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Cahiers Léon Trotsky, Numéro 10 (Juin 1982)

Ce numéro des Cahiers Leon Trotsky est consacré à l'Espagne et contient de nombreux articles et documents sur Trotsky et le mouvement trotskyste en Espagne pendant la révolution et la guerre civile, notamment des lettres de Trotsky d'Espagne de 1916, une correspondance de 1928 entre Andres Nin et Trotsky, et plusieurs articles historiques sur cette période.

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Cahiers Léon Trotsky, Numéro 10 (Juin 1982)

Ce numéro des Cahiers Leon Trotsky est consacré à l'Espagne et contient de nombreux articles et documents sur Trotsky et le mouvement trotskyste en Espagne pendant la révolution et la guerre civile, notamment des lettres de Trotsky d'Espagne de 1916, une correspondance de 1928 entre Andres Nin et Trotsky, et plusieurs articles historiques sur cette période.

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LION TROTSKY

JUIN 1982

INSTITUT LEON TROTSKY


PUBLICATION TRIMESTRIELLE
CAHIERS LEON TROTSKY
Revue editee par l'lnstitut Leon Trotsky

L'lnstitut Leon Trotsky a pour but de promournir /'a:uvre de Leon Trotsky


sous ses divers aspecls [...], preparer la publication en langue .fraw,:aise des
CEuvres de Leon Tro1sky [ . ..] r.!diter /es Cahiers Leon Trotsky destines a etab!ir wz
lien entre routes !es perso1111es interessees par !es traval/)( de /'Jnstifllt [...] et it
permettre la puhlication de lextes ct documents divers co11cenza11t /'auteur et le
mo11ve111e11t 011\'rier 111is lijour au cours de recherches, regrouper ou recenser fol/le N° 10 Juin 1982
i11formatio11, doc11111e11tatio11 011 a rehires co11cer11u11t Trotsky et son C£u,,,.e (Ex-trait
des Sta tuts de /'/n.'ilitul. associa1io11 se/{111 la loi de I 90 I).

BUREAU DE L'INSTITUT LEON TROTSKY SOMMAIRE


Jean-Franc;ois Godchau, president, Pierre Broue, directeur scientifique,
Isabelle Longuet, trcsoricre, Michel Dreyfus, Jean Risacher.

Redaction et Administration des Calziers Leon Tror.sky lnstitut Leon Trotsky - Presentation ................................... . 3
Jean-Paul Joubert, 2, rue Bayard, 38000 Grenoble.
Prix au nurncro France: 35 F F:tranger : 40 F Jose Guttierez Alvarez - Les Peripeties de Trotsky en Espagne . 5
Abonnemcnt pour quatre numcros France : 1 20 F Etranger : 140 F Leon Trotsky - Lettres d'Espagne (1916) .............................. 12
Reglemenr '-.' l'({(/111i11is1mtio11 des Calziers Leon Trotsky par cheque bancaire
ou postal lihellC <'i l'ordrc de: JOLJBERT - C.L.T.
Andres Nin - Lettres a Trotsky (1928) ................................. 35

Pelai Pages - Le Mouvement trotskyste pendant la guerre civile


NUMEROS DISPONIBLES (Port en sus) d 'Espagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
Jean Cavignac - Les Trostkystes espagnols dans la tourmente ... 67
C.L.T. n" I 20F
C.L.T. n" 2 20f Pierre Broue - La Mission de Wolf en Espagne ..................... . 75
C.L.T.n°3 (N umero special sur les Prod~s de Moscou clans le monde) 35 F G. Munis - Deux lettres ................................................... . 85
C.L.T. n" 4 20F
C.L.T.n°5 30F
Javier Maestro - La campagne antitrotskyste du P.C.E. espagnol
C.L.T. n° 6 (Premier numero special sur les Trotskystes en U.R.S.S.) 35 F 91
C.L.T. n° 7/8 (Deuxieme numero special sur les Trotskystes en U.R.S.S.) 40F (1926-1938) ·································································
C.L.T. n" 9 35F
(Commandes et versements a l'administration des Cahiers Leon Trotsky) Francisco Manuel Aranda - Les Amis de Durruti .................. . 109
Miguel Blanco Rodriguez - Le Livre que Trotsky n'a pas ecrit sur
l'Espagne ... . . . . . . .. . .. . . ... ........ ..... .. ... .................... ... ... .. ... 115
N° ISSN 0181-0790 Commission paritaire 61601
2 CAHIERS LEON TROTSKY 10

Juan Ramon Brea - A Madrid avec le P.0.U.M. ................... 119


Mary Low - Andres Nin orateur ........................................ 123

Courrier des lecteurs 125

Nos morts . . . . . . . . . . .. . . . . . .. . .. . .. . . .. . . . . . . . . . ........................ ... ....... 127 Presen ta tion

Ce numero 10 des Cahiers Leon Trotsky est consacre a l'Espagne.


Realise sous la direction de Pierre Broue, ii a beneficie de la collaboration
de plusieurs chercheurs espagnols et catalans.
La matiere n'a pas manque. Nous avons du renvoyer au numero 12
un article de P. Broue, pourtant ecrit pour ce numero sur «Les jeunesses
socialistes espagnoles au temps de Santiago Carrillo (1934-1936) ». Nous
avons du - et nous nous en excusons - raccourcir de fafon importante
/'article de notre ami Javier Ma~stro, renoncer a publier le «journal
d'Espagne » d'A. Fenner Brockway et, finalement, un recensement de
Pierre Broue sur les livres nouveaux parus sur la revolution et la guerre
d'Espagne et /es deux colloques de Barcelone et Tarragone, ainsi qu'une
liste des livres recemment reedites sur cette question.
Jose Guttierez Alvarez, ecrivain et journaliste, a raconte pour nous
«/es peripeties de Trotsky en Espagne en 1916 ». Nous avons fait suivre son
article des lettres d'Espagne de Trostky publiees pour la premiere fois par
A. Rosmer dans la « Lettre aux abonnes de La Vie ouvriere ».
Nous pub/ions ensuite un echange de correspondance inedit de 1928,
des lettres adressees par Andres Nin a Trotsky, a/ors exile a Alma-Ata.
L'ensemble le plus copieux est celui que nous presentons sur la guerre
civile. L'historien du trotskysme en Espagne, Pelai Pages, a etudie le
mouve"ment trotskyste pendant la guerre civile avant l'ouverture des archi-
ves de Harvard. Son article est suivi d'une etude de jean Cavignac, ecrite,
elle, au lendemain d'une premiere recherche dans les « papiers d'exil ».
C'est egalement a travers Les papiers d'exil que Pierre Braue aborde le recit
de la mission d'En.vin Wolf qui aide a eclairer le role et la place des
trotskystes dans cette periode. Ces quatre articles sont suivis de deux lettres
inedites, des rapports de Munis sur la situation espagnole.
Enfin, Javier Maestro a etudie pour nous dans la presse du P.C.E. sa
Campagne antitrotskyste de 1926 a 1938.
4 CAHIERS LEON TROTSKY 10

Deux mises au point completent notre recherche: l'une de F. Manuel


Aranda sur le groupe des «Amis de Durruti », l'autre de M. Blanco
Jose Guttierez Alvarez
Rodriguez sur le livre sur l'Espagne que Trotsky n'a pas ecrit ... Deux
temoignages inedits en fran~ais, du militant cubain Juan Ramon Brea et
de i'Anglaise Mary Low, terminent la presentation de documents.

L'lnstitut Leon Trotsky


Les « Peripeties » de Trotsky
en Espagne en 1916

A la suite de son intervention clans la conference de Zimmerwald, de


l'activite deployee clans Nache Slovo, la presence de Trotsky en France etait
toujours plus intolerable pour le gouvernement qui subissait des pressions ·
continuelles de l'ambassade tsariste. Le gouvernement avait trouve le
pretexte pour son expulsion clans la mutinerie - apparemment provoquee
- de la garnison russe de Marseille qui avait cause la mort du colonel
Krause et la decouverte de plusieurs exemplaires du periodique internatio-
naliste russe. Place devant }'expulsion imperative, Trotsky demanda asile,
d'abord en Suisse, puis en Italie et en Angleterre; les deux dernieres
refuserent cependant que la Suisse faisait trainer. Trotsky attendit pas mal
de temps que les Suisses lui ouvrent la porte. En attendant, deux policiers
qui firent pendant le voyage de la philosophie abon marche, le conduisi-
rent a la frontiere espagnole et ecrivirent ensuite a Madrid disant qu'un
« dangereux anarchiste » circulait librement en Espagne.
Trot~ky se trouva en Espagne en train de faire un voyage « qu'il
n'avait pas prevu », parcourant le pays de Saint-Sebastien a Cadix et de
Cadix a Barcelone, «aux frais du roi ». Ses « peripeties » dureront environ
un mois, du debut de novembre 1916 a la fin de ce meme mois, avec son
depart pour New York. Sur ce «passage », il nous a laisse deux temoigna-
ges, un chapitre de Ma Vie - «A travers l'Espagne » - et un petit
opuscule qui a ere publie en Russie en 1924 et en Espagne en 1929 dans
une traduction d' Andres Nin, lequel dut insister devant les doutes de
Trotsky 1. Les pretentions de ce petit livre sont tres modestes. Dans le
prologue de !'edition castillane, Trotsky note ses propres difficultes avec
l' « espagnol » - qu'il commencera a apprendre a la fin de son sejour et

1. 11 y a eu en Espagne deux editions du livre. La premiere, intitulee Mis Peripecias en


Espana comportait une petite biographie par le journaliste socialiste Julio Alvarez del
Vayo, une note de Daniel Anguiano et quelques illustrations de K. Rotova. La seconde,
faite par Ed. Akal en 1977, a change le titre, devenu simplement En Espana et ne
comprend pas ces trois elements.
LES PERIPETIES DE TROTSKY EN ESP AGNE 7
6 CAHIERS LEON TROTSKY 10

re~oivent des «marquis» pour ses monuments funeraires, elles le rever-


qu'il recommencera a cultiver des annees plus tard au Mexique2 - et son
sent aux banques.
caractere « trop superficiel et leger », remarque dont !'unique interet re-
II n' esperait pas trap que les socialistes espagnols le sortent d' embar-
side en la lumiere qu'il peut faire sur « la psychologie d'un revolutionnaire
russe ». N eanmoins, par ses observations comme sa signification generale, ras: II, sav~it que l'infl~ence cl.es Frarn;ais en avait fait des social-patriotes
et 11 n ava1t, semble-t-tl, conf1ance que «clans les anarchistes de Barcelo-
ce temoignage a beaucoup plus de valeur que ne le pretend son auteur.
ne » pour fare reellement contre la guerre imperialiste. C'est clans ces
Sa premiere etape est Saint-Sebastien ou il est subjugue par la mer :
jours qu'il re~oit .la visite d'un socialiste frarn;ais qu'il appelle Gabier,
« A vec son aspect captivant, elle semble indiquer que l'homme est ne pour
alors que son vra1 nom est Despres. Celui-ci, malgre sa situation - il
fare contrebandier ». Mais la ville est une plage a la mode et ses prix
travaille clans une compagnie d'assurances - sympathise avec les zim-
provoquent la fuite de Trotsky vers Madrid.
merwaldiens et l'aidera. II cherche a voir David Anguiano - futur
Tout en attendant le visa suisse, il pense utiliser au mieux son temps.
Comme il ne peut se comprendre avec les espagnols, il se tournera vers co-.fondateur du P.C.E. - mais apprend qu'il est en prison pour avoir
ecrtt un article contre un dogme religieux: il commente en disant qu'il a
«le langage universe! de l'art ». Arrive a Madrid le 2 novembre, il com-
de la chance car, des siecles auparavant, il aurait ere brule par
mencera a ecrire son carnet de notes, plein de jugements critiques et
!'Inquisition 3 . 11 semble qu'il ait sonne aussi a la porte d'Ortega y Gasset,
substantiels. Son endroit de predilection sera le musee du Prado et ses
le fai:neux philosophe qui sympathisait a l'epoque avec les socialistes. Ce
preferes sont Goya, Murillo, Velazquez et Jerome Bosch «genial clans
dermer fut alerte par les coups de heurtoir de Trotsky, regarda par la
son allegresse nai.'ve » :
lucarne et, ne connaissant pas son visiteur, choisit de retourner au lit.
« Entre nous et les anciens - sans les masquer ni les diminuer - un nouvel Moin~ d'un an apres, il comprit par les photos clans les journaux qu'il
art s'est dresse, des avant la guerre, plus intime, plus individualiste, plus nuance, n'avatt pas ete hospitalier avec un des dirigeants de cette revolution qu'il
plus subjectif, plus tendu ... La guerre emportera probablement pour longtemps n' essaya jamais de comprendre.
ces etats d'ame et cette maniere, clans des passions et des souffrances des masses - II fut arrete le 9 novembre et emmene a la Direction generale de la
mais cela ne peut nullement signifier que l'on en reviendra simplement aux vieilles Sur~te OU il resta sept heures a attendre (il apprit qu'un des mots-des du
formes, si belles soient-elles, au « fini » anatomique et botanique, aux cuisses a la cast1llan est paciencia). Son dialogue avec la police fut tres difficile,
Rubens (bien que les cuisses doivent vraisemblablement jouer un grand role dans chacun parlant une autre langue clans tous les sens du mot. Comme cela
l'art nouveau d'apres-guerre, avide de vie). 11 est difficile de deviner, mais, apres
lui arrivera de nouveau clans d'autres circonstances, il lui sembla un
les extraordinaires emotions qui ont pris au creur presque toute l'humanite civili-
see, un nouvel art doit naitre ... » moment que tout allait s'eclaircir. Quelqu'un lui demanda: « Parlez-vous
fran~ais? ». Et comme il repondait oui, son interlocuteur manifesta que
II remarqua la vie quotidienne clans une ville neutre - sans la crainte c'etait la que s'arretait sa connaissance de la langue de Balzac. A un
des dangereux « zeppelins » - son « vacarme assourdissant » et, la nuit, r;io.m~nt, le .traducteu.r en fran~ais et en allemand faait si mauvais qu'il
« les eris clans la rue ». 11 considere Madrid comme «une grande ville, eta1t 1mposs1ble de nen comprendre. Mais, tres orgueilleux, quand il
surtout la nuit ». Le sentiment de sa solitude y grandit : « J e ne connaissais s'_aper~ut que Trotsky ne savait pas l'anglais, il assura qu'il connaissait
personne et personne ne me connaissait, litteralement personne. En outre, b1en cette langue. On amena Trotsky a la prison modele de Madrid.
je ne comprends pas la langue, et quand je m'assieds clans un cafe et que Accusation : « Ses idees etaient trap avancees pour l'Espagne ».
j'y emends le rythme rapide de la conversation espagnole, je n'y com- Ses notes sur la prison, son administration, les detenus eux-memes,
prends pas un mot ... ». II s'amuse beaucoup que les Madrilenes appellent ~o~t pleines d'ironie. L'un des prisonniers etait un « roi des voleurs » qui
la paste « Notre Dame des Communications » et il remarque le grand eta~t en outre un globe-trotter polyglotte traite avec beaucoup de conside-
nombre d'eglises et de banques de la capitale, pour conclure qu'elles se ration tant par les autres prisonniers que par les gardiens. Le « roi »
disputent le pouvoir en Espagne a !'amiable et que !'argent que les Eglises voulait que Trotsky lui indique les possibilites offertes par le Canada.
«Le Canada, repondit-il en hesitant. II y a beaucoup d'agriculteurs Ia.-
bas, savez-vous, et une jeune bourgeoisie, qui, comme la suisse, doit
2. Dans une edition mexicaine de La Revoluci6n traicionada, on dit qu'il s'agit d'une
« traduction revisee par l'auteur », ce qui a conduit les editions Fontamara, clans !'edition . 3. Trotsky commet ici une erreur. A cette epoque le socialiste emprisonne pour cette
espagnole de ce livre, a affirmer qu'il s'agit d'une «version castillane de !'auteur». Ces deux raison fut Eduardo Torralba Beci qui fut avec Anguiano un des leaders de la tendance
jugements nous paraissent abusifs, parce que Trotsky ne posseda jamais suffisamment le « tercerista », c'est-a-dire favorable a la Ille Internationale clans le P.S.O.E.
castillan pour reviser serieusement (et encore moins pour traduire) un livre.
8 CAHIERS LEON TROTSKY 10 LES PERIPETIES DE TROTSKY EN ESPAGNE 9

avoir un sens de la propriete assez developpe ». Le roi devint son ami, et, avait paru un endroit eloigne et exotique. Quittant Madrid, il la trouva
quand il partit, lui dit: « Quand je sortirai, je vous installerai chez moi et «plus primitive, plus rustre et provinciale ». 11 voyagea en premiere ou il
me porterai garant de vous ».Trotsky commenta: « Ainsi, j'ai en Espagne releva « la sociabilite des espagnols, leur amabilite, leur dignite, leur
un ami qui me protege. Dommage qu'il soit en prison! » caractere d'hommes de bien et en meme temps leur malproprete ». Le
Le P.S.O.E. commen\:a dans El Socialista une action de solidarite. 11 train roulait le long du Guadalquivir et il admirait le paysage par la
etait dit dans un article paru le 10 novembre: fenetre. II distingua «des cactus enormes, sans vie, des oliviers, des
«Nous avons appris hier qu'un de nos camarades, recemment arrive de chenes. Un vieux chateau sur un rocher - sans doute celui d'Almodovar
France a Madrid, avait ere arrete par la police. Nous avons demande des details - repare depuis peu et habite par undue». Contrairement a tant d'autres
( ... ) et il nous est arrive la meme chose que d'autres fois; nous ne pouvons que voyageurs qui passerent a cet endroit - de Lord Byron a ~?s Passos -
deplorer la facilite avec laquelle notre police derient des personnes qui ne sont pas Trotsky n'apprecia pas beaucoup la beaute du GuadalqulVlr, un cours
des delinquants ni n' ont l'intention de faire actes de delinquance, sur la seule base d'eau qu'il qualifia de «tout a fait prosa!que ». . .
qui consiste a qualifier un individu de dangereux. Leon Trotsky est un ecrivain II restera six semaines a Cadix, garde par un agent qm se confonda1t
tres apprecie en Russie. 11 etait correspondant en France du grand quotidien liberal
de Kiev Kievskaia Mys!. Son nom est entre autres connu pour avoir traduit de
en amabilites. Ses experiences avec la police la lui faisaient apparaitre assez
l'allemand (?) le livre La Russie pendant la revolution. A Paris, OU il residait, il bienveillante. A cette epoque, comme l'expliquait Juan Andrade, qui
etait redacteur du quotidien russe qui s'appelle Notre Parole. On combattait le connut tres bien la police comme les prisons espagnoles, ces fonction-
chauvinisme dans ses colonnes et on conseillait aux nations neutres de demeurer naires etaient des gens simples sans experiences repressives. Ce sont des
dans la neutralite en n'intervenant que pour moderer le massacre et faire pression semaines de lecture dans la vieille bibliotheque, ou il a lu Amour et
pour la paix ». Galanteries, de Saint-Edme, Cours d'Histoire modeme, de Guizot, His-
toire de l'Espagne, d'Adam, Castilla la Nueva, de Lafuente, qu'il lut en
L'article se poursuivait en disant que le gouvemement fran\:ais avait castillan a l'aide d'un dictionnaire; Tableau de l'Espagne, de Bourgoing,
expulse Trotsky a cause de ses positions pacifistes et que ses idees ne Histoire de la Revolution, de Schepeler, Memoires de de Maistre et un
pouvaient etre considerees comme dangereuses dans un pays neutre. 11 travail de droit maritime, De la liberte des mers et du commerce, ou
considere comme une illegalite son arrestation et exige sa mise en liberte. tableau historique et philosophique du Droit maritime 4 .Sans doute ces
La «question Trotsky» donna lieu a une reponse du quotidien conserva- lectures l'aiderent-elles pour ecrire ulterieurement ses travaux sur la revo-
teur de Maura, La Acci6n, qui defendit le gouvemement et la police
lution espagnole des annees trente.
contre les socialistes. Dans sa reponse il dit que «le sujet en question n'est II s'oppose a une tentative de le transferer a La Havane et ecrit a
pas de ceux qui doivent aller librement car ses antecedents ne permettent
Anguiano, a Despres et a Turati. 11 arriva a suspendre le projet. L'affaire
d'en attendre rien de hon».
ranima la polemique entre El Socialista et La Acci6n. Trotsky ecrivit aussi
Apres sa remise en liberte, il passa une joumee avec Anguiano et un grand article dans le quotidien socialiste ou il disait:
Despres a qui il expliqua: « J'ai ere expulse d' Allemagne comme franco-
phile, de France comme germanophile. 11 est clair que je ne suis ni l'un ni « Plus je reflechis a ma situation, plus elle me parait serieuse. La detention en
l'autre, je suis un socialiste qui voit dans la guerre une consequence fatale elle-meme n'a aucune importance; au contraire, c'est comique. Mes idees, que
et logique du systeme capitaliste; notre mission ne fait pas de doute, elle personne ne connait ici et que je ne peux pas expliquer clans la langue du pays, on
dit qu'elles sont trop avancees. . .
est de profiter du desequilibre et de la faim provoques par la guerre pour Cette explication, du fait de sa srupidite, oblige a chercher d'autres ra.isons,
pousser les masses a la revolution». Opinion qui contraste avec la posi- les objectifs que l'on dissimule et que l'on n'avoue pas. C'est pourquoi ii faut
tion simplement neutraliste que lui attribuait l'organe socialiste espagnol. poser la question ainsi: la police fran~aise (notez bien que je dis la police et que je
Il reste quelques jours a Madrid, selon Anguiano sans argent puisqu'il lui ne me refere pas au gouvernement fran~ais qui est peut-etre etranger a tout cela) a
empruntait une peseta quand il devait acheter quelque chose. voulu m'expulser de France et m'expedier precisement en Espagne, rendant im-
Un romancier de l' epoque, Antonio Bermejo de la Rica, avec pas mal possible mon entree en Suisse. Les inspecteurs qui m'ont conduit e~ Espagne
d'imagination, attribue dans son ceuvre, Le Roman de Mata-Hari, la m'ont dit, sans que je leur aie rien demande: «Yous pouvez etre tranqmlle, on ne
liberation de Trotsky a des manigances de la fameuse espionne qui, par vous livrera pas a la police espagnole ». A quoi je ne pouvais faire moins que
l'intermediaire de Sokolov, influen\:ait l'attache militaire de l'ambassade
allemande de Madrid. 4. Voir Trotsky en Espana, de Inigo Moreno de Arteaga, marquis de Laula, dans
La police l'obligea a se deplacer a Cadix qui jusqu'a ce moment lui Lenin, de L. Trotsky, ed. Ariel, Barcelone 1972.
LES PERIPETIES DE TROTSKY EN ESPAGNE 11
10 CAHIERS LEON TROTSKY 10
En quittant l'Espagne, il etait deja clans l'antichambre de s.o? ~etour
repondre: Ah! Paree que vous etes certains qu'elle me trouvera tout de suite».
J'avais des soupc;ons dont je parlerai ensuite. Enfin je fus arrete. Pourquoi? Ce
triomphal en Russie. Son deuxieme exil, ei: depit de tout~s ses v1c1ss1tud~s
n'etait pas faute de papiers. Il peut arriver facilement de trouver un Russe dont les et difficultes, lui paraitra un bon souvemr en compara1son avec le tr01-
papiers ne sont pas en regle et on l'emprisonne pour !'identifier. Mais ici, c'est le sieme.
contraire: on n'a manifeste aucun interet pour mes papiers. Quand j'ai voulu les C'est a !'occasion de ce dernier que Trotsky renouera avec l'Espagne.
sortir pour les presenter on m'a dit: «Non, on n'en a pas besoin, nous les En 1932, le ministre de la Republique Casares Quiroga - le pere de
connaissons ». Et ils ont ajoute que l'ordre d'arrestation etait deja signe. On l'actrice Maria Casares - vit son fant6me clans les soulevements anar-
m'arretait d'avance en se basant sur les informations envoyees par la police chistes du Haut Llobregat. En 1934, ce sera le chef fasciste Jose Antoni?
fran~aise qui voulait a tout prix me faire tomber aux mains de la police espagnole. (Primo de Rivera) qui se fera echo de la rumeur selon laquelle ce sera1t
L'initiative de toutes ces persecutions contre moi revient a l'ambassade russe Trotsky qui aurait entraine les mineurs pendant !'insurrection. des Astu-
de Paris. On m'a maintes fois repete a la censure que le fait qu'un periodique russe
ries: il l'ecrit a Franco, utilisant ce « fait » pour le presser de faire le coup
publie a Paris critique en ·pleine guerre la politique russe est une chose « tres
desagreable » pour le gouvernement russe.
d'Etat militaire. Mais Trotsky ne remettra pas les pieds en Espagne. Des
On le comprend. Notre petit quotidien a ete cite partout. La haine de negociations de ses amis pour que la Generalite de Catalogne lui .acc~rd~
l'ambassade russe contre moi etait tres agissante. On a repandu des bruits que le un visa echoueront, le P.S.U.C. mit son veto: son nom contmua1t a
journal etait soutenu par ... le roi de Prusse. Mais nos attaques contre l'imperia- provoquer le meme malaise chez ceux qui consideraient que « ses idees
lisme allemand et contre la majorite socialiste etaient assez claires et eloquentes etaient trop avancees pour l'Espagne ».
pour nous laver de tout soupc;on ....
On veut me conduire a la frontiere. Mais la frontiere terrestre est exclue parce
que c'est la France dont j'ai ete chasse. Reste la frontiere maritime et si on
m'oblige a embarquer il ne faut pas oublier qu'en Mediterranee comme clans
l' Atlantique, il y a des navires de guerre russes qui peuvent arreter celui qui me
transporte, peuvent done m'arreter et realiser ainsi leurs projets ».

Mais les intentions des autorites espagnoles ne pouvaient pas cesser


d'etre de se debarrasser d'un individu a reputation d' « anarchiste » ce qui
fit que Trotsky- apres avoir retrouve sa famille - put s'embarquer pour
New York. Le bateau qui allait a New York partit de Barcelone le 25
novembre faisant differentes escales. Trotsky quitta Cadix le 20 sous la
surveillance de deux policiers. Il s'arreta un jour a Madrid et le passa clans
les musees, au Prado une fois de plus. A son arrivee a Barcelone - une
«Nice, dans un enfer d'usines » - il passa trois heures a la direction de la
police «sans qu'on (lui) donne la possibilite de manger ou de se laver ». Il
reste peu de temps a Barcelone et pourtant un Barcelonais se souvient
d'un vrai monsieur habille de blanc avec un chapeau de paille passant avec
ses fils par les Ramblas et le port. U ne fois embarque il ne put debarquer
ni a Valence ni a Malaga et ecrivit de nouveau des protestations au
gouvernement et aux journaux. Bient6t il disparut a !'horizon. Le dernier
jour de l'annee, le bateau passa Gibraltat.
Quand il etait alle a Cadix il avait consulte la carte et l'avait trouvee a
la pointe avancee de !'Europe vers l'Afrique. Dans Ma Vie, il commente:
«De Berezov, avec un attelage de rennes, par l'Oural, par Petersbourg,
de la, en faisant un circuit, en Autriche, en Suisse, de Suisse en France, de
France en Espagne et enfin a travers toute la peninsule iberique ... Ca-
dix ... Direction generale: du nord-est au sud-ouest. Lase termine la terre
ferme et commence l'Ocean. Paciencia! ».
Vin gt lettres de Trotsky::-

I.
Cadix, 14novembre1916

Camarade,
Me voila a Cadix. A la gare, j'~i trouve deux amis et leur apparition
(comme convenu) a ete pour moi un vrai plaisir clans cette ville totalement
inconnue, OU je suis entre avec mes mouchards. Merci bien a YOUS et a
Anguiano 1. Dans une demi-heure, j'irai me «presenter» au gobemador
de Cadix, accompagne par mon mouchard local qui est tres poli, lui aussi,
et occupe son temps a brosser mon chapeau. En somme, c'est une
operette, mais une tres stupide ... Et !'epilogue n'est pas encore improvise
par les librettistes et le compositeur de la police espagnole. Je vous
telegraphierai s'il y a quelque chose d'important. Pour le moment, je suis
encore desoriente. Il faut attendre la notification du gobernador.
Mes meilleurs sentiments.

II.
Cadix, 14 novembre 1916

11 est absolument necessaire de dementir d'une maniere categorique


les mensonges du communique quasi officiel sur ma personnalite dans

'~ Supplement au numero 11 de juin 1919 des « Lettres aux abonnes de La Vie Ouvrie-
re ».
1. Daniel Anguiano Mangado (1882-19??), cheminot, ancien republicain, avait ete
gagne au socialisme en 1905 et etait a l'epoque le secretaire general du P.S.0.E. Partisan de
I' adhesion ala me Internationale, fonnulant cependant des reserves sur les « 21 conditions .. ,
il fut un des dirigeants du P.C. espagnol de 1921 a 1924. II cessa ensuite de militer sur le
plan politique, continuant cependant son activite syndicale (de 1937 a 1939, il etait membre
de la direction de l'U.G.T.).
15
14 CAHIERS LEON TROTSKY 10 VINGT LETIRES DE TROTSKY

-:tcci6n 2 , etc. La source de ces affirmations est le telegramme envoye trois IV


JOUrS apres mon passage a la frontiere espagnole par la police fran~aise: Cadix, 15 novembre 1916
«Le terroriste (ou anarchiste) dangereux Leon Trotsky a passe la frontiere
Le prefet d'ici, pour converser avec moi, s'est servi comme interprete
a San Sebastian, il se dirige vers Madrid». Or !'auteur de cette infamie
du secretaire du ... consul allemand. Pour moi, c'est absolument sans
doit ~tre .M. Bidet 3 , de la police judiciaire, avec lequel j'ai eu quelques
importance. Mais si mes ennemis apprennent par hasard ce « f~it », ils
confhts aigus a cause de sa grossierete offensante.
pourront s'en servir a leur maniere. 11 faut done que YOUS sach1ez que
Je suis « terroriste ». De fait? En theorie? Si de fait, qu' on indique les c'est le prefet qui a invite le secretaire du consulat allemand comme
~tt.en:ats auxquels j'ai participe. Si en theorie, qu'on indique mes ecrits ou
interprete sans que j'aie SU meme qui etait ce Monsieur. L'interprete a ete
1'a1 defendu les theses terroristes. II faut £rapper fortement. Je telegraphie-
rai un dementi a l'Acci6n. tres aimable, voila tout.
Tout a YOUS. J' ai re~u votre telegramme.
P .S. 11 faut annoncer une poursuite judiciaire pour calomnie. v
Cadix, 15 novembre 1916

III La journee d'hier fut pour moi pleine d'attractions presque ci~emato­
Cadix, 14 novembre 1916 graphiques. Le matin a 6 heures, on frappe a l.a porte : Ah! .on :v1ent me
prendre ! - Non, c'est le second mouchard qm entre en service: il veut se
Pour etre bon prophete dans cette epoque-ci, il faut faire des previ- persuader que je ne me suis pas e~apore clans mo~ lit. 8 he:ures ! 9 ~.eu~es !
sions pessimistes. Demain matin, je serai embarque (sans billet) sur un M. L. 6 vient avec !'argent et me d1t que, selon ses mformations (qu il tient
bateau partant pour La Havane. Vous pouvez bien imaginer quels rensei- d'un agent de la Compagnie transatlantique), la liste des voyageurs est
gnements donnera la police espagnole a la police de La Havane. Tout cela deja close et que mon nom n'y figure pas.~ . . . .
est commartde par la police fran~aise, afin que je ne puisse nuire par ma A lOh. 30, je suis chez le prefet. 11 est emgmatique. M~1s un peu plus
plume aux interets des Allies, ici, en Espagne. C'est !'explication qu'on tard ce malin me declare: « Je n'ai pas re~u de reponse, ma1s le bateau est
m'a donnee a la prefecture de police. Alors, c'est Guesde4 qui a ordonne tout de meme parti sans YOUS : je n'y puis rien ... tant pis )) . Or je ne pars
ma deportation pour La Havane. Apres toutes mes depenses (surtout pas pour La Havane !
pour les telegrammes: j'en ai envoye un au ministre de l'interieur, a Mais non, voila un agent qui vient avec la nouvelle que le bateau
Romanones5, au directeur de la Surete, etc.), il ne me reste que 30 francs. n' e~t pas parti a cause du brouillard. Diable ! Meme la nature est contre
J'e~p-~re. enc<?re recevoir quelque argent de vous. Merci bien pour votre mm.
amltle ~1 active. Je vous serre la main et je vous prie de garder un hon J e me promene avec un moucha~d au tour de la prefecture ~n atten-
souvenir d'un Russe qui vous a cause tant d'ennuis. dant d'un cote, la reponse de Madrid, de l'autre, que le bromllard me..
fich~ la paix. A 3h.15, le bateau est parti. Enfin ! Moi je suis reste ! Mais
Mes saluts aux amis. qu'est-ce qu'on va faire m~intenant? .Le prefet ~,~~ sait rien: II atten~
toujours la reponse... Enfm, ce matm, 11 me fehc1te: on m a. a~corde
, . ~· La Acci6n etait un quotidien conservateur qui venait de presenter a sa fa~on la l'autorisation de rester a Cadix jusqu'au 30 novembre pour partir a New
decmon l?ouvernementale d'expulser Trotsky d'Espagne.
3:, B1~et, chef .de la police judiciaire, ~vait ere a l'egard de Trotsky d'une particuliere York avec le premier bateau.
gross1erete. Il deva1t se retrouver devant lm au cours de la revolution russe ayant ere an~te Je vous ai telegraphic que j'ai re<;u de M.L. 500 pesetas. Avec votre
dans une mission d'espionnage... ' permission, je garderai cet argent chez moi, jusqu'a l'arrivee de ma
. 4. Jules Baz~le, dit Guesde (1845-1922), generalement considere comme celui qui avait femme. }'ai depense hier et aujourd'hui 150 pesetas pour des tele-
m~ro~~lt le marx1sme .en France, avait fonde le Parti ouvrier fran~ais et etait en principe l'un
des_ dmgeants du part1 socialiste unifie, dans lequel ii avait cependant cede le pas aJaures. II
eta1t devenu ministre apres son ralliement a la politique d'union sacree. 6. Cette personne, designee par une initiale, a laquelle Trotsky avait et~ adresse par le
5. Alvaro de Figueroa y Torres, comte de Romanones (1863-1950) etait a l'epoque chef socialiste fran~ais Despres, directeur de la filiale_ madrilene d'une compagme ?'a.ssu~ances,
du gouvemement espagnol. etait vraisemblablement un collegue de ce dem1er, un homme en tout cas el01gne de la
politique.
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grammes. Premierement, je dois aviser ma femme; secondement, je dois neur et le prefet me l'ont notifie categoriquement la veille? En tant que je
mobiliser, pour notre voyage, a peu pres 3000 pesetas. Le delai est trop comprends, l'ordre sur «le premier bateau » n'a pas ete tout a fait clair. Il
court pour recevoir immediatement cette somme de Russie. Et pour etre laissait place a !'interpretation. J'ai telegraphic ma protestation a Madrid.
sur que mon telegramme arrivera, je l'envoie par trois directions. Cela Le prefet est devenu hesitant. Et je crois que le fait qu'on m'a envoye, d.e
peu~ paraitre exagere, n'est-ce pas? Mais ma femme m'ecrit qu'elle re~oit Madrid, comme reponse a un simple telegramme, soo pesetas, a produit
touJours des lettres de Suisse, par lesquelles nos amis demandent pour- une grande impression sur son imagination. C'est bien possible que je sois
quoi je ne suis pas encore pani pour la Suisse. Or on ne sait rien Ia-bas, pour le moment a Cadix grace a cet envoi d'argent.
malgre les dizaines de telegrammes et de lettres que j'y ai envoyees. Vous Peut-erre Anguiano pourrait-il m'envoyer les journaux avec les arti-
voyez: il y a des domaines OU I' organisation» fran~aise est tout a fait a
t(
cles sur mon affaire? lei on ne trouve rien.
la hauteur. Voila pourquoi je vous ai prie d'informer, par vos voies, les
amis de Paris que je reste jusqu'au 30 novembre a Cadix, que ma femme
m'y rejoindra a cette date. Je m'empresserai de couvrir, avec gratitude, les VI
depenses respectives. Cadix, 19 novembre 1916
j'ai encore une demande a vous faire. Puisque je reste ici encore deux
semaines, je veux en profiter pour renouveler mes connaissances d'an- Domingo, midi. Pour le moment, quelques mots seulement. Merci
glais. J'ai. cherche dans tout Cadix un petit dictionnaire anglais-franfais bien pour votre lettre, mon cher camarade. Alors vous croyez toujours
ou !'nglai~-allemand ~t un manuel de langue anglaise ou une grammaire. qu'il ya espoir de me faire rester en Espagne? Mais est-ce que mon sejour
Mais Cad1x est une ville d'une chastete scientifique et litteraire vraiment serait plus ou moins stable apres toute cette histoire?
touchante, ... quelques siecles apres Gutenberg! On n'y trouve rien. Mais Les telegrammes des journaux qui affirment que je suis libre ne
rien ! J'ai achete ici, pour mon voyage, une cane maritime - le seul disent pas la verite. Pour sortir de l'hotel, je suis oblige de m'entendre par
exemplaire clans toute la ville - elle a ete erablie, cette carte, en 1856 et avance avec mon mouchard, qui m'accompagne partout, prend son cafe a
corrigee en 1870 ! la meme table que moi (c'est moi qui paye, naturellement), etc. A la
Eh bien, si vous pouvez m'envoyer ce petit dictionnaire et cette bibliotheque, il s'assied vis-a-vis de moi et crache pendant deux ou t~ois
petite grammaire (ou ce manuel), vous m,aurez rendu grand service. heures sur le plancher. Je lis une etude sur l'Espagne par M. Bourgomg,
Pour decharger ma conscience, j'espere que vous me donnerez quel- ministre plenipotentiaire de Louis XVI a la cour de Madrid. C'est tres
ques commissions pour New York. Entendu? interessant (en meme temps, c' est l' ouvrage le plus moderne - Paris,
Avez-vous envoye les numeros de El Socialista7 avec les articles sur 1807 ! - que j'aie pu trouver ici).
mon affaire a Paris ?
Je crois que !'attitude d~ M.L, a mon egard, vous interessera. Ila ete Mes amities.
tout !laturellement ?e~orien.te au premier moment. Moi, j'ai ete prudent.
Je su1~ venu chez Im hier s01r, avec votre telegramme, et je lui ai dit que je VII
ne su1s pas sur de partir demain matin (afin de lui donner un delai pour Cadix, 22 novembre 1916
reflechir et s'informer). II s'est informe chez le prefet, qui lui a donne des
renseignements « satisfaisants » (j'ai le bonheur inexplicable de conquerir Re~u votre lettre du 19 novembre et deux journaux ; les livres anglais
les ames des policiers espagnols : on ne se connait jamais soi-meme
ne sont pas encore arrives. Toute ma correspondance adressee a Madrid,
suffisamment !). Il est venu chez moi avec 500 pesetas, tres aimable; il m'a
exprime sa sympathie et m'a propose ses services. Ce serait bien si vous poste restante, vient ici bien regulierement.
J'ai appris pour la premiere fois l'exis~ence de la depeche par les deux
lui ecriviez a !'occasion que j'ai ete tres touche par son amabilite.
mouchards qui m' ont accompagne a Cadix. En racontant mon histoire a
Mes meilleurs sentiments pour vous et pour Anguiano. Je vous serre un voyageur (en espagnol), l'un deux a cite le telegramme: « Il y a trois
cordialement la main. jours, un agitateur dangereux a passe par San Sebastian, etc.».
P .S. Pourquoi ne m'a-t-on pas envoye a La Havane, comme le gouver- J'ai ete frappe par la precision du texte. Je l'ai interroge; il a confin:i-e
en ajoutant « anarchiste-terroriste ». Je doute tout de meme que la police
7. El Socialista etait l'organe du P.S.0.E. frarn;aise ait !'impudence de me donner ces qualificatifs. Elle a du me ca-
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ractfriser plus vaguement (agitateur dangereux) pour laisser place a !'ima- l'intfrieur. Je n'ai fait ces demarches que pour apaiser ma conscience de
gination espagnole. Mais le mouchard, malgre mes objections, a soutenu pater familias; je n' en espere aucun resultat.
sa version. Le prefet de Cadix a parle avec moi de ce telegramme comme I y a cinq minutes que je vous ai expedie un telegramme urgent pour
d'un fait connu. Dans le telegramme que lui-meme a re~u de Madrid, sur !'argent, et voila M.L. qui vient avec votre telegramme. J'ai touche encore
moi, je n'ai remarque ni anarchiste, ni terroriste, mais agitateur ... 200 pesetas (en tout 700 pesetas). II n'y avait plus de billet de seconde
Meme si je recevais la permission de rester en Espagne, ma femme classe, M.L. m'a assure une place de premiere classe au prix de la
viendrait des a present. Serrati, le directeur de l'Avanti! et Modigliani, seconde; pour attenuer son amabilite, ii m'a dit que la Compagnie fait de
depute8, m'ecrivent qu'ils esperent obtenir pour moi l'autorisation de pareils rabais couramment. Tant mieux pour ses clients!
passer en Suisse, par l'Italie. Au moment OU je suis a Cadix, toute On m'a dit ici que les sous-marins allemands ne torpillent guere de
!'Europe devient hospitaliere. bateaux espagnols par consideration politique (les bateaux espagnols tor-
pilles par les Allemands appartiennent a une autre Societe, dont les
VIII capitaux sont fran\:ais). Or il serait peut-etre plus prudent que ma famille
parte par l'Espagne, par Barcelone ou Vigo. C'est clans ce sens que j'ecris
Cadix, 22 novembre 1916 a ma femme.
Je vous envoie un numero d'un hebdomadaire, juacaro, avec un long
Jusqu'a present, je n'ai re~u aucune nouvelle de ma femme a ma et bete article sur moi. J'ai re~u une lettre (en allemand) du redacteur de
demande de venir a Cadix. Dans son dernier telegramme (par Madrid), ce journal, me demandant une entrevue (pour le soir meme) pour une
elle me communique qu'elle est rres inquiete de ne pas recevoir de mes affaire qui devait m'interesser beaucoup. Comme interprete, c'est le secre-
nouvelles depuis trois jours - Et qu' est-ce que dit Romanones? taire allemand qui a ete annonce.
Re\:u les deux livres anglais. Grand merci ! La prononciation anglaise J'ai repondu poliment que je serais tres heureux de parler avec le
absorbe maintenant mon attention et me facilite la penible attente. Notre redacteur du juacaro, mais puisque je ne connais pas l'objet de cette
petit journal m'arrive regulierement. N'auriez-vous pas le temps d'ecrire, entrevue interessante et ne m'oriente pas bien dans les relations espa-
pour notre journal, un article sur le socialisme espagnol pendant la gnoles, je tenais a demander a M.L. de bien vouloir erre present. C'est
guerre? II serait aussitot publie en allemand - chez Grimm 9 et j'espere, pourquoi je jugeais necessaire d'ajoumer le rendez-vous. Orce redacteur
aussi en anglais. a rendu visite a M.L., l'a trouve occupe et est venu chez moi a 11 heures
On ne sait presque rien sur le socialisme espagnol. du soir avec !'inevitable secretaire.
J'ai ete un peu etonne par cette maniere sans-gene, mais je les ai
IX acceptes et j'ai repondu tres sechement aux questions du redacteur. Et le
lendemain, il a fait son article. M.L. croit qu'il a voulu recevoir de moi
Cadix, 29 novembre 1916, 2 heures apres-midi
cent pesetas pour son geste genereux. Si c' est vrai, il s' est trompe radicale-
ment. I1 m'a envoye son papier avec une lettre demandant si je n'avais pas
J e vous ai envoye, hier, la copie de mon telegramme a Castrovido 10 a
quelque chose a ajouter. Je lui ai repondu brievement que je n'osais pas le
qui j'ai communique - a son tour - mon telegramme au ministre de
remercier de son interview pour ne pas l'offenser dans l'accomplissement
de ce qu'il croit etre son devoir de publiciste. C'est tout.
8. Giacinta Menotti Serrati (1872-1926), socialiste en 1892, longtemps emigre, etait C'est ce redacteur qui m'a renseigne sur les rumeurs qu'on fait courir
revenu en Italie en 1910. I1 etait le dirigeant inconteste du P.S. italien et avait participe avec
Trotsky aux deux conferences internationales de Zimmerwald et de Kienthal. II devait faire sur mes «relations» avec le consulat allemand; l'auteur de ces rumeurs
adherer le P.S.I. a l'I.C. en 1919, le quitter a Livourne, puis, exdu du P.S.I. en 1923, serait X., le patron de l'hotel Cubana, que j'ai quitte. ]'attends que cette
revenir au P.C.I. a la veiUe de sa mort. Giuseppe Emmanuele Modigliani (1972-1947), un « histoire » soit publiee demain - par l'intermediaire du consul russe de
des fondateurs du P .S. I. animait la tendance « centriste » a Zimmerwald. II y avait egalement Cadix - dans la presse fran~aise ou russe.
rencontre Trotsky. Emigre apres la victoire du fascisme, il devait participer ala commission
d'enquete sur les proces de Moscou ou les qualites de juriste de cet ancien avocat de la veuve
de Matteotti furent appreciees. le mouvement socialiste et fut un des premiers a se ranger derriere le drapeau de la
9. Robert Grimm (1881-1958), dirigeant socialiste suisse et editeur du Berner Tagwacht revolution russe. C'est par hasard qu'il avait decouvert la presence de Trotsky au Carce/
etait l'animateur du courant zimmerwaldien en Suisse, mais en etait l'un des plus moderes. modeio de Madrid et il avait ete profondement impressionne par sa personnalite et son
10. Roberto Castrovido, depute republicain, manifestait beaucoup de sympathie pour intelligence. II avait interpelle le gouvernement sur «le cas Trotsky».
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Si le Montserratl l devait fare torpille (malgre toutes les considera- au moins comme profiteur. Mais je fus moi-meme eronne quand j'ai
tions politiques des boches sous-atlantiques), j'essaierais de me sauver appris toute la machination. .
pour vous envoyer, de New York, mon salut affectueux. Un sieur Wiping (ou Wining) 17 est venu, il y a quelques m01s, de
Mes saluts aux amis. Landres, avec la lettre suivante du consul russe a Londres au consul russe
Je vous serre la main. Au revoir ! a Paris:
« M. Wiping a ete mele a des affaires politiques (c'est-a-dire revolutionnaires),
mais il s'est totalement rehabilite a nos yeux. Il connait X .. Aidez-le a entrer clans
l'armee russe ».
x L'imbecile a eu !'imprudence de montrer cette lettre au correspon-
dant d'un grand journal russe. Wiping ne connait pas le fra?-~~is (la lett~e
Je ne vous a1 pa~ raconte, jusqu'ici, un incident politique d'une est ecrite en frarn;ais) et il n'a pas cru que la lettre le trahira1t. 11 posa1t
grande importance qm est en rapport etroit avec mon « affaire ». Et devant les journalistes liberaux russes comme un revolutionn~ire qu~
cependant, il est necessaire que vous le sachiez - pour vous-meme et voulait entrer dans l'armee pour faire des miracles. On s'est mef1e de lm
pour lui donner la publicite necessaire. sans le prendre beaucoup au serieux.
Quand Longuet 12 s' est presente devant Briand 13 pour intervenir en De Toulon, il a ecrit aux journalistes russes que le terrain etait tres
ma faveur, celui-ci lui a repondu: «Mais savez-vous que, chez les soldats favorable pour son reuvre et a demande des journaux et des livres revolu-
russes qui ont tue leur colonel a Marseille, on a trouve Notre Parole 14? » tionnaires. On ne lui a pas repondu. Quelque temps apres, il y a eu une
Et le doux Longuet fut tellement impressionne par ce « fait » qu'il n'a pas emeute sur un croiseur russe a Toulon: beaucoup de victimes. Apres
trouve possible (selon son aveu dans une lettre a Merrheim 15) de protes- l'assassinat du colonel Krause (le nom est allemand), plusieurs journalistes
ter contre l' expulsion elle-meme, se contentant de demander la prolonga- allerent a Marseille. Or des officiers leur Ont demande: « Avez-vous des
tion du delai et le libre choix du pays. relations avec Notre Parole? 11 ya ici un sieur Wiping qui repand partout
Ce rapprochement de Notre Parole (seul journal russe a l'etranger ce journal sans ineme demander si l' on veut le lire ».
repandu partout en France OU il ya des soldats russes) et l'assassinat, par Voila. Ce Wiping est venu de Toulon a Marseille pour travailler son
les soldats (ivres, comme l'affirment les journalistes russes), d'un colonel « terrain favorable ». C' est lui qui a provoque les soldats et qui a distribue
qui les avait maltraites - ce rapprochement est une vrai infamie a la - au moment choisi - de droite et de gauche Notre Parole. Quel fut son
Briand. but, ou, pour mieux dire, sa mission (puisqu'il avait ere envoye par le
Mais le nreud de l'histoire n'est pas la. consulat)? II est evident: demontrer au gouvernement fran~ais qu'on ne
Dans ma lettre a Guesde 16' OU je cite la reponse de Briand, j'ai peut laisser en France des soldats russes sans balayer le terrain de la
exprime mes soup~ons sur la voie par laquelle Notre Parole est parvenue Republique des journaux revolutionnaires et des refugies politiques~ En
aux soldats de Marseille, juste au moment de leur revolte. Toute l'histoire passant, ce coquin a essaye d'entrainer aussi les, cor~res~ond,~nts ~e. ?1vers
de ces petites revoltes de detail clans l'armee russe me fait croire qu'il faut journaux liberaux pour les compromettre. 11 n a reuss1 qu. a r:i01t1e. L.es
chercher presque chaque fois un agent provocateur comme initiateur ou· soldats sont alles plus loin peut-etre que ne l'a voulu leur mstigateur: ils
ont tue un colonel. Mais Notre Parole fut, a ce prix, interdite, et on a
11. C'est sur le Montserrat que Trotsky devait s'embarquer. commence les expulsions : je ne suis que la premiere victime.
12. Jean Longuet (1876-1938), petit-fils de Marx, avocat, etait le chef de file de la Vous demanderez: «Mais est-ce que l'on connait a Paris cette histoi-
minorite « centriste '» « pacifiste '» du parti socialiste.
13. Aristide Briand (1862-1932), avocat, d'abord socialiste, etait devenu president du
re? » Parfaitement. Les deputes Lafont, Moutet18, Longuet et bien d'au-
conseil et s'etait fait le champion de la corruption des dirigeants ouvriers. tres la connaissent; Leygues 19, ancien ministre, president de la commis-
14. Traduction fran~aise du titre du quotidien dont Trotsky etait le redacteur en chef a sion des affaires etrangeres, la connait; Painleve20, ministre de l'instruc-
Paris, le Nache Slovo, de langue russe.
15. Alphonse Merrheim (1871-1923) etait le dirigeant de la federation des metaux de la 17. Trotsky orthographie le personnage «Winning» dans Ma Vie.
C.G.T. Hostile a l'union sacree en 1914, il etait l'un des piliers du mouvement zimmerwal- 18. Ernest Lafont (1879-1946), et Marius Moutet (1876-1968), tous deux avocats,
dien, apres avoir fait partie du « noyau » de La Vie ouvriere. a
s'etaient tous deux rallies l'union sacree en 1914.
16. Apres son expulsion de France, Trotsky avait adresse a Jules Guesde, ministre du 19. Georges Leygues (1857-1933) etait une personnalite en vue du parti radical.
gouvernement qui l'expulsait et toujours socialiste, une feroce «Lettre ouvene ,,, publiee 20. Paul Painleve (1863-1933), mathematicien et homme politique, etait a l'epoque
clans les « lettres aux abonnes » de La Vie ouvriere. ministre de !'instruction publique.
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tion publique, s'est eerie quand on la lui a racontee: «Mais c'est impossi-
ble ... On ne peut pas laisser cela comme c;a !... ». Mais personne n'a rien quitter l'Europe. Mais, d'autre part, j'ai p~ur, .meme si l'~~rete d'expul-
fait: /'Union sacree! sion etait retire, d'avoir en Espagne une situation trop delicate pour ne
Qu'on m'expulse comme internationaliste, comme zimmerwaldien, pas etre bien gene. "
comme ennemi de leur guerre et de tout leur regime, soit. Mais qu'on Cependant, la question q':1i nous occupe pou~ le, mo?1~n: peut ~tre
n'ait pas le courage de dire ouvertement les vraies raisons, qu'on se serve resolue simplement: il faut ins1ster pour 9u on ~etz~e l arrete d expulsion.
du travail d'un agent provocateur russe pour effrayer !'imagination des Alors, meme si je pars pour New~ o~k, Je le fa1s hbre~ent, sa~s auc~~e
deputes, voila l'infamie, voila la perfidie, voila du Briand! « recommandation » speciale au capttame du bateau et a la police amen-

Et c' est precisement au moment ou je fais pour vous cet expose que je caine - sans dire que je pourrais passer quelque temps en Espagne avec
re~ois une carte postale de Geneve qui m'apporte un supplement precieux ma famille et resoudre la question d'accord avec ma fem~e.. ,
pour mon « affaire ». Grimm a rec;u une promesse formelle du gouveme- J e partage totalement vos considerations sur la publication ~e mon
ment suisse de m' « accepter ». 11 m 'en a informe par telegramme. Mais la expose. . · d
legation suisse de Paris m'a donne une reponse negative. Maintenant on me Je n'ai rec;u aucune reponse demon J~:mrnal 22 a~ ~UJet es correspo~­
communique !'explication de cette foigme. Quand Grimm a presente sa dances « espagnoles » ; en meme temps, 11 a envoye a ma femme, ~pres
protestation, on lui a repondu ouvertement: « C'est le gouvernement russe mon depart de Paris, deux fois 5~0 r?ubles (1900 francs~ ~ans recev01r.?~
qui ne veut pas le voir en Suisse». Voila. C'est le gouvernement russe qui a moi des articles. Je suppose qu'1l n a pas rec;u i:ion teleg.ramme et_J a1
ordonne !'interdiction de Notre Parole (journal soumis a la censure dite repete avant-hier ma proposit~O?: la reponse que Je recevra1 Sera a~SSl Un
republicaine). C'est le gouvernement russe qui a organise par son agent facteur qui influencera ma dec1s1on: rester en Espagne ou aller a New
provocateur un petit assassinat en France pour donner du poids a ses York. h b" , ,. ,
arguments. C'est le gouvernement russe qui m'expulse de France - par Mon mouchard m'accompagne toujours: il s'est a itue meme a mes
l'intermediaire de ses Briand, Guesde, Laurent, Sembat21 et Cie. cigarettes, qu'il avait trouvees au commencement trop « suaves ». Tous
C' est le gouvernement russe, seconde par son allie, qui commande en mes efforts de rester avec les policiers et mouchards espa~n~ls da~s des
Suisse, comme si la Suisse etait la Finlande. Et enfin, c'est la police relations officielles o~t echo~e lamen~ablement; qu~n~ J a1 r:fuse u~e
franc;aise et ... payee? par l'ambassade russe qui m'a dfoonce comme cigarette, on me l'a mtrodmte par v10le?ce :---- . qm n e~t qu .un exces
terroriste au gouvernement espagnol pour que celui-ci m'expulse a son d'amabilite - entre les dents. Deux ou tr01s f01s, Je fus pres de Jeter n:ion
tour. Plus la guerre se prolonge, plus la France devient dependante du mouchard clans la mer; il ne me laisse jamais tranquille: <: Muy bonito,
tsar, plus celui-ci devient maitre de !'Europe. C'est la logique immanente muy bonito, vapor! Muy bonito, la mar! Muy bonito, el uempo, esp!e~­
de la guei,-~e « liberatrice ». Le tsar a deja aneanti le droit d'asile en France dido ! ». « Muy bonito» sans cesse ! Naturell~me:it'. son ~rand-pere eta1t
comme en Angleterre. Voila la Suisse qui lui obeit. Qu'est-ce qu'on peut «grand» et avait 40000900 "douros; son ~ere eta1t .amigo, de Alfo~so
demander clans ces conditions a la pauvre Seguridad espagnole et au XII23. Je serais tres flatte d'etre moucharde par le .re1e~o~ dune pare1lle
pauvre comte Romanones ? famille, s'il n'etait pas vraiment insupportable, cet .1m~ec1le !
Si je fais cet expose peut-etre un peu fatigant pour vous, -c'est parce. Non, je ne rec;ois pas Le Popu_laire. Jene r~c;01s ne?. Ma fe~me e~t
que mon « affaire » est vraiment bien caracteristique de cette epoque tellement absorbee par la preparat10n de son depart qu elle ne. m env01e
maudite et montre bien a qui a des yeux pour voir la cuisine de la rien; d'ailleurs mon sort change toujours et mon adress~ a~ssi. Le s~ul
democratie briandesque, asservie aux mouchards « vrai-russes ». journal que je lise maintenant reguliere_me~t, c'est le Dz:r~o de Cadzx;
mais il ne publie ~eme yas ~e commumq~e? la. guerre n ex1ste p~s. J?Our
lui; il ne la mentzonne 1amazs. Et quand J a1 fait remarquer ce ni~1hsme
XI journalistique a un Espagnol, il m'a repondu, un peu confus: « Vra1ment?
C'est bien difficile pour moi de dire ce que je « veux » : rester a
Madrid OU a Barceloi:te, OU aller en Amerique. II est penible pour moi de avait ere ministre des travaux publics clans le gouvernement Viviani d'union sacree et l'etait
reste clans celui de Briand. ,
22. 11 s'agit du quotidien Kievskaia Mysl dont Trotsky fut pendant des annees 1e
21. Laurent designe sans doute le depute nivernais Eugene Laurent (1863-1933), parti- correspondant en de nombreux pays. . , , , , .
san resolu de la defense nationale. Marcel Sembat (1862-1922), avocat, ancien blanquiste, 23. Alfonso XII, roi d'Espagne (1867-1885) ava1t ete le predecesseur de son fils pos-
thume, Alfonso XIII.
24 CAHIERS LEON TROTSKY 10 VINGT LETTRES DE TROTSKY 25

Ah oui,. vous avez rais~m. On ne s'en apen;oit meme pas». De temps en XIII
tem~s, Je trouve le Daily Mai!, l'editi?n. de Paris - le seul journal qui se
pubhe sans la censure. II est b1en pess1m1ste a cause de la Roumanie24. Le Cadix, 9 decembre 1916
seul gra?d g~neral est naturellement sir Douglas Haig25. Re~u la lettre et la carte. Merci. Je vous ecris en hate ces lignes. Ma
Je hs i:namtenant beaucoup sur l'histoire de l'Espagne. Dans la guerre femme a re~u votre telegramme sur le nouveau delai au moment d'un
d,e ~uccess1~m 26 , on trouve des analogies frappantes, surtout en tant qu'il grand desespoir de toute la famille. Les gar~ons27 eraient restes fermes
s ag1t d_u ,role de l'Angleter~e - ~vec la guerre d'aujourd'hui. Je vous pendant la journee OU leur mere leur a annonce l'impossibilite de m'ac-
enverra1 la-dessus, Ia prochame f01s, quelques citations interessantes. compagner, mais clans la nuit, ils pleuraient « clandestinement ». Or la
1:J.on caballero de prefet a montre le revers. II est devenu sec, meme joie fut proportionnellement grande. Ma femme a re~u les avis telegraphi-
~ross1~r. La cause_? L'autorisation qu'on m'a accordee de Madrid de rester ques que l'argent necessaire pour le voyage avait deja ere envoye. Mainte-
a ~ad1x sans s<:m. mtervei:tion. 11 a, comme il convient, un mepris souve- nant, elle doit l'avoir. L'auteur de !'article de L'Action socialiste28 doit
r~m pour le mimstr~, qui n'est qu'un politicien, tandis que la vertu ne se etre Severac29 OU plutot son ami et maitre Alexinsky30, l'ex-depute de"la
mche que chez le dtrecteur de la Seguridad. 2e douma, le plus sale individu de tous les renegats de ces deux annees.
On m' a assure (cela part du syndicat de la presse) que, clans mon dossier,
Mon salut bien sincere. qu'on a vu chez Leymarie, (chef du cabinet de Malvy31, Alexinsky figure
comme le grand inquisiteur. Severac est son intime et, si je ne me trompe
P.S. _Yous avez du noter que mon pessimisme (je fais allusion a ma
pas, un des redacteurs de L 'Action socialiste. Taus les deux - Alexinsky
dermere !ettre) a e.re. cette fois dementi par la volonte genereuse et eclairee
de monsieur le mimstre de l'Interieur. Une fois n'est pas coutume. surtout - ant contre moi une haine mortelle (Notre Parole denon~a
maintes fois les ignominies d' Alexinsky). Je voudrais bien voir l'article en
question.
J'avais proteste contre le regime policier qu'on m'inflige. Mon mou-
XII
chard a disparu pendant deux jours. Cet apres-midi, il est reparu de
Cadix, 2 decembre 1916 nouveau et m'a declare - en s'excusant- qu'il ne me suivrait dorenavant
que de loin et sans limiter mes sorties.
Imag~nez-vous que le prochain bateau pour New York ne part que le Salut et fraternite.
30. Je cr01s ~ue 1!1-a femme devr~it s'en:ibarquer a Barcelone, OU le bateau
part le 25. C est mcroyable, ma1s le pnx de Barcelone a New York est le
mem~ que de Ca~ix a New York. Or le voyage Barcelone-Cadix sera
XIV
gratmt et la nournture aussi; cela fait au moins 300 pesetas d'economie. Cadix, 11 decembre 1916, minuit
En meme temps, ~a fait cinq jours de voyage par mer de plus. ]'expose le
plan a ma femme en la laissant choisir. Je vous ai renvoye Le Populaire32 et la lettre de votre ami. La lettre
J'ai ~chete le billet le 2?
novembre, a 3 heures apres-midi,. c'est-a-dir~
au dermer moment; ma1s on m'a rendu l'argent (c'etait d'ailleurs 27. Les deux « gar~ons », Liova (Lev, Leon) et Serioja (Sergei) avaient respectivement
convenu). dix et huit ans.
28. L 'Action socialiste etait un hebdomadaire des majoritaires socialistes. Elle avait
Salut et fraternite. publie un article d'inspiration policiere sur Trotsky et son expulsion.
29. Jean-Baptiste Severac (1879-1951) etait redacteur a l'Humanite et incarnation, selon
Trotsky, du « social-chauvinisme ».
24. La Roumanie etait intervenue aux cotes des Allies en aoilt · l'armee roumaine 30. Grigori A. Alexinsky (1879-1971), bolchevik apres 1905, depute a la 2e Douma,
ecrasee, etait en train de se retirer du territoire roumain. ' ' emigre ensuite et partisan du groupe gauchiste de Vperiod, responsable du groupe bolchevik
. 2?. Douglas Haig (1861-1928) etait le commandant des forces britanniques en France a de Paris en 1913, s'etait rallie a l'union sacree en aoilt 1914 et faisait profession d'ultra-
cette epoque. .
chauvinisme .
. 26. La G~erre de Succession d'Espa~ne, de 1701 a 1713-14, avait pour origine l'accep- 31. Louis Malvy (1875-1949), ministre radical de l'interieur, avait employe la methode
tat~~n par Loms Xry du testament du r01 Charles II d'Espagne en faveur du prince fran~ais « souple » avec les « extremistes » de gauche: il allait bientot etre lui-meme traduit en
Philippe, due d' An1ou. L' Angleterre anima plusieurs coalitions europeennes contre cette Haute-Cour.
menace d'hegemonie du royaume de France.
32. Le Populaire du Centre, anime par Paul Faure, etait l'organe de la minorite
<< longuettiste ».
26 CAHIERS LEON TROTSKY 10 VINGT LETIRES DE TROTSKY 27

concorde bien avec la revue. Non, non, non, ce n'est pas cela qu'il nous est moins perilleuse pour la classe ouvriere? Nullement. Le regim~ des
faut. Hohenzollern ne les oblige pa:s a tirer la derniere consequence. (OU Sl l' on
Votre ami est indigne de la derniere brochure du comite veut ne leur donne pas la possibilite de le faire), et Heine, Sche1demann ~t
zimmerwaldien 33, mais, par toute son argumentation, il ne fait que Cie au lieu d'entrer clans le ministere, restent humblement clans ... l'antt-
confirmer notre critique. cha:nbre. Est-ce que cette « positi~n » est pr.eferable? C'est vrai. q_u.e,, par
La brochure dit que les longuettistes ne proclament pas meme la la logique du regime mi-absolutist~, Sc?eidemann a la _POSsib1!ite de
necessite de demander la demission des ministres socialistes. «Comment simuler une certaine independance vis-a-vis de son chanc~h.er; mais .cette
- s'ecrie votre ami - mais c'est un mensonge ! Paul Louis3 4 repete « independance », sans rien changer clans le sens de sa p0Ji~1que s~rvile et
toujours », etc. Voila la nonchalance caracteristique. Les longuettistes om traitresse, ne sert qu'a tramper les masses. C'est une preference JUSte ~
formule leur « programme » ; c' est leur motion lors du dernier conseil mais seulement pour Scheidemann, pas pour les masses. La mauva1se
national. Or cette motion ne souffle pas un mot sur le ministerialisme, volonte de la republique prive les Scheidemann fran~ais de cette « prefe-
elle se contente de phrases sur la reprise des relations internationales et rence». La republique leur dit: « Puisque vous m'accordez les homm~s et
sur les preferences generales de la paix sur la guerre. Pas un mot precis sur l'argent et votre confiance pour faire la guerre, vous n'a~ez aucun dr01t de
la politique interieure (union sacree, lutte de classe, ministerialisme, vo~e me refuser VOS trois hommes pour cooperer a Ce travail ».
des credits etc.). Mais Paul Louis ... Eh bien, les discours de Paul Louis Et la republique a raison. Comment peut-on refuser les trois s~r­
peuvent fare tres interessants, mais notre brochure parle de la politique hommes apres avoir donne des millions d'hommes P<;>ur. l~ bouchene?
des longuettistes et elle ne fait que constater que, quand il s'agit de Lorsque les ouvriers vont clans les tranchees c~mme m~1v1dus, comme
formuler la pensee collective ou si l'on veut la volonte collective, quoique for~ats de l'Etat capitaliste, c'est autre chose. Mais q~an~ ils so°:t .« accor-
le mot « volonte », quand il s'agit de longuettistes ... c'est-a-dire de tirer des » (c'est-a-dire livres) par le parti comme organ1satton p~lmque, ce
les consequences politiques de tous les discours excellents de Paul Louis, serait vraiment une politique aristocratique de refuser les mmistres pour
les articles de Verfeuil35 etc. - il n'en resulte qu'une formule bien vague ne pas les compromettre par le sang des autres... . .
qui n'ose meme pas toucher la question du ministerialisme. Et qu'est-ce Les longuettistes - antiministerialistes (Paul Louis, etc.) voudraien~
que repond votre correspondant? 11 s'indigne contre... cette simple - je le repete - creer en France une politique ~n~ogue a cel!e du part1
constatation. allemand. Renaudel37, qui est beaucoup plus reahste, leur repond qu~
Mais ce n'est pas le point decisif de la question. Je crois - avec la c'est impossible. Alors, ils entrent clans l'<~ o~~osition » a Re~audel~ ~at~
brochure - que meme les discours de Paul Louis sont absolument /'opposition a Renaudel et a Sembat ne signifie pas encore l oppos~twn a
insuffisants, et clans leur insuffisance (et en meme temps leur l'Etat capitaliste qui fait la guerre imperialiste. C'es~ toute la question. II
« suffisance ») tres dangereux. n'y en a pas d'autre. Voulons-nous combattre Pierre Renaudel ou le
Le ministerialisme socialiste (et surtout en temps de guerre) n'est que gouvernement de la Bourse lie a celui du tsar? (Vous avez lu le pro-
le couronnement de la politique « defense nationale » et « union sacree ». gramme de Trepov38: les Detroits, Constantinople, etc.). .
Cet achevement se realise presque automatiquement clans le regime politi- Le danger de la politique longuettiste, pour la masse, cons~ste en c~l<l
que de la France (republique - parlementarisme - suffrage universe!). que ~en utilisant et abusant ~t comprom:ttant l~s.formules « mternatto-
Nous voyons, en Allemagne, la meme politique du parti socialiste - nalistes » - Longuet et ses amis font la meme pohttque que Renaude~ .. Ils
defense nationale , vote du budget, propagande : « il faut tenir » - moins sont avec la «Nation», avec l'Etat - pas avec. la classe en opposmon
le ministerialisme. Est-ce que la politique de Heine, Scheidemann 36, etc.

33. II s'agit de la brochure Les Socialistes de Zimmerwald et la Guerre, publiee par la ouvrier imprimeur, fut le porte-parole du groupe parlementaire apartir de 1914: part~san de
V.O. et dont les redacteurs etaient Trotsky et Fernand Loriot. la defense nationale et de l'union sacree. 11 collabora a l'ecrasement de la revolunon en
34. Paul Levi, dit Paul-Louis (1872-1955), d'abord blanquiste, puis membre du P.S. de 1918-1919. .
France hostile au« ministerialisme », etait membre de la C.A.P. du parti unifie et collaborait 37. Pierre Renaudel (1871-1935), collaborateur de ~ai_ires a l'.H_umanite, rallie a l'umc:>n
au Populaire. sacree en aout 1914, devint directeur politique du quot1d1en soc1ahste et leader de son atle
35. Raoul Lamolinairie, dit Raoul Verfeuil (1887-1927), socialiste, postier, membre de la d'extreme-droite. 11 fut exclu de la S.F.1.0. en 1933 avec les « neos ».
C.A.P. appartenait a la minorite « longuettiste ». . 38. Aleksandr Trepov (1862-1928), ancien ministre des communications, devenu chef
36. Wolfgang Heine (1861-1944), avocat, depute social-democrate en 1898, appartena1t a du gouvernement en novembre 1916, venait de publier les «buts de guerre »du gouverne-
la droite du parti, ouvertement revisionniste et chauvine. Philipp Scheidemann (1865-1939), ment tsariste.
VINGT LETIRES DE TROTSKY 29
28 CAHIERS LEON TROTSKY 10

contre l'Etat. Ils calment la conscience de la masse par leur opposition de xv


famille, opposition de boutique (l'Humanite39, les delegues a la propa- Cadix, 13 decembre 1916
gande, etc.) pour trainer cette meme masse derriere le char du parti
officiel, c' est-a-dire des Renaudel-Sembat. j 'ai re\:U VOtre lettre avec l' epreuve et je VOUS ecris cette Carte pour
Si Renaudel et Sembat ont compromis le parti, /'organisation, la ecarter tout malentendu possible. . . . .
tradition officielle, Longuet et Pressemane40 sont en train de compromet- Vous avez supprime de ma lettre quelques mots qm se dmgea1ent
tre l'idee meme de la rebellion reparatrice contre cette trahison historique personnellement contre Longuet; et, clans la lettre que j~ vous ai ecrite
sans precedent. Voila toute la question. Il n'y en a pas d'autre. hier, j'insiste sur la necessite de denoncer les longuetttstes. Or vous
Je comprends tres bien que, pour la masse qui suit, pour le moment, pouvez peut-Ctre croire que je vais faire des objections contre vos change-
les longuettistes, la force motrice est le mecontentement contre l'Etat, la ments clans mon texte. Non, je suis tout a fait d'accord avec vous.
desillusion, le desespoir. Mais c' est precisement pour cela qu'il faut de- A propos de !'insinuation que je suis pret a aider la victoi~e. al~e~
noncer les longuettistes devant cette masse, pour qu' elle tire toutes les mande « meme materiellement », je veux vous rappeler que J a1 ete
consequences necessaires de cette experience historique si cherement condamne en Allemagne en 1915 a quelques mois de prison (par contu-
payee ... mace) a cause de ma brochure Der Krieg und die Internationale (La
Quant au congres prochain,je crois que le plus grand malheur serait Guerre et l'Intemationale), Zurich, novembre 1914, et que Homo 44 a
de faire une motion commune avec les longuettistes sous pretexte « de ne ecrit dans sa recente brochure sur Zimmerwald et Kienthal, que ma
pas diviser les forces ». Cette motion ne pourrait pas ne pas etre vague et brochure est « la meilleure justification de la politique de la majorite
inoperante. Les forces politiques ne se « divisent » pas par la nettete, fran\:aise ». Je n'ai pas besoin de vous dire que c'est faux. Vous voyez
comme elles ne s'additionnent pas par la confusion; c'est un prejuge utile qu'on ne peut pas contenter tout le monde et les canailles de L'Action
aux classes et groupements dirigeants. L'addition de voix longuettistes et socialiste.
zimmerwaldiennes n'est pas difficile: c'est une question d'arithmetique,
pas une question politique. A demain.
Trois points de vue, trois motions. La nettete, c'est l'honnetete
politique. Que la masse voie, qu'elle juge ! Liebknecht41 n'a pas eu peur XVI
de diviser les forces. Et c'est grace alui que Haase42 a fait quelques pas en
avant. Il ne suffit pas d'applaudir Liebknecht - comme dit excellement 1. Le titre «Participation ... aux expulsions» est tres heureux, mais
The Cal/43 (cite par Le Populaire)- il faut l'imiter! peut-etre plut?t comme sous-titre. P~:mr titre, il faudrait do~n~r que~qu_e
Voila ce que je repondais aux reproches de votre ami. chose de prec1s. Vous proposez auss1 «Le cas Trotsky». Mais 11 ne s ag1t
pas, dans ma lettre, de mon cas proprement dit. Peut-etre «Sur le .cas
Mes meilleures amities. Trotsky ». Je ne trouve pas une expression fram;aise pour caractenser
P.S. Le Populaire me fait partager « l'antipatriotisme » herveiste d'avant- quelque chose qui est en rapport avec «le cas Trotsky». , . . . ,
guerre et me fait le cadeau important de 3 enfants (5 enfants de Trotsky). 2. Puisque vous allez publier cette lettre comme une edition md~­
Le bon Populaire ! pendante (pas clans un journal), je crois qu'une preface de vot~e Rart sera1~
indispensable. Vous pourriez dire dans cette preface que l'mc~dent qm
39. L'Humanite etait alors l'organe du parti socialiste. peut paraitre trop peu. sign~ficatif en comparaiso~ ~vec tout ce q~1 se, passe
40. Adrien Pressemane (1879-1929) avait approuve l'union sacree en aout 1914, mais main tenant (on peut 1magmer que dans le com1t~ s~cret les ?eputes .ont
s'eleva contre la politique de guerre et le soutien que lui apporta le P.S.
41. Karl Liebknecht (1871-1919), fils d'un des fondateurs du parti et depute, hostile a trouve le courage secret de raconter quelques h1st01res horribles qui se
la guerre et a !'union sacree, avait vote seul contre les credits de guerre en decembre 1914. passent maintenant sous le couvert de _l'unio-? sacree),. n:iai~ 9u_'il est bi~n
Un des fondateurs du parti communiste en 1919, il fut assassine en janvier par les Corps- caracteristique du regime de la guerre hberatnce, du mm1stenahsme soc1a-
Francs au service d'un gouvernement forme de social-democrates.
42. Hugo Haase (1863-1919), avocat, dirigeant du groupe parlementaire social-
44. Salomon Grumbach (1884-1952), depute alsacien au Reichstag, correspondant de
democrate, hostile ala politique d'union sacree, s'etait incline par discipline. Mais le 24 mars
1916, il avait rompu celle-ci en se pronon\:ant contre le renouvellement de l'etat de siege.
l'Humanite en Suisse sous le pseudonyme de Homo, avait publie a Berne en 1916 le
pamphlet Der lrrtum von Zimmerwald-Ki~nthal (~'Erreur d~ Zimm~rwald-Kient?~l). II
43. The Call, qui paraissait depuis le debut de l'annee, erait l'organe de l'aile gauche du
etait l'ennemi jure des« zimmerwaldiens » qm le tena1ent pour l'mcarnauon du chauvm1sme.
British Socialist Party. 11 erait hebdomadaire depuis le mois de juin.
30 CAHIERS LEON TROTSKY 10 VINGT LETTRES DE TROTSKY 31

liste et de la debandade morale, la dissolution complete des notions Madrugada45 au ministre de l'interieur (copie a Anguiano et a vous) en
elementaires de la democratie et meme de la <lignite personnelle. Une « sollicitant » qu' on me laisse aller a Barcelone pour embarquer ensemble
pa.reille preface (signee naturellement) donnerait a la lettre le cadre neces- avec ma famille.
sa1re. Avez-vous a Barcelone quelqu'un qui pourrait etre utile ama femme, au
3. Vous proposez d'ajouter: «J'avais saisi de mon cas l'ex-apotre, cas ou on me refuserait l'autorisation?
qui n'a rien repondu, ni tente ». C'est un malentendu. Ma lettre a Guesde
n'est guere une tentative de « saisir l'ex-apotre de mon cas ». C'est un
document purement politique, un pamphlet. Ma femme m' ecrit que la XVII
lettre sera bient6t imprimee et elle espere l' emporter en Espagne.
4. Vous proposez d'ajouter au dernier alinea «et du ministerialisme ». Ma femme part pour Barcelone le 22 decembre avec les billets pour New
Or il ne s'agit pas seulement du ministerialisme. J'ai ecrit a Serrati que la York pour toute la famille. Alors notre voyage est presque un fait accompli.
douce consolation que j'avais eue en voyageant avec deux inspecteurs de la Maintenant j'attends la permission de partir pour Barcelone. J'ai telegraphie
republique, \:'avait ete l'idee que les depenses de ce voyage font partie des au ministre de l'interieur et au directeur d' El Liberal en vous envoyant les
credits sanctionnes par le vote du groupe socialiste du parlement. Vrai- copies.
ment, ma conscience s'oppose a la tendance de faire des trois ministres les Ma femme viendra le 23 OU le 27. Or' a cette date, YOUS serez deja parti
boucs emissaires des peches de la politique « defense nationale » et « union pour Paris, n'est-ce pas? A qui devrai-je payer les 700 pesetas? Donnez-moi
sacree ». Rosser le ministerialisme, oui, c'est necessaire, mais se specialiser les instructions necessaires.
clans cette besogne signifierait chercher la ligne de moindre resistance en Je vous ai ecrit une lettre sur la critique de votre amide Paris (j'ai oublie
evitant de poser la question dans toute son ampleur. son nom) et une autre sur la publication demon expose. J'espere qu'elles
5. Sur }'omission du passage qui concerne Longuet, je vous ai deja seront bien arrivees?
ecrit: tout a fait de votre opinion. Quoique je doive ajouter que Moutet a Est-ce que votre voyage a Paris ne YOUS conduit pas par Barcelone? Je
agi dans le meme sens et peut-etre avec plus d'energie. serais heureux de vous voir avant mon depart.
6. Exploiter la prison-modele? Mais comme je n'y ai passe que trois Salut et fraternite.
jours ... cela pourrait paraitre theatral. J'ai quelques scrupules sur cela. ..
7. J'ai fait quelques changements dans le texte (voyez l'epreuve). Le
plus important se rapporte a Grimm. 11 est bien possible que le gouverne- XVIII
ment suisse ait donne ses raisons en secret a Grimm et qu'il pourrait etre Cadix, 15 decembre 1916
mis dans une situation difficile par une publication ou on le nomme. Une
forme plus evasive est preferable. Quand Grimm m'avait telegraphie que le gouvernement suisse « m'ac-
8. Je n'ai pas compris votre P.S. 11 parait que vous me proposez de ceptait »,nos amis du comite zimmerwaldien (Merrheim, Loriot, Rosmer,
l'argent? Mais non, mon cher ami, j'en ai assez et si je n'ai pas remis les Monatte46 qui etait en permission) ont decide que Guilbeaux 47 et moi, nous
700 pesetas a M. L. jusqu'a present, c'est par exces de prudence: une ferions ensemble a Geneve un hebdomadaire sous le titre L'lnternationale,
maladie peut, par exemple, empecher le voyage de ma femme et je ne· qui devrait servir a I'action internationale en France, ala discussion socialiste
veux pas rester sans argent au dernier moment. et a !'information internationale. Ce plan m'a presque reconcilie avec
J'espere que vous avez re\:u ma lettre sur le longuettisme comme mes
deux canes postales (aussi Le Populaire avec la lettre de votre ami). 45. Mot espagnol qui signifie « l'aube ». Peut-etre y a-t-il quelque confusion clans le
vocabulaire de Trotsky ?
J e vous serre la main bien aimablement. 46. Fernand Loriot (1870-1932), instituteur socialiste et syndicaliste, s'etait rallie apres
quelques mois au noyau de La Vie ouvriere dontAlfred Griot, dit Rosmer (1877-1964) et Pierre
P.S. J'ai re\:U de ma femme le telegramme suivant: «Argent re~u; billets Monatte (1881-1960) etaient les piliers. Tous etaient lies aTrotsky par presque deux annees de
collaboration militante.
New York commandes ici; partirai pour Barcelone, mais indispensable 4 7. Henri Guilbeaux ( 1887-1938), journaliste et critiqued' art, ancien anarchiste, membre
passeport pour Amerique; fais demarches ». du« noyau,, de la V. 0. s'etait etabli a Geneve et y publiait Demain. Rallie ala revolution russe
J'ai repondu: « Prendras billets Barcelone OU Cadix sans difficultes ». et au communisme, il fut condamne a mort en France, mais, lors de son retour en 1927, il
Or ma femme s'est decidee pour Barcelone et j'enverrai ce soir un apparut qu'il avait ete au service du deuxieme Bureau ...
32 CAHIERS LEON TROTSKY 10 VINGT LETIRES DE TROTSKY 33

!'expulsion, mais il a echoue. Maintenant,je fais un reve. Si le gouverne- repete maintes fois que !'attitude des partis fran~ais et anglais - clans leur
ment espagnol retire l' expulsion - ce qui est invraisemblable - ne majorite - fut non moins la cause de la chute de la Seconde Internatio-
croyez-vous pas qu'on pourrait faire l'hebdomadaire en Espagne? Je le nale que !'attitude du parti allemand. Je dis que le fait que la diplomatie
repete, ce n'est pas un plan, c'est un reve. Mais ... Je connais les obstacles: russe soit encore plus perfide et plus rapace que celle d' Allemagne
1I votr~ temps est ~ien absorbe; 21 il n'y a pas de camarades a Madrid qui n'excuse en rien la politique du parti allemand. Cette brochure fut tra-
pourra1ent nous aider; 3/ n est tres difficile de recevoir la litterature duite en bulgare, serbe, hollandais (par Roland-HolstSO), ce qui serait
al}e1:11~nd~. Quant au transp~rt clandestin, je ne crois pas qu'il serait plus absolument impossible si elle erait ecrite «en fayeur des allies». Fritz
d1ff1c1le d Espagne que de Smsse. Mais ... reflechissez un peu. Et peut-etre Adler51 l'a approuYee dans son Kampf52.
en cause~ez-vous aYec nos amis a Paris. La question financiere se presen- Toutes les autres affirmations sont de la meme valeur.
tera ~~s~1llus ~efavorablement en Espagne qu'en Suisse: la-bas, il y a la L'article de I' A[ction] s[ocialiste] est ecrit par Alexinsky, qui a ete
po~s1b1hte de faire des conferences, des concerts, etc. Mais les depenses ne condamne par le syndicat de la presse etrangere (journalistes anglais,
do1Yent pas etre tres grandes et le comite devrait nous assurer une somme russes, italiens et neutres) comme calomniateur et qui est maintenant juge
determinee. J?uisqu'il s'agit d'un hebdomadaire, je ne crois pas que vos par la societe des j~urnalistes russes de Paris egalement a cause de ses
occupations yous empecheraient d'y collaborer regulierement. Mais je ne calomnies. C'est la source de l'A[ction] s[ocialiste] !
Yeux pas entrer clans les details pour ne pas evoquer chez Yous le soup~on ]'attends avec impatience la reponse de Madrid. Je voudrais bien
qu'il s'agit, non d'un reve, mais bien d'un plan. partir d'ici le 20 pour m'arreter a Madrid.
Ma femme a deja achete les billets pour New York. On peut peut- Encore sur !'article de l'A[ctionls[ocialiste]. Jamais les journaux
etre les reYendre ... Elle partira de Paris le 22. Est-ce que vous ayez reactionnaires russes n'ont reproduit les articles de Notre Parole pour les
quelqu'un aBarcelone qui pourrait l'aider, au cas OU je serais force « approuyer)) - toujours pour les denoncer a la police - comme le fait
a
d' attendre Cadix? l' A[ction] s[ocialiste] elle aussi.
Ne trouyez-vous pas utile de communiquer ces precisions au Popu-
laire? Je voudrais le faire (parce que ce qui n'est pas dementi reste), mais
Cadix, 17 decembre 1916 j'ai quelques scrupules d'occuper trop, ayec ma personne, Le Populaire.
Si Yous trouvez que ces scrupules ne sont pas justifies, peut-etre
La premiere partie de ma lettre est restee dans ma poche deux communiquerez-vous les extraits respectifs de cette lettre au Populaire?
journees: j'ai attendu la reponse affirmative de Madrid, esperant vous Yoir
a
en passant Madrid ... XIX
J'ai re~u la traduction russe (dans Natchalo48) de l'article de l'Action
socialiste. Ecoutez : Cadix, 31 decembre 1916
i. «On m'a vu dans les antichambres de Guesde et de Sembat
sollicitant la permission d'aller au front». Jamais je n'ai rien sollicite d; J'ai re~u avec plaisir votre lettre a Barcelone. Je vous ecris ces ligne!)
pareil. ]e n'ai jamais visite ni Guesde ni Sembat. J'ai vu Guesde - clans le bateau entre Gibraltar et Cadix. 11 fait terriblement chaud. Nous
pendant mon sejour a Paris - une seule fois, par la fenetre de la chambre
de Rappoport49 (Guesde etait clans son auto militaire). Jamais de ma vie 50. Henriette Roland-Holst (1869-1952), ecrivain et poete, amie de Rosa Luxemburg,
membre du parti social-democrate de gauche des Pays-Bas, internationaliste determinee,
je n'ai vu Sembat, meme dans la rue. etait membre de la Gauche de Zimmerwald.
2. J'ai ecrit, au commencement de la guerre, une brochure «en 51. Friedrich dit Fritz Adler (1879-1960), fils du dirigeant social-democrate autrichien
fayeur des allies ». En meme temps, j' ai plaide pour « la paix separee » Victor Adler, physicien renomme, demissionna de son poste de secretaire du parti social-
clans Notre Parole. Or les parties les plus essentielles de ma brochure democrate le 8 aout 1914 par hostilite a l'union sacree. President du cercle Karl Marx, lieu
de regroupement de l'aile gauche, il assassina le 21 octobre 1916 le premier ministre Stiirgkh,
allemande furent publiees clans ... Notre Parole. Dans cette brochure clans un geste delibere et reflechi destine a « secouer » !'opinion socialiste. Animateur de
ecrite en allemand et dirigee contre le parti social-democrate allemand, j; l'lnternationale 2 112 de 1919 a 1923, il fut secretaire de lane Internationale jusqu'en 1939.
II avait de bons rapports personnels avec Trotsky.
48. Un journal de droite russe. 52. Der Kampf (Le Combat) erait la revue theorique mensuelle du parti social-
49. Charles Rappoport (1865-1941), journaliste d'origine russe et membre de la mino- democrate autrichien qui avait ete fondee en 1907 par Otto Bauer et dont le redacteur en
rite, devait rejoindre le P.C. et ne le quitter qu'en 1938 apres le proces de Boukharine ... chef etait depuis 1913 Fritz Adler.
34 CAHIERS LEON TROTSKY 10

avons paye, pour trois billets, 1700 pesetas (2e classe) mais heureusement
la 2e classe erait deja complete et nous « jouissons )) de la premiere,
c' est-a-dire que nous menons une lutte ininterrompue pour recevoir de
l' eau pour nous laver, le matin, et pour ne pas en recevoir en pleine figure
pendant la nuit, quand on lave le bateau. L'organisation est plutot « som-
maire » comme dit le hon guide Joanne.
Le dernier geste de la police espagnole est superbe. A Valence et a
Malaga, les agents et les gendarmes m' ont entoure sur le bateau pour ne Cartes et lettres
d'Andres Nin a Trotsky (1928)
pas me laisser descendre avec ma femme et mes enfants. Je crois qu'on
f era la meme chose a Cadix, OU je devais recevoir mon courrier et
peut-etre aussi de !'argent ... J'ai telegraphie a ma femme de vous payer les
850 francs et cependant, ces jours-ci, le franc a considerablement baisse.
Or vous allez perdre une cinquantaine de francs. Si je descends a Cadix,
je verserai la somme a M. L.
Salut et fraternite.
Les documents qui suivent, quatre cartes postales et une lettre adres-
sees a Trots~y, alors exile a Alma-Ata, par Andres Nin, nous Ont paru
xx d'uf1; grand mtetet. On sait qu' Andres Nin, secreraire de la C.N.T. et
Cadix, 2 janvier 1917 partisan convaincu de la revolution russe etait etabli a Moscou OU il
travaillait a !'Internationale ~yndicale roug~ - dont il fut secretaire pen-
Cher ami, d~nt quelque tem~s. II avait ere membre de !'Opposition unifiee: avec
Victor Serge, Khantonov et le celebre Bulgare Minev, il avait constitue sa
]' ai trouve le telegramme suivant, de New York : « Envoye 900
« commission internationale »
pesetas par Meisel Madrid ». ]' ai telegraphic a « la banque Meisel » a
~es cartes postales ainsi retrouvees permettent de preciser une chro-
Madrid et re~u la reponse « Inconnu ». Or Meisel doit etre une banque de n~logie un peu. flottante et quelques incertitudes clans la biographie de
New York et je suppose que vous allez recevoir ou avez re~u cette Nm. En 1~28, il est serieusement malade, sejourne a deux reprises clans
somme. Si oui, renvoyez-la a New York, Leon Trotsky, poste restante, un sanatorium, deux mois en janvier et fevrier, un mois et demi en
en retenant la difference du change des 850 francs laisses par ma femme ; octobre et novembre. A ses maladies deja connues est venue s'ajouter une
je crois que vous avez du perdre de 30 a 50 pesetas. nouvelle,_ une maladie des reins dont il ne precise pas la nature.
J'ai rendu visite a M. L.. lei, a Cadix, la police ne m'a pas empeche de
Les ii:i~ormati?r;is qu'il envoie a Trotsky permettent de mieux connai-
descendre du bateau. Nous partons dans une heure. t~e sa positi~n pohtique. Contrairement a ce qu'ont ecrit plusieurs de ses
Mes meilleures amities. b10graphes, il n'a pas ete exclu a la fin de 1927 avec les grandes fournees
d'o~po~itionnels. A la fin de fevrier 1928, il est toujours membre du
Leon Trotsky
parti, bien qu'en instance d'exclusion, et travaille encore a !'Internationale
syn~icale rouge. C'est en mars ou, au plus tard, en avril qu'il est exclu du
p~rtI et par cons~quent renvoye de son travail a 1'1.s.R. :en avril, il doit
vivre de so? travail de traducteur et indique qu'il a deja fait une demande
pour revemr en Espagne.
La lettre du 13 novembre 1928, elle, est un veritable document
politique, avec une analyse de la situation intfoeure de l'u.R.S.S. et sur-
tout un veritable rapport sur la situation dans !'Internationale commu-
niste. Ni? est d'aille~i.rs bien informe en outre sur ce qui se passe clans
l'Internationale parmi les groupes d'opposition de gauche, notamment en
36 CAHIERS LEON TROTSKY 10 CARTES ET LETIRES D'ANDRES NIN A TROTSKY 37

France et en Allemagne; on pourra comparer utilement cette lettre avec la Moscou, le 20 avril 1928
lettre de Solmsev du 8 novembre reproduite clans le numero 718 des
Cahiers Leon Trotsky. Moncher L.D.,
On deplorera d'autant plus a la lecture de cette lettre si riche la perte La traduction espagnole de votre bouquin sur l'Espagne est pres~ue
irreparable de la correspondance entre Nin et Trotsky pendant les annees finie2. Le moment est venu done d'ecrire la preface que vous m'av1ez
trente, ces milliers de pages que Trotsky souhaitait voir editer un jour et promis et que je juge comme vous necessaire. Est-ce qu'il sera possible de
dont l' ouverture des « papiers d' exil » a confirme la disparition. Pour ma la recevoir a peu pres clans trois semaines ?
part, je me bornerai a une seule remarque: ni sur la question russe, ni sur J' aurais un vrai plaisir a vous ecrire longuement, mais je ne sais pas si
la question de. l'I.C. n'apparait en 1928 de divergence entre ~rotsky et mes lettres vous parviennent. Deux fois, je vous ai ecrit et jusqu'a pre-
Nin: ce n'est pas a cette epoque que l'on trouvera des racmes de la sent, je n'ai rec;u aucune reponse.
rupture qui interviendra au cours des annees trente. II sera suffisant de vous ecrire aujourd'hui que, plus que jamais, je
P.B. suis ,en accord avec vous.
Un bonjour a N.I. et a votre fils.
Une tres forte poignee de main.
Andres Nin
Moscou, le 29 fevrier 1928

Moncher L.D., Moscou, le 26 mai 1928


Me voici de retour a Moscou, depuis une semaine, apres un sejour de
deux mois en sanatorium. Mon erat de sante s'est beaucoup ameliore; la Mon cher L.D.,
morale reste bonne (sic). II ne peut pas en etre autrement lorsque les Comment allez-vous? II y a longtemps, je vous ai ecrit une lettre.
evenements confirment pleinement la justesse de notre position. Et vous Est-ce que vous l'avez rec;ue? Je serais tres content d'avoir de vos nou-
et les votres, qu'est-ce que vous devenez? Est-Ce que vous etes installes velles.
plus ou moins confortablement? Est-ce que vous avez assez de place pour Au point de vue same, c;a ne va pas chez moi. Maimenant je souffre
les 70 colis que vous avez pris avec vous 1 ? Et votre etat de same? Cela ne d'une nouvelle maladie: une maladie des reins.
laisse pas d'inquierer tous vos amis. Au point de vue travail, je fais des traductions en espagnol (Lenine,
Est-ce que vous avez au moins assez de nourriture « spirituelle » ? Plekhanov, etc.). J'ai demande qu'on me laisse rentrer chez moi, mais
Recevez-vous des journaux, des revues? Si, clans ce domaine comme jusqu'a present, pas de reponse. J'ai fait la demande ii y a un mois.
d'ailleurs clans n'importe quel autre, vous avez besoin de quelque chose, Un bonjour a Nat[alia] Ivanovna et a Leon.
vous n'avez qu'a me le dire. Je vous envoie par le meme courrier les deux A vous une poignee de main tres, tres amicale.
derniers numeros de la revue mensuelle de 1'1.s.R..
J'ai repris naturellement mon travail, quoiqu'on ne m'utilise pas A. Nin
autant qu'on le pourrait. C'est clans l'ordre des choses. Le bureau de ma
cellule a propose a l'unanimite mon exclusion, mais l'affaire se trouve,
depuis pres de trois semaines, au rayon et jusqu'a present on ne m'a pas Le 21 septembre 1928
appele.
Un bonjour a Natalia Ivanovna. Et i vous, une poignee de mains Mon meilleur salut pour YOUS et les votres.
bi en amicale. J'ai ere un mois au sanatorium « Staline ». Je dois passer deux
A. Nin
2. II s'agit de Mis Peripecias en Espana, reproduction du carnet des notes prises par
Trotsky durant son sejour force. Trotsky explique dans le prologue que c'est en 1925 que le
1. Il s'agit des archives et de la bibliotheque qui ne devaient arriver qu'avec un grand celebre critique Voronsky reussit a obtenir de lui leur publication et que Nin insista ensuite
retard. Mais les « 70 colis ,, etaient une exageration de la presse stalinienne ! beaucoup pour une edition en castillan.
r '" CAHIERS LEON TROTSKY 10

Nrni.tiru•N iri d+ms It' sttn<H(orium] qui portait votre nom et qui, en fait, le
CARTES ET LETTRES D'ANDRES NIN A TROTSKY

politiqu~ ~uivie. Nous avons des vociferations de gauche a la Zinoviev6 et


39

une polmque reelle chancelante, pour ainsi dire, sans epine dorsale.
flOl'tr toujours.
To1?~ky 7 , a qui _on ne peut pas nier de !'esprit, a dit recemment: «La
A. Nin pol~ttq~e de S[tal~~e] est la caricature de celle de !'Opposition, c'est-a-dire
qu'il mene la polmque que nous attribuions a /'Opposition». Je crois que
l'on ne peut pas mieux caracteriser le cours actuel. Tomsky naturellement
ne 1?-ous .servirait pas une « c~ricature » de politique, mais une politique de
13 novembre 1928 droite b1en nette, menant directement a la restauration du capitalisme.
,, A vec tout ce~a, le spectacle offert par le parci est des plus tristes et
Mon cher L[ev] D[avidovitch], ecreura?t~. On Im parle d'un danger de droite sans lui signaler concrete-
Je suis bien heureux d'avoir !'occasion de pouvoir vous ecrire a mon ment ou il,, se. tro~ve et,, apres nous avoir qualifies de calomniateurs quand
aise apres un long silence force. Les quelques mots que je vous ai adresses ce danger eta1t denonce par nous. Les cellules, les assemblees de membres
aplusieurs reprises, cependant, vous auront sans doute montre que l'atta- actifs qui, quelques jours auparavant, votaient a l'unanimite des resolu-
chement qui me relie a vous n'a pas flechi et que, politiquement, j'etais en tirn:is qui leur eraient presentees par les secretaires de la droite, adoptent
«parfait etat de sante ». mamtenant avec la meme unanimite des resolutions contre la droite. Et
Maintenant, en prenant la plume, j'eprouve uncertain embarras. Par ave~ cela, aucune discussion, aucun examen serieux des graves problemes
ou commencer? J'aurais tant de choses a vous dire! Pensez done! 11 y aura poses devant le pays et devant la revolution. Le parti est pass if. Voila ce
bientot une annee que je ne vous ai pas vu et quelle annee ! Je tacherai de que nous devons constater, malgre l~s efforts officiels ~our demontrer
vous causer des choses courantes avec la plus grande concision possible. que la campagne actuelle contre la droite a ete le resultat d'une soi-disant
Quelques mots avant tout sur les questions interieures. Plus que indignati~n des masses. Est-ce qu'un parti pareil est capable de combat-
jamais (il) apparait evident que nous ne nous trouvons pas en presence d'un tre, de faire face aux situations graves qui peuvent et qui doivent fatale-
cours nouveau ni non plus en presence d'un zig-zag, mais d'une serie de ~e-?t se p~esenter? J'ai des ~outes bien serieux la-dessus. Le regime qui
zigzags qui demontrent que nos centristes ont perdu la boussole3. Le s~v1t depms 1923 et la press1on des classes ennemies sur le parti ont fait
centre ressemble bien en effet a un bateau livre a la merci des vagues, b1en des ravages. Outre l'Opposition, qui etait la partie la plus clair-
lesquelles, clans ce cas, sont les profonds antagonismes de classe qui ont voyante et la plus devouee, il doit bien y avoir clans le parti un noyau
lieu clans le pays. Pour tenir bien, pour faire face a la tempete, il nous d'eleme~t~ sains, n'ayant pas perdu !'esprit revolutionnaire, l'attachement
faudrait une direction sachant ce qu'elle veut et ou elle va, et pas des aux trad1t1ons bolchevistes reelles (pas, naturellement, aux traditions telles
cemristes hesitants. St[aline], pousse par la pression de la classe ennemie, se qu'ell.es .sont defi~ies par les Iaroslavsky8 et tutti quanti). S'il n'en etait
voit parfois force a prendre des mesures frappant cette derniere (mesures pas ams1, ce serait a desesperer. Mais ce qui est un fait discutable c'est
extraordinaires ) 4 , mais, centriste typique, il ne tarde pas a faire machine q~e, _POUr le fl!Oment, ils ne se manifestent pas. Va-t-il se produi;e une
arriere en accordant des concessions de principe importantes (plenum de rea~t10~ salutaire? Esperons-le. Dans le cas contraire, tout serait perdu.
juillet)S. S'il sait manreuvrer, c'est-a-dire qu'il est habile clans les combi- N'oubhons pas d'autre part que le proletariat n'a pas dit encore son mot.
naisons de couloir et les remaniements de l'appareil, il est incapable d'une 11 ~e mai:qu~ra pas de le dire,. mais si le centre poursuit clans sa fausse
vme, le revet! de la classe ouvnere peut se produire clans des conditions
3. La question etait d'importance: c'est a cette epoque en effet qu'une fraction de t~lles qu'il. ne soit p~s en notre faveur, mais en celle de l'ennemi. L'appari-
!'Opposition, estimant que la politique de la direction « centriste » - c'est-a-dire de la tton pa,,rm1 les ouv~1ers - cl.ans de~ propc;>r:tions heureusement encore peu
fraction stalinienne - venait d'operer un vrai « tournant a gauche» en engageant la lutte considerables - dun certam esprit apohttque, de mefiance ou d'indiffe-
contre les forces capitalistes, s'engagea clans la voie de la capitulation.
4. Devant la crise du ravitaillement, le C.C. du 6 janvier 1928 avait decide des mesures
d'urgence: ordre de confisquer, en vertu de !'article 107 du code criminel, les stocks des
. 6. _Zinoviev, ancien allie de Staline contre Trotsky, puis de Trotsky contre Staline, avait
speculateurs et d'en distribuer le quart aux paysans pauvres du village, notamment. En cap1tule et reconnu ses « erreurs ».
fevrier, il s'y etait ajoute des emprunts forces baptises« lois d'auto-imposition »,le renforce-
7. M.P. Tomsky, vieux-bolchevik, un des trois chefs de la« droite » avec Boukharine et
ment du blocage du prix du pain, }'interdiction de l'achat et de la vente directs au village. Rykov, etait alors pr~sident du conseil central pan-russe des syndicats.
5. Le C.C., lors de son plenum de juillet 1928, avait decide « devant leur succes » de
. 8. Iaroslavsky, v1eux-bolchevik, etait le specialiste des questions d'histoire et d'ideolo-
rapporter les mesures d'urgences, d'interdire perquisitions et saisies et d'autoriser une hausse g1e aupres de Staline dont il etait l'homme-lige.
de 20 % du prix du pain.
40 CAHIERS LEON TROTSKY 10 CARTES ET LETTRES D'ANDRES NIN A TROTSKY 41

rence envers le parti, de predominance des interets corporatifs, constitue, plan de concessions. Je voudrais ~ien co~naitre votre point. d~ vue. la-
dans ce sens, un symptome qu'il ne faut pas negliger. dessus. En ce qui me concerne, JC ne suis pas de ceux qui s effra1ent
Et nous? Nous avons joue un role tres salutaire, au prix de grands devant les concessions, meme larges, aux capitalistes etrangers. Savoir
sacrifices, c'est vrai. Sans nous, sans notre attaque « enragee » de l'annee utiliser nos rapports avec l' economie mondiale est un des moyens suscep-
derniere 9, la direction du parti ne se serait pas arretee dans son dangereux tibles d'augmenter les ressources necessaires pour le developpement des
glissement. Notre role n'est pas encore fini, bien loin de la. La droiture, forces productives chez nous. Mais il faut savo~r. les ~tiliser, .et il. fa~t
l'inflexibilite de notre conduite, la « loyaute » vis-a-vis de nous-memes et surtout que cela se fasse dans le cadre d'une polmque econom1que m~e­
de la classe ouvriere constituent autant de garanties necessaires pour rieure ferme qui garantisse les positions essentielles de l'econom1e soc1a-
demain. Le proletariat, lentement, mais d'une fa<;on ininterromp~e, com- liste. Avec une politique comme l'actuelle, !'application d'un large plan de
mence a nous comprendre et a nous aimer. Les evenements de Kiev, sans concessions peut renfermer des consequences desastreuses.
parler d' autres de moindre importance, doi~e~t etre consideres a cet eg~rd J e vais mettre fin a ces considerations, deja excessiveme.nt long~es,
comme des symptomes encourageants. Mais 11 faut que nous soyons a la sur les questions interieures avec quelques mots sur B[oukharme], Z[mo-
hauteur de notre rache, des grandes responsabilites que l'histoire a fait viev], St[aline]. Staline a commence !'offensive contre TomskylD. Comme
tomber sur nous. J e ne veux pas parler ici des difficultes de notre travail. d'habitude, · il n'a pas tire contre les aigles, mais contre les moineaux.
Elles sont enormes, bien entendu. Jamais des revolutionnaires ne se sont Vous avez sans doute vu sur la Pravda la resolution prise par la cellule du
trouves devant une tache aussi difficile, si compliquee, si pleine de res- Palais du Travail contre Iaglom, directeur de Troud 11 . Voila, une fois
ponsabilites et ... si douloureuse. Notre ligne est juste: tout ~e confirme; encore, une manifestation de findignation des masses. On assure qu'au
I' experience de 1927/28 a ere concluante. La question de la ren.rer da~s ses prochain congres des syndicats, qui. aur~ lieu en decembr~, de g~~nds
traits essentiels ne se pose pas. Mais evidemment il faut sav01r apphquer changements seront operes dans la direct10~. Encore une. f01s, on s ima-
cette ligne generale a chaque situation concrete, car nous serions au gine qu' on peut changer le cours par de simples rem~mements dans le
contraire des marxistes piteux. Or j'ai la sensation nette que nous ne personnel. La crise est beaucoup pl~s p~rofonde. Ce qu. i~ fa~t a~ant tout,
pouvons pas nous borner dans les circonstances actuelles a repfaer meca- c'est avoir des syndicats ayant une vie reelle. Et la condmon mdis.Pensable
niquement les revendications formulees dans notre plateforme. II a coule pour cela est d'avoir une democratie interieure dans le pan:i et une
bien de l'eau sous les ponts depuis un an, il s'est cree une situation democratie ouvriere dans les syndicats que nous n'avons pas mamtenant.
particuliere dans laquelle il faut que nous nous prononcions de !~<;on Nos predictions en ce qui concerne le Comintern se sont encore une
categorique. On paie bien entendu les consequences d'une pohnque fois confirmees. Les signes du reveil de la classe ouvriere sont les greves
fausse, mais nous ne pouvons pas nous limiter a repeter que nous avons de France, Allemagne et Pologne, et neanmoins les p~rtis communis.tes,
tout predit: il faut que nous donnions des solutions concretes aux ques- quoi qu'on dise, restent a l'ecart du mouvement et v:01ent perdre rapide-
tions brulantes (le manque de pain, par exemple) qui sont posees. II m.e ment leurs forces numeriques et leur influence. lei au centre, c'est le
semble que notre proposition d'emprunt force, qui est juste, et qui, desarroi complet. Au Comintern, on. ne fait plus . rien. To~ut le i:no~de
appliquee a temps, nous aurait evite les ?iffi~ultes actuelles, n'estA pas attend le resultat de la lutte entre St[alme] et la droite. La demorahsat10n
suffisante a l'heure actuelle, alors que la s1tuanon est devenue extreme- est complete. La majorite du presidium est naturellement avec St(aline],.
ment tendue, que nous n'avons pas une organisation des paysans pauvres puisqu'il est sur qu'il prend le dessus. Seuls Tasca et Hu~bert-Droz sont
et que la politique epileptique de St[aline] a souleve contre elle toute la inconditionnellement avec Boukharine12. Tasca a l'appui du C.C. de son
campagne. II me semble que, dans cette direction,il faut faire quelque
chose. Quoi? Nous avons parmi nous assez d'economistes competents
pour qu'ils nous donnent une reponse, pour qu'ils elaborent une sorte de
10. Tomsky allait a la fin de l'annee laisser sa place a la ttte des syndicats a un homme
programme de revendications immediates. de Staline, Chvemik. .
II faudrait aussi que nous disions notre mot a propos du nouveau 11. Troud etait l'organe des syndicats sovietiques. lakov K. Iaglom (1898-1939), anc1en
membre du Bund, membre du P.C. en 1918, etait membre du bureau pan-russe des
syndicats depuis 1921. -
9. L'Opposition de gau~he, empochee de s'exprimer clans le parti f'.our y den?n:er la
politique de la coalition « centre-droit » qui menait selon elle a la restauratH~n du capitalism~,
12. Angelo Tasca (1892-1960), militant italien, ancien de l'Or~ine Nuov?•. a~ait ete elu
avait passe outre en publiant sa Plate-forme et cherche a briser a tout pnx le cercle du si-
a l'ete precedent, au 6e congres de l'I.C., membre de l'execut1f, du .pres1dmm et_ du
secretariat sous le nom de Serra. Jules Humbert-Droz (1891-1961), un anc1en pasteur su1sse,
lence.
etait membre du secretariat de l'I.C. depuis 1922.
42 CAHIERS LEON TROTSKY 10 CARTES ET LETTRES D'ANDRES NIN A TROTSKY 43

~a:ti 13 . Quant a H[umbert]-D[roz], il est bien seul, car il n'a aucune ainsi que son credit pres de la masse ouvriere. Le Mouvement m1-
liaison avec son parti. Piatnisky 14 est hesitant. II se demande en fait si noritaire l 9 fait preuve d'une inactivite inqualifiable. Faut-il parler de
apres lui avoir enleve Trotsky, Radek, Zinoviev et tant d'autres on Iui !'Orient?
enleve enc?re Bou~arine. Qui va diriger alors le Comint~rn, se La situation devrait favoriser le developpement de I' Opposition;
dem~nde-t-11: Manmlsky .avec Neumann15? Les droitiers avec qui j'ai neanmoins notre situation n'est pas brillante. J'ai eu !'occasion ces der-
cause se moi:itrent prets a hvrer bataille, mais ils ne semblent pas avoir une niers jours de feuilleter les organes des divers groupes d'op[position]
grande conf1ance clans la decision de leur « chef » B[oukharine] dont le fran\:ais. Quoique, clans quelques jours, nous vous enverrons un resume
caractere peu consistant est bien connu. ' circonstancie de ces journaux, je veux vous avancer en deux mots mon
. E~ Allemagne, la ~ituation est catastrophique malgre les conditions opinion. De tous les groupes, celui qui est le mieux oriente, qui s'est
ob1ect1ves favorables. S1 Brandler et Thalheimer16 sont exclus - et cela mieux assimile nos points de vue, et qui a une fa~on plus serieuse
parait i?evitable - ce sera encore une nouvelle scission car B[randler] et d'envisager les problemes, c'est sans doute celui de La Lutte de Classes20.
ses am1s sont tout a fait prets a livrer bataille sans s'arreter devant les Malheureusement son influence clans les ouvriers est minime. Contre le
consequences. Ils sont. prets jusqu'a la constitution d'un nouveau parti. Co~rant 21 n'est pas mal oriente en general, mais il a commis la faute, tres
B[randler] ne se morda1t pas la langue pour le dire a la veille de son depart grave, de combattre la nouvelle tactique electorale du parti 22. Quant a
de Moscou_. Clara Zetkm 17 est avec eux et on dit qu'a son retour du Treint23, vous savez bien qu'on ne peut pas· compter beaucoup sur lui.
Ca,.u~ase, OU elle Se trouve actuellement, elle Va faire des propositions tres Dans le groupe de La Revolution proletarienne, Rosmer est avec nous.
precises. Monatte est revenu a « ses ahciennes amours » syndicalistes24.
~n France, la situation du parti, d'apres !'expression de Clara Souvarine 25 a adopte une position politique tout a fait inadmissible pour
[Zet~m] avec qui j'ai parle a Kislovodsk, «est a pleurer ». En Tchecoslo- !10US. Vous le verrez d'ailleurs par le resume que nous vous enverrons

v~qme,. c'es~ la debacle. Ce que nous avions clans les syndicats mcessamment de !'article qu'il a publie clans le dernier numero du Bulletin
revo_,1~uonna1res 18 est en train de fondre a la suite des fautes du parti. En co"!muniste. Mon avis est qu'il ne faut pas se presser pour obtenir la
Amer~que du Nord, l~ lu.tte au couteau entre les fractions se poursuit avec fusion des groupes actuellement existants. 11 est mieux qu'auparavant
une v10lence extraordmaire. En Angleterre, les forces du parti diminuent s'opere la clarification ideologique necessaire. Nous ne gagnerions absolu-
ment rien a une fusion precipitee. En France comme ailleurs, plus que sur
1~. E'.n f~it, Tasca d~vait etre_«.trahi '.>par son camarade Togliatti dit Ercoli qui aban- . 19. A.llusi<?n au N.M.M. (National Minority Movement) qui regroupait clans les Trade-
donna1t b1ent?t Boukhanne et ralhait Stalme. Tasca quitta l'U.R.S.S. en janvier 1929 et fut U~1ons bnt~nn~ques l~s sympathisants de l'Internationale syndicale rouge: il n'avait pas ete
exclu peu apres.
14. _Iossif A. Piatr;iitsky (1882-1939), militant depuis 1898, etait depuis 1921 tresorier
lom de la ma1~:mte, ma1s, acette epoque, ii etait au bord de la disparition pure et simple.
du Commtem et en fait patron de son appareil clandestin.
20. Anc1ennement Clarte, transforme par Pierre Naville et Gerard Rosenthal, La Lutte
de Classes avait publie des textes de Trotsky, Victor Serge et autres partisans de !'Opposition
1?. Ces deux homme_s ne brillaient pas par leur reputation de serieu~. Dmitri z. de gauche russe.
Mar;imlsky (1883-1959) .ava1t accede au secretariat en 1924 parce qu'il etait devoue a Staline. . 21-.. Contre le Courant, dont le numero 1 avait paru avec la date du 20 novembre 1927,
Le Jeune Allemand Hemz Neumann (1902-1937) etait egalement un protege de Staline · ii eta1t .amme par l'avocat Mau~ice Paz et ce qui restait de !'opposition menee par ce demier
ava1t, avec Lomi~adz~, inspire en decembre 1927, sur ordre, l'aventure de la« Commune,de depuis 1925 avec Fernand Lonot, notamment nombre de militants ouvriers.
Canton». 11_ a"."a1t pns la parole au 6° congres.
22. II s'agit de la tactique « classe contre classe » que le groupe Paz avait condamnee
16. Hemr~ch Brandler et August Thalheimer, le dirigeant et !'ideologue du parti alle- comme « gauchiste »sans chercher ase differencier, semble-t-il, de ses critiques« de droite ».
mand _de_ 1921 a 1924, chasses de leurs responsabilites en tant que responsables de l'echec de 23. Albert Treint avait ere en 1924 le « bolchevisateur » du parti frarn;ais. II avait rejoint
192~ eta1ent les porte-drapeau de !'opposition de « droite » en Allemagne. Retenu plusieurs !'Opposition unifiee, participe a la publication de L'Unite Leniniste et refuse de suivre
lf
annees en .R.S.~.? Brandler,. revenu e~ Allemagne, y lan~ait la revue Gegen den Strom, Zinoviev dans sa capitulation. Mais il avait contre lui les anciens oppositionnels qu'il avait
organ~ de 1oppos1t1on de dro1te du part1 allemand, avec Thalheimer. Ils allaient effective- persecutes.
ment a:re exclus.
24. Alfred Rosmer et Pierre Monatte qui avaient ere les animateurs du noyau internatio-
17. Clara Zetkin (1857-1933), ancienne animatrice des femmes socialistes liee a Rosa nal~st~ de 1914, avaient rejoint ensuite le P.C. et joue un role important a sa direction. Mais,
Luxemburg etait l'une des figures de legende du parti allemand. Sa sympathie 'etait de tout sohdaires de Trotsky, adversaires de la« bolchevisation », ils avaient ete exclus en 1924. La
tem~s allee a la droite qu'elle laissa cependant condamner dans son refus de rompre revue La Revolution proletarienne fondee en 1924 s'appelait «revue syndicaliste communiste »
pubhquement avec Moscou.
et ne devait que plus tard s'appeler «revue syndicaliste revolutionnaire ». Monatte avait fonde
l~. L_'e.x~lusion de la centrale syndicale reformiste des grands syndicats de la chimie et en 1926 la « Ligue syndicaliste ».
du b01s, dmges par les communistes, avait conduit ces demiers a creer en 1922 une nouvelle
.25. Exclu pour avoir proteste contre !'exclusion de Trotsky et publie son Cours nouveau,
central.e~ }a M.V.S. dont les effectifs, apres avoir depasse les 200000 avaient presque diminue Bons Souvarine avait continue le Bulletin communiste et anime le cercle Marx-Lenine.
de mo1t1e.
44 CAHIERS LEON TROTSKY 10 CARTES ET LETTRES D'ANDRES NIN A TROTSKY 45

les groupements existants, nous devons compter sur les elements de la Un bonjour tres amical a Natalia Ivanovna. Une forte poignee de
classe ouvriere qui sont dec;us et qui n'ont pas encore dit leur mot26. mains de votre ami et devoue camarade A[ndres] N[in].
Je connais tres peu ce qui se passe maintenam clans les groupes
d'opp[osition] allemands. Urb[ahns]27 envisage la possibilite d'une al- P.S. }'attends toujours votre preface au bouquin sur l'Espagne que j'ai
liance avec Brand[ler] pour !utter contre la direction actuelle, quitte a traduit32.
!utter contre B[randler] aussit6t la direction debarquee. Une alliance avec
un programme pareil me parait tout a fait inacceptable. Si on pouvait
conclure un accord sur des questions de principe avec B[randler], ce ne
serait pas moi qui le regretterais, mais il me parait bien peu probable que
pareil accord puisse fare conclu. Un accord clans les conditions prevucs
par Urb[ahns] non s~ulement n'augmenterait pas nos forces, mais nous en
6terait.
Nous vous avons envoye une collection de Prometeo, l' organe de la
gauche italienne. II s'agit de tres hons camarades, de revolutionnaires
honnetes et devoues, mais ils sont contagies (sic) des cotes negatifs - que
vous connaissez bien - de l'ideologie bordiguienne28. Et je mets un
point a cette rapide revue, car le temps [me] manque si je veux profiter de
!'occasion qui m'cst offerte de YOUS ecrire29.
Quelques mots seulement sur moi. II ya deja a peu pres six mois que
j'ai demande qu'on me laisse sortir. Pas de reponse jusqu'a present. On
ne me repond pas par la negative, mais on me dit qu'on n'a pas encore
pris de decision definitive30. Dans l'entretemps, je gagne ma vie en faisant
des traductions espagnoles pour les editions du Comintern. Cela suffit
pour moi et ma famille31. De same, je ne suis pas assez bien, car, outre
mes anciennes maladies, j'ai encore acquis cette maladie des reins qui me
fai t pas mal souffrir.

26. Nin exprime !'opinion deja exprimee sur ce point par Solntsev dans sa lettre du 8
novembre precedent, envoyee de Berlin (Cahiers Leon Trotsky n° 7/8, pp. 43-54.
27. Hugo Urbahns (1890-1946), ancien leader de la gauche du P.C. allemand avec Ruth
Fischer et Maslow, avait maintenu le Leninbund quand ces derniers l'avaient abandonne en
1928 pour tenter de suivre Zinoviev clans la voie de la « reintegration par la capitulation». II
etait en contact avec Solntsev, avec !'Opposition russe a laquelle il servait de boite aux
lettres, avec le groupe Cantre le Courant et avec le dirigeant americain Cannon qui lui avait
rendu visite apres le 6e congres de l'I.C.
28. La revue Prometeo paraissait a Bruxelles sous !'impulsion d'Ottorino Perrone et
exprimait les idees de la Fraction de gauche italienne dont le porte-drapeau erait Bordiga (on
dit generalement « bordiguiste » plutot que « bordiguien »).
29. La lettre ci-dessus n'a de toute evidence pas ete confiee a la poste mais a quelque
voyageur, probablement le second fils de Trotsky qui est venu sejourner aupres de ses
parents a cette epoque.
30. En fait Nin devra attendre encore presque deux ans, non d'ailleurs pour trre
autorise a sortir, mais pour etre expulse.
31. Au debut de son sejour, Nin s'erait marie a une jeune femme russe, Olga, et ils 32. Ce n'est finalement qu'en juin 1929, a Prinkipo, que Trotsky redigera la preface au
avaient deux fillettes, Ira et Nora. livre en question, Mis Peripecias en Espana.
Pelai Pages

Le mouvement trotskyste
pendant la guerre civile d'Espagne : -

Introduction
Les positions que Trotsky adopta au sujet de la guerre civile d'Espa-
gne sont maintenant bien connues. Depuis quelques annees nous dispo-
sons d'un ouvrage exhaustif qui contient la quasi-totalite des articles que
le revolutionnaire russe a ecrit de son exil en Norvege et au Mexique 1 .
L'on a egalement amplement diffuse et traduit en diverses langues, bro-
chures, bulletins et livres emanant de militants trotskystes important qui,
pour certains d' entre eux, prirent part a la guerre d'Espagne: les ceuvres
de Munis, Casanova et Morrow sont peut-etre les plus connues2. Dans
une perspective historiographique, le travail de Pierre Broue, ses annota-
tions aux articles de Trotsky, le travail permanent qu'il realise depuis de
nombreuses annees autour du personnage de Trotsky et de la revolution
espagnole ont eu comme resultat la publication de nombreux essais clans
lequel l'historien fran~ais a repris a son compte - mais cependant avec
une certaine distanciation critique - les positions de Trotsky lui-meme3.

':- Communication presentee au Colloque international sur la guerre civile d'Espagne,


Barcelone, avril 1979. Traduit du catalan par Genevieve Dreyfus-Armand et Michel Drey-
fus.
1. II s'agit de: Leon Trotsky: La Revolution espagnole, 1930-1940. Textes recueillis,
presentes et annotes par Pierre Broue. Editions de Minuit, Paris, 1975. Une part importante
de la documentation necessaire a ce travail vient des articles de Trotsky, des annotations
faites par Pierre Broue ou des documents annexes.
2. Munis Jalones de derrota: promesa de victoria (Espana, 1930-1939), Ed. Lucha
Obrera, Mexico, 1948. Casanova:La guerra de Espana. El Frente Popular abrio las puertas
a Franco, Ed. Fontamara, Barcelona, 1970. Felix Morrow: Revolution et contre-revolution
en Espagne (1936-1939), Ed. La Breche, 1978.
· 3. La bibliographie des travaux de Broue sur cette question est nombreuse. En plus du
livre fait en collaboration avec Temime, La Revolution et la guerre d'Espagne, Ed. de
Minuit, Paris, 1961, et de la publication des ecrits de Trotsky deja mentionnee, il faut
signaler Trotsky y la guerra civil espaizola, Ed. Jorge Alvarez, Buenos-Aires 1966 et La re-
48 CAHIERS LEON TROTSKY 10 LE MOUVEMENT TROTSKYSTE PENDANT LA GUERRE D'ESPAGNE 49

L'interpretation trotskyste de la guerre d'Espagne est done suffisamment Trotsky tenta un rapprochement avec le P.O.U.M., rapprochement dont il
connue et - si nous exceptons le travail de Broue - se range le plus ne fut plus question de fa\:on definitive au mois de fevrier 1937, apres que
souvent clans le domaine d'analyse de la science politique que clans celui Nin eut participe. au Conseil de la Generalite5. Ces etapes chronologiques
de l'histoire proprement dite. de !'attitude de Trotsky existerent effectivement et coinciderent sans
Certes, en dehors de toute passion - difficile a eviter pour qui doute avec une tentative de recuperation politique. Mais il n'en est pas
affronte l'etude de la guerre civile - les ecrits de Trotsky sur l'Espagne mains certain que, de la part de Nin et de la Gauche communiste
appartiennent a ce que l'on pourrait intituler la strategie de la revolution, espagnole, la rupture politique et organisationnelle avec Tr~tsky s'erait
d'une revolution qui, clans le cas de l'Espagne, s'est effectivement produite produite durant le processus de formation du P.O.U.M .. II faut se souvenir
et que Trotsky observe attentivement mais de loin et disseque clans routes que ce fut en juillet 1935 que le Comite national de la Gauche commu-
ses composantes en tra\:ant !'evolution que le processus revolutionnaire niste espagnole, ecrivit une lettre au Secretariat international clans laquelle
espagnol devrait suivre pour triompher. Mais la revolution espagnole il lui annon\:ait qu'il ne lui enverrait plus d'informations parce que, « erant
echappe a !'influence de la pensee de Trotsky, sa dynamique propre ne donne votre incomprehension fondamentale des affaires espagnoles nous
coincide pas avec le modele strategique que le revolutionnaire a prevu et la ne croyons pas que celles-ci (les informations) puissent vous erre utiles )) 6 .
revolution qui avait commen\:e sous le signe de profondes transformations En definitive, en dehors de tout volontarisme et de tout subjecti-
et d'une grande impulsion est en train d'echouer. Trotsky, avec l'habituelle visme, le fait est que, depuis septembre 1935, le trotskysme international
intransigeance qui caracterise ses ecrits politiques, cherchera l'echec de la ne disposait plus dans l' etat espagnol d' organisation specifique; cette
revolution espagnole dans la faillite des facteurs subjectifs: l'activite contre- lacune representait un echec important clans le projet politique internatio-
revolutionnaire des staliniens espagnols, la politique que mene le P.O.U.M. nal de Trotsky. Trotsky ne reconnut pas cependant a ce moment-la
- dont il accuse les dirigeants d'avoir trahi la revolution - et surtout l'echec de sa politique vis-a-vis de l'Espagne. Le revolutionnaire russe,
l'inexistence d'un parti revolutionnaire, d'un parti qui aurait suivi ses orgueilleux de ses directives, convaincu qu'il disposait des elements
directives et aurait ete partie integrante du centre international pour la scientifico-strategiques necessaires pour faire triompher la revolution pro-
creation de la Ive Internationale. Le P.0.U.M. aurait pu etre ce parti mais le letarienne clans l'Etat espagnol, observait, impuissant, comment sa politi-
centrisme de ses dirigeants, son dilettantisme politique, son incomprehen- que n'avait pu se concretiser sur le plan organisationnel. En l'absence
sion du caractere du stalinisme et de la nature internationale de la revolu- d'une organisation politique propre, il essaya d'influer sur le P.O.U.M. par
tion l'eloignerent progressivement de la IVe Internationale. C'est ainsi que le biais du minuscule noyau des bolcheviks-leninistes espagnols qui
le P.O.U.M., selon les analyses de Trotsky, est l'un des plus importants avaient maintenu leur orthodoxie et leur fidelite au trotskysme, un petit
responsables de la defaite du proletariat espagnol durant la guerre civile, noyau qui se vit renf~rce par l'arrivee d'aides et de militants internatio-
l'un des elements contre lequel il concentre ses attaques et ses critiques. naux au debut de la guerre d'Espagne.
En fait, cette intransigeance de Trotsky envers le P.O.U.M. s'explique L'impossibilite, clans les mois qui suivent, d'influencer le P.O.U.M.
en grande partie par une importante frustration politique: la rupture des motivera l'hostilite manifeste de Trotsky contre ce parti. A partir du mois
relations entre Trotsky et Nin et !'unification de la Gauche communiste de fevrier 1937, le P.O.U.M. se verra assailli par les critiques de Trotsky,
avec le Bloc ouvrier et paysan qui s'ensuivit, avaient laissc l'Opposition quelles que soient ses activites - et meme avant cette date. Cette activite
communiste internationale sans organisation politique en Espagne. Broue sera l' objet de dures polemiques et Nin et Andrade - ses anciens camara-
a recemment releve que Trotsky et le Secretariat de la !Ve Internationale des consideres maintenant comme irrecuperables par Trotsky - seront
n'avaient pas rompu avec Nin parce que celui-ci etait entre au P.O.U.M. en les principaux responsables de cette « politique de trahison )) realisee par le
septembre 1935 mais que la rupture se produisit en janvier 1936 quand la P.O.U.M. C'est ainsi que la frustration, l'echec politique, l'impuissance
P.O.U.M. signa le programme electoral du Front populaire4. Broue signale organisationnelle de Trotsky et du trotskysme comme projet politique en
egalement qu'au mois d'aout 1936 - la guerre etait deja commencee - Espagne, se justifierent historiquement a travers les erreurs des autres.
5. Ibid.
voluci6n espanola (1931-1939), Ed. Peninsula, Barcelona, 1977. Actuellcmcnt il dirige la 6. Cf. Le Comite national de la Gauche communiste au Secretariat international,
publication des CF,uvres de Trotsky publiees par l'Institut Leon Trotsky et E.I>.1. a Paris. 12 Barcelone, 21 juillet 1935 et Trotsky: La Revolution espagnole (1930-1940). Pour une etude
volumes sont deja parus actuellement. des divergences entre Trotsky et la direction internationale avec Nin et la Gauche commu-
4. Pierre Broue: «La fondation de la IVe Internationale» (interview), Critique commu- niste nous renvoyons a notre livre El movimiento trotskista en Espana (1930-1935), Ed.
niste, Paris n° 25, 4e trimestre 1978, pp. 85-101. Peninsula , Barcelona, 1977, particulierement pp.129-158 et 273-287.
50 CAHIERS LEON TROTSKY 10 LE MOUVEMENT TROTSKYSTE PENDANT LA GUERRE D'ESPAGNE 51

Mais les positions soutenues par Trotsky en ce qui concerne le par les representants trotskystes mais encore, au premier meeting qu'il
P.O.U.M. ne vont pas etre suivies unanimement par tout le mouvement tint apres le debut de la revolution, a Barcelone, le jour meme de l'arrivee
trotskyste et ses critiques - souvent qualifiees de sectaires - vont etre a de la delegation trotskyste, il lut un salut de «I' organisation mondiale
l' origine d'une vaste polemique internationale clans laquelle d'importantes pour la !Ve Internationale et en particulier du Parti ouvrier intematona-
personnalites du mouvement ouvrier europeen, proches du mouvement liste et des Jeunesses socialistes revolutionnaires (section fran~aise) » 9. 11
trotskyste, d'importants dirigeants du trotskysme en Europe ou des mili- semble aussi qu'on arriva a un accord pour publier clans La Batalla des
ta~ts inte:nationaux qui avaient travaille avec le P.O.U.M. durant les pre- articles de Trotsky 10. La premiere analyse que Trotsky allait ecrire sur la
miers m01s de la guerre eurent non seulement des divergences avec Trot- guerre civile fut publiee, certainement clans La Batalla de Barcelone,
sky, mais, de plus soutinrent inconditionnellement le P.O.U.M. et sa P. 0. U.M. de Madrid et largement commentee dans Combat de Lleida 11. A
politique: l'ecrivain russo-frarn;ais Victor Serge, le Hollandais Sneevliet, le Madrid, Moulin, Paul et Clara Thalman travaillaient en erroite liaison
Belge Vereeken et l'Italien Fosco sont quelques exemples assez significatifs. avec le P.O.U.M., a la radio de ce parti 12.
De nombreux volontaires internationaux eraient egalement arrives
pour s'enr6ler dans les milices du P.O.U.M. Au debut du mois d'aout, un
Les militants trotskystes pendant la guerre d'Espagne groupe de militants trotskystes se rendit sur le front d' Aragon; incorpo-
res clans la ire colonne du P.O.U.M. dirigee par Grossi, du front, ils
Au debut de la guerre civile espagnole, il n'existait plus aucut'l groupe affirmerent que « les colonnes du P.O.U.M. sont les plus disciplinees et
trotskyste organise. Les quelques militants qui, en 1935, avaient suivi les formees de hons militants animes d'un esprit vraiment
consignes de Trotsky et etaient entres clans le P.S.O.E. n'avaient pas reussi a revolutionnaire » 13. Quelques jours apres, le P.O.U.M. organisa la Co-
s'implanter parmi les bases socialistes radicalisees. De plus, Munis, le lonne internationale Lenine formee de 50 hommes (21 ltaliens, 17 Fran-
trotskyste hispano-mexicain · qui avait milite auparavant au sein de la ~ais - parmi eux 7 Algeriens - 3 Beiges, 1 Portugais, 1 Suisse, 2
Gauche communiste etait parti au Mexique en 1935 et ne revint en Espagne Allemands, 1 Tcheque, 1 Roumain et 2 Espagnols). Le bordiguiste italien
que quelques semaines apres le debut de la guerre civile. Russo la commandait et le capitaine de la caseme Lenine, Sebastian, le
Le declenchement de la rebellion militaire et de la revolution allait secretaire politique de la caseme, Mongol, et le secretaire general des
cependant changer ce tableau et pousser les trotskystes a une restructura- refugies anti-fascistes l'Italien Fosco 14, la presidaient. S'il faut en croire la
tion organique qui leur permette d'intervenir politiquement, tam clans la note d'information elaboree par les militants du P.O.I., vingt trois de ces
guerre que clans les affaires politiques de l'arriere. En cette occasion, le militants internationaux eraient bolcheviks-leninistes 15 et la majorite
parti choisi par les trotskystes pour realiser son intervention fut, comme il d'entre eux etaient italiens 16.
a ere dit, le P.O.U.M., surtout a Barcelone. Le 5 aout 1936, quelques jours Les relations internationales du P.O.U.M. ne furent cependant pas
apres la conference pour la IVe Internationale qui s' etait tenue a Paris du 29 limitees au groupe trotskyste ou bolchevik-leniniste. Le P.O.U.M. ne re-
au 31 juillet, arriva a Barcelone une delegation du Secretariat international
et du parti ouvrier intemationaliste fram;ais (P.O.I.) dirige par Jean Rous. Sa 9. La Batalla, n° 4, 6 aout 1936.
mission etait de prendre contact avec le P.O.U.M., d'offrir toute l'aide 10. Selon Broue dans la presentation mentionnee note 7.
internationale possible; son but erait de constituer un groupe bolchevik- . 11. La Batalla, n° 22, 27 aout 1936; P.0.U.M., n° 3, 3 septembre 1936 et Combat, n°
leniniste 7. Approximativement ala meme date, venant de Suisse, arriverent 28, 27 aout 1936.
12. Selon Broue dans la presentation memionnee note 7.
aMadrid Moulin, qui s'en alla plus tard aBarcelone, ainsi que Paul et Clara 13. La lettre, datee du 4 aout 1936, envoyee du Front d'Aragon et signee par Pino,
Thalman; peu de temps apres arriva a Barcelone l'italien Adolfo Carlini 8. Robert, Milano, Serivat, Milico, Lionello et Guido fut publiee dans La Lutte ouvriere
Tous venaient en Espagne en qualite d'aides politiques, organisateurs et (Paris), n° 8, 15 aout 1936 et reproduite dans La Batalla, n° 14, 18 aout 1936 sous le titre
collaborateurs du B.O.U.M .. significatif suivant: « Les bolcheviks-leninistes, sur le chemin de Saragosse se dirigem vers le
parti ».
Les rapports entre les representants intemationaux et le P.0.U.M. 14. La colonne allait are au front le 29 aout 1936 et se manifesta dans le secteur de
furent d'abord cordiaux. Non seulement le P.O.U.M. accepta l'aide promise Ballestar. Cf. l'information donnee dans La Batalla, n° 25, 30 aout 1936 et n° 39, 16
septembre 1936.
7. Presentation de Broue au chapitre: «Trotsky et la guerre civile en Espagne » et 15. «Les evenements d'Espagne et I'organisation» et Trotsky: La Revolution espagnole
Trotsky: La Revolution espagnole (1930-1940), pp. 309-332. (1930-1940), pp. 622-623.
8. Ibid. Cf. note 15, p. 72 (N.D.L.R.). 16. La Lutte ouvriere (Paris), n° 8, 15 aout 1936.
r
52 CAHIERS LEON TROTSKY 10 LE MOUVEMENT TROTSKYSTE PENDANT LA GUERRE D'ESPAGNE 53

fusa aucune aide internationale et, s'il privilegia ses contacts avec les politiques dissidentes de la gauche reformiste et stalinienne qui existaient
organisations qui formaient le Bureau international d'unite socialiste revo- en Europe; d'ailleurs dans leur presse apparurent des notes necrologiques
lutionnaire, le Bureau de Londres - auquel appartenait le P.O.U.M. - et des combattants morts au front qui montraient bien la variete de leurs
de nombreux militants de !'Independent Labour Party anglais et du origines politiques22.
Sozialistische Arbeiterpartei (S.A.P.) allemand qui s'integrerent ases mili- L'afflux d'etrangers a Barcelone crea cependant une serie de proble-
ces, il accepta et maintint des relations cordiales avec l'aile gauche du parti mes organisationnels que la direction du P.O.U.M. ne put totalement
socialiste franc;ais dirigee par Marceau Pivert et meme l'Union internatio- regler: logement, nourriture, aide economique. Pour mener a bien cette
nale d'opposition communiste (I.V.K.O.) dirigee par l'Allemand Heinrich tiche, le Comite executif du P.O.U.M. nomma l'Italien Fosco secretaire
Brandler qui regroupait les communistes de droite. Peu de semaines apres general des refugies antifascistes. Fosco, pseudonyme de Nicola di Barto-
le debut de la guerre civile, Brandler envoya une lettre au P.O.U.M. clans lomeo, avait ete membre du Parti communiste d'ltalie des 1921; il avait
laquelle il ecrivait: « Votre parti exerce le role d'un parti communiste car vecu de nombreuses difficultes en Italie fasciste et fut expulse du Parti
il donne aux masses combattantes de justes consignes et les porte a leur communiste franc;ais en 1928, durant son exil en France; il se rangea
comprehension» 17. Aussi bien Marceau Pivert que les dirigeants de ensuite clans !'opposition trotskyste. En 1936, avant le debut de la guerre,
l'I.L.P., MacNair et Fenner Brockway apparaissent souvent dans les pages il arriva a Barcelone OU il fut arrete le 5 mai. Une campagne menee par la
de La Batalla 18. Des membres eminents du groupe franc;ais de gauche C.N.T. et le P.O.U.M. - Maurin en tant que depute fit une interpellation
non trotskyste, Que faire?, ainsi que l'Autrichien Kurt Landau et l' Ar- aux Cortes - lui ·rendit la liberte, sans pour autant qu'il fut expulse
gentin Hippolito Etchebehere collaborerent etroitement avec le P.O.U.M .. d'Espagne. Le 19 juillet il participa aux combats de Barcelone aux cotes
Au sein meme du camp trotskyste et en marge de la discipline des militants du P.O.U.M. et resta clans cette organisation a partir de cette
organisationnelle internationale, le Parti socialiste revolutionnaire hollan- date23. Andrade a ecrit que la nomination de Fosco repondait a deux
dais (R.S.A.P.) affirma publiquement sa solidarite avec le P.O.U.M. en le raisons principales : « 11 etait le premier qui, des le debut, s' etait mis a la
considerant comme « l'avant-garde de la 1ve Internationale» et comme disposition du P.O.U.M.; il etait connu des camarades, bien avant d'appar-
l' organisation qui « nous a menes le plus pres de sa realisation » 19. Snee- tenir au mouvement; de plus, compte tenu de sa large experience d'emi-
vliet, le president de ce parti parla a Radio-P.O.U.M. de Barcelone le 14 gre politique a Paris, il connaissait tres bien tous les groupes et sous-
octobre 193620 et, deux jours apres publia un article dans La Batalla sur groupes oppositionnels existants et pouvait decider en meilleure connais-
le role international de la guerre d'Espagne et en defense de la revolution sance de cause »24.
socialiste21. II faut signaler ici que les relations entre le P.O.U.M. et le La tache de Fosco ne fut en rien facile et tres souvent surgirent des
R.S.A.P. ne cesserent d'etre extremement cordiales durant toute la guerre problemes, non seulement d'ordre pratique mais surtout d'ordre politi-
et que le parti hollandais et ce meme Sneevliet se distinguerent par leur que, principalement avec les bolcheviks-leninistes et les representants du
defense du P.O.U.M. quand commencerent les attaques de Trotsky et du SJ. de la IVe Internationale. En fait, Fosco etait en relations, au sein du
Secretariat international de la Ive contre ce parti. mouv~ment trotskyste international, avec le groupe dissident que Ray-
Ainsi, la politique internationale du P.O.U.M. durant la guerre ne mond Molinier et Pierre Frank avaient cree a Paris, le parti communiste
partit jamais de principes ideologiques orthodoxes, dogmatiques, et sa internationaliste qui s'opposait au parti ouvrier internationaliste et au
politique d'alliance s'adressa a tous les groupes, partis, organisations secretariat international. 11 est probable que Fosco voulait representer la
disposes aoffrir l'aide indispensable pour faire face aux necessites militai- IVe Internationale aupres du P.O.U.M. 25 en face de la representation
res, organisationnelles et politiques que la nouvelle situation avait creee; officielle que dirigeait Jean Rous. Les taches de Fosco au sein du
ceci, des bordiguistes italiens jusqu'aux trotskystes franc;ais qui s'enrole- P.O.U.M., les differentes positions et les methodes de travail qu'il defendit
rent dans les rangs du P.O.U.M., en passant par toutes les positions face a Rous furent une source permanente de problemes qui, evidemment,

17. La Batalla, n° 8, 11 am1t 1936. 22. Cf. entre autres La Batalla, n° 82, 5 novembre 1936; n° 141, 13 janvier 1937: n°
18. Cf. entre autres La Batalla, n° 20, 25 aout 1936. 196, 20 mars 1937.
19. La Batalla, n° 51, 30 septembre 1936. 23. Cf. l'autobiographie publiee par Fosco clans son rapport « Renseignements sur
20. La Batalla, n° 63, 14 octobre 1936. l'activite des b.l. en Espagne et leurs enseignements ,., in Bulletin interieur d'informations, n°
21. Cf. Sneevliet : « La valeur de la lutte menee par la classe ouvriere espagnole. 2, 15 octobre 1938 publie par le Parti communiste internationaliste fran~ais.
Democratie reactionnaire et fascisme mena~ant en Hollande. Vers une Revolution socialis- 24. Lettre de Andrade a Pelai Pages, Paris, novembre 1973.
te ,., La Batalla, n° 65, 16 octobre 1936. 25. Ibid.
54 CAHIERS LEON TROTSKY 10 LE MOUVEMENT TROTSKYSTE PENDANT LA GUERRE D'ESPAGNE 55

affecterent gravement ce meme P.O.U.M. et les relations de ce parti avec le A la mi-septembre encore, l'accusation de « centrisme » du P.O.U.M.
trotskysme international 26. s'accompagnait de la confiance en l'influence des tr~tskyst~s ?a~s ses
rangs31. De son cote, le premier rapport que Moulm alla1t ecn:~ de
Les premieres dissidences entre le P.O.U.M. et les trotskystes Madrid, le 24 aout 1936, faait rempli de critiques portant sur la pohuqu.e
menee par le P.O.U.M., le fait qu'il ait accepte de sieger au Conse~l
Les relations entre le P.O.U.M. et les bolcheviks-leninistes furent economique de Catalogne, ses liaisons avec le ~ureau de Londres, le fait
d'abord cordiales. Trotsky avait ecrit une lettre - qui ne parvint pas a qu'il ait laisse parler Marceau Pivert a ~? meet~ng, etc. ~ 2
destination - a Rous, dans laquelle il affirmait que, vis-a-vis de Nin, Les trotskystes tenterent done des mtrodmre au sem du P.O.U.M. et
Andrade et les autres « il serait criminel de se laisser guider, maintenant, de pousser a la transformation de ce parti dans le sens voulu par les
clans la grande bataille, par des reminiscences de la periode precedente »27. directives de la rve lnternationale33. C'est cette tache que s'efforcerent de
Maisil ne se passa que peu de temps avant que les conflits ne commencent. remplir les dirigeants internationaux. Fosco, d'apre~ Je rapport qu'il pu-
Ii:nmediatement apres l'arrivee de la delegation internationale a Bar- blia en 193834, decrit ses tentatives pour creer, en ha1son avec Rous, une
celone fut entreprise la reorganisation des trotskystes espagnols et des le fraction bolchevik-leniriiste au sein du P.O.U.M., une fraction a laquelle
debut du mois d'aout un groupe bolchevik-lenihiste faait constitue28. La auraient appartenu d' anciens membres de la Gauche ~omm_uniste comme
collaboration que ce groupe etait pret a offrir au P.O.U.M. s'accompagnait Nin, Andrade et Molins i Fabrega. 11 n'est pas besom d'a1outer qu~ ces
cependant d'un interet tout special: influencer autant que possible la tentatives echouerent lamentablement, non seulement a cause des diver-
politique du P.O.U.M. pour essayer de transformer ce dernier en parti gences qui, rapidement, surgirent entre Rous et Fos~o .. Avant que. ceux-ci
revolutionnaire. A la fin du mois de juillet 1936, La Lutte ouvriere, le ne rompent leurs relations et commencent leurs .pole~19ues, ~ohns, lo~s
journal du parti ouvrier internationaliste fran\:ais publia un article dans d'une reunion avec les trotskystes refusa toute propos1tlon qui engagera1t
lequel, apres avoir critique le P.O.U.M. pour avoir signe le programme du Nin Andrade OU lui-meme a former une fraction contre ceux que Fosco
Front populaire et ne pas avoir propose de consignes revolutionnaires dec;it dans son rapport comme la «fraction centre-droite du P.O.U.M.,
durant les premiers mois de la revolution, il lan\:ait un appel a « forger en Gorkin, Bonet, Arquer, Rovira, etc. » 35. .
Espagne le parti bolchevique qui sera guide de !'admirable heroisme du Les raisons de ce refus etaient claires: «Nous nous rendimes rap1de-
proletariat espagnol et qui saura le conduire a la victoire definitive29 ». ment compte - a ecrit Andrade - de sa finalite et de ses ob~ectifs et nous
Quinze jours plus tard, le meme journal publiait un article dans lequel il nous distancions totalement d' eux et de leur menees fract10nnelles que
affirmait qu'il fallait donner au proletariat espagnol la perspective de la nous condamnions categoriquement. Notre fidelite au parti et a sa disci-
revolution en Espagne, en France, en Belgique, etc. et que seul le parti de pline eraient absolus - meme s~ no~s p_ouvions pa:f?is defend:e des
la Ive Internationale pouvait le faire. Les considerations relatives au positions differentes de celles qm prevala1ent - positions adoptees de
P.O.U.M. ne pouvaient etre plus concluantes: « Malheureusement, a cause fa\:on tout a fait democratiques » 36. . . .
de ses dirigeants, le P.O.U.M. ne se degage pas encore de ses tares nationa- Le role de Fosco clans ces remous fracuonnels ne fut pomt clair du
listes petites-bourgeoises et ne se situe pas d'une maniere nette et irreduc- tout. Dans son rapport, il affirme qu'a pa~ir des responsabilites qu'~l
tible sur le terrain de la nouvelle Internationale, la Quatrieme. L'entete- avait au sein du P.O.U.M., il avait mene a bien des le debut un travail
ment bureaucratique de quelques dirigeants centristes peut ainsi devenir fractionnel; ce travail avait donne de hons resultats jusqu'a l'arrivee de la
nuisible a l' egard de la revolution espagnole, parfaitement possible si se
31. «Les partis ouvriers en Catalogne. La position du P.0.U.M. >>,La Lutte ouvriere
forge un vrai parti bolchevik » 30.
(Paris), n° 12, 19 septembre 1936. . ,, ., .
32. Les deux lettres de Moulin, envoyees de Madnd, ont ete pubhees m Trotsky, La
26. Les divergences entre Posco et Rous reposaient essentiellement sur la nature du Revolution espagnole (1930-1940), pp. 615-621. . ..
travail arealiser au sein du P.0 .U .M. Le rapport redige par Fosco en octobre 1938 et cite note 33. Cf. le programme des trotskystes public sous le titre «Pour une polmque
23 est particulierement interessant sur cette question. bolchevik-leniniste en Espagne », dans La Lutte ouvriere (~aris), n° 14, 10 .octobre 1936. 11
27. Cf. Trotsky: La Revolution espagnole (1930-1940), pp. 348-352. La lettre etait s'agit d'extraits d'une etude sur la situation espagnole reahsee par le Service de presse du
signee du 16 aout 1936. Secretariat international.
28. «Les evenements d'Espagne et I'organisation» et Trotsky, op. cit., pp. 622-623. 34. Cf. notes 23 et 26.
29. Cf.« Le P.O.U.M. dans le combat», La Lutte ouvriere (Paris), n° 6, 31juillet1936. 35. Cf. Posco: « Renseignements sur l'activite des b.l. en Espagne et leurs enseigne-
30. «La Lutte ouvriere a Barcelone. Le pouvoir ouvrier s'etablit », La Lutte ouvriere ments », op. cit.. .
(Paris), n° 8, 15 aout 1936. 36. Lettre de Juan Andrade a Pelai Pages, Paris, novembre 1973.
56 CAHIERS LEON TROTSKY 10 LE MOUVEMENT TROTSKYSTE PENDANT LA GUERRE D'ESPAGNE 57

delegation officielle de la IVe Internationale et des pratiques sectaires de local du P.O.U.M. a cause du travail fractionnel qu'ils etaient en train de
cette derniere vis-a-vis du P.O.U.M. Quand, apres le refus des dirigeants realiser, et a partir de cette date, Barcelone fut sa~s dire~tion pol~ti9ue
de l'ancienne Gauche communiste, Rous commern;a sa campagne contre internationale. Apres la dissolution de la Colonne mternat10nale Lemne,
Fosco, ce dernier se trouva dans une situation extremement delicate au lorsque commem;a le processus de militarisation des milices en Catalogne,
sein du P.O.U.M., et selon ce qu'il affirme, refusa une invitation de Nin, les relations empirerent encore et de nombreux combattants trotskystes
Andrade - et meme de Gorkin - d'entrer au P.0.U.M.: abandonnerent le front et les milices du P.O.U.M. 41. Le 30 octobre le groupe
bolchevik-Ieniniste de Barcelone sollicita formellement son entree au
« J'aurais pu entrer clans le P.0.U.M. avec une perspective politique b.l. en
P.O.U.M. - entree que Nin conditionna a une entree i~div.iduelle et non.en
meme temps qu'une fraction intemationale de la IVe Internationale mais jamais
tant que groupe ainsi qu'a un abandon de_ l'orgam~auon « bolchevik-
personnellement; mais que je ne suivrai pas le SJ. parce qu'il avait de fausses
positions sur une serie de problemes de la revolution et que le P.O.U.M. ne leniniste », l'appartenance au P.O.U.M. etant mcompa~1ble :-v_e~ une au~~e
pouvait, sans une fraction bolchevik-leniniste, que jouer un role opportuniste et organisation. Nin demanda egalement aux bo~cheviks~lenu.u~tes qu ils
contre-revolutionnaire » 37. fassent une declaration publique par laquelle ils se d1ssoc1aient de la
campagne de calomnies et de diffamation 9u'avait ~om1?~1:1\:e~ _la IVe
Cependant Andrade s'interroge au sujet de quelques affirmations du Internationale et qu'ils renoncent a tout travail de fraction a 1mteneur du
rapport de Fosco et principalement en ce qui concerne les « taches frac- parti 42. Ces conditions ne furent evidemment pas acceptees par les trotskys-
tionnelles » dont il parle si souvent dans son rapport. « J'ai !'impression tes espagnols. .
a-t-il ecrit, que du moins, au debut, il a eu une attitude relativement Quand fut connue la reponse de Nin - le 13 novembre - une sene de
legale envers notre parti. Le fait de connaitre assez bien la situation faits qui marquerent le debut des critiques des trotskystes contre le P.O.U.M.
espagnole y contribuait, ce qui lui permettait de mieux comprendre la s'etait produite: son entree au Conseil de la ~eneralit.e (septembre) e~ la
politique suivie par le P.O.U.M. »38. Le fait que, dans son rapport redige a tenue en Octobre, a Bruxelles, d'une conference mternat10nale des organisa-
Paris a la fin de 1938, Fosco surestime ses taches fractionnelles est tions qui constituaient le Bureau de Londres. Le P.O.U.M. fut represente a
peut-etre du, selon Andrade, a sa volonte de se reconcilier avec le SJ. et cette conference par Gorkin 43. Ce fut lors d'une reunion du Comite central
avec Trotsky lui-meme.
du parti socialiste revolutionnaire belge, le 29 novembre 1936, que l' ~lle­
Mais, de ·toutes fac;ons, les relations amicales entre les trotskystes et mand Erwin Wolf-qui avait ete secretaire de Trotsky en Norvege et qui ~ut
le P.O.U.M. commencerent a se deteriorer a la fin du mois d'aout et au envoye en Espagne a la fin de mai 1937 comme representant du Secrt!tanat
debut de septembre 1936. La suppression des critiques faites par Trotsky international de la Ive Internationale et assassine par leG.P.U. 44-attaquala
a Pivert dans un article que publia La Batalla, le refus du P.O.U.M. a ce politique du P.O.U.M. et affirma la necessite de denonc~r o_uvertement et
que fut deploye un drapeau de la IVe Internationale a l'enterrement d'un publiquement ses dirigeants45. Peu de temps apres, en Janvier 1937, cette
militant international mort au front furent des symboles explicites de cette position apparut officiellement clans les re~olu~ions prises par la Conferenc~
nouvelle situation 39. Comme le fut la lettre que Trotsky ecrivit au secrt~­ tenue a Amsterdam par le bureau elargi du Centre pour la IV
tariat international, lettre qui fut publiee clans La Lutte ouvriere franc;aise lnternationale46. Auparavant s'etait tenue la conference nationale du P.O.I.
dans laquelle il critiquait ouvertement Nin, parlant du «crime» qu'il avait franc;ais alaquelle participerent Rous et Moulin qui ~~nai~nt d'Espagne? a
commis en signant le programme du Front populaire40. Au debut du cette reunion, furent maintes fois employees les qualifications .de « centns-
mois de septembre, les delegues du P.O.l. et du s.1. furent expulses du tes »et de« traitres »vis-a-vis duP.O.U.M. 47. Et aumois defevner, Trotsky,
37. Cf. Fosco « Renseignements ... » op. cit.
38. Lettre de Juan Andrade a Pelai Pages, Paris, novembre 1973. 41. Cf. la lettre de Andrade a Pages, Paris, novembre 1973.
39. Effectivement, il semble que clans la version que publia la Batalla, le 27 aout, du 42. Cf. la Lettre aux b.l. de Barcelone et Trotsky, La Revolution espagnole (1930-1940),
premier article de Trotsky, les critiques concemant Piven furent supprirnees. Cf. les p. 726. . , .
remarques faites par Broue in Trotsky: La Revolution espagnole (1930-1940), pp. 344-345. 43. L'on peut consulter les resolutions du congres de Bruxelles m La Revolution
Sur la mon et l'enterrement du militant trotskyste fran~ais Robert de Fauconnet, cf. La espagnole, n° 10, 18 novembre 1936.
Lutte ouvriere (Paris), n° 12, 19 septembre 1936 et la reference de Broue in Trotsky, op. cit. 44. Ence qui conceme la biographie d'Erwin Wolf, cf.« Quelques proches collaborateurs
p. 315. - de Trotsky», Cahiers Leon Trotsky (Paris), n° 1, janvier 1979, pp. 61-85.
40. 11 s'agit de la lettre ecrite le 27 juillet 1936 qui fut publice dans I.a l.utte ouvriere 45. Cf. Trotsky: La Revolution espagnole (1930-1940), pp. 659-660.
(Paris), n° 8, 15 aout 1936. L'on peut consulter egalement Trotsky: La Revolution espagnole 46. Idem, pp. 661-674.
(1930-1940), pp. 335-338. 47. La Lutte ouvriere (Paris), n° 28, 8 janvier 1937.
58 CAHIERS LEON TROTSKY 10 LE MOUVEMENT TROTSKYSTE PENDANT LA GUERRE D'ESPAGNE 59
pou: la premiere fois, fit une declaration, de Mexico, clans laquelle il criti-
critiquerent la politique suivie par Trotsky et le secretariat international
qua1t ouvertement leP.O.U.M. pour etre entre au Conseil de la Generalite48.
envers le P.O.U.M. mais encore ils montrerent leur solidarite totale avec les
directives suivies par ce parti. De son cote, Serge releva l'erreur commise
L'evolution des divergences entre le P.O.U.M. et les par Trotsky de vouloir appliquer au processus revolutionnaire espagnol
trotskystes les memes schemas de realisation que ceux de la revolution russe, ce qui
ne pouvait qu' empecher totalement de comprendre la politique du
A cause du poids historique des debats il est bien difficile mais P.O.U.M. - surtout quand ce parti entra au Conseil de la Generalite.
c~pend~nt necess~ire, je le crois, de voir historiquement de fa\:on objective Serge affirmait sans reserves que le bilan de cette collaboration gouveme-
l'evoluuon des divergences qui s'eleverent a partir de ce moment entre le mentale avait ere tres positif 50.
P..o.u.~. et le~, trots~ystes. quand on parle d'une evaluation objective A partir du moment ou, du Mexique, Trotsky reprit a nouveau la
histonque de 1evolut10n des divergences, cela ne veut pas dire que l' on se polemique contre le P.O.U.M. en fevrier 1937, une situation tres contradic-
contente de rappeler les elements de la discussion ou les accusations toire marquee cependant par une deterioration progressive des relations
~utuel~es que s'~~voye~ent les uns et les autres. Les arguments de la entre ce parti et les trotskystes s'instaura. Cette declaration de Trotsky a
d~sc_u~s10n, ~~nt de1a suff1.sammen~ ~onnus et, en procedant ainsi, il serait l'agence Havas, effectivement, fut durement contestee par le P.O.U.M.
d1_ff1c1le. d ev1t~r ~es passion~ polmques. Au contraire, je crois qu'il est dans un article de La Batalla du 25 mars qui accusait Trotsky de manquer
ne~essa1:e d~ d1~tmguer les di verses phases d' evolution des divergences, de d'informations, de lancer des accusations en evidente contradiction avec la
v01r les implications qu'elles component pour les relations entre leP.O.U.M. realite et de substituer un raisonnement purement logique a !'examen des
et l~s trotskystes espag~ols et, en meme temps, d' analyser leurs consequen- faits51. C'etait, comme le signale Broue, le debut d'une polemique publi-
ces mt~rnattonales au sem du mouvement trotskyste qui se trouvait a la veille que qui ne s'arreta plus52. A partir de cette date, les critiques et les
de temr la conference de fondation de la 1ve Internationale. accusations de Trotsky furent souvent contestees clans La Batalla et la
Dans :in prem~e: temps, nous avons releve la majorite des elements qui presse du P.O.U.M. 53.
Ont marque cette penode. 11 en reste cependant unimportant: si la majorite A l'intransigeance de Trotsky envers le P.O.U.M., durant cette erape
du mouvement trotskyste avait condamne la politique duP.O.U.M., il existait qui s'acheva aux joumees de mai 1937, correspondit la politique menee
malgre tout des divergences significatives : a la conference d' Amsterdam de alors par le groupe bolchevik-leniniste espagnol. Reorganises en novem-
janv~er 1?3!, deja men~ionnee, Sneevliet duR.S.A.P. hollandais, Vereeken du bre 1936, apres le refus du P.O.U.M. de les accepter en son sein en tant que
part~ so~1ah~te revol_ut1onn~ire belge et Victor Serge, en tant que membre du fraction, les trotskystes espagnols se trouverent aux prises avec de nom-
Secretariat mternauonal firent des reserves importantes envers la ligne breuses difficultes pour developper leur influence. Leur structure organi-
officielle de!endue par Rous ~t plus tard par Trotsky. De son cote, sationnelle erait certainement des plus reduites : selon une lettre des mili-
Vereeken, b1en qu'ayant exprime ses divergences sur la question de l'entree tants fran\:ais Fournier et Loeiullet, datee de Barcelone du 9 mars 1937,
d~ ~.O.U.M. clans la Generalite et bien qu'ayant emis uncertain nombre de !'organisation reposait sur deux groupes: le premier a Barcelone, se
critiques envers ce parti, denon\:a malgre tout les « betises » commises par les composait de cinq a six militants qui faisaient un travail public .de diffu-
trotskystes a Barcelone; apropos du travail fractionnel au sein duP.O.U.M. il sion de brochures; le second, au front d' Aragon (a Quincena) erait un
propo.sa l~e?tree au sein de ce parti clans le cadre de la democratie ouvriere. 11 . I

faut dire ICI, qu'a cette reunion internationale, Vereeken se trouva d'accord 50. Les diverses interventions de Vereeken, Sneevliet et Serge ala conference d'Amster-
avec les resolutions adoptees a la quasi-unanimite a une reunion du Comite dam se trouvent in Trotsky, La Revolution espagnole (1930-1940), pp. 661-674.
central du parti socialiste revolutionnaire beige qui s'erait tenue a Bruxelles ·I 51. Cf. «A propos d'une declaration de Trotsky sur le P.0.U.M. », La Batalla, n°
200, 25 mars 1937.
les 28 et 29 novembre 1936. 49. 52. Cf. Trotsky: La Revolution espagnole (1930-1940), p. 355.
Ence qui concerne Sneevliet et le R.S.A.P. hollandais, non seulement ils 53. Panni les reponses du P.0.U.M. a Trotsky, il faut citer surtout les articles de
Spectator (Kurt Landau):« S~r la question du trotskysme »,La Batalla, n° 222, 20 avril 1937
48. Cf. Trot.sky, ~a Revolution espagnole (1930-1940), pp. 355-359. et de Gorkin: « Ni staliniens ni trotskystes », La Batalla, n° 224, 22 avril 1937 ainsi que « Le
. 49. Cf. _les.d1scuss1ons et les resolutions du Comite central du parti socialiste revolution- trotskysme et le P.O.U.M. », La Batalla, n° 226, 24 avril 1937. Nin ne repondit qu'une
naire beige ams1 qu~ «Les problemes de la revolution espagnole, le P.O.U.M., le Bureau de seule fois directement aux articles de Trotsky, apres les joumees de mai, et encore dans une
L?ndres et nous» m Bulletin interieur publie par le parti socialiste revolutionnaire, n° 1, publication etrangere: il s'agit de I' article «Le probleme des organes du pouvoir dans la
decembre 1936, pp. 5-19. Revolution espagnole », ]uillet (Barcelone-Paris), n° 1, juin 1937, pp. 18-21. L'article etait
date du 19 mai 1937 a Barcelone.
60 CAHIERS LEON TROTSKY 10 LE MOUVEMENT TROTSKYSTE PENDANT LA GUERRE D'ESPAGNE 61

groupe international. La majorite de ses membres etait entree au P.O.U.M .. II convient cependant de dire ici que, durant ces mois-la, clans la presse
E>epuis le debut de l'annee ils editaient aussi leur bulletin roneote et au trotskyste europeenne, les attaques contre le P.O.U.M. s'accompagnerent
mois d'avril apparut leur organe de presse imprime La Voz Leninist~54. parfois d'allusions asa defense dans le but de lutter contre la repression a
Que les relat!ons entre ce groupe et le P.O.U.M. aient largement empire, laquelle il commen~a a etre soumis de la part du stalinisme a partir du
de nom.bre~x. f.aits le montrent. A !'accusation portee par un militant moment ou il fut exclude la Generalite. La Lutte ouvriere fran~aise s'erait
bolchev1k-lemmste selon laquelle les dirigeants du P.O.U.M. au front de manifestee en ces termes61 et La Voz Leninista prit egalement la defense du
J:Iue.sc.a ~ refusaient ~e c.onstitu~r. des c~mites. elus .et voulaient supprimer P.O.U.M. quand La Batalla fut suspendue par ordre gouvernementaJ62.
l .acttv1te d~s. comm1ssaires pol1t1ques revolut10nnaires55, s'ajouta l'expul- En ce qui concerne la polemique internationale, il ne s'etait pas
s1on des mthces du P.O.U.M. - egalement sur le front de Huesca - du produit de modifications notables: Victor Serge abandonna definitivement
com~attant international Herbert Lenz (Kempinski) pour cause de« travail la IVe Internationale pour adherer au P.O.U.M. alors que Vereeken en
f:act10nnel trotskyste d~ns nos sections du front de Huesca »56. La protesta- Belgique continuait a defendre ce parti - ce qui explique les critiques faites
t~on contre cette exclusion que La Lutte ouvriere fran~aise publia sous le par Trotsky a La Lutte ouvriere belge63; de Hollande, la Conference
titre: «Le P.O.U.M. va-t-il reprendre la repression contre les nationale du R.S.A.P. qui se tint au debut du mois d'avril 1937, envoya un
"trotskystes"? » accusait la direction de laJeunesse communiste iberique- salut au P.O.U.M. dans lequel il admirait sa « politique energique et coura-
responsable de !'expulsion - d'utiliser des methodes staliniennes57. geuse pour la realisation des objectifs du proletariat mondial » en meme
Pendant que se succedaient accusations et contre-accusations au front temps qu'il rendait hommage «aux heros du socialisme qui avaient rencon-
le Comite de la section bolchevik-leniniste d'Espagne ecrivait une lettr; tre la mort clans la lutte » et trouvait «clans votre amitie pour nous une
ouverte au Comite executif duP.O.U.M. dans laquelle, pour la seconde fois il source de force et de sacrifice pour le travail de notre parti » 64 . 11 faut dire
demandait la ~ossibilite d'entrer dans le P.O.U.M. en tant que fractionss. ici que sur le plan international, au debut de mai, le Comite executif du
~ependant les JU~ements, les considerations portees sur leP.0.U.M. en cette P.O.U.M. denon~a la politique suivie par le S.A.P. allemand - un des
c1r~onstance, eta1ent tres severes. Non seulement les dirigeants du P.O.U.M. principaux partis du Bureau de Londres mais qui etait entre en crise - et
etatent accuses d'avoir refuse decreer un parti revolutionnaire en empechant marqua ses distances avec ce parti qu'il accusait d'etre influence par le
l'entre~ des .bolcheviks-Ien!nistes mais encore le P.O.U.M. se voyait accuse de stalinisme, de propager la politique de Front populaire et de suivre les
co~f1:1s10n;i1sme. opportumste et« d'erreurs fondamentales qui fermaient la directives du VIie congres de l'Internationale communiste65.
v01e a la revolut10n ». Dans le dernier paragraphe de cette lettre, les menaces La derniere etape de la guerre qui commen~a apres les journees de mai
d~ lutte contre_le P.O.U.M. ne pouvaient etre plus explicites: <<Nous autres, 1937 avec la repression contre le P.0.U.M. - qui culmine avec l'assassinat
declarons pubhquement que s1 le P.o. U.M. renonce a suivre consciemment le de Nin et la dissolution du parti - et avec le recul progressif des conquetes
chemin . de ~ l~ .diffe~enciation ideologique en acceptant l' en tree des revolutionnaires fut caracterisee par la rupture definitive entre le P.O.U.M.
~olchev1ks-le!1-1mstes il. apparaitra comme un puissant obstacle a la forma- et le mouvement trotskyste, rupture qui affecta egalement ce mouvement et
tlon du part1 proletanen contre lequel il sera necessaire de lutter sans entraina le depart de la section hollandaise et du Beige Vereeken peu de
h 59 L . .
~e Iac ~ . es 1ugements et commentaires sur leP.O.U.M. que commen~aient
A

mois avant que ne se tienne a Paris la Conference de fondation de la IVe


a pubher clans la presse les bolcheviks-leninistes espagnols etaient tout a fait lnt;mationale en septembre 1938.
semblables 60. C'est certainement durant cette periode que Trotsky ecrivit ses articles
les plus violents contre la politique suivie par le P.O.U.M. durant la
54. Le premier Boletin de la secci6n bolchevique-leninista de Espana (IVa Internacional)
que nou~ ~vons pu consulter est le.n° 2, date de fevrier 1937. Le 5 avril 1937 a paru le n° 1de La 61. « Defendons le P.O.U.M. » La Lutte ouvriere (Paris), n° 35, 12 mars 1937.
Voz lenzmsta, « <?rgano de la Secc16? Bolchevique-leninista de Espana (por la IVa Internacio- 62. La Vaz Leninista, n° 1, 5 avril 1937.
nal». L.e 1? ~v:1l 19~7 parut pubhquement a Barcelone un Bulletin frarn;ais de la section 63. L'on peut connaitre la position de Serge a partir des ecrits publies par Michel
bolchev1k-lemmste d Espagne pour la Ive Internationale. Dreyfus in V. Serge, L. Trotsky: La lutte contre le stalinisme, Paris, Maspero, 1977. La
55. Selon La Lutte ouvriere (Paris), n° 39, 9 avril 1937. lettre de Serge a Leon Sedov, envoyee le 21 janvier 1937 est particulierement interessante (cf.
56. Cf. la notice d'exclusion in ]uventud comunista, 1er avril 1937. pp. 157-159). En ce qui concerne les critiques faites par Trotsky au P.S.R. beige, cf.
57. La Lutte ouvriere (Paris), n° 40, 16 avril 1937. Trotsky, La Revolution espagnole (1930-1940), pp. 366-370.
58. La Voz Leninista, n° 1, 16 avril 1937. 64. La Batalla, n° 209, 4 avril 1937.
59. Ibidem. 65. « Resoluci6n del Comite Ejecutivo del P.0.U.M. sobre la politica del S.A.P. »,La
60. Cf. le numero de presse bolchevik-leniniste cite clans la note 54. Batalla, n° 232, 1er mai 1937.
LE MOUVEMENT TROTSKYSTE PENDANT LA GUERRE D'ESPAGNE 63
62 CAHIERS LEON TROTSKY 10
Cela se produisit a
la fin de la guerre quand, deja, il n'etait plus
g~erre civil: 66 et, comme en c~mtrepartie, c'est egalement apres les jour- possible d'eviter le pire. Auparavant, cependant, s'etaient succedes une
nees de ma1 que le P.O.U.M. fit le plus d'efforts pour se differencier du serie de faits assez significatifs tel que la note de protestation qu'une
trotskysme t~nt. ~u n!veau ideologique q.ue sur le terrain politico-pratique. dizaine de militants trotskystes, combattants sur le front d' Aragon,
!l ~st ass~z s1gmf!cattf que le P.O.U.M. alt publie !'article ecrit par Trotsky avaient publiee peu apres les journees de mai contre la direction du
a l occasion de 1assassmat de Nin sous le titre «Trotsky clement notre P.0.U.M. qualifiee de petite bourgeoise et bureaucratique parce qu'elle
a
t~otsk_Ysme ».67 et que, la fin de l'annee 1937 encore, La Batalla clandes- avait ecarte ce groupe du front sous pretexte qu'il y faisait de la propa-
tme ait pubhe des fragements de !'edition anglaise du Bulletin internatio- gande trotskyste72. Ou bien le refus que la fameuse «gauche du
nal p~mr la 1ve Internationale de juillet 1937 consacre entierement a la P.0.U.M. » de Barcelone - suivant la caracterisation de La Voz Leninista
question espagnole et a~.P.O.U.~ . clans lequel apparaissait de fa~on claire - et la section de Madrid de ce parti consideree comme pro-trotskyste,
e~ s~ns. ambages la posmon off1c1elle que la IVe Internationale avait eue en rapports avec les «Amis de Durruti », avaient fait une proposition de
v1~-.a-v1s d~ P.O.U.M. 68 Evidemment ce sont surtout les elements de la section bolchevik-leniniste espagnole de signer en commun un mani-
critique qm s' en detachaient. feste contre la repression 73.
Les critiques tro~skyste~ contre le P.0.U.M. s'aggraverent a la fin de la Les relations internationales s'etaiem egalement aggravees. En mai
guerre et quand la defa1te fmale. fut plu~ que consommee si bien que les 1937, Vereeken publia un article clans La Lutte ouvriere belge clans lequel
orgai:ies .de presse des deux pa01s fran~a1s - tant La Verite qui reprit sa il critiquait durement Trotsky, le Secretariat international et la section
pu~hca.tion comme revue theonque du Parti communiste internationaliste trotskyste fran~aise pour son « attitude sectaire et nefaste » envers le
ei:i Janv1~r 19.38 que La L1!tte ouvriere du parti ouvrier internationaliste- en P.O.U.M. 74 Le P.S.R. beige modifiera cependant rapidement sa politique
v:mrent a tra1te~ de questions internes au P.O.U.M., parlant de la decomposi- envers la revolution espagnole et le P.0.U.M. lorsque a une reunion de son
t~on de ce part! :t accusant d'illegalite son Comite executif 69. Ces accusa- a
Comite central du 19 et 20 juin il approuva la majorite une resolution
tions furen.t l'obJet d'une <lure re~lique du P.0.U.M., replique clans laquelle qui adoptait les critiques trotskystes fondamentales75. Mais ce change-
on me.~ia~a1t de .roml?re.toute ~elation de camaraderie avec les trotskystes au ment d'attitude officielle ne signifiait pas cependant que la polemique etait
cas ou ceux-c1 ~amt1~n~ra1er~.t. l.eurs accusations70. Il faut egalement close et Vereeken, bien qu'en minorite, continua a maintenir ses posi-
rappe~er que les denonc1at10r.is 1I~lt,1ales contre la repression laquelle etait a tions. En aout 1937, Trotsky ecrivit une dure replique contre le dirigeant
soum1se le P.?.U.M. et la sohdante avec ce parti se transforma au bout de trotskyste belge 76 qui fut contestee par ce dernier clans un important
quelques m?1s en denonciations contre l' emprisonnement de militants document qui signifiait sa sortie officielle du trotskysme77. Effectivement
trotskys,te~ a Barc.elone alors meme qu'etait passe sous silence le proces Vereeken abandonna le P .S.R. belge en octobre 193 7 al ors que la section
auquel eta1t soum1s le Comite executif du P.O.U.M. en octobre 193871. hollandaise, le R.S.A.P. anime par Sneevliet rompit toute relation avec le

66., 11 s'a.git des articles «La verification des idees et des individus a travers !'experience
de la- R~vo~utton espagnole » (24 aout 1937), «Les ultra-gauches en general et les incurables
en part1c~her. Q~elques considera~ions theoriques » (28 septembre 1937), « Le'Yons d'Espa- breuses notes contre la repression que subissait le P.O.U.M. A partir du mois de mai 1938
gne, ,der.mer avert1ssemer_it ~', (17. decembre 1937), et « Classe, parti et direction: pourquoi le les notes contre « le prod~s de Moscou a Barcelone » concernerent le prod~s intente aux
proletariat espa~nol a.-t-11 ete vamcu? '" aout 1940. L'on peut consulter tous ces articles in militants trotskystes. Voir surtout le n° 77, 5 mai 1938; n° 78, 12 mai 1938; n° 101, 2
Trotsky: La Revolution espa?nole (1930-1940), pp. 413-428, 443-451, 471-501 et 555-570. decembre 1938 et n° 102, 16 decembre 1938.
67. La Batalla (clandestme), n° 10, 25 septembre 1937. 72. La Lutte ouvriere (Paris), n° 49, 17 juin 1937.
68. La Batalla (clandestine), n° 20, 11 decembre 1937. 73. La Vaz Leninista, n° 2, 23 aolit 1937.
, 69. Parmi les articles p~blies clans La Verite, nous retiendrons : « La cause de la deb He 74. Vereeken: « Pour une politique juste a l' egard de la Revolution espagnole et du
d Esp~gne: a,bs~nce du part;1 revolutionnaire clans la guerre civile ,,, n° 3, 15 mars 1939; P.O.U.M. >>, La Lutte ouvriere (Bruxelles), n° 21, 22 mai 1937.
« Ap~es la defatte. Un ma,n1fe~t~ du P.0.U.M. aux travailleurs espagnols ,., n° 3, 15 mars 75. Cf. la resolution de la majorite - et egalement de la minorite - approuvee par le
19?9, «Le P.O.U.M. et l experience de la guerre civile d'Espagne '" n° 4, 5 mai 1939 et les Comite central du P.S.R. belge in La Lutte ouvriere, 3 juillet 1937, sous le titre:" Notre
breves notes «Un nouveau centre antitrotskyste » ainsi que «La decomposition du politique a l'egard de la Revolution espagnole et du P.O.U.M. ».
P.O.U.M. commence>>, n° 5, 1er juillet 1939. Voir egalement La Lutte ouvriere (Paris) n° 76. 11 s'agit de l'article: «La verification des idees et des individus a travers !'experience
114, ~4 ma~s 1939. L_a ~rochure de Jean Rous sur l'Espagne, « Espagne 1936-Espagne 1939, de la Revolution espagnole,, in Trotsky: La Revolution espagnole (1930-1940), pp. 413-428.
La Revolut10n assassmee » est datee du 15 fevrier 1939. 77. « La verification des individus, des idees, des moyens et des merhodes pour faire
70 .. Cf. la «Resolution du Comite central elargi du P.O.U.M. au sujet des attaques triompher les idees a travers }'experience de la revolution espagnole '" Bulletin interieur du
calommeuses des trotskystes '" in juin 36, 29 mars 1939. parti socialiste revolutionnaire belge, n° 9, novembre 1937.
71. Durant les mois de juin, juillet et aout La Lutte ouvriere fran~aise publia de nom-
64 CAHIERS LEON TROTSKY 10 LE MOUVEMENT TROTSKYSTE PENDANT LA GUERRE D'ESPAGNE 65

Secretariat international en janvier 1938 et que la Hollande ne fut pas allait ouvrir de nouvelles possibilites, faire naitre de nouvelles esp~rances.
representee a la Conference de fondation de la 1ve Intemationale78. Son importance intemationale exigeait que toutes les forces pol1t1ques et
La guerre d'Espagne, l'attitude de Trotsky et du trotskysme officiel sociales se prononcent clans un sens ou. un au~re. L~ mouvem~nt trot~
entrainerent done un certain desarroi, assez important, au sein du mouve- skyste - avec Trotsky ~ ~a tete ---:-- alla1.~ le fai~e ma!s ne pa~mt pas .a
ment trotskyste, desarroi qui a la veille d' evenements aussi importants definir son programme m 1alternative qu il representa1t. 11 alla1t payer, !e
que le furent la fondation de la !Ve Internationale, l'assassinat de Trotsky crois ses erreurs de l' etape anterieure dans laquelle le redressement eut
lui-meme et le debut de la Seconde guerre mondiale contribua a aggraver ere ~ossible s'il s' etait ~ccompagn~ .d'une .v~lo_nte de regrm!pem~nt de
la crise du mouvement trotskyste lui-meme. Comme je l'ai deja dit dans tous les groupes et part1s d'oppos1non qu~ etaien_t apparus. ~ la fm des
une autre occasion79 et comme j'ai voulu le demontrer dans ces pages, annees vingt en Europe, Amerique et As~e. Mais pour dmger un tel
l'inexistence reelle d'une influence trotskyste durant la guerre d'Espagne regroupement il aurait fallu adopter des cnteres larges et des. fo~es de
fut d'abord le resultat d'attitudes specifiques, de methodes de travail, d'un travail plus souples. Telle fut l'erreur fondamentale de la d1~ection d~
personnalisme excessif et du zele politique de Trotsky dans les polemi- mouvement trotskyste, une erreur qui, d'une certaine man1ere, allait
ques publiques. La section fram;aise sur laquelle reposait fondamentale- conditionner son relatif echec historique. Deja, quand en 1938, la Ive
ment la responsabilite de la direction intemationale depuis le debut des Internationale fut officiellement creee, l'on etait tres loin d'atteindre les
annees trente se ressentit particulierement des mfahodes qui furerit utili- objectifs que le trotskysme lui-meme poursuivait.
sees pour resoudre les problemes politiques.
Deja, du vivant de Trotsky, deux sections abandonnerent totalement
le mouvement trotskyste : l' espagnole et la hollandaise ; de nombreuses
personnalites suivirent aussi ce chemin, a titre individuel. Puis quand le
charisme et la personnalite immense de Trotsky vinrent a manquer, le
desarroi s'approfondit; non seulement, un cycle de scissions qui ne s'est
pas encore termine, commen~a mais encore d'importants dirigeants trot-
skystes qui, en certaines occasions s' etaient signales par leur dogmatisme
abandonnerent le mouvement; c'est ce qui arriva avec le fran~ais Jean
Rous. La politique et !'attitude des trotskystes durant la guerre civile doit
se comprendre, je pense, a partir de cette perspective de !'evolution du
mouvement trotskyste, d'un moment qui depuis le debut des annees
trente allait en cherchant les formes organisationnelles les plus idoines
pour rendre possible le redressement du mouvement ouvrier international
en un moment historique marque par la crise du capitalisme, par la
montee du fascisme et dans le camp ouvrier par la faillite revolutionnaire
du socialisme - dont le role clans la crise revolutionnaire qui avait suivi la
premiere guerre mondiale avait ete decisif - enfin par la chute progres-
sive des esperances qu'avait ouvertes en de larges fractions du mouvement
ouvrier la Russie d'octobre 1917. En ce contexte la revolution espagnole

78. Effectivement la section hollandaise ne figure par parmi les organisations represen-
tees a la conference de fondation de la IVe Internationale; cf. « La conference de fondation
de la IVe Internationale,., Cahiers Leon Trotsky (Paris), n° 1, janvier 1979, pp. 7-57. Apres
la fondation officielle de la Ive en 1938, le R.S.A.P. hollandais subit de dures critiques du
mouvement trotskyste a cause de l'appui qu'il avait apporte au P.O.U.M. durant la guerre;
cf. Bulletin interieur international, edite par le Secretariat pour la Quatrieme Internationale,
n° 3, debut mai 1939.
79. Voir mon livre El movimiento trotskista en Espana (1930-1935), Ed. Peninsula,
Barcelone, 1977.
Jean Cavignac

Les T rotskystes espagnols


dans la tourmente (1937-1940) 1

La partie fermee des archives Trotsky conservee a la Houghton


Library de Harvard (Cambridge, Massachusetts, U.S.A.) est ouverte aux
chercheurs depuis le 2 janvier 1980. Deja, les chercheurs fram;ais de
l'Institut Leon Trotsky ont fait des decouvertes. Pour notre part, un
sejour aCambridge en mai dernier nous a permis de prendre contact avec
ces archives. Laissant aux chercheurs de l'I.L.T. le domaine du mouvement
trotskyste international et fram;ais, nous avons recherche les documents
sur le petit noyau des trotskystes espagnols qui, autour de Munis, ont
refuse de s'aligner sur les positions du P.O.U.M. et maintenu en Espagne le
flambeau de la Ive Internationale.
Le trotskysme espagnol a un historien en la personne de M. Pelai
Pages, auteur de El Movimiento trotskista en Espana 1930-1935, paru en
1977. Cette meme annee paraissait en Espagne une. reedition du livre de
Munis, jalones de derrota, promesa de victoria. Critica y teoria de la
revolucion espano/a2. Mais le premier ouvrage s'arrete a la formation du
P.O.U.M. en 1935 et le second revet un caractere plus theorique qu'histori-
que et les renseignements qu'il donne sur le« groupe bolchevik-leniniste »
d'Espagne evitent, pour des raisons aisees a comprendre, les precisions de
caractere organisationnel. Les principaux documents que nous avons
trouves a Cambridge sont:
- une lettre de Munis a Trotsky d'avril 1937;
- une lettre du meme a Rudolf Klement de decembre 193 7;
- deux rapports de Munis sur le groupe bolchevik-leniniste d'Espa-
gne, d'aout 1939 et d'avril 1940, le second. etant deja connu.

1. Reproduit avec l'autorisation du Bulletin de l'Institut aquitain d'etudes sociales, n°


135, 1er semestre 1980.
2. jalons de deroute, promesse de victoire, Bilbao, ed. Cero, gr.in-8°, 517 p. coll« Por
un nuevo saber ».
68 CAHIERS LEON TROTSKY 10 LES TROTSKYSTES ESPAGNOLS DANS LA TOURMENTE 69

Ces documents nous renseignent sur une periode encore mal connue La lettre de Munis aTrotsky du 22 avril precise la position adoptee par
de l'histoire de la section espagnole du mouvement trotskyste. les b.l.: si la majorite des militants se retrouveront au P.0.U.M., le groupe
On sait qu'a l'automne 1935 se constitua le P.O.U.M.' a partir du gar~~ra son independance organisationnelle, de fa\:on a maintenir sa ligne
Bloque Obrero y Campesino de Maurfn, « organisation centriste pure- P?l.1t1que propre, a ne pas fare a la merci d'une riposte bureaucratique des
ment catalane » aux yeux de Munis, et de l'Izquierda comunista de Es- dmgeants du P.O.U.M. et aussi a maintenir la possibilite d'un travail
pana, la Gauche communiste, fondee en 1930 sur les positions de !'Oppo- politique en direction d'autres tendances comme les anarchistes. Dans les
sition de gauche; mais qui, rapidement, devait prendre ses distances avec faits, la fraction b.l. au sein du P.O.U.M. ne pourra fare qu'« illegale ».
le secretariat international des bolcheviks-leninistes. Dans cette fusion, la A la veille des journees de mai de Barcelone, les b.l. espagnols se
Gauche communiste perdit son programme, ses propres contours, et, voient, a leur echelle, ouvrir des perspectives non negligeables; au noyau
comme on dit en physique, « prit la forme du recipient» 3. d'etrangers venus aider Munis est venu s'agreger un nombre double ou
L'attitude du P.O.U.M. vis-a-vis du Front populaire: «Pour obtenir triple d'Espagnols; les b.l. comptent quatre groupes (environ 25 mili-
avec certitude un depute, le P.O.U.M. sacrifia les lois sociales qui reglent la tants) : un a Barcelone et trois au front; ils ont gagne a leurs positions de
lutte des classes a la loi electorale »4' devait donner raison a ceux qui, coi:iite local de la section de Madrid du P.O.U.M. Ils disposent depuis le 5
comme Munis, decidaient de rester fideles aux positions revolutionnaires avnl d'un organe de presse, La Voz leninista (La Voix de Lenine) et ont
internationalistes. un travail politique regulier en direction des « elements les plus conscients
du P.O.U.M. et des anarchistes ». Ils se preparent a intervenir au congres
A Barcelone du P.O.U.M. pre-VU pour le 8 mai 1937.
Mais les evenements vont en decider autrement, OU plutot la contre-
Des apres l' echec du soulevement des generaux, de juillet 1936, et la revolution qui, « ayant accompli un travail preparatoire, juge venu le
montee revolutionnaire qui l'accompagne,, les trotskystes envisagent moment de passer de !'offensive verbale a }'offensive armee »7.
concretement· leur attitude vis-a-vis du P.0.U.M. qu'ils ne peuvent igno- 11 n'est pas de notre propos de retracer les journees de mai a Barce-
rer: apres un contact entre le P.O.U.M. et les representants du secretariat lone; on sait que l'insurrection du proletariat de Barcelone echoua face a
international, Rous et Fosco, ce dernier bolchevik-leniniste italien et un la «reaction stalino-capitaliste » (I' expression est de Munis) faute d'une
des elements dirigeants du comite unique des refugies antifascistes de direction politique, car la C.N.T. et le P.O.U.M. appelerent au demantele-
Barcelone, la question de l'entrisme au P.O.U.M. est posee: Fosco, qui ment des barricades. Seuls se trouverent du cote des insurges la section
ecrit le 8 aout 1936 au secretariat international, preconise de creer une bolchevik-leniniste d'Espagne et les «Amis de Durruti », groupe anar-
fraction b.l. au sein du P.0.U.M. 5 Parallelement - entre le 7 et le 15 aout chiste: Seuls, les deux groupes deja cites, la section b.l. d'Espagne et les
- le groupe b.l. est constitue, ainsi qu'une « colonne Lenine » a majorite Amis de Durruti se placerent integralement du cote du proletariat pen-
b.l. qui comprend 21 militants b.l. Cette colonne sera bientot dissoute - dant les journees de mai. Aucune de ces organisations n'avait participe, de
entre le 7 septembre et la mi-octobre - et certains b.l. demandent leur pres ou de loin, au debut du mouvement. Mais toutes deux l'appuyerent
entree individuelle clans le P.O.U.M. ; ils sont minoritaires et, de ·plus, clans energiquement des le premier instant et s' efforcerent de lui donner cohe-
une lettre adressee a Jaime Fernandez, Adolfo Carlini, Lionello Guido et sion et objectifs politiques. Le premier jour de la lutte, !'organisation
autres, Nin repond le 13 novembre que cette entree ne pourrait se faire trotskyste imprima le tract suivant, qui obtint une large audience sur les
qu' en repudiant publiquement la IVe Internationale, ce qui equivaut a une barricades OU meme les ouvriers cenetistes le distribuaient:
fin de non-recevoir. Au sein du petit groupe, les partisans de la fraction
l'emportent et les b.l. espagnols demandent en avril 1937 leur entree au VIVE L'OFFENSIVE REVOLUTIONNAIRE !
P.O.U.M. en tant que fraction, ce qui, bien sur, ne sera pas accepte6.
. . Pas de compromis. Desarmement de la Garde nationale republicaine (garde
cn:ile) et de la Garde d' Assaut reactionnaires. Le moment est decisif. La prochaine
3. Munis, op. cit., p. 218. f01s, ce sera trop tard. Greve generale dans toutes les industries qui ne travaillent
4. Ibidem, p. 247. pas pour la guerre. Seul le pouvoir du proletariat peut assurer la victoire militaire.
5. Houghton Library, bMS Russ 13-1, 14516; cf. Trotsky, La Revolution espagnole,
ed. Broue, Paris, Ed. de Minuit, in-8°, 780 p., Fosco «Mon role a Barcelone en septembre ARMEMENT TOTAL DE LA CLASSE OUVRIERE!
1936 », pp. 624-628, et «Note d'information pour les militants du P.0.I. ».
6. Ibidem, pp. 696-697. 7. Munis, op. cit., pp. 360-361.
70
CAHIERS LEON TROTSKY 10 LES TROTSKYSTES ESPAGNOLS DANS LA TOURMENTE 71

VIVE L'UNITE D'ACTION CNT-FAl-POUM! a


Munis R. Klement, datee de Barcelone le 29 decembre 1937: il decrit la
VIVE LE FRONT REVOLUTIONNAIRE DU PROLETARIAT! partie de cache-cache tragique que jouent les trotskystes avec les autorites
DANS LES ATELIERS, LES USINES, SUR LES BARRICADES: pour retrouver la trace d'Erwin Wolf. Cependant les trotskystes poursui-
vent leur activite politique clans l'illegalite: La Vaz leninista continue a
COMITES DE DEFENSE REVOLUTIONNAIRE!
paraitre 11 et des tracts sont colles dans les quartiers ouvriers et meme
La section b.l. d'Espagne distribues dans des manifestations officielles comme celle qui a lieu en
(pour la Ive Internationale) 8
l'honneur de la prise de Teruel effectuee le 7 janvier 1938. Le travail
s' effectue egalement en direction des brigades intemationales et particulie-
Peu apres les evenements, La Voz leninista, deja dans l'illegalite, rement en direction des militants allemands du S.A.P. Mais ce travail
analysait ainsi les joumees de mai : s'effectue dans des conditions particulierement precaires (Munis et ses
« Mai est le resultat de la politique de Front populaire pratiquee a 1'1:1-nisson camarades se plaignent au SJ. de l'isolement ou ils se trouvent); le climat
par toutes les organisations et tousles partis.dep~is juillet 1936. _Su~ le terram de la est celui de l'hysterie antitrotskyste OU les staliniens appellent a la repres-
societe, il n'y a pas place pour deux pouv:01rs, smo~ l~ t~mp~__md1spensable pour sion contre eux quand ce n' est pas au meurtre pur et simple:
que l'un domine l'autre. En ~ai, le pouv01~ bourgeois eta1t d~Ja suff1s~ent. fort
pour eliminer le facteur ouvner du pouv01r, et ce fut ce qu 11 tenta et reusstt en « Treball et d'autres journaux du parti de la police russe en arriverent a

bonne,partie ». conseiller a leurs partisans l'assassinat des trotskystes en quelque lieu qu'ils les
rencontrent et ils designaient comme trotskystes non seulement les vrais trotskys-
Et Munis ajoute: tes et le P.O.U.M., mais aussi toutes les troupes de la gauche anarchiste, a
«En effet, la provocation stalinienne ne fut que .l'accident qui fi~ deb~rder la commencer par les Amis de Durruti et les meilleurs groupes socialistes. C'etait la
patience du proletariat. N'ay~t pas re~ssi a., se CO?s~ituer en po~votr u~1q~e, le proclamation de la loi du "lynch" contre les revolutionnaires. La jeunesse stali-
pouvoir disperse du proletanat issu des JOurnees de JU~llet fut peu a peu detru1t par nienne de Barcelone OU s'etaient refugies de nombreux senoritas catholiques et
le pouvoir capitaliste renaissant chez les leaders ouvners » 9. fascistes, distribua un tract appelant a l'assassinat des trotskystes » 12.

La repression ne tarda pas a s'abattre sur les anarchistes, les poumis- Munis ne devait pas tarder a connaitre lui-meme les prisons republi-
tes et le petit groupe trotskyste: le 14 juillet 1937, le r~present:mt d~ caines et le Tribunal de Haute Trahison et d'Espionnage n° 1, ainsi que
secretariat international b.l., Erwin Wolf (arrive en mat et qm allait ses camarades Fernandez et Carlini. Concha Gramonte, qui a redige son
disparai'tre en aout ainsi que Hans Freund dit Moulin) ecrivai~ au SJ. ~me « Ebauche biographique » a la fin de son livre (edition 1977), decrit ainsi
« lettre de Barcelone » 10: apres avoir evoque les nouvea~x nches qm _se la situation :
dorent sur les plages pendant que les pauvres gens conna~ssent les r~stnc­ « Les prisons se vidaient des fascistes et des reactionnaires. Munis ne tardait
tions, Wolf decrit le recul de la popularite des anarch1stes au sem du pas a se retrouver dans l'une d' elles, avec les multiples sevices de la police infeodee
proletariat de la capitale catalane : au parti "communiste". Il fut soumis a un proct~s calque sur les falsifications judi-
« Les anarchistes ne suscitent plus l' enthousiasme : la phraseologie anarchore-
formiste de nobleza et de sacrificios est trop usee »
11. S'il faut en croire Munis, elle connaissait une large diffusion: « El Amigo def
If poursuit en evoquant la repression: Pueblo, l'organe des Amis de Durruti, et La Voz Leninista, organe des trotskystes, etaient
facilement diffuses a des dizaines de milliers d'exemplaires, en depit du fait que quiconque
«La repression est en Catalogne bien pire que dans le r~ste du pays. , Le aurait ete trouve avec Un de CeS periodiques en poche, aurait ete COndamne a dix OU trente
proces des dirigeants du P.0.U.M. traine. Dans ce pays ou la ;oix du peupl~? es~ ans». Munis reconnait cependant l'echec des revolutionnaires: «Ni les trotskystes ni les
pas encore etouffee autant qu'en Russie, la methode Vychmsky est d1ff1c1le a Amis de Durruti, faibles numeriquement, sans organisation ni cadres nombreux, n'etaient a
appliquer ». mane de procurer la victoire. Le proletariat sympathisait avec eux mais ne pouvait voir en
eux aucune securite, parce qu'il ne suffit pas qu'une organisation ait une politique revolu-
C' est aussi a la repression qu' est consacre l' essentiel de la lettre de tionnaire pour emporter totalement }'adhesion des masses. 11 a manque egalement que cette
organisation se montre capable de mettre ses idees en pratique, ce qui est impossible sans un
8. Ibidem, pp. 369-370. Un tract du 19 juillet 1937 reprend le theme, de l'~nite d'action vaste systeme organisationnel bien construit et decide, dont ne disposaient ni les trotskystes
revolutionnaire entre la C.N.T.-F.A.I. et le P.O.U.M. (Cf. Morrow, Revolution et contre- ni les Amis de Durruti. Leurs organisations etaient decidees mais par trop minuscules. Pour
revolution en Espagne). cette raison, la revolution espagnole ne put 6:re sauvee par les deux seules organisations qui
9. Munis, op. cit., p. 371. lui etaient devouees sans reserves» (op. cit. pp. 464-465).
10. Houghton Library, bMS Russ. 13-1, 1517. 12. Ibidem, p. 472.
72 CAHIERS LEON TROTSKY 10 LES TROTSKYSTES ESPAGNOLS DANS LA TOURMENTE 73

c1aires de Moscou 13; accusation: sabotage et espionnage au service de Franco, mai 1937. Un nouveau secteur d'intervention se dessine, celui des Jeunes-
arrets de travail et greves a l'arriere pour faciliter la victoire fasciste, organisation ses socialistes unifiees, mais en voie de desunification.
de l'assassinat de Negrin, Comorera, la Pasionaria, de Jose Diaz, Prieto et, «a ~ep~ndant les trotskystes continuent adiriger l' essentiel de leurs efforts
titre d'essai », assassinat effectif d'un capitaine russe 14. Deuxieme accuse: Jaime en direction du P.O.U.M. ebranle par la « deroute »: Munis en constate
Fernandez Rodriguez. l' eclatement ~n plusieurs fractions et predit sa rapide decomposition.
Jugement a huis dos, sans droit a la defense, a 15 jours de la date OU etait
intervenu un juge instructeur dont !'instruction se borna a copier le rapport de . ~e. trava1! d.e r~crutement a ere payant, puisque, du noyau initial de
police. Tribunal semi-militaire, demande de la peine de mort pour les deux s1,,x m1!1tants. em1gres, les trotskystes se retrouvent, six mois apres, a 29,
premiers accuses. Une campagne internationale fit differer la venue de la cause repart1s en cmq cellules, une a Paris et les autres clans les camps. Au sein
devant le tribunal, de date en date jusqu'au debut de janvier 1939. Un mois et du P.O.U.~. ils ont gagne a leurs positions la fraction Rebull et une partie
demi avant, transfere au fort de Montjuich, quartier des condamnes amort, cellule de la fract10n Andrade (Solano )17. Ils influencent egalement les Amis de
n° 3. Fuite au dernier moment et exode en France» 15. Durruti qui remettent en cause, a la lumiere de l'echec de la revolution
espagnole, le vieil apolitisme anarchiste. Au sein des Jeunesses socialistes
La repression qui s'abattait sur les trotskystes et sur les revolution-
unifiees ou une fraction independante s' est constituee face aux partisans
naires en general faisait dire a Javier Bueno, membre du P.C.E. depuis
de Largo Caballero et aux staliniens, le principal dirigeant de cette ten-
1930 et journaliste aupres du B.I.T. a Geneve, dans une lettre a Trotsky du
dance a adhere au mouvement trotskyste.
29 mars 1938:
Le bilan est done positif, mais le manque de moyens financiers risque
« Aujourd'hui, les persecutions des travailleurs revolutionnaires sont egales a d'asphyx~er le p~tit gr~upe. De plus, la situation des refugies espagnols
Barcelone a celles de Burgos; j'ose dire que si le gouvernement Prieto-Negrin est precaire : la dissolution des camps laisse le « choix » aux refugies entre
l'emportait, les mitrailleuses se toumeraient contre le proletariat pour le convain- l 'embrigadement clans les compagnies de travail force et la livraison aux
cre a jamais que ce n'est pas sa victoire et qu'il n'a rien a exiger 16.
prisons et pelotons d'execution de Franco. Une seule sofution-pour le~
trotskystes: s'evader des camps et partir pour le Mexiquel8.
L'exil On con:prend que le rapport suivant de Munis, du 27 avril 1940, deja
connu.19, so1t beaucoup moins optimiste. Entre temps, la deuxieme guerre
Apres la prise de Barcelone par les franquistes (26 janvier 1939), sept mond1ale a eclate: les trotskystes sont disperses, les uns encore dans les
militants trotskystes espagnols sur une trentaine parvinrent a gagner la camps, d'autres dans des brigades de travail, quelques-uns en liberte,
France avec les refugies qui sont « accueillis » clans les camps de concen- d'a~tres encore en exil en France, au Mexique ou a Saint-Domingue. II est
tration du Roussillon. Le rapport de Munis (alors en liberte a Paris) a vra1 que les autres formations politiques, en particulier le P.O.U.M., ne
Trotsky du 18 aoih 1939 se plaint d'abord du peu de secours fourni par sont pas mieux loties, quand ce n'est pas pire.
!'organisation internationale des b.l. devenue depuis septembre 1938 la Neanmoins, les trotskystes espagnols poursuivent leur travail: sur le
Ive Internationale. plan theorique, discussions sur la guerre, le P.O.U.M., la nature de
Cependant les b.l. espagnols ont reussi a maintenir un groupe cent1~al l'u.R.S.S.; sur le plan pratique, en direction du P.O.U.M. et des anarchistes
de six membres. Le travail politique continue clans les camps, essentielle- revolutionnaires. Le petit groupe maintient ses contacts avec le secretariat
ment toujours clans deux secteurs, le P.O.U.M;, ou la plupart des b.l. se i~t~rnational et la section frarn;aise de la IVe Internationale par l'interme-
trouvent encore, et le groupe anarchiste revolutionnaire des Amis de d1aire sans doute de Munis. Celui-ci ne desespere pas et s'efforce de reta-
Durruti aux cotes desquels ils s'eraient trouves pendant les joumees de
17. Jose Rebull, frere du prestigieux veteran David Rey, avait anime a Barcelone une
13. Cf. Rene Revol, « Prod~s de Moscou en Espagne », Cahiers Leon Trotsky n° 3. opposition liee aux oehleristes. La fraction Andrade etait consideree comme «centre gau-
14. Le capitaine russe en question etait Leon Narvitch, un emigre blanc de Paris entre che».
au service du G.P.U. qui tenta de s'infiltrer d'abord dans le P.0.U.M., puis dans le groupe 18 .. Une liste .d'Espagnols dont on demande a Trotsky d'intervenir au Mexique pour
bolchevik-leniniste avec un certain succes les deux fois. II avait ete abattu par un groupe qu'un visa leur so1t accorde, se trouve clans la collection-satellite Octavio Fernandez de la
d'action du P.O.U.M., mais ce furent les trotskystes qu'on accusa de ce meurtre. Houghton Library. Parmi eux, des veterans trotskystes comme Esteban Bilbao, de jeunes et
15. Munis, op. cit., p. 515. Carlini a ecrit, sous sa veritable identite de Domenico recentes recrues comme l'ancien dirigeant de la ].CJ. de Barcelone, Sebastian Garcia Millan
Sedran, des « memoires d'un revolutionnaire » qui ont ete publies clans Critica Comunista et et des militants du P.O.U.M. comme Rebull (Note de la redaction).
seront publies clans un numero prochain des Cahiers Leon Trotsky (Note de la redaction). 19 In Trotsky, op. cit. n° 5, G. Munis «La situation en Espagne et les taches des
16. Houghton Library, bMS Rus 13-1, 397. bolcheviks-leninistes » pp. 646-651.
74 CAHIERS LEON TROTSKY 10

blir les contacts avec les camarades restes a Madrid ou Barcelone, qui se Pierre Broue
trouvent dans des conditions tres difficiles ; au cours d'un voyage clandes-
tin en Espagne, il note les signes d'hos~ilit~ au reg~~ de Franco (£?a~uis
des Asturies et d' Andalousie en parncuher) et md1que quel d01t etre
l'objectif prochain des b.l.: «la creation de noyaux d'activite illegale de la
IVe Internationale» en Espagne.

La mission de Wolf en Espagne


*
**

En definitive, malgre leur nombre restreint ~t ~es circonstance.s


extemes tres difficiles les obligeant des leur const1tut10n a un !rav~!
politique illegal et bientot doublement illegal, les trotskystes ont re1;1ss1 a
faire entendre la voix de la IVe Internationale en Espagne et clans l' exil. Le Au cours d'un article precedent consacre aux proches collaborateurs
soutlen materiel de !'organisation internationale a ete faible, malgre l'en- de Trotsky en exiP, j'ai evoque la figure du Tcheque de langue allemande
voi de militants de la trempe de Wolf et de Moulin 20. Ils ont cependant de Reichenberg (Liberec), Erwin Wolf, disparu au cours d'une mission au
beneficie de !'experience personnelle de Munis, qui avait connu toute cours de laquelle ii avait represente le secretariat international aupres des
l' experience politique de la Izquierda comunista .et du mouv_ement trot- militants du Grupo bolchevique-leninista de Barcelone.
skyste international. Cela explique les ~u~c~s relat1fs d.e ~e pe~1t groupe de II n' est pas question ici de revenir ni sur la personnalite de ce jeune et
militants, «a travers d'innombrables v1c1ss1tudes et d1ff1cultes ». brillant intellectuel, ni sur le role qu'il avait joue au sein de la direction
allemande en exil, aupres de Trotsky et clans le secretariat international a
Bruxelles. II suffira de rappeler !'importance de la fonction qui etait la
sienne, le role qu'il jouait a la tete du Mouvement pour la Ive Internatio-
nale et l'activite qu'il avait deployee pour la collecte des temoignages et
des documents en vue de la contre-enquete sur les proces de Moscou. Ces
activites en effet ne pouvaient manquer d'attirer sur sa personne !'atten-
tion des tueurs et de ceux qui les payaient et dirigeaient.
La question qui se pose d'emblee, meme au lecteur non prevenu, est
la suivante: pourquoi avoir envoye en Espagne, a Barcelone meme OU
operaient a l' epoque impunement - et on le savait - quelques-uns des
plus grands specialistes mondiaux d'assassinat du G.P.U., un homme aussi
repere que Wolf pour ses interventions clans la presse mondiale et aussi
peu protege par son environnement, puisqu'il etait refugie appartenant a
une minorite nationale? N' faait-ce pas l' envoyer a la mort?

Les raisons de l'envoi de Wolf


Les papiers d'exil donnent a cette question le debut de reponse qu'on
esperait. La question de « l'envoi d'un delegue en Espagne » est souleve~

20. Sur Erwin Wolf, et particulierement sa mission, voir pp. 75-84. Sur Hans David 1. Pierre Brom!, « Quelques proches collaborateurs de Trotsky», Cahiers Leon Trot-
Freund, voir Cahiers Leon Trotsky n° 3. sky, n° 1 janvier 1979; les pages 76 a 79 soot consacrees a Wolf.
76 CAHIERS LEON TROTSKY 10 LA MISSION DE WOLF EN ESPAGNE 77

ala reunion du SJ. du 5 janvier 1937 visiblement pas pour la premiere fois blement aggrave. Le jeune militant ne doute pas cependant qu'il doive
- les comptes rendus des mois precedents manquent - puisque remplir son mandat et sa mission: nulle reunion du S.I. ne le rappelle pour
quelqu'un, clans la discussion, mentionne « l'ancienne proposition». II consultation. Pour lui comme pour le S.I. il importe de regler au plus vite
apparait qu'on avait auparavant designe ce delegue, le Belge Ludovic les problemes du groupe espagnol, une tache qui ne souffre aucun retard
[Georges Fux], mais que ce dernier renonce pour des raisons de same et desormais.
parce que son parti, le P.S.R., a besoin de lui. Trois noms sont alors mis
en avant - apparemment ce n'est pas non plus la premiere fois - ceux de
Martin [Leonetti], Julien [Blasco] et David Rousset2.
A sa reunion du 20 fevrier, le SJ. ne peut que constater qu'il n'a pas La situation du G.B.L. en Espagne
rec;u de reponse des camarades pressentis et il demande aEugene [Walter
Dauge], qui se rend a Paris, d'en parler avec Clart Uean RousP. Mais la C'est une situation tragique que celle des B.L. en Espagne. L'entree
mission de Dauge echoue. On repart a zero. Le 7 mars, le S.I. prend acte clans le P.O.U.M. de la Izquierda comunista en septembre 1935, consecu-
de trois refus, ceux de Julien, de Martin et d'Eugene lui-meme, vraisem- tive au refus des propositions « entristes » de Trotsky, a distendu les
bla~lement. sollicite clans l'intervalle. II n'a pas de reponse de Rousset, relations. La signature du pacte electoral des gauches par Andrade au nom
ma1s le d.es1gne et trace les grandes lignes de sa mission 4. du P.O.U.M. a consacre la rupture, avec le fameux article de Trotsky sur
Le 17 avril, le combat cesse, faute de combattants. Apres Ludovic, « la trahison du Parti ouvrier espagnol ». Au cours des premiers mois de

Martin, Julien, Rousset refuse, «pour l'envoi duquel il ne s'est pas trouve 1936, le SJ. s' est efforce de renouer des liens epars : avec un groupe de
de majorite clans le c.c. fran\'.ais ». On ecarte d'un commun accord l'idee jeunes militants de la J.S.U. de Madrid, recrutes par l'hispano-mexicain
d'envoyer Rous, «indispensable». Pierre Naville insiste pour l'envoi d'un Munis, partisan de l\< entrisme », mais reparti au Mexique, avec le respon-
delegue du SJ.: «Si Moulin, le dirigeant effectif du groupe B.L. de sable du rayon de Madrid, le veteran Luis Garcia Palacios, qui se pro-
Barcelone, s' est bien developpe clans les derniers temps il manque toute- clame toujours « trotskyste », comme la majorite d'ailleurs des militants
fois d'experience, il fait trop de gaffes et a des tendances ultra- du P.O.U.M. de la capitale, avec un militant du Levante, ancien dirigeant
gauchistes ». C'est alors qu'Erwin Wolf prend la parole, « se proposant de la I.C.E., de Torrellano, Francisco Enguix qui collabore au S.I.P. clans
pour y aller comme demiere solution pour trois mois environ » 5. II va les semaines qui precedent !'insurrection.
l' annoncer par lettre a sa compagne, Hj0rdis Knudsen, la fille des hotes Klement et Trotsky Ont reve d'une «conference espagnole » qui
de Trotsky a H0nefoss: il ne lui dissimule pas qu'il s'est porte volontaire permettrait de nouer ensemble tous ces fils et de partir a la reconstruction
parce d'autres, plus adaptes a une telle mission, n'ont pas eu la possibilite de la section espagnole; mais la guerre civile, la revolution, les ont pris de
de l'accepter. Lejeune homme est certain que sa compagne vale rejoindre vitesse. Plusieurs des hommes sur lesquels ils comptaient (Enguix notam-
et que sa presence lui sera precieuse. II precise qu'il aura traverse les ment) ont peri clans les combats de la premiere heure. On a pu envisager
Pyrenees - clandestinement - pour le 1er mai 6. un instant une reconciliation avec le P.O.U.M. quand l'Italien Fosco se
. En fait, une information donnee au SJ. du 15 mai indique que Munis, voyait confier la responsabilite des volontaires errangers, quand Trotsky
qm rentre avec lui, et lui, n'ont pas pu franchir encore la frontiere7. etait invite a collaborer a La Batalla et qu'on revait de part et d'autre de
Dans l'intervalle, il y a eu les « joumees de mai 1937 » a Barcelone · l'accueillir en Catalogne. Mais ce reve est passe; malgre les efforts du
l' explosion de colere ouvriere contre les staliniens, la ville couverte d~ conciliateur Rous qui a dirige en aout une mission du S.I., les relations se
barricades, les coups de feu, la treve, mais aussi les premiers meurtres par sont tendues a !'extreme et les Espagnols n'ont pas meme re\'.U la lettre
le G .P. U., notamment l' assassinat des anarchistes italiens Barbieri et Ber- que Trotsky leur a adressee et qui a ete confisquee par les services secrets
neri, ce demier directeur de Guerra di Classe. Le danger s' est considera- italiens. Les recriminations Ont repris de part et d'autre. Le groupe des
trotskystes de Barcelone, en octobre, compose seulement d' errangers,
non espagnols, en majorite volontaires clans la colonne Lenine, a decide
2. Houghton Library, bMS Rus 13-1, 16506. de demander au P.O.U.M. de l'admettre en bloc clans ses rangs. Raffine-
3. Ibidem, 16508. ment supreme, c'est Nin qui leur a personnellement repondu qu'on les
4. Ibidem, 16509.
5. Ibidem, 16510. admettrait un par un s'ils quittaient !'organisation pour la IVe Internatio-
6. «Fonds Wolf», archives Vereeken, Bruxelles. nale et desavouaient les « calomnies » lancees par cette derniere et ses
7. Houghton Library, 16511. sections contre le P.O.U.M. Les camarades d'Espagne hesitent et con-
78 CAHIERS LEON TROTSKY 10 LA MISSION DE WOLF EN ESPAGNE 79

sultent le S.I. ,~e S.I._, finalement, clans sa seance du 5 janvier, leur repond, gouvemement de la Generalite ... a qui il suggere de convoquer le congres
par Wolf, qu 1ls d01vent, quand ils le peuvent, entrer clans le P.O.U.M. en des conseils ouvriers et paysans. Les forces trotskystes sont neanmoins
tournant des conditions que l'on juge inacceptables8. tres faibles : en-dehors de Madrid, il y a une vingtaine de camarades, en
Quand le S.I. se reunit, le 7 mars, les choses sont plus claires. G. Munis majorite espagnols, organises sur le front de Huesca, quinze camarades a
est ~evenu du. ~~xique e? Espagne et quelques camarades espagnols ont Barcelone meme et quelques individus disperses clans les milices anarchis-
repns une acttv1te avec Im. Jean Rous a re~u un rapport qu'il resume:« Le tes. La Voz Leninista, l'organe du groupe, tire a 2500 exemplaires. Le
groupe de Barcelone, sa direction, avec Moulin, s'oriente vers la formation P.O.U.M. a exclu de ses rangs un militant allemand, K H. Lenz, ancien
immediate d'un nouveau parti, contre le P.O.V.M. et s'intitule «section sapiste passe effectivement au G.B.L.
espagnole de. la IVe In.temationale". Le groupe du front, la base, s'oriente Naville propose la discussion avec les Espagnols sur trois points. II
vers un travail de fraction clans le P.O.U.M .. En dehors de cela, il ya un petit pense d' abord que leur conception du « gouvernement ouvrier et
groupe du P.C.I. (Molinier) qui poursuit un travail independant ». Le paysan », auquel ils opposent la « dictature du proletariat» est fausse. II
proces-verbal resume en ces termes discussions et conclusions: pense ensuite qu'ils sont orientes vers la formation d'un nouveau parti et
ont rendu impossible leur admission au P.0.U.M. en presentant collective-
«Les trois camarades presents sont d'avis que, clans la situation actuelle en ment leur demande d'admission et en revendiquant le droit de constituer
Espagne et~ l:etat de nos forces, il n'est pas possible decreer clans un bref delai,
par un travail mdependant, le parti revolutionnaire. Ils recommandent done au une fraction. Ils se trompent enfin lourdement quand ils reprochent au S.l.
B. L. d'Espagne d' entrer sans accepter des conditions de capitulation clans le de defendre le P.O.U.M. contre les staliniens, sous pretexte que le P.O.U.M.
~.0.U.M., P<?ur y reuvrer pour la IVe Internationale (pour que le P.O.U.M. ou une les reprimerait, eux, de la meme fa~on. Le S.I. est d'accord sur ces trois
importante aile gauche se mette sur les positions de la IVe). Ceux des camarades points et pour les rediger clans une resolution interne: il est egalement
qm ne sont pas ~dmis, sauf a des conditions inacceptables, devront continuer la d'accord pour que le groupe Fosco (« deux ou trois camarades, dit Na-
propagande pubhque pour la Ive, en exigeant leur integration clans le P.O.U.M. et ville, avec lesquels il a edite a la machine a ecrire cinq exemplaires d'un
sa!l~ vouloir creer immediatement un parti revolutionnaire en arrachant un a un les journal, £/Soviet, qu'il envoie a Molinier pour publication») soit readmis
militants du P.0.U.M. Ils feront connaitre la voix de la Ive publiquement en dans le groupe s'il en reconnait la discipline 10.
Espagne par un organe propre. 11 faut en Espagne combattre la direction du On apprend par le proces-verbal de la seance du S.I. du 15 mai - au
P.O.~.M: sur _le plan politique, mais pas encore rivaliser avec elle sur le plan des
orgamsanons mdependantes » 9. moment ou Wolf s' emploie encore apparemment a franchir les Pyrenees
- le contenu de la resolution qu'il emporte pour tenter de convaincre les
Mais c'est a la seance du 17 avril 1937 - celle OU il est decide camarades d'Espagne sur leurs divergences avec le S.I.; a) l'entree clans le
~'envorer .Wolf a Barcelone - que sont_ donnes le plus d'elements sur P.O.U.M. qu'il faut demander sans droits speciaux, b) leur opposition
1orgamsatton trotskyste en Espagne, qm Ont ete apportes par Munis, formelle de la dictature du proletariat au gouvernement ouvrier et paysan,
venu d'Espagne, et sont donnes au S.I. par Pierre Naville. c) le front revolutionnaire qui ne doit (pas) se faire par des combinaisons
La description qu'il fait de la situation est plutot pessimiste: recul de de sommet, mais reposer sur les comites reconstitues, d) leur mot d'ordre
la re¥olution, offensive victorieuse du stalinisme sur tous les terrains. Le de « r,i!trait des ministres anarchistes » qu'il faudrait remplacer par le mot
P.<?y.M. a pratiquement ere ecrase a Madrid OU il avait compte 1000 d'ordre «A bas les ministres capitalistes ! ». Nous n'indiquerons pas ici
militants: « reste. :in noyau de 100 camarades au grand maximum, qui !'analyse faite clans ce rapport de Jean Rous sur la signification des
so~lt presque ent1erement B.L. Barcelone refuse de les soutenir. Ils tra- journees de mai puisqu' elle n' entrait pas clans les informations que dete-
va1llent clans l'illegalite, editent un journal illegal, maintenant un petit nait Wolfll.
local». En Catalogne, les staliniens font des progres sensibles. Le
P.oy.M. a ~e 20 a 25000 militants, mais La Batalla, a qui on refuse le
p~~1er, ne ttre q~'a 20000. Le P.O.U.M. n'a plus de vie a la base, seuls ses
L'envoye de la 1ve en Espagne
dmgeants s'exp:1n:ient clans le bulletin interieur, il ne respecte pas son
programme m1hta1re et ne se prfoccupe guere des questions ouvrieres. Ce n' est pas douteux : Wolf connaissait parfaitement les risques qu'il
L'axe de son programme tient clans son desir d'etre reintegre clans le courait en partant a Barcelone. On s'en rend compte a la fa~on dont il a

8. Ibidem, 16506. 10. Ibidem, 16510.


9. Ibidem, 16509. 11. Ibidem, 16511.
80 CAHIERS LEON TROTSKY 10 LA MISSION DE WOLF EN ESPAGNE 81

mis ses affaires en ordre, confiant notamment ses archives aun vieux militant l'a fait le G.B.L., se contenter d'opposer a «la politique permanente de
qui ne les a restituees qu'involontairement en mourant trente ans plus tard capitulation du P.O.U.M. » une simple « denonciation », une «critique
faisant clans de nombreuses lettres le point' des problem~s en cours. La lettr; abstraite >> et meme erronee. Il pense que la seule politique valable clans
qu'il adresse a Hj0rdis est particulierement claire a cet egard. ces circonstances eut ere la recherche de tousles moyens pour« pousser le
~ous avon~ trouve ala Houghton Library plusieurs lettres personnelles P.O.U.M. vers un front unique d'action avec la C.N.T.-F.A.I. ». Au lieu de
de 1~~· Le 2~ avnl, de Bruxelles encore, iJ informe simplement Trotsky de la cela, dit-il, le G.B.L. a concentre toute sa propagande autour du mot
dec1s1on pnse 12 . Le 9 mai, ii lui ecrit de Narbonne qu'il espere etre a d'ordre de« Front revolutionnaire » sans en definir jamais ni le contenu ni
Barcelone le 12 et donne son point de vue sur les questions qu'il aura aregler les limites 16.
avec le groupe espagnol qu'il juge effectivement « sectaire », tout en relevant A l'assemblee generale du 12 juin encore, Wolf se trouve complete-
c?p.endant que son mot d'ordre de «Front revolutionnaire », qu'il partage ment isole, soutenu par un seul camarade, quand il s'oppose a la poursuite
d a1lleurs avec les jeunesses du P.O.U.M., n'est autre chose qu'un «Front de la meme politique de « front revolutionnaire )) auquel le groupe veut
populaire de gauche » 13. assigner des taches et des mots d'ordre aussi generaux que « Lutte implaca-
. ~e 22 juillet, de Barcelone, il ecrit aTrotsky une lettre assez generale OU ble contre l'armistice », « Lutte contre la degenerescence de la guerre civile
il affirme que « malgre la defaite des journees de mai et la repression sans en guerre imperialiste » ou encore« Lutte contre la politique de la S.D.N. ».
precedent, le proletariat n'est pas brise »et il decrit la manifestation de masse Pire encore, la majorite du groupe, abordant les conditions qu' elle pose ou
de _la ~.N.T.-F.A.I._ ~ laquelle il vient d'assister et ou Federica Montseny a voudrait poser, met en avant !'exigence de « retrait definitif des ministres
a!f1rme que les dmgeants du P.O.U.M. Ont ere assassines. II suggere par anarchistes »du gouvernement. Ce n'est qu'au terme de la discussion que la
a
a1lleurs Trotsky d'ecrire au sujet de Cronstadt, ce qui est, dit-il, absolu- majorite consent finalement !'abandon de cette condition, qu'elle qualifie
ment necessaire pour la discussion avec les anarchistes. «La vie ici, pourtant d' « ultimatisme justifie ». II y a egalement desaccord sur les
confess~-t-il, est epuisante », mais il ajoute que «par chance», il dispose de « comites », que le G.B.L. veut constituer sur un programme politique
la « me1lleure compagne de voyage» possible: Hj0rdis est avec lui 14. minimal en six ou sept points, sans leur assigner d'action pratique, ni
C' est vraisemblablement vers la fin du mois de mai que Wolf est arrive a «soviets» ni « groupes de parti ».Ce n'est, ecrit 'Wolf, que sous la pression
Barcelone etc~ est peu apres que s' est tenue la premiere assemblee generale du des evenements, que, quelques jours plus tard, le groupe accepte la
groupe dont 11 rend compte clans une lettre datee du 6 juillet. II a fait le redaction d'un tract appelant a un «front unique P.O.U.M.-C.N.T.-F.A.I. »
compte des. presents: 23 militants dont 17 Espagnols. Beaucoup d'etrangers sur un certain nombre de points precis, sans recherche d'un impossible
sont repart1s. II ya une quinzaine de militants au front aucune communica- programme commun 17. Nous ne connaissons de ce tract que des extraits.
ti'?~ avec ceux de Madrid; a Barcelone, il n'y a en' permanence que 17 En ce qui concerne le P.O.U.M., la position de Wolf est nette et
militants dont 5 etrangers, au total une dizaine d'actifs seulement. On n'a s'exprime sans ambigui:te clans un article qu'il redige le 4 juillet 1937 et
aucun contact avec le groupe de Fosco 15. titre «La fin du P.O.U.M. » 18. Le P.O.U.M., estime-t-il, est detruit en tant
/Wo~f analyse ~u.cidemen~ les c.auses de la faiblesse de ce groupe. D'abord qu'organisation, reduit a quelques individualites (deux membres de la
la defection des dmgeants h1stonques comme Nin et Andrade ensuite la direction) ou groupes sans moyens d'action, sans influence ni comprehen-
faibl.esse numerique du. groupe qui nourrit sa decomposition. 'II souligne sion de la situation. Cette deroute, affirme-t-il, est la consequence directe
auss1 que le SJ. a hes1te, que les prises de position des Beiges et des de la ligne politique du P.O.U.M., de sa participation au gouvernement et a
Hollandais ont ete utilisees par les dirigeants du P.O.U.M., qu'il n'y a eu de la la destruction des organismes de pouvoir revolutionnaires de l' ete 1936,
part des trotskystes internationaux qu'une aide materielle insuffisante. A du comite central des milices aux comites locaux. Elle est aussi la conse-
tout cela, il ne peut rien. II peut en revanche tenter de convaincre le G.B.L. quence de l'aveuglement et de !'incomprehension par les dirigeants du
espagnol de ce dont il est convaincu personnellement le sectarisme de sa P.O.U.M. du role contre-revolutionnaire du stalinisme, ce qui explique
politique. ' qu'ils se soient energiquement defendus d'etre des « trotskystes », comme
Il l'explique clans sa lettre-rapport du 6 juillet. Il ne fallait pas, comme si des· dementis de cette nature pouvaient leur valoir la grace des tueurs ! Il
souligne enfin le suivisme dont ont fait preuve, selon lui, les dirigeants du
12. Ibidem, 6012.
13. Ibidem, 6015. 16. Ibidem.
14. Ibidem, 6016. 17. Ibidem.
15. Ibidem, 17311. 18. Ibidem, 17370.
82 CAHIERS LEON TROTSKY 10
LA MISSION DE WOLF EN ESPAGNE 83

P.O.U.M. a l'egard de la C.N.T. dont ils ont cru qu'elle les protegerait alors
qu'elle n'a fait, elle, que reculer et capituler sans cesse devant les exigences preference en castillan (comme la /Va Internacional mexicaine, par exem-
des staliniens. Wolf s'etonne de la resistance favorable au P.0.U.M. que son ple, dont les 100 exemplaires re-;us ont ere verrdus sur-le-champ) l9.
analyse a rencontree de la part des militants du G.B.L.: certains ont oppose
a son texte sur «La fin du P.O.U.M. » une analyse qu'ils resumaient clans le Dernieres impressions
mot d'ordre de «Reconstruction du P.O.U.M. sur une base saine », et
d'autres se sont insurges parce que la «Lettre ouverte aux membres du Le dernier texte emanant de Wolf qui se trouve clans les papiers d' exil est
P.O.U.M. » contenait des critiques politiques contre sa direction. une lettre de Barcelone datee du 14 juillet, visiblement destinee adevenir un
Wolf essaie done en definitive de persuader ses camarades du G.B.L. de article puisqu'elle est titree precisement «Lettre de Barcelone »20, curieuse-
la nec~ssite ~remiere d'un programme d'action - dont il a redige un projet ment redigee en fran~ais avec des citations en castillan, non traduites:
- ma1s auss1 de celle d'un tournant tactique. Le G.B.L., explique-t-il, s'est tableau de la rue a Barcelone OU la bourgeoisie releve la tete, quelques
tourne jusqu'a present presque exclusivement vers le P.0.U.M. Les resultats informations sur la repression, extraits d'une intervention de Mariano
ont ete mediocres, et, recemment, les elements qui representent la gauche Vasquez, de la C.N.T., denon-;ant dans Castilla Libre !'operation menee
du P.O.U.M. - ce qu'il en reste- ont refuse une reunion commune. II en contreleP.O.U.M .. 11 note:« Si lac.N.T. employait toujours un tel langage, si
est de meme pour le groupe «dissident» d'anarchistes qui s'intitulent ce discours avait ere publie dans toute la grande presse cenetiste et si cette
«Amis de Durruti » avec lesquels, on le sait, Moulin avait reussi a organisation anarcho-syndicaliste encore puissante passait aux actes, ii n'y
promouvoir une collaboration limitee au cours des journees de mai: eux aurait pas de danger. Mais c'est rare que la C.N.T. fasse un appel courageux
aussi ont refuse une reunion en vue d'une action commune, «pas seulement aux masses et, dans les coulisses de la scene politique, les staliniens, avec
parce que nous leur paraissons trop faibles », ecrit Wolf, « mais parce qu'ils leurs manceuvres, sont de beaucoup les plus forts».
sont toujours sous !'influence de la monstrueuse campagne contre le Note de pessimisme? Incontestablement, Wolf realise que les condi-
trotskysme ». tions n' existent pas qui permettraient de lutter victorieusement contre la
Le probleme est de se tourner vers les ouvriers anarchistes. Sur ce contre-revolution stalinienne en marche. Evoquant en quelques phrases le
plan, Wolf donne de precieuses indications, ecrivant: «Nous pouvons dire deuxieme congres des ecrivains antifascistes auquel ii a assiste et ou ii a
9ue, .sans la sympathie des ouvriers anars, nous n'existerions plus. Nous entendu jouer La Marseillaise et God Save the King, il s'exclame - et
impnmons nos tracts chez les anars, nous avons la protection des ouvriers c' est sur cette exclamation que se termine sa lettre : « Quelle canaille se
cenetistes quand nous distribuons des tracts et nous trouvons l'aide prati- cache derriere le mot "antifascisme" ! Ce n'est nulle part aussi clair qu'en
que dont je ne veux pas parler ici- toujours de la part des membres de la Espagne ».
C:N·T-F.A.I. ou des JJ.LL.. II ya pas mal de jeunes anars qui sont disposes a Le 19 juillet d'ailleurs, la section bolchevique-leniniste espagnole
d1stnbuer et meme a coller les tracts, ce qui n'est pas sans danger, bien pub lie un tract dont wolf a sans doute ere le redacteur : a la fois manifeste
entendu. Mais des liaisons officielles? Non, on n'en veut pas». et programme d'action, dont la presse trotskyste mondiale va reproduire
La situation a radicalement change et il faut modifier dorenavant toute de larges extraits. Il parait en France clans La Lutte ouvriere du 6 aout
!'orientation. Plus question desormais de pousser le P.0.U.M. a l'action et 193 7, avec des extraits de la « Lettre de Barcelone » citee plus haut et, a sa
d~ l.ui con.sacrer toutes ses forces: il ne reste plus que quelques centaines de suite, des extraits d'une lettre datee du 21 juillet insistant sur le perfec-
militants 1llegaux du P.O.U.M., difficilement trouvables, a l'activite reduite. tionnement des merhodes repressives introduit recemment en particulier a
II ya au contraire des milliers d'ouvriers revolutionnaires clans les locaux et Barcelone a !'initiative des services russes. Des cette epoque, Wolf avait
surtout dans ceux des syndicats anarchistes : pour entrer en contact avec sans doute compris que le piege erait en train de se refermer sur lui.
eux, il suffit d'etre syndique et d'avoir une activite syndicale, mais ce n'est
malheureusement pas le cas de la majorite des membres du G.B.L., une
situation qu'il faut changer en adoptant une resolution sur «le travail La fin de la mission de Wolf
syndical».
Wolf conclut qu'il faut editer un journal dont l'objectif sera la 11 est probable qu'a cette date Wolf commen-;ait apreparer son retour:
clarification des questions posees par le developpement economique. Mais sa mission de trois mois touchait a sa fin, il avait fait ce qu'il devait faire et
pour un journal, il faut de l'argent, et c'est ce qu'il reclame clans son
19. Ibidem, 17311.
rapport du 6 juillet: envoi, d'urgence, d'argem et de materiel politique, de 20. Ibidem, 17312.
84 CAHIERS LEON TROTSKY 10

demeurer plus longtemps etait encourir des risques inutiles. Son depan
etait d'autant plus necessaire qu'il venait d'apprendre que le petit journal
qui lui servait jusqu'a present de mince couverture legale pour son sejour
de « journaliste », le Britannique Spanish News, venait de disparaitre.
Wolf et sa femme avaient fixe leur depan au 31 juillet.
Le 27, il fut arrete, a la terrasse du cafe La Rambla, amene a la police
pour interrogatoire, mais relache le lendemain, sans que les enqueteurs
aient decouven qu'il s'agissait du secretaire de Trotsky, ce qu'ils decou- Deux lettres de G. Munis
vrirent peu apres l'avoir relache. Le jour prevu pour son depan, il re~ut
un nouveau message de l'homme avec qui il avait ere arrete, un journaliste
qu'il avait connu a Barcelone, le Dr Georges Tioli, qui etait lie a une
camarade d'enfance de Hj0rdis et servait de « boite aux lettres » depuis
quelques semaines. II alla a ce rendez-vous et y fut arrete. C'etait cette
fois definitif et sans retour: jamais sa compagne ne parvint a tirer des
autorites espagnoles une seule information le concernant.
Comme on sait, le militant suisse Paul Thalmann apprit fortuitement
Lettre de Munis a Trotsky1
sa presence clans la prison privee de la Puerta del Angel OU il etait Paris, 22 avril 1937
lui-meme detenu debut aout. La legation d'Espagne a Prague annon~a
officiellement a sa sa:ur, citoyenne tchecoslovaque aussi, que, selon les Estime camarade,
informations qui lui avaient ete fournies par le directeur de la Surete, A travers d'innombrables vicissitudes et difficultes, la voix de la Ive
Wolf avait ete remis en libene le 13 septembre. II ne devait jamais Internationale a reapparu en Espagne.. . . .
reparaitre et le mystere ne s'est jamais dissipe a son sujet. C'est a peu pres Nous avons envoye des exemplaires de La Vaz Lenzn~sta~ pre1?1ier
a la meme epoque, en janvier 1938, que les informations recueillies numero de notre organe, dont nous voulo~s ass~rer. la pubh~at~on regu-
« officiellement » par un depute socialiste fran~ais indiquaient que Wolf liere bimensuelle, a diverses adresses de 1organisation mexicame et au
etait « detenu » et ... accuse d'avoir pris part aux journees de mai; par destinataire de cette lettre. .
ailleurs une depeche de presse se faisait l'echo de rumeurs persistantes a Notre travail commence par des camarades de divers pays v:enus
Moscou selon lesquelles il avait ere fusille a Moscou, en meme temps que combattre en Esp~gne et par G. Munis, vieux militan~ de ~a lzquierda
l'ancien consul general Antonov-Ovseenko, a l'issue d'un proces a huis comunista, s'est heune des l'abord a tous les ?bstacles tma~m~bles d~ la
dos. Les efforts desesperes de Hjf6rdis pour obtenir d'autres informations pan de la direction du P.O.U:M., auxquels ~'aw~tent ceux mherents a la
devaient demeurer vains. Le sort precis d'Erwin Wolf n'a jamais ere domination du Front popula1re dans une situation de guerre. Nous au-
connu bien qu'il soit evident qu'il fut liquide par le G.P.U. Le responsable rions aime, sans doute, organiser plusieurs groupes et entreprendre un
allemand du G.B.L., Freund-Moulin connut, on le sait, le meme destin.
travail regulier. . .
Plus heureux, Munis, Carlini et les autres B.L. du groupe espagnol, Aujourd'hui, le nombre des Espagnols est le doubl~ smoi_i .le tnple
bien qu'inculpes d'avoir assassine un agent du G.P.U. 21 echapperent fina- des errangers et nous avons acquis une personnalite pa"!11 les militants du
lement a leurs assassins. L'emotion provoquee par l'assassinat de Wolf ne P.O.U.M. et les elements les plus consc1ents de l'anarch1e.
depassa pas la frontiere de son organisation. Etant donne la situation generale de la lune des classes en Espagne et
les caracteristiques politiques du P.?.U.M., ~n d~s probleme.s ~es .plus
ardus et qui devait etre discute, Ctatt la tactique a adopter v1s-a-v1s de
celui-ci. . . . ,, ,, . . 1
A Barcelone, siege de notre trav:ail, la d1scuss1.~:m a ete t~es, onf'fe et a
fait apparaitre deux teridances essentielles. Une qm proposatt 1entree clans

21. Cf. note 14, page 72. --1.-Houghton Library, bMS Rus 13-1, 3450, traduite du castillan par J. Cavignac.
86
CAHIERS LEON TROTSKY 10 DEUX LETTRES DEG. MUNIS 87

le P.O.U.M., y compris a titre individuel et l'autre qui l'admettrait seule- pression de la base de Ba~celone. En ce ca.s, disposant d'un temps tres
ment comme garantie d'un travail fractionnel et en conservant de toute precis, nous pourrons realiser un bon travail. . . ..
fac;on un noyau exterieur independant. Nous attendons votre opinion sur ce probleme, ams1 que la crmqu~
La premiere. des .tendances appuyait sa position sur l'impossibilite de notre travail par le canal de l' organisation franc;aise que je rencontrerai
que !a bureaucraue pmsse octroyer le droit de fraction et la necessite de se dans quelques jours. . .
her a la base a toute force. Mais elle faisait abstraction des conditions Je n'ai pas besoin de vous dire !'importance qu'aura la publication
generales du mouvement ouvrier, de l'urgence de la situation et oubliait dans La Voz Leninista de tout travail que vous pourriez faire sur la
surtout que l'entree individuelle donnerait a la bureaucratie du P.O.U.M. revolution espagnole.
~e/ no?Ibreuses ~ccasions de disperser un groupe genant. Cette merhode a
et~ m1se en prat1que contre les propres militants du P.O.U.M. qui posse- Je vous salue cordialement.
da1e~t un plus grand esprit critique. En realite, cette tendance faisait Paris, 22 avril 1937
co1?-f1ance a la possibilite d'une regeneration apartir des « forces intemes »
(Nm-Andrade). Le R.S.A.P. faisait aussi confiance aux forces internes Les G. Munis.
militants qu'il a actuellement a Barcelone sont les plus acharne~ du
P.O.U.M. contre les bolcheviks-leninistes. Pour les envois d'imprimes, lettres et originaux de peu d'importance,
vous pouvez utiliser l'adresse suivante: Julio Herrera,
La seconde position, qui l'a emporte, considerait principalement la Vall Honrat 23, 2e gauche
~Ont~e generale de la r~action conduite par le stalinisme, face a laquelle la Barcelone2
direction du P.O.U.M., mcapable de prendre !'initiative d'une rectification
honnere, et, au fond, ni meme de donner libre cours a la discussion
politiq~e, se/ verrait forcee de dem~nteler toute action coherente que Lettre de Munis a Klement
pourra~ent deployer les b.l. en son sem. D'autre part, il ya la possibilite
de realiser un bon travail d'assimilation parmi les anarchistes, qui serait (Barcelone, 29 decembre 1937)3
totalem~n~ perdu avec l'entree .sans ga~antie, a moins que le temps laisse
par les evenements pour pouvo1r orgamser un travail fractionnel illegal ne Cher camarade,
permette une compensat10n.
Ce n'est qu'avec un grand retard que j'ai rec;u ta lett.re datee du 4
Recemment, le C.E. s' est attele a la tache de demanteler sa section de
novembre. J'ai du pour repondre attendre le temps necessaire pour obte-
Madrid, qui, comme vous le savez, constitue l'aile gauche du P.O.U.M.;
nir quelques informations - cela ne se fait que trop len~ement - sur
elle. ~ souffert les plus rudes attaques et est clans les meilleurs termes
l' affaire Erwin Wolf - les renseignements de ma dermere et avant-
poh~~ques avec les notr.es .. Si l'on ajoute a cela la situation qui, en aucune demiere lettre avaient ete foumis par la commission juridique de la C.N.T.
ma1:11er~~ ne/ nous autonsa1t ~ en.treprendre un travail interieur de plusieurs
qui s'est occupee d'Erwin Wolf comme de tous les camarades. Un cai:ii~­
m01~~ 1 mdependanc~ organ~sat10nnelle se presentait comme la meilleure rade a nous est alle au tribunal n° 13 pour demander des nouvelles, ma1s 11
mamere pour pouv01r canahser vers nous les elements les plus conscients
a ere soumis par « plusieurs individus » a un dangereux interrogatoire,
du P.O.U.M. et de l'anarchisme. Ce nonobstant, la majorite de nos mili-
tants travaillent a l'interieur de ce parti. l'obligeant a abandonner sa demarche. Dernierement, les memes avocats
de la Commission Juridique n'ont trouve pas une seule trace d'Erwin
J:.- t~tre d'information, je doi~ dire que la section b.l. d'Espagne est Wolf clans la jugee n° 13. 11 faut souligner que cette commission. n'est pas
const1tuee de quatre ~roupes, tro1s au front et un a Barcelone; ajoutons du tout ordonnee et qu'a present les avocats eux-memes v01ent cette
quelques camarades isoles clans les provinces et le comite local de la demarche enrayee par l'autorite judiciaire. D'un autre cote, au cons.ulat
section de Madrid (du P.0.U.M.) qui, a !'exception d'un membre est en tchecoslovaque, on nous informe qu'Erwin Wolf se trouve a la pnson
accord total avec nous.
cellulaire de Barcelone, « sexta galeria » (galerie 6). Ils n'ont pas voul~
. Nous esti!11ons que nous avons comme tache primordiale la prepara- nous donner d'autres precisions. Cela cdincide tout a fait avec les rense1-
t10n du congres du P.O.U.M. Le C.E. est dispose a manceuvrer et hater la
.p~ep.aration pour le 8 mai, y coi:iipris avec !'intention de mana:uvrer pour 2. Ce post-scriptum est ajoute a la main.
ehmmer les camarades de Madnd. 11 est probable qu'il se calmera sous la 3. Ibidem, 5114, ecrit en frarn;ais.
88
CAHIERS LEON TROTSKY 10 DEUX LETTRES DEG. MUNIS 89
gnements obtenus par un Chef des Gardes d' Assaut, lequel ajoute que
Wolf attend son expulsion. Le Chef des Gardes d' Assaut a obtenu indi- pour le mouvement ouvrie:. D:autr~ part, il fa~s~it des ~omb~naisons ~~ec
rectement des nouvelles, mais les avocats n'ont pu trouver clans la prison les devises. Ce fut avec lm qu Erwm Wolf a ete empnsonne la premiere
fois au cafe de «La Rambla », parce qu'on le croyait implique clans
aucun Erwin Wolf et clans les dossiers anthropomerriques de la « sexta
galeria », il ne reste que les donnees d'un certain Robin Wolf, emprisonne l'affaire Velman c'est-a-dire l'affaire d'argent OU Tioli erait mele.
clans les memes jours avec Erwin Wolf et relache le 15 septembre4. Cela Je t' envoie ~ne liste des emprisonnes etrangers ; espagnols, il y en a
pourrait etre une confusion avec la prononciation espagnole, et beaucoup 15000. Les plus importants d'entre eux sont ceux du P.O.U.M. ·. En ou~r~
d' Andrade etc. trois membres du C[omite] L[ocal] de Madnd ont ete
plus facile est la confusion intentionnelle. Priere de nous envoyer une
arretes ici :' Eduardo Mauricio, Rodriguez et Grimes 9 ; ce dernier adhere
photo d'Erwin Wolf, pour que les avocats puissent la verifier avec celle de
aux b.l. La plupart des emprisonnes se trouvaient a la ~isposition du
Robin Wolf. Pourtant, les demarches des avocats ne sont pas definitives.
Dans la prison de Barcelone, ii y a maintenant des quartiers auxquels Ministere de l'Interieur, sauf les leaders du P.O.U.M., qm attendent un
l'acces est completement interdit aux avocats. Le consulat aurait pu peut- proces qui n'arrive jamais. . . ,, . ,,
etre localiser Wolf dans un de ces quartiers. Vous pourriez peut-etre le II y a aussi le groupe de 25 anarch1stes qm om. ~es1ste aux gardes
savoir par les deputes social-democrates qui se sont interesses. La com- d'assaut les armes a la main, clans le local du « Com1te de Defensa » en
mission McGovern qui avait le nom de Wolf n'a pu non plus le trouver a septembre. Ils seront juges par le Tribunal de Haute Trahison et. d'Es-
la prisons. pionnage qui vient de se constituer. Le procureur demande la peme de
mort pour tous les 25 camarades qui se sont rendus aux Gardes ~'assaut
Maintenant vient de se constituer chez les anarchistes une commis-
sion a laquelle on accorde une certaine tolerance pour faire des recherches sur la pression directe du Comite regional de la C.N.~. I~poss1ble de
dans les « tchekas » des staliniens. Nous lui avons donne la description donner plus de details « veridiques et verifies». Dans la Situatlon act~ell~,
physique de Wolf et de Hans Freund (Moulin), de qui on n'a pas la on n'arrive jamais a verifier le moindre derail. Par un~ autre ~me, Je
moindre trace depuis sa disparition. Mais ii ne faut faire aucune confiance t' envoie deux documents : une information de notre dermer travail et un
a cette commission. Sa constitution obeit aux derniers pourparlers entre document critique diffuse parmi nos militants comn:ie une sorte de ~u~le­
les anarchistes et les staliniens en vue d'un remaniement ministeriel. La tin Interieur. Par Marseille, j'ai fait un second envo1 de La Voz Lemmsta
presse n'a presque. rien dit, mais les anarchistes demandent la liberation (50 ex.) et par la poste un numero d'_un suppl~ment a La Voz et quat~e
des emprisonnes et les staliniens exigent la persecution des trotskystes. tracts differents colles clans les quartiers ouvners, clans quelques fabn-
Un certain nombre d'anarchistes a ere relache sans que pour cela cesse ques, et distribues a la manifestation officielle lors ~~ la prise de eruel. !
l'emprisonnement des autres. L'argent est bien arrive., ~ais on. ne. pe_ut plus ut1hser. cette methode.
Ladmiral6 se trouve en effet en liberte. Landau7, apres avoir ere Bientot je vous enverra1 d autres md1cat1ons pour le faire. ~as un seul
arrete chez lui par plusieurs « inconnus », on le trouve pas. Les Poumistes imprime n'est arrive. Nous n'avons pas de photo de Sch1!dbach. ~e
le donnent deja pour assassine. n'arrive pas a comprendre quelle est cette adresse de M.R. OU t.u .a_ura1s
Pour ce qui est de Tioli 8, je ne peux paste donner de reponse. Jene le envoye les imp rimes. Je n' ai donne aucun~. adresse avec de .telles mmales.
connaissais presque pas. Par ce que j'ai vu et d'apres !'impression d'autres De qui s'agit-il? Pour les imprimes, n'unhsez que ces tr01s adresses: ...
camarades, ii n'erait qu'un journaliste avec des sympathies brumeuses Pour les lettres cf. l'adresse anterieure.
Nous nous trouvons clans un isolement presque absolu. Seuls quel-
4. L'homme emprisonne sous le nom de Robin Wolf erait un volontaire americain du ques numeros de La Lutte frarn;aise arriva~ent a nos mains yar la v~ie .des
nom de Wolf Kupinsky, dont le nom militant, clans la fraction trotskyste, erait Harry anarchistes. II nous faut la presse fram;a1se, beige, angla1se, mex1came,
Milton. II reussit, lui, a quitter l'Espagne.
allemande. Envoyez presse et livres principaux en lan~ue alle~ande.
5. Le depute de l'I.L.P. John McGovern (1886-1968) avait dirige une commission
d'enquete en Espagne qui avait recherche clans les prisons les antifascistes derenus. Nous avons gagne une influence considerable chez les mternattonaux,
6. Lejeune socialiste fran\:ais Gaston Ladmiral, qui appartenait a la Gauche revolution- mais ils n'ont pas de militants formes. Une partie provient du S.A.P. 10 On
naire de la S.F.I.O. avait ete arrete pendant plusieurs semaines.
7. Ancien de !'Opposition de gauche, Kurt Landau (1903-1937), militant communiste
autrichien, etait devenu un des responsables du P.O.U.M. II ne reparut jamais. --9-.-Eduardo Mauricio erait un militant andalou; ii deva~t ulte.rieuremem ~ejoindre les
8. Tout le monde s'interrogeait sur le role joue par Tioli clans l'arrestation de Wolf. B.L. En revanche Enrique Rodriguez Arroyo, un ma\:on qm vena1t de la Izqmerda comu-
Trotsky avait imprudemment affirme qu'il tenait de W. Held }'information selon laquelle nista, resta au P.O.U.M. · . . ,
Tioli etait un agent du G.P.U. Or Held n'avait pas ecrit cela. 10. Il s'agit du Sozialistische Arbeiterpartei constit~e e~ ,1932,par u~e. sc1ss1on a.gauche
de la social-democratie et renforce par l'apport d'une mmonte de l oppos1t1on de droite alle-
90 CAHIERS LEON TROTSKY 10

po~rrait payer les ~ivr~s cela est :°ecess~ire. ~ais envoyez-les en petits
s! Javier Maestro
cohs au?' adresses md1quees. Env01e auss1 les imprimes qui etaient clans
mes vahs,e~. Gard~ les manuscrits et les photos.
Je ~ a1 envoye aucune lettre aux camarades fran~ais, ni anodine, ni
substant1.elle. ?eulement un petit billet a N[aville] pour lui presenter un
sympath1sant a nous de la colonne internationale qui vient de nous rendre
des excellents services.
Sur la gauche, ~u P.O.U.M. '. j'en parle clans l'information que vous La campagne anti-trotskyste
verrez. On a donne a cette question une ampleur qu'elle n'a jamais euell.
. , Avant Ja conffr~nce inte~na~ionale, nous voulons avoir notre pre- du P.C.E. (1926-1938) ~:-
miere. conference nat10nale, ams1 done il y aura pour celle-la tous les
matenels destines a celle-ci.
Pardonne-moi mon fran~ais, camarade, c' est pour moi un double
effort.
Mes salutation fratemelles. La lutte ideologique du P.C.E. contre !'Opposition de gauche suivit
Barcelone, en Espagne des directives identiques a celles que l'Internationale commu-
le 29 decembre 1937 niste transmettait a tous les partis communistes. (Avec deux caracteres
supplementaires, toutefois, !'indigence theorique, limitation intrinseque
Munis
du communisme espagnol, et le rachitisme d'organisation impose par les
conditions de la clandestinite).

En affu tan t les arm es •••


Bullejos et son equipe se trouverent places en 1926 a la tete du parti
communiste espagnol. II s'agissait d'une direction cooptee par l'I.C. et
plus portee a rechercher la bienveillance de la bureaucratie sovietique qu'a
satisfaire les aspirations de ses propres militants, sans parler de celles du
proletariat espagnol.
C'est ainsi que les frequentes luttes internes du P.C.E. se developperent,
apartir de 1926, dans un cadre reduit aux rivalites personnelles, lesquelles
ont ete enrobees a posteriori d'un langage ideologique convenable.
Cela s'exprime clairement dans les articles de La Antorchal a travers
ses appels constants, en pleine periode de « bolchevisation », a la disci-
pline « leniniste », au « parti de fer)) face aux tendances a l'eclatement et a
l'autonomie de l'Agrupaci6n de Madrid et de la Federation de Catalogne
et des Baleares. C'est en 1926 que commencent les exclusions qui amene-
ront, en 1931, le P.C.E. a une crise interne profonde artificiellement close
mande a~ec J. ~a~ch~;· ~e ~·A:P. avait pris position en 1933 pour la nouvelle Internatio-
~ale, ma!s depms 11 ,s e.ta1t ahgne sur le Front populaire et son representant en Espagne le par l' exclusion des dirigeants « traitres » et « contre-revolutionnaires » : la
Je~ne W~lly. Brandt etalt souvent accuse d'exces de complaisance pour le stalinisme. Mai; la «troika» Bullejos-Adame-Trilla.
breche ams1 ~uvene.par ~e toumant du S.A.P. faait favorable aux b.l.
11. Mums cons~d~ra1t que l'op~osition qui s'etait formee a Barcelone autour de Rebull
et de la cellule 9.2 eta1t une. opposttion « ~en_tr!ste d~ gauche » abusivemem appelee « de ::- traduit du castillan par Carmen Garnier.
gauche » et pensa1t que son importance ava1t ete cons1derablement exageree. 1. Organe bi-mensuel du P.C.E., legal jusqu'en 1928.
92 LA CAMPAGNE ANTI-TROTSKYSTE DU P.C.E. 93
CAHIERS LEON TROTSKY 10

Aucun de ces dirigeants, sauf, occasionnellement, Gabriel Leon Trilla, La Antorcha, en plus des articles cites, rend compte de !'exclusion de
~:est acc~s~ de« tro~sky~me ». I1 s'agissaitde purges internes provoquees par Trotsky et de Zinoviev du c.c. du P._c.u.s., de I' exclusion de '!'rot~ky du
1mcapaclte de la direction du P.C.E. a comprendre le processus politique C.E. de l'I.C. et, enfin, de l'exclus1on de Trotsky et de Zmov1ev du
espagnol avant et apres le 14 avril 1931.[ ... J P.C.U.S. Cette information fut donnee sans commentaire pour «faire face
C'est seulement vers la fin de 1926 qu'apparaissent clans les colonnes de aux rumeurs insensees » de la presse bourgeoise. Malheureusement, !'in-
La Antorcha des references a l'Opposition de gauche d'u.R.S.S. sous la forme terdiction de La Antorcha a partir de 1928 ne permet pas de connaitre les
d'une serie d'articles de Jan Sten au titre significatif de « Leninisme OU profils publics qu'aurait acquis la campagne anti-trotskyste d~ .P:C.E. et
trotskysme ? »2. c'est une lacune irreparable car les annees 1928-1931 seront decmves.
Les articles de J. Sten inaugurent en Espagne, avec deux ans de retard,
l'attaque contre les pratiques fractionnelles des opposants russes en signalant
La logique ultra-gauche
q1;1e « !e passage au trotskysme en 1925 de !'Opposition representee par
Zmov1ev et Kamenev montre clairement la necessite d'une large discussion
Avant d'analyser les aspects les plus marquants de la lutte anti-
et d'un eclaircissement des divergences existantes entre la majorite du P.C.
russe et }'Opposition». trotskyste du P.C.E. en periode republicaine il convient de rappeler que
l'I.C., durant l'ete 1928, prit un tournant ultra-gauche clans le double
Apres un rapide bilan retrospectif de l'activite « erronee »des dirigeants
espoir de contrec.arrer d'une part }es .elemen.ts destabilisateurs int~r~e~
les plus connus de !'Opposition, l'auteur reconnait que la question qui soude
qu'une prolongat10n de la NEP eut mtrodmt clans la nouvelle. reahte
le b.lo~ de l'Opposition est bien la negation de la possibilite de construire le
sociale de l'u.R.S.S. et, d'autre part, pour couper l'herbe sous les p1eds des
soc1ahsme clans un seul pays. L'Opposition est comparee a « un bloc de
oppositionnels en empruntant en partie leurs propositions. Cependant, le
toutes les fractions et groupes qui se sont dresses deja clairement contre
contenu de ce tournant ultra-gauche, appele aussi « troisieme periode »,
Le?ine », &lissant vers des positions mencheviques et utilisant des arguments
n'etait qu'une caricature de !'alternative de gauche proposee par l'_Opp~si­
qm revena1ent a de« simples repetitions social-democrates ».Qui plus est, et
tion en U.R.S.S. L'I.C. fit connaitre urbi et orbi sa nouvelle onentauon
pou~ q.u_'a,ucun doute ~e soit permis, l'auteur ajoute que ceux qui nieront la
enracinee sur une ligne « classe contre classe ». On affirme que seuls. les
poss1b1hte de constrmre le socialisme clans un seul pays « remettent en
P.C. rattaches a l'I.c. representent les interets historiques du proletariat.
question la legitimite de la revolution d'Octobre »3.
D'apres u?e telle logique, les soci~listes devenaient cl.es « social;fasc~stes »,
Au .de?~t de l'an~ee 1927.les articles de La Antorcha deviennent de plus
les anarch1stes, des « anarcho-fasc1stes ». Le front umque que 1LC. impul-
e? plus mclSlfs allant JUsqu'a impulser une lutte opiniatre contre l'Opposi- sait maintenant avec enthousiasme devait se realiser «a la base», c'est-a-
tlon en meme temps qu'ils apportent les preuves et les raisonnements a
dire avec la base socialiste et anarcho-syndicaliste, mais en marge et
utiliser contre les oppositionnels par les militants du P.C.E., desorientes,
contre leurs directions respectives. Les P.C. devaient se transformer en
mais en tout cas disposes a entreprendre une telle lutte ideologique pour le
plus grand bien de l'unite du parti « leniniste ». partis de masse capables d'impulser l~ creatioi:i de sov~ets et, une fois, la
majorite conquise, entreprendre une msurrecuon armee selon le model.e
Vers la fin de 1927, avec I'aggravation de la lutte contre }'Opposition en de la Revolution russe. L'instauration de la Republique en Espagne etalt
U.R.S.S., L~ Ant?rcha publie une nouvelle serie d'articles, cette foi.s-ci signes
vue par 1'1.c. comme un evenement « insignifiant » en meme temps que le
par J. Stalme lm-meme, sous le titre didactique: « L'opposition trotskyste
P.C.E. appelait les ouvriers et les paysans a creer des soviets et a instaurer
ava~t. et apresA » 4 , dans lesque~s sont condenses les arguments que le
un gouvernement ouvrier et paysan alors meme qu'il vociferait « A bas la
stahmsme rabachera par la smte contre le « trotskysme·» : conception
republique bourgeoise », . , .
me-?-chevique et anti~leniniste du parti, theorie apparemment « gauchiste »
Le sectarisme, ajoute a l'incomprehens10n du processus democr~u­
ffi~IS ?ans le fond clairement opportuniste sur la« revolution permanente », que bourgeois qui provoqua l'instauration de la Republique, .fut un p~>Ids
mepns de la paysannerie, etc.
que le P.C.E. traina jusqu'en 1934 ce qui explique sa stagnation pohuque
et organisationnelle.
2. Au debut de la lutte ouverte en U.R.S.S., contre !'Opposition, Staline intitula sa On trouve un bon exemple de cette attitude sectaire clans !'article« Les
reponse : (( Trotskysme OU Leninisme » ; Zinoviev : (( Bolchevisme OU trotskysme » • et Kamenev : socialistes louent Trotsky», publie par Mundo Rojo le 21 janvier 1932:
« Leninisme ou trotskysme ». '
3. La Antorcha, 31 decembre 1926 et numeros suivants. « L'ideologie du menchevik Trotsky est l'ideologi~ de l'ennemi de c~asse: celle
4. La Antorcha, 2, 9, 23 et 30 decembre 1927. du capitalisme moribond, celle de la contre-revoluuon. C'est la log1que de la
94 CAHIERS LEON TROTSKY 95
10 LA CAMPAGNE ANTI-TROTSKYSTE DU P.C.E.

b~mrge?isie desesperee qui pretend sauver la bourgeoisie, aider la contre- Communiste et le trotskysme7, qui fut la premiere contribution impor-
revoluuon, ecraser le proletariat revolutionnaire » 5. tante du P.C.E. pour aborder le trotskysme. La revue thforique du P.C.E.
Ces invective~ furibondes coincidaient avec la formation en Espagne, Bolchevismo n° 2 de mai 1932, salua avec enthousiasme la publication de
e.r: 1930, du premier noyau nettement trotskyste: }'Opposition Commu- ce livre.
L' reuvre de Bullejos peut etre consideree comme la principale publi-
mste . de. ~auc?~ Espagnole, dont un des principaux animateurs etait
Andres Nm, dmgeant de la C.N.T.' secretaire de }'Internationale syndicale cation anti-trotskyste du P.C.E. Elle est dediee au « Camarade Staline,
r<?!-lge et etroitement lie aux luttes des opposants russes pendant son organisateur de la victoire du proletariat » :
S~Jour en U.R.s_.s. (1921-1930). Peu de temps apres, vers 1932, l'Opposi- « Nous allons mettre a decouvert ici la veritable face des trotskystes, lesquels
tl<?~ Commumste de Gauche Espagnole comptait pres d'un millier de se nomment a tort communistes et meme leninistes, alors qu'ils ne sont, en realite,
°?~lit.ants..... ~a~allelement la Federation de la Catalogne et des Baleares qu'une tendance social-democrate contre-revolutionnaire » 8 .
S etalt defmmvement separee du P.C.E. en 1930 et, sous la direction d'un
Le trotskysme est encore considere comme une tendance social-
~utre ~e~bre de la C.N.T., Joaquin. Maurin6, fut creee en Catalogne
l o~g~ms~tI?n. . ~e masses Bloc Obrer 1 Camperol, liee a la precedente et democrate du mouvement ouvrier bien que contre-revolutionnaire. Bulle-
qm reuss~t ~ evmcer le P.C. catalan de Catalogne. Meme si a }'occasion, le jos fait allusion au « gauchisme » formel des trotskystes, aux calomnies
P.C.E. tra1ta1t Maurin de « trotskysant » i1 est certain que tant le P.C.E. que qu'ils deversent contre 1'1.c. lorsqu'ils qualifient sa politique de « centris-
l'O.C.E. esperaient le gagner a leurs positions respectives etant donnee sa te », etc. :
condition de « centriste ». «En realite la position du trotskysme est une position de "droite" et de
C~pendant Maurin se trouvait plus en accord avec un communisme "centre", une position opportuniste qui essaie de freiner le mouvement revolu-
de drotte - boukhariniste - et avec l'idee nationaliste revolutionnaire tionnaire, qui a tendance a la conciliation avec l'ennemi et qui adopte une fa~a~e
selon laquelle le catalanisme serait le detonateur de la « seconde revolu- "gauchiste" a seule fin de rendre plus acceptable par les masses sa marchand1se
tion » en Espagn~ apres ~a tentative democratique bourgeoise de 1931. politique deterioree pour mieux les tromper » 9 .
. . Sur le plan mternat1onal, Trotsky, des son exil en Turquie, multi-
Le chapitre suivant du livre de Bullejos concerne ce qui devint p~ la
pha1t les contacts entre les oppositionnels avec la tenue a Paris en 1930 de
suite le cheval de bataille entre staliniens et trotskystes : la question,
la reunion constituante de !'Opposition de Gauche Internationale dont la
gouvemement ouvrier et paysan ou dictature du proletariat. Po~r le P.C.E.
n;i~si?n etait e~core de demeurer en tant que «fraction bolchevique- qui pronait en Espagne la formation d'un gouvernement ouvner et p~y­
lemmste » au sem de l'I.C. et de ses sections nationales dans l'attente de
san, cette orientation revenait a conquerir l'hegemonie clans la revoluuon
leur « redressement ».
democratique populaire et, une fois accomplies les taches propres a cette
etape, le moment serait arrive de la transformer en rev?luti_on P!~l~ta­
L'apport de Bullejos rienne socialiste. En revanche, les trotskystes, selon Bulle1os, 1dent1f1a1ent
le Gouvernement ouvrier et paysan avec le Kuomintang.
,Ners la fin de 1931 Bullejos terminait la redaction du livre Le Parti Quand les trotskystes demandent: « Si le Gouvernement ouvrier et
paysan n' est pas identique au Kuomintang, en quoi consiste alors la
difference qu'ils etablissent avec la dictature du proletariat? », cette ques-
5. Mundo Rojo, 21 janvier 1932. tion embarrasse Bullejos qui se voit clans l'obligation d'avouer que:
,. ,6. ]uventu,d Roja, orga?e ~e la Je?nesse Communiste, du 15 juillet 1931 reprend
l,mteres~ante resolu~1on de l Un~o.n_ N~t1onale des Jeunesses Communistes d'Espagne sur « Meme si cette question semble logique et fondee quant a sa formulation de
~expulsion ?e
M~unn: «~a. duphctte,_ b~en que d'a~cord par le vote clans l'I.C., en pratique par sa valeur theorique elle ne vaut pas mieux que la celebre question de Fersen
10
11 combatta1t la hgn_e poht19ue et fa1s~1t un travail de sape pour affaiblir la cohesion du qui demandait pourquoi ne pas s'attaquer a tOUS les ennemis en meme temps (... )
P.C.E.,, sa c~ncep~1on pettte-bourge01se de la revolution democratique et son activite
Le trotskysme oublie que les classes authentiques, reelles, sont plus vivantes que
ci:mtre-:evoh~tion~a1re, son trotskysme camoufle, toute sa conduite dans le mouvement
re~oluttonna1re exigent cette mesure d'expulsion, le denonc;ant devant toute la classe ou-
v:1ere comme un r~negat du communisme, comme un agent de plus de transmission de 7. Jose Bullejos: Le PC et le trotskysme. Ed. Mundo Obrero, Madrid, 1932, 152 pages.
l'mfluence bourgeo1se clans les rangs revolutionnaires ». 8. Ibidem, page 13.
, ~~pendant, Mundo <?bre:o du 10 decembre 1931 proposa la tenue d'une Conference 9. Ibidem, p. 20-21.
d umte avec le B.0.C. qm, log1quement, fut refusee par Maurin au nom de son organisation. 10. Fersen, pseudonyme de Luis Fernandez Send6n, appartenait ala C.E. de l'O.C.E.
96 CAHIERS LEON TROTSKY 10 LA CAMPAGNE ANTI-TROTSKYSTE DU P.C.E. 97

leur reflet abstrait clans la tete des trotskystes. ( ... ) Ceux-ci ne luttent pas pour la Bullejos, son origine clans la conception anti-leniniste du parti qu'ont les
revolution; ils la contemplent, la jugent, en font de la philosophie a bon marche, trotskystes ; paraphrasant Staline - dont « les idees sont basees sur les
operent exclusivement avec des abstractions » 11 . enseignements de Lenine » Bullejos ajoute:

La pauvrete de la reponse ne fait que souligner les limitations theori- «Les trotskystes ont une conception du parti entierement differente de celle
ques de Bullejos, car le centre du differend entre les partisans de l'une ou que le leninisme nous enseigne. Cette difference peut s'exprimer brievement en
de l'autre de ces formules algebriques du pouvoir ne reside pas tant entre disant que les trotskystes sont partisans de !'existence a l'interieur du Parti de
differentes fractions avec des plates-formes politiques differentes et avec une
ceux qui « attaquent tous les ennemis en meme temps » et ceux qui disent organisation independante, tandis que la conception leniniste refuse une telle
« di vise et tu vaincras » qu' en la caracterisation que l' on ferait de la pretention de fac;on categorique » 15.
paysannerie en tam que force sociale et de sa capacite a exercer l'indepen-
dance politique. En effet, cette affirmation vient donner une reponse a la conception
Les chapitres suivants de cette ceuvre sont consacres a des themes du parti revolutionnaire exposee clans El Soviet n° 1, organe de l'o.I.E.,
moins hasardeux. En premier lieu, !'auteur examine la tactique des trot- clans les termes suivants :
skystes dans la revolution espagnole. 11 considere que leur mot d'ordre
« Sans cesser de lutter obstinement pour doter le parti de cette base nous ne
«tout le pouvoir aux socialistes » est funeste, entre autres raisons parce nous lasserons pas de demontrer aux ouvriers revolutionnaires que cette base est
que la moitie du mouvement ouvrier espagnol milite a la C.N.T., ouverte- parfaitement compatible avec /'existence d'un parti unifie clans lequel ait cours la
ment hostile aux socialistes, et, d'autre part, parce que le « crerinisme plus large democratie interne » 16.
parlementaire » de Trotsky exagere «de fa\'.on inadmissible !'importance
des Cortes clans la vie politique du pays»; pour Bullejos le role du parti Pour Bullejos, une telle declaration mettait en evidence que:
revolutionnaire consiste a aider les masses a « en finir radicalement avec « Les trotskystes representent un parti independant du notre et ils veulent
les illusions parlementaires, et non a les ressusciter avec des propositions detruire notre Parti en y entrant (... ) Le parti communiste doit etre le parti unique
telles que celle d'elire des Cortes plus democratiques » 12. et uni du proletariat » 17.
En ce qui concene le principe d'autodetermination des nationalites,
que les trotskystes defendent, Bullejos ne considere pas que ce soit une La conclusion ne peut etre qu'un chapitre consacre a« Trotskysme et
fa\'.on d'« organiser un mouvement d'emancipation nationale, mais seule- menchevisme » dans lequel on ressuscite toutes les divergences entre Le-
ment (une fa\'.on) de defendre le democratisme » moyennant «le suffrage nine et Trotsky depuis 1903-1917 au sein de la social-democratie russe.
universe!, egalitaire, direct et secret des regions interessees pour qu'elles « L'une des ressources demagogiques des trotskystes consiste a deformer la
puissent definir leur destin » 13. verite historique pour presenter Trotsky comme le "successeur nature! de
En deuxieme lieu, il critique la lutte des trotskystes contre l'u.R.S.S. Lenine", affirmant que Trotsky s'est toujours trouve plus pres de Leoine qu~ ~e
lorsqu'ils caracterisent l'Etat sovierique de bureaucratic, lorsqu'ils nient la parti bolchevique lui-meme (... ) (cependant) le trotskysme est une tendance polm-
possibilite de construire le socialisme clans un seul pays par-dessus les lois que farangere et hostile au leninisme. Le trotskysme est une espece de menche-
du marche mondial et lorsqu'ils vituperent Staline sans pitie. visme; aux antipodes du bolchevisme (... ) L'ouvrier revolutionnaire comprendra.
En troisieme lieu, clans le chapitre intitule « Les trotskystes et l'unite aisement que l'esprit de conciliation vis-a-vis du menchevisme dont Trosky a
toujours fait preuve, et qu'il conserve toujours, n'est pas un pheno~ene d~ au
du parti >>, Bullejos affirme que les trotskystes aident l'ennemi de classe
hasard mais il reflete fidelement la parente qui existe entre toute son 1deolog1e et
lorsqu'ils disent que «la campagne de Front Unique dirigee par le Parti l'ideologie de la social-democratie. En revanche, la lutte implacable soutenue par
contient "mensonges et tromperies", qu'elle cache "la politique de la le leninisme contre le menchevisme, tant sur le terrain de }'organisation que sur
demagogie unitaire et de la pratique de division", qu'elle defend, non celui de l'ideologie, reflete l'abime existant entre le leninisme en tant que seule
l'interer du proletariat, mais "l'interer particulier d'un parti politique ligne revolutionnaire du proletariat, et le menchevisme, agent de la bourgeoisie.
determine"» 14. Cette campagne insidieuse contre le P.C.E., a, selon ( ..• ) » 18

11. Jose Bullejos, op. cit., p. 35-40. 15. Ibidem, p. 90.


12. Ibidem, p. 47-52. 16. Ibidem, p. 90-91.
13. Ibidem, p. 56-57. 17. Ibidem, p. 91.
14. Ibidem, p. 88. 18. Bullejos, J.: op. cit., p. 103 et 131.
98 CAHIERS LEON TROTSKY 10
LA CAMPAGNE ANTI-TROTSKYSTE DU P.C.E. 99
L'epilogue offre des lignes reconfortantes a ceux des militants du
P.C.E. qui soups:onnaient que le trotskysme puisse etre une tendance revolution, dans lequel il se trouve aujourd'hui si a son aise ». Le paragra-
politique plus importante que ne le disaient leurs dirigea~ts, si l'on en phe se termine par un appel aux ouvriers espagnols pour qu'ils s'infor-
jugeait a la grosseur du livre de Bullejos - 152 pages. BulleJOS rassure ses ment de « l'evolution honteuse du renegat Trotsky», dont l'objectif
lecteurs: consiste a desorganiser par tous les moyens le mouvement communiste en
Espagne23.
«Si nous avons porte le premier coup aux trotskystes, ce n'est pas, ~videm­ L'autre brochure, Les renegats du communisme: le «Bloc Ouvrier et
ment, parce qu'ils possedent une quelconque force reelle sur le pays, car il est d.u Paysan », Les trotskystes24 revet un plus grand interet du point de vue qui
domaine public qu'ils sont loin d'exercer la moindre influence sur les masses (ma1s
parce qu'ils sont apparemment) le groupe le plus proche du parti » l9.
nous occupe. 11 commence par une diatribe contre tous ceux qui ne
luttent pas contre les « social-fascistes » et les « anarcho-fascistes », les
Et c'est pourquoi il conclut: considerant comme de «petits-bourgeois» au service de la contre-
revolution.
« La rache d'en finir avec cette division doit etre menee a bien sans concilia-
tion avec l'ideologie ec la direction officielle de l'anarchisme, du socialisme, ou du 11 est interessant de reproduire les arguments que brasse le P.C.E.
pseudo-communisme, mais en les combattant, en les detruisant et en liberant les lorsqu~il critique !'orientation trotskyste d'« impulser les socialistes vers le
masses de leur influence » 20. pouv01r»:

« ( .•. ) Les social-fascistes espagnols se sont toujours appuyes et continuent a


le faire, sur une base parlementaire bourgeoise, ils font partie du gouvernement du
L'anti-trotskysme comme condition bloc bourgeois-latifundiste, ils sont eternellement responsablcs des actions de ce
gouvernement. "Pousser les socialistes au pouvoir" dans la situation actuelle de
Encore en phase gauchiste, le P.C.E., pendant les annees 19~2- l'Espagne ne contribue pas a demasquer les socialistes, mais au contraire, a vivifier
1933, publia deux brochures interessantes. Le passage de la revolutt?n les illusions sur le revolutionnarisme des s'ocialistes. Il est tres important de
democratique bourgeoise a la revolution socialiste2 1 , fut publiee a la smte signaler que, clans la conception trotskyste, la ligne qui consiste a pousser les
des critiques formulees au P.C.E. par le responsable de l'I.c: pour les pays socialistes au pouvoir est intimement liee a un indubitable cretinisme parlementaire
latins, Manuilsky, qui fait une incursion historique pour faire ressorttr les qui revele clairement le caractere traitre du trotskysme » 25.
profitables enseignements que l' on peut extraire du parti bolchevique en
Peut-etre la jonglerie la plus fallacieuse de la brochure est-elle !'iden-
tant que modele de parti revolutionnaire. lei les references a Trotsky sont
tification qu'elle s'efforce d'erablir entre les partisans de Maurin et de
de rigueur. On peut lire que la theorie de la« revolution permanente » .n'a Trotsky lorsqu'elle declare que:
rien en commun avec ce que Marx et Lenine ont dit sur la revolution
mmterrompue : « Ils "agissent" separement les uns des autres. Ils vont jusqu'a se rejeter
reciproquement. Entre eux existent, c'est certain, des differences serieuses. Mais
«Trotsky ne croyait pas dans les possibilites revolutionnaires du mouvement
ils sont cl' accord sur le fondamental ( ... ) : l'attaque calomniatrice et traitresse
paysan ( ... ) . enveri l'I.C. et sa section espagnole ( ... ); il existe de fait un bloc entre maurinistes
Trotsky, en opposition a Lenine, considerait la revolut10n russe comme et trotskystes » 26 .
interieurement impuissante et condamnee, le lendemain meme de la victoire ( ... ) si
le proletariat de l'Europe occidentale ne conquerait pas le pouvoir immediatement Plus loin le texte explique le point d'accord entre les deux: la critique
et ne pretait pas immediatement son appui "d'etat" a la revolution russe » 22 .
qu'ils avancent contre la formule du pouvoir « dictature democratique
Le redacteur de la brochure ne s'etonne plus que la thforie de la revolutionnaire du proletariat et de la paysannerie » et lorsqu'ils situent la
revolution permanente ait amene Trotsky « sur le terrain de la contre- revolution espagnole en « periode descendante » 27.

19. Ibidem, p. 134. 23. Ibidem, p. 16.


20. Ibidem, p. 139. . . 24. Les renegats du communisme: "le Bloc Ouvrier et Paysan » de Maurin, Les trotskys-
21. La transformation de la revolution democratique-bourgeoise en revolution SOCta- tes. Ed. Edeya, s.f., 56 pages.
liste, brochure des editions Edeya, s.f., 32 p. 25. Ibidem, p. 18.
22. Ibidem, p. 15. 26. Ibidem, p. 23.
'· I 27. Ibidem, p. 23.
I I

100 CAHIERS LEON TROTSKY 10 LA CAMPAGNE ANTI-TROTSKYSTE DU P.C.E. 101

Des « Alliances Ouvrieres » au Front populaire anti-fasciste doublees, entre juillet 1936 et mai 1937, d'une revolution sociale qui, clans
une large mesure, privait l'Etat et l' Armee republicains de leurs fonctions.
Les annees qui suivent 1933 sont marquees par de grands change- "I Les organes de « double pouvoir » - comites, gouvernement et milices
ments. Sur le plan international la defaite du proletariat allemand en 1933 ouvrieres - mettaient en question les alliances du Front populaire et la
et le triomphe du national-socialisme qui s'en suivit en Allemagne fut politique de non-intervention a laquelle l'u.R.S.S. etait attachee afin de
determinant par rapport au changement d'orientation de !'Opposition de s'assurer !'entente avec les democraties occidentales face au fascisme.
Gauche Internationale. Trotsky conclut a la faillite de 1'1.c. et decida L 'U.R.S.S. des l'automne 1936 insistait sur la necessite d'eliminer toutes les
d'impulser un mouvement pour la fondation d'une nouvelle Internatio- organisations espagnoles qui ne respectaient pas le cadre de l'Etat bour-
nale. En Espagne, l'O.C.E. se transforma en Gauche Communiste Espa- geois. Les appels etaient clairement diriges contre le P.O.U.M. et les
gnole (I.C.E.) en meme temps que les relations avec Trotsky devenaient anarcho-syndicalistes, mais aussi contre les partisans de Largo Caballero.
plus rares. Avec ces donnees en main, la virulence de la campagne anti-trotskyste
Simultanement, tant en Espagne que dans les autres pays europeens, avait un objectif clair: faire en Espagne des proces semblables a ceux de
le triomphe et le danger d'extension du fascisme creaient un processus de Moscou.
radicalisation du mouvement ouvrier et aussi au sein des partis socialistes. Le discours de Comorera, secretaire general du P.C. Catalan, pro-
En Espagne cette radicalisation coi:ncidait avec la defaite de la gauche face nonce au Gran Price de Barcelone le 20 decembre 1936 et reproduit clans ,
au bloc electoral droitier CEDA en novembre 1933, changement qui expli- la brochure du P.C.E. Notre situation politique actuelfe2S, inclut un aparte
que le bilan negatif que le P.S.0.E. se hatait de tirer de sa precedente important sur le document que le P.S.U.C.-U.G.T. de Catalogne remit de
participation ministerielle et, en ce qui concerne la tendance de Largo fa~on officielle a la C.N.T.-F.A.I., dans lequel on proposait « une epuration
Caballero - majoritaire dans l'U.G.T., la plus nombreuse dans le P.S.O.E. gouvernementale » car:
et ayant l'hegemonie dans les J] .SS .. Ils y ecartaient meme la possibilite du
passage pacifique de la Republique bourgeoise a l'etat socialiste. Malgre «!'experience menee pendant deux mois et demi nous avait convaincu qu'un
Conseil ne peut aller de l'avant si dans son sein, abusant de la situation et de la
cela, tant l'I.C. que le P.C.E. s'obstinaient dans la poursuite de leur ligne et
loyaute des autres, s'infiltrent des demagogues irresponsables que l'on peut quali-
mettaient plus d'un an a reagir face a la nouvelle situation internationale. fier frequemment d'apres leurs interventions d'agents provocateurs ( ... ) Nous
Le P.C.E. ne prit la decision de participer aux Alliances Ouvrieres, concre- exigeons que nul representant de la fraction trotskyste, qui s'est empare d'un
tisation du front unique, qu'en derniere minute, fin septembre 1934, peu mouvement responsable sans l'avoir cree, ne fasse partie du nouveau conseil ( ... )
de temps avant !'insurrection asturienne d'octobre. Ce changement tardif car cette fraction trotskyste a mene de fo;on systematique une politique de
est attribue en general au fait que 1'1.c. permit qu'en France et en Espagne division. La conduite du groupe trotskyste ( ... )au moment precis ou l'Allemagne
soit tentee une approche communiste des autres organisations ouvrieres et le Japon signaient un pacte d'alliance ( ... ) injuste et systematique de notre
avant que le VIie Congres de 1'1.c. n'approuva, l'ete 1935, le nouveau Internationale ( ... ) qui s'ajoutait ainsi a l'action internationale du fascisme, qui se
visage, cette fois-ci droitier, en faveur de la constitution de fronts popu- fait fort d'affirmer, de decouvrir, de reveler et de denoncer que nous sommes une
laires avec les forces democratiques-bourgeoises pour combattre la me- succursale de Moscou, que nous sommes une colonie sovietique ( ... ) »29.
nace fasciste. Cette premiere attaque est dirigee contre Andres Nin, conseiller de
justice a la Generalidad, et contre le P.O.U.M .. 11 est facile de constater
comment la caracterisation que l'on fait du trotskysme a change. Dorfoa-
Les trotskystes, agents fascistes vant il ne sera meme plus considere comme une tendance du mouvement
ouvrier, mais seulement comme la« cinquieme colonne » du fascisme. La
La treve ideologique ne mit pas longtemps a se briser. Et de quelle circulaire interne publiee au debut de 1937 par le P.C.E.' ecrite par Staline
fa~on !Apres le soulevement de Franco et l'eclatement de la guerre civile, lui-meme est intitulee: Preparation politique et epuration de nos cadres
la campagne anti-trotskyste atteint alors une ampleur insoup~onnee.
D'une part, le debut des proces de Moscou en aout 1936 fut un stimulant
important, meme si ces proces n'eurent pas un tres grand echo en Espa-
28. Sese-Barrio-Comorera: Notre situation politique actuelle Ed. du Parti Socialiste
gne en raison des circonstances exceptionnelles creees par la guerre civile. Unificat, s.f., 21 pages.
D'autre part, les operations militaires clans le camp republicain etaient 29. Ibidem, p.15.
LA CAMPAGNE ANTI-TROTSKYSTE DU P.C.E. 103
102 CAHIERS LEON TROTSKY 10
entreJ?rire?t contre l'ordre erabli. Derriere le «putsch» il y avait un plan
dans la lutte contre Les saboteurs trotskystes30. 11 s'agit du rapport pre- mach1avehque que le document decrit de la fa\:on suivante:
sente par Staline a la reunion pleniere du c.c. du P.C.U.S. le 3 mars 1937.
Le rapport fait ressortir que le trotskysme n' est plus ce qu'il etait il y a «Au moment culminant de !'offensive factieuse clans le Nord au mois de
sept ou huit ans. 1l n'est plus un courant politique de la classe ouvriere, il mai, le P.O.U.M. dechaina le «putsch» contre-revolutionnaire en Catalogne (... )
est devenu « une bande cynique et sans principe de saboteurs, d'agents Le P.O. U.M. a cependant des defenseurs parmi lesquels on remarque Largo
terroristes ... et d'assassins, qui agissent selon les instructions qu'ils re'Yoi- Caballero ( ... ) non seulement ils n'ont pas condamne le P.O.U.M. mais ils le
vent des Etats errangers ». Selon cette metamorphose, defendent chaque jour avec plus de passion (... ) II est necessaire de verifier les
antecede?ts ~t. la con_d~ite de ~eux des militants sur lesquels retomberait quelque
« ( ... ) La procedure a suivre contre le trotskysme actuel n'est plus la vieille doute, s1 mm1me so1t-1l, et s1 cela se confirme, les exclure immediatement des
rnethode de discussion, rnais celle qui conduit aleur extirpation et ecrasement » 31. rangs du Pani » 35.
Ces indications serviront de base a la preparation de la II° Confe-
rence du P.C.E. qui eut lieu en 1937. En effet, le projet de theses politi- Proces de Moscou en Espagne?
ques comporte un appendice: «la lutte contre le trotskysme »32. Le
document souligne la caracterisation que le secreraire general du P.C.E., La « chasse aux sorcieres » concernait, comme on le voit, routes les
Jose Diaz, fait du trotskysme: tendances du camp republicain. Ce document fut ecrit immediatement
« ( .•• ) Les ennemis les plus acharnes de notre cause, agents directs de Franco apres la r~pression contre le P.O.U.M. (on decrera son illegalite, on arrera
clans nos rangs ( ... ) Notre parti doit comprendre qu'il est de son devoir en cette son Comtte Executif et Andres Nin disparut). Le meme document est
occasion de veiller a contrer les projets de l'ennemi, a renforcer la surveillance encore plus explicite lorsqu'il declare qu' « il existe des preuves irrefutables
contre le trotskysme, a montrer largement aux masses des combattants et a que le P.O.U.M. prepara et developpa le soulevement en accord avec des
l'arriere garde le role provocateur et contre-revolutionnaire du P.0.U.M .... » 33 agents de la Gestapo et de l'OVRA italienne » 36. Les preuves de la « trahi-
Apres avoir signale que le trotskysme tient le role d'agent provoca- son » trotskyste en Espagne contiennent des elements d'analyse tout aussi
a
teur de l'imperialisme l'echelle mondiale, il rappelle que ses activites fantaisistes mais offrent au moins des versions differentes sur les conne-
xions entre le fascisme et le trotskysme, specialement « evidentes » apres
sont specialement intenses clans les pays ou la montee revolutionnaire est
la plus forte (U.R.S.S., Espagne, France et Chine). Le document se lamente les evenements de mai 1937. Avant les evenements de mai, a!'occasion de
de ce qu'il y ait encore des gens qui pensent que le trotskysme constitue la ~onference Nationale des Jeunesses Socialistes Unifiees, a Valence, en
un courant politique du mouvement ouvrier. Pire encore: av:il 1937, le secretaire de laJ.S.U., Santiago Carrillo, pronon\:a les paroles
smvantes, reproduites dans la brochure du P.C.E., «En marche vers la
« Cenains anarchistes et socialistes s'obstinent a vouloir le prouver. Ils arri- victoire » 37 :
vent meme a dire que tous les crimes imputes aux trotskystes ne sont que des
inventions des communistes qui ne pardonnent pas a ceux qui ont renie l'I.C. Ils « ( .•. ) N?us luttons pour la Republique democratique, nous n'avons pas
s'agit la d'une fausse appreciation qu'il faut combattre avec grande energie ( ... )Les ho~te de le dire. Nous, face au fascisme et aux envahisseurs, nous ne luttons pas
trotskystes sont les ennemis mortels du Front Populaire et de !'unite d'action de la ~amtenant pour la revolution socialiste ( ... ) Pourquoi, camarades, lorsque nous
classe ouvriere » 34. . d1sons cela les elem~nts trotskystes nous accusent d'avoir abandonne la politique
de classe? Pourquo1 les elements trotskystes nous accusent-ils d'etre une fraction
Puis le document parle du «putsch» de Barcelone en mai 1937 que, de plus _de la democratie petite-bourgeoise? Paree que les elements trotskystes
selon lui, tant le P.O.U.M. que des secteurs incontroles de la C.N.T., savent b~en, en tant qu'agents du fascisme, qu'une autre politique que celle-ci nous
ameneralt a la catastr?phe ; parce que les elements trotskystes savent bien que des
lors que nous avanc10ns le mot d'ordre de revolution sociale nous ferions la
30. Staline, J. : Preparation politique et epuration de nos cadres dans la lutte contre Les politique de Franco et de Mola » 38. '
saboteurs trotskystes. Edite par le Comite Provincial de Madrid, Secretariat de Agit-Prop,
1937, 32 pages.
31. Ibidem,, p. 11, 22-33. 35. Ibidem, p. 3, 4 et 10.
32. La lutte contre le trotskysme. Adjonction ala these politique qui doit servir de base 36. Ibidem, p. 4.
de discussion a la ne conference. Texte dactylographie. 37. Santiago Carrillo: En marche vers la victoire. Ed. Obrera Guerra, Valence, 71 pages.
33. Ibidem, p. 1-2. 38. Ibidem, p. 10.
34. Ibidem, p. 3.
104 CAHIERS LEON TROTSKY 10
LA CAMPAGNE ANTI-TROTSKYSTE DU P.C.E. 105
Santiago Carrillo non seulement connaissait le mouvement trotskyste
mais encore en 1934, avant sa conversion au stalinisme, ce fut lui, avec revolutionnaire pour pouvoir lutter d'une fa;on plus efficace contre la revolution
qu'a visage decouvert (... )41.
Federico Melchor, qui parlait le plus courageusement a l'interieur des
J1 .SS. pour la creation d'une IVe Internationale, allant jusqu'a proposer Mikhail Koltzov, correspondant de la Pravda, contribua aussi a cette
ce~te annee meme que l'I.C.E. entre au P.S.0.E. comme Trotsky le sugge- campagne avec la brochure Preuves de la trahison trotskyste42, ou il rend
ralt. compte de la liberation de Nin par les agents de Gestapo - une version
Quelques mois plus tard, en mai 1937, le discours prononce p~r tres repandue par le P.C.E. a une epoque - d'actes de sabotage, d'anti-
Santiago Carrillo au Comite National des J.S.U. de Valence (reprodmt parlementarisme contre-revolutionnaire, d'entente avec les fascistes, de
dans la brochure Nous sammes /'organisation de la jeunesse39 comportait refus de I' Armee Republicaine, etc., «attitudes toutes du P.O.U.M. par
ces affirmations : lesquelles il prouve clairement sa nature contre-revolutionnaire ». L'au-
« Depuis la Conference N ationale de Valence to us les ennemis de notre unite, teur affirme que de telles attitudes apparaissent deja dans les annees
venant des camps les plus divers, ont apprete leur artillerie contre notre Federation anterieures precedentes. Ainsi, par exemple, Nin eut en 1935 des conver-
( ... ) Qui sont ceux qui forment ce front, fournissent les armes ideologiques pour sations secretes avec Gil Robles et, deja, en pleine guerre civile, au siege
la lutte contre notre unite, fournissant les materiaux que nos ennemis ne sont pas du P.O.U.M. on peut trouver une lettre chiffree de Franco a Nin.
capables de chercher tous seuls? Ce sont les trotskystes, les agents du fascisme. Andre Marty, membre du P.C.F. et commissaire general des Brigades
Nous n'avons pas perdu un seul instant pour demasquer le travail des trotskystes Internationales se mela aussi a la campagne clans des termes semblables
et leur caractere ( ... ) Dans quel sens ont-ils fourni les armes ideologiques aux clans son ecrit: Espagne ... OU se joue le destin de l'Europe, Edeya, s.f., 47
ennemis de l'unite? Voici: notre conference a fae la liquidation de l'esprit revolu- pages.
tionnaire de la J.S.U., notre ligne est une ligne reformiste et petite-bourgeoise, nos En 1938 furent publiees d'autres brochures anti-trotskystes. Parmi
dirigeants ( ... ) sont les dirigeants c.:ontre-revolutionnaires de la jeunesse espagnole
celles-ci le livre de Max Rieger, Espionnage en Espagne43, avec une
et nous sommes Jes chefs de la contre-revolution ( ... ) 11 faut dire que nous n'avons
pas critique le trotskysme qu'en paroles, que nous n'avons pas fait que d'exposer preface de Jose Bergamin et un appendice documentaire. Dans le prolo-
les caracteristiques du trotskysme, mais clans nos actes, nous avons travaille a gue, Jose Bergamin presente le livre en disant:
ecraser le trotskysme et nous pouvons montrer l'accord de la Junte de Defense de « ( ... ) Le lecteur attentif et averti tirera par lui-meme les consequences. Des
Madrid, qui dit comment le P.0.U.M. travaillait avec l'ennemi, et cela fut trans- Verites qui, par leur evidence reelle ne sont pas susceptibles de deformation OU de
pose clans la pratique par le camarade Cazorla, Conseiller d'Ordre Public a la transformation mensongeres. Meme pas par la plume magique et trompeuse du
Junte Deleguee a la Defense de Madrid, revoque de ces fonctions de .fai;~n peu seducteur Trotsky, tete visible de ses organisations d'espionnage et de falsification
claire, lequel, d'une main ferme et resolue, rejeta sous terre l'orgamsatmn du revolutionnaire repandues partout, au service du fascisme international » 44.
P.0.U.M. et de la Jeunesse Communiste Iberique » 40.
Le livre peut se diviser en deux parties. L'une essaye d'apporter les
Ce texte montre bien que Carrillo etait au courant des occupations de preuves concernant le travail « politique », ouvert, contre le Front Popu-
la Junte Deleguee a l'Ordre public de Madrid, directement OU indirecte- laire, contre l' Armee reguliere et contre la discipline. L'autre foumit des
ment en rapport avec l'assassinat d' Andres Nin. Cette intoxication anti- preuves en rapport avec l'activite secrete du P.O.U.M., pour la plupart des
trotskyste est justifiee par Carrillo dans un autre passage de son discours : documents apocryphes et des declarations imaginaires sur le reseau d'es-
«La campagne contre notre "reformisme" n'est pas sincere, comme vous le pionnage trotskyste. Laissant de cote la deuxieme partie qui releve de la
voyez, car elle est le produit de l'ceuvre des provocateurs, elle est le produit de science-fiction nous nous en tiendrons aux preuves sur l'activite politique
ceux qui ont organise le "putsch" contre la Republique en Catalogne. Nous nous du P.O.U.M .. L'auteur demontre que le « revolutionnarisme » du P.O.U.M.
trouvons face a un phenomene qui n'est pas nouveau, que nous connaissons tous erait la meilleure fac;on de briser l'unite du camp republicain, soit par la
pour l'avoir deja vu en d'autres circonstances et dans d'autres pays: la contre-
revolution et les elements les plus faibles et les moins revolutionnaires, clans une 41. Ibidem, p. 14.
periode revolutionnaire comme celle d'aujourd'hui, prennent un masque 42. Koltzov, M.: Preuves de la trahison trotskyste. Ed. Secretariat de la Propagande de
la C.E. des J.S.U., Barcelone, s.f., 13 pages.
39. Santiago Carrillo: Nous sommes /'organisation de la jeunesse. Face aux ennemis de 43. Rieger, Max: Espionnage en Espagne. Ed. Unidad, Madrid-Barcelone, 1938, 239
L'unite notre bilan de travail. Dans la l.F.S. nous lutterons pour ['unite. Ed. J.S.U., s.f., 62 pages. Selon Victor Alba, clans Le P. C. en Espagne, p. 224, Max Rieger n'existait pas et il
pages. suppose, soup~onne que Wenceslao Roces participa avec les traducteurs, Lucienne et Arturo
40. Ibidem, p. 12. Perucho, a la redaction de ce livre.
44. Ibidem, p. 13.
LA CAMPAGNE ANTITROTSKYSTE DU P.C.E. 107
106 CAHIERS LEON TROTSKY 10
Domingo Giron. Comme tous les ecrits de ce genre, les references aux
demoralisation dans }es fronts OU a }'arriere garde (« mensonges » SUr proces de Moscou sont de rigueur en tant que preuves du caractere
a
I' armistice, opposition l' Armee Republicaine, etc.) contre-revolutionnaire du trotskysme. En arrivant a l'Espagne, elle ap-
Nous nous arreterons, enfin, a l'expose que font deux dirigeants porte les donnees suivantes: deja, en 1934, en pleine repression du gou-
distingues du P.C.E. en 1937. L'une des brochures appartient a Francisco vernement Lerroux-Gil Robles, le trotskysme se montra oppose a !'unite
Anton, membre du bureau Politique du P.C.E.' dont le rapport prononce a d'action de la neet la Ille Internationale en appui du peuple espagnol,
l'assemblee pleniere du C.C. du P.C.E. le 13 novembre 1937 a Valence fut decidant en echange de la creation d'une Ive Internationale divisionniste;
reproduit integralement sous le titre: Le trotskysme ennemi acharne du devant les tentatives d'unite syndicale U.G.T.-C.N.T. le P.0.U.M. crea la
Front populaire45 ou l'on lit entre autres: Federation Syndicale d'U nification Ouvriere, aussi a caractere division-
niste; lorsqu'en octobre 1934, on fixa les bases de l'unite des organisa-
«Nous voyons aujourd'hui que le P.C. avait raison. Aujourd'hui, on comprend tions de jeunesse, le P.0.U.M. crea la Jeunesse Communiste Iberique; puis
qu'il n'est pas du au hasard que Largo Caballero ait oppose une forte resistance au vint la lutte du trotskysme contre le mot d'ordre de Front populaire du
chatiment des coupables du soulevement de Mai en Catalogne et qu'il defende
aujourd'hui le P.O.U.M. ( ... ) 11 n'est pas possible de permettre plus longtemps que les VIIe Congres de l'I.c. La defense que fait Giron du Front populaire est
trots.Rystes, premiers responsables du soulevement de Catalogne, puissent encore interessante. II dit:
fare une menace sans que la justice tombe inexorablement sur eux (... ) Ce sont les « Camarades, le mot d'ordre de revolution proletarienne du trotskysme com-
comperes de Nin, d' Andrade et compagnie ; ce sondes trotskystes de tous les pays porte ni plus ni moins que la desagregation du Front populaire; il signifie que les
( ... )' ceux qui ( ... ) s'introduisent clans les milieux ouvriers et clans les cercles socialistes larges masses democratiques du Front populaire ne se considerent pas comme
et intellectuels de France, d'Angleterre, des Etats Unis, etc. disant malhonnetement representees clans leurs interets; le mot d'ordre de revolution proletarienne du
que le« gouvernement de Front populaire qu'il ya en Espagne aujourd'hui n'est pas trotskysme en Espag~e coincide avec les manifestations fascistes internationales qui
un gouvernement de Front populaire, mais un gouvemement contre- veulent qu'en Espagne on ne lutte pas pour la Republique Democratique mais au
revolutionnaire », qui poursuit les « revolutionnaires » tels que Nin et que, par contraire que l'on est en train de faire la revolution communiste (... ) Cette
consequent, le proletariat et les antifascistes du monde entier ne doivent pas aider ce coincidence a un objectif international : que les democraties internationales ·voient
gouvernement ni la Republique espagnole » 46. qu'en Espagne on ne defend pas la Republique mais qu'on lutte pour quelque chose
Francisco Anton exige les mesures suivantes: qui va plus loin et qu'elles retirent leur aide a l'Espagne (... ) Lorsque le peuple
sovietique jugea clans un proces magnifique les elements terroristes qui attentaient
« ( ... ) 11 appartient a tous les antifascistes de leur former toutes les possibilites contre le pays sovietique, le fascisme international se leva pour defendre ces traitres
d' action, de les expulser de Ia ou ils se trouvent encore embusques et de les rendre aux et le P.O.U.M. aussi en Espagne poussa des hauts eris pour dire que, en Russie, en
Tribunaux du Peuple, pour que ceux-ci avec toute vigueur agissent avec eux comme U.R.S.S., il n'y avait aucune forme de democratic et que l'on y jugeait comme des
nos soldats le font avec l' ennemi sur les fronts de bataille (... ) 11 est evident que les criminels les hommes qui luttaient pour les principes revolutionnaires. Vous voyez
communistes ont leur place a l'avant-garde de ce combat. Jusqu'a present - nous bien comment le fascisme international et le P.O.U.M. prenaient la defense du
pouvons le dire fierement - ce fut grace au travail devoue et constant de notre parti trotskysme, ces agents armes au sein de la classe ouvriere » 50.
pour expliquer devant les masses le veritable caractere contrerevolutionnaire et au
service"des fascistes des trotskystes, que l'on a pu reussir a developper parmi les Pour conclure, il nous semble interessant de comparer la campagne
travailleurs et les antifascistes, en general, un sentiment croissant de haine et une anti-trotskyste du P.C.E. de ces annees a la querelle de ces deux seigneurs
exigence de chatiment envers cette bande d'espions, de saboteurs et de criminels. » 47. italiens - telles qu'elle nous a ere rappelee par un homme politique de
notre siecle, a propos des batailles politiques espagnoles - qui se sont
« 11 me reste a dire que nous avons le devoir imprescriptible de faire du
trotskysme un proces public, de masses, car celles-ci se chargeront de lui regler son battus pour elucider lequel des deux poetes, l'Arioste OU le Tasse, etait le
compte sans perte de temps » 48. meilleur: blesses tous les deux au combat, ils avouerent sur le point de
mourir, qu'ils ne les avaient jamais lus, ni l'un ni l'autre. Trotsky disait en
La derniere brochure, Guerre a la provocation/49 appartient a avril 1939, peu avant son assassinat par le G.P.U.:
45. Anton, Francisco: Le trotskysme ennemiacharne du Front Populaire. Ed. du P.C.E., «Nous sommes comme ces hommes qui essayent d'escalader une montagne
Madrid-Barcelone, 1938, 39 pages. et sur laquelle s'effondrent sans arret des avalanches de pierres et de neige ».
46. Ibidem, p. 25-27.
47. Ibidem, p. 28.
48. Ibidem, p. 37-38.
Giron, Domingo: Guerre a la provocation/Ed. du P.C.E., Commission Provinciale
49. 50. Ibidem, p. 10-11 et 14-15.
de Agit-Prop, Albacete, s.f., 16 pages.
Francisco Manuel Aranda

Les amis de Durruti

On connait generalement l' existence du groupe Los Amigos de Dur-


ruti a travers leur intervention dans les journees de mai 1937 a Barcelone.
Ils furent en effet les seuls, avec le groupe bolchevik-lfoiniste de La Voz
Leninista, a soutenir. inconditionnellement les ouvriers insurges, a com-
battre ensuite le cessez-le-feu et appeler a la poursuite du mouvement. Ne
peu avant !'insurrection cependant, le groupe fut aussitot frappe par la
double repression du gouvernement et de l'appareil de la C.N.T.-F.A.I. et
disparut sans laisser d'autre trace que son hebdomadaire, El Amigo def
Pueblo, dont une collection a ete conservee a l'Institut international
d'histoire sociale d'Amsterdam. Ce n'est qu'en 1978 que deux jeunes
historiens lui ont consacre un interessant petit dossier 1.
La premiere information concernant la formation du groupe parait
dans le journal de la colonne Durruti 2, Frente, du 8 mars sous la forme
d'un appel a adherer afin de rassembler ceux qui veulent que la « revolu-
tion espagnole se compenetre de la seve revolutionnaire de Durruti » - le
militant anarchiste tombe devant Madrid en novembre 1936. Dans une
inte~iew publiee dans le quotidien du soir de Barcelone, La Noche, le 24
mars, l'un des fondateurs du groupe, Pablo Ruiz, parle notamment du
noyau initial constitue dans le secteur du front de Gelsa autour de
miliciens anarchistes qui refusaient d'accepter la «militarisation des mili-
ces » et furent autorises a quitter la colonne.

1. Frank Mintz & Miguel Pecina, Los Amigos de Durruti, Los trotsquistas y Los sucesos
de Mayo, Ed. Campo Abierto, Madrid, 1978. Rappelons que les « journees de mai »
commencent le 3, avec l'attaque de la police contre l'immeuble de la Telefonica controle par
les miliciens de la C.N.T. et se terminent le 7 avec un cessez-le-feu conclu entre toutes les
organisations.
2. Buenaventura Durruti, prestigieux militant faiste et porte-drapeau de la C.N.T.
avait ere l'un des organisateurs de la resistance au soulevement militaire a Barcelone le 19
juillet. Puis il avait reconquis l'Aragon a la t6:e d'une colonne de miliciens a qui l'on donna
son nom. Il avait ere tue en novembre devant Madrid.
110 CAHIERS LEON TROTSKY 10
f LES AMIS DE DURRUTI 111

C'est ala meme epoque que commence a s'exprimer clans La Noche la


position du groupe, sous la signature de certains de ses membres. Dans un cution des coupables de l'agression, la dissolution des unites qui y ont
pris part et des partis qui ont agresse la classe ouvriere, la socialisation de
premier temps se succedent des articles de Jaime Balius, un ancien etudiant
en medecine, paralytique, catalaniste recemment converti a l'anarcho- l' economie. 11 conclut en ces termes:
syndicalisme. Le 2 mars, sous le titre:« Attention, travailleurs. Plus un pas «Nous ne cederons pas la rue. La revolution avant tout. Nous saluons les
en arriere ! », il parle de «concessions excessives » de la part de la C.N.T.- camarades du P.O.U.M. qui ont fraternise avec nous clans la rue.
F.A.I., d' « attaques contre les conquetes revolutionnaires », erablit un paral- VIVE LA REVOLUTION SOCIALE !
lele entre les soviets russes de 1917 et les comites et patrouilles de controle A BAS LA CONTRE-REVOLUTION ! » 4
aujourd'hui menaces. Le 12 mars, commentant des declarations au Temps Le 5 mai, un ~ommunique des comites regionaux de la C.N.T. et de la
de Largo Caballero, il parle de « contre revolution en marche ». Le 23, il F.A.I. 5, radiodiffuse le jour meme, puis reproduit clans la presse, desavoue
appelle la C.N.T. et la F.A.I. a mesurer la responsabilite qui est la leur en le tract dont il qualifie le contenu d' «intolerable», laisse entendre que Los
Catalogne au moment OU la revolution est menacee par la petite bourgeoi- Amigos de Durruti peuvent « faire le jeu de manreuvres douteuses ou
sie et « les partis ». Le 14 avril, clans le meme journal, Francisco Pellicer peut-etre de manreuvres de provocateurs authentiques ». 11 affirme que les
trace un veritable programme immediat d'action de salut public. organisations representatives etant entrees clans le gouvernement, 11 faut
Le premier meeting de Los Amigos de Durruti se tient a Barcelone le obeir a ce dernier.
19 avril, sous la presidence de Romero, avec comme orateurs Francisco Los Amigos de Durruti ripostent par un « manifeste » qui semble
Pellicer, Pablo Ruiz, Jaime Balius, Francisco Carreno. Pellicer developpe avoir ete distribue sur les barricades }e 8 OU le 9 mai. 11 qualifie l'agression
la question du ravitaiUement et Balius affirme: « La guerre et la revolution de la Telefonica de «provocation de la contre-revolution », de debut de
sont intimement unies et il faut les gagner ensemble »3. Le 1er mai - « l'attaque des forces contre-revolutionnaires contre la classe ouvriere »,
quarante huit heures avant la provocation du stalinien Rodriguez Salas qui «du P.S.U.C., de l'Estat Catala, de la Esquerra Republicana et des corps
va provoquer la colere des ouvriers et le debut des « journees » - le armes payes par la Generalite, ... comptant sur l'appui officieux, sinon
groupe tient son second meeting au theatre Goya de Barcelone, sous la officiel, de la Generalite de Catalogne et du gouvernement de Valence».
presidence de De Pablo. On projette un film sur le 19 juillet 1936, sujet Pourtant le groupe dissident ne reduit pas !'initiative ouvriere du 3 mai,
que developpe ensuite Jaime Balius. Liberto Callejas et Francisco Carreno non plus que celle du 19 juillet, a une simple riposte depourvue de tout
evoquent la personnalite et l'action militante de Durruti. Surtout les contenu propre. 11 affirme: «Nous vivons un moment de depassement de
orateurs denoncent les «preparatifs contre-revolutionnaires » des partis l'etape petite-bourgeoise. Le combat livre par le proletariat catalan se
«petits bourgeois» comme le P.S.U.C. et le caractere mena~ant de la polarise clans un desir d'aller de l'avant qui doit consister dans l'erablisse-
manifestation de force a laquelle il s'est livre a l'occasion de l'enterrement ment d'une predominance ouvriere a 100 % ».
de son dirigeant Roldan Cortada. Pour eux, ce sont les dirigeants de la C.N.T. et de la F.A.I., qui
viennent de s'employer de toutes leurs forces a obtenir une treve, c'est-a-
dire a obliger les travailleurs de Barcelone a abandonner sans combat ~eurs
Pendant les journees de Mai positions de force, qui viennent ainsi de commettre une enorme trah1son,
« par incapacite et couardise ». Pourtant rien n' est perdu et la treve ne
C' est le lendemain de ce meeting que tout commence avec la tentative signifie pas la defaite, meme si on a manque d'intelligence et de direction.
du « conseiller » psuquiste Rodriguez Salas d'enlever aux miliciens cenetis- Les ouvriers doivent garder leurs armes.
tes le controle de l'immeuble de la Telefonica. Les travailleurs alertes Avec la treve, Los Amigos de Durruti comprennent qu'ils doivent en
ripostent aussitot. La greve se generalise. Le lendemain, Barcelone est revenir a une forme d'action moins directe: c'est le sens de la fondation
couverte de barricades tenues par des ouvriers en armes. « Magnifique de leur journal El Amigo def Pueblo (L' Ami du Peuple ), un hebdomadaire
mouvement ouvrier revolutionnaire spontane qui manquait d'une orienta- qui s'efforce d'atteindre la masse des ouvriers cenetistes.
tion concrete et precise», vont ecrire les dirigeants du groupe. Leur
premier tract, signe « C.N.T.-F.A.I., groupe Los Amigos de Durruti » ap-
pelle les travailleurs a « exiger » avec eux une Junte revolutionnaire, l'exe- 4. La Noche, 3 mai 1937. ·
5. Le« manifeste »de Los Amigos de Durruti va relever le fait que ce communique n'est
3. La Vanguardia, 20 avril 193 7. signe ni du secretaire de la federation locale des groupes, ni du comite ou de la federation
locale des jeunesses libertaires.
113
112 CAHIERS LEON TROTSKY 10 LES AMIS DE DURRUTI

Les lendemains de mat cord intervenu. II se defend, non sa?s a~resse,. contre l'acc~satio~ d_'e:re
« un marxiste », proteste contre le fa1t quo~ lm repro~he d etre? ongme
C'est desormais a travers ce journal qu'il faut suivre !'evolution du bourgeoise, d'avoir appartenu a un partl pent bour~e01s, etc. _Ma~s dans. le
groupe. Dans sa presentation, clans son premier numero, il parle de meme numero parait aussi la nouvelle de l'arrestanon de Baln.~s a. la suite
l' « amour» et de la « tendresse » qu'il eprouve pour la C.N. T. et la F.A.I., de ses articles. Los Amigos de Durruti n'ont plus longtemps a v1vre. ,
mais aussi de la « mission » qui est la sienne de combattre leurs « interpre- En fait, la repression declench~e ave~ l.e gouvememen~ du Dr ~e~rm
tations prejudiciables et nefastes ». et la division du travail entre la police off1c1elle et les « tchekas » stahmen-
La source des difficultes est que les travailleurs espagnols n'ont «pas nes infeodees directement au G.P.U. ne laissaient guere de chances de
encore depasse l' faape Kerensky »6. Les occasions n' ont pourtant pas survie a un groupe de ce typ~, apre~ .la des~ructi~n du P.~.u.,M. et les
manque d'etablir « une situation ouvriere 100% ». Dans les journees de assassinats retentissants de plus1eurs militants hbertaires hos.nles a la c~lla­
juillet, on a recule par peur des consequences sur le terrain international boration de classe des dirigeants confeder~u~, co~me Ca~1~lo Be~?en ou
et, faute de vision et de sens revolutionnaire, on a remis les renes du Alfredo Martinez. Les Amigos de Durruti d1spara1ssent s1 b1en qua notre
pouvoir a la contre-revolution. L'occasion erait precieuse. Qui pouvait connaissance aucun des siens - plusieurs ont survecu - n'a ep~ouve le
s'opposer a ce que C.N.T.et F.A.I. s'imposent sur le terrain Catalan?» II besoin de faire le point sur l'action p~ssee de ~e, groupe, condmon sans
rappelle que, quelques semaines apres, la C.N.T. a ete sollicitee d'entrer doute d'une reconciliation avec la fam1lle confederale. . _ . ,
dans le gouvernement et qu'un plenum des regionales s' est prononce pour Assez paradoxalement, ~rantz .M!nk et Miguel ~ecma ont ;ire argu-
une « Junte nationale » et des « juntes regionales de defense», decision qui ment de ce silence des anarch1stes dissidents pour affirme~ que c est« sans
n'a pas ere respectee et a ere remplacee par une collaboration sans garan- aucun fondement » que Pierre Broue, clans La Revolution espagnole de
ties au gouvernement de la Generalite comme au gouvernement central. Trotsky, mentionne la collaboration secret~ entre les trots~yst~s du G.B.L
L'attitude du journal manifeste clairement que le groupe est sur la et le groupe de Los Amigos de Durruti7. Tous les temo1gnages des
defensive. Son premier numero se plaint litteralement des attaques lancees militants trotskystes - donnes sur le coup, clans lettres et r~ppo;~s, ?u
contre lui par « notre cher quotidien Solidaridad Obrera », mais aussi par apres coup, comme souvenir--:- co'i?cid~nt pourtant ,sur ce pou~t, ,1 etr01te
La Noche. I1 ecrit: «On veut nous discrediter aux yeux du proletariat. On association des deux groupes, a la fm d avnl et au ~ebut de ma1, a travers
veut nous supprimer. C'est pourquoi on nous traite d'agents provocateurs !'action de l'interessante personnalite qu'etait le 1eune ~ll:ma~~, ~~ns,
et de contre-revolutionnaires »,Dans le meme numero, Jaime Balius parle David Freund connu en Espagne sous le nom de M~uhn . DeJa he en
de I' attitude « deconcertante » de Solidaridad Obrera sur ce point. Il Suisse aux milieux libertaires, convaincu qu'il n'existalt qu'un moyen . de .
rappelle que la majorite du groupe est formee d'anciens combattants du construire en Espagne la direction revolutionnaire; a, :ravers la ~on~uete
front, denonce le« reformisme »qui a envahi l'organisation confederale et de responsables anarchistes, pour aller ~ l~ masse ce,n~t1ste, M?~lm s atta-
ecrit: «La revolution espagnole exige que le reformisme soit exclu des cha systematiquement pendant cette penode aux elements dmgeants de
organisations ouvrieres ». Un accord est conclu avec les comites de la Los Amigos de Durruti, les pou~sant , et les en~ourageant .clan~ leurs
C.N.T. et de la F.A.I. et, clans le numero 3, le groupe « rectifie » sa initiatives, notamment pendant les 1ournees. On sa1.t ~ll:e Moulm, c1ble d~
declaration concernant la « trahison » des dirigeants, qui doit fare comprise· G.P.U., fut arrete, puis assassi?e: il nou~ pa;~it d1ff1c1le de ?-e pas temr
comme une consequence de leur incapacite, en aucun cas comme resultat compte de ce fait pour exphquer la discre~10n, sur le su}et ?~ le~rs
d'un choix delibere de leur part. Le 22 juin encore, clans le numero 4, c'est relations trotskystes, des redacteurs d' El Amig~ del P_ueblo a qm il nest
encore Balius qui demande aux comites regionaux C.N.T. et F.A.I. de pas interdit de fai;e l'ho~neu~ d~ suppose~ 9u>ls a;a~ent de toute fa~on
rectifier ce qu'ils ont dit concemant les «provocateurs» et rappelle l'ac- compris a quelle epoque 1ls v1va1ent et qm etalt pret a les abattre.

--7-.-Mintz & Pecina, op. cit., p. 43. Les Cahiers Leon Trotsky o~t recense ~~ ~ravail de
6. Nous avons note precedemment une reference aux soviets en tant que forme ou-
M. Pecina qui ne se montrait pas aussi pointilleux s':1r les sour~es et 11 faut se fehc1ter de ~e
vriere de pouvoir. Nous trouvons ici une allusion tout a fait « bolchevique,. a la revolution
souci nouveau chez lui. Rappelons en passant qu'1l re~rodmt encore. une err~ur,. deputs
russe clans laquelle, rappelons-le, les bolcheviks, a travers }'insurrection d'Octobre, Ont mis
longtemps corrigee, de Pi.e~re Broue, e~ fa~sant de,« Mou.Im» un polon~1s nomme Wmter, et
a
fin « l'etape Kerensky,., c'est-a-dire la dualite de pouvoir entre les soviets et le gouverne-
indiquons-lui que « le militant nomme Remy » s appela1t Georges Cher~n. ., .
ment. C'est sans doute sur de telles remarques que s'appuyaient les accusations de« marxis-
8. 11 serait trop long d'enumerer ici l'ensemble des documents d'arch1ves qm etabhs~ent
me » lancees clans les milieux anarchistes contre le groupe. C'est probablement surtout l'une
indiscutablement cette collaboration. Le temoignage le plus complet se trouve dans le hvre
des indications les plus solides de l'influence de militants trotskystes, en l'occurrence
Moulin. De telles phrases valent tous les « protocoles secrets » ! de Clara et Paul Thalmann (Revolution fur Freiheit, pp. 189 sq.).
114 CAHIERS LEON TROTSKY 10

un episode significatif Miguel Blanco Rodriguez


!---e.s auteurs du dossier sur le groupe, sans pour autant le proclamer,
n~ ~ISSimule?t pas que leurs sympathies vont plutot a la C.N.T. de fa\:on
generale, mat~ que grandes sont les reticences que leur inspire sa politique
de collabo.ratton de. classes pendant la guerre civile. IIs indiquent meme
clans leu~ int:oduction qu~ le groupe Los Amigos de Durruti etait, selon Le livre que Trotsky n'a pas ecrit
e~x, celm q.m « representa1t le mieux les aspirations de la base pendant les
faits de ma1 » 9 , ce qui est tres probablement exact. sur l'Espagne
Mais cette simple constatation souleve un probleme bien plus impor-
tant. Le soul~ver:ient ou~,.r~er de mai etait indiscutablement le prolonge-
m~i:it .de celm qm, le 19 Jmllet en Catalogne, avait ecrase le soulevement
m1hta1re, a savoir une revolution d'une ampleur et d'une profondeur sans
p~~cedent. La. ~olitique des dirigeants de la C.N.T. et de la F.A.I., les
dmgeants trad1t1onnels de la classe ouvriere en Catalogne, s'opposait de L'ouverture des archives d'exil de Trotsky, comportant une grande
fr~n~ a~e mouvement. II etait normal que, de ce choc et au moment ou partie de sa correspondance, a provoque, comme on sait, quelques polemi-
~u~1ssa1t l'~ffro~tement ,qui allait exploser en mai, soit ne ce groupe ques et discussions. On s'est demande en particulier si Trotsky, a travers
dissident qm al~a1~ «,representer» pendant quelques jours « les aspirations ses livres et articles n'avait pas ecrit et publie l'essentiel de ce qu'il pensait.
de la ba~e >> II etalt egalement normal que ce groupe se soit tout naturelle- L'examen de la correspondance donne a cette question une reponse
ment s1tue clans la mouvance et la tradition d'idees de l'anarcho- negative. Tributaire, d'une part, de la faible dimension des journaux des
syndicalisme dont il erait en train de chercher a se degager. Mais ce qui sections de son organisation, et de l'autre, des contrats que pouvaient lui
p~se pr?bleme, c' est precisement la disparition pure et simple, et en fait offrir journaux OU editeurs bourgeois, Trotsky n'a pas developpe toutes
tres rap1de, de ce groupe qui s' etait pourtant identifie a l'un des mouve- les questions qui l'interessaient et a parfois ecrit des livres qui n'etaient
ments de classe les plus vigoureux de l'histoire ouvriere contemporaine. pas ceux qu'il avait envie d'ecrire.
N'est-ce pas precisement parce qu'il se situait clans la mouvance Les extraits ci-dessous des documents 10758, 10759, 10761 et 10762,
anarcho-syndica~is.te? E? .d:a_utres termes, il nous parait infiniment proba- publics avec la permission du College de Harvard, de ses lettres a Charles
ble que, la « fa1lht~ defm1~1ve de l'~narchisme », relevee par Trotsky Mumford Walker, l' ecrivain americain qui fut quelque temps son agent
c?n;~e l un. des pomts cap1~aux du bilan de la guerre d'Espagne, ait ere litteraire, en donnent la preuve irrefutable: Trotsky a reve d'un livre sur
rev~l~e, moms - co1!1me il semble qu'on le croie souvent - par la l'Espagne et l'a meme prepare. Mais il n'en a sorti finalement qu'une
pohttque de collaboration de classes de ses chefs (les « marxistes » de la ne brochure cinq a six fois plus petite, Le<;ons d'Espagne, dernier avertisse-
et ~e fa Ille Internat!o?-ale l'avaien.t pratiquee bien avant eux sans qu'on ment, car les editeurs n'en ont pas voulu.
pms.se earler de « fatlhte. du !11arx1sme » ), mais le fait qu'il ne ·soit rien
S?rt1, m en quelques m01s, m au cours des decennies suivantes, de cette
g1gantesque p~otest~tion du mouvement de masses qui s' erait, faute d'un Extraits de lettres a Ch.M. Walker
autre cadre dispom~le et sans doute aussi de temps, moulee dans le
courant, le vocabulaire et les formes de pensee, bref, la tradition anar- 17 septembre 1937
chiste.
( ... ) J'ai reuni et etudie pendant longtemps des materiaux et docu-
Se_ule une r~naissance de la C. N. T. comme organisation de masse ments concernant la revolution espagnole. Je pourrais maintenant ecrire
pourra1t contred1re cette appreciation historique.
facilement un petit livre, mieux une brochure sur l'Espagne. Outre !'ana-
lyse generale du caractere de la revolution, il comprendrait une polemique
contre les differents correspondants de presse, surtout americains, inter-
pretes et falsificateurs de la revolution espagnole, comme Louis Fischer,
9. Mintz & Pecina, op. cit., p. 9. The Nation et The New Republic. Le travail sur un tel livre de 100 a 150
LE LIVRE QUE TROTSKY N'A PAS ECRIT SUR L'ESPAGNE 117
116 CAHIERS LEON TROTSKY 10

pages n'exigerait pas plus de six semaines de travail pour moi. Je pourrais 6 octobre 1937
envoyer des parties du manuscrit de fa~on que la traduction soit prere
Si le livre sur l'Espagne est accepte par Doubleday Doran, j' essaierai
presque en meme temps que le manuscrit russe.
Il me semble qu'une telle brochure est indispensable maintenant pour de l' ecrire de fa~on aussi populaire que possible. Louis Fischer etait vend~
de vastes cercles de !'opinion publique ( ... )Le handicap est seulement que a 50000 exemplaires avant meme sa parution. J'espere ne pas accomp.hr
mon « travail » plus mal que Louis Fischer. En tout cas, le premier
cette brochure serait ecrite dans un esprit ouvertement revolutionnaire,
c'est-a-~ir~ clans !'esprit de la IVe Internationale. Doubleday Doran ne
chapitre aurait un caractere general et « positif »: Critiqu~ et p~lemique
seraient reservees particulierement pour les dermers chap1tres afm de ne
prer:dra~t-il p~s .Peur devant un tel livre de « propagande »? Si oui, il me
sera~t tres difficile de ~onner la brochure a un autre editeur parce que ce
pas effrayer « l'homme de la rue», mais de le faire entrer peu a peu clans
serait abuser de la patience avec laquelle ils ont si longtemps attendu le les questions tactiques ( ... )
livre sur Lfoine.
En meme temps, je dois avouer que je suis tres anxieux d'ecrire cette
brochure sur l'Espagne. Les faits et les documents ont une enorme
importance. La nouvelle generation de marxistes ne peut trouver meil-
leure ecole d'education politique que les evenements d'Espagne (... )

28 septembre 1937

( ... ) Je suis en train d'etudier les materiaux espagnols. Ils sont du


plus grand interet. Ce qui est terrible, c' est que les gens refusent absolu-
ment d'apprendre quelque chose de l'histoire. Un enfant va bruler ses
doigts et pas une fois, mais dix. Je serais tres heureux d'ecrire un petit
livre sur la revolution espagnole. ( ... )
\
30 septembre 1937

( ... )Tout le mois de septembre, je l'ai consacre a l'faude de mate-


riaux sur la revolution espagnole. J'ai sur mon bureau des centaines de
jour~aux, bulletins, lettres, brochures, analyses et annotes. Je poursuis ce
travail P.arc~ que tout autre est impossible. Quand la dactylo russe arri:-
vera enfm (J'espere pendant le mois d'octobre), ce serait une grande pitie
que d'abandonner tout ce travail preparatoire. Il me semble que, sur la
base de ce materiel, je pourrais dieter sur six semaines ou un mois un livre
parfaitement info~e, qui comporterait non seulement une analyse gene-
r~le ~~ l~ revolution ~spagnole clans son developpement mais aussi un
reqmsitmre sans merc1 contre la direction stalinienne de la revolution
ainsi que contre I' attitude des soi-disant « democraties » europeennes. si
J?oubleday etait porte a ne choisir qu'une seule reponse a !'alternative, le
hvre sur l'Espagne ou l'autobiographie, je prefererais reporter d'une an-
nee encore l'autobiographie et publier tout de suite le livre sur l'Espagne
( ... ) C'est d'eux que depend le sort du livre espagnol ( ... ).
Juan Ramon Brea

A Madrid avec le P.O.U.M. 1

JI taiNt1it mmhrc (1uand je suis sorti de la gare et il semblait que la


ville avail rtr rnKloutit• dans un golfe noir. Je fus un instant surpris, me
souvenarll dC'N hrill.u11cs lumieres de Barcelone. Puis je me rappelai a quel
point le front rtait prnrhc. J'etais clans une ville en guerre et cela se voyait
dans le noir. ( :onlllll' it Barcelone, il n'y avait pas de taxis et je me
demand11is rommt'nt j'o11lais trouver le local du P.O.U.M ..
J'avais t'lltt'ndu din· quc le parti ici etait petit et j'avais dans la tete
l'idee qu 'iJ rt"ssrmhlotit ;1 quclque chose comme les partis communistes
officiels <lans lei plup;trt des pays d' Amerique latine - trois camarades et
une roneo. Bit<n Slir il' connaissais le nom de la rue OU se trouvait le
P.O.U.M., mais jc mc dc.·mandais si quelqu'un connaitrait le local et serait
capable de nous y adn·sst•r.
J'interro~cai 'luclqu 'un:
«Ou se trouvc.· la nu: Pizarro, s'il vous plait? C'est-a-dire que nous
voulons trouvcr le Ioctl du parti ouvrier espagnol, savez-vous dans quelle
partie de la rue ii Sl' trnuvd »
« Oui, bicn si'1r .. , dit--il volontiers, « seulement c'est plutot loin. La
fourgonnette qui stationm· la appartient au parti ouvrier espagnol et si
vous le leur demandcz, ii vous y conduiront sans doute ».
Ainsi, nous avions unc c1mionnette a Madrid. Je me gonflai de fierte.
J'allai vers le condm:tcur:
« Allez-vous au parti, par hasard? Je veux y aller, mais je ne connais
pas Madrid ... »
« Je n'y vais pas, mais montcz quand meme nous allons bien rencon-
trer une camionnettc du parti ou une auto qui vous prendra »,

1. Juan Ramon Brea etait mcmhrc du Partido Bolchevique-Leninista de Cuba et etait


arrive en Espagne avec sa compa~m· Mary Low. Ce texte, non date, mais qui se situe a
l'automne 1936, est tire de leur ouvra~c commun, Red Spanish Notebook.
A MADRID AVEC LE P.0.U.M. 121
120 CAHIERS LEON TROTSKY 10
terre et se dirigea vers une piece pleine d'objets divers comme une boutique
Ainsi, apres tout, le parti a Madrid n'etait pas petit. Mon experience de village. Tout ce qui avait ere recemment requisitionne erait empile par
des groupes revolutionnaires combattants clans d'autres pays m'avait terre et sur des planches le long des murs. Il y avait des boites d~ conserve
conduit a une fausse evaluation de ce que « petit » signifie en Espagne. et un chapeau et des livres et les soutanes d'un pretre et des mantilles et des
Le local etait au second etage d'un batiment d'affaires. Il y avait une tas d'instruments de musique qui avaient ere confisques en bloc clans un
garde a l' exterieur' en fonction sur le pave, et en face des gardes, sur la magasin. C'etait eux qui allaient servir a equiper l'o~chestr~. (... ) .
rue, une file de voitures alignees, leurs surfaces lisses couvertes d'inscrip- Nous erions loges clans un des locaux du part1, l'anc1enne ma1son
tions comme «Vive Trotsky», «Vive la revolution permanente », en d'un comte, Plaza de Santo-Domingo. La maison n'avait pas beaucoup
lettres rouges. Mes yeux m'en sortaient de la tete et j'avais le creur battant change. A l'exterieur une grande affiche. ~~nom;ait: «Ce -~ocal a ere
de ce delice inattendu. Le parti a Madrid semblait bien avoir en qualite ce requisitionne par le P.O.U.M. » ( ... ) Un m1hc1en en bleu, ba1onnette au
qui lui manquait en quantite. . canon avait pris la place du valet de pied e_n livree; A ~art c;a, rie~ n'avait
Une breve conversation avec plusieurs camarades me permit de reali- change. II y avait s;a et la des notes « com1te de redaction», « Vamcre ou
ser en tout cas que ses effectifs n'eraient pas negligeables. Ils parlaient de mourir », « Jusqu'au bout», mais rien n'~vait ere ~~porte ..
plusieurs autres locaux clans la ville, de leur colonne Lenine qui allait La bibliotheque contenait une collect10n de m1lhers de hvres. Quand
partir pour le front, de leur hebdomadaire P.0.U.M., de leur station de j'arrivai, deux camarades s'etaient vus confier la tiche de les cataloguer
radio et des neuf cents paysans qui arriveraient le lendemain clans notre
caserne. Ils parlaient de tout cela avec tant de serieux que je commern;ai a
( )
Venez », disait Clara 3 , en qm. l'um'fo~e d. e la. m1·1·ice n ' a~a1t
«
. pas ~~e,
penser que ce devait etre vrai. la curiosite feminine, « regardons clans les tirmrs, JC veux v01r ce qu ils
Le lendemain, Julio Cid2 m'emmena ala caserne. 11 etait fort et sa voix avaient ».
rauque, comme tous les hommes qui revenaient du front, et plein d'en- Elle commem;ait a etre tres occupee, sa chevelure blonde entrant et
thousiasme, de revolvers, d'appareils photos et de carnets. Il semblait fare sortant des armoires. C'etait une grande femme suisse, qui avait ere
bona tout faire, mais cette fois il avait commis une erreur que le Comite du longtemps dans l'un des secteurs du front d' Aragon ..N~:ms l'avions vue
Ravitaillement n'allait sans doute pas lui pardo.nner de si tot, puisque, quand elle etait revenue a Barcelone pou~ ~ne perm1ss1on d~. quelques
ayant ere envoye recruter cinq cents camarades, il en avait ramene presque jours, un visage grand et fin clans la combmaison bleue des m1hces ~tun
le double. Pourtant le comite de Ravitaillement n'avait pas oublie apres foulard et generalement un vieux chapeau a l'arriere de la tete. « C'era1t u~
tout le miracle de la multiplication des pains et des poissons. Quand nous secteur tranquille, m'expliqua-t-elle. La plupart du temps, tout se sera1t
arrivames a la caserne, les 900 paysans dejeunaient joyeusement. bien passe, s'il n'y avait pas eu la poussiere. Monter la garde d~hors,
La caserne erait un vieux couvent. Il avait deux histoires et les murs c'etait epouvantable, et nous prenion~ tous notr~ tour. On n'osait pas
et~ient decores de textes peints et de dessins auxquels les miliciens ajou- detourner la tete ou meme se couvnr un seul mstant parce que 1on
ta1ent leurs commentaires. Le batiment entourait une vaste cour. Les attendait toujours une attaque surprise et les yeux etaient pleins de sable
nouveaux camarades paysans commens;aient a s'y mettre en rangs faisant et injectes de sang et c'erait l'enfer ... »
leurs premiers exercices militaires, pendant que les autres en eraient - « Comment dormiez-vous? »
encore a donner leurs noms. - «Nous dormions dans la paille et c'erait tres confortable. Tres propre
Un homme monta sur une chaise et lans;a un appel : « Que tous ceux et pas trop piquant. Dans une sorte d'ecurie. » .
qui peuvent jouer d'un instrument ou connaissant quelque chose en - «Et les hommes? » Elle avait ere la seule femme a cet endr01t et ne
musique viennent avec moi ! » voyait son mari4 que de temps en temps parce qu'il allait et venait sur le
Un certain nombre d'entre eux se dfaacherent et l'entourerent, le front pour son travail de journaliste.
regardant avidement au-dessus de leurs tetes gesticuler sur sa chaise et
scrutant l'horizon des tetes pour d'autres recrues. Je le suivis quand il sauta a 3. Clara Eisner (nee en 1907), compagne de Paul Thalmann, etait venue d~s.le pa~s
pour disputer les epreuves _de natation des « spartakiades ,. de Barcelone. Elle y eta1t restee
pour combattre. . .
2. Julio Cid Gaitan etait un ouvrier d' Andalousie, membre des J.S. qui avait rejoint la 4. Paul Thalmann (1901-1980) avait ete l'un des dirigeants des J.C. en Suisse,. pms
Izquierda comunista en 1933 et avec elle le P.O.U.M. en 1935, et etait devenu membre de membre de I'opposition de droite et redacteur au quotidien de Sc~affhou~e ,Arbeiterzeitung.
son comite local a Seville. Apres le pronunciamiento, il avait reussi a gagner Madrid a travers Il avait quitte les brandleriens pour les trotsky~tes en 1933 ,et _av~1t trava1lle quelque temps,
les lignes. II devait rejoindre le G.B.L. en novembre 1936 alors qu'il etait commissaire de avec Freund, a la radio du P.O.U.M. de Madnd pour des em1ss1ons en langue allemande.
bataillon. II fut tue a Barcelone au cours des journees de mai 1937.
122 CAHIERS LEON TROTSKY 10

- . «~es ~~mmes son~ tres b~e~. Ils essaient un peu au debut, juste pour
v01r a qm 1ls Ont affa1re, pms 1ls ecrasent si YOUS etes ce qu'il faut. De
toute fa-;on, la moitie sont des enfants. Nous nous entendons bien ». ( ... )
Mary Low
Avec elle, nous avons fouille les armoires de la maison du comte.
Nous avons trouve des rosaires, des emblemes carlistes des medailles de
Sainte Barbara, la patronne des artilleurs avec l'image d; la sainte croix et
celle du Cano~ gravees Sur l'un et l'autre cote, un symbole veridique de la
morale cathohque. Nous avons trouve toutes sortes de choses. Des lettres
d'am<?ur abandonnees clans la fuite precipitee, un delicat pyjama ou Andres Nin orateur 1
flot.ta1t e~core le doux parfum de la dame et la trace de son corps. I1 y
ava1t des echarpes avec lesquelles Clara se deguisait et des mouchoirs aussi
gr~nds que de petites nappes ( ... ) II y avait une infinie variete d'autres
ob1ets que nous trouvames, mais, pour certains d'entre eux, malgre les
efforts en commun de toute notre imagination, nous n'avons pu savoir
quelle etait leur utilisation.

Quand les applaudissements a la suite du discours d' Arquer 2 se


furent apaises, Nin se dressa. C'est un homme pesant, court et epais. I1
portait une tunique bleue des milices et, avec sa chevelure bouclee, cela le
faisait paraitre jeune et f>assionne au moment ou il appuyait un poing sur
la table, l'autre main levee.
D'abord les clameurs coulaient et ruisselaient sur sa voix, la noyant,
mais, a la fin, on fit silence pour lui et ses mots sortirent profonds et
forts. Nin parlait comme un homme acheve. Je ne l'ai jamais entendu
faire des phrases embrouillees. Il passe d'une chose a l'autre, point par
point, et martelle chacune d'elle sur vous et l'effet provient de sa surete et
de sa simplicite. II portait plus sur moi que Gorkin 3 qui avait parle a
Paris et a qui il fut defendu de parler a Londres clans un meeting organise
par l'I.L.P ..
Le public reagit fortement a Nin. II a tout son passe en Russie pour
soutenir ses mots et leur donner un corps. Pourtant, un mince contre-
courant se manifesta quand il commen~a a parler. Quelques miliciens
grognerent et s'en allerent. D'autres personnes commencerent a murmu-
rer. Nin est !'element revolutionnaire, meme s'il a beaucoup recule ces
derniers mois, et par consequent ceux qui tiedissent clans une direction
liberale s' en vont. La grande majorite, qui erait restee, lui repondait
comme un seul homme. Moi aussi, j'etais emue, de sentir amour de moi
ces respirations profondes, excitees et d' ecouter les eris de joie qui explo-
saient pendant les pauses et de voir l'homme qui se tenait la, parlant avec

1. Red Spanish Notebook.


2. Jordi Arquer Salto (1907-1981) etait un dirigeant du P.O.U.M.
3. Julian Garcia Gomez dit Gorkin (ne en 1898) etait un ancien dirigeant du P.C. reste
peu de temps a l'opposition de gauche, passe au Bloc ouvrier et paysan en 1931. II etait
secretaire international du P.O.U.M.
124
CAHIERS LEON TROTSKY 10

son vis~ge passionnem~nt tourne vers nous, tandis que la lumiere tombait
torrent1ellement sur Im ; son regard erait si profond qu'il clignait a peine
des yeux.
C'etait fini. Pe~dant q~e. nous etions e~core .en train de crier et que
les .hommes de la tribune etaient encore ass1s, ahgnes, et passaient leurs
ma1?s sur le~rs fro~ts mouilles de sueur, un orchestre se leva gravement
et l l~ternatwnale eclata. Nous nous levames, le poing dresse et nous
c~antames, chantames, avec les petites voix claires des enfants qui piail- Courrier des lecteurs
la1ent d~ns. le grondement des hommes et se melaient a l' errange son
rauque em1s par l~s fem~~s qui criaient comme des paons. II passa sur
cette salle un sentiment d mtense emotion.

De Mika Etchebehere
Cher Camarade,
Je te prie de faire rectifier une affirmation concernant Hippolyte
Etchebehere parue clans le n° 5 des Cahiers Leon Trotsky, 1er trimestre
1980, page 84 (!'article de Hans Schafranek sur Landau. N.D.L.R. ).
Etchebehere est arrive a Madrid au mois de mai 1936, moi le 12
juillet 1936. A la recherche d'une place pour combattre contre le souleve-
ment fasciste nous nous sommes adresses au P.O.U.M. de Madrid, !'orga-
nisation revolutionnaire la plus proche de la notre, mais a laquelle nous
n'avons jamais adhere.
Hippolyte Etchebehere a commande la Calonne Motorisee du
P.O.U.M. du 20 juillet 1936 jusqu'a sa mort en combat le 16 aout 1936,
mais n'a jamais ete permanent de cette organisation ni d'aucune autre.
Je te prie done de bien vouloir faire rectifier clans les Cahiers Leon
Trotsky !'affirmation erronee parue clans le n° s, page 84. J'y tiens tres
fortement, car mon compagnon et moi avons toujours vecu pour la
Revolution et n'avons jamais touche un seul centime de la Revolution.
Salutations fraternelles.

L'affirmation visee par Mika est le membre de phrase qui presente


Etchebehere comme «le permanent argentin du P.O.U.M. » - dans le texte
original «Mika (der Frau des argentinischen P.O.U.M.-Funktionars H.
Etchebehere ... ». Nous donnons acte a Mika de sa rectification. La respon-
sabilite de l'erreur nous semble partagee entre /'auteur et le traducteur
(done la redaction des Cahiers au debut de 1980): Schafranek emploie le
terme «P.O. UM. -Funktionar » qui implique effectivement /'adhesion d'Et-
chebehere au P.O.U.M .. fl a done commis une erreur sur ce point. Mais, en
126 CAHIERS LEON TROTSKY 10

ecrivant « P.0.U.M. -Funktionar », ii n'a pas voulu signifier« permanent du


P.O.U.M. », car « Funktioniir » signifie « responsable » mais pas forcement
« P.ermanent », et ce point est sans doute le plus important aux yeux de
Mika.
Nos morts

De Pierre Frank Sam Gordon (1910-1982)


Rectification. 11 est ne en Ukraine occidcntalc Jans l'cmpirc austro-hongrois sous
Dans le n° 9 des Cahiers, page 4, on lit: un nom dont il ne se souvcnait plus a l'age d'hommc. II avait emigre tout
« elle (Lola Dallin) a, depuis 1937, fidelement assure les frais de la
jeune au~ ~tats-Unis OU ii s'appcla Gordon. Etudiant a City College, ii y
sympath1sa1t avec le P.C. quand son professeur lui annon\a que Cannon
sepulture de Ljova (Leon Sedov) et de l'entretien de sa tombe au cimetiere
de Thiais ». allait etre exclu pour (( trotskysmc ». 11 alla par curiositc ccouter Cannon,
et, fort ebranlc, dccida d'allcr voir de ses yeux la realitc curopcennc.
S'il est vrai que Lola Dallin a assure l'entretien de la tombe avec la
coll~boration d'une amie a Paris, par contre les frais de la sepulture depuis
Embarquc sur le batcau allcmand Hannover en 1929, ii vccut a Berlin ct
Hamburg, adhera a !'Opposition de gauche, devint, a 19 ans, corrcspon-
la, fm d~ la guerr~ o~t ete regles par Pierre Frank sur les depenses de
tresorene du secretariat de la Quatrieme Internationale. dant du Militant, revint en sejournant encore un peu en France, a Paris,
ou il fut plongeur, correcteur, gar\'.on de cafe.
~ son ret~ur aux Etats-Unis, il rejoignit la Communist League of
Dont acte. La formule etait done regrettable. Elle ne f aisait porter
cependant aucun blame sur ceux qu'elle ne mentionnait pas et cherchait Amenca, trava1llant au Militant en la double qualite de journalistc et
d'imprimeur. II le dirigea pendant quelques mois, a 21 ans. Il fut cooptc
set:tlement a souligner la. fidelite de Lola a la memoire de Ljova, ce que
Pierre Frank ·ne contredit pas. au comite central en 1932, milita clans les ligues de chomeurs, le syndicat
S~gnalons a cette occasion deux autres erreurs qui se sont glissees dans
des J?eintres: 11 aurait voulu se rendre pres de Trotsky en 1938, mais cc
la notice consacree a Lola: dermer, cra1gnant de « degarnir » le S.W.P., n'accepta pas sa candidature.
~. Le titre porte comme date de deces 1961, alors que, dans le texte,
Quand le S.I. s'installa a New York en septembre 1939, ii en devint le
est bien portee la date - correcte - de 1981. secretaire administratif sous le nom de J.B.Stuart, fut elu au C.E.l. a la
conference de mai 1940 et rencontra Trotsky en juin suivant. Marin
~· Le .second mari de Lola n'etait pas, bien entendu, Alexandre
Dallm, mats David]. Dallin. pendant la guerre, il fut organisateur des syndicats maritimes, fut l'un des
premiers militants americains a arriver en Europe en 1944, reussit en
Allemagne a sortir d'un camp americain son camarade allemand Georg
Jungclas ... Delegue du S.W.P. en Europe jusqu'en 1948, ii fut envoye a
Ceylan par le S.I., en fut expulse cependant que les autorites americaines
lui .r~tiraient son passeport. A cette epoque, George Clarke avait ete
ch01s1 comme representant du S.W.P. au S.I. et Sam avait avec lui de
profondes divergences. II s'erablit en Grande-Bretagne en 1952 et fit
partie du premier « comite international» qui se reunit sur l'herbe de
St-James Park. A la retraite depuis 1975, Sam continuait a s'interesser a
tout ce qui touchait la vie politique, le mouvement ouvrier. II encourgeait
les CEuvres, les Cahiers Leon Trotsky, avait fraternellement re\'.u Pierre
Broue et nous avait aides a debrouiller la question difficile de }'identifica-
tion des delegues de la conference de mai 1940. Sam avait subi plusieurs
operations et finalement }'ablation de la thyroi'de; il est mort d'un cancer.
Nous nous inclinons devant cet ami qui s'en va.
128 CAHIERS LEON TROTSKY 10

Mario Pedrosa ( 1905-1982) CAHIERS LEON TROTSKY


Deja critique d'art connu et membre du P.C. du Bresil, Mario Pe-
drosa s'arreta en Allemagne sur le chemin de l'u.R.S.S., observa la lutte de Apres les articles sur les collaborateurs de Trotsky et le congres
classes en Allemagne et n'alla pas plus loin. Sur le chemin du retour, il de fondation de la IVe Internationale (n° 1), un grand numero special
rencontra Boris Souvarine et se lia a Pierre Naville d'une amitie qui devait sur les proces de Moscou dans le monde (n° 3), la decouverte clans
defier les annees. Revenu au Bresil, il y organisait un premier groupe les papiers d'exil a Harvard de« Trotsky et le bloc des oppositions»
d'opposition de gauche d'une cinquantaine de membres et editait A Lucta en 1932 (n° 5), les Cahiers Leon Trotsky, avec leurs deux numeros
de Clases. La meme annee, il tentait vainement de gagner a la fois au P.C. speciaux sur « les Trotskystes en Union sovierique », ont mis a la
et a !'Opposition de gauche le prestigieux Luis Carlos Prestes. En 1931,
disposition de leurs lecteurs les documents les plus precieux des
Pedrosa fondait la Ligue communiste, opposition leniniste du P.C. du
« papiers » de Harvard, les theses ecrites sur des feuilles minuscules,
Bresil dont il allait fare l'un des principaux dirigeants, notamment clans la
periode de sa lutte pour le front unique contre le danger fasciste. Il fut sorties de prison clans des boites d'allumettes, les lettres entre
blesse le 7 octobre 1934 au cours de la contre:-manifestation ouvriere qui deportes d' Asie centrale en Siberie.
mit en deroute les chemises vertes au centre de Sao Paulo. Apres le 9 sur la France, le 10 sur l'Espagne, le volume 11 sera
Oblige de passer clans la clandestinite en 1935, traque par la police de consacre al' Amerique latine avec beaucoup de nouveau, et notam-
Vargas, Pedrosa reussit a gagner !'Europe en 1938 et il participe, sous le
ment des documents sur l'histoire du mouvement trotskyste a Cuba,
nom de Lebrun, a la conference de fondation de la IVe Internationale. II
est elu au S.I. et re.;oit mission de s'installer a New York OU il doit diriger au Chili, au Bresil et unc cxtraordinaire interview d'un militant
le secretariat latino-americain. En 1939, Pedrosa se rangea au cours de la bresilien.
discussion dans le camp de Shachtman. Il s'en separa assez vite, rejoignant Dans le numero 12, grace aux archives recemment ouvertes a
au Bresil le parti socialiste. Contraint a l'exil une fois de plus par la Salamanque, on trouvera une erude de P. Broue sur les Jeunesses
dictature militaire, il vecut plusieurs annees en France, puis regagna le
socialistes au temps ou Santiago Carrillo passait pour« trotskyste »,
Bresil ou il jouissait d'une grande autorite politique et morale. Mario
Pedrosa erait un ami de l'Institut Leon Trotsky et avait longuement re\:U
une correspondance entre Trotsky et Paul Henri Spaak, le pro-
Pierre Broue en 1979 dans son appartemem de Rio-de-Janeiro. Il demeu- gramme de la gauche du parti socialiste polonais en 1935 et des
rera dans l'histoire comme un des pionniers du mouvement trotskyste en erudes par pays sur l' « entrisme ».
Amerique latine en meme temps qu'un critique unanimement respecte. Au sommaire du numero 13, « Rencontres avec Trotsky»:
Nous esperons pouvoir presenter un article plus complet clans le nous esperons ace rendez-vous les militants comme Rosn:er, Mar_ti-
numfro 11 des Cahiers Leon Trotsky.
net, van Heijenoort, les ecrivains, James T. Farrell, Emil Ludwig,
Malraux, Eastman et - pourquoi pas - Winston Churchill.
Georgette Itkine, epouse Gabay A l'ordre du jour, un numero double sur Leon Sedov, avec la
reimpression du Livre rouge et nombre de ses articles, inedits en
Ce n'est qu'au moment oil paraissait le numero 9 des Cahiers Leon franc;ais. ·
Trotsky avec la notice necrologique consacree a Elio Gabay que nous
avons appris que sa compagne Georgette avait mis fin a ses jours quelques A !'horizon, travaux et documents sur la Grece, le Vietnam, la
semaines apres nous avoir envoye le materiel necessaire a !'article sur Elio. Chine d'avant Mao, les intellectuels americains et la revolution, le
Nous nous excusons aupres de nos lecteurs de n'avoir pas ere avertis a trotskysme en T checoslovaquie, Rakovsky, un cahier de temoigna-
temps. ges, «memoires» d'ouvriers trotskystes, de six pays. Tous ces
numeros ont pris forme, certains sont presque prers.
Acheve d'imprimer sur les presses de l'lmprimerie Dumas - 42100 Saint-Etienne
Depdt legal : juin 1982
N° d'impression : 25776 (juin 82)
La publication des CEuvres a commence en 1978.
Onze volumes etaient sortis a la date du 1er decembre
1981.
Les CEuvres ne comportent pas les grands ouvrages
de Trotsky edites par ailleurs, comme Ma vie, l'Histoire de
la Revolution russe, la Revolution permanente, etc.
Elles rassemblent au jour le jour, traduit de cinq des
langues utllisees par Trotsky, le texte de ses brochures, de
ses articles dans la presse d'information ou la presse
militante, et sa correspondance enfin.
Depuis le volume 8, les CEuvres offrent a leurs
lecteurs le texte de la correspondance de Trotsky gardee
secrete sur ses instructions jusqu'au 1er janvier 1980 par la
Bibliotheque Houghton de l'Universite de Harvard.
Chaque volume des CEuvres est presente et annote
avec so in. Un index des no ms de personnes, des
organisations et des themes, permet une utilisation facile
des renseignements qui y sont contenus: les CEuvres sont
une histoire du siecle vue a travers la plume d'un des
esprits les plus puissants de son temps.
Cette edition des CEuvres n'a son equivalent dans
aucune autre langue et elle servira de reference aux
editions a venir dans les autres pays.

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