MASCULIN
VIVRE AU
Conception: Michel Aubé
Donald Millaire
Révision:Michel Aubé
Pierre Girard
Donald Millaire
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Bonjour !
Le Réseau Hommes Québec (RHQ) est heureux de contribuer à
votre démarche de conscience et de solidarité entre hommes
en mettant à votre disposition le document Vivre au masculin.
Vous pourrez l’adapter en toute liberté, au gré de vos échanges,
selon votre loisir et vos propres besoins.
Ce document a été conçu par Michel Aubé et Donald Millaire. Il a
été réalisé en novembre 1989 avec l’aide financière de la
Direction générale de l’éducation des adultes du ministère de
l’Éducation du Québec (no. doc. 38-7814).
Le Réseau serait particilièrement heureux de recevoir des
nouvelles de vous, notamment sur la façon dont vous
réinventerez cet outil, comme sur les nouvelles idées
d’exercices que vous aurez expérimentées et qui gagneraient à
circuler dans le Réseau au meilleur profit de tous les membres.
Il nous reste à vous souhaiter beaucoup de bonheur dans cette
démarche vers ce qu’il y a sans doute de meilleur, de plus
authentique et de plus profond en vous. Bien sûr il y aura de la
souffrance et des moments de grande intensité, mais aussi de
joie, de complicité et de folie radieuse. Puissiez-vous réinventer
l’énergie vitale qui s’en dégagera à travers tout le Réseau.
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REMERCIEMENTS
Les concepteurs tiennent à remercier les personnes suivantes pour leurs
analyses et commentaires sur le contenu du cours:
André Beaudet, Jacques Blouin, Louise Desmarais, Margot Dézilets,
Jacques Doyon, Lucie Girard, Marc Goulet, France Gravel, Luc Grégoire,
Claude Lacasse, Jocelyne Lapointe, Thérèse Leclerc, Andrée Matteau,
Andrée Michaud et Jules Sauvé.
Merci également aux participants de l'expérimentation du programme pour
le partage de leur vécu et pour les suggestions qu'ils ont apportées pour la
révision de la version préliminaire du cours.
Finalement, des remerciements particuliers doivent être adressés à
Maurice Émond, conseiller pédagogique du Service de l'éducation aux
adultes de la Commission scolaire un Mille-Iles, à Nicole Vernet Roy, à Jean-
Marc Baril et à Lino Mastriani de la Direction générale de l'éducation des
adultes du ministère de l'éducation du Québec, pour leur encouragement et
leur support tout au long de la réalisation de ce document.
Ce programme a été réalisé avec l'aide financière de la Direction générale
de l'éducation des adultes du ministère de l'éducation du Québec.
NO DOC.: 38-7814 NOVEMBRE 1989
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TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION 11
UNITÉ I:
RELATIONS ENTRE HOMMES 15
1. ACCUEIL 16
EXERCICE: Contact
DES CONTACTS APPAREMMENT SANS CONSÉQUENCE!
EXERCICE: pourquoi on est là...?
2. RELATIONS ENTRE HOMMES 18
QUELQUES MODES D'INTERACTION ENTRE HOMMES
QUESTIONNAIRE (à compléter à domicile)
UNE PRATIQUE DE L'AFFRONTEMENT
LE SILENCE SUR SOI: UN LONG APPRENTISSAGE
EXERCICE: Tel que je suis
L'HOMOPHOBIE: LA PEUR DE LA TENDRESSE
EXERCICE: Le trouble-fête
RÉAPPRENDRE A TOUCHER
EXERCICE: Massage ou message?
CONSTRUIRE AVEC D'AUTRES HOMMES DES RELATIONS
AFFECTUEUSES PROFONDES
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UNITÉ II: SEXUALITÉ MASCULINE 31
1. INTRODUCTION 32
2. LE VÉCU SEXUEL DES HOMMES 33
QUESTIONNAIRE
EXERCICE: Si on laissait tomber les masques?
MYTHES ET RÉALITÉ SUR LA SEXUALITÉ MASCULINE
3. PORNOGRAPHIE ET SEXUALITÉ MASCULINE: UN BIEN
TRISTE APPRENTISSAGE 49
QUESTIONNAIRE
EXERCICE: Lettre à mon chum...
4. L'ÉTAT AMOUREUX ET LE DÉSIR 55
QUESTIONNAIRE
EXERCICE: Comment te dire?
5. LA CONTRACEPTION AU COEUR DE L'ÉCHANGE 58
AMOUREUX
QUESTIONNAIRE
QUELQUES FAITS SUR LA CONTRACEPTION
EXERCICE: Je prends ma pilule...
Nous sommes en l'an 2000...
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UNITÉ III: PATERNITE 67
1. INTRODUCTION 68
2. LA RELATION AVEC LE PERE 68
EXERCICE: Moi, mon père
PAR DELA "L'ABSENCE DU PERE", QUEL MODELE?
UNE RELATION A RECONSTRUIRE
EXERCICE: Mon père est mort...
3. LA RELATION AVEC LES ENFANTS 79
LE DÉSIR D'ENFANT ET LA CONTRACEPTION
QUESTIONNAIRE (à compléter à domicile)
L'EXPÉRIENCE DU QUOTIDIEN
EXERCICE: Mon enfant-étranger
L'APPRENTISSAGE DE LA TRANSPARENCE
EXERCICE: Dis papa, qu'est-ce qu'il y a dans les testicules
4. SYNTHÈSE 96
EXERCICE: Portrait-synthèse
EXERCICE: S'approprier notre changement
EXERCICE: Notre croissance, une tâche collective
CONCLUSION 101
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Introduction
INTRODUCTION
C'est aux environs de 1978 que se forment, au Québec, les premiers
groupes de discussion entre hommes ayant pour sujet la remise en
question de la condition masculine.
Historiquement, cette remise en question découle directement des
revendications féministes, qui interrogent chaque homme dans ses
rapports quotidiens. Quoiqu'à un moindre niveau, les revendications des
homosexuels ont également contribué à ébranler l'identité masculine et les
images de virilité qui s'y rattachent.
Pourtant, la réflexion des hommes ne s'appuie pas sur un mouvement de
condition masculine, sans doute parce que les hommes ne sont pas dans
une situation d'oppression. Dans les rapports entre les sexes, ce sont eux
qui détiennent le pouvoir. Mais cette situation privilégiée, comme toute
situation d'inégalité, est aliénante. A défendre ces privilèges, par exemple
en s'engouffrant dans le travail ou en réprimant ses émotions pour obtenir
plus d'efficacité et de contrôle sur lui-même et sur les autres, l'homme joue
le jeu de forces économiques de production et de consommation qui lui sont
extérieures, et il a sacrifié son identité. C'est autour de l'analyse de cette
aliénation que reposent les interrogations sur la condition masculine. L'une
des conséquences dramatiques de cette aliénation, c'est que les hommes
se retrouvent engagés dans un véritable processus d'autodestruction.
Mais quels sont les hommes qui entreprennent une telle démarche? On y
trouve des individus ébranlés par les revendications des féministes, qui
s'identifient alors comme oppresseurs et qui en ressentent de la culpabilité.
D'autres y cherchent des justifications aux avantages qu'ils détiennent et ne
ressortent souvent de ces rencontres entre hommes que plus
réactionnaires. D'autres encore y recherchent une nouvelle identité, une
nouvelle façon de reprendre contact avec les femmes et peut-être une
nouvelle forme de séduction.
Il y a aussi des individus qui sentent le besoin de quitter la problématique
féministe pour identifier leurs propres aspirations. Plusieurs y viennent à la
suite d'une rupture ou d'une situation de crise dans leur rapport amoureux
qui leur fait prendre conscience, pour la première fois peut être, des
inégalités qui existent entre hommes et femmes et des insatisfactions qui
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Vivre au masculin
en découlent pour leurs conjointes. Cette remise en question est également
suscitée par les enfants qui renvoient aux hommes, en raison de leur
absence ou de leur carence émotive, des images peu reluisantes.
Finalement, de plus en plus d'hommes expriment leur insatisfaction quant
aux relations compétitives, peu chaleureuses et souvent superficielles
qu'ils entretiennent avec les autres hommes.
Quoi qu'il en soit, ces motivations s'interpénètrent et, ce qui est plus
important, restent toujours imprégnées d'ambivalence. Biens des hommes
ressentent un malaise depuis que les femmes ont commencé à identifier
les causes et les conditions de leur oppression. Mais ils ne tiennent pas à
recevoir d'eux-mêmes une image dévalorisante. Ils n'ont pas envie d'être
coupés des femmes et des enfants, mais ils ne sont pas intéressés non
plus à renoncer facilement aux privilèges que la société leur a garantis.
Pour sortir de ce dilemme, il faudrait que cette ambivalence soit clairement
mise sur la table et que les hommes commencent à comptabiliser le prix
qu'ils paient pour chacun de leurs privilèges.
Le cours "Vivre au masculin" se veut un outil de réflexion et de
cheminement pour les hommes qui commencent à s'interroger sur ce qu'ils
vivent en tant qu'hommes. Ce cours cherche toutefois à combiner un
aspect de croissance personnelle en même temps que des
développements d'attitude collective. En effet, chaque thème est abordé à
partir du vécu des participants qui sont amenés à en faire le partage en
faisant ressortir, par l'échange, ce qui est commun à chacun. Il devient
possible de dégager ainsi quelques-uns des mécanismes par lesquels la
société, en fabriquant les hommes d'une certaine façon, réussit à maintenir
des rapports inégaux entre les sexes, rapports qui entravent le
développement des individus et de la société.
La problématique de ce cours repose en effet sur le constat fondamental de
l'inégalité dans les rapports hommes/femmes et cherchent, dans ce
contexte, à mettre à jour le type d'aliénation qui caractérise le vécu des
hommes. Elle postule également que toute l'organisation sociale contribue
à cette aliénation en déterminant la distribution particulière du pouvoir et
des privilèges dans la société et en conditionnant différemment les hommes
et les femmes à conquérir ce pouvoir ou à le subir.
L'organisation de ce document découle de cette problématique. Il faut tout
d'abord comprendre que cette réflexion en est encore à ses débuts et nous
situer alors dans une attitude de recherche. A cet égard, les auteurs ont
choisi, comme stratégie pédagogique, d'adopter le "nous" chaque fois qu'il
sera question d'esquisser un aspect du comportement masculin. Loin de
vouloir niveler les différences individuelles, l'idée en est plutôt d'inviter les
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Introduction
participants à reconnaître, par delà les justifications complaisantes, ce qui,
dans ses propres façons de penser et d'agir, est largement partagé par les
autres hommes. Alors seulement sera-t-il possible d'en faire une analyse
collective et de se responsabiliser par rapport au changement de ces
attitudes et de ces comportements.
L'interrogation sur notre condition d'homme doit commencer par
s'enraciner dans notre propre expérience. Chacun aura donc à s'interroger
sur ce qu'il vit lui-même dans sa famille, dans sa sexualité; dans ses
rapports avec les femmes, avec les enfants et avec les autres hommes.
L'analyse de cette condition nécessite, en outre, une implication de la part
des participants quant à l'expression du vécu et au partage de cette
expérience avec les autres. Cependant, bien que le cours vise à produire un
changement individuel dans l'un ou l'autre des aspects mentionnés, il n'est
cependant pas un cours uniquement centré sur la croissance personnelle.
Comme les causes de l'aliénation masculine sont d'abord sociales, il faut
également chercher des pistes de changement qui soient collectives. Si
une pareille transformation doit d'abord s'appuyer sur des motivations
individuelles, il est également important de partager ce vécu et ces
motivations afin de les rendre collectifs. C'est pourquoi les rencontres
consistent surtout en exercices d'animation et en discussions. Des
hommes qui échangent entre eux peuvent plus facilement réaliser que leur
condition est le résultat de déterminismes culturels et socio-économiques.
En outre, les participants seront également invités à intervenir dans leur
milieu ou encore à y chercher des informations complémentaires à celles
qu'ils auront tirées de leur propre vécu. L'approche adoptée ici envisage
donc l'identité masculine comme étant surtout déterminée par les rôles et
les stéréotypes que la société inculque aux individus, plutôt que par des
facteurs biologiques ou individuels.
Une condition essentielle au succès de cette démarche, c'est que les
ateliers s'adressent uniquement à des hommes, quelle que soit leur
orientation sexuelle. En effet, bien que nous ayons le contrôle sur le
discours et les médias, nous parlons en définitive très peu de nous-mêmes,
de notre vie intime, de nos émotions, de notre sexualité. Des sujets comme
la masturbation, l'impuissance, la jalousie, la crainte de l'homosexualité, les
fantasmes de violence... ne sont habituellement pas abordés ou le sont
d'une façon très différente, à explorer ensemble ce qui les conditionne. On
y trouve trois unités. La première assure une prise de contact entre les
participants et un partage des motivations qui les ont amenés à cette
démarche. Elle explore ensuite certaines caractéristiques des relations
entre hommes: patterns de compétition, inhibition des émotions, crainte
excessive de l'homosexualité.
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Vivre au masculin
L'unité sur la sexualité interroge le vécu des hommes par rapport à leur
corps, à leurs fantasmes et à leurs désirs. Elle tente d'examiner comment
les stéréotypes de performance sexuelle, par exemple, servent à véhiculer
jusque dans le privé les conditionnements sociaux qui se retrouvent à
l'extérieur dans le monde du travail.
La troisième unité aborde le thème de la paternité aussi bien sous l'angle de
la relation avec le père que de la relation avec les enfants. C'est aussi
l'occasion d'interroger les hommes sur leur responsabilité à l'égard de la
contraception en rapport avec leur désir d'enfants.
Le patron de chaque unité est conçu en fonction de la problématique: on y
trouve des textes, le plus souvent lus à domicile, fournissant des données
actuelles et des éléments d'analyse. La majeure partie des rencontres
consiste à faire jaillir le vécu, à stimuler l'échange et à dégager, à partir
d'une analyse de l'aliénation masculine, des alternatives et des pistes
collectives de changement.
Chaque unité reprend donc à son compte la problématique de base:
explorer à travers un thème particulier comment se maintient l'inégalité
entre les sexes et comment la condition masculine s'en trouve
spécifiquement affectée. Si le cours permet d'élucider quelques-uns de ces
rouages, il aura au moins fourni aux hommes quelques outils pour identifier
les conditions de leur propre aliénation et pour commencer à s'en libérer.
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Relations entre hommes
UNITÉ I:
RELATIONS ENTRE HOMMES
1. ACCUEIL
- Exercice: Contact
- Des contacts apparemment sans conséquence!
- Exercice: Pourquoi on est là...?
2. RELATIONS ENTRE HOMMES
Quelques modes d'interaction entre hommes
- Questionnaire (à compléter à domicile)
- Une pratique de l'affrontement
Le silence sur soi: Un long apprentissage
- Exercice: Tel que je suis
L'homophobie: La peur de la tendresse
- Exercice: Le trouble-fête
Réapprendre à toucher
- Exercice: Massage ou message?
- Construire avec d'autres hommes des relations affectueuses et
profondes
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Vivre au masculin
1. ACCUEIL
Une caractéristique importante de cette démarche, c'est que l'interrogation
sur la condition masculine se construit à partir du vécu. Or, les hommes
entre eux restent passablement silencieux sur ce vécu. Dans un premier
exercice, nous allons d'abord prendre contact avec les autres en nous
présentant simplement tels que nous nous percevons. Tout en nous
permettant d'entrer en relation les uns avec les autres, cet exercice va déjà
nous permettre d'examiner certaines facettes de notre identité masculine:
quelle image nous projette de nous-mêmes, ce que nous sommes
intéressés à savoir au sujet des autres hommes, quels types d'interactions
nous entretenons le plus souvent avec eux.
EXERCICE: Contact
Vous vous regroupez deux par deux, de préférence avec quelqu'un que vous
ne connaissez pas. Il s'agit, pendant une dizaine de minutes, de vous
présenter l'un à l'autre. Ensuite, devant le groupe, chacun devra présenter
aux autres la personne qu'il vient de connaître.
DES CONTACTS APPAREMMENT SANS CONSÉQUENCE!
Se présenter à un autre constitue un exercice qui semble simple et peu
engageant. Pourtant, ce geste révèle beaucoup plus sur soi-même que l'on
ne peut supposer. En effet, ces premières impressions déterminent
souvent des paramètres de référence à partir desquels on se retrouve
rapidement catalogué. Ainsi, connaître l'âge d'un individu, ses origines
sociales, sa formation, son état civil ou le nombre de ses enfants, ne fait pas
que nous renseigner sur lui. Cette information sert tout autant à nous
rassurer, par exemple, sur son statut socio-économique, sur le fait qu'il
travaille ou non, ... et peut-être surtout sur son orientation sexuelle!
En ce sens, les informations que l'on va recueillir lors du processus de prise
de contact révèlent bien la grille de conditionnements sociaux par lesquels
nous sommes quotidiennement définis et même fabriqués. En tant
qu'hommes, nous devons donc correspondre à certains critères préétablis.
Et c'est justement par là que le fait de se présenter illustre bien l'aliénation
dans nos rapports et dans le processus par lequel nous nous identifions
comme hommes. Parce que les échanges sont ainsi organisés autour de
modèles stéréotypés, l'on en arrive à se définir socialement de façon
limitative, à être moins que ce que l'on pourrait être.
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Relations entre hommes
Les schèmes de rapports que l'on adopte spontanément dans les premiers
contacts sont donc loin d'être neutres! Ils servent à fixer des balises entre
nous, nous imposons des masques qui tiennent lieu de ce que nous
sommes et de ce que nous réussissons à révéler de nous-mêmes. Nous
arrivons ainsi à n'être que le résultat de ce que les autres attendent de
nous. Un exemple, particulièrement pertinent ici, servira à illustrer ce point.
Que l'on pense seulement au rôle spontanément attribué à l'animateur par
les participants qui font ainsi de lui le gardien du contrôle du groupe. Ses
propos seront même perçus par plusieurs comme un modèle à imiter
inconditionnellement, alors qu'il s'agira de simples témoignages sur sa vie
personnelle. Dans le même sens, ce document peut être interprété comme
une voie à suivre alors qu'il est conçu uniquement comme un outil à utiliser
avec souplesse pour supporter l'exploration personnelle et collective des
conditionnements masculins.
EXERCICE: pourquoi on est là...?
Nous nous sommes présentés. Dès ce premier contact, nous avons déjà
observé comment certains éléments de notre vie envahissent tout le reste
au point qu'ils nous tiennent lieu d'identité, au point qu'ils nous empêchent
peut-être de développer d'autres aspects de notre personnalité. Or c'est
souvent en identifiant des sources d'insatisfaction de ce genre que des
hommes commencent à questionner leur condition. C'est peut-être le
moment de mettre en commun ici les motivations qui ont pu vous décider à
entreprendre une telle démarche.
1. Essayez de retracer dans votre vie le ou les événements récents qui
vous ont amené à vous interroger sur la condition masculine et à vous
inscrire à un tel cours. En effet, on ne s'interroge pas là-dessus un
beau matin, simplement par principe. La plupart du temps, il s'agit d'un
événement significatif qui est vécu en termes de malaise ou
d'insatisfaction.
Exposez simplement au groupe de quel(s) événement(s) il s'agit dans
votre cas, en essayant d'exprimer également comment vous vous êtes
senti à ce moment.
2. Si cet événement vous a amené à vous interroger sur la condition
masculine, c'est que vous avez du établir un lien quelconque entre les
insatisfactions éprouvées et le fait que vous soyez un homme.
Pouvez-vous formuler ce lien aux autres?
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Vivre au masculin
3. Vous êtes donc en mesure d'identifier plus clairement vos motivations à
l'endroit d'un tel cours. Essayez de les exprimer devant le groupe sous
la forme d'un ou de plusieurs objectifs que vous visez par votre
participation à ce cours.
4. Notez systématiquement vos objectifs et vos motivations à ce moment-
ci de votre démarche. Cette information vous sera utile plus tard afin
d'évaluer les changements qui auront pu s'amorcer dans votre vie et de
vérifier votre niveau de satisfaction face à vos objectifs de départ.
2. RELATIONS ENTRE HOMMES
Dans une société où est maintenue l'inégalité entre les sexes, où les
hommes sont entraînés à la compétition et à la conquête du pouvoir, où les
rapports d'affection et de tendresse sont relégués dans le privé, il n'y a pas
seulement les rapports entre hommes et femmes qui soient affectés, mais
aussi les rapports des hommes entre eux. En effet, l'une des composantes
importantes de l'aliénation masculine, c'est la difficulté, sinon l'incapacité, à
développer des relations profondes et chaleureuses avec d'autres hommes.
Or, il est possible que cet aspect caractéristique du comportement
masculin des hommes soit relié au type de sexualité que nous vivons, en
marge de la tendresse et de l'abandon, à notre difficulté à parler de nous, à
vivre nos émotions et à être proche des enfants.
Dans ce module, nous allons examiner ensemble quelques-unes des
formes que prennent les interactions entre hommes. Nous allons interroger
le silence des hommes sur leur vie émotive et chercher les raisons de ce
silence. Nous allons finalement examiner l'homophobie, cette peur
excessive de l'homosexualité masculine et du contact entre hommes qui ne
sont peut-être, au fond, que la peur de la tendresse.
QUELQUES MODES D'INTERACTION ENTRE HOMMES
De quelles façons entrez-vous en contact avec les autres hommes? Le
questionnaire suivant vise à faire ressortir quelques aspects de vos
interactions avec les hommes. Répondez-y pour vous-mêmes, à domicile, le
plus directement possible. Les réflexions suscitées par ces questions
serviront de préparation à la prochaine rencontre.
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Relations entre hommes
QUESTIONNAIRE (à compléter à domicile)
1. Pouvez-vous passer une soirée avec un autre homme sans lui
demander ce qu'il fait dans la vie, quelle est sa formation ou comment
va son travail?
2. Que trouvez-vous intéressant de savoir à propos d'un autre homme?
3. Qu'estimez-vous savoir "profondément" de l'homme que vous
connaissez le mieux?
4. De quoi parlez-vous, à propos de vous, lorsque vous ne parlez pas de
votre travail?
5. Lorsque vous parlez de vous, cherchez-vous surtout à ce que l'on vous
apprécie et vous admire, ou cherchez-vous d'abord à vous faire
connaître tel que vous êtes?
6. Acceptez-vous facilement qu'un homme qui vous est proche (frère,
beau-frère, collègue, voisin, ami...) soit, ou paraisse, meilleur que vous?
7. Connaissez-vous beaucoup d'hommes qui soient capables d'exprimer
leurs émotions, ce qu'ils ressentent vraiment?
8. Vous est-il arrivé de vous confier à un autre homme, par rapport à vos
sentiments ou à vos émotions?
9. Que ressentez-vous par rapport à un homme qui pleure, ou qui exprime
ses inquiétudes et ses émotions en votre présence? En public?
10. Vous est-il souvent arrivé de parler avec vos enfants de leurs émotions?
de vos émotions? de leur sexualité? de la votre?
11. Pouvez-vous facilement toucher d'autres hommes pour leur témoigner
votre affection, pour les encourager, les consoler, les réconforter?
12. Vous arrive-t-il souvent de prendre et de caresser vos enfants pour leur
témoigner votre affection, pour les encourager, les consoler, les
réconforter?
A partir des réponses que vous avez apportées à ces questions, avez-vous
l'impression que vos relations avec les hommes sont satisfaisantes?
Page 19
Vivre au masculin
Quels liens établissez-vous entre ce type de relation et d'autres aspects de
votre condition masculine que vous aimeriez transformer?
UNE PRATIQUE DE L'AFFRONTEMENT
Dans les conversations entre hommes, les sujets qui sont le plus
fréquemment abordés sont certainement: le travail, la politique, les sports...
Ces quelques mots circonscrivent assez bien, à eux seuls, l'univers
masculin.
Ce qui est remarquable, c'est que ces thèmes concernent très peu la vie
intérieure ou émotive des hommes, et qu'ils constituent par ailleurs des
lieux importants de compétition. De fait, à travers chacun de ces sujets, il
est surtout question de production, d'efficacité, de réalisation, de
performance... Bien sûr, les femmes constituent également un thème
important des conversations entre hommes, mais, encore là, on retrouve
souvent, et en particulier autour des propos de séduction, les mêmes
patterns de compétition, de contrôle et de pouvoir.
"La compétition est le mode principal des rapports des hommes entre
eux d'une part, parce qu'ils ne savent pas communiquer autrement,
mais aussi plus profondément parce que c'est une manière de se
prouver, et de prouver aux autres, que l'on possède les principales
qualités masculines, à savoir une ferme résolution et la capacité de
dominer." 1
Mais il n'y a pas que le contenu des échanges entre hommes qui reflètent
cette attitude d'affrontement. Leurs conversations se caractérisent
également par le niveau de langage utilisé. En effet, ce langage se donne
souvent une allure "rationnelle", par le recours à l'argument logique, à la
démonstration, par l'énumération de faits "objectifs" par la recherche de
l'efficacité. Ce discours rationnel devient ainsi un instrument de contrôle. Il
permet de baliser le contenu de la conversation, de contrôler ce qui va
pouvoir être dit. Parfois, il peut même contraindre "l'adversaire", forcer sa
conviction et son assentiment.
Ce qui est également frappant dans les conversations entre hommes, c'est
qu'elles sont presque totalement dénuées d'émotion. Le chagrin, la
tendresse, la crainte, l'angoisse... sont habituellement tenus à l'écart. Et
même si une émotion arrive à transparaître dans le ton, elle est en général
1 Marc Feigen Fasteau, Le robot mâle, Paris, Denoël-Gauthier, 1980, p.
24.
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Relations entre hommes
ignorée par l'interlocuteur! Les échanges sur une base émotive sont plutôt
rares entre hommes: en effet, à moins d'être ivres, les hommes se confient
très peu entre eux. Dans les moments difficiles, ils cherchent plus
volontiers un confident féminin. Si d'aventure un homme se confie à un
autre homme, il s'en tient le plus souvent aux événements extérieurs. Ainsi,
il dira peut-être: "Ma femme m'a quitté", mais plus difficilement quelque
chose comme: "Ça me fout à terre, j'en ai des nausées, j'ai peur de sortir de
chez moi, je suis malheureux à mourir, j'ai peur de me retrouver tout seul..."
On retrouve une attitude semblable à propos du contact physique. Une
poignée de main bien ferme, une bonne tape dans le dos, un rire gaillard:
tels sont les gestes de retrouvailles ou d'adieu, même entre grands amis qui
se quittent pour longtemps. Les gestes doux, les caresses, les étreintes ou
les larmes sont bannies, comme par une entente tacite. Ce contrôle sur soi,
nécessaire dans un rapport compétitif, a été inculqué à l'homme dès sa
petite enfance.
LE SILENCE SUR SOI: UN LONG APPRENTISSAGE
Très tôt, on a dit au petit garçon qu'il ne fallait pas pleurer, qu'il fallait être
fort, taire ses douleurs et ses émotions. A cet égard, notre père fut notre
premier modèle, et sans doute le plus efficace.
Le témoignage suivant est éloquent à cet égard:
"Un père présent dans ma vie de fils, mais une présence absente. J'ai
eu non pas mal à ma mère... mais mal à mon père. Mal d'être incapable
de le sentir, de sentir sa présence, de sentir son amour, d'être sûr qu'il
m'aime. Aujourd'hui, je le sens. Le mal a laissé une empreinte
profonde, j'en avais le vertige."
"Percevoir mon père par ma paternité, découvrir mon modèle de père,
modèle que j'ai refusé longtemps pour réaliser que je l'avais bien
intégré, copié, imité. Me sentir si loin de lui et être si près, si semblable.
Découverte qui fait mal. Sentir tant d'amour pour mon père et être
incapable de le lui dire. Etre incapable de me le dire, de me l'avouer.
J'étais agressif, je lui en voulais, je remarquais et amplifiais ses
moindres défauts, erreurs, manies et... absences. Tout faire pour qu'il
m'apprécie, qu'il me félicite, qu'il me remarque, qu'il me voit. Tout faire
pour exister à ses yeux: l'aider, lui acheter des cadeaux, le contester,
le provoquer, tout, sauf le lui dire. Tout, sauf me regarder, voir comment
j'étais, ce que je devais changer." 2
2 Jean Chapleau, "Etre père en étant fils", texte inédit, février 1987.
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Vivre au masculin
Faut-il continuer ainsi à perpétuer le silence, et y enfermer génération sur
génération la vie émotive des hommes? Car c'est d'abord de cette façon en
intégrant ce premier modèle, que nous avons appris à refouler nos
émotions. En outre, à travers ce silence, nous n'avons pas appris à
développer d'habiletés pour exprimer les nuances de nos sentiments, de
sorte que, même lorsque nous ne les réprimons pas, nous arrivons
difficilement à traduire ce que nous ressentons.
EXERCICE: Tel que je suis
Cet exercice vise à explorer des modes de présentation qui ne soient pas
axés sur le travail ou la performance, mais plutôt sur des événements de
votre vie émotive.
En deux ou trois minutes, vous devez vous présenter au groupe en
racontant un événement réel de votre vie. Cet événement:
• doit nécessairement traduire une émotion;
• doit faire apparaître une caractéristique importante de votre personne;
• ne doit en aucun cas rapporter l'une de vos performances ou de vos
réalisations;
• doit être absolument étranger au domaine de votre travail (même s'il y a
des événements "émotifs" au travail!).
Après la présentation de chacun, prenez le temps de réexaminer en groupe:
• Pourquoi il est difficile de se présenter de cette façon.
• Combien il est difficile pour les hommes de se "penser" en dehors de
leur sphère de travail.
• Pourquoi les hommes ont plus de difficultés à parler de ce qu'ils
ressentent que de ce qu'ils font.
L'HOMOPHOBIE: LA PEUR DE LA TENDRESSE
Qu'y a-t-il pourtant derrière cette pudeur à l'expression de sentiments entre
hommes? Lorsque nous acceptons de nous confier, c'est en général à des
femmes. Pourquoi écoutons-nous plus facilement leurs confidences et plus
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Relations entre hommes
difficilement celles des hommes? Pourquoi pouvons-nous prendre une
femme dans nos bras pour la consoler, alors que cela est si difficile entre
hommes?
Est-ce parce que, même avec notre père, nous n'avons pas appris à le
faire? Et pourquoi était-ce "interdit" alors? Se pourrait-il que, pour
apprendre notre rôle de protecteur, nous ayons dû renoncer du même coup
à nous laisser protéger? Est-ce par conformité à ce rôle que nous osons
rarement dévoiler la moindre faiblesse en présence des autres hommes?
Se pourrait-il même que nos gestes de tendresse soient intéressés, ne
constituant en définitive que l'expression inavouée d'un désir?
Ces questions en soulèvent bien d'autres quant à l'expression de la
tendresse, questions qui sont fondamentales pour l'analyse de la condition
masculine. Est-ce à dire, par exemple, que nous utilisons notre "protection"
pour séduire les femmes et ainsi obtenir leurs faveurs? Ou encore cela
signifie-t-il qu'il doive nécessairement exister une certaine inégalité entre
les êtres pour que s'expriment la tendresse et le désir?
De fait, les hommes qui s'expriment de la tendresse ne sont pas considérés
sur le même pied que les autres hommes. Ils sont généralement suspects,
mal vus: ce sont des "tapettes", des "femmelettes", des "efféminés"...
N'est-il pas étrange d'ailleurs que ces termes combinent si allégrement
féminisation et mépris? Or, ce mépris n'est-il pas simplement l'expression
de notre angoisse par rapport à l'homosexualité, de notre homophobie?
L'homophobie désigne cette peur de l'homosexualité, une peur qui
se traduit par du malaise en présence d'homosexuels, par des
moqueries souvent méprisantes à leur endroit, parfois même par
des comportements agressifs. Mais elle se vit aussi, et peut-être
surtout, comme une inquiétude fondamentale sur nous-mêmes et
sur notre propre orientation sexuelle!
En effet, ce n'est pas seulement au travail ou dans la pratique du sport que
les hommes sont en compétition, ils le sont aussi par rapport à leur propre
virilité. C'est comme si nous avions tous quelque chose à prouver là-
dessus!
La peur d'être pris pour un homosexuel (...) c'est la plus grande terreur
de l'homme hétérosexuel (...) Passer pour un homosexuel, c'est voir
détruire d'un seul coup toute sa prétention à l'identité masculine: c'est
comme si l'on détruisait les fondations d'un immeuble. C'est se voir
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Vivre au masculin
exposer à l'ostracisme allant de la tolérance polie au dégoût violent de
ses amis et de ses collègues. Un homme peut se voir étiqueter
homosexuel sans avoir "commis" d'actes sexuels explicites, tout
simplement parce que certains aspects de sa personnalité ne
correspondent pas au stéréotype mâle. Toucher un autre homme,
quand ce n'est pas pour lui serrer la main, ou dans un moment
d'émotion intense, est un acte tabou. Les femmes peuvent
s'embrasser quand elles se rencontrent, mais un homme se sent mal à
l'aise quand un ami, même très proche, le prend dans ses bras. Le
geste peut être mal interprété par les autres; et pis encore, que se
passerait-il si l'on ressentait à ce moment le moindre plaisir sensuel? 3
A cet égard, il est sans doute significatif de constater que l'homophobie est
beaucoup plus vive chez les hommes, vis-à-vis les homosexuels, que chez
les femmes, vis-à-vis les lesbiennes.
En outre, il est probable que cette peur de l'homosexualité entraîne
plusieurs autres traits du comportement masculin:
• Le silence affectif entre père et fils dont il a été question plus haut est
un premier exemple, le premier que nous avons vécu. Ce silence
affectif, nous le répétons à notre tour avec nos propres fils.
• Par crainte d'en faire des "tapettes", nous avons également tendance à
pousser nos garçons vers des activités de compétition et de prestige
(sports, études, affaires) plutôt que vers des activités artistiques, par
exemple, qui développeraient chez eux d'autres aspects comme leurs
émotions, leur sensibilité...
• L'espèce de rudesse maladroite que les hommes ont entre eux
(poignée de main à se faire craquer les doigts, tape dans le dos,
frottement de la tête entre sportifs, jeux de force...) traduit à la fois leur
envie de se toucher mais d'une façon qui ne laisse pas d'équivoque.
• L'incapacité qu'ont les hommes à se confier et à se consoler entre eux,
ou simplement à se témoigner de l'affection, exprime encore ce même
tabou qui existe entre eux à propos de l'homosexualité.
• Les blagues entre hommes sur les femmes sont souvent une façon de
se rassurer sur leurs orientations sexuelles respectives.
• De même, l'agression, verbale ou physique, vis-à-vis des homosexuels
vise à nous rassurer sur notre propre hétérosexualité, ne serait-ce
3 Marc Feigen Fasteau, op. cit., p. 28-29.
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Relations entre hommes
qu'en nous méritant la complicité des autres hétérosexuels. On
pourrait sans doute avancer l'hypothèse suivante: plus notre malaise
est grand par rapport à notre propre orientation sexuelle, plus
l'affirmation que constitue notre agression doit être violente!
• Ce besoin d'affirmer son hétérosexualité et sa virilité peut dégénérer en
démonstration de force et en escalade de violences souvent dirigées
alors vers des femmes et des enfants (viols et agressions sexuelles).
• L'inquiétude des hommes par rapport à leur puissance sexuelle ne
relève-t-elle pas du même phénomène? La virilité, ça doit
nécessairement se prouver par la performance. Nous nous inventons
alors des prouesses sexuelles et nous allons parfois jusqu'à invoquer
les enfants que nous avons pour que nos camarades n'aient pas de
doutes là-dessus...
• N'est-il pas étonnant que la virilité soit ainsi d'une certaine façon
identifiée à l'érection... et à la pénétration? Pourquoi par exemple,
traite-t-on les homosexuels "d'enculés"? Est-il si méprisable d'être
pénétré? Cette attitude vis-à-vis les homosexuels n'en dit-elle pas long
sur la façon dont, au fond, nous considérons les femmes?
• Il faut alors reconnaître que le mépris à l'endroit du désir homosexuel
entraîne au moins une certaine ambivalence sinon carrément du
mépris à l'égard de notre propre corps? Par exemple, trouverions-nous
repoussant d'être caressé par un autre homme? Si oui, cela veut-il dire
que nous considérons comme repoussant le corps de l'homme? Notre
propre corps? Comment une femme peu telle aimer notre corps
d'homme? A supposer que nous méprisions un homme qui caresserait
notre corps, comment considérons-nous une femme qui caresse notre
corps?
Ces comportements familiers attestent bien du malaise qui existe en
chacun de nous. Mais il y a pire! L'inquiétude à l'endroit des homosexuels
est de fait si vive que la société exerce sur eux une véritable répression.
Qu'il suffise de rappeler quelques faits à l'appui de cette affirmation.
• Ainsi, entre février 1975 et mai 1976, dans une espèce de "nettoyage
pré-olympique", la police de la CUM effectue une quinzaine de
descentes dans les bars, les saunas et les toilettes de la ville, arrêtant
plus de 250 homosexuels. Dans les saunas, les policiers préfèrent
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Vivre au masculin
défoncer les portes des chambres à coups de hache, bien que des
passe-partout aient été mis à leur disposition. 4
• De même, dans la nuit du 21 octobre 1977, des policiers armés de
mitraillettes font irruption au TRUXX CRUISING BAR de la rue Stanley, et
y arrêtent 145 personnes. 5
• Le même scénario est répété, alors que le soir du 23 avril 1980, peu
avant les Floralies, les policiers effectuent une descente au SAUNA
DAVID, et y arrêtent 59 personnes. 6
Ces deux dernières descentes ont donc donné lieu, en moins de deux ans et
demi, à plus de 200 arrestations! Pour mieux mesurer l'intensité de la
répression, imaginons seulement qu'on arrête un individu pour viol, inceste
ou violence conjugale en s'armant de mitraillettes ou en défonçant sa porte
à coups de hache! Le discours des médias alimente également cette
répression. La couverture du SIDA a ainsi contribué à créer une véritable
paranoïa collective en suscitant une condamnation sans nuance du vécu
homosexuel. Un tel harcèlement et un tel niveau de violence révèlent à quel
point l'homosexualité constitue une menace réelle pour l'ordre établi. Mais
de quelle menace s'agit-il donc?
Le tabou de l'homosexualité, c'est peut-être surtout le tabou d'une
tendresse gratuite en dehors des cadres socialement prescrits pour
l'expression du désir. On peut en effet penser qu'en célébrant le plaisir en
soi, et non à des fins "sociales" de reproduction, l'homosexualité menace,
du même coup, la famille et sa raison d'être.
Cette répression à l'endroit de l'homosexualité permet de mesurer à quel
point les normes sociales, aussi bien que religieuses, encadrent encore la
sexualité au profit de la production et de la consommation. Elle fait
également ressortir comme fonction essentielle de la famille traditionnelle
4 Paul-François Sylvestre, Les homosexuels s'organisent, Montréal,
éditions Homeureux, 1979, p. 141-143.
5 Ibid., p. 145.
Voir aussi: "Dossier: Truxx, Sauna David", Le Berdache, mai 1980, p.
31-38.
6 "Les gais dénoncent la répression policière", Le Soleil, 26 avril 1980,
p. H15.
Jean Basile, "La chasse aux homosexuels", Le Devoir, 28 avril 1980, p.
17.
"Dossier: Truxx, Sauna David", Le Berdache, mai 1980, p. 31-38.
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Relations entre hommes
celle de baliser le désir sexuel et de le maintenir dans des cadres
socialement contrôlables au profit du travail et de la productivité.
EXERCICE: Le trouble-fête
Lorsqu'une réalité nous menace et qu'elle remet en question notre façon de
vivre, nous sommes facilement réceptifs aux arguments qui la condamnent.
Cela nous dispense souvent de rechercher en nous, ou ailleurs, les
véritables causes de notre angoisse. C'est d'ailleurs ainsi que s'acquiert le
sexisme, car il est plus facile d'accepter des idées toutes faites et des
préjugés sur les hommes et les femmes, que d'envisager entre eux des
rapports nouveaux mais plus égalitaires. Il en est de même à propos de
l'homosexualité. Mais comment défaire en nous cette peur? Peut-être en
commençant par verbaliser la façon dont nous ressentons ce malaise:
comment s'exprime notre inquiétude, quelles défenses invoquons-nous?
L'exercice suivant vise à faire expliciter, sous forme de jeux de rôles,
diverses formes de réactions en face de l'homosexualité. Il y a six rôles à
tenir. Pour la discussion ultérieure, il est cependant important qu'il reste au
moins quelques participants comme observateurs.
Six hommes partagent un grand appartement:
• Le premier est homosexuel. Il a invité son amant à passer la fin de
semaine chez lui et il en informe ses compagnons.
• Le second, très "psychologue", essaie de l'"aider" en lui donnant des
conseils et en diagnostiquant la cause probable de son homosexualité.
• Le troisième est gêné d'apprendre qu'il a un compagnon homosexuel. Il
dit qu'il ne le condamne pas, mais estime que ce qui est correct et
normal, c'est l'hétérosexualité.
• Le quatrième est choqué de savoir qu'une "tapette" habite avec lui et
réagit violemment.
• Le cinquième, visiblement mal à l'aise, blague constamment sur le sujet.
Il lui fait des clins d'oeil, demande s'il ne va pas essayer de le séduire,
demande lequel des amants "fait la femme"...
• Le dernier est un ami de longue date de l'homosexuel. Ii connaissait
déjà sa situation, en a souvent parlé avec son ami et il est toujours à
l'aise avec lui.
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Vivre au masculin
De retour en groupe, il peut être intéressant d'examiner:
• Avec quelle facilité chaque participant a intégré son rôle et ce qu'il en a
ressenti.
• Quels stéréotypes sur l'homosexualité sont ressortis de la mise en
situation.
• Comment cette expérience a influencé les sentiments et les attitudes
des participants envers l'homosexualité.
RÉAPPRENDRE A TOUCHER
S'il est important, pour changer les rapports entre hommes, de
reconsidérer nos peurs à l'égard de l'homosexualité, de les regarder en
face, d'essayer, en les exprimant, d'articuler nos craintes et nos
ambivalences et d'en dégager la signification; cela n'est cependant pas
suffisant. Il faut aussi réapprendre le contact et en particulier le contact
entre hommes. Car il faut bien reconnaître que, à part le contact rude et
fortement ritualisé de la poignée de main et de la tape dans le dos, nous
nous touchons très peu.
Mais on ne peut pas dire que nous soyons tellement plus caressants avec
les enfants... et, si l'on en croit les revendications des femmes au plan de la
sexualité, nous ne sommes pas trop généreux non plus en caresses!
Bien sur, nous affectionnons les jeux de force, nous aimons nous colleter,
nous rudoyer. Mais cela ne cache-t-il pas un besoin plus tendre? Se peut-il
que nos goûts pour les activités sportives violentes viennent compenser un
besoin de contact que nous n'arrivons pas à satisfaire autrement?... Ou
qu'il nous est plus ou moins interdit de satisfaire autrement?
L'activité suivante vise à explorer d'autres modes de contacts entre
hommes et, en même temps, la difficulté que nous avons à nous exprimer
de cette façon.
EXERCICE: Massage ou message?
Cet exercice est souvent difficile à réaliser, car il concerne un domaine à
propos duquel nous éprouvons tous beaucoup de malaises: celui du
contact physique entre hommes. Comme nous sommes toujours un peu
inquiets de la façon dont certains gestes vont être reçus et de ce que nous
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Relations entre hommes
allons éprouver nous-mêmes, l'exercice suivant demandes beaucoup de
confiance et d'abandon.
Regroupez-vous deux par deux. L'un des partenaires se couche sur le sol,
l'autre lui masse le corps. Celui qui reçoit le massage essaie d'être attentif
à ce qu'il ressent: bien-être, malaise, gêne... A travers ce contact, comment
sentez-vous l'attitude de votre partenaire à votre égard: chaleur, détente,
affection, malaise, tension, agressivité...?
Vous intervertissez ensuite les rôles.
De retour en groupe, vous échangez sur l'expérience que vous venez de
vivre:
• Avez-vous apprécié ce genre de contact?
• Quand étiez-vous le plus a l'aise? le plus mal à l'aise?
• Pouviez-vous vous abandonner facilement? Sinon, quelles pensées
vous préoccupaient?
• A votre avis, est-il souhaitable que les hommes développent ce genre de
contact entre eux? Avec leurs enfants?
• Auriez-vous souhaité avoir ce genre de contact avec votre père?
CONSTRUIRE AVEC D'AUTRES HOMMES DES RELATIONS
AFFECTUEUSES PROFONDES
Trop souvent, les amitiés entre hommes sont tristement imprégnées
d'ambivalence. Piégés par la compétition et peu habitués à exprimer ce que
nous ressentons, nous maintenons, même avec notre meilleur ami, un lourd
silence émotionnel qui nous isole. Nous arrivons même à percevoir comme
une menace toute expression d'affection avec d'autres hommes. Surtout
inquiets de susciter un désir homosexuel par l'expression de notre
tendresse, nous nous privons de relations qui pourraient s'avérer
significatives. Mais, pouvons-nous voir chez les autres hommes autre
chose que la menace? Pouvons-nous établir avec eux des relations
profondes? Nous nous donnerions ainsi l'occasion de découvrir chez l'un
comme l'autre à peu près les mêmes doutes, les mêmes questions, les
mêmes insatisfactions, les mêmes désirs d'échange d'affection et de
tendresse en dehors des rapports si fréquemment compétitif. Nous y
gagnerions ainsi un véritable miroir interactif où nous approfondir
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Vivre au masculin
mutuellement, en dégageant ensemble, avec humour et affection, les
multiples façons dont nous sommes collectivement fabriqués.
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Sexualité masculine
UNITÉ II:
SEXUALITÉ MASCULINE
1. Introduction
2. Le vécu sexuel des hommes
- Questionnaire
- Exercice: Si on laissait tomber les masques?
- Mythes et réalité sur la sexualité masculine
3. La pornographie et la sexualité masculine:
un bien triste apprentissage
- Questionnaire
- Exercice: Lettre à mon chum...
4. L'état amoureux et le désir
- Questionnaire
- Exercice: Comment te dire...
5. La contraception au coeur de l'échange
amoureux
- Questionnaire
- Quelques faits sur la contraception:
• Grossesses, stérilisation, avortement...
• Les risques associés aux méthodes contraceptives
• Exercice: Je prends ma pilule...
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Vivre au masculin
1. INTRODUCTION
Si l'interrogation que nous menons sur notre condition masculine doit
déboucher, sur une transformation réelle des rapports entre hommes et
femmes, il faut d'abord qu'elle prenne racine dans nos vécus, dans notre
privé et en particulier dans l'exercice de notre sexualité.
En effet, le schéma fondamental de nos rapports sociaux avec les femmes
ressemble grandement à celui que nous vivons dans l'intimité de nos
relations sexuelles. Comment ne pas reconnaître en effet, que la majorité
de nos interactions "publiques" avec les femmes se font sous le mode de la
protection, du paternalisme, de la séduction, de la conquête, ou même,
carrément, eu harcèlement sexuel 7. Réciproquement, on retrouve dans le
vécu sexuel les mêmes soucis de performance masculine et de compétition
qui existe dans le domaine du travail, le même contrôle dans l'expression
des émotions. Et c'est également à ce niveau bien sûr que l'oppression sur
le corps des femmes s'exerce de la façon la plus vive.
En ce sens, travailler à transformer nos sexualités constitue une étape
nécessaire pour l'établissement de rapports différents et égalitaires entre
les sexes. Conformément à la problématique suivie tout au long de ce
cours, cette unité s'attache à décrire quelques aspects de l'aliénation
spécifique que les hommes vivent dans leur sexualité.
En interrogeant d'abord le vécu sexuel des hommes, elle va tenter de mettre
à jour quelques-uns des mythes et des stéréotypes qui existent encore, par
exemple autour de la performance sexuelle, de la jouissance masculine et
de l'expression de nos désirs.
La seconde partie examine l'importance que la pornographie a prise dans
notre pratique sexuelle, jusqu'à tenir lieu, pour la plupart, de principal moyen
d'éducation sexuelle. C'est également l'occasion de prendre conscience de
ce que cette consommation détruit profondément au coeur de notre relation
amoureuse, par la distance et la méfiance qu'elle entraîne nécessairement
avec les femmes.
En troisième lieu, nous allons tenter, pour une fois, d'échanger entre
hommes quant à nos désirs, nous allons interroger la forme qu'ils prennent
et essayer de formuler ensemble d'autres modes d'expression.
7 "Pour l'ex-présidente du CCSF: 90% des femmes harcelées au travail",
Le Devoir, 12 janvier 1982, p. 3.
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Sexualité masculine
Finalement, la dernière partie reconsidère notre irresponsabilité quasi
"congénitale" à l'égard de la contraception, en essayant de restituer cette
implication au coeur de notre expérience amoureuse et de notre vécu
sexuel.
2. LE VÉCU SEXUEL DES HOMMES
Bien sur, tous les hommes parlent de sexe: ils font des blagues sexuelles,
échangent entre eux des allusions quant aux corps des femmes qu'ils
côtoient, se racontent tout haut leur fantasme de séduction et s'inventent
parfois même des conquêtes... Pourtant, nous restons passablement
silencieux sur nos relations sexuelles réelles, sur la sexualité telle que nous
la vivons. Bien que nous parlions fréquemment de sexe, nous parlons très
peu du notre, de notre corps, de nos désirs, de nos jouissances aussi bien
que de nos insatisfactions.
Entre ce qui est dit et ce qui est vécu, il y a donc toute une aliénation. Si on
s'arrête au contenu de ce discours de façade, on réalise qu'il traduit surtout
le rapport de domination entre hommes et femmes. En plus des fantasmes
de conquête et de séduction, c'est en effet, le plus souvent, de mépris à
l'endroit du corps et du sexe des femmes qu'il s'agit. Et pourtant, on sait
bien que la réalité des chambres à coucher est moins triomphante, moins
reluisante. Ce discours, c'est essentiellement une mystification de notre
sexualité. Il est donc grand temps de se dire réellement, entre nous, nos
peurs, nos craintes, nos insécurités, et aussi nos tendresses et nos joies.
Le questionnaire qui suit constitue justement un outil pour inventorier divers
aspects de votre vie sexuelle. Répondez-y d'abord pour vous-mêmes, avant
de faire l'échange avec d'autres hommes.
QUESTIONNAIRE
Image du corps
Aimez-vous votre corps?
• Quelles parties de votre corps aimez-vous le plus? le
moins?
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Vivre au masculin
• Y a-t-il des parties de votre corps que vous voudriez différentes?
• Vous êtes-vous déjà fait dire que votre corps (ou une partie de votre
corps) était beau, séduisant?
• Dans votre rapport amoureux, avez-vous besoin de sentir que votre
corps est aimé, pour ce qu'il est?
• D'après vous, y a-t-il des parties de votre corps qui, en apparence,
pourraient tout aussi bien appartenir à un corps de femme?
• Aimez-vous regarder le corps des autres hommes?
• Lorsque vous regardez un corps d'homme, y a-t-il une ou des parties de
son corps qui vous attirent plus particulièrement?
• Aimez-vous l'apparence du sexe masculin?
• Trouvez-vous le votre, beau, agréable à toucher, d'une dimension
"satisfaisante"? aimez-vous son odeur?
• Trouvez-vous que vous avez de belles fesses? De belles cuisses? De
belles jambes?
• Dans votre sexualité, quelle importance accordez-vous à l'image de
votre corps?
Masturbation
• Avec quelle fréquence avez-vous recours à la masturbation?
a) Tous les jours ou presque?
b) Plusieurs fois par semaine?
c) Une ou deux fois par semaine?
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Sexualité masculine
d) Deux ou trois fois par mois?
e) Rarement ou jamais?
• Certains hommes vivent ces moments comme un besoin ou une tension
qu'il leur faut assouvir absolument; d'autres, plutôt comme une
occasion de détente ou de répit; d'autres encore, comme une façon de
supporter leur solitude... Essayez de décrire pour vous-mêmes ce qu'il
en est dans votre cas et comment vous vous sentez (physiquement ou
psychologiquement) quand vous avez le goût de vous caresser?
• Comment vous sentez-vous après?
Etes-vous satisfait, détendu?
Cela a-t-il l'effet de vous assoupir, ou de vous donner de l'énergie?
En ressentez-vous parfois de la culpabilité?
Si oui, envers qui?
• Est-ce que la masturbation vous mène toujours à l'orgasme?
• Avez-vous plusieurs façons de vous caresser (par exemple, en
déplaçant rapidement la main sur votre pénis, en effleurant l'extrémité
de votre sexe ou en stimulant en même temps d'autres parties de votre
corps?)
• Utilisez-vous des accessoires: huile, salive, tissus, vaseline, vibrateur,
etc.?
• La stimulation est-elle plus importante au bout ou à la base, au-dessus
ou en-dessous de votre pénis?
• Vous caressez-vous ailleurs que sur le pénis:
Testicules?
Fesses ou anus?
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Vivre au masculin
Intérieur des cuisses?
Ventre ou seins?
Autres parties du corps?
• Êtes-vous "à l'aise" avec votre sperme?
Ainsi, êtes-vous bien d'éjaculer sur votre propre corps, ou préférez-vous
éjaculer dans un mouchoir (ou autre chose)?
• Aimez-vous toucher votre sperme?
• Y avez-vous déjà goûté?
Quel sentiment cette idée évoque-t-elle:
Excitation?
Dégoût?
Indifférence?
• Comment aimeriez-vous que votre partenaire soit par rapport à votre
sperme?
• Lorsque vous vous masturbez, quelles images vous viennent à l'esprit?
• Sont-elles nécessaires pour stimuler votre désir?
• Avez-vous recours à la pornographie pour vous masturber?
Le plus souvent?
Quelquefois?
Rarement ou jamais?
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Sexualité masculine
Apprentissage sexuel
• Comment avez-vous fait voire apprentissage sexuel?
• Quelles furent les sources principales d'informations?
a) Du matériel pornographique?
b) Des volumes scientifiques?
c) Un ami?
d) Une amie?
e) Vos parents?
f) Vos frères ou soeurs?
g) Prostitution?
• Avez-vous un souvenir particulier de votre première éjaculation?
• Comment imaginiez-vous alors un couple "faisant l'amour"?
• A quel âge avez-vous fait l'amour pour la première fois?
• Vous rappelez-vous vos premières impressions?
• Avez-vous eu des expériences homosexuelles à travers votre
apprentissage sexuel?
• Comment qualifiez-vous aujourd'hui vos connaissance sur la sexualité?
Plus rien de secret?
Suffisantes?
Toujours à apprendre?
Vagues?
Tout à découvrir.
Caresses
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Vivre au masculin
• Comment et où aimez-vous être touché, caresse, embrasse?
• Avez-vous souvent besoin d'être caressé?
Ou seulement lorsque vous faites l'amour?
• Comment exprimez-vous ce besoin à votre partenaire?
• De quelles façons préférez-vous faire caresser votre sexe?
Avez la main?
Avec la bouche?
Avec le sexe?
Autrement?
• De quelle façon préférez-vous que votre partenaire vous fasse jouir?
Avec ses mains?
Avec sa bouche?
Avec son sexe?
Autrement?
• Est-ce que le fait d'être caressé est important ou nécessaire pour votre
désir?
• Aimez-vous vous-même faire des caresses?
• Quelles parties du corps de votre partenaire aimez-vous surtout
caresser?
Sexe? Seins?
Fesses? Cuisses?
Visage? Jambes?
Ventre? Dos?
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Sexualité masculine
• Avec quelles parties de votre corps aimez-vous surtout caresser?
Avec vos mains? Avec vos lèvres?
Avec votre sexe? Avec vos bras?
Autrement?
• Est-ce que le fait de caresser votre partenaire est important ou
nécessaire pour votre désir?
• Les caresses mènent-elles nécessairement à une relation sexuelle?
Orgasme
• Essayez de décrire la façon dont vous jouissez:
Durant la montée?
Avant, au moment, après?
• Outre le pénis, dans quelle autre partie de votre corps ressentez-vous
l'orgasme?
• Avez-vous plus d'un type d'orgasme?
• Avez vous déjà eu ce qu'on décrirait comme un "orgasme émotif"?
• Avez-vous besoin d'être en érection pour jouir?
• Votre érection complète est-elle un signe d'excitation maximum?
• L'absence d'érection correspond-elle pour vous à une absence de
désir?
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Vivre au masculin
• L'éjaculation correspond-elle pour vous à la fin du plaisir?
• Pouvez-vous avoir un orgasme sans éjaculation?
Une éjaculation sans orgasme?
La relation sexuelle
• Croyez-vous que les caresses et les marques physiques d'affection
sont importantes?
Si oui, le sont-elles surtout pendant la relation sexuelle, ou également à
d'autres moments?
• Ressentez-vous parfois le besoin d'être pris, de vous abandonner, d'être
bercé, cajolé?
• Si votre partenaire vous demande de vous abandonner et de rester
passif durant une relation, quelles sont vos réactions?
• Vous sentez-vous responsable du déroulement de la relation sexuelle?
• Vous sentez-vous responsable de la jouissance de votre partenaire?
• Avez-vous parfois peur de ne pas faire jouir votre partenaire?
• Comment réagissez-vous lorsque votre partenaire vous indique la façon
dont il/elle aime être caressé(e)?
• Discutez-vous avec votre partenaire de ce que vous ressentez l'un et
l'autre aux caresses?
Avant la relation? Pendant? Après?
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Sexualité masculine
• Lors d'une relation sexuelle, si vous n'arrivez pas à l'érection, comment
vivez-vous cela?
• D'après vous, pourquoi cela se produit-il?
• Avez-vous parfois peur de l'impuissance?
• Pouvez-vous envisager une relation sexuelle satisfaisante sans
éjaculation?
Et sans pénétration?
• Si une relation est interrompue, est-ce dramatique pour vous?
Désagréable?
Dommage sans plaire?
Cela continuera plus tard?
Autre?
• Avez-vous parfois l'impression que vos relations sexuelles se déroulent
toujours selon un scénario identique (mêmes gestes, même type de
caresses, chacun jouit à tour de rôle, dans le même ordre...)?
• Si oui, pourquoi en est-il ainsi?
• Pensez-vous qu'il y a encore de l'insécurité, de la gêne, du malaise dans
la relation sexuelle, même entre partenaires de longue date?
• Aimeriez-vous parfois changer de "scénario" ?
A votre avis, comment cela serait-il possible?
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Vivre au masculin
• Quelles sont les expériences sexuelles que vous voudriez tenter?
• Pouvez-vous retracer l'origine de ces fantasmes?
• Quel est le plus haut degré de bonheur, de contentement que vous avez
atteint dans une relation sexuelle?
EXERCICE: Si on laissait tomber les masques?
Malgré tout le temps que nous passons entre hommes à parler de sexe, le
questionnaire a dû vous permettre de vous rendre compte que nous nous
disons en fait bien peu de choses sur ce que nous vivons et pensons
réellement à ce sujet. C'est une première mesure de notre aliénation à cet
égard. Ce qui en ressort en effet, c'est tout le malaise qui entoure encore la
sexualité et cela, malgré une soi-disant libération sexuelle.
Pour chacun de nous, il reste en ce domaine des "zones grises", des zones
d'insécurité profonde, que nous ne dévoilons même pas à notre partenaire
et que nous préférons parfois ne pas trop connaître nous-mêmes. C'est
parce que l'identité se construit d'abord dans le corps, que la sexualité se
trouve si intimement reliée à l'identité. Le désir ou le rejet que nous
recevons de notre corps à travers la sexualité nous atteint alors au plus
profond de ce que nous sommes. Et l'amour ou le mépris que nous avons
pour nous-mêmes, c'est aussi d'abord sur notre corps que nous le faisons
porter. C'est donc surtout entre hommes en raison d'une même identité
sexuelle, d'une expérience commune et d'insécurités également
communes que ces malaises doivent être abordés. L'idée de l'exercice est
justement de partager le vécu intime, avec les zones grises qu'il comporte,
en laissant tomber les masques...
Il s'agit donc pour vous:
• d'échanger avec les membres du groupe vos premières impressions à
la suite de ce questionnaire;
• d' examiner ensemble chacun des sous-thèmes du questionnaire afin
de dégager un portrait du vécu sexuel des hommes;
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Sexualité masculine
• d'identifier à la fin avec les autres participants, les peurs et les malaises
anticipés vis-à-vis d'un tel échange.
MYTHES ET RÉALITÉ SUR LA SEXUALITÉ MASCULINE
En somme, nous n'ouvrons pas facilement sur notre vécu sexuel. Le
manque d'échange est peut-être d'ailleurs un facteur du fait que notre
sexualité se trouve si fortement influencée par les stéréotypes sociaux. Car
il faut reconnaître que notre vie sexuelle consiste souvent dans la mise en
pratique d'un certain nombre de croyances et de prescriptions qui sont
véhiculées et qui constituent un modèle passablement contraignant. En
essayant d'y correspondre, nous avons cessé d'être à l'écoute de notre
corps et nous perdons alors contact avec nos émotions. Voici donc
rassemblées quelques-unes des normes les plus explicites qui dictent nos
comportements en conformité avec ce modèle.
C'est délibérément qu'elles sont ici exprimées sous la forme de mythes. On
sera alors plus à même de dégager la réalité cachée derrière, et que ces
normes visent à masquer ou à restreindre.
1. Un homme doit être fort et ne pas laisser paraître ses sentiments et ses
émotions.
Cet énoncé constitue même le premier canon de la virilité, en
présentant l'expression des émotions comme une faiblesse. Or, les
conséquences en sont particulièrement dramatiques sur le vécu
sexuel, là où les échanges émotifs sont si déterminants. En limitant
ainsi chez les hommes la capacité de s'abandonner, la transparence,
l'expression de sensibilité et de tendresse, cette norme appauvrit
considérablement la qualité de nos rapports amoureux. C'est un dur
prix à payer pour ne pas perdre le contrôle!
2. Un vrai homme, c'est celui qui a beaucoup de femmes dans sa vie, qui
vit beaucoup d'aventures.
C'est le stéréotype du don Juan, de James Bond et de Casanova, le
mythe de la conquête et du harem. Nous avons souvent l'impression en
effet que, pour dégager beaucoup de virilités, il faut multiplier les
aventures. En un sens, cette norme est reliée à la précédente, car c'est
seulement en accordant si peu d'importance à nos sentiments qu'il est
possible de multiplier ainsi les aventures. Il y a également derrière ce
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Vivre au masculin
stéréotype une autre caractéristique essentielle de la virilité: celle du
pouvoir qui s'exprime par la possession. L'une des grandes
mystifications du mythe de Casanova, c'est d'ailleurs de faire croire
qu'il est possible "d'avoir" tant de femmes en raison de ce que nous
sommes et non, en fait, en raison du pouvoir économique que nous
détenons et de l'oppression que nous maintenons sur les femmes.
3. Un homme viril, c'est nécessairement un bon amant.
Il y a un double mythe dans cet énoncé. D'une part, il faut démontrer
qu'on est un vrai homme en sachant bien faire jouir. Mais, d'autre part,
le mythe laisse aussi entendre qu'il suffit d'être viril pour être
automatiquement un bon amant. Or, si être viril c'est, en particulier,
contrôler ses émotions, cela veut dire qu'un bon amant doit laisser peu
de place à la tendresse et aux sentiments. Nous nageons ici en pleine
contradiction! Il suffit de lire les Rapport Hite sur les femmes 8 pour
apprendre que la majorité des hommes ne sont pas des amants si
extraordinaires! Ce qui se cache derrière ce stéréotype, c'est aussi
l'idée de performance et d'efficacité. Etre capable de faire jouir sa
partenaire devient une exigence. Nous faisons de la sexualité une
tâche, comme si nous étions, mêmes en ce domaine, toujours au
travail.
Finalement il y a aussi dans cette norme l'expression du contrôle sur
l'autre, comme si nous voulions ramener sa jouissance à notre capacité
de la faire jouir. Il y a d'ailleurs chez la plupart des hommes une
insécurité extraordinaire vit-à-vis de cette jouissance des femmes:
parviendrons-nous à la faire jouir? Jouira-t-elle sans nous? Un autre
réussira-t-il à la faire mieux jouir? Nous sommes inquiets de perdre le
contrôle parce que nous nous rendons bien compte que cette
jouissance est hors de nous, qu'elle nous échappe et nous vivons cette
situation comme une perte de pouvoir, comme une atteinte à notre
virilité!
4. C'est aux hommes à faire les avances et à orchestrer toute la relation.
On commence à entendre certains hommes se plaindre de cette
"responsabilité" dans la relation sexuelle et de ne pas suffisamment
8 Shere Hite, Le Rapport Hite, Paris, Laffont, 1977.
Shere Hite, Les femmes et l'amour, un nouveau Rapport Hite, Paris,
Stock, 1988.
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Sexualité masculine
sentir l'expression du désir des femmes à l'égard de leur corps. En
réalité, il ne faudrait pas oublier que nous sommes mal à l'aise
lorsqu'une femme prend les initiatives en matière de séduction ou dans
la relation sexuelle. Nous avons alors l'impression de perdre le contrôle
et bien des hommes vont jusqu'à se retirer si cela se produit. Nous
exprimons par là une hantise de la passivité et de l'abandon, que nous
nous représentons plus ou moins comme des attitudes féminines, des
attitudes d'infériorité et de soumission. Or, l'abandon est propice à la
tendresse: c'est une sorte de mise en disponibilité de son corps à
l'autre. En nous conformant au stéréotype et en nous refusant à
l'initiative de l'autre, c'est en fait de son désir que nous nous privons et
aussi d'un rapport différent à notre corps, que les caresses dans
l'abandon pourraient nous révéler.
5. Un homme, ça "veut" toujours, c'est toujours prêt.
Ce n'est "presque pas" un mythe. Dans les faits, les sollicitations pour
faire l'amour, souvent insistantes d'ailleurs, proviennent habituellement
des hommes. Le mythe, c'est de faire croire que nous agissons ainsi
parce que nous sommes tellement proches de notre désir. En réalité,
nous sommes le plus souvent prêts à jouir même sans désir, comme
s'il y avait là une obligation, une norme à suivre. Ainsi, la plupart des
hommes se masturbent fréquemment, à toutes les semaines, ou même
quotidiennement 9. Ce qui est étrange cependant, c'est qu'ils utilisent
pour cela de la pornographie, en justifiant qu'elle les aide à stimuler
davantage leur excitation. Autrement dit, nous ne nous caressons pas
pour assouvir un désir débordant, car nous devons recourir à la
pornographie afin d'atteindre un niveau d'excitation suffisant pour
parvenir à la jouissance Dans la relation sexuelle, c'est la même chose.
Nous nous disons souvent prêt à faire l'amour, même si le désir n'y est
pas: ça donne évidemment ce que ça donne! A vivre ainsi notre désir
comme un manque, comme une impatience, nous nous empêchons de
le célébrer pour ce qu'il est, c'est-à-dire comme une fête!
6. L'utilité des caresses, c'est pour se préparer à faire l'amour.
C'est là le mythe des "préliminaires", si bien entretenus par la littérature
populaire. Dans ce contexte, les caresses sont rarement présentées
comme valables ou agréables, comme satisfaisantes ou gratifiantes en
9 Shere Hite, Le Rapport Hite sur les hommes, Paris, Laffont, 1983, p.
530-563.
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Vivre au masculin
soi. Elles n'auraient d'utilité que dans la mesure où elles "ouvriraient la
voie"! Les caresses sont souvent vues en effet comme un prélude
nécessaire aux rapports sexuels.
Un autre aspect de ce mythe, c'est que les caresses sont surtout pour
les femmes: "on leur en fait, parce qu'elles en veulent". Quant à nous,
nous irions plus directement aux "faits"... bref, à la pénétration! Ce
mythe est d'ailleurs à rapprocher des précédents: nous serions
toujours prêts à faire l'amour, nous devrons garder le contrôle de nos
émotions, c'est à nous de faire les avances... Pourtant les rencontres
entre hommes sur la SEXUALITÉ font vite ressortir ce besoin d'être
caressés, longtemps et fréquemment. C'est dire à quel point ce
stéréotype nous enferment. En nous y conformant, c'est nous-mêmes
en définitive qui nous privons d'affection physique?
7. Pour qu'une relation sexuelle soit complète et satisfaisante, il faut qu'il
y ait pénétration.
Si l'on décrétait que la relation sexuelle doit se dérouler sans
pénétration, cela soulèverait certainement un tollé de protestations de
notre part. Et pourtant, nous imposons nous-mêmes ce genre de
prescription à la sexualité féminine. En effet, la sexualité reste partout
identifiée à la pénétration, bien qu'on sache que la majorité des
femmes, 70% d'après le Rapport Hite 10 , ne jouissent pas de cette
façon. Cette association est tellement forte et tellement intégrée à la
mentalité masculine que bien des hommes, dans les groupes
d'échange, disent n'avoir pas "vraiment" fait l'amour s'il n'y a pas eu
pénétration, et cela bien qu'ils aient passé de longs moments avec leur
partenaire à se caresser mutuellement et bien qu'ils aient souvent joui
eux-mêmes. Toutes les méthodes contraceptives font référence en
outre à une sexualité de pénétration, et même la définition légale du viol
dans le code criminel canadien reposait, jusqu'à son amendement en
janvier 1983, sur le fait qu'il y ait eu ou non pénétration. C'est donc à
travers cet aspect particulièrement étroit que semble principalement
s'exprimer la sexualité masculine. Cette norme constitue un
appauvrissement en restreignant une fois de plus notre vécu sexuel au
niveau du pénis. Il y a donc lieu de nous interroger sur ce que nous
éprouvons de si essentiel dans ce geste puisque le fait de jouir
autrement nous semble habituellement moins satisfaisant. Nous
devrions peut-être nous demander, par exemple, si nous ne
recherchons pas dans la pénétration quelque chose comme une prise
10 Shere Hite, Le Rapport Hite, Paris, Laffont, 1977, p. 203-205.
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Sexualité masculine
de possession du corps de la femme et si nous n'éprouvons pas, plus
ou moins consciemment là-dedans, un sentiment très concret et très
physique de domination? Sur cette association entre pénétration et
infériorisation, il peut être intéressant également de reconsidérer la
signification réelle d'expressions comme: "se faire fourrer", "se faire
baiser", "dans le cul", "va te faire foutre", "espèce d'enculé"... aussi
bien que des gestes du doigt ou du bras utilisés dans les mêmes
circonstances. Pourquoi cette référence à la pénétration est-elle si
fréquemment invoquée comme insulte?
8. Un homme doit avoir une érection à volonté et 1a maintenir.
Si l'acte sexuel consiste essentiellement dans la pénétration, une
conséquence naturelle, c'est que, pour faire l'amour, il faut
nécessairement être en érection.
Ce stéréotype est si fort, que nous éprouvons, pour la plupart, un
sentiment d'insécurité profonde par rapport à l'impuissance et aussi
par rapport à la dimension de notre pénis. Nous craignons souvent qu'il
ne soit pas assez gros, pas assez dur, ni en érection assez longtemps.
Perdre l'érection devient facilement pour nous une véritable angoisse
qu'on invoquera par exemple pour ne pas utiliser le condom, ou même
pour limiter les "préliminaires" et ne pas trop nous en adonner aux
caresses. La relation avec le stéréotype de la pénétration reste assez
étroite: pour pénétrer, il faut être en érection, mais inversement dès
qu'on est en érection, il faut pénétrer! Ce mythe est d'ailleurs largement
exploité par la pornographie qui présente invariablement des phallus
immenses, constamment érigés et infatigables. Ce mythe du pénis en
érection à volonté, c'est en fait le prolongement du mythe de l'homme
fort en constante maîtrise de lui-même. Un effet de ce mythe consiste à
évacuer toute émotion de la relation sexuelle et à réduire toute notre
sexualité au pénis, oubliant que nous pouvons communiquer et
ressentir beaucoup de plaisir à travers d'autres parties de notre corps.
9. Une relation sexuelle complète et satisfaisante se termine
nécessairement par l'orgasme, c'est-à-dire par l'éjaculation.
ÉRECTION - PÉNÉTRATION - ÉJACULATION:
Voilà donc les trois canons de la sexualité masculine universellement
célébrés, d'ailleurs, par la pornographie. Et cela est toujours très gros:
une érection volumineuse, une pénétration à plein régime, une
éjaculation volcanique... et puis c'est tout. L'éjaculation est en effet
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Vivre au masculin
présentée comme l'ultime but de la relation sexuelle. La conséquence
d'un tel mythe est souvent de tout mettre en oeuvre dans ce seul but, au
point d'être déçu si "ça" ne vient pas, au point de ne plus pouvoir goûter
les moments de tendresse et de caresses dont on aura pourtant profité.
Mais n'est-ce pas aussi la façon dont nous traitons, parfois, notre
propre corps dans la masturbation? Nous recourons à la pornographie
pour nous exciter alors que nous n'avons pas de désir, et nous nous
masturbons frénétiquement pour une jouissance rapide... Quel amour
avons-nous de nous-mêmes dans une telle pratique? A utiliser notre
corps de façon aussi utilitaire, comment pourrions-nous traiter
autrement celui des femmes?
10. La SEXUALITÉ c'est naturel, pas besoin d'apprendre à faire l'amour.
Comme nous croyons qu'un homme "viril" fait automatiquement un bon
amant, de même, nous croyons que faire l'amour nous est tout naturel,
que ça va de soi, que nous avons ça dans le sang (ou peut-être plutôt
dans le pénis)! Ce qui est paradoxal, c'est qu'en pensant cela, nous
exprimons justement tout un ensemble de faussetés et de clichés que
nous avons appris sur la sexualité. L'essentiel de ce que nous croyons
savoir là-dessus provient d'ailleurs de la "culture pornographie". Nous
disons n'avoir pas besoin d'apprendre à faire l'amour, mais en même
temps, nous disons que les revues et les films pornographiques nous
suggérent de nouvelles "techniques" amoureuses; nous essayons
parfois même avec nos partenaires les nouveaux "trucs" observés;
nous courons les sexes-shops pour le dernier gadget _ crème ou
vibrateur _ apte à prolonger, semble-t-il, notre plaisir _ ou plutôt, en fait,
notre érection! Inquiets de ne pas être en érection suffisamment
longtemps ou encore de ne pas faire jouir notre partenaire avec
suffisamment de certitude, nous recherchons dans des trucs ou des
techniques extérieures, des garanties "d'efficacité". C'est à dire toute
l'aliénation par rapport à notre désir, comme si nous ne pouvions pas y
trouver les conditions mêmes de notre plus grande jouissance.
Apprendre à faire l'amour, c'est peut-être justement reprendre contact
avec notre corps, avec nos émotions et avec l'expérience de notre
désir, plutôt que d'essayer de reconstituer celui-ci artificiellement à
partir de la stimulation pornographique.
Bref, le modèle de sexualité masculine est loin d'être "rose". Ce qui ressort
de cette énumération, c'est qu'il est fortement contraignant et pratiquement
inaccessible. De fait, on ne peut essayer d'y correspondre qu'au prix d'une
déshumanisation et d'un appauvrissement extrêmes de nos relations. C'est
d'ailleurs là toute l'aliénation des hommes dans la sexualité par rapport à
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Sexualité masculine
leur corps, à leurs émotions, à leur désir, à l'expression de la tendresse et à
la capacité d'abandon.
Mais d'où nous vient donc ce modèle de sexualité? En réalité, il correspond
de très près au type de sexualité que véhicule la pornographie. Celle-ci est
en effet toute orchestrée autour du trio: érection _ pénétration _ éjaculation.
Les hommes qu'on y trouve sont toujours très froids, sans émotion. Ils sont
en érection à volonté et peuvent faire l'amour sans arrêt. Ils ont d'ailleurs
plein de femmes qui se plient à leur moindre désir, tant ils savent les faire
jouir "au doigt et à l'oeil". Pas de caresses inutiles non plus que
d'épanchements, ni de passion. Seulement de la technique, de l'efficacité,
de la maîtrise.
3. PORNOGRAPHIE ET SEXUALITÉ
MASCULINE: UN BIEN TRISTE
APPRENTISSAGE
Pour plusieurs d'entre nous, la pornographie et, peut-être aussi, la
prostitution, ont en effet été les moyens par lesquels nous avons fait notre
propre éducation sexuelle. C'est le plus souvent là que nous avons puisé
nos modèles de comportement sexuel, nos scénarios de séduction et ce
que nous croyons "posséder" de "techniques" amoureuses. Mais, surtout,
c'est à même la consommation de la pornographie que s'est constitué
l'essentiel de notre imaginaire sexuel, c'est-à-dire le répertoire de
fantasmes que nous invoquons systématiquement pour nous exciter nous-
mêmes lorsque nous nous caressons, qui détermine, en outre, nos attentes
vis-à-vis des femmes au plan sexuel, et qui nous tient même lieu de grille
d'analyse de la sexualité féminine! Non seulement c'est le principal moyen
par lequel nous avons fait notre apprentissage sexuel, mais c'est encore,
pour un grand nombre d'hommes, la principale façon par laquelle s'exerce
et se vit quotidiennement, par magazines ou films interposés, leur sexualité.
D'ailleurs, nous prenons aisément la défense de la pornographie chaque
fois qu'on parle d'en limiter la diffusion, et l'argument que l'on invoque le
plus souvent alors, c'est celui de la liberté d'expression... et, bien sur, de la
liberté de consommation. Mais de quelle liberté s'agit-il? En fait, avec la
pornographie, notre sexualité ne nous appartient plus: nous l'achetons! Ce
sont les pornocrates qui déterminent de plus en plus systématiquement
pour nous: quand, comment, de quelle façon et par quels fantasmes nous
allons jouir. En outre, nous les payons pour qu'ils assurent ce contrôle sur
notre vécu sexuel et sur nos relations amoureuses.
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Vivre au masculin
Pourtant, même lorsque nous prenons conscience de cette aliénation, il
n'est pas si facile de s'en défaire. Nous y avons tellement pris goût et c'est
tellement facile de consommer de la pornographie, c'est pratiquement
devenu un besoin. Pour la plupart des hommes, s'en priver, c'est un peu
comme cesser de boire pour un alcoolique! Or justement, comment peut
procéder un alcoolique pour changer son comportement? L'approche qui a
le plus de succès à l'heure actuelle, c'est encore ce que proposent les
regroupements d'Alcooliques Anonymes (A.A.): cesser la consommation
bien sûr, mais aussi échanger là-dessus avec d'autres qui vivent le même
problème et aller chercher dans ce partage une motivation et un support
collectif pour changer. Le sens de l'exercice suivant, c'est justement
d'amorcer entre vous ce type d'échange sur votre consommation de la
pornographie.
QUESTIONNAIRE
Voici un certain nombre de questions qui tentent de mettre en rapport la
consommation de la pornographie, le vécu sexuel et les fantasmes
masculins. Répondez-y en groupe, en y apportant à tour de rôle vos
réponses et en échangeant les commentaires qui surgissent chaque fois à
votre esprit. Essayez en particulier de faire ressortir en quoi la
consommation de la pornographie influe sur vos fantasmes et comment,
par ce biais, elle affecte votre vécu sexuel.
1. A quel âge avez-vous commencé à utiliser du matériel pornographique?
2. Essayez de vous rappeler pour quelles raisons vous avez eu recours à
la pornographie à ce moment? Et maintenant?
3. Avec quelle fréquence recourez-vous aux différents types de matériel
pornographique (indiquez le nombre de spectacles ou de films vus par
mois, le nombre de revues ou de romans achetés ou lus par mois?
a)Playboy ou Penthouse ou Lui
b)Autres revues
c)Films
d)Vidéo-cassettes
e)Romans
f) Strip-tease (danseuses nues, cabaret, ...)
4. Avec quelle fréquence avez-vous recours à la masturbation?
a)Tous les jours ou presque?
Page 50
Sexualité masculine
b)Plusieurs fois par semaine?
c)Une ou deux fois par semaine?
d)Deux ou trois fois par mois?
e)Autre (spécifiez):
5. Lorsque vous vous masturbez, avez-vous recours à du matériel
pornographique?
a)Le plus souvent?
b)Quelquefois?
c)Rarement ou jamais?
6. Lorsque vous avez des fantasmes en vous masturbant, sont-ils reliés à
des revues, des romans ou des films pornographiques vus
précédemment?
a)Le plus souvent?
b)Quelquefois?
c)Rarement ou jamais?
7. Quelles scènes recherchez-vous surtout dans le matériel
pornographique?
a)Scènes de viol?
b)Relations sexuelles avec violence?
c)Relations sexuelles avec des enfants?
d)Relations sexuelles avec plusieurs partenaires?
e)Relations sexuelles à plusieurs (hommes et femmes)?
f) Relations sexuelles où votre partenaire est surtout passif?
g)Relations sexuelles où vous êtes surtout passif?
h)Relations sexuelles orales où vous faites caresser votre sexe?
i) Relations sexuelles orales où vous caressez le sexe de votre
partenaire?
j) Relations sexuelles anales?
k)Se faire masturber par son partenaire?
l) Relations sexuelles où vous attachez votre partenaire?
m)Relations sexuelles où vous êtes attaché vous-mêmes?
n)Relations sexuelles où la tendresse est dominante?
o)Relations sexuelles avec votre partenaire actuel(le)?
p)Relations sexuelles avec des personnes de votre entourage?
q)Relations sexuelles entre femmes?
r) Relations sexuelles avec d'autres hommes?
s)Etre beaucoup caressé par votre partenaire?
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Vivre au masculin
t) Situations où vous avez le sentiment d'être irrésistible?
u)Imagination de diverses positions de l'acte sexuel?
v) Fantasmes sur des parties du corps féminin:
1. Seins? 2. Sexe? 3.Cuisses?
4. Jambes? 5. Fesses? 6. Visage?
7. Bouche ou langue?
8. Autres? (spécifiez)
8. Lorsque vous avez des fantasmes en vous masturbant, quelles scènes
reviennent le plus souvent (répondez en utilisant les lettres
correspondant aux choix de la question 7)?
9. Lorsque vous avez des fantasmes lors de vos relations sexuelles,
quelles scènes reviennent le plus souvent (répondez en utilisant les
lettres correspondant aux choix de la question 7)?
10. Utilisez-vous la pornographie comme stimulant dans vos rapports
sexuels?
a)Le plus souvent?
b)Quelquefois?
c)Rarement ou jamais?
11. Vous est-il arrivé de reproduire avec votre partenaire des choses que
vous aviez vues dans des scènes pornographiques?
12. Considérer la fréquence avec laquelle vous vous masturbez (question
4), celle avec laquelle vous avez recours à la pornographie (question 3)
et celle de vos relations sexuelles. Quel tableau cela donne-t-il de votre
vie sexuelle?
13. D'après vous, quels sont les effets de votre consommation de
pornographie sur votre vie amoureuse?
14. Parlez-vous facilement avec votre partenaire de vos relations
sexuelles? Pensez-vous que votre consommation de pornographie
peut nuire à ces échanges?
15. Vous sentez-vous à l'aise de consommer de la pornographie (par
exemple, êtes-vous indifférent à rencontrer des amis lorsque vous le
faites)? Sinon, essayez d'exprimer en quoi consiste ce malaise?
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Sexualité masculine
16. En particulier, comment vous sentez-vous par rapport à votre
partenaire, quant à votre consommation de pornographie?
17. Comment vous sentiriez-vous si votre enfant (ou votre élève, votre
neveu ou nièce, votre petit voisin...) vous surprenait chez le dépanneur à
feuilleter des revues pornographiques et vous interrogeait à ce sujet?
18. Pensez-vous pouvoir cesser facilement toute consommation de
pornographie? Sinon, pourquoi à votre avis est-ce si difficile?
EXERCICE: Lettre à mon chum...
Mais si la consommation de la pornographie nous aliène dans notre
sexualité, c'est certainement surtout par la brèche profonde qu'elle ouvre
dans nos relations amoureuses.
La pornographie constitue en effet l'un des moyens les plus efficaces pour
maintenir l'inégalité et l'exploitation sexuelles. Il a été mentionné plus haut
que, si la sexualité comportait des zones d'insécurité profondes, c'est
qu'elle concernait l'image du corps et l'identité qui en découle. Cela est vrai
pour notre corps et notre sexualité d'hommes. Cela l'est encore plus pour
le corps et la sexualité des femmes, précisément parce qu'elles sont, par
rapport à nous, en position d'inégalité et d'oppression. Or, s'il est une façon
efficace de maintenir un opprimé en situation d'infériorité, c'est bien de
l'humilier au niveau de son corps. On l'a fait pour les esclaves, les Noirs, les
Juifs, les Amérindiens... et c'est ce que l'on fait encore pour les femmes
avec la pornographie. Pourtant, nous restons insensibles à ce mépris qui
n'est pas dirigé contre nous et nous y contribuons en adoptant pour nous-
mêmes le discours de la pornographie. Il est peut-être temps pour nous
d'essayer de mesurer tout ce qui est reçu comme mépris dans ce discours
par les femmes qui nous sont proches et que nous disons aimer.
La lettre suivante provient de l'amie de l'un des participants à l'une des
premières sessions de ce cours. C'est avec son assentiment qu'elle est
reproduite ici. Elle capte bien ce que la plupart des femmes ressentent en
face de notre consommation de la pornographie et que nous ignorons nous-
mêmes, ou que nous préférons souvent ne pas savoir:
Chéri,
Lorsque tu dormais la nuit dernière, je me suis laissée aller à ressentir ce
que me faisait ta revue Playboy et encore chaud je te l'écris: ÇA ME FAIT
PEUR ET ÇA ME MET EN COLERE.
Page 53
Vivre au masculin
Bien sûr, je comprends, je rationalise, j'excuse tout, tout, mais j'ai peur...
1. Car ces femmes ne sont pas de vraies femmes;
2. Car la vraie sexualité ce n'est pas ça;
3. Car la vraie beauté n'y apparaît pas;
4. Car l'amour en est absent;
5. Car la vraie jouissance ce n'est pas ça;
6. Car je ne pourrai jamais correspondre à ce modèle de femme.
Mes peurs: que ces images que tu vois et que tu as déjà en toi deviennent
plus fortes, influençant davantage ta sexualité et ton goût de ce type de
rapport et de femmes irréelles. Puis que, peu à peu, tu me demandes d'y
correspondre, espérant ainsi arriver à une plus grande satisfaction. Non,
de tout mon être non, je ne veux pas et je ne correspondrai jamais à cela.
Ça me fait peur car j'ai déjà bien du mal à m'accepter physiquement et
émotivement comme je suis. Le chemin étant encore plus long pour
trouver de nouvelles voies!
Il y a également de la colère car je ne cesse de penser au film C'est
surtout Pas de l'amour! qui m'avait fait si mal, jusque dans mon corps.
C'est comme s'il avait été fait pour rien!
Voilà, peut-être pourrons-nous en discuter!
L'exercice suivant consiste justement à aller chercher auprès de votre amie
_ ou de la femme dont vous êtes le plus près _ le même genre de
témoignage par rapport à la pornographie. Faites-lui d'abord lire cette lettre
et demandez lui ce qu'elle ressent elle-même à ce sujet. Elle peut vous en
faire part verbalement: en ce cas, prenez fidèlement note de son
témoignage. Il est essentiel cependant que vous soyez attentifs et que vous
n'interveniez en aucune façon: pas d'argumentation ni de justification de
votre comportement!
C'est en groupe, entre vous, que doit se faire la discussion. Faites d'abord le
partage des témoignages reçus et essayez surtout de dégager ce que la
consommation de la pornographie brise dans votre rapport amoureux, en
termes du mépris des femmes qui est reçu par votre compagne, des
modèles de corps et de sexualité qui y sont prescrits... et de l'éloignement
que cela crée finalement entre vous.
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Sexualité masculine
4. L'ÉTAT AMOUREUX ET LE DÉSIR
Mais, en dehors des modèles de sexualité véhiculés par la pornographie,
qu'existe-t-il d'autre? En fait, c'est à partir de sa propre expérience
amoureuse qu'il faut chercher des réponses à cette question, à partir de ce
que l'on a soi-même vécu de significatif sur ce plan. On a alors l'impression
de "flotter", on est "dans la lune", on a les "yeux qui brillent", on a le "fou
rire"... Même si on ne le laisse pas toujours paraître de façon aussi
évidente, il est clair pourtant qu'on change profondément. Le rapport aux
autres et à soi-même se transforme. On y trouve souvent plus d'humour,
plus de fantaisie, plus d'énergie... Et on a aussi comme le sentiment d'une
plus grande "vérité", l'impression d'être plus en accord avec soi-même. On
se retrouve dans une espèce d'état second à l'intérieur duquel les choses
apparaissent sous un regard neuf, habituellement comme plus favorables et
plus exaltantes. De l'extérieur, par contre, on est plutôt reçu avec
scepticisme: clins d'oeil, boutades, allusions, moqueries, ou mêmes
conseils et avertissements: "ça arrive à tout le monde, tu retomberas bien
assez vite les deux pieds sur la terre..."!
Il se passe donc bien quelque chose de spécial quand on devient amoureux.
Mais qu'est-ce donc? L'amoureux est-il vraiment tellement en dehors de la
réalité? Et pourquoi cela semble-t-il souvent déranger son entourage?
En fait, c'est essentiellement au niveau de l'identité que cela se joue. Le
désir de l'autre donne existence, il fait "être".
"Ton désir me dit que je vaux d'être aimé, et c'est de nous deux au fond
que je suis amoureux. Mon désir de toi s'avance à ta rencontre, adhère
à ce que tu es. Je t'aime du désir dont je t'enveloppe. Tu me dis que la
vie renaît de ma présence et, pourtant, c'est en toi que je viens la
puiser..."
Bien sûr, il y a beaucoup d'absolu et d'inconditionnel dans ces formules, une
espèce de plongeon vertigineux et de folie radieuse, un esprit de fête et de
célébration!
Mais on peut se demander si cette folie constitue vraiment une fuite de la
réalité ou si elle ne jaillit pas plutôt comme un éclair de lucidité? Car enfin,
quelle image de soi-même la "réalité quotidienne" renvoie-t-elle?
Habituellement une image morcelée, assujettie aux petites performances
quotidiennes et soigneusement comptabilisée sur ces productions.
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Vivre au masculin
"Hier, aujourd'hui, j'ai fait ceci ou cela, 35 heures cette semaine... voilà,
c'est moi!
_ Vous posez votre candidature pour cet emploi? Combien d'années
d'études? Quelle expérience?... Ah oui, ça c'est votre photo. Bon, je
verse tout ça à votre dossier..."
Est-ce vraiment là une image plus "réaliste" de ce que je suis? Suis-je
tellement fou, idéaliste ou rêveur d'y préférer celle que me renvoie ton désir
de moi?
Outre ces élans de folie, l'état amoureux se traduit souvent également par
des débordements d'énergie. On devient plus actif, plus imaginatif. On
arrive à abattre quantité de tâches plus rapidement qu'à l'habitude, à
franchir des kilomètres pour se retrouver et on trouve encore à s'aménager
du temps pour la fête et l'euphorie. C'est comme si, à être plus en accord
avec ce que l'on est et ce que l'on a le goût d'être, cela débloquait des
ressources jusque-là mises en réserve.
Mais alors, pourquoi l'état amoureux est-il suspect aux yeux de l'entourage?
On ne le considère pas "sérieux", on s'en méfie ou on s'en moque. En tout
cas, ça dérange. Parce que le désir est hors cadre, hors norme, il ne
s'assujettit pas facilement à un horaire, aux contraintes du travail et de la
production, ni même à celles de la consommation! Ne dit-on pas d'ailleurs
que "les amoureux vivent d'amour et d'eau fraîche"? Le désir indiscipline. Il
n'est pas "raisonnable", il ne se laisse pas facilement convaincre de la
nécessité de ceci ou cela. Et aussi, par le contraste exubérant qu'il offre, le
désir dénonce d'une certaine façon la torpeur de la routine. Parce qu'il fait
apparaître comme futiles les rites quotidiens de production et de
consommation, parce qu'il célèbre avant tout les personnes, le désir est
profondément subversif!
Le désir nous introduit en effet dans une espèce d'état second et c'est
toujours intimement relié à la sexualité. Pourtant lorsque nous parlons de
sexualité entre nous, ou même avec des femmes, c'est presque
exclusivement à la génitalité que nous référons, comme si nous ne
connaissions pas notre désir, ou que nous ne sachions pas comment en
parler. Est-ce ignorance ou pudeur? En tout cas, ça semble une autre
forme importante de l'aliénation des hommes par rapport à leur sexualité.
QUESTIONNAIRE
Page 56
Sexualité masculine
Le questionnaire vise justement à vous faire prendre conscience de
quelques aspects de votre désir en partageant avec les autres participants
votre expérience du vécu amoureux. Répondez-y donc en groupe, dans un
premier temps. Ces questions serviront de préparation à l'exercice suivant
sur l'expression du désir.
1. Êtes-vous encore amoureux?
A partir de quoi le savez-vous?
2. Avez-vous encore du désir?
Comment s'exprime-t-il?
3. Est-ce comme "au début"?
Comment était-ce alors?
En quoi est-ce différent?
D'après vous, pourquoi est-ce différent?
4. Cela vous manque-t-il, la façon dont vous étiez ensemble, au début?
5. Lorsque vous êtes amoureux, comment cela s'exprime-t-il? Surtout
physiquement (besoin de caresses, goût de faire l'amour...) ou surtout
émotionnellement (vous vous sentez attendri, ému, "à fleur de peau")?
6. Est-ce important d'être amoureux? D'avoir du désir? Pourquoi?
7. Parlez-vous facilement avec d'autres hommes de votre désir, de la
façon dont vous vous sentez lorsque vous êtes en amour?
Pourquoi? Aimeriez-vous pouvoir le faire?
EXERCICE: Comment te dire?
Ce qui ressort d'un tel échange, c'est que nous avons toujours beaucoup de
difficultés à exprimer ce que nous ressentons lorsque nous sommes en
amour. Cela tient à la fois à la difficulté que nous avons à dire nos émotions
en général et aussi au fait que, dans notre sexualité, nous accordons
souvent plus d'importance à l'aspect physique de la relation qu'à ses
aspects affectifs ou émotifs. Comment pourrions-nous commencer à
développer cet élément que nous avons si souvent négligé ou laissé de côté
dans nos relations amoureuses? L'objectif de cet exercice, c'est justement
d'essayer de formuler votre sentiment amoureux et votre désir.
A tour de rôle, en imaginant que vous vous adressez à votre partenaire
amoureux, essayez de lui exprimer ce que c'est, profondément pour vous,
Page 57
Vivre au masculin
que d'être en amour avec, et même ce que ça vous fait, physiquement et
émotivement. Les autres participants enregistrent fidèlement ce qui est dit
car, dans un deuxième temps, après que chacun se soit exprimé, le groupe
tentera d'en reprendre quelques éléments afin d'en tirer une espèce de
"poème collectif" sur le désir.
5. LA CONTRACEPTION AU COEUR DE
L'ÉCHANGE AMOUREUX
Dans une scène de la pièce Si les Ils avaient des Elles 11 deux amoureux à
leurs débuts parlent de contraception lors d'un souper en tête à tête. L'effet
est insolite, parce que, à travers ce sujet, c'est leur désir qui passe, et, avec
beaucoup de tendresses, le goût qu'ils ont de faire l'amour. Il n'est
cependant pas très habituel _ et en général encore moins pour les
hommes _ d'envisager ainsi la contraception au coeur de l'échange
amoureux. En fait, cette question est tellement peu intégrée à notre
sexualité, que nous avons l'impression qu'elle se situe en dehors de nous,
comme si notre sexe-plaisir n'était pas aussi notre sexe-reproducteur.
Parce que la conception se fait et se développe dans le corps des femmes,
nous avons comme perdu toute responsabilité en ce domaine. Nous ne
réalisons même plus à quel point nous sommes devenues étrangers à cet
aspect de notre corps et de notre sexualité.
Le questionnaire qui suit constitue un premier outil pour commencer à
mesurer notre indifférence à cet égard.
QUESTIONNAIRE
1. Considérez-vous que c'est surtout à la femme d'assumer la
contraception? Pourquoi?
2. Énumérez pour vous-mêmes les moyens contraceptifs que vous
connaissez. Que savez-vous des avantages et des inconvénients
associés à ces divers moyens?
3. Quels moyens contraceptifs préférez-vous? Pourquoi? Lesquels
refuseriez-vous d'essayer? Pourquoi?
11Pièce de théâtre sur les rapports hommes-femmes, créée par le Théâtre
de Carton de Longueuil, et présentée à plusieurs reprises au Québec entre
1978 et 1980.
Page 58
Sexualité masculine
4. Avant une relation sexuelle avec une partenaire nouvelle, vous informez-
vous du moyen de contraception qu'elle utilise?
5. Dans vos relations amoureuses, participez-vous au choix du moyen
contraceptif?
Vous êtes-vous déjà demandé si votre partenaire était satisfaite du
moyen utilisé?
6. Éprouvez-vous du malaise à parler de contraception avec votre
partenaire?
Quel genre de malaise?
En avez-vous déjà parlé avec d'autres hommes?
7. Pensez-vous que la contraception nuit au désir? Si oui, de quelle façon?
8. Prendriez-vous le risque d'une conception, sachant que votre partenaire
n'utilise pas de méthode contraceptive?
Comment et jusqu'ou assumeriez-vous ce risque?
9. Avez-vous déjà essayé le condom? Plus d'une fois? Est-ce une
méthode que vous trouvez satisfaisante? Pourquoi?
Pensez-vous que les inconvénients du condom sont plus considérables
que ceux qui sont associés aux méthodes féminines de contraception?
10. Avez-vous toujours des condoms sur vous?
Que penseriez-vous de l'idée de suggérer cette pratique à votre fils ou à
votre fille (adolescents)?
11. Avez-vous déjà envisagé des relations sexuelles sans pénétration
comme pratique contraceptive? Pensez-vous que ça peut transformer
la façon dont vous faites l'amour?
Pensez-vous que ça pourrait être aussi satisfaisant? Pourquoi?
12. Envisageriez-vous la vasectomie? Pourquoi?
Pensez-vous qu'il est plus "correct" ou "normal" que ce soit la femme
qui se fasse stériliser (ligature des trompes)? Pourquoi?
13. Quelle est votre position par rapport à l'avortement? D'après vous, en
quoi cette question nous concerne-telle, comme hommes?
Dans notre sexualité? Dans notre paternité?
14. Selon votre expérience personnelle, quelle place la contraception tient-
elle dans l'échange amoureux?
Page 59
Vivre au masculin
A votre avis, cette question devrait-elle occuper une place plus
importante?
En quoi la façon dont la contraception est assumée devient-elle un enjeu
important pour l'égalité dans les rapports entre hommes et femmes?
QUELQUES FAITS SUR LA CONTRACEPTION
Bref, nous considérons le plus souvent la contraception comme une entrave
au plaisir. Comme hommes, nous n'avons pas été éduqués à nous en
préoccuper. Nous n'y voyons qu'une question technique dont nous avons
relégué l'entière responsabilité aux femmes. Notre inconscience en ce
domaine est tel que certains hommes ne savent même pas que leurs
compagnes se sont déjà faites avorter! Il est temps pour nous de prendre
connaissance de quelques-uns de ces faits.
Grossesses, stérilisation, avortement ...
• "Il est étonnant de constater qu'en 1986, à une époque où les moyens
contraceptifs sont passés dans les moeurs, 10% des adolescentes
deviennent enceintes après leur première relation sexuelle." 12
• "Chaque année, au Québec, on dénombre 8 500 à 9 000 grossesses chez
les filles de 19 ans et moins." 13
• En Occident, 50% des femmes mariées entre 15 et 49 ans ne désirent
plus d'enfants. Pourtant seulement 25% utilisent des méthodes
contraceptives. 14
• D'après le rapport des Nations-Unies sur l'état de la population en 1980,
on compte dans une seule journée 120 000 avortements pour 300 000
naissances, soit deux avortements pour cinq naissances. 15
12 Catherine Lord,"L'amour en herbe", La Gazette des femmes, Québec,
Conseil du statut de la femme, Vol. 8, No 3, septembre-octobre 1986, p.
14.
13 Ibid., p. 14.
14 "Deux avortements pour cinq naissances" . (Extrait du rapport sur
"l'état de la population mondiale 1980", publié par le Fonds des Nations-
Unies pour les activités en matière de population), Le Devoir, 4 août
1980, p. 12.
15 Ibid., p. 12.
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Sexualité masculine
• En ce qui concerne la stérilisation au Québec, les données sont très
révélatrices de l'implication respective à chaque sexe en ce domaine:
1977 16 1987 17
Hystérectomie 14 977 16 366
= 82,2% = 81,3%
31 064 18 576
Vasectomie 9 991 = 17,8% 8 021 = 18,7%
On constate ainsi le peu d'évolution de la responsabilité masculine sur ce
sujet. En l'espace de 10 ans, le pourcentage des vasectomies sur
l'ensemble des méthodes de stérilisation n'a même pas augmenté de 1%!
Les risques associés aux méthodes contraceptives
Mais il ne suffit pas de savoir que la situation en matière de contraception
est désolante. Il faut également savoir que les méthodes contraceptives les
plus fréquemment utilisées actuellement sont insatisfaisantes et
comportent pour la plupart des risques pour la santé des femmes. Ces
risques vont des troubles soi-disant "bénins" comme les migraines ou les
nausées, aux troubles cardio-vasculaires et respiratoires, en passant par
divers types d'infection du système uro-génital: vaginite, cystite (vessie),
endométrite (utérus), salpingite (trompes de Fallope)... On dénote
également une augmentation des cancers du col de l'utérus... et quelques
cas de décès! Voici donc, pour les méthodes les plus courantes, un bref
exposé des principaux risques encourus.
• Ligature des trompes
Les ligatures des trompes comportent les mêmes risques de
complications que toute intervention chirurgicale. Les risques
augmentent lorsque la stérilisation est pratiquée sous anesthésie
générale, qui comporte elle-même un léger risque de mortalité, surtout
pour les femmes atteintes de maladies cardiaques ou pulmonaires. Il
arrive parfois que les trompes de Fallope soient endommagées, en
16 Rapport des statistiques annuelles de la Régie de l'assurance maladie
du Québec, Service de la recherche et des statistiques, 1977.
17 Rapport des statistiques annuelles de la Régie de l'assurance maladie
du Québec, Service de la recherche et des statistiques, 1987.
Page 61
Vivre au masculin
particulier dans le cas d'une laparoscopie. Il s'agit là d'une intervention
où l'on atteint les trompes à partir d'une petite incision au-dessus du
nombril, après y avoir propulsé un gaz qui gonfle l'abdomen et améliore
la visibilité interne pour le temps de l'opération. Ces complications
peuvent alors nécessiter une seconde intervention chirurgicale à
l'abdomen. Il arrive en outre que le gaz propulsé dans l'abdomen au
cours d'une laparoscopie entraîne certains malaises après l'opération.
Finalement, les risques d'infection sont plus élevés lorsque la
stérilisation est pratiquée à partir d'une incision au fond du vagin
(colpotomie) ou par le col de l'utérus (hystérotomie). 18
• La pilule
La pilule entraîne chez une bonne proportion des usagères toute une
variété de troubles soi-disant "normaux": rétention d'eau et
augmentation du poids, seins douloureux, maux de tête, migraines,
étourdissements, nausées, vomissements, saignements et pertes
vaginales, vaginites, trouble gastro-intestinal, cystites, problèmes
oculaires, dépression... On peut se demander si les hommes, qui sont
si facilement indisposés par l'usage du condom, toléreraient pour eux-
mêmes le moindre de ces symptômes...!
Ce qui est plus sérieux, c'est que la pilule entraîne chez certaines
femmes des troubles cardio-vasculaires graves: thrombo-embolie,
embolie pulmonaire, thrombose cérébrale... Il s'agit de petits caillots
qui se forment dans le système sanguin et qui sont véhiculés jusqu'à un
organe vital (coeur, poumon, cerveau) pouvant ainsi entraîner des
dysfonctions sérieuses, la paralysie ou la mort. L'usage de la pilule
augmente en outre les risques de cancer du col de l'utérus, elle est
également reliée à l'augmentation des calculs biliaire, de la pression
sanguine et du taux de cholestérol 19 .
Finalement, une étude britannique menée en 1974 auprès de 46 000
femmes révèle que le taux de mortalité est de 39% plus élevé chez les
usagères de contraceptifs oraux que chez les autres femmes 20 .
18 Donna Cherniak, Le contrôle des naissances, Montréal, Les Presses de
la santé inc., 1980, p. 46-48. Disponible par téléphone: (514) 272-5441
ou encore par la poste à: Case postale 1000, Station E, Montréal,
Québec. H2W 2N1.
19 Ibid., p. 32-36.
20 Louise Vandelac, "Les revers de la contraception", Le temps fou, no
14, avril-mai 1981, p. 30.
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Sexualité masculine
• Le stérilet
L'usage du stérilet entraîne lui aussi un certain nombre de troubles soi-
disant "normaux": crampes, douleurs menstruelles plus vives, pertes
vaginales entre les règles... Ces troubles "normaux" sont quand même
suffisamment inconfortables pour amener jusqu'à 15% des usagères à
se faire enlever leur stérilet dans les douze premiers mois d'usage! Les
risques les plus sérieux sont ceux d'infection pelvienne: le fil qui reste
attaché au stérilet pour en assurer le retrait agit parfois à la façon d'une
"mèche" en permettant une infiltration de bactéries à partir du vagin qui
peuvent ainsi infecter les tissus de l'utérus (endométrite) et des
trompes de Fallope (salpingite). Ces infections se traduisent par des
douleurs très vives au bas-ventre, une fièvre élevée, des pertes
vaginales, des infections urinaires... Elles peuvent endommager
suffisamment les trompes pour entraîner la stérilité. Une autre
complication grave, c'est que, en cas de fécondation, si la trompe est
trop endommagée pour pousser l'oeuf vers l'utérus, il se produit alors
une grossesse ectopique (extra-utérine), la croissance du foetus dans
la trompe minuscule conduisant rapidement à son éclatement 21 .
Un autre risque associé au stérilet, c'est la perforation de l'utérus,
surtout pour les modèles en forme de sept (CU-7) ou de T (TCU-200). En
plus de causer douleurs et hémorragies, ils peuvent entraîner par
réaction la formation d'adhérences sur le col de l'utérus.
Le stérilet Dalkon Shield a d'ailleurs dû être retiré du marché, et le
manufacturier était encore, en 1987-1988, l'objet de poursuites de la
part de plus de 300 000 femmes nord-américaines ayant subi divers
problèmes de santé. Ces dommages allaient d'inflammations
pelviennes et d'avortements spontanés jusqu'à l'hystérectomie et la
stérilité. Une vingtaine de décès ont également été attribués à
l'utilisation de ce dispositif 22 .
Finalement, il faut considérer les risques associés à une grossesse
accidentelle (2 à 3%). La moitié de ces cas avorteront spontanément au
21 Jean-Robert Sanfaçon, "Histoire de stérilets. Bilan de dix années
d'utilisation", Le temps fou, no ll, septembre-octobre-novembre 1980, p.
6-34.
22 "Le stérilet Dalkon Shield: dommages de 2,5 milliards $ US", La
Presse, 12 décembre 1987, p. A11.
"2,4 milliards $ aux américaines. Les victimes canadiennes du
stérilet américain ne seront pas indemnisées", Le Devoir, 3 mai
1988, p. 10.
Page 63
Vivre au masculin
cours des trois premiers mois et il arrive que ces avortements soient
accompagnés de fièvre, un symptôme d'infection. Selon une étude
américaine sur les morts associées à un avortement spontané et
survenues entre 1972 et 1974, 46% correspondaient à 1 'utilisation d'un
stérilet. D'autre part les femmes qui deviennent enceintes malgré leur
stérilet devrait le faire enlever si elles décident de garder leur enfant,
car autrement le risque d'un accouchement prématuré est quatre fois
plus élevée 23 .
EXERCICE: Je prends ma pilule...
On s'illusionne donc grandement à s'imaginer que la contraception est
réglée simplement et efficacement par les méthodes actuelles. Dans ces
conditions, s'impliquer en contraception, c'est essentiellement investir dans
une meilleure qualité de nos rapports amoureux. Mais c'est aussi, pour
nous, l'occasion d'ouvrir un questionnement nouveau sur notre corps, notre
sexualité, notre désir d'enfant et notre paternité.
En effet, cette prise en charge a des retombées directes sur le désir et sur
l'intimité en devenant pour les partenaires le lieu d'une complicité
particulière.
Nous avons si rarement interrogé cet aspect. Or, il existait en 1983-1984, à
Québec et à Montréal, deux groupes de recherche et de réflexion sur la
contraception masculine. Ce qui ressort systématiquement de tels
échanges, c'est à quel point la contraception nous renvoie au coeur de notre
vécu sexuel. Pourquoi sommes-nous en général si mal à utiliser le
condom? Pourquoi nos petites "débandades" deviennent-elles si
dramatiques? Quelles sont nos peurs profondes vis-à-vis de la
vasectomie? Et tout est-il réglé si nous avons eu une vasectomie? Par
exemple, que faisons-nous si une partenaire nouvelle refuse de prendre un
risque sur notre "parole de vasectomisé"...? Pourquoi tenons-nous tant à la
pénétration? Que ressentons-nous devant la perspective d'un avortement?
Ce que réveille également la prise en charge de la contraception, c'est le
désir d'enfants, comme si nous commencions seulement à réaliser, par
cette responsabilité "nouvelle", qu'ils viennent aussi de nous.
23Jean-Robert Sanfaçon, "Histoire de stérilets. Bilan de dix années
d'utilisation", Le temps fou, no ll, septembre-octobre-novembre 1980, p.
6-34.
Page 64
Sexualité masculine
La prise en charge de la contraception ouvre donc des possibilités de
croissance et de transformations profondes. C'est dans la perspective
d'explorer ces avenues nouvelles que vous est proposé l'exercice suivant:
Nous sommes en l'an 2000...
Pour des raisons sociales et médicales, il n'est absolument plus possible
que les femmes prennent en charge la contraception. Vous devez assumer
la relève. Or, on ne dispose encore que des moyens suivants:
• condom;
• vasectomie;
• relations sexuelles non centrées sur la pénétration.
1. Quel est votre choix? Pourquoi?
2. Comment cela affecte-t-il votre sexualité?
3. Comment vous sentez-vous là-dedans?
4. Quelles sont vos satisfactions, vos insatisfactions? Ce renversement
affecte-t-il votre rapport avec votre partenaire?
5. De quelle façon?
6. Cela affecte-t-il la perception de votre corps?
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Vivre au masculin
Page 66
Paternité
UNITÉ lII:
PATERNITE
1. Introduction
2. La relation avec le père
- Exercice: Moi, mon père
- Par délà "l'absence du père", quel modèle?
- Une relation à reconstruire
- Exercice: Mon père est mort...
3. La relation avec les enfants
- Le désir d'enfant et la contraception
• Questionnaire (à domicile)
- L'expérience du quotidien
• Exercice: Mon enfant-étranger
- L'apprentissage de la transparence
• Exercice: Dis papa, qu'est-ce qu'il y a dans les testicules?
4. Synthèse
- Exercice: Portrait-synthèse
- Exercice: S'approprier notre changement
- Exercice: Notre croissance : une tâche collective
Page 67
Vivre au masculin
1. INTRODUCTION
Au coeur de notre interrogation sur la condition masculine et sur les
aliénations qui la caractérisent, le thème de la paternité tient une place
privilégiée. C'est en effet le lieu par excellence pour comprendre, à travers
le rapport que nous avons entretenu et que nous entretenons encore avec
notre père, comment nous avons été fabriqués dans un modèle d'homme
aussi déterminé.
Mais c'est surtout le lieu propice pour changer en profondeur la mentalité
actuelle des hommes. Le rapport avec les enfants, c'est en effet une voie
exceptionnellement riche pour l'apprentissage de la transparence et d'une
expression plus spontanée de nos émotions. C'est également la source de
motivations sans doute la plus positive pour nous déconditionner par
rapport au travail et pour assumer les tâches du quotidien d'une façon
égalitaire.
La paternité, cela signifie enfin une responsabilité et une implication plus
grandes vis-à-vis de la croissance et du développement de nos enfants.
Ainsi, pour que nos filles grandissent avec une image positive d'elles-
mêmes, dans le respect de leur intégrité et de leur sexualité, il faudra
certainement que, en tant que pères, nous transformions radicalement nos
propres attitudes devant la pornographie, le sexisme et la misogynie. Quant
à nos garçons, il nous faudra bien finir par prendre conscience du modèle
que nous représentons et de toute l'influence que nous exerçons sur eux,
même à travers notre silence et nos absences, qu'ils arrivent si rapidement
à imiter. En redécouvrant comment se fabrique leur virilité et comment
nous y contribuons: dans la compétition, dans la course à la réussite, dans
leurs attitudes devant la sexualité et les femmes, dans leur rapport avec
leur corps et avec leurs émotions... c'est nous-mêmes, en définitive, que
nous allons réapprendre à connaître. C'est en ce sens également que la
relation de paternité peut devenir pour nous un moyen privilégié de
croissance.
2. LA RELATION AVEC LE PERE
L'objectif de ce cours est de décrire différents types d'aliénation qui
caractérisent la condition masculine mais aussi, dans la mesure du
possible, d'identifier quelques-unes des causes de cette aliénation. Or,
l'une des plus importantes sans doute concerne la relation que les pères
entretiennent avec leurs fils. Pourtant l'impact de cette relation est le plus
souvent sous-estimé. La distance que nous avons prise vis-à-vis des
Page 68
Paternité
enfants nous déresponsabilise un peu facilement quant à leur
développement et la société fait plus volontiers le procès des mères, que la
présence continuelle auprès des enfants rend vulnérables aux analyses et
aux critiques des thérapeutes de toutes écoles. Et si nos silences et nos
absences étaient tout aussi déterminants de la façon dont se développent
nos enfants, en particulier nos fils? Une piste pour interroger cette relation
père-fils, c'est peut-être d'examiner d'abord celle que chacun de nous
avons vécue avec notre père.
EXERCICE: Moi, mon père
L'exercice suivant vise à reconstituer le portrait de votre père, tel que vous
l'avez perçu à travers votre expérience, en y juxtaposant le portrait que vous
avez actuellement de vous-même:
• Pour mon père, le travail était
• Devant les tâches ménagères, mon père
• Était-il souvent présent à la maison, avec les enfants?
• Faisait-il souvent des choses avec moi?
• Au plan de la tendresse et de l'affection envers les enfants, mon père
était
• Lorsque je pleurais ou que j'avais du chagrin, mon père
• Lorsqu'il avait de la peine, mon père
• Lorsqu'il était heureux, mon père
• Si on lui faisait une surprise ou un cadeau, il
Page 69
Vivre au masculin
• Devant leurs enfants, mon père et ma mère étaient
• Avec ma mère, me semblait-il amoureux?
• En face de la sexualité, mon père était
• Est-ce qu'il m'a déjà parlé de sexualité?
• Étais-je porté à me confier à mon père?
• Au plan de l'autorité, mon père
• Quand il était en colère, il
• Quand il me punissait, il
• Avec ses amis, mon père était
• Avec les autres hommes en général, mon père était
• A propos des femmes, mon père pensait
• La valeur la plus importante pour mon père était
• Mon père me disait souvent
• Dans la vie, mon père voulait que je
• Est-ce que j'avais l'impression qu'il m'acceptait comme j'étais ou qu'il
me voulait différent?
Page 70
Paternité
• La plus grande qualité de mon père, c'est
• Son plus grand défaut, c'est
• pour moi, le travail est
• en face des tâches ménagères, je
• suis-je souvent présent à la maison, avec mes enfants?
• Est-ce que je fais souvent des choses avec mes enfants?
• Au plan de la tendresse et de l'affection envers mes enfants, je suis
• Lorsque mon enfant pleure ou a du chagrin, je
• Lorsque j'ai de la peine, je
• Lorsque je suis heureux, je
• Si on me fait une surprise ou un cadeau, je
• Devant nos enfants, ma compagne et moi
• Suis-je amoureux, aux yeux de mes enfants?
• En face de la sexualité, je suis
Page 71
Vivre au masculin
• Est-ce que je parle de sexualité à mes enfants?
• Est-ce que mon enfant se confie à moi, parfois?
• Au plan de l'autorité, je
• Quand je suis en colère, je
• Quand je punis mon enfant, je
• Avec mes amis, je suis
• Avec les autres hommes en général, je suis
• A propos des femmes, je pense que
• La valeur la plus importante pour moi, c'est
• Je dis souvent à mon enfant
• Dans la vie, je voudrais que mon fils (ma fille) soit
• Est-ce que j'accepte mes enfants tels qu'ils sont ou si parfois je les
voudrais différents?
• Ma plus grande qualité, je crois que c'est
• Mon plus grand défaut, c'est
Page 72
Paternité
A partir de ces quelques énoncés, essayez de dégager, devant le groupe,
par quels traits vous vous identifiez à votre père et par lesquels vous vous
en distinguez.
Sur quels aspects de votre comportement votre père vous a-t-il surtout
influencé?
Pourtant, en dépit de cette influence, nous restons pour la plupart
profondément insatisfaits de la relation que nous avons vécue avec notre
père. C'est d'ailleurs un thème qui revient systématiquement dans les
groupes de rencontre, où l'on peut même entendre des hommes jusque
dans la soixantaine, qui ont eux-mêmes de grands enfants, exprimer
vivement cette insatisfaction. Ils n'ont jamais vraiment pu parler avec leur
père, déclarent-ils et ils désespèrent totalement que cela soit jamais
possible. Il semble donc essentiel, voire urgent, que nous scrutions cette
relation qui nous a si profondément marqués et qui est probablement la
cause la plus déterminante du type de rapport que nous avons à notre tour
avec nos enfants.
PAR DELA "L'ABSENCE DU PERE", QUEL MODELE?
On a souvent tendance à caractériser globalement cette relation en parlant
de "l'absence du père". Certes, les hommes ont été et sont encore
généralement absents du foyer, même si nous nous ingénions à justifier
cette absence en invoquant notre rôle de pourvoyeur. Néanmoins, la plupart
des hommes traduisent effectivement cette distance lorsqu'ils parlent de
leur père:
"Je ne sais pas grand chose de lui, parce qu'il était toujours en voyage."
24
"Je n'ai toujours pas de relation avec mon père, à cause de toutes ces
années d'enfance pendant lesquelles je n'ai pas vraiment eu de père: il
travaillait tout le temps, même tard le soir et les week-ends. Je ne le
voyais presque jamais." 25
24Hite, Shere Le rapport Hite sur les hommes. Paris, Laffont, 1983, p.
42.
Cette enquête, menée aux États-unis entre 1975 et 1979, rassemble les
témoignages de plus de 7 000 hommes de tout âge (14 à 97 ans) et
provenant de toutes les couches de la population.
25 Ibid., p. 49.
Page 73
Vivre au masculin
"Papa était toujours occupé. On le voyait beaucoup pendant les
vacances, un mois de camping, mais peu en dehors de cette période."
26
Pourtant cet aspect ne caractérise pas suffisamment, semble-t-il, toute la
complexité de la relation au père.
Comment expliquer en effet qu'en dépit de cette absence, l'image du père
prenne encore une telle place dans l'esprit de tant d'hommes adultes, au
point d'influencer leurs comportements et même certaines de leurs
décisions? Il faut donc chercher à comprendre, à travers ou par delà cette
absence, quel modèle de père a été érigé et quelle sorte de référence il est
devenu pour nous. Or ce qui ressort assez clairement des témoignages,
c'est qu'en plus de la distance ou de l'absence physique, il y avait surtout un
manque d'affection et de tendresse:
"[...] lorsqu'ils étaient enfants, très peu d'hommes se rappellent avoir
été tenus dans les bras ou câlinés par leur père, alors qu'ils se
rappellent très bien avoir été fessés ou punis." 27
"Je me rappelle que ma mère me prenait toujours par la main ou me
tenait dans ses bras. Je me sentais en sécurité. Après sa mort, j'ai
essayé d'obtenir la même chose de mon père, mais il en était devenu
complètement apathique." 28
"Il ne se montre jamais faible ni très ému. Je sais qu'il m'aime, mais je
voudrais que ce soit formulé de façon plus explicite. Nous n'avons pas
été très proches physiquement." 29
Les reproches que les femmes adressent souvent aux hommes quant à
leur faible implication vis-à-vis des enfants, apparaissent moins dénués de
sens quand on les retrouve ainsi, dans la bouche des hommes eux-mêmes,
pour exprimer leur besoin de tendresse physique de la part du père et leur
insatisfaction de n'en avoir pas suffisamment reçue. En autre aspect de la
relation au père, sans doute relié au trait précédent, concerne la difficulté à
s'exprimer sur une base émotive:
26 Ibid., p. 42.
27 Ibid., p. 44.
28 Ibid., p l5.
29 Ibid., p. 41.
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Paternité
"Je regarde mon père: comme il était renfermé. Il contrôlait ses
sentiments et exprimait rarement ses émotions. Très tôt, j'ai perçu
combien cela était difficile pour lui et les autres autour de lui, combien
cela m'a manqué." 30
"Mon père garde beaucoup de choses. Il est solitaire dans sa propre
famille." 31
"Il endurait les pires épreuves sans la moindre plainte... Quand maman
est décédée, il semblait en vouloir à ceux qui pleuraient devant lui aux
funérailles." 32
"Il était, et il est encore, incapable d'exprimer ses émotions, sauf quand
elles sont négatives, par exemple la colère, le cynisme, la frustration,
etc. Il n'a jamais fait un compliment, ni à moi, ni à personne et ne m'a
jamais rien dit de positif." 33
Les deux dernières caractéristiques _ peu d'expression de tendresse, peu
d'expression des émotions _ font que les garçons développeront peu de
complicité avec leur père, n'auront pas tendance à se confier à lui et à lui
parler des choses importantes de leur vie:
"Je n'ai jamais rien dit d'important à mon père." 34
"Je n'ai jamais été proche de mon père et je ne lui ai jamais parlé
vraiment des choses qui me préoccupaient." 35
"Dans mon enfance, nous ne parlions pas beaucoup [...] il ne m'a jamais
fait de compliments." 36
"La seule chose que je faisais avec lui, c'était du bricolage dans la
maison: je lui servais un peu de commis." 37
30 Témoignage, groupe de rencontre.
31 Hite, Shere, op. cit., p. 43.
32 Lemelin, Roger, ses frères et sa soeur, "Mon père est mort", La Presse,
11 octobre 1980, p. A6.
33 Hite, Shere, op. cit., p. 42.
34 Ibid., p. 44.
35 Ibid., p. 43.
36 Lemmelin, Roger, loc. cit., p. A6.
37 Hite, Shere, op. cit., p. 43.
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Vivre au masculin
Cette distance et ce manque de complicité sont d'autant moins surprenants
que, pour la plupart d'entre nous, l'image qui nous reste de notre père, c'est
aussi la figure d'autorité, rigide et disciplinaire, souvent génératrice de
culpabilité et parfois même de crainte:
"A mon avis, il n'a jamais, jamais fait de mal de sa vie. Il ne fume pas, ne
boit pas, mène une existence chrétienne et est un exemple pour les
autres [...] J'avais des problèmes pour lui parler parce que j'avais peur
de lui [...] Il était strict en matière de discipline [...] et j'ai toujours essayé
de ne pas avoir d'ennuis pour ne pas le décevoir." 38
"Je suis encore très en colère contre mon père. Il n'a jamais approuvé
la carrière que j'avais choisie. Il n'a jamais non plus semblé fier de moi
pour ce que je suis [...] Je pense qu'il a toujours essayé de me briser,
de briser mon idéalisme et de me faire admettre les réalités de la vie _
par exemple l'argent, les responsabilités, les hypothèques, la vie de
famille." 39
"Il a eu envers moi une attitude très autocratique, tyrannique même [...]
Je le respectais, mais j'avais surtout peur de lui, de ses éclats." 40
"Dans la plupart de mes souvenirs, figurent des punitions infligées par
mon père. Son fort, c'était l'humiliation." 41
"Il me semblait que les seuls moments où il me parlait, c'est quand il
criait après moi." 42
"Comme j'allais faire l'amour pour la première fois, je me suis mis à
penser à mon père. Dans ma tête, j'avais peur de ses réactions, de sa
colère, de ce qu'il penserait de moi s'il le savait. Et pourtant, j'avais plus
de vingt ans, je ne restais plus chez lui et je ne dépendais plus de lui."
43
Cette attitude d'autorité, nous l'avons intégrée à notre tour, par
identification, et elle détermine maintenant le type de relation que nous
entretenons le plus souvent avec les femmes, avec les enfants et même
38 Ibid., p. 46.
39 Ibid., p. 48.
40 Ibid., p. 47.
41 Ibid., p. 44.
42 Ibid., p. 43.
43 Témoignage, groupe de rencontre
Page 76
Paternité
avec les autres hommes: des rapports paternalistes, inégalitaires, en fait,
des rapports de pouvoir!
UNE RELATION A RECONSTRUIRE
Ce portrait est cependant loin d'être exhaustif. Bien sûr, il fait surtout
ressortir les aspects négatifs, puisque nous nous intéressons justement ici
à la relation avec le PÈRE en tant que cause déterminante de certaines de
nos aliénations: esprit de compétition, attitudes d'autorité, inhibition des
émotions, manque de tendresse, mépris du quotidien...
Ce constat n'est cependant pas facile à faire. D'une part, même si nous
avons déjà osé quelques affrontements, nous éprouvons toujours beaucoup
de culpabilité à questionner l'image paternelle. Il est, par exemple, fréquent
d'entendre, dans les groupes de rencontre, des hommes qui, dans un
premier temps, vont exprimer beaucoup d'insatisfaction, voire de rancoeur
vis-à-vis de leur père et qui vont, aussitôt après, exprimer, en guise
d'excuse, leur admiration pour sa probité, son sens de l'honneur, son ardeur
au travail... bref, des qualités qui en faisaient justement l'espèce de figure
froide et inaccessible qu'ils déploraient. Cette culpabilité que nous
éprouvons à critiquer l'image du père révèle assez bien toute l'autorité qui
se dégage de cette relation!
D'autre part, cette interrogation nous renvoie rapidement à nous-mêmes.
Nous nous reconnaissons dans notre père et ce que nous lui reprochons,
nous le reproduisons souvent nous-mêmes. Nous reconnaissons
également sa marque dans des aspects de notre personnalité qui diffèrent
de la sienne, mais que nous avons développé en nous opposant à lui. En
effet, ce que nous sommes aujourd'hui a été déterminé en partie par les
rapports que nous avons eus avec les autres et, surtout, pour nous les
hommes, avec notre père. Mais nous savons aussi que nous ne pourrons
pas rejeter complètement sur lui toutes nos façons d'être. En particulier,
combien d'hommes adultes, s'estimant insatisfaits de leur relation avec leur
père, ont pris conscience de leur propre distance vis-à-vis de lui, de leur
propre hermétisme, de leur propre refus à s'ouvrir? Combien
n'entretiennent pas justement, à son endroit, la même attitude de silence et
d'isolement qu'ils lui reprochent à leur égard? Ce que nous devrions peut-
être commencer par nous avouer à nous-mêmes, c'est toute la vulnérabilité
qu'impliquent une ouverture et une disponibilité émotives plus grandes.
Sommes-nous prêts nous-mêmes à cette ouverture?
En effet, dans nos attentes à l'égard de notre père, nous voudrions
maintenant qu'il soit le seul à changer. Nous avons oublié que nous étions
Page 77
Vivre au masculin
un pôle actif de cette relation et qu'il faut accepter de changer nous-mêmes
pour que la relation, comme un tout, change elle aussi. Cette attitude est
même nécessaire si nous ne voulons pas que notre démarche face à lui
tourne simplement en accusation. Il ne s'agit pas, dans une espèce de
vengeance, de retourner contre notre père les mécanismes de
culpabilisation qu'il a pu utiliser à notre endroit. S'il nous faut identifier la
relation telle qu'elle a été et telle qu'elle est encore, dans sa pauvreté
affective, ce n'est pas surtout pour accabler, mais pour mieux nommer le
changement que nous voudrions produire. C'est donc 1e une démarche
constructive! Il ne s'agit pas de condamner notre père, puisqu'il a été lui-
même comme nous, le produit d'un système qui l'a ainsi fabriqué. Ce que
nous voulons, c'est changer la relation pour qu'il soit possible de nous
retrouver avec tendresse et de parler enfin de choses qui nous
préoccupent: pour nous, par exemple, nos enfants, pour lui, peut-être, sa
vieillesse... On veut ensemble se transformer pour se rencontrer enfin!
D'ailleurs, si nous ne déployons pas nous-mêmes de sérieux efforts pour
transformer la relation qui a justement contribué le plus à nous fabriquer
tels que nous sommes, comment pouvons-nous espérer changer
réellement notre propre rapport avec nos enfants?
Et si le jeu n'en valait pas la chandelle, si cela ne donnait rien? Cette
ouverture aura néanmoins contribué à expliciter nos propres attentes vis-à-
vis de notre père. Elle nous rendra alors, à partir de nos propres besoins,
plus disponibles et plus attentifs aux attentes et aux espoirs de nos enfants
à notre égard. En ce sens, cette démarche de croissance ne peut être
perdante!
Mais alors, par où commencer pour modifier la relation que nous avons
actuellement avec notre père? Et, surtout, où trouver la confiance qu'une
telle démarche peut réussir? La réponse, c'est essentiellement: en nous-
mêmes! Nous éprouvons tous, en tant qu'hommes, les mêmes frustrations
vis-à-vis de cette relation. C'est cela qu'il faut laisser s'exprimer. Quelles
ont été les expériences qui ont engendré cette insatisfaction? Nos attentes
n'ont pas vraiment changé, elles sont toujours les mêmes, ce sont celles-là
qu'il faut retourner chercher jusque dans notre enfance:
"Dans un de mes rêves, je me suis retrouvé enfant à l'âge de cinq ou six
ans. Je me revoyais, assis sur la banquette de l'automobile, aux côtés
de mon père. Il m'apparaissait si grand et si fort; moi, j'étais tout petit,
en culottes courtes, les pieds balançant dans le vide. Il m'amenait
souvent avec lui et je me sentais bien. Nous ne parlions pas beaucoup,
mais je suis certain que nous nous comprenions, lui et moi.
Page 78
Paternité
Ce rêve du passé représente bien la relation avec mon père. Le silence
entre nous s'est développé à deux et il s'est perpétué aussi à deux.
Aujourd'hui, mon père est mort et j'ai vraiment le sentiment qu'il me
manque. J'aimerais tant qu'il soit encore présent seulement un an, un
mois, un jour même, pour pouvoir être vraiment en rapport avec lui, pour
pouvoir partager mes sentiments et mes émotions, pour pouvoir me
rapprocher et lui dire, malgré nos différences et nos valeurs, mon
amour et le besoin que j'ai de lui." 44
EXERCICE: Mon père est mort...
Dans ce témoignage, le rêve d'une relation différente, faite d'une proximité
plus grande et d'une communication plus chaleureuse, contraste avec la
réalité brutale: la mort du père et son absence définitive. Dans les groupes
de rencontre, on retrouve parfois la même émotion exprimée chez d'autres
hommes qui ont entrepris une démarche de croissance au plan de leur
condition masculine, mais dont le père est décédé. Presque toujours, il leur
semble qu'ils auraient maintenant tellement de choses à lui dire, tellement
d'événements vécus à démêler ensemble, tellement de tendresse à
rattraper... Mais faudra-t-il attendre que cela arrive pour regretter nous
aussi de n'avoir pas fait de premiers pas, pour n'avoir pas ouvert de
portes?!
Si vous pouviez enfin parler avec votre père, de la façon que vous le désirez,
comment lui diriez-vous ce que vous voudriez vivre avec lui et aussi ce que
vous ne voulez plus vivre avec lui? Quels événements en particulier vous
ont éloigné de lui et de quelle façon cette distance s'est-elle installée entre
vous? Dans cet exercice, nous vous demandons, à tour de rôle, d'imaginer
que votre père est décédé brusquement, avant que vous ayez pu vous
décider à lui parler de tout cela. Il n'est plus là, il ne sera plus jamais là et
vous constatez tout le temps que vous avez perdu. Si seulement vous
pouviez revenir en arrière, même pour un seul jour de plus, que lui diriez-
vous?
3. LA RELATION AVEC LES ENFANTS
Envisager la mort de notre père peut donc nous amener à considérer avec
plus d'urgence et peut-être plus de détermination aussi, la possibilité de
transformer et d'enrichir la relation que nous avons eue avec lui. Dans notre
44 Donald Millaire, témoignage.
Page 79
Vivre au masculin
relation avec les enfants, c'est leur départ, à la fin de l'adolescence, qui
entraîne parfois ce genre de sentiment. Dans les groupes d'échange, il
arrive en effet que des hommes expriment un véritable désarroi en
constatant que partent déjà, pour faire leur vie, ces "enfants étrangers"
qu'ils n'ont jamais vraiment pris le temps de connaître. Pour ceux qui l'ont
ainsi vécue, cette expérience traduit assez bien notre aliénation vis-à-vis
des enfants. En effet, on peut se demander ce que nous savons de nos
propres enfants. Que sont-ils à nos yeux? Quelle place tiennent-ils dans
notre vie? Les avons-nous même désirés?
LE DÉSIR D'ENFANT ET LA CONTRACEPTION
Le fait que nous ayons désiré ou non nos enfants, que nous ayons été
indifférents ou non à leur venue, influence évidemment la relation que nous
allons pouvoir établir par la suite avec eux. Mais nous sommes en général
tellement étrangers quant à tout ce qui concerne les enfants, que nous
n'avons même pas une perception très claire de ce désir. Est-il simplement
éteint? L'avons-nous même déjà éprouvé?
Certaines données, comme celles qui existent sur les familles
monoparentales ou encore sur la perception des pensions alimentaires,
soulèvent de sérieux doutes quant à notre goût réel d'avoir des enfants et
même de vivre avec des enfants. Ainsi, au Québec, la garde des enfants est
confiée dans 75,6% des cas à la mère, tandis que seulement 13,4% des
pères obtiennent ce droit. Par ailleurs, le concept de garde partagée n'est
encore le fait que d'une minorité 45 . Cela confirme le rôle traditionnellement
attribué aux femmes quant à l'éducation des enfants, mais également que
nous n'avons pas tellement envie d'assumer ces tâches nous-mêmes. En
effet, la moitié des pères ne réclament jamais la garde des enfants, ni à la
rupture, ni plus tard 46 . Bien sur, quelques hommes commencent à en faire
la demande, mais le phénomène reste encore marginal, sans compter que
cette pratique nouvelle correspond autant à une façon de contester la
rupture conjugale qu'à un désir réel de vivre avec les enfants 47 . Quant aux
pensions alimentaires, dont le paiement a pourtant été ordonné par le
Tribunal, elles ne sont, dans les faits, pas toutes versées.
45 Dandurand, Renée B. et Lise Saint-Jean. Des mères sans alliance.
Monoparentalité et désunions conjugales, Québec, Institut québécois de
recherche sur la culture, 1988, p. 190.
46 Ibid., p. 235.
47 Ibid., p. 235.
Page 80
Paternité
"Toutes les études empiriques existantes indiquent un taux de défaut
de plus de 50% et la Commission de réforme du droit du Canada estime
que le taux réel atteint 75%." 48
Il faut ajouter à cela une proportion élevée de paiements irréguliers ou en
retard, et le fait "qu'un nombre considérable de pères (d'un quart à un tiers)
ne paient jamais rien." 49 Finalement, parmi ceux qui ont un droit de visite
accordé officiellement par la cour, 30% d'entre eux n'exercent jamais, ou à
peu près jamais, ce privilège pour voir leurs enfants 50 .
Certains hommes ne voient donc, dans la présence des enfants, qu'une
charge financière de plus dont ils essaient d'ailleurs de se débarrasser
dans les situations de rupture et de divorce.
Quelques témoignages de femmes qui se sont faits avorter sont également
révélateurs à ce sujet. Il arrive en effet que, devant une grossesse, des
femmes sont menacées d'une rupture par leur ami si elles décident de
garder l'enfant et elles sont alors confrontées à la perspective d'élever
seules cet enfant, dans des conditions sociales et financières difficiles. En
ce sens, il faudrait aussi commencer dire dans le débat public sur
l'avortement que, en dépit de tout le blâme qu'on fait porter aux femmes, il y
a bien des refus d'enfant qui proviennent en réalité des hommes. Or, si
nous désirons si peu avoir des enfants, comment se fait-il que nous en
ayons quand même? De fait, les raisons que nous invoquons sont souvent
extérieures à nous. Pour certains, c'est surtout le résultat de pressions
sociales ou familiales: "Mes parents veulent tellement avoir des petits-
enfants et puisqu'on est marié, qu'on est en couple, il faut bien faire des
enfants, c'est comme si cela allait de soi!" Pour d'autres, il s'agit de
l'illusion de "cimenter" une relation qui se dégrade ou, plus souvent, pour
l'homme, de garantir par là une présence fidèle et assidue de "sa" femme
au foyer. Certains hommes pensent même trouver là un moyen de "faire
leurs preuves" et de rendre compte ainsi de leur virilité. D'autres,
finalement, y recherchent un moyen de réalisation de soi à travers l'enfant à
venir. Ils souhaitent que ce dernier devienne ce qu'ils auraient au fond
désiré être eux-mêmes. Quoi qu'il en soit, pour la plupart des hommes, le
choix n'est pas venu d'eux, et c'est le plus souvent leur compagne qui a pris
la décision: "C'est elle qui en voulait, alors on en a eu..."
48 Finnbogason, Eve et Monica Townson. Avantages et rentabilité d'un
registre central des ordonnances de pension alimentaire et de garde
d'enfant, Ottawa, Condition féminine Canada, 1985, p. 26.
49 Dandurand, Renée B. et Lise Saint-Jean, op. cit., p. 201.
50 Ibid., p. 204.
Page 81
Vivre au masculin
QUESTIONNAIRE (à compléter à domicile)
Notre désir d'avoir des enfants est donc en général bien faiblement
enraciné. Cet aspect est d'ailleurs relié à d'autres composantes du vécu
masculin, comme par exemple nos attitudes vis-à-vis de la contraception.
En effet, cette irresponsabilité, si typiquement masculine, en dit beaucoup
sur l'attachement réel des hommes face aux enfants et sur leur goût _ ou
non _ d'en avoir. Ces attitudes constituent donc une bonne occasion pour
vous de vous interroger sur votre relation de paternité et sur votre réel désir
d'enfant:
1. Avez-vous le goût de vivre avec des enfants? Est-ce là une dimension
importante dans votre vie?
2. Au total, quelle proportion de votre temps consacrez-vous en activités
ou en relation avec vos enfants?
3. Quelles ont été pour vous les raisons d'avoir des enfants (normes
sociales, pressions familiales, désir (de réalisation à travers l'enfant...)?
4. Qui, dans votre couple, a pris la décision concrète d'avoir des enfants?
5. Comment et par qui, dans votre couple, est assumée la question de la
contraception?
6. Cette question constitue-t-elle une préoccupation importante dans votre
sexualité et votre vie amoureuse?
7. Parlez-vous facilement de sexualité avec vos enfants? Pourquoi?
Comment réagissez-vous lorsque vos enfants vous posent des
questions à ce sujet?
8. Avez-vous, en particulier, déjà parlé de contraception avec votre fils ou
votre fille? Si non, pourquoi?
9. Si vous n'étiez pas en relation de couple, auriez-vous eu, par vous-
mêmes, suffisamment le goût d'un enfant pour entreprendre des
démarches d'adoption?
10. Advenant une séparation, comment envisagez-vous la garde de vos
enfants? Cet événement affecterait-il beaucoup le rapport que vous
avez présentement avec eux?
Page 82
Paternité
11. Si vous ne désirez pas d'enfants et que votre partenaire n'utilise pas de
méthodes contraceptives, que faites-vous?
En cas de grossesse, que ferez-vous?
12. En supposant que vous ne vouliez plus d'autres enfants, envisageriez-
vous une vasectomie? Pourquoi?
13. Dans votre conception de la paternité, l'aspect biologique est-il
important? Autrement dit, est-il essentiel, dans cette relation, que
l'enfant vienne vraiment de vous?
Votre réponse à cette question est-elle reliée à votre attitude à l'égard
de la vasectomie?
14. Votre compagne a-t-elle déjà subi un avortement? Si oui, avez-vous,
d'une façon ou d'une autre, exercé une influence sur sa décision?
Quant à vous, auriez-vous eu le goût de cet enfant?
Dans l'affirmative, pensez-vous que votre compagne se serait quand
même fait avorter?
Ces questions montrent que la contraception comporte bien plus qu'un
simple aspect technique. Celle-ci reste, en effet, profondément reliée à la
question de la paternité et c'est peut-être par là, d'abord, qu'on se perçoit,
ou non, comme père. Or c'est peut-être justement parce que nous nous
percevons si peu comme des pères, que nous ressentons si peu de
responsabilité à l'égard de notre possibilité d'engendrer et de la
contraception. Pourtant, notre identité sexuelle reste en bonne partie
fondée sur cette capacité de reproduction. La prendre en charge à travers
la contraception, c'est donc assumer profondément notre identité sexuelle
et, aussi, nous identifier comme pères potentiels.
Les conséquences de cette attitude ne concernent cependant pas
seulement notre désir d'enfant, mais aussi le type de rapport que nous
réussissons à établir avec eux. Pourquoi, par exemple, participons-nous si
peu à l'éducation sexuelle de nos enfants? Parmi tous les silences du père,
en voilà certainement un notoire! Or, d'avoir si peu d'identité sur cet aspect
de notre sexualité, de nous percevoir comme si étrangers, si peu engagés à
l'égard de la conception, a pour effet, bien sûr, que nous ne trouvons pas
grand chose à dire à nos enfants à propos de leur corps ou de leur
sexualité. Que puis-je répondre à mon enfant qui demande ce qu'il y a dans
mes testicules? En quel sens pourrais-je lui dire qu'il vient aussi de mon
ventre à moi et de mon désir de lui? Pourtant, par notre consommation
intensive de pornographie et par l'attitude que nous avons habituellement
vis-à-vis des femmes, nous donnons, en général, l'impression d'être
tellement préoccupés de sexualité. N'est-il pas étrange alors que nous
Page 83
Vivre au masculin
trouvions si peu de choses à dire à nos enfants à ce propos? Notre silence
là-dessus, c'est le résultat d'une étrangeté, d'une aliénation profonde, vis-à-
vis de notre propre corps et de notre identité sexuelle!
L'EXPÉRIENCE DU QUOTIDIEN
Mais comment se fait-il, ainsi qu'en témoignent nos attitudes vis-à-vis de la
contraception, que nous n'ayons pas plus le goût d'avoir des enfants, de
vivre avec des enfants, d'être en rapport avec des enfants? Bien sûr, il y a
toute la question des rôles: non seulement la société, par le biais de ses
institutions, ne voit aucune nécessité à notre présence auprès des enfants
et ne nous fabrique donc pas en conséquence, mais elle est peut-être
même opposée à ce que nous remplissions ce rôle, dans la mesure où un
changement de ce genre pourrait affecter par exemple la production et
compromettre alors certains intérêts socio-économiques.
L'industrialisation requérait en effet la présence continue d'ouvriers à
l'usine et se serait mal accommodée de pères trop préoccupés par leurs
enfants.
Mais, il y a aussi le fait que nous y trouvons chacun notre compte: à ne pas
nous occuper des enfants, nous avons plus de temps à investir dans le
travail, avec toute la valorisation sociale et les avantages financiers que
nous en retirons. En effet:
"Si, en tant qu'hommes, nous nous confinons le plus souvent à un rôle
de pourvoyeur [...], c'est que nous l'avons choisi et que nous y avons
trouvé des bénéfices substantiels et non que nous sommes condamnés
à ce rôle à cause des exigences et des obligations de la maternité." 51
Il y a finalement cette raison toute simple: nous ne savons pas vraiment ce
que cela signifie être en rapport avec des enfants. Tout notre
conditionnement de mâle nous fabrique étrangers à cette dimension. En
effet, les enfants sont systématiquement absents, sinon exclus, du monde
des hommes: absents dans le monde du travail, absent dans nos rapports
de compétition et d'affrontement... et même absents de notre sexualité,
comme on l'a fait ressortir plus haut, à propos de la contraception!
Or cette absence, cette étrangeté, cette ignorance des hommes vis-à-vis
des enfants, c'est dans le quotidien, jour après jour, qu'elle se met en place.
51De Fontenay, Hervé, "La paternité: le quotidien intime" dans Hervé de
Fontenay, La certitude d'être mâle?, Montréal, éditions Jean Basile,
1980, p. 180.
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Paternité
Ce n'est donc qu'à travers le quotidien, qu'elle pourrait être transformée et
qu'un rapport nouveau pourrait se construire.
Pour les hommes, cependant, le quotidien n'est jamais autre chose qu'un
ensemble de tâches fastidieuses: faire la vaisselle, les repas, le ménage,
s'occuper des enfants, les soigner, les habiller, les "surveiller"... Nous
avons, en outre, tellement méprisé et dévalorisé ces activités, qu'il est
difficile d'y voir autre chose que des tâches de second plan, des tâches de
serviteurs ou de domestiques, des tâches de soumission! Nous opérons
d'ailleurs exactement le même découpage, la même discrimination dans la
division du travail social, en restreignant plus ou moins les femmes à des
emplois de services, souvent rattachées à la garde des enfants et qui
reflètent essentiellement leur rôle maternel. Ainsi, au Québec:
"Trois femmes sur quatre sur le marché du travail se retrouvent dans le
secteur tertiaire (...). Près de 60% des emplois dans les domaines
financiers et les services sont occupés par des femmes." 52
"Plus de 60 000 femmes du Québec exercent un travail à domicile
déclaré. A leur domicile ou dans un autre foyer, elles sont domestiques,
gardiennes d'enfants, personnes d'entretien, couturières." 53
"En 1985-1986, les femmes constituent 99,4% du personnel enseignant
au préscolaire, 84,1% au primaire, 37,9% au secondaire, 31,4% au
collégial, 19,4% dans les constituantes de l'Université du Québec." 54
En 1981, 80% de toutes les femmes professionnelles sont des
infirmières. 55
En 1981, 98% des spécialistes en diététique sont des femmes. 56
Sur le marché du travail, on retrouve en conséquence la même
dévalorisation des tâches féminines, qui se traduit par le fait que ces
emplois sont moins bien rémunérés que le travail masculin, que les
conditions de travail y sont moins avantageuses et que le taux de
52 Secrétariat à la condition féminine. La situation économique des
Québécoises, Québec, Gouvernement du Québec, 1985, p. 12
53 Ibid., p. 15.
54 Nicole Prévaut et col. Les femmes sur le chemin du Pouvoir, Conseil du
statut de la femme, Québec, Éditeur: Les publications du Québec, 1988,
p. 11.
55 Lachance, Lise, "Corporations professionnelles: Mais où sont les
femmes?", Le Soleil, 30 juin 1981, p. A7.
56 Ibid.
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Vivre au masculin
syndicalisation y est plus faible 57 . Et on retrouve également le même
mépris de la part des collègues masculins qui attendent et réclament
toujours des femmes, au travail comme à la maison, les mêmes tâches
ménagères, le même type de services.
Bref, nous nous sommes débarrassés, sur le dos des femmes, de toute la
sphère des activités domestiques. Or, c'est justement dans ce mépris du
quotidien que nous avons perdu le rapport avec les enfants. En effet, en
nous retirant du quotidien, nous n'avons plus eu avec eux qu'une relation
indirecte, par le biais de leur mère, une relation "par procuration":
"Je me rappelle de la difficulté de trouver un espace... ma maladresse
face aux besoins de mes fils et surtout mon confinement à un rôle de
pourvoyeur... Quoi que je fasse, je restais à la périphérie de cette entité
mère/enfant. Aux urgences, aux signes, aux appels, la mère en elle
précédait toujours d'un petit peu le père en moi comme si mon écoute
n'était pas assez fine, ma disponibilité, pas aussi généreuse. Au début,
je ne savais pas ce que signifiait la paternité. Je vivais quelque chose
entre ma femme et moi; ma relation avec mon enfant existait à peine.
J'avais tendance à confondre "ma" paternité avec "sa" maternité". 58
Évidement, à n'être pas là pour entendre les besoins des enfants au
moment même où ils se manifestent, à n'avoir jamais eu à y répondre, nous
n'avons pas non plus appris à percevoir ces besoins, à reconnaître leur
expression diverse, à les sentir, à les prévoir même. Ce n'est pas pour rien
que nous sommes en retard sur la mère et il n'est pas surprenant qu'elle ait
"l'écoute plus fine", que sa sensibilité soit plus grande, "aux urgences, aux
signes, aux appels" des enfants. Absents comme nous l'étions, nous
n'avons pas vu non plus l'évolution de nos enfants, ni leur développement, ni
leurs progrès, ni leur autonomie. La croissance, ça ne se fait pas
seulement les fins de semaine! En refusant ces tâches, nous avons évacué
du même coup toute la connaissance de l'enfant qui se construit et qui ne
peut se construire, jour après jour, que dans le quotidien!
Cette "ignorance en profondeur" de notre enfant, de ce qu'il est devenu,
petit à petit, de la façon dont il s'est fabriqué comme personne, de ses
goûts, de ses rêves, de ses projets, de ses craintes, de ses inquiétudes, de
ses préoccupations... bref, tout ce que nous n'avons pas vu se construire de
lui _ et qui aurait pu devenir objet de complicité entre nous et lui _ voilà
57 Secrétariat à la condition féminine. La situation économique des
Québécoises, Québec, Gouvernement du Québec, 1985, p. 14.
58 De Fontenay, Hervé, op, cit., p. 178.
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Paternité
certainement ce qui constitue la composante la plus dramatique et la plus
désolante de notre aliénation vis-à-vis des enfants!
EXERCICE: Mon enfant-étranger
Mais comment être en relation avec nos enfants autrement que "par
procuration", comment refaire connaissance avec ce qu'ils sont?
L'exercice suivant constitue justement un outil pour interroger ce que vous
savez ou ce que vous ne savez pas de votre enfant.
Dans un premier temps, utilisez ces questions (et d'autres qui vous viennent
peut-être à l'esprit) afin de dresser pour vous-même un portrait aussi
complet que possible de votre enfant. Bien sûr, ces questions sont
incomplètes et restent simplement des illustrations de ce que l'on peut
arriver à connaître d'un enfant.
En groupe, reprenez ensuite chacun des thèmes en vous demandant à partir
de quel moment et de quelle façon, vous avez l'impression d'avoir perdu
contact avec tel ou tel aspect de votre enfant. Examinez surtout comment, à
travers le quotidien, vous pourriez renouer avec lui, refaire connaissance?
Son corps, sa santé, sa sexualité
• Connaissez-vous bien le corps de votre enfant? Par exemple,
• Savez-vous quelle est sa taille, combien il habille, combien il chausse
de pointure?
• Pourriez-vous lui acheter des vêtements sans qu'il soit là?
• Vous êtes-vous déjà occupé de son hygiène, de sa toilette? Savez-vous,
par exemple:
• avec quelle fréquence il prend son bain?
• ses dents sont-elles saines? S'il a déjà eu des caries?
• Connaissez-vous ses habitudes alimentaires? Ses mets préférés? Les
aliments dont il abuse? Ceux qui seraient nécessaires à sa croissance,
mais qu'il n'aime pas tellement?
• Se couche-t-il facilement? A-t-il de la difficulté à s'endormir?
• Quelles maladies a-t-il déjà eues?
• A-t-il déjà été vacciné? Opéré?
• A quoi est-il plus vulnérable (grippe, toux, otite, allergie...)?
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Vivre au masculin
• Savez-vous ce qu'il faut faire si cela arrive (s'il tousse la nuit, par
exemple...)?
• Pouvez-vous déceler s'il est sur le point de faire une grippe, par
exemple, ou une autre de ces maladies?
• Où en est-il physiquement dans son développement sexuel?
• Quelles sont ses interrogations sur la sexualité?
• Quelles connaissances êtes-vous certain qu'il possède au moins à ce
sujet?
Ses connaissances, ses apprentissages, ses habiletés
• Que savez-vous de ce que sait votre enfant?
• Sur le monde en général, la terre, les astres, la température, la vie, les
plantes, les animaux...?
• Vous a-t-il déjà posé des questions sur ces sujets?
• Que comprend-il, d'après vous, des rapports sociaux, du
gouvernement, des grèves, des élections, des différents pays, de la
pauvreté, de la guerre...?
• Que savez-vous de son apprentissage scolaire?
• L'aidez-vous souvent dans ses devoirs?
• Quelles sont ses forces, ses faiblesses?
• Comment est son français parlé? écrit? Quelle idée avez-vous de
son vocabulaire?
• A-t-il des facilités ou des difficultés en mathématiques?
• Connaissez-vous ses activités spontanées, les jeux qu'il préfère?
Connaissez-vous ses émissions favorites, ses livres préférés?
• Quelles sont ses habiletés, ses "talents" particuliers?
• A-t-il des intérêts au plan artistique?
• Est-il expressif?
• Aime-t-il vous faire des spectacles?
• Dessine-t-il beaucoup? Avez-vous déjà remarqué une évolution dans
ses dessins?
• Savez-vous s'il a déjà rêvé de faire de la musique, de la danse?
L'aidez-vous à développer sa curiosité en ce domaine?
• Quelles sont ses habiletés au plan physique ou sportif?
• Vous a-t-il déjà parlé de ce qu'il aimerait devenir?
Son caractère, ses émotions, sa sensibilité
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Paternité
• A-t-il beaucoup d'autonomie? A quoi le voyez-vous?
• Est-il sûr de lui? Craintif? Audacieux? Timide?
• Accepte-t-il facilement de perdre? Est-il rancunier? Joyeux? Agressif?
Conciliant?
• Pleure-t-il facilement? Se confie-t-il souvent à vous?
• Que faites-vous pour le consoler, par exemple, s'il a été humilié? Et s'il
a un conflit avec ses amis(e)s?
• Est-il sensible aux émotions des autres?
• Est-ce que la mort le bouleverse?
• Savez-vous quelles sont ses-principales inquiétudes? Ses
préoccupations? Ses craintes?
• Parlez-vous parfois avec lui de ses rêves ou de ses cauchemars?
• Est-il sensible à son apparence? A celle des autres?
• Connaissez-vous ses goûts, ses préférences (couleurs, vêtements,
jeux, activités...)?
Ses rapports avec les autres
• Entre-t-il facilement en contact avec les autres enfants? Et avec les
adultes?
• A-t-il de la facilité à se faire des amis(e)s?
• Comment réagit-il à l'autorité?
• Est-il facilement soumis?
• Aime-t-il commander lui-même?
• Entre-t-il facilement en compétition?
• Sait-il se défendre quand il est agressé?
• Est-ce qu'il est porté à s'isoler?
• A-t-il de la difficulté à s'amuser seul, quand il n'y a pas d'ami(e)s?
• Exprime-t-il facilement son amitié? Sa tendresse?
• A-t-il déjà été amoureux?
• Avez-vous déjà parlé de ce sentiment avec lui?
En faisant ressortir tout ce dont nous nous sommes coupés et toute
l'ignorance que nous avons développée vis-à-vis de nos enfants, par notre
absence du quotidien, cet exercice éclaire du même coup un autre aspect
important de l'aliénation masculine: notre rapport avec la vie! Comment en
effet peut-on apprendre à aimer profondément la vie, à la respecter et à
vouloir la défendre, si ce n'est à travers l'expérience de faire "survivre"
quelque chose, si ce n'est en essayant de protéger soi-même un peu de vie?
On apprend que la vie est fragile et qu'elle a besoin d'être soutenu, lorsqu'on
s'occupe par exemple des plantes dont il faut surveiller l'humidité et
l'éclairage, ou qu'on élève des animaux qu'il faut nourrir et soigner quand ils
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Vivre au masculin
sont malades. Or combien plus profond encore est le sens de la vie qui se
développe au contact de l'enfant et de sa croissance? C'est cependant là
une expérience qui a surtout été dévolue aux femmes et dont nous nous
sommes volontiers débarrassés. On pourrait alors se demander s'il n'y a
pas un lien entre ce rapport intime et fondamental qui nous manque vis-à-vis
de la vie, et le fait que ce sont surtout des hommes qui font la chasse et la
guerre, qui sont responsables des crimes de violence et qui s'affrontent
dans les sports de combat. On pourrait également se demander si notre
plus grande facilité, par rapport aux femmes, de recourir à la violence,
d'infliger de la souffrance, de blesser, de torturer et même de tuer ne vient
pas justement du fait que nous sommes, dans notre expérience
quotidienne, tellement moins habitués à supporter la vie, à la soutenir. Une
autre illustration de notre distance par rapport à la vie, c'est peut-être ce
témoignage, rapporté lors d'une rencontre de groupe:
"Lorsque mon grand-père était sur le point de mourir, ses quatre filles
étaient auprès de lui, à le soigner, à lui toucher, à lui parler... Par contre,
aucun de ses quatre fils n'a voulu être présent. Voir mourir leur père
constituait une expérience émotive qu'ils ne semblaient pas être
capables d'affronter, même si leur père pouvait avoir besoin de ce
support affectif aux derniers moments." 59
Pas étonnant alors que nous nous hâtions de placer les personnes âgées
en institutions. Inaptes à soutenir au seuil de la mort celles qui nous sont
proches, nous sommes tout aussi inaptes à soutenir nos enfants au seuil de
la vie. Irresponsables vis-à-vis de la conception comme de la contraception,
nous y voyons pour nous un rôle secondaire et même accessoire. Pourtant
la grossesse et la naissance ne représentent-elles pas des moments
privilégiés de contact à la vie, où se définit en partie la nature de la relation
avec l'enfant, ainsi que le rôle que l'on consent à y jouer. Or laisser
gambader notre imagination sur l'enfant à venir, rêver de lui, réfléchir sur le
sens de sa venue dans notre vie, non plus seulement sur notre rôle de
pourvoyeur mais bien plus sur la place que nous voulons occuper dans sa
vie, c'est l'accueillir dans notre tête et dans notre coeur. Devenir sensibles
aux transformations qui se produisent à l'approche d'une naissance, c'est
également être sensibles à tout le processus de la vie, à sa fragilité comme
à sa puissance. Mais nous avons été si longtemps éloignés de la vie!
Commencer à prendre un peu plus en charge nos enfants dans le quotidien,
ne pourrait pas contribuer à nous en rapprocher un peu?
L'APPRENTISSAGE DE LA TRANSPARENCE
59 Témoignage, groupe de rencontre.
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Paternité
A nous couper des enfants, nous nous coupons donc en quelque sorte de la
vie, d'un rapport plus intime à la vie. Mais ce n'est pas la seule aliénation qui
en résulte, car nous nous privons aussi d'une meilleure connaissance de
nous-mêmes, que les enfants, dans la transparence de leurs interventions,
pourraient contribuer à nous révéler.
A plusieurs reprises dans ce cours, que ce soit en abordant les thèmes de
la sexualité masculine ou des relations entre hommes, il a été question de
cette difficulté si typiquement masculine à exprimer nos émotions et à
parler de nous autrement qu'à travers notre travail, nos spécialisations ou
nos performances. Or les enfants sont peut-être ceux qui peuvent le plus
nous aider à briser cette carapace et à nous ouvrir au plan de l'expression
des émotions.
Les enfants sont en effet des spécialistes de la communication, surtout de
la communication non verbale. Ils sont tellement souvent dépendants de
nous, de nos humeurs surtout, qu'ils ont appris à bien nous connaître.
Mieux sans doute que nous ne les connaissons eux-mêmes. Et, à certains
égards, mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes. A nous
observer ainsi, jour après jour, ils ont repéré bien des choses. Il leur suffit
parfois d'un froncement de sourcil, d'un regard perdu, d'une hésitation dans
nos paroles ou dans nos gestes, pour qu'ils interrogent alors où nous en
sommes, pour qu'ils démasquent nos ambivalences, nos inquiétudes, nos
préoccupations. Si proches eux-mêmes de leurs émotions, de leurs
sentiments, ils font appel aux nôtres en réponse aux leurs. Ils questionnent
aussi nos incohérences, nos contradictions. Quel parent, par exemple, ne
s'est jamais fait rappeler, à propos d'une recommandation ou d'une
consigne donnée à l'enfant, qu'elle en contredisait une autre émise
auparavant... ou encore qu'il y avait dérogé lui-même!? Nous serions
étonnés parfois de toute la lucidité dont font preuve les enfants quant à nos
attitudes, à nos comportements, à nos relations avec les autres:
"Mon père, il a comme une boule dans son coeur, c'est tout "poigné" en
dedans. Mais il n'est jamais capable d'en parler. C'est pour ça qu'il se
choque".
(Fille de 8 ans)
"Mon vrai père ne s'occupe pas de moi, il ne s'est jamais intéressé à
moi. Mais l'ami de ma mère, lui, je sais qu'il m'aime beaucoup. Moi, je
l'appelle mon "père de coeur"."
(Fille de 9 ans)
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Vivre au masculin
"Ma mère et son "chum" ne s'aiment pas vraiment: ils se chicanent
trop facilement. Ça ne durera pas longtemps, d'après moi".
(Fille de 14 ans)
Si chacun, dans son rapport avec les enfants, n'entend pas souvent des
commentaires d'une telle maturité, ce n'est pas parce qu'ils sont rares ou
exceptionnels, mais parce que, dans une société d'adultes, les enfants ont
si peu de place et si peu de crédibilité, qu'on n'écoute même pas ce qu'ils
disent. On ne pense pas, en général, qu'ils puissent établir une relation
d'égal à égal avec un adulte. Bien sûr, il y a des conditions objectives de
dépendance: économiques, alimentaires, sécuritaires... Mais les adultes
s'en servent le plus souvent, non pas pour aider les enfants à s'en sortir et à
être plus autonomes, mais pour leur faire sentir leur infériorité et pour les
"infantiliser" davantage.
Il n'est donc pas facile, surtout pour nous les hommes, d'admettre que nos
enfants puissent nous dire nos vérités, nous en apprendre sur nous-mêmes
et que cette relation puisse devenir alors dans notre vie un élément de
croissance. Il n'est pas facile non plus de reconnaître nos points faibles,
nos vulnérabilités et d'accepter alors leur support, surtout au plan émotif:
"Ce soir, je suis triste, déprimé et un peu découragé. Je suis seul à la
maison avec ma fille de 21 mois, et je lui chante une berceuse pour
l'endormir. Mais la mélancolie de mon chant fait monter ma tristesse et
je me mets à pleurer. A ma grande surprise, mon enfant me prend alors
dans ses bras, me sert fort contre elle, m'embrasse et me console en
me tapotant affectueusement la nuque. Elle me dit "dodo papa" et je me
laisse bercer à mon tour, blotti contre son petit corps, dans l'immensité
de sa chaleur émotive. Jamais je n'aurais pensé cela possible, être
compris, aimé et consolé à mon tour par mon "bébé" de 21 mois. Pour
un instant, j'ai senti ma vie dépendre d'elle." 60
Les enfants sont sensibles aux peines et aux chagrins, comme ils le sont
aux surprises et aux joies, parce que ce sont là des éléments importants de
leur vie et qu'ils n'ont pas encore appris à en réprimer l'expression. Ils sont
donc également réceptifs et disponibles aux peines et aux joies des autres.
En ce sens, ils constituent pour nous les hommes une ressource rare pour
rétablir le contact avec notre propre vie émotive. En outre, peut-être qu'en
les laissant apprendre dès maintenant à s'occuper de nous, ils sauront
aussi le faire plus tard, à l'époque de notre vieillesse!
60 Donald Millaire, témoignage.
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Paternité
EXERCICE: Dis papa, qu'est-ce qu'il y a dans les testicules
Mais comment "procéder" pour retrouver cette transparence? Comme
nous ne sommes déjà pas tellement expressifs quant à nos émotions, il y a
peu de chance pour qu'un changement se produise de lui-même, si nous ne
faisons rien de spécial. A cet égard, les conversations avec les enfants
pourraient constituer un lieu très naturel pour commencer à nous ouvrir à
leur sensibilité et à leur spontanéité.
Or, les types de conversations avec les enfants qui se développent de la
façon la plus simple et la plus naturelle, ce sont sans doute celles qui
s'enclenchent à partir de leurs propres questions. Les enfants débordent
de questions, sur tout et sur tous. En écoutant ces questions aussi
sérieusement que si elles provenaient des adultes, en essayant de
comprendre ce que l'enfant lui-même cherche à comprendre ou de
ressentir ce qu'il a lui-même ressenti, on se place déjà sur un pied d'égalité
dans un rapport de respect et de complicité avec lui. On s'ouvre alors soi-
même à l'interrogation qu'il essaie de résoudre, à sa propre démarche de
croissance.
Comme adulte, il est souvent intéressant de se demander comment on
réagit mentalement dans ces moments là. Il y a parfois des réponses que
l'on ne connaît pas, et on est gêné de l'admettre. Mais il y a aussi des
réponses que l'on a et que l'on aurait préféré taire ou dissimuler. Il y a
parfois encore des questions sur soi-même que l'on aurait mieux aimé ne
jamais entendre. Et il y a des questions sur la vie ou sur la société, sur la
violence, sur la guerre... qu'on n'ose même plus poser soi-même!
Cet exercice vous propose donc une mise en situation autour des questions
des enfants, sur un thème qui en soulève justement beaucoup: la sexualité.
C'est en effet, pour plusieurs raisons, un sujet tout à fait propice à
l'exploration de nouveaux types de rapports entre père et enfant.
Premièrement, s'il y a un domaine qui provoque du malaise d'une façon
quasi universelle, c'est bien celui de la sexualité. Et pourtant, c'est un sujet
concret, quotidien, qui concerne tout le monde et qui est extrêmement
important dans la vie des gens. S'il en est un à propos duquel il faudrait
donc pouvoir parler avec beaucoup de simplicité et de transparence, c'est
bien celui-là. Or tout le monde sait qu'ii n'en est rien. Pourtant, c'est aussi,
évidemment, l'un des sujets qui préoccupent le plus les enfants _ qui ne
sont pas plus fous que les autres!
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Vivre au masculin
C'est donc un excellent exercice de transparence pour nous, les hommes,
où les enfants, à travers la gêne que leurs questions suscitent, peuvent
nous aider à identifier les sources de nos propres malaises. Réussir à
parler simplement aux enfants de sexualité suppose que nous aurons
souvent essayé de le faire avec eux, et que nous aurons aussi éclairci pour
nous-mêmes beaucoup de choses dans notre vie affective et sexuelle.
Une autre raison de choisir ce thème, c'est qu'il est exceptionnellement
riche, à tous les plans: physique, affectif, intellectuel, social... En effet, la
sexualité, ça concerne d'abord la vie, les origines mêmes de la vie:
comment elle se fait, comment elle s'enracine, comment elle se maintient,
comment elle se développe... La sexualité, ça touche aussi,
fondamentalement, le corps: c'est dans le corps qu'elle s'inscrit, en
déterminant sa structure et toute l'identité de l'individu. C'est aussi, bien
sûr, tout le domaine de la sensualité, du désir, de l'expression émotive et
des échanges amoureux. C'est enfin la sexualité qui constitue, à travers les
rapports hommes/femmes, l'un des points d'articulation les plus essentiels
de toute la structure sociale. Bref, les enfants ont bien raison de trouver ce
sujet si important et de chercher à le mieux comprendre. Nous devrions
d'ailleurs continuer nous-mêmes à chercher avec eux!
Une dernière raison de choisir ce thème, c'est évidemment que nous avons,
comme hommes, accumulé beaucoup de retard sur ce plan. Nous nous
sommes si rarement attardés à parler de sexualité avec nos enfants et,
pour nos fils en particulier, cette carence pourra être déterminante d'un
certain type de sexualité, pornographique et misogyne, qu'ils pratiqueront,
pour la plupart, à leur tour.
Voici donc rassemblées et regroupées en six sous-thèmes un certain
nombre de questions comme celles qu'en posent parfois les enfants sur la
sexualité:
Le sexe masculin
• Dis papa, qu'est-ce qu'il y a dans les testicules? Pourquoi ton pénis, il
est comme ça (en érection) ce matin?
• Est-ce que ça fait mal, quand il est dur de même? Qu'est-ce que ça fait?
• Pourquoi on n'a pas de vagin, nous?
• Toi, trouves-tu que c'est beau un sexe?
• Trouves-tu que ça sent bon?...
La pornographie
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Paternité
• Pourquoi il y a des revues de femmes nues chez le dépanneur?
• Qui achète ça?
• Est-ce que tu en achètes, toi?
• Est-ce que tu les regardes des fois? Pourquoi?
• Qu'est-ce que ça te fait?
• Est-ce qu'il y a aussi des revues d'hommes tout nus? ...
Amour, caresses, plaisir
• C'est quoi faire l'amour?
• Est-ce que c'est bon?
• Avez-vous du "fun"? Est-ce que ça chatouille?
• Qu'est-ce que ça vous fait?
• Pourquoi vous voulez pas que je vienne dans votre chambre, quand vous
faites l'amour?
• Pourquoi on vous voit jamais vous faire des caresses?
• Est-ce que c'est vrai que les amoureuses, ils s'embrassent leur sexe et
le mettent dans leur bouche?
• Est-ce que ça goûte bon?
• Est-ce que c'est une belle caresse?
• Quelle caresse t'aime le plus, toi?...
La contraception
• C'est quoi un condom?
• Comment on met ça?
• A quoi ça sert?
• Est-ce qu'il y a d'autres façons de ne pas avoir d'enfants?
• Pourquoi vous ne voulez plus d'enfants?
• Moi, me vouliez-vous?
• S'il est percé le condom, qu'est-ce que vous allez faire?...
La masturbation
• Papa, il paraît qu'il y en a qui se caressent tout seuls?
• Est-ce que tu te caresses, toi?
• Comment tu fais ça?
• Est-ce que tu le fais souvent?
• Est-ce que je peux le faire, moi aussi?
• Est-ce que c'est mal?
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Vivre au masculin
• Est-ce que c'est comme faire l'amour?
• Moi, à mon âge, si je me caresse, est-ce que je peux avoir un enfant?...
La sexualité féminine
• Les femmes, elles jouissent pas comme les hommes?
• Comment c'est alors?
• Est-ce que c'est aussi bon pour elles?
• Est-ce qu'elles se caressent aussi, des fois?
• Comment elles font?
• Maman, quelle caresse elle aime le plus?...
Les participants doivent d'abord se répartir par groupe de deux et chaque
groupe doit choisir un sous-thème différent. A tour de rôle, chaque groupe
représentant un père et son enfant vient mettre en situation devant les
autres une conversation aussi naturelle que possible autour de la sexualité
à partir des questions suggérées (ou d'autres qui iraient dans le même
sens). Celui qui joue le rôle du père doit essayer de répondre le plus
clairement possible, en tâchant, s'il y a lieu, d'éclaircir et de verbaliser ses
propres malaises. Celui qui joue le rôle de l'enfant relance la conversation à
partir de points restés obscurs ou de ses propres interrogations sur le
sujet.
Le retour au groupe devrait viser à faire ressortir:
• ce qui nous a empêchés jusqu'ici, et nous empêcher encore, comme
hommes, de jouer ce rôle auprès de nos enfants;
• ce que cette expérience pourrait nous apporter au plan de l'expression
de nos sentiments et de nos émotions.
4. SYNTHÈSE
L'activité de synthèse vise à faire le point sur la démarche de changement
initiée dans le cours. Comment s'est faite cette prise de conscience de
l'aliénation masculine? A-t-elle été intégrée à nos pratiques quotidiennes?
Y-a-t-il des changements profonds qui se sont produits et, si oui, de quelle
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Paternité
nature? Quelles conditions collectives peuvent être concrètement mises en
place afin de faciliter d'autres changements dans le même sens?
EXERCICE: Portrait-synthèse
Si les exercices de mises en situation et les analyses présentées dans ce
cours ont su vous rejoindre et ont trouvé résonance en vous, alors il est
important, afin de poursuivre votre démarche, de vous en approprier
clairement les fondements.
Ce premier exercice vous invite donc à dresser un portrait-synthèse du
contenu du cours. En reprenant chacune des unités, essayez de formuler
pour vous-même, dans un premier temps, ce que vous avez compris et
retenu de la problématique du cours pour chacun des thèmes abordés. En
deux ou trois phrases, décrivez:
1. En quoi consiste selon vous l'aliénation des hommes relativement à ce
thème.
2. En quoi celle-ci est-elle reliée au rapport d'inégalité entre hommes et
femmes.
Voici, à titre d'exemple, la forme que pourrait prendre un tel résumé:
1. L'aliénation des hommes dans la paternité consiste, entre autres, dans
leur difficulté à être attentifs aux besoins quotidiens des enfants et à
entrer profondément en relation avec eux, sur une base émotive.
2. Cette aliénation découle de plusieurs façons du type de rapport que
nous maintenons avec les femmes: refus d'un partage égalitaire des
tâches domestiques, moins valorisées et moins prestigieuses;
investissement de toutes nos énergies dans le travail extérieur parce
que le pouvoir et les avantages sociaux que nous en retirons sont
tellement plus grands; inhibition dans l'expression de nos émotions,
dans la crainte de nous y montrer plus faibles et d'y perdre le contrôle...
Ce résumé n'épuise pas bien sûr la complexité du thème "paternité". Ainsi,
un autre participant aurait tout aussi bien pu mettre l'accent sur le rapport
avec notre père, alors qu'un autre aurait plutôt fait ressortir notre
irresponsabilité vis-à-vis de la contraception.
Dans un deuxième temps, reprenez en groupe, thème par thème, les
formulations de chacun. Celles-ci sont alors discutées brièvement, et celles
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Vivre au masculin
qui reçoivent l'assentiment de la majorité sont inscrites au tableau, les
formulations allant dans le même sens étant, bien sûr, regroupées en une
seule. Cette mise en commun permettra ainsi de dresser une description
plus collective de l'aliénation masculine.
Il peut être intéressant, à ce moment-ci, de faire ressortir les thèmes qui
entretiennent des relations étroites. Ainsi, le fait de travailler sur votre
sexualité peut-il rejaillir sur d'autres thèmes et avoir, par exemple, un effet
sur votre relation de paternité?
EXERCICE: S'approprier notre changement
Si chaque unité a cherché à expliciter comment se maintient l'inégalité
entre les sexes et comment la condition masculine s'en trouve
spécifiquement affectée, c'est dans l'espoir qu'une telle prise de
conscience contribue à introduire des changements significatifs dans cet
état de fait. Chacun des thèmes était d'ailleurs structuré de façon à
interroger d'abord votre propre vécu par le moyen d'un questionnaire, à
confronter ensuite ce vécu à la réalité des rapports hommes-femmes par la
présentation de données concrètes, de dossiers ou de textes d'analyse.
Les exercices de mise en situation visaient à faire émerger les attitudes
souvent inconscientes par lesquelles le sexisme s'installe dans chaque
individu, et à explorer en outre, à l'occasion, des schémas de comportement
nouveaux et égalitaires.
Au terme de cette démarche, il convient donc d'essayer de mesurer pour
vous-même si cette réflexion s'est traduite par des changements
appréciables dans votre vie. L'un des outils principaux à toute
transformation est d'ailleurs de pouvoir nommer le plus clairement possible
le changement. C'est le sens de l'exercice suivant:
1. Dans un premier temps, chaque participant tente de formuler devant les
autres le changement concret le plus significatif qui s'est produit dans
ses attitudes ou son comportement, en rapport avec le problématique
de l'aliénation masculine, depuis le début du cours.
2. Chacun essaie de préciser ensuite ce qui a surtout provoqué ce
changement particulier: tel texte, telle mise en situation, tel dossier,
peut-être une idée surgie lors d'une discussion, ou même un échange
qui s'en est suivi à la maison ou dans son milieu...?
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Paternité
3. Y a-t-il des conditions que vous avez mises en place ou que vous
pourriez contribuer à mettre en place pour que ce changement soit
durable? Des exemples pourraient être:
• Avoir bloqué chaque semaine des périodes de temps que vous
passez spécifiquement avec vos enfants...
• Avoir mis sur pied un groupe d'hommes pour continuer d'alimenter
votre réflexion sur la condition masculine...
Le groupe pourrait finalement s'interroger sur la possibilité de récupération
de tels changements. Ainsi, ce qui est gagné risque-t-il de constituer pour
les hommes de nouveaux privilèges, accentuant encore plus l'inégalité par
rapport aux femmes. A titre d'exemple, le crédit _ de "nouvel homme" ou de
"nouveau père" _ que nous recevions lorsque nous commençons à
partager réellement les tâches domestiques ou à nous occuper des
enfants, est tout à fait démesuré puisque les femmes n'ont jamais reçu une
telle gratification alors qu'elles se sont pourtant toujours acquittées
assidûment de ces tâches. Or, nous y gagnons là encore en pouvoir et
certains hommes en tirent même de nouvelles stratégies de séduction...
EXERCICE: Notre croissance, une tâche collective
Tout au long de ce cours, la condition masculine a été abordée non pas
comme un phénomène uniquement individuel, mais, aussi, comme un
phénomène social. C'est justement pour faire ressortir la similarité dans
nos vécus respectifs que le partage était si essentiel. En effet, les causes
de l'aliénation masculine sont d'abord collectives, elles sont inscrites dans
toutes les institutions et les structures de la société. Pour qu'un
changement véritable se produise dans les attitudes et le vécu des
hommes, il faudra donc aussi que ces structures et ces institutions
changent en profondeur. Bien que notre démarche doive partir de nous et
s'enraciner d'abord dans notre vécu quotidien, elle doit, pour "survivre", se
traduire aussi dans des actions collectives. Cependant, nous n'osons pas
facilement affronter nous-mêmes l'opinion dominante des autres hommes,
même si nous nous laissons persuader de l'importance d'une
transformation des institutions dans ce sens. C'est pourtant la une
condition importante pour consolider et pousser plus loin la démarche de
croissance que nous avons entreprise.
Bien des actions sont possibles au plan collectif: par l'intermédiaire de
l'école, dans votre milieu de travail, sur une base de quartier, dans vos
groupes de rencontres, à travers vos activités sociales... Les thèmes sont
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Vivre au masculin
également variés: la mise sur pied de cours prénataux pour les pères;
l'organisation de services de garde en milieux de travail...
L'idée de l'exercice suivant est justement d'inventorier quelques pistes
d'interventions collectives.
1. Dans un premier temps, à domicile, formulez, pour chaque thème, au
moins un geste qui pourrait être entrepris collectivement par les
hommes pour réduire l'aliénation masculine et la situation d'inégalité
entre les sexes.
2. Ensuite, en groupe, retenez, à partir des formulations de chacun, trois
actions possibles pour chacun des thèmes. Le caractère concret de
l'action, ses possibilités de réalisation dans votre milieu et l'importance
de l'impact qu'elle pourrait avoir sur les hommes devraient constituer
les principaux critères de choix.
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Conclusion
CONCLUSION
Ce cours a cherché à faire l'analyse du vécu des hommes à travers trois
thèmes particuliers en essayant chaque fois d'y identifier quelques-unes
des composantes de l'aliénation masculines. Il formulait au départ
l'hypothèse que cette aliénation découlait d'une organisation sociale fondée
sur l'inégalité et sur l'oppression des femmes. Chaque unité tentait de
démonter quelques-uns des rouages par lesquels la société fabrique
systématiquement les hommes d'une certaine façon, afin de maintenir ces
rapports inégaux entre les sexes. Ce qui est ressorti alors, c'est la
responsabilité de chaque homme dans ce conditionnement, puisque nous
souscrivons à ces rapports inégaux justement dans la mesure où nous en
tirons, individuellement et collectivement des avantages très nets. Dans
une telle perspective, on peut se demander quel espoir de changement peut
provenir des hommes puisque cela correspondrait pour eux à renoncer à
leurs privilèges.
C'est justement là qu'intervient l'analyse de la condition masculine comme
source d'aliénation. En effet, aucun des avantages que nous détenons
comme hommes n'est gratuit, et il est temps de comptabiliser le prix qui est
payé pour chacun d'eux. Or ces privilèges, nous les payons au prix fort,
aussi bien individuellement que socialement. On commence seulement à se
rendre compte que cette façon de vivre, masculine et patriarcale, est
inscrite dans toutes les institutions sociales et qu'elle est à l'origine de
problèmes sociaux fondamentaux, comme: la compétition et l'escalade de
la violence; l'incapacité à exprimer ses émotions et la déshumanisation
croissante des rapports sociaux; une source angoissée vers le pouvoir qui
se traduit, au plan politique, par une multiplication des conflits et une
augmentation de la militarisation à un niveau encore jamais vu dans
l'histoire... 61 Aveuglés par ces avantages et le pouvoir que nous en tirons,
c'est également nous-mêmes que nous appauvrissons et que nous
détruisons: dans notre corps, dans notre sexualité, dans nos rapports
amoureux, dans notre relation avec les enfants, dans notre rapport avec les
autres hommes... bref, dans tous nos rapports sociaux. S'il y a espoir de
changement, c'est donc dans une prise de conscience profonde et
collective et dans une désaliénation qui ne pourra s'amorcer qu'à travers la
construction de rapports nouveaux et égalitaires entre les sexes.
61French, Marilyn, La fascination du pouvoir, Paris, Acropoie,
1986. Voir en particulier la section: "Totalitarisme
patriarcat", p. 358-37e
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Vivre au masculin
Il est donc intéressant d'examiner ici, en guise de conclusion, certaines des
retombées que pourraient entraîner une telle démarche sur l'ensemble de la
société.
La première unité a d'abord cherché à instaurer entre les participants une
atmosphère propice à l'échange. L'idée en était de faire ressortir, dès les
tout premiers contacts entre hommes, les stéréotypes de comportements
qui entravent l'établissement de rapports authentiques et chaleureux.
Pour modifier ces rapports, il faut commencer par les nommer, il faut
s'exercer à repérer les schémas déjà faits que l'on reproduit
automatiquement. Mais, il faut également chercher à comprendre pourquoi
nous nous rabattons systématiquement sur les mêmes "patterns"
d'interaction.
L'objectif de la section sur les relations entre hommes était justement
d'approfondir les raisons de ces comportements si fréquemment partagés.
Il est possible que la compétition et l'affrontement entre les hommes
servent, entre autres, à nous dispenser de parler de nous-mêmes parce
qu'un tel échange, au seuil de la transparence et de la vulnérabilité, suscite
carrément, au plus profond de nous, une frayeur intolérable. Savoir parler
de soi, en dehors des schèmes de performance, avec émotion et sans
complaisance, pourrait redonner aux rapports sociaux la part d'humain qui
a été si généralement évacuée de toutes nos institutions érigées sur la
rationalité bureaucratique.
Mais, où avons-nous appris à si peu communiquer de ce que nous
sommes? La relation au père est invoquée dans cette unité comme la
composante la plus déterminante de toutes nos relations ultérieures avec
les autres hommes. Plus encore, par le silence émotif qu'elle a contribué à
mettre en place, ce sont toutes nos autres relations interpersonnelles qui
sont affectées, y compris celles avec les femmes et les enfants.
Réapprendre, avec d'autres hommes, les rudiments de l'expression des
émotions, aura donc des retombées sociales considérables, comme de
freiner, sinon d'arrêter carrément la course à la compétition et à
l'affrontement. Capables d'accepter notre propre fragilité et d'en parler,
nous deviendrons réceptifs à celle des autres, dans l'ensemble des
rapports sociaux, pour redonner enfin asile à l'émotion, hors de l'exile ou
nous l'avons reléguée.
Hormis la relation au père, il existe cependant d'autres mécanismes
sociaux qui, tout au long de notre vie, nous tiennent à l'écart les uns des
autres et nous empêchent de satisfaire nos besoins de contact et
d'échange. L'homophobie constitue l'un de ces mécanismes qui est
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Conclusion
interrogé ici par le biais de textes et d'exercices. D'où vient donc cette
autre peur? Peut-être qu'elle se développe, elle aussi, à partir de la carence
affective éprouvée à l'endroit du père. Pour la plupart des hommes, il est
difficile de comprendre qu'un être aussi proche et aussi cher à notre coeur,
nous ait si peu touchés, si peu caressés et si peu bercés. C'est comme si
nous en gardions, toute notre vie, un besoin indélébile, inassouvi, toujours à
vif! En dehors du rapport à la mère, le seul registre qui ait été "consenti"
aux hommes pour l'expression de leurs émotions, c'est celui de la
sexualité. Lorsque le besoin de tendresse paternelle refait surface en
présence d'autres hommes, qu'il s'agisse du père, de frères, de fils ou
d'amis, nous ne disposons que du registre sexuel pour en assurer le
décodage, et l'homosexualité se dresse alors devant nous comme un
véritable "spectre"! N'est-il pas temps de dépoussiérer collectivement nos
vieux besoins affectifs pour les laisser vivre et s'épanouir enfin? Sans
doute qu'au lieu d'un désir homosexuel, c'est un immense réservoir de
tendresse que nous libérerions alors, au profit de l'ensemble de nos
rapports affectifs!
C'est pour cela qu'il est urgent d'explorer entre nous d'autres formes de
rapports et de contact, à travers le toucher, par exemple. Nous avons
tellement appris comme hommes à réduire notre corps à des fonctions
purement utilitaires. Nous n'y percevons, le plus souvent, qu'un outil pour
travailler ou même une arme pour frapper, pour agresser. Pourtant, le
corps, c'est surtout un moyen de sentir et de communiquer, une zone de
contact fragile et sensible avec l'univers et les autres. Redonner, à travers
l'exploration du toucher, cette place à notre corps, n'est-ce pas l'occasion
de redécouvrir nos racines profondes avec la nature, avec l'environnement
et avec les êtres humains dans tous nos rapports sociaux?
La seconde unité arrive à point nommé en invitant les participants à
explorer collectivement les différentes facettes de leur vécu sexuel et
amoureux. La première partie de cette unité cherche à expliciter les
mythes et les stéréotypes qui prévalent socialement à propos de la
sexualité masculine. En parallèle, elle fait ressortir, à partir de l'échange, la
distance qui existe entre ces modèles et les pratiques réelles des hommes.
Le fait est que nous parlons peu de sexualité entre nous. Il n'est donc pas
surprenant que nous arrivions si difficilement à participer à l'éducation
sexuelle de nos enfants. Cet échange entre hommes vise donc à
déverrouiller les multiples tabous qui nous habitent encore par delà toutes
nos fanfaronnades. Car, à quoi servent tous les mythes qui sont véhiculés
sur la séduction et la performance sexuelle? Ils révèlent peut-être surtout
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Vivre au masculin
une grande détresse affective, la crainte d'être rejetés dans notre corps, la
peur de l'abandon.
Dire ces inquiétudes et ces angoisses peut donc avoir un effet libérateur:
en prendre conscience au lieu de les ignorer, les verbaliser au lieu de les
masquer, explorer avec d'autres une expression plus satisfaisantes de nos
désirs. C'est l'occasion de vérifier, malgré nos intimités respectives, à quel
point nous restons semblables les uns aux autres. Ainsi, on retrouvera
fréquemment le scénario selon lequel l'homme se sent responsable du
déroulement de toute la relation sexuelle, à partir de la suggestion même de
faire l'amour, jusqu'à la jouissance "finale", en passant par toutes les
phases de caresses. En même temps, les hommes se plaignent de ne pas
se sentir suffisamment désirés dans leur corps, de ne pas recevoir
suffisamment de caresses physiques. Le fait est que nous nous risquons
fort peu à l'abandon, comme si nous redoutions, en nous y offrant, que ces
caresses ne viennent pas. Le rejet est difficilement supportable, mais
combien moins encore lorsqu'il porte justement sur le corps, sur le
fondement même de notre identité, sur nos racines premières! Il est
tellement plus facile d'orchestrer soi-même toute la relation et d'empêcher
finalement que cela paraisse si l'on n'est pas reçu, désiré, bercé, célèbré!
Or, c'est de cela justement que nous prive surtout la pornographie. C'est en
effet une industrie de consommation qui nous refile des fantasmes tout
faits, du "fast sex", du désir "prêt-à-porter" comme substitut à nos désirs
réels. Sous prétexte de nous exciter, elle nous insensibilise plutôt et
constitue en ce sens une véritable désappropriation!
L'échange entre hommes devient une occasion unique pour identifier les
mécanismes par lesquels l'industrie pornographique exploite, en fait,
l'insatisfaction sexuelle des hommes en les détournant de leurs propres
besoins. C'est donc un outil privilégié pour dégager l'aliénation qui en
résulte par rapport à leur corps, à leur sexualité et à la difficile expression
de leurs désirs. Cette approche est sans doute la plus prometteuse pour
faire cesser la consommation de pornographie, et même l'exploitation
sexuelle. Elle ne vise pas, comme on l'entend parfois, à priver les hommes
de la satisfaction de leurs besoins et de leurs fantasmes, mais plutôt à leur
faire reprendre contact avec les leurs, avec la source vive de leur propre
désir!
Seulement alors pourra-t-on faire de celui-ci une fête, une véritable
célébration du corps et du coeur! C'est dans cette perspective que les
participants sont invités à explorer leur état amoureux, à nommer ce qu'ils
vivent alors, et à formuler ensemble diverses façons de se dire leur
sensibilité, leurs attendrissements, leurs frissons amoureux et leur plaisir.
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Conclusion
C'est sans doute en même temps le lieu le plus approprié pour parler de
contraception, au coeur même de l'échange amoureux. Loin de n'y voir
qu'un aspect technique, comme c'est trop souvent le cas, cette section
s'attache à dévoiler les liens intimes qui existent entre le vécu sexuel et le
désir d'enfants. Elle fait ainsi ressortir comment les craintes et les
malaises qui existent autour de la vasectomie ou de l'utilisation du condom,
renvoient en fait à la fragilité du désir, à la difficulté à se dire cette
vulnérabilité et à confier son corps à l'autre dans l'abandon des caresses.
Cette question de la contraception sera reprise dans la troisième unité, à
propos de la paternité. L'interrogation sur ce thème est d'ailleurs présentée
comme particulièrement propice pour susciter un changement en
profondeur de mentalité chez les hommes.
La première partie de cette unité vise à faire ressortir comment le rapport
que nous avons vécu avec notre père a pu contribuer grandement à nous
fabriquer tels que nous sommes. Elle cherche également à examiner
comment un changement important de cette relation pourrait entraîner un
changement significatif dans l'identité masculine. Par exemple, le fait de
travailler à reconstruire le rapport que nous avons vécu notre père a pour
effet de mettre à jour le besoin que nous avons eu nous-mêmes de cette
relation et nous aide alors à mieux comprendre le besoin de nos enfants à
notre égard. Essayer de comprendre, avec notre père, les difficultés qu'il y
a à établir ce type de relation, c'est donc prendre en charge un aspect
fondamental de notre identité masculine et développer peut-être aussi un
lieu nouveau de complicité entre hommes. Nous n'en serons sans doute
alors que plus aptes à construire avec nos propres enfants des relations
plus affectueuses et plus profondes.
En outre, travailler à établir ce nouveau type de relation avec notre père, sur
une base de complicité, plus chaleureuse et égalitaire, et reproduire ce
même rapport avec nos enfants, c'est aussi introduire un changement subtil
mais profond dans toute la structure d'autorité de la société. Le père
représente, en effet, pour les hommes, le modèle fondamental d'autorité et
celui auquel nous nous référons encore, plus ou moins consciemment, à
l'âge adulte. Il constitue de ce fait le "pattern' de toutes les autres relations
d'.autorité auxquelles nous serons par la suite confrontés. Travailler à
transformer une relation aussi déterminante aura donc certainement des
conséquences à long terme sur les autres relations d'autorité.
Finalement, à être, à la fois, plus attentifs à nos enfants dans le quotidien et
plus proches de nos pères et de leurs propres besoins, nous deviendrons
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Vivre au masculin
peut-être aussi plus sensibles à l'expérience de la vieillesse qu'ils sont sur
le point d'atteindre, à la crainte de la solitude et à l'angoisse de la mort qu'ils
y éprouveront; à ce moment, ils auront sans doute tellement besoin de nous
à leur tour. Il est évident que la façon dont la société traite actuellement les
vieillards est tout à fait odieuse; c'est peut-être de l'intérieur, à partir de
relations plus harmonieuses avec nos pères, que nous pourrons aussi
provoquer des changements sociaux significatifs à cet égard.
Mais sans aucun doute, c'est le changement dans notre rapport avec les
enfants, par une implication plus grande dans le quotidien, qui peut
constituer le facteur le plus déterminant de cette transformation sociale
globale. En effet, c'est essentiellement à travers le quotidien que nous
pourrons arriver à une connaissance plus intime et plus profonde de nos
enfants. Ce n'est qu'en étant là fréquemment pour répondre à leurs besoins
de tous les jours, pour les bercer, pour les cajoler, pour soigner leurs
blessures, pour les consoler dans leurs chagrins, pour les rassurer dans
leurs inquiétudes,... que nous deviendrons profondément et même
inconsciemment pour eux, de véritables pôles de sécurité. C'est aussi
(dans ces conditions que nos enfants viendront plus facilement se confier à
nous et aussi écouter nos confidences et nous soutenir à leur tour, si nous
apprenons enfin à leur faire part de nos propres soucis.
Or, à travers ce rapport plus intime avec les enfants, c'est à un rapport
différent avec la vie, que nous nous ouvrons. Il n'est pas impossible que
notre plus grande propension à recourir à la violence soit justement reliée
au fait que ce n'est pas nous qui soignons les enfants, que ce n'est pas
nous en général qui supportons la vie. Un changement dans notre
implication vis-à-vis des enfants pourrait donc aussi avoir pour effet de
changer notre propre attitude vis-à-vis de la violence et, peut-être du même
coup, à long terme, celle de nos fils.
Prendre notre juste part des charges quotidiennes entraînerait évidemment
des bouleversements considérables au plan de la structure traditionnelle du
travail et de l'emploi. Une implication massive des hommes obligerait, en
effet, à reconsidérer totalement les horaires et les conditions de travail.
Cela ébranlerait sérieusement nos conditionnements vis-à-vis du travail, de
la compétition, de la performance. Cela nous rendrait moins méprisants vis-
à-vis du travail domestique, des emplois sous-payés qui y ressemblent et du
travail à temps partiel. Cela nous sensibiliserait enfin à diverses
recommandations des femmes, telles des réseaux de garderie universels
et gratuits et des congés de maternité et de paternité payés.
En outre, le fait d'être plus fréquemment en contact avec les enfants, sur
une base plus chaleureuse et plus émotive, transformerait notre
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Conclusion
personnalité en profondeur. En effet, les enfants pourraient sans doute,
plus que quiconque, nous amener à être plus transparents quant à nos
émotions, nos incertitudes, nos états d'âme, nos contradictions. Si proches
de leurs émotions, les enfants nous renvoient aux nôtres et nous révèlent
ainsi à nous-mêmes. Commencer à les écouter, c'est donc nous ouvrir à
une connaissance et à un respect nouveau des enfants et, du même coup, à
une connaissance nouvelle de nous-mêmes, à un amour de nous-mêmes
pour ce que nous sommes vraiment et non pour les modèles d'autorité que
nous sommes censés représenter!
C'est précisément cet amour-là pour nous-mêmes que la démarche
entreprise ici vise essentiellement à libérer. On ne peut aider personne à
changer, sans un profond amour à son endroit. Sinon, c'est une activité de
destruction, un refus de la personne pour ce qu'elle est, qui ne peut que lui
être néfaste. Au contraire, aider à changer les êtres que l'on aime, c'est
contribuer à leur croissance. C'est ce que l'on fait pour les plantes, les
animaux et les personnes qui nous tiennent à coeur. Il ne s'agit donc pas de
déterminer ce qu'ils doivent être, mais de favoriser la mise en place des
conditions qui leur permettront de développer ce qu'ils sont et ce qu'ils
peuvent être.
Or, cela est vrai également pour nous-mêmes. Pour changer, il faut s'aimer
profondément et mettre en place de meilleures conditions de croissance.
Parfois, cela veut dire identifier les entraves à notre développement, pour
mieux les contourner et les surmonter. C'est le sens du concept
d'aliénation invoque si fréquemment au cours de cette démarche. Il ne
s'agissait surtout pas de culpabiliser les hommes sur tel ou tel manque
dans leur vie, mais plutôt de leur retourner, avec amour, le droit qu'ils ont de
laisser s'épanouir dans toute leur vie toutes leurs zones de folie, de bonheur
et de plaisir. C'est à une grande célébration radieuse que cette libération de
nos asservissements nous convie tous ensemble.
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