Sandu Mihăiță-Bogdan
Etudes francophones (Ière année)
« Le Survenant »
entre le pouvoir de la réalité et la fascination pour l’Autre
« Chacun porte en soi son "Survenant",
cette partie toute intime de l'être qui se
révolte de la routine de son petit quotidien
et qui part, un moment, vers le vaste
monde du merveilleux, des rêves
impossibles, et qui revient, et qui repart,
éblouie, déçue... »
(Germaine Guèvremont, Le Survenant)
Une société fonctionne d’après un mécanisme très complexe, s’articulant sur les
membres qui forment une communauté avec des principes, cultures, etc. L’homogénéité 1 de la
société dépend fortement du groupe social et elle est soutenue par la diversité. Ainsi, chaque
individu établit des rapports avec d’autres membres, ce qui lui permet de réaliser
constamment un échange de perspective sur la culture, la civilisation, etc. En vérité, ces
rapports se matérialisent sous la forme de conventions sociales : saisir les natures humaines
nourrit notre imagination, qui est sensible aux structures mentales différentes. Cependant, une
altérité qui fascine, qui réussit à remplir un vide, produit une oscillation dans nos structures
cognitives par l’effet de fascination.Et c’est dans ce contexte qu’il nous convient de situer le
personnage principal du roman réalistede Germaine Guèvremont. Le Survenant c’est
l’imprévu, l’étrange, le mystérieux qui « frappent » à nos portes et qui nous fascinent
irrémédiablement.
Germaine Guèvremont : la vie et l’œuvre
L’écrivaine québécoiseGermaine Guèvremont, née Marianne-Germaine Grignon, est
née le 16 avril 1893 en Saint-Jérôme dans une famille intéressée par la littérature. L’écrivaine
commençait une carrière de journaliste dans le journal La Gazette et, deux années après, dans
Le Courrier de Sorel ou elle devient rédactrice. La femme du postillona publiéen 1942 une
anthologie de contes ou de petits sketchs portant le titre En pleine terrequi seront considérés
1
En tout cas, cette « homogénéité » est restrictive, car elle fonctionne en appliquant ce qu’on
appelle « l’exclusion » ; les membres qui ne s’identifient pas du point de vue de la culture, de la langue, des
aspirationssont forcément rejetés.
comme le pivot dont s’articule toute une expérience propre romanesque.Cette collection de
sketchs réalistes décrivant la vie rurale des paysans seront publiés dans la revue Paysanaet
représentent la source pour les futurs romans : Le Survenant (1945) et Marie-Didace(1947).
Le moment 1942 de la vie de la romancière restedécisif dans la structure romanesque
du Survenant car l’apparition de ce personnage unique, nouveau, extérieur, confère de l’union
à ces contes, une harmonie nécessaire pour créer le roman actuel.
L’art romanesque de Germaine Guèvremont
Si l'on essaie de reconstituer les débuts romanesques de l’écrivaine québécoise, il est
bien important de préciser sa conception sur l’écritureainsi que, pense-t-elle, l’inspiration de
l’écrivain réside dans une technique à part, étant le résultat d'une « discipline romanesque » :
« Y a-t-il une technique du roman ? Certes, oui, mais je crois que chacun doit la découvrir par
soi-même [...]. »
De plus, c'est dans un exposé dactylographié d'une conférence qu'elle prononçait à la
bibliothèque municipale de Montréal où évoquait et rappelaitles étapesprincipales de sa
propre vocation, d’abord de conteuse, puis la passion latente pour le roman de la paroisse.
« Louis Hémon et Claude-Henri Grignon avaient écrit le roman du colon, Léo-Paul
Desrosiers, le roman de la traite, Ringuet, le roman des déracinés [...]. De plus en plus se
dessinait dans mon esprit la vieille paroisse [...] son beau terrain planche tel qu'en rêvait la
mère Chapdelaine, cette plaine où l'œil voit tant qu'il veut voir, comme disait Didace
Beauchemin. [...] ».
Un thème important pour la littérature de Québec de la deuxième partie du XX -ème
siècle c’est l’arrivée du survenant, un étranger dans une communauté ordinaire et solitaire. De
ce point de vue, introduisant dans une petite paroisse étriquée un étranger peut soulever un
conflit sourd et des tensions dans cette communauté-cible. Vu la biographie de Germaine
Guèvremont, la romancière connaissait vraiment cette zone géographique, le monde sorelois
de Québec, près des iles de Saint-Pierre, un endroit d’où faisait partie la famille de son mari et
où elle sera enterrée.
A l’origine, LeSurvenant représentaitun conte de Noël ou plutôt une succession de
contes ayant un même point de départ - l’influence de l’imprévu et la fascination pour celui-ci
car « il serait bon de faire une liaison entre tous ces contes et de les rallier à une même
famille, la famille des Beauchemin. Ces ainsi que j’ai commencé à écrire des livres ».
Le Survenant est un roman réaliste car on situe d’entrée le cadre spatio-temporel : au
Chenal du Moine, un soir d’automne au moment de souper après un jour de travaux ruraux.
L’écrivaine respecte aussi l’alternance des saisons parallèlement avec le rythme des travaux
ruraux et les moments liturgiques : chasser les canards, le repas, la première neige, la chaleur
d’été. L’effet romanesque c’est de créer le décor de l’époque et pour séduire le lecteur. Ainsi,
le roman couvre une période de douze moins (dès octobre 1909 à l’octobre 1910). Le rythme
dynamique propre à la vie rurale qui suit le cycle des saisons ralentit au dernier chapitre à
cause du retour à la routine des gens de Chenal du Moine faisant l’écho du/faisant écho au
premier chapitre : le Survenant est parti et c’est l’apparition d’/de l’Acayenne, la future
femme de Didace qui portera d’ici en avant une figure de l’autorité maternelle, une ère
féminine qui va restaurer l’équilibre social.
De toute évidence, une habilite/habileté romanesque stylistique de la romancière réside
dans l’effervescence à laquelle renouvelle la tradition romanesque vouée à la fidélité de la
terre et à l’attachement des paysans pour leurs terrains comme le considère Yvan G. Lepage
dans Germaine Guèvremont : la tentation autobiographique.
Doué d’un pouvoir balzacien de la description,l’exposé est subjectif et intime car il
raisonne ( ? résonne ?) avec les sentiments des personnages, leurs vies ou leurs actions. Par
exemple, la nature évoque brillamment la tristesse d’Angélina car « des parcelles de neige et
des larmes brillant à ses cils ».
Survenant, quêteur, voyageur- quels (en)jeux romanesques ?
Le terme survenant s’utilise en Québec pour dénommer une personne « qui vient
s'ajouter à un groupe de personnes ; « le nouveau venu dont on ignore la provenance ».
De toute évidence, la naissance de ce mythe de l’aventurier nomade qui s’arrête dans
une maison, vu comme une quête initiatique, est propre à la domination de la France qui
émerge dans la matrice sociale du futur Québec. En tout cas, la situation politique dans la
Nouvelle-France entraine de l’insécurité du people devant les changements politiques
etchange la perception sur le fonctionnement de leur société dominée parle coureur de bois.
Le peuple commence à cultiver la terre tandis que le coureur de bois a besoin de liberté et
d’espace donc il ne supportera jamais les restrictions imposées par une telle société
conservatoire/trice.
Le peuple s’attache au familier et au conservatisme. Sans contester, l’irruption d’un
survenantau sein d’une famille en crise d’une génération - Didace Beauchemin cherche un fils
digne de son nom - représente une arrivée messianique. Toutefois, le Survenant devient un
Sauveur quipar son essence ontologique ne résistera jamais au sein d’une famille que
seulement pour les labours typiquement ruraux.
Le sujet du roman est esquissé sur la matrice simple, presque racinienne, formée de
plusieurs épisodes ruraux et peu de personnages. L’intrigue s’articule généralement sur deux
histoires de vie, celle du père Didace qui cherche un héritier et celle d’Angeline qui souffre
d’amour. L’action du Survenant est un mélange entre le récit d’amour et l’amitié que Didace
éprouve pour le Survenant.Sur cette double intrigue, se greffent les autres épisodes du roman.
Sans l’ombre d’un doute, le Survenant n’est encore un nomade, sa structure
ontologique est bien différente. Le premier, lui, est effrayé par les restrictions d’une société
considère/érée (être) dangereuse. L’autre, a perdu la « raison d’être » mais il reste inquiété par
la limite d’une société considère comme bornée, sans espérance. Le sauvage portant le
mackinaw aime la nature mais aussi la splendeur de la ville, les hôtels, la modernité à
l’opposition avec les /des paysans.
Les moments clés du roman
L’auteure situe l’action particulièrement dans la communauté de Chenal du Moine,
près de Sorel. Le Canada devient
sous la plume de Germaine
Guèvremont le pays qui ne (se)
change pas, qui
reste« immuable » devant le
temps pour mettre en évidence le
caractère traditionnel.
Définitivement, cette société
« pétrifiée » est sédentaire,
s’isole pour mener une vie simple
basée sur l’agriculture,une sorte
d’autarcie forgée sur le travail
des terres agricoles. La société québécoise souffre d’une phobie sociale, de l’hermétisme. La
dichotomie moi-l ’autre est significative pour le contexte canadien ce qui renforce encore le
réalisme du texte.
Didace Beauchemin, le père - veuf et vieux- est l’héritier d’un large terrain agricole et
vit avec son fils Amable et sa belle-fille Alphonsine. (Dans) Une soirée d’automne, l’imprévu
s’est produit : un jeune solitaire sollicite d’être hébergé et encore de travailler dans la maison
de la famille de Beauchemin. Une fois entre dans la demeure de cette famille, il perturbe
l’intimitédu« microcosme »familial qui s’est changé visiblement. Amable et Alphonsine, les
figures de la tradition, le considèrent toutefois un intrus et le regardent avec /d’ un œil
suspicieux mais ils ne réussissent nul/aucun d’entre eux à changer l’estime que le Père a pour
le Survenant.
C’est justement dans la période où le travail physique est bien exploité etle nouveau
venu pouvait facilement s’insérer dans une famille riche. Le pivot de l’action romanesque
réside dans cette rencontre essentielle dont la famille sera/sortira changée. N’ayant pas une
identité, car il ne révèle jamais son prénom,le père de cette société patriarcale lui offre une
identification :ainsi pourra-t-il faire partie de cette petite communauté. L’action romanesque
s’articule surtout sur la tension provoquée au sein du nid de la famille de Beauchemin après
l’apparition de l’étranger : d’un côté, l’héritage de Didace Beauchemin qui cherche
« l’homme qui fera valoir le nom des Beauchemin » est mis en question et de l’autre,
l’invalidité et la solitude d’Angeline. Deux intrigues et deux contes/histoires de vies qui
progressent parallèlement autour du même pivot.
Imprévisiblement, la communauté entière participe au changement. Le « Grand-dieu-
des routes » suscite de l’admiration (par/à la communauté), de l’amour (par/chez Angeline) et
du peur (par/chez Amable et son épouse). Sans doute, il entraîne encore de la peur par le fait
qu’il est indépendant, il parle et pense dela liberté – sa passion tyrannique- etparfois il boit de
l’alcool. Par son esprit audacieux, l’esprit d'initiative, les attitudes marginales, directes, les
gestes désinvoltes, le Refugié incarne vraiment toutes les formes qui provoquentle
changement de la mentalité car il est un « connaisseur du monde ».
On ne peut nier que la demeure des Beauchemin devient l’axis mundi en
défragmentation où s’heurtent les générations. La voisine, Angeline Desmarais, seule et
invalide s’éprend (de l’amour) aveuglement de cet homme qui la traite avec du respect et
cortésie/courtoisie sauf que le mariage reste improbable. Finalement, payer un voyage à
Montréal serait-t-il/elle la façon dont le Survenant deviendra(-t-il) satisfait et convaincu d’une
vie tranquille ? Serait-elle l’unique solution de calmer le sentiment de la liberté ?
Le rejet de l’autre - soit-il coureur de bois, voyageur,survenant ou tout une autre
personne - s’appuie sur la phobie qui domine l’esprit humain devant le changement et
représente après tout unfait social et unecompétence de l’homme de percevoir – que ce soit
par l’histoire, la littérature, les arts ou l’expérience directe – des natures, personnalités et
mentalités différentes, c’est-à-dire le monde.
Observations (en rouge, dans le texte, ce qui n’est pas correct; en jaune, ce que
j’ai corrigé, ajouté ou modifié):
- votre préambule, avec l’argumentation du point de vue choisi, est juste et nécessaire
- la courte présentation bio-bibliographique est bien organisée, avec l’accent posé sur
son trajet de création
- dans son ensemble, la présentation fait montre d’une structure claire, bien conçue,
soutenue (attention, quand même, à la cohérence interne !) ; elle fait voir la capacité
d’interpréter et de bien saisir les caractéristiques essentielles d’un texte littéraire, la capacité
de vous servir d’une terminologie technique adéquate
- commentaire construit sur des considérations parfaitement valables, qui auraient pu
être soutenues par des citations du texte – ex. le discours du Survenant, qui le définit, parce
qu’il fait l’apologie du voyage, c’est donc une sorte de « manifeste » d’un vagabond, d’un
coureur de bois, qui s’oppose franchement à la philosophie de vie d’un sédentaire, d’un
« habitant » (agriculteur): « Vous autres , vous savez pas ce que c’est d’aimer à voir du
pays, de se lever avec le jour, un beau matin, pour filer fin seul, le pas léger, le cœur allège,
tout son avoir sur le dos. Non ! vous aimez mieux piétonner [piétiner] toujours à la même
place, pliés en deux sur vos terres de petite grandeur, plates et cordées comme des mouchoirs
de poche. Sainte bénite, vous aurez donc jamais rien vu, de votre vivant ! Si un oiseau un peu
dépareillé vient à passer, vous restez en extase devant, des années de temps. Vous parlez
encore du bucéphale, oui, le plongeux [sorte d’oiseau aquatique] à grosse tête, là, que le père
Didace a tué il y a autour de deux ans. Quoi c’est que ça serait si vous voyiez s’avancer
devers vous, par troupeaux de milliers, les oies sauvages, blanches et frivolantes comme une
neige de bourrasque ? Quand elles voyagent sur neuf milles de longueur formant une belle
anse sur le bleu du firmament, et qu’une d’elles, de dix, onze livres, épaisse de flanc, s’en
détache et tombe comme une roche ? Ça c’est un vrai coup de fusil ! Si vous saviez ce que
c’est de voir du pays… » (cette citation illustre aussi leur façon de parler)
- bonne mise en contexte du roman - et du thème/motif du « Survenant », avec un
développement intéressant (psychologique, sociologique, historique) autour des
modèles/types humains présents dans la littérature du Québec
- l’analyse du roman (et de la technique romanesque) est centrée sur certains éléments
essentiels pour sa construction, et leur spécificité : l’espace, le temps, les relations
interpersonnelles, le décor/l’atmosphère, l’intrigue, le rythme du récit, les descriptions
- bonnes connexions avec d’autres auteurs, techniques romanesques, styles (Balzac,
Racine)
- pour conclure, un bon travail, qui pourrait être meilleur encore - c’est ce que
j’attends pour Kamouraska !