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Daniel Pennac Et Le Plaisir de lire-FINAL - Revise

Cette étude propose d'analyser, à travers certaines œuvres de Daniel Pennac, le projet de l'auteur qui vise à mener le lecteur au plaisir de lire. L'étude examinera la poétique de Pennac et les éléments du roman noir présents dans ses romans qui procurent du plaisir. L'objectif est de comprendre comment Pennac réussit à captiver ses lecteurs.

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Daniel Pennac Et Le Plaisir de lire-FINAL - Revise

Cette étude propose d'analyser, à travers certaines œuvres de Daniel Pennac, le projet de l'auteur qui vise à mener le lecteur au plaisir de lire. L'étude examinera la poétique de Pennac et les éléments du roman noir présents dans ses romans qui procurent du plaisir. L'objectif est de comprendre comment Pennac réussit à captiver ses lecteurs.

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Université du Luxembourg

Christian D’Amico

Daniel Pennac et le plaisir de lire.

Étude poétique et thématique d’une


littérarité accessible aux lycéens.

Travail de candidature

préparé sous la direction de M. Ben Faber

et Mme Caroline Klensch

2016
Par la présente, je soussigné, Christian D’Amico déclare avoir rédigé ce travail par
mes propres moyens.
Christian D’Amico – professeur candidat au Lycée Hubert Clément à Esch-sur-Alzette

Daniel Pennac et le plaisir de lire.

Étude poétique et thématique d’une


littérarité accessible aux lycéens.

Lieu d’affectation : Lycée Hubert Clément à Esch-sur-Alzette

2016
Résumé :

Cette étude se propose de mettre en évidence, à travers certaines œuvres de


Daniel Pennac, le projet d’écriture de l’auteur qui vise à mener le lecteur au plaisir de
lire. En effet, comme discuté dans Comme un roman, l’ancien professeur de lettres
s’intéresse à la question: comment réconcilier le lecteur et surtout le jeune lecteur avec
la lecture ?

L’objet d’étude est l’analyse à partir des romans à thèse de l’auteur, des écrits
d’Henri Mechonnic et de Roland Barthes, qui fourniront un aperçu théorique de cette
intentionnalité de l’auteur et des pistes pour comprendre et suivre ce projet d’écriture.
Nous retrouvons alors, dans certains romans de Daniel Pennac, « les exemples
concrets », les différents ingrédients faisant d’une œuvre un objet de plaisir.

La structure de cette étude est assez rigide, afin de réussir à cerner le plus
objectivement possible cette intentionnalité. Dans un premier temps, nous proposons
une analyse de la poétique de Daniel Pennac, une étude du plaisir procuré par la langue.
Ensuite, nous nous intéressons au plaisir engendré par le fond des romans, que l’auteur
puise dans le roman noir. Nous en venons ensuite, dans une dernière partie, à découvrir
les principaux mécanismes, mis en place par Daniel Pennac, qui mènent au plaisir de
lire.

Par cette étude, nous avons réussi à démêler, à partir de la poétique de l’auteur
et par l’analyse des caractéristiques que ses romans reprennent du roman noir, son
intentionnalité créatrice de vouloir plaire à son lecteur. Nous en tirons des conclusions
utiles afin d’espérer pouvoir captiver l’élève à la lecture, à l’attacher au texte tout en
réveillant en lui l’envie de poursuivre la lecture ; faisant de cette étude une partie
intégrante de notre projet professionnel en tant qu’enseignant de lettres.
Je tiens à remercier mes patrons de recherche, M. Bernard Faber
pour m’avoir conseillé sur les théories à mettre en œuvre et
Mme. Caroline Klensch pour avoir eu la gentillesse de prendre la
relève.

Je voudrais aussi témoigner ma reconnaissance à ceux qui ont eu


l’amabilité de commenter ou de relire le manuscrit.
« Aime-moi ! » « Rêve ! »

« Lis ! » « Lis ! Mais lis donc, bon sang, je t’ordonne de lire ! »1

1
Daniel Pennac, Comme un roman, p. 13.
Christian D’Amico Introduction

INTRODUCTION
L’origine du plaisir de la lecture est un sujet de recherche qui reste d’une
actualité évidente, et qui occupe l’esprit de tout enseignant de lettres, soucieux de faire
partager son amour du livre et de la littérature à une époque où la lecture est considérée
par beaucoup de jeunes comme un exercice austère et ennuyeux. Pourtant, d’une année
à l’autre, l’enseignant remarque que certains livres plaisent plus que d’autres. L’élève
dit avoir aimé l’histoire, et qu’il a trouvé du plaisir à la lire.

Ainsi, il existe de ces livres qui semblent jouir d’une meilleure acceptation par
le jeune public que d’autres. Au fil des lectures en classe, il semble que les livres de
Daniel Pennac plaisent beaucoup aux jeunes lecteurs. A tous les niveaux de
l’enseignement secondaire luxembourgeois, ses livres arrivent à happer des élèves, à
les accrocher par une lecture dont la langue n’est pourtant pas si simple, surtout au
Luxembourg, pour des élèves dont le français n’est pas la langue maternelle.

Comment, de nos jours, dans une société où la vitesse de débit de l’information


prime sur la profondeur du signe, et donc aussi du signifié, un écrit réussit-il à plaire ?
Y aurait-il un plaisir dans le fait de réussir quelque chose de difficile ? Le taux de
plaisir ressenti serait-il proportionnel à l’effort fourni par le lecteur ?

Les jeunes d’aujourd’hui ont moins de temps à consacrer à la lecture, la vie


moderne, caractérisée par des technologies rendant les flux d’information de plus en
plus rapides, accapare toute leur attention. Ainsi, la rapidité constitue un élément
essentiel, permettant de s’adapter de plus en plus vite à de nouvelles situations et à de
nouveaux défis d’un monde changeant, toujours en mouvement. Sur le plan de la
vitesse, la concurrence à la lecture livresque est bien réelle. En effet, le numérique
offre des supports de texte qui fournissent un accès plus direct à l’information, et même
si cette information reste souvent superficielle, elle est immédiate. Le livre en papier,
étant considéré par beaucoup de jeunes comme archaïque, n’offre qu’une lecture suivie,
tandis que le support numérique est hypertextuel, et son utilisateur a l’impression
d’être connecté aux informations du monde entier. Pourtant, face au plaisir de lire,
cette contradiction ne semble pas entrer en compte. Pour pouvoir « savourer » la
lecture, il faut du temps. Le temps réservé à la lecture lui est dédié entièrement ; il y a

7
Christian D’Amico Introduction

exclusivité. En plus, c’est un temps long, qui empêche une autre activité principale.
Pourtant, ceci ne semble pas être un obstacle au plaisir. Dans cette étude sur le plaisir
de lire un certain auteur, nous nous proposons donc de déceler des mécanismes
responsables du plaisir de lire, et qui surpassent les réticences à la lecture généralement
admises comme le manque de temps et l’ennui.

Choisir Daniel Pennac comme objet d’étude n’est ni un choix innocent ni un


choix désintéressé sur un plan personnel et professionnel. L’auteur lui-même s’est posé
la question sur le plaisir de lire et la naissance d’une jouissance de la lecture chez le
jeune dans deux essais, Comme un roman suivi de Chagrin d’école. Ancien professeur
d’école et enseignant de français, il a réalisé une réflexion poussée sur la question du
plaisir de lire de ses élèves. Ainsi, nous utiliserons ses essais comme appui pour déceler
comment cet auteur réussit à captiver ses lecteurs par le plaisir de lire. Ses propres
réflexions sur le sujet dans ses essais prouvent que son écriture est caractérisée par
l’intention de procurer du plaisir. Le choix de l’auteur se justifie aussi par son succès
évident auprès de la communauté littéraire internationale, mais aussi auprès des jeunes
lecteurs. Outre nos considérations initiales, observées en classe auprès des élèves
confrontés à ses romans, les œuvres de Pennac sont reconnues par Dominique Brunet,
dans son éditorial de la nouvelle revue pédagogique, comme incitant les jeunes lecteurs
à réfléchir sur l’œuvre et le texte de façon stimulante.

« […] les multiples significations du texte, sous son apparente facilité,


constituent un excellent moyen pour conduire de jeunes élèves, de façon
progressive, à un travail euristique collectif stimulant intellectuellement »2

Une caractéristique spécifique à l’écriture de Pennac est le fait qu’elle semble


accessible à tous, mais étant en réalité bien plus complexe et remplie de sens qu’il n’y
paraît aux premiers abords. Il y a donc sujet à analyser sa façon d’écrire, sa
« poétique ». Ici, la poétique est à considérer comme l’ensemble des phénomènes et

2
L’œil du loup de Daniel Pennac, Cahier Nouvelle Revue Pédagogique, p. 1.

8
Christian D’Amico Introduction

artifices langagiers et littéraires prévus (ou non) par l’auteur, qui modifient le signifié
originaire et objectif du message transmis par la langue. Selon le Dictionnaire
encyclopédique des sciences du langage : « La poétique est l'étude des formes
littéraires et plus particulièrement de la stylistique, de la narratologie, des figures de
style. Elle est « l'étude de l'art littéraire en tant que création verbale »3. Cette définition
proposée par Tzvetan Todorov, cofondateur avec Gérard Genette de la revue littéraire
Poétique, distingue trois grandes familles poétiques. Ici, l’idée de la poétique comme
ornement de la langue servant à procurer du plaisir est centrale pour notre analyse tout
comme celle considérant l’importance du jeu du langage poétique.

Notre définition de la poétique utilisera comme théorie du langage l’essai Pour


la poétique d’Henri Meschonnic qui nous aidera à cerner les moyens de la langue pour
procurer du plaisir par rapport au texte. La poétique étant, pour Meschonnic, l’étude
de la « littérarité », nous nous servirons aussi de ce concept. Étudier la poétique d’un
auteur revient à en délimiter la définition, en essayant au mieux de cerner l’idée qui a
guidé la genèse de cette poétique. Ainsi on voudrait pouvoir répondre à la question :
pourquoi a-t-il écrit de telle manière, sur tel sujet ?

Le sujet des études littéraires n’est pas la littérature dans sa totalité, mais la
« littérarité » (literaturnost’), c’est à dire « cela qui fait d’une œuvre donnée une œuvre
littéraire ».4

En citant la définition de littérarité de Roman Jakobson, qu’il définit dans


Questions et Poétique, Henri Meschonnic nous invite à nous intéresser aux
caractéristiques qui font d’un texte un texte à valeur littéraire. D’un côté, la littérarité
se recherche dans le texte par une analyse de la forme, de la rhétorique et du rythme.
De l’autre, la valeur littéraire comporte aussi une part de subjectivité, car elle « se
perçoit de façon proportionnelle au plaisir que provoque la lecture » 5 . Ainsi, la

3
O. DUCROT, T. TODOROV, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage,
« Poétique », Paris, Seuil, 1972, p. 193.

4
Henri Meschonnic, Pour la poétique, p. 18. [Dans la note]

5
Gilles Philippe, Lexique des termes littéraires, « littérarité », pp. 250-251.

9
Christian D’Amico Introduction

définition de littérarité est liée au plaisir subjectif, difficilement mesurable mais


assurément nommable. Les thèmes et sujets abordés par le livre, bien qu’étant
assujettis aux différents goûts des lecteurs, sont consciencieusement choisis par
l’auteur pour provoquer le plaisir.

Cette dualité relevée par la définition de Jakobson nous permettra d’envisager


la poétique de Pennac sous deux angles. Ainsi, nous pourrons proposer une étude
analytique des procédés langagiers utilisés par l’auteur dans son intention de procurer
du plaisir à son lecteur. Nous pourrons déjouer les manipulations de la langue,
découvrir le travail fait sur elle, comprendre la manière dont la forme se met au service
du plaisir. Ensuite, il nous sera aussi possible de discuter la matière des livres, le fond,
la trame choisie qui guide le lecteur au rythme des sujets et des idées que l’auteur veut
qu’il découvre. Nous ne pourrons, dès lors, plus séparer la poétique de l’auteur de son
projet d’écriture, celui du plaisir transmis par le texte. Ainsi, la structure de cette étude
essaiera aussi d’éclairer le travail de l’auteur par rapport au lecteur comme destinataire
du texte, une partie centrale de la genèse créatrice de Daniel Pennac qui transperce
dans sa poétique.

Ainsi, les idées de Mechonnic et de Barthes forment le moule dans lequel notre
analyse se fait et autorisent l’étude sur le plaisir du texte. Ce sera en partie grâce à
l’étude de Roland Barthes sur Le plaisir du texte6 que nous pourrons déceler certains
aspects autour du plaisir de lire. Cet essai regroupe des interpellations autour de la
question : « Que jouissons-nous du texte ? » 7 Car, toujours selon Barthes, il faut
affirmer le plaisir du texte. Nous lui devrons aussi la théorie littéraire de l’analyse
structurale des récits8 dont nous nous servirons sur les écrits de Pennac.

S. Roman Jacobson s’inspire du modèle mathématique de la


télécommunication pour définir l’ « acte de communication verbale », et en relève six

6
Roland Barthes, Le plaisir du texte. Paris, Seuil, 1982.

7
Ibid., quatrième de couverture.

8
R. Barthes, W.-C. Booth, P. Hamon, W. Kayser, Poétique du récit. Paris: Seuil, 1977.

10
Christian D’Amico Introduction

facteurs entrant en jeu9 : les interlocuteurs (locuteur et allocuteur), un code commun


qui est la langue, un contact qui lie les interlocuteurs en vue d’une transmission
véhiculant un référant sous forme d’un énoncé. Ces six éléments entrent en jeu dans
« une situation de communication » qui définit « le cadre spatio-temporel de l’acte de
communication »10 . Par la suite nous allons nous inspirer de cette définition de la
situation de communication afin de garantir un domaine de travail défini à notre étude,
sans nous cantonner et nous restreindre absolument à ce cadre établi par l’héritier des
formalistes russes et des travaux de Ferdinand de Saussure11.

En plus de ces facteurs de la communication, nous nous intéresserons aux


usages de la langue qui, selon Jacobson, se distinguent en six fonctions de la langue12
permettant une analyse structurale. La fonction référentielle définit le contexte de la
communication face à la réalité physique dans laquelle elle se fait. Ensemble avec la
fonction métalinguistique qui permet de définir la langue et de discourir sur la langue
par la langue et la fonction expressive, véhiculant l’attitude du locuteur à l’égard du
contenu de son énoncé (au référant), ces trois fonctions servent à se référer directement
à la réalité dans laquelle se fait la langue. Les trois prochaines « se réalisent chacune
dans un type spécifique d’activité langagière subjective » 13 . Ainsi, la fonction
injonctive sert à diriger l’allocutaire par l’énoncé. Mais, c’est surtout la fonction
phatique, définissant les multiples facettes du lien entre les interlocuteurs, qui nous
intéressera par la suite, lorsque nous discuterons le contact entre l’auteur et son lecteur.
Enfin, la fonction poétique, qui explique le travail effectué sur le code du message par

9
Jakobson, Roman, Essais de linguistique générale, p. 28.

10
M. Riegel, Pellat, R. Rioul, Grammaire méthodique du français, p. 3.

11
Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, Payot, Paris, 1966, 331 p.

12
A ce titre nous utiliserons les cours universitaires de M. Riegel ainsi que sa Grammaire
Méthodique du Français qui propose des définitions travaillées et inspirées directement de celles de
Jacobson, In : Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, p. 3.
13
Ibid., p. 4.

11
Christian D’Amico Introduction

le locuteur, trouvera toute son importance dans une analyse sur le plaisir procuré par
la lecture.

C’est par la lecture du Magazine Littéraire sur le roman noir, le roman noir,
violence et sociologie, N°78 et l’article de Jean Pons, paru dans Les Temps Modernes,
Roman noir, Pas d’orchidées pour les T.M., N°595 intitulé « Le roman noir, littérature
réelle » que nous approchons ce genre des romans de Daniel Pennac. Leurs déductions
sur le genre et l’impact sur le lecteur nous guideront vers une analyse du plaisir
provoqué chez le lecteur par le roman noir.

Pourquoi avoir choisi cet auteur-ci plutôt qu’un autre ? Au plaisir que procure
la lecture des œuvres de Daniel Pennac, il nous faudra aussi relever expressément
l’intention de l’auteur à procurer du plaisir à son lecteur. Notre thèse englobe l’idée
que Pennac a envie de plaire. Dans ce cas, nous pouvons voir son œuvre en partie
comme la mise en pratique d’une intention de donner envie de lire. Nous pourrons
alors nous intéresser aux ingrédients qui procurent ce plaisir et comprendre un peu
mieux ce qui favorise la lecture du texte. Ne serait-ce pas un ancien rêve de pédagogue
que de savoir ce qui motive à la lecture ?

« On écrit comme on se noie, pour en finir avec soi-même, et avec le désir


d’être lu. Il y a dans l’écriture une désespérance, quelque chose d’ambigu,
porté vers l’autre, une envie d’être lu très enfantine. »14

Cette plainte génitrice de Pennac interpelle le lecteur, montre que l’auteur a un


besoin désespéré d’être lu. On peut supposer qu’il fera donc le nécessaire pour que
cela arrive, quitte à séduire par le plaisir.

Ceci présuppose une relation privilégiée entre le créateur du texte et son


destinataire. Cette relation doit exister dans un espace privilégié que l’auteur met en

14
Réponse à la question : Pourquoi écrivez-vous ? Réponse donnée dans une interview pour la
fiche auteur chez Gallimard Jeunesse, In : Fiche auteur : Daniel Pennac, Paris, Gallimard Jeunesse.

12
Christian D’Amico Introduction

place et dans lequel un pacte avec le lecteur est réalisé. Une promesse du plaisir par la
lecture est faite, et doit toucher personnellement le lecteur :

« Si j’accepte de juger un texte selon le plaisir, je ne puis me laisser aller


à dire : celui-ci est bon, celui-là est mauvais. Pas de palmarès, pas de critique,
car celle-ci implique toujours une visée tactique, un usage social et bien
souvent une couverture imaginaire. Je ne puis doser, imaginer que le texte soit
perfectible, prêt à entrer dans un jeu de prédicats normatifs ; c’est trop ceci,
ce n’est pas assez cela ; le texte (il en est de même pour la voix qui chante) ne
peut m’arracher que ce jugement, nullement adjectif : c’est ça ! Et plus encore :
c’est cela pour moi ! Ce « pour-moi » n’est ni subjectif, ni existentiel, mais
nietzschéen (« … au fond, c’est toujours la même question : Qu’est-ce que
c’est pour moi ?... ») »15

Ce « moi » devient par procuration pour Pennac « le lecteur », c’est celui qui
donnera à lui, l’auteur, le plaisir d’être lu. Un retour du plaisir si on veut. Et puis, le
fait de projeter le plaisir du texte sur un lecteur potentiel permettra une réflexion sur la
motivation de la création littéraire. Pour nous, l’intérêt réside dans le fait de faire une
étude sur le plaisir de la lecture dans des œuvres qui sont créées avec l’intention de
plaire. En plus, cette envie créatrice a souvent comme population-cible la même que
celle des enseignants de langues.

Ainsi, une idée récurrente sur laquelle se basera cette analyse sera celle de la
relation entre l’auteur et son lecteur. Leur relation tourne autour du plaisir face à la
lecture aussi bien qu’à l’écriture. Même si l’auteur du texte prend plaisir à écrire, il
n’est pas certain que le lecteur partage ce plaisir. Par conséquent, il est important pour
l’auteur de mener son lecteur vers son plaisir. Comment l’y mener sera travaillé par
l’étude de plusieurs aspects de l’écriture de Daniel Pennac. Pour Roland Barthes, il est
crucial que l’auteur ait comme intention de chercher à charmer son lecteur en le menant

15
Roland Barthes, Le plaisir du texte, p. 22.

13
Christian D’Amico Introduction

au plaisir. Nous parlerons souvent, par la suite, de l’intentionnalité de l’auteur de faire


accéder son lecteur au plaisir de la lecture :

« Si je lis avec plaisir cette phrase, cette histoire ou ce mot, c’est qu’ils
ont été écrits dans le plaisir […] Ecrire dans le plaisir m’assure-t-il – moi,
écrivain – du plaisir de mon lecteur ? Nullement. Ce lecteur, il faut que je le
cherche (que je le « drague »), sans savoir où il est. Un espace de la jouissance
est alors créé [… cet] espace [est nécessaire] : la possibilité d’une dialectique
du désir, d’une imprévision de la jouissance : que les jeux ne soient pas faits,
qu’il y ait un jeu. »16

Il nous a été primordial de trouver un auteur qui écrit dans le but de plaire, et
Daniel Pennac explique ainsi cette envie de faire plaisir par ses romans et les histoires
qu’il raconte :

« Quand on veut être romancier, il faut raconter des histoires. (...)


Qu’ensuite ces histoires génèrent du sens ou pas, c’est l’affaire du lecteur et
éventuellement celle de l’auteur de distiller le sens qu’il veut. Mais ce qui me
plaît, c’est de faire plaisir en racontant des histoires. »17

Nous pouvons donc assumer que l’intentionnalité de plaire est certaine, et ceci
suppose par conséquent un travail en amont de l’auteur qui suit exactement ce but. Il
y aurait donc une structure du récit qui construise un cheminement vers le plaisir de la
lecture car il est voulu par l’auteur. Cette structure implicite au récit dont parle Barthes
dans Poétique du récit serait analysable et nous pourrons en dégager quelques grandes
lignes :

16
Roland Barthes, Le plaisir du texte, p. 10.
17
Interview pour le magazine : Les Inrockuptibles, Les Éditions Indépendantes, Paris, janvier-
février 1992, n°33, p.128-133.

14
Christian D’Amico Introduction

« […] ou bien le récit est un simple radotage d’évènements, auquel cas


on ne peut en parler qu’en s’en remettant à l’art, au talent ou au génie du
conteur (de l’auteur) – toutes formes mythiques du hasard -, ou bien il possède
en commun avec d’autres récits une structure accessible à l’analyse, quelque
patience qu’il faille mettre à l’énoncer ; car il y a bien un abîme entre
l’aléatoire le plus complexe et la combinatoire la plus simple, et nul ne peut
combiner (produire) un récit, sans se référer à un système implicite d’unités
et de règles. »18

Tout comme le suggère Barthes, il est impossible de faire une recherche suivant
un modèle des sciences expérimentales, exigeant une étude élargie de tous les récits
d’un genre, ici de l’auteur, pour en dégager une structure commune. Ce genre
d’analyse inductive serait « utopique » et impossible à réaliser. Ainsi, nous ferons des
déductions à partir d’éléments trouvés dans le récit de l’auteur, pour ensuite esquisser
une théorie. La procédure déductive répondra à la question de comment proposer des
résultats dans cette recherche. Ainsi, ce sera une justification des théories avancées sur
base des exemples utilisés, qui respecte la nature de la littérature, non par une totalité
absolue de la matière prise en compte par l’analyse littéraire, mais par une
représentation significative et suffisante pour pouvoir énoncer des théories. 19 Nous
voudrons donc expliquer comment Daniel Pennac procure du plaisir par son récit, en

18
Roland Barthes, Poétique du récit, p. 8.
19
In : Poétique du récit : « […] Beaucoup de commentateurs, qui admettent l’idée d’une
structure narrative, ne peuvent cependant se résigner à dégager l’analyse littéraire du modèle des
sciences expérimentales : ils demandent intrépidement que l’on applique à la narration une méthode
purement inductive et que l’on commence par étudier tous les récits d’un genre, d’une époque, d’une
société, pour ensuite passer à l’esquisse d’un modèle général. Cette vue de bon sens est utopique. La
linguistique elle-même, qui n’a que quelques mille langues à éteindre, n’y arrive pas ; sagement, elle
s’est faite déductive et c’est d’ailleurs de ce jour-là qu’elle s’est vraiment constituée et a progressé à pas
de géants, parvenant même à prévoir des faits qui n’avaient pas encore été découverts. Que dire alors
de l’analyse narrative, placée devant des millions de récits ? Elle est par force condamnée à une
procédure déductive ; elle est obligée de concevoir d’abord un modèle hypothétique de description (que
les linguistes américains appellent une « théorie »), et de descendre ensuite peu à peu, à partir de ce
modèle, vers les espèces qui, à la fois, y participent et s’en écartent […] »

15
Christian D’Amico Introduction

analysant des exemples de certains de ses récits, sans devoir nous référer à l’ensemble
de son œuvre, pour avoir le droit d’exposer son intentionnalité littéraire. En effet, il
serait inconcevable de vouloir proposer un éventail complet d’exemples extraits d’un
grand corpus de romans. Cela est d’autant plus vrai que le plaisir est de nature assez
indicible, car aucun plaisir naissant du texte ne peut être complet ou définitif, comme
l’explique Barthes. Vouloir être exhaustif serait vain face à la nature du plaisir : « En
un mot, un tel travail ne pourrait s’écrire. Je ne puis que tourner autour d’un tel sujet –
et dès lors mieux vaut le faire brièvement […] »20 Nous partageons l’avis de Barthes
sur le sujet, et essayerons par la suite, de nous concentrer sur une sélection d’exemples
qui n’appellent pas à une catégorisation du plaisir :

« On pourrait imaginer une typologie des plaisirs de lecture – ou des lecteurs de plaisir ; elle
ne serait pas sociologique, car le plaisir n’est pas un attribut ni du produit ni de la production ; elle ne
pourrait être que psychanalytique, engageant le rapport de la névrose lectrice à la forme hallucinée du
texte. Le fétichiste s’accorderait au texte découpé, au morcellement des citations, des formules, des
frappes, au plaisir du mot. L’obsessionnel aurait la volupté de la lettre, des langages seconds, décrochés,
des méta-langages (cette classe réunirait tous les logophiles, linguistes, sémioticiens, philologues : tous
ceux pour qui le langage revient. La paranoïaque consommerait ou produirait des textes retors, des
histoires développées comme des raisonnements, des constructions posées comme des jeux, des
contraintes secrètes. Quant à l’hystérique (si contraire à l’obsessionnel), il serait celui qui prend le texte
pour de l’argent comptant, qui entre dans la comédie sans fond, sans vérité, du langage, qui n’est plus
le sujet d’aucun regard critique et se jette à travers le texte… » 21

En conséquence, notre corpus d’exemples est principalement extrait des


romans composant initialement la saga Malaussène qui regroupe Au bonheur des ogres,
La fée carabine et La petite marchande de prose. Néanmoins, nous utiliserons parfois
des exemples d’autres œuvres de Daniel Pennac pour mettre en avant certaines
caractéristiques communes aux créations de l’auteur.

20
Roland Barthes, Le plaisir du texte, p. 48.

21
Ibid., p. 84.

16
Christian D’Amico Introduction

L’analyse de Barthes se rapproche finement de l’intentionnalité de Daniel


Pennac. La tmèse, source ou figure du plaisir, telle que définie par Barthes se retrouve
fortement dans les écrits de Pennac, et ce dernier reprend souvent les mêmes
mécanismes menant au plaisir dans ses écrits.

« Pourtant le récit le plus classique (un roman de Zola, de Balzac, de


Dickens, de Tolstoï) porte en lui une sorte de tmèse affaiblie : nous ne lisons
pas tout avec la même intensité de lecture ; un rythme s’établit, désinvolte,
peu respectueux à l’égard de l’intégrité du texte ; l’avidité même de la
connaissance nous entraîne à survoler ou à enjamber certains passages
(pressentis « ennuyeux ») pour retrouver au plus vite les lieux brûlants de
l’anecdote (qui sont toujours ses articulations : ce qui fait avancer le
dévoilement de l’énigme ou du destin) : nous sautons impunément ( personne
ne nous voit ) les descriptions, les explications, les considérations, les
conversations ; nous sommes alors semblables à un spectateur de cabaret qui
monterait sur la scène et hâterait le strip-tease de la danseuse, en lui ôtant
prestement ses vêtements […] La tmèse, source ou figure du plaisir, met ici
en regard deux bords prosaïques ; elle oppose ce qui est utile à la connaissance
du secret et ce qui lui est inutile […] »22

Il est frappant de retrouver certaines idées de Barthes dans l’analyse du plaisir


de lire que Pennac propose dans Comme un roman. Ainsi, par exemple, il y a un
parallélisme entre l’utilité des dix droits du lecteur23 qui mènent au plaisir de lire et le
rythme de lecture que suggère la tmèse de Barthes. Cette particularité nous conforte
dans l’idée que les romans de Daniel Pennac nous seront utiles pour nous rapprocher
du but pédagogique d’amener l’élève à la lecture.

Une limite à notre étude est que le plaisir de la lecture reste bien entendu très
subjectif et diffère d’un lecteur à l’autre, au gré des goûts de chacun. Pourtant,

22
Roland Barthes, Le plaisir du texte, p. 18.
23
Daniel Pennac, Comme un roman, p. 162.

17
Christian D’Amico Introduction

l’intention de l’auteur reste celle de toucher le lecteur tel qu’il soit, et cette intention
est bien réelle. Pennac en parle abondamment dans Comme un roman, ce qui devrait
pouvoir justifier une étude qui englobe l’objectif de décrire la source de ce plaisir. En
plus de cela, la portée de cette recherche dépasse la simple analyse d’une
intentionnalité créatrice par la nature même de l’œuvre entière pennacienne. Daniel
Pennac n’est pas seulement un auteur qui veut plaire, mais il était aussi un enseignant
de l’école secondaire dont l’une des intentions premières était de réconcilier les élèves
en difficultés par la lecture de la langue.

Nous recherchons le même but, et si cette étude peut nous amener à déceler
certains des mécanismes qui peuvent aider nos élèves à aimer lire, alors elle aura été
utile. Une étude autour du plaisir de lire est un travail qui nous semble essentiel car
l’exercice de la lecture cursive fait partie intégrante des programmes officiels, et est
nécessaire à l’apprentissage correct de la langue. La lecture classique crée un climat
propice à l’apprentissage et l’enseignant ne peut que se réjouir du fait que ses élèves
approchent le livre avec envie.

Pourtant, cette étude sur une partie de l’œuvre de Daniel Pennac n’est pas à
considérer comme un plaidoyer pour le plaisir à l’école, l’apprentissage n’étant pas
pur plaisir. Au mieux, la recherche du plaisir au service de l’apprentissage faciliterait
l’apprentissage de la langue, et ferait même partie d’un concept pédagogique tout à fait
respectable comme lors de l’organisation d’une bibliothèque de classe, au pire, cela
donnerait au professeur un support plaisant sur lequel il appuierait ses leçons lors
d’une séquence de grammaire de texte. Au final, il est certain que nous ne pouvons pas
décrire les mécanismes qui font qu’un tel aimera certainement la lecture et un autre
non, mais nous tenterons de trouver un consensus permettant probablement de
réconcilier le plus grand nombre avec la lecture. Pour le reste, nous ne pouvons que
partager l’avis de Pennac :

« Il semble établi de toute éternité, sous toutes les latitudes, que le plaisir
n’a pas à figurer au programme des écoles et que la connaissance ne peut
qu’être le fruit d’une souffrance bien comprise. »24

24
Daniel Pennac, Comme un roman, p. 88.

18
Christian D’Amico Introduction

Finalement, la limite d’une étude sur le plaisir réside dans l’impossibilité de


délimiter le plaisir lui-même, de par sa nature. La plaisir étant individuel, il n’est pas
forcément transmissible à l’autre. Pourtant, nous ne nous laisserons par déranger par
cette réalité, car même s’il est difficilement définissable, le plaisir du texte est bel et
bien réel : « Sur le plaisir du texte, nulle « thèse » n’est possible ; à peine une
inspection (une introspection) qui tourne court. Eppure si gaude ! Et pourtant envers
et contre tout, je jouis du texte. »25

Finalement, nous espérons, en tant qu’enseignant, pouvoir mener notre pratique


professionnelle à accomplir plus que ne le conçoivent les programmes officiels :

« Lire, cela s’apprend à l’école.

Aimer lire… »26

Concernant la littérature, Roland Barthes dit qu’« il se trouve que le propre de


la jouissance, c’est de ne pouvoir être dite ».27 Si nous ne pouvons dire la jouissance,
nous nous contenterons d’étudier l’élément qui procure cette jouissance, le plaisir du
texte par rapport aux domaines que ce dernier côtoie intimement : le langage, les sujets
abordés et les mécanismes qui mènent le lecteur au plaisir. Ceci reprend notre plan de
l’analyse proposée.

Nous essayerons ainsi de dégager des pistes sur la façon dont les livres de
Daniel Pennac influent sur l’envie de lire des lecteurs. C’est en mettant en évidence
des caractéristiques autour du code langagier et de la forme du langage, mais aussi
l’envie de recréer le monde par la langue, que nous voulons montrer comment le texte
courtise le lecteur. Ensuite, nous nous intéresserons au fond des écrits de Pennac pour

25
Roland Barthes, Le plaisir du texte, p. 48.
26
Daniel Pennac, Comme un roman, p. 90.
27
Barthes Roland, Le plaisir du texte, quatrième de couverture.

19
Christian D’Amico Introduction

découvrir un genre qui éveille toujours, dans le monde littéraire, des discussions
sulfureuses : le roman noir.

Nous voulons, après ceci, dégager les mécanismes les plus importants menant
au plaisir de la lecture, et en tirer les conclusions utiles. C’est en dévoilant ce qui
procure du plaisir à la lecture que nous pourrons, dans notre pratique professionnelle,
amener plus facilement les élèves à aimer lire.

20
PREMIÈRE PARTIE

Le plaisir e(s)t un travail avec la langue


Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

Introduction

Le plaisir de la lecture n’est pas dissociable de son support. Ce support est la


langue elle-même qui véhicule le signifié du message transmis. Que ce message lui-
même puisse créer un lien avec le lecteur, son destinataire, et ainsi lui procurer de la
joie est bien probable. Pourtant, avant même d’accéder au destinataire, tout message
transmis devra être chiffré en son code, celui de la langue, pour devenir ainsi un
message langagier. C’est ce code qui sera l’objet de notre première analyse. La forme
du message étant créée par son auteur, elle retracera une partie de son travail artistique
et créateur : c’est sa poétique.

La poétique de Daniel Pennac, en ce qui concerne ses romans, est considérée


comme une poétique visant à procurer du plaisir à ses lecteurs, et l’auteur lui-même a
souvent expliqué cette visée de son écriture lors d’interviews et dans ses écrits
théoriques. Il existe une intention de plaire au lecteur chez Pennac ; c’est ce qu’on
appellera par la suite une intentionnalité de l’auteur. En plus de ceci, la langue elle-
même peut, par le travail que l’auteur fournit sur elle, procurer du plaisir à son lecteur
par sa forme, par « sa nature ». En ce point c’est l’artiste de la langue, l’auteur, qui la
travaille et lui insuffle cette fonction.

Comme l’explique Barthes, la langue devenant au travers de l’écriture un texte


codifié, transmissible au lecteur, procure du plaisir au lecteur par sa codification : « Le
texte que vous écrivez doit me donner la preuve qu’il me désire. Cette preuve existe ;
c’est l’écriture. L’écriture est ceci : la science des jouissances du langage, son Kâma-
Sûtra […] »28

Dans ce premier chapitre nous nous intéresserons à la forme de l’écriture de


Pennac, sa poétique, une partie essentielle du travail subjectif de l’auteur sur son
écriture.

28
Roland Barthes, Le plaisir du texte, p. 13.

22
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

CHAPITRE PREMIER

Une forme du plaisir

L’auteur d’un texte véhicule un message d’une personne à l’autre par le biais
d’un code reconnu par un destinataire. La langue véhicule le référant du message de
l’auteur vers son destinataire. Ce schéma langagier, selon Roman Jacobson va répartir
la langue en fonctions, comme énoncé au début de cette étude. Nous pouvons établir
que Daniel Pennac, en sa qualité d’auteur a su mettre à profit son art pour effectuer un
travail conséquent sur la langue. Ce travail se fait sur le code lui-même sur sa forme,
et se situe dans la poétique de l’auteur. Les figures de style, les manipulations et
déviances de la langue qui appartiennent à la façon de produire la langue écrite, entrent
toutes dans le jeu prévu par l’auteur. Dans l’acte de création langagier de l’auteur se
cache son envie de toucher le lecteur par la forme de la langue, et d’ainsi faire naître
du plaisir à la lecture.

Bien que le travail réalisé par Pennac sur la langue, relève de la création
artistique, ses techniques ont des effets facilement repérables sur le lecteur et lui restent
accessibles. Il peut donc profiter de la langue sans qu’elle ne lui soit hermétique. La
poétique de Daniel Pennac reste une poétique qui fait effet à la lecture, sans détours et
présupposés théoriques.

Ce chapitre mettra l’accent sur ces techniques de l’auteur en commençant par


l’analyse des registres de langues, qui mettra en évidence une dualité du message
langagier, dans le but de créer un choc, et procurant ainsi du plaisir au lecteur. Ensuite,
nous montrerons en quel sens Pennac tente de rapprocher son énoncé, la langue, de la
réalité du monde en confirmant ainsi son rapport au monde. Finalement, une troisième
partie analysera l’idée que l’auteur, en tant que créateur de la langue, n’a pas peur de
« l’ouvrir » pour la recréer selon son envie.

23
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

1.1. Le sacré et le profane

C’est en jouant sur des antagonismes que Daniel Pennac suscite chez son
lecteur un certain choc face au message transmis par le texte. C’est ce choc qui produit
en cours de lecture de fortes réactions des lecteurs. Ils se demandent si l’auteur du livre
ne vient pas d’exagérer, si ce qu’ils lisent est bien permis en classe. Le jeu sur la langue
s’établit sur le décalage entre le code de la langue et le référant transmis. Ainsi le
lecteur, faisant confiance à son auteur, et à ce qu’un auteur devrait avoir de retenue, se
laisse guider par le code de la langue qui lui est proposé. C’est une confiance
intrinsèque qui n’a pas besoin d’un pacte ou d’une promesse comme le ferait un pacte
d’écriture.

Pennac rapproche alors le sublime de la langue et la décadence de la réalité


qu’elle décrit. Bien au-delà d’un oxymore qui n’est qu’une alliance de mots le
Gradus 29 présente « un changement de ton » ou « changement de contact » de la
langue et cela relève donc pleinement de la fonction phatique. Le destinataire, le
lecteur de Pennac, l’élève en cours, est interpellé par le changement brusque et
inattendu du ton de la langue. C’est le cas, ici, d’une description presque poétique du
policier Vanini qui reçoit une balle dans la tête par une « gentille » petite vielle au
début du roman La fée carabine :

« Toutes les idées du blondinet s’éparpillèrent. Cela fit une jolie fleur
dans le ciel d’hiver. Avant que le premier pétale en fût retombé, la vieille avait
remis son arme dans son cabas et reprenait la route. »30

L’élève-lecteur a besoin d’un moment pour comprendre, pour mettre en


relation les mots avec la réalité décrite. Arrivé à ce niveau, généralement au bout de

29
B. M. Dupriez, Gradus, les procédés littéraires, p. 31.

30
Daniel Pennac, La fée carabine, p. 16.

24
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

quelques secondes, c’est le choc… « Elle l’a tué, Monsieur ? La mamie ? D’une balle
en pleine tête ! » Ainsi, dès le début de ce deuxième volet de la saga de Pennac, le
lecteur retrouve un langage qui réussit à proposer une sorte de « décadence » à
plusieurs niveaux. En effet, à côté de la rupture, dans la logique du fond du récit (une
gentille vielle ne tire pas dans la tête d’un policier qui veut lui faire traverser la rue),
le lecteur est confronté à une rupture du code de la langue. La métaphore présentée
soumet le lecteur à une tâche de rapprochement, sur le plan cognitif, de l’antécédent
« cervelle » avec l’image d’une « jolie fleur dans le ciel d’hiver ». Par un travail
cognitif personnel, le lecteur est forcé de se représenter l’image de la métaphore et
ainsi de la vivre personnellement. C’est également une contradiction au niveau de la
représentation émotionnelle de la scène (fleur = beau = positif). D’après le Gradus,
« c’est le plus élaboré des tropes, car le passage d’un sens à l’autre a lieu par une
opération personnelle fondée sur une impression ou une interprétation, et celle-ci
demande à être trouvée sinon revécue par le lecteur. »31 Ainsi, Pennac force son lecteur
à revivre des scènes choquantes et ainsi à subir ces chocs.

Le lecteur est souvent confronté à une langue crue, imbibée d’ironie acide.
Alors que l’inspecteur Van Thian joue le rôle de mentor et guide spirituel pour son
jeune collègue Pastor, il lui confie un proverbe taoïste comme une révélation. Le
lecteur ne peut en être qu’étonné :

« - Proverbe taoïste, gamin : Si demain, après ta victoire de cette nuit, te


contemplant nu dans ton miroir tu te découvrirais une seconde paire de
testicules, que ton cœur ne se gonfle pas d’orgueil, ô mon fils, c’est tout
simplement que tu es en train de te faire enculer. »32

On pourrait citer de nombreux exemples similaires car Pennac use beaucoup


de cette technique et en parsème volontiers ses écrits. Il donne ainsi l’impression qu’il

31
B. M. Dupriez, Gradus, les procédés littéraires, p. 287.
32
Ibid., p. 70.

25
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

essaie de garder son lecteur éveillé par ces moments qui le choquent et l’interpellent
en même temps. Le lecteur de son côté est ravi et « entretenu » par Pennac, car loin
d’être des moments désagréables, ils provoquent une espèce de plaisir qui naît de la
dissonance évoquée. Roland Barthes explique la naissance de ce plaisir de la lecture :

« […] le plaisir de la lecture vient évidemment de certaines ruptures (ou


de certaines collisions) : des codes antipathiques (le noble et le trivial, par
exemple) entrent en contact ; des néologismes pompeux et dérisoires sont
créés ; des messages pornographiques viennent se mouler dans des phrases si
pures qu’on les prendrait pour des exemples de grammaire. »33

Cette dualité du langage pennacien procure du plaisir et est omniprésent dans


son œuvre. En ce qui concerne sa poétique, il est assez clair que souvent, le choc
produit est tributaire de la violence qui submerge le texte. Contrairement à la littérature
traditionnelle, ce rapprochement d’une violence crue qui imbibe l’écriture est une
caractéristique des écrits modernes et contemporains, car elle respecte peut-être moins
les codes classiques auxquels la langue se tient.

« De là, peut-être, un moyen d’évaluer les œuvres de la modernité : leur


valeur viendrait de leur duplicité. Il faut entendre par là qu’elles ont toujours
deux bords. Le bord subversif peut paraître privilégié parce qu’il est celui de
la violence ; mais ce n’est pas la violence qui impressionne le plaisir ; la
destruction ne l’intéresse pas ; ce qu’il veut, c’est le lieu d’une perte, c’est la
faille, la coupure, la déflation, le fading qui saisit le sujet au cœur de la
jouissance. » 34

Le fading, cette petite mort dont parle Barthes est une jouissance qui se fait lors
du travail personnel analytique du lecteur. Il se délecte, seul, de la découverte, peut-

33
Roland Barthes, Le plaisir du texte, p. 13.
34
Ibid., p. 14.

26
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

être un peu honteuse qu’il vient de faire sur sa lecture, et Pennac s’amuse à la lui
rappeler :

« Mais le petit, lui, ce qu’il a vu, derrière ses lunettes cerclées de rose,
c’est cette métamorphose de tête blonde en fleur céleste. Et ça l’a tellement
émerveillé […] »35 et un peu plus tard de s’exclamer : « Eh ! J’ai vu une
fée ! »36

Le choc des antagonismes où le mélange du sublime et de la décadence, le sacré


et le profane se chevauchent, sont des caractéristiques de la langue de Pennac qui
plaisent au lecteur qui peut s’en délecter lors de la lecture et de leur découverte.

Le ton des écrits de Pennac oscille entre le comique, le cynisme et l’humour


noir. L’auteur utilise un ton qui interpelle le lecteur se rapprochant du burlesque et
jouant sur un décalage entre la tonalité du discours et le sujet traité dans le texte.
L’auteur propose une langue qui ne se prend pas au sérieux, mais qui peut être légère,
enjouée et fabriquée pour le plaisir de son lecteur, car elle le réveille et l’amuse. Pennac
ajoute, après avoir décrit la vieille dame qui marche péniblement sur la glace et qui tire
sur le policier avec un vieux pistolet allemand : « Le recul lui avait d’ailleurs fait
gagner un bon mètre sur le verglas. »37 L’utilisation d’un langage cru et brusque plaît
au jeune car il se rapproche du sien. Ce langage est aussi direct qu’il ne l’est lui-même.

Les écrits de Pennac touchent son lecteur car ils sont aussi aux frontières du
comique ; comique de situation car elles sont incongrues, et comique d’un langage qui
fait rire franchement ou de façon coupable. D’invraisemblables retournements de
situation et des quiproquos ludiques, comme le fait que le policier Thian est aussi la
veuve vietnamienne, sont des procédés théâtraux qui génèrent le plaisir lors de la
lecture, et les élèves n’y sont pas insensibles :

35
Daniel Pennac, La fée carabine, p. 17.
36
Ibid., p. 17.
37
Ibid., p. 16.

27
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

« L’inspecteur Van Thian n’était pas seul dans son lit. L’inspecteur Van
Thian partageait son lit avec une veuve vietnamienne, la veuve Hô.
Prisonniers du même corps, la veuve et l’inspecteur semblaient instruire le
même divorce depuis une éternité. Chacun des deux désirait ardemment la
mort de l’autre ; c’était ce qui les maintenait en vie. Les horreurs qu’ils se
faisaient subir, ces deux-là, l’infirmière Magloire n’avait jamais vu pire. »38

Le lecteur peut se laisser guider par l’auteur à travers ces plaisirs procurés par
la langue. Pour l’élève cela est motivant car il se retrouve surpris par le texte, dont au
fait, il n’attendait rien. La promesse de l’ennui assuré par la lecture n’est pas tenue, et
il paraît bien y avoir quelque chose de puissant et de délicieux à la lecture, même s’il
ne l’avouerait pas.

* *

38
Ibid., p. 299.

28
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

1.2. Ouvrir la langue

Selon Barthes, la jouissance du texte arrive aussi par la dénaturation de la


langue, sa défiguration provoquant le plaisir à travers la langue : « […] j’irai jusqu’à
jouir d’une défiguration de la langue, et l’opinion passera les hauts cris, car elle ne veut
pas qu’on « défigure la nature » »39. Daniel Pennac n’a pas peur de la transformer. Il
semble l’utiliser simplement pour faire passer son message, quitte à la modifier. Pour
le lecteur il en résulte du plaisir à la lecture.

Ainsi, l’auteur s’amuse à reproduire graphiquement les phonèmes de la langue


arabe en utilisant le système graphique français. Il est clair que la plupart de ses lecteurs
non arabophones ne peuvent rien faire avec ces rassemblements de lettres-phonèmes
mais ici, le plaisir réside dans l’effet produit par la sonorisation des phonèmes proposés.
Dans La petite marchande de prose, nous retrouvons ainsi la langue arabe parlée par
Yasmina, avec une graphie occidentale. Le lecteur n’étant pas arabophone, cherche le
sens ailleurs que dans la langue simplement écrite :

« Qui dit que l’arabe est une langue gutturale, voix sèche du désert, râle
de sable et de ronces ? L’arabe est langue de colombe, aussi, promesse
lointaine des fontaines. Yasmina roucoule : « Oua eldzina amanou oua amilou
essalahat… » Yasmina s’est assise sur le tabouret de Thian le conteur :
«Lanoubaouanahoum min eljanat ghourafan… » 40

Nous voyons ici que l’auteur commente, à travers les pensées de son héros,
Benjamin Malaussène, l’effet sonore de l’arabe. Il montre ainsi son plaisir à l’entendre
et à en déceler le sens naissant des phonèmes. Il fait jaillir du sens par la sonorité même
d’une langue qui n’est même pas comprise. Le lecteur, non-arabophone ne peut pas
comprendre le sens des mots de cette sourate du Coran, mais la sonorité rappelle la

39
Roland Barthes, Le plaisir du texte, p. 52.
40
Daniel Pennac, La petite marchande de prose, p. 87.

29
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

colombe qui elle, promet la fontaine et l’eau tant convoitée dans le désert car source
de vie et de repos. C’est exactement cela que Yasmina essaie ici de faire ; redonner vie
et repos à la jeune veuve Clara. On peut parler ici d’un double sens de la langue. Celui
des mots différant ainsi de celui des phonèmes. La langue est multiple par ses
possibilités sémantiques. C’est en brisant le code convenu de la langue et en lui
permettant de signifier autrement que Pennac réussit à démultiplier la force du signifié.

Le calembour technique qui subdivise le mot en différentes parties, suggérant


à leur tour un nouveau sens, fait partie des techniques de Pennac. A leur sujet, Pennac
a dit cette phrase, devenue célèbre:

« Il ne faut pas cracher sur les jeux de mots. Les plus


mauvais font aux meilleurs amis »

Il s’agit ici de faire jaillir du sens à partir du mot lui-même. Ce mot propose
du son, des phonèmes qui peuvent s’interpréter différemment et ils multiplient les
analyses sémantiques. En séparant les parties du mot on voit qu’il en émerge du sens :

« Je ne veux pas que Clara passe seulement une semaine de sa vie à faire
la muse pour les taulards de Saint-Hiver. Je ne veux pas qu’on m’use ma
Clara »41

« Non seulement vous êtes innocent, mais vous êtes, si je puis dire,
l’innocence même. (L’innocence m’aime.) » 42

Pennac module le mot en décomposant sa structure, réutilisant les phonèmes


pour faire jaillir du sens nouveau. Ici « ouvrir la langue » permet d’une manière
ludique de créer plus de sens dans la langue. Nous analyserons plus loin l’envie de

41
Daniel Pennac, La petite marchande de prose, p. 60.
42
Ibid., p. 90.

30
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

Pennac de rapprocher la langue de la réalité et le calembour, étant un jeu sur


l’homophonie est intimement lié à la réalité sonore du monde.

N’oublions pas que Pennac n’a pas peur d’utiliser des néologismes. C’est une
manière d’essayer de se rapprocher le plus possible de la réalité, et si la langue
existante n’y parvient pas, alors l’auteur va « ouvrir » la langue, et briser les codes
existants pour s’en rapprocher. Le néologisme est donc une création nécessaire pour
être le plus proche de la réalité. Souvent, Daniel Pennac crée le néologisme autour d’un
champ lexical commun, rendant sa compréhension aisée :

« Le pire dans les noces, c’est la caravane de klaxonneurs qui annonce au


monde entier la proche inauguration de la mariée […] il a fallu se fader
soixante kilomètres de klaxonnerie […] »43

Ici le néologisme est un raccourci vers le signifié voulu, qui ne se trouve pas
assez représenté dans la langue existante. L’auteur modifie simplement la langue pour
dire exactement ce qu’il veut dire : « Je n’aime pas cette coiffure, Benjamin, elle te
donne l’air méphistophélique. Ce n’est pas toi, et ce n’est pas sain. »44

Le néologisme prouve l’incapacité de la langue de rapporter exactement ce que


le monde autour d’elle signifie. Elle manque de signifiance, n’englobe pas tout le réel.
C’était bien tout le problème rencontré par les existentialistes, mais Pennac ne s’en
offusque pas et crée ce dont il a besoin.

Comme pour le calembour, Pennac va jusqu’à reprendre une particularité


sonore de l’écrit pour rendre compte de la réalité par le médium de l’écrit, modifiant
ainsi la langue française elle-même et produisant, sur le papier, une suite de lettres qui
n’existe pas en français. Cela amuse le lecteur qui, en réassemblant les lettres
proposées par l’auteur découvre ainsi, avec un décalage dû à la reconstruction de la
langue, le référant décrit. Il en est ainsi avec l’imitation de la voix de la veuve Thian,
qui parle un français avec un fort accent :

43
Daniel Pennac, La petite marchande de prose, p. 62.
44
Ibid., p. 141.

31
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

« Les begtites bilules, tse n’eï pas moâh ! protestait-elle, tseï


Dzanine ! »45

Il faut prendre la langue telle qu’elle se présente, quitte à ne pas respecter la


langue telle qu’elle est conçue, pensée par les grammairiens. Ici encore, nous voyons
l’envie de Pennac à présenter le réel, quitte à malmener la structure classique de la
langue.

Venons-en finalement à une autre sorte d’ouverture de la langue. Pennac aime


l’ouvrir en réutilisant des mots bien existants mais qui ne s’utilisent plus vraiment dans
la langue courante. Ces mots rares, selon le Trésor de la Langue Française46, servent
à l’auteur, donc il les utilise, offrant leur retour dans la langue : « La fille est très belle.
Dans le genre léonin. » 47 L’envie de décrire avec le référant voulu prime sur les
conventions langagières :

« Il est vieux, il est veuf, il est sans enfant, la retraite le déglingue : c’est une
proie rêvée pour les seringueurs. Une seconde d’inattention et le vieux Semelle sera
aussi fléché qu’une cible de concours »48. Pennac utilise ces termes, bien que rares,
pour leur force sémantique et leur rapport direct avec leur signifié, leur rapport avec
leur réalité.

Tous ces exemples et toutes ces techniques langagières utilisées montrent à


quel point la langue devient ici un moyen de représenter le référant. S’il faut la modifier,
Pennac le fera au plus grand plaisir de son lecteur. L’ouverture de langue est une façon
agréable pour le jeune, pour l’élève, de remarquer à quel point elle est vivante et
inscrite dans la réalité.

* *

45
Daniel Pennac, La fée carabine, p. 301.
46
Version en consultation libre : http://atilf.atilf.fr/tlf.htm
47
Daniel Pennac, Au bonheur des ogres, p. 57.
48
Daniel Pennac, La fée carabine, p. 20.

32
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

DEUXIÈME CHAPITRE

Intentionnalité de la langue, miroir de la réalité

Le plaisir naît, entre autre, au contact de la langue, du langage proposé. Dans


cette deuxième partie nous montrerons qu’une part non négligeable de l’intention de
l’auteur est de rapporter le réel, le monde réel, par la langue. Comme énoncé dans
l’introduction, cette intentionnalité est procurée à la langue par l’auteur. La langue de
Pennac est travaillée, modifiée afin de parvenir à ce but ultime : donner du plaisir à
celui qui la lit. Ici ce plaisir naît dans l’effet mimétique de la langue pour la réalité
qu’elle décrit. Tout est proche du vécu réel.

Au début nous allons découvrir à quel point Pennac use de techniques et de


procédés comme de figures de style, afin de rendre son texte vivant et palpitant tel la
vie réelle qu’il décrit. La langue du texte y devient un miroir de la réalité par son
rapprochement aux référents du réel.

Ensuite nous allons nous intéresser au rythme de son écriture. Comment Pennac
parvient-il à insuffler de la vie à son écriture et à lui conférer des caractéristiques de
l’oral. Nous parlerons de la rapidité au langage.

Finalement nous verrons que les écrits de Pennac ont la caractéristique de


l’image et réveillent ainsi l’imaginaire du lecteur.

33
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

2.1. Une langue proche du réel

La langue étant la codification d’un message censé traduire un référant à la


réalité, elle est l’aboutissement d’une série de processus, dont le texte est pour le
lecteur le produit final. Il est clair qu’à travers toutes ces étapes, son message n’est
plus, de manière voulue ou non, une représentation exacte du monde qu’elle décrit.
Ainsi, la langue est souvent source de malentendus. Afin d’y remédier, ou pour la
rapprocher à nouveau de la réalité qu’elle est censée décrire, Daniel Pennac utilise
plusieurs techniques.

Ainsi il rapproche à nouveau son message du référant, et essaie de sublimer sa


fonction référentielle le plus possible. Par son écriture textuelle, il essaie de renouer
avec le monde et en rapprocher ainsi son lecteur. Le texte devient un complice
privilégié du lecteur, afin de percevoir le monde, et de lui proposer une vue élaborée
des multiples facettes qui le définissent. Dans Pour la poétique I, Henri Mechonnic
explique que : « Le texte est un rapport au monde […] »49. Le texte se définit ainsi
aussi par sa relation mimétique avec la réalité. En étant accessible au lecteur, le monde
qu’il décrit le devient aussi.

Les onomatopées naissent sous la plume de Pennac, faisant jaillir du sens au


bruit de leurs phonèmes. Nous utilisons ici le Gradus des procédés littéraires qui ouvre
une définition plus élargie de ce procédé, et affirme qu’ « il y a [entre autres]
codification de la prononciation »50.

Le lecteur est pris à parti, et c’est lui-même qui fait le travail de déceler le sens
du mot imitatif de la réalité. « Mais, ressentons-nous tous ces phénomènes sonores de
la même façon, même si le sens du mot nous y incite ? […] L’onomatopée reste […]
un phénomène subjectif »51. Ce travail de décodification est subjectif, donc personnel,

49
Henri Meschonnic, Pour la poétique I, p. 143.
50
B. M. Dupriez, Gradus, les procédés littéraires, p. 316.
51
Ibid., p. 316.

34
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

le lecteur doit s’investir dans sa lecture, et se trouve récompensé par ses découvertes
sur la langue et leur rapport à la réalité. En effet, « la limite entre les lexèmes
onomatopéiques et les autres est difficile à tracer [et] nombreux sont les vocables
susceptibles de recevoir une motivation phonétique qui les rapprochera des
onomatopées. »52 Si Pennac utilise souvent les onomatopées dans ses lectures pour
jeunes enfants, ce qui prouve son envie de plaire à ses enfants-lecteurs, il en utilise
aussi à travers ses autres romans. Ainsi entre les « flop, flop, flop »53 de l’hélicoptère
qui chasse la meute de loups dans L’œil du loup, les « Bang ! Bang !» des coups de feu
et les « hop », « clac » et « plouf » censés faire jaillir des images dans la tête du jeune
lecteur, Pennac parle du « Tutt »54 pour désigner le klaxon des années cinquante et
faire imaginer la voiture qui l’a produit (la quatre chevaux jaune citron de Julia).

A côté de l’onomatopée c’est aussi avec l’allitération que Pennac provoque


volontairement un symbolisme phonétique à qui sait le déceler. Dans Au bonheur des
Ogres, les vendeuses et caissières s’affairent à faire tourner les affaires, et Pennac
s’amuse à cacher sous ces mots les bruits et cliquetis des caisses automatiques
suggérant ainsi l’inhumaine machine à sous que représente le Magasin, symbole d’un
libéralisme qui ne s’endeuille pas de la mort d’homme et qui ne s’arrête pas de tourner
malgré les explosions fatales car « the show must go on » :

« Elle [la petite rouquine] s’adresse à sa copine, plutôt genre belette,


occupée à empaqueter un Boeing 747. La copine opine. […] »

Ce « phénomène sonore » est parfois difficile à déceler mais même


inconsciemment il guide le rythme de lecture tout en rapprochant le texte du monde
réel.

52
Ibid., p. 316.
53
Daniel Pennac, L’œil du loup, p. 40.
54
Daniel Pennac, Au bonheur des ogres, p. 65.

35
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

Ceci nous rappelle évidemment les jeux de mots sur les sons qui font jaillir du
sens nouveau. Le calembour, vu dans le premier chapitre, est un jeu sur l’homophonie
des mots, mais aussi un acte langagier qui rapproche intimement le langage à la réalité
du monde, allant jusqu’à vider le phonème de signifié pour en recréer un autre en
n’utilisant que le son, le bruit de la langue.

* *

36
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

2.2. Le rythme comme calque de la réalité

Le rythme du langage et sa vitesse reproduit la vitesse de la vie réelle. Le style


de Pennac rend compte de la vélocité de la réalité décrite par le texte. L’auteur utilise
des phrases nominales et des phrases courtes qui sont introduites par des pronoms-
sujets et des groupes nominaux brefs. Ces phrases parlent d’actions successives et
rapides, qui font avancer la trame de l’histoire, et la font découvrir au lecteur au même
moment que les protagonistes semblent la vivre. Le passé simple, dont la forme courte
s’y prête à merveille fait avancer l’action promptement. Le style de Pennac, à ce
moment, donne de la force et de la persistance à tout ce qui est dit, et précise tout ce
qui est décrit tel des images aussi fortes que le serait la réalité.

« J’ai pris le bras de Clara. Elle s’est dégagée. Elle voulait marcher seule.
Seule devant. Elle connaissait le chemin des appartements de Saint-Hiver.
Coudrier et moi n’avions qu’à suivre. Nous suivîmes. Ce fut comme si la jeune
mariée passait la gendarmerie français nationale en revue. Les gendarmes se
redressaient en baissant la tête. Les gendarmes pleuraient le deuil de la mariée.
Il neigeait sur la gendarmerie française. […] La mariée ne regarda ni les uns
ni les autres. La mariée fixait la haute porte grise. La porte s’ouvrit d’elle-
même sur la cour d’honneur de la prison. Au milieu de la cour, un piano à
queue se consumait doucement parmi des chaises renversées. Une fumée
droite l’envoyait au ciel. Les casquettes des gardiens tombèrent au passage de
la mariée. Quelques moustaches frémirent. Le dos d’une main écrasa une
larme. »55

Ces images évoquent la marche funèbre de la jeune mariée Clara Malaussène


vers la dépouille de son mari. L’image recrée l’action dans la conscience du lecteur. Il
est alors submergé par le texte, par les images d’une réalité s’enchaînant
inexorablement. Il y a plaisir par le mimétisme mais aussi par la submersion dans la
réalité décrite, rendue possible par cette fluidité du texte. Pour les élèves, cet effet
ressemble aux images qu’ils côtoient et recherchent tous les jours ; aux vidéos qui

55
Daniel Pennac, La petite marchande de prose, p. 75.

37
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

s’enchaînent dans la réalité virtuelle de la toile. Ils y retrouvent le plaisir de la rapidité


immédiate de l’image, du vécu, celle qui ne laisse pas de place à l’ennui, celle qui les
divertit.

Les dialogues sont légion dans les écrits de Pennac. Ainsi, ils remplissent des
chapitres entiers qui leur sont spécialement dédiés et les répliques rythment la fluidité
de la lecture. Souvent, lors de discussions entre les personnages, la retranscription des
dialogues en forme écrite force le lecteur à augmenter de plus en plus sa vitesse de
lecture. Les phrases se raccourcissent et les répliques deviennent de plus en plus
rapides, s’enchaînant dans un rythme infernal :

« - Elle n’est plus dans la piaule.


- Sans blague ?
- Elle est blessée, elle s’est tirée. Elle a laissé deux doigts collés au mur.
- Quoi ?
- Le Viet lui a coupé deux doigts.
- S’est barrée avec deux doigts coupés ?
- Le Viet ne lui a pas coupé les jambes !
- Quand même…
- Sacrée nana, hein ?
- […] »56
A cause de ces répliques successives et rapides le lecteur incarne les voix des
personnages afin de suivre le dialogue, comme en direct. Il devient acteur et spectateur
du dialogue. La voix des personnages mène le lecteur au travers des discussions. La
lecture devient vivante et réelle. Le rythme accéléré des dialogues touche le lecteur qui
ressent plus fortement l’atmosphère dans laquelle gravitent les personnages.

La promiscuité ainsi créée entre les personnages et le lecteur, par le dialogue


des personnages, peut s’avérer être un piège de l’auteur pour choquer le lecteur. En
effet, le dialogue étant direct et rapide, il peut se laisser surprendre, comme lors d’un
dialogue dans la vraie vie :

« - Et tu sais ce qu’a fait la petite fille, Loussa ?


- Non.

56
Daniel Pennac, La petite marchande de prose, p. 287.

38
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

- Elle l’a menacé du bout du doigt.


- C’est tout ?
- Qu’est-ce qu’une petite fille peut faire de plus, d’après toi ?
- Je ne sais pas.
- Elle s’est pendue.
- […] »57

Le plaisir existe dans la découverte du dialogue mais aussi par sa manière d’être
abrupt. Il existe une vivacité dans le langage parlé qui plaît au lecteur. Même les
silences sont évocateurs et veulent, comme dans la vraie vie, dire plus que mille mots ;
l’absence du mot signifie :

« COUDRIER : Dites-moi, Thian, jusqu’où peut aller une femme quand elle a décidé de
venger l’homme qu’elle aime ?
VAN THIAN : …
COUDRIER : …
VAN THIAN : Au moins, oui. »58

Ainsi, le rythme dans les écrits de Daniel Pennac est souvent accéléré pour
rapprocher le texte de la réalité évoquée. Daniel Pennac utilise cette technique lorsqu’il
présente des descriptions au lecteur mais aussi dans les dialogues. D’un côté, il produit
un flot d’images que le lecteur doit reconstruire sur un plan cognitif et de l’autre, il
immerge le lecteur dans des discussions vivaces qui le plongent dans une dimension
auditive. A chaque fois, l’auteur module la rapidité du référant à la réalité décrite et
réussit ainsi à submerger le lecteur. La jouissance du texte découle de ses techniques
langagières, qui se jouent à plusieurs dimensions, lors de l’encodage dans l’imaginaire
du lecteur.

* *

57
Daniel Pennac, La petite marchande de prose, p. 259.
58
Ibid., p : 173.

39
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

2.3. Une forme tout en images

Une des caractéristiques du succès des œuvres de Pennac auprès de ses jeunes
lecteurs, les élèves, et probablement la plus importante de ces caractéristiques pour
eux, est la forme imagée du langage de Pennac. Son texte projette l’image dans la tête
du lecteur, l’aidant à vivre la trame, à s’immerger dans l’histoire. Ceci explique en
partie le succès de l’adaptation cinématographique du roman Au bonheur des ogres.

Ainsi les textes de Pennac regorgent de métaphores et de comparaisons juteuses.


L’enfant y devient un «fruit de la passion »59, la naissance d’un bébé y devient « un
atterrissage », et toute sa vie est résumée, dans ce court extrait de La petite marchande
de prose, par métaphores, comparaisons et de multiples images amusantes à déchiffrer
et expliquer par les lecteurs-élèves. Ceci rend le texte vivant, colorié et vibrant pour
les élèves qui sont à la recherche de cela.

Rappelons aussi la métaphore qui introduit La fée carabine ou une tête éclate
à cause d’un coup de jeu tiré à bout portant et devient « […] une jolie fleur dans le
ciel ».60 C’est surtout par ces exemples, pour certains violents, que le jeune lecteur est
attiré par la lecture ; elle empiète sur le terrain de l’image, lui vole ses galons au profit
du texte. Ici, la belle Julie est enlaidie par une comparaison maraîchère :

« Je vais te faire greffer un nez en patate, ma fille, et des oreilles en chou-


fleur, tu ressembleras à un potager ordinaire, tu produiras de paisibles petits
légumes que je ferai sauter… sur mes genoux. »61

Dans cet exemple, en plus, l’horreur naît de la comparaison avec les légumes à
faire sauter sur les genoux, dans un roman évoquant un crime pédophile.

59
Daniel Pennac, La petite marchande de prose, p. 122. [Cette métaphore est à l’origine du
titre de roman Aux fruits de la passion de Pennac.]
60
Daniel Pennac, La fée carabine, p. 16.
61
Daniel Pennac, La petite marchande de prose, p. 176.

40
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

La description de l’enfant Verdun, quitte à dépasser la comparaison, propose


d’en faire carrément une allégorie de la colère, incarnation véritable du courroux. C’est
une hyperbole épique qui se retrouve tout au long du texte, mais qui plaît et amuse le
lecteur :

« Elle bout de rage, Verdun, elle va faire évaporer le bénitier ! C’est


même le seul évènement de la journée que j’attende avec une certaine
impatience : la petite goutte sacrée qui fera exploser Verdun et l’Eglise
apostolique et romaine avec elle. »62

Ici aussi, le lecteur peut s’offrir l’image de ce petit bébé qui peut, telle une
menace incontrôlée, détruire le monde qui l’entoure. Il y a ici plaisir dans l’exagération
offerte par l’image.

Tout comme dans les textes épiques du Moyen-Âge, Pennac offre aussi à son
lecteur de longues énumérations autour du même mot. Comme si plusieurs facettes du
même mot, plusieurs référents à une même réalité aideraient à mieux référer du monde.
Ce sont de multiples formes du même mot, traversant tous les registres de la langue :
« […] mais riche d’argent, nom de Dieu, de pognon, de tunes, de joncs, et de pépettes,
riche de fric, de blé, de flouse, d’artiche et d’oseille ! » 63 L’auteur se délecte des
possibilités de la langue comme d’innombrables plaisirs que peut lui procurer le
langage.

Au travers de ces exemples, nous voyons que la langue sert au plaisir du lecteur
par sa forme imagée. L’auteur veut représenter la réalité et la faire représenter dans
l’imaginaire du lecteur. Le rapprochement au monde réel est comme une promesse de
vérité. Rester proche de la réalité, ici par la forme imagée, c’est aussi rester sincère
avec le lecteur tout en lui procurant le plaisir au travers de la lecture.

* *
*

62
Daniel Pennac, La petite marchande de prose, p. 58.
63
Ibid., p. 123.

41
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

Conclusion

L’envie de créer une langue proche de la réalité semble être une caractéristique
essentielle du langage de Daniel Pennac. La relation avec le monde qu’il décrit est
primordiale pour l’auteur et semble être l’un des mécanismes qui engendre ce plaisir
de la lecture que nous nous proposons de travailler.

Ce faisant, le langage s’accélère au rythme de la trame, et suit ainsi le rythme


de la réalité. Ensemble avec le fait que la langue veut accrocher par sa virtuosité nous
y décelons une autre caractéristique importante qui mène au plaisir de la lecture.

La codification du message langagier dans sa fonction phatique est toujours


adressée du locuteur vers un destinataire. Il est possible pour un expert de cette
codification, et nous pouvons assurément compter Pennac parmi ces experts de la
création de la langue (en tant que genèse ; géniteur de la langue) de la moduler à lui
conférer une sorte de teinte, de couleur. A côté du fait de manipuler les registres de la
langue par les trois niveaux de langue (familier, neutre et soutenu) l’auteur peut aussi
moduler le ton de son langage selon la perception de la réalité qu’il désire véhiculer.
C’est donc l’émotion que l’auteur du message veut éveiller chez son lecteur. Les
registres de la langue composent souvent, mélangés les uns aux autres, des nuances de
la langue qui véhiculent leur sens propre. Ainsi ces nuances de la langue et les registres
qui les forment ont pour but de modifier la sphère émotive du lecteur.

Le mélange des codes a pour but de faire aimer la lecture, et Daniel Pennac y
parvient en modulant le langage pour créer un choc auprès de ses lecteurs. Le plaisir
de la lecture est primordial pour lui et l’auteur, il ira même jusqu’à déconstruire le
signifié, à « ouvrir » la langue pour y arriver. Sur ce point, Roland Barthes est clair, le
texte peut se modifier pour devenir exceptionnel.

« Enfin, le texte peut, s’il en a envie, s’attaquer aux structures canoniques


de la langue elle-même : le lexique (néologismes exubérants, mots-tiroirs,
translitérations), la syntaxe (plus de cellule logique, plus de phrase). Il s’agit,
par transmutation (et non plus seulement par transformation), de faire

42
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

apparaître un nouvel état philosophale de la matière langagière ; cet état inouï,


ce métal incandescent, hors origine et hors communication, c’est alors du
langage, et non un langage […] »64

Tout ceci présuppose un sérieux travail de l’auteur sur son texte et une
intentionnalité de sa part. Daniel Pennac essaie, par son écriture de ramener le code
langagier d’un support écrit vers celui de la réalité. Du point de vue de l’analyse
jakobsonienne de la communication langagière, il essaie de rapprocher à nouveau
l’énoncé, en tant d’entité codifiée d’un message, vers son référent de la réalité. Ce n’est
pas dans le sens d’une déconstruction de la langue qu’il le fait mais pour son
rapprochement à la réalité du monde.

Ainsi, la langue se doit d’être plaisante, et tous les moyens sont bons.
L’intention de l’auteur c’est de créer du plaisir en écrivant ses histoires avec un outil
plaisant et cet outil, analysé dans notre première partie est la langue elle-même.

La langue comme jouissance, telle que la conçoit Barthes, ressemble à une


extase sexuelle : « Le plaisir du texte est semblable à cet instant intenable, impossible,
purement romanesque, que le libertin goûte au terme d’une machination hardie, faisant
couper la corde qui le pend, au moment où il jouit. »65 Ici la machination hardie est le
travail de l’auteur. Pennac accomplit ce travail pour que son lecteur aime le texte, ait
du plaisir à le lire.

Que cela soit par la création d’une dissonance dans le langage ou par
l’ouverture de la langue afin de la faire signifier plus, l’auteur Pennac travaille ses
écrits afin qu’il divertissent le lecteur. Il essaie aussi de ramener le plus possible la
langue vers le monde qu’elle décrit afin qu’elle témoigne fidèlement de ce qui existe.

Son but semble être d’accrocher le lecteur, et en cela Daniel Pennac est un
auteur providentiel pour l’enseignant qui désire que l’apprentissage de la langue puisse,
entre autre, passer par la lecture. Sous la plume de l’écrivain, la langue devient un outil

64
Roland Barthes, Le plaisir du texte, p. 44.

65
Roland Barthes, Le plaisir du texte, p. 14.

43
Christian D’Amico Première partie : Un travail avec la langue

malléable pour conduire au plaisir de la lecture. C’est en effet par elle que le plaisir se
façonne et elle en devient l’instrument.

Pennac, qui expose sa théorie dans Comme un roman le dit clairement :

« Oui, le charme du style ajoute au bonheur du récit. La


dernière page tournée, c’est l’écho de cette voix qui nous tient
compagnie »66

66
Daniel Pennac, Comme un roman, p. 130.

44
DEUXIÈME PARTIE

Le roman noir, les ingrédients du plaisir


Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

Introduction

« En argot, lire se dit ligoter. »67

Qu’est-ce que les jeunes aiment lire ? Pour Pennac la réponse est toute simple :
la même chose que les adultes, Dans Comme un roman, Pennac explique que la bonne
littérature de jeunesse est celle que les parents volent à leurs enfants pour la lire eux-
mêmes. C’est une idée sincère : concevoir le jeune lecteur comme apte et assez mature
pour aimer ce qu’un lecteur adulte aime lui-aussi.

Daniel Pennac a bien un projet d’écriture, et l’effet que produit son écriture ne
naît pas d’un pur hasard, mais d’une intentionnalité artistique de l’auteur. Il serait naïf
de penser que la plume de l’auteur, quelque génie soit-il, produise toujours du plaisir
au lecteur, lui fait savourer sa lecture et le fasse rire tout seul, « à l’intérieur », assis
confortablement dans son fauteuil de lecture sans que cela n’ait été savamment préparé
et mis en place à l’avance par l’auteur.

Le choix d’écrire un roman noir est un choix logique qui découle de l’effet
provoqué sur le lecteur. D’un côté, le monde dans lequel se retrouvent les personnages
est intriguant et passionnant, et permet au lecteur de se plonger dans une époque où
l’Amérique se confronte à ses propres cauchemars. Agité par la criminalité et par
l’impuissance des autorités à contenir une population victime d’une période sombre de
l’histoire américaine, le monde du roman noir offre un décor parfait pour atteler le
lecteur à l’histoire. De l’autre, le fond du roman noir se lit facilement, l’intrigue est
centrale et simple. C’est souvent l’histoire de crimes qui suivent une logique unique et
dont découle tout le reste. Pour le lecteur, adulte ou adolescent, la problématique est
simple. Qui perpétue ces crimes et quelles sont les motivations ? Le travail du lecteur
en est extrêmement simplifié, et il peut se contenter de savourer le roman :

67
Daniel Pennac, Comme un roman, p. 50.

46
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

« Roman de comportement, de violence, roman sociologique et politique,


à travers une intrigue simple mais forte. C’est ce roman noir qui nous intéresse
ici. »68

Le jeune lecteur peut s’amuser à suivre l’intrigue sans se concentrer d’avantage


sur tous les mécanismes mis en place par l’auteur afin de créer une atmosphère propice
à l’histoire. Le plaisir de la lecture peut naître en dehors d’une pédagogie didactique
de la langue, visible pour l’élève. Le simple plaisir de la lecture est mis en avant et le
polar s’y prête à merveille :

« Notre but est fort simple : vous empêcher de dormir »69

68
Magazine littéraire, Le roman noir, p. 10.
69
Marcel Duhamel, 1948.

47
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

CHAPITRE PREMIER

Roman noir, Littérature réelle70

A la fin de la Deuxième Guerre mondiale l’Europe se remet d’une époque


terrible, et la France est fascinée par l’Amérique libératrice. L’idée de Marcel
Duhammel est de créer une collection qui permettrait de publier des romans américains.
Appelée « Série Noire » la collection est censée présenter « l’American way of live »,
très en vogue à l’époque. Portée entre autre par de grands auteurs de l’époque comme
Malraux et Aragon, la Série Noire trouvera un public grandissant.

Dans un éditorial de 1948, Marcel Duhamel ce texte, considéré dès lors comme
« le manifeste de la Série Noire » :

« Que le lecteur non prévenu se méfie : les volumes de la « Série Noire »


ne peuvent pas sans danger être mis entre toutes les mains. L'amateur
d'énigmes à la Sherlock Holmes n'y trouvera pas souvent son compte.
L'optimiste systématique non plus. L'immoralité admise en général dans ce
genre d'ouvrages uniquement pour servir de repoussoir à la moralité
conventionnelle, y est chez elle tout autant que les beaux sentiments, voire de
l'amoralité tout court. L'esprit en est rarement conformiste. On y voit des
policiers plus corrompus que les malfaiteurs qu'ils poursuivent. Le détective
sympathique ne résout pas toujours le mystère. Parfois il n'y a pas de mystère.
Et quelquefois même, pas de détective du tout. Mais alors ?... Alors il reste de
l'action, de l'angoisse, de la violence — sous toutes ses formes et
particulièrement les plus honnies — du tabassage et du massacre. […] »71

70
Titre emprunté à l’article de Jean Pons « Le roman noir, littérature réelle » qui présente le
roman noir dans: Roman noir, Pas d’orchidées pour les T.M., Paris, Les Temps Modernes N°595, 52e
année, août-septembre-octobre 1997.
71
Marcel Duhamel , Manifeste de la série noire, 1948.

49
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

Le polar noir a aussi pour vocation de proposer une vision sociétale


contemporaine, et dépasse ainsi l’intrigue policière, afin de porter un discours critique,
voire contestataire. Les romans de Daniel Pennac proposent toute une panoplie de
critiques. Leur auteur est connu pour son engagement pour l’égalité des chances et sa
haine des institutions inhumaines qui écrasent le faible et l’opprimé.

Notre plan d’analyse découle logiquement des effets et caractéristiques du


roman noir. Dans un premier temps nous verrons à quel degré les romans de Pennac
puisent dans la matière première du polar. L’auteur en reprend le fond, explosif et
attirant comme ingrédient du plaisir de la lecture pour le jeune. Ensuite, nous verrons
que ses écrits, tout comme le polar, ont une fonction critique importante qui nouent
des liens avec le lecteur qui nous intéresse, l’élève. Enfin, il existe une part de fond
mystérieux dans les romans de Pennac, pimentant les écrits, y insufflant une certaine
mystique. Un deuxième chapitre proposera un aperçu des personnages hauts en
couleurs des romans de Pennac nés du polar, pour en arriver à nous intéresser au monde
parfois inquiétant mais toujours attirant, dans lequel évoluent ces personnages. En
dernier lieu, nous nous intéresserons au personnage principal, Malaussène. Sa fonction
dans le roman crée une dimension supplémentaire d’analyse et la complexité du héros
de Pennac ajoute au plaisir de la lecture.

50
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

1.1. Fonds explosifs

Jean Pons constate dès le début de son article, présentant le lien étroit du roman
noir et de la réalité sociale, que ses thématiques valent à ce genre d’avoir une mauvaise
réputation :

« C’est vrai que le roman policier a mauvais genre : crimes, violence, sexe,
catastrophes individuelles et sociales »72 . En même temps, cette caractéristique en
ferait « une littérature de masse », ce qui témoigne de son franc succès auprès des
lecteurs. Cette dualité rappelle la réception du genre du roman au XVIIème siècle.
Adoré par son lecteur, instrument de rêve et d’échappatoire à une vie souvent réglée
par les contraintes sociales de l’époque, le roman était aussi considéré comme
dangereux et « bas ». On ne lui attribuait aucune qualité d’un genre noble mais rien
n’était plus avidement lu que le roman.

Pourtant il plaît, ses sujets donnent envie de lire et de continuer à lire. Ceci est
une idée redondante dans l’essai de Pennac, Comme un roman, où il se penche
abondamment sur les mécanismes du plaisir de la lecture et sur ce qu’elle doit proposer
au lecteur pour qu’il l’aime. Pour donner envie de lire il faut proposer quelque chose
qui plaise.

Meurtres, tortures, explosions font partie intégrante du décor des romans de


Pennac. Au bonheur des ogres présente toute une série d’explosions dans le magasin
même, où travaille le héros de Pennac, Benjamin Malaussène de métier bouc émissaire
de ce même magasin. Elles ajoutent à une ambiance déjà oppressante un sentiment de
danger imminent, voire d’une mort violente :

« - Belle équipe de salauds, hein ?

Sa gueule d’aboyeur s’ouvre toute grande pour me répondre. Mais


quelque chose la lui ferme.

72
Jean Pons, « Le Roman noir, littérature réelle », In : Roman noir, pas d’orchidées pour les
T.M., p. 5.

51
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

Cela monte du ventre du Magasin.

C’est une explosion sourde. Suivie de hurlements. »73

Les assassinats de personnages à l’explosif, qui rythment le polar Au bonheur


des ogres, sont perpétués par un mystérieux criminel dont les intentions sont obscures.
L’auteur ne concède pas au lecteur les clés pour comprendre les intentionnalités. Le
tableau général est esquissé pourtant : nous sommes proches d’un univers où se mêlent
la grande criminalité orchestrée par les puissants, les administrations pourries, le
racisme, et même la pédophilie.

L’univers créé par Pennac reprend son idée présentée dans Comme un roman,
que pour donner envie de lire, il faut montrer ce qui plaît. Le lecteur du polar est plongé
dans le décor des bas-fonds de la société. La décadence déteint sur le milieu dans lequel
vivent les personnages, ou leur milieu déteint sur eux. Cela n’empêche pas qu’une
double vie ou bien une belle façade puisse cacher l’âpre réalité. Ainsi, il en va de
même pour l’ambiance oppressante parfois nauséabonde dans laquelle les personnages
doivent évoluer. Pennac le sait pour l’avoir vécu lui-même dans ses classes. Pour
mener ses propres élèves à la lecture par le plaisir il leur a lu les premières pages de Le
parfum et en remercie vivement l’auteur qui emballe la curiosité de ses élèves :

« Cher Monsieur Süskind, merci ! Vos pages exaltent un


fumet qui dilate les narines et les rates. Jamais votre Parfum n’eut
de lecteurs plus enthousiastes […] »74

Souvent horribles mais amusantes aussi, à la limite du burlesque, les histoires


de Pennac emmènent le lecteur dans des découvertes improbables, horripilantes mais
somptueuses. Le meurtrier dans La petite marchande de prose est un écrivain

73
Daniel Pennac, Au bonheur des ogres, p. 17.
74
Daniel Pennac, Comme un roman, p. 125.

52
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

psychopathe non reconnu de la société, qui a engendré sa folie à partir du traumatisme


de l’absorption embryonnaire incomplète de son jumeau:

« Jusqu’au jour de l’opération, Alexandre avait été un enfant rieur […]


La boule de chair que les chirurgiens lui ôtèrent était l’embryon nécrosé d’un
jumeau qui s’était lové autour de son cœur […] Dans le bocal qu’on emportait,
Alexandre crut apercevoir l’éclat d’une dent, comme le dernier appel d’un rire
en perdition […] »

Et Pennac ajoute par la bouche d’un des internes qui ne remarquent pas que le
petit Alexandre l’écoute : « Classique […] il a bouffé son petit frère, le chenapan. »75
La fée carabine présente un monde de corruption et de flics ripoux prêts à tous
les méfaits. Pennac passe par tout un éventail d’épouvantables actions : corruption,
meurtres crapuleux et torture. On use de tous les moyens pour extraire des aveux. Ici
le commissaire Pastor rejoue un classique des histoires du roman noir :

« Trop ouvert, le sourire, car Pastor vient d’y enfoncer le canon d’un
pétard sorti d’on ne sait où. Ça a fait un drôle de bruit en pénétrant dans la
bouche du divisionnaire. Pastor a dû casser une ou deux dents au passage. La
tête de Cercaire se trouve clouée au dossier de son fauteuil. Par l’intérieur. »76

Par ces moments choquants, crus mais aimés par le lecteur adolescent, Pennac
arrive, par le fond de ses histoires, à engendrer un plaisir lors de la lecture. Ce plaisir
se consomme sans modération sous la plume de l’auteur. Il s’amuse à étirer ces
moments pour le plaisir de ses lecteurs. Au bonheur des ogres présente ainsi un passage
à tabac de plus d’une page entière77 comme si l’auteur voulait allonger la lecture de
cette scène.

* *

75
Daniel Pennac, La petite marchande de prose, p. 344.
76
Daniel Pennac, La fée carabine, p. 274.
77
Daniel Pennac, Au bonheur des ogres, p. 143.

53
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

1.2. Une part critique

Une fonction importante du roman noir est la critique. En montrant les bas-
fonds de la société et les méfaits des hommes, le polar se positionne en accusateur. Il
a le droit de porter une critique puisqu’il se place du côté de la vérité. On montre ce
qui existe vraiment dans notre monde. Alors que les autres genres littéraires emballent
ou cachent la dureté de la vie, la méchanceté de l’homme et son avidité de pouvoir et
d’argent, le polar s’en nourrit. Il a donc le droit, en même temps de se construire à
partir de l’horreur, le privilège et le devoir critiquer cette société.

« Le roman noir est une écriture engagée et offensive parce


qu’en exhibant les mécanismes qui expliquent le pourquoi des
choses et des actes, il dénonce les procédures de mensonge,
d’aliénation et de violence qui quadrillent notre espace
sociétal. »78

L’élève ressent le plaisir de la découverte de la vérité. Son sentiment de justice


est assouvi, et il peut, lui-aussi se positionner du côté de la vérité. Le jeune s’y retrouve
car sa nature romantique, en quête de vérité et de justesse est respectée et nourrie.

Les vrais criminels dans le monde de Pennac sont toujours les puissants, les
décideurs. Leurs victimes sont les faibles et les plus démunis tout comme les vieux de
Stoji dans Au bonheur des ogres, les enfants victimes des ogres, la jeune Julie et surtout
Benjamin Malaussène. Pennac a habitué ses lecteurs à faire la critique de ce
déséquilibre des puissances et des justices. Nous savons qu’ensemble avec Jacques
Tardi, il en a aussi fait le sujet de la bande dessinée La débauche.

78
PONS, Jean, « Le roman noir, littérature réelle », In : Roman noir, Pas d’orchidées pour les
T.M, p. 8-9.

54
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

C’est donc en premier une critique du monde des puissants et des méchants que
le lecteur découvre. La fée carabine présente un monde de corruption politique où les
affaires d’État sont gérées par des manipulateurs avides de pouvoir et d’argent. Ils
existent dans les sphères politiques, se rencontrent en secret chez le père de Julie
Corrençon, sont les héritiers de la puissance coloniale française. La petite marchande
de prose raconte le monde corrompu de l’édition littéraire et ses travers perfides. Enfin,
Au bonheur des ogres dévoile les exactions d’une secte d’ogres satanistes en quête de
jouissance et de meurtre, pour qui : « Tout est permis puisque tout est possible. »79

Au milieu de tout ceci le lecteur rencontre Benjamin Malaussène, qui est


l’innocence même. Comme lui, le jeune voit à quel point il est un pion dans le jeu des
méchants. C’est un monde de puissants qui corrompent jusqu’aux sphères politiques
et institutionnelles les plus hautes de France. Ils abattent leur dévolu sur les faibles, les
écrasent pour s’enrichir et asseoir leur pouvoir. Malaussène devient ici le symbole
même du faible, de celui qui sera, toujours, à la merci des puissants. Ils sont les titans
de par leur puissance, et les ogres par le fait qu’ils exploitent les petites gens :

« Pour attirer le petit Dionysos dans leur cercle, les Titans


agitent des espèces de hochets. Séduit par ces objets brillants,
l’enfant s’avance vers eux et le cercle monstrueux se referme sur
lui. Tous ensemble, les Titans assassinent Dionysos ; après quoi ils
le font cuire et ils le dévorent. » 80

La critique de Pennac est virulente à l’encontre de ces puissants manipulateurs.


Ses romans, comme ceux de la Série Noire accusent et montrent du doigt les vrais
coupables. Il y a ici une recherche de justice dans un monde qu’on ne peut pas contrôler.
Cette envie de justice, les jeunes la ressentent aussi, sans vraiment savoir comment la

79
Daniel Pennac, Au bonheur des ogres, p. 281.
80
Ibid., [début du livre : citation de René Girard, Le bouc émissaire]

55
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

trouver dans un monde dans lequel ils ne contrôlent rien. Le polar est aussi leur monde
car il pose une critique sincère qu’ils partagent.

Issu lui-même du monde de l’édition, Pennac n’oublie pas de critiquer ce


dernier. Comme un aveu de sincérité, il en présente les travers à ses lecteurs : « C’est
l’inhumanité de l’édition qui vous chagrine, Malaussène ? »81

Pennac se positionne ici comme accusateur qui fait en même temps un aveu
honnête. C’est comme l’aveu d’un coupable qui doit expier ses fautes en avouant la
vérité au monde. Les maisons d’édition ne sont pas sérieuses mais irresponsables et
fonctionnent dans une nébuleuse incompréhensible. Le succès de l’auteur-écrivain ne
tient qu’au bon vouloir de l’éditeur :

« Pas désagréable de découvrir qu’on est un génie malgré soi. Assez


jouissif de penser que quelques mois de bavardage inconséquent [quand
même !!], destiné à une bande d’enfants insomniaques et à un chien
épileptique, dactylographié par une secrétaire sans nuance [les maisons
d’édition ne s’y intéressent visiblement pas…], posté par un commissaire
irresponsable [voilà], suffisent à faire saliver un dragon [sic !] de l’édition. »82

Dans la foulée il se ridiculise en tant qu’auteur qui n’écrit pas vraiment de texte
de qualité, sans réelle valeur et indigne d’être publié. Daniel Pennac s’amuse aussi à
dresser le portrait peu flatteur du monde de l’édition en proposant par les pensées de
son protagoniste ses propres commentaires :

« Le télégramme, émanant d’une prestigieuse maison d’édition (si je ne


la cite pas, c’est pour qu’elles s’entre-dévorent…) est rédigé en ces termes,
d’une concision quasi comminatoire […]»83

81
Daniel Pennac, La petite marchande de prose, p. 27.
82
Daniel Pennac, Au bonheur des ogres, p. 263.
83
Ibid., p. 263.

56
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

La critique des injustices et des dérapages de la société est omniprésente dans


l’œuvre de Pennac. Toutes les institutions y passent : la police, la justice, l’État
institutionnel, la presse, et même le monde de l’art. Pour le lecteur, l’âpre réalité est
dévoilée et Pennac implante dans ce tableau peu flatteur de la société des personnages
innocents et victimes : les Malaussène, les personnes âgées et les laissés-pour-compte.
L’élève s’y retrouve et partage les critiques présentées. Le plaisir de la lecture passe
donc par une recherche de vérité et de dévoilement du mal.

* *

57
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

1.3. La part de merveilleux

Une spécificité du polar est qu’il n’a pas à se justifier d’une codification de
genre, à respecter des règles communément admises. Gilles Perron écrit, dans un
article consacré à La petite marchande de prose que :

« […] malgré ses références, le polar s'inscrit, aussi bien pour l'Institution
littéraire que pour ses lecteurs, dans ce fourre-tout qu'on appelle la
paralittérature, là où se retrouvent les catégories du littéraire que l'Institution
hésite à admettre dans son sein. La paralittérature serait à la littérature ce que
les limbes sont à la religion catholique : le lieu où on est condamné à errer
faute d'avoir respecté les règles pour être admis dans les lieux sacrés. »84

Ainsi, affranchi du code, ce « fourre-tout » littéraire peut mélanger les genres,


et Daniel Pennac le fait pour le plaisir de ses lecteurs. A côté d’un réalisme frappant et
souvent même cru, Pennac n’hésite pas à intégrer dans ses romans des éléments du
monde merveilleux dans ses romans. Un certain mysticisme entoure souvent ses
personnages et le décor dans lequel ils vivent. Ces éléments augmentent effectivement
le plaisir de la lecture, ajoutant du curieux voire du bizarre à ses histoires.

« Toujours à la frontière entre le merveilleux et le


quotidien, Daniel Pennac sait comment captiver son lecteur. »85

Thérèse Malaussène, sœur de Benjamin, est le personnage qui concentre cette


part de mystère dans les romans. Son apparence, son caractère et toute sa fonction

84
Gilles Perron, Du polar à la littérature, La petite marchande de prose, Québec français 141,
printemps 2006, p. 42.
85
Citation du magazine « Je bouquine » sur Daniel Pennac à l’occasion de sa collaboration sur
la série des Kamo.

58
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

même au sein de la trame des romans est celle d’être mystérieuse, quitte à prévoir et
même à dévoiler le mystère entourant l’intrigue du roman.

Comment peut-on expliquer que la sœur de Benjamin Malaussène puisse


prévoir le lieu des crimes sans être passée par une enquête réaliste ? Le lecteur se pose
la même question que le policier qui s’étonne de la présence de Thérèse sur le lieu du
crime au moment du crime :

« Mais ce que nous aimerions savoir, monsieur Malaussène, c’est ce que


faisait votre sœur Thérèse devant ces W.-C. scandinaves, figée comme une
statue, jusqu’à ce qu’on en force la porte et qu’on découvre le cadavre. Voilà,
c’est ce que nous aimerions savoir. »86

Ce à quoi réplique Malaussène : « Moi aussi ». Le lecteur partage


l’interrogation mais cette part de merveilleux allège la lecture, tout en la rendant plus
intéressante. Thérèse qui est la sœur de Benjamin Malaussène est aussi médium. Sa
capacité principale est celle de devin, et ainsi elle fait des prémonitions. Cela est
d’autant plus amusant que souvent ses visions sont radicales, parlent de mort et
semblent inévitables telles un fatum cruel qui guide la famille Malaussène à travers les
différentes intrigues des romans. Thérèse ressemble parfois à un « ange de la mort »
ou un rapporteur de celui-ci, et ses prémonitions ne laissent personne indifférent. Si
les membres de la famille Malaussène ne croient pas entièrement véridiques les
prémonitions de Thérèse, il n’en est pas moins que personne n’oserait les ignorer, et
les visions sur la vie et la mort que procure Thérèse ne laissent personne de glace :

« La mort est un processus rectiligne, Thérèse, qu’est-ce que tu penses de


cette phrase ? » Elle ne m’a même pas regardé. Elle a répondu : « C’est juste,
Ben, et la longueur de la vie dépend de la vitesse du projectile » A quoi elle a

86
Daniel Pennac, Au bonheur des ogres, p. 229.

59
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

ajouté, toujours professionnelle : « Mais ça ne te concerne pas, tu mourras


dans ton lit le jour de ton quatre-vingt-treizième anniversaire. »87

Cette part mystique allège la lecture, la rendant amusante et plaisante. Le


lecteur est confronté à une nouvelle entité qui semble quasi omnisciente des actions
qui se passent. Ceci rappelle aussi l’épisode ou le Petit, frère de Benjamin Malaussène,
se réveille la nuit car il vient de rêver qu’un homme habillé tout en blanc, armé d’une
épée, allait entrer dans la chambre d’hôpital où se trouve Benjamin, dans son lit de
convalescence. Toute la famille semble avoir des dons de voyance car au cri de l’enfant
qui cauchemarde s’ajoute Le Chien qui pique une crise épileptique. La famille
interroge le Petit qui raconte son rêve. Au même moment, à l’hôpital, Berthold le
médecin entrait dans la chambre de Malaussène pour le débrancher des appareils qui
le maintenaient en vie.88

D’autres personnages semblent donc aussi avoir des visions ou des impressions
prémonitoires, le plus souvent d’un danger inconnu. Ajoutant du poids et du mystère
à l’ambiance, ces prémonitions ajoutent une part de fantastique au monde de Pennac :

« A côté de l’emballeuse, sur une tablette de démonstration, une relique


robotisée de King Kong montre ce qu’elle sait faire. C’est un gros singe noir,
velu, plus vrai que nature. Il marche sur place. Il porte dans ses bras une
poupée demie nue qui ressemble à Clara endormie. Il marche et pourtant
n’avance pas. Il rejette de temps en temps la tête en arrière. Ses yeux rouges
et sa gueule béante lancent des éclairs. Il y a une vraie menace entre le noir
opaque du poil, le rouge sanglant du regard et le pauvre petit corps, si blanc
dans ses terribles bras, (Bon Dieu, c’est pourtant vrai que ce boulot commence
à me peser… et c’est vrai que cette poupée ressemble à ma Clara. »89

87
Daniel Pennac, La petite marchande de prose, p. 59.
88
Daniel Pennac, La petite marchande de prose, p. 270.
89
Daniel Pennac, Au bonheur des ogres, p. 48.

60
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

Notons ici aussi la facilité d’analyse pour percevoir le message caché. Une
simple superposition des sèmes 90 des mots descripteurs permet de comprendre le
message. A «gros, noir, velu, yeux rouges, gueule béante, éclairs, menace, noir opaque
du poil, rouge sanglant du regard» s’opposent « demie nue, endormie, pauvre petit
corps si blanc» et ce contraste met en lumière le danger imminent dans lequel se
retrouve Clara. D’un côté, l’accessibilité du message et de l’autre, l’immédiateté du
danger pour les personnages augmentent le plaisir de la lecture, surtout pour le jeune
lecteur. Il n’a aucun problème à identifier le message, puisqu’en plus l’auteur lui-
même le lui présente en parlant de « menace ».

Notons encore l’exemple du Petit qui dessine les ogres avant même qu’ils ne
commencent leurs exactions ; Alexandre, le meurtrier fou de La petite marchande de
prose dont la folie émerge d’un sourire improbable qu’il semble déceler à partir d’une
seule dent du bézoard qu’on vient de lui extraire, et aussi tous les impossibles
« hasards » qui parsèment les romans de Pennac. Quelles sont les chances que
Malaussène entrecroise les chemins de tous ces criminels, qu’il tombe amoureux de
Julie, fille d’un père autour duquel gravitaient corruption et secrets d’État…

Il est clair que Pennac utilise le merveilleux pour attirer le lecteur, qui aime ce
genre d’histoires. L’auteur propose ce qui plaît afin d’être lu et de rendre cette lecture
plaisante, voire amusante.

* *

90
Nous utilisons la sémiotique des langues de la Grammaire Méthodique du Français :
« l’analyse de l’information sémantique véhiculée par les mots, qui est généralement décrite comme
une combinaison de sèmes ou traits sémantiques, éléments de contenu à valeur distinctive et qui
marquent souvent des oppositions binaires […] », In : Grammaire méthodique du français, p. 558. Ils
partagent des traits communs mais s’opposent par d’autres. Le rapprochement des sèmes (plus petites
unités de sens) donnent facilement un sens nouveau. Ce sens « jaillit ».

61
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

DEUXIÈME CHAPITRE

Un univers propre au polar

Autour des fonds explosifs qui forment l’histoire racontée par le polar et les
romans de Pennac, existe tout un univers qui aide à créer une ambiance spécifique. Le
monde ainsi représenté est un univers incongru et bizarre qui plaît au lecteur par sa
façon d’être spécial. Mais, d’un autre côté ce monde semble bien réel, car il se construit
à partir de ce qui existe vraiment dans la vie. Il s’y crée une tension entre fiction et
réalité, entre exagération et réalisme.

Daniel Pennac présente des personnages hauts en couleurs qui accrochent le


lecteur, et pour lesquels il s’intéresse. Ils sont changeants ou ont des personnalités
difficilement cernables. Les portraits présentés par Pennac attirent le lecteur car ils
partagent les caractéristiques des personnages du roman noir. Ils sont attachants et
inquiétants en même temps, ce qui crée une tension soutenue tout au long de la lecture,
et captivent le lecteur dans le dévoilement de leur être et leurs cheminements dans
l’histoire racontée.

Nous allons montrer que ses personnages vivent dans un monde qui semble
connaître tous les maux de notre société contemporaine. L’ambiance y est souvent
nauséabonde, tandis que des familles essaient d’y faire grandir leurs enfants. Le décor
des romans de Pennac sont ceux des histoires criminelles, les lieux décrits souvent
malfamés.

Enfin, nous présenterons le personnage principal de Pennac, Benjamin


Malaussène dont la fonction spécifique dans l’œuvre de Pennac permet une analyse
approfondie.

63
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

2.1. Des personnages hauts en couleurs

Dans la longue liste de ceux qui se sont intéressés au roman noir figure
Raymond Queneau, qui met en avant la spécificité des personnages de cette littérature
particulière :

« L'attention de l'auteur et du lecteur n'est plus portée sur l'intrigue, mais


sur les personnages qui dessinent cette énigme [...]. La brutalité et l'érotisme
ont remplacé les savantes déductions. Le détective ne ramasse plus de cendres
de cigarette, mais écrase le nez des témoins à coups de talon. Les bandits sont
parfaitement immondes, sadiques et lâches, et toutes les femmes ont des
jambes splendides ; elles sont perfides et traîtresses et non moins cruelles que
les messieurs. »91

La nature de ces personnages est en un sens extrême, car ils gravitent dans une
sorte de limbe entre ce qui est tolérable et ce qui ne l’est plus, d’un point de vue moral.
De cette tension naît un plaisir de découverte du personnage. Le lecteur peut y
retrouver ses propres interrogations morales qui le poussent à choisir entre le bien et
le mal, respectant ou non les conventions morales. Les personnages du roman noir,
affranchis de ces conventions, semblent libres d’être ce qu’ils sont pour la plupart :
méchants, brutaux et sans conscience. Ici encore, le plaisir peut naître de voir des
personnages se libérer des conventions et le lecteur peut ainsi devenir le témoin
voyeuriste de leurs exactions.

En plus de ceci, Daniel Pennac présente des personnages qui sont censés être
bons et gentils, mais qui en vérité sont cruels voire pervers. Risson est l’un de ces
personnages dans Au bonheur des ogres dont on apprend qu’en réalité, c’est un raciste
antisémite intolérant. C’est lors d’une discussion avec Benjamin, qui essaie de mener
sa propre enquête sur les explosions dans le magasin, que le lecteur s’aperçoit que ce
vieux monsieur n’a de vraiment sympathique que l’image d’un vieillard au-dessus de
tout soupçon, l’âge lui conférant naturellement une certaine respectabilité. En réalité,

91
Citation de Raymond Queneau sur l’évolution du roman policier, vers 1948.

64
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

sous les traits du gentil pépé survit l’horrible personne qu’il a été durant sa vie. Cette
révélation est partagée par Malaussène :

« Dire que jusqu’ici, je trouvais cette vieille ordure délicieusement


sympathique, le grand-père que je n’ai pas eu, et toute cette salade
nostalgique… »92

Les policiers chez Pennac jouent souvent un double jeu. Entre bons et méchants,
les clichés se multiplient, et on a l’impression de se retrouver dans le monde de Dirty
Harry. Des bougres trapus aux détectives élégants et charmants, on ne sait jamais qu’à
la fin du roman s’ils sont bons ou méchants. Souvent pourtant, ils sont les deux à la
fois. C’est le cas de l’inspecteur Pastor qui est « angélique »,93 mais qui abat à bout
portant un suspect après lui avoir brisé des dents en lui enfonçant un pistolet dans la
bouche, afin de lui soutirer des aveux. L’inspecteur Thian partage son corps avec une
vieille vietnamienne dans une inquiétante forme de multiples personnalités, et utilise
même cet état pour mener à bien des enquêtes. Finalement il y a aussi les « flics
pourris », corrompus jusqu’à l’os, qui dressent un tableau peu reluquant des forces de
police.

Le monde des criminels n’a rien à envier à celui des policiers. Comme déjà vu
plus haut dans ce travail, ses partisans sont issus de tous les milieux et sont de tous les
genres. Pennac passe du mari de Thérèse qui semble plus innocent et pur qu’un ange,
à Cercaire, « le grand flic tout cuir, aux moustaches en fourreau de sabre »,94 au tueur
psychopathe écrivain, sans oublier les six vieux, sadiques et pervers. Tous sont
d’autant plus intéressants que spéciaux, et leur découverte procure du plaisir au lecteur.
A ce même lecteur, la vraie nature de ces personnages n’est dévoilée qu’à la fin du
roman, augmentant encore le plaisir à l’analyse des personnages lors de la lecture. Ceci

92
Daniel Pennac, Au bonheur des orges, p. 212.
93
Daniel Pennac, La fée carabine, p. 278.
94
Ibid., p. 269.

65
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

ajoute, comme nous le verrons un peu plus loin, du suspense à la lecture, et donc du
plaisir de lire.

Les femmes chez Pennac sont tout aussi exceptionnelles. Ou elles ont une
fonction à part, spécifique, comme Thérèse la sœur de Benjamin qui est le médium de
la famille ainsi que la mère Malaussène, qui engendre un nouveau membre de la
famille après l’autre pour ensuite les déposer auprès de leur grand frère et aller se
reposer de l’accouchement en se cherchant « un nouveau papa » pour le prochain. Ou
alors elles appartiennent à la catégorie des femmes magnifiquement belles et attirantes,
femmes fatales et amantes désirées. Alors Pennac n’oublie pas, souvent pour le plaisir
de la description et sûrement de son lecteur, de les décrire avec enthousiasme et
somptuosité :

Julie, donc, cuisine. Elle est penchée au-dessus d’une casserole de cuivre
[…] Elle touille pour que ça n’attache pas. Le seul mouvement de son poignet,
via l’épaule ronde, la courbature du bras et de la colonne souple, suffit à faire
danser ses hanches. Le repos forcé de ces derniers mois l’a aimablement
alourdie. Plus que jamais sa robe qui l’enrobe est une promesse de plénitudes.
[…]

Parmi les personnages qu’il faut mentionner figure bien évidemment


l’ensemble du clan Malaussène pour qui le lecteur ressent de la tendresse. Ils
contrastent dans ce monde décrit par leur innocence et leur beauté humaine.

« Quel genre de famille avez-vous, Malaussène ? […]

Le genre de Sainte Famille, Majesté… »95

Le sort de la famille Malaussène est symptomatique d’un monde cruel et sans


pitié, et est révélateur de maux bien réels qui touchent les familles de nos jours. La

95
Daniel Pennac, La fée carabine, p. 24.

66
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

mère Malaussène, toujours absente, irresponsable et égoïste par son mode de vie
accuse une réalité qui existe dans de nombreuses familles, et qui est, dans le monde
réel la cause de beaucoup de vrais malheurs. Les personnages et leurs vies présentent
des critiques cachées et l’image embrumée de la mère, dans les lunettes du Petit une
révélation d’un mal de la société bien réel, où l’enfant n’a plus un entourage favorable
à son développement : « Quelle mère je suis, Ben, tu peux me le dire ? quelle espèce
de mère ?... »96 La réponse est claire : elle n’est pas mère, car elle n’est pas présente.

* *

96
Daniel Pennac, Au bonheur des ogres, p. 25.

67
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

2.2. Monde de dépravation, de folie

Le décor des romans de Pennac s’inspire aussi de ceux du roman noir. Le


monde dans lequel gravitent les personnages est un monde de dépravation car il montre
l’aliénation d’une société malade. Tout un pan de la société y est marginalisé,
stigmatisé comme criminel, bien que réellement innocent. Ainsi Hadouche et sa bande,
sont des laissés-pour-compte de la politique et de toute la société, et rappellent le chien
dans Cabot Caboche de Pennac, qui est tout juste bon à être jeté à la décharge parce
qu’il est laid. Ici aussi, le monde cruel fait l’impasse sur les besoins des innocents.

C’est dans un monde de la drogue, de la contrebande et de la grande criminalité


organisée que les innocents essayent de survivre en famille. Pourtant, Pennac fait naître
du plaisir dans la découverte de ce décor parfois abject du roman noir.

Les lieux présentés dans les romans sont pourtant des lieux communs, admis
comme étant fréquentables. Il y a bien-sûr le Grand Magasin, rappelant à s’y
méprendre les grands magasins français, tel que les Galeries Lafayette. Dans La petite
marchande de prose ce sont les lieux de l’édition, le bureau, les réceptions et les
évènements autour de la publication qui sont exposés. Mais c’est surtout dans La fée
carabine que le lecteur remarque que les endroits dits fréquentables s’avèrent être le
repère des criminels. Tandis que Hadouche et sa bande vivent dans des quartiers
malfamés, les vrais méchants fréquentent la belle société. Le vice se cache bien en
société, et le lecteur remarque la critique énoncée : un vernis d’élégance et de
bienséance cache les méandres des hommes, et c’est dans ces lieux fréquentables que
les méchants opèrent.

L’univers des romans de Pennac, comme tout roman noir, gravite autour des
crimes. Dans La fée carabine, toute une machination diabolique autour de la drogue et
de la politique se met en place et risque de broyer Julie, l’amante de Benjamin. Le
personnage du flic pourri y est omniprésent et l’enquête criminelle patauge dans une
marre de corruption et de manipulations. Les puissants, pour ne pas salir leur réputation
n’hésitent pas à vouloir se débarrasser du personnage « gênant ». Avec Au bonheur
des ogres, c’est le tour d’une secte d’adorateurs de Satan, lubriques, pédophiles et
massacreurs d’enfants, de commettre les crimes. Le lieu de toutes les exactions est le

68
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

Grand Magasin qui emploie Malaussène. La folie de ces ogres, qui se croient tout
permis devait, à leurs yeux, se terminer dans des suicides médiatisés. Le lecteur est
spectateur, en lisant La petite marchande de prose, d’une chasse à l’homme qui traque
un innocent au lieu de l’écrivain psychopathe. Les victimes sont décrites au travers des
lunettes de visée qui les suivent et encore une fois, Benjamin Malaussène devient la
victime de tout cet engrenage fatal.

L’ambiance du polar imbibe le décor des romans de Pennac. Ce décor est


plaisant car inconnu et dangereux. On y retrouve tous les plaisirs et tous les dangers.
Il représente ainsi aussi ce que beaucoup de jeunes recherchent car il rassemble en un
lieu le défi du danger et la recherche des plaisirs. Il y a une magie attirante dans ces
lieux malfamés qui, à des heures improbables, sont remplis de personnages douteux :

« Les distributeurs de café étaient vides, les cendriers étaient pleins, les
doigts étaient jaunes, les yeux tirés par la nuit blanche et les chemises froissées
aux hanches. Les coups de gueule claquaient, la lumière éblouissait les
murs. »97

Ainsi, l’ambiance présentée ne laisse nul doute : nous sommes dans l’univers
du danger et du mystère, celui du polar. Le décor, le crime, l’enquête et la tension dans
la trame font trépider le lecteur avide de connaître le fin mot de l’histoire. Le jeune
lecteur découvre et se délecte car il prend plaisir à lire de ce monde qui lui est interdit
et se retrouve interpellé dans son questionnement sur la morale qui le touche
personnellement, dans la formation de son propre moi, de ses propres règles de
comportement.

* *

97
Daniel Pennac, La fée carabine, p. 69.

69
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

2.3. Benjamin Malaussène, personnage du nouveau roman

Le bouc émissaire pennacien est un symbole de notre société corrompue qui se


confronte à un monde régi par les puissants et les perfides. Tel que le montre déjà
Edmond de la Fontaine dans ses contes comme Les animaux malades de la peste, les
puissants se cherchent et trouvent leur bouc émissaire qui devra payer pour leurs
péchés, et ce, malgré un invraisemblable coupable. Pour Pennac, Malaussène est un
bouc émissaire idéal, parfait, qui respire son rôle. Il est manipulé par ceux qui
possèdent le pouvoir et ne peut pas se défendre car il ne voit pas toute l’histoire, la
grande magouille qui le guide à son insu. En cela, Malaussène se rapproche le plus de
son jeune lecteur qui, comme son héros, ne reconnaît pas le mécanisme du rouage
faisant fonctionner le monde, un monde brutal, où l’argent et la corruption règnent en
maîtres.

C’est dans ce monde qu’évolue le personnage principal. Bien qu’élément à part


entière du clan Malaussène, il se définit aussi par son identité propre. Par identité nous
désignons d’une part sa fonction dans les romans, et de l’autre, la personne
psychologique qu’il définit. Cette dernière peut aussi être expliquée comme le poids
psychologie d’un personnage sur son entourage, comme une valence ou une valeur de
présence psychologique. Le nouveau roman, après Nathalie Sarraute, définit plus le
personnage par sa présence, ou la trace qu’il laisse dans son entourage que par sa
personne elle-même. Malaussène ressemble ici à Meursault dans l’Etranger de Camus
qui s’efface personnellement pour se définir par son effet sur le monde qui l’entoure ;
il est un personnage du nouveau roman. La fonction est à voir sous un angle de vue
plus structurel, et nous userons de l’analyse structurelle que Barthes nous présente dans
son essai sur la poétique de récit.

Dans Poétique du récit Roland Barthes écrit que l’analyse structurale des
personnages, dont la linguistique elle-même est le modèle fondateur, peut se substituer
à l’analyse psychologique. « Propp les réduisit à une typologie simple, fondée, non sur

70
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

la psychologie, mais sur l’unité des actions que le récit leur impartit »98. Le personnage
n’est donc pas à concevoir comme un être à part entière, mais celui qui participe à une
action, un « participant ».

« […] chaque personnage peut être l’agent de séquences d’actions qui


lui sont propres (Fraude, Séduction) ; lorsqu’une même séquence comporte
deux perspectives, ou, si l’on préfère, deux noms (ce qui est Fraude pour l’un
est Duperie pour l’autre) ; en somme, chaque personnage, même secondaire,
est le héros de sa propre séquence »99

La fonction de Benjamin Malaussène est celle d’être le bouc émissaire de la


société. La reine Zabo met clairement les points sur les « i » :

« Ecoutez Malaussène, je vous ai engagé comme bouc émissaire […]


pour que vous endossiez. Or vous endossez formidablement ! Vous êtes un
endosseur de première, personne au monde n’endosserait mieux que vous, et
vous savez pourquoi ? […] Vous êtes le double douloureux de ce bas
monde »100

Malaussène est donc bouc, et c’est par cette fonction qu’il est perçu des autres.
Les relations entre les personnages en sont modifiées. Une tension naît entre
personnages et actions, à partir de cette fonction, et il se crée un jeu intéressant et
complexe entre les personnages. La conséquence en est que souvent, pour le lecteur le
personnage est perçu comme mystérieux, car on ne connaît pas les liens qu’il partage
avec les autres au début de l’histoire, et cela rend l’affaire intéressante. Le chauffeur
de bus dans la Fée carabine, l’auteur JLB dans La petite marchande de prose, la reine

98
Roland Barthes, Poétique du récit, p. 33.
99
Roland Barthes cite Cl. Bremond, Poétique du récit, p. 34.
100
Daniel Pennac, La petite marchande de prose, p. 28.

71
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

Zabo, méchante et inflexible au début mais qui devient comme une mère pour
Benjamin ou encore le policier Vanini « flic tout amour » et raciste sont des exemples
éloquents de cette tension.

D’un point de vue psychologique, Malaussène est un personnage qui essaie de


survivre dans un monde qui lui veut du mal. Ce monde ressemble, par rapport à
Benjamin, au monde de Kafka, et cela fait de lui la victime de ce monde. Le lecteur se
prend naturellement d’affection pour le protagoniste et se désole de le voir subir les
attaques sournoises d’un monde perfide et sans cœur qui semble confiner Malaussène
et sa famille dans une vie misérable et médiocre. Cette prise de partie du lecteur lui
permet de ressentir toute la critique sociétale voulue par Pennac.

Comme montré plus haut, les protagonistes sont sous la menace perpétuelle des
plus horribles dangers possibles : mutilations, torture et meurtre. Les commanditaires
de ces crimes sont cachés, restent dans l’ombre et l’on ne peut pas les atteindre. Ils
contrôlent et manipulent les destins à coups de bombes et de meurtres commandités.
Le héros, Malaussène, n’entrevoit rien du mécanisme qui l’entoure et le menace. Cette
idée s’ajoute à l’ambiance oppressante d’un monde qui paraît ne pas connaître la
gentillesse et l’amour. Ici, les romans de Pennac conçoivent un univers kafkaesque
dans lequel le héros subit sans comprendre. Comme K., Malaussène existe sous la
menace d’un danger perpétuel, le guettant sans qu’il ne puisse le comprendre et donc
l’éviter. Le danger semble venir de source inconnue, de personnes agissant dans
l’ombre. Leurs motivations sont inconnues, leurs identités encore plus. Ils ne se
définissent que par les malheurs qu’ils provoquent et par ceux qui guettent le héros.
Ces autres sont comme une force maléfique qui persécute le héros, une aura
méphitique du malheur. Malaussène et le personnage K. sont tous deux vaguement
décrits, et ils se définissent surtout par leur fonction. Ainsi, tout comme le personnage
de Kafka, Malaussène est un personnage type du nouveau roman. Le héros vit sous la
menace perpétuelle de subir un crime ou d’en être accusé faussement. Benjamin
Malaussène est constamment le bouc émissaire pour tous les maux qui l’entourent,
jusqu’à en faire, officieusement, son métier.

On arrive à une distorsion forte, chez certains personnages entre ce qu’ils sont,
d’après une analyse psychologique et ce qu’ils font, selon une analyse structurelle.

72
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

Cette distorsion ajoute à la lecture une dimension d’analyse supplémentaire,


multipliant les facettes des personnages et leurs possibles implications dans l’histoire.
Ils sont à « multi-usage » mais aussi très « imprévisibles » car on ne peut pas les situer
ni les faire entrer dans un moule prédéfini. On ne peut pas vraiment savoir qui est bon
ou méchant, et même les Malaussène deviennent suspects. Pour le lecteur cette
dimension d’analyse supplémentaire est une source de plaisir en plus, car il doit
s’investir complètement dans sa lecture, afin d’en démêler les mécanismes de
fonctionnement et d’arriver, finalement, à percevoir la réponse à l’énigme.

* *

73
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

Conclusion

Cette deuxième partie nous a permis d’analyser l’œuvre de Daniel Pennac par
les aspects du genre du roman noir et, et d’en dériver les caractéristiques liées au plaisir
de la lecture. Il nous a surtout été possible de découvrir, d’analyser et de cerner
différents mécanismes inhérents au roman noir, tel que la critique sociétale et le plaisir
du voyeurisme du mal, qui rendent ces lectures plaisantes pour le lecteur et donc pour
les élèves. Le succès de ce genre auprès du public est proportionnel au plaisir qu’il
procure au lecteur et les différents facteurs de plaisir nous auront dévoilé des pistes
pour permettre une lecture intéressante pour les jeunes.

Les sujets du roman noir, sa portée de lecture engagée, l’image de la société


qu’elle dépeint, la recherche du mystère et l’exploration de la dépravation humaine
sont autant de facteurs qui augmentent le plaisir de la lecture. Daniel Pennac n’hésite
pas à puiser dans les tripes du roman noir les ingrédients nécessaires au plaisir de ses
propres lecteurs. Ainsi, les jeunes lecteurs sont réceptifs à ces ingrédients qui leur
ouvrent l’analyse et la compréhension du monde dans lequel ils se trouvent sous une
forme qui n’est pas une pédagogie classique. Ils y reçoivent leur leçon en direct, du
fait divers.

« Les romans noirs sont une littérature immédiate et engagée. Immédiate


parce qu’ils nous parlent directement des banalités et de convulsions de notre
monde : ils nous montrent, dans leurs fictions violentes, un univers « connu »
qui est celui de notre vie quotidienne mais aussi celui dont les médias
s’épuisent à nous présenter des aspects disparates ou à nous proposer des
analyses de circonstance. […] le roman noir prend position de façon
« actuelle » par rapport à la réalité humaine et sociale. 101

101
Jean Pons, « Le roman noir, littérature réelle », In : Roman noir, Pas d’orchidées pour les
T.M., Les Temps Modernes N°595, 52e année, août-septembre-octobre 1997, p. 8.

74
Christian D’Amico Deuxième partie : Le roman noir

Le lecteur n’est pas protégé du monde extérieur, dans un discours aseptisé de


tout danger, propre et pédagogiquement correct. Il est pris au sérieux et capable de voir
le monde tel qu’il est vraiment, avec sa part d’horreurs. Cette présentation est aussi
une preuve pour lui, qu’il est pris au sérieux. Le jeune est considéré apte à voir les
choses telles qu’elles sont, il est perçu comme mature. Ainsi, il est reconnu comme un
adulte. Comme l’explique Patrice Huerre, psychiatre des hôpitaux et spécialiste des
adolescents, le passage vers le statut d’adulte pose problème aujourd’hui. Depuis
toujours, le passage à l’âge d’adulte était défini par des rites et des modalités bien
définies rendant de ce fait l’étape de l’adolescence obsolète. Cela est différent de nos
jours et des rites de passage à l’âge adulte communément admis n’existent plus. Le
jeune est pris au piège d’un manque de définition, et il est en attente d’une acceptation
de la société à son nouveau statut. La puberté

« […] caractérise la maturation de tous les mammifères, êtres humains


compris, leur permettant d’accéder à la capacité de reproduction. Les
conséquences psychologiques et sociales de cette transformation profonde et
radicale de l’organisme ont longtemps été accompagnées d’une
reconnaissance des capacités nouvelles qu’elles confèrent dans le cadre d’une
initiation dont les épreuves varient selon les sociétés. Une place nouvelle était
ainsi faite à l’initié. »102

Cette « reconnaissance des capacités nouvelles », le jeune la retrouve dans la


confiance que lui fait l’auteur. Ce dernier le considère comme assez mature de voir le
monde tel qu’il est. Le plaisir de la lecture devient, pour le jeune, l’assouvissement
d’un désir bien réel d’accéder au statut d’adulte. « Qui peut dire aujourd’hui aux jeunes
comment et quand sortir de l’enfance ? Seuls les juristes sont précis ! »103

102
P.Huerre, M.Pagan-Raymond, J.-M. Reymond, L’adolescence n’existe pas, Odile Jacob,
2002, In : Qui sont les ADOS ?, L’essentiel Cerveaux & Psycho, Hors Série, août – octobre 2013, p. 5.
103
Ibid, p. 6.

75
TROISIÈME PARTIE

Des mécanismes au service du plaisir


Christian D’Amico Troisième partie : Mécanismes

Introduction

Après avoir entrevu certaines caractéristiques de l’écriture de Pennac, qui


peuvent mener le lecteur au plaisir de la lecture de ses romans noirs, nous nous
intéressons ici à des mécanismes spécifiques à ses écrits, qui regroupent ces mêmes
caractéristiques, propres à Daniel Pennac.

La nature du roman noir, ses fonctions comme la fonction critique et ses


déviations intéressantes comme l’acceptation de l’élément merveilleux, contribuent à
le faire aimer par les jeunes lecteurs. Ses personnages, le monde dans lequel il se joue
et la complexité nouvelle du personnage de Malaussène accroche le lecteur à ces
romans savamment construits.

Trois facteurs nous semblent importants dans la construction du plaisir de la


lecture des romans de Pennac. En premier, l’auteur crée un pacte muet avec le lecteur,
dans lequel il promet de rester dans la vérité et de présenter une peinture réaliste de la
société. Le lecteur peut faire confiance à l’auteur parce qu’il ne lui cache rien.

Il en est de même de la cadence des actions dans les écrits de Pennac. La


rapidité des actions et de leur enchaînement produit des revirements exceptionnels de
situation, rappellent les travers de la vraie vie et sont une source du plaisir tout au long
de la lecture.

Finalement, Daniel Pennac réussit à accrocher le lecteur en créant une subtile


tension qui le fidélise à sa lecture. Le suspense est le mécanisme clé pour atteindre ce
but, et mérite d’être décrit par la suite.

78
Christian D’Amico Troisième partie : Mécanismes

CHAPITRE PREMIER

1. Promesse de réalisme et de vérité

En lisant les romans de Daniel Pennac, on a souvent l’impression que l’auteur


essaie de créer un lien avec son lecteur, qu’il le mène au travers de la lecture. C’est
évidemment la fonction phatique104 de la langue qui est utilisée par l’auteur. Elle crée
une relation tripolaire unissant le lecteur, l’auteur et son texte. Nous savons, par la
lecture de Comme un roman, que cette relation lui est primordiale, car à la base de son
écriture, tout comme l’est l’envie de procurer du plaisir à son lecteur.

C’est en premier lieu une promesse de réalisme faite au lecteur qui constitue la
base de la confiance entre le lecteur et ce qu’il lit. Pennac semble ne rien cacher de la
vérité, semble donc être honnête. Cette envie de tout montrer, le bien tout comme le
mal, est ensuite renforcée.

Dans ce premier chapitre nous nous proposons donc de montrer que Pennac
tisse un lien basé sur la sincérité avec son lecteur. L’enseignant remarque souvent que
la base de tout enseignement se fait sur la confiance entre l’enseignant et l’élève. Cette
confiance ne peut s’instaurer que dans le cadre d’une relation de sincérité. Si
l’enseignant prend le jeune au sérieux, ne lui cache pas la vérité et le voit comme assez
mature pour lui faire confiance, alors une relation sérieuse peut se construire. Pennac,
en tant qu’ancien professeur semble créer la même relation avec son lecteur.

A côté du fait que l’auteur s’immisce indirectement dans son texte par la voix
ou les pensées de son personnage principal, Benjamin Malaussène, il semble aussi
vouloir renforcer ce lien privilégié autrement. D’un côté, il propose indirectement une
promesse de vérité au lecteur, tel un pacte de lecture et d’honnêteté à travers un
réalisme qui lui est propre. Dans de nombreuses interviews, il confesse que pour lui,

104
Roland Barthes, Poétique du récit, p. 23.

79
Christian D’Amico Troisième partie : Mécanismes

la bonne littérature de jeunesse se soumet à un réalisme terrifiant et que la littérature


pour jeunesse a la qualité-là d’être vraie.

Le réalisme éclatant, fulgurant, plus vrai que vrai semble être comme une
promesse de l’auteur qu’il montre la réalité telle qu’elle est vraiment. Sans masque,
sans voile, sans filtre atténuant des atrocités vraies d’un monde sans pitié, Pennac
promet à son lecteur de lui présenter une réalité qui n’est pas modifiée en faveur de la
bienséance convenue du monde contemporain. Comme vu plus haut c’est le genre du
roman noir qui se prête facilement à ce dévoilement de la vérité, toute crue et horrible
soit-elle.

Nous avons vu dans notre étude que montrer la perversion et la


perversité du monde est un acte de sincérité au service du réalisme. Pour Pennac et le
lecteur le monde est fait ainsi. Malheureusement la vraie vie ne semble pas connaître
la pitié. Pennac, par le personnage de Malaussène démontre qu’il partage, avec son
héros et le lecteur une certaine incompréhension. Comment le monde peut-il être aussi
cruel avec les innocents ? On y lit une sorte de vision de la réalité empreinte de dépit,
conséquence d’une désillusion.

Ainsi, rien n’est sacré, les personnages censés être bons sont pervers, les
innocents se révèlent être les coupables. Au début du livre La fée carabine, l’inspecteur
Vanini, voulant aider une vieille dame qui traversait la rue sur une plaque de glace
glissante, s’approche d’elle :

« Il n’était plus qu’à un grand pas d’elle, à présent, tout amour, et c’est
alors qu’elle se retourna. D’une pièce. Bras tendu vers lui. Comme le
désignant du doigt. Sauf qu’en lieu et place de l’index, la vieille dame
brandissait un P.38 d’époque, celui des Allemands, une arme qui a traversé le
siècle sans se démoder d’un poil, une antiquité toujours moderne, un outil
traditionnellement tueur, à l’orifice hypnotique.

Et elle pressa sur la détente. »105

105
Daniel Pennac, La fée carabine, p. 16.

80
Christian D’Amico Troisième partie : Mécanismes

Le choc issu de l’imprévisibilité de l’action rappelle la vie telle qu’elle est faite,
et c’est en cela que l’auteur est réaliste. La fiche d’auteur qui présente Daniel Pennac
aux jeunes lecteurs de la série Gallimard Jeunesse cite cette caractéristique principale
de son auteur :

« Rien n’est prévisible, c’est la seule façon d’être


réaliste. »106

Pennac semble dire à son lecteur de lui faire confiance car il lui montre toute
la vérité, aussi horrible soit-elle. Les machinations diaboliques qui guettent les
innocents sont complexes et, de nature, cruelles, mais l’auteur nous les dévoile
entièrement à la fin de ses romans, ceci est une promesse de vérité.

« Les romans de la saga des Malaussène placent rarement


la vérité du côté de la simplification et du rationnel, ils la révèlent
opaque, ramifiée, complexe et paradoxale. »107

Le plaisir de lire vient d’une recherche de vérité que le lecteur accomplit avec
son auteur, à qui il fait confiance. Le jeune lecteur devient un enquêteur du vrai :

« Au moyen de pistes semées un peu partout dans ses romans, l’auteur


enquête bel et bien sur la nature de « vrai » dans la fiction, substituant à la
dichotomie vrai/faux une opposition nouvelle : celle qui voit s’affronter vérité

106
Fiche auteur sur Daniel Pennac, Gallimard Jeunesse.

107
N. Lozzi, M. Cappioli, P. Imbert, S. Lazure, and A.-F. Ruaud, Les
nombreuses vies de Malaussène, p. 188.

81
Christian D’Amico Troisième partie : Mécanismes

et cohérence. […] C’est en illustrant cette opposition entre vérité et la


cohérence que l’auteur du cycle des Malaussène articule une réflexion plus
vaste sur la nature insaisissable et chaotique de la vérité, réflexion
métaphorisée à même les péripéties auxquelles se confronte Malaussène en sa
qualité de bouc émissaire. »108

L’auteur s’immisce lui-même dans l’histoire, avec l’intention soit de proposer


une critique comme vue plus en amont dans cette étude, soit de faire partager son avis
personnel à son lecteur. Alors, l’auteur communique avec son lecteur par le biais de
son protagoniste principal. Il nous propose un aperçu de ses pensées sur la situation et
crée un lien privilégié entre lui et le lecteur. C’est comme un commentaire dans le
présent d’énonciation, et donc aussi une perspective que le héros du roman partage
avec quelqu’un qu’il sait être le spectateur de l’action en train de se dérouler. Lors de
cette scène-ci, Daniel Pennac nous fait partager son aversion par rapport au fait que
c’est toujours le faible qui se fait écraser par le puissant. Benjamin Malaussène nous
présente ses pensées pendant que l’action se déroule:

« - Ça vous fait bicher, de torturer ce type ?

« Ce type », c’est moi. Ça y est, me voilà sous la protection de Sa Majesté


le Muscle. Lehmann souhaiterait son fauteuil plus profond. L’autre
s’explique : déjà, à l’école, ça lui foutait les boules de voir des caves s’attaquer
à des plus faibles qu’eux. »109

Dans La fée carabine, l’action du roman est commentée par les pensées de
Benjamin indiquées entre parenthèses tout au long du texte. L’auteur nous fait ainsi
partager en direct ses idées sur l’action par une sorte de voix off110 au travers de son
héros. Il en est de même, parmi beaucoup d’autres exemples, lors d’un dîner de

108
Ibid., p. 187.

109
Daniel Pennac, Au bonheur des ogres, p. 47.
110
Daniel Pennac, La fée carabine, p. 75-79.

82
Christian D’Amico Troisième partie : Mécanismes

présentation de Saint-Hiver, dans La petite marchande de prose, où les commentaires


du personnage principal sur l’action font passer le lecteur de son côté, en lui faisant
des confidences qu’il est seul capable d’entendre. La fonction phatique crée le lien
privilégié avec le lecteur, procurant un plaisir dans le partage d’idées, dans une relation
privilégiée avec l’auteur.

Finalement, il serait intéressant, comme ouverture à cette analyse, de se


pencher sur une caractéristique relevée par l’étude commune autour de Nicolas Lozzi,
Les nombreuses vies de Malaussène. A partir du troisième tome de la saga des
Malaussène, Daniel Pennac amplifie le jeu entre la réalité et la fiction. Toujours dans
l’idée de dépeindre une réalité chaotique et pratiquement incommensurable il s’amuse
aussi à effacer les limites entre la réalité de l’œuvre et celle d’ « en-dehors » de la
fiction ; donc de la vie réelle. Tel Pirandello et ses Six personnages en quête d’auteur,
Pennac tire vers l’existence réelle un personnage fictif romancier. Le père biologique
du Petit, frère de Benjamin Malaussène, serait d’après des sources sûres de Loussa,
ami de Benjamin aux éditions du Talion, le personnage principal de quatre œuvres de
l’auteur bien réel, Jérôme Charyn. Stéphanie Lazure, auteur du chapitre : Equivoque
identitaire et vérité trouble dans la Saga des Malaussène 111 , parle d’un « jeu de
perméabilité » entre réel et fictif et d’un « jeu de contamination » entre le réel et le
fictif. Tout ceci sert à l’enquête de Pennac du « vrai » qu’il veut présenter au lecteur.
Ainsi, souvent, ce qui semble réel est un mensonge, et d’un autre côté, la vérité est
cachée par un tissu de mensonges.

* *

111
N. Lozzi, M. Cappioli, P. Imbert, S. Lazure, and A.-F. Ruaud, Les
nombreuses vies de Malaussène, p. 186.

83
Christian D’Amico Troisième partie : Mécanismes

DEUXIÈME CHAPITRE

2. Revirements exceptionnels

Cette étude a mis en avant le fait que le rythme d’écriture de Daniel Pennac est
un calque de la vraie vie : essoufflant, prenant et tenant. L’action ne s’arrête jamais :
le passage d’une scène à l’autre est rapide et les actions s’enchaînent inexorablement.
Le lecteur est pris dans des histoires parallèles et des retours en arrière pour arriver
finalement au dévoilement de l’énigme primaire, en fin de roman. La résolution semble
toujours plus incongrue, toujours plus spéciale voire impossible à croire. La scène
prémonitoire de Benjamin, qui reconnaît sa sœur Clara dans les traits d’un jouet en
forme de gorille n’en n’est qu’un exemple parmi d’autres.

Les retournements de situations imprévus et incongrus sont plaisants pour le


lecteur. Il devient complice de ces moments improbables dans lesquelles les
personnages se retrouvent. La fonction de bouc émissaire, que tient vaillamment le
héros de Pennac, offre toute une panoplie de ce genre de situations.

La première partie de ce travail nous a montré que la forme des écrits de Pennac
est aussi un reflet de la réalité. A la rapidité de l’action décrite, Pennac adapte la
rapidité de la lecture. Lorsque le héros est abattu, de façon inattendue, à la fin de La
petite marchande de prose, l’auteur augmente la rapidité de la lecture par l’anaphore
« elle » et le choc du revirement en est accentué :

« C’était une balle calibre 22 à forte pénétration. Le dernier cri. D’autres,


paraît-il revoient le film instantané de leur existence. Moi, c’est cette balle que
j’ai vue.

Elle est entrée dans les trente centimètres de ma bonne vision de lecteur.

Elle avait un corps effilé de cuivre.

Elle tournait sur elle-même. »

85
Christian D’Amico Troisième partie : Mécanismes

Certains dialogues sont continus, parfois même sur plusieurs pages sans aucune
remarque de l’auteur ; pas de didascalie qui renseignerait sur un autre détail, pas de
description qui remettrait le dialogue dans le récit112. C’est comme dans la réalité,
comme si on y était. Le lecteur est le spectateur du dialogue et peut ainsi en mesurer
tout son poids, son importance pour le récit. Mais, plus important encore, cette
perspective de spectateur est un privilège accordé au lecteur par l’auteur. Comme s’il
voulait lui faire plaisir, l’aider à voir le détail, à comprendre l’intrigue en le plaçant
dans la loge, et en lui présentant exactement ce qu’il faut voir pour déceler le mystère,
dénouer le nœud de l’intrigue. Ici encore, le lecteur en est heureux, il se sent privilégié
et il l’est.

Rappelons une scène de La fée carabine qui combine accélération de l’action


décrite et ralentissement par le commentaire. Cette scène commence ainsi « […] sur la
plaque de verglas, il y avait une femme, très vieille, debout, chancelante. » On attend
le moment de l’inévitable chute, inévitable d’autant plus que la femme est très vieille
et de surcroît, debout sur une plaque de verglas. Le danger est imminent car en plus
elle chancèle, elle est donc sur le point de tomber … si elle n’est pas déjà en train de
tomber... L’auteur joue avec l’expectative du lecteur de l’inévitable chute, voire même
avec son envie secrète de voir la vieille tomber. Il éveille en lui ce plaisir secret, enfui
en l’homme de voir souffrir son prochain, se délecte même à cette attente, choisissant
ses mots, construisant un possible futur par la fonction phatique 113 , la fonction
constante de la catalyse qui nous montre de plus en plus à quel point il serait cruel que
cette femme tombe. « Elle glissait une charentaise devant l’autre avec une
millimétrique prudence ». L’auteur semble partager ce plaisir avec le lecteur. Il devient
son complice dans cette innommable attente qu’ils partagent, l’auteur et son lecteur.

112
Le dialogue de Coudrier et Pastor dans La fée carabine, Daniel Pennac, p. 64.
113
Terme utilisé par Jakobson que Barthes commente ainsi : elle « maintient le contact entre le
narrateur et le narrataire […] » et surtout « […] accélère, retarde, relance le discours, elle résume,
anticipe, parfois même déroute : le noté apparaissant toujours comme du notable, la catalyse réveille
sans cesse la tension sémantique du discours, dit sans cesse : il y a eu, il va y avoir du sens […] » in
Poétique du récit, Roland Barthes, p. 23.

86
Christian D’Amico Troisième partie : Mécanismes

D’ailleurs, l’un des personnages est exclu de ce tandem, lui ne se cache pas de ce
plaisir :

« Elle avait perdu l’équilibre ; elle venait de le retrouver. Déçu, le blondinet


jura entre ses dents. Il avait toujours trouvé amusant de voir quelqu’un se casser la
figure […] » Il sera vite exclu du tandem, n’appartenant pas aux privilégiés. Lui qui
était « tout amour » pour la vieille femme, deviendra lui aussi victime d’un revirement
exceptionnel du récit. La « fausse piste » d’une chute inévitable, d’une vieille femme
dans le besoin, lui sera fatale.

Les revirements exceptionnels que nous présente Pennac sont dignes des
grands succès cinématographiques. Ils rythment les écrits de Pennac et augmentent
considérablement le plaisir de la lecture par leur imprévisibilité :

« Nabokov donne une belle définition du hasard en racontant


une anecdote : imaginez qu’un homme très riche traverse
l’océan Indien sur un paquebot. Il est accoudé en pleine nuit
au bastingage. Il éternue et ses boutons de manchette tombent
dans l’eau. Ce sont des diamants très purs auxquels il tient
énormément. Le même homme, deux mois plus tard, entre à
New York dans le meilleur restaurant de poisson. Il commande
un poisson de haute mer, il ouvre le poisson et les boutons
de manchette ne s’y trouvent pas. Voilà l’imprévisible !
Nabokov disait : «C’est ce que j’apprécie avec le hasard.» » 114

Il y a aussi un changement de rythme des écrits de Pennac, et les moments de


lecture lente sont une façon de plus, de permettre au plaisir de se construire. Ainsi, le
plaisir dans la lecture vient également, selon Barthes, d’une lecture minutieuse, qui se
délecte de chaque moment dans le texte, de chaque mot et de chaque expression utilisée.
Il existe « deux régimes de lecture »115, l’un va droit à l’anecdote, l’autre se plaît dans

114
Fiche auteur, Daniel Pennac, Gallimard Jeunesse.
115
Roland Barthes, Le plaisir du texte, p. 22-23.

87
Christian D’Amico Troisième partie : Mécanismes

le texte et le transcende dans le détail. Si dans la première on a « perte du discours »


au profit de la consommation et la rapidité de l’intrigue, la deuxième lecture se délecte
du texte sans « perte verbale ». La lecture de Pennac offre les deux.

* *

88
Christian D’Amico Troisième partie : Mécanismes

TROISIÈME CHAPITRE

3. Le jeu du suspense

En suivant le modèle du roman noir, la structure des romans de Daniel Pennac


suit un schéma bien précis. Une intrigue se construit autour d’un crime, et à la suite
d’une enquête, le coupable est dévoilé. Cette structure simple se prête à merveille pour
faire croître le suspense, et ainsi provoquer le plaisir de la lecture par l’expectative.

Comme présenté plus haut, selon une idée de Roland Barthes notre analyse
littéraire de l’œuvre narrative se distingue en trois niveaux de description 116 . Plus
précisément, c’est au niveau des fonctions que se joue l’une des techniques qu’utilise
l’auteur pour plonger son lecteur dans l’action, pour, d’un côté le ligoter par le
suspense, et de l’autre, créer un effet de rebondissement extraordinaire de la trame de
l’histoire. Ainsi, grâce à l’analyse proposée par Barthes, nous pouvons remettre dans
le contexte de notre étude l’une des clés qui procure souvent le plaisir au lecteur.

Les fonctions d’un récit représenteraient toute unité de sens ou segment du récit
qui tisse des liens corrélatifs entre eux. Ce caractère fonctionnel de l’œuvre présuppose
que dans l’histoire, chaque élément présenté à un certain moment de l’histoire est à
mettre en relation plus ou moins importante pour la trame narrative, avec une autre
partie de l’histoire. Ainsi un fait énoncé, un détail décrit, la plus petite information peut
à un moment plus éloigné dans l’histoire, avoir un impact conséquent pour la suite des
évènements. Barthes décrit la corrélation fonctionnelle de cette façon :

« L’âme de toute fonction, c’est, si l’on peut dire, son germe, ce qui lui
permet d’ensemencer le récit d’un élément qui mûrira plus tard, sur le même
niveau, ou ailleurs, sur un autre niveau : si, dans Un cœur simple, Flaubert
nous apprend à un certain moment, apparemment sans y insister, que les filles

116
Roland Barthes, Poétique du récit, p.15.

89
Christian D’Amico Troisième partie : Mécanismes

du sous-préfet de Pont-l’Evêque possédaient un perroquet, c’est parce que ce


perroquet va avoir ensuite une grande importance dans la vie de Félicité :
l’énoncé de ce détail (quelle qu’en soit la forme linguistique) constitue donc
une fonction, ou une unité narrative. »

Pour cela il s’inspire des formalistes russes, et notamment de Propp qu’il cite
pour sa définition de la fonction: «l’action d’un personnage, définie du point de vue de
sa signification dans le déroulement de l’intrigue »117. Daniel Pennac tisse une toile
dans ses récits, et chaque intersection de ce tissu narratif est en relation corrélative
avec d’autres intersections. Dans La petite marchande en prose, le lecteur est suspendu
à la question de savoir si oui ou non, Julie Corrençon est une meurtrière. Pennac sème
de fausses pistes en dévoilant peu à peu, l’histoire de l’enfance de Julie. Toutefois,
bien plus tard, il apprend que le vrai meurtrier n’a rien à voir avec le passé de Julie,
mais il faisait depuis longtemps parti du jeu, c’était l’auteur inconnu des livres dont
Benjamin se présentait comme l’auteur. La clé du mystère existait sous les yeux du
lecteur, mais elle lui restait toutefois cachée.

L’auteur joue sur les liens et les tensions qui se créent entre les unités
syntaxiques que sont les actions des personnages et dont le sens originel se développe
au contact d’autres unités dévoilées, souvent bien plus tard dans ses récits.

Ceci crée le suspense, mais aussi des haut-le-cœur pour le lecteur qui tout à
coup s’aperçoit qu’il comprend maintenant l’importance des détails passés, souvent
racontés « au passage » comme s’ils n’avaient pas plus d’importance que ça, mais dont
les liens avec d’autres unités sont sagement restés cachés dans l’ombre.

« [Le suspense] offre la menace d’une séquence inaccomplie, d’un


paradigme ouvert (si, comme nous le croyons, toute séquence a deux pôles),
c'est-à-dire d’un trouble logique, et c’est ce trouble qui est consommé avec

117
Roland Barthes, Poétique du récit, p. 54.

90
Christian D’Amico Troisième partie : Mécanismes

angoisse et plaisir (d’autant qu’il est toujours, finalement réparé) 118 ; le


« suspense » est donc un jeu avec la structure, […] »

Dès lors, que dire des détails du texte qui ne trouvent pas de corrélation et qui
sont donc sans sens pour le récit. La force de ces détails réside dans le sentiment de
vide qu’ils créent pour le lecteur. Mais ce vide n’est pas inutile, car il devient attente,
expectation d’un « retour sur la question » qui peut ne jamais arriver, et qui engendre,
à son tour un sens bien précis : le lecteur est pris au piège dans son expectative. Il suit
la carotte, béat, et ne se soucie pas vraiment d’arriver à son but car il ne l’imagine pas.
Il n’en est pas moins content, plaisir de la carotte – plaisir de la lecture.

Cette a-fonctionnalité est, par exemple, poussée à l’extrême chez les


dramaturges de l’absurde pendant la 2ème partie du XXème siècle, et ce, en reflet à une
période où la langue, miroir d’une humanité déçue par elle-même, semble avoir perdu
son sens, tout but.

« […] dans l’ordre du discours, ce qui est noté est, par définition, notable :
quand bien même un détail paraîtrait irréductiblement insignifiant, rebelle à
toute fonction, il n’en aurait pas moins pour finir le sens même de l’absurde
ou de l’inutile : tout a un sens ou rien n’en a. On pourrait dire d’une autre
manière que l’art ne connaît pas le bruit […] »

Cela semble vrai aussi puisqu’il y a création ; et donc aussi une volonté de la
création, une intention précise de celui qui vient, lors de la genèse du récit, de créer
tel ou tel segment du discours, et qui vient de décider de le laisser tout à fait seul, sans
le laisser grandir au contact d’un autre segment du récit. Alors il grandit seul, sa
condition même l’y oblige. Quand Pennac nous décrit que le chien de Malaussène est
épileptique, le lecteur cherche le sens profond de ce détail incongru, car cela semble
devoir avoir un sens précis. Pennac nous guide même vers cette recherche de sens en

118
Pas toujours, et ceci crée une nouvelle sorte de plaisir, lié à l’absurdité apparente d’un
manque à la fonctionnalité d’une séquence et par procuration, de la langue.

91
Christian D’Amico Troisième partie : Mécanismes

proposant des pistes au problème. Le personnage qui croit avoir trouvé le sens profond
des crises épileptiques est Thérèse, sœur médium de Benjamin Malaussène et devin du
clan :

« Toute la famille Malaussène vivait dans la terreur de ses crises


d’épilepsie. Selon ma sœur Thérèse, elles annonçaient toujours une
catastrophe » 119

Le lecteur se trouve devant une réponse avec laquelle il ne sait que faire. Doit-
il croire cela ? Réponse encore plus improbable que la question elle-même. La
recherche du sens est ce qui procure le plaisir de la lecture. On devient détective du
détail, du corollaire qui nous absoudrait de notre recherche et cela plaît, car l’homme
peut ainsi assouvir l’une des tâches primaires ancrée dans sa condition : il peut
collectionner. La recherche du détail, de ce qui va avec, est plus importante que la
trouvaille en elle. Tant qu’il n’a pas trouvé, il y a du suspense, le lecteur est en suspens,
il « pend » à la lecture pour trouver, et il reste content tout au long de sa recherche.
Elle mène au bonheur de lire, par l’attente, et par l’engagement qu’elle suppose. Une
fois la clé de l’énigme découverte, l’analyse des mécanismes qui font le suspense est
aisée pour le lecteur :

« La fonctionnalité de l’unité narrative est plus ou moins immédiate (donc


apparente), selon le niveau où elle se joue : lorsque les unités sont placées sur
le même niveau (dans le cas du suspense, par exemple) […] »120

Nous voyons que les romans de Daniel Pennac sont construits pour créer du
plaisir à la lecture par le suspense. C’est ce qu’il veut faire, et aussi ce que l’enseignant
de langue recherche pour attirer et accrocher ses élèves à la lecture.

119
Daniel Pennac, La petite marchande de prose, p. 24.
120
Roland Barthes, Poétique du récit, p. 54. [note 21]

92
Christian D’Amico Conclusion

Conclusion

Par ses écrits, Daniel Pennac met en œuvre des mécanismes au service du
plaisir de la lecture. Ils découlent de la forme du langage et en sont donc ses
conséquences. Mais, ils sont aussi le résultat du genre qu’il attribue à ses écrits, celui
du roman noir. Ainsi, cette dernière partie rassemble des caractéristiques d’une
discussion tout en acceptant des éléments nouveaux à l’étude.

En mettant en parallèle les caractéristiques de l’analyse de la forme qui rappelle


le réel et celles du roman noir qui est une littérature du réel, on a su mettre en évidence
l’une des sources premières du plaisir dans les œuvres de Pennac. L’auteur propose
une peinture réaliste et véridique du monde qui entoure le lecteur et le mène à travers
sa découverte. Il crée un lien basé sur la sincérité d’un auteur qui ne cache rien au
lecteur. Privilégié par cette relation, le lecteur prend plaisir à se laisser ainsi guider au
travers de la lecture.

C’est en mettant en relation le rythme de la poétique de l’auteur, avec les


caractéristiques propres au roman noir à produire des histoires et des moments
imprévisibles, que nous dégageons un deuxième mécanisme comme source du plaisir
à la lecture de Pennac. Par cette mise en commun naissent des revirements
exceptionnels qui happent le lecteur et l’attachent à la lecture.

En dernier lieu, nous avons discuté le jeu du suspense par la relation


fonctionnelle dans l’œuvre. Les écrits de Daniel Pennac, tout comme ceux des tenants
du roman noir créent un suspense qui tient le lecteur en haleine et produit ainsi du
plaisir dans l’attente.

93
Christian D’Amico Conclusion

CONCLUSION
L’objectif de cette étude était de déceler, dans la poétique et la thématique de
certaines œuvres de Daniel Pennac, la source du plaisir de lire. Pour surmonter la
difficulté de saisir un ressentiment aussi subjectif, nous avons ouvert notre analyse à
différentes théories littéraires qui discutent les formes du plaisir invitées par le texte.
La particularité que l’auteur traite lui-même cet aspect de ses écrits a replacé l’étude
dans un champ analysable. La littérarité étant ce qui sous-entend dans un texte des
caractéristiques littéraires complexes, nous avons essayé de les nommer. Ensuite, par
les exemples issus du corpus de romans choisis, nous avons pu entrevoir la littérarité
de ces œuvres en montrant comment l’auteur les utilise pour procurer du plaisir à son
lecteur.

La partie sur la poétique de Daniel Pennac nous a toujours amené à traiter le


contenu des histoires de l’auteur et en conséquence, le genre du roman noir. Ainsi, il
n’a pas été possible de disjoindre complètement l’analyse formelle de l’analyse
structurelle. De ce fait, une troisième partie, discutant en quelque sorte les
conséquences de ce phénomène, nous a aidé à démêler, en partie, les mécanismes qui
peuvent conduire le lecteur vers cette nébuleuse qui est le plaisir par la lecture.

Quelle est la valeur du plaisir de la lecture ? Il devrait devenir le moteur ainsi


que la force qui pousse le jeune lecteur à vouloir continuer à lire. L’analyse présentée
ne se veut nullement complète ni être une fin en soi. Pourtant, elle nous a aidé à
concevoir la lecture des romans de Daniel Pennac comme un moyen de faire aimer la
lecture.

Sans être exhaustif, nous avons su montrer des mécanismes qui amènent au
plaisir de la lecture et qui sont adaptés à notre public cible, nos élèves. Nous avons
appris qu’il faudrait concevoir le livre lu en classe comme un objet de plaisir et non
seulement comme un exercice d’apprentissage afin de réconcilier le jeune avec la
lecture et que cette prophétie de Pennac ne se réalise pas :

95
Christian D’Amico Conclusion

« Si les professeurs ont aujourd’hui pour principe d’attaquer une œuvre


comme s’il s’agissait d’un problème de recherche pour lequel toute réponse
fait l’affaire à condition de n’être pas évidente, j’ai peur que les étudiants ne
découvrent jamais le plaisir de lire un roman. »121

Nous avons découvert que Pennac utilise des techniques et des moyens rendant
possible l’immersion du lecteur dans l’histoire. Au contraire de la distanciation de
Brecht, l’auteur veut, ici, que le lecteur se laisse bercer au fil du texte et en éprouve du
plaisir. Au-delà d’une idéologie ou d’un dictat quelconque, c’est le plaisir en lui-même
qui est la raison suffisante de la lecture.

La relation entre l’auteur et son lecteur, pour Daniel Pennac, est primordiale
afin de garantir ce plaisir par la lecture. La réponse à la question de comment
concevoir ce lien avec le lecteur réside dans une relation de vérité. Bien que fictions,
ses romans et ses autres écrits ont la particularité qu’ils semblent montrer le monde
tel qu’il est. Le lecteur est troublé par l’honnêteté de ce qu’il lit. Les personnages
semblent vrais, comme extraits directement du monde réel. « Quand la vie est ce
qu’elle est, le roman se doit d’être ce qu’il veut »122. Beauté et horreur se côtoient, les
personnages sont imparfaits, changeants ou inquiétants. Cette sincérité de vouloir
décrire la vie, retrouvée dans les écrits de Pennac, est une des conditions du lien
étroit qui s’établit entre le lecteur et l’auteur. Elle permet de proposer une peinture de
la société et une enquête sur l’homme. Le lecteur peut suivre la famille Malaussène à
Belleville, dans son environnement naturel.

Pennac permet l’immersion dans le texte par différents procédés comme


l’oralité de son écriture et la forte visualité de son texte. Il y a une facilité dans
l’ouverture de ses histoires pour d’autres genres artistiques et cela explique

121
Daniel Pennac, in : Au bonheur de lire, « Comme un roman », citant Flannery O’Connor,
L’habitude d’être, Editions Gallimard.

122
N. Lozzi, M. Cappioli, P. Imbert, S. Lazure, and A.-F. Ruaud, Les nombreuses vies de
Malaussène, p. 189.

96
Christian D’Amico Conclusion

assurément le succès des adaptations, au cinéma, de ses histoires. En plus, cette


promiscuité avec l’image charme l’élève.

A notre avis le plaisir procuré aux jeunes, par les livres de Pennac, cache aussi
une leçon pour les adultes. Il faut faire confiance au jeune, lui proposer des livres qui
plaisent au lieu de l’infantiliser par des lectures sans fond, sans tripes. Le plaisir de lire
vient aussi de l’effet que cette lecture a sur nous. Si elle nous conforte dans notre être,
elle nous est encore bien plus utile. Chez Pennac, il y a une pédagogie intrinsèque au
texte, celle d’un adulte qui considère son lecteur comme son égal.

Ce qui facilite le travail des écrits présentés est que toutes les caractéristiques
du roman noir vues ici sont directes, car elles relatent du monde réel. Elles sont donc
simples à percevoir car vécues au jour le jour. C’est une accessibilité qui en rend la
lecture aisée même si la forme est élaborée.

Mais, c’est surtout le mélange, de toutes les méthodes, techniques et facettes


évoquées plus en avant, qui montre pourquoi cette lecture plaît. Une chose est sûre,
c’est l’intentionnalité de l’auteur de vouloir plaire.

Il a été intéressant d’analyser les romans de Pennac par le philtre des théories
littéraires de Roland Barthes et d’Henri Meschonnic. Leur approche du plaisir de la
lecture est une approche ouverte, qui est franche par rapport à la matière textuelle. Au-
delà d’une simple analyse formelle de la langue, ils s’intéressent tout autant aux sujets
des histoires. Personnellement, nous pouvons reprendre ces pistes d’analyse dans notre
pratique professionnelle et proposer, lors de cours, des études sur la forme du texte et
sur le mot lui-même, mais aussi des séquences qui traitent plus des sujets et du fond
en général. Le plaisir, dans les œuvres de Pennac, peut servir de source de motivation
aux travaux faits en cours, et cette étude montre une approche du texte en ce sens.

Le fait de revoir les théories littéraires de Jakobson et de Ferdinand de Saussure


nous a rappelé la richesse des moyens disponibles pour accéder à l’analyse du texte.
Leurs méthodes d’analyse permettent, elles-aussi, d’améliorer notre pratique
professionnelle en variant les méthodes dans l’approche des lectures.

97
Christian D’Amico Conclusion

Analyser le plaisir de lire et ses mécanismes subséquents nous a aussi révélé


l’importance de faire renouer le jeune avec le texte et le plaisir qu’il peut y trouver.
Cela pourra aussi motiver à la lecture et au travail sur la langue, voire même sur la
littérature. Le plaisir retrouvé servira à la motivation et à renverser le triste postulat
que « l’idée de plaisir ne flatte plus personne. Notre société paraît à la fois rassise et
violente, de toute manière : frigide ».123

Au final, même si Barthes joue sur le double sens du mot « plaisir » en parlant
de plaisir du texte, nous ne nous sommes pas dérangé à en discuter en pensant aux
élèves d’une classe, car il y a une nette séparation entre le plaisir du texte et le texte de
plaisir comme Barthes l’explique lui-même. Et même si le texte est « de plaisir » il
« n’est pas forcément celui qui relate des plaisirs [et] […] le texte de jouissance n’est
jamais celui qui raconte une jouissance »124. L’utilisation pédagogique de cette étude
concerne primordialement le plaisir, la joie qui se mélange à l’envie et à la motivation
de la lecture. Il peut en naître une passion de la lecture, même si celle-ci n’est pas
nécessaire à éveiller l’envie de lire régulièrement ou celle d’approcher un texte. Un tel
acquis serait déjà une fin en soi.

123
Roland Barthes, Le plaisir du texte, p. 64.

124
Ibid., p. 74.

98
Christian D’Amico Bibliographie

Bibliographie

I. Œuvres de d’auteur :

Corpus de romans :

 PENNAC, Daniel, Au bonheur des ogres, Paris, Editions Gallimard, 1985 ;


Paris, Editions Gallimard, coll. « Folio », 2009, 287 p.

 PENNAC, Daniel, La fée carabine, Paris, Editions Gallimard, 1987 ; Paris,


Editions Gallimard, coll. « Folio », 2008, 310 p.

 PENNAC, Daniel, La petite marchande de prose, Paris, Editions Gallimard,


1989 ; Paris, Editions Gallimard, coll. «Folio», 2009, 404 p.

Romans à thèse :

 PENNAC, Daniel, Comme un roman, Paris, Editions Gallimard, 1992 ; Paris,


Editions Gallimard, coll. « Folio », 2008, 198 p.

 PENNAC, Daniel, Chagrin d’école, Paris, Editions Gallimard, 2007 ; Paris,


Editions Gallimard, coll. « Folio », 2009, 298 p.

Recueil collectif d’articles

 Au bonheur de lire, Les plaisirs de la lecture par Daniel Pennac, Marcel


Proust, Nathalie Sarraute…, Paris, Editions Gallimard, 2004, 107 p.

Romans :

 PENNAC, Daniel, L’œil du loup, Paris, Pocket Jeunesse, 2003, 96 p.

 PENNAC, Daniel, Aux fruits de la passion, Paris, Editions Gallimard, 1999 ;


Paris, Editions Gallimard, coll. « Folio », 2009, 222 p.

99
Christian D’Amico Bibliographie

II. Etudes de thèmes :

Essais :

 MESCHONNIC, Henri, Pour la poétique I, Paris, Gallimard, 1970 ; Paris,


Gallimard, coll. « Le Chemin », 1998, 178 p.

 JAKOBSON, Roman, Essais de linguistique générale, Paris, 1963, Minuit,


coll. « Arguments », 257 p.

 BARTHES, Roland, Le plaisir du texte, Paris, Editions du Seuil, 1973, Paris,


Editions du Seuil, coll. « Essais », 2002, 89 p.

 DE SAUSSURE, Ferdinand, Cours de linguistique générale, Paris, Payot,


1966, 331 p.

Revue :

 Magazine littéraire, le roman noir, violence et sociologie, Paris, Magazine


Littéraire, N°78, juillet-août 1973, 66 p.

Articles :

 « Introduction à l’analyse structurale des récits », BARTHES, Roland, in : R.


BARTHES, W. KAYSER, W.C. BOOTH, Ph. HAMON, Poétique du récit:
Paris, Editions du Seuil, coll. «Points », 1977, 180 p.

 PONS, Jean, « Le roman noir, littérature réelle », In : Roman noir, Pas


d’orchidées pour les T.M., Paris, Les Temps Modernes N°595, 52e année,
août-septembre-octobre 1997, 281 p.

 P. HUERRE, M. PAGAN-RAYMOND, J.-M. REYMOND, « L’adolescence


n’existe pas », Odile Jacob, 2002, In : Qui sont les ADOS ?, L’essentiel
Cerveaux & Psycho, Hors-Série, août – octobre 2013.

100
Christian D’Amico Bibliographie

III. Publications consacrées à l’écrivain

Ouvrage :

 N. LOZZI, M. CAPPIOLI, P. IMBERT, S. LAZURE, A.-F. RUAUD, Les


nombreuses vies de Malaussène, Lyon, « La bibliothèque rouge », neuvième
volume, Les Moutons Electriques, 2008, 189 p.

Revue :

 Cahier NRP, L’œil du loup de Daniel Pennac, Cahier Nouvelle Revue


Pédagogique, coll. « Lettres Collège », Nathan, Paris, Février 2003, 178 p.

Articles :

 PERRON, Gilles, Du polar à la littérature, La petite marchande de prose,


Montréal, Québec français 141, printemps 2006.

 Les Inrockuptibles n°33, Paris, Les Éditions Indépendantes, janvier-février


1992.

IV. Outils :

 M. RIEGEL, J.-C. PELLAT, R. RIOUL, Grammaire méthodique du français,


Paris, PUF, coll. « Linguistique nouvelle », 1999, 646 p.

 Le Petit Larousse 2006, Paris, Larousse, 2005, 1851 p.

 DUPRIEZ, Bernard, Gradus, Les procédés littéraires, Paris, Editions 10/18,


coll. « Domaine français », 1984, 541 p.

 Lexique des termes littéraires, sous la dir. de JARRETY, Michel, Paris, Le


Livre de Poche, 2001 ; Paris, Le Livre de Poche, janvier 2009, 475 p.
[collaborateurs : Michèle Aquien, Dominique Boutet, Emmanuel Bury, Pierre
Frantz, Daniel Ménager, Gilles Philippe, Yves Vadé] Article « littérarité », p.
250, rédigé par Gilles Philippe.

101
Christian D’Amico Sommaire

Sommaire
INTRODUCTION .....................................................................................................7

PREMIÈRE PARTIE Un travail avec la langue ....................... 21

CHAPITRE PREMIER Une forme du plaisir ............................................. 23

1.1. Le sacré et le profane.......................................................................................................... 24

1.2. Ouvrir la langue ..................................................................................................................... 29

DEUXIÈME CHAPITRE Miroir de la réalité ................................................. 33

2.1. Une langue proche du réel ................................................................................................. 34

2.2. Le rythme comme calque de la réalité ......................................................................... 37

2.3. Une forme tout en images .................................................................................................. 40

DEUXIÈME PARTIE Le roman noir .......................................... 45

CHAPITRE PREMIER Littérature réelle ................................................... 49

1.1. Fonds explosifs ...................................................................................................................... 51

1.2. Une part critique................................................................................................................... 54

1.3. La part de merveilleux ....................................................................................................... 58

DEUXIÈME CHAPITRE Un univers propre au polar .............................. 63

2.1. Des personnages hauts en couleurs .............................................................................. 64

2.2. Monde de dépravation, de folie ....................................................................................... 68

2.3. Benjamin Malaussène, personnage du nouveau roman ....................................... 70

TROISIÈME PARTIE Mécanismes au service du plaisir ..... 77

CHAPITRE PREMIER Promesse de réalisme et de vérité... …………79

DEUXIÈME CHAPITRE Revirements exceptionnels ............................... 85

TROISIÈME CHAPITRE Le jeu du suspense………………… ……………… 89

CONCLUSION ........................................................................................................ 95

Bibliographie ...................................................................................................... 99

Sommaire .......................................................................................................... 103

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