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Histoire de La Caricature Antique

Historia de la caricatura.
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AVERTISSEMENT

La première édition de cet ouvrage, accueillie si


favorablement par la critique, a soulevé tant de ques-
tions, quil seinblait iiiipossilh' d'en présenter au
public une seconde autrement que sous le format d'un
in-quarto bourré de notes et considérablement aug-
mentée.
Un certain nombre d'écrivains étaient préparés par
leurs études à signaler leurs doutes. L'auteur en a pris

bonne note et essaye, en se maintenant dans un cadre


modeste, de répondre aux points principaux.
L'une des objections contre le livre émane d'un sa-
vant professeur, M. Chassang, maître de conférences
à l'École normale. Il nie à diverses reprises l'existence
de la caricaturr en Grèce, et s'appuie particulièrement
VI AVERTISSEMENT
sur le drcri't rcndi( par les Béotiens contre la carica-

ture. Décret qui prouve que la caricature existait en


Béotie.
€ Les yeux des Grecs, ce peuple si passionné pour le

beau, répugnaient au spectacle du un dessin


laid; et si

grotesque, une caricature avait de quoi leur agréer un


instant, ils n'aimaient point à y arrêter leurs re-
gards. »
L'auteur est, sur ce point, de Vavis de Vhonorahle
membre de l'Université qui, une fois de plus, constate
que la caricature existait en Grèce.
a On aimait mieux, dit M. Asselineau, diffamer la
laideur en paroles que d'en perpétuer V image. » M. Éd.
Fournier dit avec non moins de justesse : a La carica-
ture dans l'antiquité était individuelle; elle n'existait
pas à l'état d'institution, comme on peut dire qu'elle

existe dans les temps modernes.))


Sans doute la caricature n'avait pas la force que lui

ont prêtée les modernes.


Personne ne pourrait avancer que la caricature fai-
sait école et qu'elle possédait la virtualité considérable

dont Luther et la réforme l'ont armée. Le poète sati-


rique, je l'avais dit, l'emporte sur le peintre dans
l'antiquité: on n y rencontre pas un Daumier pour-
suivant le gouvernement constitutionnel de son crayon
et hâtant sa chute.
Il faut, toutefois faire remarquer l'inquiétude des
érudits pour tout ce qui regarde l'antiquité. Ils crai-
gnent la raillerie, gémissent du scepticisme et regar-
AVERTISSEMENT VII

dent nu vaudeville qui touche à l'Olympe comme une


profanation. Les dieux de VOlympe sont la véritable

religion de Vérxidit: sourire de la Grèce, mime du


bout di-s lèvres, fait froncer leurs smircilx. Le sièclo
de Louis XIV les touche médiocrement, mais il 71 e faut
pas hasarde)- un mot sur le siècle de Péiiclès. Ce (jui

rend les érudits un peu partiaux, les empêche parfois


de voir juste: car si la critique moderne va jusquà
s'inquiéter des ordonnances d'un Fagon, il est bien

certain que Vétude des menus faits de Périclès n'a pas


été poussée aussi loin.
On veut voir clair avjourdliui, ne pas être trompé
sur les misères des rois. Parce que le siècle de Louis XIV
reste grand sans Louis XIV, quel chagrin doit causer

aux érudits V éclaircissement d'une antiquité étudiée


si profondément?
L'an passé fut vendue la collection du vicomte de
Janzé, curieuse surtout par l'assemblage d'objets de
petit art, la plupart en terres cuites, qui semblaient
des liibelols romains gagnés au billard chinois d'un
jardin Mabille par une courtisane romaine.
Petites souris, enfants couchés sur un cochon, avec
boule mobile à l'intérieur, têtes grotesques {semblables
à nos sculptures en marrons), grenouilles, tortues,
pattes de crabe, lapins avec des yeux en pâte de
verre, etc., semblaient de ces menus objets que les
femmes entassent sur les étagères. Cela ne fut pas
acheté par les musées. Cela manquera aux musées, car
l'art intime de tous les jours, l'art appliqué aux be-
VIII AVERTISSEMENT
soins, rart dit industriel en apprend quelquefois à
l'historien plus qu'un monument hiératique.
Ces frivoles objets de la décadence romaine, nous
les connaissons à peine ; connaissons-nous l'art grec

plus profondément ?
« Ces monuments appartiennent-ils à fart grec?
Sont-ils de la belle époque:^ demande M. Chassang par-
lant des parodies. Il est trop certain qu'il ne nous est
rien resté en ce genre qui puisse être rapporté au siècle
de Périclès : tout ce que nous avons est d'une époque
relativement récente, nous t'avons tiré des villes ro-
maines d'Herculanum et de Pompéi. Les artistes étaient

Grecs, sans doule, pour la plupart, mais ils ne repré-


sentaient que l'art grec dégénéré. Tout cela appartient
à l'époque romaine et se rattache à ce que Von peut
appeler l'art gréco-romain. »
Qu'importe si l'histoire de la caricature commence à
la décadence! Plus d'un gros livre sur les Romains ne
fait même pas mention de l'art satirique, si répandu
à cette époque que je nai pas eu de peine à améliorer
la précédente édition.

Le comique est répandu à foison sur les traits de


personnages dramatiques représentés en statuettes.
Quoique cette partie de travail nouveau demandât de
longues et nouvelles études, à de rares exceptions je ne
m'en siiis pas tenu au positivisme commode de certains
annotateurs qui bravement impriment : « Cette sta-

tuette de terre cuite a tant de ceiilimèties de hau-


teur. »
AVERTISSEMENT IX

En présence de ces renseignements, dont se sert pour-


tant plus d'un érudit, on aurait mauvaise grâce à
demandera l'auteur la date exacte des monuments.
Le théâtre, les masques, les acteurs fournissent des
chapitres indispensables à l'art comique.
La fable et l'apologue, Socrate, Jésus et les calomnies

contre les premiers chrétiens ont augmenté le présent


ouvrage. Chacune de ces questions eût pu fournir une
thèse i)i)portante.

L'ambition de l'auteur n'a pas d'aussi grandes en-


vergures; il a essayé d'améliorer son édition par de
nouveaux commentaires et de noiivea ux dessins, com me
on remplit avec du vin un tonneau qui se vide.
Déjà quelques hypothèses ont dû être remplacées; cer-
taines vues que je sentais provisoires sont modifiées ou
se modifieront suivant que l'exigeront des faits nou-
veaux. Si ma logique ne se paye ni de mots ni de sys-
tèmes, je ne m'entête pas dans mon peu de science et ne
demande à l'investigation, en ouvrant aux recherches
des champs d'activité, que de modifier, étendre, resserrer

ou condamner au besoin mes idées.

« Maintenant, un mot aux critiques : et ceci, je le fais

avec une entière déférence. Puissent-ils être, pour moi,


des lecteurs également débonnaires ! Ils ont vu mes
illustrations, ils les ont jugées favorablement ; ils ont
passé leur œil perçant sur chaque page ; ils connaissent
enfin la très-médiocre partie de mes talents; qu'ils me
permettent, en leur offrant mes compliments, de les

assurer d'une chose : c'est que depuis que je sais qu'il


X AVERTISSKMKNT
existe de par le monde d'' aussi respectables person-
nages, j'ai toujours traraillé plus fort, avec plus de
patience et plus de soin, pour mériter leur faveur, leur
indulgence et leur appui. »
Ainsi puis-je dire avec le naturaliste Audubon.

CHAMPFLEURY.

Juin 1867.
PREFACE
DE LA PREMIÈRE ÉDITION
1865

Il est des
natures sin-

gulièrement
organisées
qui sont plus
impression-
nées par la

peinture que
parrimprime-
iMe, par le ta-

bleau que par


le livre. Un
simple trait

de ci-aynn leur en apprend presque autant que


XII PRÉFACE
l'histoire. La vie d'un peuple, sociale et privée,

ses mœurs, ses coutumes, ils les entrevoient d'a-

bord par une fresque, une statue, une pierre gra-


vée, un fragment de mosaïque, sauf à chercher
plus tard la preuve dans les livres.
Un de ces hommes me disait qu'ayant été

élevé dans une petite ville, sur une montagne


qui dominait une immense étendue de collines

et de vallées, il avait vécu vingt ans sans s'in-

quiéter des arbres et des plantes, jusqu'à ce qu'il

y fût ramené par l'étude des paysagistes mo-


dernes. L'un lui fit comprendre les gaies prairies

de la Normandie, l'autre les brumes poétiques


du matin; celui-cii'initia aux verdures profondes
des bois, celui-là au calme bleu de la Méditerra-
née. Enfin, un jour le voile qui recouvrait la na-
ture se déchira à ses yeux : élevé à l'école des
peintres, il comprit le charme de la campagne.
Il avait fait son éducation par les images.

Cette éducation en vaut une autre. C'est la


mienne. Attiré par quelques rares monuments
de l'antiquité bien éloignés du Beau classique,
qui, mal enseigné dans l'enfance, laisse pour
longtemps une sorte de terreur dans l'esprit, j'ai

entrepris le présent livre sans me douter de l'é-


DE LA PREMIÈRE ÉDITION XIII

norme tache dont chaque jour augmentait la

difficulté.

Les honorables sympathies que m'ont values


les articles publiés dans une Revue m'encou-
raGfèrent dans ces études difficiles. Ce ne furent
d'abord que de simples notes que je soumettais
au public, comme un botaniste qui rapporte des

fleurs entassées sans ordre, en attendant qu'il dis-

pose ces fleurs en herbier.


Après avoir beaucoup vu, beaucoup lu, beau-
coup interrogé, il en est résulté pour moi la cer-

titude qu'une Histoire de la caricature dans


l'antiquité était difficile.

C'est pourquoi je l'ai essayée.

L'inconnu m'attire, et, sans me demander si

d'autres ont la même curiosité, j'étudie d'abord

pour mon plaisir, sauf à livrer plus tard au public


la partie la moins aride de ces recherches.
Cependant, à mesure que j'avançais dans mon
travail, je rencontrai d'autres esprits curieux
qui, par échappées, avaient indiqué l'importance
du sujet.

On doit le premier coup d'œil sur cette nou-


velle antiquité à un aimable conteur. Wieland,
poëte, romancier, critique et professeui", après
XIV PRÉFACE
avoir dramatisé les mœurs anciennes dans des
romans peu lus aujourd'hui {Agathon, Mtisa-
rioii, Craies et Hipparchia, etc.), le doux phi-
losophe Wieland eut Tidôe que l'art antique

n'était pas seulement celui que prêchait Winc-


kelmann, et que les anciens avaient connu la

caricature. Il en résulta, avec une légère pointe


de raillerie contre le fameux historien du Beau,
un article dans le Mercure allemand, sur la

peinture grotesque chez les Grecs.


(( Voici, disait Wieland, une assertion qui

paraîtra une hérésie à certaines gens, car, de-

puis que Winckelmaun donne le ton chez nous,

et qu'il a tant écrit sur le Beau idéal, et sur l'Art


chez les Grecs, et sur les Lois éternelles du Beau
qu'on remarquait dans toutes leurs œuvres,
beaucoup de gens ont conçu une fausse idée de
l'art de la peinture chez les Grecs, et ne sauraient
s'imaginer que, depuis le temps de Cimabue et

de van Eyck, il n'a pas existé dans l'école mo-


derne un seul maître de quelque réputation qui
n'ait eu son pareil dans l'ancienne Grèce. Ce-
pendant, comme je l'annonce, elle eut même ses

grotesques. »

Et Wieland, s'appuyant sur les textes de


DE LA PREMIÈRE ÉDITION XV

Pline, montrait que l'antiquité avait eu des


peintres de mœurs, des paysagistes, des peintres

de nature morte et des peintres de grotesques.


Dans la Politique d'Aristote, le mot x"p^^"^î "e
pouvait, suivant Wieland, être traduit que par le

mot caricature.

Il y a bientôt un siècle que fut public cet ar-


ticle, qui dut intéresser les Athéniens de Wei-
mar. On le tire de la poussière aujourd'hui. Le
docteur Schnaase va contre l'art grotesque chez
les Grecs; il trouve faibles les raisons de Wie-
land. Pourquoi ne pas dire faibles les raisons

d'Aristote et de Pline?

Les arts marchent côte à côte et font pendant.


En regard de Sophocle, Phidias. La niche en
face de la statue d'Aristophane restera-t-elle
vide? Qui fera vis-à-vis à Lucien? 11 s'est trouvé
de grands satiriques qui ne respectaient ni les

dieux ni les hommes, et leurs hardiesses n'auront


pas fait tailler de hardis crayons !

Presque en même temps que Wieland, le

comte de Caylus, qui, mieux que le conteur


germanique, connaissait l'antiquité par ses mo-
numents, eut aussi le soupçon de l'art sati-

rique.
XVf PRÉFACE
Deux brochures modernes, signées Charles
Lenormant et Panotka, ont confirmé l'opinion
de Wieland et de Caylus.
Dans une thèse latine soutenue en Sorbonne
par M. Charles Lenormant, le jeune érudit joi-
gnait à son commentaire sur le Banquet de
Platon de précieuses notes relatives au comique.
Qu'on ne partage pas toutes les vues de M. Le-
normant, qu on combatte son système de rat-
tacher tout monument de l'art antique à un
symbolisme religieux enveloppé de mystères,
il faut lui rendre cette justice qu'il a cherché,
étudié, creusé un peu trop, peut-être vers la fin

de sa vie; toutefois l'érudition lui est redeva-


ble de nombreuses trouvailles.

Panofka, préoccupé d'éclaircir le sens sati-


rique de symboles mystiques se profilant en

noir sur l'ocre de certains vases grecs, ne

donna malheureusement qu'un mémoire trop


restreint.

L erudit berlinois, si versé dans l'antiquité,

eût pu étendre de beaucoup ses recherches;


il s'est appesanti sur des sujets d'une parodie
douteuse et a négligé nombre de peintures
grotesques que mieux qu'un autre il eût été à
DE LA PREMIÈRE ÉDITION XVIF

môme d'élucider : pourtant sa brochure fait

comprendre l'importance de la matière.


Plusieurs savants que je' questionnai me
vinrent en aide. M. de Longpérier, par cer-
tains monuments qu'il voulut bien me signaler,

me donna, pour ainsi dire, un commencement


d'outillage; et si ces études sur le comique
sont encore bien incomplètes, je n'en dois pas
moins reconnaître la bienveillance dont, au
début, "m'a honoré le spirituel membre de l'Aca-
démie des Inscriptions.
Étant médiocrement érudit, et les aspira-
tions à la science ne suffisant pas dans ces re-

cherches auxquelles pourrait être consacrée la

vie tout entière, pour ce qui touche la mysté-


rieuse Egypte j'ai dû m'adresser à des égypto-
logues, et je dois dire combien en France le

véritable savant s'empresse de faire profiter de

ses trésors tout homme qui fait seulement preuve


de bonne volonté.
Aussi ai-je à remercier M. Théodule Devéria,
conservateur au musée du Louvre, qui, sitôt

que je lui fis part de la crainte que j'avais de


ne pas interpréter assez savamment les figures
des papyrus égyptiens satiriques, s'empressa de
XMII PRÉFACE
m'envoyer des notes que j'insère dans toute
leur intégrité; mais ces notes de la main du
plus jeune des égyptologues européens, qui ap-
porte dans la science la même ardeur, que les

célèbres artistes dont il porte le nom, auront


une autorité qui ferait défaut à un romancier,
plus habituellement occupé à déchiffrer des pas-
sions que des hiéroglyphes.

Car c'est encore un reproche qu'on pourrait


faire à un romancier de s'être jeté de gaieté de
cœur dans les aridités de l'archéologie.
Quand un champ a donné du sarrasin pen-
dant quelques années, le paysan y sème de la

luzerne. Telle est la loi de l'alternance agricole

applicable aux facultés intellectuelles.


Pour me délasser des romans, je prends de
grands bains d'érudition, sauf à revenir plus tard
à mes études d'après nature. Ainsi l'ont compris
quelques savants que je consultais.
M. Edelestandtdu Mérii, le plus Allemand des
Français, qui ne hasarde aucune affirmation sans
vingt preuves à l'appui, m'a également encou-
ragé dans ces recherches; et si j'ai eu la témérité
de combattre les opinions d'hommes éminents,
M. François Lenormant, en me communiquant
DK LA PREMIÈRE ÉDITION XIX

le Mémoire important de son père, dont l'érudi-

tion déplore la perte, a prouvé que mon ardente


curiosité et ma recherche de la vérité me ser-

vaient d'excuse.
Mais ce dont je suis surtout le plus recon-

naissant aux divers hommes considérables que


j'ai entretenus de mon projet, est de ne m'avoir
pas montré tout d'abord les immenses recher-
ches que demandait un tel livre.

Il faut une forte dose d'ignorance pour tenter


de pareils travaux : c'est se jeter h la mer sans
savoir nager.
Citer l'énorme quantité de livres que j'ai con-
sultés sans me noyer le cerveau, demande-
rait plusieurs feuilles d'impression. La majeui-e
partie des ouvrages sur l'antiquité, publiés en
France et à l'étranger, a passé sous mes yeux,
et j'en ai extrait ce qui me paraissait devoir

donner la note la plus juste de la parodie an-


tique*.

Ce que nous appelons grotesque en détournant


le mot de son sens primitif, j'ai essayé de Tcxpli-

1. On atout propos des textes latins et


m(\ (lisponsora de citer
grecs, l'eude faits qui ne soient appuyés sur une preuve; je le dis
une fois pour toutes, renonçant au brevet de grave érudition que
donne un amas de notes.
X\ PRÉFACE
quer par la naïveté que certains artistes prê-

taient à des sujets familiers : les trouvailles fu-

tures, l'antiquité plus profondément fouillée,

montreront la valeur de mes inductions plu-


tôt que de mon système, car je n'ai pas de sys-
tème.
L'antiquité ne fut pas seulement noble et ma-
jestueuse ; les poêles satiriques le prouvent suf-
fisamment.
Déchirer le voile qui cache le terre à terre de

la vie antique peut sembler une profanation aux.


esprits avides d'idéal qui, ainsi compris, devient

presque un frère de l'ignorance.


J'admire Plutarque et Sénèque; mais le récit

des actions héroïques ne m'empêche pas de me


préoccuper des scènes de carnaval dont parle
Apulée.
€ Au milieu de toutes ces mascarades plai-
santes, je ^'is aussi un ours apprivoisé qu'on por-
tait dans une chaise, habillé en dame de qualité;
un singe coiiïé d'un bonnetbrodé, vêtu d'une robe
phrygienne de couleur safran, représentait le

jeune berger Ganymède et portait une coupe


d'or; enfin, il y avait un àne sur le dos duquel on
avait collé des plumes, et que suivait un vieillard
DE LA PREMIÈRE ÉDITION X\l

tout cassé : c'était Pégase et Bellérophoii; et tous

deux lormaient le couple le plus risible'. »

Voilà-t-il pas un véritable mardi gras sous les

costumes baroques desquels se cachaient, outre


lo ridicule prêté aux dieux, quelques personna-
lités piquantes-?
Pour essayer d'expliquer ces travestissements,
je sais ce qui a manqué au livre actuel de :

longs voyages, l'achat de nombreux monuments,

beaucoup d'argent, beaucoup de temps. Je ne


me suis guère servi que de ce dernier collabo-
rateur.

Embarqué dans un sujet si vaste, un com-


mentateur eut passé sa vie à rassembler des notes,
à éplucher des textes, et peut-être n'eùt-il laissé

en mourant que de volumineux dossiers, car

l'érudition est le véritable tonneau des Danaïdes

I. Apulée, Mélamorpli., trad. Bétolaud, I83Ô-30, 4 vol. in-8'.


2 M. J. Zuiulel ilievue archéol., I8G1, p. otiU) dit : «Ou reooii-
iiaît f.u'ikiU'Mit dans l'ours Cybèlc, dans le singe l'àris et dans
l'àiie Pégase. »

Alïumalion uu pou trop aflirmalive, que M. Héron de Yillelosse


a détruitedans sou niénioire une Caricature antique de Gamjntède.
:

Le texte donne le dessin d'une lampe romaine du musé.' du


Louvre, sur lanuelle est ti^nré uu aigli- iMilevaut t'.aiiymède sous
forme de singe; les aventures peu édilîanti's des dieux de l'Olympe
tournées au grotesiiue par l(>s Romains, le bel adolescent (pu .

devait eumuler avec si>s fonctions d'éclianson celles de favori du


roi des dieux, donnent raison au texte d'Alhcnéo.
XXII PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION
qu'un savant, rendu plus modeste encore, par
l'abus de la science, ne remplit jamais.

Je ne me suis pas conformé à cette prudente

méthode ;
j'ai cherché un peu en courant (course
qui n'a pas duré moins de cinq ans) les traces
de la parodie dans l'antiquité, et jugeant que
toute recherche doit aboutir, quelque incom-
plet que soit le présent ouvrage, je l'offre au pu-
blic.

Si l'idée qui m'a soutenu pendant quelques


années est digne d'être développée, je ne dis
pas par un plus méritant, car la lausse modestie
est aussi insupportable qu'une vanité chétive ; si

cette idée d'élucider quelques points obscurs de

l'antiquité parla recherche de la parodie semble


utile, peut-être un jour la reprendrai-je, jugeant,
ainsi qu'un architecte épris de son œuvre, des
parties faibles du monument, des niches vides et

des statues qu'il est bon d'y placer.


DU RIRE
INTRODUCTION A UNE HISTOIRE GÉNÉRALE DU COMIQUE

Quoiqu'on ait eu pour bul


(le reproduire dans cette his-
toire les monuments relatifs au
comique en les dépouillant
des commentaires qui quel-
quefois en obscurcissent le

sens, il est cependant néces-


saire, laissant de côté l'effet

pour arriver à la cause, de


faire connaître certaines idées
des anciens et des modernes
touchant le rire, question que
quelques philosophes n'ont pas jugée indigne de
leurs préoccupations.
1
2 HISTOIRE
ArisloLe voyait dans le risible une forme du laid

ou de l'incorrect («ècxpù). « C'est, dit-il dans la

Poéiique, une faute ou une incorrection qui n'est ni

douloureuse ni destructive (àvoj^uvov /.al où 'fôapTixôv) :

tel est, par exemple, un visage laid et contourné,


mais sans souffrance. »

A leur tour les modernes s'emparèrent de la

llièse, et la développèrent à tel point qu'on pour-


rait former une bibliothèque spéciale d'ouvrages
concernant le rire, depuis la Renaissance jusqu'à
nos joui'S, bibliothèque composée de physiologistes
et d'esthéticiens hollandais, allemands, anglais et

français.

Un homme, arrêté devant un boutïon des rues,


rit sans s'en inquiéter davantage. Vient un philo-
sophe qui lui demande : « Pourquoi ris-tu? Gom-
ment ris-tu? »

L'homme n'en sait rien. Pressé de questions, il

avouera qu'il rit parce qu'il s'amuse. Mais le phi-


losophe : « Pourquoi t'amuses-tu? »

Telle est l'essence de nombreux volumes qu'on


ne saurait passer sous silence dans une Histoire
générale de la Caricature.

L'opinion d'Aristote sur le risible fut acceptée

par nombre d'écrivains modernes, et entre autres

par le philosophe écossais Dugald Stewart : « Les


causes du rire, dit-il, sont proprement et naturel-
DE LA CAKICATURE ANTIQL'E 3

lement ces légères imperfections dans le caractère

et les manières, qui ne soulèvent point Tindignation


morale et ne jettent point l'àme humaine dans celte
mélancolie qu'inspire la dépravation. »

Descartos attribuait les causes du rire à de petits


malheurs ou plutôt à de légers accidents, qu'il qua-
lifie de la sorte dans son livre des Passions :

La dérision ou moquerie est une espèce de joie mêlée de


haine, qui vient de ce qu'on aperçoit quelque petit mal en
une personne qu'on en pense être digne : on a de la haine
pour ce mal, on a de la joie de le voir en celui qui en est
digne; et lorsque cela survient inopinément, la surprise de
l'admiration est cause qu'on s'éclate de rire, suivant ce qui a
été dit ci-dessus de la nature du ris. Mas ce mal doit être
petit; car s'il est grand, on ne peut croire que celui qui l'a

en soit digne, si ce n'est qu'on soit de fort mauvais naturel,


ou qu'on lui porte beaucoup de haine.

Tout le xviii' siècle vit dans les causes du rire


une sorte de contraste, un manque d'harmonie :

l'abbé Le Batteux, lord Kames, Beattie, Mendels-


sohn, Eschemburg, Ebcrhard, Floegel*.
Jean-Paul Richter n'était pas du mêrne avis :

Le rapprochement des choses les plus dissemblables ne


fait pas toujours rire. Quels sont en effet les rapprochements
de choses hétérogènes ((ui ne puissent se rencontrer sous le
ciel de la mort : taches nébuleuses, bonnets de nuit, voie
lactée, lanternes d'écurie, veilleurs, voleurs, etc. ? Que dis-je?
chaque secondede l'univers n'est-elle pas remplie du mélange

1. Voir Léon DumonI, Des causes du rire. Durand, I8G:J.


4 HISTOIRE
des choses les plus hautes et les plus basses, et quand pourrait
cesser ce rire, si ce seul mélange suffisait pour le produire?
C'est pour cela que les contrastes de la comparaison ne sont
}ias risihles par eux-mêmes; ils peuvent même souvent être
très-sérieux, quand je dis, par exemple, que, devant Dieu,
le globe de la terre n'est qu'une pelote de neige, et que la

roue du temps est le rouet de l'éternité.

Ainsi parle Jean-Paul dans sa Poétique ou Intro-


duction à V Esthétique. Ces réflexions d'un humo-
riste, qui a approfondi par lui-même la nature du
comique, valent bien les définitions des philosophes
et des rhéteurs. Aussi, en Allemagne et en Angle-
terre, est-ce un titre que celui d'humoriste; et en

effet, de ce qu'il présente les choses sous un aspect


imprévu, s'ensuit-il de là qu'il ait moins raison
que les doctrinaires et la race de gens sérieux^ aux-
quels le caprice fait trop souvent défaut?
Celle absence d'humour si regrettable, on la re-

marque surtout chez les esthéticiens : ils arrivent


parfois à la gxavité des bœufs dont, sans s'en dou-
ter, ils ont la lourdeur.
Solger a dit : « Le comique est l'idée du beau qui
s'égare dans les relations et les accidents de la vie
ordinaire. »

Aiuîold Piuge, non moins abstrait, fait du comi-


que « la laideur vaincue, la délivrance de l'absolu
captif dans le fini, la beauté renaissant de sa pro-

pre négation. y>

j
DE LA CARICATURE ANTIQUE 5

Encore plus grave Vischer, qui voit dans le co-

mique « ridée sortie de sa sphère et confinée dans


les limites de la réalité, de telle sorte que la réa-

lité paraisse supérieure à l'idée. »

Dans ce concile de Trente dissertant sur le rire,

Carrière s'écrie : « C'est une réalité sans idées ou


contraire aux idées. »

Schelling, Schlegel, Ast, Hegel s'entendent pour


faire du comique « la négation de la vie infinie, la

subjectivité qui se met en contradiction avec elle-

même et avec l'objet, et qui manifeste ainsi au


plus haut degré ses facultés infinies de détermina-
lion et de libre arbitre. »

D'autres Allemands sont plus concis, mais non


moins apocalyptiques, témoin Kant, qui définit le

sentiment du risible : « la résolution soudaine


cVune attente en rien. »

— Oh! dirait M. Jourdain, ce comique-là ne me


revient point. Apprenons autre chose qui soit plu?
joh.
J'imagine un caricaturiste curieux d'approfondir
les mystères de son art, et qui tombe sur le pas-
sage suivant de Zeising : c. Le comique est un rien

sous la forme d'un objet pris en contradiction avec


lui-même et avec l'intention, vivante en nous, de
la perfection : en d'autres termes, avec l'idée ou
l'esprit absolu. »
6 HISTOIRE
L'artiste s'écriera avec \e Bourgeois genlilhomme :

— Ah! que n'ai-je étudié plus tôt, pour savoir

tout cela !

Terribles Allemands avec leurs délinilions! Il faut

voir le rôle qu'un panthéiste, Stephan Schùtze, fait

jouer à la Nature dans la question du comique :

Le comique est une perceplion ou une représentation qui


éveille le sentiment vague que la nature se joue de l'homme;
quand celui-ci croit agir en toute liberté, son indépen-
dance restreinte est alors tournée en dérision par rapport à
une liberté supérieure : le rire exprime la joie que cause
cette découverte.

Après la Nature faisant ses farces et se moquant


de l'homme, celui qui s'imaginerait qu'il n'y a plus
rien à dire compterait sans les disciples de Hegol.
Suivant Zeising déjà cité, Dieu est une sorte de
Roger Bonlemps qui communique sa gaieté à toute

l'échelle des êtres. La plante rit, le crapaud rit, le

grillon rit, le serpent boa lui-même éclate de rire


en avalant l'homme, et l'homme, en entrant dans le

gosier de l'animal, rit à se tordre. Le ruisseau ne


coule pas, il rit. Gens bornés que ceux qui croient
que le vent souffie, il ril. La pluie est un rire

poussé jusqu'aux larmes; la douleur elle-même


n'est qu'un rire déguisé. Les poissons passent leur
temps à se faire des malices, et la tempête, avec ses
DE LA CARICATURE ANTIQUE 7

facéties, communique sa gaieté aux rochers eux-


mêmes.
En voyant le rire-bàillement de riuiître, la joie
(les pierres et le sourire clignotant des étoiles, Dieu
lui-même en arrive à des hilarités excessives. J'ana^

lyse Zeising, j'ai tort ; il faut le citer :

L'univers est le rire de Dieu, et le rire est l'univers île

Dômcicrile.

l'elui qui rit. Celui qui rit s'élève jusqu'à Dieu, et devient
eréateur en partie d'une création gaie, etc.

llcui^eux hégéliens de puiser de telles fantaisies

flans les doctrines de leur maître ! Pourquoi Lucien,


8 HISTOIRE
Rabelais, Swift n'ont-ils pas eu connaissance des
doctrines de Hegel ; ils auraient enrichi leurs ou-
vrages de chapitres plaisants sur le rire céleste.

Et combien le philosophe Démocrite eût ri de la

découverte de ce même rire ^


Il a manqué le rire céleste à ce réformateur
du xvf siècle qui, après de vifs efforts pour de cor-
rectes classifications du rire, trouva les quinze divi-

sions suivantes :

1° Ris modeste;
2° Ris cachin, qui est immodeste, débordé, insolaiU et qui

romt les forces;


3° Ris sijnchroHsien, nom qui lui vient du grec, de ce
qu'il croie et ébranle fort ;

4° Ris sardonien, qui est manteur, simulé et traître, plein


d'amertume et mal talent ;

5" Ris d'hôtelier;


6° Ris canin, lequel procède d'un mauvais courage et de
malice couverte ;

7" Ris ajacin, quand on rit de rage et félonie ;

S" Ris megavie, quand on rit marry antièrement ;

9° Ris soubris;
10" Ris catonien, lequel est fort débordé et ébranlant;
J [°Risionique, propre aus mous, délicaset adonnésà leurs
plaisirs;
12° Ris chien, ainsi nommé de Chio, île de grand dé-
lices;
13" Ris agriogele, qui est du jaseur et du bavard ;

I. On ne connaît
pas ck^ buste antique ilu philosophe, c'est pour-
quoi on a intercalé dans le présent ouviap;c l'image, telle que la coni-
jucnait r.uhens, du grar.d rieur des folies humaines.
DE LA CARICATURE A.MIQUE
-11° Ris tortjbode, lequel est tumullueux el point légitime;
15° Ris inepte '.

Quinze catégories de rire, c'est peu quand ou


songe qu'un écrivain moderne a trouvé quarante-

sept formules, c'est-à-dire quarante-sept moules


(pourquoi pas cinquante?) de situations comiques
au moyen desquelles l'auteur dramatique est cer-

tain de divertir le public-. Or, quarante-sept for-

mules certaines étant trouvées, il s'ensuit qu'il en

résultera plus de quinze natures de rires différents.


En 17(30, un écrivain anonyme mit au jour un
opuscule dans lequel il divise le rire en quatorze
classes : ris forcé, hypocrite, protecteur, stupide,
gracieux, inextinguible, etc. ; mais ces différents
rires, ajoutés à ceux de Joubert, ne répondent
pas encore aux quarante-sept façons d'obtenir le

comique, et on est réduit, après avoir étudié ce qui


pousse au rire, à démêler les enseignements que
contient le rire lui-même.
Un aventuiner italien, qui se donnait le nom de
l'abbé Domascène, publia, en 1.50:2, un traité oiï il

classe les divers tempéraments des hommes d'après


la manière dont ils rient :

Hi, hl,hi, indique des dispositions mélancoliques.

i. Laurent .louberl, Traité du Ris, contenant son essence, ses

causes et merveilleux effets. Paris. 1579, in-8'.


2. M. .Mii'liiuls, liitrofluction aux Œuvres do R-^gnard.

1.
10 HISTOIRE
He, he, lie, symptôme d'un tempérament phleg-
matique.
Ho, ho, ho, est particulier aux gens sanguins.
Tout ingéni3use qu'elle soit, cette méthode de
classer les tempéraments n'a pas prévalu dans la

science médicale, et je lui préfère les croquis sui-


vants d'après le Traité des Ris de Joubert, à qui
je reviens :

An l'espèce des hommes il y lia autant de visaiges diffé-


rans qu'il y ha de figures au monde; autant de diversitoz
tant au parler que à la vois, et autant de divers ris. 11 y an
ha que vous diriés quand ils rient que ce sont oycs qui
sifflent que ce sont des oysons grom élans. Il y
et d'autres
an ha qui rapportent au gémir des pigeons ramiers ou des
tourterelles an leur viduité; les autres au chat-huant, et qui
au coq d'Inde, qui au paon; les autres resonnent un pion
piou à mode de poulets. Des autres, on diroit que c'est

un cheval qui hanit, ou un ane qui brait, ou un porc qui


grunit, ou un chien qui jappe ou qui s'étrangle il y an ha ;

qui retirent au son des charretes mal ointes, les autres aus
calhous qu'on remue dans un seau, les autres à une potée
lie choux qui bout.

Avec les philosophes, on pourrait mettre en cause


les médecins du xvif siècle qui ont étudié le rire

d'une façon à tenter un Molière .

l'am.usant portrait à peindre, mais ce n'est

1. Pliij^iologia crepilus venlris et ri^iis, ciim 7'Uu depositionis


scliolasticœ, par Piodolplins Goclenius. Francfort, 1607, in-l"J.
DE LA CARICATURE ANTIQUE II

pas le lieu, que celui d'un esihéticien interrogeant


son élève sur la façon dont il rit !

Il ne manquerait pas d'abord d'appeler à son


aide Vives : « Et ego ad primam et alternam buc-
cam, quam sumo a longa inedia, tion possum ri-
sum continere : videlicet contracta prœcordia dila-
ta ntum ex cibo. »

C'est-à-dire que lorsque le célèbre Vives n'avait


pas mangé depuis longtemps, la première bouchée
le faisait rire, son diaphragme se dilatant sous l'im-
pression des aliments.
Également le professeur invoquerait celui à qui
on chatouille les hypocondres ou la plante des pieds,
et il ferait remarquer la différence qui existe entre
le rire de l'homme chatouillé et le sourire d'une

jolie femme.
Gravement il démontrerait que le rire est quel-
quefois un signe d'inintelligence, diverses per-
sonnes riant pour avoir l'air de comprendre un lan-

gage qui leur échappe; et il conseillerait à son


élève de prendre pour modèles ces hommes sérieux
que les Grecs appelaient «yDa^Toi, parce qu'ils ne
riaient jamais.

A l'aide des médecins, le pédant noterait les phé-


nomènes dans les organes respiratoires et vocaux
amenés par le rire ou le sourire. Quand la langue
et les muscles de la poitrine sont enjeu, c'est rire;
12 HISTOIRE
si la respiration n'est pas interrompue, c'est sou-
rire. Veines gonflées, larmes qui coulent : rire.

L'organisme n'est pas troublé : sourire.

On n'en finirait avec les philosophes, les esthéti-


ciens elles physiologistes, que par une bonne scène
de comédie, car à force de vouloir expliquer les

causes et les effets du rire, ils en arrivent à faire

pleurer,
Arislote, quoiqu'il ne reste sur ce sujet que des
fragments qu'on suppose faire partie de la Poéti-
que\ est plus clair.

Suivant lui, le comique consiste dans : le risible

de la diction {ành zr,q H^v^k); la répétition des


mêmes paroles (x«r' àoolzcyjy.-,) ; dans un surnom
(xarà TracwvupKv) ; dans uuc altération des mots
(è; àvoJ./cyrîv) ; dans une métaphore (x«Tà o-x^f^x toU

o^ioyvAm v^vo^svov); daus la duperie (àTrâT/j); dans


le travestissement (ô^otWiç); dans des manières
triviales et des gestes grossiers (èx toù xf''^'^'' «p'/^^'^^ï

è/îjf/ic'ït), etc.

Grâce à ces fragments on suit la trace du comique


dramatique chez les anciens : répétitions des mê-
mes paroles, sobriquets, tromperies, travestisse-
ments, imitations de la nature triviale qui furent,
sont restés et resteront toujours les bases du co-
mique.
I. Scholia grœca in Arislophanem. Eclit. Diibner. Paris, 1855.
DK LA (.ARICATLRK AMIQIK 1:!

Si on en excepte Arislote dans l'antiquité, Jean-

Paul Piicliter chez les modernes, en Angleterre Fie4-


ding qui se plaît à expliquer les rouages secrets des
caractères de ses drames, vaine science que les rhé-
teurs croient tirer du comique.
Un pitre de place publique, un charlatan dans
sa voiture, un faiseur de parade sur des tréteaux,

un bouffon de petit théâtre, un caricaturiste igno-

rant, s'ils n'apprennent pas au public pourquoi il

rit, arrivent plus vite à un meilleur résultat. Un


geste, une grimace, un trait de crayon suffisent.

Il existe au musée de Naples une fresque repré-


sentant les jeux des enfants.
Trois petits Amours sont entrés dans un apparte-
ment et figurent l'enfance curieuse, cherchant dans
les coins des maisons quelque objet de l'orme nou-

velle pour le faire servir à un jeu.


Une porte est ouverte; un enfant arrive de la

chambre voisine, tenant à la main un masque co-


mique derrière lequel il cache sa mine éveillée.
Ses deux compagnons poussent des éclats de rire,
et l'un des Amours se renverse sur un banc sous
le coup d'une hilarité considérable.

Ce qui cause celte gaieté, ce n'est pas :

« La délivrance de l'absolu captif dans le fini; )>

Non plus « la réalité sans idées et contraire aux


idées; »
U HISTOIRE DE LA CARICATURE ANTIQUE
Encore moins « la résolution soudaine d'une at-

tente en rien. »

« Laideur vaincue, »— Beauté renaissant de


s

sa propre négation, » — Négation de


« la vie infi-

nie, » — « Subjectivité qui se met en contradiction


avec elle-même, » — « Dieu riant de l'univers, »

— « Univers riant de Dieu, »

Toute cette litanie tudesque de vent et de vide,


de mots détournés de leur sens, de lettres tourbil-
lonnant dans répais cerveau de buveurs de bière^
ne vaut pas un masfque antique.
Un masque fait mieux comprendre la nature du
comique que tant de traités, tant de commentaires,
tant de livres faits avec d'autres livres, tant de re-
dites, tant de lourdes inutilités, tant de creux et vains
mots de la métaphysique allemande.
HISTOIRE

CARICATURE ANTIQUE

I.KS ASSVniENS ET i. ES EGYPTIENS ONT-ILS CONNU


LE COMIQUE?

Telle est la question qui longtemps me préoc-


cupa pendant que je parcourais les galeries du
Louvre consacrées à l'art des Assyriens et des
Egyptiens. Il y a, dans les manifestations sculptu-
rales de ces peuples, une imposante grandeur sur
laquelle il serait banal d'insister. Aurun art, peut-
être, n'inspire davantage le respect que tous su-
bissent, ignorants et curieux. De tels monuments
commandent le silence. Devant ces granits, solen-
nels comme un lion accroupi dans le désert, la pa-
role hésite.

Cet art majestueux qui confond les esprits fri-


16 HISTOIUE
voles, l'imagination se plaîl à Fenloiirer d'une gra-

vité qui ne se dément jamais. Après avoir visité


les musées assyrien et égyptien, celui qui parcour-
rait immédiatement les galeries voisines consacrées
aux petits chefs-d'œuvre de l'art flamand, serait
surpris, en en exceptant toutefois les grandeurs
rembranesques, des étroits sentiers dans lesquels

est entré l'homme moderne.


On n'a pas pénétré encore jusqu'au fond mysté-

rieux de l'art égyptien. La science s'en occupe à


peine depuis un siècle. La découverte des monu-
ments assyriens date d'hier, et nous ignorons jus-
qu'où a été poussée la représentation de l'homme
et de son intérieur.
Qui n'a été attiré par des bas-reliefs du musée
assyrien où sont représentées des scènes cham-
pêtres? Ce troupeau de chèvres qui, par son accent
de réalité, atteint au naturalisme de nos sculpteurs
contemporains, jouit de l'honneur d'un bas-relief,
comme les actions d'un roi puissant; les scènes de
la vie domestique trouvaient leurs interprètes aussi
bien que les combats et les hauts faits des dieux.
Si les Assyriens et les Égyptiens n'ont pas jugé
inutile la représentation de l'homme et des ani-
maux, pourquoi auraient-ils reculé devant le comi-
que et le grotesque?
L'homme, de tout temps, a ri comme il a pleuré.
DE LA CARICATURE ANTIQUE 17

II a souffert des grands, il a voulu s'en venger. As-

svriens, Chinois, Persans, Grecs, Romains, Gau-


lois, Français, Allemands, Anglais, sont tous agités
par les mêmes passions. Qu'on lise l'admirable

roman de Yu-kia-o-U ou GH Bios, le Chariot


d'enfant du roi Soudraka ou MercaiJet, on re-
trouve dans l'Inde, en Chine comme en France, les
mêmes vices et leur représentation par le théâtre

et par le roman.
La majesté du roi Sardanapale et des grands
sphinx de Rhamsès ne m'empêche pas de reporter
les yeux vers les habitudes domestiques des peuples
assyriens et égyptiens ; et, quelle que soit l'impo-

sante solennité que les statuaires de l'antiquité

aient imprimée à leurs monolithes, j'attends les

révélations de la science pour contirmer qu'Assy-


1 iens et Égyptiens ont ri de leurs maîtres et d'eux-

mêmes, qu'il s'est trouvé un ciseau et un pinceau


pour consacrer ce sentiment du comique et de la

raillerie.

Déjà Wilkinson' s'est attaché à rendre les mœurs


familières du peuple égyptien; et si la statue

grecque de la Femme ivre dont parle Pline est

perdue, on trouve trace de pareilles représentations


dans les peintures égyptiennes.

I. Wilkinson, Manvfrfi and customs of llte ancient Egijptians.


Lon.ircs, 1837, i vol. in-S"
18 HISTOIRE
Suivant Wilkinson, quelques femmes égyptiennes
se livraient à l'abus delà boisson; cela se voit dans

j-^ le fragment ci-conrre


de la fresque qui re-
pi ésente une servante
apportant , avec un
geste de dégoût, un
bassin à la femme
dont l'acte n'a pas
besoin d'être expliqué
plus longuement.
La fleur flétrie qu'elle a dans la main est un
signe des sensations qu'elle éprouve.
Dans le Choix des antiquités les plus impor-
tantes DE l'Egypte, publié par le docteur Ricbard
Lepsius, directeur du musée archéologique de
Berlin, une planche de cet important ouvrage* est

consacrée à la reproduction de deux papyrus du


British Muséum et du musée de Turin.
Ces papyrus, M. Lepsius les appelle satiriques
(satyrischer) ; en effet, il existe une certaine ana-
logie entre ces peintures égyptiennes et les repré-

sentations d'hommes à têtes d'animaux, tradition-


neUes chez les caricaturistes de tous les temps.
Malheureusement M. Lepsius n'a encore donné que

L Leipzig, d-orges Wigand, 18'ji. 1 voL iii-fol. Planclies.


DE LA CAJilCATUI'.E ANTIQUE 19

le volume de -planches, sans texte; et cette accu-

mulation singulière d'animaux qui jouent des in-


struments de musique, conduisent des chars, boi-
vent et parodient toutes les actions de l'homme,

reste lettre close pour nous, ce qui n'empêche pas


la bizarrerie d'en jaillir.

Ces papyrus sont de la plus grande importance


pour ce qui touche à la connaissance des mœurs
égyptiennes; quelques-uns ne sont pas seulement
satiriques, mais lubriques, et d'une telle lubricité

que M. Lepsius, malgré leur intérêt, a reculé à

l'idée d'en donner une copie. Je respecte ce senti-

ment de pudeur un peu exagérée : car si les diva-


gations de l'amour charnel peuvent être montrées
et décrites sans danger, n'est-ce pas dans de sa-
vantes publications, tirées à petit nombre, destinées
seulement aux érudits, et qui ne peuvent compro-
mettre la morale?
Les calques que j'ai pu voir se rattachent, par
certains côtés, à la caricature. La lubricité n'est-

elle pas la caricature de l'amour? De même que le

dessinateur comique exagère les traits saillants du


visage de son modèle, de même l'artiste sans pu-
deur qui ravale son crayon à ces obscénités, outre
les attributs de la géni''ralion et les présente comme
des monstruosités dignes d'orner un cahier de
figures de lératoloîïie.
20 H 1 S ï 1 1; li

De nos jours, le Karakeuz de Conslantinople,


celui d'Alger, avant la possession française, ont
conservé ces attributs de l'ancienne Egypte, en les

faisant tourner au bouffon '.

Il serait imprudent d'analyser avec plus de dé-


tails les priapées égyptiennes ; aussi m'en liendrai-je

aux planches purement satiriques données par le

docteur Lepsius. Grandville ne les a pas connues,


et cependant les meilleures œuvres de sa jeunesse
ressemblent à ces papyrus. Ne soyons pas si fiers

de nos découvertes et de nos inventions : presque


toutes elles sont dessinées, sculptées, décrites il y a
trois mille ans.

Certaines peuplades de la Grèce étaient particu-


lièrement sarcastiques : on le verra par quelques
statuettes; mais il était plus difficile de constater
le rire plastique chez les Assyriens et chez les
Egyptiens.
En l'absence du texte explicatif de M. Lepsius,
un jeune savant qui, je l'espère, approfondira cette
question du comique en Egypte, la fécondera et

nous donnera sans doute par la suite un beau mé-

1. Karakeuz,. c Polichinelle de l'Orient, sur lequel je reviens


dans le chapitre consacré à Prin|ie, est, par ses vices, sa grotesque
le proche parent de l'illustre
allure et sa grossièreté sensuelle,
Punch, plus accentué encore dans sa gaieté considérable que le
Polichinnlle français.
DELA CAIUCATURË ANTIQUE 21

moire sur ce sujet, a bien voulu se charger d'inter-


préter ces papyrus :

Le musée égyptien do Turin, dit M. Théodule Devéria,


possède les débris d'un papyrus où l'on remarque des cari-
catures analogues à celles que Grandville a faites de notre
temps, et dans lesquelles les personnages sont représentés
par des animaux. Les fragments de ces curieuses peintures,
qui peuvent remonter au temps de Moïse, ont été réunis
avec patience et habilement disposés, de manière à former
un long tableau à deux registres', dans lequel on distingue
à la bande supérieure un animal qui semble se servir d'un
double siphon 2, puis un concert exécuté par un âne qui
joue de la harpe, un lion qui pince de la lyre, un crocodile
qui a pour instrument une sorte de téorbe, et un singe qui
souffle dans une double flûte. Cet assemblage bizarre est
certainement, ainsi que l'a reconnu M. Lepsius, la charge
d'un gracieux groupe dont on connaît plusieurs exemples
dans les monuments égyptiens, et qui se compose de
quatre jeunes femmes jouant des mêmes instruments dans
le même ordre ^.

un autre âne, vêtu d'une sorte de tunique,


Plus loin,
armé d'un long bâton ou d'un peclum, reçoit majestueusement
les offrandes que lui présente en toute humilité un chat

amené devant lui par une génisse. On peut reconnaître dans


cette composition la scène funéraire dans laquelle un défunt
est conduit j)ar la déesse Hathor, ù cornes de vache, devant
Osiris, le grand juge des enfers.

1. Voyez Lepsius, Auswahl, etc., pi. XXIII, et l'une des dernières

planches de VEijijpte ancienne, dans l'Univers de Didot.


2. Cet instnimr;nt était en usage parmi les prêtres pour trans-
vaser certains liquides destinés aux cérémonies religieuses, ainsi
que le prouve un bas-relief qui a été copié par M. Prisse d'Avcnnes.
3. Lepsius, ibid., et Roscllini, Monumenli clvili, pi. XCVIil.
±2 nisTOiRi:
C'est ensuite un autre quadrupède qui semble trancher la
tête à un animal captif, de la même manière qu'on repré-
sentait dans les grands monuments les Pharaons massacrant
leurs prisonniers.
Vient après cela une bête à cornes, armée d'un casse-
tète et conduisant un lièvre et un lion attachés par le cou à
une même corde.
Cela fait encore allusion à la manière dont les rois trai-

taient leurs ennemis vaincus, ainsi qu'on le voit sur les mu-
railles de Karnak et de Medinet-Abou. La même scène est
reproduite une seconde fois par d'autres animaux.
Dans la bande inférieure, on remarque d'abord uu com-
bat de chats et d'oiseaux, dont l'intention était peut-être ilc

rappeler ceux de l'armée égyptienne un épervier ;


puis
montant à une échelle qui est ajtpuyée contre un arbre dans
lequel ou voit un hippopotame femelle entouré de fruits.
11 n'est pas impossible de voir ici un sujet sacré l'àme. :

ligurée ordinairement par l'oiseau à tète humaine, s'appro-


chant du sycomore dans lequel est Nout, la dispensatrice
des aliments divins. Plus loin on trouve une scène qui pour-
rait presque servir d'illustration à la Batrachomyomachie

d'Homère c'est l'attaque d'une forteresse par une armée de


:

rats -portant des lances et des boucliers ou tirant de l'arc'.


Le capitaine des assiégeants est monté sur un char traîné
par deux lévriers au galop; les chats qu'on voit autour de
lui figurent les lions que les rois d'Egypte menaient en
guerre. Ensuite un combat rat et un
singulier entre un
lion; puis un char de bataille dans lequel un chat s'ap-
prête à monter, et enfm quel(|ues autres ligures dans
lesquelles on peut trouver la représentation d'ennemis
vaincus faisant acte de soumission devant leur conquérant.

M. Lepsiiis compara avec raison cotte peinture avec un Ijas-


1.
lolief Ci'^uvt'- ilans les Monuments de l'Egi/pte et de la Nubie, do
Cliampollion, pi. CCXXVIli.
DE LA CARICATURE ANTIQUK -23

Tout cela n'est que la première partie du i)apYrus, qui


contient encore deux tableaux de la même dimension que

«ekii que nous venons de décrire, et dans lesquels sont des


charge erotiques dont il serait difficile de donner une idée
sans sortir des bornes de la bienséance.
Le musée de Londres possède aussi les fragments d'un
papyrus dans lequel sont dessinées des caricatures analogues
aux premières de celui de Turin; la religion et la royauté y

sont également tournées en dérision. Dans l'un de ces débris,


un chat, tenant à la main une fleur, présente à un rat des
offrandes qui sont déposées devant lui. Ce dernier, grave-
ment assis sur une chaise, respire le parfum d'une énorme
fleur de lotus; derrière lui, lui second rat debout tient un
éventail et un autre objet. Un second fragment, qui porte
la représentation d'un chat debout, devait faire partie de la
même scène. .Je n'hésite pas à reconnaître ici la diai-ge de
l'offrande funéraire telle qu'elle est fréquemment repré-
sentée dans les bas-reliefs, quoique M. Lepsius ait cru y
voir la satire des hommages qu'on rendait aux rois; on
remarquera, on effet, que, dans les autres figures de ce
'2i IISTOir.E

•m

en
oo
DE LA CARICATURE ANTIQUE 2r»

papyrus, le Pliaraon est plutôt représenté par un lion. —


Ainsi l'on voit plus loin, après un chat et un autre animal
qui portent un fardeau à l'aide d'un bâton qu'ils soutiennent
sur leur épaule, un lion assis devant une table (?), puis un
autre lion qui s'approche d'un thalamus sur lequel est une
gazelle.Nous allons voir que ces deux figures doivent repré-
senter un Pharaon. Plus loin, et comme dans le papyrus
de Turin, un troupeau de canards dont les pasteurs sont
des chats. Vient ensuite un troupeau de gazelles sous la con-
duite d'un loup qui porte son bagage sur l'épaule comme
les bergers égyptiens, et qui souffle dans un double chalu-
meau. Je trouve dans cette scène, ainsi que dans l'avant-
dernière dont j'ai parlé et dans celle que je vais décrire, une
allusion évidente aux mœurs in.times d'un Pharaon ou à son
gynécée, le harem des anciens souverains de l'Egypte qui
parait avoir été fort analogue à celui des musulmans. Nous
voyons, en effet, sur notre papyrus, ce même lion terrible,
c'est-à-dire le roi, jouant aux échecs avec une gazelle, juste
comme dans les appartements du palais de Medinet-.\bou
on a sculpté l'image de Pdiamsès 111, jouant à ce jeu avec
une de ses femmes Le dernier dessin représente enfin un
'.

quadrupède apportant des mets à un hippopotame qui


plonge ses pattes dans des vases placés devant lui. Cela
rappelait peut-être encore la bonne chère des Pharaons.
La
collection Abbott, maintenant en .Amérique, contient
aussi un exemple des caricatures égyptiennes-. C'est un
éclat de pierre calcaire qui porte une scène d'offrande un ;

chat debout, portant un flahellum, offre une oie dépouillée

1. Auswahl etc., et Rosellini. Monumenlireali, pi. CXXII,


Le[)i\{xs, ,

11 donc évident que si le roi est figuré par un lion, ce f|ui est
est
une métaphore employée souvent el en bonne pari dans les inscrip-
tions, SCS femmes, que Manétiion appelle vallacides, sont représen-
tées par les gazelles; c'est une image tout orientale.
2. E. l'risse. Notice sur le musée du Kaire, etc., p. 17; Revue
archéologique, 15 mus 1846.

2
:2(î lilSTOlI'.E
DE LA (.AKK.ATL T.L AN T loi' H -27

cil' si'S plumes ù une chatte assise sur un pliant, tenant une
coupe à boire dans une de ses pattes et une fleur dans
l'autre. Ce croquis au pinceau est habilement esquissé;
il conserve encore quelques traces irealuminure et rappelle
les scènes analogues des deux papyrus dont nous avons
parlé. Ces trois pièces sont, je crois, tout ce (ju'on connaît de
l'art satirique de l'ancienne Egypte; elles suflisent pour nous
apprendre que dans ce genre la religion n'était pas plus
respectée que la royauté, et qu'on les tournait en ridicule
jiussi bien que de simples scènes de moeurs.

M. J. Zïindel (Revue archéoL, 1861) est du même


avis : « Que la gravité un peu monotone de la vie

publique ait provoqué en Egypte comme ailleurs

(les parodies, rien de plus naturel. » Il voit dans


cette symbolisalion satirique une analogie avec les

fêtes de Vâne qui, au moyen âge, envahissaient les


églises.

La caricature qui excite le rire, doit célébrer les


dieux du rire. Malgré les innombrables dieuxqu'onl
adorés les Egyptiens, i4en n'a démontré jusqu'ici
qu'une figui^e spéciale fût consacrée à la représen-
tation de la gaieté. L'Orient rit rarement. 11 en est

du rire comme de la couleur; il laut l'aller cher-

cher vers le Nord, dans les pays brumeux où


l'homme, condamné à vivre au sein de la nature
voilée, exprime plus clairement ses aspirations à

la joie que dans les pays sans ombre, dévorés pir


les rayons d'un briMant soleil. On dirait que l'habi-
28 11 i SI 01 RE
tant du Nord, pour ne pas èlre étouffé par les

brouillards épais, pères du spleen, fait effort sur


lui-même et s'impose la lâche de se divertir aux
dépens de ceux qui l'entourent ^
Dans ces pays d'ardente lumière, nulle trace de
comique n'apparaît sur les sculptures pharao-
niques. Toutefois il est un dieu ventru et lippu,

nain apoplectique et fantoche, dont la prétentieuse


gravité provoque le sourire; c'est le dieu Bès, qui
a été sculpté quelquefois brandissant son épée,
quelquefois frappant avec rage des cymbales l'une
contre l'autre, tirant de l'arc ou dansant.
Suivant les archéologues, il représentait à la fois
la guerre et la danse. « Le second caractère du
dieu, dit M. de Rougé, le montre comme se plai-

sant à la danse et au jeu des instruments. »

C'jest d'après ce caractère qu'il est bon d'étudier


le dieu Dès, très-populaire en Egypte, car sa figure
a été sculptée en bois comme en bronze, en terre
cuite comme en pierre. Certes la danse n'est pas
acte de caricature, et je prends garde dans un
pareil sujet de me laisser entraîner à l'utopie et de

I.Les Anglais en sont une preuve. Leur plaisanterie est gros-


sière, énorme et voulue; pour mieux accuser le i-ire des acteurs,
ils leur fendent artificiellement, par une épaisse couche de ver-
millon, la bouche jusqu'aux fragmenls postiches que
oreilles. Les
les clowns s'ajustent sur le mimes de la Grèce
visage, conmie les
s'en adaptaient à certaines parties du corps, font que les .Anglais
se rapprochent de plus près que nous du grotesque antique.
LE DIEU DES.
D'après une figure en pierre du Musée égyptien du Louwe.
;!0 HlSTOIRt

voir dans chaque manifestation de l'homme prétexte

à grotesque.
Et pourtant, que le curieux, après la lecture de

LE DIEU DES.
Fiiîuriiie du Musée égyptien du Louvre.

ces lignes, jette un coup d'œil sur les vitrines du

musée égyptien, où sont entassés les dieux, et, s'il

trouve d'autres comiques figures que celles du


dieu Bès, que ces études passent pour avoir été
DE LA CAKlCATUHt AMIQLE 31

improvisées par un vaudevilliste à l'aflut de quelque


actualité.

Les grimaces de Bès ont été reproduites, à de


nombreux exemplaires, avec variantes dans les

poses, la matière et la taille. Il est même un dieu


Bès en argile blanche rehaussée de dessins bleus.
La bouche, la langue et le nombril sont rouges;
mais entre toutes, la figure ci-contre est la plus
caractéristique.

Au milieu des granits silencieux qui troublent


par leur gravité sérieuse, un vieillard podagre lève
la jambe avec peine, et si sa bouche joyeuse et ses

lèvres lippues n'indiquaient un de ces êtres de

bonne humeur qui se mêlent aux diverlissements


de la jeunesse, on craindrait les suites de ces folies
pour les membres engourdis du dieu Bès, qu'on
peut comparer, malgré le respect du h tout dieu,
à une vieille grenouille menacée d'ankylose.
II

ARlriTOTE ENNEMI Fi L SATIRIQUE.

A l'aide d'Aristote on constate, chez les Grecs,

ce comique dont les traces sont si rares en Assyrie


et en Egypte.
Aristote est le premier qui parle, non pas de la

caricature (le mot est italien, caricatura), mais de


la représentation grotesque de l'homme. On trouve
dans sa Poétique '^
deux paragraphes relatifs à la
question.

Comme, en imitant, on imite toujours des personnages


qui agissent, et que ces personnages ne peuvent qu'être
bons ou méchants, seules différences à peu près entre les
caractères qui se distinguent uniquement par le vice et la
vertu, il faut nécessairement les représenter ou meilleurs
que nous ne sommes, ou pires, ou semblables au commun
des mortels.

En quelques lignes, Aristote pose la base de dis-

1. Voir la traduction et les savants commentaires de M. Barthé-


lémy Saint-Hilaire.
HISTOIRE DE LA CARICATURE ANTIQUE 30

eussions Tirlistiques qui, depuis l'antiquilé, se sont


renouvelées, se renouvellent et se renouvelleront

sans cesse.
« // faut nécessairement représenter les ]t ouï-

mes:
» Meilleurs que nous ne sommes,
» Ou pires,
» Ou semblables au commun des mortels. »

Trois formes de représentation qui, sur le papier,


semblent innocentes, et qui ont fait écrire nombre
de volumes et attisé de grandes haines entre ar-
tistes d'une haute intelligence.
Ceux qui représentaient les hommes « meilleurs
que nous ne sommes, » regardèrent du haut de leurs
nuages les artistes qui peignaient les hommes
« semblables au commun des mortels. » Il faut dire

que ces derniers n'avaient pas assez de railleries

contre les premiers. Eternel combat de l'idéal et


du réel, qui ne finira jamais et toujours trouvera
de nouvelles recrues.
La seconde forme signalée par Arislote, la re-

présentation des hommes « pires que nous ne


sommes, » voilà la caricature qui, au besoin, prête

main-forte à la réalité pour combattre l'idéal, alliés

qui s'entendent et se réunissent contre l'ennemi


commun.
Aristote, dans un paragraphe suivant, donne les
3i H I S T I RE

noms des artistes qui lui semblent propres, à pré-


ciser sa définition.

Polygnote peigiuiit les hommes phis becmx que nature;


Pauson, plus laids;
Denys, tels qu'ils sont.

Pour se faire comprendre des esprils plus adon-

n's aux lettres qu'aux beaux-arts, Aristote ajoute :

C'est ainsi qu'Homère représente les hommes plus grands


qu'ils ne sont, tandis que Cléophon les peint dans leur
nature ordinaire, et que Hégémon de Thasos, inventeur de
parodies, et Nichocharès, l'auteur de la Déliade, les défi-
gurent et les dégradent'.

Rien que par ce mot dégrader on sent la médiocre


sympathie d'Aristote pour le satirique Nichocharès
et Pauson le caricaturiste.

Le père de la philosophie, tenant pour la repré-


sentation des hommes meUIeiirs que nous ne
sommes, s'élève contre ceux qui les montrent pires,
oppose Polygnote à Pauson, et craint, on le veiTa,
la fâcheuse influence de ce dernier.
Par Aristote, une des expressions les plus élevées

de la civilisation gi-ecque, je juge des sentiments

1. Hég'émon de TIiiisds est cité jiar Alliénée, dans le Deiptioso-


phiste, comme
ayant fait jouer à Athènes des parodies dramaticjues
<ini obtinrent un grand succès; !• même Hégémon avait parodié les

l)remiers citants de VOihjxsée. Nichodiarès, contemjiorain d'Aristo-


phane, composa une satire, la Déliade, contre les iialiilants de
Ociios, paresseux et goin-mands.
DE LA CARICATURE ANTIQUE 35

des intelligences de son temps dont il est l'admi-


rable trucheman; mais sa grave personnalité rem-
pêche de goûter le comique.
Aristote revient encore une fois sur le peintre
burlesque Pauson, dans sa Politique, au paragraphe
où il traite de la musique. Ces grands esprits, Pla-

ton, Socrate, ne dédaignaient pas de mêler les arts

aux questions sérieuses.

Les faits eux-mêmes démontrent combien la musique


peut changer les dispositions de l'àme, et, lorsqu'en face
de simples imitations on se laisse prendre à la joie, à la

douleur, on est bien près de ressentir les mêmes affections


i-n face de la réalité...
Quelque importance qu'on attache, du reste, à ces sen-
sations de la vue, on ne conseillera jamais à la jeunesse de
contempler les ouvrages de l'auson, tandis qu'on pourra lui
recommander ceux de Polygnote ou de tout autre peintre
aussi moral que lui '.

Quelle était la nature du talent de Pauson dont


Aristote fait si peu de cas? J'essayerai de le démon-
trer dans le chapiti^e suivant; mais on s'explique
la réprobation jetée par l'auteur de la Politique sur
un artiste qui, peignant les homme» jdires qu'ils

ne sont, c'est-à-dire ne reculant pas devant l'exa-


gération de la laideur et de la dilformilé, abaissait,

suivant lui, les esprits.

1. Politique, liv. V, cli. v.


'J6 HlSTOlKt:

Par l'influence inorale qu'Aristote semble deman-


der aux statuaires et aux peintres, nous compre-
nons le but des philosophes de l'antiquité voulant
faire des artistes des êtres enseignants.

Suivant Platon, la noblesse et la beauté des for-


mes étaient un enseignement, thèse reprise plus
d'une fois par les philosophes et par les psycholo-
gisles.

Je ne peux qu'effleurer en passant ces théories;


mais Aristote, préoccupé de l'idée du beau absolu,
méconnaît la portée de la caricature. Ce penseur,
plongé dans des abstractions philosophiques, mé-
prisait, comme futile, un art qui, pourtant, venge
le peuple de ses tyrans et traduit par un crayon sa-
tirique les pensées de la foule.

Qui peindra les vieillards libidineux, les égoïstes,

les avares, les gourmands, les lâches? La carica-


ture.

Qui montrera les bassesses des courtisans? La


caricature.
Qui, d'un trait de crayon, bafoue les puissants
et enlève, pour montrer leurs petitesses, les riches
oripeaux qui les recouvent? La caricature.
Qui châtiera, en une suite de feuillets improvisés,

une époque adonnée au culte du Veau d'or? La ca-


ricature.

Qui, par une iidicalion brève et cruelle, indique


DE LA CARICATURE ANTIQUE 37

les châtiments réservés aux oppresseurs d'une na-


tion? La caricature'.
Aristote n'a pas compris ce rôle de la carica-

ture; d'autres l'ont compris. Aussi ont-ils inventé

contre elle toutes sortes de chaînes et de haillons.


Rien n'y fait. La caricature ne meurt pas. On la

proscrit dans un pays, elle se transporte dans le

pays voisin, et les chaînes dont on la charge, le


haillon qu'on lui impose, la rendent encore plus

âpre et plus significative.


Il est des règnes qui resteront méprisés par le

burin d'un artiste inconnu, car ce ne sont pas seu-


lement les portraits de peintres officiels que l'avenir

consulte.

Un honnête homme, au cœur pur, à l'âme droite,

à la conscience vibrante, ne se doute guère de la

portée de son crayon; mais sa main agile, qui en-


fante des œuvres en apparence éphémères, exprime
â jamais les colères, les railleries et la vengeance
d'un peuple plein de haine pour l'autocrate qui
l'opprime.
Voilà ce qu' Aristote n'a pas vu.

î. Je relisais dernièrement l'Histoire des deux Restaurations de

M. de Vaulabelle. Un livre d'honnête homme, de patriote, mais trop


mesuré, trop réservé. Il y manque l'accent, la touche, la vie, Tin-
dignalion. Les personnages ne sont pas marqués par la griffe d'un
Saint-Simon. Telle scène où l'odieux se mêle au grotesque, appel-
lerait un peintre satirique, d'une poigne à la Daumier.
3
38 HISTOIRE DE LA CARICATURE ANTIQUE
Un grand naturaliste comprenait mieux la satire,

Cuvier, qui « s'oubliait souvent devant les cari-

catures publiquement exposées, et considérait ces


sortes de dessins comme un spectacle plus instruc-
I
tif que beaucoup de nos modernes comédies ^ »

1. Isidore Bourdon, Illustres médecins et naturalistes des temps


modernes. I vol. in-18, 1844.

Masijue comique d'après ranli<iiie..


III

LE PEINTRE PAUSON.

Au nombre des petits bonheurs dont peut jouir


un honnête homme, Aristophane compte cehii d'é-
carter de son passage sur les places publiques les

gredins et les débauchés; aussi met-il dans la

bouche du Chœur, dans la comédie des Acharniens,


ce mot injurieux pour Pauson : « Tu ne seras plm
le jouet de l'infâme Pauson, » c'est-à-dire qu'il

semble féliciter le Mégarien de n'être plus tourné


en ridicule par les pinceaux du peintre.
La pièce des Acharniens n'est pas la seule dans
laquelle le poëte ait raillé le peintre. Il est égale-

ment question de Pauson dans les Fêtes de Cérès :

« Livrons-nous à nos jeux, dit le Chunir, comme


nous en avons la coutume quand nous célébrons les

saints mystères des déesses en ces jours sacrés


que Pauson observe aussi par ses jeûnes, en sup-
pliant les déesses de renouveler fréquemment de
semblables journées par égard pour lui. »
40 HISTOIRE
Ce passage serait presque incompréhensible, si

la misère du peintre n'avait été proverbiale dans


l'antiquité. La comédie de Plulus, d'Aristophane,
nous montre encore un citoyen dialoguant avec la

Pauvreté, personnage symbolique :

Chrémyle. — On n'a qu'à demander à Hécate lequel vaut


mieux d'être riche ou indigent? Tu ne me persuaderas pas,
lors même que tu m'aurais convaincu.
La P.\uvreté (poussant une exclamation). — Ville d'.\r-

gos, tu l'entends!
Chrémyle. — Appelle Pausou, ton commensal.
C'est-à-dire, prends à témoin Pauson, le pauvre,
que la misère est un doux étal; mais, moi, tu ne
me persuaderas pas.
Ce passage du Plutus fait comprendre le Chœur
des Fêtes de Cérès, qui supplie les déesses de re-
nouveler souvent le troisième jour des Thesmo-
phories, pendant lequel les femmes jeûnaient,
attendu qu'alors Pattsc»? avait une raison déjeuner
aussi, lui, le misérable, qui se privait souvent de

nourriture, même les jours de festins.


Par les citations d'Aristophane, on a une triste

idée du peintre Pauson, de l'ignoble Pauson, de


Vinfâme Pauson, dont Aristote recommande de voi-

ler les œuvres devant les regards des jeunes gens.


Et cependant qui sait si Pauson n'est pas calomnié?
Les injures d'Aristophane, on sait ce qu'elles valent.

Il faut prendre garde à ces grands railleurs de


DE LA CARICATURE ANTIQUE il

l'humanilé, et ne pas toujours les croire au pied


de la lettre ; leur amour-propre est d'une sensibi-
lité de femme. Ils attaquent chacun, déchirent leurs
concitoyens : par leur génie ils entrent comme une
flèche empoisonnée dans les plaies, défigurent un
homme plus profondément que la petite vérole, lui
prêtent des vices et des passions honteuses et l'en
accablent à jamais. Qu'une de leurs victimes se dé-
fende et blesse légèrement leur amour-propre, ces
êtres sarcastiques sentent l'écorchure plus vivement

que d'autres les moxas. Ils ne permettent pas qu'on


se serve delà plus innocente de leurs armes. La per-
sonnalité de Pauson, qui reparaît à trois reprises
dans divers drames, chargé du triple crime de
meurt-de-faim, de misérable, d'infâme, fait croire
à quelque vengeance contre un peintre qui avait

peut-être peint Aristophane sous un aspect ridi-

cule. Ce fait se représentera le même dans un


des chapitres suivants, entre d'autres artistes et
d'autres poètes, dont un Latin disait, si justement
que le mot est resté : genus irritabile.
Cependant, comme les inductions ne valent pas
le plus mince fait rapporté par un ancien, Plu-
tarque, Lucien, le conteur Élien doivent être cités
comme montrant Pauson sous un jour différent.
Dans son Éloge de Dénwslhène, Lucien conte l'a-

necdote suivante :
12 HISTOIRE
On avait demandé au peintre Pauson le talileau d'un
cheval se roulant par terre. 11 se met à peindre un cheval
courant et semant la poussière autour de lui. Il y travaillait,
lorsque celui qui le lui avait commandé arrive et se plaint de
ce que l'artiste ne fait pas ce qu'il avait promis. Pauson
ordonne à un esclave de retourner le tableau sens dessus
dessous, et montre ainsi le cheval se roulant sur le sable.

Élien, dans ses Histoires diverses^, rapporte la


même historiette, pour expliquer surtout la nature
d'esprit de Socrale :

On dit communément, et c'est une espèce de proverbe :

Les discours de Socrate ressemblent aux tableaux du peintre


Pauson. Quelqu'un ayant demandé à Pauson de lui peindre
un cheval se roulant par terre, il le peignit cour'ant. Celui
qui avait fait marché pour le tableau trouva fort mauvais que
le peintre n'eût pas rempli la condition : — Tournez le ta-

bleau, dit Pauson, et le cheval qui court vous paraîtra se


vautrer. Telle est, ajoute-t-on, l'ambiguïté des discours de
Socrate ; il faut les retourner pour en découvrir le véritable

sens. En effet, Socrate, pour ne pas indisposer contre lui

ceux avec qui il conversait, leur tenait des propos énigma-


tiques et susceptibles d'un double sens.

Les historiens de l'antiquité se sont plu à ces


subtilités de peintres. Jamais on ne vit de gens
aussi fertiles en à-propos que les aiHistes grecs et
romains. Rien ne les embarrasse : avec le pinceau
ils accomplissent des miracles en un clin d'œil, et
ils trouvent des plumes complaisantes pour trans-

1. Tiadaitcs du grec avec remarques. Paris, mdcclxxu.


DE LA CARICATURE ANTIQUE 10

mettre à la postérité ces fantastiques légendes. Com-


bien Pline en a-t-il conté !

L'histoire du cheval à l'envers de Pauson, citée

sérieusement par Lucien, par Élien et par Piutar-


que, semble une boutade d'artiste irrité des exi-
gences d'un amateur qui ne comprend pas son ta-

lent; je n'y trouve pas les motifs de la réprobation


d'Aristote et la cause des injures d'Aristophane,
aussi chercherai-je quels sont les écrivains qui ont
parlé de Pauson, et les dates qui les rapprochent du
peintre.

Aristophane fait jouer ses comédies à Athènes


vers l'an 4'27 avant Jésus-Christ.
Aristote est connu dans la même ville par ses
écrits, vers l'an 3i8 avant Jésus-Christ.
La célébrité de Plutarque remonte à Fan 70 ou
<S0 de Jésus-Christ.
Lucien publie ses écrits vers l'an 160 après Jésus-
Christ.

Elien est un écrivain du troisième siècle.

Selon M. Egger, Pauson était un artiste du siècle


de Périclès, c'est-à-dire qu'il peignait, en prenant
la moyenne de l'Age du célèbre Athénien, vers 430
avant Jésus-Chrisl. Il était contemporain d'Aristo-
phane ; mais Aristote a vu ses tableaux, qui étaient
renommés encore un siècle plus lard, puisqu'ils ex-

citent son indignation. Plutarque, Lucien et Élien


44 HISTOIRE
ont recueilli longtemps après l'historiette citée plus
haut; cependant les commentateurs, SilHg, Wie-
land, le comte de Clarac, etc., sont 'd'accord que le

Pauson cité par ces divers écrivains est bien le même


peintre.
Quelle conclusion faut-il tirer de ces divers té-
moignages? Que Pauson était un peintre satirique
en vue, et que sa célébrité a attiré sur son œuvre
l'attention, plus irriîée que sympathique, des grands
esprits de l'antiquité.

M. ChassangMn'accusait jadis d'avoir gardé toutes


« mes tendresses » pour Pauson, dont nom obs-
le «

cur sonne mieux à mes oreilles que le nom glorieux


de Zeuxis. » Zeuxis n'a rien à voir dans une Histoire
de la caricature; Pauson, peintre de grotesques,
quoique malmené par Arislote et Aristophane, doit
au contraire y occuper une certaine place. Quant
à Pauson, « méconnu de son siècle, le siècle de
Périclès, » nulle part une telle qualification ne se
trouve dans les éditions précédentes de ce livre.
Je ne place pas Pauson, tel que je Fentrevois,

plus haut qu'un Scarron; mais le mari de madame


de Maintenon, si bouffon qu'il soit, a droit à une
place, môme dans le « siècle de Louis XIY. ;>

Pour conclure, j'adopterai volontiers l'opinion de

1. A. Cliassaiig, /a Caricature elle Grotesque dans l'art grec. (Re-


vue contemporaine, 15 décembre 1865.)
DL LA CAKICATURK ANTIQUE 15

M. de Paw, en relranchant toutefois le dernier


membre de phrase : « Il semble que la manière de
Pauson se rapprochait de ces peintures satiriques
où les défauts du corps et de Tesprit sont exagérés
par des traits violents, qui divertissent un instant la

malignité, et que le bon goût réprouva ainsi pour


toujours '. »

1. De Paw, Recherchesphilosophiquessur les Cms. Berlin, 1788,


2 vol. in-8\

Masque de llu'-àtre, d'après une cornaline antique.


IV

PEINTRE? DE SCENES DOMESTIQUES, D ANIMAUX,


DE PAYSAGES, ETC.

Pline a laissé sur l'art fies renseignements en


abondance. Le naturaliste s'inquiète des menues
créations de la sculpture et de la peinture, avec la
conscience que toute œuvre de l'homme, si futile

qu'elle paraisse, aura sa valeur dans les siècles fu-

turs. Peintres de scènes domestiques, paysagistes,

peintres d'animaux, de grotesques, femmes pein-


tres, il a recueilli scrupuleusement les noms des
moindres artistes de l'antiquité, et quelquefois d'un
trait il en rend vivement la manière. Aussi est-il

utile de donner une brève indication des peintres


naturalistes qui ont certainement contribué à faire
progresser l'art du caricaturiste.

La caricature se nourrit de laideur; mais il faut

lui montrer la laideur. Les artistes qui, suivant


Aristote, « représentent les hommes plus beaux que
nous ne sommes, » ne peuvent servir de guides aux
esprits railleurs, à moins que leurs compositions
HISTOIRE DE LA CARICATIT.E ANTIQUE i7

éllîérées, se tournant en visions et prenant l'ombre


pourlaforme, neproduisent des réactions violentes;
mais les artistes dont parlent Aristole et Pline n'en
étaient encore qu'au bégayement, puisque ce der-
nier cite comme un inventeur le peintre Cimon de
Cléonée.

Cimon inventa les calagraphes, c'est-à-dire les têtes de


profil, et il imagina de varier les visages de ses figures, les
faisant regarder en arrière, ou en haut, ou en bas. Il mar-
qua les articulations des membres ; il exprima les veines,

et en outre indiqua les plis et les sinuosités dans les vête-

ments.

Cimon fut un des initiateurs de l'art avec Poly-


gnote, dont il est dit que « le premier il ouvrit la
bouche des figures, fit voir les dents, » etc. A cette

époque, le pinceau et le ciseau ne pouvaient arri-


ver à ces mysticismes outrés qu'il a été donné aux
époques civilisées de connaître, et qui font que le

peinti^e, oubliant palette et pinceau, croit pouvoir


les remplacer par le rêve et la pensée.
Donc les caricaturistes dérivent des maîtres
exacts, de ceux qui peignent les accidents de la
peau, les rides, les rugosités et les verrues. Ils exa-
gèrent, rendent ridicule et grotesque ce qui était
vrai; mais ceci est le côté purement matériel de la

caricature. Si elle grossit seulement quelques dé-

tails à la loupe, comme il est arrivé quelquefois de


48 HISTOIRE
nos jours, la caricalure devient un monstrueux et

bête microscope.
Le caricaturiste doit atteindre et montrer le moral
à travers le physique. S'il n'est pas ému ou indigné
en prenant ses crayons, c'est un triste ouvrier qui
accomplit un triste métier.
Un Anglais, dont je regrette de ne pas savoir le
nom, a écrit cette pensée si juste : « Que veulent
donc dire les philosophes qui ont représenté l'ironie
comme une dégénérescence de l'âme, comme une
faiblesse ou une bassesse? Za risée que provoque
Vaspect du un hom-
laid et de Vignoble est encore
mage rendu à la noblesse et à la beauté. »
On ne s'entendra jamais sur cette question de la
représentation de la laideur, pas plus qu'on ne
s'entend sur la réalité, pas plus qu'on ne s'entend
sur la morale de l'art : mots abstraits qui servent

merveilleusement aux détracteurs de toute forme


nouvelle, de tout effort, de toute recherche.
J'en reviens à Pline, dont je dois citer quelques
passages relatifs aux peintres et aux sculpteurs
voués à la réalité.

Mcias sculptait plus volontiers les chiens que les hommes.


Cratinus a peint des comédiens à Athènes, dans le Pom-
pion. Eudore s'est fait remarquer par une décoration de

théâtre... Œnilas a peint une assemblée en famille. Phi-


liscus a peint l'atelier d'un peintre oîi un enfant souffle le
feu. Siraus est auteur d'un jeune homme se reposant, d'une
DE LA C.AKICATURE ANTIQUE 49

boutique de foulon, etc. Parrhasius, d'Éphése, a peint une


nourrice Cretoise qui tient un enfant dans ses bras. Antiphile
est renommé pour un jeune ararçon soufflant un feu qui
éclaire et l'appartement d'ailleurs fort beau, et le visage
de l'enfant; pour un atelier de fileuses en laine oîi des
femmes se hâtent toutes d'achever leur tâche Aristophon, ;

pour un tableau à beaucoup de personnages, où sont Priam,


Hélène, la Crédulité, Ulysse, Déiphobe, la Piuse. On vante,
de Timomaque, Oreste, Iphigénie en Tauride ; une famille
noble ; deux hommes en manteau se disposant à partir, l'un
debout, l'autre assis '.

Telle est l'antiquité dont on cherche aujourd'hui


à surprendre les secrets. Le grand art antique, cha-

cun le connaît et l'admire; mais l'art domestique,


des portraitistes, des décorateurs, des peintres de
tableaux familiers, l'art qui en apprend plus sur
les mœurs que la représentation des dieux et des
empereurs, voilà celui que veut approfondir l'esprit

scrutateur modei^ne.
Nous nous imaginons que la peinture de paysage
a été poussée aujourd'hui à la perfection. Pline
l)arle des tableaux d'un certain Ludius qui en re-
montrerait à beaucoup de nos artistes pour la va-
riété de ses motifs.

Le premier il imagina de décorer les murailles de pein-


tures charmantes, y représentant des maisons de campagne,

I. Pline, traduction Littré, 1848, ia-8».


50 HISTUUi E

des portiques, des arbrisseaux taillés, des bois, des bosquets,


des collines, des étangs, des euripes, des rivières, des ri-
vages au souhait de chacun, des personnages qui se promè-
nent ou qui vont en bateau, ou qui arrivent à la maison rus-
tique soit sur des ânes, soit en voilure; d'autres pèchent,
tendent des lilets aux oiseaux, chassent ou même font la ven-
dange. On voit dans cespeintures de belles maisons de cam-
pagne dont l'accès est marécageux; des gens qui portent
des femmes sur leurs épaules, et qui ne marchent qu'en glis-
sant et en tremblant; et mille autres sujets de ce genre plai-
Le même artiste a le premier décoré les
sants et ingénieux.
édificesnon couverts {hypœtrcs, promenoirs) de peintures
représentant des villes maritimes qui font un effet très-
agréable et à très-peu de frais.

Et cet Arellius, célèbre à Rome, qui excite l'in-

dignation de Pline! « Arellius, dit-il, profana sou


art par un sacrilège insigne; toujours amoureux de
quelque femme, il donnait aux déesses qu'il pei-
gnait les trails de ses maîtresses ; aussi en comptait-
on le nombre dans ses tableaux. »

Combien en a-t-on vu depuis d' Arellius, qui ont


donné aux Yierties et aux Madones la figure de

leurs maîtresses, et qui n'ont pas cru commettre


de sacrilèges !
Il ne faut pas oublier Pausias de Sicyone, qui
«.imagina le premier de peindre les lambris. Il pei-

gnit de petits tableaux, et surtout des enfants. »

Ces citations étaient nécessaires pour bien faire


comprendre comment le grand fleuve de l'art s'ali-
DE LA CARICATURE ANTIQUE M
mente d'une quantité de rivières, de ruisseaux, de
petites sources.

Jusqu'ici ces sujets familiers ne contiennent rien


d'ironique.

Masque d'a|)rès une cornaline anlir|iic.


PEINTRES COMIQUES.

La vogue des tableaux étrangers à Rome, dit Pline, date


de L. Mummius, à qui sa victoire valut nom
le d'Achaïque...
Je trouve qu'ensuite l'usage devient commun d'en exposer
dans le Forum. De là la plaisanterie de l'orateur Crassus.
Plaidant sous les vieilles boutiques, il interpella un témoin;
le témoin, relevant l'interpellation : — « Dites donc, Crassus,
qui pensez-vous que je sois? — Semblable à celui-ci, » ré-
pondit-il en montrant, dans un tableau, un Gaulois qui tirait

très-vilainement la langue'.

Cicéron et Quintilien rapportent qu'on voyait


souvent pour enseigne aux boutiques romaines un
bouclier cimbre populaire, qu'ils supposent être
l'image du bouclier de Marius, représentant une
figure grotesque de Gaulois tirant la langue. Le
(iaulois (( qui tirait très-vilainement la langue « est

du sans doute au pinceau d'un des peintres qui se

1. Cette grimace a été conservée dans rornenientation architec-


turale. Quelques monuments de nos jours portent sur la façade des
niascarons tirant la lansuc.
HISTOIRE DE LA CARICATURE ANTIQUE 53

plaisaient à la représentation de scènes populaires,

dont Pline a dit :

C'est ici le lieu d'ajouter ceux qui se sont rendus célèbres


lians le pinceau par des ouvrages d'un genre moins élevé.
De ce nombre fut Piropïcus, inférieur à peu de peintres pour
l'habileté. Je ne sais s'il s'est fait tort par le choix de ses
sujets; toujours est-il que, se bornant à des sujets bas, il a
cepenJant, dans celte bassesse, obtenu la plus grande gloire.
On a de lui des boutiques de barbier et de cordonnier, des
Anes, des provisions de cuisine, et autres choses semblables,
ce qui le fit surnommer le Rhyparographe. Ses tableaux font
un plaisir infini, et ils se sont vendus plus cher que de très-

grands morceaux de beaucoup d'autres.

Pirœïcus serait aujourd'hui appelé un peintre de


genre, et, comme autrefois, il pourrait vendre ses
tableaux plus cher que des compositions histori-
ques.
« Calâtes, suivant Pline, traita en petit des sujets

comiques; » mais la désignation des sujets est ab-


sente, et on ne peut revendiquer Calâtes ou Galacès
comiue un peintre de caricatures '.

•juant à Socrate, ajoute le naturaliste, ses tableaux


plaisent avec raison. Tels sont : Esculape avec ses filles et

son Paresseur, qu'on appelle Ooios : il lait une corde qu'un


i'ine ronsro à mesure.

SuivaiU le comte de Caylus, Calfltès et AntiplijIIus peignaient


1.

comica tabella, srùnes de pièces comiques qu'on affichait à la


'li;s

porte des Ihéàlres pour attirer le public.


5i HISTOIRE
Intention comique dans le Paresseux, qui frise

la caricature. >yOus allons y arriver.

Bupalus et Athenis étaient contemporains du poëte Hip-


ponax. Hipponax était remarquablement laid. Les deux
artistes, par forme de plaisanterie, exposèrent son portrait à
la risée du public; Hipponax, indigné, dirigea contre eux
l'amertume de ses vers, si bien que, selon quelques-uns, ils

se pendirent de désespoir, mais cela est faux...

Dans ce fragment de Pline, je vois poindre la

caricature. Bupalus et Athenis, en exposant le por-


trait d'Hipponax, voulaient peut-être se venger de
lui pour quelque cause dont Pline ne dit pas le

motif. Toujours est-il qu'il s'ensuivit une guerre


aiguë de poëte à artiste, la même que celle indi-

quée plus haut entre Aristophane et Pauson.


C'est au chapitre de l'Art de modeler en plas-

tique que Pline a parlé de deux sculpteurs qui ne


reculaient pas devant la laideur. « Praxitèle est en-

core l'auteur de la statue de la Spilinnène {Spilii-


menen, femme malpropre). Quant au Myron, qui
s'est illustré dans le bronze, on a de lui, à Smyrne,
une vieille femme ivre, ouvrage des plus renom-
més. »

Sans rentrer dans la caricature, cette statue y


mène; mais enfin Pline donne la description d'une
réelle caricature : s Ctésiloque, élève d'Apelle, s'est
rendu célèbre par une peinture burlesque repré-
DE LA CARICATURE ANTIQUE hô

sentant Jupiter accouchant de Bacchus, ayant une


mitre en tête et criant comme une femme, au mi-
lieu des déesses qui font l'office d'accoucheuses. >^

Voilà le véritable caricaturiste, qui ne respecte


même pas les dieux. En voici un autre qui ne res-
pectait pas les reines :

Clésidès, ajoute Pline, est connu par un tableau injurieux


pour la reine Stratonice : cette princesse ne lui ayant pas
fait une réception honorable, il la peignit se roulant avec un
pécheur qui passait pour être son amant : il exposa son ta-
bleau dans le port d'Éphèse et s'enfuit à toutes voiles. T.a
reine ne voulut pas qu'on enlevât le tableau, à cause de la
ressemblance extrême des portraits.

On ne voit pas communément des souvei^ains qui


pardonnent si aisément de telles critiques de leur
personne! — C'est de la licence, dira-t-on. — Sans
cette licence compterait-on un Aristophane? La
postérité a-t-elle gagné quelque chose à conserver
dans ses bibliothèques les œuvres d'Aristophane ?
Une pareille question ne saurait faire doute.

On a vu, sous la seconde République, les regret-'


leurs du passé se consoler d'une forme imprévue
de gouvernement, au spectacle de vaudevilles aris-
tophanesques, où les hommes au pouvoir étaient
représentés dans leurs actes comme dans leurs per-
sonnalités.

Oui a montré, dans ces moments de trouble, où


56 HISTOIRE DE LA CARICATURE ANTIQUE
conduisaient les doctrines d'un Proudhon ? Un vau-
devilliste.

La tranquillité de l'Angleterre ne me semble pas


menacée par le libie crayon de ses caricaturistes.

L'Eglise craignait-elle, au moyen Age, les satires


contre les moines que certains tailleurs de pierre
inscrivaient en bas-reliefs ineffaçables sur les murs
des cathédrales? L'Église se sentait forte, et on
peut juger de la force d'un gouvernement par la

liberté laissée aux caricaturistes.

ilii^qiio il'aprcs une cornaline antique.


VI

DE LA CARICATURE PROPREMENT DITE. — L ATELIER


DU PEINTRE.

Une dernière citation de Pline conduit dans le

domaine réel de la caricature : « Philoxène a peint


aussi une bambochade dans laquelle trois Silènes

font la débauche à table. Imitant la célérité de son


maître [Nicomaque], il inventa même un certain
genre de peintures plus courtes et ramassées [des
grotesques]. »

V Atelier du peintre offre le spécimen exact de


ces figures plus courtes et ramassées de Pline, qua-
lifiées de grotesques par M. Littré; c'est un type
significatif de la caricature clans Pantiquité.

Un peintre, devant un chevalet, retrace sur la

toile les traits de son modèle; à droite dessine un


petit élève dont la figure est complètement re-
tournée vers le dos, comme si on avait voulu
marquer, par ce mouvement forcé, la curiosité

d'un rapin qui regarde ce qui se passe dans l'atelier


au lieu d'étudier. Après le groupe du peintre et de
HISTOIRE DE LA CARICATURE ANTIQUE 59

son modèle qui occupent une place importante au


centre de la composition, se voient à gauche deux
petits hommes dont l'un, dressant le bras vers le

chevalet du peintre, semble communiquer ses obser-


vations à son compagnon. Derrière eux, une oie

(ou une grue) ouvrant un large bec pousse un cri

slupide.

Un commentateur a vu dans l'oiseau la repré-

sentation « d'un chanteur ou d'un joueur d'instru-


ments qu'on avait peut-être coutume d'introduire
dans les ateliers pour désennuyer ceux qui se fai-

saient peindre. »

Certains savants, ignorants des détails delà vie,


en sont réduits à chercher des commentaires en
eux-mêmes, et adoptent quelquefois les plus éloi-

gnés de la réalité. L'oiseau, qui se promène dans


l'atelier, me fait penser au caractère des peintres à
qui il a toujours fallu quelque bizarrerie tapageuse :

siûges, hiboux, chiens. L'artiste, aimant la liberté,

se plaît avec les animaux libres. L'oiseau mal élevé


qui pousse des cris dans l'atelier du peintre est le

meilleur de ses amis ; il sacritierait tous les portraits

de commande à sa libre fantaisie.


Je cherche surtout, dans ces grosses têtes plantées
sur de petits corps, l'intention satirique. Le broyeur
de couleurs, les amis du peintre, l'oie, sont de
sinq)les détails de mœurs; au comique apjiar-
I]0 HISTOIRE
tienuenl le peintre, son élève et le modèle. Le rapin
montre la curiosité de l'enfant, plus occupé de ce
qui se passe autour de lui que de la peinture
qu'on lui enseigne peut-être durement. L'homme
qui pose est un badaud, plein d'étonnement pour
un artiste dont chaque coup de pinceau amène un"
trait de ressemblance; il fera tout à l'heure quel-

ques bourgeoises observations que semble an-


noncer la bouche pincée du peintre, assis devant

son chevalet avec le recueillement d'un général se


préparant à la bataille.

« Peintre et modèle ne sont que des pygmées,


a dit un commentateur à propos de cette peinture.
N'y a-t-il pas là comme une intention ironique dans
la pensée de l'artiste, une allusion à la décadence

de Vart? Les peintres de l'époque de Pline pou-


vaient s'avouer à eux-mêmes qu'il n'étaient que des
nains auprès des géants de l'art. »

— Non, répondrai-je, il n'y a pas à'allusion dan>

cette peinture comique. Non, certainement, les ar-

tistes du vivant de Pline, et l'auteur de cette fresque

en particulier, n'ont pu songer à peindre un sym-


bole méprisant pour leur épocjue. Les habiles déco-
rateurs dePompéi et d'Herculanum accomplissaient
leur tâche, sans s'inquiéter des grands maîtres qui
les avaient précédés. L'intention satirique contre
un peintre de l'époque paraît vraisemblable : contre
DE LA CARICATIIIE ANTIQUE 61

toute une époque cela devient une interprétation


symbolique qui touche à l'hyperbole.
Par celte fresque nous pénétrons dans l'atelier

d'un peintre de l'antiquité, comme les curieux étu-


dient les mœurs du temps de Louis XIH dans
l'œuvre d'un Abraham Bosse. Et c'est là l'utile et
historique côté de la caricature, que de rendre des
détails intimes auxquels se refuse le grand art.

M. Mazois sauva ce tableau en en donnant une


gravure dans son important ouvrage des Ruines de
Pompéi. </ Lorsque je le dessinai, dit-il, il mena-
çait ruine, et il tomba en morceaux dès les pre-

mières pluies. » A l'époque où l'archéologue le

copia, vers 1800, il n'était déjà plus complet. y « 11

manquait, dit le même auteur, un autre oiseau,


et, du côté opposé, un enfant qui jouait avec un
chien, »

Heureusement Guillaume Zahn^ a donné la

fresque entière, telle qu'elle existait avant l'arrivée


de Mazois à Pompéi , apportant comme nouveau
témoignage dans le débat un oiseau et un chien.
Voici donc la fresque dans son entier, avant que
l'humidité ne la fît tomber en ruine.
Que penser de l'oiseau volant dans le haut de Ta-
telier et qui paraît se diriger du côté du peintre?
•Je m'en tiens à ma première opinion. Le chien, les

1. Pompéi, 3 vol. gr. in-folio. !S-2.S-I8ry,), lipiiin.

4.
62 HISTOIRE DE LA CARICATURE ANTIQUE
oiseaux faisaient partie de l'atelier, et l'artiste se

délassait de ses rapports avec les fâcheux (ceux qui

je payaient), en regardant s'ébattre et folâtrer des


animaux alertes, sans cesse en mouvement, point
bavards, et plus naturels que les gens gourmés qui,

pour se donner une pose triomphante, font le dé-


sespoir des peintres de portraits de tous les temps.

D'après Guillaume Z;iliii.


Vli

PAnODIE D ENEE ET ANf-IIISE.

La caricature n'est pas seulement Texpressiou du


sentiment du peintre emporté par une imagina-
lion humoristique. Quoique enveloppée de mys-
tères, elle laisse, comme dans le cas présent, des

exemples de personnalités précises, sur lesquelles


les savants modernes sont d'un commun accord.
L'auteur du texte du livre Pittore cCErcolano, Mil-
lin, Panofka donnent tous le dessin suivant comme
une caricature d'Enée, d'Anchise et d'Ascagne
fuyant.

Cette particularité, dit Panofka*, que les exemples cités


datent tous de l'empire macédonien, peut inspirer l'idée que
ce genre d'art ne s'est développé chez les Grecs qu'à cette
époque, idée que les caricatures les plus connues jusqu'ici
sem])lent justifier, parce que nous les rencontrons sur les
murs de Pompéi. L'une d'elles montre Enée fuyant avec son
père Anchisc sur l'épaule et le petit Ascagne à l'autre main;
au lieu de trois Troyens, nous voyons l'action symbolisée
par trois chiens.

I Parodien und Karikaturen, in-i , Berlin, ISôl


64. HISTOIRE

r L' l T i: D L .N E c

Fresque ilérniivciic à Gi'agnano en 1700.


DE LA CARICATURE ANTIQUE C5

P 1 1 KH E GHAV E E
Du Musée de Florence.
66 HISTOIRE
Dans ces recherches de dates, je laisse les affir-

mations à de plus savants que moi. De quelle époque


date la caricature d'Énée et d'Anchise? Panofka le

fait entrevoir. Il est certain que le peintre a donné,


non sans motif, trois têtes de bêtes à des person-

nages à corps humain, et on voit, d'après le dessin

ci-dessus, que les anciens n'ont rien à redouter de


la comparaison avec les artistes satiriques modernes
qui ont posé des têtes d'animaux sur le corps
d'hommes du xix* siècle, pour témoigner sans
doute combien leurs passions et leurs vices les

rapprochent de la bêle.

Pourquoi Énée est-il le seul à jambes d'homme?


Ascagne et Anchise ont des pattes d'animaux.
Pourquoi Énée et Anchise ont-ils de longs phal-
lus, que la gravure n'a pu reproduire?
Questions auxquelles il est difficile de répondre. •

Suivant un érudit, Énée fut représenté en singe


pour rendre plus précise une injure littéraire.

Les anciens, dit-il, avaient du goût pour ces grotesques


qu'ils appelaient cercopitheci, singes à longues queues, et
cynocephuU, singes à tètes de chiens. On sait par Suétone
Macrobe {Saliirn., V, 13, 17,22) que les cri-
{Calig., 3i) et
j

tiques de Rome épluchèrent les fautes, les négligences de


j

Y Enéide, et reprochèrent à Virgile son imitation d'Homère,


comme Homère lui-même avait été parodié au théâtre par
Cratinus dans son O^v^jifôç.

Suivant le même commentateur, ces hommes à


DE LA CARICATURE ANTIQUE 67

tête de singe représentaient surtout le caractère

simiesque de l'œuvre de Virgile. Singe était une


injure littéraire en faveur à Rome. Pline dit que
Rusticus fut appelé le singe des stoïques; Tatianus
fut également traité de singe ; Yirgile était donc le

singe d'Homère.
La fresque représentant la fuite d'Enée suit pas
à pas le texte de V Enéide, et peut servir aV illustra-

tion caricaturale au poëme.


Ascagne est représenté, ainsi que l'indique Yir-
gile, saisissant la main de son père :

Dextrae se parvus lulus


Implicuit

L'enfant a peine à marcher dupas rapide d'Enée,


si on en juge par sa chlamyde volant au vent :

Sequiturque patrem non passibus geqiiis.

Anchise tient des deux mains la précieuse boîte


qui contient les dieux Pénates :

Tu, genitor, cape sacra manu patriosque Pénates.

Anchise est soucieux, Ascagne a peine à suivre


son père; mais Énée, s'efforçant de garder son sang-
froid pour rassurer ses compagnons, tourne la tête

en arrière, cherchant s'il ne voit pas sa fidèle

Creuse. Ici le texte de Yirgile se prête encore à Tin-


terprétation de la fresque :
68 HISTOir, E
Et me, queni duduui non ulla injecta mdvcbant
Tela, neque adverse glomerati ex agmine Graii,
Nune omnes Lorreiit aurae, sonus excitât omnis
Suspensum, et pariter comitiqne onerique limentem.

Suivant de Paw, « les Grecs peignaient ordinai-


rement d'après Homère, et les Romains d'après
Virgile. Le quatrième livre de VÉnéide, qui était le

plus généralement lu à cause des aventures de Di-


don et d'Énée, était aussi le plus généralement re-
présenté dans les tableaux, les bas-reliefs, les ta-

pisseries. Ce sujet-là, dit Macrobe {Saturn., liv. V,


ch. xvii), est enlin devenu le sujet dominant qui
avait fait oublier les autres. Les peintres ne se
lassaient pas de le répéter, parce que les specta-
teurs ne se lassaient pas de le voir : on l'a retrouvé
plus d'une fois dans les ruines d'Herculanum...
Ovide dit positivement qu'aucune partie de VÉnéide
n'était autant lue chez les Romains que le quatrième
livret »

Une autre hypothèse m'est suggérée par la col-


lection des pierres antiques de Florence'; peut-
être la fresque satirique de la fuite d'Énée fut-elle
dirigée contre les graveurs en pierres fines de l'an-
tiquité?

On voit au musée de Médicis, à Florence, deux


pierres gravées, sardoine et onyx qui, à quelques

1. De Paw, déjà cité.


2. Gemme antiche do Florence, I. I, pi. XXX.
Dt LA CArxICATLRl:: ANTIQUE 69

variantes sans importance, ont été inspirées on co-


piées sur un même modèle. Ces pierres font com-
prendre la fresque caricature de Pompéi. Mouve-
ment, costume, allure des personnages sont
identiques (comparer, pag. 64-65, l'onyx gravé et

Coupe du Miisôe Gregoriano, à Romo.

la peinture comique). Seulement l'artiste satirique

a posé des tètes d'animaux là où le graveur avait


placé des têtes d'hommes.
J'estime, à la vue des deux pierres gravées
70 HISTOIRE DE LA CARICATURE ANTIQUE
presque sans variantes, que le sujet de la fuite

d'Énée et d'Anchise étant très-populaire à Rome,


les peintres et les sculpteurs le représentèrent sous
toutes les formes, sans modifications importantes,
et que cette tradition, indéfiniment lépétée sur
marbre, sur pierres précieuses, irrita un artiste

taquin qui, pour en finir avec ce sujet académique,


le transforma en grotesque.
Dans le dessin ci-dessus, Panoflva voit, « sans au-
cun doute, *> la figure satirique d'un philosophe ou
d'un fabuliste, représenté par unpygmée à la barbe

de bouc, muni d'un manteau et d'une béquille :

« En face de lui, dit-il, est assis, sur un rocher,


comme le sphinx de Thèbes, un renard; cet animal
pourrait représenter aussi le flatteur écoutant dont
nous parle déjà Horace dans VArt poétique. »

Qui osera se vanter de dissiper les voiles dans les-

quels s'enveloppe l'art antique? Vaines dissertations


d'hier, d'aujourd'hui et de demain !
VIll

GRYLLES.

Dans la nomenclature des peintres de l'antiquité


qui se livraient au grotesque, Pline cite un certain
Antiphile qui cultivait à la fois et le noble et le co-
mique.

Aiiliphile U'availla dans l'un et l'autre genre, car il a fait

une belle Ilésioiie, Alexandre et Philippe... D'un autre côté,


il a peint une figure ridiculement habillée à laquelle il donna
le nom plaisant de Gryllus, ce qui lit appeler grylles ces
sortes de peintures'.

Le mot est resté dans la science archéologique

moderne. Qui d'ûgri/Ileûil une pierre gravée repré-


sentant quelque sujet gi^otesque ou symbolique-
ment comique. Sur le mot chacun s'entend; mais le

texte latin dans sa concision prête à des commen-


taires. On se demande si le peintre Antiphile créa
le nom de gri/Ue])our désigner plus spécialement la

nature de son crayon, ou si, frappé par la vue d'un

I. IMine, traduction Littn''.


72 HISTOIRE
nommé Gryllus, qu'on suppose, d'après le texte,

d'apparence ridicule, il n'attacha pas ce nom à

toutes sortes de figures plaisantes.


Voici le texte exact : « Idem (Antiphile) jocoso no-

mine Grylliim dericUculi habitus pinxil. Unde hoc


genus jnchirœ gri/lli rocanlur. » La version de
M. Littré, de même que celle de M.Quicherat, m'eut
suffi, lorsque le hasard fit tomber sous mes yeux un
article du Magasin pittoresque sur les curiosités

du Cabinet des Médailles de la Bibliothèque natio-


nale. L'auteur anonyme de l'article discutait le

passage de Pline et donnait de si bonnes raisons à

l'appui de son interprétation c^u'il faut le citer tout

entier '

Voici la traduction que je proposerais, dit M. Chabouillet,


si j'avais autorité dans l'école : « Le même peignit en
caricature Gryllus au nom burlesque; d'où vient le nom
de gyylles à ces sortes de peintures. » Si je ne me trompe,
les traducteurs de Pline n'ont pas arrêté leur attention sur
ce passage, qui n'est important que pour celui qu'intéresse
sérieusement ce petit point d'archéologie. Aussi se sont-ils
contentés du premier sens que les mots de l'écrivain pré-

1. J'ai su plus tard son véritable nom, et je dois d'autant momsle


cacher qu'une petite révélation bibliographique rendra à Tauteur
d'un livre plein d'Iiumour la part de publicité qu'il n'a jamais cher-
chée. L'article est de M. Anatole Chabouillet, conservateur du Ca-
binet des médailles, le même qui, sous un pseudonyme, prit pari,
avec un historien [M. Alfred Main,û'uel], à l'adaptation française du
meilleur des livres pour dérider l'homme à ses heures de marasme :

Polichinelle, drame en trois actes, publié par Olivier et Tanneguy


de Pcrihoét, et illustré par George Cruishanck. Paris, 1836.
DE LA CARICATURE AxNTIQUE 7:j

sentent à l'esprit ; ils n'ont pas songé à demander pour-


quoi Antiphile, ayant fait une figure grotesque, lui aurait
donné le nom de Gryllus plutôt que tel autre; c'est qu'aucun
d'eux, au moins de ceux que je connais, n'a songé, en tra-
duisant ce passage, qu'il existât un Gryllus dans l'histoire.

Selon moi, au contraire, il est évident qu'Antiphile fit, non.

pas une figure grotesque qu'il nomma Gryllus, mais bien la


caricature de Gryllus, nom célèbre dans l'antiquité, oublié
aujourd'hui même des érudits ; car enfin la caricature ne prend
pas d'habitude ses types dans son cerveau, elle les choisit
dans le monde créé, et se contente de leur donner l'aspect
ridicule, ridiculiim liabitum. Surtout la caricature, pour
plaire à la multitude, s'attache volontiers aux noms célèbres
et honorés, particulièrement lorsque ces noms prêtent au
ridicule. Or, est-il rien de plus burlesque qu'un nom propre
qui en grec, sous la forme Gryllos, est à la fois celui de deux
animaux, le cochon et le congre, et qui, en latin, sous la
forme Gryllus, est celui du cricri ou grillon? D'un autre côté,
quoi de plus glorieux que le nom de Gryllus au temps d'An-
tiphile, alors que chacun savait que c'était celui du père de
Xénophon, et surtout celui de son lîls? Ge second Gryllus fut,
en effet, un des plus illustres guerriers de la Grèce; non-
seulement il accompagna son père dans sa célèbre expédition

de Perse, mais encore, au dire des Athéniens et des Thé-


bains, c'est lui qui eut l'honneur, payé de sa vie, de porter le

coup mortel à Épaminondas dans la journée de Mantinée


(362 ans avant J.-C.). Ses hauts faits lui valurent une telle
renommée que Diogène Laërce nous apprend qu'il fut célébré

par d'innombrables panégyriques en prose et en vers. On sait,


lie plus, que les Mantinéens déclarèrent que des trois mieux
faisants de la journée, Gryllos, Céphisodore de Marathon et
Podarès, c'était Gryllos qui devait avoir le premier rang;
aussi lui avaient-ils fait rendre les derniers devoirs aux frais
du trésor public; et, non contenis de honneur si haut
cet
prisé dans l'antiquité, ils lui avaient élevé une statue é(|uestie
5
74 HISTOIRE
non loin du théâtre. Les Athéniens n'avaient pas non plus
ouhlié de rendre hommage à ce héros ; ils avaient fait peindre
par Euphranor la bataille de Mantinée dans le Céramique; et,

dans celte peinture, (iryllus était représenté dans l'action de


tuer Épaminondas. Les Mantinéens, à tous ces honneurs que
je viens de rappeler, ajoutèrent encore celui de faire placer,
dans un de leurs temples, une copie de la peinture d'Eu-
phrauor ; et pourtant, s'ils lui accordaient le prix de la
valeur, ils lui mort d'Épaminondas, qu'ils
contestaient la
attribuaient à un certain Machœrion. Certes voilà un homme
dont le nom est à la fois assez ridicule pour prêter à rire aux
sots, et assez illustre pour tenter la veine comique d'un

caricaturiste. Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on ose faire la

chaj'ge des noms et des choses les plus dignes de respect. 11

y aura bientôt deux mille ans qu'Horace disait que les pein-
tres et les poètes avaient également le pouvoir de tout faire
entendre :

Pictoribus atque poctis


Quidlibet audendi semperfuit œqua potestas.

Ils osaient tout parodier en effet, les dieux comme les

héros, la vertu comme le vice : ne voit-on pas, sur des vases


ou des pierres gravées, des caricatures qui ridiculisent aussi
bien la piété filiale d'Énée que l'adultère meurtrier de Cly-

lemnestre, la naissance de Minerve et la mort du Sphinx? Je


crois donc, pour revenir à notre texte de Pline, qu'Antiphile,
ce célèbre rival d'Apelle, n'a pas peint, comme l'ont cru les
traducteurs de l'encyclopédiste romain, grâce à la brièveté
obscure de sa phrase, une figure qu'il nomma Gryllus ; mais
ila peint Gryllus, dont il fut le contemporain, et dont la re-

présentation dans le Céramique d'Athènes était encore dans


tout l'éclat de la nouveauté lorsqu'il se divertit à en faire une
caricature, et il le peignit sous une forme grotesque, ridicull
habitus. Cette forme grotesque, on peut la deviner; sans
doute il en avait fait un monstre composé des trois animaux
DE LA (.AlUCATURK ANTIQUK 73

que ijnjUos et gryUas désignaient on grec et en latin. De là

le nom de grylles donné à ces peintures, dit Pline. En effet,

dans la série des pierres gravées nommées grylles par les


antiquaires, on remarque surtout des figures composées de
t'Hes et de corps d'animau.v divers, capricieusement réunis,
de manière à former des êtres monstrueux ou chimériques.

On voit au Cabinet des Médailles de la Biblio-

thèque une vitrine qui, malheureusement, ne con-


tient pas assez de spécimens de ces grylles, et ce-

pendant renferme la cornaline ci-dessus qui repré-

senie deux chiens et un dromadaire, le premier chien


avec un bâton, laisant roffice décocher, et le droma-
daire traîné par un chien penaud.
Ces sortes de caprices, dans lesquels les animaux
jouent un rôle, étaient fréquents dans l'antiquité.
On en rencontre peints à fresque sur les murs,
gravés en creux sur des gemmes, ou en relief sur

des médailles.
Une peinture trouvée, en 1745, dans les fouilles

d'Herculanum, est le type de ces fantaisies encore


inexpliquées. Les commentateurs n'ont pu décou-
vrir le sens de cette allusion. « Je pense, dit le ré-

*hiU;uv i][i\\\vQ Pittore antiche d' Ercolano (Nùp\cs.


HISTOIRE
DE LA CARICATURE ANTIQUE 77

1757), que cela peut être une satire parlante, fai-


sant allusion à quelque signe particulier, expri-
mant dans la figure du grillon et du perroquet le

• aractére de deux personnages, dont le premier


avait de l'empire sur l'esprit du second. Cette satire
a peut-être aussi quelque rapport h leurs noms. »

Explications qui me semblent tomber devant la mul-


tiplicité de ces sujets.
Quelquefois c'était un animal fabuleux, énorme
et portant des ailes aux flancs, qui traînait une
toute petite sauterelle placée sur le haut d'un char
(cette peinture se trouve au musée de Xaples). Un
érudit a voulu voir ici Sénèque dirigeant l'em-
pereur Néron. Je laisse le champ libre aux défri-

cheurs d'hypothèses, préférant donner deux petites


pierres gravées, plus claires que toutes les inter-

prétations.

Comme caricature iVanimaux de la mijtholoyie héroiqiie,


ilit musée royal de Derlin
à ce sujet Panotlva, nous trouvons au
une pâte jaune qui représente sans doute une caricature de
Vassassinat (V Arjamcmnon par Clytenuwstre, laquelle est
coiffée d'une lèle de chèvre par allusion à Égistlie. M. I ol-

ken, qui ignora le st mis el l'iniporlanci' de ce document, te

décrit de celle manière : « In liibou, qui a une étrange ligure


78 H IS TOIIIE
et deux bras Jlioniiiie, élève une hache à double tranchanl
pour couper la lèle d'un coq dont il a piis la crête dans une
de ses griffes. »

Au premier abord, trompé par les représentalion^

(raniinaux qui se voient fréquemment sur les pierres


précieuses, on est tenté de ranger dans la famille
des ffrvlles la ffemme suivante :

Mais la face de cette pierre, dont il existe un


moulage au Cabinet des Médailles, les inscriptions

qui se trouvent desaus et dessous, enlèvent toute


idée de satire ^
Une pierre gravée, du musée de Berlin, repré-
sente une souris dansant devant un rbat qui joue de

la flûte à double tuyau; sur une autre se voit une


ourse foisant danser un écureuil.

M. Chabouillot a dcLMit ainsi la genuiic


1. :

« Endroit. Harpocr.vte nu, debout, portant la main à sa


:2I95.
bouche. On distingue dans la légende les noms à'Ahraxas et de
Cnouphis. Revers. Axl'bis monté sur un lion passant. Légende con-
fuse dans laquelle on distingue AliPAîAS, Abraxas. Jaspé fleuri.

H., I3mill.; L., 11 mill. » (Catalogue du Cahinet des Médailles.)


DE LA CARICATURE ANTIQUE TU

Selon nos idées modernes, dit avec raison M. Charles


Asselineau, la caricature comporte également le comique
dans le sujet et dans l'exécution. Il faut une certaine bouf-
fonnerie de crayon ou de burin indépendamment de la bouf-
fonnerie de ou du modèle. Or dans ces charmants
l'idée ,

gryltes, le quadrupède ou l'insecte qui parodie le geste hu-


main, la sauterelle, l'abeille, le rat, la hète chimérique mênie,
sont toujours d'un dessin correct et précieux. Il y a plus à
admirer qu'à rire •.

Les graveurs sur pierres de l'antiquité se sont


plu à ce genre de caprices qui font penser aux

Figurine en terre coloriée (iu caliincl PourUilès.

fables d'Ésope ; mais je ne peux qu'eftîeurer en


passant ce sujet qui atlend une monographie spé-

1. Bulletin du Bibliophile, 1865.


80 HISTOIIIE DE LA CARICATURE ANTIQUE

riale, el, ainsi que Panofka, je souhaite que l'art

(les grylles soit commenté par un érudit qui devra


rechercher ces gemmes si finement travaillées el

surtout en donner de nombreux dessins.

Miisquo il'après une cornaline.


IX

CAPRICES ET CHIMERES

Il n'esl pas rare de rencontrer, dans les grands


musées de l'Europe consacrés à l'antiquité, des
pierres précieuses sur lesquelles sont gravés de bi-
zarres caprices où l'animal joue un rôle inexpliqué

jusqu'ici.

C'est un coq hardi, tenant un épi de hlé dans li'

bec, et à côté de lui un petit Mercure, une bourse


à la main, qui semble la lui offrir. Gallo e Mer-
curio, ainsi l'appelle Maffei (Gemm . antiche, t. II,

pi. VIII).

Le coq, plus souvent que les autres animaux,


apparaît dans ces fantaisies ; tantôt l'Amour (ou pe-
tit génie ailé) lui présente un rameau, tantôt, le

même rameau en main, conduit un char attelé dé


deux coqs *.

Aussi fréquemment que le coq, le masque socra-

I. Vitir Musée de Florence, t. Il, p. G8 et 7(>.


82 HISTOIRE
lique se présente accolé à des lètes d'animaux,
cheval, bouc, de l'assemblage desquels se détachent
épis de blé et caducée. Il semble que l'idée de paix,

de commerce prospère, de riches moissons soit

attachée à ces étrangetés qu'on appelait, non sans


justesse, au xviii' siècle : Chimères.
Des cornalines représentent aussi : les unes, le

profil noble d'un Méléagre accolé à une tête de

sanglier; les autres, Minerve formant une associa-


tion avec un masque noble, plus particulièrement
le masque socratique ^
Têtes renversées singulièrement accouplées,
groupées avec d'autres formant des animaux extra-
vagants, telles sont ces pierres précieuses, sym-
boles plutôt que caricatures.
Une cornaline du cabinet Gaylus représentait un
animal bizarre aipsi formé : le corps composé de
trois têtes, dont un masque grave assujetti sur le

dos; un bouc formant la partie postérieure, des


naseaux duquel sortent trois plumes de paon, plus
un animal accolé au poitrail dont le nez s'allonge
tout à coup en col de cygne terminé également par
une tète d'oiseau.

La disposition du masque tourné vers le ciel, dit le comte

1. Pii\ir la comparaison de ces divers symboles, voir surtout le

deuxième volume des Pierres de Jacob Gronovius, Lugduni Bat.i-


vorum, en Vj ce vu.
DE LA CARICATURE ANTIQUE S'I

de Caylus, et le croissant de la lune au milieu de deux éloiles


placées une dans la partie supérieure et une dans l'infé-

rieure, pourraient faire croire qu'il s'agit ici de la critique d'un


astrologue : le fait est vraisemblable, et celte apparence
excuse la conjecture.

D'après une pierre

du cabinet du comte de Cavlus.

La chimère ci-dessus peut donner une idée de


ces gemmes mystérieuses; mais, quoi qu'en dise le

comte de Gaylus, on n'y voit aucune apparence de


parodie. Ce que cache tm assemblage d'animaux et

de symboles de paix (le raiïieau, la corne d'abon-


dance), je ne tenterai pas de l'expliquer.
Ces pierres gravées font songer aux questions
énigmatiques que se posaient les rhéteurs de Tan-
liquité :

C'est une jeune fille qui rampe, qui vole, qui marche.
8i HISTOIRE
Elle emprunte à la lioimo son allnrj et ses bonds. Par de-
vant, on voit une femme ailée, au milieu, une lionne fré-

missante, par derrière, un serj^.e.it qui s'enroule. Ce n'est


rependant ni un serpent, ni une femme, ni un oiseau, ni

une lionne; car fdle, elle est sans pieds; lionne, elle n'a pas
de tète : c'est un mélange confus d'êtres divers, et ses par-
ties inijiarfaites forment un tout complet.

Telle est une épigramme de Mésomède sui^ le

Sphinx, non sans analogie avec ces pieiTes gravées.

Ou ne peut douter, dit M. de Caylus, que l'assemblage


ridicule, ou du moins contraire à la nature, de plusieurs
têtes mêlées quelquefois avec des corps ou des parties d'ani-
maux, et toujours placées en différents sens, n'ait tiré son
origine de la Grèce; on prétend même que cette sorte de cri-

tique a été, en premier lieu, employée par Socrate. Le fait

pourrait être contredit ; mais cette plaisanterie, ou plutôt


cette espèce de satire, s'est perpétuée; on la voit même sou-
vent répétée plus d'une fois, d'autant que les Romains
l'ont adoptée. Nous ne pouvoas en douter, non-seulement
par la quantité de copies en ce genre que cette nation
nous a laissées de plusieurs ouvrages grecs, mais par les
gravures qu'elle a produites, et dont l'objet était semblable.

Dans ces malièt\\'^ ardues, qui m'ont fait inter-


roger vainement plus d'un érudit, le mieux est

d'exposer un dessin comme la police étend le cadavre


d'un inconnu à la Morgue pour qu'il soit reconnu.
Les chercheurs viennent tour à tour regarder le

dessin et apportent leurs lectures à l'appui, car l'ex-


plication s'en trouve quelque part; mais quel livre,
DE LA C.MlICATUnE ANTIQUE 85

quelle page feuilleter qui servent de commentaire


à ces pierres précieuses et permettent d'écrire

au-dessous : Philosophie des images énigmati-


que c9
s

Les animaux, à travers les rôles fantasques que


les graveurs en pierres fines leur faisaient jouer,
ne s'enveloppèrent pas toujours d'autant de mys-
tères que dans les symboles précédents. Si quel-

quefois ils ne sont que caprices d'ornementation

Fresjue du Musée Borbonico.

comme dans la fresque ci-dessus, le plus souvent


les pierres gravées nous les montrent dans de
petits drames qu'on expliquera certainement un
jour.

Un beau jaspe rouge du musée Médicis de Flo-


rence a fait travailler les commentateurs, voulant
approfondir le sens de la représentation d'un re-
nard sur un char conduisant deux coqs. Pourquoi
la vigilance est-elle dirigée par l'astuce, car le coq
86 IIISTOIRE

a toujours été le symbole de la vigilance, comme le'

renard de la ruse '?


Le renard qui fouette et tient par la bride lea
deux coqs à son cbar, dit un archéologue italienJ

sio-nifie l'astuce avec la visfilance, nécessaires auî


entreprises, comme dans l'épigramme suivante :|

Un renard menteur et rusé est traîné sur un char ra-^

pifle et frappe des oiseaux vigilants. L'astuce industrieuse

Jaspe rouge du Musée de Florence.

roule des soucis qui ne dorment jamais : perfide, elle s€


sert de fourberies continuelles.

1. Horace disait à propos du renard :

Numquam te fallant aninii sub vulpe latentes.

(Que jamais les esprits qui se carhent sous le renard ne te trom-j


pont.)
Dans une sorte d'apologue, Plutarque conte qu'un léopard mé-
prisait un renard parce qu'il n'avait pas, comme lui, la peau ba-
riolée de tant de charme de couleurs. A quoi le renard réponditj
qu'il avait dans l'esprit cette variété ilc couleurs que le léopard
sur le dos.
DE LA CARICATURE ANTIQUE 87

M. de Caylus a fait graver deux gemmes apparte-


nant au même ordre d'idées.

Voici, disait-il, deux pierres romaines très-mal travaillées


qu'on ne peut regarder que comme des plaisanteries. L'une
est sur une améthyste, et représente un lion dans un char

Amélhyst-î du cabinet Cuylus.

tiré par deux coqs; l'autre est sur un jaspe rouge. In


dauphin tient assez coniiquement son fouet pour conduire le

Jaspe rouge du cabinet Caylu?.

char sur lequel il est monté, et auquel deux chenilles sont


attelées.
88 IllSTOirxE

Tout me paraîl conlirnier, dans ces compositions bizarres,


l'idée d'unamusement, d'un caprice, d'une fantaisie de gra-
veur. J'aime mieux expliquer ainsi ce sujet que de recourir
à des allégories ou bien à des allusions critiques sur les gou-
vernements; celles-ci ne satisferaient point les lecteurs en
proportion de la peine qu'elles m'auraient coûtée pour les
imaginer. D'ailleurs, dans des matières aussi arbitraires, il

est permis à tout le monde de se livrer à des idées particu-


lières.

Les graviii^es sur pieiTes, qui repi'ésentenl des


animaux attelés à des chars, conduits le plus sou-

vent par des insectes ou d'autres chétifs animaux,


n'offrent jusqu'ici aucune clarté.

Un griffon conduit par un perroquet indique,


suivant un commentateur, l'image de Sénèquc
dirigeant l'empereur Néron suivant un
; autre, l'em-

poisonneuse Locuste et Néron son coiïiplice.

A pt^opos de siijels identiques, M. César Famin


disait justement :

11 arrive souvent que lescommentateurs s'épuisent en con-


jectures pour découvrir un sens caché qui n'était pas dans
l'intention des anciens.

Les artistes qui peignaient les fresques et les arabesques


dans les triclinium et les boudoirs de Baïa, de l'ompéia,
d'Herculanum, s'abandonnaient à toute la folie de leurs ca-
prices, à tout leur dévergondage d'idées. Ils ne songeaient
qu'à satisfaire In passion du maître, sans s'inquiéter de la
moralité de l'art.

Les commentateurs nuisent quelquefois à l'intérêt de l'art,

lorsqu'ils donnent des explications forcées et qu'ils semblent


DE LA CARICATURE ANTIQUE 89

se complaire clans les contradictions. Le mieux serait de laisser


un sujet antique dans ce vague mystérieux qui a bien plus de
charme pour l'amateur que ce conflit d'érudition et de science,
qui n'est ni l'erreur ni la vérité '.

I. Description du musée secret de Xaples. Paris, Abel Ledoux,


ANTHOLOGIE, LUMiF.RE DAN? LA QUESTION

Voici, d'après une pierre gravée, une cigogne ar


méo allant cravement en auerre.

l'itriv !;iavi,^ <lii Aliisi-e ilo Florenoo.

Ici les explications manquent tout à fait; il en est

presque de même pour le grillon porteur de pa-


niers.

Lue colonne, ilit un commontateur italien, indique ijue le


ohemin est la voie publique; sur cette colonne est une lior-
HISTOIRE DE LA C A RU", A TU IlE ANTIQUE Dl

loge solaire telle que les anciens en plaçaient sur les temples
des (lieux, dans le Forum, sur la voie publique, dans les
bains, aux gymnases, aux écoles. Pline dit que les Romains
en tirèrent l'origine des Grecs. Les colonnes telles que celle-

l'icnc gravée (Musée de Florcuec).

ci ont servi plus tard, et chez nous aussi, à établir des fon-
tombe dans un bassin; on pose également
taines dont l'eau
une urne dessus. Sur ces colonnes était quelquefois inscrit
le nom de l'homme qui avait dédié l'horloge solaire au bien
public... Une curieuse sardoine représente un papillon, sym-
bole de la vie, posé sur le cadran solaire au haut de la co-
lonne, et paraissant regarder les heures.

Ces gi^avures en pierres fines montrent le rôle

que les anciens se plaisaient à faire jouer aux singes,


aux loups, aux renai^ds, aux cigognes, aux tourte-
relles, aux grues et quelquefois aux mouches.
Une pierre gravée représente deux abeilles atte-
lées au joug, et une autre abeille conduisant la
9:2 HISTOIRE
oliarrne. Jocosa aratio, aratore ape, et similiter

/y/

diiabus aratiuiii ducenlibus etjugojuncds. Sorte de


labourage pour rire.

Winckelmann {Monumenti inediii, t. II, p. 255,


II" 192) a décrit une pierre gravée représentant une
tête d'homme avec un masque comique, dans la

bouche duquel une abeille veut entrer. Suivant l'ar-

chéologue, cette pierre représenterait le portrait

d'Aristophane, et le style séduisant du poëte comi-


que serait symbolisé par l'abeille.

Bôttiger {Musée de mythologie et d'antiquité


figurées., t. I", p. 63) y voit Silène, et dans l'abeille

la personnification de la Sagesse et de l'Éloquence.


Conjectures o; très-hasardées, » dit le rédacteur
du Dictionnaire des Beaux- Arts (t. 1", Di dot, 1858);
en effet, l'Académie des beaux-arts, malgré le soin

qu'elle a apporté à cet ouvrage, cite différentes


opinions d'archéologues qui, jointes aux conclu-
sions du rédacteur, ne sont guère plus claires que
les miennes.
M. Henri Lavoix a donné dans le journal VIUus-
DE LA CARICATURE AI^TIQUE 9::

dation (5 mars 1853) le dessin d'une pierre cii-

I ieuse, dont il a dit : « Cette cigale, debout sur ses

pattes de derrière et dont une des pattes de devant


agite une assourdissante crécelle, désigne sans
doute quelque avocat criard du Forum : mais le-

quel? Reprenez la liste depuis Saléius jusqu'à Bou-


tidius, et vous en trouverez cent pour un que vous
cherchez. ,)

l'icrrc !ïrav('C du Miis('o de !• lurciiccî.

A un ordre do caprices mieux expliqués se lal-

lachcnt les pierres ci-conlre; on en trouvera beau-


Di HISTOIRE
coup d'analogues dans l'ouvrage de iM. Maffei(Gemm.
anl.), qui a analysé et reproduit les pierres du
musée de Florence.
Dans quelques monuments on voit des cigales

jouant de la lyre, sans qu'il y ait intention de paro-


die. La cigale était consacrée à Apollon; d'elle le

poëte Anacréon disait : « Doux prophète de l'été, la

cigale est vénérée de tous les mortels. »

Aristodicus de Rhodes, dans une épigramme fu-

néraire, a parlé, non le premier, du « chant harmo-


nieux» des sauterelles. Léonidas l'appelle « le ros-

signol des guérets; » Mnasalque se plaint de ne plus


entendre « le ramage de ses ailes sonores; » Sini-

mias en emporte une de la vigne consacrée à

Barclius, a: afin qu'enfermée dans une maisonnette


DE LA CARICATlIlE AMKH't 9:>

bien close, elle le réjouisse par son chant agréable; î«

ailleurs le même poëte parle de « l'hymne du soir


de la sauterelle.

Pour la récompenser de <'


ces délicieuses modula-
lions qui dissipent de l'amour, » Méléagre promet à
la cigale « un présent matinal, une ciboule fleurie et

des gouttelettes de la rosée des champs. ^

Le même, voyant une cigale posée sur une feuille.

l'entend ^< imiter, avec ses pattes dentelées sur sa


peau luisante, les accords de la lyre. ^

Phaentius, Tyrnnès, Nicias, Pamphile et bien d'au-


tres poètes de la décadence, ont consacré des vers à
la louange du chant de la cigale et de la sauterelle.

Plutarque, au livre des Propos de tnhle, parle


également des sauterelles musiciennes.
Les pierres gravées ci-dessus ne sont donc que la

représentation ingénieuse de ces motifs poétiques


im peu trop faciles; mais il n'y a là aucune inten-
tion de parodie.
Grâce à VAntltologie, on explique par à peu près,
comme pour la figure suivante, ces fantaisies dont
quelques-unes semblent inspirées par les poêles.

La lyre sur laquelle grimpe un rat voulant ronger


les cordes est célèbre par une épigramrne de Tullius
Geminus, dont un helléniste me donne la traduclion
lillérale :

I II rat gourmanil df toute espèce de repas, ne craignant


m 111 s TU I li i:

jias la soinicière ot enlevant iiièiuo à la mort sos profils,

roiiiroa la corde au nerf rosoiinanl ilo l'iiœbus. (.olle-ci, on so

^-êrfd'^

l>';i|>ivs k-s l'itrres niititjues de M.ilVoi.

reliraiil sur sa barre, élraiiglo le gosier de la bêle. Nous ail-

mirons la sAreté de l'arc (ou) des traits (du dieu), mais il a

encore niaiiileiianl (dans sa lyre) une arme sûre contre ses


ennemis.

Dopiiis lors, un énulil modeste, M. Dclièquo,


don! il faiil dévoiler l'anonyme, livrait an publie un
important travail de plusieurs années'.

.lavais juré mille fois de ne plus l'aire d*é(tigramnies, dit

un poêle inconnu, car je me suis attiré des haines de beau-


coup de sots; mais quand je vois la ligure de Paphlagon, je

ne puis me défendre de cette maladie.

i. OiiMajie Maimonl utile


iiiic V Anthologie grecque, traiiuilc pour

la première en français [i vol. in-li, Hachetio, 186o>- Plus


fois
d'une pi'inlure aiUiquc est expliquée par ces épi^raniuies, plus
(l'un renseignement relatif à la vie ot aux œuvres des aiTistes jaillit
lie cette importante traduction.
DK LA CARICATURE ANTKHK !)"

Sous cos vers, ne pourrait-on rnoUre un petit

bronze du Cabinet des Médailles '


?

Le nez, peut-être accusé d'une façon encore plus

lironzc du Cabinet des MiJJuillc~.

comique dans l'original, fait penser à une autre


épigramme « Sur les gens difformes, » attribuée à
l'empereur Trajan :

Mets Ion iifz tlevaiit le soleil, et son ombre pourra mon-


trer l'heure à tous les passants.

C'est un motif favori de grotesque pour les satiri-

I. « 3098. Caricature. Tète de fi^mme au iiczéiionne, avocd'iii;-


nienses pendants d'<)^eille^=. Les ulieveux sont trf>ssi'S et nou»Js sur
le derrière de la lêle. H., 6 cent. Caylus voit un liomnin grotosqu •

dans celte figurine qu'il a publiée au tome VI de sou Recueil, p. i'il


pi. LXXVll, n" i. » (Catalogue du Cibin:tdos Médaill-^s.)

6
'•18 HlSTOIKt DE LA CARICATURE AMHjlli
qiies qu'un nez qui oftVe quelque développement.
Cet appendice rend les poëte? intarissables; on croi-
rait lire des fraanienls d'un Tintamarre arec :

Miloa au long nez, dit Lucien, flaire parfaitement le vin,


mais il est lent à dire de quel cru il arrive. Trois jours d'été
ne lui sufiiraient pas, vu la longueur de son nez qui n'a pas
moins de cent coudées. la belle trompe! Quand Milon tra-
verse un fleuve, il
y prend des poissons.

Une épigramrne de Mearque est encore plus liv-

perbolique :

.le vois le nez de .Ménippe, et lui-même ne doit plus être


loin. Il arrivera, attendons seulement; car j'estime qu'il ne
doit pas être à plus de cinq stades de distance. Mais vois
comme sou nez avance. Si nous étions sur une «colline élevée,
nous apercevrions Ménippe en personne.

A défaut de dessins sur ce sujet, c'est dans Y An-


thologie que je puise ces fragments comiques, ter-
minés par répigt\'\mme d'un anonyme :

Le nez de Castor est une pioche de terrassier, une trom-


^

pelte s'il ronfle, une serpette pour la vendange, une ancre \

de vaisseau, un soc de chnrrue, un hameçon pour la pèche,


une fourchette de un biseau de charpentier, une serpe
table,
de maraîcher, une hachette de maçon, un marteau de po4"le
cochère. Ainsi Castor, qui porte un nez approprié à toute
sorte d'usages, a obtenu du sort un instrument utile.
X[

FABLES ET APOLOr.UES

Parmi les personnages dont le profil doit être

indiqué dans une Histoire de la caricature, alors


surtout qu'au début elle demande un appui à l'apo-

logue, Ésope et Phèdre marchent en tête.

De tout temps les artistes satiriques cherchèrent


des motifs dans les fabulistes et les conteurs. Sur
les chapiteaux des cathédrales du moyen âge se dé-

roulent les figures capricieuses du Roman de Re-


nart, et la Renaissance fait asseoir dans le chœur
des églises les moines sur des stalles le long dcs-
queUes le matois renard siffle sa satire anti monas-
tique.

Ésope, Phèdre et La Fontaine otïrent une attrac-


tion aux esprits sarcastiques. Leur ingénieux bon
sens, la pitié qu'ils montrent pour les faibles, ce

qu'ils pensent des puissants, le génie qu'ils tirent


des sentiments du peuple ne sont pas sans analogies
avec les thèmes favoris des caricaturistes.

BI8LI0THECA )
100 HISrOIUE
C'est pourquoi, malgré les ébrèchemcats faits à

la staliie d'Ésope par la science allemande moderne,


il faut donner le portrait de ce patron dos bossus,

1. s P E

D'.ipi'cs un niailirc Je la villa AlLiaiii.

hardi à la repartie, mettant le doigt sur le ridicule

des grands, se vengeant de sa petite taille par la

longueur de sa langue, imposant un corps contre-


fait par la force d'un esprit droit, ne s'inquiétant
ni de la ricliesse ni de la grandeur.
On voit au Louvre un moulage du buste d'Esope
d'après une statue de la villa Albani. L'homme
DE LA CARICATURE AMIQUE lOi

osl outrage asement bàli, le masque est noble et

pensif. Jusqu'à ces dernières années, ce buste


représentait Ésope; mais voici que les Allemands
ont transformé le fabuliste comme s'il sortait des

mains d'un ortbopédiste.


Ésope n'est plus bossu, son corps redevient
droit.

Le masque était celui d'un songeur; l'érudition


a noirci sa peau. Ésope devient nègre. La tradition
en faisait un Grec; les savants le baptisent Éthio-
pien.

I^arnii les numismatistes, il est cliose reçue maiiileaaut


•lue la tète du nègre qui se voit sur les médailles des Del-
pliiens est la tête d'Ésope, dont le biographe grec fait ce
portrait : « Il avait le nez épaté, les lèvres fort avancées,
il était noir, et de là vient son nom, qui signifie Éthiopien. »

Ainsi dit M. Zïmdel, dans son mémoire : Ésope


était- il Juif ou Egyptien ^"f

M. Chassang, maître de conférences à TEcolc


normale, se prononce également contre le buste
de la villa Albani :

Pour s'inscrire en faux contre le portrait traditionnel qu'on


fait d'Ésope, il suflU au savant auteur de Vlconof/rapliic grec-
que, M. Visconti, d'établir qu'Ésope avait une statue à Athè-
nes : « Jamais, dit-il avec raison, les Athéniens n'eussent élevé

I. Revue archéologique, nini ISfil.


102 * HISTOLRE
dans leur ville une statue à un homme contrefait; c'est plus

tard que, par suite de l'opinion généralement répandue que


les bossus sont d'ordinaire gens d'esprit, on se représenta ainsi
l'auteur de tant d'apologues populaires en Grèce. >

Il n'entre pas dans mon plan d'introduire des


discussions étymologiques non plus que des ques-
tions de race; je ne me sens pas de taille à lutter

avec M. Zandsberger qui fait un Juif d'Esope, avec

Welcker qui nie la tradition, avec M, Zûndel qui


tend à en faire un Égyptien. En archéologie, il est

prudent de se retrancher dans la citadelle du


doute.
Pourtant des savantes discussions allemandes il

résulte que l'Egypte ancienne ayant eu le mono-


pole de donner naissance à des esprits conteurs,
Ésope pourrait bien provenir d'Egypte. L'apologue
appartient plus particulièrement au génie oriental
et les acteurs principaux des fables : singes, lions,

paons, autruches, étaient, en effet, plus répandus


en Orient qu'en Grèce.
Plus d'un conte et plus d'une fable, que nous
regardons comme issus du sang gaulois, ont été

transportés sur noire sol et rendus vivifiables


comme les grains de blé qu'on trouve dans les pyra-
mides. I^s Femmes et le Secret de La Fontaine est
un conte traditionnel au Caire. Cendrillonse trouve
tout au long dans Strabon. Ainsi les empires
DE LA CARICATUUE ANTIQUE W-i

s'écroulent, les nations disparaissent; il reste un


conte, une marionnette, une figurine comique qui
en apprennent davantage sur la vie intime des peu-
ples que les histoires des rois.
J'en veux un peu toutefois à la science d'avoir
enlevé la bosse d'Ésope.
Qu'était-ce que ce personnage contrefait dont

l'image (qu'on croit être du iv' siècle) représen-


tait pour le peuple la personnification du fabu-
liste? Voilà ce que la critique ne dit pas. Cepen-

dant il y aurait ingratitude à médire des re-


cherches exactes de l'érudition allemande. Moi
aussi je crois que de l'Egypte sont venus la plupart
des contes bleus, des facéties, des fables, des nains,
des pygmées bizarres dont s'amusaient les Grecs
et les Romains ^
L'Egypte se voit par certains détails positifs dans
les peintures familières de Pompéi.
En Grèce, un proverbe disait d'un homme têtu

qu'il l'emportait sur son ane, et une fable, à ce


sujet, dépeignait un âne qu'il était impossible de
remettre dans le bon chemin, môme en le tirant

par la queue. Lassé de cet entêtement, l'ànier finis-

1. A ce propos, M. de Roncliaud disait avec justesse : « La lé-


gende très-tard accréditée, suivant Welcker, qui a transformé le fa-
buliste en nain bossu, ne serait qu'une autre version de la tradition
qui faisait venir des bords du Nil tout un genre fantastique et plai-
sant de littérature et d'art, très-florissant surtout en Italie. »
104 HISTUIUE
sait par pousser lui-même son âne à rabînic.
Fable bien connue d'Horace : Ul ille, dit-il,

Qui ni?le ]iarenlcm in rnpes protusil aselUiin.

C'est cette fable de l'àne allant au-devant du cro-

codile, malgré les efforts de son conducteur, dont


on trouve la reproduction à Herculanum.
Le fragment de fresque de l'àne et du crocodile,
découvert dans les fouilles de Regina, est conservé
au musée de Naples.
La fresque était malheureusement fort dégradée,
et le temps, aussi destructeur que le crocodile, avait
mangé la tête de l'âne.
Peut-être cette fresque est-elle du peintre dont
Pline faisait un cas extrême, de Neala, qui ayant
peint la bataille navale entre les Perses et les Égyp-
tiens, pour démontrer que l'action s'était passée
sur le Nil, peignit un âne buvant sur le rivage et

un crocodile qui lui tend un piège.


Ce crocodile n'appartient pas à la Grèce; par
cette fresque, on voit l'alliance des fables grecques
et romaines avec les traditions du pays des Pto-
lémées.
Pour en revenir à l'appui que la fable prête à
l'art populaire et plaisant, je citerai M. Edouard
Fournier :
DE LA CAUIGATUKE ANTIQUE I'J5
106 HISTOIRE DE LA CARICATURE ANTIQUE
Chez les Iloniains, cette sorte de satire figurée par les ani-
maux se retrouve encore, soit comme provenant de l'esprit

grec, soit plutôt comme héritage de la vieille comédie. Elle


était trop populaire pour ne pas avoir cette dernière origine,
toute nationale.
Les cabaretiers même se faisaient des enseignes avec ce
genre de caricatures.
Phèdre ne dit-il pas que l'idée de la fable du Combat des
rats et des belettes, conçue toute dans cet esprit do l'animal
parodiant l'homme, lui vint d'un tableau grossier qu'il avait
vu au-dessus de la porte d'un cabaret '
?

1. Je dois ajouter, pour me mettre de niveau avec la science ac-


iuelle,que Phèdre semble encore plus menacé dans sa personnalité
qu'Ésope. Suivant Dauiiou et d'autres critiques, la basse latinité de
Phèdre inspirerait de terrildes doutes et passerait pour avoir été
composée par quelque moine du moyen âge. Voilà ce que j'entends
dire autour de moi dans un entourage de lettrés qui n'aiment pas
à être pris pour dupes.
XII

CARICATURE DE CARACALI.A

On voit au musée dWvignon deux petits bronzes


qui passent, l'un pour une représentation caricatu-
rale de Caligula, l'autre pour celle de Caracalla.
Le Caligula (voir page 108) est resté à peu près
ignoré et vierge de commentaires; toute l'attention
s'est portée vers le Caracalla.

« L'antiquité, qui nous apparaît sous un aspect


presque toujours grave dans le lointain de Thistoire,

n'avait pas moins que les modernes l'instinct de la

plaisanterie. » Ainsi parle M. Lenormant dans un


mémoire *
à propos de la seconde statuette, que
le catalogue désigne ainsi : a Un nain couronné de
laurier, qu'on dit être la caricature de Caracalla,

distribuant d'une main des petits gâteaux et tenant


de l'autre un panier de friandises -. »

1. Imtitut de correspondance archéologique, atlas, vol. H, 1834-


38.
2. (I J'ai admiré au musée d'Avignon une excellente petite cari-
f'iiluie de Caracalla repri-senté en marchand de petits pâtés, » dil
i08 IIISTOIIJE

M. Lenormant pense que les deux statuettes sont

la caricature de Caracalla.

CA L I GILA.
Bronze cUi Miboo 'J'Aviiiiion.

Stendhal (Mémoires d'un Touriste. 1838, 2 vol. in-8»). M. Mérimée


esl du niênic avis « Uno petite earieatnre, de Caracalla, rcpré-
:
DE LA CARICATURE ANTIQUE 109

'foules deux, dit l'archéologue, passent pour des imitalious


grotesques de l'empereur Caracalla. Cette opinion, inconles-
tabie en ce qui concerne le héros couronné de laurier qui
tient des gâteaux dans une corbeille et semble les vendre ou
les distribuer, me parait plus douteuse si on l'applique à l'au-

tre héros nu et casqué dont le bras gauche devait tenir un


boucher, et le droit, qui manque, brandir une lance. Une
johe figurine du Cabinet de France reproduit le même motif,
sans qu'on démêle dans la tète rien qui rappelle les traits de
Caracalla. Toutefois, après avoir exprimé nos doutes, nous
devons ajouter que la vraisemblance demeure en faveur de
ceux qui reconnaissent un Caracalla dans notre héros com-
battant.
L'auteur de la caricature, en nous montrant Caracalla sous
les traits d'un dieu, n'a choisi ni Hercule, ni aucun des ha-
bitants de l'Olympe distingués par leur force ou leur beauté :

il a choisi Vnlcain, le dieu laid et difforme par excellence. La


courte tunique attachée sur l'épaule gauche, détachée de la
droite, est caractéristique du dieu hémiurge. L'exiguïté de
la taille, les jambes courtes et difformes, conviennent aussi
bien à Vulcain qu'à Caracalla.

M. Lenormant cherche encore d'aiiti^es preuves


dans les détails de la seconde statuette pour mon-
trer qu'ils ne peuvent appartenir qu'à Caracalla.

La couronne de laurier sur la tète du dieu n'est peut-être


pas seulement un attribut impérial. D'abord on voit fréquem-
ment une coiffure semblable sur la tète de Vulcain; sans doute
aussi devons-nous chercher ici une allusion à ces couronnes

sente en marchand de petits pâtés, est un chef-d'œuvre qui prouve


i|u'l'ii France on a toujours eu le sentiment exquis du ridicule ;
c'est la meilleure clianje que j'aie vue, et M. Dantan devrait l'étu-
dier comme un modèle classiquo. » {Vo'jage dans le midi de la
France. 1835, m-S".)
110 H I sT 1 UE

il'or que Caracalla se faisait décerner par les villes à chaque


prétendue victoire, et qui, suivant le prétendu témoignage de
Dion Cassius, n'étaient qu'un prétexte pour d'odieuses exac-
tions. T-a corbeille que tient Caracalla est évidemment la sj-jor-

CARACALLA.
Bronze Hn Musée d'Avignon.

tella qui servait aux libéralités publiques dos empereurs, et

qu'on retrouve si souvent dans la main des génies sur les di-

ptyques consulaires. Les gâteaux figurent le p^ini, la distrihn-


DE LA C.AUICATUnK ANTIQUE 111

tioii (le froment qui accompagnait les spectacles du cirque,


panem el circenses. Peut-être aussi doit-on chercher dans la
forme de ces gâteaux et dans l'X ' tracé sur leur surface su-
périeure une allusion, soit à des signes de la libéralité con-
sulaire, qu'on remarque assez souvent sur les diptyques, soit
plutôt encore à un impôt du dixième qui figura au nombre
des extorsions de Caracalla. En somme, l'artiste a voulu nous
montrer ici un empereur divinisé, libéral pour ses soldats aux
dépens de ses autres sujets.

Ilél'odien et Dion (bassins ont donné des traits

de ce féroce empereur que le peuple détestait, mais


que l'armée défendait. Le peuple l'avait surnommé
Tamntas, qui était le nom d'un gladiateur, ignoble
de figure, petit de taille, à l'Ame basse et aux in-
stincts grossiers.

Meurtrier de son frère, goi^geant les soldats à


l'aide d'iiTipôts arbitraires qu'il prélevait sur ses

svijets, ci^uel jusqu'à la férocité dans la Gaule, fai-

sant massacrer la jeunesse d'Alexandrie pour se


venger de quelques satires contre lui et contre sa
mère, Caracalla, exécré et liai par les fils de ses
victimes, dut être caricaturé par les Alexandrins,
dont Hérodien disait : a Ils paraissent naturelle-
ment aimer la i\^illerie et dire habituellement des
plaisanteries, lançant sur les puissants beaucoup

1. Cet X
ne serait-il ]tas la marque, dite raijage que les pâtis-
,

siersgravent à la pointe du couteau sur les gâteaux pour les


empêcher de brûler?
11-2 HISTOIRE
(Je choses qui leur paraissent apfréables, mais pé-
nibles pour ceux qui sont raillés', »

Ainsi se trouve démontrée l'importance de la ca-

ricature.

Voilà une petite figure de bronze perdue dans


un musée de province en apparence; ce n'est rien,
jusqu'à ce qu'un érudit juge qu'elle peut être la re-

présentation de l'empereur Garacalla,


A ce propos la mémoire d'un cruel tyran est

remise en lumière par la science archéologique;


ses crimes sont étudiés à nouveau. Il a avancé la

1. La preuve que la nialiguilé n'épargna pas Garacalla, c'est le


massacre d'Alexandrie. Les historiens sont d'accord que, pour se
venger des railleries que le peuple de cette ville s'était permises
-ur son compte, il s'y rendit en grande pompe, fit semblant de
n'avoir eu aucune connaissance de ces plaisanteries, sacrifia aux
dieux du pays, et, une nuit, quand la ville était plongée dans le
plus profond sommeil, le signal fut donné et les soldats de Cara-
i-alla, pénétrant dans les maisons, firent main basse sur tous ceux

qu'ils rencontrèrent.
Les Alexandrins paraissent avoir été de tout temps un peuple
léger et plaisant. Voici un fait tiré des Annales de Baronius, cité
par Tilleinont dans sou Histoire des Empereurs romaim; ce fait
se passait sous Vespasien :

« Les Alexandrins prirent un fou, nommé Carabas, qui courait


les rues tout nu, le couvrirent d'une natte pour lui servir de cotte
il'armes, lui mirent un diadème de papier sur la tèle et un brin
de roseau à la main. Après l'avoir habillé en roi, ils le mirent en
un lieu élevé, où chacun lui venait rendre ses respects, plaider
devant lui, prendre ses ordres et faire tout ce que l'on- fait aux
princes. D'autres, avec des bâtons sur l'épaule au lieu de halle-
iiardes, étaient autour de lui comme ses gardes, et tout le peuple,
iMi criant, l'appelait Maris, qui en syriaque signifie prince. »

11 est bon d'ajouter que cette cérémonie burlesque fut imaginée

pendant le séjour à .ilexamlrie d'Agrippa, roi des Juifs, qui venait


do Rome et se rendait dans ses Étals.
DE LA CARICATURE ANTIQUE li:i

mort de son père. Il a poignardé son frère Gela


dans les bras de sa mère. Il a fait mettre à mort
tous les amis de son frère. 11 ordonne le pillage de

la ville d'Alexandrie pour quelques plaisanteries.


Il fait empoisonner son favori Festus. Il prend les

surnoms de Germanique et de Parthique, quoique


la guerre contre les Partlies et les Germains ait

tourné à sa honte. Il a l'audace de faire élever des


statues dont le buste géminé montre d'un côté les
traits d'Alexandre, de l'autre les siens. Il fait brû-
ler sous ses yeux les livres du plus grand des phi-
losophes, d'Aristote. Il opprime le peuple au pro-
fit de la soldatesque. Il meurt assassiné, il est vrai,

et trouve un châtiment qui se fait trop attendre;


maïs n'eût-il pas été châtié par le fer d'un citoyen,
que la caricature l'épie dans ses gestes et son
masque. Qui sait si le fils d'une de ses victimes n'a
pas coulé sa figure dans le moule d'où est sorti ce

petit bronze !

Caracalla se croit puissant parce qu'il a l'armée


pour lui, et voici qu'un artiste sorti de ce peuple
opprimé lègue sa honteuse mémoire aux siècles à
venir, pour que les siècles à venir en retrouvant
cette figurine se disent : « Ceci fut l'image d'un
empereur exécré de son peuple. »

Aristote ne reconnaissait pas la puissance de la

caricature; mais c'est qu'alors la |)lMme était plus


m HISTOIRE
vengeresse que le crayon. Qu'on lise cette impi-
toyable éloquence s'attaquant au cynique empereiu"
(Commode, qui faisait publier par la ville le cata-

logue de ses débauches et de ses cruautés :

Pour l'ennemi de la patrie point de fiuiérailles; pour le par-


ricide point de tombeau; que le parricide soit traîné; que
l'ennemi de la patrie, le parricide, le gladiateur soit mis en
pièces dans le spoliaire! Ennemi des
dieux, bourreau du sé-
nat; ennemi des dieux, parricide du sénat; ennemi des dieux
et du sénat, le gladiateur au spoliaire Au spoliaire le meur- !

trier du sénat! Au croc le meurtrier du sénat! Au croc le

meurtrier des innocents! Pour l'ennemi, pour le parricide,


point de pitié! Que celui qui n'a pas épargné son propre sang
soit traîné au croc des gémonies aux gémonies celui qui t'au-
;

rait fait mourir, ô Pertinax ! Tu as partagé nos terreurs, nos


périls. Pour que nous soyons sauvés, bon et grand Jupiter,
conserve-nous Pertinax. Vive la fidélité des prétoriens! Vi-
vent les cohortes prétoriennes! Vivent les armées romaines!
Vive la piété du sénat! Que le parricide soit traîné, nous t'en
prions, Auguste, que le parricide soit traîné! Exauce-nous,
César: les délateurs au lion! Exauce-nous, César: les déla-
teurs au lion! Honneur à la victoire du peuple romain ! Hon-
neur à la fidélité des soldats! Honneur à la fidélité des pré-
toriens Honneur aux cohortes prétoriennes A bas les sta-
! !

tues de l'ennemi, les statuesdu parricide, les statues du gla-


diateur et du parricide! Que l'assassin des citoyens soit traîné;
que le parricide des citoyens soit traîné; plus de statues au gla-
diateur !... (Jue la mémoire du gladiateur parricide soit abolie;

que les statues du gladiateur soient renversées ! Abolissons


la mémoire de l'impur gladiateur ; le gladiateur au spoliaire !

Exauce-nous, César :que le bourreau soit traîné, que le bour-


reau du sénat, selon l'usage, soit traîné au croc! Plus cruel
que Domitien, plus impur que Néron, qu'il lui soit fait comme
DE LA CAIilCATUPxK ANTIQUE 115

il a fait!... Au croc le cadavre du parricide, au croc lecadavre


ilu gladiateur, le cadavre du gladiateur au spoliaire! Prends
l.'s voix, prends les voix! Nous opinons tous pour qu'il soit
I rainé au croc. Au croc le meurtrier de tous; au croc celui
ijin n'a épargné ni le sexe ni l'âge; au croc l'assassin de tous
les siens; au croc le déprédateur des temples, le violateur
(les testaments, le ravisseur de toutes les fortunes ;
qu'il soit
Irainé! Nous avons été esclaves des esclaves. Que celui qui
faisait acheter le droit de vivre et ne tenait point sa parole
soit traîné ;
que celui qui a vendu le sénat soit traîné ;
que
celui qui a vendu aux fils leur héritage soit traîné! Hors du
sénat les espions ; hors du sénat les délateurs ; hors du sénat
les suborneurs d'esclaves ! Et toi qui as partagé nos craintes...
fais le rapport, prends les voix sur le parricide; nous de-
mandons ta présence. Les innocents n'ont pas reçu la sépul-
ture ;
que le cadavre du parricide soit traîné ! Le parricide a
exhumé les morts ;
que le cadavre du parricide soit traîné '
!

Cela soulage d'eutendre un si éloquent cri de rc-


Yolle. On respire à pleins poumons. L'opprime se

redresse; l'indignation qui s'échappe desapoitrine


lait palpiter les cœurs des citoyens. Il est des in-

stants où la révolte est sublime et enfante des im-


précations qui ne sont plus seulement de l'art
populaiie, mais du gi^and art àïa Sliakspeare.
Seuls les modernes ont pu faire passer une telle

indignation dan.< le crayon. L'eau-forte n'était pas


employée dans Tantiquité comme de nos joui^s, où
quelques Anglai> ont fait mordre non-seulement

1. Voir J. Leclcrc, les Journaux citei les Romainfi. 18']8, bid il,

in-8".
116 HISTOIRE DE LA CAUICATURE ANTlUlE
leur planche, mais les personnages avec la planche ;

car ce qui restait d'acide, il semble que quelques


caricaturistes l'onl jeté à la figure des grands.

Masque d'après une cornalino


Xlll

ETROITE COUTURE DE L HOMME ET DE L AN'IMAI.

En étudiant le sens mystérieux de quelques


bronzes à corps d'hommes et à lêles d'animaux, je
sonse combien Fart suit la marche de la nature.
La Bible nous apprend que dans la formation
primitive des êtres, l'homme fut créé le dernier,

comme l'objet le plus parfait qui pûtêtre réalisé. On


voit la nature à l'état d'apprentissage, tâtonner, sr
tromper quelquefois, donner la vie à des monstres,
se reprendre, trouver des formes mieux équilibrées,
faire sortir de terre d'admirables animaux, et tou-
jours marcher de progrès en progrès jusqu'au sep-
tième jour où, triomphant, le maître ouvrier pul
se reposer, ayant créé son chet-d'œuvre, l'homme.
Il en fut des ouvrages sortis de la main des sta-

tuaires et dfîs peintres comme des êtres fabriqués


par la nature. L'art antique va, de tâtonnements en
tâtonnemonis, jusqu'à la parfaite représentation de
118 HISTOIRE
rhorniïiL'. Mais combien fut essayée la ligure hu-
maine avant d'être traduite dans sa perfection !

L'animal est reproduit dans ses mouvements


alertes par les Assyriens qui, je l'ai dit, représen-
tèrent les animaux domestiques avec une perfection
que les modernes n'ont pas dépassée; mais qu'il

s'agisse d'un roi puissant, l'Assyrie sculpte seul le

masque réel, terminant le corps par des détails em-


pruntés à d'énormes et fabuleux animaux.
En Egypte, au contraire, le corps est emprunté à

l'homme, la tête à l'animal. Tout est hypothétique


en telles matières, et la science de longtemps en-
core ne dira son dernier mot sur ces peuples dont
le Sésame est si profondément caché.
Les Grecs empruntèrent une partie de leur my-
thologie au culte égyptien; c'est ce qui explique
comment eux aussi divinisèrent l'animal et regar-

dèrent l'homme à travers la bête.

Qu'est-ce que le centaure? Un accouplement de


cheval et d'homme.
Le satyre? Un mélange d'homme et de bouc.
Le faune? L'homme joint à la chèvre.
Le phallus de Priape est souvent une corne.
Hercule est issu du taureau. Certaines statues le

montrent avec un cou bestial, trace de son ancienne


origine.
Les satyres luxurieux ont emprunté au bouc in-
DE LA CAIlICATURE ANTIQUE 119

tempérant ses cornes, ses oreilles, ses cuisses et


ses jambes. Les faunes, plus chastes, furent dotés

des oreilles, des queues et des cornes naissantes


des jeunes boucs.
Lucien, dans la description d'une peinture de
Zeuxis, donne une idée de ces bizarres accouple-
ments :

Sur un épais gazon est représentée la cenlauresse. La


partie chevaline de son corps est couchée à terre, les pieds

de derrière étendus ; sa partie supérieure, qui est toute fémi-


nine, est appuyée sur le coude; ses pieds de devant ne sont
point allongés comme ceux d'un animal qui repose sur le

flanc, mais l'une de ses jambes, imitant le mouvement de


cambrure d'une personne qui s'agenouille, a le sabot re-

courbé ; l'autre se dresse et s'accroche à terre, comme font


les chevaux quand ils essayent de se relever. Elle tient entre
un de ses deux petits
ses bras et lui donne à teter, comme
une femme, en lui présentant la mamelle ; l'autre tète sa

. mère, à la manière des poulains


Pour moi, j'ai surtout loué Zeuxis pour avoir
déployé dans un seul sujet les trésors variés de son génie,
en donnant au centaure un air terrible et sauvage, une cri-

nière jetée avec fierté, un corps hérissé de poils, non-seule-

ment dans la partie chevaline, mais dans celle qui est hu-
maine La femelle ressemble à ces superbes
cavales de Thessalie qui n'ont point encore élé domptées et
qui n'ont pas fléchi sous l'écuyer. Sa moitié supérieure est
d'une belle femme, à l'exception des oreilles, qui se ter-

minent en pointe comme celles des satyres ; mais le mélange,


la fusion des deux natures, à ce point délicat oi!i celle du

cheval se perd dans celle de la femme, est ménagé par une


transition si habile, par une transformation si fine, qu'elle
1-2U 11 1 SI U IRE

échappe à l'œil el qu'on ne saurait y voir (rinterseclion '

Un bronze du cabinet Caylus expliquera mieux


ma pensée ; en cherchant le véritable sens de celle
fjourine, je me demande si l'art hiératique des
Égyptiens (la représentation de l'homme avec une
tète d'animal) ne fut pas le germe d'un art satirique

postérieur.
Les Romains ,
qui avaient tant emprunté aux
Égyptiens, se raillèrent de leurs dieux comme nous
nous moquons des choses du passé. Les Égyptiens
avaient élevé l'animal à la haute position de dieu ;

les Romains rabaissèrent l'homme en rnonlranl sa

parenté avec certains animaux.

Les hommes, dit le comte de (laylus qui s'iiUéressait au


sens satirique do ces sortes de monuments, ont toujours été
frappés du ridicule, et les nations les plus sages ont non-
seulement succomhé au plaisir de le relever, souvent encon-
elles ont fait servir les arts à communiquer l'impression
qu'elles en avaient reçue. Pline et quelques historiens ont
rapporté plusieurs exemples de ces sortes de critiques que
la Grèce leur avait fournis. Ainsi je ne doute pas que, dans
le nombre des monuments qui sont venus jusqu'à nous, il

n'y en ait plusieurs de satiriques; mais le caractère des


personnages étant aussi inconnu que le fond de la plaisan-

terie, il est impossible aujourd'hui de sentir la finesse de


ces badinages, auxquels il est certain que la ressemblance
extérif'ure ajoute intinimeat. Nous no pouvons donc les aper-

1. Zeuxis et Antiûchus. Œuvres de Lucien, trad. par E. Tali)Ol.


Hachetto, 1857.
DE LA CAIlICATURE ANTIQUE 1-21

.•evoir que très-généralement, et même avec peine, d'au-


tant qu'il est rare de trouver dos monumenls de ce genre
aussipeu douteux que celui-ci.
Ce bronze, continuait M. de Caylus, représente un séna-

r.ronze du Ciliiiiot des MéJaille*.

leur romain avec toute ia gravité de son éial, c'esl-à-din-


habillé d'une toge plus exacteoient rendue pcut-èlrc que
sur aucun autre monument. Ce digne consulaiie lient à la
main le volume ou le rouleau (ju'on était dans l'iiabitudc de
1-2-2 HISTOIRE
donner aux liumnies do cet état. Outre que la tète de ce
personnage est celle d'un ours parfaitement dessinée, l'ha-
bitude du corps, le maintien et la position des pieds res-
semblent à cet animal. J'avoue que le scrinium ne paraît

point ici; un témoignage qu'on avait exercé les prin-


il était

cipaux emplois du sénat. Cependant, je croirais volontiers


que cette critique, ou que cette charge, pour employer le
terme consacré par les modernes, serait celle d'un consul,
cette dignité mettant un homme plus au jour et l'exposant
davantage au ridicule; il paraît, du moins, que ce portrait
est celui d'un homme fort connu dans son temps, car on ne
prend point la peine de faire jeter eu bronze une figure pour
tourner en ridicule un homme ignoré. L'examen des consuls
du Haut-Empire, car le bon goût du travail donne une pa-
reille date à ce monument, pourrait, absolument parlant,

faire retrouver le nom de celui qu'on a eu en vue; mais l'é-

claircissement ne vaudrait pas la peine de la recherche.

Il n'y aui'ait rien à ajouter au commentaire de


l'homme érudit qui, l'un des premiers au xviii'"

siècle, comprit l'importance de l'archéologie an-


tique et dépensa une partie de sa Ibrtune à la ré-

véler aux curieux de son temps, si réellement ce


pei^sonnage avait une tète d'ours; mais il s'agit

d'une tête de rat '.

Il existe pourtant peu d'analogie dans les mu-


seaux; mais M. de Caylus, trompé par un dessi-

1. 3093. Acteur comique, ou peut-être caricature. C'est un per-


((

sonnage revêtu de la toge, de l'extérieur le plus grave, mais avec


une tète de rat, debout, tenant un volume de la main gauclie, et
relevant de l'autre les plis de sa toge. H., i cent. 1/2. » (Chaboull-
let, Catalogue général et raisomié des camées et pien-es gravées de

la Bibliothèque impériale. Paris, 185{^.)


DE LA (Al'.K.ATLRE ANTIuLE l'2:^

nateur ignorant qui S en triplant la ligure de


grandeur, lui avait enlevé sa finesse, écrivit sa

dissertation d'après le croquis ; et il crut (peut-être


n'avait-il pas le bronze sous les yeux) que cette sta-

Autre broiiz^ du Cabinet des Médaille-, vu de profil (voir pajre 133i.

luette représentait un personnage consulaire qu'on


avait voulu satiriser sous les traits d'un animal vo-
1-21 HlSfUHlE
race et paresseux, quand il s'agissait saus doute
de la parodie d'un homme fluet, agile et ron-
geur.
Le second bronze du Cabinet des Médailles, qui
représente un « acteur comique » (?) à masque et

tète de rat, debout, enveloppé dans un ample man-


teau qui cache les deux mains, est plus fruste que
le précédent, sans doute par un long enfouissement
dont il porte encore des traces; mais une variante
est à signaler. Enveloppé dans les plis de son man-
teau, le personnage ne tient pas à la main le volit-

men (voir la figure page 12o) : ce volumen, dans


ces choses douteuses on ne saurait trop insister,
peut mener les commentateurs à des découvertes
sur l'emploi qu'occupait le personnage caricaturé.
Ici, rien qu'une tète de rongeur s'échappant des
plis d'un vaste manteau.
Est-ce un acteur? J'en laisse la recherche à ceux
qui voudront aborder l'énorme et difficile travail

de l'histoire du théâtre comique expliqué par les

monuments antiques.
Les naturahstes de l'antiquité furent frappés des
analogies entre l'homme et l'animal. Les confor-
mités de lignes physionomiques de l'homme et de
• ertains animaux devaient fairi^ réfléchir Homère et

Aristote, les poètes et les savants.

Quel est l'observateur qui n'ait remarqué la pa-


DE LA CAniCATUJ'.t; ANTIQUE 125

rente de l'homme et de la bête « unis par une es-


troite couture, » dit admirablement Montaigne.
Nous avons une secrète défiance pour l'homme dont
la figure se profile en museau de renard. Une face
de bouledogue ne prouve pas habituellement la

délicatesse de Têtre doué par la nature de cette


conformation.
Les pères des sciences naturelles, ayant constaté
ces rapports du physique et du moral en conclurent
,

que les hommes qui offraient quelques particula-


rités linéaires communes avec celles des quadru-

pèdes, des oiseaux et des poissons, devaient, jusqu'à


un certain point, être doués du caractère de ces

animaux. Ils y revinrent souvent et à diirérentes

reprises :

n'y ait nulle ressemblance proprement dite


Ouoii[ii'il

entrel'homme et les animaux, dit Aristote, il peut arriver


néanmoins que certains traits du visage humain nous rap-
pellent l'idée de quelque animal.

Ainsi s'exprime le philosophe dont les idées furent


suivies de près par les physiognomonistcs qui
vinrent plus tard glaner dans ce riche héritage
scientifique, témoin Adamantins, paraphraseiir des
doctrines d'Aristote :

... Outre cela, les hommes ont des ressemblances avec


les bestes, non pas tout à fait, mais en quelque façon : prin-
cipalement avec leur naturel, les mis plus, b^s autres moins.
1-26 HISTOIRE
En ce sens-là juge du naturel de l'homme par celuy de la

beste à laquelle il ressemble. Que s'il ressemble à plusieurs,


juge de luy par toutes celles à qui il ressemble : car il

est à croire que tenant de leur forme, il tient de leur nature '.

Homère, le premier, employa l'animal comme


terme de comparaison avec l'homme, soit qu'il en
tirât un signe do beauté, soit que ses héros en

fissent une injure méprisante. Suivant Homère, les

yeux des déesses sont beaux quand ils sont grands


et qu'ils approchent de ceux du bœuf: compai\iison
qui paraîtrait médiocre dans le dictionnaire de la

galanterie moderne. Achille reproche avec plus de


raison à Aoamemnon ses veux de chien et son cœur
de cerf.

Les hommes au nez rond, dit Aiistote, sont de


grands cœurs et tiennent du natui^l des lions.
Il écrit à Alexandre qu'un dos étroit dénote un
esprit discordant, et que l'homme ainsi confoi^mé

doit être comparé aux singes et aux chats.


Le père de la philosophie dit encore que les
hommes qui ont la tète pointue sont sans honte et

ressemblent aux corbeaux et aux cailles.

Adamantins juge que les yeux enflammés, sem-


blables à ceux du chien, annoncent l'impudence.
Aristote fait observer à Alexandre que les cheveux

1 La Pliijsiouomie, ou des iudices que la nature a mises au corps


liuinain, traduit du grec d'Adamantius et de Mélampe, par Henry
do Boyvin du Vavroiiy, âgé de douze ans. Paris, M Dc xxxv.
DE LA CAUlCATUnE ANTIQUC 1-27

[•lais et souple^ indiquent la douceur, peu d'é-


nergie, de la timidité, et que tous les animaux qui
, ont le poil doux au toucher (cerf^ lièvre, brel»is),

!
sont timides.
Regarder en taureau s'appliquait dans l'anti-

(juilé aux louches. Aristophane le dit à propos d'Es-


chyle, et Platon à propos de Socrate.

Polémon et Adamantins prétendent (singulière


prétention!) que l'homme dont les fesses sont mo-
dérément charnues, ridées et comme desséchées,
est plein de malice; et ces deux piiysiognomonistes
le comparent au singe.
Principes dont quelques-uns ont été admis par
Conciliator, Albert, Cardan, Bacon, Porta, et de nos

jours par Lavaler ; mais l'aftirmation de la relation


de l'homme et de l'animal se montre si précise
à tant d'endroits des œuvres d'Aristote, qu'elle

dut avoir une influence sur les artistes de l'anti-


quité.

Les naturalistes anciens cherchaie l le caractère


de l'homme dans l'animal; sans doute les artistes
de la même époque obéirent à la même loi, et

c'est ce qui explique comment l'idée satirique


vint se greffer plus lard sur des observations scien-

tifiques.

I^c comte de Cayhis dit qu'on voit dans le cabinet


des jésuites, à P»ome. un bronze à peu près sembla-
«f»8 HISTOIRE
ble à celui qu'il a fait dessiner, et il parle par ouï-
dire d'un Ane revêtu delà toge consulaire^ bronze
que possédait le cardinal Albani.
Une curieuse statuette satirique du musée de

Bronze du Musée de Rouen.

Dessin de M. Gustave Slorin.

Rouen vient s'ajouter à ces spécimens de la carira-


ture antique.
Ces bronzes à tète â'anirnal étant rares, peu étu-
diés jusqu'ici, il convient d'en donner l'origine. Le
bronze du musée de Rouen provient de la collection

Denon, où on le trouve ainsi catalogué.


DE LA CARICATURE ANTIQUE i29

y" i'Jl. eu bronze.


Statuette —
Un personnage logé, de-
bout, tenant un columcn roulé dans la main gauche.
Cette petite figure, dont hi tète est celle d'un ours, nous
semble avoir été faite dans un but satirique, et probable-
ment pour ridiculiser quelque orateur bien connu.

Les catalogueui's sont quelquefois légers.

J'ai une seule observation à faire sur cette description,


m'écrit M. André Pottier, directeur du musée d'antiquités de
Rouen c'est que la tète est bien positivement celle d'un
:

rat, et non d'un ours, comme l'a pensé le descripteur, ni


d'un lièvre ou d'un chien, comme quelques autres personnes
l'ont également répété. Ce serait contredire toutes les no-

tions d'histoire naturelle sur les traits caractéristiques de la

physionomie des animaux que d"en juger autrement.

Une grande exactitude est nécessaire dans le des-


sin de ces monumenls satiriques qui prêtent tant

aux commentaires. Un artiste distingué, .M. Morin,


directeurde l'école jnunicipale de dessin de Uouen,
a bien voulu dessiner à mon intention le bronze
sous plusieurs faces, pour en l'aire saisir le cai^actèro

précis.

En effet, il s'agit d'un rat.

Peut-être le sculpteur, en mélangeant au corps


d'un homme important la figure d'un si enragé ron-
geur, voulul-il faire quelque allusion aux exactions
d'im haut fonctionnaire publi<'. qui grignotait sur
tout, sur les vivres, sur l'argent ; mais quel était ce

personnage ?
130 HISTOIRE

IGURINE EN TERUE CUITE.


Grandeur de l'original.
DE LA CARICATIUE ANTIQUE 131

«. Animal, sombre mystère! » s'écrie quelque pari


M.Michelet.Cepetit bronze me préoccupe autant que
si je voulais connaître la pensée de l'animal vivant.
Ainsi trois figures presque identiques représen-
tent des personnages à tête de rat. Etait-ce un môme
individu que la caricature poursuivait par ces re-
présentations multiples ?

La statuette ci-contre, que j'ai acquise à la vente


du cabinet du vicomte de Janzé, n'éclaire pas la

question, quoique la parfaite conservation de la

terre cuite nous montre un bomme à tête de porc


frappant sur une sorte de tambour de basque.
Cette représentation cache-t-elle encore quel([ue
allusion à un personnage célèbre par ses actes ou
ses fonctions? Les catalogueurs babituellement s'en

tirent en donnant la hauteur en millimètres des figu-


rines; cela ne me suffit pas.

Ces rats, ces porcs, ces singes avec lesquels joue


l'art antique, cacbent une idée sur laquelle l'atten-
tion éveillée des érudits et des curieux fera jaillir

un jour quelque rayon de déduction lumineuse.


Je ne suis pas moins préoccupé en face d'un
bronze du Cabinet des Médailles, représentant un
singe fort occupé à méditer sur le contenu d'un
vase qu'il tient en main.
De même que les l)ronzes à tête de rat, celui-ci

est finement modelé, mais que représenfc-t-il?


13-2 HISTOIRK

Broi.ze Jii Caljinet des Médaille


DE LA CAUICAÏLRE ANTIQUE 133

La desoriplion qu'on en a donnée ne saurait tenir


lieu d'appréciation '.

Le poète satirique Pallas répond presque à la

({uestion par ce fragment de V Anthologie : « La

Fijiiriiie en bronze du Cabinet ilcs iMcdaillcs, vue de face.


(Voir page 123).

fille d'IIermolycus s'est unie à un singe delà grande


espèce, et a mis au monde une quantité d'Hermo-
singes. »

Ce singe qui tient une boîte me fait penser à la

fable d'Épimélhée, frère de Prométhée, époux de


Pandore. Pour avoir ouvert la fatale boîte d'où s'é-

I. « 30'J'J. Caricatlke, ou peut-être Acteir dont le masiiue figure

une tète de singe, ilehout, vêtu d'une courte tunique à ceinture et


à capudion, tenant un vase de la nuiin gauclie. Deux bandelettes
se croisent sur sa |ioilrine et sur son dos comme nos buftlelcrics.
H., 9 cent. lj'2. » (Catalogue du Cabinet des Médailles.)

8
13i HISTOIRE DE LA CARICAÏLRE ANTIQUE
cliappèrent en abondance les maux qui devaient aflli-

ger les hommes, Kpiméthée fut changé en singe pai-

les dieux.

J'indique le souvenir de celte figure mythologique


sans prétendre faire partager ce qui est à peine une
opinion.
Tout est doute dans ces matières; et comme le

disait le savant professeur Galland : « 11 est péril-

leux d'establir des maximes générales ez choses es-

loignées de nostre temps et de nos yeux. »

Masque d'après vne corjialine.


XIV

[•RIAPE

De toutes les images païennes qui ont réussi à se


glisser dans les temps modernes, celle de Priape est

certainement la plus singulière, quoique la pudeur


des nouv/elles civilisations ait dépouillé le dieu de
l'emblème qui faisait dire à Lucien : « Priape est
un peu plus mâle que ne le veut la décence; » mais
le masque est resté dans sa pureté satyrique, grâce
aux peintres, gens un peu païens. Aussi est-ilinutile
d'insister sur cette physionomie narquoise, gogue-
narde et facétieuse, qui a quelque parenté avec la

comique figure de Henri lY, non pas l'académique


Henri IV du Pont -Neuf, mais le Béarnais tel que le

représentent les gravures du temps, avec Tceil éme-


rillonné et ce nez prodigieusement bouffon, qui
tout de suite mettait les dames en belle humeur.
Priape est mal connu, les érudits ayant craint

d'étudier les choquants attributs d'un dieu qui, loin


130 HISTOIRE
de les dissimuler, s'en enorgueillit, appelle Tatten-
tion sur eux et les chante en vers licencieux. Aussi

la langue française n'a-t-elle pu recueillir les pro-


pos salés de Priape qu'en les recouvrant du masque
latin, et encore quelquefois il a fallu attacher le
masque grec par-dessus le premier, tant le dégui-
sement était léger.

J'entreprends de détacher un cordon de ce masque


pour les curieux de notre époque qui ne sont pas
initiés, comme nos pères, aux gaillardises grecques
et latines; mais j'apporterai dans celte tâche déli-

cate toute la prudence nécessaire,


Priape fut d'abord bien traité par les poètes pas-
toraux de l'antiquité ;
il semble presque aussi inno-
cent que Pan. Une épigramme votive de Crinagoras
l'assimile au dieu Pan : les offrandes sont partagées

entre les deux; et si plus tard la personnalité du


dieu tourna au grotesque, on ne saurait en accuser
les poêles naturalistes qui, pleins de sympathie
pour cette pauvre statue de bois dont souvent la

tête disparaissait au milieu des roseaux, chantaient


l'humilité du patron des pêcheurs, se contentant
de modestes hommages.
Une grève aride, des mouettes qui volent en ra-
sant le rivage, voilà le \)\us souvent la compagnie
du dieu, car la petite voile blanche qui se dessine
sur le bleu de l'horizon, ramènera seulement au
DE LA CARICATURE ANTIQUE 1.17

matin le pêcheur fatigué, qui na. guère le temps


de sacrifier à son patron.
Priape est le meilleur exemple de la différente

façon de juger les hommes. Qu'un poëte satirique


aperçoive sa barbe au-dessus de la haie d'un ver-
ger, aussitôt il accable le dieu de mille sarcasmes;
au contraire, quand le doux Théocrite a chanté
Priape, s'il remarque son étalage de nudité, c'est

pour l'entourer de si tendres verdures, que toute

trace grimaçante disparaît de la figure du " bon »

Priape.

Vers la place où tu vois des dièvres, détourue-loi, chevriL-i-,

et tu trouveras une statue en figuier récemment taillé, ayant


encore son écorce, à trois jambes et sans oreilles, mais avec
un phallus capable d'accomplir les œuvres d'Aphrodite. Alen-
tour s'étend une enceinte circulaire, et une onde limpide, qui
sans cesse tombe en cascade des rochers, coule dans le

feuillage verdoyant des lauriers, des myrtes et des cyprès


embaumés. Une vigne l'entoure d'une guirlande où sont sus-
pendues des grappes mûres. Les merles printaniers y sif-
flent en variant leur ramage, et les rossignols leur répondiMil

par des cadences mélodieuses. Là, va t'asseoii', cheviiei-, et

au bon Priape demande qu'il me délivre des liens amoureux


où me retient Daphnis, et dis-lui que je vais lui inunoler une
belle chèvre s'il défère à ma prière. Si j'obtiens ce que je
demande, je veux lui offrir un triple sacrifice. Oui, je sacri-
fierai une génisse, un bouc aux longs poils, et un agneau

que je garde au bercail. Daigne le dieu m'ètre propice!

Ainsi parle Théocrite, plein d'indulgence pour le


dieu qu'il rend presque poétique.
8.
138 HISTOIRE
Satyrus et Archias ont peint également un Priape
modeste, secoiirable, protecteur des ports et se con-

tentant des plus simples hommages :

Moi, humble et petit Priape, j'habite une jetée que la mer


))aigne de ses flots, et jamais les mouettes n'ont eu peur de
moi avec une tête pointue et sans pieds, je suis tel que, sur
;

une plage solitaire, pouvaient me sculpter de pauvres pê-


cheurs.

Quand ils avaient fait un bon coup de filet, les

pêcheurs reconnaissants consacraient à Priape une


table de hêtre, un banc rustique de romarin et

une coupe de veiTC, afin que le dieu pût tranquil-


lement se désaltéi^er en face des horizons bleus
du golfe. C'étaient de modestes hommages, que
Priape recevait avec joie de la main de ces pieux et

braves gens; mais tous n'étaient pas si reconnais-


sants.

Une épigramrne votive de Mecius Quintus nous


apprend la coquinerie d'un pêcheur :

l'riape, qui te plais sur les roches polies d'une île ou


sur les âpres récifs du rivage, le vieux pêcheur Paris t'a

consacré ce homard, qu'il a pris avec ses meilleures lignes.


Après en avoir placé la chair cuite sous ses dents usées par
l'âge, il t'a offert, dieu propice, l'enveloppe du crustacé. >"e

luidonne pas beaucoup en échange, ô Priape que ses fdets !

heureux lui procurent les moyens d'apaiser son estomac


qui crie la faim.

J'admire le raisonnement du vieux pêcheur : il a


DE LA CARICATURE ANTIQUE 139'

pris un homard avec ses meilleures lignes. Priape


se lèche déjà les lèvres de goûler à ce beau poisson.
Le pécheur a des dents usées par Vâye. Priape en
sourit. L'estomac du vieillard est débile; le homard
estune chair lourde. Le pêcheur y touchera à peine ;

Priape aura certainement pour sa part les troi&


quarts au moins du homard. Et voilà que le glouton
et sacrilège pêcheur avale la bête tout entière à la

barbe du dieu, no lui laissant que l'enveloppe. Quel


cadeau ! Comme s'il avait fait un riche hommage à

Priape, le goinfre dit qu'il ne lui demande pas


beaucoup en échange, seulement de bons coups de
filet à l'avenir.
Heureusement tous les invocateurs du dieu n'é-
taient pas si ingrats; on doit citer le jardinier La-
mon qui, demandant pour ses arbres et pour lui

lu force et la santé, déposait aux pieds de Priape,

entourés d'un frais feuillage, une grenade avec son


enveloppe dorée, des figues dont la peau se ride, une
grappe de raisin aux grains vermeils, une pomme
parfumée avec son léger duvet, une noix sortant
de son écale verte, un concombre velouté, une olive

presque déjà mûre dans sa tunique d'or.


Joli tableau de nature morte! Il semble que dans
cette description, le poète oit voulu lutter avec les
peintres qui décoraient les intérieurs d'IIerculanum.
Mais c'est en aciion que le dieu tient sa véritable
140 HISTOIRE
place, prenant la parole el faisant, il l'avoue lui-

même, beaucoup de bruit pour rien.

Ici, sur celle liaie, Diomède m'a placé, vigilant Priape,


comme gardien de son potager. Voleur, regarde bien comme
je suis armé '. Et cela, diras-tu, pour quelques salades? —
Oui, pour quelques salades.

L'arme dont Priape menace les maraudeurs re-


vient à tout instant à l'état de terrible menace. Le
dieu ne la cliangerait pas contre les attributs des rois
de l'Olympe. Pourtant cette arme a été cause que
les modernes osent à peine peindre Priape en buste ;

mais, au temjjs de la prospérité romaine, le dieu


se souciait médiocrement de l'avenii".

Jupiter a la foudre, s'éerie-t-il, Neptune a le tridenl;

Mars est puissant par l'épée; toi, tu as ta lance, Minerve.


Dacchus marche au combat avec ses thyrses entrelacés de
guirlandes; .Apollon tient dans sa main une flèche qu'il lance.
La main d'Hercale est armée d'une massue invincible. Mais
moi, terribilem mentida tensu facit.

Les poêles de l'antiquité ont caressé la statue de


Priape avec autant de complaisance que Shakspeare
la figure de Falstafî; le dieu n'offre-t-il pas plus
d'un rapport avec le vantard héros des Commères
de Windsor? Il y a du matamore dans ses impréca-

tions; on le voit par l'épigramme de Tymnès :

1. 'E-i-i-yiy.'x'.. Aspice, fur, quanta tenligine rumpar... (Grotius.)


DE LA CARICATURE ANTIQUE lli

Je priapise tout le monde, même Saturne, le cas éclKkmt.


Point de distinction entre les voleurs (jeunes ou vieux) qui
touchent à mes carrés de légumes. 11 ne faudrait pas parler
ainsi, dira-t-on, pour des salades et des citrouilles. — Il ne
le faudrait pas, soit ! mais je parle ainsi.

Quoique PiMape ciie fort, les poètes ne se sont

pas fait faute de cribler d'épigi^ammes ce préposé à

la garde des citrouilles, le ti^aitant avec le même


sans façon que les polissons qui maraudent dans un
verger, sans craindre l'épouvantail à moineaux re-

vêtu de la défroque d'un garde national.


J'ai comparé Priape à Falstaff; il est plus proche
cousin de Karakeuz , car tous deux ont sans cesse le
pal à la bouche, et au besoin, mettent leurs mena-
ces en action.

Si je te vois, moi Priape, mettre le pied près de ces lé-


gumes, je te déshabillerai, voleur", dans la plate-bande
même, et.... Tu diras que c'est une honte pour un dieu
d'agir de la sorte. Je le sais bien, mais sache qu'on ne m'a
placé ici qu'à ceUe fm.

Ces morceaux, choisis dans divers poètes, don-


nent le véritable sentiment des anciens sur un vice

qui honteusement s'est glissé parmi les civilisations


modernes. Sous ces épigrammes se cache une satire

de la débauche. Pétrone a fait place à des poètes de


troisième ordre, dont les noms, pour la plupart,
sont restés inconnus. On dira que ces poètes appar-
tiennent à la décadence romaine, à l'époque où les
li-J HISTOIUE
satiriques se domiaient à cœur joie le plaisir de

railleries vices et les plaies d'une société gangrenée ;

mais le symbole priapique, tel qu'on le retrouve


peint et sculpté sur de nombreux monuments, est

d'accord avec les injures que lance Aristopbane à la

lace des débauchés de son temps, car le poète a

donné un moyen certain de reconnaîtreextérieure-


rnent leurs vices, et ces marques phalliques dans
leur honteux développement sont les mêmes dont
se vante Priape.

La pudeur n'est pas une qualité moderne ; on le

voit par l'allocution de Priape à unejeune fille :

niaise jeune fille! pourquoi ris-tu? Non, Praxitèle ou


Scopas ne m'ont point façonné, je n'ai pas reçu le dernier
coup de main d'un Phidias ; mais un simple paysan m'a
taillé dans un bois grossier, et il m'a dit : c Tu seras Priape. »

Tu me regardes cependant et tu ris à la dérobée...

Ainsi, sous une forme que je suis obligé d'atté-

nuer, se manifeste la pudeur antique.


Pour moi, je cherche surtout le côlé populaire

de Priape. Taillée en bois par le paysan, sa statue


ftiit penser aux gausseries des paysans. Il n'est

guère de village où, sur le bord de la route, ne se


trouve quelque enseigne focélieuse. Il semble que
le peuple ait voulu dérider le voyageur qui passe.
Les Latins, d'humeurplaisaute, avaient fait de Priape
un dieu plaisant, un épouvantail à moineaux, une
DE LA CARICATURE ANTIQUE [i\i

sorte de garde champêtre grotesque et sans défense.


Malgré ses cris, ses vantardises et le terrible sup-
plice du pal dont il menace chaque passant, Priapo
n'est pas tranquille.

Ainsi Lucien a représenté le dieu abandonné


dans un vignoble stérile, frissonnant de terreur
comme Falstaffdans la solitude :

Bien inutilement Eutychide, pour se conformer à l'usage,


m'a placé ici, moi Priape, gardien de vignes desséchées. De
plus, je suis entouré d'un large fossé. Or, celui qui le fran-
chirait ne trouverait rien à voler que moi, le gardien.

Priape a peur d'être volé. Une autre épigiMinrne


montre le bouffon craignant à plus juste titre d'être

brûlé :

La rose au printemps, en automne les fruits, les épis en


été sa rassemblent autour demoi; il n'est pour moi qu'un
horrible fléau, l'hiver. Car je redoute le froid, et je crains

que moi, dieu de bois, je ne donne à des membres engourdis


la tentation de se réchauffer.

Jusqu'ici les commentateurs n'avaient pas pris


garde à cette figure comique, qui vaut pourtant la

peine d'être étudiée. Si, au xvii' siècle, les érudits

rassemblèrent en corps les diverses épigrammes


concernant le dieu', le xviii' siècle chercha dans

i. Piiapfia, sive diversorum poetanim in Priapum lusus, illus-


trali conimentariis Gas])ari Schioppii. Franc. Patavii, Ger. Nicolans.
1661, in-S". —
Pins tard un grammairien nn rlonna é.salement uiv
. lU HISTOIRE
ces publications plus d'obscénité que de science, et

l'abbé Rive prétend qu'un ouvrage de d'Haucarville


{Vénères et Priapi uti observantur in antiquis,
Naples, 1771) attira des désagréments à son auteur.
Ces sortes de recherches, quand elles sont traitées
dans un but scientifique, purifient toute orijrine

spinthrienne.
Dans toutes mes lectures relatives à Priape,je n'ai

rencontré qu'un érudit modeste, qui n'a pas laissé


de réputation, et qui, selon moi, a trouvé le sens

véritable delà personnalité du dieu; mais l'homme,


que j'ai connu, était besoigneux, employé par les li-

braires pour tout faire : comme les écrivassiers du


xviif siècle, il compilait, traduisait à la fois pour
les romans à qi^tre sous et pour la mai^on Didot,
ne demandait à sa plume ni fortune ni gloire, vivait

philosophiquement, se contentant de liberté et d'un


maigre gage. Il s'appelait Barré; personne ne con-

naît son nom, ses travaux ne font pas autorité. On


doit cependant à cet humble écrivain la réelle signi-

lication de Priape, qu'il a peint dans une page pleine


de mouvement :

Le nombre des statues et des ligures de Priape que pro-


duisent les fouilles est très-considérable; et l'on peut juger

éililion Erotopœgnion, slve Priapeia veterum et recentiorum


:

(edente Noël). Lutctiaî Pari^ionim, C. F. Patris, 1798, petit in-S»


avec Ik'ures.
DE LA CARICATURE ANTIQUE 145

facilement de la quantité d'Hermès de cette espèce, soit de


pierre, soit de bois, que l'on devait rencontrer dans les
campagnes d'Italie, par la seule inspection du recueil des
Priapées. Quelle prodigieuse variété d'inscriptions, toutes
destinées à être gravées sur le socle de la statue du dieu des
jardins, et la plupart placées dans sa bouche même! Quelle
abondance, quelle verve d'injures et d'imprécations contre

l'audacieux qui bravera ses défenses! Quelquefois il prie,


souvent il menace. Ici il s'enorgueillit de ses armes : Pallas,
Phœbus, Alcide et l'Amour ont bien les leurs ! là, de sa
Lampsaque qui certes vaut bien Dodone, et Samos, et Mycène.
Plus loin il se vante de n'être point un dieu rigide ; oh ! non,
on peut l'approcher sans être pur, nigrâ formels oblitus
favilln ! Puis il étale ses bonnes fortunes, et celles qu'il a

eues, et celles qu'il a manquées. Le bavard! Amants du


village, ne vous y fiez pas; ce tronc de bois vermoulu voit
et dira tout. Dans ses révélations facétieuses il pousse la

plaisanterie jusqu'au calembour! pédant, il disserte étymolo-


gie ; érudit, il entrelarde de grec ses distiques latins. Ici il

se plaint; le jardin est si pauvre! Les voleurs, ne trouvant


plus rien à prendre, empoi'teront le Priape lui-même. Puis
il reçoit les doux vœux de Tibulle : le voilà tout pastoral et
plein d'innocence, toutes fleurs confites dans du miel ! El de
nouveau voici qu'il s'emporte. Il devient furieux, il menace;
son arme est la massue d'Hercule, il va frapper tout à
l'heure... à l'aide du bras du fermier. — Il est colère, il est

gourmand, vantard et poltron. Quoi de plus? Il est


lascif,

même un peu fripon, ce zélé protecteur des jardins il per- :

met d'y voler quand on lui paye tribut, ou du moins il


conseille d'aller prendre chez le voisin : « Il est riche, celui-

là, voici le chemin, tournez à gauche, au bout de l'al-

lée. »

Le drôle de corps! L'excellent type à placer à côté de


Falstaff, de Polichinelle et de Sancho ! Aucun critique
9
146 HISTOIRE
n'avait signalé cette création du génie latin, el Ton croit

comprendre Plante '


!

Falstaff, Polichinelle, Sancho sont cousins de


Priape, il est vi^ai ; mais c'est dans l'Orient qu'il

faudrait cheixhei^ le sosie du dieu antique; j'ai

nomme plus haut Karakeuz, le bouffon de Constan-


tinople et d'Alger, dont malheureusement les voya-

geurs ont négligé d'étudier le caractère. Un jour


viendra sans doute où, dessiné par un crayon pru-
dent, Karakeuz pourra montrer les singuUers dé-
tours que suit le comique, les germes que laisse

chez un peuple l'esprit de conquête, et les analogies


d'idées et d'attributs qui se dissimulent sous les

habits et le langage d'un pays étranger.


On ne saurait avoir la prétention, dans un chapi-
tre si restreint, de donner un historique complet des
idées antiques relatives au phallus, d'autant plus
qu'elles sont de différente nature, à la fois religieu-

ses, licencieuses et satiriques.

Hérodote et saint Augustin font mention de scènes


du culte théophallique, qui ne laissent aucun doute
sur la gravité des mystères que célébraient les prê-
tres. Il est resté trace des phallica, sortes de chan-
sons qui se chantaient dans les bacchanales. Voilà
pour le culte.

Le culte conduisit à l'obscénité.

1. L. Dané, Herculanum et Pompéi. D\dot, 8 vol. ia-8% 1837-10.


'
DE LA CARICATURE ANTIQUE 147

On lit dans les ouvrages d'Arnobe, de Clément


d'Alexandrie et de Pline, que les artistes sculptaient

ou peignaient des Vénus, des satyres et des scènes


amoureuses pour répondre aux goûts des gens riches
et de mœurs désordonnées. Dans la plupart de ces
tableaux Priape étalait ses nudités sans vergogne,
comme aussi la tantaisie fit que le dieu Phallus fut
adoré jusqu'à table par les buveurs.
On a trouvé des vases obscènes appelés drillo-

potœ. Quand ces vases étaient en verre, ils étaient

(Mis phaUovitrohoU ou phalloverctroboli (verres à


boire ayant forme de phallus). Juvénal dit : «Vitreo
bibit ille Priapo, » et il ajoute : « Vilrei pênes

qiias appellanl driUopotas. » Ces vases représen-


taient des nains grotesques, avec un phallus énorme
dépassant la chiamyde, et par lequel on buvait.
Dans le Traité des Amours, attribué à Lucien, on
a la preuve que quelques-unes de ces représenta-
tions offraient un caractère comique :

Nous résolûmes de relâcher au' port de Cnide, pour y voir


le temple et la fameuse statue de Vénus, ouvrage dû à l'élé-
gant ciseau de Praxitèle. Nous fûmes doucement poussés vers
la terre par un calme délicieux que fit naître, je crois, la
déesse qui protégeait notre navire. Je laisse à mes compa-
gnons le soin des préparatifs ordinaires, et, prenant de cha-
que main notre couple amoureux, je fais le tour de Cnide,
en r.'ant de tout mon cœur des figures lascives de terre
cuite, qu'il est naturel de rencontrer dans la ville de Vénus.
148 HISTOIRE
C'est pourquoi, s'il est permis de regarder quel-
ques-uns de ces monuments phalliques comme des
amulettes, qu'on suspendait dans les temples et

dans les maisons pour préserver les habitants des

sorts ou pour mener à bonne fin le travail de la géné-


ration, certains autres semblent avoir été peints et

sculptés dans l'unique but de pousser aux idées


plaisantes. Les Allemands sont de cet avis, qui ont

donné le nom de Caricatur Merkurs à un Mercure


à cheval sur un phallus à tête de bouc, ornementé
de sept sonnettes.
Mercure, le dieu impudique deTOlympe, a trouvé
le véritable coursier pour se présenter auprès des
belles de la part de son maître, et il ne se déguise
guère pour accomplir sa mission, le phallus à tête
de bouc, animal impudique, étant d'un symbolisme
clair.

Les sonnettes reparaissent fréquemment, atta-


chées au ventre de ces bizarres coursiers, qui affec-
taient miUe formes dévergondées. El l'explication

n'en est pas facile '.

« Le bruit du bronze, dit Théocrite, détruit les

impuretés. » Mais cette tintinnabulation attachée

i. La publication du chapitre sur Priape dans la Revoie de Paris

a amené nombre de commentaires et de faits curieux qui ne peu-


vent trouver place dans le livre actuel; j'indiquerai toutefois l'in-
téressante communication de M. Philippe Burly, qui me fit passer
un croquis d'une pierre sculptée détachée des arènes d^ Nîmes.
DE LA CARICATURE ANTIQUE U9
aux flancs d'hippogriffes lubriques ne me semble
pas expliquée entièrement par le poëte.
Ces grotesques licencieux, ciselés le plus souvent
pour servir de lampes, offrent une variété considé-
rable, malheureusement perdue dans de nombreux
livres. La question mérite d'être étudiée sérieuse-

ment et savamment.
Quel symbole curieux que celui de ce phallus à
tête de chien, qui se révolte contre son maître à
cheval sur son do?, ouvre une large gueule et sem-
ble vouloir le dévorer ! Est-ce une image de la dé-
bauche qui tôt ou tard s'empare de son esclave? Est-
ce, d'après le même bronze, l'image de l'homme
échappant à ses passions, qui prend son glaive pour
trancher la tête de ce phallus furieux '
?

On trouva à llerculanum une mosaïque fort cu-


rieuse, dont le sujet montre que les Romains se mo-
quaient volontiers de Priape et du culte que lui
rendaient hommes et femmes.
Un Priape-IIermès, représenté par un coq avec

Un phallus ailé, accolé à deux compagnons de la mcme famille, est


guide par une femme qui le tienl en liriile. (^e pliallus à pieds de
cerf porte une sonrielte au cou. Un ('Tudit voit, dans la représenta-
tion de ce monument et la place qu'il occupait dans les arènes,
l'endroit où s'asseyaient les courtisanes.
1. Un dessinateur remarquable, M. Muret, du Cabinet des Mé-
dailles, avait recueilli, d'après les monuments antiques, tout ce
qui a rapport au phallus. Il faut espérer qu'on publiera un jour
ces dessins.
150 HISTOIRE
les ailribuls exorbitants du dieu, semble écouter
trois oiseaux, une poule, une oie et un canard, qui
gravement viennent l'implorer.
Cette mosaïque a donné lieu à deux hypothèses
diverses ; la première est que l'artiste a voulu prou-
ver que tout dans la nature rend hommage au prin-
cipe générateur, les hommes, les animaux, les

Mdsai.ine U'oiivée à Ik'i'ciilaïuiai.

plantes; la seconde incline au satirique. Selon les

commentateurs, l'artisle aurait fait allusion à ce

qu'il y a de bestial dans les plaisirs dos sens, quand


on les sépare des penchants du cœur.
11 y a dans ces représentations matière à méditer
pour les esi)rits sérieux.
DE LA CARIC.VTCUb; ANTIQUE 151

Platon, dans le Timée, traite de haut la question


<Ie la virilité, et Montaigne, le commcnlant, revient
sur celte « virilité tyrannique qui, comme un ani-
mal furieux, entreprend par la violence de son appé-
tit sousmettre tout à soy. »

Plus les nations se civiliseront, plus elles tirer on


le voile sur l'appareil, génital dont Aristophane lui-
môme feint de rougir. Au début des sociétés l'idée
n'est pas la môme qui nous fait baisser les yeux,
i.'ïnde, rÉgyplc, la (ïliine, le Japon, le moyen âge
font des signes de la génération des motifs de fan-

taisies, de caprices, d'étrangetés, de satires.


Bien plus que la femme, l'homme est représenté
parce détail chétifque certains artistes ont développé
considérablement pour faire comprendre que là est

tout l'homme : actions héroïques, bassesses, vertus

<'t vices.

Voilà pourquoi le symbole fut figuré par les peu-


ples enfants avec tant de variétés; d'où l'origine
du dieu Priape. VA on peut dire qu'une nation mo-
derne est rétive à la civilisation et singulièrement
arriérée, (pii rit de ces attributs et les montre aux-
enfants des deux sexes, à Alger ou à Constantinople,
sans craindre de leur faire monter la rougeur au
visage.
XV

CE QL" ON PEUT PENSER DE LA REPRESENTATION


GROTESQUE D'UN POTIER.

Daus une thèse latine curieuses M. Leuonnant


a fait graver divers monuments auxquels j'emprunte
ie dessin de la page ci-contre.

La lampe ea terre d'ane grandeur remarquable, dit M. Le-


nonnant, que je traduis d'après le latin, a près de deux pieds
de long et affecte une forme de navire. Cette poterie, dont
raulheniicilé est incontestable, quoi qu'on ait dit -, est re-

commanJable à beaucoup d'égards. Elle est de la plus haute


antiquité, comme le prouvent suflisamment les madrépores
qu'un long séjour sous les eaux y fixa. Elle vient, dit-on, de
Pouzzoles, où le culte de Sérapis était en grand honneur. Le
sinnUacre de ce dieu fait partie des ciselures de la lampe.

Tout d'abord on est frappé par un mélange sin-

1. Quœstionem cur Plato Aristophanem in convivium induxtrit,

par Cliarles Leiiorniant. Paris, in-l', Firmin Didot. 1838.


2. H semble, d'après ce çuoi qu'on ait dit, que des doutes s'étaient
élevés parmi les archéologues sur l'aulhenticité de la lampe, que
malheureusement la France s'est laissé enlever par FAngleterre.
HISTOIRE DE LA CARICATIUE ANTIQUE 153

Ltiiipo de Pouzzulcs.
154 HISTOIRE
giilier d'art sacré et d'art profane. Les deux pre-
miers compartiments sont réservés aux divinités
peintes dans leur noblesse, le troisième à un potier

ridicule se livrant à l'exercice de son art. Les dieux

en haut, en bas un ouvrier contrefoit. Assemblage


de noble et de trivial, de grand et de grotesque.
L'Olympe antique admettait dans ses rangs un
Vulcaifl boiteux, semblant montrer par là que l'art

manuel, la grossièreté des traits et les déforma-


tions corporelles qui résultent des durs iravaux de

la forge, n'empêchaient pas, dans une société démo-


cratique, l'ouvrier d'aspirer au rang des dieux. Yul-

cain était ridicule, et Vénus le traitait en Georges


Dandin : mais le parvenu n'en faisait pas moins
partie du Panthéon sacré.

Le potier de la lampe de Pouzzoles n'offre-t-il

pas quelque ressemblance avec Yulcain?


M. Lenormant ayant cherché quel était l'usage de
cette lampe, le sens des inscriptions gravées dessus
et dessous, et quels personnages ces dieux repré-
sentent, il est utile de citer son opinion :

Xûus avons là un vœu, soil pour obleiiii- une lieureuse na-


vigalioii, soit un reniercîmont û\\n trajet sur les eaux ac-
compli lieureusemeiit sous les auspices des dieux. Le monu-
ment du vœu représente le navire lui-même. A la place de
rangs de rames se trouvent vingt trous à mèclies.
Le mot inscrit an iniVicu, Eyn'^^oîix, heureuse navigation,
montre le dessein de l'ouvrier.
DE LA CAKICATlRt; ANTIQUE 155

Eu tèie se dresse un jeune homme avec le bonnet phry-


gien, la lance et la chlamyde, debout près d'un cheval dont il

tient les rênes : sans aucun doute, c'est l'un (]es frères d'Hé-
lène, astres brillants qui écartaient les tenipt-tes des âmes
pieuses. Plus haut se trouve Isis, avec les attributs de la For-
tune et de l'Ej^jviotç, portant une corne pleine de fruits et de
fleurs de lotus, la couronne égyptienne, le signe du crois-
sant, et debout près de Sérapis, que rendent suffisamment
reconnaissabJe sa barbe, son paUiiim, son aspect et les rayons
qui l'entourent. Le gouvernail sur lequel il s'appuie convien-
drait mieux à Isis Pharia, maîtresse de l'art de la navigation,
si nous ne trouvions sur les nioimaies d'.\le.\andrie Sérapis
appuyé sur un gouvernail ; aussi admettrait-on sans peine
que ce dieu, chez les anciens, était l'un de ceux qui prési-
daient à la navigation.
Voilà pour la poupe du navire. .V l'avant se trouve la tète
jeune et rayonnante du .Soleil, navigateur lui aussi d'après la

mythologie égyptienne, origine delà religion de Sérapis. Les


anciens eux-mêmes rapportent qu'Hercule traversa la mer
sur une coupe. D'ailleurs, le Soleil et Sérapis, quelle qu'ait
été l'intention de l'auteur du vase, réuni.ssent l'exemple le plus
rare et le plus sacré d'une heureuse navigation. Cette opinion,
qui parait embrouillée aux modernes, est cependant éclaircie
par l'inscription gravée sur la lampe : AABE^IETOMIAIO-
lEPAniN iSois-moi favorable, Soleil Sérains). C'est pourquoi
ce navire, orné des signes du Soleil et de Sérapis, est offert
à ces dieux mêmes réunis en un seul.

Après avoir clieiché l'origine de ces dieir

M. Lenormant passe à la troisième sculpture, i^^^

^
se rattache à Tart grotesque, et il a pris s^*^

^^ ""
faire dessiner avec quelque développeme'^
gure singulière dont les attributs sont parlants,
156 HISTOIRE
comme les signatures des ouvriers au moyen âge.
Ce polier tient un vase dans les mains et va le faire

cuire dans le four en face de lui; pour qu'il n'y ait


aucun doute à ce sujet, l'artiste a modelé aux pieds

UN POTIER.
Fnigmont de la lampe de Poiizzolcs.

le l'ouvrier ses instruments de travail, entre lesquels

remar(|ue l'ébauchoir.
\a coiffure du potier a été expliquée ainsi par
"^-\normant : « On croirait \oir sur sa tète une
cornev bélier, si on ne reconnaissait là la manière
de tressW les cheveux en corne qui se retrouve sou-
vent dans\s statues des dieux égyptiens.
DE LA CARICATURE ANTIQUE 157

« La forme plastique et grotesque, ajoute l'érudit


à propos de la figure du potier, cache en réalité le

dogme le plus antique de la religion égyptienne. »

M. Renan, parlant des symbolisations des monu-


ments de l'Egypte, disait :

Jamais l'honime en possession d'une idée claire ne s'est

amusé à la revèlir de symboles; c'est le plus souvent à la


suite de longues réflexions, et par l'impossibilité oi!i est l'es-

prit humain de se résigner à l'absurde, qu'on cherche des


idées sous ces vieilles images mystiques dont le sens est
perdu.

Ceci peut s'appliquer à la lampe de Pouzzoles.


Malgré mon respect pour l'érudition de M. Le-
noi^mant, je chercherai un autre sens à la représen-

tation de cette comique figure.

Le potier jouait un certain rôle dans l'antiquité.

De ses soins dépendait la réussite des admii^ables

céraiTiiques que nous ont laissées les anciens : les

peintres et les sculpteurs devaient entretenir des


relations amicales avec l'ouvrier dont l'habileté ré-

pondait de la cuisson des vases, ainsi que de la

conservation des peintures.


Il faut avoir assisté aux tentatives des industriels
modernes pour se rendre compte des difficultés du
métier. La cuisson peut altérer la forme du vase ou
sa coloration, et faire d'une belle pièce une chose
de rebul.
158 HISTOIRE DE LA CAUICATURE ANTIQUE
Nous savons, parles monuments étrusques, que
souvent furent représentés des potiers employés à
la fabrication des vases; mais, jusqu'à présont, la

lampe seule de Pouzzoles nous montre une si étrange


ligure. Ne se peut-il qu'un modeleur ayant sculpté
des fjgures de dieux sur la partie supérieure de la

lampe, laissa carrière à son imagination plaisante


eu caricaturant rou\rier qui travaillait habituelle-

ment pour lui? Gomment expliquer, sinon par le

caprice, ralliauce de la grotesque figure de potier


et des dieux qui ornent le haut de la lampe ?

Pour sonder les mystères du passé, je regarde


l'antique à travers les lunettes du moderne. J'entre
dans ces questions sans autre système que de ra-
mener au simple ce qui me paraît simple, et de ne
pas expliquer ce que l'état actuel de la science rend
inexplicable. Lrs artistes de Tantiquilé, je les vois

sous l'aspectfamilier, travaillant quelquefois d'après


des symboles consacrés dont le sens nous échappe,
et le plus souvent se laissant aller à leur imagi-
nation.
<( Le lecteur habile, dit Montfaucon, jugera de la

solidité de cette conjecture. »


XVI

LEGENDE DES PYGMEE;

Une véritable Histoire de la caricature ne devrait


être tentée qu'en signalant, en regaiddu dessin des
monuments, tout ce qui touche à la satire. Le
fou, au moyen âge, est une vivante caricature dont
les chroniqueurs n'ont pas dédaigné de recueillir
les traits plaisants. Avec la Mort des danses maca-
bres, le fou est chargé de rappeler aux empereurs
et aux rois qu'ils sont de simples mortels, et qu'en
qualité de mortels la satire a droit sur eux. Le peu-

ple était donc représenté dans les palais par un être


disgracié de la nature, nain quelquefois, bossu
toujours, dont la langue « bien pendue » s'attaquait
aux actes des grands comme à leurs habits, à leurs
vices comme à leurs passions. Ce fou, laid et mal
venu, ayant le privilège de tout dire et de tout faire,
nourrissait au fond du cœur une haine contre les

courtisans de belle prestance. Son costume bigarré


l'irritait contre la soie et le velours des princes : sa
160 HISTOIRE
dure fonction de toujours rire faisait que, mépri-
sant les grands, il lançait à la tête de son maître des

hardiesses qu'on appellerait révolutionnaires au-


jourd'hui ; mais, comme le moyen âge ne prévoyait
pas 1789, ces fous ne paraissaient pas dangereux,
et les bâillonner eût semblé une énormité.
Les fous existèrent dans l'antiquité, avec les mê-
mes apanages , les mêmes hardiesses , les mêmes
bosses. Et l'antiquité, les trouvant plaisants, en a
laissé sur les murs de Pompéi, d'Herculanum, de
nombreux témoignages peints.

Les Romains aimaient à écouter les facéties des


nains : ceux d'Alexandrie étaient réputés les plus

spirituels, et les Égyptiens en faisaient le commerce.


Auguste, quoiqu'il eiit les monstruosités en hor-
reur, montrait à ses hôtes un jeune nain à la voix

énorme, nommé Lucius, qui ne pesait que dix-sept


livres, et il permit à Julia de se faire suivre d'un
nain nommé Canopa. Tibère entretenait un nain
parmi ses bouffons, comme plus tard Philippe IV
fournit à Velasquez l'occasion de peindre l'étrange
et admirable tableau des nains de la cour. Alexan-
dre Sévère donna au peuple le spectacle de nams,
de naines, de morions, de muets mêlés aux panto-
mimes ; et saint Jean Chrysostome dit que de son
temps la coutume était de se divertir à la vue de ces
monstruosités de la nature.
DE LA CARICATURE ANTIQUE 161

Dans le Traité du sublime, Lon^'m raconte qu'on


enfermait des enfants dans des coffres pour les em-
pêcher de croître. Il en fut longtemps ainsi en Chine;
même la fabrication des nains s'y faisait encore ré-
cemment, et j'eus le plaisir de causer avec un de
ces monstres artificiellement obtenus, qui dirigeait,

il y a quelques années, une troupe de clowns chi-


nois en représentation au théâtre de la Porte-Saint-
Martin.
Les peintures antiques, d'après les nains, prêtent
à de nombreux commentaires, non parce que les

renseignements manquent, ils abondent au con-


traire; mais les nains se rattachent autant aux
croyances populaires qu'à la satire. J'essayerai de

démêler de mon mieux un écheveau de notes com-


pliquées, et si les lecteurs n'y voient pas trop les
nœuds, l'auteur sera payé de sa peine.
Le premier, Homère en a parlé :

I-orsque, à la voix de leurs chefs, ils se sont rangés en


bataille, les Troyens s'avancent et jettent une haute clameur,
mêlée de cris aigus commo ceux des oiseaux sauvages. Tel
s'élève jusqu'au ciel le cri rauque des grues (jui, fuyant les
frimas et les grandes pluies de l'hiver, volent sur le rapide
Océan pour porter aux Pygmées le carnage et la mort. Ha-
bitantes de l'air, elles livrent à des humains de cruels com-
bats.

Homère croyait à l'existence de Pygmées. ainsi


162 HISTOIKE
que beaucoup d'autres grands esprits de rantiquilé;

celte croyance se répandit tellement chez les Ro-


mains, qu'il était peu de maisons particulières et

même de temples qui ne fussent décorés de peintu-


res de nains combattant contre les grues.
Les grues n'ont jamais passé pour de vaillants
oiseaux. Leurs adversaires étaient donc de pauvres
et faibles petits myrmidons auxquels il fiillait tout un
attirail de défense : boucliers, cuirasses, casques et
lances pour combattre d'innocents animaux. Quelle
joie pour un Pygmée que d'emporter triomphale-
ment le corps d'une lourde grue! Hercule combat-
tant contre les oiseaux slympbalides n'était pas plus

glorieux.
Pline fit de nombreuses recherches pour décou-
vrir l'origine des Pygmées; il en trouve en Thrace,
en Asie, aux Indes. Suivant lui, c'étaient des nains
laboureurs aux environs du Nil,, qui avaient déclaré
une guerre à outrance aux grues mangeant leurs
semailles, et, par là, amenant la famine'.

1. Dans sa Dissertation sur V des Jlémoiresde


les Pijfjmées ftoine

r Académie (les belles-lettres), Tabbc Banior dit « Ce qu'il y a de


:

particulier dans cette fable, c'est que les historiens lmi parlent
comme les ])oëtes, sans adoucissement, sans restriction et eux, qui ;

soulagent si souvent les mytliologues, quand il s'agit de ramener


quelque ancienne fiction à un sens raisoimable, ne servent ici qu'à
augmenter leur einbarras. lin eft'et, Ctésias, Nonnosus, Pline, So-
lin, l'omponius-Méla, Basilis dans Athénée, Onésicrile, Aristée,
Isogonus de Nicée et Ég(''sias dans Aulu-Gelle, même Icij Pères de
l'Église, saint Augustin, saint Jérôme, tous sont d'accord sur Tcxis-
DE LA CARICATL'RE ANTIQUE 163
164 HISTOIRE
Pline recueillit toutes les croyances populaires
des naturalistes de la Grèce et les donna sérieuse-

ment: « Cela est certain, » dit-il (non exspueré).


Parlant avec une foi robuste des hommes à têtes de

chien, de la nation des Astomes (sans bouche), des


Thibiens qu'on reconnaît « parce qu'ils ont dans un
œil une pupille double et dans l'autre vme effigie de
cheval, » Pline ne pouvait manquer de s'intéresser

à ces fantastiques Pygmées :

Au delà, dit-il, à l'extrémité des montagnes [de l'Inde],


on parle des Trispithamos et des Pygmées, qui n'ont pas plus
de trois spithames de haut [c'est-à-dire vingt-sept pouces]. Ils

ont un ciel salubre,un printemps perpétuel, défendus qu'ils


sont par les montagnes contre l'Aquilon. Homère rapporte de
son côté que les grues leur font la guerre. On dit que, portés
sur le armés de flèches, les
dos de béliers ou de chèvres et

Pygmées descendent tous ensemble au printemps sur le bord


de la mer, et mangent les œufs et les petits de ces oiseaux;
que cette expédition dure trois mois qu'autrement ils ne ;

pourraient pas résister à la multitude croissante des grues;


que leurs cabanes sont construites avec de la boue, des
plumes et des coquilles d'œufs. Aristote (H/sf. ann. viii, 1"2)
dit que les Pygmées vivent dans des cavernes il donne pour ;

le reste les mêmes détails que les autres.

Pline cite divei\ses villes, de l'autre côté de la

Thrace, « oit l'on rapporte qu'était jadis la nation

des Pygmées ; les barbares les appellent Cattuzes, et

tence des Pygmées, sur leur petite taille et sur leurs combats avec
les arues. »
DE LA CARICATURE ANTIQUE 165
166 HISTOIRE
croient qu'ils ont été mis en fuite par les grues. »

Ailleurs il dit encore : « La nation des Pygmées a

une trêve par le départ des grues, qui, comme nous


l'avons dit, leur font la guerre. »

Ces légendes firent du chemin jusqu'à ce que le

commentateur Biaise de Yigenère entreprît de les

ruiner. « Tout cela estant primitiuement party de


la forge (comme le tesmoigne Aulu-Gelle au qua-
Iriesme chapitre du nevfiesme des Nuits Altiqiies)
de je ne sçay quel Aristeas Proconesien, Isigonus,
Gtesias, Onosicritus, Polyslephanus, et autres tels

resueurs fantastiques, reuendeurs de comptes de


la Cigoigne '. »

Les « comptes de la Cigoigne » ne sont pas à dé-

daigner. N'ont-ils pas valu à la France du xvif siècle


un de ses plus beaux livres, les Contes de la mère
rOie? Qu'il s'agisse de cigognes ou de grues, ces
croyances antiques sont le premier chaînon des tra-

ditions populaires qui commencent aux Pygmées


décrits par Homère, pour aboutir, comme on le

verra plus tard, au chef-d'œuvre de Swift.


Les Pygmées étaient donc, d'après Pline, de pau-
vres nains protégeant les semailles contre les grues.
Et ici, qu'on me permette d'indiquer brièvement
les analogies des traditions populaires du monde

1. Biaise de VigenÎTe, les Images ou Tableaiu de plalte pein-


ture des deux Pliiloslrate. 1G14, in-folio.
DE LA CARICATURE ANTIQUE 1G7

ancien et du monde moderne. Les peuples agricul-


teurs ou mineurs, les hommes qui attaquent la terre
en dessus ou en dessous, ont tous des croyances
analogues. Les Kobold de l'Allemagne, les nains des
frères Grimm, les Berggeist, les Bergmànnlein
ou petits hommes des montagnes de la Silésie, les

Sothai/s du pays \vallon sont les propres parents

des Pygmées antiques. Peu de légendes germani-


ques où les Kobold ne jouent un rôle ; peu de mai-
sons de Pompéi et d'IIerculanum où ne soient re-
tracés les exploits des Pygmées. Aussi Tichsbein
commet-il une erreur dans la note suivante, tirée
de son Recueil des vases antiques: «Les anciens,
dit-il, donnaient souvent des formes singulières
aux vases qui leur servaient à boire. Un, entre au-
tres, offre à la fois la tête d'un bélier et celle d'un
sanglier. Sur le bord de ce vase, qui forme le col

des deux tètes, se trouve le seul monument de l'an-


tiquité qui nous offre en peinture le combat des
Pygmées contre les grues. » (Voir pages 168 et iOO.)
Ce monument est loin d'être le seul relatif aux
Pygmées : il est même difficile de faire un choix
parmi les peintures, sculptures, verreries qui se
rattachent aux combats des grues et des Pygmées;
rependant une fresque de Pompéi servira de preuve
aux récits de Pline, comme les deux premiers des-
sins servent de commentaire au poëme d'Homère.
168 HISTOIRE

VASE ANTIQUE nEPRESENTANT IN COMBAT DE PVGÎIÉES.


DE LA CAP.ICATL'UE ANTIQUE 169

10
170 HISTOIRE DE LA CARICATURE ANTIQUE
Les Pygmées d'Egypte, suivant la représentation
des peintres de l'antiquité, étaient de petits vieil-

lards chauves qui faisaient le commerce et trans-

portaient en bateau des jarres pleines de la liqueur


si recherchée du lotus.
Une fresque trouvée dans une maison dePompéi,
près d'une porte de la ville, semble indiquer le lieu

de naissance des Pygmées (voir ci-contre). L'Egypte


apparaît dans ces feuilles de lotus, dans ces croco-
diles, dans ces hippopotames '.

11 n'est guère de musée d'Italie qui n'offre de pa-


reilles im.ages. Au musée du Gapitole à Rome, on
voit des fresques représentant de ces êtres rabou-
gris, ramant sur le Nil, à côté des barques, des
hippopotames et des crocodiles se jouant au mi-
lieu des lotus. Sur les toits des maisons qui bordent
le fleuve sont perchées des cigognes et des grues
contemplatives.
Dans le temple deBacchusàPompéi, se trouvaient
de petits tableaux de Pygmées, encastrés dans les

I. Rochefort (trad. de Y Iliade), de Paw {Rech. sur les Egijptiens)

émettent celte théoi'ic ((iic, dans le langage allégorique des Égyp-


tiens, le combat des Pygmées contre les grues désignait le décrois-
sement du Nil au temps où ces oiseaux quittent les climats du
Nord pour passer au Midi, c'est-à-dire vers le mois de novembre,
aux approches de l'hiver. II est dangereux, dans les recherches
sur l'antiquité, de quitter la terre ferme du fait. Les matériaux
ne sont pas encore assez nombreux pour oa tirer des déductions
symboliques que la plus mince trouvaille de demain peut diUruire.
I.KS PYGMKES, U'.M'UKS INE FUESQUE ANTIQUE.
17-2 HISTOIRE
ornements des murailles. Peintures curieuses par
les détails d'architecture ; ainsi on remarque sou-
vent des tours crénelées dans le paysage qui sert de
fond.
Les Pygmées ne s'asseyaient pas sans danger sur
le dos des crocodiles. L'une des peinturesdu temple
de Bacchus prouve que les nains n'avaient aucun
caractère sacré. Un crocodile, caché dans les ro-
seaux, se précipite tout à coup sur un des mons-
tres chauves et n'en fait qu'une houchée, malgré
les cris de deux Pygmées qui, sur le bord du fleuve,
lèvent leurs bras vers le ciel en poussant des lamen-
tations.

11 est bî5n d'étudier une maison de simple parti-


culier à Pompéi, et d'y chercher les raisons de la

persistance avec laquelle les peintres introduisaient


des Pygmées partout.
Des nains combattant contre des grues se trou-
vent sur les parois du cubiculum, derrière la petite

chambre, dans la Casa de' Capitelli colorati, dé-


blayée à Pompéi en 1833. Cette paroi appartient à

une chambre (exèdre) à droite du péristyle du mi-


lieu, et sur la paroi opposée se remarque la belle

peinture de Vénus et Adonis. Le fond de cette ad-


mirable paroi est d'un bleu céleste (cœlon) avec le-

quel s'harmonisent l'ocre lucide (rouge) et lé chry-


socolle (jaune). Quelques grecques blanches discrè-
DE LA CARICATURE ANTIQUE 173

10.
174 HISTOIRE
tèment posées courent sur le bleu céleste du fond
Une peinture, la Vente des Amours, rompt la mo-
notonie du cœlon. Au-dessus du péristyle sont

massés des trophées d'armures. Deux petits paysages


complètent la décoration; mais Tharmonie agréa-
ble du cœlon et de l'ocre -lucide reste pour tou-
jours dans les yeux de celui qui a vu ce charmant
réduit, peut-être une chambre de femme.
Dans la même Casa de' Capilelli colorati se trou-
vait encore une pièce renfermant deux grands pay-
sages historiques, dont l'un a pour sujet Hercule
délivrant Prométhée, l'autre, Polyphème etGalatée.
Non loin de ces paysages, on remarque trois fres-

ques de Pygmées combattant contre des grues. Sin-


milier assemblage de tableaux divers : la Vente des

Amours n' a pas de rapports avec les paysages


mythologiques, et ces derniers sont sans trait

d'union avec la peinture des croyances populaires


relatives aux Pygmées.
Ici je hasarderai une hypothèse, sans forcer les
érudits à la partager. Une maison était occupée par
une famille composée d'hommes , de femmes et

d'enfants. La femme voulut peut-être avoir sous ses


yeux le galant tableau de la Vente des Amours; un
autre membre de la famille se plaisait sans doute à
contempler les actions des héros de la mythologie,
et il est permis de croire que les nourrices amusaient
DE LA CARIOATURK ANTIQUE 175

les enfants en leur montrant, peints sur la muraille


sous des fresques de sujets héroïques, les Pygmées
allant en uuerre contre les "rues.
N'y a-t-il pas quelque chose de grotesque dans
ces nains casqués, le houclier au liras, eu grande
tenue de guerre, tantôt vaincus, tantôt vainqueurs,
toujours pleins de solennité et de rage contre des
animaux peu dangereux?
Selon Yossius, dont le texte manque de clarté et

a dérouté les commentateurs, les Pygmées étaient


peints « sur des surfaces courbes qui les grossis-
saient'». Il faut entendre vraisemblablement par
là que ces images peintes, mises en rapport avec
des surfaces courhes de métal ou de verre, pa-
raissaient plus grotesques encore : c'est ainsi que
les curieux, dans les jardins, s'émerveillent de-
vant des boules métalliques rondes, où la tète s'é-

largit pendant que la partie infi-rieure du corps,


suivant l'ondulation sphérique, va se rétrécissant.
Ces images de nains, réiléchies par des miroirs
convexes , servaient probablement de jouets aux
enfants.
Les historiens et les poètes nous apprennent que
les scènes des Pygmées étaient le plus habituelle-

1. Arisloto dit qu'ils sont '< comme les figures peintes sur les
murs d'auberges qui sont petites, mais qui apparaissent larges et
j)rofondes ; ainsi sont les Pvgmcîes. *
176 HISTOIRE
ment peintes sur les murs des tavernes et des ca-
barets, comme en France sont accrochées dans les

auberges les vulgaires imageries d'Épinal. Horace


{Sat., II, vu) parle de ces « combats peints en rouge
ou au charbon » sur les murailles des auberges*.
Ces êtres fantastiques étaient un olijet de risée
pour le peuple, et leur nom lui-même n'est qu'une
sorte de jeu de inots. Ur/un veut dire à la foiscoît-
dée et pugilat. Les nains hauts d'une coudée sont
représentés sans cesse se battant, quelquefois même
entre eux.
Sauf Strabon, qui, à différentes reprises, nie
l'existence des Pygmées (« ce peuple, dit-il, n'a

jamais été vu par quelque homme digne de foi »),

les voyageurs de l'antiquité rapportent nombre de


fables à leur propos.

Les nains s'emparent des œufs de grues, et bâtis-

sent leurs maison avec des coquilles d'œufs.


Un poëte satirique, Palladas, qui s'inspira sou-
vent (les épigrammes anciennes et les habilla au

goût de son temps, comparant le lâche Gakis aux


Pvgmées, disait :

Reciute-t-on une armée pour conibaltre des escarbots,


des cousins ou des mouches, la cavalerie dos puces ou des

1. M. Héron de Villefosse cite un verre antique du nuiséc du


Louvre, représentant une peinture de Pygmées combattant contre
des grues. Voir dessin et texte, Revue archéologique, 1874.
DE LA CAIlir.ATir, E ANTIQUE 177
178 HISTOIRE
grenouilles? Tremble, Caïus, crains (fu'oii ne t'enrôle comme ,

étant un soldai digne de tels ennemis; mais si on lève une


armée d'élite, de gens de cœur, reste tranquille, sois sans
inquiétude. Les Romains ne font pas la guerre aux grues et
n'arment pas les Pygmées.

Et le poëte Julien, dans une autre épigramme


sur un peureux :

Par prudence, demeure à la ville, de peur que tu ne sois


attaqué à coups de bec par quelque grue avide du sang des
Pygmées.

J'ai déjà signalé de certaines analogies entre le


comique ancien et le comique luodorne ce sont des:

nez d'un développement considérable ou des tailles

d'une extrême petitesse, deux détails dont se sont


emparés de tout temps les esprits facétieux.

Ce qu'étaient réellement les Pygmées, on le verra


plus loin ; il est certain que ce peuple naissait de

taille chétive, et que cette exiguïté servit de thème


de raillerie aux anciens, les petits hommes grossis-

sant d'habitude leur importance à raison de leur


courte taille.

Il suffit de lire quelques épigrammes d'un poëte


grec en querelle avec les lettres de son temps. Lii-

cilius a laissé une vingtaine d'épigrammes sur les

petits hommes ses contcmpoi^ains, et je prends au


hasard trois de ces fantaisies dans VAnthologie :

Sur une lige de blé, ayant fiché une pointe et s'étanl at-

taché au cou un cheveu, le petit Siratonice s'est pendu.


DE LA CARICATURE ANTIQUE 179

Qu'arriva-l-il? 11 n'est pas tombé à terre entraîné par son


poids; mais au-dessus de sa potence, bien qu'il n'y ait pas
de vent, son corps s'enlève et voltige.

Epigraiïime qui fait penser à Tom Pouce.

In léger coup de vent emporte dans les airs Chérimon,


moins lourd qu'un fétu de paille, et il y serait encore le jouet

des zépbyrs si une toile d'araignée ne l'eût arrêté et pris


Là, étendu sur le dos, il fut ballollé cinq jours et cinq nuits,

et ce n'est qu'au sixième jour qu'il parvint à descendre le


long d'un fil de celte toile.

Un autre capince du même poêle semble un cro-


quis à Feau-forte : « Minesirate, à cheval sur une
fourmi comme sur un éléphant, est tombé soudai-
nement à la renverse, et est resté étendu sur le dos.
Une ruade de la fourmi lui a donné le coup de la

mort..., » etc.

Fantaisies humoristiques proches parentes de


celles que nous a transmises Eustathe sur les Pyg-
mées.
Ils montent à cheval sur des perdrix, et partent
en courses insensées à travers les airs, à la poursuite
des grues qui ravagent leurs récoltes '

t. « On iloit considérer comme une fable ce ijue dit Basilis, au


rapport d'Athénée, que les Pygmées faisaient tirer leurs chariots par
des perdrix. Onésicrite, plus sensé, assure au contraire, selon Slra-
bon, que ces pmiples donnaient également la chasse aux perdrix
et aux grues, qui venaient consommer leurs grains, en quoi il n'y
arien d'incroyable. » (Abbé Banier, déjà cité.)
180 HISTOIRE
Je n"ai malheureusement pas retrouvé de pein-
tures de ces ûctions. Trop souvent les peintres d'Her-
culanum se sont complu à des grossièretés qu'il est

difficile au crayon de rendre. Ces petits hommes


contrefaits, qui passaient de longues journées sur

le Ml, commettaient dans leurs barques de basses


obscénités qui ne sont pas relevées par la beauté des
formes. Cependant la peinture a montré quelquefois
les Pygmées adorant les dieux et occupés à célébrer
des fêtes religieuses dans les temples.
Il est fâcheux qu'une fresque d'Herculanum se
détacha lors de la trouvaille, car on perdit ainsi les

détails d'un repas de Pygmées, et, dans le fond, la


représentation d'un sacrifice à l'autel.
Les ruines d'Herculanum fournissent de nom-
breux motifs relatifs à la vie agricole de ce peuple
de myrmidons.
Les appartements étaient souvent ornés de frises

dans lesquelles il ne faut pas chercher d'intentions sa-

tiriques. Ce sont le plus habituellement des Pygmées


occupés à des travaux de campagne, qu"un pinceau
plaisant a prodigués autour des murailles, sans autre

idée que celle d'égayer un instant la vue.


La fable des Pygmées était devenue populaire par
les récits des voyageurs et des naturalistes, c Ce sont
des hommes de petite stature dont les chevaux sont
petits aussi, et qui habitent dans des cavernes, » di-
DE LA CAniCATURE ANTIQUE 181

11
182 HISTOIRE
sait Aristote. Les poètes et les conteurs s'emparèrent
de ces récits et les colorèrent suivant leur imagina-
tion. Athénée parle d'un ancien auteur qui, dans un
poëme sur la génération des oiseaux, cherchant
quels rapports existaient entre les Pygmées et les

grues, disait de cet oiseau que «c'était une femme


illustre chez les Pygmées, à laquelle ces peuples dé-
férèrent des honneurs divins; enflée d'orgueil, elle
méprisâtes dieux, et particulièrement Diane et Ju-

non. Celle-ci, irritée, la changea en un vilain oiseau,


et voulut que ce fût le plus cruel ennemi des Pyg-
mées. »

Les peintres traduisirent plus tard en caprices


décoratifs les croyances des naturalistes, des poètes

et des conteurs, d'où l'explication des nombreuses


peintures et sculptures de Pompéi et d'Herculanum.
Les naturalistes de nos jours, Buffon et Cuvier en
tête S ont voulu avoir raison de Pygmées , aux-
quels l'anomalie de leur organisation a donné droit
d'entrée dans la tératologie, une science qu'on ne
consulte pas assez pour la connaissance de l'art fi-

guré de l'antiquité et du moyen Age.

« L'art antique est inséparable de la tératologie, »

dit avec raison M. Berger de Xivrey '. Seuls, les na-

Le roi ouïe vainqueur gigantesque, les vaincus ou les sujets,


1. «

troisou quatre fois plus petits, auront donné naissance à la fable


des Pygmées. » (Cuvier, Discours sur les révolutions du globe.)
DE LA CARICATURE ANTIQUE 183

luralistes peuvent expliquer ces monstres sur lesquels


Pline revient avec tant de complaisance : les Acéphales,
les Macrocranes, les Hémantocèles, les Tétrapodes,
les Monocoles, les Cynocéphales, les Monotocèles et

autres peuplades à noms plus barbares que le corps.

M. Sainte-Beuve, aussi curieux de l'antique que


du moderne, souhaitait une sorte à'aquarium où
l'érudit pourrait voir naître les fables populaires,

leur sortie de la coquille et le chemin détourné


qu'elles suivent.

J'essayerai de répondre à ce désir en tra<;ant la

marche de cette lé^iende.

Hercule, après sa victoire contre Antée, se réveil-


lant assailli tout à coup par une foule de nains cou-
rant sur son corps, qui cherchent à lui enlever sa
massue, a fourni vraisemblablement plus tard à Swift
le chapitre des Lilliputiens armés contre Gulliver;
l'humoriste anglais s'est servi du thème du sophiste
grec, Philostrate Lemnien -.

Ainsi le chef-d'œuvre anglais pourrait découler des


Pygmées peints, dont j'ai donné plus d'un exemple,
et dont il existait diverses représentations dans le

musée Campana.

1. Traditions téraloloqiques, ou Récils de l'antiquilé et du moyen


âge en Occident sur quelques points de la fable, du merveilleux et
de l'histoire naturelle. Paris, 1836, in-S".
2. Voir la traduction de Biaise de Vigcnère.
181 HISTOIRE
C'étaient des terres cuites, dites antéfixes, qu'on

appliquait aux frises des maisons et qui probable-

PYGMEES,
D'après une terre cuite du Musée Campaiia.

ment étaient moulées, car les sujets se répètent fré-

quemment sans modifications.


Les grues, les cigognes, les barques, les maisons
couvertes de paille au bord du Nil, les hippopotames
DK LA CARICATURE ANTIQUE 185

et les crocodiles reparaissent dans ces antéfixes co-


loriées grossièrement de jaune, de rouge et de bleu.
Toujours les Pygmées portent au bout du pedum,
qu'ils quittent rarement, un panier, ou une volaille,
ou quelque vase contenant de la boisson. Sans cesse

..--=4!P

D'après Callot.

en mouvement, occupés aux travaux des champs,


ces gnomes n'ont pas poussé les artistes anciens à la
recherche de la beauté; mais leurs jeux, quand ils

se rencontrent, la tournure singulière qu'ils pren-

nent, la rodomontade et le cynisme de leurs gestes


auront sans doute frappé Callot lors de son séjour en
Italie,

Qui comparera les antéfixes du musée Gampana


avec les fameux Capitano Cardoni et Maramao, et
surtout les folàtrerics du Capitano Babeo et de Cu-
180 HISTOIUE DE LA CARICATURE ANTIQUE
cuba pou n'a s'assurer si l'imagination m'emporte
dans ces études de comique comparé.
Fantaisies de C-allot, Pygmées sont frères jusqu'à

un certain point par le geste et l'intention.


Les Pygmées appartiennent-ils à la caricature
proprement dite? Un ériidit, M. E. Gebhardt, l'in-

dique en ces termes :

Les r\gmées, dit-il, sont toujours, dans l'firt antique, l'idéal


et le symbole des ridicules contre lesquels l'esprit ancien
était le plus impitoyable : la lâcheté du cœur et la difformité

(lu corps. Par l'impuissance de leur courage et l'imperfec-


tion de leurs organes, ils demeurent les plus grotesques des
personnages humains, éternellement relégués au plus bas
degré de l'échelle dos êtres'.

.1. E. Gebliardt, Essai sur la peinture du genre dans l'antiquité.


XYII

VASES ANTIQUES. — PARODIE DRAMATIQIE.

Un des vases les plus curieux de l'antiquité, fai-


sant partie actuellement de la collection "Williams

lïope, à Londres, a été ainsi décrit par M. Lenor-

mant :

Parodie de l'arrivée d'Apollon à Delphes. Un charlatan


vient d'élever des tréteaux sur lesquels on voit un sac, un
arc et un bonnet scylhique; une espèce de dais s'élève au-
dessus. Le charlatan qniii^ave]' Apollon Huperhoréen arrivé
à Delphes, ...I0IA2;, le Pyt/iien, est vêtu d'une tunique
courte et d'anaxyrides; un énorme phallus postiche pend
entre ses jambes. Le charlatan est placé sur les marches de
l'escalier qui mène à ses tréteaux, et reçoit le vieux Chiron,
XIPîlN, qui est devenu aveugle. Des deux mains le Pi/tliien

prend la tète du personnage qui figure le Cenlaure. Deux


acteurs, placés l'un en arrière de l'autre pour former le Cen-
taure, s'avancent vers le théâtre. Ils sont vêtus d'anaxyrides
et de tuniques courtes, et pourvus chacun d'un long phallus
en cuir; le Centaure s'appuie sur un bâton tortueux. Au
dessus de cette scène on voit des monlagnes et les Nymphes
NV..AI {Nvjifxt) du Parnasse, sans doute Latone et Diane,
188 HISTOIRE
ou bieu deux Muses, assises et vêtues de tuniques et de pé-
plums. Tous ces personnages portent des masques; ceux des
acteurs qui ligurent le Centaure ont la barbe et les cheveux
blancs. Ij'ÉpojAe seul, non masqué, enveloppé dans le Iribon
et couronné de lauriers, assiste à cette parodie dans l'atti-

tude de la contemplation et du recueillement.

Quoique d'autres érudits, Panofka et le pi^ofes-

seur Chr. Walz aient fait des recherches sur celte


parodie, tien n'est venu l'éclaircir.
Noms à rétablir, symboles à pénétrer entraînent
souvent l'archéologue dans des voies détournées où
le curieux craint de s'aventurer.

Le sens profond caché sous les figures grimaçantes de la

comédie, ajoute M. Leuormant, explique la présence du per-


sonnage dans lequel nous avons reconnu un initié en état
(Vépoptisme (l'italique est de M. Lenormant). Ce n'est pas
seulement, comme M. Gebhardt l'a pensé, la personnification
du public, un spectateur d'une nature particulière,
c'est
qui assiste à une scène éminemment religieuse (l'italique
est de moi), et qu'on a amené par une suite d'instructions
à comprendre le drame qui se joue sous ses yeux *.

Esl-ce nue scène éyiiinemment religieuse cjue ces

deux grotesques, poussant en haut d'un escalier sur

un échafaud le vieux Chiron, à supposer qu'il s'a-


gisse du Centaure aveugle, aveuglement dont .M. Le-
normant avoue que les anciens ne parlent pas?

1. Elite des monuments céramogiaphiques, ynryiyi. J. Leuormant


et de Witte, 4 vol. iii-i». Leleux, Paris.
DE LA CARICATURE ANTIQUE 189
190 HISTOIRE
Une telle interprétation donnée à une action qui
me paraît renfermer plus de burlesque que de grave,
m'étonne, et je crains que la pensée du savant au-
teur du recueil des Monuments céramographiqiies
n'ait été plus loin que le dessin. M. Lenormant, à
clieval sur le Centaure, galope dans les plaines de
l'imagination, a Dans la comédie dont notre peinture
est tirée, on montrait le vieux Centaure accablé par
l'âge, devenu aveugle et rendu, en présence des
nymphes du Parnasse, à la lumière, à la santé et à
la jeunesse par un dieu plus puissant et plus habile

qu'il ne l'avait jamais été. » Ainsi parle M. Lenor-


mant qui ajoute: « C était une manière certainement

ingénieuse de représenter le renouvellement de V an-


cien culte par le nouveau, ce qui n' excluait pas une
allusion plus générale et plus positivement reli-

gieuse à la rénovation de la naturepar la substitu-


tion du dieu solaire, jeune et triomphant, au dieu
d'un autre âge, s'écroulant sous le poids de la vieil-
lesse. »

Je donne tout entières les conjectures de M. Le-


normant, non pour les combattre malicieusement,
mais pour essayer de rendre au dessin du vase sa
signification.

Les artistes n'ont guère souci que de la forme. Ils

sont rares les peintres et les sculpteurs qui veulent


frapper l'esprit du public par un symbole caché. Pour
DE LA CARICATURE ANTIQUE 191

la majorité des artistes, le mystère gît dans la re-


présentation de l'homme ou de l'animal, de l'arbre
ou de la fleur; ce sont les écrivains, dont l'imagi-
nation sans cesse travaille, qui se sont avisés de la

supposer infinie dans l'exécution des œuvres plasti-

ques. On a des exemples de ces excès d'imagination


dans les lettres de l'enthousiaste Diderot qui, par
ses projets de grandes machines, dut plus d'une
fois troubler la cervelle des sculpteurs de son
époque
L'artiste qui, la palette ou l'ébauchoir en main, se
dirait avant de se mettre au travail : « De chaque
coup de mon pinceau surgira la révélation de l'état
des esprits de mes contemporains, » courrait risque
de rester la tête enfouie dans ses mains, ne sachant
par quel bout entamer le symbole.
Il en était évidemment des statuaires de l'anti-

quité comme des modernes : celui-ci taillait sa sta-

tue, celui-là modelait des vases, sans avoir la pré-

tention de réformer la société ni de s'occuper du


« renouvellement de l'ancien culte par le nouveau. »

— Cependant, dira-t-on, le dessin de ce vase est

satirique; et vous avez présenté le caricaturiste

comme une conscience vibrante, émue par le mal,


le vice ou la tyrannie.

A ceci je réponds que le peintre de parodies a le


cerveau plus littérairement organisé que celui des
l?-2 HISTOir.E

artistes qui n'ont souci que du beau; il s'occupe des


choses de son temps, s'en indigne, et son indignation
fait la force de son crayon ; mais c'est le fait qui le

frappe, l'actualité, l'événement du jour. En un mot,


le caricaturiste n'a pas, ne peut et ne doit pas avoir
un cerveau synthétique; il dépense vite ses colères,

les laisse rarement s'amasser en tas (à moins d'être

comprimé par un système de politique restrictive);


chaque jour il ajoute une feuille à son œuvre, obéis-
sant au sentiment qui le pousse, sans trop raisonner.
Qu'arrive-t-il plus lard? Un homme feuillette ces

suites improvisées et juge, mieux que le peintre


n'nurait pu le faire lui-même, de sa conscience, de
ses révoltes intérieures, de son sentiment national,

de sa moralité. Hoiiarth montre son horreur du vice


et de la débauche, et Goya sa haine des Français en-

vahisseurs, comme Daumier prouve, par sa perpé-


tuelle ironie contre labourgeoisie ventrue, les aspi-

rations qu'il conserve profondément en lui de la

grandeur et de la beauté. Et cependant, que j'aille


demaader à Daumier le sens caché du Ventre légis-
latif, une de ses plus admirables compositions, il me
dira : « La Chambre des députés — Mais
était ainsi.

quel était votre but? — Rendre une assemblée politi-

que telle que jel'ai vue. —Vous pas une


n'aviez idée,

une intention satirique? — J'ai vu des hommes qui


discutaient, d'autres qui écoutaient, celui-ci qui dor-
DE LA CARICATURE ANTIQUE 193

mait, un autre avec sa pédante figure doctrinaire,

celui-là avec son abat-jour, et je les ai dessinés le

plus réellement qu'il m'a été possible. »

Jamais un homme embarbouillé de nuageuse phi-


losophie ne comprendra cette naïve spontanéité du
crayon qui obéit autant à la main qu'à l'esprit. Aussi
est-il curieux de voir un humoriste allemand à demi
philosophe, Lichtemberg, aux prises avec Ilogarth.
Chaque planche du caricaturiste anglais devient un
microcosme etdemande un volume de commentaires;
dans une allumette comme dans un manche à balai
l'Allemand découvre un symbole.
J'insiste là-dessus pour expliquer combien il m'en
coûte de ne pas me ranger à l'avis de M. Lonormant
dans la description du vase antique dont le dessin
suffit par son grotesque.
Panofka lui-même, dans son curieux mémoire
des Parodies et Caricatures antiques, tombe par-
fois dans le défaut commun à quelques archéologues
qui semblent craindre le fait et exécutent autour
de ce fait mille variations capricieuses dans les-
quelles disparaît l'idée de l'artiste.

Ouanl à ce qui a trait à la mythologie héroïque, Suétone


parle, dans la Vie de Tibère, d'une peinture souverainement
impudique de Parrhasius, dans laquelle Atalante (ore mo-
rigeratur) s'abandonne entièrement à Mi-léagi-e. L'empereur
Tibère avait reçu celte peinture par legs, à la condition que,
194 HISTOIRE
s'il se scandalisait du sujet, il devait recevoii- en échange
cent mille sesterces; or, non-seulement Tibère préféra la

peinture, mais encore il la fit placer dans sa chambre à cou-


cher. On n'a regardé jusqu'ici cette peinture que comme
une extravagante volupté, sans réfléchir combien on offen-
sait parla le génie de Parrhasius. Car, s'il ne se fût agi que

de représenter cette action obscène, pourquoi Parrhasius


n'aurait-il pas préféré choisir Vénus et Adonis, Persée et

Andromède, Alphée et Aréihuse, sans parler d'autres? Celte


peinlure a donc dû être inspirée par une autre idée spiri-
tuelle qui excuse en quelque sorte la scène obscène, de ma-
nière qu'elle ne se présente plus à nous seulement comme
un tableau purement impudique, mais encore comme une
piquante caricature. Nous en serons aussitôt convaincu si
nous nous rappelons le caractère de virginité que la my-
thologie grecque attribue à Atalante de préférence à toutes
les autres héroïnes, de même qu'à Artémise, dans le cercle
des déesses. C'est pourquoi les peintres confondent souvent
leurs figures, et nous voyons quelquefois jointesau nom d'A-
talanle, les épilhètes de non bercée, non serrée, d'indomp-
tée, épithèles qui toutes indiquent le même caractère de
virginité. 11 en résulte évidemment qu'Atalante a une peur
effroyable d'enfanter, et ce sentiment explique l'action dans
laquelle Parrhasius la peignit. Voilà pourquoi je vois une
satire de la virginité dans cette peinture de Parrhasius, sur
laquelle Méléagre, en face d'Atalante qui est assise et qui a
les seins nus, donne la chasse à ces deux pommes d'une
manière digne de son nom.

>''est-ce pas là une imagination de savant qui,


plongé dans les études spéciales de la parodie et

de la caricature, ne voit partout que caricatures et

parodies? Il est toujours délicat de contredire des


hommes considérables; mais dans un travail si
DE LA CAlUCATUr.E ANTIQUE l'J5

ardu, l'idéal doit céder le pas au fait. Quel est le

caractère spécial de la caricature? D'attirer l'œil


par des formes extravagantes, ou d'être accusée par
une légende satirique, quand le crayon est au ser-
vice d'un esprit plus littéraire que graphique. Si
on se fie aux imaginations paradoxales, il en est qui

se chargeront de démontrer que l'Apollon du


Belvédère est une caricature. Mais j'ai hâte d'aban-
donner une discussion stérile pour dire qu'à part
ces menus détails, Panofka est certainement de tous
les savants celui qui a frayé le premier la route de
ces éludes sur le comique dans l'antiquité, dont
il a dit excellemment :

En voyant la jjrillante ricliesse d'esprit et de gaieté, éta-


lée avec profusion dans les comédies des Grecs, ce qui nous
étonne à bon droit, c'est que le reflet de ceUe gaieté spiri-
tuelle dans l'art plastique paraisse si peu al)ondant. Notre
étonnemenl est d'autant plus naturel, que l'art plastique,

par les moyens dont il disposait, pouvait sur ce terrain re-


cueillir de la gloire et des lauriers beaucoup plus facilement
que la poésie. C'est pourquoi un recueil de toutes les })a-

rodies et caricatures d'œuvres classiques, parvenues à notre


connaissance comme les plus parfaites, pourrait non-seu-
lement contribuer puissamment à nous donner une idée
plus exacte du développement du génie hellénique, mais
encore répandre quelques lumières inattendues sur la lit-

térature et sur l'art même, en montrant en même temps d''

nouveaux faits sous un nouveau |toint de vue.

En effet, Panofka, étudiant certains vases, arrive


196 HISTOIRE
à l'interpréladon d'une image littéraire dont l'ex-
plication voulait un ingénieux esprit. « L'idée de
comparer le guerrier tombé sur le champ de bataille

au buveur tombé au milieu des bouteilles a fait

naître, dit Panofka, une nombreuse série de cari-

catures intéressantes; » et le savant allemand cite

divers vases sur lesquels cette même comparaison


a été fixée par les artistes grecs. Ainsi on trouve
chez M. Basseggio, à Rome, un vase à figures rouges
sur une des faces duquel se voit le corps de Pa-
trocle étendu à terre, et sur une autre face un
ivrogne que Ton emporte par la tète et les pieds
comme un cadave. Cette même peinture est repro-
duite encore sur un des vases du musée de Berlin.

M. Joly de Bammeville possède une amphore re-


présentant Achille qu'Ajax emporte sur son épaule
après la bataille, et sur la panse opposée un Silène
ivre mort emmené par deux satyres.

Ici la caricature est aussi clairement exprimée


que le rire sur le masque comique et les pleurs sur

le masque tragique. On peut dire, à la vue de ces


vases à faces si contraires, que les anciens ont voulu
montrer, comme de nos jours les romantiques, que
le grotesque côtoyait le même chemin que le dra-
matique, et qu'il n'y a si grande douleur qui ne soit
traversée par quelque incident comique.
Panofka est le seul, je crois, qui ait abordé fran-
DE LA CARICATURE ANTIQUE 197

chement la question d'eslhétiqiie à propos de ces


vases; ses observations, qui ne s'arrêtent pas seu-
lement à l'idée, mais à la forme, doivent être rap-
portées intégralement.

11 y a, (lit-il, une série de peintures sur vases méconnues


ou inconnues encore, qui offre un champ fertile pour les

recherches que nous faisons. Ce fait que nous observons


encore aujourd'hui, savoir que les dessinateurs de carica-
tures méritent pins d'éloges pour l'esprit d'invention que
pour le soin d'exécution, se présente déjà à nous au plus
haut degré dans nombre d'œuvres des artistes grecs, de
sorte que ce genre d'art se manifeste préférablenient en
figures noires souvent dessinées avec la plus grande négli-
gence. Bien que, en certains cas, la crudité du genre puisse
porter à renvoyer ces peintures sur vases à l'enfance de
l'art', cependant, d'un autre côté, il vaut mieux les regar-
der plutôt comme sorties d'une négligence préméditée du
dessin, et les rapprocher, selon leur qualité, plus ou moins
du temps de la décadence de la peinture sur vases.

Je reconnais avec le savant archéologue allemand


que chez les dessinateurs satiriques l'idée est habi-

tuellement plus forte que l'exécution, quoique

t. Il est bon d'avoir l'esprit en garde contre l'idée de parodie.

La naïveté de dessin, les ligues barbares de certaines figures de vases


primitifs ont quelquefois troublé les érudits et, connue le faisait
;

justement remarquer M. de Witle « Quoi qu'en aient dit Welker


:

et Otto Jahn, la coupe d'Arcésilas, du Cabinet des Médailles, n'est


pas un monument de l'art satirique. L'exagération de roideur dans
le dessin, l'expression dans les traits des figures tout cela lient
à une atTectalion d'arcliaïsme et à rien autre chose. » [Gazelte dea
Beaux-Arts, 1<^'' novembre 1863.)
198 HISTOIRE DE LA CARICATURE ANTIQUE
Breugliel, Hoparlh, Goya et Daumier soient des

artistes dont la main n'a pas été garrottée par la

recherche du comique; mais au-dessous de ces


grands artistes a gravité une foule d'esprits satiri-

ques dont la force, vivace par l'esprit, est nulle

dans l'exécution, ce qui n'a pas empêché leur


œuvre de subsister; car toute manifestation du
crayon, de la plume ou du burin, aux époques de
troubles, tient sa place dans l'histoire, et tel canard
sanglant contre Louis XYI, qui se vendait six blancs
dans les rues de Paris en 93, devint plus tard une
pièce historique du plus grand intérêt.
Panofka semble croire à une négligence prémé-
ditée àts> artistes grecs voués à la caricature. Une
négligence 'préméditée serait de l'archaïsme. Que
les peintres grecs aient été maladroits dans le rendu
de leurs pensées satiriques, que la raillerie peinte
fût laissée à des hommes dont l'élude n'avait pas

assoupli le pinceau, cela est possible, quoique la


scène du centaure Chiron, reproduite plus haut,
témoigne du contraire. Ce sont là des questions
importantes que de nombreux spécimens, des des-
sins exacts, des voyages et des observations éclair-

ciront un jour.
XVIII

TIIKATRE COMIQUE CHEZ LES GRECS


ET LES ROMAINS.

Grâce aux peintures populaires de scènes ihéâ-


Irales, ou peut se faire aujourd'hui une idée du gro-
tesque dans l'antiquité. C'est sur les vases consa-
crés à la reproduction des pièces atellanes, que les

anciens ont inscrit décors, masques, costumes,


attitude des comédiens, choses aussi vite disparues

qu'applaudies.
Ces Atellanes {Atellanœ fahulœ) dont il ne reste
que les titres, sont rendues visibles par la peinture,
quand tant de fragments empruntés aux poètes et

aux historiens ne pouvaient jusqu'ici que,donncr


une idée insuffisante de la fable.

Les peintres et les graveurs en pierres précieuses,


à qui sans doute l'invention comique faisait défaut,
semblent s'être entendus pour enlever le côté éphé-
mère aux choses de Ihéàtre, scènes bouffonnes, ac-
teurs grotesques. Il est peu de musées où le bronze.
200 H I ST 1 r. E

la lerre cuite, la fresque, les pierres gravées n'of-

frent des spécimens de représentations dramatiques,


(l'ajust/Tnents d'acteurs, de masques de mimes.
Malheureusement ce sujet intéressant ne peut
être exposé dans tous ses détails, la plupart des ac-

teurs comiques empruntant la principale pièce de


leur costume aux attributs du dieu Priape.
Des danses grossières forment le début du théâ-
tre grec antique, pantomimes sommaires, quelque-
fois mêlées de chants. Déjà sont classées diverses
natures de danseurs : les étholognes, célèbres par
leurs imitations de scènes populaires, les biolocjues,
qui parodiaient les personnages illustres de leur
temps, les phallophores (ou phallagoges) et les ithy-
phalles.
Dans la sauvagerie primitive du lin-aire antique,

les phallophores, la figure barbouillée de suie ou


recouverte d'une sorte de masque enécorce d'arbres,
portaient un phallus au bout d'une longue pique.
Ils chantaient en l'honneur de Bacchus des chœurs
dits pJuiUica (çpaXÀc/â), et, par mille gestes que

nous appellerions obcènes, cherchaient à exciter les

risées du peuple.
Suivant de l'Aulnaye, « les ithyphalles, ainsi

nommés de lO-'j? (droit) et de 'fvX/.o;, portaient le

phallus droit à la manière de Priape... Les ithy-

phalles jouaient des rôles d'hommes ivres etaccom-


DE LA CARICATURE ANTIQUE an

PERSONNAOE DE THtATRE, D'aPRK.4 IKli COKNALIICE.


202 HISTOIRE
pagnaient leur sallalion de chansons libres... Ces
mimes étaicnf. fort dévols à Priape ^ »

Il ne faut pas trop se gendarmer contre ce cyni-


que blason des phallophores; l'époque n'est pas
éloignée où Callot en faisait un motif de co-
mique dans sa série de danseurs du balli di sfes-

sania.
Phallophores et ithyphalles peuvent disparaître,
la pièce principale de leur costume traditionnel
restera ajustée aux habits des acteurs; et si elle

excite l'indignation desphilosophes et des moralistes,

c'est que la Grèce, parvenue au plus haut degré de


la civilisation, voudrait rejeter ces marques qui,
n'abandonnant jamais le théâtre comique, font au-
jourd'hui le chagrin des archéologues partisans de
l'exactitude, et pourtant obligés, par pudeur, de les

rayer de leurs dessins.


Origines du théâtre antique, archaïsme, vocabu-
laire et alphabet empruntés par les Romains aux
Grecs, seraient choses délicates en chronologie, si

le mot décadence ne couvrait de ses larges ailes

trois ou quatre siècles sur lesquels il est prudent de


ne rien préciser d'absolu.
Toutefois, les éruditssont d'accord que certaines
peintures comiques furent exécutées en Grèce :

I. De la sallalion lliéâtrale. Recherclies sur l'origine de la pan-


tomime chez les anciens. Paris, 1790, in-8°.
DE LA CARICATURE ANTIQUE 203

Les peintures des vases à figures noires et à figures


rouges du v° au iir siècle environ avant noire ère onl,
en général, été exécutées sous l'influence delà poésie épi-
que celles des temps postérieurs ont un tout autre carac-
:

tère; ces dernières coniposilions ont été inspirées par les


poètes tragiques. Il est impossible de méconnaître cette
influence.
Ce qui vient à l'appui de cette observation, c'est toute une
classe de peintures qui ont poiu* sujet des scènes de théâtre,
la plupart du temps des parodies et (\.es scènes comiques et
burlesques. Les masques grotesques des personnages et

leur accoutrement ne laissent subsister aucun doute sur


l'intention qui a présidé à ces sortes de compositions, aux-
quelles se ratlacbent aussi des scènes où l'on voit <les tours
de force et d'adresse, des jongleries.

L'n vase à sujet comique porte l'inscription Santia (^c'est-

à-dire Xanthias) en caractères osques, tracée auprès d'un


esclave.
Tous les vases à sujets comiques ont été trouvés dans les
tombeaux de l'Apulie et de la Lucanie, quelques-uns dans
la Campanie, et d'autres à Leontiiii, en Sicile. On se rappel-
lera à cette occasiou les farces ou pièces burlesques nom-

mées t|})ôaxîî à Tarente, et les Atellanes des Osques '.

On n'a trouvé jusqu'ici sur ces vases aucune li^a-

duction par le pinceau du théâtre d'Aristophane,


fait hizaiTe si on se reporte aux nombreux détails

comiques dont abonde l'œuvre du poëte. Qui ne se


rappelle Évelpide voyageant avec Pisthétérus dans
le pays des Oiseaux qui donne son nom à la pièce.

I. De Witto, Musée Napoléon IIL collecUon Campana, les vases


peints. (Gazelle des Beaux-Arts, 1er août 1865.)
!204 HISTOIRE
Un roitelet perché sur un arbre, non loin du ro-
cher où demeure la huppe, chante :

— Qui va qui appelle mon maître?


là?
— Apollon préservateur! Évelpide. s'écrie Quel
large bec !

Quand arrive la huppe :

— Par Hercule! dit Évelpide, quel est cet ani-


mal? Quel plumage! quelle triple aigrette!

Pisthétérus s'adressant à la même huppe :

— Ton bec nous paraît risible.


Évidemment les masques d'oiseaux étaient exagé-
rés et poussés ou grotesque. Qu'on pense à l'effet

que devait produire le comédien à tête de huppe,


parodiant avec son bec « risible » les vers suivants
de V Hélène d'Euripide : a ma compagne fidèle,

cesse de sommeiller; fais entendre ces hymnes sacrés


que soupire ta bouche divine, en déplorant le triste

sort d'Itys, notre fils, par tes gazouillements har-


monieux et variés, etc. »

Selon le scholiaste Procné, le rossignol, dans la

comédie des Oiseaux, réunissait la parure d'une


courtisane et le plumage d'un oiseau.
On a également quelques indications sur le

costume d'un des musiciens de cette même co-


médie.

Le chœur. — Faisons entendre les cliants pythiens, et que


Chéris accompagne nos liymnes.
DE LA CARICATURE ANTIQUE 205

Pisthétériis. — Cessez de siffler ! Par Hercule, qu'est-ce


que cela ? J'ai déjà vu bien des prodiges ; mais je n'avais point
encore vu de corbeau avec une muselière.

Suivant le commentateur, a. les joueurs de flûte

se bridaient la bouche avec une courroie. L'acteur


(|ui représente ici le musicien avait le masque d'un
corbeau ^ »)

Voilà pourtant des détails comiques qui auraient


dû séduire les peintres de vases.
Dans la comédie de la Paix, Aristophane, paro-
diant le Bellérophon d'Euripide, fait monter son
héros sur un escarbot, et M. Edouard Fournier dit

avec raison : « Le théâtre comique et la caricature

ne font qu'un seul et même art chez les anciens, »

Aristophane fait jouer ses principales comédies


dès l'an 427 avant Jésus-Christ. C'est l'époque à
laquelle les archéologues reportent l'origine des
vases à figures burlesques. Et il serait difficile d'ex-

pliquer le manque d'illustrations par les peintres


des célèbres comédies du grand satirique, si on
n'admettait que ces peintures s'adressaient à des
scènes d'un ordre beaucoup plus bas et plus popu-
laire, ce que j'essaye de démontrer par la reproduc-
tion de certains monuments.
Un vase à figures comiques donne le nom d'un

1. Comédies d'Aristophane, trad.par M. Artaud. 1 vol. iii-18, Le-


fevre, 1841.
12
206 HISTOIRE
des artistes qui consacraient leurs pinceaux à la re-

présentation des scènes dramatiques.


Astéas est le nom du peintre, qui a signé son

œuvre en caractères voyants sur le fronton du théâtre

où se passe la scène : assteas ErPAA<t>E (pour A^Teâç


iypif/), c'est-à-dire Asteas pingebat).

Quatre personnages sont en scène : Charinusy


Gymiiasos, Diasiros et Cauchas.
Charinus, vieux campagnard scylhe dont les

Grecs et les Romains se moquaient volontiers,


étendu sur un lit, le bâton à la main, fatigué peut-
être d'une longue course, se laisse aller à ses rêve-

ries, lorsque deux valets le tirent, l'un par les

jambes, l'autre par les pieds, tandis qu'un troisième


éclate de rire et semble applaudir à ces tracasse-

ries.

Millingen, qui le premier a fait connaître le vase


peint par Astéas, voit dans le vieillard tiré par ces
farceurs un symbole de Vécarlèlement du brigand
Procusle iKir Thésée.
Ma pensée est bien loin de ces souvenirs en re-
gardant le dessin; elle s'entête, je dois, l'avouer,
dans un terre à terre moins mythologique.
Dans cette représentation se déroule une scène
de comédie presque régulière. Suivant Ottfried
Millier, la plupart des scènes grotesques peinles sur
les vases de la Sicile et de l'Italie méridionale sont
DE LA CARICATURK ANTIQUE 207
208 HISTOIRE
empruntées aux comédies d'Epicharme. Piaule déjà
apparaît derrière ces masques. Ces vieillards Scy-
thes, sarmates ou daces, l'antiquité les a vus à
l'état de Cassandres grondeurs, ai^^res, toujours
furieux, toujours le pecliun à la main (voir plus

loin), et toujours, comme dans le théâtre de Mo-


lière, victimes des mauvais tours des Scapins de
répoque.
AIA2IP02, le mot écrit au-dessus d'un des per-
sonnages qui taquinent le vieillard, est écrit proba-
blement pour û;:o,-, de QLOLc-jpzh, quiveutdirc Iton-
nir, bafouer.
KArxAS est un dérivé de zav^i^^"", ^^ moquer,
rire aux éclats.

Pour que le public ne se méprît pas sur les actes


de ces personnages, Astéas a écrit leurs noms au-
dessus d'eux.
Le sens grec est clair.

La mimique des bouffons, leurs masques et leurs


costumes ne le sont pas moins; les quatre acteurs
portent tous des anaxyrkles, sortes de pantalons
particuliers aux peuples que les Grecs et les Ro-
mains bafouaient, les traitant de barbares.
Pourquoi jeter Procuste et Thésée dans les

jambes de ces grotesques? La reproduction des jeux


de scène du théâtre comique ne suffisait-elle pas

aux peintres de cette époque? Astéas a vu celte re-


DE LA CARICATURE ANTIQUE iO'J

présentation; elle l'égayé, il la traduit par le pin-

ceau.
La même peinture contient d'autres détails inté-
ressants : les deux masques de femmes, la couronne
suspendue au fond de la scène, la petite porte à
demi ouverte qui semble appartenir à un théâtre de
marioiyiettes, la façon sommaire et naïve avec la-

quelle sont traités décors et accessoires ^ Grâce au


pinceau d'Astéas, on assiste à la farce pour ainsi

dire.

J'ai combattu l'opinion d'un savant archéologue;


ses observations sur l'époque où fut exécutée cette

peinture doivent être citées.

La forme et l'orttiograplie des diverses inscriptions, dit

Millingen, ne sont pas trop conformes à l'usage de la langue


grecquo, au moins telle que nous la connaissons : on ne doit
pas cependant l'attribuer à l'ignorance du peintre, mais h la

corruption générale introduite dans cette langue par le mé-


lange avec l'osque et le latin, qui commençait à prédominer
en Italie vers la fin de la seconde guerre punique, époque
après laquelle on doit placer l'origine de cet intéressant do-
cument^.

Chose singulière que ces farces improvisées dont


le souvenir dui^e plus que tant d'œuvres d'un ordre
supérieur. De Ménandre il ne reste que des frag-

1. Suivant Millingon, les feuilles et branches de lierre placées


au-dessus de la scène, indiquent que le thcàlre était consacré à
Bacchus, dont ils sont les altriiiuts.
2. Ce vase appartenait en 1813 à l'évêque de Nola.

12.
210 HISTOIRE
inenls; on conoailpar les vases les moindres scènes

du répertoire osque. Qu'on s'imagine perdues les

comédies de Molière, el la mise en scène du théâtre


de la Foire conservée par les dessinateurs du xvm"
siècle.

Telle est pour l'archéologue moderne la situation

du théâtre dans l'antiquité. Et même, pour pousser


l'analogie plus loin, ne faut-il pas descendre jus-
qu'aux derniers échelons de l'art dramatique, aux
pantomimes des Funambules, car voilà ce que le

hasard a conservé plus particulièrement de l'anti-

quité, le relief funambulesque?

Je ne crois pas pousser l'analogie trop loin eu


assimilant les Atcllanœ fabidœ aux pièces des Fu-
nambules; el si l'étude particulière que j'ai faite de
la pantomime semblait m' entraîner à des relations

trop étroites de cet art avecles pièces du répertoire


osque, les dessins sont là pour la gouverne de la
crilique et des érudits.

Tite Live rapporte qu'une peste considérable


ayant éclaté à Rome vers l'an 390, les consuls,

pour dissiper la terreur des esprits, firent venir

des comédiens dits hidii, dont raffolait le peuple


accoutumé seulement jusque-là aux jeux du cirque.
Suivant de l'Aulnaye, ce fut alors qu'aurait été
représentée par ces ludions la parodie des Amours
de Jupiter et d'Alcmène.
DE LA CARICATLT.E ANTIQUE 211

Alcmène est à la fenêtre. Pendant que Jupiter s'a-

vance, la tête passée dans les barreaux d'une échelle


qui doit lui servira pénétrer chez la belle, Mercure,
à l'aide d'une lampe, éclaire le lieu de la scène, et,
pour ne pas être reconnu, cache son caducée.
Les deux peisonnages ont un caractère ithypbal-
lique très-prononcé.

Celle scène apparlienl évideniiiient aux Mimes, dit île

l'Aulnaye, parce que les acleurs y sont représentés nu-pieds,


planiprdes.

De l'Aulnaye se contredit, car plus loin il ajoute :

Ces planipèdes n'avaient point de masques et se couvraient


le corps de tuniques grossières, faites de peaux de bêles
(voir dessin page 201).

Or Jupiter a un masque blanc surmonté du mo-


dius, et son costume, de même que celui de Mer-
cure, n'est pas aussi baiijarc que celui des comé-
diens à l'origine de ces farces.
Le ventre postiche et exagéré de Mercure, les pro-
longements phalliques de cuir rouge (supprimés
dans le dessin) des deux personnages indiquent
que le drame était tourné au bouffon. Aussi incli-

nerais-je à croire que l'échelle, comme dans nos


pantomimes, devait servir à quelque détail bur-
lesque. Jupiter, la tète prise entre les barreaux,
subissait certainement les malices de son confident,
212 H 1 S T 1 11 E

AMOURS DE JUPITER ET h ALCMENE,


Peinture de vase.
DE LA CAKICATURE ANTIQUE "213

l'échelle étant un moyen comique à l'usage des théâ-


tres disposant de peu de moyens.
Un vase du Vatican représente une scène qui
n'est pas sans analogie avec la précédente; quelques

commentateurs y voient le second acte du drame.


Jupiter a posé l'échelle contre le mur de la maison
et va se présenter à la fenêtre d'Alcmène, lui offrant

des pommes, fruit consacré à Vénus. L'amant tient


une bandelette; l'esclave porte un petit seau de
bronze et une couronne de myrtes, cadeaux amou-
reux dont il est souvent question dans le théâtre an-

tique.

Dans ce second vase, le maître se distingue de


l'esclave par ses chaussures; mais les acteurs n'ont

pas les mêmes détails significatifs dans les deux


compositions. Jupiter, reconnaissable au moclius,
Mercure au pétase et aucaducée lors de la première
scène, ont perdu ces attributs, ce qui donne à

croire qu'il s'agit ici d'un de ces rendez-vous à la

fenêtre, qu'Athénée cite comme fréquents.


La seule analogie est l'échelle, quoi qu'elle ne suf-
fise pas à faire de l'amoureux un Jupiter. Mercure,
la torche allumée, n'y met plus, comme dans le pre-
mier tableau, le mystère de la petite lampe éclai-

rant d'un faible rayonnement la fenêtre d'Alcmène.

Avec Panofka j'incline à croire qu'il s'agil d'une


parodie de rendez-vous, et non d'une satiie des
214 111 SI 01 RE
DE LA CARICATURE ANTIQUE "215

dieux. « Les deux couronnes suspendues en haul


de la composition, dit l'érudit berlinois, nous pa-
raissent seulement indiquer qu'il s'agit ici d'une
scène de comédie; elles remplacent les masques
que Ton voit, sur des peintures analogues, sus-
pendus au même endroit. »

Sur le revers du vase sont peints deux hommes


enveloppés de manteaux; le plus âgé lient de la
main gauche deux pommes et une bandelette; l'au-

tre en face de lui porte une branche.


Le peintre aura voulu donner les emblèmes de
l'amour, et la parodie amoureuse sur la face oppo-
sée du vase. Le grave elle grotesque se retrouvenf.

je l'ai dit dans le chapitre précédent, sur maints

autres vases.
Ces parodies se jouaient, suivant de l'AuInaye,
par les comédiens étrusques à Rome. Bientôt aux
pièces des Étrusques se joignirent les pièces atel-
lanes que les Romains empruntèrent aux Osques.
Dialogues d'une telle audace satirique que Cali-
gula fit brûler, dit Suétone, un poète atellanique
dont les vers paraissaient le critiquer. Domitien
également condamna à mort le poète ïlelvidius pour
.semblables allusions.
Deux poètes romains, Xovius et Pomponius, furent
célèbres par leurs Atellanes dont le sujet était pris
dans les classes populaires. De ces pièces, il ne
21(5 HISTOIRE
reste que les litres, et cependant à travers ces titres

on suit presque l'action :

UAnier, le Pâtre cordotinîer, les Foulons oisifs^

la Marchande de volailles, les Vendangeurs, le

Stupide enrôlé, les Noces, les Haillons, les Bou-


langers, les Pêcheurs, le Lieu de débauche, les

Bouffons, le Porc malade, etc.

Ces spectacles allèrent jusqu'à la plus grande


obscénité; aussi Diomède déllnissait-il ces sortes

de pièces : « Sermonis cujuslibet motus sine reve-


rentia, vel faclorum cum lascivia imitatio. »

Yalère-Maxime rapporte à ce propos qu'un jour


Porcius Caton assistant aux jeux Floraux, le peuple
attendait impatiemment les mimes, qui n'osaient
point paraître, tant le stoïcien inspirait de respect.
Averti de l'embarras que causait sa présence, Caton
sortit pour ne point souiller ses yeux de ce spec-
tacle lubrique et ne point priver le public de ses
plaisirs; mais alors la multitude abandonna le

tbéàtre et suivit Caton avec de grandes acclamations.


Suivant le même bistorien, les Marseillais ne vou-

lurent point admettre ces mimes, dans la crainte que


leur obscénité ne corrompît les mœurs de la cité '

1. « Eadem civitas (Massilicnsium) severitatis custos, acerrima est


nuUum aditum in scœnam Mimis dando, quorum argunieiUa majore
ex parte stuprorum continent actus, ne talia spectandi consuetudo
cliam imitandi licentiam sumat. »
DE LA CARICATURE ANTIQUE 217

Les Marseillais ont-ils conservé cette candeur?


La pantomime est encore traditionnelle chez eux,
et à l'heure où elle est aussi délabrée que la tragé-

die — deux arts antiques du resle, — il y a chaque

SCENE DE THEATKE,
D'après un vase du Musée de Ve'rone.

soir à Marseille, dans certains cafés-concerts « de


tolérance » des représentations de pantomimes à
l'usage des matelots et du peuple.
13
XIX

COMEDIENS.

L'abbé deSaint-Xon, voyageant en Italie, en 1782,


fut étonné de rencontrer, dans la galerie du mar-
quis Capponi, un bronze antique, aïeul du Poli-

chinelle français.

Ce qui paraîtra peut-être singulier, dit-il, c'est de retrou-


verici un Polichinelle absolument semblable au nôtre pour

les traits essentiels, la bosse devant et derrière, à l'exception


de quelques petites différences d'ajustement qui ne sont
qu'une affaire de mode, car en Italie, oîi le Polichinelle joue
encore un bien plus grand rôle que sur nos théâtres, il est
habillé autrement que le nôtre, mais il lui ressemble pour le

masque et le caractère.

Cette figure a prêté à de nombreux commentai-


res. Très-répandue, elle est représentée dans l'anti-
quité sous diverses formes, même sous celle de
marionnette.
Maccus chez les anciens est populaire par son
masque comme Polichinelle en France, Punch en
UlSTOinE DE LA CAIIICATUUE ANTIQUE H'J

Angleterre; et je voyais dernièremeut, dans le

musée archéologique de Moulins, un Maccus mo-


servant évidemment de jouet aux enfants.
bile,

Les savants, à Tinspection d'un masque si ré-

pandu, se sont demandé si le bouffon n'arrivait pas


d'Israël, d'Egypte ou de Grèce. Quelques-uns ont
disserté sur la courbe Israélite de son nez, voulant

en faire un Juif. Il est certain, laissant de côté ces


origines difficiles à préciser, que les anciens avaient
prêté une certaine attention à cette comique figure.

Diomède (de Oratione), Apulée {Apologie), ap-


pellent ce personnage Maccus, nom de la langue
osque qui paraît signilier bouffon, étourdi, stupide,
selon l'explication de Juste Lipse, dans ses Ques-
tions épistolaires.

Antony Rich, qui donne une réduction de la sta-

tuette dans son Dictionnaire d'antiquités, au mot


Moriones, y voit un de ces esclaves contrefaits, stu-
pides et difformes, que les riches achetaient à titre

de fous pour divertir leur intérieur à Rome.


Selon Rich, ce serait d'un de ces moriones que
Martial a dit :

Acuto capite, auribus longis,


Qiiœ sic moventur, ut soient asellorum.

M. Cil. Magnin trouve dans celte comique figure


l'ancêtre de notre Polichinelle.
220

MARIONNETTE ANTIQUE DU MUSEE DE MOULINS.


DE LA CARICATURE ANTIQUE 2-21

Le drame populaire et roturier, dit l'historien des Marion-


nettes, n'a jamais manqué d'égayer dans les carrefours, à

ciel dérouvert, la tristesse des serfs et les courts loisirs des


manants, théâtre indeslruclible qui revit de nos jours dans
les parades en plein vent de Deburau, théâtre qui unit la

scène ancienne à la moderne... L'érudition peut trouvera


ces joculatores, à ces delusores, à ces rjoUardi de nos jours
et du moyen àg-e les plus honorables ancêtres dans l'anti-
quité grecque, latine, osque, étrusque, sicilienne, asiatique,
depuis Ésope, le sage bossu phrygien, jusqu'à Maccus, le

Calabrais jovial et contrefait, héros des farces atellanes, do-


venu depuis, dans les rues de Naples, par la simple traduc-
tion de son nom, le très-sémillant seigneur Polichinelle.

Sauf Rich, tous sont d'accoi'd que le Maccus en


question faisait partie de la ti'oupe de comédiens
atellanes, en compagnie du Parasite, de Bucco,
Pappus, Dorsennus, Manducus, et qu'il représente
à son plus haut développement le mimmcA Yarcln-
mimus de l'antiquité.

Dans les pièces improvisées du théâtre des Atel-


lanes, Maccus, entouré des personnages princi-
paux, Bucco et Pappus, tous représentant les types

des paysans de la Campanie, parlaient une sorte de


langue macaronique, farcie d'osque, de grec et de
latin.

Parle titre des pièces : Maccus soldat, Pappus


prœterilus (éconduit),il/acc«.s dépositaire testamen-
taire, Pappus laboureur, il semble qu'on assiste

aux incarnations diverses de PieiTot et de Polichi-


222 HISTOIRE
nelle : Pierrot marquis, Polichinelle marié, Pierrot
pendu, etc.

A eux deux, Maccus et Pappus, ils étaient la

MA C C L 5.

Statuette en bronze avec yoiix et dents d'ariçeiit.

joie de l'Italie : Maccus, insolent, vil, spirituel, avec


une teinte de comique férocité comme notre Poli-
chinelle; Paj)pus, alerte, prêt à tous les commerces
équivoques.
Les scènes de mœurs qu'ils représentaient, l^^
DE LA CARICATURE ANTIQUE 223

Médecin, les Peintres, le Boulanger, étaient d'une


excessive liberté. On les jouait à la fin du spectacle,

pour reposer le public des tensions de la tragédie.

PAPPUS.

D'après une agale noire

Le Maccus, au début, fut sans doute un excellent


comédien, auquel divers acteurs succédèrent dans
le même emploi et sous le même masque? Cela
semble probable, à comparer les nombreuses sta-
224 HISTOIRE DE LA CARICATURE ANTIQUE
luettes de terre et de bronze que les musées ont
conservées'.
A mesure qu'on entre dans ces questions, plus
on consulte de livres et de
monuments, plus on est attristé

du peu de ceititude dont l'éru-


dition dispose.
Chaque figurine demanderait
un volume de commentaires,
et le public ne peut se douter des amas
de notes dont on lui épargne l'étalage.

Au nombre des meilleurs acteurs comi-


ques du théâtre antique, il flmt signaler

le bâton qui s'est conservé dans la farce

actuelle, le bâton qui manque à la tra-


gédie, le bâton cher à Molière, le bâton
de Polichinelle et de Guignol, le bâton
avec lequel les Desgenais devraient cor-
l'iger \ts filles de marbre au lieu de leur
tenir d'éloquents discours qu'elles ne
comprennent pas, le bâton, l'un des meil-
leurs auxiliaires de la pantomime, agent muet qui
ne connut jamais qu'un rival, le soufllet.

1, On en voit deux, en bronze, au Cabinet dn> Médailles. Le


n°3096 représente un masque coiftc d'une sorte de calotte avec un
nez énorme de travers. Le nez considérable du n» 3UD7 retombe sur
la bouche. Ces deux bustes paraissent provenir de quelque vase. Le
fonds Canipana contient également divers Maccus en terre cuite.
ACTEUR COMiaUE IXEMPLISSANT LE ROLE u'f.N VIEILLAItll, D'.U'UÈS UN CAMÉE.

13.
^iC, HISTOIRE
.Ce bâlon de la comédie, rantiquilé en faisait un
tel cas qu'un graveur en pierres fines a voulu en
consacrer l'importance; car le bàlon de la page 22
a été dessiné d'après une cornaline antique.
Le bâton, on le pense, ne jouait pas son rôle
seul; il était tenu par la main tremblante d'un vieux
barbon grondeur qui, avec son aide, corrigeait les

complaisances d'un esclave pour les amours d'un


fils débauché.
A ces divers personnages et accessoires drama-
tiques je joindrai la représentation suivante d'après
une peinture de vase.

Tichsbein ne pouvait exjtliquer la figure ci-

après : « Ce que représente cette planche, disait-il,

est tout à fait singulier; c'est probablement une


copie faite d'après quelque ancienne pierre pré-
cieuse. L'n dauphin porte au milieu des ondes une
figure masquée, qui se laisse tranquillement con-
duire par son guide'. »

Il doit s'agir ici d'une figure de théâtre. L'homme


à cheval sur le poisson a le masque semblable à

celui de beaucoup d'autres personnages comiques


qui se reirouvent fréquemment sur les vases; il

1. Les dauphins portant sur le\u' dos des personnages ont été re-
présentés à diverses reprises par les peintres de l'antiquité mais ;

la viîinotte ci-contre est le seul cas que je connaisse d'une figure


bouffonne s'étalant sur le lïrave animal.
DE LA CARICATURE ANTIQUE 227
228 HISTOIRE
porte également le pantalon dit sarabara, à la

mode des anciens Scythes, et déjà l'édition actuelle


renferme assez de dessins pour que l'analogie des
masques et des costumes puisse être comparée.
Un autre monument inédit, je le dois à l'obli-

FIGlllINE COMIQLE EN TEiUiE COLORIÉE.

geance de M. Frœhner; ayant eu la bonne fortune


de découvrir, dans une vente, des dessins de la
DE LA CARICA'TURE ANTIQUE ^-29

collection Durand, que sans doute le possesseur


du fameux cabinet se proposait de l'aire graver,
M. Frœhner a bien voulu en détacher pour moi les

figures grotesques qui m'intéressent particulière-

ment; ainsi je peux ajouter à la troupe de mes co-


médiens une « danseuse grotesque vêtue d'une
double tunique et d'un peplus disposé en écharpe '
. »

D'autres comiques bizarres, au milieu desquels

KIGlIilXE COMIQIE,

il'apics une pâle de Ficoioni.

je signale celui dont un seul des yeux, énorme, se

1. Le peplus est coloré en bleu et la tutiique en rose, ainsi que


«

iiandeau qui entoure sa chevelure. H. 8 pouc.


le lariie (Calai. )

Durand, rédigé par de Witle, 1836, in-8".)


230 HISTOIRE
détache en boule de loto du masque, répandaient,
paraîl-il, la gaieté malgré leurs déformations.
Ficoioni a fait de ces mimes l'objet d'une étude
spéciale ; et pourtant, même en y ajoutant le livre de
de TAulnaye il reste beaucoup à dire mais ; le théâtre
comique n'est qu'un parent de la caricature, et je ne

puis insister plus longtemps sur un sujet si plein


d'obscurités '.

De ces représentations de mœurs du peuple et

de scènes de tavernes {tahernariœ) sortit la véri-

table comédie, celle de Térence et de Plante, l'^'n-


nuque et VAuIulaire, joués d'abord par ces comé-
diens, disent quelques érudits.
Malheureusement, un livre m'a manqué pour
mieux préciser le sens de ces grotesques figures,
qui représentent, comme le dit l'historien Mom-
msen, « le génie caustique des Italiens, leur vif
sentiment des choses extérieures, l'amour du mou-
vement comique, du geste et des travestissements. »

Ce livre qui, par le pays où est né l'auteur, eût


éclairé le sujet d'une vive lumière, il m'a été im-

possible de me le procurer : l'ouvrage du chanoine

1. Dans l'ordre des courtisanes, des comédiens, des baladins, les

découvertes de Tanagra ouvrent un champ illimité à rarchéologie


moderne; d'ici à dix ans, bien des points de vue sur le théâtre
comique grec éclaireront la question, ne fût-ce que par la publi-
cation gravée des monuments.
DE LA CARICATURE ANTIQUE -231

Jorio, le Mimica degli Antichi, qui explique la

comédie latine par les gestes des Napolitains mo-


dernes.

FIGIRE COMIOIE DE THEATI'.E.

D'après une pierre antique.


XX

HERCULE.

Un érudit très-méritant, M. Georges Perrot, fait

remarquer judicieusement que « la caricature est


à l'air noble ce que la comédie est à la tragédie » ;

suivant lui, les Grecs, qui excellèrent dans ces deux

formes dramatiques, devaient s'égayer, avec l'ébau-


clioir ou le pinceau, des vices et des défauts phy-
siques des hommes.

Ce n'est point de ce côté, dit-il, que s'est tournée, dans


le cours du siècle dernier, l'attention des premiers arcliéo-
lognes qui aient essayé de faire connaître aux modernes
l'histoire de l'art antique; de là le préjugé, encore répandu
dans beaucoup d'esprits cultivés, que le véritable art grec,
celui des siècles classiques, aurait eu une répugnance mar-
quée pour toutes les scènes bouffonnes et grotesques, pour
toutes les formes qui n'auraient pas présenté un caractère
marqué de noblesse cl de beauté... Voilà connue on a été
conduit à se faire de l'art grec une idée incomplète on lui ;

a assigné des limites qu'il n'avait point connues; on se l'est


figuré moins humain et moins richement varié que ne l'a

été la poésie grecque, comme si la poésie et la plastique


n'avaient pas été les manifestations différentes d'une même
ùme, d'un même génie.
HISTOIRE DE LA CARICATURE ANTIQUE 233

Pour joindre la preuve à sa démonstration, l'ar-

chéologue a tiré du musée du Louvre la reproduc-


tion d'un vase trouvé en Gyrénaïquc, le Triomphe
d'Hercule, à figures sur fond noir.
La peinture de cette œnochoé représente Hercule
conduit par la Victoire sur un char triomphal attelé

de centaures au-devant desquels danse un satyre.


La figure des centaures, celle du satyre se retrouvent

sur un certain nombre d'autres vases, et la redite


de ces phénomènes servirait au besoin à rattacher
les peintures à un même atelier de décorateur, si la

question de provenance, d'art et de milieu était

à élucider; mais l'intérêt est dans la représen-


tation de cet Hercule grotesque et surtout de cette

Yictoire camuse, la tête entbncée dans les épau-


les, qui fait penser aux allures de mademoiselle
Thérésa '.

Il y a là une intention non équivoque de charge à


outrance et de plonger dans le bourbier d'un laid

sans idéal de nobles ligures mythologiques.


Les travaux d'Hercule, ses exploits, avaient été

1. Suivant M. G. Perrot, le peintre a voulu donner à sa Victoire


certains traits caractéristir|ues qui appartiennent en propre au type
physique de pnpulations tout africaines. « Il y a là une allusion
plaisanlc à ces négresses que, dans l'antiquité comme de nos jours,
les trafiquants amenaient en foule sur les marchés des villes de la
côte. Chaque maison aisée, à Cyrène ou à ApoUonie, avait de ces
esclaves noires... "
•2U HISTOIRE DE LA CARICATURE ANTIQUE
célébrés sur tous les tons par les poëtes de l'anti-
quité et particulièrement par Pindare de ; nombreux
vases traduisirent les vers des poëtes et représen-
tèrent, d'une façon noble et majestueuse, Hercule dé-

pouillé des faiblesses de l'humanité par le feu de


rCEta et conduit par sa protectrice Athéné, vers

l'Olympe pour y recevoir la récompense de sa vail-

lance.

L'archéologue Ottfried Millier fait remarquer que


la plupart des scènes comiques ou satiriques peintes
sur les vases de la Sicile et de la Grande-Grèce ont
été inspirées par les comédies d'Epicharme. Quoi-
qu'il ne reste que de bien courts fragments de ce
poëte, il m'a été facile de reconstituer la figure

d'Hercule, cràce au mémoire de M. Perrot et sur-


tout à la thèse bien présentée d'un poëte ^
Hercule avec ses instincts grossiers me paraît avoi r
été buriné plus profondément par les comiques
que par les poëtes nobles; au nombre des tra-

vaux d'Hercule la voracité reste accusée comme


celle de Falstaff, et Pindare lui-même prête au sou-

rire dans certains de ses fragments.

Deux bœufs cuisaient sur un morceau de cliarbon, Her-


cule les dévora tout ardents : alors j'entendis le bruit des
chairs déchirées et le profond gémissement des os brisés;

1. Eiiimaniiol des Essarts, rf» Tijpe d'Hercule dans la littérature


grecque. Paris, Tliorin, 1871, gr. in-8°.
236 HISTOIRE
j'avais heureusemeut beaucoup de temps pourjouir de cette
vue *...

Une telle conclusion .chez un moderne : a J'a-

vais heureusement hesiucoup de iem^s pour jouir


de cette vue », serait regardée comme un signe d'i-
ronie bien prononcé.
Le poëte Épicharrae y met moins d'ambiguïté
et se laisse aller à sa verve comique :

D'abord, fait-il dire à l'uu de ses personnages, rien qu'à


voir manger Hercule, ce serait à en mourir. Son gosier fré-
mit intérieurement, ses mâchoires se choquent avec fracas,
ses dents molaires craquent et les canines grincent : il siffle

par les narines et secoue les oreilles-.

On n'a pas retrouvé malheureusement trace de


cette gloutonnerie dans les peintures des vases grecs;
mais les poètes comiques ont des traits qui entrent
dans la peau du personnage et le marquent plus
profondément encore que par le pinceau.
EubuloSjle poëte dramatique comique, fait aver-

tir Hercule par un personnage d'un de ses drames :

— Quoi! malheureux, tu restes à la porte?.... Mais depuis


longtemps leshommes bien nés [bien élevés plutôt] ont dé-
chiré les membres des oies, ont fendu les chairs vénéra-
bles des cochons, les ont broyés par le milieu du ventre
et ont en même temps vidé les abatis...

1. Fragment de Pindare, conservé par Philostrale (Images, H,


xxni^ déjà cité.

2. Athénée, X. 411, etc.


DE LA CARICATURE A^ITIQUE 237

Soyez donc fils de Zeus pour être ainsi traité!


Exterminer Diomède, à quoi bon, si la réputation
de goinfre s'attaclie à jamais à votre estomac?
Hercule, l'oiseleur du lac Stymphale, le dompteur
d'Érymante, n'en sera pas moins traité d'idiot par
Aristophane. Dans la comédie des Grenouilles, il

en fait un affamé de purée qui avale à lui seul des


marmites de pois cassés. Le type même était devenu
si usé qu'Aristophane donne comme un moyen co-
mique de s'en priver : « Nous n'avons pas d'Hercule
que Ton frustre de son dîner, » dit-il, etdanssapa-
rabase de la Paix le poëte accuse davantage en-
core son mépris :

Ces Hercules mâchant toujours et toujours affamés, pol-

trons et fourbes, qui se font battre à plaisir, il (Aristophane)


les a le premier couverts de ridicule et chassés de la scène.

Si Aristophane dédaignait de fiiciles moyens de


comique, vraisemblablement ses miettes étaient

ramassées par les poêles inférieurs qui vivent

de la desserte des grandes tables, et, à l'aide de

ces citations, on peut conjecturer qu'un Hercule


grotesque, un Hercule de foire faisait l'affaire des
théâtres populaires.
On arrive ainsi à comprendre la peinture du
triomphe d'Hercule. Essayons de pénétrer plus
avant.
2.18 HISTOIRE DE LA CARICATURE ANTIQUE
Je me figure un peintre de vases, d'un esprit mé-
diocrement délicat, dont les instincts sont plutôt

éveillés par des comédies de bas étage que par les

nobles représentations de la tragédie. Les person-


nages mythologiques fatiguent cet homme; les Dieux,
il en a « plein le dos ». Pour lui, Hercule n'est
qu'une brute.
Qu'on veuille bien me permettre de faufder quel-
ques points modernes à ces lambeaux d'étoffe an-

tique pour les ajuster et essayer d'en montrer


l'usage. 11 y eut à toutes les époques des « Brasseries

de la rue des Martyrs », des « cafés du Rat mort »

où les évhémérisles se faisaient écouter; dans ces

endroits, toute réputation était traitée de misérable,


toute noble action passait pour être inspirée par
un bas intérêt, tout cri vibrant de défense se chan-
geait en parole obscène.

Ce n'est pas précisément l'esprit qui domine dans


cette peinture du Triomphe d'Hercule, ,1'y vois une
charge sans sel attique, une bizarrerie qui n'arrête
les yeux que par l'archaïsme des figures, un })oncis

vulgaire dans les masques de centaures, un satyre

qui a déjà dansé la même danse phallique au-devant


de plusieurs autres cortèges.
Un peintre a parodié la peinture d'un vase où le

sujet se déroulait avec sa noblesse de style.

C'est pourquoi un rédacteur du Magasin pillo-


-240 HISTOIRE
resque a eu raison, dans l'article de VApothéose
iVHercule S de meltre en regard les peintures de
deux vases grecs et d'appeler par là une comparai-
son des plus utiles pour l'histoire de Fart.
Ici se projette la lueur rayonnante du beau anti-
que, là l'ombre sarcaslique. Une Histoire de la Ca-
ricature, telle que je la comprends aujourd'hui,
devrait présenter la grimace au second plan, la

figure noble au premier. Elle est insoutenable la


raillerie permanente, et l'homme a suffisamment de
misères et de soucis à porter sans qu'il soit besoin
de le bafouer perpétuellement. Aussi, pour bien
planter un jalon dans la voie que j'indique, ai-je
tenu à mettre face à face la noble représentation
d'Hercule jeune emporté dans l'Olympe par la Vic-
toire et la parodie de cette apothéose par un peintre
de vases.

La comédie et le drame satirique avaient rendu familiers


aux imaginations de semblables spedacles, dit le rédacteur
du Magasin pittoresque. On demeure confondu, en lisant ceux
qui ont été conservés, de la licence avec laquelle, comme ses
poêles à certaines heures, le peuple grec dépouillait, on peut
le dire, de leur divinité les mêmes êtres qu'il adorait ou in-

voquait si dévotement à tous les autres moments de la vie.

Une autre peinture, sur laquelle je m'étais pro-


noncé un peu témérairement dans l'édition pré-

1. Magasin pittoresque, mars 1872.


DE LA CARICATURE ANTIQUE 241

cédente, paraît également se rapporter à Hercule.


C'est la reproduction d'une peinture de vase
trouvé à Lentini, en Sicile, et dont l'Institut a fait

graver un croquis '.

Le sujet de cette peinture, dit l'auteur de l'articJe, est


une scène comique du théâtre grec. Quatre personnages y
sontligurés dans le costume qui caractérisait ce genre de
scènes.

Après avoir ajouté que « l'action se passe devant

un leinple d'ordre dorique, » le rédacteur entre


dans un certain nombre de détails sur l'aiTiénage-
ment du théâtre, le /o'/£«v, le ^-ju-tyri, l'escalier, en
face de la scène, qui favorisait les évolutions du
chœur.
D'accord avec le Dictionnaire des Beaux-Arts,
je reconnais que le personnage principal, revêtu de
la peau de lion, a toutes les apparences d'Hercule,
mais d'un Hercule caricaturé dont le masque a
quelque analogie avec celui de la précédente apo-
théose travestie. Il porte sa main sur l'héroïne et

semble vouloir l'entraîner malgré ses supplications.


L'auteur de l'article ajoute qu'un archéologue
italien, M. Stéphani, croit reconnaître dans cette
femme Auge, fille d'Aléus, roi d'Arcadie, la même
qui, prêtresse de Minerve Aléa à Tégée, fut aimée

1. Dictionnaire de l'Académie des Beaux-Arts, t. 1", in-8°.

Didot. 1873.
U
•Jl-J HISTOlRt
d'ilercule ; mais jo m'altiiste .-ur l'insuflisance tie

rarehéologie comme des parenls en présence d'un


moribond que la science médicale est impuissante à
rappeler à la vie.

Combien de regard? ont cberclié à pénétrer le

sens de celte peinture depuis sa découverte ! Que


d'évocations liistoriques de l'ancienne Grèce ont
plissé de fronts !

En face de ce mimodrame, j'aurais voulu t[ue le


DiclioiDiaire des Beaiuv-Arts se prononçât sur les
deux ligures grotesques, témoins de cette tenta-
tive d'enlèvement; et comme l'absence d'un com-
mentaire archéologique m'autorise à donner le

mien, j'entrevois l'interprétation par un peintre


de vases d'une comédie boulTonne, donnant un
résultat semblable à celui qu'obtiendrait un i^eintre

de nos jours qui étudierait la légende d'Orphée, non


d'après le lyrisme de Gliick, mais au sortir de l'au-
dition des polkas d'OITenbach.

La scène de l'enlèvement de l'héroïne par Her-


cule est-elle tragique? Tous les personnages sem-
blent indiquer le contraire; l'héroïne elle-même
manque de noblesse.
Si Sophocle, Eschyle, Euripide étaient soumis à
de vives critiques par un Aristophane, combien
n'exislait-il pas d'autres poètes tragiques d'un ordre
inférieur qui, outrant les coups de théâtre et les
DE LA CAUICATUnE ANTIQIE 243
2U HISTOIRE DE LA CARICATURE ANTIQUE
lamentations des personnages, durent fournir pâ-
ture aux pinceaux railleurs de la génération qui
suivit!

M. Georges Perrot le dit avec autorité :

Dans n'importe quel musée, jetez les yeux sur une collec-
tion de vases ou de terres cuites, sur une suite de rhytons
ou sur une série de petits bronzes, et vous serez frappé de
trouver là à côté d'objets qui, par la noblesse du style, nous
rappellent les pures traditions de la statuaire, des figures et
des groupes d'un tout autre caractère, où se donne libre
carrière une verve satirique et moqueuse, parfois grossière
jusqu'à l'indépendance. Ici ce sont des difformités pbysiques
qu'il exagère, comme la longueur du nez ou son insuffisance,
la largeur de la bouche, l'épaisseur d'une lèvre pendante;
Ci sont des types inférieurs, comme celui du nègre, dont il

s'amuse à outrer les traits caractéristiques. Ailleurs il prête


à l'homme la tète ou les membres de l'animal, ou à celui-ci

le costume et les occupations de l'homme, et il trouve dans


la confusion de ces deux natures des effets imprévus et co-
miques, des allusions railleuses. A l'aide de ces divers
moyens graphiques, il tourna souvent en parodie des person-
nages célèbres des scènes empruntées au mythe, à l'épopée
ou à la tragédie. L'im;igination grecque, si sobre et si rete-
nue dans le grand art comme dans la poésie sérieuse, s'é-
chappe et prend ses ébats avec la comédie ou avec l'art du
céramiste, modeleur ou peintre '.

I. Le triomphe d'hercule, caricature grecque tV après un vase de


la Cijrénaique. Paris, iinp. Cliamerot, 1876, in-4".
XXI

LEGENDE DE SOCRATE.

Ce fat un caractère singulier que celai da philo-


sophe sur le compte duquel historiens, moralistes,

archéologues ne se lassent pas de revenir, parta-


gés entre les portraits idéalisés et positifs de Pla-
ton et de Xénophon.
Citoyen courageux sur les champs de bataille,
Socrate dans la vie privée reste pour nous un être
bizarre, s'intitulant « accoucheur d'idées », en qua-
lité de fds d'une sa^e-femme, inventant une dialec-
tique particulière pour pousser ses adversaires à
l'absurde, s'entretenant avec les gens des basses
classes, malgré tout se souciant peu de plaire à la

multitude, bonhomme et railleur, cornbatlant tour


à tour sophistes, métaphysiciens, démagogues,
marchands de paroles, poëtes*et comédiens.
Que d'ennemis Socrate dut grouper contre lui,

rien que par cette ironie si particulière, qu'il a fallu


u.
-246 HISTOIRE
lui donner son nom (ironie socratique) pour la dis-

tinguer, de l'ironie vulgaire !

— Tout ce que je sais, disait le philosophe, c'est

que je ne sais Heu.


C'était accabler de mépris les sophistes, leurs ba-
vardages et leurs spéculations oiseuses.

Toute la philosophie, Socrate la réduisait à l'in-


scription du temple de Delphes : Connais-toi toi-

même.
On peut se faire une idée du caractère de ce sage
par l'anecdote souvent citée du peuple sortant en
foule du théâtre. Socrate s'efforçait d'y vouloir en-
trer, et comme un de ses disciples lui fit observer
l'impossibilité d'aller contre le courant : — Cest,
dit-il, ce que j'ai soin de faire dans toutes mes dé-
marches, de 7'ésistcr à la fuulc.
Ce fut donc un caractère tout d'une pièce, qui ne
ployait pas, faisait rougir les citoyens indifférents,

et par conséquent devait avoir pour adversaires les

peureux, les mous et les lâches. Aussi, quelques-uns


de ses disciples eux-mêmes l'onl-ils renié, taxant le

maître d'inconstance, d'avarice, de vanité.


Les esprits faibles se liguent pour chercher une
fissure à l'esprit fort. Les vices s'entendent pour at-

taquer la vertu. Le niaçbre de tout grand homme


ne nous apparaît qu'avec des traces de coups de
pierres.
DE LA CARICATURE ANTIQLE 247

Socrate, surnommé de son temps Yhomme le plus


sage de la Grèce, devait être condamné à boire la
ciguë.

Ce sont de dangereux ennemis que les sophistes.

Cantonnés dans la citadelle du faux, ils savent de


quelle puissance dispose le vrai ; aussi emploient-

ils tous les moyens pour accabler leur dangereux


adversaire. Ils se retranchent derrièi'e des divinités

auxquelles ils ne croient pas, témoignent de vives


ferveurs, jurent que leur ennemi a insulté les dieux

et le font condamnera mort. Cela s'est vu à plus

d'une époque.
Méprisant ces calomniateurs, Socrate ameuta
d'autres adversaires moins dangereux, mais plus
turbulents, les poètes et les comédiens, dont la

vanité excessive ne pardonne pas.


Il existait en Grèce, avant l'arrivée des comédiens
d'Atella, des représentations obcènes dans lesquelles
les effets comiques étaient obtenus par des moyens
grossiers. Coups de bâtons, masques grimaçants,
énormes phallus se détachant en rouge sur le

vêtement des acteurs, suffisaient pour mettre le

peuple en belle humeur.


Deux esprits éminents à divers titres s'émurent

de ces représentations : Socrate et Aristophane.


L'un, moraliste, blâmant le dévergondage et la

licence des comiques; l'autre, poëte, qui se sentait


248 HISTOIRE
compromis par les censures attachées aux théâtres
de bas étage.
Aristophane se défend vivement, dans les Niiées^,

d'être assimilé aux poètes qui travaillaient avec


l'unique but de divertir le peuple :

Cette comédie paraît sur la scène... Remarquez sa modes-


tie et sa décence : elle est la première qui ne vienne pas ar-

mée d'un instrument de cuir, rouge par le bout, et de grande


dimension, pour faire rire les enfants-; elle ne s'amuse ni à
railler les chauves, ni à danser la cordace (c'était une danse
impudique et comique); elle n'introduit point de vieillard qui,
en prononçant ses vers, frappe de son b.àton tous ceux qu'il
rencontre, pour faire passer la grossièreté de ses plaisan-
teries.

Quoiqu'il s'en défende, Aristophane tombe dans


les excès des petits théâtres de son temps.
Socrate, jugeant le poëte complice des grossières
lubricités du théâtre populaire, l'enveloppait, mal-

gré ses qualités éminemment lyriques, dans les


mêmes accusations d'obscénité corruptrice. D'où
sans doute la parodie que fit Aristophane de So-
crate.

Ce fut cet esprit de réformateur qui déchaîna


tant d'ennemis contre le philosophe ; avec Aiisto-

1. Comédies d'Arklophane, trad. par Artaud. Voir nolice sur les


Nuées. Lofèvre, 1841, 1 vol. in-18.
2. « Phallum deschbil, qui erat curiaceus pénis, » dit en noie
M. Artaud.
DE LA CARICATURE ANTIQUE ^49

phane tous les poètes comiques criblèrent Socrale


de railleries. Ce bonhomme qui ne parlait que par
apologues, ce paysan du Danube qui, par la fami-
liarité de ses comparaisons, plaisait tant aux cor-
donniers et aux harengères, ne put se couvrir de
sa popularité pour échapper aux sarcasmes du
théâtre.

J'explique par le respect des uns, les railleries


des autres cousues aux projets de réforme de So-
crate, les masques symboliques et satiriques que
l'antiquité nous a laissés du philosophe.
Ainsi que pour tous les grands esprits, la face de
Socrate donnaitprise à la curiosité publique, même
à la charge, témoin le portrait du philosophe que
fait Alcibiade dans le Biuujuet de Platon :

Je dis d'abord que Socrate ressemble tout à fait à ces Si-


lènes qu'où voit exposés dans les ateliers des statuaires... Je
dis ensuite que Socrale ressemble particulièrement au satyre
Marsyas. Quant à l'extérieur, Socrate, tu ne disconviendras
pas de la ressemblance.

On a vu au chapitre ix de nombreuses pierres gra-


vées dont le sens est indécis. Ce sont des juxtaposi-
tions de profils d'animaux, de jeunes gens, d'oiseaux,

de tètes de femmes auxquels se rattache parfois une


sorte de masque de Socrate, le nez relevé, les lèvr^'S

épaisses, des yeux à fleur de tète, le cou gros et court,

indices d'après lesquels le physionomiste Zopyre


«50 HISTOIRE
lisait dans les traits du philosophe les « dispositions

les plus vicieuses. >

Ces pierres gravées attendent un commentateur,


quoique déjà depuis près d'un siècle le comte de
Caylus ait appelé l'attention des érudits vers de tels

symboles. Préoccupé d'une cornaline représentant


une Minerve à l'épaule de laquelle sont accolés une
fiiiure de jeune homme et un masque socratique,
l'archéolooue disait :

Dans ces composilions fantastiques, on trouve toujours une


tète qui ressemble à Socrate, souvent adossée contre une au-
tre, jeune et agréable, qu'on ne balance pas à donner à Alci-
bi;ule. Cette dénomination peut être aussi bonne qu'une au-
tre, surtout quand on ne peut en trouver une meilleure; mais
il sera toujours singulier qu'une critique ou, si l'on veut, une
plaisanterie si répétée à Atbènes ne soit indiquée par aucun
auteur, et que les lloniains, quiont si souventcopié ces sortes
d'ouvrages grecs, soient par conséquent entrés dans la plai-

santerie, et qu'ils l'aient en quelque façon adoptée, sans avoir


rien dit qui puisse nous la faire concevoir.

Le masque de Socrate accolé à celui de Minerve


ne serait-il pas un hommage rendu par l'artiste à la

sagesse du philosophe?
L'atTiilié qu'il portait cà son disciple Alcibiade
expliquei^ait la faveur, qui a été accordée par les

graveurs à l'élève, d'être rapproché de son maître


dans un même monument.
DE LA C.ARFCATURE ANTIQUE f!".l

Une autre gemme dans laquelle le masque socra-


tique est adjoint à un assemblage d'animaux, de
palmes et de cornes d'abondance, est moins saisis-

sable. (Voir le dessin page 83.)


Ce dauphin portant au bout de sa queue une
palme, ce coq derrière lequel se dresse une corne
d'abondance, forment un mélange d'emblèmes de
guerre et de paix qui se compliquent du masque
de Socrate placé en évidence par le graveur. Faut-
il y voir les idées du philosophe sur les avantages
de la paix après la guerre? La tète de bélier ratta-
chée au masque socratique, le lapin que l'artiste a
groupés assez maladroitement, indiqueraient-ils
les bienfaits de l'agriculture, un rappel à la vie des
champs?
Je donne ces indications comme celles qui se

présentent naturellement à l'esprit. Les pierres gra-


vées avec une intention de satire s'expliquent plus
facilement.
D'après des masques de théâtre sans doute, fu-
rent travaillées finement des cornalines et autres
gemmes représentant, d'après certains archéolo-
gues, Socrate et sa femme Xanthippe accolés Tun à
l'autre.

Ces masques évoquent le souvenir des pièces sati-


riques jouées par les biolorjues, acteurs qui paro-
diaient leurs contemporains célèbres.
252 HISTOIRE
Le double masque était porté par un même co-
médien, représentant à la fois l'homme et la

femme, Socrate et Xanlhippe, le philosophe son-


geur et la mégère glapissante. Pour jouer ce double

rôle, il suffisait à l'acteur, sans doute costumé avec


des habits mi-partis masculins, mi-partis féminins,
de se retourner et d'offrir tour à tour au public ses
deux faces.

Avec un comédien habile à varier sa voix, l'effet

comique était certain; et nous savons par Lucien


que les comédiens de l'antiquité étaient merveil-
leusement habiles à remplir divers rôles dans la

même pièce'.

L'acariâtre Xanthippe a assumé sur sa tête l'éter-


nelle légende des mauvaises femmes en opposition
avec un mari doux et tolérant.
On s'imagine quelle dualité comique apportait
dans l'esprit des spectateurs la vue successive des
deux masques.
Peut-être le comédien jouait-il la fameuse scène
où Xanthippe vomit contre Socrate toutes sortes
d'injures, et finit par lui jeter un pot d'eau sur la

tête.

t. L'autour des Dialogues dss morts rapporte qu'un étranger ayant


vu, après une représentation, un acteur se dépouiller de cinq ha-
bits différents, s'écria: « sublime imitateur, tu trompes nos sens.
Dans un seul corps tu as mis plusieurs âmes! »
DE LA CARICATURE ANTIQUE "253

— Il fallait bien, dit le philosophe, qiuil plût

après un si grand tonnerre.

s C p. ATE ET X A N T H I PrE ,

Masques d'upics unn cornaline.

On a nié, il est vrai, l'anecdote du pot d'eau et la

réponse du sage résigné. Cependant Antislhène,


disciple de Socrate, ayant reproché au philosophe

le peu de soin qu'il avait pris d'adoucir le caractère

de sa femme :

— J'ai, dit Socrate, choisi Xanthippe pour me


donner des habitudes de modération et d'indul-
gence, convaincu qu'en vivant bien avec elle je
15
2Ô4 HISTOIKE DE LA CARICATURE ANTinUE
m'habituerais à supporter tous les autres hommes
et à vivre dans leur société.
Xanthippe fut donc le véritable « démon de So-
crate ».

Les poètes et les comédiens, pour se venger des


réformes dramatiques proposées par le philosophe,
se donnèrent à cœur joie la représentation géminée
d'un dial)le à quatre en jupons et d'un sage rumi-
nant des apologues dont la plupart durent prendre
leur naissance dans le caractère emporté d'une fe-
melle insupportable'.

1. On trouveia d'autres jilanclips et d'autres détails à ce sujet


dans l'ouvrage de Ficoroni : Disseiiatio de lari'is scenicis et figu-
ris comicis anlkiuorum Ilomanorum. Roma, 1750, \n-i°. Voir éga-
lement Goilœus: Dachjliothecd, seii annuloruin sigillariiim quorum
apud priscos tain grœcos quom romanes usus, promptuarium, cum
expUcat. Jac. Groiwiii. Lugd. Ratavor., 1695, 2 vol. in-l". Une imi-
tation dp ce dernier ouvrage a été publit-e sous le titre de Cabi-
net de pierres antiques gravées, ou Collection choisie de'2[G l)agues
et de 682 pierres, tirées du cabinet de Gorlée et autres. Paris, Lamy,
1778, 2 vol. in-4".
XXII

ENVERS DU CHAPITRK PRÉCÉDENT.

(I Le mot masque socratique est un terme abusif


qu'il faut remplacer par masque silénique, ou plus
simplement par masque bachique. Socrate n'a rien
à voir là-dedans, » m'écrit un savant archéologue
qu'on m3 permettra de ne pas nommer.
On pense quelle confusion s'empara de rnoi, pris
la main dans le sac de l'erreur.
Plein de confiance dans la personnalité de So-
crate, que je jugeais suffisamment établie d'après
les monuments rassemblés par les érudits du
xviii' siècle, Gorlœus, Gaylus, Ficoroni, de l'Aul-
naye, je m'étais au dernier moment adressé à la

science moderne pour lui demander quelques tou-


ches à ajouter au portrait du philosophe; et ces
portraits, comme il arrive troi) souvent en icono-
graphie, étaient déclarés mensongers!
Ainsi tout mon plan était détruit.
J'avais pensé adonner un court aperçu de l'ana-
256 HISTOIRE
tomie du laid, et à faire ressortir que la laideur est
utile aux hommes en vue, la silhouette tourmentée
de leurs traits entrant plus profondément dans les

yeux du peuple que la beauté.


Il me semblait facile de prouver par des exem-
ples modernes qu'à tout homme célèbre, fût-il
d'un aspect sévère, la malignité pétrit un masque
comique qu'il gardera jusque par delà le tombeau,
et que cette image satirique de sa personne sera
pour la postérité sa meilleure enseigne.
Il me restait encore à dire que la physionomie
dont la nature avait doté Socrate servit particuliè-
rement sa réputation, les lignes étant en absolue
contradiction avec la régularité grecque.
Et voici que ces nombreuses pierres antiques
qu'on croyait représenter Socrate, ne sont plus que
des masques siléniques ou bachiques.
Ma première idée fut de jeter au panier les
épreuves du précédent chapitre. Gela eût été héroï-
que; cela me sembla dur.
Puis je songeai à indiquer, dans une note, ainsi
que je l'avais fait à propos de Phèdre, les démentis
que donne à tout instant l'érudition moderne.
Enfin (n'y a-t-il pas quelque curiosité à voir ce
qui se passe dans l'esprit d'un homme qui ne vise
pas à l'Institut?) je me dis que sans doute il était

utile de rétablir le véritable sens des monuments,


DE LA CARICATURE ANTIQUE 257

mais qu'avant de détruire le piédestal d'une lé-


gende, il faudrait mettre quelque figure à la place.

Bien d'autres raisons me passèrent par l'esprit;


toutes, ô vanité de quelques pages écrites! protes-

taient contre la destruction du chapitre.


Enfin je me décidai à étudier de nouveau les dif-
férents archéologues qui ont insisté sur le masque
socratique, me disant qu'après révision, un 7nea
culpa sincère me ferait excuser d'avoir cru à la
légende.
On a gravé assez pauvrement, au dernier siècle,
d'après le cabinet du Hollandais Goiiœus, de nom-
breuses intailles socratiques. Caylus, on l'a vu par
les précédentes citations, revient souvent sur le

même masque, Ficoroni parle de Socrate en termes


prudents, et de l'Aulnaye, qui est plus convaincu
de l'authenticité du masque, a^été couronné, pour
son ouvrage de la SaltaUon théâtrale, par l'Aca-
démie des inscriptions, ce dont j'approuve fort les

académiciens de 1789.
Sans doute, le dire de ces érudits a été quelque-
fois modifié par les découvertes de monuments an-
tiques; mais ils apportaient dans la science une
bonhomie pleine de sens que je ne retrouve pas
dans les mythologues modernes. Et eux-mêmes, les

mythologistes, si on contrôle leurs appréciations,


Bœttiger, Millin, Sainte-Croix, Lobeck, Viloison,
i58 HISTOIRE
Charles Lenormanl, sont-ils d'accord sur l'interpré-
tation des mystères, d'après les peintures de vases?

Voici donc le portrait présumé de Socrate.

MASQUE S C RAT ûCE


I

Il'iiprcs un caillée.

Mettons que ce soit Silène lui-même, ou ua des


compagnons de Silène, ou Bacchus, ou un des com-
pagnons de Bacchus.
Comment expliquer Silène ou Bacchus accolés
au profil de Pallas, comme il se voit sur plusieurs

camées? Serait-ce en vertu du dicton In vino sa-


pientia, fabriqué pour les besoins de la cause?
Comment expliquer ces intailles au fond des-
quelles des tètes d'animaux d'un naturel sagace,
tels que l'éléphant et l'aigle, sont ajustées au profil

dit socratique?
Comment expliquer le masque de femme que je
DE LA CARICATURE ANTIQUE ir,9

donne (page 253) pour celui de Xanthippe gron-


deuse opposée à Socrate résigné?
Veut-on une autre raison? Le masque silénique,
le masque bachique sont des ti/pes;\e masque gravé
ci-contre est celui d'un individu. Il répond abso-
lument à la description du Banquet de Platon :

« Je dis d'abord que Socrate ressemble tout à fait


à ces Silènes, » etc.

Que les érudits me pardonnent de m'insurger un


instant contre la science moderne qui, sans s'en

douter, mène à l'athéisme archéologique. De même


que les iconoclastes et les hriseurs d'images des
révolutions du passé, la science en arrivera, avec
son système de négations, à bàlir un Panthéon pro-
testant, sans dieux et sans images.

Heureusement on ne détruit pas plus les lé-

gendes historiques que les contes populaires. Cent


témoins, cent contemporains affirment que Cam-
bionne n'a pas prononcé le fameux mot; le mot
reste historique.

Les historiens modernes font et refout les ori-

gines de notre histoire; il est à douter (ju'ils fas-

sent oublier l'honncte Mézeray.


Ce qui se dépense d'encre au service de l'archéo-
logie est considérable. En savons-nous beaucoup
plus que l'abbé Barthélémy?
Ah! si les archéologues allemands, italiens et
^260 HISTOIRE DE LA CAPICÂTURE ANTIQUE
français pouvaient former un corps de légendes
supérieur à la mythologie de nos pères, alors je
consens à faire table rase des dieux et des déesses,
des philosophes, des moralistes et des empereurs
tels que nous les a peints le bon RoUin; mais avant
de changer de mobilier, j'attendrai qu'on ait fait

mieux que nos anciens meubles simples, solides


et sans prétention.

MASQUE
D'après un camée en cornaline.
XXIII

PRÉEXCELLENCE DE LA SATIUE ÉCRITE


DANS l'antiquité.

Gœlhe, traitant de la parodie chez les anciens^,

disait :

Chez les Grecs, tout est d'un seul jet et tout est d'un grand
style. C'est le même marbre, c'est le même bronze qui sert
à l'artiste pour le faune comme pour le Jupiter, et toujours

le même esprit répand partout sa dignité.


Il ne faut nullement chercher ici l'esprit de parodie, qui se
plaît à revêtir et à rendre vulgaire tout ce qui est élevé,
giand, noble, bon, délicat; ce génie nous a toujours paru un
symptôme de décadence et de dégradation pour un peuple.
Au conlraire, chez les Grecs, la puissance de l'art relevait la
grossièreté, la bassesse, la lirutalité, et ces éléments, en op-
position radicale avec le divin, peuvent alors devenir pour
nous un sujet d'éludé et de contemplation aussi intéressant
que la noble tragédie.
Les masques comiques des anciens qui nous sont parvenus
ont une valeur artistique égale à celle des masques tragi-
ques. Je possède moi-même un petit masque comique, en

1. Conversations de Gœlhe, recueillies par Eckermann, traduction


de M. Emile Délerot. Chariientier, 1863, '1 vol. in-18.
15.
26-2 HISTOIRE
bronze, que je n'échangerais pas contre un lingot en or, car
cha(iue jour sa vue me rappelle la hauteur de pensée qui
brille daiis toutes les œuvres que nous ont laissées les Grecs.

A répoque où Gœlhe s'entretenait avec Eckei'-


mann sur la parodie chez les anciens, il ne pouvait
connaître les richesses que soixante ans de fouilles
ont arrachées à la teri^e. Quelles exclamations en-
thousiastes eût excitées chez le penseur la vue des
figurines comiques de l'Asie Mineure ! L'idée de
caricature ou de pai^odie blessait pourtant Gœthe;
mais on ne saurait prolester contre un petit art!
de menue dimension, qui n'affiche pas plus d'im-
portance que les terres cuites de Tanagra.
II était moderne d'étudier de
réservé à l'époque
plus près des monumenls qui modifient nos idées
sur la sérénité de l'art grec, et c'est là ce que déjà
faisait pressentir Mérimée.

Un peu moins scrupuleux que leurs maîtres les Grecs, di-


sait-il ', les Romains ont cependant toujours idéalisé leurs
modèles, et, même en figurant des monstres fantastiques,
ils ne se sont pas écartés entièrement du beau. Leurs cen-
taures, par exemple, sont de beaux hommes entés sur de
beaux chevaux. Si parfois ils ont voulu exprimer la laideur,
ils se sont attachés à la rendre terrible, évitant qu'elle parût
dégoûtanle. D'ailleurs, les rares exemples antiques se rédui-
sent à l'exagération de quelques traits de la face, et la face
dans une figure nue n'a (ju'une importance secondaire.

1. Mérimée, Notes d'un voyage dans le midi de la France (183ij.


DE LA CARICATURE ANTIQUE -2G3

En relisant ce qui précède, ajoute Mérimée dans une note,


je me suis rappelé un passage de Lucien (Dialogue du Men-
teur) où il est quoslion d'une statue difforme; mais l'exem-
ple n'est pas concluant puisqu'il s'agit d'un portrait, celui de
Pilicus, capitaine corinthien, par Déniétiius qui le représenta
avec un gros ventre et des veines enflées.

En effet, la caricature, à l'état riidimentaire chez


les artistes de l'antiquité, est souvent plus nettement
indiquée par le poëte que parle peintre.

Tu as l'ànie boiteuse comme le pied; la nature a fait de ton


extérieur l'image parfaite de ton intérieur, est une épigram-
me de Pallas sur un boiteux. Ainsi en deux vers apparaissent
le physique et le moral rl'un de ces personnages difformes
dont Qninîilien disait: Risus oriuntur ex corpore ejus in
tlHcm (liciinus, aut ex animo,aut ex factia, aut ex lis quœ
sunt extra jwsita.

(Les rires naissent [ou sortent] du corps de celui


dont nous parlons, ou de son esprit, ou de ses ac-
tions, ou des choses qui sont hors de lui [et à son en-
tour].)

Imperfections du corps, défauts d'esprit, mœurs,


passions mauvaises, habitudes, vices, accidents de
naissance, condition, fortune, sont des sources où
s'alimente volontiers la caricature.

A propos des surnoms gro'esques dans l'antiquité,


Cicéron disait : Materies omnis ridictdorum est in
isiis viliis quœ sunt in vita humana.
•264 HISTOIRE
(Toute la matière des ridicules est dans ces vices
qui sont dans la vie humaine.)
Et ailleurs encore : « On rit beaucoup en voyant
ces images où l'on devine presque toujours une dif-

formité ou quelque défaut du corps avec une res-


semblance plus laide. » (Cic.,(/e Orat., II.)

Mais la véritable caricature est dans les poètes du


temps, dessinée quelquefois comme par un Daumier.
Je ne puis lire certain passage de Ménandre sans
penser à un Turcaret moderne que des crayons sati-

riques ont poursuivi pendant trente ans sous toutes


les formes , dans sa vanité comme dans ses habits,
dans son intérieur comme dans son extérieur. Le
beau portrait que ce fragment de Ménandre, buriné
comme par l'outil d'un graveur en médailles! Tou-
tefois, je ne suis pas certain, ainsi que le dit M. Guil-
laume Guizot', que Denys, tyran d'IIéraclée, dut se

récrier avec une admiration cynique et se reconnaî-


tre lui-même, si jamais quelque compagnon d'orgie
lui lut ces vers ôes Pêcheurs :

Le gros porc était étendu sur le ventre. 11 menait une vie


de débauches telle qu'on ne peut la mener longtemps.
Voici, disait-il, la mort que je désire tout particulièrement,
la seule qui soit belle à mon gré : mourir couché sur le dos,

le ventre tout sillonné par des plis de graisse, pouvant à

1. Ménandre, étude historique et littéraire sur la comédie et la


société grecques. Didier, 1855, in- 18.
DE LA CARICATURE ANTIQUE 265

peine parler, et tirant l'haleine du fond de la poitrine, mais


mangeant encore, et disant : Je crève de volupté !

Voilà la vraie caricature antique.


Malgré la finesse d'exécution du petit bronze de
Garacalla, du musée d'Avignon (voir page 110), et

quoique bien des instincts cruels soient exprimés

dans les traits de cette figurine satirique, combien


elle est loin de ce portrait de Ménandre !

Et si on excepte la caricature de Garacalla, quels


documents a-t-on trouvés sur les grands hommes de
l'antiquité qui répondent aux vœux de l'écrivain an-
glais :

Une bonne caricature contre Cicéron, César ou Marc-An-


toine, si le hasard en faisait retrouver une dans les fouilles
d'Herculanum, nous dirait pourquoi et comment on se mo-
quait alors de ces grands personnages; nous retrouverions
les émotions contemporaines, nous poui'rions nous remettre,
si j'ose le dire, au niveau des intérêts, des folies et des pas-
sions d'autrefois. L'histoire, telle qu'on l'écrit ordinairement,
n'est pas vivante. Dans la caricature, non-seulement elle vit,

mais elle a cette existence intense, rude et mauvaise que


donnent les passions '.

On n'a découvert jusqu'ici en Italie de caricatures

ni contre Cicéron, ni contre César, ni contre Marc-


Antoine. On a retrouvé la caricature d'une figure

bien plus considérable, la caricature de « Celui que

i. London and Wetsminster Revieiv.


2G6 HISTOIRE DE LA CARICATURE ANTIQUE.
nulle parole ne peut faire comprendre. » Et comme
on mesure les palais à l'ombre qu'ils répandent,

tout homme est jugé grand qui traîne après lui des
légions de négateurs, de gens hostiles, d'esprits bas
qui se remuent, s'attroupent et l'ont repoussoir à
son génie.
Sous le règne d'Auguste, Jésus apparut tout à
coup, simple, noble, majestueux. Et on pressentit
quel rôle l'inconnu allait jouer dans l'humanilé. Il

était vaincu, et il ne fut pas épargné, car ses enne-


mis sentaient qu'aucune force ne pouvait brider sa

parole victorieuse.
Il disait à ceux qui Tentouraient : « Aimez-vous
les uns les autres. » Et on le condamna, mais on
ne put condamner sa doctrine. On le crucifia, on
ne put crucifier son idée. Et, quoique crucifié, Jé-
sus fut caricaturé. Mais la caricature ne put empê-
cher qu'au-dessus de sa touchante figure apparût ce
nimbe mystique dont le rayonnement devait éclairer

l'humanité.

XXIV

GRAFFITI.

Peu de monuments qui ne rappellent à ceux qui


les visitent que d'autres curieux les ont précédés.

Des noms, des devises, des souvenirs et des emblè-


mes y ont été tracés sur la pierre -à la pointe du
couteau.
L'impression de solitude et de grandeur que pro-
duisent les tours d'une cathédrale, le donjon d'un
vieux château, qu'est-ce pour Touviicr qui creuse
profondément dans la pierre le nom de sa maîtresse,
pour le soldat qui grave à la suite de son nom le

numéro de son régiment? Un registre, le registre du


peuple. Il agit comme le touriste qui, visitant un ma-
noir célèbre, couche ses bourgeoises impressions
sur le registre du concierge. Aussi pour quelques
souvenirs louchants que de légendes grossières !

Les murailles sont le papier des fous, dit un pro-


verbe français, et il faut que le proverbe soit vrai,

car il existe en espagnol et en allemand :

Una pareii blanca


Sirve al loco de carta.
268 HISTOIRE
« Une muraille blanche sert de papier à leltre »,

dit l'espagnol.

Narrenhisnde
Beschmieren Tisch und Wande.

« Les mains des fous souillent tables et murailles »,

dit l'Allemand.

Comme les modernes, les anciens se servaient de


ce papier des fous ; le stylet que portaient constam-
ment avec des tablettes de cire les philosophes, les

poêles, les grammairiens et les enfants, s'y prêtait

d'ailleurs.

Pour celui qui n'avait pas de tablettes de cire sous

la main, de grands murs s'offraient à tout instant à


l'instrument pointu. C'est ainsi qu'à Pompéi on a
retrouvé tant d'inscriptions diverses, où se peuvent
suivre la pensée du poète, celle du spectateur frappé
au cirque par la vue d'un gladiateur, celle du peintre
traçant, à l'aide d'un charbon, les premières lignes
de son tableau, celle de l'amant qui laisse éclater
le secret de son cœur, celle des buveurs maudissant
la cabaretière, celle du débauché surexcité par des
pensées erotiques, celle de l'enfant qui, sorti de
l'école, s'arrête devant un mur en musardant et

trace un croquis naïf.

Un jésuite, archéologue distingué, le P. Garucci,

a donné de ces inscriptions ou graffiti des dessins


DE LA CARICATURE ANTIQUE 260

et d'intéressants commentaires, et c'est à l'aide de


son livre* qu'il est permis aujourd'hui d'entrer dans

DESSIN D ENFANT HELEVE SUR LES MURS DE POMPEI.

quelques particularités relatives à la vie privée des


anciens.

1. Graffiti de Pompéi. Inscriptions et gravures tracées au stylet,


recueillies et iiilcrinctées par Raiihaël Garucci,<le la compagnie

de Jésus, membre résidant de TAcadémic d'Hcrculanum. Deuxième


édition. Atlas de 32 pi. Duprat, 1856.
r.O HISTOIRE
Il est curieux d'observer quel sentiment intérieur
pousse l'enfance à dessiner ce qui frappe ses yeux,
et pourquoi, dans l'antiquité comme dans les temps
modernes, le môme contour baroque l'ait que le ga-

min de Paris ou l'enfant romain qui sortent de


classe, semblent avoir également étudié à l'école des

beaux-arts deTignorance.
Le portrait ci-dessus appartient à cette catégorie.
Dî ce graffito, le P. Garucci a dit dans une trop
courte notice : « PEPiEGRIM'S. Porlrail couronne
en caricature -i^. Le savant jésuite pembe pour une
satire : je le tiens pourundessin tracé par un enfant,
et il ne faudrait rien moins que l'ingénieux Tôpiïer
pour trancber la question. Malheureusement l'au-
teur de Monsieur Jabot est mort, et aucun esthé-
ticien n'a continué à creuser le sillon qu'il avait

capricieusement tracé '.

Pour na'if, ce dessin l'est; ou l'artiste s'est caché


sous le masque si difficile à garder, le masque de la

naïveté.

On joue la grandeur, on monte sur des échasses


pour représenter l'héro'ique, on feinl le passionné :

des paroles sonores, de grands gestes, des éclats de


voix, de longues périodes, peuvent dans tous les

arts tromper momentanément le public; mais la

\. Essai de plujsiognomonie, 1 vol. in-i% autographié. Genève,


1845.
DE LA CARICATURE ANTIQUE 271

naïveté, voilà où échouent les natures les plus sub-


tiles.

Un enfant aura voulu retracer sur les murs de


Pompéi la figure d'un triomphateur, couronné de
laurier, qu'il admirait sur son char. De la noblesse
des traits il a tiré un nez grotesque; du front il a
fait une plate continuation du nez, comme l'œil s'est

changé en œil de perroquet, s'écartant outre me-


sure (ainsi font tous les enfants) de la racine du nez'.
Si ce portrait n'était pas naïf, il faudrait en con-
clure qu'un peintre, pour mieux se déguiser, aurait

imité la façon de dessiner des enfants. Et ainsi à


couvert, de même qu'un faussaire qui écrit de la

main gauche, il eut retracé sur les murs, sans être


inquiété, la caricature d'un conquérant.
Cela peut tromper des yeux inexercés ; mais le

caractère des lignes fait que je tiens à mon premier


sentiment, n'ayant pas h craindre les querelles ar-
chéologiques qui firent reprocher au P. Garucci, lors
de la publication de son ouvrage, d'avoir attribué à

1. TopITer avait (Hudi<; avec un grand soin les premiers essais île
profils tracés par les enfants, et il en donna divers spécimens dans

son Essai: « Si cctto fii^iire est moins stii|iide (|iie la première, dit-
il on c imparanl divers types, cida tient principalement à ce ([iio j'ai

diminué l'écarlemenl des paupières et approché l'œil du nez. »


Ailleuis, ilans diverses physionomies, on apparaît « un caractère
commun de bêtise, » TopITcr montre que ce caractère « tient au
trait le plus analoijue qu'elles aient entre elles, savoir la fornio de
l'œil et la place qu'il occupe. »
-27'2 HISTOIRE
des enfants la plupart des graffiti tracés au stylet
sur les murs de Pompéi.
Avec ces dessins, les plus intéressants sont les

souvenirs d'amoureux. Depuis l'écorce d'arbre dans


laquelle sont creusées de tendres initiales qui de
jour en jour s'agrandissent, pendant qu'hélas ! au
contraire, l'amour va sans cesse diminuant, que de
monuments couverts de dates, de souviens-toi, d'en-

trelacements de chiffres et devises !

Du dessin suivant, tracé sur une muraille de Pom-


péi, le P. Garucci dit :

Psyce dans un cœur dont le sein intérieur est formé par


Jes lignes sinueuses de l'Y. Cet emblème instructif et gra-
cieux se prête à plusieurs commentaires : Psyché est mon
cœur. L'expression grecque -^u;^/; était rendue par les Ro-
mains uiia.

Qiiiri jurât ornato, ornato procedere, vita, capillo,

écrit Properce. Tel est ici, à mes yeux, le sens le plus natu-
rel et le plus simple.

Celui qui aime confie son secret à tout ce qui l'en-


toure, aux hommes, aux oiseaux, à la brise. Tout

l'être est plein d'une telle ivresse qu'elle pousse le

jeune homme à crier : « J'aime, je suis aimé ! » Les


murailles elles-mêmes reçoivent la confidence :

« Psyché est mon cœur. »

Je cite ce graffito i)our donner un à peu près des


DE LA CARICATURE ANTIQUE 273

inscriptions de diverse nature retrouvées sur les


murs ; leur caractère naïf a trompé quelques ar-

EM BLE.ME ASIOUREUX
Creusé sur une muraille à Pomiiéi.

chéologues, et quelquefois des compositions histo-


riques ont été à torl présentées comme des carica-
tures.
274 HlSTOir.K

M. E. Breton, ainsi qu'un rédacteur du Magasin


jnttoresque, clierche, dans les lignes du dessin sui-
vant, une idée satirique, étrangère, selon moi, à la
main de l'artiste qui semble avoir jeté là le premier
croquis d'une œuvre sérieuse \

Cette caricature, dit le rédacteur du Magnsin pittoresque


(année J835, p. 33i), fait allusion à une querelle des habi-
tants de Pompéi et de ceux de Nucéria, qui eut lieu l'an 59
de J.-C, à l'occision d'une représentation dans l' amphi-
théâtre. Les Pompéiens furent vainqueurs ; mais Néron les
condamna à être entièrement privés de spectacles et de jeux
publics pendant dix années: c'était à cette époque une terri-
ble sentence. — La caricature semble l'œuvre de plusieurs
Pompéiens. Le gladiateur qui descend dans l'arène, la vi-

sière baissée et porfjiint une palme dans sa main droite, est


plus habilement dessiné que les deux autres personnages,
dont l'un semble entraîner d'une échelle sur un lieu élevé un
Nucérien prisonnier. — Il eût été au reste diflicile de s'expli-
quer cette curieuse composition, si l'artiste, ou plutôt si les
artistes n'avaient eu la complaisance d'écrire ces mots dans
un coin du tableau : Caw/ja»j Victoria una cura Xucerinis
pcristis, c'est-à-dire, si nous comprenons : Campaniens, vous
avez péri dans la victoire aussi bien que les Nucériens.

Ce dessin ne me paraît autre que la première pen-


sée d'une composition de peintre, telle qu'elle s'é-
chappe de sa main rapide. Les lignes rectangulaires

sont des jalons, que plus tard l'artiste i^emplacera


par des figures d'un contour moins géométrique. De

1. Pompéi, [ vol. in-8".


DE LA <; A W I r, ATl P. E A NT QU E
I 275
276 HISTOIRE
ces traits, les uns sont secs etroides, d'autres lâches
et maladroits; certains se courbent et semblent à la

recherche du mouvement. Les personnages de gau-


che sont barbares, celui de droite habilement jeté.
Il ne faut s'étonner ni de cette barbarie ni de cette
heureuse spontanéité. De Rembrandt à Delacroix
qui n'a observé de ces jets bizarres !

Le rédacteur du Magasin pittoresque croit que


celte « caricature» est l'œuvre de a plusieurs Pom-
péiens, » parce que le personnage à la palme est

d'un dessin moins embryonnaire que les autres

figures de la même composition.


Dans les projets des plus grands maîtres, on re-
marque de ces inégahtés. Certains mouvements
sont rebelles à l'artiste, il ne peut les rendre à l'aide
du souvenir, il les étudiera plus tard d'après le mo-
dèle, mais il est important de les indiquer, ne fût-ce
que par un point. La mémoire a retenu tel geste

plutôt que tel autre; sur le même feuillet d'album,


à côté d'un héroïque trait de crayon, il n'est pas

rare de trouver le bégayement.


J'ai sous les yeux les premiers croquis qui ont
servi au Triomphe de Trajan de Delacroix : c'est un
assemblage de pauvretés et d'opulences, de guenil-
les et de richesses, de cherché et de spontané, de
pénible et de triomphant, de misère et de génie.
Les hein du geindre pétrissant la pâte dans une
DE LA CARICATURE ANTIQUE 277

cave, que sonl-ils à côté des efforts de railistc


courbé devant sa table de travail, et qui ne peut
réussir à rendre un mouvement? Plus l'artiste est

passionné, plus pénibles sont ses efforts, car il les

tire de son cerveau.


Les artistes anciens procédaient comme lesmo-
dernes. Le graffito relatif à la querelle des Pom-
péiens et des Nucériens en est la preuve, et j'appelle

à mon aide le P. Garucci qui le tient pour sérieux


et non satirique.
On a trouvé à Pompéi des inscriptions vraiment
satiriques; on en trouve également à Rome. Sur
un mui" au pied du mont Palatin, le P. Garucci a

calqué le dessin d'un âne tournant la meule, avec


cette inscription :

LABORA ASELLE QVOMODO EGO LABoRAUI, ET PRoDERIT TIBI.

(Travaille, petit une, comme j'ai travaillé, et cela

te servira '.)

Les esclaves à Piome travaillaient comme des


bêtes de somme. Ce graffito est peut-être le cri sar-

castique d'un esclave plein d'amertume.

I. « Là, au moulin, bon nomlire de bètes de somme loiirnaicnt

incessamment au manège, et foi.saient circuler des meules de dimen-


sions différentes. Ce n'était pas seulement le jour, mais encore toute
la nuit, qu'elles mettaient en mouvement la machine, produisant
par ces évolutions une farine due à lein'S veillées, » dit Apulée.
{Métamorphoses, trad. Bétoland. Garnicr frères).
16
XXV

CARICATURES CONTRE LE CHRIST ET LES PREMIERS


CHRETIENS.

De tous les graffiti trouvés jusqu'ici, celui dé-


couvert dans un jardin, près du mont Palatin, par

l'infatigable chercheur Garucci, est le plus impor-


tant.

C'esl la caricature du Christ représenté avec une


tête d'âne (Y. p. ÎIM.)

11 n'y a pas de doute ; un dieu est en croix, et le

P. Garucci prouve que ce dieu crucifié ne peut être


que le Christ, nul culte de l'antiquité n'ayant re-
présenté un dieu étendu sur la croix.

Avant tout, il faut remarquer qu'il ne se trouve aucun dieu


crucifié dans la multitude infinie des fictions ou des traditions
païennes... De sorte que la première pensée qui se présente à
l'esprit est que cette bizarre fantaisie doit être attribuée à

quelque païen qui voulait tourner en moquerie le mystère de


la Ilédemption... Nous pouvons donc penser, dit le savant jé-

suite, que nous avons découvert une parodie du culte chrétien


Dt; LA CARICATURE ANTIQUE 279

Les calomnies répandues plus particulièrement


par les juifs contre les premiers chrétiens s'ap-

puient surtout sur l'idolâtrie et l'immoralité.

Cependant l'accusation d'adorer un liomme cru-


cifié partait à la fois des juifs et des païens. Les
chrétiens étaient accusés d'adresser leurs hom-
mages à un homme condamné pour ses crimes au
supplice infamant de la croix. Des gouverneurs de
province, devant le trihunal desquels étaient traduits

des chrétiens, cherchèrent à les dissuader d'adorer


un homme qui, n'ayant pu se sauver lui-même,
était incapable d'être utile aux autres.
Telle est l'accusation formulée par le païen Céci-

lius, à qui Octavius le chrétien répond : « Nous


n'adorons pas la croix, et nous ne désirons pas d'être
crucifiés; mais vous qui consacrez des dieux de
bois, peut-être adorez-vous aussi des croix de bois,
comme faisant partie de vos dieux. »

TertuUien abonde dans le même sens avec une


éloquence pleine d'ironie :

Quant à ceux qui s"ima<,'-iiuMit que nous ailoroiis la croix,

ne sonl-ils pas nos coadoraleurs quand ils t.àchent de se ren-

dre propice quelque morceau de bois? Qu'importe la figure,

puisque la matière est la même? Qu'imp(jrte la forme, puisque


le même objet est le corps d'un dieu? Et quelle différence y
a-t-il entre l'arbre de la croix et la Pallas atbénienne, ou la
Gérés de IMiaros, qui ne sont autre cliose qu'une perche
grossière et un bois informe qui s'élèvent sans effigie ? Toute
280 HISTOIllE
branche qu'on plante verticalement est une portion de la

croix. Serions-nous par hasard répréhensibles d'adorer le

dieu tout entier? N'avons-nous pas dit d'ailleurs que les ou-
vriers ébauchent vos divinités sur une croix? Vous adorez
les Victoires dont les trophées renferment des croix qui en
forment l'intérieur, etc.

L'idée reçue chez les païens était que les juifs, et


d'après eux les chrétiens, adoraient une tète d'âne.
Contre cette autre accusation, Octavius défend ainsi
les chrétiens :

Toute l'occupation des démons est de répandre de faux


bruits...De là vient ceUe fable que la tête d'un âne est pour
nous une chose sacrée. Qui serait assez insensé pour avoir
une pareille divinité et assez simple pour s'imaginer qu' on
,

pût l'adorer, à moins que ce ne soit vous, qui avez consacré


dans les étables tous les ânes avec votre déesse Épona... vous
qui adorez des tètes de bœufs et des tètes de moutons.

Tertullien revient sur cette tète d'ane :

Quelques-uns d'entre vous ont rêvé que nous adorons une


tête d'âne. Voici ce qui a fait soupçonner cela à Cornélius
Tacitus. Dans le cinquième livre de ses Histoires, racontant
la guerre contre les Juifs, remonte à la naissance de ce
il

peuple. Après avoir parlé à sa manière de son origine, de


son nom et de son culte, il rapporte que les Juifs sortis, ou,
comme il le veut, bannis de l'Egypte, manquant d'eau dans
les vastes déserts de l'Arabie, et épuisés de soif, ayant trouvé
des sources par le moyen de quelques ânes qu'ils suivirent,.,

adorèrent en reconnaissance l'image d'un animal semblable.


C'est de là, je pense, qu'on a présumé que nous, dont la re-

ligion est voisine de celle des Juifs, nous adorions un pareil


simulacre.
DE LA CARICATURE ANTIQUE 28!

A ce propos le P. Garucci a dit : « On comprend


quel sens caché peut avoir la monstrueuse image,
qui mêle au culte du Crucifié celte table d'une tête
d'càne... Je suis convaincu que la parodie du païen
mauvais plaisant s'explique fort bien en admettant
qu'il voulut tourner en dérision l'adoration d'un
dieu crucifié, sans oublier la calomnie de la tête

d'âne sauvage qu'il appliquait au culte des chré-


tiens. »

M. Charles Asselineau ' n'accepte pas aussi facile-


ment l'application que le père Garucci fait de celte
caricature à Jésus-Christ.

On a beau m'appoiHer, dit-il, des textes qui témoignent


que les chrétiens des premiers siècles ont été soupçonnés
il'adorer une tète d'âne, je m'en réfère au dessin même; le
personnage qui considère ce crucifié onocépliale nie paraît
d'expression et de geste plutôt ironique que pieux. Les chré-
tiens étaient mis en croix dans tout l'empire. 11 se pourrait
donc qu'ici le crucifié fût, non pasmais son adora-
le dieu,

teur, et l'inscription devrait se comprendre ainsi Voilà :

Alexamène, l'adorateur de Dieu '-.

1. Asselinenii, Uisloire de la caricature antiijue, par Champ fleuri/.

Soissons, impr. Fossé Darcosse. In-8° de 11 p. tiré à cent ex.


2. Co texte, que le P. Garucci et Tabbé Marligny ont négligé,
est assez important pour qu'il soit cité « Sed nova jam Dei nostri
:

in proxima civitate eilitio publicata est, ex (|ua quidam frustran-


dis bestiis mercenarius noxius, picturam proposuit cum ejusmodi
inscriptione : Deis Christianorum onochoktes; is crat auribus
asininis, altf.ro pf.de uxr.i'LATi's, librum gestans, et togatus. Ri-
simus et nomen et fi)rniani... » Tertulliani opéra, édition deRigault.
Paris, 16Gi, in-folio, p. 16.
16.
282 HISTOIRE

CAIUCATURE DU CHRIST TROl'VKE SLR UN" MUR, A ROME.


Dessin réduit au tiers de l'original.
DE LA CARICATURE ANTIQUE 283

On voit aujouid'hui au musée Kircher, à Rome,


le morceau de pierre détaché du mur d'un jardin,
sur laquelle était gravé le dessin satirique contre
le Christ, qui se rapporte à la défense d'Octavius et
de TertuUien.
Alexamène adore Dieu, telle est la traduction de
la légende qui nef cmble prêter à aucun doute. Le
chrétien Alexamèr.e adorait l'idole à tête d'âne. Celui
qui traça ce dessin sur le mur avec un stylet, traçait

une dénonciation. Alexamène périt sans doute


victime de la caricature.
Ce n'est point un fait isolé que cette parodie du
culte des chrétiens. Si, grâce au savant jésuite Ga-

rucci, on a retrouvé l'important monument relatif

à Alexamène, d'autres de même nature existèrent


certainement.
Un texte positif de Tcrlullien prouve que les ca-

lomnies ne suffisaient pas contre le christianisme,


et que le peuple païen avait besoin d'être excité par
des représentations plus à sa portée.

On vient de faire paraître dans la ville prochaine, dit Tcr-


lullien, une nouvelle ligure de notre Dieu. C'est un merce-
naire (gladiateur), habile à échapper aux hétes, qui a pro-
pose cette peinture avec l'inscription suivante Le dieu-ane
:

DES chrétiens; il avait des oreilles d'àneetun pied eu sabot,


tenait un livre à la main et était vêtu d'une toge. Nous n'a-
vons fait que rire du nom et du dessin.
284 HISTOIRE
Cette fois il s'agit d'une peinture (picturam), et
non d'un dessin gravé sur une muraille.
Dans cette peinture le Dieu a des oreilles d'âne
auribus asininis). Tertullien ne dit pas que la tête

tout entière soit celle d'unàne, comme dans le graf-


fito trouvé par le P. Garucci.
Le Dieu des chrétiens a un pied en sahot (altero
pede ungulatus). Ce détail n'existe pas non plus
dans le graffito.

Enfm il tient un livre (librum geslans), ce qui


est tout à fait caractéristique, et prouve la variante

entre la peinture satirique et le monument com-


menté parle P. Garucci.

Ainsi se trouvent confirmées les différentes in-


dications données sur cet important sujet par
les anciens : Plutarque, Tacite, Minutius Félix,

Apion le grammairien, Suidas, l'historien Demo-


critus, etc.

Il y a quelques années, s'il faut en croire un jour-


nal, des découvertes satiriques analogues auraient
été faites à Pompéi :

Dans (les fouilles actuelles de Pompéi, on découvre en ce


moment des vestiges du christianisme. Dans le palais de
l'édile Pansa, rue de la Fortune, on vient de trouver contre
des murailles une croix ciselée, non encore terminée, avec des
inscriptions injurieuses et des caricatures à l'adresse d'un
Dieu crucifié.
DE LA CARICATURE ANTIQUE 285

Une autre accusation des juifs et des païens con-


tre les premiers chrétiens a été signalée, je crois
pour la première fois, par labbé Martigny.
Cette accusai ion, confirmée par un monument
satirique, j'en emprunte l'analyse au savant archéo-

logue, à l'article Calomnie de son livre'.

Adoration des pontifes. L'origine de ceUe calomnie, à la-


quelle on ne connaît guère d'autre auteur que le sophiste
Lucien (Dial. in Mort. Peregrini, p. 994, édit. 1615), était
lavénération que les fidèles témoignaient en toute rencontre
au sacerdoce... L'accusation revêtait (juelquefois une formule
obscène, supposant que le culte des fidèles s'adressait à ce
qu'il y a de plus honteux dans l'homme, antistitis genitalia.
Ils (les païens) exécutaient même des statues spintliriennes
qui traduisaient aux yeux cette infamie. On possède au musée
du Vatican, d'après Mamachi iAntiq. Christ., 1, 130), un coq
qui, à la place du bec, a un phallus, avec cette sacrilège in-
scription Swr-fls -/ôiTjuiou, salvator mitndi. On pense que l'u-
:

sage où étaient les premiers chrétiens de se prosterner de-


vant leurs prêtres pour confesser leurs péchés, prcsbytcris
af/i'o/uJ(Tertullien,D<; Pœnit., ix), avait pu donner lieu à une
si étrange accusation.

A cette calomnie, le chrétien Octavius répondait :

Celui qui, dans des récits mensongers, nous accuse d'ado-


rer en la personne de nos prêtres une chose dont la pensée
seule nous fait rougir, nous impute des infamies qui luisent
propres. Un culte aussi obscène se pratique sans doute parmi
ceux qui, prostituant toutes les parties de leur corps, don-

1. Dictionnaire des Antiquités chrélieiines, I vol. grand in-8"avec


planchos. Paris, Hachette, 18G5.
286 HISTOIRE
lient au libertinage le nom de galanterie, et portent envie à
la licence des courtisanes, hommes dont la langue n'est pas
pure, lors même qu'elle se tait, et qui éprouvent le dégoût
de l'impudicité avant d'en sentir la honte. Les monstres, ô
comble d'horreur ! se rendent coupables d'un crime que ne
peut souffrir l'enfant de l'âge le plus tendre, et auquel la ty-
rannie la plus dure ne parviendrait pas à contraindre le der-
nier des esclaves. Pour nous, il ne nous est pas même
permis
d'écouter de pareilles turpitudes, et je croirais violer la pu-
deur si j'employais plus de paroles pour notre défense. Et
certes, nous ne pourrions nous imaginer que les abomina-
tions que vous imputez à des gens aussi chastes, aussi rete-
nus que nous, fussent possibles, si nous n'en trouvions des
exemples parmi vous.

Quelle éloquence que celle de ce chrétien, et


combien cette accusation par les païens retombe sur
leurs épouvantables mœurs dévoilées parOctavius!
Il en est des véritables prêtres comme des grands
médecins : toute blessure physique ou morale, ils

l'étudient froidement.

Ce sont les petits esprits qui se gendarment contre


la négation, sans laquelle l'aifirmation ne saurait
se montrer rayonnante. La caincature est quelque-
fois le noir du blanc, la nuit du jour, Tenvers de
l'endroit, le non du oui.

Ceux-là qui nient Dieu prouvent que ceux-ci


croient en Dieu.
Signe de faiblesse que d'être blessé de la néga-
tion. La contradiction est nécessaire qui fait contre-
DE L\ CARICATURE ANTIQUE 287

poids à la vanité humaine. Et voilà pourquoi je re-


ciierche curieusement les traces de cette caricature,

dure, injuste, cruelle, qui forme un côté du pié-

destal du génie.

Certains, cachant leur timidité d'esprit sous de


vagues aspirations à l'idéal, s'irritent contre les

grimaces de la satire. Ils voient dans le rire mo-


derne une atteinte à toute noblesse, comme si les

anciens avaient échappé à ces contradictions*.


Un poëte, dans un fragment ayant pour titre : Le
respect considéré comme élément d'inspiration-,
maudit Aristophane, dont les satires ont contribué
à la mort de Socrate. A entendre M. de Laprade,
Jeanne d'Arc a été souillée à jamais par Voltaire.
Chaque grand homme n'est reconnu vraiment
grand que par l'injustice de ses contemporains.
Aristophane n'a pas versé la ciguë à Socrate. So-
crate était condamné d'avance par son génie. Aris-
tophane n'eût pas existé que Socrate eût été con-
damné par ses concitoyens.

Sans le crucifiement, le Christ ne serait pas le


Christ.

Tout supplice injuste se change en triomphe dans


l'avenir.

En quoi Voltaire a-t-il souillé la chaste figure

1. Cicéron disait qu'Homère lui-même avait rapetissé les dieux.


2. De Laprade, Questions d'art et de morale. Didier, 1 vol. in-8'
288 HISTOIUE
de Jeanne d'Arc? Qui lit la Piicelle aujourd'hui?
Et chaque jour ne recueille-t-on pas pieusement
les moindres parchemins relatifs à Jeanne d'Arc?

Si l'ironie disparaissait du monde, elle emporterait le


dernier asile, que dis-je? la dernière dignité du taibleet de
l'opprimé. L'indomptable et insaisissable ironie, qui enve-
loppe et dissout peu à peu les domiiialioas les plus super-
bes, a souvent servi les meilleures causes qu'on puisse dé-
fendre en ce monde, et l'on a vu des temps malbeureux où
le sourire d'un honnête homme était la seule voix laissée à
la conscience publique '.

Yoilà qui est mieux parlé.


Enthousiasme est la face de la médaille au revers
de laquelle est gravé : Ironie.

Mais certains hommes n'admettent le revers qu'au


jour où. ble-îsés, après avoir exigé pour leurs œuvres
une sorte de respect olympien, ils descendent eux-
mêmes dans l'arène de la satire.
S'il faut en croire un artiste moderne qui avait

sollicité de M. de Lamartine la permission de faire


sa caricature, celui-ci aurait répondu : « Qu'on ne
comprenait pas qu'il vînt à l'esprit d'un homme
sainement organisé la pensée de défigurer son sem-
blable; que ce faisant, c était insulter la Divinité,

Dieu ayant fait Vhomme à son image, que pour-


tant le dessinateur pouvait agir à son égard

i. Piévost-Paradol, Xouveaux Essais depoitUque et delilléralure.


Micliel Lévv, i8b2, 1 vol. in-8".
DE LA CARICATURE ANTIQUE 289

comme bon lui semblerait. » Sa physionomie,


ajoutait le poëte, appartenait ait ruisseau comme
au soleil.

Le caricaturiste, qui, d'après les lois actuelles,

était obligé de demander au poëte la permission de


faire grimacer ses traits, avait peut-être un médio-
cre talent satirique; mais le poëte se donnant au
public, le public avait le droit de faire connaître

ses sentiments, et, quoiqu'il s'attaquât au poëte-

soleil, je donne raison au caricaturiste-ruisseau.


Parmi les monuments précieux de la collection

Campana, on remarque un buste double, dont les

deux têtes accolées sont taillées dans un même bloc


de marbre. Ce sont les masques de Sophocle et

d'Aristophane que l'antiquité a réunis ensemble à


jamais.
Par là, les anciens ont montré leur admiration
pour le génie grave et le génie satirique.
Honorons nos Sophocle; gardons-nous de bâil-

lonner nos Aristophane.

17
XXYl

CARICATURES GAULOISES

On découvrit, il y a une vingtaine d'annés, aux


environs de Moulins, un atelier de céramiques
gauloises. Sous les riches pâturages où paissent
en paix les bœufs, étaient enfouis des fours, et

non loin de ces fours, des statuettes, des figu-


rines, des bustes en abondance. C'était une pré-
cieuse découverte, car il ne s'agissait plus de tessons
de verre, de fragments de briques, de monuments
douteux sur lesquels certains archéologues de pro-
vince exercent trop volontiers leur imagination.
Instruments à l'usage des potiers, moules, pièces
signées témoignaient de l'importance de la fabrica-

tion de ces céramiques qu'un homme intelligent,

M. Edmond Tudot, recueillit et groupa au musée


de Moulins.
Alors l'art gaulois put être étudié sous diffé-

rentes formes, un art barbare qui, à travers ses


bégayements, offre pourtant un ressouvenir des
figures antiques.
HISTOIRE DE LA CARICATURE ANTIQUE 291

Au milieu des moules grossiers des Vénus, des


Minerves, des déesses de la liénération, des édicules
au fond desquels sont posés les dieux d'argile, on
remarque des figurines de singes que M. Tudot
n'hésita pas à donner comme des caricatures.

C'est surtout dans les caricatures que se révèle le senti-


ment du pittoresque des céramistes gaulois; ce sont princi-
palement des singes qu'ils mettent en action. Les singes
étaient, aux yeux des Gaulois, l'emblème de la laideur; or,
sous cette forme, l'imitation la plus simple d'un individu
suffisait pour le ridiculiser, et on ne saurait refuser aux ar-
tistes gaulois d'avoir fait preuve, dans ces images satiriques,
de beaucoup d'habileté et d'esprit '

Montés sur des piédouclies grossiers, ces singes


sont habituellement assis, les bras croisés, avec la

gravité d'un personnage qui pose, ou se cachent la


figure avec leurs pattes.

Et d'abord, avant de savoir si les singes gaulois

1. Collection de figurines en arcjile, œuvres premières de l'art


(jaulois, recueillies et dessinées nar Edmond Tudot. Paris, Rollin.
1 vol. in-4% 18G0.
29-2 HISTOIRE
appartiennent à la caricature, je cherche pourquoi
ces animaux furent représentés si pleins de calme,
quand leurs membres agiles sont d'habitude à la

recherche de quelque objet qui attire leur curiosité

ou leur gourmandise.
Les bras appliqués le long du corps, ils semblent
des penseurs, des êtres réfléchis qui creusent un
problème, ce qui va contre la nature simiesque.
Ces animaux, agités dans la vie, la sculpture gau-
loise en a fait des bètes presque timides, embar-
rassées de leurs bras, n'en sachant que faire.

L'immobilité est un des signes de l'art barbare.


Toute sculpture d'un peuple dont la civilisation est

dans les langes, à quelque partie du globe qu'il

appartienne, offre des exemples de la même sim-


plicité de lignes et d'une égale torpeur dans les
mouvements.
On voit rarement sur les sculptures primitives,
des membres alertes, des bras écartés du corps,
des jambes actives. Brandir la lance, courir, lancer
des javelots, lutter, sont des actes mouvementés
que l'art n'arrive à traduire qu'en pleine posses-
sion de ses moyens.
Qu'on montre une figurine gauloise à un ouvrier
mouleur, et il en donnera immédiatement l'explica-
tion.

Les moules de figures nallo-romaines de singes


DE LA CARICATURE ANTIQUE 293

trouvés dans l'Allier témoignent que ces argiles


n'étaient pas modelées à un seul exemplaire.
Or, tout étant primitif chez ces peuples, le moule
était primitif; par la pauvreté de l'outillage du
mouleur, l'animal était condamné à une certaine
immobilité. Deux pièces, procédé déjà compliqué,
suffisaient : une pour la face de devant, l'autre pour
celle de derrière.
Des bras et des jambes en action eussent exigé
le moulage de nombreuses pièces d'un raccord dif-

ficile. Une statuette, représentant un homme qui


court, demande parfois cinquante pièces qui s'adap-
tent les unes aux autres. Il ne fallait pas que les
figurines de singes offrissent de ces repères qui
constituent Tart des mouleurs modernes : d'où la
tranquillité forcée de la plupart des figurines gau-

loises, femmes, hommes, dieux et animaux '.

— Que ferai-je des bras du singe? se demandait


le potier gaulois.
Il les croisait. Quand il était fatigué de croiser
les bras des singes, il s'appliquait à combiner des
mouvements simples qui n'allassent point contre

1. On peut musée do Moulins dont


objoctor ccrtnines figures du
les bras, montés à au corps après couji; mais ces
part, s'ajustaient
figures sont raros. M. Tudot n'en donne qu'une seule reproduction
dans un album de soixante -troi/n planches, et cette exception
même, appliiiuée à une déesse, fend à faire croire qu'un céramiste
chercha un moyen extraordinaire pour tirer de ce moule à deux
pièces une figure consacrée.
29i HiSTOIKE
les lois de ses moules naïfs. Tant bien que mal,
l'ouvrier ajustait un des bras du singe sur le cœur
comme un orateur parlant de « son pays » à la

Chambre ou ; il appuyait le menton de l'animal dans


le creux de sa patte , en faisant un philosophe
grave; ou, la main sur les yeux, il donnait l'image
d'un prédicateur qui se recueille.

Et déjà ce singe qui se recueille offrait, rien que


par le renversement de sa nature, quelque chose
de plaisant, à supposer que le comique fût pour-
suivi par le modeleur.

Entre autres figurines trouvées dans les tom-


beaux gallo-romains, on remarque des colombes,
des lions, des chevaux, des chiens, des coqs, des
sauterelles, des rats qui, grâce à des circonstances

accidentelles, prirent place au rang des dieux : ainsi

un loup, ayant sauté à la gorge d'un voleur qui


voulait s'emparer des trésors du temple d'Éphèse,
fut fondu en or et placé dès lors dans le monument
comme une divinité protectrice.
DE LA CARICATUBE ANTIQUE 295

Ne se peut-il que le singe, par un événement


particulier, ait participé aux honneurs rendus aux
animaux par les Romains et les Gaulois? Faut-il

voir dans le masque du singe et dans sa parenté


avec l'homme une cause d'exclusion d'un Panthéon
ouvert à presque toute l'échelle des êtres?
Question que je m'adresse sans pouvoir la ré-

soudre.
Un autre fait curieux est l'analogie entre les fi-

gurines gauloises de singes et celles des mêmes ani-

maux, dues sans doute aux sculpteurs corinthiens.

On voit au musée du Louvre, dans les galerie*!

Campana, une vitrine consacrée à la représentation

des animaux. Au milieu de la gravité de ces bêles


éclate la malice simiesque.

Les uns portent leurs petits sur les bras; d'autres


font un abat-jour de leurs pattes, et il est à remar-
quer que la plupart de ces figurines sont mou-
chetées, signe d'antiquité absolue, les céramistes

primitifs s'étant naïvement imaginés que ce mou-


chetage rendait à merveille le pelage ou les plumes
des animaux.
Ces animaux, qu'on suppose de fabrication co-
rinthienne, semblent les modèles dont se sont in-
spirés les céramistes gaulois; il ne serait pas impos-
sible qu'ils aient connu des monuments qui, de la

Grèce passés chez les Romains, et conservés comme


296 HISTOIRE
objets de curiosité, inspirèrent peut-être par leurs
lignes calmes les artistes italiens, quoique la déca-

dence de l'art ne s'accommodât pas de la rigidité

barbare de monuments primitifs.


Une figurine de singe, la plus curieuse de celles
qu'il m'a été donné d'examiner attentivement, fai-

sait partie du cabinet de M. Eugène Piot, avant sa


dispersion aux enchères (1864). L'animal, accroupi,
appuie assez fortement une patte sur son ventre et

de l'autre se bouche les narines.

Cette figurine, digne de servir de frontispice à


un ouvrage sur la stercologie, fait penser à VApO'
holohijnthose , ou apothéose burlesque du César
Claude par Sénèque. qui dit : « Après un son plus
bruyant émis par l'organe dont il parlait avec le

moins de peine... » On pourrait encore, pour l'ex-

plication du geste de ce singe, renvoyer au chapitre

de la Force de V imaginât ion, de Montaigne, qui,


rendant compte des singulières « dilatations et

compressions des outils qui servent à descharger


le ventre, >->
cite un passage de Suétone relatif au
bizarre édit qu'avait rendu l'empereur Claude :

Dicitur eliam meditatus edictum quo veniam


daret flatum crepitumque ventris in convivio émit-
lendi, édit dont se sont préoccupés médiocre-
ment à toutes les époques les animaux et le singe

en question.
DE LA CARICATURE A>TIQUE 297

5INGE EN TEIir,E CUITE D'ATTHiniTIO.N COKINTHIENNE

Dessin (te la grandeur du modèle.

17.
2S8 HISTOIRE
Me trompé-je dans mes conjectures? Je suis tout
prêt à l'avouer, l'application presque constante des
pattes sur le ventre et sur le nez des singes se re-

marquant dans la plupart de ces figurines.


Comme aussi, maintenant que j'ai analysé et

comparé les statuettes corinthiennes et gauloises,

il se peut qu'elles représentent des choses dont


le sens nous échappe.
Tout ce que je sais, cest que je ne sais rien, le

mot favori de Socrale, pourrait servir d'épigraphe

aux ouvrages d'érudition. A peine cinquante ans


ont passé, déjà mille détails nous sont inconnus
qui étaient familiers à nos grand'mères; que sera-ce
quand il s'agit d'étudier les mœurs et les monu-
ments des Gallo-Romains? Et quelle seconde vue,
quelle science induclive, quelle érudition, quel
scepticisme, quels soubresauts d'intelligence, quelle
agilité dans les idées sont indispensables pour lais-

ser de côté l'opinion d'hier, accepter celle d'au-


jourd'hui et flairer celle que les découvertes de
demain apporteront!
Il est pourtant de ces figurines trouvées dans
divers pays, à Lyon, en Auvergne, en Bourgogne
et dans l'Allier, qui semblent offrir un rapport plus
direct avec la satire.

Encapuchonné et couvert d'un camail dont les


sculpteurs du moyen âge affublaient les figures de
DE LA CARICATURE ANTIQUE 299

F I G U Kl N E GAULOISE
du Miisc'c de Dijon.
300 HISTOIRE
moines des cathédrales, le singe semble la carica-
ture de quelque personnage dont il a emprunté le
vêtement*; cet encapuchonnement exceptionnel, on
le retrouve au musée de Moulins, affecté presque
toujours à une figurine malicieuse qui demande
quelques explications.
Parmi les nombreuses sculptures gauloises en
aruile trouvées en différents endroits de la France,

on remarque des figures épanouies et souriantes,

représentées en buste et dont la bonne humeur


constitue la principale analogie; car, du côté de
l'ajustement ainsi que de la chevelure, des variantes
très-singulières existent : tantôt le crâne est nu
comme un ver, tantôt il est orné d'une chevelure
olympienne semblable à la perruque du grand
siècle; d'autres têtes encapuchonnées font penser à
ces gais enfants de chœur gardant avec peine aux
offices la gravité sous leur camail.
Le premier potier qui modela ces figures crut
ne pouvoir mieux exprimer la gaieté que par la

physionomie d'un jeune garçon, alors que ni la

maladie, ni les soucis des affaires, ni fambition

1. M. Df-rtrand, le savant directeur du musée de Saint-Germain,

cherche la raison d'être de ces représentations; ily reconnaît « l'esprit


iiaLilois aux premiers temps de notre ère. » (Voir Revue archéologi-

que, 1861.) Même opinion sur u le ridicule et le grotesijue « de ces


liguriues étudiées par M. Roach Smith dans le Genlletnan's Maga-
sine.
DE LA CARICATURE ANTIQUE 301

n'ont défloré ces jolies bouches roses sur lesquelles


seules peut s'étaler un franc rire.
Suivant M. Tudot, ces bustes ne sont autres que
ceux du dieu Risiis. L'archéologue, trop tôt enlevé
à la science, vovait dans ces fisures « une allégorie
provoquant Thilarité et répondant très-bien à l'es-

prit fin et railleur des Gaulois. »

On remarque au musée de Moulins deux de ces

bustes, l'un trouvé à Vichy, l'autre à Xéris. Le corps


de la figure découverte à Vichy est vêtu d'une dra-
perie de couleur brune, et un filet tracé au pinceau
règne tout autour du dé de la base, « enluminures
qui caractérisent un atelier céramique de Vichy »,

dit M. Tudot; en effet, de nombreuses figurines et


coupes d'argile trouvées dans le pays démontrent
que déjà les anciens avaient adopté ces eaux ther-
males d'un effet si puissant.
Des malades rappelés à la santé consacrèrent
peut-être le souvenir de leur heureuse guérison
par un hommage au dieu Risus, qu'à Vichy plus
qu'ailleurs on est tenté d'invoquer. Les anciens
connaissaient parfaitement la vertu des eaux : ce
ne sont pas les modernes seulement qui souffrent
du foie, des reins, des calculs biliaires, des gastral-
gies, de la goutte. Or, une partie de ces maladies,
Vichy les guérit; et quelle joie de la part des ma-
lades qui s'en reviennent, les uns avec un vif appé-
302 HISTOIRE
tit, les autres nettoyés de cette bile qui fait voir si

triste riiumanité, ceux-ci sans traces des pierres


obstruant leurs organes !

Là plus qu'ailleurs on peut admettre qu'on ait

honoré le dieu Risus, des malades guéris venant


tous les ans faire un pèlerinage à Vichy en mémoire
des cures merveilleuses obtenues par les eaux du
pays.
Sans doute on a trouvé ailleurs des figurines du
dieu Risus : dans le Lyonnais fut déterré le moule
d'un buste semblable à ceux de Vichy, moule
signé QviMiLivs'. Mais chez les Grecs, les Romains
et les Gaulois, un commerce semblable à celui
de nos jours se faisait vraisemblement des figu-
rines en terre cuite. Les marchands traversaient
des pays éloignés pour y porter les arts plas-

tiques des différents peuples , comme les Italiens

transportent sur tous les points de la France leurs'


plâtres vulgaires.
A supposer que les ateliers céramiques de Moulins
n'aient pas fourni de modèles du dieu Risus, des col-
porteurs se rendaient à Vichy, lors de la saison des
eaux, certains d'y placer ce dieu jovial qui corres-

1. Au cliamp moule du dieu Risus por-


Larv, près Je Moulins, un
tant sur le piédouclie le sigle terre; et si un
stabilis, sortit de
buste du dieu Risus fut découvert en Bourgogne, on trouva égale-
ment aux portes de Moulins, à Saint-Ronnet, un moule de la figu-
rine du même dieu.
DE LA CARICATURE ANTIQUE 303

pondait aux sentiments des malades en voie de


guérison.
Depuis la publication du livre de M. Tudot, une

BU5TE DU DIEU II I S US

Découvert en Boiirçoirnc.

vingtaine de ces petits bustes de bonne humeur,


trouvés particulièrement aux environs de Moulins,
304 HISTOIRE DE LA CARICATURE ANTIQUE
sont entrés dans le musée de la ville et les collec-

tions particulières.

Sont- ce réellement des dieux Risus? Faut-il les


comparer à ce dieu cher à Lycurgue dont Plutarque,
dans la Vie des hommes illustres, fait mention :

« Lycurgue n'était pas d'une austérité qui ne se dé-


ridât jamais; et ce fut lui qui consacra, selon Sosi-
bius, une petite statue du Rire? » .

Voilà ce qu'un véritable érudit pourrait démêler,


à l'aide de la comparaison avec d'autres monuments
de l'antiquité. En tous cas, ces petits bustes sont
gais, charmants comme les figurines d'enfants du
xviif siècle. Avec les singes des mêmes ateliers,

les meilleures expressions de physionomie sont


celles de ces enfants malicieux.

Et maintenant que les archéologues se pronon-


cent sur le dieu Risus!
XXYIl

HUMOUR ET ARCHÉOLOGIE.

Il advint, sous la Restauration, qu'un archéo-


logue fit un chemin rapide, encore plus par la fré-

quentation du monde que par sa science. Les éru-

dits qui passent leur vie dans un cabinet, le front

courbé sur les livres, se gendarmèrent contre ce


brevet de savant que les salons, d'un commun
accord, décernaient à un homme d'esprit sachant

allier le charme des rapports sociaux aux exigences


de l'étude.
Ce fut une grêle d'attaques dirigées par M. Lo-
tronne et ses amis contre M. Raoul Rochette.
Il avait commis sans doute quelques fautes ar-

chéologiques! On les releva sévèrement, comme si

les savants n'étaient pas exposés tous les jours à


une multitude de péchés véniels que l'érudition

doit pardonner.
Mais le chemin qu'avait suivi M. Raoul Rochette
pour arriver aux honneurs et à la fortune, à une
50G HISTOIRE
chaire publique et au fauteuil de l'Institut, avait été
trop doux pour que ses adversaires n'y jetassent
quelques pierres.
Nécessairement, les Allemands se mêlèrent à la

lutte : du côté de l'exactitude des textes (à moins


que l'idéal ne les emporte dans l'inexactitude), ils

sont gens à écrire un volume de huit cents pages


sur un tréma oublié; et toute occasion, ils la sai-

sissent avec joie pour faire pièce à la légèreté fran-

çaise.

En 18:29 fut publiée une brochure anonyme


avec le titre' suivant : Quelques mots sur une dia-
tribe anonyme intitulée : Quelques voyages récents
dans la Grèce à Voccasion de Vexpéditiou scienti-

fique de la Morée, et insérée dans TUniversel des


6 janvier et 26 mars 1829.
Un long titre qui sent son Allemagne. Le plus
curieux n'était ni dans le titre ni dans la brochure.
La machine de guerre se cachait sous une vignette,
d'après un vase grec antique. Cette image repré-
sentait une Renommée qui fuit les poursuites d'un
homme; la figure symbolique, lui faisant un geste

de mépris, confirmait les caractères grecs peints


en exergue au-dessous de la scène.

Ey.iç, -cd xali « Loiu dc moi , bel enfant! » s'é-

criait-elle.

Ce dessin donna lieu à plus d'un commentaire ;


DE LA CARICATCRE ANTIQUE 307

toutefois les véritables érudits s'étonnèrent qu'une


Renommée antique pût faire à un poursuivant
affamé de gloire un geste qui était alors de mode
seulement aux Funambules.
Un archéologue, absorbé par les recherches, fit

une grave dissertation sur ce singulier dessin;


mais les hommes d'esprit, on en compte quelques-
uns en science, s'égayèrent fort de la parodie
qu'on attribua généralement au baron de Stackel-
berg.
Pour un Allemand, la caricature était spirituelle.
M. Pûioul Piochette poursuivant la Renommée
n'eùt-il pas été reconnaissable à ses fameux favoris

taillés à la mode du temps, que des initiales gravées


dans un coin du dessin ne laissaient aucun doute
à son endroit.
Tout le monde d'alors rit de la mystification, el

l'inscription : Loin demo'i, bel enfant, ohiminn vif

succès dans les salons même où l'élégant membre


de l'Institut était le plus en faveur.
Nécessairement M. Raoul Rochette ne répondit
pas : c'eût été se reconnaître. Il fit mieux; en une
huitaine tous les exemplaires de la médisante bro-
chure disparurent du commerce. Et je n'aurais pu
faire mention d'un si piquant opuscule sans l'o-

bligeance du secrétaire perpétuel de l'Institut,

M. Beulé, qui me permit de prendre connaissance


308 HISTOIP.E

d'un pamphlet qu'il est un des rares à posséder.


Qui avait raison, du baron de Stackelberg ou de
M. Raoul Rochette? Tel n'est pas l'objet de ce cha-
pitre.

Au moment de terminer YHistoire de la Carkn-


tnre antique je suis pris à mon tour d'une certaine
terreur.
Plus une œuvre a été méditée, plus elle laisse de
trouble dans l'esprit de celui qui s'en sépare : c'est

une mère de famille qui envoie son fils à Paris et

craint pour lui les dangers de la capitale; c'est une


œuvre dramatique qui, composée dans le cabinet, a
paru à l'auteur une merveille d'esprit, et semble
maussade, grise et terne, à peine est-elle lue aux
comédiens.
En revoyant pour la dixième fois peut-être les
épreuves, je me dis combien il reste à faire encore,

combien de points d'interrogation l'estés sans ré-


ponse, combien chaque époque d'un art si peu
connu demanderait de connaissances spéciales,
combien l'érudition laisse de points obscurs. Là où
il eût fallu allumer des torches, je n'ai guère eu à
ma disposition qu'un pauvre petit rat, jetant d'in-
décises et tremblotantes lueurs.
J'ai travaillé en crudit et non en vaudevilliste.

Les bibliothèques m'ont vu pendant des années


entrer gaiement et sortir soucieux, accablé de Icc-
DE LA CARICATURE ANTIQUE 309

tures. Et pourtant, je me demande si l'antiquité ne


me dira pas, à moi aussi :

— Loin d'ici, méchant enfant!

EKAS nAI KAAE.


I
APPENDICE

DE QUELQUES MOPsUMEMS INÉDITS

CARICATURE ANTIQUE
LETTRE A M. MÉRIMÉE *

Ne pensez-vous pas, monsieur, qu'il est prudent


au chercheur de ne pas creuser trop longuement
une question, s'il veut être suivi par le public? Une
édition « considérablement augmentée » est celle

1. Publiée dans la Ga<ette des heaux-arts, 1869. Quelques-uns


s'étonneront peut-être que les principaux motifs de cette lettre ne
soient pas rentrés dans les cadres de leurs chapitres respectifs;
l'épuisement subit delà précédente édition, la mise en demeure de
réimprimer un volume qui manquait à la collection n'ont pas per-
mis à l'auteur de refondre complètement son premier travail. Cer-
tains détails ont été ajoutés, des vues fausses ont été rectifiées: des
découvertes archéologiques nouvelles, le chapitre relatif à Hercule,
complètent l'édition actuelle; mais des fouilles récentes ont ap|)orté
un si grand nombre de moimmcnts inédits qu'il eiit fallu un trop
long délai avant de graver ces preuves de la raricaturc en Grèce.
L'auteur n'y reviendra désormais qu'à Theure où il croira apporter
au public des lumières historiques définitives.
312 APPENDICE
qui devrait contenir le moins de matières aussi ne ;

reviendrais-je pas pour la troisième fois sur le

chapitre des origines des Caricatures, si quelques


monuments inédits, joints à des renseignements
tirés des historiens, ne venaient consolider le clou

auquel sont attachées les preuves de l'art plaisant,

satirique et grotesque dans l'antiquité.

Pendant sa questure à Home, Cicéron, dit Plutarque,


fit au\ dieux l'offrande d'un vase d'argent sur lequel il

fit graver ses deux premiers noms, 3Iarcus Tullius ; mais à


la place du troisième, il commanda à l'artiste, par plai-
santerie, de graverun pois chiche. Voilà ce qu'on rapporte
à propos de son nom.

Ce passage a étonné le traducteur, qui ajoute en


note : « Cette puérile anecdote n'a probablement
rien d'authentique\ »

La note est courte; elle n'a que sept mots. On


pourrait en retrancher cinq à la décharge de Plu-
tarque, car, de l'historien et du traducteur, le plus
puéril des deux n'est pas celui qu'on pense. Un tel

rébus est bien d'essence antique. Cicéron s'en


amusa {cicer en latin signifie pois chiche), car il était

d'humeur assez plaisante pour que ses adversaires

le surnommassent scurraconsularis, bouffon con-


sulaire. Les anciens n'étaient pas si solennels que

1. Vies des hommes illustres de Plutarque, trad. par Alexis


Pierron. 4 vol. in-18. Charpentier, 1844.
APPENDICE 313

l'Université nous les montre habituellement, et il

faut se rappeler que même les Lacédémoniens,


avaient consacré un temple au Rire.
Chose singulière que ces bandelettes dont veulent
entourer l'antiquité les « fanatiques du beau»,
car c'est ainsi qu'ils se surnomment eux-mêmes ;

combattant pour la sculpture grecque, ils crai-

gnent bien à tort, selon moi, que la blancheur des


marbres dont ils chantent la pureté ne soit

altérée, si quelque veine sarcastique y est dé-


couverte.
Sans doute le culte du beau fut presque général
en Grèce, les monuments le prouvent; mais il est

dangereux qu'un spiritualisme de parti pris s'éten-


dant jusqu'aux Latins n'épaississe le bandeau et

n'empêche, comme dans la circonstance actuelle,


d'admettre l'indication précise d'un historien sur
les choses de son temps.

A Rome, dit Plutarque, on dédaigne les peintures, les


statues, la beauté des jeunes esclaves et des femmes. On cher-
che sur le Forum ceux qui ont les bras ou les jambes de tra-
vers, trois yeux et une tête d'autmche ou bien un herma-
phrodite.

Dans celte dépravation du goût n'y a-t-il pas une


leçon? L'anatomie du laid est fertile en enseigne-
ments, à condition qu'on ne s'y complaise pas et
18
314 APPENDICE
qu'on lui oppose l'harmonie des grandes lignes, la

quiétude, l'ineffable contentement que laissent à


l'esprit et aux yeux une belle composition, d'écla-
tantes colorations.
Vivre sans Beau, autant vivre sans respirer; mais
la satire, la parodie, la caricature, renferment de
précieuses indications pour ceux qui veulent voir
clair dans le passé, et c'est pourquoi je reprends
une fois de plus la vrille, m'efforçant de trouer les

planches qui nous enlèvent la vue de l'antiquité.

On sait par les poètes satiriques que les hommes


au pouvoir n'étaient pas épargnés; aussi, les ar-

chéologues ont-ils cru pouvoir appliquer les plus

grands noms à des monuments peu importants, à


des lampes d'argile commune dont les potiers,

pour é'gayer le peuple, décoraient les contours de

sujets plaisants.

Un ancien catalogue des terres cuites du musée


de Naples donne la description d'une « lampe
figurant un homme, les cheveux rasés, à cheval
sur une outre, et qui approche du bec (sic) un
papyrus, dans l'attitude de quelqu'un qui lit et

déclame. » A cette notice le rédacteur a ajouté :

« Caricature relative peut-être à Démosthènes. »

L'étude de l'art parodique ayant été négligée au


début par les archéologues, ils se trouvèrent né-

cessairement embarrassés de fournir des explica-


APPENDICE 315

lions lorsque de pareils monuments populaires frap-

COMBAT D IN PYCMKE CONTRE UN COQ.


Lampe en tciTo cuite.

pèrenlleurs yeux. Qu'un personnage tînt à la main


316 APPENDICE
un papyrus ou un volumen, aussitôt était rattaché

à ce volumen le souvenir d'nn grand orateur, Dé-


mosthènes « peut-être ». Plus tard, il est vrai, la

science voulut trouver la preuve de ces affirma-


tions par des textes précis; et si on peut douter de
la représentation de Démosthènes sur la lampe en
question, il est certain, quoi qu'en pense M. Alexis
Pierron, que Cicéron fit traduire plaisamment son
nom par un pois cliiche sur un vase.
Pour ne pas quitter le champ des terres cuites,

ie fais Qraver la liiiure d'un guerrier combattant


contre un coq. Là aussi Fimagination pourrait se
donner carrière. Il ne manque pas de guerriers dans
l'antiquité, et on trouverait mille noms célèbres à

appliquer à ce lutteur. Le coq fournirait facilement


malière à un mythe pour les symbolisateurs.
A mon sens, ce n'est qu'un Pygmée de plus à

ajouter à la famille nombreuse des petits êtres fantas-

tiques qui, habituellement, sont représentés livrant


de féroces combats aux grues. Ces combats avec les
coqs sont rares, les Pygmées des bords du Nil ayant
phis d'occasions de se mesurer avec les animaux
aquatiques qu'avec des oiseaux domestiques. On voit
cependant au musée de Xaples une mosaïque re-
présentant un pygmée qui montre une branche
verte à un coq mystérieux : le volatile semble in-
spirer une forte crainte au myrmidon.
APPENDICE 317

Comliien les gras furent criblés d'épiprammes


par les poëtes comiques, à combien de représen-
tations sculptées donna lieu le ventre, c'est ce qu'il

est facile de démontrer.


En ceci la tradition ne s'est pas interrompue, et
toujours les caricaturistes ont fait, le plus souvent
à leur insu, acte de spiritualisme en insistant sur

l'excès de lymphe produit par la débauche, sur les

bouffissures causées par la poinfrerie. L'antiquité,


de ce côté, abonde en documents aussi chairs que
les estampes de Breuf!hel, les croquis d'Ok'Sai ou
les crayons de Daumier.
Les musées publics et les collections particu-

lières sont riches en terres cuites représentant de


gros hommes hébétés s'appuyant sur des amphores
aussi grosses que leurs ventres. Cet abdomen dé-
veloppé aux dépens du cerveau fait horreur à ceux
qui pensent : aux moralistes, aux historiens, aux
auteurs comiques, surtout aux poëtes de la déca-
dence.
Plutarque rapporte que Caton, se moquant d'un
homme d'un excessif embonpoint, disait : « A quoi
peut servir à la patrie un corps où, du gosier aux
aines, tout l'espace est occupé par le ventre? »
18.
3<8 APPENDICE
Dans unri épigrarnine votive fJe Léonidas de Ta-
renle, le plus grand des petits poètes de la déca-
dence, on lit :

A l'intempérance, à la gloutonnerie Disozus le Dorien


consacre ces dons, des marmites ventraes de Larisse, des
cruches, une coupe large et profonde, une fourchelle de
bronze artistement recourbée, un grand couteau, une cuiller
de bois à remuer la purée. Gloutonnerie, en échange de
ces mauvais présents d'un mauvais riche, accorde-lui de ne
jamais connaître la tempérance!

Les fragments suivants d'une comédie d'Alexis


sont encore plus significatifs :

Vertus, ambassades, commandements, vanités que tout


cela, relenlissement vide du pays des songes! La m.ori te gla-

cera au temps marqué, et il ne le restera que ce que tu au-


ras bu ou mangé.

Ailleurs :

Le sage doit réunir toutes les voluptés; il y en a trois


qui rendent la vie véritablement parfaite et heureuse : boire,
manger et faire l'amour.

Et pour terminer :

(Jue viens-tu me radoter, bavardant du haut en bas, du


Lycée à l'Académie, à l'Odéon? Enfantillage de sophistes! Rien
de bon dans tout cela. Buvons, bm'ons à outrance et assis,

moii cher Sicon, et vive la joveuse bombance, tant qu'il nous


est permis d'y fournir! Allons, vive le tapage, Manès! Rien
de plus aimable que le ventre : le ventre, c'est ton père, le
ventre, c'est la mère!
APPENDICE ;]19

Par ces sarcasmes du poêle Alexis est allcsl»'> le

mépris qu'inspiraient aux anciens la paresse, la

gourmandise, la débauche; et plus les craquomonls


de la société antique se font sentir, plus les rail-

leries redoublent.

M. de Long'périer a signalé di^s monumonis où la

maigreur est Irailée saliriquement :

On a, (lit-il, dos exomplos (remporeurs, (racloiu's, de


divinités nuMiie, dont les imperfections étaient lidienlisées
avec nne extrême liberté. Parmi les iniirmités qni prêtaient
à la raillerie on pent compter la niaigreur, téniuiii les niisc-
rahles inlibnlés dont Winckehnann a publié le dessin. (,t/o-

numents ini'ditx, n" IXS'.)

La maigreur, telle ([iie nous la représcnlciil.

quelques mouumcnls roiuaiiis, est souveul duc à


un élal maladir d'où résultent des détails plus ana-
tomiques que plaisants. Ces bronzes de malades,
d'agonisants, semblent courus sous une iiilliieiice

cbrélienne; alors apparaît le squelette que l'art

païen avait jusqu'alors presque toujours dissi-

mulé.
Les monstres dansant malgré leur maigreur,
dont parle M. de Longpérier, sont plus hideux (jue

les figui^es de la Mort dans les danses macabres de


la (!ihaise-Dieu. Le spectacle de ces maigres signalés

1. Revue arcliéolnfjique, I, -1" parlio, ji. loi).


320 APPENDICE
par Winckelmann est morbide et lugubre. Aussi
l'antiquité a rarement usé d'un tel moyen de comi-
que, et en ceci elle est d'accord avec les temps
modernes, trouvant plus de matière à raillerie dans
l'abondance que dans l'absence de graisse '.

Après le ventre, c'est le nez qui préoccupe le

plus les sculpteurs satiriques. Les rhéteurs disser-


taient volontiers sur cette partie importante de la

physionomie. Suivant le grammairien Pollux, le nez


droit (ùmoLMoi;) cst Ic scul qui, « divisant la face

également, accompagne et dirige les yeux par sa


propre direction. » Philostrate veut que l'idéal du
nez soit un nez carré (rcrpâywvo;) « comme le nez
d'une statue », et se terminant bien (eu p^Çr/xuTav).

Platon, Élien, Pétrone et Martial décrivent avec com-


plaisance le beau dessin de certains nez de courti-
sanes; mais une prolongation nasale trop sensible
fournit des détails ironiques aux poëtes. Catulle se
moque d'une jeune fdle « au nez qui n'est pas mi-
nime, » et Martial, plaisantant à propos d'un ap-

1. Si un catalogue de Tart rétrospectif au palais du Trocadéro


avait été publié, on inviterait le lecteur à s'y reporter, à propos de
figurines de m(ii(jres de la collection Rayet.
11 semblerait que cer-

tains esclaves, presque décharnés, étaient employés à des services


de bas étage, et que ce caractère de maigreur était prisé, ainsi
que le dit l*lutarque, à titre d'exhibition curieuse. Les monuments
de cet ordre, recueillis par de jeunes savants, apparaissent nom-
breux actuellement; mais les textes manquent et on en est réduit
encore à des conjectures. (Note de 1879.)
APPENDICE 321

pendice trop développé, dit à une de ses victimes

« qu'Allas ne voudrait pas porter son nez * »,

ANSE DE L A M I' E ,

Tirée des portefeuilles de Muret au Cabinet des Médailles.

Nos musées possèdent de nombreux échantillons

1. Ce que jcilis dans la note ci-ilc?5iis pour les maiirres s'appUijUC

encore au di'vcloppement de l'appemiice nasal. Cinquante petites


tètes delà collection Gréau, à l'Exposition, au musé^^ duTrocadéro,
Iburniraient les dessins suffisants pour un chapitre relatif au nez
dans nue physiognomonie appliquée à la figure antique. On n'au-
rait que le choix dans ces fragments en terre cuite île r.4sie Mi-
neure. Heureusement l'élan est doiini-; le public s'intéresse à cet art
découvert depuis peu; jeunes érudits sont pleins de bonne vo-
les
lonté, moins symbolisateurs, plus positifs. La lumière se fera cer-
tainement avant peu sur les nouveaux côtés familiers de l'antiquité.
(Note do 1870.)
?jii APPENDICE
de ces excroissances plaisantes, entre autres les

monuments trouvés à Tarse en Cilicie par M. Victor


Langlois; ces terres cuites le public peut les voir au
Louvre dans une des salles de l'ancien musée Char-
les X.
Moins connu, le masque comique copié d'après
Muret* formait l'extrémité d'une anse de lampe.
Le modelé en est très-accentué et d'une bonne exé-
cution. (Voir p. 321.)

Les musiciens sont une des classes dont l'anti-

quité s'est divertie. C'étaient sans doute des bu-


veurs, des vao-abonds, des ^ens de mauvaise vie, et le

dieu Pan lui-même, leur patron, n'est pas sans


quelques rapports avecPriape; aussi les poètes de
V Anthologie les confondent-ils quelquefois l'un et

l'autre dans les mêmes satires.

On connaît des terres cuites baptisées habituel-


lement par les commentateurs de « Pan grotesque,
jouant de la syrinx. » Un petit monument qui se
voit au Cabinet des Médailles représente un de ces
musiciens, tête pointue, gros nez, air idiot.
J'emprunte aux portefeuilles de Muret le dessin

1. Les portefeuilles de feu Muret, attaché au Cabinet des Mé-


dailles, et l'un des meilleurs ilessinateurs d'antiquitésde son temps,
ont été acquis il y a ([uelques années parTÉtat, et ne sont pas une des
moindres richesses delà Bibliothèque nationale, tant ilsrenferment
de représentations de monuments inédits passés dans des cabinets
particuliers ou à Tétranger.
APPENDICE 323

d'une autre terre cuite dont l'original se trouvait


dans le cabinet Evans. Ces représentations, paraît-
il, amusaient les enfants, car les jambes du person-

4
MUSICIEN JOUANT DE LA SYRINX.
Terre cuite du cabinet Evans.

nage étaient mobiles. De ce jouet on peut inférer «I


que les musiciens des basses classes emportaient
avec eux une réputation de grotesque.
324 APPENDICE
Les acteurs comiques fournissent également de
nombreuses figurines dont l'explication est moins
facile. Les rédacteurs de catalogues se tirent habi-
tuellement de ces difficultés en donnant une brève
description de l'objet avec sa mesure. Tout derniè-
rement, dans la vente d'un cabinet important, à
propos d'un grotesque je lisais : « Acteur ou séna-
teur, le bras droit appuyé sur sa poitrine, l'index

élevé, 17 centimètres. » Une telle rédaction fait

honneur à la concision de l'écrivain; mais les inté-


ressés qui ne voient pas, se rendront difticilement

compte d'une terre cuite qui est acteur ou sénateur


à volonté.
Une de ces statuettes d'acteur comique, la figure
couverte d'un masque de singe, est passée de la

collection Durand au Cabinet des Médailles. Un


ample manteau, coloré en bleu, enveloppe entiè-
rement le personnage. Le masque est rouge-brun,
les yeux blancs, l'extérieur de la bouche vermillon.
La chaussure est rouge, le socle brun.
La plupart de ces grotesques semblent obéir à des

gestes traditionnels. Ils agissaient au milieu de la

comédie cependant
; les sculpteurs les représentent
habituellement immobiles, sans doute au moment
de leur entrée, alors que le comédien, pour pro-
duire son effet sur le public, apparaissait comptant
peut-être sur son masque comme moyen de succès.
APPENDICE 325

Un farceur du théâtre du Palais-Royal, quand son


costume lui paraît sutfisammenlf:rotesque, s'avance

ACTEUR COMIQUE.
(Terre cuite colorée du Cabinet des MéJuilles.)

jusque près du trou du souffleur, descend la scène


pour obtenir un effet de dos, et ne parle et ne ges-
ticule qu'ensuite. Il en était peut-être de même
chez les anciens. Tous ces détails concernant le
théâtre antique ont encore grand besoin d'être
élucidés.
19
3-26 APPENDICE
Une autre figurine crime extrême finesse est un
petit bronze dont je dois la communication à
M. Ciiarvet. Cette figurine servait de manche de

MANCHE DE COUTEAU EN BU ONZE.


(Collection Charvet.)

couteau : la perforation intérieure ne laisse aucun


doute ; mais que représente le petit singe encapu-
chonné ? Mon but, en donnant un dessin exact de cet
ornement appliqué à un ustensile, est d'appeler

l'attention des amis de l'antiquité sur de sembla-


bles sujets.

Quanta la date précise de ces diverses figurines, à


APPENDICE 3-27

leur emploi, à leur usage, à leur provenaiirc, aux


ateliers d'où elles provenaient, encore un peu de
patience est nécessaire. I! faut avoir sous les yeux
beaucoup de dessins pour la comparaison, le clas-

sement; aussi les archéogues les plus prudents sont-


ils ceux qui écrivent le moins et mettent sous les

yeux du public le plus possible de reproductions de


monuments du passé.

On a beaucoup fouillé, beaucoup trouvé depuis


le xviii° siècle ; l'érudition a-t-elle fait de grands

progrès depuis l'époque où l'abbé Galiani écrivait:

La fable ancienne est quelquefois double, quelquefois


triple, parce que, les Grecs ayant été conquis pardiiï'éreiites
nations, c'est-à-dire par les Égyptiens, Tyriens e1 peuples
du Nord, qui y vinrent par terre et qui étaient des Celtes,
ils ont mêlé tout cela ensemble, comme si les Américaias,
conquis par les Espagnols, les Anglais, les Français, mê-
laient dans deux njilie ans tout ensemble et confondaient
Charles V et Henri VIII et Henri IV, la reine Isabelle de
Castille avec la reine d'Angleterre. Voilà la cause de la con-
tradiction dans la mythologie et la multitude des Hercules
Ihébain, tyrien, etc. Développer cela avec génie, avec goût,
avec une finesse de coup d'œil heureuse, est l'affaire d'un
piiilosophe érudit et pas d'un savant sans génie comme Ci-
belin '.

Les diverses facultés que demandait, il y a cent


ans, l'abbé Galiani aux archéologues ne sont pas

I. Guliaiii parle de réiiornic compilation peu lue aujourd'hui :

le Monde primitif, 9 vol. in-i, 1773-1781.


328 APPENDICE
communes. Et pourtant, ce n'est pas la bonne vo-
manque aux
lonté qui érudits pour découvrir des
monuments inconnus; il en est qui feraient le sa-

crifice de leur fortune, mais ils ne sacrifieraient pas


volontiers leurs visées.
L'école symbolique moderne, quoiqu'elle compte
des chefs éminents,a trop facilité les rêves d'esprits
creux qui s'en tirent par des mois, interprètent des
types qui n'ont pas besoin d'être interprétés, et
enveloppent des voiles d'une imagination confuse
des choses simples et positives.

On s'est demandé si le mysticisme sacré ne ionail


pas un immense rôle dans la parodie des anciens.
Autant croire avec un critique anglais que Galiban
de Shakspeare représente le peuple, avec les dames
esthétiques que Molière est un socialiste.
Une amphore cannelée trouvée à Fasano porte
sur la frise un sujet plaisant, surtout par la lé-

gende. Un coq et une oie se rencontrent dans la


prairie : — Tiens, c'est l'oie! (ô-w yj.vx) dit le coq.

— Tiens, c'est le coq! (w tov àyexv r^uéva) dit l'oie.

Cette rencontre de l'oie et du coq, leur conver-


sation, ont donné à réfléchir aux symbolisateurs,
qui, n'admettant pas qu'il faille prendre les monu-
ments au pied de la lettre, font de tout décorateur
de vases un penseur préoccupé de la politique de
son temps, des évolutions de l'humanité et de celles
APPENDICE 329
330 APPENDICE
des astres. L'archéologue Minervini {BuUetlino
Arch. ilal., 18G1) voit dans cette peinture « une
aUasion à V antagonisme entre lesoleilet la lune »
.'

Ne raillons pas trop ces chimères italiennes :

certains érudils français en ont de semblables quand


ils présentent également le conte du Petit Poucet
comme un mythe solaire.

Celte oie, ce coq étaient en Grèce des acteurs


semblables à ceux que mettaient en scène les potiers
nivernais du xviir siècle. L'appellation de faïence
jnirlante, que j'ai réussi à introduire dans le voca-
bulaire de Tarchéologie céramique', me semble
applicable à ce vase aussi bien qu'à toute une série
de monuments antiques du même ordre et en
donne une explication, à mon sens suffisante ^

1. Champdeury, Histoire des faïences patriotiques sous la Révo-


lution. Paris, E Dentu, in-18, 3e édition, 187").
2. M. Frœhner a adopté cette désiijnatioa dans ïx\.natomie des
vases antiques. Paris, Détaille, 1876.

FIN
TABLE ANALYTIQUE

AVERTISSEMENT.

PRÉFACE DE LA PREMlCRE ÉDITION

L'art et la nature. — Wieland sigi>ale le premier la parodie cht^z les

anciens. — Quelques malices lancées à Winckelmann. — Le


docteur Schnaas:^, négateur de la parodie grecque. — Sophocle
et Aristophane. — Phidias et Lucien. — Le comte de Caylus,
Charles Lenormant, Panofka. — M. de Longpérier. — Alter-
nances intellectuelles. — M. Edelestandt du Méril, M. François
Lenormant. — L'érudition demande plus de temps que d'ar-
gent XI

DU RIRE

Arislote et le risible. — veuhnt savoir pourquoi


Les philos )phes
et comment on rit. — Opinion de Idem de
Dugald Stewart. —
Desc.'.rtes. — L'humoriste Jean-Paul Richli^r et les gens sérieux.
— Concile de Trente des métaphysiciens Solger, Arnold Ruge,
Vischi^r, Sehelling, Schlegel, Hegi-l, K;tnt. — Ce qu'aurait pensé
le Bourgeois genlilliomme des philosophes allemands. — Sui-
vant Stcphan Schiitze, la Nature fait ses farces. — Dieu, Roger
Bontenips. — Excessive gaieté de la plante, du crapaud, du
serpent à sonnettes, du ruisseau, du vent, de la pluie, dîs pois-
33-2 TABLE ANALYTIQUE
soî:'s, de l'iuiitre, des étoiles et des rochers. — L'iiég(''lien Zei-
sing. — Liiurent Joiibert et les quinze mortes de rire. — M. Mi-
chiels découvre quarante-sept formes di; comique. — L'abbé
Do:nascène. — Rodjlphus Gocleiiius. — D'un cuistre ouvrant
un rours à propos du rire. — Poélique d'Aristote. — Fielding.
— Jeux des enfants à Pompéi 1

CHAPITRE PREMIER

tES ASSYRIENS ET LES ÉC.YI'TIEXS ONT-ILS CONNU LE COMIQUE?

Gravité do l'art assyrien. — Scènes domestiques et champêtres.


— Sculpteurs modernes dépassés par les sculpteurs d'animaux
rie l'antiquité. — Passions antiques, passions modernes, mêmes
passions. — Du de rire etchez peuples.
la raillerie les différents
— Wilkinson. — Femme égyptienne — Papyrus ivre. satiriques.
— La l'amour. — Karakeuz, Polichinelle, Punch. —
lubricité et
Le docteur Lcpsius Grandville. — Du
et chez Grecs, rire les les
Assyriens Égyptiens. — M. Tliéodule Devéria. — Concert
et les
exécuté par des animaux. — Une charge égyptienne. — L'àme
figurée par à humaine. — Autres charges antiques.
l'oiseau tète
— Allusion aux mœurs intimes des Pharaons. — Le gynécée.
— Le jeu d'échecs. — Ramsès — La collection Abbott. —
III.

La caricature, en Egypte, s'attaquait à la religion aussi bien


i]a'à la royauté. — Le dieu Bès 15

CHAPITRE II

ARISTOTE ENNEMI DU SATlIliQUE

Aristote pose la base de discussions artistiques éternelles. —


Peinilre les hommes tels qu'ils sont, ou meilleurs, ou pires. —
Bataille de l'idéal et du résl. — Alliance de la réalité et de la

caricature contre l'idéal. — Polygnotc, Pauson et Denys. —


Homère, Cléophou, Hégémon de Tliasos, Nichocharès. — Opi-
nions de Platon et de Socrate sur les arts. — Aristote n'a pas
compris la portée de la caricature. — Le rôle de la caricature.
— Elle est éternelle 32
TABLE ANALYTIQUE

CUAPITRE III

LE PEIXTP.E PArSOS

Le poète Aristophane et — Pauvreté de ce der-


le peintre Pauson.
nier. — Pauson l'ignoble, —
Pauson l'infâme.
pas été N'a-t-il

calomnié par Aristophane? — des satiriques. —


Irritabilité
Qu'Aristophane un homme. — Genus
était — Anecdote irritabile.

de Lucien à propos de Pauson. — La niùms par Élien. — Am-


biguïté dos discours de Socrate. — Pline d'espritet la subtilité

des grecs
artistes romains. — Le cheval à l'envers. — Célé-
et
brité de Pauson. — Opinion de de Paw 39

CHAPITRE IV

PEINTRES DE SCÈNES DOMESTIQLES, D'AMMAIX, DE P.USAGES, ETC.

Tâche que s'était imposée Pline et qu'il a si bien remplie. — Le


peintre Cimon de Cléonée invente les têtes de profil. — Poly-
gnote. — D'où dérivent les caricaturistes. — Ce qu'ils diivent
être. — Belle pensée d'un Anglais. — Impossibilité de s'en-
tendre sur la représentation de la laideur. — Mcias. — Crati-
nus. — Eudore. — Œnilas. — Philiscus. — Simus. — Parrha-
sius d'Éphèse. — Anliphile. — Aristophon. — Timomaque. —
Le grand et le antique. — Ludius, peintre de pay-
petit art
sages. — Arellius p^int déesses en prenant ses maîtresses
lîs

pour modèl's. — Pausias de Sicyone 46

CHAPITRE V

PEI.VTKES COMliJL'ES

Boutade de l'orateur Crassus.— Qu'était-ce qu'une peinture repré-


sentant un Gaulois qm tirait la langue. Encore un mot de —
Pline aux peintres qui s'attachent <à des sujets non nobles. —
Pirœïcus le Uhyparographe. —
Ses tableaux se vendaient cher.
— Calâtes. — Le peintre Socrate presque caricaturiste. — Les
peintres Bupalus et Athenis expos.'nt le portrait du poète Hip-
19.
ZU TABLE ANALYTIQUE
— Praxitèle auteur de
ponax, qui s'en venge dans ses vers. la

Spiliiinône.— Un bronze du sculpteur Myron. — Caricature de


Jupiter Bacchus. — Autre sur
et reine Stratonicc. — Les
la

sculpteurs du moyen moines. — Sans


ài;c et les pas de liberté
caricature 52

CHAPlTltE VI

Dt L\ CAIilCATHIîE l'UOl'HKMENT DITE, L'ATELIER DU PEINTRE

M. Litiré à propos du peintre Piiiloxène. — L'alelier du peintre.


— Un commentaire liasardé. — Que les arlistes ont toujours été
les mêmes. — Matériel d'un atelier — Un rapin de
antiiiue.
l'antiquité. — L'homme qui pose. — Opinions singulières à

propos de lafresque. — Un des côtés de caricature.


utiles la
— Mazois etGuillaume — La fresque avant ruine. —
Zalin. la

Les fâcheux d'atelier 57

CHAl'lTKE Ml

PARODIE DEKEE ET D'AXCHISE

Accord de tous savants à propos de cette parodie. — Citation


les

de Panofka.— De quelle épo(|uc date caricature d'Énée et la

d'Anchise? — Fuite d'Énée, d'.Anchise etd'Ascagne, fresque.


Les Cercopitheci (singes à longues queues) et les Cynocéphales
(singes ;\ tôles de chien). —
La critiijue romaine et VEnéiiie de
Viriiile. — Virgile sbuje dHomère. — La parodie dÉnée et

d'Ancliise suit pas à pas le texte de l'Enéide. — Virgile devant


les criti(iues de Rome. — Épisode d'Énée d'Anchise en grande
et

faveur parmi L^s artistes de l'antiquité. — Caricature d'un phi-


losophe. — Obscurité de l'art antique 63

CHAPITRE Mil

CRYLLES

Aiitiphile cultive le noble et le comique. — D'où vient le nom de


grylles. — M. Anatole Chabouillet. — Le père et le fils de Xé-
TABLK ANANYTIQUl- 335

iii)|(li(in — C.ryllos Iu'tos ilc M;iiitiiii''0. — Ce fjiril faiil piMiscT


(le l:i v('iil;iMc (HyinolojjMo du mot gnjlles. — Cornaline du ca-
hiiK'l des iiirdaillos. — Peinture trouvôn ou 1715, dans les

touilles d'II(!iculannni. — Le Mitsco Ilorbonico de Naplos. —


Caiicalure d'animaux de la inylliologii^ héi'oï'iuc, d'après Pa-
nofka. — Il a manqué nn comnientatcur érudit des j,'ryllcs. —
Assassinat irAganicmnou par Clytemm-stre, |n\le-jaune du musée
royal de P)Crliii. — Pierre gravée du même nuisé(% représcMitanl
une souris dansant devant une ourse qui jonc de la (Intc. —
Geninie (Tapies nu uuiula^i' ilu calunet di's uKulailies 71

CIIAPmïK l\

CAi'iiicr.s i;ï (;iiimi;iii;s

R(ilc importaul du coci dans les pierres jfravées (pii nous vieiuicul
de ranli(|nité. — Ou y trouve souvent le mascjuc socrati(pio. —
("Jiimiires. — (iliimèrc antii(ne. — |,e sphinx. — Opinion de
M. de C.aylus. — Friîsque du musée de Naples. Jaspe rou^'(î —
du musée Médicis de Florence. —
Le renard et le coq emijlèmijs
de l'asluce et de; la vij;ilance. — Interprétations de divi.-rs cum-
mcntateurs. — Qu'il vaudrait mieux ne pas «'('quiiser en (lonjec-

lures. — Ojiinioii d(! (^ésar Kamiii. Hl

CIlAPITl;!', X

AMiioi.oi.ii;, 1,1 Mii;iii: dans la oi:kstion

Oi^jogne arinT'i; allant eu ;^uerri'. — (iiillo;i poihsui' de panier.s, —


Kôles (|ue l(îs ani:i(ms Caisaient jouer à certains animaux. —
Lalioiu'a;se pour rin;. — (loucert d'animaux. — Les insectes iim-
siciens. — Pierrcîs ^çravées du mnsi-e de l''lor.'n(;e. — Si-cours
prôté; par VAnlholou'te aux commentateurs. — La lyri; et 1<! rai,
épijjrannnt! de 'l'ullius (Jomimis. M. hcliripin et VAnlIiologie.
— Quelques épi^^rannues des ancien; sur les ne/. exc(rs:.irs. —
Une jta^çe d'un Tinlumarre (,'rec, '.
. . . '.)()
335 TABLE ANALYTIQUE
CHAPITRE XI

FABLES ET APOLOGUES

Ésope et FMièdre. — Le roman de Renart.— Ésope Juif était-il

ou Égyptien, noir ou blanc? — JIM. Cliassang, Ziindel, Zands-


berger, Welcker, de Roiicliaud. — L'âne et crocodile, fres- le

que. — Le combat des rats et des belettes, d'après une enseigne


de cabaret DJ

l.HAl'ITRE XII

CARICATIRE DE CARACALLA

Que les anciens n'avaient p:is moins que les modernes l'instinct de
la plaisanterie. — Caricature de Caracalla du musie d'Avignon.
— Stendhal M. Mérimée. — Description opinion de M. Le-
et et
normant. — Panem — Le peuple
et circenses. Caracalla, haïssait
l'armée défendait. — Hérodien
le Dion Cassius. — Crimes de
et

Caracalla. — Les Alexandriiis excellaient dans la satire et la


caricature. — n'épargnèrent p
Ils Caracalla. — Horrible ven-
!S

geance de l'empertur. — Une charge des habitants d'Alexan-


drie. — Carabas Agrippa etdes — Caracalla meurt
roi Juifs.

assassiné; caricature devan:3


la juste châtiment de ses le

crimes. — Ce qu'a voulu dire caricaturiste à le — la postérité.

Dans l'antiquité, la plume avait plus d'éloquence que le crayon.


— Terrible imprécation contre l'empereur Commode. — La ré-
volte parfois subUnue. — Les aqua-fortisles anglais 107

CHAPITRE XIU

ÉTROITE COITCRE DE L'HOMME ET DE L'AMMAL

L'art suit la marche de la nature. — Picproductions d'animaux par


les Assyriens. — Centaure, satyre, faune. — Vno peinture de
Zeuxis décrite par Lucien. — Bome raille les dieux de l'Egypte.
— Personnage à tête de rat. — Rapports entre l'Iiomme et la

bête. — estroitc
L' « couture » de Montaigne. — Opinion d'A-
ristote sur la matière. — Homère emploie l'animal comme terme
TABLE ANALYTIQUE 337

de comparaison avec riiomme. — Los hommes au nez rond,


ceux à dos étroit, ceux qui ont la tète pointue, les yeux enllam-
més. — Regarder en taureau. — Aristophane Eschyle, Platon et

et Socrale. — Singulière prétentinn de Polémon d'Adaman- et


tius. — La fréquence dans Aristote de cette affirmation, que
l'homme et l'animal ont de grands rapports, dut avoir quoique
influonce sur les artistes de l'antiquité. — Tout est doute dans
ces matières. — Mot d'nn contemporain de Rabelais 117

r.HAlMTl'.E XIV

Ce que pensait Lucien de Priapc. — Parenté du masque de Priape


avec la figure — Priape mal connu au moral. —
de Henri IV.
Voile levé avec prudence. — Les poètes pastoraux de l'anti-

quité. — Isolement de Priape. — Qu'il a été jugé de diverses


manières. — Le «bon Priape. — Théocrite. — Satyrus
» Ar- et

chias. — Les offrandes des pécheurs à Priape. — Un vieux pê-


T-

cheur sans ni — Le jardinier Lamon. — Beaucoup de


foi loi.

bruit pour — L'arme de Priape. — Le dieu n'est pas sans


rien.
rapport avec — Les poètes ne
Falstaff. pas épargné. — l'ont

Analogies de Priape de Karakeuz. — Le symbole priapique.


et

— Que pudeur la pas une qualité moderne. — Le poète


n'est
Érycius Priape impudique de Lampsaque. — Priape entrevu
et le

du côté populaire. — Priape cramt d'être volé brûlé. — Les et

commentateurs n'avaient point pris garde à cette figure an-


tique. —
Un ouvrage de d'Hancarville. —
M. Louis Barré et la
façon dont il envisage Priape. —
Culte théophalliquo. Le —
Phallus des buveurs. — Cnide. — Comment il faut envisager
ce symbole. — Mercure, le dieu le plus impudi([ue de l'Olympe.
Phallus à tête de chien. — Thèses à ce sujet 135

CHAPITRE XV

ce ql' ox peut l'enser de la rei'résext.\tio.n grotesqre


d'un potier

Curieuse lampe antique. — Étrange assemblage de noble et de


338 TABLE ANALYTIQUE
trivial. — Lampe de Pouzzolcs. — Opinion de M. Lenormant.
— Le potier de la lampe de Pouzzolcs. — Ce que dit des sym-
boles M. Renan. — Des relations, dans l'antiquité, des potiers

et des peintres. — Un potier presque un est artiste. — Le chef-


d'œuvre. — Les artistes de l'antiquité vus sous l'aspect familier.

Moiitfaucon lô'i

CHAPITRE XYI

LÉGENDE DES PYGMEES

Comment devrait être tonlée une histoire de la caricature. — La


Mort des danses macabros. — Le peuple a toujours eu la

K langue bien pendue ». — Hardiesses révolutionnaires des


.fous de cour.— Fous dans l'antiquité. — Les nains de Rome
et d'Alexandrie. — Nombreuses peintures antiques qui repré-
sentent des nains. — Pygmées combattant contre des grues. —
Homère en a parlé. — Pline essaie de découvrir l'origine de
— Les Crispithames et Pygmées. — Ce qu'on
cette légende. les

disent Homère et Arislote. — Le commentateur Biaise de Vige-


nère. — Comptes de
« cigoigne. — Analogie des traditions
la »

populaires du monde ancien du monde moderne.


et Abon- —
dance de fresques relatives aux Pygmées. —
Tableaux du temple
de Bacchus à Pompéi. —
Les Pygmées, d'après une fresque an-
tique. —
Chambre de la Casa de' capilelli colorali à Pompéi. —
Humble hypollièse de l'autour. — Les Pygmées peints sur ilos

surfaces courbes. — D'où vient le nom de Pygmées. — Épi-


gramme du poète Palladas. — Autre du poète Julien. —
Encore
l'analogie entre le comique ancien et le comique moderne. —
Ce qu'était réellement le peuple Pygméc. Trois épigrammes —
de l'humoriste Lucilius. —
Les Pygmées et les perdrix. Pyg- —
mées combattant. —
Un commentateur voit des singes dans les
Pygmées. —
Façon de procéder de certains commentateurs. —
Un commentateur y retrouve l'origine des Chinois.
autre A —
quoi ressemble un érudit embarrassé. Aristolc parle des Pyg-—
mées. —Ce que dit Athénée de l'origine de la haine que les
TABLE ANALYTIQUE 33»

grues portaient à ce peuple. — L'art antique inséparable de la


tératologie. — De quelle légende Swift s'est inspiré pour le
chapitre des Lilliputiens. — Philostrate et Gulliver. —
Combat
des Pygmées contre Hercule. — Terres cuites du musée Cam-
pana. — N'ont-elles pas inspiré Callot? iô9

CHAPlTPiE XVK

VASES .\NTIQIES. — PARODIE DRAMATIQUE

La collection Hope de Londres. — Parodie de rarrivée d'Apollon


à Delphes.— L'Epople. — Opinions contradictoires de M. Le-
norniand de r.Allemand Gerhard. — M. Lenormant lâche
et la
bride à son imagination. — Les n'ont souci que de
artistes la
forme. — Parodie dramatique. — Les anciens statuaires de-
vaient agir comme modernes. — Ce qu'est
les caricaturiste le

relativement autres
au.x — Hogarth, Goya, Daumior. —
artistes.
Le ventre opinion probable de son propre auteur. —
législatif;
Hogarth commenté par un Allemand. — Atalante Méléagrc, et
peinture de Parrhasius. — Fantasques imaginations d'un savant.
— Corrélation ingénieuse d'idées. — Le guerrier l'ivrogne et :

Patrocle buveur. Achille


et le Silène. — Une coupe vols-
et le
que. — Le grotesque dramatique. — Les caricaturistes se
et le

préoccupent surtout de — Se mettre en garde contre


l'idée.
de parodie. — Négligence préméditée, archaïsme.
l'idée 187 ..

CHAPITPiE XVIII

THÉÂTRE COMIOIE CHEZ LES GRECS ET LES ROMAINS

Comédiens illiologues, biologues, phallophores et ithyphalles. —


Scènes comiques traduites par les peintres de vases. Masques —
et costumes des musiciens des pièces d'.Vristophane. — Le
peintre .Asléas. — Les Cassandres podagres de l'antiquité. —
Millingcn et de l'Aulnaye. — Parodie des amours de Jupiter et
d'Alcmène. — Un vase à peintures erotiques du Vatican. — Au-
340 TABLE ANALYTIQUE
daces des poètes atellaniqucs. — Les mimes antiques et les
mim?s modernes à Marseille 199

CHAPITRE XIX

COMÉUIEXS

Macchus, Punch — Marionnette articulée représen-


et PolicliiacUe.

tant Maccus. — M. — Pappus, personnage comique.


Ch. Magnin.
— Les érudits ressemblent aux augures. — Le bâton et le soufflet.

M. Frœhner. — Monument inédit du cabinet Durand. — Troupe


de divers comédiens 218

GHAPITP.E XX

Opinion de M. George Perrot sur la caricature en Grèce. — Le


Triomphe d'Hercule, vase du Musée du Louvre. — Pindare et

Êpicharme. — Hercule et Falstaff. — Evhèmèristes et discu-


teurs de brasseries. — Autre peinture de vase d'après Hercule.
— Modifications sensibles de l'édilion actuelle . . 232

CHAPITRE XXI

LÉGENDE DE SOCRATE

Portrait do Socrate d'après les philosophes et les historiens. —


Socrate réduit les divers sjstèmes philosophiques à un mot. —
Comédiens de bas étage. —
Pourquoi Aristophane s'est vengé de
Socrate. —Le bonbominc Richard, M. Dupin. Charge de —
Socrate par Alcibiade. —
Zopyre jugeant la physionomie du phi-
losophe. —
Caylus et les symboles socratiques. Comédie de —
Socrate et de Xanlhippe. — Ficoroni et Gorlœus 24")

CHAPITRE XXII

ENVERS DU CHAPITRE PRÉCÉDENT

Masque socratique, siléniquc ou bachique. — Destruction de mon


TABLE ANALYTIQUE 341

plan. — L'Académie des inscriptions en 1789. — Le type et l'in-

diviflu. — Athéisme archéologique. — Tout piédestal veut une


figure historique -55

CHAPITRE XXIU
PRÉEXCELLENCE DE LA SATIRE ÉCRITE DANS L'ANTIQUITÉ

Opinion de Gœthe sur la parodie chez les anciens.Gœthe n'ai- —


mait pas le satirique. — LesRomains moins sévères que les
Grecs. — Citation de Lucien. —
La caricature mieux indiquée
par les poètes que par les peintres. — Portrait de Ménandre. —
Combien il serait utile, pour reconstruire l'histoire familière de
l'antiquité, de posséder des caricatures de grands hommes. — Les
Anglais parlent sensément de caricature. — Le triomphe de
la

Paul Emile. — Mauvais côté de caricature. — ne doit être


la Elle

l'arme que des minorités. — Holbein élève caricature à


la hau- la

teur d'un art. — La plus noble victime de caricature... la "261

CHAPITRE XXIV

Le registre du peuple. — Les murailles sont le papier des fous.


Les anciens devaient s'en servir plus que les modernes. — Le
— Sentiment qui pousse
P. Garucci. vers dessin. —
l'enfant le

L'École des beaux-ai'ts de Tignorance. — L'ingénieux TiJppfer.


Joue-t-on naïveté? — Qu'a voulu
la qui a tracé
faire l'enfant le

graffitodu triomphateur? — Inscriptions amoureuses. — Opinion


d'un commentateur sur un de Pompéi. — Première
graffito
pensée d'une composition de peinlre. — Le graffito serait-il
l'œuvre de plusieurs Pompéiens? — Inégalités chez plus les
grands peintres. — Un mot sur premiers croquis de quebiues
les

œuvres de Delacroix. — non Graffiti— Insciiptions


satiricjnes.

de Pompéi ayant le caractère de la satire 267

CHAPITRE XXV

CARICATDRES CONTRE LE CHRIST ET LES PREMIERS CHRÉTIENS

Le Christ représenté avec une tète d'âne. — Importance de ce


312 TABLE ANALYTIQUE
graffito et gravité du— Impossibilité de se méprendre
sujet.

sur kl signification de cette figure. — Les païens croyaient que


les adoraient une tète d'âne. — Tertullien
Juifs Minucius et
Félix. — Origine de celte calomnie. — Que contradiction la est
nécessaire. — Certains idéalistes contre
s'irritent de les réalités
la satire.— D'après Cicéron, Homère avait rapetisse dieux. les
— Un poète accuse Aristophane d'avoir concouru à mort de la

Socrate. — Inanité de celte accusation. — La Pucelle de Vol-


taire. — La croix du Christ. — M. Prévost-Paradol à propos de
l'ironie. — Enthousiasme ironie. — Les poètes blessés se
et

servent de l'arme de la— Un contemporain accorde à


satire.
un caricaturiste droit de
le sa charge. — Qui a raison du
faire
poète-soleil ou de l'artiste-ruisseau? — Sophocle Aristophane et

taillés dans un même bloc de marbre t 278

CHAPITRE XXVI

CARIC.\TIRES G.\lLOISES

Atelier de céramique gallo-romaine découvert à Moulins. — M. Ed-


mond Tudot. — Gravité des singes. — Moules primitifs. — Pan-
théon des dieux animalisés. — Le singe qui se —
recueille.

Analogie de certaines figures gauloises et corinthiennes. —


Figurine du cabinet de M. Piot. — Sénèquo, Montaigne Sué- et

tone. — Le singe encapuchonné. — Figures de bonne humeur.


— Musée de Moulins. — Le dieu Risus invoqué à Vichy.. 290

CUAPlTnL XXVII

HUMOUR ET ARCHÉOLOGIE

Un savant homme du monde. — M. Raoul Rocholte et M. Letronne.


— Exactitude des Allemands, quelquefois inexaclilude. — Pa-
rodie d'un dessin de vase antique. — Le baron de Staekel-
berg. — Comment l'antiquité payera-t-elle les efforts de l'au-
teur? 305
TABLE ANALYTIQUE 34S

APPENDICE. — DE ylELÛlES MOXIME.NTS INÉDITS


DE LA CAIilCATlRE ANTIQUE. — LETTRE A M. MÉRIMÉE

Cicéron et le poids chifhe. — Plutarquc et le laid. — Détails


nouveaux relatifs aux Pygniées. — Les gras et les maigres
d'après YAntlioloijie. — Études de nez. — Acteurs co-niques.
— L'oie et le coq, poterie pariante 311

FIN DE LA TABLE ANALYTIQUE


TABLE DES DESSINS

Masque antique, aver- Fuite d'Énée, fresque 64


tissemenl v Pierre gravée du musée de
Encrier et masque antiques, Florence 65
préface xi Coupe du musée Grego-
Lettre ornée d'après une liano, à Rome 09
pâte de Ficoroni 1 Grylle : les chiens et le dro-
Démocrite d'après Rubens. 7 madaire 75
Masque antique 14 Fresque d'HercuIanum 76
Femme égyptienne ivre. ... 18 Le hibou et le coq, grylle. 77
Chat présentant une of- Anubis monté sur un lion. 78
frande à un rat -3 Ourse faisant danser un
Papyrus satirique du musée écureuil, grylle 78
de Londres 24 Figurine du cabinet Pour-
Pierre calcaire égyptienne, talès 79
dessin de Prissed'Avcnnes 26 Masque d'après une cor-
Le dieu Bès 29 naline 80
Autre figure du dieu, du Pierre symbolique du ca-
Musée égyptien 30 binet de Caylus 83
Masque comique d'après Fresque du musée Borbo-
l'antique 38 nico 85
Masque de théâtre d'après Jaspe du musée de Florence. 86
une cornaline 45 Amétiiyste du cabinet Caylus 87
Autre masque de théâtre. . 51 Jaspe du même cabinet. .. 87
Masque d'après une corna- Masques antiques 89
line 56 Cigogne allant en guerre.. 90
L'atelier du peintre, fresque. 58 Le grillon porteur de pa-
Croquis d'après Zahn C2 niers 91
346 TABLE DES DESSINS
Abeilles attelées à la char- Pygmées du temple de Bac-
rue 92 chus 173
€igale jouant delà trécelle. y3 Pygmées combattant 177
Pierre gravée du musée de Frises d'Herculanum (2 des-
Florence 93 sins) 181
Cigale jouant de la lyre. . 9i Terre cuite du musée Cam-
Pierre antique de Muffei.. 96 pana 184
Bronze du cabinet des mé- Croquis d'après Callot 185
dailles 97 Parodie dramatique 189
Buste d'Ésope 100 Personnage de théâtre.... 201
L'àneetle crocodile, fresque. 105 Scène de théâtre comique,
Caligula, bronze 108 peinte par Astéas 207
Caracalla, bronze du musée Amours de Jupiter et d'Alc-
d'Avignon 110 mène 212
Masque d'après une corna- Scène de théâtre comique,
line 116 du musée du Vatican... 214
Bronze du cabinet des mé- Vase du musée de Vérone. 217
dailles 121 Marionnette antique du
Autre figurine, vue de profil. 123 musée de Moulins 220
Bronze du musée de Rouen 128 Maccus
Figure en terre cuite, mo- Pappus 223
nument inédit 130 Bâton de théâtre, d'après
Acteur à tète de singe, une cornaline 224
bronze 132 Vieillard comique 225
Figurine de bronze, vue de Peinture comique d'après
face 133 un vase antique
Masque d'après une corna- Figurine comique en terre
line 134 colorée 228
Culte de Priape, mosaïque Autre figurine comi((ue,
d'ilerculaiium 150 d'après Ficoroni 229
Lampe de Pouzzoles 153 Figure comique de théâtre. 231
Caricature d'un potier 156 Apothéose d'Hercule, pem-
Pygmées combattant contre ture d'un vase grec 235
des grues 163 Caricature de l'apothéose
Autre fresque de Pompéi.. 165 d'Hercule, d'après un vase
Vase antique représentant du Louvre 239
un combat de Pygmées.. 168 Scène de théâtre, d'après
Frise du vase précédent . 163 une peinture de vase. . 243
Les Pygmées, fresque 171 Socrate et Xanlhippe 253
TA 15 LE DK S DESSINS S47

Cul-de-lampe d'après un Singe d'attribution corm-


masque antique 2ô4 thienne 297
Masque socratique d'après Figurine gauloise du musée
un camée --jS de Dijon 299
Masque de théâtre d'après Buste du dieu Risus 303
un camée 2G0 Exàç ~a? xalt 309
Triomphateur antique des- Combat d'un pygmée contre
siné par un enfant 209 un coq 315
Cœur dessiné sur une mu- Anse de lampe 321
raille 273 Musicien jouant de la sy-
Croquis de peintre, tracé rlnx 323
sur un mur à Pompéi... 275 Acteur comique, terre cuile
(Caricature contre le Christ. 282 du cabinet des médailles. 325
Masque de singe, sculpture Manche de couteau en
gauloise 291 bronze 327
Autre masque 29 L'oie et le coq, vase grec. 329

FIN DE LA TABLE DES DESSINS

Ottavisw»^

PARIS. — IMPftlMEllIE EMILE MARTINET, RUE MIGNON, •>.


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