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A Propos de La Psychopedagogie

Ce document décrit le contexte historique de la création de la maîtrise de sciences de l'éducation en France en 1967, notamment les débats sur la structuration de la recherche en éducation et la formation des enseignants. Il examine également les enjeux philosophiques, éthiques et épistémologiques liés à la notion de psychopédagogie.

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A Propos de La Psychopedagogie

Ce document décrit le contexte historique de la création de la maîtrise de sciences de l'éducation en France en 1967, notamment les débats sur la structuration de la recherche en éducation et la formation des enseignants. Il examine également les enjeux philosophiques, éthiques et épistémologiques liés à la notion de psychopédagogie.

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Actes du congrès de l’Actualité de la recherche en éducation et en formation (AREF),

Université de Genève, septembre 2010

A PROPOS DE LA PSYCHOPEDAGOGIE

Dominique Ottavi*, Catherine Dorison**

* Université de Caen Basse-Normandie (CERSE)


Esplanade de la Paix
14032 Caen
[email protected]
** Université de Cergy-Pontoise (E.M.A)
33, boulevard du Port
95011 Cergy-Pontoise Cedex
[email protected]

Mots-clés : psychopédagogie, philosophie, science, épistémologie, personne.

Résumé. La décision de la création d’une maîtrise de sciences de l’éducation en 1967 s’inscrit


dans le contexte des débats sur la nature et la structure de la recherche en éducation et sur la
formation des enseignants. La « psychopédagogie » est alors invoquée comme un des éléments
constitutifs des sciences de l’éducation. Mais ce terme est polysémique et doit être clarifié. Au-
delà du mot, la notion comporte, si l’on examine l’œuvre d’un auteur qui l’a illustrée comme J.
Leif, des enjeux philosophiques, éthiques et épistémologiques : quel est le savoir possible au
sujet de l’éducation ? En quoi peut-il servir la formation des enseignants ? Dans ce cas, quelle
finalité poursuit-on ? La psychopédagogie porte la marque des hésitations et conflits inhérents à
ce domaine et hérite aussi d’un patrimoine d’idées bien enracinées dans le monde de
l’enseignement ; son effacement ne dispense pas de repenser cet héritage. Cette revisite donne
des outils pour penser la relation théorie et pratique dans le contexte contemporain.

Au milieu des années soixante, la psychopédagogie occupe une place non négligeable dans
l’archipel des savoirs sur l’éducation, comme en témoigne la place qui lui est faite dans le
programme de la maîtrise de sciences de l’éducation créée en 1967 (Ministère de l’Education
nationale. 1967). Mais quelques années plus tard elle aura disparu des “sciences de l’éducation”
enseignées à l’université. Elle apparaît de ce fait comme une “bifurcation interrompue” des
sciences de l’éducation. Les raisons de cette interruption sont-elles d’ordre épistémologique, liées
aux “insuffisances” de la psychopédagogie, ou d’ordre institutionnel, liées aux finalités assignées à
l’enseignement des sciences de l’éducation dans le partage entre l’université et le ministère de
l’éducation nationale pour la formation des enseignants ? Pour répondre à cette question, il est
d’abord utile, dans une première partie, de s’attacher au moment de la création de la maîtrise de
sciences de l’éducation, pour décrire les attentes institutionnelles à l’égard de la recherche en
éducation et les débats sur la place des sciences de l’éducation dans la formation des enseignants.
La seconde partie examine les enjeux philosophiques, éthiques et épistémologiques dont est
porteuse la notion de psychopédagogie pour l’analyse du lien théorie/pratique.

1. Le contexte de la création de la maîtrise de sciences de l'éducation en 1967

L’énoncé des épreuves des quatre certificats donne à voir l’ambition de la maîtrise de sciences de
l’éducation d’enseigner des savoirs très divers. Cette diversité tient au fait que les débouchés de
cette formation sont, à cette date, très peu précisés. Pour comprendre la place de la
psychopédagogie parmi les matières mises au programme de la maîtrise de sciences de
l’éducation, il convient de revenir sur les circonstances de la création de ce diplôme et plus
particulièrement sur les débats au milieu des années soixante d’une part sur la nature et les
finalités des recherches en sciences de l’éducation et d’autre part sur la formation des enseignants.
Dans la réflexion menée au sein du ministère de l’éducation, dans les débats des colloques de Caen

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Actes du congrès de l’Actualité de la recherche en éducation et en formation (AREF),
Université de Genève, septembre 2010

(1966) et d’Amiens (1968) comment les différents types de recherche en éducation sont-ils
caractérisés ? Quel est le partage envisagé dans la structuration de la recherche entre le ministère et
des instances indépendantes ? Quel est le partage envisagé entre le ministère et l'université sur
l'organisation de la formation des enseignants et dans la définition de cette formation ?

1.1. La structuration de la recherche scientifique dans les années 1950-1960.

La volonté de structurer la recherche en éducation telle qu’elle s’exprime au colloque de Caen en


1966 puis à celui d’Amiens en 1968 et les décisions au sein du ministère concernant cette
structuration à la même période s’inscrivent dans le contexte plus large de la réorganisation de la
recherche scientifique qui s’opère à partir de 1958. Les décisions concernant l’organisation de la
recherche scientifique sont prises dès l’arrivée de De Gaulle au pouvoir. Elles sont prises
rapidement car elles avaient été largement préparées auparavant, notamment sous le ministère
Mendès France. Un moment clé dans la création d’un mouvement d’opinion en faveur de la
structuration de la recherche scientifique a été le premier colloque de Caen organisé en 1956, à la
suite duquel le mathématicien André Lichnerowicz crée l'association d'études pour l'expansion de
la recherche scientifique (A.E.E.R.S). Dès son arrivée au pouvoir, De Gaulle suivant en cela les
propositions du mouvement pour la recherche scientifique décide en 1958, la création Comité
interministériel de la recherche scientifique et technique (CIRST). Pour la recherche scientifique,
le modèle retenu est celui d’un comité interministériel, dont sont aussi membres des personnalités
scientifiques, qui décide des orientations à privilégier et des crédits. La référence à ce modèle
pèsera dans les débats sur l’organisation de la recherche en sciences humaines.
En 1956 et au tout début de la V° République, il n’est pas question de la recherche en sciences
humaines ni de la recherche en éducation. Ce n’est plus le cas en 1966. Le colloque de Caen de
1966 est consacré aux conditions du développement de la recherche scientifique dans les
universités. Une commission se consacre à la question de la formation des maîtres et aborde à ce
propos celle de la recherche en éducation. La recherche en éducation arrive donc assez
“tardivement” dans les débats sur l’organisation de la recherche scientifique, mais son importance
est soulignée. La formation des maîtres et la recherche en éducation seront également deux thèmes
très importants du colloque organisé en mars 1968 à Amiens par l’A.E.E.R.S.

1.2. L’organisation de la recherche en éducation au ministère de l’éducation au moment du


colloque de Caen(1966)

Qui est chargé de la recherche en éducation au ministère de l’Education nationale en 1966 ?


L’organigramme du ministère a été remanié de façon importante en 1964 avec la création de la
fonction de Secrétaire général, assumée jusqu’en 1968 par Pierre Laurent. A partir de 1964, le
secrétariat général chapeaute d’une part des services (service du budget et des affaires financières,
service du plan scolaire et universitaire, service central des statistiques et de la conjoncture) et
d’autre part des directions (direction des enseignements supérieurs; direction de la pédagogie, des
enseignements scolaires et de l’orientation, direction des personnels techniques, etc.). Deux
services distincts sont chargés de la recherche : l’un au sein de la direction générale de la
pédagogie, l’autre au sein du service central des statistiques, le “service des études pédagogiques”
et le “bureau des recherches sur les besoins en matière d’éducation”.
La volonté d’une réorganisation de la recherche au sein du ministère conduit le secrétaire général à
commander deux rapports internes. Le premier est rédigé par J. Labarraque, conseiller référendaire
à la cours des comptes et remis au secrétaire général en juillet 1965. Le second, rédigé par Y.
Legoux, sociologue au bureau des recherches, est remis en octobre 1966. Ils s’efforcent l’un et
l’autre de faire un tableau des services chargés de la recherche en éducation non seulement au sein
du ministère mais aussi à l’extérieur de celui-ci. Labarraque examinant les lieux de production de
la recherche en éducation, pose le problème de l’existence universitaire des sciences de l’éducation
: "Actuellement la pédagogie n'est pas une discipline indépendante reconnue dans les Facultés de
Lettres et Sciences humaines. Elle n’existe que comme le sous-produit de la philosophie (sic)
(psychologie génétique et différentielle) ou de la médecine (psychiatrie, médico-pédagogie). Cette
situation n’est pas nécessaire et ne se retrouve pas dans les pays étrangers. Il semble qu’elle

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Actes du congrès de l’Actualité de la recherche en éducation et en formation (AREF),
Université de Genève, septembre 2010

découle en France d’une situation de fait : des chaires de pédagogie ne peuvent être multipliées
faute d’auditeurs, ces derniers ne peuvent se déclarer faute de débouché professionnel. Il en serait
tout autrement si tous les maîtres, de tous les niveaux de toutes les disciplines devaient apprendre,
outre la discipline à enseigner, la façon de l’enseigner. Une licence d’enseignement pourrait
comporter un certificat de pédagogie et cette discipline pourrait ainsi prendre place dans les
Facultés sur une base plus solide.” (Labarraque, J. 1965). Cependant, Labarraque ne se prononce pas
clairement en faveur de la mise en place d’une licence car pour lui la pédagogie des enseignants
doit être décidée par le ministère et l'université perdrait son indépendance si elle devait se
soumettre dans son enseignement aux injonctions données par le ministère.
Quant au rapport Legoux, il conduit une vaste enquête sur les organismes, les services, les
laboratoires qui font de la recherche en éducation et constate tant la dispersion que les doublons. Il
propose une typologie des recherches en éducation pour préciser qui doit effectuer quel type de
recherche. Trois types de recherches :
Les études administratives. Il s’agit de recherches visant directement les besoins statistiques des
différentes directions.
Les recherches-développement. Il s’agit de recherches effectuées en vue de leur application pour
un développement du système éducatif. “La recherche - développement est à la fois un instrument
de la connaissance des besoins, un instrument de recherche opérationnelle préparant la décision et
un instrument d’application des décisions”. Legoux dresse un inventaire des thèmes possibles de
ces recherches : les retards scolaires, le rôle de l’école maternelle et du CP pour les empêcher
(donc des recherches sur l’apprentissage de la lecture). Au niveau de l’enseignement secondaire, il
suggère des recherches sur l’orientation, la formation professionnelle élémentaire, l’organisation
de la vie scolaire, la docimologie, les méthodes audio-visuelles.
La recherche fondamentale, qui relève de l’université, dont les objets sont définis par les
chercheurs, sans être soumis à l’exigence d’utilité immédiate. D’où la nécessité d’un
développement des sciences de l’éducation. Mais pour Legoux, comme pour Labarraque, le
développement des sciences de l’éducation doit d’abord bénéficier au monde enseignant et à la
formation des maîtres : “On ne peut raisonnablement penser que la formation des professeurs
continuera longtemps à subir la carence de préparation pédagogique ou la formation des chefs
d’établissement la carence de la formation administrative, psychologique et sociologique, qu’elles
subissent actuellement. On ne peut prévoir ni souhaiter un abandon ni même une régression des
travaux de thèses de recherches pures et de thèses de doctorat ou du 3° cycle et même de DES sur
le système éducatif. Tout devrait être fait, au contraire, pour que dans notre pays, les Sciences de
l’éducation et le système universitaire qui les soutient comblent le retard qui s’est accumulé depuis
un demi-siècle.” (Legoux, Y. 1966).
Bien que le rapport d'Yves Legoux ait été remis en octobre 1966, c'est après le colloque de Caen
qu’il est diffusé et la commission sur la recherche du colloque d’Amiens s’appuiera sur lui.

1.3. Les propositions de la commission formation des maîtres au colloque de Caen de 1966.

Le colloque de Caen de novembre 1966 a pour thème "Les perspectives de l'enseignement


supérieur scientifique et de la recherche". C’est dans le rapport de la commission sur la formation
des maîtres qu’on trouve les propositions concernant la recherche en éducation et l’organisation
des études universitaires en sciences de l’éducation.
Du point de vue de l’organisation de la recherche, la commission propose la création, au sein du
ministère d’un Service de pédagogie chargé de fixer les grandes options et de faire appliquer les
conclusions des recherches. Et surtout, la création d'un Conseil de la Recherche pédagogique,
extérieur au ministère « chargé, notamment de proposer des thèmes de recherche, de susciter une
émulation et devant associer des enseignants des diverses disciplines- et nécessairement des
professeurs de faculté- des spécialistes des sciences de l'éducation et des représentants des
organismes ou services intéressés par la recherche en éducation. » (AEERS. 1966). La commission
s’oriente donc nettement d’une part vers le principe d’un partage des responsabilités et des
prérogatives en matière de recherche entre le ministère et l’université, d’autre part vers
l’affirmation du caractère à la fois universitaire et pluridisciplinaire du Conseil de la Recherche
Pédagogique.

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Actes du congrès de l’Actualité de la recherche en éducation et en formation (AREF),
Université de Genève, septembre 2010

La commission préconise également la création dans chaque université d'un “Institut universitaire
de pédagogie" qui aurait une double mission : recherche et formation psycho- pédagogique des
futurs professeurs. Pour mener les recherches l’institut aurait autorité sur des établissements
scolaires (en particulier pour le recrutement des enseignants). Le rapport insiste sur le lien de
dépendance à l'égard de l'université : "Sans ce lien de dépendance, fréquent à l'étranger, la
nécessaire expérimentation ne peut-être conduite systématiquement." Cette proposition appelle un
double commentaire 1° sur le modèle de recherche : il s'agirait pour les chercheurs d'expérimenter
dans des classes dédiées des pratiques pédagogiques nouvelles, de façon suffisamment
systématique pour pouvoir en mesurer les effets. Le modèle est celui du laboratoire.2° C’est
toujours, comme dans les rapports de Labarraque et de Legoux, en relation avec une réforme de la
formation des enseignants que sont définis les missions des Instituts universitaires de pédagogie,
qu’est pensée la question de la recherche en éducation et de l’universitarisation des sciences de
l’éducation
Un problème qui préoccupe particulièrement la commission « formation des maîtres » du colloque
de Caen est celui du lieu de formation initiale des enseignants.
Pour les enseignants des écoles primaires, la proposition est celle d'une rénovation des écoles
normales qui devraient retrouver leur vocation à une formation professionnelle perdue depuis
qu'un an seulement de formation professionnelle fait suite à une préparation au bac. Les EN
seraient transformées en établissements supérieurs courts, sur le modèle des IUT et reliées aux
instituts pluridisciplinaires de pédagogie. L'exemple étranger est invoqué : ailleurs les instituteurs
sont formés dans des établissements des facultés. Les EN rénovées devraient permettre une
scolarité de 2 ans minimum après le bac avec une triple formation.
La situation des professeurs du second degré est présentée comme plus complexe : il n'est pas
possible de les former au métier d'enseignant dès le début des études supérieures car ils n'ont pas
pour la plupart choisi leur métier futur en entrant à l'université.
La commission propose donc trois phases dans la formation. 1° phase : une initiation à la
communication, 2° phase : la formation psycho- pédagogique et sociale, 3°phase : la formation
professionnelle.
La formation à la communication se ferait au moment de la formation disciplinaire académique,
dans un enseignement rénové. La formation psycho- pédagogique et sociale serait dispensée par
les instituts interdisciplinaires d'études pédagogiques. Mais en quoi consiste la psychopédagogie ?
Elle comprend trois éléments :
- A. Psychologie et sociologie de l'enseignement. "Cela comprend notamment l'enfance,
l'adolescence, le développement de la personnalité, (aspects psychomoteurs, affectifs, intellectuels,
sociaux); les processus d'apprentissage; la relation entre le maître et l'élève; les fins et les
méthodes d'éducation, des éléments d'histoire de l'éducation et d'éducation comparée;
l'organisation de l'enseignement; les services d'orientation scolaire. Il ne s'agira pas d'un
enseignement dogmatique et livresque mais de la présentation concrète d'éléments de référence et
de réflexion").
- B. Pédagogie de chaque discipline aux différents niveaux. Le rapport final précise ce point que le
rapport préliminaire ne faisait que mentionner. "Celle-ci doit être élaborée par les enseignants eux-
mêmes dans le cadre de l'institut interdisciplinaire d'études pédagogiques en bénéficiant de toutes
les études et informations qu'auront pu recueillir de tels organismes dans une discipline ou une
autre"
On comprend bien l'insistance sur le caractère pluridisciplinaire de l'institut pédagogique.
- C. Techniques pédagogiques. "Citons entre autres : dynamisme des groupes et conduite des
réunions; techniques d'observation et d'expérimentation en milieu scolaire; méthodes d'évaluation
des connaissances et des capacités; contrôles des résultats; élaboration du dossier scolaire; moyens
audio-visuels d'enseignement. Là encore il s'agit d'exercices et d'applications." (AEERS. 1966)
La troisième phase : celle de la formation professionnelle serait sous la responsabilité de
l'employeur, dont le rapport précise qu'il devrait fixer des critères de recrutement plus exigeants et
pas seulement académiques et fixer une période probatoire plus longue.
A la lecture des documents issus du colloque de Caen, deux voies complémentaires s'ouvrent pour
les sciences de l'éducation. D'une part, une participation à la recherche en éducation, d'autre part

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une participation à la formation des enseignants : les instituts interdisciplinaires pédagogiques


dans chaque université jouant un rôle central dans les deux domaines.
A la suite du colloque de Caen et de l’ambiance très coopérative entre les différents participants,
des réformes s’engagent au ministère.
Concernant l’organisation de la recherche au ministère : 21 Février 1967, Arrêté qui réorganise les
directions. Le service des études pédagogique devient un “Bureau de l’organisation des recherches
et de l’expérimentation pédagogique” rattaché au service des enseignements généraux”. Un service
du même type est rattaché au service des enseignements techniques et professionnels. Et un an
plus tard, l’arrêté du 31 janvier 1968, crée un Comité de la recherche et du développement de
l’éducation nationale. Le même arrêté crée au secrétariat général un Bureau des programmes de
recherches de l’Education nationale, ce bureau est rattaché au service central des statistiques et de
la conjoncture.
Concernant les enseignements à l’université, dans l’arrêté du 2 février 1967 sur les enseignements
de 2° cycle (licence et maîtrise) création d’une maîtrise de sciences de l’éducation.

1.4. Les débats et les propositions au colloque d’Amiens.

Le colloque qui se tient du 15 au 17 mars à Amiens est entièrement consacré aux problèmes de
l’enseignement. Cinq commissions travaillent en parallèle : “Finalité de l’enseignement”; “La
formation culturelle de l’individu- Rôle et place de l’éducation artistique”; “Evolution des
structures des établissements”; “Formation initiale et formation permanente des maîtres”;
“innovation et recherche en éducation”.

1.4.1. La commission « innovation et recherche ».

Alors que les textes du colloque de Caen laissent à penser que les débats ont beaucoup porté sur le
problème de l’organisation de la recherche, de sa structuration administrative, au contraire à
Amiens le débat porte sur la nature de la recherche. L’intitulé de la commission indique en lui-
même le changement. L’essentiel du débat, à Amiens, porte sur la place de l’innovation.
Relativement à la nature des recherches, la commission « innovation et recherche » souligne que la
recherche en éducation ne se réduit pas à la recherche en pédagogie : “La recherche en éducation
ne se réduit pas à la seule réflexion et à la seule expérimentation pédagogique. Elle se préoccupe
également des interactions entre “l’établissement d’éducation” et l’environnement économique,
social et culturel dans lequel il est inséré. Pour être plus précis, les sciences de l’éducation ne
doivent pas être considérées comme les sciences auxiliaires de la pédagogie, mais comme un
ensemble de recherches concernant les divers aspects de la fonction d’éveil et de stimulation,
c’est-à-dire de la fonction d’éducation de la société.” (AEERES. 1969, p.368). Ceci n’est pas sans
intérêt. Se dessine ici une distinction sur laquelle bien des départements universitaires de Sciences
de l’éducation, en France, construiront par la suite leur identité : les sciences de l’éducation ne
sont pas exclusivement les sciences de l’école. Au colloque d’Amiens néanmoins, les questions de
la recherche en éducation et de la formation des enseignants restent étroitement liées, comme en
atteste les travaux de la commission « formation initiale et continue des maîtres »

1.4.2. La commission formation initiale et formation continue des maîtres.

Cette commission affirme (à la suite du colloque de Caen) la nécessité d’une formation supérieure
pour tous les enseignants (du premier et du second degré), dans des universités proposant des
premiers cycles rénovés, résolument pluridisciplinaires. Mais quelle formation ? Le modèle fait
suivre une formation académique rénovée suivie d’une formation professionnelle organisée autour
d’un stage en responsabilité. Quels enseignements pour cette formation professionnelle ? La
commission reprend les suggestions de la commission du colloque de Caen concernant la
psychopédagogie. Mais, dès les premières lignes le rapport préliminaire insiste sur l’idée que ces
enseignements ne doivent pas être “encyclopédiques”, coupés des réalités. Il évoque les critiques
contre les professeurs de pédagogie imposant des programmes si lourds qu’ils se font au détriment

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de la formation intellectuelle des maîtres. Même si, le rapport l’explique, la situation n’a jamais
été telle dans une France dominée par une tradition intellectualiste.
Le rapport final indique donc : “la formation professionnelle devra essentiellement faire fond sur
la pratique effective du métier, dans des conditions réelles, c’est à dire en situation de
responsabilité. Il nous est apparu, en effet, qu’une partie importante des connaissances théoriques
en psychopédagogie et des connaissances plus appliquées (pédagogie de la discipline, conduite de
la classe, rapports maîtres-élèves) seront mieux assimilées par des maîtres stagiaires en
responsabilité que par des étudiants. D’autre part, on espère éviter ainsi de fixer les futurs
enseignants sur des stéréotypes injustifiés.” (AEERES. 1969) On peut se demander si dans un tel
modèle la psychopédagogie aurait une place à l’université.

1.5. Conclusion

1° La création de la licence de SE en 1967 a eu lieu dans une “fenêtre d’opportunité”. Une fenêtre
d’opportunité car la création de la licence et le projet d’un développement des sciences de
l’éducation à l’université sont liées à un mouvement plus large en faveur de la recherche en
éducation et d’une réflexion sur la réforme de la formation des maîtres.
2° Le débat sur la nature des recherches et sur les organismes qui en ont la charge n’est pas tranché
à la fin des années soixante. Les sciences de l’éducation à l’université vont-elles se cantonner dans
les recherches “pures”? Vont–elles prendre une part aux recherches expérimentales ? Quel lien les
recherches en éducation effectuées ailleurs entretiendront-elles avec les sciences de l’éducation ?
3° Le contexte qui a présidé à la création universitaire des sciences de l’éducation était marqué par
l’association forte des problématiques du développement de la recherche en éducation et de la
rénovation/universitarisation de la formation des enseignants. Or les sciences de l’éducation ont
été universitairement créées, en 1967 sans capter ni modifier les dispositifs existants de la
formation des enseignants. D’où la désarticulation qui va s’installer entre d’une part des sciences
de l’éducation universitaires et d’autre part une « psychopédagogie » qui va trouver une place non
universitaire dans les écoles normales, enseignée par des professeurs de l’enseignement secondaire
(philo principalement) et sous la houlette et l’animation d’inspecteurs, dont Joseph Leif sera une
figure emblématique.

2. La notion de « psychopédagogie ».

Les sciences de l’éducation voient flotter les mots, signifiants, peut-être plus qu’une autre
discipline. Il y a en particulier un flou autour de la psychopédagogie. Elle semble être un
contrepoint moderne à la généalogie des sciences de l’éducation à partir de la science de
l’éducation du XIXe siècle, étudiée récemment par Jacqueline Gautherin (Gautherin, 2002). La
psychopédagogie traduit un lien des sciences de l’éducation aux sciences humaines, ce lien restant
dans l’imprécision car le mot s’est prêté aussi à des utilisations stratégiques, par exemple dans les
rapports des sciences de l’éducation à la psychologie (il faut rappeler que la licence de
psychologie, à l’instigation de Daniel Lagache, a été créée par un décret du 9 mai 1947).
Au-delà de ces constats, la notion de psychopédagogie recèle en réalité des enjeux
épistémologiques du côté de l’objet des sciences de l’éducation, et du côté de la signification qu’y
prend le mot « sciences ». Elle pose aussi les problèmes de l’« application », de la nature d’un
corps de connaissances spécialisées en éducation. Nous le montrerons par un parcours à travers les
emplois du mot « psychopédagogie » ainsi que par des tentatives de théorisation et d’histoire de la
notion par des auteurs représentatifs de la période 1950-1980.

2.1. Mot et idée

Le souci de la scientificité habite la notion de psychopédagogie :ainsi, un article de Gaston


Mialaret dans les Actes de journées d’étude tenues à l’occasion des 21 ans des sciences de
l’éducation, intitulé « de la psychopédagogie et de la pédagogie expérimentale aux sciences de
l’éducation » (Mialaret, 1991) consacre un intéressant paragraphe à cette notion. Après avoir
invoqué ses maîtres, Claparède, Zazzo, Wallon… G.Mialaret met en avant qu’une étude de type

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scientifique en éducation est possible. Pour lui, il s’agit de s’opposer à l’éducation nouvelle, dont
il dit qu’elle privilégie la communication entre les sujets, et les « marxistes réticents », qui
refusent la quantité dans les sciences humaines (Mialaret, 1991, p.27). Il défend la
psychopédagogie en tant que « pédagogie expérimentale » et les deux mots peuvent être
quasiment synonymes, la psychopédagogie étant un nom de la pédagogie expérimentale, elle-
même repère incontournable des sciences de l’éducation. C’est ainsi que G.Mialaret rappelle la
création en 1958 de l’Association internationale de pédagogie expérimentale de langue française.
En évoquant ses souvenirs sur la création des sciences de l’éducation, il rappelle aussi qu’il a écrit
un article paru en en 1966 dans la Revue de l’enseignement supérieur sur les « recherches actuelles
en psychopédagogie », afin de comparer le chemin parcouru entre cet article et son « Que sais-je »
sur les Sciences de l’éducation qui date de 1976.

Ce souci de scientificité, appuyé sur la psychologie scientifique, renvoie à l’héritage de Claparède


en priorité, à son projet de transformer la pédagogie en science expérimentale à l’instar des
sciences de la nature, et de faire de la psychologie scientifique la base de cette nouvelle approche.
Il y a en effet un lignage « suisse » de la psychopédagogie, puisque le mot figure dans Psychologie
de l’enfant et pédagogie expérimentale de Claparède, dont la première édition remonte à 1905, et
qu’ensuite Piaget l’emploie en 1928 dans Psychopédagogie et mentalité enfantine. Quant au mot,
G.Mialaret avoue que le sens de « psychopédagogie » est assez flou pour que l’on puisse se
l’approprier en l’infléchissant :

« L’origine de cette notion n’est pas très précise ; on la trouve utilisée sous la plume de plusieurs
auteurs ; j’ai essayé de faire des distinctions (sans être bien sûr d’y arriver) entre la
psychopédagogie et la psychologie de l’éducation (en particulier dans le chapitre sur la
psychologie de l’éducation du Traité de psychologie appliquée dirigé par M.Reuchlin) » (Mialaret,
1991, p.27).
Il précise alors qu’il a voulu donner un contenu à ce concept en travaillant sur les apprentissages
(lecture, écriture, notion de temps et pédagogie de l’histoire). Ceci correspond la définition de
G.Mialaret citée par H.Terral (Terral, 1994, p.375) :« pédagogie qui tient compte des processus
psychologiques de l’élève et qui trouve son fondement scientifique dans la psychologie de
l’éducation ».

Il faut rappeler ici que G. Mialaret, alors nommé chef de travaux à l’Université de Caen, y a fondé
en 1956-57 d’un laboratoire de psychopédagogie (il regroupait les sciences, la psychologie, la
pédagogie expérimentale. Auparavant, il a été en 1949 (biographie Mialaret PUF) assistant au
laboratoire de psychopédagogie de l’ENS de Saint-Cloud, ce qui renvoie à l’emploi institutionnel
de ce terme.

En dehors de ces laboratoires, la psychopédagogie demeure mentionnée dans les différents projets
préalables à la création de la licence de sciences de l’éducation en 1967, en tant que composante
des « certificats » nécessaires à l’obtention du diplôme. Ce qu’en rapporte, par exemple, Louis
Marmoz, dans les Sciences de l’éducation en France, montre que dans ce contexte la notion a un
contenu syncrétique : il souligne que dans les projets de Jean Château, dits « Château » de 1962, à
Bordeaux, il y a fluctuation autour de cela (Marmoz, 1988, p.16).
Un premier projet prévoit un certificat de « philosophie de l’éducation et pédagogie », (parmi
d’autres, il y en a un de psycho de l’enfant et de l’adolescent) avec :
-Philosophie de l’éducation
-Psychopédagogie générale
-Pédagogie expérimentale
-Option.

Dans le deuxième projet la philo disparaît du titre : « certificat de pédagogie », qui comprend
alors :
-Philosophie de l’éducation
-Psycho-sociologie de l’éducation

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Actes du congrès de l’Actualité de la recherche en éducation et en formation (AREF),
Université de Genève, septembre 2010

-Psycho physiologie de l’éducation


-Travaux pratiques de psychologie ou sociologie de l’éducation.

La justification de cette dernière liste, dans l’exposé des motifs du projet, est de respecter l’idée
d’un « certificat de psychopédagogie dans le sens le plus large », avec psychologie et sociologie
de l’éducation, psychophysiologie et philo de l’éducation.

On pourrait multiplier les exemples, mais ce qui précède montre que la psychopédagogie est
d’abord un mot lesté d’une ambition de scientificité dans le sillage de la psychologie
expérimentale, avec des problèmes de frontière dans le contexte de l’institutionnalisation des
sciences de l’éducation. Mais c’est aussi un mot-valise qui, au-delà d’un emploi déclaratif, se prête
à absorber des significations qui renvoient quasiment au contenu des sciences de l’éducation.

C’est d’ailleurs ainsi que l’analyse H. Terral, dans « De la psychopédagogie », sa contribution à


Feu les écoles normales (et les IUFM ?), sous la direction de Hugues Lethierry (Terral, 1994 ; il
développe aussi cette idée dans « La psychopédagogie : une discipline vagabonde », RFP, 107, 1,
1994).

2.2. Un sens implicite de l’histoire

La psychopédagogie était enseignée dans les Ecoles Normales depuis 1947 dans les Ecoles
normales d’Instituteurs, dans le sillage, sinon une application littérale, du Plan Langevin-Wallon
(La psychopédagogie est également présente dans les Ecoles Normales nationales d’Apprentissage
depuis 1945). Quant à la recherche pédagogique, à laquelle appelait effectivement le projet
Langevin-Wallon, elle s’est incarnée en 1945 dans le « Laboratoire de psychopédagogie » crée
sous l’égide de Gaston Mialaret avant que celui-ci ne crée celui de Caen mentionné plus haut
(Mialaret, 2006), dont le but était de: « participer à la formation psychopédagogique des élèves-
inspecteurs et entreprendre des recherches de pédagogie expérimentale ».

La réflexion d’H.Terral trouve son origine dans la disparition des Ecoles Normales, et donc de
l’enseignement de psychopédagogie. Il s’en dégage l’idée que la psychopédagogie est quasiment
équivalente aux sciences de l’éducation. A partir de là, c’est sous un angle sociologique qu’il
analyse la fonction de cette discipline et de l’emploi de ce mot, et qu’il interprète leur histoire,
l’histoire d’une injustice…
Il souligne, en rappelant les projets de création, à l’Université, des « sciences de l’éducation », que
l’un de ses buts, en 1967, était de former les professeurs de psychopédagogie des Ecoles
Normales, ces derniers étant au départ des professeurs de philosophie. Ceci est l’un des nombreux
éléments qu’on peut invoquer en faveur d’une filiation des sciences de l’éducation comme de la
psychopédagogie à partir de la « science de l’éducation » française de la fin du XIXe siècle, celle
des philosophes tels que Ferdinand Buisson ou Henri Marion, que Jacqueline Gautherin a étudiés
dans Une discipline pour la République (Gautherin, 2002).
H.Terral discerne dans cette continuité une marche en avant des sciences humaines vers la
scientificité : ces dernières se sont dégagées difficilement, dit-il, de la morale inhérente à la
« science de l’éducation » inaugurée en 1883 à la Sorbonne par Henri Marion. Outre
l’émancipation par rapport à cette gangue moralisatrice, dans cette émergence des sciences
humaines, se dessinent des enjeux hiérarchiques et symboliques : pour H. Terral, la
psychopédagogie est une héritière de la science de l’éducation « moins bien dotée » que les
sciences de l’éducation. Elle concernerait « les maîtres les moins nobles », un enseignement non
universitaire, une matière appliquée plus qu’une connaissance fondamentale, les « sciences de
l’éducation » s’appropriant le rôle symboliquement plus valorisé de recherche fondamentale. Il
souligne, en tant qu’argument en faveur de ce point de vue, la présence plus récente de la
psychopédagogie dans la formation des enseignants du second degré, les « CPR », centres
pédagogiques régionaux, où une « conférence » de psychopédagogie a été introduite en 1952
(Terral, 1994, p.176).

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Actes du congrès de l’Actualité de la recherche en éducation et en formation (AREF),
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H .Terral considère que, pourtant, la psychopédagogie possède une histoire propre et une
scientificité appuyée sur la pratique, et donc une légitimité propre. Il en appelle à une triple
ascendance, qu’il repère chez des pédagogues philosophes comme Herbart, des médecins
pédagogues comme Itard, et des psychologues comme Binet ou Claparède. Pour lui, elle mérite,
de plus, d’être élevée au rang de « science de l’éducation » car elle est une théorie-pratique au sens
défini par Durkheim. Il la considère en outre comme, une discipline carrefour, qui réunit les
quatre pôles de la relation pédagogique : les élèves, les enseignants, l’objet d’étude, et
l’environnement (il reprend ces distinctions à Antoine Léon, 1977, p.15).
Sans explorer plus avant la nature de cette « discipline –carrefour », on peut comprendre qu’il y a
là une réévaluation de la psychopédagogie par rapport à des sciences de l’éducation considérées
comme plus valorisées institutionnellement mais moins efficientes sur le plan de l’articulation
théorie-pratique. Cela, sans renoncer à l’exigence intellectuelle, l’association entre médecine,
psychologie, philosophie, sous l’égide de la théorisation de l’acte éducatif, étant assurée par une
histoire propre, une tradition, un mode d’interdisciplinarité, de la discipline dévalorisée, qui serait
en réalité une vraie discipline de culture.

2.3. Joseph Leif et la psychopédagogie

Pour appuyer cette conception de l’histoire de la psychopédagogie et des sciences de l’éducation,


H.Terral se réfère à l’œuvre de Joseph Leif, inspecteur général de philosophie, très actif jusque
dans les années quatre-vingt dans la défense de la psychopédagogie en Ecole normale, et par
ailleurs auteur prolifique de manuels de tous niveaux, dont certains destinés spécialement à cet
enseignement. J.Leif a laissé le souvenir d’un défenseur de la philosophie dans ce contexte de
formation professionnelle, ce que confirme d’ailleurs la lecture qu’en fait H.Terral. C’est ainsi que
le présente Jean Houssaye dans l’esquisse biographique du personnage à laquelle il s’est livré dans
l’ouvrage collectif sur les 40 ans des sciences de l’éducation (Houssaye, 2010). Mais il semblerait
que la position de ce défenseur de la philosophie qui utilise quand même le terme de
psychopédagogie installé dans ce contexte institutionnel soit plus complexe qu’il n’y paraît. J.
Houssaye, pour sa part, insiste sur la coexistence chez J.Leif d’une tradition philosophique et d’un
engagement rénovateur, ce qui apparaît dans ce passage où il tente de clarifier son idée de la
philosophie en Ecole Normale :

« Comment conçoit-il ces philosophes ? Comme des professeurs de pédagogie. Le sont-ils encore
au nom de la science de l’éducation ? On peut en douter, d’autant que les sciences de l’éducation
existent désormais à l’université. Qu’est-ce que Leif attend des philosophes en École normale ?
Certainement de changer la pédagogie des maîtres dans un sens rénovateur.
Leif lui-même est un novateur engagé. Il participe fortement à la réforme des collèges de 1963 où
l’on voit Jean Capelle créer les collèges d’enseignement secondaire avec, notamment, les classes
de transition pour les élèves de sixième qui auraient trop de difficultés à suivre un cycle moderne
ou classique. Joseph Leif sera, avec Maurice Rouchette, l’un des deux inspecteurs généraux qui
piloteront la rénovation pédagogique de l’école primaire à partir de 1964 » (Houssaye, 2010,
p.171).

J.Houssaye récapitule ainsi sa lecture de l’œuvre de Leif : « en premier, Leif conforte les
professeurs de philosophie en tant que professeurs de pédagogie dans les Écoles normales. En
deuxième, il fournit à ces professeurs des manuels de pédagogie, qui répondent en fait point par
point au programme des Écoles normales publié le 15 novembre 1947, notamment sur l’histoire
des doctrines pédagogiques. En troisième, tardivement, cette pédagogie générale va être baptisée
philosophie de l’éducation, sans que rien ne change fondamentalement » (Houssaye, ibid.)

J.Houssaye considère donc que J.Leif est l’artisan d’une mainmise indue de la philosophie sur la
pédagogie, d’une tentative conservatrice pour maintenir l’héritage du XIXe siècle encore présent
dans les programmes de l’Ecole normale de 1947. Il reprend d’ailleurs à son compte l’expression
dévalorisante de « spécialiste des généralités » pour désigner ces philosophes de la pédagogie. De
son point de vue, les disciplines plurielles des sciences de l’éducation ne peuvent que supplanter

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ces « généralités », notamment par la revanche de la psychologie, présente dans le mot mais en fait
minorée par la « psychopédagogie ». J.Houssaye, laisse cependant subsister sans l’expliquer
l’ambiguïté par laquelle ce conservateur est en même temps un novateur et un partisan des
méthodes actives.
Pour comprendre les enjeux de la psychopédagogie, il vaut la peine d’approfondir ce paradoxe.

J.Leif, dans Qu’est-ce que la rénovation pédagogique ? en 1978, explique qu’il veut cerner les
principes, les finalités, les démarches, de cette dernière, ce qui lui semble requis par le contexte
historique :les problèmes de plus en plus complexes de l’école requièrent des enseignants des
capacités d’analyse, et de justification de leur action, ce qui entraine une réflexion philosophique.
Il parle aussi d’un « l’impératif épistémologique » (pour le primaire et le secondaire) de
comprendre en profondeur les matières enseignées (Leif, 1978, p.6 sq.) pour ne pas les transmettre
comme un contenu inerte, dépourvu de sens.
Tout ceci va dans le sens d’une « conservation » de la philosophie, ou d’une entre philosophique
dans les problèmes pédagogiques, certes. Cependant, Leif n’a rien d’un philosophe traditionnel
attaché à un corpus d’œuvres canoniques. Il expose par ailleurs, que l’histoire de la pensée a
produit le souci incontournable, dans la pratique, de développer l’individualité. Il se réfère, contre
l’emprise du rationalisme cartésien, à Gide, Elle Key, Schopenhauer, après avoir mis en exergue le
rôle de l’existentialisme et de la phénoménologie, avec leur projet d’appréhender l’individualité
dans sa totalité et sa complexité, et pas seulement sous l’aspect du sujet de raison. Pour lui, la
pédagogie « traditionnelle » peut être qualifiée ainsi parce qu’elle se contente du sujet de raison, à
qui l’on transmet des connaissances nécessaires pour appréhender le monde objectif. La
« rénovation », sans ignorer ce but, prend en compte ce mouvement vers le développement de
l’individualité entière.
C’est cette mutation qui nécessite, pour J.Leif, de donner une place à la psychologie, ce qui va
entrainer chez Leif un emploi à la fois approbateur et réticent du terme de « psychopédagogie » :

« Sans nier la valeur de cet apport considérable dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler la
psychopédagogie, il faut pourtant reconnaître que ce n’est pas en cela qu’il convient de voir la
contribution précise, essentielle, que la rénovation pédagogique tire de la psychologie…/…ce
qu’en attend en fait la pédagogie contemporaine, ce sont précisément des possibilités de
reconnaître et de comprendre l’individualité singulière, unique, de chaque sujet qui se distingue
des autres par ses origines, sa conformation, sa constitution biologique, affective, mentale, son
histoire propre » (Leif, 1978,p.14).

On retrouve très précisément cette position, assortie d’une analyse épistémologique serrée, dans
l’ouvrage de Leif consacré à la psychopédagogie. Il y expose comment l’habitude s’est imposée
d’associer psychologie et pédagogie dans le mot « psychopédagogie » devenu d’un usage
inévitable, et le danger que cela entraine dans l’utilisation des sciences de l’homme. La
psychologie doit, pour lui, rester subordonnée à une vision plus globale de l’éducation, fondée sur
ce qu’on pourrait nommer, pour résumer sa conception, une anthropologie centrée sur la personne
(Leif, 1980). La psychologie, quand elle étudie par exemple le jeu ou la motivation, permet de
réaliser la centration de la pédagogie sur l’enfant, elle permet de faire de la méthode active une
réalité, et dans cette mesure elle est prioritaire par rapport à d’autres connaissances comme la
sociologie. J.Leif redoute, en deçà d la « socialisation », une subordination du développement
individuel à des finalités collectives (Leif, 1978, p.17 sq.). Mais ce privilège de la psychologie ne
lui donne pas le droit, non plus qu’à une autre science, de faire passer au second plan la réflexion
sur l’éducation de l’individu dans les conditions de la société moderne.
Il faut souligner, dans le passage cité précédemment, l’emploi de la formule : « ce qu’il est
convenu d’appeler la psychopédagogie » : le véritable intérêt de la rénovation pédagogique dans
son recours à la psychologie est de comprendre l’individu. Là est la chose que tant bien que mal le
pot psychopédagogie en est venu à désigner pour J.Leif. On pourrait ajouter qu’il désigne aussi ce
lien subtil entre théorie et pratique qui n’a pas de nom et dont le mot « application » ne rend pas
vraiment compte. La « psychopédagogie » se situe à l’articulation des connaissances et des
décisions, des choix, plus qu’une « théorie pratique », selon le vœu d’H.Terral, ou pourrait dire

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Université de Genève, septembre 2010

qu’elle relève de la praxis, bien que le savoir-faire qui lui est inhérent la fasse considérer au
premier abord comme une technè.

Pour conclure on peut se référer à Jean Château, qui dans un message d’ouverture des Actes de
journées d’étude tenues à l’occasion des 21 ans des sciences de l’éducation (Marmoz, 1991),
rappelle que « toute recherche garde quelque chose de l’art et de l’artisan ». Dans la constitution
des sciences de l’éducation, un tropisme vers la scientificité a pu faire craindre l’oubli de la
pédagogie au sens d’art, aussi bien que l’apparition d’une recherche en rupture avec l’expérience
et les questions fondamentales liées à la relation pédagogique, au profit d’une pure efficience.
C’est un tel enjeu que la psychopédagogie, bifurcation interrompue des sciences de l’éducation, a
porté pour certains, notamment Joseph Leif, dont l’itinéraire intellectuel est exemplaire pour
connaître les enjeux historiques et épistémologiques de la création des sciences de l’éducation.

3. Références

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Caen, rapport final de la commission I A. Archives Nationales, 19870191 Article 2.
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