1.
Communiqué de presse
Nymphéas.
L’abstraction américaine
et le dernier Monet Philip Guston (1913-1980). Dial, 1956. Huile sur toi, 182.9 x 194
cm. Whitney Museum of American Art, New York.
13 avril – 20 août 2018 Digital Image © Whitney Museum, N.Y.
© The Estate of Philip Guston, courtesy Hauser & Wirth
Musée de l’Orangerie
En 1955, Alfred Barr fait entrer au Museum of Modern Art de New
York un grand panneau des Nymphéas (W1992) de Monet, alors
que ces grandes « décorations » demeurées dans l’atelier de
Giverny commencent à attirer l’intérêt de grands collectionneurs et
musées.
La réception du dernier Monet s’opère alors en résonnance avec la
consécration de l’expressionnisme abstrait américain. Le panneau
des Nymphéas du MoMA est reproduit dans l’ouvrage
Mainstreams of Modern Art de John Canaday en vis-à-vis du
tableau de Pollock, Autumn Rythm (number 30), 1950 ; Monet y est
présenté comme « une passerelle entre le naturalisme du début de
l’impressionnisme et l’école contemporaine d’abstraction la plus Claude Monet (1840-1926). Nymphéas bleus, 1916-1919. Huile
sur toile, 204 x 200 cm. Paris, musée d’Orsay
poussée. » Photo © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Clement Greenberg qui visite le musée de l’Orangerie en 1954, inscrit l’œuvre de Clyford Still et de Barnett
Newman dans la lignée des dernières peintures de Monet dans son essai La peinture à l’américaine (1955).
William Seitz, le commissaire de la grande exposition américaine de 1960 Claude Monet: Seasons and
Moments, rédige en 1955 un article Monet and Abstract Painting, dans lequel il dresse le portrait d’un
Monet panthéiste, proche des positions philosophiques de Emerson et Thoreau.
Enfin, en 1956, le critique Louis Finkelstein invente le terme d’« impressionnisme abstrait » dans son article
New-Look : Abstract-Impressionnism, afin de désigner un autre courant parallèle clairement intéressé par
le dernier Monet et incarné par Philipp Guston, Joan Mitchell, Sam Francis, Jean-Paul Riopelle…
C’est sur ce moment précis de la rencontre entre la redécouverte des grandes décorations du maître de
Giverny et la consécration de l’Ecole abstraite new-yorkaise que l’exposition du musée de l’Orangerie
s’arrêtera, à travers une sélection de quelques toiles tardives de Monet et une vingtaine de tableaux
américains (de Barnett Newman, Jackson Pollock, Mark Rothko, Clyfford Still, Helen Frankenthaler, Morris
Louis, Philipp Guston, Joan Mitchell, Mark Tobey, Sam Francis et Jean-Paul Riopelle).
Cette présentation entend marquer le centenaire des Nymphéas.
A l’entrée des Nymphéas, un hommage est rendu à Ellsworth Kelly, artiste américain abstrait disparu en
2015 et dont l’œuvre ne cessa de dialoguer avec celle de Monet. Cet accrochage est conçu par Eric de
Chassey avec le soutien des American Friends of the Musée d’Orsay and the Musée de l’Orangerie.
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Commissariat :
Cécile Debray, directrice du musée de l’Orangerie
Assistée de Valérie Loth, historienne de l’art, et de Sylphide de Daranyi, chargée d’études
documentaires au musée de l’Orangerie
L’hommage à Ellsworth Kelly a été conçu par Éric de Chassey, directeur général de l’Institut national
d’histoire de l’art.
Avec le généreux soutien de
Partenaires Media : Arte, Le Parisien, Le Point, L’Estampille | L’Objet d’art, BFM Paris
AUTOUR DE L'EXPOSITION
Publication
Catalogue de l'exposition, coédition musée de l’Orangerie / RMN-GP, 204 p., 25x30cm, 116 ill. env., 42€
Visites guidées : tous les mercredis et samedis à 16h, du 18 avril au 11 août (sauf le 14 juillet et le 15
août).
Visites en langue des signes : les samedis 28 avril, 19 mai et 23 juin à 11h.
Cycle de conférences
• Mercredi 2 mai à 19h, Nymphéas. L’abstraction américaine et le dernier Monet, une exposition
au musée de l’Orangerie par Cécile Debray, directrice du musée de l’Orangerie
• Mercredi 16 mai à 19h, Giverny upon Hudson par Ann Hindy, historienne de l’art et critique
d’art, directrice de la Collection d’art de Renault
• Mercredi 23 mai à 19h, L’impressionnisme abstrait par Anne Montfort, historienne de l’art,
commissaire d’exposition, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris
• Mercredi 13 juin à 19h, Monet dans l’histoire par Laurence Bertrand-Dorléac, historienne de
l’art, professeure à Sciences Po Paris
• Mercredi 20 juin à 19h, La postérité scénographique des Nymphéas de l’Orangerie par Félicie
Faizand, historienne de l’art
Colloque : Ils ont continué Monet. La réception américaine des Nymphéas, mercredi 30 et jeudi
31 mai de 10h à 17h à l’auditorium du musée d’Orsay
Danse dans les Nymphéas, Merce Cunningham EVENT, lundi 4 juin à 19h
Une soirée au musée 18-30 ans, samedi 16 juin, 18h30-22h30, Monet, Pollock, Rothko et les autres
Nuit des musées, samedi 19 mai 2018, 18h30-minuit, concert de jazz par le Julien Pontvianne quartet
Projections :
Tous les jours de 9h30 à 17h30 et le samedi 2 juin à 19h (auditorium) : L’avant-garde américaine,
1940-1950 (5 courts métrages)
Tous les jours de 9h30 à 17h30 et le samedi 2 juin à 20h15 (auditorium) : L’abstraction dans le cinéma
américain des années 40-50 (8 courts métrages)
Tous les jours de 9h30 à 17h30 et les vendredis 8 et 15 juin à 19h : Pollock de Ed Harris, 2000, 122 min
Concert, vendredi 25 mai à 19h, Jazz au cœur des Nymphéas, groupe WATT
Visites - ateliers Nymphéas Lyriques
• En famille : Jeudi 26 avril à 15h
Mercredis 2, 16 et 30 mai à 15h - Samedis 5 et 19 mai à 15h / Mercredis 13 et 27 juin à 15h - Samedis 9
et 23 juin à 15h / Mercredis 11 et 25 juillet à 15h - Samedi 7 juillet à 15h / Lundi 6 août 2018 à 15h
• Pour adultes : Samedis 5 mai, 9 juin, 7 juillet à 15h
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La peinture à l’américaine / The American Type Painting
La dernière manière de Monet menace […] les conventions du tableau de chevalet.
Aujourd’hui, vingt ans après sa mort, sa pratique est devenue le point de départ d’une
nouvelle tendance picturale.
Clement Greenberg, La crise du tableau de chevalet, 1948
En mai 1927, alors que le musée Monet à l’Orangerie est inauguré avec ses 22 panneaux de Nymphéas,
les critiques d’art voient, comme Lionello Venturi, dans ces œuvres ultimes « la plus grave erreur
artistique commise par Monet » ou, comme Clive Bell, « des diagrammes polychromes d’une
affligeante monotonie. » Il faut attendre 1952, et la réouverture des salles endommagées par un obus
pendant la Libération de Paris, pour que la puissance prémonitoire de cet ensemble rencontre la force
poétique et dynamique de l’abstraction américaine des années 1950. André Masson, qui a trouvé
refuge à New York de 1940 à 1945, déclare alors les Nymphéas de l’Orangerie « Sixtine de
l’impressionnisme », sortant les panneaux de Monet de l’oubli dans lesquels ils étaient tombés.
Aux États-Unis, les grands tableaux abstraits d’artistes plus ou moins sensibles aux impressionnistes
français tels que Clyfford Still, Jackson Pollock, Mark Rothko, Barnett Newman ou Willem de Kooning
incitent les critiques à repenser la peinture du Monet de la dernière période. Clement Greenberg
(1909-1994), dès 1948, mentionne les affinités entre certains artistes américains, Pollock ou Mark
Tobey notamment, et les travaux de Monet ou Pissarro qui ont anticipé un mode de peindre remettant
en cause le tableau de chevalet, instaurant des compositions décentrées, « polyphoniques » et all-over
– surfaces tissées d’une multiplicité d’éléments identiques ou similaires, répétitifs. En 1955, Greenberg
dans son grand essai sur la peinture américaine moderne, « American Type Painting », réévalue
l’influence des Nymphéas de Monet qu’il situe comme précurseur stylistique de toute une génération
de peintres américains, faisant de Clyfford Still et de Barnett Newman ses héritiers directs.
Barnett Newman (1905-1970)
Dès le début des années 1940, le peintre new-yorkais Barnett Newman, figure majeure du groupe
expressionniste abstrait, réévalue et souligne l’apport des impressionnistes dans l’histoire de la
peinture moderne, à rebours d’une vision officielle, celle du Museum of Modern Art de New York, qui
met en exergue uniquement le post-impressionnisme cézannien. En 1953, il félicite avec ironie le
directeur du MoMA à l’occasion de l’entrée tardive dans les collections du premier tableau de Monet
(Peupliers à Giverny, 1887). Le critique Clement Greenberg rattache explicitement la peinture de
Newman à la postérité de Monet, soulignant comment la verticalité et l’approche de la couleur comme
« teinte » dans ses œuvres définissent des « espaces-formes », les fameux « color fields», champs
colorés.
Quiconque se tient face à mes peintures doit sentir les voûtes verticales l’envelopper
comme une coupole et susciter en lui la conscience d’être vivant et d’éprouver la
complétude de l’espace.
Barnett Newman, entretien avec Dorothy Gees Seckler, 1948
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Clyfford Still (1904-1980)
Dès 1944, les œuvres de Clyfford Still, mentor avec Barnett
Huile sur toile, 254 x 176,5 cm - Madrid, Museo Nacional Thyssen-Bormenisza
Newman de l’École de New York, présentent une
apparence de non fini, de larges aplats irréguliers dominés
Photo : 2017. Museo Nacional Thyssen-Bornemisza / Scala, Florence
par une même couleur, une monumentalité de format et
un principe sériel, qui rompt avec la tradition de la peinture
de chevalet, pour produire un effet ornemental proches
Clyfford Still (1904-1980) - 1965 (PH-578), 1965
des Grandes décorations de Monet. Still découvre les
tableaux de Monet dès 1925 au Metropolitan Museum of
Art lors de ses séjours à New York. En 1955, Clement
Greenberg affirme : « De même que les cubistes ont
continué Cézanne, Still a continué Monet […] Still est [...] le
© Adagp, Paris, 2018
seul artiste qui ait réussi à inclure cette peinture d’une
veine impressionniste, avec sa chaleur sombre et sa
surface sèche [...] dans un art sérieux et riche. »
Jackson Pollock (1912-1956)
Tissus, papier, carton, émail et peinture aluminium sur panneau, 78.7 x 57.5
Jackson Pollock, né dans le Wyoming, est la figure la plus
célèbre du mouvement. Alors qu’il réalise une imposante
fresque murale pour l’appartement de Peggy
Photo : Fondation Beyeler / Robert Bayer © Adagp, Paris, 2018
Guggenheim, en 1944, selon une inspiration totémique
cm Riehen/Basel, Fondation Beyeler, Beyeler Collection
navajo et picassienne, il expérimente la technique du all-
Jackson Pollock (1912-1956) - Untitled, vers 1949
over -composition uniforme sur toute la surface
débordant le cadre- terme qui pourrait s’appliquer aux
panneaux tardifs des Nymphéas.
À partir de 1947, Pollock abandonne toute figuration dans
ses toiles et se consacre à sa nouvelle technique,
immersive, le dripping, où la peinture est égouttée sur
l’ensemble de la toile clouée au sol ou au mur, en touches
aléatoires, fusionnant en des motifs non figuratifs.
Greenberg rapproche les tableaux « bigarrés » de 1948 du
style tardif de Monet parlant de « poussière vaporeuse de
clairs et de sombres confondus d’où une idée d’effet sculptural a disparu ».
Mark Rothko (1903-1970)
En 1942, Mark Rothko déclare : « Nous sommes pour les formes plates
parce qu’elles détruisent l’illusion et révèlent la vérité. » Proche de Clyfford
Still et de Barnett Newman, son œuvre incarne ce que Greenberg qualifie
de color-field painting, la peinture par champs de couleur, et dont les
recherches d’un nouvel espace pictural passent par l’absence de relief et la
saturation de la toile par la couleur, créant ainsi une nouvelle approche
optique. En 1964, Rothko entreprend un ultime projet, un ensemble de 14
peintures pour une chapelle à Houston dont le dispositif immersif évoque
l’espace des Nymphéas de l’Orangerie.
Mark Rothko (1903-1970) - Blue and Gray, 1962 -
Huile sur toile, 193 x 175 cm
Riehen/Basel, Fondation Beyeler, Beyeler Collection -
Photo : Fondation Beyeler / Robert Bayer © 1998
Kate Rothko Prizel & Christopher Rothko
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Willem de Kooning (1904-1997)
Dans la seconde partie des années 1950, Willem de Kooning, le peintre des Woman de structure
« post-cubiste », s’inspire du paysage pour une série de compositions abstraites. Reflets dans un
premier temps de New York, il peint des « paysages urbains abstraits » selon la formule du critique
Thomas B. Hess, créant des visions énergiques, colorées de la ville, avant de s’installer dans les
Hamptons, à Long Island, où de Kooning développe une vision plus pastorale et lyrique du paysage,
utilisant des formes amples, des compositions simplifiées. Il poursuit cette série lors de son séjour
romain en 1959 et 1960, adoptant une vision quasi naturaliste du paysage qui résonne fortement
avec les derniers panneaux de Monet.
Morris Louis (1912-1962)
C’est en 1953, en se rendant avec Clement Greenberg dans l’atelier d’Helen Frankenthaler que Morris
Louis découvre la technique de la stained color, la couleur comme une tache, comme une teinture. Il
l’applique à ses compositions dans la série des Veils où la peinture est diluée et versée sur la toile en
voiles successifs. A partir des années 1960, Greenberg rapproche le dernier Monet du color-field
painting. Dans un article de 1967, il écrit : « Les meilleures peintures de nénuphars de Monet – ou les
meilleurs tableaux de Louis et Olitski – ne sont pas rendues moins provocantes ou moins ardues […]
par leurs couleurs prétendument douces. De telles équations ne peuvent se penser à l’avance, elles ne
peuvent être que ressenties et découvertes. »
Morris Louis (1912-1962) - Vernal, 1960 - Acrylique sur toile, 195,6 × 264,2 cm
Madrid, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia
Photo : Archivo Fotográfico Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía
© Adagp, Paris, 2018
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Impressionnisme abstrait / Abstract Impressionism
Alors que les impressionnistes tentaient de maîtriser les effets optiques de la nature,
les suiveurs [les impressionnistes abstraits américains] s’intéressent aux effets optiques
des états spirituels, donnant ainsi un style ancien à un sujet nouveau.
Elaine de Kooning, Subject: What, How or Who?, 1955
Le type de vision que [ces artistes – Joan Mitchell, Philip Guston…] pratiquent est
fondamentalement impressionniste, car ils refondent l’abstraction en s’intéressant aux
qualités de perception de la lumière, de l’espace et de l’air plus qu’à la surface de la
toile. […] Ce recours à la sensibilité visuelle comme base de la décision stylistique est ce
qui rattache aux Nymphéas les artistes mentionnés.
Louis Finkelstein, New Look: Abstract-Impressionism, 1956
En 1955, le Museum of Modern Art acquiert un grand panneau des Nymphéas, consacrant le Monet
tardif comme précurseur de la jeune génération de peintres new-yorkais. À l’occasion de cette
acquisition, Alfred H. Barr Jr., directeur du MoMA, énonce clairement cette filiation : « Ce sentiment
de spontanéité et de vitalité des surfaces, allié à la distance prise par rapport à l’esthétique
cézannienne-cubiste de la structure calculée, a beaucoup contribué à réactiver la réputation de Monet
et à lui valoir l’admiration grandissante des jeunes peintres abstraits généralement qualifiés
d’"expressionnistes abstraits". » La critique américaine note la perte des repères spatiaux que
provoquent la vision de ces tableaux et, en 1955, Elaine de Kooning (1918-1989), dans un de ses articles
pour le journal Art News, avance le terme d’« impressionnisme abstrait » pour qualifier un groupe
d’artistes américains qui, dans la lignée des impressionnistes, cherchent à représenter les « effets
optiques », non plus en relation avec la nature comme le faisaient Monet, Pissarro ou Sisley, mais en
résonance avec des « états spirituels ». Le critique et peintre new-yorkais, Louis Finkelstein (1923-
2000), développe cette approche, mettant en avant la volonté de Monet qui, à la fin de sa vie, cherche
à « transcender le réalisme optique des objets » en faisant de l’espace une « essence mystique ». Il
établit un parallèle avec des artistes comme Philip Guston ou Joan Mitchell.
Dès lors, Monet devient le précurseur d’une abstraction lyrique, représentée par Helen Frankenthaler,
Joan Mitchell, ou Sam Francis. La rétrospective « Monet. Seasons and Moments », de l’historien de
l’art William Seitz au MoMA en 1960, consacre cette vision d’un Monet panthéiste, en lien avec les
approches naturalistes de Henry David Thoreau et Ralph Waldo Emerson, intégrant un peu plus encore
le Monet de la dernière période aux mythologies fondatrices de l’Amérique.
Parmi les grands précurseurs de la peinture abstraite, aucun n’a été autant déprécié
par des jugements à courte vue, des éloges à contrecœur et des généralisations
absurdes que Claude Monet. […] ses toiles ont été rejetées par l’avant-garde française
vers 1905 comme étant sans forme et sans structure. Le goût critique qui a suivi, nourri
de l’atmosphère du cubisme, s’est détourné de Monet comme de l’impressionnisme
académique. Mais aujourd’hui, certains éléments constitutifs de l’art moderne ont,
pour ainsi dire, fusionné. Les qualités optiques de l’impressionnisme, qui paraissaient
si opposées à la peinture abstraite il y a vingt ans, font partie intégrante de la peinture
abstraite des années 1940 et 1950. En Amérique, cette réintégration est née de
l’agressivité expressionniste des années 1940, qui, dans les années 1950, est devenue
de plus en plus lyrique et s’est de plus en plus identifiée à la nature.
William Seitz, Monet and Abstract Painting, 1956
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Helen Frankenthaler (1928-2011)
Peintre new-yorkaise, Helen Frankenthaler par
sa technique inspirée de Pollock – elle verse
directement la peinture sur la toile au sol – et
par la fluidité de sa couleur, appartient au
colorfield painting. En 1954, elle découvre avec
Clement Greenberg les Nymphéas du musée
de l’Orangerie. Inspirée par la nature, elle
peint des motifs amples et colorés qu’elle relie
à des sensations abstraites et qu’elle
caractérise comme des paysages, tel son
Helen Frankenthaler (1928-2011) - Riverhead, 1963 - Acrylique sur toile, 208,9 x 363,2 cm
célèbre tableau de 1952, Mountains and Sea. New York, Helen Frankenthaler Foundation
Photo : Timothy Pyle, Light Blue Studio, courtesy Helen Frankenthaler Foundation
De ce point de vue, par cette introduction © 2015 Helen Frankenthaler Foundation, Inc./ Adagp, Paris, 2018
d’une nouvelle spatialité, d’une profondeur
plus naturaliste, elle rejoint le concept d’« impressionnisme abstrait » forgé par Elaine de Kooning
(« Subject ; What, How, Who ? » Art News, 1956).
Philip Guston (1913-1980)
Proche de Pollock, influencé par les muralistes américains et
mexicains, Philip Guston voyage en Europe en 1948. Il y découvre les
peintres français du XIXe siècle. Si, à ses débuts, la peinture de
Guston est réaliste, sociale, largement brossée et marquée par les
expressionnistes allemands, elle évolue rapidement vers une forme
de lyrisme qui sera comparée au Monet des Nymphéas. Ses
compositions abstraites tranchent par la délicatesse et la régularité
de sa touche et une luminosité diffuse, atmosphérique. Le critique
et peintre Louis Finkelstein développe en 1956, à la suite d’Elaine de
Kooning, dans son article « New Look : Abstract-Impressionism », le
concept d’impressionnisme abstrait afin notamment de distinguer
les toiles de Guston de celles de Pollock ou de Rothko.
Philip Guston (1913-1980) - Painting, 1954 - Huile sur toile, 160,6 x 152,7 cm - New York, Museum of Modern Art, Philip Johnson Fund, 1956
Photo : 2017. Digital image, The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence - © The Estate of Philip Guston, courtesy Hauser & Wirth
Joan Mitchell (1925-1992)
Peintre de l’École de New York, marquée par de Kooning, Joan
Mitchell s’installe en France à la fin des années 1950 avant d’acquérir
une propriété à Vétheuil, près de Giverny. À travers ses toiles très
gestuelles et colorées, inspirées de la nature, Mitchell pense la
peinture comme une expérience visuelle : « Je peins à partir de
paysages que je porte en moi et des sensations que j’en retiens, que
je transforme […] Je ne pourrai certainement jamais refléter la nature
à la façon d’un miroir. Je préfère peindre ce qu’elle a laissé en moi. »
Le critique et peintre Louis Finkelstein qui théorise l’impressionnisme
abstrait dans son article « New Look : Abstract Impressionism » (Art
News, mars 1956), relie l’œuvre de Mitchell à l’impressionnisme : « la
finalité n’est plus le sujet mais le voir […] C’est ce recours à une
sensibilité visuelle comme fondement d’une décision stylistique qui [la] relie aux Nymphéas. »
Joan Mitchell (1925-1992) - Sans titre, 1964. - Huile sur toile, 159 x 125 cm - Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle. En dépôt au musée
d'Art, d'Histoire et d'Archéologie d'Evreux - Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Jacques Faujour - © Estate Joan Mitchell
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Mark Tobey (1890-1976)
Mark Tobey, pionnier de l’abstraction américaine et qu’on a surnommé
le « vieux maître de la jeune peinture américaine », fait partie des
artistes que cite Clement Greenberg dans un article de 1948 dans lequel
il évoque les affinités existantes entre certains artistes américains et les
impressionnistes, notamment Monet et Pissarro, à travers leur
composition « polyphonique » sur la totalité de la surface de la toile –
le all-over. De fait, depuis le milieu des années 1930, Tobey a mis au
point une peinture calligraphie, la white writing, caractéristique de ses
œuvres, qui lui permet d’assembler, de ramasser les différentes parties
du tableau et peut se rapprocher de la façon dont Monet utilise le motif
des nymphéas comme « pattern » unificateur de ses compositions.
Mark Tobey (1890-1976) - White Journey, 1956 - Peinture à la colle sur papier sur Pavatex, 113,5 x 89,5 cm - Riehen/Basel, Fondation Beyeler, Beyeler Collection - Photo : Fondation
Beyeler / Robert Bayer - © Adagp, Paris, 2018
Jean-Paul Riopelle (1923-2002)
Attiré par la lumière d’Île-de-France qu’il visite en 1946, le
Québécois Jean-Paul Riopelle s’installe à Paris fin 1948 et met en
place dans les années 1950 une technique picturale « en
mosaïque », faite d’empâtements posés en petites touches
denses. Proche de Georges Duthuit, critique d’art et gendre de
Matisse, et de Sam Francis, il est présenté dans Life Magazine de
1957 comme un des « héritiers de Monet ». Ses œuvres figurent
en 1958 dans la première exposition organisée par le critique
Lawrence Alloway autour de l’idée d’« impressionnisme
abstrait » avec celles de Sam Francis, de Philip Guston ou de
Milton Resnick.
Jean-Paul Riopelle (1923-2002) - 1953.063H.V1953. Sans titre, vers 1953 - Huile sur toile, 206 x 200 cm - Saint-Paul-de-Vence, Fondation Marguerite et Aimé Maeght
Photo Claude Germain – Archives Fondation Maeght - © Adagp, Paris, 2018
Sam Francis (1923-1994)
Formé par Clyfford Still à San Francisco, Sam Francis
part pour Paris vers 1948-1949. Dès 1953, Francis
découvre les Nymphéas de l’Orangerie en
compagnie de Georges Duthuit et se souvient :
« Moi, j’allais les voir et ils étaient merveilleux, parce
qu’ils étaient si libres, presque comme les peintures
d’un aveugle. Toutes les couleurs changeaient tout
le temps. »
Ses compositions, qualifiées parfois de « tachistes »,
se caractérisent par une recherche de rendu
d’espace et de profondeur. Au vu des Nymphéas, il
adopte une technique de coulures noires qui se
dissolvent dans des aplats de couleur étendus sur
toute la surface de la toile, créant un contraste de
lumière et une sensation de flottement dans ses tableaux.
Sam Francis (1923-1994) - Round the world, 1958-1959 - Huile sur toile, 276.5 x 321.5 cm - Riehen/Basel, Fondation Beyeler, Beyeler Collection
Photo © Fondation Beyeler / Peter Schibli © 2018 / Sam Francis Foundation, California / Adagp, Paris
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La peinture française m’intéressait beaucoup parce qu’elle est pleine de lumière et de
couleur, si transparente. […] À la galerie Katia Granoff, je pouvais voir des peintures
tardives [de Monet], ces peintures très peu finies, des petites peintures. Je suis
finalement allé voir les Nymphéas. Giverny était fermé. Monet n’était alors pas
considéré comme valant quoi que ce soit. Partout où nous allions pour trouver des
Monet on nous disait : "Quoi ? Ouh ! Monet ? Terrible !", et on pouvait les acheter pour
très peu cher. C’était fou ! Moi j’allais les voir et ils étaient merveilleux, parce qu’ils
étaient si libres, presque comme les peintures d’un aveugle – et Monet probablement
était aveugle. Toutes les couleurs changeaient tout le temps.
Sam Francis, entretien avec Yves Michaud, 1988
Claude Monet (1840-1926)
Le Saule pleureur, 1920-1922
Huile sur toile, 110 x 100 cm
Paris, musée d’Orsay, donation Philippe Meyer, RF 2000 21
Photo © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Michèle Bellot
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Abstraction gestuelle / Action Painting
Les peintres américains commencèrent à considérer la toile comme une arène dans
laquelle agir, plutôt que comme un espace où reproduire, redessiner, analyser ou
exprimer un objet réel ou imaginaire. Ce qui naissait sur la toile n’était plus une image
mais un événement.
Harold Rosenberg, The American Action Painters, 1952
Les photographies et films de Hans Namuth (1915-1990) qui saisissent la gestuelle du peintre Jackson
Pollock dans sa technique du dripping, ont largement contribué à montrer un Pollock instinctif,
physique, en transe dans son processus créatif, influençant sans doute le texte du critique Harold
Rosenberg, « The American Action Painters », de 1952. Cette gestualité est très perceptible dans les
dernières œuvres de Monet, à travers les larges panneaux des Nymphéas peints dans l’atelier sur des
très grands chevalets verticaux sur roulettes et dans ses carnets d’esquisses au crayon dont la
calligraphie enchevêtrée extrêmement allusive révèle le dynamisme de la main.
Il a suffi de quelques années pour que plusieurs Américains, qui allaient devenir les plus
novateurs des peintres d'avant-garde redécouvrent [Monet] avec enthousiasme. Ils
n'avaient pourtant jamais vu autrement qu'en reproduction ces formidables premiers
plans que sont les derniers Nymphéas. […] Ses larges barbouillages de peinture
éclaboussée sur la toile et ses gribouillages leur montraient aussi que la peinture sur
toile devait pouvoir respirer ; et que, lorsqu'elle respirait, elle exhalait d'abord et
surtout la couleur - par champs et par zones plutôt que par formes ; qu'enfin, cette
couleur devait être sollicitée de la surface autant qu'y être appliquée. C'est sous l'égide
de la dernière période de Monet que ces jeunes Américains commencèrent à rejeter le
dessin sculptural [...] pour se tourner vers le dessin par grandes "plages".
Clement Greenberg, Le Monet de la dernière période, 1956-1959
Jackson Pollock (1912-1956) - Untitled, vers 1949
Tissus, papier, carton, émail et peinture aluminium sur panneau, 78.7 x 57.5
cm Riehen/Basel, Fondation Beyeler, Beyeler Collection
Photo : Fondation Beyeler / Robert Bayer © Adagp, Paris, 2018
19
Kelly et Monet : puissance de l’œil
Les derniers tableaux de Monet ont eu une grande influence sur moi et, quoique mon
travail ne ressemble pas au sien, je crois que je veux que son esprit soit le même.
Ellsworth Kelly, 2001
Installé en France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Ellsworth Kelly (1923-2015), artiste
états-unien, découvre les panneaux des Nymphéas lors d’une rétrospective consacrée à Monet à
Zurich en 1952. Intrigué par ces œuvres quasi abstraites aux formats exceptionnels, il écrit aux héritiers
de Monet qui l’invitent à Giverny. La vision des grands panneaux dans l’atelier à l’abandon lui laisse
une forte impression : « Je n’avais jamais vu de tableaux comme ça : des compositions unies d’un bord
à l’autre de peinture à l’huile épaisse représentant de l’eau avec des nénuphars, sans ligne d’horizon.
J’ai eu le sentiment que ces œuvres étaient des déclarations belles et impersonnelles. » Kelly réalise
alors un tableau monochrome, Tableau vert, dans lequel se fondent des reflets verts et bleus, créant
« comme de l’herbe qui bouge sous l’eau ». De retour à New York à partir de 1954, il développe un
travail de peinture et sculpture qui relève d’une abstraction minimaliste de formes colorées primaires,
souvent directement prélevées dans la réalité observée.
Comme Monet, Kelly croit en la puissance de l’œil et rejette à la fois les symboles et la narration.
Parallèlement à ses peintures abstraites, il mène par le dessin de véritables exercices de vision : c’est
ainsi qu’en 1968, il trace inlassablement les contours d’une même feuille de nénuphar, motif givernyen
par excellence, qui donne lieu à de subtiles variations. En 2005, Kelly revient une fois encore sur un
motif emprunté à Monet, le paysage de Belle-Île et ses rochers, à travers une série de dessins au
crayon. Plus largement, les œuvres monumentales de Kelly, avec leurs châssis courbés ou leurs
découpes épurées, forment de vastes étendues de couleur ou des mises en mouvement de l’espace,
qui s’apparentent au dispositif immersif des Nymphéas de l’Orangerie : elles font face au spectateur
et l’environnent en même temps.
Ellsworth Kelly (1923-2015) Ellsworth Kelly (1923-2015) Ellsworth Kelly (1923-2015)
Water Lily (1), 1968 Tableau Vert, 1952 Water Lily (7), 1968
Encre sur papier, 61 x 48.3 cm Huile sur bois, 74.3 x 99.7 cm Encre sur papier, 61 x 48.3 cm
Collection Ellsworth Kelly Studio Chicago, The Art Institute of Chicago. Collection Ellsworth Kelly Studio
Photo : Tim Nighswander Gift of the artist, 2009 Photo : Tim Nighswander
Artwork: © Ellsworth Kelly Foundation Photo : courtesy Art Institute of Chicago Artwork: © Ellsworth Kelly Foundation
Artwork: © Ellsworth Kelly Foundation
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