Ce rapport ltant ne doit cependant pas
tre limit au rapport thorique: La transcendance prcde tout mode possible dactivit en gnral, toute
vipt mais aussi toute prt (ibii, 236). Voir aussi dans Vom U7esen des Grundes : La transcendance (...)
dsigne quelque chose appartenant en propre au Dasein humain et ce, non pas comme un mode de comportement
possible parmi dautres et parfois ralis, mais bien comme ki constitutionfondamentale et antrieure tout comportement
parle plus gnralement du souci pour voquer les rapports du Dasein ltant, on voit que
cette ide dune transcendance du Dasein si fondamentale dans les annes qui ont suivi
apparat dj ici.
Ailleurs dans Sein und Zeit, le vocabulaire de la transcendance revient plusieurs reprises
qualifier 1honon que constitue lexplication du temps pour la question de ltre (titre de la
premire partie partiellement publie de Sein und Zeit) et luniversalit du phnomne du souci
( 42). Ce nest donc pas un terme que Heidegger rfttse demployer, mme sil apparat comme
Mais ds Sein und Zeit et principalement au 69, rien ne fait obstacle ce que cette pense de
lontologie fondamentale se prsente sous les auspices de la transcendance. Cest dailleurs ainsi
que llve Gadamer a interprt Sein und Zeit: comme une rinterprtation transcendantale
des intuitions de base des cours donns sous lgide de lhermneutique de la facticit, comme
Cest dans le cours du semestre dt 1927 que Heidegger a expos lide selon laquelle
ltre du Dasein doit tre compris comme transcendance. Cest en abordant ies conditions de
Par la diffrenciation de ltre par rapport ltant, crit-il, nous sortons en effet, de manire
mesure o la philosophie a pour thme ltre et dans la mesure o celui-ci ne peut tre atteint
que dans une diffrenciation davec ce qui est, davec ltant, la transcendance du Dasein signifie
non seulement la sortie hors du domaine de ltant , mais aussi lentre dans le champ de la
1. Ibid, 363-364.
2. Voir, entre autres, Neuerv Philosophie I, CLV 3, 309, 326 ; tr. fr. 189, 210, ainsi que Erinnerungen an
Heideggers An6inge , Di/thy-Jahrbuch, 1986-1987/4, 16.
3. GA 24, 23.
185
problmatique philosophique . Cette science de ltre ou ontologie fondamentale que
Heidegger souhaite alors dployer peut donc tre appele science transcendantale .
monde, mais aussi de ltre-jet, la transcendance deviendra alors le phnomne premier qui
permet dexpliquer que de ltant fasse encontre et quun monde puisse se constituer. La
transcendance ne caractrise donc pas seulement laspect configurateur du Dasein. Le fait que
celui-ci se tienne depuis toujours dans un monde, quil y soitjet4 constitue aussi te nerf de cette
ide de h transcendance.
section de lessai l7om Weseiz des Grundes, nous pouvons caractriser le phnomne de h
transcendance du Dasein suivant les trois angles propres au dpassement (ce qui accomplit le
dpassement, ce vers quoi est orient le dpassement, ce qui est dpass dans le dpassement)2.
Ce qui est dpass, cest prcisment et uniquement ltant lui-mme, et en fait tout tant qui
peut se trouver dvoil au Dasein ou le devenir . Ce qui est transcend dans le dpassement,
cest donc tout tant qui se manifeste au Dasein et ce qui, dans ce mme mouvement de
dpassement, hwzscende, cest le Dasein lui-mme. Mais comment faut-il dterminer le ce-vers-
quoi (das Woratf/hin,) du dpassement? <(Nous nominons cela vers quoi le Dasein comme tel
1. Tbii, 41 8-429.
2. V1G, 137 sq ; tr. 104 sq.
3. IbitL, 139 ; tr. 106.
186
transcende le monde et dterminons pour linstant la transcendance
comme tre-ait-monde. Le
Le Dasein existe de telle sorte que ltant lui est toujours ouvert dans
son ensemble.
Avant mme que le concept de monde ne puisse surgir, ltant dans
son ensemble est dj
manifeste au Dasein. Le Dasein possde ainsi, avant toute tentative dexaminer et de procder
Le monde coimiae ensemble ne doit pas tre abord comme la somme des tants
pouvant tre tablie a posteriori, mais bien comme ce do le Dasein se donne comprendre envers
quel tant il peut se comporter et de quelle faon il le peut , ou encore comme la totalit
originaire de ce que, en tant que libre, le Dasein se donne comprendre . Heidegger soudent
donc que le monde nest pas la somme de ltant effectif rencontr dans le monde , mais
bien plutt lensemble des diffrents rapports que le Dasein peut entretenir avec ltant. Le
concept transcendantal de monde constitue lannonce, pour ainsi dire, des rapports possibles que
le Dasein peut entretenir avec ltant l-prsent, avec les autres Dasein et avec lui-mme. Cest
ainsi que cette pr-comprhension de lessence du monde, en prfigurant tous les rapports avec
ltant, donne aussi au Dasein le modle pour le rapport soi-mme. Cest en projetant h
structure du monde que le Dasein dcouvre ltant quil est lui-mme et que se constitue son
ipsit. Cest dire quavant mme de pouvoir exister en vue de lui-mme (umwillen semer), le
Dasein existe en vue du monde. tipsit appartient le inonde ; celui-ci est essentiellement h
au Dasein . Le lien entre te monde et le Dasein est tel que le Dasein ne peut se rapporter soi-
Cette dfinition du monde comme concept transcendantal rend manifeste ce que lon
transcendance du Dasein. Dans la mesure o lon dfinit le monde comme lensemble des
rapports que le Dasein peut entretenir avec ltant, on peut classer ces rapports selon trois
1. Das je vorgreifend-umgreifende Versiehen dieser Ganzheit aber ist berstieg zur Welt (ibii, 156 ; u.
132).
2. Respectivement, Welt ais Ganzheit ist kein Seiendes, sondem das, aus dem her d2s Dasem
sich zu
beckuten gibt, zu welchem Seienden und wie es sich dazu verhaiten kann (VWG, 157 tr. 132) et Die
; WeIt,
pnmr gekennzeiclmet durch das Umwillen, ist die ursprnghche Ganzheit dessen, was sich
das Dasem ais freies
zu verstehen gibi (GA 26, 247).
3. VWG, 157; tr. 133.
188
domaines essentiellement distincts: 1. les rapports avec ltant que e suis, 2. ceux
que itablis
avec ltant qui a le mme mode dtre que moi mais qui nest pas moi et
3. les rapports envers
ltant qui nest pas i la mesure du Dasein (nichtdaseinsmiijiig). Cet ventail des relations que le
Dasein entretient avec te monde permet r Keidegger dtablir une division triparti du
te monde:
le monde amblant (Umwett} constitu de lensemble des tants mtramondain
s, le monde
commun (Mitwett) que compose la communaut des Dasein et le monde propre
(Se/bstwelt)
constitu de ltant que je suis.
Ces concepts ne sont pas propres t la mtaphysique du Dasein, car ils taient dj
prsents par Heidegger dans ses cours depuis le dbut des annes 1920. Lanal
yse de la
mondanit du monde prsentait aussi la division de ltant suivant ce ternair
e: Nous devons
monde le monde ambiant en un sens troit mais aussi, mme si ce nest pas comme un
rencontre des autres, on peut distinguer ceux-ci des choses du monde dans le monde
(...)
amblant (Umwett,.) et dlimiter un monde commun Mitwett), alors que mon propre
Dasein, dans
la mesure o il est rencontr dans le monde ambiant (umwetttich) peut tre saisi comme
monde
propre (Setbstivelt) . En voquant cette distinction dans le cours de lt 1925 entre lUmwett, la
jai vu les choses dans mes cours antrieurs et cest ainsi que jai conu ces termes Mais
. cela est
en son principe faux. (...) Les autres, mme sils sont rencontrs dans le monde, nont
absolument pas et nont jamais le mode dtre du monde. Les autres ne peuven donc
t pas tre
est certes constitutive de ltre-au-monde du Dasein et de celui de lautre, mais ils ne devien
nent
pas pour autant quelque chose de mondain. Si lon rajoute la qualification avec
au
1. GA 20, 333
189
phnomne monde et nous parlons dun monde commun, les choses sont mal orientes
ds le dpart . Or, si cette terminologie du dbut des annes 19202 et qui provient sans
doute des recherches sur Augustm3 est absente de Sein und Zei, la tripartition nen continue
Le monde est ainsi compris dans son rapport au Dasein. Comme nous lavons dj
soulign, cest la mise en lumire de b relation avec le Dasein qui constitue tout lenjeu de cette
exposition du phnomne de monde. Or, si le monde est un phnomne triple, cest parce qu
est simultanment: ltre auprs... de ltant l-prsent, ltre-avec avec.., le Dasein des autres
et ltre envers. - - lui-mme . Le monde est donc compris comme rponse ou comme
cho lessence du Dasein. Le Dasein ouvre en effet les possibilits qua ltant de se
prsenter en tant la fois tre-auprs (Sein-bez), tre-avec (Mit-sein) et tre-envers (Zu-sein). Ltant qui
doit rpondre cette exigence du Dasein ne peut donc se prsenter quen tant que chose auprs
de laquelle se dent le Dasein, en tant que Mitdasein avec lequel le Dasein entre en relation ou en
tant que soi envers lequel se comporte le Dasein. Cest ainsi que se dtermine et se limite b
1. [kiL
2. Elle apparat dj au semestre dhiver 1919/20, Crtindprobkme der Phdetomenolo,gie (GA 5$). Voir Kistel, The
Genesis of Heideggere Beiig ni Time, 117-123 et 502-506.
3. Bien que la symtrie ne soit pas parfaite, il semble que la tripartition de la tentation quAugustin prsente
dans ses Confissions puisse tre mise en parallle avec la tripartition du monde chez Heidegger. Les cours du dbut
des amnies 1920 sur la phnomnologie de la religion sont fondamentaw pour ce qui est de ta gense des
concepts de base heideggriens comme cewc du souci, de ta vrit et de la temporalit. Sur ces questions, on
consultera ltude de Jean Greisch, Souci et tentation. La dette augustin enne , L Arbre de la yie et lArbre du savoir.
Les ratines phetomnolo,giques de lheiwineutique heide,ggrienne (19 19-7923), Les Editions du Cerf Paris, 2000, 219-251
celles de Jean Grondin, Heidegger und Augustinus. Zur hermeneutischen Wahrheit , dans Ewald Richter (d.),
Die FraiLe nach der Wahrhei% Frankfurt a. M., Klostermann, 1997, 161-173 et de Friednch-Wilhelm von Herrmann,
Augustinus und die phnomenologische Frage nach der Zeit , PhilosophischesJahrbuch, 1993/100, 96-113.
4. Le terme Selbstwelt ny apparat pas et Heidegger prfre lexpression le monde que je partage avec les
autres au terme de Mitwett quil rserve pour k monde du on mdiocrement dcouvert (S. u. z., 129). L Umwelt ,
terme qui signifie simplement lenvironnement en allemand, apparat quant lui rgulirement, linterdit ntant pas
tomb sur les choses intramondaines.
5. Eines Seienden, das gleichursprnghch ist: das Sein bei... Vorhandenem, das Mitsein mit... dciii Dasem
Anderer und 5cm zu... ihm selbst (VWG, 163 ; tr. 141). Dans le cours de lhiver 1928/29, Heidegger caractnse
la dispersion (Zerstreuuig) du Da du Dasein de la mme faon: le Dasein est toujours et cooriginairement tre-
auprs, tre-avec et tre-soi (Sein-be, Mit-sein und Selbst-sein) (GA 27, 148 et 333).
190
totalit quest le monde: non pas partir dune ide prconue de la nature, mais
bien a partir
dans ltre-avec avec lautre, dans ltre-auprs... et dans ltre-soi-mme (le Dasein),
on entend
.
de faon unitaire Cette unit de la dispersion du Dasein qui b fois constitue lunit du
lien entre le Dasein et le monde comme celui de la trop simple juxtaposition dun sujet
et de ses
de trois faons ltant et cette tripartition doit tre aborde comme la project
ion triple des
Mitdasein avec qui il existe sont aussi penss partir de len mie de
propre au Dasein: En tant
C 1. GA 27, 309.
2. Voir infra, De lessence de la libert humaine .
3.S.u.Z., 123.
191
ltant. Or, le complexe de renvois se comprend partir de la chane de pour-quoi (Wo.u) de
ltant qui met en vidence ten vue de quoi (Wontm-witkn,) auquel tout pourquoi reconduit
(...)
en dernire instance , cest--dire le Dasein dont ltre constitue le point dancrage de tout
complexe de renvois, (f tre avec lequel il ne peut plus retourner de rien puisquil est bien plutt
ltre en vue de quoi le Dasein est lui-mme comme il est 2. Cest dire que cette structure de len
vue de constitue une caractristique essentielle du projet du Dasein, non seulement de son propre
tre vers ses possibilits propres ou impropres, mais aussi celui de ltre de ltant qui est la
souhaitons mettre en lumire linterprtation que dploie alors Heidegger du dpassement vers
Comme nous lavons soulign plus tt, 1-leidegger caractrise le inonde non pas comme un
tant, mais bien comme ce do le Dasein se donne d comprendre envers quel tant il peut se
comporter et de quelle faon il le peut . Dans la mesure o le Dasein est lui-mme un tant,
cest partir du monde que le Dasein se donne comprendre qui il est et donc, que se constitue
son ipsit. Mais si le Dasein existe en vite de lui-mme avant que dexister en vite du monde, cest
parce que la projection du monde qui rend possible lipsit fait elle-mme partie du Dasetn.
Dasein existe en vue de lui-mme. Le monde se dfinit ainsi comme la totalit de ce que projette
le Dasein en existant en vue de lui-mme, comme le projet originaire des possibilits propres au
Dasein.
(3
2. Ibid., 124.
3. VWG, 157 ; ix. 132.
192
Si nous parlons ici dun concept transcendantal de monde, cc nest pas parce que le
monde sopposerait i liimnanence de h conscience, mais bien parce que ce concept de monde
ne doit pas tre compris comme ce qui fait encontre au Dasein, comme Non-Moi, mais bien
comme ce dont la possibilit mme est projete par le Dasein. La tripartition caractristique de
ltant qui se prsente dans le monde ne simpose pas au Dascin, mais rsulte bien plutt du
projet du Dasein. Cest en tablissant des diffrences ontologiques entre ltant quil est et
ltant quil nest pas, mais aussi entre tes diverses modalits de ltre dc ltant (existence, tre-
la-prsent, etc.) que le Dasein permet au monde dtre ce quil est, quil le laisse tre ce quil est.
La manire dont se prsente le inonde nappartient donc pas tant au monde quau Dasein lui-
mme quon le caractrise selon la transcendance, le souci ou len vue de. Ce concept
Cest ainsi que nous pouvons comprendre ce que Keidegger indique en soutenant que
le monde ne doit pas tre compris comme la somme de tout ce qui est comme une quantit
dterminer ce qui en constitue le fondement , mais quil faut bien plutt lentendre comme un
ensemble, une totalit dont la possibilit est ouverte par le Dusein, mais dont leffectivit lui est
Heidegger prtend mettre jour celle du monde. Heideg,ger permet ainsi llaboration dune
interrogation portant sur le monde qui ne soriente pas sur son fondement ontique. Le Dasein
peut bien ouvrir la possibilit du monde, il nen constitue pas pour autant la cause. Comme
nous lavons vu, Heidegger prtend quune telle interrogation a dj exist dans la Mtaphjisique
dAristote, dans cette problmatique du Oov dont la OEo2oytK ittriu devait interroger
quil se donne dans la formule mtaphysique ttant comme tet dans son ensembk. Cest en effet lun
linterrogation sur lv celle portant sur le Oeiovt. Mais il nous faut aussi tenter de penser ce
qui, dans la tradition, a pu faire en sorte que le phnomne du monde nait jamais t abord
autrement quen regard dun certain fondement du monde que lon a appel <cDieu ou
OE6c. Nous tenterons de suivre une piste lance par Keidegger en montrant comment le
du OEov au Ot6. Mais avant dy venir, il nous faut souligner que cc traitement que rserve la
Dans lessai sur le fondement, Keidegger rappelait en effet que Platon avait aperu le
fondamentale 2 du Dasein, on doit reconnatre que les questions qui se posent Platon dans les
1. GA 28, 32.
2. VWG, 160; tr. 136.
( 3. Die frage nach dem ursprnglich-einigen Grunde dec Mglichkeit der Wahrheit des Verstehens von
Sein (ibii, 160; tr 137). Cette ide dune vu,it de la comprhension de ltre absente de Sein und Zut
constitue trs certainement un rapprochement avec ta question portant sur la irit de ltre, expression qui
napparait quavec la confrence Von; UZesen der Wahrl,cit en 1930. Pour les fins de cette recherche, nous nous
194
vrit et ltre, Platon est contraint deffectuer explicitement le dpass
ement de ttant vers ltre
lieu hypercleste ( poiptvto tito) o sjourne le plus objectif des objets , soit les
ides.
ltre: La tche qui est la ntre nest donc pas seulement de partir
de ltant et de rtrocder
jusqu son tre, mais aussi, si nous voulons poser la question de
la condition de possibilit de
la comprhension de ltre conne tel, de ques;ionner au-del de ttre, en direction de ce vers quoi ttre
lui-mme, en tant que te4 est ouvert-en-projet 2. Or, ce dpassement de ltre
vers le temps, Heidegger
le prsentait alors en soulignant son lien intime ce dpass
ement platonicien de ltre
Platon (comme dpassement de ltre par lide du Bien) ou comme les noplatoniciens (
pas dans lide du Bien que Heidegger cherche lorigine de la comprhension de ltre, mais
bien dans le temps saisi comme temporatitas (femporatitiit). Mais plus essentielle que la rponse, la
aux deux entreprises. Avec cette question, Heidegger ne cherche lui aussi qu sortir de la
jusqu affirmer: Ce que nous cherchons, cest lltKEw rfi oiata . Mais
linterprtation que donnera Platon de cet au-del de ltre creuse un abme, comme nous
quelque chose qui appartiendrait une Ide ou un Dmiurge, mais bien le propre du Dasein
Cest ainsi quen loignant lyaOv du monde, Platon aurait manqu non seulement
monde comme phnomne propre au Dasein: De la mme faon que se prsente, la place
rapport avec le monde est interprt au sens dun comportement dtermin envers cet tant,
comme voev, intuitus, comme une intuition non mdiatise, raison . Nous voyons donc ici
monde a t interprt partir dune region excellente et notre rapport au monde a t compris
partir de ce comportement driv quest la connaissance du monde. Afin de montrer que cette
monde nest pas propre Heidegger mais que Kant avant lui y avait eu recours, nous allons
nous pencher sur un chapitre de La Critique de ta raison pun auquel Heidegger fait explicitement
allusion et qui semble pouvoir expliquer ce qui contraint la pense ce passage it/egitime du
au OE.
C
197
Chapitre V
pense qui a suivi (dAugustin Hegel) na jamais su saisir, en se concentrant exclusivement sur
ce problme que constitue la fondation dc ltant dans son ensemble par un tant suprme
anthropologique .
fondamental de ce retour Aristote quil prne alors. Cest en retournant ce problme du Gcov
que Heidegger souhaite mettre en vidence une problmatique propre Anstote et que
pense kantienne cette problmatique de ltant dans son ensemble que nous souhaitons
mettre en relief.
Dans les Metaphjisische Anfan,ggriinde der Ligik im Ausang von Leibni de lt 1928,
mtaphysique aristotlicienne tels quils se sont prsents chez des auteurs comme Natorp et
1. GA 22, 330.
198
par les deux auteurs allemands avant de conclure que ces questions ne peuvent tre rsolue
s
de laquelle sest manifeste lessence de la mtaphysique. Il ne suffit donc pas de bien conna
tre
Aristote, il faut aussi avoir soi-mme t touch par ces problmatiqu
es pour pouvoir
comprendre ce qui est en jeu ici. Keidegger insiste sur ce fait: cette interprtation elle-m
me
exige que nous soyons guids par une comprhension du problme qui soit h
hauteur de ce
dont il y est question. Et il nous faut tout dabord nous munir dune telle compr
hension 2.
La
connaissance de la nature propre linterrogation mtaphysique et qui a guid
lensemble de
son histoire lonto-thologie est ncessaire la saisie adquate du problme qui se pose
spcifiquement chez Aristote. Or, ce qui tout dabord tonne le lecteur, cest
que Heidegger
fasse explicitement rfrence un texte particulier de Kant dans une note: Voir,
ce sujet,
Kant: De lidal transcendantal, Critique de ta raison pure, A 571-$3/B 599-611 .
Bien que nous ne puissions ici nous prononcer sur la date prcise de cette remarq
ue
qui pourrait trs bien tre postrieure celle du cours , nous devons cependant reconnatre
nigmatique dans la mesure o elle ne dit pas en quoi ce chapitre peut constit
uer ce que
Heidegger appelle une comprhension du problme qui soit la hauteu
r de ce dont il est
r 1.GA26,17.
2. Ibid.
3. Ibid., note 3.
199
plutt, comme chez Jaeger, la possibilit de mettre en vidence une certaine volution de la
pense aristotlicienne de la thologie vers lontologie, dune ancienne mtaphysique vers une
nouvelle?
des diffrentes preuves de la raison spculative en faveur de lexistence dun tre suprme et
Kant la tradition onto-thologique. Bien avant b confrence de 1961 intitule Kants These ilber
das Sein, Heidegger considrait dj lt 1927 que lnonc de cette thse ontologique
<(ltre nest manifestement pas un prdicat rel dans un contexte thologique ne devait pas
traite de la cognoscibilit dun tant tout fait dtermin et insigne, celle de Dieu. Mais pour
qui connat lhistoire de la philosophie (lontologie), le fait est dautant moins surprenant quil
montre clairement comment Kant se situe demble dans la grande tradition de lontologie
antique et scolastique. Dieu est ltant suprme, summum eus, ttant le plus parfait, eus
pefrctissimum. Ce qui est le plus parfaitement est assurment ce qui, de la manire la plus
approprie, peut tre pris comme ltant exemplaire sur lequel lire lide de ltre .
Or, ce nest pas la thse de Kant sur ltre que renvoie ici Heidegger mais un
chapitre bien prcis de la &itique de ia raison pure dans lequel un problme tout particulier se
dont il est souvent question dans la mtaphysique du Dasein et que Heidegger a associ la
pense dAristote: celui du passage du Oov au Oe. Il semble en effet que Kant ait, avant
Heidegger et dans des termes distincts, tent de penser ce qui a pu entraner la pense du OEov
telle quon la retrouve chez Aristote vers cette pense du Oc qui caractrise toute la pense
1. GA 24, 37-38.
200
Linterprtation que nous proposons ici de cette note de Heidegger est sans doute
risque. Il sagit dun renvoi non explicit que nous interprtons la lumire de notre
Natorp et Jaeger ont dj t comments, seul Enrico Berti a tent, notre connaissance, de
donner une explication ce renvoi la Critique de la raison pun. Selon lui, cette note de
Hedegger serait une rfrence aux dveloppements prsents dans son ouvrage Kant und das
P,vblem der Metahjisik qui voquent la reprise faite par Kant de la distinction entre meta(hjlsica
dans louvrage sur Kant, linterprtation de Berti ne tient pas compte de ce que Heidegger ne
renvoie pas la Critique de la raison pure dans son ensemble mais bien un chapitre prcis,
savoir De lidal transcendantal . Dans Kant und das Probkrn der Metaplysik, Heidegger
naborde finalement que trs brivement ce chapitre et il ny joue aucun rle dterminant3.
dudit chapitre, mais plutt sur son contenu dont la parent avec la problmatique qui nous
intresse ici est flagrante. Une analyse de ce chapitre de la Critique de ta raison pure a dailleurs t
dploye par Heidegger dans son Einleitun,g in die Philosophie de lhiver I 92$/29. Malgr lintrt
quaurait d prsenter cette exgse du texte kantien pour notre propos, elle ne saventure
problmatique semble nanmoins y tre voqu. Dans cette analyse du chapitre De lidal
1. Par exemple, Jean-Franois Courtine ( Mtaphysique et ontothologie s) et Enrico Berfi (< La metajisica di
Aristotele ).
2. Enrico Berti, h?c. sL, 258-259.
3. KPM, 152; tr. 209-210.
4. GA 27, 290-297.
201
transcendantal , Heidegger parle dc lappartenance de cette thmatique kantienne la
nest donc rien dautre quune interprtation du concept de Dieu de la thologie chrtienne
effectue depuis la perspective de la possibilit de la connaissance des choses en soi dans leur
concept kantien : Mais cette rfrence oc peut pas signifier quen vertu dune telle connexion,
contraire, ce qui est ainsi indiqu, cest que dans la discussion de cette ide rside une
trs bien penser ici que Heidegger voque la rcupration faite par la philosophie mdivale de
interprtation. Le but que poursuit ici Heidegger est celui de complter sa dtermination du
de la pense aristotlicienne.
tre suprme qui clt la <t Thorie transcendantale des lments>) de la Critique de a raison purv.
Cest aprs avoir expos son Systme des ides transcendantales que IKant aborde ce quil
appelle lidal de la raison pure. Un ida4 crit Kant, est un concept qui ne sert pas de rgle
comme lide mais bien dta/on pour juger de lintgralit de la dtermination dune chose
concrte. Selon Kant, la dtermination partietk dune chose la seule dont soit capable
1. Ibid., 293.
2. fbid, 294.
202
lentendement humain stablit toujours en regard dune possible dtermination complte de
cette chose. Ainsi, nous possderions en nous I ide purement subjective dune
dtermination complte de la chose (prototypon} partir de laquelle nous pourrions valuer celle
que nous tablissons (econ). La raison poursuit cet idal de dtermination complte sans
jamais pouvoir latteindre: Aussi conoitelle un objet qui doit tre compltement
dterminable daprs des principes, bien qu cet gard les conditions suffisantes fassent dfaut
dans lexprience et que par consquent le concept mme soit transcendant (Krfr A 571 /B
599). Si une chose peut toujours tre dtermine avec plus de prcision, cest que nous
poursuivons un idal de dtermination complte, mme si celle-ci ne peut relever que dut;
entendement infini.
Analogiquement, Kant crit que lhomme juge du degr de vertu dune action en la
comparant un idal moral le sage stocien qui, sans avoir dexistence en-dehors de la
pense, concide parfaitement avec lide de sagesse (ibid, A 569/B 597 sq.). Or, de mme que le
sage stocien cet homme divin en nous nous sert dtalon pour valuer, au niveau moral,
la vertu dun individu, la raison pure possderait elle aussi, ait niveau spculat) un idal partir
duquel elle peut valuer le degr de compltude dc la dtermination dune chose. Le sage
stocien constitue donc la ralisation idale de lide de sagesse. Si lide donne la rgle , un
idal est une chose qui sert doriginal (protojpon) pour la complte dtermination dune copie
La raison spculative qui aspire dterminer de faon complte une chose doit
comparer cette dtermination partielle cet talon que constitue lensemble de toutes les
possibilits . Toute chose est ainsi conue dans son rapport avec la possibilit entire, titre
densemble qui comprend tous les prdicats des choses en gnral (...) et comme si elle
drivait sa propre possibilit de la part quelle a dans cette possibilit totale (ibid., A 572/B
601). Cet ensemble qui comprend tous les prdicats des choses en gnral est en quelque
203
sorte lentrept o sont stocks tous tes prdicats quon peut attribuer une chose, un
peuvent tre tirs tous les prdicats possibles des choses , (<lide dun tout de la ralit
(omnitudo realitatis) , un idal transcendantal (ibL, A 575-576/3 603-604). Ainsi, une chose
concrte est conue comme une limitation de cet ensemble total des prdicats, au mme titre
quune figure gomtrique reprsente une limitation de lespace infini qui en constitue
la
chose, pour peu que celle-ci Ft possible, se fait donc en limitant lensemble de tout le possible
ce qui constitue en propre la chose. Mais cela signifie que la dtermination complte dune
chose requiert la connaissance de tout te possibk qui ne se ralise jamais pour lintztitus
derivativus que constitue le sujet fini. Cette ide dun ensemble complet de tous les prdicats na
donc aucune existence in conrelo, mais seulement lintrieur de la raison pure (ibid., A 573/3
60f). Mais mme si celle-ci na pas de ralit objective pour nous, toute chose en tant que
limitation de lensemble (Inbe,grff) de tous les prdicats possibles est soumise cette totalit de
transcendantal et qui a son sige uniquement dans la raison ? Cet ensemble de toute possibilit ou
de tous les prdicats possibks en ,gnrat est un idal, cest--dire quelque chose qui ne peut
absolument pas tre reprsent dans lexprience concrte mais qui na pas pour autant le statut
ncessairement inhrente tout ce qui existe (ibid. A 576/B 604). Pour se reprsenter la
ncessaire dten-nination complte des choses, la raison ne prsuppose pas lexistence dun tre
1. Notons que, sous la plume de Kant, nalitas ne renvoie pas teffectivit (actuatitas) mais
la possibilit
(possibilitas) de ltant: Lacception kantienne du terme ralit est dailleurs conforme
au sens littral du mot.
(.) Est rel ce qui appartient iane ns. Lorsquil parle de lomnitudo realitatis, Kant ne vise pas la totalit de ce qui
est effectivement l-prsent, mais au contraire la totalit que constitue la dterrninit
possible de la res (...). Reatitas
est par consquent synonyme ici de lexpression leibnizienne de parsibilitas, possibilit
(GA 24, 45).
204
protoypon,) de toutes les choses, qui toutes cnsembte, comme des copies dfectu
euses (ectypa,),
A cet idal, Kant attribue plusieurs noms. Il lappelle tout dabord ltre origina
ire (eus
originarium,) dans la mesure o cest de lui, du protoypon, que driven
t toutes choses Comprises
dent en-dessous de lui, ttre suprme (eus summum). II est enfin ltre
de tous les tants (eits
entium) en tant que tout lui cst soumis comme conditionn. Or, si lidal transce
ndantal se
prsente comme ncessit pour lusage spculatif de la raison pure, on ne peut
nanmoins en
Cest en cet endroit que la raison spculative doit sarrter dans la dtermination
de
lidal transcendantal. Car tout ce quelle y ajoutera unit, simplicit, ternit, etc.
constituera une hjpostase qui permet t la raison de dterminer, illegitimemen4 lens orginarium
des choses en gnral nest en effet pose que comme le concept de toute ralit,
mais
aucunement comme donne ot?ieciitement, comme constituant elle-mme une chose
(ibii). Pour
possible suffit. Le monde, compris comme ide de la totalit des phnomnes, constit
ue donc
une copie dficiente (ecypon,), une simple limitation de cet ensemble origina
l, de ce prototype
rapport de lun lautre, du monde lidal transcendantal, ne doit pas tre compris comme un
1. on sait que ce nest pas dans lusage spculatif mais bien dans lusage pratique de
la raison que Kant conoit la
possibilit de dmontrer lexistence dun tre suprieur. Voir, ce sujet, le
Canon de la raison pure (A 795/B
823 sq.).
2. Tous ces dveloppements sur la dduction de lexistence dune chose
partir de son seul concept
constituent les conclusions de travaux que Kant mne depuis 1763 (Laniqnefon
dement possible dune dmonstration de
lexistence de Dieu). Pour ce qui est des transformations qua subies la pense
de Kant sur ces sujets, voir Alexis
Philonenko, Loeuvre de Kant, tome I: La philosophie prcddque et la Critique
de hm raison pure, Paris, Vrin, 1969, 40
sq. et Ferdinand Alqui, Lei critique kantienne de la mtaphjsiqmie, Paris, PUr, 1968, 105
sq.
205
lomnitudo reaIitatis, ce nest pas au sens dune dpendance ontique des
choses finies en tant
que cres lgard dun crateur existant , mais bien comme la restriction de la totalit
question est fondamental pour notre propos: cest un usage illgitime de la raison qui permet
580/B 608). Car les trois expressions que Kant emploie pour dterm
iner lidal transcendantal
eus ortginanum, ens summum, eus entium ne dsignent point le rapport effectif dun objet
1. GA 27, 295.
206
employer les termes dAristote, le 8sov en un OE. Cest la lumire de ces rsultats que
Kant abordera ensuite les diverses preuves de lexistence de Dieu dans les sections qui suivent.
1928/29, Heidegger na donn aucun indice qui pourrait justifier notre interprtation de la note
prsente dans ce chapitre de la Critique de la raison pure nous semble cependant trop vident
tracer pour ne pas en faire mention. Selon cette lecture, il nous faudrait conclure quavec
lexpression ltant dans son ensemble , Heidegger cherche indiquer quelque chose de tel
que lensemble de toutes les possibilits partir duquel un tant concret (ecyton) peut tre
dtermin. Si, comme nous le verrons maintenant, ltant dans son ensemble sert indiquer
formellement lessence du monde, cest parce que le concept de monde heideggrien doit tre
compris comme lensemble des possibi]its duquel merge ltant, comme la rgl.e que doit
suivre ltant pour tre un tant. Ltant dans son ensemble permettrait de penser le monde
non pas dans son effecdvit mais eu gard sa condition transcendantale. Cest dire que le
monde ne concide pas avec ltant effectif la nature , mais avec lensemble de ltant, quil
Or, cest effectivement ainsi que Heidegger tentera de dfrnir ltant dans son
intitul Grundbegrij7. Bien que ce cours sloigne considrablement de lpoque que nous
souhaitons mettre en lumire ici. il est intressant de noter qualors, Heidegger dfinit 1 tant
dans son ensemble qui traduit le grec r 7t&v, et non t 2ov non pas comme visant
simplement la ralit du rel, mais aussi la possibilit du possible, mais encore la ncessit du
ncessaire .
1. Grundbegri/fe, GA 51, 24; tr. par Pascal David, (onceptsfondwnentaiix, Paris, Gallimard, 1985.
207
Chapitre VI
mettre jour une certaine solidarit entre Heidegger et Kant quant linterprtation de la
mtaphysique traditionnelle, elle nous a aussi permis de mieux dlimiter le concept dun
questionnement portant sur ltant dans son ensemble . Cet ensemble que constitue lidal
interroger le fondement.
Dans le cadre du cours Die Grundbegriffi der IvIetaphysik de lhiver 1929/30, Heidegger
fait un pas supplmentaire en tentant de penser lunit des problmatiques de ltant dans son
ensemble et de ltant comme tel. Nous revenons ainsi tout naturellement ce cours dans
lequel, comme nous lavons vu, Heidegger a tent de caractriser la configuration du monde
monde de ltant simplement matriel. Cest dans le but de contribuer cette mise en lumire
de lexpression ltant dans son ensemble que nous allons maintenant nous plonger dans
une analyse de lexpression manifestet de ltant comme tel dans son ensemble dont
Heidegger se sert pour dterminer lessence du monde. Les analyses antrieures ont montr
que le problme de ltant dans son ensemble sapparentait au problme dc labord prlogique
penchs sur la notion de surpuissance (Gbemidchtz,gkeit) que Heidegger trouvait chez Cassirer et
En identifiant le problme de ltant dans son ensemble celui du monde, nous nous
sommes demand si lon pouvait trouver dans la mtaphysique du Dasein une figure de cette
208
interrogation sur ltant comme tel et dans son ensemble qui caractrise la mtaphysique
questionnement. Comme nous lavons vu, si la question de ltant comme tel t 6v 6v)
sapparente au problme ontologique de ltre de ltant, cest comme problme theio/ogiqite dii
monde que se prsente linterrogation sur ltant dans son ensemble (r OEov). Une telle
structure double de la mtaphysique du Dasein est dailleurs reconnue dans lEinteittrng in die
v1ais lexistence dans la mtaphysique du Dasein dun versant thologique ne rend que
plus urgente la rponse la question suivante : comment se rapportent lune lautre ces deux
pas tant dans la reconnaissance de deux ordres de questionnement cette division a t releve
et systmatise bien avant Heidegger que dans lidentification du rapport qui les unit. Dans
mtaphysique.
Y a-t-il donc ciniilarit entre la question sur ltant comme tel et celle sur ltant dans
son ensemble? Et si oui, sentend-elle au sens traditionnel de la rciprocit entre ce qui est
universel et ce qui est premier? Nous avons insist sur le fait que Heidegger refusait
didentifier dans sa rflexion ontologique un tant suprme dont le mode dtre paisse servir de
1. GA 27, 324.
209
lontologie, nous avons montr que le Dasein ne remplissait pas une telle fonction. Lunit dc
ltant, cest--dire dc ltant dans son enSCmt)le, ne sera pas etablie partir dun eus summum.
Souhaitant viter toutes ces voies traditionnelles pour penser lunit des deux ordres du
mtaphysique, mais partir de lessence mtaphysique de lhomme, partir des tensions qui
habitent le Dasein et qui le contraignent interroger ltant suivant de tels schmas. Mais avant
libert), nous souhaitons nous arrter sur la conclusion du cours de lhiver 1929/30 dans
laquelle Heidegger juxtapose les expressions tant dans son ensemble et tant comme
tel , inaugurant ainsi une faon nouvelle de penser les liens entre le monde et ltre.
Dans notre tentative de mettre jour ce que Heidegger entend par ltant dans son
ensemble , cest la dernire section de ce cours qui va surtout nous intresser. Dans ces
quelques pages, Heidegger aborde de front cc quil appelle les conditions de possibilit du
monde , concept quil a dlimit provisoirement comme manifestet de ltant comme tel
dans son ensemble dans le cadre dc la comparaison des trois thses directrices. Comme nous
lavons vu plus haut, cest len tant que qui distingue essentiellement le monde pautYre de lanimal
du monde humain. Lanimal, contrairement lhomme, est accapar par le monde et ne parvient
jamais percevoir quelque chose en tant que quelque chose caractristique qui seule rend
que quelque chose avec lequel 1-leidegger caractrise cette dlimitation provisoire doit tre
compris adquatement si lon veut que ce concept de monde sinspire des acquis de lontologie
Cette discussion portant sur lessence du monde rend manifeste quelque chosc de tout
fait fondamental pour notre recherche: la possible unit pense partir de lessence du
monde de ltant comme tel et de [tant dans son ensemble. La dlimitation provisoire du
monde comme manifestet de ltant comme tel dans son ensemble prsente en effet un
question ontologique de ltant comme tel et la question thologique de ltant dans son
que nous saisissions sa base ce qui unit intimement ces deux moments structuraux, et quainsi
nous ouvrions une brche dans le phnomne lui-mme >. Cest donc dans le but de faire
JroepvttK que Heidegger mne cette analyse du phnomne de monde. En accord avec
la thse bien connue de Sein und Zeit, Heidegger souhaite montrer comment la dtermination
de ttant en tant qutant dans lnonc apophantique a pour origine la manifestation de ttant en
tant qit tant propre la manifestation prlogique du monde. La remise en question de cette
Keidegger reprend ici des thmes que nous avons mentionns plusieurs reprises: le
monde, tel quon doit lentendre en son sens mtaphysique, nest pas lquivalent de ce concept
moderne de nature, de la somme ou la totalit de ltant, mais doit tre compris partir de son
caractre densernbk ou encore ce quil appelle sa rondeur . Un tel concept de monde est le
seul qui puisse tre la mesure de la finitude du Dasein, cest--dire un concept qui ne prenne
pas comme modle de sa dtermination un entendement divin, un intuitus orzginanus, qui aurait
accs la totalit de ltant. Cet ensemble qui caractrise le monde ne dsigne pas tant son
constitue pas un cadre qui serait dduit a posteriori de notre exprience du monde. Cest bien
plutt elle qui rend possible a priori cette exprience dans la mesure o se dent son
fondement une conJiguration. Le caractre densemble de ltant nest donc pas une
de la manifestation de ltant.
Pour distinguer cette analyse de toute description du monde comme somme totale de
ltant, Heidegger rintroduit ici le vocabulaire de lindication formelle (fin-mate Anege) quil
employait au dbut des annes 1920, mais qui a t exclu de Sein zmd Zeit1. Lapparition de ce
terme dans le cours de lhiver 1929/30 constitue dailleurs son dernier emploi dans toute
loeuvre de Heidegger2. Saisi dans une (<description formelle (formale Charakteristik), le concept
de monde ne peut tre dfini autrement que comme la somme de ltant . cela, Heidegger
oppose une simple indication ou assignation formelle du monde qui le prsente comme ltant
dans son ensemble. On ne peut parler ici de dflnition du monde dans la mesure o lindication
formelle ne fait que proposer quelque chose. Seul le travail du Dasein qui philosophe et
comprend ce qui est dit permet de complter le chemin vers une saisie de ce qui est en
question. Heidegger crit ici que nous devons renoncer la voie, apparemment commode,
mais en soi impossible, qui consisterait parler directement de lessence du monde . Cette
voie la description formelle serait valide quand nous avons affaire des tants l-prsents,
mais ne pourrait tre employe lorsquil est question des concepts fondamentaux de la
philosophie. Le mieux que lon puisse faire dans le cas des concepts mtaphysiques, cest
dindiquer une voie qui mne leur dtermination, qui permette celui qui coute dtre guid
vers cette dlimitation. Cest pourquoi Heidegger parle dune description provisoire du
C monde comme manifestet de ltant comme tel dans son ensemble. Cela nest pas une
dfinition du monde mais une indication qui rend possible pour le lecteur ou lauditeur
tant que qui caractrise le monde comme manifestet de ltant en tant que tel dans son
ensemble doit tre compris comme condition de possibilit de lnonc et non le contraire,
cest--dire comme proprit de lnonc. Ce nest donc pas lnonc qui rend possible la saisie
de quelque chose en tant que quelque chose, mais linverse: le ?yo adopte la forme de la
manifestation de ltant. Ces questions renvoient aux chapitres de Sein und Zeit qui traitent de
sur la base de lexprience de la en tant que b exprience des plus courantes dans notre
commerce normal avec les choses et qui ne doit rien lnonc apophantique quest possible
Par cette mise en lumire de la dimension originelle dans laquelle se situe et prend
naissance ten tant que se trouve clair un visage de cette relation qui unit len tant qtie et le dans
son ensemble. Cet tc en tant que hermneutique est co-dterminant de la manifestation originaire
comprhension qui na pas encore t porte au concept. Labord de ltant en tant qutant
vrit
qui, comme le soutient Sein und Zeit, se tient au fondement de la possibilit de la
nous
nonciative, serait donc contemporain de la manifestation prlogique de ltant dont
Heidegger tablit donc une parent entre lopposition de ltant dans son ensemble et
de la somme de ltant et lopposition entre len tant que hermneutique et len tant que
nonciatif. Ce renvoi Sein und Zeit nous permet donc de mieux saisir ce quest pour
Heidegger ltant dans son ensemble : la dimension ouverte par ce quil appelait, dans louvrage
de 1927, len tant que hermneutique. Le monde est donc encore ici associ cette
manifestation prlogique de ltant sert ici une fin bien prcise: montrer quun lien se tisse
entre le problme de ltre et celui du monde. Le monde est en effet cet espace ouvert par len
tant que prlogique, cest--dire de ltant qui se prsente comme tant, sans pour autant se
manifester dans un nonc apophantique. Or, cette dimension de ltant en tant qutant, cest
aussi celle partir de laquelle peut tre interrog ltre de ltant. La volont de porter au
concept la comprhension prontologique de ltre exige en effet que la question de ltre soit
tout dabord pose partir du phnomne du monde dans lequel ltant en tant qutant se
manifeste originairement. En tentant de mettre jour laspect secondaire de len tant que de
lnonc logique et ainsi <t faire sortir cette tradition de ses gonds 2 , Heidegger a rvl une
racine commune au problme du monde (compris comme dimension prlogique de len tant que
soutient que tout nonc portant sur ltant se fonde davance sur la configuration du monde3.
Sil nous est possible dnoncer des choses telles que <ta est b , cest parce que dans le monde
sest dj manifest a et b ainsi que <t a en tant que b . Lnonc parle toujours depuis un
1. IbitL, 440; tr. 439. Nous reprenons le vocabulaire de len tant que hermneutique Sein und Zeit mme sil
napparat plus dans ces cours de la mtaphysique du Dasein. Notons cependant que dans ces pages, Heidegger se
rfre luimme au 33 de S. u. Z.
2. GA 29/30, 469 ; ta. 466.
3. Ibiti, 486 ; ta. 483.
________
214
ensemble dj ouvert qui donne sens lnonc, un ensemble de tous les a et b possibles un
lexemple du tableau de classe qui se trouve dplac de telle sorte que seuls certains tudiants
peuvent voir ce qui y est crit. Lnonc le tableau se trouve mal plac ne peut tre vrai que
dans la mesure o il est profr l o certaines normes permettent de dterminer ce qui est
bien ou mal plac. Lnonc nest donc pas vrai en soi, mais seulement partir dune
comprhension pralable de lensemble dans lequel il est profr. Dans la mauvaise position
du tableau est manifeste dj avec elle la salle de cours en tant quensemble (uts Gantes)
Lnonc portant sur la position du tableau parle donc depuis un certain ensemble (dans ce cas,
b salie de cours) qui rend possible la vrit dun tel nonc. Tout nonc parle toujours depuis
un tel ensembk. Les noncs ne peuvent jamais que se situer au-dedans de ce qui est dj
manifeste l dans son ensemble . Lnonc ne peut jamais tre port relativement un tant
isol, il doit parler depuis un ensemble dj expriment et dj connu2. Or, cet ensemble nest
jamais thmatis dans lnonc ni mme aperu par celui qui nonce. Cest nanmoins un
Nous reviendrons dans la prochaine partie sur cette analyse qui prsente une certaine parent
avec celle de lessence du fondement prsente dans lessai de 1929. Nous tenterons alors de
penser la mtaphysique non plus partir de ses thmes et problmes, mais bien partir dc la
C
1. Ibid., 501 ; tr. 497.
2. IbicL, 501 tr. 498.
215
Chapitre VII
Il semble donc que Heidegger ait laiss une place dans son (<difice mtaphysique
une problmatique tbiologique. Lontologie ne recouvrirait donc pas lensemble des problmes
plusieurs reprises, Keidegger a en effet insinu que la mtaphysique contenait plus que
spciale qui a pour thme propre ltant dans son ensemble , une nouvelle recherche qui
mtontologie. Bien que Heidegger ny fasse que trs rarement rfrence, il considre que le
mtontologie. Cela lamne tracer un parallle explicite entre cette structure double de la
mtaphysique et celle que lon retrouve dans la Mtahjsiqzte dAristote2. Rappelons ensuite que
dans le cours suivant, Heidegger reconnatra que le problme de ltre ne recoupe pas le
crit alors que ces deux problmes constituent la problmatique en soi unitaire de la
philosophie .
central de la mtaphysique du Dasein est donc dfinie de diffrentes faons par Heidegger.
Mais elle a ceci de caractristique quelle concerne la fois lunit dune question portant sur
ltant comme tel et dune autre portant sur ltant dans son ensemble. Dans le cadre de
1.GA26,199.
2. Ibid., 202.
3. GA 27, 394.
216
lEinteitung in die Philosophie de lhiver 1928/29, Heidegger propose une faon de penser lunit
Heidegger appelle lessence du Dasein, cest donc en lui que devrait se jouer la possible
Bien que Heidegger nait lui-mme jamais affirm dans ces termes quil y ait dans son
entreprise un versant thologique ou thiologique , nous soutenons ici quil nous est
possible de dceler dans les textes de la mtaphysique du Dasein une pense du OEov, cest--
dire une mise en lumire dune problmatique dorigine aristotlicienne qui serait propre la
entourant la <(science de ltre dans les cours qui suivirent la publication de Sein und Zeit
mtaphysique. Mais, on la vu, cette ontologie ne se dploie jamais quen prenant appui sur
ltant, premier objet de toute recherche philosophique. Aussi haut que puisse slever la
science de ltre, aussi loin que puissent tre pousses ses gnralisations et ses doctrines, elle
ne peut le faire quen partant des connaissances vagues, en passant par elles. Si la philosophie
prtend interroger ltre de ltant, il faut reconnatre quun tel questionnement na dautre
possibilit que de prendre appui sus la considration premire qui est celle qui prend ltant
C
1. Ibid., 395.
217
Alors quil sattaque la Mtaplysique dAristote au milieu des annes 1920, Keidegger
tente de montrer, comme nous lavons dit, que cette pense mtaphysique aristotlicienne nest
aucunement contradictoire comme lont soutenu les philologues de son poque , mais bien
problmatique, voire aportique. Puis, lorsquil se propose de dfinir ce que constitue la Oeo)oytid
de toute
irttkui, la thologie, dans la pense dAristote, Heidegger sloigne grandement
divin ( OEov) na rien dune problmatique religieuse mais quelle constitue une recherche
purement formel 2 ne concerne pas encore chez Aristote le problme de lexistence dun
fondement crateur du monde. Elle est bien plutt oriente sur le problme de ltre de ltant
et concerne la problmatique de ltant dans son ensemble, quelle aborde autrement queu
Nous avons vu que dans le cadre du cours sur le Sophiste de lhiver 1924/25, Heidegger
soutenait que la thologie aristotlicienne avait pour tache dlucider, dans ses origines, en cc
par quoi il est vritablement, ltant dans son ensemble, le ov, ltant du monde . Nous
avons aussi vu que ie concept de ov tait associ chez Heidegger labord prlogique du
nous avons voqu cette interprtation du concept de OEiov que Heidegger avait dploye
dans la mtaphysique du Dasein quelque peu distincte. Si lexpression est encore associe un
l.GA22,325.
2. Ibid., 137.
3. Ibid., 222.
4. GA 26, 13 et 211, note 3 ; GA 27, 169 et 358 et GA 28, 355.
218
Mais conmient interroger dans ses origines, en ce par quoi il est vritablement , cet
tant dans son ensemble sans que ce questionnement se transforme en une recherche du
fondement crateur de ltant? Quelles sont ces possibilits que la pense aristotlicienne a
laiss ouvertes et quil sagit maintenant de penser, par-del la tradition? Lexposition dans
cette section du problme du monde a permis dentrevoir les grandes orientations dune telle
avec une rflexion sur le monde qui ne prtende pas en interroger le fondement, mais qui tente
soi qui ne sert plus uniquement de chemin vers llaboration du problme de ltre comme
cest le cas avec le traitement de la mondanit du monde dans Sein und Zeit. Le problme du
monde a en effet gagn en autonomie partir dc lessai sur le fondement de 1929. Or, tout ce
qui a t ici expos au sujet dune possible thiotogie heideggnenne ne peut constituer quune
Dasein: celle de penser le monde autrement quen regard de son fondement, cest--dire de
penser le Oov autrement que comme OE. Que lon pense cette interprtation partir de la
transcendantal comme Dieu de la thologie, le traitement adquat de ltant dans son ensemble
Ce nest pas notre tche ici dexposer le contenu doctrinal dune telle thiotogie. Une
telle chose nexiste pas dans les textes et nous obligerait trs certainement forcer les crits
heideggnens vers une systmatisation quils nont pas connue. Bien que Heidegger ait reconnu
cependant jamais prsent quelque chose de tel quun systme de la mtaphysique . Il semble
219
que le mieux que lon puisse faire soit de souligncr le statut qui est reconnu cette
problmatique qui fait face lontologie lintrieur de la mtaphysique. Car au-del des
oppositions que nous avons dj soulignes tre et monde, tant comme tel et tant dans son
ensemble, ontologie et mtontologie , il semble que ce qui doive attirer le plus notre attention
est le fait que Heidegger reconnaisse ici que toute ontologie conserve toujours un lien essentiel
avec tondque qui lui a donn naissance. Tout comme Anstote, Heidegger sait que ce nest
quen passant par ce qui na peu ou pas du tout dtre quon atteint les connaissances absolues.
En ce sens, Heidegger crit dans le cours de lt 192$ que lanalyse temporelle de ltre qui
dans lequel lontologie elle-mme retourne expressment dans lontique mtaphysique (in die
doit donc pas seulement reconnatre quelle provient dune rflexion sur lontique, dune
considration non encore philosophique de ltant dans son ensemble, elle doit aussi cest ce
Plus de cent ans aprs la leon dhumilit que servit Kant la mtaphysique en lui
rvlant la lumire du jour le fondement ontique sur lequel elle se tient to;!jours implicitement et
mtaphysique qui se ralise factuellement et qui reconnat tre victitue de sa facticit. Cest ce que
mtaphysique2. Comme nous lavons vu, cette ncessit pour lontologie de retourner son point
dorigine est alors expose par Heidegger partir de la structure mme du phnomne dc la
comprhension de ltre propre au Dasein humain: Ltant homme comprend ltre; dans
1. GA 26, 201.
2. Ibid, 199.
220
.
ltre et ltant; il ny a dtre que si le Dasein comprend ltre La possibilit de lontologie
dpend donc de lexistence non seulement de cet tant qui comprend ltre le Dasein mais
aussi de celle dune totalit dtant constituant le monde. Cest en effet la projection du monde
problmatique de ltant dans son ensemble qui rsulte du revirement de lontologie. Or,
lexistence humaine .
essentiels. Nous avons en effet parl premirement de la rcupration faite par Keidegger de la
problmatique mtaphysique aristotlicienne, celle de ltant cotntne tel et de ltant dans son
ensemble. Une telle caractrisation de la mtaphysique du Dasein a t mene bien dans cette
partie portant sur le problme du monde. Nous avons ensuite voqu un second trait qui est
sans doute plus fondamental que le premier: celui de la rcupration de lorientation moderne
sur le sujet humain. Nous avons dj voqu en suivant plusieurs chemins cette caractristique
kantienne dune metaphysica naturatii). Bien que lintime lien unissant la mtaphysique lessence
du Dasein ait t maintes reprises aperu, il nous reste montrer ce que signifie cette thse
selon laquelle la mtaphysique est lvnement fondamental dans le Dasein et en quel sens
Heidegger soudent que la structure double de la mtaphysique trouve son origine et fondement
C 1.Ibid
2. Comme Heidegger lcrit dans ce mme cours la projection du monde dans la libert nest rien dautre
que llaboration dans le temps (die Zeirtguug) de la comprhension de ltre fihii, 282).
3. Ibid, 200.
221
dans la nature du Dasein. Cest par l&ude de la dernire section de lessai Vom Wesen des
Grundes que nous prtendons clairer cette relation entre lessence du Dasein comprise comme
Die Metaphysik gehrt zur Natur des Mcnschen. Ste ist weder cm
fach der Schuiphilosophie, noch ein FeId licher EmCille sie
Dans la seconde partie de cette recherche, nous avons tent une caractrisation de la
mtaphysique du Dasein en prenant pour fil conducteur la question de ltant comme tel et
mtaphysique. Cest donc tout dabord cette reprise de linterrogation aristotlicienne que nous
avons tent de mettre en lumire. Mais que signifie en fin de compte cette rptition de la
question aristotlicienne portant sur ltant comme tel et dans son ensemble? Constitue-t-elle
rellement soutenir que son but soit de donner rponse cette question tire de la pense
de ltant comme tel et dans son ensemble nest-elle pas plutt la question de la mtaphysique
traditionnelle, celle qui naborde jamais que ltantit de ltant et aucunement ltre comme tel?
La question de ltre telle que la pose Heidegger est une question que la tradition na
selon cette lecture bien connue de lhistoire de lontologie, dinterroger ltant suivant diverses
223
faons, sans jamais mettre en question ce partir de quoi ltre est compris. Si la mtaphysique
a mis en lumire les caractristiques principales de ltant, ses traits communs, elle na
cependant jamais remis en question la signification premire que donnrent les Grecs ltre
de ltant et qui continue dorienter notre comprhension des choses qui sonL
de ltre qui est la ntre en laborant ce quil appelle alors la question ftndamentute de ti
mtaphyrique celle qui interroge le lien entre ltre et le temps , pour quels motifs prtend-il,
dorigine aristotlicienne de ltant comme tel et dans son ensemble? Cest le sens que prend
cette reprise (Wiederhotung) de la question directrice de la mtaphysique quil sagit ici de bien
saisit1.
L Pour ce qui est de la rptition (Wiederholrnzg) des questions de la mtaphysique, voir aussi GA 26, 197,
mais surtout la quatrime et dernire section de Kant und titis Problem der Metaphjsik.
224
Chapitre premier
(Leifrage) apparat comme telle partir du printemps 1930 dans la conference He<get und das
Probtem der Metaphysik. Bien que Heidegger ait tabli bien avant cette date la diffrence qui
existe entre la question de ltre et du temps quil cherche laborer et celle de ltre de ltant,
de ltantit qui a gouvern lbistoire de la mtaphysique, la distinction entre ces deux questions
et le possible chemin menant de lune lautre nont pas t thmatiss explicitement avant, le
entre la question laquelle Hegel a bel et bien donn rponse la question de la mtaphysique
traditionnelle portant sur ttant comme tel dans son ensemble et la question laquelle la
mtaphysique a toujours omis de rpondre celle portant sur ttre comme tel.
1. Cette terminologie expose dans le cours du semestre dt 1930 sur lessence de la libert humaine
napparat pas encore dans le cours du semestre dt 1929 sur lidalisme allemand duquel provient la majeure
partie de cette confrence prononce Amsterdam le 22 mars 1930. Cest une terminologie que Sein und Zert
ignore (voir, ce sujet, la remarque dEmmanuel Martineau la p. 82 de sa traduction du cours de lhiver
( 1930/31, La Phttotaenotogie de lesprit de He,gn).
2. HPM, 36; tr. 37. Keidegger a dfendu cette thse dun accomplissement hglien de h mtaphysique
traditionnelle plusieurs reprises cette poque: HPM, 18 sq. ; tr. 19 sq. ; GA 28, 338 sq. ; GA 31, 16 sq. et un peu
plus tard, GA 36/37, 70 sq.
225
(J Malgr cela, Heidegger soutient quil existe encore quelque chose de tel quun problme de la
philosophie, celle sur ltre comme tel, est pose2. Or, cette question napparat ni dans loeuvre
mtaphysique, sa question directrice, est une question qui ne se penche que sur le fondement, sur
lpX1i de ltant en demandant quest-ce que ltant ? (ri r v ;). Cette mtenogadon sur
ltant, Hegel en a puis les possibilits. Aussi, cette pense qui prtend rellement mettre en
question ltre doit-elle radicaliser cet effort mtaphysique en se penchant sur l&pX1 non plus
On peut donc penser la question de ltre comme une radicalisation de celle portant sur
ltantit de ltant. Dans la confrence Hget und das Problem der Metap/jjsik, Heidegger indique
une voie menant cette question fondamentale partir de considrations portant sur la
comme tel est pens, partir de textes comme ceux des Beitr4ge ur Philosophie, non pas
partir dun saut qui constitue la fois le dpassement de toute mtaphysique . La pense
du nouveau commencement qui est celle de la fin des annes 1930 fait elle aussi usage de cette
mtaphysique, de le radicaliser de telle sorte que la question portant sur le fondement de ltant
La question directrice a reu ds lAntiquit une rponse qui a t tenue pour dfinitive
dans la suite: ltre de ltant est oia, cest--dire la prrsence constante (die bestndi,ge
Anwesenheit) de quelque chose sur la base de quoi survient de faon inconstante toute
apparition et toute disparition >. Toutes les questions que la mtaphysique a pu par la suite
poser ltant se sont tablies sur cette interprtation temporelle particulire de ltre de ltant.
Or, la question fondamentale de la mtaphysique cherche justement mettre jour les motifs
cachs dune telle rponse, interroger lorigine de cette comprhension de ltre. Comme le
soutenait Sein und Zei4 ltre est compris dans la mtaphysique traditionnelle partir du temps,
partir des traits temporels que sont le prsent et le toujours . Cest donc ta mise en
question du tien troit qui unit /tre au temps la question du et de tre et temps qui
saut dans la mtaphysique de lt 1928 dont il s dj t question : En faisant signe vers le fait que ltre est
compris comme prsence constante, nous navons certes apport aucune rponse la question directrice, mais
nous avons conduit cette question devant labme de sa problmaticit. Et puis, au cri de tre et temps, nous
avons risqu le saut dans cet abme, mais nous marchons maintenant sans sol ni point dappui dans lobscurit
(GA 31, 115).
2. Le cours de lt 1930 illustre ainsi la radJca]isation de la question directrice en question fondamentale, cest-
-dire le passage de la question de ltant celle portant sur ltre et le temps: II en est rsult la srie de
questions suivantes: ti t 6v ;, Quest-ce que ltant? Quest ltant comme tel? Quest ltant du point de vue
de son tre? Quest-ce que ltre? Comme quoi ltre est-il en gnral compris? (GA 31, 111).
3. HPM, 38 ; tr. 39. Voir aussi GA 31, 73-74
4. Cette orientation sur le temps na cependant rien dalatoire. Le cours de lt 1930 soutient en effet que la
comprhension humaine de ltre doit ncessairement comprendre ltre partir du temps. Cest pourquoi, partout
o ltre devient thme dune manire ou dune autre, la lumire du temps doit se manifester (GA 31, 74; nous
soulignons).
5. La question fondamentale snonce: quelk est lessence du temps pour que ltre se fonde en 1u4 et que ki question de
ttre comme problme directeur de hi mtaphjsique puisse et doive tre det.(oje dans un tel horiton ? (ibid., 116).
227
Or, selon ce quen dit alors Heidegger, la mtaphysique ne pouvait commencer par
(E poser directement la question fondamentale, mais devait tout dabord faire sienne
linterrogation portant sur ltantit. Cest seulement aprs son accomplissement dans la Science
de ta logique de Hegcl que la mtaphysique peut tre en mesure dinterroger le sens temporel de
traitement hglien de la question directrice sans pour autant mettre fin au problme de la
mtapIysique que la question fondamentale rend manifeste. Cest ainsi que la mtaphysique
du Dasein ne souhaite donc aucunement suivre Hegel, cest--dire continuer sur sa lance en le
corrigeant. Son intention est bien plutt de rpter (wiederboten) la question directrice de telle
Mais linterrogation sur ltant nest pas pour autant une question arbitraire que lon suivrait
uniquement pour son intrt historique. Cest elle et seulement elle qui permet daccder la
Comme nous le voyons ici, dans le cadre de cette confrence sur Hegel et du cours de
encore saisi comme le dpassement de la mtaphysique comme telle, mais bien comme sa
1. Pour Heidegger, laccomplissement de la mtaphysique opr par Hegel nen est donc pas vfalment un
Mais si, de faon irrcusable, la question fondamentale de la mtaphysique est bien tutrouvable chez Regel,
comment pouvons-nous dire alors que la mtaphysique hglienne soit un accomplissement? Alors, elle nest
justement pas un accomplissement. Tel est bien le cas (HPM, 52; tr. 53). Cette nuance na de sens que st la
mtaphysique a encore un avenir , ce qui est encore vrai lpoque de la mtaphysique du Dasci,i.
2. GA 31, 116-117.
22$
radicatisation, comme lactualisation des potentialits latentes en elle. partir du cours sur la
Phnomnologie de te.iprit dc lhiver 1930/31, cette distinction entre question directrice et question
1930, Heidegger crit que la mise en question du rapport de ltre au temps mene dans Sein
und Zeit aura permis de rendre le lecteur f< attentif lvnement fondamental de la
la philosophie, celle qui rige en problme la co-appartenance de ltre et du temps, est donc
lhomme . Mais cette orientation sur lhomme de la question fondamentale ne trouve pas sa
lgitimation dans le fait que, traditionnellement, un lien ait t reconnu entre le temps et lme
(Aristote, Augustin, Kant, Regel). Cest bien plutt parce que le Dasein est le site de la
comprhension ncessairement temporelle de ltre que cest en lui que trouve son Jndement la
contrainte ne considrer lhomme que de faon accessoire, cest--dire comme un tant parmi
ltant quil lui est donn de considrer: Lorsque nous sommes pousss par la problmatique
1. Bien que lintention ne soit plus mtapIysique, il est nanmoins encore question dans le cours sur la
Phnomnotogie de iptit dune transformation de la question chrectnce en question fondamentale (GA 32, 59).
2. GA 31, 115.
3. Ibid., 121.
229
lhomme pour autant quil est 1m aussi un tant au sein de la multiplicit dc ltant, mais pour
autant que te temps appartient thomme titre defrndement problmatique du problme de ttre radicatis .
Interroger lhomme eu gard la question de itre et du temps ou, selon louvrage sur Kant,
interrger thomme eu tgard une instauration desfondements de ta mtaphysique , ce nest pas interroger
lhomme comme un simple tant mais bien comme te fondement de ta question fondamentale de la
mtaphysique. Comme nous lavons annonc plus tt, il nous appartient maintenant daborder la
1. 1b1C
230
Chapitre II
Dans sa confrence inaugurale du mois de juillet 1929, JJ7js ist Metapbysik?, I-Ieidcggcr
prsente devant lensemble des facults universitaires dc Freiburg une ide de la mtaphysique
sloignant grandement de son concept traditionnel: Le passage au-del dc ltant advient dans
[essence du Dasein. Mais ce passage au-del est la mtaphjsique mme. Do dcoule ceci: la
dcole, ni un champ ouvert des spculations sans frein elle est [vnement fondamental [qui
advientj dans k Dasein lui-mme et qui advientj comme Dasein . La mtaphysique nest pas une
discipline, elle nest pas non plus un questionnement qulabore le Dasein: elle est le Dasein, elle
est ce qui en lui advient de plus fondamental. Cest cette ide dune mtaphysique comme Dasein
une des acceptions de la mtaphysique du Dasein 2 qui doit dsormais nous occuper.
traditionnelle du terme. Bien quelle ait en quelque sorte t prpare par lide kantienne dune
mtaphysique. Si la philosophie peut encore tre une mtap/ysiqne, cc sera alors comme cette
mise en lumire du dpassement qui advient tacitement dans le Dasein et qui rend possible le
ce phnomne advenant depuis to?qiui:r dans lexistence humaine mais que seul le travail
phnomnologique met au jour. Or, cette mise en lumire est concue comme une sorte de
1. lf?vI?, 121-122; tr. 71/56. Encore tct, nous suivons le texte original (Bonn, Cohen, 1929, 28).
2. Suivant la dfinition que nous avons tablie en introduction: La mtaplwsique du Dasezn est une
mtaphysique qui advient comme Dasezn de telle sorte quelle trouve son fondement en une analyse mtaphysique
de ltre du Dusein (voir supra, Une mtaphysique pour combler les lacunes de lanthropologie philosophique ).
3. Comme le souligne 1-leidegger dans ics Grundprobkrne der Phinornenoto<gie de lt 1927, cest en partant de
Iintentionnalit, la face visible de la transcendance, que lon peut rendre manifeste ce qui se tient au fondement
de tout comportement du Dasein. Bien que lmtentionnalit doive son existence la transcendance, ce nest qu
231
conversion du regard du Dasein qui doit dsormais porter attention ce qui advient en lui et
(E qui permet quun monde et ltant se donnent. La philosophie doit donc rendre explicite cet acte
originaire mais tacite que constitue la transcendance. Comme nous lavons dj voqu,
philosopher, ce nest rien dautre que transcender non pas tacitement, conmre cela se fait
ce quoi sattarde la troisime et dernire partie de lessai de 1929 Vom Wesen des Gntndes
qui y est propose correspond une mise en lumire de la transcendance du Dasein, oriente
fondement y est aborde partir du cadre que constitue le problme de la transcendance. Or, ce
fondement. Lessence du fondement concide en effet avec la dfmition que donne F-Ieidcggcr
ferons pas que toucher un thme mtaphysique parmi dautres. Cest la question de la
possibilit de la mtaphysique comprise comme vnement dans le Dasein qui sera traite.
Lunit de lessence du Dasein permettra donc dc fournir une rponse au problme dc lunit dc
la mtaphysique.
Suivant lorientation gnrale qua prise notre recherche sur la mtaphysique du Dasein,
nous souhaitons tout dabord souligner que Heidegger a lui-mme reconnu et de faon tout
mtaphysique. Comme nous allons maintenant le voir, il a en effet trac un parallle, dans le
partir delle que lon peut connatre cette dernire: Linteniionnalit est la ratio cqgnoscendi de la transcendance
Cette dernire est la ratio essendi de lintentionnaht (GA 24, 91).
232
cadre des AIetaphjsische Atfingigiinde der Lgik de lt 192$, entre la division traditionnelle de la
compris comme projet jet . Nous trouvons donc ici le point de rencontre des deux traits
caractristique par lesquels nous avons dfini la mtaphysique du Dasein: celui du problme
avec sa propre mtaphysique , en rfrence directe ce qui avait t dploy dans Sein und
Zeit: Gardons en tte que la philosophie, en tant que philosophie premire, a un caractre
[9EooytK1 cirijn]. (Ce caractre double correspond au doublet dans tre et temps de
lexistence et de ltre-jet) . Heidegger reconnat donc ici sans cependant donner plus
dans Sein und Zeit avec le doublet de lexistence et de ltre-jet . Afin de tenter une
interprtation de cette tonnante rfrence Sein und Zei4 nous devons tout dabord
dterminer en quoi consiste le doublet mentionn et ensuite expliquer en quel sens il peut
Lexistence (Existen) et ltre-jet fGewonheit,.) se prsentent dans Sein imd Zeit comme
deux des trois traits fondamentaux de ltre du Dasein, compris comme souci (Soee). Selon la
dtre que sont lexistence (ou le projet, Entwin/5, In facdcit (ou ltre-jet) et la dchance2. Le
doublet de lexistence et de ltre-jet dont parle b remarque de lt 192$ est un thme abord
plusieurs reprises par Heidegger sous la formule unique projet jet gewo/ner Entwit.93 et
1. GA 26, 13.
2. S. ii. z., 284.
3. Voir, par exemple, S. u. z.. 181 et 284-285 ; KPM, 235-236 tr. 291.
233
qui sert souligner que le projet propre au Dasein et sa comprhension de ltre nest pas
C comparable la Jpontanit du sujet transcendantal puisquil est fond sur la facticit dun Dasein
qui ignore lorigine de la transcendance dans lequel il est jet. Selon ccttc caractrisation du
Dasein, celui-ci se tiendrait la rencontre dune puii.ince de projeter les possibilits dun monde
possibilits ltrejet.
Bien quil soit assez risqu de tenter dinterprter le parallle qutablit ici Heidegger, il
est cependant fort vraisemblable que celui-ci se rapporte la thse de lessai L7om Wesen des
Gnindes qui soutient que cest de la rencontre de ces deux structures opposes projet et tre-
jet que surgissent les questions de la mtaphysique, cest--dire celles qui interrogent la
possibilit des choses, par-del leur effectivit. Comme nous allons maintenant le voir, le
Dasein est en effet clairement tabli dans lessai sur le fondement. Cest ainsi que cette
Nous proposons donc, dans cette troisime et dernire partie de notre recherche, de
nous pencher tout dabord sur la dernire section de lessai Vom [Vesen des Gnindes afin de saisir
partir des notions de projet jet et de vrit ontologique. Dans la mesure o cet essai se conclut
sur une interprtation de lunit de la transcendance du Dasein comme libert, nous aborderons
mettra un point final cette mise en lumire de lessence de la mtaphysique telle quelle est
reprsente le point final dun branlement progressif qui a men labandon du projet. Situant
mtaphysique du Dasein, mais dans lensemble de loeuvre dc Heidegger, nous chercherons tout
dabord souligner les points de convergence et de divergence qui existent entre deux
moments reprsentatifs de cette rflexion que sont lessai Vom lVesen des Gnmdes (1929) et le
cours beaucoup plus tardif intitul Der Sat vom Grund (1955/56). Afin de bien saisir lenjeu
redfinition de lacte de fonder prsente dans la dernire partie de lessai sur le fondement et
qui servira de base notre examen de cette mtaphysique comprise comme vnement
fondamental dans te Dasein. Les considrations portant sur la libert libert eu gard au
fondement tout dabord, puis ce que nous appellerons la libert ontologique nous
permettront de jeter un regard sur les derniers efforts que fait Heidegger pour sauver la
Chapitre III
De te.sente diiJbnderneni
Heidegger avec le trait Vom Wesen tics Grundes (avril 1929), la premire publication
dimportance depuis Sein und Zeit. Par sa seule situation chronologique, ce texte apparat dans
un contexte tout particulier pour qui souhaite comprendre ce qui est advenu de lontologie
pour la pense quil met alors en branle. Ces dveloppements, dont les thmes sont
essentiellement nouveaux par rapport Sein und Zeit, vont mener la pense heideggrienne vers
dans le plutt que otius quam) et celle de la libert comprise comme libert pour fonder.
Quelques annes avant lessai sur le fondement, Heidegger avait cependant dj abord
certains thmes lis au fondement comme celui dc la caractrisation du Dasein comme abme
(Ab,gnind au semestre dt 1925. Le cours de logique de lhiver 1925/26 abordait, quant 1m,
sceptique nie la possibilit de fonder pleinement une connaissance, il ne remet jamais en doute
Cette question circulaire dans le cours suivant, Heideggcr demande : sur quoi se fonde
fondement. Dans ces Gnindberiffi der antiken Philosophie de lt 1926, dans le cadre dune
1. GA 20, 402.
2. G 21. 23.
3. O se trouve le fondement de la cause et de la raison ? Pourquoi y a-t il un pourquoi, une raison ? (...)
quoi cela tient-il quil y ait quelque chose corrm-ie un fondement? On pourrait se demandet si ce nest pas l une
question circulaire (G/1 22, 47 et 223-224)
236
C partir dune histoire des concepts qui y sont lis, ceux dpXi, daitia et de tOKE4AE VO V,
mais aussi ii partir dune discussion du princziu;n rationis leibnizien1. Cette histoire sera enrichie
occidentale. Mme si le princtium rationis de Leibniz napparat comme tel quaprs des sicles
dincubation lexpression est du cours Der Sat nom Gntnd , la philosophie a cherch
depuis son origine le fondement (tpf, aiti.c) des choses. Questionner en direction de lessence
du fondemcnt et du pourquoi ? , cest en fin de compte interroger lessence la plus profonde
mme faon quelle omet dinterroger ltre, la philosophie ne remet pas non plus en question
lexigence de fondement qui h co-dtermine. Le trait Vom Wesen des Grundes prtend ouvrir
une intelligence du fondement qui ne se limite plus t celle qua connue la philosophie depuis
thme principal la question du fondement (Gnrnd): lessai de 1929 intitul Vom Wesen des
1. Ibiti, 11-14.
237
Grundes et le cours de 1955/56 qui porte le titre Der Sat nom Grttn. Les intentions de lun et
de lautre de ces textes situs aux deux extrmits de loeuvre sont bien distinctes et peuvent
tre caractrises partir du jugement que chacun deux porte sur le princiium rationis de
Leibni%.
Dans le texte de 1929, le principe de raison de Leihniz nest encore voqu que trs
rapidement. Heidegger y reconnat tout dabord que, malgr son titre, le Sat nom Grund ne dit
rien de lessence du fondement. Le principe parle au szqt de ttant Q< tout tant a un
fondement ) et laisse dans lobscurit lessence mme du fondement. Cette essence se trouve
considre malgr tout que ce principe peut le guider dans sa recherche, ce nest pas parce quil
donne quelque indication sur lessence du fondement mais bien parce que Leibniz a reconnu
quil tirait son origine de lessence de la vrit . Cest ainsi et seulement ainsi que le princ-tbium
Heidegger montre que la condition de possibilit du fondement est la libert du Dasein. Dans le
cadre de cet essai, le Dasein se prsente comme celui qui exige ou non que soient fournies des
raisons ou des fondements. Par la libert quil exerce face au fondement (Freiheit zum Grunde), le
Dasein se trouve ainsi mis labri de lexigence de fondation. Compris comme origine du
fondement, le Dusein est alors lev au rang dc sans-/bnd, de ce qui est sans fondement
41.gnind,).
chose au sujet de ce qui est, mais nclaire pas ce que veut dire le mot fondement (Grund) .
1. Mentionnons aussi que, sans en tre le thme principal, la quesuon de lessence du fondement est trs
importante dans les Beirrage zir Philosophie. Voir, principalement, la cinquime sccimn Q< Die Griindtmg , G 65,
293 sq.).
2. VI17G,127;tr.91.
3. IbieL, 129 ; tr. 94.
4. SpG, 69 ; tr. 122.
238
Au contraire, il faut davance savoir ce quest un fondement pour comprendre ce que signifie la
sentence nihi est sine mtione. Mais le choix de lessai de 1929 de laisser de ct la <t trouvaille
leibnizienne pour dployer une recherche autonome sur lessence du fondement est alors
qualifi derreur. Mme si ce qui constitue lessence du fondement nest pas dtermin dans ce
principe , le principe de raison ne doit pas pour autant tre laiss de ct. Scion le texte de
1955/56, il peut malgr cela servir de fil conducteur la recherche portant sur lessence du
fondement2.
Pour que le principe de raison dise quelque chose de lessence du fondement, il sagit
tout simplement de lire autrement ce quil nonce. Plutt que dinterprter le principe comme
nonant quelque chose au sujet de ltant tout tant a un fondement , on peut lire cette
proposition en accentuant le lien que le principe tablit entre ltre et le fondement: rien nest
sans Jbndernent, nihil est sine ratione . Selon Heidegger, cette accentuation nous fait percevoir
une harmonie entre est et fondement, entre est et ratio . Cest cette lecture devenue
comme un cho lorigine commune du fondement et de ltre (rn) dans le yo4. Tout
le cours tourne en effet autour de cette affirmation dduite du principe de raison : Etre et
fondement: le mme .
Or,
( envisageant le fondement comme un trait transcendantal essentiel de ltre en ,gnrat .
cette appartenance du fondement ltre sexplique alors par ltroite parent que lessai tablit
car ltre ne se donne que dans la transcendance: En tant quil est pralablement compris,
ltre fonde (begriindet) ccds lorigine de faon originaire. Et cest pourquoi chaque tant en tant
qutant annonce sa faon des fondements, que ceux-ci soient ou non proprement saisis et
essentiel de ltn en gnra4 le principe de raison sapplique ltant. Or, si lessence de ltre
appartient le fondement, cest parce quil ny a dtre (pas de ltant) que dans la transcendance
comprise comme la fondation situe qui projette un monde (wei/ es Sein (nicht Seiendes) nurgibt in
der Transrenden ais dciii we/tentwer/nd bflndtichen Griinden) 2. Ltre et le fondement se donnent
Dans le cours dc lhiver 1955/56, Heidegger prsente une critique de cet essai de 1929
dans laquelle il crit que nous tous, y compris ceux qui, diverses reprises, se sont dj form
quelques penses sur lessence du fondement , navons pas encore senti cette puissance du
princz/iitrn rationis constitue un signe non quivoque de cet appel de ltre et de lexigence de
lhomme au fondement semble donc invers. Si, dans Vom [Vesen des Gritndes, le Dasein est pour
ainsi dire matre du fondement quand il exerce sa libert son gard, il est en 1955/56
C) lclaircie de ltre , lhomme nest plus pens comme celui qui met loeuvre sa libert en
exigeant que soient rendues dcs raisons. Heidegger se demande : Est-ce que cest nous, les
hommes, qui soumettons notre propre pense reprsentative cette exigence quun fondement
soit toujours fourni? Ou bien est-ce le fondement lui-mme qui, de lui-mme, comme
fondement, impose une telle exigence notre pense reprsentative ? 2. La libert propre
lhomme ne se prsente plus comme cette libert eu gard au fondement , mais rside
dornavant dans cette libre possibilit de la pense que constitue le saut dune pense de ltant
une pense qui rpond lappel de ta vrit de ltre: Cest seulement arriv au lieu du saut
quon voit souvrir la rgion o rside lessence de la libert . Fournir un fondement ne sera
plus une libre interrogation du Dasein en direction du fondement, mais bien une rponse de
Avant den venir au traitement que donne 1-leidegger en 1929 du problme dc lessence
nous exposerons ici une sorte de lexique permettant de prsenter les diffrentes figures du
Nous traduisons par fondement le terme allemand G7md qui couvre un champ
smantique trs large. Pour sen tenir son sens philosophique, sa signification englobe les
concepts de fondement (<c principe , assise , sol ) et de raison (non pas comme
synonyme d entendement n, mais de motif ou d argument >). Cest pour cette raison
quHcnry Corbin hsita dans sa traduction de Vom Wesen des Grundes (en 193$) entre Jbndement
et raison en donnant le titre suivant : Ce qui fait ltre-essentiel dun fondement ou raison .
Pour ajouter la confusion, rappelons que quelques annes auparavant, A. Bcsscy avait traduit
lessai en lui donnant le titre De la nature de la cause 2. Or, si le Grund peut tre rendu en
franais tant par fondement que par raison ou cause , il nous importe tout dabord de
bien identifier les concepts de la philosophie traditionnelle auxquels Heidegger fait rfrence
lorsquil emploie le mot. Ces prcisions terminologiques, Heidegger les a lui-mme exposes
dans Uessai de 1929 et dans le cours du semestre de lt 1928, mais aussi plus tt dans celui de
lt 1926.
Le concept dc Grund dont se sert Heidegger est la traduction allemande du ratio latin
que lon retrouve au centre du principe de raison (princziurn rationis, Sat nom Gnrnd) leibnizien.
1. Traduction tout dabord parue dans le recueil 2tist-e que lu mtapIysiqze ?, Gallimard, Paris, 1938. Ce titre
exagrment long est celui qui continue de svir dans cc qui sert d dition franaise des lVgmarken, cest-
dire dans les quatre recueils de textes intituls [uestions. Sans ngliger lapport immense quont constitu ces
recueils poctr les tudes heideggriennes dans le monde francophone, il est peut tre temps de se doter dun
quivalent franais plus actuel des lVe,gmarken comme lont fait les diteurs anglais (Pathmarks, 1998), italien
(Selnavia, 1987) et espagnol (Hans, 2000).
2. Traduction parue dans les Recherches philosophiques, Paris, Boivin, 1931-32, 83-124. Dans cette version, A.
Bessey traduit indiffremment pX-Grnndet ttriov-Ursache par raison .
On notera que ces deux titres tmoignent aussi dune hsitation traduire lVesen par essence hsitation
qui na aucune raison dtre quand on sait ce que Heidegger entend par essence cette poque. Dans le cours
sur lessence de la libert humaine de lt 1931 (GA 31, 12, 30 et 178 sq.), Fleidegger n en effet clairement expos
ce quil fallait entendre par ce concept dessence quil emploie alors trs frquemment (De lessence du fondement, De
/essence de la vrit, De lessence de la libert humaine, etc.). Dans le cadre dune rflexion dordre mthodologique
sur la ic connaissance dessence , Heidegger affirme que le terme ne doit pas tre pris en son acception
traditionnelle et courante dessentia, mais bien plutt comme une caractrisation triple se prsentant comme la
dtertnmadon (1) du qtud de la chose en question, (2) de la possibiht intente du quid et (3) du fondement de la
possibilit interne du quid.
Cette cc mthode s pour la mise en lumire de lessence dune chose a bel et bien t suivie par Heidegger. La
confrence Vom Wesen der Wahrheit, par exemple, aborde lessence de la vrit selon ces trois angles en montrant
que lessence courante de la vrit (ladquation) a pour possibilit interne louverture du comportement (die
Ojenstndigkeit des Verha/tens) du Dasein qui n lui-mme pour fondement la libert du Dasein. Heidegger conclut
cette mise en lumire de lessence de la vrit par cette phrase : Lessence de lu vrit est la libert. Or, ce nest pas
parce que la vrit et la libert sont la mme chose, mais bien parce que la libert constitue le fondement de la
possibilit du qutd de la vrit que 1-leidegger nonce cette thse. (Une note marginale insre par Heidegger dans
son exemplaire personnel de cette confrence confirme dailleurs quil s suivi un tel schma: Wesen: 1.
quidditas das Was Kotvv; 2. Ermilgbchung Bedmgung der Mtiglichkeit; 3. Grund der Ermglichung ,
IlflU 177, Anm. s). Notons enfin que lon retrouve les premires traces)> de cet emploi de Wesen en son sens
verbal et qui deviendra habituel au milieu des annes 1930 dans le cours du semestre de lt 1929 (GA 28, 65-
67).
242
Mais le Gnsnd heideggrien renvoie aussi au concept dpXi de h mtaphysique grecque qui
tenir quelque chose pour quelque chose 2. Cest dailleurs ainsi que le fondement (Gntnd,
ratio,) peut aussi avoir le sens dun fondement pistmologique , dun argument (Agurnent,),
cest--dire tre compris comme la raison pour laquelle on tient pour vraie une proposition3.
lidentifie aussi lun des sens de la cause (aittov). Dans les Anaytiques postrieurs, il crit:
nous pensons connatre quelque chose de faon inconditionne f...) lorsque nous pensons
connatre la cause pour laquelle la chose est telle quelle est et pour laquelle elle ne peut pas tre
autrement quelle nest (A 2, 71 b 9 .cq.). Bien quaucune justification nen soit donne dans
son oeuvre, on sait quAristote tenait la cause pour un type dc fondement ou de principe
(pii.) : toutes les causes (airia) sont des principes pai.) >, crivait-il dans la Mtaphysique
(A 1, 1013 a 17). Les rapports troits quentretiendront les concepts de causa et dc ratio dans la
philosopbie moderne les deux termes seront mme indiffrencis chez Descartes trouvent
donc leur origine chez Aristote. Notre lexique du fondement soriente donc essentiellement sur
trois termes : prinripe, mais aussi cause et raison constituent lensemble des termes situer sotis
celui de fondement.
Selon la dfinition quen donne Aristote, principe (pij se dit de ce qui est premier
1. Le terme conducteur pour ce que nous nommons fondement (Gntnd) correspond, dans la metaphvsique
grecque, au mot pJ dans les deux sens de commencement et de commandement ; dans la philosophie moderne
dautre part, il correspond au mot ratio (priiitibiiirn rationis siIcientis ; ,grande i/ludprnzaaiwn ; Leibmz) (GA 49, 161).
Voir aussi GA 67, 64.
2. GA 26, 136. Voir aussi G 49, 81.
3. GA 26, 137 et 146.
4. VWG, 124; tr. 8$.
243
vdxtcerat (ibid). Le premier chapitre du livre A de la Mtaphjisique constitue un expos du
conccpt dpi qui prend pour point de dpart lusage le plus quotidien du mot pour slever
ensuite sa signification la plus philosophique. Aristote numre une srie de six significations
commun de tous ces principes, cest dtre la source, le premier partir de quoi (r icptov
5Ov) ltre, la gnration ou la connaissance drive (ibid.). Suivant la lecture quen fait
Heidegger, le fondement ou le principe doit donc se dire de trois faons: fondement de ltre-
sein)1 -
Mais cette tripartition du fondement manque, selon Heidegger, une rfrence au fait
que, de par son agir (Handetn,), le Dasein participe lui aussi de lessence du fondement. En plus
dtre) et de largument (fondement de ltre-vrai), lpXi doit aussi se dire du mobile (Motir)
fondement de lagir propre au Dasein que Aristote aurait voqu dans lEthique Nicornaque avec
cette notion du ce en vue de quoi (oi vK) mais quil aurait omis dinclure dans sa
dfinition dc lp2. Or, bien que cette quadripartidon du fondement soit bel et bien voque
dans les MetapIysische Anfan<gsgnnde der Lo<gik, ce nest pas suivant ce modle que Heidegger
diffrenci suivant laxe tout dabord dfini de la cause fcausa cien.1) et de largument (ratio
cognoscendi), ce qui permit au problme du fondement de sortir de lobscurit3. Tant chez les
Grecs que dans la scolastique (chez Surez), la distinction entre cause et raison est imprcise.
Descartes lui-mme identifie la causa efficiens la ratio et participe ainsi de cette soumission de
entre ces deux concepts en soutenant que la cause dans les choses rpond la raison dans les
suffisante se limitera la raison comprise comme argument, cest--dire comme raison de tenir
quelque chose pour vrai (KrV, A 820/B 84$ sq.) et Hegel, par la suite, procdera nouveau
causa constitue une problmatique en soi dont lhistoire caractrise de faon essentielle la
Dans le cadre du questionnetnent propre au trait Vouz [Vesen des Gntndes, Heidegger
expose un concept de fondement command par une essence triple: cest en effet comme
possibilit (Mgtichkeit), sol (Boden) et lgitimation (Ausweis) quil entend le fondement5. Si cette
rflexion de Heidegger se situe nanmoins un niveau autre: il nest jamais question ici de
trouver des fondements ltant (eu gard son essence, son existence, sa connaissance,
etc.) mais bien de penser les conditions de possibilit du fondement de telle sorte quil soit
1. Pour ce qui est du problme dti fondement dans la philosophie moderne, nous renvoyons lrudit travail
de Vincent Carraud, Causa une rutio. La raison de la ctluse, de Suare7 L.eibnz7.
2. Formulations tires de Phe /osophta prima sine onto/ogia cites par Heidegger en GA 22, 48 et 225-226.
3. GA 22, 226.
4 Comme la mis en vidence Vincent Carraud dans son ouvrage, lhistoire de la philosophie moderne
commence avec la rduction de la causa la seule causalit efficiente et se termine l o la cause se trouve
subordonnee la ratio, chez Leibniz. Entre ces deux moments, Descartes identifie ta causa te/7iciens, et la ratio.
5. 1 1VG, 171 tr. 153.
245
3. Lessence du fondement
ltre de ltant. La seconde section sattaque, quant elle, une mise en lumire du
constituer le cadre > lintrieur duquel Heidegger souhaite traiter le problme du fondement.
Nous nous sommes dj familiariss avec ce concept dans notre traitement du problme du
monde (voir supra, Le monde comme concept transcendantal ). Cest dans la troisime et
dernire section de lessai que lessence du fondement sera expose comme telle. Cest sur le
contenu de cette section et sur les textes qui sen rapprochent que nous souhaitons maintenant
nous pencher. Comme nous lavons dj soulign, cest dans le but de mettre en lumire lide
dune mtaphysique advenant comme Dasein que cette section nous intresse. Nous laissant
guider par cette piste que constitue le parallle tabli par Heidegger entre la rcprr t.oro(pirx
aristotlicienne et le projet jet, nous lirons la troisime section comme une rponse la
fondement que donne Heidegger dans Vom tVesen des Gnindes, cest parce que le phnomne ici
1. Heidegger crit en effet que le problme du fondement a tout dabord besoin dun veil ([f eckun!J
(VIVG, 126 ; tr. 90).
246
tudi ne constitue pas seulement un thme philosophique parmi dautres, mais correspond
O bien plutot a 1 essence metaphvsique du Daiein que nous souhaitons ici mettre en relief C est a
que Heidegger expose en 1929 est prcisment labor partir dune telle ide du Dasein. Si
quil est pens eu gard la nature mtaphysique du Dasein. Interroger lessence du fondement,
cest ainsi mettre en question ce qui dans le Dasein rend possible une chose telle que la
mtaphysique. A partir dune lecture de la troisime section de lessai sur le fondement, nous
tenterons dans les pages qui suivent dclaircir la metaphjsica nuturatis contenue en lhomme,
cest parce que Heideggcr soutient que la transcendance constitue le cadre privilgi pour
llaboration de toute question concernant ltre de ltant, de toute question rntaIysique. Nous
avons mentionn plus tt que, dans cet essai, Heidcggcr liait troitement la possibilit
une proprit de lobjet de la mtaphysique (Dieu, labsolu, le monde, etc.), mais comme
mtaphysique. Pourtant, cest partir de cette mise en lumire de lessence du fondement que,
qui existe entre ces deux phnomnes trouvera sa lgitimation dans la saisie de la
structure unitaire dc trois phnomnes propres au Dasein: le projet dun monde (tVetentwu/),
Les deux premiers moments dc ta transcendance sont explicits dans lessai sur le
fondement comme ces deux moments propres au Dasein que Sein und Zeit ( 31) prsentait
comme le projet jet structure unitaire contenant les phnomnes du projet et de ltre-
jet2. Dans cet essai, Heidegger ne pense cependant pas uniquement la nature du Dasei.t
comme la tension entre ces deux notions antagonistes, mais aussi, en troisime lieu, comme le
ltre-jet ouvre la possibilit de la comprhension de ltre et, avec elle, la possibilit de toute
mtaphysique.
Lexpression projet jet , dans sa simple formulation, rend manifeste une sorte de
tension ou de contradiction interne aci Dasein. Compris comme projet, le Dusein a cette
particularit dtre lorigine de lesquisse des structures dtre qui permettent ltant de se
prsenter conime tant. Le Dasein est celui qui octroie ltant sa structure dtre, celui qui
esquisse les rapports possibles avec les tants qui constituent le monde. Cette projection du
( indique que le Dasein se trouve toujours dj dans un monde qui lui est impos. Bien que le
Dasein soit matre de lesquisse des possibilits du monde, il est nanmoins toujotirs dit de
fait auprs des tants, cest--dire auprs de possibilits dj effectives. La projection tibre
trouve ainsi sa contrepartie dans cette contrainte que reprsente le monde effectif. Le Dasein,
conwne tant transcendant, se situe ainsi la rencontre dune puissance de projeter les
certaines de ces possibilits. Cette double nature constitue, comme lcrit Heidegger, la finitude
mtaphysique .
Dans cette rflexion sur lessence du fondement, ces deux premiers traits
transcendantaux du Dasein sont saisis comme les deux premiers modes de la fondation (das
doivent donc tre dpouilles de leur signification banalement ontique issue du vocabulaire
tt appel le projet de len-vue-de-quoi (der Entwzif des Umwitten) et que lon a identifi la
configuration dun monde propre au Dasein. Comme nous lavons vu plus tt, la possibilit
quun monde se prsente au Dasein est issue de cette projection triple tSetbstwett, Umwett,
Mitwe/t) propre la trnscendance et qui dtermine davance la faon dont peut se donner
ltant. Cependant, cette projection des rapports possibles que peut entretenir le Dasein avec
1. KPM, 113 ; tr. 171. Sur cette double nature de la transcendance, von aussi: KPM, 119 ; tr. 176 ; GA 26, 212,
26$ et 279.
2. LIVG, 165 ; tr. 144.
249
ltant ne constitue pas un fapport effectif ltant. Le projet dun monde nest en effet
quune bauche pralable qui, tout en renvoyant au tout de ltant dvoil dans lhorizon
du monde >, se rfre de ltant non encore manifeste2. Le projet na comme tel jamais accs
qu la possibilit de ltant.
projetait le monde quen tant lui-mme situ au sein de ltant. Or, cet tre-toujours-dj-jet
qui la caractrise ne peut avoir lieu que si le Dasein est situ au sein de ltant. Est donc aussi
constitutif de la transcendance ce fait que le Dusein est investi, absorb par ltant (vont Seienden
ein,genomrnen). Or, cette absorption (Eingenornmenheit) du Dasein par ltant qui lentoure3,
constitue un appui pour le Dasein, la base sur laquelle stablit la projection du monde. Cest
ainsi que se dfinit ce second mode de la fondation: fonder au sens dappuyer, de prendre-sol
(B oden-nehrnen). Or, ces deux premires manires transcendantales de fonder, Heidegger les
conoit comme tant contemporaines , cest--dire comme nallant jamais lune sans lautre.
Transcendance signifie projet du monde, de telle sorte que celui qui projette soit transi
durchwatte par ltant quil dpasse et auquel il est accord . La transcendance du Dasein
prend donc ltant pour base de son dpassement, sappuie sur lui et trouve en lui un
linstitution: Le Dasein nest absorb par ltant quen tant qutre-au-monde. Le Dusein fonde
fondation comme institution, le fondement comme possibilit , projette ses propres possibilits,
fondation comme appui, comme prendre-so4 te fondement comme sot , seules certaines de ces
possibilits se trouvent ralises. Le monde effectif se traduit en effet par un retrait des
possibilits non effectives. Grce ce retrait, le monde se prsente comme quelque chose que
le Dasein peut saisir rellement. La transcendance agit ainsi la fois comme un essor et une
Bien que ces deux moments du projet et du retrait soient cooriginaires, il sen faut dc
beaucoup quils soient identiques. Dans lessai de 1929, Heidegger tente de penser au-del
du projet jet, cest--dire de dterminer ce quengendre cette confrontation entre lessor que
constitue le projet et la privation que constitue le fait dtre jet dans un monde. Selon son
essence, le projet (Bntwu./) des possibilits est chaque fois plus riche que la possession qui
.
repose dj en celui qui projette (mu Entverftnden) Le fait dtre jet au milieu de ltant
implique en effet une certaine ralisation des possibilits que le Dasein projette et cette
effective du Dasein, sa facticit (Fakti.itdt,) implique que certaines possibilits du monde lui
soient retires. Mais ce nest que par ce retrait (Entu,g) quont lieu la concrtion dun pouvoir-
1. Dune certaine faon, cette conception de leffectivit rappelle lide leibnizienne du c combat entre tous les
possibles qui tait de Ieffectivit une possibilit choisie au sem dune multiplicit de possibilits 1w prexistant.
2. 17117G, 167 ; tr. 147. Voir aussi GA 26, 279.
3. 17117G, 167 ; if. 147.
4. Ibid Voir aussi S. u. Z., 31, 145-148.
251
restriction de lcsqmsse des possibilits dun monde est la condition ncessaire pour que le
monde puisse faire sentir sa force . Ce nest donc qu partir de la rencontre des deux
avec ltant. Le simple fait de pouvoir se rapporter de ltant effectif dpend dc la rencontre,
dans le Dasein, du projet dun monde (essor) et de labsorption dans ltant (privation).
projet suppose une certaine comprhension anticipante de ltre de ltant sans pour autant
constituer lui-mme un rapport du Dasein ltant (ciii Daseinsbeug um Seiendern). De son ct,
labsorption du Dasein au milieu de ltant ne permet pas non plus un comportement envers
ltant (en Verhatten u Seiendern,). Cest bien plutt la rencontre des deux modes de la fondation
cette base ontologique de la manifestation dc ltant, issue de la rencontre des deux premiers
modes de la fondation, que Heidegger appelle la justification (das Begriinden), troisime mode
ontique.
Encore une fois, il faut entendre lexpression justifier en son sens ontologico
transcendantal et non en son sens courant qui en fait une dmonstration de propositions
dordre ontique et thorique 2, une recherche du pourquoi des choses. Dans la mesure o cette
Dasein de manire ncessaire1. Et cest prcisment dans cette capacit interroger par-del
Dasein: En son essence mtaphysique, le Dasein est celui qui demande pourquoi 2. Dans la
linterrogation mtaphysique, cest partir de cette tendance du Dasein que nous tenterons de
quillustrent les trois questions suivantes: Pourquoi ainsi et non autrement? Pourquoi ceci et
non cela ? Pourquoi, en dejinitive, quelque those et non pas rien ? . Cette liste exhaustive des
possibilits de linterrogation rend manifeste que le pourquoi est guid par une certaine
questions ne sorientent en effet pas au hasard: elles interrogent le comment de ltant (ainsi oct
qui demande pourquoi rend donc manifeste quil a dj en lui une comprhension des
structures fondamentales de ltre que sont lessence, lexistence et le comment des choses. La
1. Ibict
2. Das Dasein ist sernem metaphysschen \Vesen nach der nach dem Warum fragcndc (GA 26, 280).
3. VIVG, 169 ; tr. 150.
4. Ibid.
253
pourquoi
conflit entre lcffectivit de ltant et sa possibilit, de telle sorte que ltant qui se prsente
effectivement ainsi ou comme celui-ri ou comme quelque chose dtant rende manifeste la
possibilit dun autrement ou dun cetui-l ou dun rien dtant. Lessence et lexistence de ltant
se prsentent elles aussi comme la rduction de tout le possible (protypon) une seule
constitue le Dasein ne reprsente donc pas une simple curiosit propre son essence, mais en
mtaphysique. La mtaphysique ne surgit donc pas arbitrairement dune capacit que le Dasein
pourrait ou non dployer: elle est inscrite en lui et jaillit de sa nature de faon ncessaire. Dans
la mesure o cest de la nature mme du Dasein comprise comme transcendance que jaillit le
Heidegger la thse kantienne de la metaphysica naturuis. Cest ainsi que, comme Kant, Kcidegger
tente de montrer que la mtaphysique est non seulement un penchant>) mais bien une
Mais en quoi consiste alors ce troisime mode de la fondation que Heidegger appelle la
justification (dus Begriinden,) et quil conoit comme rencontre des deux premiers modes?
Heidegger crit que si la comprhension dc ltre rend tout dabord possible le pourquoi ,
comprhension de ltre nest donc pas une question, mais bien une rponse. Comme
originaire qui soit. Cette justification transcendantale qui anticipe tout questionnement
conceptualisation ontologique de ltre est un thme trs prsent dans Sein und Zei4 mais aussi
dans lensemble des textes de la mtaphysique du Dasein2. Cest en effet ainsi que Heidegger
constitue la transcendance de telle sorte que puisse tre thmatis ce qui rend possible tout
Lvnement de h mtaphysique tel quil a lieu dans ie Dasein peut ainsi tre mis en
lumire. Nous avons tout dabord vu comment le pourquoi parvenait jaillir de cette
rencontre interne au Dasein compris comme projet jet. Or, la structure caractristique de la
question pourquoi nous a permis de montrer que se tient sa base une comprhension
anticipante de ltre qui, comme telle, demeure lextrieur de tout questionnement. Se donne
alors dans lessence du Dasein la possibilit dune laboration expresse de cette rponse que
1. IbitL Heidegger emploie aussi les expressions vrit de la comprhension de ltre ibid., 160; tr. 137) et
dvoilement de ltre>) (Enthiilltheit des Seins) (ibid., 131 ; tr. 97).
2. Notons que ds les Gnmdprobterne der Pbiunomeno/ogie de lt 1927, Heidegger annonait dj la criuque de
cette ide. Aprs avoir expos la tche de la philosophie comme celle dune apprhension conceptuelle de la diffrence
ontologique (GA 24, 454, Heidegger remarquait quune telle dmarche courait le risque de faire dc ltre un objet,
cest--dire un tant (ibid., 459). Mais cette ide dune conceptualisation (Be,griffin) de ltre navait pas pour autant
t abandonne. Dans le cours sur Mtaphysique 0 1-3 de lt 1931, Hcidegger revient la charge alors quil
commente lide aristotlicienne selon laquelle ltre ne peut pas tre un genre: Si ltre nest pas un genre, alors
il ne peut pas non plus tre saisi comme concept, et il ne peut pas tre conceptualis begriffinj (...) Si lon nomme
dfinition la dlimitation du concept (le ptoi), cela veut dire alors que toute dtermination de ltre par le
moyen de la dfinition doit chouer par principe. Si ltre peut tre saisi, ce sera dune tout autre manire (GA
33, 37). Une critique en rgle de la dmarche de Sein tend Zeit sera accomplie dans les Beitrpe ur Philosophie
quelques annes plus tard (G 65, 451).
255
ne rend pas uniquement possible le questionnement en gnral mais aussi llaboration de la
Le problme de ltre que la mtaphysique du Dusein labore a donc son origine dans la
transcendance du Dasein que Heidegger dfinit coturne projetant et situe, laborant une
2
du-monde, [21 absorption dans ltant et [ lgitimation ontologique de ltant
Nous avons donc trouv une explication cette thse forte que Heidegger prsente la
fin des annes 1920 selon laquelle la mtaphysique nest pas une discipline de la philosophie
permet Heideggcr de reprendre son compte cette ide kantienne selon laquelle lhomme a
une disposition naturelle pour les questions de la mtaphysique. Mettant en lumire ce qui
advient tacitement dans le Dasein pour que celui-ci puisse entrer en rapport avec ltant ou,
comme lcrit alors plusieurs reprises Heidegger, pour que ltant puisse faire son entre
complte de telle sorte que la possibilit mme de la mtaphysique ait pu tre dmontre. Or,
ce qui a rellement t tabli dans Uom IVesen des Gnrndes en 1929, ce nest pas seulement la
possibitit de linterrogation mtaphysique, mais aussi sa ncessit. Afin de mettre un point final
cette troisime partie et cette recherche dans son ensemble, nous souhaitons maintenant
Chapitre W
dun concept relativement nouveau dans loeuvre de Heidegger: celui de la libert1. Lanalyse de
la transcendance du Dasein qui apparat tout dabord dans les Gnmdprobleme der Phiinomenotogie du
semestre dt 1927 culmine dans une interprtation de cette mme transcendance comme
libert dans le trait de 1929. Cette interprtation sera complte lt 1930 dans Von, lVesen der
menschlichen Freiheit et dans la confrence de la mme anne intitule Voni Wesen der lVahrheit.
nous passerons t un concept ontologique et thorique de libert qui se prsente non seulement
comme condition de possibilit du premier, mais aussi comme fondement dc tous les
1. Bien que Sein um-I Zeit ait parl dune libert eti gard la mort s freihezi mi TrnIe, qui dlie des illusions du
On (S. u. Z., 266), le concept ne Jouait pas alors ce rle fondamental quil aura dans les derniers moments de la
mtaphysique du Dasein.
257
Suivant ce que Heidegger expose au tout dbut de la troisime section de lessai sur le
fondement, la projection dun monde qui a t dfinie comme projection des rapports
possibles que le Dasein peut entretenir avec ltant ne peut tre adquatement comprise que
si nous mettons en vidence le libre vouloir qui se tient sous elle. Comme nous lavons vu en
propres appartenant un Dasein. Cest parce que le Dasein existe en vite dii monde que sont
projets les diffrents rapports possibles avec ltant: ltre auprs... de ltant_l-prsent, ltre
avec.., le Dasein des autres et ltre-envers.., lui-mme. Or, cette projection oriente sur un en
Heidegger le hisse voir clairement < Umwillen , en vue de, est en effet construit sur le mot
vers le monde propre au Dasein soriente sur un en vite de et possde donc une certaine
finalit , on peut comprendre en quel sens une volont doit tre prsente derrire la
vers le monde, b transcendance, ne doit pas tre identifi avec la libert entendue au sens
commencement dune chane causale. Lii pivjection dit monde est libre non pas parce que le
Dasein pourrait lui-mme choisir, suivant son dsir, la forme laquelle ltant qui se prsente doit
se conformer, mais bien parce que cet tant que le Dasein rencontre ellctivement dans son
monde se prsente comme quelque chose dimpos, comme une contrainte. Pour que le Dasein
1. Le dpassement en vue de quelque chose nadvient que dans une volont, qui comme telle se projette
sur des possibilits de soi-mme (Der ,a?reiIkntiicl]e Llberslie,g ,geschieht ver in einm IL.tn der ais soicher si.h aif
Mbgiichkeiten sei,zerse/bst eniwiIt,) (1 WG, 163 tr. 141). Pour faire ressortir la parent des expression ;w,wilkntiich
et H7ilIen , Henry Corbm traduisait ainsi: ((Ce dpassement intentionnel nadvient que par une rn-tenflon, un
vouloir >.
258
puisse ressentir lobligation que constitue ltant du monde, il faut ncessairement que ce
dernier se prsente sur fond de libert. Ce nest en effet qu partir dc la libert que le fait
dobliger et le fait dtre-oblig (Bindmt und Verbindtichkeit)1 propres au rapport entre le projet
Si nous dfinissons le projet du monde comme un projet libre et ltre-jet conune une
contrainte impose au Dasein, il nous est possible de saisir en quel sens Heideggcr souhaite
souligner limportance du concept de libert. Le concept ici expos ne se limite donc pas la
libert comprise comme spontanit, cette libert dfinie partir de la causalit et qui nest
jamais exerce quau sein de ltant dj manifeste. Ici, la libert se prsente bien plutt comme
comme nous lavons v-u au chapitre prcdent, au fondement, la libert ne peut tre rduite
une espce particulire de causalit 2 qui limiterait son champ dexercice au seul plan
causalit se meut avant tout dans une comprhension dtermine du fondement , cest--
dire du fondement comme cause (trtov). La libert comme transcendance nest cependant
pas quune espce particulire du fondement, mais bien lorigine du fondement en gnral.
dpart sa recherche, soit le Sat rom Grund de Leibniz. En quel sens cette dfminon
rien nest sans raison , ou mieux: pourquoi <c tout tant a son fondement . Cest en effet
parce que ltre pralablement compris justifie (begriindet) ltant que ce dernier annonce sa
trait transcendantal essentiel de ltre en ,gnra/, le principe de raison sapplique donc ltant
2.
Or, ce lien entre le fondement et la libert ne semble pas avoir chapp Leibm
lorsquil formula son principe, mme si cela aura t touff dans la formule courante rien
nest sans raison . Cette formulation courte oublie en effet quil sagit toujours de la raison
pour laquelle quelque chose est x plutt que j. Diffrentes formulations du principe rendent
manifeste que le pourquoi (cur) sexprime chez Leibmz comme un pourquoi... plutt
que (curpotius qitam,), qui tmoigne de la rencontre dans le principe de raison de la recherche
du fondement dans la mesure o cest la libert qui permet au Dasein de dpasser le monde
vers sa possibilit propre. La mise en lumire de ce lien entre le pourquoi et le plutt que
dun tant, il se meut alors forcment dans un certain cercle dupossibk. La trace de cette origine
dans la fondation de la libert finie de lessence du fondement se montre dans le potins quum
des formulations du principe de raison . Le j)o/ius quam leibnizien ferait ainsi signe vers cette
Lexigence pour le Dasein que constitue le fondement trouve donc son origine dans sa
propre libert. Cest elle, en effet, qui rend possible que lon interroge pourquoi. .ptutot que... ?
. .
Le concept ici dploy de libert est donc dtermin par son rapport la notion de fondement
La conclusion du trait I7orn IVesen des Gnindes expose un concept de libert qui na rien
du concept de la philosophie pratique, mais qui se confond bien pluint avec celui de
transcendance que Heidegger si dfini comme origine de tout comportement humain. La libert
se prsente ainsi non comme une proprit du Dasein qui se manifesterait dans son rapport
avec ltant, mais bien comme ce qui rend possible le rapport ltant et sa manifestation. Le
rapport de ltant effectif nest possible que si a lieu dans le Dasein ia rencontre de la
projection libre dun monde et de labsorption contragnante dans ltant. Dans le cours sur
lessence de la libert humaine et la confrence sur lessence de la vrit de 1930, ces deux faces
de la libert du Dasein (obliger et tre-oblig) vont tre penses partir dun phnomne
Dasein. Cette mise en lumire de la libert ontologique concide avec les derniers efforts
mtaphysiques de Heidegger. Nous souhaitons donc, dans les pages qui suivent, conclure
notre recherche en mettant en relief le sens de ces efforts qui senracinent dans lvnement
cours du semestre dt 1930 intitul Vom [Vesen der rnenschtichen Freiheit. Einteitung in die
spontanit ou causalit dj expose dans Von; Wesen des Grundes, Heidegger tente de remonter
causalit partir duquel est dtennin le concept courant de libert provient des questions
mouvement nest pas quun phnomne parmi dautres mais reprsente la caractristique
principale de ltant comme tel. La question de la libert comme causalit question dordre
pratique a donc partie lie avec les questions mtaphysiques sur ltant en tant qutant. Ce
lien entre libert et mtaphysique sera dailleurs mis en vidence par ce concept ontologique de
libert que Heidegger situe au fondement de la transcendance qui rend possible la rencontre
avec ltant. Nous avons donc ici deux concepts de libert fort loigns lun dc lautre et qui
forment c<le champ total au sein duquel se situe la libert comme problme: un phnomne
de lautre.
Dans son cours sur la libert humaine, Heidegger souhaite donc dpasser le point de
vue kantien qui limite ses considrations la libert cotnme causalit pour atteindre un concept
1. GA 31, 132.
262
compris comme fondement de ta possibilit du Dasein comme ce qui se tient encore en de de ttre
et dit temps . La question de lessence de la libert ne doit donc pas apparatre aprs celle
portant sur les caractres propres ltant (mouvement, causalit), mais bien au point de dpart
libert n est pas insr dans la question directrice et la questionJndamentale de laphilisophie, cest au contraire
Linterrogation sur la libert nest donc pas lune des questions de la mtaphysique, elle est ta
question qui se trouve lorigine de linterrogation mtaphysique sur ltant comme tel et dans
ltre en gnral. La libert nest pas une chose particulire parmi dautres, juxtapose dautres, elle est
pr-ordonne , et elle rtgitjitstement de part en part le tout en tant que tout. Dautre part, si ce dont nous
sommes en qute est la libert comme fondement de la possibilit du Dasein, alors elle est elle
mme en sou essence plus originelle que lhomme. Lhomme est seulement un administrateur de la
libert . La libert nest donc plus considre comme une caractristique propre lagir
humain. Tout sinverse: lhomme est dornavant compris comme une possession appartenant ta
iwerte4
I.
1. Ibict, 134.
2. Ibii
3. [hid.
4. fiait, 135. La mme ide est expose dans la confrence sur lessence dc la vrit de 1930: Si maintenant
lhomme se libre pour sa libert ftu semer Freiheit stch b/ndt,, alors la volont humaine ne dispose plus de la libert.
Lhomme ne la possde pas comme une qualit, mais inversement: la libert, en tant que ce Dasein existant et
ouvrant (uts dieses existente, ojjinharende Dusein), possde lhomme, et cela si originaireme
nt que ta libert seule le rend
possible (Philosophieren und Glauben. Dus fVesen der lVahrheit [abrg Ph. u. G.1, 6-7 I1lW, 190 ; tr. 178).
Rappelons que pour les fins de cette recherche, nous utilisons la retranscription faite par Hermann Mrchen
dune confrence indite prononce Marburg le 5 dcembre 1930 intitule Phitosophieren und Glauben. Das lVesen
C eler lt7ahr/jeit. La structure des versions de 1930 et de 1943 est similaire, en ce sens que les huit titres que Heidegger
insrs dans la version publie dc sa confrence peuvent tout aussi bien sappliquer au texte de 1930. Nous
avons donc tent, dans la mesure du possible, de donner la correspondance dans la version publie des passages cits
263
Ce problme mtaphysique de la libert >, cest en dbat avec Kant que Heideg,ger
souhaite le traiter. Il sagit de retourner ce concept de libert que Kant avait situ dans la
opposer la libert comme cause (Ursache la libert comme fondement Grund) pour ainsi
poser la question suivante: ta tibert est-elle un problme de causatit ou bien ta causalit un problme de
libert ? 2 Si nous comprenons la libert comme libert eu egard au fondement, nous voyons
causalit ntant quune forme drive du fondement, nous pourrons conclure que la causalit
nest en ralit quun problme driv de celui dc la libert. A partir de la confrence sur la
vrit de 1930, nous souhaitons maintenant mettre en lumire ce concept de hbert compris
La confrence sur la vrit constitue un pas supplmentaire dans cet essai que fait
Heidegger pour dfinir la vrit non pas comme une caractristique de lnonc, mais comme
le propre du rapport du Dasein ltant. Cest cette tche que se sont affaires toutes les
rflexions sur la vrit que Heidegger a faites dans les annes 1920 au 44 dc Sein und Zeit et
dans diffrents cours (principalement les cours du semestre dhiver 1925/26, bgik. Die Frage
,zach der Wahrheit, du semestre dt 192$, Metaphysische Anfrngriinde der Lgik, et du semestre
dhiver 1928/29, Einleituig in die Philosophie). La confrence Vom tVesen der Ufabrieit reprsente
une perce nouvelle dans cette tentative en ce quelle fait dc la libert 1c fondement de lessence
de la vrit. Montrant que la rencontre de ltant et du Dasein nest possible que sur fond de
libert, Heidegger soutient en effet que la vrit a donc pour condition de possibilit la libert
de la confrence de 1930. Malgr cela, les diffrences entre les deux textes sont trs grandes et il nest pas rare que
des passages entiers aient t compltement rcrits ou limins.
1. GA 31, 137.
2. fhitt
264
manifestation de ltant et ainsi comprendre la thse selon laquelle tssence de ta vrit est ta libert,
il faut porter une attention toute spciale la structure argumentative prsente dans cette
confrence. Cela nous permettra de voir comment ce concept ontologique dc libert est dune
vrit qui en fait une adaequatio rei et intellectus. Comme on le sait, Heidegger soutient alors
quune telle dfinition demeure superficielle tant et aussi longtemps que nest pas considre la
ouvert sur ltant . Pour que lnonc puisse tre adquat la chose, il faut en effet que le
Dasein soit tout dabord ouvert ltant, quil sy rapporte. Ainsi, lnonc au sujet de quelque
lnonc la chose est un se-conformer dans le comportement (in Sicha,teichen in; L7erhalten)
.
Dasein. Si lnonc a en propre cette possibilit de saccorder la chose, cest que lnonciation,
linstar de tous les comportements humains, prsente la chose laquelle il se rapporte comme
ceci ou comme ceta, comme elle est rellement ou autrement. Ainsi, laccord dun comportement
humain avec ltant nest pas le privilge de lnonciation, mais bien une caractristique de tout
rapport ltant:, du premier au dernier. Tout rapport ltant et non seulement le rapport
thorique propre lnonciation peut tre dit vrai ou faux, dans la mesure o il se rapporte
la chose telle qztette est ou telte qutte nestpas. Si lnonc larbre est en fer est faux, ce nest pas
cause de sa structure interne mais bien parce quil se rapporte ltant tel quitnest pas.
ns et
Heidegger largit ainsi la porte de la vrit tous les comportements humai
ues.
rompt avec le concept traditionnel qui tend limiter son usage aux comportements thoriq
Cette exigence que constitue le tel-quel (c so-wie } propre tout rapport trui ltant, ce
nest donc pas lnonc qui tout dabord la pose. 11 sy plie bien plutt en tant quil constitue un
rder ce
rapport Ptant. Tout comportement reoit cette exigence en hritage: celle de sacco
souvrir
envers quoi il se rapporte. Cet accord (Sich-einipiekn) quelque chose est donc un
exige des
question fondamentale de la condition de possibilit de ladquation: qui ou quoi
accord soit
comportements quils saccordent avec ltant auquel il se rapporte ? Pour quun tel
juger de
possible, il faut que le comportement se laisse donner davance une rgle sur laquelle
e que
son accord avec la chose. Dans le plus pur esprit phnomnologique, Heideg,gcr indiqu
rapporte
pour quune telle chose se produise, il faut que le comportement laisse ce quoi il se
lui dans
donner la mesure. Le comportement doit donc ouvrir un espace de jeu devant
mesure,
lequel ce quoi il se rapporte puisse se prsenter comme quelque chose qui donne la
n, comme
comme quelque chose de contraignant (ais tin l3inaendes). Le comportement humai
il Faut
nous lavons dit, se tient au fondement de louverture du Dasein ltant. Nanmoins,
e chose dc
que ce qui se prsente au Dasein se tienne devant lui non pas comme quelqu
uation du
librement choisi, mais comme quelque chose dobligatoire (tin [7erbindiiches,). Ladq
effort
comportement ltant ne dpend aucunement du bon voctloir du Dasein mais de son
comportement louverture et le laisser quelque chose tre contraignant (das Offiubaren und das
Verbindtich-sein-tassen von etivas,) ? Si cest le comportement qui rend manifeste ltant, il semble
en effet difficile de comprendre que ce mme comportement doive ensuite aborder ltant
manifestation de ltant?
Avant de passer ltape suivante, rcapitulons brivement cc qui vient dtre dit. La
thse selon laquelle la vrit pourrait tre dfinie comme ladquation entre lentendement et la
chose est gnralement assimile cette conception de la vrit comme vrit de lnonc.
Lnonc tant ce qui a le caractre de la vrit, cest en lui que devrait avoir lieu ladquation,
laccord entre la chose et lentendement. Or, 1-leidegger fait remarquer que cet accord ne peut
avoir lieu que l o un rapport la chose comme tel est tout dabord tabli. Si lnonc est un
mode de louverture du Dasein, ce nest cependant pas le premier. Cest en effet par son
comportement que le Dasein rend tout dabord ltant accessible ltant sur lequel il peut par
ta suite noncer. Cest ainsi que Heidegger fait porter louverture propre au comportement du
Dasein la possibilit dtablir un accord entre lentendement et la chose. Mais pour que la non-
vrit soit possible, il faut aussi que le comportement puisse se rapporter ina&quaternent ltant
donc que ltant ne soit pas soumis de faon automatique au comportement, mais que celui-ci
doive prendre la mesure de ltant qui se prsente avec ses propres exigences. Comme lcrit
Heidegger, la mise en lumire de la vrit comme adquation exige que lon comprenne ce qui
de ltant, i admission pralable dune liaison . Si quelque chose se prsente au Dasein sous
la figure de lobligation, cest que cela vient sopposer sa libert. Il faut en effet que le Dasein
aborde librement ltant pour que celui-ci se prsente comme une contrainte. Ainsi, ce nest que si
le Dasein a en propre un certain tre-libre envers quelque chose (Freisein zu etwai)2 que le
comportement prend davance la mesure sur ltant auquel il se rapporte. Laccord entre le
comportement qui ouvre et les exigences de ltant trouve donc sa condition de possibilit
dans la libert du Dasein. Cest ainsi que Heidegger peut soutenir que tssence de la vrit est la
11
twerte
provocation quelle peut constituer pour la logique traditionnelle. Cest bien plutt la
dfinition de la libert qui est indirectement donne dans cette mise en lumire de lessence de
la vrit qui nous importe. Le concept de libert dont il est ici question ne prtend aucunement
dterminer la capacit dagir par soi-mme, de faire usage de son libre-arbitre, mais prsente un
sens essentiellement ontologique: elle constitue la condition de possibilit pour que de ltant
se manifeste tel quil se manifeste, cest--dire comme contrainte, comme mesure pour le
comportement libre du Dasein. Nous nous loignons ainsi du cadre traditionnel dans lequel la
Comment doit-on alors comprendre ce lien qui unit ouverture et contrainte? Comme
nous lavons vu, le comportement qui rend possible la manifestation de ltant ne peut saisir
ltant comme vrai que sil le laisse se prsenter comme contrainte. Or, se prsenter comme
contrainte, cela signifie essentiellement prsenter ses exigences propres et ne pas se plier
1. Ibid.
2. Ibid.
3. Ibii ( t7WIJ 186; tr. 173).
268
celles que pourrait poser le comportement. II faut donc que le comportement quil soit
thorique, pratique ou autre laisse davance ltant tre ltant quil est, cest--dire tre
comme il est. Aussi trange que puisse paratre cette thse au dpart, elle constitue en fait une
vidence difficile nier. Dans la mesure o lon ne conoit plus le rapport ltant comme un
rapport de simple rception dun objet par un sujet et que lon fait une place lide dune
reconnatre que cette ouverture ltant, quand elle est adquate, laisse ltant tre ce quil est
et comme il est.
Or, cette ide dun laisser-tre de ltant ne doit pas tre interprte ngativement
comme un ne pas empcher quelque chose de se produire . Cest bien plutt positivement et
de faon plus originaire que lexpression est ici prise. Il ne sagit donc pas de laisser-tre
quelque chose au sens de lignorer (absehen von etwa4, mais bien de le laisser-tre pour quil
simpose, quil exerce une force sur nous et que lon prenne soin que ltant soit ce quil veut
Cest ainsi que Heidegger russit penser lunit de lottveriun et laspect obtzgatoire de
ltant qui se manifeste. Les deux traits nomms plusieurs reprises du comportement, la
la saisie du comportement se sont disput le premier rang, ne sont pas distincts, mais
constituent une seule et mme chose: le laisser-tre, en tant que manifestation dvoilante de
ltant, est le se-tenir face au contraignant, nommment face ltant dans son tre-ainsi-et
ainsi . Les deux traits caractristiques du rapport ltant sont donc les deux faces dun
du projet et de ltre-jet que nous avons aborde plus tt. L encore, il sagissait de penser ce
qui unit la projection libre dun monde, sa manifestation, et le rapport ltant effectif qui se
comprhensible que la libert soit saisie par Heidegger comme une tension une tension entre
comprhension de cette tension une nouvelle dimension: alors que le projet et ltre-jet
sunissent dans le concept de transcendance sans jamais sidentifier (car lopposition demeure),
la comprhension de la libert conwne laisser-tre permet dc penser lunit de ces deux faces
du Dasein.
expose dans I/om W7esen des Gnmdes comme la libert eu egard au fondement. Cette ide est
cependant davantage voque que dmontre. Malgr les liens reconnus entre la projection du
monde et la libert2 et entre ltre-jet et la libert3, le trait de 1929 ne permet pas de penser
umtairement lvnement fondamental dans le Dasein. Au contraire, cet vnement nest pens
que comme une tension ou une opposition. Avec lide de la libert comme laisser-tre de
ltant, il semble que Hcidegger soit parvenu prcisment indiquer ce quont de commun la
projection et ttre-jet.
Lexpression laisser tre ltant>) est cependant quivoque. Laisser asse) signifie
la fois peut-tre davantage en allemand, mais aussi en franais permettre activement et consentir
passivement. En ce sens, laisser tre ltant signifie tout dabord permettre que ltant soit ,
1. [hid
2. T.7117G, 163.164; tr. 141-142.
3. Ibid., 174-175 ; tr.157-158.
270
voire faire que ltant soit . Mais laisser tre ltant , cest aussi consentir ce que ltant
soit (tel quil est) , cest--dire ne pas empcher que ltant soit (tel quil est) . Cest trs
certainement cette ambigut qui donne toute sa force cette expression qui, comme nous
lavons dit, sera conserve par-del la mtaphysique du Dasein et rcupre dans cette ide plus
qui prtend toujours forcer ltant adopter le cadre quelle impose, cette pense encore
metapIysiqiiel exige du Dasein quil laisse tre ltant quil lui perme#e dtre de telle sorte
quil le laisse tre tel quil est quil y consente. Cette ide du rapport de lhomme ltant
sinscrit donc en faux avec la tradition occidentale qui, comme lcrira plus tard Heidegger,
naurait jamais jusqu maintenant laiss larbre tre debout l o il est l. Afin de clore cet
expos du concept de libert du Dasein comprise comme laisser-tre de ltant, nous souhaitons
ici nous arrter sur les dernires pages du cours Voni Wesen der menschtichen Freiheit o Heidegger
dresse un parallle intressant entre son concept de libert et lide dautonomie que lon
Comme nous lavons mentionn plus haut, ce cours du semestre de lt 1930 tente de
libert ne doit pas tre comprise partir de la causalit, mais quinversement, cest la causalit
qui doit tre aborde partir de la libert. Or, cette redfinition de la libert conduit Heidegger,
comme dans la confrence que nous venons de commenter, penser le rapport du Dasein
ltant partir des deux faces de lobligation: tre oblig et obliger. Si le f)asein permet librement
que de ltant se manifeste en le laissant faire encontre2, cette rencontre est nanmoins rgie
par des lois strictes et constantes qui correspondent celles quimpose la comprhension de
1. LVas heiftt Denken ?, GA 8, 46 ; tr. par Alovs Becker et Grard Granet, Qtiappe/te-t-cn penser?, Pans,
Quadrige/PuF, 1959, 45.
2. G 31, 302.
271
ltre. Le Dasein rend donc ltant manifeste en imposant une srie dc contraintes ltant se
prsente, par exemple, en dvoilant la fois son essence et son existence1 qui font en sorte
desdites contraintes. Ces structures rigides que ltant prsente toujours avec lui, cest le Dasein
qui les lui impose mais de telle sorte quil se les impose 1m-mme, pour son propre rapport
ltant.
Pour illustrer cette situation du Dasein simposant lui-mme des contraintes pour b
saisie de ltant, Heidegger crit: Loctroi pralable du caractre obligatoire est une auto-
liaison originaire: il laisse la liaison tre obligeante pour soi-mme, autrement dit, en termes
kantiens, it se donne une loi . Bien que ltant ait, comme nous lavons mentionn, ses propres
Dasein en projetant ses structures dtre. Ltant se plie donc une obligation projete que
Ce parallle qutablit Heidegger nous permet de saisir ce quil entend lorsquil voque
la paradoxale obligation libre qui caractrise le projet au fondement de son rapport ltant
et que nous avons expose partir du laisser-tre de ltant. Nous savons que la thse de la loi
morale permet Kant de penser lautonomie de la volont sans pour autant faire de lhomme
un sujet moral sans rgle dc conduite: La libert, quand bien mme elle nest certes pas une
proprit de la volont se soumettant des lois de la nature, nest cependant nullement, pour
autant, sans lois: bien au contraire doit-elle tre une causalit se dployant suivant des lois
tre la libert de la volont, si ce nest une autonomie, cest--dire la proprit qua la volont
de constituer pour elle-mme une loi P (Gritndlegung urMetap/yszk derSitten, Ale. IV, 446-447).
1. Ibid.
2. Ibid., 302-303 nous soulignons.
272
Bien quil nobisse qu lui-mme en suivant la loi morale, lhomme est guid dans son action
par une loi qui lui apparat, malgr tout, comme une contrainte. Si nous souhaitons penser ce
que peut signifier le parallle tabli ici par Heidegger entre la loi morale kantienne et une
certaine loi ontologique , il nous faut considrer que le Dasein projette non pas sur son
action morale mais sur son rapport ltant une loi qui, tout en tant choisie librement, le
contraint. Cest ainsi, semble-t-il, que le rapport ltant peut tre pens partir de la libert.
La comprhension de ltre serait donc une sorte de loi ontologique que le Dasein se
donnerait lui-mme mais quil nprouverait pas moins comme une contrainte. Mais de quelle
faon lhomme choisit-il lui-mme et librement lentente quil a de ltre? Heidegger nen dit
encore rien ici. Mais lon sait que la comprhension de ltre ne tombe pas du ciel et quelle est
labore diffrentes poques de diffrentes faons, jamais explicitement, mais sans tre tout le
moins impose au Dasein. Que lon prenne pour exemple le dploiement des diffrentes
comprhensions de ltre qua connue la philosophie depuis les Grecs (tre-produit, tre-cr,
tre-reprsent, etc.), il sagit chaque fois du rsultat de ce que lon peut qualifier de
plie des dcisions quil ne saisit sans doute pas comme siennes, mais qui sont malgr tout
issues dun choix fait par sa libert ontologique ou mtaphysique. Lautonomie morale dont
1. Cest dailleurs ainsi que Heidegger va interprter, t lhiver 1931/32, la libration des prisonniers dans
lallgorie de la caverne <t La libration proprement dite consiste en un se-lier projetant (cin eniwerfindes Sith-binde,t),
non pas S accepter simplement dtre attach un lien, mais se-donner-soi-mme-pour-soi-mme-un-lien, et
en vrit un lien demeurant obligeant de prime abord et par avance de telle sorte que tout comportement ultrieur
particulier ne puisse ni tre ni devenir libre que par ce moyen (GA 34, 59). Puis, un peu plus loin, Heidegger
vcxjue la comprhension de ltre en termes de lgalit : <t Comprendre ltre, cela signifie projeter davance la
lgalit et la structure essentielles de ltant (ibid., 61).
2. franco Volpi a parl, dans le cas de Sein un Zeit, dune ontologisation de 1Ethique Nicomaque d<taistote
(<t Dasein comme pra.ds: Lassimilation et la radicalisation heideggtienne de la philosophie pratique dAristote ,
dans Franco Volpi (d.), Heidegger et fide de L ph,torniiotqgie) .A sa suite, nous pourrions parler ici de
lontologisation de la Critique de la raison pratique de Kant.
273
La nature du Dasein sert donc encore une fois d explication pour lunit de la
mtaphysique. Compris partir de sa capacit laisser tre ltant, le Dasein se prsente donc
semble tre le seul qui permette de penser de faon unitaire cet vnement. La tension entre
projet et tre-jet ou entre les deux premiers modes de la fondation a mis en vidence la
nest cependant que dans linterprtation de la libert partir du Seintassen que nous pouvons
Notre parcours sarrte ici. Cest en effet dans cette rflexion sur la libert humaine
propre la confrence sur la vrit et au cours sur lessence dc la libert humaine que sachve
plus employ pour qualifier lauthentique pense de ltre et le projet dune mtaphysique du
Dasein disparatra. partir dici commence une nouvelle tape qui mne cette pense du
nouveau commencement que le texte des Beitr4ge rur Philosophie a rcemment mieux fait
connatre. Ce nest pius notre tche dexpliquer ce passage ultrieur, celui de la mtaphysique
du Dasei;z la pense des Beilr,ge tche quun hypothtique The Genesis ofHeidggers Beitrtge ur
Nous avons souhait, dans les pages qui ont prcd, mettre en lumire ce projet dune
mtaphysique. Cette voie se sera avre fconde puisquelle nous aura permis de penser jusque
dans ses derniers sommets cette entreprise mtaphysique qui fait dsormais de la reine des
sommes venus interroger ce qui advient, dans le Dasein, pour quil y ait mtaphysique.
Notre chemin a dabord crois les tentatives que fait Heidegger partir du dbut des
annes 1920 pour saisir lhistoire de la pense comme un mouvement unitaire dont le
lhistoire de la philosophie qui contient en germe cette histoire de ltre (Seinigesctitchte) que
Heidegger mettra en branle plus tard prend forme dans les annes 1920 et saccompagne
dune rflexion sur lessence de la philosophie qui, trs tt, soriente essentiellement sur les
Dans la mesure o Heidegger avait dj reconnu une telle structure circulaire dans la
mtaphysique, il nous a paru tout fait souhaitable de tenter une lecture de cette mtaphysique
du Dasein oriente sur cette question. Or, notre enqute naura pas t due, car Heidegger
reconnat lui-mme divers moments que des parallles peuvent tre tracs entre son projet et
permettent de penser la mtaphysique du Dasein suivant deux axes principaux, soit la reprise du
questionnement antique sur ltant comme tel dans son ensemble et la rappropriadon de
Nous nous sommes donc tout dabord efforcs de dterminer si, dans le lot des
questions propres la mtaphysique du Dusein, on pouvait trouver quelque chose de tel quun
276
questionnement ontologique dAristote est mieux connue, cest principalement celle dune
interrogation thologique ou thioto<gique qui posa problme. Cette recherche a t facilite par
seulement rien voir avec ce que la pense chrtienne en fit, mais dissimulait surtout un
questionnement rel sur ie monde, omis par la tradition mtaphysique ultrieure. En partant
sur les traces de cette theiogie, nous avons mis jour tout un pan de la pense de Heidegger
qui, sans trouver sa place dans linterrogation proprement ontologique, est nanmoins
constitutif de son questionnement mtaphysique. Comme nous lavons vu, cest la question de
dploie dans les annes 1920, qui constitue cette autre face de la mtaphysique
heideggnenne.
Dans un second temps, nous nous sommes penchs sur une dtermination de la
mtaphysique nest pas simplement comprise par Heidegger partir des questions qui sont les
siennes mais surtout partir de son vnement, de son advenir, nous avons par la suite
Dos ciii, comme la mtaphysique qui sidentifie lexistence humaine au point den constituer le
remarqu quelle pouvait aussi tre interprte partir des lments de la philosophie premire
aristotlicienne. Mais Heidegger ne donne pas dindications sres pour interprter en quel sens
Dans la mesure o le doublet auquel Heidegger fait alors rfrence et que lon a prsent
le Dusein, nous avons interprt ce renvoi comme indiquant une certaine fraternit entre les
277
pense mtaphysique. Mais devra-t-on pour autant penser le projet comme origine du
mesure o lontologie a pour tche ta mise jour des structures dtre projetes par le Dasein et
que la theiotogie prtend mettre en lumire le monde mforrne dans lequel le Dasein est jete, tout
Notre recherche sest acheve sur lexposition du concept heideggnen de libert tel
quil est expos dans les derniers moments de la mtaphysique du Dasein. Le laisser-tre partir
duquel la libert est alors comprise a permis de penser lunit du rapport double du Dasin
ltant (projection et tre-jet). Laissant tre ltant, le Dasein permet que ltant soit tout en
fondamental dans le Dasein (la mtaphysique) partir non plus dune tension interne mais
ontologique et mtaphysique de libert qui doit tre pens comme lorigine et la condition de
possibilit de toute libert ontique (spontanit, causalit, etc.), mais aussi de tout rapport
achvement? Doit-on ici parler, comme dans le cas de lontologie fondamentale de Sein und
rellement donn?
Dans le cas de Sein und Zeit, il tait facile de dterminer non seulement au point de vue
navait pas fourni les rsultats escompts . Linachvement dc louvrage tmoigne de ce que
278
la <t solution au problme initialement pos navait pu tre donne. Dans Ic cas du projet de la
mtaphysique du Dasein, la question se pose de savoir si son abandon correspond bel et bien
un chec.
Heidegger sest livr partir du milieu des annes 1930 ne semble pas pargner la
Dasein tentent toutes deux de penser ltre partir dune mise en lumire de lessence du Dasein,
labandon de toute subjectivit que, selon cette critique, Sein und Zeit naurait que
pourtant, un commentaire tir des Beitrii,ge r.ur Philosophie de 1936-38 laisse entendre que lessai
Vom IYesen des Grundes prsentait bel et bien une tentative de remdier la crise dans
laquelle la question de ltre tait entre aprs la publication partielle de Sein und Zeit: Cest
quil fallait tout dabord poser de cette manire, et dviter par-dessus tout une objectivation de
lestre, puis par la tentative de rendre visible fa question de lestre indpendamment de cela
(la libert eu gard au fondement dans Vom Wesen des Grundes, mais justement, le schme
question de ltre par lexposition du concept de la libert eu egard au fondement dont nous avons
parl. Selon ce qui est dit ici, ces dveloppements constitueraient une voie nouvelle pour
aborder le problme de ltre, une voie indeendante de linterprtation temporale de ltre. Ainsi,
Heidegger reconnat que lessai dc 1929 tait dy si lon fait abstraction de la premire partie,
Das Problem des Grundes , qui restait fidle au schme ontico-ontologique de lontologie
1. GA 65, 451.
279
fondamentale une tentative de surmonter (7ibenvinden,) le procd obftctitiisant dploy dans Sein
und Zeit. Dans la premire partie de lessai, Heidegger exposait, partir dune discussion du
concept leibnizien de ratio, lensemble des thses centrales de Sein und Zeit. Aprs avoir trait du
troisime et dernire partie, le concept de libert eu gard au fondement que les Beitriige
associent une tentative de surmonter la crise de la question de ltre. Il semble donc que
lessai de 1929 effectue, de sa premire sa troisime partie, la transition qui mne lontologie
prne par Sein und Zei?. En ralit, cest tout le cheminement de la mtaphysique du Dasein
(IC
que lessai de 1929 dcrit, depuis lontologie fondamentale de Sein und Zeit partie), en
passant par le thme de la transcendance du Dasein propre aux Grundprobteme der Phdnornenoo,gie
par le concept de la libert propre aux Gmndprobteme derMetaphjsik de lhiver 1929/30 et Vom
Des notes marginales faites par Heidegger dans son exemplaire de Vom IVesen des
Griindes confirment dailleurs que quelque chose se produit entre la premire et la troisime
vrit de lestre est, ici encore, accomplie entirement lintrieur du cadre de la mtaphysique
comme telle est ici suivi (voir hIC partie) 2. La premire partie de lessai qui, selon ce qui est ici
indiqu, ne ferait que suivre les voies de la mtaphysique traditionnelle permettrait nanmoins
douvrir un chemin vers le dpassement de cette mme mtaphysique. Une note ajoute la
premire page de la troisime partie va, elle aussi, dans ce sens : Dans la III partie, une
1. Rappelons que le cours du semestre de lt 1927 voque dans le dtail en quel sens la tentative de
conceptualiser cet tre trouv dans la comprhension prontologique doit tre saisie comme une objectivation
dc ltre . Notons aussi que la critique des Beitr4ge que nous voquons ici y tait djt annonce (GA 24, 458-459
voir aussi G 33, 37).
2. VIVG, 126, Anm. a.
280
[de laj vrit ontico-ontologique. Dans la hIC parue, le pas dans un domaine qui force la
dmolition (Zerstiirun,g) de tout ce qui a prcd et qui rend ncessaire un complet revirement
(Umkippun,g) . Heidegger reconnat donc ici que la troisime parue constitue le dpassement
des notions de base de tontolqgie fondamentale et que cette destruction rend ncessaire un complet retirement.
Lessai sur le fondement semble donc avoir un pied dans lontologie fondamentale et un autre
dans le dpassement propre ce que lon appelle le tournant de cette mme ontologie
fondamentale. Entre llaboration plus classique de la question de ltre dans les termes de
dploiement nouveau, dans la troisime partie, dun concept de libert dfmi comme libert eu
Ces commentaires ne sont pas contemporains de lessai Vom W7esen des Gntndes. Cest
bien plutt un Heidegger plus tardif qui, rtrospectivement, dcouvre que les germes du
1 abandon de la mtaphysique du Dasein? Selon les commentaires que fit Hcidegger partir
du milieu des annes 1930, il semble que la mtaphysique du Dasein constituerait en ralit un
abandon de lontologie fondamentale qui, elle, stait solde par un chec. La mtaphysique du
transition depuis Sein und Zeit vers les tentatives plus tardives de traiter le problme de ltre. Le
saut dans la mtaphysique dont il a t question dans cette recherche effectuerait donc la
Si lon parle, dans le cas de Sein ;md Zeit, dun chec la rponse concrte i la
impossible de le faire dans le cas de la mtaphysique du Dasein qui, comme telle, na formul
aucune promesse si ce nest celle dc deloyer de fond en comble ta mtaphysique vritable ou encore de
prsenter une nouvelle instauration de sesJndements. Comme nous venons de le voir, ce dploiement
de la mtaphysique permet la transition vers autre chose et ouvre la voie u une remise en
ontologique de libert qui vient se situer au fondement de cette comprhension de ltre qui
Dans la perspective des Beitrdge situs par-dela le tournant, on pourrait donc soutenir
L laboration plus originaire de lide de la mtaphysique dont parle Vom [fZesen des Gntndes
constituerait ainsi, dans cette perspective plus tardive, la premire esquisse du debassement de la
mtaphysique. Avant de mettre un point final cette recherche, nous souhaitons jeter un bref
coup doeil sur les textes qui suivent immdiatement la fin de la mtaphysique du Dasein.
pas toutes philosophiques, comme on le sait surgissent chez Heidegger. Suivra tout dabord une
I. S. E. Z., 19.
282
nouvelle confrontation avec la mtaphysique de Regel lhiver 1930/311 qui se prsente non
pas sous les auspices dune mtaphysique du Dasein, comme ctait encore le cas dans la
confrence du mois de mars 1930, mais sous celles dune ontochrome 2, entreprise mort-ne
que Heidegger considrera plus tard comme dicte par une volont dopposition trop marque
problmatique mtaphysique aprs son accomplissement chez Hegel. Cet accomplissement est
dailleurs pens partir de la terminologie nouvelle de loizto-thotqgie et de faon plus prcise que
dans les textes antrieurs. Cette thse de laccomplissement dc la mtaphysique dans une
logique est en effet dploye partir du rapport entre thologie et ontologie qui nest plus un
confond dsormais avec la question de ltre de ltant en gnral4. Cette identification des
mtaphysique, mais de la mtapIysique dans son ensemble. Regel aurait men son dploiement
complet lorientation initiale de la question de ltant sur le )yo en identifiant sans plus
ltant au concept, leffecdvit lide. Cest alors que, selon Heidegger, disparatrait
1. Dans ce mme semestre de lhiver 1930/31, Heidegger effectue aussi un retour i ses premires amours
en abordant le livre XI des Confessions dAugustin qui, malgr son importance pour le dveloppement de la pense
heideggrienne, na plus fait lobjet de travaux pousss depuis la premire priode de freihurg. Hcidegger a aussi
prononc le 26 octobre 1930 au clotre de Beuron une confrence sur le mme thme ( Augnstinus: utd est
tempus ? Coqfessiones tib. Xl, GA 80 ; indit).
2. GA 32, 144.
3. GA 67, 95.
4. GA 32, 4. Ldenriflcation des concepts-cls de ce que Heidegger appelle alors I onto-tho-cgo-logie est
tablie la fin du cours Lesprit est savoir, 7yo ; lesprit est Moi, ego; lesprit est Dieu, Os ; et lesprit est
effecvit, ltant comme tel, v (ibid., 183).
5. Citation de la Phnoiamnolqgie de iesptit rapporte en GA 32, 17.
283
Laccomplissement de la mtaphysique concidant avec la disparition du temps , la
question fondamentale dont on a dit quelle devait interroger ltre et le temps ne sera plus
qualifie de <t mtaphysique . La distinction claire mise en avant dans la confrence du mois de
mars 1930 entre une mtaphysique accomplie et une mtaphysique venir est dans ce cours
qui commena en novembre de la mme anne passe sous silence. La mtaphysique est
dsormais pense comme cette entreprise qui commence chez Parmnide, Platon et Aristote et
qui dtermine ltre comme ou comme 6yo, une tradition que Heidegger appelle alors
Ce cours sur Regel est suivi par une remonte en amont aux origines de la philosophie,
semestre dt 1932), en passant par les grands textes de Platon que sont le Par?;nide (sminaire
introduction, 1-leidegger ne conoit plus dsormais son travail comme celui dun philosophe
qui doit entrer directement en dbat avec ces textes de la tradition, mais bien comme celui dun
surveillant de galerie qui permet ceux qui lcoutent de voir ces textes sous un
exactement la mtaphysique : Savons-nous en effet ce que peut bien tre cela que nous
1. GA 32, 204.
2. Lettre iJaspers du 20dcembre 1931.
3. GA 33, 3.
284
sait quelque chose, lui qui a pass les dernires annes tentei dinstaurer les fondements dune
la tche que se propose ici Heidcgger. Cest bien plutt de dpassement (tJJberbo/;iiJ quil sera
question. Le travail dAristote ne peut plus servir de base pour le dploiement dune nouvelle
atteindre ce que lui-mme na pas vu. La nuance entre la rptition et le dpassement est
subtile mais bien relle. La mtaphore de la moisson que nous avons voque plus tt (voir
un tel dpassement. partir de lhiver 1931/32 dans le cours sur Platon, la mtaphysique
sera dsormais associe cette perversion de la pense grecque qui, travers Platon,
interprtera ltre l)tE11 dc lix et la vrit partir de lp.oiwi.1. Platon fait pntrer la
pense dans la mtaphysique en ce quil limine cette intelligence de la vrit qui faisait de
-t)2.
1931 et celui de lhiver 1931/32 des sminaires sur le problme de la mtaphysique chez
Kant. Revenant ces questions qui ont occup une grande partie de son travail dans les annes
1920, Heidegger aborde alors le texte de Kant sur les progrs de la mtaphysique (paru en
1804). Ces sminaires sont encore indits et le resteront sans doute encore ROUf longtemps. Ils
* *
Le thme central de loeuvre de Heidegger est celui de ltre thme quil a trouv dans
la mtaphysique la plus traditionnelle, mais quil souhaite nanmoins penser dune faon
questionner ltre de telle sorte que la mtaphysique se montre telle quelle est rellement: une
voie dont le pav a t tant foul que la circulation sy fait trop aisment. Heidegger aura
prfr au trac commode de cette route des sentiers escarps et solitaires. Mais sur cc
parcours, cest nanmoins la mtaphysique qui aura tenu le rle d ternelle compagne de
jeu .
ses premiers ses derniers textes, son questionnement est mtaphjsique. Bien quil sinterdise
gnralement demployer ce titre pour dcrire ce chemin de pense quil voudra fmalement
ano?lyme, on ne peut mer que cest la mtaphysique qui 1m fournit son thme et ses instruments
Et pourtant, il ne se sera lui-mme attribu ce titre que pendant une trs courte priode
trois annes exactement. Sagit-il dune simple digression sur la route que suit Heideggcr ou
286
doit-on voir dans cet usage terminologique une tentative distincte et peut-tre plus rigoureuse
en fin de compte que les autres de reprendre son questionnement essentiel P Nous avons fait le
pari de montrer que ce changement ntait pas anodin mais quil annonait le dploiement
dune entreprise propre loge entre loncologie fondamentale et cette tentative plus radicale de
penser ltre quil mnera urimdiatement aprs. On pourrait ne voir dans cette mtaphysique
du Du.rein quun simple appendice lontologie fondamentale qui nc ferait que prparer
maladroitement une pense plus acheve. Nous pensons plutt que cette priode possde
une unit et une grandeur propres. Mais lombre, immense, de Sein itnd Zeit et cette entreprise
plus tardive dune Auseinandersetung avec la mtaphysique ont trs certainement jou,
injustement, contre la reconnaissance de ces textes. Cette recherche aura peut-tre permis de
montrer que la mtaphysique du Dasein consiste en une confrontation directe avec la tradition
mtaphysique, une discussion qui prsente sa propre cohrence, sa propre faon daborder le
problme de ltre.
Jai quitt une position antrieure, non pour lchanger Contre une
autre, mais parce que le heu o je me tenais auparavant, lui aussi,
ntait plus quune halte en cours de route. Ce qui demeure dans une
pense, cest le chemin
Pour divers motifs tant philosophiques que personnels, Martin Heidegger n t peu
enclin publier ses crits. Les ouvrages parus du vivant de lauteur ne constituent,
quantitativement du moins, quune portion des textes conservs dans le Nach/aJ/ Loeuvre
rendue publique avant 1975 date laquelle commena la publication des OEuvres
confrences et dessais2 et deux ouvrages proprement dits (Sein und Zeit, GA 2, et Kant zmd
1. Eieifhhrun,g in die MetapIysik (t 1935, publi en 1953, Tiibingen, Niemever ; GA 40), Die Fra8e nach dem Diig.
Zz Kiints Lehre von dey transendentakn Grandsdtren (hiver 1935/36, publi en 1962, Thingen, Niemeyer; GA 41),
Schet/in,gs Abhandhing liber das lVesen der menschhchen Freiheit (1809) (t 1936, publi en 1971, Tbingen, Niemever;
GA 42), de nombreux cours sur Nietzsche donns entre 1936 et 1946 et parus dans les deux volumes du Nietsche
(publi en 1961, Pftsflingen, Neske ; GA 6.1 et 6.2), tVas heejlt Denken ? (hiver 1951/52 et t 1952, publi en 1954;
GA 8) et Der SatsC vom Grand (hiver 1955/56, publi en 1957, Pfulhngen, Neske ; GA 10). Ajoutons cette liste
quelques sminaires publis: 1-leraklit (avec Eugen fnk lhiver 1966/67, publi en 1970, frankfurt s. M.,
Klostermann) et VierSeminare (1966-1 973, publi en 1977, Frankfurt s. ?L, Klostermann ; G 15).
2. Fr/aiiterun8 u Hlildertins Dichtung (publi en 1944, Frankfurt s. M., Klostermann ; GA 4) Ho/7we,e (publi en
1950, frankfurt s. M., Klostermann; GA 5), Ans derE,fahruug des Denkens (publi en 1954, Tbingen, Niemever;
GA 13), Vortrge ,rnd Attiiite (publi en 1954, Pfullingen, Neske; GA 7), Idenittt zmd Drenz (publi en 1957,
Pfullingen, Neske; GA Il, paratre), Unterwe,gs ur Sprache (publi en 1959, Pfullingen, Ncske; GA 12),
We,gmarken (publi en 1967, Frankfurt a. M., Klostermann ; GA 9), Zuer Sache des Denkens (publi en 1969,
Tbingen, Niemeyer; G 14, paratre) et Fnihe Schrifien (publi en 1972, frankfurt s. M., Klostermann ; GA 1).
288
das Probkm derMetaphjsik, GA 3). Mais loeuvre dj norme publie du vivant de lauteur ne
reprsente environ quun cinquime des 102 tomes dj prvus dans le plan de la Gesamtausgabe.
Depuis 1975, lditeur (Klostermann, Frankfurt a. M.) a dj fait paratre la presque totalit des
cours donns entre 1919 et 1944 (tomes 17 64; ne manquent que les tomes 23 et 35), de
nombreux textes qui font partie de la section Cf Traits indits, confrences, notes>) (tomes 64
69) et quelques tomes de la dernire section, Indications et notes (tomes 85, 87 et 90). Plus
de la moiti des tomes prvus dans le plan de publication sont donc dj parus.
Mme si les jalons importants de loeuvre ont t connus du vivant de lauteur, on doit
reconnatre que les volumes publis depuis sa mort ont permis aux tudes heideggriennes de
faire des sauts de gant dans la comprhension de sa pense. La rticence publier dont a fait
preuve lauteur une certaine poque (avant la parution de Sein und Zeil et durant la Seconde
Guerre) et la difficult dc le faire une autre poque (1945-1950) ont limit notre connaissance
non pas des grandes orientations de loeuvre, mais de son dveloppement interne qui, jusqu
aujourdhui, ne pouvait qu peine tre devin. Toutes les c1uestios concernant lvolution de
sa pense avant son apparition public1ue en 1927 ainsi que celles concernant les modifications
de cette mme pense aprs la parution de Sein ;tnd Zeit trouvent aujourdhui des lments de
rponse dans lnorme corpus disponible. En plus davoir rendu possible des tudes concernant
dcouvrir tout un pan mconnu du travail ralis partir du milieu des annes 1930 dont les
facticit ni cette pense du nouveau commencement . Cest bien plutt cette entreprise que
1. Nous pensons videmment louvrage fondamental de Theodore Kisiel, The Genesis of Heidegerr Beiig &
Time (1993), mais aussi celui de Jean Grcisch, Ontologie et temporalit. Essais dEue esquisse integrale deSein und Zett
(1994).
289
Heidegger a baptise la mtaphysique du Dasein qui retiendra notre attention. Cette phase
de loeuvre qui peut tout autant tre considre comme la remise en question de lontologie
a beaucoup bnfici de la publication de la Gesamtaus<gabe. Mis part les textes Kant und das
Pro btem der Metap4ysik, Vom Wsen des Grundes et Was ist Metaphjsik ?, cette priode tait
Mme si la mtaphysique du Dasein na pas engendr comme cest en train de devenir le cas
philosophiques propre, ltude de ces textes nous permet nanmoins de mettre en lumire le
chemin de pense heideggnen qui spare la publication de Sein und Zeit du tournant des
annes 1930 et douvrir une rflexion sur la possibilit dune mtaphysique qui soit la
Heidegger ii , lautocritique rendue clbre dans la Lettre sur lhumanisme de 19462, ainsi
qu toutes les questions portant sur le tournant , ltude de la chronologie de loeuvre nest
1. \V. J. Richardson, Heide,gger. Throtgh Phenomeno/ogy to Thou&ht, La I-lave, Martinus Ntjhoff, 1963. Cette
distinction a t admise avec les rserves quon connat par Heidegger Qhid., XXII t tr. Lettre Richardson
entre 1919 et 1944 a rendu manifeste tous les stades par lesquels est passe cette pense depuis
Il nous faut cependant nous poser la question: ces cours professs Freiburg et
Marhurg entre les annes 1920 et les annes 1940 constituent-ils un coipus fiable sur lequel nous
pourrions baser une dtermination des tapes du Denkwe<g de Heidegger? Ne sagit-il pas
Plusieurs commentaires simposent ici. Tout dabord, ces manuscrits de cours que Heidegger a
Gesamtausgabe. Leur importance matrielle est donc indniable. Il nous faut ensuite reconnatre
que selon le souhait de Heidegger, la Gesamtausgabe devait commencer par la publication des
cours et non des manuscrits indits. Ime sil est possible que Heidegger ait seulement
souhait ainsi prparer b lecture des crits indits, on ne peut nier quil accordait une
importance majeure ces manuscrits. Le fait que plusieurs de ces manuscrits de cours aient t
Dans un texte de 1937/38 Beitae u IVztnsch und lVille , Heidegger insistait sur
des Handwerki) repose le mouvement vritable de la pense lui-mme comme effort en vue de
de lestre (Wahrheit des Syni) la diffrence de la question portant sur lessence de ltant ne
peut saccomplir que dans lexplication (Auseinandersetun<g) avec lhistoire antrieure et dans le
1. Pour ce qui es de la perspective chronologique, en plus des ouvrages cits de Jean Greisch et de
Theodore Kisiel, mentionnons quelques tudes Daniel Dahistrom, Heidggers Concept of Tristh, Cambridge,
Cambridge University Press, 2001 ; Dicter Thom, Die Zett des Setbst und die Zeit danach. Zur Kritik der Texgeschichte
Martin Heideggers 1910-1976, Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1990; Maxence Caron, Pense de ltre et ongine de /a
subjectivit, Paris, Le Cerf, 2005.
291
nouveau dvoilement de celle-ci. La discussion atteint sa conclusion avec les cours sur
Nietzsche . Un peu plus loin, il crit: Les cours demeurent toujours au premier plan: ils
sengagent lintrieur dune tonalit fondamentale (Gnindstirnrnung) sur une voie (Wegstrecke)
apparemment arbitraire et offrent partir de l les coups doeil sur lensemble (die Bticke in dus
Ganre) . Ce texte rend manifeste limportance que Heidegger accordait, pour le dploiement
de sa propre pense, cette discussion avec la tradition philosophique que constituent les
cours quil dit tre historiaux, mais jamais historiques (geschichttich, aber nie historisch) 2.
Enfin, mme si ces manuscrits ne sont que des cours et quils ne correspondent peut-
tre pas parfaitement, de par leur aspect didactique, la pense la plus intime de lauteur, on
que Heidegger a consenti publier. Mme si Sein und Zeit se prsente sous la forme dun trait,
on peut reconnatre dans les cours qui le prcdent immdiatement presque tous les lments
qui le constituent3. Pour ce qui est des publications contenues dans le co?pus abord dans cette
tude, lessai Ibm [Vesen des Grundes reprend souvent au mot prs des dveloppements
prsents en classe lt 192$ et lhiver 1928/29. Pour ce qui est du Kantbuch, Heidegger
interprtation provenait de cours professs sur la Critique de tu raison pure depuis lhiver
1. GA 66, 420-421.
2. Ibid., 421. Notons au passage que dans ces quelques pages tires de Besinimng, Heidegger crit que les cours
les plus importants pour comprendre le dploiement de la question depuis Sei,i tmd Zeit sont ceux compris cntre le
semestre de lhiver 1930/31 (GA 32) et celui de lt 1937 (GA 43). Les cours de la mtaphysique du Dajcz,z
(1927-1930) sont volontairement ignors. Deux interprtations peuvent tre proposes : 1. Heidegger considre
ces cours comme une sorte de n rechute dans la mtaphysique et leur confre donc une importance mineure
dans le dveloppement de sa pense 2. Heidegger ne considre cette poque que comme la continuation du
questionnement propre 5cm und Zeit et ne conoit pas cette poque comme un dveloppement substantiel par
rapport louvrage de 1927.
3. On se rfrera bien entendu la grande tude de Theodore Kisiel pour lexposition de la gense des thmes
de Sein und Zeit.
4. Linterprtation de Kant qui sera reprise dans Knnt und das Prohiem derMetaphysik est contenue dans les cours
de lhiver 1925/26 (G 21), de lhiver 1926/27 (GA 23 ; indit), de lt 1927 (GA 24) et de lhiver 1927/28 (G
292
la rdaction des Beitnge) a malgr tout permis la mise . our de nombreux thmes que les cours
de lpoque nexposent qu mots couverts. Rien ne nous empche donc de croire que la
publication dans les annes . venir de certains manuscrits pourrait modifier la donne et
relguer au second plan les manuscrits provenant de lenseignement de lauteur. Mais pour
linstant, force est dadmettre que le matriel prsent dans les cours ne constitue pas une
source mineure pour aborder loeuvre, mais bien plutt des textes de premier ordre, constitus
dexposs prpars par lauteur, ordonns en vue dune publication et consults et annots au
hi des annes2. La richesse des textes qui nous sont parvenus exige de toutes faons quon les
Mais une question simpose: bien que la Gesarntauigabe rende accessible des textes qui
embrassent une priode trs large (1910-1976), est-ce la tche des tudes heideggriennes que
dc mettre en relief dans une perspective chronologique les divers sentiers qua emprunts
loeuvre tout au long de cc chemin de pense)>? Cette approche de loeuvre doit-elle tre
considre comme le moyen adquat pour en saisir le mouvement interne? Nombreux sont
ceux qui sopposent ce que lon suive, cours par cours, texte par texte, le dveloppement
25) et dans les cours universitaires de Davos de mars 1929 (GA 3 tr. Dbat sur te Kantisme et ta Phitosophte, mais
aussi dans quelques sminaires et confrences indits (sminaires de lhiver 1925/26, 1926/27 et 1928/29, la
confrence Kants Lebre vom Schematismus und die Frage nach dem Sinn des Seins prononce K[n en
janvier 1927 et une autre, dont le titre est inconnu, prononce Riga en septembre 1928).
1. Iilderlin u,zd das lVesen der Dichtun,g (1937) reprend les thmes dun cours profess lhiver 1934/35 (GA 39
vrifier), Ptutons Lehre ton der JVahrheit (1942) reprend les dveloppements du cours de lhiver 1931/32 et
Eriutening n Hbiderlins Dtchtmzg (1944) reprend les lments des cours de lhiver 1941/42 (GA 52) et de lt 1942
(GA 53). Bien quelles ne soient pas sans parent avec des Contenus prsents en classe, les confrences lJas ist
Metaphysik ? et Im Wesen der lVahrheit publies respectivement en 1929 et en 1943 constituent des exceptions.
2. De limportance de ces manuscrits tmoigne encore le fait qu lhiver 1932/33, Heidegger ait consacr son
semestre sabbatique relire ses propres manuscrits : Pour le moment, jtudie mes manuscrits, autrement dit je
me lis mol-meme et je dois avouer que cest l bien plus fmctuewc, pour le meilleur et pou le pire, que toute autre
lecture, dont je nai du reste gure lenvie ni le loisir (Lettre Elisabeth Blochmann du 18 septembre 1932).
293
sefforcer de rendre manifeste lunit de luvfe et de mettre en lumire, contre toute ide
toute approche chronologique de son oeuvre. Sappuyant SUf une lettre Karl Lwith datant
du 20 aot 1927 dans laquelle Heidegger crit ne pas sintresser sa propre volution,
Thomas Kalary a t jusqu soutenir que les cours ne constituaient pas une source fiable pour
expliquer les aspects centraux de loeuvre de Heideg,ger. Dans cette lettre, 1-leidegger crivait:
considration trop courte oublie les perspectives centrales et les impulsions, tant vers lavant
oi ils ne donnent pas accs la perspectiite centrale qui la guide. Les cours ne seraient donc que la
Nous ne pouvons manquer de souligner, dans un premier temps, que les indices que
nous a laisss Heidegger quant la manire dont nous devrions interprter son oeuvre ne
peuvent valoir de faon universelle et dogmatique. Les principes que Heidegger a pu formuler
quant au mode de lecture appropri de son oeuvre ne pourront jamais faire autorit sans que
ladite lecture ne se transforme en un docile acquiescement tout ce que dit le matre. Ce serait
le comble du manque de souci hermneutique que de devoir nous plier pour ce qui est de la
1. Dans des tudes rcentes parues dans les f-Ieidegger Studies (e Toward sketcbing the Genesis of Bein5 anti
Time, 2000/16 et e Hermcneunc Pre-conditions for Interpreting Heidegger, 1: 2002/18 et Il: 2003/19),
Thomas Kalary plaide pour une lecture qui prenne le texte des Beitroge rur Philosophie comme lunique site parut
duquel interprter lensemble de loeuvre (2002/18, 163). Contre toute lecture qui se serve du temps comme critre
discriminatoire pour interprter loeuvre, Kalary propose une lecture e unitaire de loeuvre, dans laquelle les
problmatiques napparaissent ni ne disparaissent mais Sont toutes prsentes, en puissance dii moins, depuis le
dbut. Selon ces principes, ltude de Theodore Kisiel portant sur la e gense de Sein anti Zeit constitue le comble
du sacrilge. Dans le mme ordre dide, voir aussi Frank Schalow, e Questioning the Search for Genesis : A Look
at Heideggers Early Freiburg and Marhurg Lectures , Heide,ggerStudies, 2000/16.
2. Lettre Karl L6with du 20 aot 1927 (<t Drei Bnefe Mariln Heideggers an Karl L6wtth t>, in Dietrich
Papenfuss et Otto Poggeler (d.), Zitrphttosophtschen Akti,ahtdt Heideggers, Bd. II: 1m Gespriich der Zeit, Frankftirt a.
M., Klostermann, 1990, 37).
294
lecture et de linterprtation dun auteur aux directives que celui-ci nous a laisses. Si on peut
nanmoins sintresser la vision quun auteur avait de sa propre oeuvre, il faut tou)ours tenir
compte que de tels commentaires sont situs historiquement , quils appartiennent une
vaudraient, par exemple, des indications donnes par Kant en 1770 sur la faon dont on doit
place quoccupe la Phnornnogie de tiprit nous force-t-elle lire ce texte comme une oeuvre de
Lwith, par exemple, est nonc quelques mois aprs la publication de Sein und Zei4 poque
laquelle nous pouvons en faire lhypothse Heidegger ne prvoit pas encore les
dveloppements ultrieurs de son oeuvre. Mais si les commentaires que Heidegger a laisss sur
ces questions mritent vraiment notre attention, nous devons reconnatre que sa position nest
pas aussi tranche que le bissent croire ceux qui sopposent la lecture chronologique de son
oeuvre.
tmoignent de lintention dans laquelle il a souhait, aux derniers jours de sa vie, que soit
aborde la partie indite de son oeuvre. Or, celles-ci nous semblent plutt aller dans le sens
dun encouragement la lecture chronologique, cest--dire une lecture qui suivrait le chemin
qua parcouru loeuvre. Selon ce que lon sait de ces indications toujours indites1 et en se
basant sur les principes tablis du vivant de lauteur pour la publication de la Gesamtauigabc,
1. Le dernier prospectus en date de la Gesaiatausgabe (o Ausgabe letzter Hand , mars 2003) nen donne encore
que quelques fragments . Sur les questions concernant ces indications laisses par Heidegger et oublies par les
diteurs, voir les diffrents textes de Theodore Kisiel: Heideggers Gesamtaujube An International Scandai ot
Scholarship >, dans PhitosopIy Ioda3, 1995/39 ; On the Way to Being and Time Introduction to the Translation
of Heideggers Prok,gomena ur Geschichte des Zeithe,gnffr, dans Rssearch in Phenome,zoto, 1985/15 Edidon und
Ubersetzung. Unterwegs von Tatsachen zu Gedanken, von Werken zu Wegen o, dans Diettich Papenfuss et Otto
Poggeler (d.), Zur phllosophischen ktuatitdt Hezdepgcrs, Bd. III : 1m Spie,gel der lTeIi: Spruc/ie, (ibersetun,
Auseinant/rrsetyn, Frankfurt a. M., Klostermann, 1992, 89-107. Mentionnons aussi lexistence dun texte du mme
auteur, toujours mdit, intitul Heideggers Gesamtausgabe as a Philosophicat Problem: Prolegomena (qui
devrait ou devait paratre dans Jaakko Hintikka aod Robert S. Cohen (d.), On Cnticat Editiu,g in Phitosophy ami
Science, Boston Studies in the Phiiosophy of Science).
295
lunique but philosophique de la publication dc loeuvre tait dexpo
ser dans tout son dtail et
dont le plan initial tait de prsenter chaque crit dans son tat
dorigine, avant les multiples
problme sur lequel nous reviendrons de la datation des ajouts marginaux et corrections
C von Hermann de septembre 1974 (<t Ein Denkweg wird stchtbar gemacht
septembre 1974) et le premier prospectus posthume de la Gesumtaziig
((critique dition critique de la dernire main .
frank/rter AIgemeine Zeitun, 26
,
abe 9W retire pour la premire fois ladjectif
296
cherche rellement Keidegger1. Tout le monde reconnatra que loeuvre de Heidegger est une
oeuvre en mouvement. Jamais elle ne trouve le repos, jamais elle ne ressent la satisfaction dtre en
parfait accord avec la chose mme jamais, pour le dire ainsi, elle nest tompttement
phnomnotqgique. Cette inadquation intrinsque de la pense son thme est justement ce qui
manuscrits des cours donns par 1-leidegger est une chance unique de suivre, semestre par
semestre, les dplacements, les variations, les mtamorphoses et les tournants qua pu subir cette
Ces recherches, si elles sont menes avec soin, permettent dapercevoir non pas les
contradictions mais bien les variations dans le traitement des questions philosophiques. Il ne
sagit donc pas dune simple chasse aux modifications stylistiques ou conceptuelles, ni mme
dune analyse comparative de dfinitions. Cest bien plutt une tentative de comprendre
pourquoi, chaque instant, cette pense se transforme, pourquoi elle a recours tel instrument
philosophique plutt qu tel autre, pourquoi elle va chercher soudainement chez tel auteur une
ide, une phrase. Loin de ses tudes qui prsentent Heidegger comme un auteur parfaitement
autonome et impermable aux influences extrieures, ce type dtude permet aussi de montrer
comment la pense philosophique de son temps a pu avoir un impact sur son oeuvre, comment
pense. Loin aussi de ces autres tudes qui considrent que seule une paraphrase en rgle
1. Il est important de noter que ce type dtude ne doit pas se contenter dtre une recension des possibles
variations dans la terminologie, de lapparition et de labandon de concept ou des ventuelles contradictions
lintrieur du coitsiss heideggrien. Il sagit bien plutt de penser ce qui exige les possibles mtamorphoses, cest-
dire comprendre en quoi une pense est ou nest pas en adquation avec la chose mme et montrer la ncessit interne
des mouvements. Cette exigence mthodique, Marlne Zarader la formule ainsi e Il ne suffit pas de constater,
comme le font bon nombre de commentateurs, que des concepts sont raturs. Encore faut il suivre le
mouvement interne qui, aprs leur avoir donn vie, sens et fonction, exige leur suppression. Encore faut il, en
dautres termes, montrer linluctabilit dc certains effacements (e Etre et transcendance chez Heidegger s, Renie
de mtaplyrique et de morale, 1981/3, 308).
297
dtablir des liens lintrieur de loeuvre mme, de mettre en vidence des hsitations ou
C mme des repentirs que lauteur a pu avoir et, ainsi, de penser avec Heidecr et non aprs lin.
gardant toujours en tte lemplacement chronologique o se situe tel ou tel texte. Mais ces
tudes ne doivent pas tre abuses par les changements de vocabulaire parfois surprenants de
Heidegger, ses abandons et ses reprises. Il ne sagit pas de dcouper loeuvre de Heidegger en
une infinit de parties et dannoncer la dcouverte dun tournant chaque fois quun
nouveau mot apparat. Si, pour donner un exemple, Heidegger se tourne vers Kant au milieu
des annes 1920 aprs avoir sjourn auprs dAristote dans les annes antrieures, cela ne
signifie aucunement que la pense de Heidegger prenne un nouveau dpart et que tout ce qui
prcd ce changement soit oubli ou reni. La lecture chronologique a bien plutt pour tache
dinterroger ce qui pousse Heidegger vers Kant et dexpliquer ce quen retire sa pense.
sont jamais des changements de direction, mais de plus subtiles variations dintrt ou de
perspective peuvent tre suivis semestre aprs semestre. Ainsi, il nous est possible de savoir
avec plus ou moins dexactitude ce qui se joue, par exemple, entre Lt rdaction de Sein xmd
Zeit et celle de Kant und dus Problem der Metuphjsik dont les parutions sont plus ou moins
dsormais en possession de plus de 1600 pages de texte et non des moindres! qui
viennent, en quelque sorte, sintercaler entre ies deux ouvrages. Les notions de transcendance,
de finitude ou de libert qui sont des thmes-cls du Kantbuch mais que lon avait qu peine
entrevues avec Sein und Zei4 gagnent en clart la lecture de ces quelques volumes.
1. Cest en effet la caricature qui sert de repoussoir beaucoup. Voir, par exemple, lardcle de f rank Schalow,
Qucstioning the Search for Genesis s, 182-183.
298
Le grand inconvnient dc ce type dtude est bien entendu ltat dans lequel nous
parvient loeuvre de Heidegger. Ayant renonc exaucer les voeux de lauteur qui souhaitait une
dition parfaitement respectueuse de sa chronologie, les diteurs ont prfr publier les
manuscrits qui composent la Gesarntauigabe dans leur tat fmal, cest--dire sans distinguer le
texte initial et les nombreux ajouts qui jalonnent le texte. Les manuscrits des cours sont en
effet truffs de notes de la main de lauteur qui ont t ajoutes diffrentes priodes de sa vie.
Selon des tmoignages de premire main, Heidegger aurait souhait trouver une solution au
problme apparemment insoluble de la datation des ajouts afin que puissent apparatre les
diffrents stades dachvement des manuscrits. La tche semblait alors gigantesque dans la
mesure o les crits taient tous plus ou moins complets et ordonns, mais surtout parce quil
semblait impossible de les publier de telle sorte que le chemin chronologique de cette pense
soit rendu manifeste2. Les nombreuses annotations que lon retrouve dans tous les manuscrits
ne sont pas dates et ne le peuvent tre que dans certains cas o le vocabulaire employ ou
lorthographe particulire de certains mots permet de tenter une approximation. Les diteurs
ont renonc par souci dconomie mais peut-tre aussi devant lampleur de la tche
distinguer entre les annotations marginales et le texte continu. Ce choix ditorial fausse bien
entendu la tche que nous nous proposons ici, celle de cerner une des tapes privilgies de
loeuvre.
Gesamtatiigabe est linsertion postrieure, dans le manuscrit des Trtegomena iir Gese/ichte des
Zeitberiffi (t 1925), du vocabulaire existendal de Sein mzd Zeit (1927). Chacune des
montr Theodore Kisiel, une insertion faite la main par Heidegger sur la transcription
1. En plus de ceux Cits par Kisiet, nous renvoyons au tmoignage de \Vatter Biemel dans son texte Le
professeur, le penseur, lami Zgerneine Zeitschrift fir Philosophie, 1977/1, 1-23 tr. dans Heideger-L Ierne, 127-
137) : Une dition critique qui prendrait un jour en considration toutes ces remarques marginales, ces ajouts et
supplments, demanderait un travail trs soigneux, surtout en ce qui concertie ics problmes de datation (132).
2. Theodore Kisiel, Heideggers Gesarntausgabe , 6.
299
stnographique du cours. Ces termes ne datent donc pas de 1925 mais sont des ajouts
contemporains de la rdaction finale, en mars 1926, de Sein und Zeit. Le lecteur de ce tome de la
Gesamtausgabe nen est cependant pas averti et ne peut en tirer quune unique conclusion: cest
lt 1925 que Heidegger a expos pour la premire fois le vocabulaire existential que
Pour le lecteur qui na pas accs aux manuscrits originaux, cette situation est sans issue.
Comment distinguer les ajouts postrieurs de lauteur du texte original? A titre dexemple,
prenons le problme de lapparition dun terme rare, celui de mtontologie , dans deux
cours, soit dans les tomes 22 et 26 dc la Gesamtauigabe. Sans entrer ici dans les questions
concernant la signification du terme, on peut se demander si son apparition date bel et bien de
1926 ou sil ne sagit pas dun ajout fait deux annes plus tard par lauteur qui, aprs avoir forg
un nouveau terme, sest souvenu avoir trait dune problmatique similaire deux annes
um ! Aetontotogisch; OEooyKf ; das Seiende im Ganzen )>2 ainsi que son absence dans les
notes de cours de Hermann Mrchen et de Waker Brcker nous porte croire quil sagit en
ralit dune note marginale ultrieure. Mais il est impossible de le savoir avec prcision sans
loriginal qui peut tre consult, il est vrai, au Deutsches Ijteraturarchiv Marbach , qui ne
permettrait peut-tre pas de dater la remarque, mais tout le moins de se faire une ide de la
disposition du texte et des ajouts qui y ont t faits. Il est encore possible que le terme ait t
employ cette poque par Heidegger mais quil nait pas t prononc en classe. Nous
pourrions mme supposer que le terme ne date ni de 1926 ni de 1928 mais quil a t cr
une date ultrieure et ajout simplement dans les marges de ces deux manuscrits que lon
1. Voir On the \Vay to Being and Tue, 197 et Edition und lJbersetzung , $9-90. Dans ce dernier article,
lauteur sest prt au mme travail de vrification pour les tomes 56/57 et 61 dont les rsultats sont donns en
annexe (106-107).
2. GA 22, 106.
300
connat. Ltat dans lequel les tomes de la Gesarntau.gabe sont publis ne nous permet pas de
trancher.
Mais, pourra-t-on nous objecter, comment concilier la volont des diteurs dc rendre
public un texte continu et lisible qui donne accs la pense heideggrienne et le dsir des
chercheurs de travailler sur un texte qui respecte parfaitement le manuscrit, quitte perdre en
lisibilit? Bien quau milieu des annes 1970, ni Heidegger ni ses diteurs naient pu concevoir
une solution satisfaisante, les progrs que linformatique a fait depuis rendraient dsormais
possible une publication connexe des manuscrits sur Cd-rom, permettant la consultation dune
photo du manuscrit. Ceci donnerait chaque chercheur la chance de se faire une ide de la
disposition du texte dans les divers manuscrits et ainsi, de porter un jugement sur les possibles
modifications qua subies le manuscrit depuis sa premire rdaction. Selon les principes suivis
prsentement pour ldition de la Gesarntausgabe, les dcisions que prend lditeur quant ces
questions font juridiction pour lensemble de la communaut des chercheurs. l3ien que cela ne
puisse rgler tous les problmes la datation exacte des notes marginales est impossible , une
publication sinspirant de certaines ditions sur Cd-rom rendrait de grands services aux tudes
heideggriennes. Notons cependant que les derniers volumes parus de la Gesarntauiguhe tiennent
constitue les notes de cours dlves et en inscrivant en notes de bas de page les notes
marginales1. Du point de vue de la recherche cependant, nous sommes encore loin dune
dition satisfaisante.
1. Par exemple, les tomes 17 (dit par friednch-Wilhelm von Herrmann en 1994), 18 (dit par Mark
Michalski en 2002), 19 (dit par Ingehorg Schiiflier en 1992), 22 (dit par Petrajaeger en 1993) et 28 (dit par
Claudius Strube en 1997).
Annexe B
Les rfrences en franais ne sont indiques que lorsque la pagination de loriginal allemand nest pas reprise en
marge de la traduction.
2
Ce symbole () indique quaucune traduction franaise nest disponible.
302
Hegets Begriffder 1942/43 GA 5, 195 et 199- Chemins, 236-237 et
Efihnrng 203. 242-246.
1927
avril publication Sein und Zeit (tout dabord paru dans le Jahrbuch fur
Philosophie undphdnornenotqgische Forsch;tng, VIII) [GA 2]
publication Zur Geschichte des philosopbischen Lchrstuhls seit
1866 (tout dabord paru dans Die Phiutjps-Universitct rit
Marbug 1527-1927) [GA 1
8 juillet confrence Phnomenologie und Theologie fubingen)
I. Teil : Die mcht-phulosopbischen ais positive
Wissenschaften und die Philosophie ais transzendentale
Wissenschaft [GA 80 ; indit]
9 juillet confrence Phiinomenoiogie und Theologie fbingen)
lI. Teil: Die Positivitt der Theologie und ihr Verhltnis
zur Phnomenologie [GA 911
SS 1927 cours Die Grundprobieme dcr Phnomenologie [GA 24]
sminaire Ibungen fur Fortgeschrittene : Die Ontologie des
Aristoteles und Hegels Logik
sminaire Luthers Galater Kommentar (avec Rudoif Buitmann)
octobre document Versuch einer zweiten Bearbeitung (Encyclopaedia
Bnttanica) [Edmund Husseri, PheYnomenologische Pychologie,
Husserliana IX, 256263]2
WS 1927/28 cours Phiinomenologische Interpretation von Kants Kritik der
reinen Vemunft [GA 25]
sminaire Phanomenologische Ubungen fur Anfiinger tiber Begriff
und Begriffsbildung
sminaire Phanomenologische Cibungen fur Fortgcschrittcne
(Schelling, liber das Wesen der rnenschlichen Freiheit)
[C4 86 ; indit]
*
Les abrviations SS et WS sont employes pour dsigner respectivement les semestre dt (Sommersemestei
de mai ii juillet) et dhiver (ITntersemester de novembre fvner). Les traductions franaises sont indiques en note
lorsquil sagit de traductions publies affleurs que chez Gaffimard.
1. Tr. par M. Mry, n Thologie et philosophie o, Dbuts sur le Kantisme et ta Philosophie (Daios, mars 1929) et autres
textes de 1929-1931, Paris, Beauchesne, 1972, 101-121.
2. Tr. par Jean-Franois Courtine, Seconde version de larticle Phnomnologie o, dans \Iichel Haar (d.),
Marti,z Heidegger, Paris, Cahiers de 1Herne, 1983, 38-43.
304
192$
1929
1. Les mdications concernant le contenu des tomes $4 et 86 de la Gesamtau.qabe sont tires de la bibliographie
tablie par Christian Sommer. Celles concernant le contenu du tome $0 proviennent du prospectus de lditeur
Klostermann.
2. Tr. par Jean-Marie fataud, Recension de E. Cassiret: Das mvduischc Denken , Dbats sur k Kivitisme et
la Philosophie, $5-100.
3. Reprise de la confrence du 9 juillet 1927 prononce Tbingen (( Die Posidinrt der Theologie und ihr
Verhiiltms zur Phiinomenologie ).
4. Certains extraits de ce cours talent dni parus avant la publication de ce tome de la Gesarntauigabe en 197$.
Le texte ;kus der letzten Marburger Vorlesung , paru en 1964 dans les Mtatges offerts RudolfBultmann pour
son quatre-vingtime anniversaire (Zeit und Geschichte, Tbingen, Mohr, 1964) et repris dans lVegmarken (G 9) en
l96, prsentaient certains dveloppements sur Leibmiz (GA 26, 5, 86-124). Une version courte de lhommage
Max Scheler (GA 26, 62-64) avait t publie dans Max Schckr im Ggeizwartseschehen der Philosophie,
Bern/Mtinchen, francke, 1975.
5. Cycle de confrences voqu par Heidegger dans la prface au Kanihuch (GA 3, XVI ; tr. 53).
6. Comme en tmoigne la rponse expose datis le cours de lt 1929 (GA 2$), Heidegger a lu le texte de
\hsch ds sa parution en 1929. Ces Matguzatien ne datent cependant peut-tre pas toutes de cette premire lecture
(voir lavant-propos de lditeur, 18$). Certaines remarques comme lemploi de lorthographe Sn qui
305
apparat deux reprises et dont Claudius Strube considre quil sagit de la premire apparition dans le telpus
heideggrien (ibidL, 217) peuvent laisser croire des ajouts ultrieurs.
1. Le contenu de cette confrence se rapproche sans doute beaucoup dc ce qui est expos dans les premires
sections du cours de lt 1929 qui portent sur lindtermination et les limites de lanthropologie philosophique.
Heidegger se rfre dailleurs explicitement cette confrence (GA 28, 18).
2. Tr. par Pierre Aubenque, Confrence du Professeur I\Iartin Heidegger sur la Critique de tu raison pure de
Kant et sur la tche dune fondation de la mtaphysique et Colloque Cassirer-I-letdegger Davos, printemps
1929) s, Dbats surie Kantisme et ta Philosophie, 21-24 et 2$-51.
3. Le texte a t achev en octobre 1928 selon ce que I-leideggcr confia Elisabeth Blochmann (Lettre du 17
octobre 1928). Il est paru quelques jours aprs te soixante-dixime anniversaire de Husserl clbr le $ avnl 1929.
Le f2 avril 1929, Heidegger crit Ehsabeth Blochmann quil attend les tirs part du discours quil a prononc
loccasion de la prsentation du festschrft, prsentation qui a donc d se tenir entre le 8 et le 12 avril de cette
mme anne. Le trait parut la mme anne chez lditeur Max Niemever.
4. Louvrage a t termin la Pentecte 1929 (comme en tmoigne lavant-propos de la premire dition,
KPM, xvi; tr. 54) et publi lt (Jaspers la reu au mois dc juillet 1929 voir la Lettre de Jaspers Heidegger du
14 juillet 1929).
306
1991/7, 5-121
4 dcembre confrence Die heutige Problemiage der Philosophie (Karlsruhe)
[GA 80 ; indit1
S dcembre confrence Was ist Metaphysik? (Heidelberg)
nodi publication WasistMetaphysik ?, Bonn, Cohen [GA
1930
1. Selon Theodore Kisiel et lencontre de ce que le prospectus de la Gesamtausgabe indique, cest plutt la
confrence Was ist Metaphysik? que Heidegger aurait alors prononce (The Genesis of FJeideggerr Being ri Time,
561-562). La lettre Ehsabeth Blochmann du 18 dcembre 1929 sur laquelle se base Kisiel ne nous semble
cependant pas aussi tranche: Ces deux mois ont t quelque peu mouvements, sans compter dewc
confrences Karlsmhe et Heidelberg, ou jai fait ma confrence de mtaphysique . Rien nexclut que la
dernire partie de la phrase ne se rfre qua Heidelberg et que Heidegger alt bel et bien prononce la confrence
Die heutige Problemlage der Philosophie Karlsruhe (comme le soutient aussi lditeur de la confrence
Hegel und das Problem der Ivletaphysilc s, HPM, 58, Anm. f).
2. Reprise de la confrence prononce le 4 dcembre 1929 Karlsmhe.
3. Le contenu de cette confrence a t partiellement repris au semestre dt 1933 (GA 36/37, 70-77).
4. Tr. partielle par 3.-M. Sauvage, Martin Heidegger-Kojima Takebiko. Une correspondance (1963-1965) ,
Phitosophie, 1994/43, 3-21.
5. Sur cette confrence, on se rfrera aux quelques indications de Fnedrich W. von Herrmann dans son
article Augiistmus und die phnomenologische Frage nach der Zeit s, Phi/osophischesJahrbuch, 1993/100.
6. Dans le cadre de cette recherche, nous nous servirons dune retranscription indite de cette confrence due
Hermann Mrchen.
307
Correipondances
Martin HEIDEGGER / Hannah ARENDT, Bneft 7925 bis 1975 imd andere Zeztnisse, Frankfiirt a.
M., Klostcrmann, 1998; ix. Lettres et autres documents. 1925-1975, Paris, Gallimard, 2001.
Martin HEIDEGGER / Elfride HEIDEGGER,Mein tiebes See/chen k Brifi von Martin Heideger an
seine Frau E/ride. 1915-7970, Mtinchen, Deutsche Verlags-Anstak, 2005.
1. Tr. par franois Vezin, 1ciits politiques. 1933-1966, Paris, Gallimard, 1995, 282.
2. Tr. par Pascal David, Lettre au ministre Dr Gnmme , dans IViarrin I-Ieidcggcr, Corre.rpondance avec E/isabeth
Blochmann. 7978-1969, Paris, Gallimard, 1996, 447-448.
309
Trait des categories et de ta sgnflcation chez Duns Scot, tr. par Florent Gabonau, Pans,
Gallimard, f970.
Sein und Zeit (1927), GA 2, d. par Fnedrich-Wilhelm von Herrmann, 1977 (Halle an der Saale,
Niemeyer, 1927 ; Tiibmgen, Niemeyer, 20O1)
tre et temps, tr. par Emmanuel Marrineau, Pans, Authenhca, 1985. Autres traductions
existantes: par Henry Corbm, Extraits du livre sur LBtre et k Temps [ 46-53 et 72-
761 dans Qust-ce que ta mtaphysique?, Paris, Gallirnard, 1938; par Rudoif Boehm et
Aiphonse de Waelhens, LEtre et te Temps [ 1-44j, Paris, Gallimard, 1964; par
franois Vezin, Etre et Temps, Paris, Gaflimard, 1986.
Kant und das P;vbkm der MetapIyik (1929) [1m Anhang: Besprechung: Ernst Cassirer,
Philosophie der svmbolischen Formen. 2. Tel: Das mvthische Denken (1925) , Davoser
Vortrge: Kants Kritik der reinen Vernunft und die Aufgabe einer Gmndlegung der
Metaphysik , Davoser Disputation zwischen Ernst Cassirer und Martin Heidegger et
Aufzeichnungen zum Kantbuch j, GA 3, d. par Friedrich-Wilhelm von Herrmann,
1991 (Bonn, Cohen, 1929 ; Frankfurt a. M., Klostermann, 61998)
Cijemins qui ne mnent nutk part, tr. par Wolfgang Brokmeier, Paris, Gallimard, Collection
<Tel>, 1986.
1. Nous prsentons ces ouvrages en indiquant tout dabord leur rfrence dans la Gesamtaus5abe, pws, entre
parenthses, ldition originale et ldition actuelle ailleurs que chez Klostermann quand celle-ci existe. Nous
indiquons enswte, en retrait, les traductions franaises consultes pour les fins dc cette recherche.
310
Nietsche I (1936-39), GA 6.1, d. par Brigitte Schillbach, 1996 (Pftilhngen, Neske, 1961
Stuttgart, Klett-Clotta, 61998).
Nietsche II (1939-1946), GA 6.2, d. par Brigitte Schiflbach, 1997 (PMlingen, Neske, 1961
Stuttgart, Klett-Clotta, 61998).
Remarques sur la Pychotogie der Wettanschauungen de Karl Jaspers , tr. par P. Collomby,
dans Philosophie, 1986/11 et 12; Phnomnologie et thologie , tr. par M. Mry,
dans Dbat sur te Kantisme et ta Phitosophie, op. cit., 1972; Quest-ce que la
mtaphysique ? , ix. par Roger Mumer, dans IViichel Haar (d.), Martin Heide,gger, Paris,
Cahiers de lHeme, 1983 (autres traductions existantes : par Henrv Corbin, dans
Questions I et II, Paris, Gallirnard, collection Tel , 1981 ; par Emmanuel Martineau,
Pans, Authentica, 1988) ; Ce qui fait ltre-essentiel dun fondement ou raison , ix.
par Henry Corbm, dans uestions I et II (autre traduction existante: De la nature de la
cause , par A. Bessey, dans Recherches philosophiques, Paris, Boivin, 1931-1932) ; De
lessence de la vrit , tr. par Alphonse de Waelhens et Walter Biemel, dans Questions I
et II; La doctrine de Platon sur la vrit , ix. par Andr Prau, dans Question I et II;
Postface Q;t est-ce que ta m/aplysique ? , tr. par Rogcr Munier, dans Questions I et fi;
Lettre sur lhumanisme , tr. par Roger Munier, Ouestion III et H Paris, Gallimard,
collection Tel , 1990 ; La thse de Kant sur ltre , ix. par Lucien Braun et Michel
Haar, Questions I et II.
Der Sat nom Gnmd (1955-1956), GA 10, d. Petra Jaeger, 1997 (Pfullingen, Neske, 1957;
Stuttgart, Klett-Clotta, 81997).
Leprinctje de raison, ix. par Andr Prau, Gaflimard, collection Tel, 1999.
Identitdt und Drenr, (1955-1957), GA 11, indit (Phillingen, Neske, 1957 ; Stuttgart, Klctt
Clotta, 122002)
Untenvegs r.ur Sprache (1950-1959), GA 12, d. par Friedrich-Wilhem von Hcrrmann, 1985
(Neske, Pfullingen, 1959 ; Stuttgart, Klett-Ctotta, 2003).
Acheminement vers la parote, ix. par Jean Bcaufret, Wolfgang Brockmeier et Franois
fdier, Paris, Gaflimard, Tel , 1976.
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2000.
Martin Heidegger interrog par Der Spiegel. Rponses et questions sur lhistoire et
la politique , ix. par J. Launay, dans Ecrits potitiques. 1933-1966, Pans, Gallimard, 1995.
Ptaton : Le Sophiste, tr. par Jean-franois Courtine, Pascal David, Dominique Pradefle et
Philippe Quesue, Paris, Gallimard, 2001.
Pivlegonzena ur Geschichte des ZeitbegrHfi (Sommersemester 1925), GA 20, d. par Petra Jaeger,
1979.
Lgik. Die Frage nach der LVahrheit Wintersemester 1925/26), GA 21, d. par Wafter Biemel,
1976.
Die Gnindbegrff der antiken Philosophie (Soinmcrsemester 1926), GA 22, d. par Franz-K2r1
Bust, 1993.
Concepts fondamentaux de la philosophie antique, ix. par Alain Boutot, Paris, GaDimard, 2003.
PhJnomenolgische intepretation von Kants Kntik cler reinen Vernzaft (Wintersemcster 1927/28), GA
25, d. par Ingtraud Girland, 1977.
Einkitung in die Phitosophie (Wintersemester 1928/29), GA 27, d. par Otto Saame et ma Saame
Speidel, 1996.
Der deutsche Ideatismus (Fichte, Schetting, Heget) und die phitosophische Probtemtage dcv Gegenwart
(Sommersemester 1929) [1m Anhang: Nachschrift Einfiihmng in das akadcmischc
Studium (Sommersemester 1929)], GA 2$, d. par Claudius Strube, 1997.
Vom [Vesen dcv menschtichen Freiheit. Einkitung in die Phitosophie (Sommersemester 1930), GA 31, d.
par Hartmut Tietjen, 1982.
Hegets Phiinomenotogie des Gcistes (Wintersemester 1930/31), GA 32, d. par I ngtraud Grland, 1980.
Aristotetes, Metaphjisik 6 1-3. 1/on IVesen tind Wirktichkeit der Kraft (Sonrniersemester 1931), GA
33, d. par Heinrich Hiini, 1981.
Aristote, MtapIysique 6 1-3. De tessence et de ta ratit de ta force, tr. par Bemard Stevens et
PolVandenvelde, Paris, GaUimard, 1991.
Vom Wesen dcv Wahrheit. Zu Ptatons iJiihtengteicbnis ztnd Thedtet Wintersemester 1931/32), GA 34,
d. par Hermann Mrchen, 1988.
De tessence de ta vrit. Approche de t Attegorie de ta caverne et dit Thtte de Platon, tr. par
Alain Boutot, Paris, Gallimard, 2001.
Sein und Wahrheit. 1. Die Gntndfrage dcv Phitosophie (Sommersemester 1933). 2. Von; Wesen der
[Vahrheit (Wintersemester 1933/34), GA 36/37, d. par Hartmut Tietjen, 2001.
Nietsche: Der [Ville ur Macht ats Kunst Wintersemester 1936/37), GA 43, d. par Bernd
Heimbiichel, 1985.
Niet.sche: Der euvopdische Nihitismus (II. Trimester 1940), GA 4$, d. par Petra Jacger, 1986.
Die Metaphjsik des deutschen Ideatismus. Zur erneuten Auskgun,g von Scheiing: Phiosophische
tjtfltersi1chlI1geu liber fias Wesen der me,zschtichen frej/jejt und die damil r.usammenhdngenden
Gegenstdnde (1809), GA 49, d. par Giinter Seubold, 1991.
Petrajaeger, 1990.
Phiinomenolqgie des retgiiisen Lebens. 1. Ein/eitung in die Phnomenotogie der Retigion (Vintersemester
1920/21). 2. Augustinus itnd fier 1\Teup/atonismus (Sommcrsemester 1921). 3. Die phitosophischen
Grundtagen fier mittelattertichen A4ystik (Ausarbeitung und Einleitung zu einer nicht gehaltenen
Vodesung 1918/19), GA 60, d. par Mattbias Jung, Thomas Regehly et Claudius Strube,
1995.
Ontolcgie. Hemieneutik fier Faktiit& (Somrnersemester 1923), GA 63, d. par Kate Brocker
Qltrnanns, 1988.
Der Begriff fier Zeit (1924) [1m Anhang: <t Der Begnff der Zeit , Vortrag vor der Marburger
Theologenschaft Juli 1924, dj paru dans Der Be<griff fier Zeit, Tiibingen, Niemeyer, 1995],
GA 64, d. par Friedrich-Wilhelm von Herrmann, 2004.
Le concept de temps , tr. par Michel Haar et Marc B. de Launay, dans Michel Haar
(d.), Martin Heifiegger, Paris, Cahiers dc lHerne, 1983.
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Beitr4ge rur Philosophie (Vom Erezgnis) (1936-1938), GA 65, d. par friedrich-Wilhelm von
Hernnann, 1989.
Besinrntng (1938/39) [1m Anhang: Mein bishenger Weg (1937/38)1, GA 66, d. par Friedrich
Wi1heIni von Herrmann, 1997.
Metaphjisik und Nihilismus. 1. Die Gbendndung der Metaphysik (1938/39). 2. Das Wesen des
Nihitismus (1946-194$), GA 67, d. par Hans-Joachim fnednch, 1999.
Heget. 7. Die Negativitt (1938/39). 2. Ertauterung der Einteitung i He,gets Phdnomenologie de.
Geistes (1942), GA 68, d. par Ingrid SchiiBler, 1993.
Vortnge, GA 80, indit. Quelques unes de ces confrences sont nanmoins dj parues:
Frage und Urteil (Vortrag im Rickert-Seminar 10. Juli 1915), dans Martin
Heideggcr/Heinrich Rickert, Bne/. 1912-1933, Frankfurt a. M., Klostermann, 2002, 80-
90 ; c< Kasseler Vortrge , dans Ditthy-Jahrbuch, 1992-1993/8, 143-1 $0 (texte bilingue dans
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