Hervé Kempf
Comment les riches détruisent la planète
L’autobus me conduisait à l’aéroport d’Heathrow, au terme d’un re-
portage sur le « soldat du futur ». La radio diffusait les nouvelles. Le
journaliste racontait que, selon des spécialistes suédois, un taux élevé
de radioactivité était détecté dans le pays scandinave. Cela pourrait
provenir de l’accident d’une centrale nucléaire.
Nous étions le 28 avril 1986, le surlendemain de l’accident de Tch-
ernobyl. Cette nouvelle réveilla en moi, soudainement, un sentiment
d’urgence oublié. Dix ou quinze ans auparavant, je lisais Illich, La
Gueule ouverte, Le Sauvage, et me passionnais pour l’écologie, qui me
paraissait la seule vraie alternative à une époque où le marxisme tri-
omphait. Puis la vie m’avait poussé sur d’autres chemins. Journaliste,
j’étais alors immergé dans la révolution micro-informatique : au mo-
ment où Time consacrait l’ordinateur « homme de l’année », je dé-
couvrais avec mes camarades de Science et Vie Micro les arcanes du
premier Macintosh, les « messageries roses » du Minitel qui préfig-
uraient les chats et forums d’Internet, les aventures d’un jeune type
nommé Bill Gates qui venait de conclure un contrat fumant avec IBM.
Subitement, Tchernobyl. Une évidence : l’écologie. Une urgence : la
raconter. J’ai commencé à le faire. Depuis, j’ai toujours été guidé par
deux règles : être indépendant, et produire de la bonne information,
c’est-à-dire exacte, pertinente, originale. Aussi me gardaije du cata-
strophisme. Racontant, parmi les premiers, l’affaire climatique, l’aven-
ture des OGM, la crise de la biodiversité, je n’ai jamais « forcé le trait
». Il me semblait que les faits, portés par une attention tenace pour
des sujets si évidemment prioritaires, suffisaient à parler à l’intelli-
gence. Et je croyais que l’intelligence suffisait à transformer le monde.
Cependant, après avoir cru que les choses changeaient, que la société
évoluait, que le système pouvait bouger, je fais aujourd’hui deux
constats :
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– la situation écologique de la planète empire à une allure que les ef-
forts de millions de citoyens du monde conscients du drame mais trop
peu nombreux ne parviennent pas à freiner ;
– le système social qui régit actuellement la société humaine, le capit-
alisme, s’arcboute de manière aveugle contre les changements qu’il est
indispensable d’opérer si l’on veut conserver à l’existence humaine sa
dignité et sa promesse.
Ces deux constats me conduisent à jeter mon poids, aussi infime soit-
il, dans la balance, en écrivant ce livre court et aussi clair qu’il est pos-
sible de l’être sans trop simplifier. On y lira une alarme, mais surtout
un double appel, sans le succès duquel rien ne sera possible : aux éco-
logistes, de penser vraiment le social et les rapports de force ; à ceux
qui pensent le social, de prendre réellement la mesure de la crise éco-
logique, qui conditionne aujourd’hui la justice.
Le confort dans lequel baignent les sociétés occidentales ne doit pas
nous dissimuler la gravité de l’heure. Nous entrons dans un temps de
crise durable et de catastrophes possibles. Les signes de la crise écolo-
gique sont clairement visibles, et l’hypothèse de la catastrophe devient
réaliste.
Pourtant, on prête au fond peu d’attention à ces signes. Ils n’influen-
cent pas la politique ni l’économie. Le système ne sait pas changer de
trajectoire. Pourquoi ?
Parce que nous ne parvenons pas à mettre en relation l’écologie et le
social.
Mais on ne peut comprendre la concomitance des crises écologique et
sociale si on ne les analyse pas comme les deux facettes d’un même
désastre. Celui-ci découle d’un système piloté par une couche
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dominante qui n’a plus aujourd’hui d’autre ressort que l’avidité,
d’autre idéal que le conservatisme, d’autre rêve que la technologie.
Cette oligarchie prédatrice est l’agent principal de la crise globale.
Directement par les décisions qu’elle prend. Celles-ci visent à main-
tenir l’ordre établi à son avantage, et privilégient l’objectif de crois-
sance matérielle, seul moyen selon elle de faire accepter par les classes
subordonnées l’injustice des positions. Or, la croissance matérielle ac-
croît la dégradation environnementale.
L’oligarchie exerce aussi une influence indirecte puissante du fait de
l’attraction culturelle que son mode de consommation exerce sur l’en-
semble de la société, et particulièrement sur les classes moyennes.
Dans les pays les mieux pourvus comme dans les pays émergents, une
large part de la consommation répond à un désir d’ostentation et de
distinction. Les gens aspirent à s’élever dans l’échelle sociale, ce qui
passe par une imitation de la consommation de la classe supérieure.
Celle-ci diffuse ainsi dans toute la société son idéologie du gaspillage.
Le comportement de l’oligarchie ne conduit pas seulement à l’appro-
fondissement des crises. Face à la contestation de ses privilèges, à l’in-
quiétude écologiste, à la critique du libéralisme économique, il affaiblit
les libertés publiques et l’esprit de la démocratie.
Une dérive vers un régime semi-autoritaire s’observe presque partout
dans le monde. L’oligarchie qui règne aux États-Unis en est le moteur,
s’appuyant sur l’effroi provoqué dans la société américaine par les at-
tentats du 11 septembre 2001.
Dans cette situation, qui pourrait conduire soit au chaos social, soit à
la dictature, il importe de savoir ce qu’il convient de maintenir pour
nous et pour les générations futures : non pas la « Terre », mais les «
possibilités de la vie humaine sur la planète », selon le mot du
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philosophe Hans Jonas, c’est-à-dire l’humanisme, les valeurs de re-
spect mutuel et de tolérance, une relation sobre et riche de sens avec la
nature, la coopération entre les humains.
Pour y parvenir, il ne suffira pas que la société prenne conscience de
l’urgence de la crise écologique – et des choix difficiles que sa préven-
tion impose, notamment en termes de consommation matérielle. Il
faudra encore que la préoccupation écologique s’articule à une analyse
politique radicale des rapports actuels de domination. On ne pourra
pas diminuer la consommation matérielle globale si les puissants ne
sont pas abaissés et si l’inégalité n’est pas combattue. Au principe éco-
logiste, si utile à l’époque de la prise de conscience – « Penser globale-
ment, agir localement » –, il nous faut ajouter le principe que la situ-
ation impose : « Consommer moins, répartir mieux. »
CHAPITRE I La
catastrophe. Et
alors ?
La nuit avait été longue. Épuisante, mais palpitante. Dans un ultime
rebondissement, la Russie avait posé un obstacle majeur au com-
promis qu’une semaine d’âpres négociations avait fini par faire émer-
ger. Le protocole de Kyoto allait-il échouer, après avoir triomphé de
l’obstination américaine ? Mais, au fil des tractations nocturnes
habilement menées par les diplomates canadiens et anglais, la Russie
retirait sa demande, d’ailleurs incompréhensible, et l’accord était
scellé : la communauté mondiale décidait de prolonger le protocole
au-delà de son terme de 2012 et les nouveaux géants, la Chine et
l’Inde, acceptaient à mots couverts cette discussion qui les engagerait
inévitablement dans les défis de l’avenir.
Ces négociations internationales ressemblent à une caravane cosmo-
polite, composée de figures chatoyantes, d’intérêts divers, de passions
et d’égoïsmes, mais aussi animée, derrière le choc des intérêts, par le
sentiment commun de la nécessité d’un accord universel. Sous les
rituels obscurs et les textes ésotériques se met en oeuvre l’idéal d’une
politique pour toute l’humanité. Et, toutes et tous, traits tirés, yeux
gonflés, membres gourds, dans cette salle de Montréal en décembre
2005, nous avons applaudi et ri à la bonne nouvelle.
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Oublieux que la nuit pourrait être blanche, j’avais pris un rendez-vous
dans la matinée à l’université avec un scientifique éminent, pour par-
ler de tout autre chose : la biodiversité. Je marchais dans l’air froid de
la métropole québécoise, porté par l’enthousiasme des heures
précédentes, inconscient de ma fatigue, guilleret, pour tout dire.
Par la fenêtre du bureau étroit de Michel Loreau, nous apercevions les
hauts bâtiments de la cité, un univers totalement artificiel. Et dans ses
mots précis, sans une once d’exagération ou d’émotion, avec le calme
qui sied au directeur du Programme international de recherche
Diversitas, le chercheur belge m’a raconté ce que je savais déjà, mais
qui prenait, dans l’air cristallin de l’hiver canadien, un sens dram-
atique que je n’avais jusqu’alors jamais perçu dans sa pleine mesure.
La planète Terre connaît en ce moment même la sixième crise d’ex-
tinction des espèces vivantes qui lui soit advenue depuis que la vie, il y
a trois milliards d’années, a commencé à transformer sa surface
minérale. « Aujourd’hui, me dit-il, on estime que pour les groupes les
mieux connus – les vertébrés et les plantes –, le taux d’extinction est
une centaine de fois plus élevé que ce qu’il était en moyenne dans les
temps géologiques, en dehors des crises d’extinction massive. » Il mar-
qua une pause. « C’est déjà beaucoup, mais ce n’est rien par rapport à
ce qui est prévu : ce taux va s’accélérer et être de l’ordre de dix mille
fois plus élevé que le taux géologique. »
James Lovelock est presque inconnu en France. Ce fait ne témoigne
que de l’inculture écologique qui règne dans notre pays, parce qu’en
Grande-Bretagne, mais aussi au Japon, en Allemagne, en Espagne,
aux États-Unis, le grand savant anglais jouit d’une notoriété méritée.
C’est qu’il a fait avancer la science à un double titre : d’une part, en in-
ventant une série de dispositifs très utiles aux physiciens – et notam-
ment le détecteur par capture d’électrons –, d’autre part en élaborant
une théorie sur notre planète qui compte parmi les plus stimulantes
pour l’esprit. Il a donné à cette théorie le nom de Gaïa, sur la
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suggestion de son ami William Golding, prix Nobel de littérature.
Selon Lovelock, la Terre se comporte comme un organisme vivant
autorégulé.
Mais si je serpentais sur les petites routes des Cornouailles, traversant
une campagne qui a gardé de façon extraordinaire son caractère rural
du XIXe siècle, ce n’était pas pour parler de Gaïa, mais pour entendre
le message pessimiste du grand savant. J’avais une double raison de
prêter attention au propos de mon hôte : son curriculum vitae impres-
sionnant, et la parfaite connaissance des débats sur le climat qu’il tient
de première source. Il discute en effet fréquemment avec les climato-
logues du centre de recherche Hadley, d’Exeter, à cinquante kilo-
mètres de chez lui. C’est un des centres les plus réputés au monde en
matière de climat. Plus tard, je confirmerais par des discussions avec
d’autres chercheurs et par des lectures l’inquiétant message que me
délivra Lovelock.
« Avec le réchauffement climatique, me dit-il dans l’atmosphère si
british de sa petite maison blanche, la plus grande partie de la surface
du globe va se transformer en désert. Les survivants se grouperont au-
tour de l’Arctique. Mais il n’y aura pas de place pour tout le monde, al-
ors il y aura des guerres, des populaces déchaînées, des seigneurs de la
guerre. Ce n’est pas la Terre qui est menacée, mais la civilisation. »
« Je suis un homme joyeux, je n’aime pas les histoires de catastrophes,
poursuivit-il. C’est ce qui rend celle-ci si étrange – avant, je ne pensais
pas que le danger était si grand. »
Que sir Lovelock me pardonne, mais je pourrais prendre à mon
compte, mot pour mot, cette dernière phrase. Je suis attentivement la
question du changement climatique depuis 1988. J’ai observé com-
ment la préoccupation s’en est développée chez les scientifiques, a
émergé dans les médias, s’est confrontée aux arguments contraires,
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avant de s’affermir et de devenir une grille d’interprétation du monde
d’une grande solidité. La prise de conscience a progressé à une vitesse
presque stupéfiante, et nombre de chercheurs sont plus pessimistes
qu’ils n’auraient imaginé l’être il y a quinze ans. Il n’y a pas de « cata-
strophisme » ici, ou alors, il faut traiter toute une communauté scien-
tifique de catastrophiste.
Depuis quelque temps, une nouvelle problématique inquiète les clima-
tologues. Le climat pourrait se dérégler brutalement, trop vite pour
que l’action humaine puisse corriger le déséquilibre. C’est cette in-
quiétude qu’exprime le théoricien de Gaia, plus libre de sa parole que
d’autres scientifiques, mais sans exagérer leur souci.
Objectif : limiter la casse
Théorie scientifique élaborée dès le XIXe siècle, l’idée du réchauffe-
ment global a été redécouverte dans les années 1970 et étudiée attent-
ivement à partir des années 1980. Une intense discussion entre scien-
tifiques s’en est ensuivie.
Le changement climatique est dû à l’accroissement de l’effet de serre :
certains gaz, tels que le dioxyde de carbone ou le méthane, ont la pro-
priété de piéger près de la planète une partie du rayonnement qu’elle
réfléchit vers l’espace. Du fait de l’accumulation récente de ces gaz
dans l’atmosphère, la chaleur moyenne de celle-ci augmente.
L’idée que le changement climatique est déjà engagé repose sur trois
progrès de l’observation : le taux de dioxyde de carbone et d’autres gaz
dans l’atmosphère ne cesse d’augmenter ;la température moyenne du
globe s’accroît régulièrement ; la qualité des modèles physiques de la
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biosphère et celle des autres outils de connaissance du climat se sont
beaucoup améliorées.
L’augmentation de la température moyenne à la fin du XXe siècle, en-
visagée en prolongeant les tendances actuelles, devrait se situer entre
1,4 à 5,8 °C. Elle est calculée par le GIEC (Groupe d’experts in-
tergouvernemental sur l’évolution du climat), qui réunit la commun-
auté des scientifiques spécialistes du changement climatique. Cela ne
veut pas dire que l’on s’arrêterait là. Si rien ne change d’ici à la fin du
siècle, ce réchauffement se poursuivra.
Ces chiffres apparemment modestes sont en fait importants. La tem-
pérature moyenne du globe est de 15 °C. Quelques degrés suffisent à
un changement radical de régime climatique. Par exemple, moins de 3
°C nous séparent de l’holocène, voilà de six mille à huit mille ans, une
période très différente d’aujourd’hui ; de même, la température sous
l’ère glaciaire d’il y a vingt mille ans n’était que de 5 °C inférieure à
celle d’aujourd’hui.
Même si l’on arrêtait d’un seul coup les émissions de gaz, l’augmenta-
tion de l’effet de serre provoquée par les émissions précédentes ne
serait pas immédiatement interrompue. En effet, beaucoup de gaz à
effet de serre ont une stabilité chimique de plusieurs dizaines
d’années, ce qui signifie que leurs propriétés perdurent longtemps
dans l’atmosphère. Les systèmes naturels présentent une inertie im-
portante : lents à se modifier, ils sont également lents à retrouver l’état
antérieur. Nous ne pouvons plus espérer revenir rapidement à la situ-
ation qui existait avant le milieu du XIXe siècle, moment où, lors de la
révolution industrielle, l’émission massive de gaz à effet de serre a
commencé. En revanche, nous pouvons ralentir l’accélération de ces
émissions, viser à leur stabilisation, puis à leur décroissance. Cela per-
mettrait de limiter le réchauffement à deux ou trois degrés Celsius.
C’est devenu, à vrai dire, le seul objectif réaliste.
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Si le climat s’emballait…
Un élément crucial pour apprécier la situation actuelle est relatif aux
échelles de temps : le réchauffement que nous vivons se produit très
rapidement par rapport aux phénomènes comparables connus dans le
passé : ils se déroulaient sur des milliers d’années ; nous transformons
le système climatique en moins de deux cents ans.
Mais le changement climatique, au lieu de s’opérer graduellement,
pourrait advenir brutalement. En quelques dizaines d’années, le climat
pourrait basculer de plusieurs degrés, empêchant une adaptation pro-
gressive des sociétés. Cette découverte, faite au début des années 1990,
s’exprime aujourd’hui d’une autre façon : au-delà d’un certain seuil –
que les climatologues tendent à situer autour de 2 degrés de réchauffe-
ment –, le système climatique pourrait s’emballer de façon irrévers-
ible. Normalement, la biosphère corrige spontanément les dérègle-
ments qui l’affectent. Mais en raison de la saturation de ses capacités
d’absorption, ce processus réparateur pourrait ne plus opérer. Voici
les mécanismes pouvant favoriser l’emballement du changement
climatique :
– une grande part du gaz carbonique émis par l’humanité est nor-
malement pompée par la végétation et les océans : la moitié reste dans
l’atmosphère, un quart est absorbé par les océans, un quart par la
végétation. C’est pourquoi l’on appelle les océans et la végétation con-
tinentale des « puits » de gaz carbonique. Or ces puits pourraient ar-
river à saturation. Dans ce cas, une plus grande partie du gaz carbo-
nique émis, voire son intégralité, resterait dans l’atmosphère, ac-
célérant encore l’effet de serre. Océans et végétation pourraient même
commencer à relâcher le CO2 qu’ils ont stocké antérieurement. De
surcroît, la poursuite de la déforestation pourrait transformer les
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forêts tropicales, qui sont encore des puits, en émetteurs nets de
carbone ;
– les régions arctique et antarctique se réchauffent. Plusieurs séries
d’observations et de calculs conduisent les glaciologues à penser que le
Groenland et les continent antarctique pourraient fondre rapidement,
ce qui entraînerait une élévation du niveau de la mer plus élevée que
celle envisagée en 2001 par le GIEC : il prévoyait un demi-mètre
d’élévation à la fin du siècle, il faudrait raisonner avec deux, trois,
voire plus ;
– les glaces – comme toute surface blanche – réfléchissent les rayons
du soleil, limitant ainsi le réchauffement de la surface terrestre. C’est
ce qu’on appelle l’« albédo ». Mais la fonte progressive des glaces di-
minue l’albédo, donc la limitation du réchauffement, ce qui stimule
celui-ci ;
– de même, le réchauffement des hautes latitudes, plus accentué
semble-t-il que celui du reste de la planète, devrait entraîner la fonte
du permafrost, ou pergélisol : il s’agit d’une couche de terre gelée qui
couvre plus de 1 million de kilomètres carrés, surtout en Sibérie, sur
25 mètres de profondeur moyenne. On estime que le pergélisol stocke
500 milliards de tonnes de carbone, qu’il relâcherait s’il fondait.
Les phénomènes décrits ci-dessus restent à l’état d’hypothèses. Mais
plusieurs études font penser qu’elles pourraient se concrétiser. Par ex-
emple, un groupe de chercheurs a montré que, pendant la canicule de
l’été 2003, la végétation de l’Europe, au lieu d’absorber du gaz carbo-
nique, en a relâché en quantité importante. D’autres chercheurs ont
montré que le permafrost commençait à se dégeler : si cela continue «
au taux observé, écrivent les auteurs, tout le carbone stocké récem-
ment pourrait être relargué dans le siècle ». Des analyses récentes esti-
ment par ailleurs que les modèles climatiques ont sous-évalué
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les interactions entre les gaz à effet de serre et la biosphère, ce qui con-
duit à la conclusion que le réchauffement sera plus important que ne
le prévoyait le GIEC dans son rapport de 2001. Ces éléments expli-
quent que la communauté scientifique n’exclue pas une élévation très
rapide de la température moyenne du globe à des niveaux
insupportables.
« Un réchauffement de 8 degrés en un siècle est très improbable, mais
ce n’est plus une basse probabilité en deux siècles si nous utilisons
tout le pétrole, développons les schistes bitumineux et brûlons la
moitié du charbon », s’inquiète Stephen Schneider, de l’université
Stanford, aux États-Unis. De fait, le GIEC, dans son quatrième rapport
publié en 2007, envisage que le réchauffement pourrait dépasser le
niveau maximal de 5,8 OC qui était antérieurement envisagé.
Jamais vu depuis les
dinosaures
Si elle est beaucoup moins connue que le changement climatique, la
crise de la biodiversité mondiale n’est pas moins inquiétante. Son in-
dicateur le plus apparent est la disparition des espèces d’êtres vivants.
Le rythme en est si rapide que l’expression de « sixième extinction »,
par référence aux cinq crises majeures d’extinctions des espèces qu’a
subies la planète avant même l’apparition de l’homme, est devenue of-
ficielle : « Nous sommes actuellement responsables de la sixième ex-
tinction majeure dans l’histoire de la Terre, et de la plus importante
depuis que les dinosaures ont disparu il y a 65 millions d’années »,af-
firme le Rapport sur la biodiversité globale rendu lors de la Con-
férence des Nations unies sur la biodiversité, au Brésil en 2006.
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Chaque année, l’Union internationale pour la conservation de la
nature publie sa « Liste rouge » des espèces menacées : en 2006, sur
les 40 177 espèces étudiées, 16 119 sont menacées d’extinction. « Un
déclin substantiel de l’abondance et de la diversité de la faune inter-
viendra sur 50 à 90 % de la surface en 2050 si la croissance des infra-
structures et l’exploitation des ressources terrestres continuent au
rythme actuel », prévoit quant à lui le centre de recherche Globio du
Programme des Nations unies pour l’environnement. Là encore, la
vitesse de transformation de son environnement par l’humanité, com-
parée aux évolutions qu’a déjà connues la Terre, est sidérante ; les ex-
perts s’accordent, comme Michel Loreau, à estimer que le taux d’ex-
tinction des espèces devrait atteindre des milliers de fois le taux
naturel enregistré par l’histoire géologique, c’est-à-dire par l’étude des
fossiles.
La disparition des espèces a pour cause majeure la dégradation ou la
destruction des habitats. Celle-ci atteint depuis un demi-siècle un
rythme frénétique : plus de terres ont été converties à l’agriculture
depuis 1950 qu’aux XVIIIe et XIXe siècles, relève le Millenium Ecosys-
tem Assessment, un rapport élaboré par plus de 1 300 scientifiques du
monde entier ; depuis 1980, 35 % des mangroves (forêts humides des
rivages tropicaux) ont été perdues, ainsi que 20 % des récifs coralliens
; la production d’azote par l’humanité dépasse celle de tous les proces-
sus naturels, tandis que la quantité d’eau retenue dans les grands bar-
rages excède de trois à six fois celle que recèlent fleuves et rivières. «
Nous avons connu dans les trente dernières années des changements
plus rapides que jamais dans l’histoire humaine », résume Neville Ash,
du Centre mondial d’observation de la nature (UNEP-WCMC), à Cam-
bridge, en Grande-Bretagne. Selon les chercheurs de Globio, un tiers
de la superficie terrestre est converti en terre agricole ; mais plus d’un
autre tiers est en cours de transformation agricole, urbaine, ou en
infrastructures.
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Cette artificialisation n’est pas seulement le fait de pays en développe-
ment cherchant à faire face à leurs immenses besoins. Les pays riches
eux aussi gaspillent l’espace sans compter. En France, observe le
Manifeste pour les paysages lancé en 2005, « l’étalement urbain s’ac-
compagne le plus souvent d’une consommation déraisonnable du cap-
ital foncier qui constitue pourtant une ressource non renouvelable :
doublement des surfaces urbanisées depuis 1945, augmentation de 17
% des surfaces artificialisées ces dix dernières années alors que la pop-
ulation s’est accrue de 4 % seulement ».
L’ensemble du milieu vivant est affecté par cette crise de la biod-
iversité. Presque tous les milieux naturels de la planète sont mainten-
ant en situation altérée. En fait, avertissent les scientifiques du Mil-
lenium Ecosystem Assessment, « l’activité humaine exerce une telle
pression sur les fonctions naturelles de la planète que la capacité des
écosystèmes à répondre aux demandes des générations futures ne peut
plus être considérée comme acquise ». Les conséquences de la perte de
la biodiversité sont difficiles à évaluer. Les naturalistes s’attendent à
des effets de seuil, c’est-à-dire à des réactions brutales des écosys-
tèmes quand certains déséquilibres auront été atteints : « On peut
comparer la biodiversité à un jeu de mikado et ses pertes aux
baguettes que l’on retire au fur et à mesure, dit Jacques Weber, direc-
teur de l’Institut français de la biodiversité. Enlevez-en une, puis deux
: rien ne bouge. Mais un jour, le tas pourrait s’écrouler sur lui-même. »
Le Millenium Ecosystem Assessment exprime la même idée autrement
: « La machinerie vivante de la Terre a tendance à passer d’un change-
ment graduel à un changement catastrophique sans guère d’avertisse-
ment (...).Une fois qu’un tel point de rupture est atteint, il peut être
difficile voire impossible aux systèmes naturels de revenir à leur état
antérieur. » En fait, comme dans le cas du changement climatique, les
scientifiques commencent à redouter le passage d’un seuil, au-delà
duquel des phénomènes brutaux et irréversibles de dégradation
s’enclencheraient.
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Nous sommes tous des
saumons
À la transformation des habitats par artificialisation ou destruction
s’ajoute une pollution générale dont tous les indicateurs nous disent
qu’elle augmente. Le plus grand écosystème du monde, à savoir l’en-
semble des océans, se dégrade maintenant de manière sensible. « Il est
victime d’une détérioration sans précédent », résume Jean-Pierre
Féral, du CNRS. La masse océanique, qui couvre 71 % de la surface de
la Terre, et que l’on considérait jusqu’à présent comme un puits sans
fond, commence à montrer ses limites de digestion des rebuts de
l’activité humaine. Le plafonnement puis la réduction des prises de
pêche sont le symptôme le plus visible de cet appauvrissement des
océans : les stocks de poissons surexploités sont passés de 10 % dans
les années 1970 à 24 % en 2002, tandis que 52 % sont à la limite maxi-
male d’exploitation. Alors que la dégradation affectait jusqu’à présent
surtout les eaux côtières, elle atteint maintenant l’ensemble des océans
: on estime par exemple que 18 000 bouts de plastique flottent sur
chaque kilomètre carré d’océan ;dans le centre du Pacifique, on
compte 3 kilogrammes de déchets pour 500 grammes de plancton !
Les hautes mers et les fonds océaniques, qui abritent une biodiversité
très importante, commencent à être exploités et perturbés par la
pêche, la prospection de nouvelles espèces, la recherche pétrolière, etc.
Une des histoires les plus désolantes et les plus symboliques de ce que
nous avons fait de la planète se déroule entre le vaste océan et les lacs
d’Alaska. Au terme de leur existence, les saumons sauvages reviennent
pondre leurs oeufs dans les centaines de lacs que compte cet État. Ils
déposent les oeufs, puis meurent, leurs corps allant se déposer au fond
du lac où leur instinct les a ramenés. Des chercheurs canadiens ont eu
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l’idée de collecter et d’analyser les sédiments de quelques-uns de ces
lacs, sédiments composés en bonne partie des cadavres des grands
poissons migrateurs. Ils ont eu la surprise de découvrir que ces sédi-
ments contiennent plus de PCB (polychlorobiphényles) qu’il n’aurait
pu s’en trouver dans le lac du seul fait des dépôts atmosphériques. Les
PCB sont un polluant chimique très persistant, qui a été utilisé en
énormes quantités pendant des dizaines d’années au XXe siècle. Ces
PCB en excès dans les lacs proviennent des cadavres des poissons.
Ainsi, les saumons sauvages polluent les lacs immaculés des zones les
plus reculées de l’Alaska !
À quoi est-ce dû ? Le PCB est répandu en quantité infime dans tout
l’océan. Durant leurs pérégrinations dans le nord du Pacifique, les
poissons accumulent ces polychlorobiphényles dans leurs graisses : al-
ors qu’on en trouve moins de 1 nanogramme par litre, le poison atteint
la concentration de 2 500 nanogrammes par gramme de graisse de
l’animal. Les saumons « agissent ainsi comme des pompes biologiques
», accumulant la matière toxique avant de revenir polluer le lac … et
leur descendance.
Nous sommes tous des saumons : en tant qu’êtres placés au sommet
de la chaîne alimentaire, nos organismes accumulent les contaminants
largement répandus dans la biosphère par nos si indispensables «
activités humaines ». Et de même que les saumons d’Alaska empois-
onnent leur progéniture, de même nous contaminons dès la naissance
nos enfants. En Allemagne, où plusieurs organismes publics analysent
régulièrement, depuis des années, le lait maternel, on a constaté que
celui-ci contient jusqu’à 350 types de polluants. Ces poisons ne se ret-
rouvent pas seulement dans le lait maternel. Toutes les analyses de
sérum sanguin effectuées dans les pays développés montrent de la
même manière que les adultes sont contaminés, à des doses certes
petites, par une large gamme de produits chimiques.
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Si l’on n’a pas établi de manière nette à quel degré la contamination
chimique généralisée affecte l’état de santé des populations, une ques-
tion voisine préoccupe depuis une dizaine d’années les spécialistes de
la reproduction. On observe une montée des troubles de la reproduc-
tion (quantité de spermatozoïdes en diminution chez les hommes,
cancers des testicules, augmentation de la stérilité, etc.). Est-elle at-
tribuable à la contamination par des produits chimiques, classés
comme « perturbateurs endocriniens » parce qu’ils dérèglent le sys-
tème hormonal ? Des indices de plus en plus nombreux plaident dans
ce sens. Par exemple, une recherche publiée début 2006 a établi le lien
entre l’exposition à de faibles doses d’insecticides et la baisse de fertil-
ité des hommes examinés. Un autre facteur explicatif – supplé-
mentaire ? – pourrait être la pollution atmosphérique, dont plusieurs
études indiquent qu’elle affecte la reproduction humaine.
Plus globalement, les scientifiques discutent du lien entre la contamin-
ation des individus (du fait des produits chimiques qu’ils absorbent
par l’eau, la nourriture ou l’atmosphère) et l’augmentation régulière
des cancers.
En fait, les démographes et les spécialistes de santé publique commen-
cent à envisager que l’allongement de l’espérance de vie -un des indic-
ateurs les plus généralement reconnus du progrès humain -pourrait
prochainement s’arrêter. La durée moyenne de la vie humaine pour-
rait même se contracter. Les responsables en seraient la pollution
chimique – « Cela ne fait que trente ans que nous sommes exposés
quotidiennement à des centaines de produits chimiques, dont la pro-
duction massive date des années 1970 ou 1980 », relève Claude Aubert
–, une alimentation déséquilibrée et surabondante, l’exposition à la
pollution atmosphérique, radioactive et électromagnétique, et des
habitudes de vie trop sédentaires (télévision et automobile). Aux
États-Unis, l’espérance de vie des femmes tend à plafonner depuis
1997. Et un chercheur, Jay Olshansky, a estimé qu’en raison de la
20/149
montée rapide de l’obésité (deux tiers des adultes aux États-Unis sont
en surcharge pondérale), l’espérance de vie dans ce pays pourrait
décroître prochainement.
La planète ne récupère
plus
Un facteur aggravant de la crise écologique planétaire est la fant-
astique expansion de la Chine, dont la production a crû depuis une
quinzaine d’années au rythme de près de 10 % par an, et de l’Inde, à
un taux guère inférieur. Cette croissance est comparable à celle du Ja-
pon dans les années 1960. L’empire du Soleil levant était ainsi devenu
la deuxième économie du monde. Mais avec la Chine, c’est une masse
humaine dix fois plus importante que le Japon qui est entrée dans la
spirale de la croissance économique : elle pèse donc bien plus lourde-
ment sur les écosystèmes mondiaux, notamment par ses importations
de matières premières et de bois dont l’extraction impacte leurs mi-
lieux d’origine. Par exemple, la Chine est devenue le premier im-
portateur mondial de soja, stimulant l’expansion de la culture de la
légumineuse en Amérique latine, ce qui aggrave la déforestation de la
forêt amazonienne. L’Asie grimpe aussi rapidement vers la première
place du podium des émissions de gaz à effet de serre : en 2004, la
Chine émettait 4 707 millions de tonnes de gaz carbonique, l’Inde, 1
113, contre 5 912 pour les États-Unis et 3 506 pour l’Union européenne
à 15.
La pression écologique de la Chine – et à un moindre degré de l’Inde
–, dommageable en soi, ne saurait excuser celle des pays occidentaux :
c’est parce que ceux-ci pèsent déjà lourdement sur la biosphère que le
poids supplémentaire des nouvelles puissances rend la crise
21/149
écologique insupportable. Ce n’est pas la Chine qui pose problème :
c’est le fait qu’elle s’ajoute aux problèmes que constituent déjà les
États-Unis et l’Europe. Tous ensemble, nous commençons à dépasser
les capacités de récupération de la planète : on coupe la forêt plus vite
qu’elle ne peut se régénérer, on pompe les réserves d’eau souterraine
plus vite qu’elles ne peuvent se recharger, on émet plus de gaz à effet
de serre que la biosphère ne peut les recycler. L’« empreinte écolo-
gique » de nos sociétés, c’est-àdire leur impact écologique, selon le
concept forgé par un expert suisse, Mathis Wackernagel, dépasse la «
biocapacité de la planète ». En 1960, selon lui, l’humanité n’utilisait
que la moitié de cette capacité biologique ; en 2003, elle tirerait 1,2
fois sur cette capacité, c’est-à-dire qu’elle consommerait davantage de
ressources écologiques que la planète n’en produit.
Les deux géants asiatiques subissent d’ailleurs à domicile les effets
pervers de leur croissance effrénée : en Chine, le recul des terres ar-
ables au profit de l’urbanisation est très rapide (un million d’hectares
par an ; sur vingt-cinq ans, cette perte atteint 7 % de la superficie agri-
cole). Le désert progresse de plus de cent mille hectares par an, et
Pékin subit chaque année des vents de sable venus de l’ouest. Tous les
printemps, le fleuve Jaune est asséché plusieurs semaines. Trois cent
millions de Chinois – près d’un quart de la population – boivent une
eau polluée, et la pollution du Yang-Tseu-Kiang, le plus long fleuve du
pays, devient si préoccupante qu’elle menace l’approvisionnement en
eau potable de Shanghai, la capitale économique. Les nappes souter-
raines sont polluées dans 90 % des villes chinoises et plus de 70 % des
rivières et des lacs le sont également, selon les données officielles
citées par l’agence Chine nouvelle. Près de cent grandes villes subis-
sent chaque année des coupures d’eau. Vingt des trente villes du
monde à l’air le plus pollué se trouvent en Chine. « L’air chinois est
aussi tellement saturé de dioxyde de soufre que le pays a connu des
pluies acides d’une gravité rarement égalée. On estime à quelque 30 %
22/149
les terres cultivables souffrant d’acidification », rapporte le World-
watch Institute.
Le changement
climatique, un volet de la
crise globale
Pour saisir vraiment la gravité de la crise écologique planétaire, il est
essentiel de comprendre que le changement climatique – le plus
souvent présenté de manière isolée – ne la résume pas. Les différents
dérèglements écologiques n’en forment en réalité qu’un seul : et le
changement climatique n’est que la facette la plus visible d’une même
crise que manifestent également disparition rapide de la biodiversité
et pollution générale des écosystèmes.
Pourquoi ?
Parce que les trois dimensions ici décrites ne constituent pas des pans
autonomes de la réalité. La science les isole abstraitement afin de
mieux les étudier. Mais dans la réalité de la biosphère, elles participent
d’un même phénomène.
Par exemple, la construction d’une autoroute puis sa mise en service
vont tout à la fois affaiblir la biodiversité (en fracturant l’écosystème
traversé), polluer l’environnement (émissions de polluants atmo-
sphériques tels qu’oxydes d’azote ou particules, écoule-
ments d’essence), accroître les émissions de gaz carbonique en stimu-
lant la circulation des automobiles et des camions. De même, le rejet
23/149
excessif de gaz carbonique conduit à augmenter son absorption dans
les océans, ce qui acidifie ceux-ci et affaiblit la capacité du corail et du
plancton à fabriquer leur enveloppe calcaire : si rien ne change, les or-
ganismes pourvus d’une coquille dite « aragonite » auront disparu de
l’océan austral en 2030, avec des conséquences néfastes pour les es-
pèces dont ils constituent la nourriture, comme les baleines ou les
saumons.
Autre exemple d’interaction, le changement climatique devrait favor-
iser l’extension hors de leur écosystème d’origine de vecteurs de mal-
adies : par exemple, les moustiques porteurs du paludisme vers les
pays de l’hémisphère Nord. Il devrait également stimuler l’érosion de
la biodiversité : une étude scientifique publiée en 2004 a estimé qu’il
entraînerait la disparition de 35 % des espèces vivantes. Sans doute
exagérée, cette étude a néanmoins permis de pointer la vigueur du lien
entre les deux phénomènes.
Inversement, les facteurs de destruction de la biodiversité participent
souvent du changement climatique : près de 20 % des émissions de
gaz à effet de serre sont dus à la déforestation. Plus généralement, la
crise de la biodiversité affaiblit la capacité de la biosphère à amortir,
ou à tamponner, les émissions de gaz à effet de serre ; et donc, elle ag-
grave leur impact.
Ainsi, nous devons abandonner l’idée de crises séparées, solubles in-
dépendamment les unes des autres. Cette idée ne sert que des intérêts
particuliers, par exemple celui du lobby nucléariste qui utilise le
changement climatique pour promouvoir son industrie. Au contraire,
il nous faut penser la synergie des crises, leur imbrication, leurs inter-
actions. Et accepter d’entendre un fait désagréable : cette synergie joue
en ce moment dans le sens de la dégradation, avec une puissance de-
structrice que rien ne vient pour l’instant tempérer.
24/149
Vers le choc pétrolier
La crise écologique est due à l’activité humaine, donc au système
économique actuel. Il pourrait être ébranlé par le tarissement d’une
part de son approvisionnement énergétique, menace qui reflète la
crise globale qui affecte notre civilisation finissante : l’utilisation des
hydrocarbures est une source majeure de gaz à effet de serre et de pol-
lution, tandis que leur exploitation contribue avec une redoutable ef-
ficacité à la destruction des écosystèmes. La crise pétrolière est annon-
cée par la théorie dite du pic de Hubbert, du nom du géologue améri-
cain qui l’a formulée le premier. Elle énonce que l’exploitation d’une
ressource naturelle épuisable suit une courbe en cloche. Le sommet de
cette courbe correspond au moment où l’exploitation atteint un niveau
maximal avant de décroître.
Depuis le début de son exploitation au XIXe siècle, le pétrole a été ex-
trait en quantité croissante à un coût bas. Mais à partir d’un certain
moment, le coût d’extraction s’élève régulièrement alors que la pro-
duction commence à décliner. Ce moment est appelé « pic » ou « pic
de Hubbert ».Il ne caractérise pas la phase où il n’y a plus de pétrole,
mais celle où l’on n’arrive plus à augmenter la quantité produite et à
partir de laquelle le niveau de production doit inexorablement
décliner. Cette décroissance, intervenant alors que la consommation
mondiale continue à augmenter, provoquera une augmentation im-
portante du prix du pétrole.
L’arrivée des grands pays émergents sur le marché du pétrole rend
brûlante la question du pic Les chiffres se passent de commentaires :
la Chine utilise actuellement un treizième du pétrole englouti par per-
sonne aux États-Unis, et l’Inde un vingtième. Si les deux pays devaient
atteindre dans les prochaines décennies le niveau actuel du Japon – le
25/149
plus sobre des pays développés –, ils absorberaient 138 millions de
barils par jour. Or, en 2005, la consommation mondiale atteignait 82
millions de barils par jour.
La théorie du pic pétrolier n’est plus réellement contestée aujourd’hui.
Le gaz suivra le pétrole, pour les mêmes raisons, avec un décalage de
dix à quinze ans. Le point qui fait débat est la date à laquelle pourrait
intervenir le pic : en 2007 pour les plus pessimistes, comme Colin
Campbell, un des géologues qui ont popularisé la théorie ; vers 2040
ou 2050, voire 2060 pour les plus optimistes. La compagnie Total qui,
comme tout le milieu pétrolier, a intérêt à ce que le pic se produise le
plus tard possible, juge qu’il interviendra en 2025. Alors, quand ? Il
serait hasardeux de trancher. Mais la conclusion de l’expert Jean-Luc
Wingert est exacte : « Nous sommes entrés dans la "zone de turbu-
lences" qui précède le pic mondial et nous n’en sortirons probable-
ment plus. »
Les scénarios de la
catastrophe
Résumons. Nous sommes entrés dans un état de crise écologique dur-
able et planétaire. Elle devrait se traduire par un ébranlement
prochain du système économique mondial. Les amorces possibles
pourraient s’allumer dans l’économie arrivant à la saturation et se
heurtant aux limites de la biosphère :
– un arrêt de la croissance de l’économie américaine, minée par ses
trois déficits géants -de la balance commerciale, du budget, de l’en-
dettement interne. Comme un toxicomane qui ne tient debout qu’à
coups de doses répétées, les États-Unis, drogués de surconsommation,
26/149
titubent avant l’affaissement ; – un fort freinage de la croissance
chinoise – sachant qu’il est impossible qu’elle tienne durablement un
rythme de croissance annuel très élevé. Depuis 1978, la Chine a connu
une croissance annuelle de son économie de 9,4 %. Le Japon est un
précédent à ne pas oublier : vingt ans de croissance stupéfiante, puis
l’entrée en stagnation durable au début des années 1990. Une crise
chinoise retentirait sur l’ensemble du monde. Il est même possible que
ne se produise pas de choc brutal, mais que se poursuive la dégrada-
tion en cours, dans laquelle les peuples s’habitueraient, comme par un
empoisonnement graduel, à la déréliction sociale et écologique. Des
répits apparents pourraient se produire, du fait même du désordre en-
gagé : par exemple, la fonte des glaces de l’Arctique suscitée par le
changement climatique faciliterait l’accès au pétrole que recèle l’océan
polaire, apportant une bouffée d’oxygène à des économies en voie
d’asphyxie.
Dans ce dernier cas de figure, les personnes qui prennent l’écologie au
sérieux imaginent d’autres scénarios.
Les spécialistes de la biodiversité sont les plus prudents. Pour Michel
Loreau, « Pendant un certain temps, on ne percevra pas les con-
séquences de la perte de biodiversité. Et puis, tout d’un coup, il va se
produire des catastrophes : invasions de nouvelles espèces, impossibil-
ité de contrôler des maladies, émergence de nouvelles maladies, y
compris pour les plantes, perte de la productivité des écosystèmes ».
Les écologues pensent que la destruction des écosystèmes libérera le
champ pour des organismes nuisibles qui ne seront plus freinés par
leurs prédateurs habituels : on pourrait alors s’attendre à de grandes
épidémies. Il ne faut pas comprendre autrement la crainte que la
grippe aviaire a suscitée chez les spécialistes de la santé publique. L’un
de ceux-ci, Martin McKee, professeur à la London School of Hygiene
and Tropical Medicine, dit ainsi à propos de la menace infectieuse : «
27/149
Je ne peux même pas écarter l’hypothèse à long terme qu’un organ-
isme inconnu apparaisse et fasse disparaître l’Homo sapiens. »
Pour ce qui est du choc climatique et/ou pétrolier, les descriptions
sont plus précises. Selon James Lovelock, on l’a vu, les guerres se mul-
tiplieront, détruisant la civilisation. Pour Martin McKee, « À cause du
réchauffement, les zones habitables sur la planète vont diminuer, en-
traînant des mouvements de population sans précédent depuis la fin
de l’Empire romain ». Le député écologiste Yves Cochet s’attend à l’ar-
rivée prochaine du pic pétrolier qui se traduirait par « une augmenta-
tion brutale du prix de l’énergie entraînant l’écroulement des systèmes
de transport : l’aviation civile s’effondrerait, l’habitat rural serait
désorganisé en raison de sa dépendance à l’égard de l’automobile. Le
choc s’accompagnerait d’un chômage massif et de guerres violentes
pour le contrôle du pétrole du Moyen-Orient ». La production agricole
serait aussi affectée, en raison de la dépendance de l’agriculture pro-
ductiviste au pétrole, par les tracteurs, les engrais industriels et la cul-
ture sous serre. Deux ingénieurs, Jean-Marc Jancovici et Alain Grand-
jean, développent un scénario comparable : le déclin de la production
pétrolière entraîne « une récession significative. Les sécheresses esti-
vales se multiplient, réduisant drastiquement les rendements céréali-
ers. La crise énergétique réduit toutes nos capacités d’adaptation (qui
supposent une énergie abondante et bon marché). Les maladies trop-
icales et les épidémies de grippe se multiplient, mais les infrastruc-
tures médicales sont débordées et l’inégalité devant les soins explose
».
Il est étonnant de constater que ces scénarios nous surprennent peu.
Nous devinons la forme que prendra la catastrophe, parce que nous
commençons à l’expérimenter sur une petite échelle : l’épizootie de
grippe aviaire est une maquette des grandes épidémies imaginables, le
chaos qui a suivi l’inondation de La Nouvelle-Orléans en septembre
2005 est une répétition modeste de celui qui suivra un continent
28/149
ravagé par les tornades, la canicule de l’été 2003 en Europe un signe
avant-coureur des fournaises qui s’annoncent. Bien sûr, l’avenir écrira
des histoires qui échappent à notre imagination. Mais celle-ci peut
déjà raisonnablement s’appuyer sur les désastres limités d’aujourd’hui
pour esquisser un visage de demain. Cependant, le plus stupéfiant est
que le spectacle se répète déjà sous nos yeux, que les signes se multi-
plient avec une insistance appuyée, et que nos sociétés ne fassent rien.
Car personne ne peut croire sérieusement que la célébration du «
développement durable », qui se traduit par le mitage des paysages
par les éoliennes, la relance du nucléaire, la culture des biocarburants,
l’« investissement socialement responsable »,et autres démarches des
lobbies en quête de nouveaux marchés, puisse ne serait-ce qu’infléchir
le cours des choses. Le « développement durable » est une arme sé-
mantique pour évacuer le gros mot « écologie ». Y a-t-il d’ailleurs be-
soin de développer encore la France, l’Allemagne ou les États-Unis ?
Que tous les gens de bonne foi qui croient aux vertus du développe-
ment durable s’interrogent : Constatent-ils un ralentissement de la dé-
forestation ? de l’émission des gaz à effet de serre ? de la bitumisation
des campagnes ? de l’automobilisation de la planète ? de la disparition
des espèces ? de la pollution des eaux ? Quelques bonnes nouvelles -le
maintien du protocole de Kyoto, la bonne santé retrouvée de plusieurs
espèces sauvages, l’essor de l’agriculture biologique -témoignent certes
des luttes des uns et du souhait de beaucoup de changer les choses, à
leur échelle. Mais le cours majeur suit la pente, et la pente est mal
orientée.
Nous sommes en 1938 et nous chantons « Tout va très bien… ».
Le développement durable sera efficace si l’on se donne le temps,
croient-ils. Nous n’avons plus le temps. C’est dans les dix années à
venir qu’il nous faut reprendre le gouvernail du cargo que dirigent au-
jourd’hui des capitaines irresponsables. Le « développement durable »
n’a pour fonction que de maintenir les profits et d’éviter le
29/149
changement des habitudes en modifiant, à peine, le cap. Mais ce sont
les profits et les habitudes qui nous empêchent de changer de cap.
Quelle est la priorité ? Les profits, ou le bon cap ?
La question centrale
Voici la question centrale : Alors que tout cela est clair, pourquoi le
système est-il si obstinément incapable de bouger ?
Plusieurs réponses sont possibles.
Une réponse implicite de l’opinion commune est qu’au fond, la situ-
ation n’est pas si grave. Si tout citoyen attentif observe ici et là d’in-
nombrables signaux d’alarme, le courant général d’information les
noie dans un flot qui les relativise. Et il se trouve toujours d’habiles
conservateurs, forts de leur notoriété, pour proclamer à coups d’argu-
ments biaisés que tout cela est exagéré. Une variante est de recon-
naître le sérieux du problème, en affirmant que l’on pourra s’y adapter
presque spontanément, par de nouvelles technologies.
Mais il faut aller plus loin. Trois facteurs jouent pour minimiser l’im-
portance de la situation.
D’une part, le cadre dominant d’explication du monde est aujourd’hui
celui de la représentation économique des choses. Ainsi, le monde
connaît une prospérité apparente marquée par la croissance des PIB
(produit intérieur brut) et du commerce international.
Cette description est intrinsèquement faussée du fait que cette « crois-
sance économique » ne paie pas le coût de la dégradation de l’environ-
nement. En termes comptables, une entreprise doit minorer le
30/149
bénéfice de son exploitation en mettant de côté des sommes, appelées
« amortissement », destinées à compenser l’usure des moyens de pro-
duction utilisés ; ainsi, quand ces moyens sont usés, l’entreprise dis-
pose d’une réserve pour les remplacer. Mais l’entreprise « Économie
mondiale » ne paie pas « l’amortissement de la biosphère », c’est-à-
dire le coût de remplacement du capital naturel qu’elle utilise. Admiss-
ible quand les capacités d’absorption de la biosphère étaient grandes,
cette conduite devient criminelle quand ces possibilités atteignent
leurs limites.
L’opinion mondiale et les décideurs sont dans la même situation qu’un
chef d’entreprise dont l’expert-comptable oublierait de compter
l’amortissement. Ils croient que l’entreprise va bien alors qu’elle court
à la faillite.
D’autre part, les élites dirigeantes sont incultes. Formées en économie,
en ingénierie, en politique, elles sont souvent ignorantes en science et
quasi toujours dépourvues de la moindre notion d’écologie. Le réflexe
habituel d’un individu qui manque de connaissances est de négliger
voire de mépriser les questions qui relèvent d’une culture qui lui est
étrangère, pour privilégier les questions où il est le plus compétent.
Les élites agissent de la même manière. D’où, de leur part, une sous-
estimation du problème écologique.
Un troisième facteur ne saurait être oublié : le mode de vie des classes
riches les empêche de sentir ce qui les entoure. Dans les pays dévelop-
pés, la majorité de la population vit en ville, coupée de l’environ-
nement où commencent à se manifester les craquements de la
biosphère. Elle est d’ailleurs largement protégée de ces craquements
par les structures de gestion collective élaborées dans le passé et qui
parviennent à amortir les chocs (inondations, sécheresses, séismes...)
quand ils ne sont pas trop violents. L’Occidental moyen occupe la plus
grande partie de son existence dans un lieu clos, passant de sa voiture
31/149
au bureau climatisé, s’approvisionnant dans des hypermarchés sans
fenêtres, déposant ses enfants à l’école en automobile, se distrayant
chez lui dans le tête-à-tête avec la télévision ou l’ordinateur, etc. Les
classes dirigeantes, qui modèlent l’opinion, sont encore davantage
coupées de l’environnement social et écologique : elles ne se déplacent
qu’en voiture, vivent dans des lieux climatisés, suivent des circuits de
transport – aéroports, quartiers d’affaires, zones résidentielles – qui
les mettent à l’abri du contact avec la société. Elles minorent évidem-
ment les problèmes dont elles n’ont qu’une représentation abstraite.
Quant à ceux qui sont d’ores et déjà confrontés aux désordres sociaux
et écologiques de la crise en cours – pauvres des banlieues occi-
dentales, paysans d’Afrique ou de Chine, employés des maquiladoras
américaines, habitants des bidonvilles de partout -, ils n’ont pas voix
au chapitre.
À la question : Pourquoi rien ne change-t-il alors qu’il est si évidem-
ment impératif de changer, une réponse d’un autre type pourrait en-
core être apportée. L’effondrement de l’URSS et l’échec du socialisme
dans les années 1980 ont supprimé la possibilité de se référer à une al-
ternative, ou plutôt, ont rendu l’idée de celle-ci irréaliste. Le capital-
isme a bénéficié de son succès indéniable sur l’Union soviétique,
tandis qu’il était stimulé par l’irruption de la micro-informatique et
des techniques numériques, qui ont joué un rôle structurant compar-
able à celui du développement des chemins de fer au XIXe siècle et de
l’automobile au XXe. Par ailleurs, le socialisme, devenu le centre de
gravité de la gauche, est fondé sur le matérialisme et l’idéologie du
progrès du XIXe siècle. Il a été incapable d’intégrer la critique écolo-
giste. Le champ est ainsi libre pour une vision univoque du monde, qui
jouit de sa victoire en négligeant les nouveaux défis.
Mais aucune de ces réponses n’est suffisante. La solution est autre et
les englobe toutes.
32/149
Si rien ne bouge, alors que nous entrons dans une crise écologique
d’une gravité historique, c’est parce que les puissants de ce monde le
veulent.
Le constat est brutal, et la suite de ce livre devra le justifier. Mais on
doit partir de là, sans quoi les diagnostics exacts des Lester Brown,
Nicolas Hulot, Jean-Marie Pelt, Hubert Reeves, on en passe, qui se
concluent invariablement par un appel à « l’humanité », ne sont que
de l’eau tiède sentimentale.
Candides camarades, il y a de méchants hommes sur terre.
Si l’on veut être écologiste, il faut arrêter d’être benêt.
Le social reste l’impensé de l’écologie. Le social, c’est-à-dire les rap-
ports de pouvoir et de richesses au sein des sociétés.
Mais l’écologie est symétriquement l’impensée de la gauche. La
gauche, c’est-à-dire ceux pour qui la question sociale – la justice –
reste première. Habillée de ce qui reste des haillons du marxisme, elle
repeint sans cesse les chromos du XIXe siècle, ou s’abîme dans le «
réalisme » du « libéralisme tempéré ». Ainsi, la crise sociale -marquée
par le creusement de l’inégalité et par la dissolution des liens de solid-
arité tant privés que collectifs -qui semble recouvrir la crise écolo-
gique, sert de facto à l’écarter du champ de vision.
On trouve donc des écologistes niais – l’écologie sans le social –, une
gauche scotchée à 1936 ou à 1981 – le social sans l’écologie –, et des
capitalistes satisfaits : « Parlez, braves gens, et surtout, restez divisés.
»
Il faut sortir de ce hiatus. Comprendre que crise écologique et crise so-
ciale sont les deux facettes d’un même désastre. Et que ce désastre est
33/149
mis en oeuvre par un système de pouvoir qui n’a plus pour fin que le
maintien des privilèges des classes dirigeantes.
CHAPITRE II Crise
écologique, crise
sociale
La grande décharge de Guatemala Ciudad n’est pas éloignée du centre
de la ville. On l’appelle simplement Relleno Sanitario -la fosse à
ordures. La rue qui y mène change subtilement de caractère à mesure
que l’on avance : des sacs de matières récupérées commencent à ap-
paraître devant quelques magasins, on voit passer des gens avec des
sacs de détritus, les maisons se raréfient, et l’on progresse maintenant
entre deux clôtures de béton. Celles-ci s’interrompent, on y est. C’est
une immense carrière, progressivement remblayée d’ordures, tassée à
mesure, et avançant dans une vallée étroite et verdoyante. Notre cami-
onnette descend lentement la route en lacets à la suite d’un camion
poubelle. La scène est ample et colorée ; ceinturée de falaises et de
bidonvilles construits sur une pente. Des dizaines de camions jaunes
et quelques charrettes tirées par un cheval – sont vidés à la main sur
une terre mouchetée de toutes les teintes des plastiques, points verts,
bleus, jaunes ... Une odeur fade plane. Parmi cette plaine d’ordures et
de terre poussées par quelques bulldozers, des centaines d’hommes,
de femmes et d’enfants fouillent, ratissent, remplissent des sacs, ou
sont assis et discutent. Des chiens errent ici et là, tandis que des
oiseaux noirs volent dans le ciel d’azur ou arpentent le terrain par
groupes. La décharge fait plusieurs hectares. Dans un coin se dressent
des cahutes faites de bois, de feuilles de plastique et de tôle ondulée : y
sont installés un bar – on peut s’y restaurer –, des grossistes, et
35/149
quelques habitants, qui restent à demeure. Parfois, on trouve de la vi-
ande dans les camions – elle sera servie au bar, qui sait ?
La décharge, donc, avance dans la vallée où serpente le Río Baranco, à
une trentaine de mètres en contrebas des ordures tassées qui la
comblent progressivement. Ancienne rivière, asphyxiée, polluée, elle
ne recueille plus que le jus qui suinte abondamment de la montagne
d’immondices quand il pleut. Des éboulements de terrain se produis-
ent souvent, que la municipalité colmate en faisant apporter des
couches de terre. Ainsi la montagne pourrie progresse en suivant le
cours de la rivière empoisonnée.
Araceli et Gamaliel sont une femme et un homme d’environ trente ans.
Ils travaillent là depuis deux ans, et vivent à 20 kilomètres. Ils vi-
ennent tous les jours par le bus. À eux deux, ils gagnent 35 quetzals
par jour (3,50 euros). Ils n’ont pas de spécialité, ramassent un peu tout
ce qu’ils peuvent et le revendent à des commerçants installés sur la
décharge. Ceux-ci vont écouler le butin sur le plus grand marché de la
ville, qui est situé près de la gare routière. Quand il pleut, le travail est
impossible. Araceli et Gamaliel mangent peu, ce qu’ils ont préparé à la
maison. Lui était mécanicien au Nicaragua. Le patron ne voulait pas
le payer, il est parti. Il n’a pas de papiers, mais ici, on ne voit pas la po-
lice. Araceli a quatre enfants. Elle gardait des enfants pour d’autres, et
puis a perdu sa place. Elle a choisi ce travail pour survivre.
Christian, de Médecins sans frontières, me dit que les guajiros ont
beaucoup d’affections respiratoires. Mais notre petit groupe attire les
regards, il vaut mieux partir. Nous allons dans un vallon non loin de la
décharge, où une cité s’est installée sur le terrain meuble d’un autre
dépôt d’ordures, arrivé à saturation. Les gens n’avaient pas de maison,
raconte Mateo Suretnoj, ils se sont réunis à cinq familles pour organ-
iser l’invasion, le 14 octobre 1999. C’étaient, pour la plupart, des
guajiros travaillant sur la décharge – avec 35 quetzals par jour,
36/149
impossible de payer un logement. La police n’a pas réagi, et le maire
les a laissés s’installer. Ils n’étaient venus qu’avec des feuilles de
plastique. Peu à peu, ils ont construit les cabanes, et la « Communauté
du 14 octobre » compte maintenant près de 500 âmes. Les enfants
vont à l’école. Le soir, à 22 heures, on ferme la communauté à clé. La
municipalité a installé une conduite d’eau et, depuis quelques mois,
l’électricité. Sur le sol tassé, plusieurs des rues sont cimentées. Dans
toutes les maisons, un tube est planté à cinquante centimètres de pro-
fondeur pour évacuer les gaz de fermentation qui se forment dans les
immondices sous-jacentes. On plante des cyprès et des magnolias
pour lutter contre l’érosion. Mais le terrain travaille, des fissures ap-
paraissent sur les murets.
C’était en novembre 2001. Je revenais d’un reportage sur la famine
dans les collines de l’arrière-pays guatémaltèque, et sur les blessures
toujours pas refermées du terrible cyclone Mitch qui avait balayé
l’Amérique centrale deux ans auparavant. J’étais tombé, si l’on peut
dire, sur cet univers de misère dans les rebuts de la capitale, Guatem-
ala Ciudad, elle-même imprégnée de détresse et de violence. Ces
quelques heures dans la décharge me paraissaient mériter un report-
age plus approfondi. Mais à Paris, mon correspondant au journal me
dit d’un ton un peu ennuyé que ce n’était pas un sujet très original.
En fait, le journal n’avait que très rarement parlé des gens vivant dans
les décharges. Mais par ailleurs, il est vrai que le fait que, aux quatre
coins de la planète – à Manille, au Caire, à Mexico, dans presque
toutes les capitales d’Amérique latine –, des milliers de misérables af-
frontent la merde, les maladies et l’indignité pour gagner quelques
centimes, n’était pas nouveau.
Car la misère est si répandue qu’elle est d’une ennuyeuse banalité. Et il
n’y aurait rien de très piquant à raconter Guatemala Ciudad. Rien de
très passionnant à décrire ce village du Niger, un parmi tant d’autres,
37/149
Fatai-Karma, où les hommes évoquent la sécheresse, le départ néces-
saire des jeunes « en exode »,les jours de disette quand il n’y a plus ri-
en – « Alors il ne reste que la mort », dit un homme, et tout le monde
rit. Rien de très original dans ces types qui vous demandent l’aumône,
à Saskatoon, une ville riche de l’Ouest canadien, un soir d’hiver où le
thermomètre marque moins quinze. Rien de très excitant à raconter ce
que voient avec lassitude et sans plus y prêter attention les habitants
des grandes villes de la planète.
Tenez, voici une des innombrables cartes de la misère, celle que
dessine l’itinéraire matinal que j’emprunte pour me rendre à mon
travail, à Paris. Rue de Buzenval, quand la poste ouvre, une Roumaine
tient la porte, proposant le journal L’Itinérant. De l’autre côté de la
rue, dans une encoignure du mur, trois hommes d’une trentaine d’an-
nées s’installeront dans la matinée pour une interminable palabre ar-
rosée de canettes de bière ou de vin rosé. À l’entrée du métro, par in-
termittence, une femme aux cheveux gris et courts fait la manche. Je
descends la rue de Montreuil puis la rue du Faubourg-Saint-Antoine
sans plus rencontrer de pauvres hères – mais si j’allais à droite, au
coin de la nie Faidherbe et de la rue de Chanzy, je croiserais dans le
coin d’un immeuble une des tentes, distribuées pendant l’hiver 2005
par Médecins du monde, qui donnent un semblant de toit aux sans-
abri. Tournant sur l’avenue Ledru-Rollin, je retrouve des miséreux sur
le coin du pont qui part vers le quai d’Austerlitz : un groupe s’est im-
planté depuis plusieurs mois. Des hommes assez jeunes qui, dans la
journée, interpellent les passants, les priant de déposer une obole dans
une boîte de conserve accrochée par une ficelle au bout d’une baguette
– ils pêchent la pièce. De l’autre côté de la place, avant l’arrêt de bus,
un soupirail de métro exhale un nuage de chaleur. Il est rare qu’il n’y
ait pas là un homme allongé, sans couverture, dormant sur la grille, à
deux pas du vacarme et des pots d’échappement de l’intense circula-
tion de cet endroit. Rue Buffon, en face du jardin des Plantes, des
hommes sommeillent souvent dans des sacs de couchage à l’entrée
38/149
d’un immeuble en recul sur la rue, et qui forme ainsi un recoin accueil-
lant. Moins confortables, les grilles des soupiraux plus haut dans la
rue, à droite, sont parfois occupées par des vagabonds, sans autre
matelas qu’une plaque de carton. Auparavant, il y avait aussi dans le
secteur un gars qui inspectait les poubelles avant le passage de la
benne à ordures, mais je ne l’ai pas vu depuis longtemps. Le prochain
jalon sur ce circuit d’infortune que parcourt mon vélo se situe rue
Broca où, sous le pont du boulevard de Port-Royal, une quasi-maison
s’est installée : c’est une chambre à coucher sans murs, meublée d’un
grand matelas, d’un canapé défoncé, et d’un assemblage hétéroclite de
sacs de plastique, de plaques de carton et de Caddies pleins d’objets de
récupération. J’arrive au journal qui m’emploie. Naguère, deux
clochards avaient installé sous le métro aérien une improbable cabane
où ils passaient leurs journées au milieu d’un amoncellement d’objets
mimant un foyer en dur. Le méchant loup a dû passer par là, et
souffler très fort sur la maison de fétus, il n’y a plus rien. Je suis cer-
tain que, comme moi, mes camarades journalistes se disaient, avec un
pincement quelque part, qu’il y avait là un petit papier à faire, un de
ces croquis qui disent tant de choses sur le monde. Mais là, sous nos
yeux, trop facile... Trop banal.
La misère. Les pauvres. Et caetera.
Le retour de la pauvreté
L’émotion – ou l’empathie – ne dessine toujours qu’un tableau incom-
plet. Les chiffres complètent la figure.
« Au cours de l’hiver 2005-2006, les centres d’hébergement pour
sans-abri ont été confrontés, dans 54 % des départements, à une
hausse de la demande », annonce en avril 2006 la ministre à la
39/149
Cohésion sociale. De plus en plus de gens vivent en France dans des
caravanes, peut-être quelques centaines de milliers. On compterait
dans le monde plus de 120 millions d’enfants vivant seuls, selon
l’Unicef (Fonds des Nations unies pour l’enfance) et le BIT (Bureau in-
ternational du travail).
« En 2004, en France, près de 3,5 millions de personnes ont perçu une
allocation de minima sociaux. Soit une augmentation de 3,4 % par
rapport à l’année précédente. Le nombre de bénéficiaires du RMI (425
euros pour une personne seule, 638 pour un couple) a bondi de 8,5 %
pour atteindre 1,2 million. Principales victimes : les personnes seules,
les familles monoparentales et les jeunes. »
Selon l’ONPES (Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion
sociale), on compte près de 3,7 millions de pauvres en France en 2003
; mais 7 millions (soit 12,4 % de la population) selon la définition
européenne. Quelle est la définition usuelle de la pauvreté ? C’est un
seuil de revenu : est pauvre en France une personne seule qui gagne
moins de 50 % du revenu médian. Le revenu médian est la somme qui
partage la population en deux, la moitié des gens étant en dessous de
ce revenu, l’autre moitié étant au-dessus. Il était début 2006 de 1 254
euros mensuels, ce chiffre étant compris comme net de cotisations et
intégrant les transferts publics, par exemple les allocations familiales.
Ce niveau s’ajuste selon le nombre de personnes par foyer : chaque
adulte supplémentaire et chaque enfant de plus de quatorze ans
comptent pour une demi-part supplémentaire, chaque enfant de
moins de quatorze ans pour 0,3 part. Par exemple, le revenu médian
d’un couple avec deux enfants de moins de quatorze ans est de 2 633
euros ; et une famille de cette composition sera dite pauvre si son
revenu est inférieur de moitié à ce chiffre, soit 1 316 euros. La défini-
tion de l’Union européenne suit la même approche, mais fixe le seuil
de pauvreté à 60 % du revenu médian.
40/149
En Suisse, l’association Caritas estime le nombre de pauvres en 2005 à
un million, soit 14 % de la population ; en 2003, ils étaient 850 000 ;
quant aux indigents – dénués de toute ressource –, ils comptent pour
6 % de la population helvète. En Allemagne, la proportion de per-
sonnes vivant en dessous du seuil de pauvreté est passée entre 1998 et
2003 de 12,1 à 13,5 % de la population. En Grande-Bretagne, elle at-
teint 22 % en 2002. Aux États-Unis, 23 % de la population se trouvent
en deçà de la moitié du revenu médian (c’està- dire selon la définition
française de la pauvreté). Au Japon, « le nombre de ménages qui ne
disposent pas d’économies a doublé en cinq ans pour atteindre le
pourcentage de 25 %. (...) Le nombre de foyers dépendant de l’aide so-
ciale a augmenté d’un tiers en quatre ans pour atteindre un million ».
Les pauvres sont-ils paresseux ? Non. L’occupation d’un emploi salarié
ne protège plus du dénuement. « Un tiers des personnes sans domicile
fixe de la capitale déclarent avoir un emploi », découvre-t-on tandis
que plusieurs dizaines d’employés de la mairie de Paris ont eux-
mêmes perdu leur logement. Comme l’explique l’économiste Jacques
Rigaudiat : « Avec la montée des CDD [contrats à durée déterminée],
de l’intérim, et aujourd’hui du CNE [contrat nouvelle embauche], on
assiste à une dislocation des formes traditionnelles du statut de l’em-
ploi. » L’ONPES confirme : « Le caractère précaire d’un nombre crois-
sant d’emplois et la faiblesse de certaines rémunérations conduisent
des personnes qui ont pourtant travaillé tout au long de l’année à des
situations de pauvreté. »
Le phénomène est tout sauf négligeable : pour Pierre Concialdi, cher-
cheur à l’IRES (Institut de recherches économiques et sociales), «
selon les seuils retenus et les sources statistiques, il y a en France entre
1,3 et 3,6 millions de travailleurs pauvres. Sur les dernières années,
tout porte à penser que le phénomène s’amplifie ». L’évolution est la
même dans les autres pays, telle l’Allemagne : selon Franz
41/149
Müntefering, ministre du Travail, « 300 000 salariés à plein-temps
gagnent si peu d’argent qu’ils doivent se tourner vers l’aide sociale ».
Les experts se disputent pour savoir si la pauvreté est en augmenta-
tion. Selon le Réseau d’alerte sur les inégalités, qui publie le Bip 40
(Baromètre des inégalités et de la pauvreté), intégrant une soixantaine
d’indicateurs autres que le seul revenu monétaire, « la montée des in-
égalités et de la pauvreté se poursuit depuis vingt ans ». L’INSEE, l’In-
stitut français de statistique économique, estime cependant que le
taux de pauvreté a légèrement baissé entre 1998 et 2002. Mais le con-
sensus se fait sur l’idée que, après plusieurs décennies de régression, la
pauvreté ne recule plus. « Il y a une inversion de tendance », résume
Louis Maurin, directeur de l’observatoire des inégalités.
De surcroît, la pauvreté n’est plus une sorte de domaine séparé de la
société, un enfer bien délimité et regrettable : c’est tout le corps social
qui est entraîné dans un cycle de fragilisation. « Les frontières de la
pauvreté se brouillent, observe Martin Hirsch, président d’Emmaüs
France. Il n’y a pas d’un côté les pauvres correspondant strictement à
la définition statistique du terme, et de l’autre, 90 % de la population à
l’abri de la pauvreté. On observe au contraire une diffusion des fac-
teurs de précarité, formant comme un grand halo de vulnérabilité au-
delà de la population dont les ressources sont inférieures au seuil de
pauvreté monétaire. » Pour Jacques Rigaudiat, il est ainsi plus pertin-
ent de parler de précarité que de pauvreté : « Un quart ou un tiers de
la population vit en situation précaire. Ce sont donc en gros près de
vingt millions de personnes qui sont concernées, c’est-à-dire les mén-
ages gagnant moins de 1,7 ou 1,8 SMIC [salaire minimum interprofes-
sionnel de croissance]. » Vingt millions, soit un tiers de la population
française.
42/149
La mondialisation de la
pauvreté
Si les pays développés redécouvrent la pauvreté, elle reste bien
présente dans les pays du Sud. « Un milliard de personnes survit dans
la pauvreté absolue avec moins d’un dollar par jour », relève le PNUD
(Programme des Nations unies pour le développement), un autre mil-
liard se débrouille avec moins de deux dollars par jour. On estime aus-
si que 1,1 milliard d’humains ne disposent pas d’eau potable, que 2,4
milliards n’ont pas de sanitaires corrects.
Il serait cependant fallacieux de présenter un tableau d’appauvrisse-
ment général. L’espérance de vie augmente dans les pays du Sud, ce
qui est le signe d’une amélioration incontestable, tandis que la
pauvreté extrême a reculé, passant de 28 % de la population mondiale
en 1990 à 21 % aujourd’hui.
L’importance de la Chine, et à un moindre degré de l’Inde, pèse beauc-
oup dans cette évolution planétaire. La croissance des deux géants asi-
atiques a induit un enrichissement moyen de leur population, que
traduit la diminution des pauvres : » La part de la population vivant
avec moins de un dollar par jour est tombée de 66 % en Chine entre
1980 à 17 % en 2001, de plus de 50 % en Inde en 1980 à 35 % en 2001.
» De même, la Chine a su faire reculer de 58 millions depuis 1990 le
nombre de ses citoyens qui souffrent de la faim. Mais à l’échelle mon-
diale, les progrès se sont beaucoup ralentis : « Depuis le milieu des an-
nées 1990, la pauvreté mesurée par le seuil de un dollar par jour a
baissé cinq fois plus lentement qu’entre 1980 et 1996. » De même, la
faim ne recule plus. Le rapport sur l’insécurité alimentaire de la FAO
(Organisation pour l’alimentation et l’agriculture), en 2003, a surpris
43/149
les observateurs : alors que le nombre d’affamés dans le monde
décroissait régulièrement depuis plusieurs décennies, il a recommencé
à augmenter depuis 1995-1997. On évaluait ainsi à 800 millions le
nombre d’habitants des pays sous-développés ne mangeant pas à leur
faim, tandis que deux milliards d’humains souffrent de carences ali-
mentaires. L’Inde elle-même voit le nombre de ses citoyens sous-ali-
mentés augmenter à nouveau (221 millions), et la Chine échoue à en
réduire davantage le nombre (142 millions). « L’inflexion de tendance,
expliquait à Rome un expert de l’organisation, Henri Josserand, ren-
voie à l’augmentation de la pauvreté. Certes la production agricole
dans le monde croît plus vite que l’augmentation de la population, et il
y a assez à manger pour tous. Mais les pauvres sont de plus en plus
nombreux, et manquent de moyens pour l’accès à une alimentation
régulière. »
En fait, au niveau mondial, la machine sociale est en panne. L’ac-
croissement général de richesse monétaire ne se traduit plus que diffi-
cilement par un progrès des conditions matérielles d’existence de la
grande masse de la population. Un indice frappant en est l’extension
de la pauvreté urbaine : l’urbanisation n’est plus ce qu’elle était jusqu’à
présent, un moyen pour les paysans d’améliorer leur destin en fuyant
l’indigence de la campagne. Non seulement un milliard de citadins
(sur trois milliards dans le monde) vivent dans des bidonvilles, relève
l’organisme des Nations unies chargé de l’habitat, mais la pauvreté
devient « un caractère majeur et en expansion de la vie urbaine ». On
fuit la disette rurale, mais l’on se retrouve en ville dans des cahutes
sans eau et sans électricité, à guigner des emplois incertains dans l’in-
certitude permanente du lendemain. Et, souvent, le ventre creux.
44/149
Les riches toujours plus
riches
Il n’y a pas de lien obligé entre la pauvreté et l’inégalité. Mais de nos
jours, la pauvreté s’étend comme le reflet de l’augmentation des in-
égalités, tant à l’intérieur des sociétés qu’entre les groupes de nations.
En France, selon l’INSEE, « le revenu brut moyen des 20 % des mén-
ages les plus aisés reste supérieur de 7,4 fois à celui des 20 % les plus
modestes. L’écart se réduit à 3,8 après l’intégration des charges fisc-
ales (impôts directs, CSG, CRDS...) supportées par les uns et des
différentes allocations et des aides publiques versées aux autres ».
Selon Pierre Concialdi, de l’IRES, « depuis une vingtaine d’années, la
condition salariale moyenne s’est dégradée : les salaires sont loin
d’avoir augmenté au même rythme que la croissance. La tendance est
la même pour les prestations sociales. Parallèlement, la masse des
revenus du patrimoine a été multipliée en pouvoir d’achat par trois
depuis la fin des années 1980 ».
Cet étirement de l’échelle des inégalités se retrouve dans tout le monde
occidental. Pour l’économiste Thomas Piketty, depuis 1970, « l’inégal-
ité n’a véritablement augmenté qu’aux États-Unis et au Royaume-Uni,
mais dans tous les pays, l’inégalité des salaires a au minimum cessé de
décroître dans les années 1980~. En fait, une étude menée par Piketty
et Emmanuel Saez montre qu’aux États-Unis, au Canada et au
Royaume-Uni l’inégalité a retrouvé à partir des années 1990 son
niveau très élevé des années précédant la Seconde Guerre mondiale :
le dixième de la population le plus riche capte plus de 40 % du revenu
total, alors que sa part était stable à quelque 32 % depuis 1945.
45/149
Aux États-Unis, résume The Economist, « l’inégalité des revenus a at-
teint des niveaux qu’on n’avait pas vus depuis les années 1880. (...)
Selon un cabinet d’études de Washington, l’Economic Policy Institute,
entre 1979 et 2000, le revenu réel des foyers situés dans le cinquième
le plus pauvre de la population a crû de 6’4 % tandis que celui des
ménages du cinquième supérieur a crû de 70 %. (...) En 1979, le revenu
moyen du 1 % du sommet était 133 fois celui des 20 % les plus mod-
estes ; en 2000, le rapport atteignait 189 ». « L’inégalité a crû
régulièrement depuis presque trente ans », se réjouit le magazine con-
servateur Forbes, qui peut ainsi signaler que les présidences démo-
crates de Carter et Clinton n’ont rien changé à cette tendance de
fond...
Au Japon, observe le journaliste Philippe Pons, jusqu’au début des an-
nées 1990, « la majorité des Japonais pensaient appartenir à une vaste
classe moyenne. Cette perception a volé en éclats ».À ce moment, « les
inégalités ont commencé à se creuser à la suite de l’éclatement de la
bulle financière (...) L’écart des revenus s’est creusé parmi les jeunes
générations (vingt-trente ans) en raison de la précarisation et de la
fragmentation du marché de l’emploi par l’accroissement du travail
temporaire ou intérimaire. (...) À une classe supérieure qui surfe sur la
vague de la reprise fait pendant une autre, elle, entraînée vers le bas :
les ménages aux revenus intermédiaires, principales victimes de la ré-
cession, ont vu leur niveau de vie se dégrader ».
Partout, le pouvoir d’achat a décroché des gains de productivité, à la
différence de ce qui se passait entre 1945 et 1975. Et les situations so-
ciales se figent : « Au milieu des années 1950, écrit Louis Maurin, les
cadres touchaient en moyenne 4 fois plus que les ouvriers, mais ces
derniers pouvaient espérer rattraper le salaire moyen des cadres de
1955 vers 1985, compte tenu du rythme de progression des salaires. Au
milieu des années 1990, les cadres ne touchaient plus "que" 2,6 fois le
salaire moyen des ouvriers, mais il fallait à ces derniers trois siècles
46/149
pour espérer arriver à ce niveau » : on gagne beaucoup moins que
d’autres, ce qui est supportable, mais on a perdu l’espoir de les rat-
traper, ce qui l’est beaucoup moins. La mobilité sociale est en panne.
Il en résulte une inégalité nouvelle entre générations : les membres
des classes moyennes et modestes découvrent qu’ils ne peuvent pas
garantir à leurs enfants un niveau de vie amélioré par rapport au leur.
Le patrimoine et les revenus des adultes de plus de quarante ou cin-
quante ans sont nettement plus élevés que ceux des adultes plus
jeunes. Les pauvres ne sont plus les mêmes qu’il y a vingt ans, note
l’économiste Louis Chauve1 : « Naguère, il s’agissait de vieux qui
devaient bientôt disparaître. Aujourd’hui, les pauvres sont avant tout
des jeunes, pleins d’avenir dans la pauvreté. »
Observer les seuls revenus enjolive d’ailleurs le tableau général ; il
faudrait davantage étudier les patrimoines qui sont moins bien ap-
préhendés par les statisticiens que les revenus. Les disparités en sont
beaucoup plus fortes que les inégalités de salaires et de revenu. « Si,
en matière de pouvoir d’achat, le rapport entre les 10 % les plus riches
et les 10 % de la population les plus pauvres est, selon l’INSEE, de 1 à
4, il passe de 1 à 64 lorsqu’il s’agit de la valeur des biens possédés ! Et
encore, poursuit le journal Marianne, faut-il comptabiliser pour les
plus modestes les biens durables, tels les scooters, pour ne pas obtenir
un ratio qui tend vers l’infini. » Les revenus de ce capital profitent
d’abord aux plus riches. L’inégalité des patrimoines conduit à une in-
égalité concrète bien plus grande que ce qu’indique l’inégalité des
revenus.
47/149
Naissance de l’oligarchie
mondiale
Dans la majorité des pays non occidentaux, l’inégalité est le plus
souvent très grande. Au Guatemala en 1997, par exemple, 20 % de la
population captait 61 % du revenu national. Généralement, l’Amérique
latine et l’Afrique ont des structures beaucoup plus inégalitaires qu’en
Asie et que dans les pays développés. Mais en Asie comme dans les
pays riches, l’inégalité gagne du terrain. En Inde, l’enrichissement du
pays « ne s’est pas accompagné d’un déclin spectaculaire de la
pauvreté », note le PNUD. En Chine, résume le mensuel Alternatives
économiques, « la réponse du Parti communiste [à la révolte étudiante
de 19891 avait consisté à accélérer le développement économique, tout
en renforçant son contrôle dans tous les domaines : politique, médi-
atique, judiciaire et économique. Du coup, une oligarchie s’est con-
stituée, associant étroitement ce pouvoir politique, toujours commun-
iste et dictatorial, et un pouvoir économique, de plus en plus ouverte-
ment capitaliste et tourné vers l’enrichissement privé. Sans se soucier
de la situation des laisséspour- compte, dont la situation continuait de
s’aggraver. En à peine trente ans, la Chine est ainsi devenue un des
pays les plus inégalitaires de la planète ».Un patron chinois, Zhang
Xin, de la firme immobilière Soho China, confirme l’analyse : « Le plus
grand défi qu’affronte la Chine est la disparité des revenus. Les plus
élevés croissent toujours plus vite tandis que la masse de la population
en est encore à essayer de satisfaire les besoins de base. »
Enfin, il faut rappeler l’immense écart qui existe entre pays riches et
pays pauvres. Selon le PNUD, il ne diminue plus entre pays riches et
pauvres pour des indicateurs comme l’espérance de vie, la mortalité
infantile ou l’alphabétisation. Non seulement les pays les plus pauvres
48/149
« n’ont pu réduire la pauvreté, mais ils prennent de plus en plus de re-
tard sur les pays riches. Mesuré aux extrêmes, le fossé entre le citoyen
moyen des pays les plus riches et celui des pays les plus pauvres est
immense et continue de s’élargir. En 1990, l’Américain moyen était 38
fois plus riche que le Tanzanien. Aujourd’hui, il est 61 fois plus riche ».
L’inégalité entre pays du Nord et pays du Sud prend une autre forme.
Le rapide développement de la Chine – comme de l’Inde, du Brésil,
etc. – se fait à un coût écologique immense. Certes, au XIXe et au XXe
siècle, l’Europe et les États-Unis ont eux aussi crû rapidement au prix
d’une pollution énorme et de la transformation massive de leur en-
vironnement. Les grands pays émergents suivent le chemin de leurs
prédécesseurs. Mais ceux-ci bénéficiaient d’une ressource essentielle :
l’amortisseur écologique que constituait le reste de la biosphère pour
absorber leur pollution. Les pays du Sud ne disposent plus de cette
richesse, et la limite écologique va plus précocement brider leur essor.
Le Sud « ne peut pas amortir les effets négatifs de la croissance, et
c’est là un problème mortel », écrit Sunita Narain, directrice du Centre
pour la science et l’environnement de New Delhi, en Inde.
Pour réduire la pauvreté,
abaisser les riches
Au regard de ce tableau sommaire de la pauvreté et de l’inégalité mon-
diales, il importe de faire deux observations.
En premier lieu, la pauvreté n’est pas un état absolu. On le comprend
mieux en recourant à une de ses autres définitions, adoptée par le
Conseil de l’Europe en 1984 : sont pauvres « les personnes dont les
ressources (matérielles, culturelles ou sociales) sont si faibles qu’elles
49/149
sont exclues des modes de vie minimaux acceptables dans l’État
membre où elles vivent ». C’est dire que la pauvreté est toujours relat-
ive : un pauvre en Europe aujourd’hui est sans doute plus riche qu’un
serf au Moyen Âge ou qu’un mineur au temps de Germinal ; il est
également plus riche qu’un jeune chômeur de La Paz ou de Niamey.
Par exemple, Mateo, du bidonville de Guatemala Ciudad, envierait
probablement la caravane où vit l’employé toulousain en difficulté, et
pour qui elle est signe de déchéance.
Au sein d’une même société, on est d’abord pauvre parce qu’on est
beaucoup moins riche que les riches. Cette relativité de la pauvreté,
qui prend la forme d’un truisme apparent – on est pauvre parce que
l’on n’est pas riche –, a une conséquence cruciale : elle signifie qu’une
réduction de l’inégalité (au sein d’une société comme à l’échelle
planétaire) réduit la pauvreté.
D’abord mécaniquement, en abaissant le revenu médian : si le revenu
global des plus riches diminue, ou si le nombre de riches diminue, le
revenu médian s’abaisse. Des personnes classées comme pauvres dans
la situation antérieure sortiraient ainsi de la pauvreté sans que leur
propre revenu ait changé.
Ceci, qui heurte le sens commun, doit se compléter par une autre re-
marque : une politique visant à réduire l’inégalité chercherait aussi à
renforcer les services collectifs qui sont indépendants des revenus de
chacun. En effet, généralement, plus une société est inégalitaire, plus
les services collectifs y sont mal assurés : par exemple, aux États-Unis,
qui sont le pays occidental le plus inégalitaire, « les dépenses de santé
représentent 14 % du PIB (contre 10,3 % aux Pays-Bas et en France) »,
relève André Cicolella ; « près de 60 millions d’Américains sont sans
couverture maladie, les coûts de gestion sont de 14 % (contre 5 % en
France) »,alors que « les indicateurs sanitaires, selon l’OMS, placent
les États-Unis au 37e rang mondial, loin derrière tous les pays
50/149
européens ainsi que derrière le Costa Rica et le sultanat d’Oman ».
L’amélioration des services collectifs entraînerait donc une améliora-
tion de la situation matérielle des pauvres. On devine que cela se réal-
iserait par un transfert d’une partie des ressources des plus riches vers
ces services utiles à tous.
La pauvreté oubliée : la
misère écologique
Deuxième observation : la pauvreté est liée à la dégradation écolo-
gique. Les pauvres vivent dans les endroits les plus pollués, à proxim-
ité des zones industrielles, près des voies de communication, dans les
quartiers mal desservis en eau ou en ramassage d’ordures. Une façon
d’appréhender la pauvreté autrement qu’en termes monétaires
passerait ainsi par une description des conditions environnementales
d’existence. De surcroît, ce sont les pauvres qui subissent prioritaire-
ment l’effet de la crise écologique : en Chine, avertit Zhou Shenxian, le
ministre de l’Environnement, « l’environnement est devenu une ques-
tion sociale qui stimule les contradictions sociales » ; en 2004,
indiquait-il, le pays avait connu 5 1000 conflits liés à l’environnement.
On y compte par exemple des dizaines de « villages du cancer », bor-
dés d’usines chimiques qui rejettent sans vergogne les polluants dans
l’air et dans l’eau, ce qui provoque de graves maladies chez leurs
voisins impuissants. De même, les conflits liés au vol des terres des
paysans pour nourrir une spéculation foncière effrénée se multiplient-
ils : 74 000 en 2004 contre 58 000 en 2003 ; ce conflit d’appropri-
ation des terres conduit à des heurts sanglants (6 paysans tués par la
police en juin 2005, 20 en décembre 2005).
51/149
Ce ne sont pas là des spécificités chinoises. Les conflits fonciers sont
violents au Brésil (39 assassinats en 2004). Le changement climatique
affecte d’abord les paysans du Sahel. L’extension des cultures du soja
en Amérique latine se fait en bonne partie aux dépens des petits fermi-
ers. Les catastrophes d’origine naturelle – inondations, cyclones,
razde- marée frappent d’autant plus violemment les pauvres qu’ils ont
moins les moyens de s’en protéger et pas d’assurance réparatrice.
« Dans de nombreux cas, constatent les experts du Millenium Ecosys-
tem Assessment, ce sont les pauvres qui souffrent de la perte des ser-
vices écologiques due à la pression exercée sur les systèmes naturels
au bénéfice d’autres communautés, souvent dans d’autres parties du
monde. Par exemple, les barrages bénéficient surtout aux villes à qui
ils fournissent eau et électricité, tandis que les ruraux peuvent perdre
l’accès à la terre et à la pêche. La déforestation en Indonésie ou en
Amazonie est partiellement stimulée par la demande de bois, de papi-
er et de produits agricoles de régions éloignées des zones exploitées,
tandis que ce sont les indigènes qui pâtissent de la disparition des res-
sources de la forêt. L’impact du changement climatique s’exercera sur-
tout sur les parties les plus pauvres du monde – par exemple en ex-
acerbant la sécheresse et en réduisant la production agricole des ré-
gions les plus sèches alors que l’émission des gaz à effet de serre provi-
ent essentiellement des populations riches. »
Un lien entre pauvreté et crise écologique passe de surcroît par l’agri-
culture. Au niveau mondial, la pauvreté concerne majoritairement les
paysans : deux tiers de ceux qui subsistent avec moins de un dollar par
jour vivent dans les zones rurales. Le choix implicite des pouvoirs
économiques à travers la planète est de considérer que la question se
réglera par l’exode rural, les paysans pauvres étant censés trouver en
ville les ressources procurées par le développement industriel. La faib-
lesse des politiques agricoles favorise la mauvaise exploitation des
terres, leur érosion, puis leur déshérence. Les paysans, à bout, quittent
52/149
leur village. Or, on l’a vu, la ville n’est plus le lieu de la prospérité
promise. Les pas du paysan famélique le conduisent à la misère des
bidonvilles.
Mais ce n’est pas seulement l’absence de politiques agricoles qui en-
gendre cette situation. La mise en concurrence sur le marché mondial
d’agriculteurs du Nord – suréquipés et pouvant produire à bas coût
près de cent tonnes de céréales par actif et par an
– et d’agriculteurs dénués de moyens suffisants et produisant moins
d’une tonne aboutit à l’appauvrissement, à la faillite et à l’exode de
ceux-ci. En fait, comme le relève l’agronome Marc Dufumier, « ce que
certains appellent le "libre-échange" n’est rien d’autre que la mise en
concurrence d’agriculteurs dont les conditions de productivité sont ex-
trêmement inégales ». Ce déséquilibre est d’autant plus absurde que la
forte productivité des agricultures du Nord est obtenue au prix de
dommages écologiques importants – consommation excessive d’eau,
épandage de pesticides nocifs, utilisation massive d’engrais pro-
voquant l’eutrophisation de l’eau ou sa pollution par les nitrates. Au
total, pauvreté et crise écologique sont inséparables. De même qu’il y a
synergie entre les différentes crises écologiques, il y a synergie entre la
crise écologique globale et la crise sociale : elles se répondent l’une
l’autre, s’influencent mutuellement, s’aggravent corrélativement.
CHAPITRE III Les
puissants de ce
monde
Oligarchie, nous apprend le dictionnaire, signifie « régime politique où
l’autorité est entre les mains de quelques familles puissantes ; en-
semble de ces familles ». La planète est aujourd’hui gouvernée par une
oligarchie qui accumule revenus, patrimoine et pouvoir avec une avid-
ité dont on n’avait pas eu d’exemple depuis les « barons voleurs »
américains de la fin du XIXe siècle.
Entre 2000 et 2004, les émoluments des patrons des quarante plus
grandes entreprises françaises cotées à la Bourse – dites du CAC 40 –
ont doublé pour atteindre une moyenne de 2,5 millions d’euros an-
nuels. Si l’on y inclut les stock-options dont ils bénéficient (il s’agit de
la possession d’actions attribuées à un cours avantageux), le chiffre
passe à 5,6 millions d’euros en 2004, selon le cabinet d’études Proxin-
vest, soit plus de 15 000 euros par jour. Les patrons français les mieux
payés ont ainsi empoché en 2005 : 22,6 millions d’euros (Lindsay
Owen-Jones, L’Oréal), 16,3 (Bernard Arnault, LVMH), 13,7 (Jean-
René Fourtou, Vivendi), etc. Arnaud Lagardère (Lagardère SCA) était,
hors stock-options, le mieux payé : 7 millions. Il faut descendre
jusqu’au 79e patron du classement dressé par Capital pour passer en
dessous du million d’euros de rémunération annuelle.
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Les chefs d’entreprise ne sont pas seuls à bénéficier de la manne. De-
puis 1998, les émoluments des 435 membres des comités de direction
des sociétés du CAC 40 ont, selon Proxinvest, grimpé de 215 %, alors
que, durant la même période, le salaire des Français n’a progressé que
de 25 %.
Au salaire et aux stock-options, il convient souvent d’accorder à nos
amis les patrons un cadeau de bienvenue lors de leur arrivée dans l’en-
treprise – deux ans de salaire –,une prime de sortie, une retraite-
chapeau assurant 40 % du revenu – par exemple, 1,2 million d’euros
par an pour Daniel Bernard, de Carrefour –, les frais payés – carte de
crédit d’entreprise, repas, chauffeur, conseiller fiscal –, les jetons de
présence pour participation aux conseils d’administration d’autres en-
treprises que la leur, etc. Ces conseils d’administration sont une cou-
tume permettant à la tribu des dirigeants de raffermir ses liens ; les
jetons ajoutent un agrément à la joie de se revoir : ils seraient en moy-
enne en 2004 de 34 500 euros.
La France n’est pas seule à choyer ses patrons. En 2005, selon une
étude de Standard & Poor, la rémunération moyenne des P-DG des
500 plus grandes firmes des États-Unis s’élève à 430 fois celle du trav-
ailleur moyen – dix fois plus qu’en 1980. Le patron de Sonoco, John
Drosdick, reçoit 23 millions de dollars par an, ceux d’An, Edward
Whitacre, 17 millions, d’US Steel, John Surma, 6,7 millions, d7Alcoa,
Alain Belda, 7,5 millions.
Quitter ces entreprises est l’occasion d’emporter un magot. En
décembre 2005, Lee Raymond, le dirigeant d’Exxon, la grande com-
pagnie pétrolière américaine, a pu soulager la tristesse de son départ
avec un paquet de 400 millions de dollars. Le patron d’occidental Pet-
roleum s’est contenté de 135 millions de dollars en trois ans. Richard
Fairbank, P-DG de Capital One Financial, a mieux joué : 249 millions
de dollars quand il a levé ses stockoptions en 2004.
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En France, les cadeaux de départ sont moins plantureux, mais pas tout
à fait dérisoires. Daniel Bernard, patron de Casino, part en avril 2005
avec des indemnités de licenciement de 38 millions d’euros auxquelles
s’ajoute 0,6 % de capital en tant que stockoptions, soit quelque 170
millions d’euros. Antoine Zacharias, P-DG de Vinci, quitte cette entre-
prise en janvier 2006 avec une prime de 13 millions d’euros, pour aid-
er à lui faire oublier son salaire annuel de 4,3 millions de 2005, et que
complète un matelas de plus de 170 millions de stock-options. Jean-
Marc Espalioux, président du directoire d’Accor, part en janvier 2006
avec 12 millions d’euros. Igor Landau (Aventis), qui a perdu l’OPA que
lui a lancée Sanofi, empoche également 12 millions. Havas se sépare
d’Alain de Pouzilhac et de 7,8 millions.
En 1989, Jacques Calvet, dirigeant de Peugeot, avait fait scandale
parce qu’il s’était accordé une rallonge de 46 % en deux ans – avec 2,2
millions de francs (330 000 euros), il pesait 30 fois le salaire d’un ouv-
rier de son entreprise. Aujourd’hui, ses collègues du CAC 40 gagnent
plus de cent fois plus que le smicard. En 2000, rapporte Le Monde, le
« gourou du management Peter Drucker » avait lancé une mise en
garde : « Il y a trente ans, le facteur multiplicatif entre le salaire moyen
d’une entreprise et le salaire le plus élevé était de 20. Maintenant, on
avoisine les 200. C’est extrêmement pernicieux. Le banquier J. P.
Morgan, dont on ne peut douter qu’il aimait beaucoup l’argent, avait
fixé comme règle que le top management ne devait pas avoir un salaire
qui excède vingt fois celui d’un salarié moyen. Cette règle était très
sage. Il y a aujourd’hui une attention démesurée portée aux revenus et
à la richesse. Cela détruit totalement l’esprit d’équipe. » M. Drucker a
beau être « gourou », l.es managers ne l’ont pas écouté. Le plus éton-
nant dans cette « bacchanale », pour reprendre le mot de Forbes, est
que ce ne sont pas les salariés ou les partis de gauche qui protestent le
plus vivement contre ce holdup organisé, mais les actionnaires et les
investisseurs, qui jugent que le partage de la plus-value en faveur des-
dits managers se fait à leur détriment...
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La secte mondiale des
goinfres goulus
Pourtant, les rentiers et spéculateurs qui vivent de la Bourse ne s’en
sortent pas si mal. Entre 1995 et 2005, le revenu tiré des dividendes a
crû de 52 % en France, selon une enquête de l’hebdomadaire Mari-
anne ; dans le même temps, le salaire médian a augmenté de 7,8 %,
soit sept fois moins. Début 2006, la presse française observait la pro-
gression des bénéfices distribués aux actionnaires par les entreprises
du CAC 40 : + 33 %. Les esprits chagrins comparaient ce chiffre à la
progression moyenne du pouvoir d’achat des salaires :
+ 1,4 %. « Ce bénéfice ne résulte d’aucune prise de risque, d’aucun
comportement entrepreneurial. C’est bien un enrichissement de renti-
er qui s’est fait sans effort », commente Robert Rochefort dans La
Croix. Les agents de la finance accumulent eux aussi de coquettes
pelotes : fin 2005, raconte Le Monde, « 3 000 banquiers de la City
[londonienne] auront un bonus de plus de 1 million de livres », soit
1,45 million d’euros. La firme de conseil financier Goldman Sachs, qui
a réussi trois des plus grosses fusions d’entreprises de 2005, distribue
10,5 milliards d’euros à ses 22 425 employés, soit 450 000 euros en
moyenne pour chacun. Greenwich, près de New York, patrie des hedge
funds (fonds spéculatifs), est un endroit où un revenu de moins de un
million de dollars fait de vous « le plancton à la base de la chaîne ali-
mentaire de l’économie », note le Financial Times.
D’autres individus, jouant sur la création d’entreprises, la Bourse, les
fusions, etc., deviennent milliardaires. « En 1988, on considérait qu’un
homme était riche avec cent millions d’euros, dit Philip Beresford, qui
établit chaque année la liste des cinq mille premières fortunes
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britanniques. Aujourd’hui, ce serait plutôt un milliard ! » La multiplic-
ation dans le monde du nombre de milliardaires est saisissante : en
1985, quand le magazine Forbes a commencé son recensement, il en
comptait 140 ; en 2002, ils étaient 476 ; en 2005, 793. Ces 793 indi-
vidus possèdent ensemble 2600 milliards de dollars. Une somme qui
équivaut, selon le Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde
(CADTM), à « la totalité de la dette extérieure de tous les pays en
développement ». Une autre façon d’apprécier la chose est de con-
stater, comme le fait le Programme des Nations unies pour le dévelop-
pement, que le revenu des 500 personnes les plus riches du monde est
supérieur à celui des 416 millions les plus pauvres du monde. On
finirait par se perdre dans tous ces chiffres, mais voilà : un hyper-riche
touche plus que un million de ses frères humains réunis...
Il y a plus fort encore. La nouvelle s’est peu ébruitée, un petit papier en
bas de page du Monde : des gens gagnent plus de un milliard de dol-
lars par an. Oui : pas en capital, mais bien en revenu, eh oui, un mil-
liard. J’avais du mal à croire ce que j’avais lu sous la plume de ma ca-
marade Cécile Prudhomme, qui a déniché cette information extravag-
ante. Elle m’a communiqué le document difficile à trouver qui recense
le hitparade des gagnants de cette loterie invraisemblable, les diri-
geants des « meilleurs » fonds spéculatifs américains : James Simons,
de Renaissance Technologies, et T. Boone Pickens, de BP Capital Man-
agement, se sont ainsi respectivement enrichis en 2005 de 1,5 et 1,4
milliard de dollars, tandis que George Soros devait se contenter de
840 millions. En moyenne, en 2005, chacun des 26 dirigeants les
mieux payés de ces fonds a gagné 363 millions de dollars, en augment-
ation de 45 % sur 2004.
La secte des hyper-riches n’a pas de patrie. Forbes recense 33 mil-
liardaires en Russie, 8 en Chine, 10 en Inde. Et sur les 8,7 millions de
millionnaires que compte la planète selon l’étude de Merrill Lynch et
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Capgemini, on en dénombre 2,4 millions en Asie, 300 000 en
Amérique latine et 100 000 en Afrique.
Dans les pays les plus pauvres, la caste s’est constituée aux sommets
de l’État en lien avec celle des pays occidentaux : les classes diri-
geantes locales ont négocié leur participation à la prédation planétaire
par leur capacité à rendre accessibles les ressources naturelles aux
firmes multinationales ou à assurer l’ordre social. Dans les pays de
l’ex-Union soviétique, une oligarchie financière s’est formée à côté des
structures étatiques par l’appropriation des dépouilles de l’État.
Comme l’observe un commentateur russe, « cette accumulation
massive de richesse dans quelques mains n’est pas tant obtenue par
des réussites dans le domaine de la production que par une constante
redistribution de la richesse collective du bas vers le haut au moyen de
l’abaissement des impôts sur les riches et de la distribution de nou-
veaux privilèges aux milieux d’affaires, tout en détruisant les mécan-
ismes sociaux créés après la Seconde Guerre mondiale ».
En Asie, l’oligarchie fleurit aussi sur le développement des économies
locales en s’accommodant, particulièrement en Chine, d’une exploita-
tion poussée des travailleurs et du dépouillement des paysans.
L’oligarchie mondiale aime à protéger sa fortune dans les paradis fisc-
aux, havres de paix où l’imposition des héritages, fortunes et autres
patrimoines est réduite au symbole. L’évasion fiscale fait d’ailleurs
partie des règles de bonne gestion : « Lakshmi Mittal [dirigeant du
groupe sidérurgique de même nom] vit à Londres, relate Paris-Match.
Son groupe est immatriculé aux Pays-Bas, tandis que les holdings fa-
miliales sont basées au Luxembourg, aux Canaries, à Gibraltar et aux
îles Vierges. "Rien d’anormal à cela, rétorque un porte-parole de Mit-
tal. Cette structure répond à des soucis d’optimisation fiscale. Le
groupe Arcelor utilise aussi les paradis fiscaux. Il a même des filiales
immatriculées aux îles Caïmans". »
59/149
Les paradis fiscaux sont un utile moyen de pression pour suggérer aux
États d’abaisser la fiscalité sur les riches. En Allemagne, les patrons
ont obtenu du chancelier Schröder la suppression de la taxation de 52
% des plus-values sur la vente des participations. Au Japon, le taux
maximal d’imposition sur les revenus était passé de 70 % à 37 % dans
les années 1990 ; le Premier ministre Koizumi y a ajouté une réduction
de la taxation des successions. En France, la réforme fiscale qui va en-
trer en oeuvre en 2007 accorde 80 euros de baisse d’impôt à un smi-
card, mais 10 000 euros pour celui qui perçoit 20 000 euros men-
suels... Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques
(OFCE), pas moins de 70 % des 3,5 milliards de réductions d’impôts
prévues iront dans la poche de 20 % seulement des contribuables. Aux
États-Unis, George Bush a mis en oeuvre la « compassion » qui avait
été un de ses slogans de campagne en 2000 : les baisses d’impôts réal-
isées à partir de 2001 représentent 1 900 milliards de dollars sur dix
ans ; selon une étude de 1’Urban Institute, une organisation de gauche,
la réduction des taxes sur les dividendes a permis à ceux qui gagnaient
plus de un million de dollars par an d’économiser 42 000 dollars sur la
période – mais deux dollars seulement pour ceux qui gagnent entre
10000 et 20 000 dollars.
« Si la justice vient à manquer, écrivait saint Augustin, que sont les
royaumes, sinon de vastes brigandages ? »
Verrouiller la porte du
château
La classe opulente devient une caste séparée de la société, qui se re-
produit sui generis par transmission du patrimoine, des privilèges et
des réseaux de pouvoir. Ainsi, par exemple, la France reconstitue-t-
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elle un capitalisme héréditaire qui remet à jour l’expression des « 200
familles » en vogue dans l’entre-deux-guerres. Chez les Lagardère,
Jean-Luc transmet capital et pouvoir à son fils Arnaud. François Pin-
ault confie les rênes à François-Henri. Les tribus Michelin et Peugeot
maintiennent avec une salutaire obstination leurs entreprises dans le
giron familial. Patrick Ricard dirige l’entreprise fondée par son père,
comme Martin Bouygues, fils de Francis, ou Vincent Bolloré, héritier
d’une dynastie de papetiers fondée en 1861. Gilles Pélisson est à la tête
d’Accor grâce à son oncle Gérard. Vianney Mulliez, neveu de Gérard
Mulliez, président d’Auchan, prend la relève de celui-ci, qui était fils
du patron de Phildar. Antoine Arnault, vingt-sept ans, est nommé ad-
ministrateur de LVMH, dont le P- DG est son papa, Bernard, lui-
même fils du patron de Ferinel, une entreprise de mille employés ; An-
toine rejoint sa soeur Delphine, qui était entrée au conseil en 2004.
Aux États-Unis, où business et politique sont quasiment unifiés, « Ge-
orge Bush est le fils d’un président, le petit-fils d’un sénateur, et le
fruit de l’aristocratie économique américaine, écrit The Economist.
John Kerry, grâce à une épouse richissime, est l’homme le plus riche
d’un Sénat plein de ploutocrates (...). Son prédécesseur, Al Gore, était
le fils d’un sénateur. Il avait étudié dans une école d’élite privée, puis à
Harvard. Et le challenger de gauche de M. Kerry ? Howard Brush Dean
était le produit du même monde bas-bleu d’écoles privées – il a grandi
dans les Hamptons et sur Park Avenue, à New York ».
« Où que vous regardiez dans l’Amérique moderne, poursuit l’heb-
domadaire anglais des milieux d’affaires – des collines d’Hollywood
aux canyons de Wall Street, des studios de Nashville aux corniches de
Cambridge –, vous trouvez des élites maîtrisant l’art de se perpétuer
elles-mêmes. L’Amérique ressemble toujours plus à l’Empire britan-
nique, avec des réseaux dynastiques proliférants, des cercles ver-
rouillés, le renforcement des mécanismes d’exclusion sociale et un
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fossé entre ceux qui prennent les décisions et définissent la culture, et
la vaste majorité des travailleurs ordinaires. »
Les hyper-riches se pensent comme une nouvelle aristocratie. Plus que
des études savantes, les anecdotes disent l’inconscient de la caste :
quand, par exemple, M. Pinault convie ses relations à admirer l’install-
ation de sa collection d’objets d’art, il choisit, à la table d’honneur, de
se placer entre « Sa Majesté l’ex-impératrice d’Iran Farah Diba et Sa
Grâce la duchesse de Malborough ».
Un des moyens les plus efficaces pour verrouiller la porte du château
est de rendre très onéreuses les études supérieures, par lesquelles les
individus brillants peuvent normalement accéder aux postes de com-
mande. Ainsi, les meilleures universités ou écoles requièrent-elles des
frais d’inscription hors de portée des classes pauvres et de plus en
plus difficilement accessibles aux classes moyennes. À l’université
Harvard, le revenu médian des familles des étudiants est de 150 000
dollars. Au Japon, on déplore « l’orientation désormais élitiste de
l’éducation ». La richesse découle aujourd’hui d’un statut hérité,
comme c’était le cas sous l’Ancien Régime, avant la Révolution
française.
Comme des fous tristes
Une question simple est tout sauf anecdotique – on verra au chapitre
suivant pourquoi : Comment les ploutocrates dépensent-ils leur argent
? L’histoire racontée par Forbes en donne une idée : « Le milliardaire
Leslie Wexner a lancé la guerre des yachts en 1997 quand il baptisa
Limitless qui, avec 96 mètres, était plus long de 33 mètres que son
plus proche rival. Depuis, une compétition se déroule sur l’eau. Pour
jouer, vous devez être prêt à dépenser jusqu’à 330 millions de dollars,
62/149
et peut-être acheter plus d’un navire – le Russe Roman Abramovich en
possède trois. La rumeur dit que Lany Ellison a demandé que le dessin
de son Rising Sun soit adapté pour dépasser de quelques mètres
l’Octopus de Paul Allen. » Lequel Octopus – 126 mètres de long – est
équipé d’un terrain de basket, d’un héliport, d’une salle de cinéma et
d’un sous-marin en fond de cale. Les hyper-riches français, eux, se
contentent de peu : 32 mètres pour le Magic Carpet II de Lindsay
Owen-Jones, 60 mètres pour le Paloma de Vincent Bolloré.
Voici quelques objets retenus par Forbes pour constituer son indice du
coût de la vie « extrêmement bien » (Cost of living extremely well) : un
manteau de fourrure russe chez Bloomingdale’s (160 000 dollars en
2005), douze chemises chez Turnbull & Asser (3 480 dollars), une
caisse de champagne Dom Pérignon chez Sherry-Lehmann (1 559 dol-
lars), une paire de fusils chez James Purdey & Sons (167 500 dollars).
Parmi les autres moyens relevés par les gazettes de dépenser l’argent
courant, on peut engloutir 241 000 dollars en une nuit dans un cab-
aret de strip-tease, comme Robert McCormick, P-DG de Savvis, in-
staller la climatisation dans les box de ses chevaux de course, comme
le magnat de Brunei, Haji Hassanal Bolkiah Mu’izzaddin Waddaulah,
s’habiller sur mesure – 5 000 euros le costume –, se payer la voiture la
plus chère du monde, la Bentley 728, pour 1,2 million de dollars, se
procurer la plus rapide, 392 km/h, la Koenigsegg CCR, à 723 000 dol-
lars, s’inscrire dans le club le plus sélect – donc le plus cher – du pays :
en Chine, c’est le Chang An Club, à Pékin, droit annuel de 18 000 dol-
lars. Ou fréquenter un centre de gymnastique sérieux – 50 000 dollars
de droit annuel pour intégrer le Bosse Sports and Health Club de Sud-
bury, Massachusetts.
On achètera, bien sûr, des logis spacieux. Un garçon fortuné, comme
Joseph Jacobs, manager d’un fonds spéculatif, cherche à construire à
Greenwich, près de New York, une maison de 2 800 mètres carrés,
comprenant quatre cuisines. À Paris, Bernard Arnault rachète à Betty
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Lagardère un hôtel particulier de 2 000 mètres carrés pour 45 millions
d’euros. David de Rothschild vit dans une maison rue du Bac, Jérôme
Seydoux occupe un immeuble entier rue de Grenelle. En fait, on aura
plusieurs maisons, ou résidences, dans les grandes capitales ainsi que
dans des endroits calmes : telle la propriété de Silvio Berlusconi en
Sardaigne – 2 500 m2 sur un terrain de 510 hectares – ou celle de
Jean-Marie Fourtou au Maroc – 13 hectares de terrain, neuf chambres
avec salles de bains, douze domestiques, une piscine chauffée de 200
mètres carrés.
La collection artistique marque le bon goût – et permet une déduction
fiscale intégrale.
Dans un genre plus prosaïque, un banquier londonien expose la façon
dont il va dépenser les 728 000 euros de prime touchés fin 2005 : «
Notre financier entend acheter un terrain et agrandir sa résidence
secondaire dans le Bedfordshire, une nouvelle Bentley, un collier de
diamants pour son épouse et payer les droits des prestigieux pension-
nats privés fréquentés par ses enfants. Ce fana de football a aussi ac-
quis une place réservée pour dix ans au nouveau stade de Wembley,
pour la modeste somme de 36 400 livres. La famille fera une donation
de 10 000 livres à une oeuvre de lutte contre le cancer du sein. Enfin,
le professionnel de la City s’est précipité sur les meilleurs millésimes
pour enrichir sa cave. » À Londres, « concessionnaires de voitures de
sport, restaurateurs haut de gamme et magasins de luxe se frottent les
mains. Avec l’engouement des "gents" pour le Botox et la liposuccion,
les cliniques de chirurgie esthétique font des affaires ».
Les riches, comme les manants, vont en vacances : en 2005, les destin-
ations à la mode semblaient Venise, l’île Moustique, la Patagonie. Un
éminent personnage donne l’ordre de grandeur du budget à prévoir
dans les bons endroits : Jacques Chirac à l’hôtel Royal Palm, sur l’île
Maurice, 3 350 euros par jour, en 2000. Plus près du peuple,
64/149
Dominique Strauss-Kahn et son épouse Anne Sinclair : « En juillet
1999, racontent leurs biographes, ils ont décliné l’invitation de James
Wolfensohn, le patron de la Banque mondiale, qui les conviait à passer
quelques jours dans son ranch aux États-Unis. Ils lui ont préféré
l’Égypte avec les enfants, avant de faire un saut en tête à tête en Asie.
Ils s’envolent aussi souvent le week-end pour le Maroc, où le clan TF1
a ses habitudes, et où Dominique aime retrouver ses souvenirs.
L’hiver, la famille skie à Méribel et depuis quelques années aux Arcs. »
Mais les vrais hyper-riches ont leur propre avion – ou celui de la com-
pagnie. Compter de 1à 40 millions d’euros. Il sera bien utile pour vivre
les moments capitaux, tel Thierry Breton, alors patron de France Télé-
com, faisant l’aller-retour des États-Unis pour venir voir un match de
rugby. On aura à coeur d’aménager son intérieur de bois précieux ou
de marbre. Le manager avisé consulte le catalogue d’avions d’affaires
comme d’autres choisissent un vélo ou une scie électrique ; nous lui
conseillerons le Falcon 900EX, si peu gourmand – une tonne de car-
burant en moins consommée sur 1600 kilomètres que ses concurrents
que son fabricant l’appelle « green machine ». Ah, voler dans son
propre avion en se sentant un pur écologiste...
L’avion commence à faire un peu ringard. N’est-il pas plus chic de
dépenser son magot dans l’espace ? Il en coûte 20 millions de dollars
pour passer une semaine dans la station spatiale internationale,
comme l’ont fait Dennis Tito, en mai 2001, Mark Shuttleworth en
2002 et Gregory Olsen en 2005. Mais on devrait bientôt trouver des
vols moins chers, par exemple le vol suborbital à 100 000 dollars, or-
ganisé par Space Adventures, ou des vols commerciaux touristiques
proposés vers 2008 par Virgin Galactic pour 200 000 dollars. À vrai
dire, je ne sais pas exactement pourquoi, mais le vol spatial a déjà un
petit côté vulgaire, trop m’as-tu-vu. Je vous conseillerais plutôt un
sous-marin de croisière, tel le Phoenix proposé par US Subs sur com-
mande : plus de 30 mètres de long, près de 400 tonnes, des
65/149
appartements, de grands hublots pour voir l’extérieur, une autonomie
de quinze jours – le capitaine Nemo n’a qu’à bien se tenir. Bon, 43 mil-
lions de dollars. Mais vous les valez, non ?
L’argent n’est plus caché : il faut au contraire l’exhiber. Et pour cela,
rien ne vaut une belle fête. François Pinault invite à Venise, pour l’in-
auguration de son musée privé, 920 « amis ». Ils sont venus en avions
privés, bien sûr, si bien que l’aéroport Marco Polo a été saturé – il a
fallu dévier plusieurs des 160 jets vers d’autres aéroports d’où des héli-
coptères ont emmené leurs passagers à la Cité des Doges. M. Pinault
était ravi : il a fait mieux que son camarade Bernard Arnault, qui ne
comptait que 650 convives au mariage de sa fille Delphine, « un grand
mariage à la française » où se sont réunis « princes, stars et barons de
la finance ».
Et les enfants ? Ils s’amusent comme des fous tristes : entre Neuilly et
le XVIe arrondissement de Paris, raconte Paris-Match, « les filles s’ap-
pellent Chloé ou Olympia et s’habillent en Gucci. Les garçons conduis-
ent une décapotable en attendant d’avoir le permis. Ils vont tous dans
les mêmes lycées huppés mais finissent souvent dans une boîte à bac,
sortent à L’Étoile, au Cab’ ou aux Planches pour les plus jeunes,
partent en villégiature à l’autre bout du monde. (...) D’emblée, ça parle
d’argent, et elle vous le dit comme elle le pense, Daphné, les pauvres,
elle n’aime pas trop. (...) Question carrière, faut que ça soit facile.
Sinon papa leur trouvera un boulot. Et si ce n’est pas papa, ce sera un
de ses amis, comme s’en vante cette bande de petits gars, attablés au
Scossa : "Y aura toujours du boulot pour nous, même si vous trouvez
ça injuste." »
Voici Paris Hilton, héritière de la chaîne d’hôtels du même nom, et
milliardaire, dont les gazettes nous apprennent qu’elle « n’a qu’un
travail dans la vie : le shopping ». « Et ce n’est pas rien de dépenser
plusieurs milliers de dollars en moins de vingt secondes. Yves Saint
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Laurent et Calvin Klein sont ses maîtres à penser. » On suit ses aven-
tures dûment chroniquées par Associated Press, d’amant – Paris Lat-
sis, héritier grec en amant – Stavros Niarchos, héritier grec –, avant
que ça ne change.
Les oligarques vivent séparés de la plèbe. Ils ne se rendent pas compte
de comment vivent les pauvres et les employés, ne le savent pas et ne
veulent pas le savoir.
Si les hyper-riches vivent à part, ce retrait de l’espace collectif est imité
par les classes opulentes qui les envient. Aux États-Unis, elles habitent
de plus en plus souvent dans des villes séparées, d’abord constituées
par des groupements de résidences privées qui s’enclosent progress-
ivement. Plus de 10 millions de personnes vivent déjà à l’abri de ces
murs ; le phénomène aboutit à la création de véritables cités, comme à
Weston, en Floride, où « l’ensemble de domaines résidentiels clos
forme une ville privée de 50 000 habitants ». Les maisons, refuges
contre le monde extérieur, sont toujours plus spacieuses : selon la Na-
tional Association of Homebuilders, la taille moyenne des maisons
construites aux États-Unis a augmenté de plus de moitié entre 1970 et
2004, alors même que la taille des familles diminuait.
« Cette Amérique-là vit dans sa bulle, raconte la journaliste Corine
Lesnes. Ses habitants n’ont plus rien à faire dans les villes et y vont
rarement. Impassibles, ils circulent au ralenti sur des autoroutes en-
combrées, tout à leur poursuite unilatérale du bonheur et de la
sécurité. »
Le phénomène se reproduit en Amérique latine, condominios
fechudos brésiliens, country clubs argentins, conjuntos cemudos
colombiens. En Afrique du Sud, les riches vivent à l’abri de maisons
surmontées de fil de fer barbelé, une caméra surveillant l’entrée,
tandis que des vigiles passent régulièrement dans les rues préservées.
67/149
En France, à Toulouse, à Lille, en région parisienne, on voit se multi-
plier des « "résidences fermées", forteresses branchées sous surveil-
lance électronique et vidéo, où chacun, sur sa télévision, dispose d’un
canal de surveillance des parkings, des halls, des couloirs et des
pelouses ». « Ma crainte, aujourd’hui, c’est que les exigences de sécur-
ité deviennent absurdes, qu’on en arrive aux miradors », s’inquiète un
promoteur de ces résidences chez Bouygues Immobilier.
Une oligarchie aveugle
Qu’existe une caste d’oligarques, une couche d’hyperriches, n’est pas
en soi, vu de Sirius, un problème. On a fréquemment observé dans le
passé que la détention du pouvoir allait de pair avec l’appropriation de
grandes richesses. L’histoire est en partie le récit de l’ascension puis de
la chute inévitable de tels groupes.
Cependant, nous ne sommes pas sur Sirius, mais sur la planète Terre.
Et nous sommes à un moment précis de l’histoire, le XXIe siècle, qui
pose un défi radicalement nouveau à l’espèce humaine : pour la
première fois depuis le début de son expansion, il y a plus d’un million
d’années, elle se heurte aux limites biosphériques de son prodigieux
dynamisme. Vivre ce moment signifie que nous devons trouver collect-
ivement les chemins pour orienter différemment cette énergie. C’est
un défi magnifique, mais difficile.
Or cette classe dirigeante prédatrice et cupide, gaspillant ses
prébendes, mésusant du pouvoir, se fige comme un obstacle sur ces
chemins. Elle ne porte aucun projet, n’est animée d’aucun idéal, ne
délivre aucune parole. L’aristocratie du Moyen Âge n’était pas seule-
ment une caste exploiteuse, elle a rêvé de construire un ordre tran-
scendant, dont les cathédrales gothiques témoignent avec splendeur.
68/149
La bourgeoisie du XIXe siècle, que Marx qualifiait de classe révolu-
tionnaire, exploitait le prolétariat, mais avait aussi le sentiment de
propager le progrès et les idéaux humanistes. Les classes dirigeantes
de la guerre froide étaient portées par la volonté de défendre les liber-
tés démocratiques face à un contremodèle totalitaire.
Mais aujourd’hui, après avoir triomphé du soviétisme, l’idéologie cap-
italiste ne sait plus que s’autocélébrer. Toutes les sphères de pouvoir et
d’influence sont avalées par son pseudo-réalisme, qui prétend que
toute alternative est impossible et que la seule fin à poursuivre pour
infléchir la fatalité de l’injustice, c’est d’accroître toujours plus la
richesse.
Ce prétendu réalisme n’est pas seulement sinistre, il est aveugle.
Aveugle à la puissance explosive de l’injustice manifeste. Et aveugle à
l’empoisonnement de la biosphère que provoque l’accroissement de la
richesse matérielle, empoisonnement qui signifie dégradation des con-
ditions de vie humaine et dilapidation des chances des générations à
venir.
CHAPITRE
IV Comment
l’oligarchie
exacerbe la crise
écologique
Sans doute ne connaissez-vous pas Thorstein Veblen. C’est normal. Ce
qui ne l’est pas, c’est que beaucoup d’économistes le méconnaissent
également.
Raymond Aron, qui était un homme pondéré, comparait son oeuvre à
celles de Tocqueville et de Clausewitz. C’est que la réflexion de Veblen
est une clé essentielle pour comprendre notre époque. Pourtant, la
Théorie de la classe de loisir est devenue introuvable en français et
Veblen reste absent des programmes universitaires de science
économique.
L’homme était fils de paysan. Son père était venu de Norvège s’in-
staller aux États- Unis, dans le Wisconsin, dix ans avant la naissance
de Thorstein en 1857. On parlait norvégien à la maison. Thorstein
Veblen apprit l’anglais à l’adolescence et réussit brillamment ses
études, obtenant en 1884 un doctorat à Yale, une des grandes
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universités de la côte Est des États-Unis. Peu enclin aux ronds de
jambe nécessaires pour s’assurer une position bourgeoise, il revint à la
ferme paternelle pendant six ans, avant de reprendre des études à
Corne11 en 1891 et d’obtenir dans la foulée un poste d’enseignant à
l’université de Chicago. Il vécut alors une existence effacée, quoique
excentrique, mais occupée par un riche travail intellectuel : son premi-
er livre, Théorie de la classe de loisir, publié en 1899, connut lors de sa
parution une notoriété durable. Sans doute la dut-il au contexte de
l’époque : le début du XXe siècle fut aux États-Unis (comme, sous une
autre forme, en Europe) une période d’apogée de ce que les historiens
ont appelé le « capitalisme sauvage ».
Veblen a ensuite été oublié. Les revenus se sont beaucoup resserrés au
cours du XXe siècle, ce qui a rendu d’intérêt moins immédiat son ana-
lyse. Mais le retour d’une très grande inégalité et l’état présent d’un
capitalisme exacerbé et ivre de lui-même rendent à l’économiste de
Chicago toute sa fraîcheur incisive.
Pour Veblen, l’économie est dominée par un principe : « La tendance à
rivaliser – à se comparer à autrui pour le rabaisser – est d’origine im-
mémoriale : c’est un des traits les plus indélébiles de la nature hu-
maine. » « Si l’on met à part l’instinct de conservation, précise-t-il,
c’est sans doute dans la tendance à l’émulation qu’il faut voir le plus
puissant, le plus constamment actif, le plus infatigable des moteurs de
la vie économique proprement dite. » L’idée avait été suggérée par le
fondateur de l’économie classique, Adam Smith : dans sa Théorie des
sentiments moraux, il relevait que « l’amour de la distinction, si
naturel à l’homme (...) suscite et entretient le mouvement perpétuel de
l’industrie du genre humain B. Mais Smith n’a pas vraiment creusé ce
principe que Veblen, au contraire, a systématisé. Selon lui, les sociétés
humaines ont quitté un état sauvage et paisible pour un état de rapa-
cité brutale, où la lutte est le principe de l’existence. Il en est issu une
différenciation entre une classe oisive et une classe travailleuse, qui
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s’est maintenue lorsque la société a évolué vers des phases moins viol-
entes. Mais la possession de la richesse est restée le moyen de la
différenciation, son objet essentiel n’étant pas de répondre à un besoin
matériel, mais d’assurer une « distinction provocante », autrement dit
d’exhiber les signes d’un statut supérieur. Certes, une partie de la pro-
duction de biens répond aux « fins utiles » et satisfait des besoins con-
crets de l’existence. Mais le niveau de production nécessaire à ces fins
utiles est assez aisément atteint. Et, à partir de ce niveau, le surcroît de
production est suscité par le désir d’étaler ses richesses afin de se dis-
tinguer d’autrui. Cela nourrit une consommation ostentatoire et un
gaspillage généralisé.
Il n’y a pas besoin
d’augmenter la production
La première originalité de Veblen est de renverser l’axiome originel de
l’économie classique : celle-ci raisonne dans un univers de contraintes,
où les hommes disposent de ressources rares pour des besoins illim-
ités. Dès lors, le problème économique serait d’augmenter la produc-
tion pour accroître l’offre de biens et tenter d’assouvir les besoins.
Veblen, au contraire, observe que les besoins ne sont pas infinis. Au-
delà d’un certain niveau, c’est le jeu social qui les stimule. De même, il
ne considère pas que la production est rare, mais pose qu’elle est
suffisante.
Cette approche constitue une rupture radicale avec le discours
économiste qui forme l’idéologie dominante. De ce point de vue, capit-
alisme et marxisme sont strictement équivalents : ils postulent tous
deux que la production est insuffisante. Veblen renverse l’analyse : la
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production est suffisante, la question qui se pose à l’économie porte
sur les raisons et les règles de la consommation.
Une des sources d’information de Veblen était l’ethnographie, c’est-à-
dire l’observation des coutumes des peuples d’Amérique ou du Paci-
fique. Les cultures de ceuxci étaient encore souvent, au XIXe siècle, bi-
en vivantes. Veblen a ainsi rencontré à Chicago Franz Boas, un ethno-
graphe qui a étudié les Indiens Kwakiutl, un peuple de la côte Nord-
Ouest des États-Unis. Les Kwakiutl, qui tiraient de la pêche et de la
fourrure une grande prospérité, pratiquaient le « potlatch » : lors de
longues fêtes, ils se livraient à une sorte de compétition de cadeaux,
chaque don d’un clan à un autre appelant en retour un présent plus
beau, sur lequel le premier renchérissait, dans un cycle de munificence
aboutissant à une débauche des biens de tous. L’observation de Boas
n’était pas isolée. Sous diverses formes, le potlatch a été décrit dans de
nombreuses sociétés, si bien que le sociologue français Marcel Mauss
l’a présenté dans son Essai sur le don (1923) comme un « système
général d’économie et de droit ».
Retenons la leçon de cette tradition ethnologique :le régime naturel
des sociétés n’est pas la gêne ;elles peuvent aussi bien connaître une
abondance permettant le gaspillage d’un surplus considérable. Veblen
a le premier compris l’importance de cette observation, sur laquelle il
bâtit sa démonstration.
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La classe supérieure
définit le mode de vie de
son époque
Donc, raisonne-t-il, le principe de consommation ostentatoire régit la
société. Celleci s’est diversifiée en de nombreuses couches, dont
chacune se comporte selon le même principe de distinction, c’est-à-
dire en cherchant à imiter la couche supérieure. « Toute classe est mue
par l’envie et rivalise avec la classe qui lui est immédiatement
supérieure dans l’échelle sociale, alors qu’elle ne songe guère à se com-
parer à ses inférieures, ni à celles qui la surpassent de très loin, écrit
Veblen. Autrement dit, le critère du convenable en matière de consom-
mation, et il vaut partout où joue quelque rivalité, nous est toujours
proposé par ceux qui jouissent d’un peu plus de crédit que nous-
mêmes. On en arrive alors, surtout dans les sociétés où les distinctions
de classe sont moins nettes, à rapporter insensiblement tous les can-
ons d’après lesquels une chose est considérée ou reçue, ainsi que les
diverses normes de consommation, aux habitudes de comportement et
de pensée en honneur dans la classe la plus haut placée tant par le
rang que par l’argent – celle qui possède et richesse et loisir. C’est à
cette classe qu’il revient de déterminer, d’une façon générale, quel
mode de vie la société doit tenir pour recevable ou générateur de
considération. »
La langue de Veblen est un peu contournée, mais cependant limpide.
Précisons seulement que Veblen compare la société capitaliste qu’il
connaît – « où les distinctions de classe sont moins nettes » – aux so-
ciétés aristocratiques, par exemple les monarchies anglaise ou
française du XVIIIe siècle.
74/149
L’imitation conduit à un torrent de gaspillages dont la source est
située en haut de la montagne humaine : la classe de loisir, poursuit
l’économiste, « se tient au faîte de la structure sociale ; les valeurs se
mesurent à sa toise, et son train de vie fixe la norme d’honorabilité
pour la société tout entière. Le respect de ces valeurs, l’observance de
cette norme s’imposent plus ou moins à toutes les classes inférieures.
Dans les sociétés civilisées d’aujourd’hui, les lignes de démarcation
des classes sociales se sont faites incertaines et mouvantes ; dans de
telles conditions, la norme d’en haut ne rencontre guère d’obstacles ;
elle étend sa contraignante influence du haut en bas de la structure so-
ciale, jusqu’aux strates les plus humbles. Par voie de conséquence, les
membres de chacune des strates reçoivent comme l’idéal du savoir-
vivre le mode de vie en faveur dans la strate immédiatement
supérieure, et tendent toute leur énergie vers cet idéal ».
La rivalité insatiable
Résumons. Le ressort central de la vie sociale, dit Veblen, est la rivalité
ostentatoire qui vise à exhiber une prospérité supérieure à celle de ses
pairs. La différenciation de la société en de nombreuses couches excite
la rivalité générale.
La course à la distinction pousse à produire bien davantage que ce que
requérerait l’atteinte des « fins utiles » : « Le rendement va augment-
ant dans l’industrie, les moyens d’existence coûtent moins de travail,
et pourtant les membres actifs de la société, loin de ralentir leur allure
et de se laisser respirer, donnent plus d’effort que jamais afin de par-
venir à une plus haute dépense visible. La tension ne se relâche en ri-
en, alors qu’un rendement supérieur n’aurait guère eu de peine à pro-
curer le soulagement si c’était là tout ce qu’on cherchait ; l’accroisse-
ment de la production et le besoin de consommer davantage
75/149
s’entreprovoquent : or ce besoin est indéfiniment extensible. » En ef-
fet, il ne s’arrête jamais : repensons à nos milliardaires. Qu’acheter,
quand chacun a son avion décoré de bois précieux et de marbre ? Une
collection d’objets d’art. Une fusée. Un sous-marin. Et ensuite ? Une
villégiature sur la Lune. Autre chose, toujours, car la satiété n’existe
pas dans la compétition somptuaire.
Enfin, la classe de loisir, au sommet, se coupe de la société. « Ce qui
compte pour l’individu élevé dans le grand monde, explique Veblen,
c’est l’estime supérieure de ses pareils, la seule qui fasse honneur.
Puisque la classe riche et oisive a tant grandi, (...) puisqu’il existe un
milieu humain suffisant pour y trouver considération, on tend désor-
mais à mettre à la porte du système les éléments inférieurs de la popu-
lation ; on n’en veut même plus pour spectateurs ; on ne cherche plus
à les faire applaudir ni pâlir d’envie. »
La théorie de Veblen paraît si claire qu’il est à peine besoin de la com-
menter. Observons nos oligarques. Et regardons comment les 4x4, les
voyages à New York ou à Prague, les écrans ultraplats, les caméras
numériques, les téléphones télévisions, les cafetières perfectionnées...
– comment l’incommensurable amoncellement d’objets qui constitue
le décor de nos sociétés d’opulence se déverse en cascade, jusqu’aux
rangs les plus modestes de la société, au fur à mesure que leur dé-
couverte par les hyper-riches recule dans un temps de plus en plus
frénétique. Mais les filtres des possibilités de chacun, à mesure que
l’on descend l’échelle de la richesse, écrèment cruellement le flot des
fruits de la corne d’abondance. Ils laissent inassouvi le désir inextin-
guible qu’excite la dilapidation clinquante des oligarques.
76/149
La lisière invisible de la
nouvelle nomenklatura
Il est temps de décrire sommairement les sociétés oligarchiques de
l’humanité mondialisée du début du XXIe siècle.
Au sommet, une caste d’hyper-riches. Quelques dizaines de milliers de
personnes, ou de familles. Ils baignent dans un milieu plus large, que
l’on pourrait appeler la nomenklatura capitaliste : la classe supérieure,
moins riche que les hyper-riches quoique très opulente, leur obéit ou
au moins les respecte. Avec eux, elle tient les leviers du pouvoir poli-
tique et économique de la société mondiale.
Deux représentants de la branche française de l’oligarchie la décrivent
ainsi : pour Alain Minc, il s’agit de l’ensemble des « hommes poli-
tiques de terrain, de cadres dirigeants d’entreprise, d’hommes de cul-
ture, d’enseignants du supérieur, de chercheurs scientifiques, de
journalistes de base, de magistrats de province, de fonctionnaires de
catégorie A, de "bacs + 5,7 ou 9", dont seuls quelques-uns parviennent
à pénétrer le "sanhédrin" de la super élite, mais qui vivent tous avec à
l’esprit les mêmes réflexes et le même code intellectuel ». Pour Jean
Peyrelevade, le capitalisme moderne est organisé comme une gigant-
esque société anonyme. À la base, trois cents millions de propriétaires
(sur six milliards d’humains, soit 5 % de la population mondiale) con-
trôlent la quasi-totalité de la capitalisation boursière mondiale. «
Citoyens ordinaires de pays riches, assurés de leur légitimité politique
aussi bien que sociale », ils confient la moitié de leurs avoirs financiers
à quelques dizaines de milliers de gestionnaires dont le seul but est
d’enrichir leurs mandants.
77/149
Minc et Peyrelevade poussent à l’excès la frontière vers le bas – « bacs
+ 5, journalistes de base, citoyens ordinaires » – afin d’élargir la caste,
ce qui la rend moins insupportable, mais la catégorisation, la lisière in-
visible et verrouillée, est posée.
La nomenklatura capitaliste adopte les canons de la consommation
somptuaire des hyper-riches, et les diffuse vers les classes moyennes,
qui les reproduisent à la mesure de leurs moyens, imitées elles-mêmes
par les classes populaires et pauvres.
Hyper-riches et nomenklatura constituent l’oligarchie. Les individus
s’y livrent une rude compétition interne, une course épuisante à la
puissance et à l’ostentation. Pour rester dans la course, ne pas faillir,
ne pas déchoir, il leur faut toujours plus. Ils organisent le prélèvement
accru de la richesse collective. Contrôlant solidement les leviers du
pouvoir, ils se ferment à la classe moyenne dont les rejetons ne parvi-
ennent plus à intégrer la caste qu’avec difficulté.
Cette classe moyenne constitue un ventre de plus en plus mou de la so-
ciété, alors qu’elle était naguère le centre de gravité du capitalisme so-
cial dont le court âge d’or est centré sur les années 1960.Encore assez
séduite par les feux de l’oligarchie pour se complaire ou s’épuiser, à
son niveau, dans la course à la consommation ostentatoire, elle com-
mence à comprendre que son rêve d’ascension sociale se dissout. Elle
voit même s’ouvrir vers le bas la frontière jusque-là fermée du monde
des petits employés et ouvriers.
Ceux-ci, de même, perdent l’espoir de pénétrer les classes moyennes.
Au contraire, la précarisation des emplois, l’affaiblissement voulu par
l’oligarchie des cadres de la solidarité collective, le coût des études,
leur font entrevoir la descente vers ceux dont ils se croyaient séparés :
la masse des pauvres qui, dans les pays riches, se débattent dans la
gêne d’un quotidien fait de pâtes à l’eau, de conserves à bas prix et de
78/149
factures impayées. Tapie dans cette médiocrité lancinante gît la men-
ace de glisser vers la déchéance de la rue, de l’alcoolisme et de la mort
anonyme au petit matin glacé.
L’oligarchie des États-Unis
au sommet de la
compétition somptuaire
Au point où nous sommes arrivés, deux remarques s’imposent.
D’abord, si Veblen est aussi important que je l’affirme avec Raymond
Aron, comment se fait-il qu’on n’en parle pas plus ? En fait, il com-
mence à être redécouvert, et plusieurs économistes font plus que le re-
lire, ils appliquent sa théorie avec les méthodes modernes de
l’économétrie. On a ainsi récemment montré, par exemple, que le
niveau de satisfaction des travailleurs anglais était d’autant plus élevé
que le salaire de leurs pairs était inférieur au leur. Ou que les foyers
dont le revenu est inférieur à leur groupe de référence épargnent
moins que ceux dont le revenu est supérieur, afin de pouvoir consom-
mer davantage et de se maintenir au niveau de ceux-ci.
En novembre 2005, la Royal Economic Society anglaise a publié une
autre et intéressante étude. Samuel Bowles et Yongjin Park y mon-
traient, en utilisant le mécanisme veblenien, que le temps de travail
augmente à proportion de l’inégalité sociale. Dans une société donnée,
en effet, les individus adaptent collectivement leur temps de travail au
revenu désiré. Or, constatent les chercheurs, celui-ci est fonction de la
distance qui sépare les individus d’un groupe du revenu du groupe de
79/149
référence supérieur. Plus cette distance, c’est-à-dire l’inégalité, est
grande, plus les agents cherchent à travailler davantage pour accroître
leur revenu. Et de fait, la durée du temps de travail annuel décroît des
pays les plus inégalitaires (États-Unis) vers ceux qui le sont le moins
(pays scandinaves).
Bowles et Park tirent une conclusion logique de leur démonstration.
Une politique qui taxerait davantage les groupes qui servent de
référence de consommation « serait doublement attractive : elle aug-
menterait le bien-être des moins bien lotis en limitant l’effet d’imita-
tion en cascade de Veblen, et fournirait des fonds à des projets sociaux
utiles ».
Une seconde remarque est que l’on peut « actualiser » Veblen aux con-
ditions de notre époque, en élargissant son raisonnement à la planète,
du fait de la mondialisation des modèles culturels. Dans chaque pays,
les groupes sociaux visent à copier le style de vie de l’oligarchie locale,
mais celle-ci prend comme modèle l’oligarchie des pays opulents, et
particulièrement de celle du plus riche d’entre eux, les États-Unis.
D’autre part, les pays euxmêmes, en tant que tels, sont sujets au
phénomène d’imitation veblenien. Or, les sociétés occidentales, mal-
gré l’inégalité qui les caractérise de plus en plus, n’en sont pas moins
beaucoup plus riches collectivement que celles des pays du Sud. Ceux-
ci sont ainsi dans une course au rattrapage collectif d’autant plus
frénétique que l’écart est grand.
80/149
La croissance n’est pas la
solution
Reprenons maintenant le cours de la discussion. La consommation ef-
frénée impulsée par l’oligarchie blesse la justice en raison de sa distri-
bution inégale.
Certes. Mais encore ?
Nous avons appris avec Veblen que l’ostentation et l’imitation déter-
minent le jeu économique. Nous avions constaté au premier chapitre
que le niveau de consommation matérielle de notre civilisation est
énorme et exerce une pression excessive sur la biosphère.
Pourquoi, dès lors, les caractéristiques actuelles de la classe dirigeante
mondiale sont-elles le facteur essentiel de la crise écologique ?
Parce qu’elle s’oppose aux changements radicaux qu’il faudrait mener
pour empêcher l’aggravation de la situation.
Comment ?
– Indirectement par le statut de sa consommation : son modèle tire
vers le haut la consommation générale, en poussant les autres à l’im-
iter. – Directement, par le contrôle du pouvoir économique et poli-
tique, qui lui permet de maintenir cette inégalité. Pour échapper à sa
remise en cause, l’oligarchie rabâche l’idéologie dominante selon
laquelle la solution à la crise sociale est la croissance de la production.
Celle-ci serait l’unique moyen de lutter contre la pauvreté et le
chômage. La croissance permettrait d’élever le niveau général de
81/149
richesse, et donc d’améliorer le sort des pauvres sans – mais cela n’est
jamais précisé – qu’il soit besoin de modifier la distribution de la
richesse.
Ce mécanisme s’est enrayé. Selon l’économiste Thomas Piketty, « La
constatation, dans les années 1980, que l’inégalité avait recommencé à
augmenter dans les pays occidentaux depuis les années 1970 a porté le
coup fatal à l’idée d’une courbe reliant inexorablement développement
et inégalité ». La croissance, d’ailleurs, ne crée pas suffisamment
d’emplois, même en Chine où, malgré une extraordinaire expansion
du PIB, dix millions d’emplois nouveaux seulement apparaissent
chaque année quand vingt millions de personnes se présentent sur le
marché du travail. « La théorie des marchés, explique Juan Somavia,
directeur général du Bureau international du travail (une agence des
Nations unies), veut que la croissance crée de la richesse, laquelle est
redistribuée par les créations d’emplois, qui alimentent la consomma-
tion, ce qui génère des investissements nouveaux et donc le cycle de
production. Mais à partir du moment où le lien entre croissance et em-
ploi est coupé, ce cercle vertueux ne fonctionne plus comme il devrait.
»
Par ailleurs, et ce point crucial est toujours oublié par les zélateurs de
la croissance, celle-ci a un effet à la fois énorme et nuisible sur l’en-
vironnement, dont nous savons aujourd’hui qu’il est dans un état de
fragilité extrême. Insistons. Cette assertion, selon laquelle la crois-
sance dégrade l’environnement, est-elle établie ? Ne se produit-il pas
un « découplage » entre croissance et dégradation écologique ? Le ter-
me de découplage désigne une situation dans laquelle l’économie croît
sans qu’augmente la pression environnementale.
La réponse a été apportée par des économistes de l’OCDE (Organisa-
tion de coopération et de développement économiques), un organisme
qui regroupe les États occidentaux, le Japon et la Corée. Dans ses
82/149
Perspectives de l’environnement présentées en mai 2001, l’OCDE con-
statait que la croissance économique, dans les pays dévelop-
pés, n’améliore pas la situation écologique. « La dégradation de l’en-
vironnement a généralement progressé à un rythme légèrement in-
férieur à celui de la croissance économique », résumaient les experts ;
« les pressions exercées par la consommation sur l’environnement se
sont intensifiées au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, et dur-
ant les vingt prochaines années, elles devraient continuer de
s’accentuer ».
L’environnement des pays de l’OCDE ne s’assainit que sur quelques
points : les émissions atmosphériques de plomb, de CFC (substances
détruisant l’ozone) et de carburants atmosphériques comme les
oxydes d’azote et le monoxyde de carbone ont été fortement réduites.
La consommation d’eau se stabilise. La superficie forestière augmente
légèrement – encore que sa biodiversité diminue, en raison de la frag-
mentation des massifs par les routes. Pour le reste, la situation empire
: surpêche, pollution des eaux souterraines, émissions de gaz à effet de
serre, production de déchets ménagers, diffusion des produits
chimiques, pollution atmosphérique due aux particules fines, érosion
des terres, production de déchets radioactifs, sont toutes en augment-
ation constante depuis 1980.
Comment est-ce possible ? Parce que « les effets en volume de l’aug-
mentation totale de la production et de la consommation ont plus que
compensé les gains d’efficience obtenus par unité produite ». Si, par
exemple, l’amélioration technologique diminue la pollution de chaque
automobile, cette baisse est insuffisante pour compenser l’augmenta-
tion globale du nombre d’automobiles. Même si, depuis vingt ans, les
pays développés améliorent plus ou moins leur intensité énergétique
(rapport de la consommation d’énergie par unité de PIB) ou leur in-
tensité matérielle (rapport de la consommation de matériaux par unité
de PIB), ce progrès est contrebalancé par l’augmentation globale du
83/149
PIB .Ainsi, « la consommation globale de ressources naturelles dans
les régions de l’OCDE a constamment augmenté ». Dans plusieurs do-
maines de l’environnement, qui plus est, il n’y a même pas de progrès
relatif, parce que la richesse pousse à accroître la consommation nette
: les routes se multiplient, la climatisation se répand, les équipements
électriques se diversifient, les voyages sont plus faciles, etc.
Il est symptomatique que cette étude corrosive de l’OCDE n’ait pas été
renouvelée depuis 2001. La vérité est dangereuse.
L’urgence : réduire la
consommation des riches
Alors ? La croissance réduit-elle l’inégalité ? Non, comme le constatent
les économistes pour la dernière décennie.
Réduit-elle la pauvreté ? Dans la structure sociale actuelle, seulement
quand elle atteint des taux insupportables durablement, comme en
Chine, où même ce progrès atteint ses limites.
Améliore-t-elle la situation écologique ? Non, elle l’aggrave.
Tout être sensé devrait, soit démontrer que ces trois conclusions sont
fausses, soit remettre en cause la croissance. Or on ne trouve pas de
contestation sérieuse de ces trois conclusions dont conviennent mezzo
voce plusieurs organismes internationaux et nombre d’observateurs.
Et pourtant, personne parmi les économistes patentés, les respons-
ables politiques, les médias dominants, ne critique la croissance, qui
est devenue le grand tabou, l’angle mort de la pensée contemporaine.
84/149
Pourquoi ? Parce que la poursuite de la croissance matérielle est pour
l’oligarchie le seul moyen de faire accepter aux sociétés des inégalités
extrêmes sans remettre en cause celles-ci. La croissance crée en effet
un surplus de richesses apparentes qui permet de lubrifier le système
sans en modifier la structure.
Quelle pourrait être la solution pour sortir du piège mortel dans lequel
la « classe de loisir », pour reprendre le terme de Veblen, nous enfer-
me ? En stoppant la croissance matérielle. Je souligne le mot : crois-
sance matérielle, définie comme l’augmentation continue des biens
produits par prélèvement et dégradation des ressources
biosphériques.
À la différence des adorateurs de la croissance, qui vous traitent d’ob-
scurantistes plutôt que de discuter dès que vous interrogez leur
dogme, je n’ai pas de position de principe relativement à la croissance.
Si l’on prouvait que la croissance telle que nous la connaissons ne dé-
grade pas davantage la biosphère, elle serait acceptable. Elle n’est pas
en soi condamnable si on la considère comme la mise en oeuvre de
l’activité et de l’inventivité d’une humanité toujours plus nombreuse.
Ce qui crée le danger, c’est que, dans les conditions actuelles, elle se
traduit par une augmentation de la production matérielle qui endom-
mage l’environnement. Si la croissance était immatérielle, c’est-à-dire
augmentait la richesse monétaire sans consommer plus de ressources
naturelles, le problème serait tout différent. Donc, la question n’est
pas de faire la « croissance zéro », mais d’aller vers la « décroissance
matérielle ».Si l’humanité prend au sérieux l’écologie de la planète,
elle doit plafonner sa consommation globale de matières, et si possible
la diminuer.
Comment faire ? Il n’est pas question de diminuer la consommation
matérielle des plus pauvres, c’est-à-dire de la majorité des habitants
85/149
des pays du Sud, et d’une partie des habitants des pays riches. Au con-
traire, il faut l’augmenter, par souci de justice.
Bon. Qui, aujourd’hui, consomme le plus de produits matériels ? Les
hyper-riches ? Pas seulement. Individuellement, ils gaspillent certes
outrageusement, mais collectivement, ils ne pèsent pas si lourd que ça.
L’oligarchie ? Oui, cela commence à faire nombre. Mais cela ne suffit
pas encore. Ensemble, Amérique du Nord, Europe et Japon comptent
un milliard d’habitants, soit moins de 20 % de la population mondiale.
Et ils consomment environ 80 % de la richesse mondiale. Il faut donc
que ce milliard de personnes réduise sa consommation matérielle. Au
sein du milliard, pas les pauvres, mais pas seulement non plus les vil-
ains de la couche supérieure. Disons, 500 millions de gens, et
appelons-les la classe moyenne mondiale. Il y a d’assez fortes chances
que vous fassiez partie – comme moi – de ces personnes qui ré-
duiraient utilement leur consommation matérielle, leurs dépenses
d’énergie, leurs déplacements automobiles et aériens.
Mais nous limiterions notre gaspillage, nous chercherions à changer
notre mode de vie, tandis que les gros, là-haut, continueraient à se
goberger dans leurs 4x4 climatisés et leurs villas avec piscine ? Non.
La seule façon que vous et moi acceptions de consommer moins de
matière et d’énergie, c’est que la consommation matérielle – donc le
revenu – de l’oligarchie soit sévèrement réduite. En soi, pour des rais-
ons d’équité, et plus encore, en suivant la leçon de ce sacripant ex-
centrique de Veblen, pour changer les standards culturels de la con-
sommation ostentatoire. Puisque la classe de loisir établit le modèle de
consommation de la société, si son niveau est abaissé, le niveau
général de consommation diminuera. Nous consommerons moins, la
planète ira mieux, et nous serons moins frustrés par le manque de ce
que nous n’avons pas.
86/149
Le chemin est tracé. Mais les hyper-riches, la nomenklatura, se
laisseront-ils faire ?
CHAPITRE V La
démocratie en
danger
Voici une petite histoire, qui se rapporte à l’expression si juste, « ne
pas en croire ses yeux ».
En 2001, dans la foulée des attentats du 11 septembre à New York, qui
suscitèrent une grande excitation journalistique, j’étais tombé sur une
information si surprenante qu’il me parut nécessaire de l’étudier très
attentivement. Après une enquête fouillée, il se confirma que le
gouvernement des États-Unis envisageait sérieusement l’emploi de
petites bombes nucléaires dans les conflits à venir, rompant ainsi avec
la doctrine qui avait édicté en 1978 qu’on ne devait pas utiliser l’arme
nucléaire contre des ennemis n’en disposant pas. L’enquête révélait
qu’une bombe de ce type avait été mise au point, la B 61-11.
On pourra croire que, sur un sujet pareil, j’avais vérifié toutes les in-
formations disponibles plutôt deux fois qu’une. Ce qui est intéressant,
ici, c’est que, une fois prêt, l’article fut bloqué plusieurs semaines av-
ant d’être publié. Mes camarades du service International s’y refu-
saient parce qu’ils ne parvenaient pas à admettre que l’information
était vraie malgré les preuves accumulées. Il fallut batailler et recourir
au rédacteur en chef de l’époque pour que l’article soit imprimé – il a
d’ailleurs eu un effet utile, mais c’est une autre histoire.
88/149
Il arrive ainsi, plus fréquemment qu’on ne pense, que des choses
vraies ne passent pas, ou très difficilement, à la conscience collective.
Que pourrions-nous aujourd’hui avoir du mal à croire ? Ceci : l’olig-
archie mondiale veut se débarrasser de la démocratie et des libertés
publiques qui en constituent la substance.
L’assertion est brutale. Formulons-la autrement : face aux turbulences
qui naissent de la crise écologique et de la crise sociale mondiales, et
afin de préserver ses privilèges, l’oligarchie choisit d’affaiblir l’esprit et
les formes de la démocratie, c’est-à-dire la libre discussion des choix
collectifs, le respect de la loi et de ses représentants, la protection des
libertés individuelles vis-à-vis des empiétements de l’État ou d’autres
groupes constitués.
Quand nous pensons à la dictature en ce qui concerne les États occi-
dentaux, Mussolini, Hitler et Staline nous viennent à l’esprit. La com-
paraison est fallacieuse. Ce qui se passe sous nos yeux ne peut être
comparé à ces trois régimes ; car les temps ont changé, ainsi que les
formes de la vie politique et les techniques de contrôle social. Plutôt
que de dictatures aussi violentes, la classe dirigeante préfère l’abâtar-
dissement progressif de la démocratie.
Quelqu’un a très bien dit cela, voilà plus d’un siècle : « L’espèce d’op-
pression dont les peuples démocratiques sont menacés ne ressemblera
à rien de ce qui l’a précédée (...). Je veux imaginer sous quels traits
nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde :je vois
une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent
sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires
plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est
comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses
amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ;quant au
demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas
;il les touche et ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui
89/149
seul et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a
plus de patrie. Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et
tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur
leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. II ressem-
blerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de
préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire,
qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens
se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. »
Cet auteur à la belle plume est un homme de la trempe de Veblen, si
l’on en croit Raymond Aron, il s’agit d’Alexis de Tocqueville.
L’alibi du terrorisme
La dérive antidémocratique s’est amorcée dans les années 1990, avec
le triomphe d’un capitalisme libéré de la pression de son ennemi, le
soviétisme : le dysfonctionnement de la machine électorale améri-
caine, en 2000, qui a porté au pouvoir le candidat qui avait moins de
voix que son adversaire, en a été l’émergence visible, pour ceux que
n’avait pas alerté la mise au jour après 1996 du système Échelon
d’écoutes des communications de ses alliés par les États-Unis. Mais
l’offensive contre les libertés a pris un essor extraordinaire avec les at-
tentats du 11 septembre 2001 à New York et à Washington. Ceux-ci ont
désinhibé, s’il en était besoin, l’équipe réunie par George Bush – tous
d’ailleurs des hommes ou des femmes impliqués, comme dirigeants ou
comme membres de conseil d’administration, dans de nombreuses
grandes entreprises, souvent du secteur militaire.
Le premier épisode en fut la discussion, en procédure accélérée, au
nom de la lutte contre le terrorisme, moins de quinze jours après les
attentats, d’un texte de loi de 500 pages intitulé Patriot Act. Le texte
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étendait à tous les citoyens américains les procédures jusque– là réser-
vées aux espions étrangers : enregistrement des conversations télé-
phoniques, surveillance du courrier électronique, perquisitions pos-
sibles sans mandat, consultations des dossiers d’informations con-
stitués par les médecins, bibliothécaires, banquiers, agences de voy-
ages, etc. La loi prévoyait aussi l’amoindrissement du contrôle de ces
enquêtes par le juge ou par le Parlement. Le texte fut reconduit, pr-
esque sans modification, en mars 2006.
Il a fallu cinq ans pour que la presse découvre que les conversations
téléphoniques des citoyens aux États-Unis et vers l’étranger étaient
contrôlées par la NSA (National Security Agency), sans autorisation du
tribunal spécial créé à cet effet. De même, on apprit que la NSA sur-
veillait aussi les courriels transitant par les trois plus grandes compag-
nies de télécommunications, ATT, Verizon et BellSouth, seule Qwest
ayant refusé de collaborer. La NSA, qui dépend du ministère de la
Défense, a un budget peut-être dix fois supérieur à celui de la CIA
(Central Intelligence Agency) et concentre à Fort Meade (Maryland) la
plus importante puissance informatique du monde.
La curiosité de l’administration américaine s’étend également aux
transactions bancaires, au travers d’un programme clandestin de sur-
veillance de celles-ci, dit Terrorist finance tracking program (Pro-
gramme de traque du financement du terrorisme). D’abord prévu pour
être temporaire, il est devenu permanent. Le gouvernement des États-
Unis s’intéresse de même au transport aérien : une législation adoptée
en 2001 dispose que les compagnies assurant des vols à destination,
au départ, ou à travers le territoire des États- Unis, doivent fournir aux
autorités douanières l’accès aux données de leur système de réserva-
tion, comprenant une cinquantaine d’informations sur l’identité, l’it-
inéraire, la résidence, la santé, les préférences alimentaires, etc., des
voyageurs. Pour ce qui concerne l’Union européenne, Commission et
Conseil des ministres ont accédé à l’exigence américaine de se plier à
91/149
cette règle, tentant de circonvenir l’opposition du Parlement européen.
En tout cas, le dispositif conduit les autorités américaines à interdire
de prendre l’avion à plusieurs dizaines de milliers de personnes, in-
scrites sur des listes d’individus jugés dangereux. Des terroristes aussi
manifestes que le sénateur Ted Kennedy, l’auteur d’un livre sur M.
Bush, James Moore, ou un candidat démocrate opposant à la guerre
en Irak, Robert Johnson, ont ainsi été empêchés de prendre l’avion.
Fêtons le « travailleur des
organes de sécurité »
Les États-Unis ont installé des camps d’internement à l’étranger
échappant à la convention de Genève sur le traitement des prisonniers
de guerre, l’un à Guantanamo, à Cuba, l’autre à Bagram, près de
Kaboul en Afghanistan. Y sont emprisonnés sans protection juridique
des hommes arrêtés en Afghanistan lors de l’invasion américaine de
2001-2002. Il est arrivé que des prisonniers parviennent à se suicider :
le commandant de la base de Guantanamo, Hany Harris, a alors jugé
que les suicides n’étaient pas « un geste de désespoir, mais un acte de
guerre asymétrique contre les États-Unis ».
Aux yeux de l’opinion commune, les États-Unis restent la première
démocratie du monde. Cette « démocratie » a donc rétabli l’usage de
la torture. En 2002, le président Bush avait signé un décret secret
autorisant la CIA à établir des lieux de détention cachés hors des
États-Unis et à y interroger les prisonniers avec dureté, son conseiller
Alberto Gonzales lui ayant indiqué que la convention de Genève « ne
s’appliquait pas au conflit avec al-Qaeda ». Depuis, comme cela a été
bien documenté, la première puissance mondiale fait « disparaître les
détenus dans un réseau de prisons secrètes en kidnappant et en
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envoyant des gens pour interrogation dans des pays où l’on pratique la
torture tels que l’Égypte, la Syrie ou le Maroc », a résumé Larry Cox,
directeur pour les États-Unis d’Amnesty International.
Le terme qui désigne la torture est, dans ce nouveau monde, « tech-
nique renforcée d’interrogatoire ».Je m’abstiens de présenter au lec-
teur des exemples de ces « techniques renforcées ». Elles n’ont rien à
envier aux pratiques des « techniciens » de la Gestapo.
Les sévices infligés aux détenus de la prison d’Abou Graib, à Bagdad,
révélés en 2004, ne sont que la pointe émergée de l’iceberg de la «
guerre contre la terreur ». En 2006, près de 14500 « suspects » sont
détenus dans ces cachots situés hors des États-Unis. Plusieurs pays
européens se sont prêtés au transfert de prisonniers par la CIA vers les
centres de torture établis en plusieurs points du monde, autorisant les
avions de l’agence américaine à se poser sur leurs aéroports, fermant
les yeux sur des enlèvements chez eux de « suspects »,voire – mais le
fait n’est pas définitivement établi pour la Pologne ou la Roumanie –
en abritant de telles prisons.
La secrétaire d’État Condoleezza Rice déclare qu'« il est de notre
devoir de rappeler à l’ordre les pays qui ne respectent pas leurs en-
gagements en faveur des droits de l’homme ». De nombreux États
suivent les leçons d’un mentor si exemplaire. La Russie adopte en fév-
rier 2006 une loi de lutte contre le terrorisme qui autorise les forces de
sécurité à « pénétrer librement » chez les particuliers, à pratiquer les
écoutes téléphoniques, à intercepter le courrier postal et électronique,
à limiter si besoin est la liberté de mouvement des individus, et en-
cadre le droit de manifester et la liberté des journalistes. Des commis-
sions antiterroristes pilotées par le FSB (nouveau nom du KGB) sont
mises en place à côté des structures gouvernementales existantes. La
population est invitée à célébrer, le 20 décembre de chaque année, la «
journée du travailleur des organes de sécurité ».
93/149
En Allemagne, les Lander (États régionaux) ont constitué des fichiers
de données sur plusieurs millions de personnes, comportant par ex-
emple leur caractère ethnique ou leur religion.
En Grande-Bretagne, début 2006, Amnesty International juge « ac-
cablant » le bilan du gouvernement en matière de droits de l’homme :
étrangers détenus plusieurs années sans jugement, mises en résidence
surveillée de suspects sans recours aux tribunaux, déportation de sus-
pects vers des pays recourant à la torture sont parmi les comporte-
ments déplorés par l’organisation. Peu auparavant, le Premier min-
istre Blair voulait étendre la garde à vue de quatorze à... quatre-vingt-
dix jours, ce que lui a refusé le Parlement. La Belgique introduit dans
une nouvelle loi antiterroriste la notion de « méthodes particulières de
recherche » pour la police. L’Union européenne adopte une directive
renforçant la législation en matière de conservation des données télé-
phoniques et électroniques.
En France, le Parlement adopte en décembre 2005 sa... huitième loi
antiterroriste. Elle renforce comme les précédentes les pouvoirs de la
police. Le texte étend la garde à vue à six jours, lève des contraintes
administratives et judiciaires sur certaines procédures de contrôle et
de surveillance, étend la possibilité de la vidéosurveillance par des
opérateurs privés, facilite les contrôles d’identité, oblige les transpor-
teurs à communiquer les données relatives aux passagers, rend pos-
sible la photographie systématique des occupants de véhicules sur les
axes routiers, permet aux services de police de consulter sans contrôle
par le juge les fichiers des opérateurs de télécommunication et d’accès
à Internet, et ainsi de suite. « Les dispositions proposées constituent
toutes, sans exception, de nouvelles atteintes ou restrictions aux liber-
tés fondamentales », analyse le Syndicat de la magistrature.
Il importe que les Occidentaux aient peur – les autres, on le sait, n’ont
guère le privilège de goûter à la démocratie. L’administration Bush
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répète à satiété qu’il faut faire la « guerre à la terreur ». « Nous
sommes une nation en guerre »,édicte la National security strategy
publiée par la Maison-Blanche en 2006. C’est qu’en effet la guerre a
une vertu : elle justifie les accommodements pris avec les droits de
l’homme. Cinq ans de matraquage semblent avoir été efficaces auprès
de l’opinion américaine. Tapons par exemple, sur le moteur de recher-
che Google, le mot « terrorism » : le nombre d’occurrences trouvées
un jour de 2006 est de 337 millions. Le mot « democracy » rapporte
moins d’occurrences : 289 millions. Le terrorisme bat la démocratie
dans les préoccupations des internautes. Bravo, M. Bush !
Comme l’écrit l’intellectuel Medhi Belhaj Kacem : « Cette démocratie
si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme
; loin de la menacer, il est le gage ultime de son maintien perpétuel
;puisqu’elle n’aura plus à être jugée sur ses résultats, mais sur ses en-
nemis. » Appelons « technique poussée d’interrogatoire » la torture, «
démocratie » le régime promu par M. Bush et ses amis européens, et
tout va bien, la liberté prospère.
Une politique pour les
pauvres : la prison
À côté de l’épouvantail du terrorisme, il est utile d’agiter un autre
épouvantail, celui de la délinquance et de la sécurité.
L’inégalité sociale, faute de prise en charge politique et de conscience
collective, accroît la frustration et le besoin désespéré de s’en sortir.
D’où la pression de la « délinquance » dans les pays riches et celle de
la migration du Sud vers le Nord. Pour contenir les effets de causes
qu’elles distinguent mal, les classes moyennes et populaires
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demandent plus de « sécurité », et acceptent la baisse d’abord insens-
ible du niveau des libertés publiques.
Dans l’arsenal de cette guerre aux pauvres, la première arme est la
prison. Aux États- Unis, le nombre de prisonniers atteint 2,2 millions
en 2005 – il était de 500 000 en 1980. C’est le chiffre le plus élevé du
monde entier. Il faudrait chercher du côté du goulag dans la Russie de
Staline ou des geôles de la Chine de Mao Ze Dong pour trouver un
chiffre supérieur. Cela représente 738 détenus pour 100 000 habit-
ants, sept fois plus, proportionnellement, qu’en France qui enferme
pourtant avec enthousiasme.
Un signe indique la misère et la souffrance qu’implique cette situation
: le Congrès a dû mettre en place en 2005 une commission pour l’élim-
ination du viol en prison.
Par ailleurs, la qualité des « soins médicaux et psychiatriques en pris-
on va de médiocre à terrible », écrit l’association Human Rights Watch
dans son rapport annuel sur les droits de l’homme.
La prison ne frappe pas toutes les populations avec équité : selon les
statistiques du Bureau américain de la justice, 11,9 % des Noirs âgés de
vingt-cinq à vingt-neuf ans étaient en prison, contre 3,9 % des Hispan-
iques et 1,7 % des Blancs du même âge. La situation américaine influe,
notons-le, sur d’autres statistiques : quand les économistes applaudis-
sent le supposé bas taux de chômage des États-Unis, ils omettent de
signaler qu’il faudrait rehausser ce taux d’au moins 1 % pour tenir
compte du fait que beaucoup de personnes emprisonnées, si elles
étaient en liberté, seraient au chômage.
En France, le taux d’incarcération n’a cessé d’augmenter depuis trente
ans pour atteindre le record historique de 98 pour 100 000 habitants.
Le nombre de prisonniers est passé de 29 500 en 1971 à 59 000 en
96/149
2005 (la baisse engagée en 1996 s’est interrompue en 2002). C’est
moins qu’en Allemagne (78 600 prisonniers en 2006) ou qu’au
Royaume-Uni (79 000).
Les lois françaises se succèdent, qui restreignent toujours davantage
les libertés et les garanties juridiques du citoyen face à la puissance
publique, et qui viennent en surplus des lois sur le terrorisme : loi sur
la « sécurité quotidienne » du 15 novembre 2001, loi « sur la sécurité
intérieure » du 18 mars 2003, loi Perben 2 (« portant adaptation de la
justice aux évolutions de la criminalité ») du 9 mars 2004, loi « sur la
prévention de la délinquance » de juin 2006. Les textes élargissent les
motifs de fichage génétique, qui était originellement réservé aux
crimes sexuels, introduisent la notion de « bande organisée » justifiant
d’une procédure d’exception, lèvent les limitations à la fouille des
véhicules par la police, accroissent les pouvoirs d’investigation de la
police judiciaire au détriment des droits de la défense, transforment le
maire en coordonnateur de la prévention de la délinquance, favorisent
la création de fichiers municipaux des assistés sociaux, accordent la
déduction fiscale à l’installation de caméras de surveillance, créent des
centres éducatifs fermés pour les mineurs de moins de seize ans, pré-
voient le placement d’enfants dès dix ans en établissement d’éducation
spéciale, créent un délit d’occupation des infrastructures de
transport...
Criminaliser la
contestation politique
La démocratie est aussi trahie, au quotidien, par les arrangements de
la part de la puissance publique avec la loi. Dans les domaines du droit
du travail ou de l’immigration, je comprends que les codes sont
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fréquemment éborgnés. Mais connaissant mal ces domaines, je n’en
dirai mot. Dans celui de l’environnement, en revanche, il est clair que,
quand l’oligarchie a décidé quelque chose, elle s’assied sur les règles
qui la dérangent. En ce qui concerne le nucléaire, le gouvernement re-
fuse la tenue de référendums départementaux à propos des déchets ra-
dioactifs en Haute-Marne et Meuse, malgré plus de 50 000 signatures,
c’est-à-dire plus de 20 % des citoyens inscrits sur les listes électorales
(la loi de 2003 en exige 10 %), recourt au « secret défense » pour em-
pêcher la discussion sur l’effet qu’aurait la chute d’un avion de ligne
sur un nouveau type de réacteur nucléaire dit EPR, dissimule aux
députés qui débattent de celui-ci un avis réservé de l’administration en
charge de l’examen de sa sûreté, organise un débat public sur la con-
struction du réacteur à fusion dit ITER alors que la décision a déjà été
prise, etc. En ce qui concerne les OGM (organismes génétiquement
modifiés), le gouvernement refuse l’organisation d’un référendum dé-
partemental demandé par le conseil général du Gers, attaque sys-
tématiquement les dizaines d’arrêtés municipaux que prennent les
communes pour empêcher des cultures transgéniques dont elles ne
veulent pas, dissimule la présence de ces cultures alors que la directive
européenne impose un registre public, empêche la communication des
dossiers d’évaluation toxicologique des OGM pour empêcher la contre-
expertise des éventuels problèmes sur la santé qu’ils révèlent, etc.
Il est intéressant de voir comment les nouvelles lois permettent d’agir
contre les contestataires tout autant que contre les terroristes. En jan-
vier 2006, par exemple, trois personnes dont on peut penser qu’elles
sont des « faucheurs volontaires » opposés aux OGM sont placées en
garde à vue pendant quelques heures. Elles sont interrogées dans le
cadre d’une information judiciaire « pour participation à une associ-
ation de malfaiteurs ». Rien n’est spécifiquement reproché aux per-
sonnes interrogées, et de ce fait leur avocat n’a pas accès au dossier de
l’instruction. Au passage, documents et disques durs d’ordinateurs
sont saisis. De même, le porte-parole du Réseau « Sortir du nucléaire
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» passe quelques heures en garde à vue en mai 2006 « sous le contrôle
de la section antiterroriste » qui recherche la source du document
d’EDF montrant que l’EPR est vulnérable à la chute d’un avion de
ligne. Là encore, perquisition, saisie de l’ordinateur, pas d’accès au
dossier... En août 2006, un faucheur volontaire, déjà condamné pour
avoir participé au fauchage d’un champ d’OGM en 2001, est jugé à
Alès en raison de son refus de se voir inscrit au fichier FNAEG des
empreintes génétiques.
Vers la surveillance
intégrale
Les « néo-démocrates » disposent de techniques de contrôle social
dont les despotes du passé n’auraient pas osé rêver. Chacun de nous
est donc fiché maintes fois, la police et d’autres administrations ayant
de plus en plus aisément accès à ces informations – à notre insu bien
sûr. Les fichiers d’empreintes génétiques se développent : le Royaume-
Uni montre l’exemple à l’Europe, avec 3 millions d’empreintes, soit 5
% de la population, contre « seulement » 125 000 en France. Mal-
heureux hasard, le fichier britannique compte beaucoup plus d’empre-
intes de Noirs que de Blancs.
Les caméras de vidéosurveillance ont fleuri en une dizaine d’années
comme les champignons après la pluie. On en trouve dans les bus,
dans les entreprises, dans les quartiers résidentiels, dans les magasins,
dans les rues... Le Royaume-Uni de Tony Blair est champion -il
comptait plus de 4 millions de caméras en 2004. La police anglaise
met en place en 2006 une immense base de données permettant d’en-
registrer les mouvements des véhicules, les ordinateurs pouvant lire
les plaques d’immatriculation enregistrées nuit et jour par les caméras
99/149
disposées sur les principaux axes routiers et dans les villes. Tous les
jours, les mouvements de 35 millions de plaques seront ainsi enregis-
trés et stockés pendant deux ans. Les responsables de la police se ré-
jouissent : c’est « la plus grande avancée en technologie de détection
de crimes depuis l’introduction des empreintes génétiques ».
Comme on n’arrête pas le progrès, un service de recherche du min-
istère anglais de l’Intérieur travaille à des logiciels capables de recon-
naître les visages humains, qu’on pourra coupler aux caméras qui sur-
veillent les rues et les lieux publics. Des inventeurs privés créent
d’autres dispositifs : par exemple, le Mosquito. C’est un boîtier et un
haut-parleur émettant des sons puissants et désagréables sur une
fréquence particulière audible uniquement par les enfants et les ad-
olescents. On peut ainsi chasser les jeunes gens des endroits où ils
tendent à se regrouper. L’inventeur, Howard Stapleton, prépare un «
prototype surpuissant, capable de couvrir de vastes zones interdites au
public, comme des gares de triage ou des chantiers ». Ou les
boulevards, pendant les manifestations ?
L’idéal est que passants et véhicules se signalent d’eux-mêmes aux in-
stances de contrôle. On voit ainsi se développer des étiquettes électro-
niques dites RFID (radio frequency identification), puces à radi-
ofréquences, ou transpondeurs, qui contiennent des informations rel-
atives à l’objet ou à l’être qui les porte, ainsi qu’un petit dispositif ra-
dio. Quand il passe devant un appareil de lecture, ces informations
sont saisies par celui-ci sans que le porteur le sache. Les
transpondeurs ont la capacité informatique d’un microordinateur de
1985. Dans les systèmes les plus perfectionnés, l’appareil de lecture
peut se trouver jusqu’à cent mètres du porteur de transpondeur et
capter pourtant les informations s’il passe à toute allure.
Il devrait se vendre plus de un milliard de puces RFID en 2006 et en-
core davantage dans les prochaines années. Les entreprises prévoient
100/149
de l’utiliser sur tous les objets commercialisés, afin d’en assurer la
traçabilité. Amélioration de l’efficacité commerciale ? Sans doute.
Mais recelant certains risques. Supposons par exemple que l’on place
ces étiquettes électroniques sur les livres. On pourrait ainsi repérer les
personnes qui achètent tel livre associant écologie, inégalités, oligarch-
ie et démocratie... L’association Pièces et main-d’oeuvre imagine ce
que pourrait restituer un appareil de lecture installé sur la voie pub-
lique : « Le manteau marque Tex taille 42, no 987328765, acheté le 12
novembre 2006 à 17 h 08 au magasin Carrefour de Meylan, payé par
la carte bancaire de Gisèle Chabert à Grenoble, est passé dans le
champ du lecteur de Grand-Place aujourd’hui à 8 h 42, hier à 11 h 20
et lundi dernier à 9 h 05. Il est associé au livre 30 Recettes pour
maigrir en famille emprunté à la bibliothèque du centre-ville par
Gisèle Chabert », etc.
Les transpondeurs sont déjà entrés dans la vie quotidienne de nom-
breux Parisiens : les passes « Navigo » sans contact qu’utilisent les cli-
ents de la RATP pour se déplacer permettent à l’entreprise de con-
naître précisément les parcours de chacun. Un transpondeur pourrait
aussi être associé au passeport. Un journaliste anglais imagine que les
autorités équipées du matériel adéquat pourront vérifier l’identité
d’une foule entière, lors d’une manifestation, par exemple, les nou-
velles cartes d’identité du pays comportant un transpondeur.
Mieux encore, du point de vue de la surveillance, le transpondeur
pourrait être porté dans le corps même de la personne. L’implantation
en est déjà habituelle pour les animaux de compagnie, à la place du
tatouage. On n’en est pas encore tout à fait là pour les bêtes humaines,
mais cela vient : c’est avec enthousiasme que certains clients fidèles de
la discothèque Baja Beach Club, à Rotterdam, se sont fait implanter un
transpondeur de la taille d’un grain de riz dans le bras, ce qui leur per-
met d’entrer sans être interrogés par les videurs et sans avoir à payer
leurs consommations – le lecteur débite automatiquement leur
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compte – ainsi que de fréquenter l’espace des « personnes privilégiées
». D’autres usages apparaissent : deux employés de la société City-
watcher, dans l’Ohio, seraient les premiers aux États-Unis à s’être fait
implanter une puce électronique comme moyen d’identification pour
entrer dans certaines salles de l’entreprise. Aux États-Unis, le direc-
teur de Verychip, la société qui fabrique la majorité des transpondeurs
implantables, propose d’en incorporer sur les immigrés légaux, pour
leur éviter tout souci avec la police.
Les États développent par ailleurs l’identification biométrique,
procédé grâce auquel une personne est reconnue par l’enregistrement
numérique sur une carte d’un de ses éléments physiques, tels
qu’empreinte digitale ou forme de l’iris de l’oeil. L’enregistrement bio-
métrique sur les documents d’identité se généralise sous l’impulsion
des États-Unis. Il peut être assorti d’un transpondeur. Le projet de
carte d’identité INES, en France, comporte ainsi dans sa version ini-
tiale élément biométrique et transpondeur.
Une alternative à l’implant d’une puce électronique est le bracelet élec-
tronique associé au système de localisation par satellite GPS (global
positioning system). Certains prisonniers vont ainsi bientôt être
équipés de ce bracelet. Ils pourront circuler dans des zones déter-
minées à l’avance, tout franchissement étant repéré par le CPS et
déclenchant une alarme dans l’ordinateur de contrôle situé chez les
surveillants.
Mais il y a encore plus simple, c’est d’utiliser un objet de repérage in-
faillible, dont la majorité de citoyens se sont équipés avec un enthousi-
asme qui témoigne de la vitalité du désir d’imitation décrit par Veblen
: le téléphone portable. Celui-ci constitue un excellent moyen pour les
autorités de suivre les individus : ils sont localisés à tout moment par
l’antenne relais dont ils sont le plus proches. Les consommateurs
s’habituent si bien à cette surveillance permanente qu’on leur propose
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de s’y livrer eux-mêmes : plusieurs sociétés offrent aux parents de sa-
voir à chaque instant où sont leurs enfants grâce aux téléphones port-
ables de ceux-ci. Soit par repérage d’antenne relais, la compagnie de
téléphone prêtant ses informations, soit par un témoin GPS de recon-
naissance satellitaire intégré dans l’appareil. Une compagnie améri-
caine, Verizon, permet même aux parents de programmer les ter-
ritoires autorisés à leurs chérubins. Quand ceux-ci quittent la zone
autorisée, les parents reçoivent un message d’alerte.
La trahison des médias
Les médias jouent un rôle essentiel dans la dégradation de l’esprit
démocratique. Soit qu’ils relaient le discours sécuritaire du pouvoir,
soit qu’ils détournent l’attention du public vers d’autres enjeux, soit
qu’ils minorent les dérives qu’ils observent en leur donnant une faible
visibilité.
Il y a de solides raisons structurelles, que nous allons examiner, à cet
affadissement des médias. Mais l’on ne saurait négliger l’insensible
glissement de l’esprit de la corporation journalistique vers une bien-
pensance généralisée. On finit par trouver toutes sortes de bonnes
raisons à l’acceptation de l’ordre établi. L’indignation est devenue
mauvais genre, l’opinion divergente est qualifiée de « militantisme »,
la critique des puissants une figure antique de l’art journalistique
qu’on encense d’autant plus qu’on s’y livre moins.
L’époque récente a connu deux épisodes qui constituent des cas
d’école pour juger de cette évolution. La presse américaine, depuis le
11 septembre 2001, a brillé par son manque d’esprit critique à l’égard
de l’administration Bush. Avalant le Patriot Act comme du bon pain,
elle a parfois surenchéri dans l’odieux : n’est-ce pas un hebdomadaire
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dit « libéral », Newsweek, qui a recommandé l’usage de la torture ?
Mais la presse a touché le fond lorsque le gouvernement de Washing-
ton a répandu par brassées, durant l’hiver 20022003, ses fausses in-
formations pour pousser à l’invasion de l’Irak sans que les médias les
mettent sérieusement en doute. « Je pense que la presse était muselée
et qu’elle s’est automuselée », déclara en septembre 2003 Christiane
Armanpour, journaliste « vedette » de la chaîne d’information CNN. «
Tout le monde politique, je veux dire l’administration, les services de
renseignements, les journalistes, n’ont pas posé assez de questions. »
Les télévisions et la majorité de la presse écrite ont entériné les alléga-
tions officielles selon lesquelles le chef d’État irakien soutenait le
réseau al-Qaeda et développait des « armes de destruction massive ».
Le fleuron de la presse écrite, le New York Times, a conforté de tout
son poids les mensonges de l’équipe présidentielle. Par deux fois, il a
placé à la « une » de longues enquêtes, en septembre 2002 et en avril
2003, confirmant les mensonges officiels malgré une absence d’in-
dices solides. Il s’en est excusé depuis, mais le mal avait été fait.
Si les supposés meilleurs sont tombés dans le panneau, comment les
autres auraientils résisté au courant ? Une étude de la couverture par 1
600 journaux télévisés américains de la guerre pendant trois semaines
en avril 2003 a montré que, de tous les points de vue diffusés par in-
terviews ou commentaires, seuls 3 % étaient opposés à la guerre. Un
déséquilibre flagrant, alors que les sondages indiquaient que 27 % des
personnes interrogées étaient opposés à l’invasion de l’Irak.
Ne jetons pas la pierre à nos confrères transatlantiques. La presse
française s’est illustrée au printemps 2005 dans un autre genre de
déni de l’évidence et dans le maintien sans esprit critique de la parole
dominante. Lors du débat public qui a précédé le référendum sur le
projet de Constitution européenne, la plupart des médias ont donné
beaucoup plus que majoritairement la parole aux partisans du « oui
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»,alors qu’il était manifeste, d’une part qu’une large partie de la popu-
lation voulait voter « non », et d’autre part que les arguments des op-
posants s’appuyaient sur des raisonnements étayés. Les journaux les
plus prestigieux donnèrent le ton. Hélas ! Ces journaux – ou plutôt
leur rédaction en chef – ne voyaient pas que ce retour du débat était le
signe de l’investissement des citoyens dans la chose publique, et que
leur rôle était d’être le forum de ce débat, de donner avec enthousi-
asme et ardeur la parole égale aux deux camps, d’illustrer par la
pratique la vertu du débat démocratique. Mais ils préféraient, aveugles
au mouvement de la société, accabler d’injures (xénophobie, national-
isme, dogmatisme, etc.) les partisans du « non » – c’est-à-dire le
peuple souverain, comme devait le révéler le résultat des urnes le 29
mai 2005.
Chose étrange, beaucoup de lecteurs jugèrent qu’il était désagréable de
payer 1,20 euro tous les jours pour qu’on les traite de fascistes. Et
cessèrent de le faire.
Une cause majeure de cet affaissement moral des médias est que leurs
directeurs et hiérarchie, le plus souvent, répercutent le mode de
pensée de l’oligarchie, dont ils se sentent membres à part entière. Des
rémunérations élevées leur paraissent naturelles, une voiture avec
chauffeur va de soi, et ils suivent avec entrain les coutumes de la classe
dirigeante. Voici ce que notait le chroniqueur mondain de la fête fas-
tueuse donnée par le milliardaire Pinault à Venise : étaient là « tous
les patrons de presse, au bras de leurs épouses, tout comme les pat-
rons des chaînes de radio et de télévision ».
Le directeur nomme le rédacteur en chef, qui désigne ses chefs de ser-
vice, qui dirigent les journalistes. Qui choisit le directeur ? Le pro-
priétaire du média. S’il arrive que celui-ci ait la passion de l’informa-
tion et de la liberté, il est plus souvent guidé par ses intérêts. À Hong
Kong, par exemple, « sur les trente quotidiens de la ville, seul 1’Apple
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Daily est indépendant et critique Pékin, estime le député Martin Lee.
Pourquoi ? Parce que son propriétaire n’a pas d’intérêts en Chine.
Tous les autres ont investi sur le continent et ne veulent pas perdre de
l’argent ».
Le capitalisme n’a plus
besoin de la démocratie
Comment la banalisation de la torture, la multiplication des lois sé-
curitaires, l’extension des pouvoirs de la police, la prolifération des in-
struments de surveillance, la démission de la presse sont-elles pos-
sibles ? Comment une telle dégradation de l’esprit de la démocratie
s’est-elle produite ? Par le fait que, depuis la chute de l’URSS, la classe
dirigeante s’est convaincue qu’elle n’avait plus besoin de la démo-
cratie. Auparavant, la liberté était le meilleur argument pour contrer le
modèle collectiviste. Elle était bonne pour les individus, et elle favor-
isait une bien plus grande réussite économique. Mais dans les années
1990, le paradigme qui associait liberté et capitalisme s’est dissous.
D’une part, la droite extrême a élaboré aux États-Unis, sous l’influence
des « néo-conservateurs », une idéologie plaçant la priorité sur le
maintien de l’ordre social institué et de la puissance américaine.
D’autre part, la montée impressionnante de l’économie chinoise dans
un contexte de répression continue et de parti unique a habitué les es-
prits à ce découplage possible entre libertés publiques et dynamisme
économique.
Ainsi, la démocratie devient antinomique avec les buts recherchés par
l’oligarchie : elle favorise la contestation des privilèges indus, elle ali-
mente la remise en cause des pouvoirs illégitimes, elle pousse à l’exa-
men rationnel des décisions. Elle est donc de plus en plus dangereuse,
106/149
dans une période où les dérives nuisibles du capitalisme deviennent
plus manifestes.
Qui plus est, le maintien du gaspillage ostentatoire implique une forte
consommation de pétrole et d’énergie. Comme les réserves les plus
importantes en sont situées au Moyen-Orient, il faut mener une poli-
tique visant à contenir la contestation politique dans cette région.
Cette politique prend le nom de « lutte contre le terrorisme ». Elle
présente l’avantage de justifier les restrictions aux libertés au nom de
la sécurité, ce qui permet de réprimer les mouvements sociaux qui
commencent à se réveiller.
Le désir de catastrophe
J’émets de surcroît, à titre de réflexion, une hypothèse provocante.
Naïvement, nous pensons que la catastrophe écologique à venir est re-
doutée par les hyper-riches. Ils en seraient inconscients ou se sen-
tiraient impuissants. Mais non. Ils la souhaitent, ils aspirent à l’exacer-
bation, au désordre, ils jouent à se rapprocher toujours plus de la lim-
ite invisible du volcan, ils jouissent de l’excitation que procure un
comportement si évidemment asocial.
La façon dont l’équipe de M. Bush a lancé la guerre en Irak, la tenta-
tion pour l’instant avortée d’utiliser des minibombes atomiques dans
le cadre de conflits « classiques », la remontée des dépenses militaires
américaines, alors même qu’elles dépassent déjà largement la somme
des dépenses de défense des pays les plus armés de la planète (Russie,
Chine, France, Allemagne, Grande-Bretagne, Inde), peuvent ainsi être
lues comme cette pulsion de la classe privilégiée vers la déflagration.
La tentation de la catastrophe rôde dans le cerveau des dirigeants. On
lit ainsi, dans le Wall Street Journal, le premier journal des États- Unis
107/149
et le plus lu par l’oligarchie, ces phrases étonnantes, sous la plume
d’un professeur de sociologie, Gunnar Heinsohn : « Plus vite l’Europe
s’effondrera, mieux cela sera pour les États-Unis, dont les chances de
battre le terrorisme global seront améliorées économiquement et
militairement par l’arrivée des Européens les plus brillants et les plus
courageux, sous l’influx de la panique. »
On ne peut exclure de la part de l’oligarchie un désir inconscient de
catastrophe, la recherche d’une apothéose de la consommation que
serait la consommation de la planète Terre elle-même par l’épuise-
ment, par le chaos, ou par la guerre nucléaire. La violence est au coeur
du processus qui fonde la société de consommation, rappelait Jean
Baudrillard : « L’usage des objets ne mène qu’à leur déperdition lente.
La valeur créée est beaucoup plus intense dans leur déperdition
violente. »
« L’époque de
renoncements âpres qui
nous attend »
Quoi qu’il en soit, les crises à venir, écologiques et sociales, vont sou-
mettre le système démocratique à de rudes tensions. Pour les apaiser,
nous devons relever le défi posé en 1979 par le philosophe Hans Jonas
: « Il faut prendre des mesures que l’intérêt individuel ne s’impose pas
spontanément et qui peuvent difficilement faire l’objet d’une décision
dans le processus démocratique. » Ces mesures relèvent d’une poli-
tique simple dans son énoncé, difficile dans sa mise en oeuvre :
108/149
réduire la consommation matérielle, accepter « l’automodération de
l’humanité » pour l’intérêt de tous et des générations futures.
Mais on ne peut espérer réduire la consommation matérielle, dans une
société démocratique, qu’en le faisant de manière équitable : la pres-
sion doit d’abord peser sur les riches, ce qui la fera accepter, dans des
formes négociées, à l’ensemble des citoyens.
Si le rapport de force ne permet pas d’imposer cette évolution aux
puissants, ceux-ci chercheront à maintenir leurs avantages excessifs
par la force, profitant de l’affaiblissement antérieur de la démocratie et
arguant des mesures d’urgence nécessaires. Les pouvoirs ont déjà testé
cette possibilité avec l’état d’urgence en France à l’automne 2005, lors
des émeutes de banlieue, ou aux États-Unis lors du cyclone Katrina en
septembre 2005, quand les forces armées ont été envoyées non pour
secourir les pauvres inondés, mais afin de pourchasser les pillards.
La ruse de l’histoire serait même qu’un pouvoir autoritaire se targue
de la nécessité écologique pour faire accepter la restriction des libertés
sans avoir à toucher à l’inégalité. La gestion des épidémies, les acci-
dents nucléaires, les pointes de pollution, la « gestion » des émigrés de
la crise climatique sont autant de motifs qui faciliteraient la restriction
des libertés.
Dans le texte de Tocqueville que nous avons cité, ce qui rend possible
le nouveau despotisme est l’individualisme, le repli sur soi, l’oubli de
ses concitoyens. C’est précisément ce que promeut le capitalisme : son
idéologie exalte la recherche par chacun de son intérêt, en prétendant
que la somme des conduites individuelles conduit par une sorte de
magie – « la main invisible » – à l’optimum général.
Pour tenter de prévenir les crises, il faut au contraire collectivement
décider de choix difficiles, sans quoi les désordres qui surviendront
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trouveront une réponse despotique. Il nous faut d’urgence revitaliser
la démocratie, relégitimer le souci du bien public, réanimer l’idée du
destin collectif. Seulement ainsi pourra-t-on dans la liberté affronter «
l’époque d’exigences et de renoncements âpres qui nous attend »,
selon les mots de Jonas. Cela passe par l’ancrage du social dans l’éco-
logie, par l’articulation de l’impératif de la solidarité à la diminution
des consommations, par la réaffirmation tenace qu’il n’est d’existence
digne, quelles que soient les difficultés, que dans la liberté.
CHAPITRE
VI L’urgence et
l’optimisme
Il y a urgence. D’ici dix ans, il faut avoir changé de cap – si la chute de
l’économie américaine ou l’explosion du Moyen-Orient ne l’auront pas
imposé dans le chaos.
Pour y faire face, il faut connaître le but : arriver à une société sobre ;
tracer la route : réaliser cette transformation dans l’équité, en faisant
d’abord porter la charge sur ceux qui sont les plus dotés, au sein des
sociétés et entre sociétés ; s’inspirer des valeurs collectives : « Liberté,
écologie, fraternité ».
Quels sont les principaux obstacles qui bloquent le chemin ?
D’abord, des idées reçues, si prégnantes qu’elles orientent l’action col-
lective sans même qu’on y réfléchisse.
La plus puissante est la croyance en la croissance comme unique pos-
sibilité de résoudre les problèmes sociaux. Cette position est défendue
alors même qu’elle est démentie par les faits. Et en mettant de côté la
question écologique, puisque les zélateurs de la croissance savent
qu’elle est incapable d’y répondre.
La seconde, moins sûre d’elle-même quoique largement répandue,
énonce que le progrès technologique va résoudre les problèmes
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écologiques. On la propage parce qu’elle laisse espérer qu’on pourra
grâce à lui éviter tout changement sérieux des comportements collec-
tifs. Le développement de la technologie, ou plutôt de certains sentiers
techniques au détriment d’autres, conforte le système et nourrit de
solides profits.
La troisième idée reçue est celle de la fatalité du chômage. Elle est
étroitement associée aux deux précédentes. Le chômage est devenu
une donnée largement construite par le capitalisme, pour qui elle est
le moyen le plus efficace pour, dans certaines limites, s’assurer de la
docilité populaire et du bas niveau des salaires. A contrario, le trans-
fert des richesses de l’oligarchie vers les services publics, une fiscalité
pesant davantage sur la pollution et sur le capital que sur le travail, des
politiques agricoles actives dans les pays du Sud, la recherche de l’ef-
ficacité énergétique sont des sources immenses d’emplois.
Un quatrième lieu commun associe l’Europe et l’Amérique du Nord
dans une communauté de destin. Mais leurs chemins ont divergé.
L’Europe porte encore un idéal d’universalité, dont elle démontre la
validité par sa capacité à unir, malgré les difficultés, des États et des
cultures très différents. La consommation d’énergie, les valeurs cul-
turelles – par exemple celle essentielle de l’alimentation –, le refus de
la peine de mort et de la torture, une inégalité moins prononcée et le
maintien d’un idéal de justice sociale, le respect du droit international,
l’appui au protocole de Kyoto sur le climat sont autant de traits qui
distinguent l’Europe des États-Unis. Il faut séparer l’Europe de la
puissance obèse et la rapprocher du Sud.
L’oligarchie peut se diviser
Ensuite sont les forces.
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La première, bien sûr, est la puissance même du système. Les échecs
qui vont survenir ne suffiront pas à eux seuls à la défaire puisque, on
l’a vu, il pourrait être en situation d’en prendre prétexte pour afficher
un autoritarisme débarrassé des oripeaux de la démocratie. Cepend-
ant, le mouvement social s’est réveillé, et l’on peut penser qu’il va con-
tinuer à gagner en puissance. Mais il ne pourra pas emporter seul la
mise face à la montée de la répression : il faudra que les classes moy-
ennes et une partie de l’oligarchie, qui n’est pas monolithique,
prennent nettement parti pour les libertés publiques et le bien
commun.
Les mass media constituent un enjeu central. Ils soutiennent au-
jourd’hui le capitalisme en raison de leur économie : ils dépendent en
effet, pour la plus grande partie d’entre eux, de la publicité. Cela rend
difficile de plaider pour la diminution de la consommation. Le
développement des journaux gratuits, qui ne vivent que de la réclame,
accroît de surcroît la pression sur les journaux payants à grande diffu-
sion, dont beaucoup sont entrés dans le giron de grandes entreprises
industrielles. Il n’est pas sûr que les possibilités d’information sus-
citées par Internet, quoique immenses et pour autant qu’elles restent
ouvertes, suffisent à contrebalancer le poids de mass media qui
seraient intégralement devenus la voix de l’oligarchie. Cependant, la
corporation des journalistes n’est pas encore totalement asservie et
pourrait se réveiller autour de l’idéal de la liberté.
Troisième force, flageolante, la gauche. Depuis que sa composante so-
cialedémocrate en est devenue le centre de gravité, elle a abandonné
l’ambition de transformer le monde. Le compromis avec le libéralisme
l’a conduite à en adopter si totalement les valeurs qu’elle n’ose plus
qu’avec la plus extrême prudence de langage déplorer l’inégalité so-
ciale. Elle manifeste de surcroît un refus caricatural de s’intéresser
réellement à l’écologie. La gauche reste confite dans l’idée du progrès
tel que le concevait le XIXe siècle, croit encore que la science se fait
113/149
comme du temps de Louis Pasteur, entonne le chant de la croissance
sans la moindre trace d’esprit critique. Plutôt que de parler de « so-
cialdémocratie », d’ailleurs, il serait sans doute plus pertinent de par-
ler de « socialcapitalisme ».Mais pourtant, les défis du XXe siècle
peuvent-ils être relevés par les fils d’une autre tradition que celle qui
plaçait l’inégalité au premier motif de sa révolte ? Ce hiatus est le
coeur de la vie politique. La gauche renaîtra en unissant les causes de
l’inégalité et de l’écologie -ou, inapte, disparaîtra dans le désordre
général qui l’emportera comme le reste.
Et pourtant, soyons optimistes.
Optimistes, parce que, toujours plus nombreux, nous comprenons,
contre tous les conservateurs, la nouveauté historique de la situation :
nous vivons une phase nouvelle, jamais vue, de l’histoire de l’espèce
humaine, le moment où ayant conquis la Terre, atteignant ses limites,
elle doit penser autrement son rapport à la nature, à l’espace, à son
destin.
Optimistes, à mesure que la conscience de l’importance historique des
enjeux actuels se répand, à mesure que l’esprit de liberté et de solidar-
ité se réveille. Depuis Seattle et la contestation de l’organisation mon-
diale du commerce en 1999, le balancier a commencé à revenir dans
l’autre sens, vers une préoccupation collective des choix de l’avenir,
recherchant la coopération plutôt que la compétition. La bataille
plutôt réussie des OGM quoique inachevée, le maintien par la com-
munauté internationale du protocole de Kyoto en 2001 malgré le re-
trait des États-Unis, le refus des peuples européens de participer à l’in-
vasion de l’Irak en 2003, le rejet du projet capitaliste de Constitution
européenne en 2005 sont les signes que le vent de l’avenir recom-
mence à souffler. Malgré l’ampleur des défis qui nous attendent, les
solutions émergent, et renaît l’envie de refaire le monde face aux per-
spectives sinistres que promeuvent les oligarques.
ÉPILOGUE
Au Café de la Planète
On s’en voudrait de finir sur une note trop grave. Car après tout, nous
sommes joyeux, comme l’ami Lovelock, et pensons qu’une certaine
légèreté de l’âme aidera à dissoudre les scénarios désastreux écrits par
des oligarques aux semelles de plomb.
Il y a quelques décennies, le premier milliardaire de France, Marcel
Dassault, livrait régulièrement à Jours de France un « café du com-
merce », où il mettait en scène une conversation entre braves gens qui
exprimait les préoccupations, selon lui, du moment. Je ne sais plus
très bien ce qu’il s’y disait, mais la forme était originale. En hommage
à tonton Marcel – vous voyez que je ne veux pas de mal aux mil-
liardaires, il faut juste diviser leur fortune par cent ou par mille, et in-
staurer un indispensable RMA (revenu maximal admissible) –, voici
un nouveau « Café de la Planète ». J’ai demandé de l’aide à divers
compagnons rencontrés au hasard des lectures :
FÉLIX GUATTARI, psychiatre : Il risque de ne plus y avoir d’histoire
humaine sans une radicale reprise en main de l’humanité par elle-
même.
– Vous n’avez pas peur des grands mots, vous. C’est pas la cata, quand
même !
JEAN-PIERRE DUPUY philosophe : S’il faut prévenir la catastrophe,
on a besoin de croire en sa possibilité avant qu’elle ne se produise.
– Et que pourrait-il se passer, par exemple ?
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ROBERT BARBAULT, écologue : Si l’humanité ne détermine pas d’ici
2050 des voies radicalement nouvelles pour conduire les affaires, alors
l’horizon est sombre et la sixième crise d’extinction une perspective
certaine.
– Bon, plus de grenouilles. C’est tout ?
KOFI ANNAN, secrétaire général des Nations unies. En Afrique,
quelque 60 millions de personnes quitteront au cours des vingt
prochaines années la région sahélienne pour des lieux moins hostiles
si la désertification de leurs terres n’est pas enrayée.
– Ah, là, évidemment... Ils viendront chez nous, c’est ça ? J’aime pas
trop. On fermera les frontières, on se protégera !
HAMA AMADOU, Premier ministre du Niger : Aucune mesure,
aucune armée de policiers et de gendarmes ne pourra empêcher nos
concitoyens en proie à la misère et à la faim d’envahir les pays de
l’abondance.
– Oh, ça chauffe, là. On ne va pas enfermer tout le monde, quand
même. Il faut que ces pays se développent, qu’il y ait de la croissance
économique, c’est la seule solution. S’ils ont de la boustifaille chez eux,
ils ne viendront pas chez nous.
LESTER BROWN, agronome : Si la Chine atteint le niveau de 3 voit-
ures pour 4 personnes, comme aux États-Unis, elle comptera 1,1 mil-
liard de voitures. Aujourd’hui, le monde entier en compte 800 mil-
lions. Cela exigerait 99 millions de barils par jour. Aujourd’hui, le
monde produit 82 millions de barils par jour.
– Vous me dites qu’il n’y aura pas assez de pétrole, là. Ouais, déjà qu’à
la pompe, ça flingue un max. Mais vous voyez, c’est la Chine et l’Inde
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qui aggravent le problème. Ils produisent déjà plein de vos gaz à effet
de serre. Qu’ils fassent un effort, après tout !
LAURENCE TUBIANA directrice de l’Institut international, du
développement durable : Les pays du premier monde doivent per-
mettre l’accès aux ressources des pays émergents : loin d’entrer dans
une compétition pour cet accès, ils doivent restreindre fortement leur
prélèvement sur les ressources naturelles. C’est la seule attitude re-
sponsable pour que les pays émergents considèrent comme légitime et
équitable une réflexion sur le modèle de croissance qu’ils vont
emprunter.
– « Restreindre le prélèvement », si vous croyez que c’est facile. Il y a
des pauvres, aussi, chez nous.
MARTIN HIRSCH, président d’Emmaüs France : Il est illusoire de
compter vaincre la pauvreté dans les pays riches sans traiter celle des
pays défavorisés.
– Oh mais vous êtes tous d’accord, c’est pas possible de discuter ! Eh
bien moi aussi, je vais me répéter : il faut de la croissance pour les
pays pauvres !
JUAN SOMAVIA, directeur général du Bureau international du travail
: Au niveau mondial, le chômage a augmenté de 21,9 % en dix ans,
touchant 191,8 millions de personnes en 2005, son record historique.
La Chine, qui bénéficie d’un taux de croissance annuelle de 9 à 10 %,
crée environ 10 millions d’emplois nouveaux chaque année, deux fois
moins que le nombre de gens qui entrent sur le marché du travail du
pays.
– Oh, ça suffit ! C’est bien gentil de critiquer la croissance, mais vous
avez une autre solution ?
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DAMIEN MILLET, du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-
monde : La priorité absolue doit être la satisfaction universelle des be-
soins humains fondamentaux.
– Oui ben c’est pas une solution, ça.
JUAN SOMAVIA : Le développement social d’un pays ne peut réussir
qu’en partant de la base et de la société locale.
UN AGRONOME DE LA FAO : De judicieuses politiques agricoles,
conjuguées avec un bon niveau d’investissements, pourraient aider à
réduire la pression de l’immigration illégale qui force les portes de
l’Europe et de l’Amérique du Nord.
– Un bon niveau d’investissement ? C’est des sous, ça. Et vous les
trouvez où ?
UN EXPERT DU PNUD : Le montant nécessaire pour faire passer un
milliard de personnes au-dessus du seuil de pauvreté de un dollar par
jour s’élève à 300 milliards de dollars. En valeur absolue, ce chiffre
paraît exorbitant. Néanmoins, il équivaut à moins de 2 % du revenu
des 10 % les plus riches de la population mondiale.
– Et vous croyez qu’ils vont les lâcher comme ça, leurs 2 % ? Z’êtes pas
un peu naïf ?
ROBERT NEWMAN, auteur de History of Oil : Les corporations em-
pêcheront toute loi et réglementation qui chercheraient à contraindre
leur profitabilité. Ce n’est qu’en brisant le pouvoir des grandes firmes
et en les soumettant au contrôle social que nous serons capables de
surmonter la crise environnementale.
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– Ben je vous souhaite du plaisir. L’Anglais a raison, les patrons de
Coca-cola et compagnie, ils vont pas se laisser piquer le bifteck pour
les beaux yeux des Chinetoques.
MICHAEL MOORE, documentariste : AUX yeux des riches, la seule
valeur de votre existence, c’est qu’ils ont besoin de votre bulletin de
vote à chaque élection pour faire élire les politiciens dont ils ont fin-
ancé la campagne. Ce foutu système américain qui permet que le pays
soit gouverné par la volonté du peuple est une fort mauvaise affaire
pour les riches, puisque, tous ensemble, ils ne représentent quand
même que 1 % du « peuple ».
– Moore, c’est le gros anti-Bush, là ? Ouais, il était au festival de
Cannes je sais plus quand, je l’ai vu à la télé. C’est un marrant. C’est bi-
en ce qu’il dit. Sauf que je sais pas si vous avez remarqué, mais on vote
pas vraiment tous ensemble. Et puis, la gauche, qu’est plutôt contre les
riches, ben elle est à fond pour la croissance. Et vlan !
GENEVIÈVE AZAM, économiste : L’affirmation d’une écologie poli-
tique est la condition pour que puissent être posées en même temps la
question sociale et la question écologique. Les choix et modalités de
production des richesses et la répartition de ces richesses ne sauraient
être pensées séparément.
– Ohaaaa, une intello, celle-là ! « Ne sauraient être pensées séparé-
ment. » Moi, je veux du concret !
JEAN MATOUK, économiste : Dans une grande entreprise où la
masse salariale des 20 plus hauts dirigeants serait de 8 millions
d’euros, une économie de 20 % sur ces salaires permet de créer, dans
l’entreprise même ou dans une filiale, 50 emplois nouveaux à 1 500
euros mensuels. Le nombre d’emplois créés ainsi est faible ; mais il
119/149
augmente très vite si l’économie sur salaire descend dans les strates
juste au-dessous de celle-ci, même avec un taux plus faible.
– Ah, ça c’est rigolo, ça me plaît. Mais quand même, si on diminue les
salaires des riches, on va avoir moins de choses...
HENRY MILLER, écrivain : Ce que nous redoutons le plus, en face de
la débâcle qui nous menace, c’est de devoir renoncer à nos gris-gris, à
nos appareils et à tous les petits conforts qui nous ont rendu la vie si
inconfortable.
– Des gris-gris... on est revenus en Afrique. Je ne suis pas sûr que vous
ayez raison pour tout, mais vous êtes sympas. Allez, on reboit un verre,
et là, c’est ma tournée ! À la santé de la planète !
RÉFÉRENCES
Chapitre I. La catastrophe.
Et alors ?
– « C’est déjà beaucoup... » : Loreau, Michel, « Une extinction massive
des espèces est annoncée pour le XXIe siècle », propos recueillis par
Hervé Kempf, Le Monde, 9 janvier 2006.
– Sur James Lovelock, voir : Lovelock, James, The Revenge of Gaia,
Allen Lane (Londres), 2006 ; Kempf, Hervé, « James Lovelock,
docteur catastrophe », Le Monde, 11 février 2006.
– Effet de serre dans les années 1970 : Alfred Sauvy l’évoque dans
Croissance zéro ?, Calmann-Lévy, 1973, p. 197. – L’augmentation de la
température moyenne à la fin du XXIe siècle : GIEC (Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du climat), Changements cli-
matiques 2001 : Rapport de synthèse. Résumé à l’intention des dé-
cideurs, p. 9.
– « ... que les climatologues tendent à situer autour de 2 degrés de
réchauffement » : International symposium on the stabilisation of
greenhouse gases, Hadley Centre, Met Office, Exeter, 1-3 février 2005,
Report of the Steering Committee, 3 février 2005.
– « ... ce processus réparateur pourrait ne plus opérer » : voir « La
menace de l’emballement », Science et Vie, no 1061, février 2006.
121/149
– Élévation du niveau de la mer : Kerr, Richard, « A worrying trend of
less ice, higher seas », Science, vol. 31 1, p. 1698, 24 mars 2006.
– « la végétation de l’Europe, au lieu d’absorber du gaz carbonique, en
a relâché en quantité importante » : Ciais, Philippe, et al., « Europe-
wide reduction in primary productivity caused by the heat and
drought in 2003 », Nature, 22 septembre 2005.
– « ... tout le carbone stocké récemment pourrait être relargué dans le
siècle » : Zimov, Sergey, et al., « Permafrost and the global carbon
budget », Science, 16 juin 2006.
– « ... les modèles climatiques ont sous-évalué les interactions... » :
Scheffer, Marten, et al., « Positive feedback between global warming
and atmospheric CO2 concentration inferred from past climate change
», Geophysical Letters, vol. 33, 2006.
– « ... s’inquiète Stephen Schneider » : Schneider, Stephen, commu-
nication personnelle, message électronique du 24 mars 2006. Voir
aussi : Schneider, Stephen, et Mastrandea, Michael, Probabilistic as-
sessment of "dangerous" climate change and emissions pathways »,
PNAS, 1er novembre 2005.
– « Sixième extinction » et Rapport sur la biodiversité globale : « Hu-
mans spur worst extinctions since dinosaurs », Agence Reuters, 21
mars 2006.
– « Liste rouge » des espèces menacées : Morin, Hervé, « L’érosion de
la diversité biologique de la planète se poursuit », Le Monde, 23 mai
2005.
– Prévision du centre Globio : « Mapping human impacts on the bio-
sphere », www.globio.info, consulté en mars 2006.
122/149
– « ... relève le Millenium Ecosystem Assessment » : Millenium
Ecosystem Assessment, Living beyond our Means. Statement from the
Board, mars 2005.
– « Nous avons connu dans les trente dernières années... » : Neville
Ash, du World Conservation Center, à Cambridge (Royaume-Uni) ;
communication personnelle, juin 2005. Voir aussi : UNEP, One Plan-
et, Many People, Atlas of our Changing Environment, Nairobi, 2005.
– Manifeste pour les paysages : www.manifestepourlespaysages.org
– Jacques Weber : cité par Testard-Vaillant, Philippe, « Biodiversité.
Les cinq défis du CNRS », Le Figaro Magazine, 28 avril 2006.
– Jean-Pierre Féral : cité par Testard-Vaillant, Philippe, ibid.
– Stocks de poissons surexploités : FAO, Sofia, Situation mondiale des
pêches et de l’aquaculture, 2005.
– Déchets dans les océans : Gjerde, Kristina, Ecosystems and Biod-
iversity in Deep Waters and High Seas, UNEP-UICN, 2006.
– Saumons sauvages en Alaska : Krümmel, E.M., et al., « Delivery of
pollutants by spawning Salmon », Nature, 18 septembre 2003.
– Produits chimiques dans le lait maternel : BUND et Friends of the
earth Europe, Toxic Inheritance, 2006.
– Lien entre pesticides et fertilité : Meeker, John, et al., « Exposure to
Nonpersistent Insecticides and Male Reproductive Hormones »,
Epidemiology, janvier 2006.
123/149
– Lien entre pollution atmosphérique et fertilité : Slama, Rémy, « Les
polluants de l’air influencent-ils la reproduction humaine ? », Extra-
pol, no 28, juin 2006.
– Sur l’espérance de vie : Aubert, Claude, Espérance de vie, la fin des
illusions, Terre vivante, 2006.
– « Aux États-Unis, l’espérance de vie des femmes tend à plafonner » :
Chesnais, Jean- Claude, INED, communication personnelle, juin
2006.
– Étude de Jay Olshansky : Olshansky, Jay, « A potential decline in
life expectancy in the United States in the 21st century », The New
England Journal of Medicine, 352, no 11, 2005, p. 1138.
– « En 2004, la Chine émettait... » : International Energy Annual
2004, Energy Information Administration. Annual European Com-
munity Greenhouse Gas Inventory 1990-2004 and Inventory Report
2006, Agence européenne de l’environnement.
– « … en 2003, elle tirerait 1,2 fois... » : Living Planet Report 2006,
WWF. – Perte de terres arables en Chine : Institut Worldwatch, L’État
2006 de la planète, Association L’état de la planète publications,
Genève, 2006, p. 17.
– Progression du désert en Chine : « China promise to push back
spreading deserts »,Agence Reuters, 1er mars 2006.
– Fleuve Jaune asséché : Koller, Frédéric, « Chine : le mal paysan »,
Alternatives économiques, février 2006.
– Pollution du Yang-Tseu-Kiang : « Cri d’alarme des experts face à la
pollution du Yangtse », Agence France Presse, 30 mai 2006.
124/149
– « Trois cent millions de Chinois boivent une eau polluée » :
McGregor, Richard, « The polluter pays : how environmental disaster
is straining China’s social fabric », Financial Times, 27 janvier 2006.
– Villes polluées en Chine : Beck, Lindsay, « China warns of disaster if
pollution not curbed », Agence Reuters, 13 mars 2006. – « L’air
chinois est aussi tellement saturé... » : Institut Worldwatch, L’État
2006 de la planète, op. cit., p. 8.
– « … affaiblit la capacité du corail et du plancton... » : Haugan, Peter,
et al., Effects on the Marine Environment of Ocean Acidification Res-
ulting from Elevated Levels of CO2 in the Atmosphere, Directorate for
Nature Management, Oslo, 2006.
– « … les organismes pourvus d’une coquille... » : Foucart, Stéphane, «
L’océan de plus en plus acide », Le Monde, 18 et 19 juin 2006. Voir
aussi : EUR-Océans, « L’acidification des océans : un nouvel enjeu
pour la recherche et le réseau d’excellence Eur-Océans », 1er juin
2006.
– « Une étude scientifique publiée en 2004... » : Thomas, Chris, et al.,
« Extinction risk from climate change », Nature, 2004, vol. 427, p.
145. – « ... du lobby nucléariste qui utilise le changement climatique...
» :signalé dès 1989 par Reporterre, « Effet de serre : l’alibi nucléaire »,
septembre 1989.
– Sur le pic de Hubbert : Wingert, Jean-Luc, La Vie après le pétrole,
Autrement, 2005.
– « … la Chine utilise actuellement un treizième du pétrole... » :
d’après Institut Worldwatch, L’État 2006 de la planète, op. cit., p. 11,
corrigé par l’auteur avec les chiffres de BP Statistical Review of World
Energy, juin 2006.
125/149
– « ... en 2007 pour les plus pessimistes... ». Wingert, Jean-Luc, La
Vie après le pétrole, op. cit., p. 90.
– « … vers 2040 ou 2050... » : Ibid., p. 98.
– « La compagnie Total... » : Kempf, Hervé, « Selon Total, la produc-
tion de pétrole culminera vers 2025 », Le Monde, 19 juin 2004.
– « Pour Michel Loreau... » : Loreau, Michel, « Une extinction massive
des espèces est annoncée pour le XXIe siècle », Le Monde, 9 janvier
2006.
– « L’un de ceux-ci, Martin McKee... » : McKee, Martin, « Prévenir et
combattre l’éternel retour des épidémies », propos recueillis par Laure
Belot et Paul Benkimoun, Le Monde, 2 et 3 avril 2006.
– « Le député écologiste Yves Cochet s’attend ... » : cité par : Kempf,
Hervé, « Écologisme radical et décroissance », Le Monde, 4 mars
2005. Voir aussi : Cochet, Yves, Pétrole Apocalypse, Fayard, 2005.
– « Deux ingénieurs, Jean-Marc Jancovici... » : Jancovici, Jean-Marc,
et Grandjean, Alain, Le plein s’il vous plaît !, Éd. du Seuil, 2005, p.
124.
– « Le socialisme a été incapable d’intégrer la critique écologiste... » :
voir Besset, Jean- Paul, Comment ne plus être progressiste... sans de-
venir réactionnaire, Fayard, 2005.
126/149
Chapitre II. Crise
écologique, crise sociale
– « Au cours de l’hiver 2005-2006... » : Bissuel, Bertrand, « La
fréquentation des centres pour sans-abri a augmenté significativement
», Le Monde, 22 avril 2006.
– « de plus en plus de gens vivent dans des caravanes » : selon Claire
Cossée, du CNRS, citée par Chabaud, Christelle, « Caravanes de la pré-
carité », L’Humanité Hebdo, 14 et 15 janvier 2006.
– « 120 millions d’enfants vivant seuls... » : Prolongeau, Hubert, « Des
enfants dans la rue », www.lattention.com, consulté en avril 2006.
– En 2004, en France, près de 3,5 millions... » : Hofstein, Cyril, « Ces
hommes et ces femmes à la dérive », Le Figaro Magazine, 28 avril
2006.
– « Selon l’ONPES ... » : Poy, Cyrille, « Un bilan très alarmant »,
L’Humanité Hebdo, 25 et 26 février 2006.
– « Il était début 2006 de 1 254 euros... » : Poy, Cyrille, ibid. – « En
Suisse, l’association Caritas... » : Roustel, Damien, « La pauvreté
gagne du terrain en Suisses, L’Humanité, 12 janvier 2006.
– « En Allemagne, la proportion de personnes... » : Benyahia-Kouider,
Odile, « Aveu de pauvreté », Libération, 16 septembre 2005.
– « En Grande-Bretagne, elle atteint 22 %... » : Fahmy, Eldin, et Gor-
don, David, « La pauvreté et l’exclusion sociale en Grande-Bretagne »,
Économie et Statistique, no 383-384-385, 2005, p. 110.
127/149
– « Aux États-Unis, 23 % de la population... » : Mistral, Jacques, «
Aux États-Unis, il n’y a pas d’exclus, il y a des pauvres », Alternatives
économiques, mai 2006.
– « Au Japon, le nombre de ménages... » : Pons, Philippe, « La hausse
des inégalités crée un Japon à deux vitesses », Le Monde, 3 mai 2006.
– « ...employés de la mairie de Paris ont perdu leur logement » : Gar-
in, Christine, « Des agents de la Ville de Paris se retrouvent sans domi-
cile fixe », Le Monde, 19 septembre 2005.
– « Comme l’explique l’économiste Jacques Rigaudiat... » : Rigaudiat,
Jacques, « 20 millions de précaires en France », propos recueillis par
Cyrille Poy, L’Humanité, 3 mars 2006.
– « L’ONPES confirme » : Poy, Cyrille, « Un bilan très alarmant »,
L’Humanité Hebdo, 25 et 26 février 2006.
– « ...pour Pierre Concialdi... » : Concialdi, Pierre, « Entre 1,3 et 3,6
millions de travailleurs pauvres », propos recueillis par Christelle
Chabaud, L’Humanité Hebdo, 14 et 15 janvier 2006.
– « Selon Franz Müntefering... » : Müntefering, Franz, interview par le
Financial Times Deutschland du 3 avril, cité dans Le Monde du 4 avril
2006
– « Selon le Réseau d’alerte sur les inégalités... » : Réseau d’alerte sur
les inégalités, « Baromètre des inégalités et de la pauvreté, édition
2006 : Bip40 poursuit sa hausse », 2006, www.bip40.org
– « L’INSEE estime cependant que le taux de pauvreté ... » : Del-
berghe, Michel, « Selon l’INSEE, le pouvoir d’achat des ménages a
augmenté de 1,4 % en 2004 », Le Monde, 11 novembre 2005, citant :
INSEE, France, Portrait social 2005-2006, novembre 2005.
128/149
– « Il y a une inversion de tendance... » : Louis Maurin, communica-
tion personnelle, juin 2006.
– « ... observe Martin Hirsch » : Hirsch, Martin, « Les formes mod-
ernes de la pauvreté », in La Nouvelle Critique sociale, Éd. du Seuil,
2006, p. 78.
– « Pour Jacques Rigaudiat ... » : Rigaudiat, Jacques, « 20 millions de
précaires en France », propos recueillis par Cyrille Poy, L’Humanité, 3
mars 2006.
– « ... relève le PNUD » : PNUD (Programme des Nations unies pour
le développement), Rapport mondial sur le développement humain
2005, Economica, 2005, p. 3 et 4.
– « ... 2,4 milliards n’ont pas de sanitaires corrects » : PNUE (Pro-
gramme des Nations unies pour l’environnement), L’Avenir de l’en-
vironnement mondial 3-GE0 3, De Boeck Université, 2002, p. 152.
– « L’espérance de vie augmente... » : PNUE, ibid., p. 33 ; PNUD,
ibid., p. 21. – « ... la pauvreté extrême a reculé... » : PNUD, ibid., p.
22.
– « La part de la population vivant avec moins de un dollar... » : Insti-
tut Worldwatch, L’État 2006 de la planète, op. cit., p. 6. – « De même,
la Chine... » : FAO, L’État de l’insécurité alimentaire dans le monde
2003, 2003, p. 6.
– « Depuis le milieu des années 1990... » : PNUD, Rapport mondial
sur le développement humain 2005, op. cit., p. 37.
– « On évaluait ainsi à 800 millions... » : FAO, L’État de l’insécurité
alimentaire dans le monde 2003, 2003.
129/149
– « ... deux milliards d’humains souffrent de carences... » : Marcel
Mazoyer, cité par Kempf, Hervé, « Alerte pour 800 millions d’hommes
sous-alimentés », Le Monde, 10 juin 2002.
– « L’Inde elle-même voit le nombre de ses concitoyens... » : FAO,
L’État de l’insécurité alimentaire dans le monde 2005, 2005, p. 30.
– « L’inflexion de tendance... » : cité par Kempf, Hervé, « La faim dans
le monde augmente à nouveau », Le Monde, 27 novembre 2003.
– « ... un milliard de citadins vivent dans des bidonvilles... » :UN-Hab-
itat, State of the World’s Cities 2006/7, Earthscan, 2006, p. IX.
– « En France, selon l’INSEE, le revenu brut moyen... » : Delberghe,
Michel, « Selon l’INSEE, le pouvoir d’achat des ménages a augmenté
de 1,4 % en 2004 », Le Monde, novembre 2005.
– « ... depuis une vingtaine d’années, la condition salariale... » : Con-
cialdi, Pierre, « Entre 1,3 et 3,6 millions de travailleurs pauvres », pro-
pos recueillis par Christelle Chabaud, L’Humanité Hebdo, 14 et 15 jan-
vier 2006.
– « Pour l’économiste Thomas Piketty ... » : L’Économie des inégalités,
La Découverte, coll. « Repères »,2004, p. 19.
– « En fait, une étude menée par Piketty... » : Piketty et Saez, « The
evolution of top incomes : a historical and international perspective »,
NBER Working Papers, no 11955, janvier 2006.
– « Aux États-Unis, résume The Economist... » : « Even higher soci-
ety, ever harder to ascend », The Economist, 29 décembre 2004.
– « L’inégalité a crû régulièrement... » : Seligman, Dan, « The inequal-
ity imperative », Forbes, 10 octobre 2005, p. 64.
130/149
– « Au Japon, observe le journaliste... » : Pons, Philippe, « Adachi : un
cas de paupérisation silencieuse », Le Monde, 3 mai 2006.
– « À ce moment, les inégalités ont commencé à se creuser... » : Pons,
Philippe, « La hausse des inégalités crée un Japon à deux vitesses »,
Le Monde, 3 mai 2006.
– « Au milieu des années 1950... » : Maurin, Louis, « La société de l’in-
égalité des chances », Alternatives économiques, février 2006.
– « ... note l’économiste Louis Chauvel » : Chauvel, Louis, « Déclasse-
ment : les jeunes en première ligne », hors-série Alternatives
économiques, no 69, 3e trimestre 2006, p. 50.
– « Les disparités en sont beaucoup plus fortes... » : Piketty, Thomas,
L’Économie des inégalités, op. cit., p. 14.
– « Si, en matière de pouvoir d’achat... » : Nathan, Hervé, et al., «
Ceux qui possèdent la France », Marianne, 26 août 2006.
– « Au Guatemala en 1997 » : Henriette Geiger, représentante de
l’Union européenne au Guatemala, communication personnelle, oc-
tobre 2001.
– « Généralement, l’Amérique latine et l’Afrique... » : PNUD, Rapport
mondial sur le développement humain 2005, op. cit., p. 38 et 53.
– « En Inde... » : ibid., p. 32. – « En Chine, résume... » : Lantz,
François, « Chine : les faiblesses d’une puissance », Alternatives
économiques, mars 2006.
– « Un patron chinois, Zhang Xin... » : cité par Bartiromo, Maria, «
What they said at Davos », Business Week, 6 février 2006.
131/149
– « Selon le PNUD, il ne diminue plus ... » : PNUD, Rapport mondial
sur le développement humain 2005, op. cit., p. 27.
– « Non seulement les pays les plus pauvres... » : ibid., p. 39.
– « Le Sud ne peut pas amortir les effets négatifs ... » : Narain, Sunita,
« Préface », L’État 2006 de la planète, Institut Worldwatch.
– « ... relève André Cicolella... » : Cicolella, André, « Santé sacrifiée »,
Politis, 13 avril 2006.
– « ... en Chine, avertit Zhou Shenxian... » : « Pollution fuelling social
unrest -chinese official », Agence Reuters, 21 avril 2006.
– « Villages du cancer » : Grangereau, Philippe, « Xiditou, "village du
cancer" sacrifié à la croissance chinoise », Libération, 11 avril 2006.
– « 74 000 en 2004 » : Koller, Frédéric, « Chine : le mal paysan », Al-
ternatives économiques, février 2006.
– « ... 6 paysans tués par la police... » : « Fat of the land », The
Economist, 25 mars 2006.
– « 39 assassinats en 2004 » : Selon la Commission pastorale de la
Terre, citée par Agence Reuters, « Brazil land conflicts worst in dec-
ades – report », 20 avril 2005.
– « Dans de nombreux cas, constatent les experts... » : Millenium
Ecosystem Assessement, Living beyond our Means. Statement frorn
the Board, mars 2005, p. 1920.
– « ... deux tiers de ceux qui subsistent... » : PNUD, Rapport mondial
sur le développement humain 2005, op. cit., p. 10.
132/149
– « ... ce que certains appellent le libre-échange... » : Dufumier, Marc,
« Pour une émigration choisie : le commerce équitable », non publié,
mai 2006. Voir Dufumier, Marc, Agriculture et Paysanneries des Tiers
mondes, Karthala, 2004.
Chapitre III. Les puissants
de ce monde
– « Oligarchie : définition du Petit Larousse 2005.
– « Barons voleurs » : voir Debouzy, Marianne, Le Capitalisme «
sauvage » aux États- Unis, 1860-1900, Éd. du Seuil, 1972.
– « Entre 2000 et 2004, les émoluments... » : Jaillette, JeanClaude et
al., « Revenus 1995-2005. Les gagnants et les perdants », Marianne, 4
mars 2006.
– « ... selon le cabinet d’études Proxinvest... » : Proxinvest, Commu-
niqué de presse, « Rapport 2005 sur la rémunération des dirigeants
des sociétés cotées », 22 novembre 2005.
– « Les patrons français les mieux payés ... » : Declairieux, Bruno, «
Salaires des patrons : encore une année faste ! », Capital, décembre
2005.
– « Depuis 1998, les émoluments... » : Philippon, Thierry, « Monsieur
250 millions d’euros », Le Nouvel Observateur, 8 juin 2006.
– Jetons de présence : Philippon, ibid.
133/149
– « ... selon une étude de Standard & Poor... » : Geller, Adam, « Rise
in pay for CEOs slows but doesn’t stop », International Herald
Tribune, 20 avril 2006.
– Salaires des patrons de Sonoco, etc., et primes de départ de Lee Ray-
mond et autres dirigeants américains : Geller, Adam, ibid. ; Tarquinio,
Alex, « Oil prices push upward, and bosses’ pay follows », New York
Times, repris par Le Monde du 22 avril 2006.
– Scandale Jacques Calvet : Porquet, Jean-Luc, Que les gros salaires
baissent la tête !, Michalon, 2005, p. 16.
– Peter Drucker : cité par Belot, Laure, et Orange, Martine, « Les avis
de Peter Drucker et Warren Buffet », Le Monde, 23 mai 2003.
– « Entre 1995 et 2005, le revenu tiré des dividendes... » : Jaillette,
Jean-Claude et al., « Revenus 1995-2005. Les gagnants et les perdants
», Marianne, 4 mars 2006.
– Citation de Rochefort : Rochefort, Robert, « La France, un pays
riche ! », La Croix, 16 janvier 2006.
– « Les agents de la finance accumulent... » : Roche, Marc, « 3 000
banquiers de la City auront un bonus de plus de 1 million de livres »,
Le Monde, 31 décembre 2005.
– « La firme de conseil financier Goldman... » : ibid.
– « Greenwich, près de New York... » : Schurr, Stephen, « A day in the
life of America’s financial frontier boom town », Financial Times, 13
mars 2006.
– Beresford cité par : Poirier, Agnès Catherine, « Par ici la money »,
Télérama, 3 mai 2006.
134/149
– « La multiplication du nombre de milliardaires... » : Kroll, Luisa et
Fass, Allison, « Billionaire bacchanalia », Forbes, 27 mars 2006.
– « Une somme qui équivaut... » : CADTM, communiqué de presse du
10 mars 2006, « Le CADTM demande un impôt exceptionnel sur la
fortune cumulée des 793 milliardaires distingués par Forbes ».
– « Une autre façon d’apprécier la chose... » : PNUD, Rapport mondial
sur le développement humain 2005, op. cit., p. 40.
– James Simons et autres : Taub, Stephen, « Really big bucks », Insti-
tutional Investor’s Alpha, mai 2006, et Prudhomme, Cécile, « Les
"hedge funds" enrichissent les "papys" de la finance », Le Monde, 4 et
5 juin 2006.
– « Forbes recense 33 milliardaires... » : Kroll, Luisa et Fass, Allison, «
Billionaire bacchanalia », Forbes, 27 mars 2006.
– « Et sur les 8,7 millions de millionnaires... » : Rousseau, Hervé, «
Les riches, toujours plus riches et plus nombreux », Le Figaro, 21 juin
2006 ; Day, Maguy, « Le nombre des très riches a crû de 500 000
dans le monde en 2005 », Le Monde, 23 juin 2006.
– « Dans les pays de l’ex-Union soviétique... » : Amalric, Jacques, « La
Russie, propriété de Poutine », Alternatives internationales, juin 2006
; Chol, Éric, « Les oligarques débarquent », L’Express, 15 juin 2006.
– « Comme l’observe un commentateur russe... » : Volkov, Vladimir, «
Forbes’s billionaires list and the growth of inequality in Russia »,
www.wsws.org, 3 avril 2006.
– Paris-Match sur Mittal : Labrouillère, François, « Le Meccano du roi
de l’acier Mittal », Paris-Match, 4 mai 2006.
135/149
– « ... en Allemagne, les patrons ont obtenu du chancelier Schröder...
» : Benyahia- Kouider, Odile, « Aveu de pauvreté », Libération, 16
septembre 2005. « ... le Premier ministre Koizumi y a ajouté... » :
Pons, Philippe, « La hausse des inégalités crée un Japon à deux vit-
esses », Le Monde, 3 mai 2006.
– « Selon l’observatoire français... » : cité par Maurin, Louis, « La so-
ciété de l’inégalité des chances », Alternatives économiques, février
2006.
– Étude de l’Urban Institute : citée par Leser, Éric, « Le Congrès pro-
longe les baisses d’impôts sur les dividendes », Le Monde, 13 mai
2005.
– « Si la justice vient à manquer... » : Saint Augustin, La Cité de Dieu,
IV, 4, cité par Maillard, Jean de, Un monde sans loi, Stock, 1998.
– « George Bush est le fils... » : « Even higher society, ever harder to
ascend », The Economist, 29 décembre 2004.
– « ... M. Pinault convie ses relations... » : Servat, Henry-Jean, «
François Pinault, L’invitation au palais », Paris-Match, 4 mai 2006. –
« À l’université d’Harvard... » : « Even higher society, ever harder to
ascend », The Economist, 29 décembre 2004.
– « Au Japon, on déplore... » : Pons, Philippe, « Adachi : un cas de
paupérisation silencieuse », Le Monde, 3 mai 2006.
– « L’histoire racontée par Forbes... » : Blakeley, Kiri, « Bigger than
yours », Forbes, 27 mars 2006.
– « Lequel Octopus... » : Funès, Nathalie, et Tissier, Corinne, « Leur
incroyable mode de vie », Le Nouvel Observateur, 24 novembre 2005.
136/149
– « Les hyper-riches français... » : ibid.
– « Voici quelques objets... » : « The price of living well », Forbes, 10
octobre 2005.
– « ... on peut engloutir 241 000 dollars en une nuit... » : Levenson,
Eugenia, « The weirdiest CEO moments of 2005 », Fortune, 12
décembre 2005.
– « ... installer la climatisation... » : Brafman, Nathalie, et Delhomais,
Pierre-Antoine, « Le club des très riches se mondialise », Le Monde, 15
décembre 2005.
– « La Bentley 728 : Roberts, Dexter, et Balfour, Frederik, « To get
rich is glorious », Business Week, 6 février 2006.
– « ... la plus rapide, la Koenigsegg CCR... » : « Inproducts », Business
Week, 19 juin 2006.
– « ... en Chine, c’est le Chang An Club ... » : Roberts, Dexter, op. cit.
– « ... un centre de gymnastique sérieux... » : Yara, Susan, « Super
Gyms for the super rich », Forbes, 27 avril 2006.
– « Un garçon fortuné, comme Joseph Jacobs... » : Schurr, Stephen, «
A day in the life of America’s financial frontier boom town », Financial
Times, 13 mars 2006.
– « Bernard Arnault rachète à Betty Lagardère... » : Le Grix, Yves, «
Dans les belles demeures, il n’y a pas de plafond », Challenges, 13 juil-
let 2006.
– « David de Rotschild vit... » : Funès, Nathalie, op. cit.
137/149
– « ... la propriété de Silvio Berlusconi... » : « La Sardaigne taxe les
riches », Le Nouvel Observateur, 11 mai 2006.
– « ... celle de Jean-Marie Fourtou... » : Tuquoi, Jean-Pierre, Majesté,
je dois beaucoup à votre père..., Albin Michel, 2006, p. 53 et 136.
– « La collection artistique... » : Funès, Nathalie, op. cit.
– « ... un banquier londonien ... » : Roche, Marc, « 3 000 banquiers de
la City auront un bonus de plus de 1 million de livres », Le Monde, 31
décembre 2005.
– « Jacques Chirac à l’hôtel Royal Palm... » : Paris-Match du 4 août
2000, cité par Robert-Diard, Pascale, et Vulser, Nicole, « "Paris-
Match" présente ses excuses à M. Chirac », Le Monde, 5 août 2000.
– « Dominique Strauss-Kahn... » : Giret, Vincent, et Le Billon, Véro-
nique, Les Vies cachées de DSK, Éd. du Seuil, 2000, p. 120.
– « ... Thierry Breton, alors patron... » : Funès, Nathalie, op. cit.
– « On aura à coeur d’aménager... » : « Les ailes coupées de la So-
germa », L’Humanité, 6 avril 2006.
– « Le Falcon 900 EX : Publicité Dassault-Falcon, « Leave your com-
petition at the fuel truck », Forbes, 10 octobre 2005.
– « Il en coûte 20 millions de dollars... » : Leser, Éric, « Bientôt en lib-
rairie, le "guide du touriste de l’espace" », Le Monde, 2 novembre
2005.
– Virgin Galactic : Ducros, Christine, « Décollage imminent pour le
tourisme spatial », Le Figaro, 18 avril 2006.
138/149
– Sous-marin Phoenix : « US Submarines », How to Spend it, supplé-
ment du Financial Times, juin 2006.
– « François Pinault invite à Venise... » : Servat, Henri-Jean, op. cit. –
Le mariage de Delphine Arnault : Paris-Match, 22 septembre 2005.
– « ... les filles s’appellent Chloé... » : Cottenceau, Isabelle, « Jeunes,
riches, un enfer ! », Paris-Match, 4 mai 2006.
– Paris Hilton : Caracalla, Laurence, « Paris Hilton », Le Figaro
Magazine, 28 avril 2006 ; « C’est fini entre Paris Hilton et Stavros Ni-
archosn, Associated Press, 3 mai 2006.
– « Aux États-Unis, elles habitent de plus en plus souvent... » : Lesnes,
Corine « Dans les cités idéales de l’american way of life », Le Monde 2,
15 janvier 2005 ; Kremer, Pascale, « À l’abri derrière les grilles », Le
Monde 2, 26 novembre 2005.
– « ... selon la National Association of Homebuilders... » : Ko-
cieniewski, David, « After an $8 000 garage make-over, there’s even
room for the car », New York Times, reproduit dans Le Monde du 18
mars 2006.
– « Le phénomène se reproduit en Amérique latine... » : Barajas, Luis
Felipe Cabrales, « Gated communities are not the solution to urban in-
security », in UN-Habitat, State of the world’s cities 2006/7, Earths-
can, 2006, p. 146.
– « Ma crainte, aujourd’hui, c’est que les exigences de sécurité... » :
cité par Kremer, Pascale, op. cit.
139/149
Chapitre IV. Comment
l’oligarchie exacerbe la
crise écologique
– « Raymond Aron, qui était... » : Aron, Raymond, « Avez-vous lu
Veblen ? », in Veblen, Thorstein, Théorie de la classe de loisir, Galli-
mard, coll. « Tel », 1970, p. VIII.
– Biographie de Veblen :Heilbroner, Robert, Les Grands Économistes,
Éd. du Seuil, 1971.
– « ... de ce que les historiens ont appelé le capitalisme sauvage » : De-
bouzy, Marianne, Le Capitalisme « sauvage » aux États-Unis,
1860-1900, Éd. du Seuil, 1972.
– « La tendance à rivaliser... » : Veblen, Thorstein, Théorie de la classe
de loisir, op. cit., p. 73. – « Si l’on met à part l’instinct de conserva-
tion... » : ibid., p. 74.
– Citation de Smith : Smith, Adam, Théorie des sentiments moraux,
PUF, 1999, p. 254255. – « ... un système général d’économie et de
droit » : Mauss, Marcel, Essai sur le don, 1923-1924, Université du
Québec à Chicoutimi (publié sur Internet), p. 94.
– « Toute classe est mue par l’envie ... » : Veblen, Thorstein, Théorie
de la classe de loisir, op. cit., p. 69. – « ...la classe de loisir... se tient au
faîte de... » : ibid., p. 57.
140/149
– « Le rendement va augmentant... » : ibid., p. 74. – « Ce qui compte
pour l’individu... » : ibid., p. 122.
– « ... pour Alain Minc, il s’agit de l’ensemble... » : Minc, Alain, Le
Crépuscule des petits dieux, Grasset, 2005, p. 99.
– « Citoyens ordinaires de pays riches... » : Peyrelevade, Jean, Le Cap-
italisme total, Éd. du Seuil, 2005, p. 53. – « On a ainsi récemment
montré que le niveau de satisfaction... » : Clark, A. E., et Oswald, A., «
Satisfaction and comparison income », Journal of Public Economics,
vol. 61 (3), p. 359, 1996, cité par Bowles, Samuel & Park, Yongjin, «
Emulation, inequality, and work hours : was Thorsten Veblen right ?
», The Economic Journal, novembre 2005.
– « Ou que les foyers dont le revenu est inférieur... » : Schor, J., The
Overspend American : Upscaling, Downshifting, and the New Con-
sumer, Basic Books, 1998, cité par Bowles, Samuel, et Park, Yongjin,
ibid.
– « En novembre 2005, la Royal Economic Society... » : Bowles,
Samuel, et Park, Yongjin, « Emulation, inequality, and work hours :
was Thorsten Veblen right ? », The Economic Journal, novembre
2005.
– « Selon l’économiste Thomas Piketty... » : Piketty, Thomas,
L’Économie des inégalités, La Découverte, coll. « Repères », 2004, p.
19.
– « ... même en Chine où, malgré une extraordinaire... » : Somavia,
Juan, « 430 millions de gens en plus sur le marché du travail dans les
dix ans », propos recueillis par Jean- Pierre Robin, Le Figaro, 20 juin
2006.
141/149
– « La théorie des marchés. » : ibid. – « Dans ses Perspectives de l’en-
vironnement... » : OCDE, Perspectives de l’environnement, OCDE,
2001.
Chapitre V. La démocratie
en danger
– Article sur la B61-11 : Kempf, Hervé, « "Mininuke", la bombe secrète
», Le Monde, 21 novembre 2001.
– « L’espèce d’oppression dont les peuples démocratiques... » : Toc-
queville, Alexis de, De la démocratie en Amérique, Gallimard, coll. «
Bibliothèque de la Pléiade », 1992, p. 836.
– Système Échelon : Rivière, Philippe, « Le système Échelon », Le
Monde diplomatique, juillet 1999. – « ... tous d’ailleurs des hommes et
des femmes impliqués... » : Grauwin, Christophe, La Croisade des
camelots, Fayard, 2004. – Le Patriot Act : ibid., p. 30 sq.
– « Il a fallu cinq ans pour que la presse... » : Lesnes, Corine, « M.
Bush défend la légalité des mesures de surveillance », Le Monde, 13
mai 2006.
– « De même, on apprit que la NSA... » : Gélie, Philippe, « "Big Broth-
er" espionne les citoyens américains », Le Figaro, 13 mai 2006.
– « La NSA, qui dépend du ministère de la Défense... » : Leser, Éric, «
National security agency : les oreilles de l’Amérique », Le Monde, 1er
juin 2006.
142/149
– « D’abord prévu pour être temporaire... » : Lichtblau, Eric, et Risen,
James, « Bank data is sifted by U.S. in secret to block terror », New
York Times, 23 juin 2006.
– « ... une législation adoptée en 2001 dispose... » : Henno, Jacques,
Tous fichés, Télémaque, 2005, p. 152.
– « Pour ce qui concerne l’Union européenne... » : Rivais, Rafaële, «
Fichiers passagers : le Parlement européen peut être contourné », Le
Monde, 1er juin 2006.
– « En tout cas, le dispositif ... » : Lesnes, Corine, « La liste des "inter-
dits de vol" par les autorités américaines comprend au moins trente
mille noms », Le Monde, 19 mai 2006.
– « ... l’auteur d’un livre sur M. Bush... » : il s’agit de Moore, James,
Bush’s Brain, Wiley, 2003.
– « ... Harry Harris a alors jugé que les suicides... » : cité par Lesnes,
Corine, « Trois suicides à Guantfinamo : Bush ne cède pas », Le
Monde, 13juin 2006.
– « ... son conseiller Alberto Gonzales... » : Gonzales, Alberto,
Memorandum for the president. Decision Re application of the
Geneva convention on prisoners of war to the conflict with Al Qaeda
and the Taliban, 25 janvier 2002, publié par Newsweek le 24 mai
2004.
– « ... a résumé Larry Fox ... » : Cowell, Alan, « Rights group assails
"war outsourcing" », International Herald Tribune, 24 mai 2005.
– « ... technique renforcée d’interrogatoire » : Marty, Dick, Allégations
de détentions secrètes et de transferts interétatiques illégaux de
143/149
détenus concernant des États membres du Conseil de l’Europe, Con-
seil de l’Europe, juin 2006, p. 2.
– « En 2006, près de 14 500 suspects... » : Daniel, Sara, « Tortion-
naires sans frontières », Le Nouvel Observateur, 12 janvier 2006.
– Plusieurs pays européens se sont prêtés ... : Marty, Dick, Alléga-
tions..., op. cit.
– « La secrétaire d’État, Condoleezza Rice... » : citée par Lesnes, Cor-
ine, « Washington stigmatise les abus et les violences pratiqués par
plusieurs pays arabes, dont l’Irak », Le Monde, 10 mars 2006.
– « La Russie adopte en février 2006... » : Jego, Marie, « La Russie se
dote d’une nouvelle loi antiterroriste », Le Monde, 28 février 2006.
– « En Allemagne, les Lander... » : « Trawling for data illegal, German
court rules », International Herald Tribune, 24 mai 2006.
– « En Grande-Bretagne, début 2006... » : Langellier, Jean-Pierre, «
Londres accusé de violation des droits de l’homme », Le Monde, 24
février 2006.
– « Peu auparavant, le Premier ministre Blair... » : Rivais, Rafaële, et
Stroobants, Jean- Pierre, « Inquiétude croissante en Europe sur la re-
mise en cause de l’État de droit », Le Monde, 23 décembre 2005. – «
La Belgique introduit... » : ibid.
– « En France, le Parlement adopte... » : Syndicat de la magistrature,
« Observations sur le projet de loi no 2615 », novembre 2005. Roger,
Patrick, « La France durcit pour la huitième fois en dix ans son arsenal
antiterroriste », Le Monde, 23 décembre 2005.
144/149
– « Nous sommes une nation en guerre... » : National Security
Strategy, mars 2006, www.whitehouse.gov/nsc/nss/2006/
– « Tapons par exemple... » : Consultation le 31 août 2006. Le 1er juil-
let, les scores étaient de 223 millions pour terrorism » et de 219 mil-
lions pour « democracy ».
– « Comme l’écrit l’intellectuel... » : Belhaj Kacem, Mehdi, La
Psychose française, Gallimard, 2006, p. 40.
– « Aux États-Unis, le nombre de prisonniers... » : « Mille détenus de
plus par semaine aux États-Unis entre mi-2004 et mi-2005 », Le De-
voir, 23 mai 2006. – « ... le Congrès a dû mettre en place... » : Human
Rights Watch, World Report 2006, 18 janvier 2006.
– « Par ailleurs, la qualité des soins médicaux... » : ibid.
– « ... selon les statistiques du Bureau américain... » : « Mille
détenus... », op. cit.
– Nombre de prisonniers en France : Ministère de la Justice, Annuaire
statistique de la Justice, édition 2006, La Documentation française,
2006. « Depuis trente ans, le nombre de détenus n’a cessé d’aug-
menter », Le Monde, 17 février 2006.
– « ... la baisse engagée en 1996... » : Guérin, Geneviève, « La popula-
tion carcérale », ADSP, no 44, septembre 2003.
– « C’est moins qu’en Allemagne... » : International Center for Prison
Studies, www.prisonstudies.org, consulté en août 2006.
– Les lois sécuritaires en France : « Les lois sécuritaires Sarkozy-Per-
ben », Section de Toulon de la Ligue des droits de l’homme, 14 juin
2004. « Les principales mesures du projet de loi sur la prévention de
145/149
la délinquance », Le Monde, 28 juin 2006. Sainati, Gilles, « Justice
2006 : petites cuisines et dépendance », mai 2006.
– « ... le gouvernement refuse la tenue de référendums... » : Kempf,
Hervé, « Déchets nucléaires : les populations réclament un référen-
dum local », Le Monde, 14 septembre 2005.
– « ... la loi de 2003 en exige 10 %... » : Loi du 1er août 2003 relative
au référendum local.
– « ... dissimule aux députés qui débattent... » : Kempf, Hervé, « Le
gouvernement a caché des informations aux députés », Le Monde, 22
octobre 2004.
– « En janvier 2006, par exemple... » : « Trois faucheurs volontaires
placés en garde à vue pendant quelques heures », Le Monde, 13 janvi-
er 2006.
– « Malheureux hasard, le fichier britannique... » : Thoraval, Armelle,
« Londres : le fichier ADN grossit, l’inquiétude aussi », Libération, 17
janvier 2006.
– « 4 millions de caméras en 2004... » : Norris, Clive, et al., « The
growth of CCTV », Surveillance and Society, 2004, 2 (2/3) : 110-135.
Voir www.surveillance-andsociety. org.
– « Les responsables de la police se réjouissent » : Connor, Steve, «
You are being watched », The Independent, 22 décembre 2005.
– « ... un service de recherche du ministère anglais... » : ibid.
– « Des inventeurs privés créent... » : Eudes, Yves, « "Mosquito",
l’arme de dissuasion repousse-ados », Le Monde, 15 juin 2006.
146/149
– « Les transpondeurs ont la capacité informatique... » : Aberganti,
Michel, « Mille milliards de mouchards », Le Monde, 2 juin 2006.
– « L’association Pièces et main-d’oeuvre... » : Pièces et main-
d’oeuvre, « RFID : la police totale », 7 mars 2006,
<pmo.erreur404.org/RFID-la_police_totale.pdf>.
– « Un journaliste anglais imagine... » : Monbiot, George, « Chipping
away at our freedom », The Guardian, 28 février 2006.
– « ... clients fidèles de la discothèque Baja Beach Club... » : Eudes,
Yves, « Digital boys », Le Monde, 11 avril 2006.
– « ... deux employés de la société Citywatcher... » : Monbiot, Georges,
op. cit.
– « Aux États-Unis, le directeur de Verychip... » : Sur Fox News, le 16
mai 2006. Transcrit et cité par le site Internet www.spychips.com.
– « Certains prisonniers vont ainsi... » : Réju, Ernmanuelle, « Le
premier bracelet électronique mobile va être expérimenté », La Croix,
23 mai 2006.
– « Quand ceux-ci quittent la zone autorisée... » : Richtel, Matt, «
Marketing surveillance to parents who worry », New York Times, re-
pris par Le Monde du 13 mai 2005.
– « ... n’est-ce pas un hebdomadaire dit libéral... » :Alter, Jonathan, «
Time to think about torture », Newsweek, 5 novembre 2001.
– « Je pense que la presse était muselée... » : « Irak : une journaliste
vedette de CNN critique les médias américains », Agence France
Presse, 16 septembre 2003.
147/149
– « ... il a placé à la "une" de longues enquêtes, en septembre 2002 » :
Gordon, Michael, et Miller, Judith, « U.S. says Hussein intensifies
quest for A-bomb parts », The New York Times, 8 septembre 2002.
– « …et en avril 2003... » : Miller, Judith, « After effects : prohibited
weapons ; illicit arms kept till eve of war, an iraqi scientist is said to
assert », The New York Times, 21 avril 2003. – « Une étude de la
couverture de 1 600 journaux télévisés... » : Rendall, Steve, et
Broughel, Tara, « Amplifying officials, squelching dissent », FAIR,
www.fair.org, mai 2003.
– « étaient là tous les patrons de presse... » : Servat, Henry-Jean, «
Franqois Pinault, L’invitation au palais », Paris-Match, 4 mai 2006.
– « À Hong Kong, par exemple ... » : Le Belzic, Sébastien, « Falungong
fait de la résistance », Le Monde 2, 15 avril 2006.
– « ... sous la plume d’un professeur de sociologie... » : Heinsohn,
Gunnard, « Babies win war », The Wall Street Journal, 6 mars 2006.
– « L’usage des objets ne mène qu’à leur déperdition. .. » : Baudrillard,
Jean, La Société de consommation, Gallimard, coll. « Folio », 1970, p.
56.
– « Il faut prendre les mesures... » : Jonas, Hans , Le Principe re-
sponsabilité, Éd. du Cerf, 1991, p. 200. J’ai explicité le point de vue de
Jonas sur la question de la démocratie dans : Kempf, Hervé, La
baleine qui cache la forêt, La Découverte, 1994, p. 112 sq.
– « ...l’automodération de l’humanité... » : Jonas, Hans, op. cit., p.
202. – « ... affronter l’époque d’exigences et de renoncements... » :
ibid., p. 203.
148/149
Épilogue : Au Café de la
Planète
– Guattari : Guattari, Félix, Les Trois Écologies, Galilée, 1989, p. 71.
– Dupuy : Dupuy, Jean-Pierre, Pour un catastrophisme éclairé, Éd. du
Seuil, 2002, p. 13. – Barbault : Barbault, Robert, Un éléphant dans un
jeu de quilles, Éd. du Seuil, 2006, p. 186.
– Kofi Annan : « Kofi Annan affirme que la désertification et la
sécheresse constituent de graves menaces au développement », Centre
de nouvelles de l’ONU, 17 juin 2002.
– Hama Amadou : discours lors du Sommet mondial de
l’alimentation, à Rome, juin 2002, FAO.
– Brown : Brown, Lester, Wartime Mobilization to Save the Environ-
ment and Civilization, News Release, Earth Policy Institute, 18 avril
2006.
– Laurence Tubiana. Institut Worldwatch, L’État 2006 de la planète,
Association L’état de la planète publications, Genève, 2006, p. XII-
XIII.
– Martin Hirsch : Propos recueillis par Anquetil, Gilles, et Armanet,
François, dans « Comment repenser les inégalités », Le Nouvel Obser-
vateur, 22 juin 2006.
– Somavia : Somavia, Juan, « 430 millions de gens en plus sur le
marché du travail dans les dix ans », propos recueillis par Jean-Pierre
Robin, Le Figaro, 20 juin 2006.
149/149
– Comité pour l’annulation... : CADTM, Communiqué de presse du 10
mars 2006. – FAO : FAO, « Investir dans le secteur agricole pour en-
diguer l’exode rural », communiqué de presse, 2 juin 2006.
– Programme des Nations unies... : PNUD, Rapport mondial sur le
développement humain 2005, op. cit., p. 40. – Newman : Newman,
Robert, « It’s capitalism or a habitable planet – you can’t have both »,
The Independent, 2 février 2006.
– Moore : Moore, Michael, Tous aux abris !, UGE, coll. « 10/18 »,
2004, p. 216. – Azam : in Caillé, Alain (dir.), Quelle démocratie
voulons-nous ?, La Découverte, 2006, p. 108.
– Matouk : Matouk, Jean, « Créer de nouveaux emplois avec une
faible croissance », non publié, mars 2006. – Miller : Henry Miller, Le
Cauchemar climatisé, Gallimard, 1954, p. 20.