Mercredi 5 février 2020
A Monsieur le Président de la République,
Copie à,
M. le Premier Ministre,
Mme la Ministre des Armées,
Mme la Ministre de la Transition écologique et solidaire,
Mme la Ministre des Solidarités et de la Santé,
Mme la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation,
Mme la Ministre des Outre-mer.
Copie à,
M. le Secrétaire Général des Nations Unies,
Mesdames et Messieurs les dirigeants des Etats indépendants du Pacifique.
Monsieur le Président,
‘Ia ora na,
La semaine dernière, le Président du gouvernement de Polynésie française a
confirmé devant les média votre visite dans notre collectivité les 16 et 18 avril
prochains.
Annonce également faite de la tenue de deux sommets, « France-Océanie » et
« One Planet Summit ».
Il ne paraît pas possible d’envisager qu’à l’ordre du jour de ces sommets les
sujets de l’Environnement, de la Coopération et de l’Innovation ne soient pas
inscrits.
Comme il ne paraît pas concevable, au barycentre de la Région Pacifique de
faire l’impasse sur l’Océan Pacifique, Te moana nui a Hiva.
Aujourd’hui, sur l’atoll de HAO, un projet démesuré, et déraisonnable
d’aquaculture porté par la Chine fait planer une menace environnementale
réelle sur le lagon. Alors que ce même Pays opère une pression de pêche dans
toutes les ZEE du Pacifique Sud à l’exception de celle des collectivités françaises,
aborderez-vous ce sujet qui est paradoxalement soutenu par l’actuel
gouvernement de Polynésie ?
Toujours dans l’archipel des Tuamotu, un autre projet, d’exploitation
secondaire d’un gisement de phosphates menace cette fois l’atoll de Makatea,
déjà largement mis à mal pendant soixante ans par une première exploitation
dont la Nature a mis des années à se remettre.
Sous couvert d’une soi-disant « réhabilitation » dont la preuve n’est toujours
pas établie, ce projet est également soutenu de manière paradoxale par l’actuel
gouvernement de Polynésie qui sera votre hôte lors de ces sommets.
Ne pas vous prononcer de manière claire sur ces sujets reviendrait, alors que
vos homologues dirigeants du Pacifique seront présents, à les cautionner. Ils
seront d’ailleurs également destinataires de la présente.
Enfin, et en tant que chef des armées vous ne pouvez l’ignorer, de 1966 à 1996,
193 essais nucléaires ont été menés au cœur de cet océan sur les atolls de
Moruroa et Fangataufa.
Ces essais, notamment dans leur partie souterraine, ont généré une quantité
de déchets et résidus radioactifs. Aujourd’hui, une proportion non négligeable
de ces déchets est stockée dans des puits de plusieurs centaines de mètres de
profondeur percés dans l’anneau corallien de Moruroa, ou pire, au fond de son
lagon, notamment au lieu-dit « banc Colette ».
Pour avoir visité Moruroa au sein de la commission de révision de la Loi Morin
j’ai constaté, et cela a été confirmé par les documents produits par l’Armée
l’existence de fissures dans le socle même de l’atoll. Ces fissures ont été
induites par les essais souterrains notamment et menacent d’effondrement
une partie de l’atoll.
Il appert que, tant les puits de confinement, que le banc Colette se situent
précisément dans la zone menacée. Autour, c’est l’Océan Pacifique, te Moana
nui a Hiva …
Monsieur le Président, le plus gros investissement réalisé par l’Etat en Polynésie
française ces dernières années est le projet TELSITE de surveillance géo
mécanique de Moruroa. Les milliards investis viennent encore souligner la
réalité de cet effondrement, véritable épée de Damoclès, pour les Polynésiens
d’abord, pour la région Pacifique ensuite, pour la réputation de la République
Française enfin.
Je vous adresse donc aujourd’hui une demande solennelle qui, j’en suis
convaincu, a l’assentiment de tous les Polynésiens : Monsieur le Président,
plutôt que de faire l’autruche la République Française s’honorerait à
s’engager, dès aujourd’hui dans un ambitieux et vaste projet de retrait et de
retraitement de l’ensemble des déchets et résidus radioactifs issus des essais
nucléaires de Moruroa.
La thématique de démantèlement et dépollution des anciens sites
d’expérimentations du nucléaire militaire, ou des anciens sites civils de
production d’énergie nucléaire est aujourd’hui trop largement ignorée.
Au-delà du respect des engagements inscrits dans la Charte de
l’environnement, qui rappelons-le, fait partie du bloc de constitutionnalité, le
défi technologique et industriel pourrait placer la France aux avant-postes d’un
domaine où aucun leadership n’est à ce jour constaté.
Monsieur le Président de la République, je forme le vœu que, conforme à
votre projet présidentiel et à vos convictions personnelles, vous soyez le
porteur de cette démarche concrète concernant l’atoll de Moruroa, mais plus
largement l’Océan Pacifique qui l’entoure.
Ne pas le faire serait envoyer un message dramatique aux Polynésiens, aux
Peuples de Pacifique, mais aussi au Peuple de France, notamment à sa jeunesse
qui veut voir, au-delà des COP qui se succèdent, de vrais actes forts en faveur
de l’environnement.
Veuillez, Monsieur le Président de la République recevoir l’expression da
considération respectueuse.
Mauruuru e te aroha ia rahi.
Moetai BROTHERSON,
Député de Polynésie Française,
Représentant à l’Assemblée de Polynésie Française,
Membre du Tavini Huiraatira no te Ao Mä’ohi.