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Atlantide. Pays de L'atlas Algérie, Maroc, Tunisie PDF

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Reclus, Onsime (1837-1916). Onsime Reclus. L'Atlantide. Pays de l'Atlas : Algrie, Maroc, Tunisie. Prface de Paul Pelet. 1919.

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ONSIMEUECLUS/

PAYS DE L'ATLAS:
ALGRIE, MAROC, TUNISIE

Ptiface dt PAUL PELET

PARIS
LA RENAISSANCE DU LIVRE
78, BoulevardSaInt-AUcbe),
78
L'ATLANTIDE
ONSIME RECLUS .. ___^

L'ATLANTIDE

PAYS DE L'ATLAS i
ALGRIE, MAROC, TUNISIE

Prt/ac*d*PAUL PELET

PARIS
LA RENAISSANCE DU LIVRE
78, BoulevardSaint-Michel,78
Too
droit
dtndce* clt reproduction
on,d"dputkii rtMrrt
pourtonpy
CefrriiUhyLaRinahwutduLixrtifit.
PREFACK

Voici le second des ouvrages posthumes consa-


crs l'Afrique par Onsime lieclus.
Dans le premier, Un Grand Destin commence,
accueilli par le public avec une faveur marque,
l'auteur montre le rle que l'Afrique doit joue
dans le destin de la France. Il passe en revue nos
possessions extra-africaines, proclame l'inutilit
de nos petites colonies, trouve dmesure la valeur
qu'on attribue ces pauvres restes du pass. An
moyen de frocs nombreux inspirs par le besoin
imprieux d'quilibre et de consolidation aprs
latourmente actuelle, il constitue en pense l'Afrique
franaise dfinitive. Sur elle, il concentre toutes nos
forces d'expansion aprs avoir procd un rema-
niement du monde, abandonn ou chang les
territoires consacrs par nos traditions historiques,
par nos efforts militaires, par nos succs coloniaux,
par 4a reconnaissance ou lejoyalisme des popula-
tions chez qui nous avons plant notre drapeau.
Qu'il ne soit plus question de domination mondiale,
d'empire universel! Chimres d'autan l Conscient
m PREFACEi
de nos dfaillances, rsolu rassembler nos res*
sources, comme d'autres mlancoliquement
rsigns qui, devant la Rive gauche du Rhin,
s'crient: Il est trop tard!* (i), il sonne avec
nergie le ralliement en faveur d'un bloc africain.
Tout pour l'Afrique i
De ce bloc, l'Algrie, complte par ses deux
ailes, est la base essentielle; c'est le portique de cet
empire, dont les solides fondements se renforcent,
selon ses voeux, par des acquisitions nomelles au
pourtour occidental du continent. Et c'est aux pays
de l'Atlas, /'Atlantide, qu'est consacr le nouvel
ouvrage.
Ce livre, il l'a, en vrit, vcu toute sa vie.
Onsime Reclus est n prs d'Orthez (2), en
facs des Pyrnes 4 posant leur front d'argent
sur les genoux des Dieux (3), au-dessus du
Gave, qui bouillonne dans une gaine de roc, en
vue des rochers de Baure, devant un site de
tristesse communicalive o les collines gardent de
vieux arbres abandonns parmi les bruyres et les
ajoncs pineux. Le pre et la mre Reclus, en
pleine sve et vigueur d'ge, n'ont encore que la
moiti des nombreux enfants dont se composera
bientt celle famille patriarcale. Il se distingue
entre tous, avec quelque orgueil, par son humeur
(1) CamilleJullian, Collgede France, dcembre1917
(Rtvubhue,janvier 1918).
(a) A Cousnce (section do CMtcUrbe),commune
d'Cnthez.
(3) OnsimeReclus.
PRFACE. VH
buissonnire, son indpendance, sa turbulence,
sa tenue plus que nglige qui le fait appeler
lou dsahurat d Rclous (% le dpenaill, le
loqueteux j, mais aussi par son charme et sa
gentillesse.
Le petit Barnais eut l'esprit de laisser aux
touyaas leur tristesse, et de conserver de son Gave
le rebondissement et la foie. Bientt d'ailleurs,
infidle au torrent pyrnen, il voue son enthou*
siasme, avide de mouvement, au courant rapide,
l'onde transparente, aux eaux vives, aux sites
gracieux de la Dromie prigonrdine.
/\ vingt et un ans, zouave tomb au sort, le service
militaire l'appelle Alger. Son allure physique
est dsormais fixe, son allure morale va l'tre.
la jeune colonie vibre encore des sonneries de
clairon de Sidi-Brahim, hroque cho, en notre
ge, du cor de Roland. La Grande Kabylie est
peine pacifie: la construction de Fort National
en assurera la soumission. Dans le Sud, la belle
oasis d'Ou.irgla, palmeraie innombrable, vient
d'tre occupe. On marche, sous le siroco ; on
bivouaque sous les palmes.
Quelle initiation, en pleine pope, au monde
mystrieux de l'Atlas et du Dsert ! Quel coup de
soleil sur une ardente imagination !
La terre, parseme de ruines, ajoute ce presti-
gieux dcor l'loquence de l'Histoire. Sur ce sol
calcin, Rome a laiss des monuments durables;
ils racontent tout un pass de prosprit et de grau-
VIII PRFACE.
deur. Pourquoi ne pas reprendre et poursuivre
l'oeuvre de nos anctres, ranimer ces terres endor-
mies depuis la dcadence de Rome, qui ont fidle-
ment gard, sous un ciel impluvieux et grce au
ddain du nomade, les traces abondantes d'une
floraison merveilleuse, prs de six fois sculaire,
de civilisation antique, de civilisation latine,
Paenne et chrtienne ?
Depuis l'antiquit, le climat, les cultures n'ont
pas chang.LaProvinced'Afrique tait le grenier de
Rome. Pour qu'elle recouvre sa splendeur, il ne lui
manque qu'une orientation nouvelle. Onsime
Reclus prend consciencede la vocation de la France,
hritire de Rome. Se sentant latin, mditerranen,
il entend en son coeur l'injonction virgilienne:

Tu regere imperiopopulos, Romane, mmento (i).

Pour cette me impriale *, le devoir des Fran-


ais est de commander aux peuples d'Afrique.
Cet imaginaitf a dsortnais un but: il travaillera
franciser l'Algrie.
Il n'est point un rveur; il a song un imfant
coloniser lui-mme; il n'a que la fortune
<fAymerillot (2) :

DeuxMariscoinriraient fort bien toutesses terres,


Mais tout le grand ciel bleu n'emplirait pas son caur*

(1) Enide.VI, 850.


(2) Lgendedessicles.
PRFACE. IX
// fil mieux, il donna l'Afrique l'un de ses fils
et quelques neveux. Quant lui, dfaut de pro-
prit et d'inlrts matriels directs, il a fait de
l'Atlantide l'habitat de sa pense, son souci perma-
nent, son inspiratrice d'action. Peupleran plus vite,
tout prix, celte colonie de peuplement, voil la
tche primordiale qui s'impose la Vieille France.
L'Atlantide doit devenir la France Nouvelle.
Il en suit avec passion le dveloppement, analy**
les dnombrements quinquennaux, relve les pro-
grs ingaux des nationalits diverses qui consti-
tuent la population : indignes musulmans,
Isralites, Europens, et, parmi ceux-ci, Fran-
ais d'origine, Espagnols, Italiens, etc. ; il insiste
pour que l'on distingue, dans les recensements,
les Arabes et les Berbres tout an moins les
Arabophones et les Berbrophones rgnicoles
des titres divers, puisque ceux-ci sont les auto-
chtones et ceux-l des trangers arrivs en Berbrie
au cours des temps historiques. La natalit rvle'
la fiett intime d'une nation : par elle se mesurent
sa suraboiutance de sve et son courage, sa disci-
pline volontaire en face du devoir humain, gage de
sa facult assimilatrice et de sa puissance expan-
se. Il calcule le taux des accroissements dus
l'excdent des naissances sur les dcs, l'immigra-
tion, aux mariages entre Franais et trangres,
aux naturalisations automatiques des fils d'tran-
gers, aux naturalisations individuelles. La co-
lonie franaise au sens troit est le creuset
X PRFACE.
oh des nationalits multiples viennent se fondre,
la matrice o se modle la Plus Grande France.
Je laisse au lecteur le plaisir de pntrer avec un
tel guide dans la complexit du problme de la colo-
nisation. Que de circonstances, extrieures on
locales, peuvent la favoriser ou la ralentir : les rela-
tions maritimes, l'activit conomique, le rgime
politique des itutignes. Plusieurs d'entre elles, qui
ne figurent pas dans ces pages, auraient mrit d'tre
tudies avec la prcision et l'autorit de noire
auteur, avec la grce socratique de son art d'histo-
rien. Car, en ce livre, le dernier qui soit sorti de sa
plume, le gographe descriptif, l'oeil aigu, la
palette nuance, tantt intime, tantt clatante,
toujours sincre, fait place l'historien de la Colo-
nisation. Historien alerte, qui ne se laisse pas
alourdir par le document, que l'rudition n'hypno-
tise pas, qui ddaigne l'apparence du savoir; il
^dissimule tout l'appareil de l'tude sous l'indulgente
et aimable grce de la causerie, il crit en plein air,
loin des livres, des notes, au milieu des sourires
des enfants et des femmes, en vrai platonicien. Ses
crits ne sentent pas l'huile; ils sentent le soleil,
la joie et la force, encore que, par instants, la voix
deviennegrave, prenne desintonations voiles,comme
il convient au vieillard plein d'usage et raison ,
riche des rflexions d'une longue exprience, qui
rve pour son pays une destine magnifique, et qui
regrette en son coeur de ne pouvoir assister A ce
droulement grandiose
- PRFACE. xt.
Vers cette Atlantide qui reprsente les plus
grands intrts de la France dans le monde, vers
celte belle Atlantide tant convoite o doivent se
raliser nos plus hautes esprances, quels sont nos
moyens d'accs ?
Le programme des relations maritimes entre
l'Atlantide et la France semble avoir t conu
pour modrer les changes entre une mtropole
assoupie ou distraite et la ptulance trop expdnsive
de ses filles.
Ailleurs, on donne une prime la vitesse; ici,
on subventionne la lenteur. Au lieu de renouveler
une vieille formule et de dire: Il n'y a plus de
Mditerrane/ on prend plaisir faire mesurer
au passager la largeur de ce Lman dilat.
Tout organisme de mouvement et de trafic,
agencement de vitesses ingales adaptes des
besoins diffrents, doit aboutir au rapide. Le rapide
fait chemine d'appel, est l'entraneur par excel-
lence. Le courant d'air dtermine le courant
d'hommes. Du point de convergence de toutes Us
arlrioles, de toutes les artres, doit s'lancer, d'un
jet, la voie unique qui ralise le maximum de
vitesse.
Mer intrieure ou lac, qui s'embarque a hte de
voir l'attire bord; l'attrait de la traverse, c'est
l'arrive au port.
Que des lignes rapides bien que secondaires,
des vitesses moyennes, des petits marcheurs ralentis
volontairement pour conomie de charbon, desser-
- XII PRFACE.
vent Bizertc, Tunis, Bne, Philippeville, Alger,
Oran, Casablanca, nos ports majeurs de l'Atlan-
tide; mais qu'une ligne quotidienne extra-rapide
sur Alger prolonge le rail de Marseille !
Favorisons, entre toutes nos cits reines, la plus
facile d'accs, celle que tout regard obstinment fix
vers l'attire rive finit par apercevoir, blanche,
souriante, dans sa grce lumineuse et douce, avec
la sduction de son accueil !
Au lieu de ce paquebot qui rduirait d'un tiers
le voyage, qui rapprocherait l'Afrique de la Pro-
vence comme deux lvres cntr'ouverles pour un
sourire, on nous condamne des traverses dou-
loureuses. Ce n'est pourtant encore que le moindre
mal; le pire, c'est que, subventionner la lenteur,
c'est paralyser certaines productions: sans trans-
ports rapides, pas de cultures de denres prissables,
et pas de peuplement.
Au quasi-isolement s'ajoute la quasi-prohibition
en vertu de nos rgimes douaniers: l'importation
de certaines denres est restreinte pour la Tunisie
et le Maroc tout au moins; la Mtropole protge
les denres nationales.
L'Atlantide produit des bls, des orges, des vins,
des primeurs, des fruits, du btail, des laines et
Peaux, des phosphates, des minerais, des tabacs,
des liges, des bois d'bnisterie, des corces tan,
des fourrages, de l'alfa, des poissons et ponges,
des oeufs... On assainit les marais, on capte les
sources, on rpartit les eaux de crue; on assche
PRFACE. XIII
on draine, on irrigue, on fore; on ravive la steppe
strilise par la scheresse; on dfend la fort
dmantele par les abus du pturage; on trans-
forme par l'industrie locale certains produits du
cru: d'o eaux-de-vie, huiles d'olives, farine de
froment, semoule, peaux et chaussures, lige ouvr,
essences de granium, conserves de poissons, super-
phosphates. Sur nombre de points, le sol n'esf
encore qu'gratign, ie rendement en crales
pourrait tre doubl, pour les mmes surfaces,
par des mthodes citllurales meilleures, par des
labours prparatoires et des semailles prcoces,
conditions essentielles de la culture en terre
sche. Des milliers d'hectares livrs la vague
pture peuvent tre mis en valeur et donner un
rapport dix fois, vingt fois suprieur. Le sous-
sol a des (rsors connus qu'on n'exploite pas,
des richesses inexplores dont on ignore la
consistance.
Ce chantier de travail languit-il? le peuplement
se ralentit. Prospre-t-il ? il aspire de parlot des
travailleurs. Vous accourez de tons cts, popula-
tions appauvries de la Sicile, de la Calabre, de
l'Ibric, enfants en surnombre de races prolifiques,
de forte migration I Et nos provinces franaises
fournissent i.ttssi leur contingent de tailleurs de
vigne, de chefs de culture, de mtayers.
Le vrai colon, c'est le cultivateur: il dfriefte U
sol, le laboure, l'amende, le vivifie; il s'y enracine,
il y fait souche; il survit aux catastrophes, et,
XIV PRFACE.

quand Rome, Gensric, Byzance ont pass, il


demeure; les conqurants se succdent, les empires
s'croulent, le paysan, le laboureur reste debout:
il use les tyrannies ; c'est l'embryon de la natio-
nalit, le germe fcond de l'avenir.
Il importe donc de faire un large appel ce!
lment gnrateur qui, par son travail, augmente
la prosprit de tous. Du rendement du chantier
dpend l'acclration du peuplement. Le trafic
de l'Algrie seule a dpass depuis longtemps le
milliard; le commerce extrieur de toute l'Atlan-
tide ne tardera gure doubler ce chiffre (i).

Il ne suffit pas d'attirer des travailleurs, de


juxtaposer sur le mme sol des nationalits et des
races diverses, des vainqueurs et des vaincus. La
colonisation ne se borne pas ouvrir un chan-
tier temporaire, elle vise crer une socit durable.
Pour cela, il faut fondre en accord et en harmonie <-
les intrts essentiels des colons et des indignes.
Sinon, vous entassez des matriaux d'incendie:
qu'une fiammcte soit apporte par le vent, et tout
n'est qu'un brasier. De la cohsion, de la solidarit,
de Venir'aide, de la justice, naissent la scurit et
la dure.
En Tunisie, o prs de 200 000 Europens
travaillent au milieu de moins de 2 millions d'Ara-

(t) Algrie: 1 159 millionsde francs (1916). Maroc


franais: 311 millions (1916). Tunisie: 323 millions
<t93).
PRFACE. XV
ones, et au Maroc franais, o 70 000 Euror
s s'installent ct de 5 millions et demi de
Berbres et d'Arabes, la pense et l'impilsion fran-
aises, sous les noms conservs de .Rgence de
Tunis et de Gouvernement Chrifien, utilisent les
hirarchies indignes, emploient le contrle et l'asso-
ciation pour produire l'ordre, la richesse et la
paix. Le tout, dans le moindre temps, et aux
moindres frais. Et il se trouve des esprits pris
d'uniformit au point de dclarer contre nature t>
cette division heureuse de l'Atlantide entre trois
administrations, sous la souverainet unique de
la France!
En Algrie o l'on a fait table rase des
hirarchies locales, - sous la domination directe,
moins plastique que le protectorat, 800 000 Euro-
pens vivent parmi 4 millions et demi de sujets
franais indignes. C'est l, au coeur mme de
l'Atlantide, que la conciliation des intrts est le
plus urgente. C'est l aussi qu'on s'est heurt le
plus celte monomanie d'uniformit qui a
rgn en souveraine dans notre vieille histoire
coloniale.
Ailleurs, en effet, en un autre temps, nous avons
appliqu aux problmes de la colonisation une
rigueur de principes allant jusqu' l'intransi-
geance: lors de notre tablissement en Louisiane,
les unions rgulires, le mariage des Franais et
des Indiennes, furent interdites afin de conserver
la puret de la race. On craignait 4le mlange de
XVI PRFACE.
bon et de mauvais sang*... Les Sauvagesses tant
trop libertines et trs mauvaises chrtiennes, les-
enfants seraient trop basans, trs libertins, et
encore plus fripons. Le Conseil de la Marine,
aprs avoir discut pendant plusieurs annes la
question sans la rsoudre, adopta ces tranges
conclusions (i).
La puret du sang n'est point en cause en Alg-
rie, mais l'unit de loi. Nos lgistes n'ont pu encore
se rsoudre accorder des droits gaux aux ntres
des populations dont la loi civile, base sur le
Coran, diffre essentiellement de notre code, notam-
ment pour le mariage, l'hritage et la proprit.
Un musulman sujet de la France ne peut jouir
de nos droits civiques qu'aprs renonciation
son statut personnel. De droits politiques, il n'en
possde aucun. Eh f quoi I s'criait avec effroi
un snateur clibataire, je pourrais avoir pour
collgue un homme que sa religion autorise avoir
plusieurs femmes!* Polygyne, soit; polygame,
jamais !
Depuis le snattts-consulle de 1865 qui consacra
celte conception juridique, l'Algrie a vcu sous ce
fronton marmoren; mais le temps est venu d'intro'

(1) BaronMarcde Villiers,Histoirede ta fondationde la


tiottveUe-Orlians Paris, imp. nat., 1917,ln-4,
(1717-1722).
p. 71. Par compensation,on "envoyaitde France des
pousesaux colonsdu Mississipi,par des navires dont les
noms prtent la malignit: la Baleine,le Chameau,la
Mutine.Serait-onmalicieuxsansle savoir, sousle Rgent,
l'heureo le jeune Montesquieucritles Lettrespertanes?
PRFACE. XVII
dttire quelques lignes souples dans celte hautaine
architecture. Un compromis est ncessaire, pour le
Progrs de la colonisation, avec les moeurs et cou-
tumes des indignes ; il n'a jamais t plus
opportun.
Mieux que par nos controverses, les indignes
ont gagn leur cause par leur loyalisme et leur
vaillance dans la terrible preuve de la Grande
Guerre. Frres dans le travail, frres dans le com-
bat, lq souffrance et la mort, ils ont conquis de
haute lutte l'galit fiscale, une participation plus
relle la gestion de leurs affaires, l'accession
graduelle quelques droits politiques rudimen-
taires au moyen d'une * naturalisation spciale*,
reconnue comme un droit et non plus une faveur,
pour tout musulman ayant servi dans nos armes
avec honneur et fidlit, on dont un fils aura fait
campagne pour la France.
Les temps sont rvolus. A la vieille complainte
berbre numraut les flaux du pays : les sche-
resses viennent de temps en temps, les sauterelles
souvent, les pachas toujours I la prosprit dans
la paix franaise substituera la joie, car le bl
Pousse sous les pas du Franais.
Tout cela, Onsime Reclm ne le dit pas dans
son livre; il y insiste de prfrence sur l'agglutina-
tion des races et leur assimilation progressive pa*.
le Verbe. Mais l'me de cet Africain *, de ce bon
Franais, tressaillira, le jour o les antagonismes
d'intrts tant attnus et les antipathies ethniques
b
XVIII PRFACE.
apaises de tous les coeursrconcilis de l'Atlan-
tide jaillira, en langue franaise, le cri unique de
Vive la France I
Puisqu'une bellevie est une pense de jeunesse
ralise dans l'ge mr, la vie' $ Onsime Reclus
fut belle: il a servi avec passion son ide, travaill
avec ferveur la francisation de l'Afrique, et vu
se raliser, en ses derniers jours, la vision de sa
jeunesse.
PAULPBLET.
Fvrier 19il.
A LA

MMOIRE D'ADOLPHE BERTHOUD

Un jeune homme, Suisse franais originaire de Neu-


htel, Adolphe Berthoud, avait sjourn en Ecosse,
n Angleterre, et, si je ne m'abuse, aux tats-Unis.
ien que protestant, il n'avait pu s'accommoder ni
u cant , ni de l'troite religiosit de certains pays
anglo-saxons, et s'affermit dans sa nature franaise
de fils de la Suisse romande. C'tait un homme
d'avant-garde : il rsolut de se consacrer la France,
aux lieux o elle pourrait crotre dix, quinze ou
vingt fois sa grandeur europenne.
Aussitt arriv Alger, il y exposa ses ides dans
l'un des journaux de la jeune capitale, j'ai oubli
lequel, mais je me rappelle peu prs la fin d'une de
ses professions de foi :
Debout donc, hritiers de9 fondateurs de Saint-
Louis, de Portendik, de Qubec et de la Nouvelle-
Orlans. Vous dissminer serait vous perdre. C'est
d'ici, c'est d'Alger qu'il faut partir pour la conqute
du monde africain. En route pour le Touat, le Mouydir,
le Tademayt, le Hoggar, l'inconnu, Tombouctou I
Il prcha si souvent, si longtemps sa croisade que
tes amis finirent par le surnommer <Tombouctou ,
XX A LA MMOIRED'ADOLPHEBERTHOUD.
Il en devint presque ridicule. Les Algriens ne se
souciaient gure du Niger, encore moins du Congo,
dont on ne savait que le nom,pas mme : on l'appe-
lait alors le Zare. Ils se disputaient sur le gouverne-
ment civil et le gouvernement militaire, sur les bu-
reaux arabes, sur mille questions, mille et une pu-
rilits, mille et deux sottises. Berthoud tait assez
court, oLese un peu : on ajouta le sobriquet de Pot-
-tabac celui de Tombouctou.
Algrien en 1858, 1859, j'avais les mmes
toquades africaines que lui et ces toquades
taient des sagesses . Amis insparables, nous com-
menmes, continumes et n'achevmes point un
livre consacr l'panchement de l'Algrie sur son
continent et, comme nous disions, la revanche de
Qubec . Nous l'crivions la Pointe Pescade, dans
les ruines du fort de Mers-ed-Deban, devant la mer
au ressac retentissant.
Entre temps, je clbrais l'Afrique en des vers do
huit douze syllabes que je gardais pour moi, dans
l'ombre. Je n'aurais pas l'effronterie d'en citer ici
trois strophes, que je me rappelle tout juste, si mon
ami Gustave de Coutouly, mort maintenant, ne m'a-
vait dit les avoir profres l'un des djeuners men-
suels de la Socit de Gographie Commerciale :

Et pourtant je n'aimais que les vieux bois sauvages,


Les grands fleuves, les monts, le recul infini,
Les Ocans qui vont dbordant leurs rivages,
Et les rayons dormants du lumineux Midi.

Je n'aimah que les lacs de la jeune Amrique,


L'Atlas, le Jurjura, l'Aurs, l'Ouaransnis,
A LA MMOIRED'ADOLPHE BERTHOUD. XXI'
Les grands dserts broies, la dvorante Afrique.
L'espace tait pour moi la perle de grand prix.
Et quelquefois aussi c'tait l ma folie
Je btissais en rve un empire idal
Sur la rive aujourd'hui morne et dsanoblie
De l'Afrique franaise et du Soudan central.

Ainsi nous fmes des prcurseurs ignors.


Je quittai l'Algrie. Il resta sur la brche jusqu'
sa mort, survenue il y a quelques annes.
A M. JULES SAUR1N
le plus tntendu, te plus sage, le plus vaillant
des Colonisateurs.
I

PAS DE GRAND PEUPLE


SANS COLONIES
X

RIEN AU MONDENE TIENDRA QUI NE SOIT VASTE


ET HOMOGNE

Comme disait Berthoud il y a.ura bientt


soixante ans : Nous dissminer serait nous
perdre. *
Restons donc en Afrique, concentrons-nous y
en un tout cohrent, homogne !
Les sicles disloqueront ce qui n'est pas, sui-
vant la formule, un et indivisible dans une
mme partie du monde.
Toute exception faite pour le continent
d'Afrique dans ses rapports avec l'Europe. Car,
malgr l'troit de Gibraltar, malgr celui de
Bizcrte, malgr la Mditerrane elle-mme, la
terre africaine fait rellement corps avec l'Europe.
C'est l'Europe du Sud : il y a par ici, du ple
Nord jusqu' 35 degrs au Midi de l'Equateur,
deux Afriques, ainsi qu'il y a deux Amriques.
Qu'augurer, par exemple, de l'empire anglais,
le plus ample qui ait jamais exist ? Mettons
part l'Inde qui, par le fait,-n'importe gure
4 L'ATLANTIDE.
l'avenir saxon: l'Angleterre pourra-t-elle tou-
jours tenir ensemble, et d'un bras jamais las,
l'attelage du Canada, de l'Afrique australe, de
l'Australie?
Depuis cent cinquante ans bientt l'talon le
plus fougueux qu'ait conduit le phaton bri-
tannique, le Yankee a ru dans les brancards;
l'Angleterre ne l'a pu dompter, et il a pris au
grand galop la route de l'avenir.
De mme Anahuac (i), Amrique isthmique,
Amrique mridionale ont chapp l'Espagne,
et le pays de Santa-Cruz (2) aux Portugais.
Sera-t-il possible, la France, moins forte et
tenace qu'Albion, de garder la fois son Afrique,
son Asie, sa mer des Indes, Alger, Hano et Tana-
narive?
Les Allemands savaient bien qu'il n'est d'em-
pires durables que les empires compacts. Ils en
mditaient trois: l'Extrme-Orient, visiblement
guett par eux en Asie Mineure, en Perse,
Kiao-Tchou (3), en Insulinde ; l'Amrique du
Sud, partir des colonies teutonnes du Rio-
Grande- do-Sul (4) et des tablissements du lac
Llanquihue (5) ; l'Afrique.
Pas une Afrique fragmentaire, en protectorats
isols spars les uns des autres par des terres
(1) Mexique,
(a) Brsil.
(3) En Chine.
(4) Au l'rsiL
(5) Au Chili
PAS DE GRAND PEUPLE SANSCOLONIES. 5
de France, de Belgique, de Grande-Bretagne, de
Portugal, mais une Afrique intgrale, d'Alger
au Cap, de Dakar Guardafui ; merveilleux
domaine appuy sur la Berbrie, le Camron,
VAbyssinie, avec Niger, Congo, Zambze, et
aussi avec notre Madagascar.
Belgique, Hollande, Pologne, Lithuanie, les
Balkans, Constantinople, l'Asie Mineure, les
Indes, la Chine, l'Amrique espagnole et portu-
gaise, etc., etc., telle tait la voie triomphale
au bout de laquelle un vaniteux aurait pris le
titre d* empereur du monde et de dlices du
genre humain .

II

QU'EST-CEQU'UNE COLONIE?

Le mot de colonie a pris avec le temps une


extension qui a dnatur son sens primitif.
Suivant l'tymologic du mot, d'origine latine
comme peu prs tous les mots de civilisation,
une colonie est une contre o un peuple envoie
des nationaux pour y cultiver le sol, y fonder des
lignes durables et, en fin de compte, y crer une
nation nouvelle. Ainsi se vivihe la solitude si le
pays tait vide d'habitants, ou s'il n'tait que
parcouru par des tribus pastorales ou chasseresses
rdant en une sorte d'infini, comme, il y a quelques
centaines d'annes, les Indiens des deux Am-
6 L'ATLANTIDE.

riques, et il n'y a pas encore deux cents ans les


humbles noirs de l'Australie.
Que rencontrrent les Anglais sur les espaces
pour ainsi dire sans bornes de l'Amrique du
Nord, quelque chose, comme trente fois la
France, Etats-Unis et Canada runis? Peut-tre
300 000 Indiens ou gure plus.
Et, le long du Saint-Laurent, qui contrariait
les Franais? Quelques milliers de. sauvages,
Hurns, Iroquois, Senvicois, Micmacs, Abna-
quis, Algonquins, Montagnais, Outaouais, tribus
hroques, mais proie facile pour les envahisseurs
qui avaient des fusils et des canons contre des
arcs, et des vaisseaux contre des canots d'corce.
De mme les Pninsulaires (i), l o l'Amazonie
droulait devant les Portugais de la Conqute
ses intenninables selvas (2), et le haut Brsil
ses sertos (3) ; et l o le Castillan, l'Andalous,
l'Estrmadurien ne voyaient devant eux que le
dploiement sans fin des Uanos (4) de ce qui est
prsentement Colombie et Venezuela, ou la fuite
des horizons dans les pampas (5) de ce qui s'appelle
maintenant l'Argentine.
Ces pays-l sont les colonies les plus relles ;
on y cultive, on y fauche, on y laboure, on y
moissonne partout o l'on veut.
(1) Espagnolset Portugais.
ht) Forts vierges.
(3) Intrieur du pays.
Plaines
(4}Mot
(5) d'origineindienne1plaine.
PAS DE GRAND PEUPLE SANSCOLONIES. 7
Moins colonisables, mais tout de mme colonies
^encore, les contres o l'on peut assimiler, par
le langage, des nations moins civilises, moins
riches et puissantes que les conqurants. Tels
l'Anahuac. le Cundinamarca (i) et le Prou des
Incas que les Espagnols conquirent par la reli-
gion, la loi, l'administration, l'idiome sonore,
mais qu'ils ne colonisrent que trs peu ou pas.
Tels encore les plateaux de Saint-Paul et de Minas
Geras o les Portugais convertirent et model-
rent de fiers indignes.
Notre grande colonie de l'Afrique du Nord
participe de ces deux possibilits de colonisation.
Elle est un certain degr colonie de peuple-
ment franais, l o l'Arabe a laiss des terres en
friche.
Elle est colonie d'initiation, d'assimilation
ce que fut la Gau.le pour les Romains dans
les rgions o s'est accroch, ancr, maintenu
l'lment berbre.

III

SOLIDIT DES COLONIES, FRAGILIT DES DOMI-


NATIONS

La terre qu'on est dj en droit de nommer la


Nouvelle-France a le prcieux avantage de ne pas

(i JColombie.
8 L'ATLANTIDE.
tre une domination, ou plutt d'tre une
domination dont-il est facile de faire une colonie.
L'Angleterre ne croit certainement pas l'ter-
nit de son Inde anglaise, malgr les services
qu'elle vient de tirer de la vaillance des Sikks, des
Gourkas, des Radjpoutes, en Europe, en Asie,
en Afrique. Elle n'est pas non plus trs rassure
sur la dure de l'Egypte anglaise.
Pourquoi? Parce que ni dans les limons du Nil,
ni dans la terre merveilleuse qui va des moussons
de la mer aux ttes d'argent de l'Himalaya, elle
n'a plant de Britons auxquels seraient venus
s'agglomrer, en Anglais futurs, des familles de
tous les pays du monde.
Pensc-t-on qu'elle aurait autant de doutes sur
son avenir indien ou gyptien, si, proportionnel-
lement notre modeste invasion de l'Afrique du
Nord, elle avait solidement incrust 32 millions
d'Anglais dans les pays du Gange et de l'Indus,
et 1 200 000 au long du fleuve qui reflte des
pylnes, des sphinx, des mausoles, des pyra-
mides?
Si la prvoyante Albion ne s'en inquite pas
trop, c'est qu'elle compte sur son habilet
manieY les peuples, les princes,sur la reconnais-
sance de ses sujets pour les liberts qu'elle octroie
et la prosprit qu'elle amne.
Nous, Franais, nous esprons en notre France
africaine. Si elle est une domination, elle est en
mme temps une colonie o vivent presque
PAS DB GRANDPEUPLE SANSCOLONIES. 9
1200 ooo des ntres, tant issus de notre noble
terre que du pourtour de la Mditerrane.
Sur un autre continent, dans l'Amrique du
Nord, nous assistons, merveills, l'ascension
d'une nation franaise issue d'une douzaine,
d'une quinzaine au plus de milliers de paysans
camps au xvue sicle et un peu au xvme sur
les bords du Saint-Laurent, fleuve plus bleu que
le soi-disant bleu Danube, et bien plus grandiose
aussi. Ces 15 000 hommes sont devenus 3 4 mil-
lions; matres officiellement d'un territoire de
183 millions d'hectares, ils dbordent partout
autour d'eux.
Ce triomphe, qui aurait t si grand sans la
perte de Qubec (1759), vient de ce que le Canada,
presque vide, tait une colonie de peuplement.

IV

FAUT-IL DES COLONIES A UN GRAND PEUPLE?

Un grand peuple doit avoir des colonies ; mme


il n'est grand que s'il colonise.
A cela, une exception, une seule.
La Russie (1) n'a pas d'tablissements en
terre non russe, mais, elle-mme, elle est la colo-
nie la plus immense que le monde ait vue. Son

(1) crit a 1916{Notedit diteurs).


O L'ATLANTIDE.
cinquime ou sixime du globe lui suffit ; elle le
dfriche, elle le peuple concentriquement autour
de l'Oural ; c'est comme l'largissement des cercles
de l'onde autour de la pierre engouffre.
En face du gant, contemplons le pygme.
le trs glorieux Portugal.
Qu'adviendrait-il de lui dans la lutte temelle
des peuples? A l'extrme sud-ouest de l'Europe,
comment se sauverait-il de l'Espagne, six fois
plus grande que lui?
Il s'est sauv. Presque cras entre la mer et
la montagne littorale, il a gard son indpendance.
11a fait mieux: la terre lui manquant, il a sil-
lonn les ocans. Il a failli conqurir le Maroc o il
a laiss une grande trace ; il a tourn l'Afrique,
vaincu l'Asie, colonis le Brsil. Et, s'il a perdu
et son Asie et une grande partie de son Afrique
il a le Brsil, grce auquel son idiome marche
allgrement la mondialit . Il y a dj cinq
fois plus de Portugais en Amrique qu'en Europe.
Ce n'est plus Lisbonne, Porto, que ce peuple
vibre, c'est au Rio-de-Janeiro, Saint-Paul,
Bahta, Para.
L'Espagne a fait de mme. Elle avait voulu
rgner sur l'Europe, et ne l'avait pu. L'Amrique
des Andes, llanos et pampas, l'a vingtuple.
Elle dit avec orgueil : L'Espagne n'est plus en
Espagne, elle est au Nouveau-Monde.
Lisbonne est maintenant trois quatre fois
moindre que le Rio, Buenos-Ayrcs a pour jamais
PAS DE GRANDPEUPLE SANS COLONIES. II

clips Madrid et Barcelone: ces deux villes


n'ont chacune que 600 000 habitants contre les
1500 000 de la capitale de l'Argentine.
Malgr l'immensit de ses colonies, l'Angleterre
n'a pas cr 90 fois plus grand qu'elle, ce qui est
le miracle portugais, le Brsil ayant de quatre-
vingts cent fois l'tendue de la mtropole
nomme avec quelque ddain par les Brsiliens :
* le royaumedesquatre-vingt-dix lieues (delong) .
Mais, partout, des Nouvelles-Angleterres pro-
clament la ^b'no de l'Old England (1). Elle peut
mourir, sa famille est immortelle. Que serait-elle
si elle n'avait colonis, que seraient l'Espagne et
le Portugal? De petits pays recroquevills sur
eux-mmes.
L'empire romain qui fit d'une ville un
monde , le monde mme, s'est group la
longue par colonisation et par assimilation
autour d'un bourg militaire entour de bourgs
plus puissants que lui.
Une nation ressemble une famille sur un
domaine. Si cette famille n'essaime pas autour
d'elle, il arrive fatalement une heure o il ne reste
plus d'elle qu'un souvenir, un nom, et encore pas
toujours; le domaine appartient d'autres et
les tombeaux des anciens matres ne sont qu'un
lger haussement du sol, quand le temps n'a pas
encore tout aplani.

(1) La vieille Angleterre.


12 L'ATLANTIDE.
On ne vit que de ses anctres et de ses descen-
dants.

PAS DE FRANCE TERNELLE SANS COLONIES


DIGNES D'ELLE

Russie, Portugal, Espagne, Angleterre ont un


lment de dure qui nous manque, une forte
natalit. ^
Nos famjlles sont, de leur gr, finement st-
riles que notre population augmente peine ;
mme il arrive en certaines annes qu elle recule.
Quand une famille n'a pas d'enfants, et si elle
tient durer, elle adopte un neveu, un cousin,
voire une personne de sang tranger ; elle essaie
de lui inculquer ses ides, elle le faonne son
gr, et lui laisse, le jour venu, sa maison, son
domaine, sa grande ou petite industrie.
Le cas de cette famille est le cas de la France ;
elle adopte milliers, bientt millions.
Que sont nos colonies avec leurs di/aines de
millions d'hommes, sinon des pays que nous avons
le ferme propos de franciser quant h la langue,
et, notre langue apprise, lesgagner notre pense,
notre conception de la vie?
Prcisment ces colonies sont des pays de
haute natalit. Les immigrants qui s'y fixent l
o le climat leur garantit une existence normale,
PAS DE GRANDPEUPLE SANS COLONIES. 13*
appartiennent des races prolifiques, Espagnols,
Italiens, Maltais, dont la fcondit devient ntre.
Ces Mridionaux, acclimats d'avance en Berb-
rie, abondent et surabondent dans notre Afrique
Mineure, de Gabs Agadir.
Agadir : nom d'abord odieux devenu cher aux
hommes libres, puisque c'est d'Agadir que date
rellement la rue allemande, puis la droute,
puis la honte de 1'* invincible arme qui prten-
dait dvorer le monde en six mois.
Les circummditerranens qui nous doublent
dans les rgions de l'Atlas font partie de l'huma-
nit dite cosmopolite parce qu'elle affronte sans
trop de peine tous les climats, mme trs chauds.
On doit donc esprer qu'ils descendront l'Atlas,
qu'ils feront souche dans le Sahara, le Sahcl
nigrien ou tchadien ; aprs quoi ils se montre-
ront dans le Soudan et la Congolie.
Cette esprance n'a rien d'insens. Dj nombre
de Franais et d'Europens s'accommodent ais-
ment aux palmiers, aux jours de feu, aux nuits
froides, en attendant de s'adapter aux tideurs
lourdes du Tropique et de l'Equateur.
Il nous faut des colonies parce que nous n'avons
pas assez d'enfants, parce que nous ne gran-
dissons que par la fcondit des familles adop-
tes, blanches, olivtres, bronzes, cuivres ou
noires.
A ne repousser personne, mpriser de trs
haut les catgories institues par les craniologues,
14 L'ATLANTIDE.
les philologues, les historiens, la France trouvera
le profit et l'honneur.
L'humanit future ne sera pas faite seulement
de blonds et de bruns. Qu'on le veuille ou non,
tous les peuples se mleront.
. Qui qu'en grogne, comme disaient nos anctres,
l'avenir se rira de notre orgueil de blancs con-
tempteurs des jaunes et abominateurs des noirs.
Il n'y a pas. longtemps, prhistoriquemcnt
parlant, que nos aeux taient cannibales avec
tous les raffinements de la cuisine des primitifs.
LE PAYS DE L'ATLAS :
ATLANTIDE OU BERBRIE
VI

QUELLE SORTE DE COLONIE EST L'ATLANTIDE?

Sur une aire immdiatement utilisable un peu


suprieure l'tendue de la France, et non com-
pris le droulement des horions du Midi jus-
qu'au 5e degr de latitude australe, notre Afrique
d'Algrie, Tunisie, Maroc, comprend des mMons
de citadins, de paysans, de bergers, de nomades.
Les colons ne peuvent pas s'y pandre large-
ment, ainsi que jadis et prsentement encore en
Amrique, sur des terres o il n'y avait presque
personne.
Mais si notre montagne d'entre Ocan, Mditer-
rane et Sahara ne nous livre pas de vides
immenses, d'heureux avantages nous la font
prcieuse.
Faute du Canada, bien plus vaste et mieux fait
pour des Franais, nous pouvons nous demander
si ce n'est pas pour nous la colonie idale.
D'abord elle se hausse tant de montagnes,
tant de plateaux que c'est dans son ensemble
une sorte de longue Espagne sauve de la torri-
3
l8 L'ATLANTIDE.
dite par ses altitudes. Elle est d'un acclimate-
ment facile pour nos gens du Sud-Ouest et du
Midi.
Ses indignes sont des Blancs, non des Noirs
ou des Jaunes. Les Berbres sont probablement
issus des mmes anctres que nos Mridio-
naux.
Ceux qui nous aident la peupler de l'lment
nouveau sont des cousins germains parlant des
dialectes qui ne sont que du franais autrement
rythm.
Autre et splendide avantage, la terre de l'Atlas
se continue de proche en proche, chez nous, jus-
qu'au lointain Niger et au plus lointain Congo.
Le tout, sur on ne sait combien de centaines de
millions d'hectares, qui ne constituent pas de
colonies colons blancs. Mais qui donc oserait
engager l-dessus l'avenir, prsent qu'on com-
mence combattre victorieusement la malfai-
sance du Tropique ? Regardons-les plutt comme
des domaines o l'on ne parlera *antt que le
franais dans des contres de plus en plus dga-
ges de leurs miasmes, de leurs moustiques, de
leurs fivres et de leurs accablements.
Il n'y a pas l de mgalomanie. Dj dans
l'Afrique Occidentale et jusqu'au Tchad, au
Congo, surtout Madagnscar, on rencontre,
mme dans les hameaux reculs, des gens capables
de comprendre le Blanc dans la langue du Blanc,
qui est ici le fils des Gaules.
LE PAYS DE L'ATLAS. I
Tant dans le Serto que dans la Beiramar (i),
Indiens et Noirs sont devenus la souche de mil-
lions de lusitanisants (2). Pourquoi n'en serait-il
dans notre Afrique ainsi qu'au Brsil,
pas
Afrique o, par exemple, en un seul district de
la Cte d'Ivoire, un administrateur qui est en
mme temps un linguiste (3) a constat l'existence
de plus de trois cents langages qui, par ce
nombre mme, sont plus de trois cents fois impuis-
sants. Un verbe commun est indispensable.
On a fini par comprendre que ce lien d'union
ne doit pas tre l'arabe, auquel on voulait faire
ce grand honneur pour la raison qu'il gagne
incessamment en Afrique par la propagande reli-
gieuse appuye sur le Coran, qui a t dict en
arabe Mahomet par le Dieu trs misricordieux.
Et maintenant nous entendons de plus en plus
les syllabes familires dans les coins et recoins du
nouvel empire, surtout, comme il est naturel,
danscet Atlasconquis par nous avant les contres
de la Nigritie.
Le meilleur moyen de franciser ces pays o
tant d'horizons succdent tant d'horizons, c'est
de coloniser le fauve Atlas, parce que sa coloni-
sation entranera le triomphe de notre idiome
dont la victoire africaine partira de cette nou-
velle France, plus vigoureuse que l'ancienne.

(1) Rivage de la mer, bande marine.


(2) Gens parlant le lusitanien, autrement dit le portugais.
(3) M. Delafosse
20 L'ATLANTIDE.

VII

L'ATLANTIDEOUBERBRIEVAUT-ELLEBEAUCOUP
DE SANG, BEAUCOUPD'OR?

Le pays qu'on ne sait comment nommer, le


bloc d'Algrie-Tunisie-Maroc Vaut-il que la
France souffre pour lui le froid et le hle, qu'elle
sue sang et eau pour en faire une autre elle-
mme?
Certes, c'est bien l'Afrique Mineure, au devant
de l'Afrique Majeure, de la grande et vritable
Afrique, comme il y a une Asie Mineure devant
l'immense et vritable Asie. D'ailleurs, Asie
Mineure et Afrique Mineure sont presque de
l'Europe. Mais Afrique Mineure, c'est un nom
lourd, long, sans grce.
Ce lambeau du monde n'est ni la Bcrbrie,
puisque les Arabes l'ont dtourn de sa sve pri-
mitive; ni un Arabistan puisque la race
berbre y domine comme antiquit, tnacit, tra-
vail ; ni une France neuve puisque Franais et
assimils n'y sont encore qu'un sur dix.
Nous l'appellerons volontiers l'Atlantide : c'est
un beau nom sonore et il y aurait quelque fiert
se dire : Je suis un Atlantidien ; puis, des
caps voisins des Canaries aux promontoires d'o
l'on peut confondre les nuages de l'horizon avec
LE PAYS DE L ATLAS. 21
les monts de Sicile, c'est, d'un bout l'autre, le
pays de l'Atlas ; enfin, s'il y eut jadis un continent
occidental dit Atlantide, englouti depuis sous les
flots, ce continent s'attachait l'Afrique, l o
prsentement le Maroc occidental s'ajuste au
Sahara septentrional.
De ces noms, celui qui rpond le mieux
l'histoire est celui de Berbrie. Evidemment le
sang des Berbres domine dans ce long bloc, et
la France s'appuie dj sur eux, de prfrence
aux Arabes, qui sont plus loin de nous comme
nature et comme pense.
Donc, Atlantide ou Berbrie, les Arabes l'ont
avec raison considre comme une le entre
l'Atlantique, la Mditerrane et l'immense isole-
ment des Erg ou Dunes et des Hamadas ou pla-
teaux pierreux du Sahara.
C'est leur le duMoghreb (i), qu'ils divisent en
Moghrcb-el-Adna (Tunisie) ou couchant le plus
rapproch (sous-entendu : des vieux et vrais
pays arabes, Egypte, Syrie et des villes saintes de
l'Islam, la Mecque et Mdine) ; en Moghreb-el-
Oust (Algrie) ou couchant central ; en Moghreb-
el-Aksa ou couchant le plus lointain (Maroc).
Ile en effet : l'est, en Tunisie, o les vents
fouiillent une Mditerrane dont le flux peut
monter trois mtres; en Algrie, o cette
mme vague amre se brise aux souffles du nord

(t) Couchant, Occident.


22 L*ATLANTIDE.
contre une rive haute, escarpe, sauvage;
l'ouest, au Maroc, o l'Atlantique, aux mares
rageuses, tonne sourdement l'ternel ressac de
la barre. Au Midi ce n'est point le grand flol
avec ses profondeurs, ses rumeurs, ses fracas,
son haleine sale, sa dlicieuse fracheur. C'est
le silence, la solitude, le vide : immenses dunes
mouvantes, * infinis de pierrailles, archipels de
monts nus et, va et l, des oasis perdues comme
des vaisseaux sur l'Ocan.
Ce Sahara se prolonge trs loin au Sud, dans la
direction du lac Tchad, des fleuves Niger et
Sngal, par le Sahel ou lisire, qui a plusieurs
milliers de kilomtres d'est en ouest sur beaucoup
moins de largeur du nord au midi. Ce Sahel est
une terre du mouton, des boeufs, du cheval, du
chameau. Aprs lui se droule le Soudan, la con-
tre des Noirs, brousse, forts vierges, averses
tropicales, Niger puissamment pli du Sud au
Nord, puis du Nord PUSud, Congo qui est le grand
seigneur des fleuves du Vieux-Monde.
Entre les deux mers et les grands sablons ,
comme on disait au temps o l'on croyait que
le Sahara, capitale Agably est une dune sans
fin pour engloutir les caravanes, de combien
d'hectares dispose aujourd'hui la vieille France
pour son glorieux renouvellement?
D'au moins 60 millions, sous trois formes : le
Tell, rgion des crales, des fruits, du vin, des
primeurs ; les Hauts Plateaux, contres de cul-
LE PAYS DE L'ATLAS. 23
turcs sches, de ptures sches ; les Oasis, au
pied mridional de l'Atlas, et, dans l'avenir, tout
ce dont les eaux souterraines, ramenes au jour,
agrandiront les jardins du Dsert.
Soixante millions d'hectares, un peu plus que
la France d'Europe ; mais la France europenne
est encellule dans un in pace, entre des rivaux
puissants, tandis que l'Atlantide respire libre-
ment, de ses vagues ses tranes de sabl, ses
mers de blocs et de cailloux. Et, pass le Pays
de la soif , le Pays de la peur , elle a devant
clic le pays de l'eau tombant en dluge, des
fleuves qui sont des Nils crateurs et rparateurs :
le Niger, son frre le Bani, le Sngal, le Chari,
sans rien dire de deux Egyptcs possibles : l'une
le long du cours hypog de l'antique Niger, quand
il se perdait dans un lac saharien ; l'autre en
suivant le Bahr-el-Ghazal, dversoir tnbreux
du lac Tchad, peut-tre sur la route du Nil aux
solitudes de Memnon.

VIII

L'IDE QU'ONSE FAISAITD'UNE COLONIEEN 1830

On s'est longtemps tromp du tout au tout


sur l'Atlantide, trop loue ou trop dnigre.
Quand elle devint chose de France, lorsque de
trs rares prvoyants de l'avenir se flicitrent
24 . L'ATLANTIDE.
d'y voir la pierre d'attente d'empire, quand on
commenait s'entretenir de notre colonie
d'Afrique, ce mot de colonie avait un sens part.
Le Canada grandiose tait oubli, mais ls
Indes Occidentales, les Antilles ne l'taient
point. En France, notamment dans le Sud-Ouest,
vivaient encore de nombreux * colons : familles
de planteurs chapps aux massacres de Saint-
Domingue, Mauriciens, Bourbonnais, Martini-
quais, Guadeloupiens, Louisianais, Cubains enri-
chis qui taient venus jouir de leur fortune
Bordeaux ou ailleurs.
On fouettait encore au long fouet les ngres
des champs de canne sucre. Paul et Virginie,
idylle de l'Ile de France, tait un livre popu-
laire. Des esclaves aligns sous la chicote (i) du
commandeur; des cocotiers sveltes cime l-
gante ; des fruits dlicieux ; de superbes croles,
admirablement nonchalantes ; un doux parler
zzayant (2); des ftes, des bals, une vie pro-
digue ; des noirs traversant l'Ocan d'Afrique en
Amrique en qualit de bois d'bne , esclaves
jets la mer en cas de poursuite ou de maladie ;
des plantations o l'on se mfiait du trigono-
cphale, serpent mortel ; des races mles malgr
les prjugs de couleur, les octavons succdant
aux mquarterons, les quarterons aux multres ;
les fils de Cham , serviteurs fidles ; les nour-
(1) Longfouet,martinet.
(2) Le franaiscrole. ,-
LE PAYS DE L'ATLAS. , 2$
rices dvoues, lait blanc au bout d'un sein
noir.
Voil quelle ide on se faisait alors d'une colo-
nie : un jardin de dlices, une sorte de paradis
de Mahomet, de bosquet d'Armide.
Illusion qui ne dura gure.

IX

LA BERBRIE, PAYSDUR

Dans son ensemble, la Berbrie ou l'Atlantide


n'est pas comme la France une contre si douce
que, d'aprs le dicton, l'hiver y vient passer
l't . C'est au contraire une terre dure au pauvre
monde.
De tous les climats, celui-l mme dont on l'ho-
norait avant de la connatre, le climat tropical est
celui qui lui manque absolument.
Que peut une contre qui attire tantt les
vents de froidure, tantt les vents d'embrase-
ment, sinon d'hsiter entre des cieux contraires,
entre les lourdes nues et les pluies drues, entre
les heures lumineuses et les heures hargneuses?
Durant la moiti, parfois les deux tiers de
l'anne, l'implacable Midi, roi des ts svit,
le soleil incendiaire, le siroco gueule de four, la
font tarie, l'herbe rtie, l'arbre fltri, la plaine
poudreuse, l'accablement, la torpeur, la somno-
20 L'ATLANTIDH.
lence, ce qu'un grand pote (i) a si bien nomm
le spleen lumineux de l'Orient . On rve alors
aux sources, aux rus, aux bocages, l'air travers
de frissons frais, aux torrents glacs du mont,
l'ombre opaque ; d'une hbtude passionne, on
aspire la neige, la glace, au froid roi des
hivers .
Et que peut une contre extraordinairement
ardue, bossue, prcipitielle, tout en sursauts et
en dfaillances, qui, du niveau des mers, monte
4 500 mtres, sinon qu' chacun de ces mtres,
elle change de climat, du tempr chaud au froid
polaire.
Elle varie galement presque du tout au tout,
ses climats suivant l'orientation de la pente do-
ses montagnes.
En Berbrie, il n'est pas urgent de se dplacer
de centaines de lieues pour passer de 1' Arca-
die * 1' * Arabie ; souvent l'on n'a qu' franchir
la montagne du Nord au Sud ou rciproquement,
voire gravir et descendre une humble colline.
Au Septentrion, sous l'haleine marine, on est en
Normandie, en Bocage, dans la frache Tempe ,
le val du Sperchios, le Taygte, les monts de
l'Hcemus : ce que les Romains qui possdaient,
eux, de si merveilleux cirques de verdure, van-
taient dans cette Grce devenue leur institutrice,
leur modle et mme leur idoltrie. Au Midi de

(1) ThophileGautier.
LE PAYS DE L'ATLAS. 27-
ce mme djebel (i) c'est, au lieu d'un bocage,
l'aridit, la poussire, et, et l, un palmier
heureux d'assez de soleil mais chagrin de pas
assez d'eau.
D'ouest en est ou d'est en ouest, il peut en
tre de mme suivant que le coteau, le mont
carte ou n'carte point l'charpc des nues.
En aucun pays du monde on ne voit Ahri-
mane (2) lutter plus obstinment contre
Ormuzd (3), le dieu du ma' contre le dieu du
bien. Celui-ci lui vient du Nord qui, par ailleurs,
est pour tant de contres le lieu funeste, abhorr,
la bouche du froid, le dpart des temptes la
puissance des tnbres : il lui souffle -la pluie,
c'est--dire la fracheur, la fcondit, la grce et
la vie. Du Midi, bni de tant de pcuples; lui
arrivent l'ardeur, l'touffemcnt, le sable, la
sauterelle, la mort.
Nulle part cette lutte acharne, diurne, noc-
turne, ternelle n'est plus violente qu'aux deux
penchants de l'Aurs, qui est le massif le plus
lev (4) de l'Atlantide non marocaine.
Son versant septentrional s'abaisse sur le pla-
teau des Sbakhs (5), travers par la route qui va
de Cirtha la numide Tebessa la romaine. Il y

(1) Mot arabe signifiant : montagne.


(2) Le principe de tout mal dans la vieillo religion des
Perses.
(3) Le principede tout bien.
(4) * 3*7 mtres.
(5) Lacs sals, lagunes aumitrcs*.
28 L'ATLANTIDB.
descend par les prairies, les ronds de source
ombrage, l'allgresse des ruisseaux, le tapage
des torrents, la sombreur des forts vosgiennes,
les cdres casss de vieillesse ou sublimes de
jeunesse en leurs branches tales, les pins, les
bosquets. On est en Europe, et mme dans
l'Europe verdoyante.
Sur la descente du versant mridional, c'est le
souffle mortel du Chebli, du vent du Sud, autre*
ment dit du Sahara. Vent desschant, dvorant :
il brle l'arbre jusque dans sa sve, il en fait un
arbuste rampant aux rameaux cassants, aux
feuilles combustibles ; la roche est aride, mme
sans herbe, le mont dsert, les croupes calcines,
l'air irrespirable comme dans l'antichambre
d'un four chaux ; et partout des prcipices
effarants. Mais qu'un dtour propice du torrent
suscite un rempart contre le souffle de braise,
une oasis dlicieuse balance des palmes, une
rivire sort gros bouillons du rocher, c'est le
jardin des enchantements.
Ainsi va-t-on, le long des acifs (i) plutt que
des oueds (2), car on est ici en terre berbre, non
arabe, vers un bas-fond du Sahara ; bas-fond tel
qu'il a son creux au-dessous du niveau de la mer,
autour du Melrir, lagune saumtre qu'on eut
l'ide de raviver et d'tendre par un canal tir
de la Mditerrane tunisienne. C'est l qu'aurait
(1) Ruisseau,rivire,en berbre
(Y)Rivire,ru en arabe.
LE PAYS DE L'ATLAS. 29-
cume le lac, singulirement minuscule en com-
paraison du Sahara, qu'on baptisait dj du
nom pompeux de Mer Saharienne . Le monde,
surtout la France, s'tait enthousiasm pour
cet * Ocan en Espagne , marais de l'avenir ;
et les fanatiques de l'Afrique franaise la plus
troite possible y saluaient d'avance une dfense
contre les Touaregs, nomades berbres redouts
malgr leur faiblesse insigne, comme s'ils
avaient puissance mondiale.

CLIMAT AUX CONTRASTES TERRIBLES

Il fait bon vivre en Berbrie, au bord de l'une


ou l'autre des deux mers et dans le Sahel troit
qui les accompagne. L'air y est tide, embaum,
parfaitement voluptueux. Encore y a-t-il,
quelques lieues seulement des flots, mais spares
d'eux par un paravent quelconque, des villes
qui sont, comme on dit en Espagne, des poles
frire pendant les longs mois de la sche-
resse.
Scheresse qui n'tait pas le plus grand malheur
du pays avant l'arrive des Franais, car, dit un
proverbe marocain : Les scheresses viennent
de temps en temps, les sauterelles souvent, les
pachas toujours.
30 L'ATLANTIDE.
A la base mridionale de hauts bourrelets du
Rif et, vrai dire, assez loign des eaux marines,
Fs a des mois accablants de chaleur et torpeur ;
les canaux, les cascades du beau courant sorti
du grand Ras-el-Aoun (i) ne temprent pas sa
torridit.

Sevr de la Mditerrane par le mont Tessala,


Sidi-bel-Abbs ressemble maintes fournaises
de cette Andalousie d'o lui sont venus tant de
colons.

Mascara, gare des haleines septentrionales


par le redressement du Chreb-er-Rieh (2),
connat malgr ses 600 mtres d'altitude les jours
et les nuits o l'on respire avec effort.

Orlansville n'est en ligne droite qu' dix lieues


tout juste de la mer et la chane qui l'en spare
n'a rien de titanique (?lle ne s'aventure gure
qu' 1 000 mtres dans la rgion des airs). Cela
suffit pour que cette riveraine du Chliff soit
la victime d'une scheresse peu prs saharienne,
avec des heures infertiles de prs de 500
l'ombre. A certaines heures on s'y croirait sur
le bord de la mer Rouge ou dans l'touffement
des rivages du Golfe Persique. L'un des hros
de la Conqute, le famebx Yousouf, Italien de
(t) Motsarabes: tte des sources,fontaineinitiale.
(2) Mots arabes: la force du vent, d'o le vent souffle.
LE PAYS DE L'ATLAS. 31*
l'le d'Elbe devenu Tunisien, puis bon Franois,
disait d'elle avec l'accent du Midi trois quarts :
Orlansville est le vestiboule de l'Enfer . Tout
le val infrieur du Chliff participe de ce flam-
boiement, depuis les racines duZaccar deMiliana
jusqu' la fin du Dahra, au pays de la riante
Mostaganem.

Tizi-Ouzou, qui le Belloua bloque l'horizon


marin, touffe en t devant les monts verdoyants
de la Gran'de-Kabylie. Et, par del ces monts
souvent neigeux, les valles du bassin de l'Oued
Sahel attristent par leur ton fauve, leur brousse
altre, leurs herbes courtes au lieu des magni-
ficences de la verdure qui se dploie quelques
lieues vers le Nord, au pied des crtes argentes.

Guelma grille au bas des escarpements du val


de la Seybouse et, son orient, la valle de la
Medjerda rappelle peu prs celle du Chliff.
Les monts des Khroumirs n'ont gure que
1000 mtres d surrection, ceux des Mogods
moins encore, la Mditerrane est deux pas
et les plaines du fleuve tunisien sont une gueule
de four en t.

Enfin la premire cit de l'Afrique Mineure


qu'une arme franaise ait assaillie (1), Thunes

(1) Celled saint Louis*


3a L'ATLANTIDE.
prs du chastel de Carthage, notre Tunis halelte
sous des bouffes du siroco que nos colons n'au-
raient pas maudire si nous avions eu le courage
de planter la capitale du pays renouvel par nous
Bizerte ou sur les belles collines de Sidi-bou-
Sad, au-dessus des ports atterris de la grande
victime de Rome.

XI

COMPARAISONS
INATTENDUES

Hors ses rivages, la Berbrie souffre d'un cli-


mat extrme en tout, suivant les saisons et con-
formment la hauteur des sites au-dessus de
la mer. La moiti de l'anne y cuit aux rayons
du grand astre, l'autre moiti peut y frissonner
sur la neige, sur la glace, 50, io, 120, plus
encore, au-dessous de la glace fondante.
Qui pourrait croire qu'El-Aricha grelotte en
hiver, que janvier et fvrier y resserrent plus la
fibre humaine que ne le font ces mmes mois dans
la plupart des villes d'Angleterre, d'Irlande,
d'Ecosse, mme des les Shetland, voire des les
Foerer?
Ainsi l'un de nos postes de l'outre-Mditerra-
ne, l o le steppe oranais s'ajuste aux plateaux
marocains, au voisinage de ce Sahara qui descend
vers l'Equateur thermique, serait donc plus
glacial que tel bourg .des terres qui sortent de
LE PAYS DE L'ATLAS. 33
l'Ocan sur la route de la Norvge au Groen-
land ! Il conviendrait de se calfeutrer plus her-
mtiquement dans des maisons claires par le
34e degr de latitude qu'en des demeures o luit le
soleil brumeux du 620. Tel est pourtant le fait :
ce lieu d'Afrique les cristaux de la glace, aux
les Foeroer les brouillards monts de l'Atlantique
avec un reste de tideur. Chose inoue, on a vu le
mercure tomber plus de 200 de froid dans la
Russie d'El-Aricha !
Or, El-Aricha est loin d'tre incomparable en
froidure sur le steppe de Berbrie. Ses rivales ne
se comptent pas : Debdou, qui domine de loin
les horizons d'Oudjda, dans le Maroc oriental,
Debdou dont on clbre la beaut, les eaux cou-
rantes et dont on dit que c'est une autre Tlcm-
cen, A flou, Stif, Batna, Mdine de l'Aurs, etc.,
tout ce qui a son site 800, 1 000, 1 200 mtres
et au-dessus.
Constanttne elle-mme, bien qu' 600 mtres
seulement d'altitude, fut fatale l'arme fran-
aise en 1836, par un rigoureux novembre :
neiges, pluie glace, dgel o l'on s'emptrait
dans la boue sanglante, vents aigus du mont
sifflant sur la piste. La retraite de Constantine,
disait-on, c'est la retraite de Russie moins
l'immensit de la route et la sauvage dure des
frimas.
Encore, si la barbarie intermittente des climats
algriens ne nous avait cot que les morts de
3
34 L'AT-ANTIDB,
la sixime anne de la Conqute l Mais que
d'autres infinitsimales retraites de Moscou
sur les plateaux sabrs par des bises de froidure l
On se fatigue, en lisant les fastes de l'arme
d'Afrique, voir que nos plus grands ennemis ne
furent ni Abd-el-Kader, ni les marabouts dgue-
nills, ni les fugitifs matres de l'heure , mais
les mistrals africains descendus, toutes ailes
battantes, des hauteurs chauves de l'Atlas int-
rieur et de l'Atlas saharien.

XII

DE L'EXTRME FROID A L'EXTRME CHAUD

Donc, que de compagnies engourdies, geles


mort au passage des cols, que de cavaliers rai-
dis, de chevaux ensevelis dans la neige f
De mme, que de soldats assoiffs, les uns
titubant, comme ivres, les autres allant comme
malgr eux, sachant la vanit de leur effort, vers
les eaux promises par le mirage 1 Beaucoup
tombrent avant d'avoir sanglot de bonheur
devant la fontaine transparente.
L o, six mois avant, des compagnies ont
souffert sous les flocons de la blanche her-
mine , voici que le siroco a souffl tout le jour,
devant un soleil d'un jaune ple, parmi des
tourbillons d'une poussire aussi brlante que
IB PAYS DE L'ATLAS. 35
si le cratre d'un volcan l'avait vomie. La source
d'arrire tait sche, la source d'avant le seca-
t-elle? Les soubresauts du vent ont fait voler au
loin le kpi du soldat, mais, comme l'a dit un des
conqurants de l'Algrie (x) : A quoi bon le kpi,
la chchia, quelqu'un qui bientt n'aura plus
de tte? L'ennemi rde, prompt scier le cou
du Roumi.
Un vieil Africain des guerres du dbut fut,
raconte-t-on, menac de l'Enfer par son cur.
Il ne me fait pas peur, dit-il, votre Enfer; je l'ai
travers dix fois. Et peut-tre avait-il aussi
souvent secou sa capote alourdie par l'eau des
flocons de neige.
S'il y a maintes Sibries africaines, le vent
froce du Dsert, autre mistral, le brasillement,
les sables tourbillonnants, les fontaines arides
ont valu le surnom mrit de Bled-el-Ateuch (2)
aux parages de demi-Sahara qui bordent les
grands sablons .
Dans le Sahara lui-mme, il convient de se ga-
rer de la fracheur des nuits et du premier matin
avant de cuire sous le soleil du jour.
Ce refroidissement nocturne, ce qu'on nomme
le rayonnement, cre des Sibries momentanes
entre la mort et la renaissance de l'astre, et non
seulement dans le steppe, mais en nombre de
lieux du Tell, et jusque dans les bas-fonds du
(t) Le colonelTrumeleL
(s) Motsarabes : le Payi de la Soif.
36 L'ATLANTIDE.
Sahara lui-mme. A Touggourt, qui ne domine (
les ocans que de 69 mtres, on peut subir 30,5,
70 devant que l'aube commence blanchir les
palmes du dattier. Peu aprs, sinon la mme
semaine, voire le mme jour, on y languit, on
y rvasse par 500 l'ombre.
A Ouargla, la tpide ou la torride, on ne sait
trop que devenir ; on y touffe, puis on y gle
aux approches du matin. On a compar son hiver
celui de Stockholm, la sudoise, et de l'anglaise
Yarmouth, riveraine de la mer du Nord. Ouargla
l'emporte comme froid sur Yarmouth en janvier
et au dbut de fvrier ; alors, dps 30, des 6, des 90
y glacent jusqu'au sang, tandis que la ville de l'em-
bouchure de la Yar n'affronte que de i +1.
Il faut avoir la peau dure pour passer ainsi,
en une demi-journe, de l'heure o l'eau se cris-
tallise celle o le sable et la pierre brlent. On
a pu prtendre sans trop de fantaisie que l'Algrie,
disons la Berbrie, est un pays froid o il fait
quelquefois trs chaud.
Gloire ces cruauts du ciel 1 .
C'est elles que la Nouvelle-France doit des
hommes capables de supporter aujourd'hui le
climat de Nijni-Novgorod ou de Kazan, demain
celui de Sgou-Sikoro, de Tombouctou, des rives
du Sngal.
Qu'on demande aux Allemands ce qu'ils pen-
sent des hros de la baonnette, de l'assaut et de
la victoire, Franais d'Afrique, Berbres, Arabes
LE PAYS DE L'ATLAS. 37"
et, voisins loigns, les Sngalais, les Bambaras
et autres Y a bon (1).

XIII

PLUIES, FONTAINES

Autant les climats de l'Atlantide sont nom-


breux suivant l'altitude, la nature du sol, l'expo-
sition aux vents de terre ou de mer, aux souffles
du Nord ou aux haleines du Midi, autant le sont
les pluies, les orages en abondance et en dure.
En moyenne, le Maroc, terre plus leve devant
un ocan bien plus large que la Mditerrane et
bien plus remu, ne serait-ce que par le flux, le
couchant le plus loign * reoit plus d'eau du
ciel que le restant du M ghreb, et naturellement il
a plus d'onde montagnarde pour vivifier plaines
et valles : o le djebel verse l'Algrie, la
Tunisie, des dizaines de litres par seconde pour
l'arrosage, l'Atlas de Fs, de Mekns, de Marra-
kech en fournit des centaines, voire des milliers.
En de de la Moulouya par rapport Alger,
donc l'est de cette ancienne et mme antique
borne entre le Maroc et l'Algrie (2), l'Oranie ne

(i) Y a bon, pour il y a bon, a va bien I Locution fami-


lire nos Noirs.
(2) Dj sous les Romains notre Moulouya, la Matva,
sparait la Mauritanie csariennede la Tingitane.
38 L'ATLANTIDE.
recueille, tous hauts monts part, que 400
500 millimtres d'humidit, et, par infortune, pas
toutes les annes,et surtout ces soo.ces 400 milli-
mtres ne tombent pas toujours opportunment,
sur le sol : ou il pleut trop peu pour l'essor de la
vie des plantes, ou il pleut trop quand la plante
demande le soleil pour mrir. Ia raison de cette
pnurie de nuages fcondants, c'est que la Mdi-
terrane, large devant Alger, Bougie, Philippe-
ville et Bne, se rtrcit de plus en plus entre
Espagne et Moghreb ; elle s'apprte n'tre plus
qu'un dtroit, un Pas-de-Calais , et moins qu'un
Pas-de-Calais, devant le roc hautain de Tarik (1).
Au del d'Alger en tirant vers l'Orient, l'an
verse 1 000, 1 200 millimtres, peut-tre plus en
certains hauts lieux, sur les pics de la Kabylie
de Bougie et sur les monts tunisiens des Khrou-
mirs.
Dans l'autre sens, du Nord au Sud, de la mer
entre les terres au grand Dsert, diminution pro-
gressive trs grande : un demi-mtre plus d'un
mtre sur le rivage et le djebel ; 450 millimtres,
plus ou moins, sur les hauts plateaux; 200 seule-
ment dans le Sahara du pied mridional de
l'Atlas; car 200 millimtres seulement d'onde
par an, c'est la condition essentielle de l'existence
des dserts.
Pas besoin d'avoir tudi les tableaux des
(1) Gibraltar, c'est la rduction l'espagnolede l'arabe
DjebelTarik: montde Tarik
LE PAYS DE L'ATLAS. 39
mtorologues pour connatre quel degr
l'humidit dcrot de la Mditerrane au Sahara.
Le plus inattentif des hommes s'en persuade
comme malgr lui en quelques heures de voyage,
quand il va de Bizcrto Sfax, de Bne Tbessa,
de Philippcvilc Batna, de Bougie Bou-Sada,
d'Alger Boghar, d'Oran Gry ville, de la plaine
des Trifas celle d'Oudjda, le long de la Mou-
louya infrieure.
A peine a-t-on dpass les monts littoraux
qu'on chemine dans une autre nature, comme
qui dirait un autre monde. On a pass du Gui-
puzcoa, de la Biscaye, des Asturies humides,
verdoyantes, aux tendues grises de la Vieille
Castille et du royaume de Lon : l'est fuient les
terres bl du socle numide ; l'ouest, sur des
immensits, l'alfa (1) couvre le socle oranais de
ses fibres vert ple ou gris terne suivant la saison
L' Afrique au sol d'airain qu'un ciel brlani
calcine , a dit Victor Hugo. Le trs haut pote,
plus haut que tous, et pu ajouter en vers splcn-
dides que c'est galement la terre des oasis
telliennes comme des oasis sahariennes, le pays
heureux des fonds de valle, des cirques o
jaillissent les* Ras-el-Aoun (2), mres des arbres,
des ver lures, des fruits et des hommes.
* Ras-el-Aoun dont plusieurs sont des rivires
imprvues qui, de par les lois de la nature, sortent
(1) Rellement, avec une forte aspiration : Halfa.
(2) Ou Ras-el-AIn,singulier de Ras-el-Aoun.
40 LATLANTIDB.
des roches permables, craies ou calcaires fissurs,
et non des pierres antrieures, primitives,
fondamentales, comme le sont celles du plus
haut Atlas marocain. Dans le Maroc postrieur ,
notamment dans le Moyen Atlas, fait de roches
fissures, nous louerons un jour des fontaines
encore inconnues de nous.

Nous savons dj que le transparent An-


Sebou est une Vaucluse chappe d'une
caverne ; sa constance, son abondance lvent
l'Oued-Guigou, venu de loin, la dignit de jolie
rivire au lieu de capricieux torrent.

Dans le Maroc oriental, tout prs de la pro-


vince d'Oran, la source deSidi-Yahia fera bientt
de la campagne d'Oudjda un petit paradis, dans
une plaine quelque peu altre parce que l'cran
du Riff barre la course bienfaisante des nues
mditerranennes.

L'Oudza, tributaire de droite de la Moulouya,


coule avec quelque abondance en tout temps.
11 doit ses premires eaux au pui>sant ras-el-
aoun de Bcrguent, l'issue des valles sches
qui remontent au loin sur le plateau d'El-Aricha.
Les environs de Tlemcen, ville jadis guerrire
et dominatrice, aujourd'hui fruitire et bocagre,
la valle de Lamoricire et celle de Salda regorgent
d ' aouns clairs comme le cristal.
LE PAYS DE L'ATLAS. 41*
Le petit iac d'Ah-Fekan verse la rivirette
mutine qui fournit Mascara la force et la
lumire.

Des fontaines de Tagremaret part un beau


courant du bassin de la Mina.

An-Sefra, la * Source Jaune , a cr la char-


mante ville.de Mostaganem.

Miliana, Blida, mainte bourgade du pied de


l'Atlas de Mtidja doivent leur vie, leur amabilit
de dlicieuses fontaines.

La source d'un affluent de l'Harrach pour-


voira quelque jour Alger d'une eau puise aux
ravins de la montagne.

Dans la Grande-Kabylie,au voisinage d'Akbou,


la fontaine Iril-oum-es-Sed irrigue six mille
jardins (?)

L'Oued-Boghnisort en bouillonnant d'un enra-


cinement de roches.

De l'An-bou-Merzoug, Pre de l'abondance,


part la trs irrigante rivirette qui s'achve dans
le Roumel l'entre de la prodigieuse fissure
sparant aux trois quarts Constantine du reste
du monde.
42 L'ATLANTIDE.
. Tout prs de cette antique Cirtha, en vue de ses
falaises sublimes, la fontaine thermale du Hamma
donne l'tre une rivire qui fume ternellement.
Sur le versant mridional de l'Aurs, la source
de Bouzina, puissant surgeon du pied des roches,
met un courant habituellement suprieur, pr-
tend-on, deux ou trois mtres cubes par
seconde.
Tunis canne sa soif aux sources du Zaghouan
et celles qui s'assemblent dans les cavernes du
mont Bargou.

A ct de ces fontaines de 300, 500,1 000 litres


et plus par seconde, de tant d'autres qui ne versent
que 100, ou 50 ou 20 ou 10 ou moins encore, on
ne saurait louer assez les jets thermaux des
oasis : environ un mtre cube pour les dattiers
de Gabs, de Nef ta, de Tozeur,et les merveilleux
puits artsiens fors par la France : les plus
gnreux jusqu' ce jour sont ceux de Tolga ; ils
donnent, l'un 30 000, et l'autre 35 000 litres par
minute : soit deux rivires dont se contenteraient
maintes villes et campagnes de la pluvieuse
Europe occidentale. A eux deux, ce,; deux puits
susciteront 200 000 dattiers, ou bien ils arrose-
ront les cotonniers dont on espre qu'ils feront
la fortune de la petite Egypte, comme on nomme
d'avance le pays de promesse ainsi ravi lu ter-
rible dsert.
LE PAYS DE L'ATLAS. 43

XIV

FORTS,MAQUIS,BROUSSEDE L'ATLANTIDE

Le souverain prince des potes, Victor Hugo,


dit des paysages africains qu'ils sont * sans un
arbre et sans une racine .
C'est bien la vrit sur des plateaux dignes en
cela de Castille, Manche, Estrmadure; mais
c'est la fausset la plus fausse pour nombre de
contres, quand ce ne serait que de cette
Khroumirie tunisienne qui fut l'immense ombrage
de Tabarque (i).
Mais trop souvent les forts de l'Atlantide
n'ombragent plus gure. En cela comme en
beaucoup d'autres choses, la survenance des
Arabes assassina le Moghreb. Nation pastorale,
ce peuple ablK les arbres. Partout o il s'nst
camp, en As. jn Afrique, il a fait des contres
qu il a soumises des pays semblables son Arabie
natale par leur grise ou fauve nudit.
Sans doute ils aiment la fracheur bocagre
autour d'un an lumineux an veut dire oeil
en mme temps que source , mais ce qui leur
chaut avant tout c'est l'herbe pour leurs mou-
tons. Ils arrachent, ils brlent. La brousse prend
(t) Qualisumbriftrosubi pandil\Tkabracasallus(luvnal).
Pareils &l'ombreusefort qui se dploiedevant Tabatque,
44 L'ATLANTIDE.
la place de la sylve, puis le dsert, le steppe tout
au moins succde la brousse ; 1' oeil brillant
de la source se ferme, la fontaine n'est plus qu'un
bourbier tidi par le soleil ou simplement un trou
plus humide que les autres.
L'Europen n'a pas mieux respect que
l'Arabe la beaut ae la terre. Le colon a dfrich
pour ses champs et sa vigne, le charbonnier a
rti la broussaille, voire les arbres qu'il a pu
dchausser des alvoles de la roche. Le bcylik (i),
dont la fonction est de prvoir, ne s'en souciait
mie. Il y a quelques annes peine qu'un ordre
nouveau s'est tabli ; on tend reconstituer
l'antique ombrage.
Il sera beau de voir l'homme rajeunir une
contre que l'homme avait vieillie, une parure
somptueuse couvrir la nudit d'une terre que
l'homme avait dpouille, cela dans le moment
mme o tant de pays abattent leurs forts pour
le profit des spculateurs et les dbitent en
troncs, rondins, planches, pte papier.
C'est dsesprer un citoyen du monde.
Russie, Sibrie, Sude, Balkans, Canada, tats-
Unis, etc., sacrifient des sylves qui ont mis des
sicles pousser, car le sol y est gnralement
primitif, c'est--dire plus ou moins strile, et le
ciel avare de rayons. Il faudra des centaines

(t) Les indignesdsignentainsile gouvernement;tymo-


logiquement,tout ce qui concerovle bey, c'est--direle
matre.
LE PAYS DE L'ATLAS. 45.
d'annes pou-y refaire ce que quelques heures ont
dtruit. Dans notre Atlantide, le soleil brille,
il brille mme trop, le siroco sche et casse les
rameaux qui se brisent ailleurs sous le poids des
cristaux de neige. Pourtant on y pourra restaurer
peu prs le bois opaque, infini, tnbreux
d'antan.
La maintenance des forts sur cette terre sur-
chauffe, dans cet air embras, c'est un grand
gain sur les annes, proches de nous, o, dans les
mois brlants, les sylves flambaient comme de
l'amadou, de la Calle Lalla-Marnia. Les indi-
gnes taient-ils seuls coupables de ces embrase-
ments, par haine du vainqueur, qui est en mme
temps l'infidle, et surtout par l'impulsion, en
quelque sorte mcanique, qui pousse le pasteur
dtruire les arbres pour gagner de l'herbe?
Coupables, beaucoup de nos pauvres Bicots (i)
le furent certainement, le temps n'ayant pas
encore fait oublier les combats dans le djebel,
le sang dans la coule des oueds,et, pour le redire
encore, les peuples bergers proscrivant l'arbre et
l'arbuste.
Mais le climat y eut aussi sa part. En siroco
tout est prt pour l'incendie des bois. Une allu-
mette jete au hasard, une tincelle porte par le
vent, la bourre non teinte encore d'un coup de
fusil la cartouche est chose rcente , un cigare

(1) Abrviationd'Arbicot, forme populaire'Arbi, Arabe.


46 L'ATLANTIDE.
non prim . et la rouge lueur cuivrait l'hori-
zon et des dizaines de milliers d'hectares flam-
baient.
Sauves maintenant par plus de surveillance
et par un meilleur amnagement, les forts
finiront-elles par vtir les pentes calcines, le
steppe agit du vent et la campagne pulvru-
lente? La Berbrie y gagnerait d'abord ces forts
elles-mmes, ensuite plus d'quilibre dans son
climat; des fontaines passagres y deviendraient
durables, et desfontaines durablesydeviendraient
prennes.
Puisque les vastes dfrichements amnent des
disparitions de sources, des dfaillances de
rivires, il faut bien admettre, malgr l'opinion
contraire mise par divers entts, que la refores-
tation amliore ou cre des fontaines et qu'elle
prolonge les rivires en effaant les lacunes de
leurs cours, l o l't les transforme en un chape-
let de mares.

XV

LES OUEDSDE L'ATLANTIDE

Arriverons-nous, vis--vis Marseille, la conti-


nuit des cours d'eau dont la discontinuit
semble tre la destine fatale?
A part les rivires du Maroc, abondantes grce
l'Atlantique, en allant vers l'est partir de la
LE PAYS DE L'ATLAS. 47.
Moulouya, qui coule d'un assez grand flot indis-
continu, les Algriens et les Tunisiens admirent
de jolis torrents de montagne, mais leurs fleuves
sont pitoyables.
Du dpart d'une rivire quelconque jusqu' son
arrive en mer ou dans un autre cours d'eau, le
lit de nos oueds sche de lieue en lieue, mme de
kilomtre en kilomtre.
Puis, tout coup, dans le lit mme ou
quelque distance, surgit un an ou un ras-el-
aoun versant de l'onde au foss o renat ainsi
la rivire, et le courant ressuscit prend le nom
du ras-el-aoun, de l'an; ou un nom quelconque ;
en tout cas, il ne s'appelle plus comme en amont :
ce qui est juste puisque son origine est autre.
Si le surgeon rgnrateur est, par exemple,
d'un blanc soit transparent, soit opaque, la
rivire d'aval se nomme la rivire Blanche.
Si la source reconstituante est sombre, la
rivire sera dsormais, et presque toujours pour
peu de temps, la rivire Noire ;. ou, en cas de
fontaine colore, la rivire Rouge, ou la rivire
Verte, ou la rivire Jaune tel le Mazafran,
mot mot l'eau de safran.
Que l'an de renouvellement soit ferrugineux,
on aura la rivire du Fer.
Si c'est une fontaine thermale, elle vaudra lenom
de rivire d'Eau Chaude au courant subsquent.
L'eau jaillissante fut plus copieuse au temps
sylvestre, mais pas beaucoup, il semble; sans
48 L'ATLANTIDE.
doute parce que ce temps ne fut pas beaucoup
.plus forestier que l're actuelle, Numides et
Romains ne respectant gure les sylves. Les
canaux de drivation des sources dtournes par
les conqurants du monde pour la soif de leurs
villes africaines ont bien l'air de suffire exacte-
ment aux volumes actuels. Mais ladite eau, tenue
plus l'ombre, tait moins pompe par le soleil,
et les ruisseaux, les rivires avaient probablement
plus de suite que maintenant.
Au fond, il n'importe gure que des bateaux
flottent sur des oueds profonds dont le courant
n'est interrompu par aucune scheresse.
En pays d'Atlas, l'eau vaut par elle-mme, par
sa puissance de rafrachissement, et non par
l'aide qu'elle pourrait accorder au transport des
marchandises.
Son utilit en pays sec, on dirait presque sa
divinit, c'est qu'elle cre la vie sur les sols
d'airain. Les oasis qui lui doivent leur gloire
n'en sont pas la preuve unique ; le Tell leur est
redevable de sa fcondit; et tout ce qu'il y a
d'opulent sur le steppe est son oeuvre.
Les Romains l'avaient compris. Ils ne ngli-
grent ni les moindres gouttes tombes du ciel,
ni les moindres torrents qu'ib happaient par des
barrages de retenue et distribution, ni les
moindres fontaines, ni les suintements que trahis-
saient des joncs, roseaux, herbes et plantes aqua-
tiques. Il les conservaient, ils les puraient, ils
LE PAYS DB L'ATLAS. 49
les rservaient pour dsaltrer les urbains, pour-
voir les bains de marbre, dans des citernes
compartiments dont beaucoup si vastes que des
hameaux indignes s'y blottissent aujourd'hui,
de mme que l'amphithtre d'El-Djem garde de
trop de rayons des gourbis arabes, aussi bas qu'il
est haut, aussi petits qu'il est grand.
Ils les honoraient religieusement. Leurs prises
d'eau n'taient point tristement banales comme
les ntres, btiments usiniers, murs de planches,
jeux de pompe, l'utilit sans la beaut, la noblesse.
Au contraire, il arrivait souvent aux Romains de
consacrer la source par des temples, des nymphes
dont Zaghouan nous montre l'harmonie. Cette
Blida tunisienne n'a pas.perdu toutes les
pierres de sa nymphe, sur le rocher qui domine
les jaillissements d'o s'abreuvait Carthagc, o
s'abreuve Tunis ; des bosquets dlicieux ombra-
"
gent ce lieu divin, vieux platanes, antiques
cyprs, peupliers, trembles, orangers.
Les Arabes et les Berbres savent galement ce
que vaut l'eau. Avant 1830, ils disaient en pro-
verbe : On connat trois bonnes choses dans le
monde, l'eau, l'argent, la justice. Et ils ajou-
taient: Quand on a l'eau, on a l'argent, et
quand on a l'argent, on a la justice.
Des agronomes prouvs ont dit : * Deux
d'eau et deux de soleil font quatre de profit.
D'autres vont plus loin, qui prtendent que
quatre de soleil et quatre d'eau font seize de
4
50 L'ATLANTIDE.
gain. On le voit en certains cantons d'Atlantide
et aussi d'Espagne o, voisines l'une de l'autre,
une terre arrosable se loue plus cher que ne se
vend une terre inirrigable.
Inestimable dans le Tell et le steppe, l'eau l'est
plus encore dans le Dsert. En steppe, en Tell
elle double, elle quintuple la force des plantes,
le nombre des grains, la vigueur des herbes;
au Dsert, elle cre ; l o rien ne sortait de terre
pour la vie de l'homme et des btes, elle fait sur-
gir des palmes et, sous les palmes, des jardins et
des vergers. Le sable errait au gr des vents, les
collines marchaient : elle tasse ce sable, cette
dune, et c'est dsormais la fort des dattiers ; de
la pierre mme elle fait ce qu'en font les Catalans
hls qui, dit-on, en tirent du pain(i). On amne
un filet d'eau sur la strilit maudite, on creuse
un puits artsien; aussitt nat le bouquet, le
bosquet, la sylve arienne. Sous un tel astre, qui
est ici l'astre saharien, le palmier grandit
merveille, car, dit l'Arabe, il lui convient
d'avoir les pieds dans le sable, la tte dans le
feu . Un litre d'eau par minute suffit trois pal-
miers, donc un mtre cube 3 000, et quand c'est
un mtre cube par seconde prs de 200 000.
D'o les merveilles de Tozeur, de Nef ta, de Gabs,
de l'Oued-Rir, d'Ouargla. Suivantle mot biblique,
* le Dsert fleurit comme la rose. O fontaine des
(i) Dicenque osCatalanes
Delas piedrassif.aupans.
LE PAYS DE L'ATLAS. 51.
jardins, puits d'eau vive, ruisseaux dcoulant
du Liban l Tel beau jardin de palmiers vaut de
30 000 40 000 francs l'hectare et peut rapporter
de 5 000 6 000 francs par an.
Grands barrages malheureusement trop vite
combls par les atterrisscments et dont la rupture
possible est une menace pour l'aval (1) ; sur les
petits oueds, sur les ravins et ravinots, petits
barrages multiplis, faciles faire, dfaire,
refaire, dvaser ; emploi de toutes les fontaines,
recueil de la pluie dans les citernes ; puits art-
siens partout o l'on peut voquer l'eau du sous-
sol, ft-ce des profondeurs * infernales , voil
l'oeuvre magique en ses rsultats. Un ami de
l'Afrique a proclam que c'est par le dessous
que nous arriverons la conqute du dessus .
La reforestation des collines, des versants, des
plateaux contribuera cette transformation.
En attendant, notre Atlas n'a que des oueds taris-
sants ; il est refaire en Tunisie, en Algrie, mais
beaucoup moins au Maroc.
Sauf aux frontires de h. province d'Oran o
le Tell est confisqu par le steppe presque ds le
voisinage de la Mditerrane, le Maroc, qui
manque relativement de forts, abonde en eaux
courantes et, dans ses rgions permables, il
montre avec orgueil des surgeons magnifiques.
La Moulouya, fille d'un Atlas de plus de

(1) On l'a trop vu lors de la rupture du barrage de l'Habra.


52 L'ATLANTIDE.

4 ooo mtres, apporte la mer un beau nombre


de mtres cubes la seconde, mme la fin de
l't. Le Scbou est vraiment un beau fleuve ;
l'Oum-er-Rebia estival vaut telle notable rivire
franaise ; le Tensift, abreuv des neiges presque
ternelles de l'Atlas le plus haut, suffit aux arro-~
sages de la plaine de Marrakech; dans le Sous;
dlicieux jardin d'Orient , qui fleurit justement
l'extrmit de 1' Occident ; l'Atlas suprieur
verse d'inpuisables torrents; le Dra coule
jusqu' son entre dans la zone saharienne et se
maintient longtemps dans le Dsert, par occasions
jusqu' l'Atlantique.
Qu'on leur compare nos ueds, ainsi qu'crit le
calembourun oued .sans o (eau) ,nos pauvres
ueds de l'Atlantide centrale et de l'Atlantide
orientale 1

XVI

0UED-EL-KEB1R,
MEDJERDA,SEYBOUSE, SOUMMAM,
SBAOU, HARRACH,MAZAFRAN

Le vieux Bagrada o les Romains combattirent


le faux ou vrai, en tout cas l'exagr serpent de
cent vingts pieds de long, notre Medjerda descend
au plus bas 1500 litres par seconde, sinon un
tout petit peu plus. Elle n'en a pas moins rem-
blay de ses atterrissements, derrire Carthage,
le grand golfe d'Utique devenu plaine basse,
LE PAYS D L'ATLAS. 53
alluvions noyes, Camargue laquelle on peut
prdire une infatigable fertilit. Elle vient de
loin, des hauts plateaux de la province de Cons-
tantine ; comme un autre Chliff, elle sinue dans
un val torride o des rserves d'eau verseront
un jour la splendeur.
Ce fleuve est bien tel que le dcrivit le pote
latin : * le trouble Bagrada repousse lentement
du pied les sables ardents. Pas de rivire lybienne
qui panche plus loin des ondes limoneuses et
qui embrasse plus de grandes plaines entre de
lourdes eaux sans profondeur (1).

La Seybouse des mois d't fait peine voir


en septembre, quand le soleil a longtemps brl
l'air et le sol. Elle tient surtout sa faiblesse de ce
que son bassin suprieur, appartient la zone
des plateaux spars du vent marin par des
chanes plus ou moins littorales.

L'ued-el-Kbir, le grand fleuve c'est ce


que veut dire en arabe ce nom superbe qui
souvent de faibles ruisseaux
s'applique
l'Oued-el-Kbir passe Constantine sous le nom
de Roumel, pour Rouel, ce qui signifie la Rivire
des Sables. Il y fait bonne figure dans les mois

(t) Turbidusarenteslento pedepuisai arenas


Bagrada,non ullis lybicisfinibus amms
Victustimosasextenderelaiius undas
Aut stagnantevadopotulosinvotvereCampes,
54 . ' L'ATLANTIDE.
humides, au pied des rochers hauts comme le ciel
et sous les votes de ce qui reste de son ancien
cours hypog, comme aux cascades o il sort de
son couloir grandiose. En dcembre, il arrive
10 mtres cubes par seconde, 20 en janvier dans
les annes pluvieuses; en avril, il n'en roule plus
que 5 6, 3 en juin ; 500 litres en juillet, 300
400 en aot ; on l'a vu descendre 260, le 19 sep-
tembre 1905.
L'Oued Soummam, fleuve de Bougie, rassemble
les torrents d'une infinit de montagnes, d'Au-
male au del de Stif, montagnes dont plus d'une
dpasse 2 000 mtres ; mais justement la plupart
de ces monts l'appauvrissent au lieu de l'enrichir,
tant en Petite Kabylie qu'en Grande Kabylic,
parce qu'ils lui confisquent les nues de la Mdi-
terrane au profit du versant septentrional qui
est le versant maritime.
Le Sbaou, bien plus court que l'Oued Soum-
mam dans un bassin bien des fois moins vaste,
hrite prcisment des pluies dont l'Oued Soum-
mam est frustr. Au versant septentrional des
djebels de la Grande Kabylic, c'est presque toute
l'anne un beau gave auquel accourent de
moindres gaves turbulents ; ces gaves-l et lui-
mme ne sont jamais muets.

L'Harrach, joli torrent d'eau vive dans son


Atlas natal, aide aux arrosages de la Mtidja
LE PAYS DE LATLAS. 55
orientale. Sans lacunes, mme en plaine, il finit
dans la banlieue d'Alger.

Le jaune Mazafran runit des courants de


l'Atlas mtidjien d'entre Mda et Miliana. Sa
principale origine, la Chiffa, est un torrent clair.
Il irrigue la grande plaine au nord de Blida, et,
d'un cours ininterrompu, roule autant d'eau
rivire de France une petite rivire
qu'une
s'entend.

XVII

LE CHLIFF

Avant la mainmise sur le Maroc, c'tait le


prince de nos fleuves maugrabins ; prince assez
misrable.
Il se trane mourant sur le steppe ; parfois
mme mort, sauf et l des mares boueuses.
Au-dessus de la perce de Boghar, il se ranime et
va d'une eau continue, mais parfois rare, entre
des berges qui montrent 5,10 et jusqu' 20 mtres
d'aliuvions, o l'arrosage crera des merveilles.
On y irrigue 30 000 hectares et ce n'est qu'un
commencement.
Ce Fleuve des Amazones algrien oscille
Orlansvillc entre 1 500 litres, au plus bas, de la
mi-juillet la mi-septembre, et, en certaines
annes, 3000. Pendant des mois, il hsite entre
$6 L'ATLANTIDE.
3000 et 5000; en temps pluvieux, il passe bour-
beusement, avec 50000, 60000; ses crues
notables vont 400 000, ses offensives extrmes
1 400-1 500 mtres cubes. En temps anhydre,
c'est dans le haut de son cours un troit foss ;
en bas un foss plus large sans aucune clart
ni beaut de flot. On admet que sa puissance
moyenne est de 15 mtres par seconde et qu'elle
serait de 500 (?) si l'eau de ses crues tait toute
arrte derrire des barrages : triste prsent, et
rient avenir si l'on fait ce qu'il convient de
faire.
Le Chliff coule dans une valle spare de la
Mditerrane par des monts sans prminence
qui sont plutt de trs hautes collines.

XVIII

OUEDSSAHARIENS

Quand on a franchi le steppe, digne en certains


lieux de son surnom de Petit Sahara, et qu'on a
pass des djebels de 2 000 mtres, quelquefois
un peu plus, on se trouve, au pays de la soif,
devant des oueds encore moins majestueux
qui sont essentiellement des oueds secs.
On a vu l'Oued Biskra s'largir 1200 mtres
en pluie battante, alors qu' l'ordinaire il roule
seulement l'eau de quelques aouns aussitt
LE PAYS"DE I?TLAS. &
confisque par des sguias o canaux d'arrosage:
A son confluent avec l'Oued Djedi, n en amont
de Laghouat,ce dernier atteignit un jour jusqu'
n ooo 12000 mtres d'ampleur.
Ce fleuve souvent inexistant a tous les droits
au surnom de grand pendant dix douze jours
en moyenne par anne. Pendant une quarantaine
de jours, plus du dixime de l'an, c'est un oued
qui coule rgulirement. Pendant une cinquan-
taine, soit environ le septime des 365 divisions
de l'anne, il va, large de 20 mtres, sur une faible
profondeur.
Durant deux cent soixante-cinq jours il est
sec.
On estime son apport annuel 140 millions
de mtres cubes, soit en moyenne 5 mtres par
seconde.
C'est ou jamais le cas de se gausser des
moyennes.

XIX

CE QU'EST EN DFINITIVE LA TERRE DE L'ATLAS

Tells et dserts, plateaux d'ternelle mono-


tonie ;
Cirques o l'on aimerait consumer sa vie au
murmure de l'onde ;
Causses pierreux sans une herbe, sans une
feuille, et jardins paradisiaques ;
58 L'ATLANTIDE.
Larges lits d'oueds sans eau et petits torrents
tapageurs ;
Dunes roulant au vent et oasis o les racines
du palmier ont arrt les sables :
L'Afrique, de l'Atlas est un monde plus heurt/
plus vari, et beaucoup plus contradictoire que
la France d'Europe.
Bien heureusement pour nous, ce n'est ni le
jardin d'den, ni les bosquets d'Armide, ni le
verger des Hesprides, ni les dlices de Capouc.
Plutt que de nous amollir elle nous endurcira,
de la morsure du gel celle du soleil.
Fils d'une patrie la fois septentrionale et
mridionale, basse et haute, alluvionnaire et
rocheuse, prodigue et avare, nos divers Franais
s'y accommodent, chacun l o il lui agre : les
planicolcs dans les Mtidjas ; les Alpins et les
Pyrnens dans les djebels ; le Cvenol, le Rouer-
gat, le Cadurque dans les Causses ; l'homme des
planzes sur le socle des steppes cralifres ;
celui des sols altrs dans les vastes tendues
voues par leur climat aux cultures sches.
Plus nous amliorerons cette Atlantide, plus
elle mritera le ddain du Maugrabin qui venait
de traverser la vieille Gaule de Marseille (ou de
Bordeaux) Paris.
Que pensez-vous de ce pays? lui demanda-
t-on.
Superbe, rpondit-il, mais il y a trop d'oasis.
III

MAND SARARA
XX

MAND SARARAI

Dans le tropical Brsil, Pernambouc et


ailleurs, on entend encore quelquefois de singu-
lires chansons. Telle celle-ci :

Voss gosta de mim (i) En caso com voss.


En gosto de voss. Aie, aie, aie,
Si papa consentir, Colunga Mussanga,
O men ben Mussanga .

Et ainsi de suite. C'est d'abord du portugais


ngre, puis un refrain, aujourd'hui incompris;
mots imports par les malheureux des cargaisons
de bois d'bne qui furent l'un des trois grands
lments dont est n le peuple brsilien: les
Ibriens, les Noirs, les Indiens.
Dans le Brsil tempr des hauts plateaux,
dans le Serto , autres chansons en meilleur
lusitanien, autres refrains de belle harmonie,
(t) Je vous plais, vousme plaises. Si votre pire y consent,
mon bien, Je'me marie avec vous.
02 L'ATLANTIDE.
noble hritage des Indiens soumis, puis absorbs
par les blancs :
Te mandei um passarinho (i) Comodeu o passarinho,
Patua miripup, Mand sarar.
Pintado de amarclho Batou aza efoiso embora
Iporango niaou Mand sarar.
Vamosa dar a despedida, Deixou a penna no nin
[ho
Mand sarav Mand sarar.
Ceux qui chantent ces chansons charmantes ne
comprennent aucun des mots dlicieux qu'y
ont laisss les langues indiennes effaces ici devant
le portugais, parlers dont usaient les Blancs et
les Paulistas. Ces derniers, mtis de Lusitaniens
et d'Indiens, furent les conqurants de rgions
dont il semblait qu'on ne verrait jamais la fin.
Ainsi les idiomes des ngres de la Guine et de
l'Angola, ceux des Indiens Carabes, Toupis,
Guaranis ont gard quelque temps leur place
ct du parler de Lisbonne devenu celui de
Bahia, de Todos-os-Santos, puis celui du Rio-de-
Janeiro. Aprs quoi, comme il tait crit, tout
cela ne fut plus que le nant (2) : quelques mots
dont le sens est oubli, et ce qui est entr avec
sa signification dans le langage du Brsil.
(1) Je t'ai envoyun oisillon,gentiment jaune. Donnons*
lui la libert, commeon la doit au petit oiseau; il bat de
l'aile.Heureux,il s'en va, laissantau nid l'une deses plumes.
(2) On parle encoreen masse le guarani au Paraguay.
Il subsisteaussitout autourde ce pay3, en Corrientes,dam
l'Entrc-Rios,etc.
MANDUSARARA. 63

XXI

T0U LA NOUI OU IIANAIA QUAR

Moins de cinquante airs aprs la prise d'Alger,


l'Algrie voyait dj le franais se superposer
i'arabe,notammentdansdcschansonsdeturcos:
colle-ci notamment o chaque vers commence
dans l'idiome de l'envahisseur et finit dans celui
de l'envahi :

Tou la noui ou hanaa quar. Toute la nuit nous


bavardmes.
A quatre hour fini, kal trana! A quatre heures
c'tait fini, et me voici.
A bouar ! Taskek ia memmou cl abear I A boirej
Tends ton verre, prunelle de mon oeil !
A vout'sanri I Chanti 1 Bekalam el m charma.
A votre sant ! Chantez d'une voix vibrante I
a mit gall Ana nidebber alikl a m'est gal,
mais comptez sur moi.
Doussema, el Asker I kouah el aklek 1 Doucement,
soldat, va retrouver les tiens 1
A noter que de El Asker, nous avons fait le
mot, aujourd'hui franais, de lascar, soldat, bon
et brave compagnon.
64 L'ATLANTIDf.

XXII

B0N0, BEZEF, BALEK, ETC., ETC.

Hors des casernes du Moghreb, dans la vie


civile, dans les livres, les journaux, les chansons
et chansonnettes, on voit apparatre, un peu
partout, des mots, des refrains de l'arabe et du
sabir, lequel est un pot-pourri de mots du pour-
tour de la Mditerrane.
Ci, comme exemple, une charmante bluette
digne d'tre conserve (i).
On en citerait nombre d'autres, notamment,
et du mme auteur, une bonne plaisanterie sur
une commission parlementaire envoye en Algrie
pour une enqute quelconque; Une commission :
toutes aussi inutiles les unes que les autres.
Franois Bacon, le fameux philosophe anglais,
disait, il y a trois cents ans : Si Dieu avait
runi une commission pour crer le monde, tout
serait encore dans le chaos.
Encore,si les commissions n'taient qu'inutilesl
Mais plus d'une, faite d'ignorants, d'tourdis et
de noceurs, a t nuisible notre Afrique.
Ils vont et viennent, croient avoir vu, concluent
et lgifrent.
(t) De PierreAnselme: nom on pseudonymed'un jour-
naliste.
MANDU SARARA. 65
Dans la chansonnette ci-dessous, il s'agit
d'un dput du Palais-Bourbon. Il fut un
moment clbre pour sa conversion l'Isla-
misme. On le nommait Grenier. C'est l'arrondis-
sement de Pontarlier qui l'avait envoy la
Chambre.

Du turban vert ceignant ma tte,


Prophte au pays du Pernod,
D'un sige j'ai fait la conqute.
Bonol
(Mot sabir : bien, bon, parfait I)

J'aurais pu, candidat honhomme,


Me prsenter sans oripeaux ;
a m'et cot la forte somme :
Douros.
(Mot sabir, tir de l'espagnol : cus, argent.)
Tandis qu'ayant, pour tout programme,
D'un fez d'emprunt couvert mon chef,
Cela m'a fait de la rclame
Biz:f
(Mot arabe : avec abondance, beaucoup.)
On a vot pour ma dfroque,
On a vot pour mon serouel. (Mot arabe : pantalon.)
Et je sub lu. Qu'on s'en moque,
Batel I
(Mot arabe: Qu'importeI)
Et maintenant moi la gloire I
Aprs la Chambre, le Snat I
66 L'ATLANTIDE.
Plus on boit, plus on aime boire.
Chottial
(Mot arabe : un peu, assez, pas un mot de plus.)
On se m'arrache, on m'interviewe.
On prend mon portrait, on se dit :
Quel visage a cet enfant d'Eve?
Chadi.
(Mot arabe: Singe.)
On me rclame au tlphone :
All, de gauche, all par l !
Je rponds, dj presque aphone:
Altahl
(Mot arabe : Dieu, mon Dieu !)
Les femmes c'est de la dmence
Me font les yeux doux, comme a :
Invite ma toute-puissance.
Fora 1
(Mot sabir: force, vigueur, autorit.)
Jusqu'aux enfants qui m'environnent,
M'assourdissant du mme cri!
J'apparais, en choeur ils claironnent :
Cm?
(Mot franais : cirer? Voulez-vous qu'on vous cire
[les souliers?)
Cela durera-t-il? J'espre.
A moins qu'un lecteur rtif
Ne dise : Grenier, Ordinaire (i),
Kif kif\
(Mot arabe : comme, gal, c'est la mme chose.)
(t) Le concurrentde Grenier la dputation.
MANDU SARAIA. 6>
Et que, de snobisme en rupture,
On ne me donne d'un ton sec,
Cong, fin de lgislature.
Balek\
(Mot arabe : Prends garde, gare toi !)
On voit ainsi l'arabe et le sabir se coller au
franais, mais en s'y subordonnant.
Des hommes se coudoient ici, qui sont d'ori-
gines diverses, de moeurs diffrentes, de langues
dissemblables.
Ce qui se passa toujours depuis que le monde
est monde se passe sous nos yeux dans l
Nouvelle France.
Qui se hante, de gr ou de force, finit un jour
par s'assembler, se btonner, sous la suprmatie
du matre de l'heure .
Pourquoi ces refrains de caserne, ces chanson-
nettes, ces mots interchangs de langue langue
ne seraient-ils pas ici le prsage d'une disparition
semblable celle des dialectes indiens devant le
portugais des Sertanejos ou Sertanistas?
S'il y faut des sicles, la France n'a-t-elle pas
des millnaires sa disposition?
Ce qui nous importe avant tout, c'est de dber-
briser et de dsarabiser l'Atlantide par l'octroi
du franais; le reste viendra par surcrot : ides
communes, moeurs semblables, espoirs d'un
mme avenir, amiti, fraternit, abandon du
Coran nous ne disons pas pour la Bible.
Lingua gentem facit: la langue fait la nation.
IV

LES BERBRES
XXIII

BERBRESET ARABES

Quand nous entrmes dans Alger, en l'an


fatidique 1830, nous y trouvmes des Berbres,
des Arabes, des Maures, lite indigne dont
beaucoup descendaient de rengats, des Turcs,
des Koulouglis, fils des Turcs dominateurs et
des femmes du pays domin ; et, bien entendu,
nombre d'Isralites.
Qu'taient ces indignes contre lesquels il a
fallu longtemps se dbattre?

A l'inverse du portugais qui n'eut devant lui,


dans l'Amrique du Sud, que de rares sauvages
dissmins sur des immensits, le franais combat
en Afrique Mineure contre des millions d'ht-
rophones vivant dans une contre assez borne,
mitoyenne, il est vrai, des vastes tendues.
Il a vis--vis de lui, non pas une seule langue,
comme on l'a cru trop longtemps, mais deux.
Ce n'est pas uniquement l'arabe, qui s'chappe
gutturalement de la bouche des Maugrabins.
72 L ATLANTIDE.
Sans doute, il est ici l'idiome religieux, commer-
cial, littraire, politique, ou plutt il tait tout
cela avant 1830 ; aujourd'hui, c'est autre chose :
il ne lui reste que la religion et, jusqu' un certain
point, une royaut littraire sur les Musulmans
de l'Atlantide.
Le second idiome, profondment enracin lui
aussi, c'est le berbre, dont il se peut qu'il soit
autant parl que l'arabe, en plusieurs dialectes.
Deux langues au lieu d'une : grand avantage
pour nous l Si l'axiome Divide ut imperes (1) est
vrai, il vaut mieux avoir affaire deux idiomes
qu' un seul. Chacun des deux tant l'ennemi
naturel de l'autre, ils ne se runiront pas contre
l'idiome conqurant.
En gnral, les Berbres, ou mieux les Berb-
risants sont de plus en plus nombreux mesure
qu'on s'avance vers le couchant. 11n'y en a gure
en Tunisie qu'aux lieux retirs, monts ou dserts ;
on en compte plus d'un million en Algrie (offi-
ciellement, car ils sont probablement 1300000) ;
ils l'emportent en Maroc sur les Arabes.
Il y a donc en Afrique Mineure deux coparta-
geants, sous les yeux d'un troisime larron,
qui est le peuple franais.

(1) Divise pour rgner.


LES BERBERES. 73

xxiy
ORIGINEDES BERBRKS

De la nation des Berbres, non plus que d'au-


cune autre, on ne peut prciser l'origine, ft-ce
du haut de la Chapcllc-aux Saints, le cap lo
plus rcemment surgi de l'Ocan des ges.
L, dans le dpartement de la Corrze, non
loin de la rive droite de la belle Dordogne, on
vient de dcouvrir un mmorable squelette.
Il est bien plus millnaire que ceux des morts,
depuis si longtemps endormis, qu'on coucha jadis
dans les cavernes du pays des Eyzies, quinze
lieues l'occident de celle de la Chapcllc-aux-
Saints, dans la valle parfaitement noble de la
frmissante Vzre. On lui suppose au moins
vingt mille annes.
Quand ces os vivaient, il se peut que l'Afrique-
Mineure tnt l'Europe mridionale par la pr-
sente Andalousie : l'Atlantique ne versait pas
encore ses eaux dans la Mditerrane par la
fissure de Gibraltar ; il unissait sa vague verte
la vague bleue au sud du Rif, par le dtroit de
Taza et de Fs.
Dans des sicles plus reculs encore, ce qui est
devenu notre Cte d'Azur s'ajustait probable-
ment la Berbrie orientale, la rgion de
74 L'ATLANTIDE.

Philippeville, Bne, Tabarque. Maures de Pro-


vence, Corse, Sardaigne, rive Numide ont mme
ossature rocheuse, mme nature intime. Pourquoi
n'auraient-elles pas eu mmes hommes?
Qu'ils aient ou non vingt mille ans ou bien
plus, les Berbres taient peut-tre trs mlangs
dj quand ils communiquaient territorialement
avec la Provence. Peut-tre, mieux vaut dire
sans doute, le pourtour de la mer entre les terres
ayant de tout temps favoris la rencontre des
peuples.
Trs varie, trs confuse et trs guerroyante
dut tre ici, massacres aprs massacres, la mle
des hordes arrives soit de l'Orient, soit du Nord,
autrement dit d'Europe et d'Asie, sans compter
l'Afrique Majeure.
D'Asie et d'Afrique orientale vinrent des
Hymiarites (i), des Arabes, des Chananens (2),
des Coptes (3) et autres Nilotiques, et des fran-
chisseurs du Sahara.
D'Europe arrivrent des insulaires, des pnin-
sulaires, des continentaux, Ibres, Italiotes,
Illyriens, proto-Slaves, proto-Celtes, proto-Ger-
mains, et ceux qu'on ignore.
Quels de ces envahisseurs levrent, plus ou
moins enracins dans le sol, les innombrables

(1) Arabesd'avant Mahomet.


(2)Descousinsdes Arabes,gens du Liban et de la Pales-
tine.
(3)Les gyptiensd'autrefois.
LES BERBERES. 75.
menhirs et dolmens qui couvrent certains parages
de l'Atlantide croire qu'on est en pays
d'Armor (1) ?
Et d'o les yeux bleus, les cheveux blonds,
ct des yeux noirs, des chevelures sombres?
D'o les grands sveltos et les courtauds et
trapus?
Il y a l des problmes qu'on ne rsoudra
jamais. Ce n'est pas la craniologie qui versera
sur eux la lumire. Elle ne pourra que dire, comme
ailleurs : C'est un embrouillamini dont il est
malais de se dbrouiller. >
Que de chocs furieux nous conterait l'histoire
de ces hommes diffrents de corps, de traditions,
d'ides, tous lancs ici en conqurants, en meur-
triers, en dpossesseurs. Mais nous n'en saurons
jamais un tratre mot ; tous les tmoignages ont
disparu. Tout ce qu'on en peut concevoir, c'est
que chaque triomphateur s'empara des meil-
leures valles ; chaque vaincu se sauva dans les
monts o il se btit des citadelles de dfense
sur les pitons aigus, les falaises inaccessibles.
Guerres de tous contre un et d'un contre tous,
avec les abominations que les annes 1914,1915,
1916 (2) nous ont donn le droit d'appeler, d'un
seul nom, prussiennes ou allemandes.
De tous ces lments lequel fut le germe, puis
le support de la future nation commune de
(1) La Bretagne.
(s) crit en 1916(S'oitdts diteurs).
76 L'ATLANTIDE.
T Ile du couchant?. L-dessus point de dis-
cussion possible. C'est de l'Orient qu'arriva jadis
la horde fondamentale, comme bien plus tard
vint aussi des pays du soleil levant l'invasion des
Hilaliens, si forte qu'elle branla la Berbrie,
mais sans la dtruire. Des rgions ici dsertiques,
ailleurs comblesdcs donsde la nature, elle envoya
vers l'Occident, vers le Moghreb, des cavaliers,
des fantassins, en tout cas des ravageurs partis
de l'Arabie sans eau et des valles, des plaines
o le Tigre, l'Euphratc et le Nil arrosent ou arro-
seront des champs magnifiques. Ce sont des
proto-Smites qui inaugurrent la destine do
l'Atbntide.
Avec le temps, tous ces lments se transfor-
mrent de concert, puis se fixrent, ne varielur,
en un peuple dit berbre principalement duqu
par la montagne.
Ne varietur, cette formule n'est gure humaine ;
elle jic vaut que pour quelques jours, quelques
annes, quelques sicles. Depuis que l'histoire les
a inscrits sur ses registres, les Berbres ont conti-
nu s'hybrider fortement, toujours plus,
d'Orient, du Midi, de l'outre-Sahara qu'annoncent
tant de visages noirs. Il y a telles tribus qui
connaissent et reconnaissent leur ascendance
soudanienne. Jusqu' ces derniers temps arri-
vrent des ngres, les uns sporadiquement, par
hasard ; d'autres comme esclaves ; beaucoup
comme guerriers la solde de tel ou tel sultan
LES BERBRES. 77.
qui savait qu'il n'y a pas de meilleurs soldats au
monde et aucun de plus fidle.
Donc, hommes dont il sera toujours impossible
de savoir tous les mlanges auxquels ils doivent
l'tre, les Berbres prcdrent sans doute ici
tout autre peuple; en tout cas les envahisseurs
dont nous entretiennent succinctement les
annales de l'Afrique.
videmment ils habitrent d'abord les belles
et bonnes plaines, les heureuses valles, les lieux
fortuns, les conques tides, les vallons rafrachis
par les fontaines.
Puis, de temps en temps, de la terre, de la mer,
du dsert arrivaient des conqurants quelconques
auxquels il fallait cder crve-coeur le meilleur
de leurs domaines. Ils se rfugiaient alors derrire
les marais, dans les bois, les maquis, la montagne,
le roc hautain, partout o la nature opposait
l'envahisseur son Tu n'iras pas plus loin I
Ceux qui restaient dans le bas pays assimilaient
la longue les irrupteurs par le climat, les femmes,
la plus ancienne adaptation aux vertus et puis-
sances du sol.
Aprs quoi survenaient d'autres envahisseurs,
assimils galement par les Berbres d'en bas
tandis que les Berbres d'en haut se reposaient,
devant les fontaines, des bues lourdes, de la
poussire, de l'nervement de chaleur et de
lumire du pays infrieur . En attendant une
nouvelle descente des montagnards, ceux de la
7$ L'ATLANTIDE.
nation qui n'avaient pas fui devant la horde
triomphante la dcomposaient incessamment
dans la plaine. Ainsi, d'ascension en ascension
force, la race assurait son indestructibilit.
Il n'y eut pas que la guerre avec l'tranger
pour tremper la fibre berbre. Ce peuple ne se
meurtrissait pas seulement en luttant contre
conqurants et razzieurs, contre les assaillants
arrivs par mer et les ternelles sauterelles
humaines, Gtules, Garamantes et autres, mon-
tes du Sahara qui semble bien avoir t une
officine des nations. Il se dchirait de ses
propres mains, de clan clan, de confdration
confdration. Son histoire n'est que de guerre
civile.
Dans un pays si disloqu quo pas une valle
majeure n'y attire une infinit de valles
moindres, l o tout est monte dure ou des-
cente pnible, il n'y eut jamais de cohsion, ja-
mais de paix.

XXV

BERBRESET CARTHAGINOIS

Trois ou quatre cents ans avant la naissance


de Rome naquit Carthage, aussi bien situe que
Rome pour rgir la Mditerrane ; mieux mme
puisqu'elle baignait ses pieds dans la mer magique,
' LES BERBRES. fa
et que sa rivale future bordait un fleuve sans
puissance marine.
Carthage tait une fille des Phniciens, com-
merants et navigateurs arrivs ici sans fracas
militaire, comme le bon passant qui vous apporte
des tissus, des bijoux, du bl, du vin, des mtaux.
Ainsi ont fait les Anglais en Ocanie, en Afrique,
dans tant de pays qu'ils ont fini par acqurir,
on peut dire, sans tambours ni trompettes.
Ces Phniciens, ennemis sournois, n'en taient
que plus dangereux. Carthage enjla les Berbres ;
elle les enrichit, leur vendit, leur acheta ; elle
politiqua avec eux, transigea, subventionna,
corrompit et finalement s'adjugea le nord-est
du pays des Numides. Ainsi nommait-on ces
paysans, ces pasteurs, fantassins sobres, indsar-
onnables cavaliers.
Elle ne semble pas, la ville des orgueilleux
marchands, avoir recul bien loin les bornes de
son empire. Elle installa des comptoirs de troc
l'abri des meilleurs caps de l'Atlantide ; elle
contourna peut-tre le continent noir, elle en
reconnut en tout cas le littoral, soit jusqu'
Sierra-Leonc, soit jusqu'au Gabon, au del d'un
fleuve ray de crocodiles ; elle conquit la Sicile,
l'Espagne ; elle faillit juguler Rome. Mais elle
ne chercha gure s'arrondir sur ce qui aurait
d devenir son domaine minent.
Elle fit comme plus tard Venise qui pensa
moins conqurir des provinces qu' se procurer
6V> L'ATLANTIDt..
pour sa flotte les bois de la Dalmatie et se mna-
ger des comptoirs ait long des rives continentales,
dans des lies et des lots, sur la route des richesses
de l'Orient. L'Angleterre elle-mme, si fameuse
par ses penses de derrire la tte , cette nou-
velle et bien plus grande Carthage ne s'est pas
dit, comme on le croit trop, ds le xvi sicle :
Je vais fonder un empire universel qui fera
l'admiration des sicles. Longtemps elle ne son-
gea qu' trafiquer avec avantage.
Les Carthaginois ne soumirent que l'indispen-
sable, les indignes de leur voisinage. A quel
degr les dnationalisrent-ils? Nous ne savons
gure. Peu sans doute, sinon dans la prochaine
banlieue de leur grande ville.
Si nombre d'entre eux parlrent le phnicien,
beaucoup n'oublirent point l'idiome national.
Les inscriptions, les pitaphes, les ddicaces ne
prouvent rien. On crit, on monumente dans la
langue du matre, de l'opulent, sans trahir pour
cela le verbe ancestral.
N'avons-nous pas, nous Franais, des inscrip-
tions latines sur nos arcs de triomphe et autres
monuments? Ne lit-on pas chez nous des ddi-
caces que presque personne ne comprend, la
majorit n'ayant pas l'honneurd'tre bacheliers
ou, bacheliers, l'avantage de connatre vraiment
le parler de la Rome antique.
Il se peut fort bien que maint Berbre urbain
du temps phnicien ou du temps romain ait
LES BERBRES. Si
rpondu un campagnard qui lui demandait
l'explication de telle inscription phnicienne ou
latine comme fit le Parisien innocent ou gouailleur
interrog par le provincial sur le Lttdovico Magno
de la Porte Saint-Martin : Ce que a veut dire?
Ben quoi! A la porte Saint-Martin!. De ce
Ludovico Magno d'un arc de triomphe, il ne
rsulte point que nous parlions comme on parlait
Rome.
Quand Rome eut dtruit l'ennemi de son
repos, elle trouva devant elle en Afrique l'indra-
cinable nation de l'Atlas.

XXVI

LES BERBRES ET LES ROMAINS

A maints conqurants assimils la longue


succdrent en Numidie, en Mauritanie, les
hommes les plus persvrants 411'ily eut jamais,
les fils de la Louve . Ils y rgnrent plus de
cinq sicles, ils y btiront j>our l'ternit, puis
ils disparurent.
Si montagnards qu<; fussent les Berbres et
quelque entts qu'ils taient, comment purent-
ils rsister au gnie de Rome dont la puissance
tait alors infinie?
Que les monticoles ombrags par les cdres de
l'Aurs, du Djurdjura, de l'Ouarsnis, aient
6
82 L'ATLANTIDE.
tenu bon, loin des routes familires aux lgions,
cela se comprend assez. D'ailleurs, on ne tenta
point de les submerger.
Rome n'immigra pas assez en Afrique pour
les noyer dans un peuple de Latins. Ses colons
furent surtout des fonctionnaires, des budg-
taires, des lgistes, avocats et avocaillons, des
prteurs sur gages, des spculateurs, des richards,
des retraits, des latifondiaires. Point de paysans,
de laboureurs, dont manquait de plus en plus
l'Italie elle-mme.
C'est par l'administration, les lois, l'usure, la
sportule, le cirque, le thtre qu'elle latinisa,
petitement, il semble, l'Afrique de son vis--vis.
Dans notre Atlantide, aprs deux millnaires,
nous sommes comme crass par la grandeur
romaine : amphithtre d'El-Djem, fort de
colonnes de Timgad, monuments de Lambse,
ruinesde Cuicul, Tbessa la romaine, temples de
Dougga, de Sbeitla, profusion de dbris, aque-
ducs, ponts, vo:es dalles, pressoirs huile,;
villas, tombeaux disperss dans la solitude.
Nous devenons songeurs devant les pierres
votives avec leurs V. S. L. M. Votum solvit
lubens merilo (i) ; devant les inscriptions.
tumulaire3 avec les initiales consacres, D. M. S.
Dis manibus sacrum (2).
Surtout nous nous inclinons, avec une sorte
(1) Offertde bon coeur qui l'a mrit.
(2) Aux Dieux mnes aux Dieuxdes mes des morts.
LES BERBRES, 83
de nostalgie historique, devant le G. D. A. S.
Genio domus Augusloe sacrum (1) qui com-
mence tant et tant de ddicaces ; il nous apprend
que Rome et la maison des Csar furent pour le
monde un espoir ml de terreur et d'adoration.
Les Romains ont fait de trs grandes choses
dans le peth monde allong de l'Atlas, en raison
directe des distances qui sparaient ce monde
de YUrbs (2) qui devenait de plus en plus \Or-
bis (3). Ils se dpensrent beaucoup l'Est dans
la Numidie (Tunisie et province de Constantinc),
bien moins dans la Mauritanie Csarienne
(provinces d'Alger et d'Oran), trs peu dans la
Mauritanie Tingitane (Maroc).
Mais, ce? grandes choses, ils les firent en tant
que matres, organisateurs et payeurs, non
comme ouvriers. Ils exploitrent, ils ne coloni-
srent point, courbs' vers le sol et la sueur au
front. Ils se plaqurent sur la Berbrie plus
qu'ils ne la pntrrent. Puis, c'est surtout dans
la plaine et sur les hauts plateaux qu'ils domi-
nrent ; ils se soucirent peu de conqurir le
haut djebel. Or, a dit Bugeaud, on ne tient la
plaine que par la montagne : de l tant de rvoltes
des gens d'en haut rudement chties par les
lgions d'en bas.
Pour y revenir, il appert que leur participation

(t) Au gnie de la maisonAuguste.


(i) La ville par excellence: Home.
(3) La Terre, le Globe, l'orbe des terres.
84 L'ATLANTIDE.
l'panouissement de l'Afrique romaine fut
surtout celle du grand propritaire, la direction.
Or, les grands domaines ont leurs mrites et leurs
torts ; il faut des hommes poigne pour les
tenir en ordre ; ils n'attachent profondment au
sol que leurs possesseurs ; ils ne nouent pas l'me
du travailleur au lieu de son travail. Comme l'a
dit un Romain : Les vastes proprits ont perdu
l'Italie (i).
Toutefois,qu'on n'exagre point trop l'insuffi-
sance de la colonisation romaine. Le vainqueur
des vainqueurs, Csar installa nombre de vt-
rans et autreslatinisateurs dans l'Extrme-Orient
du Moghreb ; Carthage restaure reut des Ita-
liens en foule ; nombre de vieux soldats et, leur
suite, des civils s'tablirent Hippo Diarrhytus
(Bizerte), Clypea, Curnbi, Neapolis, Corpi,
Maxula, Uthina, Thuburbo Majus, Assuras,
Sicca Veneria (le Kef), devenus de pauvres bour-
gades ou des ruines dans la brousse : cela en
Tunisie. En Algrie ils occuprent Cirtha, Igilgeli
(Djidjelli), Saldse (Bougie), Ruzazus, Rusgunia,
Gunugi, Cartennos (Tns), Tubusuptus, Zucca-
bar, Oppidum Novum ; en Maroc, Tingi3 (Tan-
ger), Zilis, Balba, Banasa, Lixa (2).
Trs probablement la latinisation des Berbres
fut une apparence plutt qu'une ralit pro-

(t) Latifu na perdidereItaliam.


(2) D'aprs Mommsen,un grand savant, en mmetemps
qu'un solide Frantottnfrnser ou avaleur de Franais
LES BERBERES. 85
fonde. Ds que la puissance romaine ne fut plus
discute, que les rvoltes ne furent que locales
et vite touffes, l'indigne vcut comme devant,
homme de peine, domestique, mtayer ou fer-
mier de l'Italien, comme il l'avait t du Cartha-
ginois. A part quoi, l'indiffrence fut son viatique:
les ruraux sont fatalistes, paysans comme ber-
gers, la nature leur ayant tant de fois montr
qu'elle seule est reine et matresse ; la foudre, les
orages, les inondations, les sauterelles, la sche-
resse domptent la superbe du colon. D'ailleurs,
incurablement diviss entre eux, comme partout
o la dmocratie rgne, trs peu de Numides se
sentaient Berbres contre Romains.
L'autochtone se rsigna donc devant Rome
comme il l'avait fait devant Carthage. Il cultiva
le bl pour la faim de la Ville ternelle ; il soigna
l'olivier, tourna la meule du pressoir huile, fit
patre le mouton, charroya sur les routes droites
dont la nation souveraine sillonnait son royaume
universel. 11 sut ce qu'il fallait savoir de latin
pour obir au doigt et l'oeil. Le Romain, lui,
commandait. Il dormait dans sa villa pave de
mosaques ; il philosophait en grec ou dans la
langue impriale en se promenant sous les por-
tiques des bains de marbre ; il intriguait pour
les honneurs politiques, religieux, administratifs
ou municipaux. Et chacun, le matre et le servi-
teur, de rester peu prs lui-mme.
Sallustc, l'historien latin qui connaissait les
86 L'ATLANTIDE.
Numides pour les avoir gouverns et pills,
disait d'eux Mauri vanttm gcnns les Maures,
race vaine, vaine, dans le sens de changeante,
inconstante, tourdie. 11ne se doutait pas qu'elle
rsisterait des sicles de domination latine, et
probablement qu'il ne s'en souciait gure.
Aprs Rome, il en fut de mme avec les Van-
dales et les Grecs, matres phmres.
Horde sans doute germanquc (s'il y eut vrai-
ment des Germains qui n'taient que Germains),
les Vandales, partis de la grande plaine euro-
penne, parcoururent les pays du Danube, du
Rhin, les Gaules, l'Ibrie et franchirent le dtroit
de Gibraltar. Arrivs dans l'Afrique du Nord, ils
la saccagrent en courant. C'est de Carthage
qu'ils rgnrent pendant un peu moins de cent
ans. Sortis des brumes de la Vistule, de la Bal-
tique, ces grands blonds ou roux fondirent en
trois gnrations sous les soleils mditerranens.
Les Grecs durrent un peu plus d'un sicle prs
de ce qui avait t leur Syracuse, leur Agrigcntc,
leur grande Grce, l'ouest de la Pentapole de
leur Cyrnaque. Ils ne dbarqurent pas Car-
thage en colons, mais en soldats et en fonction-
naires ; ils y continurent la civilisation romaine
et non l'hellnique. tant officiellement Empire
Romain, ils continurent l'oeuvre de Rome.
Ils pourchassrent les toujours inquiets et tur-
bulents Berbres en Numidie, en Mauritanie
jusque sur les plateaux oranais ; ils btirent des
LES BERBRES. 87
forteresses avec les pierres et, au besoin, avec les
bas-reliefs, les statues des portiques, des temples,
des arcs de triomphe. Les jours du dpart venus,
il ne resta rien d'eux que ces forteresses, ces
postes de dfense contre les autochtones.
Alors Numides et Maures eurent devant eux
un ennemi qui dura deux trois fois ce que
durrent Romains et Grecs, et qui mme dure
encore.
Ce nouvel envahisseur fut l'Arabe.

XXVII

LES DBUTSDE LA CONQUTEARABE

Sfax, reine des oliviers, a dtourn pour ses


jardins, et surtout pour boire sa soif, une bonne
part des belles fontaines de Sbeitla, qui est une
bourgade de la Tunisie mridionale.
Sbeitla fut Suffelula, nom purement carthagi-
nois qui fait conclure une colonie phnicienne
devenue par la suite romaine, comme le prouve
un rare ensemble de monuments, ruines et dbris
de l're impriale trois temples lgants, des
restes de palais, de thermes, d'amphithtres,
un arc de triomphe debout prs d'un autre
abatl", le trac, visible encore, des rues, des
places, et, comme toujours, une profusion d'ins-
criptions, d'pitaphes et des amas de pierres
88 L'ATLANTIDE,
dont on ne peut s'imaginer ce qu'elles furent.
En l'an 647, ce comptoir phnicien, cette bour-
gade numide, ce municipc romain devint soudain
une ville arabe.
Les Romains taient un peuple de fantassins,
les Arabes un peuple de cavaliers, et c'est en
cavaliers qu'ils arrivrent bride abattue devant
Suffetula, dont ils firent Sbeitla.
Ils venaient d'o jadis les Phniciens taient
venus, de l'Orient, de la Syrie, de la Msopo-
tamie, de l'Arabie, par-dessus la sereine Egypte
et les longs sables altrs de la Tripolitaine.
L'arme grecque dtruite devant Suffetula, la
puissance byzantine anantie, un galop effrn
les .mena jusqu' l'autre bord de la terre de
l'Atlas, jusqu' la rive mme de l'Atlantique. 11
fallut la grande vague amre pour les arrter ;
sans elle ils auraient couru jusqu'au bout du
monde, la gloire du prophte d'une religion ne
depuis moins d'une vie d'homme dans les rocs
et sables de l'incandescente Arabie.
Ils avaient chevauch l'Atlantide d'outre en
outre, ils l'avaient effarouche, mais ne l'avaient
aucunement soumise. Pourtant, en lui imposant
des chefs, des * hommes de la prire , ils avaient
sem le grain de l'Islam dans l'Afrique septen-
trionale.
Vingt-deux ans aprs leur ente dans l'Atlan-
tide, ils btirent ici leur grande ville de Kai-
rouan. Conformment leur nature de nomades
LES BERBRES. 89
rdant autour des points d'eau, ils l'tablirent
dans un pays d'herbes sches, prs de champs et
de jardins arross par les canaux tirs de deux
oueds descendus de monts neigeux en hiver.
En 669, ils s'emparrent de Carthage.
Entre temps le jeune Islam commenait
s'emparer des Berbres. Il en faisait des guerriers
de la foi qui, sous le nom de Maures, conqu-
raient l'Espagne et ne reculaient que devant les
Gallo-Romains, entre Poitiers et Tours. Insen-
siblement, le nombre des Islamiss s'accrut jus-
qu' devenir vers le xne sicle au moins la moiti,
sinon presque le tout, sans qu'il y et encore
beaucoup de vrais Arabes dans 1' Ile de l'Occi-
dent .

XXVIII

INVASIONDES HILALIENS,RECULDES BERBRES

Alors, parti d'Egypte, s'croula sur la Berbrie


le flot des Hilaliens, Arabes de sang et d'esprit.
On ne sait combien de ces Smites envahirent
le Moghreb, mais il en vint presque srement des
centaines de milliers : assez pour s'adjuger en
bas les meilleures plaines, en haut les meilleurs
ptis au bord des sources et des dayas (i). Assez
galement pour commencer d'assimiler les Ber-
(1) Mot arabe: mares non tarissantes sur des argiles
anches.
90 LATLANTIDE.
bres par l'influence d'une langue religieuse
lent et long travail qui n'a cess que sous le
principat des Franais et encore dans ces der-
nires annes seulement.
Remonts par force dans la montagne ardue
ou demeurs stoquement dans le pays d'en bas,
des clans, des tribus, mme des confdrations
kabyles finirent par adopter l'arabe. Inverse-
ment des groupes arabes, mais en moins grand
nombre, passrent au berbre. Naturellement, les
montagnards furent plus rsistants que les
planicoles.
Tous comptes faits, le sang berbre domine un
peu partout, mais l'idiome arabe a gagn de
vastes districts.

XXIX

RSIDENCE DES BERBRES


NOMBRE DES BERBRES

Sont rests fidles la parole ancestrale, brise


en dialectes et sous-dialectes, un nombre encore
indcis de millions d'hommes.
L o palpita Carthage et o vit Bizerte, l
o Rome dressa les colossales arnes d'El-Djem
et o nous faisons jaillir du sol les arsenaux de
Ferryville, donc en Tunisie, le sang prdominant
est certainement le leur plutt que le sang arabe.
Mais cent mille hommes seulement, probable-
LES BERBRES. Q
ment moins que plus, sont rests Berbrophones :
dans l'le de Djerba.oles palmiers triomphent;
dans les monts dchiras des Ourghamas et des
Matmtas, clbres par leurs ksours (1) troglo-
dytiques ; dans les environs de Gabs; chez les
Ouled-Trid du voisinage de la Medjerda; aux
pays de Bja et du Kef.
Cent mille peu prs, sur bientt deux millions
d'hommes, c'est dire quel degr la race fonda-
mentale de la contre s'est imprgne de smi-
tisme.
En Algrie, on en compte 1 300 000 ou un peu
plus d'aprs un matre es choses berbres (2),
concentrs ici, disperss l. Ils sont plus nom-
breux l'est qu' l'ouest d'Alger ; or, mesure
qu'on s'loigne de la patrie des Arabes, de la
pninsule arabique, de 1' * le des Arabes (3), de
la Syrie, de l'Egypte, plus il devrait rester de
Kabyles au milieu des hommes dont la langue
est celle des sourates ou versets du livre ins-
pir .
La raison en est que les Berbres se sont retran-
chs en Numidie sur des djebels sourcilleux,
hachs, prodigieusement ravins : dans l'Aurs,
qui commande au loin les plateaux de Constan-
tine, et dans le Djurdjuia dont Alger contemple

(1) Pluriel de Ksar, mot arabe : bourg plus ou moins


fortifi.
(2) M. Dout.
(3) C'est la Msopotamie.
92 L'ATLANTIDE.
les neiges automnales, hivernales et printanires.
A l'occident de la capitale de la Berbrie, on les
rencontre surtout aux environs de Miliana, dans
les monts littoraux du Zaccar, du Dahra, des
Trarzas ; dans les gorges de l'Ouarsnis, etc. Les
oasis de l'heptapole des Bni-Mzab sont pure-
ment berbres. Les documents officiels n'admet-
tent qu'un peu plus d'un million de Bcrbro-
phones, contre 3 627 000 Arabophones : un peu
moins du tiers; ils sont plus du tiers si l'on
croit plutt aux 1300000 revendiques comme
probables par les matres berbrisants. Toujours
officiellement, 438 000 vivent dans la province
de Constantine, 509000 dans celle d'Alger et
32 000 dans celle d'Oran. '
Que dire du Maroc, de cette contre dont on
portait la population 8, 10, 20, mme
30 millions, alors qu'elle semble osciller entre
3, 4, et, la rigueur, 5? Tout ce qu'on sait, sans
aucune prcision, c'est qu'il se divise en deux :
un Maroc plutt arabophone ayant son ple
Fs, et un Maroc plutt berbrophone qui a
sa tte Marrakech. On admet que l'lment
kabyle y domine en nombre, et peut-tre de beau-
coup, l'lment arabe. Toutes origines part, car
le fond du fond est numide, ainsi que dans toute
l'Afrique atlantidienne. Qu'ils soient la moiti,
les trois cinquimes,on a dit : les deux tiers,
la prpondrance de l'lment le plus autochtone
en Maroc compense plus ou moins celle de Tl-
LES BERBRES. 93
ment smitique en Algrie et en Tunisie. Si
bien que, berv:>*3comme principale origine,
la Nouvelle France est encore demi
berbrophone, majgr la supriorit de l'arabe
comme langue mondiale la rencontre des trois
continents de l'ancien monde.
Tromps par les villes arabisantes du littoral,
par les marchs arabes voisins de ces villes, par
la langue des grands chefs, des hommes de
grande tente , des imans, des marabouts, par
le muezzin qui, du balcon de son minaret, chante
nasillardement les appels la prire, la France
crut de bonne foi que tous les indignes parlaient
comme la Mecque, qu'ils taient de mme race
et de mme observance, l'exception des
Isralites.
A tousses adversaires maugrabins,elle attribua
l'idiome rauque, sortant de la gorge par explo-
sions violentes, o les Roumis (i) taient traits
de Kelb (2) et de Djifa ben Djifa (3).
Ainsi a-t-elle donn plus d'ascendant au latin
de l'Islam. On l'a mme accuse d'avoir, ce
faisant, contribu dberbriser diverses tribus ;
on peut au moins lui reprocher de ne les avoir pas
prserves de l'arabisation.
Temps heureusement passs depuis notre
entre au Maroc. Nous n'ignorons plus que sous

(t) Chrtiens,Europens,Franais.
(2) Chien.
(3) Charogne,fils de charogne.
94 L'ATLANTIDE.
certaines apparences arabes vit en Afrique
Mineure un peuple la fois jeune et vieux, bien
plus rapproch de nous par sa vie ordinaire, ses
moeurs, ses lois, ses ides, que la race partie de
l'Orient le plus sec et le plus lumineux.

XXX

LES BERBRESET LES FRANAIS

C'est donc sur le Berbre plutt que sur


l'Arabe qu'il convient de nous appuyer en Atlan
tide.
En bien des choses il ressemble aux paysans
de France. Avant tout, il est plus ou moins de
notre race, dans le sens o il y a des races races
indfiniment mles.
Si l'espce humaine rpond plus ou moins en
majorit aux clans de Sem, Cham et Japhet,
le Berbre est japhtiste. Il appartient la
famille blanche ; il semble avoir eu peu ou point
d'accointance avec la famille jaune, mais les
esclaves soudaniens ont bruni, bistr, olivtre
sa peau.
On les assimilerait volontiers nos Cvenols,
nos Rouergats, nos Auvergnats, nos Gascons,
Languedociens et Provenaux. Sur la place d'un
march kabyle, on dirait que les paysans sont
LES BERBRES. 95
des paysans nous, sauf, le costume et un visage
bruni par des soleils suprieurs;
Amoureux fous de la terre, leur vritable
pouse, habiles dtourner des filets d'eau sur
des jardins et vergers, sur des prs soigneuse-
ment surveills ; peu polygames, suffisamment
pargnistes, ils sont de force bcher toute la
Berbrie montagneuse ou collinire.
Ils nous en donnent des preuves constantes :
si deux trois millions d'hectares de l'Afrique
Mineure appartiennent aux colons, ce n'est pas
au dtriment des Berbres, mais au dommage
des Arabes qui, l mme o ils vivent dans des
gourbis (1), ont toujours' dans le sang le noma-
disme ancestral et, par cela mme, se soucient
peu des champs paternels auxquels ils prfrent
la guitoun (2) ternellement voyageuse.
A cela plusieurs raisons. D'abord les Hilalicns,
pour le dire encore, puis les Arabes de l'infiltra-
tion lente ont prfr la plaine et les plateaux
aux monts, et leurs moutons, duqus par la sche-
resse du pays, s'accommodaient assez bien des
herbes roussies et rties. Puis, toutes les fois
qu'un grand chef, pseudo-descendant de Maho-
met, pouvait piller,* manger ,comme ils disaient,
une tribu ou sa tribu lui, sa justice avait
un champ plus facile dans les grands parcours
o les troupeaux errent leur aise que dans les
(1)Mot arabe devenu franais
-
: cabane.
(z) Motarabe : tente.
Q L'ATLANTIDE.
troits jardins du pays o l'on ne peut gure user
de Y enveloppement cher aux dtrousseurs.
Les seigneurs arabes confisqurent donc les
espaces o le cheval va comme le vent pour l'at-
taque ou pour la fuite, de prfrence aux pentes
ardues, aux sentiers caillouteux des Kabylies.
Bref, les Arabes se dispersrent sur les sols
o se dmnage aisment la tente, les Berbres
se concentrrent sur les versants o l'eau ruisselle,
dfaut des fonds opulents d'o les avait
chasss le sabre des convertisseurs.
Or, ces fonds longeaient ou avoisinaient le
littoral, ou bien ils remontaient les valles inf-
rieures, non sans palus fivreux que les Arabes
n'avaient ganie d'exonder puisque la volont
d'Allah les avait marqus pour le paludisme.
Mais, s'ils avaient conserv les marais, ils
s'taient fait une joie d'extirper la fort, ne se
doutant pas que la sylve est la mre des fon-
taines.
L'occupation de l'Algrie ayant commenc
par le littoral et les plaines, Mtidja, campagne
de Bne, alentours d'Oran, la colonisation fit de
mme. Ce fut donc le domaine des Arbia (i)
qu'elle raccourcit, et non point celui des Berbres.
Dans les larges valles de l'intrieur, sur les
routes de commerce, de colportage, d'Alger
Oran le long du Chliff, sur les amples plateaux

(i) C'estla formearabedu nom.


IES BERBRES. 97
'dautour de Constantine, ce furent encore des
Arabes que rencontrrent nos armes, puis nos
colons. Nous no nous heurtmes gure aux
Kabyles qu' la pente de montagnes que nous
finmes de gravir en 1857.
Aprs quoi, tous les Berbres soumis, et moins
forts dans la paix que dans la guerre, nous avons
t vaincus par eux dans la lutte pour la posses-
sion du sol.

XXXI

LE BERBRETIENT BON

A l'ouest de la * carrire de craie d'Alger la


Blanche, les Franais, franciss, trangers assi-
milables ont tendu toujours plus loin le domaine
europen, surtout dans la province d'Oran o la
conqute de la glbe est presque trop rapide,
tant les Roumis y empitent vite sur les indignes.
lien est autrement l'est de la ville dlicieuse,
et, justement, cet orient du Moghreb central est
bien plus berbre que son occident, spcialement
que cette Oranie.de beaucoup le moins numide et
maure des trois compartiments de l'Algrie. .
Dans le milieu de ladite Algrie, dans la pro-
vince d'Alger, les Europens ont vendu aux indi-
gnes, de 1900 i9i3,donc. en treize annes,
39 405 hectares ; ils l^r en ont achet 123 912 ;
98 L'ATLANTIDE.
ils ont donc accru leur domaine de 84 507 hec-
tares.
En Oranie, ils l'ont agrandi de 218827, par
72317 de vente et 291 144 d'achat.
Mais dans la Constantinie ils en ont cd
88538 et n'en ont acquis que 108524: d'o
19986 seulement de bnfice.
Durant ces treize annes les colons ont donc
mis la main sur 323 320 hectares, soit en moyenne
24 870 par an.
Voil comment la France avance en Afrique
Mineure, la Tunisie et le Maroc part.
Ainsi, plus une rgion est arabe, plus nous y
gagnons sur les indignes ; plus elle est berbre,
moins nous y conqurons sur les antiques occu-
pants du sol.
Nulle part ce fait ne s'est mieux manifest que
dans la belle valle du fleuve de Bougie ; les
villages franais n'y ont gure grandi : plusieurs
se sont rtracts sur eux-mmes comme la
fameuse Peau de Chagrin de Balzac. Les
paysans kabyles dpossds par le squestre la
suite de la rvolte de 1870-1871 y reprennent
beaux deniers les terres qu'on leur confisqua,
beaucoup plus qu'ils n'en cdent contre argent
comptant.
Il en a t de mme dans le bassin du fleuve
Sbaou, ce gave toujours coulant et courant qui
serpente au milieu de la Grande Kabylie. Des colo-
nies y furent cres sur les terres enleves aux
LES BERBERES. 9
Berbres aprs l'insurrection qui amena ces mon-
tagnards jusqu'en Mtidja, dix lieues d'Alger,
aucune n'a vraiment arrondi son territoire.
Celles de la Mcdjana non plus, sur le haut pla-
teau, souvent glacial, o les partisans de l'insti-
gateur de cette mme rvolte (i) se virent svre-
ment punis par la dpossession.
On a vaincu les Berbres jusque sur les plus
hauts pitons de leurs adrars (2), mais on ne
leur enlverait leurs terres que par une exter-
mination pure et simple, ce qui serait abject et
digne de l'Allemagne.
Cela se doit d'autant moins qu'ils adoptent
rapidement le franais comme idiome familier.
Garons et filles de Kabylie se pressent dans nos
coles ; point de villages, peut-tre point de
hameaux o l'on ne trouve plusieurs personnes
avec qui s'entretenir dans l'idiome de oui.
Parmi nos tirailleurs, vulgo les turcos, il y a
telles compagnies o, sur vingt Kabyles, quinze
parlent fort bien le franais et dix l'crivent
tolrablement ; tandis qu'il n'y a, toujours sur
vingt, que dix Arabes pour le parler peu prs,
et deux pour l'crire tout juste.
(1) Le bachagha Mokhr.ini; il fut l'une des premire)
victimes.
(3) Mot kabyle : montagne, chane de monts.
100 L'ATLANTIDE.

XXXII

MOINSEN BERBRIEQUE LES


NOUSCOLONISONS
BERBERESEN FRANCE

Nous manquons d'hommes, faute d'assez de


naissances, mais les Kabyles sont l.
Non seulement les vieux Numides, les vieux
Maures d'Algrie, de Tunisie et de Maroc non?
fournissent le dclanchcmcnt do la baonnette
sur les champs de bataille d'Europe, d'Afrique,
de partout ; non seulement ils nous achtent des
terres en Algrie ; mais, fait nouveau d'une incal-
culable porte, ils nous aident en France, sur les
quais, dans les usines, les mines, les fermes.
On en compte dj des milliers chez nous, en
attendant les dizaines de milliers, Marseille,
Paris, dans le Nord, le Maine-et-Loire, VEure-ct-
Loir, la Creuse, l'Indre, le Puy-de-Dme, la
Meurthe-et-Moselle.
Ils nous prtent leurs bras, de la Mditerrane
la Manche. Chaque Kabyle remplace pour nous
aide prcieuse, un Espagnol ou un Italien,
d'ailleurs facilement assimilables ; ou un Belge,
de nos cousins s'il est Wallon, ou tel ennemi
sournois s'il est Allemand.
En France, ils apprennent le franais, s'ils ne
le savent dj, s'en tant instruits dans les nom-
LES BERBERES. 101
breuses coles des Kabylies. Revenus chez eux,
ils contribuent franciser leurs voisins: ainsi
par eux se cimentent lentement les deux Frances.
Ce n'est encore qu'un petit commencement.
Quand des centaines de milliers cultiveront nos
champs, feront nos moissons, nos vendanges,
porteront nos fardeaux, extrairont la houille et
lo fer, achteront nos terres, coloniseront la
France, l'union des Gaulois et des Numides bra-
vera les sicles.
Leur exemple finira par entraner les Arabes
qui deviendront ainsi nos serviteurs, nos amis.
Le jour viendra ^ui nous fera adopter comme
ntres toutes les gloires de l'Atlantide : nous
lverons des statues : Hannibal le Carthagi-
nois comme au Napolon d'Afrique ; l'Arabe
Abd-cl-Kader dont les Musulmans auront con-
serv la lgende comme nous celle de Vercing-
torix ; aux empereurs Amohades ou Almoravides
qui combattirent- en Espagne (ainsi Nmes
a dress la statue de l'empereur Antonin) ;
Ibn-Khaldoun, le Tunisien qui fut le grand histo-
rien des Berbres.
Il y aura encore des Pyrnes, mais il n'y aura
plus de Mditerrane. Un mme peuple vivra sur
les deux rives opposes de la 4 Mer du Milieu .
10* L'ATLANTIDE.

XXXIII

MASSINISSA

Massinissa fut un roi des Numides, autrement


dit des Berbres, au temps de la dernire guerre
des Romains contre les Carthaginois. A l'ge
de quatre-vingts ans, encore vaillant cavalier, il
chargeait l'ennemi, pareil un Joachim Murt
d'Afrique.
On a dcouvert Lambsc la pierre tombale
d'un Massinissa, chef de lgionnaires romains.
Serait-ce celle du grand chevaucheur d'autour
de Cirtha? Il n'est gure probable. Quoique "alli
de Rome, et sans doute plus ou moins romanis,
il dut tre enseveli prs des siens, dans un pan-
thon royal.
Quoi qu'il en soit, le gnral Bouscaren lui a
consacr un monument funraire avec la ddi-
cace:

A mon camarade le gnral Massinissa.
A cette poque, on ne souponnait pas quels
liens unissent peut-tre, depuis l're immmo-
riale, les Franais aux Berbres, et comment nous
avons des chances d'tre frres et cohritiers ; et
comment il n'est pas impossible que nous ayons
le crne fait de mme.
LES BERBRES. 103
Cette pitaphe reconnat qu'avant l'Afrique
romaine vivait ici une Afrique numide. Nous
revendiquons l'hritage de l'une aussi bien que
de l'autre.
Ce que nous avons de mieux faire c'est d'imi-
ter le gnral Bouscaren, de traiter les Berbres
en bons camarades.
Appuyons-nous sur eux comme sur un des
matres piliers de l'empire.
V

LES ARABES
XXXIV

PREMIERE ET FAUSSE OPINION DES FRANAIS


SUR LES ARABES

A peine tions-nous entfs dans Alger, peine


matres de Bne, d'Oran, avec urgence extrme
de ne pas nous hasarder dans les banlieues sous
peine d'tre griffs par la panthre ou dcapits
par les Maugrabins, et dj des abstracteurs de
quintessence, des historiens, des philosophes,
des publicistes nous faisaient honte de l'immo-
ralit de notre entreprise.
Pourquoi, disaient-ils, vous tre attaqus
ce grand, ce noble, ce chevaleresque peuple?
Avez-vous donc oubli Bagdad, les Califes,
Haroun-al-Rachid, Svillc, Cordoue, Grenade,
la Giralda, l'Alhambra et le dernier des Aben-
crages?
Sur le champ d'agonie de l'an 732 entre Tours
et Poitiers, probablement aux lieux o le Clain
transparent tombe dans la Vienne rougetre,
n'y avait-il pas d'un ct des barbares, nous, et
des polics, eux, de l'autre ?
.io8 L'ATLANTIDP.
4 Tout au long des Croisades ne furent-ils pas
moins grossiers, peut-tre moins cruels que les
Chrtiens?
4 Ne vous souvenez-vous pas que, durant le
premier moyen ge, ils furent longtemps les
matres des arts, des sciences, de ce qu'on nomme
aujourd'hui la civilisation?
Leur pope guerrire, leur conqute du
monde en Asie, en Afrique, en Europe, ne fut-elle
pas la plus rapide, la plus brillante que l'histoire
connaisse?
Tout cet loge est vrai, mais n'est vrai qu'
demi. La conqute arabe fut moins une conqute
qu'une razzia bride abattue ; elle n'eut de
dure, elle ne prit de consistance qu'aprs la
conversion l'Islam de peuples tels que les
Berbres, vritables acqureurs de l'Espagne.
L'art arabe eut pour vrais prtres les Persans.
Leur science fut emprunte aux Grecs byzan-
tins et ils n'agrandirent gure le domaine des
connaissances. Mais enfin leur passage dans
l'histoire fut comme un blouissement ; surtout
leur langue fit comme antan le latin ; elle
s'annexa la Syrie, la Msopotamie, l'Egypte,
la Berbrie, faillit submerger l'Espagne, et
resta l'idiome rituel d'une partie de l'orbe des
terres.
Ds avant 1830, l'Europe tait frue d'orienta-
lisme, aprs l'avoir t d'un hellnisme qui n'est
point mort et ne mourra point, parce que la Grce
LES ARABES. IOt)
fut avec Rome, et avant Rome, l'initiatrice du
monde.
Orientalisme, vrai dire, de bric- brac o se
confondaient le Turc, le Persan, l'Arabe, le
Bosphore, le Nil, les Pyramides, les cyprs de
Scutari, les orangers de Smyme, les roses de
Chiraz. C'est pourquoi l'Algrie fut populaire
en France sous sa forme exotique, non sous sa
forme politique, coloniale, franaise.
On comptait y trouver ds le rivage les pal-
miers de Jricho, les jardins d'Ispahan, les lianes
tropicales, les arbres gants, les odeurs suaves
ou capiteuses. De mme, on croyait n'y rencontrer
que des sultans justeset ils taient injustes,
que des chevaliers et presque tous ils n'taient
que des cavaliers , que des servants du Dieu
unique et ces servants n'taient gure que des
marabouts sales, obtus ou insenss et d'effronts
thaumaturges.
Pourtant, ds lors, il y eut parmi nous des
envots qui ne virent que des hros et des sages
dans ce peuple parpill, semblable aux autres
en ce qu'il ne vaut ni plus ni moins qu'eux.

XXXV
OPINION PLUS CONFORMEA LA RALIT

Peu peu la vrit s'est faite ; elle luit main-


tenant au grand jour.
110 L'ATLANTIDE.
On a fini par savoir qu'en nous installant chez
les Barbaresques, nous ne v iolmes aucunement les
droits d'une nation autochtone, homogne ; nous
entrmes alors dans un pays maintes fois occup
par des familles diverses, venues des trois conti-
nents que la Mditerrane frange de ses flots bleus.
En ralit, nous envahissions notre tour,
aprs un dernier conqurant, aprs l'Osnianli, une
contre devenue res nullius, un domaine banal
force d'avoir t res omnium, la chose de tous.
L'Afrique Mineure ressemble en cela exacte-
ment la France o se sont rencontres des
milliers peut-tre de tribus diffrentes, depuis nos
pruniers anthropophages jusqu'aux derniers de
nos pacifistes intransigeants.
Quand nous dbarqumes, le 14 juin 1830,
sur la plage de Sidi Fernich, quelque peu
l'occident d'Alger, ce n'tait aucunement pour
dpossder des Arabes. Qui pensait alors eux?
C'est des Turcs que nous avions affaire.
Nous venions simplement chtier des corsaires
et renverser un gouvernement qui n'avait abso-
lument rien de national en Afrique du Nord.
C'tait au contraire un gouvernement de con-
qurants, d'oppresseurs, d'extorqueurs, de strili-
sateurs, un pouvoir d'ailleurs vr.cillant par les
ambitions et par les trahisons d'un despotisme
militaire, incessamment fait, dfait, refait par
sos janissaires, qui taient une milice sanglante
et dsordonne.
LES ARABES. III
Les janissaires, turcs, aventuriers, rengats
italiens, provenaux, grecs et autres, ne tenaient
le pays et ne remplissaient leur escarcelle qu'avec
le secours de tribus indignes, dites tribus
maghzen, qui levaient l'impt, le sabre la main,
en retour de certains privilges.
Nous n'asservmes certes point l'Atlantide
centrale, nous la dlivrmes ; aprs quoi nous
avons libr le Moghreb tunisien, puis la houle
des monts du Maroc.
Aprs des guerres, des traverses dont les
moindres n'ont pas t la longue malveillance
des Anglais, puis la stupide haine de l'Allemagne,
la France est arrive possder, connatre,
aimer son Afrique maugrabine. Elle a dissoci
les Arabes, que, seuls, elle avait entrevus d'abord,
de ce qui n'est arabe qu' demi et de ce qui ne
l'est pas du tout, Maures, Isralites,^ Berbres,
lments veins de noir. Elle a su ce que valent
les Ismalites en qualits, en dfauts ; elle voit ce
qu'elle peut attendre d'eux dans l'avenir.

XXXVI
LES ARABES,LEURFATALISME

4 Agathos, bon, brave la guerre , disait le Jar-


din des racines grecques. Certes l'Arabe est brave
et bon.
L'lite d'entre eux est noble de visage, l-
112 L'ATLANTIDE.
gante d'allures, magnifique en ses vieux jours,
avec une barbe de patriarche, en un costume
4 biblique .
Cavaliers sans pareils, ilsaiment leurs buveurs
d'air autant qu'eux-mmes.
L o ils sont nomades, ils dplacent leurs
tentes suivant l'abondance ou la strilit des
herbes. Tels, exactement, que les vit Mahomet ;
plus encore, tels qu'au temps de l'adoration des
idoles. L o ils grattent le sol avec une charrue
primitive, l o quelques mlanges avec les Ber-
bres en ont fait des ruraux, ils ont tout de mme
conserv la plupart des traits du caractre ances-
tral comme le cra le milieu de la pninsule
arabique entre les tyrannies du sable, du soleil
et des sirocos.
Leur religion, l'Islam, autrement dit la Rsigna-
tion ( la volont de Dieu), n'a pu que les em-
preindre plus encore du fatalisme qu'ils durent
la svrit de leur pays d'origine et au 4 spleen
lumineux de l'Orient .
Ce fatalisme fait leur force, leur grandeur,
leur faiblesse.
Ils y puisent le courage, le ddain de la mort,
une rsistance infinie l'adversit, un prodigieux
mpris des choses fortuites, parmi lesquelles ils
mettent au premier rang les sciences de l'Europe.
Que sont-elles ct des versets du Coran et des
cinq prires auxquelles les convoque cinq fois
par jour la voixdu crieur religieux appel muezzin?
LES ARABES. 113
Quels efforts demander des hommes si per-
suads du nant de l'tre devant le Grand, le
plus Grand, le seul Grand?
Quel fataliste, quel rsign, quel Occidental
d'me orientale ne se sent comme pris la gorge
par le chant des goumiers du Sud qu'a traduit,
sinon mme tir de son coeur nostalgique, une
cosmopolite plus ou moins slave convertie la
loi de l'Islam (1) et qui nous a laiss des livres
d'un franais prenant et poignant :

Dieu m'a abandonn parce que je suis un pcheur.


J'ai quitt ma tribu, ma tente,
J'ai revtu le burnous bleu.
J'ai pris le fusil pour pouse.
Nos chefs nous annoncent le dpart pour des lieux
lointains.
Mon coeur m'avertit: ilm'annonceunc mort prochaine.
Demain l'heure sonnera,
L'ange de la mort m'avertira.
Guilil en haillons ou Filali sans piti celui dont la
[balle m'anantira?
Cela est dans les secrets de Dieu.
Qui prononcera sur moi la prire des morts ?
Qui pleurera sur ma tombe ?
Je mourrai et nul ne m'aura en piti.
Il en est qui sont alls au Tafilalet, Bchar
D'autres qui taient combattants
Aux jours de Timimoun et d'Ei-Moungar ;
Dieu les a protgs.
(t) Isabelle Eberhardt
114 L ATLANTIDE.
D'autres n'ont jamais quitt leurs tentes
jt ceux-l sont morts.
La vie est entre les mains de Dieu
Et il n'y a qu'une mort.
Ne pense rien, ne cache rien dans ton coeur.
Notre pays est le pays de la poudre.
Nos tombeaux sont marqus dans le sable,
Et ta tombe est ouverte, fils de Mimoun !

Au fond, le fatalisme arabe ressemble fort au


stocisme, mais celui-ci ne s'appuie sur aucune
religion rvle ; on peut tre stocien sans croire
un Dieu unique ou un Dieu en trois personnes
ou l'assemble des Dieux. Paens, chrtiens,
idoltres peuvent braver la mort, renier la dou-
leur par fiert personnelle ; il suffit qu'ils aient
compris que l'homme a sa grandeur malgr sa
fragilit, son nant pour mieux dire devant
l'infini de la nature et du temps, quoiqu'il soit le
ludibrium venlis (i) du pote, qu'en tout cas la
moi le guette et l'atteindra sans faute. Opti-
misme, pessimisme, fatalisme sont avant tout
affaire de caractre.
Mais chez les Musulmans le fatalisme s'avive
l'ternelle comparaison de nous et de Lui. Lui !
Celui qu'on invoque toute heure, en tout lieu.
Lui dont le nom consacre les dcrets des sultans,
les arrts administratifs, les traits depaix et
d'amiti, les conventions entre les parties, les

(i) Jouet des vent's.


LES ARABES. 115
sentences des juges, les lettres du suprieur
l'infrieur, de l'infrieur au suprieur, de l'ami
l'ami. Tout commence par Louange Dieu ou
par Au nom du Dieu clment et misricordieux.
Mais c'est moins sa clmence, sa misricorde
que le Vrai Croyant rvre, c'est surtout sa gran-
deur, sa puissance, son infinit en face de notre
infimit.
En style plus que populaire, 4Pas de rousp-
tance ! caractrise parfaitement l'impuissance
de l'homme devant Allah. Ds avant la fondation
du monde, le Seul Grand a burin nos destines
'r ses tables d'airain. Mektoub, c'est crit,
r'tait crit !
Nous aussi, nations dites chrtiennes, nous
avons un Dieu Sbaoth, un Dieu des armes, un
Dieu vengeur, un Dieu qui punit l'iniquit des
pres sur les enfants jusqu' la troisime et la
quatrime gnration, un Dieu qui nous a lus
ou proscrits ds avant la cration du monde.
Implacable est chez nous le dogme de la pr-
destination, mais nos docteurs es religions sont
puissants en exgse ; ils nous ont dfendus
contre les plus ou moins sauvages prdestinateurs
par les thories de la libert morale ; au 4 II y a
beaucoup d'appels et peu d'lus ils ont rpondu
par 4 II y a plusieurs demeures dans la maison
de mon pre et par maints autres versets de la
Bible. D'esprit plus fertile que les Arabes, nous
avons discut sur Dieu jusqu' n'y gure croire.
l6 L'ATLANTIDE.
Notre fatalisme ne s'taie plus sur notre foi reli-
gieuse.
Or, si nous en croyons nombre d'Arabes, de
haute intelligence, notamment l'auteur du livre
les Musulmans de l'Afrique du Nord (i), l'Islam
baisse de plus en plus dans la conscience de nos
Arabes. Il en prend tmoins les faits journaliers
de la vie. 4 La population musulmane, dit-il
expressment, en un franais que beaucoup
d'entre nous pourraient lui envier, la population
musulmane est devenue une socit laque, et
les descendants des anciens matres spirituels et
politiques n'exercent plus sur elle qu'une influence
loigne... La majeure partie des indignes ne
prie jamais. Il insiste sur 4 le positivisme crois-
sant des musulmans algriens .
Entre autres signes de l'cart toujours plus
grand entre l doctrine de l'Islam et la conduite
des Islamites, il expose comment ceux qui
n'observent pas le jene strict du mois de Rama-
dan peuvent manger et boire publiquement
sans tre assomms dans la rue ; comment l'indi-
gne s'habille, s'il lui plat, l'europenne sans
tre mpris et maudit ; comment il s'empresse
dans les coles pour apprendre le franais;
comment les filles mmes s'y initient notre
parler et nos travaux ; comment l'Arabe
commence se nourrir sa convenance, mme

(1) L'interprte Ismafl Hamet.


LES ARABS. 117
de porc, et boit gogo des liqueurs fermentes :
en quoi certes il a tort de faire comme nous.
Voil les premiers pas sur la route de la dnatio-
nalisation. La tradition faiblit chez eux, la reli-
gion s'obombre, le fanatisme meurt. A mesure
que le colon s'avance dans l'intrieur et que le
matre d'cole leur apprend le rudiment, mesure
s'ouvre l'esprit du Musulman. Mens agitt
molem (1).

XXXVII
INFLUENCEDE L'ARABESUR L'EUROPEN

Maints Europens ont t sduits par l'esprit


de l'Islam. Presque tous lui ont pratiquement
rsist, mais un petit nombre y a succomb et
parmi ces transfuges des hommes intelligents,
instruits, trs suprieurs la foule. On a mme
cr un mot o le vocabulaire franais se soumet
la grammaire arabe.
Tourner, devenu synonyme de se convertir
(sous-entendu : la foi musulmane), s'est adjoint
le m qui dsigne en arabe le participe pass : ainsi
est n le mot de m'tournis appliqu aux chrtiens
qui ont adhr la profession de foi de l'Islam \-
4 II n'y a de Dieu que Dieu et Mahomet est le
prophte de Dieu.
Ces M'tournis sont plus nombreux que les
(t) L'esprit galvanisela masse.
Il8 L'ATLANTIDE.
M'tournis contraires, ceux qui ont pass du maho-
mtisme au christianisme et qui sont vraiment,
non les rari liantes, mais les rarissimi nantes.
On cite, par exemple, un cantonnier du Dahra
dont les fils ont fait solennellement leur premire
Communion le mme jour.
11 est un village purement franais, spciale-
ment franc-comtois, dont le nom, Vcsoul-Bnian,
runit les deux langues : Vesoul, parce que ses
colons vinrent du dpartement de la Haute-
Sane, dont cette ville est le chef-lieu ; Bnian,
appellation purement arabe qui tait celle de
l'endroit o s'tablit la colonie quelque temps
aprs 1848.
Sur leur colline ardue, qui se lve au voisinage
de Miliana et du fate entre la Mtidja et le
Chliff, les Vesoul-Bnianais n'avaient pas de
relations faciles avec les autres tablissements
franais de ce coin de l'Algrie. Trop isols,
presss de tous cts par la masse indigne, ils ne
se sont point fait musulmans, mais, nous dit-on,
ils parlent entre eux l'arabe de prfrence au
franais. Leurs soeurs, autrement fidles leur
premire patrie, se marient au dehors, prs ou
loin, et toujours avec des Franais ou des natu-
raliss.
Bref, l'influence de l'Arabe sur le 4 Roumi ,
dans le tour d'ides, dans le profond de l'me,
non point dans la vie active, extrieure, est plus
puissante qu'on ne croit.
LES ARABES. IIQ
Est-ce l'effet du climat ou celui de la bati-
tude arabe, de la nonchalance arabe, du fata-
lisme arabe, de la rsignation arabe, du 4mek-
toub ? Des Europens s'arabisent, comme carac-
tre, s'entend, car il n'en est gure qui renoncent
aux coutumes, aux a friori, aux prjugs, aux
vertus apparentes ou relles apportes de la vieille
Europe. Ce fait a frapp beaucoup de ceux qui
n'ont pas regard l'Atlantide de leur fentre
d' 4 explorateur en chambre ou qui ne l'ont pas
4 dvore en quelques minutes, comme l'auto-
mobiliste en dmence.
Le cas du village comtois est peu prs unique
en Afrique Mineure. Et la rsignation farouche
la volont d'Allah prsage la soumission dfi-
nitive la France, quand sonnera la minute
lointaine sans doute, mais bien plus proche qu'on
ne croit. En tout cas, voil des annes qu'ils ne
partent plus en guerre la voix d'un 4 matre de
l'heure.

XXXVIII

LE 4 MAITRE DE L'HEURE

Le 4 matre de l'heure ne viendra pas comme


Jsus-Christ pour juger les vivants et les morts.
Il se contentera de mettre en ordre le monde
des vivants.
Il sera le tout-puissant ministre du Trs cl-
120 L/ATLANTIDE.
ment et Trs misricordieux, qui est en mme
temps le Trs juste. Il rdimera du joug de l'infi-
dle toutes les terres de l'Islam: Ile du Couchant,
dont il chassera le Roumi, qui est nous, Egypte,
Syrie, Bagdad et Damas, l'Inde, les grandes
les de la Sonde, et jusqu'aux districts les plus
reculs de la Chine.
Sans doute aussi conquerra-t-il les nations qui
ne reconnaissent pas Mahomet comme le pro-
phte envoy par le Dieu unique.
Pour devenir le matre de l'heure, il suffit,
disons plutt: il suffisait, de le vouloir avec inten-
sit. Aujourd'hui l'Arabe, instruit par les faits,
est moins purilement crdule.
Tel en a gagn le renom et la temporaire puis-
sance par la seule raison qu'il tait un hadji,
c'est--dire un de ces plerins qui, par monts et
par vaux, sont alls jusqu'aux deux villes saintes
de la Mecque et de Mdine ; ce lui fut assez pour
se proclamer hardiment le Moul-es-Sa (i) pas-
sionnment attendu, et pour traner aprs lui
la foule des loqueteux, arms de fusils, de sabres,
de triques, la fois hommes de foi et hommes de
proie srs de la victoire : le triomphe n'est-il pas
garanti par la gloire d'avoir vu les lieux o se
manifesta le prophte suprieur aux autres pro-
phtes de Dieu, Mose, Jsus-Christ (2)?
(1) En arabe: le matrede l'heure.
(2) Sidi Assa,commeils le nomment; ils l'honorentave:
dvotion,Mahometayant reconnuen lui un envoyd'Allah,
LES ARABES. 121
Tel autre a vcu solitairement, sordidement,
rptant mille, dix mille fois par jour, les doigts
sur les grains de son chapelet, une formule lui,
semblable toutes les autres, o il entasse une
suite d'adjectifs sur les perfections d'Allah. Et
c'est encore, ou c'tait assez pour que tout un
pays se rut contre une arme discipline.
Un autre est ou tait prodigue de miracles
dont il sait ou savait tout le mensonge, mais
dont les voisins et les distants se suggestion-
naient de proche en proche : il a fait jaillir du
roc une fontaine vive au plus sec du Dsert ; il
a perc d'un geste une large montagne, il a rem-
plac d'un geste de l'autre main une prairie par
une fort ou une fort par une prairie ; il a
ressuscit des morts. Il a tant et tant fait qu'il
restera un ouali, ce qui veut dire un saint ; qu'il
sera plus tard, par exemple, 1' 4 homme aux deux
tombeaux enterr en son entier et en mme
temps dans deux endroits distants de cinq cents
lieues l'un de l'autre : ainsi sanctifiera-t-il deux
koubas, deux marabouts, deux sanctuaires d'o
s'envoleront les bndictions.
Un autre conte ou contait ses fidles qu'il a
reu d'Allah le pouvoir d'arrter les balles tires
par l'ennemi ; les boulets aussi ; que, par cons-
quent, ceux qui le suivront, lui, l'lu de Dieu,
n'auront rien craindre des kafirs (i), et les

(i) Les infidles,leschrtiens.


122 L'ATLANTIDE.
kafirs tomberont morts : ces chiens, fils de chiens,
auront ainsi leur rcompense.
Un autre est ou tait illusionniste ; il connat
ou connaissait quelques tours de passe-passe.
Un autre enfin est ou tait ventriloque: il
fait ou faisait sortir d'une marmite la voix du
Trs saint, du Trs haut.
Malgr toutes les suggestions, toutes les pro-
messes, tous les voyages la Mecque, toutes les
prosternations devant la tente du prophte, les
Matres de l'heure ont tous ignominieusement
fui ou sont morts sous les balles de l'Incroyant,
ou sont partis pour l'exil.

XXXIX

SUR LA VOIEDE LA RSIGNATION

Les Musulmans ne peuvent pas ne pas perdre


de plus en plus leur confiance en l'expulsion des
Roumis. Ils les voient camps, jamais il semble,
dans la Carrire de Chaux (i), dans la Ville de
la Coupure (2), dans la glorieuse Tlemcen, mre
des sultans, Constantine, ceinte d'un abme de
trois six cents pieds de prcipice, Tunis,
Fs, Marrakech, dans la savante Tombouctou ;
et encore bien au del. Il faut donc se rsigner.
(1) Alger,dont lesmaisonssont blanchies la chaux,
(j) Oran, btie dans un ravin,
LES ARABES. 123
La rsignation deviendra l'accoutumance, qui
est une seconde nature. Aprs l'accoutumance
viendra l'amiti, quand toute la jeunesse arabe
saura la langue commune du tiers de l'Afrique,
prsent qu'elle a connu comme elle rsonne
bien sous le feu, malgr les obus et les mitrail-
leuses. Le destin connat sa route (i).

XL

LE SABIR

Aprs les jeux et gamineries des polissons des


rues, dans les villes, bourgs et villages o Kabyles,
Arabes, Franais, Europens se coudoient, la
connaissance toujours plus rpandue de notre
langue parmi les Indignes a pour matresse cause
les coles qui ne tarderont gure gagner les
plus ardus des djebels. coles de garons bien
plus qu'coles de filles, les ides des Musulmans
tant encore hostiles l'mancipation de l'esprit
fminin.
C'est seulement sur le tard qu'on a jug nces-
saire d'initier peu peu l'enfance et la jeunesse
indigne de l'Algrie l'idiome des Roumis de
Paris ; tandis qu'en Tunisie et au Maroc l'cole
est du mme ge que la soumission.

i) Fata viaminoenitnl
124 L'ATLANTIDE.
L'usage, d'abord tts restreint, du supptanteur
de l'arabe et du berbre a commenc trs obscu-
rment ds l'entre des Franais d.;:is Alger.
Si peu que cinq, dix, vingt hommes trangers
les uns aux autres se hantent, il faut bien qu'ils
se comprennent peu ou prou. En attendant de
s'entretenir en franais idiomatique on se com-
prit en un franais trs approximatif, dans un
jargon sans dclinaisons, sans conjugaisons,
sans syntaxe, fait de cent, deux cents, trois
cents mots indispensables, emprunts ds l'abord
moins notre parler qu' ceux du pourtour de la
Mditerrane, catalan, espagnol, italien, et
aussi, comme de juste, l'arabe.
Le franais agrandit bientt sa part l'hybride
idiome, mesure que s'affirmait le pouvoir de la
France ; le sabir se francisa tous les jours un peu
plus.
Comme il est logique il tait n l o se cou-
doyaient marins, portefaix, charretiers, ouvriers,
acheteurs, vendeurs, sur les quais des ports,
dans les marchs, dans les faubourgs et chez les
Bni-Ramasss (i).
Les villes plus ou moins tentaculaires avec leurs
gens de tout acabit, de tous idiomes et patois,
et leurs 4villages ngres, ont, en certains
quartiers, des Bni-Ramasss, surtout en bor-
dure de la mer quand elles sont des cits marines.
(i) On nommepopulairementBni-Ramasssl'amas de
gensvenusd'un peu partout, et presquetous indignes
IK8 ARABES. J2$
Si incohrents que soient ces quartiers, ces
faubourgs plus ou moins temporaires, les Maho
mtans qui en forment le fond y prennent quelque
vague ide d'un monde autre que le leur ; ils
y apprennent quelques bribes, sinon du franais,
tout au moins du sabir.
l.e sabir, c'est--dire le savoir savoir bien
modeste est un hybride extraord'n ire o les
racines latines se mlent aux arabes en une
joyeuse cocasserie .
Bourgu'il jambitr y veut ou y voulait dire :
parce que le garde champtre, cause du garde
champtre, parce que j'ai peur du garde cham-
ptre.
Macach iombar, un mot arabe, un mot fran-
ais, signifie : il n'est pas tomb ; autrement dit,
ironiquement . le voil par terre.
Ouled, terme arabe, rpond fils, descendant ;
les tribus commencent leur nom par Ouled ou
par Bni: Ouled-sidi-Cheikh, Ouled-Sliman, ou
Bni-Mered, ou les fameux Bni-Bouffe-tout
qui suivaient le convoi funbre de Victor Hugo.
Ouled-Plaa rpond en sabir fils de la place,
enfant de la rue, commissionnaire ; ya ouled,
oui, mon fils, viens ici, mon gars, a fini par dsi-
gner un jeune garon, un gamin, un cireur de
bottes, un faiseur de commissions.
Fantasia bezef, du franais et de l'arabe,
monumente peut-tre une dizaine d'ides : belle
fte l Amusons-nous l Vive la joie l C'est superbe l
I2 L'ATLANTIDE.
La fantasia, fmme on sait, c'est la galopade
effrne, des cavaliers qui tirent leur coup de
fusil, puis lancent ce fusil en l'air et le rattrapent
la vole.
Dans le hourvari des cits on entend tout
moment l'arabe balek, prends garde toi, gare !
pouss par des gosiers franais autant que par
des gosiers arabes.
Choula, un peu, pas si vite ! appartient gale-
ment aux gens des deux civilisations.
Pas un Europen de Sahcl ou d'Atlas qui n'em-
ploie chaquejnstant kif kif aussi souvent que
comme et que c'est gal. Ce mot, et beaucoup
d'autres de ce genre ont cours aussi bien chez les
Franais de France que chez les Algriens, Tuni-
siens et Marocains franais.
En France aussi bien qu'en Atlantide, maboul
s'emploie aussi souvent que fou, toqu, original.
On use galement tout propos de fiss, mot
mot : dans une heure, pour dire : tout l'heure,
la minute, l'instant, bientt.
Asbeur, attends ! Asbeur choua : attends un
peu, patience !
Bibir, c'est : boire, boire I
Ciri, employ par tous les gamins cire-bottes,
c'est, trs, concisraent : voulez-vous, monsieur,
que je vous cire les souliers?
A tout instant on out deux mots espagnols :
Moutchalcho, enfant, garon, et mouqure, qui
signifie femme.
LES ARABES. 127
On parle de matrak aussi souvent, et jusqu'en
Fronce, que de bton, trique, gourdin.
lilc, campagne, pays, est familier tout le
.de; on dit aussi frquemment : je pars pour
i bled que : je vais la campagne, je pars pour
l'intrieur.
Marabout, kouba, goutn, goumier, guitoune,
diffa, razzia, maghzen, sont des mots connus,
accepts en de comme au del de la Mditer-
rane.
Enfin et surtout une foule de mots gogra-
phiques ne sortiront pas du vocabulaire des deux
Frances : tels oued, djebel, choit, sebkha, arig ou
erg, hamada, etc., etc.
Les progrs du franais sont la condamnation
du sabir algrien, tunisien, marocain. De mme
en Afrique Occidentale et en Afrique quatoriale,
le sabir sngalais et le congolais cderont la place
un parisien de moins en moins vein de ngre et
d'argot. Tout ce qui n'est pas la vraie, la seule
langue commune est vou la mort.
En attendant, l'anarchie rgne en Atlantide.
Des milliers d'Europens parlent de singuliers
mlanges de franais, d'italien, d'espagnol, de
sabir avec pente dcide vers l'idiome national.
Cette anarchie se manifeste en de curieuses
tautologies franco-arabes, et mme franco-ber-
bro-arabes.
Oued-Souf quivaut ru-ru, rivire-rivire:
oued, terme arabe, tant l'homonyme du kabyle
128 L'ATIANTIDE.
souf, Bir-tin gale le puits-puits, le tin > srbre
rpondant au bir arabe. Pont d'El-Kantara,
c'est pont-pont, l'arabe El-Kantara signifiant
pont et pas autre chose.
Le comble des combles , c'est, au-dessus de
Blida, dans des montagnes charmantes, le mons-
trueux nom de Font d'An-Thala-Zit : l'arabe
ain, synonyme du berbre ihala, se renforce ici
du mot franais fontaine, et l'ensemble, ramen
sa traduction, c'est source-source-source.

XLI

L'ARABE PEUT-IL RSISTER? LUTTE INGALE


DES DEUX IDIOMES

La lutte entre le franais et l'arabe ne sera


pas ternelle. Celui-ci est relativement trop faible
dans le combat pour l'existence en Afrique du
Nord.
Organe d'une race dsertique, pastorale, l'arabe
rpond fort bien la mentalit d'un peuple
pasteur, mais il ne s'adapte pas aisment
l'expression de la vie moderne.
Il reste ce qu'il fut dans le principe au pays
de la solitude et de l'incandescence, parmi les
longues charpes de dunes: un admirable instru-
ment de posie, ce qui, pour un idiome moderne,
ft uue infriorit, presque une tare.
LES ARABES. I/'O,
Mais son plus grand malheur c'est d'tre mort.
En cela il ressemble exactement a*i latin qui,
faute d'tre parl par le peuple, se rduisit aux
colloques, aux ptres, aux livres de science, aux
protocoles des chancelleries, aux vaines disputes
des parlements de Hongrie et de Pologne.
Ainsi rapetisse, la largue du peuple-roi s'an*
kylosa dans l'immobiliW", puis mourut dans le
coma, tout en restant l'c rgane de l'glise catho-
lique dans l'Ancien et le Nouveau monde.
Ainsi en est-il de l'arabe, langue du Coran :
fix jamais par les Sourates, qui sont les versets
de cette autre parole de Dieu rvle par le
plus grand des prophtes, il est demeur tel quel,
comme une sentinelle devant une consigne
inflexible. Peut-on changer une lettre, un signe
l'criture d'Allah lui-mme?
Au courant des sicles la langue du livre
Livre par excellence, le Coran : ainsi chez les
chrtiens la Bible, Biblion , veut aussi dire le
Livre l'arabe voluait d'anne en anne, de
pays en pays, et les Musulmans ne comprennent
plus nettement le vieil arabe archiprim des
Sourates; pas plus que nos fidles n'entendent ce
qui se chante messe, vpres, salut solennel et
complies.
Mais les lettrs, les professeurs, les savants le
pratiquent encore. C'est l'organe officiel en
terres arabes, l'tude, la joie et l'orgueil des
docteurs, des classes suprieures, des universits.
9
130 L'ATLANTIDB.
On le nomme arabe littral, ct de l'arabe
vulgaire.
Celui-ci varie de contre contre, de Marrakech
au golfe Persique, dans la mesure o changent les
idiomes no-latins issus du verbe imprial. On
assure que l'arabe de Casablanca, par exemple,
diffre autant de celui de Tunis que le portugais
de l'italien, et Tunis ne parle pas non plus comme
le Caire, Damas, Bagdad et les oasiens vivant
autour des sources qui ruissellent entre les sables
morts des Dahna et des Nfoud de l'Arabie.
Cette diffrence entre l'arabe crit et l'arabe
parl, ainsi plus ou moins gale celle qui spare
les idiomes no-latins, est une trs grave diffi-
cult, non seulement pour l'lite, mais surtout
pour le menu peuple qui aurait besoin d'un long
travail pour comprendre ses livres, ses journaux,
sa vie politique.
Ce n'est pas tout encore. Infriorit terrible
que d'tre difficilement dchiffr 1 L'criture
arabe est extrmement agrable l'oeil, on peut
mme dire dlicieuse, toute en lgances, en
courbes, en fuyantes arabesques, mais elle a le
redoutable dfaut de ne point tenir compte des
voyelles ; elle ne respecte que la charpente du
mot, les consonnes.
D'o, .la lecture, une hsitation continuelle.
Comme on l'a dit, l'arabe ne se lit pas, il se
dchiffre ; trs souvent mme il se devine. Des
arabisants assurent que pour conqurir une page,
LES ARABES. X3I
voire des plus faciles, crites dans la langue o
l'ange Gabriel dictait Mahomet les paroles
d'Allah, il faut au moins trois fois plus de temps
que pour parcourir une page de franais, d'anglais.
Nous ne disons pas: d'allemand, car si la lecture
du deutsch est aise, la comprhension des
phrases, entortilles par une syntaxe extraordi-
naire, est d'une trs dure difficult; iladvient sou-
vent qu'arriv au point final, il faut relire, le
doigt sur le front, pour bien saisir l'ide.
On nous assure aussi qu'au Maroc, dans cette
contre qui passe pour l'une des plus foncire-
ment musulmanes (1), presque personne ne lit
parce qu'on ne peut lire sans sueur au front
les livres arrivs du Caire et de Btfrout, qui sont
prsentement les deux Athnes die l'Islam. On
dit que les Marocains lettrs sont wn sur mille
peine.
Qu'on prenne, par exemple le mot' ibr norma-
lement crit l'arabe, donc sans voyelles. A sup-
poser que le franais proscrive aussi la notation
des voyelles, on peut y souponner inufffrem-
ment : sabre, sabr, sbire, sobre, Sibrie sabir,
subir, svir, suber (chne-lige), sevr, i ^vres,
svre, etc.
Cette malaisance de la lecture est vivement
ressentie des Arabes eux-mmes. Beauc*^p

(1) Probablement tort, car la majorit des Marocains ^


composede Berbres en ralit fort indiffrent*aux enos
religieuses.
132 L'ATLANTIDE.
d'etrt e e 'X prfrent les ouvrages franais, qui
ne leui causent aucune peine, la superbe calli-
graphie arabe, qui leur met martel en tte. Ainsi
des Allemands attendent qu'un livre deutsch soit
traduit en franais pour le lire.
Tout cela n'est rien ct de ceci : il y a mille,
dix mille fois plus de livres franais traitant de
omni re scibili aul non scibili (i) qu'il n'y en a dans
la langue des Bicots .

(i) Toutce qu'onpeut savoirde relou 'irrel.


VI

LES JUIFS
XLU

JUIFS ET FRANAIS

70 000 en Algrie, peu prs 50 000 en Tunisie,


100 000 au plus au Maroc, c'est environ 250 000
des siens que la race d'Abraham compte en
Atlantide.
Race d'Abraham, comme on dit souvent, et
comme on a grand tort de le dire, puisqu'il n'y a
de race nulle part, et cela depuis d'innombrables
annes.
Il faut le dire, le dire encore et toujours le dire
devant la folie de ce mensonge dont les Allemands
ont profit pour s'instituer race, et race lue, race
surhumaine, race divine. Il n'y a pas de race :
les hommes se sont mls de tout temps, de
blancs blancs, de blancs noirs, de blancs
jaunes, de blonds bruns ou cuivrs, de grands ,
petits, de sveltes trapus, d'intelligents brutes,
de sobres gloutons comme d sobres sobres
et de goulus goulus.
Il s'en faut que les Juifs proviennent tous de
l'Orient arabique, spcialement de la Palestine.
I36 L'ATLANTIDE.
En ralit ce peuple singulier n'est'devenu un
peuple que parce qu'il tait une secte.
A mesure que les descendants du patriarche
d'Ur en Chalde se dispersaient dans le monde
aprs la mine de leur nation, la destruction de
leur temple, ils convertissaient des allognes
leurs doctrines, Grecs, Syriens, Arabes, Romains,
Tartares, gens de toute espce conquis par leur
propagande sur les paens, sur les chrtiens, sur
les musulmans. De l chez eux tous les yeux,
tous les nez, tous les cheveux, toutes les lvres,
toutes les tailles, toutes les qualits, dfauts et
capacits possibles.
Les Isralites du Moghreb comptent videm-
ment parmi ceux qui ont le plus de sang oriental
dans leurs artres. Ils proviennent, pour une
part, d'anciennes migrations de l'Asie plus ou
moins dsertique comprise entre le golfe Per-
sique, la mer Rouge et la Mditerrane. Ces pre-
miers immigrants arrivrent des cdres du Liban
par-dessus l'Egypte, la Cyrnaque et la Tripo-
litaine. Pour une autre part, ils procdent d'mi-
grations forces, comme quand, par exemple, la
trs chrtienne Espagne rejeta de son sein tous
ceux qui ne faisaient pas le signe de la croix, tant
les fervents de Mahomet que les cfucificateurs du
Christ.
Depuis 1830, la France les a renforcs de quel-
ques familles, surtout en Algrie; l'Italie en a
envoy la Tunisie, principalement de Livourne ;
LBS JUIFS. 137
l'Espagne, notamment Gibraltar, en a dpch
au Maroc.
250 000 au plus travers un peuple de 10
12 millions d'hommes, ce n'est gure, ce n'est
rien.
A vrai dire, ce ne serait rien, si ces 250000
n'taient pas des Isralites.
Des Isralites, c'est--dire des gens d'un pouvoir
tout fait extraordinaire.
Partout, au nord, au sud, l'est, "l'ouest, dans
l'ancien monde, dans le nouveau, Paris, Berlin,
Vienne, Londres, New-York, ils passent
presque instantanment de la dernire misre
l'opulence la plus reluisante. N'importe o, nul
milieu ne fournit en moyenne autant de savants,
d'ingnieurs, de professeurs, de mathmaticiens,
de journalistes, de publicistes, de politiciens,
d'agitateurs, d'utopistes. C'est un levain prodi-
gieux.
EnMoghreb, ils sont du mme ct de la barri-
cade que nous. Ils ne sauraient oublierqu'avant
notre arrive its taient honnis, mpriss, hous-
pills, contraints de vivre dans d'ignobles quar-
tiers souvent pills feu et sang par les hommes
de la Vraie Foi.
Ils sont pourtant des gens du Livre, suivant
l'expression arabe ; ils ont une rvlation eux,
dans leur Ancien Testament, comme les chr-
tiens dans leur Bible et les Islamites dans leur
Coran. Veuille, pensent-ils au plus profond de
I38 L'ATLANTIDE.
leur coeur, veuille l'ternel Dieu nous prserver
jamais de revenir au jour d'avant l'apparition
des librateurs I
Nos intrts sont devenus les leurs, notre
langue est devenue celle qui leur importe le plus.
Commerants ns, intermdiaires souples, bro-
canteurs, colpci leurs infatigables, ils ont besoin
d'idiomes autres que le vieux dialecte oriental
dont leurs livres saints sont le plus antique
tmoignage ; dialecte que beaucoup ne parlent
plus, qu'un grand nombre ne comprend mme
pas. En tout pays ils usent communment de la
langue de ce pays. Si la contre use de deux lan-
gages, ils sont des utraquistes, ainsi que disent
nos voisins les Belges, dsignant de ce nom ceux
qui savent la fois le franais et le flamand ; si
elle a trois langues, ils en parlent trois ; quatre,
ils en parlent quatre. Ils sont minemment
polyglottes. En Algrie, bien peu sans doute
ignorent le verbe de Paris ; en Tunisie, ils vont
aux lieux o l'on apprend parler comme nous ;
au Maroc ils se prcipitent dans le peu qu'il y a
d'coles o le oui retentit, et dans leurs coles
eux o le franais est l'idiome vhiculaire.
Laissons faire le temps, alli gnreux quand on
ne. l'importune pas, et la fin des fins le vain-
queur de toutes choses. Ils marchent sur notre
voie nationale et rien ne les en dtournera plus.
Les jours viendront o leur tabernacle perdra
de sa splendeur; le chandelier sept branches
LES JUIFS. 39
d'or ne luira plus que confusment, puis s'tein-
dra dans les tnbres. Alors, dbarrasss de leurs
lgendes, de leur Dieu jaloux, de leurs rites, ils
cesseront d'tre un tat dans l'tat ; ils entre-
ront de plus en plus intimement dans la nation
de l'Afrique du Nord, devenue tout naturelle-
ment l'Empire de l'Afrique franaise ; ils se
mleront nous par des mariages qui ne seront
plus 4 mixtes puisque les vieux dogmes seront
tombs, les uns dans l'indiffrence, les autres
dans le nant, comme dj tant de religions, de
doctrines, de philosophies, de ritournelles .
Les No-Franais d'Afrique ne les aiment pas
beaucoup plus que ne les chrissaient les Musul-
mans; or, ceux-ci pillaient et tuaient le Juif au
petit bonheur ou par grande hcatombe, et tou-
jours avec volupt. Leur souplesse, leurs richesses,
leurs ternels succs exaspraient les lus
d'Allah .
Un jour, content les Arabes, un Juif sans sou
ni maille arriva, mourant de faim, dans une
opulente tribu qui l'accueillit avec bonhomie.
La lune avait peine grandi et diminu cent
vingt-cinq fois (i), et voici, l'Isralite avait
empil des trsors, la tribu mourait de faim. Que
fit la tribu? Elle dmantibula la banque du
prteur-expropriateur, elle reprit d'un coup
titres, billets, capital, intrts et laissa au Joudhi,

(t) Les mois*de l'Islam 6ontdes moislunaires.


*
-140 L'ATLANTIDE.
par charit comme par drision, une peau de
lapin, seule et unique. Cent vingt-cinq mois
lunaires ensuite, soit dix ans, la tribu n'avait
plus un sou vaillant, plus un pouce de terre, plus
un gourbi o reposer sa tte ; le fils d'AbraJiam
tait gras lard et riche ne pas connatre le
nombre de ses douros.
Pour tout dire, il n'y a pas qu'eux en Afrique
Mineure (pas plus que dans le monde entier)
user des prts usuraires, des hypothques et de
tout l'arsenal des lois. Europens, Berbres,
Arabes concourent galement l'expropriation
des fellahs. Beaucoup des terres rachetes aux
colons le sont par des usuriers autres que les
Isralites, notamment par les bons Islamites.
Les Mozabites ou Bni-Mzab, secte dissidente
de l'Islam, professent une sorte de puritanisme
trs strict ; ils sont plus durs que Calvin lui-
mme en fait de prdestination. Cela ne les a
point empchs de se faire une belle renomme
de gagne-petit qui gagnent gros ; en affaires, ils
oublient dlibrment qu'Allah est le plus mis-
ricordieux.

XLIII

LE SIONISME

Il y a prsentement un grand bruit .dans Isral.


Les Sionistes tournent leurs regards vers la
LES JUIFS. 141
sainte montagne de Sion. Ils veulent rassembler
autour d'elle les tronons pars du peuple de
Dieu, en faire, avec. Jrusalem au centre, une
nation indivisible ayant pour seul idiome celui
dont Mose usa pout graver les tables de la loi.
11se pourrait trs bien que ce ft l le suprme
sursaut du particularisme juif.
Que les Sionistes ;iussissent rtablir le
royaume de Juda, fortifi de celui d'Isral et des
pays de Moab, d'Ammon, d'Amalec, d'Idumc
et du rivage des Philistins abhorrs, ce ne sera l
qu'un trs minime empire comprim entre les
Arabes, les Turcs, les Grecs et les Europens.
Presque tous les 10 ou 12 millions d'Hbreux
rpandus dans le monde resteront dans les pays
o les a rpandus la dispersion de leur peuple.
Les Isralites de Varsovie, de Paris, de Berlin,
de Londres, de Vienne, de New-York, ville o il
y en a dj un million, n'iront point se fixer en
masse dans la sche contre o le Jourdain, fils
du Liban, court la mer Morte en aval des
palmes de Jricho. Presque tous continueront de
vivre l o ils sont ns et l o ils viennent
d'immigrer. A mesure qu'ils se dsincrusteront
de leur dogme ils se fondront par mariages dans
la nation quelconque qui les entoure.
Qu'on considre un pays, la France, si l'on
veut, et qu'on songe tous les, * judasmes ,
ftichismes, paganismes, cannibalismes, doctrines,
philosophies, spiritismes que les fils du sol y ont
142 L ATLANTIDE.
absorbs de sicle en sicle ! Qu'on veuille se
rappeler aussi que la triba primitivement domi-
nante y a, de proche en proche, expropri toutes
les autres par les voies lgales ou illgales d'alors.
Les peuples ainsi digrs n'ont pas laiss de noms
dans l'histoire, et partout les exploiteurs dorment
ou dormiront avec les exploits.
Il y a justice considrer que la plupart des
Isralites, ceux qui ont bourgeonn de la souche
smitique, sont en mme temps des Ismalites,
et ici, en Atlantide, les arrire-neveux du plus
illustre des hommes du Moghreb, qui fut Hanni-
bal.
On doit esprer qu'ils donneront, un jour,
notre Afrique, des initiateurs, des inventeurs,
des savants, des rnovateurs, de grands esprits,
de grands crivains et, par exemple, un grand
pote comme Henri Heine.
VII

NATURALISS
ET NATURALISABLES
XLIV

FRANAISET ESPAGNOLS

L'assimilation des Espagnols aux Franais


d'Algrie se heurte moins aux immigrants de
Catalogne, de Valence et d'Andalousie qu'aux
Espagnolissimes de la trs noble pninsule.
En Algrie, l mme o ils sont masss et par-
fois suprieurs aux Franais (et souvent de beau-
coup), ils ne se rebiffent point contre l'invitable.
A l'cole, l'arme, dans la vie de tous les
jours, ils s'accommodent la France d'Afrique,
ses ides, ses horizons d'avenir.
Puis, fait ignor de presque tous, la moiti
d'entre eux et mme plus n'est pas d'idiome cas-
tillan, mais bien d'idiome catalan.
Cette moiti, cette plus que moiti tendant
peut-tre aux trois quarts, vient du royaume de
Valence, des Balares, de la Catalogne. Elle use
de patois presque identiques ceux des paysans
de notre Sud-Est et de notre Sud-Ouest. A ce
titre on peut les adjoindre sans remords nos
Occitaniens . Un Limousin, un Prigourdin.
10
146 L'ATLANTIDE.
un Gascon, un Languedocien, un Provenal
n'ont pas besoin d'interprte pour s'entendic
presque aussitt avec un natif des provinces de
Girone, Barcelone, Lerida, Tarragone, Castellon
de la Plana, Alicante, et avec les Islenos (1) de
"archipel des frondeurs (2). Tous ces gens-l sont
des cohritiers du latin populaire.
Tout ce que peuvent faire ici les Espagnols,
c'est de modifier un peu le nco-franais d'Afrique.
Par exemple, on dit dj couramment, de Djerba
Agadir : je l'aime lui, comme en espagnol
le amo a Dios. On y dit aussi: d'o tu viens?
comment tu vas? si je saurais, si j'aurais su,
ce qui, d'ailleurs, est de meilleure syntaxe que si
je savais, si j'avais su.
En somme ils ne sont pas plus dangereux pour
l'unit de l'Afrique franaise que les gens des
Landes, de la Haute-Vienne, de l'Arige, de
l'Aude, du Gard, du Var, des Hautes et Basses-
Alpes.
XLV
AMBITIONS EXCESSIVES DES ESPAGNOLS EN
AFRIQUE

Nombred'hidalgosprtendaient (3),dans leur


fire Espagne, la matrise de la Berbrie.
(t) Insulaires.
(2I Les Balares.
(3) Il en est qui y prtendentencore.
NATURALISSET NATURALISAMES. I47
Bien tort, car leur grande Amrique vaut.
dix et vingt fois notre Afrique Mineure.
Beaucoup d'Espagnols regrettent amrement
que les Conquistadores n'aient pas dompt
les beys, deys, sultans de l'Atlas en place des
empereurs et caciques de l'Anahuac, du Cundi-
namarca, du Prou, et des bronzs au lieu des
rouges. Oran, Alger, Bougie, Tunis, Djerba,
Tripoli, disent-ils, ont t ntres. Ce n'est pas la
mer de Gibraltar, c'est le Grand Atlas, l'Adrar
Idreren des Berbres qui limite au Midi notre
Ibrie. Nous sommes en droit de.regarder leg
deux ex-rgences et l'empire du Maroc comme des
provinces irrdimes.
Rcemment encore ils ont eu de bien autres
vises. 4 Pourquoi donc considrer le Grand Atlas
neigeux de Marrakech comme la borne mridio-
nale du noble royaume qui fut ultracatholique et,
en cette qualit, l'ennemi passionn des Moros ?
N'y a-t-il pas au Sud de l'Afrique. Mineure une
Afrique Majeure, des * Indes Noires , des forts
sans bornes si touffues qu'elles sont tnbreuses,'
si mles de lianes qu'on s'y sent emprisonn
comme dans un tombeau, et qu' suivre leurs
ruisseaux on croirait longer des Styx neuf fois
replis sur eux-mmes? L, nous rgnerons un
jour sur Tombouctou, la ville soudano-dser-
tique, sur le Niger, suprieur au Nil par l'am-
pleur de ses crues rparatrices, et, plus loin, sur
le Congo, le second des fleuves du monde.
T48 L'ATLANTIDE.
Les oasis du Touat levant leurs palmiers sur la
route de Tombouctou, des savants, des patriotes,
des coloniaux de la Pninsule s'murent l'ide
que la France pourrait s'y tablir. Ils traitrent
le Touat d' intangible , comme tant dans h
mouvance de l'Espagne.
De mme ils rclamrent des immensits
qu'arrire-pays de l'troit
congolaisess en tant qu'arrire-pay
ils avaient fort petitement explor dans
rivage qu'ils
la rgion de3e l'exigu fleuve Mouni.
la c'est l'airain qui rson
Tout cela rsonne et la cym-
retentit, des mots, des*|
bale qui retentit, des*gmissements
eux. L'Afrique a pris la route de la
et des voeux.
;puis que la France a pris le chemin de
France depuis
l'Afrique, et dj les Espagnols d< de cet Ultra-
entent fiers du nom d'Afr
mar se sentent d'Africains, ce qui
veut dire ici Africain-Franais, ceh celui d'Espagnol
riant de plus en plus indi
leur devenant indiffrent.
En toutt temps la Berbrie leur a mal russi,
par leur faute
ute et par l'hostilit des lments.
-Quint s'y dsespra, et <
Charles-Quint d'autres chefs
aprs lui, rfotron
devant la iomnofo 111
tempte qui brisait ses
vaisseaux sur une plage rageuse, sous le souffle
du charpentier majorquin (1).
Ils ont err, ils ont pch en restant sur la
dfensive, dans leurs forts du littoral, Oran,

(i) Ce vent de perdition se surnommeainsi, d'abord


de ee qu'il dsarticulela membruredes navires,ensuite de
ce qu'il souffledu Nord, des Balaresdont Majorqueest
'Ile maltresse.
NATURALISSET NATURALISAMES. I40
Mostaganem, Alger, Bougie, en ne fonant
pas droit devant eux, en ne conqurant point
pour n'tre pas la fin conquis.
Enfin ils ont mpris l'indigne, ils l'ont hat
comme musulman. Quand le cardinal Ximns
se fut empar d'Oran, il fit gorger 4 000 4 Moros ,
tant hommes faits qu'enfants, femmes, jeunes
filles, vieillards, siendo la voluntad de Dios (1),
comme le monumente. en sa sereine simplicit
une inscription qui se lit encore dans la cath-
drale de Tolde.

XLVI

RAPIDE DES HIDALGOS


DNATIONALISATION

Ces amers regrets du pass ne hantent point


les Espagnols de l'Algrie.
Il y a quelques annes, les ouvriers 4 franais
de la ville d'Oran signrent une protestation
quelconque, dans un conflit quelconque entr le
4 travail et le capital . Comme on sait, cette
ville est, et de beaucoup, celle o domine le plus
le sang espagnol, avec Saint-Denis-du-Sig et
Sidi-bel-Abbs.
Or, parmi les signataires de ce manifeste on
remarque des Casana, des Prefumo, des Sem-
erez, des Guerrera, des Botella, des Quinta, des

(1)Suivant la volont de Deq.


150 L'ATLANTIDE.
Saldran, des Serra, des Diaz, des Ortolo, des
Ramon, des Amoros, des Martinez, des Espinosa
et d'autres encore dont les noms ne sont pas plus
franais que ceux-l.
Dans ce mme Oran, les Noticias, journal
espagnol cinq centimes, est mort de sa belle
mort presque ds son apparition. Les Pps ,
comme on les surnomme ici, du moins ceux qui
lisent, ne s'intressaient plus au pays de leurs
pres; Madrid ne leur importait point. Paris
seul les passionnait, Alger plus que Valence,
Alicante et Sviile.
Sur la liste des Algriens tombs au champ
d'honneur en Artois, en Ile-de-France, en Cham-
pagne, en Lorraine, aux Dardanelles, Salo-
nique, les noms espagnols et catalans se pressent
ct des noms franais. Il en est de mme sur
celle des hros ports l'ordre du jour. Ces Rami-
rez, Sanchez, Silva, et combien d'autres, ne se
sont pas battus pour l'Espagne, mais pour la
Berbrie franaise et pour la France.

XLVII

LES FRANAISET LES ITALIENS

De mme que l'origine espagnole prvaut sur


la ntre en Oranie, l'origine italienne prvaut
sur la franaise dans l'ex-rgence de Tunisie.
NATURALISSET NATURALISAMES. 5
De plus, les fils de la pninsule effile vivent en
grand nombre sur le littoral de la Constantinie,
comme aussi les transfuges de la presqu'le
trapue dans la province d'Alger.
Mais, tout comme les Hidalgos en Oranie, les
Italiens de la Tunisie ne sont pas de ceux qui
mnent le * branle de l'avenir . Mineurs, terras-
siers, portefaix, brouetteurs, gens de petits
mtiers, ils n'arrivent pas en matres au pays de
Carthage ; ils dbarquent en serviteurs, ce
contraints par leur pauvret, leur dure condition
dans leur Pouille, leur Calabre et surtout leur
Sicile, lieu d'origine de la trs grande majorit
d'entre eux. Si misrables sont-ils leur arrive
en Afrique, si misrables restent-ils longtemps
dans leur nouvelle patrie que plusieurs d'entre
eux tombent dans la vie arabe au lieu de s'lever
la franaise ou de rester fidles la pninsu-
laire.
En Algrie orientale ils disparaissent trs vite
dans la nationalit gnrale de la colonie, mais
dans la Tunisie, o ils sont encore deux trois fois
plus nombreux que les Franais, ils opposent
une certaine rsistance la dsitalianisation.
Non point ce qu'on nomme la basse classe, les
bons et braves piocheurs des carrires de phos-
phate, les dfricheurs, ouvriers, bateliers, por-
tefaix, pcheurs. Ces travailleurs bronzs qui
vivent au jour le jour ne parlent mme pas la
langue de si ; ils ne savent gure que leurs patois
152 L'ATLANTIDE.
siciliens ou autres ; ils se soucient bien moins de
Dante que de deux sous de macaroni.
Il en est autrement des classes dites leves
qui luttent avec ardeur pour la conservation
de leur italianit.

XLVIII

LS FRANAISET LES MALTAIS

Malte est un des pays les plus curieux de la


terre et nul ne doit s'y intresser plus que les
Franais.
Avec ses satellites, Gozzo, Comino, Cominotto,
Filfola, son aire ne va qu' 32 300 hectares, soit
1 660 fois moins que l'tendue de la France, et
son sol est strile ou vacant, en ce sens qu'aucun
humus n'y recouvre la roche.
La terre leur manquant, les Maltais en crent
par le cassement et le pilement du rocher ; quand
ils n'en crent pas ils vont en chercher ailleurs ;
il y eut un temps o chaque balancelle arrivant
de Sicile tait tenue d'en dbarquer quelques
couffins pour les jardins de l'le pierreuse.
Dans ces jardins, pas de fleurs et point de
verdure ; pas une rivirette, pas mme un ruis-
seau ; aucune fontaine, rien que des puits ; des
figuiers de Barbarie, des caroubiers ; six mois de
chaleur tempre, six mois de chaleur torride,'
du milieu du printemps au milieu de l'automne.
NATURALISESET NATURALISABLES. 153"
Autour de ces jardins, des murs de pierre'
sche ; partout de la poussire, sur les routes, sur
les sentiers, sur les arbustes. Pas de forts, pas de
montagnes ; des coteaux jusqu' 250 mtres, des
vallons rocailleux et pulvrulents, des falaises.
Il faut- que les Maltais aient le diable au
corps pour avoir 4 encaqu 229 000 hommes
sur un bloc si petit, si sec. 709 personnes par
kilomtre carr ! C'est comme si la France s'tait
prsente l'Allemagne avec une arme tire
d'un peuple de 380 millions d'habitants.
Le pays est sain, faute d'intempries, d'humi-
dit, de microbes dans l'air salin ; la race n'est
point abstensionniste, les enfants pullulent.
Aussi, toute la place tant prise, et plus que prise,
ces insulaires migrent vers le continent
d'Afrique, vers l'Egypte, la Tripolitaine, la
Tunisie, l'Algrie et dj le Maroc,

XLIX

LESMALTAISSONTDESARABES

Sans doute les noms anglais et les noms ita-


liens se rencontrent sur la carte de Malte, d'ail-
leurs en assez petit nombre, mais les noms arabes
abondent et surabondent. Qui fait le priple de
l'le voit se drouler un festonnement de pro-
montoires qui sont des ras, de baies et d'anses
154 L'ATLANTIDE.
qui sont des tnarsa, de plages qui sont des rantla.
Or, ras c'est le phnicien, l'arabe ras, au
pluriel rous, qui veut dire cap, et que nous voyons
tout du long dans notre Afrique du Nord ; marsa,
c'est l'arabe mers, que nous retrouvons ct
d'Oran, par exemple, dans Mers-el-Kbir ou le
Grand Port ; ramla, c'est l'arabe rntel, le sable :
R'amla-el-Kbir, sur le rivage de Gozzo, rpond
grand sable, grande plage de sable.
Peuple en principe de Phniciens, autrement
dit de Smites, elle demeura naturellement ph-
nicienne tant que dura l'hgmonie de Carthage,
ville issue elle-mme du littoral de la Phnicie ;
la Sicile voisine, sige de tant de villes grecques
puissantes, lgantes, opulentes, n'eut pas le
pouvoir de l'hellniser ; Rome, dont la domina-
tion fut longue, absorbante, n'eut pas la force de
la romaniser.
Quand l'Afrique septentrionale fut devenue
musulmane, Malte obit aux Sarrasins pendant
plus de deux sicles et demi, de 870 1127 ;
rentre alors dans sa nationalit relle, elle n'eut
point dfendre son idiome smitique, mais
seulement l'accommoder l'arabe : videm-
ment, c'est ce qu'elle fit.
Lorsque, par un brusque changement de
fortune, elle fut le boulevard de la chrtient
contre l'Islam, partir du moment o les cheva-
liers de Saint-Jean l'armrent en bataille contre
les mcrants, Turcs et Barbaresques/elle adora
NATURALISSET NATURALISABLS. 55
de son mieux l'enfant Jsus, la Vierge Marie,
les Saints intercesseurs, mais elle ne cda pas
un mot de sa langue celle de la mtropole de
n'importe lequel des vingt-huit grands matres
qui menrent ici le combat pour la foi du Cru-
cifi.
En fin finale, anglais depuis cent ans, le peuple
de Malte ne sait pas un tratre mot de saxon ;
le peuple des campagnes, s'entend ; car la
Valette, grand port, grand arsenal, grand entre-
pt de houille et ville de garnison, les dirigeants,
les commerants, les richards, les employs
de l'Angleterre ont flchi le genou devant l'idiome
du 4 patron .
Le dialecte smitique parl Malte ne se
prte gure l'instruction d'un peuple chrtien
dpendant d'une nation civilise : la langue
arabe ouvre l'esprit un monde, mais elle en
ferme presque un autre; jusqu' ce jour l'Occi-
dent ne comprend, pas l'Orient ; ils n'ont point
de commune mesure.
C'est pourquoi le maltais ne s'enseigne pas
seul dans les coles, bien qu'un peu occidentalis
par l'italien auquel, dit-on, il a pris les trois
diximes (?) de son vocabulaire, lui, maltais,
et peut-tre un peu de son esprit depuis que les
pninsulaires, qui sont presque tous ici der
insulaires; les Siciliens, se sont tablis par
milliers dans l'archipel de Mlita .
Officiellement, les deux langues des coles
" ^
156 L'ATLANTID*i :
maltaises sont le maltais.et l'anglais ; quant
l'italien, l'tude en est facultative.
Mais, malgr cette obligation et cette facult,
l'on admet-qu'un septime peine des Maltais
parle soit l'italien, soit l'anglais, et celui-ci bien
moins que celui-l. On emploie communment
l'idiome de si dans les salons, autant qu'il y a des
salons Malte, et l'on en use devant les tribu-
naux, en dehors toutefois de la Cour suprme
qui a l'anglais pour organe ; enfin presque tous
les journaux sont italiens.

DESMALTAIS
PROMPTEDNATIONALISATION

Participant d'assez prs la langue du livre


sacr des Musulmans, les Maltais n'en sont pas
moins de trs fervents catholiques jadis catchi-
ss, rudement sans doute, par les chevaliers de
Malte, milice chrtienne peu bienveillante.
En Berbrie; leur catholicisme les fait passer
presque immdiatement du clan des arabophones
dans celui des francophones. D'ailleurs; ils ne
travaillent gure aux champs. Hteliers, gar-
gotiers, cabaretiers, cochers, vendeurs et reven-
deurs, grants, hommes d'affaires, de petits
mtiers, ils habitent presque tous les villes o la
russite dpend surtout de la possession du
NATURALISSET NATURALISABLES. 157
franais. Comme ils savent aussi l'arabe; ils
arrivent presque tous l'aisance. r, les places
de commerce, grandes ou petites, sont comme
des creusets o la fusion s'opre au profit du
verbe dominant.
C'est pourquoi ils disparaissent sans bruit dans
la nation impriale de l'Ile du Couchant; c'est
pourquoi, de tant de familles grouillantes parties
du minime archipel, il n'y a plus qu'une vingtaine
de mille de ces insulaires classs comme Maltais
dans les recensements, dont 7 000 seulement en
Algrie, 13 000 environ en Tunisie ; le reste
s'est transform en 4 Gallo-Romains .
Ce singulier archipel bond de monde est pour
nous une fontaine de vie. Longtemps encore ou
toujours, il nous enverra sans compter des
familles sobres, dures au travail, pres au gain,
trsor inestimable pour la Tunisie, l'Algrie, le
Maroc et plus tard, videmment, pour le Niger
des Soudanais et le Congo des quatoriaux.
En tout cas, on pourra dire, un jour, de ce roc
pulvris en enclos de culture et d'oliviers qu'il
ressemble la Minorque des les Balares. Il y a,
dit-on, plus de Mahonais en Algrie qu'il n'en
reste dans Minorque mme. On dira : 4 Les Mal-
tais sont moins nombreux Malte qu'en Atlan-
tide . Entendons par ce nom de Maltais, non les
colons venus de l'le, mais les descendants de ces
colons qui mritent le nom de.Franco-Arabes.
T58 L'ATLANTIDE.

LI

LES FRANAIS ET LES COSMOPOLITES

Ceux que les recensements comprennent sous


le nom de 4 divers doivent tre considrs comme
immdiatement Franais. Un. Armnien, un
Flamand, un Croate, un Finlandais isol pour-
rait-il se dfendre contre la nationalit prpon-
drante ?
Ces lments minimes, Polonais, Slaves divers,
Allemands, Belges, Suisses, Anglais, Portugais,
Grecs, Turcs, Maronites, etc., etc., comptent
d'ailleurs trs peu en Berbrie, faute de nombre.
Ils s'absorbent par impuissance dans la France
africaine ds la premire gnration ne sur le
sol.
Beaucoup de ces dracins proviennent de la
Lgion trangre.
Cette Lgion, dite trangre, o les Franais
ne manquent pas, comprend des hommes de plus
de vingt nations. Y dominent comme nombre
les Alsaciens-Lorrains, les Allemands, les Belges,
les Espagnols, les Italiens.
Elle naquit ds aprs 1830 de la gne impose
la France par les dbris des 4 Trois Glorieuses ,
journes o les insurgs de Paris, jets en avant
par les ambitieux de pouvoir, d'honneurs et
NATURALISSET NATURALISABLES. 159
d'argent, avaient renvers le 4 roi lgitime pour
la meilleure des rpubliques , ainsi qu'on quali-
fia Louis-Philippe, hritier des Bourbons d'Or-
lans. A ces 4 Volontaires de la Charte c'tait
la phrasologie du moment se joignaient des
ouvriers sans travail, des fainants, des ivrognes,
des vagabonds, et surtout des paves des rvo-
lutions qui venaient de secouer la Pologne,
l'Italie, l'Allemagne et autres pays. Le tout avait
fini par faire une arme de 6000 mcontents
dont on cherchait se dbarrasser, troupe dgue-
nille, disparate, irrite chez les uns, dprime et
demi neurasthnique chez les autres.
On eut l'ide de les envoyer en Algrie o leur
apparition effaroucha les rares colons, les mili-
taires, les approvisionneurs et dtrousseurs qui
suivent les armes. On les appela les 4 Parisiens
de ce que les premiers en date taient les insurgs
de 1830. Les indignes les nommrent les
Bdouins de France. Telle fut l'origine de la
Lgion trangre.
Par une sorte de maladie nationale, nos gou-
vernants ne firent pas profiter la seule France
de l'nergie de ces proscrits, de ces va-nu-pieds,
de ces combatifs. On en perdit des bataillons en
Espagne, dans la guerre des Cristinos contre les
Carlistas : les ministres de Louis-Philippe jugrent
bon d'aider un des deux grands partis politiques
de ribrie, et justement celui que nous avions
combattu quelque dix annes auparavant. Sang
l60 L ATLANTIDE.
tourdiment, criminellement vers pour des lubies
politiques, dynastiques, rpublicaines, librales,
sociales, jamais nationales. Des 8 ooo lgionnaires
dpchs en trois ans versla dvorante Espagne,
il n'en resta que 400.
Plus tard, l'hrosme de la Lgion se dpensa
au Mexique ; elle y fut incessamment renouvele,
tant la mort confisquait de ces risque-tout.
Mais ils ont bien servi la France, en Algrie,
au Maroc, au Sahara, Madagascar, en Indo-
Chine, ces trangers arrivs chez nous on ne sait
jamais la suite de quelles aventures, les dser-
teurs part, dont on n'ignore pas quelle arme
europenne ils ont fui.
Toujours hroques, impassibles, invincibles, ils
ont combattu pour nous un peu partout. Pour
beaucoup d'entre eux, malheureux, dsesprs
parfois brls de remords, la mort vaut mieux
que la vie.
Le jour de leur dmilitarisation venu, nombre
d'entre eux restent dans, cette Algrie o ils sont
venus chercher l'oubli ou l'aventure.
La plupart se fixent dans l'Oranie o campent
leurs deux normes rgiments, l'un Sidi-bel-
Abbs, l'autre Sada.
NATURALISSET NATURALISABLES. l6

LU

LES NATURALISS

On n'a qu' jeter un coup d'oeil sur les lettres


de faire part mariages, morts, naissances en-
voyes aux journaux, pour s'merveiller du degr
de fusion auquel sont arrives dj les familles
europennes de l'Atlantide.
Tel dcs endeuille des neveux, des cousins,
des fils de cousin aux noms franais, catalans,
mahonais, andalous, toscans, liguriens, romains,
siciliens, napolitains, maltais, grecs, allemands
et autres.
C'est toute la Mditerrane et un peu de l'int-
rieur du continent qui envoie des reprsentants
l'inhumation.
Les mariages se concluent aussi souvent entre
Franais et non Franaises qu'entre Franais et
Franaises, Espagnols et Espagnoles, Italiens et
Italiennes. On compte les unions hybrides par
dizaines de milliers.
Par le fait de tous ces hymnes; il ne sort gure
que des nationaux, que le pre soit un Franais
ou un forain, que la mre soit originaire des bords
du Guadalaviar, du Jucar, du Guadalquivir, ou
de Toscane, de Sardaigne, des ex-Deux-Siciles.
Cette miscgnation, notre seul profit, l'em-
IX
ifo L'ATLANTIDE.

porte fort sur les naturalisations officielles faites


par choix, par ncessit ou, le plus souvent, par
intrt. On compte pourtant vingt-cinq mille
environ de ces dernires.
D'unions avec les Isralites, il n'en est gure ;
avec les Mahomtans, il n'y en a point, pour
ainsi dire.
Que les Juifs ne se htent pas de se marier avec
des Franaises, il importe peu, car la commu-
naut des intrts entre eux et nous, et leur pas-
sage peu prs universel au franais comme
langue courante les cimentent rapidement avec
la France comme par un ciment romain.
Que les Musulmans ddaignent de s'allier avec
nous par des mariages, c'est un malheur impu-
table la religion plus qu'au patriotisme; mais la
diffusion du parler franais et l'identit de plus
en plus complte de leurs intrts et des ntres
suffiront avec le temps pour qu'eux et nous
fassions une seule et mme nation. La * grande
guerre * a ml notre sang au leur, et le leur avec
le ntre, et non pas par petits filets, par troits
ruisseaux, mais par larges torrents.
Le nombre infinitsimal de leurs naturalisa-
tions serait dcourageant si l'on ne savait que
ce qui est officiel n'a point la puissance de ce qui
est souvent presque invisible, du travail de
l'en dessous.
On n'en a naturalis, sur leur demande, que
X283 en trente-huit annes, de 1866 1903,
NATURALISSET NATURALISABLES. 163
soit 32 33 par an. Et depuis 1903 la moyenne
annuelle, civils et surtout militaires, interprtes,
instituteurs kabyles, ne s'est pas beaucoup ren-
force. Au fond il n'importe gure.
Ce serait un enfantillage que d'attendre des
naturalisations officielles la dnaturation en
Franais des Indignes du Moghreb.
C'est le 4 grand matre des 4 grands matres ,
autrement puissant que le grand matre des
chevaliers de Malte et autres dfenseurs et pro-
pagateurs de la religion du Christ, c'est le temps
qui dissoudra ceux que tout le monde croit
jamais indissolubles; un jour ils se tairont ceux
qui disent, avec un grand personnage d'il y a
soixante ou quatre-vingts ans : Faites cuire
aussi longtemps que vous voudrez du Franais et
de l'Arabe, la cuisson finie, le bouillon sera double :
ici de l'Arabe et l du Franais.
L'cole commune, le service militaire commun,
le passage d'Afrique en France, puis de France
en Afrique des travailleurs, l'action d'un indis-
pensable langage un pour tous, d'un sabir que la
force des choses, peu peu, transforme en un
franais pur et simple, peine adultr par le
milieu maugrabin ; c'est de cela qu'il faut attendre
la fusion de l'Europen et de l'Indigne.
La vraie sagesse sera d'accommoder notre
statut le statut des Musulmans tel que l'ont
tabli les versets du Coran, puis l'exgse des
docteurs, il y a, comme on dit vulgairement,
164 L'ATLANTIDE.
boire et manger dans le livre saint de l'Islam.
Des commentateurs bienveillants y trouveront
assez de textes permettant de conclure l'qui-
valence des deux lois. On arriverait par degrs
la naturalisation officielle, d'abord. demi
force, puis volontaire, en trois ou quatre gnra-
tions, chacune d'elles se rapprochant de nous par
des droits et des privilges.
VIII

COLONISATION DE I/ATLANTIDK
LUI

1830

Comment la France s'y est-elle prise pour


installer ici des familles franaises, en une con-
tre chaude, sche, inviable, hostile?
Mal, on peut dire. Et d'abord sans conviction,
puis avec une extraordinaire absence d'esprit de
suite. Le rgime dit parlementaire en est la
matresse cause, sous la monarchie, sous l'em-
pire, sous la Rpublique. Nous aurions pu marcher
dix fois plus vite et dix fois mieux. Flicitons-
nous d'avoir russi malgr tout, malgr nous,
par la force des choses, l'hrosme des colons, le
sourire des destines.
Sous une autre forme, le refrain de Branger
est devenu une ralit :

Vivent les rois qui sont unis I


Vive Alger, Maroc et Tunis I

L'entre de la France dans la terrible ville


des Barbaresques n'intressa nos dirigeants,
l68 L'ATLANTIDE.
nos honoratiores , politiciens, journalistes,
hommes de poids et de sagesse, que dans les bor-
nes de l'esprit de parti : les uns heureux de ce
triomphe parce qu'ils taient du clan du roi, les
autres consterns parce qu'ils fraternisaient avec
les 4 libraux qui travaillaient renverser le
roi Charles X.
Parmi tant d'hommes d'tat, de journalistes,
d'historiens, d'acadmiciens, il n'y en eut peut-
tre pas dix, peut-tre pas cinq, comme il n'y
avait pas cinq justes dans Sodome, pour se dire,
en un sursaut de patriotisme joyeux : Nous
voici donc dsormais au seuil d'un grand conti-
nent, au plus prs de nos rives de Languedoc et
de Provence et de la Corse hroque. Nous avons
perdu l'Amrique, nous l'Afrique, quinze'
annes seulement aprs Waterloo !
On prfra s'enorgueillir des 4 Trois Glo-
rieuses qui furent bien plutt les 4 Trois funestes
journes , comme la suite des temps l'a montr :
rvolution de 1848, jours sanglants de juin;
second Empire, troisime invasion et, finalement,
notre impuissance jusqu' la bienheureuse anne
climatrique de 1914.
Par bonheur on ne dcrta pas l'abandon
d'El-Djzar (1) ; on se contenta de rvoquer
le gnral qui l'avait conquise (2).
La prise d'Alger ne fut donc qu'un incident
(1) Alger.
(3) Le comtede Bourmont.
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. 169
politique au lieu d'un vnement national.
Aussitt commencrent l'irrsolution, le culte
du pour et du contre, les ordres et contre-ordres,
le dsordre, la marche en avant et en arrire, les
villes forces, puis abandonnes, les gnraux et
les gouverneurs pris au hasard dans le tas, parmi
les grincements de la girouette ministrielle et
le ronron du verbiage lgislatif.
Pourtant, quelle splendeur d'avenir prdite
par l'entre des Franais dans la ville des Barba-
rcsques 1
Elle ouvrait nos destines un horizon sans
bornes. Elle compltait le vieux dicton : La
plus belle comt, c'est Flandre ; la plus belle
duch, c'est Bourgogne, <le plus beau royaume,
c'est France , en lui ajoutant : Le plus bel em-
pire, c'est l'Afrique.
On ne s'en doutait pas, mais c'tait le plus
grand vnement de notre histoire depuis l'ar-
rive du 4 Divin Jules dans les Gaules.
Les Romains nous firent passer du camp des
barbares dans celui des polics ; ils nous apprirent
lire, crire, ne plus penser au prsent seule-
ment qui n'est qu' un jour qui passe ou une
veille en la nuit , mais aussi la suite infinie des
lendemains ; ils nous transformrent' en une
nation durable, ternelle si l'on veut, claire
des rayons de la lumire mditerranenne. La
prise d'Alger allait quindcupler les 65 millions
d'hectares de la France ramene l'tendue de
. I?0 L'ATLANTIDE.
la Gaule, mettre au monde des peuples nouveaux
imprgns de son esprit, pntrs de sa langue.
Nous n'avions pas de postrit dans l'ancien
monde et nous allions agrandir notre famille et
la rendre, si le destin s'y prtait, plus digne.de
ce que nous fmes aux temps couls.
Quelques mois plus tard, le marchal Clauzel
eut l'honneur de franchir le premier l'Atlas au
col de Mouzaa, sur la route de Mda la riche (i).
D'me enthousiaste, il salua de vingt et un coups
de canon le vieux mont dont les anciens croyaient
qu'il portait le monde.
4 Soldats, proclama-t-il sa toute petite, sa
trop petite arme, soldats, les feux de vos
bivouacs se mlent aux toiles du firmament.
Exclamation plus potique encore que les
4 quarante sicles vous contemplent de Bona-
parte au pied des Pyramides. Mais l'expdition
d'Egypte fut vaine, tandis que le combat qui
nous avait livr ce passage entre monts de
1600 mtres de hauteur devait tre suivi d'un
avenir immense : c'tait le premier pas d'une
marche de plus de douze cents lieues sur la route
du Midi, jusque bien au del de l'Equateur.
(1) Vieuxdicton: Alger la prostitue, Cola la sainte
et Mdeala riche.
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. lfl

LIV

UN PRCURSEUR: CLAUZEL

Durant ces premires annes d'tourderio et


d'ignorance, un choix heureux fut celui de ce
mme marchal Clauzel comme gouverneur d'une
colonie qui n'en tait pas encore une : mais cet
homme d'tat voulait qu'elle le devnt tout
prix et au plus tt.
Clauzel, un des hros du premier Empire,
tait un esprit suprieur ; ses ides taient justes,
claires ; il avait l'intuition de l'avenir.
C'tait comme un Bugcaud avant Bugeaud.
Il se disait que conqurir n'est rien, que
pour possder vraiment un pays il faut mler
vaincus et vainqueurs, donc importer des familles
de la race victorieuse, faire ce que firent les
Romains en Italie, en Ibrie, en Gaule, en Dacie,
et aussi sur la rive africaine o nous venions de
dbarquer: installer des villages franais dans
le bled arabe on ne se doutait pas encore
de la survivance des Berbres.
Bien peu d'esprits d'avant-garde partagrent
les espoirs de ce successeur du vainqueur
d'El-Djzalr.
Avant de coloniser l'Algrie, Clauzel voulait
la soumettre en entier, l'est comme l'ouest
172 L'ATLANTIDE.

d'El-Djzar. Or, la ville du ravin colossal, la


vertigineuse Constantine obissait encore un
bey de col roide parfaitement ddaigneux de la
France ; et le beylik de ce potentat galait presque
en tendue celui de Titteri (i) et celui d'Oran
runis.
Clauzel demanda des renforts au ministre
alors en fonction (2), qui ne comprit pas la
ncessit d'tre matre partout sous peine de ne
l'tre nulle part. Les renforts furent refuss.
Soucieux, mais rsolu, le marchal partit avec ses
7 000 hommes. L'assaut de Constantine choua ;
du plateau numide, on redescendit Bnc sous
la pluie, sous la neige, dans la glai , reints,
fourbus, dcims, presque anantis.
Les Chambres ne tinrent pas rigueur au
ministre incapable, et lui-mme tait pour la
paix en Afrique, mme avec un tantinet de
dshonneur.
Mais, cette fois, la nation fit entendre sa
volont. Une autre arme, celle-l de 10 000
hommes, partit de la cte pour l'intrieur.

(1) Alger appartenant au dey, souverain gnral de


l'Algrie,la rgioncentraledu Moghrebcentral formait le
beylik do Titteri, d'aprs un pays du Midi dudit beylik,
au sud-ouestde Mda.
(a) Le comteMole.
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. 1/3

LV

PRISE DE CONSTANTINE

Plus heureuse que celle de Clauzel, elle dompta


l'indomptable Cirtha, qui, dit-on, avait vu
quatre-vingts fois l'ennemi dployer, presque
toujours en vain, ses tendards devant ses murs,
au-dessus de ses abmes.
Dsormais, il y eut en France une sorte d'una-
nimit pour ne pas abandonner un pays dont la
conqute tait si dure, si longue et, comme tant
d'esprits dits judicieux l'avaient tabli, si par-
faitement inutile. A quoi bon, avaient dclar
tant de patriotes, quoi bon dpenser contre
des Mauricauds un sang qui serait si prcieux
quand il faudrait le rpandre contre la Sainte
Alliance; on oubliait donc Leipzig, le Rhin
perdu, Waterloo !
S'il n'avait pas fallu venger, pour l'honneur,
la droute de Clauzel, peut-tre n'aurions-nous
pas l'Afrique du Nord, ni l'Afrique Occidentale,
ni l'Afrique quatoriale 1
La conqute de la Numidie cirthenne fut
une dlivrance insigne pour ses Numides.
Peu d'annes avant la prise du Nid d'Aigle ,
un bey de Constantine se faisait accompagner
par son bourreau quand il visitait ses tats, si
74 L'ATLANTIDE.
l'on peut nommer ainsi des pays disloqus sans
rapports intimes de tribu tribu, de ville cam-
pagne. Parfois (ou souvent) il disait son excu-
teur des hautes oeuvres : Mon ami, ton sabre n'a
pas djeun aujourd'hui. Sur quoi on racolait
un homme ou plusieurs, les premiers venus, et
le sabreur leur coupait la tte.
Avant ou aprs ce bey, en tout cas au
XIXe sicle, un autre de ces potentats mrita le
surnom de Bou-Chettabia, le piocheur, paicc
qu'il faisait tuer ses victimes coup de pioche :
le dlinquant, qui n'tait presque jamais un
coupable, s'agenouillait en disant : mektoub,
c'tait crit ! et la pioche le piochait.
En ce temps l, suivant l'expression des Indi-
gnes, on tait l'homme de sa tte ; on faisait
ce qu'on voulait, quand on en avait le pouvoir,
et la vie du prochain n'avait pas plus de valeur
que celle d'une mouche .

LVI

LES PREMIERSCOLONS

Ds avant la premire attaque de Constantine,


des hommes sans peur avaient achet des
haouchs (z) aux Indignes dans le sahel de la

(i) Domaines,fermes.
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. 175
banlieue d'Alger, surtout au pied mridional
de ce sahel, en face de l'Atlas blanc de neige de
novembre mai, dans la trs fconde Mtidja.
Celle-ci est une plaine de vingt vingt-cinq
lieues de long sur quatre cinq de moyenne
largeur.
Fconde "alors en puissance, non point en
ralit : les Turcs avaient pass par l. Nulle
part la domination de ces matres trois fols
centenaires ne fut plus funeste que dans la moiti
orientale du Moghreb.
lin fait,ce n'tait pas le Turc rel qui comman-
dait ici, le patient bouvier d'Anatolie, mais une
horde de brutes, les Janissaires, la tte desquels
dey, beys, bachaghas, aghas levaient l'impt en
brandissant le cimeterre.
Dey, beys avaient inspir deux dictons aux
Maugrabins : Quand Baba Tourki se montre
l'entre de la Mtidja et tousse trois fois en cares-
sant sa barbe,la Mtidja devient un dsert. L
o le cheval du Turc a foul la prairie, l'herbe ne
repousse jamais.
Et les Turcs avaient chevauch dans la Mtidja
pendant des sicles ; efie n'tait plus que maquis,
marais, ornires et fondrires.
Ij6 L'ATLANTIDE

LVft

LA MALARIA,L'USURE

Les annes aidant, l'tat franais cra des


villages, des hameaux. Pas beaucoup : la guerre
faisait rage ; c'tait toute une aventure que de
risquer des dfrichements au milieu des coupeurs
de tte, dans des plaines et des ravins maremma-
tiques.
Une bonne moiti des colonies fut installe
dans des lieux alors maudits, sur des alluvions
fivreuses, dans des cirques touffants o l'air ne
se renouvelle pas.
Longtemps elles restrent sans routes, isoles
du monde, condamnes mourir avant d'tre
rellement nes.
Dans l'une d'elles (i), exemple entre cent
trente-deux familles reurent chacune un lot.
L'endroit tait comme calcul pour transformer
en quelques mois des paysans vigoureux en
fivreux tremblotants, prs d'un oued bord de
lauriers-roses ; or, qui respire le laurier-rose,
respire la mort .
Quatre ou cinq ans passrent et dix-huit des
chefs de famille demandrent le transport de leur
village dans un site ar, salubre. Leur ptition
(t) Zeragna,oansla provincede Constantine.
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. l)?
finissait par ces mots : Si les quatorze autres
colons ne signent pas avec nous, c'est qu'ils sont
morts.
Cinq ans aprs, nouvel appel l'tat par neuf
colons, appel finissant comme suit : Si les neuf
autres signataires de notre demande d'il y a
cinq ans ne se joignent pas nous cette fois, c'est
qu'ils sont morts.
Non moins lugubre avrv't t le sort de Clauzel-
bourg, en Mtidja. Clauzelbourg, ainsi appele en
l'honneur du marchal Clauzel, l'homme de
clairvoyance et d'action, fut efface de son sol
palustre ; il n'en reste pas une pierre, pas plus
que de maint autre malheureux village europen
cr trop prs de l'eau croupissante, trop loin de
Veau vivifiante, et dont les ruines mmes ont pri.
Le pays de Clauzelbourg tait en ralit trs
sain, certaines mares, certains oueds une fois
mis hors d'tat de nuire. Non loin de cette colo-
nie dfunte,Guyotville le prouve, exemple entre
cent. Elle a, dans l'espace de quarante ans,
de 1860 1900, enregistr deux fois plus de
naissances que de dcs: 1746 contre 870
gain, 876. Il est vrai que Guyotville a son site
dans le sahel d'Alger au dlicieux vent revigorant
de la mer.
En cette mme Mtidja qu'advint-il des mai-
sons infortunes du Pont du Mazafran, au pied
des salubres collines de Cola? Tous leurs habi-
tants succombrent la fivre d'accs. La plaine
12
I7S % L'ATLANTIDE.

aujourd'hui souverainement opulento en vins, en


fruits, en moissons, qui s'tend au lovant, au
couchant, au sud d'Alger, fut deux fois funeste
aux pionniers de la France en terre mauresque,
des racines de l'Atlas auy collines littorales
dont l'une porte le Tombeau de la Chrtienne,
le Kbcur-er-Roumiah qui est lui-mme comme
un coteau sur un coteau. Malgr son nom, cv
singulier monument funraire ne cache point h
dpouille d'une reine catholique. On prsume
qu'il abrite les restes de rois de la Mauritanie,
comme dans l'Est, prs de la route de Constan-
tine Batna, le Mdracen, antrieur au Kbeur-er-
Roumiah, est sans doute, transition entre
l'art gyptien et l'art grec , la demeure dernire
de Massinissa.
Donc, doublement funeste cette plaine, par
ses fivres et par ses Hadjoatcs, hordes guerrires
de pillards insignes dont on ne sait combien de
Franais ils massacrrent, tant colons que sol-
dats. De razzias en razzias, d'attaques en
dfenses, ils ont t rays du livre de vie et Ls
moissons drues ondulent sur ce qui n'tait que
marais. Les lieux palustres sont d'habitude
les plus fconds ds qu'on a dgag leurs eaux
mortes. Il faut retourner pour eux le proverbe
italien : 4 On y fait fortune en un an, mais on y
mjeurt en six mois et dire : On n'y meurt pas
toujours et, la mort vite, on devient un sei-
gneur magnifique .
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE I79
Les grands propritaires, ceux qui avaient
achet de vastes haouchs, se gardaient des
razzias, vols, viols, assassinats, par de hauts
murs avec bastions aux angles ; de mme la plu-
part des villages se clotraient, comme antan
nos villes du temps fodal, par des murailles
< ffisantes contre des ennemis sans canons.
Les petits colons entouraient leur cahute, leur
jardin, d'un rideau d'agaves (1) et de cactus (2)
aux fruits comestibles, celui-l muni de fortes
pines, celui-ci de fines.aiguilles, se pressant les
uns contre les autres et formant ainsi des haies,
de vraies palissades peu prs impntrables.
S'ils ne protgent pas absolument contre
l'homme, ils loignent les lopards (3), tics rares
maintenant, les lions il n'en est plus gure ,
Ls hynes ricanantes, les chacals dont les
aboiements infatigables se rpondent dans le
silence de la nuit.
Aujourd'hui, la scurit devenue permanente
le colon s'entoure plutt d'arbres de luxe ou
d'utilit.
Parure ncessaire en tant de parages, aussi nus
que les campos castillans, o, comme on a fait
en Espagne, tous les arbres, les arbustes ont t
dtruits, la longue, dans l'intrt du pturage
ou simplement par la brutalit naturellcl'homme

(1) Vulgairementappels, en Algrie, l'aloos. '


(2) On les nomme, en Afrique,figuiersdo Barbarie.
(3) Vulgo, tort : la panthre.
l80 L'ATLANTIDE.
et par l'imprvoyance qui, ne voyant que le
moment prsent, sacrifie une fort pour quelques
poutres, chevrons, bches brler et sacs de
charbon. Il y a, notamment sur la table des
plateaux de la Numidie, autour de Constantine,
de Stif, de Batna, d'An-Bida, des tendues
mornes, d'horizon en horizon, o il n'y a pas
assez de branches pour mille nids d'oisillons : le
mouton y ble, mais les chanteurs de l'air s'y
taisent.
Champs opulents, ceps d'o le vin coule en
rivire, bois d'orangers, jardins derrire les dards
du somptueux alocs, voil ce que les colons, si
longtemps diffams, ont fait des lieux d'Algrie
o le Hadjoute guettait l'infidle, qui tait sur-
tout pour lui l'homme piller, donc tuer aupara-
vent, et o le sulfate de quinine ne fut pas tou-
jours le sauveur des familles dsespres dans
les misrables hameaux.
Comment reconnatre, ici et dans toutes les
campagnes colonises, le pays que le pote
latin (i) surnomma la terre de Juba, nourrice
aride des lions (2)? Pas plus que la malaria le
roi des animaux n'a pu tenir contre l'homme,
beaucoup plus roi que lui. Jules Grard en
abattit des dizaines et devint universellement
fameux sous le nom de tueur de lions; Bom-

(1) Horace: Ltonum arida nutrix.


(2) Juba, roi de la Mauritanie csarienne, autour de
Casant, aujourd'huiCherche
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. 8l
bonnel ne fut pas moins clbre, surtout comme
chasseur de panthres, et tel Arabe en a mis
mort prs d'une centaine avec un mauvais fusil,
quitte se battre corps corps avec sa victime
si la balle avait manqu l'oeil ou le dfaut de
l'paule.
Encore s'il n'y avait eu que guerre, embches,
coups de mains, assassinats isols, fivres, dysen-
teries. Un autre ennemi terrible guettait les fon-
dateurs des colonies. Ignoble faire vomir,
l'usurier, franais, europen, maltais, mozabite,
arabe, juif, tendait sa toile d'araigne: prts
sournois, intrts accumuls, l'huissier, la saisie,
la ruine ; une famille arrache du sol par la loi
4 tutlaire .
La colonisation, trs parpille, marcha donc
cahin-caha pendant une douzaine d'annes. La
paix faite, l'Algrie conquise moins la Grande
Kabylie soumise en 1857 seulement, les villages
franais se raffermirent, ils crrent en nombre ;
l'implantation de l'Europe dans l'Atlas ne fut
plus une drision et comme un dfi la nature et
la destine

LVIII

BUGEAUDBT LES DPUTS

C'est devant une Algrie hsitant entre le


'
nant et l'tre qu'intervint vainement un grand
182 L'ATLANTIDE.
homme, le conqurant lui-mme, Bugeaud de
la Piconnerie, le vainqueur de l'Isly, le marchal
qui demandait trois choses ses soldats : le cou-
rage, l'agilit, la sobrit. Ayez, leur disait-il,
le coeur du lion, les jambes du cerf, le ventre
des fourmis.
L'Algrie, proclamait-il, ne doit pas rester un
camp de militaires, un pays de nomades ou de
fellahs mourant de faim dans des tentes ou dans
des gourbis en branchages. Elle sera finalement
un pays o les Franais arriveront instruire et
modeler les Indignes.
Il se promit, si la France le secondait, d'y ins-
taller en dix ans cent mille familles nationales.
Ses plans taient admirablement conus, trs
logiques, lui-mme tant un esprit pratique au
plus haut degr.
Quand son projet fut soumis aux dputs, le
parlement s'offusqua vhmentement : Haro
sur le baudet ! Eh quoi ! Voil un militaire
qui parle de crer au lieu de dtruire ; ce
n'est pas son affaire; des villages peupls de
soldats, de la hirarchie, de la discipline, de
l'ordre dans une entreprise qui est essentielle-
ment civile ! Et six cent millions, sinon peut-
tre un milliard de dpenses I Or, Bugeaud
n'en demandait que trois cents pour un essai
prliminaire.
On entassa tout ce que des libraux doctri-
naires peuvent accumuler de raisons contre une
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. 183
oeuvre non entirement conforme au dogme (i).
Les Chambres donnrent tort Bugeaud et le
marchal dcourag donna sa dmission.
Bugeaud avait mille fois raison: c'est pourquoi
les reprsentants de la nation lui opposrent
leur veto. De 1' 4 autel de la patrie , dans le
<temple de la raison , descendit la voix de
l'inconscience et de la stupidit.
Ne pas oublier cependant qu'un grand homme,
surtout un grand pote, Lamartine, eut bonne
part la persistance de la France en Afrique.
En 1835, dans une sance d'une commission
nomme pour juger de la garde ou de l'abandon
de l'Algrie, il plaida si bien pour notre pers-
vrance que la commission vota qu'un grand pays
comme le ntre ne jetterait pas le manche aprs
la cogne, qu'il maintiendrait envers et contre
tous la possession des rives septentrionales de la
mer entre les terres. Sans doute, Lamartine tait
un rveur, un utopiste, un illumin, un paci-
fiste intransigeant, comme par malheur il le
prouva plus tard dans sa Marseillaise de la paix,
en rponse aux vers de mirliton de Becker :
Us ne l'auront pas le libre Rhin allemand .
11 y devinait si peu l'avenir qu'il y loua magni-
fiquement l'Allemagne, son peuple, ses vertus,
sa langue, la fraternit des nations et, pour finir,

(1) Le rapporteur hostileau projet tait Alexisde Tocque-


ville. Par reconnaissance,on a donn son nom un bourg
de la provincede.ConstantineI
184 L'ATLANTIDE.
il s'y enthousiasmait sur l'Asie Mineure dont il
esprait que tous les Europens s'y installeraient
en voisins, en amis sincres. Mais c'tait une me
haute ; il avait le sentiment de l'honneur. Ce jour-
l ce fut un optimiste, un prescient et conscient,
un patriote.
Lui et quelques autres part, quelle drision
d'attendre d'une assemble de diseurs de rien, de
coupeurs de cheveux en quatre, d'abstracteurs
de quintessence, des intelligences, des vertus,
telles que la sagesse, la suite dans les ides, la
fermet dans l'action, le sentiment de la dure,
la vue de l'avenir, ne serait-ce que du plus pro-
chain !
Ces pres de la patrie se montrrent alors
fidles aux ides de 1832. Cette anne-l ils
avaient refus au marchal Clauzel les 2 106 000
francs qu'il implorait pour les dbuts de l'occu-
pation du sol algrien par les paysans de chez
nous. Comme premier effort conscient, il deman-
dait l'installation de 3000 familles nationales
contrepoids ncessaire aux trangers qui com
menaient venir en foule, Espagnols, Italiens,
Maltais, ruraux d'Allemagne, cosmopolites.
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. t85

LIX

INSOUCIANCEMALENCONTREUSE

Quand Bugeaud essaya d'associer par des


liens vivants la France l'Algrie, il tait encore
temps de peupler de nos gens ce que nous avions
dj conquis dans le soucieux Altas. *
La France tait alors fertile en hommes ;
quelques annes aprs, elle ne l'tait plus, la sve
allait tarissant.
Le vainqueur de l'Isly (i), et Clauzel avant lui,
ignoraient que c'tait exactement le moment
de nous enraciner profondment en Afrique par
l'essaimage de nos familles dans l'Atlas central,
et que chaque jour perdu tait un dsastre.
Ces deux grands hommes avaient compris que
passer dans un pays le fusil et le sabre la main,
ce n'est pas le conqurir jamais; que pour le
tenir travers les sicles, il faut avant tout que
le rustre national y trace des sillons. La devise
de Bugeaud le dit en trois mots : 4 Ense et aralro ,
par l'pe et l'araire ou la charrue.
Mais ni l'un ni l'autre, bien que voulant agir

(i) Bugeaud devait son titre de duc sa victoire de


l'Isly remporte en Marocsur les Marocains,victoire dont
la France ne voulut pas profiter parce que, disait Guizot,
elle est asscriche pour payer sa gloire.
I$6 L'ATLANTIDE.
au plus vite, ne se doutaient que tout retard
tait funeste, toute insouciance malencontreuse.
Comment auraient-ils prvu ce que personne
encore ne pouvait souponner, que la France et,
derrire la France, l'humanit allaient s'embour-
ber dans le nant de la strilit volontaire?
Peu d'annes sparaient alors la France des
jours o le nombre des Franais deviendrait
stationnaire, sinon mme s'amoindrirait de saison
en saison.
Comme on l'a dit (i), le globe terrestre 4 marche
la lune; en d'autres termes, l'enfoncement
graduel des eaux courantes menace de faire de
notre sphre vivante une sphre morte, comme
est la * reine des nuits . De mme on doit dj
se demander si elle ne tend pas la disparition
du genre humain comme la disparition de
l'onde. Or, jutement, aux temps de Clauzel et
de Bugeaud, on se proccupait au contraire des
annes, rapproches peut-tre, o les hommes,
devenus trop nombreux, s'assassineront pour un
morceau de pain sur toutes les rondeurs de la
sphre, car alors, dix, vingt milliards d'tres
pensants penseront surtout ne pas mourir de
faim.
C'est cette poque de 1830, 1840, 1850, que
nous opposions la mort le plus de naissances ;
! l'accroissement annuel arrivait 200 000, plus

(1) E.-A. Martel


COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. 187
ou moins. Rien ne nous tait alors plus facile
que de confier au soleil d'Afrique des milliers et
encore des milliers de familles nes sous le soleil
plus ple de l'Europe comprise entre le Rhin et
les Pyrnes ; soit 10 000, 20 000 vaillants
hommes emprunts surtout nos dpartements
essaimants, aux districts montagneux, pierreux,
schisteux, naturellement, pauvres, o les enfants
poussent dru ils ont toujours t, ils sont
toujours ceux qui envoient le plus de colons
outre Mditerrane, Corse, Alpes, Jura, C-
vennes, Plateau Central.
Le temps est pass du transport ais des 4 vieux
Franais dans les Frances nouvelles ; mainte-
nant c'est tout juste si nous pouvons, avec le
secours de beaucoup d'trangers, cultiver nos
champs, faucher, moissonner, engranger, char-
royef sur nos routes, animer nos usines, charger
et dcharger nos navires.
Tandis que, pendant une quarantaine de nos
annes 4 coloniales partir de 1830, nous cl-
brions, d'ailleurs sans trop d'excs, le triomphe
de la vie sur la mort. De 1801 1870, la France
a gagn 9 488 000 Franais. De 1830 1870, la
premire des 4 annes terribles , 1870 qui
fut par comparaison comme une sorte d'idylle
au prix de 1914, 1915, 1916, le gain fut de
4738000. Puis ce fut, c'est la monstrueuse
dcadence vitale. Nous n'avons augment que de
642 000 entre 1870 et 1880, de 671 Ooo de 1880
l88 L'ATLANTIDE.
1890, de 237000 de 1890 1900; chaque
espace de trois cent soixante-cinq jours voit
diminuer chez nous le nombre des petits tran-
gers , suivant le charmant synonyme anglais qui
dsigne les nouveau-ns.
C'est donc de 1830 1870 que nous aurions
pu et d, conformment aux volonts de Clauzel,
de Bugeaud, crer solidement la Nouvelle France.

LX

LE PRINTEMPSSACR

A dfaut de colons volontaires, nous pouvions


clbrer des printemps sacrs , comme le firent
antan les petits peuples italiotcs dont Rome
fut la fille et l'hritire.
Les printemps sacres furent d'abord des mas-
sacres d'innocents. Quand les Dieux manifestaient
leur justice ou leur vengeance par une pidmie,
une famine, un dsastre, une dfaite, on les apai-
sait en leur consacrant, c'est--dire en immolant
sur leurs autels, les enfants arrivs au monde en
mars et en avril, qui sont en Italie centrale et
mridionale les mois de la sve renaissante;
alors Moloch redevenait bienveillant pour son
peuple.
Les meeurs s'tant humanises, on gorgea des
animaux propitiatoires, et l'on rserva les resca-
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. 189
ps pour le ver sacrum, le printemps sacr de
leur vingtime anne: alors, on les amenait,
troupeau d'phbes, aux portes de la ville, et ils
partaient pour Coloniser le vaste monde qui
se bornait pour eux l'troitesse de l'Italie.
Il et t possible de renouveler notre profit
ces printemps sacrs, origines d'un grand nombre
de colonies (1). Le service militaire durait alors
sept ans ; il pesait lourdement sur notre jeunesse.
Rien n'empchait, en ce temps de paix euro-
penne, d'en dispenser ceux qui dclaraient pr-
frer ces sept longues annes de caserne l'octroi
d'une concession de terre en Afrique. On les
aurait maris des compatriotes, pourvues d'un
modeste douaire. Nous aurions l-bas des cen-
taines de milliers de Franais de plus : d'autant
que, le pays tant alors beaucoup moins peupl,
il y avait alors bien plus de place pour les colons

LXI

DDAIN POUR L'LMENT NATIONAL

Dbarrasss de Bugeaud, dputs, pairs (puis


snateurs) et gouvernement continurent
bombiner dans le vide, passant d'une lubie

(1) Notamment de Rome elle-mme,si la ville glorieuse,


probablement fort antrieure Romulus, fut, comme
d'aucunsle prtendent,fondepar les Latins d'un versacrum.
ICjO L'ATLANTIDE.
l'autre, notamment se proccupant fort de
peupler l'Algrie de non-Franais. On tenta d'y
amener des familles de l'humide Irlande, sans
doute parce que Mac-Mahon, alors gouverneur
gnral, tait d'origine irlandaise. On pensa
aux Allemands, aux Belges, aux Syriens catho-
liques, aux Chinois, aux Annamites, aux ngres
des Etats-Unis. Un peu plus et toutes les nations
y auraient pass, saiif celle qui fait face au
Moghreb par ses dpartements mridionaux.
D'o sont venus cet engouement pour des
colons trangers raccrochs de partout, ce mpris
des forces vives de la France qu'on avait sous la
main; d'o ce ddain de ce qui est ntre, cet
enthousiasme pour ce qui nous est indiffrent
ou hostile? L'origine de ce double mal est la
lgret, la futilit, l'extraordinaire ignorance
des conseillers et directeurs de la nation, trou-
peau de tout temps malchanceux par la faute de
ses" bergers.
En 1914, 1915 1916, lors du combat pour la
vie et la mort, des hommes de chez nous, patriotes
n'en pas douter, se sont beaucoup moins sou-
cis de notre future Afrique agrandie que des
petitesses que doit ddaigner le prteur : de la
dnonciation du condominium des Nouvelles-
Hbrides ; d la revendication de nos droits sur
Chelkh-Sald, infinitsimal lambeau du littoral
d'Arabie perdu dans la mouvance des intrts
britanniques; du 4ressemelage de notre Inde
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. 191
franaise, triste tmoin de nos dfaillances; du
rajustement du territoire de Pondichry, voire
des loges , drisoires emplacements .de trafic
disperss sur les rivages de la presqu'le de
l'Indus et du Gange ; de Tahiti, des Marquises,
des lots de corail, des bouquets de cocotiers.
Mieux leur aurait valu de s'inquiter de ce Cam-
ron amput de 25 millions d'hectares, par insigne
faiblesse de la France, insigne ignominie de
l'Allemagne.
Tout cela, quand nous avons sous les yeux
un continent des noirs qui sera celui des multres
et des mtisss, et les racines puissantes et tra-
antes d'un empire mondial. Devant pareille
incapacit de juger, de comparer, comment donc
nous tonner de la stupidit des contemporains
de Louis-Philippe Ier et de Napolon III qui ne
contemplaient que les vagues dlinaments d'un
petit pays troit, born au Midi par un dsert
incrimine de n'tre que vents, sable et fournaise?
Pourtant, puisque ces hommes si longtemps
indcis avaient fini par se dcider doubler ce
pays d'lments trangers la race qui l'habitait,
comment se peut il qu'ils n'aient point pens y
dbarquer des colonscomme ils y avaient dbarqu
des armes? Pour plus d'une mauvaise raison :
Parce que nos savants ont dcid que les
Franais ne sont pas colonisateurs ;
Parce que nos conomistes professent que la
nation a tout intrt. ngliger ses colonies
192 L'ATLANTIDE.
puisque nos migrants russissent mieux dans les
pays anglais, espagnols, portugais, et en Am-
rique plutt qu'en Afrique \
Parce que les adulateurs du commerce et de
l'industrie, qui jugent des peuples par leurs
importations et exportations, leur vente de
houille, de fer, de tissus, disaient, disent et
redisent : 4 Allez l'tranger pour nous y mnager
des acheteurs ;
Parce que le monde prsum sage et savant
n'admirait et n'admire que l'Angleterre, reine
du prsent, les tats-Unis, princes de l'avenir,
le Far-West yankee, o les villes grandissent
vingt fois plus vite qu'en France;
Parce que des milliers des ntres, partis pour
l'Amrique du Sud, en sont revenus riches comme
des nababs, tandis que des richards partis pour
l'Algrie en sont revenus pauvres comme Job.
Au lieii de lutter contre ces courants, nos
gouvernants les ont aids, les uns avec zle, les
autres avec une magistrale indolence.
Exception faite pour la Rpublique de 1848.
Pour se dsemptrer de citoyens ouvriers devenus
exigeants, mme hostiles, sans doute aussi par
patriotisme, elle organisa les dparts de quelques
milliers de colons, la plupart Parisiens, qui
furent l'origine de nombreux villages, longtemps
dolents et dsols, aujourd'hui sains, riants et
riches parmi les pampres verts, spcialement dans
l'Oranie des environs d'Oran.
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE, I93

LXII

PERTES POUR NOUS, GAINS POUR LES AUTRES

Cependant, des milliers de Franais allaient


se perdre l'tranger.
Deux pays de grand appel, beaucoup de pays de
petite attirance.
Avant tout, le Rio de laPlata, dans l'Amrique
Mridionale. L'Argentine et l'Uruguay ou Bande
Orientale ont reu de nous, partir de 1830,
des centaines de milliers d'hommes. Un seul de
nos dpartements, celui des Basses-Pyrnes, y
a perdu quelque cent mille Barnais ou Basques,
de ceux-ci relativement plus que de ceux-l, donc
moins de gens des arrondissements de Pau,
d'Orthez, d'Oloron, que des circonscriptions de
Maulon et de Bayonne. A eux seuls, les cinq
petits districts auraient transform nos trois
provinces d'Alger, d'Oran et de Constantine.
Des agences d'migration vers ces riches con-
tres du fleuve de l'Argent (1) couvrirent la France,
surtout au Sud-Ouest, les unes encourages par
les pouvoirs publics, toutes souffertes par lui,
alors que pas une seule n'essayait de lancer notre
jeunesse vers l'Afrique o d'ailleurs le gouver-

(1) C'est ce que signifient les mots : Rio de la Plata.


13
194 L ATLANTIDE.
nement ne dgageait pas assez de terres pour
en offrir beaucoup aux colons, ce dont les cochers
du char de l'Etat ne se souciaient gure; ils
avaient l'esprit de nobles intrigues de parti
contre parti, c'est--dire de profiteur contre
profiteur. Les matres de l'opinion louaient
fort cet exode vers l'Amrique Australe. 4 La
France, disaient-ils, y est aime, honore ; nos
migrants y augmentent le prestige de notre
langue, ils travaillent l'extension de notre
commerce ; la se casent richement nos ingnieurs,
nos docteurs, nos professeurs. Voil notre meil-
leure colonie: elle nous donne grande part aux
merveilles du nouveau monde.
Tout cela tait la vrit, mais la vrit du
moment. Les fils, petits-fils, arrire-petits-fils
de ces pionniers sont devenus naturellement de
parfaits Argentins en vertu des lois inluctables
du milieu ; il y a chez eux des nababs, des pro-
pritaires de terrains grands comme des cantons
de France, des directeurs de journaux, de forts
banquiers, des chefs d'industrie, des dputs,
voire de temps en temps des ministres, mais ce
ne sont plus des Franais ; ils seraient alls dans
la lune qu'ils ne seraient pas plus perdus pour
nous.
Mme engouement, mmes agences, mme
efforts non contraris par les autorits pour
l'essaimage en terre yankee, et dnationalisation
plus prompte encore avec distorsion de beaucoup
COLONISATIONDB'L'ATLANTIDB. 195
de noms de* famille que les bouches dites anglo-
saxonnes ne savent comment prononcer.
Il n'en est pas autrement au Brsil, au Chili,
Cuba, au Mexique. Des Franais en petit
nombre ne sauraient rsister longtemps, surtout
ceux du Midi, l'emprise des Tropiques exub-
rants, la magie d'une nature presque partout
ensorcelante, la sonorit du castillan.
Quand on est fils d'un pays on n'est plus fils
ou petit-fils d'un autre.
On ne dure que l o l'on est le matre ou par
h force ou par le nombre.
Il y eut donc comme un crime contre la per-
ptuit du nom franais quand des responsables
dont les responsabilits sont toujours ludes
n'accueillirent point la demande d'un village
entier (i) qui demandait, toutes ses vignes tant
phylloxres, partir pour l'Algrie, et quand
ils laiss*ont s'parpiller au Brsil un autre
village qui souhaitait de renatre en Afrique (2).
On en citerait nombre d'autres, et c'est par mil-
liers qu'on compterait les familles qu'on a ddai-
gnes et dcourages.

(1) Rannepax, dans le dpartement du Gers.


(2) Miraumont,dans le dpartement de la Haute-Garonno,
\96 L'ATLANTIDB.

LXIII

QUE NOUS ONT VALU NOS TRANSFUGES?

De nos grandes migrations nous avons retir


ce quelque chose qui n'est rien : le nant.
- On estime trs diversement, suivant l'usage,
le nombre des Franais, Angevins, Normands,
Mariceaux, Poitevins, Saintongeais, Gascons par-
tis pour faire fortune en Angleterre.
A partir du jour o Guillaume le Conqurant
eut pris la grande lie ses Celtes et ses Saxons,
les pays franais qui dpendaient fodalcment de
la Couronne anglaise ne cessrent pendant des
centaines d'annes d'expdier en Outre-Manche
des cadets de fortune, des fonctionnaires, des
soldats, des gagne-petit, des ouvriers, des irr-
guliers, des ambitieux. On a parl d'un million,
mme de deux millions de gens allant de notre
continent l'le dont, d'Artois et de Normandie,
on voit par un beau temps les falaises blanches,
pareilles aux ntres. Le franais y fut la langue
officielle. Gouvernement, nobles, juges, hommes
de la haute vie d'alors ne parlaient qu'elle au-
dessus de la plbe et de la plbcule.
Que nous en reste-t-il? Des mots crits la
franaise, torturs l'anglaise, donc mcon-
naissables les our ; des noms de lords, ducs,
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. 197
baronnets, pairs de la Couronne; des formules
officielles telles que: Oyez, oyez! prononcs sans
ironie : Oh yess.oh yess! Vani nominisumbra (i).
Trs rude saigne aussi, celle qui suivit la rvo-
cation de Vdit de Nantes. Nos rcligionnaircs
s'enfuirent de partout, surtout des Cvennes,
vers les pays protestants de l'tranger : vers la
Hollande, o leur trace a presque disparu ;
vers le Danemark ; vers l'Allemagne o leurs
descendants sont aujourd'hui nos ennemis hai-
r.eux : on dirait qu'ils ont venger une injure
d'hier ou d'avant-hier contre les perscuteurs
d'il y a deux cent trente ans qui n'taient,
au vrai, que fanatiques. De leur entire alle-
manisation font foi les noms de gnraux et
autres moindres sabreurs qu'on relve dans
les annuaires militaires du peuple dont la
guerre est l'industrie nationale. Comme la France
fut le levain de la grandeur anglaise, elle a forte-
ment travaill tirer la Prusse de sa grossiret
primitive dont d'ailleurs elle a consery de beaux
restes. Brandebourgeois, Silsiens, Saxons, Wur-
tembergeois, Bavarois, Hessois, beaucoup de
ces rfugis s'appellent encore du nom de leur
pre, et et l quelque vieillard se rappelle que
son aeul parlait encore le franais, mais lui
n'en comprend pas un mot ; il est aussi loin de
nous qu'un Polynsien.

(i L'ombre d'un vain nom.


J985 L'ATLANTIDE.
Ceux des rfugis qui s'tablirent en Angleterre
s'y sont aussitt dissous. Ceux qui, de Hollande,
cinglrent vers le cap de Bonne-Esprance, alors
colonie nerlandaise, s'engloutirent sans bruit
dans la nation des Boers, quoique ce jeune
peuple ft encore trs peu nombreux : la commu-
naut de religion les effaa sans retard. La rvolte
de l'Afrique Australe contre les Anglais nous a
rcemment rappel cet exode par les noms de
maints vainqueurs ou vaincus de cette pope.
Des noms, toujours des noms, mais rien que des
noms 1
En quoi servirent la France les trois quatre
mille familles, lorraines la plupart, qui partirent
vers le milieu du xvni 0 sicle sur les domaines
de l'impratrice Marie-Thrse? Sauf, comme
toujours, les noms, ils n'ont rien gard de leur
origine. Dans le banat de Temesvar, prs du
Danube, ils parlent l'allemand, ou en moins
grand nombre le magyar, et nul ne comprend la
langue des aeux. En ralit, ils sont aussi
deutsch que s'ils descendaient des compagnons
d'Arminius, ou aussi Hongrois que s'ils taient
arrivs ici vers l'an mil, avec Arpad.
Les dparts constants de nos 4 Barcelonnettes ,
de nos Alpins pour le Mexique ne maintient pas
sans peine, et pour peu d'annes seulement, le
caractre franais des bourgs de Jicaltpec, de
Saint-Raphal, de Zopilotes ; bientt l'hispano-
lisation ira son train. En Europe, en Amrique
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. 109
partout c'est vanit que prtendre triompher
du gnie du lieu.
Que sont devenus maints petits transports de
peuple en France dans l're moderne?
Des Irlandais, dont on prsume que
500 000 en tout se sont enrls dans nos armes
et dont beaucoup de survivants des guerres
s'tablirent chez nous, que restc-t-il? Des noms
tels que celui de Mac-Mahon.
Et des Ecossais de la garde de Charles VII,
qui furent fixs en Berry, autour de Saint-Martin
d'Auxigny, o ils prirent le nom de Fortains, des
forts qu'ils dfrichrent? Ils sont prsentement
Berrichons ou Berryers, comme leurs voisins.
Que subsiste-t-il des Flamands immigrs en
Barn, au pied des Pyrnes? Les noms de deux
villages, Bruges et Tournai.
Ix> milieu cra toujours, il recre incessam-
ment.

LXIV

PESSIMISMEALGRIEN

Il faut le dire : le pessimisme en fait d'Algrie


fut longtemps justifi par les apparences.
Celui qui n'avait pas la foi qui transporte les
montagnes hochait mlancoliquement la tte,
comme le prtre cheveux blancs des Chants du
doute lui de son brviaire
Crpuscule qui malgr
200 L'ATLANTIDE.
A si peu de clart nulle me n'est sereine.
Triste, assis sur lo banc qui s'appuie son mur,
Le vieux prtre se courbe et, n'y voyant qu' peine,
A Ce jour tnbreux ple un livre obscur (x).

Les spultures sans nom, les fosses glorieuses,


l'ennemi, les assauts, les retraites, cela ne se
bornait pas l'hostilit de ce mchant pays, bien
digne de valoir la tribu des Bni-Chougran (2)
le surnom de Maudits Chougran, celle des Bni-
Menasser (3) lasubstitution de Maudits Menasser,
et ainsi de suite.
Aprs l'inimiti des indignes, deux autres
prils n'taient pas moins redoutables, tous deux
enfants du climat de l'Atlantide : la scheresse,
la sauterelle.
Ici la scheresse rappelle trop souvent la
lgende des sept vaches maigres aprs les sept
vaches grasses. L'Atlantide n'est pas un pays
de toute sret. Le grain n'y rapporte pas tou-
jours, comme dans la parabole biblique, quarante,
soixante, cent pour un suivant les terrains. C'est
plutt une contre qui produit, suivant les occur-
rences, cent, mme deux cents, ou cinquante,
ou vingt, ou rien. Aujourd'hui l'abondance, hier
l'opulence, demain la ruine, principalement dans
les valles fermes aux vents amasseurs de mies.

Victor Hugo.
Voisinede Mascara.
e Prs de Miliana.
COLONISATIONDE L*ATLANTIDE. 201
Il arrive quelquefois qu'on fait brouter les
rrales que la pluie du printemps n'a pas ravi-
ves ; ces annes-l, le troupeau meurt autour
de la fontaine qui faisait ses dlices et n'est plus
mie son dsespoir. Heureusement la vigne boit
aussi volontiers les rayons de l'astre que les
fleurs boivent les rayons de l'aurore.
L'anne a beau tre pleine de promesses,avoir
les perons verts , ainsi que dit l'Arabe lorsque
pluies et soleils se sont gnreusement coaliss
pour garnir l'table et faire craquer les greniers :
un nuage parat l'horizon.
La sauterelle vomie par le Dsert ou par
l'avant-Dsert nu, rocailleux, obscurcit le ciel
de son arme volante.
Un vieux sage du temps jadis, sinon Mahomet
lui-mme, fait dire la sauterelle : Je ponds
cent oeufs ; si j'en pondais cent un, je dvorerais
le monde I Et c'est bien une arme, faite de tant
de corps d'arme qu'il semble bien que rien ne
lui rsistera, tant elle est suprieure en milliards
aux millions de la fameuse rue des stratges de
la blonde Allemagne qui est jaune ou rouge
plutt que blonde, et comme par ironie et l
brune.
A-t-elle son empereur haut seigneur de la
guerre? Elle en a sans doute des milliers ou des
millions ; il y a de l'ordre dans son immense
dploiement. Elle s'abat sur le sol, broute la
crale, la prairie, le verger, la fort; ses innom-
202 L'ATLANTIDE.
brables mandibules font comme un bruit d'oura-
gan.
Mais une droute la menace qu'elle ne soup-
onne point : invincible se croit-elle comme la
sauterelle de Brandebourg et de Pomranie. Elle
va devant elle sans savoir, sans discerner, sam
prvoir;et devant elle, c'est la rivire o elle
noie des escadrons, c'est la grande mer o, tout
entire,elle suffoque. Et en avant de la mer il ya
l'homme et ses engins, l'homme qui l'arrte par
des obstacles, la dirige vers des fosss, l'y empile
et la pile au pilon ou l'y brle au ptrole.
L're de la conqute passe, notre pauvre
Afrique a souffert de l'alcoolisme, de l'absm-
thisme, plus dangereux dans le Midi que dans
le Nord. Elle a eu, elle a les mauvais colons, les
trimardeurs, les bas spculateurs pour ne rien
dire des hauts filous. Enfin elle avait tout
redouter, hier encore, des espions de l'Allemagne.

LXV

HROSMEDES COLONS,PERSVRANCE
DE LEURS
DTRACTEURS

Par bonheur pour eux, par bonheur pour nous,


les premiers laboureurs, piocheurs, faucheurs et
moissonneurs de notre Afrique n'taient pas des
pessimistes.
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. 203*
Ils taient des hros, tout simplement.
Courage, rsignation, patience taient leurs
vertus cardinales ; il faut y ajouter l'esprance
sans laquelle ils auraient jet le manche aprs la
cogne.
Devant l'Arabe coupeur de ttes, sous la nue
des moustiques dont on ignorait alors la mal-
faisance, dans la baraque ou la maisonnette de
son sjour, mme dans la salle des trpassants,
il haussait les paules et sa devise tait : * Va
comme va !
LaReghaa, dans la Mtidja orientale; Oued-
cl-AUeug dans la Mtidja centrale ; Marengo,
qui fut longtemps victime de son prtendu lac
Halloula, mare emplie par les orages, puis aspire
par le soleil mtidjien ; Montebello, assassine
par ce mme Lman ; le val incendi du Chliff,
la plaine de Bne, au vent du soi-disant lac
Fetzara, plus extensible au gr des pluies ; vingt,
peut-tre cent autres lieux funraires en des
temps maudits o, comme on put prtendre,
les cimetires taient les seules colonies
population grandissante .
Bataillons dcims par la fivre, le typhus, la
variole, la dysenterie, la pneumonie, bien plus que
par la balle ou le sabre des Bicots ; paysans ago-
nisants dans leur cabane prs des sillons commen-
'ces dans la plaine ct des mares putrides;
mercantis grelottant de froid ou demi-morts
d chaleur derrire leurs drogues et leurs
t04 L'ATLANTIDE.
tord-boyaux ; les femmes rayes du livre de vie,
les enfants fauchs dans leur fleur ; les villages
vids ds leurs premires annes; Boufarik, dont
les colons labouraient et fauchaient, le fusil en
bandoulire, et voyaient bientt se fermer sur
eux la porte de l'hpital, en attendant le trou du
tombeau. En ce Boufarik neuf dix annes
virent baptiser 137 enfants et conduire 514 colons
au repos ternel ; en 1842, il y eut l 92 dcs
sur 300 habitants ; en 1838, le misrable Htel-
Dieu de ce village dsempar avait reu
1360 militaires, la garnison n'arrivant qu'
i 400 hommes.
Alors, que de Boufariks dans les trois pro-
vinces ! Comme Virgile l'a dit du peuple romain,
tant il fut lent et lourd de fonder le peuple
algrien I Effort qui ne demanda pas seulement
l'hrosme des Franais, mais aussi celui des
nations qui voient rire au soleil la joyeuse Mdi-
terrane d'Occident.
Puis, comme il faut le rpter sans cesse pour
dtruire le prjug du non-acclimatement des
Franais dans l'Afrique du Nord, les unions avec
les femmes mridionales affermirent notre vita-
lit ; les naissances outrepassrent les dcs ;
de cimetire vaseux, Boufarik devint un jardin
d'orangers, un rseau d'eau courante, un sana-
torium au lieu d'un marais torpide : si, de 1835
4 1855, on y avait clbr 1337 funrailles contre
663 baptmes seulement, de 1855 1875 on n'y
COLONISATIONDE L*ATLANTIDE. 205 ,
enregistra que 1337 dcs contre 1910 nais-
sances, puis la vie l'emporta plus royalement
encore sur le trpas.
Tellement que l'Afrique du Nord mrite le
surnom qu'on donna jadis aux terres germaines.
Si la Germanie, continue de nos jours par
l'Allemagne, fut, suivant le mot des Romains,
une officina gentium, une cratrice de peuples,
l'Atbntide en est une aussi, grce surtout nos
cousins mditerranens. Gens de l'Espagne, de
l'extrme Nord de la province de Girone l'extrme
Sud de celle d'Alicante, familles venues des
Balares,' Andalous, Siciliens et Napolitains,
insulaires de l'exubrant rocher poudreux de
Malte, tout cela y foisonne merveille, ct
de nous et pour nous. Il y eut telles annes o la
ville de France la plus propagatrice fut Sidi-bel-
Abbs, avec 50 naissances pour 1 000 habitants,
ce qui ne se voit plus gure en pays riches et
civiliss. Ce flot de vie nous venge de la stagnance
de nos familles du continent ; il roule et roulera
de plus en plus sur notre Afrique. Sic vos non
vobis I Ce qui veut dire peu prs : Vous ne
travaillez pas pour vous, mais pour nous I Mais,
en toute justice, ces trangers sont des consan-
guins ciments nous par la mme origine ant-
historique et par la communaut de verbes issus*
du latin.
Ainsi l'optimisme foule au pied le pessimisme
dans le pays du seigneur la grosse tte et de
306 L*ATLANTIDE.
la grande rampante , c'est--dire du lion et du
lopard, trait ici, tort, de panthre. Ces fauves
ont aujourd'hui presque disparu. Autrefois la
prtendue panthre infestait la Mtidja entre
Cola et Elida ; telle fontaine visite par le roi
des animaux s'appelait de trois monosyllabes
ararjes exactement traduits par trois mono-
syllabes franais:* Bois et fuis! Fuis, parce
que le lion rde l'entour.
Les noms des pessimistes, dont beaucoup, vrai-
ment, furent des dtracteurs, n'importent gure
Plusieurs taient de bonne foi et les faits avaient
l'air de leur donner raison ; la plupart taient
coupables de passion politique, de manie discu-
tante, d'ergotage, de parolite ,d'ignorance, de
paresse d'esprit.
Ils n'avaient pas la foi qui fait des miracles ;
or, le pessimisme quand mme est aussi coupable
que l'optimisme bat.
En ralit, l'avenir de la France est presque
toujours discut, contrari, dvi par des myopes,
des aveugles, des sourds. Cela s'est vu, se voit, se
verra pour l'Algrie, la Tunisie et le Maroc,
la premire arrte dans son essor ds les
premires annes de la conqute, quand un
notable officieux parlait d'abandonner, aux
portes mmes d'Alger, la Mtidja elle-mme,
pour la laisser, disait-il peu prs, aux brigan-
dages des Arabes, aux randonnes du chacal, aux
victimes de la mort sans gloire .
COLONISATIONDE L'ATIANTIDE. 207
A chaque session de la Chambre, d'infatigables
pionniers de l'abandon recommenaient l'hom-
lie : La France s'y use ; le soldat y tombe, heu-
reux quand c'est d'une balle, d'un coup de sabre
et non de la neige, du siroco, de la soif, do la
fivre ; le colon y meurt, et sa famille avec lui,
devant les hameaux qui s'effritent et qui croulent.
Gardons toute notre force pour l'Europe . Le
Rhin lui seul peut retremper nos armes. (i).
Un ministre (2) s'criait devant les dputs :
4 Je ne sais pas un homme de sens qui, si l'Algrie
tait occuper, entranerait la France dans une
pareille entreprise. Mais il se convertit depuis
et combattit pour notre Afrique du Nord.
Un conomiste clbre (3) vaticinait comme
suit : Un temps viendra o l'on sera honteux de
tant de sottises, et o les colonies n'auront plus
d'autres dfenseurs que ceux auxquels elles
donnent des places lucratives donner et rece-
voir, le .tout aux dpens du peuple.
C'tait le digne prcurseur du pacifiste (4) qui
disait, aux applaudissements de la Chambre :
La France n'a rellement que deux colonies :
San-Francisco et Buenos-Aires.
Un journaliste fameux, celui qui avait une
ide par jour (5), conjurait la France de coloniser
(t) Brangtr.
(2) Thlers.
(3) Jean-Baptiste Say.
(4) Passy.
(j) Emile de Girardiu.
208 L'ATLANTIDE.
l'Ile de Chypre dont le vin a cr tous les Dieux ;
mais il traitait l'Algrie de boulet de la France,
boulet de galrien, s'entend. Il fallait, d'aprs
lui, en faire hommage notre persvrant ennemi
bd-el-Kader ; son journal la Presse, et les autres
grands organes de la soi-disant opinion publique,
le Constitutionnel, les Dbals, le Sicle, etc.,
taient partisans, soit de l'occupation restreinte,
soit de n'importe quelle sottise et de n'importe
quel nant.
En 1889, un publiciste quelconque offensait
la fois la France et l'Algrie: Si l'Allemagne
veut changer l'Alsace contre l'Algrie, nous lui
cderons celle-ci de suite. Tant pis pour les Alg-
riens 1 Ces fainants-l ne vont pas, je l'espre,
vivre nos dpens jusqu' la fin des sicles.
Voltaire ne fut pas plus judicieux, plus
patriote propos du Canada, notre ternel regret.
Hommes vraiment pareils, Voltaire lui-mme,
des chevaux aveugls d'oeillres. Encore ces
chevaux voient-ils devant eux.
Que diraient-ils la lumire de 1914-1916,
Voltaire devant le Canada resplendissant, et les
anti-Algriens en face de ces Franais, de ces
Berbres, de ce3 Arabes de l'Afrique du Nord,
de ces Sngalais, de ces Bambaras, de ces noirs
qui chassent au pas, au trot, au galop les Alle-
mands devant la pointe de leurs baonnettes?
COLONISATIONDE L*ATLANTIDE. 2CK)

LXVI

PESSIMISTESTUNISIENS

Elle vit toujours la race des publicistes igno-


rants, tourdis, brasseurs de paradoxes, des jour-
nalistes dits minents qui demandaient qu'on
partaget l'Afrique du Nord entre l'Espagne,
l'Italie, l'Angleterre et autres nations de l'Eu-
rope. Il est encore debout le bataillon des Euro-
pens opposs aux 4 Africains , de ceux qui
prfrent une bicoque de frontire toute une
grande province du continent qui complte
l'Europe au Midi, comme l'Amrique du Sud
poursuit et achve l'Amrique du Nord.
Ces petits Franais , autrement dit ceux qui
s'en tiennent la petite France de Dunkerque
Port-Vendres, ont renouvel en Tunisie leur
gucrrilla contre l'Algrie.
Quand la rgence de Tunis allait devenir terre
franaise, et quand elle le fut devenue, ils com-
mencrent et continurent longtemps les lamen-
tations de Jrmie. Cent mille hommes pendant
cent ans ; la lutte sans fin des Arabes ; l'Islam ;
les fivres, les hpitaux engorgs. Un dput
malade (1) brava la mort (et en mourut) pour

(1) Amde Faure,


14
210 L'ATLANTIDE.
nous empcher de succder Carthage. Et juste-
ment ce mandataire du peuple tait un chaud
patriote, mais c'tait aussi l'un de ceux qui
auraient prfr trois villages de la Flandre tout
l'empire de l'Afrique.
Un autre dput s'cria :
Pour avoir raison des populations insurges
de la Tunisie, vous devrez occuper militairement
une longueur de plus de 250 kilomtres sur prs
de 100 kilomtres de large. Vous aurez engag le
pays dans une entreprise dont on ne peut prvoir
la fin, entreprise absolument inutile pour la
France et pour sa gloire. Un autre encore, un
pur imbcile celui-l : Nous prfrerions une
Tunisie internationale, comme l'est l'Egypte.
Ainsi l'on n'indisposerait pas l'Italie, et l'Angle-
terre serait satisfaite.
Tels autres dnonaient de coupables intrigues,
de louches intrts, des vilenies, des malpropre-
ts qui tachaient la blanche hermine de la France.
On aurait dit, les entendre, que nous nous
jetions, tte baisse, dans une norme campagne
de Russie, dans une guerre inexpiable, infinie,
tout jamais funeste, en un pays antipodique,
alors qu'il s'agissait d'une expdition aussi peu
sanglante que possible, presque nominale, une
sorte d'opration de police, en une contre, voi-
sine de la France, contigu l'Algrie et qu'on
peut presque traiter de terre europenne. Lucain
l'a ^lt, il y a tantt dix-neuf cent un ; t l
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. 211
Libye (l'Afrique) est la troisime partie du monde
si tu en crois l'opinion commune ; c'est un mor-
ceau de l'Europe si tu en juges par ses vents et
son ciel (i).

LXVII

PESSIMISTESMAROCAINS

La pacifique Tunisie, si facilement soumise,


n'a point puis chez nous la fureur du pessi-
misme colonial.
A cette heure, et hier, et nous verrons demain,
il n'en va gure autrement pour le Maroc.
On nous prvient de nous en garer comme du
feu ; car si le Tunisien est une femme, l'Alg-
rien un homme, le Marocain est un guerrier.
Tel est le vieux dicton.
Il est maudit, ce terrible Maroc, par nombre
de conseillers de h nation, dputs, snateurs,
savants, conomistes et mme patriotes. Ils y
voient une cause minente de ruine financire et
autres, un cruel tmoignage de la folie de la
France tourdiment tombe dans un pige tendu
par nos ennemis et dont elle ne se dgagera
jamais.
En vain leur oppose-t-on l'impossibilit o

(i) Ttrtia pars vitum Libya, si cuitrt fama


Cuncta velis, al si \tntot (fcfwnyuestymis,
PmtfilUwptt
212 L'ATLANTIDE.
nous sommes de laisser s'installer aux portes de
l'Algrie un ennemi trs persvrant, trs perfide,
mont au plus haut de l'orgueil et de l'injustice,
insolent de sa force, palpitant d'ambitions mon-
diales, et spcialement de prurit africain. En
vain leur montre-t-on les monts neigeux, les
gaves rapides, les champs fconds, les millions
de Kabyles qui viennent en France aider aux
oeuvre franaises et, le long de l'Atlantique, une
immigration des ntres plus nombreuse, plus
vivante qu'elle ne fut jamais en Algrie, en
Tunisie, et jadis au Canada : ils ne veulent ni voir,
ni entendre.
Ces annes passes, on peut dire hier, un
homme d'un esprit trs clair, d'un patriotisme
vident, d'une science accomplie en fait d'admi-
nistration, d'impts, de finances, et par surcroit
un colonial ardent (i), en est arriv proclamer
que l'Afrique du Nord n'est pas un pays de peu-
plement, que le Maroc nous est inutile et dange-
reux. Qui trop embrasse mal treint. Sans
doute, mais quand on treint d'un bras le tiers
d'un continent, ce serait une stupidit que de
ne pas le presser de l'autre bras.

(t) Paul Leroy-BAuUea,


COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. 23

LXVIII
LA VRIT SE FAIT ENFIN CONNATRE

Politique, philosophie, religion, lois, opinions,


vues d'avenir, histoire du pass, toutes les ides
vivent d'une vie tourmente et ne vivent gure
que de la contradiction. 11suffit donc qu'Algrie,
Tunisie, Maroc eussent, aient des ennemis pour
que se dresst, que se dresse contre ces derniers
uneardente arme de partisans.La passion aidant,
il peut arriver que tel adversaire de l'Afrique
Mineure en devienne un ami fougueux, ou que
tel ami se change en adversaire.
Monarchie constitutionnelle, empire et rpu-
blique se succdrent. Tour tour l'Atlantide
fut campement provisoire, cole de guerre,
colonie de peuplement, royaume arabe par la
dcision d'un empereur visionnaire qui aurait
d plutt la traiter d'arabo-berbre, encore
mieux de berbro-arabe mais alors presque
tous ignoraient les vrits premires de la Nou-
velle-France.
De l'affrontement, du remous de ces passions,
de ces ides, la lumire des faits, les clarts de
l'histoire nous ont appris enfin que, si l'Afrique
Mineure est islamise dans son ensemble, elle est
berbre par la plus assimilable de ses deux
nations indignes.
214 L'AIXANTIDB.
C'est en mme temps un embryon d'Europe,
surtout de France, qui doit franciser l'Atlantide
comme le pass l'arabisa en partie.
Voil l'oeuvre, et c'est l le but.
OEuvre, but qu'on ne mconnut pas seulement
en France, mais qu'on refusa d'envisager dans
l'Atlantide elle-mme.
Que de chefs de bureaux arabes, que d'adminis-
trateurs civils ont sciemment brim les colons 1
Un commandant dont le pouvoir s'tendait sur
un assez long pan du littoral disait l'amiral
Mouchez : Je n'ai jamais autoris un seul colon
s'tablir, chez moi ; il y en a bien un qui m'a t
impos par l'administration, mais je l'ai oblige
mettre son tablissement sous le nom d'un
indigne, afin de rester toujours matre de la
situation. Ces colons sont insupportables, ils
vous assomment toujours de leurs rclamations ;
il leur faut des concessions, de l'eau, des routes,
des gendarmes. a n'en finit pas, et quand on leur
donne tout ce qu'ils demandent, ils crient dans
leurs journaux contre l'autorit. Mais les indi-
gnes, a va tout seul, a marche droit I
En Tunisie, le colon franais a t longtemps
considr comme un tre fcheux. Ds le dbut
duprotectorat,l'attach militaire larsidence (i)
crivait un ami : Pas de Franais ici, pas de
colons i Les Maltais nous suffiront. Ils sont

(i) Le commandantCoyne.
COLONISATIONDE L*ATLANTIDE. - 215

catholiques, et comme tels, ils nous seront


fidles ; leur langue est un patois arabe, ils nous
serviront d'interprtes. A cette poque, on avait
foi dans les conomistes, alors frus de colonisa-
tion riche, d'exploitation industrielle, et,par cela
mme, ddaigneux des colons pauvres ; on ne
visa donc que les capitalistes.
Le mpris extravagant des dirigeants de la
Tunisie pour les expriences faites en Algrie;
l'abus de la doctrine du Protectorat qui fait de
l'Islam une chose sacre alors que le catholicisme
est trait de haut ; le dsir de s'incliner dvote-
ment devant les thories de l'conomie poli-
tique officielle, l mme o elles sont contestables,
ont singulirement comprim la colonisation du
pays carthaginois.
Pendant trop d'annes, on s'est dit chez les
hritiers du grand nom d'Hannibal: l'Algrie
nous servira de repoussoir. Quand on verra la
Tunisie si noble, si belle, si riche, si honorable,
si honore, on aura piti de ce qui se fit de la
Mafrag la sinueuse Moulouya. On a ins-
titu l-bas des villages par autorit administra-
tive, nous n'en crerons pas un seul. Nous laisse-
rons les colons parpills, sans cohsion, sans
lieux de runion, d'approvisionnement, sans
liens de fraternitraux endroits, presque toujours
fort loigns les uns des autres, o l'acheteur des
terres aura choisi son domaine. Achtera qui
voudra, qui pourra, l o il lui plaira'. Les colons
2l6 L'ATLANTIDE.
du pays conquis de 1830 1857 taient des
paysans'assez misrables, moins riches d'argent
que de courage ou d'espoir et de rsignation ;
nous ne souhaitons que des hommes cossus,
dussent les propritaires d'henchirs (1) demeurer
Paris, Nantes, Bordeaux, Marseille,
Lyon, Dunkerque plutt qu'en Tunisie mme
sur la terre acquise par eux. Obissons aux
dogmes sacro-saints de la glorieuse science dite
conomie politique. Elle nous enseigne que la
finance est la reine du monde et que, s'il y a
l'honneur et l'argent, c'est l'argent qui passe
avant l'honneur. Qu'importent France et Tunisie
pourvu que nous obissions aux dcrets de la
philosophie pratique fonde sur l'offre et la
demande 1
On s'est donc obstin dans la poursuite de la
^colonisation riche, et les colons opulents, tout au
moins la plupart, ont sous-lou leurs terres
des Arabes ou de besogneux Italiens. Le plus
puissant des propritaires franais, une socit
possdant prs de cent mille hectares d'un seul
tenant au voisinage de la mer, entre Tunis et
Sousse, la Socit de l'Enfida s'est tellement
passionne pour l'avance de l'lment national
qu'elle est arrive installer 118 Franais contre
370 Italiens a Enfidaville et 267 Italiens contre
4 Franais Reyville 1

(t) Domaines,fermes.
. COLONISATIONDE h'ATLANTIDE. 2I7.
Comme rsultat final, le Protectorat a travaill
si allgrement faire honte la pauvre Algrie
que le recensement de 19I n'a trouv en Tunisie
que 46 000 Franais contre 102 000 trangers,
dont 88 000 Italiens, ct de 50 000 Isralites
et de 1 730 000 Musulmans.
Heureusement que la colonie franaise est
infiniment suprieure l'italienne en qualit.
Elle possde bien plus de terres que les Italiens.
Ceux-ci sont surtout mineurs ou carriers, dfri-
cheurs au compte d'autrui, pauvres terrassiers,
cheminots. Un homme fort intelligent, fort lo-
quent, qui a t rsident en Tunisie (1) a toute-
fois montr trop d'optimisme quand il a dit :
On croira difficilement que quelques milliers de
manoeuvres et quelques centaines de vignerons
nous prparent ici des <-Vpres siciliennes .
Cependant, la situation semble devoir se mo-
difier. On a fini par admettre que possder le
sol n'est qu'une puissance provisoire passant de
l'un l'autre et fatalement destine appartenir,
au bout du compte, non pas la famille de celui
qui l'acheta jadis, mais celle de celui ou de ceux
qui l'ont dfrich, cultiv, amlior, bref, amen
de la mort la vie. On s'est alarm du dnom-
brement de 1911 qui n'a reconnu que
5 673 hommes des champs d'origine franaise
contre 13733 Italiens.

(1) K<oi Miller


2l8 L'ATLANTIDE.
On en a donc appel de Philippe ivre Philippe
jenn. Des colons on commence l'esprer
seron*. attirs en Tunisie par des concessions,
comme dans 1' inintelligente Algrie, au lieu
d'en tre loigns par des achats onreux. Une
fois au mfins, les principes auront pri plutt
que les colonies.
D'ailleurs, A les colons font encore trop dfaut,
la langue frair-aise conquiert trs rapidement
autour d'elle.
Les Isralites vont tous aux coles franaises
ou dans leurs coles o le franais est roi ; beau-
coup d'Italiens galement, bien qu'une conven-
tion essentiellement rvocable leur ait assur un
certain nombre d'coles eux. Il en rsulte que
l'on peut dj considrer comme bilingues la
plupart des Juifs et une bonne partdes Italiens. Et
surtout, les Arabes, tout au moins les Arabes
urbains, comprennent de plus en plus, de mieux
en mieux le parler des hommes arrivs en 1881.
D'aprs le cens de 1911, la Tunisie comptait
parmi ses trangers 35 563 francophones, dont
27 393 Italiens.
Ainsi l'on a perdu trente ans et risqu de ne
joint franciser la Tunisie.
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. 2I$-

LX1X
OJ PRENDREDES TERRES ?

En Algrie, on a presque entirement renonc


l'expropriation de terrains pour cause d'utilit
publique l o les indignes ne veulent pas s'en
dessaisir. Certes, il ne faut pas abuser de ce mode
d'viction, qui est souvent le summum jus,
summa injuria (i), quoique les faits montrent
satit combien l'expropriation par l'tat fran-
ais fait moins de tort aux Maugrabins que la
dpossession civile par les voies tortueuses de la
procdure.
D'aprs la loi musulmane, le droit de proprit
peut se diviser et subdiviser l'infini. Un domaine
de 10 ooo hectares est susceptible d'avoir i ooo,
2 ooo, 5 ooo dtenteurs : l'un possde i ooo hec-
tares, un autre 50, un troisime 2, un quatrime
I 200 mtres carrs, tel autre la moiti d'un oli-
vier, voire la moiti d'une branche.
Or, d'aprs la loi franaise, nul n'est tenu de
rester dans l'indivision.
Il suffit donc qu'un Franais, un Europen, un
Juif, un Musulman, un Mozabite, un Levantin,
un quelconque achte un hectare, ou mme cette
branche d'arbre, et qu'il demande sortir de .

(1) Excs de droit, excs d'injustice.


220 L'ATLANTIDE.
l'indivision pour mettre en mouvement la meule
concasser, broyer, rduire en poudre: liqui-
dation, licitation, partages, formules, avous,
avocats, greffiers, huissiers, renvois quinzaine,
six mois, frais onreux, dlais inexorables, sans
doute aussi parfois (ou souvent) dnis de jus-
tice ; le tout compliqu des mensonges de la
preuve testimoniale, qui fait foi en droit musul-
1
man, et les faux tmoins se paient de quelques
sous quelques francs. On a vu 20 000 hectares
de steppe ou de lisire des steppes tomber aux
mains d'un Isralite pour 67 000 francs, pas plus.
Pis encore : prs de Miliana, une dpense de
28 250 francs a mis un Europen en possession de
800 hectares sur lesquels vivaient, d'ailleurs assez
mal, quatre cinq cents indignes devenus de
ce fait des Jean sans terres ; vendus l'tat
franais, ces 8 kilomtres carrs auraient rap-
port ces expropris quatre fois plus, et les
20 000 hectares^ du steppe au moins vingt fois
plus. On peut faire un jeu de mots sanglant :
liquidation, liqufaction .
Quand le sort a mis en prsence une socit
riche, ardente au pourchas, forte de son industrie,
de son activit dvorante , et un ramassis de
pauvres petits possesseurs, de fellahs qui ne
tirent du sol que trois, quatre, six fois la semence,
aids de misrables khamms (1), il faut, de toute
(t) Mot mot : les cinquimes,de ce que ces mtayers
n'ont droit qu'au cinquimede la rcoite.
COLONISATIONDP L'ATLANTIDE. 22t<
ncessit, que la premire empite sur le second,
jusqu'au point d'quilibre. L'eau va toujours
la rivire. Il vaut donc bien mieux que l'indi-
gne, qui est en mme temps l'indigent, soit
expropri parle service de la Colonisation que par
les particuliers : celui-l songe l'intrt gn-
ral, il est quelquefois misricordieux ; l'homme
d'achat, l'homme d'affaire ne l'est jamais.
Terres ayant appartenu au Maghzen, autre-
ment dit au dey d'Alger, au bey de Tunis, au
sultan du Maroc ; terres confisques par le
squestre aux tribus rvoltes ; hectares expro-
pris contre cus sonnants pour cause de peu-
plement franais ; achats aux indignes par les
colons, les Europens dtiennent dans l'instant
prsent environ deux millions d'hectares en
Algrie, bientt un million en Tunisie et quelques
dizaines de milliers au pays de Fs et Marrakech.
Le temps aidant et le Maroc s'ouvrant, cette
tendue pourra doubler, et mme bien au del.
Les colons de ces six millions d'hectares ou plus
btiront ainsi la ferme-cole de l'Atlantide, ini-
tiatrice de sa fortune et fontaine de sa grandeur.

LXX
L'EMPIRE DES DEUX FRANCES

H y avait au xixe sicle un royaume des Deux-


Siciles coup en deux par l'troite lacune du
392 I/AWANT1DE.

phare cie Messine ; il y eut jadis, aprs Guillaume


le Conqurant, un roya'> e des Deux-Norman-
cies, l'un et Vaut d de la Manche ; il
faillit y avoir un royav des Deux-Portugais,
celui-ci europen-africain.
Le petit pays des vaillants Lusitaniens fut
d'abord un Aquemminho (i) quand, encore
gallego ou galicien, il s'arrtait la rive droite
du menu fleuve Minho; continu jusqu'au
Douro, il devint un Aquemdouro (2) ; ensuite,
quand il alla jusqu'au Tage, ce fut un Aquem-
tcjo (3); puis, ce grandissant royaume s'ajouta
L'Alemtejo (4), province qui subsiste encore sous
ce nom.
Etablis enfui dans l'Algarve qui n'est autre
chose, sous ce nom* que i'El-Gharb ou Moghrcb
des Arabes, les Portugais se virent en face de
l'Afrique, au bord du dtroit intercontinental. Ils
rvrent alors d'un empire d'Aquemmar (5) et
d'Alemmar (6) ou empire des Deux Algarves
songe qu'anantit le dsastre d'Alcazarquivir
ou du Grand Chteau, l o le Loukkos, mainte-
nant espagnol, touche presque au Maroc fran-
ais.
Ce que ne At pas la Lusitanie des temps

(1) C'est--dire: en de du Minho.


(a) C'est--dire: en de du Douro.
(3) C'est--dire: en de du Tage.
(4) C'est--dire: au del du Tae.
(5) En de de la mer.
$ AM*dMfff,
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE, 3.
hroques, la France l'a russi dans le temps
industriel et commercial.
Ce nouvel empire est celui des Deux Frances,
ou encore des Deux Ocidents Occident
d'Europe, ce qu'est la France, au moins par sa
Bretagne, Occident d'Afrique par son Maroc.
Pour l'affermir, pour en faire la nation une et
indivisible qui ne sera plus celle de Dunkerque
Perpignan, m.vs celle de Dunkerque aux caps
voisins des Canaries, il faudra le vouloir, et le
vouloir toujours, avec un profond respect pour
la saintet des faits et le profond mpris des
mtaphysiciens et des idologues.
Ici mtaphysique, idologie sont mortellement
dangereuses. Aprs cent vingt-cinq ans de tem-
ptes, nous ignorons encore ce qu'il y a de sub-
stantiel dans la devise : Libert, galit, frater-
nit.
La libert trpidante- vaut-elle mieux que
l'ordre, que la dure, qui est notre seule et
petite ternit? L'ingalit, la hirarchie sont la
loi du monde. La fraternit ne serait possible
que si les hommes voulaient tre frres ; or,
l'homme est un loup pour l'homme .
Les constitutions, les partis, la loyale opposi-
tion, le roi rgncet negouvernepas, les suffrages
qui ne se psent pas, mais se comptent seulement,
ce ne sont pas ces viandes creuses qui font vivre
un grand empire.
Appuygns-nyys ew ? frit Utir comme fc
324 L'ATLANTIDE.
soleil: en Atlantide, chaque village franais,
chaque hameau franais; chaque ferme franaise
apprend aux indignes quelques notions de
culture, quelques vidences de la vie gnrale du
monde. Ainsi s'largit l'horizon prodigieusement
born de la mentalit musulmane.
Si l'on ajoute aux 750 000 Algriens indpen-
dants de la lettre et de l'esprit du Coran les
150 000 Tunisiens non Mahomtans et les
50 000 Isralites de la dfunte Rgence, on arrive
plus de 950 000 Europens ou Juifs auxquels
il faut dj runir les 150 000 200 000 Hbreux
marocains et les 50 000 * coloniaux , dont plus
de la moiti de Franais, fixs dans le Couchant
des Couchants . On arrive ainsi 1 200 000 Fran-
ais, dans le sens tendu du mot, installs pr-
sentement dans l'Atlantide. En face d'eux,
parmi eux, autour d'eux, 10 12 millions d'indi-
gnes.
Un dixime de nouveaux venus parmi les
anciens occupants, c'est beaucoup, mais ce n'est
pas encore assez.
Les 134000 Europens d'Alger, les 105000
d'Oran, les 60 000 de Tunis, les 40 000 de Casa-
blanca, les 35000 de Constantine, ceux des
bourgs, villages, hameaux, carts, les Isralites
non naturaliss du Maroc et de la Tunisie, ces
lments franais, assimils dj, assimilables
bref dlai, voil la semence d'un avenir blouis-
sant.
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. 32f

LXXl

LE SANG FRANAIS NE DOMINE PAS, MAIS IL


N'IMPORTE

Le sang franais n'a jamais franchement


.lomin parmi les Europens de l'Atlantide;
srement il n'y domine pas, presque srement il
n'y dominera jamais.
Ainsi, en 1831, l'Algrie se contentait de
340 nationaux contre 307 Espagnols, 225 Maltais,
106 Sardes, 95 Anglais, y compris les Juifs et les
Andalous de Gibraltar, 33 Toscans, 24 Napo-
litains, etc., etc. En tout, 838 trangers. Les
Franais ne faisaient mme pas les trente cen-
times des gens dsigns sous le nom de colons.
Un recensement du 31 dcembre 1836 nous
fait savoir que l'Algrie ne comptait encore, les
militaires non compris, que 14561 Europens,
iont 5 485 Franais, 4 592 Espagnols, 1845 Ita-
liens, 1802 Maltais, 802 Allemands, 20 Portugais,
6 Grecs : nous n'tions donc alors que les deux
cinquimes. 9094 colons occupaient Alger,
3 047 Oran, 1 961 Bne, 357 Bougie, 75 Mosta-
ganem; les Espagnols atteignaient presque le
nombre des Franais Alger et le dpassaient^
Oran. Depuis lors, nous avons toujours eu grand'
peine balancer les forains ; mais les naturaV
15
W6 L'ATLANTIDE.
satlons, les intermariages, le passage des allo-
phones la langue commune ont merveilleuse-
ment consolid la nation des no-Maugrabins.
Parfois nos nationaux sont arrivs en assez
grand nombre pour prendre un petit avantage,
venus soit d'eux-mmes, soit par suite d'un
effort gouvernemental. Ainsi,aprs la pacification
gnrale du pays par Bugeaud ; et aprs les ter-
ribles journes dont Paris fut ensanglant la
suite de la rvolution de 1848 ; et au lendemain
des * annes terribles , lors de l'immigration des
Alsaciens-Lorrains et autres Franais ; et, quand
le phylloxra ayant ruin les dpartements viti-
coles, tant de vignerons du Gard, de l'Hrault,
du Rhne, de l'Aude, des Pyrnes-Orientales,
des deux Charentes, etc., etc., vinrent aligner
des pampres sur les collines berbres et dans les
plaines arabes.
Il y eut alors comme une sorte de petit
tumulte . On vit les familles suivre les familles
et quelques annes suffirent pour installer un
vignoble qui tend ds aujourd'hui vers les
10 millions d'hectolitres annuels, environ le cin-
quime de ce que produisent les vignes de la
France elle-mme.
Or, et c'est une histoire admirable, le dput
qui fut le plus persvrant des ironistes anti-
algriens (1) et un haut fonctionnaire des 4 Eta-

(1) Desjobert.
"
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE, 37
blissements franais de l'Afrique du Nord
avaient dcid dans leur sagesse et proclam
urbi H orbi que l'Algrie est capable tout au plus
de fournir des raisins de Corinthe. Que diraient-
ils, ces fiers contempteurs, si, revenus l'air
vital, ils entendaient grogner les dpartements
vinifres du Bas-Languedoc, indigns de la con-
currence des colons algriens : ces hommes du
Midi rclament l'tat sa protection contre les
vins de ce qu'on nomme plaisamment les gens
du Midi et quart, ou du Midi et demi, sinon mme
du Midi trois quarts.
Naturellement, les colons ont surtout dbar-
qu sur cette rive nouvelle quand les dirigeants
de la mtropole ont daign s'apercevoir qu'il y a
place pour nous dans ce monde nouveau. Naturel-
lement aussi, nous avons cess de prendre pied
sur le spl africain lorsque des imbciles, couron-
ns ou non couronns, ont jug que les nobles
vaincus ont seuls droit notre dfrence. De ces
obtus malfaisants, le plus funeste fut le potentat
qui dcida que l'Algrie est un royaume arabe .
Paix sa cendre, le mal qu'il a fait se rpare ;
mais sans ce malheureux illusionn dont on peut
dire qu'il ne souponna jamais les dangers de ce
qu'il imaginait, il y aurait de plus en Afrique au
moins 200 000 Franais de France.
De recensement quinquennal en recensement
quinquennal, celui de 19x1 est arriv signaler
m Algrie la prsence de 752 000 colons , les
22ji L'ATLANTIDE.
Isralites compris. L-dc*sus, 305000 Franais
pur sang, 188000 naturaliss, 70000Juifs
dclars en bloc citoyens franais : soit en tout
563000 Franco-Algriens auxquels s'ajoutent,
comme futurs fondateurs de familles nationales,
135 000 Espagnols, 37 000 Italiens, 7 000 Maltais,
10 000 divers ; au total, 189 000 trangers
dvolus, eux ou leurs descendants, une dnatio-
nalisation prompte.
On ne protestera jamais assez contre cette
division des Franais en Franais parfaits et
Franais imparfaits. Beaucoup de ces parfaits
ont une mre espagnole, italienne, maltaise et
nombre de ces imparfaits une maman franaise.
Les mariages de l'une l'autre des races dites
latines sont tellement frquents qu'il ne peut pas
ne pas en sortir une race unique ; la ncessit
cre ici non une race franaise, mais une rac^
francophone.
Sans doute, ces familles bien inattendues il y a
quatre-vingt et tant d'annes dans le continent
noir , qui est ici un continent blanc , ne sont
pas toutes unilingues ds le dbut. Parmi les
enfants issus de ces intermariages, beaucoup
parlent, ct du franais, le catalan, l'espagnol,
le maltais, l'italien de leur mre, de leur pre,
mais leurs enfants eux n'en sauront probable-
ment pas un tratre mot. Ainsi en est-il aux
Etats-Unis pour le profit de l'anglais, en Hispano-
Amrique l'avantage de l'espagnol, dans le
COLONISATIONDE L*ATLANT1DB. 229 .
Brsil celui du portugais. Immense privilge
de la nation dominante !
Le recensement prcdent, en 1906, avait
dnombr 514 000 Franais purs ou impurs ;
celui de 1911 en ayant numr 563 000, le gain
des cinq annes a donc t de 48 000 49 000,
dont 25 616 Franais parfaits, 17 624 imparfaits,
5 620 Isralites; eux seuls, les parfaits ont donc
cr plus que les imparfaits. Cela suffit, et au del,
pour maintenir la France africaine dans sa des-
tine manifeste.
Durant ce mme quinquennat, les Espagnols
ont augment de 17 271 malgr le flot imp-
tueux qui les emporte centaines de milliers par
an vers l'Amrique latine, surtout vers le Rio de
la -Plata. Les Italiens se sont renforcs de 3 508,
les Maltais de 636, les * divers de 271. C'est,
en tout,21741 trangers de plus contre 25 616 na-
tionaux de tout repos et contre l'ensemble bien
plus que double des citoyens franais.
Durant ces mmes cinq annes, les Franais de
franc mtal ont gagn quelque peu plus de
9 p. 100, les naturaliss un peu plus de 10, les
Juifs au del de 8, l'ensemble des citoyens de
plus de 9 et demi. Les Europens et Abraha-
mites runis faisaient les 136/1 000 du peuple
du Moghreb central, contre les 131-132 de 1906.
Les indignes se sont accrus d'un peu moins de
6 p. 100, de par une augmentation de
264127 personnes,
330 L'ATLANTIDE.
La natalit des Europens tant suprieure
la musulmane, la mortalit bien moindre et
l'immigration aidant, les colons gagnent relati-
vement en puissance. Les alliances avec les
Mditerranens nous ont tellement bien accli-
mat en Algrie que d'aprs certains calculs
optimistes et la fcondit des indignes tant
plus apparente que relle, on peut prvoir le
jour o la population europenne dpassera
l'arabo-berbrc .
Nous ne le croyons gure. L'cart entre les
752 ooo colons et les 4 741000 indignes est de
ceux qui ne,se comblent point aisment. D'ailleurs
la supriorit du nombre importe bien moins que
celle de la civilisation avec tout ce que ce mot
comporte aujourd'hui de puissance d'crasement
en mme temps que de puissance de sduction.
Combien peu de Romains colonisrent la Gaule
peine des dizaines de milliers, contre des mil
lions de Celtes, Gaulois, Aquitains, Ligures
et pourtant nous sommes devenus un peuple
latinophone.
D'un nombre videmment insuffisant d'obser-
vations portant sur un temps trop court, d'aucuns
ont conclu que, toute immigration part,
l'accroissement annueleuropen gale 8,8 p. 1000,
celui des indignes 5,3 seulement. En tout cas,
l'une des dernires annes dont on ait les docu-
ments, 1910 s'est rsume par 21378 naissances
europennes contre 12 287 dcs : d'o Un gain
COLONISATIONDB L'ATLANTIDE. 331
de 9091 existences. Etant donn le rapport de
nombre entre colons et musulmans, ceux-ci
auraient d gagner proportionnellement
90 900 personnes. Or, leur excdent n'a t que
34790. Nous sommes loin des funrailles de
Boufarik et de la danse des morts qu'on put
longtemps ddier nos villages de la dvora-
trice des vies franaises.
On n'ose plus douter de l'enracinement pro-
fond de la France en Afrique ; les plus dtermins
des pessimistes se taisent. Immigration part,
nos enracins tracent vigoureusement autour
d'eux. Quant la croissance de l'lment indi-
gne, les registres de leurs naissances et de leurs
dcs n'ont pas, tant s'en faut encore, la per-
fection qui autoriserait des conclusions sres ; on
admet que le rapport des surrections au jour avec
les descentes dans la nuit est de 8 6 chez les
gens de l'Islam contre 9 6 chez les implants
d' partir de 1830.
Les normes sauts en avant de l'lment pluf
ou moins autochtone entre tel et .tel autre recen-
sement ont eu pour cause majeure l'exactitude
de plus en plus grande des dnombrements qui,
de cinq en cinq ans, ont de mieux en mieux inven-
tori l'intrieur des gourbis et des tentes, les
ruelles et, culs-d-sac des villes, les hameaux
perdus dans les obscurits des ravins. Il parat
indiscutable que, des deux races indignes, la
berbre augmente vite alors que l'arabe dcrot
32 ATLANTIDE.
et l et, dans l'ensemble, se maintient peine.
ternelle histoire: la gent rustique, travail-
leuse, surtout si elle est montagnarde, s'accrot
plus dru que la gent urbaine et que la planicole.

LXXII

PRFRER UNE ATLANTIDEORIGINALE A UNE


COPIEDELA FRANCED'EUROPE

A lire sur une carte les noms de nos colonies


maugrabines, on ne voit pas assez que ces petites
existences nouvelles sont des filles de France.
Les Franais ne sont ou, si l'on prfre,
n'taient nationalistes que pour les peuples
trangers, voire hostiles, et jamais pour eux-
mmes, Franais.
Combien d'entre eux se sont bien plus int-
resss l'Italie, la Grce, la Pologne, l'Ir-
lande, la Hongrie qu' la France l Combien
encore se proccupent plus de la Finlande que de
la Belgique wallonne, de la Suisse franaise, du
Canada franais et, bien entendu, de la Tunisie,
de l'Algrie, du Maroc ! A quoi bon prononcer
des noms d'historiens, d'conomistes, d'hommes
d'tat qui furent, en cela, des innocents,
quelques-uns presque des criminels.
Rien donc d'tonnant si beaucoup de bonnes
gens ont protest contre la substitution de noms
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE.
333
de lieu franais des noms de lieu arabes ou ber-
bres, que d'ailleurs nous ne prononons jamais
comme ils doivent tre prononcs et accen-
tus: nous ne sommes pas forts en aspires,
en gutturales et autres explosions de gosier qui
demandent un Larynx assoupli.
Que reprsentent pour un Franais les cinq
syllabes arabes du nom de Sidi-bel-Abbs ou les
quatre syllabes berbres du nom de Tizi-Ouzou?
Passe encore pour le nom de Tizi-Ouzou, com-
pos qui nous apprend que ce bourg occupe
l'emplacement du col des Gents pineux !
Mais que nous annonce Sidi-bel-Abbs, autre-
ment dit : Monseigneur un tel, saint plus ou
moins oubli de tous depuis des annes, saint
qui avait l sa kouba, la petite coupole de son
tombeau ? Quand la France y commena, il y a
soixante-dix ans, ce qui est maintenant une ville
de plus de 30 000 mes, on ne voyait ici que ce
marabout, pour parler l'algrienne, dans des
campagnes naturellement fertiles, laisses
l'abandon par une grande tribu rcemment partie
pour le Maroc. Pourquoi, ne de nous et des Espa-
gnols qui ont dfrich avec nous, et pour nous, et
pour eux, pourquoi ce nom de Sidi-bel-Abbs
nerappelle-t-ilqu'un prtendu faiseur demiracles,
ou peut-tre un pauvre fou, les musulmans
regardant les insenss comme des inspirs d'en
haut, des privilgis d'Allah? N'aurait-il pas
mieux valu nommer ce lieu d'vident avenir
334 l ATLANTIDE.

d'aprs un des hros de cette Nouvelle France


qui, venue de rien, du geste colrique d'un
chasse-mouches agit par un potentat, ne s'arrte
maintenant, dans le Sud bien lointain, qu'au
second des fleuves de la terre?
On a dsign du nom glorieux de Bugeaud un
village, pas beaucoup plus qu'un hameau de
montagne, o les gens des plaines de Bne, acca-
bls par l't, viennent respirer l'air frais qui
souffle du haut de l'Edough ou des lointains de
la Mditerrane. Sans doute, ces plaines bnoises
ne sont plus ce qu'elles furent aux dbuts de la
conqute (i). On y vit maintenant sans pril
mais on s'y anmie de longues chaleurs.
Stupfaits devant ce Sidi-bel-Abbs nigma-
tioue, les zouaves, les soldats, les colons l'appe-
lrent sans aucune ide d'ironie la Belle Abbesse;
de mme le Smendou fut pour eux le Chemin
Doux ; Tizi-Ouzou, le Petit Zouzou ; Tipaza, le
Petit Bazar ; Sakamodi, le Chaco Maudit ;
Mlab-el-Kora, la Belle Cora, etc., etc.
Vingt, cinquante tablissements franais ont
reu des noms disproportionns: des lieux
d'avenir /lomment des hommes inutiles, des
lieux sans avenir rappellentdegrandes mmoires.
De grands Franais, de grands Algriens, de
grands Africains ont t oublis.
On a donn le nom de Chanzy Sidi-Ali-ben-
(i) En moins de trois ans 2 513 fivreuxy moururent
4'i.pital,
'
COLONISATION,DE L'ATLANTIDE. 835
. Youb, bourg des rives de la Mkerra ou Sig destin
une modeste fortune agricole, en raison de la
bont de ses terres et de l'abondance de ses deux
fontaines ; ce n'est point assez pour le souvenir
d'un homme qui balana la fortune et sauva
l'honneur. Que de noms illustres donns des
villages presque morts qui ne vivront jamais
d'une vie vivante l
Mais aussi, comment deviner ce qui deviendra,
ce qui restera, ce qui mourra? L'avenir est scell
de sept sceaux. Puis on ne pouvait dbaptiser
les grandes villes, appeler, par exemple, Alger,
Bugeaud ; Oran, Lamoricire ; Tlemcen, Cavai-
gnac ; Constantine, Vale ou Damrmont ; Tunis,
Hannibal ou Carthage ; Fez, Lyautey, etc. Et
comment douer une colonie d'un nom propor-
tionn ce qu'en feront ou n'en feront pas les
sicles? Quel devin a dit: Ceci est Lutce,
village humide, boueux ; ce sera Paris, ville
blouissante, voire premire du monde, comme
Rabelais le proclamera de Chinon en Chinonnais.
Il ne faudrait pas non plus attribuer nos
colonies,commeonl'atropfait,desnomsd'hommes
qui ne se sont jamais occup du Moghreb, ni d
l'Afrique en gnral, tels que Rabelais, Corneille,
Molire, Voltaire, Diderot, Montesquieu, Mira-
beau, Auguste Comte ; ou des noms de victoires
dont plusieurs furent nuisibles l'Atlantide:
l'Aima, Malakoff, Palestro, Magenta, Solfrino :
elles ont dress contre nous une Europe hostile,
236 L'ATLANTIDE.
une Allemagne irrconciliable. Heureux sommes-
nous de ne pas y avoir perdu et notre Atlantide
et notre part de l'Afrique Majeure
Ce sont les faits et les hommes de l'Afrique du
Nord qu'il faut glorifier ici.
Les conqurants, du gnral de Bourmont au
gnral Lyautey ;
Ceux qui sont morts devant le Numide et
l'Arabe, comme le sergent Blandan et des cen-
taines d'autres, dans la sublimit du stocisme ;
Ceux qui ont vcu ou qui ont pri pour'l'em-
pire des bronzs et des noirs : les Archinard, les
Joffre, les Gallini, les Brazza, les Binger, les
Foureau, les Mizon, les Crampel, les Mangin, les
Gouraud, les Moll, etc., etc. ; il y a l de quoi
honorer bien des colonies ;
Les grands coloniaux, comme Montcalm :
puisqu'il y a trois Fiances, l'europenne, l'afri-
caine, l'amricaine, chacune d'elle, peut emprun-
ter aux deux autres;
Les grands colons, les fondateurs de villages.
Un Algrien passionn, un Africain clair-
voyant (1) l'a dit : * Que restera-t-il de tant de
polmiques? Pas mme l'ombre de la fume ;
tandis que les centres crs en Afrique vivront
d'une vie immortelle, transmettant aux gnra-
tions futures le nom du peuple qui les a fonds.
Il serait galement ncessaire, dcent, de

(t) Weil Mariai.


COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. 4$f
ressusciter les noms berbres ou latins ou lati-
niss. Thagaste vaudrait mieux que Souk-Ahras ;
Coesarea que Cherchell ; Sadoe que Bougie y
Cartennoe que Tns ; Hippo ou Hippone que
Bne.
Non point toute la kyrielle officielle, telle
qu'numre sur les inscriptions, dans les ddi-
caces. Ainsi: Municipinm septimium, Aure-
lianum, Anionianitm, Alexattdrianum, Hercit-
latium, frugifenim Thignica (i) ; l'ehtnique Thi-
gnica suffit.
Nul n'oserait comparer le nom arabe Zana
ou le nom franais quelconque dont on dotera
cette jeune colonie de la province de Constantine,
au nom latin, admirablement sonore, de ce lieu
des plateaux numides : Diana veteranorum. On
a conserv prs de l le nom de Lambiridi, comme
pas loin non plus celui de Lambse. Pourquoi ne
pas maintenir Diana Veteranorum ou, la fran-
aise : Diane des Vtrans ? O trouver la fois
plus d'histoire et d'harmonie, avec la fiert d'tre
un Franais d'Afrique?
Sans doute, les noms n'importent gure, la
substance est tout ; mais ici le voile cache Isis,
c'est--dire la France.
Sous le nom de Mostaganem qui devinerait une
charmante cit franaise ; sous celui de Souk-
Ahras, ville o l'on parle comme chez nous ,

(i) En Tunisie.
238 L'ATLANTIDE.
l'aimable bourgade o saint Augustin fut colier
avant d'aller tudier Carthage?
Devant des cartes noires de noms arabes,
berbres purs et berbres arabiss, l'tranger se
dit : Il n'y a donc pas de Franais dans cette
colonie franaise? On nous l'a ressass en Alle-
magne lors des longs dbats marocains, au cours
de cette entreprise haineuse qui a fini par le plon-
geon de l'immoral empire dans l'abme. On l'a
rpt, on le rpte encore, devant le parti-pris
de nos recensements algriens de diviser les
colons d'Afrique en franais, en naturaliss par
choix, en naturaliss dfinitifs, en naturaliss
probables l'ge de vingt et un ans, en Espa-
gnols, en Maltais, en divers : Vous prtendez
rgner sur l'Afrique et vous tes en minorit
parmi les Europens.
Veuillent les recenseurs de l'avenir runir tous
les Franais de sang, de demi-sang, de sang
mditerranen englobs avec nous par la loi,
l'ambiance, l'accoutumance, dans le bloc des
no-Franais de l'Atlantide l
Se proccuper si passionnment du dosage de
sang franais dans la France de Berbrie, c'est
chose aussi vaine que de chercher dbrouiller
dans le Parisien et le provincial du XXe sicle
l'anctre prhistorique d'avant, de pendant et
d'aprs l'homme desEyzies : l'Ibrien, le Ligure,
le Celte, le Gaulois, le Belge, le Visigot, le Bur-
gonde, le Romain, l'Alain, le Hun, le Hongrois.
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. 23$
le Sarrasin, plus d'innombrables * divers . Une
mme civilisation longtemps continue dans un
mme milieu, une mme langue nous amalga-
mrent. Cela suffit puisque maintenant nous
sommes un.
Qu'importe si l'un de nous descend d'un cava-
lier d'Attila sorti vivant de la bataille des champs
catalauniques? 11 descend de milliers, de millions
d'autres anctres, il a dans son sang des gouttes
de tout pays, de toute nation. S'il est issu d'un
Sarrasin qui survcut la mle d'entre Poitiers
et Tours, il est un peu des ntres puisque.le Ber-
bre arabis et le Franais sont des cousins loi-
gns. Et l'un et l'autre communiquent avec
nous par la parole qui est, sinon la mre, au
moins la conductrice de la pense.
Qu'importa, vers l'an 2500, qu'un Atlanti-
dien procde d'un Berbre paysan, d'un Arabe
nomade, d'un Espagnol bruni par l'Andalousie^
un Catalan pcheur, piocheur, arroseur, d'un
Pimontais mineur ou maon, d'un Romagnol,
d'un Calabrais, d'un Sicilien ou d'un Franais
de n'importe o, de la Corse l'Armorique?
En quoi le monde sera-t-il outrag si, quelque
jour, le peuple camp dans l'Atlas unit ce
qu'on appelle, en jargon scientifique,. notre
mentalit, les qualits de constance, de tra-
vail, la dure, des Kabyles, l'imagination et le
brio de l'Arabe, la sobrit de l'Espagnol, sa
passion de l'honneur, son patriotisme un peu
24O L'ATLANTIDE.
sombre, et la souplesse, l'intelligence, le sens,
artistique de l'Italien?
Rassembler pour l'avenir vaut mieux que divi-
ser en s'autorisant du pass, que de tenter, heu-
reusement en vain, de ressusciter des Flandres,
des Bretagnes, des Languedocs, des Gascognes,
des Provences.
Hugo a dit :
Laissez tout ce qui tombe,
Tomber I

LXXIII

LAISSEZ TOUT CE QUI TOMBE, TOMBER1

Or, prcisment, voici qu'on essaie un peu par-


tout dans le monde, en France comme ailleurs,
de relever ce qui tombe dj aux trois quarts de
sa chute.
C'est de droit quand il s'agit d'un idiome
antique, rsistant, vaillant, opprim par une
langue que parlent de nombreux millions
d'hommes ; idiome qui s'est rvolt contre le
nant, qui, presque touff, s'est dgag des mains
de son trangleur.
Tels le tchque, longtemps suffoqu par le
deutsch ; le roumain, perscut par le magyar ;
le polonais, plus malheureux que tous, trangl
par le russe et l'allemand ; le finlandais, en ralit
COLONISATIOND L'ATLANTIDE. 24
plus menac par le sudois que par le russe ; 'le
franais du Canada pris au collet par l'anglais.
Ces langues ont raison de se rebiffer cause
des possibilits de leur avenir. Elles ont eu leurs
jours de puissance, leurs peuples se sont toiles
d'hrosme ; elles ont conserv de belles popes ;
leur rsistance les a sauves, elles voient blan-
chir l'aube de la victoire.
La Finlande, fire du Kalevala, son Iliade a
toute scurit pour des sicles. Au miroir de ses
dix mille lacs, l'ombre de sa fort du Nord, elle'
a repouss l'emprise sudoise. Ses 2571000 Finlan-
dais, parlant un langage o il y a autant de
voyellesxque l'allemand aligne de consonnes, se
rient des 339 000 hommes usant encore du verbe
des anciens matres Scandinaves ; ils survivront
longtemps, mme devant la masse de leurs
voisins, les Russes.
Les Franco-Canadiens gagnent sur les Bri-
tishers dans leur trs vaste province et, hors de
leur province en maintes rgions de la puissance
ou Dominion (1).
Les Tchques vont reprendre leur indpen-
dance vis--vis de l'Autriche comme peuple,
vis--vis de l'Allemand et du Magyar comme
langue.
Les Roumains sont assurs de rester Rou-
mains, dans cette immorale Hongrie, trop faible
(t) puissance est .le nom franais, Dominion le nom
anglais de*la Confdrationcanadienne.
16
242 L'ATLANTIDE.

pour digrer les peuples qu'elle a eu la prtention


de dvorer.
' c'est un malheur pour une
Evidemment,
communaut d'tre borne quelques centaines
de milliers ou quelques rares millions d'hommes
unis par le mme verbe ; elle est comme mure
dans une prison ; ds qu'elle en sort, elle ne com-
prend personne, et personne ne la comprend.
Elle est, tels les lpreux, spare du monde.
Hors de sa Finlande, qu'est le Finlandais? Un
sourd et un muet ; moins qu'il ne sache le su-
dois, auquel cas il ne communique encore qu'avec
peu de millions de ses semblables ; ou l'allemand
et le russe : alors il est en relations avec le monde,
le vaste monde, parce qu'il cesse d'tre Finlan-
dais.
Qu'est le Magyar hors de son Magyar Orzag,
sa Hongrie qu'il regarde comme le centre du
monde? Lui aussi c'est un sourd pour qui lui
parle, un muet pour qui l'coute. Que ce peuple
soit de 10 millions d'mes, comme il prtend, ou
de huit seulement suivant vraisemblance, son
impuissance, celle de ses arts, de ses lettres, de
ses sciences est irrparable. Mais peut-on le
blmer de parler, de penser, d'crire dans un
idiome d'troite influence, parler local seule'
ment? Il l'a parl sur les genoux de sa mre, il
en a chant les chansons, il en vnre les potes,
potes de la guerre, de la jeunesse, de l'amour,
de la rsignation aux dcrets du Grand Tout.
COLONISATIONDE L*ATLANTIDE. 243*
Sans doute, l'intrt pressant, c'est de parti-
ciper d'une grande langue telle qu'anglais, espa-
gnol, franais, russe ; mais souvent le coeur
commande la raison.
Ce qui n'est pas raisonnable c'est de prtendre,
soit maintenir, soit ressusciter d'infortuns patois,
morts ou mourants, contre d'autres patois de
mme origine devenus des langues parce que la
politique, le commerce, la religion, l'attirance
d'une trs grande ville les ont ds longtemps
favoriss.
L'entreprise a t tente en France par le fli-
brige. Cette association bruyante s'est propos
de faire revivre en toute splendeur les dialectes
languissants, tous les jours plus franciss, de
l'ancienne langue d'oc.
Tentative insense, venue cent ou deux cents
ans trop tard ; criminelle aussi, en ce qu'elle
exposerait, le cas chant, nos dpartements
mridionaux tendre, les uns vers l'Espagne,
les autres vers l'Italie, nos patois d'oc ayant le
mme accent tonique que l'espagnol et l'italien :
en quoi ils s'cartent absolument du vrai franais,
du franais de Lige Blaye, du franais natio-
nal.
Or, voici la preuve clatante de la sottise des
Franais. Ils se sont enthousiasm pour cette
oeuvre antipatriotique, le gouvernement, l'Aca-
dmie, les lettrs en tte. On a dcern des
honneurs divins ces agents conscients on
244 L'ATLANTIDE. ^t
inconscients d'un dmembrement de la France,
heureusement impossible aujourd'hui. Le devoir
tait, au contraire, de faire taire aussitt ces
attards qui prtendent nous ravir l'admirable
privilge des Canadiens-franais : on parle abso-
lument le mme langage sur toute l'tendue du
Canada franais, des pointes de la Nouvelle-
Ecosse au lac Suprieur et, plus loin encore, dans
les espaces du Nord-Ouest
Que gagneraient les Mridionaux la revi-
viscence de leurs jargons, le franais une fois
proscrit? De mourir d'ennui, presque de dses-
poir, devant des charabias qui n'ont dans leur
pass que des chansons et des chansonnettes, et
rien de grand, de fort, de mondial.
La Norvge nous montre l'erreur de ces rsur-
rections. Elle n'a pas de langue nationale, mais
seulement des dialectes quelconques, plus ou
moins diffrents, dbris du vieux norse, et le
peuple a pris pour idiome commun le danois.
Mais, depuis la sparation d'avec la Sude, les
Norvgiens, ivres de localisme, se sont mis
crire, chacun dans son patois : d'o l'anarchie et
l'impuissance, comme l'a dit un pote au nom
terriblement Scandinave, Bjrnstjern Bjrnson,
c'est--dire: Front d'ours, fils d'ours: Nous
remplaons Racine par du bas-breton.
Naturellement, ce vertige a gagn chez nous
les Bretons bretonnants et les Basques, qui, du
moins, parlent, eux, des langues originales, d'une
COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. 245
vnrable antiquit, et non des patois de pass
tout fait indiffrent.
Trop tard aussi pour eux. Basques et bas-Bre-
tons tant dj presque tous bilingues, partags
entre le verbe du pass et celui de l'avenir.
Les bas-Bretons rvent, du moins certains
d'entre eux, la sparation de leur Bretagne
d'avec la France et son union avec ce qui
reste de Celtes en Irlande, au pays de Galles et
en :osse.
Les Basques agglomrent en pense leurs trois
menues provinces franaises, Sole, Navarre et
Labourd, avec leurs quatre provinces espagnoles,
Navarre d'Espagne, Alava, Guipuzeoa, Biscayes :
alors la devise Irttrac bat (i) deviendrait Saspirac
bat (2). A ce futur empire infinitsimal, ils ont la
navet d'ajouter les Escualdunacs {3) de l'Am-
rique du Sud qui ds maintenant ne se soucient
que de l'Argentine, de l'Uruguay, et s'engloutis-
sent avec joie dans l'immense ocan de la langue
espagnole.
Enfantillages, folies qui n'ont d'autres excuses
que la dbilit mentale et, dans nombre de cas,
la vanit de ces enfants et de ces fous. Parmi les
moins excusables sont les flibres qui risquaient,
s'il se pouvait encore, de dmembrer la France,
et prcisment de la priver de ceux de ses fils qui

(1) Trois dans un.


(2) Sept dans un.
(3) Nom national des Basques
16.
246 L'ATLANTIDE.
colonisent le plus l'Atlantide. La trs grande
majorit des Franais de l'Afrique du Nord
provient des Pyrnes-Orientales, de l'Arige, de
l'Aude, du Tarn, de l'Hrault, du Gard, des
Bouches-du-Rhne, de Vaucluse, de la Drme,
de l'Isre, de l'Ardche, des Hautes et Basses-
Alpes, du Var, des Alpes-Maritimes et de la Corse.

LXXIV

PILLA MATRE PULCHRIOR

Fille plus belle que sa mre. Plus belle en


ses excs que la France en ses harmonies. Plus
grande aussi, et point trique entre une Alle-
magne, une Italie, une Espagne qui lui barrent
toutes les routes continentales; tandis qu'elle,
Atlantide, est le pristyle d'une le (1) trois fois
tendue "
suprieure en l'Europe.
Ce serait folie d'esprer la garder toujours,
jeune fille, la maison.
Viendra le jour o elle quittera la demeure
paternelle pour vivre de sa vie elle, de sa vie
d'Afrique, de sa vie d'Atlas, de Sahara, de Niger,
et plus outre encore.
Qu'elle s'en aille en paix, ce jour-l, pour U
bon renom et l'honneur de la famille i

(1) Saof l'Isthme d Sue*.


COLONISATIONDE L'ATLANTIDE. 247
Dans l'idiome qui a retenti durant des sicles
en Atlantide, Perse disait son matre et ami :
Tu sais, n'en pas douter, qu'un pacte sr lie
nos destins, qu'un mme astre les guide (1).
Ainsi en sera-t-il de la France et de sa fille la fois
lgitime et adoptive d'Afrique. A peine spares
dans l'espace, elles resteront unies dans le temps
par ce qu'il y a d'ineffable dans les fibres
secrtes (2), c'est--dire par es impondrables
ns l'usage d'un langage commun, au cours
d'une mme histoire commence en 1830 Alger,
continue en France (1870) ; en France, en Bel-
gique, en Allemagne, aux Balkans, en Afrique
en 1914-1916, et cette fois-ci avec nos Sngalais
et Soudaniens en plus des Arabes et des Berbres.
C'est pourquoi, notre petite vie d'Europe
dsormais assure par le crvement du peuple
rodomont, il nous faut vibrer notre grande vie
d'Afrique. Bienheureux sommes-nous qu'elle
n'ait pas t jugule presque ds sa naissance,
sinon mme avant, du fait des dfaillances de
notre diplomatie devant la menac des suscepti-
bilits europennes.
Puis tout aussitt la rvolution de 1830, les
4 augmentateurs de la France proscrits par le
parti dit libral, le dsarroi, les troubles int-
rieurs, les craintes de guerre europenne. Ensuite

(1) Nen tquUUm hoc dubitas, tmborum \adttt art*


Gntintin iUs tl *b utto sidert dci.
(a) Quod taUt ercna non tnarrabik fibr* (Pne).
248 L'ATLANTIDE. \il
1848, et la guerre civile, et le Second Empire et
ses luttes stupides en Russie, au Mexique, en
Italie et la folie du royaume arabe.
Un homme moins born que Bismarck et
annex en 1871 l'Algrie au lieu de l'Alsace-
Lorraine : mais ce pauvre sire ne vit jamais rien
au-del de sa Prusse fodale et militaire. Aprs
quoi ce fut l'erreur d'un autre aveugle, Crispi, et
les risques europens de l'affaire tunisienne, la
diabolique persvrance de l'Allemagne au Maroc,
Tanger, Casablanca, Agadir et la menace toujours
prte du tranche-montagne avec sa poudre sche
et son pe aiguise; l'hostilit passionne de
l'Espagne ; puis les insolences dont l'Allemagne
tressaillit de joie et pleura de rage : nous en
tirons le profit ; elle, la dchance.
Enfin l'ignoble rue de 1914 ; ignoble avant
tout par les bassesses de l'avant-guerre, espion-
nage silencieux dans le monde entier sous le
masque de la bonhommie, la rue des forces
immenses du roi des rois, Csar des Csars/empe-
reur du monde, dlices du genre humain, idole
de son peuple, qui tait le surpeuple.
Ce Tamerlan avait dclar aux Anglais qu'il
garantissait, l rigueur, l'intgrit du territoire
franais aprs la guerre triomphale, mais qu'il
se refusait prendre le mme engagement
l'gard de nos colonies : pour l'instant, il ne
visait que l'Algrie, la Tunisie, le Maroc, le Congo
franais, le Congo belge et Madagascar I
~
f/! COLONISATIONDE L'ATLANT1DB. 2&
A la suite de quoi les Allemands sont chasss
de l'Afrique et du monde ; la France tend et
consolide son empire sur un espace gal plu-
sieurs fois l'tendue do son domaine europen

L-XXV

VEILLONS AU SALUT DE L'EMPIRE I

Ce splendide hritage se tient d'un bout


l'autre, mais non pas sans compartiments tran-
gers.
Notre principal souci sera de combler ces
lacunes par change avec d'autres colonies fran-
aises qui importent bien moins la France. ^
Car, o pourrions-nous trouver mieux que St*
immensits imprvues?
Le monde est pris, notre part est belle.
Et maintenant, veillons au salut de l'Empire I
Corail. Imp. CttU. AvrilUt

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