Remerciements
Cet ouvrage n’aurait pas pu voir le jour sans les multiples rencontres que j’ai
pu avoir avec les responsables des systèmes d’éducation et de formation de
par le monde qui se sont engagés dans une réforme des curricula selon la
pédagogie de l’intégration, que ce soit en Europe, en Afrique, en Amérique
centrale, au Moyen-Orient ou dans le Pacifique.
Parmi ceux-ci – et je voudrais encore en citer tant d’autres –, Latifa El Abida
(Maroc), Youssef El Azhari (Maroc), Tahina Razafindramary (Madagascar),
Floridalma Meza Palma (Guatemala), Farid Adel (Algérie) m’apparaissent, de
par leur engagement, leur compétence et leur modestie comme les chefs de
file incontestables de cette nouvelle génération de décideurs et de gestionnai-
res responsables, qui ont l’équité et la qualité comme priorités.
Qu’ils voient ici l’expression de mon admiration la plus profonde. Ils
m’inspirent une question : les attitudes responsables en éducation se trouve-
raient-elles aujourd’hui au Sud ?
Je voudrais également remercier les collègues et amis qui ont accepté
de lire le manuscrit : Monique Kizika, Mohamed Miled, Omar Ben Khadra,
Martin Compaoré, Pierre Gbenou, Nassim Haidar, François-Marie Gerard,
Tahar Amri, Nahed Mustapha, Ioan Ratziu.
Je voudrais enfin rendre hommage à Jean-Marie De Ketele pour sa lec-
ture avisée, qui témoigne de ses qualités scientifiques.
Sommaire
Remerciements 5
Préambule 9
Introduction 11
Chapitre 1 Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ?
Comment se décline-t-elle aux différents niveaux
d’enseignement et dans la formation ? 17
Chapitre 2 Les fondements la pédagogie de l’intégration 83
Chapitre 3 Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 181
Chapitre 4 Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie
de l’intégration 225
Chapitre 5 La pédagogie de l’intégration et l’évaluation des acquis 273
Conclusion 299
Annexe : un historique de la pédagogie de l’intégration 301
Bibliographie 305
Index 319
Liste des figures 321
Table des matières 325
Préambule
En décembre 2009, une jeune maman immigrée, retenue pendant des heu-
res par des formalités policières, arrive en retard à la porte d’embarquement
de l’aéroport, et est empêchée de prendre l’avion qui ramène dans son pays
le cercueil de son enfant de deux ans et demi. Elle voit l’avion. Il est là. Il
n’est pas encore parti, mais une porte blindée, dite impossible à ouvrir, lui en
interdit l’accès. À ce stade, il est trop difficile et trop coûteux d’interrompre
la procédure.
Ce fait divers tragique, dont j’ai été témoin – et en partie acteur –, n’en
est qu’un parmi tant d’autres qui illustrent les dérives du système dans lequel
nous évoluons de plus en plus : les procédures et les normes de rentabilité
restent aveugles et sourdes aux cris d’une mère qui demande cette chose
aussi élémentaire que d’accompagner son enfant à sa dernière demeure. La
raison est simple : l’humain n’est pas rentable, il consomme du temps, et il
ne rapporte rien. Au mieux, l’homme est perçu comme un consommateur
passif, au pire, comme un objet encombrant.
Impuissants face à de telles manifestations de force de la logique mar-
chande, à une telle violence invisible, essentiellement motivées par le pro-
fit, certains répondent par une violence visible, mais bon nombre d’entre
nous capitulent, et semblent devenir petit à petit indifférents. D’autres disent
« Non, cette déshumanisation n’est pas inéluctable. Il suffit que nous déci-
dions ensemble qu’il en aille autrement pour qu’il en aille autrement ».
Le secteur de l’éducation n’échappe pas à l’influence de ce type de mon-
dialisation. La marchandisation de l’éducation gagne chaque jour du terrain.
Les mécanismes de marketing de l’innovation en éducation sont devenus
tellement subtils qu’il devient de plus en plus difficile d’analyser les enjeux
d’une innovation présentée comme un progrès. Un progrès sans doute, mais
10 La pédagogie de l’intégration
un progrès au profit de qui ? L’écart grandit entre les discours politiques et
les pratiques. Sur le terrain, les résultats de la majorité des jeunes qui sortent
de l’école sont loin d’être à la hauteur des espérances, quand ils ne sont pas
en chute libre. Et surtout, les considérations humaines, sociales, culturelles,
éthiques et même pédagogiques sont reléguées au deuxième plan.
Dès lors, il semble clair aujourd’hui que ce n’est pas ce type de mondia-
lisation qui peut contribuer à une amélioration de l’éducation et de la forma-
tion à une large échelle dans les pays industrialisés, ni permettre d’atteindre
les objectifs de l’éducation pour tous dans les pays en développement1.
Le défi est de taille : face à un déploiement de moyens sans précédent,
souvent présentés comme la seule issue possible – programmes d’études sur
mesure, écoles clés en main, documents pédagogiques standardisés, valeurs
de pacotille, technologies du dernier cri, environnement numérique de tra-
vail… –, mais face aussi à l’absence d’une alternative crédible, une sorte de
fatalisme gagne progressivement la sphère de l’éducation à l’échelle inter-
nationale. C’est comme si, dans le contexte de la mondialisation galopante,
tout semblait avoir été dit en termes de pédagogie, en termes de program-
mes d’études, et que les systèmes d’éducation et de formation étaient pous-
sés de manière inéluctable vers le modèle unique, celui que je qualifierai dans
cet ouvrage d’« uniformisation inéquitable ».
À travers toutes celles et tous ceux qui contribuent à la construire et à la
mettre en œuvre, la pédagogie de l’intégration est une de ces approches qui
disent non. La tendance actuelle n’est pas une fatalité. Il existe de nouvelles
voies à explorer, plus respectueuses de l’homme, de l’environnement, des
cultures et des valeurs que les États déclarent vouloir défendre.
La pédagogie de l’intégration est une approche qui cherche à combiner
l’efficacité et l’équité dans les curricula d’éducation et de formation.
Bien qu’elle ait déjà montré une certaine efficacité dans une vingtaine de
pays, sur les cinq continents, elle reste un pari, mais pas une utopie.
Je vous invite à y entrer, de manière critique certes, mais de manière
ouverte, sans préjugé.
Xavier Roegiers
1. Jomtien (1990) ; Dakar (2000).
Introduction
Les plus belles formules ont été utilisées depuis longtemps pour décrire ce
que devrait être l’enseignement : permettre l’épanouissement de chacun,
apprendre à apprendre, différencier les apprentissages, responsabiliser l’ap-
prenant, l’autonomiser, susciter chez lui des attitudes réflexives… Et dans le
même temps, un large consensus existe pour reconnaître que bon nombre
de systèmes éducatifs sont en souffrance : baisse des résultats scolaires, dimi-
nution de l’équité, manque cruel de ressources, retour de l’analphabétisme,
régression de la culture générale, manque de maîtrise de la langue d’ensei-
gnement par les étudiants, violence… on est loin du bilan escompté. Certes,
la situation se présente de manière très différente dans les pays du Sud et
ceux du Nord, mais certaines similitudes entre ces contextes tellement diffé-
rents sont néanmoins significatives.
Entre ce que l’enseignement devrait être idéalement et ce qu’il est
aujourd’hui, il y a une marge, un précipice pourrait-on souvent dire. Soit les
États continuent à poursuivre cet idéal, mais seulement au profit d’un petit
nombre d’élèves et d’étudiants qui constituent une élite, dans une optique de
libéralisation à outrance de l’éducation, soit d’autres voies sont explorées, qui
tentent de faire accéder un maximum d’entre eux à une éducation décente,
à défaut de cet idéal.
Du côté de la formation professionnelle, c’est souvent une vision d’inféo-
dation de la personne qui prévaut, ainsi que d’exploitation à outrance de ses
ressources (« On te presse, et on te jette »). De plus en plus, la personne est
formée pour être un exécutant, quel que soit d’ailleurs le niveau auquel elle se
situe dans la hiérarchie : la soi-disant autonomie qui est octroyée aux cadres
n’est souvent qu’un simulacre d’autonomie pour mieux servir le profit. Une
vision déshumanisante et à très court terme se substitue la plupart du temps
à une vision d’un développement professionnel épanouissant à moyen ou à
long terme.
12 La pédagogie de l’intégration
Tendant – dans une approche résolument citoyenne – de répondre à ces
dérives, cet ouvrage propose une approche curriculaire visant à donner à
chaque élève, à chaque étudiant, les outils pour affronter les situations de la
vie quotidienne, celles du parcours scolaire ou académique, celles du monde
professionnel, et d’y répondre de manière adéquate, mais aussi de manière
critique et réfléchie. Il cherche ainsi à apporter sa contribution à la réduc-
tion de certaines fractures qui sont en train de se creuser dans le monde de
l’enseignement et de la formation : la fracture entre l’idéal et le réalisable, la
fracture entre les valeurs déclarées et les valeurs effectivement véhiculées,
la fracture entre l’école et la vie de tous les jours, la fracture entre ceux qui
sont dans un TGV lancé à toute vitesse et les laissés pour compte qui n’en
finissent pas de faire des détours. L’enjeu est de permettre à chacun de pro-
gresser dans le respect, y compris les plus démunis, mais sans oublier non
plus les plus avancés, qu’il n’y a aucune raison de léser ou de freiner dans
leur progression, bien au contraire.
Cette approche curriculaire s’appelle « pédagogie de l’intégration ». Elle
vise à considérer chaque élève, chaque étudiant, en tant que personne à part
entière, et à lui reconnaître le droit d’acquérir les outils lui permettant de
faire face aux situations de vie grâce à l’usage adéquat de ce qu’il apprend à
l’école et en formation.
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? Que vise-t-elle ? Comment
se situe-t-elle par rapport aux préoccupations actuelles de la société, et des
systèmes d’éducation ou de formation ? Quels sont ses fondements ? Quels
sont ses principaux concepts fondateurs ? Quel regard porte-t-elle sur l’éva-
luation des acquis des élèves et des étudiants ? Telles sont les principales
questions auxquelles l’ouvrage tentera d’apporter des éléments de réponse.
Il se base non seulement sur un ensemble de travaux théoriques rela-
tifs à l’intégration des acquis dans l’enseignement, en particulier ceux de
Jean-Marie De Ketele, mais également sur un ensemble de pratiques d’in-
tervention et de recherches de terrain réalisées – surtout par le BIEF1 – dans
différents contextes, à différents niveaux d’enseignement ainsi que dans dif-
férentes disciplines et différents secteurs d’activité professionnelle, pendant
une vingtaine d’années. Cet ouvrage a pris appui, entre autres, sur les bases
empiriques suivantes :
– l’accompagnement scientifique et méthodologique du programme
« Compétences de Base » dans l’enseignement primaire et secondaire
tunisien ;
– l’accompagnement de réformes en termes d’intégration des acquis dans
des établissements supérieurs d’enseignement infirmier en Belgique
1. Louvain-la-Neuve, Belgique (www.bief.be).
Introduction 13
francophone, en France, au Rwanda, en République Démocratique du
Congo ;
– l’accompagnement de politiques d’élaboration de manuels scolaires pour
l’enseignement primaire et secondaire au Vietnam, au Kazakhstan, en
Moldavie, en Algérie ;
– l’accompagnement de réformes relatives à la formation professionnelle
en Belgique francophone, en Tunisie, au Sénégal, au Grand-Duché de
Luxembourg ;
– l’accompagnement de démarches de changement curriculaire de l’ensei-
gnement supérieur et universitaire en Belgique francophone, en France
(enseignement supérieur catholique), à Djibouti, au Maroc, en Mauritanie,
à Madagascar ;
– et surtout les nombreuses réformes éducatives dans un grand nombre
de pays ; sans viser à être exhaustif, citons entre autres la Belgique fran-
cophone, le Grand-Duché de Luxembourg, le pays basque (système
des Ikastolas), la Mauritanie, Djibouti, Madagascar, le Gabon, l’Algérie,
le Liban, le Cap Vert, le Guatemala, le Maroc, le Sénégal, l’Angola,
le Vanuatu, le Bénin, les Comores, la Suisse (cantons de Vaud et du
Tessin)…2
Le présent ouvrage tente d’articuler les travaux théoriques et ces interven-
tions de terrain. Reposant sur l’expérience acquise, et comprenant de nom-
breuses références théoriques, mais aussi de très nombreux exemples, il se
veut à la fois un outil de réflexion sur le concept d’intégration des acquis
et un outil méthodologique pour des mises en œuvre contextualisées de la
pédagogie de l’intégration.
Il concerne l’ensemble des niveaux de l’enseignement et de la formation :
éducation préscolaire, enseignement primaire, enseignement secondaire,
formation professionnelle, enseignement supérieur. Il trace aussi des pistes
pour la formation continue des professionnels de l’éducation, ainsi que pour
la formation d’adultes en général.
Un changement important de point de vue émerge dans cet ouvrage,
qui fait suite à un ouvrage précédent Une pédagogie de l’intégration : com-
pétences et intégration des acquis dans l’enseignement, publié en 20003.
Dans le premier ouvrage, la pédagogie de l’intégration était assimilée à l’ap-
proche par compétences. À l’époque, la problématique se présentait de la
manière suivante : dans un paysage caractérisé par une approche par com-
pétences (APC) naissante et qui se cherchait, plusieurs approches – dont
2. Dans tous ces pays, le BIEF est tantôt intervenu pour accompagner une révision des
curricula dès le départ, tantôt pour aider à réguler une révision des curricula qui apparaissait
insatisfaisante ou incomplète aux yeux des acteurs.
3. Roegiers (2000, 2e éd. 2001).
14 La pédagogie de l’intégration
la pédagogie de l’intégration – tentaient d’opérationnaliser aux différents
niveaux de l’enseignement et de la formation cette fameuse APC tellement
prometteuse. Aujourd’hui, les choses se présentent d’une autre manière,
pour deux raisons. D’une part, l’APC s’est tellement développée dans diffé-
rentes directions que parler d’APC sans préciser ce que l’on met derrière ce
terme n’a plus beaucoup de sens (en 1.9.1, nous parlerons de « nébuleuse de
l’APC »). D’autre part, la mise en œuvre de l’APC sous ses différentes formes
en a révélé les limites et les dérives. La pédagogie de l’intégration n’a pas
été épargnée par cette épreuve de vérité qu’est la confrontation au terrain :
même si elle a montré qu’elle reposait sur des bases solides – même plus
solides qu’espéré sur le plan de l’efficacité et de l’équité –, elle n’en n’a pas
moins été obligée de se remettre en question dans différents aspects de sa
mise en œuvre. Mais surtout, elle a pris des distances avec certaines maniè-
res de concrétiser l’APC, voire même avec l’APC elle-même. Aujourd’hui,
l’enjeu n’est plus de justifier à tout prix qu’il s’agit bien de l’APC : il ne s’agit
plus de construire une approche curriculaire autour de la notion de compé-
tence, mais au contraire de proposer une approche raisonnée, solide, et qui
ne recourt au concept de compétence que parce qu’il lui est utile, notam-
ment pour gérer cette interface entre l’école et la société, à travers ce que
nous qualifierons de « noyau de compétences évaluables ».
La pédagogie de l’intégration apparaît donc comme un cadre méthodo-
logique particulier, une structure à la fois précise et contextualisée pour les
curricula, en vue de mettre en œuvre la conception suivante de l’organisation
des apprentissages : au terme des apprentissages, l’apprenant doit pouvoir
résoudre certains types de situations-problèmes complexes. Le recours au
concept de compétence est commode pour exprimer cette idée : l’apprenant
est-il compétent ou non pour faire face à ces situations-problèmes de façon
satisfaisante ? Peut-il, dans le cadre de sa formation, recourir de façon cir-
constanciée et judicieuse à la variété des acquis de son répertoire pour faire
face, plus tard dans la vie, à des situations-problèmes similaires ?
Si, pour des raisons qui seront largement détaillées plus loin, la pédago-
gie de l’intégration prend des distances avec le modèle actuel de la mondia-
lisation de l’éducation et de la formation – de par sa soumission excessive à
l’économie de profit et ses conséquences en termes de respect de l’humain
–, elle se démarque aussi, bien que de manière plus nuancée, d’une concep-
tion de l’approche par compétences envisagée essentiellement dans son
aspect « processus », qui vise à développer des compétences transversales de
manière générale, à travers des activités riches et variées. Cette conception
est caractérisée par un manque de repères structurants, pourtant indispensa-
bles dans le contexte d’une éducation publique. Porteuse de grands espoirs il
y a une dizaine d’années, elle montre aujourd’hui des signes d’un essouffle-
ment manifeste. La pédagogie de l’intégration propose une conception qui a
la même profondeur, mais plus réaliste, plus outillée, et qui fasse le pont très
concrètement avec l’évaluation des acquis des apprenants.
Introduction 15
L’apport de la pédagogie de l’intégration est parfois difficile à compren-
dre dans la mesure où on a en tête la conception qui a souvent prévalu à
l’écriture des programmes d’études en termes de compétences – celle que
nous avons qualifiée ci-dessus de conception « processus » – : un programme
assez rapidement écrit, dans lequel on énonce un certain nombre de com-
pétences, tous azimuts, dans une optique « développons des apprentissages
les plus variés possibles, il en restera bien toujours quelque chose ». C’est
un dispositif séduisant au premier abord, et qui semble léger, mais dont les
conditions de généralisation sont très exigeantes ; faute de disposer de ces
conditions, il y a un risque évident et avéré de ne s’adresser qu’à une mino-
rité d’enseignants et de formateurs, en termes de changement de pratiques
pédagogiques au quotidien. Dans la conception – plus réaliste et plus outillée
– que nous proposons, il y a une volonté de mieux répartir l’effort au départ,
d’être plus systématique, cherchant par là à faire progresser chaque élève,
chaque étudiant, quel que soit son niveau. C’est dans cette seconde concep-
tion, et avec une visée de développement de toute forme publique d’en-
seignement et de formation professionnelle, que se situe la pédagogie de
l’intégration. Elle propose un chemin qui peut sembler moins séduisant au
départ, même parfois contraignant – notamment en termes de production
d’outils et de dispositifs de formation des enseignants –, mais qui a largement
démontré sa capacité de faire souffler sur l’école et la formation un vent de
changement qui, plutôt que de rester dans les intentions, pénètre au sein de
chaque classe, de chaque auditoire, de chaque lieu de formation.
L’ouvrage est structuré en cinq parties.
• Une première partie décrit tout simplement ce qu’est la pédagogie de
l’intégration.
• Une deuxième partie développe les fondements de la pédagogie de
l’intégration : ses fondements axiologiques (les valeurs sur lesquelles elle
repose), ses fondements historiques, ses fondements théoriques, ses fon-
dements pédagogiques et ses fondements empiriques.
• Une troisième partie présente les enjeux de contenus qui sont asso-
ciés à la pédagogie de l’intégration : quels types de contenus privilégier ?
Comment les articuler ?
• Une quatrième partie développe les concepts de base sur lesquels
repose la pédagogie de l’intégration : concepts de compétence, de res-
source, de situation, de famille de situations.
• Une cinquième partie pose les bases d’un système d’évaluation des
acquis des élèves et des étudiants dans le cadre de la pédagogie de
l’intégration.
Qu’est-ce que la pédagogie
de l’intégration ?
Chapitre 1
Comment se décline-t-elle
aux différents niveaux
d’enseignement et dans la formation ?
1.1 POLITIQUE CURRICULAIRE ET APPROCHE CURRICULAIRE
1.1.1 La notion de politique curriculaire
Pour bien comprendre ce qu’est la pédagogie de l’intégration, il faut d’abord
comprendre ce qu’est une politique curriculaire.
Il s’agit d’un ensemble de valeurs, de finalités, de contenus de base qu’un
système d’éducation ou de formation se propose de mettre en œuvre. Par
exemple, un système éducatif d’un pays sans ressources naturelles se fixe
comme objectif prioritaire de s’ouvrir vers le continent, et vers le monde
entier : la connaissance de plusieurs langues, ainsi que des fondements de
l’informatique constituent le cœur de sa politique curriculaire. Dans un autre
pays, le refus de la montée de l’intégrisme pousse le système éducatif à
18 La pédagogie de l’intégration
vouloir absolument assurer à chaque citoyen une formation de base, et un
métier qui lui permettent de s’insérer dans la société, cette intégration dans
la société étant vue avant tout comme rempart à la pauvreté, et donc aux
foyers d’intégrisme. Un troisième exemple serait celui d’un pays qui aura
connu une période de conflits et qui se propose de mettre l’accent sur les
valeurs de paix, de solidarité et de réconciliation dans une étape de post-
guerre.
Ces trois exemples montrent en quoi, à la base de tout projet éducatif, à
la base de tout curriculum, il y a un projet de société, implicite ou explicite,
qui oriente le système d’éducation ou de formation.
Que préconise cette politique curriculaire ? On y trouve essentiellement :
– les valeurs qui fondent la société, et qui déterminent les finalités
d’un système éducatif, d’un système de formation supérieure ou
professionnelle ;
– les grands choix en matière linguistique : la(les) langue(s) d’enseignement,
les langues étrangères à apprendre ;
– les contenus incontournables qui forgent la culture à véhiculer ; les conte-
nus historiques, littéraires, religieux… ;
– la place de la formation scientifique et technologique (dont les TIC1) ;
– la place de la formation artistique et sportive ;
– les bases de la certification : quel diplôme, pour qui, sur quelles bases, à
quel(s) niveau(x) ?
Tout cela relève de ce que nous qualifierons plus loin de « commande sociale »,
et débouche sur un profil général de l’élève ou de l’étudiant qui sort des étu-
des, primaires, secondaires, professionnelles, universitaires : quelles sont les
caractéristiques attendues de lui au terme de son cursus ?
Le même type de question se pose pour une personne en formation
continue, si ce n’est que la commande est à la fois de type social (par exem-
ple une formation dans le cadre de la réinsertion socioprofessionnelle) et de
type économique (par exemple une formation pour améliorer le fonctionne-
ment d’une entreprise).
1.1.2 La notion de curriculum
Une politique curriculaire s’opérationnalise à travers un curriculum, qui
est un ensemble d’éléments qui contribuent à la mettre en œuvre : profils
de sortie, contenus d’apprentissage, programmes d’études, orientations
pédagogiques, modalités de formation des enseignants / formateurs, moda-
lités d’évaluation, nature du matériel pédagogique…
1. Technologies de l’Information et de la Communication.
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 19
Les éléments constitutifs de la politique curriculaire constituent déjà – de
manière « brute » – les premières bases d’un curriculum, que ce soit un curri-
culum scolaire ou un curriculum de formation : des grandes idées, mais qui
n’ont pas encore fait l’objet d’une mise en forme.
On considère généralement qu’un curriculum comprend trois états
(Demeuse, Strauven & Roegiers, 2006 ; Jonnaert, Ettayebi & Defise,
2009) :
– le curriculum officiel (curriculum prescrit, curriculum formel), qui résulte
des opérations d’ingénierie curriculaire : c’est le curriculum qui est mis à
disposition des enseignants et des formateurs ;
– le curriculum implanté, qui traduit les pratiques effectives, en classe ou
sur le lieu de la formation ; il découle de la mise à disposition des ressour-
ces pour mener les apprentissages ;
– le curriculum maîtrisé, ou curriculum réalisé, tel qu’il est vu à travers les
résultats des apprenants, dans des évaluations à l’échelon local ou inter-
national ; il sert de référence à l’ajustement du curriculum prévu.
Le schéma suivant traduit ces différents états, et leurs interactions.
POLITIQUE INGÉNIERIE PRATIQUES ÉVALUATION
CURRICULAIRE CURRICULAIRE CURRICULAIRES CURRICULAIRE
Curriculum Curriculum Curriculum
Intentions
prévu implanté réalisé
Figure 1. Schéma des états d’un curriculum
Nous préférons la formulation « curriculum prévu » parce que les autres for-
mulations prêtent à confusion :
– la formulation « curriculum prescrit » laisse penser qu’un curriculum
est élaboré par une instance supérieure et imposé aux acteurs, alors
qu’aujourd’hui – et en particulier dans la pédagogie de l’intégration –, un
curriculum fait souvent l’objet d’une élaboration conjointe par un ensem-
ble d’acteurs représentatifs des différentes catégories d’acteurs ;
– les formulations « curriculum formel » et « curriculum officiel » évoquent un
ensemble rigide et inamovible, alors qu’on considère aujourd’hui qu’un
curriculum est un ensemble qui certes comprend un noyau solide, mais
qui s’ajuste aussi progressivement au fil du temps, en particulier sous
l’effet des évaluations menées au niveau du curriculum réalisé.
20 La pédagogie de l’intégration
1.1.3 L’ingénierie curriculaire : un cadre méthodologique
pour mettre en œuvre une politique curriculaire
Quoi qu’il en soit, pour être mise en œuvre au quotidien, une politique cur-
riculaire doit faire l’objet d’une traduction opérationnelle. On entre ici dans
l’ingénierie curriculaire, qui transforme des intentions pédagogiques en un
curriculum structuré – le curriculum prévu –, en vue de les mettre en œuvre
de manière concrète dans la classe ou dans le lieu de formation. Par exem-
ple, la PPO était une approche qui relevait de l’ingénierie curriculaire. C’est
elle qui organisait la plupart des programmes d’études des années 1970.
L’approche par les standards, dans les pays anglo-saxons, en est une autre,
de même que l’approche par les « compétences » transversales, qui propose
de structurer les programmes autour de celles-ci.
1.1.4 Analyser des approches curriculaires
Il existe une multitude de points de vue et de critères qui permettent d’analyser
une approche curriculaire, ou de comparer entre elles différentes approches
curriculaires. Pour notre part, nous évoquerons souvent, dans cet ouvrage,
quatre dimensions principales qui nous paraissent caractériser les approches
curriculaires d’aujourd’hui, et qui permettent de les différencier entre elles.
1. La profondeur d’une approche curriculaire : de par sa nature, de par ses
principes de fonctionnement, favorise-t-elle plutôt des acquis de surface
ou des acquis de profondeur ? C’est un critère de pertinence d’une
approche curriculaire.
2. La contextualisation d’une approche curriculaire : met-elle plutôt l’ac-
cent sur des profils uniformisés, standardisés, ou sur des profils
contextualisés ? C’est un critère d’efficacité externe d’une approche
curriculaire, en lien avec la question du sens des apprentissages.
3. L’opérationnalité d’une approche curriculaire : propose-t-elle un mode
d’organisation des apprentissages dont le point de départ est l’évalua-
tion des acquis des apprenants, ou considère-t-elle que les acquis des
apprenants peuvent avoir un caractère diffus ? C’est un critère d’effi-
cacité interne d’une approche curriculaire.
4. L’imputabilité d’une approche curriculaire : prend-elle ses responsabili-
tés ? En particulier, estime-t-elle qu’il revient à l’institution d’éducation
ou de formation de réguler les apprentissages auprès de chaque appre-
nant, ou cela revient-il à chaque apprenant, en fonction des moyens
dont il dispose, dans une optique libérale ? C’est un critère d’équité
d’une approche curriculaire.
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 21
1.2 LA PÉDAGOGIE DE L’INTÉGRATION EN BREF
1.2.1 La pédagogie de l’intégration comme approche curriculaire
Un cadre méthodologique
On peut définir la pédagogie de l’intégration2 comme un de ces cadres métho-
dologiques qui relèvent de l’ingénierie curriculaire3. Comme toute approche
curriculaire, elle se situe en aval de la politique curriculaire, et en amont des
pratiques pédagogiques. Elle gère les interfaces de manière très précise, tant
avec la politique curriculaire qu’avec les pratiques curriculaires.
Approche curriculaire
POLITIQUE INGÉNIERIE PRATIQUES
CURRICULAIRE CURRICULAIRE CURRICULAIRES
Quel projet éducatif Quel cadre Quelles pratiques
pour quel projet méthodologique d’apprentissage
de société ? de mise en œuvre au quotidien ?
Quelles finalités ? de la politique Quelles pratiques
Quels contenus ? curriculaire ? d’évaluation ?
Curriculum Curriculum
Intentions
prévu implanté
Zone couverte par la pédagogie
de l’intégration
Figure 2. Schématisation de la zone d’influence d’une approche curriculaire
La pédagogie de l’intégration propose donc un mode d’organisation des
apprentissages et de l’évaluation au sein d’un système éducatif, ou d’un sys-
tème de formation. Elle prend appui sur les valeurs défendues par le système
à travers le projet éducatif, et encourage un choix raisonné et pertinent des
méthodes pédagogiques. En cela, elle permet d’articuler une politique curri-
culaire et les pratiques de formation.
Pour prendre l’analogie avec la construction d’une maison, la pédagogie
de l’intégration joue le rôle de l’architecte, entre un projet de construction
2. De Ketele (1996) ; Roegiers (2000, 2003, 2004) ; Miled (2005).
3. Ou encore cadre méthodologique de mise en œuvre pratique de l’approche par
compétences, Royaume du Maroc, Ministère de l’Éducation Nationale, de l’Enseignement
Supérieur, de la Formation des Cadres et de la Recherche Scientifique, Pour un nouveau
souffle de la réforme de l’Éducation-Formation, Rapport détaillé du Programme d’Urgence
2009-2012, juillet 2008.
22 La pédagogie de l’intégration
du client, et la mise en œuvre par l’entrepreneur. Tout comme l’architecte
élabore un projet selon les désirs du client, la pédagogie de l’intégration pro-
pose une organisation des apprentissages conforme aux orientations expri-
mées par le politique et aux résultats escomptés par lui.
Le cadre méthodologique est important, car c’est lui qui fait le lien entre
d’une part les orientations voulues par le système d’éducation ou de forma-
tion, qu’elle traduit en démarches appropriées d’enseignement/apprentis-
sage/évaluation, et d’autre part les pratiques pédagogiques éclairées par ces
démarches selon les spécificités des disciplines et des contextes immédiats.
Il serait légitime de se demander s’il faut orienter les pratiques de classe,
les pratiques de formation, ou si, au contraire, il convient de laisser à chaque
enseignant, à chaque formateur, la liberté de choisir ses pratiques. C’est un
débat fondamental, dont les enjeux sont liés à un projet de société, à un
projet politique, qui renvoie à la question suivante : « Veut-on une école publi-
que ? Veut-on promouvoir l’éducation pour tous ? ». À une extrémité, on a un
système libéral, qui prône la liberté d’action ; à une autre extrémité, on a un
système enfermant, qui enlève toute initiative à l’enseignant, en lui donnant
des directives trop contraignantes. Entre les deux, il y a, pour les pouvoirs
publics, l’option d’accorder à chaque enseignant, à chaque formateur, à cha-
que établissement, un large espace d’autonomie, tout en introduisant des
mesures de régulation qui permettent une éducation de qualité pour tous.
La régulation traduit ce souci d’un résultat conforme au projet éducatif de
départ.
Nous reviendrons plus loin sur ce débat.
Si on regarde à la loupe la zone couverte par la pédagogie de l’intégra-
tion, on voit que, comme tout cadre d’ingénierie curriculaire, celle-ci s’inté-
resse à l’ensemble des composantes d’un curriculum, en les interpellant sur
leur contribution au projet éducatif global.
s 1UELLE STRUCTURATION DES PROGRAMMES
DÏTUDE
s 1UELLE FORMULATION DE CES PROGRAMMES
INGÉNIERIE
s 1UELLE ORGANISATION DES APPRENTISSAGES
CURRICULAIRE
s 1UELLES STRATÏGIES DENSEIGNEMENT
1UEL CADRE
APPRENTISSAGE
MÏTHODOLOGIQUE
s 1UELLES CONDITIONS DAPPRENTISSAGE
DE MISE EN UVRE
s 1UELLE ÏVALUATION FORMATIVE ET CERTIFICATIVE
DE LA POLITIQUE
s 1UELLE FORMATION DES ENSEIGNANTS
CURRICULAIRE
ET DES FORMATEURS
s 1UEL MATÏRIEL DIDACTIQUE
Figure 3. Détail des questions posées par l’ingénierie curriculaire
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 23
Il apparaît clairement aujourd’hui que, dans de nombreux pays, les réformes,
guidées par le politique, n’ont pas eu les effets espérés sur le terrain, parce
que les opérations d’ingénierie ont été soit insuffisantes pour provoquer les
changements attendus sur le terrain, soit carrément absentes. C’est le cas de
plusieurs réformes récentes relatives à l’approche par compétences, qui se
sont contentées d’émettre des directives générales ou d’élaborer des docu-
ments ou référentiels restés à usages limités, sans un plan d’ensemble de
production d’outils et d’actions de terrain nécessaires pour faire pénétrer la
réforme dans les classes et sur les lieux de formation.
Cela ne signifie pas que des efforts d’ingénierie constituent en eux-
mêmes une garantie absolue de réussite. En effet, dans son processus de
mise en œuvre sur le terrain, une réforme peut connaître des difficultés sous
l’effet de facteurs tels que l’essoufflement, la remise en cause, le blocage de
partenaires syndicaux ou autres non initialement impliqués, la démotivation
des acteurs, ou une mauvaise gestion des moyens. Certes, ces facteurs peu-
vent être anticipés en partie lors de la démarche d’ingénierie, mais la straté-
gie de communication, d’implication des acteurs, de gestion des ressources,
qui sont autant de témoins de la volonté politique de faire aboutir la réforme,
restent des facteurs de réussite incontournables.
Absence de neutralité
Le fait que la pédagogie de l’intégration constitue un cadre méthodologique
ne veut pas dire qu’elle soit neutre. Tout comme le choix de l’architecte
détermine un style architectural, le choix d’un cadre méthodologique de mise
en œuvre d’une politique curriculaire marque tout un système éducatif de son
empreinte.
C’est aussi pour cette raison qu’il est difficile de proposer un compro-
mis valable entre une approche existante et la pédagogie de l’intégration :
que donnerait une maison conçue par deux architectes qui ont des visions
différentes de ce qu’est l’architecture ? En revanche, lorsqu’il s’agit de met-
tre en œuvre la pédagogie de l’intégration au quotidien, elle est ouverte à
toute pratique pédagogique, tout comme plusieurs corps de métiers peuvent
contribuer à construire une maison, à partir d’une base de travail commune :
les plans de la maison.
Nous reviendrons plus loin sur ce qui caractérise la pédagogie de l’in-
tégration et nous verrons en quoi elle a comme préoccupations majeures
l’efficacité et l’équité d’un système éducatif.
De ces considérations, on peut tirer deux premières conséquences directes.
24 La pédagogie de l’intégration
1. La pédagogie de l’intégration s’adapte aux finalités et aux contenus
généraux préalablement fixés par le pouvoir décisionnel.
Par exemple, en formation professionnelle ou supérieure, ce n’est pas
elle qui détermine le type de professionnels ou de scientifiques à former, mais
elle propose une organisation efficace des apprentissages pour arriver aux
profils de sortie souhaités.
Ce n’est pas elle non plus qui détermine quelle est la politique des lan-
gues d’enseignement dans un pays, mais, une fois que celle-ci est délimitée,
elle interpelle sur la manière la plus efficace de la mettre en œuvre.
De même, ce n’est pas elle qui détermine le rôle que doivent jouer les
préoccupations d’environnement dans le programme scolaire, mais elle pro-
pose un mode d’organisation des cours qui rend cette préoccupation la plus
efficace et la plus économique possible.
Cela signifie que la pédagogie de l’intégration est une approche essen-
tiellement contextualisée, mise au service des finalités du niveau d’enseigne-
ment concerné. Elle ne reproduit pas des modèles à appliquer dans tel ou tel
pays, ne vise en rien à uniformiser des contenus des programmes d’études,
ni même à les orienter, mais elle se soucie du fait que ceux qui sont retenus
par les acteurs du système soient mis en œuvre de manière à concourir aux
effets attendus du projet éducatif.
Toutefois, cela ne veut pas dire que la pédagogie de l’intégration soit indif-
férente aux choix des contenus de ces programmes d’études. Au contraire,
à travers le regard analytique qu’elle porte sur les contenus d’un programme
existant, elle entretient avec ceux-ci deux types de relation :
– d’une part, elle s’appuie sur les contenus spécifiques des programmes
pour proposer une mise en œuvre contextualisée tant en termes d’archi-
tecture des apprentissages que d’outils didactiques ;
– d’autre part, elle peut en déceler des complémentarités, des contradic-
tions, des incohérences, ou des redondances de contenus, et proposer
des aménagements en conséquence.
En cela, la pédagogie de l’intégration joue le rôle de révélateur de la cohé-
rence d’un programme d’enseignement ou de formation.
2. La pédagogie de l’intégration n’a pas d’attitude normative en matière
de méthodes pédagogiques.
La pédagogie de l’intégration ne cherche pas à promouvoir une méthode
pédagogique de façon exclusive : selon la discipline, le secteur d’activité pro-
fessionnelle concerné, le contexte, le style de l’enseignant ou du formateur,
le niveau d’enseignement, elle peut tout aussi bien suggérer des pratiques
de type socioconstructiviste que des pratiques plus structurées, ou encore
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 25
une articulation de plusieurs types de pratiques, selon leur pertinence et leur
efficacité méthodologique.
Cela ne veut pas dire non plus qu’elle soit indifférente aux méthodes
pédagogiques. Au contraire, elle s’y intéresse de très près, par souci de cohé-
rence et d’efficacité de l’ensemble : elle suggère des méthodes à privilégier
pour leur contribution efficace aux apprentissages, tout en restant accessible
aux enseignants et formateurs qui pratiquent d’autres méthodes. Au lieu de
prôner de nouvelles pratiques pédagogiques à tout prix, elle vise à tirer des
pratiques actuelles le meilleur d’elles-mêmes, y compris des pratiques les
plus transmissives, et à les faire évoluer très progressivement vers des prati-
ques liées aux pédagogies de l’apprentissage (Altet, 1997, 3e éd. 2006). La
pédagogie de l’intégration interroge donc la pertinence des pratiques d’en-
seignement / apprentissage, tout en n’étant pas attachée à une méthode
pédagogique unique et exclusive.
En cela, elle n’est pas une méthode pédagogique.
En résumé, la pédagogie de l’intégration ne vise ni à proposer des conte-
nus d’enseignement particuliers, ni à privilégier des méthodes pédagogiques
particulières. Elle cherche à articuler, et à mettre en cohérence, de la manière
la plus efficace possible, d’une part les finalités d’un système d’éducation ou
de formation et d’autre part les pratiques de classe au quotidien (pratiques
d’enseignement-apprentissage, pratiques d’évaluation, pratiques de remédia-
tion…) et les pratiques de formation (cours de pratique professionnelle, stage
d’apprentissage professionnel…).
1.2.2 Sur quels principes repose la pédagogie de l’intégration ?
1. En termes de résultat attendu : une approche s’appuie sur un profil
de sortie
La pédagogie de l’intégration repose surtout sur le principe simple selon
lequel, au terme de ses études4, chaque élève, chaque étudiant, doit pouvoir
faire face à une situation complexe, qu’il s’agisse :
– de résoudre certaines situations-problèmes complexes (dans les discipli-
nes scientifiques…) ;
– de produire une réflexion critique contextualisée (en sciences
humaines…) ;
– de réaliser des tâches complexes (dans les langues, les disciplines artisti-
ques et sportives, l’apprentissage d’un métier…).
4. Et y compris quand l’élève est amené à quitter prématurément, pour quelque raison que ce
soit, le système scolaire…
26 La pédagogie de l’intégration
Le terme « complexe » fait référence à une situation qui nécessite d’articuler
plusieurs éléments. Il ne faut pas confondre quelque chose qui est complexe
avec quelque chose qui est compliqué. Par exemple, « Aller faire des courses
en ville » est complexe, parce que ça fait appel à des tas de choses (déplace-
ment, parking, choix, comparaison de prix, paiement…), mais ce n’est pas
compliqué. En revanche, en informatique, « Double-cliquer » peut être très
compliqué pour certaines personnes, mais ce n’est pas complexe : c’est une
opération élémentaire.
Il ne s’agit pas de n’importe quelles situations complexes : elles sont liées
très étroitement à une liste de quelques compétences à maîtriser par chaque
élève, chaque étudiant. Ces compétences sont appelées, selon les niveaux
d’enseignement et selon les pays « compétences de base »5, « compétences
terminales »6, « macro-compétences »7, ou « compétences »8 tout court. Elles
représentent un profil attendu de l’apprenant, et sont donc exprimées en ter-
mes concrets. Par exemple, dans tel pays, et à tel niveau d’enseignement, on
attendra de l’apprenant qu’il soit compétent pour analyser un phénomène
économique relatif à une conjoncture donnée ; à tel niveau, on attendra de
lui qu’il puisse produire un texte argumentatif d’une page, dans une situation
de communication ; dans une formation professionnelle, on attendra de lui
qu’il puisse gérer électroniquement les réservations dans un hôtel familial,
qu’il puisse effectuer les opérations de maintenance sur une installation fri-
gorifique, ou encore qu’il puisse, dans le contexte d’un centre de santé en
Afrique, assurer la prise en charge d’un patient atteint d’une pathologie tro-
picale courante.
Dans un souci de délimiter, de la manière la plus précise possible, ce
qui est attendu de l’apprenant, on précise au maximum les caractéristiques
du type de support sur lequel il va travailler, le type de consigne qui lui sera
proposé, la nature du produit qu’il devra présenter et les critères d’évaluation
sur la base desquels il sera évalué.
2. En termes de processus : une approche situationnelle
La pédagogie de l’intégration est une approche qui met les situations
au cœur des apprentissages : c’est une approche situationnelle, pas uni-
quement en guise d’apprentissages de savoirs et de savoir-faire (Meirieu &
Develay, 1992 ; Ferry, 2003 ; Masciotra, 2004), mais aussi en amont et en
aval de ces apprentissages.
Elle propose deux grandes catégories de situations.
5. Sénégal, Madagascar, Gabon, Mauritanie, Djibouti, Comores, RCA, Cameroun…
6. Algérie, Tunisie…
7. Guatemala, Belgique francophone…
8. Liban, Maroc…
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 27
1. Des situations dont la fonction est d’installer des ressources
Les ressources – au sens de Le Boterf (1995) – sont les savoirs, les
savoir-faire, les habiletés, les savoir-être que l’apprenant, comme n’im-
porte quelle autre personne, mobilise pour résoudre une situation com-
plexe. Sans ressources, il n’est pas possible d’exercer une compétence.
De Ketele (1996) distingue trois types de situations relatives aux
ressources :
– des situations d’exploration : ce sont des situations « a-didactiques »9
dont la fonction est de déstabiliser l’apprenant, à mettre ses repré-
sentations en question ; ces situations sont peu nombreuses quanti-
tativement, elles portent sur quelques concepts clés, mais qualitati-
vement elles sont importantes parce que ce sont elles qui préparent
le terrain pour les apprentissages de ressources ; on peut citer à titre
d’exemples un stage de déconditionnement au début des études
d’instituteur/trice, un « projet intégré » consistant en la création, en
petits groupes, d’un outil technologique en début d’études d’ingé-
nieur, ou encore un bain linguistique au début de l’apprentissage
d’une langue étrangère ;
– des situations didactiques, destinées à mettre en place une ou plu-
sieurs nouvelles ressources, de façon traditionnelle (par exemple un
exposé suivi d’une série d’exercices…), ou selon les pédagogies de
l’apprentissage, c’est-à-dire celles qui mettent l’apprenant au centre
des apprentissages, notamment à travers l’exploitation d’une situa-
tion-problème (une recherche par les apprenants, une enquête, une
étude de cas, un défi…) ;
– des situations de structuration, qui contribuent à organiser le
réseau cognitif des élèves ou des étudiants.
2. Des situations d’intégration, dont la fonction est d’amener l’apprenant
à mobiliser ses ressources pour résoudre un problème, réaliser une tâche
complexe ou produire une réflexion critique contextualisée.
1.2.3 La pratique de la pédagogie de l’intégration
Quel que soit le niveau considéré, les pratiques d’enseignement / appren-
tissage consistent à articuler des situations relatives aux ressources et des
situations d’intégration.
• Dans l’enseignement général obligatoire, il y a généralement alter-
nance de deux types d’apprentissages : les apprentissages ponctuels de
ressources, et les apprentissages de l’intégration. Pendant une période
donnée10, l’enseignant organise des situations visant à développer les
ressources nécessaires aux situations complexes que l’élève sera amené
9. Avec le « alpha » privatif, qui exprime « l’absence de ».
10. Souvent de 5 ou 6 semaines dans l’enseignement général primaire et collégial.
28 La pédagogie de l’intégration
à résoudre : les règles de grammaire, la conjugaison, l’orthographe, les
techniques de calcul, les savoir-faire techniques… Ces apprentissages
sont parfois appelés « apprentissages ponctuels ». Ils sont conduits selon
les meilleures méthodes pédagogiques disponibles dans le répertoire
de chaque enseignant. Au cours d’une période suivante, souvent appe-
lée « module d’intégration »11, l’enseignant suspend provisoirement cet
apport de nouvelles ressources. Pendant tout ce module d’intégration, et
dans tous les cours, les élèves sont invités à résoudre des situations com-
plexes dans lesquelles ils doivent mobiliser ce qu’ils ont appris pendant
les semaines précédentes (les ressources). Pour résoudre ces situations,
selon les contextes et selon les niveaux, les élèves peuvent être invités
à travailler par petits groupes, mais c’est surtout de manière individuelle
qu’ils apprennent à résoudre ces situations.
Plusieurs situations-problèmes différentes, nouvelles à chaque fois, mais
de même niveau de complexité, sont proposées à l’élève, soit à titre
d’entraînement, soit à titre d’évaluation :
– une situation-problème pour s’exercer à travers une résolution inter-
active en tout petits groupes ;
– une autre pour s’exercer à travers une résolution individuelle ;
– une autre pour évaluer ses acquis ;
– éventuellement une autre encore pour remédier à ses difficultés.
Viennent ensuite une nouvelle période d’apprentissages de ressources,
puis un nouveau module d’intégration, et ainsi de suite quatre ou cinq
fois par année scolaire.
• Dans une formation professionnalisante, les activités d’intégration sont
dictées très naturellement par les exigences du métier. Il y a une sépa-
ration moins nette entre les apprentissages de ressources et les appren-
tissages de l’intégration dans la mesure où c’est surtout en situation de
travail professionnel que s’acquièrent les ressources : au lieu d’apprendre
à limer, ou à faire le point de croix « dans le vide », c’est souvent en situa-
tion de production réelle que le stagiaire va acquérir la ressource. Sur le
plan didactique, il est néanmoins utile pour le formateur de distinguer, au
niveau de la planification des apprentissages :
– d’une part, l’apprentissage des ressources, dans lequel ce sont sur-
tout les savoir-faire professionnels qui font l’objet de l’apprentissage
et de l’évaluation ;
– et d’autre part, l’apprentissage de l’intégration dans lequel c’est une
articulation de ressources – des savoirs, mais surtout des savoir-faire
professionnels – qui fait l’objet de l’apprentissage et de l’évaluation.
Les ressources y jouent donc un rôle majeur, mais davantage pour
leur contribution à une tâche déterminée que pour elles-mêmes.
11. Souvent de 2 semaines dans l’enseignement général primaire et collégial.
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 29
• Dans l’enseignement supérieur, les activités d’intégration prennent en
général une autre forme : celle d’un stage, d’un mémoire, d’une acti-
vité complexe interdisciplinaire (un projet, une recherche, etc.). Parfois,
c’est un cours qui assure cette fonction, comme par exemple un sémi-
naire d’intégration qui prépare les étudiants au mémoire12. À ce niveau,
il y a également une séparation moins nette entre les apprentissages
de ressources et les apprentissages de l’intégration : l’intégration y est
davantage une question d’état d’esprit, perpétuellement présent, que la
répartition séquentielle dans le temps. Les étudiants sont amenés d’une
part à découvrir progressivement les ressources, et d’autre part à les
stabiliser parallèlement dans leurs structures mentales grâce à leur utili-
sation comme grilles de lecture, comme outils pour la résolution, et ce,
à travers des démarches d’analyse des situations complexes, des travaux
de production, des comptes rendus de lectures variées, des travaux d’ar-
ticulation interdisciplinaire, des séminaires thématiques, etc.
1.2.4 La nécessité de délimiter les contours d’une famille
de situations
En termes de dispositif pédagogique relatif aux modules d’intégration, il est
nécessaire de disposer d’un réservoir de situations d’intégration de niveau
équivalent. On appelle ce réservoir « famille de situations ».
L’enjeu est, en quelque sorte, de délimiter un contour à l’intérieur duquel
on peut dire qu’une situation complexe est liée à la compétence.
Le contour ne doit pas être trop restreint, sinon les situations sont trop
similaires, et la notion de situation nouvelle disparaît. À l’inverse, ce contour
ne doit pas être trop vaste, sinon on risque de « piéger » l’élève ou l’étudiant
dans une situation pour laquelle il ne possède pas les ressources requises.
Contour délimitant la famille de situations
S4
S5
S1
S6
S2 S3
Figure 4. Représentation schématique d’une famille de situations par un contour
12. EDEF-FOPA, UCL, Louvain-la-Neuve (Belgique).
30 La pédagogie de l’intégration
Dans le schéma ci-dessus, les situations S1, S2, S3 et S4 sont de bonnes
situations-problèmes à proposer aux apprenants, puisqu’à la fois elles sont
situées à l’intérieur du contour, et qu’elles sont suffisamment différentes les
unes des autres. Par contre, la situation S5 est à éviter, en tout cas comme
situation d’intégration, puisqu’elle n’est pas située à l’intérieur du contour : ce
n’est pas une situation qui appartient à la famille de situations visée.
La situation S6 n’est pas non plus une « bonne » situation, puisqu’elle est
trop proche de la situation S2 : quand l’apprenant va la résoudre, il risque
de le faire davantage par analogie avec la situation S2 qu’en la considérant
comme une situation nouvelle qui requiert un traitement spécifique. Une
résolution sans effort de mobilisation judicieuse des acquis, selon la com-
plexité particulière de la situation présente, c’est-à-dire en l’absence d’un
nouveau défi, présente peu d’intérêt sur le plan de l’intégration des acquis
et du développement des compétences, une telle résolution n’étant qu’une
simple répétition ou reproduction d’un schéma procédural connu.
EXEMPLE
Si l’on prend l’exemple de la compétence de « Conduire une voiture en
ville. », les situations S1, S2, S3 et S4 sont les parcours différents à travers
lesquels on peut entraîner la compétence, et l’évaluer : des parcours ni trop
simples, ni trop compliqués.
La situation S5 serait un parcours qui comprend une difficulté exceptionnelle,
comme par exemple une zone inondée. Dans ce cas, la personne se voit
dépassée par l’événement, n’ayant pas les habiletés nécessaires pour y faire
face. Ce n’est pourtant pas pour cela qu’elle n’a pas acquis la compétence.
La situation S6 serait exactement le même parcours que le parcours S2,
à une petite différence près : par exemple, le même parcours à un autre
moment de la journée (légère variation de densité de circulation), ou une
inversion de deux parties du parcours.
L’enjeu est donc de déstabiliser l’apprenant, au sens positif du terme, mais
dans des limites raisonnables, claires et connues de lui.
Plus loin, nous analyserons quelle est la nature de cette déstabilisation,
mais on peut dire que, pour l’essentiel, il s’agit pour l’apprenant de pui-
ser dans ses ressources celles qui conviennent à la spécificité de chaque
situation.
Dans certains niveaux d’enseignement, ces situations sont à construire.
Dans d’autres, en particulier dans les formations professionnalisantes, un
certain nombre de ces situations sont directement accessibles, parce qu’elles
sont tirées de la pratique professionnelle : il faut alors faire un tri de celles qui
se ressemblent, se recoupent, etc.
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 31
1.3 LE NOYAU DE COMPÉTENCES ÉVALUABLES,
CLÉ DE L’ÉDIFICE CURRICULAIRE
Un triple niveau de préoccupation
L’ingénierie curriculaire relative à la structuration d’un curriculum selon la
pédagogie de l’intégration articule trois niveaux de préoccupations.
Le premier niveau est le niveau des valeurs, des finalités du système. C’est
celui de la commande sociale, qui se traduit par un profil général de l’appre-
nant (voir en 1.1.1).
En formation professionnelle, il s’agit du référentiel de métier, du profil
de métier, qui répond aux exigences du métier, tel que souhaité par les spé-
cialistes de terrain et les organisations professionnelles.
Dans l’enseignement général, il traduit la demande sociale, en termes
linguistiques, cognitifs, culturels, socio-affectifs, entrepreneuriaux.
Dans l’enseignement supérieur, il est lié au type de réponse (à court,
moyen ou long terme) que l’on consent à donner aux questions de société
dans lesquelles s’inscrit la formation.
Ce niveau est supradisciplinaire : il transcende les différents cours qui
constituent le cursus de formation.
Ce n’est pas à ce niveau que se différencient les approches curriculaires :
le profil général est une donné de départ, destinée à être opérationnalisée
par une approche curriculaire, qu’il s’agisse de la pédagogie de l’intégration
ou d’une autre approche.
Le deuxième niveau est plus difficile à qualifier : il s’agit d’un niveau inter-
médiaire, qui correspond au niveau supérieur d’objectifs qui figurent dans un
programme, et qui reflète les choix de l’approche curriculaire : les objectifs
généraux pour la P.P.O., les compétences transversales pour l’APC de type
« interdisciplinarité », les standards pour l’approche anglo-saxonne, etc.
Pour la pédagogie de l’intégration, c’est celui des familles de situations
auxquelles l’apprenant doit pouvoir faire face. Chaque famille de situations
est associée à une compétence évaluable13. C’est le niveau du profil spéci-
fique. Il constitue une sorte de passage obligé qui permet de passer de la
demande de la société aux apprentissages à l’école ou sur le lieu de la forma-
tion. Le concept de compétence se présente donc comme un outil métho-
dologique qui permet d’articuler la demande sociétale et le fonctionnement
scolaire approprié.
Le terme « noyau de compétences évaluables » indique que ces compé-
tences doivent être rédigées à la fois :
13. Parfois appelée compétence de base, compétence terminale ou macro-compétence.
32 La pédagogie de l’intégration
(1) en termes complexes (elles doivent couvrir un nombre important de
ressources, et donc être en petit nombre ; c’est pour cela qu’on parle de
noyau),
(2) et en termes concrets (elles doivent être évaluables).
Exemple 1. On attendra d’un élève de fin de deuxième primaire qu’il puisse
réagir de façon efficace à une situation de communication qui requiert un
message oral ou écrit de deux ou trois phrases, en interaction avec un inter-
locuteur (compétence 1). On attendra aussi de lui de pouvoir résoudre une
situation-problème en mathématiques qui requiert l’utilisation des quatre opé-
rations fondamentales sur les nombres entiers de 1 à 100 (compétence 2).
Exemple 2. De même, on demandera à un mécanicien de pouvoir diagnosti-
quer une panne sur un moteur diesel ou à essence (compétence 1), et de pou-
voir réparer une panne sur les mêmes types de moteurs (compétence 2).
On pourrait penser que ce deuxième niveau est celui de l’évaluation. Ce
n’est vrai qu’en partie : si ce niveau est bien celui de l’évaluation – ou plus
exactement de la conception de l’évaluation et de sa mise en cohérence
avec le profil général ou le référentiel métier –, c’est aussi celui des appren-
tissages liés au développement des compétences. Il ne faut donc pas réduire
ce niveau à l’évaluation : dans un premier temps, l’apprenant apprend à
mobiliser ses acquis dans des situations complexes, et ensuite on évalue son
potentiel à pouvoir le faire : c’est la compétence.
Les compétences peuvent être disciplinaires ou interdisciplinaires, selon
ce que le système éducatif attend, mais aussi selon ce qu’il est en mesure de
traiter. Mais si on les exprime de manière interdisciplinaire, il faut être cohé-
rent jusqu’au bout, et répondre aux exigences que ce type de formulation
requiert : des énoncés en petit nombre, et évaluables.
Avant de définir des compétences en termes interdisciplinaires, il convient
de vérifier si le système a la capacité de pouvoir traiter de manière efficace
des questions interdisciplinaires. En effet, il n’y a pas d’obstacle ni théorique
ni méthodologique, à la mise en place de l’interdisciplinarité. Il y a toutefois
un obstacle lié aux pratiques : souvent, à part quelques enseignants, le terrain
n’est pas prêt à mettre en œuvre l’interdisciplinarité, ceci pour plusieurs
raisons :
– parce que les programmes d’études ne prévoient pas l’interdisci-
plinarité ;
– parce que les enseignants ont été formés dans une discipline unique ;
– parce que les horaires sont cloisonnés selon les différents cours ;
– parce que cela demande un temps supplémentaire de préparation pour
des activités interdisciplinaires ;
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 33
– parce qu’il n’est pas évident que deux enseignants acceptent de collabo-
rer, et de mener ensemble une activité qui couvre deux cours différents ;
– parce que souvent les manuels scolaires ne prévoient pas d’activités
interdisciplinaires ;
– etc.
C’est la raison pour laquelle, aussi intéressante soit-elle, l’interdiscipli-
narité en tant que pratique généralisée à l’ensemble d’un système éduca-
tif doit être davantage vue comme une perspective à moyen terme, vers
laquelle il convient de s’engager progressivement, compte tenu du fait que
les situations qui nous entourent requièrent de plus en plus une approche
interdisciplinaire.
Le troisième niveau est celui des ressources.
Ce niveau concerne l’ensemble des apprentissages de savoirs, de savoir-
faire…, menés dans une optique à la fois sommative, une optique d’accumu-
lation, mais aussi dans une optique analytique, une optique de décomposition
d’une difficulté. On parle souvent d’acquis de l’apprenant, ces acquis étant
d’ailleurs dans certains cas des « préacquis » lorsqu’ils sont vus du point de vue
de ce qui est nécessaire pour un apprentissage ultérieur. Dans une approche
« contenus », ces apprentissages constituent un but en soi. Dans la P.P.O., ces
apprentissages correspondent à autant d’objectifs spécifiques. La pédagogie
de l’intégration les voit pour sa part comme des ressources nécessaires pour
exercer les compétences.
Ces ressources ne sont donc pas « ressources » pour toutes les approches.
Lorsqu’on utilise le terme « ressources », on adopte déjà le point de vue de
la pédagogie de l’intégration, selon lequel ces apprentissages ne sont pas
menés pour eux-mêmes, mais pour être mobilisés.
Pour la pédagogie de l’intégration, le terme « ressource » englobe tout ce
que l’apprenant doit avoir en sa possession pour pouvoir exercer sa com-
pétence, c’est-à-dire pour pouvoir faire face à une situation complexe, et la
mener à bien, en toute autonomie. Les ressources sont de plusieurs ordres :
– les ressources cognitives (les connaissances, les concepts, les règles…) ;
– les ressources psychomotrices (la dextérité, l’agilité…) ;
– les ressources affectives (la maîtrise de soi, la prudence…) ;
– etc.
Les ressources englobent des éléments désignés par toute une série de ter-
mes pédagogiques : savoirs, savoir-faire, capacités, habiletés, etc.
34 La pédagogie de l’intégration
Dans l’enseignement, on parle plutôt de savoirs, de savoir-faire, de
savoir-être, de capacités, de « life skills »…
Dans la formation professionnelle, on parle plus volontiers de savoir-faire
professionnels, de capacités psychosociales, de capacités transversales…
Par le passé, beaucoup d’énergie a été consacrée par chaque système
d’éducation et de formation pour s’approprier ces termes, et les distinguer
entre eux en vue d’en faire un langage commun pour les acteurs qui sont
amenés à travailler ensemble.
Aujourd’hui, on ne met plus autant d’énergie que par le passé à diffé-
rencier les types de ressources : on considère que ce qui est important, c’est
d’identifier l’ensemble des ressources qui se rapportent à une compétence
donnée. On les range donc dans un même « panier » selon qu’elles servent
une compétence ou l’autre ; le fait de les catégoriser avec précision, à l’inté-
rieur de chaque panier, selon des étiquettes « savoir-faire », « capacités », « habi-
letés », etc., passe au deuxième plan.
Ce troisième niveau n’est pas seulement celui de l’identification des
ressources. Il est également – et surtout – celui de tout ce qui peut faire
l’objet d’apprentissages spécifiques en salle de classe, ou sur le lieu de la
formation.
On peut représenter ces trois niveaux par le schéma suivant.
Niveau 1
Niveau des valeurs (profil général)
Niveau 2
Niveau du type de situations-
problèmes à résoudre,
ou de tâches complexes
à effectuer (noyau de compétences
évaluables = profil spécifique)
Niveau 3
Niveau des ressources
(connaissances et savoir-faire)
Figure 5. Niveaux de référence dans l’élaboration d’un curriculum
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 35
N.B. Cette structuration est indépendante du nom qu’on donne aux diffé-
rents niveaux. Autrement dit, les étiquettes – c’est-à-dire les noms que l’on
donne aux différents niveaux – ne sont pas importantes. Ce qui est impor-
tant, c’est de repérer à tout moment ce qui relève du niveau 1, du niveau 2
et du niveau 3.
Une démarche en forme de sablier
Ces trois niveaux occupent des fonctions différentes au sein d’un curriculum.
On peut les schématiser sous la forme d’un sablier, représentant la démarche
du concepteur de programmes en termes de pédagogie de l’intégration.
Attentes de la société au plan…
Culturel Artistique Techologique
Professionnel
Social Religieux
Linguistique (profil de métier)
Niveau 1
Valeurs
Profil général
Types de situations Démarche
Niveau 2 complexes = du concepteur
(profil spécifique) noyau du curriculum
de compétences
évaluables
Niveau 3
Ressources
Savoirs Capacités
Habiletés Savoir-être
transversales
Techniques Savoir-faire Capacités
Capacités professionnels psychosociales
Figure 6. L’élaboration d’un curriculum vue par le concepteur du curriculum
36 La pédagogie de l’intégration
La clé de la construction curriculaire, c’est le niveau 2 : c’est à ce niveau que
l’on précise un profil évaluable, c’est-à-dire que l’on articule la demande socié-
tale à l’organisation des apprentissages. C’est un passage obligé aujourd’hui,
pour tout système d’éducation ou de formation qui veut se structurer à partir
des profils de sortie.
Les compétences évaluables ne sont donc pas prédéterminées, comme
les contenus-matières, ou les valeurs. Elles doivent être vues comme une
construction commode, une sorte d’ « astuce pédagogique » qui permet de
passer d’une commande sociale à des contenus, et vice versa. Ce faisant, la
compétence change le regard qu’on a sur le contenu : de contenu qu’il était,
il devient ressource. Comme le dit Michel Develay14 :
« Une compétence est une potentialité qui permet de réaliser le couplage
entre des connaissances15 d’une part, et des performances d’autre part. »
Nous y reviendrons plus loin.
1.4 LES ÉTAPES DE L’INGÉNIERIE CURRICULAIRE
SELON LA PÉDAGOGIE DE L’INTÉGRATION
La séquence présentée ci-après montre en quoi consiste le travail d’élabora-
tion de ce cadre curriculaire. Les trois niveaux de contenus suggèrent éga-
lement des étapes logiques pour la construction d’un curriculum selon la
pédagogie de l’intégration, du point de vue du responsable des curricula.
Niveau 1. Niveau des valeurs (profil général)
Étape 1 : formulation, de manière claire, du profil de sortie de l’élève ou de
l’étudiant au terme d’un cycle d’apprentissages : qu’attend-on de lui, d’elle ?
On parle de profil général.
Exemple relatif à la conduite d’une voiture : « Se déplacer de manière autonome
et responsable »
Niveau 2. Niveau des compétences évaluables (profil spécifique)
Étape 2 : définition, à titre de points de repère, de quelques situations-pro-
blèmes complexes « types », auxquelles chaque élève, chaque étudiant, doit
pouvoir faire face, au terme de ce cycle (et donc par rapport auxquelles il
14. Propos tenus lors du séminaire de l’OIF à Yaoundé, en mai 2009.
15. Ce terme est à prendre au sens large de « ressources ».
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 37
doit démontrer sa compétence). Cela peut être identifié aussi à travers des
tâches complexes à réaliser.
Ces situations-problèmes sont des situations d’intégration, ou des situa-
tions « cibles ».
Exemple relatif à la conduite d’une voiture : Quelques parcours « types », d’un
point A à un point B
Étape 3 : traduction de ces situations à travers quelques énoncés de compé-
tences (en très petit nombre), qui constituent le profil de sortie spécifique de
l’apprenant.
C’est le noyau des compétences évaluables, évoqué ci-dessus. Les termes
utilisés le plus fréquemment pour désigner ces compétences sont : com-
pétence (tout court), compétence de base, compétence terminale,
macro-compétence.
Il s’agit de la compétence de « réinvestissement des acquis » en situation, qui
requiert la mobilisation d’une large gamme de ressources. Il ne s’agit donc
pas de capacités comportementales, ou transversales, qui, elles, sont des
ressources.
Exemple relatif à la conduite d’une voiture : La compétence « conduire une voiture
en ville »
Étape 4 : délimitation de la famille de situations associée à chaque
compétence.
a) Retour aux situations complexes de l’étape 2 : identification de quelques
situations d’intégration pour chaque énoncé de compétence : chaque situa-
tion est le témoin de la compétence.
Il s’agit de construire des familles de situations.
Un élève / étudiant maîtrise la compétence (est compétent) à partir du
moment où il peut résoudre seul n’importe laquelle de ces situations, ceci
aux conditions suivantes :
– il ne l’a jamais rencontrée (la situation est nouvelle) ;
– elle se situe bien à l’intérieur du périmètre de la famille de situations,
c’est-à-dire que la situation possède bien les caractéristiques communes
d’appartenance à cette famille.
Exemple relatif à la conduite d’une voiture : choix de quelques parcours équiva-
lents, chacun étant représentatif des principales difficultés
b) Identification des principales caractéristiques communes aux situations
d’une même famille.
Il s’agit de délimiter le contour de cette famille de situations avec le plus de
précision possible, pour permettre à ceux qui doivent en identifier ou en
construire des nouvelles de pouvoir dire si elle fait partie du contour, de la
famille de situations.
Ces caractéristiques des situations qui appartiennent à la même famille, on
les appelle souvent les paramètres de la famille de situations.
38 La pédagogie de l’intégration
Exemple relatif à la conduite d’une voiture
Chaque parcours doit :
• se situer dans une fourchette de 10 à 15 km (paramètre 1) ;
• comprendre au moins un dégagement de carrefour (paramètre 2) ;
• comprendre au moins une « zone 30 » (paramètre 3) ;
• etc.
C’est dans ce contour et selon ces paramètres que les enseignants seront
appelés à élaborer, dans un esprit de créativité d’autres situations similaires
en fonction de leurs contextes de classe.
Étape 5 : détermination de quelques critères d’évaluation, permettant de dire
à partir de quand on considère qu’un élève ou un étudiant a résolu une situa-
tion complexe ou exécuté une tâche complexe de manière satisfaisante :
autrement dit, quand il est compétent pour cette compétence-là.
Ces critères doivent être en petit nombre, pour que ce soit gérable.
L’atteinte de ces critères sera objectivée via des indices observables
(indicateurs).
Exemple relatif à la conduite d’une voiture :
• Critère 1 : respect du code de la route en situation
• Critère 2 : fiabilité de la conduite
Niveau 3. Niveau des ressources
Étape 6 : identification des ressources – savoirs, savoir-faire, savoir-être,
capacités… – qui doivent être installés chez l’apprenant pour qu’il puisse
résoudre ces situations d’intégration, c’est-à-dire pour qu’il ait toutes ses
chances de devenir compétent.
Exemple relatif à la conduite d’une voiture :
• savoirs : le code de la route, l’emplacement des commandes…
• savoir-faire : embrayer, allumer les phares, lire la jauge de carburant…
• savoir-être : la prudence, les réflexes, la courtoisie…
On peut aussi construire quelques situations d’apprentissage des ressources,
mais on sort là du domaine de l’ingénierie curriculaire pour entrer dans les
pratiques curriculaires.
Si les principes sont les mêmes quel que soit le niveau concerné – de l’édu-
cation préscolaire à l’enseignement universitaire –, la manière dont ces prin-
cipes s’opérationnalisent varie très fort selon le niveau, et selon la discipline
ou le secteur professionnel concerné :
– des familles de situations qui mettent plus l’accent sur la mobilisation de
l’outillage conceptuel (enseignement secondaire supérieur16, ou forma-
tion universitaire) que sur la mobilisation d’un outillage fonctionnel (for-
mation professionnelle) ;
16. En Belgique.
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 39
– des familles de situations qui représentent un périmètre limité (édu-
cation préscolaire, enseignement primaire), ou très large (formation
universitaire) ;
– des familles de situations surtout dictées par les exigences de la vie quo-
tidienne (par exemple l’enseignement primaire), de la vie professionnelle
(formation professionnelle), du développement de capacités intellectuel-
les (les maths au secondaire ou à l’université), de la poursuite des études
(l’enseignement secondaire supérieur)… ;
– des familles de situations à forte dimension socio-politique (comme celles
qui sont liées au développement durable, ou celles qui font appel aux
« life skills », aux compétences citoyennes), ou des familles de situations
plus neutres sur le plan des valeurs ;
– des familles de situations qui, de par leur nature, comprennent une infi-
nité de situations (par exemple en langues), ou un nombre assez limité de
situations (par exemple en chimie, à certains niveaux) ;
– des familles de situations qui prêtent à une résolution selon le mode
« papier-crayon » (cours généraux…), ou celles qui nécessitent de confron-
ter l’apprenant avec le réel (formation professionnelle, éducation physi-
que, éducation artistique…).
On peut aussi voir de fortes différences à travers ce qu’on peut appeler le
cycle d’intégration de chaque cours, lié à la spécificité de la discipline. De
quoi s’agit-il ? Il faut savoir que toutes les disciplines se prêtent à un décou-
page en compétences, c’est-à-dire en familles de situations. Aucune disci-
pline n’échappe à cette logique, même si, comme nous venons de le voir,
chaque discipline possède ses caractéristiques propres. Mais, selon la logique
de la discipline, il est possible de développer l’intégration de manière per-
manente, ou au contraire il faut attendre un certain temps avant d’envisager
une réelle intégration.
Dans le cas des langues, une leçon de grammaire sur l’interrogation
peut déboucher immédiatement sur une situation de jeu de rôles où un élève
demande des informations à d’autres élèves sur un sujet précis. Prenons
aussi le cas des mathématiques. Dans l’enseignement primaire, là où les
mathématiques sont surtout orientées vers la résolution de situations de la
vie quotidienne, des situations d’intégration peuvent émerger à tout moment
du développement des ressources : que l’élève apprenne à calculer l’aire du
rectangle ou à transformer une fraction en pourcentage, on peut facilement
trouver des situations dans lesquelles il est amené à mobiliser des nouvelles
ressources, aux côtés d’autres ressources. Autrement dit, on travaille sur des
cycles « ressources – situations d’intégration » très rapprochés. Il en va de
même des mathématiques au collège, et même des mathématiques dans le
secondaire, dans les séries littéraires, ou économiques et sociales, où la mise
en œuvre des acquis dans différents domaines (économie, statistiques…) est
40 La pédagogie de l’intégration
relativement aisée, parce que l’apprentissage des mathématiques y apparaît
plus volontiers comme étant au service des autres disciplines. Par contre,
dans les séries scientifiques du secondaire, le développement de certaines
ressources (comme par exemple les intégrales, les dérivées, le calcul vecto-
riel, les limites…) nécessite un temps beaucoup plus long et il faudra souvent
attendre les études d’ingénieur ou d’autres études scientifiques pour pouvoir
en faire une mise en œuvre dans des situations d’intégration. Autant il est
assez aisé, à ce niveau, de proposer de simples applications de la notion
d’intégrale, autant des situations qui nécessitent la combinaison de la notion
d’intégrale avec d’autres notions ne pourront se traiter qu’au-delà de l’en-
seignement secondaire. On travaille sur des cycles « ressources – situations
d’intégration » beaucoup plus longs.
Les tableaux ci-après proposent à titre indicatif, pour chaque étape de
l’élaboration du cadre curriculaire, le type de réflexion, de questionnement
susceptible d’orienter les décisions des concepteurs de curriculum.
Ce premier tableau concerne d’une part le préscolaire, et d’autre part le
primaire et le collège17, qui couvrent en général la scolarité obligatoire, bien
que cette notion varie d’un pays à un autre.
Étapes Préscolaire Primaire et collège
Étape 1 • Profil général en termes À partir de la demande
Formulation d’un psycho-sensori-moteur, sociale,
profil général de socio-affectif… – en termes linguistiques
sortie de l’élève • Quelles langues doivent – en termes cognitifs
être maîtrisées ? – en termes culturels
• … – en termes socio-affectifs
– en termes
entrepreneuriaux…
Étape 2 Ces situations doivent sur- Ces situations se rapportent
Définition, à titre de tout décrire à quels types de à:
points de repère, sollicitations doit répondre • la vie courante
de quelques situa- un enfant qui arrive en pri- • la continuation des études
tions-problèmes maire, comme par exemple
complexes « types » s’orienter dans l’espace,
auxquelles chaque ou exécuter une consigne
élève, doit pouvoir donnée oralement en langue
faire face d’enseignement.
Étape 3 • Les compétences sont • Nécessité de limiter le nom-
Traduction de ces définies à titre de point de bre de compétences par
situations à travers repère, mais elles ne discipline (champ discipli-
17. Enseignement secondaire inférieur dans le système éducatif belge.
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 41
Étapes Préscolaire Primaire et collège
quelques énoncés font pas l’objet d’une naire) et par an (2 ou 3
de compétences formalisation. compétences maximum).
(profil de sortie • Il s’agit de compétences • Selon les cas, elles peu-
spécifique) liées d’une part à l’exécu- vent être disciplinaires, ou
tion de tâches complexes à interdisciplinaires.
réaliser individuellement, et
d’autre part à la participa-
tion à une tâche commune
ou à un projet de groupe
Étape 4 Ce sont des situations Les situations peuvent être
Délimitation de la vécues, plus que des situa- produites à l’échelle nationale
famille de situations tions « papier-crayon » et/ou à l’échelle régionale et/
correspondant à Les paramètres sont surtout ou à l’échelle locale (par les
chaque compé- à voir comme des garde-fous enseignants), selon le degré
tence, et identifica- en vue de maintenir la spécifi- d’autonomisation recherché et
tion des paramètres cité de l’éducation préscolaire réalisable.
de chaque famille (par exemple pour éviter d’en Les paramètres sont sur-tout
de situations. faire un élève de primaire en exprimés en termes :
réduction). • de la nature du support
(textuel, iconographique…),
en qualité et en quantité
• des ressources à mobiliser,
en qualité et en quantité
Étape 5 Il est rare qu’on dépasse deux Les trois critères minimaux
Détermination de critères par compétence, généralement utilisés sont :
quelques critères puisqu’ils sont la plupart du • pertinence de la production
d’évaluation temps à relever auprès de • utilisation correcte des
chaque enfant, dans l’action. outils de la discipline
• cohérence de la production,
ou de la réponse
Étape 6 Les savoir-faire et les savoir- • Équilibre entre savoirs,
Identification être sont prédominants par savoir-faire, savoir-être.
des ressources rapport aux savoirs. • Les savoirs et les savoir-
pour chaque faire sont ceux qui sont
compétence. prévus dans les program-
mes scolaires, ou qui sont
ajustés pour le besoin de
la logique des familles de
situations.
• Les savoir-être et les capa-
cités transversales occu-
pent une place importante.
42 La pédagogie de l’intégration
Ce deuxième tableau concerne d’une part l’enseignement professionnel et
supérieur professionnalisant, et d’autre part l’enseignement universitaire.
Enseignement profes-
Enseignement
Étapes sionnel et supérieur
universitaire
professionnalisant
Étape 1 • À partir d’une réflexion sur Dépend essentiellement de
Formulation d’un l’évolution du métier, et la la vision de la discipline et
profil général de vision du métier que l’on du type de réponse (à court,
sortie de l’étudiant veut privilégier (ex : quel moyen ou long terme) que l’on
type d’ingénieur, quel type consent à donner aux ques-
d’ assistant social veut-on tions de société dans lesquel-
former ?) les s’inscrit la formation.
• À partir de la demande du
marché du travail
• À partir d’une réflexion sur
la qualité du service à ren-
dre à la société civile
Étape 2 Elles sont en lien avec un réfé- Certaines de ces situations-
Définition, à titre de rentiel « métier », et sont issues problèmes sont communes
points de repère, non seulement des grandes à bon nombre de formations
de quelques situa- composantes de l’exer- (ex. le mémoire), mais la plu-
tions-problèmes cice du métier, mais aussi part sont liées la logique de la
complexes « types » de la réflexion sur le métier discipline concernée ou à des
auxquelles chaque (mémoire, travail de fin d’étu- champs disciplinaires (ex. la
étudiant doit pou- des…), ses finalités, l’évolution dissertation, le projet…)
voir faire face de l’identité professionnelle…
Étape 3 Les compétences traduisent Les compétences sont sou-
Traduction de ces les différentes facettes du vent liées à des types d’opé-
situations à travers métier, les tâches complexes rations intellectuelles : recher-
quelques énoncés qu’il requiert : par exemple en che, critique littéraire, critique
de compétences termes de planification, de historique, résolution de
terminales (profil de réalisation, de diagnostic, de problèmes…1. Le lien avec un
sortie spécifique) gestion, de formation… profil de sortie est plus ténu.
Étape 4 • Ces situations sont, pour la • De par la nature de la
Délimitation de la plupart, proches de situa- formation universitaire,
famille de situations tions professionnelles, mais les familles de situations
correspondant à préparées pour être gérées sont en général définies de
chaque compé- et évaluées en contexte de manière assez large.
tence, et identifica- formation. • Difficulté, ici, de se départir
tion des paramètres • Ce sont aussi des situations du profil « généraliste »,
de chaque famille de stage en autonomie de conduisant souvent à la
de situations. la part de l’étudiant. simple restitution de savoirs
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 43
Enseignement profes-
Enseignement
Étapes sionnel et supérieur
universitaire
professionnalisant
• Les paramètres précisent
surtout les conditions et
le type de contexte dans
lesquels l’étudiant doit faire
ses preuves, ainsi que les
outils dont il dispose.
Étape 5 Les critères sont surtout des Le recours aux trois critères
Détermination de critères de qualité du produit minimaux suivants se révèle
quelques critères obtenu, mais des critères de souvent efficace :
d’évaluation processus peuvent également • pertinence de la production
apparaître. • utilisation correcte des
Exemples : outils de la discipline
– Adéquation de la solution • cohérence de la production
à la situation rencontrée ou de la réponse
(critère de produit)
– Conformité de la démar-
che, respect des normes
de procédure (critères de
processus).
Étape 6 À l’instar de ce qui se passe En termes de savoirs, de
Identification en entreprise, ces ressources savoir-faire disciplinaires, mais
des ressources sont généralement découpées aussi de capacités cognitives
pour chaque en : de base pour la poursuite des
compétence – savoir-faire professionnels2 études3
– capacités comportementa-
les, psychosociales (savoir-
faire socioaffectifs, savoir-
être)
– capacités transversales
1. Voir en 3.3.1 la notion d’outillage de profondeur.
2. Même s’il ne s’agit pas de compétences au sens de compétences évaluables, les termes
de « compétences techniques », ou « compétences psychosociales », sont couramment
utilisés dans le monde socio-professionnel.
3. Voir en 3.2.3.
44 La pédagogie de l’intégration
Un cycle est absent de ces tableaux, à savoir celui de l’enseignement secon-
daire supérieur (le lycée). On peut dire, dans les grandes lignes que le lycée
relève de deux logiques :
– une logique de continuation de la formation générale, dans le prolon-
gement du collège ; c’est la partie du tableau qui relève de la scolarité
obligatoire qui est la plus proche de cette partie ;
– une logique de préparation aux études supérieures, avec tout ce qui
relève de l’enseignement de spécialité dans une filière donnée ; c’est la
partie du tableau qui relève de l’enseignement universitaire qui est la plus
proche de cette partie.
En formation continue, le même état d’esprit domine. Il faut toutefois distin-
guer deux catégories de formation continue.
Catégorie 1. Les formations continues ponctuelles, qui se centrent sur le
développement d’une ressource particulière, – en général dans le domaine
psychosocial – : mieux communiquer, gérer son stress, gérer son temps…
Ces formations rassemblent généralement des participants ayant des activi-
tés professionnelles diverses.
On est ici dans le développement de ressources. Il existe des situa-
tions d’intégration au sein desquelles la(les) nouvelle(s) ressource(s) est(sont)
mobilisée(s), mais ces situations d’intégration sont spécifiques à l’activité
professionnelle de chaque participant. Autrement dit, on ne peut pas par-
ler de situation emblématique du métier considéré, au sens de Perrenoud18,
puisqu’on travaille sur des métiers très divers. Cette particularité rend difficile
le recours aux situations d’intégration sur le lieu de la formation : c’est à cha-
que participant d’intégrer sur son lieu de travail.
Catégorie 2. Les formations continues qui développent une nouvelle com-
pétence, c’est-à-dire celles qui doivent amener le participant à exécuter de
nouvelles tâches, dans le cadre du développement de son activité profes-
sionnelle, ou encore dans le cadre d’une réorientation vers un autre secteur
d’activité de l’entreprise19 : gérer les stocks, assurer une comptabilité simple
sur un tableur, communiquer par téléphone dans une nouvelle langue, gérer
un projet informatique…
C’est dans ce deuxième cas que la pédagogie de l’intégration prend tout
son sens. Les étapes de la démarche d’élaboration du curriculum peuvent
être décrites comme suit.
18. Perrenoud (2001).
19. Au sein de la même entreprise, ou vers un autre lieu de travail.
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 45
• Étape 1 : détermination du profil de sortie à partir de l’activité profes-
sionnelle visée : le profil de base, ou le profil modifié suite à une évolution
du métier.
• Étape 2 : identification des tâches complexes visées par la formation :
celles que la personne devra exécuter au terme de la formation.
• Étape 3 : énoncé de la compétence nouvelle ou non maîtrisée par les
participants, c’est-à-dire de la compétence à développer au cours de la
formation, en termes complexes et concrets.
• Étape 4 : élaboration d’une situation d’intégration à proposer en fin de
formation
• Étape 5 : utilisation des mêmes types de critères que pour une formation
initiale professionnalisante
• Étape 6 : identification des ressources en termes d’apports du formateur,
de savoir-faire professionnels à développer, de capacités comportemen-
tales, etc.
C’est à partir d’ici que le formateur pense aux aspects didactiques propre-
ment dits : identification ou sélection des situations de formation pour le
développement des ressources : travaux de groupes, recherches par les par-
ticipants, exposés, etc.
1.5 LES PRATIQUES CURRICULAIRES :
COMMENT L’ENSEIGNANT, LE FORMATEUR
MÈNE-T-IL SES APPRENTISSAGES ?
1.5.1 Une autre manière de voir le sablier
Si, du point de vue du concepteur du curriculum20, toute la réflexion prend
comme point de départ ce qui est attendu au terme d’un cycle – c’est-à-dire
le profil général, ainsi que le profil spécifique traduit par des situations d’in-
tégration que doit pouvoir maîtriser chaque apprenant –, l’enseignant ou le
formateur adopte, lui, une démarche inverse, selon une logique chronologi-
que : il contribue au développement de ressources, en recourant aux métho-
des pédagogiques les plus appropriées, et se focalise à un moment donné sur
la mise en place du noyau de compétences évaluables, dans la perspective
d’une contribution au développement du profil général.
20. Ce que nous avons qualifié ci-dessus d’ « ingénierie curriculaire ».
46 La pédagogie de l’intégration
Il suffit de retourner le sablier pour visualiser la démarche de l’enseignant
et du formateur.
Savoirs Capacités
Habiletés Savoir-être
transversales
Techniques Savoir-faire Capacités
Capacités professionnels psychosociales
Niveau 3
Ressources
Types de situations Démarche
Niveau 2 complexes = de l’enseignant
(profil spécifique) noyau ou du formateur
de compétences
évaluables
Niveau 1
Valeurs
Profil général
Attentes de la société au plan…
Culturel Artistique Techologique
Professionnel
Social Religieux
Linguistique (profil de métier)
Figure 7. L’élaboration d’un curriculum vue par l’enseignant ou le formateur
Ce sont les ressources qui apparaissent aux yeux de l’enseignant comme les
premiers éléments de la démarche. L’enseignant ou le formateur peut déve-
lopper, à leur propos, les trois types de situations que nous avons évoquées
en 1.2.2 :
– des situations d’exploration, pour préparer le terrain de nouveaux
apprentissages ;
– des situations didactiques, pour installer une nouvelle ressource ;
– des situations de structuration, pour organiser les ressources.
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 47
Ces trois types de situations sont toutes des situations relatives aux
ressources. On les distingue des situations d’intégration, dont la fonction est
de mobiliser les ressources.
Exemples de situations relatives à des ressources pour la conduite d’une
voiture :
– observation par l’apprenti conducteur de conduites de différents
types (situation d’exploration) ;
– mise en situation pratique par le moniteur pour faire acquérir le
démarrage en côte (situation didactique) ;
– élaboration par l’apprenti conducteur d’une synthèse sur les princi-
paux panneaux de signalisation (situation de structuration).
1.5.2 Des étapes de l’apprentissage
Par rapport aux étapes définies en 1.4, on peut en ajouter trois, qui corres-
pondent à chacun des types de situations relatives aux ressources : situation
d’exploration, situation didactique, situation de structuration.
Si la construction de telles situations relève des pratiques curriculaires
(voir schéma page 21), et non de l’ingénierie curriculaire, l’identification,
uniquement à titre d’exemples, de quelques situations de chaque catégorie
fait souvent partie – dans l’esprit de la pédagogie de l’intégration – du cur-
riculum prévu, ceci dans l’esprit de guider de manière concrète l’enseignant
ou le formateur, avant de le rendre autonome pour construire lui-même des
situations adaptées à son contexte particulier.
Voici quelques exemples et orientations en termes de situations relatives
aux ressources, pour chaque niveau d’enseignement.
Étapes Préscolaire Primaire et collège
Étape 7 Exploration d’un • Bain linguistique et culturel avant
Identification de quel- nouveau milieu de démarrer l’apprentissage
ques situations d’ex- d’une langue étrangère
ploration relatives à
l’installation des princi-
pales ressources
Étape 8 Regroupement fré- À mener au sein de projets pédago-
Identification de quel- quent des activités giques, si possible selon les péda-
ques situations didac- au sein de centres gogies de l’apprentissage. Souvent,
tiques relatives à l’ins- d’intérêt, autour de les apprentissages de ressources
tallation des principales projets, etc. se font pendant 5 semaines, suivies
ressources de 2 semaines d’intégration.
48 La pédagogie de l’intégration
Étapes Préscolaire Primaire et collège
Étape 9 (peu pertinent) • Synthèses accompagnées…
Identification de quel-
ques situations de
structuration relatives à
l’installation des princi-
pales ressources
Enseignement profes-
Enseignement
Étapes sionnel et supérieur
universitaire
professionnalisant
Étape 7 • Stage de • Réalisation de projets
Identification de déconditionnement intégrés visant à introduire
quelques situations certains apprentissages
d’exploration rela-
tives à l’installation
des principales
ressources
Étape 8 • De par la nature de la • Recherches individuelles ou
Identification de formation, visant à rendre en groupes, présentation
quelques situations l’apprenant capable de d’exposés comptes rendus
didactiques relati- donner une réponse inédite de lectures différentes…
ves à l’installation à une situation vécue, il est
des principales souvent difficile de distin-
ressources guer de manière stricte les
situations didactiques et
les situations d’intégration :
l’apprenant intègre en
pratiquant.
Étape 9 • Rapport analytique de fin • Synthèses personnelles…
Identification de de stage d’apprentissage
quelques situations professionnel
de structuration
relatives à l’installa-
tion des principales
ressources
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 49
En formation d’adultes, les situations d’exploration font appel à différentes
techniques : l’analyse d’un contexte socio-professionnel, un jeu de rôle, un
brainstorming, la construction d’un arbre des problèmes21, etc.
Quant aux situations didactiques, elles sont menées de différentes
manières :
– de manière traditionnelle, à travers un exposé avec vidéoprojecteur ;
– sur le poste de travail ;
– à travers une étude de cas ;
– à travers une phase de formation à distance.
Les situations de structuration sont plus rarement exploitées en formation
d’adultes : le passage des situations didactiques aux situations d’intégration
est plus rapide.
La pédagogie de l’intégration considère que le recours aux pédagogies
de l’apprentissage dans les situations didactiques ne constitue pas un but en
soi, mais un moyen pour rendre les apprentissages des ressources les plus
efficaces possibles. Il n’est pas obligatoire non plus : des pédagogiques plus
traditionnelles peuvent être sollicitées pour la mise en place des ressources,
en fonction du style et de la personnalité de l’enseignant.
1.5.3 Les activités menées par l’enseignant ou le formateur
Voici, dans ses grandes lignes, le type d’activités menées par l’enseignant ou
par le formateur dans une perspective d’intégration. Il est difficile de cerner
en quelques lignes la diversité des pratiques, mais la liste suivante peut four-
nir quelques repères pour le faire. Bien que les étapes soient présentées de
façon linéaire, c’est en boucle qu’il faut les envisager.
On voit que la numérotation des étapes, qui répondent à la logique de
l’enseignant ou du formateur, ne correspond pas aux étapes des pages pré-
cédentes, qui répondaient à la logique de la construction du curriculum.
Travail sur le profil de sortie et sur les compétences
1. L’enseignant ou le formateur planifie les apprentissages d’une année ou
d’un module de formation, selon une alternance de moments d’apprentis-
sages de ressources et de moments d’apprentissages de l’intégration22.
21. En relation avec le cycle du projet (Projet Cycle Management).
22. Nous verrons que rien n’exclut que tout se fasse en même temps – c’est même l’idéal –,
mais c’est plus exigeant de la part de l’enseignant, s’il veut travailler avec l’ensemble des
élèves.
50 La pédagogie de l’intégration
Travail sur les ressources
2. Il prévoit quelques situations d’exploration qui se rapportent aux princi-
paux contenus nouveaux à faire acquérir aux apprenants.
3. Il choisit les méthodes pédagogiques les plus efficaces en fonction des res-
sources qu’il doit développer et de son style d’enseignement, et prépare
les situations didactiques. Dans la mesure du possible, il est souhaitable
qu’il recoure au développement des ressources à travers des situations
didactiques qui favorisent la recherche des solutions par l’apprenant, et
la construction des savoirs en petits groupes.
4. Il mène des apprentissages de ressources, en veillant, de temps en temps,
à proposer aux apprenants des situations d’intégration partielle (par la
mobilisation de quelques savoirs et savoir-faire dans une situation-pro-
blème ayant un niveau de complexité moindre que celui d’une situation
d’intégration complète).
5. Il prévoit l’une ou l’autre situation de structuration des acquis.
Travail sur le profil de sortie et sur les compétences
6. À des moments privilégiés (lors des modules d’intégration), l’ensei-
gnant ou le formateur arrête carrément les apprentissages de ressour-
ces, et propose aux apprenants des situations d’intégration à résoudre
individuellement.
7. À travers ces situations d’intégration, il détermine si les apprenants
deviennent compétents (s’ils peuvent résoudre les situations proposées).
Il identifie leurs difficultés, il propose des activités ou exercices de remé-
diation correspondant aux critères non maîtrisés. Ce volet de l’action
de l’enseignant ou du formateur, d’importance indéniable, s’inscrit dans
une démarche d’évaluation formative, dont les fonctions de diagnostic et
de régulation soutiennent l’évolution de chacun vers le profil attendu et
constituent le pilier et le garant majeurs de l’équité.
8. Il reprend une alternance d’apprentissages de ressources et d’activités
d’intégration.
9. Il certifie les acquis des apprenants sur la base de situations complexes,
choisies soigneusement parce qu’elles appartiennent au contour d’une
famille de situations, et parce qu’elles relèvent d’une compétence parti-
culière rattachée à cette famille de situations.
Grâce à cette démarche d’évaluation certificative, l’enseignant ou le forma-
teur atteste du niveau de maîtrise de compétences acquis par l’apprenant
au terme d’un cycle d’apprentissages donnés, en vue de se conformer aux
dispositions administratives qui recommandent l’attribution d’une note.
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 51
Ce cheminement associant l’évaluation certificative et l’évaluation for-
mative montre bien les liens qui les unit, et confirme bien que la pédagogie
de l’intégration ne marginalise pas l’évaluation certificative, contrairement à
certaines représentations erronées estimant que la pédagogie de l’intégration
exclut la note.
On voit dans ces développements que l’enseignant ou le formateur peut
recourir à plusieurs types de situations complexes, qui poursuivent différen-
tes fonctions. Voici, de façon schématique, une présentation des différents
types de situations dont il est question, et de leur fonction23.
Situation
destinée à d’exploration
déstabiliser
l’apprenant
Situation destinée à
Situation
relative aux introduire une
didactique
ressources (des) ressource(s)
exploitée pour introduire
ou pour structurer destinée à
des ressources structurer des
ressources
Situation de
Situation
structuration
exploitée pour apprendre
à intégrer des ressources,
et pour évaluer cette exploitée pour
intégration apprendre à
intégrer un Fonction
ensemble de d’intégration
ressources
Situation
d’intégration
exploitée à formative
des fins d’évaluation
Fonction
d’évaluation
certificative
Figure 8. Représentation schématique des différentes situations d’apprentissage
et d’évaluation selon la pédagogie de l’intégration
23. Adapté de Roegiers (2003 ; 2e éd. 2007).
52 La pédagogie de l’intégration
Ces situations balisent les divers domaines couverts par les apprentissages.
Certaines seront utilisées pour développer des ressources – les explorer, les
installer, les structurer –, d’autres pour apprendre à l’apprenant à faire face
à une situation complexe, et pour évaluer si l’apprenant a atteint le profil
spécifique visé.
1.5.4 Quelles méthodes et techniques pédagogiques
pour quel type de situations d’apprentissage ?
Chaque type de situation fait appel à des méthodes et techniques péda-
gogiques. Celles-ci sont nombreuses et variées. On peut les catégoriser de
différentes manières.
Tardif (1998) et Legendre (2001) distinguent les pratiques enseignantes
qui relèvent du paradigme de l’enseignement et celles qui relèvent du para-
digme de l’apprentissage.
Dans le paradigme de l’enseignement, c’est l’enseignant qui est au cen-
tre des apprentissages, qu’il planifie et organise :
« l’accent est mis sur les procédés d’enseignement plus que sur les processus
d’apprentissage et sur les produits ou manifestations observables de l’ap-
prentissage plus que sur les démarches de pensée ou les processus de rai-
sonnement qui leur sont sous-jacents »24.
Par contre, dans le paradigme de l’apprentissage, ce sont les apprenants qui
sont placés au centre des apprentissages, et qui ont la liberté de cheminer
selon des voies différentes, l’enseignant jouant davantage le rôle de personne-
ressource vis-à-vis d’eux, et intervenant lors de moments de structuration :
« … ce n’est pas parce qu’on enseigne que les élèves apprennent […] c’est
plutôt parce que l’apprentissage est un processus complexe, de nature à
la fois cognitive, sociale et affective, qu’il nécessite des pratiques d’ensei-
gnement particulières, adaptées à la nature même des processus qu’elles
sollicitent. »25
Altet (1997, 2006) distingue pour sa part cinq grands courants au sein des-
quels s’inscrivent les méthodes et techniques :
Le courant « magistro-centré »
Le courant techno-centré
Le courant « puéro-centré
Le courant « socio-centré »
Le courant centré sur l’apprentissage
24. Legendre (2001), p. 15.
25. Legendre (2001), p. 15.
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 53
Ces catégorisations présentent l’intérêt de mettre clairement en évidence les
grands paradigmes de l’apprentissage. La difficulté réside dans le fait que,
la plupart du temps, une technique ou une méthode se situe « à cheval » sur
deux courants, ou plutôt, selon la manière dont elle est exploitée par l’ensei-
gnant, et selon l’état d’esprit dans lequel se situe ce dernier, elle relève plutôt
du paradigme de l’enseignement, ou du paradigme de l’apprentissage.
Tout en faisant des références constantes à ces catégorisations fonda-
mentales, nous préférons, pour organiser ce vaste ensemble de méthodes et
de techniques, privilégier trois critères qui permettent de les classer en des
sous-ensembles cohérents. On retrouve dans ces critères et leur opération-
nalisation les différents paradigmes évoqués ci-dessus.
Critère 1 : s’agit-il d’une méthode/technique qui est généralement considérée
par l’enseignant comme le cœur d’un nouvel apprentissage, ou vient-elle
en appui à l’apprentissage, soit pour préparer celui-ci, soit pour aider à
le transférer ?
Critère 2 : y a-t-il un guidage fort de la part de l’enseignant, avec un produit
prédéterminé, ou la méthode ou technique est-elle ouverte en termes de
contenus ?
Critère 3 : y a-t-il un recours décisif à des ressources externes, à une scéna-
risation, ou la méthode/ technique s’appuie-t-elle essentiellement sur les
ressources de l’enseignant et celles des élèves ?
Ce classement conduit à identifier 7 groupes de méthodes et techniques. Les
deux premiers critères permettent de donner une indication du type de situa-
tion dans laquelle on peut plutôt recourir à chaque méthode ou technique :
situation d’exploration, situation didactique, situation d’intégration comme le
montre le schéma suivant.
Voici, classées par catégories, une liste des différentes méthodes et techni-
ques auxquelles l’enseignant ou le formateur peut recourir.
54 La pédagogie de l’intégration
Méthodes et techniques
relevant plutôt des
situations didactiques
Ressources A. Apprentissage
internes collaboratif
Faible degré
de guidage
Ressources B. Démarche
Constitue le cœur externes scientifique
d’un nouvel
apprentissage Ressources
C. Exposé
internes
Fort degré
de guidage
Ressources
D. Démonstration
externes
Méthodes et techniques
relevant plutôt des
situations d’exploration
Ressources E. Production et
internes organisation d’idées
Prépare un
apprentissage
Prépare ou Ressources F. Recueil
aide à transférer externes d’informations
un apprentissage
Aide à transférer
G. Intégration
un apprentissage
Méthodes et techniques
relevant plutôt des
situations d’intégration
Figure 9. Les différentes méthodes et techniques pédagogiques
N.B. Par définition, l’intégration des apprentissages dans une optique de transfert fait appel
tant à des ressources internes qu’externes (groupe G).
A. Les méthodes et techniques liées à l’apprentissage collaboratif
L’apprentissage collaboratif est une forme interactive de l’organisation
du travail en classe selon laquelle les élèves apprennent les uns des autres.
Il est de type « socio-centré » et repose sur deux principes fondamentaux :
• L’interdépendance positive et la responsabilité individuelle envers le
groupe
• L’apprentissage des habiletés de coopération et l’évaluation par les élè-
ves du fonctionnement en groupe.
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 55
Le caractère intégrateur des apprentissages dans la pédagogie de l’inté-
gration invite à une double démarche dans la construction du savoir : une
démarche individuelle et une autre collective. C’est notamment à travers les
interactions au sein du groupe, les échanges entre pairs et la réflexivité sur
son action que l’apprenant construit son savoir. L’apprentissage collaboratif,
qui se rattache à cette conception de l’apprentissage, contribue – à travers
certaines de ses techniques comme le monitorat, le travail par groupes à
tâches ou par groupes de niveau, le travail par paires, etc. – aux appren-
tissages ponctuels de ressources (situations didactiques). À travers d’autres
techniques, il peut également contribuer à la remédiation (le tutorat, le travail
par groupes de besoins).
B. Les méthodes et techniques qui relèvent de la démarche scientifique
Les méthodes et techniques qui relèvent de ce que l’on appelle « démar-
che scientifique », ou « démarche expérimentale », ont en commun le fait
que l’apprenant se positionne comme un chercheur, qui construit son savoir :
il pose des questions, il observe, il émet des hypothèses, il élabore un dis-
positif expérimental, il recherche des informations, il tire des conclusions.
Plusieurs méthodes et techniques relèvent de cette catégorie : étude de cas,
résolution de problème, méthode de projet ; observation / découverte, expé-
rimentation, etc.
Alors que, dans la catégorie précédente, on se situait dans le paradigme
socioconstructiviste, on se situe ici dans le paradigme constructiviste. Le lieu
privilégié de mise en œuvre de ces méthodes et techniques est celui des
situations didactiques, bien que certaines techniques, comme l’étude de cas,
peuvent être utilisées en guise de situations d’exploration également.
C. Les méthodes et techniques qui relèvent de l’exposé
Ces méthodes et techniques ont en commun le fait, d’une part, qu’elles
sont « magistro-centrées », c’est-à-dire centrées sur le maître, et d’autre part
que c’est la parole, le discours qui est prépondérant par rapport aux actes,
à la pratique.
Elles concernent toute présentation magistrale d’informations ou de
connaissances habituellement dispensées à l’élève ou à l’étudiant. Elles peu-
vent prendre plusieurs formes : conférence, leçon ou cours magistral, sémi-
naire, exposé-discussion… Elles ont pour objectif d’informer, d’expliquer,
d’analyser, des situations ou phénomènes, de synthétiser, d’introduire un
nouveau sujet ou de le rendre plus significatif, de développer une idée, de
convaincre ou de persuader.
Bien qu’en général, dans l’exposé, la communication est à sens unique, la
pédagogie de l’intégration admet qu’un exposé puisse parfois être utile dans
certains apprentissages de ressources. La pédagogie de l’intégration privilé-
gie toutefois en particulier les exposés-débats, ou les exposés-discussions.
56 La pédagogie de l’intégration
D. Les méthodes et techniques qui relèvent de la démonstration et de la
simulation
Les méthodes et techniques qui relèvent de la démonstration sont égale-
ment dites « magistro-centrées » : l’acteur principal est le maître.
Les techniques qui en relèvent sont la simulation, la redécouverte guidée,
le jeu de rôle, le micro-enseignement, la formation à distance…
Même si la pédagogie de l’intégration reconnaît le rôle limité que peuvent
jouer certaines de ces méthodes et techniques, c’est dans les apprentissages
de ressources (situations didactiques) qu’elles peuvent jouer un rôle.
E. Les méthodes et techniques qui relèvent de la production, de
l’échange et de l’organisation d’idées
La réflexion organisée concerne tout processus structuré, toute orga-
nisation pédagogique, dans laquelle l’enseignant accorde une large part aux
idées qui émergent des élèves ou des étudiants. Elle peut se caractériser
par une production d’idées et/ou par un échange d’idées et/ou par une
organisation d’idées.
Dans le premier cas (production d’idées), elle permet l’expression libre,
et donne à l’apprenant la latitude de « manipuler » ses idées pour résoudre
une situation donnée : brainstorming, Phillips 6/6, élaboration progressive…
Dans le deuxième cas, les idées sont débattues entre les apprenants : panel,
débat… Dans le troisième cas, la production de l’apprenant est recueillie
pour être structurée, organisée : arbre à problèmes, poster / affiche…
La réflexion organisée peut intervenir soit à l’occasion des apprentissa-
ges de ressources, lors d’une situation d’exploration ou encore lors d’une
situation didactique. Elle peut également se présenter comme une compo-
sante de l’apprentissage de l’intégration.
F. Les méthodes et techniques qui relèvent du recueil d’informations
La recherche d’informations ou le recueil d’informations est une
démarche dans laquelle une personne (ici l’élève ou l’étudiant) est amenée
à rechercher de l’information pour cerner de plus prés une situation don-
née, que ce soit pour identifier les besoins, poser un choix, former, résoudre
un problème, cerner un phénomène, tester des hypothèses » (De Ketele &
Roegiers, 1991 ; 4e édition 2009).
Alors que la catégorie précédente (production, échanges et organisa-
tion d’idées) portait sur des informations internes (les idées des élèves ou
des étudiants), la présente catégorie repose davantage sur des informations
externes, à recueillir à l’extérieur du lieu de formation.
C’est souvent pour préparer un nouvel apprentissage que l’enseignant
recourt au recueil d’informations. Les principales techniques qui rentrent
dans cette catégorie sont les suivantes : la visite de site, l’interview, l’enquête
ou la recherche documentaire. On est ici dans le courant « puéro-centré ».
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 57
Le recueil d’informations peut intervenir soit à l’occasion des appren-
tissages exploratoires (situations d’exploration), soit encore à l’occasion de
l’apprentissage de l’intégration.
G. Les méthodes et techniques qui relèvent du réinvestissement des
acquis
Lorsque l’on parle de réinvestissement des acquis, il ne faut pas confon-
dre intégration et application. Une application désigne toute mise en
œuvre de notions qui ont été vues au cours, dans une autre situation que
la situation d’apprentissage. Il s’agit d’exercices contextualisés relatifs à une
notion apprise. Non seulement il n’y a pas de combinaison de plusieurs
ressources, mais l’apprenant sait quelle notion il va mobiliser : il ne doit pas
rechercher celle qu’il doit utiliser.
Il en va autrement d’activités d’intégration : l’apprenant doit combiner
plusieurs notions pour résoudre une situation complexe ; de plus, il doit com-
mencer par rechercher, parmi tout ce qu’il a appris, quelles sont les notions
qu’il doit utiliser, dans une optique de transfert.
En simplifiant, on peut illustrer ces notions (exercice, application, situa-
tion-problème d’intégration) par l’exemple suivant26 (SF = savoir-faire) :
SF unique contexte + SF contexte + SF + SF + SF
« Tu as un envoi d’urgence à
« Tu disposes des timbres suivants. réaliser, d’un montant de 65c.
Tu disposes des timbres suivants.
40 + 28 = ? 28c 40c 20c 28c 40c
De quelle somme
Comment fais-tu ? »
disposes-tu au total ? »
(1) (2) (3)
Exercice Application Situation-problème
Figure 10. Comparaison entre les démarches d’exercice, d’application
et de résolution de problème
Les techniques que l’on peut associer à l’intégration des acquis sont la réso-
lution de situations-problèmes d’intégration, le chef-d’œuvre, le TFE…
La pédagogie de l’intégration accorde une attention particulière aux acti-
vités d’intégration parce qu’elle considère que c’est à partir d’elles que doi-
vent s’organiser l’ensemble des activités d’apprentissage et d’évaluation.
26. Adapté de Roegiers (2003, 2e éd. 2007).
58 La pédagogie de l’intégration
1.6 UN SCHÉMA ILLUSTRATIF DE L’ÉLABORATION
D’UN CURRICULUM
Il ressort des précédents développements qu’on travaille sur deux
dimensions :
– la dimension de la mise en œuvre progressive : « politique curriculaire –
ingénierie curriculaire – pratiques curriculaires » ;
– la dimension des contenus de différentes natures : « valeurs – compéten-
ces – ressources ».
Quand on croise les deux dimensions, on obtient le schéma méthodologique
suivant :
Politique Ingénierie Pratiques
curriculaire curriculaire curriculaires
Définition du Identification
Définition
projet éducatif : d’un courant
Valeurs d’un profil Dérivation
finalités et pédagogique en
général axiologique
valeurs de phase avec le
de sortie
référence projet éducatif
Détermination Définition d’un Pratique de
des types de noyau de l’intégration : Dérivation
Compétences pratiques compétences apprentissage pédagogique
à privilégier évaluables et évaluation
Identification des Identification
contenus-matières des ressources
clés à portée cohérentes par Apprentissage Dérivation
Ressources politique, rapport au des ressources didactique
culturelle, noyau des
scientifique… compétences
Curriculum Curriculum
Intentions
prévu implanté
Zone couverte
par la pédagogie
de l’intégration
Figure 11. Schéma méthodologique de l’élaboration d’un curriculum
selon la pédagogie de l’intégration
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 59
Le terme « dérivation » est un terme emprunté à la P.P.O. (Ammerman &
Melching, 1966 ; Birzéa, 1979). Il désigne une opérationnalisation progres-
sive des éléments d’un curriculum, qui consiste à articuler ceux-ci en les pré-
cisant et en les opérationnalisant (par exemple la dérivation des finalités en
un profil de l’apprenant). Il apparaît une dérivation didactique, liée au déve-
loppement des ressources, et une dérivation pédagogique, qui a un caractère
partiellement transversal aux différentes disciplines.
Qu’on examine l’une ou l’autre dimension, la définition d’un noyau de
compétences évaluables est centrale.
Comme nous l’avons déjà précisé, la zone couverte par la pédagogie de
l’intégration déborde un peu de la colonne centrale, dans la mesure où elle
gère les interfaces avec la politique curriculaire d’une part, et les pratiques
curriculaires d’autre part.
La case « Détermination des types de pratiques à privilégier » requiert un
mot d’explication. Elle couvre également le domaine des attitudes, et se tra-
duit à travers certaines capacités-clés à privilégier. C’est bien dans la rubrique
« politique curriculaire » qu’elles ont leur place, parce qu’on est davantage
dans l’intentionnalité, et non dans l’ingénierie curriculaire, qui exige de tra-
vailler sur une conception de la compétence possédant un caractère plus
concret, notamment à travers son caractère évaluable.
Ce schéma met aussi en évidence les carences attestées de la pédago-
gie par objectifs (P.P.O.), où les niveaux intermédiaires étaient pratiquement
absents : tant au niveau de l’ingénierie curriculaire, limitée à l’établissement
d’une liste d’objectifs spécifiques27, qu’au niveau intermédiaire des contenus,
qui, même s’ils sont représentés sur papier par des objectifs généraux, ne
font l’objet d’aucune opérationnalisation.
27. Même si l’idée de profil de sortie est déjà présente dans la P.P.O., elle ne l’est que dans les
intentions, parce que ce profil de sortie n’est pas exprimé de manière à pouvoir être évalué
autrement qu’à travers une somme d’objectifs spécifiques.
60 La pédagogie de l’intégration
Politique Ingénierie Pratiques
curriculaire curriculaire curriculaires
Définition du
projet éducatif :
Finalités finalités et
valeurs de
référence
Détermination
Objectifs des types de
généraux pratiques
à privilégier
Identification des
contenus-matières Élaboration Apprentissage
Objectifs clés à portée d’une liste liés aux Dérivation
spécifiques politique, d’objectifs objectifs didactique
culturelle, spécifiques spécifiques
scientifique…
Curriculum Curriculum
Intentions
prévu implanté
Figure 12. Schéma méthodologique de l’élaboration d’un curriculum
selon la pédagogie par objectifs
Ce tableau met en évidence l’écart qui existe entre les objectifs généraux et
les objectifs spécifiques.
Il montre aussi en quoi, faute d’un niveau intermédiaire évaluable, l’éva-
luation s’est souvent limitée aux objectifs spécifiques.
1.7 LA NOTION D’INTÉGRATION DES ACQUIS
On peut maintenant préciser ce que l’on entend par la notion
d’« intégration ».
1.7.1 Différentes acceptions du terme « intégration »
Quand on évoque l’intégration, on pense tout naturellement, d’un point de
vue sociologique ou ethnique, à l’intégration de personnes :
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 61
– de cultures différentes (intégration interculturelle),
– de races différentes (intégration raciale),
– de générations ou d’âges différents (intégration transgénérationnelle)…
On pense aussi à l’intégration d’enfants à besoins spécifiques dans l’ensei-
gnement ordinaire ou de personnes handicapées dans un milieu profession-
nel, etc. Ce sont surtout les aspects culturels qui prévalent. Tantôt apparaît
seulement l’idée d’enrichissement d’un système par l’adjonction d’un nou-
veau membre, tantôt prévaut l’idée de rassemblement en vue d’un fonction-
nement harmonieux.
Sur le plan de la gestion, en particulier celle d’établissements scolaires,
on parle de « gestion intégrée » d’un système, qui intègre différentes dimen-
sions de la gestion : plusieurs catégories d’acteurs, plusieurs types de problé-
matiques (administratives, économiques, pédagogiques, psychologiques…),
plusieurs formes de gestion. Le terme « intégration » est pris, en l’occurrence,
dans le sens d’une coordination harmonieuse des différentes actions.
Nous appuyant sur ces deux approches de l’intégration, nous voudrions
toutefois mieux circonscrire ce concept en vue de l’appliquer au champ de
la pédagogie.
1.7.2 Les trois composantes de l’intégration
1. Dans le concept d’intégration, il y a tout d’abord l’idée d’interdépen-
dance des différents éléments que l’on cherche à intégrer. On cherche
à savoir ce qui rapproche ces éléments, on met en évidence leurs points
communs, on renforce les liens qui existent entre eux, on tisse un réseau
entre ces éléments, on les rend solidaires entre eux, on les assemble, on
les associe et on les fait adhérer ensemble, mais sans toutefois les fusion-
ner ni les confondre. En un mot, on les regroupe en un système. Le prin-
cipe de base de la systémique, celui selon lequel le tout est supérieur
à la somme des parties traduit d’ailleurs très bien ce premier aspect de
l’intégration lié à l’interdépendance des éléments qui sont intégrés.
2. Néanmoins, le concept d’intégration signifie plus que cela, car si l’on
restait à une simple interdépendance, on ne se situerait pas dans une
logique de l’action. Il y a également toute cette dynamique dans laquelle
tous ces éléments interdépendants sont mis en mouvement et sont coor-
donnés entre eux. L’intégration, c’est donc aussi la coordination de
ces éléments, en vue d’un fonctionnement harmonieux : un petit peu
comme Pinocchio qui, d’un assemblage judicieux de morceaux de bois,
devient un être animé. Pour mettre en évidence ce mouvement que pro-
voque l’intégration, on parlera d’articulation des éléments constitutifs du
62 La pédagogie de l’intégration
système, de mobilisation (ou plutôt de mobilisation conjointe), de réin-
vestissement (des acquis).
3. Dans le concept d’intégration, il y a enfin l’idée de polarisation, c’est-à-
dire que la mise en mouvement des éléments du système concerné ne se
fait pas gratuitement, mais dans un but bien précis, en particulier pour
produire du sens (réaliser une action, obtenir un résultat, produire une
solution, etc.).
1.7.3 Une définition générale de l’intégration
Nous pouvons dès lors définir l’intégration comme une opération par
laquelle on rend interdépendants différents éléments qui étaient dissociés au
départ en vue de les faire fonctionner d’une manière articulée en fonction
d’un but donné28.
1.7.4 Le sens pédagogique du concept d’intégration
Dans le présent ouvrage, nous nous intéresserons plutôt aux aspects péda-
gogiques de l’intégration, c’est-à-dire à ceux qui concernent les apprentissa-
ges eux-mêmes. Le principal aspect concerne la mobilisation conjointe, par
l’apprenant, de différents acquis scolaires dans une situation significative.
C’est ce qu’on peut appeler l’intégration des acquis, ou intégration situa-
tionnelle (Roegiers, 1997).
C’est l’opération par laquelle l’apprenant, face à une tâche complexe à
exécuter ou face à une situation complexe à résoudre :
(1) sélectionne, dans son répertoire cognitif, psycho-sensori-moteur, socio-
affectif, les ressources pertinentes29 dont il dispose – qu’elles relèvent de
son potentiel naturel, ou qu’elles aient été acquises dans son milieu de
vie ou à l’école
(2) mobilise ces ressources et utilise leur interdépendance pour les réinvestir
de manière articulée
(3) en vue d’exécuter la tâche ou pour résoudre la situation-problème.
La notion de complexité est centrale : il n’y a pas d’intégration s’il n’y a pas
de complexité. De plus, dans cette idée d’un réinvestissement d’acquis en
situation, il n’y a pas d’intégration s’il n’y a pas de nouveauté, effective ou
potentielle, c’est-à-dire si la mobilisation des ressources présente un carac-
tère répétitif.
28. Le terme « intégration » n’est donc pas pris dans le sens courant d’« incorporation » ni dans
celui de « concentration ».
29. Les ressources internes, mais aussi externes, voir en 4.1.2.
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 63
Intégration et compétence
L’intégration est le processus intériorisé mis en œuvre par une personne
pour exécuter une tâche complexe. La notion d’intégration renvoie donc à
la notion de compétence : un professionnel compétent est un professionnel
qui peut exercer son métier à un niveau de qualité requis.
Comme nous venons de le voir, une caractéristique est importante
lorsqu’on parle d’intégration : c’est de pouvoir faire face à la nouveauté,
à l’inattendu et à l’inédit. La notion d’inattendu fait partie de l’exercice de
tout métier : l’inattendu crée la nouveauté, que ce soit pour le sportif, l’en-
seignant, l’informaticien ou le mécanicien… En ce sens, on pourrait dire
qu’être compétent, c’est pouvoir faire face à l’attendu comme à l’inattendu ;
la gestion d’une classe, par exemple, comprend une partie imprévisible qu’il
convient aussi de pouvoir prendre en compte.
L’inattendu peut se présenter au quotidien, ou par « pics » : c’est le cas du
pilote de ligne, du chirurgien, du journaliste, du travailleur humanitaire qui,
au quotidien exercent leur métier à un niveau d’intégration en deçà de leur
qualification, parfois même avec une bonne dose d’automatismes – comme
le pilote de ligne qui se met la plupart du temps en pilotage automatique –,
mais pour qui être compétent veut dire pouvoir faire face à ces « pics » : crises,
incidents, accidents…, où le niveau d’intégration s’élève brusquement, car
c’est à ce moment qu’il a le plus besoin de mobiliser des ressources variées
pour surmonter et maîtriser ces « pics ». C’est donc surtout potentiellement
qu’ils sont compétents, et cette compétence se révèle dans ces moments-là.
Les schémas suivants montrent ces façons différentes dont la compétence
d’un professionnel peut se manifester.
Schéma 1
niveau de Pilote de ligne, chirurgien, journaliste…
Sportif, mécanicien,
informaticien, enseignant… compétence reconnu
niveau de
compétence exercé
quotidiennement
Temps Temps
Schéma 2
niveau de Pilote de ligne, chirurgien, journaliste…
Sportif, mécanicien,
informaticien, enseignant… compétence reconnu
niveau de
compétence exercé
quotidiennement
Temps Temps
Figure 13. Représentations schématiques des différentes formes de mobilisation
d’une compétence
64 La pédagogie de l’intégration
Quelqu’un peut donc être compétent (et même expert, voir en 3.3.1), même
si généralement il exécute des tâches mécaniques, voire banales30. Il révèle sa
compétence, dans la mesure où il peut faire face avec succès à un événement
subit qui mobilise son niveau maximum de compétence (schéma 1), voire
même un niveau supérieur au niveau qui était reconnu jusqu’alors (schéma
2) : cette vigilance est une part très importante de sa compétence.
Par ailleurs, suite à cet événement subit, et si celui-ci est traité avec fruit,
il est logique que son niveau de compétence reconnu augmente, comme le
montre le schéma ci-après.
Schéma 3
Pilote de ligne, chirurgien, journaliste…
niveau de
compétence reconnu
niveau de
compétence exercé
quotidiennement
Temps
Figure 14. Représentation schématique de la modification du niveau de compétence
reconnu suite à l’exécution d’une tâche à caractère exceptionnel
Il faut toutefois relativiser cette notion d’inattendu et l’envisager dans ses
justes proportions : la personne ne doit faire face à cet inattendu que si ce
dernier fait partie du périmètre délimité par la famille de situations (voir en
1.2.4). Par exemple, un formateur doit pouvoir faire face à un inattendu du
type « participant difficile », ou « vidéoprojecteur hors d’usage », mais pas à un
inattendu du type « explosion de gaz ».
De manière plus générale, réflexivité, recul critique, vigilance sont consi-
dérés par plus d’un chercheur comme une composante essentielle de la com-
pétence, que ce soit à travers la notion de savoir-agir réfléchi (Develay,
1995 ; Altet & Develay, 1999 ; De Ketele31 ; Roegiers, 2006a), comme la
dimension métacognitive de la compétence (Legendre, 2007) ou encore
comme une phase du traitement d’une compétence (Jonnaert, 2009).
Apprendre à intégrer : le regard du pédagogue
Selon les personnes et selon les tâches, cette opération de mobilisation des
ressources se fait de manière plus ou moins harmonieuse, plus ou moins
consciente, plus ou moins spontanée, plus ou moins rapide, plus ou moins
efficace, plus ou moins fiable et plus ou moins économique. C’est en particu-
lier ce qui distingue le « compétent » de l’ « expert » (voir en 3.3.1).
30. Quelqu’un peut exercer sa compétence de manière tout à fait occasionnelle, comme un
ombudsman, ou un spécialiste appelé pour éteindre un incendie d’un puits de pétrole.
31. Échanges informels.
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 65
De ce point de vue, une personne prise dans des actes quotidiens ne se
pose même pas la question de l’intégration, puisqu’elle agit selon un proces-
sus intériorisé et continu. L’intégration est un processus naturel, comme pour
tout expert qui exerce sa compétence sans en décomposer les éléments, et
sans être conscient des processus à l’œuvre. Il n’en va pas de même des
novices, qui ne sont pas familiers aux situations complexes, et pour qui, dès
lors, l’apprentissage de la compétence ressemble à un cheminement qui,
selon les cas, comprend un aspect systématique plus ou moins prononcé.
C’est en raison de ce cheminement progressif du sujet-apprenant que
le pédagogue porte sur l’intégration un regard différent. Ce qui intéresse le
pédagogue, c’est le développement de nouvelles compétences, et donc le
moment où l’intégration est « en processus », c’est-à-dire le moment où elle
est naissante, balbutiante, où elle n’a pas ce caractère harmonieux, spon-
tané, rapide, efficace, économique, mais où elle est en devenir. Il s’inté-
resse à ce moment où un nombre suffisant d’indicateurs sont présents pour
pouvoir dire que l’apprenant est compétent, à un niveau de compétence
attendu. Certes, l’intégration n’est jamais achevée, même pour le plus grand
expert, mais il existe un seuil à partir duquel on peut déclarer que la personne
est compétente, c’est-à-dire qu’elle a « intégré », avec un seuil d’intégration
acceptable.
Nous avons vu ci-dessus qu’il n’y a intégration que lorsqu’il y a com-
plexité d’une part, et nouveauté d’autre part : il doit y avoir un obstacle à
franchir, lié à la nouveauté d’une tâche, et à un niveau de complexité donné.
Du point de vue du pédagogue, cela signifie qu’il ne peut pas y avoir intégra-
tion s’il y a simple reproduction ou répétition des apprentissages. Pour qu’il
y ait apprentissage de l’intégration, l’enseignant ou le formateur doit dès lors
organiser des situations qui permettent à l’apprenant de faire face à cette
nouveauté, à un niveau de complexité adéquat. Pour cela, il doit provoquer
l’obstacle, ou saisir l’obstacle qui se présente de façon naturelle, comme par
exemple en situation de stage professionnel.
L’apprenant « apprend à intégrer » quand il est dans ce processus qui
l’amène progressivement à pouvoir franchir l’obstacle seul. Pour ce faire,
il passe par des niveaux d’intégration successifs, et, à un moment donné, il
peut franchir cet obstacle seul. À ce moment-là, et à ce niveau d’intégration,
on dit qu’il est compétent (pour ce type de tâche).
Par exemple, un élève intègre dès le moment où il apprend à tenir sa
place dans un match de handball, à composer un e-mail, à résoudre un pro-
blème mathématique, à composer une œuvre artistique. À partir du moment
où il réalise ces tâches au niveau requis, c’est-à-dire à partir du moment où
il intègre selon un seuil attendu, il devient compétent. Dans ces cas, il aura
géré les difficultés associées à la tâche (des obstacles divers) en mobilisant ses
ressources de manière pertinente. Par contre, il n’est ni dans une démarche
66 La pédagogie de l’intégration
d’intégration ni dans une démarche d’apprentissage de l’intégration lorsqu’il
restitue une définition, ou qu’il applique une formule ou une règle indiquée
par l’enseignant.
On voit donc bien que la démarche d’intégration d’une part, et la démar-
che de reproduction systématique d’autre part, requièrent des niveaux d’ef-
fort différents : l’une exige de l’apprenant une implication en profondeur,
l’autre le confine à un travail superficiel axé sur la simple mémorisation.
De même, l’apprenant n’intègre pas quand il laisse ses pensées vagabon-
der, quand il ressent quelque chose, quand il établit des liens théoriques. Pour
intégrer, il faut qu’il y ait une action qui débouche sur une manifestation : une
proposition, une solution, une production originale qui sont les traces éva-
luables de l’intégration. Cette production peut être également une produc-
tion de savoir, comme dans le système universitaire, à travers une recherche
(mémoire), à travers des séminaires et autres travaux d’analyse, de critique
historique, d’argumentation, de recherche épistémologique, etc.
Des démarches en bordure de l’intégration
Mais il existe d’autres visages de l’intégration que l’intégration des acquis
par l’apprenant. Même s’il ne s’agit pas d’intégration au sens où nous avons
défini cette dernière, ce sont tout de même des aspects que la pédagogie de
l’intégration considère comme connexes à l’intégration des acquis. En voici
quelques-uns.
• L’articulation de la formation théorique à la formation pratique, voire
même une organisation des apprentissages dans laquelle la formation
théorique est mise au service de la formation pratique (intégration théo-
rie-pratique ou, mieux encore, la démarche triadique pratique-théorie-
pratique).
• La structuration des acquis avant l’apprentissage32, notamment en pro-
curant à l’apprenant des « points d’ancrage », qui lui permettent d’effec-
tuer par la suite des ponts cognitifs qui donnent du sens aux nouveaux
apprentissages.
• La mise en place conjointe de plusieurs acquis, de plusieurs ressources
nouvelles à travers un projet, un centre d’intérêt, un travail par thèmes
(intégration didactique).
• La mise en réseau de différents acquis cognitifs entre eux plutôt qu’une
dissociation des mêmes acquis dans les structures cognitives de l’appre-
nant (intégration intracognitive, ce que Piaget (1967) appelle « accom-
32. On peut citer Ausubel (1968) ; Reigeluth & Stein (1983) ; Gerard, Duquesne & Tourneur
(1988)
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 67
modation »), mais aussi les activités de structuration, qui permettent à
l’apprenant de structurer ses acquis a posteriori33.
• L’action concertée de plusieurs formateurs ou de plusieurs enseignants
qui interviennent auprès d’un même groupe d’apprenants (intégration
inter-formateurs, ou inter-enseignants).
• L’articulation de plusieurs éclairages (sociologique, psychologique, éco-
nomique, philosophique…) pour appréhender une situation (interdiscipli-
narité, c’est-à-dire intégration de disciplines).
• La mobilisation de diverses capacités (se documenter, analyser une situa-
tion, s’auto-évaluer, communiquer…) dans différents cours en vue de
garantir une maîtrise plus large et plus profonde de ces capacités (la
transdisciplinarité, ou la transversalité, c’est-à-dire l’intégration de divers
contextes).
1.7.5 L’intégration des acquis :
une démarche dont l’apprenant est acteur
Depuis longtemps déjà, certaines formes d’intégration ont été introduites
dans le monde de la formation professionnelle, en raison des impératifs liés
au transfert des acquis dans le champ socioprofessionnel. Ces pratiques sont
beaucoup moins développées dans champ de l’enseignement, dans lequel
le morcellement des contenus, des capacités et des objectifs reste encore
souvent la règle générale.
C’est principalement les types de réponses à apporter au morcellement
des savoirs, des contenus, des capacités, des objectifs que nous envisagerons
dans cet ouvrage. Autrement dit, nous étudierons la façon dont un système
peut garantir non seulement l’articulation des différents savoirs entre eux,
mais surtout l’articulation de ces savoirs aux situations dans lesquelles ces
savoirs doivent être mobilisés, que ce soit au niveau de la conception d’un
curriculum d’enseignement, au niveau des pratiques de classe elles-mêmes,
ou de celui des modalités d’évaluation.
Parmi les différentes formes d’intégration pédagogique que nous avons
abordées ci-dessus, c’est à l’intégration des acquis que nous nous inté-
ressons. Cette forme d’intégration consiste, pour l’apprenant, à articuler
différents acquis en vue de les mobiliser en situation : des connaissances par-
ticulières, des concepts, des savoir-faire, des règles, des procédures…34. On
y retrouve bien les trois caractéristiques d’une démarche d’intégration :
– l’interdépendance des différents acquis, qui est liée à l’organisation des
contenus-matières et des cours ;
33. En particulier les travaux de Ausubel (1968) et de Bruner (1974).
34. L’ensemble de ces termes sera détaillé au chapitre 3.
68 La pédagogie de l’intégration
– la mobilisation dynamique et conjointe de ces acquis ;
– la polarisation de cette mobilisation vers la résolution de différentes
situations.
C’est bien l’apprenant qui est acteur de l’intégration des acquis : un
enseignant ou un formateur ne peut pas intégrer à la place de l’apprenant,
ni un autre apprenant. L’intégration des acquis est une démarche essentiel-
lement personnelle.
Les autres formes d’intégration évoquées ci-dessus seront toutefois pré-
sentes dans la réflexion, dans la mesure où elles constituent des composantes
importantes pour permettre à l’intégration des acquis de s’effectuer dans les
meilleures conditions. Nous étudierons plus loin des stratégies d’enseigne-
ment qui la facilitent, ou tout simplement qui la rendent possible.
1.7.6 L’intégration et quelques notions
qui peuvent sembler proches
Intégration et application
Même si, tout comme l’intégration, une application est souvent contextua-
lisée, elle se distingue fondamentalement d’une démarche d’intégration par
deux aspects :
– tout d’abord, une application porte souvent sur une notion, une règle,
une procédure, alors que l’intégration appelle la mobilisation de plusieurs
ressources de manière articulée ;
– ensuite, l’élève ou l’étudiant sait sur quelle notion, quelle règle ou quelle
procédure porte l’application, alors que, dans une démarche d’intégra-
tion, il doit commencer par identifier quelles sont les ressources pertinen-
tes à utiliser pour résoudre la situation d’intégration.
Intégration et révision
L’intégration est également un processus très différent d’un processus de
révision, dans la mesure où :
– revoir, c’est passer en revue un ensemble de ressources déjà apprises,
en les mettant éventuellement en lien les unes avec les autres, mais sans
cette mobilisation contextualisée en situation ;
– c’est souvent l’enseignant ou le formateur qui effectue la révision,
alors que c’est l’apprenant, et lui seul, qui est au cœur de la démarche
d’intégration.
Intégration et synthèse
Synthétiser, ce n’est pas nécessairement non plus intégrer. Toutefois, la dis-
tinction est entre intégration et synthèse est à nuancer.
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 69
Synthétiser, c’est faire apparaître les liens d’interdépendance entre dif-
férents contenus : faits particuliers, concepts, règles… La première compo-
sante de l’intégration est présente.
Par contre, il n’y a pas de mobilisation de ces éléments ; ils ne sont pas
utilisés : ils sont uniquement réorganisés. La deuxième composante de l’inté-
gration est absente. De même, alors que l’intégration est finalisée à travers
une tâche complexe, la synthèse possède souvent un caractère gratuit, elle
s’inscrit rarement dans le cadre d’une action contextualisée ; la troisième com-
posante de l’intégration est donc également absente. Ensuite, la synthèse est
un exercice intellectuel, qui appartient essentiellement au domaine cognitif,
tandis que l’intégration fait souvent appel à des capacités qui appartiennent
aux domaines cognitif, gestuel et socio-affectif. Enfin, c’est rarement l’appre-
nant qui produit la synthèse : il se contente de restituer une synthèse élaborée
par l’enseignant, ou de compléter une synthèse ébauchée par lui.
Pour ces raisons, une synthèse présente en général peu de similitudes
avec une démarche d’intégration.
Une synthèse sera d’autant plus proche d’une démarche d’intégration
que celle-ci sera une véritable production, une contribution personnalisée,
originale, comme par exemple une synthèse menée selon un point de vue
inédit dans le cadre d’un mémoire ou d’un travail de fin d’études. À ce
moment-là, la synthèse est finalisée sur une production : la production d’un
savoir particulier à des fins de recherche.
1.7.7 L’intégration des acquis :
une démarche complémentaire aux pratiques habituelles
Précisons encore que l’on peut intégrer seulement ce que l’on a acquis, et
bien acquis. Il n’y a pas d’intégration s’il n’y a pas d’apprentissages de res-
sources : savoirs, savoir-faire, savoir-être, capacités, habiletés… Une démar-
che d’intégration des acquis ne doit donc pas faire oublier que l’apprenant a
besoin de mener pas à pas tout un ensemble d’apprentissages de ressources,
et qu’il est nécessaire que l’enseignant ou le formateur l’outille pour qu’il
puisse effectuer ces apprentissages. Faire l’économie de ces démarches d’ap-
prentissage pas à pas risque de renforcer les handicaps des moins avancés,
alors que la pédagogie de l’intégration tente justement d’armer davantage
les apprenants, à travers une bonne maîtrise des ressources. Cela ne veut
pas dire que, pour les moins avancés, la pédagogie de l’intégration suggère
de limiter les apprentissages aux seules ressources. Il est nécessaire de leur
ouvrir aussi l’accès aux situations complexes.
L’intégration des acquis n’est donc certainement ni une démarche de
suppression ni de simplification des apprentissages de ressources. C’est une
démarche d’enrichissement de ces apprentissages, qui s’appuie solidement
70 La pédagogie de l’intégration
sur eux. C’est dans ce sens aussi que la pédagogie de l’intégration ne rejette
pas des approches antérieures, comme la PPO, qui a valorisé l’apprentissage
des ressources, et qui a introduit des objectifs exprimés du point de vue de
l’apprenant.
C’est en cela que la pédagogie de l’intégration ne fait pas table rase des
pratiques habituelles de classe ou de formation, mais vient les compléter.
En effet, ces pratiques de classe habituelles constituent une base pour les
apprentissages. Les enseignants et les formateurs sont appelés à faire évo-
luer cette base dans deux sens :
– introduire dans leurs pratiques des activités d’intégration ;
– faire évoluer progressivement ces pratiques habituelles de classe pour
entrer davantage dans les pédagogies de l’apprentissage (Altet, 1997,
3e éd. 2006).
1.8 LES CARACTÉRISTIQUES DE LA PÉDAGOGIE
DE L’INTÉGRATION
Par rapport à d’autres manières de mettre en œuvre des orientations cur-
riculaires, on peut caractériser la pédagogie de l’intégration de la manière
suivante (Roegiers, 2007).
1. « En termes de valeurs », la pédagogie de l’intégration se propose de
rompre avec cette compréhension de la mondialisation qui voit de plus
en plus un système éducatif ou un système de formation comme une
passerelle permettant aux élèves et aux étudiants les plus favorisés de se
mettre au service du système économique et de conforter la course au
profit. Elle cherche au contraire à outiller chacun, de manière concrète,
mais aussi de manière solidaire, réfléchie et critique, en vue d’apporter
une contribution significative au bien commun et au bien-être commun :
celui des générations actuelles et celui des générations futures35.
2. En termes de finalités, la pédagogie de l’intégration vise tout d’abord
à mettre en adéquation la demande de la société (la commande sociale)
et l’école ; elle cherche également à améliorer à la fois l’efficacité d’un
processus d’enseignement ou de formation et l’équité de ce processus ;
elle est particulièrement attentive au fait de fournir des pistes concrètes
aux systèmes éducatifs qui visent, à travers la scolarité de base, l’inser-
tion de tous les élèves dans la société, ainsi que la poursuite des études
pour le maximum d’entre eux. En cela, son destinataire privilégié est
35. Ce point sera développé en 2.1.1.
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 71
l’école publique – dont elle est, par nature, un fervent défenseur – et, de
manière plus large, les institutions publiques de formation.
3. En termes de profil de l’apprenant, attendu en fin de scolarité ou de
formation, la pédagogie de l’intégration affirme l’importance de définir
un profil de sortie en termes de familles de situations, et donc de com-
pétences évaluables – qu’elles soient disciplinaires ou interdisciplinaires,
ou encore professionnelles – à maîtriser par chaque apprenant au terme
d’un cycle ou au terme de la formation, en fonction des exigences d’in-
sertion dans la vie sociale, dans la vie active, ou en fonction des exi-
gences de la poursuite des études. Par là, la pédagogie de l’intégration
cherche continuellement à donner du sens aux apprentissages.
4. En termes de contenus, la pédagogie de l’intégration porte un regard
particulier sur les contenus-matières : elle ne les considère pas comme
une entrée dans le curriculum, ni comme une fin en soi, mais comme
des ressources nécessaires à la résolution de situations-problèmes et à
l’exercice de tâches complexes, sans lesquelles ces contenus-matières
n’auraient pas de sens. Elle n’apporte pas de contenus-matières, mais
elle se propose d’organiser ceux qui ont été définis par une politique
curriculaire, de les structurer de façon fonctionnelle au regard du profil
attendu, et éventuellement de compléter ceux-ci. En effet, elle souligne
la nécessité de développer différents types de contenus, par souci de
cohérence avec le projet éducatif : à côté des savoirs et des savoir-faire,
elle considère comme important de développer des savoir-être, des
« life skills », des capacités transversales. De plus, elle considère que les
apprentissages relatifs à ces contenus-matières doivent faire l’objet d’une
attention particulière, en amont (exploration), lors de la construction
des nouveaux acquis (situations didactiques), sans oublier les activités de
structuration cognitive. Enfin, elle veille à proposer des pistes concrètes
pour l’évaluation des acquis des apprenants.
5. En termes d’orientations pédagogiques, la pédagogie de l’intégration
affirme la nécessité de se préoccuper des processus et des démarches
pédagogiques, des difficultés rencontrées par les apprenants, et pas seu-
lement des résultats obtenus. Dans cette vision, elle ne rejette aucune
méthode ou approche didactique : la méthode transmissive, la pédagogie
par objectifs, la pédagogie du projet, l’approche par problèmes dans
une perspective socioconstructiviste, et d’autres encore, sont appelées à
jouer des rôles complémentaires, à condition toutefois que celles-ci s’avè-
rent adaptées pour installer des acquis comme ressources chez l’appre-
nant. Elle distingue deux types d’apprentissage : (1) des apprentissages
ponctuels, ou apprentissages de ressources, c’est-à-dire des apprentissa-
72 La pédagogie de l’intégration
ges de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être ; (2) des apprentissages de
l’intégration, qui se déroulent souvent pendant une période réservée à
cet effet36, et pendant laquelle, d’une part, l’apprenant apprend à mobi-
liser les ressources acquises dans des situations complexes en vue de les
résoudre, et d’autre part est évalué à travers des situations complexes ;
en cas de difficulté, il a l’occasion de remédier à ces difficultés.Nous ver-
rons plus loin en quoi ces deux phases sont distinctes pour l’enseignant
ou le formateur novice, mais qu’elles s’articulent étroitement chez l’en-
seignant ou le formateur expert.
1.9 QUEL EST LE LIEN ENTRE LA PÉDAGOGIE
DE L’INTÉGRATION ET L’APC ?
1.9.1 La nébuleuse de l’APC
Si on considère l’histoire récente de l’évolution des approches qui fondent les
curricula, deux dimensions principales semblent caractériser cette évolution
curriculaire.
Une première dimension est celle du sens. Elle délimite :
– d’une part des approches qui se situent dans un paradigme d’atomisa-
tion des objectifs, d’une décomposition des apprentissages, d’un mor-
cellement des difficultés, et qui considère qu’il n’est pas prioritaire pour
l’enseignement ou la formation de traiter le problème du transfert des
acquis ; c’est un paradigme plus « scolaire », qui est activé ;
– d’autre part les approches qui se situent dans le paradigme du complexe,
de la recherche du sens, et qui considèrent que l’un des rôles prioritaires
de tout curriculum est d’amener l’apprenant à transférer ses acquis ; elles
témoignent d’un souci d’efficacité externe.
Une deuxième dimension est celle de l’évaluation. Elle délimite :
– d’une part les approches qui visent un développement général, diffus,
de l’apprenant, cherchant avant tout l’ouverture et la variabilité des
situations et des contenus, reconnaissant la place du « gratuit » dans les
apprentissages (De Peretti & Roegiers, 1996) ;
– d’autre part les approches qui ont un souci prononcé d’évaluabilité
et d’efficacité, en relation avec un profil de sortie, c’est-à-dire selon
lesquelles les curricula doivent privilégier tout ce qui peut être stabilisé
au niveau de l’élève ou de l’étudiant ; le souci d’efficacité interne est
prononcé.
36. Souvent deux semaines sur six ou sept.
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 73
Zone du développement Zone de
diffus l’évaluable
Zone du Préoccupation de
Préoccupation
morcellement, développement de
d’efficacité
du « scolaire » savoirs et d’une
interne
culture
Zone du Préoccupation de Préoccupation
sens, du développement d’une d’efficacité externe,
complexe attitude générale de résolution de
face aux situations situations complexes
Figure 15. Schéma relatif à la catégorisation des approches curriculaires
À chaque zone correspondent des acquis de différents niveaux.
Zone du développement Zone de
diffus l’évaluable
Zone du
morcellement, Savoir-faire de base
Bain culturel
du « scolaire » (objectifs spécifiques)
Comptétences
Capacités transversales
évaluables en situation
en situation de formation
de formation
Zone du Capacités Comptétences
sens, du transversales en évaluables en situation
complexe situation réelle réelle (stage, projet...)
Figure 16. Les différents niveaux d’acquis
dans le schéma relatif à la catégorisation des approches curriculaires
On identifie trois niveaux :
– des ressources développées dans l’environnement scolaire ;
– des compétences développées dans l’environnement scolaire ;
– des compétences en situation réelle.
74 La pédagogie de l’intégration
Selon les accents qu’elles mettent, on peut situer les différentes approches
curriculaires sur ce diagramme à deux dimensions.
Si, de par les nécessités du monde du travail, la formation profession-
nelle, initiale et continue, a depuis longtemps trouvé son centre de gravité
dans les deux quadrants de droite (zone de l’évaluable) – oscillant entre
une perspective tayloriste et une perspective tournée vers la résolution de
situations complexes –, il n’en a pas toujours été ainsi de l’enseignement.
Historiquement, c’est une logique de contenus-matières qui a prévalu à
l’école. Cette logique visait essentiellement à développer des savoirs et à
imprégner d’une culture. Dans cette logique, la préoccupation d’évaluation
est présente, sans être toutefois première : l’avis que l’enseignant se forge à
propos de ses élèves est prédominant par rapport aux épreuves qui objec-
tivent des acquis. Il est intéressant de constater que, malgré le fait que le
morcellement des savoirs constitue la règle générale, certains pédagogues
comme Freinet, Decroly ou Montessori réalisent déjà des avancées très net-
tes dans la zone du « complexe ».
On est passé – dans les années 1970 – de cette logique de contenus-
matières à une approche « Pédagogie par Objectifs (PPO) », dans laquelle la
préoccupation d’opérationnalité, et donc d’évaluation, est devenue prépon-
dérante : au lieu de rédiger les programmes selon ce que l’enseignant ou le
formateur devait enseigner, la PPO a proposé de rédiger les programmes
selon ce que l’apprenant devait maîtriser, à partir d’un découpage en objec-
tifs opérationnels.
Le schéma ci-dessous montre cette évolution.
Zone du développement Zone de
diffus l’évaluable
Zone du Approche
morcellement, contenus PPO
du « scolaire »
Zone du
sens, du
complexe
Figure 17. La localisation de l’approche contenus et de la P.P.O.
dans le schéma relatif à la catégorisation des approches curriculaires
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 75
1.9.2 La percée de l’APC
Le plus grand mouvement curriculaire après la P.P.O. est sans conteste le
mouvement que l’on désigne le plus souvent par « APC » (Approche Par
Compétences). Depuis le milieu des années 1990, il a été l’occasion de faire
évoluer les politiques éducatives et les curricula dans un très grand nombre
de pays (De Ketele, 2010a).
On peut représenter l’APC comme un foyer dont le centre de gravité se
situait initialement dans le quadrant inférieur gauche, spécialement dans les
premières années de son introduction dans les curricula (les années 1990).
Zone du développement Zone de
diffus l’évaluable
Zone du Approche
morcellement, contenus PPO
du « scolaire »
Zone du
sens, du
complexe APC
Figure 18. La localisation de l’Approche par compétences dans le schéma relatif
à la catégorisation des approches curriculaires
Comme on le voit sur le schéma, l’APC dans sa formule initiale proposait
un changement assez radical de conception de l’éducation et de la forma-
tion, et une prise de distance assez nette avec la P.P.O., avec comme soucis
principaux :
(1) de donner du sens et de travailler sur la complexité ;
(2) de placer au centre des préoccupations les capacités transversa-
les, partiellement sous la pression du monde de l’entreprise (voir en
2.2.4), mais aussi dans un souci de travailler sur des problématiques
interdisciplinaires ;
(3) de prendre distance avec le formalisme de l’évaluation proposée par
la P.P.O., notamment en déplaçant le centre de gravité de l’évaluation
vers l’évaluation formative des apprentissages en situation (Legendre,
2004).
76 La pédagogie de l’intégration
Plusieurs facteurs ont toutefois contribué, sinon à faire éclater, du moins à
élargir cette conception initiale de l’APC :
– la notion même de compétence, et le caractère polysémique qu’elle a été
amenée à prendre pendant les premières années de son utilisation dans
les curricula ;
– l’évolution de la recherche en sciences de l’éducation ;
– les pratiques d’enseignement/apprentissage, qui souvent se sont heur-
tées à cette vision souvent perçue comme idéalisante ;
– les contraintes associées aux programmes d’études existants, et aux
emplois du temps ;
– l’absence de réponse claire en matière de certification des acquis des
apprenants ;
– la durée de vie des manuels scolaires, lents à changer en profondeur,
etc.
Sous ces différentes pressions, ce foyer APC, assez bien circonscrit au départ,
s’est dès lors assez rapidement étendu dans différentes directions, pour former
ce que l’on peut appeler aujourd’hui une nébuleuse : la « nébuleuse APC ».
En effet, on ne peut plus dire aujourd’hui que l’APC se caractérise par
des concepts et des pratiques de classe et de formation bien déterminées. Il
y a en effet plusieurs manières de comprendre l’APC, et de traduire l’APC
dans les curricula et dans les contenus de formation des enseignants.
Comment décrire cette diversité ?
Dans des publications antérieures (Roegiers, 2008a), nous avons évoqué
plusieurs manières de comprendre l’APC. Nous en avons notamment pointé
quatre, qui conditionnent aujourd’hui les curricula.
(1) L’approche selon les standards, qui propose des listes de savoir-faire
et d’habiletés devant être maîtrisés à chaque niveau de la scolarité, ou
encore des objectifs relatifs aux savoirs que les enseignants visent à faire
atteindre à leurs élèves (van Zanten, 2008) ; cette approche, issue du
monde anglo-saxon, répond avant tout à une préoccupation d’employa-
bilité, et vise l’uniformisation des qualifications ; c’est le modèle de la
mondialisation.
(2) L’approche selon les « compétences transversales », dans une perspec-
tive d’interdisciplinarité ; elle met l’accent sur les capacités transversa-
les que tout apprenant doit maîtriser comme bagage général pour se
débrouiller en toute circonstance.
(3) L’approche selon les « life skills », qui est surtout développée par les
organisations multilatérales qui se préoccupent d’éducation (UNESCO,
UNICEF…), ainsi que par bon nombre de coopérations bilatérales ; elle
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 77
vise à mettre en place auprès des élèves les attitudes citoyennes de base
du savoir-vivre en société, dans une perspective locale ou universelle :
respect de l’environnement, esprit critique face à la presse, à l’intolé-
rance, à la condition de la femme, etc.
(4) La pédagogie de l’intégration, qui vise à rendre chaque apprenant
compétent pour résoudre des situations-problèmes répondant à un profil
bien déterminé.
Chacune des manières de comprendre l’APC, et de la traduire au niveau
des curricula et sur le terrain, se situe dans cette nébuleuse APC, mais à des
endroits différents de cette dernière.
1. L’approche « standards » couvre essentiellement la zone de la PPO.
C’est l’approche qui a gardé le plus de proximité avec la PPO. On peut
la caractériser comme une sorte de PPO élargie, avec un développement
sur l’axe du sens, pour les aspects liés à l’employabilité.
Zone du développement Zone de
diffus l’évaluable
Zone du Approche
morcellement, contenus PPO
du « scolaire »
Approche par
les standards
Zone du
sens, du
complexe
Figure 19. La localisation de l’Approche par les standards dans le schéma relatif
à la catégorisation des approches curriculaires
2. L’approche « compétences transversales » se situe essentiellement dans
le quadrant inférieur gauche. Parmi les manières de comprendre l’APC,
c’est celle qui prend le plus de distances avec la PPO.
78 La pédagogie de l’intégration
Zone du développement Zone de
diffus l’évaluable
Zone du Approche
morcellement, contenus PPO
du « scolaire »
Zone du Approche
sens, du « compétences »
complexe transversales
Figure 20. La localisation de l’Approche par les compétences transversales
dans le schéma relatif à la catégorisation des approches curriculaires
Elle nécessite en général que trois conditions soient remplies pour qu’elle
soit menée avec fruit :
– un groupe d’apprenants restreint ;
– des opportunités de transfert immédiates ;
– un formateur spécialement formé à cet effet.
Cela explique notamment pourquoi cette approche est davantage déve-
loppée en entreprise que dans le monde de l’enseignement, dans lequel
les groupes d’apprenants se situent dans une fourchette allant d’une
vingtaine d’apprenants à plusieurs centaines (que ce soit dans l’enseigne-
ment supérieur, ou des classes à grands effectifs de l’enseignement pri-
maire, dans des zones défavorisées), et dans lequel les enseignants sont
en général très peu préparés à développer des capacités transversales, et
à agir dans une optique d’interdisciplinarité.
3. L’approche « life skills », à laquelle les pays en développement accor-
dent une importance sans cesse croissante. Elle est, dans la majorité des
cas, envisagée en termes d’attitudes à changer dans le quotidien de la
classe, de la famille, et elle est donc axée sur des objectifs de savoir-être :
prendre des habitudes en matière d’hygiène (gestion des déchets, traite-
ment de l’eau…), d’alimentation (promotion de l’allaitement maternel,
traçabilité des aliments…), d’économie d’énergie…, ces attitudes, certes
fondamentales, étant par ailleurs assez peu évaluables.
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 79
De plus en plus, mais encore de manière balbutiante, c’est une optique
plus intégrée qui prend le relais, au niveau d’un projet d’établissement,
d’un projet de classe, d’un projet de groupe…
Zone du développement Zone de
diffus l’évaluable
Zone du Approche
morcellement, contenus PPO
du « scolaire »
Approche
life skills
Zone du
sens, du
complexe
Figure 21. La localisation de l’Approche par les life skills dans le schéma relatif
à la catégorisation des approches curriculaires
4. Quant à la pédagogie de l’intégration, elle se caractérise très nette-
ment par sa forte composante orientée vers l’évaluation, en situation
complexe, tout en valorisant l’enseignement/apprentissage. Elle se dis-
tingue aussi par le fait qu’elle met l’accent sur un développement de res-
sources, manifesté dans le schéma par une intersection non négligeable
avec l’approche « contenus37 » et la PPO.
37. Basée avant tout sur un apport de contenus-matières.
80 La pédagogie de l’intégration
Zone du développement Zone de
diffus l’évaluable
Zone du Approche
morcellement, contenus PPO
du « scolaire »
Zone du
sens, du
complexe
Pédagogie
de l’intégration
Figure 22. La localisation de la pédagogie de l’intégration dans le schéma relatif
à la catégorisation des approches curriculaires
Ensemble, toutes ces approches forment cette nébuleuse « APC », que nous
avons évoquée ci-dessus.
Zone du développement Zone de
diffus l’évaluable
Zone du Approche
morcellement, contenus PPO
du « scolaire »
Zone du
sens, du
complexe APC
Figure 23. Représentation schématique de la nébuleuse « APC » dans le schéma relatif
à la catégorisation des approches curriculaires
Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ? 81
On le voit, une telle diversité sous un même vocable « APC » ne peut qu’être
source de malentendus à tous les niveaux d’un système d’éducation ou de
formation. Nous ne sommes pas loin de dire aujourd’hui que parler d’APC
sans autre précision ne veut plus dire grand-chose.
Les fondements de la pédagogie
de l’intégration
Chapitre 2
Nous proposons dans un premier temps d’étudier à quelles valeurs, et à quel
projet de société correspondant se rattache la pédagogie de l’intégration,
et de voir en quoi elle constitue une réponse pertinente aux défis posés par
l’éducation et la formation : ce sont les fondements axiologiques de la
pédagogie de l’intégration.
Dans un second temps, nous nous pencherons sur l’évolution du statut
de la connaissance, sur l’émergence du concept de compétence et, de façon
plus générale, de l’approche intégratrice des acquis scolaires, de même que
sur ses effets sur les systèmes de formation et d’enseignement : ce sont les
fondements historiques de la pédagogie de l’intégration.
Nous verrons dans un troisième temps en quoi les théories de l’appren-
tissage, à travers leur évolution, ont contribué à cette approche : ce sont les
fondements théoriques de la pédagogie de l’intégration.
Dans un quatrième temps, nous examinerons les bases pédagogiques sur
lesquelles repose la pédagogie de l’intégration, c’est-à-dire le regard qu’elle
porte sur l’organisation pédagogique des apprentissages : ce sont les fonde-
ments pédagogiques de la pédagogie de l’intégration.
Nous examinerons enfin en quoi certains résultats de recherche permet-
tent de légitimer l’approche par l’intégration des acquis dans l’enseignement
et dans la formation : ce sont les fondements empiriques de la pédagogie
de l’intégration.
84 La pédagogie de l’intégration
2.1 LES FONDEMENTS AXIOLOGIQUES DE LA PÉDAGOGIE
DE L’INTÉGRATION : UNE RÉPONSE AUX DÉFIS POSÉS
AUX SYSTÈMES D’ÉDUCATION OU DE FORMATION
Trois dangers majeurs guettent l’éducation aujourd’hui.
2.1.1 Le danger de la léthargie – l’incapacité à répondre
au pari pour les générations futures
École : un enjeu planétaire1
Nous vivons à une époque curieuse, passionnante et terrible. Pour la pre-
mière fois de l’histoire de l’humanité, le monde de l’éducation – comme
d’ailleurs l’ensemble des secteurs de l’activité humaine – va être de plus en
plus polarisé autour d’une question prioritaire : comment l’homme va-t-il
trouver les moyens de continuer à exister sur la planète ? Quelle qualité de
vie ? Pour qui ? Pour combien de temps ? Ces questions, qu’il faut, selon les
spécialistes, résoudre dans les quelques années à venir, vont concerner tous
les domaines, tous les niveaux d’enseignement, toutes les formations, du
philosophe à l’ingénieur, en passant par l’architecte, le juriste ou l’infirmière.
C’est notre pari pour les générations futures.
Si tous les secteurs de l’activité humaine sont concernés par ce pari,
l’école est concernée en premier lieu, à tous les niveaux, puisque c’est l’école
qui, de tout temps, a été le lieu privilégié d’éveil de la conscience, et le lieu
dans lequel se développent et se structurent les outils intellectuels qui permet-
tent de porter sur les situations un regard avisé.
Catastrophisme ? Non, optimisme, et aussi réalisme. Tout le monde va-
t-il continuer à faire comme si de rien n’était, et laisser s’agiter quelques
personnes qui apparaissent comme les derniers idéalistes, voire comme des
illuminés, ou va-t-on assister à un réveil généralisé, même s’il est tardif ?
C’est certainement cette deuxième hypothèse de réveil tardif qui est en train
d’émerger, mais l’école doit la nourrir ; il faut qu’elle trace des pistes concrè-
tes en regard de cette hypothèse, parce que l’école est sans doute l’institution
humaine qui, en termes d’éveil des consciences et d’information, a le rôle le
plus important à jouer pour relever ce pari.
Nous vivons aujourd’hui un paradoxe effrayant. Jamais le besoin d’édu-
cation n’a été aussi pressant, mais jamais aussi il n’y a eu aussi peu de
conscience, tellement l’école, en ce début de XXIe siècle, forme de plus en
plus des élèves en dehors de tout esprit critique, dans une perspective à
court terme axée sur la simple mémorisation et sur l’exécution de techniques
apprises.
1. Roegiers (2006a).
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 85
Tous les niveaux d’enseignement, depuis l’éducation préscolaire, sont
concernés par cette problématique du développement de l’esprit critique,
combien nécessaire dans notre vie sociale et professionnelle, alors que la
dérive utilitariste et de la recherche de facilité guette tous les niveaux d’en-
seignement. Elle guette l’enseignement primaire et secondaire à travers la
surcharge des programmes d’études, qui induit une approche superficielle et
non ciblée en lieu et place d’une approche en profondeur. Elle guette aussi
la formation supérieure, qui tend à former des étudiants en dehors de toute
préoccupation à long terme, en gommant cette dimension universelle et
humaniste des formations, tellement celles-ci sont devenues trop spécifiques,
et soumises à des enjeux éphémères, tels des enjeux financiers, des enjeux
de subordination à des marchés ou des enjeux de classement des institutions
dans des échelles mondiales, élaborées selon des critères de performance
d’une élite supranationale.
Outre ce rôle majeur de regard critique, d’autres fonctions sont dévo-
lues à l’école : un rôle de sensibilisation et d’information pour l’éducation
primaire et secondaire, un rôle d’action pour l’enseignement supérieur qui
doit former des citoyens et des professionnels disposant des qualités requises
pour mettre en place des solutions durables et respectueuses de tous.
Ce n’est qu’à travers la combinaison de ces différentes dimensions d’in-
formation, d’éveil de l’esprit critique et d’action que l’école pourra apporter
une contribution efficace à ce pari pour les générations futures.
Une redéfinition des valeurs
Dans cette optique, les valeurs mêmes qui fondent l’éducation vont sans doute
changer. Alors que, dans les décennies précédentes, les valeurs sur lesquelles
reposait l’éducation étaient du type « être autonome », « apprendre à appren-
dre », etc., de nouvelles valeurs risquent de surgir : « identifier les enjeux »,
« porter un regard critique », « oser s’exprimer », « oser s’opposer », « argumen-
ter », « agir économe », « agir avec discernement », « s’engager concrètement »,
« agir solidaire », « apprendre à partager »… Ce sont les valeurs de demain,
celles qui vont orienter l’éducation de demain. Demain ne signifie pas dans
vingt ans, quand il sera peut-être trop tard, mais demain dans l’immédiat, car
nous n’avons pas de temps à perdre.
Ce recentrage sur des valeurs solides est fondamental, à une époque où,
faute de vision à long terme, les moyens que l’on nous propose apparaissent
souvent comme des fins en soi. Par exemple, dans combien de pays, la réus-
site aux épreuves internationales de type PISA (OCDE), TIMMS ou PIRLS
(IEA)… ne devient-elle pas la finalité suprême des systèmes d’éducation ou
de formation2 ? Ce qui ne devrait être qu’un moyen de garantir une meilleure
2. D’autant plus que ces épreuves sont contestées et contestables, à un point tel qu’on peut
se demander ce que certaines évaluent en réalité. Lire par exemple De Ketele (2006),
Monseur & Lafontaine (2006). Voir aussi Roegiers (2004, 2e éd. 2010).
86 La pédagogie de l’intégration
efficacité devient un but ultime, tant la raison profonde de ces épreuves, si
elle devait être analysée, apparaîtrait comme futile : standardiser des com-
portements en vue de mieux servir les marchés3.
Aussi bien rédigés et généreux que puissent être les textes d’intention qui
accompagnent un document de programme, ils sont souvent démentis dans
les faits par cet asservissement aux normes supranationales.
Des profils à faire émerger
De quels types de profils aura-t-on besoin pour faire face à ce pari majeur ?
De personnes qui possèdent quatre qualités essentielles :
(1) des personnes compétentes et qui connaissent correctement leur
domaine de spécialité ; aucun défi, aucun pari, ne tolère la moindre
concession en termes de compétences des personnes qui œuvrent pour
le relever : même si l’objet des compétences et leurs domaines d’appli-
cation sont appelés à se déplacer et à évoluer, le besoin de personnes
compétentes ne fera que s’accroître ;
(2) des personnes solidaires : le monde se trouve aujourd’hui sur une « pou-
drière d’inégalités », pour reprendre les termes d’Amnesty International
dans la sonnette d’alarme lancée dans son récent rapport4 ; il y a un
enjeu majeur à réduire l’écart grandissant entre les riches et les pauvres
compte tenu du fait que « la Terre n’est pas infinie » (Hubert Reeves,
2005) ;
(3) des personnes capables d’analyser les enjeux et les actuels circuits diffus
de décision, et qui restreignent petit à petit notre liberté citoyenne (bre-
vetage du vivant, puces électroniques, fichage, transferts des données
personnelles, centralisation de données sur des sites externes…) ;
(4) des personnes prêtes à s’engager concrètement ; s’engager concrète-
ment implique tout d’abord de développer les secteurs d’activités à carac-
tère social, moins lucratifs à long terme, mais davantage centrés sur
l’homme, mettant ainsi à mal la logique des profits financiers des grandes
multinationales ; s’engager concrètement implique aussi d’apprendre à
s’exprimer : il s’agit là d’apprendre à oser donner son avis et à dire « non »
à un certain type de mondialisation que chacun d’entre nous cautionne
par son silence.
En particulier, plus que jamais, une réflexion sur des curricula mieux adaptés
devrait s’enclencher dès aujourd’hui, de l’école fondamentale à l’enseigne-
ment supérieur. Il convient de les revisiter d’urgence afin de les réorienter
3. Selon une enquête d’opinion menée en Belgique francophone, une personne interrogée
sur deux estime que la compétition ne valorise pas la qualité entre les écoles et les réseaux
(Albarello & Hesse, 2010). Voir aussi Roegiers (2004 ; 2e éd. 2010).
4. Amnesty International, Rapport 2009.
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 87
dans le sens de cette question centrale. Il est clair que l’enjeu ne sera pas
de se contenter de délivrer des savoirs théoriques relatifs à la sauvegarde de
l’espèce humaine, mais de rendre les jeunes compétents pour contribuer à
sa sauvegarde. C’est dans cette manière de poser le problème que l’appro-
che par les compétences est bien comprise : faire en sorte que l’étudiant,
lorsqu’il sort de telles études, soit compétent pour agir concrètement, et que
les valeurs qu’il défend ne restent pas de simples intentions.
2.1.2 Le danger de l’inadéquation – l’incapacité de répondre
à la demande de la société
Un deuxième danger guette l’école : le danger de l’inadéquation de la réponse
de l’école vis-à-vis de la demande de la société. Autrement dit, l’école doit
apporter une réponse plus pertinente et plus efficace à la demande de la
société. Encore faut-il préciser ce qu’on entend par « demande de la société » :
demande de l’État ou demande des marchés, demande des populations ou
demandes des décideurs, demandes à court terme ou à long terme, deman-
des en vue d’un « plus avoir » ou d’un « mieux être », demandes à l’échelon
local, national, régional, international ou mondial…
Pour répondre à cette demande sociale, tant générale que spécifique,
trois pistes sont à développer.
• Interpeller l’école dans son lien avec les situations de vie
• Tirer des leçons circonstanciées de la manière dont se déroule la forma-
tion des adultes
• Répondre à l’augmentation de la quantité et de l’accessibilité des infor-
mations, ainsi qu’à l’évolution de l’activité humaine
Interpeller l’école dans son lien avec les situations de vie
La recherche du sens en éducation et en formation, est, comme dans d’autres
domaines, une question centrale dans un monde à la recherche d’autres
valeurs que le matérialisme et la consommation. Elle concerne tout ce qui
amène à se demander pourquoi on fait ce que l’on fait ; dans le domaine
de l’éducation, c’est la question du rapport au savoir qui se pose (Develay,
1995 ; Charlot, 2000). Sans entrer dans des débats philosophiques, il s’agit
essentiellement de porter un regard critique sur les raisons d’apprendre ce
que l’on apprend, sur les raisons d’apprendre de la façon dont on apprend.
Elle interpelle l’école sur sa raison d’exister, sur ses objectifs, ses modes de
fonctionnement, toutes choses que les élèves mettent quotidiennement en
question à travers des phénomènes considérés comme ascolaires : démoti-
vation, violence, autoexclusion5. La recherche du sens permet de donner à
5. Selon la même enquête d’opinion, seul un enseignant sur trois estime que l’école est
adaptée au monde d’aujourd’hui (Albarello & Hesse, 2010).
88 La pédagogie de l’intégration
ces phénomènes un faisceau de réponses qui, loin de consister en une série
de mesures « techniques », ponctuelles, vont chercher le sens dans les fonde-
ments mêmes de l’école. Nous verrons en 4.2.5 en quoi le sens d’un appren-
tissage peut apparaître de différentes façons aux yeux de l’apprenant.
La réflexion sur le sens renvoie notamment à la façon dont l’école outille
l’apprenant pour lui permettre de faire face à une situation nouvelle pour lui,
c’est-à-dire une situation qu’il n’a jamais rencontrée. Pour vivre et travailler
en société, l’homme a toujours été amené à faire face à des situations nou-
velles. Mais ce qui évolue à toute vitesse, c’est la nature des situations.
Tout d’abord, celles-ci se multiplient et se diversifient. Au lieu d’être
confronté à des messages rédigés ou exprimés dans une langue unique, le
citoyen d’aujourd’hui est appelé à devoir se débrouiller dans deux ou trois
langues pour déchiffrer des notices d’utilisation ou pour comprendre des
messages oraux, même simples. La mondialisation des échanges, d’un point
de vue économique, politique, social, ou tout simplement vue à travers l’œil
du touriste, amène tout naturellement chacun d’entre nous à être confronté,
au cours de sa vie, à plusieurs dizaines de cultures différentes, directement
ou à travers les médias.
Ensuite, les situations se complexifient, que ce soit dans le monde scien-
tifique, où il est de plus en plus rare qu’un problème puisse être résolu selon
une approche disciplinaire unique, dans le monde industriel, où l’évolution
des technologies nécessite un recyclage permanent, ou encore dans le
monde politique, où le nombre de paramètres dont il faut tenir compte pour
résoudre un problème, humanitaire, d’environnement, ou d’autres encore,
est tel qu’une solution ne peut être envisagée que dans des rapports de force
très complexes.
Pour faire face à cette diversification et à cette complexification, parado-
xalement, on demande sans cesse à l’individu une plus grande spécialisation,
mais, en même temps, plus d’adaptabilité, de flexibilité, c’est-à-dire plus de
polyvalence.
Un fossé se creuse imperceptiblement entre l’école, qui continue souvent
à distiller des savoirs ponctuels, et les situations auxquelles elle est censée
préparer les élèves. Les élèves habitués, dès leur plus jeune âge, à aborder
des savoirs de façon séparée, continuent souvent à raisonner plus tard de
façon cloisonnée, même dans des situations simples. Des recherches inter-
nationales comme celles de Carraher, Carraher & Schliemann (1985), Sotto
(1992) ou encore Sotomayor (1995) ont par exemple montré combien il
existait à travers le monde ce que l’on appelle des « analphabètes fonction-
nels », c’est-à-dire des personnes qui ont acquis des connaissances à l’école
primaire, mais qui sont incapables d’utiliser ces connaissances dans la vie de
tous les jours :
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 89
– ils peuvent déchiffrer un texte, mais sont incapables d’en saisir le sens et,
partant, d’agir en conséquence ;
– ils peuvent effectuer une addition, mais quand un problème de la vie de
tous les jours leur est posé, ils ne savent pas s’il faut faire une addition ou
une soustraction ;
– ils connaissent le concept des plaques tectoniques mais sont incapables
de percevoir le risque de construire des maisons dans des régions à haut
risque sismique, etc.
Pour ces analphabètes fonctionnels en particulier – mais c’est également vrai
pour la grande majorité des apprenants –, l’écart entre leurs acquis « scolai-
res » et l’acquis requis par les situations ne fait que s’accroître. La pédagogie
de l’intégration tente de combler cet écart en proposant de préparer chaque
apprenant à pouvoir aborder des situations complexes.
Tirer des leçons circonstanciées de la manière dont se déroule la forma-
tion des adultes
Dans le monde de la formation des adultes, il y a longtemps déjà qu’a été
posée la question du lien entre les acquis en formation et les situations de
travail, en raison des impératifs liés au transfert des acquis dans le champ
socioprofessionnel. En effet, il s’est très vite imposé comme une évidence
que la formation devait permettre de réinvestir les acquis sur le lieu de travail,
de la façon la plus rapide et la plus efficace possible. Rapidement considérée
comme incontournable pour des raisons d’efficacité et de coût de la for-
mation, une approche intégrée et opérationnelle des acquis s’est imposée
à un point tel que le développement de compétences professionnelles, qui
en constitue la principale concrétisation, a souvent fait disparaître de la for-
mation en cours d’emploi les développements théoriques, de même que les
exercices qui les accompagnent, quand ils ne se raccrochent pas directement
à une problématique socioprofessionnelle6.
Il n’en va pas de même dans le champ de l’éducation, dans lequel le
morcellement des contenus et des objectifs semble s’ériger en un principe
immuable. Il faut dire que dans l’enseignement, les problèmes se posent
de façon à la fois très différente, en raison de l’absence de finalisation des
apprentissages sur des compétences socioprofessionnelles, mais aussi avec
beaucoup plus d’acuité, parce que les questions de fonctionnement des systè-
mes éducatifs se posent à des échelles bien plus grandes que dans le monde
de la formation : des curricula de plusieurs années au lieu de quelques semai-
nes, une variété d’acteurs bien plus grande, une organisation pédagogique et
administrative à la mesure du nombre d’élèves et d’étudiants, un système de
certification régi par des règles très précises.
6. Voir notamment Le Boterf (1995) et Lévy-Leboyer (1996).
90 La pédagogie de l’intégration
Il n’empêche que la réflexion sur l’adéquation entre école et société reste
primordiale. En cela, la réflexion sur le profil de sortie de l’apprenant au
terme de chaque cycle d’enseignement constitue la base de toute la construc-
tion curriculaire.
Du point de vue de la pédagogie de l’intégration, ce travail sur le profil
de sortie est primordial, et il est directement articulé à la problématique de
l’évaluation des acquis des élèves et des étudiants.
Répondre à l’augmentation de la quantité et de l’accessibilité des infor-
mations, ainsi qu’à l’évolution de l’activité humaine
Les informations disponibles pour l’être humain sont de plus en plus nom-
breuses. Il suffit de penser aux progrès réalisés dans certaines disciplines : en
chimie, en génétique, en biologie moléculaire, en astronomie… De plus en
plus, ces disciplines complexes prennent appui les unes sur les autres pour
résoudre des problèmes éminemment complexes, ainsi qu’en témoignent
par exemple les découvertes récentes relatives à l’origine de l’univers.
Cette augmentation de la connaissance et de son accessibilité présente
plusieurs caractéristiques qui ont un impact direct sur l’éducation.
Tout d’abord, elle va de pair avec une évolution des secteurs de l’activité
humaine, et en particulier avec une évolution des métiers. Il suffit par exem-
ple de voir en quoi l’activité humaine relative aux questions environnementa-
les s’est développée de manière exponentielle depuis les années 2000. Cette
évolution des métiers amène l’école à remettre en question les contenus des
programmes, pour être davantage en phase avec la demande sociale. Il ne
s’agit pas d’une problématique nouvelle en ce début du troisième millénaire
– de tout temps, l’école a été obligée de s’adapter à la demande sociale –, si
ce n’est qu’elle s’accélère et que, dès lors, elle exige de l’école de mettre en
place des stratégies inédites pour y faire face.
Ensuite, cette information est diffusée de manière de plus en plus large.
Autrement dit, non seulement ces informations sont de plus en plus nom-
breuses, mais elles sont de plus en plus facilement accessibles à chacun
d’entre nous, en particulier à travers les médias et Internet. Dans le champ
de l’éducation, cela a pour conséquence que la fonction traditionnellement
réservée à l’enseignant, qui est de transmettre des connaissances aux élèves
et aux étudiants, perd de plus en plus son sens, parce que ces informations
sont non seulement en perpétuelle évolution, mais sont aussi accessibles
par de multiples autres moyens. C’est notamment en termes de réorienta-
tion de cette fonction première de l’enseignant que les récents courants de
professionnalisation des enseignants posent le problème (Perrenoud, 1996 ;
Paquay, Altet, Charlier & Perrenoud, 1996).
Cette connaissance fait également l’objet de présentations de plus en
plus diversifiées. Cette diversification va dans des sens divers : dans le sens
de la construction collective du savoir, on peut évoquer les encyclopédies
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 91
collaboratives, du type Wikipedia, mais, à l’inverse, elle va aussi dans le sens
d’une manipulation de l’information, à des fins politiques (élections) ou à des
fins de consommation.
Enfin, cette connaissance fait l’objet de traitements de plus en plus diver-
sifiés de la part de l’utilisateur, ce qui n’est pas sans conséquence pour l’école.
En effet, ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est que l’école ne détient plus le
monopole de l’éducation : la déferlante « société de consommation » n’attend
pas la permission de l’école pour interférer dans l’éducation des enfants et
des jeunes. Par leur contact passionnel avec certains médias (Internet, TV,
téléphone mobile…), les jeunes développent des structures de connaissan-
ces, parfois très élaborées, mais aussi très éloignées de celles qui sont déve-
loppées à l’école. Richesse ou danger ? Cette différence entre la manière
dont l’élève apprend à l’école et en dehors de l’école joue sans doute dans
les deux sens mais, en tout état de cause, elle conditionne fortement le lien
qu’il entretient avec l’école.
2.1.3 Le danger de la marchandisation de l’éducation
Un troisième danger guette l’école : c’est celui d’un glissement progressif
du statut de l’éducation : d’un statut de bien commun, elle deviendrait pro-
gressivement un produit de consommation, au même titre que les produits
marchands.
On peut parler à ce sujet de « marchandisation », terme que nous emploie-
rons ici dans le sens d’une extension abusive des pratiques marchandes au
secteur public.
L’éducation est-elle un bien commun ou un objet
de consommation ?
Dans ses écrits et ses interventions, Petrella (1996 ; 1998) montre comment
l’eau est en train de passer d’un droit (un droit à la vie, dit-il), à un bien de
consommation, qui répond à des besoins individuels. À partir du moment
où, au lieu de prélever nous-mêmes la part d’eau à laquelle nous avons droit,
nous décidons, pour des raisons de facilité, de goût, d’hygiène – raisons qui
nous sont largement suggérées par la publicité –, que l’eau publique, c’est-
à-dire l’eau du robinet, ne nous convient plus, nous acceptons implicitement
que nous avons besoin de telle ou telle eau, et nous devenons à ce moment
même un consommateur d’eau. Il apparaît alors comme naturel que nous
l’achetions, c’est-à-dire que nous rétribuions les services de ceux qui répon-
dent à nos besoins : nous consommons de l’eau, nous consommons des
soins, donc nous devons payer. Le projet – initié par certaines multinatio-
nales – de brevetage du vivant va d’ailleurs dans le même sens : s’emparer
du marché mondial des semences pour avoir le contrôle sur la vente des
végétaux, légumes, fruits, arbres, fleurs, plantes.
92 La pédagogie de l’intégration
Tout comme l’eau, ou la santé, l’éducation est en train de changer pro-
gressivement de statut : d’un bien commun accessible à tous, d’un droit dont
dispose chacun, le savoir devient un objet de consommation soumis aux lois
du marché. Plus exactement, ce n’est pas le savoir en lui-même qui est un
objet de consommation – à travers Internet, les savoirs n’ont jamais été aussi
accessibles à tous qu’aujourd’hui –, mais c’est la validation de ce savoir, la
valorisation économique de ce savoir qui fait l’objet d’une marchandisation.
Autrement dit, lorsqu’un étudiant effectue un paiement pour s’inscrire dans
un établissement privé, ce paiement ne couvre pas tellement des droits d’ins-
cription, mais surtout des droits d’obtention d’une certification, qu’il pourra
monnayer plus tard sur le marché du travail. Après s’être développée dans la
formation en cours d’emploi, cette tendance apparaît aujourd’hui de manière
très nette dans des établissements d’enseignement supérieur.
Le droit à l’éducation, de collectif qu’il était, se transforme progressi-
vement en des besoins individuels d’éducation. La différence est subtile,
mais fondamentale : d’un droit collectif, on passe à une somme de logiques
individuelles.
Au-delà de la question économique se pose une question de nature poli-
tique et déontologique : quand une banque privée sponsorise un master,
peut-on garantir l’objectivité des savoirs qui y sont dispensés ? Même si les
savoirs sont largement accessibles à tous à travers Internet, entre des savoirs
reflétant différentes tendances disponibles sur Internet et des savoirs dispen-
sés dans l’établissement privé qui va délivrer le diplôme, le choix de l’étudiant
n’est-il pas vite posé ?
Au niveau de la scolarité de base, les systèmes éducatifs résistent tant
bien que mal. Le danger n’en reste pas moins réel de voir des systèmes édu-
catifs entiers, poussés dans le dos par les politiques marchandes et les lois
du marché, marchandiser progressivement, et souvent de façon très subtile,
la plus noble institution de nos sociétés : l’école. Il est dès lors légitime de se
poser la question : « Dans les faits, l’éducation est-elle aujourd’hui plus qu’hier
un droit humain, un droit universel, comme l’affirme l’UNESCO, et comme
l’affirme la convention des droits de l’enfant ? »
L’objet de cet ouvrage n’est pas de refaire l’histoire de la privatisation
des sociétés d’état, mais de mettre en évidence le fait que les choix qui se
posent à nous aujourd’hui dans les révisions des curricula sont intimement
liés à la vision politique que l’on a de l’éducation. Elles ne sont pas seule-
ment, et même pas tellement, une question « d’école de pensée pédagogi-
que », comme on l’a cru pendant longtemps, mais le reflet d’un projet de
société.
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 93
Comment reconnaître si un changement de curriculum
va dans le sens du bien commun ?
On pense parfois que les logiques de structuration d’un curriculum corres-
pondent à des choix méthodologiques, et que, dès lors, ils sont neutres. Il
n’en est rien : même des choix méthodologiques traduisent des enjeux de
société. Selon que l’on considère que le savoir est un bien commun, ou
qu’il est un objet de consommation, les choix posés dans un changement
de curriculum seront d’une nature différente : le choix de contenus, le choix
de la manière d’évaluer les acquis des apprenants, le choix d’un matériel
pédagogique approprié, etc. Même s’il est souvent implicite, voire caché, ce
lien entre curriculum et enjeux de société, mis en évidence par cette disci-
pline qu’on appelle « sociologie du curriculum », est bien réel. L’approche par
compétences n’échappe pas à cette règle : elle prend des formes différentes
selon les valeurs auxquelles elle se rattache (et d’ailleurs pas toujours de façon
consciente).
Comment se traduit dans un curriculum cette conception de l’éducation
comme bien commun, plutôt que comme objet de consommation ?
Autrement dit, quels sont les indices selon lesquels on peut reconnaître
qu’un curriculum va dans le sens du bien commun, ou dans le sens d’une
éducation vue comme un bien de consommation ?
1. Des changements progressifs plutôt que des changements radicaux
Dans l’optique du bien commun, les changements de curriculum devraient
être progressifs, parce que les logiques collectives sont stables dans le temps,
ou du moins, elles changent lentement. Ces changements prennent avant
tout appui sur l’existant : les pratiques pédagogiques, les traditions et les
cultures éducatives, les valeurs du pays. Face à des changements à grande
échelle, proposés dans un curriculum, on se posera, entre autre, des ques-
tions du type : « ces changements s’adressent-ils réellement à une majorité
d’enseignants, dans la mesure où ils partent de leurs pratiques actuelles, et
où ils prennent en compte leur situation actuelle ? ».
À l’inverse, dans une optique de marchandisation de l’éducation, les
changements ont tendance à être plus radicaux, et plus rapides, parce que
pour vendre, il faut surprendre. Puisque les changements sont associés à
des revenus potentiels, ceux-ci répondent dès lors davantage à des effets
de mode, qui s’adaptent à la demande et qui se succèdent à un rythme plus
élevé. On ne peut nier que ces effets de mode font incontestablement avan-
cer les systèmes éducatifs – par à-coups –, dans la mesure où ils ouvrent des
portes. Ils comportent toutefois des effets pervers non négligeables : quand
des innovations, intéressantes en elles-mêmes, sont mises en œuvre dans
des contextes qui n’y sont pas préparés, elles sont facteur de statu quo.
Paradoxalement, ces innovations trop innovantes sont un facteur d’immobi-
lisme, voire de régression parce que, comme dans le même temps, le monde
94 La pédagogie de l’intégration
extérieur évolue, on voit augmenter le décalage entre ce monde extérieur,
en pleine évolution, et l’école, qui, par manque d’innovations à sa portée et
réellement accessibles à l’échelle de la classe, évolue peu. De même, une
approche pédagogique aussi performante soit-elle peut être discréditée et
par là même rejetée parce qu’elle est mal implantée sur le terrain ou mise en
œuvre dans la précipitation.
On peut exprimer d’une autre manière cette tendance aux changements
progressifs, ou au contraire, accélérés, à travers la question suivante : quelle
est la cible des changements curriculaires ? Non pas la cible théorique – en
effet, qui produirait un discours différent de celui selon lequel on s’adresse
à l’ensemble des élèves, des étudiants ? –, mais la cible réelle visée par une
réforme.
Un système, dans lequel prévaut une optique du bien commun, a ten-
dance à se préoccuper de sélectionner des innovations, en vue de leur géné-
ralisation à l’ensemble des établissements scolaires. En revanche, une optique
de marchandisation de l’éducation conduit plutôt à adopter rapidement les
innovations pédagogiques, sans une prise de recul critique, et en s’adressant
aux écoles les plus performantes. En matière de révision de curriculum, il
convient donc de se demander si les innovations concernent tous les élèves,
tous les enseignants, toutes les écoles, tous les parents…, ou si elles s’adres-
sent à une minorité de ceux-ci ? Quels élèves les innovations visent-elles à
faire progresser ? Les innovations concernent-elles tous les enseignants ?
Sont-elles accessibles aux parents ? Des mesures de discrimination positive
sont-elles prises ? On se pose ici la question de l’étendue possible de l’inno-
vation, voire de son caractère universel.
2. Des curricula explicites plutôt qu’implicites
Une optique du bien commun va privilégier les curricula visibles, explicites
(Bourdieu et Passeron, 1964 ; Bernstein, 1975), faciles à comprendre pour
le commun des mortels, pour les parents, permettant par là à la société civile
d’y exercer un regard et d’en avoir une vision des tenants et des aboutissants
de la réforme correspondante. Le curriculum y est plus fortement séquencé :
peut-être un peu moins de liberté pour l’enseignant, mais plus de visibilité
pour l’élève (Bernstein, 1975 ; Mangez & Mangez, 2007).
À l’inverse, une conception orientée vers la marchandisation de l’éduca-
tion recherche par nature plus de liberté, et moins de contrôle. Elle va plus
naturellement privilégier un curriculum moins visible, un curriculum implicite,
moins séquencé, et donc pouvant faire l’objet de diverses interprétations :
davantage de marge de manœuvre pour l’enseignant – et donc davantage de
marge de manœuvre pour en faire des consommateurs de matériel pédago-
gique –, mais moins de visibilité pour l’élève, et donc moins de transparence
pour la société.
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 95
Il en est de même des modalités d’évaluation : sont-elles explicites, ou
implicites ? L’apprenant sait-il exactement ce sur quoi il va être évalué ? Ceci
est un facteur important dans le contrat didactique qui lie l’enseignant à ses
élèves.
3. Une préoccupation d’évaluation consistante et à long terme de
la réforme plutôt qu’une politique d’évaluation diffuse et à court
terme
Les réformes et les innovations sont-elles efficaces ? Sont-elles efficientes ?
Font-elles l’objet d’évaluations appropriées ? C’est une autre dimension
importante d’une réforme curriculaire.
Dans l’optique d’une éducation vue comme un bien commun, la question
de l’efficacité d’une réforme est particulièrement pertinente. Cette efficacité
s’inscrit dans le temps, et elle se mesure aussi bien dans le court terme que
dans le long terme. Par exemple, le fait de chercher à mener des évaluations
multiples, tant internes qu’externes, tant longitudinales que ponctuelles, est
un indicateur de volonté de considérer l’éducation comme un bien commun.
L’évaluation de l’efficience de la réforme est importante aussi : comme il
s’agit de la dépense des deniers publics, dont on cherche à rendre compte
de la manière la plus précise possible, l’évaluation de la réforme fait l’objet
d’une action planifiée. Toutefois, il convient de choisir des étapes ou des
moments significatifs de la réforme curriculaire pour procéder à de telles
évaluations : pas trop tôt pour pouvoir mesurer des effets avérés, ni trop tard
pour pouvoir encore réguler le processus. Il est aussi important de veiller au
choix objectif de l’évaluateur qu’il soit interne ou externe au système.
Dans une logique de marchandisation de l’éducation, la conception de
l’efficacité est différente. Il s’agit de mener des évaluations de manière plus
diffuse, davantage centrées sur des aspects connexes à l’éducation que sur
les effets sur les apprenants : ce serait beaucoup trop dangereux pour lesdits
marchés. De plus, l’efficacité dont on parle est beaucoup plus une efficacité
à plus court terme, liée à la durée de vie d’un produit. Une réforme sera plus
volontiers qualifiée de réussie lorsque les classes auront été équipées de tel
manuel scolaire, ou lorsque tel matériel informatique prévu aura été distribué
dans les écoles. En ce qui concerne les apprenants, la mesure de l’efficacité
tendra à se faire de manière plus morcelée, auprès de publics choisis, et
évitera de mener de grandes enquêtes à l’échelle nationale.
4. Valorisation de la conscience citoyenne, plutôt que de la soumission
citoyenne
Quand l’éducation est perçue comme un bien commun, il y a préoccupa-
tion d’un ancrage conceptuel qui permet d’élever le niveau d’analyse, et
donc le niveau de conscience de l’élève ou de l’étudiant. Les analyses y
96 La pédagogie de l’intégration
sont ouvertes, orientées vers l’expression des idées et des opinions en toute
indépendance.
Quand l’éducation est utilisée comme un objet de consommation,
l’outillage conceptuel est appauvri dans l’horizon scolaire ou universitaire,
limitant dès lors le potentiel de prise de recul par l’apprenant. Les analyses
sont plus souvent cadrées et orientées, présentées comme des vérités univer-
selles dont on peut faire l’économie de la réflexion. En ce sens, ces analyses
sont aliénantes, et visent la soumission pure et simple de l’apprenant au
système en place.
En résumé, voici quelques indices qui permettent de reconnaître si un
changement curriculaire va dans le sens du bien commun ou de la marchan-
disation de l’éducation.
Conception politique de l’éducation
Logique de bien commun : Logique de consommation :
• l’éducation est un droit pour tous • l’éducation est un bien marchand
• l’apprenant est un (futur) citoyen qui • l’apprenant est un consommateur
possède un droit à l’éducation de savoirs, dispensés en réponse
à des besoins présentés comme
individuels
Indices à prélever en observant les curricula
1. Changement progressif Changement radical (effet de mode)
2. Curriculum explicite Curriculum implicite
3. Politique consistante d’évaluation et à Politique diffuse d’évaluation de la
long terme de la réforme réforme, davantage à court terme
4. Outillage conceptuel solide et ouvert Outillage conceptuel réduit et cadré
(conscience citoyenne) (soumission citoyenne)
Au-delà de ces différents indices, c’est une conception de l’être humain qui
est différente dans une logique et dans l’autre.
Dans la première, l’apprenant est vu comme un être humain, comme
une personne, appelée à s’épanouir et à se réaliser, et, dès lors, digne de
considération.
Dans la seconde, l’apprenant est un consommateur en puissance qu’il
s’agit de modeler au maximum en vue de l’asservir aux besoins de croissance
du monde marchand. Il y a une forme de subordination du bien-être indivi-
duel et collectif aux besoins du monde économique.
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 97
Opposition ou complémentarité ? Deux conceptions en tension
Bien entendu, les choses ne doivent pas être pensées en termes dichoto-
miques : le tout bien commun ou le tout bien de consommation. En effet, a
priori, on pourrait penser que les changements liés à l’éducation comme bien
commun s’opposent radicalement aux changements liés à l’éducation comme
objet de consommation : les premiers seraient les grands changements qui
s’inscrivent dans la profondeur des réformes éducatives, les seconds seraient
les changements de surface, liés aux outils pédagogiques qui accompagnent
ces réformes. Cette vision dichotomique est ainsi réductrice. Il est aussi pos-
sible de les voir comme se complétant les uns les autres de manière assez
harmonieuse. C’est d’ailleurs souvent le cas dans la réalité : des préoccupa-
tions de nature publique cohabitent avec des initiatives privées.
La relation qui lie ces deux conceptions n’est toutefois pas aussi évidente
qu’il n’y paraît au premier abord. Depuis quelques années, – et la plupart du
temps malgré elles –, bon nombre de réformes éducatives à l’échelle d’un
système tendent à affaiblir l’éducation comme bien commun, et à renforcer
l’éducation comme objet de consommation. Cette tendance, de plus en plus
évidente dans l’enseignement supérieur, tend à gagner les autres niveaux
d’enseignement.
Même s’il faut reconnaître certains bienfaits ponctuels de cette marchan-
disation, notamment comme vecteur d’innovations de pointe, c’est sur la
conception de l’éducation comme un bien commun que reposera l’ensemble
des développements liés à la pédagogie de l’intégration. En ce sens, les liens
qu’entretiennent cette logique et la pédagogie de l’intégration apparaîtront
au fur et à mesure des développements dans le présent ouvrage.
2.1.4 Des systèmes éducatifs déchirés7
Cette conception de l’éducation de bien commun, que nous venons de déve-
lopper, traduit nettement – et en particulier – la dimension de l’équité de
l’éducation. Il s’agit sans doute là d’une des clés de lecture majeures des
tendances actuelles en éducation, et de l’emprise grandissante de la mar-
chandisation : les systèmes éducatifs, et en particulier les curricula qui s’y
développent visent-ils l’équité, ou au contraire l’élitisme ?
Élitisme ou équité ?
L’équité consiste essentiellement à donner la même chance de réussite à
chacun, quelle que soit son appartenance à une couche sociale, qu’il soit
issu d’un milieu défavorisé ou d’un milieu favorisé. Rappelons les principaux
facteurs d’équité dans un curriculum développés ci-dessus :
7. Roegiers (2008a).
98 La pédagogie de l’intégration
(1) le caractère progressif et souple de l’introduction des innovations dans
les curricula, pour respecter les logiques sociétales en place ;
(2) l’existence de mesures d’accompagnement appropriées qui permettent
de faire profiter toutes les catégories d’élèves des innovations, et de
généraliser celles-ci dans de bonnes conditions ;
(3) le caractère explicite et accessible du curriculum, qui le rend visible aux
yeux des élèves et de la société ;
(4) l’instauration de mesures de régulation de la part de l’état (mesures de
discrimination positive).
A contrario, l’introduction trop rapide et trop exclusive de certaines métho-
des pédagogiques innovantes, sans avoir les moyens de les implanter cor-
rectement et de les généraliser, favorise les enseignants les plus avancés,
les meilleures écoles et les élèves issus des couches sociales supérieures, et
constitue in fine un facteur d’inéquité.
Plus loin, nous aborderons d’autres facteurs d’équité ou d’élitisme,
comme par exemple la nature des épreuves d’évaluation (voir en 2.4.5).
Aujourd’hui, lorsqu’on a de manière opérationnelle une visée d’équité
dans un système d’éducation ou de formation, la marge de manœuvre est
très étroite, entre l’éthiquement correct (les moins avancés doivent faire l’ob-
jet d’une attention particulière), et le politiquement acceptable (le niveau des
plus avancés ne peut pas baisser8). La seule issue acceptable est de provo-
quer un gain pour les plus avancés, et un gain un peu plus important pour
les moins avancés.
Plus Moins Plus Moins Plus Moins
avancés avancés avancés avancés avancés avancés
Seule position
Voué à l’échec, car
Éthiquement éthiquement
politiquement
acceptable acceptable qui
acceptable
soit possible
Figure 24. Schématisation des trois manières de mettre en tension l’évolution différentielle
des résultats d’élèves plus avancés et d’élèves moins avancés
8. Bien que le débat suivant puisse surgir : un système éducatif serait-il prêt à accepter une
diminution – si minime soit-elle – des résultats des élèves les plus performants si cela
permettait une amélioration sensible des résultats des élèves qui le sont moins ? (voir
Piketty, 2004).
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 99
Uniformisation ou différenciation ?
Mais cette marchandisation galopante de l’éducation peut être analysée à
travers un autre paramètre, celui de la recherche d’uniformisation provoquée
par la mondialisation – uniformisation des modèles de société autant que
celle des individus. Cette recherche d’uniformisation trouve sa source dans
la course à la croissance, présentée comme indispensable : le moyen le plus
évident de répondre à cette croissance est d’inonder les marchés de produits
standardisés, ce qui nécessite de développer et de contrôler des comporte-
ments stéréotypés chez les consommateurs.
De manière plus générale, c’est de moins en moins la réalisation d’un
projet de société, pour le bien-être des individus – au niveau local ou national –,
qui inspire les politiques, et notamment les politiques éducatives. Ce qui les
inspire en revanche – de manière consciente ou inconsciente –, c’est trop
souvent l’assimilation à ce modèle unique que nous avons évoqué ci-dessus.
Si ce modèle était légitime, car basé sur des valeurs universelles – dans les
faits, pas dans les discours –, c’est-à-dire s’il conduisait à rendre la société
plus juste, à mieux respecter l’homme, à mieux le nourrir, à le rendre plus
autonome, à mieux répartir les biens, on pourrait lui accorder du crédit.
Mais force est de constater qu’il s’agit souvent du contraire : la démocratie de
droit glisse progressivement vers une démocratie d’opportunité, le respect de
l’homme est remplacé par l’asservissement du consommateur, l’alimentation
vivrière disparaît dès le moment où elle peut être remplacée par une alimen-
tation de profit, et c’est à une restriction généralisée des libertés individuelles
que l’on est en train d’assister9.
Des voix se dressent aujourd’hui dans le monde de l’éducation pour
dénoncer cette mondialisation déshumanisante de l’éducation. Pour Lenoir
(2009), l’apprenant s’inscrit aujourd’hui dans :
« une idéologie néolibérale hégémonique qui consiste à faire prévaloir l’hu-
main en termes mercantiles, sa valeur se mesurant à l’aune de sa rentabilité
sur le marché » (Lenoir, 2009, p. 23).
Pour sa part, De Ketele (2010a), citant Ricoeur et Honneth, évoque la mise
en tension d’une société qui méprise l’homme, et d’une société qui le recon-
naît dans son histoire, dans son statut, dans son rôle, dans sa vérité.
« “Reconnaître”, c’est rendre l’autre “visible” (Ricoeur, 2004) ; “ne pas recon-
naître”, c’est laisser l’autre “invisible” ; “méconnaître”, c’est contribuer à
rendre l’autre encore plus “invisible” et participer à une “société du mépris”
(Honneth, 2006). » (De Ketele, 2010a).
9. Parmi d’autres références, voir Ziegler (2007).
100 La pédagogie de l’intégration
Cette tendance générale à l’uniformisation des sociétés et des individus se
situe bel et bien au cœur des curricula d’enseignement. Un de ses signes les
plus visibles est le développement des épreuves d’évaluation internationales
(TIMMS, PISA, MLA…), dans une perspective de comparaison et de standar-
disation. Si la participation à ces épreuves présente des côtés positifs, dans le
sens où elle situe les systèmes d’éducation ou de formation les uns par rapport
aux autres, et les dynamise en mettant en évidence des phénomènes jusque
là insoupçonnés tels que des inégalités scolaires entre différentes popula-
tions10, leurs dérives en sont tout aussi manifestes : comme nous l’évoquions
en 2.1.1, ces épreuves ne se rattachent à aucun autre objectif que celui de
classer, et donc de répondre à des normes extrinsèques, au lieu de répondre
à des nécessités intrinsèques liées à un projet de société. Autrement dit, au
lieu d’être un moyen au service d’une société plus juste, plus respectueuse de
l’homme et de la planète, le fait d’être bien classé dans ces épreuves devient
le but ultime, même si personne ne sait pourquoi il est important d’être bien
classé, ni ce que cela apporte à des systèmes d’éducation ou de formation
souvent très différents. Dans le même temps, on néglige parfois de veiller à
ce que le pays possède les compétences professionnelles nécessaires pour
assurer l’activité économique de base. Par exemple, dans certains pays, on
doit faire appel à la main d’œuvre étrangère pour réaliser des grands travaux
d’infrastructure routière, faute de main-d’œuvre locale qualifiée : cela n’est-il
pas un indicateur significatif de la faillite de tout un système de formation
professionnelle ? Il faut mener de cet état de fait une analyse en termes tech-
niques, mais avant tout en termes politiques.
Quels sont les vecteurs de cette uniformisation des curricula ? On peut en
citer deux. Le premier est un déséquilibre qui s’installe progressivement entre
le processus éducatif engagé et les résultats d’éducation correspondants :
alors que ces deux composantes entretiennent une parfaite complémentarité
– l’une conduisant à l’autre, et expliquant l’autre –, l’on met aujourd’hui de
plus en plus l’accent sur les résultats de l’éducation au détriment de l’attention
portée aux processus11, ce qui, à la fois traduit une forte dépendance des cur-
ricula par rapport au marché de l’emploi, et alimente cette dépendance. De
même, ce sont les résultats à court terme qui sont souvent privilégiés, dans
une perspective d’employabilité immédiate, au détriment des effets dura-
bles des apprentissages chez les apprenants. Comme la dimension écono-
mique constitue une problématique stratégique pour tous les pays, ces pays
s’y engagent et s’y engouffrent, faute d’alternative crédible. Le deuxième
vecteur est le phénomène de décontextualisation des curricula, attisé par
10. Voir par exemple le cas de l’Allemagne (Tarazona, 2009).
11. Le Cadre Européen des Certifications (CEC) parle de « résultats d’apprentissage » (« learning
outcomes »).
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 101
les intérêts économiques des grands lobbys internationaux, qui cherchent à
vendre des curricula standardisés, liés à du matériel pédagogique, essentiel-
lement dans un but de profit, sans prendre en compte les particularités des
pays qui n’ont pas les moyens de refuser un curriculum standardisé, importé
et donc décontextualisé.
Il y a donc un enjeu aujourd’hui à différencier les curricula, à repenser
les liens qu’ils entretiennent avec la mondialisation, non pas pour rompre
avec cette dernière – les interconnexions aujourd’hui sont telles qu’on ne
peut plus la nier –, mais pour reprendre la maîtrise du processus éducatif, et,
au-delà, la maîtrise des processus de décision politique, en vue de décider en
toute souveraineté en quoi un projet de société à l’échelon local ou national
a intérêt à contribuer à une forme de mondialisation plus rationnelle et plus
équitable, et à s’en nourrir. Repenser les curricula en termes de différencia-
tion implique à la fois de prendre distance par rapport au marché de l’emploi
(sans toutefois nier le rôle que peut jouer cette dimension), et de travailler à
contextualiser les curricula, par exemple en délimitant des profils appropriés
et surtout en travaillant sur des situations-problèmes qui traduisent aussi, et
avant tout, des spécificités locales, régionales, nationales.
La pédagogie de l’intégration ne nie pas cette nécessité de penser en ter-
mes de résultats, en termes de profil, mais elle conteste la légitimité de la
référence à laquelle on mesure ces résultats : au lieu de les mesurer à un
profil standardisé mondial, elle propose de les mesurer à un profil qui répond
de manière contextualisée à des besoins d’une société en vue du bien-être
des générations actuelles et à venir.
Pour répondre à cette déferlante d’uniformisation, les curricula se doi-
vent de conférer à l’apprenant les outils intellectuels et socioaffectifs adé-
quats pour lui permettre de prendre le recul critique nécessaire vis-à-vis de
tout type de situation qu’il rencontre, c’est-à-dire de développer une réflexion
sur le sens de ce qu’on lui demande de faire, une réflexion sur la façon dont
il répond à ce qu’il lui est demandé de faire. C’est l’une des missions essen-
tielles de l’école.
Par conséquent, s’il s’agit de développer des compétences à l’école, c’est
de manière réflexive qu’il convient d’envisager : il s’agit d’éviter, à travers
le développement des compétences, de tomber dans une approche qui soit
exclusivement une approche « utilitariste », c’est-à-dire une approche dans
laquelle l’élève ou l’étudiant apprend à résoudre de façon purement mécani-
que et ponctuelle des situations données. On ne serait d’ailleurs plus dans de
l’intégration, qui nécessite de s’adapter à chaque situation.
C’est à un double niveau que l’on peut agir pour éviter cette dérive
utilitariste :
102 La pédagogie de l’intégration
– c’est d’abord dans la formulation des compétences, où cette dimension
réflexive devrait apparaître explicitement. Par exemple, ce n’est pas la
même chose d’attendre d’un élève ou d’un étudiant qu’il « produise des
pistes de solution », et qu’il « produise des pistes de solution argumen-
tées » ; ce n’est pas la même chose non plus d’attendre de lui qu’il « éta-
blisse un rapport de stage », ou qu’il « établisse un rapport de stage qui
soit critique ». Autrement dit, il s’agit de ne pas exprimer uniquement des
compétences et des situations-problèmes en termes de savoir-agir, mais
aussi en termes de savoir se positionner dans l’action ;
– c’est ensuite dans le choix des situations-problèmes, pour lesquelles il
faut éviter l’aspect mécanique de la démarche : veiller à ce que, au sein
du contour, les situations ne soient pas trop proches l’une de l’autre (voir
en 1.2.4).
Nous reviendrons plus loin sur cette nécessité de maintenir un équilibre entre
d’une part une approche « spécifique » par les compétences et d’autre part
le recul critique que confère une approche que l’on pourrait qualifier de
« généraliste ».
Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un équilibre délicat à trouver.
Deux dimensions
En termes d’effets visibles sur les systèmes d’éducation ou de formation, on
peut donc lire cette marchandisation selon deux clés de lecture, deux para-
mètres à travers lesquels on peut mesurer le degré de marchandisation de
l’éducation : celui de l’élitisme, à opposer à l’équité12, et celui de l’uniformi-
sation, à opposer à la différenciation.
La prise en compte de ces deux dimensions indépendantes, la dimension
« uniformisation – différenciation », et la dimension « équité – inéquité », per-
met de classer les systèmes d’éducation et de formation en quatre catégories,
issues de la combinaison de ces deux dimensions13.
12. Roegiers (2008a).
13. Les pays cités le sont à titre d’illustration de certaines tendances, et à titre d’objet de
réflexion, mais il est évident que, à l’intérieur des sphères citées, il existe de très fortes
différences « inter-pays » et « inter-établissements scolaires ».
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 103
Uniformisation Différenciation
(1) Uniformisation équitable (3) Différenciation équitable
Système public d’éducation, soumis Système d’éducation basé sur l’intro-
à des normes explicites, basé sur un duction progressive et non exclusive
Équitable
curriculum visible et structuré, avec de pédagogies innovantes dans les
des mesures de régulation de la part curricula, avec les mesures appropriées
de l’État d’accompagnement et de régulation de
la part de l’État
Pays à visée socialisante, ou reposant Pays nordiques – pays engagés dans
sur des valeurs nationalistes la pédagogie de l’intégration
(2) Uniformisation inéquitable (4) Différenciation inéquitable
Système libéral d’éducation, mettant Système d’éducation sensible aux pro-
Inéquitable
l’accent sur les résultats, de par sa cessus d’apprentissage, et caractérisé
sensibilité à l’employabilité, et basé sur par la généralisation rapide et souvent
une forte catégorisation des établisse- exclusive de pédagogies innovantes,
ments scolaires et des apprenants avec peu de mesures d’accompagne-
ment et de régulation
Pays de la sphère anglo-saxonne Pays de la sphère francophone
Si, historiquement, la tendance (1), qui est celle des pays socialistes, ou des
pays à forte composante nationaliste, est actuellement de céder du terrain, la
tendance dominante sur le plan mondial est certainement celle de l’uniformi-
sation inéquitable (2), issue du néolibéralisme ambiant. Mais quelle réponse
lui oppose-t-on ? Dans les milieux francophones, on lui oppose souvent, et
avec les meilleures intentions, l’introduction d’innovations pédagogiques de
pointe, mais sans mettre à disposition des systèmes éducatifs les moyens de
mettre en œuvre ces innovations sur le terrain, à l’échelle de l’ensemble du
système. Cette réponse à l’uniformisation inéquitable est dès lors, sinon une
réponse maladroite, du moins incomplète, parce qu’à un système inéquita-
ble, celui de l’uniformisation inéquitable (2), on lui oppose un système tout
aussi inéquitable, qui est celui de la différenciation inéquitable (4). Pourquoi
une différenciation inéquitable ? Parce que, en proposant de généraliser à
l’échelle de tout un système éducatif des innovations qui ne sont accessibles
qu’à une minorité d’enseignants et de formateurs, alors que dans le même
temps il engage dans cette voie l’essentiel des moyens en termes d’outils
pédagogiques et de formation, on concentre l’effort sur une fraction d’en-
seignants qui modifieraient sans doute de toute manière leurs pratiques sans
ces outils et ces formations. On défavorise par là la grande majorité des
104 La pédagogie de l’intégration
enseignants et des écoles qui auraient besoin de disposer d’outils pédagogi-
ques et de formations en conformité avec leurs contextes et à leurs besoins,
et qu’ils sont susceptibles de s’approprier, parce que proposant des change-
ments accessibles par eux, c’est-à-dire se situant dans leur « zone proximale
de développement », pour reprendre le concept de Vygotski. Comme toute
innovation qui s’installe trop rapidement, elle devient en définitive un facteur
d’inéquité, alors qu’elle ne l’était pas au départ.
En pensant bien faire, mais manquant de moyens pour réaliser leurs
ambitions, les systèmes éducatifs francophones sont donc souvent engagés
dans un processus de différenciation inéquitable (4), alors que le défi majeur
se situe dans la voie de la différenciation équitable (3). Celle-ci semble être
bien réussie dans les pays nordiques (Finlande, Norvège, Suède, Danemark)14,
certes avec des moyens plus importants que dans nos pays. Ce qui semble
caractériser ces systèmes, c’est le fait que les innovations ne sont introdui-
tes que si elles font l’objet de mesures d’accompagnement appropriées sur
le plan humain, matériel et financier, mais aussi le fait que les innovations
sont introduites dans un contexte de redevabilité et de responsabilisation des
acteurs.
Cette différenciation équitable (3) est également celle qui est recherchée
à travers la pédagogie de l’intégration.
C’est à travers sa quête à la fois de la différenciation et de l’équité
que la pédagogie de l’intégration trouve essentiellement son identité.
Un axe double, ou le retour au pari des générations futures
En termes d’évolution des préoccupations d’éducation, on pourrait dire que,
dans les décennies précédentes, les différentes tendances en éducation s’ex-
pliquaient à travers un axe de type « politico-culturel », qui se préoccupait
essentiellement du lien entre l’homme et la société.
Uniformisation Différenciation
Équité Égalitarisme
Inéquité Humanisme sélectif
Figure 25. Schématisation de l’axe politico-culturel comme explication historique
de l’évolution des approches curriculaires
14. Voir par exemple Prunnila (2009).
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 105
La conception de l’éducation oscillait entre une vision basée sur l’égalita-
risme, et une vision basée sur un humanisme sélectif, dans lequel une élite,
cultivée, prend en charge les préoccupations d’éducation dans un souci de
développement des populations qui en ont le plus besoin. On peut associer
à cette deuxième vision les initiatives relatives aux mesures de discrimination
positive, et autres mesures visant à la fois à acter implicitement la supériorité
de l’élite sur le reste de la population, et à venir en aide à cette dernière, en
valorisant les initiatives, privées et publiques, dans le domaine de l’aide au
développement, mais toujours dans les limites du maintien des privilèges de
l’élite, voire de leur renforcement.
Aujourd’hui, on est davantage sur un axe de type « économico-citoyen »,
qui se préoccupe surtout de la gestion des ressources : les ressources locales,
nationales ou régionales, mais aussi et surtout les ressources de la planète
(l’eau, le vivant, les hydrocarbures, etc.).
Cette préoccupation de gestion durable des ressources se double d’une
préoccupation de redistribution équitable de celles-ci auprès de tous, à tra-
vers des questions comme : de quoi le simple citoyen profite-t-il réellement ?
À quel degré ? En quelle quantité ? Comment l’école peut-elle contribuer à
cette redistribution équitable des ressources communes ?
Sur cet axe, les systèmes oscillent entre un pôle de marchandisation,
basé sur les lois du marché, et une perspective citoyenne globo-locale15, ou
de « pluriversalité »16, fondée sur une gestion raisonnable et partagée des res-
sources, celle qui apparaît comme la seule issue réaliste, à terme :
« Si penser globalement est nécessaire, agir localement est la seule façon de
faire évoluer les systèmes éducatifs. » (De Ketele, 2009).
Uniformisation Différenciation
Perspective citoyenne
Équité
« globo-locale »
Inéquité Marchandisation
Figure 26. Schématisation de l’axe économico-citoyen comme explication historique
de l’évolution des approches curriculaires
15. Opertti (2007).
16. La terminologie relative à ce concept est en train de fleurir, dans la plus grande créativité.
106 La pédagogie de l’intégration
Dans le premier pôle, celui de la marchandisation, les ressources de la pla-
nète sont considérées comme étant à disposition de celui qui a les moyens de
s’en emparer et de les revendre (eau, pétrole, vivant…). Toute ressource est
transformée progressivement en bien marchand, que ce soit l’eau, les forêts,
la terre (l’humus), le corps humain (don d’organes), les plantes (brevetage du
vivant), et la liste peut encore s’allonger. Cela va jusqu’à l’être humain, de
plus en plus considéré comme une ressource dont on peut disposer, pour
son potentiel d’employabilité et son pouvoir de rentabilité. On est dans une
optique de croissance illimitée, dont on laisse penser qu’elle peut s’étendre à
tous les habitants de la planète, ce qui est un leurre majeur, puisque, si tous
les habitants de la Terre devaient vivre sur le même pied qu’un Européen, il
faudrait deux planètes supplémentaires, et si tous les habitants de la Terre
devaient vivre sur le même pied qu’un Etats-unien, il faudrait cinq planètes
supplémentaires17. C’est une conception liée à des valeurs de type néo-libé-
ral, visant la privatisation des ressources. C’est la conception dominante de
la mondialisation, ou plutôt de l’immondialisation, pour reprendre les termes
de Michaël Singleton (2007).
Dans le deuxième pôle, la conception de la gestion des ressources est
tout à fait différente : les ressources de la planète sont considérées comme
étant à disposition de tous ; comme ces ressources sont finies, il faut les par-
tager. On est dans une optique de décroissance progressive, et de gestion
des ressources « en bon père de famille », dans la mesure où on veut éviter de
puiser dans les ressources des autres populations, et des autres générations.
C’est une conception « globo-locale », liée à des valeurs de gestion partagée et
durable des ressources. C’est un statut respectueux qui est accordé ici à l’être
humain qui, loin d’être pris comme une ressource à caractère utilitaire et ren-
table, est investi d’une responsabilité citoyenne et consciente dans le déve-
loppement de la société d’aujourd’hui et de la société de demain. L’éducation
y apparaît comme un bien commun, comme un droit pour chacun : au même
titre que l’eau, les plantes, la terre, appartiennent à tous, l’éducation appar-
tient à tous également.
17. Source : Wikipedia (empreinte écologique pour 2008).
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 107
2.2 LES FONDEMENTS HISTORIQUES DE L’APPROCHE
INTÉGRATRICE DANS L’ENSEIGNEMENT :
L’ÉVOLUTION DU STATUT DE LA CONNAISSANCE18
Toute connaissance est une réponse à une question.
Gaston Bachelard
À travers les siècles, le statut de la connaissance a évolué sous la pression
de différents facteurs, ce qui a entraîné des effets sur la façon d’organiser
les systèmes de formation et d’enseignement. Une lecture de cette évolution
nous permet de distinguer quatre grands mouvements.
2.2.1 Connaître, c’est prendre connaissance
des textes fondateurs et les commenter
Dans l’Antiquité, de façon plus mitigée au Moyen Âge – du moins en
Europe –, puis à la Renaissance, l’intellectuel était celui qui avait pris connais-
sance des textes fondateurs de la civilisation, à savoir essentiellement les
grandes œuvres des Grecs, des Arabes et des Romains. Pour être cultivé, il
fallait les étudier dans le texte et prendre connaissance des « commentaires »
des grands maîtres pour pouvoir les commenter à son tour. Ces grandes
œuvres étaient censées avoir abordé toutes les explications relatives à la
création. La philosophie était la discipline mère, car elle englobait tous les
objets de la connaissance, y compris la cosmologie. La finalité ultime de cette
première conception était la « sophia », c’est-à-dire la sagesse, qui signifie
originellement la « connaissance ».
Cette conception du statut de la connaissance a été à la base de la
construction des programmes de l’enseignement quand les écoles se sont
développées. En Europe, les Jésuites ont joué un grand rôle en créant des
collèges dispensant un enseignement reconnu comme de qualité. Pendant
des siècles, cet enseignement était appelé en maints endroits « les humanités
anciennes ». Concevoir un tel programme d’études, c’était identifier les tex-
tes des grands auteurs qu’il fallait absolument étudier à un moment donné
du cursus. Ce modèle s’est répandu dans le monde entier sous des régimes
divers (comme par exemple en France sous le régime napoléonien ou celui
de la 3e République) et subsiste encore maintenant – mais moins fréquem-
ment – sous des formes plus ou moins visibles ou latentes.
Au niveau universitaire, la faculté de philosophie et lettres était la faculté
de référence par excellence, car ses activités étaient centrées sur l’étude des
grandes œuvres des philosophes et hommes de lettres, considérés à l’époque
18. Sur la base d’un document rédigé par Jean-Marie De Ketele. Voir aussi De Ketele et
Hanssens (1999).
108 La pédagogie de l’intégration
comme des « savants », c’est-à-dire des personnes possédant à un haut degré
la connaissance des êtres animés et inanimés, et plus largement le sens » et
les finalités de la création. Les universités, et notamment les universités du
monde arabe, étaient considérées comme les lieux les plus importants de la
conservation et de la transmission de la culture.
2.2.2 Connaître, c’est assimiler les résultats des découvertes
scientifiques et technologiques
Alors que les humanités anciennes se développaient à travers le monde et
fournissaient des « têtes bien faites », la connaissance des lois de la nature
(physique, biologique et sociale) se multipliaient sous l’accumulation des
observations naturelles d’abord, puis par le développement de dispositifs
d’observation « provoquée ». C’est ainsi que naissait « l’esprit scientifique » fait
de vérification et d’expérimentation On peut citer à titre d’exemple l’im-
portant essai de Claude Bernard sur la médecine expérimentale dont les
principes ont été étendus à de nombreux autres secteurs de recherche. De
même, le développement des modèles mathématiques (avec Pascal, Euler
et bien d’autres) et statistiques (avec, entre autres, Quételet et Gauss) a per-
mis aux chercheurs de formaliser leurs observations et de prédire d’autres
phénomènes. Puis, plus récemment, la découverte et le développement de
l’informatique ont permis d’accélérer encore davantage ces découvertes.
Déjà Diderot avec son Encyclopédie avait joué un très grand rôle dans le
détachement de la science par rapport à la philosophie. Suite à la multiplica-
tion des découvertes, la science (le singulier était la règle) s’est subdivisée en
de multiples sciences (le pluriel est devenu de rigueur). Les disciplines, peu
nombreuses encore au début du XXe siècle, se sont vu adjoindre de nouvel-
les disciplines pour dépasser assez rapidement la centaine. Parallèlement,
les spécialités et les spécialisations se sont multipliées, car il devenait déjà
impossible pour une même personne de maîtriser tout le savoir de l’époque.
Certains champs se développaient à tel point que les connaissances nouvel-
les doublaient tous les sept ans (c’était déjà le cas pour la chimie dans les
années 1980) ou doublent actuellement tous les quatre mois et demi (c’est le
cas de l’informatique). Les deux grandes guerres de la première moitié de ce
siècle, la guerre froide qui a suivi, la conquête de l’espace, le développement
de la compétition économique mondiale… ont joué un grand rôle dans le
développement de la science et dans le besoin de transmettre les résultats de
la recherche pour former des chercheurs de plus en plus pointus, des ingé-
nieurs capables d’utiliser les découvertes et des praticiens plus performants.
La nécessité s’est donc fait sentir de développer des programmes d’étu-
des qui transmettent les nouvelles connaissances acquises par la commu-
nauté scientifique. Le problème essentiel était de savoir quelles connaissances
rigoureusement mises à jour devenaient indispensables à tel ou tel moment
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 109
de la scolarité ou de la formation. Les programmes d’études sont donc pro-
gressivement devenus des inventaires de connaissances à transmettre à un
moment donné.
C’est ainsi que sont apparues progressivement de nouvelles dénomi-
nations de structures d’enseignement : les « humanités modernes » ont été
créées parallèlement aux « humanités anciennes ». Elles ont pris de plus en
plus d’importance au point de générer une querelle sur le rôle formateur
comparatif des langues anciennes par rapport aux disciplines mathémati-
ques et scientifiques… et ont fini par prendre le dessus au point d’imposer
la mathématique comme discipline-clé de la sélection et de la hiérarchisation
des élèves.
À l’université, la faculté de philosophie et lettres est devenue une faculté
comme une autre, perdant au passage – surtout dans les pays anglo-saxons –
quelques disciplines (telles l’économie, la sociologie, la psychologie, l’histoire,
la géographie…). La faculté des sciences a pris de plus en plus de noblesse,
de même que les grandes écoles d’ingénieurs dans des domaines aussi divers
que les technologies, l’économie, la gestion, l’agronomie.
2.2.3 Connaître, c’est démontrer sa maîtrise d’objectifs traduits
en comportements observables
Alors que se développaient de nouvelles connaissances et que celles-ci per-
mettaient de créer de nouvelles technologies mises au service du développe-
ment économique dans un monde de plus en plus industrialisé, deux mouve-
ments prenaient de plus en plus d’importance. Issu du monde industriel, le
taylorisme cherchait à introduire plus de rationalité et de rationalisation dans
la gestion des processus de fabrication en vue de produire plus, plus rapide-
ment et avec moins de défauts… dans l’optique d’une plus grande rentabilité.
Issu de la transposition de la démarche des « sciences dures » aux sciences
humaines, le béhaviorisme était également à la recherche d’une démarche
plus rationnelle, basée sur de l’observable, à savoir ce qui est de l’ordre du
comportement et non de l’intention ou de l’ordre des processus inscrits dans
la boîte noire. Pour étudier rigoureusement les modes de fabrication ou les
phénomènes humains, le taylorisme et le béhaviorisme tentent de réduire la
complexité en découpant les objets d’études en éléments plus simples et en
séquences observables plus courtes, où chaque élément de départ ou stimu-
lus est suivi d’un effet produit ou réponse (évalués positivement ou négati-
vement par rapport à l’attendu et jouant le rôle de renforcement positif ou
négatif), ces derniers pouvant servir de point de départ ou de stimulus pour
une nouvelle séquence.
Ces mouvements ont inspiré étroitement le monde de l’éducation, à tra-
vers la « pédagogie par objectifs » vulgarisée au départ par Mager (avec son
petit livre Preparing instructional objectives publié en 1962) et la Pédagogie
110 La pédagogie de l’intégration
de maîtrise de Bloom (1976). S’appuyant sur de nombreuses études menées
par son équipe de chercheurs, ce dernier prétendait qu’il était possible d’en-
seigner n’importe quel contenu à n’importe qui de normalement constitué
(donc à l’exclusion des personnes handicapées) si on y consacrait le temps
nécessaire et si on s’y prenait bien. Selon lui, cela suppose que l’on découpe
l’objet de l’enseignement en objectifs suffisamment précis et hiérarchisés et
que l’on ne passe jamais à un apprentissage nouveau sans s’être assuré que
les objectifs prérequis soient réellement maîtrisés et suffisamment stabilisés.
Ces principes se sont vus en grande partie vérifiés dans les nombreux travaux
conduits autour du « Système d’enseignement individualisé » de Keller, basé
sur la pédagogie de maîtrise et l’individualisation de l’enseignement.
Correspondant bien à une aspiration de scientificité de l’époque, ces
mouvements ont d’emblée eu beaucoup de succès dès la parution en 1971
du livre de Bloom sous le titre Comment définir les objectifs pédagogiques,
puis de ceux de Hameline (1980), de Landsheere (1980) et de D’Hainaut
(1977, 2e éd. 1983). De Ketele, jeune chercheur à l’époque et ayant beau-
coup travaillé toute la problématique des objectifs pédagogiques (1980), était
invité un peu partout en France d’abord, puis dans d’autres pays de la sphère
francophone, pour initier chercheurs, décideurs et enseignants à la probléma-
tique et aux subtilités techniques de ce que l’on appelait la P.P.O. (Pédagogie
Par Objectifs) ou encore la TOP (Technique des Objectifs Pédagogiques).
Ce mouvement a entraîné une vague importante de réforme des pro-
grammes d’études. Pour ceux qui avaient pris connaissance de ces réflexions,
il devenait indécent de raisonner uniquement en termes de contenus-matiè-
res à enseigner. Il fallait préciser ce que l’on désirait apprendre à faire sur ce
contenu (l’objectif est une capacité à exercer sur un contenu). Il fallait même
autant que possible préciser les performances attendues en termes de com-
portements observables de façon non ambiguë (l’objectif opérationnel est un
objectif qui précise les conditions de réalisation et les critères de maîtrise).
Le souci de rationaliser était tellement poussé que des équipes de cher-
cheurs construisirent des bases de données qui se voulaient exhaustives. Pour
chaque discipline donnée, les chercheurs identifiaient les objectifs généraux
à rechercher, se basant le plus souvent sur des taxonomies d’objectifs19.
Chaque objectif général était ensuite précisé en objectifs intermédiaires.
Ces derniers étaient décomposés en objectifs de plus en plus spécifiques.
Finalement, chaque objectif spécifique était précisé par un ensemble d’objec-
tifs opérationnels. On appelait cet ensemble « arbre des objectifs ». À partir de
cet arbre était conçu et validé pour chaque objectif opérationnel un ensemble
de questions d’évaluation mis à la disposition des chercheurs, décideurs et
19. Dont celle de Bloom, qui a eu le plus grand retentissement.
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 111
praticiens. En Californie, l’IOX (International Objectives Exchange) était une
des bases les plus célèbres, interrogée par des personnes du monde entier.
2.2.4 Connaître, c’est démontrer sa compétence
Après avoir réussi à essuyer les plâtres de la dernière guerre mondiale (grâce
notamment au Plan Marshall) et à refaire marcher la machine économique,
après avoir mis en place des mécanismes de protection sociale (syndicalisme,
sécurité sociale, sûreté de l’emploi dans des administrations de plus en plus
gourmandes en fonctionnaires), après avoir créé une demande de plus en
plus forte de biens et de services matériels et immatériels (comme le désir
d’une plus grande liberté de mouvement et de parole)… les États devenaient
de moins en moins capables de faire face aux exigences de toutes natures et
d’imposer leur loi aux entreprises multinationales ou aux holdings financiers.
Le processus de mondialisation, de globalisation, d’économie de marché,
de compétitivité croissante… gagnait du terrain. La chute du Mur de Berlin
accélérait le processus en accroissant encore la puissance des États-Unis,
fervents promoteurs de ce processus. Les États étaient obligés de rentrer
dans ce processus sous peine de régression, comme ce fut le cas notamment
pour de nombreux états africains qui n’ont pas respecté les ukases du Fond
Monétaire International et de la Banque Mondiale.
Au sein des entreprises marchandes d’abord, puis non marchandes
ensuite, les employeurs soucieux d’efficacité et de rendement firent pro-
gressivement un triple constat concernant le recrutement des produits de
l’école :
(1) plus le diplôme est élevé, plus le candidat au poste a des chances de
s’adapter et de donner à terme satisfaction ;
(2) mais par ailleurs les élèves qui sortent de l’école sont incapables d’ac-
complir les tâches complexes qui leur sont données, même si toutes les
connaissances et techniques requises leur ont été enseignées ;
(3) dans certains domaines surtout, le nombre de diplômés devenant supé-
rieur aux besoins, la sphère de recrutement devient plus large. Il est donc
possible de recruter les personnes susceptibles de devenir le plus rapi-
dement compétentes, ce que l’on trouve plus facilement parmi les plus
diplômés, tout en les payant à un salaire inférieur à leur diplôme.
Ces constats alliés aux impératifs de la compétitivité et de la rentabilité ame-
nèrent les entreprises à créer leur propre service de formation afin de rendre
les nouveaux engagés ou les personnels à muter sur un autre poste le plus
rapidement « performants », c’est-à-dire capables d’accomplir leurs tâches
avec une qualité proche du zéro défaut et de résoudre au mieux les problè-
mes susceptibles de survenir dans l’accomplissement de leurs tâches. Les
112 La pédagogie de l’intégration
services de formation eurent donc comme premier rôle de mener avec les
services concernés de l’entreprise une analyse précise des tâches et d’iden-
tifier à partir de là les compétences requises. Ainsi naquit le concept de « réfé-
rentiel de compétences ».
Ces services de formation pouvant être coûteux pour l’entreprise, celle-ci
a perçu son intérêt à agir sur l’école pour la pousser à transformer ses pro-
grammes en termes de compétences, du moins celles susceptibles d’être
apprises dans un tel cadre. L’entreprise (du moins certaines organisations
patronales) se déclarait prête à aider le système éducatif à se transformer
dans ce sens, à coopérer là où c’était nécessaire pour définir une politique
de pédagogie en alternance et à prendre en charge la formation des compé-
tences plus pointues, requérant des matériels ou technologiques coûteuses
ou rapidement évolutives. C’est ainsi que les pressions des entreprises euro-
péennes sur les autorités de l’Union Européenne amenèrent celle-ci à déblo-
quer d’importants crédits autour du projet UNICAP (Unités Capitalisables).
Ce projet consistait à définir pour chaque catégorie de métiers un référentiel
de compétences et de répartir la formation en unités capitalisables progressi-
ves. Chaque unité capitalisable était définie par ses entrées (les compétences
prérequises à maîtriser pour les élèves ou étudiants qui peuvent accéder à
l’unité) et par ses sorties (les compétences à maîtriser au terme de l’unité, les
modes de certification et les seuils de maîtrises minimales pour la certifica-
tion). Ce projet important a eu un retentissement considérable sur les dépar-
tements d’enseignement technique et professionnel de certains pays, sur les
offices ou les ministères de la formation professionnelle, sur les institutions
de formation continue et sur les services de formation des entreprises elles-
mêmes qui étaient confrontées à des formations rapides de leur personnel.
Essentiellement tournées vers les référentiels de compétences des
métiers, ces initiatives débouchèrent assez vite sur la constatation que les
référentiels de compétences des métiers exigeaient, surtout pour des métiers
de haut niveau, des capacités transversales ou génériques c’est-à-dire s’exer-
çant sur des situations très diverses, telles par exemple : interpréter correc-
tement un problème, lire correctement un mode opératoire, aller chercher
dans un ouvrage de référence les informations utiles pour un certain usage,
réagir de façon critique à une situation… Il s’ensuivit des pressions auprès
des autorités des systèmes éducatifs pour agir auprès des programmes d’étu-
des de l’enseignement général et y introduire un apprentissage de telles
compétences.
Parallèlement, deux phénomènes conjoints allaient rencontrer ce mou-
vement. Sur le plan de l’orientation des politiques éducatives, de grands
organismes internationaux (non seulement la Banque Mondiale et l’OCDE,
mais aussi l’UNESCO, l’UNICEF, le PNUD et bien d’autres) montraient à
travers leurs travaux que le seul souci de rendement quantitatif des systè-
mes éducatifs était de très loin insuffisant, et qu’il fallait en outre viser un
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 113
rendement qualitatif. C’est ainsi que l’idée de développer un curriculum (les
Anglo-Saxons parlent de « general curriculum ») basé sur l’apprentissage d’un
ensemble de compétences de base liées à la vie citoyenne20, nécessaires
pour permettre à toute personne de vivre dans une société caractérisée par
un « développement durable ». Malgré un conservatisme généralement plus
fort de l’enseignement général, ces pressions se virent de plus en plus cou-
ronnés de succès dans de nombreux pays, comme le montrent les nouvelles
appellations créées dans les différents pays : « basic skills » et de plus en plus
fréquemment « basic competencies » dans de nombreux pays anglo-saxons,
« compétences socles » dans l’enseignement secondaire belge, « objectifs
d’intégration » dans l’enseignement primaire belge, « objectifs noyaux » dans
l’enseignement suisse, « compétences minimales » dans certains secteurs de
l’enseignement français, « compétences par cycles » dans l’enseignement pri-
maire français… et bien d’autres appellations comme « compétences plan-
cher », « socles de compétences », « compétences exigibles », « compétences
nécessaires », « compétences de base »… Cette dernière appellation a été uti-
lisée dans plusieurs pays dont la Tunisie. Elle nous apparaît plus appropriée,
car elle n’induit pas les connotations péjoratives qu’un terme comme « mini-
male » induit chez certaines personnes par confusion avec « minimaliste ». Elle
induit au contraire l’idée de « fondation » sur laquelle peuvent se construire
des édifices de nature variée.
Sur le plan de la recherche, au début des années 1980, on assistait éga-
lement au développement progressif d’une réflexion, initiée par De Ketele,
en termes d’intégration de l’ensemble des acquis d’une année scolaire voire
d’un cycle tout entier. C’est à ce moment-là que naquit le concept d’objectif
terminal d’intégration (De Ketele, 1980).
2.3 LES FONDEMENTS THÉORIQUES DE LA PÉDAGOGIE
DE L’INTÉGRATION
Quelles sont les théories de l’apprentissage issues de la recherche scientifique
qui ont inspiré la pédagogie de l’intégration ? En voici les principales. Elles se
situent essentiellement dans la deuxième moitié du XXe siècle.
Elles ont inspiré la pédagogie de l’intégration, de manière plus ou moins
proche – tant dans les apprentissages de ressources que dans les activités
d’intégration –, essentiellement sur les plans suivants :
– la prise en compte de l’action de l’apprenant sur son environnement, et
le concept de tâche complexe et significative qui en découle ;
– l’implication de l’apprenant dans les apprentissages ;
– la notion de conflit cognitif, et surtout de conflit socio-cognitif ;
20. Voir par exemple à ce sujet les « life skills » mises en évidence par Chinapah (1997).
114 La pédagogie de l’intégration
– le rôle de l’adulte pour enclencher et encadrer un processus
d’apprentissage ;
– l’acquisition par l’apprenant des ressources cognitives mobilisables en
situation ;
– le traitement de l’information face à une tâche complexe ;
– le développement progressif d’une compétence.
Contrairement à certaines idées reçues, les théories scientifiques sont loin
d’être statiques et figées. Elles évoluent, car toute théorie génère de nou-
velles questions non résolues appelant à leur tour l’élaboration de nouvelles
théories. Par ailleurs, les chercheurs subissent plus qu’ils ne veulent le croire
l’influence des courants socio-économiques ambiants. Certains parallélismes
entre l’évolution décrite dans la section précédente et l’évolution des théories
de l’apprentissage peuvent être relevés.
2.3.1 Les théories de l’exposition à des modèles
Depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, des théories implicites (surtout dans les
premiers siècles) ou explicites (comme le « modelism » et certaines théories de
l’apprentissage social autour de Bandura aux États-Unis, dont l’influence est
encore forte actuellement) font de la confrontation à des modèles variés le
principe majeur de l’apprentissage. On peut citer dans ce sens, certains de
ces modèles : la recherche du voisinage des maîtres, la méthode socratique
(qui suppose le voisinage d’une personne de qualité, à savoir un « maître »),
le compagnonnage développé de façon remarquable au Moyen Âge et sub-
sistant dans des cercles restreints dans l’économie informelle de pays en
développement ou dans des corporations fermées en France, par exem-
ple, les formalisations plus scientifiques par certains psychologues sociaux
(Bronfenbrenner, Bandura…) ou certains sociologues (les théories macroso-
ciologiques de la reproduction sociale de Bourdieu et les théories microsocio-
logiques de l’habitus de Perrenoud) vont dans ce sens.
Dans ces théories implicites ou explicites, on voit que le rôle du milieu est
important. Ce rôle est tantôt envisagé de façon assez déterministe (comme
chez Bourdieu, Perrenoud, Bandura, Bronfenbrenner…), tantôt de façon
plus volontariste (Socrate, les compagnons, le micro-enseignement…).
2.3.2 Le constructivisme piagétien
Alors que la théorie de l’exposition des modèles met l’accent sur les facteurs
externes et se préoccupe peu du « comment » ceux-ci agissent sur l’appren-
tissage et le développement du sujet, Piaget au contraire met au centre de
son modèle l’interaction du sujet avec son environnement : l’enfant agit sur
l’environnement et réagit aux stimulations de l’environnement. Sans (ré-)
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 115
action de l’enfant, celui-ci ne peut poursuivre son développement. Le déve-
loppement cognitif du sujet est un processus par bonds successifs qui réalise
l’équilibre entre l’assimilation (intégration des stimuli nouveaux aux schèmes
existants) et l’accommodation (émergence de nouveaux schèmes face à la
difficulté d’utiliser à bon escient ou économiquement les schèmes existants).
Cela conduit Piaget et ses collaborateurs, à travers de nombreuses observa-
tions, en situation naturelle ou provoquée, à distinguer des stades qualitatifs,
successifs et irréversibles dans le développement de la pensée. Ceci a été par
la suite de plus en plus remis en question : non seulement les limites d’âge
déterminées par Piaget ne se retrouvent guère comme telles sur d’autres
échantillons, mais on retrouve des résultats très différents selon les milieux et
les cultures dans lesquels vivent les enfants ; par ailleurs, le caractère irréver-
sible des stades est loin d’avoir été démontré.
Biologiste de formation, Piaget s’est préoccupé beaucoup plus du déve-
loppement que de l’apprentissage ; il n’est donc pas étonnant qu’il inter-
prète les résultats observés en termes de processus de maturation autonome,
individuel, génétiquement programmé. Pour lui, il n’est donc guère possible
d’accélérer ce processus au-delà d’une frange très étroite. Interpellé en fin
de carrière par les pédagogues, Piaget maintiendra cette position (prédomi-
nance du développement sur le processus d’enseignement-apprentissage) et
insistera donc sur une conception de l’enseignement qui se résume essentiel-
lement, non pas à transmettre des connaissances mais à faciliter le processus
de construction des connaissances par chaque enfant grâce à son action sur
les objets et à ses interactions avec le milieu. Enseigner devient donc choisir
des objets et mettre à la disposition des élèves un environnement donné
en fonction du niveau de développement de ceux-ci. Pour Piaget, le but
ultime de l’enseignement est de permettre à l’enfant devenu adolescent de
construire des connaissances formelles « exactes », c’est-à-dire des concepts
précis (attributs et propriétés scientifiquement exacts) et organisés en réseaux
(dont les relations sont reconnues par la communauté scientifique). Ceci
implique donc également que les enseignants aient une connaissance scienti-
fique approfondie de la matière et une formation épistémologique.
2.3.3 Le néo-constructivisme
Élèves de Piaget, Perret-Clermont (1980) ainsi que Doise et Mugny (1981)
tentent, sans renier les principes de base du constructivisme, de dépasser le
réductionnisme individualiste du modèle piagétien en proposant le concept
de conflit sociocognitif comme base du développement et de l’apprentissage.
Pour eux, le concept piagétien de conflit cognitif interne à un sujet (les schè-
mes existants chez celui-ci rentrent en conflit avec le milieu ; des schèmes
alternatifs rentrent en compétition) est insuffisant, car tout apprentissage est
social. La théorie du conflit sociocognitif repose donc sur l’idée que l’effet
116 La pédagogie de l’intégration
structurant du conflit cognitif s’accroît s’il s’accompagne d’un conflit social :
des apprenants mis en présence et confrontés à une même tâche seront
amenés à développer des actions et des verbalisations qui vont entrer en
conflit, car reposant sur des schèmes cognitifs quelque peu différents ; cette
confrontation offre aux sujets en présence plus de chances de mettre en
place des processus d’accommodation des structures de connaissances ini-
tiales et d’améliorer les processus d’équilibration.
Ce modèle s’appuie sur toute une série de situations expérimentales,
méthodologiquement bien conduites dans la plupart des cas, où des grou-
pes d’apprenants (le plus souvent des triades), sélectionnés en fonction de
leur stade de développement, étaient amenés à interagir pour résoudre des
épreuves (piagétiennes dans la plupart des cas). On comparait ensuite les
résultats de ces groupes en interaction à des « groupes » d’élèves comparables
travaillant individuellement. Dans un livre de synthèse, Doise, Clemence et
Lorenzi-Cioldi (1992) explicitent ainsi les principales conclusions de l’ensem-
ble de ces recherches :
(a) dans de bonnes conditions, l’interaction sociale permet à des élèves d’un
niveau donné de résoudre certaines tâches qu’ils ne pourraient effectuer
seuls ;
(b) confrontés une nouvelle fois à ces tâches, mais seuls, ils parviennent à les
exécuter ;
(c) les nouveaux schèmes générés à partir de ces tâches sont stables et sont
mobilisables pour d’autres tâches ;
(d) il en résulte que les conflits sociocognitifs sont des moteurs de
l’apprentissage.
Les travaux d’un auteur comme Vandenplas (1999) ont permis de compren-
dre à quelles conditions le conflit sociocognitif se révélait plus efficace en
manipulant la composition du groupe (niveaux de décalage dans le dévelop-
pement) et les conditions de la tâche. Elle en déduit :
(a) il existe des niveaux de décalage optimum (groupe ni trop homogène, ni
trop hétérogène) ;
(b) les informations apportées par les autres élèves du groupe ont plus de
chance d’être mobilisées efficacement si elles rentrent en conflit avec
les schèmes existants et que les décalages de niveau ne sont pas trop
grands ;
(c) les conditions de la tâche et les informations apportées par les autres élè-
ves favorisent la décentration de l’élève par rapport à son propre point
de vue ;
(d) les conditions de la tâche amènent les élèves à s’engager dans la situation
(caractère significatif, enjeu social).
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 117
2.3.4 Le modèle de Vygotski
Alors que le modèle piagétien est un modèle de construction individuelle
et interne des connaissances grâce à une interaction avec les objets, et que
le modèle néo-constructiviste y implique le rôle des pairs qui permettent le
conflit sociocognitif, le modèle de Vygotski réhabilite le rôle de l’adulte dans
le développement et l’apprentissage. Selon lui, les processus de développe-
ment internes du sujet ne sont, à certains moments, accessibles à l’enfant
que dans le cadre d’une communication avec l’adulte ou avec les pairs. Il y
aurait pour Vygotski deux moments clés dans l’apprentissage : à un moment
opportun, l’adulte intervient pour enclencher un processus que l’élève ne
peut déclencher seul ; si le moment est bien choisi et si l’action de l’adulte
est pertinente, l’élève peut fonctionner seul avec ses acquisitions. Ceci est
à la base du concept de zone proximale de développement qui peut être
défini comme la différence entre le niveau de traitement d’une situation sous
la direction et avec l’aide de l’adulte et le niveau de traitement atteint seul
par l’individu. Ainsi donc, Vygotski (1987) différencie bien l’apprentissage
(phase 1 où l’adulte intervient) et le développement (phase 2 où un pro-
cessus interne individuel peut alors s’opérer). Il indique clairement que l’ap-
prentissage est un moment constitutif du développement mental de l’enfant
qui active celui-ci en réveillant les processus évolutifs qui ne pourraient être
actualisés sans cet apprentissage.
L’hypothèse de Vygotski (l’apprentissage doit mener à l’intériorisation,
c’est-à-dire à faire émerger des « comportements mentaux ») a été reprise
et détaillée par un autre psychologue russe, à savoir Gal’perin. Ce dernier
caractérise l’apprentissage par quatre paramètres indépendants.
(1) le niveau du comportement, qui peut être de nature matérielle, verbale
ou mentale. Pour développer convenablement des comportements men-
taux, il faudrait nécessairement passer par les comportements matériels
(manipulation) et verbaux (expression ou représentation).
(2) le niveau d’intégralité du comportement. Dans sa forme intégrale, le
comportement possède trois caractéristiques, à savoir son orientation (le
but, la fonction), la réalisation et le contrôle. Pendant un apprentissage,
le comportement évoluerait en général de la forme intégrale à la forme
raccourcie.
(3) le degré de généralisation du comportement. Tout comportement men-
tal appris acquiert une applicabilité de plus en plus générale. Applicable
d’abord à des objets ou de contextes spécifiques, il peut ensuite s’appli-
quer à des objets ou à des situations caractérisés par des attributs plus
généraux ou plus abstraits.
(4) le degré de maîtrise du comportement. Plus lent, plus hésitant, plus
conscient au départ, le comportement devient de plus en plus rapide,
assuré et automatique.
118 La pédagogie de l’intégration
Contemporaine de celle de Piaget, la conception de Vygotski n’a pénétré
l’occident que tardivement où elle a eu d’emblée un grand succès sur les
psychologues de l’apprentissage.
2.3.5 Le courant de l’apprentissage en contexte
La problématique qui se pose aujourd’hui à la recherche psychopédagogi-
que est le manque d’un modèle conceptuel solide concernant l’acquisition
par un sujet apprenant des ressources cognitives mobilisables en situation,
autrement dit d’un modèle permettant de situer et d’orienter l’action des
enseignants et des formateurs dans les nouvelles perspectives de la pédago-
gie d’intégration.
Ce champ de l’acquisition des ressources cognitives mobilisables en
situation est d’une grande complexité. Plusieurs théories et modèles ont
apporté une contribution à cette problématique. Le courant qui sous-tend de
la manière la plus explicite le courant pédagogique centré sur les compéten-
ces est sans doute le courant désigné par l’expression « situated cognition21 »,
en psychologie cognitive. Ce courant, qui s’est développé à la fin des années
1980, et qui se situe dans le prolongement des travaux de Vygotski, repose
sur l’idée que l’acquisition d’une connaissance – c’est-à-dire la manière
dont une personne s’approprie un savoir22 – dépend de manière étroite du
contexte socioculturel dans lequel cette connaissance se développe. En par-
ticulier, Brown et al. (1989) notent à ce propos que « …on peut aujourd’hui
affirmer que l’apprentissage et la cognition sont fondamentalement
contextualisés » (p. 32). Pour Lave et Wenger (1991)23, apprendre, c’est
devenir progressivement capable de s’insérer au sein des pratiques sociales
de son milieu24.
Dès lors, selon Brown et al. (1989), il convient d’amener les enseignants
à modifier leur façon de concevoir les rapports entre connaissances et réso-
lution de problèmes, ainsi que les rapports entre les connaissances et la
pratique. Plutôt que de considérer la pratique comme un exercice ou une
répétition en vue de fixer une règle ou un principe, il convient de considérer
cette pratique à la fois comme la source de la connaissance, sa finalité et son
lieu de validation. Entre le faire et le connaître, les relations sont de nature
dialectique et c’est ainsi qu’il faut les faire vivre à l’école (Crahay, 2006).
La contextualisation des apprentissages devient donc indispensable car
les connaissances n’acquièrent une signification réelle pour le sujet qu’à
condition que les éléments qui les définissent soient appréhendés par l’in-
21. Cognition en situation.
22. Voir en 3.1.1 la différence entre savoir et connaissance.
23. Qui sont d’ailleurs à la base de la notion de « communautés de pratiques ».
24. Ce qui conforte d’ailleurs l’idée selon laquelle toute situation d’intégration a une fonction
sociale (voir en 4.1.2).
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 119
dividu en référence à des situations particulières c’est-à-dire des situations
complexes.
2.3.6 Les modèles cognitivistes actuels
Même si Piaget et Vygotski ont développé une approche que l’on peut qua-
lifier de cognitiviste, Jacques Tardif (1992 ; position réaffirmée par Gauthier,
1997) affirme que l’on a coutume de faire naître l’approche cognitiviste en
1979 à San Diego lorsque plusieurs disciplines différentes (la philosophie,
la linguistique, l’intelligence artificielle, les neurosciences et, naturellement,
la psychologie cognitive) ont reconnu qu’elles avaient une préoccupation et
une démarche relativement communes.
S’intéressant d’abord aux problèmes de la mémoire, les recherches de
psychologie cognitive ont été amenées à distinguer deux types de mémoire,
une mémoire à court terme ou mémoire de travail et une mémoire à long
terme ou mémoire de stockage. La cognition est alors considérée stricte-
ment comme l’activité de mémorisation en terme de processus de codage de
l’information et de récupération de l’information codée en mémoire.
Très vite, les travaux se sont élargis à l’étude de l’apprentissage, conçu
comme des activités de traitement de l’information et non pas seulement
comme des associations entre des stimuli présentés et des réponses obser-
vables. Ces activités de traitement de l’information sont nombreuses :
prise d’information, interprétation, inférence, prise de décision, résolution
de problème, prise de conscience des démarches, contrôle et régulation
(métacognition)…
Les apports de cette approche sont très divers et sont encore loin de
pouvoir être unifiés, tant les concepts utilisés sont nombreux pour désigner
des phénomènes semblables et tant les approches sont variées (du para-
digme expérimental le plus strict à des approches qualitatives fort ouvertes
et difficilement contrôlables). Il est donc encore trop tôt pour en tirer des
modèles suffisamment popularisés. On peut cependant épingler la distinc-
tion bien connue entre connaissances déclaratives (celles relatives aux faits,
aux propriétés de phénomènes, à leurs relations, aux lois, aux théories…) et
connaissances procédurales (celles relatives aux procédures ou ensembles de
règles pour pouvoir résoudre un problème). Comme les connaissances pro-
cédurales consistent à savoir faire quelque chose sans être nécessairement
en mesure de savoir quand et pourquoi, certains auteurs (voir, par exem-
ple, Jacques Tardif, 1992) estiment nécessaire d’y ajouter les connaissances
appelées conditionnelles ou stratégiques qui sont celles qui concernent le
quand et lesquelles des connaissances déclaratives et procédurales mobiliser
pour résoudre telle catégorie de problèmes.
Le développement du concept de métacognition mérite également
d’être souligné (Flavell, 1976 ; Noël, 1991 ; Frenay, Noël, Parmentier &
120 La pédagogie de l’intégration
Romainville, 1998). Après un premier mouvement où les travaux avaient
pour intention de montrer l’impact positif des processus métacognitifs sur
les résultats de l’apprentissage, la vague actuelle des recherches tend plutôt à
indiquer que les processus métacognitifs peuvent avoir un impact positif dans
les premières phases de l’apprentissage, mais qui se réduit cependant pro-
gressivement avec la stabilisation des connaissances et leur automatisation.
2.4 LES FONDEMENTS PÉDAGOGIQUES DE LA PÉDAGOGIE
DE L’INTÉGRATION25
2.4.1 Introduction
Depuis une dizaine d’années, un vaste mouvement de réformes éducatives
est engagé dans une grande majorité des pays de la planète, du Nord comme
du Sud. Ce mouvement est sans aucun doute le plus important depuis les
réformes liées à l’introduction de la pédagogie par objectifs dans les cur-
ricula. Si ces nouvelles réformes se réclament en général de l’approche
par compétences, le mouvement semble cependant moins uniforme qu’il
ne l’était à l’époque de la P.P.O., ceci pour plusieurs raisons. Tout d’abord
parce que, malgré les poussées de la mondialisation, les systèmes éducatifs
sont caractérisés par une très forte diversité (Halaoui, 2003), que ce soit
au niveau des langues d’enseignement, du nombre d’années d’études, du
niveau de formation des enseignants ou de la manière d’organiser le système
éducatif, pour ne parler que de quelques variables particulièrement visibles.
Cette variété impose, aujourd’hui encore, une très forte contextualisation des
programmes d’études et, de manière plus large, des curricula.
Mais il existe surtout d’autres raisons, liées aux orientations mêmes don-
nées à ces réformes qui se réclament de l’approche par compétences. Il
existe en fait deux controverses principales. La première est une controverse
à propos de l’utilisation du concept de compétence en éducation. C’est une
controverse de surface, qui en cache une deuxième, beaucoup plus pro-
fonde, relative aux priorités à accorder dans les apprentissages.
Le concept de compétence en éducation : une controverse de surface
D’une personne à l’autre, la notion de compétence et son utilisation en édu-
cation est comprise de manière différente, comme nous l’avons vu en 1.9.2.
Pour certains, elle consiste à regrouper quelques objectifs spécifiques en
« compétences disciplinaires », qui gardent encore l’aspect et la forme d’ob-
jectifs spécifiques, et qui sont évalués comme des objectifs spécifiques. C’est
la vision des compétences comme « skills », mise en œuvre dans la conception
des standards. Pour d’autres, cette utilisation est synonyme de développe-
ment de « compétences de vie »26, orientées vers le développement d’attitudes
25. Adaptation de la version en anglais, publiée sous la référence Roegiers (2007).
26. En anglais « life skills ».
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 121
citoyennes, de respect de l’environnement, et de préservation de sa santé et
de la santé d’autrui. Pour d’autres enfin, elle est associée à l’interdisciplina-
rité, et consiste à briser une structure disciplinaire des programmes scolaires,
vue comme réductrice de la complexité de la vie27. Pour la pédagogie de
l’intégration, il s’agit de rendre les apprentissages plus finalisés, orientés vers
l’insertion dans la vie en société et dans la vie professionnelle.
Cette diversité de représentations est à l’image de la polysémie du
concept de compétence qui peut se référer à des domaines différents tels que
la linguistique, l’ethnographie ou la pédagogie. Il n’empêche qu’il véhicule un
certain nombre de malentendus et d’interprétations déplacées, qu’il convient
de lever, si on veut que son introduction dans les systèmes d’enseignement et
de formation professionnelle soit réellement source de progrès pour eux.
Cette controverse à propos de la signification du terme de « compétence »
reste cependant une controverse de surface, liée à une question de termino-
logie sur laquelle nous reviendrons en 3.2.4. En particulier, la pédagogie de
l’intégration repose sur une conception de la compétence qui évoque une
entité de nature complexe, orientée vers l’action, et évaluable : le noyau de
compétences évaluables, évoqué en 1.3. Mais si ce type d’entité apparaît
aujourd’hui comme incontournable pour faire face aux défis de l’éducation,
elle ne doit pas être nécessairement désignée par le terme « compétence ».
L’avenir nous dira si le monde de l’éducation va continuer à l’appeler « com-
pétence », ou si un autre terme le supplantera.
En revanche, cette controverse en cache une autre, plus profonde celle-
là, à propos de la conception des apprentissages, et des priorités à accorder
dans les apprentissages.
Les priorités dans les apprentissages : une controverse de profondeur
Dans les pays du Nord comme dans ceux du Sud, deux options semblent
être privilégiées dans les réformes des curricula de l’enseignement de base28.
Fondées sur les mêmes principes du travail sur les situations complexes à
l’école, ainsi que sur les mêmes changements qu’elles se proposent d’intro-
duire in fine dans les pratiques d’enseignement et de formation, ces options
ne s’opposent pas, mais diffèrent dans la mesure où elles proposent des
enchaînements différents dans les changements apportés au curriculum,
pour les systèmes éducatifs qui ne peuvent ou ne veulent pas absorber la
totalité des changements en une fois. Notre propos est de mettre l’accent sur
les principes communs qui fondent ces deux modèles, mais aussi de préciser
l’apport spécifique et les limites de chacun d’eux, en fonction des contextes
dans lesquels ils sont mis en œuvre.
27. Pour plus de précisions sur les différentes manières d’envisager l’approche par les
compétences, voir Roegiers (2008a ; 2008b).
28. C’est-à-dire couvrant le primaire et le secondaire inférieur (environ 9 années de scolarité).
122 La pédagogie de l’intégration
Dans les développements suivants, il ne faut donc pas comprendre le
terme priorité dans le sens de « est plus important que », mais dans le
sens de « est mis en place avant » : le terme « priorité » est donc à voir en
termes de temporalité.
Pour caractériser les deux modèles en vigueur, nous entrerons par le concept
de situation, qui fait l’objet d’un accord relatif dans la littérature, et à propos
duquel les représentations divergent peu, plutôt que par celui de compé-
tence, qui fait l’objet d’interprétations diverses, mais aussi de malentendus,
comme nous l’avons vu ci-dessus.
2.4.2 La problématique de l’introduction des situations
complexes : deux voies complémentaires
Le débat du « comment apprendre » semble aujourd’hui se cristalliser autour
du recours aux « situations-problèmes29 », ou « situations complexes ». Il peut
notamment s’exprimer à travers deux questions : comment les ressour-
ces30 doivent-elles s’apprendre ? Quel rôle faut-il faire jouer aux situations
complexes dans les apprentissages ?
Comme contribution à ce débat, la pédagogie de l’intégration pro-
pose de distinguer deux grandes occasions de faire appel à des situations
complexes :
– des situations complexes exploitées lors de situations relatives à l’instal-
lation de ressources ;
– des situations complexes exploitées à des fins d’intégration.
1. Des situations relatives aux ressources
Comme nous l’avons vu en 1.2.2, les situations complexes peuvent être
exploitées en guise d’apprentissages des ressources, que ce soient :
– des situations-problèmes d’exploration, dont la fonction est de dés-
tructurer le répertoire cognitif de l’apprenant, en amont des apprentissa-
ges de ressources (voir en 1.5.2) ;
– des situations d’apprentissage des ressources (Roegiers, 2003,
2e éd. 2007) : situations didactiques relevant du paradigme de l’appren-
tissage (une recherche par les élèves ou les étudiants, un défi, une étude
de cas…) ou situations didactiques traditionnelles (un exposé de l’en-
seignant…), dont la fonction est d’alimenter le répertoire cognitif31 de
l’apprenant en nouveaux acquis ;
29. Voir en 4.2.1 pour une clarification conceptuelle de cette notion.
30. Voir en 1.2.2 pour une définition de ce terme.
31. De même que son répertoire gestuel ou socio-affectif, puisque les ressources de l’apprenant
sont issues de ces différents répertoires.
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 123
– des situations de structuration de notions vues, dont la fonction est de
provoquer chez l’apprenant une réorganisation cohérente des acquis de
son répertoire.
Nous qualifions l’ensemble de ces situations par le terme « situations relatives
aux ressources ».
C’est au contact de ces situations que les apprenants dégagent des
concepts, des règles, des formules, des procédures… Ces situations-pro-
blèmes sont vues comme une déstabilisation constructive en vue de faire
progresser l’apprenant (Dalongeville & Huber, 2001). Dans la littérature,
elles sont aussi appelées « situations d’apprentissage », ou encore des « tâches
sources » (Tardif, 1999). Toutefois, la pédagogie de l’intégration préfère évi-
ter l’expression « situations d’apprentissage » pour désigner les situations rela-
tives aux ressources, car cela induirait que les situations exploitées à des fins
d’apprentissage de l’intégration ne sont pas des situations d’apprentissage
(voir schéma en 1.5.3). Le terme générique « situations relatives aux ressour-
ces » met en évidence le fait qu’elles concernent une partie des apprentis-
sages : les apprentissages de ressources. Très souvent, il s’agit de situations
complexes que les apprenants sont appelés à résoudre individuellement ou
en petits groupes, sur la base d’une consigne de travail, ainsi que de docu-
ments ou matériels appropriés pour réaliser une tâche donnée : une enquête,
une recherche, une observation, un projet…
2. Des situations d’intégration
Mais des situations-problèmes peuvent également être exploitées en aval
des apprentissages de ressources, dans la perspective de mobiliser les res-
sources acquises, en fonction de compétences à atteindre par l’apprenant,
ces compétences découlant elles-mêmes d’un profil soigneusement défini.
Elles portent le nom de « situations d’intégration » (De Ketele, 1989 ; 1996 ;
Roegiers, 2000), situations de réinvestissement, ou encore « situations cibles »
(Roegiers, 2003, 2e éd. 2007). Appelons-les « situations d’intégration » dans
le cadre de notre propos. Il s’agit de situations complexes que les apprenants
sont invités à résoudre, la plupart du temps individuellement, comme par
exemple la production d’un texte écrit significatif en situation de communi-
cation, la résolution d’une situation-problème en physique ou en mathéma-
tiques, la réalisation d’une œuvre artistique, ou encore la gestion anticipée,
par l’infirmière, des complications d’hémorragie post accidentelle chez un
patient, etc.
L’introduction des situations-problèmes autour des apprentissages de
ressources que pendant ceux-ci, ainsi que l’introduction des situations-pro-
blèmes en aval (situations d’intégration) peuvent être considérées comme
deux innovations distinctes à l’échelle d’un système éducatif, qui peut envisa-
124 La pédagogie de l’intégration
ger de les introduire simultanément ou successivement (l’une puis l’autre), ou
encore de n’introduire que l’une d’elles.
Un postulat relatif à la capacité d’assimilation d’une réforme par un
système éducatif
À certains niveaux, et en particulier dans l’enseignement supérieur, l’autono-
mie des établissements et des enseignants est telle que se poser la question de
la généralisation de telle ou telle mesure ne se pose pas : les innovations sont
simplement suggérées aux enseignants, sans aucun pouvoir contraignant.
Mais au niveau de la scolarité obligatoire, là où l’État doit – en principe –
se montrer efficace et équitable, la question du moment de l’introduction de
l’innovation et du rythme de celle-ci est très sensible, parce qu’elle est en lien
direct avec la politique curriculaire (voir en 1.2.1). Certains systèmes éduca-
tifs peuvent se permettre de promouvoir dans un même temps les situations
complexes lors des apprentissages ponctuels de ressources, et des situations
complexes en aval (situations d’intégration), parce que le contexte le permet :
niveau adéquat de formation des enseignants, pilotage efficace de l’innova-
tion, équipement et matériel appropriés dans les écoles et les lieux de for-
mation, nombre réduit d’élèves par classe. Mais d’autres sont obligés de s’y
prendre en deux étapes (voire davantage), parce qu’introduire les deux chan-
gements à l’échelle du système reviendrait à exiger trop des enseignants en
une seule fois, et dès lors à tuer la réforme dans l’œuf : trop de changements
en une fois provoque le non-changement au sein d’un système éducatif.
Les développements proposés ci-après sont basés sur le postulat suivant :
pour qu’une innovation ait des chances de s’installer de façon durable dans
un système d’éducation ou de formation, lui-même placé dans un contexte
donné, il faut que le rythme d’introduction de cette innovation tienne compte
de la capacité du système à digérer cette innovation. Beaucoup de réformes
ont échoué parce que l’effort demandé aux enseignants était brutal ou trop
important par rapport à leur potentiel de changement, lié à leur personnalité
bien sûr, mais également à leurs qualifications et aux conditions de travail.
Il convient également de rappeler les exigences d’une réforme au niveau
« macrosocial » (pays, région, réseau d’enseignement), en termes de stratégie
de changement à l’échelle d’un système éducatif. La progressivité dans les
propositions de changement n’empêche nullement – bien au contraire –
que dans certaines écoles, pour certains enseignants, le fait de procéder de
manière graduelle ne soit pas pertinent, parce que des conditions particuliè-
res permettent de faire face d’emblée aux deux innovations. Mais à l’échelle
d’un pays, même si une part des enseignants peut s’approprier plus vite
les innovations, une réforme doit, pour être efficace, s’adresser à la grande
majorité d’entre eux, et les prendre là où ils sont, pour les entraîner dans
son sillage.
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 125
Une question clé
Une double innovation est à introduire à terme :
(1) des situations relatives aux ressources qui se situent dans le para-
digme de l’apprentissage (voir en 1.5.4), c’est-à-dire participatives et
contextualisées ;
(2) l’introduction de situations d’intégration pour compléter les apprentissa-
ges des ressources.
À partir du moment où l’on accepte que cette double innovation est à intro-
duire, mais que le contexte ne permet pas que les deux soient introdui-
tes simultanément, se pose la question « Par laquelle faut-il commencer, à
l’échelle d’un pays, à l’échelle d’une région ? »
Cette question est cruciale pour un grand nombre de pays (1) dont les
pratiques de classe se limitent la plupart du temps au discours transmissif de
l’enseignant, (2) qui ressentent un besoin pressant de faire évoluer ces pra-
tiques et (3) pour lesquels introduire les deux changements à la fois dépasse
leur capacité d’absorption d’une innovation, et reviendrait à terme à main-
tenir le statu quo.
Dans ces pays, faut-il privilégier un enchaînement dans lequel le chan-
gement de pratiques concerne d’abord les situations relatives aux ressources
(ce que nous appellerons plus loin le « modèle 1 »), ou dans lequel il porte
d’abord sur les situations d’intégration (ce que nous appellerons plus loin le
« modèle 2 ») ?
Modèle 1
Mise en place progressive de situations d’apprentissage
des ressources qui soient participatives et contextualisées
Année 1 Année 2 Année 3 Année 4 Année 5 Année 6 Année 7 Mise en place
de la réforme
Modèle 2
Généralisation de la pratique des situations d’intégration
Mise en place progressive de situations d’apprentissage
des ressources qui soient participatives et contextualisées
Année 1 Année 2 Année 3 Année 4 Année 5 Année 6 Année 7 Mise en place
de la réforme
Figure 27. Schématisation des deux modèles relatifs à la succession de l’introduction
de l’innovation dans les systèmes d’éducation et de formation
126 La pédagogie de l’intégration
2.4.3 Entre ce que l’école voudrait faire et ce qu’elle peut faire :
deux conceptions extrêmes
Avant d’aborder les arguments en faveur d’un enchaînement ou d’un autre,
commençons par situer nos propos par rapport à deux conceptions extrê-
mes des apprentissages : une conception « situations seules », et une concep-
tion « ressources seules ».
Une conception naturelle « situations seules »
Dans la vie de tous les jours, un débat relatif aux ressources et aux situations
n’a pas de sens. Il n’a même pas de raison d’être. On mobilise à tout ins-
tant des ressources pour faire face à des situations naturellement complexes,
mais on ne pense pas à décomposer ces ressources, ni à se demander quelles
ressources on mobilise. D’où vient alors ce débat ?
Il vient de l’incapacité foncière de l’école à garantir que les ressources
s’acquièrent naturellement au gré des situations, c’est-à-dire de son incapacité
à reproduire les modèles naturels d’apprentissage, à savoir celui de l’auto-
apprentissage, l’apprentissage spontané, où la personne apprend au gré des
situations qui se présentent à elle, et celui du compagnonnage32, où l’aîné
prend le plus jeune par la main, l’expert apprend au novice, le maître se tient
aux côtés de son élève, le senior accompagne le junior, l’expérimenté super-
vise le débutant, dans une dynamique dans laquelle tous deux sont acteurs.
Les apprentissages se mènent à travers quelques situations naturelles : il suffit
de penser par exemple à la conception d’une œuvre d’art, pour un musicien,
un peintre, un maçon ou un orfèvre.
Pourquoi ces modèles naturels sont-ils aussi puissants ? Essentiellement
parce que ces modèles sont autorégulants. Dans l’auto-apprentissage, l’ap-
prenant régule par lui-même le niveau de difficulté des situations dans les-
quelles il acquiert les compétences nécessaires, et le rythme de leur appro-
che. Dans le modèle du compagnonnage, le maître peut, dans une relation
dynamique avec son apprenti, choisir et orienter les situations à son gré,
de manière à ce que les ressources s’installent en leur temps chez lui, et
lui permettent ensuite d’aborder de nouvelles situations. Non seulement il
a le choix des situations, mais il a le choix de les modifier pour que, à leur
contact, l’apprenti puisse s’approprier les ressources qui les constituent. Le
va-et-vient entre ressources et situations est tellement subtil que les distinguer
n’a pas de sens. Les situations y sont singulières, et par là même remarqua-
bles. Chacune est une occasion à ne pas manquer pour apprendre. Critères
de processus et critères de produit sont ainsi entremêlés : ce que le maître
artisan fait en termes de processus se répercute immédiatement en termes
de produit, et fait l’objet d’une régulation immédiate.
32. Ce terme est à prendre au sens fort, dans le sens d’un apprentissage entre deux personnes,
un expert et un novice, et non dans le sens restreint d’un apprentissage de techniques.
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 127
On retrouve ces caractéristiques dans certains apprentissages profession-
nels : l’apprenti ébéniste ne peut réaliser que 2 ou 3 « œuvres » par année : un
escalier, un châssis et une porte. Il apprend les savoirs et les savoir-faire en
agissant, qu’il réinvestit immédiatement dans la même situation, parce que
ces situations ne sont pas extensibles à l’infini. Il tente d’y mettre tout ce qu’il
peut y mettre au moment où il y est exposé. Par la force des choses, l’évalua-
tion elle aussi est souvent confondue avec les apprentissages. Situation d’ap-
prentissage et situation d’évaluation se rejoignent en une seule : l’apprenant
est évalué pendant qu’il travaille, avec toutes les dérives que l’assimilation
entre apprentissage et évaluation certificative entraîne33.
On retrouve également cette conception naturelle dans certaines formes
contemporaines de formation d’adultes, telles que la formation « sur le poste
de travail ». C’est aussi elle qui prévaut dans une formation à l’expertise, qui
ne peut s’apprendre que par le contact avec un ensemble de situations par-
ticulières (co-expertise, supervision).
Il en va de même des autodidactes. C’est comme cela qu’apprend le
joueur de football, le musicien, le peintre : il est dans une situation complexe,
il découvre un nouveau geste, le transfère immédiatement dans une situation
nouvelle, qui lui en apprend un nouveau, etc. Situations et ressources sont
dans une telle symbiose que l’apprenant ne se demande pas s’il acquiert les
ressources parce qu’il y a une situation donnée qui le permet, ou s’il peut
résoudre la situation parce qu’il en maîtrise les ressources. Autrement dit,
il n’y a plus de distinction entre les situations relatives aux ressources et les
situations d’intégration.
Situation Situation Situation
Ressources Ressources Ressources Ressources Ressources
Situation Situation Situation
Figure 28. Schématisation de la fusion entre ressources et situations dans la conception
« situations seules »
À travers les ressources acquises, l’apprenant transforme donc à son tour la
situation. On n’est pas dans une logique où la situation est figée, mais où elle
33. L’idéal est toujours de distinguer d’une part les occasions qui servent à installer les acquis et
sécuriser l’apprenant, et d’autre part celles qui servent à la certification. Nous y reviendrons
plus loin, en 4.2.2.
128 La pédagogie de l’intégration
évolue avec le sujet qui la résout. On peut établir la comparaison avec la phy-
sique quantique, pour laquelle il n’existe pas d’observation objective, dans la
mesure où, en observant, l’observateur transforme l’objet de l’observation.
De même, la résolution « type » d’une situation naturelle n’existe pas, puisque
celui qui la résout la transforme en voulant la résoudre : il s’y introduit, il en
fait partie, la modifie en conséquence, et donc en modifie l’issue.
Une conception « ressources »
S’il est possible de s’inspirer de ces modèles de l’auto-apprentissage et du
compagnonnage en formation continue d’adultes, à travers des formes de
tutorat sur le poste de travail ou de mentorat34, elles sont en revanche prati-
quement impossibles à reproduire à l’école parce que cette dernière n’a pas
la possibilité de donner à chaque élève l’occasion d’apprendre à son rythme,
au gré des situations qui se présentent à lui. Cette contrainte, à laquelle est
soumis tout système éducatif, contribue à cet isolement de l’école par rapport
à la société, isolement qu’ont tenté de combattre des auteurs comme Ivan
Illich, ou encore Neill (2004, réédition), dans son ouvrage « Libres enfants de
Summerhill ».
L’école a toutefois tenté de se rapprocher le plus possible de ce modèle,
pour certains – Bloom, Krathwohl, Simpson, Harrow, Mager, Hameline…
– en cherchant à décrire les ressources qui le constituaient, pour d’autres
– Dewey, Wallon, Freinet, Decroly, Montessori… – en cherchant à retrou-
ver les situations naturelles qui rendaient possibles ces apprentissages de
ressources.
Sans doute le réalisme a-t-il dicté l’orientation que l’école a prise depuis
plus d’un siècle : l’approche « ressources ». C’est elle qui s’est très largement
imposée, tout d’abord à travers les modèles basés sur les contenus-matières,
et ensuite ceux qui se sont basés sur les objectifs, en particulier la pédagogie
par objectifs. Non seulement cette approche par les ressources s’est impo-
sée, mais pendant longtemps elle a conduit à des pratiques qui ont écarté les
situations complexes, se contentant d’applications souvent réduites et donc
étroites.
Cette approche prévaut encore souvent dans les systèmes
d’éducation ou de formation, aussi bien au niveau de l’ap-
Ressources prentissage qu’à celui de l’évaluation : un développement
de ressources, savoirs, savoir-faire, techniques, habile-
tés, aptitudes, savoir-être…, le tout débouchant sur des
Applications applications, souvent limitées à l’utilisation d’une petite
quantité de ressources, quand ce n’est pas une ressource
unique.
34. Souvent connu sous le terme anglais « mentoring » : recours à un mentor.
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 129
Modèle réducteur ? Oui, certes, mais c’est sans doute le meilleur que l’école
ait trouvé pour l’éducation de masse, compte tenu de ce grand défi qu’est
l’éducation pour tous : découper en morceaux parce que les morceaux consti-
tuent la plus grande unité commune à tous les élèves. Tous doivent un jour
passer par l’apprentissage de l’addition, ou de l’accord du sujet au verbe.
Tant l’approche par les contenus que la pédagogie par objectifs semblent
avoir figé l’école dans un modèle étroit d’apprentissage des ressources, où le
particulier est devenu la règle.
La conception « ressources » est loin d’appartenir au passé. Non seule-
ment les pratiques effectives de cette conception sont encore très vivaces
dans le monde scolaire, mais des formes contemporaines de cette concep-
tion sont encore en train de se développer.
En particulier, après une période riche en tentatives d’implantation des
principes du socioconstructivisme en différents lieux et à différents niveaux,
mais aussi face au constat de certaines dérives de ce même socioconstructi-
visme (Péladeau, Forget & Gagné, 2005), le débat relatif aux mérites d’une
approche « ressources » est relancé aujourd’hui, notamment à travers un cou-
rant appelé « instructionnisme ». Ce courant d’inspiration cognitiviste, large-
ment étayé par de nombreuses recherches, et représenté aujourd’hui essen-
tiellement par des chercheurs nord-américains, repose sur le principe selon
lequel, pour apprendre, l’apprenant a besoin de décomposer les apprentis-
sages en éléments simples, pour ensuite développer des exercices et applica-
tions de plus en plus complexes (Anderson, Reder & Simon, 1996 ; 1998 ;
1999). Ces chercheurs ne rejettent pas le recours aux situations complexes
dans les apprentissages : celles-ci peuvent y jouer un rôle, en amont comme
élément de motivation des apprenants, et en aval, comme occasion de pro-
longer les applications. Mais dans ce courant, les situations complexes ne
sont pas reconnues comme la composante principale des apprentissages,
que ce soit comme source de ceux-ci (en amont), ou comme une occasion
indispensable pour provoquer, de manière structurée, l’intégration des res-
sources chez chaque apprenant (en aval).
Une des formes de ce courant est celle de l’enseignement explicite, qui
procède de manière progressive, et qui vise avant tout une bonne compré-
hension des notions par les élèves. Il repose essentiellement sur trois phases
(Gauthier, Dembelé, Bissonnette, Richard, 2004). Une première phase est
la phase de modelage, dans laquelle l’enseignant explicite les liens entre les
différentes parties de la matière, à travers nombre d’exemples et de contre-
exemples. Suit la phase de « pratiques guidées », où l’enseignant s’assure de
la compréhension de la matière par les élèves, en leur proposant des tâches
similaires à celles qui ont été effectuées lors de la phase de modelage, que
ce soit pour la résolution de problèmes en mathématiques (Fuchs et coll.,
2003), ou en expression écrite (Baker, Gersten et Graham, 2003). Dans un
130 La pédagogie de l’intégration
troisième temps, une phase de pratique autonome permet aux élèves d’abor-
der de nouvelles tâches qui leur permettent une rétention de l’apprentissage
à long terme.
Selon les tenants de ce courant, celui-ci serait particulièrement efficace
pour les élèves issus de milieux socioculturellement défavorisés, auxquels une
approche structurée conviendrait mieux, tandis que l’approche qui part des
situations pour en dégager les ressources serait plus élitiste, dans la mesure
où il manque à ces mêmes élèves les outils nécessaires pour appréhender ces
situations (didactiques).
D’autres formes nouvelles de cette approche « ressources » sont en plein
essor. Il suffit de penser à l’immense majorité des cours proposés aujourd’hui
sur Internet, où la tendance est de valoriser les ressources. De manière plus
générale, cette conception « ressources » reste encore la plus adéquate pour
toutes ces formes d’apprentissage à distance, parce que l’apprenant ne peut
recevoir qu’un feed-back imparfait : soit il est immédiat, mais limité dans
son contenu et dans sa portée (le feed-back que peut donner la machine),
soit il est plus complet, mais différé (le feed-back que donne le formateur à
distance). Il est possible que, dans les décennies qui viennent, les avancées
dans les programmes d’intelligence artificielle35 permettent de détrôner cette
emprise de l’approche « ressources » dans la formation à distance.
Quoique largement répandue, cette approche « ressources », pratiquée de
manière exclusive, présente des faiblesses en termes d’efficacité de transfert
des acquis scolaires, et donc permet peu à l’individu de faire face à la com-
plexité des situations d’un environnement évolutif, même si ces ressources
lui sont nécessaires.
2.4.4 Deux modèles de réforme des curricula
Deux passages obligés
Depuis que l’école a pris conscience des limites de cette conception « ressour-
ces », en particulier à travers les dérives de la P.P.O., elle essaye de retrouver
du sens, en tentant d’introduire des situations complexes dans les appren-
tissages, mais souvent de manière désordonnée, voire frénétique, sans tenir
compte du potentiel de changement des enseignants, ni du contexte de leur
mise en œuvre.
Si, de par sa nature d’éducation de masse, il est illusoire que l’école
retrouve une forme « situations seules », elle est à la recherche d’une forme
plus réaliste, mais non moins ambitieuse : celle d’une conception « situations –
ressources – situations » (ou plutôt « situations didactiques – ressources – situa-
tions d’intégration »), dans laquelle tout vient des situations, et tout retourne
35. Systèmes experts qui s’inspirent du fonctionnement de la pensée humaine, en particulier
pour analyser une situation.
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 131
vers les situations. L’expression « contextualisation – décontextualisation
– recontextualisation » (Tardif & Meirieu, 1996) traduit bien cette volonté.
Proche de la conception naturelle « situations seules », cette conception s’en
démarque toutefois par le fait que les ressources font l’objet d’une explicita-
tion, contrairement au modèle « situations seules », dans lequel les ressources
s’installent et sont réinvesties de manière implicite et automatique.
Pour passer de la conception « ressources » aux modèles naturels inspirés
du compagnonnage ou de l’auto-apprentissage (la conception « situations –
ressources – situations »), il y a deux passages obligés, qui constituent un
double changement :
(1) le recours aux situations complexes dans les apprentissages relatifs aux
ressources ;
(2) l’introduction de situations d’intégration dans les apprentissages.
Le recours aux situations complexes dans les apprentissages relatifs aux
ressources
L’un de ces changements dans les pratiques de classe et les pratiques de
formation revient à proposer à l’enseignant ou au formateur d’exploiter des
situations complexes, en vue d’installer des ressources chez les apprenants.
Dans cette conception, les ressources découlent naturellement du travail
de l’apprenant sur les situations complexes. Des moments de structuration
plus ou moins importants, ainsi que des applications, viennent complé-
ter ces moments de travail sur les situations complexes pour installer les
ressources.
Quel regard la littérature porte-t-elle sur ces situations visant l’installation
des ressources ?
Une littérature foisonnante a abordé cette question depuis plus de 15
ans. On peut dire de manière générale que l’intérêt principal de ces situa-
tions réside dans le sens dont elles sont porteuses aux yeux de l’apprenant.
Elles constituent pour lui autant d’occasions de s’enrichir sur les différents
plans, cognitif, social, affectif (Meirieu & Develay, 1992 ; Legendre, 2004 ;
Meirieu, 2005). Pour qu’elles contribuent de manière efficace aux appren-
tissages, elles doivent s’appuyer sur les représentations des apprenants
(Astolfi, 2001 ; De Vecchi, 1995 ; Giordan, 1999 ; Martinand, 1986). Elles
rendent secondaires, voire superflus, les apprentissages systématiques de
ressources.
Dans le prolongement de cette approche, que l’on peut appeler « entrée
par les situations-problèmes », l’« approche situationnelle » (Ferry, 2003 ;
Masciotra, 2009) ou l’« approche située » (Jonnaert, 2002 ; Jonnaert &
Masciotra, 2004 ; Jonnaert, Ettayebi & Defise, 2009), repose sur l’arti-
culation de la dimension collaborative et de la dimension contextuelle des
apprentissages.
132 La pédagogie de l’intégration
« Des situations et des contenus contextualisés, des apprenants qui construi-
sent le sens de leurs apprentissages et de leurs activités scolaires, des élèves
et des étudiants qui traitent avec compétence des situations constituent les
piliers de l’approche située. » (Jonnaert, Ettayebi & Defise, 2009, p. 71).
Du point de vue de la pédagogie de l’intégration, ces situations sont de deux
types :
– des situations d’exploration pour préparer les apprentissages importants
(De Ketele, 1996) ;
– des situations didactiques pour développer les ressources (Roegiers,
2003 ; 2e éd. 2007) ; pour les apprentissages de base, celles-ci recourent
largement aux savoirs méthodologiques (voir en 3.2.6).
Si elles présentent des variantes, ces approches ont ceci de commun qu’elles
sont d’inspiration constructiviste, au sens de Piaget, mais aussi sociocons-
tructiviste (Perret Clermont, 1980 ; Doise & Mugny, 1981) : elles mettent en
avant l’intérêt pour les apprenants de travailler sur un matériau complexe,
mais aussi de travailler ensemble, sur le plan social comme sur le plan cogni-
tif. Elles reposent sur le concept de « conflit sociocognitif » (voir en 2.3.3) : on
apprend en confrontant ses représentations à celles des autres. Ces appro-
ches traduisent donc une forte préoccupation d’autonomie et de socialisation
des élèves et des étudiants. Elles recherchent surtout les interactions entre
eux, en vue de construire les connaissances.
En résumé, ces approches consistent à :
(1) affirmer l’importance de la résolution de situations-problèmes contextua-
lisées comme point de départ de tout apprentissage, dans l’optique de
leur donner du sens ;
(2) s’appuyer sur les représentations des élèves et des étudiants pour la
construction des apprentissages ;
(3) promouvoir les principes du socioconstructivisme comme cadre de
réflexion privilégié pour résoudre ces situations-problèmes.
L’introduction des situations d’intégration
L’autre changement revient à installer des situations complexes en aval
des apprentissages des ressources, ces situations complexes étant l’image
du profil attendu chez l’apprenant en fin de formation : ce sont les situa-
tions d’intégration. C’est ce que préconise la pédagogie de l’intégration (De
Ketele, 1996 ; Roegiers, 2000, 2003, 2004 ; Miled, 2005), en complément
au travail sur les situations de mise en place des savoirs et des savoir-faire.
Ce changement repose d’une part sur la nécessité de préciser un profil
spécifique de sortie en relation avec des familles de situations complexes
que l’apprenant doit pouvoir résoudre, et d’autre part sur la nécessité d’un
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 133
travail préalable de développement des ressources pour préparer le travail
sur les situations complexes. Ces ressources sont introduites, font l’objet de
structurations et d’applications, et sont ensuite réinvesties dans des situations
complexes, à plusieurs occasions, avant de faire l’objet d’une évaluation cer-
tificative. Une situation complexe diffère d’une simple application par le fait
qu’elle est contextualisée, significative pour l’apprenant, mais surtout qu’elle
fait appel à plusieurs ressources, que l’apprenant doit articuler, mais qu’il doit
commencer par identifier. En effet, il ne sait pas a priori quelles ressources
il doit mobiliser : il doit les trouver lui-même, en fonction de la situation qui
lui est présentée.
Cette préoccupation de développement de ressources avant la résolution
de situations complexes est d’inspiration cognitiviste, au sens d’Ausubel et
de Reigeluth.
Mais la principale caractéristique de cette démarche est de favoriser un
transfert efficace des apprentissages. En étant réinvestis par l’apprenant de
manière régulière dans des situations complexes, les acquis deviennent plus
opérationnels, plus stables dans le temps parce qu’intériorisés, et mobilisa-
bles pour et dans l’action.
Le schéma suivant illustre ces deux changements.
Situations de mise en place
Ressources
des ressources
Situation Situation Situation
Changement 1
Ressources Ressources
Applications
Changement 2
Situation Situation Situation
Ressources Ressources
Situation Situation Situation Situation Situation Situation
Situations de mise en place et
Situations d’intégration
de mobilisation des ressources
Situations
seules
Figure 29. Illustration de la double voie possible pour l’évolution des pratiques
d’enseignement-apprentissage
134 La pédagogie de l’intégration
On voit bien la complémentarité de ces deux changements, en vue de se rap-
procher de la conception « articulation de situations relatives aux ressources
et de situations d’intégration », voire de la conception naturelle « situations
seules ». Tous deux reposent sur un travail important sur le complexe, et
visent des opérations cognitives de haut niveau dans le contexte scolaire
(Bloom & al., 1969 ; D’Hainaut, 1977, 2e éd. 1983). Les seules questions
qui se posent concernent l’ordre et le rythme de leur introduction dans les
systèmes d’éducation ou de formation.
Deux modèles qui diffèrent par la priorité dans l’introduction de
l’innovation
Deux modèles découlent de ces changements à introduire :
– le modèle 1 met la priorité à centrer les situations didactiques sur
l’apprenant ;
– le modèle 2 met la priorité à l’introduction des situations d’intégra-
tion, avant de se préoccuper de centrer les situations « ressources » sur
l’apprenant.
Le modèle 1 : « priorité à centrer les situations didactiques sur
l’apprenant »36
Ce premier modèle repose sur l’idée selon laquelle le travail sur les situations-
problèmes complexes lors des apprentissages de ressources est prioritaire, et
doit canaliser tous les efforts du système d’enseignement ou de formation.
Modèle 1
Mise en place progressive de situations d’apprentissage
des ressources qui soient participatives et contextualisées
Année 1 Année 2 Année 3 Année 4 Année 5 Année 6 Année 7 Mise en place
de la réforme
Figure 30. Illustration du modèle 1 relatif aux priorités dans les innovations
Selon cette conception, c’est avant tout en utilisant des situations-problè-
mes pour installer les ressources que s’installent les acquis de l’élève ou de
l’étudiant.
L’une des formes les plus généralisées de ce travail sur les situations
complexes lors des apprentissages de ressources est ce qu’on appelle l’A.P.P.
(apprentissage par problèmes) : les apprenants, répartis en petits groupes,
sont invités à tenter de résoudre à un rythme régulier des situations com-
36. Rappelons qu’il ne faut pas comprendre le terme priorité dans le sens de « est plus important
que », mais dans le sens de « est mis en place avant ».
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 135
plexes, chacune étant vue comme un défi à surmonter. Les ressources sont
alors dégagées lors de séances de cours qui sont introduites pour structurer
les apprentissages (Prégent, 1990). Aujourd’hui, ce type de pratique s’est
développé en particulier dans les facultés de médecine et d’ingénieurs.
D’autres formes de ce modèle sont plus répandues dans l’enseignement
général. Il s’agit de ce que Marguerite Altet qualifie de « pédagogies de l’ap-
prentissage » (Altet, 1997 ; 3e éd. 2006), dans lesquelles l’apprenant construit
son propre savoir. On peut aussi citer la pédagogie du projet. Il s’agit d’une
approche orientée vers la pratique de situations complexes pour l’apprentis-
sage des ressources, mais qui n’exclut pas un développement occasionnel de
ressources qui soit plus systématique ; en effet, même si l’essentiel du proces-
sus réside dans le développement du projet, pris comme une macrosituation
complexe, le projet est souvent pris comme une occasion de développer des
ressources en parallèle à celui-ci, et non à l’intérieur de celui-ci. On peut éga-
lement citer l’approche communicative d’une langue, qui propose de partir
d’une situation dans laquelle l’enseignant encourage la production langagière
chez l’élève dans un premier temps, fournissant par là une occasion de déve-
lopper des ressources, avant d’inviter les élèves à mobiliser à nouveau leurs
acquis dans une situation similaire.
Dans certains cas, ces pratiques d’ « A.P.P. » au sens large sont prolon-
gées par une phase de résolution, par chaque élève, par chaque étudiant,
de situations complexes en aval (situations d’intégration), qui concrétisent le
profil attendu en fin de formation. On peut appeler ce modèle « A.P.P. forme
majeure »37, dans le sens où sont exploitées à la fois les situations relatives
aux ressources et les situations d’intégration.
Cette phase de travail sur des situations complexes en aval des appren-
tissages (situations d’intégration) est souvent volontairement absente, parce
que le travail de transfert est considéré à tort comme étant de la responsabi-
lité de l’apprenant38, le rôle de l’école se limitant à lui proposer des situations
riches, en vue d’introduire et de structurer des ressources. Cette absence de
situations d’intégration conduit à un déficit en occasions pour l’apprenant
de résoudre seul des situations complexes, dans un cadre sécurisé – l’école,
le lieu de formation – et sous l’œil attentif de l’enseignant ou du formateur.
Elle pose aussi un problème épineux pour l’évaluation : soit l’apprenant est
évalué sur des ressources, ou sur la simple transposition d’une situation com-
plexe abordée lors d’un apprentissage de ressources, ce qui n’est pas cohé-
rent avec la démarche proposée, soit il est évalué sur la base de nouvelles
situations complexes, mais qui alors sont perçues par lui comme arbitrai-
37. Le terme « approche par problèmes » étant pris comme terme générique pour désigner
les approches qui se basent prioritairement sur l’exploitation de situations relatives aux
ressources.
38. Ce qui, pour certains scientifiques, est d’ailleurs très difficile, voire impossible (Perrenoud,
1999b ; Strebelle, Depover & Noël, 2002).
136 La pédagogie de l’intégration
res, dans la mesure où des situations d’intégration n’ont pas été présentées
comme étalon de ce qu’il doit résoudre. C’est par exemple le cas de la tâche
de rédaction qui représente une situation complexe pour l’apprenant qui a
été formé uniquement à l’appropriation de ressources. On enseigne des res-
sources grammaticales ou autres, alors que, au niveau de l’évaluation, on lui
demande de produire une rédaction à laquelle il n’aura pas été préparé.
On observe parfois aussi ce type de dérive dans des formations supérieu-
res professionnalisantes (formation d’infirmières, de kinésithérapeutes…),
lorsque la démarche intégrative n’est admise et réalisée par les enseignants
que sur le seul volet de la formation pratique, et qu’en revanche, ils maintien-
nent une conception « ressources » très stricte sur le plan de la formation théo-
rique. Le respect de l’autonomie des enseignants agit dans ces cas comme
frein aux apprentissages, dans la mesure où les situations dites « d’intégra-
tion » – de type supradisciplinaire, voire interdisciplinaire – ne sont soumises
aux étudiants que très partiellement avant les périodes de stage, sans faire
l’objet d’une conception globale des apprentissages dans les classes. De la
même manière, c’est le mode d’évaluation en classe portant sur les ressour-
ces qui reste le modèle dominant. Cette introduction partielle des « situations
d’intégration » et ce déficit en évaluation cohérente dans les classes témoigne
d’une vision tronquée des acteurs de la formation professionnalisante à pro-
pos de l’approche par compétences, qui associent celle-ci exclusivement à la
pratique sur le terrain, et contribue à entretenir cette vision tronquée.
On voit à travers des exemples les dérives qu’entraîne l’absence de la
pratique régulière de situations d’intégration : cette absence provoque un
hiatus entre d’une part des apprentissages de savoirs et de savoir-faire qui
sont réalisés à travers des situations complexes, et l’évaluation des acquis
d’autre part.
Nous qualifierons d’« A.P.P. forme transitoire » les conceptions dans les-
quelles un travail sur les situations relatives aux ressources se réalise sans
travail systématique sur des situations d’intégration, c’est-à-dire sans travail
systématique d’intégration.
Le modèle 2 : « priorité à l’introduction des situations d’intégration »
Un second modèle propose un enchaînement différent, pas tellement dans
l’esprit, qui reste le même, mais dans la temporalité des démarches : intro-
duire comme première innovation les situations d’intégration dans les pra-
tiques de classe, et ensuite, progressivement, introduire des changements
dans les situations relatives aux ressources à l’échelle de l’ensemble du sys-
tème éducatif.
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 137
Modèle 2
Généralisation de la pratique des situations d’intégration
Mise en place progressive de situations d’apprentissage
des ressources qui soient participatives et contextualisées
Année 1 Année 2 Année 3 Année 4 Année 5 Année 6 Année 7 Mise en place
de la réforme
Figure 31. Illustration du modèle 2 relatif aux priorités dans les innovations
On pourrait s’étonner de voir se généraliser les situations d’intégration avant
d’installer des pratiques innovantes en ce qui concerne les situations relatives
aux ressources. Ceci ne pose aucun problème, au contraire : l’enseignant ou
le formateur développe les ressources, puis soumet des situations complexes
– en aval – aux apprenants. Dans l’idéal, les apprentissages de ressources
sont menés selon une méthode qui met l’apprenant au centre des apprentis-
sages (à l’aide de situations complexes), comme dans le premier enchaîne-
ment39, mais, à défaut, ils peuvent être menés selon le style de chaque ensei-
gnant ou chaque formateur, et les méthodes en vigueur. Ce qui importe dans
un premier temps, c’est de provoquer le réinvestissement de ces ressources
dans des situations complexes, à de multiples occasions.
Cette pratique des situations d’intégration offre un double avantage :
– elle provoque des effets sur les résultats des élèves et des étudiants (voir
plus loin) ;
– elle ouvre les yeux des professeurs sur la nécessité de rendre leurs appren-
tissages significatifs et sur l’inefficacité des pratiques qui consistent à limi-
ter les apprentissages aux seules ressources.
Tout comme dans le premier modèle, ce modèle est basé sur le fait d’ap-
prendre à l’élève à gérer très tôt la complexité, en interaction avec les autres
élèves quand le contexte le permet. En cela, il est également d’inspiration
socioconstructiviste. La seule différence avec le modèle 1 est en termes
de temporalité : l’effort relatif aux situations d’intégration est proposé avant
l’effort relatif aux situations relatives aux ressources.
Tout comme dans le modèle 1, la pédagogie de l’intégration repose
donc sur le travail sur les situations complexes en amont des apprentissages,
pendant ceux-ci, et en aval des apprentissages40. Un premier volet consiste
à généraliser les situations d’intégration dans l’ensemble du système ; un
deuxième volet consiste à y promouvoir progressivement une autre manière
d’envisager les situations relatives aux ressources (voir ci-dessus).
39. Il s’agit même d’encourager les enseignants qui le pratiquent.
40. Voir notamment Roegiers (2000 ; 2e éd. 2001), p. 177-178.
138 La pédagogie de l’intégration
Dans le premier volet, qu’on peut considérer comme une forme transi-
toire de la pédagogie de l’intégration, l’essentiel du travail sur les situations
complexes se fait après avoir développé certaines ressources, et non avant
ou pendant ce développement de ressources. L’évaluation suit elle aussi ce
même mouvement : les acquis des apprenants sont évalués à travers les situa-
tions complexes. Ce premier volet de la pédagogie de l’intégration n’est
pas en rupture avec la P.P.O., puisqu’il reconnaît que les apprentissages de
ressources peuvent être introduits à partir des principes de la P.P.O., parmi
d’autres manières d’introduire ces ressources.
Dans un deuxième volet que nous avons qualifié de « forme majeure de
la pédagogie de l’intégration », une deuxième innovation s’installe à l’échelle
du système éducatif : l’introduction progressive de situations relatives aux
ressources qui soient centrées sur l’apprenant.
La « pédagogie de l’intégration mode majeur » rejoint l’« apprentissage
par problèmes mode majeur » en ceci que tous deux exploitent des situations
complexes lors du développement de ressources, et des situations complexes
en aval du développement de ressources (situations d’intégration). Ce qui
les distingue, c’est leur histoire, à savoir l’antériorité de la mise en place de
certaines situations avant d’autres.
Le schéma suivant traduit ces deux chemins différents pour arriver au
même point.
Situations de mise en place
Ressources
des ressources
Apprentissages
par problèmes
mode transitoire
Pédagogie Apprentissages
de l’intégration par problèmes
mode transitoire mode majeur
Pédagogie
de l’intégration
mode majeur
Situations de mise en place et
Situations d’intégration
de mobilisation des ressources
Figure 32. Schématisation des modes transitoires et majeurs de changement
de pratiques pédagogiques
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 139
2.4.5 Des choix sensibles pour les systèmes d’éducation
ou de formation
Pour les pays qui ne peuvent pas se permettre d’introduire simultanément les
deux changements, ou qui ne veulent pas le faire pour donner à la réforme
plus de chances d’aboutir, faut-il commencer par changer les pratiques qui
concernent les situations relatives aux ressources, ou commencer par intro-
duire les situations d’intégration ?
Autrement dit, sur quel modèle baser une réforme éducative, pour un
pays, une région qui veut revoir ses curricula de l’enseignement de base, et
en particulier un pays en développement, caractérisé, entre autres facteurs,
par le déficit en formation initiale des enseignants et par le manque de res-
sources matérielles ? Et en fonction de quoi ? C’est une question liée à la
stratégie de changement des systèmes d’éducation ou de formation.
Examinons cette question à travers les quatre paramètres en fonction
desquels tout système d’éducation ou de formation pourrait argumenter le
choix d’introduire d’abord un changement ou l’autre :
– la pertinence de la réforme ;
– l’efficacité de la réforme ;
– l’équité de la réforme ;
– l’efficience de la réforme.
1. La pertinence de la réforme
La notion de pertinence a besoin d’être explicitée. Il y a bien sûr la pertinence
d’une réforme, qui interroge la nature même de celle-ci : est-ce bien de cette
réforme-là dont le système d’éducation ou de formation a besoin, compte
tenu de ses finalités ? Elle pose donc la question de la réforme en relation
avec les valeurs à promouvoir au sein de la société, et avec les besoins de
celle-ci, en termes socio-économico-culturels.
Compte tenu du statut de la pédagogie de l’intégration, que nous avons
posée comme un cadre lié à l’ingénierie curriculaire (voir en 1.2.1), il est
difficile d’évoquer à son propos la pertinence des orientations d’une réforme,
qui relève de la politique curriculaire.
Le terme « pertinence » est donc pris dans le sens de la pertinence du
modèle d’ingénierie, et non dans celui de la pertinence d’un projet éducatif
relevant de la politique curriculaire, de manière très contextualisée.
Des préoccupations à l’échelle locale
En 2.1.4, nous avons posé le curriculum comme devant prendre en compte
différentes préoccupations, à l’échelle locale comme à l’échelle globale.
140 La pédagogie de l’intégration
En ce qui concerne les préoccupations à l’échelle locale, on pense tout
d’abord au type de citoyen visé, pour faire face aux problèmes de société
qui se posent à l’échelle locale, en particulier dans des contextes de sous-
emploi, d’analphabétisme, de dégradation de l’environnement, de précarité
sanitaire, de violence et de guerre. C’est l’enjeu principal du développement
des compétences de vie (« life skills »), chères aux organisations multilatérales.
Une question importante se pose en particulier à leur propos, celle de la
place qu’elles doivent prendre dans le curriculum. Un nouveau cours ? Des
contenus pris en charge dans différents cours ? Des activités spécifiques ? Un
domaine de formation ? Pour répondre à cette question, les deux modèles
apportent tous deux des réponses intéressantes : que l’on commence par
un travail sur les situations relatives aux ressources ou que l’on commence
par introduire la pratique des situations d’intégration, ce sont ces situations
complexes qui sont le lieu privilégié de l’introduction de ces préoccupations,
qu’elles soient des situations disciplinaires ou interdisciplinaires. Cela n’ex-
clut en rien que certaines ressources spécifiques à ces problématiques fas-
sent elles aussi l’objet d’apprentissages spécifiques. Dans un modèle comme
dans l’autre, on est toutefois loin de réduire ces compétences de vie à des
contenus supplémentaires que l’on vient « greffer » sur des listes de contenus
existants.
Il s’agit également de faire face aux besoins de type socio-économique,
et de permettre avant tout à chacun de développer les compétences de
base nécessaires pour s’insérer dans le tissu socio-économique : produire de
manière fiable un écrit dans une langue correcte, résoudre une situation-pro-
blème complexe en mathématiques en mobilisant ses acquis, etc.
Dans les pays pauvres, il s’agit d’abord de permettre aux élèves qui sont
allés à l’école de pouvoir se débrouiller concrètement dans des situations de
la vie quotidienne. Il y a une préoccupation directe de lutte contre l’anal-
phabétisme fonctionnel41, qui est une priorité absolue dans ces pays dans
lesquels la pauvreté est une conséquence directe de la dépendance, elle-
même issue d’un déficit élémentaire d’accès à l’information, et de regard
critique sur les événements. Sur ce plan-là, le deuxième modèle (priorité aux
situations d’intégration) est, de par sa nature, certainement plus puissant.
On peut citer à ce sujet le cas vécu au Rwanda, de la formation des enfants
« chefs de famille », obligés de tenir le ménage suite au décès de leurs parents
dans le génocide de 1994. Ces enfants de 10 à 14 ans, qui ne suivent l’école
qu’une demi-journée par jour, pour pouvoir s’occuper du ménage, se sont
mis en grève lorsque l’enseignant, sous prétexte que son programme n’était
41. Des élèves, qui ont suivi une scolarité de 6 années, 7 années, 8 années, voire davantage,
quittent l’école et, quand ils se retrouvent dans la vie de tous les jours, sont incapables de
réagir correctement à une situation quotidienne, c’est-à-dire qu’ils sont incapables d’utiliser
ce qu’ils ont appris à l’école.
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 141
pas couvert, a voulu supprimer les modules d’intégration. « Ce sont bien ces
activités d’intégration qui nous sont utiles avant tout », disaient ces enfants.
D’autres pays, comme ceux du Maghreb, rencontrent d’autres types de
préoccupations : l’amélioration de la qualité des apprentissages, la maîtrise
par les élèves du déferlement des informations à travers les médias, la réac-
tion à des phénomènes socioculturels, comme l’immigration clandestine, ou
encore le développement d’une identité culturelle non conflictuelle vis-à-vis
de l’autre, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. La pédagogie de l’inté-
gration offre un cadre qui permet, sinon de résoudre, du moins de soulever
et de traiter toutes ces préoccupations au sein du curriculum.
Des préoccupations à l’échelle planétaire
Un autre souci, sans doute plus urgent, est le développement de cet « agir
citoyen » à l’échelle planétaire, face à ce « pari pour les générations futures »
(voir en 2.1.1) que représente la problématique de la sauvegarde de l’espèce
humaine sur la planète, et qui impose de repenser entièrement l’éducation
et la formation dans un contexte de développement durable. Nous avons vu
que, pour faire face à ce défi majeur, il est nécessaire de former des person-
nes qui possèdent quatre qualités essentielles :
(1) des personnes compétentes ;
(2) des personnes solidaires ;
(3) des personnes critiques ;
(4) des personnes prêtes à s’engager concrètement, et à oser s’exprimer.
Interroger la pertinence de la réforme à ce propos revient à se demander si
l’un ou l’autre modèle va permettre d’atteindre ce type de profil de manière
plus efficace.
Le fait de commencer par introduire le changement dans les situations
relatives aux ressources (modèle 1) traduit essentiellement une priorité à met-
tre dans le développement de l’autonomie de l’apprenant, ainsi que dans un
développement cognitif que l’on pourrait qualifier de divergent42 : l’appre-
nant « apprend à penser », sur de multiples situations, de manière ouverte,
plus qu’il n’apprend à résoudre des situations concrètes qui se présentent
à lui, et qu’il doit pouvoir résoudre : c’est l’outillage de profondeur qui est
valorisé en premier lieu (voir en 3.3.1).
Le fait de centrer d’emblée l’effort sur les situations d’intégration (modèle
2) traduit essentiellement un souci d’opérationnalité, de passage à l’action.
L’apprendre à penser, tout aussi présent, est mis au service de l’action
citoyenne ; il est envisagé de manière plus convergente43 : ce qui est recher-
ché en premier lieu, c’est le fait que, à un certain âge, chaque élève, cha-
42. Au sens de la mobilisation divergente de D’Hainaut (1977, 4e éd. 1985).
43. Également au sens de D’Hainaut (1977, 4e éd. 1985).
142 La pédagogie de l’intégration
que étudiant puisse résoudre une catégorie de problèmes bien déterminée.
Ici, c’est plutôt l’outillage d’action qui est valorisé en premier lieu (voir en
3.3.1).
Contextualisation du curriculum et potentiel de changement
Un autre aspect de la pertinence d’un curriculum est de savoir s’il répond
aux réalités locales (Halaoui, 2003, 2005 ; Miled, 2005). Il s’agit de savoir ce
qui est souhaitable pour le système d’éducation ou de formation, en fonction
de son contexte spécifique, en particulier en fonction des cultures éduca-
tives dans le pays, des méthodes pédagogiques en vigueur, et des valeurs
socioculturelles qui les fondent. Cet aspect touche à l’identité même des
enseignants44, ainsi qu’au sentiment de légitimité d’une réforme introduite au
niveau du système d’éducation ou de formation (Bourgeois & Nizet, 1995).
Autrement dit, dans quelle mesure les enseignants, en termes identitaires, s’y
retrouvent-ils dans une réforme ?
L’introduction des situations-problèmes complexes pour mener les
apprentissages de ressources convient bien à certains enseignants et forma-
teurs, moins bien à d’autres. Certains ne conçoivent pas une autre manière
de travailler, tandis que d’autres s’empressent de revenir à leurs anciennes
habitudes dès que s’estompe la pression des nouveaux programmes, ou celle
de l’inspection. C’est le poids de l’habitus, tel qu’il a été traité par Bourdieu
(1980). À l’échelle d’un système, le recours systématique à des situations
complexes pour introduire et structurer des ressources (modèle 1) présente
le risque d’instaurer une culture unique, comme le met en avant notamment
Tardif45 : certains apprentissages ne nécessitent pas forcément le recours
à une situation complexe. Certes, ce modèle présente un avantage incon-
testable en termes de communication entre acteurs de l’éducation, mais il
conduit à un réductionnisme inhérent à la culture unique. Ce risque d’une
culture unique existe également dans le modèle 2, mais de manière plus
atténuée puisque chaque enseignant reste maître du choix de ses méthodes
pédagogiques.
Le second modèle, qui préconise de commencer par généraliser les
situations d’intégration au niveau du système d’éducation ou de formation,
est par nature plus respectueux du style de chaque enseignant et des habi-
tudes culturelles, et des spécificités de certaines disciplines dans la mesure
où, dans un premier temps, il est en conformité avec toutes les pratiques
pédagogiques, des plus participatives aux plus transmissives. Les enseignants
adhèrent volontiers à l’approche, comme l’ont mis en évidence certaines
évaluations menées à son propos (voir en 2.5.1) : la réforme est un impul-
seur de créativité pour les enseignants, et elle est un levier possible pour de
nouvelles identités professionnelles. De manière plus générale, les évalua-
44. Adriana Gorga, BIE/UNESCO, E-forum mondial novembre-décembre 2005.
45. www.meq.gouv.qc.ca/virage, volume 2, n° 3 & 4, 24 février 2000.
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 143
tions liées à ce modèle montrent que les enseignants se sentent à l’aise dans
cette approche : ils estiment qu’il est naturel de procéder ainsi, que cette
approche légitime leur fonction d’enseignant, et puis… ils voient que les
élèves ont du plaisir à résoudre les situations d’intégration.
Les modules d’intégration ont un autre effet sur les pratiques des ensei-
gnants et des formateurs : ils constituent une occasion d’analyser et d’ex-
ploiter la manière dont les apprentissages de ressources auront été menés,
en vue des ajustements méthodologiques, de même qu’ils les conduisent à
repenser les modalités d’évaluation des acquis. En cela, les modules d’inté-
gration sont pour eux une source de diagnostic de leurs propres pratiques.
Pertinence et dispositif d’évaluation
On peut prolonger la réflexion en introduisant la problématique de l’évalua-
tion des acquis des apprenants.
Lorsqu’on travaille d’abord sur les situations relatives aux ressources
(modèle 1), l’accent est surtout mis sur l’évaluation formative des appren-
tissages : c’est pendant le traitement des situations complexes que les régu-
lations s’opèrent, et que les élèves en difficulté ont l’occasion de remédier
à leurs lacunes (Legendre, 2004 ; Scallon, 2004). Cependant, le flou pré-
vaut souvent en ce qui concerne l’évaluation certificative : faut-il prendre en
compte la manière dont l’apprenant résout les situations qui ont constitué
l’apprentissage ? Ou au contraire, faut-il lui donner des chances intactes de
faire la preuve de sa compétence à résoudre des situations-problèmes nou-
velles ? Et surtout, quel doit être le niveau de cette situation, si elle n’est pas
rattachée à une famille de situations, et donc si elle ne fait pas référence à un
profil précis ? Faute de pistes précises et crédibles en ce sens, les enseignants
se rabattent souvent sur les formes traditionnelles de l’évaluation portant sur
les ressources.
Cette ambiguïté est renforcée par les programmes d’études qui mettent
en avant l’entrée par des « compétences » transversales, et qui présentent une
dérive qui n’est plus contestée aujourd’hui. Les enseignants et les formateurs
éprouvent souvent des difficultés à évaluer les acquis des apprenants : com-
ment évaluer des capacités aussi générales que « respecter son environne-
ment », « rechercher de l’information », ou « traiter de l’information » ? Celles-ci
ne peuvent être évaluées qu’à travers un dispositif en général lié à telle ou à
telle discipline et qui requiert souvent de nombreux tests, afin de couvrir tou-
tes les facettes de la capacité transversale. À titre d’exemple, citons le cas de
la Nouvelle-Zélande qui a dû recourir à 14 tests pour évaluer, à trois niveaux,
les six dimensions de la seule capacité de recherche d’information46.
46. New Zealand Council for Educational Research : Essential skills assessments (www.nzcer.
org).
144 La pédagogie de l’intégration
Dans ce premier modèle, ce manque de repères pour évaluer les acquis
a pour première conséquence d’insécuriser les enseignants, en particulier
dans les pays dans lesquels le passage d’une année à l’autre est conditionné
par les résultats d’une évaluation des acquis de l’apprenant. Une deuxième
conséquence est l’absence d’une base concrète pour apporter une remédia-
tion aux élèves ou aux étudiants en difficulté, en vue de leur permettre de
progresser.
Lorsque l’on commence par introduire les situations d’intégration
comme premier changement dans le système (modèle 2), la question de
l’évaluation se présente naturellement de manière plus favorable, puisqu’on
dispose d’une base idéale pour mener ces évaluations : les situations que les
apprenants doivent pouvoir résoudre au terme des apprentissages, et qui
caractérisent le profil attendu. Il s’agit donc d’une évaluation pratiquée sur la
base de situations complexes, appartenant à une famille de situations définie
à travers des paramètres précis, ainsi que de critères et d’indicateurs (Scallon,
2004 ; Roegiers, 2004, 2e éd. 2010 ; Gerard & BIEF, 2008). Depuis une
dizaine d’années, cette nouvelle forme d’évaluation commence à s’imposer
un peu partout parce qu’elle résout l’épineux problème de la pertinence
de l’évaluation : les apprenants sont évalués à partir de leur compétence à
résoudre des situations complexes correspondant à un profil attendu, et non
plus selon leur aptitude à restituer des connaissances, ou à appliquer des
règles et des techniques47. Toutefois, certaines questions ne restent encore
que partiellement résolues à ce jour, surtout en ce qui concerne l’équivalence
des épreuves et leur validité48 (Roegiers, 2004, 2e éd. 2010 ; De Ketele &
Gerard, 2005).
C’est alors très naturellement que l’évaluation formative vient se greffer
sur ce cadre clair, en référence au profil de sortie (voir chapitre 5).
Des questions centrales en termes de pertinence d’une réforme
On peut dire, en guise de conclusion partielle, que la question de la perti-
nence d’une réforme réside dans une réflexion approfondie en termes de
priorités, du lieu et du moment. Si cent pistes intéressantes sont à dévelop-
per en éducation, mais que l’école ne peut en développer que vingt, faute de
moyens et de temps, quelles sont ces vingt que chaque pays va choisir selon
sa réalité propre ?
En termes de réponse aux préoccupations à l’échelle locale et à l’échelle
planétaire, la réponse que l’on donne va sans doute dépendre de la place que
l’on accorde à la réflexion et à l’action citoyennes. Ces préoccupations sont
présentes dans les deux modèles, mais dans le modèle 1, leur mise en œuvre
47. On peut notamment citer la manière dont sont aujourd’hui menées les évaluations au
Québec, en Suisse ou en Belgique (épreuves officielles de fin d’enseignement primaire et
secondaire, et de l’enseignement collégial au Québec).
48. Et donc la validité de l’inférence sur la maîtrise de la compétence.
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 145
est davantage fonction de la personnalité et du niveau de formation de l’en-
seignant, tandis que le modèle 2 articule sans doute mieux la réflexion et
l’action, et surtout rend l’innovation plus accessible à l’enseignant « moyen ».
En termes de contextualisation de la réforme, et de potentiel de change-
ment d’un système d’éducation ou de formation, le modèle 1 semble remet-
tre en cause les pratiques d’enseignement/apprentissage de manière plus
radicale, tandis que le modèle 2 est plus progressif, et de nature à rassurer
les enseignants.
En ce qui concerne l’évaluation des acquis, le modèle 2 apporte des
réponses intéressantes en termes de pertinence de l’évaluation.
2. L’efficacité de la réforme
L’efficacité d’une réforme est liée à sa capacité d’atteindre les objectifs qui
lui avaient été assignés.
Elle pose à la fois des questions en termes quantitatifs, comme, pour
ce qui relève de l’efficacité interne : « Les résultats aux tests sont-ils meilleurs
pour l’ensemble des apprenants ? », et des questions en termes qualitatifs,
comme « Les apprenants ont-ils des attitudes plus conformes aux valeurs
qui fondent les curricula ? ». Il faut pour cela (1) bien cerner ce que l’on veut
évaluer, par exemple en termes de profil de sortie (pertinence de l’évaluation)
(2) s’assurer que les épreuves évaluent ce qu’elles prétendent évaluer (validité
de l’évaluation)49. Il se pose à ce niveau un réel problème avec les épreuves
externes, qui évaluent souvent autre chose que les objectifs assignés par le
système éducatif ou le système de formation : ces derniers consistent de plus
en plus en des compétences, alors que les épreuves externes évaluent surtout
des ressources (savoir-redire, savoir-faire, savoir-faire habillés…).
Elle pose aussi les questions relatives à l’efficacité externe : « Les élèves
sont-ils plus à même de répondre aux exigences de la vie quotidienne et de
la poursuite des études ? Les étudiants répondent-ils mieux aux exigences du
monde du travail ? ». Ce n’est qu’en situation réelle que l’on peut répondre à
de telles questions.
Que disent les recherches à propos de l’efficacité des deux modèles ?
Comme nous avons déjà abordé ci-dessus la question de la pertinence, et
que l’on peut dire que, dans les grandes lignes, l’efficacité externe représente
la somme « pertinence + efficacité interne »50, nous nous pencherons surtout
sur les questions d’efficacité interne.
Efficacité et situations relatives aux ressources
Les résultats de recherche relatifs à l’efficacité des pratiques centrées sur la
résolution de problèmes lors des apprentissages de ressources sont mitigés.
49. De Ketele & Roegiers (1991 ; 4e éd. 2009).
50. Roegiers (1997).
146 La pédagogie de l’intégration
• Il existe des résultats manifestement intéressants de ce type d’approche
dans l’enseignement supérieur. Ces résultats de recherche sont liés à
l’apprentissage par résolution de problèmes (A.P.P.), actuellement assez
largement répandu à travers le monde dans les facultés de médecine,
dans les instituts de management ainsi que dans des facultés des sciences
et des sciences appliquées. Ces résultats (dans les facultés de médecine
surtout) montrent, dans les grandes lignes :
– qu’il n’y a pas de différence significative sur le plan des connaissan-
ces proprement dites, et que si différence il y a, elle est plutôt en
faveur de l’enseignement traditionnel ;
– que dans les résolutions de cas (en médecine), il n’y a pas de diffé-
rence significative entre l’A.P.P. et l’approche traditionnelle.
Là où la différence est très significative, c’est à un niveau qualitatif, au
niveau du savoir-être, qui garantit des effets à long terme :
– les étudiants de l’approche A.P.P. se posent davantage de
questions ;
– ils maîtrisent beaucoup mieux les variables relationnelles ;
– ils sont plus enclins à s’engager dans un processus de formation
continue permanente ;
– ils sont plus sensibilisés à l’aspect systémique et complexe des phéno-
mènes (par exemple la problématique de la santé communautaire).
Galand, Bourgeois & Frenay (2005) confirment ces résultats, en mon-
trant le gain particulier sur des variables de processus comme les straté-
gies d’autorégulation et les stratégies d’apprentissage.
• Par contre, dans l’enseignement de base, il semble qu’elle n’a pas pu
montrer des effets probants, en termes de résultats des élèves. Les étu-
des disponibles dans le monde anglo-saxon font apparaître des effets en
demi-teinte. Zahorik, Molnar, Ehrle et Halbach (2000) montrent que les
enseignants efficaces sont ceux qui pratiquent un apprentissage struc-
turé plutôt que des pratiques de découverte à travers des activités de
résolution de problèmes. Chall (2000) rejoint ces conclusions, à partir
d’une importante revue des recherches menées sur les méthodes les plus
efficaces.
• Dans l’éducation préscolaire, Connor & Morrison (2004), sans nier
l’importance de la mise en place de stratégies d’autorégulation, mettent
l’accent sur l’importance de l’acquisition de la connaissance des lettres,
des relations entre les lettres et les sons, ainsi que sur la mise en place
préalable des concepts de base en mathématiques.
Dans le monde francophone, les recherches sur ce thème font cruel-
lement défaut. Volonté de ne pas évaluer les innovations, ou difficulté
d’isoler les effets provoqués par une innovation pédagogique parmi
d’autres facteurs qui influencent les résultats des élèves, le résultat est
le même : aujourd’hui, il semble qu’aucune étude ne soit en mesure de
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 147
démontrer que la pratique d’apprentissage à partir de situations-problè-
mes complexes lors des apprentissages de ressources a une influence
positive sur les résultats des élèves, au niveau de l’enseignement de base,
et à large échelle. Les seules études disponibles51 sont celles qui concer-
nent l’apprentissage d’une langue : on peut citer les travaux de Gerard
& Braibant (2004), qui montrent la supériorité d’une méthode de lecture
centrée sur le décodage, par rapport à un apprentissage de la lecture
selon une méthode fonctionnelle. Dans le même sens, Goigoux (2000)
montre les limites d’une méthode idéovisuelle, qui minimise l’importance
d’un enseignement explicite des relations entre code oral et code écrit
dès le début de l’apprentissage de la lecture. Ces conclusions rejoignent
ceux des études anglo-saxonnes.
Toutefois, elles sont à prendre de manière nuancée, car les résultats
dépendent en très grande partie de la manière dont les épreuves sont
constituées (De Ketele, 2006 ; De Ketele, 2010b). Par exemple, des étu-
des ont montré que les élèves qui pratiquaient la pédagogie de l’intégra-
tion ne réussissaient pas mieux des épreuves de type « ressources » que
d’autres élèves (mais pas moins bien non plus). Par contre, ils obtiennent
des résultats sensiblement meilleurs à des épreuves de type « situations
complexes » (gain de l’ordre de 15 %), et de surcroît leurs acquis sont plus
stables à long terme. Toutefois, comme les tests internationaux se basent
sur des items de type « ressources », ce gain est impossible à mettre en
évidence dans ces tests.
Ce sont donc ces tests qu’il faut faire évoluer.
Comment expliquer ces résultats positifs pour le modèle 2 ?
Il y a essentiellement trois explications au déficit d’efficacité lorsque l’on com-
mence par introduire l’apprentissage par problèmes à l’échelle d’un système
éducatif (modèle 1), par rapport au modèle qui vise à centrer d’emblée l’effort
sur les situations d’intégration. La première est une raison de type théorique,
liée à la conception même de l’apprentissage. La deuxième est de nature
pédagogique, liée à la proportion de travail individuel chez l’apprenant. La
troisième est de nature organisationnelle : elle est liée à l’accessibilité et à la
compréhension de l’innovation par l’enseignant.
1. La conception de l’apprentissage
Il y a tout d’abord des explications pédagogiques, voire théoriques, à la diffé-
rence en efficacité des deux modèles. L’élève a sans doute besoin d’un travail
systématique et analytique à certains moments, surtout dans les petites clas-
ses d’ailleurs (Gerard & Roegiers, 2003). Il a également besoin de donner
sens à ce qu’il apprend, de relier les apprentissages entre eux, de les inté-
51. À notre connaissance.
148 La pédagogie de l’intégration
grer dans une structure cognitive (Ausubel, 1968 ; Reigeluth & Stein, 1983).
L’approche « pédagogie de l’intégration » permet de rencontrer ces deux
besoins. Par contre, l’approche « priorité aux situations didactiques centrées
sur l’apprenant » crée un certain flou aux yeux des élèves et des étudiants,
dans la mesure où le travail sur les situations complexes n’est pas toujours
suivi d’un travail systématique et analytique. Comme cette approche prend
beaucoup de temps, et que, de plus, elle est parfois développée dans un
discours idéologique de type socioconstructiviste mal compris, qui rend par-
fois « tabou » le travail systématique sur les ressources, considérées comme
dénuées de sens, on passe à côté des besoins de structuration et de conso-
lidation des ressources auprès des apprenants, ce qui provoque un déficit
en efficacité à l’échelle de l’ensemble de la classe ou du groupe. De même,
lorsque le travail sur les situations dans cette optique n’est pas suivi par des
activités d’intégration, il devient difficile de donner sens aux apprentissages
ainsi élaborés, et de les situer par rapport à un profil de sortie.
2. La proportion de travail individuel
Une deuxième raison tient à la part relative du travail individuel de l’élève ou
de l’étudiant, particulièrement importante dans les situations d’intégration,
dont la plupart sont résolues individuellement. Par contre, l’exploitation des
situations didactiques centrées sur l’apprenant se fait souvent en groupes :
quand elle n’est pas suivie de l’exploitation individuelle de situations d’inté-
gration, il existe un déficit de travail individuel de l’apprenant, qui se réper-
cute directement sur ses résultats.
3. L’accessibilité de l’innovation par l’enseignant
Enfin, une pratique des situations didactiques centrée sur l’apprenant est très
exigeante si on veut l’appliquer convenablement :
– elle exige un haut degré de qualification de la part des enseignants ;
– elle exige un environnement favorable et des conditions de mise en
œuvre adéquates ;
– elle rend très difficile la mise en place d’un dispositif adéquat d’évaluation
des acquis des élèves et des étudiants, et empêche par là de remédier de
façon efficace aux difficultés des moins avancés.
Dans certains contextes, et à certaines échelles, il est certainement intéres-
sant de commencer par apporter le changement dans les situations relatives
aux ressources (modèle 1). C’est un choix qu’ont posé un certain nombre
d’institutions d’enseignement supérieur (voir en 2.4.4). Au niveau de l’édu-
cation de base, ce choix peut aussi se révéler être un véritable moteur : un
ensemble de facteurs va sans doute jouer selon une alchimie particulière,
surtout là où l’enseignant se sent particulièrement bien en donnant la parole
aux élèves. Parmi ces facteurs, on trouve des facteurs de contexte : des grou-
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 149
pes-classes de taille restreinte, des enseignants bien formés et porteurs de
l’innovation, un matériel suffisant. Ces facteurs se retrouvent également plus
volontiers dans les écoles qui bénéficient de ce que l’on appelle des « mesures
de discrimination positive ». Dans les pays en développement, on retrouve
ces dispositifs avec des mesures d’accompagnement particulières, par exem-
ple quand une ONG accompagne une école, ou un groupe d’écoles.
Mais au niveau d’un système éducatif tout entier, c’est tout autre chose,
parce qu’il faut que tout style d’enseignant s’y investisse et possède un haut
niveau de formation pour qu’une pratique active des situations relatives aux
ressources soit porteuse d’effets positifs : mal comprise et mal conduite, elle
fait plus de dégâts qu’elle n’apporte de réponses. Par exemple, dans certains
pays en développement, le procédé « La Martinière »52 est remplacé par de
pseudo pratiques de situations de recherche, dans lesquelles les enseignants
forment des groupes de 6, 7 élèves, voire 8 ou 10, ce qui inverse totalement
l’efficacité des situations relatives aux ressources, qui sont très sensibles aux
variations apportées dans leur mise en œuvre. Ce qui est acceptable, voire
souhaitable, à l’échelle individuelle ou dans des contextes particuliers, ne l’est
donc pas nécessairement à l’échelle d’un système, au contraire. Autrement
dit, c’est le fait même pour le système éducatif, de vouloir généraliser ces
pratiques à tout le système qui pose problème, en termes d’efficacité de ce
même système, surtout dans des contextes dans lesquels on voit se cumu-
ler de plus en plus des problèmes d’hétérogénéité des élèves au sein d’une
même classe, consécutivement au phénomène des réussites et des échecs
abusifs (Roegiers, 2004, 2e éd. 2010).
En revanche, l’introduction des situations d’intégration est une innovation
à la portée de tout enseignant, et mieux comprise par eux dans la mesure où
la consigne est claire : c’est individuellement que les apprenants résolvent les
situations d’intégration. Le gain en efficacité, pour chacun d’entre eux, est
une conséquence directe de ces facteurs.
3. L’équité de la réforme
L’équité d’une réforme interroge pour sa part les bénéfices différentiels obte-
nus auprès des élèves, des écoles, des enseignants : les moins favorisés au
départ ont-ils obtenu des bénéfices au moins équivalents à ceux des plus
favorisés, sinon supérieurs ? L’écart entre les deux s’est-il comblé, ou a-t-il
augmenté ? L’efficacité et l’équité sont des notions qui, de plus en plus, sont
considérées par les chercheurs comme indissociables en éducation (Sall &
De Ketele, 1997 ; Solaux, 2005). En effet, selon ces auteurs, la meilleure
manière d’augmenter l’efficacité des systèmes scolaires est d’augmenter les
performances de tous les élèves, en particulier celles des moins avancés, et
donc d’augmenter l’équité.
52. Les élèves écrivent tous une réponse sur leur ardoise, et la lèvent en même temps au signal
de l’enseignant.
150 La pédagogie de l’intégration
Nous avons déjà largement abordé la pédagogie de l’intégration sous
l’angle de l’équité. Essayons de voir comment cette question d’équité se
décline en termes de situations relatives aux ressources et de situations
d’intégration.
Équité et situations relatives aux ressources
Dans le monde anglo-saxon, on dispose de quelques études relatives au lien
entre équité et gestion de situations relatives aux ressources. En formation
professionnelle, on peut citer la recherche menée par Baldwin & Ford (1988)
qui porte sur sept études relatives au transfert des compétences en milieu de
travail. Parmi d’autres variables, ces auteurs ont mis en relation les caracté-
ristiques des apprenants et celles des situations d’apprentissage. Ils montrent
notamment en quoi les situations d’apprentissage proposées ne doivent pas
être trop éloignées du niveau des apprenants pour que le transfert s’opère
en milieu de travail : il semblerait que les situations d’apprentissage d’un haut
niveau de complexité profitent peu aux apprenants d’un niveau faible.
Dans l’enseignement de base, des recherches anglo-saxonnes montrent
plutôt que des approches pédagogiques centrées sur l’apprentissage par
problèmes ou la pédagogie du projet sembleraient moins efficaces que des
approches basées sur un apprentissage préalable des ressources, en particu-
lier pour les élèves faibles. Delpit (1995) montre que si on veut aider les élèves
des couches socioculturellement défavorisées, il vaut mieux un enseignement
explicite, qui peut trouver un relais et un appui à la maison, qu’un enseigne-
ment qui passe par une « grammaire scolaire », uniquement accessible à ceux
qui peuvent acquérir les routines du discours scolaire à la maison.
Peu d’études existent dans le monde francophone. Les quelques résultats
disponibles semblent aller dans des sens divers. Dans l’enseignement supé-
rieur, si le modèle « priorité aux situations relatives aux ressources » (modèle
1) semble conférer un gain en efficacité, il semble que ce gain en efficacité
s’accompagne d’une diminution de l’équité (Galand & Frenay, 2005).
Dans l’enseignement de base, le peu de résultats dont on dispose vont
dans des sens divers, selon la discipline. En lecture, les approches qui privi-
légient la reconnaissance directe des mots, sans passer par une phase ana-
lytique, semblent handicaper les élèves de classes socialement défavorisées
(Gerard & Braibant, 2004). Par contre, pour l’apprentissage de l’orthogra-
phe, une approche qui privilégie des situations didactiques centrées sur l’élève
semble plus équitable, comme en témoigne la recherche de Allal, Rouiller,
Saada-Robert & Wegmuller (1999), qui compare les résultats obtenus par
des groupes d’élèves de 2e et de 6e années primaires ayant bénéficié l’un
d’une approche intégrant l’apprentissage de l’orthographe dans des situa-
tions de production textuelle et l’autre d’une approche basée essentiellement
sur des activités spécifiques. Parmi l’ensemble des résultats, on peut épingler
les suivants :
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 151
– il existe certains avantages qualitatifs chez les élèves qui ont bénéficié de
l’approche « intégrée », en particulier une vision plus large chez ces élè-
ves qui se centrent sur les transformations sémantiques et l’organisation
textuelle alors que les autres se centrent davantage sur l’orthographe ;
– la différence se marque davantage en 6e année qu’en 2e année ;
– pour les élèves relativement faibles, l’accroissement de connaissances
orthographiques est supérieur à celui obtenu avec l’approche spécifique ;
autrement dit, l’approche intégrée provoque un gain supérieur chez les
élèves qui ont un niveau faible en début d’année.
Comme nous l’avons mentionné plus haut, ceci n’est qu’une première appro-
che. La problématique nécessiterait une recherche critique plus approfondie,
qui tienne compte notamment d’une analyse du type d’épreuve utilisée lors
des études.
Équité et situations d’intégration
En ce qui concerne l’introduction des situations d’intégration, certains résul-
tats encourageants en termes d’équité commencent à apparaître, comme
nous le verrons dans les fondements empiriques (voir en 2.5.1).
Pourquoi ce gain en équité dans le modèle 2,
et pas dans le modèle 1 ?53
Les raisons du gain en équité du modèle 2 sont sensiblement les mêmes
que celles qui expliquent le gain en efficacité. En effet, le fait d’améliorer les
résultats des élèves et étudiants les moins avancés surtout rejaillit à la fois sur
l’efficacité et sur l’équité :
– l’existence de phases structurées profite surtout aux moins avancés, qui
ont besoin de cette phase pour faire évoluer leurs structures cognitives ;
– un accent sur le travail individuel, notamment pendant les phases d’in-
tégration, profite surtout à ces mêmes élèves, pour une raison simple
à comprendre : si un élève est plus avancé, c’est souvent parce qu’il
est capable de transférer de manière spontanée. L’école peut le soute-
nir dans cette démarche, en vue d’améliorer la qualité de ce transfert,
mais ce n’est pas absolument indispensable pour lui. En revanche, les
moins avancés, qui n’ont pas cette capacité de transférer de manière
spontanée, ont besoin de multiplier les occasions d’apprendre à trans-
férer individuellement, même s’ils éprouvent des difficultés – surtout s’ils
éprouvent des difficultés, pourrait-on dire. Ces occasions sont offertes à
travers les situations d’intégration ;
53. Pour rappel, le modèle 1 est le modèle « situations didactiques centrées sur l’apprenant
généralisées avant les situations d’intégration » ; le modèle 2 est le modèle « situations
d’intégration généralisées avant les situations didactiques centrées sur l’apprenant ».
152 La pédagogie de l’intégration
– une innovation moins exigeante en termes de conditions d’implantation
est plus accessible à tout enseignant.
Développons quelque peu cette dernière idée. Une innovation est d’autant
plus porteuse d’inéquité qu’elle est implantée dans un contexte dans lequel
les conditions d’implantation ne sont pas réunies.
En effet, on ne peut pas considérer une innovation de manière isolée,
indépendamment de son contexte. Il faut au contraire considérer un ensem-
ble « innovation + contexte ». Imaginons qu’une innovation, que l’on va appe-
ler « innovation A » ait fait ses preuves dans un contexte que nous appelons
« contexte A » (par exemple un contexte de pays industrialisés). Si on veut
implanter l’innovation A dans un contexte B, c’est un ensemble « innovation
A + contexte B » – a priori dissonant – que l’on retrouve. On se trompe en
pensant que cet ensemble est porteur du changement, sous prétexte que
l’innovation a fait ses preuves ailleurs. C’est un peu comme si on effectuait
une transfusion sanguine sans faire attention au groupe sanguin du rece-
veur. Une approche donnée connaît donc des dynamiques différentes, en
accord avec les environnements éducatifs différents. Malgré certains discours
ambiants liés à une certaine mondialisation de l’éducation, on ne peut donc
pas avancer qu’il existe une approche idéale, qui soit bonne quel que soit le
contexte de son implantation : certaines conditions minimales doivent être
réunies pour que la transposition fonctionne.
Équité et dispositif d’évaluation
Ces résultats sont complétés par d’autres études qui donnent des informa-
tions intéressantes sur le lien entre l’équité et les types d’épreuves à partir
desquelles on évalue les performances des élèves (Rey, Carette, Defrance,
Kahn, 2003 ; Letor & Vandenberghe, 2003). Elles posent la question de
savoir si le fait d’évaluer les acquis des élèves en termes de ressources
(« épreuves ressources »), ou en termes de situations (« épreuves situations ») a
un impact sur l’équité.
Ces études sembleraient montrer que les élèves moins avancés ou de
milieux défavorisés sont loin de réussir moins bien les épreuves « compé-
tences » que des épreuves « ressources », bien au contraire. Ceci s’explique
surtout par un facteur culturel : les élèves qui vivent dans un environnement
culturel plus riche en stimulations ont plus de chances de réussir face à une
épreuve « ressources », alors que la résolution de problèmes met davantage
tous les élèves sur un même pied d’égalité, quelle que soit leur provenance
socioculturelle. Autrement dit, des élèves de niveau socioculturel différent
seraient très inégaux devant des épreuves de type « restitution de connaissan-
ces », dans lesquelles la dimension culturelle est assez importante, alors qu’ils
le seraient moins devant des épreuves de type « résolution de problèmes »,
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 153
qui sont plus nouvelles à traiter pour l’ensemble d’entre eux, quelle que soit
leur provenance.
En matière d’évaluation, le fait de recourir à des épreuves « situations » est
donc non seulement plus pertinent, mais aussi plus équitable.
Une synthèse de l’ensemble de ces facteurs d’équité est reprise en
2.6.1.
4. L’efficience de la réforme
Une autre question à se poser est celle de l’efficience. Pour un système
d’éducation ou de formation donné, pour lequel les ressources sont limitées,
et pour lequel l’énergie d’une réforme est également limitée, quel est l’effort
qui donne le meilleur rapport « effets par rapport aux moyens consentis » ?
L’effort de formation des enseignants
Un premier aspect touche à la question de l’adhésion des enseignants, et de
l’effort consenti pour leur formation.
Lorsqu’on veut introduire, à l’échelle d’un système éducatif, le recours
aux situations-problèmes complexes lors des apprentissage des ressources,
l’effort de formation est important, pour des résultats, sinon incertains, du
moins inégaux selon les contextes, comme nous l’avons vu ci-dessus. Dans
les pays occidentaux, malgré l’effort important de formation consenti, une
proportion importante d’enseignants n’arrive pas à entrer naturellement
dans ce type d’approche qui s’appuie sur les méthodes participatives, sur
l’interdisciplinarité, sur l’apprentissage par résolution de problèmes. Les trois
quarts ? Les deux tiers ? Difficile à dire, mais une proportion significative en
tous cas54. Peut-on dire que ces formations soient inefficientes ? En partie
certainement, quand on voit le rapport entre les effets sur le terrain et le
coût de ces formations (les pratiques changent lentement, et de manière très
inégale chez les enseignants). Mais il faut nuancer ce manque d’efficience
par deux facteurs. Tout d’abord, on ne peut pas vraiment dire que ce type de
formation soit inutile, mais elle relève davantage de la sensibilisation que de
la formation. De plus, il existe des mécanismes de régulation qui permettent
ou qui obligent ces enseignants à se remettre en question et à faire évoluer
leurs pratiques : la concurrence entre établissements scolaires, la pression
des parents, etc. Malgré tout, ce changement de pratique prend en général
beaucoup de temps pour s’installer de façon durable : on estime en général
qu’il faut compter 5 à 10 ans au moins pour que les enseignants adoptent
spontanément l’apprentissage par problèmes à la place des pratiques trans-
missives. Produire ce résultat en agissant sur le levier de la formation des
54. Un chercheur des Facultés Universitaires Saint Louis, qui a participé en Belgique
francophone à une étude sur les effets de la réforme, estime à moins de 10 %, pour ne
pas dire moins de 5 % (ce sont ses termes) les enseignants qui pratiquent au quotidien
l’apprentissage par résolution de problèmes.
154 La pédagogie de l’intégration
enseignants exige un effort considérable – que peu de pays peuvent se per-
mettre – d’autant plus si on veut que cette formation s’inscrive dans la ligne
de la professionnalisation des enseignants.
Dans les pays en développement, non seulement la proportion d’en-
seignants qui, pour différentes raisons, ne changent pas leurs pratiques, est
beaucoup plus grande, compte tenu des conditions dans lesquelles ils se trou-
vent55, mais ces mécanismes de régulation n’existent souvent pas.
En ce qui concerne le second modèle, l’enseignant est invité à changer
ses pratiques en deux temps. Dans un premier temps, l’accent est mis sur
l’intégration. L’enseignant mène les apprentissages de ressources selon ses
pratiques habituelles. Le recours aux situations complexes dans les appren-
tissages de ressources ne sont pas exigées, dans un premier temps. Ce qui
est exigé, c’est que, à un rythme régulier, il propose aux élèves et aux étu-
diants des situations complexes dans lesquelles ils utilisent les ressources
qu’ils ont acquises : aussi bien les savoirs, les savoir-faire, que les savoir-être
ou les capacités transversales. Ce sont les modules d’intégration. Dans un
deuxième temps, il est invité à faire évoluer ses pratiques au quotidien – en
termes de recours aux pédagogies de l’apprentissage notamment –, à son
rythme, et selon le style d’enseignement qui lui est propre. Ce changement
en deux temps permet d’assurer un équilibre entre la nécessité de change-
ment et le respect de la vitesse d’assimilation de nouvelles pratiques de classe
chez les enseignants.
Cette stratégie permet de concentrer dans un premier temps l’effort de
formation sur l’installation des modules d’intégration, sans se préoccuper des
changements de pratiques dans les apprentissages de ressources. Comme
il s’agit d’une formation d’enseignants très ciblée sur un type de pratique,
elle peut être envisagée dans une optique de professionnalisation des ensei-
gnants, selon un dispositif aujourd’hui bien rôdé. L’expérience montre que
cette installation prend 6 mois à 2 ans maximum, à l’échelle de tout un pays.
Or c’est à la pratique de ces modules d’intégration que sont imputables les
effets positifs sur les résultats des apprenants, évoqués ci-dessus. Lorsque
les modules d’intégration sont mis en place, on commence alors à amener
l’enseignant ou le formateur à faire évoluer ses pratiques d’enseignement
/ apprentissage, quand il ne les transforme pas lui-même de sa propre ini-
tiative : en effet, les observations de terrain montrent qu’il arrive souvent
que l’enseignant, qui pratique d’autres méthodes pédagogiques pendant
les modules d’intégration, se demande pourquoi ne pas adopter les mêmes
pendant les apprentissages ponctuels de ressources. Au lieu de continuer à
enseigner de façon transmissive, il devient lui-même demandeur d’apprendre
55. Dans plusieurs pays, quoique l’approche communicative en langues soit encouragée depuis
15 ans, en formation continue et dans les manuels scolaires, seule une petite proportion
des enseignants l’ont adoptée dans leurs pratiques.
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 155
à mener progressivement les apprentissages de ressources en mettant cha-
que élève au centre des apprentissages56.
Une fois de plus, on voit que le deuxième modèle n’exige pas un chan-
gement total de la part de l’enseignant en une fois. Au contraire, il respecte
son niveau de formation, il respecte ses habitudes, et il lui demande d’évoluer
graduellement. De cette manière, il le rassure et le sécurise.
Ce deuxième modèle, qui, pour un résultat plus tangible, exige un effort
moins conséquent au départ, plus ciblé et mené dans une perspective de
professionnalisation, se révèle donc plus efficient.
Le matériel
Un deuxième aspect est lié au matériel requis par la réforme. Lorsqu’on
introduit les situations-problèmes complexes lors des apprentissages de
ressources (situations-problèmes didactiques), le matériel requis n’est pas
nécessairement important : quelques bons documents pour la recherche, des
matériaux de l’environnement de l’apprenant. Mais une dérive consiste à
associer ces pratiques de recherche avec une surconsommation de matériel
pédagogique, qui fait le bonheur des éditeurs et des producteurs de matériel :
fichiers, manuels, ordinateurs, portfolio, à un point tel qu’on peut parfois se
demander quel est le poids des considérations économiques liées à certaines
réformes… au grand dam des pédagogues qui ont œuvré en faveur de cette
réforme, et qui mettent souvent en évidence la nécessité de se fonder sur un
matériel réel, fonctionnel, issu de la vie de tous les jours.
L’introduction des situations d’intégration présente une faiblesse, liée
au matériel qu’elle requiert. Pour qu’elle soit efficace, chaque élève, chaque
étudiant, doit disposer de supports pour résoudre des situations complexes,
puisqu’il ne peut devenir compétent que s’il apprend seul à résoudre des
situations-problèmes. Dans plusieurs pays qui la pratiquent au niveau de la
scolarité obligatoire, la question a été résolue par la fourniture aux élèves
d’un « cahier de situations complexes », en complément aux manuels scolaires
existants, ce qui permet de ne pas devoir changer les manuels scolaires dans
un premier temps. Ce n’est que dans un deuxième temps que les modules
d’intégration sont introduits dans les manuels scolaires. Cette introduction
peut d’ailleurs s’accompagner d’une réflexion sur l’intégration de disciplines,
ce qui est un autre niveau de réflexion (Peyser, Gerard & Roegiers, 2006).
Il semblerait donc que, en matière de matériel pédagogique, la question
ne soit résolue de manière satisfaisante ni dans un modèle ni dans l’autre – en
particulier dans les pays pauvres –, du moins jusqu’au jour où les dirigeants
56. Nous disons « chaque élève au centre des apprentissages », car selon nous la formule
consacrée « mettre les élèves au centre des apprentissages » est trop souvent comprise
comme une invitation à mettre quelques (bons) élèves au centre des apprentissages, alors
que l’enjeu est de mettre chaque élève au centre des apprentissages.
156 La pédagogie de l’intégration
décideront d’octroyer cette augmentation minime au budget de l’éducation
pour permettre à chaque élève de disposer du matériel didactique approprié,
compte tenu des enjeux pour le pays.
En conclusion de ces propos relatifs à l’efficience, on peut dire qu’il
existe pour le modèle 2 un avantage en termes d’efficience des stratégies de
son implantation, tandis qu’il existe pour le modèle 1 un avantage en termes
d’efficience de l’utilisation des ressources matérielles.
2.4.6 Conclusion
1. Des modèles incompatibles ?
Des similitudes
Ces deux modèles présentent des convergences importantes, surtout dans
leur mode majeur. De par leur nature, ils se rejoignent sur la nécessité de
mettre en place des dispositifs pédagogiques concrets pour former un élève
ou un étudiant autonome, créatif, responsable et critique. Ils se rejoignent
aussi sur le statut à accorder à la complexité dans les apprentissages, et ont
une préoccupation de donner du sens aux apprentissages, en travaillant sur
la motivation des apprenants, en les rendant plus actifs, et en leur proposant
de travailler sur des situations complexes à travers lesquelles ils perçoivent
l’utilité de ce qu’ils font à l’école ou en formation.
Mais ils vont plus loin. Tout d’abord, ils reconnaissent tous deux l’impor-
tance des pédagogies de l’apprentissage comme moteur des changements
dans les pratiques pédagogiques et didactiques. Si le premier érige les princi-
pes du socioconstructivisme comme principal fondement, le second le subor-
donne à un principe de fonctionnalité.
Ensuite, les deux modèles visent l’autonomie des apprenants dans les
apprentissages.
Tous deux ont également une préoccupation de rendre les acquis per-
manents dans le temps. Ils ont le souci d’inscrire les acquis dans le long
terme, et de faire ainsi de la formation acquise un tremplin véritable pour
l’insertion de chacun dans la société. Les savoirs, les savoir-faire sont volatils :
ils s’évaporent d’autant plus vite qu’ils ne servent qu’en contexte scolaire
ou académique. Leur utilité est même souvent limitée au jour de l’examen
(bachotage). En revanche, les compétences sont beaucoup plus stables dans
le temps, dans la mesure où elles correspondent à des besoins d’une part, et
où elles sont intériorisées par l’apprenant d’autre part.
On pourrait associer l’ensemble de ces préoccupations à la notion de
développement durable, qui est un concept fort au centre des préoccupa-
tions de tout un chacun aujourd’hui – et en particulier de l’UNESCO –, et
parler d’éducation durable.
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 157
Des différences
Malgré ces fortes convergences, les deux modèles diffèrent sur plusieurs
aspects. Il s’agit tout d’abord de la manière de concevoir la compétence.
Dans le modèle 1 « accent d’abord mis sur les situations relatives aux ressour-
ces », on appellera volontiers « compétences » des capacités génériques que
l’apprenant développe tout en travaillant continuellement sur des situations
complexes. L’accent est mis sur les capacités mobilisées en termes de pro-
cessus d’apprentissage : rechercher de l’information, traiter de l’information,
collaborer avec les autres, apprendre à apprendre, etc. Ce sont ces capacités
qui sont souvent appelées « compétences » transversales57. Le modèle 2, qui
propose de commencer par centrer l’effort sur les situations d’intégration,
reconnaît l’importance de ces capacités génériques – transversales –, qu’il
considère comme des ressources essentielles. Mais ce modèle repose sur-
tout sur une conception de la « compétence » vue comme ce que l’élève ou
l’étudiant doit maîtriser en fin de processus. L’accent est donc mis sur le
profil de sortie, que ce soit en termes de savoir-agir dans la vie quotidienne,
dans la vie active ou dans la poursuite des études. Il a davantage une visée
d’opérationnalité.
Les deux modèles divergent également dans la conception qu’ils ont
de l’évaluation des acquis. Dans le modèle 1, l’évaluation est surtout une
évaluation formative orientée vers les démarches mises en place par l’élève
ou l’étudiant, en particulier les démarches d’apprentissage qu’il mobilise.
Cette évaluation est souvent complétée par une évaluation, plus classique,
des ressources, qui constitue encore souvent la base de la certification. Dans
le modèle 2, les évaluations formative et certificative sont toutes les deux
essentiellement orientées vers la maîtrise des compétences opérationnelles
à travers la résolution de situations complexes d’un niveau donné, corres-
pondant à un profil attendu. L’évaluation se réfère donc avant tout au profil
recherché.
Il n’existe donc aucune incompatibilité théorique entre les deux modèles.
Au contraire, ils reposent sur les mêmes principes de base, et ils propo-
sent les mêmes changements de pratiques. Ce qui les relie est l’importance
accordée à la résolution de situations complexes, à l’aspect significatif des
apprentissages, à la préoccupation de viser les opérations cognitives de haut
niveau, et à la préoccupation d’une éducation durable, notamment sur le
plan socio-affectif.
Par contre, ils se différencient en termes de stratégie du changement,
avec toutes les implications que cette stratégie peut avoir sur les pratiques
de formation.
57. voir aussi en 3.2.3 et en 3.2.4.
158 La pédagogie de l’intégration
2. Y a-t-il un modèle à privilégier ?
Poser la question de l’ordre de l’introduction des innovations, concrétisée
par les deux modèles présentés ci-dessus, renvoie à la fois à des questions
politiques, des questions de choix de société, mais aussi à des questions prag-
matiques, liées à l’état du système d’éducation ou de formation à un moment
donné, et au saut qualitatif qu’il peut raisonnablement franchir compte tenu
des ressources dont il dispose, en particulier le niveau de formation des
enseignants, les conditions de travail de ceux-ci et l’accessibilité au matériel.
On ne peut pas affirmer, dans l’absolu, qu’il soit préférable pour un sys-
tème d’éducation ou de formation de recourir au modèle 1 ou au modèle 2.
Chacun présente des avantages et des inconvénients.
Il résulte toutefois de ce qui précède que le modèle 1 « priorité aux situa-
tions relatives aux ressources » semble relativement bien adapté pour des
formations générales, en particulier dans l’enseignement général (secondaire
supérieur, ou supérieur universitaire à orientations généralistes), parce que
la priorité est mise d’emblée sur une formation et une ouverture larges de
la pensée, et que les compétences et les familles de situations visées sont
surtout liées à un outillage conceptuel, que nous qualifierons d’outillage « de
profondeur » (voir en 3.3.1), qui prend le pas sur un outillage de type plus
fonctionnel. Elle rencontre notamment un succès relatif dans certaines for-
mations conceptuelles de haut niveau, comme par exemple dans la forma-
tion d’ingénieurs civils, de philosophes ou de mathématiciens, dans lesquel-
les ce qui prime est un développement de la pensée, et dans lesquelles on
s’adresse à des apprenants qui sont à même de structurer leurs acquis par
eux-mêmes.
Pour l’enseignement technique et professionnel, de même que pour l’en-
seignement supérieur professionnalisant, le modèle 2 – celui sur lequel se
base la pédagogie de l’intégration – convient mieux dans la mesure où les
situations d’intégration, provenant du terrain de la pratique, se greffent natu-
rellement sur les compétences professionnelles à développer.
Pour l’enseignement de base, le modèle 2, qui préconise de commencer
par généraliser les situations d’intégration à l’échelle du système éducatif,
semble convenir particulièrement bien pour assurer les acquis de base, à
savoir lire, écrire et calculer, ainsi que préserver sa santé et son environne-
ment. Il convient également bien pour garantir à chaque élève des acquis suf-
fisamment stables et solides pour poursuivre sa scolarité. Grâce à l’introduc-
tion de modules d’intégration dans les pratiques de classe, il a fait la preuve
de gains incontestables en matière de résultats des élèves, notamment sur le
plan de la pertinence, de l’efficacité et de l’équité, ceci même dans son mode
transitoire, c’est-à-dire même sans faire évoluer les pratiques de classe dans
les apprentissages des savoirs et des savoir-faire au quotidien.
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 159
Comme nous le verrons en 3.3.1, il convient toutefois, tant dans l’en-
seignement de base qu’en formation technique et professionnelle, de ne pas
négliger cet « outillage de profondeur », et les familles de situations qui leur
sont associées.
2.5 LES FONDEMENTS EMPIRIQUES DE LA PÉDAGOGIE
DE L’INTÉGRATION
L’intégration des acquis : une légitimité aux sources multiples
La pédagogie de l’intégration tire sa légitimité à la fois des mouvements
de recherche fondamentaux, et des approches de terrain. Sur ce dernier
point, force est cependant de constater que les résultats relatifs à l’approche
par l’intégration des acquis dans l’enseignement restent encore trop peu
nombreux. Ceux dont on dispose montrent toutefois de façon incontestable
qu’une approche de ce type confère une plus-value en efficacité des appren-
tissages. Les indicateurs dont on dispose actuellement montrent aussi qu’il
ne faut pas faire table rase des connaissances et des savoir-faire – bien au
contraire –, et que c’est dans la complémentarité entre les apprentissages de
ressources et les apprentissages de l’intégration que la pédagogie de l’inté-
gration tire son efficacité.
Quels sont ces résultats de recherche ?
Ceux qui seront présentés ci-dessous concernent surtout des pays en
développement. La raison en est simple : comme dans ces pays, l’introduc-
tion de la pédagogie de l’intégration (et surtout les modules d’intégration)
constitue souvent la seule innovation, on peut plus facilement imputer les
évolutions des résultats des élèves et des étudiants à cette innovation.
2.5.1 Études réalisées58 dans l’enseignement général, primaire
et secondaire
A. Sur le plan qualitatif
• Évaluations internes
Les évaluations qualitatives, basées sur les représentations des acteurs,
mettent en évidence un certain nombre de points forts et de faiblesses de
l’approche.
58. Altet & Develay (1999) ; Aden & Roegiers (2003) ; Buchau & Lorent (2005) ; Rajonhson &
al. (2005) ; O. Didiye & al. (2005) ; Amin (2004) ; Ranorovololona (2006) ; Lynd (2006) ;
Razafindrabe–Raoniarisoa & van der Zwan, (2008).
160 La pédagogie de l’intégration
Les points forts de la pédagogie de l’intégration (Tunisie, Djibouti,
Maroc59, Sénégal, Côte d’Ivoire)
(1) Cette approche rencontre l’adhésion de tous les acteurs, en particu-
lier l’adhésion des parents et des élèves : les modules d’intégration sont
autant d’occasions d’affirmation de soi, de créativité, de valorisation et
d’épanouissement ; les élèves sont plus motivés, plus curieux et plus stu-
dieux, l’école est plus attrayante.
(2) Elle fait progresser tous les élèves : les élèves forts, comme les élèves
faibles.
(3) Elle est utile parce qu’elle est axée sur les aspects pratiques de l’ensei-
gnement / apprentissage ; de plus, elle sécurise les enseignants, qui très
vite observent des changements tant dans les comportements des élèves
que dans leurs résultats scolaires, mais qui peuvent aussi introduire l’in-
novation à leur rythme.
(4) Elle a un grand pouvoir diagnostique et de discrimination : elle permet de
mieux identifier les difficultés de chaque élève, et d’y remédier.
(5) Elle entraîne un degré d’exigence plus élevé vis-à-vis des élèves.
(6) L’évaluation est plus pertinente et plus fiable.
(7) En termes de processus, les enseignants se sentent plutôt des acteurs
d’innovation que de simples agents d’exécution.
Quelques témoignages :
« La pédagogie de l’intégration remet (enfin) la pédagogie au cœur des
préoccupations. »60
« Elle fait l’unanimité du point de vue de la rupture épistémologique et de
la rigueur méthodologique ; le ciel s’éclaircit. C’est la plus grande réforme
concernant le système éducatif. »61
« La réforme en Côte d’Ivoire a bien pris parce qu’elle est perçue comme un
moyen pertinent de rétablir la relation quelque peu perdue entre l’école et la
société par la promotion des savoirs utilisables et transférables ou transférés
à court et à moyen terme62. »
59. Extraits de l’état d’avancement de l’expérimentation de la pédagogie de l’intégration à
l’AREF de Meknès-Tafilalet, comité de pilotage du 13 mai 2009.
60. Maroc, Benslimane, journée des directeurs d’académie, février 2009.
61. Témoignage concernant le Sénégal. Communication réalisée dans le cadre du séminaire
régional d’Afrique de l’Ouest, sur les pratiques de classe et de suivi dans l’approche par
compétences, OIF, Cotonou, septembre 2007.
62. Propos recueillis auprès du Directeur de la Pédagogie et de la Formation, Côte d’Ivoire
(août 2007).
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 161
Les points faibles de la pédagogie de l’intégration
Les prises d’information sur le terrain révèlent deux points faibles de la péda-
gogie de l’intégration :
– elle nécessite un minimum de matériel pour le travail individuel de
l’élève
– les enseignants mettent un trimestre à s’habituer aux modules
d’intégration.
• Évaluations externes (Tunisie, Madagascar, Djibouti)
– Résultats principaux de l’évaluation externe menée en Tunisie63
l’adhésion importante des acteurs
une approche qui pénètre dans la classe, de manière effective
– À Madagascar, évaluation externe menée par la coopération
norvégienne64
« L’approche a un grand impact sur la qualité de l’éducation »
– À Djibouti, évaluation externe menée pour le compte de la Banque
Mondiale65 :
- perception générale de la réforme : une grande réussite ;
- la pédagogie de l’intégration est pertinente pour le système
éducatif ;
- la fréquence de la formation des enseignants est impressionnante ;
- les outils pédagogiques sont bien conçus, pertinents et faciles à
utiliser ;
- permet une insertion de l’élève dans la vie quotidienne.
En point faible, une trop grande dépendance par rapport aux outils produits
de manière centralisée.
B. Sur le plan quantitatif
On dispose aussi aujourd’hui de plusieurs résultats d’études quantitatives, qui
se sont penchées sur la question : la pédagogie de l’intégration permet-elle
de faire évoluer les résultats des élèves ?
• Tunisie
Au niveau de l’enseignement primaire, ces résultats se situent tout d’abord
à l’échelle d’un pays comme la Tunisie où l’étude a touché 500 écoles pri-
maires66, au terme d’une pratique de la pédagogie de l’intégration67 pendant
63. Altet & Develay (1999).
64. Razafindrabe–Raoniarisoa & van der Zwan (2008).
65. Lynd (2006), pp. 6-8.
66. C.N.I.P.R.E., Ministère de l’Éducation, Tunisie.
67. L’approche y était appelée « approche par les compétences de base ».
162 La pédagogie de l’intégration
5 années dans trois disciplines de base, à savoir l’arabe (langue maternelle),
le français (langue seconde enseignée à partir de la 3e année primaire), et
les mathématiques. Les principaux résultats de l’évaluation interne sont les
suivants :
– sur des questions comparables relatives aux acquis de base (production
d’un texte écrit, résolution de problèmes mathématiques simples…), il y
a, pour les élèves des classes « pédagogie de l’intégration », 3 à 6 points
d’avance (sur 20 points) sur les autres élèves dans l’épreuve de fin de
sixième année ;
– sur des objectifs spécifiques (comme par exemple l’algorithme de l’ad-
dition), il y a pour les élèves des classes « pédagogie de l’intégration »
environ 1 point d’avance (sur 20), ces objectifs spécifiques étant, pour
ces élèves, vérifiés en situation, et non juxtaposés ;
– les épreuves discriminent mieux les élèves qui ont les prérequis de ceux
qui ne les ont pas ; autrement dit, la frange des élèves « à risque » est
moins importante dans la pédagogie de l’intégration que dans l’approche
traditionnelle ;
– il y a une meilleure conservation des acquis dans le temps ; en particulier,
les apprentissages relatifs aux objectifs spécifiques sont plus stables de
juin à septembre ; alors qu’en général on observe une régression de 25 %
à 30 % entre juin et septembre, ces régressions sont inférieures pour les
élèves des classes « pédagogie de l’intégration » ; en langues, elles sont de
l’ordre de 1 % à 5 %, et même parfois positives (progressions de quelques
pourcents) ; en mathématiques, ces régressions sont plus importantes,
mais néanmoins toujours inférieures à 25 %.
• Cameroun
Une recherche menée en 2004 (Amin, 2004) a porté sur 300 écoles, dont
un groupe témoin de 150 écoles, et un groupe expérimental de 150 éco-
les. Ce groupe expérimental est divisé en deux sous-groupes : une première
moitié pratique la remédiation seule, sans les modules d’intégration, et un
deuxième sous-groupe pratique la remédiation, mais au terme de modules
d’intégration.
Alors que, dans le groupe témoin, le pourcentage de redoublements
est de 36 %, ce pourcentage n’est que de 26 % dans le sous-groupe expé-
rimental qui pratique la remédiation seule, et 19 % seulement dans le sous-
groupe expérimental qui pratique à la fois les modules d’intégration et la
remédiation.
En ce qui concerne le taux de réussite à l’examen d’entrée en 6e, il est
de 34 % pour le groupe témoin, de 40 % pour le groupe « remédiation seule »,
et de 47 % pour le groupe « remédiation + modules d’intégration ».
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 163
• Djibouti, Mauritanie et Madagascar
À Djibouti, en Mauritanie et à Madagascar, des séries de données ont pu être
récoltées auprès d’un échantillon expérimental d’élèves « PI » (pédagogie de
l’intégration) et d’un échantillon témoin « non PI » équivalent constitué d’élè-
ves poursuivant leur parcours avec les anciens curricula. Ce qui différencie
les deux échantillons, c’est l’organisation des « modules d’intégration » dans
les classes expérimentales. Les apprentissages des ressources, c’est-à-dire
les objectifs pédagogiques classiques, sont réalisés de la même manière dans
toutes les classes, mais après 5 ou 6 semaines, les élèves des classes expéri-
mentales sont confrontés pendant une semaine à des situations complexes
appartenant à la famille de situations de la compétence travaillée.
Il n’est ici ni possible ni pertinent de présenter de manière détaillée les
résultats issus de ces travaux réalisés dans des contextes et des niveaux très
différents. On peut les consulter dans d’autres publications (Roegiers, 2008b ;
Gerard & Roegiers, 2010).
1. En termes d’efficacité, ces résultats convergent vers le même constat : la
mise en œuvre de modules d’intégration proposant un travail systémati-
que sur des situations complexes permet de gagner un point à un point
et demi sur 10 – soit 10 % à 15 % – dans des épreuves d’évaluation des
compétences constituées de situations complexes68. Toutes les différen-
ces observées sont significatives ou très significatives. Il faut constater
qu’un gain moyen de 10 % à 15 % présente pour des pays défavorisés
un caractère exceptionnel : en effet, il signifie que de nombreux élèves
qui étaient en échec auparavant peuvent réussir grâce à la pédagogie de
l’intégration, et cela même sur la base d’épreuves de niveau taxonomi-
que supérieur.
Cette amélioration des résultats semble surtout liée à deux facteurs : (1)
d’une part l’introduction des modules d’intégration dans le curriculum,
(2) d’autre part l’accent mis sur des remédiations permanentes, opéra-
tionnelles et ciblées sur les difficultés effectivement rencontrées par les
élèves (Amin, 2004 ; Bipoupout, 2007).
2. En termes d’équité, une étude mentionnée ci-dessus montre, pour les
élèves qui ont pratiqué la pédagogie de l’intégration, un gain significati-
vement supérieur pour les élèves moins avancés que pour les élèves plus
avancés, surtout dans la maîtrise de l’écrit (Aden & Roegiers, 2003).
2.5.2 Données disponibles au niveau national
Les résultats présentés ci-dessus concernent les phases expérimentales de
la mise en œuvre de la pédagogie de l’intégration. Aujourd’hui, on com-
68. Pour des épreuves de type « ressources », le gain est également positif, mais non
significatif.
164 La pédagogie de l’intégration
mence à disposer de résultats liés à la généralisation à l’échelle d’un pays.
C’est notamment le cas de Djibouti et du Gabon. Comme l’introduction des
modules d’intégration constitue le principal changement apporté à ces systè-
mes éducatifs, on peut raisonnablement imputer la plus grande partie de ces
résultats, voire la totalité, à l’introduction de ces modules d’intégration.
Au Gabon, après 3 ans de généralisation de la pédagogie de l’intégra-
tion au CP169, les taux de réussite sont passés de 53 % en 2003 à 68 % en
2006, ce qui représente une augmentation de 15 %70. Cette augmentation
se confirme au CP2 et au CE1.
Toujours au Gabon, on constate que l’introduction de la pédagogie de
l’intégration procure un gain plus important chez les primo-arrivants et chez
les redoublants que chez ceux qui ont fait un pré-primaire. Il y a donc aussi
un gain en termes d’équité.
Le cas de Djibouti est encore plus intéressant, car la pédagogie de l’in-
tégration y a été généralisée au primaire. Ce pays a engrangé les résultats
suivants : les taux de réussite au CP qui étaient de l’ordre de 40 % en 2002
sont pratiquement passés à 80 % en 2005. Autrement dit, le pourcentage
des élèves qui maîtrisent les compétences de base pour passer au CE sont
passées de 40 % à 80 % en trois ans. Ces résultats sont encourageants quand
on sait que ces 80 % d’élèves qui ont réussi maîtrisent réellement les compé-
tences nécessaires pour continuer leur scolarité.
À Djibouti toujours, en juin 2006, le même examen d’entrée au collège a
été passé par les élèves de 6e primaire (non PI) et par les élèves de 5e primaire
(PI), ceci à l’échelle nationale71. Les taux de réussite sont de l’ordre de 54 %
pour les élèves « non PI » qui ont suivi 6 années de scolarité, et de l’ordre de
78 % pour les élèves « PI » qui ont suivi 5 années de scolarité72. Cela voudrait
dire que des élèves qui ont pratiqué la pédagogie de l’intégration obtiennent
en 5 ans un taux de réussite de 25 % environ supérieur à ceux qui ont
suivi 6 années de scolarité selon un cursus traditionnel. Ces résultats bruts
sont à confirmer, et devraient faire l’objet d’un traitement qui devrait montrer
si d’autres facteurs ne peuvent pas expliquer cet écart important en faveur de
la pédagogie de l’intégration.
69. CP : première et deuxième primaires (CP1 et CP2) ; CE : troisième et quatrième primaires
(CE1 et CE2).
70. Étude menée sur la base des taux de réussite récoltés dans 6 circonscriptions scolaires,
couvrant plus de la moitié des effectifs totaux.
71. Ce décalage s’explique par le fait que la généralisation de la pédagogie de l’intégration s’est
accompagnée d’une réduction du nombre d’années du primaire, de 6 à 5 années.
72. Résultats déduits d’une part du taux moyen de réussite à l’examen d’entrée en classe de
6e (www.rtd.dj/actualites, 8 juin 2006), et d’autre part du taux réalisé par les élèves des
classes « PI ». Ces résultats n’ont pas encore fait l’objet d’une confirmation officielle par le
gouvernement djiboutien.
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 165
De plus, les résultats de l’examen d’entrée en 6e de juin 2006 semblent
montrer que les progrès liés à la pédagogie de l’intégration sont importants
dans les zones urbaines, mais plus importants encore dans les zones rurales.
Il y a donc progrès également sur le plan de l’équité. Ce gain en équité est
essentiellement lié à la mise en place des modules d’intégration : d’une part,
il y a très peu de pratique de situations didactiques qui mettent chaque élève
au centre des apprentissages, puisque la grande majorité des enseignants
recourent encore aux méthodes transmissives pour les apprentissages ponc-
tuels de ressources ; d’autre part, aucune autre innovation significative n’a
été introduite pendant la période.
En résumé, on voit donc que le recours aux situations complexes pen-
dant les modules d’intégration semble conduire à des effets incontestables
sur les résultats scolaires des élèves : un gain moyen de 10 % à 15 % sur une
année scolaire, et un gain de l’ordre de 25 %, voire davantage73, sur l’ensem-
ble du cycle primaire.
Il semble donc que, outre le gain en efficacité des apprentissages, la
pédagogie de l’intégration procure également un gain en équité dans l’ensei-
gnement, ce que confirment encore d’autres résultats tels ceux de l’appro-
che par résolution de problèmes dans l’enseignement primaire, comme en
témoignent par exemple les travaux de Rey et de son équipe en Belgique
francophone (Rey, Carette, Defrance, Kahn, 2003).
2.5.3 Effets dans l’enseignement supérieur
Dans l’enseignement supérieur, il est beaucoup plus difficile d’attribuer de
manière claire certains effets à l’introduction de la pédagogie de l’intégra-
tion, tant les innovations et réformes successives sont introduites à une
vitesse vertigineuse : pédagogie universitaire, Bologne, Cadre Européen des
Qualifications, etc. Il est dès lors quasi impossible de distinguer la part d’ef-
fets qui revient à chaque innovation.
Parmi les influences visibles que l’on peut imputer à la pédagogie de
l’intégration, citons une étude relative au référentiel européen en sciences
infirmières qui trouve son origine dans une réforme menée selon les princi-
pes de la pédagogie de l’intégration74.
2.5.4 Une difficulté méthodologique liée aux enquêtes
internationales
Il se pose une difficulté d’ordre méthodologique lorsqu’il s’agit de faire ressor-
tir les bénéfices de la pédagogie de l’intégration : on a besoin de recourir à des
73. Puisque les résultats ne concernent que 5 années d’études, au lieu de 6.
74. ISEI, BIEF, 1993.
166 La pédagogie de l’intégration
épreuves complexes. Or bon nombre d’enquêtes internationales sont surtout
constituées d’items de type « ressources ». Dans ces enquêtes internationales,
les progrès des élèves pratiquant la pédagogie de l’intégration – progrès qui
se marquent face à des épreuves de type « situations complexes » – sont donc
masqués par le choix des items sur lesquels portent ces études.
2.5.5 En conclusion : pas d’intégration sans ressources
On peut conclure que l’approche par l’intégration des acquis dans l’ensei-
gnement et dans la formation apporte une plus-value incontestable, tant en
termes d’efficacité interne75 qu’en termes d’efficacité externe ou d’équité.
Il faut cependant rester prudent en ce qui concerne le recours exclusif
aux démarches intégratives dans les classes et dans les lieux de formation
sans que ces démarches soient étayées par un développement de ressour-
ces. En effet, lorsqu’on néglige les apprentissages de ressources, et qu’on
passe trop vite à l’intégration, quelques étudiants plus avancés en profitent
peut-être, parce qu’ils disposent des outils intellectuels pour réaliser cette
intégration, mais ce n’est pas le cas des moins avancés, qui ne disposent pas
de ces outils. Il faut donc souligner avec force qu’il n’y a pas d’intégration
sans ressources, sans outils, et qu’on n’intègre que ce que l’on a acquis.
Bien au contraire, l’intégration commence avec la mise en place des
ressources.
Parallèlement au développement des compétences, ou plutôt en com-
plémentarité à celui-ci, il semble donc essentiel que les systèmes d’éducation
et de formation continuent à développer des approches ponctuelles, analyti-
ques, de connaissances et de savoir-faire.
2.6 ATOUTS ET DIFFICULTÉS DE LA PÉDAGOGIE
DE L’INTÉGRATION DANS LES SYSTÈMES D’ÉDUCATION
ET DE FORMATION
Quels sont les principaux atouts de la pédagogie de l’intégration, mais aussi
ses principales difficultés ?
2.6.1 Les atouts de la pédagogie de l’intégration
On peut dire que l’apport de la pédagogie de l’intégration se situe à plusieurs
niveaux. Ses principales qualités sont les suivantes.
1. Motivante : elle contribue à donner du sens aux apprentissages et donc à
motiver les apprenants.
75. Notamment la réduction des redoublements et des abandons
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 167
2. Valorisante : elle confère aux apprenants le sentiment de valorisation
pour ce qu’ils sont capables d’accomplir à travers les défis des situations
complexes.
3. Efficace : elle permet d’améliorer les résultats des élèves et des
étudiants.
4. Équitable : elle permet de faire progresser toutes les catégories d’élèves
et d’étudiants.
5. Progressive et inclusive : tout en créant une rupture dans la manière.
d’envisager les apprentissages, elle est en continuité avec les pratiques
en place.
6. Ingénieuse : elle apporte des solutions concrètes au gonflement des
programmes.
7. Simple : elle propose une structure accessible et lisible par tous.
8. Ouverte : elle possède un haut potentiel de contextualisation des
apprentissages.
Il est clair que la pédagogie de l’intégration n’est pas la seule à revendiquer
ces atouts. D’autres approches sont tout aussi efficaces – voire davantage –
par rapport à bon nombre de ces aspects. L’intérêt de la pédagogie de l’inté-
gration réside toutefois dans une combinaison équilibrée et performante de
l’ensemble de ces aspects.
C’est dans la combinaison de ces qualités que les principes de la péda-
gogie de l’intégration s’imposent aujourd’hui dans un nombre grandissant de
systèmes d’éducation et de formation de par le monde.
1. Elle est motivante : elle donne du sens aux apprentissages.
La pédagogie de l’intégration vise à contextualiser les apprentissages aux
yeux de l’apprenant, à les rendre significatifs, à situer l’ensemble des appren-
tissages par rapport à des situations qui ont du sens pour lui.
EXEMPLES
• un message fonctionnel (e-mail…) à écrire pour celui qui apprend à
écrire,
• une situation de stage pour l’étudiant(e) qui est en formation
professionnelle,
• une situation-problème similaire à celle qu’un apprenant peut en rencon-
trer dans sa vie professionnelle
• etc.
Elle cherche notamment à finaliser les apprentissages, à faire en sorte que
les connaissances ne restent pas théoriques pour l’apprenant, mais qu’elles
168 La pédagogie de l’intégration
puissent lui servir très concrètement dans ses études, dans son milieu fami-
lial, ou plus tard dans sa vie d’adulte, de travailleur, de citoyen.
À titre d’illustration de ce caractère motivant, dans plusieurs pays, les clas-
ses se repeuplent pendant les modules d’intégration (Rwanda, Comores…),
et, dans certains cas, les écoles publiques qui pratiquent la pédagogie de
l’intégration commencent à attirer les élèves des écoles privées (Maroc).
Nous reviendrons plus loin sur les différentes manières de donner du
sens à des apprentissages (voir en 4.2.5).
2. Elle est valorisante : elle confère aux apprenants le sentiment de
valorisation pour ce qu’ils sont capables d’accomplir à travers les
défis des situations complexes.
En particulier, des observations empiriques dans le cadre de la formation
professionnelle montrent que :
– les semaines d’intégration sont plébiscitées par les étudiants ;
– les étudiants s’investissent volontiers dans les situations d’intégration for-
matives, pour s’exercer aux activités professionnelles, pour renforcer ce
dont ils sont capables et se voir rassurer par les enseignants ;
– dans les moments de co-évaluation, à l’issue des situations d’intégration,
s’installe une dynamique positive d’échanges où chacun est fier de mettre
en valeur ce qu’il sait ;
– les situations d’intégration avant le stage contribuent à déstresser les
apprenants en quête de confiance en soi.
3. Elle est efficace : elle permet d’améliorer les résultats des élèves et
des étudiants
Nous avons vu que les résultats de recherche tendaient à montrer que la
pédagogie de l’intégration a largement faire ses preuves, en particulier en
termes d’efficacité (voir en 2.4.5).
À quoi ce gain est-il dû ? On peut poser l’hypothèse qu’il est dû principa-
lement aux quatre facteurs suivants :
– comme les acquis sont réinvestis par chaque apprenant, ils sont mieux
fixés ;
– l’accent est mis sur l’essentiel ;
– les différents acquis sont mis en lien les uns avec les autres horizontale-
ment (entre les disciplines) ;
– les différents acquis sont mis en lien les uns avec les autres verticalement
(d’une année à l’autre, d’un cycle à l’autre) ;
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 169
Les acquis sont mieux fixés
Les travaux sur l’apprentissage ont montré qu’un savoir est d’autant mieux
acquis qu’il a été mobilisé dans le cadre de la résolution d’un problème (De
Ketele & Hanssens, 1999). On peut même aller plus loin : les démarches
intellectuelles de base (les capacités) se développeraient d’autant mieux que
les apprenants ont été confrontés à des situations pointues, les plus variées
possibles.
La résolution de problèmes est donc une composante essentielle d’un
apprentissage en profondeur, que ce soit pour fixer les savoirs ou les capa-
cités. Or la pédagogie de l’intégration est une des approches par excellence
qui favorise la résolution de problèmes, en donnant à chacun des occasions
de mobiliser ses acquis dans des situations complexes sans cesse nouvelles
pour lui. En l’amenant à réinvestir ses acquis dans des situations d’intégra-
tion, elle garantit que ceux-ci soient mieux fixés, et s’inscrivent dans le long
terme.
L’accent est mis sur l’essentiel
Tous les apprentissages ne sont pas sur le même pied. Certains apprentissa-
ges sont importants, soit parce qu’ils sont utiles dans la vie de tous les jours,
soit parce qu’ils constituent les fondements des apprentissages suivants. Il
peut s’agir de capacités « clés », particulièrement utiles à l’apprenant, de com-
pétences pratiques importantes dans la vie de tous les jours, ou de compé-
tences qui sont à la base d’autres apprentissages.
C’est sur ces apprentissages que la pédagogie de l’intégration insiste.
Elle propose par contre que l’enseignant pressé par le temps passe rapide-
ment sur d’autres apprentissages moins importants76.
Ce qui est vrai pour les apprentissages est encore plus vrai pour l’éva-
luation, en particulier l’évaluation certificative : combien d’enseignants ne
sont-ils pas tentés, lors de l’évaluation finale, d’aller au-delà des exigences qui
avaient été de mise jusque là, et de mettre en jeu la réussite de l’élève ou de
l’étudiant sur des parties du cours tout à fait secondaires ?
La pédagogie de l’intégration aide l’enseignant à opérer cette sélection
des acquis, et favorise dès lors une meilleure maîtrise des acquis les plus
importants.
Les différents acquis sont mis en lien les uns avec les autres horizontale-
ment, au sein d’une discipline, et entre les disciplines
Les travaux sur l’apprentissage ont montré que la maîtrise en profondeur
d’un savoir suppose également sa mise en relation avec d’autres qui lui sont
reliés : c’est par la comparaison entre des notions voisines, par l’opposition
76. Il suffit parfois tout simplement de discuter avec des collègues et d’identifier les
chevauchements inutiles, voire des anticipations dommageables par rapport à des matières
réservées à un autre moment du cursus.
170 La pédagogie de l’intégration
de notions antagonistes, par la création de réseaux conceptuels que cel-
les-ci se fixent solidement. Or lors des activités d’intégration, la pédagogie de
l’intégration amène l’apprenant à établir des liens entre différentes notions
issues d’une même discipline, ainsi qu’entre des notions issues de différentes
disciplines.
Même si cette mise en lien des notions n’est pas de l’intégration à pro-
prement parler, elle est un sous-produit de l’intégration.
Les différents acquis sont mis en lien les uns avec les autres verticale-
ment (d’une année à l’autre, d’un cycle à l’autre)
La mise en lien progressive des différents acquis des élèves et des étu-
diants, ainsi que la mobilisation conjointe de ces acquis dans des situations
significatives débordent le cadre d’une année scolaire. Elles permettent
également de construire un système plus global dans lequel, d’une année à
l’autre, d’un cycle à l’autre, les acquis sont progressivement réinvestis et mis
au service de compétences plus complexes. C’est en cela que la pédagogie
de l’intégration permet de fonder les apprentissages ultérieurs.
4. Elle est équitable : elle permet de faire progresser toutes les catégo-
ries d’élèves77
Si les résultats de recherche montrent les réussites de la pédagogie de l’inté-
gration en termes d’efficacité, ils montrent également qu’elle permet d’aug-
menter l’équité d’un système d’éducation ou de formation (voir en 2.4.5).
À quoi est-ce dû ? Voici, de manière condensée, les principales
raisons78.
1. Le maintien de moments significatifs d’apprentissages de ressources
semble être favorable aux élèves des couches socioculturellement défa-
vorisées, parce que ce type d’apprentissages peut trouver plus facilement
un relais et un appui à la maison que des pratiques pédagogiques moins
connues des parents.
2. Si un apprentissage de la complexité est incontournable aujourd’hui, cet
apprentissage ne doit pas se faire n’importe comment. L’existence de
phases structurées – tant pendant les apprentissages ponctuels de res-
sources (situations de structuration) que pendant les modules d’intégra-
tion – profite en particulier aux élèves et aux étudiants moins avancés, qui
ont besoin de cette phase pour faire évoluer leurs structures cognitives.
3. Un accent sur le travail individuel, notamment pendant les activités d’in-
tégration, profite surtout aux élèves et aux étudiants moins avancés, qui
77. Roegiers (2008b).
78. Pour en savoir plus, voir Roegiers (2008a).
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 171
voient dans ces activités d’intégration une occasion d’apprendre à trans-
férer leurs acquis.
4. Par rapport à d’autres approches, la pédagogie de l’intégration est peu
exigeante en termes de conditions d’implantation : en formation, et en
matériel79. Loin d’être une innovation qui n’est applicable que dans des
contextes privilégiés, elle est dès lors plus accessible à tout enseignant,
dans toute école, à l’échelle de l’ensemble du système éducatif. Dans
les pays en développement, cette caractéristique a probablement été
décisive pour engager les efforts des gouvernements et des bailleurs de
fonds multilatéraux (OIF, UNICEF, UNESCO…) dans les processus de
réforme.
5. En termes de nature de l’épreuve d’évaluation, il semble que les épreuves
en termes de situations complexes discriminent moins les apprenants de
milieux défavorisés par rapport aux autres, en les mettant davantage sur
un pied d’égalité face à une difficulté nouvelle, comme nous l’avons vu
ci-dessus (voir en 2.4.5).
5. Elle est progressive et inclusive : tout en créant une rupture dans la
manière d’envisager les apprentissages, elle est en continuité avec les
pratiques en place.
L’approche par l’intégration des acquis est une approche essentiellement
contextualisée, comme nous l’avons déjà mis en évidence ci-dessus, car elle
tente de répondre à un besoin de contribuer à un profil de sortie qui soit iden-
tifiable par tous. En cela, elle rompt avec une vision révolue, celle d’organiser
les apprentissages dans l’unique but d’apporter des savoirs.
Par ailleurs, elle est aussi progressive : l’approche par l’intégration des
acquis s’appuie sur les pratiques pédagogiques existantes. Pour certains
apprentissages de ressources (savoirs, savoir-faire), elle s’appuie même par-
tiellement sur les pratiques transmissives80. Elle s’appuie également sur la
P.P.O. Or cette innovation qu’a constitué la P.P.O. dans les années 1970 et
1980 est encore tellement fragile dans certains contextes que toute réforme
qui ne la renforce pas risque de ne pas être acceptée par les enseignants.
L’approche par l’intégration des acquis laisse aux enseignants et aux forma-
teurs le temps de découvrir la nécessité de changer leurs pratiques quotidien-
nes, et permet qu’ils le fassent selon leur rythme et leur potentiel.
Cette possibilité de mise en œuvre progressive de l’approche par l’in-
tégration des acquis se manifeste aussi dans d’autres domaines que celui
79. Même si, comme nous le verrons plus loin, le minimum de matériel requis dans
l’enseignement de base – deux ou trois petits cahiers d’aide à l’intégration par élève –
constitue une difficulté pour certains pays.
80. Particulièrement importantes en Afrique sur un plan culturel, et où prime également la
tradition orale.
172 La pédagogie de l’intégration
des pratiques pédagogiques, comme celui des manuels scolaires : alors que
la grande majorité des réformes imposent de changer d’emblée l’ensemble
des manuels scolaires, l’approche par l’intégration des acquis permet de ne
remplacer les manuels scolaires que de manière progressive, dans la mesure
où les manuels existants peuvent, dans un premier temps, continuer à être
mis au service des apprentissages ponctuels des ressources.
Ce caractère progressif va de pair avec un caractère inclusif, dans la
mesure où la pédagogie de l’intégration ne rejette a priori aucun modèle,
aucune méthode pédagogique. Ce caractère inclusif est non seulement
important sur un plan identitaire – un enseignant ou un formateur s’identifie
fortement à ses pratiques pédagogiques – mais aussi sur un plan stratégique,
parce qu’il constitue une garantie d’adhésion de la part des enseignants et
des formateurs.
6. Elle est ingénieuse : elle apporte des solutions concrètes au gonfle-
ment des programmes d’études.
Un des problèmes majeurs que rencontre tout enseignant aujourd’hui est
celui du syndrome de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf :
on gonfle les programmes, mais peu de pistes sont avancées pour permettre
aux enseignants et aux formateurs de gérer ce gonflement des programmes.
Ce syndrome est l’apanage de tout concepteur, qu’il soit concepteur de pro-
gramme ou de manuel scolaire : comme son rôle est de proposer des pistes,
il propose des pistes, en répondant à des sollicitations et pressions diverses,
sans trop se préoccuper de l’économie de l’outil didactique, c’est-à-dire de la
manière dont l’enseignant ou le formateur va gérer la quantité de contenus.
Le problème est le même pour le concepteur de manuels scolaires, bien que,
de ce point de vue, il apparaisse une limite d’ordre financier : le nombre de
pages du manuel scolaire.
Pourquoi ce gonflement ? Avant d’apporter des pistes de réponse, il faut
essayer de mieux comprendre le phénomène.
Nous avons déjà évoqué l’augmentation vertigineuse des savoirs disponi-
bles sur notre planète (voir en 2.1.2).
Il y a toutefois deux autres raisons à ce gonflement.
Tout d’abord, la manière dont les programmes d’études sont rédigés, par
des commissions comprenant plusieurs spécialistes de la discipline, amène
souvent à des compromis en termes d’addition qu’en termes de soustrac-
tion : il est plus facile d’ajouter au programme ce que chaque membre de la
commission estime important, que de mener des arbitrages. Il s’agit d’une
dérive dans la manière de comprendre le caractère participatif des proces-
sus d’élaboration des curricula (Roegiers, 1997) : des commissions discipli-
naires constituées de représentants des différentes catégories d’acteurs se
réunissent, parfois avec des experts extérieurs. Le problème, c’est que ces
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 173
acteurs ont des vues différentes de ce que doit être un curriculum et de ce
qui est important comme contenus. Dès lors, c’est la logique de l’accumula-
tion qui est privilégiée : chaque membre de la commission propose d’ajouter
au programme ce qui est considéré comme important par lui, ce qui pro-
duit souvent des documents longs, indigestes et illisibles pour l’enseignant
moyen, qui souvent ne les lit même pas. Autrement dit, ces méthodologies
produisent des programmes d’études politiquement acceptables, mais péda-
gogiquement inacceptables, parce qu’impossibles à mettre en œuvre au quo-
tidien dans les classes.
Ensuite, bon nombre de problématiques nouvelles ont été introduites
ces dix dernières années dans les programmes d’enseignement, que ce
soit – d’une part – des problématiques dites émergentes, comme le VIH/
SIDA, l’éducation en matière de population, l’éducation à l’environnement,
sous l’impulsion des organismes multilatéraux, des ONG, de la coopération
internationale.
Quelle que soit leur pertinence, il va de soi que ces nouveaux contenus
et méthodes ne peuvent pas être ajoutés purement et simplement aux pro-
grammes actuels, postulant naïvement par là que le potentiel d’adaptation
de l’enseignant est extensible à merci et que, du fait de leur pertinence, la
durée du cursus de formation devrait déroger aux normes en vigueur. Dans
les cas où ces nouveaux contenus et ces nouvelles méthodes ne trouvent pas
leur place dans le curriculum officiel, de manière réaliste, on constate le plus
souvent deux dérives : soit ils prennent la place d’apprentissages de base – il
y a, dans certains pays, un risque réel que des « thèmes émergents » prennent
la place des apprentissages de base en langue et en mathématiques –, soit,
ne trouvant pas de « structure d’accueil » au sein des emplois du temps hebdo-
madaires, ils sont abandonnés dans les pratiques quotidiennes.
Sur le terrain de la formation professionnelle – dans le cas de la forma-
tion du personnel de santé en l’occurrence – la pertinence des problémati-
ques liées à ces nouveaux contenus, dits programmes verticaux (VIH/SIDA,
paludisme, tuberculose et bien d’autres), et les moyens investis par les orga-
nismes partenaires internationaux impliqués dans les projets d’aide au déve-
loppement des pays du Sud constituent une forme de pression et un facteur
de déstabilisation dans la conception et la mise en œuvre des curricula.
L’approche par l’intégration des acquis propose un cadre qui permet
d’intégrer ces thèmes émergents dans les apprentissages au quotidien, de
même que les « life skills » ou les capacités transversales.
7. La pédagogie de l’intégration est simple : elle propose une structure
accessible et lisible par tous.
Une des dérives des programmes officiels des dernières décennies tient à
la complexification de ceux-ci, à tel point qu’ils deviennent souvent illisibles
pour les enseignants et les formateurs. Il s’agit d’une dérive similaire à la
174 La pédagogie de l’intégration
précédente : ce manque de lisibilité des programmes par pléthore des conte-
nus-matières, que nous venons d’évoquer, se double d’un manque de lisibilité
par complication de la structure.
La structure d’un programme dans le cadre de la pédagogie de l’inté-
gration tient en peu de choses, et est dès lors facilement accessible à ses
destinataires :
– un profil de sortie, et un noyau de compétences évaluables qui traduisent
ce profil ;
– une liste de ressources à développer pour chacune de ces compétences.
Le caractère participatif de l’élaboration des curricula est maintenu dans la
pédagogie de l’intégration, parce qu’il s’agit là d’une condition essentielle
pour le faire accepter par les acteurs. Mais le processus participatif d’écriture
se déroule sur des bases communes très claires, à savoir une structure simple
pour les programmes d’études, et une méthodologie claire, qui privilégient
avant tout le destinataire principal du programme : l’enseignant.
8. Elle est ouverte : elle possède un haut potentiel de
contextualisation.
Loin d’être un modèle à appliquer de manière uniforme, la pédagogie de
l’intégration est une véritable « approche » au sens premier du terme, en ce
sens qu’elle prend en compte les différentes dimensions du curriculum : pro-
grammes d’études, évaluation, formation des enseignants, manuels scolai-
res, etc.
La pédagogie de l’intégration est également ouverte aux différents
contextes dans lesquels elle est appelée à s’installer (Miled, 2002 ; 2008).
Elle se prête donc particulièrement bien à une logique d’appropriation par
les différents systèmes éducatifs qui sont engagés dans une révision des curri-
cula (Legendre, 2007), et non à une logique d’application qui voudrait qu’elle
soit implantée de manière standardisée dans tous les pays : les expériences
montrent que chacun de ceux-ci en a pris ce qu’il estimait intéressant pour
progresser à partir de son contexte et de ses besoins.
Cette ouverture et cette variabilité de mise en œuvre de la pédagogie de
l’intégration s’expriment de différentes manières :
– en termes d’entrées différentes : certains pays entrent dans la pédagogie
de l’intégration par les programmes, d’autres par l’évaluation, d’autres
par les manuels scolaires, d’autres encore par les pratiques pédagogi-
ques, d’autres enfin par la formation des enseignants81 ;
– en termes de niveau que l’on choisit au départ pour provoquer le chan-
gement (Ardoino, 1966) : le niveau « macro » (les changements au niveau
81. Même s’il est clair qu’à terme, c’est l’ensemble des composantes qui doivent être
concernées, pour des raisons de cohérence.
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 175
du système d’éducation ou de formation), le niveau « méso » (les chan-
gements au niveau des circonscriptions scolaires, des établissements),
le niveau « micro » (les changements dans les pratiques de classe et les
pratiques de formation), tout en reconnaissant que, à terme, ce n’est que
dans l’articulation de ces trois niveaux que le changement peut s’installer
de façon durable ;
– en termes de niveaux d’enseignement visés : certains pays mettent l’ac-
cent sur l’enseignement de base avant de généraliser l’approche dans
l’enseignement secondaire, d’autres envisagent d’emblée de la générali-
ser en parallèle dans l’enseignement secondaire ; d’autres encore com-
mencent par l’introduire dans la formation professionnelle ;
– en termes de terminologie adoptée pour opérationnaliser les principes
de la pédagogie de l’intégration : par exemple, certains pays évoquent
les « compétences de base », d’autres les « compétences terminales », pour
désigner le même noyau de compétences évaluables ;
– en termes de modalités de mise en œuvre différentes : les modalités de
changement des manuels scolaires, les modalités de changement de la
formation initiale et continue, etc.
2.6.2 Les difficultés liées à la mise en œuvre de la pédagogie
de l’intégration dans les systèmes d’éducation
ou de formation
L’introduction de la pédagogie de l’intégration rencontre un certain nom-
bre de difficultés. Certaines concernent plus spécifiquement la pédagogie
de l’intégration ; d’autres sont plus générales : certaines d’entre elles sont
toutefois atténuées dans le cadre de la mise en œuvre de la pédagogie de
l’intégration.
Des difficultés plus spécifiques à la pédagogie de l’intégration
Effet de contamination avec d’autres réformes liées à l’APC
Une des grandes difficultés que rencontre la pédagogie de l’intégration
aujourd’hui est la tendance, chez les acteurs de l’éducation, à assimiler les dif-
férentes variantes de l’approche par compétences, et la difficulté à dissocier
la pédagogie de l’intégration de ces autres approches puisque la pédagogie
de l’intégration évoque elle aussi le développement des compétences82.
82. Rappelons à ce propos (voir en 1.3) que, si le concept central de la pédagogie de
l’intégration est le concept de « situation d’intégration », et de « famille de situations » ; la
pédagogie de l’intégration considère le concept de compétence comme commode pour
définir une famille de situations.
176 La pédagogie de l’intégration
C’est une question de représentations des acteurs, qui, dans cette nébu-
leuse de l’APC, ont du mal à s’y retrouver, d’autant plus qu’il existe de nom-
breux déficits en communication autour de l’APC : tout se passe trop souvent
comme s’il n’existait qu’une seule manière de comprendre l’APC, chaque
système estimant pratiquer « l’ » APC, la seule vraie, alors qu’il en existe plu-
sieurs modalités.
Les réformes partielles
La mise en place de la pédagogie de l’intégration nécessite que l’ensemble
des composantes du curriculum soient visées de manière articulée : les pro-
grammes d’études, l’organisation des apprentissages (planification annuelle,
trimestrielle, hebdomadaire…), le dispositif d’évaluation des acquis des
apprenants, les manuels scolaires, la formation initiale des enseignants, la
formation continue…
C’est un ensemble articulé de composantes du curriculum qu’il convient
de faire évoluer de manière concertée.
Plusieurs facteurs peuvent empêcher cette évolution concertée :
– des facteurs institutionnels : existence de plusieurs tendances au sein des
instances décisionnelles ;
– des facteurs scientifiques : des responsables formés selon des courants de
pensée différents ;
– des facteurs économiques : pressions de maisons d’éditions pour main-
tenir un matériel en place, pressions internes dans l’allocation des
fonds… ;
– des facteurs humains, en termes d’augmentation ou de perte de
pouvoir ;
– des facteurs politiques : détournement des énergies vives (pour ne pas
dire corruption) ; dans certains pays, des bailleurs de fonds n’hésitent pas
à rétribuer des acteurs pour mener des opérations qui vont dans un autre
sens que la politique du ministère ;
– des facteurs organisationnels : manque de ressources humaines, en qua-
lité et/ou en quantité pour gérer l’ensemble des composantes…
Ce problème de réformes partielles n’est pas inhérent à la pédagogie de
l’intégration, mais il se manifeste d’autant plus à propos de la pédagogie de
l’intégration que celle-ci constitue un cadre d’ingénierie systémique, c’est-à-
dire qui touche l’ensemble du curriculum.
L’amateurisme
Il existe aussi des réformes caractérisées par l’amateurisme. Ce peut être
un amateurisme forcé, par manque de volonté politique, par manque de
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 177
moyens ou d’organisation. Une situation qui arrive fréquemment est que les
« techniciens » sont convaincus, et avancent comme ils le peuvent, mais sans
moyens parce que le politique ne suit pas. Ce peut être un amateurisme
« politique », qui fait que le système d’éducation ou de formation succombe
à un effet de mode, mais sans avoir les compétences – ni parfois même les
moyens – pour ancrer la réforme. Dans ce second cas, la réforme possède
un caractère superficiel et ornemental.
Dans un cas comme dans l’autre, il se pose une question délicate : un
bricolage est-il préférable au statu quo ?
Trois critères peuvent éclairer cette question :
– la qualité de ce qui est produit : même si les éléments de réforme sont
limités, ils peuvent être de qualité, par exemple parce qu’ils ont été vali-
dés, expérimentés sur le terrain ;
– la cohérence avec l’existant : des éléments de réforme, même partiels,
peuvent s’articuler avec l’existant, ou au contraire créer une cassure : en
ce sens-là, une réforme partielle qui s’inspire de la pédagogie de l’inté-
gration court peu de risques, puisque cette dernière est en continuité
avec les pratiques quotidiennes des enseignants et des formateurs ;
– les perspectives d’avenir : une réforme peut avoir un caractère partiel,
mais ces initiatives, même partielles, sont menées de manière consciente,
pour sensibiliser les acteurs du système, avant une réforme plus en
profondeur.
À la lumière de ces critères, il apparaît donc qu’il faut privilégier l’amateurisme
par manque de moyens, soucieux d’une certaine profondeur, plutôt qu’un
amateurisme d’opportunité, qui possède souvent un caractère superficiel.
Tout comme la précédente, cette difficulté n’est pas propre à la pédago-
gie de l’intégration : toute réforme de cette envergure qui cherche à pénétrer
dans chaque classe, dans chaque lieu de formation, est confrontée à ce type
de difficulté.
Le caractère institutionnalisé des modules d’intégration
Citons également une difficulté qui tient à la conception même de la structure
des apprentissages selon la pédagogie de l’intégration : certains responsa-
bles ou certains chercheurs reprochent parfois le caractère « institutionnalisé »
des modules d’intégration, en termes de calendrier scolaire et en termes de
procédures.
Il s’agit là certes d’une contrainte, mais qui est nuancée par deux facteurs.
D’une part, cette institutionnalisation est provisoire, puisque, dès que la pra-
tique des modules d’intégration est installée, il est possible de rendre celle-ci
plus souple en termes de temporalité. D’autre part, elle est compensée par
178 La pédagogie de l’intégration
un grand respect de la façon dont chaque enseignant mène les apprentissa-
ges de ressources et dont il évolue vers un changement de pratiques.
Ce reproche n’est en général pas partagé par les enseignants et les for-
mateurs au niveau de la scolarité obligatoire et de la formation profession-
nelle initiale ; au contraire, l’introduction des modules d’intégration semble
être en harmonie avec la manière dont ils considèrent naturellement que leur
travail peut évoluer de façon réaliste (voir en 2.5.1).
Il n’en va pas de même dans l’enseignement secondaire et supérieur,
où la contrainte de modules d’intégration inscrits dans le calendrier annuel
n’est pas toujours bien perçue par certains enseignants/formateurs. Malgré
l’avantage, perçu par eux, de la préservation de leur autonomie pour le
choix des méthodes pédagogiques, ceux-ci estiment qu’une systématisation
des modules d’intégration casse le rythme des apprentissages, fait perdre du
temps et freine les apprentissages des contenus-matières, surtout lorsque ces
enseignants sont des adeptes de la conception « ressources ». Il s’agit alors de
les amener à prendre conscience de la pertinence de la pratique régulière
d’activités d’intégration, notamment en mettant en évidence le bénéfice de
ce type de pratique pour l’étudiant. Il s’agit ensuite de les aider à dégager
des modalités de mise en œuvre des principes de l’intégration adaptées aux
exigences de leur cours et à leur contexte spécifique. Autrement dit, il s’agit
de changer leur représentation de la notion d’efficacité en formation : pas-
ser d’une efficacité de type « enseignement », considérée du point de vue de
l’enseignant, à une efficacité de type « apprentissage », considérée du point
de vue de l’étudiant.
D’autres difficultés plus générales, mais atténuées dans le cas
de la pédagogie de l’intégration
L’introduction de la pédagogie de l’intégration dans le contexte scolaire
n’échappe pas non plus aux difficultés que l’on rencontre généralement
dans la mise en place de toute innovation. Les études (voir en 2.5.1) mon-
trent que celles-ci, en raison du dispositif adopté, se présentent toutefois
de manière moins aiguë dans le cas de la mise en place de la pédagogie de
l’intégration.
La résistance au changement
Il y a tout d’abord les problèmes liés aux résistances au changement de la
part des différents acteurs (enseignants, étudiants, parents, responsables…).
Si on veut qu’une réforme soit implantée de manière durable, chacune de
ces catégories d’acteurs doit percevoir clairement les avantages et les béné-
fices d’une telle approche.
Quand on parle de résistance des enseignants au changement, il faut
donc lire cette résistance comme la manifestation d’un problème, souvent
liée aux conditions d’implantation de l’innovation, qui empêche les acteurs
Les fondements de la pédagogie de l’intégration 179
d’être disponibles à la réforme, plutôt que comme une intention de leur part
qui relèverait de leur personnalité, ou qui serait inscrite dans leur fonction
(Bipoupout & al, 2008).
Le manque de formation
D’autres difficultés sont liées à la formation des différents acteurs : inspec-
teurs, conseillers pédagogiques, chefs d’établissement, enseignants. Comme
toute formation professionnalisante, il est important d’articuler celle-ci sur
les pratiques avant tout : outiller un inspecteur pour assurer un suivi d’un
établissement scolaire qui a opté pour la pédagogie de l’intégration, outiller
un enseignant pour l’aider à produire des activités d’intégration, pour évaluer
les compétences des élèves ou des étudiants…
L’organisation des apprentissages
Il y a enfin des difficultés liées à l’organisation des apprentissages, en par-
ticulier la difficulté de donner aux apprenants suffisamment d’occasions
d’exercer leur compétence dans le cadre scolaire. On ne devient compétent
que quand on mobilise la compétence. Or si en formation professionnelle
les occasions offertes aux jeunes d’exercer leur compétence dans une situa-
tion significative ne manquent pas, le monde de l’enseignement offre en
revanche peu d’occasions pour le faire. Les raisons en sont nombreuses :
surcharge des programmes d’études, mythe de vouloir tout dire (difficulté
pour l’enseignant de distinguer l’essentiel de l’accessoire), cloisonnement des
horaires, insuffisance des effectifs (enseignants ou catégories de personnels
pouvant assister l’enseignant), difficultés d’apporter un suivi individualisé des
élèves et des étudiants, etc.
Toutefois, le dispositif « modules d’intégration » permet de nuancer cette
difficulté en offrant à ces derniers, de manière structurelle, des occasions
d’exercer leur compétence.
Quelle que soit la difficulté dont il s’agit, ce ne peut être que dans le cadre
d’une politique concertée que ces problèmes peuvent se régler, comme nous
l’avons vu ci-dessus.
Chapitre
Pédagogie de l’intégration
et enjeux de contenus
3
L’objet de ce chapitre est de clarifier la terminologie mise en avant par la
pédagogie de l’intégration, dans un double but :
– clarifier le sens donné aux concepts utilisés ;
– mettre en avant certains concepts, et les enjeux de leur utilisation face
aux questions d’éducation et de formation aujourd’hui.
Ce chapitre articule ces deux types de considérations. C’est donc à la fois
en termes de clarification conceptuelle, mais aussi en termes d’enjeux de
savoirs, d’enjeux de transfert, d’enjeux d’insertion professionnelle, qu’il
convient de l’aborder.
Remarque : pour plus de précisions, et aussi pour retrouver les équiva-
lences en anglais et en arabe, on peut consulter le dictionnaire trilingue des
compétences (Roegiers, Gerard, Boujaoude & Haidar, 2009).
3.1 LES CONTENUS-MATIÈRES, OU OBJETS DE SAVOIR
Nous développerons ici quelques notions que l’on peut associer aux connais-
sances déclaratives, selon la terminologie de Tardif (1992), c’est-à-dire cel-
les qui font état d’un acquis sur le plan cognitif : savoirs, connaissances1,
1. Au sens du terme anglo-saxon de « knowledge ».
182 La pédagogie de l’intégration
concepts. Après avoir apporté certaines précisions quant aux concepts de
contenus, savoirs et connaissances, nous nous arrêterons plus spécifique-
ment sur une catégorie de savoirs qui nous paraît aujourd’hui constituer une
des clés de la qualité des apprentissages : les concepts.
3.1.1 Contenus, savoirs et connaissances
Une mise au point s’impose lorsque l’on évoque les termes « contenu »,
« savoir » et « connaissance ».
Un contenu est un « objet de savoir ». C’est le savoir à l’état brut, qui ne
présume en rien de ce que l’on pourrait demander à une personne de faire
de ce savoir. Certains auteurs le nomment encore le « savoir savant ».
EXEMPLES
– la formule d’aire du triangle
– la définition des termes « liberté », « démocratie », « économie de
marché »…
– les différentes villes d’Italie
– etc.
Dans le langage commun, on dit souvent « les savoirs », ce qui est simple et
commode, mais qui n’est pas tout à fait précis puisque l’on désigne par une
activité (savoir quelque chose) ce qui est un contenu (ce que l’on sait, l’objet
du savoir). On utilise cependant souvent ce terme de « savoir » pour désigner
un contenu-matière.
Dans cet ouvrage, nous utilisons souvent ce terme (savoir) en associa-
tion avec un complément pour nommer les types d’activités exercées sur un
contenu (savoir-faire cognitif, gestuel, socioaffectif, savoir-être) : il s’agit là
des capacités qui s’exercent sur un contenu.
Plusieurs auteurs ont proposé une catégorisation des savoirs. Merrill
(1983) distingue les faits particuliers, les concepts, les procédures et les prin-
cipes. D’Hainaut (1977, 4e éd. 1985) distingue pour sa part les particuliers,
les classes, les relations, les opérateurs et les structures.
Un bon nombre de savoirs sont disciplinaires. D’autres savoirs sont adis-
ciplinaires, c’est-à-dire qu’ils ne se rattachent à aucune discipline, comme
par exemple la marque d’un produit de vaisselle, le concept de fauteuil ou
les règles de construction des plaques minéralogiques. En général, le terme
« contenus d’enseignement » désigne des savoirs disciplinaires2 choisis pour
faire partie d’un programme d’études.
2. Pour désigner ces contenus disciplinaires, on parle encore de « matière d’enseignement »,
mais nous évitons d’utiliser le terme « matière » dans ce sens, parce qu’il est souvent utilisé
pour désigner une « branche » : formation géographique et sociale, sciences naturelles,
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 183
Quand au terme « connaissances », il implique déjà un traitement particu-
lier effectué par l’apprenant sur un contenu-matière :
– il évoque un acquis, la part de ce qui reste du contenu brut après que le
sujet y ait opéré un type d’action (on retient des connaissances) ;
– il est aussi utilisé pour préciser l’action à effectuer sur ce contenu que
l’on s’est approprié (on applique des connaissances, on mobilise des
connaissances).
Le schéma suivant reprend les notions proches que sont les notions de
« savoirs », « contenus » et « connaissances ».
Les objets de savoir ou, Les savoirs traités par l’apprenant,
en raccourci qui traduisent la façon dont
il s’est approprié ces savoirs
Les savoirs Les connaissances
(de l’apprenant)
Les savoirs Les savoirs
adisciplinaires disciplinaires
Les savoirs qui font Les savoirs qui ne font
partie du programme pas partie du programme
d’étude d’étude
Les contenus
d’enseignement
(contenus-matières)
Figure 33. Organisation des termes « savoir », « contenu » et « connaissance »
3.1.2 Les fonctions des savoirs
Malgré les évolutions et les réformes, les systèmes d’enseignement reposent
encore avant tout sur les savoirs. Si les savoirs évoluent (voir en 2.1.2), ce
qui évolue aussi, c’est ce que l’on fait de ces savoirs, c’est-à-dire les fonctions
des savoirs dans le cadre de l’enseignement.
éducation physique, littérature du Moyen Âge, pharmacologie… Par contre, le terme
« contenu-matière » dit bien ce qu’il veut dire.
184 La pédagogie de l’intégration
C’est ainsi que Perrenoud (1999a) distingue 8 fonctions des savoirs3.
« Les savoirs scolaires peuvent se justifier comme :
– prérequis à l’assimilation d’autres savoirs ;
– bases de la sélection scolaire ;
– sources d’ancrage identitaire et culturel ;
– matériaux pour exercer des savoir-faire intellectuels ;
– bases d’une réflexion sur le rapport au savoir ;
– éléments pour faire fonctionner des situations d’apprentissage ;
– éléments de culture générale ;
– ressources au service de compétences. »
C’est plus particulièrement dans certaines fonctions particulières (prérequis à
l’assimilation d’autres savoirs, matériaux pour exercer des savoir-faire intel-
lectuels, bases d’une réflexion sur le rapport au savoir, éléments pour faire
fonctionner des situations d’apprentissage, ressources au service de compé-
tences), qu’il faut situer les savoirs dans la pédagogie de l’intégration.
3.1.3 Les concepts
Un concept est tout à la fois la représentation abstraite et la généralisation
d’une réalité : le concept de carré, de démocratie, de bidonville…
Un concept est défini par un ensemble d’attributs communs aux réalités
qu’il désigne :
– les attributs « quatre côtés de même longueur » et « quatre angles droits »
pour le concept de carré ;
– les attributs « exercice de la souveraineté par les citoyens » et « élections
libres des représentants » pour le concept de démocratie ;
– les attributs « ensemble d’habitats précaires » et « concentration de pau-
vreté » pour le concept de bidonville.
Exemples de concepts dans différentes disciplines, ou champs
disciplinaires :
• En histoire, les concepts de « révolution », « d’état », de « pouvoir auto-
ritaire », de « démocratie », de « système juridique », de « stratification
sociale », d’« impérialisme/colonisation » et de « migration », etc.
• En géographie, les concepts de « paysage », d’« organisation de l’espace »,
de « territoire »…
• En recherche documentaire, les concepts de « document primaire et
secondaire », « support d’information » et «source d’information », de
« propriété intellectuelle », etc.
3. Dans une version qu’il qualifie de provisoire (p. 6).
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 185
Chaque concept possède des représentations particulières – on peut identi-
fier des régimes démocratiques, des bidonvilles ou des carrés particuliers –,
mais le carré, la démocratie ou le bidonville en tant que tels n’existent pas
dans la réalité.
Autrement dit, on ne peut cerner un concept qu’à travers des représenta-
tions particulières. Sur un plan pédagogique, plus on présente à l’apprenant
des représentations divergentes du concept, plus on lui permet d’explorer
les limites du concept et mieux celui-ci peut être appréhendé dans tous ses
aspects.
Par exemple, si un carré était toujours présenté posant sur un côté, la per-
sonne qui acquiert le concept de carré ne reconnaîtrait pas comme carré un
carré posé sur une pointe.
Concept et notion
Dans le langage commun, on confond souvent le concept et la notion. Si ce
sont des termes proches, ils présentent néanmoins des différences : la notion
est de l’ordre de la perception, le concept de l’ordre de l’abstraction, comme
le met en évidence Duplessis (2007), à partir d’un exemple simple et très
didactique :
« La notion recouvre une idée plutôt vague, aux contours généralement
imprécis et donc communément admise. La notion d’arbre, par exemple, est
suffisamment partagée pour que tout le monde s’accorde et se comprenne.
Un enfant peut construire très tôt cette notion. Il désignera du mot arbre
aussi bien un chêne, un peuplier ou un palmier sans qu’il soit contrarié. Mais
là s’arrête l’empire de la notion. Dès qu’il s’agira, non plus de percevoir,
mais de concevoir avec précision ce que recouvre l’idée d’arbre, il faudra
bien lister ses caractéristiques et discriminer, à partir de celles-ci, ce qui res-
sortit précisément à cette idée. Au regard du botaniste, par exemple, un
palmier (famille des Aracacées) ne saurait être un arbre, puisqu’il ne possède
pas un tronc, mais une tige non ramifiée appelée stipe, que son « bois » ne
possède pas du cambium nécessaire pour assurer sa croissance en largeur,
qu’il ne possède pas de branches mais des palmes ne se subdivisant pas, etc.
Ainsi la différence entre la notion, qui est un donné, un perçu, et un concept,
qui est un construit, un conçu, tient de l’analyse scientifique de ses caracté-
ristiques. » (Duplessis, 2007, p. 1)
Relativité du concept
Il ne faut pas penser que les concepts soient figés et définis une fois pour
toutes. Comme le dit Britt-Mari Barth, un concept est une construction
culturelle, produite par une démarche d’abstraction (Barth, 1987, 2e éd.
2001).
186 La pédagogie de l’intégration
Cette notion de construction culturelle est importante, car elle montre
la relativité d’un concept, qui peut mourir et naître au gré de l’évolution des
sociétés.
Les concepts sont donc vivants. Étudions-en quelques facettes.
1. Concepts stabilisés ou en évolution
Certains concepts sont bien stabilisés, comme par exemple le concept de
carré, le concept de parallèle, de nombre pair ou d’être humain, dont la
conception n’a pas changé depuis des siècles. En revanche, d’autres ne sont
pas stabilisés, pour des raisons diverses :
– soit ils font l’objet de différentes compréhensions ;
– soit ils sont en mutation, ils se cherchent parce que les usages à leur
propos sont en évolution ;
– soit ils évoluent parce que la recherche à leur propos évolue.
Des concepts qui font l’objet de différentes compréhensions
Certains concepts, comme les concepts de beauté, de justice ou d’honnê-
teté, sont des concepts empiriques et subjectifs, parce qu’ils renvoient aux
valeurs4.
De même, certains concepts peuvent aussi avoir des sens différents selon
des auteurs différents : la liberté selon Sartre, ou selon Nietzsche. Ce concept
prend aussi des sens différents selon des cultures différentes : le concept de
liberté n’est pas le même pour un chrétien, un musulman, un athée.
Ces concepts ne sont donc pas univoques. C’est souvent le cas pour
des concepts qui sont fortement connotés, d’un point de vue philosophique,
culturel ou social.
Des concepts qui évoluent avec l’usage
D’autres concepts évoluent avec l’usage : ce sont des concepts jeunes, qui
doivent se frotter aux usages. Un exemple de ce type de concept est le
concept de compétence, qui, dans le champ de la pédagogie, est seulement
en train de se stabiliser maintenant, après une période de flottement d’une
vingtaine d’années. D’un concept « faible », c’est-à-dire qui avait besoin d’un
adjectif pour le préciser (compétence transversale, compétence terminale,
compétence clé…), il devient progressivement un concept fort et stabilisé,
dont la compréhension par tous est en train de converger.
Certains concepts connaissent des évolutions du fait de l’évolution de
la société. C’est par exemple le cas du concept de paternité, ou encore
celui de couple, qui continuent à évoluer. On peut encore citer, dans cette
catégorie, des concepts liés à l’environnement, comme celui d’« alimentation
4. Barth (1987 ; 2e éd. 2001).
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 187
biologique », de « bioconstruction », de « nuisance sonore », de « maladie », de
« mauvaise herbe », etc.
Certains concepts, qui étaient stabilisés à un moment donné, connaissent
des évolutions divergentes. Ces dernières peuvent, dans le temps, déboucher
sur des concepts différents. C’est par exemple le cas du concept de « démo-
cratie » qui n’est pas entendu tout à fait de la même manière aux États-Unis
ou en Europe.
Des concepts qui évoluent parce que la recherche à leur propos évolue
Certains concepts font l’objet de théories différentes dès le départ, comme
par exemple le concept de « lumière », qui est défini de manière différente,
avec des attributs différents, selon que l’on se situe dans la théorie ondula-
toire, corpusculaire ou quantique.
C’est aussi le cas de concepts tels les concepts d’« univers », de « cancer »,
etc.
2. Les concepts forment un réseau
Les concepts sont également en lien les uns avec les autres. Ils sont en
particulier emboîtés les uns dans les autres. Par exemple, l’entropie est un
concept qui relève de la thermodynamique, lui-même relevant de la physique.
Le concept de droit d’auteur dérive du concept de propriété intellectuelle.
On peut dresser la carte conceptuelle d’un concept donné, qui structure
l’ensemble des concepts proches de ce concept.
3. Les concepts sont de différentes natures
Ouellet (2006, 2009) propose une catégorisation intéressante des concepts
en 5 catégories (un concept pouvant appartenir à deux catégories).
Catégorie Définition Exemples
1. Concepts empiri- Concepts qui prennent un sens à • Famille
ques (empirique : partir du vécu de la personne. Ils • Groupe
connaissance sont généralement connotés, c’est- • Bande
qui s’appuie sur à-dire que la personne ou la société • Clan
l’expérience ou leur attribue une valeur plus grande • Citadin
l’observation) que leur signification de base. • Rural
2. Concepts plus ou Concepts qui sont relativement éloi- • Déforestation
moins concrets gnés de l’expérience des élèves. Ils • Patrimoine
varient en fonction de la culture et • Industrialisation
des connaissances des élèves.
188 La pédagogie de l’intégration
Catégorie Définition Exemples
3. Concepts d’ordre Concepts qui sont chargés d’émo- • Ségrégation
affectif tions et qui comportent un haut • Bidonville
degré de connotation. • Effet de serre
• Discrimination
4. Concepts de l’ordre Concepts représentent un ensemble • Socialisme
de l’idéologie ou de d’idées, de croyances, d’opinions ou • Capitalisme
l’utopie un idéal. • L’Occident
• L’Islam
• Développement
durable
5. Concepts abstraits Concepts qui ne sont pas directe- • Institution
ou symboliques ment observables et qui laissent la • Paix
place à différentes interprétations ou • Justice
définitions. • Démocratie
• Liberté
Il y manque selon nous une catégorie, qui est celle des concepts issus de la
recherche scientifique (lumière, énergie, électricité, champ magnétique…), et
qui ne sont pas ou peu connotés.
Évoquons encore les notions de « concept intégrateur » (Develay, 1992 ;
3e éd. 2004) et de « concept organisateur » (Barth, 1993) : il s’agit de concepts
qui permettent de structurer une discipline à un niveau donné, comme par
exemple le concept de civilisation en classe de 5e en Histoire5.
3.2 LES CONTENUS DE TYPE PROCÉDURAL
Nous développerons ici quelques concepts clés que l’on peut associer aux
connaissances procédurales (Tardif, 1992), qui sont celles qui permettent la
réalisation de l’action : les capacités, les savoir-faire, les savoir-être, les habi-
letés, les capacités psychosociales… Précisons d’emblée que ce n’est pas à
des fins théoriques que nous proposons de clarifier ces concepts, mais parce
que cette clarification permet de mieux cerner le concept de compétence6.
5. Develay (1992 ; 3e éd. 2004).
6. Pour plus de précisions, voir Roegiers (1999) et Roegiers (2000 ; 2e éd. 2001).
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 189
3.2.1 Ce qu’est une capacité
Une capacité, c’est le pouvoir, l’aptitude à faire quelque chose. C’est une
activité que l’on exerce. Identifier, comparer, mémoriser, analyser, synthéti-
ser, classer, sérier, abstraire, observer… sont des capacités.
Les termes « aptitude » et « habileté » sont proches de celui de « capacité ».
La définition que donne Meirieu (1987, 5e éd. 1990) est intéressante,
parce qu’elle met en évidence la complémentarité entre la capacité et le
contenu :
« […] activité intellectuelle stabilisée et reproductible dans des champs divers
de connaissance ; terme utilisé souvent comme synonyme de « savoir-faire ».
Aucune capacité n’existe à l’état pur et toute capacité ne se manifeste qu’à
travers la mise en œuvre de contenus » (p. 181).
Une capacité ne se manifeste donc que parce qu’elle s’applique sur des
contenus. La capacité de classer ne veut pas dire grand chose en elle-même
sans indication de ce que l’on classe. On peut classer des crayons de tailles
et de couleurs différentes comme on peut classer un ensemble de références
bibliographiques. De même, la capacité d’analyser peut s’exercer sur une
infinité de contenus : une phrase, la carte d’un restaurant, un texte littéraire,
un problème à résoudre, la situation politique d’un pays, un projet, etc.
Les capacités peuvent être de différents ordres : capacités cognitives,
capacités gestuelles (psychomotrices), les capacités socio-affectives. Les
capacités sont donc aussi à rechercher dans les domaines socio-affectif et
gestuel.
EXEMPLES
• Résumer, classer, comparer, lire, additionner… sont des capacités cogni-
tives. L’opération cognitive de retenir (mémoriser) est également une
capacité cognitive élémentaire.
• Tracer, colorier, mélanger… sont des capacités gestuelles.
• Écouter, communiquer, entrer en relation… sont des capacités socio-
affectives.
Ces différentes catégories de capacités ont fait l’objet de taxonomies :
– pour les capacités cognitives, la taxonomie de Bloom (Bloom & al.,
1969) et celle, plus récente, de D’Hainaut (1977 ; 4e éd. 1985)7 ;
– pour les capacités gestuelles, les taxonomies de Simpson (1966-1967) et
de Harrow (1972, 1977) ;
– pour les capacités du domaine socio-affectif, la taxonomie de Krathwohl
& al (1964).
7. Ces taxonomies englobent le domaine d’objectifs « savoir-redire ».
190 La pédagogie de l’intégration
3.2.2 L’exercice d’une capacité sur un contenu
Si une capacité reste donc très générale, tant qu’on n’a pas précisé le contenu
sur lequel elle s’exerce, elle se précise lorsque l’on précise ce contenu. De
plus, selon la manière dont elles s’exercent sur des contenus, ces capacités
peuvent constituer des savoir-reproduire, savoir-faire, des savoir-être ou des
savoir-devenir (De Ketele, 1986 ; De Ketele & Roegiers, 1991, 4e éd. 2009 ;
Gerard & Roegiers, 2003).
Les savoir-reproduire
Un savoir-reproduire est une activité qui consiste à pouvoir redire ou
restituer un message appris ou donné, sans y apporter de transformation
significative, ou encore à reproduire un geste appris, sans le transformer.
La situation dans laquelle s’exercent ces activités est semblable à celle dans
laquelle s’est réalisé l’apprentissage.
EXEMPLE (domaine des savoir-reproduire)
Prenons le cas d’un hôtesse de l’air qui distribue des chocolats aux passa-
gers. Elle peut, strictement, refaire la même chose chez chaque passager :
décliner la même formule « Voici un chocolat » (savoir-redire), faire le même
geste de tendre la corbeille (savoir-refaire gestuel) et adresser le même sou-
rire (savoir-refaire socio-affectif).
Les savoir-faire
À l’inverse de la catégorie précédente, un savoir-faire est une activité qui
nécessite un traitement de la part de l’apprenant. Il est notamment mis en
œuvre lorsque la situation n’est pas structurellement semblable à la situation
qui a servi à son apprentissage :
– un savoir-faire cognitif nécessite un travail cognitif de transformation
d’un message donné et/ou non donné : identifier, comparer, combiner,
additionner, ordonner, analyser, synthétiser, etc.
– un savoir-faire gestuel est une activité à dominante gestuelle et qui néces-
site le contrôle kinesthésique : tourner ou fraiser une pièce en mécani-
que, rouler en vélo, manœuvrer avec précision, manier un compas, etc. ;
le savoir-faire gestuel se distingue du savoir-refaire gestuel par le fait
que l’activité s’exerce sur une situation différente et implique donc plus
qu’une simple répétition de gestes ; c’est ce qui différencie l’artisan du
travailleur à la chaîne ;
– un savoir-faire socio-affectif, ou savoir-faire relationnel (Gerard, 2000)
est une activité à dominante socioaffective qui consiste par exemple à
écouter un message (et non simplement entendre), à communiquer un
message de façon fonctionnelle, à présenter des excuses, etc. ; il s’agit à
ce stade-ci d’une maîtrise d’une « technique » qui peut être apprise, et qui
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 191
n’implique pas nécessairement que l’on y recoure de façon spontanée,
comme ce sera le cas dans les savoir-être.
EXEMPLES (domaine des savoir-faire)
Dans l’exemple de l’hôtesse de l’air, le domaine du savoir-faire consisterait à
changer de langue en fonction du passager qu’elle a devant elle (savoir-faire
cognitif), à adapter son geste en fonction des circonstances, par exemple
en faisant face à un trou d’air pendant le service des boissons (savoir-faire
gestuel), et personnaliser son sourire, ou une autre formule d’accueil en
fonction de la personne qui est devant elle (savoir-faire socio-affectif).
De Ketele (2010b) distingue encore :
– les savoir-faire de base, qui ne sont rien d’autre que de simples exercices
en guise d’application à une règle, une procédure, une formule… ;
– les savoir-faire habillés, qui sont une application en contexte ;
– les savoir-faire complexes qu’il associe aux compétences.
Les savoir-être
Les savoir-être sont les activités par lesquelles une personne manifeste sa
façon d’appréhender sa propre personne (le concept de soi, l’estime de soi),
les autres, mais aussi les situations et la vie en général, dans sa manière de
réagir et d’agir (De Ketele, 1986). Le savoir-être s’installe dans l’habituel inté-
riorisé, dans la mesure où il renvoie toujours à un système de valeurs.
Quand on parle d’un savoir-être, il s’agit plus souvent d’un « plus » qui est
apporté dans une façon d’agir : par exemple, au lieu de « vérifier (le résultat
d’une addition) », qui est un savoir-faire cognitif, on aura « vérifier spontané-
ment », qui est un savoir-être. De même, au lieu de « s’informer à propos de »
(savoir-faire cognitif), on aura « prendre l’habitude de s’informer à propos de »
(savoir-être), etc.
Les capacités qui relèvent exclusivement du savoir-être sont assez rares,
parce que, pour relever du savoir-être, elles doivent contenir cet aspect de
spontanéité : « apprécier » (un texte, un morceau de musique, une œuvre…),
« respecter » (une idée, une personne, son environnement, une croyance
d’autrui, un engagement…) sont des capacités qui relèvent du savoir-être.
EXEMPLES (domaine des savoir-être)
Le savoir-être de l’hôtesse de l’air, ce pourrait être tout simplement de faire
passer dans le spontané, dans l’habituel, les différents savoir-faire décrits
ci-dessus, et de faire la preuve de l’attitude que les passagers apprécient chez
une hôtesse de l’air.
Le savoir-être intègre les niveaux d’activités précédents (les savoir-reproduire,
et les savoir-faire).
192 La pédagogie de l’intégration
Les savoir-devenir
Les savoir-devenir (De Ketele, 1986) sont les activités qui consistent à se
mettre en projet, à élaborer un projet, à le planifier, le réaliser, l’évaluer,
l’ajuster.
Apprendre le savoir-devenir, c’est donc apprendre à se mettre continuel-
lement en projet. Se mettre en projet est une démarche assez complexe,
nécessitant de passer par plusieurs étapes, à savoir anticiper un état futur,
intégrer les éléments résultant des choix de l’individu et des contraintes de
l’environnement, les réguler en fonction de l’état visé, agir en conséquence
et évaluer son action.
Aussi importantes soient-elles, toutes ces activités sont considérées par
la pédagogie de l’intégration comme des ressources au service du noyau de
compétences évaluables.
Les interactions entre ces différentes formes d’activités
Ces différentes formes d’activités (de savoirs) ne sont pas indépendantes.
Nous avons cité en exemple certaines capacités qui sont à la fois cognitives
et gestuelles : « écrire », « communiquer », organiser »…
Certaines activités relèvent de trois ou quatre catégories. Par exemple,
« rédiger une dissertation » est une activité qui peut être considérée comme à
dominante de savoir-faire cognitif, mais elle nécessite aussi un savoir-redire,
elle exige un savoir-faire gestuel (l’acte psychomoteur d’écrire, ou de se servir
d’un micro-ordinateur), un savoir-faire socio-affectif (le fait d’y mettre une
partie de soi) et elle implique ou révèle un certain savoir-être (voire un savoir-
devenir). De plus, dans la mesure où écrire, c’est communiquer, il y a aussi
une dimension socioaffective très marquée dans le fait d’écrire (écrire une
lettre d’amour, un mail de réclamation, un mot de félicitation…).
Les activités qui consistent à communiquer, ou à organiser possèdent
également plusieurs dimensions : cognitive, gestuelle et socioaffective.
3.2.3 Les caractéristiques d’une capacité
Quelles sont les principales caractéristiques d’une capacité ?
1. Évolutivité
Une capacité se développe tout au long de la vie. Un enfant de quelques
mois a déjà développé la capacité d’observer, mais, au cours de la vie,
cette capacité d’observer gagne progressivement en précision, en rapidité,
comme celle par exemple que développe celui qui conduit un vélo, une voi-
ture, jusqu’à comporter une part d’intuition, comme c’est le cas pour un
ethnologue par exemple.
On peut représenter cela sur un axe du temps.
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 193
R ER
PA
COM
SER
ALY
AN
R
SÉRIE
OBSERVER
Temps
Figure 34. Schématisation de l’évolution des capacités au cours du temps
Une capacité peut se développer de différentes manières au cours du temps ;
elle peut s’exercer :
– plus rapidement ;
– de façon plus précise ;
– de façon plus fiable ;
– de façon plus spontanée (elle se rapproche alors d’un savoir-être, au sens
de De Ketele).
Ce développement des capacités se fait essentiellement parce qu’elles s’appli-
quent sur une gamme plus large de contenus-matières. Il serait par exemple
difficile à quelqu’un de développer sa capacité d’observer s’il restait confiné
à longueur de journée dans la même pièce.
Une capacité peut être plus ou moins présente à la naissance, se déve-
lopper de façon plus ou moins régulière, plus ou moins rapidement, présen-
ter des paliers dans son évolution, continuer à croître jusqu’à la fin de la vie,
ou commencer à décroître avec le temps (pensons par exemple à notre capa-
cité de mémorisation, dont certaines formes commenceraient déjà à décliner
à partir de 25 ans environ), etc. Un schéma du type suivant permettrait de
mieux rendre compte de ce développement des capacités.
194 La pédagogie de l’intégration
CAPACITÉ 1
CAPACITÉ 2
CAPACITÉ 3
CAPACITÉ 4
CAPACITÉ 5
Temps
Figure 35. Prise en compte des facteurs de non-linéarité dans l’évolution des capacités
2. Transformation
En évoquant la transversalité et le caractère évolutif de la capacité, on n’a
peut-être pas encore identifié la caractéristique la plus importante d’une
capacité, ou en tout cas celle qui est la plus importante pour bien compren-
dre ce qui la distingue d’une compétence. C’est celle de se développer selon
un autre axe que l’axe du temps : un axe fonctionnel que nous appellerons
plus loin « l’axe des situations ». Au contact avec l’environnement, avec des
contenus, avec d’autres capacités, avec des situations, les capacités intera-
gissent, se combinent entre elles, et génèrent progressivement de nouvelles
capacités « dérivées » de plus en plus opérationnelles, comme lire, écrire, cal-
culer, distinguer l’essentiel de l’accessoire, chercher de l’information, traiter
de l’information, négocier, organiser…
Par exemple, la capacité de distinguer l’essentiel de l’accessoire repose
elle-même sur des capacités plus fondamentales telles les capacités de com-
parer, d’analyser et de sérier (de hiérarchiser), comme le montre le schéma
suivant.
De la même façon, la capacité de négocier est liée à la capacité de com-
muniquer, qui elle-même est liée aux capacités de parler, d’écouter, etc. Il en
va de même des capacités de lire, d’écrire, d’additionner… Ces capacités ont
un caractère de plus en plus fonctionnel. Elles deviennent progressivement
des schèmes intériorisés, des automatismes.
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 195
R ER
PA
COM
S ER
ALY
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SÉRIE
OBSERVER
Temps
Figure 36. Schématisation de la combinaison de capacités
Il y a plusieurs manières pour des capacités de devenir plus opérationnelles,
et d’engendrer de nouvelles capacités. L’usage actuel, essentiellement dicté
par la dimension socio-économique de l’activité humaine, en privilégie qua-
tre types principaux.
A. Capacités méthodologiques (transversales)
Une combinaison de capacités peut produire une nouvelle capacité qui
devient un outil méthodologique : c’est une capacité méthodologique, sou-
vent qualifiée de « transversale ».
EXEMPLES :
– prendre des notes ;
– chercher de l’information ;
– traiter de l’information ;
– articuler les savoirs issus de la formation théorique et de la formation
pratique ;
– diversifier ses sources…
B. Capacités psychosociales
Une combinaison de capacités peut produire une nouvelle capacité qui
apporte une dimension psychoaffective dans les activités : c’est une capacité
psychosociale, parfois qualifiée de « comportementale ».
196 La pédagogie de l’intégration
EXEMPLES :
– communiquer ;
– coopérer ;
– reconnaître ses limites ;
– respecter l’autre, etc. ;
– s’exprimer de manière assertive ;
– prendre une place effective dans une équipe de travail ;
– prendre des initiatives…
C. Capacités professionnelles
Une combinaison de capacités peut produire une nouvelle capacité propre à
un secteur d’activités donné : c’est une capacité professionnelle.
EXEMPLES :
– jouer d’un instrument (musique) ;
– modeler (arts plastiques) ;
– recouper des sources (journalisme, histoire) ;
– maçonner (construction) ;
– ausculter (médecine) ;
– problématiser, inférer (méthodologie de la recherche), etc.
D. Capacités fonctionnelles
Une combinaison de capacités peut produire une nouvelle capacité qui n’est
pas propre à l’exercice d’une activité professionnelle, mais qui en constitue
un complément important. Elles sont essentiellement :
– de nature linguistique ;
– de nature informatique ;
– liées à la gestion de projets, la sécurité, l’organisation de l’entreprise.
Ces capacités sont souvent appelées « fonctionnelles », ou « associées ».
3. Non-évaluabilité
Ajoutons une quatrième caractéristique de la capacité : celle-ci ne peut être
évaluée que très difficilement. On peut en évaluer la mise en œuvre sur des
contenus-matières précis, dans des situations particulières, mais il est difficile
d’objectiver le niveau de maîtrise d’une capacité à l’état pur. Est-il par exem-
ple possible de définir le « bon analyste », ou le « bon observateur » de façon
absolue ? Ne peut-on pas être un excellent observateur dans un jeu de « kim »,
mais un très mauvais observateur lorsqu’il s’agit de reconnaître une personne
que l’on a rencontrée une fois auparavant, ou vice versa ?
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 197
4. Capacité et transversalité
Si la plupart des capacités ont un caractère transversal, il n’en va pas néces-
sairement de toutes les capacités. Certaines ont un caractère sectoriel ou
disciplinaire assez prononcé. Les autres ont un caractère transversal, dans
le sens de « transversal entre plusieurs disciplines » et « transversal à plusieurs
secteurs d’activité ».
Parmi ces capacités, les « capacités cognitives de base », définies par
De Ketele (1983) illustrent bien ce caractère transversal. Ce sont les capaci-
tés qui doivent être acquises au terme des études secondaires pour aborder
des études supérieures ou universitaires, telles distinguer l’essentiel de l’ac-
cessoire, élaborer le plan d’un texte, rédiger une synthèse, résoudre un pro-
blème, comparer des données, formuler des hypothèses, déduire des conclu-
sions, etc. Ce sont des capacités de haut niveau, qui constitue une partie
importante de ce que nous appellerons plus loin l’outillage de profondeur de
l’étudiant (voir en 3.3.1).
À propos de ces capacités cognitives de base, De Ketele introduit
une distinction intéressante. Il distingue, outre la maîtrise de la langue
d’apprentissage :
• les capacités conceptuelles ou convergentes, au sens de Guilford
(1959) :
– éviter des généralisations abusives,
– tirer les applications d’un principe,
– illustrer par des exemples et des contre-exemples,
– dire la même chose en d’autres mots,
– résumer un message de façon succincte et précise…,
• les capacités méthodologiques :
– prendre note,
– évaluer,
– distinguer dans une situation-problème les informations et relations
essentielles, accessoires et parasites…,
• les capacités créatives de plus haut niveau, relatives à la pensée
divergente :
– présenter une synthèse orale structurée,
– présenter une synthèse écrite structurée,
– adopter une attitude critique8…
Les capacités créatives sont de nature plus communicationnelle, et font appel
à la fois aux capacités conceptuelles et aux capacités méthodologiques.
8. Dans le sens où, contrairement à l’évaluation, elle demande de créer le référentiel.
198 La pédagogie de l’intégration
3.2.4 Compétence ou capacité ?
Une clarification conceptuelle et terminologique
Un glissement de terminologie s’est effectué depuis une vingtaine d’années :
essentiellement sous l’influence de la terminologie en vigueur dans l’activité
du monde socio-économique, plusieurs activités qui étaient appelées « capa-
cités » ont été renommées « compétences ». Plus exactement, on a désigné
par le terme « compétence » de nouvelles catégories de capacités qui reflé-
taient l’évolution de l’activité humaine. C’est le cas du terme « compétence
transversale », qui évoque le potentiel d’un individu à pouvoir maîtriser un
bagage « supra-disciplinaire » et à le mobiliser dans l’exercice d’une tâche.
C’est également le cas du terme « compétence psychosociale » (ou comporte-
mentale) qui évoque le potentiel d’un individu à pouvoir mobiliser la dimen-
sion humaine dans l’exercice d’une tâche.
Aussi essentielles soient ces nouvelles activités dans le contexte actuel
– dont il n’est pas question de nier l’importance dans nos propos –, la ter-
minologie utilisée pour les désigner a causé d’importantes dérives de com-
préhension dans le monde de l’éducation et de la formation : le terme « com-
pétence transversale » désigne en fait une capacité transversale, le terme
« compétence psychosociale » désigne une capacité psychosociale.
Pour comprendre les raisons de ce glissement, compréhensible, mais
abusif, il faut analyser plus en détail les différents types de capacités, sous
plusieurs angles.
On peut situer les capacités sur deux axes.
Un premier axe, l’axe vertical du schéma ci-dessous, est celui de la réfé-
rence plus ou moins prononcée de la capacité à un contexte.
Certaines capacités sont proches d’un contexte particulier, comme par
exemple « décider », « communiquer dans une langue étrangère », ou « négo-
cier ». D’autres sont beaucoup plus éloignées de tout contexte dans lequel
elles pourraient s’appliquer, comme par exemple « conceptualiser », « prono-
minaliser », « conjuguer » ou « mémoriser » : on peut conceptualiser, pronomi-
naliser ou mémoriser de façon théorique, en dehors de tout contexte.
Un deuxième axe, l’axe horizontal de notre schéma, est celui de la lar-
geur du champ d’application de la capacité, dans les usages d’aujourd’hui,
compte tenu de l’évolution de l’activité humaine.
Certaines capacités ont un champ d’application très large, comme la
capacité de « voir », de « généraliser », ou de « classer » : on peut voir, générali-
ser ou classer dans une multitude de secteurs d’activité. Ce qui les caractérise
également, c’est de s’appliquer à un contenu unique, même si ce contenu
appartient à un champ très vaste. C’est le contenu sur lequel s’applique
la capacité qui va déterminer la progression dans la difficulté : par exem-
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 199
ple, entre le fait d’observer une brosse à dents, une plante ou un manuscrit
médiéval, il y a tout un monde. Il peut y avoir « difficulté », dans la mesure où
l’objet de l’observation est nouveau, pointu, peut-être difficile à appréhen-
der, mais pas « complexe », dans le sens d’une articulation d’un ensemble de
contenus.
D’autres au contraire ont un champ d’application plus étroit, comme par
exemple « coudre », « situer dans le temps » (on ne peut situer dans le temps que
des événements), ou même « « rechercher de l’information », dans la mesure
ou l’immense majorité des informations que l’on recherche aujourd’hui sont
issues d’une source unique, Internet, et cette capacité s’exerce essentielle-
ment à travers le recours aux TICE9. Le terme « étroit » doit donc être com-
pris dans le sens de « limité par l’usage ».
Le schéma suivant représente ce double axe.
Axe de la
référence à
un contexte
s 3ITUER DANS s #ONCEPTUALISER
LOIN D’UN LE TEMPS s 'ÏNÏRALISER
CONTEXTE s #ONJUGUER
s 2ECHERCHER
DE LIMAGINATION
s 5TILISER LES 4)#% s 2ÏSOUDRE
s .ÏGOCIER LES PROBLÒMES
PROCHE D’UN s #OMMUNIQUER DANS s /BSERVER
CONTEXTE UNE LANGUE ÏTRANGÒRE s $ÏCIDER
ÉTROIT LARGE Axe de l’étendue du
champ d’application
dans les usages
Figure 37. Représentation de différentes capacités selon leur type
Le glissement de terminologie évoqué ci-dessus s’est sans doute produit parce
que ce qui est nommé aujourd’hui « compétences transversales » correspond
aux capacités qui sont situées dans le coin inférieur gauche, et qui répondent
aux caractéristiques suivantes :
– elles sont proches d’un contexte ;
– leur champ d’application est plutôt étroit.
9. TICE = Technologies de l’Information et de la Communication en Éducation.
200 La pédagogie de l’intégration
Malgré cette double caractéristique, elles ne répondent pas à la définition
d’une compétence, parce que les contenus sur lesquels elles s’appliquent ne
sont pas précisés, et que les contextes sur lesquels elles portent ne sont pas
délimités. Autrement dit, elles ne sont pas associées à une famille de situa-
tions délimitée par un contour (voir en 1.2.4).
Il en va de même des « compétences psychosociales », que l’on a ten-
dance à appeler de cette manière, sans doute parce qu’elles sont proches de
situations réelles, et que leur champ d’application dans les usages est assez
étroit : celui de l’entreprise.
Les unes comme les autres figurent parmi les capacités « dérivées » que
nous avons évoquées en 3.2.3.
Axe de la Domaine des capacités
référence à
un contexte
Cognitives
LOIN D’UN
CONTEXTE Sensori-
motrices Psycho-
Capacités affectives
dérivées
Capacités
Méthodologiques générales
« Transversales »
Psycho-
PROCHE D’UN Sectorielles
sociales
CONTEXTE
ÉTROIT LARGE Axe de l’étendue du
Unisectoriel Multisectoriel champ d’application
dans les usages
Figure 38. Représentation schématique de la différence entre les capacités générales
et les capacités dérivées
La réflexion concerne également ce que l’on a coutume d’appeler « compé-
tences fonctionnelles », ou « compétences associées », et qui, dans le monde
du travail, désignent tout ce qui permet d’exercer une fonction dans le champ
socioprofessionnel, mais qui n’est pas strictement relié à l’aspect technique
(voir ci-dessus).
À toutes ces catégories de capacités, qu’elles soient « transversales », « psy-
chosociales », ou « fonctionnelles », il manque, pour être une compétence, de
faire appel à une articulation de plusieurs ressources situées dans des contex-
tes délimités, c’est-à-dire d’être rattachées à une famille de situations, qui leur
permet d’être évaluables.
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 201
La matrice de l’activité humaine
Si on met le « zoom inverse » sur le schéma, on découvre d’autres domaines
d’activités que le domaine des capacités, tout en travaillant les mêmes axes :
le domaine des savoir-faire, celui des compétences, celui de l’expertise10. On
peut appeler ce tableau la matrice de l’activité humaine.
Cette matrice reprend, outre les différents types d’activités du monde
de l’éducation et de la formation, celles de la vie quotidienne et de la vie
professionnelle. C’est la raison pour laquelle on y retrouve par exemple des
activités liées à l’expertise ou encore, plus loin dans le texte, à la création
artistique ou à la recherche.
Caractère diffus
de l’activité (absence
de référence à un contexte)
Domaine Domaine
de l’expertise des capacités
Caractère complexe Caractère général
de l’activité (mobilisation de l’activité (mobilisation
de plusieurs contenus/ d’un contenu à la fois
capacités dans un Domaine Domaine dans un champ large)
champ restreint) des compétences des savoir-faire
Caractère évaluable
de l’activité
(référence à un contexte)
Figure 39. Matrice de l’activité humaine
L’axe vertical est l’axe de la référence à un contexte. Il délimite :
– d’une part ce qui possède un caractère diffus (en haut) : des capacités et
une expertise, c’est-à-dire des activités qui, même si elles sont suscepti-
bles de s’appliquer à des contextes divers, ne sont pas définies en réfé-
rence à des contextes précis, ou qui y font référence de façon lointaine ;
le développement de ces activités se fait au gré des opportunités : les
capacités, tout comme l’expertise, s’acquièrent à travers la multiplication
10. La modélisation proposée ici est bidimensionnelle, pour des raisons didactiques, mais c’est
à un modèle à plusieurs dimensions qu’il faudrait recourir pour localiser toutes les nuances
de l’activité humaine.
202 La pédagogie de l’intégration
des expériences dans des contextes particuliers ; elles font l’objet d’une
reconnaissance implicite (par les pairs, ou par un expert), mais ne s’éva-
luent pas de manière objective, ou difficilement11 ;
– et d’autre part ce qui possède un caractère concret (en bas) : des savoir-
faire et des compétences, c’est-à-dire des activités pour lesquelles un
contexte ou un ensemble de contextes sont délimités ; ce sont des acti-
vités auxquelles l’école s’intéresse davantage parce qu’elles peuvent plus
facilement faire l’objet d’une structuration des apprentissages, et parce
qu’elles sont plus facilement évaluables, que ce soit à partir d’un décou-
page en unités maîtrisables, au sens de la pédagogie par objectifs (à
droite dans le schéma), ou au sens d’une formulation à la fois complexe
et concrète (à gauche dans le schéma). Il s’agit donc d’une partie plus
« construite » de cette matrice de l’activité humaine.
L’axe horizontal est à la fois l’axe de la largeur du contenu, et l’axe de
la complexité. Comment peut-on faire figurer sur un axe unique ces deux
dimensions qui pourtant semblent différentes ? La réponse est la suivante :
nous sommes humains, et dès lors l’activité humaine est limitée par nature.
Ce n’est que dans quelques cas exceptionnels – comme par exemple l’activité
de Léonard de Vinci, qui était à la fois artiste, scientifique, ingénieur, inven-
teur, anatomiste, peintre, sculpteur, architecte, urbaniste, botaniste, musi-
cien, poète, philosophe et écrivain12 – qu’elle porte à la fois sur un champ
très large, et sur une grande complexité13. Dans l’immense majorité des cas,
il y a d’une certaine manière croisement de ces deux dimensions. On a :
– soit des activités peu complexes, c’est-à-dire mobilisant un contenu uni-
que à la fois, mais à l’intérieur d’un champ de contenus très large, voire
illimité (à droite sur le schéma) ; exemples : « voir », « classer », « observer »,
« apprécier », etc.
– soit des activités très complexes, c’est-à-dire mobilisant un grand nombre
de ressources – contenus, capacités… –, mais à l’intérieur d’un champ
de contenus plus étroit, comme par exemple au sein d’un champ discipli-
naire donné (à gauche sur le schéma) ; exemples : « résoudre un problème
mathématique de tel type », « effectuer telle recherche sur tel type de
papillons », etc. ;
– soit des activités de complexité moyenne, mais à l’intérieur d’un champ
de contenus de taille moyenne, comme par exemple au sein d’un secteur
d’activités professionnelles déterminé.
11. En 3.3.1, nous reviendrons plus longuement sur la notion d’expertise.
12. Wikipedia.
13. Cette affirmation se décline de manière différenciée selon les individus, ce qui rejoint la
remarque ci-dessus selon laquelle il faudrait recourir à un modèle multidimensionnel pour
modéliser l’activité humaine, et non pas bidimensionnel.
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 203
Caractère diffus
de l’activité (absence
de référence à un contexte)
Loin d’un
contexte
Domaine Domaine
de l’expertise des capacités
Proche d’un
contexte
Champ Secteur Secteur Champ
disciplinaire d’activité d’activité très large
Ensemble Ensemble Contenu Contenu
Caractère complexe Caractère général
de contenus de contenus unique unique
de l’activité (mobilisation de l’activité (mobilisation
Ensemble de
de plusieurs contenus/ d’un contenu à la fois
contextes
capacités dans un dans un champ large)
champ restreint) Domaine Domaine
des compétences des savoir-faire
Contexte
précis
Caractère évaluable
de l’activité
(référence à un contexte)
Figure 40. Explicitation des axes de la matrice de l’activité humaine
La sphère de l’usage
On peut dégager dans la partie centrale de ce schéma une sphère de l’usage,
qui est la sphère des capacités, savoir-faire, compétences, expertises qui sont
culturellement liés à une époque qui est la nôtre, et en particulier à des types
d’activités socioprofessionnelles qui caractérisent celle-ci.
En effet, l’activité de l’homme s’est déplacée de manière fondamentale
par rapport à l’époque des chasseurs-cueilleurs, ou par rapport à l’époque
de la révolution industrielle.
Nous vivons aujourd’hui dans l’ère postindustrielle, et nous entrons dans
ce que certains appellent la « société de la connaissance »14, ce qui a des impli-
cations sur le découpage de l’activité humaine.
Dans le futur, à une autre époque, peut-être mettra-t-on en avant des
capacités de type spirituel, au lieu de mettre en avant des capacités de type
psychosocial ? Peut-être des savoir-faire liés aux loisirs viendront-ils supplan-
ter des savoir-faire liés à l’exercice d’un métier ? Peut-être, avec l’évolution
des techniques permettant de convertir la pensée en actions – en captant
certaines ondes cérébrales –, les capacités informatiques deviendront-elles un
jour obsolètes ? Peut-être aussi en reviendra-t-on à une activité humaine liée
davantage à la terre, et le secteur agricole reprendra-t-il plus d’importance ?
14. Voir par exemple Luyckx Ghisi (2007).
204 La pédagogie de l’intégration
La sphère des fondements
Tout ce qui n’appartient pas à la sphère de l’usage appartient à la sphère des
fondements : les capacités, les savoir-faire, les compétences, l’expertise, qui
sont atemporels.
Caractère diffus
de l’activité (absence
de référence à un contexte)
Domaine Domaine
de l’expertise des capacités
fondements
fondements
Sphère des
Sphère des
Sphère de l’usage
Caractère complexe Caractère général
de l’activité (mobilisation de l’activité (mobilisation
de plusieurs contenus/ d’un contenu à la fois
capacités dans un dans un champ large)
champ restreint) Domaine Domaine
des compétences des savoir-faire
Caractère évaluable
de l’activité
(référence à un contexte)
Figure 41. La sphère de l’usage et la sphère des fondements
dans la matrice de l’activité humaine
À l’intérieur de cette sphère de l’usage socioprofessionnel, on peut localiser
un cercle plus petit (en pointillés), dont chacun représente un secteur parti-
culier de l’activité humaine (l’agriculture, la construction…).
On peut y caractériser les différentes facettes d’une activité sectorielle (ici
le secteur de la musique).
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 205
Domaine Domaine
de l’expertise des capacités
Le musicien
L’artiste
dans l’âme
Expertise Capacités
professionnelle professionnelles
Compétences Savoir-faire
professionnelles professionnels
L’artisan
Le professionnel
(le virtuose)
Domaine Domaine
des compétences des savoir-faire
Figure 42. Illustration de la matrice de l’activité humaine dans le secteur de la musique
On peut ranger sur cette matrice toute une série de capacités, savoir-faire,
compétences…
Absence
Domaine de référence à un contexte Domaine
de l’expertise des capacités
Capacités
conceptuelles Capacités
Recherche générales
fondamentale Capacités
Création transversales
artistique et fonctionnelles
Expertise
méthodologique Capacités
techniques
Expertise Expertise Capacités Capacités
disciplinaire psychosociales
professionnelle professionnelles Savoir-être
Caractère Recherche Compétences Compétences Savoir-faire Life skills Caractère
scientifique interdisciplinaires professionnelles professionnels
complexe ou disciplinaires… général
de l’activité … de résolution Savoir-faire
de l’activité
de problèmes techniques
Recherche … de production
opérationnelle d’une réflexion Savoir-faire
contextualisée spécialisés
Savoir-faire
Évaluation généraux
Réalisation de Savoir-faire
tâches quotidiennes culturels et
complexes coutumiers
Domaine Domaine
des compétences Référence à un contexte des savoir-faire
Figure 43. Les types d’activités dans matrice de l’activité humaine
Une compétence peut être formulée de différentes manières : sous la forme
d’une tâche complexe à réaliser – c’est en particulier le cas d’une com-
pétence professionnelle –, d’une situation-problème à résoudre, d’une
206 La pédagogie de l’intégration
production contextualisée argumentée à effectuer, etc. Nous y reviendrons
en 3.3.2 et en 4.1.1.
Illustrons les principales activités du schéma par des exemples issus du
secteur du jardinage.
Domaine Domaine des capacités
Capacités
de l’expertise Capacités
transversales
Création Rechercher de générales
l’information
Capacités Voir, sentir,
artistique
Créer un potager
techniques toucher…
Travailler
d’un type nouveau Expertise Capacités Capacités
la terre
professionnelle professionnelles psychosociales
Conseiller un S’occuper d’un Agir de manière
amendement du sol potager autonome
Compétences Savoir-faire Life skills
Compétences professionnelles professionnels Éviter les
de résolution Gérer les semis dans Retourner la terre pesticides
de problèmes un potager familial au bon moment
Savoir-faire
Réajuster les semis suite Compétences
à des intempéries Savoir-faire généraux
de production Se nourrir
exceptionnelles techniques
d’une réflexion Savoir-faire Semer des
contextualisée spécialisés carottes
Domaine Argumenter un choix Mesurer le Domaine
des compétences de type de potager PH d’un sol des savoir-faire
Figure 44. Illustration de la matrice de l’activité humaine dans le secteur du jardinage
Cette matrice de l’activité humaine montre qu’il existe un point de bascule-
ment entre la capacité et la compétence, selon les deux axes :
– la compétence mobilise un ensemble articulé de contenus (ressources),
alors que la capacité s’exerce sur un contenu unique à la fois, même si ce
dernier appartient à un champ très vaste ;
– la compétence est liée à une famille de situations délimitée par un
« contour »15, alors que la capacité s’exerce de manière générale.
De plus, une compétence fait appel à plusieurs capacités, comme nous le
verrons plus loin.
EXEMPLES
• Au lieu de la capacité professionnelle « Maçonner », on aurait par exem-
ple la compétence « Réaliser tels types d’ouvrages en maçonnerie, avec
tels matériaux ». Outre les précisions apportées sur le type d’ouvrages et
sur les matériaux, cette compétence fait appel à d’autres capacités que
le fait de maçonner : il faut calculer, etc.
15. Voir en 1.2.4.
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 207
Caractère diffus
de l’activité (absence
de référence à un contexte)
Domaine Domaine
de l’expertise des capacités
Caractère complexe Point de basculement Caractère général
de l’activité (mobilisation de la capacité de l’activité (mobilisation
de plusieurs contenus/ vers la compétence d’un contenu à la fois
capacités dans un dans un champ large)
champ restreint) Domaine Domaine
des compétences des savoir-faire
Caractère évaluable
de l’activité
(référence à un contexte)
Figure 45. Illustration du point de basculement capacité / compétence
dans la matrice de l’activité humaine
• Au lieu de la capacité « Inférer » (capacité transversale, ou méthodologi-
que), on aurait par exemple la compétence « Dans une recherche don-
née, rédiger des conclusions valides à la suite d’un recueil d’informations
qualitatives réalisé auprès d’un échantillon réduit (5 à 10 personnes) ».
On voit à travers ces exemples que la mise au point des énoncés de com-
pétences correspond avant tout à un découpage qui répond à une nécessité
pédagogique : ce sont des énoncés construits conventionnellement à des fins
d’apprentissage avant d’être des énoncés correspondant à un découpage
« logique » ou « objectif ». Souvent, ce sont aussi des énoncés contextualisés,
répondant à des nécessités locales.
Une dénomination abusive
Nous avons déjà évoqué ci-dessus certaines dérives de terminologie : certai-
nes capacités sont appelées « compétences », de manière compréhensible,
mais abusive.
Compréhensible, car il suffit de déplacer quelque peu les axes pour
que ces capacités deviennent compétences, comme l’illustrent ces deux
schémas.
208 La pédagogie de l’intégration
La manière dont la pédagogie La manière dont le langage
de l’intégration voit l’étendue pédagogique actuel voit l’étendue
du domaine des compétences du domaine des compétences
Domaine Domaine
des capacités des capacités
Capacités Capacités
générales générales
Capacités
transversales « Compétences »
Capacités transversales
Capacités psycho- « Compétences »
techniques sociales psycho-sociales
« Compétences »
Compétences techniques
Compétences
de résolution professionnelles Compétences Compétences
de problèmes de résolution professionnelles
de problèmes
Compétences Compétences
de production de production
d’une réflexion d’une réflexion
contextualisée contextualisée
Domaine Domaine
des compétences des compétences
Figure 46. Illustration du déplacement des axes dans la matrice de l’activité humaine
La terminologie proposée par la pédagogie de l’intégration est plus équilibrée,
tandis que le langage pédagogique actuel désigne un trop grand nombre d’ac-
tivités par le terme « compétences », et en dilue d’autant la compréhension.
Le langage courant contribue lui aussi à ce glissement, puisque le terme
« compétent » est utilisé dans le langage de tous les jours pour désigner des
activités qui se situent dans la zone controversée : « Il/elle est compétent(e)
en… ».
Domaine Domaine Il est habile,
de l’expertise des capacités intuitif, visuel,
Il est compétent en auditif…
…langues Capacités
…informatique générales
Il est Capacités
expert en… transversales
Capacités Capacités
techniques psycho-sociales
Compétences Compétences
de résolution professionnelles Il est capable
de problèmes de… (P.P.O.)
Il est Compétences
compétent pour… de production
d’une réflexion
contextualisée
Domaine Domaine
des compétences des savoir-faire
Figure 47. Illustration de l’influence du langage courant
dans la catégorisation des types d’activités
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 209
Illustrons une nouvelle fois cette dérive par le terme « compétence techni-
que », abusif lui aussi. Trois niveaux lui sont associés.
1. Des capacités techniques et professionnelles, qui relèvent de dispositions
de la personne pour un type de métier plutôt qu’un autre ; ces disposi-
tions ont, comme toute capacité, une composante innée, mais surtout
une composante acquise.
Quelle différence peut-on faire entre une capacité professionnelle et
une capacité technique ? Le terme « professionnel » couvre l’ensemble
des dimensions de l’activité – y compris la dimension psychosociale –,
tandis que le terme « technique » évoque plus particulièrement les aspects
techniques16.
EXEMPLES DE CAPACITÉS TECHNIQUES :
• Coudre
• Maçonner
• Pêcher
• Modeler, etc.
EXEMPLES DE CAPACITÉS PROFESSIONNELLES :
• Animer un groupe
• Négocier avec un client
• Vendre, etc.
2. Des savoir-faire techniques, qui sont des savoir-faire liés à l’exercice du
métier dans leur aspect technique ; des savoir-faire professionnels, qui
sont des savoir-faire liés à l’exercice du métier, dans l’ensemble de leurs
aspects, technique, mais aussi psychosocial.
EXEMPLES DE SAVOIR-FAIRE TECHNIQUES :
• Calculer la section d’une poutre (secteur de la construction)
• Remplir un journal de classe (secteur pédagogique)
• Faire un ourlet (secteur de la confection)
EXEMPLES DE SAVOIR-FAIRE PROFESSIONNELS :
• Panser une plaie (secteur des soins infirmiers)
• Prendre la réservation d’un client (secteur hôtelier)
• Servir un plat (secteur de la restauration)
On voit à travers ces exemples les limites du savoir-faire technique pur : peut-
on servir un plat à un client imaginaire, en faisant abstraction de la relation
16. Cette distinction a surtout du sens pour les secteurs d’activités dans lesquels la dimension
manuelle est importante.
210 La pédagogie de l’intégration
que l’on crée avec un vrai client ? Quel est le degré de similitude entre le fait
de panser une plaie sur un mannequin et sur un patient, chez qui les aspects
biophysiologique et psychologique sont à prendre en compte ?
3. Des compétences professionnelles, et leurs différents paliers d’acquisi-
tion. On est ici dans le domaine de la compétence, toujours considérée
dans le sens du noyau de compétences évaluables, et qui sont relatives à
une famille de situations complexes.
EXEMPLES DE COMPÉTENCES PROFESSIONNELLES :
• Réaliser une toiture (secteur de la construction)
• Mener un projet de classe dans toutes ses composantes (secteur
pédagogique)
• Réaliser une robe (secteur de la confection)
On peut exprimer les liens entre ces trois niveaux de la manière
suivante :
Savoir-faire technique = capacité technique x contenu
Capacité professionnelle = capacité technique x capacités psychosociales
Savoir-faire professionnel = capacité professionnelle x contenu
Compétence professionnelle = { savoir-faire professionnels } x situations
Un choix de terminologie
Aussi intéressants que soient les concepts de « compétence » transversale, de
« compétence » psychosociale, de « compétence technique » dans l’idée qu’ils
véhiculent, il ne faut pas se laisser abuser par la terminologie : ces « compé-
tences » n’ont pas cette double propriété d’être à la fois macro et concrètes
(évaluables), et ne pourraient donc pas constituer ce que nous avons appelé
le « noyau de compétences évaluables » (voir en 1.3).
De plus, cette manière de les nommer enlève à la notion de la compé-
tence sa dimension intégrative de plusieurs capacités, mobilisées conjointe-
ment, pour une finalité en situation (voir en 4.1.2).
Un choix stratégique se pose à ce stade. Faut-il maintenir l’appellation
« compétence » transversale, qui est passée dans le langage courant, mais qui
fausse l’idée de compétence, vue dans le sens du noyau de compétences
évaluables ?
Compte tenu des développements qui précèdent, mais nous appuyant
également sur des écrits qui, depuis longtemps, ont remis en question l’exis-
tence des compétences transversales (Rey, 1996), nous optons, pour des rai-
sons de cohérence, pour l’appellation « capacité transversale »17. Il serait
même plus correct de dire « capacité méthodologique », mais le fait de garder
17. Comme c’est d’ailleurs le cas dans les documents officiels en Suisse.
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 211
le terme « transversal » permet de faire le lien avec la notion de « compétence »
transversale. De même, nous parlerons de « capacité psychosociale ». Les
unes comme les autres sont des ressources relatives à l’exécution de tâches
complexes.
C’est pour donner au terme « compétence » toute sa force et tout son
sens, et en faire un concept utile dans les curricula que nous ne l’utilisons que
dans un seul sens, celui de la mobilisation d’un ensemble de ressources dans
une situation complexe.
Dans le monde de l’éducation et de la formation, ce n’est rien d’autre
que le noyau de compétences évaluables (voir en 1.3).
Le seul complément que l’on pourrait leur associer est un complément
qui désigne le niveau auquel ce noyau est défini : noyau de compétences
terminales (d’un cycle, d’une formation), noyau de compétences d’un cours,
noyau de compétences d’un module…
Il ne faut voir dans ce choix aucun enjeu en termes de terminologie, mais
uniquement un enjeu de clarification méthodologique, qui vise un seul but :
permettre une construction curriculaire la plus harmonieuse, la plus claire et
la plus lisible possible pour l’ensemble de ses destinataires, que ce soient les
enseignants ou d’autres acteurs.
3.2.5 Le concept d’objectif spécifique
Dans la pédagogie de l’intégration, un objectif spécifique est également vu
comme une ressource, ni plus ni moins, ou plutôt comme une intention de
développer une ressource particulière. Toutefois, comme il s’agit là d’une
notion que les enseignants et les formateurs utilisent au quotidien, il convient
de s’y attarder quelque peu.
À partir d’un même contenu-matière, il est possible d’exercer différentes
activités. Cela signifie qu’à partir d’un même contenu-matière, on peut avoir
vis-à-vis de l’apprenant différents niveaux, ou types d’exigence, correspon-
dant aux différentes activités définies en 3.2.2.
EXEMPLE 1
Par exemple, à propos de la classe « droites parallèles », l’élève peut être
invité :
– à répéter la définition apprise durant la leçon (savoir-redire) ;
– à établir un classement entre droites parallèles et droites non parallèles
(savoir-faire cognitif) ;
– à tracer des droites parallèles (savoir-faire gestuel) ;
– à prendre l’habitude de vérifier si deux droites sont parallèles avant de
l’affirmer (savoir-être).
212 La pédagogie de l’intégration
EXEMPLE 2
À propos de la théorie « émetteur, message, récepteur, contexte » (structure),
en communication, selon laquelle la transmission d’une information passe
par le codage de l’information par l’émetteur, la transmission du message
par un canal de communication et le décodage par le récepteur, on peut
demander à l’étudiant :
– de restituer le schéma de la communication (savoir-redire) ;
– d’identifier dans une situation de communication qui est l’émetteur et qui
est le récepteur (savoir-faire cognitif) ;
– de développer la communication verbale d’un message (savoir-faire
gestuel) ;
– de prendre l’habitude de tenir compte du destinataire d’un message dans
la façon de coder une information, et de choisir le canal de communica-
tion le plus approprié (savoir-être).
L’objectif pédagogique spécifique, ou, plus simplement l’« objectif spécifi-
que » exprime cette intention que l’on a d’amener l’élève ou l’étudiant à
exercer une capacité sur un contenu. De Ketele (1996) propose d’exprimer
l’objectif spécifique de la façon suivante :
Objectif spécifique = capacité x contenu
Exemples d’objectifs spécifiques
• Rédiger (capacité) une dissertation (contenu)
• Appliquer (capacité) la loi d’Ohm (contenu)
• Comparer (capacité) deux nombres inférieurs à 100 (contenu)
• Communiquer efficacement (capacité) une information (contenu)
Ces objectifs sont des objectifs ponctuels, relatifs au développement d’une
ressource. Il ne faut pas les confondre avec les compétences.
3.2.6 Les savoirs méthodologiques
Parmi les savoirs, qu’ils soient déclaratifs ou procéduraux, il en est certains
dont l’utilité apparaît clairement aux yeux des apprenants : certains concepts,
certaines règles qu’ils sont amenés à utiliser très concrètement dans des situa-
tions diverses. On peut les qualifier de « savoirs finalisés ». Ils sont directement
utiles pour approcher des situations de vie.
Il en existe d’autres qui ne servent pas dans des situations courantes,
mais qui ont servi à construire ces savoirs finalisés. Ce sont en quelque sorte
les règles de construction des savoirs finalisés18, ceux qui aident à installer
certaines ressources. Ils n’apparaissent aux yeux des apprenants que si on les
18. Ils se rattachent à ce que Perrenoud (1999a) appelle « prérequis à l’assimilation d’autres
savoirs ».
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 213
démonte avec eux, à la limite si l’on fait à leur propos un détour épistémolo-
gique, visant à montrer en quoi un détour par eux est utile. On peut appeler
ces savoirs des « savoirs méthodologiques ».
EXEMPLE
• En mathématiques, apprendre que, dans le nombre 355, le premier « 5 »
vaut dix fois le « 5 » de droite n’est pas directement utile (c’est un savoir
méthodologique), mais cela servira à comprendre comment pratiquer les
opérations, comme l’addition, la soustraction.
Ce sont des savoirs transitoires : les savoirs méthodologiques n’apparaissent
pas en tant que tels dans la vie de tous les jours. Leur seule fonction est
d’aider les apprentissages :
– en mathématiques, le fonctionnement du système de numération
décimale, les propriétés des opérations (commutativité, associativité,
distributivité)… ;
– en langues, l’analyse des fonctions d’un mot dans une phrase (verbe,
sujet, complément…) ;
– en méthodologie de la recherche, les types de registres que l’on utilise (le
registre descriptif, le registre interprétatif, le registre prescriptif), etc.
On peut rattacher cette notion de savoir méthodologique aux notions de
concepts intégrateurs et organisateurs, évoqués en 3.1.3 : les savoirs métho-
dologiques seraient aux connaissances procédurales ce que les concepts inté-
grateurs sont aux connaissances déclaratives.
D’une certaine manière, ils peuvent apparaître comme des savoirs très
académiques, puisqu’ils ne sont évoqués que dans le monde de l’enseigne-
ment, ou alors dans des travaux très poussés dans une discipline. En tout état
de cause, ce sont eux qui sont à la base de la transposition didactique, qui
dictent les chemins par lesquels passe cette transposition didactique. En ce
sens, ils sont fortement didactisés.
Ces savoirs mettent en évidence une question importante : faut-il
construire provisoirement un concept, une règle qui ne sera utile que dans
certains cas limités, ou faut-il construire plus lentement, mais de façon plus
fondamentale, le concept ou la règle à partir de savoirs méthodologiques, ce
qui permettra par la suite une utilisation beaucoup plus puissante ?
Illustrons ceci par un exemple.
EXEMPLE
On pourrait montrer non seulement l’inutilité, mais aussi les effets pervers
d’une construction « par petits morceaux » de la règle de la multiplication
d’un nombre par 100 :
214 La pédagogie de l’intégration
Règle 1 (lorsque le nombre à multiplier est entier) : ajouter deux zéros
Règle 2 (lorsque le nombre à multiplier est un nombre à virgule) : reculer
la virgule de deux rangs vers la droite
Règle 3 (pour tous les nombres) : transformer les unités en centaines, et
faire suivre les unités des autres rangs.
Seule la dernière règle est correcte. Elle repose sur un savoir méthodolo-
gique fondamental : le fonctionnement du système de numération décimal.
Les deux premières ne sont que des cas particuliers de la règle générale
pour certaines catégories de nombres (elles sont même évidentes quand on
y pense, et ne nécessitent aucun apprentissage : un enfant de 4 ans pourrait
y arriver).
Or la culture scolaire veut que les règles soient introduites progressivement,
l’une après l’autre. Ce faisant, on est chaque fois obligé de « détricoter »
la règle précédente. En effet, si on applique la première règle à l’opéra-
tion « 100 x 4,386 », on obtient « 400, 386 », et « 4,38600 » si on applique la
deuxième règle, soit, deux réponses fausses. Il n’est pas possible d’appliquer
la deuxième règle à l’opération « 100 x 23,9 ».
Or la troisième règle n’est pas tellement compliquée pour peu que l’on ait
bien intégré le système de numération décimale. On peut même l’amener
en l’appliquant uniquement au champ des nombres entiers. Le fait d’ajouter
deux zéros est alors vu par l’élève comme un cas particulier, et non comme
la règle générale.
La question des savoirs méthodologiques est une question sensible, car elle
touche aux finalités de l’enseignement. D’un côté, on vise une utilisation
plutôt fruste, mais qui s’installe rapidement, d’un autre côté, on met en place
une utilisation plus puissante, mais qui s’installe plus lentement, et qui n’est
plus utile une fois l’apprentissage réalisé. Il faut choisir au départ parce qu’il
est toujours plus difficile de « détricoter » et de reconstruire quelque chose de
plus élaboré, que de construire directement quelque chose de plus élaboré.
Si on veut viser des acquis qui s’installent à long terme, il est nécessaire
de mettre l’accent sur ces savoirs méthodologiques, car ce sont des savoirs
qui, même s’ils ne sont pas directement utiles pour résoudre des situations,
posent des bases pour les acquis futurs. En cela, ils constituent un chaînon
important à la construction de la pédagogie de l’intégration. Nous y revien-
drons plus loin.
3.3 CURRICULA ET ENJEUX DE CONTENUS
3.3.1 Les différents types d’outillage de l’apprenant
Pour des raisons stratégiques, et non pas théoriques, nous allons poser un
regard particulier sur les contenus que nous venons d’aborder, selon un
projet particulier : analyser ce que deviennent aujourd’hui les différentes
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 215
catégories de contenus dans les curricula, ce que l’on en fait dans les salles
de classe et les lieux de formation, et les dérives qui y sont associées. Pour ce
faire, nous proposons une lecture originale des différents types de contenus.
Celle-ci n’a pas pour ambition de se substituer aux catégorisations existantes
(celle de Merril, celle de D’Hainaut, celle de Tardif…), mais de constituer une
base pour analyser l’évolution actuelle des contenus des curricula, et dégager,
dans la sphère de l’usage de la matrice de l’activité humaine (voir en 3.2.4),
les énoncés de compétences qu’il convient de valoriser aujourd’hui.
Nous distinguons trois catégories de contenus, dont il s’agit de doter
chaque apprenant :
(1) les contenus « communs » : il s’agit à la fois des faits particuliers (lieux,
événements, dates, etc.) – aussi bien universels que contextualisés –, et
des savoirs reconnus, fondés, que ce soit des règles, des principes, des
lois19… ; les contenus communs recouvrent également les savoirs procé-
duraux que l’on peut acquérir par entraînement (techniques, procédures,
formules, algorithmes20…) ; dans les grandes lignes, cette catégorie de
contenus recouvre les savoirs accessibles par chacun à travers les diffé-
rents média, en particulier Internet ;
(2) les contenus « de profondeur », qui constituent les bases de la réflexivité
nécessaire pour devenir un citoyen « penseur », c’est-à-dire qui permet-
tent à l’élève, à l’étudiant de pouvoir analyser, prendre du recul, porter
un regard critique, argumenter, se positionner, émettre un avis… ; ils
recouvrent les savoirs qui ne sont accessibles qu’à travers une démar-
che d’apprentissage, pour lesquels un médiateur (enseignant, formateur)
représente une plus-value appréciable, et qui doivent faire l’objet d’une
appropriation en profondeur : concepts, savoirs méthodologiques, théo-
ries, modèles d’intelligibilité… ; ils couvrent également l’essentiel des
capacités cognitives de base (voir en 3.2.3) ;
(3) les contenus « d’action », qui recouvrent tous les savoirs utiles à l’action
(action quotidienne, action professionnelle, action scolaire ou acadé-
mique…) : les démarches « expert », les méthodologies, les savoir-faire
professionnels… ; ils couvrent également l’essentiel des capacités psy-
chosociales (voir en 3.2.4), des capacités transversales.
19. Exemples : la capitale de la Chine (fait particulier) ; la loi d’Ohm (loi)…
20. Exemples : double-cliquer (technique), rendre une eau potable (procédure)…
216 La pédagogie de l’intégration
On peut les représenter sous la forme du schéma suivant.
Contenus d’enseignement (ressources)
Capacités Capacités Capacités
conceptuelles générales transversales…
Savoirs Savoir-faire, Démarches,
Savoirs procéduraux méthodologiques techniques, compétences
… procédures… techniques,
savoir-faire
complexes…
Savoirs : faits
Concepts,
Savoirs déclaratifs particuliers, lois, Savoirs
théories…
principes, règles… contextuels…
Contenus Contenus Contenus
de profondeur communs d’action
Figure 48. Schématisation des trois catégories de contenus
Au niveau des capacités, on retrouve bien les différentes catégories présen-
tées en 3.2.3 :
– les capacités transversales, qui ont un caractère plus fonctionnel que les
capacités générales ;
– les capacités conceptuelles, qui sont caractérisées par leur niveau de
profondeur.
Gain en profondeur Gain en fonctionnalité
Capacités Capacités Capacités
conceptuelles générales transversales…
Figure 49. Schématisation des liens existant entre les catégories de capacités
Ce qui intéresse le pédagogue, ce n’est pas tellement ces contenus en eux-
mêmes, mais ce que l’apprenant en fait. Nous utilisons le terme d’« outillage »,
qui recouvre tout ce qui est personnel à un individu donné en termes de
démarches, de stratégies, de processus cognitifs : il exprime la manière dont
une personne donnée s’est appropriée ces différents contenus, et ce qu’elle
en fait : les savoirs deviennent des connaissances, qui traduisent le niveau
d’appropriation des savoirs par la personne, les techniques et procédures
deviennent des savoir-faire dont dispose l’apprenant, etc. Il ne s’agit que de
rien d’autre que de l’ensemble des opérations cognitives, à savoir les connais-
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 217
sances, l’application, l’analyse, la résolution de problèmes, en référence aux
taxonomies des opérations cognitives de D’Hainaut21 et de Bloom22.
C’est ce que montre le schéma ci-dessous. On retrouve trois types
d’outillage dont dispose l’apprenant :
(1) un outillage commun, qui lui permet de connaître, de comprendre, d’ap-
pliquer à partir d’un savoir-faire acquis ; on retrouve ici les trois premiers
niveaux de la taxonomie de Bloom ;
(2) un outillage de profondeur, qui lui permet d’analyser, de prendre du recul,
de se positionner23…, ; cet outillage repose sur l’outillage commun, qu’il
contient, et qu’il considère comme autant de ressources ;
(3) un outillage d’action, qui lui permet d’agir dans son milieu ; on est ici
dans la résolution de problèmes et la réalisation de tâches complexes,
avec l’ensemble des opérations qui lui sont liées : l’émission d’une hypo-
thèse, le décodage de documents, la recherche des données, le traite-
ment d’informations, etc. ; cet outillage d’action n’aurait pas de sens s’il
ne pouvait pas s’appuyer sur l’outillage commun, qu’il contient, et qu’il
considère comme autant de ressources nécessaires à sa mise en œuvre.
Il est intéressant de constater que ces deux derniers outillages constituent le
niveau supérieur dans des taxonomies différentes :
– le niveau supérieur de la taxonomie des capacités cognitives de base
de De Ketele (1983, voir en 3.2.3) est l’adoption d’une attitude critique
(outillage de profondeur) ;
– le niveau supérieur de la taxonomie des opérations cognitives chez
D’Hainaut (1977 ; 4e éd. 1985) et Gagné (1977) est la résolution de
problèmes (outillage d’action).
Ces deux derniers outillages mèneront plus tard vers l’expertise.
21. D’Hainaut (1977, 4e éd. 1985).
22. Bloom & al. (1969).
23. Exemple : l’analyse que je fais de…, l’argumentation que je développe à propos de…
218 La pédagogie de l’intégration
Outillage Stratégies de
de l’apprenant Outils d’analyse, Connaissances, réalisation de tâches
de réflexivité et savoir-faire complexes et de
d’argumentation… (acquis)… résolution de
situations complexes
Outillage
commun
de profondeur
Outillage
Outillage
d’action
Expertise
Figure 50. Schématisation des trois types d’outillage de l’apprenant
On peut lire les apprentissages dans n’importe quelle discipline, à la lumière
de ce triple outillage. Par exemple, un cours de religion, de quelle confession
qu’il soit, peut mettre l’accent sur :
– l’outillage commun si le cours est orienté vers les savoirs religieux et les
pratiques religieuses ;
– l’outillage de profondeur si la dimension critique et réflexive est privilé-
giée chez les élèves ;
– l’outillage d’action si la dimension du passage à l’action citoyenne, sur la
base du message religieux, est importante.
L’importance relative de chaque outillage varie donc selon la conception que
l’on a de la discipline. Elle varie également selon les niveaux d’enseignement,
et selon la nature de la formation. Par exemple dans l’enseignement secon-
daire, l’outillage de profondeur prend progressivement le pas sur l’outillage
commun, alors que dans l’enseignement primaire, l’outillage commun et
l’outillage d’action se partagent l’essentiel des apprentissages. De même,
une formation supérieure professionnalisante met davantage de poids sur
l’outillage d’action, tandis qu’une formation supérieure générale met avant
tout l’accent sur l’outillage de profondeur.
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 219
La voie vers l’expertise
La combinaison de l’outillage de profondeur et de l’outillage d’action conduit
progressivement à l’expertise. On considère en général que l’expert se
caractérise par les éléments suivants (Dreyfus, 1992 ; Tochon, 1993 ; de
Fornel, 1990) :
1. L’expert agit par automatismes, et par intuition : il agit en même temps
qu’il réfléchit ; il ne diffère pas son action : il agit dans l’immédiateté. Il
ajuste son action également de manière automatique, comme on marche
ou comme on respire.
2. L’expert agit de façon globale ; il évite les phases analytiques de la démar-
che de résolution de problème : diagnostic, recherche d’un éventail de
solutions, analyse des données du problème lui apparaissent comme une
perte de temps.
3. L’expert s’appuie sur son expérience : pour résoudre un problème, il
part des expériences acquises, et non de ressources à combiner ou de
procédures.
« Lorsqu’un expert rencontre un nouveau problème dans un domaine donné,
il ne considère pas qu’il doit le traiter avec des ressources entièrement nou-
velles. Il a la capacité de le traiter à partir des solutions à des problèmes qu’il
a déjà traités. L’expertise se caractérise donc par la possession de sché-
mas expérientiels riches, qui ne peuvent s’acquérir que par la pratique. » (de
Fornel, 1990, p. 66).
C’est par cette combinaison de réflexion immédiate et d’action que l’exper-
tise requiert à la fois l’outillage de profondeur et l’outillage d’action.
Si le développement de l’expertise ne relève en aucun cas de démarches
formelles d’éducation ou de formation, quelles qu’elles soient – l’expertise
nécessite des expériences plurielles et contrastées en situation réelle –, elle
figure toutefois sur le schéma ci-dessus comme le point d’aboutissement
d’une démarche d’apprentissage, enrichie par la multiplication des expérien-
ces de terrain, les plus diversifiées possibles. Si on estime qu’il faut en général
une dizaine d’années pour qu’une expertise se développe chez quelqu’un
dans un domaine donné, il faut fortement nuancer cette durée en fonction
de la nature et de la fréquence des expériences : quelqu’un peut devenir
expert en un ou deux ans au contact d’une très grande densité et diversité
d’expériences.
Ajoutons une caractéristique qui nous paraît fondamentale, et qui permet
de mettre la limite entre la compétence et l’expertise : l’expertise ne s’éva-
lue pas, elle se reconnaît : elle fait l’objet d’une reconnaissance, en général
par les pairs. La démarche de cooptation prend le pas sur une démarche
d’évaluation.
220 La pédagogie de l’intégration
3.3.2 Le lien entre ces outillages et la pédagogie de l’intégration
Quel lien peut-on établir entre ces différents outillages et la pédagogie de
l’intégration ?
La pédagogie de l’intégration repose tout d’abord sur des contenus,
contenus scolaires, contenus académiques ou contenus de formation. Ces
contenus sont les contenus communs, de profondeur et d’action. Ils ne sont
pas choisis au hasard, dans la mesure où ils sont destinés à devenir des
ressources pour l’apprenant. À travers le processus d’appropriation par l’ap-
prenant, ces contenus deviennent progressivement des ressources pour l’ap-
prenant, comme le montre le schéma suivant.
Contenus d’enseignement (ressources)
Capacités Capacités Capacités
conceptuelles générales transversales…
Savoirs Savoir-faire, Démarches,
Savoirs procéduraux méthodologiques techniques, savoir-faire
… procédures… professionnels…
Savoirs : faits
Concepts, Savoirs
Savoirs déclaratifs particuliers, lois,
théories… contextuels…
principes, règles…
Contenus Contenus Contenus
de profondeur communs d’action
Outillage de l’apprenant
Niveau des Outillage
applications commun
(ressources)
de profondeur
Outillage
Outillage
d’action
Niveau de
l’exercice des
compétences
Niveau de
l’expertise Expertise
Figure 51. Mise en lien des trois types de contenus et des trois types d’outillage
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 221
Ces ressources peuvent être mobilisées de trois manières différentes :
– chacune peut faire l’objet d’applications ou d’exercices pour être ins-
tallée de manière plus durable : on est dans le domaine de l’outillage
commun ;
– elles peuvent faire l’objet d’un travail spécifique, de transformation ou
de mobilisation conjointe : on est dans le domaine de l’intégration, c’est-
à-dire dans le domaine du développement et de l’exercice de la compé-
tence ; cette intégration peut être orientée vers la réflexion, la réflexivité
de l’apprenant (outillage de profondeur), ou vers l’action, vers la résolu-
tion de problèmes (outillage d’action) ;
– à travers l’exercice de l’outillage de profondeur et de l’outillage d’action,
elles peuvent faire l’objet d’une expertise, à un niveau approfondi, dans
lequel les ressources ne sont plus visibles, tant le degré d’intégration est
élevé.
Il est important de comprendre que, dans la pédagogie de l’intégration, cer-
taines compétences du noyau de compétences évaluables sont exprimées en
termes d’outillage de profondeur, et d’autres en termes d’outillage d’action.
Compétences relatives à l’outillage de profondeur
Les premières (outillage de profondeur) sont des compétences de type « ana-
lyse », « critique historique »… qui sont contextualisées au sens où ces der-
nières s’exercent à propos d’un objet déterminé (un événement, un article
de journal…), mais qui sont tournées vers l’argumentation et la prise de
position.
EXEMPLES D’ÉNONCÉS DE COMPÉTENCES RELATIVES À L’OUTILLAGE DE PROFONDEUR
• Rédiger une dissertation
• Produire un mémoire sur la base d’une revue critique de la littérature
d’un domaine
• Mettre en œuvre les outils de la critique historique à propos d’un docu-
ment inédit en vue d’en tirer des conclusions
• etc.
Compétences de type « action »
Les secondes compétences sont liées à l’action : elles visent soit à préparer
l’action, soit à proposer des solutions, soit à résoudre un problème lié à l’ac-
tion, soit encore à exécuter une tâche complexe.
EXEMPLES D’ÉNONCÉS DE COMPÉTENCES ORIENTÉS VERS L’ACTION
• Résoudre un problème de physique de tel type
• Effectuer telle tâche manuelle complexe, comme carreler une cuisine
• Produire un écrit de telle longueur en situation de communication
• etc.
222 La pédagogie de l’intégration
Les deux aspects peuvent être combinés dans un énoncé unique, comme
par exemple « suite à l’analyse de telle situation, émettre des propositions
argumentées visant à… ».
Si nous distinguons les deux catégories de compétences, c’est essen-
tiellement pour des raisons stratégiques : cette distinction montre en quoi
la pédagogie de l’intégration considère que tout ne doit pas se traduire en
compétences tournées vers l’action, aussi complexe fût celle-ci, mais doit
traiter de manière très claire l’outillage de profondeur. Il ne faut donc pas
penser « intégration » uniquement dans un sens fonctionnel. L’intégration
réside avant tout dans un point de vue particulier qu’adopte l’apprenant, une
position qu’il défend, une argumentation qu’il développe.
La pédagogie de l’intégration offre ce cadre qui permet d’exprimer des
compétences de différentes natures. Encore faut-il que les acteurs profitent
de cette liberté qui leur est offerte d’énoncer des compétences qui visent ces
deux types d’outillage. C’est là qu’intervient la liberté de choix des acteurs
– collectifs et individuels –, et que s’arrête le pouvoir d’un cadre méthodolo-
gique comme celui de la pédagogie de l’intégration.
3.3.3 Des déséquilibres dans les curricula actuels
Quelle place occupent ces différentes catégories de contenus dans les cur-
ricula aujourd’hui ? La question se pose surtout en termes d’équilibre des
curricula.
Qu’est-ce qu’un curriculum équilibré ?
On pourrait dire que c’est un curriculum dans lequel il y existe un équili-
bre entre trois dimensions :
(1) la dimension des savoirs et des savoir-faire, autrement dit celle qui régit
l’ensemble de l’outillage « commun », c’est-à-dire l’outillage factuel et
procédural : ce qui permet à l’apprenant de savoir et de faire ;
(2) la dimension des concepts, de la formation de la pensée, autrement dit
celle qui régit l’ensemble de l’outillage « de profondeur », c’est-à-dire
l’outillage critique et analytique : celui qui permet à l’apprenant d’analy-
ser, de prendre du recul, de se positionner ;
(3) la dimension des situations-problèmes, autrement dit celle qui régit l’en-
semble de l’outillage « d’action » : celui qui amène l’apprenant à pouvoir
agir sur son environnement.
Un curriculum équilibré est un curriculum dans lequel les trois catégories
coexistent sans que l’une d’entre elles ne soit négligée.
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 223
Plusieurs dérives menacent les curricula aujourd’hui, en faisant l’impasse
sur un des trois pôles. Parce qu’elles négligent un des trois pôles, chacune de
ces dérives empêche d’arriver à l’expertise.
Quelles sont ces trois dérives ?
Première dérive : dérive de la coquille vide
Une première dérive consiste à vider les apprentissages de leurs contenus.
C’est une dérive qu’on observe notamment dans certains pays dans lesquels
un accent excessif a été mis sur les capacités transversales, sur les capacités
cognitives, au détriment des savoirs.
« Le cas le plus net de la conception des compétences comme capacités
cognitives (et non comme actions fonctionnelles) se trouve dans la liste des
compétences terminales en histoire. Dans le décret24, l’histoire-récit et la
chronologie sont bannies au profit d’opérations mentales (s’interroger, s’in-
former, traiter des informations, synthétiser, etc.) à appliquer sur des notions
relevant pour la plupart des sciences sociales et pas spécifiquement de l’his-
toire. » (Tilman, 2008, p. 13)
La dérive de la coquille vide
Outillage
commun
de profondeur
Outillage
Outillage
d’action
Figure 52. Schématisation de la dérive de la coquille vide,
par réduction de l’outillage commun
C’est la dérive de la coquille vide. Dans cette dérive, on parle, mais on ne
sait pas de quoi on parle, ou on ne connaît pas ce dont on parle. On vide la
discipline de son sens. Par exemple, si l’Histoire, ce n’est certainement pas
seulement raconter une histoire, c’est certainement en partie raconter une
24. Il s’agit du Décret–Missions définissant, en Communauté française de Belgique, les missions
prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant
les structures propres à les atteindre.
224 La pédagogie de l’intégration
histoire. Le fait de raconter une histoire produit du sens aux yeux de l’élève.
Pour mieux s’en convaincre, il suffit d’établir le lien entre l’attirance d’un
élève pour l’Histoire, et la capacité de l’enseignant à pouvoir la raconter de
manière vivante.
Des programmes d’études parfois muets sur les savoirs disciplinaires
Cette dérive de la coquille vide est illustrée – et provoquée en partie– par
l’absence de référence aux « savoirs disciplinaires » dans bon nombre de pro-
grammes d’études conçus selon l’APC : l’enseignant chargé d’appliquer ces
programmes se trouve de plus en plus privé de repères en termes de savoirs
à faire acquérir aux élèves et aux étudiants.
EXEMPLE25
C’est le cas en Belgique francophone dans certains des nouveaux program-
mes de sciences, produits au début des années 200026. À la lecture des
documents, on peut constater que la grande majorité du texte des program-
mes est constituée de recommandations méthodologiques liées à des « com-
pétences » transversales ou pluridisciplinaires. Par contre, les savoirs discipli-
naires sont quasiment éliminés de ces programmes. Et c’est justement à ce
niveau que le problème se pose : le professeur peut apprendre aux élèves la
capacité transversale proposée « mener à bien une démarche scientifique de
résolution d’une situation concrète » dans un domaine comme, par exemple,
le mouvement circulaire et uniforme, en physique. En fonction de la situa-
tion concrète envisagée, la résolution du problème peut faire appel au calcul
du moment d’inertie d’un corps, cela nécessitant un traitement exigeant,
tant sur le plan des concepts physiques que des techniques mathématiques,
ou au contraire se contenter d’une compréhension qualitative superficielle
de la notion de « force centrifuge ». Cependant, vu que les programmes abor-
dent très sommairement les contenus disciplinaires, le centrage majeur sur
la capacité transversale revient à dire – aux yeux des enseignants – que les
savoirs n’ont en fin de compte qu’une importance toute relative. Une telle
compétence, détachée du champ disciplinaire dans lequel elle se pratique,
devient dans ce cas une simple illusion.
Selon le même programme, le développement de cette macro compétence
doit se faire, en proposant aux élèves des activités pouvant appartenir à trois
« familles de tâches » : sur une « recherche documentaire », une « recherche
expérimentale » et une « exploitation des connaissances ». Malheureusement,
aucune d’entre elles ne peut constituer en soi le support d’une construc-
tion de savoirs. Incontestablement une « recherche documentaire » permet
d’apprendre à trouver des informations mais pas à construire des savoirs.
Les tâches liées à la « recherche expérimentale » permettent la découverte
empirique des phénomènes ou l’observation des lois connues, en participant
25. Ioan Ratziu (non publié).
26. Voir par exemple « Programme de sciences, 2e et 3e degrés Humanités générales et
technologiques, Fédération de l’enseignement secondaire catholique, D/2001/7362/
3055 ».
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 225
ainsi à la construction d’un savoir. Malgré cela, il manque la démarche fon-
damentale, l’abstraction, qui permet à l’élève d’aller du concret à la théorie,
à la loi physique. Quant aux tâches centrées sur « l’exploitation des connais-
sances », elles ne constituent pas non plus des moments de construction
de savoirs parce qu’elles supposent que l’acquisition de ceux-ci à été déjà
réalisée avant.
Ce cadre particulier de concevoir une approche par compétence, du moins
telle que celle-ci est conçue dans ces programmes d’études, ne répond que
très peu à l’une des questions essentielles que tout enseignant de physique se
pose : comment construire des savoirs en physique, par quels moyens faire
parvenir l’apprenant à la découverte, à la compréhension et à la maîtrise des
concepts de la physique ?
Signe de l’évolution de la réflexion en matière d’approche par compétences,
les lacunes sont corrigées lors d’une révision ultérieure des mêmes program-
mes d’études27. Ces derniers présentent des tableaux analytiques et synop-
tiques des savoirs, ainsi que des pistes pour articuler les contenus-matières
aux compétences.
Dans la conception – plus réaliste et plus outillée – que propose la pédagogie
de l’intégration, il y a une volonté de mieux répartir l’effort au départ, d’être
plus concret et systématique sur les apprentissages ponctuels des contenus-
matières, car sans ce soubassement, un développement de compétences
n’est pas possible, dans la mesure où ces dernières s’exercent dans le vide.
Quels savoirs ?
Encore faut-il réfléchir sur les savoirs à véhiculer et à valoriser à l’école : à
partir du moment où il convient de maintenir la place de l’outillage commun,
l’outillage factuel, quelle facette de cet outillage faut-il privilégier, dans un
environnement où ce dernier est en perpétuel développement ?
Dans un contexte de prééminence de la marchandisation de l’éduca-
tion et de la formation, que nous avons évoqué en 2.1.3, un glissement est
en train de s’opérer progressivement, et de manière subtile. Les contenus
qui visent à être privilégiés à travers la mondialisation, sont (1) les savoirs
factuels, accessibles aujourd’hui par tout le monde, (2) les savoir-faire, qui
sont les vecteurs de l’employabilité, et (3) les procédures, qui permettent ces
échanges de biens et de personnes. Ce sont principalement ceux-là qui font
l’objet de la standardisation et de l’uniformisation des contenus. Certes, on
peut comprendre la nécessité de se doter d’un langage universel, et de procé-
dures standardisées : c’est un passage obligé de tout partage entre des cultu-
res différentes, et c’est un aspect positif de la mondialisation. Le problème,
c’est qu’en s’uniformisant, en se normalisant, en se standardisant, en se
27. Voir par exemple « Programme de sciences générales (5h), 2e degré, Humanités
générales et technologiques, Fédération de l’enseignement catholique secondaire,
D/2009/7362/3/09 ».
226 La pédagogie de l’intégration
rationalisant, ces savoirs, ces savoir-faire et ces procédures se désincarnent
aussi petit à petit, et perdent progressivement leur âme en s’appauvrissant.
Étant à la fois d’un intérêt relatif et facilement accessible par ailleurs, ce n’est
certainement pas cette facette de l’outillage commun qu’il faut privilégier
dans l’enseignement et la formation.
Si certains contenus sont mis en avant par le phénomène de la mondia-
lisation, d’autres en revanche, plus riches, plus « vivants », sont en train de
s’éroder progressivement. Il s’agit en particulier de contenus du type « patri-
moine culturel » (traditions, langues, danses, chants, art…), représentatifs de
cultures régionales et locales, et fondateurs de ces cultures. Un des enjeux de
l’outillage commun est de ne pas se contenter de mettre en avant les savoirs
et procédures désincarnés, qui se rapportent à la mode du moment, quelle
qu’elle soit, mais de rendre leur juste place à ceux qui sont fondateurs d’une
identité, d’une culture, locale, nationale, régionale, internationale : les valeurs,
les traditions, l’histoire de son pays, de sa région ; aller à la recherche de ses
racines, celles qui font qu’on est ce qu’on est aujourd’hui : quels événements
nous ont fait avancer, lesquels nous ont fait reculer. On reste dans l’outillage
« commun », non pas standardisé, mais au contraire contextualisé.
Il s’agit donc de retrouver les savoirs qui nous inscrivent dans l’espace,
dans le temps, et pas seulement ceux qu’on veut nous vendre ici et mainte-
nant. Dans ce sens-là, le terme « savoirs actualisés » est ambigu, car il pourrait
être pris dans le sens d’un objet de consommation immédiat, soumis à des
effets de mode.
Un des enjeux de ce pôle « outillage commun » est donc de maintenir
cette diversité de savoirs de manière très large, et surtout de ne pas confiner
ces savoirs fondateurs uniquement aux mains d’une poignée de spécialistes,
ce qui risque d’arriver si cette consommation effrénée de savoirs nouveaux
se poursuit.
Comment cette recherche de savoirs fondateurs peut-elle se décliner
dans différents cours ? Voici quelques pistes à titre d’exemples.
• En langues : travailler sur des textes d’auteurs qui ont marqué l’histoire et
la culture
• En éducation religieuse : retrouver les fondements de la religion, et non
pas se contenter des pratiques actuelles
• En histoire : poser des repères qui enracinent l’élève dans le temps et
dans une culture
• En sciences, en mathématiques : donner quelques points de repère his-
toriques, aborder la dimension épistémologique, éviter de laisser penser
qu’il n’y a qu’une seule manière de voir la médecine, la physique…
• En éducation physique et sportive : laisser une place aux gestes, aux tech-
niques ; éviter de faire de l’éducation physique et sportive en chambre,
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 227
reconnaître le bénéfice de l’exercice physique comme une composante
essentielle de l’équilibre de chacun.
Deuxième dérive : dérive de la théorisation
Dans cette deuxième dérive, l’élève ou l’étudiant apprend des savoirs, des
procédures, des concepts, sans apprendre à mobiliser ceux-ci en vue de
l’action. Il en reste au niveau des acquis théoriques et de la réflexion critique,
sans parvenir au niveau de la résolution de problèmes.
La dérive de la théorisation
Outillage
commun
de profondeur
Outillage
Outillage
d’action
Figure 53. Schématisation de la dérive de la théorisation,
par réduction de l’outillage d’action
C’est la dérive de l’approche traditionnelle, orientée vers un profil géné-
raliste, en termes de savoirs et en termes culturels, et peu orientée vers le
« savoir-agir ».
La pédagogie de l’intégration permet de répondre à cette dérive, en
consacrant une large part du temps à des activités dans lesquelles on soumet
aux apprenants des situations-problèmes à résoudre, dans lesquelles ils doi-
vent mobiliser leurs acquis.
Troisième dérive : dérive de l’utilitarisme
Une troisième dérive consiste à mener des apprentissages « de surface », sans
éveiller les élèves et les étudiants au recul critique, et sans les y outiller.
Dans cette troisième dérive, on apprend sans prendre de recul critique.
On appauvrit l’outillage conceptuel de l’apprenant, au profit d’un savoir agir
réducteur, qui se limite souvent à un savoir-faire mécanique, réduit à des
recettes et à des automatismes.
228 La pédagogie de l’intégration
C’est une vision utilitariste de la compétence, que la pédagogie de l’in-
tégration dénonce.
La dérive de l’utilitarisme
Outillage
commun
de profondeur
Outillage
Outillage
agissant
Figure 54. Schématisation de la dérive de l’utilitarisme,
par réduction de l’outillage de profondeur
Cette dérive est en particulier le fait de systèmes d’éducation ou de formation
qui sont influencés par cette marchandisation croissante de l’éducation et de
la formation que nous évoquions plus haut. C’est sans doute la dérive la plus
importante aujourd’hui. Elle mérite dès lors un développement particulier.
Si, comme nous l’avons développé en évoquant la dérive de la coquille
vide, certains savoirs, savoir-faire, procédures qui fondent nos identités sont
souvent remplacés aujourd’hui par des savoirs, savoir-faire et procédures
standardisés, un autre type de contenus est en train de déserter progres-
sivement les salles de classe, les lieux de formation, de manière beaucoup
plus subtile, et moins visible : l’outillage conceptuel des citoyens, que l’on
acquiert principalement à l’école. Or cet outillage conceptuel est à la base de
plusieurs opérations de niveau supérieur dans les taxonomies des opérations
cognitives (Bloom28, D’Hainaut29), à savoir l’analyse, la synthèse, l’évalua-
tion, ou le recul critique. Dès lors, non par manque de potentialité de la part
des étudiants, mais par manque de volonté politique30, ou encore d’un projet
éducatif fort, la faculté d’analyse et de recul critique des étudiants s’érode
petit à petit dans le même temps.
28. Bloom & al. (1969).
29. D’Hainaut (1977, 4e éd. 1985).
30. Il s’agit même trop souvent de laxisme ou de démission des gouvernements, qui traduisent
à nos yeux une certaine fatalité qu’ils perçoivent dans le fait que les politiques éducatives
leur échappent.
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 229
D’autres phénomènes renforcent encore ce déséquilibre :
– avec la démocratisation de l’enseignement – qui est d’ailleurs souvent
davantage une massification –, et en particulier la démocratisation de
l’enseignement supérieur, des problèmes de maîtrise de la langue d’en-
seignement surgissent de plus en plus, dans les hautes écoles et à l’uni-
versité, et renforcent cet appauvrissement conceptuel, par manque de
maîtrise du véhicule de la pensée qu’est la langue ;
– les gonflements des programmes d’études, la plupart du temps proposés
dans un esprit bienveillant, amènent les enseignants à privilégier « l’im-
médiatement consommable », quand ce n’est pas le lucratif31 ;
– les politiques de gestion et de rétribution des enseignants, qui les pous-
sent à trouver une activité professionnelle complémentaire, et à conférer
à leur tâche d’enseignement le minimum de temps et, dès lors, à se tour-
ner vers la facilité : il est plus facile pour un enseignant d’enseigner des
savoirs que d’apprendre aux élèves à développer une pensée critique.
Apprendre à penser
Ce qui est en jeu, c’est, ni plus ni moins, l’« apprendre à penser » du citoyen.
Encore faut-il que l’on s’entende sur ce que recouvre cet « apprendre à pen-
ser ». Ne confond-on pas souvent aujourd’hui apprendre à penser, et appren-
dre à accepter des pensées toutes faites ? Surtout quand ces pensées toutes
faites sont présentées de manière à ne pas prêter le flanc à la critique, ni
au moindre doute ? La société tout entière n’apprend-elle pas aujourd’hui à
suivre des modèles, plutôt qu’à se positionner par rapport à ces modèles ?
Dans la dimension « apprendre à penser », il y a bien sûr une composante
philosophique (qui sommes-nous ? d’où venons-nous ?, etc.), mais il y a aussi
une composante citoyenne (qu’accepte-t-on ou non dans notre société, au
nom de quelles valeurs ?), et c’est surtout cette deuxième composante qui est
visée ici.
« Finalement, qu’est-ce que l’intelligence pour moi ? Ce serait ça : le risque
qu’on prend à propos d’un objet quand on quitte ladite référence. Et ce
pourquoi il y a une crise de l’intelligence actuellement, c’est que les gens
se précipitent sur la référence au lieu de se précipiter sur l’objet. Au lieu de
dire, qu’est-ce que l’intelligence, ils disent « Piaget dit de l’intelligence » ou « la
philosophie marxiste dit de l’intelligence »… On ne va pas chercher l’objet,
mais la sécurité par rapport à cet objet. Et ce faisant, on définit une sorte
31. Que ce soit dans le sens de favoriser le développement des cours particuliers, dans le
cadre du marché du soutien scolaire (Mark Bray (2009) parle à ce propos de « l’éducation
de l’ombre »), ou dans un sens de manœuvres de séduction, provoquées par certains
bailleurs de fonds qui monnayent leurs contenus auprès des enseignants : aussi noble ou
intéressant soit ce contenu, ce sont des pratiques de détournement de l’activité de base des
enseignants.
230 La pédagogie de l’intégration
de discours qui, me paraît, oui, inintelligent. Serait intelligent celui qui aurait
l’audace d’être auteur. D’être tout seul. Moi tout seul, je pense… bien sûr,
je risque de me casser la figure, mais tant pis pour moi. Mais si je gagne, je
ramasserai une mise bien supérieure à celui qui aura la référence. » (Michel
Serres, 1984).
Ce qu’en disent les cadres réglementaires
Le déséquilibre évoqué ci-dessus, au détriment de « l’apprendre à penser », est
souvent relayé par les cadres réglementaires nationaux et supranationaux, qui
embrayent dans cette entreprise de normalisation des savoirs et des savoir-
faire. Un exemple frappant est celui du Cadre Européen des Certifications
(CEC). Prenons le niveau 2, qui représente la fin de l’enseignement obliga-
toire, c’est-à-dire la fin de l’enseignement secondaire inférieur.
Acquis de l’apprentissage correspondant au niveau 2 :
• savoirs factuels de base dans un domaine de travail ou d’études
• aptitudes cognitives et pratiques de base requises pour utiliser des informations
utiles afin d’effectuer des tâches et de résoudre des problèmes courants à l’aide
de règles et d’outils simples
• travailler ou étudier sous supervision avec un certain degré d’autonomie
Seuls sont mentionnés les savoirs factuels, et les aptitudes pour utiliser des
informations utiles et résoudre des problèmes courants. L’outillage concep-
tuel dans le cadre de l’ « apprendre à penser » n’est pas mis en avant.
Si on regarde ce qui figure au niveau suivant, le niveau 3, on ne trouve
guère d’amélioration.
Acquis de l’apprentissage correspondant au niveau 3 :
• savoirs couvrant des faits, principes, processus et concepts généraux, dans un
domaine de travail ou d’études.
• gamme d’aptitudes cognitives et pratiques requises pour effectuer des tâches
et résoudre des problèmes en sélectionnant et appliquant des méthodes, outils,
matériels et informations de base
• prendre des responsabilités pour effectuer des tâches dans un domaine de
travail ou d’études
• adapter son comportement aux circonstances pour résoudre des problèmes
Cette liste n’exclut pas l’apprendre à penser – en particulier dans les deux
derniers niveaux de la liste –, mais la formulation du cadre évoque davantage
une optique « fermée », d’application et d’adaptation, plutôt qu’une optique
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 231
réflexive ou créative. Il s’agit davantage de former des exécutants responsa-
bles et autonomes que des penseurs ou des créateurs.
Autrement dit, le Cadre Européen des Certifications est très minima-
liste sur le plan de la formation de la pensée proprement dite (la pensée
« ouverte ») : la dimension « analyse », sous-tendue par l’outillage conceptuel,
l’outillage de profondeur, est pratiquement absente.
« Apprendre à penser » est-il en phase avec la pédagogie de l’intégration ?
En première lecture, on pourrait penser, et objecter, que cet « apprendre à
penser » de manière ouverte et critique est en contradiction avec la pédago-
gie de l’intégration, dans la mesure où les situations d’intégration ne laisse-
raient peu ou pas de place à la dimension critique32. Il n’en est rien. Cette
manière de comprendre les choses résulte d’une mauvaise compréhension
de la pédagogie de l’intégration.
En effet, en encourageant les pédagogies de l’apprentissage et en intro-
duisant les activités d’intégration dans les curricula, la pédagogie de l’inté-
gration renforce naturellement la dimension réflexive de l’apprenant, qui,
pour résoudre un problème et/ou agir en situation, est amené à mettre en
jeu des capacités de haut niveau : analyser, comparer, critiquer, émettre des
hypothèses, être créatif, etc. Encore faut-il que les acteurs – et en particulier
les décideurs de l’éducation – décident de formuler les compétences dans
ce sens-là. Mais, sur un plan technique, il est tout à fait possible, et c’est
d’ailleurs heureusement souvent le cas, de formuler des compétences termi-
nales en termes de « réagir de manière critique à… », ou « produire un écrit de
type argumentatif… ». Ce sont là les compétences qui relèvent de l’outillage
de profondeur (voir en 3.3.1). La pédagogie de l’intégration offre donc un
cadre tout à fait adéquat pour développer ce type de contenu privilégié qu’est
l’apprendre à penser. Elle est donc à voir comme une auberge espagnole,
dans laquelle ce qu’on en retire est fonction de ce qu’on y met, comme
contenus et comme objectifs.
Il ne s’agit donc évidemment pas d’introduire une compétence « appren-
dre à penser », qui est, bien sûr, de nature transversale33. Il ne s’agit pas
non plus de plaquer un énoncé « apprendre à penser » dans le noyau des
compétences évaluables, au sens de la pédagogie de l’intégration, puisque
cet énoncé ne répond pas aux caractéristiques d’évaluabilité et de lien avec
des familles de situations. L’enjeu est d’introduire la dimension « apprendre à
penser » au sein du noyau des compétences évaluables, tout en gardant une
32. Cette idée est surtout véhiculée par ceux qui prétendent que l’APC à l’école n’est qu’une
pâle réplique, voire même une reproduction servile, du mouvement des compétences qui
s’est développé dans l’entreprise privée.
33. Une compétence transversale, ou plutôt, comme disent les Suisses, une capacité
transversale.
232 La pédagogie de l’intégration
formulation conforme aux principes méthodologiques de la pédagogie de
l’intégration (voir en 4.1.8). Ce serait par exemple le cas d’une compétence
en Histoire, qui, au-delà de la compétence de lire des événements actuels à
la lumière des événements passés, amène l’élève ou l’étudiant à adopter une
position critique face à ces événements actuels. Dans certains pays, c’est une
gageure de développer de telles compétences, sur le plan politique (remettre
en question le pouvoir en place est dangereux) comme sur le plan cognitif
(former à une position critique argumentée demande du temps).
3.3.4 Le recentrage des contenus dans l’« apprendre à penser »
L’amoncellement des contenus dans les programmes d’études – et en par-
ticulier l’amoncellement des contenus-matières –, ne pose pas uniquement
un problème d’organisation pour l’enseignant. Ou plutôt ce problème d’or-
ganisation en cache un autre, qui est un problème de fond : le manque de
temps pour aborder l’ensemble des contenus-matières amène les acteurs –
enseignants et apprenants – à des arbitrages qui vont souvent dans le sens
de privilégier l’outillage commun par rapport à l’outillage de profondeur, qui
exige plus de temps et d’énergie.
Le schéma suivant représente ce déplacement.
Ce que l’école
Outillage Ce que l’école
commun
gère aujourd’hui
gérait hier
(de surface)
Outillage
de profondeur
Figure 55. Comparaison entre la proportion d’outillage commun
et d’outillage de profondeur gérés dans les apprentissages
Autrement dit, les savoirs et les savoir-faire à plus court terme, plus « ren-
tables » pour l’enseignant ou le formateur, sont privilégiés par rapport à un
outillage de profondeur, plus long à installer, cela d’autant plus que l’accès
universel à la connaissance, à travers Internet, entretient cette illusion que
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 233
cette connaissance peut suppléer les autres types d’acquis. De manière plus
générale, il semble que le recours aux technologies de l’information et de la
communication (TIC) – sans doute inévitable, mais souvent mal compris et
utilisé – contribue à ce déplacement progressif, sans que son apport ne soit
aujourd’hui formellement reconnu comme déterminant pour l’éducation des
élèves34.
Conscients de cette dérive, les systèmes d’éducation et de formation
essayent tant bien que mal de surmonter le problème en proposant de « se
recentrer sur les apprentissages de base ». Encore faut-il savoir comment s’y
prendre.
La pédagogie de l’intégration propose pour sa part de s’y prendre en
deux étapes. Une première réponse est une réponse en termes d’élagage :
« élaguer, c’est se centrer sur les ressources importantes, à savoir celles qui
sont constitutives des compétences ». Une deuxième réponse tient dans cette
réflexion approfondie sur les types de contenus à privilégier.
Que dit la pédagogie de l’intégration de l’élagage des contenus-
matières ?35
Comme nous l’avons déjà affirmé à maintes reprises, la pédagogie de l’in-
tégration est loin de nier le rôle des contenus-matières. Au contraire, sans
eux, elle n’aurait pas de sens, elle tournerait à vide. Mais elle porte un autre
regard sur les contenus-matières : elle pose la question de la pertinence de
ceux-ci, au vu des compétences à développer. Autrement dit, un contenu-
matière ne sera jugé pertinent que s’il contribue à installer la compétence.
Illustrons cette idée par quelques exemples.
EXEMPLES
• En langue, la compétence de faire face à une famille déterminée de
situations (comme par exemple les compétences liées aux situations
appartenant à des thèmes donnés, les tâches domestiques, ou encore
les voyages…) va mobiliser un certain répertoire lexical, correspondant
à cette famille, voire même un certain type de structures de phrases.
D’autres élagages sont possibles, comme par exemple, au niveau lexical,
des noms de vêtements peu utilisés ou désuets ; au niveau grammatical,
des formes verbales qui font exception mais sont très peu utilisées (on
fait encore étudier de longues listes de temps primitifs de verbes que les
élèves ont très peu de chances de rencontrer), etc.
• En mathématiques, si l’on développe la compétence de faire face à
des situations-problèmes qui font appel aux fractions, il est utile de tra-
vailler sur certains contenus-matières tels la comparaison de fractions,
34. « Trois décennies de travaux sur le sujet, aussi bien en France qu’à l’étranger, font apparaître
des résultats nuancés sur l’efficacité des TIC, voire même contradictoires dans certains cas »
(Poyet, 2009) ; voir aussi Fuchs & Wößmann (2004).
35. Roegiers (2000 ; 2e éd. 2001).
234 La pédagogie de l’intégration
la transformation de fractions en nombres rationnels, ou encore la mul-
tiplication d’une fraction par un nombre, mais il est inutile de dévelop-
per le contenu-matière « addition de fractions » dans la mesure où rares
sont les situations de vie qui rendent incontournable l’addition de deux
fractions36.
• Dans un cours de sciences, si la compétence est de dégager les condi-
tions favorables pour la plantation des graines dans un milieu donné,
on mettra l’accent surtout sur la relation entre des caractéristiques d’un
milieu (température, lumière, humidité…) et celles de la croissance de
différentes plantes, mais il sera inutile d’encombrer l’élève avec des
connaissances relatives aux différentes parties de la fleur.
Cet « élagage » des contenus-matières est d’autant plus important dans l’en-
seignement obligatoire (primaire et collège37), où il s’agit avant tout de déve-
lopper des « compétences de base », et où tout contenu superflu détourne les
élèves – en particulier les moins avancés – de l’essentiel.
Il ne faut pas non plus aller trop loin dans ces élagages, en ne maintenant
strictement que ce qui est utile, ceci pour les raisons suivantes :
– rappelons tout d’abord que le développement d’une quantité suffisante
de ressources est indispensable : sans lui, l’exercice des compétences n’a
pas de sens, et provoque la dérive de la « coquille vide » ;
– ensuite, il est important de garder différents contenus qui visent à déve-
lopper chez les apprenants une identité, une culture (voir ci-dessus) ;
– il faut également penser aux activités de perfectionnement, pour nour-
rir les apprenants qui sont plus rapides ; toutefois, il ne faut pas que
ces activités de perfectionnement permettent à ceux-ci de prendre de
l’avance sur d’autres, parce qu’on creuserait alors les écarts : pour éviter
cet écueil, on peut penser par exemple à des activités plus créatives ;
– enfin, rappelons qu’il est important que l’enseignement et la formation
puissent également outiller les élèves et les étudiants à long terme, dans
la perspective de l’« apprendre à penser » que nous avons développée
ci-dessus, et de développer des contenus qui s’y rapportent.
Une réflexion sur l’équilibre entre les différents contenus
La réponse de l’élagage est la réponse actuelle de la pédagogie de l’intégra-
tion à la surcharge des contenus-matières. C’est une réponse claire, simple,
efficace, mais elle présente un inconvénient majeur : elle postule que les res-
sources sont définies une fois pour toutes.
36. La plupart du temps, une addition de fractions peut se transformer en une addition de
grandeurs. Par exemple, 1/2l + 1/4l = 50cl + 25 cl = 75cl.
37. Secondaire inférieur.
Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 235
Très souvent, les ressources constituent le point de départ de la définition
du noyau de compétences évaluables, et exercent par là une influence déter-
minante sur les énoncés des compétences. Et c’est légitime, surtout dans la
mesure où la pédagogie de l’intégration constitue un cadre méthodologique
d’ingénierie curriculaire, et clame son respect des contenus-matières véhicu-
lés dans les programmes d’études.
On peut toutefois se demander si ces contenus sont de véritables ressour-
ces au service des compétences, ou si au contraire les acteurs n’utilisent pas
les compétences pour légitimer des ressources qu’ils sont habitués à dévelop-
per, ou à légitimer des ressources que des cadres de référence nationaux ou
internationaux, ou encore les manuels scolaires, promeuvent.
Ne faut-il pas dès lors aussi effectuer un travail sur ces contenus que l’on
développe à l’école, à l’université et en formation, et être plus ambitieux sur
ce plan-là : analyser quelles ressources renforcer, lesquelles ajuster, lesquelles
réorienter, en particulier à la lumière de cet équilibre entre le triple outillage
que nous avons évoqué ci-dessus ?
C’est une question à laquelle nous n’hésitons pas à apporter une réponse
positive. Il faut élaguer les contenus-matières, certes, mais aussi provoquer
une réflexion approfondie sur les ressources qui sont véhiculées dans l’ensei-
gnement et dans la formation.
236 La pédagogie de l’intégration
3.4 UNE SYNTHÈSE DES DIFFÉRENTS NIVEAUX D’OBJETS
D’APPRENTISSAGE ET D’ACTIVITÉS DE L’APPRENANT
La synthèse suivante reprend les différents niveaux d’objets d’apprentissage
et d’activités de l’apprenant que nous avons développés dans ce chapitre.
Objet de l’apprentissage Activité de l’apprenant
Savoirs Savoir-faire 1. Niveau de l’appropriation
S1 S2 S3 SF1 SF2 SF3 des contenus-matières
(ressources)
Capacités
générales
Exercice SF1 Exercice SF2 2. Niveau des exercices
SF1 x contexte SF2 x contexte
3. Niveau des applications
= application 1 = application 2
Capacités transversales, savoir-être,
capacités psychosociales
4. Niveau de la mobilisation
(SF1 + SF2) x en situation : paliers de
contexte = compétences, savoir-
PC12 faire professionnels…
Compétence 1 = (S1 + S2 + SFC12 = 5. Niveau de la mobilisation
SF3 + CT1 + CT2…) x Situations 1a, 1b… en situation complexe
Maîtrise d’un noyau de
Compétences relevant de Compétences relevant
compétences évaluables
conceptuelles
l’outillage de profondeur de l’outillage d’action
(profil de sortie)
Capacités
Expertise = compétence de
profondeur et d’action exercée 6. Niveau de l’expertise
de manière intuitive et globale
Figure 56. Schématisation des différents objets d’apprentissage et activités de l’apprenant
selon la vision de la pédagogie de l’intégration
Le niveau 6, celui de l’expertise, ne relève pas de l’apprentissage formel, à
l’école, à l’université ou en formation, mais nous le faisons apparaître à titre
de point de repère.
Les principaux concepts sur lesquels
repose la pédagogie de l’intégration
Chapitre 4
Nous développons dans cette partie les principaux concepts sur lesquels
repose la pédagogie de l’intégration :
– la notion de compétence ;
– la notion de situation : situations relatives aux ressources et situations
d’intégration ;
– la notion de famille de situations.
4.1 LE RECOURS AU CONCEPT DE COMPÉTENCE
DANS LA PÉDAGOGIE DE L’INTÉGRATION
4.1.1 Une première approche de la compétence
Ce qui caractérise en premier lieu la compétence, c’est qu’elle mobilise diffé-
rentes ressources, en particulier les capacités et les contenus-matières.
238 La pédagogie de l’intégration
EXEMPLE 1
Pour une infirmière, être compétente dans le cadre de soins prodigués à un
patient implique par exemple de mobiliser les ressources suivantes :
– entretenir une communication fonctionnelle avec le patient, veiller à
répondre à ses attentes ;
– analyser les données de la situation clinique, déterminer les objectifs de
soins à l’égard des diagnostics
– définir un plan d’interventions selon un ordre de priorités ;
– effectuer dans un délai requis et correctement les actes techniques (faire
un lit, faire une piqûre…) ;
– échanger les informations pertinentes avec l’équipe pluridisciplinaire
(médecins, infirmières, kinés…) ;
– se poser des questions sur ce qu’elle fait, évaluer la qualité de son travail
et l’atteinte des objectifs de soins ;
– assurer le suivi thérapeutique et l’accompagnement psychologique du
patient, effectuer le relais en cas de transfert, etc.
La complexité de la situation de soins exige ainsi une variété des ressour-
ces mobilisables (savoir-faire cognitif, savoir-faire gestuel, savoir-faire socio-
affectif, savoir-être). Cela implique aussi différents contenus-matières, en
particulier des connaissances (où se trouve l’estomac, quel est l’effet de tel
traitement, en quoi consiste le processus de diagnostic, etc.).
EXEMPLE 2
Pour un enseignant, être compétent pour donner un cours implique de
mobiliser un grand nombre de ressources :
– animer un groupe d’élèves, organiser la classe ;
– être attentif à l’évolution des élèves ;
– organiser des situations d’apprentissage orientées vers un objectif à
atteindre ;
– approfondir, si nécessaire, certains contenus ;
– communiquer avec des collègues sur ce qu’il fait ;
– se poser des questions sur ce qu’il fait, évaluer la qualité de son travail,
etc.
Une infirmière ou un enseignant peuvent avoir appris toutes ces choses
théoriquement, mais être incapables de les appliquer quand ils sont en situa-
tion. Une bonne infirmière n’est pas celle qui peut dire comment on fait une
piqûre, mais celle qui réagit correctement quand elle doit faire une piqûre
à un malade donné (enfant, personne âgée, personne confuse…). Un bon
enseignant n’est pas celui qui peut dire comment il faut organiser une classe,
mais celui qui peut organiser une classe concrètement, en tenant compte des
caractéristiques des apprenants.
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 239
Si la compétence implique de mobiliser des capacités et des contenus-
matières, cette mobilisation ne suffit pas. Elle ne se fait ni de façon abstraite,
ni gratuitement. Elle doit se faire en situation, dans le cadre d’une action
concrète, répondant à un besoin réel.
EXEMPLES
• Dans l’exemple de l’infirmière, développé ci-dessus, la mobilisation de
contenus est relative à la spécificité de chaque cas et n’a donc de sens
que par rapport aux différentes situations auxquelles elle est confrontée,
ici les soins donnés à différents patients dans le cadre d’un hôpital.
• Dans l’exemple de l’enseignant (ci-dessus), cette mobilisation de conte-
nus et de capacités n’a de sens que par rapport à une famille donnée de
situations, celles de mener des apprentissages en classe.
On ne peut être compétent que si on est capable d’intégrer en situation un
ensemble de choses qu’on a apprises. Être compétent pour faire une piqûre,
ce n’est pas seulement repérer un muscle, et piquer au bon endroit, mais
c’est aussi vérifier au préalable si on ne se trompe pas de produit pendant sa
préparation, puis avant l’injection : s’assurer du bon état du muscle, voir si la
personne n’a pas besoin d’être positionnée correctement, d’être rassurée, et
c’est aussi lui faire exprimer sa perception de l’évolution de son état de santé,
c’est lui demander quelques nouvelles de sa famille, c’est lui demander si elle
a besoin d’autre chose…
De même, pour un enseignant, organiser une situation d’apprentissage,
ce n’est pas seulement délimiter un contenu-matière et le transmettre, mais
c’est aussi vérifier des prérequis, partir des représentations des élèves, dif-
férencier un apprentissage, prendre en compte certains aspects affectifs et
psychomoteurs de l’apprentissage, évaluer des acquis, aider au transfert de
ces acquis…
Toute compétence que doit posséder un professionnel ne peut, dès lors,
qu’être envisagée dans une optique d’intégration en situation.
Les compétences ne concernent pas uniquement les professionnels.
Elles concernent également les élèves et les étudiants. Ils doivent eux aussi
apprendre à mobiliser diverses connaissances et capacités en situation :
– plutôt que d’écrire des mots à la suite l’un de l’autre, sont-ils capables
d’écrire des textes qui ont un sens, pour communiquer avec quelqu’un
d’autre ?
– plutôt que d’effectuer des additions ou des multiplications, sont-ils capa-
bles de déterminer quelle opération il faut poser dans un problème
donné, et de résoudre ce problème de façon autonome ?
– plutôt que d’acquérir un grand nombre de connaissances relatives à leur
environnement (en sciences, en géographie…), sont-ils capables d’agir
pour protéger leur environnement ?, etc.
240 La pédagogie de l’intégration
On voit que l’exercice d’une compétence se fait nécessairement dans une
situation d’intégration significative : répondre à un e-mail, résoudre un
problème qui se pose concrètement, agir pour protéger son environnement,
présenter un point de vue argumenté sur un thème d’actualité. La situa-
tion d’intégration permet aux élèves et aux étudiants de montrer qu’ils sont
capables de mobiliser différents acquis de façon efficace, opérationnelle : elle
vise par là à donner du sens aux apprentissages. Cette caractéristique de la
compétence donne d’emblée l’orientation d’un apprentissage en termes de
compétences : plutôt que de se contenter de leur enseigner un grand nombre
de savoirs séparés, il importe donc de les amener à les mobiliser dans des
situations significatives, que ce soit pour :
– réaliser une tâche complexe (production langagière, création d’une
œuvre d’art, pratique d’une activité professionnelle…) ;
– résoudre un problème (disciplines scientifiques…) ;
– produire un réflexion personnelle fondée et contextualisée (sciences
sociales, littérature…).
Ces trois types de compétence se répartissent de manière différente selon le
niveau d’enseignement ou de formation auquel on se situe. Ce tableau donne
les grandes tendances, à titre indicatif.
professionnelle
fessionnalisant
Supérieur pro-
Universitaire
Secondaire
Préscolaire
obligatoire
Formation
Scolarité
Réalisation d’une
+++ ++ + +++ +++ +
tâche
Résolution de
+ ++ ++ + ++ ++(+)
problème
Production d’une
+ +++ + + ++(+)
réflexion critique
Les parenthèses de la dernière colonne signifient que, selon les orientations
concernées, ce sera plutôt la résolution de problèmes qui sera mise en valeur
(disciplines scientifiques) ou la production d’une réflexion critique (sciences
sociales).
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 241
On voit dans ce tableau que, selon le niveau d’études, ce sera davantage
l’outillage d’action qui sera mobilisé (réalisation d’une tâche, résolution de
problème) ou l’outillage de profondeur (production d’une réflexion critique).
4.1.2 Ce qu’est une compétence
Le concept de compétence est donc un concept intégrateur, en ce sens qu’il
prend en compte à la fois les contenus-matières, les activités à exercer (capa-
cités) et les situations dans lesquelles s’exercent les activités.
Selon De Ketele (1996), la compétence est un ensemble ordonné de
capacités (activités) qui s’exercent sur des contenus1 dans une catégorie don-
née de situations pour résoudre des problèmes posés par celles-ci.
Très proche de la définition précédente, cette définition est intéressante
en ceci qu’elle explicite davantage les trois composantes de la compétence :
contenu, capacité et situation.
Compétence = {capacités x contenus} x situations2
= {objectifs spécifiques} x situations
Le Boterf (1995) définit la compétence comme « un savoir-agir, c’est-à-dire un
savoir intégrer, mobiliser et transférer un ensemble de ressources (connais-
sances, savoirs, aptitudes, raisonnements, etc.) dans un contexte donné pour
faire face aux différents problèmes rencontrés ou pour réaliser une tâche ».
L’intérêt de cette définition réside en la notion de ressources : être com-
pétent, ce n’est pas seulement mobiliser des capacités, des connaissances,
mais aussi d’autres types de ressources : des savoirs d’expérience, des auto-
matismes, des raisonnements, des schèmes, etc. Un autre intérêt est le fait
qu’elle évoque une double finalisation d’une compétence : la réalisation d’une
tâche, et la résolution d’un problème.
Perrenoud (1977) apporte à ces définitions un complément intéressant
en termes de stabilisation de la compétence.
« Il n’y a de compétence stabilisée que si la mobilisation des connaissances
dépasse le tâtonnement réflexif à la portée de chacun et actionne des schè-
mes constitués (Perrenoud, 1997). »
La définition suivante combine les avantages des définitions présentées
ci-dessus.
1. Dans le sens de « contenus-matières ».
2. Nous préférons mettre des accolades que des parenthèses, en référence aux conventions
de la mathématique ensembliste, pour bien signifier qu’il s’agit d’un ensemble d’objectifs
spécifiques.
242 La pédagogie de l’intégration
La compétence est la possibilité, pour un individu, de mobiliser de
manière intériorisée et réfléchie un ensemble intégré de ressources
en vue de faire face à toute situation appartenant à une famille de
situations.
Cette famille de situations peut être essentiellement de trois types :
– réalisation d’une tâche complexe ;
– résolution d’un problème ;
– production d’une réflexion personnelle fondée et contextualisée.
Si le concept de compétence est aujourd’hui relativement stabilisé dans la
littérature, la liste des types de familles de situations qui la traduisent est
évolutive : elle est le reflet de l’évolution des valeurs qui guident l’éducation et
la formation. Il y a quelques années, le type de famille de situations mis en
avant aurait peut-être été orienté vers l’autonomie, l’« apprendre à appren-
dre ». Aujourd’hui, ce sont davantage les côtés responsabilisation, citoyen-
neté, réflexion critique, et action qui sont mis en avant (voir en 2.1.1), ce qui
est exprimé à travers le troisième type de famille de situations, relevant de
l’outillage de profondeur (voir en 3.3.1).
EXEMPLE 1 (réalisation d’une tâche complexe)
Remplir une déclaration trimestrielle de TVA d’une petite entreprise soumise
à plusieurs taux de TVA.
EXEMPLE 2 (résolution d’un problème)
Résoudre une situation-problème qui met en jeu des additions et des sous-
tractions de nombres inférieurs à 1000 (soustractions sans emprunt, et addi-
tions avec ou sans report).
EXEMPLE 3 (production d’une réflexion fondée et contextualisée)
Sur la base de la lecture d’un article de presse traitant d’un thème abordé au
cours, l’étudiant doit pouvoir produire un écrit critique argumenté en recou-
rant aux théories et modèles d’intelligibilité présentés au cours.
Commentaires relatifs à cette définition
1. Le terme « possibilité » signifie que la compétence existe chez l’individu
à l’état potentiel. Je suis compétent lorsque je peux, à tout moment,
montrer ma compétence, et pas seulement lorsque je l’exerce dans une
situation déterminée. Quelqu’un qui est compétent pour conduire une
voiture reste compétent au moment où il prend un repas ou quand il fait
un jogging. S’il a les deux jambes dans le plâtre, il reste compétent pour
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 243
conduire une voiture même si, momentanément, il ne peut pas exercer
sa compétence, du fait d’une incapacité physique.
Nous avons déjà parlé de la double facette de la compétence : la conjonc-
tion d’une variété des ressources, qui constituent un potentiel chez la
personne, et la mise en mouvement de ces ressources, qui permet de
l’appréhender concrètement selon la spécificité des situations rencon-
trées (voir en 1.7.2).
Il faut donc bien distinguer la compétence et un exercice particulier de
cette compétence dans une tâche déterminée. Il s’agit alors d’une expres-
sion, d’une concrétisation particulière de la compétence.
2. Ce même terme « possibilité » est également important pour préciser
notre position sur le plan éthique : la compétence est au service de
l’individu. Elle se développe chez lui progressivement de manière à
constituer un potentiel qu’il peut mobiliser lorsqu’il en a besoin. Elle
existe donc indépendamment de la façon dont l’environnement exploite
cette compétence.
Nous nous situons dès lors en rupture très claire avec la conception
généralement admise dans le monde de l’entreprise, où la compétence
est envisagée dans une vision instrumentaliste : essentiellement au ser-
vice de l’entreprise, et envisagée selon une fonction de production, en
vue d’une obligation de résultat.
3. L’expression « de manière intériorisée » évoque le caractère nécessaire-
ment stabilisé de la compétence, ce qui ne veut pas dire que l’on ne
peut pas progresser dans l’exercice d’une compétence. Au contraire,
plus on exerce une compétence, plus on devient compétent. De la même
façon, toute compétence doit être entretenue pour continuer à exister,
c’est-à-dire que l’on peut perdre la compétence si on arrête de l’exercer.
Comme le dit Le Boterf (1995),
« À la différence de la pile bien connue, la compétence ne s’use que si on ne
l’utilise pas » (p. 18).
4. Le caractère « réfléchi » de l’exercice de la compétence renvoie à trois
choses. Tout d’abord, il renvoie enfin à un niveau de conscience des
enjeux de l’exercice de la compétence. Ensuite, il renvoie au caractère
non automatique de la compétence, qui exige de celui qui l’exerce qu’il
reste attentif à tout moment, comme la sage-femme qui, après série de
cent naissances sans problème, peut faire face à un problème grave qui
pourrait survenir : à partir du moment où l’exercice de l’activité possède
un caractère automatique, la compétence se réduit à un savoir-faire. Cette
dimension réfléchie n’existe donc pas seulement dans les compétences
relevant de l’outillage de profondeur, mais aussi dans celles relevant de
l’outillage d’action : l’action dont il s’agit est une action réfléchie.
244 La pédagogie de l’intégration
5. L’expression « appartenant à une famille de situations » (De Ketele,
1996 ; Roegiers, 2000, 2e éd. 2001 ; Beckers, 2002) signifie que la
compétence est délimitée non seulement par les ressources qu’il faut
mobiliser, mais aussi par une catégorie de situations. Être compétent
signifie pouvoir faire face à n’importe quelle situation appartenant à la
famille de situations dont relève la compétence donnée.
On peut reprendre à ce sujet l’image du contour (voir en 1.2.4) : lors-
que l’on sort du contour délimité par la famille de situations (voir chapi-
tre 1), on est dans une autre compétence. Pour reprendre l’exemple de
la conduite de la voiture, on peut être compétent pour conduire une voi-
ture en ville, mais ne pas être compétent pour conduire une ambulance
en ville, qui exige un niveau supérieur d’habileté technique, d’attention
et de gestion du stress.
Nous développerons la notion de famille de situations un peu plus loin.
6. Pour l’exercice d’une compétence, la personne fait appel à des ressour-
ces, à la fois à ses ressources internes, et à des ressources externes. Il est
clair que quelqu’un qui est compétent, c’est quelqu’un qui peut poser de
façon très concrète des démarches actives de recherche de ressources
dans son environnement – des ressources externes –, et les utiliser cor-
rectement. Ces ressources externes peuvent être de différents types : il
s’agit tout d’abord des ressources matérielles nécessaires pour exercer la
compétence (un ordinateur pour une compétence qui requiert l’informa-
tique, une raquette de tennis pour le joueur de tennis, un outil de jardin
pour le jardinier…) ; mais il s’agit aussi de ressources d’un autre type :
des ressources humaines, informationnelles, institutionnelles (un travail
de groupe, une réunion, Internet, etc.).
Il faut cependant être prudent avant d’étendre sans précaution les ressources
évoquées dans la définition aux ressources externes, ceci pour trois raisons :
– une première raison est une raison scientifique : ces deux catégories de
ressources sont d’un autre ordre ; il n’y a pas de mobilisation des res-
sources externes, dans le sens d’une démarche intériorisée, mais une
utilisation de ressources externes : c’est toujours grâce à ses ressources
internes que la personne peut utiliser des ressources externes ; de plus,
celui qui exerce sa compétence n’a pas de maîtrise sur une ressource
externe défectueuse, comme il en a pour les ressources internes ;
– une deuxième raison est pédagogique : il faut éviter de minimiser l’im-
portance des ressources internes, qui sont celles qui nourrissent les com-
pétences avant tout ; par exemple, si le recours à Internet (ressource
externe) permet d’éviter la mobilisation des ressources internes – par
exemple en allant rechercher sur Internet un travail tout fait –, il est
clair qu’il n’y a pas intégration ; sans aller aussi loin, il faut éviter que les
informations contenues dans les supports de la situation d’intégration ne
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 245
prennent le pas sur les savoirs et les savoir-faire relatifs à la discipline, au
risque de déshabiller celle-ci, et de tomber dans la dérive de la coquille
vide que nous évoquions ci-dessus (voir en 3.3.3) ; il importe donc de
rédiger la situation de manière telle que l’élève ou l’étudiant soit obligé de
mobiliser ses ressources internes, en particulier des ressources propres à
la discipline ou au champ disciplinaire concerné, les ressources externes
n’étant – du point de vue du pédagogue – qu’un appoint ;
– une troisième raison est stratégique : valoriser de manière excessive les
ressources externes en éducation et en formation pourrait conduire à
ouvrir plus grande encore la porte à la surconsommation des matériels
didactiques, déjà surabondants.
L’enjeu du recours aux compétences dans les curricula
Comme nous l’avons déjà vu, il existe plusieurs manières de comprendre le
concept de compétence. La pédagogie de l’intégration, à travers la défini-
tion proposée page 242, opte pour une définition de la compétence qui soit
utile aux curricula3. Être utile aux curricula signifie de pouvoir combiner le
complexe et le concret dans un énoncé de compétence figurant dans un
programme d’études.
EXEMPLE
• Ajuster le niveau d’huile dans un moteur (concret mais pas complexe)
• Utiliser des informations de différents types pour agir (complexe mais
pas concret)
• Diagnostiquer une panne sur une voiture diesel (complexe et concret).
Les caractéristiques d’une compétence
Une compétence peut se définir à travers cinq caractéristiques essentielles.
1. Mobilisation d’un ensemble de ressources
Tout d’abord la compétence fait appel à la mobilisation d’un ensemble de
ressources. Ces ressources sont diverses : des connaissances, des savoirs
d’expérience, des schèmes, des automatismes, des capacités, des savoir-faire
de différents types, des savoir-être, etc. La plupart du temps, ces ressources
forment un ensemble à ce point intégré, et elles sont tellement nombreu-
ses, qu’il est difficile d’analyser l’ensemble des ressources mobilisées lors de
l’exercice de la compétence. Tout au plus peut-on établir une liste de res-
sources principales à développer dans le cursus d’études, afin d’organiser les
apprentissages.
3. Et qui rejoint d’ailleurs la définition de nombreux auteurs, comme nous l’avons vu en
4.1.2.
246 La pédagogie de l’intégration
2. Caractère finalisé
Une deuxième caractéristique de la compétence tient en ce que cette mobi-
lisation ne se fait pas gratuitement, fortuitement, scolairement même pour-
rait-on dire. La compétence est inséparable de la possibilité d’agir, le terme
« agir » étant pris au sens large : réaliser une tâche complexe, résoudre un
problème, effectuer une production critique personnelle.
La compétence est donc finalisée : elle a une fonction sociale, une utilité
sociale du point de vue de l’individu qui la possède. L’expression « fonction
sociale » est ici prise dans le sens large du terme, dans le sens de « porteur de
sens » pour l’apprenant (voir en 4.2.5). Les ressources diverses sont mobili-
sées par l’apprenant en vue d’une production, d’une action, de la résolution
d’un problème qui se pose dans son cursus d’étude ou dans sa vie quoti-
dienne, mais qui, en tout état de cause, présente un caractère significatif
pour lui.
Cela ne veut pas dire que toute activité doive être finalisée sur l’exécution
d’une tâche complexe, sur la résolution d’une situation-problème complexe
ou sur une production personnelle critique. En particulier, on voit mal com-
ment, dans l’enseignement secondaire et supérieur, on pourrait développer
exclusivement des compétences, sans prendre en compte le caractère de
développement divergent de capacités que nous avons évoqué en 3.2.3,
d’une manière plus ouverte, et plus en profondeur, qui ne nécessite pas
une traduction immédiate à travers l’exécution d’une tâche concrète, fût-
elle même une production personnelle critique. C’est là que se situe l’enjeu
majeur d’un équilibre entre d’une part un enseignement « généraliste », essen-
tiellement axé sur l’acquisition progressive et aléatoire de connaissances et
de capacités, constituant pour l’élève ou l’étudiant un potentiel très large
susceptible d’être mobilisé dans des situations diverses, et d’autre part un
enseignement plus fonctionnel, plus directement basé sur l’acquisition de
compétences, et donc sur l’apprentissage à pouvoir résoudre certains types
de situations complexes.
Nous avons déjà évoqué cet équilibre en 2.4.4 lorsque nous avons évo-
qué les situations relatives aux ressources et les situations d’intégration, et
que l’on peut représenter par les deux quadrants inférieurs du schéma pré-
senté en 1.9.1. Il est particulièrement sensible dans l’enseignement secon-
daire et dans l’enseignement universitaire, où la question « quelle doit être la
part de l’effort de formation qui doit déboucher sur la résolution de tâches
complexes ? » reste une vraie question.
3. Lien à une famille de situations
La troisième caractéristique tient au fait que cette mobilisation se fait à pro-
pos d’une famille bien déterminée de situations. Une compétence ne peut
être comprise qu’en référence aux situations dans lesquelles elle s’exerce.
Par exemple, la compétence de conduire une réunion de cultivateurs afri-
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 247
cains n’est pas la même que la compétence de conduire une réunion de
cadres d’une grande entreprise d’un pays industrialisé. Ces deux animations
de réunions répondent à des exigences différentes, parce que les paramè-
tres liés à chaque type de réunion sont différents (aspects culturels liés à la
prise de parole, densité des informations, niveau de stress des participants,
modalités de prise de décision…). De même, on peut être compétent pour
résoudre un problème mathématique et ne pas l’être pour résoudre un pro-
blème en physique.
Alors que, pour les capacités, c’est en recherchant la variété de contenus
la plus grande possible, sans limite aucune, et en proposant aux apprenants
des situations les plus variées possibles – que ce soit des situations d’explo-
ration, des situations didactiques, des situations d’intégration – que l’on va
développer une capacité donnée, il en va autrement pour une compétence :
pour développer une compétence, il s’agit de calibrer les situations dans les-
quelles l’élève ou l’étudiant sera appelé à exercer la compétence. Celui-ci est
soumis certes à une variété de situations, et cette variété est nécessaire, mais
il s’agit d’une variété limitée, qui se situe à l’intérieur d’une famille donnée
de situations.
S’il n’y avait qu’une situation dans laquelle on exerçait sa compétence, le
fait d’exercer sa compétence serait de la reproduction pure et simple. À l’op-
posé, définir une compétence à travers un spectre trop large de situations
ne permettrait pas de prononcer la compétence de quelqu’un à un moment
donné.
En 4.3, nous reviendrons sur cette notion de « famille de situations ».
4. Caractère disciplinaire ou interdisciplinaire
Une quatrième caractéristique est liée à la précédente. Alors que les capaci-
tés ont généralement un caractère transversal, certaines compétences peu-
vent avoir un caractère disciplinaire. Cette caractéristique n’est pas liée à la
notion même de compétence (au sens du noyau de compétences évaluables),
qui se prête aussi bien à une perspective disciplinaire qu’interdisciplinaire,
mais à la manière dont les acteurs énoncent en général les compétences, en
tout cas dans le champ de l’enseignement et de la formation. Elle découle du
fait que la compétence est souvent définie à travers une catégorie de situa-
tions, correspondant à des problèmes spécifiques contextualisés, mais aussi
liés à la discipline ou au secteur d’activités, et dès lors directement issues des
exigences de celle-ci.
Certes, certaines compétences appartenant à des disciplines différen-
tes sont parfois proches l’une de l’autre, et sont dès lors plus facilement
transférables.
Par exemple, la compétence de mener une recherche en sciences
sociales n’est pas entièrement étrangère à la compétence de mener une
248 La pédagogie de l’intégration
recherche en sciences. Les grandes démarches sont les mêmes (élaborer un
cadre théorique, procéder à une revue de la littérature, recueillir des infor-
mations…). Toutefois, les compétences restent bien distinctes : un chercheur
en sciences ne peut pas s’improviser chercheur en sciences sociales et vice
versa, non seulement parce qu’il faut mobiliser des connaissances spécifiques
à la discipline, mais parce que les démarches de recherche elles-mêmes sont
différentes.
On ne peut cependant pas généraliser, et affirmer qu’une compétence
possède toujours un caractère disciplinaire. Ce serait dénaturer la réalité. Un
grand nombre de compétences ont un caractère transdisciplinaire, ou inter-
disciplinaire, comme dans les formations professionnalisantes, dans lesquel-
les des compétences disciplinaires peuvent exister, mais où elles sont tou-
jours au service de compétences professionnelles, qui, elles, sont par nature
interdisciplinaires. Enfin, d’autres compétences ont un caractère carrément
« adisciplinaire », comme par exemple la compétence de faire sa toilette, de
faire des courses, ou encore de conduire une réunion avec des collègues de
travail, : non seulement elles ne sont pas liées à une discipline, mais pas non
plus à l’exercice d’un métier.
5. Évaluabilité
Autant une capacité est difficilement évaluable, autant une compétence l’est
beaucoup plus facilement, puisqu’elle peut se mesurer à la qualité de l’exé-
cution de la tâche, et à la qualité du résultat. On ne peut cependant pas dire
qu’une compétence est totalement évaluable au sens strict du terme, parce
qu’on ne l’évalue jamais qu’à travers des situations particulières appartenant
à la famille de situations-problèmes4. On ne peut donc jamais qu’inférer la
maîtrise d’une compétence, à partir de la réalisation d’une performance. Il
n’en reste pas moins qu’on se situe dans des conditions beaucoup plus favo-
rables que quand on veut tenter d’évaluer une capacité.
On évalue une compétence principalement à travers un produit, une
production de l’élève ou de l’étudiant, en se donnant quelques critères : le
produit est-il de qualité, répond-il à ce qui était demandé, comprend-il ne
dimension critique, réflexive, etc. ? Mais on peut également évaluer une com-
pétence en termes de qualité du processus, indépendamment du produit :
rapidité du processus, autonomie de l’apprenant, respect des autres, sont
autant de critères selon lesquels on peut se prononcer sur le processus lui-
même.
Un axe des situations
En référence au schéma proposé en 3.2.3, la compétence se définit donc
surtout sur l’axe des situations, comme le montre le schéma suivant.
4. Nous détaillerons cet aspect en 4.3.
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 249
La compétence 1 pourrait par exemple être celle de « résoudre une
situation-problème en mathématiques en utilisant les quatre opérations sur
les nombres entiers de 0 à 100 », la compétence 2 celle de « résoudre une
situation-problème en mathématiques en utilisant les quatre opérations sur
les nombres décimaux de 0 à 1000 ». Toutes deux font appel aux mêmes
capacités, mais la deuxième y fait appel à un niveau supérieur.
Axe 1
des situations ITÉ
AC
C AP
2
ITÉ
AC
C AP
COMPÉTENCE 2
COMPÉTENCE 1 Famille
des situations 2
3
CITÉ
CAPA
Famille CAPACITÉ 4
de situations 1
Axe du temps
Figure 57. Schématisation des compétences selon un axe des situations
La compétence 1 pourrait aussi être celle de faire le tour de la littérature
sur un sujet donné, ou de faire émerger une hypothèse originale face à un
problème qui se pose dans la discipline. La compétence 2, celle de mener
une recherche d’un type donné. Ce qui les distingue est à la fois le fait que
les situations sont différentes, et que les capacités auxquelles elles font appel
sont différentes, et à un niveau de développement différent.
Chaque compétence, à savoir chaque famille de situations, fait appel à
un « segment de capacités », c’est-à-dire qu’elle concerne un niveau donné
de développement d’une capacité, ni trop faible, ni trop élevé, comme l’il-
lustre le schéma suivant. Ce n’est rien d’autre que le contour évoqué lors du
chapitre 1.
250 La pédagogie de l’intégration
COMPÉTENCE
Famille de
situations Figure 58. Schématisation
de la notion
de « segment de capacité »
S1
S2
On peut affiner ce schéma
« Segments de capacité »
concernés par la compétence en faisant apparaître les
contenus-matières par une
sorte de « pluie » qui vient
rencontrer les capacités.
Axe 1
des situations ITÉ
AC
C AP
2
co
co
co
ITÉ
AC
nt
nt
nt
AP
en
en
en
C
u
u
1
COMPÉTENCE 2
COMPÉTENCE 1 Famille
des situations 2
3
CITÉ
CAPA
Famille CAPACITÉ 4
de situations 1
Axe du temps
Figure 59. Schématisation des contenus, des capacités et des compétences,
en fonction de l’axe du temps et de celui des situations
Chaque croisement d’une capacité et d’un contenu-matière est un objectif
spécifique, représenté par un point noir sur le schéma ci-dessus.
On peut dire que les compétences sont autant d’occasions d’inté-
grer des connaissances, et des capacités à un moment donné de leur
développement.
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 251
La comparaison entre l’installation de capacités et de compétences, mise
en évidence sur ces schémas, montre que l’apprentissage est à la fois un pro-
cessus divergent, au niveau des capacités, et convergent, au niveau des com-
pétences. Les capacités se développent de façon séparée, mais continue, à
des vitesses différentes selon les capacités et selon les individus. Les compé-
tences se développent de façon plus discontinue, mais de façon convergente,
dans le sens où elles constituent des occasions d’intégrer des « moments de
capacités ».
Le tableau suivant synthétise les différences entre une capacité et une
compétence.
Capacité Compétence
1. Possède un caractère universel Est essentiellement contextualisée
2. Se développe selon l’axe du temps Se développe selon l’axe des situations
3. N’est jamais totalement acquise Peut être validée à un moment donné
4. Est en relation avec un ensemble non Est finalisée, en relation avec une famille
limitatif de contenus déterminée de situations
5. Caractère intégrateur pas nécessaire- Mobilisation d’un ensemble intégré de
ment présent ressources, notamment de capacités
6. Spécialisation possible, mais en termes Spécialisation en termes de qualité de
sensoriels, socio-affectifs et cognitifs l’exécution d’une tâche (« performance »)
Tableau 1. Comparaison entre les concepts de capacité et de compétence
Un débat de fond
Ce n’est pas pour des raisons théoriques que nous proposons d’établir la
distinction entre capacité et compétence, mais parce que cette distinction
amène à clarifier des choix pédagogiques. Autrement dit, l’intérêt de la dis-
tinction entre capacité et compétence est de mieux formuler les termes du
débat de fond suivant : que met-on en avant dans un curriculum ? Vise-t-on
avant tout un développement « général » des acquis (orientation « capacités »),
ou oriente-t-on les apprentissages vers la mobilisation des acquis en situation
(orientation « compétences »)5 ?
5. Roegiers (1999).
252 La pédagogie de l’intégration
4.1.3 Ce que recouvre la notion d’« être compétent »
Être compétent en formation professionnelle
En formation professionnelle, « être compétent » se réfère à l’activité profes-
sionnelle. Est compétent en formation celui qui, le mieux, peut anticiper l’ac-
tivité professionnelle pour laquelle il est formé. Parfois d’ailleurs, une compé-
tence unique est définie pour l’ensemble de la formation, quand l’exercice du
métier tout entier peut être embrassé à travers une seule composante. Dans
d’autres cas, ce sont deux, trois ou quatre compétences qui sont formulées
(le noyau de compétences évaluables, voir en 1.3). Elles résultent alors en
général d’un découpage du métier selon les grandes composantes, que l’on
appelle parfois « activités clés » du métier.
Encore faut-il, dans ce cas, assurer le passage entre ce noyau de com-
pétences évaluables et les différents cours qui constituent la formation. Pour
assurer ce passage, c’est la notion de contribution qui est dominante : le
principe de contribution consiste à interroger chaque discipline sur son
apport à chacune des compétences du noyau : certains cours peuvent avoir
une contribution pour une compétence du noyau, d’autres peuvent avoir une
contribution pour deux ou trois compétences du noyau.
EXEMPLE
Dans une formation d’infirmier(ère), la compétence qui consiste à « commu-
niquer de manière fonctionnelle avec un patient » peut mobiliser des savoirs
et savoir-faire, savoir-être venant de cours tels que :
– technique de communication
– déontologie / éthique professionnelle
– sociologie (familiale…)
– psychologie
– langues de communication, etc.
Autrement dit, chacun de ces cours contribue à sa manière à cette compé-
tence de communication fonctionnelle.
Sur un plan méthodologique, il faut toutefois être vigilant en menant ces opé-
rations qui consistent à déterminer la contribution de chaque cours au noyau
de compétences. En effet, l’expérience montre que les acteurs ont tendance
à recourir à un moyen simple, mais pernicieux, qui consiste à répartir la
charge du développement des ressources d’une compétence sur différentes
disciplines : il s’agit de découper ce noyau de compétences en sous-com-
pétences, ou en paliers de compétences suffisamment nombreux pour que
les objectifs des différents cours reviennent à la surface. Souvent, ce n’est
qu’une stratégie des acteurs, une manière déguisée de faire apparaître à
nouveau la logique de chaque discipline, ce qui est compréhensible : tout un
chacun doit se retrouver dans la nouvelle construction. Le problème, c’est
que, ce faisant, on court le risque de perdre cet esprit intégrateur. Ce qu’il
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 253
faudrait faire, dans l’idéal, c’est de partir d’une liste la plus complète possible
des ressources nécessaires pour développer la compétence, en dehors de
toute considération de cours, ou de disciplines. Cette démarche est mani-
festement intéressante, mais il faut reconnaître qu’elle présente un caractère
impitoyable dans le sens où elle révèle que certains cours ne méritent pas la
place qu’on leur a attribuée jusqu’alors, et même que certains cours n’ont
pas (ou n’ont plus) de place dans le curriculum d’une formation.
Il y a donc un équilibre à trouver entre d’une part le fait de garder l’esprit
intégrateur du noyau de compétences, et d’autre part le fait de permettre à
chaque discipline de retrouver son identité dans la nouvelle construction.
En tout état de cause, cette logique de « l’essentiel attendu de l’apprenant »
(noyau de compétences), et le bon sens, devraient éviter que les concepteurs
d’un curriculum ne fassent crouler les enseignants sous une pluie de paliers
de compétences infinitésimaux, ce qui ramène – à tort – l’enseignement sur
le lieu de la formation à une forte centration sur des objectifs spécifiques
(« conception ressources ») et l’éloigne de facto du travail sur les profils de
sortie (« conception compétences »).
À ces acteurs qui ont souvent tendance à privilégier « l’infiniment petit », il
faut donc à tout moment rappeler le sens de la démarche de base : procéder
par unités plus signifiantes (le noyau de compétences évaluables), et mettre
toute l’organisation des apprentissages, à savoir les cours, les disciplines,
l’évaluation… au service de ce noyau de compétences évaluables, au lieu de
les mettre au service d’eux-mêmes.
Être compétent dans l’enseignement général
Cette notion d’« être compétent » prend un autre sens dans l’enseignement
général, caractérisé par le découpage en disciplines. Souvent, ne disposant
pas des moyens nécessaires pour sortir d’une logique disciplinaire – en ter-
mes de qualification des enseignants, de locaux, d’emplois du temps, de
matériel pédagogique, etc. – les systèmes éducatifs ne peuvent pas faire
autrement que de définir certaines compétences à l’intérieur d’une discipline.
Il faut dès lors clarifier ce que signifie « être compétent » dans telle ou telle
discipline. En effet, il ne faut pas penser qu’être compétent signifie la même
chose dans toutes les disciplines. Dans une discipline sera compétent celui
qui pourra résoudre un problème complexe, dans une autre celui qui pourra
créer une œuvre originale, dans une autre encore celui qui, très concrète-
ment, pourra agir sur son environnement. À l’intérieur d’une discipline, le
sens « compétent » peut même prendre plusieurs significations.
Ce sont essentiellement les grandes orientations de la discipline qui
déterminent la nature des compétences que l’on va formuler au sein de cette
discipline6.
6. Les différentes conceptions des principales disciplines scolaires sont détaillées dans un
autre ouvrage (Roegiers, 2003, 2e éd. 2007).
254 La pédagogie de l’intégration
Prenons l’exemple de la littérature. Selon les objectifs que l’on poursuit
en littérature, c’est-à-dire selon la conception que l’on a de l’enseignement de
la littérature, celui qui sera dit « compétent » sera celui qui peut, par rapport à
une œuvre littéraire d’un niveau de difficulté et d’une époque donnés :
– analyser une œuvre littéraire ;
– comparer deux œuvres littéraires ;
– effectuer une recherche visant à présenter l’auteur et l’œuvre, en la resi-
tuant dans le contexte de l’époque ;
– apprécier une œuvre littéraire ;
– produire des éléments d’une œuvre littéraire.
Il est évident que les compétences seront exprimées très différemment selon
la conception que l’on a de quelqu’un qui est compétent en littérature.
En sciences, selon les conceptions, et selon les niveaux d’enseignement,
celui qui sera compétent en sciences sera celui qui peut :
– formuler une hypothèse face à un phénomène nouveau ;
– résoudre un problème lié à la discipline ;
– prendre des mesures, agir sur l’environnement en fonction d’une situa-
tion donnée, comme une situation de pollution.
Dans l’apprentissage d’une langue seconde, on peut poursuivre tantôt l’ob-
jectif de pouvoir réagir à un message oral, tantôt uniquement de réagir à un
texte écrit7.
On voit à travers tous ces exemples qu’il ne suffit pas d’évoquer une sorte
de compétence très générale dans une discipline donnée – ce qui d’ailleurs
n’apporte pas grand chose, il suffit de voir ce que l’on a fait des objectifs
généraux dans la P.P.O. –, mais qu’il faut préciser en quoi consiste cette
compétence.
4.1.4 Compétence et performance
Ensuite, il nous paraît nécessaire de distinguer les concepts de performance
et de compétence. Dans les grandes lignes, on peut dire que la performance
relève du lieu de production de la tâche. Elle repose sur une compétence,
qui, elle, s’acquiert sur le lieu de la formation. Attardons-nous toutefois un
moment sur cette distinction car la confusion que l’on entretient entre ces
deux termes (parfois à dessein d’ailleurs) peut donner de la compétence une
image très négative.
7. Pour d’autres développements, voir Roegiers (2003, 2e éd. 2007).
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 255
Dans le langage scientifique, la performance désigne tout simplement le
fait de réaliser une tâche, c’est-à-dire le fait de passer à l’acte, sans précision
du degré de réussite de cette tâche : c’est l’actualisation d’une compétence,
au sens de Chomski (1968). Mais dans le langage commun, la performance
désigne un degré d’acquisition, un niveau de réussite dans une épreuve : tel
étudiant a réalisé telle performance, tel nageur a réalisé telle performance.
Dans les milieux professionnels en particulier, la performance désigne sou-
vent un niveau d’atteinte d’objectifs professionnels en regard d’une obligation
de résultats, et qui induit cette compétition entre des personnes qui cherchent
à tout prix à être meilleures que les autres. On n’est performant que par rap-
port à d’autres qui le sont moins. La performance ne se mesure qu’à d’autres
performances, elle repousse dans l’ombre celle qui lui est inférieure.
La compétence, au contraire, se mesure en termes de potentiel à accom-
plir des tâches données, que ce soit des tâches de nature scolaire ou profes-
sionnelle. Elle complète d’autres compétences que possède la même per-
sonne, naturellement, par l’expérience acquise ou à travers un apprentissage
systématique. Elle ne fait que mesurer la personne à elle-même. Souvent, la
compétence vient enrichir ce que l’on désigne de plus en plus par le terme
« compétences collectives », c’est-à-dire les compétences que possède une
équipe, un groupe.
Si une recherche démesurée de la performance peut parfois détourner
la personne de la quête d’elle-même, au nom de la loi de l’excellence qui
veut que l’on devienne sans cesse meilleur pour se maintenir en place, la
compétence, au contraire, contribue essentiellement à l’accomplissement de
la personne, à son insertion, sociale ou socioprofessionnelle, dans les milieux
dans lesquels elle est appelée à évoluer.
En particulier, l’idée de « compétence de base », vue comme l’installation
d’acquis de base, mobilisables en situation de façon effective, est le témoin
de cette recherche d’accomplissement. L’enjeu est particulièrement impor-
tant dans les pays pauvres, dans lesquels le fait de conférer aux élèves un
minimum de savoir-faire de base, opérationnels dans des situations couran-
tes, est souvent la seule chance qui leur est offerte d’être reconnus dans la
société, et de pouvoir y trouver une place et un peu de dignité.
4.1.5 Opérationnaliser le noyau de compétences évaluables
Comment nommer les compétences qui constituent le noyau de compé-
tences évaluables ?
Quel nom donner aux compétences qui font partie du noyau de compéten-
ces évaluables, tel que nous l’avons défini en 1.3 ? Compétences (tout court),
compétences de base, compétences terminales, macro-compétences ?
256 La pédagogie de l’intégration
L’idéal serait de pouvoir se passer de tout adjectif, de tout complément.
Si malgré tout, par souci de clarté auprès des acteurs, il fallait choisir un
complément, comment le choisir ? Il y a, dans ce noyau de compétences
évaluables, deux idées :
– l’idée que ce noyau constitue une base indispensable pour passer au
niveau supérieur : on est dans une logique de poursuite des études, dans
un cycle donné ; la notion de compétence de base traduit cette idée : il
s’agit d’une base nécessaire pour continuer les études ;
– l’idée que ce noyau constitue un stade final, pour pouvoir s’orienter, ou
pour pouvoir s’insérer dans la vie professionnelle ; la notion de compé-
tence terminale traduit cette idée.
Ce sont deux idées complémentaires. Soit on en met une des deux en avant,
et on choisit alors le complément qui correspond à l’idée que l’on veut privi-
légier. Soit on veut les mettre toutes les deux en avant, et il faut se montrer
inventif : parler de « compétence terminale de base », soit alors choisir un
autre terme qui traduise les deux idées, comme par exemple le terme de
« macro-compétence ».
Combien de compétences le noyau de compétences évaluables doit-il
contenir ?
Le nombre de compétences sur lesquelles repose un curriculum constitue un
enjeu non négligeable.
À titre de point de repère, l’expérience acquise en pédagogie de l’inté-
gration montre que, dans l’enseignement, il faut éviter de dépasser 2 ou 3
compétences par année et par discipline, et 3 à 5 compétences par année
dans une formation professionnalisante, dans laquelle, le découpage discipli-
naire étant secondaire, on globalise les compétences en grandes composan-
tes de l’exercice du métier.
Au-delà de ce nombre, certaines difficultés et dérives apparaissent :
– on prend le risque de se perdre à nouveau dans les détails d’une longue
liste de compétences restreintes, et de perdre cet esprit d’intégration qui
est essentiel à un apprentissage qui fait sens ;
– on multiplie les outils didactiques, et le temps nécessaire pour construire
des situations d’intégration ;
– il devient plus difficile d’évaluer chaque compétence, et on perd par là la
qualité « évaluable » du noyau de compétences.
Il est important que ces 2 ou 3 compétences assurent un bon recouvrement
de l’essentiel de ce qui est attendu de l’apprenant au terme de chaque année
ou de chaque cycle8.
8. Voir à ce propos l’analogie avec la toiture d’une maison (Roegiers, 2004, 2e éd. 2010).
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 257
Certifier sur des bases raisonnables
Lorsque nous aborderons la problématique de l’évaluation des acquis en ter-
mes de compétences, nous verrons qu’il y a plusieurs façons de prendre en
compte les compétences pour certifier la réussite d’un élève ou d’un étudiant.
Il est important de bien déterminer les seuils de réussite, surtout dans les pays
dans lesquels on tente de diminuer les échecs, qui découragent les élèves et
les étudiants, et qui coûtent très cher au système scolaire. Exiger la maîtrise
de l’ensemble des compétences est trop sélectif ; à l’inverse, prendre comme
seuil de réussite une moyenne calculée sur l’ensemble des compétences ne
garantit pas que les apprenants possèdent les acquis nécessaires pour passer
dans l’année supérieure.
Entre ces deux extrêmes, l’exigence de réussite d’un nombre limité de
compétences – les compétences de base nécessaires pour poursuivre les
études –, semble constituer une solution intéressante.
4.1.6 Compétences de base et compétences de perfectionnement
La distinction suivante est apportée par De Ketele (1996).
Les compétences de base
Comme nous venons de le voir, une compétence de base est une compé-
tence qui doit être nécessairement maîtrisée pour pouvoir entrer sans pro-
blème dans de nouveaux apprentissages qui l’impliquent.
EXEMPLE
• La compétence A « Remplir correctement une déclaration d’impôts »
constitue une compétence de base à un apprentissage à pouvoir soi-
même former des personnes à remplir une déclaration d’impôts (compé-
tence B).
Dans ce cas, la compétence A est vue comme une compétence par ceux qui
doivent l’acquérir, mais comme une ressource pour ceux l’ont acquise et qui
doivent acquérir la compétence B.
Une compétence de base est toujours relative au contexte et au moment de
la formation. Ainsi, « être capable d’écrire le mode opératoire technique de
l’usinage d’une pièce à usiner » est une compétence de base dans le cadre
d’une formation technique, mais non dans le cadre d’une formation géné-
rale, alors que dans celle-ci « écrire un texte informatif dans un ordre logique
pertinent pour le destinataire » sera une compétence de base.
De même, « écrire un e-mail en réponse à l’e-mail d’un ami » est bien une
compétence de base au terme de l’école primaire, mais n’est pas une com-
pétence de base pour les premières années de cette même école primaire.
À une époque où, face à la multiplication des contenus, de nombreux
systèmes d’éducation et de formation souhaitent se recentrer sur des appren-
tissages de base, la notion de compétence de base apparaît comme une voie
258 La pédagogie de l’intégration
qui permet d’identifier de manière plus cohérente ce que sont les apprentis-
sages de base, et ceux qui ne le sont pas (voir en 3.3.4). Nous verrons plus
loin que, même dans un dispositif d’évaluation, le recours à la notion de com-
pétences de base, de compétence essentielle pour la poursuite des études,
apporte des réponses à cette nécessité de recentrage (voir en 5.5).
Plusieurs concepts proches sont utilisés dans la littérature pour désigner
une compétence de base : compétence fondamentale, compétence essen-
tielle, compétence minimale, compétence-socle, socle de compétences…
Tous ces termes signifient que l’on met l’accent sur ce qui est strictement
indispensable sous peine de ne pas permettre les apprentissages ultérieurs.
Ce sont les fondements, ou les fondations, ce à quoi il faut bien prêter atten-
tion et s’attarder pour pouvoir construire par la suite quelque chose de solide.
Peu importe les termes utilisés, l’essentiel est que ces concepts représentent
bien un noyau de compétences évaluables.
Les compétences de perfectionnement
On appelle compétence de perfectionnement, ou encore compétence d’ex-
tension, une compétence qui, dans un contexte et à un moment donné de la
formation, n’est pas strictement indispensable pour la suite des apprentissa-
ges, dans le sens où une non-maîtrise de celle-ci n’implique pas que les élèves
seront incapables de suivre les apprentissages suivants.
Les compétences de perfectionnement sont souvent des compétences
utiles, voire importantes, mais leur non-maîtrise n’hypothèque pas la réussite
de l’élève ou de l’étudiant par la suite.
On peut distinguer deux types de compétences de perfectionnement :
1. Des compétences différentes des compétences de base
EXEMPLES
– produire un texte sur traitement de texte, à l’école primaire ;
– pour développer la compétence « Animer une réunion », il est utile d’être
compétent dans le fait de pouvoir animer une équipe de travail, mais ce
n’est pas strictement indispensable ;
– de façon générale, des compétences qui ne sont demandées que dans
des années ultérieures, mais que l’on peut déjà approcher dans l’année
en cours
– …
2. Des compétences de base, mais poussées à des niveaux de maîtrise plus
élevés que le niveau strictement requis pour la suite
EXEMPLES
– en deuxième année du collège, « Résoudre un problème mathématique
complexe sans utiliser la calculatrice », alors que, dans la compétence de
base, il est permis d’utiliser la calculatrice
– « Produire un texte argumentatif d’une page en situation de communica-
tion », en deuxième année du collège.
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 259
La formation est un processus cumulatif et intégrateur. Ainsi, une compé-
tence de perfectionnement, dans un contexte précis et à un moment donné,
peut devenir une compétence de base dans un autre contexte ou plus tard.
Par exemple, la résolution de problèmes nécessitant des opérations sur les
nombres relatifs est une compétence de perfectionnement au terme de l’en-
seignement primaire, mais elle deviendra une compétence de base dans l’en-
seignement secondaire.
Ceci montre l’importance d’associer toute compétence du noyau à un
niveau d’études déterminé. Si ce n’est pas le cas, on retombe dans les pro-
blèmes consécutifs aux énoncés généraux.
4.1.7 L’objectif terminal d’intégration
Un autre concept fondateur de l’intégration des acquis est celui d’objectif
terminal d’intégration.
Dans certains cas, on peut aller encore plus loin dans le caractère intégré
des apprentissages.
On rejoint là le concept d’objectif terminal d’intégration (OTI), au sens
de De Ketele & al (1989)9. Bien que cette appellation soit équivoque, dans la
mesure où elle évoque davantage la PPO que la pédagogie de l’intégration10,
l’objectif terminal d’intégration n’est rien d’autre qu’une compétence d’un
niveau supérieur, qui couvre plusieurs compétences. Comme toute compé-
tence, celle-ci s’exerce dans une situation d’intégration. Le terme « terminal »
signifie qu’il vise à établir la synthèse de toute une année ou de tout un
cycle.
Voici quelques exemples d’objectifs terminaux d’intégration.
EXEMPLE 1
En formation professionnelle de mécaniciens
Objectif terminal d’intégration
Au terme de la formation, le futur mécanicien devra pouvoir diagnosti-
quer et réparer une panne sur un moteur diesel ou à essence (moteurs
sans électronique).
9. La définition complète que donne De Ketele de l’objectif terminal d’intégration est proposée
un peu plus loin, en 4.1.
10. Ce qui est source d’incompréhension de cette notion pour certains acteurs, qui dès lors la
rebaptisent « macro-compétence », ou encore « compétence terminale d’intégration ».
260 La pédagogie de l’intégration
EXEMPLE 2
En sciences (primaire)
Objectif terminal d’intégration
Au terme de la deuxième année primaire, l’enfant devra pouvoir faire
face à une situation relative à son environnement immédiat, et qui fait
appel :
– à la distinction entre ce qui appartient au monde animal, au monde
végétal ;
– à l’identification des membres de sa famille ;
– à la structuration de son village ou de son quartier ;
– à la structuration des saisons.
EXEMPLE 3
En Histoire (enseignement secondaire)
Objectif terminal d’intégration
Au terme de la quatrième année de l’enseignement secondaire, face à
une situation actuelle (le chômage, la naissance d’un État fédéral…), que
l’enseignant lui propose, l’élève devra pouvoir identifier les facteurs prin-
cipaux qui, dans l’histoire du pays depuis le XVIIe siècle, ont influencé de
près ou de loin cette situation, et expliquer la contribution de chacun de
ces facteurs.
Dans une formation professionnelle, la situation d’intégration est tout sim-
plement une situation similaire à celle que l’apprenant pourrait rencontrer
dans la vie professionnelle. Cette notion prend donc tout son sens.
En revanche, dans l’enseignement général, ou dans l’enseignement
supérieur, l’expérience a montré qu’il n’est pas toujours utile ni pertinent de
définir un objectif terminal d’intégration : d’une part, il a souvent un carac-
tère artificiel, et d’autre part, de par son caractère « macro », il se prête sou-
vent mal à l’évaluation. Il vaut mieux travailler sur un noyau de compétences
évaluables (2 ou 3) que sur un OTI et un noyau plus large de compétences
évaluables. Il s’agit là d’une évolution significative de la pédagogie de l’inté-
gration, puisque les premiers écrits relatifs à la pédagogie de l’intégration
mentionnaient un nombre plus important de compétences (5 ou 6)11.
En résumé, on peut dire que, si le concept d’objectif terminal d’intégra-
tion est un concept symboliquement important dans la pédagogie de l’in-
tégration, parce qu’étant le concept mobilisateur du début de son histoire,
il convient de le manier avec prudence quand il s’agit de l’opérationnaliser
dans un curriculum. L’expérience montre que, la plupart du temps, il vaut
même mieux s’en passer.
11. Roegiers (2000, 2e éd. 2001), page 74.
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 261
4.1.8 Formuler une compétence
Nous avons vu que le concept de compétence prête parfois à confusion : on
lui donne tantôt le caractère très général, voire même transversal d’une capa-
cité, tantôt le caractère étroit d’un objectif spécifique. L’enjeu d’une formu-
lation correcte d’une compétence est loin d’être un enjeu de type formaliste.
Il est simplement de garantir que ce que l’on déclare être une compétence
est en réalité une compétence. Autrement dit, il faut dimensionner l’énoncé
d’une manière telle que cet énoncé soit bien celui d’une compétence, et non
d’une capacité ni d’un objectif spécifique : il doit être suffisamment précis
pour que deux personnes différentes puissent mettre la même réalité derrière
les mêmes mots, tout en conservant son caractère intégrateur avant tout.
C’est le caractère à la fois concret et complexe du noyau des compétences
évaluables.
La première réflexion est celle qui consiste à se demander en fonction
de quoi on va développer les compétences. Nous étudierons deux aspects
relatifs à la définition d’une compétence :
• bien délimiter les contours de ce qui est attendu de l’élève ou de
l’étudiant
• formuler techniquement la compétence de la façon la plus claire
possible
Déterminer ce qui est attendu de l’élève ou de l’étudiant
Il s’agit tout d’abord de déterminer la compétence précise que l’on veut déve-
lopper chez l’apprenant.
Toute compétence étant liée à une famille de situations, elle dépend
essentiellement de deux aspects liés aux constituants de situations.
1. Le type de tâche qui est attendue de l’apprenant
2. Le type de support et les conditions d’exécution de la tâche
1. Le type de tâche qui est attendue de l’apprenant
Le type de tâche est l’image du type de production que l’on attend de lui :
– en termes de résolution de problèmes (résoudre un problème de tel
type…) ;
– en termes de création nouvelle (produire tel énoncé, tel texte, telle œuvre
d’art…) ;
– en termes d’exécution d’une tâche courante ;
– en termes d’action sur l’environnement (mener tel type d’enquête, lancer
une campagne d’information…) ;
– en termes de production d’une réflexion personnelle, critique et
contextualisée.
262 La pédagogie de l’intégration
EXEMPLE
• En musique, veut-on développer la compétence d’interpréter un mor-
ceau de musique, d’improviser sur un thème donné ou encore de
composer un morceau de musique ? De nouveau, ce sont des types de
compétences très différentes les unes des autres : on peut très bien être
compétent dans l’une et pas dans l’autre.
C’est le type de tâche, en vue d’un produit précis, qui va déterminer la nature
de la consigne que l’on propose à l’élève ou à l’étudiant.
2. Le type de support et les conditions d’exécution de la tâche
Avant de formuler une compétence, il faut également avoir une idée précise
des supports qui seront soumis à l’apprenant, et des conditions dans lesquel-
les il devra exécuter la tâche. En effet, si les variations sont trop fortes, les
situations représentent des compétences différentes.
EXEMPLE
Même à l’intérieur du type de compétence « interpréter un morceau de musi-
que », ce n’est pas la même chose d’interpréter un morceau pour soi ou
devant un public (où le stress joue). Ce n’est pas la même chose de l’inter-
préter avec un orchestre ou sans orchestre. On peut aussi l’interpréter avec
ou sans partition. On peut l’interpréter après avoir eu tout le temps pour se
préparer, ou l’interpréter après avoir jeté un coup d’œil sur la partition.
Les supports, tout comme les conditions d’exécution de la tâche, sont liés
aux paramètres de la famille de situations (voir en 4.3.2).
EXEMPLE
Dans l’exemple précédent, on aurait quatre paramètres selon lesquels il fau-
dra définir la compétence. Par exemple, l’élève devra interpréter un mor-
ceau de musique :
(1) devant la classe ;
(2) avec un petit orchestre ;
(3) avec partition ;
(4) en ayant eu le temps de se préparer.
Outre les facteurs liés au produit, des facteurs liés au processus peuvent
jouer. Il s’agit essentiellement des contraintes que l’on impose, par exem-
ple, pour être certain que l’on mobilise certains acquis (certains contenus-
matières, certaines démarches, certains savoir-faire…), que la situation soit
conforme au type de paramètres envisagés. Dans une compétence, on peut
par exemple demander à l’élève de produire un texte de 10 lignes à l’impar-
fait dans le cadre d’une situation de communication. Le fait que le texte doive
être à l’imparfait est une contrainte liée à l’obligation pour l’élève d’utiliser
des verbes à l’imparfait.
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 263
Ce peut être des contraintes en termes de produits (comme l’exemple
ci-dessus), ou des contraintes en termes de processus, comme par exemple
le fait de ne pouvoir disposer que d’une seule feuille de brouillon pour rédiger
un texte.
Les contraintes révèlent des caractéristiques de situations de la famille
concernée par la compétence à définir ; elles reflètent ce qui est admis,
attendu ou exigé quant à l’univers de ressources, quant à la tâche et aux
conditions de résolution, quant au support, etc. En cela, elles renvoient aux
paramètres de la famille de situations à circonscrire (voir en 4.3.3 la défini-
tion de ce terme).
Parmi ces contraintes12, il y a surtout le matériel dont l’élève ou l’étudiant
dispose pour exercer sa compétence :
– peut-il se servir d’un dictionnaire ? D’un autre ouvrage de référence ?
– dispose-t-il de ses notes personnelles ?
– a-t-il accès à une procédure écrite ?
– peut-il se servir d’un outil déterminé : un compas, une règle, une
calculatrice… ?
Normalement, le matériel dont il peut se servir est l’image du matériel dont
il se servirait quand il sera amené à exercer la même compétence en dehors
du cadre scolaire ou académique. Il peut cependant exister des variantes liées
à la didactisation du processus, c’est-à-dire au caractère « construit » des situa-
tions, en fonction du découpage des compétences que l’on décide d’opérer
à des fins d’apprentissage.
La formulation technique d’une compétence
Une fois que l’on a bien circonscrit la famille de situations, il s’agit de pas-
ser à la formulation technique de la compétence. Les suggestions ci-des-
sous aident à rédiger l’énoncé d’une compétence. On peut utiliser cette liste
comme un guide pour rédiger une nouvelle compétence, ou comme une
« check-list », pour vérifier la formulation d’une compétence.
1. La compétence amène l’apprenant à mobiliser un ensemble d’acquis.
Ces acquis sont intégrés et non additionnés.
2. Elle fait référence à une catégorie de situations (famille de situations),
que l’on peut caractériser de façon précise à travers un ensemble de
paramètres.
3. Elle est significative pour l’apprenant (dans une des directions précisées
en 4.2.5).
12. Que l’on peut également voir comme des ressources absentes, ou, au contraire, présentes
(Roegiers, 1997).
264 La pédagogie de l’intégration
4. Elle donne toutes les garanties pour que la situation d’évaluation soit
toujours nouvelle pour l’apprenant (que ce ne soit pas un savoir-redire
ou un savoir-refaire).
5. Elle est rédigée de manière à être évaluable. En particulier, l’énoncé doit
être suffisamment précis et opérationnel pour que deux enseignants ou
deux formateurs puissent, sans se concerter, proposer une situation de
même niveau pour évaluer les acquis de l’apprenant.
Dans un commentaire qui accompagne l’énoncé de la compétence, il est
souhaitable également de préciser les critères selon lesquels la compé-
tence va être évaluée (voir en 5.2).
6. Elle est d’un niveau adéquat par rapport au curriculum officiel (ou plutôt
au curriculum prévu, tel que nous l’avons défini en 1.1.2).
Il faut notamment éviter que la réflexion en termes d’intégration soit
une occasion de surenchère par rapport à ce qui est prévu dans les pro-
grammes d’études, du moins quand ces programmes ont un caractère
prescriptif prononcé.
Remarques
Le dimensionnement d’une compétence
• Il est souvent difficile de « dimensionner » convenablement une compé-
tence, ceci d’autant plus que les compétences s’emboîtent les unes dans
les autres (par exemple, en hôtellerie, la compétence de préparer un
potage, ou un dessert, est incluse dans celle de préparer un repas com-
plet). Comme nous l’avons vu en 1.3, le point de repère essentiel tient
en un nombre restreint de compétences (de l’ordre de 2 ou 3 par an,
à moduler selon le nombre d’heures/années de la discipline), et de son
caractère adéquat et réaliste par rapport à l’ensemble du programme
d’études. Il s’agit donc plus d’un dimensionnement de type stratégique
ou organisationnel que d’un dimensionnement objectif (à supposer qu’il
existe !).
Les pièges de l’entrée par les contenus
• La difficulté tient également de ce que l’on part souvent des contenus
pour énoncer des compétences, ce qui est loin d’être la porte d’entrée la
plus évidente. C’est par exemple le cas de l’énoncé d’une compétence
en sciences, qui porterait sur les lois de Mendel, ou encore d’une com-
pétence en latin, que l’on essayerait de définir à partir d’un texte traitant
de l’amitié. Aucun des deux n’a de sens. Il est plus facile de partir d’une
logique de tâches, d’activités – qui elles-mêmes découlent de situations
auxquelles l’élève ou l’étudiant doit pouvoir faire face –, et d’articuler
autour de ces tâches les contenus qui conviennent, que de partir des
contenus, et de trouver des tâches qui englobent ces contenus.
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 265
Amener l’élève ou l’étudiant à choisir les outils à mobiliser
• Dans la mesure du possible, il faut essayer que l’énoncé d’une com-
pétence soit « multi-contenus », ou plutôt « multi-outils », c’est-à-dire que
l’apprenant soit invité à sélectionner, parmi un ensemble de contenus /
outils celui qui convient pour résoudre la situation, comme par exemple
dans l’énoncé « Résoudre une situation concrète numérique en choi-
sissant la forme d’écriture algébrique la plus adéquate… ». C’est valable
en particulier pour les disciplines scientifiques, pour lesquelles la difficulté
principale que rencontre l’élève ou l’étudiant est souvent celle de sélec-
tionner la technique, la formule qui convient, alors que, dans le même
temps, il est capable d’utiliser correctement lesdites techniques ou for-
mules dans des exercices ou des applications simples.
Ceci a une implication importante, en tout cas pour les niveaux supérieurs
de l’enseignement (enseignement secondaire, formation professionnali-
sante, enseignement universitaire). C’est que l’étudiant soit clairement
informé des attentes de l’enseignant, à savoir au moins l’énoncé des
compétences, et les critères d’évaluation, pour que lui aussi ait un rôle
d’acteur, au lieu d’être maintenu dans une relation de dépendance. On
tend souvent à sous-estimer l’importance de cet aspect.
4.1.9 Organiser et planifier les apprentissages
en termes de compétences
La notion de compétence est une notion très opérationnelle, en particu-
lier lorsqu’il s’agit de la pratiquer dans une situation. En revanche, il n’est
pas toujours facile de délimiter les apprentissages qu’il faut mener pour la
construire progressivement avec les élèves ou les étudiants.
Deux notions sont souvent utiles à ce stade : ce sont les notions de « palier
de compétence » et de « savoir-faire professionnel ».
La notion de palier de compétence
La notion de palier de compétence peut aider à la structuration des appren-
tissages. Les paliers d’une compétence se définissent à la fois par les niveaux
intermédiaires (1) de contenus-matières, (2) d’activités (capacités) à exercer et
(3) de situations dans lesquelles ces compétences doivent s’exercer.
EXEMPLE
• La compétence « Animer un débat au sein d’un groupe de 10 à 15 per-
sonnes » peut constituer un palier pour la compétence « Animer une réu-
nion » qui, en plus de la première compétence, nécessite de pouvoir faire
le lien avec la réunion précédente, veiller à respecter l’ordre du jour,
gérer le temps, synthétiser les décisions prises, etc.
266 La pédagogie de l’intégration
• La compétence « Résoudre une situation mathématique significative pour
l’élève, mettant en œuvre les opérations fondamentales et les pourcenta-
ges sur des nombres entiers » est un palier de la compétence « Résoudre
une situation mathématique significative pour l’élève, mettant en œuvre
les opérations fondamentales et les pourcentages sur des nombres
rationnels »
• Pour un apprenti mécanicien, la compétence « Diagnostiquer une panne
sur un moteur diesel » constitue un palier de la compétence « Diagnostiquer
une panne (sur n’importe quel type de moteur) ».
Dans la pratique, un palier se définit souvent en agissant sur la famille de
situations pour laquelle on réduit le niveau d’exigence :
– moins de contraintes ;
– moins d’opérations à effectuer ;
– moins de données à gérer ;
– champ des situations plus limité ;
– volume plus réduit de la production ;
– etc.
La difficulté est de garder malgré tout un niveau de complexité suffisant : il
ne faut pas qu’un palier de compétence se réduise à une ressource, ou à une
somme de quelques ressources.
Au lieu de travailler sur les situations, on peut aussi travailler sur les
constituants de la compétence, à savoir les objectifs spécifiques : on définit un
palier en regroupant un ensemble d’objectifs spécifiques qui la composent.
On ne peut cependant pas prendre n’importe quels objectifs spécifiques pour
en faire un palier. Un palier n’est pas un ensemble théorique d’objectifs spé-
cifiques. Pour qu’il y ait palier, il faut que l’on ait un ensemble qui puisse être
mobilisé au sein de situations significatives.
La notion de savoir-faire professionnel
On ne passe pas directement d’un ensemble de ressources élémentaires
à une compétence. C’est une vue de l’esprit. Dans le secteur de l’hôtelle-
rie, entre le savoir-faire micro « Poser une fourchette au bon endroit à côté
d’une assiette » – qui est de l’ordre du geste élémentaire – et la compétence
« Assurer le service en salle pour un repas quatre services et une vingtaine
de clients » – qui est de l’ordre du savoir-agir réfléchi – il y a un ensemble de
niveaux de savoir-faire qui correspondent à autant de niveaux intermédiaires
entre ces deux énoncés. On peut qualifier ces différents niveaux de savoir-
faire professionnels.
Ces niveaux intermédiaires relèvent à la fois d’un certain niveau de
contextualisation, et d’un niveau de combinaison des savoir-faire : ce sont les
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 267
deux ingrédients de la complexité. Par exemple, le savoir-faire professionnel
« Prendre les commandes » fait davantage appel à un degré élevé de contex-
tualisation qu’il ne recourt à une combinaison de savoir-faire élaborés, tandis
que le savoir-faire professionnel « Mettre en place et débarrasser les tables »
sera plus orienté vers une combinaison de gestes techniques.
C’est à ce niveau que se situent les « skills » (voir en 1.9.2) et, de manière
plus générale, les standards : ce sont tous des savoir-faire qui sont plus com-
plexes qu’un savoir-faire élémentaire, mais qui n’ont pas le niveau de com-
plexité d’une compétence.
Paliers de compétence ? Savoir-faire professionnels ? Standards ? Tout
dépend du point de vue selon lequel on se place. Si on se place du point de
vue de l’élève ou de l’étudiant qui construit et organise progressivement ses
ressources, on parlera plutôt de « savoir-faire en situation ». Si on se place du
point de vue du pédagogue qui planifie et organise ses apprentissages, on
parlera plutôt de « palier de compétence ». Si on se place du point de vue du
professionnel de métier, on parlera plutôt de « savoir-faire professionnel ». Si
on se place du point de vue du politique qui cherche l’adéquation entre l’offre
et la demande de qualification, on parlera plutôt de « standard ».
Ici à nouveau, le terme utilisé importe peu. Ce qui importe par contre,
c’est de bien cibler le niveau de complexité que l’on recherche.
Le tableau présenté en 3.4 illustre la place qu’occupe cette notion par
rapport à d’autres notions.
4.2 LES SITUATIONS DANS LESQUELLES S’EXERCENT
LA COMPÉTENCE
Nous avons vu qu’une compétence se définissait à travers la mobilisation
de plusieurs ressources pour faire face à différentes situations significatives
issues de la même famille (voir page 242).
La notion de situation est centrale.
Nous allons détailler ci-après les trois éléments présentés ci-dessus rela-
tifs aux situations qui sont associées à la compétence.
(1) situations
(2) significatives
(3) issues de la même famille
4.2.1 Ce que l’on entend par « situation »
Le concept de situation est une notion d’usage courant qui désigne les rela-
tions entre une personne ou un groupe de personnes et un contexte donné,
à savoir l’environnement dans lequel se réalise une activité ou se déroule un
événement.
268 La pédagogie de l’intégration
Il convient tout d’abord d’établir deux distinctions :
– les situations de formation et les situations-problèmes ;
– les situations-problèmes réelles et les situations-problèmes construites.
Situations de formation et situations-problèmes
Il faut tout d’abord apporter une distinction entre :
– ce que, dans le monde de l’enseignement ou de la formation, on entend
par « situation de formation », qui renvoie aux interactions entre l’ensei-
gnant et des élèves, entre le formateur et des étudiants : une discussion,
un exposé, une évaluation…
– et ce qu’on entend par « situation-problème » ; par situation-problème, ou
encore « situation complexe », il faut entendre un ensemble contextualisé
d’informations à articuler, en vue d’exécuter une tâche déterminée, dont
l’issue n’est pas évidente a priori ; on y trouve d’une part la notion de
situation qui évoque un contexte particulier, et d’autre part la notion
de problème (Poirier Proulx, 1999), avec un obstacle, et une tâche à
accomplir, à partir d’informations à articuler ; une situation-problème est
donc un ensemble contextualisé d’informations à articuler en vue d’une
tâche déterminée13 ; cet ensemble contextualisé d’informations est pré-
paré par l’enseignant ou le formateur, et résolu par les apprenants.
Autrement dit, la situation de formation est ce que verrait un observateur
extérieur qui observerait un enseignant et ses élèves ou ses étudiants, tan-
dis qu’une situation-problème est un outil que l’enseignant ou le formateur
construit pour un apprentissage.
Prenant en référence cette définition de Roegiers (2000, p. 126) et
après examen d’autres écrits, Scallon (2004, p. 112) propose la définition
générale suivante :
« Par situation-problème, il faut entendre toute tâche complexe, tout projet
qui pose à l’élève des défis, dont celui de mobiliser ses ressources ».
EXEMPLES
• La situation de réaliser la maquette de l’école en utilisant tels maté-
riaux (on donne le plan de l’école) en vue de présenter l’école dans une
exposition
• La situation d’écrire un e-mail à un ami pour l’inviter à son anniversaire
• La situation de trouver des mesures à prendre face à un problème d’en-
vironnement qui se pose
13. Pour plus de précisions sur les notions de situation et de situation-problème, voir Roegiers
(2003, 2e éd. 2007), pages 15 à 46.
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 269
Une situation d’apprentissage d’une ressource peut faire appel ou non à une
situation-problème :
– si, en bureautique, pour faire découvrir une nouvelle fonctionnalité de
l’ordinateur, le formateur répartit les jeunes en des petits groupes de
deux ou trois, et leur pose un défi qui les amène à découvrir les carac-
téristiques de cette fonctionnalité, la situation d’apprentissage de la res-
source fait appel à une situation-problème ;
– si, au contraire, le formateur leur explique la fonctionnalité, et leur pro-
pose ensuite de l’exercer, il s’agit d’une situation d’apprentissage qui ne
recourt pas à une situation-problème.
Situations-problèmes réelles et situations-problèmes construites
Il faut ensuite distinguer les situations-problèmes réelles et les situations-pro-
blèmes construites.
Dans la vie de tous les jours, dans la vie professionnelle, les situations
sont dictées par les événements auxquels on est quotidiennement confronté :
la situation de faire ses courses, la situation d’aller chercher les enfants à
l’école, la situation d’avoir perdu ses clés, etc. On parle de situations de vie.
Dans le cadre scolaire, ou dans le cadre de la formation, une situation pos-
sède souvent un caractère construit dans la mesure où elle prend place dans
une suite planifiée d’apprentissages. Il y aura par exemple moins de données
parasites14 que dans une situation de vie, ou encore les données seront pré-
sentées dans un certain ordre.
4.2.2 Les différents types de situation
Il est tout d’abord important de repréciser que, dans le cadre de l’enseigne-
ment et de la formation, on recourt à deux types de situations (voir en en
2.4.2) :
– les situations relatives au développement des ressources ;
– les situations d’intégration, ou situations « cibles ».
1. Les situations relatives au développement des ressources sont les
situations d’apprentissage auxquelles l’enseignant ou le formateur recourt
pour installer des ressources. Elles sont de trois types :
(1a) les situations d’exploration : ce sont des situations, centrées sur
quelques ressources clés : surtout les concepts intégrateurs (Develay,
1992 ; 3e éd. 2004), les concepts organisateurs (Barth, 1993) ou les
14. Une donnée parasite est une donnée présente dans l’énoncé d’une situation-problème,
mais qui n’intervient pas dans la résolution de cette situation. C’est donc une donnée que
l’apprenant ne devra pas utiliser, mais qui est introduite dans l’énoncé pour l’obliger à
distinguer ce qui est utile à la résolution de ce qui ne l’est pas.
270 La pédagogie de l’intégration
savoirs méthodologiques (Roegiers, 2000, 2e édition 2001) ; l’ensei-
gnant ou le formateur développe ces situations en vue de préparer
le terrain des apprentissages plus systématiques, et recourt pour ce
faire à une situation-problème15 ;
(1b) les situations didactiques : ce sont les situations d’apprentissage qui
visent à installer les ressources ; elles peuvent viser à introduire de
nouveaux savoirs, de nouveaux savoir-faire : selon la personnalité de
l’enseignant, les conditions qui sont les siennes, elles peuvent être
basées ou non sur une situation-problème ; les situations didactiques
peuvent aussi viser à exercer certaines capacités transversales ; elles
sont alors basées sur une situation-problème, puisque les capacités
transversales ne peuvent pas s’enseigner : elles doivent au contraire
se construire progressivement, et s’entraîner au contact de situa-
tions-problèmes complexes diversifiées ; par exemple, on ne peut
apprendre à rechercher ou à traiter de l’information que si on est
confronté à différentes situations qui amènent à le faire ;
(1c) les situations de structuration, qui visent à structurer des notions
vues ; selon les cas, elles peuvent faire l’objet d’une situation-pro-
blème ou non.
On voit donc que, parmi ces situations relatives aux ressources, certaines
peuvent s’accommoder de méthodes pédagogiques qui relèvent du « para-
digme de l’enseignement » (pratiques transmissives…), alors que d’autres
requièrent par nature le recours aux pédagogies de l’apprentissage16. C’est le
cas des situations d’exploration et des situations d’entraînement à certaines
capacités transversales.
2. Les situations d’intégration, ou situations « cibles » sont des situations,
proposées par l’enseignant ou le formateur, que chaque apprenant doit
pouvoir résoudre individuellement, en mobilisant des ressources acquises
lors des apprentissages de ressources. Par nature, elles sont définies par
une situation-problème, puisqu’un élève ou un étudiant ne peut intégrer
que s’il est confronté à plusieurs situations-problèmes complexes. Il y a
donc une congruence très forte entre la situation d’intégration telle que
l’enseignant l’organise, et la situation-problème qui fait l’objet de l’inté-
gration. C’est pourquoi on parle de « situation d’intégration » tout court.
Les situations d’intégration sont étroitement rattachées aux compétences à
développer, et sont donc en lien direct avec le profil spécifique de sortie de
l’élève ou de l’étudiant. Elles constituent pour lui une occasion d’apprendre
15. Pour des exemples, voir en 1.2.2.
16. Ces méthodes actives sont d’ailleurs constitutives de l’approche par compétences comprise
comme un développement de « compétences » transversales.
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 271
à développer la compétence visée. Elles sont aussi pour lui une occasion de
stabiliser les ressources acquises.
Parmi les situations d’intégration, certaines ont pour fonction d’appren-
dre à l’apprenant à intégrer, d’autres sont utilisées à des fins d’évaluation.
Le schéma suivant reprend les différentes situations évoquées ci-dessus,
et montre en quoi certaines recourent plus particulièrement à une situation-
problème.
1. Situations relatives aux ressources 2. Situations
1a. Situations 1b. Situations 1c. Situations d’intégration
d’exploration didactiques de structuration
SP SP
ou ou
Légende
SP SP SP = Situation-problème
Figure 60. Représentation schématique de la part de situations-problèmes
dans les différents types de situations d’apprentissage
Voici quelques exemples de situations d’intégration et de situations didacti-
ques, correspondant à différents niveaux d’enseignement.
Exemples
Exemples
de situations d’intégration
de situations didactiques
(situations « cibles »)
Préscolaire Briefing du matin, jeux de Sur la base d’un support de trois
rôles… pour développer la lan- images qui évoquent des ques-
gue d’enseignement tions d’hygiène, chaque enfant
produit deux phrases en langue
d’enseignement pour dire ce
qu’il pense.
Enseignement Recherche collective sur les Production individualisée d’un
général caractéristiques d’un texte texte argumentatif significatif de
argumentatif telle longueur, sur la base de tel
type de support
272 La pédagogie de l’intégration
Exemples
Exemples
de situations d’intégration
de situations didactiques
(situations « cibles »)
Formation Réalisation par les élèves d’une Stage en autonomie qui fait
professionnelle enquête dans le cadre du cours appel aux cours de pratique
de français pour développer professionnelle mais aussi aux
l’expression orale cours généraux (français…)
Enseignement Cours, travaux pratiques, Mémoire de fin d’études
universitaire recherches en bibliothèque par
les étudiants
La distinction entre situations relatives aux ressources et situations d’intégra-
tion est davantage une distinction conceptuelle qu’opérationnelle. D’ailleurs,
à certains niveaux, et dans certaines formations, les deux types de situations
sont confondus, par la force des choses : par exemple l’élève menuisier va
construire un escalier autant pour apprendre les techniques qui s’y rappor-
tent que pour intégrer les savoirs et les savoir-faire ; il sera même évalué sur
l’objet à travers lequel il apprend les techniques. En effet, il est difficile d’ima-
giner qu’il ait le temps de construire deux escaliers, l’un pour apprendre les
techniques, et l’autre pour intégrer. De même, l’étudiant en architecture va
développer des projets à travers lesquels il va apprendre des savoirs et des
savoir-faire, mais ces mêmes projets vont constituer ce qui est attendu de lui
en fin de formation. Si, en termes de stratégie de changement à l’échelle d’un
système éducatif, il est intéressant de faire la distinction entre les situations
relatives aux ressources et les situations d’intégration, on est donc amené,
dans certains cas particuliers, à ne plus les distinguer entre elles.
Il n’y a aucune norme en la matière. Différents rapprochements pos-
sibles entre des types de situation-problème peuvent se faire : ils sont très
contextualisés à certains systèmes éducatifs, certains établissements d’ensei-
gnement ou de formation, certains enseignants.
Les rapprochements ne jouent toutefois pas entre les situations pour
l’apprentissage de l’intégration, dans lequel l’apprenant a le droit à l’erreur,
et les situations pour l’évaluation certificative. Bien que ce soit parfois dif-
ficile en termes de dispositif concret17, il faut toujours essayer de distinguer
strictement d’une part ce qui est processus d’apprentissage (apprentissages
de ressources, apprentissage de l’intégration, évaluation formative) et d’autre
part ce qui relève de la certification.
17. Voir par exemple le cas de l’apprenti menuisier, ci-dessus.
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 273
Situations relatives aux ressources
À des fins d’apprentissage
de l’intégration
Situations d’intégration
À des fins d’évaluation certificative
Fusion non souhaitable, même à terme
Figure 61. Illustration de l’importance de distinguer la fonction d’apprentissage
et la fonction de certification dans l’exploitation des situations d’intégration
Si les situations d’intégration et les situations relatives aux ressources ont
toutes les deux leur importance dans les apprentissages, et si la pédagogie de
l’intégration leur réserve à toutes les deux une place de choix, elle propose
toutefois de les traiter différemment, en termes de changement curriculaire à
l’échelle d’un système éducatif.
En effet, si le système n’a pas la capacité d’introduire toutes les inno-
vations à la fois, la pédagogie de l’intégration propose une stratégie qui
consiste à amorcer le changement en installant d’abord les situations d’inté-
gration dans les classes et les lieux de formation, ceci pour plusieurs raisons,
dont certaines ont déjà été évoquées en 2.4.4 :
– il est plus facile pour un enseignant d’introduire dans ses pratiques des
situations d’intégration que de modifier de manière durable ses prati-
ques quotidiennes d’apprentissage de ressources ; c’est particulièrement
vrai pour les enseignants qui ont l’habitude de recourir aux pratiques
transmissives ;
– le changement est plus rapide : il suffit de quelques mois pour appren-
dre à pratiquer des situations d’intégration alors qu’il faut plusieurs
années (certains spécialistes parlent de 10 ans, voire davantage), pour
changer durablement ses pratiques didactiques au quotidien ;
– la pratique des situations d’intégration joue un rôle de structurant de
l’ensemble des apprentissages, surtout les apprentissages de ressources,
qu’elle guide et oriente ;
– la pratique des situation d’intégration joue un rôle d’entraînement pour
le changement des pratiques didactiques liées aux ressources : une fois
qu’un enseignant a pris l’habitude de proposer aux élèves des situations
d’intégration, il lui est plus aisé d’adopter ce type de démarche pour
l’ensemble des apprentissages ;
– les résultats d’études semblent montrer que c’est davantage la pratique
de situations d’intégration qui provoque une amélioration des résultats
des élèves que des changements dans les pratiques liées aux ressources
(Roegiers, 2007) ;
274 La pédagogie de l’intégration
– dans la formation professionnalisante, les modules d’intégration sont
bien accueillis par les apprenants, entretiennent leur motivation, concen-
trent leurs efforts, par le fait de révéler le sens des apprentissages, et de
participer réellement à la construction de leur identité professionnelle.
Il s’agit évidemment d’une stratégie de changement progressif à l’échelle
d’un système éducatif. Il ne s’agit en aucun cas de réglementer le change-
ment à l’échelle individuelle et d’effectuer un retour à une position normative
en termes de méthodes pédagogiques : tant mieux si bon nombre d’ensei-
gnants et de formateurs peuvent rapidement faire évoluer leurs pratiques
didactiques au quotidien. Cela relève de leur zone d’autonomie. De même,
il n’y a aucune raison de conseiller le retour en arrière, ou même le statu
quo, à ceux qui sont engagés dans la pratique de situations didactiques au
quotidien. Il faut voir la stratégie d’installation prioritaire des situations d’in-
tégration comme une possibilité offerte à tous les enseignants de mener le
changement de manière graduelle et concrète, dans la classe ou sur le lieu
de formation.
4.2.3 Les caractéristiques d’une situation d’intégration
Précisons quelques caractéristiques d’une situation d’intégration (Roegiers,
2003, 2e éd. 2007).
1. Elle est pertinente, dans le sens où elle correspond bien à la compétence
à évaluer : elle fait strictement partie de la famille de situations de la
compétence.
2. Il s’agit d’une situation complexe, autrement dit une situation qui néces-
site d’articuler plusieurs ressources.
La complexité réside dans l’articulation d’opérations cognitives, de
savoirs, de savoir-faire, et non pas dans le niveau de difficulté. Une tâche
complexe n’est pas la même chose qu’une tâche compliquée. Par exem-
ple, « Double-cliquer », en informatique est un savoir-faire compliqué,
mais il n’est pas complexe. En revanche, « Aller faire des courses en
ville » est complexe, mais ce n’est pas compliqué.
Le niveau de complexité est relatif à un niveau d’enseignement donné.
Une situation qui nécessite de mobiliser 5 ressources peut être complexe
pour un apprenant de 8 ans, et non complexe pour un apprenant de
18 ans.
La situation n’est donc pas uniquement de l’ordre du geste, ne se limite
pas à une tâche élémentaire (comme par exemple appuyer sur le bouton
de l’ascenseur, ou encore prendre une fourchette) : elle nécessite une
mobilisation cognitive, gestuelle et/ou socio-affective de plusieurs acquis
de l’apprenant.
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 275
Cette complexité n’est pas recherchée pour elle-même, elle n’est pas
gratuite : on ne complexifie pas des situations pour le plaisir de les com-
plexifier, mais pour susciter la réflexion de l’apprenant.
3. Elle est spécialisée, ou spécifique18, c’est-à-dire qu’elle mobilise des res-
sources spécifiques au métier, à la discipline, au champ disciplinaire, et au
niveau d’études considéré : le bon sens ne suffit pas pour la résoudre.
Pour celui qui conçoit les situations d’intégration, cela signifie qu’il doit
veiller à ce qu’il soit incontournable pour l’élève ou l’étudiant de mobili-
ser certaines ressources acquises en classe ou en formation.
4. Elle est déroutante, au sens qu’elle est nouvelle, dans son contexte, dans
la présentation de ses informations, dans ses consignes : cela signifie que
l’apprenant ne l’a jamais rencontrée, et qu’elle nécessite une analyse de
sa part. De Ketele insiste notamment sur la nature des informations à
présenter à l’apprenant :
« une situation complexe comprenant de l’information essentielle et de
l’information parasite et mettant en jeu les apprentissages antérieurs (De
Ketele, Chastrette, Cros, Mettelin & Thomas, 1989, p. 100). »
Mais être nouvelle ne suffit pas : encore faut-il que les ressources à mobi-
liser n’apparaissent pas de manière évidente, et que l’apprenant soit
obligé de chercher dans son réseau cognitif quelles sont les ressources
pertinentes à mobiliser. C’est sans doute là l’aspect le plus important de
ce caractère déroutant de la situation d’intégration.
5. Elle est finalisée sur une tâche concrète, c’est-à-dire qu’il y a une pro-
duction attendue, clairement identifiable : un texte, la solution à un pro-
blème, un objet d’art, un objet fonctionnel, un plan d’action, etc. Il arrive
parfois que la situation soit fermée, comme c’est par exemple le cas en
mathématiques. Mais elle est le plus souvent ouverte, c’est-à-dire que
l’élève ou l’étudiant y met une touche personnelle : ce qu’il produit est
inattendu au départ. Précisons que cette production est bien une produc-
tion de l’apprenant : c’est l’apprenant qui est acteur de la situation,
et non l’enseignant.
En formation professionnalisante, cette tâche concrète est naturelle-
ment liée à l’activité professionnelle. Perrenoud (2001) parle de situation
« emblématique » :
« une situation est emblématique si, sous des formes qui varient, elle se
présente assez souvent pour être constitutive et significative du métier consi-
déré, sachant que dans chaque métier, on affronte aussi certaines situations
exceptionnelles, auxquelles la formation n’est pas censée préparer au même
degré » (p. 12)
18. Nous empruntons le terme à Perrenoud (2001).
276 La pédagogie de l’intégration
Dans l’enseignement général, on ne peut pas parler de situation emblé-
matique, puisque la finalité de l’apprentissage n’est pas liée à une activité
professionnelle déterminée. On peut plutôt parler d’une situation repré-
sentative des problématiques que l’on veut amener l’élève à traiter.
6. Elle est orientée, c’est-à-dire qu’elle est porteuse, de manière explicite,
des valeurs que le système vise à véhiculer ; en effet, comme les situa-
tions-problèmes sont des fenêtres ouvertes sur la vie quotidienne de l’ap-
prenant, elles doivent intégrer les valeurs sur lesquelles repose le système
d’éducation ou de formation : citoyenneté, tolérance, respect de l’envi-
ronnement, etc.
7. Elle est motivante pour l’apprenant, c’est-à-dire qu’elle est conçue de
telle manière à maximiser les chances pour qu’elle soit significative pour
lui. Elle fait notamment apparaître une fonction sociale, qui donne la
garantie que la situation ne soit pas purement théorique, ou scolaire.
Exemples de fonctions sociales.
On résout une situation-problème pour :
– résoudre un problème d’environnement ;
– postuler un emploi ;
– trouver une solution à un conflit, etc.
4.2.4 Les constituants d’une situation
Avant de développer les constituants d’une situation, il faut préciser ce qu’on
entend par « la tâche » liée à une situation. La tâche est l’anticipation du pro-
duit attendu. Elle doit refléter strictement l’énoncé de la compétence.
Une situation est composée de quatre constituants : (1) un contexte, (2)
un support, (3) une fonction et (4) une consigne traduisant la tâche deman-
dée à l’apprenant.
(1) Le contexte décrit l’environnement dans lequel on se situe.
(2) Le support est l’ensemble des éléments matériels, virtuels ou réels, qui
sont présentés à l’apprenant : texte écrit, illustration, photo…, et dont
il doit effectuer un traitement pour résoudre la situation. Par exemple,
selon les cas, une illustration peut faire partie du support – s’il y a un trai-
tement à opérer à son sujet –, ou être au contraire purement décorative.
Le support comprend l’information sur la base de laquelle l’apprenant
va agir ; selon les cas, l’information peut être complète ou lacunaire,
pertinente ou parasite.
(3) La fonction, qui précise dans quel but la production est réalisée. La plu-
part du temps, cette fonction est une fonction sociale.
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 277
(4) La consigne est l’ensemble des instructions de travail qui sont données
à l’apprenant de façon explicite. Elle constitue la traduction de la tâche
à réaliser par l’élève ou par l’étudiant. Elle doit être suffisamment claire
pour préciser la forme observable sous laquelle la production demandée
doit apparaître : sous forme écrite ou orale, sous la forme d’un texte ou
d’un schéma, etc.
EXEMPLE
• La situation de réaliser la maquette de l’école en utilisant tels matériaux
(on donne le plan de l’école)
Dans cet exemple :
(1) le contexte serait le contexte scolaire, puisqu’il s’agit de réaliser la
maquette de l’école ;
(2) le support est le plan de l’école que l’on donne aux élèves ;
(3) la fonction serait une fonction d’information (présenter l’école dans une
exposition) ;
(4) la consigne pourrait s’exprimer de la façon suivante : « Voici le plan de
l’école. Réalise une maquette à l’échelle 1/100, en utilisant du carton. » ;
elle traduit la tâche qui est celle de réaliser une maquette.
4.2.5 Le caractère significatif d’une situation
Une situation significative est une situation qui mobilise l’apprenant, qui lui
donne l’envie de se mettre en mouvement, qui donne du sens à ce qu’il
apprend. Elle est relative à la composante conative de l’apprentissage,
c’est-à-dire la composante liée à l’investissement que l’apprenant est prêt à
consentir dans les apprentissages.
Ce caractère significatif de la situation varie très fort d’un niveau d’ensei-
gnement à un autre, d’un contexte à un autre, d’un élève à l’autre. Il présente
donc de multiples visages. En particulier, une situation peut être significative
dans la mesure où :
– elle amène l’élève ou l’étudiant à mobiliser les savoirs en l’interpellant
dans ce qu’il vit, en touchant ses centres d’intérêt du moment ;
– elle lui pose un défi, ou, plutôt, elle est présentée de façon telle qu’il
perçoit un défi à sa portée ;
– elle lui est directement utile, par exemple en le faisant avancer dans un
travail complexe ;
– elle lui permet de mesurer l’écart entre ce qu’il sait pour résoudre une
situation complexe et ce qu’il devra encore apprendre ;
– elle lui permet de contextualiser les savoirs, de mettre en évidence l’utilité
de différents savoirs ;
278 La pédagogie de l’intégration
– elle permet d’explorer les frontières de champ d’application de ces
savoirs ;
– elle renvoie à une réflexion épistémologique sur les savoirs, interpelle sur
la construction des savoirs : comment se sont-ils construits ? Comment
ont-ils été transformés ? Par qui ? Selon quels principes ? Dans quel
but ?19 ;
– elle permet de mettre en évidence les écarts entre la théorie et la pra-
tique, comme les problèmes qui comprennent des données parasites,
des données manquantes, des données que l’on doit transformer avant
d’utiliser, des solutions multiples ;
– elle permet de mettre en évidence l’apport de différentes disciplines dans
la résolution de problèmes complexes.
On voit que le caractère significatif peut apparaître à différents niveaux, liés
aux constituants de la situation. Il peut en effet être lié :
– au contexte, comme par exemple le fait de toucher l’apprenant dans ce
qu’il vit, dans ses centres d’intérêt ;
– à la fonction, comme par exemple le fait de le faire avancer dans un
travail complexe ;
– au support et aux informations, comme par exemple le fait de mettre
en évidence l’écart entre la théorie et la pratique ;
– à la tâche, comme par exemple le fait pour l’apprenant de percevoir un
défi.
C’est donc sur l’ensemble des composantes de la situation qu’il faut jouer
pour conférer à la situation un caractère significatif.
Le caractère relatif de la notion de situation significative
Sans jouer sur les mots, il est plus correct de parler de « situation motivante »
pour l’élève ou l’étudiant, dans le sens où le concepteur doit rester modeste
lorsqu’il conçoit une situation, si significative soit-elle à ses yeux20. En effet,
le caractère significatif d’une situation n’est pas dicté par la situation seule.
Il réside surtout dans le rapport qu’un élève ou un étudiant établit avec la
situation dans laquelle il se trouve : il peut mettre du sens dans une situation
ou non ; il arrive par exemple qu’un élève ne mette pas de sens là où l’en-
seignant en met.
19. Elle peut aussi renvoyer à ce que Develay (1997) appelle une réflexion anthropologique,
dans laquelle on se demande « quelles sont les questions fondamentales auxquelles chaque
discipline répond ? ».
20. Voir aussi Roegiers (2003, 2e éd. 2007), p. 161.
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 279
4.3 LES FAMILLES DE SITUATIONS
4.3.1 La notion de famille de situations
Une compétence se définit aussi par rapport à une famille de situations équi-
valentes21, c’est-à-dire à un ensemble de situations situées à l’intérieur d’un
contour donné.
Rappelons l’image du contour qui avait été développée au chapitre 1.
Contour délimitant la famille de situations
S4
S5
S1
S6
S2 S3
À la fois, ces situations ne doivent pas être trop proches (comme le sont S2
et S6 dans le schéma ci-dessus), et à la fois pas trop éloignées les unes des
autres, comme le serait la situation S5.
Cette notion de famille de situations est importante : si une compétence
n’était définie qu’à travers une seule situation, le deuxième exercice de la
compétence (c’est-à-dire celui qui viendrait après que l’on ait exploité la
situation unique) serait de la reproduction pure et simple. À l’opposé, si les
situations étaient trop éloignées les unes des autres, on ne mettrait pas l’ap-
prenant dans des conditions similaires pour vérifier sa compétence.
Pratiquement, il s’agit – pour le concepteur d’outils didactiques ou pour
l’enseignant – de rechercher quelques situations qui sont équivalentes les
unes aux autres.
Prenons par exemple la compétence de « Conduire une voiture. » Les
situations d’intégration sont les types de parcours différents, à des moments
différents, avec des conditions atmosphériques différentes, avec des densités
de circulation différentes, etc. Dans certains cas, lorsque l’on passe son per-
mis de conduire, on tire au hasard une carte à jouer (de l’as jusqu’au dix de
cœur par exemple), qui correspond à un parcours particulier. Peu importe
le parcours tiré ainsi au sort (la situation), le moniteur d’auto-école cherche
à collecter des informations spécifiques sur la compétence de l’individu à
21. Ce qui traduit l’équivalence des situations ce sont les paramètres qu’elles ont en commun.
Nous expliquons cela plus loin (voir en 5.1.7).
280 La pédagogie de l’intégration
conduire une voiture. Ces différents parcours constituent autant de situations
différentes qui appartiennent à la même famille de situations.
EXEMPLES DE FAMILLES DE SITUATIONS
Par les exemples ci-après, nous montrons comment une famille de situations
peut se décliner à partir d’une compétence donnée. L’énoncé de la compé-
tence est à chaque fois donné entre guillemets. De chaque énoncé découle
une famille de situations.
1. « Résoudre une situation-problème faisant appel aux grandeurs propor-
tionnelles, à la moyenne et/ou aux pourcentages ». La famille de situa-
tions comprend un ensemble de situations-problèmes qui diffèrent par
la contextualisation et l’habillage, mais aussi par les ressources à mobili-
ser (grandeurs proportionnelles, moyenne, pourcentages) ainsi que par
les nombres utilisés. En particulier, l’élève doit déterminer quel type de
notion il doit utiliser pour résoudre la situation-problème.
2. « Produire un rapport de synthèse, destiné à être diffusé dans une revue,
à propos d’un problème d’intégration des jeunes dans le système éduca-
tif, et qui nécessite de recueillir et d’analyser des informations quantitati-
ves (statistique descriptive) »
Exemples de contextes définissant des situations appartenant à cette
famille ou catégorie de situations
– l’adaptation des jeunes dans l’enseignement supérieur
– l’accès des jeunes à l’université
– la répartition des jeunes dans les filières de l’enseignement
secondaire
– l’échec en première candidature…
3. En dessin technique, on peut définir la compétence de « Représenter en
deux dimensions (perspective axonométrique) un objet que l’on voit en
trois dimensions (l’objet est constitué de 12 faces planes maximum, avec
uniquement des angles droits) ». Les situations sont les objets, chaque fois
différents, que l’élève doit représenter en deux dimensions.
4. En chimie, la compétence « Mettre en évidence, à l’aide d’une équation
chimique, les risques que présentent certains produits courants si l’on ne
prend pas des précautions en les utilisant » peut être concrétisée par une
famille de situations qui comprend des situations telles que :
– la raison pour laquelle il faut garder un antibiotique au frigo (dégage-
ment possible d’acide chlorhydrique) ;
– la raison pour laquelle, quand on prépare de la chaux, il faut utiliser
de l’eau froide (risque de se blesser), et il faut essayer de fermer por-
tes et fenêtres quand on repeint une pièce (pour que la chaux soit
bien blanche), etc.
5. « Écrire un article de journal à destination d’un public cultivé (mais non
spécialiste) présentant deux auteurs à comparer ». Pour cette compé-
tence, les situations sont les « paires » d’auteurs à traiter.
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 281
Pour certaines compétences, on arrive à construire une famille de situations
illimitée. C’est le cas des compétences tout à fait ouvertes orientées vers la
production : un texte à produire, une œuvre d’art, etc. Pour d’autres com-
pétences, on n’arrive qu’à délimiter 3 ou 4 situations équivalentes, parce
que ces situations sont limitées de façon naturelle. C’est le cas – assez rare
heureusement – de l’exemple 4 ci-dessus (sauf si on prend des situations dans
la chimie organique, mais alors il s’agit d’une autre compétence, pour un
niveau d’enseignement ultérieur : on sort de la « famille de situations »).
4.3.2 Famille de situations et mobilisation des ressources
À chacune des compétences évaluables sont associées un certain nombre de
ressources : savoirs, savoir-faire, savoir-être. L’ensemble des ressources rela-
tives à une compétence donnée constitue ce que l’on appelle l’univers de
référence des ressources, que l’on organise souvent à travers un « tableau
de ressources » propre à chaque compétence, et donc à chaque niveau.
L’univers de référence des ressources permet de bien cerner celles qui,
parmi elles, peuvent être présentes dans la situation, et celles qui ne peuvent
pas l’être22 : si une situation fait appel à des ressources qui ne sont pas conte-
nues dans l’univers de référence, alors cette situation ne fait pas partie de la
famille de situations.
Une question revient souvent : une situation d’intégration appartenant à
une famille de situations doit-elle mobiliser toutes les ressources relatives à la
compétence, c’est-à-dire toutes les ressources de l’univers de référence ?
La réponse est non, bien évidemment. Il est d’ailleurs impossible, la
plupart du temps, de disposer d’une situation qui mobilise l’ensemble des
ressources qui ont été abordées lors des apprentissages ponctuels de res-
sources : un texte que l’élève produit ne peut pas contenir toutes les formes
de conjugaison, tous les temps, tout le lexique qui a été abordé. Une situa-
tion-problème en Histoire ne peut pas rassembler tous les faits historiques,
tous les concepts qui ont été abordés. Il convient d’en faire une sélection
raisonnable.
Quelle peut être cette sélection ? Comment opérer cette sélection de
manière raisonnable ?
Une manière efficace d’aborder la question serait de délimiter, pour cha-
que compétence, un ensemble de ressources essentielles (par exemple, 5
savoirs, 5 concepts, 5 savoir-faire), dont la maîtrise est requise absolument
de la part de l’apprenant, et un ensemble de ressources complémentaires.
22. À chaque niveau, cet univers de référence reprend les ressources qui lui sont vraiment
spécifiques. Il doit donc permettre de bien cerner ce qui est propre à ce niveau.
282 La pédagogie de l’intégration
Chaque situation pourrait échantillonner de manière différente parmi ces
ressources. Par exemple, chaque situation devrait mobiliser au moins 4 des
5 concepts essentiels, et 3 concepts complémentaires, comme le montre le
schéma suivant dans lequel R représente une ressource essentielle et r une
ressource complémentaire.
Situation 2
Situation 1
r
r
r R
r
R
R r
r
R
R
r
r
r
r
r
Situation 3
Figure 62. Illustration de la manière de sélectionner les ressources principales
dans les situations d’intégration
Toutes les ressources sont donc susceptibles d’être mobilisées, mais il y a
une concentration plus forte de certaines ressources, qui sont les ressources
essentielles, les ressources incontournables.
4.3.3 Des paramètres pour circonscrire une famille de situations
Pour garantir l’équivalence entre les situations, il est important de caractéri-
ser une famille de situations à travers quelques paramètres.
Les paramètres d’une famille de situations sont les caractéristiques que
doivent respecter toutes les situations qui se rapportent à une compétence,
signifiant par là que la situation se situe bien à l’intérieur du contour (voir en
1.2.4).
Les principaux concepts sur lesquels repose la pédagogie de l’intégration 283
Prenons tout de suite un exemple. Dans le cas du permis de conduire,
nous avons vu ci-dessus que, pour déterminer la situation d’examen, l’on tirait
au hasard une carte à jouer parmi dix cartes, correspondant à un parcours
particulier. Il s’agit néanmoins de garantir l’équivalence de ces dix situations.
Pour ce faire, on précise que chaque parcours doit toujours comprendre au
moins certains éléments, comme par exemple un dégagement de carrefour,
une limitation de vitesse et une priorité de droite. Ces caractéristiques com-
munes aux différentes situations sont autant de paramètres de la famille de
situations.
Dans le cadre de l’enseignement et de la formation, des paramètres
pourraient prendre la forme suivante :
– une panne sur tel type de moteur, et dans les limites suivantes (2
paramètres)
– un texte de tel genre littéraire, de tel niveau de difficulté et de telle
longueur (3 paramètres) ;
– un problème mathématique dessiné mettant en œuvre trois opérations
fondamentales (2 paramètres) ;
– une trace historique de tel type et de telle époque (2 paramètres), etc.
EXEMPLE
Dans l’exemple du dessin technique, développé ci-dessus, les situations sont
délimitées à travers trois paramètres :
– les pièces doivent avoir maximum 12 faces ;
– les faces doivent être planes ;
– les angles doivent être tous droits.
Voyons de quelle nature peuvent être ces paramètres.
1. Des paramètres liés à l’univers de référence en termes de
ressources
Les ressources en tant que telles ne sont pas des paramètres, puisque toutes
les ressources reliées à une compétence ne doivent pas nécessairement être
présentes dans chaque situation, comme nous l’avons vu ci-dessus.
Par contre, à partir de cet univers de référence, certains paramètres
peuvent être définis en termes d’exigences posées à l’élève ou à l’étudiant
(ce que l’on attend de lui) :
– le nombre de ressources à faire mobiliser par lui (si tant est qu’on peut
les cerner a priori) ;
– la présence nécessaire de telle(s) ressource(s) (par exemple chaque situa-
tion nécessite la mobilisation explicite du concept de démocratie) ;
284 La pédagogie de l’intégration
– telle combinaison de ressources (par exemple une addition ou une sous-
traction et une multiplication ou une division) ;
– la présence nécessaire de x ressources parmi un univers de référence de
y ressources…
2. Des paramètres liés au contexte de la situation
Exemple :
• une limite dans le choix d’un contexte (uniquement l’environnement pro-
che, le contexte professionnel…)
3. Des paramètres liés à la démarche de résolution
Exemples :
• en mathématiques, le fait que la résolution « expert » nécessite deux éta-
pes, ou trois étapes
• en sciences, en sciences humaines, le fait que la consigne amène l’étu-
diant à se limiter à autant d’étapes de la démarche expérimentale
4. Des paramètres liés aux supports et aux informations
Exemples :
• la nature du support
• la place et rôle des supports
• le nombre de supports
• les types de supports (un texte d’autant de lignes, la présence d’une
photo, ou d’une figure, ou encore d’une photo ou d’une figure…)
• la présence de distracteurs, d’informations parasites (voir en 4.2.1).
5. Des paramètres liés à la tâche et aux conditions de résolution
Il s’agit des paramètres suivants.
• le degré de complexité de la tâche
• le niveau de précision attendu
• le volume de la production
• la possibilité d’utiliser tel outil (dictionnaire, calculatrice, Internet…)
• la durée totale prévue pour la résolution (à utiliser avec prudence)
Certains de ces paramètres peuvent être précisés dans l’énoncé de la com-
pétence, d’autres peuvent faire l’objet d’un commentaire qui accompagne
l’énoncé de la compétence, ceci pour éviter un énoncé de la compétence
qui soit trop long.
Chapitre
La pédagogie de l’intégration
et l’évaluation des acquis
5
5.1 PEUT-ON CHANGER DE SYSTÈME D’ÉVALUATION1 ?
Si, en formation professionnelle, l’évaluation des compétences des élèves, à
travers des situations professionnelles complexes, se pratique déjà depuis un
certain temps, et continue à se développer, il n’en va pas de même à l’école
et dans l’enseignement supérieur, où l’évaluation à travers des contenus-
matières continue à être le modèle dominant.
Pour introduire la problématique de l’évaluation des compétences des
élèves et des étudiants, partons d’une petite étude de cas, dans le monde
scolaire.
Lors d’une épreuve d’évaluation, on soumet à quatre élèves un dialogue
à compléter. Les répliques d’un des deux interlocuteurs sont données,
celles de l’autre sont à compléter par les élèves, à un endroit marqué par
des pointillés. Quatre élèves ont effectué les productions suivantes :
– le premier a répondu en un français correct, sans faute d’orthogra-
phe, mais sa production ne respecte pas les répliques données ;
1. Adapté de Roegiers (2005).
286 La pédagogie de l’intégration
– le deuxième fournit une réponse adéquate aux phrases du dialo-
gue, des phrases bien structurées, mais avec une foule de fautes
d’orthographe ;
– le troisième produit également une réponse adéquate aux répliques
données, sans aucune faute d’orthographe, mais les phrases ne sont
pas bien formées ;
– le quatrième n’écrit pas les répliques à l’endroit des pointillés ; en
revanche, il produit un texte dans lequel, en langage indirect, il
reconstitue tout le dialogue dans un français impeccable.
Lorsqu’on interroge les enseignants sur la note qu’ils attribueraient à
ces quatre élèves, c’est pour le quatrième élève que les notes varient le
plus – entre 0 et 10 sur dix, ce qui est témoin d’un malaise –, mais c’est
également pour celui-là que les notes sont globalement les plus faibles.
Or quand on leur demande auquel de ces quatre élèves ils confieraient
des tâches qui requièrent la maîtrise de la langue, c’est le quatrième que
tous désignent. C’est donc au plus compétent en langue qu’ils attribuent
le moins de points. Ceci illustre le fossé qui existe entre l’école et la
société : lorsqu’ils évaluent, les enseignants accordent souvent plus d’im-
portance à des aspects scolaires de la production (L’élève a-t-il exécuté
ce qui lui est demandé ?), qu’à la compétence de l’élève. Ce n’est pas une
démarche naturelle pour eux d’évaluer les compétences des élèves.
5.1.1 Le fléau des réussites et des échecs abusifs
Les conséquences de ces pratiques sont dénoncées depuis longtemps dans
la littérature. On pourrait les examiner à plusieurs niveaux, comme le niveau
de l’élève, et le sentiment d’injustice vécu par lui. Mais attardons-nous ici sur
deux conséquences importantes, à l’échelle d’un système éducatif ou d’un
système de formation.
Il existe une première conséquence, à court terme : celle de provoquer
des réussites et des échecs abusifs. Autrement dit, des élèves ou des étudiants
« scolaires », mais non compétents, sont déclarés aptes à passer dans le niveau
supérieur : ce sont des réussites abusives. En revanche, des élèves compé-
tents, mais moins scolaires, sont déclarés inaptes à passer dans le niveau
supérieur. Ils redoublent, alors qu’ils possèdent les acquis nécessaires pour
continuer leur cursus ; ce sont des échecs abusifs. Réussites et échecs abusifs
constituent un véritable fléau pour un système d’éducation ou de formation.
Il s’agit là d’un cocktail efficace pour accentuer fortement l’hétérogénéité des
classes, hétérogénéité qui est un des facteurs majeurs qui entravent le travail
de l’enseignant ou du formateur. C’est ainsi que l’école génère elle-même les
maux dont elle se plaint par ailleurs.
La pédagogie de l’intégration et l’évaluation des acquis 287
Une autre conséquence, plus à long terme, et qui concerne surtout la
scolarité obligatoire dans certains pays, est l’analphabétisme fonctionnel (voir
en 2.4.5) : des jeunes qui ont terminé leur cycle primaire n’ont pas les acquis
de base pour se débrouiller dans la vie quotidienne. Quand ils intègrent les
circuits de la formation professionnelle, ils sont souvent bloqués par leurs
insuffisances dans les disciplines de la formation générale, surtout en langue
et en mathématiques.
Ces lacunes se manifestent aussi chez d’autres étudiants, qui sont malgré
tout arrivés à terminer l’enseignement secondaire, mais qui, s’inscrivant à
l’université, présentent des lacunes importantes dans la maîtrise de la langue
d’enseignement. C’est un phénomène qui a fait son apparition il y a une quin-
zaine d’années dans l’enseignement supérieur, et qui gagne en ampleur.
5.1.2 La pédagogie de l’intégration
et l’évaluation des compétences
La pédagogie de l’intégration vise à remédier à ces déficits du système d’éva-
luation, lourds de conséquences pour la société toute entière. Comment ? À
travers une gestion adéquate des situations complexes dans les apprentissa-
ges – situations d’exploration, situations didactiques, situations d’intégration
–, qui sont autant d’occasions pour l’apprenant de mobiliser les savoirs, les
savoir-faire, les savoir-être qu’il a appris aux cours : tout comme c’est en
forgeant qu’on devient forgeron, c’est en résolvant des situations comple-
xes que l’on devient compétent. Cela fonctionne assez bien sur le plan des
apprentissages dans l’enseignement obligatoire, à condition que le dispositif
pédagogique de l’enseignant permette aux élèves de travailler en tout petits
groupes à certains moment, mais seuls aussi à d’autres moments, parce que
c’est individuellement qu’ils devront devenir compétents. Dans l’enseigne-
ment supérieur, les pratiques du travail individuel sur des situations comple-
xes sont mieux acceptées. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elles sont
fréquentes, tant le discours de l’enseignant reste la pratique pédagogie de
loin la plus répandue.
Sur le plan de l’évaluation, il se pose une question importante : peut-on
évaluer la compétence de l’élève ou de l’étudiant ? Il était facile de leur sou-
mettre une liste de questions sur des savoirs (restitution) et sur des savoir-faire
(applications), mais évaluer leur compétence réelle, est-ce possible ?
La réponse est oui, à certaines conditions.
• Tout d’abord, les compétences doivent être rédigées de manière à pou-
voir être évaluées. Par exemple, formuler une compétence sous la forme
« respecter son environnement » ne prête pas à l’évaluation, parce qu’elle
doit s’observer en situation naturelle – en situation « non contrainte »–, au
quotidien. Il en est de même de la compétence « Se soucier de l’environ-
288 La pédagogie de l’intégration
nement du travail », en formation professionnelle, ou « Reconnaître l’im-
portance d’une bonne utilisation de l’information », dans l’enseignement
supérieur. Si on veut évaluer ce type de compétence, il est nécessaire de
les formuler de manière plus restrictive, moins riche sans doute, mais
plus concrète, plus réaliste. Dans le premier exemple, on pourrait la
formuler comme suit « une situation-problème relative au respect de l’en-
vironnement étant donnée, analyser les causes, et proposer des solutions
pour y remédier, en faisant appel aux notions étudiées au cours » : il s’agit
d’une formulation à la fois complexe (l’élève ou l’étudiant doit traiter la
complexité, sans la réduire), et concrète, donc évaluable, comme nous
l’avons vu en 4.1.2.
• Ensuite, comme nous l’avons vu ci-dessus, le nombre de compétences
doit être limité : 2 ou 3 compétences par discipline et par année consti-
tuent un maximum. En formation professionnelle, 3 ou 4 compétences
qui représentent les grandes composantes de l’activité professionnelle.
Augmenter ce nombre présente des dérives importantes, comme nous
l’avons vu en 4.1.5.
• Les épreuves d’évaluation doivent elles-mêmes être constituées de situa-
tions complexes qui sont une traduction contextualisée de la compé-
tence que l’on a définie. Trop souvent, des pratiques dites innovantes,
basées sur des méthodes participatives, débouchent sur des évaluations
traditionnelles, parce que l’enseignant ou le formateur ne sait pas com-
ment évaluer autrement. Le bénéfice de ces pratiques innovantes est
alors réduit, quand on sait que les élèves et les enseignants adaptent en
grande partie leurs comportements en fonction du type d’évaluation qui
sera mis en œuvre.
Il est clair que les situations d’évaluation ne sont pas des situations natu-
relles, des situations vécues, mais des situations qui se rapprochent de
situations réelles, comme par exemple une situation complexe qui repose
sur quelques documents inédits (photos, illustrations, textes…) que l’élève
ou l’étudiant doit traiter.
• Les situations d’évaluation doivent appartenir à la même famille de situa-
tions que les situations qui ont servi à l’apprentissage de l’intégration :
différentes de celles-ci, mais de même niveau, ni plus faciles, ni plus
difficiles.
• Ces mêmes situations qui constituent une épreuve d’évaluation doivent
être conçues de telle manière que, pour les résoudre, l’apprenant soit
obligé de mobiliser certaines ressources essentielles (voir en 4.5.2).
• Une pratique de l’évaluation formative, basée sur la maîtrise des critères,
doit sous-tendre l’évaluation certificative.
• Enfin, les épreuves d’évaluation doivent être rédigées de manière telle
que l’évaluation soit juste. Par exemple, si on proposait à un élève ou
La pédagogie de l’intégration et l’évaluation des acquis 289
un étudiant une occasion unique de vérifier sa maîtrise, on ne pour-
rait pas tirer des conclusions valables sur son degré de maîtrise de la
compétence.
5.1.3 L’évaluation formative et certificative
dans le cadre de la pédagogie de l’intégration
La problématique de l’évaluation des acquis dans le cadre de la pédagogie
de l’intégration concerne essentiellement deux niveaux : celui du dispositif
d’évaluation, et celui des épreuves d’évaluation. À l’image du sablier que
nous avons présenté en 1.3, le concepteur de l’évaluation voit d’abord le
dispositif, et ensuite les épreuves d’évaluation, alors que l’utilisateur (l’ensei-
gnant ou le formateur) recourt d’abord aux épreuves d’évaluation, et utilise
les résultats de celles-ci dans le cadre du dispositif d’évaluation.
Pour des raisons de pertinence, les épreuves d’évaluation doivent être
nécessairement constituées de situations complexes. Même si une évaluation
de certaines ressources peut apporter un regard complémentaire, elle ne
peut en aucun cas remplacer une épreuve de type « situations ». Nous détaille-
rons ci-dessous les démarches à travers lesquelles on peut affirmer qu’un
élève ou un étudiant a pu faire face à une situation-problème complexe de
manière satisfaisante (visée certificative) et à travers lesquelles on peut iden-
tifier ses difficultés (visée formative).
Mais, au-delà des épreuves d’évaluation proprement dites se pose la ques-
tion du dispositif d’évaluation, c’est-à-dire du système qui gère les épreuves
d’évaluation, qu’elles soient à visée formative ou certificative. À ce niveau, la
réponse diffère selon qu’on est dans une logique d’évaluation formative, ou
dans une logique d’évaluation certificative.
Dans une logique d’évaluation formative, les questions qui se posent
sont essentiellement des questions d’articulation entre apprentissages de res-
sources, apprentissages de l’intégration et remédiation :
– Comment, dans une année, au sein d’une formation, planifier des
moments d’évaluation formative ?
– Sur quelles bases porter le diagnostic des forces et les faiblesses de cha-
que apprenant ? Sur la base des épreuves « situations » seules, ou aussi sur
la base des épreuves « ressources » ?
– Comment organiser une remédiation ? Quel équilibre entre une remédia-
tion collective et une remédiation individuelle ?
– Comment communiquer avec les étudiants ? avec les parents ? avec la
société civile ? Quelle fonction pour le bulletin ? Faut-il recourir à un
portfolio ?
290 La pédagogie de l’intégration
En ce qui concerne l’évaluation certificative, il faut savoir comment un sys-
tème donné traite les productions des élèves et des étudiants aux différentes
épreuves d’évaluation, dans le cadre de la certification. Les questions princi-
pales qui se posent sont les suivantes :
– Combien de situations complexes relatives à une compétence doi-
vent-elles être soumises à l’élève ou à l’étudiant pour qu’on puisse
attester qu’il est compétent ?
– Que faire s’il réussit certaines situations-problèmes relatives à la
compétence, et pas d’autres ?
– Comment collecte-t-on les résultats aux épreuves ? À travers un
portfolio ou un bulletin de notes ? Prend-on en compte l’évaluation
continue ou non ? À quels moments de l’année prend-on l’informa-
tion ? Faut-il distinguer les épreuves à visée formative et celles à visée
certificative ?
– De manière plus générale, à partir de quand peut-on décréter qu’un
élève ou un étudiant peut passer dans l’année supérieure, ou peut
obtenir un diplôme ? Peut-on prendre en compte des situations com-
plexes qui sont collectées dans un portfolio, mais dont l’évaluateur
ne peut pas vérifier la validité ?
À toutes ces questions, il n’est pas possible de répondre de manière rapide :
il faut apporter des réponses nuancées, et contextualisées. Certaines seront
évoquées dans les pages qui suivent. Pour les autres, qui demandent un déve-
loppement plus substantiel, nous renvoyons le lecteur à d’autres ouvrages
(Roegiers, 2004, 2e éd. 2010 ; Gerard & BIEF, 2008).
5.2 LE CRITÈRE, PIERRE ANGULAIRE DE L’ÉVALUATION
DES COMPÉTENCES
Qui dit situation complexe dit production de la part de l’apprenant : la solu-
tion à un problème, une création originale de sa part, des propositions
qu’il émet, etc. Cette production complexe doit être appréciée à travers un
ensemble de points de vue : c’est là le rôle des critères, souvent appelés cri-
tères de correction.
5.2.1 La notion de critère
Un critère de correction est une qualité que doit respecter la production d’un
élève ou un étudiant : une production précise, une production cohérente,
une production originale, etc.
Un critère est donc un point de vue selon lequel on se place pour appré-
cier une production. C’est un peu comme une paire de lunettes que l’on
mettrait pour examiner une production : si on veut évaluer une production
La pédagogie de l’intégration et l’évaluation des acquis 291
à travers plusieurs critères, on change chaque fois de paire de lunettes. Les
différentes paires de lunettes sont choisies de manière à ce que le regard soit
le plus complet possible. Si, dans des études supérieures d’éducation physi-
que, un étudiant exécute une performance sportive collective, on peut par
exemple examiner cette performance sportive selon plusieurs points de vue :
l’esprit d’équipe, la dextérité, l’élégance, le respect des règles, etc. Ce sont
autant de paires de lunettes que l’on met.
5.2.2 Critère minimal et critère de perfectionnement
Pour affiner le fonctionnement d’une évaluation des compétences, il est
nécessaire de distinguer ce qu’est un critère minimal et un critère de perfec-
tionnement (De Ketele, 1996).
Un critère minimal est un critère qui fait partie intégrante de la com-
pétence, un critère requis pour déclarer que quelqu’un est compétent. Un
critère de perfectionnement est un critère qui ne conditionne pas la maî-
trise de la compétence. Par exemple, pour dire de façon minimale qu’une
personne est compétente pour nager en piscine, il existe deux critères mini-
maux : un critère de mobilité (il faut se déplacer) et un critère d’équilibre (il ne
faut pas couler). D’autres critères peuvent entrer en ligne de compte, mais
ils sont moins importants : le critère de rapidité, d’élégance, de variété (des
nages), etc. Ce sont des critères de perfectionnement.
Une tendance fréquente est celle de l’inflation du nombre de critères :
comme on estime que tout est important, la tendance est de gonfler la liste
des critères. Or il faut aussi éviter d’avoir trop de critères minimaux, parce
qu’on risque alors d’être trop sévère2. Pour déterminer si un critère est mini-
mal ou s’il est de perfectionnement, il faut se poser la question : « celui qui
échoue à ce critère, peut-il néanmoins être déclaré compétent ? ». Par exem-
ple, s’il effectue une production excellente en histoire, en philosophie, en
économie, mais qu’il fait plusieurs fautes d’orthographe, il mérite certes de
ne pas avoir le maximum de points, mais mérite-t-il pour autant d’échouer
pour la compétence ?
Nous verrons plus loin qu’il existe d’autres raisons de limiter le nombre
de critères de correction.
2. Il ne faut pas oublier, comme nous l’avons vu en 2.5.1, que, selon l’avis des acteurs, la
pédagogie de l’intégration entraîne un degré d’exigence plus élevé vis-à-vis des élèves que
l’approche traditionnelle.
292 La pédagogie de l’intégration
5.2.3 À partir de quand peut-on dire qu’un critère est maîtrisé ?
La maîtrise d’un critère, entre la photo souvenir et le mythe de l’élève
parfait
La question de la maîtrise d’un critère est un point important, et délicat.
Doit-on exiger qu’un critère soit vérifié une seule fois pour que sa maîtrise
par l’élève ou l’étudiant soit actée ? On tomberait alors dans le travers de
guetter la moindre occasion de voir l’apprenant maîtriser le critère, que l’on
immortaliserait comme une photo souvenir, sans oser vérifier si la perfor-
mance est due à un état de grâce passager, au hasard des circonstances, à un
effet d’osmose, ou au contraire si elle s’installe dans le temps.
À l’inverse, pour qu’un critère soit déclaré atteint, l’élève ou l’étudiant
doit-il en manifester la maîtrise à chaque occasion ? On tomberait alors
dans le mythe de l’élève parfait, qui veut qu’un élève soit déclaré compétent
lorsqu’il ne commet plus aucune erreur. Or compétence n’est pas perfection.
« Même le plus compétent commet des erreurs », dit-on. Quel est le grand
joueur de football qui n’a jamais raté un penalty ? Quel est le grand cuisinier
qui n’a jamais raté un plat ? L’école aurait-elle à ce point perdu la tête qu’elle
ne permettrait pas à quelqu’un qui est en apprentissage ce qui est permis au
plus grand spécialiste ?3
À l’image de ce que devient parfois notre société qui décrète des normes
de beauté, de santé et d’intelligence, le rêve de l’élève parfait fait des rava-
ges en évaluation dans une perspective de développement de compétences
comme dans une perspective de développement de ressources.
Une formalisation souvent utile
Apprécier la maîtrise d’un critère par quelqu’un est une chose délicate. Il
est des cas où point n’est besoin de formaliser : la connaissance qu’a l’en-
seignant de ses élèves suffit, grâce à l’expérience et/ou l’expertise acquise.
Mais dans la plupart des cas, il est utile de formaliser les choses. La règle des
2/3, proposée par De Ketele (1996), et validée empiriquement, donne des
réponses intéressantes à cette question.
La règle des 2/3 dit ceci : pour déclarer quelqu’un compétent (pour une
compétence donnée), chaque critère minimal doit être respecté. Et pour
qu’un critère minimal soit déclaré comme respecté, il faut que, sur trois occa-
sions indépendantes de vérifier le critère, l’apprenant atteste sa maîtrise dans
deux occasions sur trois. Pour l’élaborateur d’épreuves d’évaluation, cela
signifie qu’il faut lui fournir trois occasions de vérifier chaque critère : trois
situations-problèmes à résoudre en mathématiques (ou une situation unique,
avec trois consignes indépendantes), trois phrases à produire en langue pour
3. Voir aussi en 3.3.1 la différence entre compétence et expertise.
La pédagogie de l’intégration et l’évaluation des acquis 293
un débutant dans la langue, trois morceaux de musique à interpréter, trois
soins à réaliser par l’élève-infirmier(ère), etc.
Quels poids accorder aux critères de perfectionnement ?
Dans une optique de maîtrise des compétences, il est normal que le poids
accordé aux critères de perfectionnement soit limité. En effet, un enjeu
majeur est celui d’éviter les échecs abusifs. Pour cela, il faut garantir que les
échecs soient dus à la non-maîtrise des critères minimaux – ceux qui tradui-
sent véritablement la compétence –, et non à celle des critères de perfection-
nement. De même, si on veut éviter les réussites abusives, il s’agit d’éviter
qu’un élève ou un étudiant puisse réussir grâce à sa maîtrise des critères de
perfectionnement.
La « règle des 3/4 », introduite par De Ketele (1996) propose à ce sujet
un garde-fou intéressant. Selon cette règle, les critères de perfectionnement
ne devraient pas totaliser un poids supérieur à un quart du poids total.
Il y a plusieurs manières de prendre en compte des critères de perfec-
tionnement, ces regards n’étant d’ailleurs pas incompatibles les uns avec les
autres :
– les faire apparaître comme un « plus », aux côtés des autres critères, c’est-
à-dire comme une occasion pour l’apprenant de se dépasser ;
– les faire apparaître comme un critère supplémentaire, qui a moins de
poids que les autres ;
– les utiliser pour le classement des élèves ou des étudiants, une fois que la
maîtrise des critères minimaux est attestée ;
– les utiliser comme un élément de motivation externe, dans la mesure où
les points relatifs à ces critères ne leur sont attribués que s’ils maîtrisent
les critères minimaux.
5.2.4 L’indépendance des critères entre eux
Une des qualités principales des critères – surtout des critères minimaux –
est d’être indépendants les uns des autres. Par exemple, la pertinence de la
production permettra de déterminer si l’apprenant a répondu à ce qui était
demandé, tandis que la cohérence de la production déterminera si ce qu’il
écrit se tient, même s’il ne répond pas à ce qui est demandé.
Cette indépendance est importante pour éviter de pénaliser deux fois un
élève ou un étudiant qui commet une erreur. Par exemple, un élève qui s’est
trompé dans un calcul ne devrait être pénalisé que pour le critère « utilisation
correcte des outils mathématiques », et non pour les autres critères (interpré-
tation correcte du problème, précision…).
294 La pédagogie de l’intégration
Pour cette raison, il est bon d’éviter, dans les disciplines scientifiques, le
critère « Réponse correcte », car c’est un critère qui englobe tous les autres
critères : un élève qui commet une seule erreur sera de toute façon sanc-
tionné à ce critère, de même qu’il le sera probablement dans un des autres
critères. Il sera donc pénalisé deux ou trois fois pour cette erreur. Ce critère
est un critère « absorbant ». La seule utilisation que l’on pourrait en faire serait
d’examiner tout d’abord si la réponse de l’élève est correcte. Dans l’affirma-
tive, on attribue la note maximale à l’élève ou à l’étudiant4. Dans la négative,
on regarde l’ensemble des critères, mais au total, cette manière de faire aura
représenté pour l’enseignant un gain en temps de correction.
5.2.5 L’intérêt d’une correction critériée
Le recours aux critères présente trois avantages majeurs dans l’évaluation
(Roegiers, 2004, 2e éd. 2010).
1. Des notes plus justes
Tout d’abord, il permet de rendre les notes plus justes que dans l’approche
traditionnelle, dans la mesure où le recours aux critères limite les échecs
abusifs, et les réussites abusives. Autrement dit, il permet de faire réussir une
plus grande proportion d’apprenants qui ont les acquis pour réussir, et, pour
ceux qui ne possèdent pas les acquis qui leur permettent de passer au niveau
supérieur, de mieux identifier leurs difficultés, en vue de prendre à leur sujet
la meilleure décision possible.
Cela suppose que les outils de l’évaluation critériée soient bien utilisés.
Trop souvent, dans la pratique, l’évaluation critériée conduit à des échecs
abusifs, parce que les enseignants-correcteurs ont comme référence un
« élève idéal et parfait » (voir page 280) et n’accordent pas la maîtrise du
critère dès qu’il y a une petite erreur quelque part (même si la grille de cor-
rection dit le contraire).
2. La valorisation des points positifs
Ensuite, le recours aux critères permet de valoriser les éléments positifs
dans les productions scolaires ou académiques. Le sens étymologique du
terme « évaluation » n’est-il pas « ex-valuere », ce qui signifie « faire ressortir la
valeur de » ?
3. Une meilleure identification des élèves à risque
Enfin, le recours aux critères permet d’identifier bien mieux les élèves à ris-
que, c’est-à-dire ceux à qui il faut peu de chose pour basculer au-dessus ou en
4. Après avoir vérifié si ce n’est pas l’effet du hasard, par exemple en prenant quelques
indices sur le processus. De plus, cela ne concerne que les critères liés à l’exactitude de la
réponse (pas sur un critère « propreté » par exemple).
La pédagogie de l’intégration et l’évaluation des acquis 295
dessous du seuil de réussite, comme en témoigne une recherche menée à ce
sujet en Tunisie5, ou encore les recherches menées par Jadoulle & Bouhon
(2001). En effet, il permet de diagnostiquer de façon plus efficace les dif-
ficultés rencontrées par les élèves, et l’identification d’un critère déficient
donne des pistes pour la remédiation, ce qui est particulièrement important
dans l’enseignement de base. Dans l’approche traditionnelle, de par le jeu
de l’échantillonnage de savoirs et d’objectifs spécifiques qui sont évalués, le
fait qu’un élève échouait à quelques savoirs ou quelques objectifs spécifiques
ne donnait pas la garantie que, si on remédie à ses faiblesses, il possède les
acquis nécessaires pour passer au niveau supérieur.
5.2.6 Le nombre optimal de critères
Si le recours aux critères n’est plus contesté dans le monde des sciences de
l’éducation, son utilisation est parfois galvaudée. En particulier, on aurait
spontanément tendance à multiplier le nombre de critères pour apprécier
de façon la plus fine possible une production donnée. La pratique montre
le contraire : un petit nombre de critères permet souvent d’arriver à une
note plus juste.
Trois raisons essentielles justifient le fait de limiter le nombre de critères
(Roegiers, 2004, 2e éd. 2010).
1. L’effort de correction
La première raison est liée à l’effort de correction. Plus un système prône la
multiplication du nombre de critères, et plus il court le risque que ces critères
ne soient pas utilisés du tout par les enseignants, pour une raison de temps
de correction.
2. La prise en compte des critères pendant les apprentissages
La deuxième raison tient au potentiel des enseignants et des apprenants –
élèves et étudiants – à prendre en compte de façon spontanée les critères
dans les apprentissages. Tout comme ils peuvent assez facilement avoir en
tête deux ou trois compétences à développer chez leurs élèves ou étudiants,
les enseignants peuvent aisément s’approprier un petit nombre de critères,
et les mobiliser de façon spontanée, non seulement au moment de la cor-
rection, mais au cours des apprentissages. Si leur nombre augmente, ces
critères perdent de facto leur statut de point de repère. Il en va de même
des élèves ou des étudiants qui peuvent être attentifs à deux ou trois critères
lorsqu’ils effectuent une production, mais qui, lorsqu’ils ont un grand nom-
bre de critères à prendre en compte, peuvent plus difficilement cibler leur
effort.
5. Recherche menée dans le cadre du C.N.I.P.R.E.
296 La pédagogie de l’intégration
3. Le risque de dépendance des critères entre eux
La troisième raison, plus technique, est liée au risque de dépendance des cri-
tères entre eux. Plus le nombre de critères est élevé, moins il y a des chances
que les critères soient indépendants l’un de l’autre : en augmentant le nom-
bre de critères, on multiplie les risques qu’une erreur commise par un élève
ou un étudiant soit sanctionnée deux, voire trois fois (voir ci-dessus).
5.2.7 Faut-il communiquer les critères aux élèves ?
Les pédagogues ont déjà répondu depuis longtemps à la question de savoir
s’il faut communiquer les critères aux élèves et aux étudiants. La réponse est
positive, bien entendu, sans aucune restriction.
Cette pratique a, en effet, plusieurs conséquences positives.
Tout d’abord, les résultats de recherche (Bonniol, 1985 ; Jadoulle &
Bouhon, 2001) ont montré qu’un élève ou un étudiant qui connaît les critè-
res d’évaluation effectue des meilleures performances à l’examen, parce qu’il
sait comment orienter son effort dans la préparation de l’examen.
Ensuite, il s’agit là d’un levier gigantesque pour son autonomie, dans la
mesure où cette liste des critères constitue une base pour des grilles d’autoéva-
luation, qu’il peut d’ailleurs construire lui-même. Ces outils sont des supports
privilégiés pour l’autoévaluation, qui elle-même déclenche des démarches
métacognitives chez l’apprenant. Les travaux sur l’autoévaluation et la méta-
cognition (Grangeat, 1998 ; Noël, 2001 ; Allal, 2001) mettent en évidence
l’apport de ces types de pratiques dans la régulation des apprentissages.
5.2.8 Existe-t-il une liste générique de critères
pour toutes les disciplines ?
La réponse à cette question est malheureusement négative : il n’existe pas
une liste de critères, si bien faite soit-elle, qui corresponde à l’ensemble des
niveaux d’enseignement et des disciplines, tant les besoins de ces niveaux
sont différents, mais surtout tant les exigences des disciplines sont spécifi-
ques. Entre les disciplines outils et les autres disciplines, entre les disciplines
littéraires et les disciplines scientifiques, entre les différents secteurs d’activité
professionnelle, des plus artistiques aux plus techniques, les exigences sont
tellement variées qu’il est vain de vouloir tout embrasser.
Il est vrai que certains critères minimaux reviennent souvent. Ce sont les
critères suivants :
– la pertinence de la production : la production correspond-elle aux sup-
ports donnés ? aux consignes ?
La pédagogie de l’intégration et l’évaluation des acquis 297
– l’utilisation correcte des outils de la discipline : l’apprenant utilise-t-il
convenablement, en situation, les ressources : connaissances, concepts
et savoir-faire de la discipline ?
– la cohérence interne de la production : la production est-elle bien agen-
cée ? vraisemblable ? complète ?
Toutefois, leur traduction dans chaque discipline, voire même dans chaque
compétence6, est spécifique.
5.3 L’ÉLABORATION D’UNE ÉPREUVE D’ÉVALUATION
5.3.1 Les qualités d’une épreuve d’évaluation
à travers une situation complexe
Dans la pédagogie de l’intégration, on appelle « épreuve d’évaluation » une
ou plusieurs situations d’intégration – des situations complexes – à travers
lesquelles l’apprenant doit démontrer sa compétence.
Comme ces situations sont des situations d’intégration, elles doivent
répondre aux conditions d’une situation d’intégration, telles que nous les
avons précisées en 4.2.3. L’expérience montre toutefois qu’il est nécessaire
d’être particulièrement attentif à une de ces conditions ; c’est celle selon
laquelle la situation doit être spécialisée, c’est-à-dire qu’elle doit exiger la
mobilisation effective des ressources acquises : elle ne doit pas se contenter
de faire appel au sens commun. Si cette condition n’est pas respectée, il y a
un risque de déprécier le travail réalisé lors des apprentissages de ressources,
voire de lui enlever son sens.
Ce qui fait également la différence en matière d’évaluation, c’est la prise
en compte de la règle des 2/3, peu utile dans le cadre des apprentissages de
ressources, mais indispensable en matière d’évaluation, que ce soit l’évalua-
tion formative ou l’évaluation certificative.
Une situation peut-elle suffire pour attester la maîtrise d’une
compétence ?
La réponse à cette question est généralement positive, à deux conditions :
(1) que l’apprenant dispose de trois occasions indépendantes de montrer sa
maîtrise de chaque critère ;
(2) qu’elle échantillonne suffisamment bien les ressources.
Si cette dernière condition n’est pas satisfaite, on peut, dans certains cas,
proposer à l’élève une seule situation complexe, et compléter l’information
6. Du noyau de compétences évaluables (voir en 1.3).
298 La pédagogie de l’intégration
par une épreuve de type « ressources ». Il faut, dans ce cas, et surtout si on est
dans une optique de certification, limiter le poids de l’épreuve « ressources »
(par exemple à un tiers du poids total).
5.3.2 Les étapes de l’élaboration d’une épreuve d’évaluation
On peut résumer par les étapes suivantes la démarche de construction d’une
épreuve d’évaluation :
– préciser la compétence à évaluer ;
– construire une ou deux situations nouvelles correspondant à la compé-
tence (cf. ci-dessus) ;
– veiller à ce que chaque critère puisse être vérifié à plusieurs reprises, de
façon indépendante (au moins trois fois, selon la règle des 2/3) ;
– rédiger soigneusement les supports et les consignes pour que la tâche à
exécuter apparaisse clairement à l’élève ou à l’étudiant ;
– préciser les indicateurs que l’enseignant relèvera lorsqu’il corrigera la
copie ;
– rédiger une grille de correction.
5.3.3 Quelques questions pour guider les choix
Voici quelques questions qui sont habituellement posées lorsqu’il s’agit de
concrétiser une évaluation dans le cadre de la pédagogie de l’intégration.
Choisir une, deux ou trois situations ?
Nous avons vu que l’important, c’est que chaque critère puisse être évalué
à plusieurs reprises, de façon indépendante. Trois occasions apparaissent
comme un point de repère intéressant. Comme nous l’avons vu ci-dessus,
une situation unique suffit généralement pour que chaque critère puisse être
évalué à trois reprises différentes. Dans d’autres cas, il faudra recourir à
deux, voire à trois situations pour permettre d’évaluer chaque critère à trois
reprises au moins.
Travailler sur une consigne unique, ou la détailler en plusieurs consi-
gnes, ou en plusieurs questions ?
Une consigne unique garantit que la tâche possède le niveau de complexité
requis, c’est-à-dire que l’on ne réduit pas cette complexité en multipliant les
consignes de travail. L’inconvénient majeur est qu’une consigne unique peut
provoquer du « tout ou rien », et handicaper les élèves ou les étudiants qui
pourraient exécuter une partie de la tâche seulement.
L’avantage d’un ensemble de questions ou de consignes (souvent trois)
est de répondre à cet inconvénient, en multipliant les chances pour l’appre-
La pédagogie de l’intégration et l’évaluation des acquis 299
nant de pouvoir effectuer des productions indépendantes, c’est-à-dire qui
ne soient pas liées à des réponses ou à des productions antérieures. Il faut
toutefois que chaque question ou consigne garde toujours un niveau de com-
plexité suffisant : décomposer une question complexe en plusieurs questions
revient à évaluer une somme de savoir-faire. Il faut également que chaque
consigne permette d’apprécier chaque critère, de manière à ce que la règle
des deux tiers puisse s’exercer à propos de chacun de ceux-ci.
Est-il bon de garder les mêmes types de consignes que dans les situations
travaillées antérieurement ?
Cela dépend fortement du niveau et du type de compétence à développer.
Par exemple, chez des jeunes enfants, introduire une nouvelle consigne est
une chose compliquée, et on peut en général reprendre la même consigne.
Il en va de même en formation professionnelle où la consigne sera souvent la
même, puisque la tâche correspond à l’activité professionnelle visée.
L’important est que le contexte de la situation, ainsi que la production
attendue, soient nouveaux, en tout ou en partie7.
Est-il intéressant de travailler sur des documents connus, sur des sup-
ports connus ?
La réponse générale est non. La raison est que, si l’on cherche à élaborer
une situation nouvelle, le fait de travailler à partir d’un support connu va
inciter l’apprenant à la restitution, ou induire chez lui l’idée qu’il pourrait se
contenter de restituer des savoirs. Il faut cependant tenir compte du temps
nécessaire pour qu’il prenne connaissance de ces nouveaux supports. On
crée parfois des échecs abusifs du simple fait de présenter des supports ori-
ginaux, notamment pour des élèves ou des étudiants plus « lents ».
C’est donc à chaque niveau de la formation, pour chaque discipline, et
même pour chaque compétence que la problématique de la nouveauté des
supports doit être opérationnalisée.
5.4 LA CORRECTION DES COPIES
5.4.1 Des indicateurs pour opérationnaliser les critères
Définir des critères ne suffit pas pour fournir la garantie que deux copies
soient corrigées de la même façon, ou que deux prestations réalisées dans
le cadre d’une formation professionnelle soient appréciées de la même
manière. Prenons par exemple – dans le domaine des langues – un critère
comme « correction syntaxique de la production », ce critère étant noté sur 5
7. En fait, cela dépend des caractéristiques de la famille de situations de la compétence (les
paramètres, voir en 4.3.3).
300 La pédagogie de l’intégration
points. Comment apprécier ce critère pour un élève qui a produit 10 phra-
ses, et dont 4 phrases sont mal construites ? Si on ne précise pas le critère,
un enseignant peut lui donner 1 point sur 5, argumentant qu’il retire un point
par phrase mal construite. Un autre peut par contre lui donner 3 points sur
5, argumentant que trois cinquièmes des phrases sont bien construites. C’est
que se situe le rôle des indicateurs.
Un indicateur est un signe concret, un indice précis que l’on recueille,
pour se prononcer sur la maîtrise d’un critère par l’apprenant. Les indica-
teurs sont de l’ordre de l’observable en situation, et ils sont présents ou non.
Ils précisent un critère, ils permettent d’opérationnaliser un critère.
On peut distinguer deux types d’indicateurs.
• Un indicateur peut être qualitatif, quand il précise une facette du critère.
Il reflète alors soit la présence / l’absence d’un élément, soit un degré
d’une qualité donnée.
Par exemple, le critère « correction syntaxique d’une production » peut
être opérationnalisé de manière qualitative par les indicateurs suivants :
présence d’un verbe dans une phrase, agencement correct des mots
dans la phrase, utilisation correcte des substituts…
Utilisé dans une optique descriptive, un indicateur qualitatif est intéres-
sant dans la mesure où il aide à repérer les sources d’erreur, et à y
remédier.
• Un indicateur peut être également quantitatif, quand il fournit des pré-
cisions sur des seuils de réussite du critère. Il s’exprime alors par un
nombre, un pourcentage, une grandeur.
Par exemple, le critère « correction syntaxique d’une production » peut
être opérationnalisé de manière quantitative par des indicateurs du
type « l’élève obtient 2 points sur 3 lorsque deux tiers des phrases sont
construites correctement ».
Cette utilisation de l’indicateur est plus simple, mais elle est moins des-
criptive, et dès lors moins formative, c’est-à-dire qu’elle aide moins à la
remédiation.
5.4.2 Le recours à une grille de correction
Une grille de correction est un outil d’appréciation d’un critère à travers des
indicateurs précis.
En formation professionnelle et dans l’enseignement supérieur, une grille
de correction est d’une structure assez simple : elle consiste à relever pour
chacun des 2 ou 3 critères minimaux quelques indicateurs bien choisis, et à
attribuer une note selon un barème de notation préalablement établi.
Dans l’enseignement de base, là où la correction doit être plus analytique
notamment dans le but de remédier aux apprentissages de base moins bien
maîtrisés –, la grille de correction doit également être plus élaborée.
La pédagogie de l’intégration et l’évaluation des acquis 301
Structure habituelle d’une grille de correction
La structure la plus élémentaire d’une grille de correction relative à une situa-
tion d’intégration qui comprend trois consignes (ou questions) indépendantes
et trois critères minimaux (CM1, CM2, CM3) est la suivante. Pour chaque
case, en fonction de la présence de l’indicateur sur la copie de l’élève, ou
dans la pratique observée, le correcteur attribue le point ou non.
CM2 (utilisation
CM1 CM3
correcte des CP
(pertinence) (cohérence)
outils)
Consigne 1 / 1 indicateur 1 indicateur 1 indicateur
question 1 0/1 ou 1/1 0/1 ou 1/1 0/1 ou 1/1
Consigne 2 / 1 indicateur 1 indicateur 1 indicateur 0/1 ou
question 2 0/1 ou 1/1 0/1 ou 1/1 0/1 ou 1/1 1/1
Consigne 3 / 1 indicateur 1 indicateur 1 indicateur
question 3 0/1 ou 1/1 0/1 ou 1/1 0/1 ou 1/1
/3 /3 /3 /1
Figure 63. Exemple de grille de correction combinée avec un barème de notation
Plusieurs indicateurs peuvent figurer dans une case. Dans ce cas, la correc-
tion est plus riche, plus complète, mais elle nécessite davantage de temps et
cela nécessite un arbitrage de la part de l’enseignant qui, pour chaque case,
se demande si, en fonction de la présence des indicateurs, décide s’il attribue
le point ou non. Plusieurs pistes techniques peuvent être avancées en ce
sens, mais elles dépassent le cadre de cet ouvrage8.
En termes stratégiques, la grille de correction répond à un souci de stan-
dardisation de la correction. En termes pédagogiques, elle constitue un outil
d’aide à la correction des productions des élèves et des étudiants, utilisé
essentiellement dans deux buts :
• garantir un maximum d’objectivité dans la correction, permettre un
accord intercorrecteurs le plus élevé possible, grâce aux indicateurs ; en
effet, un correcteur est souvent influencé par une erreur, en rapport avec
un critère, qui contamine tout le reste de la correction ; l’exemple le plus
frappant est donné par ces corrections en mathématiques pour lesquelles
on attribue zéro d’office pour une réponse finale erronée, même s’il n’y a
qu’une petite erreur au départ, cette erreur se répercutant sur l’ensemble
du travail ;
8. Voir par exemple Roegiers (2004 ; 2e éd. 2010) ; Gerard & BIEF (2008).
302 La pédagogie de l’intégration
• procurer un appui aux enseignants débutants, ou à ceux qui veulent
(doivent) changer leurs pratiques d’évaluation : la grille est en quelque
sorte un outil de formation. Il ne s’agit pas de déresponsabiliser l’ensei-
gnant par rapport à la correction qu’il mène, mais de lui fournir des outils
pour l’amener à changer son regard sur la production de l’élève ou de
l’étudiant.
Des indicateurs formulés de façon rigoureuse
Un critère peut être opérationnalisé par plusieurs indicateurs qui se complè-
tent, et qui donnent un tableau assez complet de la maîtrise du critère. Dans
la pratique, on limite souvent le nombre d’indicateurs pour ne pas alourdir le
travail de l’enseignant ou du formateur.
Dans ce dernier cas, il faut être particulièrement rigoureux dans la for-
mulation de l’indicateur. Il faut notamment que cette formulation ne couvre
pas deux critères différents. L’enjeu est le même que celui de l’indépen-
dance des critères : comment garantir que l’apprenant ne soit pas pénalisé
deux fois pour une erreur unique qu’il a commise ?
Des indicateurs formulés de façon concrète, précise et simple
Il s’agit ensuite de les exprimer de façon concrète, précise et simple. L’enjeu
est que le correcteur puisse associer de façon rapide et fiable une réponse
ou une production à un nombre de points le plus juste possible (Roegiers,
2004 ; 2e éd. 2010).
5.5 LA PRISE DE DÉCISION EN ÉVALUATION
SELON LA PÉDAGOGIE DE L’INTÉGRATION
5.5.1 Des lieux différents pour développer les compétences
Si l’on veut cerner l’ensemble de la problématique du développement des
compétences, mais aussi de la prise de décision en évaluation à leur pro-
pos, il faut, non pas sur un plan conceptuel, mais sur un plan opération-
nel, distinguer trois modalités pédagogiques (la manière, le moment, le lieu)
selon lesquelles les compétences du noyau se développent, s’observent et
s’évaluent :
– la modalité « formation », selon laquelle les compétences se développent,
s’observent et s’évaluent essentiellement sur le lieu de la formation, en
situation simulée ;
– la modalité « terrain », selon laquelle les compétences se développent,
s’observent et s’évaluent essentiellement en dehors du terrain de l’école
et du lieu de la formation, autrement dit en stage d’apprentissage citoyen
ou professionnel ;
La pédagogie de l’intégration et l’évaluation des acquis 303
– la modalité « création », selon laquelle le lieu physique importe peu, et
selon laquelle les compétences se développent avant tout au sein de
l’espace intérieur de chacun, à travers une démarche créative person-
nelle ; elles débouchent sur une création originale : la réalisation d’une
œuvre originale pour un artisan (un « chef-d’œuvre »), un travail de fin
d’études ou un mémoire pour un étudiant et, de manière plus générale,
tout travail de recherche visant à produire de la connaissance ; c’est une
production unique et spécifique.
Exemple, pour une formation d’élèves-maîtres.
Modalité formation Modalité terrain
Modalité création
(sur le lieu de la for- (en situation de stage
(en situation de pro-
mation, en situation d’apprentissage
duction personnelle)
simulée) professionnel)
• planifier les apprentissa- • conduire un appren- • mener un travail de
ges d’un trimestre dans tissage de ressources recherche sur une
un champ disciplinaire dans une classe problématique contex-
• préparer une leçon sur • conduire un appren- tualisée de type « école
un sujet donné tissage de l’intégration – société »
dans une classe
Conditions de faisabilité de l’évaluation
L’évaluation des compétences selon la modalité « formation » et « création »
est relativement claire, parce que faisant l’objet d’un dispositif contrôlé pour
l’ensemble des apprenants : un cahier des charges qui définit les modalités de
construction des épreuves, les modalités de passation, les critères, les indica-
teurs, les modalités de recueil et de traitement des informations, etc.
Il n’en va pas de même de la modalité « terrain », à propos de laquelle il
existe un véritable obstacle méthodologique à gérer la certification pour des
raisons d’harmonisation des conditions de l’évaluation, et de l’utilisation des
critères d’évaluation. En effet, un maître de stage dans un lieu de stage A
ne va pas avoir les mêmes critères de référence qu’un maître de stage dans
un lieu B, même si ces critères ont été définis antérieurement de manière
formelle. Il est nécessaire de passer au niveau des indicateurs, mais ceux-ci
sont, par définition, liés au contexte de la situation. Si riche soit ce niveau en
termes de processus de formation, on se heurte donc à une difficulté métho-
dologique majeure lorsqu’il s’agit de prendre ce niveau comme référence
pour l’évaluation.
La distinction que nous avons effectuée entre ces trois catégories de
modalités de développement des compétences est importante en termes de
304 La pédagogie de l’intégration
certification, parce que c’est elle qui va déterminer la manière dont la cer-
tification va être menée, ceci d’autant plus que l’on combine cette catégo-
risation avec les notions de compétence « de base » et de perfectionnement
(voir en 4.1.6). Ce n’est pas que la certification va porter uniquement sur
les compétences « de base », mais ces dernières vont constituer le cœur de la
certification.
Une matrice de certification
Cette double distinction permet de déterminer sur quelles compétences la
certification va porter essentiellement, mais aussi selon quel dispositif elle va
être menée.
On peut introduire à ce stade la notion de matrice de certification. Une
matrice de certification définit, pour chaque niveau d’enseignement, quelles
sont les compétences du noyau qui vont être déterminantes pour la certifica-
tion : il s’agit surtout des compétences « de base », essentiellement de type ins-
trumental, dont la maîtrise est nécessaire pour poursuivre les études, ou pour
exercer une activité professionnelle. C’est le véritable noyau de compétences
évaluables. Les autres sont les compétences, dont la maîtrise – si importante
soit-elle en termes de contenus notionnels – n’est pas absolument nécessaire
pour poursuivre les études ou pour exercer une activité professionnelle. Elles
appartiennent à un noyau élargi, qui apporte un complément d’information
pour la certification.
Prenons deux exemples9.
1. Exemple de matrice de certification pour un élève de deuxième année
primaire.
Modalité Modalité Modalité
formation terrain création
C1
Noyau des compétences « de base » C2 – –
C3
C4
Autres compétences évaluables C5 – –
C6
C1 serait la compétence à produire deux ou trois phrases à l’oral au sein
d’un petit dialogue en langue d’enseignement (compétence de production
à l’oral).
9. Ce sont bien des exemples, et non des modèles.
La pédagogie de l’intégration et l’évaluation des acquis 305
C2 serait la compétence à exécuter une tâche simple sur la base d’une consi-
gne écrite (compétence en lecture).
C3 serait la compétence à compétence à pouvoir résoudre un problème
mathématique simple qui recourt à l’addition et à la soustraction sur les nom-
bres de 1 à 20 (compétence numérique).
C4, C5 et C6 sont d’autres compétences, dans d’autres disciplines, mais
aussi en langue d’enseignement (par exemple la compétence de production
écrite), et en mathématiques (par exemple la compétence à faire face à une
situation-problème qui met en œuvre des formes géométriques simples).
2. Exemple de matrice de certification pour un élève-maître.
Modalité Modalité Modalité
formation terrain création
C1
Noyau des compétences « de base » C2 C4 –
C3
Autres compétences évaluables C5 C6
C1 serait la compétence à planifier les apprentissages d’un trimestre dans un
champ disciplinaire donné.
C2 serait la compétence à préparer une leçon sur un sujet donné.
C3 serait la compétence à construire un dispositif d’évaluation et de
remédiation.
C4 serait la compétence à conduire un apprentissage en classe.
C5 serait la compétence à mener un projet de classe.
C6 serait la compétence à effectuer un travail de recherche sur une probléma-
tique qui met en jeu une école donnée en relation avec son environnement.
5.5.2 Une étude de cas
Pour illustrer la manière dont la pédagogie de l’intégration conçoit un sys-
tème de prise de décision en matière de certification des acquis – certification
des compétences –, évoquons un système concret de notation et d’évalua-
tion certificative10.
Une dizaine de compétences sont définies chaque année (un peu moins
pour les premières années du primaire).
10. Cette proposition a servi de base au système d’évaluation dans l’enseignement primaire et
collégial au Maroc. Elle n’est présentée ici qu’à titre d’hypothèse, et non comme le reflet
du système d’évaluation adopté, qui fait d’ailleurs encore l’objet d’une expérimentation au
moment où ces lignes sont écrites.
306 La pédagogie de l’intégration
Des prises d’information à des fins certificatives sont effectuées à quatre
moments de l’année, lors des modules d’intégration11.
Prise d’information
Prise d’information relative
relative à la maîtrise
à la maîtrise des compétences
des ressources
(prise d’information uniquement à des fins
Palier 1 Note R1
formatives)
(prise d’information uniquement à des fins
Palier 2 Note R2
formatives)
Palier 3 Note R3 Note C3
Palier 4 Note R4 Note C4
1. Les notes relatives aux ressources sont attribuées de manière classique,
d’une manière sommative.
2. En ce qui concerne les notes relatives aux compétences, elles dépendent
de la réponse à la question : comment une note relative à une compé-
tence est-elle attribuée ? Il faut distinguer deux problématiques : celle de
la reconnaissance de la maîtrise de la compétence par l’apprenant, et
celle de l’attribution d’une note.
2a. Quand une compétences est-elle considérée comme maîtrisée par
un apprenant ?
La réponse la plus évidente et la plus logique tient en ces termes :
lorsque chacun des critères minimaux est maîtrisé à un seuil de 2/3
(maîtrise minimale du critère). Toutefois, lorsqu’il y a 3 critères mini-
maux, une tolérance est acceptée pour un de ces critères, à condi-
tion toutefois que la maîtrise partielle de ce critère soit attestée (1
point sur 3)12.
On considère donc qu’un élève qui obtient 2/3, 2/3 et 1/3 aux cri-
tères minimaux est déclaré compétent (pour la compétence concer-
née), alors que s’il obtient 3/3, 1/3 et 1/3, ou encore 3/3, 3/3 et
0/3, il n’est pas déclaré compétent, même si la somme des points
obtenus est de 5 ou 6 sur 9.
11. L’organisation des apprentissages sur une année scolaire consiste en une succession de
quatre paliers, constitués chacun de 6 semaines d’apprentissages des ressources, suivis de
2 semaines d’intégration.
12. Cette tolérance liée au fait qu’un des critères minimaux peut être maîtrisé avec un seuil de
maîtrise moindre n’a pas de base théorique ; c’est le fruit l’expérience, dans des contextes
divers.
La pédagogie de l’intégration et l’évaluation des acquis 307
2b. Comment la note est-elle attribuée ?
Si la compétence est maîtrisée, l’élève obtient comme note la somme
arithmétique des notes à chaque critère (critères minimaux et critère
de perfectionnement), plus un « bonus » de 1 point attestant de la
maîtrise de la compétence13. Dans ce cas, on comptabilise donc le
critère de perfectionnement.
Si la compétence n’est pas maîtrisée, l’élève obtient comme note la
somme arithmétique des notes à chaque critère minimal. La note au
critère de perfectionnement n’est donc pas prise en compte.
Exemples
L’élève est-il déclaré
Quelle note lui attribue-t-on ?
compétent ?
Bonus pour la
Déclaré Note Note
CM1 CM2 CM3 maîtrise de la CP
compétent « brute » finale
compétence
Fatima 2 /3 2 /3 2 /3 Oui 6 /9 1 0 /1 7 /10
Mohamed 2 /3 1 /3 2 /3 Oui 5 /9 1 1 /1 7 /10
Rachida 3 /3 3 /3 0 /3 Non 6 /9 1 /1 6 /10
Hafidha 3 /3 2 /3 1 /3 Oui 6 /9 1 1 /1 8 /10
Ahmed 1 /3 3 /3 1 /3 Non 5 /9 1 /1 5 /10
Légende : CM1 = critère minimal 1 ; CP = critère de perfectionnement
3. Comment la réussite de l’élève est-elle attestée ?
• Dans les années impaires (1re primaire, 3e primaire, 5e primaire),
l’enseignant attribue une note pondérée à partir des notes « ressour-
ces » (R1, R2, R3, R4) et des notes « compétences » (C3, C4), selon
une proportion allant de 60 % pour les ressources et 40 % pour les
compétences (1e année primaire) à 40 % pour les ressources et 60 %
pour les compétences (5e primaire). Au sein d’un cycle, le redouble-
ment est exceptionnel.
• Dans les années paires, une épreuve normalisée « compétences » est
organisée en fin d’année au niveau de l’établissement. Elle porte sur
les compétences jugées essentielles pour la poursuite de la scola-
rité, appelées « compétences de base ». Ces compétences font l’objet
d’une sélection par des acteurs du système éducatif et des repré-
sentants de la société civile. Elles représentent la moitié du nombre
13. Note plafonnée à 10/10.
308 La pédagogie de l’intégration
de compétences, et constituent le véritable noyau de compétences
évaluables.
Noyau des compétences évaluables
Discipline 1 Discipline 2 Discipline 3 Discipline 4
C1 C2 C1 C2 C1 C2 C1 C2
Compétences de base
Figure 64. Schématisation de la manière de sélectionner les compétences « de base »
Les autres compétences ont un statut différent pour la certification. Sans en
être exclues, bien au contraire, elles n’en constituent pas le cœur. Elles font
partie d’un noyau élargi.
Une note appelée « NF » (note finale sur les compétences de base) est
attribuée pour cette épreuve normalisée.
– Si l’élève réussit cette épreuve à un seuil de 60 %, il réussit son année.
– Sinon, on considère la note NF + C3 + C4 (ces trois notes étant comp-
tabilisées dans des proportions définies). Si cette somme atteint un seuil
de 60 %, l’élève réussit.
– Si cette deuxième condition n’est pas remplie non plus, on considère la
note NF et l’ensemble des notes de l’année (notes ressources et notes
compétences), selon une proportion définie. Si cette note atteint 50 %,
et que la note NF se situe au-delà d’un seuil plancher, l’élève réussit.
– Si aucune de ces trois conditions n’est respectée, l’élève peut néanmoins
passer au niveau supérieur à condition que l’école puisse garantir qu’un
dispositif de remédiation approprié, portant sur les compétences de
base, soit mis en place l’année suivante.
En 6e année, l’épreuve normalisée « compétences » est organisée au niveau
de la province au lieu d’être organisée au niveau de l’établissement, et une
épreuve normalisée « ressources » est organisée au niveau de l’établissement
au terme du palier 2.
Pour le collège, la logique de la certification par discipline est maintenue :
chaque enseignant remet une note dans sa discipline, cette note étant consti-
tuée en partie par les épreuves « ressources », et en partie par les épreuves
« compétences ». La réussite de l’élève relève d’une décision du conseil de
classe, sur la base de l’ensemble des notes dans les différentes disciplines.
La pédagogie de l’intégration et l’évaluation des acquis 309
Le fait que, dans les différentes disciplines, ce sont pratiquement les mêmes
critères qui soient repris (pertinence, utilisation correcte des outils de la disci-
pline, cohérence) permet un échange entre enseignants à propos du profil de
chaque élève, et en particulier des élèves qui présentent un profil irrégulier.
La certification envisagée dans ces termes apparaît comme un lieu
d’échange entre enseignants.
Plusieurs remarques peuvent se dégager de cette étude de cas.
1. Même si, pour le pédagogue, c’est l’évaluation formative qui est la plus
importante, c’est la réflexion sur l’évaluation certificative qui permet
d’étayer la réflexion sur l’évaluation formative. Autrement dit, selon la
pédagogie de l’intégration, une réflexion sur l’évaluation certificative n’a
pas de sens si elle n’est pas articulée à l’évaluation certificative.
2. Ce n’est donc pas une logique disciplinaire qui est adoptée, mais une
logique de maîtrise de certaines compétences jugées essentielles pour
poursuivre la scolarité.
3. La constitution des épreuves normalisées au niveau de l’établissement
scolaire en fin de 2e et 4e primaire représente autant d’occasions pour
l’équipe des enseignants de se concerter autour de la problématique du
passage d’un niveau à l’autre. De plus, le recours aux critères d’évalua-
tion dans les délibérations sont autant d’occasions de discussion entre
eux autour de l’évaluation.
4. De par le fait qu’il repose sur une sommation de notes (qui reste souvent
le système le plus lisible par les enseignants et la société civile), le dis-
positif ne garantit pas de manière absolue que chaque compétence (en
particulier les compétences de base) soit maîtrisée, mais sa conception
permet de limiter au maximum les réussites abusives. Si ce système n’est
pas parfait, il est réaliste. En effet, l’expérience a montré maintes fois
qu’il importe d’obtenir un équilibre entre un système efficace et un sys-
tème simple.
5. Cette manière de faire donne un peu plus de sens aux critères de perfec-
tionnement, dans la mesure où, même s’ils n’interviennent pas dans le
fait de déclarer l’élève compétent, ils interviennent dans la note totale à
travers laquelle la réussite de l’élève sera certifiée.
5.6 LA REMÉDIATION
Beaucoup de choses ont été dites – et pourraient être dites – à propos de
la remédiation, sur un plan théorique. La difficulté, c’est que, plus encore
que dans le domaine des apprentissages et de l’évaluation, l’écart entre ce
qu’on devrait faire en remédiation et ce que l’on fait effectivement est très
important.
310 La pédagogie de l’intégration
Nous nous contenterons ici de déterminer, de manière opérationnelle,
quatre niveaux de remédiation, que l’enseignant ou le formateur est invité à
proposer au terme d’une évaluation formative. Ces quatre niveaux peuvent
être administrés de manière graduelle, selon la discipline concernée, et selon
les outils dont il dispose.
En effet, si les quatre niveaux proposés ci-dessous gagnent progressive-
ment en profondeur et en efficacité, ils requièrent aussi des dispositifs et des
moyens de plus en plus élaborés : mieux vaut ne viser que les niveaux 1 et 2,
et pratiquer effectivement ces remédiations, même si elles sont relativement
élémentaires, que de prétendre viser les niveaux 3 et 4…, et en rester aux
intentions !
Niveau 1 : feed-back
Ce premier niveau de remédiation consiste à procurer aux apprenants la
réponse ou la production attendue : la bonne correction s’il s’agit d’une pro-
duction fermée (ex. maths, sciences…), ou des éléments significatifs de pro-
duction attendue, s’il s’agit d’une production ouverte (ex. langues, sciences
sociales…).
L’objectif poursuivi est de donner à l’élève, ou à l’étudiant, un repère
correct par rapport auquel il peut comparer sa production ou sa réponse.
Ce niveau de remédiation concerne toutes les disciplines. Pour des tâches
complexes qui se situent davantage dans la sphère gestuelle (arts, secteurs
professionnels manuels, etc.), il est très pertinent si le produit attendu est de
type « fermé » (telle pièce qui doit être enduite et peinte, par exemple), il est
également pertinent. Par contre, il l’est moins s’il s’agit d’une création artis-
tique, comme par exemple en architecture.
Niveau 2 : remédiation au niveau de l’ensemble du groupe
d’apprenants
Ce deuxième niveau consiste à repérer, tous critères confondus, les deux ou
trois erreurs les plus fréquentes relevées auprès d’une proportion significative
du groupe des apprenants (plus de 50 % des élèves ou des étudiants).
Ce repérage se fait :
– prioritairement à propos des critères minimaux non maîtrisés, ou moins
maîtrisés que les autres (voir en 5.2.2) ;
– ensuite à propos des ressources non maîtrisées, en pensant tout d’abord
aux concepts intégrateurs et aux savoirs méthodologiques (voir en
3.2.6).
Ces critères ou ressources non maîtrisés peuvent faire l’objet d’apprentissa-
ges systématiques avec l’ensemble des apprenants (activités d’apprentissage
et/ou applications).
La pédagogie de l’intégration et l’évaluation des acquis 311
Pour les critères insuffisamment maîtrisés, il est intéressant de tra-
vailler les aspects du critère qui font défaut. Par exemple, pour le critère
« pertinence » (qui est en général le premier critère minimal), l’enseignant ou
le formateur peut proposer des activités visant à apprendre à lire correc-
tement une consigne, à identifier quelles sont les informations utiles ou au
contraire parasites, à décoder tel type de support, etc.
Pour les ressources insuffisamment maîtrisées, l’important est de pro-
poser d’autres activités d’apprentissage que celles qui ont conduit les élèves
ou les étudiants à ce manque de maîtrise. Par exemple, il est en général
vain de reprendre un exposé sur une ressource non acquise ; par contre,
la présentation d’une étude de cas, ou encore d’un exemple nouveau, peut
constituer pour l’apprenant une occasion de porter un nouveau regard sur
les apprentissages non maîtrisés.
L’objectif à ce niveau est de couvrir le maximum d’erreurs à travers
un dispositif collectif, plus facilement gérable par l’enseignant. Il n’est pas
nécessaire d’aller rechercher le dernière erreur ; la loi de Pareto peut jouer à
ce niveau : on peut estimer que l’on peut remédier à 80 % des difficultés des
élèves ou des étudiants en travaillant sur 20 % des erreurs commises, ceci à
condition de bien cibler ces dernières.
Ce niveau de remédiation concerne toutes les disciplines.
Niveau 3 : remédiation différenciée par groupes de besoins
Ce troisième niveau consiste à repérer les critères défaillants par groupes
d’apprenants (par exemple les critères qui concernent entre 10 % et 50 %
d’entre eux), selon la méthodologie qui a été proposée ci-dessus.
Il s’agit, pour ces critères, d’identifier les deux ou trois erreurs commises
le plus fréquemment, et de proposer une remédiation sur ces erreurs les plus
fréquentes.
La démarche est la suivante :
– regrouper les élèves ou les étudiants selon le critère qu’ils maîtrisent le
moins bien (groupes de besoins) ;
– repérer, pour chaque groupe de besoins, les deux ou trois erreurs les plus
fréquentes (en dehors de celles qui ont été travaillées au niveau 2) ;
– proposer, pour chaque erreur, quelques exercices et activités de remédia-
tion à travailler en groupe.
Ce niveau de remédiation concerne spécialement les disciplines « outils » :
langues, mathématiques, informatique, statistiques…, mais aussi les discipli-
nes pour lesquelles les lacunes repérées vont avoir des conséquences sur les
apprentissages ultérieurs.
312 La pédagogie de l’intégration
Niveau 4 : remédiation différenciée individualisée
Ce quatrième niveau de remédiation consiste à apporter à chaque appre-
nant une remédiation individualisée selon les difficultés qu’il rencontre. Cette
remédiation nécessite de disposer des outils de remédiation individuels, à
construire par l’enseignant et/ou à rechercher parmi des banques d’outils
de remédiation, à élaborer progressivement. C’est également le lieu privi-
légié pour le recours à toute la panoplie de supports offerts par le soutien
informatisé.
Ce niveau concerne spécialement les disciplines « outils » (langues, mathé-
matiques, informatique, statistiques…), mais il concerne aussi tout ce qui
possède un caractère transversal – capacités transversales, capacités psycho-
sociales –, comme par exemple apprendre à rechercher de l’information,
apprendre à élaborer une synthèse, apprendre à organiser son travail…
Conclusion
Avec les développements qualitatifs et quantitatifs qu’elle a connus depuis
près de 20 ans sur les 5 continents, la pédagogie de l’intégration continue à
évoluer petit à petit en prenant appui sur toutes ces expériences : affiner les
méthodologies, préciser les points d’appui, les passages nécessaires, comme
par exemple la volonté politique, ou encore la nécessité de travailler sur tou-
tes les composantes du curriculum, mieux cerner les difficultés récurrentes et
les pièges à éviter.
Plus que jamais, elle trouve son identité dans sa double visée d’améliorer à
la fois l’efficacité et l’équité des systèmes d’enseignement et de formation. En
cela, elle interroge de manière fondamentale les principes sur lesquels repose
la forme actuelle de la mondialisation de l’éducation et de la formation.
Comme toute approche qui concerne la totalité d’un système éducatif,
d’un système de formation professionnelle, d’une institution de formation
supérieure, c’est dans une optique systémique que les choses doivent être
pensées, dans une articulation continuelle de trois éléments :
– une attention accrue à la commande sociale, à l’évolution de la société,
des métiers ;
– la prise en compte des ressources – savoirs et savoir-faire –, qui consti-
tueront encore pendant longtemps le cœur des apprentissages dans les
institutions éducatives et de formation, ce que l’on a trop souvent cou-
tume d’oublier aujourd’hui ;
– entre les deux, cet indispensable détour consistant à définir un noyau de
compétences évaluables, qui met en phase la commande sociale et le
développement de ressources ; reposant sur les savoirs, ces compéten-
ces évaluables doivent inciter à la réflexion en profondeur, mais aussi à
l’action.
314 La pédagogie de l’intégration
La pédagogie de l’intégration a largement fait la preuve qu’il est possible de
combiner une approche éducative avec le respect de l’homme et de l’envi-
ronnement. Sur le plan technique, les solutions existent donc bel et bien.
Aujourd’hui, la balle est davantage dans le camp du politique. Et le politique,
ce n’est pas seulement les politiques, mais aussi nous, citoyens, qui choisis-
sons nos représentants politiques.
Beaucoup de choses sont possibles, quoique l’on en pense. À nous de
faire infléchir la trajectoire tracée par cette forme de mondialisation qui n’en
finit pas de déraper.
Annexe :
un historique de la pédagogie
de l’intégration
C’est Jean-Marie De Ketele (professeur à l’UCL, Belgique) qui lance les bases
de l’intégration des acquis, avec la notion d’Objectif Terminal d’Intégration, au
début des années 1980. C’est le Guide du formateur (De Ketele & al., 1989)
qui, le premier, mentionne de façon explicite ce qu’est un « OTI ».
Les composantes de la pédagogie de l’intégration commencent alors à s’opéra-
tionnaliser progressivement, dans deux directions.
À la fin des années 1980 et au début des années 1990, en Belgique, et dans
certains pays d’Europe, c’est dans les études supérieures que les principes de
l’intégration des acquis s’introduisent tout d’abord. L’intégration des acquis est
posée comme un principe directeur qui assure la cohérence des programmes de
certaines études supérieures, à travers la création d’activités d’intégration, ou à
travers des cours spécifiquement dédiés à l’intégration des acquis (par exemple
un cours de préparation au mémoire de fin d’études). Dans certaines formations
supérieures professionnalisantes, en particulier dans des programmes d’études
d’infirmier(ère)s, ou d’instituteur(trice)s, en Belgique francophone, en France et
en Suisse, l’intégration des acquis devient une référence pour construire des
programmes en termes de compétences. Progressivement, se développent éga-
lement des dispositifs d’évaluation basés sur des situations complexes, en parti-
culier au Québec et en Belgique francophone.
Parallèlement, dès le début des années 1990, Jean-Marie De Ketele et Xavier
Roegiers ont l’occasion de développer les principes de la pédagogie de l’intégra-
tion dans l’enseignement primaire en Tunisie, en collaboration avec Mohamed
Miled et Mahmoud Masmoudi, ainsi qu’avec l’appui de l’UNICEF. C’est là que
316 La pédagogie de l’intégration
sont développées les notions de situations d’intégration, ainsi que les évaluations
critériées sur la base de situations complexes. C’est également là que sont posés
les principes de l’évaluation formative et de la remédiation. L’expérimentation,
menée dès 1994, débouche sur une généralisation en Tunisie de ce qu’on appelle
alors « approche par les compétences de base », dès 1999.
Un projet pilote d’intégration, à la fois intégration de disciplines et à la fois
intégration des acquis, mené par Xavier Roegiers et François-Marie Gerard avec
le Ministère de l’Éducation du Vietnam, permet d’affiner les applications de la
pédagogie de l’intégration dans les manuels scolaires, et constitue l’occasion de
faire paraître la première édition de leur ouvrage Des manuels scolaires pour
apprendre. C’est là aussi que, en 1995, Xavier Roegiers fait paraître, en vietna-
mien, la première version de Une pédagogie de l’intégration.
À partir de la fin des années 1990, la pédagogie de l’intégration prend vérita-
blement son essor. En Europe, plusieurs systèmes d’enseignement secondaire,
surtout en Belgique francophone et en Suisse, s’y intéressent comme un com-
plément intéressant aux premiers programmes élaborés en termes de « compé-
tences » transversales. C’est surtout la manière dont est menée l’évaluation des
acquis des élèves qui suscite l’intérêt des responsables de systèmes éducatifs.
Mais c’est surtout sur le continent africain que s’opérationnalisent les principes
de la pédagogie de l’intégration dans l’enseignement de base (primaire et secon-
daire inférieur), sous l’impulsion de Jean-Marie De Ketele, ainsi que de Xavier
Roegiers et de son équipe multiculturelle du BIEF. À Djibouti, les « semaines d’in-
tégration » sont très vite généralisées dans l’ensemble du système éducatif. C’est
là également que surgissent les cahiers d’intégration, pour l’élève. Ce sont des
outils intermédiaires, utilisés en parallèle avec les manuels scolaires, en attendant
la refonte de ceux-ci. C’est là enfin que se systématisent sur le continent africain
les premiers programmes de formation des maîtres en termes de pédagogie
de l’intégration. La généralisation progressive de la pédagogie de l’intégration
en Mauritanie est l’occasion de préciser certains dispositifs, dans des régions
éloignées. Un important projet de l’Union Européenne au Gabon est l’occasion
de perfectionner encore les guides d’intégration et les cahiers de situations. À
Madagascar, un projet appuyé par l’UNICEF permet d’affiner encore certains
aspects de la pédagogie de l’intégration, dans l’utilisation d’une langue nationale
en début de scolarité, dans l’organisation de formations d’enseignants à large
échelle et dans l’utilisation systématique de situations complexes dans l’évalua-
tion des compétences, à travers une base de données longitudinale de deux
cohortes permettant de piloter la réforme.
Fort des nombreuses expériences qu’il mène dans plusieurs pays avec son équipe,
Xavier Roegiers formalise entièrement la pédagogie de l’intégration, et publie
trois livres (trilogie) Une pédagogie de l’intégration, dont la première édition
date de 2000, suivi de Des situations pour intégrer les acquis scolaires, paru
en 2003, et enfin L’école et l’évaluation, paru en 2004. Il en existe aujourd’hui
des traductions dans 8 langues.
Annexe : un historique de la pédagogie de l’intégration 317
Depuis 2002, sous l’impulsion de l’OIF1, se développe le « pool multilatéral d’ex-
perts en sciences de l’éducation », pour l’animation duquel Xavier Roegiers est
sollicité. Ce pool, qui organise depuis sa création quatre séminaires par an à
destination des responsables de systèmes éducatifs africains autour du thème
de l’approche par les compétences dans les programmes scolaires, apporte son
appui pour introduire progressivement – à des vitesses différentes, et en tout ou
en partie – la pédagogie de l’intégration dans plusieurs pays : Sénégal, Guinée,
Bénin, Comores, Burundi, Cameroun, Togo, République Centrafricaine, Côte
d’Ivoire, Burkina Faso, Niger. D’autres partenaires techniques et financiers vien-
nent compléter les appuis jusqu’alors essentiellement fournis par l’UNICEF :
l’UNESCO, l’AFD, Lux Development, la CTB, l’USAID.
En 2008, le pool d’experts publie notamment un ouvrage sur la formation des
enseignants dans le cadre de la pédagogie de l’intégration Former pour changer
l’école, paru aux éditions EDICEF.
La pédagogie de l’intégration poursuit sa pénétration dans le monde arabe.
L’UNESCO, à travers son programme PARE, appuie l’Algérie qui pénètre dans
une approche par compétences à travers plusieurs composantes du curriculum :
les manuels scolaires, les programmes scolaires et l’évaluation. Depuis 2004-
2005, le Liban demande également l’appui du BIEF pour revoir entièrement son
système d’évaluation en termes de situations complexes.
Dans l’enseignement professionnel également, la pédagogie de l’intégration est
à la base de nombreuses réformes, tant dans certains pays occidentaux que sur
le continent africain. Les principes de la pédagogie de l’intégration, maintenant
bien stabilisés dans leurs applications précises, sont également considérés comme
une des meilleures bases pour la validation des acquis professionnels, grâce à sa
double préoccupation de vouloir gérer le complexe tout en proposant des pistes
très concrètes (Belgique, Grand-Duché de Luxembourg, Tunisie, Sénégal…).
Fin 2005, le BIE-UNESCO organise un e-forum mondial sur la pédagogie de
l’intégration. Des spécialistes de curricula du monde entier échangent leur opi-
nion sur la pédagogie de l’intégration.
Depuis 2006, plusieurs pays non francophones s’intéressent de près à la pédago-
gie de l’intégration : des pays lusophones d’une part (Cap Vert, Angola, Guinée
Bissau), et des pays hispanophones d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud,
ainsi que le système des Ikastolas, au Pays basque.
Fin 2007, Xavier Roegiers est invité en Chine pour présenter la pédagogie de
l’intégration, au cours d’un séminaire de trois jours regroupant des responsables
éducatifs de l’ensemble des 22 provinces chinoises. Il s’agit là d’une véritable
marque d’intérêt pour la pédagogie de l’intégration, quand on sait que la Chine
ne dispose pas moins de mille experts chinois en sciences de l’éducation, aux
dires de la responsable des curricula.
1. Organisation Internationale de la Francophonie.
318 La pédagogie de l’intégration
Début 2008, Xavier Roegiers est sollicité par le Ministre de l’Éducation au
Maroc, et par la Secrétaire d’État, pour accompagner la réforme de l’enseigne-
ment primaire et secondaire collégial. Ce vaste projet, développé avec l’appui de
l’UNESCO, vise à généraliser la pédagogie de l’intégration dans l’ensemble des
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Index
A compagnonnage : 114
accommodation : 67, 115 compétence : 32, 41, 63, 112, 120,
analphabètes fonctionnels : 88 206, 236, 241, 242, 251, 263
analphabétisme fonctionnel : 140, 287 compétence de base : 257, 308
application : 57, 68, 236 compétence de perfectionnement : 258
apprendre à penser : 229 compétence professionnelle : 210
apprentissage collaboratif : 53 compétence psychosociale : 198
apprentissage en contexte : 118 compétence technique : 210
apprentissage par problèmes : 134 compétence terminale : 37, 256
Approche Par Compétences : 75 compétence transversale : 77, 198,
approche situationnelle : 26 210
aptitude : 189 complexe : 26
arbre à problèmes : 56 complexité : 65
assimilation : 115 compliqué : 26
concept : 184
B conflit socio-cognitif : 115
béhaviorisme : 109 connaissance : 107, 183
bien commun : 92 connaissance déclarative : 181
brainstorming : 56 connaissance procédurale : 188
consigne : 262, 277, 298
C constructivisme piagétien : 114
cadre curriculaire : 36 contenu : 182, 215, 241
cadre méthodologique : 22 contenu-matière : 182
capacité : 33, 189, 206, 241, 251 contextualisation : 20, 174
capacité fonctionnelle : 196 contrainte : 262
capacité professionnelle : 209 critère : 38, 290
capacité psychosociale : 195, 211, 215 critère de perfectionnement : 291
capacité technique : 209 critère minimal : 291
capacité transversale : 112, 143, 210 curriculum : 18, 93
capacités cognitives de base : 197 curriculum implanté : 19
commande sociale : 31 curriculum maîtrisé : 19
334 La pédagogie de l’intégration
curriculum officiel : 19 H
curriculum prescrit : 19 habileté : 33, 189
curriculum réalisé : 19 hétérogénéité : 286
D I
défi : 277 indicateur : 38, 300
démarche scientifique : 55 information : 276
démonstration : 56 ingénierie curriculaire : 20, 36
dérive de l’utilitarisme : 227 instructionnisme : 129
dérive de la coquille vide : 223 intégration : 57, 60, 61, 62, 67
dérive de la théorisation : 227 interdisciplinarité : 32, 67
différenciation : 102 interview : 56
disciplinaire : 247
donnée parasite : 269 J
jeu de rôle : 56
E
échec abusif : 286 L
efficacité : 168 life skills : 34, 78
efficacité externe : 20, 145
efficacité interne : 20, 145 M
efficience : 153 macro-compétence : 37
élagage : 233 marchandisation : 91
enquête : 56 matrice de l’activité humaine : 201
enseignement explicite : 129 métacognition : 119
équité : 20, 97, 102, 149, 168, 170 méthode de projet : 55
étude de cas : 55 méthode pédagogique : 24, 50
évaluation certificative : 290 méthode socratique : 114
évaluation formative : 289
exercice : 57, 236 N
expertise : 201, 219 néo-constructivisme : 115
exploration : 122 notion : 185
exposé-débat : 55 noyau de compétences évaluables : 31,
exposé-discussion : 55 121, 211, 256, 304, 308
F O
famille de situations : 29, 37, 41, 241, objectif : 110
246, 263, 279 objectif spécifique : 212, 250
feed-back : 310 objectif terminal d’intégration : 259
finalité : 17, 31, 70 outillage commun : 217
fonction : 276 outillage d’action : 217, 221
formulation d’une compétence : 263 outillage de profondeur : 217, 221
G P
généraliste : 246 P.P.O. : 59, 171
grille de correction : 300 palier de compétence : 236, 265
groupes à tâches : 55 paramètre : 37, 282
groupes de besoins : 55, 311 pédagogie de l’intégration : 79, 121,
groupes de niveau : 55 159
Index 335
pédagogie de maîtrise : 110 séminaire d’intégration : 29
pédagogie par objectifs : 59, 74, 109, sens : 167, 277
110 simulation : 56
pédagogies de l’apprentissage : 135 situation : 51, 194, 241, 267
performance : 254 situation complexe : 122, 268
politique curriculaire : 17 situation d’apprentissage des
PPO : 74 ressources : 122
production d’idées : 56 situation d’exploration : 27, 269
production de l’apprenant : 275 situation d’intégration : 27, 37, 123,
profil de sortie : 41, 50, 71, 90 137, 270, 274
profil général : 18, 36, 40 situation de structuration : 27, 123,
270
R situation de vie : 269
recherche documentaire : 56 situation didactique : 27, 50, 122, 270
recueil d’informations : 56 situation emblématique : 44
redécouverte guidée : 56 situation-problème : 28, 268
référentiel de compétences : 112 situation relative au développement des
référentiel de métier : 31 ressources : 269
remédiation : 309 situation significative : 277
résolution de problème : 55, 146 socle de compétences : 258
ressource : 27, 33, 38, 128, 236, 245 standard : 77
réussite abusive : 286 support : 262, 276
révision : 68 synthèse : 68
S T
sablier : 35 tâche : 261, 276
savoir : 33, 182 taylorisme : 109
savoir-devenir : 192 transversal : 247
savoir-être : 34, 191 tutorat : 55
savoir-faire : 33, 190, 202, 205, 236
savoir-faire professionnel : 209, 215, U
236, 266 uniformisation : 99, 102
savoir-faire technique : 209 univers de référence : 281
savoir méthodologique : 213
savoir-redire : 264 V
savoir-reproduire : 190 valeurs : 17, 31, 70, 85, 191
segment de capacité : 249 visite de site : 56
Liste des figures
Figure 1 Schéma des états d’un curriculum 19
Figure 2 Schématisation de la zone d’influence
d’une approche curriculaire 21
Figure 3 Détail des questions posées par l’ingénierie curriculaire 22
Figure 4 Représentation schématique d’une famille de situations
par un contour 29
Figure 5 Niveaux de référence dans l’élaboration d’un curriculum 34
Figure 6 L’élaboration d’un curriculum vue par le concepteur
du curriculum 35
Figure 7 L’élaboration d’un curriculum vue par l’enseignant
ou le formateur 46
Figure 8 Représentation schématique des différentes situations
d’apprentissage et d’évaluation selon la pédagogie
de l’intégration 51
Figure 9 Les différentes méthodes et techniques pédagogiques 54
Figure 10 Comparaison entre les démarches d’exercice,
d’application et de résolution de problème 57
Figure 11 Schéma méthodologique de l’élaboration d’un curriculum
selon la pédagogie de l’intégration 58
Figure 12 Schéma méthodologique de l’élaboration d’un curriculum
selon la pédagogie par objectifs 60
Figure 13 Représentations schématiques des différentes formes
de mobilisation d’une compétence 63
Figure 14 Représentation schématique de la modification du niveau
de compétence reconnu suite à l’exécution d’une tâche
à caractère exceptionnel 64
338 La pédagogie de l’intégration
Figure 15 Schéma relatif à la catégorisation des approches
curriculaires 73
Figure 16 Les différents niveaux d’acquis dans le schéma relatif
à la catégorisation des approches curriculaires 73
Figure 17 La localisation de l’approche contenus et de la P.P.O.
dans le schéma relatif à la catégorisation
des approches curriculaires 74
Figure 18 La localisation de l’Approche par compétences
dans le schéma relatif à la catégorisation des approches curri-
culaires 75
Figure 19 La localisation de l’Approche par les standards
dans le schéma relatif à la catégorisation
des approches curriculaires 77
Figure 20 La localisation de l’Approche par les compétences
transversales dans le schéma relatif à la catégorisation
des approches curriculaires 78
Figure 21 La localisation de l’Approche par les life skills
dans le schéma relatif à la catégorisation
des approches curriculaires 79
Figure 22 La localisation de la pédagogie de l’intégration
dans le schéma relatif à la catégorisation
des approches curriculaires 80
Figure 23 Représentation schématique de la nébuleuse « APC »
dans le schéma relatif à la catégorisation
des approches curriculaires 80
Figure 24 Schématisation des trois manières de mettre en tension
l’évolution différentielle des résultats d’élèves plus avancés
et d’élèves moins avancés 98
Figure 25 Schématisation de l’axe politico-culturel
comme explication historique de l’évolution
des approches curriculaires 104
Figure 26 Schématisation de l’axe économico-citoyen
comme explication historique de l’évolution
des approches curriculaires 105
Figure 27 Schématisation des deux modèles relatifs à la succession
de l’introduction de l’innovation dans les systèmes
d’éducation et de formation 125
Figure 28 Schématisation de la fusion entre ressources et situations
dans la conception « situations seules » 127
Liste des figures 339
Figure 29 Illustration de la double voie possible pour l’évolution
des pratiques d’enseignement-apprentissage 133
Figure 30 Illustration du modèle 1 relatif aux priorités
dans les innovations 134
Figure 31 Illustration du modèle 2 relatif aux priorités
dans les innovations 137
Figure 32 Schématisation des modes transitoires et majeurs
de changement de pratiques pédagogiques 138
Figure 33 Organisation des termes « savoir », « contenu »
et « connaissance » 183
Figure 34 Schématisation de l’évolution des capacités
au cours du temps 193
Figure 35 Prise en compte des facteurs de non-linéarité
dans l’évolution des capacités 194
Figure 36 Schématisation de la combinaison de capacités 195
Figure 37 Représentation de différentes capacités selon leur type 199
Figure 38 Représentation schématique de la différence
entre les capacités générales et les capacités dérivées 200
Figure 39 Matrice de l’activité humaine 201
Figure 40 Explicitation des axes de la matrice de l’activité humaine 203
Figure 41 La sphère de l’usage et la sphère des fondements
dans la matrice de l’activité humaine 204
Figure 42 Illustration de la matrice de l’activité humaine
dans le secteur de la musique 205
Figure 43 Les types d’activités dans matrice de l’activité humaine 205
Figure 44 Illustration de la matrice de l’activité humaine
dans le secteur du jardinage 206
Figure 45 Illustration du point de basculement capacité /
compétence dans la matrice de l’activité humaine 207
Figure 46 Illustration du déplacement des axes dans la matrice
de l’activité humaine 208
Figure 47 Illustration de l’influence du langage courant
dans la catégorisation des types d’activités 208
Figure 48 Schématisation des trois catégories de contenus 216
340 La pédagogie de l’intégration
Figure 49 Schématisation des liens existant entre les catégories
de capacités 216
Figure 50 Schématisation des trois types d’outillage de l’apprenant 218
Figure 51 Mise en lien des trois types de contenus
et des trois types d’outillage 220
Figure 52 Schématisation de la dérive de la coquille vide,
par réduction de l’outillage commun 223
Figure 53 Schématisation de la dérive de la théorisation,
par réduction de l’outillage d’action 227
Figure 54 Schématisation de la dérive de l’utilitarisme,
par réduction de l’outillage de profondeur 228
Figure 55 Comparaison entre la proportion d’outillage commun et
d’outillage de profondeur gérés dans les apprentissages 232
Figure 56 Schématisation des différents objets d’apprentissage
et activités de l’apprenant selon la vision de la pédagogie
de l’intégration 236
Figure 57 Schématisation des compétences selon un axe
des situations 249
Figure 58 Schématisation de la notion de « segment de capacité » 250
Figure 59 Schématisation des contenus, des capacités
et des compétences, en fonction de l’axe du temps
et de celui des situations 250
Figure 60 Représentation schématique de la part de situations-
problèmes dans les différents types de situations
d’apprentissage 271
Figure 61 Illustration de l’importance de distinguer la fonction
d’apprentissage et la fonction de certification
dans l’exploitation des situations d’intégration 273
Figure 62 Illustration de la manière de sélectionner les ressources
principales dans les situations d’intégration 282
Figure 63 Exemple de grille de correction combinée avec un barème
de notation 301
Figure 64 Schématisation de la manière de sélectionner
les compétences « de base » 308
Table des matières
Remerciements 5
Sommaire 7
Préambule 9
Introduction 11
Chapitre 1 Qu’est-ce que la pédagogie de l’intégration ?
Comment se décline-t-elle aux différents niveaux
d’enseignement et dans la formation ? 17
1.1 Politique curriculaire et approche curriculaire 17
1.1.1 La notion de politique curriculaire 17
1.1.2 La notion de curriculum 18
1.1.3 L’ingénierie curriculaire : un cadre méthodologique pour
mettre en œuvre une politique curriculaire 20
1.1.4 Analyser des approches curriculaires 20
1.2 La pédagogie de l’intégration en bref 21
1.2.1 La pédagogie de l’intégration comme approche
curriculaire 21
1.2.2 Sur quels principes repose la pédagogie de l’intégration ? 25
1.2.3 La pratique de la pédagogie de l’intégration 27
1.2.4 La nécessité de délimiter les contours d’une famille
de situations 29
1.3 Le noyau de compétences évaluables, clé de l’édifice curriculaire 31
1.4 Les étapes de l’ingénierie curriculaire selon la pédagogie
de l’intégration 36
1.5 Les pratiques curriculaires : comment l’enseignant,
le formateur mène-t-il ses apprentissages ? 45
1.5.1 Une autre manière de voir le sablier 45
1.5.2 Des étapes de l’apprentissage 47
342 La pédagogie de l’intégration
1.5.3 Les activités menées par l’enseignant ou le formateur 49
1.5.4 Quelles méthodes et techniques pédagogiques
pour quel type de situations d’apprentissage ? 52
1.6 Un schéma illustratif de l’élaboration d’un curriculum 58
1.7 La notion d’intégration des acquis 60
1.7.1 Différentes acceptions du terme « intégration » 60
1.7.2 Les trois composantes de l’intégration 61
1.7.3 Une définition générale de l’intégration 62
1.7.4 Le sens pédagogique du concept d’intégration 62
1.7.5 L’intégration des acquis : une démarche dont l’apprenant
est acteur 67
1.7.6 L’intégration et quelques notions qui peuvent sembler
proches 68
1.7.7 L’intégration des acquis : une démarche complémentaire
aux pratiques habituelles 69
1.8 Les caractéristiques de la pédagogie de l’intégration 70
1.9 Quel est le lien entre la pédagogie de l’intégration et l’APC ? 72
1.9.1 La nébuleuse de l’APC 72
1.9.2 La percée de l’APC 75
Chapitre 2 Les fondements de la pédagogie de l’intégration 83
2.1 Les fondements axiologiques de la pédagogie de l’intégration :
une réponse aux défis posés aux systèmes d’éducation
ou de formation 84
2.1.1 Le danger de la léthargie – l’incapacité à répondre
au pari pour les générations futures 84
2.1.2 Le danger de l’inadéquation – l’incapacité de répondre
à la demande de la société 87
2.1.3 Le danger de la marchandisation de l’éducation 91
2.1.4 Des systèmes éducatifs déchirés 97
2.2 Les fondements historiques de l’approche intégratrice
dans l’enseignement : l’évolution du statut de la connaissance 107
2.2.1 Connaître, c’est prendre connaissance
des textes fondateurs et les commenter 107
2.2.2 Connaître, c’est assimiler les résultats des découvertes
scientifiques et technologiques 108
2.2.3 Connaître, c’est démontrer sa maîtrise d’objectifs traduits
en comportements observables 109
2.2.4 Connaître, c’est démontrer sa compétence 111
2.3 Les fondements théoriques de la pédagogie de l’intégration 113
2.3.1 Les théories de l’exposition à des modèles 114
Table des matières 343
2.3.2 Le constructivisme piagétien 114
2.3.3 Le néo-constructivisme 115
2.3.4 Le modèle de Vygotski 117
2.3.5 Le courant de l’apprentissage en contexte 118
2.3.6 Les modèles cognitivistes actuels 119
2.4 Les fondements pédagogiques de la pédagogie de l’intégration 120
2.4.1 Introduction 120
2.4.2 La problématique de l’introduction des situations
complexes : deux voies complémentaires 122
2.4.3 Entre ce que l’école voudrait faire et ce qu’elle peut faire :
deux conceptions extrêmes 126
2.4.4 Deux modèles de réforme des curricula 130
2.4.5 Des choix sensibles pour les systèmes d’éducation
ou de formation 139
2.4.6 Conclusion 156
2.5 Les fondements empiriques de la pédagogie de l’intégration 159
2.5.1 Études réalisées dans l’enseignement général, primaire
et secondaire 159
2.5.2 Données disponibles au niveau national 163
2.5.3 Effets dans l’enseignement supérieur 165
2.5.4 Une difficulté méthodologique liée aux enquêtes
internationales 165
2.5.5 En conclusion : pas d’intégration sans ressources 166
2.6 Atouts et difficultés de la pédagogie de l’intégration
dans les systèmes d’éducation et de formation 166
2.6.1 Les atouts de la pédagogie de l’intégration 166
2.6.2 Les difficultés liées à la mise en œuvre de la pédagogie
de l’intégration dans les systèmes d’éducation
ou de formation 175
Chapitre 3 Pédagogie de l’intégration et enjeux de contenus 181
3.1 Les contenus-matières, ou objets de savoir 181
3.1.1 Contenus, savoirs et connaissances 182
3.1.2 Les fonctions des savoirs 183
3.1.3 Les concepts 184
3.2 Les contenus de type procédural 188
3.2.1 Ce qu’est une capacité 189
3.2.2 L’exercice d’une capacité sur un contenu 190
3.2.3 Les caractéristiques d’une capacité 192
3.2.4 Compétence ou capacité ? Une clarification conceptuelle
et terminologique 198
344 La pédagogie de l’intégration
3.2.5 Le concept d’objectif spécifique 211
3.2.6 Les savoirs méthodologiques 212
3.3 Curricula et enjeux de contenus 214
3.3.1 Les différents types d’outillage de l’apprenant 214
3.3.2 Le lien entre ces outillages et la pédagogie
de l’intégration 220
3.3.3 Des déséquilibres dans les curricula actuels 222
3.3.4 Le recentrage des contenus
dans l’« apprendre à penser » 232
3.4 Une synthèse des différents niveaux d’objets d’apprentissage
et d’activités de l’apprenant 236
Chapitre 4 Les principaux concepts sur lesquels
repose la pédagogie de l’intégration 237
4.1 Le recours au concept de compétence dans la pédagogie
de l’intégration 237
4.1.1 Une première approche de la compétence 237
4.1.2 Ce qu’est une compétence 241
4.1.3 Ce que recouvre la notion d’« être compétent » 252
4.1.4 Compétence et performance 254
4.1.5 Opérationnaliser le noyau de compétences évaluables 255
4.1.6 Compétences de base et compétences
de perfectionnement 257
4.1.7 L’objectif terminal d’intégration 259
4.1.8 Formuler une compétence 261
4.1.9 Organiser et planifier les apprentissages en termes
de compétences 265
4.2 Les situations dans lesquelles s’exercent la compétence 267
4.2.1 Ce que l’on entend par « situation » 267
4.2.2 Les différents types de situation 269
4.2.3 Les caractéristiques d’une situation d’intégration 274
4.2.4 Les constituants d’une situation 276
4.2.5 Le caractère significatif d’une situation 277
4.3 Les familles de situations 279
4.3.1 La notion de famille de situations 279
4.3.2 Famille de situations et mobilisation des ressources 281
4.3.3 Des paramètres pour circonscrire une famille
de situations 282
Table des matières 345
Chapitre 5 La pédagogie de l’intégration et l’évaluation
des acquis 285
5.1 Peut-on changer de système d’évaluation ? 285
5.1.1 Le fléau des réussites et des échecs abusifs 286
5.1.2 La pédagogie de l’intégration et l’évaluation
des compétences 287
5.1.3 L’évaluation formative et certificative dans le cadre
de la pédagogie de l’intégration 289
5.2 Le critère, pierre angulaire de l’évaluation des compétences 290
5.2.1 La notion de critère 290
5.2.2 Critère minimal et critère de perfectionnement 291
5.2.3 À partir de quand peut-on dire qu’un critère est maîtrisé ? 292
5.2.4 L’indépendance des critères entre eux 293
5.2.5 L’intérêt d’une correction critériée 294
5.2.6 Le nombre optimal de critères 295
5.2.7 Faut-il communiquer les critères aux élèves ? 296
5.2.8 Existe-t-il une liste générique de critères
pour toutes les disciplines ? 296
5.3 L’élaboration d’une épreuve d’évaluation 297
5.3.1 Les qualités d’une épreuve d’évaluation à travers
une situation complexe 297
5.3.2 Les étapes de l’élaboration d’une épreuve d’évaluation 298
5.3.3 Quelques questions pour guider les choix 298
5.4 La correction des copies 299
5.4.1 Des indicateurs pour opérationnaliser les critères 299
5.4.2 Le recours à une grille de correction 300
5.5 La prise de décision en évaluation selon la pédagogie
de l’intégration 302
5.5.1 Des lieux différents pour développer les compétences 302
5.5.2 Une étude de cas 305
5.6 La remédiation 309
Conclusion 313
Annexe : un historique de la pédagogie de l’intégration 315
Bibliographie 319
Index 333
Liste des figures 337