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Bernard Lugan Histoire de L'afrique - Des Origines À Nos Jours 2e Édition ELLIPSES 2020

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Du même auteur

– Le Safari du Kaiser (récit), en collaboration avec A. de Lagrange, La Table Ronde, 1987.

– Robert de Kersauson : le dernier commando boer, éditions du Rocher, 1989.

– Villebois-Mareuil, le La Fayette de l’Afrique du Sud, éditions du Rocher, 1990.

– Cette Afrique qui était allemande, éditions Jean Picollec, 1990.

– Histoire de la Louisiane française : 1682-1804, Librairie académique Perrin, 1994.

– Afrique : de la colonisation philanthropique à la recolonisation humanitaire, éditions Bartillat, 1995.

– Afrique : l’histoire à l’endroit, Librairie académique Perrin, 1996.

– Ces Français qui ont fait l’Afrique du Sud, éditions Bartillat, 1996.

– Histoire du Rwanda : de la préhistoire à nos jours, éditions Bartillat, 1997.

– La guerre des Boers : 1899-1902, Librairie académique Perrin, 1998.

– Histoire de l’Égypte, des origines à nos jours, éditions du Rocher, 2001.

– God Bless Africa. Contre la mort programmée du continent noir, éditions Carnot, 2003.

– African Legacy. Solutions for a community in Crisis, Carnot USA Books, New York, 2003.

– Rwanda : le génocide, l’Église et la démocratie, éditions du Rocher, 2001.

– François Mitterrand, l’armée française et le Rwanda, éditions du Rocher, 2005.


e e
– Pour en finir avec la colonisation (l’Europe et l’Afrique XV -XX siècles), éditions du Rocher, 2006.

– Rwanda. Contre-enquête sur le génocide, éditions Privat, 2007.

– Histoire de l’Afrique, des origines à nos jours, éditions Ellipses, 2009

– Histoire de l’Afrique du Sud, des origines à nos jours, éditions Ellipses, 2010.

– Histoire du Maroc, des origines à nos jours, éditions Ellipses, 2011.

– Décolonisez l’Afrique, éditions Ellipses, 2012.

– Histoire des Berbères. Un combat identitaire plurimillénaire, éditions de l’Afrique Réelle, 2012, www.bernard-lugan.com.

– Mythes et manipulations de l’histoire africaine.

– Mensonges et repentance, éditions de l’Afrique Réelle, 2013, www.bernard-lugan.com.

– Les guerres d’Afrique des origines à nos jours, éditions du Rocher, 2013.

– Printemps arabe : histoire d’une tragique illusion, éditions de l’Afrique Réelle, 2013, www.bernard-lugan.com.

– Rwanda : un génocide en questions, éditions du Rocher, 2014.

– Afrique, la guerre en cartes, éditions de l’Afrique Réelle, 2014, www.bernard-lugan.com.

– Osons dire la vérité à l’Afrique, éditions du Rocher, 2015.

– Histoire et géopolitique de la Libye : des origines à nos jours, éditions de l’Afrique Réelle, 2015, www.bernard-lugan.com.

– Histoire de l’Afrique du Nord : Des origines à nos jours (Égypte, Libye, Tunisie, Algérie, Maroc), éditions du Rocher, 2016.

– Algérie : l’histoire à l’endroit, éditions de l’Afrique Réelle, 2017, www.bernard-lugan.com.

– Mai 68 vu d’en face, éditions Balland, 2018.

– Histoire militaire de la Louisiane française et des guerres indiennes, éditions Balland, 2018.
– Heia Safari ! Général von Lettow-Vorbeck. Du Kilimandjaro aux combats de Berlin (1914-1920), éditions de l’Afrique Réelle,
2018, www.bernard-lugan.com.

– Les guerres du Sahel des origines à nos jours, éditions de l’Afrique Réelle, 2019, www.bernard-lugan.com

– Les Volontaires du roi (roman historique), en collaboration avec A. de Lagrange, Balland, 2020.
Sommaire

Introduction

PREMIÈRE PARTIE
L’AFRIQUE DES ORIGINES JUSQU’AU VIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
Chapitre I. L’Afrique jusque vers ± 3 200 avant J.-C.
Chapitre II. L’Afrique du Nord et la Nubie de ± 3200 avant J.-C.
jusqu’au VIe siècle après J.-C.
Chapitre III. L’Afrique sud-saharienne de ± 2500 avant J.-C.
au VIe siècle après J.-C.

DEUXIÈME PARTIE
L’AFRIQUE DU VIIe JUSQU’AU XVe SIÈCLE
Chapitre I. L’Afrique du Nord aux VIIe et VIIIe siècles
Chapitre II. L’Afrique du Nord du IXe au XVe siècle
Chapitre III. L’Afrique sud-saharienne du VIIe siècle au XVe siècle

TROISIÈME PARTIE
L’AFRIQUE DU XV SIÈCLE JUSQU’AU XVIIIe SIÈCLE
e

Chapitre I. L’Afrique aux XVe et XVIe siècles


Chapitre II. L’Afrique sud-saharienne du XVIe au XVIIIe siècle
Chapitre III. L’Afrique du Nord au XVIIe et XVIIIe siècle
Chapitre IV. Les traites esclavagistes

QUATRIÈME PARTIE
L’AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE : 1800-1884
Chapitre I. L’Afrique du Nord de 1800 à 1880
Chapitre II. L’Afrique sud-saharienne de 1800 à ± 1880

CINQUIÈME PARTIE
L’AFRIQUE DE 1885 À 1914
Chapitre I. La Grande-Bretagne en Afrique
Chapitre II. La France en Afrique
Chapitre III. L’Allemagne et l’Afrique
Chapitre IV. Les autres nations coloniales (Belgique, Portugal, Italie et
Espagne)

SIXIÈME PARTIE
L’AFRIQUE DE 1914 À 1945
Chapitre I. Le premier conflit mondial
Chapitre II. L’Afrique de 1919 à 1939
Chapitre III. Le second conflit mondial et ses conséquences

SEPTIÈME PARTIE
LES DÉCOLONISATIONS
Chapitre I. La décolonisation française
Chapitre II. La décolonisation britannique
Chapitre III. Les autres décolonisations

HUITIÈME PARTIE
L’AFRIQUE DE 1960 À 2020
Chapitre I. L’Afrique entre blocages, débats et mutations
Chapitre II. L’Afrique du Nord
Chapitre III. L’Ouest africain atlantique de 1960 à 2020
Chapitre IV. L’espace saharo-sahélien
Chapitre V. Le golfe de Guinée
Chapitre VI. La Corne de l’Afrique
Chapitre VII. Au centre du continent
Chapitre VIII. L’Afrique australe

Bibliographie

Index
Introduction

Le long déroulé de l’histoire du continent africain est rythmé par


plusieurs mutations ou ruptures qui se produisirent selon une périodisation
différente de celle de l’histoire européenne. De plus, alors qu’en Europe les
grands phénomènes historiques ou civilisationnels furent continentaux1,
dans les Afriques, ils eurent le plus souvent des conséquences uniquement
régionales, sauf dans le cas de la colonisation.
1. La première mutation africaine découle des changements climatiques2
qui débouchèrent sur une succession d’épisodes secs et d’autres
humides, à l’intérieur desquels se fit la mise en place des populations.
Leurs manifestations et leurs conséquences ne furent pas les mêmes en
Afrique de l’Ouest, en Afrique orientale et australe3. Dans la vallée du
Nil, elles expliquent le « miracle » égyptien.
2. La seconde se produisit avec l’islamisation de l’Afrique du Nord
aux VIIe-VIIIe siècles, qui entraîna :
– la cassure nord-sud du monde méditerranéen4 et l’apparition d’un front
mouvant entre chrétienté et islam qui ne fut stabilisé qu’au XVIIe siècle ;
– l’orientation de toute l’Afrique du Nord, jusque-là tournée vers le
monde méditerranéen, vers l’Orient ;
– une mutation en profondeur de la berbérité avec l’apparition d’États
berbères islamisés qui adoptèrent les hérésies affaiblissant le monde
musulman et cela afin de se dégager de l’emprise arabe.
3. La troisième5 fut une conséquence des Grandes Découvertes, quand les
puissances maritimes européennes firent basculer vers l’océan le cœur
économique et politique du continent qui, depuis des siècles, battait
dans les régions du Sahel. Ce fut, selon l’historien portugais Magalhaes
Godinho (1969) « la victoire de la caravelle sur la caravane ». Même
si cette formule parlante doit être limitée dans sa portée historique, elle
n’en souligne pas moins une réalité essentielle : le littoral de l’Afrique
sud-saharienne atlantique, jusque-là marginal dans l’histoire du
continent, devint en quelques décennies le principal pôle économique et
politique de tout l’Ouest africain. Avec un essor tout à fait particulier à
l’époque de la Traite, quand de puissants royaumes se constituèrent ou
se développèrent là où les Européens accostaient pour y acheter des
esclaves à leurs pourvoyeurs-partenaires africains.
4. La quatrième eut lieu à partir du XVIIIe siècle avec l’apparition d’États
forts, souvent désignés sous le nom d’empires. Ce phénomène qui se
produisit dans toute l’Afrique au sud du Sahara présente de grandes
différences régionales. Dans la région sahélo soudanaise, le jihad servit
de paravent à la volonté impérialiste de sultanats nordistes qui
entreprirent de s’étendre aux dépens d’entités animistes sahéliennes
enclavées, comme les royaumes bambara. Ici, l’islam fut parfois un
facteur de coagulation de la réalité ethnique. En Afrique centrale ou
australe, en revanche, il n’y eut pas de dépassement de l’ethnie, même
en cas de constitution d’empires car ces derniers, toujours étroitement
ethno centrés, furent formés par le rassemblement de tribus ou de clans
appartenant aux mêmes ensembles ethniques ; les exemples des
royaumes Luba, Lunda, Shona, Zulu ou d’Imérina à Madagascar
illustrent avec force cette grande originalité.
5. La cinquième se produisit avec la période coloniale. Cette brève
parenthèse de moins d’un siècle qui s’ouvrit dans les années 1880 pour
s’achever dans les années 1950 quand débuta le mouvement de
décolonisation, perturba en profondeur les équilibres continentaux ;
cela pour deux grandes raisons :
– la conquête coloniale se fit généralement à l’avantage des pôles
littoraux avec lesquels les Européens avaient noué de séculaires
relations et qui, dans bien des cas, avaient été leurs partenaires durant
l’époque de la traite esclavagiste ;
– les Empires qui résistèrent à la colonisation furent défaits au profit des
populations qu’ils dominaient. La colonisation cassa ainsi plusieurs
« Prusses » africaines potentielles ou en devenir : Madagascar et la
monarchie hova, l’Empire de Sokoto, les royaumes ashanti et zulu, les
ensembles créés par el-Hadj Omar ou par Samory, etc. Elle en subjugua
d’autres, les arrêtant durant une phase expansionniste de leur histoire,
comme l’État tutsi rwandais coupé de son exutoire du nord-ouest Kivu
et ramené sur les hautes terres bordières de la crête Congo-Nil ; ou
encore comme l’Éthiopie, empêchée de regagner un accès à la mer en
raison de l’installation italienne en Érythrée. La colonisation procéda
également par amputation comme dans le cas du Maroc, État millénaire
territorialement découpé au profit de l’Algérie et de la Mauritanie.
6. La sixième rupture se produisit au moment des indépendances de la
décennie 1960 quand la décolonisation confirma régulièrement le
nouveau rapport de puissance – ou l’inversion des rapports de force –
provoquée par la colonisation. Ici ou là, les anciens dominés de
l’époque précoloniale, souvent devenus les cadres locaux du pouvoir
colonial héritèrent des États créés par les colonisateurs ; ainsi en fut-il
des Ibo au Nigeria, des côtiers à Madagascar ou encore des Sara au
Tchad, etc.
7. La septième rupture est le résultat des tracés coloniaux faits de ces
lignes artificielles tirées depuis l’Europe6 et dont l’Afrique
indépendante a hérité. Or, les véritables frontières africaines
s’inscrivent dans les barrières naturelles, comme les déserts ou les
forêts7 qui découpent le continent en bandes parallèles à l’Équateur,
tandis que les voies de communication permettant de les franchir sont
au contraire généralement orientées Sud-Nord-Sud8. La colonisation a
plaqué sur elles un artificiel maillage et c’est pourquoi les frontières
héritées de la colonisation apparaissent régulièrement comme de
véritables « prisons de peuples ». Bâtis à l’intérieur de ces découpages,
les États post-coloniaux ne sont le plus souvent que des coquilles
juridiques vides ne coïncidant pas avec les patries charnelles qui
fondent les véritables enracinements humains.
8. La huitième rupture apparut durant la guerre froide, quand l’Afrique,
juste indépendante, fut contrainte d’adopter une histoire qui n’était pas
la sienne en entrant dans la clientèle de l’un ou de l’autre bloc.
9. La neuvième date des années 1990 quand les blocs ayant disparu, les
vrais problèmes se posèrent avec d’autant plus de vigueur qu’ils avaient
été niés depuis les indépendances. Ils étaient d’abord ethniques,
historiques, culturels, politiques et parfois religieux avant d’être
économiques comme cela avait été postulé tant par les marxistes que
par les tenants de l’économie de marché. Or, au moment où le continent
aurait pu renouer avec son histoire, il en fut empêché par la
démocratisation qui déboucha sur l’ethno-mathématique, c’est-à-dire
sur la victoire des peuples les plus nombreux. De plus, comme la
démocratie fut plaquée sur l’Afrique sans qu’il ait été auparavant pensé
à sauvegarder l’expression des moins nombreux, partout éclatèrent des
troubles, des guerres et des massacres ; ainsi au Nigeria, au Liberia, en
Sierra Leone, à Madagascar, au Tchad, au Mali, en Côte d’Ivoire, au
Niger, au Soudan, au Kenya et même un génocide, comme au Rwanda.
10. La dixième tient au fait que l’Afrique traditionnelle a vu sa
démographie exploser en raison des progrès réalisés par la médecine
coloniale, puis par les campagnes de vaccination. La surpopulation qui
en a résulté a provoqué la compétition pour la terre. Il s’agit d’une
révolution et même d’un traumatisme pour des sociétés dont les
références étaient liées jusque-là aux espaces infinis. La démographie
explique ainsi l’amplification de certains conflits traditionnels, comme
au Rwanda ou au Kenya.

Chasseurs, pasteurs, agriculteurs


Dans l’Afrique sud-saharienne traditionnelle, les hommes appartenaient à trois
grands types culturels, parfois mixtes ou associés, reposant sur la chasse, sur
l’élevage ou sur l’agriculture. L’artisanat était généralement méprisé.
Parmi les chasseurs, certains, comme les Pygmées ou les San vivaient dans des
milieux refuge, forêts ou déserts, en petits groupes mobiles à l’habitat composé de
huttes rudimentaires. Chez eux, ni architecture, ni décoration intérieure, ni objets
encombrants à transporter et des formes artistiques correspondant à leur
nomadisme, comme la danse, les peintures rupestres ou les œufs d’autruche
décorés. Leur organisation politique était la famille.
Les pasteurs, dont les plus connus sont les Peuls, les Masaï, ou encore les Hima-
Tutsi élevaient des bovins, des ovins ou des caprins. Souvent, ils pratiquaient un
élevage mixte. Dépendant des pâturages et de l’eau, ces nomades déplaçaient
régulièrement leurs campements et c’est pourquoi leurs réalisations artistiques
étaient légères et faciles à transporter : récipients à lait décorés, vannerie, armes, etc.
En général, les pasteurs ne constituèrent pas d’États car ils n’en eurent pas la
nécessité, les grandes zones pastorales ouest ou est africaines n’étant pas
convoitées par les agriculteurs. La grande exception se trouve en Afrique
interlacustre, région favorable tant à l’agriculture qu’à l’élevage et où, très tôt, apparut
la compétition pour l’espace. C’est alors que, « pour sauvegarder les biens de la
vache contre la rapacité de la houe », les éleveurs constituèrent des États dans
lesquels ils dominaient les hommes de la glèbe.
Les agriculteurs étaient des sédentaires vivant généralement dans des villages où ils
avaient développé la civilisation dite « des greniers ». Chez eux, les représentations
artistiques, plus « lourdes » car elles n’étaient pas destinées à être déplacées, étaient
constituées par des statues, des masques, des jarres ; quant aux huttes, elles
pouvaient être décorées. Dans le monde traditionnel la terre était à profusion et la
priorité était de disposer de bras pour défricher. Avoir une nombreuse progéniture
était un impératif, d’où la civilisation de la virilité et de la fécondité9.
Une autre rupture se produit actuellement ; elle est liée au Courant
postcolonial (Journet, 2006) qui conteste l’hégémonie même de la pensée
occidentale10. Avec elle, nous sommes en présence de la première véritable
tentative de décolonisation en profondeur de l’Afrique ; il s’agit en effet
d’un rejet global de l’universalisme sur lequel ont reposé, d’abord la
colonisation11, puis, après les indépendances, les rapports entre le « Nord »
industrialisé et l’Afrique. Philosophie des lumières, contrat social,
individualisme, démocratie, droits de l’homme, ingérence humanitaire, etc.,
ce sont toutes ces références ou ces « valeurs » postulées universelles, mais
en réalité totalement occidentalo-centrées, qui sont aujourd’hui rejetées par
une nouvelle génération de penseurs africains12.

1. Par-delà des manifestations régionales souvent très individualisées, toute l’Europe fut affectée par
la fin de l’Empire romain, irriguée par l’art roman puis par le gothique, toute entière elle fut
concernée par la Renaissance et la Réforme, par les Lumières, les révolutions industrielles ou
encore les mouvements de 1848, etc.
2. Sur 9 000 km du Nord au Sud, d’Alger au cap de Bonne-Espérance, l’Afrique est divisée en
six grandes zones résultant de six grands régimes des pluies :
– entre 0 et 100 mm d’eau par an, nous sommes en présence de milieux désertiques sur lesquels le
peuplement est impossible ou résiduel ;
– entre 100 et 300 mm, domine la steppe subdésertique avec activités pastorales reposant sur la
transhumance ;
– entre 300 et 600 mm, s’étendent les savanes herbeuses propices à l’élevage ;
– entre 600 et 1 500 mm, le domaine est celui des savanes arbustives, grande zone agricole
africaine. L’élevage y est encore possible, sauf vers la zone pré-forestière où vit la mouche tsé-
tsé ;
– au-dessus de 1 500 mm apparaît la grande forêt équatoriale qui a reculé depuis 2000 ans sous
l’action des défricheurs ;
– aux deux extrémités nord et sud du continent, le système des saisons avec été et hiver et pluies
d’automne et de printemps permet la définition d’un climat méditerranéen.
3. De ± 300 à ± 1100 ap. J.-C., dans tout l’Ouest africain les pluies furent abondantes et de grands
empires apparurent. Ensuite, durant quatre siècles, la sécheresse fut de retour et le Sahel entra dans
une phase de lent endormissement. Puis, entre 1500 et 1600, avec le retour des précipitations, le lac
Tchad atteignit son plus haut niveau historique et les migrations des Peuls éleveurs mirent en place
les leviers historiques qui firent sentir leurs effets dans les deux siècles suivants. À partir du début
du XVIIe siècle la région entra à nouveau dans une période de dure aridité entraînant des crises
alimentaires et politiques doublées d’invasions de criquets. L’heure fut alors à la rétractation et les
États qui apparurent furent tous ethno-centrés. Puis, à partir de la fin du XVIIIe siècle, un retour
relatif des pluies permit une nouvelle expansion sahélienne illustrée par les grands jihads des
éleveurs peul et la constitution de vastes entités.
4. À laquelle s’ajouta plus tard une fracture est-ouest à la suite de l’intrusion turque en Méditerranée.
5. Dans le cas présent il s’agit uniquement de l’Afrique sud-saharienne.
6. Et qui ont soit divisé des peuples, soit, au contraire, condamné d’autres peuples à vivre ensemble
alors qu’ils n’avaient jamais eu de destin commun.
7. Parmi les obstacles ayant amplifié le cloisonnement, il importe de ne pas oublier les fleuves avec
leurs rapides, la barre qui « ferme » une partie importante du littoral à la vie de relation avec le
grand large ainsi que les barrières de tsé-tsé, variables dans le temps et dans l’espace, et qui ont,
elles aussi, conditionné l’histoire de vastes parties du continent.
8. Routes transsahariennes nées dans l’alignement des oasis, vallée du Nil et Rift Valley avec les
couloirs de hautes terres de l’Afrique orientale.
9. Ces trois types culturels s’interpénétraient largement, étaient régulièrement associés et parfois
même juxtaposés. Cependant, comme nous venons de le voir, dans l’ouest et dans l’est africain, les
réalités climatiques permettaient de distinguer des zones pastorales et des zones agricoles tandis
qu’en Afrique orientale interlacustre et dans une partie de l’Afrique australe, pasteurs et
agriculteurs vivaient sur les mêmes terroirs. Dans ce dernier cas, la compétition pour la terre
explique en partie la naissance des États. Ailleurs, notamment dans la zone sahélienne, c’est le
commerce transsaharien qui favorisa le phénomène étatique.
10. À ne pas confondre avec le processus de compétition des mémoires. À ce sujet, voir notamment
Reinhardt (2006) ; Hargreaves (2005) ; Blanchard et Bancel (2006) ; Blanchard, Bancel, Lemaire,
2005).
11. Surtout la colonisation française (Lugan, 2006a : 95-113 ; 313-322).
12. Jean-Louis Amselle (2008), y voit un danger : le retour de l’ethnisme et la remise en selle de la
pensée ethnoraciale.
PREMIÈRE PARTIE
L’Afrique des origines
jusqu’au VIe siècle après J.-C.
Durant cette longue période, le climat africain évolue en dents de scie
vers l’aride actuel. Cette inexorable tendance à la péjoration climatique
explique à la fois l’échec de l’expérience néolithique saharienne et la
réussite de la révolution égyptienne. Au terme du processus d’assèchement,
le Sahara, auparavant carrefour de tout le continent au nord de l’équateur,
est devenu une barrière.
Dans l’est de l’Afrique du Nord, le continuum civilisationnel égyptien
qui s’étend sur plus de quatre millénaires, englobe les périodes dynastique,
héllénistique, romaine et byzantine. À l’ouest, l’existence des grands
royaumes berbères – Massyle, Massaessyle et Maurétanie –, préfigure déjà
la moderne division du Maghreb en trois entités nationales (Tunisie, Algérie
et Maroc). Un moment unie sous l’autorité de Rome, l’Afrique du Nord
dans son ensemble, est à partir du IVe siècle ap. J.-C., secouée en profondeur
par des crises ethniques, politiques, religieuses et économiques. Ces
divisions expliqueront la conquête arabo-musulmane de la période suivante.
Au sud du Sahara, la migration des bantuphones recouvre une grande
partie de l’Afrique centrale, orientale et australe. À l’est, deux vagues
migratoires pastorales venues du nord s’écoulent vers le sud. La première
voit des pasteurs nilo-sahariens quitter l’actuel Soudan pour aboutir à
l’ouest du lac Victoria en empruntant le couloir des hautes terres du rift
occidental. La seconde, partie de la Corne de l’Afrique, concerne des
éleveurs couchitiques qui se répandent entre l’océan Indien et le lac
Victoria.
Chapitre I.
L’Afrique jusque vers ± 3 200 avant J.-C.

Entre le moment de l’apparition de l’Homme moderne (± 200 000 et


± 150 000 ans) et le IVe millénaire av. J.-C., période précèdant le « miracle
égyptien », l’Afrique a connu de considérables changements climatiques.
Cette alternance d’épisodes chauds et humides avec des épisodes froids et
secs, explique la mise en place des populations et la colonisation du
continent par les ancêtres de ses actuels occupants.

Le front intertropical (FIT)


Yves Tardy et Jean-Luc Probst, deux climatologues tropicalistes, ont mis en évidence
le rôle du FIT dans les changements climatiques successifs de l’Afrique :
« Le climat en Afrique suit la position du FIT (Front intertropical) ou ITCZ (Intertropical
Convergence Zone). On peut distinguer deux scénarios :
1. Lorsque le FIT est maintenu en position méridionale, soit parce que les
anticyclones polaires mobiles, originaires du Pôle Sud, sont moins actifs que de
coutume, soit parce que leurs homologues septentrionaux venus du Pôle Nord sont
au contraire plus longtemps et plus fortement actifs, le déficit pluviométrique est
généralisé sur le Sahel d’Afrique de l’Ouest […] C’est le cas des années 1942,
1944, 1948, 1970, 1971, 1972 et 1973 […].
2. Lorsque le FIT remonte haut vers le nord sous la poussée des anticyclones
mobiles originaires du Pôle Sud, on enregistre un excédent pluviométrique sur
l’Afrique sahélienne de l’Ouest […].
Ainsi, avec les mouvements du FIT qui sont sous l’influence de la montée vers le
nord des masses d’air polaire venant du Pôle Sud ou de la descente vers le sud des
masses d’air polaire venant du Pôle Nord, on saisit aisément la relation qui peut
exister entre les fluctuations de température et celles de l’humidité, ainsi que l’effet de
compétition entre Hémisphère Nord et Hémisphère Sud. » (Tardy et Probst, 1992 :
26)
Plus largement, les recherches actuelles ont intégré les variations contemporaines du
FIT dans des cycles plus anciens. C’est ainsi que, dans sa thèse consacrée aux
changements climatiques africains depuis 165 000 ans, Mathieu Dalibard (2011)
écrit :
« Les changements climatiques globaux à l’échelle du Quaternaire (période qui
débute il y a 2,5 millions d’années) résultent de l’interaction de divers facteurs
agissant de façon plus ou moins cycliques à court ou long termes. Les grands
changements climatiques comme les cycles longs dont la période est supérieure à
quelques millénaires sont dus à des variations de mouvement et de position de la
Terre par rapport au soleil. Si ces cycles influencent les changements climatiques à
grande échelle que sont les phases glaciaires et interglaciaires, d’autres cycles de
durée plus courte jouent également un rôle sur les fluctuations environnementales. »
(Dalibard, 2011 : 30)
Ces cycles climatiques longs seraient au nombre de trois :
1. Les cycles dépendant de la variation de l’orbite terrestre ou « cycles de
l’excentricité » fluctuent entre 400 000 et 100 000 ans.
2. Les cycles dépendant de l’inclinaison de l’axe terrestre ou « cycles de l’obliquité »
fluctuent entre 54 000 et 41 000 ans.
3. Les cycles dépendant de la variation de l’axe de rotation de la Terre ou « cycles de
précession » fluctuent entre 23 000 et 19 000 ans.
Durant ces trois cycles, l’interception des rayonnements solaires par la Terre change
et, par voie de conséquence le climat. En effet, les paramètres orbitaux évoluant, la
quantité d’énergie solaire reçue par la Terre en est automatiquement affectée. D’où
des changements climatiques qui se produisirent selon des périodicités de 100 000,
40 000 et 20 000 ans respectivement.
Or, l’actuel processus de réchauffement saharo-sahélien a débuté il y a environ
5 000 ans, à l’époque dite de l’Aride post-néolithique, soit entre ± 2500 et ± 2000-
1500 av. J.-C. et c’est ce cycle qui se prolonge aujourd’hui, entrecoupé de rémissions
et de sécheresses :
– durant la période moderne, les principaux pics d’aridité dont nous avons
connaissance se produisirent au XVIIe siècle, avec un sommet entre 1730 et 1750 ;
– le XXe siècle a connu quatre grandes sécheresses entre 1909-1913, 1940-1944,
1969-1973 et 1983-1985 (Retaille, 1984 ; Ozer et alii, 2010 ; Maley et Vernet,
2013) ;
– au cours des années soixante, période « chaude » de l’Optimum climatique
contemporain, une brève pluviométrie en augmentation fit remonter la zone
sahélienne vers le nord, empiétant ainsi sur le désert ;
– depuis 1972, la pluviométrie décroît de nouveau, le désert s’étend et le Sahel glisse
une nouvelle fois vers le sud, les isohyètes moyennes descendant de 100 à 150
kilomètres vers les zones soudaniennes réputées pluvieuses, expliquant ainsi les
sécheresses les plus récentes (Carré et alii, 2018) dont les conséquences sont
naturellement aggravées par la pression démographique1.

A. Les étapes de l’hominisation


Jusqu’au tournant du précédent millénaire, il fut postulé :
1. Que l’hominisation se fit en Afrique et que le reste de la planète fut
peuplé par un mouvement diffusionniste à partir du foyer africain. Ce
fut la théorie dite du « Out of Africa » ;
2. Que l’Homme moderne, nom donné désormais à l’Homo Sapiens,
serait apparu en Afrique il y a ± 200 000 ans et qu’il y a
environ 120 000 ans, il serait sorti d’Afrique pour aller peupler le reste
de la planète. Ce fut la théorie dite de l’« Ève africaine ».
Or, au fur et à mesure des découvertes qui se sont additionnées ces dix
dernières années, ces deux hypothèses ont été fragilisées2 au profit de celle
du multi régionalisme. Du Maroc à la Géorgie, de l’Espagne à la Mongolie,
de la Chine à Israël et à l’Afrique, nous observons en effet des
« sapiensisations » locales ayant peut-être donné naissance à des lignées
indépendantes.

1. Hominidés et primates
Quatre grandes séquences permettent de voir que l’Afrique ne fut pas le
seul continent d’apparition des primates :
1. Il y a environ 70 millions d’années, les premiers primates sont ainsi
apparus en Asie et non en Afrique ;
2. Il y a 40 millions d’années, toujours en Asie, leur succédèrent les
primates anthropomorphes. Au mois de septembre 2008, Ganlea
megacanica, un nouveau primate fossile a ainsi été mis au jour en
Birmanie par une équipe internationale comprenant deux
paléontologues français, les professeurs Laurent Marivaux et Jean-
Jacques Jaeger (2009). La découverte était de taille car Ganlea
megacanica qui vivait il y a 37 millions d’années, est, à ce jour, le plus
vieil ancêtre commun aux hommes et aux singes. Son apparition se
situe en effet juste après la séparation entre les deux lignées de
primates, celle des prosimiens, dont les actuels représentants sont
notamment les lémuriens de Madagascar, et celle des anthropoïdes qui
regroupe les singes et les hominidés3 ;
Dans ces conditions, puisque Ganlea megacanica est antérieur aux
primates africains, pourquoi l’évolution vers le genre homo ne se serait-
elle faite qu’à partir de ces seuls derniers ?
3. Il y a plus de 11 millions d’années, donc plusieurs millions d’années
avant la bipédie africaine, en Europe (Bavière), vivaient des singes
bipèdes dryopithèques jusqu’alors inconnus (danuvius guggenmosi).
Cette découverte de la plus vieille preuve de bipédie chez un primate
faite par Madelaine Böhne (2019) de l’université de Tübingen donne de
nouveaux arguments à l’hypothèse d’une diversification de la bipédie,
et donc, d’une hominisation buissonnante. En effet, cette espèce vivait
avant les datations jusque-là avancées de la séparation des lignées
menant vers les grands singes d’une part et vers l’homme d’autre part.
Avec cette découverte, trois hypothèses peuvent être formulées :
• soit ces primates ont disparu en Europe et n’ont donc pas eu de
descendance ;
• soit ils ont eu une descendance donnant ultérieurement naissance à
une hominisation européenne indépendante de l’hominisation
africaine ;
• soit les changements climatiques les forçant à quitter l’Europe, ils ont
migré en Afrique en suivant le recul du couvert forestier… et dans ce
cas, l’origine de l’hominisation africaine serait « européenne » ;
4. En Grèce et en Bulgarie, il y a environ 8 millions d’années, soit un
million d’années avant les plus anciens australopithèques et autres
hominidés4 africains, vivait Graecopithecus freybergi (Böhne et
Spassov, 2019), un lointain ancêtre du genre Homo. Cette découverte
remet totalement en question l’idée selon laquelle les lignées ayant
abouti d’un côté à l’homme et de l’autre aux grands singes actuels se
sont séparées en Afrique il y a 7 millions d’années puisque la séparation
serait plus ancienne et qu’elle se serait faite en Europe et non en
Afrique…

2. Premiers hommes ou premiers africains ?


– Les australopithèques5 qui ne sont pas nos ancêtres, n’ont été
découverts qu’en Afrique6. La « parenté » entre les Hommes modernes
et les australopithèques se limite à l’existence d’un hypothétique
ancêtre commun7.
Les découvertes récentes ont fait surgir plusieurs autres hominidés qui
vivaient dans l’environnement des australopithèques. Leurs âges sont
compris entre 7 et 3,5 millions d’années, comme Toumaï8 ou comme
Millenium ancestor, et entre 4 et 2 millions d’années comme
Ardipithecus ou Kenyanthropus. D’autres bipèdes que les
australopithèques arpentaient donc la savane africaine aux mêmes
époques.
– Le genre Homo apparaît il y a 2 à 3 millions d’années avec comme
premier représentant Homo habilis lequel, tout comme
l’australopithèque, n’a, à ce jour, été découvert qu’en Afrique. À la
différence de ce dernier qu’il côtoie, c’est un vrai bipède qui taille
grossièrement des galets.
– Puis, il y a environ 2 millions d’années, un nouveau venu entre en
scène, Homo erectus (pithécanthrope), qui a été mis au jour en Afrique,
en Asie et en Europe9. Dans l’état actuel des connaissances, nous
ignorons si Homo erectus est le descendant d’Homo habilis et si tous
les deux sont les « ancêtres » des actuelles populations africaines10.

Homo georgicus découvert à Dmanisi dans le Caucase, a été daté d’un peu plus de
1,8 million d’années et son anatomie fait à la fois penser à Homo habilis et à Homo
erectus (Lieberman, 2007), or, comme il est postulé que c’est Homo erectus et non
Homo habilis qui serait « sorti » d’Afrique, de deux choses l’une :
– soit Homo habilis l’a précédé dans la migration, ce qui n’est pas attesté, avant de se
« métisser » avec lui, ce qui ne l’est pas davantage.
– soit Homo georgicus n’a pas d’ancêtres « africains », ce qui signifierait qu’il serait
donc le résultat d’une hominisation indépendante de l’hominisation africaine.
De même, la découverte des restes d’un hominidé fossile en Espagne, près de
Burgos (grotte de Sima del Elefante à Atapuerca), et qui ont été datés de 1,1 à
1,2 million d’années viennent bouleverser tout ce que l’on croyait savoir concernant la
première occupation humaine de l’Europe occidentale. D’autant plus que, selon
Eudald Carbonell, le découvreur d’Homo antecessor, nous serions en présence d’une
nouvelle espèce d’hominidés (Carbonell, 2008).
Le problème posé par cette découverte est donc réel car jusqu’à ce jour, il était
postulé que tous les hominidés étaient originaires d’Afrique, ce qui, présentement,
n’est pas le cas.

Deux hypothèses sont en présence :


a. selon l’hypothèse « Out of Africa », comme l’hominisation ne s’est
faite qu’en Afrique, la planète a donc été peuplée à partir du continent
africain vers 2 millions d’années, avec Homo erectus ;
b. selon l’hypothèse multi-centriste l’hominisation s’est faite en
plusieurs parties du globe. C’est ainsi qu’à Dmanisi, dans le Caucase, a
été mis au jour Homo georgicus. Daté de 1,8 million d’années, il
présente des traits à la fois habilis et erectus. La quasi-concordance des
dates entre la « sortie d’Afrique » postulée d’Homo erectus il y a
deux millions d’années et la présence à la même époque – 1,8 million
d’années –, d’Homo georgicus dans le Caucase conduit à la remise en
question de l’hypothèse « Out of Africa ». Face à ce bouleversement,
les partisans de cette dernière, faute de pouvoir donner une ancienneté
plus grande à Homo erectus, avancent désormais une hypothèse de
substitution postulée qui est celle de la rapidité de l’expansion d’Homo
erectus.

3. L’Homme moderne
Dernier venu, l’Homme moderne, nom désormais donné à l’Homo
Sapiens sapiens ou Cro-Magnon, apparaîtrait dans une vaste région
comprise entre l’Afrique du Nord-Est11 et le Proche-Orient. L’Afrique
pourrait avoir connu des Hommes modernes dits « archaïques » ; datés entre
400 000 et 200 000 ans, ils pourraient être les intermédiaires entre Homo
erectus dont les derniers représentants semblent disparaître il y a ± 300 000
ans, et l’Homme moderne « authentique ».
Comme pour ce qui est de l’hominisation, deux grandes théories
s’opposent :
– selon l’hypothèse de l’origine africaine (théorie de l’Eve africaine),
l’Homme moderne africain serait parti coloniser la planète il y a
environ 120 000 ans, et il serait arrivé en Europe il y aurait
± 45 000 ans de cela.
Ainsi, l’Asie et l’Europe auraient été peuplées depuis l’Afrique par
deux fois, une première fois vers 2 millions d’années, avec Homo
erectus et une seconde fois il y a 120 000 ans, avec l’Homme moderne.
Cette hypothèse a été confortée par la publication d’une étude (Manica,
2007), reposant sur 800 marqueurs génétiques différents combinés à
l’analyse de 6 000 crânes de moins de 2000 ans venant de 105
populations à travers le monde. Selon ses conclusions, l’Homme
moderne serait apparu en Afrique il y a 200 000 ans ; il précéderait
donc ceux d’Asie et d’Europe de plusieurs dizaines de milliers
d’années. Or, la découverte d’Homo antecessor (Carbonell, 2008) vient
remettre fondamentalement en cause cette théorie.
– Selon l’hypothèse multicentrique, l’Homme moderne asiatique et
l’Homme moderne d’Europe descendraient de souches locales
archaïques procédant d’évolutions locales faites in situ, peut-être depuis
300 000 ans12.
Cette hypothèse défend l’idée d’une apparition simultanée de l’Homme
moderne en plusieurs lieux du globe. Dans cette dernière hypothèse,
l’Homme moderne asiatique13 et l’Homme moderne d’Europe
descendraient de souches locales archaïques procédant d’évolutions
elles aussi locales et faites in situ (de l’Homo erectus ?).
C’est ce que semblent signifier les découvertes d’Atapuerca, en
Espagne (Carbonell, 2008) qui sont en effet en rupture avec les
hypothèses antérieures puisque l’homme d’Atapuerca ou Homo
antecessor, pourrait être le dernier ancêtre commun aux néandertaliens
et (nous soulignons) à l’Homme moderne européen.
Si cette hypothèse était vérifiée, l’Homme moderne européen
procéderait donc d’une évolution faite in situ, en Europe, depuis plus
d’un million d’années et à partir d’Homo antecessor, ce qui signifierait
donc qu’il ne descendrait pas de l’Homme moderne africain14.

L’homme moderne africain est-il l’ancêtre


de l’homme moderne européen ?
Selon la théorie dominante, l’Homme moderne africain serait arrivé en Europe en
deux vagues :
– la première, il y a environ 45 000 ans. Ces migrants africains auraient alors coexisté
ou cohabité avec une autre espèce, l’Homme de Neandertal jusqu’à la disparition
de ce dernier, tout en se croisant à la marge puisque les Européens d’aujourd’hui
ont 2 % de gènes néandertaliens ;
– la deuxième vague, celle des premiers agriculteurs, serait arrivée du Moyen-Orient
il y a 8000 à 9000 ans de cela. De leur métissage avec les « Africains » qui les
avaient précédés naquirent les ancêtres de l’homme européen moderne, lequel
serait donc en quelque sorte un « métis » d’Africains et de populations moyen-
orientales.
Or, non seulement cette hypothèse n’a pas été vérifiée mais encore, grâce aux
séquençages de l’ADN nous savons désormais que les Européens d’aujourd’hui sont
issus de trois souches dont aucune n’est « africaine » (Nature numéro du
18 septembre 2014). Telle est du moins la teneur d’un article cosigné par près de 100
chercheurs sous la direction de Iosif Lazaridis de la Harvard Medical School de
Boston. Cette communication qui traite des origines des peuplements européens lors
de la transition Mésolithique/Néolithique, c’est-à-dire au moment du « pont » entre les
derniers chasseurs-cueilleurs et l’arrivée des premiers agriculteurs-éleveurs15,
montre que les Européens d’aujourd’hui procèdent de trois populations :
1. des « chasseurs-cueilleurs ouest-européens » (WHG : West Hunter Gatherer) qui
seraient les ancêtres de tous les Européens. Ce groupe souche serait apparu il y a
50 000 ans selon les estimations les plus hautes et il y a 20 000 ans selon les plus
basses ;
2. des « anciens nord eurasiens » (ANE : Ancient North Eurasian) qui ont des liens
avec les hauts paléolithiques sibériens dont on retrouve les gènes à la fois chez les
Européens d’aujourd’hui et chez les Proche-orientaux ;
3. des « agriculteurs orientaux récents » (EEF : Early Eastern Farmer) qui sont
originaires du Moyen Orient, Anatolie notamment, et qui ont dans leur stock
génétique les « chasseurs-cueilleurs ouest-européens » (WHG : West Hunter
Gatherer). Leur arrivée progressive depuis le Proche-Orient se serait produite à
partir de ± 5 500 ans avant notre ère, soit il y a environ 7 500 ans. Ils s’installèrent
essentiellement dans le sud de l’Europe, le reste du continent étant peu concerné
par leur migration.
Cependant, environ 44 % des gènes de ces nouveaux venus proviennent d’une
population européenne antérieure et encore indéterminée baptisée Basal Eurasian
par les rédacteurs de l’article.

L’hypothèse du multi centrisme qui semble s’imposer peu à peu pourrait


être formulée de la manière suivante : l’hominisation se serait faite à la fois
en Afrique, en Asie et en Europe il y a plusieurs millions d’années de cela.
Puis, issu de ces souches locales d’hominisation ayant évolué in situ
apparurent les Hommes modernes européens, africains et asiatiques (Dong,
2008). L’évolution humaine ne fut donc pas linéaire16.

B. Ces changements climatiques qui expliquent


la mise en place des populations
La mise en place des populations africaines a étroitement dépendu des
séquences climatiques continentales. Sur les 10 000 dernières années, deux
grands épisodes permettent de comprendre comment se fit l’occupation de
l’espace.

1. Avant ± 10 000 av. J.-C.


La colonisation de l’espace par l’Homme moderne s’est faite dans une
Afrique froide, donc aride (Leroux, 2000)17. À partir d’il y a ± 60 000 ans18,
au Pléistocène final19, l’Europe occidentale connut un climat extrêmement
froid et les îles britanniques furent en partie recouvertes par des glaciers.
L’Afrique se refroidit, elle aussi, et par conséquent les pluies y diminuèrent,
entraînant dans certaines régions, dont le Sahara, une phase aride et même
hyper aride avec une baisse dans le débit des cours d’eau et dans le niveau
des lacs20. Cette phase d’hyper aridité découlait du refroidissement du
climat et donc de la réduction de la zone tropicale. Le phénomène connut
une accentuation il y a 30 000 ans. L’étendue du désert était alors plus
importante qu’aujourd’hui et l’aridité plus absolue. Le Sahara central perdit
ses lacs dont le lac Tchad, et se couvrit de dunes de sable.
Durant cet épisode aride l’homme semble avoir disparu du Sahara et de
ses bordures méridionales. Les points d’eau ayant tari – sauf sur les massifs
où la limite des neiges permanentes était descendue vers 2500 m –, la faune
et les hommes avaient quitté la région pour se replier dans deux directions :
a. Vers le nord-est où la vallée du Nil constitua dans un premier temps le
refuge par excellence de la vie saharienne. Cependant, la superficie y
étant limitée à l’étroit cordon humide et à ses franges, d’ailleurs bien
plus étendues qu’aujourd’hui, les hommes y étaient comme pris en
tenaille par les déserts de l’est et de l’ouest21. Il y a 18 000 ans, la vallée
du Nil fut envahie par le sable, puis les deux Nil et l’Atbara se
transformèrent en cours d’eau saisonniers. Le Nil Blanc pourrait même
s’être en partie asséché en raison des changements climatiques que
connaissait alors l’Afrique des hautes terres ;
b. Le second grand refuge fut le sud de l’actuel Sahel où le changement
climatique se produisit à partir de -30 000, avec une accélération vers
-20 000, période de froid et donc d’aridité, entraînant le recul de la forêt
et l’extension du Sahara. Durant l’Hyper aride saharien, les massifs de
l’ouest africain (Fouta Djalon, plateaux bauchi et bamileké,
Adamaoua, etc. étaient arrosés et devinrent des zones de repli pour la
faune et les hommes.
• Encore plus au sud, entre -70 000 et -4000 ans, la zone forestière avait
connu, elle aussi, un climat froid donc aride (en moyenne baisse de
4e), avec recul de la sylve. Cette période est celle du Maluekien dont
l’Industrie lithique développée dans un environnement de savane
ouverte, le Sangoen22, du nom de son site éponyme, Sango Bay sur le
lac Victoria (Middle Stone Age) est composée d’objets sur éclat, de
pics massifs, de bifaces et de pierres foliacées23. En Zambie, sur le site
de Kalambo Falls, du matériel sangoen a été daté de plus de
80 000 ans. De -40 000 à -30 000 s’étend le Njilien, courte période
durant laquelle le climat qui se réchauffe redevient donc humide et la
forêt s’étend à nouveau. L’industrie lithique est alors celle du
Lupembien, du nom de son site éponyme, Lupemba en RDC, qui est
caractérisée par ses bifaces lancéolés et qui voit le début du Dernier
Âge de la Pierre ou LSA24.
• De -30 000 à -12 000 s’étend le Léopoldvillien, période de froid et
d’aridité contemporaine de la glaciation wurmienne ou Dernier
maximum glaciaire en Europe. Les températures baissent de 6° à 9°
avec un maximum d’intensité dans la seconde partie de la période,
c’est-à-dire entre -20 000 et -12 000. La forêt qui a quasiment disparu
n’existe plus que comme relique. L’industrie lithique est toujours celle
du Lupembien. Cette période est entrecoupée vers ± 24 000 ± 22 000
par une oscillation humide.
Plus généralement, pour l’ensemble du continent, le pic de la phase
d’aridité se situe entre -18 000 et -15 000. L’océan est alors à son plus bas
niveau et la forêt de la cuvette du Congo recule au profit des savanes. Dans
les régions de la Corne de l’Afrique, le froid et l’assèchement entraînent la
dégradation du couvert végétal. En Afrique orientale, les grands lacs
atteignent leur niveau le plus bas avec une baisse de 75 m de celui du lac
Victoria. Il en est de même avec les lacs Kivu et Tanganyika, tandis que
dans la vallée du Rift, le phénomène est encore plus intense ; puis le climat
changea à nouveau et l’Afrique redevient chaude et humide (Leroux, 1994).
2. Entre ± 10 000 et 1000 av. J.-C.
Ce fut à partir de ± 10 000 que les ancêtres des actuelles populations se
mirent en place. Quatre périodes peuvent être distinguée.
a. Le Grand Humide holocène25 ou Optimum climatique holocène
Cette séquence qui s’étendit de 7000 à 4000 av. J.-C. engloba
partiellement l’Humide néolithique et présente de profondes différences
régionales :
– en Afrique du Nord la végétation méditerranéenne colonisa l’espace
vers le sud jusqu’à plus de 300 km de ses limites actuelles ;
– au Sahara avec les précipitations, la faune et les hommes furent de
retour. Cette réoccupation du Sahara par les hommes débuta à la fin
du VIIIe millénaire av. J.-C. Les premières gravures rupestres apparurent
vers 8000 av. J.-C., les dates les plus hautes provenant du désert
occidental d’Égypte (-10 000). Dans l’Acacus, le Hoggar et l’Aïr, la
réoccupation est datée de 7500-7000 av. J.-C. pour les trois stations de
Ti-n Torha, Amekni et Tagalagal. Au Tibesti, le retour des hommes
n’intervint pas avant 6000 av. J.-C. (voir la carte Le Sahara
archéologique, pour la localisation de ces sites). Le maximum de
l’Optimum pluvio-lacustre du Sahara est situé vers 6000 av. J.-C.
(Leroux, 1994 : 231). Une étude régionale du Sahara permet cependant
de distinguer six sous-régions :
• dans les zones d’altitude l’aridité entama un mouvement de recul vers
13 000 av. J.-C., confirmé vers 10 000 av. J.-C. Les massifs de l’Aïr,
du Hoggar, de l’Adrar des Iforas donnaient alors naissance à une
multitude d’ouadi (pluriel d’oued), alimentant un fleuve aujourd’hui
disparu, l’Azawag, long de 1 600 km ;
• dans les zones basses du sud, le réchauffement et les pluies furent de
retour vers 7000 av. J.-C. ;
• dans les zones basses du centre du Sahara, le Ténéré était alors une
savane arborée. Plus à l’ouest, dans la région de l’actuelle Mauritanie
et dans tout l’ouest du Sahara occidental, les dépressions et les
cuvettes étaient devenues des lacs ;
• au nord, le réchauffement, donc les pluies, se manifesta vers
4000 av. J.-C. Au nord du tropique du Cancer, les pluies d’hiver
arrosaient essentiellement les massifs (Fezzan, Tassili N-Ajjer, etc.),
tandis que les parties basses (désert Libyque et régions des Ergs)
demeuraient désertiques. À l’époque du Grand Humide Holocène, le
Sahara septentrional n’était donc humide que dans ses zones
d’altitude ;
•dans la région du « Sahara des Tchad », le lac Tchad s’étendait peut-
être jusqu’aux contreforts du Tibesti26 ;
• dans la région du Nil, de 10 000 à 7000-6000 av. J.-C., ce fut une
période de répulsion en raison des crues qui noyaient périodiquement
la vallée. Les hommes repartirent alors vers l’est et vers l’ouest pour
réoccuper les anciens déserts qui refleurissaient alors en partie ;
• dans la région du Sahel, la zone des savanes remonta de 500 à
1 000 km vers le nord ;
– en Afrique orientale, les lacs se remplirent à nouveau et atteignirent
leur plus haut niveau, qu’il s’agisse de ceux de la vallée du Rift ou de
ceux des hautes terres. Gonflé par le fleuve Omo, le lac Turkana
rejoignit le réseau du Nil, ne faisant plus qu’un avec les lacs Albert,
Edouard et Victoria, constituant ainsi une sorte de mer intérieure. Plus
au sud, le lac Kivu était fondu dans le lac Tanganyika. Au nord, le
plateau éthiopien était chaud et humide et les glaciers de l’époque
précédente avaient disparu ;
– dans la zone forestière, de 12 000 à 1500 av. J.-C., s’étendit le
KibangienA, période humide qui vit une recolonisation forestière se
produire avec un maximum d’intensité à partir de 5000 av. J.-C. Une
tendance à l’assèchement est identifiable à partir de ± 2000-1000 av. J.-
C., suivie par une nouvelle variation humide. Avec la recolonisation
forestière la forêt gagna jusqu’au sud du Sénégal au nord-ouest et
jusqu’au Darfour au nord-est. En Afrique orientale elle atteignit les
hautes terres et franchit le lac Victoria. L’industrie lithique était celle du
Tshitolien qui apparût à partir de -12 000. Elle ressemble au Lupembien,
mais de taille plus réduite avec apparition d’armatures de flèches27
(Schwartz, 1996 : 17-18).
b. L’Aride mi-Holocène (ou Aride intermédiaire ou Aride intermédiaire
mi-Holocène)
Cette période qui succède au Grand humide holocène s’inscrivit entre
deux périodes humides. Il s’agit d’un bref intermédiaire aride qui dura un
millénaire au maximum entre ± 6000 et ± 4500 av. J.-C. selon les régions.
Cette nouvelle période aride vit la diminution des étendues marécageuses
et lacustres, ce qui eut donc pour conséquence l’augmentation de la
superficie du Sahara « habitable ». Les hommes qui avaient trouvé refuge
dans les massifs ou dans les zones non inondées de l’Afrique du Nord ou de
la région tropicale réoccupèrent le Sahara.
c. Le Petit Humide ou Humide Néolithique
Cette parenthèse climatique succéda à l’Aride mi-Holocène et s’étendit
de ± 5000/4500 av. J.-C. à ± 2500 av. J.-C. Le Petit Humide qui est
nettement moins prononcé que le Grand Humide Holocène donna naissance
à la grande période pastorale saharienne. Cet épisode humide fut une
parenthèse dans un processus d’assèchement continu qui ne cessa plus
jusqu’à nos jours en dépit d’oscillations humides ne constituant que des
rémissions dans un phénomène de péjoration climatique allant du semi-
aride vers l’aride absolu. Le Sahara, steppe sub-désertique et non « verte
prairie » – dans laquelle le niveau des nappes phréatiques augmente et dont
les sources se mirent à débiter les pluies de la période du Grand Humide
Holocène était alors parcouru par des groupes d’éleveurs « racialement »
bien différenciés comme nous le verrons plus loin.
d. L’Aride post-néolithique
Daté entre ± 2500 et ± 2000-1500 av. J.-C., il présente plusieurs faciès. À
partir de ± 2000 av. J.-C., le nord du Sahara connut une accélération de la
sécheresse avec pour conséquence le départ de la plupart des groupes
humains qui vivaient dans la région. C’est ainsi que les populations
négroïdes abandonnèrent définitivement les parties du Tassili, du Hoggar et
de l’Acacus dans lesquelles elles vivaient. À partir de cette époque, ces
régions semblent n’être plus peuplées que par des groupes proto-Berbères et
par les ancêtres des actuels haratins, derniers survivants du peuplement noir
antérieur. Dans la partie méridionale du Sahara, les hommes semblent se
replier vers le fleuve Niger à partir de ± 2000 av. J.-C. (Le Quellec, 1998 :
189). Quant au Sahara oriental :
« […] l’activité des oueds de Haute-Égypte, en baisse régulière depuis
4000 av. J.-C. (y) devient minimale après 3000 av. J.-C. ; dans le désert
oriental, la désertification survient vers 3400 av. J.-C. à Nabta Playa,
sans doute un demi-millénaire plus tard au Gilf Kebir, et elle est
définitive au Wâdi Howar vers 2000 av. J.-C. (Le Quellec, 1998 : 189)
En définitive, seuls les massifs sahariens conservèrent un climat
permettant la survie de quelques groupes humains. L’aridité ne s’étant
cependant pas installée en un jour, ce fut lentement que les sources tarirent.
La vie se concentra alors autour des points d’eau et des derniers pâturages
dont l’existence permettait une certaine survie, mais non plus la poursuite
du grand nomadisme pastoral de l’époque de l’Humide Néolithique.
Les conséquences de ce nouveau changement climatique se firent
également sentir sur les bordures du Sahara. Ainsi au Sud, où la savane qui
était « remontée » vers le Nord durant la période climatique précédente
réoccupa « sa » zone antérieure. Vers ± 2500 av. J.-C. l’immense paléo-
Tchad avait disparu et le lac atteignit alors sa superficie de l’époque
historique. Avec le recul de l’humidité, le Sahel redevint sec et encore plus
au sud, la forêt recula.
Durant cette période, les paysages actuels semblent se mettre lentement
en place cependant que les innovations sahariennes paraissent gagner les
régions méridionales et nilotiques. C’est ainsi que la domestication
complète (bovins, caprins et ovins) est attestée dans le sud du Sahel vers
± 1 600/± 1200 av. J.-C. à Ntereso et à Kintampo dans l’actuel Ghana.
Comme durant les précédents épisodes arides, les deux principaux
refuges pour les hommes se trouvèrent donc au sud, vers la zone forestière,
mais aussi à l’est, dans la vallée du Nil. C’est ainsi que des pasteurs fuyant
l’assèchement du Sahara s’installèrent en Nubie vers ± 1500 av. J.-C.
Vers ± 1000 av. J.-C. et jusque vers ± 800 av. J.-C., le retour limité des
pluies permit la réapparition de quelques pâturages. Après le « vide » de
l’aride post-néolithique on assista alors à une poussée de groupes berbères
en direction du Sahara central. Puis le niveau des nappes phréatiques baissa
à nouveau, les sources disparurent et les puits tarirent. L’Aride actuel se mit
en place au Ier millénaire av. J.-C. et le Sahara entra alors dans la période
historique. Dans la zone forestière, à partir de 1500 av. J.-C., s’étendit le
Kibangien B qui annonçait le climat actuel.
Désormais, au centre du Sahara, l’habitat permanent se concentra dans
les grandes oasis où, pour trouver de l’eau, il fallut creuser le sol. À l’ouest,
le Sahara occidental, de l’oued Draa à l’actuelle Mauritanie se transforma
en steppe. Quant à la façade méditerranéenne, elle fut intégrée au monde de
l’Antiquité classique dont elle reçut les innovations. Dans la même région,
au Ve siècle av. J.-C., apparurent les royaumes libyco-berbères.

L’exemple de Gobero (Ténéré)


Le 14 août 2008, l’équipe du professeur Paul Sereno de l’Université de l’Illinois
(Chicago) a publié sur le net (Sereno, 2008), un important article compte-rendu
relatant les découvertes faites à Gobero, dans la partie ouest du Ténéré, au centre du
Niger28, où 200 tombes ont été mises au jour. L’étude éclaire la connaissance des
changements climatiques ainsi que leur influence sur les populations ; elle permet
également d’en savoir plus sur les caractéristiques anatomiques des hommes qui
vivaient dans cette partie du Sahara durant l’Holocène.
Deux phases ont été mises en évidence lors des fouilles :
La phase 1 qui vit la première occupation humaine s’étend sur environ 1500 ans, de
± 7700 à ± 5200 av. J.-C. Elle correspond à l’Holocène ancien. Les hommes qui
vivaient alors à Gobero étaient des chasseurs-cueilleurs-pécheurs robustes et de
grande taille, jusqu’à 2 mètres. Ils enterraient leurs morts mains sur le visage et
jambes fléchies. Les tombes les plus anciennes correspondant à cette période ont
été datées entre ± 5750 et ± 5500 av. J.-C. Les hommes de Gobero fabriquaient de la
poterie et leur culture a été rattachée au technocomplexe kiffien, du nom du site
éponyme d’Adrar-n-Kiffi dans l’Adrar Bous. Ils étaient sédentaires et ont laissé le plus
ancien cimetière connu dans le Sahara. Les analyses, notamment cranio-faciales, et
les comparaisons faites avec les populations du Pleistocène tardif et du mi Holocène
montrent qu’ils ressemblaient à la fois aux Capsiens et aux Iberomaurusiens du
Maghreb et de Mauritanie. La tombe la plus récente associée à cette phase a été
datée d’il y a ± 6200 ans av. J.-C.
Une phase intermédiaire apparaît à la fin de la phase 1 et elle dure jusque vers
± 5200 av. J.-C. Gobero connut alors une double évolution climatique. Vers la fin de
la phase 1, entre ± 6500 et ± 6300 av. J.-C., le site fut d’abord ennoyé par la montée
du niveau du paléo-lac, forçant les occupants à partir. Puis un épisode aride aussi
bref que l’humide qui l’avait précédé, lui succéda et le paléo lac s’assécha sans qu’il
eût été constaté un retour des précédents occupants. Cette parenthèse sèche a
correspondu à l’intermédiaire aride du Sahara central (Brooks, 2006), bref intervalle
de grande aridité régionale daté de ± 6400 à ± 6000 av. J.-C.
Les occupations humaines de la phase 1 et de la phase 2 furent donc séparées par
cet intervalle d’abord humide puis ensuite aride.
La phase 2 vit le retour de conditions humides. Entre ± 5550 et ± 4750 av. J.-C., le
lac se remplit à nouveau et les animaux puis les hommes repeuplèrent la région.
Cette occupation mi-holocène qui dura environ 2700 ans, s’étendit de ± 5200 à
± 2500 av. J.-C. Ses débuts sont calibrés grâce à un tesson de poterie (± 5500) et à
une tombe (± 4635).
Les nouveaux occupants étaient très différents de leurs prédécesseurs. Plus petits,
plus graciles, ils ne ressemblaient à aucune des populations auxquelles ils ont été
comparés par l’équipe du professer Sereno. Ces pasteurs-agriculteurs furent bientôt
confrontés à un climat tendant vers l’aride et à partir de ± 2000 av. J.-C., l’occupation
humaine de Gobero prit fin.

C. Les familles linguistiques


Les langues africaines sont classées en quatre grandes familles divisées
en plusieurs groupes principaux composés d’une infinité de sous-groupes. Il
s’agit des familles KhoiSan, Nilo-Saharienne, Niger-Congo et Afrasienne
(afro-asiatique). Leurs différences sont telles qu’il est naturel de penser
qu’à l’origine, existaient quatre populations différentes, donc quatre
« groupes raciaux », qui se sont ensuite fractionnés (Illife, 2000 : 23)29.

1. La famille KhoiSan
Cette famille est celle dite des « langues-vestiges » parlées par les
peuples qui occupaient une partie du continent avant sa colonisation par ses
actuels occupants noirs. Les KhoiSan présentent les particularités physiques
suivantes :
« (Leur crâne) est gracile et même pédomorphe (c’est-à-dire qu’il garde
des traits juvéniles), et de petites dimensions, avec un faible
dimorphisme sexuel ; il est court, large et pentagonal, avec des bosses
frontales marquées et une face proportionnellement réduite, de forme
triangulaire. Ils possèdent (en principe) des particularités physiques
telles que : peau jaunâtre et ridée, cheveux en « grains de poivre », yeux
étroits et obliques, pommettes saillantes, prognathisme peu marqué,
lèvres minces, oreilles sans lobule, nez concave avec soudure des os
propre, effacement de la ligne âpre du fémur, stéatopygie, membres,
mains et pieds courts, hypertrophie des petites lèvres chez la femme,
penis rectus chez l’homme, et quelques fréquences génétiques […] dont
les plus typiques sont les haplotypes Gm 1, 13,17 et Gm 1, 21 des
gamma-globulines sériques, utilisables pour mesurer le degré de
métissage avec les Noirs. Cet ensemble de traits en font un extrême de
la différenciation de l’espèce humaine. » (Froment, 1998 : 43)
Bien des questions demeurent concernant les KhoiSan. Cavalli-Sforza et
alii. (1994 : 193) pensent qu’ils sont apparentés à certains peuples d’Asie
du sud-ouest et qu’ils seraient les premiers africains modernes. Selon
d’autres chercheurs, la divergence entre les khoisanoïdes et les négroïdes
serait relativement récente puisqu’elle se serait produite il y a 15 000 ans
(Froment, 1998 : 28).
Les KhoiSan forment en fait deux populations, les San (Bushmen) qui
sont chasseurs-cueilleurs et les Khoi ou Khoikhoi (Hottentots) (Bonzaier et
alii, 1996) qui sont éleveurs30. San et Khoi appartiennent au même groupe
linguistique et ils utilisent des « clicks31 ».

2. La famille Nilo-Saharienne (Nilotique)32


Elle est composée de quatre grands groupes : le central saharien, le
central soudanais, l’oriental soudanais et le songhai ou songhay.
Originaires de la région du centre de l’actuel Soudan, les locuteurs du
proto-nilo-saharien semblent s’être tout d’abord subdivisés en deux
branches, l’une donnant à l’Ouest le proto-soudanique et l’autre, à l’Est, le
proto-koman. Puis, à l’est du Tibesti, un rameau nord-soudanique semble
s’être séparé de la branche proto-soudanique avant de s’individualiser et de
s’étendre dans tout le Sahara méridional. Ce phénomène se serait produit
entre ± 14 000 et ± 6 000 av. J.-C. (Le Quellec, 1998 : 490).

3. La famille Niger-Congo
Elle serait apparue entre Sahel et forêt, zones qui eurent, comme nous
l’avons vu, des limites très variables durant les vingt derniers millénaires.
Elle est composée de deux grands groupes :
– le groupe occidental dans lequel se retrouvent les centaines de langues
de l’Ouest africain sud-saharien à l’exception du songhai et des langues
tchadiques ;
– le groupe central qui rassemble les langues bantu (orthographe anglo-
saxonne) ou bantoues.
4. La famille Afrasienne (Afro-asiatique)
Elle est composée de quatre groupes principaux : le berbère, le sémitique,
le tchadien et le couchitique33. Selon Christopher Erhet, au moment de sa
genèse, il y a environ 20 000 ans, le foyer d’origine des locuteurs du proto-
afrasien se situait entre les monts de la mer Rouge et les plateaux éthiopiens
(Erhet, 1995, 1996b). Contrairement à ce que pensait Greenberg (1963) qui
l’avait baptisée Afro-asiatique, cette famille serait donc d’origine purement
africaine et non moyen-orientale (Erhet, 1995, 1996b). Son nouvel arbre
généalogique linguistique pourrait indiquer que ses deux plus anciennes
fragmentations internes se seraient produites sur le plateau éthiopien
(Le Quellec, 1998 : 493).
Toujours selon Ehret (1995,1996b), les premières fragmentations qui
donnèrent naissance aux diverses familles de ce groupe auraient pu débuter
vers 13 000 av. J.-C. avec l’apparition du proto-omotique et du proto-
érythréen. Puis, entre 13 000 et 11 000 av. J.-C., le proto-érythréen se serait
subdivisé en deux rameaux qui donnèrent respectivement naissance au sud-
érythréen, duquel sortirent ultérieurement les langues couchitiques, et au
nord-érythréen. Vers 8000 av. J.-C. des locuteurs sud-érythréens
commencèrent à se déplacer vers le Sahara où, plus tard, naquirent les
langues tchadiques.
Quant au nord-érythréen, il se subdivisa progressivement à partir de
± 8000 av. J.-C., en proto-berbère, en proto-égyptien et en proto-
sémitique34.

Ethnie, tribu, clan


– L’ethnie est un groupe humain considéré dans les seules particularités culturelles
qui unissent ses membres. C’est une communauté linguistique établie en théorie
sur son territoire traditionnel. L’ethnie ne se définit ni par la race, ni par le
morphotype, mais d’abord par la langue. Le problème est que les frontières
ethniques n’épousent pas automatiquement les frontières « raciales ». Ainsi, au
Rwanda et au Burundi, les ancêtres des actuels Tutsi se sont jadis « bantuisés » en
adoptant une langue bantu et en perdant l’usage de la leur qui appartenait au
groupe Nil Sahara. Mais, en devenant des locuteurs bantuphones, ils ne se sont
pas pour autant transformés morphotypiquement en Hutu. Quant aux nombreux
métissages, ils n’ont fait disparaître ni les Tutsi, ni les Hutu35.
– La tribu est un groupement de clans ou de familles sous l’autorité d’un même chef.
En général, les ethnies sont composées de tribus qui peuvent avoir des liens de
solidarité plus ou moins étroits ou plus ou moins conflictuels. Comme ces
groupements sont culturellement apparentés, ils peuvent donc facilement constituer
des unités élargies. Un bon exemple à cet égard est donné par les Zulu qui n’étaient
à l’origine qu’une des multiples petites tribus de la fraction septentrionale de l’ethnie
bantuphone des Nguni. Au XVIIIe siècle, par le fer et par le feu, ils incorporèrent
nombre de tribus du même ensemble, ce qui fut d’autant plus aisé que tous
parlaient la même langue et adhéraient au même système de valeurs. Le royaume
qui se constitua ensuite prit le nom de la tribu fédératrice, mais toutes les tribus
nguni n’y furent pas intégrées.
– Le clan est l’unité sociologique désignant un ensemble d’individus consanguins
descendant d’un ancêtre commun. Chaque tribu est composée de plusieurs clans et
d’un grand nombre de lignages.
D. Le Sahara, une terre à prendre
Les premières traces humaines dans le Sahara remontent à plus de
deux millions d’années36. Il s’agit de galets aménagés mais nous ignorons
tout de ceux qui les fabriquèrent. Il y a environ 500 000 ans, des Homo
erectus parcourent la région en laissant de nombreuses traces de leur
passage comme des haches bifaces.
Il y a environ 100 000 ans, ils eurent pour successeurs les premiers
Hommes modernes qui abandonnèrent la région durant la phase de
l’Hyperaride, soit entre ± 60 000 et ± 15 000 av. J.-C. Comme nous l’avons
vu, le Sahara se vida alors de ses habitants qui se replièrent vers les zones
de survie situées au Maghreb, dans la vallée du Nil et vers la forêt du sud.
1. Le peuplement du Sahara
Entre 7000 et 4000 av. J.-C., avec la fin des épisodes de grande
sécheresse marqués par le « grand humide », le Sahara redevint une vaste
savane. Les conséquences de cette évolution climatique furent différentes
au Nord et au Sud :
– au nord, où les proto-berbères étaient désormais installés, le retour des
pluies permit aux hommes de circuler à travers les parties septentrionale
et centrale du Sahara ;
– dans le sud, l’abondance des pluies du Grand Humide transforma une
vaste partie de la zone en lacs ou en marécages inhospitaliers. Les
populations repliées vers le Sud durant le précédent épisode de
sécheresse durent donc attendre le retour d’un épisode sec, c’est-à-dire
environ 5500 av. J.-C., pour pouvoir y circuler à nouveau.
Entre ± 7 000 et ± 5000, le Sahara fut donc une « terre à prendre ». Sa
partie centrale fut ainsi une zone particulièrement disputée entre les
diverses populations qui, tour à tour s’y installèrent, en furent chassées ou
l’abandonnèrent.
Qui étaient les habitants du Sahara durant ces périodes37 ? L’art rupestre
qui permet de le savoir38 nous apprend que le peuplement de cet immense
ensemble a varié « racialement », ethniquement et géographiquement.

2. Qui étaient les premiers habitants du Sahara ?


L’art rupestre saharien est composé de gravures et de peintures ; les
gravures sont plus nombreuses que les peintures39. Les plus anciennes
semblent apparaître vers 8000 av. J.-C. Liées au Sahara des Chasseurs,
elles affirment une parenté culturelle très nette entre les parties centre
orientales du désert et l’ensemble de la vallée du Nil. Plus récentes, les
premières peintures ont été datées entre ± 8000 et ± 5000 avant J.-C40. et
elles présentent des styles de représentations qui se retrouvent dans
certaines cultures de l’Égypte pré dynastique (Huard, Leclant et Allard-
Huard, 1980 ; Lugan, 2002 : 20-27).
Présent de l’Atlantique à la mer Rouge et de l’Atlas jusqu’au Sahel, l’art
rupestre saharien est concentré dans deux grandes zones, le Sahara central
et la région du Nil. Riche d’enseignements pour tout ce qui concerne la vie
des populations depuis 10 000 ans, il permet de suivre l’évolution des
modes de subsistance, depuis l’économie de ponction exclusive (chasse-
pêche-cueillette) jusqu’au pastoralisme. Les représentations rupestres
sahariennes permettent également de distinguer plusieurs populations
morphotypiquement nettement identifiables41 et qui vivaient séparées les
unes des autres, même quand elles cohabitaient, comme dans les régions du
Tassili et de l’Acacus. Ce cloisonnement humain est illustré dans le
domaine artistique par les représentations rupestres (gravures et peintures)
dont les styles naturalistes sont très différents les uns des autres (Muzzolini,
1983, 1986).
Durant la Période archaïque dont le style est le Bubalin et qui est datée
entre ± 8000/± 4500 av. J.-C. et durant la Période pastorale dont le style est
le Bovidien et qui, elle, est datée entre ± 4500/± 1000 av. J.-C., les gravures
et surtout les peintures permettent ainsi d’identifier trois grands groupes de
population (Muzzolini, 1983 ; Iliffe, 1997 : 28) :
1. un groupe leucoderme aux longs cheveux (Smith, 1992a). Selon
Muzzolini (1983 : 195-198), les gravures du Bubalin Naturaliste
doivent en effet être attribuées à une culture « europoïde » dont les
auteurs occupaient tout le Sahara septentrional42 ;
2. un groupe mélanoderme mais non négroïde, à l’image des Peuls ou des
Nilotiques actuels ;
3. un seul groupe négroïde est attesté dans le Sahara central, exactement
dans le Tassili, en pleine zone des « Têtes Rondes » desquels il se
distingue radicalement. D’autres représentations de négroïdes se
retrouvent ailleurs au Sahara et notamment au Tibesti, dans l’Ennedi et
à Ouenat. En règle générale et en dépit de nombreuses interférences
territoriales, la « frontière » entre les peuplements blancs et noirs est
constituée par la zone des 25e-27e parallèles qui sépare le Néolithique de
tradition capsienne du Néolithique saharo-soudanais. Il s’agirait donc,
non seulement d’une frontière climatique et écologique, mais encore
d’une frontière « raciale ». Car le
« […] Tropique […] partage en quelque sorte le Sahara en deux
versants : l’un, où prédominent les Blancs, l’autre, presque entièrement
occupé par les Noirs. » (Camps 1987 : 50)

Les grandes séquences stylistiques de l’art rupestre


saharien43
En raison des multiples techniques utilisées et des nombreuses différences locales
ou régionales, chaque massif saharien ayant son ou ses styles, la classification des
peintures rupestres sahariennes a donné lieu à de nombreuses et savantes
controverses. La définition des styles de peinture paraît donc plus complexe que pour
ce qui est des gravures44. Depuis les années 1950, en dépit des querelles d’écoles et
de la multiplicité des découvertes, la classification de cet art repose sur quatre grands
styles définis par les animaux majoritairement représentés. Du plus ancien au plus
récent, il s’agit du Bubalin, du Bovidien, du Caballin et du Camelin.
– L’art bubalin ne tire pas son nom de l’antilope bubale45 mais du grand buffle
antique46. L’art bubalin correspond à la période dite « archaïque » qui s’étend de
± 8000 à ± 5000 av. J.-C. Au point de vue climatique, il est donc compris dans le
Grand Humide qui a vu le retour de la faune et des hommes après l’épisode de
l’Hyperaride. Dans sa première partie, il s’agit d’une période de chasse exclusive
qui évolua ensuite vers une période associant chasse et élevage. L’art bubalin,
majestueux par ses dimensions met en scène une faune et des milieux aujourd’hui
disparus. Dans la partie septentrionale du Sahara, depuis l’Atlas jusqu’au Sahara
central, les gravures du « Bubalin » seraient apparentées (Le Quellec, 1998 : 506-
507), ce qui signifierait qu’elles auraient pour auteurs des locuteurs afrasiens, donc
des proto-Berbères, car, seule cette famille était présente dans ces deux zones à
cette époque47.
– L’art bovidien couvre la période qui s’étend environ de ± 5500 av. J.-C. à
± 1500 av. J.-C. Il est divisé en sous-périodes et en de multiples « écoles » liées
aux populations diversifiées qui occupaient alors le Sahara. Durant la première
période du Bovidien, les gravures dominent puis les peintures deviennent de plus
en plus nombreuses. À la différence du Bubalin, le Bovidien est miniaturisé et plutôt
réaliste. C’est avant tout un art du quotidien fait de petites compositions constituant
des mines de renseignements pour les ethno-historiens. Le Bovidien est la période
d’apogée de l’élevage des bœufs domestiques. Le Bovidien se trouve en
abondance dans tout le Sahara.
– L’art caballin apparaît dans un contexte d’assèchement. Il correspond en partie à
l’Aride Post-néolithique qui voit la disparition ou du moins la raréfaction des
hommes et de la grande faune de l’Humide Néolithique. La période s’étend donc
environ de ± 1500 à ± 500 av. J.-C. Sur les représentations, l’élevage qui apparaît
de plus en plus transhumant est composé essentiellement de chèvres et de
moutons, animaux moins exigeants en eau et en pâturages que les bovins. La
tendance est à la stylisation des personnages. Deux grandes nouveautés sont liées
à cette période : l’apparition du métal puisque des pointes de lances sont figurées et
à la fin de la période, les représentations de chevaux montés et de chars attelés.
– L’art camelin48 correspond à une période s’étendant du début du Ier millénaire
jusqu’au XIXe siècle.

Durant la période pastorale, entre ± 4500 et ± 1000 av. J.-C., les Blancs
méditerranéens pénètrent dans le Sahara central et notamment au Tassili
qui, jusque-là, était peuplé par des mélanodermes probables ancêtres des
Peul.
Vers ± 1500-800 av. J.-C., au moment de la période dite des Equidiens
dont le style artistique est le Caballin, le Sahara était totalement peuplé par
des Berbères dont l’influence se faisait sentir jusque dans le Sahel comme
la toponymie l’atteste49. Les peintures du Sahara central et septentrional
montrent bien que le Sahara était alors devenu un monde leucoderme. Dans
les régions de l’Acacus, du Tassili et du Hoggar, sont ainsi représentés avec
un grand réalisme des « europoïdes » portant de grands manteaux laissant
une épaule nue, et apparentés à ces Libyens orientaux dont les
représentations sont codifiées par les peintres égyptiens quand ils figurent
les habitants du Sahara. C’est également dans cette région et alors que
l’économie est encore pastorale, qu’apparaissent des représentations de
chars à deux chevaux lancés au « galop volant » montés par des
personnages stylisés vêtus de tuniques à cloche. Ces chars sont
indubitablement de type égyptien car leur plate-forme est située en avant de
l’essieu50.
Vers le sud-est et vers le sud, les représentations liées aux Equidiens sont
absentes, les figurations cessant aux limites presque exactes des actuels
territoires toubou et haoussa (Muzzolini, 1983 : 203).
Dans l’état présent des connaissances, il paraît difficile d’aller plus avant
dans la « cartographie » humaine des populations sahariennes à ces
époques.

E. Les néolithiques africains


À partir de ± 10 000 av. J.-C., la sédentarisation est attestée en Palestine,
chez les Natoufiens et à partir de ± 9500 av. J.-C. les premières
agglomérations apparaissent, notamment à Jéricho. Vers ± 8000 av. J.-C.,
les premières expériences agricoles sont prouvées en Syrie puis, entre
± 7600 av. J.-C. et ± 6600 av. J.-C., la culture de l’orge et du blé semble se
généraliser. Entre ± 6600 et ± 6000 av. J.-C., le phénomène de
néolithisation avec élevage des chèvres et des moutons qui était apparu au
Proche-Orient semble se répandre vers l’Anatolie et le littoral
méditerranéen. Vers ± 6000 av. J.-C., l’élevage des bovins et les premières
céramiques apparaissent. La domestication des chiens est certaine en Iran et
en Palestine vers ± 10 000 av. J.-C.
Au même moment, en Afrique :
« […] le Sahara central peut-être entendu comme un foyer de
néolithisation […] Les données récentes, en particulier les diverses
dates obtenues par radiochronologie, identiques à celles connues au
Proche-Orient, sinon plus anciennes, ne permettent plus de retenir
l’origine proche-orientale du Néolithique africain. L’hypothèse d’une
influence implique une progression particulièrement rapide inhabituelle
dans le monde préhistorique et se heurte à l’absence de jalons ; à
l’inverse, une convergence trouve un début de confirmation dans les
différences technologiques ». (Aumassip, 2001 : 133)

1. La question de l’agriculture et de l’élevage


Il est difficile de savoir quand les populations africaines ont commencé à
pratiquer l’agriculture51 et cela pour une raison méthodologique : dans les
niveaux archéologiques, les restes de certaines plantes cultivées, comme les
ignames, ne sont pas conservés, tandis que la présence de céréales n’est pas
une preuve irréfutable car elles peuvent avoir été récoltées à l’état sauvage.
Quant à la présence de poterie, elle ne permet pas d’induire que nous
sommes en présence de populations connaissant ou pratiquant l’agriculture.
Il en est de même des meules qui peuvent avoir servi à broyer des
graminées sauvages. D’ailleurs, pour les populations africaines de l’époque,
l’agriculture n’était pas une nécessité car :
« L’étude des chasseurs-cueilleurs actuels montre que nombre d’entre
eux peuvent se nourrir en fournissant moins d’efforts et en jouissant
d’une plus grande liberté que la plupart des pasteurs et des agriculteurs
[…] Étant donné l’abondance de produits sauvages en Afrique, produire
de la nourriture était une corvée que les peuples de la préhistoire n’ont
pu tolérer que si, suite à un profond bouleversement de leur cadre
d’existence, elle leur offrait des avantages marqués par rapport à leur
ancien mode de vie. » (Illife, 2000 : 25)
Jusqu’au XVIe siècle l’agriculture de l’Afrique sud-saharienne reposait
essentiellement sur ce que Murdock (1959) appelait le « complexe
soudanais » composé du mil, du sorgho, de l’éleusine et de variétés
africaines de pois et de haricot. Les cultures d’origine asiatique comme le
taro, les ignames et la banane ne furent répandues qu’après l’an mille.
Quant au complexe américain (maïs, manioc, patates douces,
arachides, etc.), il fut introduit à partir de la fin du XVIe siècle par
l’intermédiaire des Portugais.
Pour ce qui est de l’élevage, les plus anciennes dates africaines
proviennent du Sahara où la domestication des bovins semble être
antérieures à celles du Moyen-Orient puisqu’elle pourrait y avoir débuté il y
a 9500 ans52.
Sur certaines gravures ou peintures sahariennes, des phases de
tâtonnement désignées sous le nom d’« indices d’appropriation par
l’homme » ou d’« indices de mise en captivité », permettraient-elles
d’affirmer qu’il y aurait eu domestication d’espèces sauvages locales53 ?
Deux thèses sont en présence, celle d’une découverte faite in situ et celle
reposant sur le diffusionnisme :
– pour les partisans du diffusionnisme en direction du Sahara, les
datations attestées témoignant d’une ère pastorale à bœufs domestiques
ne sont nulle part antérieures à ± 4500/± 4 000 av. J.-C., y compris dans
l’Acacus, sur le site de Uan Muhuggiag, où le pastoralisme aurait
débuté vers ± 4100 av. J.-C. (Muzzolini, 1983 : 183-189 ; Le Quellec,
1998 : 81,285-286,300-303). Le Sahara ne serait donc pas un milieu
d’invention, mais de diffusion de nouveautés découvertes ailleurs et
introduites lors des migrations se produisant à la faveur de
l’amélioration climatique de la période humide, c’est-à-dire entre
± 7 000 et ± 4 000 av. J.-C.54 ;
– pour les partisans d’une invention saharienne in situ du pastoralisme,
les plus anciennes datations portant sur les ossements d’animaux
domestiques ne permettent pas de dater les débuts de la domestication,
mais uniquement le moment où elle devient identifiable par les
archéologues. La domestication est donc nécessairement plus ancienne
que les dates au C 14 dont nous disposons.
La question des origines de la traite bovine n’est pas davantage résolue.
Au Proche-Orient et en Égypte, elle n’est pas attestée avant
± 4500/± 4 000 av. J.-C., aussi, pour Muzzolini, il n’est pas pensable que le
Sahara l’ait connue « bien avant et seul » (1983 : 187). Selon Le Quellec,
accepter une antériorité du Sahara dans ce domaine :
« […] n’est pas acceptable sans remettre totalement en question tout ce
que l’on sait de la Néolithisation. Une telle hypothèse ne s’appuyant sur
aucun argument contraignant, il est bien évident qu’elle doit être
abandonnée. » (Le Quellec, 1998 : 286)
Les mêmes remarques peuvent être faites en ce qui concerne la
domestication des ovins que certains font apparaître vers ± 5500 av. J.-C. et
d’autres pas avant ± 4 000 avant J.-C55. :
« Les plus anciennes indications certaines de domestication ovine dans
le nord de l’Afrique proviennent des grottes de Hawa Fteah, en
Cyrénaïque, ou Capeletti, dans les Aurès, et elles ne remontent qu’au
Ve millénaire avant notre ère56 ; aucune date plus ancienne n’a jamais pu
être établie […] ». (Le Quellec, 1998 : 81)
Concernant toujours les ovicaprinés, en forêt, la chèvre précède le
mouton et dans ce milieu, aucune évidence de présence de mouton n’est
attestée avant le début de l’ère chrétienne. Pourtant, à Kintampo, dans
l’actuel Ghana, les ovicaprinés semblent être présents vers ± 1600-
1200 avant J.-C57.
Face aux diverses hypothèses qui viennent d’être exposées, il est difficile
de trancher et de faire autre chose qu’une sorte de catalogue car les
connaissances sont mouvantes.

L’origine de la domestication
L’étude du proto-afrasien et du proto-nilo-saharien est riche d’enseignements
concernant la question de l’origine de la domestication.
– En ce qui concerne le proto-afrasien qui est associé à la période comprise entre
± 15 000 et ± 13 000 av. J.-C., aucun terme ne permet de supposer la domestication
des animaux ou la culture des céréales à cette époque durant laquelle les hommes
sont des chasseurs-cueilleurs nomades ou semi-nomades. Plus tard, aux VIIe-
VIe millénaires av. J.-C., au moment où se produisit la fragmentation donnant
naissance au proto-berbère, au proto-couchitique, à l’égyptien et au proto-
sémitique, des mots nouveaux apparaissent comme porc en égyptien ou mouton
dans le proto-sémitique. Ceci montre que :
« […] les animaux domestiques devaient être connus avant la fragmentation de la
langue-mère, donc vers les VIe-VIIe millénaires av. J.-C. […]. Cette constatation est
renforcée par le fait qu’un millénaire plus tard, les locuteurs du proto-tchadique ont
emprunté l’ancien terme en lui conservant son sens premier, évidemment avant de
commencer leur déplacement vers le Soudan central, où ce terme a produit la
dénomination actuelle de la “vache” dans une zone qui ne correspond pas au
biotope naturel des bovins sauvages. Dans cette région, les bovins n’ont donc pu
être domestiqués sur place, ils ont forcément été introduits par des pasteurs : ceux-
là mêmes qui utilisaient encore le vieux mot érythréen dont le sens évoluait
différemment plus à l’est et au nord. » (Le Quellec, 1998 : 498)
– Au sein de la famille proto-nilo-saharienne, des mots comme enclos, troupeau,
bétail, génisse, taureau, mouton, etc., semblent apparaître vers ± 7 000 avant J.-C.,
ce qui indiquerait que :
« […] La domestication était connue […] à une date […] obligatoirement antérieure
à celles qu’attestent les découvertes d’ossements animaux datés par le 14 C. […]
Que cette primo-domestication soit attribuée aux locuteurs sud-érythréens vers le
IX millénaire av. J.-C., aux Proto-couchitiques des environs de 7000 av. J.-C. ou
e

quelques millénaires plus tard, elle ne peut avoir eu lieu que dans une zone située
entre les monts de la mer Rouge, les plateaux éthiopiens et le Nil. Les régions
situées à l’ouest de cette zone ne correspondent pas au biotope des ancêtres
sauvages du bétail domestique, particulièrement en ce qui concerne chèvres et
moutons […]. Le tout début du mouvement de diffusion du bétail domestique vers
l’ouest – donc vers le Sahara central – pourrait se situer vers 8000-7000 av. J.-C.
selon les données linguistiques concernant tant la famille nilo-saharienne que
l’afrasienne […] Or, à cette époque, seuls des gens de langue nilo-saharienne ou
afrasienne pouvaient nomadiser dans ce désert occidental d’Égypte où les
archéologues repèrent certains des plus anciens bovinés domestiques identifiés en
Afrique […] Ceux de Nabta Playa à 100 km à l’ouest du Nil sont datés avec
certitude du Ve millénaire av. J.-C.
[…] Tout ceci fait que, au Sahara, le bétail domestique aurait été introduit, au Nord,
par des Afrasiens descendants des nord-érythréens et au sud par des nilo-
sahariens. Les débuts de ce mouvement d’introduction du bétail domestique vers
l’Ouest, c’est-à-dire vers le Sahara, se seraient faits par diffusion et pourraient être
datés vers 8000 av. J.-C. selon les données archéologiques et vers 7000 av. J.-C.
selon les études linguistiques portant aussi bien sur les Afrasiens que sur les Nilo-
Sahariens. » (Le Quellec, 1998 : 499-500)

2. La poterie
Les plus anciennes poteries africaines ont été découvertes au Sahara où
elles ont été datées d’au moins 8000 av. J.-C., ce qui fait qu’elles
précéderaient d’un millier d’années au moins celles du Proche-Orient. Ainsi
pourrait-il en être avec les sites de Tin Ouaffadene dans le nord est du Niger
à une vingtaine de kilomètres au sud d’Adrar Bous et de l’Aïr où les
gisements d’Adrar Bous, de Temet et de Tagalagal ont donné des tessons ou
des preuves indirectes d’utilisation des céramiques, comme par exemple des
peignes destinés à les décorer par incisions. Sur tous ces sites, les datations
se situent entre ± 8500 et ± 7500 av. J.-C. (Roset, 1996 : 31). Si l’on ajoute
à ces découvertes celles faites dans le Hoggar, dans le massif du Tadrart
Acacus, au Fezzan occidental et dans le Tassili n’Ajjer, l’idée d’un foyer
saharien d’invention de la céramique paraît s’imposer puisque, au Moyen-
Orient le plus ancien site connu, Tell Mureybet, en Syrie, donne
± 7300 av. J.-C. Ainsi :
« À ce jour, le Sahara central a ravi à l’aire du Nil les premières
poteries. Celles-ci ont en effet été créées parmi des communautés en
voie de sédentarisation, qui pratiquaient une économie à large spectre
dans des environnements similaires, depuis le Nil jusqu’à la Mauritanie.
Ainsi, la diffusion des premiers vecteurs néolithisants – la céramique et,
peut-être la domestication du bœuf – semble-t-elle procéder davantage
d’un mouvement ouest-est (Sahara-Nil) que du contraire ». (Midant-
Reynes, 2000 : 161)
Il faut aller loin vers le Sud, jusqu’à la hauteur de Khartoum, pour
trouver les premières céramiques attestées de la haute vallée du Nil. Datées
de ± 6000 av. J.-C. (VIIIe-VIe millénaires av. J.-C.), elles sont associées à un
ensemble chasse-cueillette-pêche baptisé Mésolithique de Khartoum ou
Early Khartoum, produisant des céramiques différentes de celles du Sahara
central. Il s’agit d’une céramique noire au décor dit wavy-line que l’on
retrouve dans le Sahara sud oriental, notamment au Borkou et dans
l’Ennedi.

3. La métallurgie
Alors que nous sommes bien renseignés pour certaines régions (Afrique
du Nord, Sahara, région interlacustre et Afrique australe), nos
connaissances concernant la métallurgie sont en revanche plus que
fragmentaires pour une grande partie de l’Afrique de l’Ouest, pour
quasiment toute l’Afrique forestière ainsi que pour l’Afrique orientale.
À l’exception de l’Égypte, de la Nubie et de l’ouest saharien (Aumassip,
2001 : 193), l’Afrique qui n’a connu ni l’âge du cuivre58, ni l’âge du bronze,
est passée sans transition de l’âge de la pierre à celui du fer59. Dans la plus
grande partie de l’Afrique sud saharienne, là où la métallurgie du cuivre est
connue, elle est contempraine de celle du fer et au sud de l’équateur, la
métallurgie du fer semble associée chronologiquement aux débuts de
l’agriculture (Phillipson, 1993 : 158).
Au Sahara nigérien les dates d’apparition de la métallurgie du fer sont
peut-être comprises entre ± 1870 et ± 1130 av. J.-C., comme à Termit
(Quéchon, 1996 : 22-23). Si ces dates étaient confirmées, nous serions face
à un réel problème dans la mesure où, en Égypte, le travail du fer n’est pas
généralisé avant le VIIe siècle av. J.-C. Comme une telle ancienneté exclurait
une origine méditerranéenne ou nilotique, l’existence d’un « foyer
autochtone africain d’invention métallurgique » serait donc probable
(Quéchon, 1996 : 23). La question est néanmoins ouverte car, plus au sud,
les plus anciennes datations confirmées viennent de Nok dans l’actuel
Nigeria où le travail du fer semble apparaître au début de l’ère chrétienne.
Dans l’Afrique interlacustre, les travaux de Schmidt (1978) et ceux de
Van Grunderbeeck (1983, 1992) dans la région du lac Victoria, au Rwanda
et au Burundi, semblent démontrer que la métallurgie du fer y est plus
ancienne que ce que l’on pensait puisqu’elle pourrait y être antérieure au
Ve siècle av. J.-C. Ce premier âge du fer semble avoir été introduit sous sa
forme achevée puisque nulle part dans la région n’ont été mises en évidence
les étapes d’élaboration.
Dans les régions comprises entre le Zambèze et le Limpopo, la
métallurgie (Premier âge du fer), est plus récente puisqu’elle y débute
au IVe siècle ap. J.-C. Compte tenu de son apparition à peu près simultanée
dans toute l’étendue de cette partie de l’Afrique australe, elle semble donc y
avoir été introduite par un important et rapide mouvement de population.
Les datations au C.14 montrent que plus on va vers le Sud et plus
l’introduction de la métallurgie du fer est récente. Ainsi apparaît-elle au sud
du Limpopo deux siècles plus tard, soit au VIe siècle, et sous forme d’une
culture pleinement constituée qui s’est donc formée plus au nord
(Phillipson, 1980 : 731).
Le Deuxième âge du fer sud-africain qui débute vers 1100 se caractérise
par une nouvelle technologie de fonte du minerai et par la fabrication d’une
céramique différente de celle du Premier âge du fer. Son introduction
pourrait être le marqueur des migrations de populations bantuphones.

F. La révolution égyptienne
Les variations du niveau du Nil expliquent largement le « miracle »
égyptien. Durant les périodes humides, l’actuel cordon alluvial du Nil
disparaissait sous les eaux ; ainsi, durant presque 40 siècles, le fleuve coula-
t-il entre 6 à 9 mètres au-dessus de son cours actuel. En revanche, durant les
épisodes hyperarides, son débit diminuait car il n’était plus alimenté par ses
nombreux affluents sahariens alors à sec ; il ne disparaissait cependant pas
pour autant car il recevait toujours les eaux équatoriales qui lui arrivaient
depuis les hautes terres de l’Afrique orientale.
Le peuplement de la vallée du Nil a donc étroitement dépendu des
variations du niveau du fleuve et des évolutions climatiques régionales
puisque la vallée s’est peuplée ou au contraire vidée de ses habitants au gré
des épisodes successifs de sécheresse ou d’humidité qu’elle a connus.
Quand elle était sous les eaux, la vie l’abandonnait pour trouver refuge dans
ses marges les plus élevées, auparavant désertiques mais redevenues, sous
l’effet du changement climatique, favorables à la faune, donc aux hommes
vivant à ses dépens. Au contraire, durant les épisodes de rétractation du Nil,
la vallée du fleuve était de nouveau accueillante.
Chronologies de la vallée du Nil et du Sahara oriental
± 8050/± 3450 av. J.-C. = époque néolithique

– Néolithique saharien ancien : – ± 8050-5950 av. J.-C. (Nabta Playa I et II)

– Néolithique saharien récent : – ± 5750-3450 av. J.-C. (Nabta Playa III)

– Néolithique égyptien : – ± 5700-4700 av. J.-C. (Fayoum A)

– Néolithique nubien : – ± 5700-5200 av. J.-C.


± 5500/± 3500 av. J.-C. en Égypte = Prédynastique

– Badarien (Badari) : – ± 5500-3800 av. J.-C.

– Amratien (Nagada 1) : – ± 4500-3900 av. J.-C.

– Mérimdé : – ± 4600-3500 av. J.-C.

– El-Omari : – ± 4200-4000 av. J.-C.


± 3500/± 3200 av. J.-C. en Égypte = Protodynastique

– Gerzéen (Nagada II) : – ± 3500-3200 av. J.-C.

– (Nagada III) : – ± 3200-3100 av. J.-C.

1. L’Égypte, fille des changements climatiques


La chronologie climatique « longue » de la vallée du Nil depuis
20 000 ans permet de mettre en évidence quatre grandes phases comportant
des particularités régionales pouvant différer des séquences mises en
évidence plus haut, notamment en ce qui concerne le Sahara. L’alternance
entre périodes humides et périodes sèches explique l’histoire du peuplement
de l’Égypte.
a. De ± 16 000 à ± 13 000 av. J.-C.
Durant le Dernier Maximum Glaciaire, la région connut un épisode froid
et par conséquent aride et l’étroite plaine alluviale du Nil devint un refuge
pour les populations fuyant la sécheresse du Sahara oriental. Les occupants
de la vallée tiraient alors leur subsistance d’une économie de ponction
classique associant chasse, pêche et cueillette fondée sur la transhumance,
elle-même commandée par les crues du fleuve. Or, les chasseurs pêcheurs
cueilleurs vivant dans la vallée furent contraints de s’adapter à des espaces
limités qu’ils se mirent à « gérer » afin d’en tirer le maximum de
subsistance ; c’est alors que l’économie de prédation et de ponction évolua
lentement vers une économie de gestion. Cette période est celle de
l’Adaptation nilotique qui débuta très tôt et qui constitue le terme d’un long
processus qui semble démarrer vers 16 000 av. J.-C. Cette économie de
prédation présente l’originalité d’être déjà en partie sédentaire car des
campements étaient installés sur les sites d’exploitation des ressources et ils
étaient utilisés régulièrement selon les saisons et en fonction de leur
spécialisation : pêche, chasse ou collecte des graminées sauvages
(Vercoutter, 1992 : 93). Saisonniers à l’origine, ces campements
s’agrandirent et se spécialisèrent ; vers 10 000 av. J.-C., ils devinrent
permanents et disposaient même de cimetières.
L’Adaptation nilotique est donc une économie de ponction rationalisée
car pratiquée sur un espace restreint ne permettant plus le nomadisme
alimentaire de la période précédente. Nous sommes encore loin du
néolithique, mais les bases de ce qui sera la division de la vie de l’Égypte
pharaonique paraissent déjà émerger :
« N’y a-t-il pas dans le tableau de l’adaptation nilotique les germes
lointains des trois saisons des Égyptiens ? L’inondation ; le retrait des
eaux ; la chaleur. Mobiles à l’intérieur d’un territoire restreint, ces
groupes surent développer une communauté de gestes, une notion de
collectivité dont témoignent à la fois leur retour régulier et l’utilisation
du stockage. » (Midant-Reynes, 1992 : 237)
Puis le climat changea à nouveau et les pluies noyèrent la vallée du Nil,
provoquant le départ de ses habitants.
b. De ± 13 000 à ± 7000-6000 av. J.-C.
Cette période que nous avons baptisée Répulsion Nilotique (Lugan,
2002 : 17) épisode hyper-pluvial avec inondation de la vallée du Nil. En
raison des pluies équatoriales, le fleuve déborda de son lit, provoquant un
nouvel exode de ses habitants. Les hommes réoccupèrent alors les
escarpements dominant la vallée ou repartirent vers l’Est et surtout vers
l’Ouest, pour recoloniser les anciens déserts qui refleurissaient alors en
partie (Midant-Reynes, 1992 : 68).
c. De ± 7000-6000 à ± 5000-4000 av. J.-C.
Puis la sécheresse réapparut et la vallée du Nil qui redevint un milieu
refuge commença à être repeuplée, essentiellement à partir du Sahara et du
désert oriental.
Cette période qui est celle de l’Aride intermédiaire ou Aride mi-holocène
paraît être considérable pour l’évolution de la vallée du Nil car elle entraîna
le repli vers le fleuve de populations sahariennes pratiquant l’élevage des
bovins et des ovicapridés. Or, ce mouvement de pasteurs venus depuis le
Sahara oriental et central explique en partie l’éveil égyptien. La
« naissance » de l’Égypte semble en effet due à la rencontre entre certains
« néolithiques » sahariens et les descendants des hommes de l’Adaptation
nilotique. Vers 5500 av. J.-C. débuta d’ailleurs le pré dynastique qui est la
période formative de l’Égypte.
d. Vers ± 3500-3000 av. J.-C.
Cette séquence que nous avons baptisée Équilibre Nilotique (Lugan,
2002 : 20) se poursuit jusqu’à nos jours. Le phénomène débuta avec l’Aride
post-néolithique (± 3500 ± 1500 av. J.-C.)60 qui provoqua un nouvel exode
des populations sahariennes qui vinrent « buter » sur la vallée du Nil. Puis,
vers ± 1000 av. J.-C. et jusque vers ± 800 av. J.-C., le retour limité et bref
des pluies permit la réapparition de quelques pâturages. Cette période
constitua une transition entre l’Aride post-néolithique et l’Aride actuel.
Puis, le niveau des nappes phréatiques baissa à nouveau, les sources
disparurent et les puits tarirent. L’Aride actuel se mit en place et le Sahara
entra alors dans la période historique.

2. Le Prédynastique (-5500-3500 av. J.-C.)


et le Protodynastique (-3500-3200 av. J.-C.)
C’est donc dans une succession d’épisodes climatiques secs et humides
que s’inscrivent le Prédynastique et le Protodynastique égyptien.
Durant l’Aride intermédiaire, et nous venons de le voir, s’était produit un
nouvel exode en direction de la plaine alluviale du Nil qui était apparue une
fois encore comme le refuge naturel pour les populations de ses périphéries.
Elles s’y étaient concentrées et, de pastorale, l’économie y était devenue
peu à peu agricole tandis que l’habitat se regroupait. Cette nouveauté est le
Néolithique, mouvement qui débuta avec le village de Fayoum A (Fayum),
dont les habitants cultivaient l’orge, les lentilles, les oignons, les pois
chiches, le lin, vers ± 5700± 4700 av. J.-C. (Vercoutter, 1992 : 120-121).
Jusque-là, le milieu naturel avait permis aux hommes la poursuite d’une
économie de cueillette. Durant tout le pré-dynastique, l’élevage fut encore
possible sur des pâturages, certes rétrécis, mais encore existants. Comme la
sécheresse n’avait pas encore totalement stérilisé le désert occidental, la
chasse procurait un complément de ressources, mais les nouvelles
contraintes climatiques firent que l’élevage et la cueillette cédèrent bientôt
le pas à l’agriculture, mutation qui paraît achevée au IIIe millénaire av. J.-C.
Vers ± 5500 av. J.-C., les débuts du Prédynastique sont attestés avec les
grandes cultures classiques que sont le Badarien (du village de Badari) et
l’Amratien (du village d’el Amra). C’est cependant avec le Nagadien (du
village de Nagada), qu’une véritable révolution se produisit quand la
densité humaine devint plus forte dans un milieu où l’espace à conquérir
avait disparu. L’homme fut donc contraint d’entreprendre des travaux
collectifs communautaires destinés à augmenter les productions par
l’utilisation efficace de l’inondation, donc de la circulation de l’eau et des
limons alluviaux (Midant-Reynes, 1998 : 260).
Un tel système impliquant une rigoureuse organisation de l’espace et des
hommes fut généralisé à l’ensemble de la vallée, Delta du Nil compris,
durant le Protodynastique (± 3500/± 3200 av. J.-C.) ou phase dite de
Nagada II.
Cette période qui précède l’unification pharaonique vit l’habitat se
concentrer. Depuis ± 3800 av. J.-C., la vallée de la Haute-Égypte était
comme parsemée de villages parmi lesquels Nagada et Hierakonpolis
paraissent alors dominer. D’Assiout au Nord, jusqu’à la Nubie (Djebel
Silsileh-Kom Ombo), depuis la IIe cataracte jusqu’au Delta, toute cette
région avait une unité culturelle et économique précédant et préparant
l’unité politique du début de la période pharaonique ou Période archaïque
qui débuta vers ± 3200 av. J.-C.
L’Égypte s’est donc trouvée au centre de deux influences, l’une, venue du
Sahara et l’autre du monde oriental. C’est d’ailleurs à Badari, dans la partie
de la vallée la plus ouverte à la fois sur l’Est et sur l’Ouest, que se constitua
la première culture égyptienne61. De la même manière, plus tard, c’est à
Nagada, au point de rencontre des pistes sahariennes et de celles de la mer
Rouge qu’apparût la matrice culturelle d’où découle la civilisation
égyptienne. Très tôt diffusée à toute la vallée, elle influença les régions
méridionales, y compris la Nubie.

3. La Nubie
La Néolithisation de la Nubie semble débuter dans la région de Khartoum
et plus généralement dans la plaine du Butana comprise entre le Nil Bleu et
l’Atbara entre ± ± 5700-5200 av. J.-C. Elle s’est faite en deux phases :
– la première est celle du Mésolithique de Khartoum ou Early Khartoum
datée des VIIIe-VIe millénaires av. J.-C. et dont les populations de
chasseurs-pêcheurs-cueilleurs en partie sédentarisées fabriquaient les
premières poteries de la vallée, et cela, 2000 ans avant l’Égypte, alors
qu’elles ne connaissaient ni la domestication, ni l’agriculture ;
– la seconde phase est celle du Néolithique soudanais ou Néolithique de
Shaheinad. Daté entre ± 5700-5200 et ± 4900-3700 av. J.-C., il est donc
contemporain du Prédynastique égyptien. Comme lui, il connaît
l’élevage des bovins et des ovins. En Nubie, l’aride de la période
± 6000 ± 5000-4500 av. J.-C. eut également de très importantes
conséquences. Elles furent cependant différentes de celles de l’Égypte.
Au nord du 22e parallèle où la population, enfermée dans la vallée et
piégée par la crue annuelle, manquait d’espace, l’unification étatique
apparut comme la seule alternative aux défis du milieu ;
économiquement, l’élevage devint rapidement secondaire par rapport à
l’agriculture.
En Basse Nubie et jusqu’à Assouan, les classifications sont différentes
puisque l’on parle de la Culture du Groupe A depuis les travaux de
l’égyptologue américain George Reisner (1867-1942). Cette culture
pastorale caractérisée par la sédentarisation avec un habitat formé de huttes
rondes et dont l’organisation politique semble être la chefferie, pourrait
avoir émergé au Ve millénaire av. J.-C. pour disparaître vers ± 2800 av. J.-
C., au moment où l’Égypte connaissait ses premières dynasties. Trois
phases ont été identifiées, le Groupe A ancien, le Groupe A classique et le
Groupe A récent. Le Groupe A ancien qui est contemporain de la fin des
cultures de Mérimdé, du Fayoum A, du Badarien et de l’Amratien est daté
de ± 5700-5200 av. J.-C. Il correspond également au Néolithique récent
soudanais et au Néolithique de Nabta Playa III (Vercoutter, 1992 : 138).
Les cultures nubiennes de cette époque ne sont pas coupées de celles de
l’Ouest saharien. La Nubie semble même être en relation étroite avec le
Sahara, à telle enseigne qu’elle pourrait faire partie d’un même ensemble
nilo-saharien. Les hommes du Mésolithique de Khartoum fabriquaient ainsi
une céramique noire au décor dit « wavy-line » que l’on retrouve
notamment au Borkou et jusqu’au Hoggar (Arkell et Ucko, 1975 : 21-22).
Entre la 3e et la 4e cataracte – c’est-à-dire en Haute Nubie –, puis entre les
confluences du Nil Bleu et de l’Atbara, la région est plus vaste, plus
ouverte, moins « coincée » que la vallée égyptienne du Nil et il était donc
possible d’y poursuivre l’élevage des bovins. Au moment où le Sahara
égyptien connaissait sa phase ultime d’assèchement, plus au sud, le Sahara
soudanais conservait encore un minimum d’humidité permettant la survie
d’une économie pastorale. Au Nord, les pasteurs sahariens berbères ayant
migré depuis le Sahara oriental disparurent ou se fondirent dans la
population de la vallée en abandonnant l’élevage. Tout au contraire, au Sud,
les pasteurs sahariens « noirs » purent continuer leur mode de vie après
avoir trouvé refuge dans la vallée du Nil et dans ses marches. Comme nous
l’avons vu précédemment, ils y demeurèrent jusque vers ± 1500 av. J.-C.,
période durant laquelle la sécheresse toucha la région qui se vida à son tour
de ses habitants. Certains migrèrent alors vers le Sud, par le couloir des
hautes terres qui les conduisit jusque dans la région des Grands Lacs. Nous
sommes là aux origines du peuplement pastoral de l’Afrique orientale et
interlacustre.
4. Les populations de la vallée du Nil
La question de savoir qui étaient les anciens Égyptiens (Froment, 1992 ;
1994) est régulièrement posée depuis que Cheikh Anta Diop a affirmé avec
une grande radicalité que l’Égypte était « Nègre62 ». Ses postulats63,
abondamment repris par le courant dit afrocentriste, sont aujourd’hui
abandonnés pour trois raisons principales :
1. l’ancien égyptien n’a pas de parenté avec les langues parlées en Nubie.
Le nubien ancien appartient ainsi au groupe linguistique nilo-saharien
alors que l’égyptien se rattache au groupe afrasien ou afro-asiatique qui
sont comme nous l’avons vu précédemment, deux familles totalement
différentes ;
2. au point de vue physique, les Égyptiens anciens étaient des « Blancs »
de type « méditerranéen ». Nous le savons :
• par l’étude des momies64 qui permet d’affirmer que les mélanodermes
étaient très rares dans l’ancienne Égypte. Dans leur immense majorité,
les momies égyptiennes sont en effet celles d’individus leucodermes
ayant des cheveux lisses ou ondulés et non crépus (Hrdy, 1978 ;
Rabino-Massa et Chiarelli, 1978)65. Quant aux squelettes, ils ne
présentent pas de caractères négroïdes ;
• par l’étude des représentations artistiques. Les Égyptiens anciens
avaient en effet des codes établis lorsqu’ils se représentaient, les
hommes en rouge et les femmes en teinte plus claire, parfois même
blanche. Chaque population étrangère était peinte selon des traits
particuliers et selon sa « couleur ». Ainsi, quand les Égyptiens
figuraient des populations comme les Syriens ou les Peuples de la
mer, ils leur donnaient des teintes plus claires que la leur. Les Syro-
Palestiniens étaient également représentés avec un bandeau dans les
cheveux et une barbe. Les Libyco-Berbères vivant dans le désert et les
oasis de l’Ouest étaient quant à eux peints d’une teinte claire avec une
curieuse coiffure de plumes, une mèche tombant sur le devant de
l’oreille et un vêtement leur recouvrant le corps. Quand ils voulaient
représenter des populations au teint plus foncé, comme les Nubiens et
plus encore les Noirs soudanais qu’ils connaissaient bien, les
Égyptiens savaient rendre, en plus des traits physiques particuliers,
toute la palette du cuivré à l’ébène (Vercoutter, 1996 ; Wildung, 1997).
Les Nubiens étaient quant à eux toujours représentés en noir ou en
cuivré foncé avec un profil négroïde, des cheveux courts et crépus et
portant une boucle d’oreille et une plume. Sur toutes les autres
peintures représentant des Égyptiens, le noir n’apparaît que pour la
chevelure, jamais pour la peau ;
• l’analyse des haplotypes66 du chromosome Y portant sur le
polymorphisme de l’allèle67 p-49 a, Taq I des actuels habitants de
l’Égypte démontre que le fond ancien de peuplement de la vallée
égyptienne du Nil n’était pas « négre68 ». Trois haplotypes Y
principaux se retrouvent dans la vallée du Nil. Dans l’ordre
d’importance, le premier, à savoir le V est berbère ; il se retrouve chez
40 % des sujets étudiés avec des proportions allant de 52 % dans le
delta et la basse Égypte à 17 % en basse Nubie69. Le second, le XI, est
d’origine orientale et (ou) éthiopienne et se retrouve chez 19 % des
sujets. Le troisième, le IV, est d’origine sud-saharienne70. Marqueur
des populations « Nègres », il ne se retrouve que chez 14 % des sujets
étudiés. Inexistant dans le delta du Nil et la basse Égypte où seuls
1,2 % des sujets étudiés le présentent, il se retrouve en revanche à
39 % en Nubie entre Abou Simbel et la seconde cataracte (Lucotte et
Mercier, 2003 : 63-66).
La population de l’ancienne Égypte n’était cependant pas homogène au
point de vue « racial » ou « morphotypique ». Du nord vers le sud de la
vallée du Nil, c’est-à-dire vers la Nubie, le teint des Égyptiens était de plus
en plus « cuivré », comme c’est d’ailleurs le cas aujourd’hui encore (Taylor,
1991). Cependant, si les Nubiens qui vivaient entre les 1re et 4e cataractes,
avaient bien le teint cuivré, ils n’étaient pas pour autant « Nègres ». Ce
n’est que lorsque les Égyptiens du Nouvel Empire atteignirent la région de
Napata, c’est-à-dire la 4e cataracte, qu’ils entrèrent en contact avec les
« Nègres » et c’est d’ailleurs à partir de cette époque que les représentations
de ces derniers deviennent courantes sur les peintures.
L’Égypte ancienne était donc le pays des « Blancs » et la Nubie celui des
« Noirs » et contrairement à ce que soutenait Cheikh Anta Diop, l’Égypte
n’est pas à la culture africaine ce que l’antiquité gréco-romaine est à la
culture européenne car l’Égypte n’a pas transmis sa culture au reste de
l’Afrique.
La question de la représentation des différentes races humaines par les Égyptiens
est bien documentée. Pour ne citer que les sources les plus facilement accessibles :
– Karnak/Medinet Habou : les pylones sud du temple de Ramsès III présentent des
sculptures figurant les diverses races connues des Égyptiens ;
– temple de Deir el Bahari, Thoutmosis III (1479-1425), représenté en sphinx foule
ses ennemis. Sous le postérieur gauche du sphinx, un syro-palestinien est terrassé
tandis que sous les antérieurs, c’est un Nubien qui subit le même sort ;
– en Nubie, le temple de Beit el-Wali construit par Ramsès II (1279-1213) contient
des représentations de captifs nubiens noirs et vêtus de peaux de bêtes ;
– Abou Simbel, temple de Ramsès II ;
– vallée des Rois : nombre de tombeaux représentent les peuples voisins de
l’Égypte et permettent de voir comment les Égyptiens se représentaient par rapport
à eux, ainsi les tombeaux de Ramsès III, Ramsès VI, Ramsès IX ou Séti Ier, etc., ou
encore le trésor de Toutankhamon ;
– à Thèbes : tombeaux du scribe royal Khâemhat, de Sebkhotpe, de Rekhmiré
(Rekhmara), de Huje, etc. ;
– à Saqqara, la tombe de Horemheb (Martin, 1989), etc.
1. La surcharge des pâturages, l’ébranchage, la destruction des boisements de tamaris transformés en
bois de feu destiné à alimenter les fours des boulangers afin de nourrir une population à la
démographie suicidaire, l’abandon des rotations trisannuelles traditionnelles, tout cela entraîne un
épuisement des sols, phénomène qui va aujourd’hui en s’accélérant. Cependant, ce massacre du
milieu par l’homme n’est pas en lui-même la cause du réchauffement. Le problème est que certains
confondent origine et influence, deux notions scientifiques pourtant différentes.
2. En Afrique orientale, la faille de la vallée du Rift découvre des sédiments de plus de 4 millions
d’années. Ce miracle géologique explique que certaines des plus anciennes découvertes concernant
les origines de l’homme y ont été faites car, en Asie et en Europe, pour pouvoir atteindre un même
niveau géologique, donc des couches de la même époque, il serait nécessaire de creuser le sol sur 3
kilomètres de profondeur (Langaney et alii, 1998 : 36).
3. Cette découverte n’est pas isolée car d’autres fossiles appartenant à la même famille que Ganlea
megacanica ont été mis au jour en Thaïlande et dans toute la région.
4. Les prosimiens sont les plus primitifs des primates et ils présentent des formes dites
« ancestrales » par rapport aux singes, aux hominoïdes et aux humains.
Les hominoïdes regroupent les gibbons, les orangs-outangs, les gorilles, les chimpanzés et les
hommes ainsi que nombre d’espèces aujourd’hui disparues.
Les hominidés appartiennent à toutes les espèces actuelles ou disparues qui partagent un ancêtre
commun avec l’homme actuel mais non avec le chimpanzé.
5. Dotés d’un bassin de bipède, leur cerveau faisait moins de 500 cm3, le tiers du nôtre et leur taille
était de 1,40 m au maximum.
6. Australopithecus est une dénomination englobante désignant plusieurs hominidés ayant vécu entre
4 et 2 millions d’années. Ces fossiles qui présentent à la fois des traits simiens et humains offrent
de grandes différences morphologiques. Il y a donc plusieurs espèces au sein du genre
Australopithecus.
7. La célèbre Lucy n’est ainsi qu’une lointaine petite-cousine et non notre grand-mère. En amont du
genre Homo, un hominidé d’un genre nouveau a été découvert à la fin de l’année 2000 au Kenya.
Cet « Ancêtre du millénaire », vivait il y a 6 millions d’années.
8. Toumaï, « espoir de vie » en gorane et Sahelanthropus tchadensis pour les chercheurs a
± 7 millions d’années. Il a été découvert le 19 juillet 2001 au Tchad par une mission
paléoanthropologique franco-tchadienne dirigée par Michel Brunet, professeur à l’université de
Poitiers (Brunet, 2002). Si cet hominidé a beaucoup du singe, nombre de ses caractéristiques ne se
retrouvent cependant que dans le rameau humain, notamment l’orientation des orbites, la forme des
dents et l’épaisseur de l’émail. Il était bipède et mesurait environ 1 mètre pour un poids de 35 kg.
Dans l’arbre généalogique très mouvant de l’espèce humaine, il semblerait se situer très près de
l’embranchement à partir duquel auraient divergé les grands singes d’une part et la famille humaine
d’autre part. Jusqu’à cette découverte, le foyer d’apparition des hominidés était situé dans une vaste
région de l’Afrique orientale allant de l’Éthiopie au Kenya. Désormais, le voilà élargi à une zone
s’étendant 2 500 km plus à l’ouest.
9. Il y a environ 700 000 ans, l’Homo mauritanicus, un Homo erectus (www.hominides.com)
parcourut la région nord de l’actuel Maroc, laissant de nombreuses traces de son passage,
notamment des haches bifaces. En 2008, sur le site de la carrière Thomas I à Casablanca, une
équipe franco-marocaine dirigée par Jean-Paul Raynaud et Fatima-Zohra Sbihi-Alaoui a mis au
jour une mandibule complète d’Homo erectus. Datée de plus de 500 000 ans, elle est
morphologiquement différente de celle de la variété maghrébine d’Homo erectus
10. Deux théories sont en présence. La première considère qu’Homo erectus qui apparaît vers
-2 millions d’années est le descendant d’Homo habilis apparu vers -2,4 millions d’années. La
seconde théorie met en avant le fait qu’en Afrique de l’Est, Homo habilis et Homo erectus ont
cohabité durant plusieurs centaines de milliers d’années, ce qui ferait que le second ne
« descendrait » donc pas du premier.
11. Entre -200 000 et -150 000 ans, les premiers Hommes modernes apparurent en Afrique du Nord.
En Tripolitaine et en Cyrénaïque, l’occupation des jebel Nefusa et Akhdar par ces derniers remonte
au moins à 130 000 ans.
12. « Une autre thèse postule qu’il n’y a pas eu de remplacement mais une évolution parallèle de
différentes lignées dans différentes parties du monde : c’est la théorie de la continuité, dont il existe
plusieurs variantes. La plus communément acceptée en Chine suppose que les populations
asiatiques modernes descendent directement des premiers hominidés présents sur place, qui ne
seraient pas a priori venus d’Afrique ». (Dong, 2008 : 48)
13. Les chercheurs chinois furent les premiers à mettre en évidence une « sapiensisation » asiatique
qui aurait donné naissance à une lignée régionale, démontrant ainsi que les Chinois, les Japonais,
les Coréens, etc., ne descendent pas de « migrants » africains.
14. Le schéma Afrique-Europe serait même remplacé par un mouvement Europe-Afrique… Ainsi
donc, l’Homme moderne ne serait pas originaire d’Afrique, mais d’Europe (Eurasie) et la
colonisation-migration ne se serait pas faite dans le sens Afrique-Europe, mais dans le sens Europe-
Afrique. C’est du moins ce qu’écrit Paul Molga (2018) : « selon de nouveaux scénarios fondés sur
l’analyse génomique des populations, il (l’Homme moderne) serait apparu et se serait propagé à
partir de l’Eurasie ».
15. La méthode d’étude a consisté à séquencer les génomes d’un agriculteur qui vivait il y a 7000 ans
en Allemagne et ceux de 8 chasseurs-cueilleurs qui vivaient il y a 8 000 ans en Suède et au
Luxembourg lesquels ont été comparés à 2 345 génomes d’Européens d’aujourd’hui.
16. La thèse longtemps dominante était typique des postulats diffusionnistes de ses tenants. En
l’absence de preuves ou d’éléments probants, ces derniers considéraient qu’il allait de soi que les
arguments diffusionnistes étaient indiscutables et qu’ils reposaient sur des « vagues de
peuplement » venues d’Afrique.
C’était au non-diffusionniste qu’incombait la charge de la preuve. Il devait prouver que ce ne
furent pas des mouvements diffusionnistes qui peuplèrent l’Europe, mais des évolutions in situ.
L’accumulation des découvertes semble donner raison à ceux qui doutaient.
17. En Afrique, climat froid correspond à aridité et climat chaud à humidité.
18. Sauf quand nous le mentionnerons, les dates sont indiquées par rapport à nos jours. C’est ainsi
que -60 000 doit être compris comme par rapport à aujourd’hui.
19. Ces périodes climatiques sont imprécises et les chercheurs ne s’accordent pas sur leurs limites.
20. Le Maghreb échappa tout d’abord à la désertification puisque l’assèchement ne semble s’y
manifester réellement qu’à partir de -27 000/-25 000.
21. De plus, il y a 30 000 ans, le Nil a connu d’énormes inondations noyant périodiquement ou peut-
être même régulièrement toute la vallée.
22. La datation du Sangoen pose un problème car il n’a pas été retrouvé en stratigraphie, néanmoins,
il est daté entre -70 000 et -40 000 (Schwartz, 1996).
23. Le Middle Stone Age (MSA) débute vers -200 000 et dure jusque vers -45 000/-30 000. Le MSA
est l’équivalent européen du Paléolithique moyen.
24. Late Stone Age (LSA) est le dernier stade du travail de la pierre en Afrique sud-saharienne.
Associé à des industries microlithiques, il débute entre -45 000 et -30 000.
25. L’Holocène, étage géologique le plus récent du Quaternaire, débute il y a 12 000 ans environ, à la
fin de la dernière glaciation et voit l’apparition des premières cultures néolithiques.
26. L’existence de ce paléo-Tchad est aujourd’hui remise en question.
27. Dans la zone forestière, le néolithique semble apparaître vers ± 1000-800 av. J.-C. et l’âge du fer
entre ± 500 et 100 av. J.-C.
28. Pour le plus récent état des connaissances concernant l’archéologie du Niger, voir Haour (2003).
29. « Depuis une vingtaine d’années, linguistes et généticiens des populations, ont développé des
collaborations afin d’étudier conjointement les langues et les populations qui parlent ces langues.
Ces travaux permettent de comparer les résultats des analyses faites sur la base de marqueurs
génétiques avec celles établies par les linguistes à partir des structures linguistiques des langues
parlées actuellement. Si l’on obtient des résultats semblables dans les deux types d’analyses, on
peut conclure que les populations étudiées se sont déplacées en conservant leurs langues ; dans le
cas contraire, on doit conclure qu’il y a eu « remplacement » de langues, c’est-à-dire que certaines
populations ont abandonné la langue de leurs ancêtres pour adopter la langue des populations avec
lesquelles elles se sont trouvées en contact. Des techniques récentes permettent même d’étudier
séparément les lignées maternelles (par l’analyse de l’ADN mitochondrial) et les lignées
paternelles (par l’étude du chromosome Y). » (Hombert, 2007 : 129)
Bien que nous n’en soyons encore qu’aux balbutiements de la recherche en ce qui concerne le
rapprochement entre linguistique et génétique, plusieurs laboratoires, notamment en France
(Université de Lyon II), aux États-Unis (Université de Berkeley), en Suisse (Université de Genève),
en Allemagne (Université de Leipzig) et en Afrique du Sud (Université de Witwatersrand) ont
entrepris une collaboration en ce domaine. Les résultats annoncés vont permettre de faire franchir
des étapes considérables dans le domaine de la formation des populations africaines et dans celui de
leur mise en place.
30. Selon Ehret (1967) plusieurs mots Khoi servant à désigner le bétail sont de racine Soudanais
central (Central Sudanic). Ce serait donc au contact de locuteurs de ces langues qu’ils auraient pu
apprendre les techniques de l’élevage des bovins et des moutons.
31. Le click est un claquement sonore de la langue qui remplace les consonnes.
32. Bender, 1997 ; Ehret, 2001.
33. L’Afrasien est la langue mère d’une famille composée de l’égyptien, du couchitique, du sémitique
dont l’arabe et l’hébreu, du tchadique, du berbère et de l’omotique qui sont toutes subdivisées en
une multitude de langues secondaires.
34. C’est à l’issue d’une longue migration que les descendants des « proto-nord-érythréens »
arrivèrent en Égypte. Quand auraient-ils poussé en direction de la Palestine ? Auraient-ils traversé
la mer Rouge ? Nous l’ignorons. En Palestine ils peuvent être identifiés aux Natoufiens, ces
récolteurs de céréales sauvages qui y apparaissent vers ± 10 000 av. J.-C.. Les Natoufiens sont
également définis comme « Proto-méditerranéens ». Seraient-ils le pendant oriental de la branche
capsienne mise en évidence pour l’Afrique du Nord ? La question n’est pas résolue.
35. Ce qui aurait été le cas dans l’hypothèse d’un métissage institutionnalisé, si le « sang » hutu était
devenu majoritaire dans les lignées tutsi. L’on pourrait alors parler d’ethnies métisses, et cela, tant
pour les Tutsi que pour les Hutu.
36. Il y a plusieurs centaines de millions d’années, le Sahara fut recouvert par un glacier, puis par
l’océan. Il y a cent millions d’années, ce fut une immense forêt équatoriale humide parcourue par
des dinosaures avant de se transformer lentement en une forêt tropicale puis en une savane arborée
sous les effets de l’assèchement. C’est à la fin de cette période, c’est-à-dire il y a environ un million
et demi d’années qu’il commença à être peuplée par les premiers hominidés.
37. Sur la question, les travaux de Muzzolini (1981, 1983, 1986, 1995) sont particulièrement
éclairants, notamment (1995 : 183-206).
38. En effet, « […] derrière les images se profilent les hommes qui les créèrent. Les écoles de
figurations reflètent en effet, d’une façon ou d’une autre, des groupes ethniques. » (Muzzolini,
1983 : 183)
39. « […] les écoles de peintures ont des extensions relativement faibles et leur correspondance avec
un groupe ethnique localisé paraît très probable. En revanche, les écoles de gravures ont une
extension vaste : ce sont elles qui posent un problème. » (Muzzolini, 1983 : 195)
40. L’art rupestre européen marque par son unité, son homogénéité : « Pendant toute cette longue
période, de -35 000 ans à -10 000 ans, on relève une unité extraordinaire des techniques et des
représentations.25 000 ans d’une même tradition artistique ! […] On (y) retrouve les mêmes styles,
les mêmes types de peinture, de l’Oural jusqu’à l’Andalousie. Des dessins similaires à plusieurs
centaines et même plusieurs milliers de kilomètres les uns des autres. Bien sûr, l’art des grottes
présente une certaine diversité, mais son unité demeure fondamentale, incontestable. » (Langaney
et alii, 1998 : 80)
Cette homogénéité permet de postuler l’existence d’une seule population peuplant alors toute
l’Europe avec ses représentations artistiques propres. Rien de tel au Sahara où le morcellement
humain, ethnique et même « racial » était la réalité et où les représentations artistiques variaient
naturellement en fonction de ces différences.
41. L’assèchement du Sahara a eu pour conséquence d’isoler et de séparer les populations qui
vivaient au sud du désert dont les limites furent d’ailleurs variables du peuplement du bassin
méditerranéen. En est-il résulté « un certain degré d’isolement génétique favorisant des caractères
génétiques particuliers » ? C’est la question que pose Froment (1998 : 20) et qui n’est pas résolue.
42. L’appartenance raciale des chasseurs Têtes Rondes pose problème car cette culture s’étend sur
2000 ans et présente une vingtaine de faciès différents (Colombel, 2000). Ce groupe ethnique qui se
représentait avec cette forme de tête, qui figurait très rarement le visage et qui occupait les régions
du Tassili, de l’Adrart et de l’Acacus était-il europoïde ou négroïde ? Selon Muzzolini, il s’agit
d’europoïdes « […] ou du moins il se dépeignait sous des traits europoïdes » (Muzzolini, 1995 :
198). Pour Malika Hachid (1998 : 298), les Têtes Rondes sont au contraire des négroïdes.
Colombel (1996) est plus nuancé quand il écrit que dans le Tassili n’Ajjer, la période des Têtes
Rondes « présente des caractères négroïdes ». Datée de ± 7500 à ± 5500 av. J.-C., la période des
Têtes Rondes est suivie par la période bovidienne, calibrée entre 5500 et 1500 av. J.-C. qui
« conserve en partie des caractères négroïdes avant de devenir totalement europoïde » (Colombel,
1996 : 55).
43. Pour la synthèse et la critique des classifications, des « styles », des « écoles », voir Muzzolini
(1995 : 81-182).
44. Au Tassili, plusieurs dizaines de styles de peintures ont ainsi été inventoriés et décrits qu’il
importe de ramener à un nombre plus restreint si nous ne voulons pas nous perdre dans les détails.
Il en est de même dans l’Ennedi où ont été identifiés au moins une quinzaine de styles
individualisés par le trait, les couleurs, la faune représentée, le costume et l’armement des
hommes, etc. De plus, entre chaque style, la succession n’est pas automatique et les
chevauchements existent ainsi que les emprunts ou les héritages culturels, sans parler évidemment
du génie personnel des artistes.
45. Bubale : antilope africaine dont le nom grec était boubalos qui veut dire buffle mais n’est en rien
apparentée aux buffles.
46. Le grand buffle africain est le Bubalus Antiquus ou Buffle Antique ou Buffle Géant. « On sait
maintenant d’une part que l’animal s’est éteint beaucoup plus récemment qu’on ne le croyait à
l’époque où il fut choisi pour caractériser un étage rupestre, et d’autre part qu’il n’a pas été gravé
partout […] s’il est parfaitement exact que le grand buffle antique, traditionnellement dénommé
“bubale”, fut chassé et consommé par certains néolithiques du Sahara, on constate que l’appellation
“bubalin” a été donnée à un prétendu “étage” de gravure où cet animal n’est pas toujours présent, et
que cette espèce a disparu longtemps après la fin de la “phase” qu’elle est supposée caractériser. »
(Le Quellec, 1998 : 271)
47. Cette constatation est d’importance car : « Si le fameux « air de famille », ou « vieux fonds
culturel commun paléo-africain », déduit de la comparaison des données sahariennes et nilotiques,
devait avoir quelque valeur, il ne pourrait s’expliquer que par l’apparentement originel des
populations en cause, puisque, aussi bien les Égyptiens antiques que les graveurs « anciens » du
Sahara résultent de la fragmentation de la famille afrasienne ». (Le Quellec, 1998 : 507)
48. Les découvertes récentes semblent bouleverser ce que l’on savait de l’introduction des
dromadaires en Afrique. C’est ainsi qu’à Godébra, en Éthiopie, une dent de dromadaire a été mise
au jour dans un niveau peut-être antérieur à ± 3000 av. J.-C., ce qui est confirmé par une analyse
faite plus au sud, à proximité de la frontière entre l’Éthiopie et le Kenya à Elé Bor qui donne la
même date (Phillipson, 1985a : 143 ; Froment, 1998 : 60).
49. Ainsi le nom de Tombouctou est-il berbère puisque Tin signifie lieu et Tim puits tandis que
Bouktou était une reine touareg qui installait là son campement durant une partie de l’année.
Tombouctou signifie donc lieu ou puits de Bouktou. Quand au nom du fleuve Sénégal, il vient soit
de Zénaga pluriel de Z’nagui qui signifie agriculteur en berbère ou bien de Zénata ou Senhadja qui
est l’un des principaux groupes berbères.
50. Il est étrange de constater qu’ils sont absents du Sahara oriental, c’est-à-dire de la partie la plus
proche de l’Égypte et que le plus oriental d’entre eux a été découvert sur la limite ouest du Tibesti.
51. Pour une synthèse de la question, voir Harlan, De Wet et Stemler (1976), ainsi que Tourte (2005).
Partout dans le monde, « […] le végétal a été domestiqué avant l’animal », sauf en Afrique
(Langaney et alii, 1998 : 122).
52. En 1984, Wendorf et Schild (1984 : 404-428) avaient défendu l’idée selon laquelle la
domestication des bovins dans le Sahara oriental aurait débuté entre 8000 et 7500 av. J.-C., donc
bien avant une possible introduction depuis le Moyen-Orient.
53. La période durant laquelle les étapes de la domestication ont été repérées est désignée sous le
nom de Pré pastoral. Le phénomène pourrait s’être produit dans l’Acacus où serait apparue la
première économie mixte associant chasse et élevage. Entre ± 4500/± 2500 av. J.-C., l’ensemble du
Sahara est devenu pastoral. En Nubie, la présence de bovins domestiques est attestée à Kadero
entre 3000 et 2000 av. J.-C. Le pastoralisme, prouvé dans la région du lac Turkana vers 2500
avant J.C se serait diffusé vers le Sud en suivant le Rift.
54. Une difficulté méthodologique complique la question : sur un site fouillé, l’absence de faune
sauvage ne signifie pas automatiquement connaissance de l’élevage et a contrario, une présence
d’ossements de bétail ne voudra pas non plus signifier évidence de domestication. Comme le
souligne Smith (1992b : 133), le problème qui se pose aux archéologues tient aux différences
culturelles venant perturber les analyses ou les interprétations. Ainsi, les Gabbra Boran du nord
Kenya ne rapportent-ils jamais de viande sauvage à leur camp de peur de donner des maladies à
leur bétail. On ne trouvera donc jamais d’ossements de gibier sur leurs sites. Au contraire, des
groupes de chasseurs qui vivent au contact des éleveurs peuvent échanger une vache, un mouton ou
une chèvre contre telle ou telle prestation. On trouvera donc des ossements de bétail domestique
dans leurs campements, or ils ne sont pas éleveurs.
55. Dans le cas des moutons Ovis ammon, le diffusionnisme est vraisemblable car il n’existe pas
localement de mouton sauvage. Le mouflon « à manchettes » Ammotragus lervia n’est pas un
mouton sauvage et le mouton domestique ne dérive pas de lui.
56. Haoua Fteah en Cyrénaïque ± 4800 av. J.-C. (Klein, Scott, 1986) ; Fayoum en Égypte vers
± 4400 av. J.-C. ; Nabta Playa vers ± 4700 av. J.-C. ou vers ± 5000 av. J.-C. sur la rive égyptienne
de la mer Rouge.
57. Pour ce qui est de l’origine de la domestication des ovicaprinés, la discussion demeure ouverte
car en nilo-saharien, les noms désignant la chèvre sont d’origine nord-couchitique, ce qui pourrait
indiquer la zone approximative du foyer initial de domestication (Le Quellec, 1998 : 499).
58. Dans la vallée du Nil, en Nubie, les premiers outils en cuivre ont été mis au jour dans les tombes
d’une population au type physique méditerranéen connue des archéologues sous le nom de Groupe
A et qui vivait vers 3500-3000 av. J.-C.
59. Les premiers tâtonnements semblent avoir eu lieu au Moyen-Orient (Irak, Iran, Turquie) vers
5000 av. J.-C. et où de petits objets en cuivre martelé ou en plomb ont été mis au jour. Vers
3000 av. J.-C.,les premières mines paraissent avoir été mises en exploitation dans les Balkans.
60. Ou Aride mi-Holocène ou Aride intermédiaire ou Aride intermédiaire mi-Holocène.
61. « L’Égypte […] entre tardivement dans le processus de néolithisation et sous une forme
secondaire, en ce que les agents du néolithique y ont été adoptés progressivement par les
populations locales sous l’effet d’influences tant sahariennes (poterie, bœuf) qu’orientales
(moutons, chèvre, porc, orge, blé), transmises par des échanges de techniques et d’hommes entre
les riverains (du Nil) et les habitants des franges, pasteurs nomades. Une culture originale est née
en un point particulièrement sensible de convergence, dans la partie nord de la Haute-Égypte, dans
le secteur de Badari. Elle donnera naissance, au début du IVe millénaire, à la première culture de
nagada, plus méridionale, se développant au carrefour des pistes venant des oasis du désert
occidental et des rives de la mer Rouge […] Dans la seconde moitié du IVe millénaire, elle sortira de
son berceau pour s’étendre, d’une part à la Basse-Égypte, jusqu’aux franges du delta, d’autre part
jusqu’à la Nubie où, à son contact, s’élaborera la culture indigène du groupe A. » (Midant-Reynes,
2000 : 164-165)
62. Selon Diop, les australopithèques, les Homo erectus et l’Homme Moderne (Homo Sapiens
sapiens) étaient Noirs. Par métissage, seraient ensuite apparus les Blancs et les Jaunes. La culture
grecque devant tout à l’Égypte « nègre », la civilisation européenne dont elle découle est donc un
héritage et un legs « nègre ».
63. Les postulats de C.A. Diop ont été énoncés à partir de 1952 dans le no 1 de La Voix de l’Afrique,
organe des étudiants du RDA (Rassemblement Démocratique Africain). Cet article était intitulé
« Vers une idéologie politique africaine », février 1952. Ils furent repris et développés en 1954 dans
Nations nègres et Culture : de l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes actuels de l’Afrique
noire aujourd’hui. Paris, 1954 (nouvelles éditions en 1964, 1979, etc.) ; dans Les fondements
culturels techniques et industriels d’un futur État fédéral d’Afrique noire, Paris, 1960 ; dans
Antériorité des civilisations nègres. Mythe ou vérité historique ? Paris, 1967 ; dans Civilisation ou
Barbarie, Paris, 1981. Pour une critique en profondeur des thèses de C.A.Diop, voir Froment
(1991 : 29-64) ; Fauvelle-Aymar (1996) ; Fauvelle-Aymar, Chrétien et Perrot (2000) ; Lugan
(2002 : 28-39 et 2003 : 157-180).
64. À partir du Ier siècle de l’ère chrétienne, les portraits peints à la détrempe sur panneaux d’acacia
mis au jour au Fayoum reproduisent fidèlement les traits des défunts car l’usage était apparu de
recouvrir le visage d’une planche de bois avec leur portrait (planche couleur n° V). Nous disposons
ainsi d’une énorme documentation qui permet d’affirmer que les habitants du Fayoum étaient à
cette époque des « Blancs ». Rien ne permet de penser que ces « Blancs » auraient pu ethnocider
des prédécesseurs noirs dont ils auraient pris la place (Walker, 1997 : 19-23).
65. C.A. Diop écrit que les égyptiennes avaient les cheveux crépus, ce qui, selon lui, s’observerait sur
toutes les représentations et permettrait d’affirmer que les Égyptiens appartenaient à la « race »
noire (Diop, 1967 : 40-41). Il s’agit là d’un total contresens car ce que Diop voit comme un « souci
constant de la femme noire pour adapter les cheveux crépus à la grâce féminine » n’est en réalité
que le port généralisé de la perruque, les femmes sur leurs cheveux naturels et les hommes sur le
crâne rasé.
66. Caractéristique particulière inhérente au chromosome et qui signe son identité d’une manière
unique.
67. L’allèle est une fraction de chromosome.
68. Après avoir séquencé le génome de 151 momies datées entre 1388 av. J.-C. et 426 ap. J.-C., mises
au jour en Moyenne-Égypte, Verena Schuenemann et ses collègues de l’université de Tübingen et
de l’Institut Max Plank de Leipzig (Schuenemann, 2017) ont achevé de démontrer que les
Égyptiens anciens étaient leucodermes et que le faible taux génétique sud-saharien (noir) de la
population égyptienne contemporaine résulte d’un métissage qui s’est produit il y a moins de mille
ans, soit plus de 1500 ans après la fin de l’Égypte pharaonique.
69. Cet haplotype se retrouve à 58 % au Maroc, à 57 % en Algérie, à 53 % en Tunisie et à 45 % en
Libye.
70. On le retrouve chez 80 % des sujets en République démocratique du Congo (RDC) et à 84 % en
République Centre africaine (RCA).
Chapitre II.
L’Afrique du Nord et la Nubie de
± 3200 avant J.-C.
jusqu’au VIe siècle après J.-C.

Durant cette période, l’Afrique du Nord connaît une histoire brillante. À


l’Est, l’Égypte dynastique, puis lagide avant de devenir romaine et enfin
byzantine, développe un continuum civilisationnel tout à fait exceptionnel
par son importance et par sa durée. À l’Ouest, le monde berbère est
constitué en États au moins dès le VIe siècle av. J.-C. Avec la conquête
romaine, toute l’Afrique du Nord fut intégrée à la matrice euro-
méditerranéenne et cela pour plus de sept siècles, jusqu’au moment de la
conquête arabo-musulmane.

Chronologie de l’Égypte dynastique


± 3200-3100/± 2700 av. J.-C. en Égypte = Période Thinite (capitale This) ou
Période archaïque
Ire dynastie ± 3200/± 2890 av. J.-C.
IIe dynastie ± 2890/± 2700 av. J.-C.
± 2700/± 2200 av. J.-C. en Égypte = Ancien Empire (du Delta à la 1re cataracte),
capitale Memphis
IIIe dynastie ± 2700/± 2620
IVe dynastie ± 2620/± 2500
Ve dynastie ± 2500/± 2350
VIe dynastie ± 2350/± 2200
± 2500/± 1500 av. J.-C. en haute Nubie : Royaume de Kerma
± 2300/± 1 600 av. J.-C. en basse Nubie : Groupe C
± 2200/± 2050 av. J.-C. en Égypte = Première Période Intermédiaire
VIIe dynastie (Memphis)
VIIIe dynastie (Memphis)
IXe dynastie (Hérakléopolis)
Xe dynastie (Hérakléopolis) et début de la XIe dynastie
± 2050/± 1800 av. J.-C. en Égypte = Moyen Empire (capitale Thèbes)
XIe dynastie
XIIe dynastie
± 1800/± 1580 av. J.-C. en Égypte = Seconde Période Intermédiaire
XIIIe et XIVe dynasties
XVe dynastie (Hyksos)
XVIe dynastie (Hyksos)
XVIIe dynastie (Thèbes)
± 1580/± 1078 av. J.-C. en Égypte = Nouvel Empire
XVIIIe dynastie
XIXe dynastie
XXe dynastie (?).

A. L’Égypte dynastique
L’histoire de l’Égypte dynastique dure environ trois mille ans. Elle
débute avec les règnes de Menès et de Narmer les deux premiers pharaons
(?) pour s’achever en 332 av. J.-C. avec l’occupation de l’Égypte par
Alexandre le Grand1.

1. L’unification et les premières dynasties


Nous avons vu que la naissance des entités ou proto-États qui
précédèrent l’État pharaonique se fit dans un contexte de péjoration
climatique, la sécheresse ayant repris après le bref épisode « humide » du
Badarien. À partir de ± 3500 av. J.-C. les hommes furent donc contraints
d’abandonner les régions limitrophes du Nil. Ils se concentrèrent alors sur
son cordon vert où ils furent progressivement mis dans l’obligation de se
sédentariser et donc d’abandonner petit à petit un élevage qui devenait
impossible sur des espaces de plus en plus restreints, et cela au profit de
l’agriculture. L’Égypte de cette époque était cependant différente de celle
que nous connaissons aujourd’hui car elle était moins sèche. De part et
d’autre du fleuve et de sa vallée subsistait ainsi un biotope encore
partiellement favorable au pastoralisme et largement habité par une faune
typique de savane africaine comme les autruches, les antilopes, les gazelles
diverses, les girafes ou encore les lions, etc. (Midant-Reynes, 1992).
Le processus d’unification qui avait débuté durant la période dite de
Nagada III (± 3200-3100 av. J.-C.) s’était opéré de façon progressive. Vers
± 3500-3000 av. J.-C., trois entités paraissent exister : Hiérakonpolis,
Nagada et Abydos, qui constituèrent trois confédérations ou proto-
royaumes (Nekhen, Noubt et Thinis) en compétition pour la domination de
la Haute Égypte. Vers 2900 av. J.-C., l’unité était faite de la Méditerranée
jusqu’à la 1re cataracte, sans que l’on sache encore très bien comment elle
fut réalisée. Quoi qu’il en soit, la première dynastie apparut alors et
l’histoire de l’Égypte dynastique commença avec la conquête de la Basse
Égypte par la Haute Égypte, phénomène qui déboucha sur l’unification du
royaume et l’installation de la capitale à Memphis. En dépit des mythes, ce
processus d’unification débuta donc bien avant les règnes légendaires des
pharaons Menès et Narmer.

2. L’Ancien Empire (± 2700-2200 av. J.-C.)


L’Ancien Empire2 (Vercoutter, 1992) est composé de quatre dynasties :
la IIIe dynastie (± 2700/± 2630 av. J.-C.), la IVe dynastie
(± 2630/± 2510 av. J.-C.), la Ve dynastie (± 2510/± 2350 av. J.-C.) et
la VIe dynastie (+2350/± 2200 av. J.-C.).
Il n’y eut pas de césure entre le IIe et la IIIe dynastie puisque le premier
pharaon de la IIIe dynastie, Necherophes (ou Nebka) était apparenté au
dernier souverain de la IIe dynastie, Khasekhmouy, dont il aurait été soit le
fils, soit le petit-fils. Quant à Djeser, le second pharaon de la IIIe dynastie,
c’était un petit-fils de Khasekhmouy3.
La IVe dynastie qui a notamment bâti ces chefs-d’œuvre que sont les trois
pyramides d’El Gisa (ou Giseh), ainsi que le Sphinx, devrait être mieux
connue, or il n’en est rien. Nous ne savons même pas combien de pharaons
doivent lui être rattachés. Snéfrou est célèbre pour les nombreuses
expéditions qu’il mena contre les Bédouins du désert oriental et du Sinaï,
contre les Nubiens et contre les Berbères sahariens. Son fils et successeur
fut Khoufou (le Khéops des Grecs), qui accéda au trône vers 2600 av. J.-C.
et qui fut le bâtisseur de la grande pyramide de Gizeh. Son successeur fut
un de ses fils nommé Chéphren. Le règne de ce dernier ne fut que de huit
années et l’un de ses propres fils, Menkaouré (le Mycérinus des Grecs),
petit-fils de Chéops, lui succéda. Ces trois pharaons sont parmi les plus
connus en raison de l’existence de leurs pyramides respectives. Il semblerait
que le dernier souverain de cette dynastie soit Shepseskaf, fils du précédent,
qui ne régna que quatre années.
La Ve dynastie qui accéda au pouvoir vers 2510 av. J.-C. est composée de
neuf souverains. Elle est apparentée à la précédente puisque ses pharaons
descendaient de Chéops. Le premier d’entre eux, Ouserkaf (± 2510-2500),
régna sept ans. Son successeur Sahouré (± 2500-2490) eut un règne d’une
douzaine d’années, marqué par de nombreuses expéditions, pacifiques et
maritimes à destination du Liban et du Pays de Pount, ou bien guerrières et
menées contre les Libyens ou les nomades sémites vivant dans le Sinaï. Son
frère Neferirkarê (± 2490-2480) lui succéda sans lustre particulier avant de
laisser le trône à Shepseskarê (± 2480-2470), puis à Neferefré (± 2470-
2460) et à Niouserré (± 2460-2430), roi guerrier qui élargit les mimites de
territoires contrôlés par l’Égypte. Ses successeurs n’eurent pas son relief,
qu’il s’agisse de Menkaouhor (± 2430-2420) et de Djekaré-Isesi (± 2420-
2380), lequel semble avoir régné au moins quarante ans. Le dernier pharaon
de la Ve dynastie fut Ounas (2380-2350), roi guerrier et vainqueur des
ennemis traditionnels de l’Égypte4.
La VIe dynastie qui succéda sans à-coups à la précédente5 pourrait avoir
été composée de six souverains dont l’histoire comporte bien des zones
d’ombre. Le premier fut Teti (± 2350-2330) qui eut pour successeur
Ouserkaré dont nous ne savons pas grand chose en raison de la brièveté de
son règne. Celui de Pepy Ier (± 2330-2280) dura au moins cinquante ans et il
est bien documenté par les sources. Durant ce demi-siècle, l’Égypte
atteignit un sommet politique et culturel. À l’intérieur, l’administration fut
réorganisée et en partie décentralisée ; à l’extérieur, le pharaon réaffirma la
puissance de son pouvoir sur les nomades du Sinaï qu’il pourchassa avec
vigueur. Quant aux Nubiens qui s’étaient dégagés de leurs liens de
dépendance vis-à-vis de l’Égypte à la fin de la Ve dynastie, il fallut attendre
le règne suivant pour les voir ramenés dans la soumission à Pharaon.
À la mort de Pepy Ier, vers ± 2280 av. J.-C., son fils Mérenré (± 2280-
2270) lui succéda. Durant un règne de moins de dix années, il soumit la
basse-Nubie, c’est-à-dire les régions comprises entre la 1re et 2e cataracte.
Son demi-frère Neterkhaou ou Pepy II (± 2270-2200) prit sa suite dans un
règne qui marqua la transition entre l’Ancien Empire et la Première Période
Intermédiaire. Monté enfant sur le trône, il vécut très vieux (cent ans ?) et
eut donc un règne exceptionnellement long. Sa première partie fut
particulièrement brillante car l’Égypte rayonna loin de ses limites
historiques, jusque dans le Pays de Ouaouat, au sud de la 1re cataracte et
même, jusqu’au Pays de Yam au sud de la IIIe cataracte. Les armées de
Pepy II razzièrent la Nubie, y faisant de nombreux prisonniers et capturant
même les chefs de ces régions qui furent ramenés en Égypte avec leurs
familles. Durant la seconde partie du règne, le pouvoir central s’affaiblit et,
localement, des forces de déségrégation apparurent. Écrasés par les impôts
et par les corvées, notamment celles concernant certains grands travaux, les
paysans se révoltèrent et un début de famine se produisit. Profitant du
climat d’anarchie qui se développait, les nomades berbères sahariens
s’enhardirent et ils lancèrent des raids le long de la vallée du Nil.
La mort de Pepy II mit un terme à la VIe dynastie et à l’Ancien Empire
qui fut une période de consolidation de l’union entre la haute et la basse
Égypte, du Delta à la 1re cataracte (capitale Memphis). L’Ancien Empire,
longtemps désigné sous le nom d’Empire memphite réserve encore bien des
zones d’ombre.
La Première Période Intermédiaire6 sépare l’Ancien Empire du Moyen
Empire. Elle est caractérisée par la dislocation du pouvoir central et son
émiettement au profit des nomarques (provinces). Elle marque donc la fin
de l’unité égyptienne. Elle s’achève sous le règne de Mentouhotep II,
pharaon de la XIe dynastie, qui réussit à rétablir l’autorité étatique sur
l’ensemble de l’Égypte. Les souverains ayant régné durant cette période peu
connue de l’histoire de l’Égypte appartenaient à quatre dynasties, la VIIe et
la VIIIe dynastie (capitale Memphis), la IXe et la Xe dynastie (capitale
Hérakléopolis). Les premiers pharaons de la XIe dynastie sont régulièrement
rattachés à cette période généralement divisée en deux séquences. La
première recouvre les VIIe et VIIIe dynasties durant lesquelles l’État
égyptien continua à exister, même d’une manière symbolique et la seconde
est composée des règnes des souverains des IXe et Xe dynasties durant
lesquels se produisit le morcellement territorial7. La XIe dynastie est à la
jonction entre la Première Période Intermédiaire et le Nouvel Empire8.
Durant cent cinquante ans, les frontières de l’Égypte furent menacées à
l’Ouest et au Nord. À l’Ouest, les populations berbères vivant dans l’est
saharien et dont certaines étaient déjà plus ou moins égyptianisées, furent
contraintes de fuir un Sahara de plus en plus sec et elles vinrent encore
davantage battre les limites de la vallée du Nil (Muzzolini, 1981 : 51). Au
Nord, le Delta fut occupé par des populations venues d’Asie et la Basse-
Égypte se divisa en plusieurs entités en lutte les uns contre les autres.

3. Le Moyen Empire (± 2064/± 1800 av. J.-C.)9


Le Moyen Empire qui a duré moins de trois siècles englobe une partie de
la XIe dynastie et la totalité de la XIIe dynastie. Il débute avec les derniers
souverains de la XIe dynastie (± 2137/± 1994 av. J.-C.).
Sous le long règne de Mentouhotep10 II (± 2064/± 2013 av. J.-C.),
pharaon de la XIe dynastie, l’Égypte fut réunifiée11. L’administration fut
ensuite réorganisée avec le début d’un mouvement de lutte contre la
patrimonialité des charges des fonctionnaires provinciaux et l’expansion
reprit en direction de la Nubie.
Mentouhotep III (± 2013/-2001 av. J.-C.) succéda à son père pour un
règne marqué par la consolidation de l’unité et par plusieurs expéditions
militaires ou commerciales, dont une vers le Pays de Pount, probablement
en 2005 av. J.-C. Dernier souverain de la XIe dynastie, Mentouhotep IV
(± 2001/± 1994 av. J.-C.), eut semble-t-il, un règne pacifique.
La XIIe dynastie (± 1994/± 1797 av. J.-C.) est composée de six pharaons
dont certains comptent parmi les plus illustres de l’histoire de l’Égypte
dynastique. Le premier d’entre eux est Amenemhat Ier
(± 1994/± 1964 av. J.-C.)12 dont la priorité fut de protéger l’Égypte des
populations berbères sahariennes, nubiennes et orientales qui cherchaient à
s’infiltrer dans la vallée du Nil. Le pharaon qui lança plusieurs expéditions
militaires, notamment en Nubie, en dirigea personnellement une vers la fin
de son règne. Toutes ces expéditions sont bien documentées par les sources.
Amenemhat Ier mourut assassiné13. Son successeur fut son fils Sésostris Ier
(± 1964/± 1919 av. J.-C.) qui avait été associé au pouvoir comme corégent
et qui se trouvait alors en Libye où il combattait les Berbères. Son règne
constitue l’âge d’or du Moyen Empire. Ce fut en effet une période de
prospérité et d’énorme essor artistique et littéraire, manifesté notamment
par nombre de constructions. Sous Sésostris Ier, la frontière avec la Nubie
fut établie dans les environs de la 2e cataracte. Les chroniques du règne ont
conservé l’écho de nombreuses missions commerciales vers le Pays de
Pount, le Sinaï, le littoral de la mer Rouge et les oasis situées à l’ouest de la
vallée du Nil.
Le règne d’Amenemhat II (± 1919/± 1881 av. J.-C.) est moins connu en
raison d’une documentation fragmentaire. Les expéditions commerciales
lointaines paraissent cependant être poursuivies et la prospérité semble
toujours régner en Égypte.
Nous ne sommes guère plus renseignés sur le règne de Sésostris II
(± 1881/± 1873 av. J.-C.), probablement en raison de sa brièveté. Tel n’est
pas le cas avec son successeur Sésostris III (± 1873/± 1854 av. J.-C.) qui fut
un roi bâtisseur et guerrier. Les expéditions mentionnées sous son règne se
firent en Palestine et en Nubie (Vandersleyen, 1995 : 92-95), au-delà de
Semna et de Koumna, probablement jusqu’à l’île de Saï. À l’intérieur, le
souverain renforça le pouvoir central aux dépens des nomarques14 et laissa à
son fils Amenemhat III (± 1853/± 1809 av. J.-C.) une Égypte prospère et
respectée de ses voisins, ce qui lui permit d’accomplir un grand règne suivi
d’un brutal effondrement sous ses successeurs Amenemhat IV
(± 1809/± 1800 av. J.-C.) et Néférousébek (ou Sébeknéférou)
(± 1800/± 1797 av. J.-C.), ce qui provoqua la fin de la dynastie. L’Égypte
connut alors une nouvelle fragmentation territoriale qui ouvrit une seconde
grande période de décadence connue sous le nom de Deuxième Période
Intermédiaire qui dura de ± 1800 à ± 1543 av. J.-C.
Durant la Deuxième Période Intermédiaire, le morcellement territorial et
la dislocation se firent tant au Nord qu’au Sud. Cette période recouvre
cinq dynasties qui sont les XIIIe à XVIIe incluses. La XVe et la
XVIe dynasties sont deux dynasties Hyksos, tandis que la XVIIe est
une dynastie thébaine15.
Au Nord, à la suite de l’invasion des Hyksos, peuples indo-européens et
asiatiques mélangés et équipés de chars de guerre attelés de chevaux,
l’autorité royale ne s’exerça plus dans le Delta divisé en plusieurs cités-
États. À partir de 1750 av. J.-C., les Hyksos furent les maîtres du Delta ;
vers ± 1675 av. J.-C., un de leurs chefs, Salitis, fonda la XVe dynastie et
installa sa capitale à Avaris. Durant environ un siècle, les Hyksos furent la
puissance régionale dominante, étendant leur autorité sur la Moyenne-
Égypte et faisant payer tribut aux souverains de Thèbes16. La dislocation fut
alors générale et les Nubiens qui profitèrent de la situation empiétèrent
largement sur le territoire égyptien. Le Royaume de Koush17 annexa ainsi la
ville de Buhen, au nord de la 2e cataracte, puis il s’allia aux Hyksos. Les
rois de Thèbes durent ainsi lutter sur deux fronts, mais ils parvinrent
néanmoins à reconquérir le Delta puis à refaire l’unité de la Basse et de la
Haute-Égypte. Cette renaissance déboucha sur le Nouvel Empire.

4. Le Nouvel Empire (± 1543/± 1078 av. J.-C.)


Le Nouvel Empire fut une période d’unité et d’expansion territoriale,
notamment en direction de la Nubie et de la Palestine. Il se compose de
trois dynasties (XVIIIe, XIXe et XXe) et il est encore parfois désigné sous le
nom de Second Empire thébain car Thèbes, ville du Dieu Amon en fut sa
métropole religieuse et sa capitale politique18.
Les débuts de la XVIIIe dynastie (± 1543/± 1292 av. J.-C.) et du Nouvel
Empire ne sont pas très clairement marqués. Une discussion subsiste même
au sujet de son fondateur, le pharaon Amosis ou Ahmosis
(± 1543/± 1518 av. J.-C.)19 qui expulsa les Hyksos durant le dernier tiers de
son règne (Vandersleyen, 1995 : 216-217). Cette « guerre de libération » qui
permit la renaissance de l’Égypte débuta avec la prise de Memphis, suivie
de celle d’Avaris, puis de Sharouhen, capitale des Hyksos située dans le sud
de l’actuelle Bande de Gaza, en Palestine. Les Hyksos définitivement
vaincus et chassés de Palestine et de Syrie, Amosis se tourna vers la Nubie.
Partant de Bouhen, il s’enfonça au sud de la 2e cataracte, vers le cœur du
royaume de Koush. À l’issue de ces campagnes, il avait restauré la
puissance territoriale de l’Égypte.
Amosis légua à son successeur et fils Amenhotep Ier
(± 1518/± 1497 av. J.-C.) une Égypte réunifiée et pacifiée. Ce dernier
n’ayant pas eu d’héritier, la couronne passa à un noble thébain (?) qui régna
sous le nom de Thoutmosis Ier 20 (± 1497/± 1483 av. J.-C.)21. Sous son règne,
l’Égypte connut une importante expansion vers la Nubie puisqu’elle
s’étendit au-delà de la IVe cataracte. Le mouvement fut également sensible
en Asie et il semblerait que les armées égyptiennes aient poussé vers
l’Euphrate. Thoutmosis Ier fut également un souverain bâtisseur, laissant sa
marque architecturale, notamment à Thèbes.
Thoutmosis II (± 1483-1480 av. J.-C.), l’un des fils d’Amenhotep Ier, était
l’époux de sa propre demi-sœur Hatschepsout et son bref règne ne connut
pas de faits marquants. À sa mort, l’un de ses fils, Thoutmosis III
(± 1480/± 1424 av. J.-C.) monta sur le trône. Comme il était encore très
jeune, une corégence fut assurée par sa tante Hatchepsout
(± 1480/± 1457 av. J.-C.)22. Du « règne » de cette dernière, l’on peut retenir
que plusieurs expéditions marchandes eurent lieu en direction du Pays de
Pount. L’une d’entre elles est même représentée sur les bas-reliefs du
temple de Deir el Bahari à Thèbes, grands legs architectural de la
souveraine.
À partir du moment où Thoutmosis III régna seul (± 1457 av. J.-C.),
l’Égypte se lança dans une ambitieuse politique d’expansion territoriale en
Asie23, essentiellement en Palestine et exceptionnellement au Liban.
Thoutmosis III écrasa le royaume de Mitanni24. Au terme de nombreuses
campagnes, il soumit une partie de la région, les villes de Phénicie et de
Palestine payant tribut tandis que les royaumes d’Assyrie et de Babylonie se
montraient prudents à l’égard de l’Égypte. Quelques expéditions
secondaires sont également signalées en Nubie qui paraît à l’époque bien
contrôlée et intégrée au monde économique égyptien.
Amenhotep II25 (± 1424/± 1398 av. J.-C.), fils de Thoutmosis III succéda
à son père26. Son règne fut moins guerrier, même si le roi laissa relater avec
complaisance ses hauts faits d’armes et les massacres commis de sa main
dans des expéditions contre des princes rebelles. Sous Amenhotep II, le
Mitanni, menacé par ses voisins se rapprocha de l’Égypte. Ce règne vit
également une nouvelle forme d’art et de mode vestimentaire éclore en
Égypte. L’on a même pu parler, en termes de représentations artistiques,
d’une sorte de « point de rupture » (Vandersleyen, 1995 : 335) quant à la
représentation des formes car, sur les peintures, les représentations des
visages changent, les yeux s’allongent, les formes s’amincissent, les
grandes perruques dominent et chez les femmes, les fourreaux sont
remplacés par des robes moins moulantes laissant apparaître une épaule
nue.
Le bref règne de Thoutmosis IV (± 1397/± 1387 av. J.-C.) n’a rien laissé
de particulier. L’Égypte fut en paix, notamment en Asie où une quasi-
alliance avait été conclue avec le Mitanni, le pharaon épousant même
Sourtarna, la fille du roi Artama Ier. Amenhotep III également connu sous le
nom d’Aménophis III (± 1387/± 1348 av. J.-C.), fils de Thoutmosis IV et de
son épouse mitanienne Sourtarna monta sur le trône alors qu’il n’était qu’un
enfant. L’alliance avec le Mitanni fut retrempée par les mariages successifs
du pharaon avec Giluheba, sœur de Tusratta, le nouveau roi de Mitanni,
puis avec Taduheba, fille du même. Après la mort d’Amenhotep III, cette
dernière devint l’épouse de son fils et successeur, Akhenaton.
Le règne d’Amenhotep IV (ou Aménophis IV) Akhénaton27
(± 1348/± 1331 av. J.-C.) avait peut-être débuté par une co-régence avec
son père Amenhotep III.

Amenhotep IV, halluciné ou réformateur ?


Amenhotep IV-Akhénaton, le fils du grand Amenhotep III était laid et chétif, avec un
regard triste, une tête énorme et même disproportionnée, des lèvres épaisses et
affaissées, un ventre mou et ballonné. Ce grand malade souffrait de crises d’épilepsie
et était sujet aux visions hallucinatoires, ce qui peut expliquer son évolution religieuse
face à la montée en puissance du clergé d’Amon.
Sous le règne d’Amenhotep III, le grand prêtre d’Amon était devenu un personnage à
ce point considérable qu’il en était arrivé à représenter un danger pour l’État
(Redford, 1987). Quand Amenhotep IV monta sur le trône, l’Égypte était, de fait,
gouvernée par le clergé d’Amon qui cherchait à s’imposer comme un second pouvoir
face à celui du pharaon. Le jeune souverain tenta alors une révolution religieuse
destinée à abaisser la puissance politique des prêtres en faisant évoluer la religion
traditionnelle vers une forme de monothéisme, le soleil Aton devenant un dieu unique
et universel. Il remplaça alors le dieu de Thèbes, Amon, par Aton, le disque solaire,
jusque-là divinité de la seule ville d’Héliopolis et il l’éleva au rang de divinité suprême.
En supprimant le panthéon égyptien au profit d’Aton le dieu unique, le souverain,
soutenu par son épouse Néfertiti déclencha alors une véritable révolution
monothéiste28. Il ferma les temples de Karnak, dispersa le clergé d’Amon et
abandonna Thèbes pour une nouvelle capitale, Akhétaton (Tell el Amarna29), où le
culte du soleil pouvait être célébré en dehors de « tout environnement rappelant le
passé » (Vandersleyen, 1995 : 425). Il fit également marteler le nom d’Amon sur les
inscriptions et prit le nom d’Akhénaton (celui qui est agréable à Aton).
Cette révolution religieuse et politique fut naturellement vigoureusement combattue
par le clergé d’Amon qui y voyait la fin de ses privilèges et qui dénonçait aussi une
menace sur l’identité égyptienne. Amenhotep IV-Akhénaton échoua car les Égyptiens
étaient attachés à la foi en Osiris et croyaient en la survie après la mort30.

Sous le règne d’Akhénaton, l’Égypte s’étendit dans l’actuelle région de


Gaza en Palestine, mais le contexte régional changea après que le prince
Artatama du Mitanni eut fait appel aux Hittites du roi Suppiluliumas (1380-
1346 av. J.-C.) durant une guerre civile ayant éclaté dans le royaume.
Voulant écarter la pesante tutelle hittite, Artatama demanda ensuite l’aide de
l’Égypte, mais Akhénaton demeura neutre et les Hittites en profitèrent pour
s’emparer de la Syrie. Le royaume de Mitanni entra alors en décadence et se
divisa en deux, une partie passant sous contrôle hittite et l’autre sous
autorité assyrienne.
Akhénaton mort sans héritier mâle, l’avenir de la dynastie fut confié à
son gendre Toutankhaton31 qui régna sous le nom de Toutankhamon
(± 1339/± 1329 av. J.-C.). Après un règne sans lustre particulier, ce dernier
mourut, lui aussi sans descendance mâle. La XVIIIe dynastie s’éteignit
alors.
La mort de Toutankhamon ouvrit une période confuse durant laquelle
deux pharaons qui n’étaient pas de « sang royal » se succédèrent. Le
premier fut Ay (± 1329/± 1318 ou 1314 av. J.-C.). On ignore qui était ce
personnage et comment il arriva à se hisser au pouvoir. À sa mort, le chef
de l’armée, Horemheb, s’empara du trône et il régna jusqu’en ± 1292 av. J.-
C. N’ayant pas de descendance mâle, il désigna son successeur en la
personne de Paramsès qui prit comme nom de règne celui de Ramsès Ier
(± 1292/± 1291 av. J.-C.). C’est avec lui que débuta la XIXe dynastie
(± 1292/± 1186 av. J.-C.).
Son fils Séti Ier (ou Séthy Ier) (± 1290/± 1279 av. J.-C.) reprit la politique
d’expansion en Asie qui avait été abandonnée depuis le règne de
Thoutmosis III, un siècle et demi auparavant, et il conquit la Palestine et la
Syrie32. Le roi eut à combattre à la fois en Asie, contre les Hittites, en Nubie
et sur les franges sahariennes de l’Égypte.
Ramsès II (± 1279/± 1212 av. J.-C.)33, fils du précédent, développa son
héritage. Ce fut un bâtisseur (Abou Simbel et autres temples nubiens), mais
aussi un administrateur et un guerrier. Ses campagnes militaires en firent le
plus grand souverain de l’histoire de l’Égypte. Il intervint au Sud, en Nubie
et à l’Ouest contre les Libyco-berbères sahariens. Mais c’est surtout contre
les Hittites qu’il remporta ses plus grandes victoires dont la plus célèbre est
celle de Qadesh34.
Mérenptah (ou Minephtah) (± 1212/± 1202 av. J.-C.) succéda à son père
alors qu’il avait une soixantaine d’années. Loin dans l’ordre de succession
puisqu’il était le 13e fils de Ramsès II, il n’avait dû son élévation au trône
qu’à l’énorme mortalité infantile de l’époque. Les faits saillants de son
règne sont trois campagnes militaires menées contre divers envahisseurs qui
tentèrent de pénétrer en Égypte. Il s’agissait une fois de plus des Berbères
sahariens, des Nubiens, mais aussi de nouveaux venus, les Peuples de la
mer35. À cette époque, ce furent les Berbères qui firent peser la plus forte
menace sur l’Égypte en raison d’une nouvelle accentuation de la sécheresse
qui les poussait à se rapprocher de la vallée du Nil. Les premières zones
touchées furent naturellement celles des grandes oasis situées à l’ouest du
Nil (Farafra, Kharga, etc.).
Après Mérenptah, quatre pharaons se succédèrent dans un climat de plus
en plus troublé annonçant une inexorable décadence.
Le premier d’entre eux fut Séti II (± 1201/± 1196 av. J.-C.), fils de
Mérenptah dont le pouvoir fut militairement contesté par un anti-roi nommé
Amenmès36. Le souverain finit par l’emporter mais le prestige royal sortit
affaibli de la crise. Les trois autres souverains furent Siptah
(± 1196/± 1189 av. J.-C.) qui eut pour successeur sa propre épouse, la reine
Taousert (± 1189/± 1186 av. J.-C.), puis Sethnakht (± 1186 ou
1188/± 1185 av. J.-C.), dont nous ignorons quasiment tout et qui fut le
fondateur de la XXe dynastie (± 1186 ou 1188 ?/± 1078 av. J.-C.).
C’est avec cette dynastie que s’achève le Nouvel Empire et que
commence la Basse Époque. La XXe dynastie est composée de neuf
souverains portant tous le nom de Ramsès et c’est pourquoi elle est
couramment désignée sous le nom de dynastie ramesside. Le seul grand
règne fut celui de Ramsès III (± 1185/± 1153 av. J.-C.). Fils de Setnakht, il
régna trente ans durant lesquels il livra bataille à tous les voisins de
l’Égypte qui sentaient la riche vallée enfin à leur portée. Les plus dangereux
furent alors les Peuples de la mer. Leur invasion a été représentée sur le
mur extérieur du temple de Medinet Habou à Thèbes, grande réalisation
architecturale du souverain, et une des dernières de cette ampleur pour la fin
de l’époque dynastique.
Les huit autres Ramsès (IV, V, VI, VII, VIII, IX, X et XI) qui se
succédèrent de ± 1153 à ± 1078 av. J.-C. n’eurent plus guère de prise sur les
évènements et leurs règnes respectifs furent marqués par une augmentation
de l’insécurité, par les famines, par les séditions et par la détérioration du
tissu social. Partout les monuments et les tombeaux furent pillés et les
momies profanées, l’État étant incapable de rétablir l’ordre. Pour ne rien
arranger, le VIIe Ramsès n’ayant pas eu d’héritier, le trône fut probablement
conquis par un usurpateur qui se proclama pharaon sous le nom de
Ramsès VIII. Le Nouvel Empire s’achevait dans la désolation et bientôt,
l’Égypte passa sous domination étrangère.

5. L’Égypte dans son environnement africain


De par sa situation géographique, l’Égypte était en contact avec trois
grandes régions : le Sahara à l’Ouest, le Sinaï et le Moyen-Orient au Nord-
Est, la mer Rouge et la Nubie à l’Est et au Sud. Certains des peuples vivant
dans ces zones faisaient partie de ceux que les Égyptiens désignaient sous le
nom des « Neuf Arcs » (Valbelle, 1990) ou ennemis traditionnels de
l’Égypte. Parmi eux, les nomades sahariens occupaient une place
particulière.
Les Égyptiens se méfiaient du Sahara dont les peuples, qu’ils
identifiaient sous le nom générique de « Libyens37 », menaçaient
périodiquement la vallée du Nil. Ces peuples n’étaient cependant pas tous
pillards ou du moins ne l’étaient-ils pas toujours, car ils avaient des
relations commerciales avec l’Égypte, lui fournissant le bétail qui lui faisait
défaut et une essence aromatique recherchée par les Égyptiens qu’ils
échangeaient contre du grain. Parmi ces populations berbères sahariennes,
quatre sont particulièrement citées par les sources égyptiennes, les
Meshouesh, les Lebou38, les Tjéhénou et les Tjéméhou que les Égyptiens
représentent sur leurs peintures ou leurs sculptures avec une tresse sur la
tempe et le manteau attaché sur l’épaule droite.
L’Égypte et les Berbères
En plus de vingt siècles d’existence, l’Égypte dynastique n’a laissé aucune trace,
aucune preuve de contact à l’ouest de la vallée du Nil, au-delà des oasis
immédiatement proches et qui étaient régulièrement englobées dans l’Empire. À
environ 200 km environ à l’ouest du Nil et parallèlement à son cours, se trouvent en
effet plusieurs grandes oasis (Bahariya, Farafra, Dakhla et Kharga). Sous le Moyen
Empire (± 2064-± 1800 av. J.-C.), et cela dès la XIIe dynastie (± 1994/± 1797 av. J.-
C.), l’Égypte qui contrôlait déjà les oasis du Sud (Kharga et Dakhla) prit possession
de celles du Nord (Farafra et surtout Bahariya), dont elle importait les productions
agricoles, mais c’est seulement sous le Nouvel Empire (± 1580/± 1085 av. J.-C.)
qu’elles furent intégrées à l’Égypte.
Durant presque tout le Nouvel Empire, l’Égypte dut faire face à d’incessantes
menaces surgies de l’Ouest d’où les populations berbères sahariennes chassées par
la péjoration climatique tentaient de s’infiltrer dans la vallée du Nil. Organisés et
structurés, ces migrants posèrent bien des problèmes à l’armée égyptienne et
notamment durant les règnes de Séti Ier (± 1290/± 1279 av. J.-C.) et de Ramsès II
(± 1279/± 1212 av. J.-C.), lequel fut contraint d’ériger une ligne de fortifications à
l’ouest du Delta et qui intégra des Libyens à son armée. Sous le règne de Merènptah
ou Mineptah (± 1212/± 1202 av. J.-C.), l’armée égyptienne réussit à les contenir puis
à les repousser39. Sous le règne de Ramsès III (± 1185/± 1153 av. J.-C.), les Lebou
et les Meshwesh, unis sous le commandement de Mesher, fils de Kaper, reprirent
leur mouvement de poussée en direction du Nil.
Sous Mérenptah (± 1212/± 1202 av. J.-C.), successeur de Ramsès II, les Libyens,
fuyant un Sahara oriental de plus en plus sec tentèrent de trouver refuge dans la
vallée du Nil selon le mouvement millénaire mis en évidence plus haut. Leur
progression est bien connue : après avoir pris les oasis de Kharga et de Farafra, ils
se dirigèrent vers la vallée du Nil, menaçant à la fois le Delta et la région de Memphis
dans un mouvement de fond concerté et coordonné.
Sous la XXe dynastie, durant les règnes de Ramsès III (± 1185/± 1153 av. J.-C.), de
Ramsès VI (± 1143/± 1136 av. J.-C.), de Ramsès IX (± 1126/± 1108 av. J.-C.) et
Ramsès XI (± 1105/± 1078 av. J.-C.) les Libyens menacèrent constamment la vallée
du Nil au point de réussir à s’y établir en certaines zones.

L’autre zone de contact et d’expansion égyptienne en Afrique fut la


Nubie, au Sud. Pour les Égyptiens, la Nubie était le « misérable pays de
Koush », région réputée barbare, tout à la fois repoussoir et négatif de la
civilisation pharaonique. Ce terme qui ne recouvrait pas une réalité
géographique clairement définie désignait les régions situées au sud d’Abou
Simbel, au-delà des 1er et 2e cataractes40.
Comme l’Égypte, la Nubie est elle aussi une vallée encastrée entre le
désert oriental et le Sahara, mais à la différence de l’Égypte, elle connaît
des élargissements favorables aux activités des hommes et notamment au
pastoralisme.
Deux sous-régions peuvent être distinguées :
1. la Basse-Nubie située entre la 1re et la 2e cataractes était largement
égyptianisée ; il s’agissait du pays dit de Ouaouat ;
2. la Haute-Nubie ou Nubie proprement dite, commençait en amont de la
2e cataracte et s’étendait jusqu’à la confluence du Nil Blanc et du Nil
Bleu. Elle était connue des Égyptiens sous le nom de pays de Koush.
L’expansion égyptienne en direction de la Nubie s’est étendue sur
deux millénaires.
Dans un premier temps il ne s’agit que de contacts commerciaux ou
d’influences culturelles, puis, avec le développement de la puissance
égyptienne, cette politique se transforma en volonté de conquête.
Durant l’Ancien Empire, les pharaons de la VIe dynastie prirent le
contrôle de toute la région située en amont d’Assouan, donc de la
1re cataracte. Des voyages d’explorations permirent également de découvrir
les régions plus méridionales.
Durant le Moyen Empire, l’Égypte s’intéressa plus étroitement à la Nubie
qui était productrice d’or. Durant la XIIe dynastie, cette politique fut
poursuivie et accentuée. Sésostris Ier (± 1964/± 1919 av. J.-C.) dont le règne
marque l’apogée du Moyen Empire, eut une politique extérieure
expansionniste en Nubie où il tenta de prendre le contrôle de tout le pays de
Ouaouat et où il édifia un réseau de citadelles. Il repoussa peu à peu vers le
Sud les frontières de l’Égypte qu’il établit à la hauteur de la 2e cataracte.
Sésostris III (± 1872/± 1854 av. J.-C.) repoussa encore plus au sud la
frontière méridionale de l’Égypte, l’établissant à Semna et à Koumma.
Durant la Deuxième Période Intermédiaire (± 1800/± 1543 av. J.-C.) et
comme nous l’avons vu, le Delta et la Basse Égypte passèrent sous le
contrôle des Hyksos. Quant à la Haute-Égypte, elle se divisa en plusieurs
principautés incapables d’assurer la défense des citadelles édifiées dans la
région de la Deuxième cataracte. Au même moment, entre ± 1750 et
± 1500 av. J.-C., en Nubie, le royaume de Kerma était à son apogée avec
pour résultat la poussée des armées nubiennes qui arrivèrent jusque dans la
région d’Assouan. À la fin de la Deuxième Période Intermédaire, l’Égypte
s’était repliée jusqu’à la 1re cataracte.
Puis, au Nouvel Empire, sous la XVIIIe dynastie, l’Égypte reprit son
impérialisme vers la Nubie qui, entre-temps, s’était très largement
égyptianisée. Le mouvement se fit par grandes étapes et fut initié par
Amosis (± 1543/± 1518 av. J.-C.), premier souverain de la XVIIIe dynastie
(± 1543/± 1292 av. J.-C.). L’expansion égyptienne s’exerça une nouvelle
fois à partir de la 2e cataracte, limite géographique et historique entre la
Nubie et l’Égypte et elle eut pour résultat l’affaiblissement du royaume de
Koush et la fin de la civilisation de Kerma. Le mouvement s’amplifia sous
le règne d’Amenhotep Ier (± 1517/± 1497 av. J.-C.) qui reconquit Ouaouat et
poussa jusqu’à la 4e cataracte, mettant ainsi en contact l’Égypte avec le
grand carrefour caravanier qui reliait la région à l’Afrique tropicale
profonde.
Thoutmosis Ier, son successeur (± 1497/± 1483 av. J.-C.), entreprit la
conquête de Koush et s’empara de la ville de Kerma qu’il détruisit, puis il
progressa loin vers le Sud, en amont de la 4e cataracte où il fonda un poste
militaire à proximité de l’actuelle ville d’Abou-Hamed. Quand il rentra en
Égypte, il fit pendre la tête en bas le roi koushite à la proue de son bateau.
La civilisation de Kerma était détruite. Cette campagne militaire n’avait
cependant pas brisé la volonté de résistance de la Nubie puisque, sous
Thoutmosis II (± 1483/± 1480 av. J.-C.), une violente révolte anti-
égyptienne se produisit dans tout le pays de Ouaouat. Elle fut réduite avec
férocité mais la pacification de la Nubie ne fut effective que sous la co-
régence de Thoutmosis III (son règne : ± 1479/± 1424 av. J.-C.) et
d’Hatshepsout (son règne : ± 1479/± 1457 av. J.-C.). La frontière de
l’Égypte fut établie à la hauteur de la 4e cataracte et la Nubie paraît alors
avoir été une véritable dépendance de l’Égypte.
Cette situation demeura inchangée sous les pharaons de la XIXe dynastie
avec un intérêt particulier pour la Nubie marqué par Ramsès II
(± 1279/± 1212 av. J.-C.) qui y entreprit de grands travaux et qui y fit
édifier des temples majestueux dont ceux d’Abou Simbel. Puis, un nouveau
retournement de situation se produisit durant le 3e Intermédiaire qui vit un
nouvel effacement du pouvoir central égyptien et une revanche de la Nubie
qui, avec la XXVe dynastie, ou dynastie koushite prit le pouvoir en Égypte
comme nous le verrons plus loin.
La troisième zone de contact entre l’Égypte et l’extérieur était la mer
Rouge41. Par la mer Rouge les navires42 égyptiens atteignaient le « pays de
Pount ». Si les sources disent clairement qu’il fallait la traverser pour
l’atteindre, la discussion au sujet de sa localisation est toujours ouverte43.
Durant l’Ancien Empire, sous les règnes de Pépi Ier, de Merenré Ier et de
Pépi II, pharaons de la VIe dynastie, nous avons les preuves de plusieurs
expéditions rapportant depuis le Pays de Pount peaux, ivoire, or, ébène,
parfums et même un Pygmée. Le produit le plus recherché était l’encens,
résine blanche solidifiée produite par le grattage de l’écorce de l’arbre à
encens ou Boswellia Carterii44. Ces expéditions étaient cependant
occasionnelles45 et elles semblent avoir cessé durant la Seconde Période
Intermédiaire.
Durant le Nouvel Empire, la reine Hatchepsout renoua le contact
maritime avec Pount en y envoyant une expédition. Les détails qui
apparaissent sur les reliefs des murs du temple de Deir el-Bahari dans la
vallée des Rois contiennent de très précieux renseignements à son sujet :
frises de poissons de mer et non du Nil, navires le long du rivage, village
composé de cases sur pilotis et ombragées de palmiers-doum. Les habitants
de Pount tels qu’ils sont représentés ne sont pas des Noirs tels que les
Égyptiens les figurent habituellement, ils ont des traits fins, à l’image des
Somali actuels (?), avec parfois des barbichettes. Les marchandises qui sont
chargées à bord des navires égyptiens sont clairement identifiables : morfil,
bétail, peaux de léopards, bois, œufs et plumes d’autruches, une girafe,
peut-être des guépards et bien sûr, les fameux arbres à encens destinés à être
replantés en Égypte. L’intérêt des Égyptiens pour le pays de Pount se
poursuivit durant toute l’époque dynastique.

B. L’Égypte de la fin de la période dynastique


à la veille de la conquête arabo-musulmane
± 1078/± 664 av. J.-C. en Égypte = Troisième Période Intermédiaire
– XXIe dynastie : dynastie de Tanis (± 1078/± 950 av. J.-C.)
– XXIIe dynastie : dynastie berbère (± 950/± 730)
– XXIIIe dynastie : dynastie berbère (± 730/± 720)
– XXIVe dynastie : première dynastie saïte (± 730-720/± 715)
– XXVe dynastie : dynastie nubienne (± 715/± 664).
± 664/332 av. J.-C. en Égypte = Basse époque
– XXVIe dynastie : seconde dynastie saïte (± 663/± 525 av. J.-C.)
– XXVIIe dynastie : première dynastie perse (525/404)
– XXVIIIe dynastie : troisième dynastie saïte (404/398)
– XXIXe dynastie : dynastie de Mendès (398/378)
– XXXe dynastie : dynastie sébennytique (378/341)
– XXXIe dynastie : seconde dynastie perse (341/333)
-332-30 av. J.-C. en Égypte = époque ptolémaïque ou Lagide46
-30 av. J.-C. en Égypte = début de la période romaine puis romano-byzantine
-618 ap. J.-C. en Égypte = conquête perse
-629 ap. J.-C. en Égypte : reconquête byzantine
La Troisième Période Intermédiaire (± 1078/-664 av. J.-C.), épisode de
décadence, de repli et de dislocation débuta avec la XXIe dynastie
(± 1078/± 950 av. J.-C.), fondée par Smendès qui prit le pouvoir à la mort
de Ramsès XI. Sa capitale était située dans le Delta, à Tanis, d’où le nom de
« Pharaons de Tanis » donné aux sept souverains de cette dynastie. Ils
tentèrent de reconstituer l’unité de l’Égypte, mais pour cela il leur fallait
d’abord réduire le pouvoir des Grands prêtres d’Amon qui s’étaient rendus
quasiment indépendants. Comme ils n’avaient pas les moyens de les
soumettre par la force, ils leurs donnèrent leurs filles en mariage, mais cela
ne suffit pas et le morcellement de l’Égypte se poursuivit avec l’accession
au pouvoir de dynasties étrangères.

1. La période berbère (XXIIe, XXIIIe et XXIVe dynasties)


Les souverains des XXIIe, XXIIIe et XXIVe dynasties dites libyennes
« régnèrent » en théorie de ± 950 à ± 712 av. J.-C. Ces dynasties berbères
qui se chevauchèrent ne contrôlèrent jamais toute l’Égypte. Leur accession
au pouvoir illustre la permanence des contacts, tantôt pacifiques, tantôt
conflictuels entre les Égyptiens et leurs voisins de l’Ouest. Elle s’explique
également par la constitution d’une caste militaire au sein de laquelle
certaines de ces tribus berbères jouèrent un rôle essentiel.
À l’origine de la XXIIe dynastie se trouve Nemart, également connu sous
le nom de Sheshonq l’Ancien, chef de la tribu des Meshwesh47, qui
s’imposa dans la région de Bubastis dans le Delta. Sheshonq Ier
(± 950/± 924 av. J.-C.)48, fils de Nemart, fut le véritable fondateur de cette
première dynastie berbère en succédant à Psousennès II, dernier pharaon de
la XXIe dynastie dont il épousa la fille, la princesse Makare (Maâtka Rê).
La XXIIe dynastie compta dix souverains qui se placèrent sous la protection
du dieu Amon tout en favorisant parallèlement l’essor du culte des idoles49.
En 929, Shéshonq s’empara de Jérusalem qu’il pilla avant de rapporter en
Égypte les trésors du roi Salomon et dans le temple d’Amon Rê de Karnak,
il fit représenter sa victoire sur les royaumes juifs de Juda et d’Israël. En
dépit de cette démonstration de force, les souverains berbères ne furent à
aucun moment en mesure de réunifier l’Égypte ; quant à leur propre fief du
delta, il fut émietté en raison de leur coutume de partage territorial entre les
héritiers des souverains défunts.
Le successeur de Sheshonq Ier fut son fils Osorkon Ier Sekhemkheperre
(924-889) qui eut un long règne illustré par la construction de nombreux
temples. Son fils Seshonq II (890-889) ne régna que quelques mois et ce fut
son propre fils, Takelot Ier (889-874) qui lui succéda. Après sa mort, son
successeur qui était son fils Osorkon II (874-850) eut des démêlés avec ses
frères (ou cousins ?) qui avaient été investis Grands prêtres d’Amon. En
850, son fils Takelot II (850-825) hérita du royaume. Le début du règne du
fils et successeur de ce dernier, Seshonq III (825-773), fut confus car une
guerre civile de quinze ans éclata qui l’opposa à un de ses cousins. Après
Seshonq III, Pimay (773-767) monta sur le trône, puis Seshonq V50 (767-
730) qui eut un long règne de 37 ans, mais dont l’autorité fut réduite au
delta. Son fils, Osorkon IV (730-715) qui fut le dernier souverain de la
XXIIe dynastie ne contrôla que les villes de Tanis et de Bubastis.
En l’an VIII du règne de Seshonq III (817 av. J.-C. ?), un autre membre
de la tribu Meshwesh, connu sous le nom de Padibastet (Pétoubastis Ier)
(818-793), fonda la XXIIIe dynastie (818-715) et installa sa capitale à
Taremou (Leontopolis) dans le Delta. Cette dynastie compta au total huit
souverains51.
Toujours durant le règne de Seshonq III, une autre tribu berbère, celle des
Lebou (Lebu), s’installa à l’ouest du delta. Quelques décennies plus tard,
conduite par Tefnakht elle fonda la XXIVe dynastie (± 730/± 715 av. J.-C.)
ou Ire dynastie saïte. Vers 730 av. J.-C., Tefnakht prit le contrôle de
Memphis et en 728, il réussit à rassembler sous son autorité toutes les
principautés berbères du Delta avant d’entrer en guerre contre les Nubiens
qui, à l’époque, occupaient la région de Thèbes. Vaincu, il se replia après
avoir accepté la tutelle nubienne. Son fils Bak In Rann If, plus connu sous
son nom grec de Bocchoris lui succéda, mais en 715, les Nubiens
commandés par Shabataqa (± 702/± 690) attaquèrent Bubastis et Bocchoris
fut vaincu52. L’Égypte passa alors sous contrôle nubien.

2. L’Égypte sous domination nubienne (± 730 av. J.-C./


± 656 av. J.-C.)
S’opposant aux pharaons berbères des dynasties dites « libyennes », une
partie du clergé d’Amon avait quitté Thèbes pour s’exiler volontairement en
Nubie, dans le royaume de Napata. Ils s’y réfugièrent auprès de souverains,
largement égyptianisés, qui se faisaient représenter comme les pharaons et
qui étaient fidèles au culte d’Amon53.
Les connaissances concernant le royaume de Napata sont fragmentaires
jusqu’à l’époque d’Alara qui aurait régné de ± 785 à 760 av. J.-C. Son
successeur, Kachta (760-747 av. J.-C.) intervint directement en Égypte en
obligeant l’Adoratrice d’Amon, fille du roi berbère Osorkon IV, à adopter sa
propre fille. Déjà maître de la région de Thèbes, vers 730 av. J.-C., Piankhi,
fils de Kachta s’empara de Memphis et fonda la XXVe dynastie
(± 715/± 633 av. J.-C.), connue sous le nom de « dynastie nubienne ». Elle
exerça son autorité théorique de la Méditerranée jusqu’à la
Sixième cataracte et pourrait avoir compté quatre ou cinq pharaons.
Sous Taharqa (± 690/± 664 av. J.-C.), par trois fois (en 669, en 666 et
en 663), les Assyriens envahirent l’Égypte. La première campagne fut
dirigée par le roi Assarhadon qui prit Memphis en 675 av. J.-C. Taharqa fut
alors contraint d’abandonner sa résidence de Tanis dans le delta. Après la
mort de son père Assarhadon, Assourbanipal (668-627 av. J.-C.)54, s’installa
sur le trône de Ninive tandis que l’un de ses frères devenait une sorte de
vice-roi résidant à Babylone.
Assourbanipal porta à son sommet la puissance assyrienne, élargissant les
conquêtes depuis Suse, en Iran, jusqu’à la Méditerranée et de l’Arménie
jusqu’au golfe Persique. Il lui fallut deux campagnes pour achever la
conquête de l’Égypte que son père n’avait pu terminer avant de mourir. En
664 av. J.-C., ses armées prirent tout le delta du Nil. Taharqa fut alors
contraint de se réfugier à Thèbes d’où il lança une contre-offensive contre
les bases assyriennes du Delta avant de reprendre Memphis. Le répit ne fut
cependant que de courte durée puisqu’en 663, l’Égypte subit une nouvelle
invasion assyrienne. Memphis, puis Thèbes, furent prises et Taharqa se
replia en Nubie où il remit le pouvoir à son neveu Tanoutamon
(± 663/± 656 av. J.-C.). La date de 663 av. J.-C. marque la fin de la
domination nubienne sur l’Égypte et le retour d’une dynastie égyptienne, la
XXVIe dynastie.
La Basse Époque (664-332 av. J.-C.), débute avec la XXVIe dynastie
fondée par Psammétique Ier (663-609 av. J.-C.)55 qui acheva de libérer
l’Égypte de la domination assyrienne en réussissant à reconquérir la région
du delta. Durant presque cent quarante ans, sous la direction de six
pharaons dont la capitale était Saïs56, l’Égypte réunifiée joua à nouveau un
rôle régional et sa culture connut un nouvel essor marqué à la fois par de
nouvelles constructions et par le retour à la tradition artistique classique. On
parle de cette époque comme de celle de la « Renaissance saïte ». Les
Grecs furent alors de plus en plus présents, qu’il s’agisse de mercenaires
engagés par le souverain, ou de marins et de colons installés à Naucratis,
leur principal établissement en Égypte fondé en 525 av. J.-C.
Le successeur de Psammétique Ier fut Néchao II (609-694) qui affronta
Nabuchodonosor, roi de Babylone, lequel avait décidé de chasser les
Égyptiens présents en Syrie depuis le règne de Psammétique Ier. En 605, les
Égyptiens furent vaincus à Karkémich et repoussés au-delà du Sinaï.
Psammétique II (594-588) qui succéda à Néchao II se tourna alors vers le
Sud et il décida de conquérir la Nubie. En 591 av. J.-C., une armée
égyptienne largement composée de mercenaires grecs écrasa Aspelta roi de
Napata57.
Après Psammétique II, l’Égypte fut dirigée par des souverains hellénisés
à l’image d’Apriès (588-568 av. J.-C.) et d’Amasis (568-526 av. J.-C.) qui
furent haïs par la population « vieille égyptienne ». En 525 av. J.-C., sous le
bref règne de Psammétique III, fils et successeur d’Amasis, Cambyse II, roi
des Perses (530-522 av. J.-C.), écrasa les troupes égyptiennes et grecques à
Péluse58. Le désastre fut tel que Psammétique se suicida. Cambyse se
proclama alors pharaon et fonda la XXVIIe dynastie ou dynastie perse (525-
404 av. J.-C.)59. Le conquérant mourut en 522 et son successeur à la tête de
l’empire perse et de l’Égypte fut Darius Ier (522-486 av. J.-C.). Sous le
règne d’Artaxerxès Ier (465-424 av. J.-C.), quatrième souverain de
la dynastie perse, Inaros, un chef berbère (?) égyptianisé battit les troupes
perses avant d’être capturé et crucifié. Il avait pour allié un dynaste de Saïs
nommé Amyrtée qui, en 404 av. J.-C., réussit à libérer le pays des Perses. Il
est considéré comme le fondateur et le seul souverain de la
XXVIIIe dynastie (404-398 av. J.-C.).
Deux autres dynasties se succédèrent ensuite, à savoir la XXIXe (398-
378 av. J.-C.), ou dynastie de Mendès, du nom de la ville du Delta, et la
XXXe (378-341 av. J.-C.) ou dynastie Sebennytique, du nom de la ville de
Sebennytos où Nectanebo Ier (378-360 av. J.-C.), fondateur de la dynastie
avait installé sa capitale. Les pharaons de la XXXe dynastie réussirent à
éloigner le danger perse toujours présent. Ainsi, en 373, une armée perse
s’apprêtait à attaquer Memphis quand le pharaon Nectanebo Ier réussit à la
repousser. Son petit-fils, Nectanebo II (359-341 av. J.-C.) bloqua une
première attaque perse en 351 ; mais, en 341, le grand souverain perse
Artaxerxès III60 (358-338 av. J.-C.) l’élimina. Tout le pays passa alors sous
autorité perse tandis que, partout, les résistances se maintenaient.
Nectanebo II fut le dernier souverain égyptien « indigène ».
Les défaites du roi des Perses Darius III (336-330 av. J.-C.) contre
Alexandre en 334 et en 333 av. J.-C. furent accueillies avec joie en Égypte
et en 333 ou en 332, quand le jeune général macédonien arriva sur les bords
du Nil, il y fut accueilli en libérateur.
3. L’Égypte ptolémaïque61 (333-30 av. J.-C.)
Alexandre le Grand confia l’Égypte à un de ses généraux, Ptolémaios,
fils de Lagos et fondateur de la dynastie hellénistique qui se maintint au
pouvoir en Égypte jusqu’au suicide de Cléopâtre VII en 30 av. J.-C.
Les souverains lagides ou Ptolémées furent au nombre de dix-sept. Le
premier d’entre eux, Ptolémée Ier Sôter (le Sauveur) (323-282 av. J.-C.)62
était un des plus proches compagnons d’Alexandre le Grand, mort en 323.
Les guerres de succession qui opposèrent ses généraux, les diadoques, se
terminèrent en 321 par la signature d’un accord de partage de l’empire.
Ptolémée refusa la régence et obtint la reconnaissance de ses droits sur
l’Égypte et la Cyrénaïque. Il épousa Eurydice, fille d’Antipater, le nouveau
Régent de l’empire. À la mort de ce dernier, les guerres ayant repris entre
les diadoques, Ptolémée en profita pour annexer la Palestine63. En
305 av. J.-C., il prit le titre de Roi d’Égypte.
Ptolémée Ier eut pour successeur son fils cadet qui régna sous le nom de
Ptolémée II Philadelphe64 (282-246 av. J.-C.). L’Égypte connut alors un
essor remarquable illustré par l’embellissement de la nouvelle capitale,
Alexandrie65. C’est lui qui fit construire le célèbre phare et qui fonda la
fameuse bibliothèque. Mais, pour réaliser ces grands travaux, il avait besoin
d’or. Les mines du désert nubien, l’ancien Pays de Ouaouat qui n’étaient
plus exploitées depuis plusieurs siècles allaient le lui fournir. Le souverain
les fit donc rouvrir.
La richesse d’Alexandrie venait largement du fait que l’Égypte lagide
avait réussi à capter le commerce Asie-Méditerranée grâce au contrôle
qu’elle exerçait sur une partie du littoral de la mer Rouge (Janvier, 1976).
Plusieurs ports y furent agrandis ou même fondés sous le règne de
Ptolémée II Philadelphe. C’est ainsi que l’antique mouillage de Myos
Hormos (l’actuel Quseir) fut aménagé, ainsi que celui de Soterias Limen
(l’actuel Port Soudan), dont la situation exceptionnelle, au débouché des
voies caravanières vers Méroé d’une part et Kassala puis les hautes terres
d’Éthiopie d’autre part, en faisait un site de toute première importance. À
environ 160 km au sud de Soterias Limen, à l’embouchure du Baraka, fut
fondée la station de Ptolémais-des-Chasses destinée à la collecte du morfil
et peut-être au dressage d’éléphants de guerre capturés plus au sud, dans la
vallée de l’Atbara.
Sous le règne de Ptolémée III Évergète Ier (246-221 av. J.-C.), successeur
de Ptolémée II Philadelphe, le port d’Adoulis fut fondé à l’emplacement
d’un mouillage fréquenté par les marins qui naviguaient en mer Rouge.
Avant-port d’Axoum, Adoulis qui devint le principal port du commerce
avec l’Inde66 allait connaître une fortune considérable jusqu’à la conquête
musulmane. La route maritime ne cessa plus de se développer à partir de
cette époque, à telle enseigne qu’au IIe siècle de l’ère chrétienne, un
anonyme voyageur grec, excellent connaisseur de ses détails rédigea un
guide des mouillages et des ports, des populations, des marchandises
proposées et des barèmes en mer Rouge, dans le sud de l’Arabie et sur la
côte occidentale de l’Inde. Ce texte, connu sous le nom de Périple de la mer
Érythrée (Mauny, 1968 : 19-34), constitue une source exceptionnelle
permettant de connaître avec une grande précision l’organisation des
échanges à cette époque. Le commerce de l’Égypte avec l’Inde se faisait
avec une rupture de charge dans le sud de la mer Rouge où des navires
yéménites avaient le monopole de la traversée de l’océan Indien. Le rôle de
l’Arabie du sud était double. D’une part les Yéménites étaient les
intermédiaires obligés du commerce entre la Méditerranée et l’Inde et
d’autre part, ils avaient le monopole de la navigation le long du littoral de
l’Afrique orientale qu’ils connaissaient certainement jusqu’à Zanzibar et
très probablement au moins jusqu’à la hauteur de Sofala (Datoo, 1970 : 65-
76 ; Janvier, 1975)67.
Ptolémée III Évergète fut le dernier grand souverain de la dynastie.
Treize autres rois et reines se succédèrent, mais leur pouvoir, de plus en
plus affaibli, sombra dans les intrigues et les règlements de comptes
familiaux68.
Sous le règne de Ptolémée XII Aulète « le flûtiste » (80-51 av. J.-C.), la
fin de la dynastie se précipita et l’Égypte perdit son indépendance. Chassé
d’Alexandrie par l’émeute populaire, Ptolémée XII se réfugia à Rhodes. Il
obtint le soutien de Pompée qui le réinstalla au pouvoir. À sa mort, en
51 av. J.-C., il laissa le royaume à l’aîné de ses fils, Ptolémée XIII âgé de 10
ans et à sa fille Cléopâtre VII Théa Philopâtor « la déesse qui aime son
père » (51-30 av. J.-C.), sœur de Ptolémée XIII qu’elle épousa. Tous deux
se trouvèrent, contre leur gré, entraînés dans les guerres civiles romaines
opposant César et Pompée. En 48 av. J.-C., Cléopâtre fut chassée
d’Alexandrie par Ptolémée XIII.

4. La période romaine69
En 48 av. J.-C., Pompée, vaincu par César, se réfugia en Égypte où il fut
assassiné le 28 juillet sur ordre de Ptolémée XIII. Quand César débarqua à
Alexandrie, un esclave de Ptolémée XIII lui porta la tête de son rival.
Cléopâtre VII70, sœur et épouse de Ptolémée XIII se présenta alors au
général romain qui lui donna le trône d’Égypte avant de l’épouser71 et de
l’emmener vivre à Rome. En 44 av. J.-C., quand César fut assassiné, elle
retourna en Égypte. Marc Antoine, maître de la partie orientale de l’Empire
romain succomba à son tour à ses charmes. L’alliance de Rome et de
l’Égypte était donc une fois de plus scellée mais Octave (Octavien), le futur
empereur Auguste, petit-neveu de Jules César et son héritier, partit en
guerre contre Antoine dont il fut vainqueur en 31 av. J.-C., à la bataille
navale d’Actium en Grèce. Il débarqua ensuite en Égypte à la poursuite
d’Antoine qui se suicida. Le 28 août de l’année 30 av. J.-C., Octave promit
à Cléopâtre de la maintenir sur le trône et de reconnaître Césarion, le fils
qu’elle avait eu de César comme l’héritier de la couronne. Quelques jours
plus tard, Ptolémée XV Césarion, le dernier représentant de la dynastie des
Lagides fut assassiné. Cléopâtre pensa qu’Octave était responsable de ce
meurtre et elle choisit de se donner la mort72. L’Égypte passa alors sous le
contrôle de Rome et en 14 ap. J.-C., laissée à Tibère, fils adoptif d’Auguste.
Dans un premier temps, le pays fut administré comme une conquête, au
nom direct de l’empereur, par un officier ne dépendant que de lui et qui
porta tout d’abord le titre de Préfet d’Alexandrie et d’Égypte, avant de
devenir Préfet d’Égypte. Il s’agissait d’un poste de la plus haute importance
car il se situait immédiatement après le préfet du Prétoire. Pour les premiers
préfets, l’Égypte fut un grenier dont les récoltes étaient livrées comme
impôt foncier73. Ils devaient donc y assurer l’ordre, la protéger contre les
incursions des Berbères sahariens et des Nubiens, mais sans toutefois
engager l’empire dans d’inutiles campagnes. Dans toute l’Afrique du Nord,
Rome ne chercha d’ailleurs à contrôler que les zones « utiles », ce qui
explique sa politique d’abord défensive et son souci de constituer des limes
africains (Euzennat, 1986 : 573-583). Dans le cas de l’Égypte, cette
politique est bien illustrée par l’importance des effectifs militaires
entretenus74 et par l’enrôlement de supplétifs berbères. À l’exception
d’Alexandrie, secouée par plusieurs révoltes juives (en 41-54, en 66, en 70
et en 115 ap. J.-C.) puis chrétiennes75, le reste du pays fut calme.
Sous les Antonins (96-192 ap. J.-C.), et surtout à partir du règne
d’Hadrien (117-138), la situation changea car l’empereur chercha à
davantage associer l’Égypte aux destinées de l’Empire. Sous les Sévères
(193-235), dynastie berbère originaire de Cyrénaïque, la situation évolua.
Septime Sévère (193-211) fut généreux avec l’Égypte et en 212, son fils
Caracalla (211-217) étendit à l’empire les conditions d’obtention de la
citoyenneté romaine. Mais, sous son règne, en Égypte, l’heure fut à la
sédition et même au soulèvement. Alexandrie subit alors la vengeance de
l’empereur qui y avait été conspué lors d’une visite et qui y fit massacrer
une partie de la population76.
En 284, année de l’avènement de l’empereur Dioclétien, une profonde
réforme administrative créa plusieurs provinces : l’Égypte (essentiellement
la région du delta), la Thébaïde et les deux Libye, le tout administré par le
préfet d’Égypte qui reçut le titre d’Augustal. Vers 380 fut créé le diocèse
d’Égypte qui remplaçait les subdivisions antérieures et qui s’étendait sur
l’ensemble des provinces que nous venons d’énumérer. Plus tard, à
l’époque de Justinien, empereur d’Orient de 527 à 565, le diocèse d’Égypte
fut supprimé et sur ses décombres furent créés cinq duchés placés sous
l’autorité du Préfet du prétoire d’Orient, à savoir l’Égypte,
l’Augustamnique, l’Arcadie, la Thébaïde et la Libye. Chacun de ces duchés
était divisé en deux Éparchies. Le but de cette réforme était de briser l’unité
du pays afin de mieux le contrôler et de pouvoir renforcer l’autorité de
l’empereur. Mais les maux qui avaient secoué l’Égypte à l’époque des
Sévères ne disparurent pas pour autant car la corruption, la pression fiscale
et les querelles religieuses ne cessèrent jamais.
L’Égypte fut évangélisée77 par Marc dans les premières années de l’ère
chrétienne78. Alexandrie, grande métropole juive, fut le premier centre
chrétien. Vers 180 y fut fondée une prestigieuse école y formant les
catéchistes, le Didascalée, qui fit rayonner les enseignements des premiers
exégètes égyptiens avec, dès cette époque, une inculturation de l’Église qui
adopta la langue égyptienne,– c’est-à-dire le copte –, héritier de l’ancien
égyptien.
En 202, sous l’empereur Septime Sévère, l’édit d’interdiction du
christianisme marqua le début des persécutions. Elles furent suivies par
celles de 250 sous l’empereur Decius et celles de 257 sous Valérien. Ces
persécutions firent que nombre de chrétiens durent trouver refuge loin
d’Alexandrie. Ce mouvement favorisa la première expansion du
christianisme qui commença à être propagé dans la basse vallée du Nil, puis
bientôt jusque dans la haute vallée et peut-être même jusqu’en Nubie. La
grande persécution de Dioclétien débuta en 303. Les souffrances des
chrétiens furent alors telles que l’église d’Égypte prit pour date du début de
son ère, l’année 284, année du commencement du règne de l’empereur79.
Sous l’empereur Maximin Daïa (310-312), la terreur devint encore plus
forte et les exécutions se comptèrent par milliers. Puis, le mouvement des
conversions reprit à partir de 391 avec l’Édit de Théodose. Le christianisme
devint religion d’État et le pays fut christianisé en totalité. En 392 des
chrétiens fanatiques détruisirent le temple de Sérapis80 à Alexandrie, ce qui
marqua la fin de la vieille religion égyptienne qui s’était maintenue jusque-
là.
En 444, l’évêque Dioscore affirma la prééminence du patriarcat
d’Alexandrie. À Rome et à Constantinople, cette décision fut considérée
comme une rébellion et elle entraîna sa déposition puis son exil décidés par
le concile de Chalcédoine en 451. La rupture des chrétiens d’Égypte avec
Constantinople81 et le pouvoir byzantin était consommée (Jakobielski,
1997). Le fond du problème était certes religieux, mais sa dimension
politique, qui ne doit pas être oubliée, était que l’Église d’Égypte, comme le
pays lui-même, refusait la tutelle de Constantinople. Se définissant
désormais comme pré-chalcédonienne, l’église d’Égypte était en réalité
dissidente, mais le pouvoir impérial qui la considérait comme hérétique, la
traita comme telle et la combattit avec vigueur, notamment sous l’empereur
byzantin Justinien (527-565). De 540 à 578, elle se divisa en de multiples
courants qui s’entre-déchirèrent82.
Durant les deux siècles séparant le concile de Chalcédoine de la prise
d’Alexandrie par les Arabes, les luttes intestines qui se transformèrent
parfois en massacres préparèrent le terrain à la conquête musulmane et cela
d’autant plus facilement que les empereurs ordonnèrent des persécutions
contre les tenants du monophysisme. Les conséquences du concile de
Chalcédoine furent donc considérables car, à sa suite, l’Empire d’Orient fut
considéré en Égypte comme une puissance occupante et les Coptes firent
tout pour l’affaiblir, favorisant ainsi la conquête arabo-musulmane.
Dans l’immédiat, l’Église égyptienne tira avantage de la conquête perse
de 618, le roi sassanide Khosrow II s’appuyant sur elle afin d’affaiblir les
revendications de Constantinople. Aussi, en 629, la reconquête byzantine
faite par l’empereur Héraclius, fut-elle ressentie par les Coptes comme une
invasion suivie d’une occupation, et cela, d’autant plus, qu’à la tête du
Patriarcat d’Alexandrie, un non Égyptien fut nommé avec pour mission
d’extirper la dissidence copte, c’est-à-dire pré-chalcédonienne.
5. La Nubie (Napata, Méroé et Axoum) de ± 660 av. J.-
C. à 572 ap. J.-C.
Comme nous l’avons vu, chassés d’Égypte par les Assyriens en
663 av. J.-C., les souverains de Koush s’étaient repliés en Nubie et ils
avaient installé leur capitale à Napata. Profondément influencés par
l’Égypte, ils avaient continué à adorer ses dieux et avaient maintenu sa
civilisation avec son architecture imposante et sa statuaire.
En 591 av. J.-C., les souverains koushites transférèrent leur capitale plus
au sud, à Méroé, afin de la mettre hors d’atteinte des menaces égyptiennes.
C’est à partir de ce moment que l’on date la naissance de la dynastie
méroïtique83.
Durant le règne des rois de Napata, un important centre de métallurgie du
fer était apparu à Méroé, en amont du confluent du Nil Bleu et du Nil
Blanc. Outre ses potentialités métallurgiques, le site avait l’avantage
géographique de bénéficier des pluies d’été qui rendaient ses habitants
moins dépendants des crues du Nil que les Nubiens et les Égyptiens.
L’apogée de Méroé se situe entre 250 av. J.-C. et le premier siècle de
l’ère chrétienne en raison essentiellement de la reprise des relations
commerciales avec l’Égypte des Lagides. Puis un nouveau changement se
produisit qui entraîna le déclin puis la disparition de Méroé après que, en
23 av. J.-C., les Romains eurent attaqué la Nubie et saccagé Napata84.
Vers la fin du IIIe siècle, l’empereur Dioclétien soucieux de faire des
économies retira les troupes romaines chargées de la défense de la région
qui fut confiée à des mercenaires berbères comme les Nobades ou bien
couchitiques comme les Blemmyes qui vivaient dans le désert oriental,
entre Nil et mer Rouge. Contenu vers le Nord par Rome, le royaume de
Méroé se délita en petites principautés avant de disparaître au profit
d’Axoum qui est lui-même à l’origine de l’Éthiopie.
La théorie longtemps dominante avançait que, durant la première moitié
du Ier millénaire av. J.-C., des Arabes originaires du sud de l’Arabie s’étaient
installés sur le littoral de l’actuelle Érythrée avant d’aller ensuite coloniser
la partie la plus septentrionale du plateau éthiopien peuplée de couchitiques,
y apportant leur langue, leur religion, leur architecture. Du mélange entre
ces deux populations serait née Axoum puis l’Éthiopie qui lui succéda85.
Aujourd’hui, nous savons que les éléments avancés à l’appui de cette thèse
ne permettent plus de soutenir l’idée d’une immigration arabe, mais
simplement de contacts entre l’Éthiopie et le sud de l’Arabie. La civilisation
éthiopienne n’est donc pas un reflet de celle de l’Arabie du Sud (Demoz,
1978 : 11-14).
L’histoire du royaume d’Axoum est bien documentée à partir de
350 ap. J.-C., date de la conversion du roi Ézana au christianisme. Cette
conversion était la conséquence des relations nouées depuis
plusieurs siècles avec le monde méditerranéen et en particulier avec
l’Égypte hellénistique. Durant la seconde partie du règne d’Ézana, le signe
de la croix remplaça les symboles païens. Selon le « Livre des Saints »
(Synaxaire éthiopien), l’évangélisateur du pays fut saint Frumentius connu
dans la tradition locale sous le nom d’Abba Salama (père de la Paix).
L’histoire de ce Syrien devenu évêque d’Axoum au IVe siècle et dont
l’existence est historiquement attestée par diverses sources byzantines est
bien connue. Frumentius qui était chrétien et qui voyageait en mer Rouge
en compagnie d’un certain Aedesius, Syrien comme lui, fut conduit à
fréquenter la cour du roi d’Axoum où il se lia d’amitié avec son fils Ézana
dont il devint peut-être le précepteur et qu’il initia au christianisme86.
La conversion des populations du royaume fut inégale et ne se produisit
véritablement qu’après le Concile de Chalcédoine (451) qui condamna la
doctrine monophysite selon laquelle le Christ ne possède qu’une seule
nature divine et qui affirma ainsi la double nature du Christ, divinité et
humanité (doctrine dyophysite). Demeurée fidèle au monophysisme,
l’église d’Égypte entraîna celle d’Éthiopie. Cette rupture religieuse permit
de renforcer encore davantage les liens avec l’église copte d’Égypte aux
dépens de l’Église byzantine qui était dyophysite. Vers 500, neuf saints,
ermites et moines monophysites qui avaient quitté la Syrie pour échapper
aux persécutions byzantines, trouvèrent refuge en Éthiopie où ils fondèrent
des monastères à partir desquels l’évangélisation se produisit.
L’année 350 fut aussi celle de la victoire que le roi Ézana, allié aux
nomades blemmyes, remporta sur le royaume de Méroé à la confluence du
Nil et de l’Atbara. L’ouverture de la région semble dater de la fondation du
port d’Adoulis – l’actuelle ville de Massawa), sous le règne de Ptolémée
Évergète (247-221 av. J.-C.). Adoulis située à environ 150 km, fut le
poumon d’Axoum et selon le Périple de la mer Érythrée, il s’agissait même
de son avant-port. La richesse d’Adoulis explique la prospérité d’Axoum,
les deux villes participant étroitement au commerce avec l’Asie. Axoum
s’étendit bientôt sur les deux rives de la mer Rouge et contrôla tous les
ports de sa partie méridionale, de Ptolémaïs des Chasses à Eudeamon
(Aden). À cette époque, le royaume exerçait à la fois une hégémonie
politique et commerciale sur une partie essentielle du commerce avec
l’Asie. Par ses conquêtes en haute-Nubie, en Arabie méridionale, sur le
plateau éthiopien dans la région du lac Tana, il s’était en effet assuré la
maîtrise des voies de communication entre le monde méditerranéen et les
pays de l’océan Indien, d’autant plus qu’il contrôlait le verrou de ce
commerce qui était le détroit de Bab-el-Mandeb.
L’apogée d’Axoum se situe au VIe siècle, à l’époque du roi Kaleb dont le
règne marqua un tournant dans l’histoire du royaume. Allié de Byzance
contre les Perses, Axoum recula en Arabie face à ces derniers. En 572, il
perdit même le contrôle du sud de l’Arabie quand un corps expéditionnaire
débarqué dans la région d’Eudéamon (Aden) conquit la rive arabe de la mer
Rouge. Le monopole commercial axoumite était ainsi largement entamé, ce
qui provoqua la ruine du royaume.
Au VIIe siècle, au danger perse succéda une nouvelle menace qui était
l’expansion arabo-musulmane laquelle, non seulement repoussa
définitivement Axoum sur la rive africaine, mais encore coupa les liens qui
unissaient le royaume au monde byzantin. Désormais, la mer qui avait fait
la fortune d’Axoum fut porteuse de périls et le royaume se replia vers les
hautes terres de l’intérieur où, abritée par le massif éthiopien, une chrétienté
africaine allait désormais vivre assiégée.
C. L’Afrique berbère
Des oasis situées à l’ouest du Nil jusqu’à l’océan Atlantique, et de la
Méditerranée jusqu’aux rives nord du Sahel, le monde berbère a eu son
histoire propre durant plusieurs millénaires. À la différence de ceux de
l’Est, les Berbères de l’Ouest ont constitué des États. À partir du VIIe siècle,
l’islamisation, avec l’arabisation linguistique qu’elle implique, modifia en
profondeur la berbérité, au point de lui faire perdre sa mémoire et ses
racines87.

1. Le monde libyque
Au Maghreb nous pouvons distinguer trois strates de peuplement
moderne88 dont les industries lithiques sont, de la plus ancienne à la plus
récente, l’Atérien, l’Ibéro-maurusien et le Capsien :
1. dans le nord de l’Afrique, durant le Paléolithique89 supérieur européen
(± 30 000/± 12 000), vit un Homme moderne contemporain de Cro-
Magnon, mais qui n’est pas cromagnoïde, et dont l’industrie, l’Atérien,
culture dérivée du Moustérien (Camps, 1981), apparaît vers -40 000 et
dure jusque vers -20 000 ;
2. l’Homme de Mechta el-Arbi qui lui succède et qui occupe la région à
partir de ± 20 000 est un cromagnoïde présentant des traits semblables à
ceux des Cro-Magnon européens (crâne pentagonal, large face, orbites
basses et rectangulaires). C’est un chasseur-cueilleur dont l’industrie est
l’Ibéromaurusien elle-même contemporaine du Magdalénien
(± 18 000/15 000) et de l’Azilien (± 15 000) européens90. L’Homme de
Mechta el-Arbi n’est ni un cro-magnoïde européen ayant migré de
l’autre côté du détroit de Gibraltar, ni un natoufien venu de Palestine91
mais un authentique Maghrébin (Camps, 1981 ; Aumassip 2001)92 ;
3. il y a environ 10 000 ans, donc vers 8000 av. J.-C. (Hachid, 2000), de
nouveaux venus pénètrent au Maghreb, progressant de l’Est vers
l’Ouest93, porteurs d’une industrie lithique connue sous le nom de
Capsien94 (de Gafsa, l’antique Capsa) qui se maintiendra du VIIIe au
Ve millénaire. Il s’agit des proto-berbères95 qui repoussent, éliminent ou
absorbent les Mechtoïdes (Homme de Mechta el-Arbi)96. Le Capsien
semble durer deux mille ans, de ± 7 000 av. J.-C. à ± 5000 av. J.-C.,
c’est-à-dire au moment où le Néolithique devient dominant sur le
littoral et vers le Sahara.
Les Berbères ne descendent cependant pas tous de ces migrants puisque,
dans l’Est et dans l’Ouest du Maghreb, aux points naturels de contact avec
le continent européen, ont été mis en évidence des traits culturels liés à des
populations venues du Nord97. Durant la période du Dernier Maximum
glaciaire (± 18 000/± 15 000), la régression marine facilita ainsi le passage
entre l’Afrique du Nord et la la péninsule ibérique, puis, au début de
l’Holocène, la transgression marine provoqua la coupure des liens terrestres
à la suite de quoi il fallut attendre la découverte de la navigation pour que
des contacts soient rétablis. En Tunisie et dans la partie orientale de
l’Algérie, les cultures « italiennes » de taille de l’obsidienne, plus tard les
dolmens et le creusement d’hypogées sont, semble-t-il, des introductions
septentrionales. Dans le Rif, au nord du Maroc, nombre de témoignages,
dont le décor cardial des poteries, élément typiquement européen,
permettent également de noter l’arrivée de populations venues du nord par
la péninsule ibérique. C’est à tous ces migrants non clairement identifiés
mais qui abandonnèrent leurs langues pour adopter celles des Berbères que
sont dues les grandes différences morphotypiques qui se retrouvent chez ces
dernières populations (Camps, 1981)98.

Le capsien
Le Capsien se caractérise par des grandes lames, des lamelles à dos, nombre de
burins et une multitude d’objets de petite taille avec un nombre élevé de microlithes
géométriques comme des trapèzes ou des triangles. Les Capsiens vivaient dans des
huttes de branchages colmatées avec de l’argile et étaient de grands consommateurs
d’escargots dont ils empilaient les coquilles, donnant ainsi naissance à des
escargotières qui pouvaient avoir deux à trois mètres de haut sur plusieurs dizaines
de mètres de long.
L’art capsien est à l’origine de l’art berbère :
« Il y a un tel air de parenté entre certains de ces décors capsiens […] et ceux dont
les berbères usent encore dans leurs tatouages, tissages et peintures sur poteries ou
sur les murs, qu’il est difficile de rejeter toute continuité dans ce goût inné pour le
décor géométrique, d’autant plus que les jalons ne manquent nullement des temps
protohistoriques jusqu’à l’époque moderne ». (Camps, 1981)

Les Grecs donnaient le nom de Libyens à tous les peuples qui vivaient au
nord de l’Afrique, depuis les oasis à l’ouest du Nil jusqu’au détroit de
Gibraltar, les Colonnes d’Hercule. Hérodote avait remarqué qu’ :
« […] en Libye, les bords de la mer qui la limite vers le Nord à partir de
l’Égypte jusqu’au cap Soloeis, qui marque la fin du continent libyen,
sont habités d’un bout à l’autre par des hommes de race libyenne
divisés en nombreuses peuplades […] ». (Hérodote, Histoires, II, 32)
Vers le Sud, les Grecs ne connaissaient pas les limites des zones
qu’occupaient ces peuples. Pour eux, le monde libyque prenait fin là où
débutait le pays des Noirs, ceux qu’ils appelaient les Éthiopiens (Aethiops :
peau foncée, peau brûlée).
Vouloir dresser la carte d’établissement des peuples « Libyens » est une
tâche difficile en raison d’une part des lacunes dans les connaissances et
d’autre part de leur nomadisme. Dans les sources de l’Antiquité, certains
noms reviennent régulièrement. Ainsi :
– De l’Est vers l’Ouest entre l’Égypte et les territoires dépendant de
Carthage, sont mentionnés les Meshwesh, les « blonds » Téméhou, les
Lebu (ou Lebou), les Nasamons, les Maces, les Lotophages et les
Garamantes. Hérodote parle des Adyrmachides, des Giligames, des
Asbystes, des Auchises, des Nasamons, des Gamphasantes, des Maces,
des Gendanes, des Lotophages, des Machlyes (Massyles), des Auses,
des Garamantes, des Maxyes, des Zauèces, des Gyzantes, etc.
– Vers le sud saharien sont cités les Gétules99 et les Pharousiens
(Desanges, 1962).
Au Maghreb, la Période maurétanienne qui précède les temps romains a
vu apparaître, probablement dès le IVe siècle100 av. J.-C., trois principaux
royaumes :
1. dans le nord-ouest de la région, dans l’actuel Maroc, se constitua une
fédération de peuples et de tribus qui donna naissance au royaume de
Maurétanie – ou royaume des Maures –, qui s’étendait de l’Atlantique
au fleuve Mulucha (Moulouya) ;
2. entre le Mulucha et la rivière Amsaga (l’actuel Oued el-Kébir),
s’étendait le royaume des Masaesyles ;
3. entre la rivière Ampsaga et les territoires de Carthage s’étendait le
royaume des Massyles. Au IIIe siècle av. J.-C., ces deux derniers
royaumes seront réunis dans le royaume de Numidie.
Ces royaumes étaient dirigés par des souverains portant le nom
d’Aguellid qui étaient des chefs de confédérations et des chefs de guerre.
Leur pouvoir était généralement remis en cause après leur mort car les
règles de transmission n’étaient pas clairement définies. Les tribus
composant ces royaumes étant jalouses de leur autonomie, la contestation
politique dégénérait souvent en guerre civile à la fin de chaque règne.
Durant la seconde moitié du dernier millénaire av. J.-C., les royaumes
berbères étaient entrés en contact avec Carthage.

2. Carthage (± 814/146 av. J.-C.) (Fantar, 1993)


Carthage fut d’abord une colonie phénicienne. En Afrique du Nord, les
plus anciens établissements phéniciens datent des VIIIe-VIIe siècles av. J.-C.
Les premiers furent fondés en Tripolitaine avec les trois comptoirs, de
Sabratha, d’Oea101 et de Lepcis Magna.
Plus à l’Ouest, dans l’actuelle Tunisie, les traditions font état d’une
fondation légendaire due à Élissa (Didon), reine de Tyr en 814 av. J.-C. à
« Quart Hadasht », « la nouvelle ville » en phénicien. Le site en était bien
choisi au fond d’un golfe constituant un abri sûr pour les navires, au cœur
de la zone maritime séparant la Méditerranée orientale et occidentale.
Jusqu’au VIIe siècle, les connaissances que nous avons de ce comptoir sont
fragmentaires.

À partir du VIe siècle av. J.-C., à la faveur de l’occupation assyrienne de la


Phénicie, puis des guerres contre les Perses, Carthage acquit sa totale
autonomie par rapport à Tyr, sa métropole102. Son rôle commença alors à
être déterminant en Méditerranée occidentale puisque son rayonnement
s’étendait aux Baléares, à la Sicile et à la Sardaigne. Dans la partie
occidentale de l’actuel Maghreb, face aux appétits des Grecs qui, eux aussi
profitaient de l’effacement de Tyr, les Carthaginois fermèrent le Détroit en
s’installant à Tanger (Ponsich, 1970). Déjà présents à Lixus et sur l’ilôt de
Mogador (Essaouira), ils recherchaient peut-être l’or de l’Atlas et
certainement la pourpre dont la variété locale, la pourpre gétule, était fort
connue durant l’Antiquité (Desjacques et Koeberlé, 1956 ; Gattefossé,
1957)103.
À l’époque des Magonides104 (535-450 av. J.-C.), Carthage possédait un
empire maritime s’étendant des Baléares et du sud de l’Espagne jusqu’à
Mogador. Sa fortune était alors fondée sur le commerce, les marchands de
la ville fournissant essentiellement blé et huile à une partie du monde
méditerranéen. En 510 av. J.-C., la République romaine et Carthage
signèrent un traité. La seconde s’engageait à ne pas nuire aux alliés de
Rome, tandis que la première reconnaissait le monopole commercial
carthaginois en Méditerranée occidentale. Carthage était alors au sommet
de sa puissance.
Ce vaste mouvement d’expansion fut brisé en 480 av. J.-C. quand les
Grecs de Sicile dirigés par Gélon de Syracuse remportèrent la bataille
d’Himère, ville dont Carthage cherchait à s’emparer105. Cette défaite eut des
conséquences immédiates dans la mesure où les Carthaginois qui durent
reculer en Méditerranée occidentale, recentrèrent leur empire sur le littoral
de l’Afrique du Nord où ils développèrent leurs implantations. Comme au
même moment, la ville recevait des réfugiés chassés de Tyr en raison de la
pression que les Perses y exerçaient, il devint donc bientôt nécessaire
d’élargir le domaine carthaginois.
Durant deux à trois siècles, les Carthaginois n’avaient pas cherché à
s’étendre dans l’arrière-pays de leur cité car ils ne recherchaient alors pas
une domination territoriale dans la région. Ce n’est qu’à partir du
Ve siècle av. J.-C. qu’ils commencèrent à agrandir leur zone de contrôle,
allant jusqu’à posséder un vaste territoire s’étendant à la totalité de
l’actuelle Tunisie et mordant sur la partie orientale de l’actuelle Algérie
puisque la région de Tébessa leur appartint un moment. Cette expansion
territoriale se fit aux dépens des Berbères, en l’occurrence des Numides, et
plus précisément des Massyles. La politique de Massinissa vis-à-vis de
Carthage s’explique largement par cette réalité car le chef numide chercha à
reconquérir les territoires massyles passés sous domination carthaginoise.
Carthage n’était pas une simple colonie phénicienne accrochée en terre
d’Afrique au milieu d’un monde hostile, un peu comme les « praesidios »
espagnols de la côte riffaine ou les « fronteiras » portugaises de la côte
atlantique du Maroc qui aux XVIe-XVIIe siècles vécurent en permanence
assiégées. Entre Carthaginois et Numides, les alliances matrimoniales
furent nombreuses106 et la culture carthaginoise imprégna les élites berbères
de la partie orientale du Maghreb. C’est ainsi que :
« […] c’est en punique107 que sont rédigés les dédicaces religieuses, les
rares textes administratifs conservés, les épitaphes royales et les
légendes monétaires, et non pas seulement chez les Numides de l’Est,
mais d’un bout à l’autre de l’Afrique du Nord. » (Camps, 1987 : 113)
À la fin du Ve siècle et au début du IVe, Carthage, enrichie grâce à ses
comptoirs nord-africains et ibériques décida de se lancer dans une vaste
politique de recrutement de mercenaires berbères, fantassins et cavaliers, les
fameux cavaliers numides et se constitua une redoutable armée108.

À la fin du IVe siècle, la « Grande Grèce109 » qui sortait épuisée de son


long conflit avec Carthage entra en décadence, ce qui favorisa l’essor de
Rome qui se trouva bientôt face à l’expansion punique. La confrontation
entre Rome et Carthage fut tout d’abord évitée par la signature de deux
nouveaux traités, l’un en 348 et l’autre en 306 av. J.-C. et part le fait que
Rome qui ne contrôlait pas encore la totalité du sud de l’Italie n’était donc
pas en contact direct avec les possessions carthaginoises.
La situation changea en 272 av. J.-C., quand Rome, maîtresse de tout le
sud de la péninsule établit le contact avec Carthage. Un long conflit éclata
alors, rythmé par trois guerres qui eurent pour conséquence la destruction
de la puissance carthaginoise. Ces guerres sont connues sous le nom de
« Guerres puniques » (Le Bohec, 1995).
La première guerre punique (264-241 av. J.-C.) eut pour cause la volonté
romaine de posséder la totalité de la Sicile. Désormais, Rome n’hésitait plus
à s’engager hors de la péninsule italienne ; c’est d’ailleurs de cette époque
qu’il est convenu de dater les débuts de son impérialisme. Cette guerre se
déroula d’abord en Sicile. Elle fut à la fois terrestre et maritime. Les
Romains qui, par deux fois furent vainqueurs de la flotte carthaginoise –
en 260 av. J.-C. à Mylae et en 256 av. J.-C. à Ecnome –, pensèrent qu’ils
allaient pouvoir l’emporter en tentant un débarquement en Afrique. Aussi,
en 255, mirent-ils à terre un corps expéditionnaire à proximité de Carthage.
Le consul Marcus Atilius Regulus qui le commandait remporta une
première victoire, puis il fut battu par le Grec Xanthippe, chef des
mercenaires carthaginois. Capturé puis libéré sur parole contre la promesse
de se constituer prisonnier en cas d’échec de la mission de paix dont les
Carthaginois l’avaient chargé, Regulus prit la parole devant le Sénat romain
et il défendit au contraire l’option de la guerre. Respectant sa parole, il
retourna ensuite à Carthage pour s’y constituer prisonnier110.
Le sort des armes pencha ensuite du côté de Carthage quand, en
249 av. J.-C., ses armées remportèrent coup sur coup deux nouvelles
victoires : une sur mer à Drepanum et une autre, sur terre, en Sicile.
L’artisan de cette dernière était Hamilcar Barca. En 241, les Romains
renversèrent la situation en envoyant par le fond la flotte carthaginoise aux
îles Égates à l’ouest de la Sicile et Carthage fut contrainte de demander la
paix. Rome, jusque-là puissance continentale, avait donc vaincu Carthage,
puissance maritime, ce qui bouleversait en profondeur les rapports de force
en Méditerranée.
Dans l’immédiat, Carthage renonça à la Sicile que Rome occupa en
totalité et accepta de verser un énorme tribut qui devait être acquitté en
vingt ans. Ruinée, la ville ne put payer son armée largement composée de
mercenaires, ce qui provoqua leur soulèvement. Durant deux ans, de 240 à
238, elle mena contre plusieurs dizaines de milliers de ses anciens soldats
une guerre difficile et impitoyable111. Dans un premier temps, les villes
carthaginoises furent assiégées, mais Hamilcar Barca résista avant de
contre-attaquer grâce à l’aide que lui procurèrent ses alliés numides qui
mirent leur cavalerie à sa disposition.
Hamilcar Barca avait sauvé Carthage mais son prestige suscita des
jalousies. En 237, afin de l’écarter, le Sénat carthaginois lui confia la
mission de conquérir l’Espagne pour compenser la perte de la Sicile. Il fut
tué en 229 lors des opérations et son gendre Asdrubal lui succéda en
Espagne, puis un fils d’Hamilcar Barca nommé Hannibal, devint général en
chef de l’armée carthaginoise.
La seconde guerre punique (218-201 av. J.-C.) éclata en Espagne, là où
les zones d’influence de Rome et de Carthage étaient au contact. Victorieux
en Espagne, Hannibal viola le traité de paix de 241 av. J.-C. en prenant la
ville de Sagonte alliée de Rome qui rompit la trêve. La guerre débuta à
l’avantage des armées de Carthage qui traversèrent les Pyrénées, puis les
Alpes avant de marcher sur Rome. Les Romains furent plusieurs fois battus,
notamment en 217 au lac Trasimène et en 216 à Cannes. Rome fut alors à
portée d’Hannibal qui ne disposait pas de matériel de siège. À Capoue, il
attendit en vain les renforts promis, ce qui permit aux Romains de se
réorganiser et de contre-attaquer, le forçant à se replier dans le sud de la
péninsule italienne.
Durant la 2e guerre punique, Rome qui cherchait des alliés contre
Carthage, approcha Syphax, roi des Massaesyles. Ce dernier vit dans cette
demande d’alliance une occasion de s’emparer des territoires massyles sur
lesquels régnait Gaia et il accepta l’offre romaine. Gaia qui se retrouvait
isolé fut donc contraint de se rapprocher de Carthage, d’autant plus que
Syphax entra bientôt en campagne contre lui. Le roi des Massyles reçut
alors l’aide de Carthage. En remerciement (?) il envoya son troisième fils,
Massinissa, à la tête d’un contingent de 5 000 cavaliers participer à la
campagne carthaginoise de conquête de l’Espagne. Puis, un retournement
de situation se produisit en 206 quand Gaia mourut et que son fils Oezalces
qui était marié à une Carthaginoise lui succéda. Mais Oezalces mourut
bientôt et son frère Capussa monta sur le trône. Aidé par Syphax, Metzul
qui était un des cousins du nouveau roi, lui disputa la couronne. Capussa fut
tué au combat et Metzul mit sur le trône son propre frère Lacumazes.
Massinissa, le troisième fils survivant de Gaia quitta alors l’Espagne pour
venir combattre l’usurpateur. Baga, roi de Maurétanie lui fournit une
escorte et il entra en guerre contre Lacumazes et Metzul, tous deux soutenus
par Syphax. Massinissa l’emporta, contraignant Lacumazes et Metzul à se
réfugier à Carthage. En 205, inquiets, les Carthaginois demandèrent à
Syphax d’entrer en guerre contre Massinissa qui fut vaincu. Syphax
s’empara alors d’une partie du royaume Massyle, mais Massinissa continua
le combat.
Sur ces entrefaites, Scipion, qui venait de débarquer en Afrique, demanda
à Syphax d’entrer en guerre à ses côtés, mais le souverain massaesyle
refusa. Scipion se tourna alors vers Massinissa qui s’empressa d’accepter.
La guerre tourna à l’avantage de Scipion et de Massinissa car les troupes
carthaginoises furent repoussées vers l’Est et en avril 203, lors de la bataille
dite des « Grandes Plaines », la victoire romano-massyle fut totale.
Massinissa profita de la situation pour se retourner contre Syphax, le battre
et récupérer les terres massyles occupées par les Massaesyles. Quant à
Carthage, vaincue, elle signa la perte de sa flotte et d’une grande partie de
ses territoires.
Un nouveau retournement de situation se produisit alors car Hannibal qui
venait de débarquer en terre d’Afrique, s’allia à Vermina, fils de Syphax et
ensemble, ils envahirent le royaume massyle. Scipion et Massinissa
rassemblèrent alors leurs forces et ils se portèrent au-devant d’eux. Le choc
eut lieu à Zama, en 202, et Carthage une nouvelle fois vaincue dut signer un
traité encore plus dur que le précédent. Hannibal voulut poursuivre le
combat mais les Carthaginois qui désiraient la paix menacèrent de le livrer
aux Romains s’il persistait dans son projet. Il s’enfuit alors en Syrie où il se
suicida en 183 av. J.-C. (Saumagne, 1996 ; Colonna, 2003).
Scipion avait reconnu à Carthage la possession d’une partie des
territoires massyles situés à l’ouest de la ville ; mais, en même temps, il
permettait à Massinissa de les revendiquer. En 150 av. J.-C., lassés des
empiétements massyles, les Carthaginois décidèrent de réagir, mais ils
furent vaincus. La troisième guerre punique (149-146 av. J.-C.) éclata alors
pour deux raisons principales. La première était certes, que les Carthaginois
avaient violé le traité de 201 en attaquant les Massyles, mais la seconde
était que Rome ne désirait pas voir naître un État berbère fort qui
contrôlerait les ports carthaginois.
Durant cette troisième guerre Rome décida d’en finir avec Carthage. Les
Carthaginois ne pouvaient donc que résister avec l’énergie du désespoir,
d’autant plus que, même si leur armée avait été anéantie, la ville disposait
de solides fortifications. Débuta alors un siège de trois ans, dirigé par
Scipion Émilien, petit-fils adoptif de Scipion l’Africain. La défense fut
acharnée et l’on se battit de maison à maison. Finalement, au printemps
146, les derniers combattants carthaginois s’immolèrent par le feu. Rome fit
raser la ville, sema du sel sur son emplacement, annexa la région et décida
de partager la Numidie entre les trois héritiers de Massinissa.

3. La période romaine
Massinissa était mort en 148 av. J.-C., deux ans donc avant le sac et la
destruction de Carthage. Selon la tradition numide son royaume auquel
avait été annexé celui des Masaesyles avait été partagé entre ses trois fils.
L’aîné, Micipsa, qui régna de 148 à 118 av. J.-C. dirigea le gouvernement
tandis que Gulussa fut le chef des armées et Mastanabal le détenteur du
pouvoir judiciaire. Après la mort de ses deux frères, le pouvoir revint au
seul Micipsa. La succession de ce dernier posa de sérieux problèmes car il
avait deux fils, Adherbal et Hiempsal, plus un fils adoptif, son neveu
Jugurtha112, enfant naturel né de la liaison entre Mastanabal et une
concubine et que les deux premiers détestaient.
Les trois frères se querellant sur leurs attributions respectives, ils
décidèrent de se séparer et de se partager territorialement le royaume.
Entretemps, Jugurtha ayant fait assassiner Hiempsal, le partage se fit en
deux, Jugurtha héritant de la partie ouest de la Numidie, c’est-à-dire de
l’ancien royaume masaesyle cependant qu’Adherbal en recevait la partie
est, c’est-à-dire l’ancien royaume massyle. Mais ce partage ne convenait
pas à Jugurtha113 qui attaqua Adherbal et l’assiégea dans Cirta, sa capitale.
La ville fut prise en 113 av. J.-C. et Adherbal mis à mort tandis que des
résidents italiotes étaient assassinés114. Jugurtha devint donc seul roi de
toute la Numidie réunifiée telle qu’elle existait à la fin du règne de
Massinissa.
De 112 à 105 av. J.-C., Rome s’engagea alors dans une guerre totale
contre Jugurtha, officiellement pour venger les siens. Le chef berbère
commença par remporter plusieurs batailles sur les légions romaines,
notamment près de l’actuelle ville de Guelma. Comme il était à la recherche
d’alliés, il offrit à son beau-père Bocchus Ier, roi de Maurétanie, l’ancien
royaume masaesyle en échange de son soutien. Mais Bocchus qui s’était
rapproché de Rome le captura et le livra à Scylla (Haouaria, 2005).
Réduite à sa partie orientale, la Numidie eut ensuite pour souverain
Gauda, demi-frère de Jugurtha. À la mort de ce dernier, le royaume éclata
en deux, une partie passant sous l’autorité de Massinissa II et l’autre sous
celle de Hiempsal II dont le successeur Juba Ier, dernier roi de Numidie, fut
déposé par Rome en 46 av. J.-C.
À l’ouest, Rome avait accordé à Bocchus la possession d’une partie de
l’ancien royaume masaesyle, soit l’ouest de la Numidie (l’actuelle Oranie)
dont il fit une « grande Maurétanie ». Après la mort de Bocchus survenue
en 80 av. J.-C., le royaume fut partagé entre ses fils Bocchus II et Bogud,
tous deux partisans de César lequel, à travers eux, s’opposait à Juba Ier,
arrière-petit-fils de Massinissa et allié du parti sénatorial ou pompéien. En
49 av. J.-C., Juba Ier fut victorieux des alliés de César, mais, en 46, il fut
battu à la bataille de Thapsus et il choisit de se suicider en compagnie de
Metellus Scipion, général fidèle au défunt Pompée. Une fois César
assassiné, chacun des deux frères choisit un camp différent dans la guerre
que se livrèrent Antoine et Octave pour la succession de César. Bogud lia
ainsi son sort à celui d’Antoine, tandis que Bocchus II combattit aux côtés
d’Octave. Bogud perdit la vie dans ces querelles romaines et Octave
remercia son allié en lui donnant les possessions territoriales de son défunt
frère.
En intervenant le moins possible et en s’appuyant sur ses alliés berbères,
Rome avait donc peu à peu étendu son influence. Octave illustra bien cette
volonté de présence « indirecte » quand, en 25 av. J.-C., après la mort de
Bocchus II, il fit placer sur le trône vacant un prince maure, Juba II, fils de
Juba Ier, romanisé car élevé à Rome et marié à Cléopâtre Séléné, fille de
Cléopâtre et d’Antoine. Sous son règne (25 av. J.-C.-23 ap. J.-C.), la
Numidie fut réunifiée et sous celui de son fils Ptolémée (23-40 ap. J.-C.),
elle connut un brillant essor. La capitale du royaume était alors Caesarea
(Cherchell). Fidèle à Rome, Ptolémée fut pourtant assassiné par Caligula en
40, ce qui provoqua une révolte berbère115 qui fut écrasée par Rome, les
derniers insurgés trouvant refuge dans les montagnes du Rif et de l’Atlas116
(Euzennat, 1984). En 42, Rome annexa la Maurétanie. En 44 ap. J.-C.,
Claude, qui avait écrasé les révoltes berbères (Gascou, 1985) scinda le
territoire deux, créant la Maurétanie césarienne (partie occidentale de
l’actuelle Algérie, Algérois et Oranais, c’est-à-dire l’ancien royaume
masaesyle) et la Maurétanie tingitane (Maroc actuel avec Tanger comme
chef-lieu). Après ces épisodes troublés, cette dernière connut la paix
jusqu’au IIIe siècle. Dans la réalité, l’occupation romaine de la Tingitane fut
tout à fait superficielle, ne s’établissant que dans les plaines et dans
l’hinterland des villes érigées dès l’époque des royaumes maures.
La question de la zone d’occupation romaine et de son limes est bien
connue, notamment grâce aux travaux d’Euzennat (1967, 1977, 1986) qui a
montré que les deux points les plus dangereux pour Rome étaient les
extrémités est et ouest du Maghreb (Euzennat, 1977).
À l’Ouest, dès la création de la province de la Tingitane, la ligne romaine
de défense fut établie sur le cours du Sebou qui constituait une frontière
géographique d’autant plus réelle qu’au sud de l’oued, s’étendait une vaste
zone marécageuse. Sur la rive gauche du Sebou, Thamusida et Banasa
étaient les verroux du secteur central. Dans l’intérieur, Volubilis qui était au
cœur d’une riche région agricole comprise entre l’oued Beht et la chaîne
montagneuse du Zerhoun était protégée par un limes régional.
Au centre, entre la Tingitane et la Césarienne, les contacts terrestres
furent souvent difficiles en raison de l’insécurité qui débutait dans la région
de Taza ; c’est pourquoi les relations étaient le plus souvent maritimes. Sous
Dioclétien (284-305) Rome abandonna l’intérieur de la Tingitane, dont la
ville de Volubilis, pour ne plus conserver qu’un triangle dans la partie nord,
autour de Tingi, rattachée administrativement aux Espagnes.
À l’Est, la région comprise entre l’erg, les chott et la mer était l’autre
point sensible du dispositif romain. C’est en effet par là que pouvait
s’établir le contact entre les deux grands ensembles berbères sahariens, les
Gétules à l’Ouest et les Garamantes à l’Est. C’est pourquoi, quand ils
constituèrent le limes de Numidie, les Romains durent pousser en direction
de Cidamus (Ghadamès) pour bloquer leur pénétrante. Il est cependant
difficile d’établir les limites extrêmes de l’avancée de Rome vers le Sud car
il semble établi que le territoire des Garamantes (Cidamus, Garama,
Murzuk et Zella) n’a jamais été contrôlé par elle.
Rome et l’Afrique
Il y a un demi-siècle, Raymond Mauny (1960) proposa une ré-interprétation radicale
de l’histoire africaine quand il écrivit que jusqu’en 1434, date du franchissement du
cap Bojador par le Portugais Gil Eanes, le littoral de l’Afrique occidentale était
demeuré inconnu des marins méditerranéens, y compris des Carthaginois. Selon lui,
le Cap Juby constituait la limite extrême des navigations en raison des vents soufflant
toute l’année du Nord vers le Sud et parallèlement au littoral. Dans ces conditions, ni
les Romains, ni même plus tard les Arabes, ne purent s’aventurer dans la région.
Si aujourd’hui, les historiens s’accordent sur les possibilités qu’avaient les navires de
l’Antiquité de « remonter au vent », il n’en demeure pas moins vrai qu’aucune trace
archéologique, aucune influence méditerranéenne ou romaine n’a été découverte au
sud de Mogador. Les Romains ne connaissaient-ils donc pas les régions situées au-
delà du limes nord-africain ? Cette question qui a fait couler des flots d’encre est
aujourd’hui résolue car nous savons, depuis les travaux de Desanges (1962, 1975,
1978 et 1982)117, que les neuf Périples que nous ont laissé les historiens antiques ne
démontrent aucune navigation le long des côtes africaines et que les « duplications
de toponymes » ne permettent en aucun cas d’y identifier le mont Cameroun ou le
fleuve Sénégal. Quant à la période romaine, elle nous a laissé quelques mentions
d’expéditions vers le Sud : celle de Metellus chez les Gétules rapportée par Salluste ;
les expéditions contre le Numide Tacfarinas et contre les Garamantes rapportées par
Tacite ; celle de Cornelius Balbus en 19 av. J.-C. encore contre les Garamantes
rapportée par Pline l’Ancien ; celle de Julius Maternus vers 85 ap. J.-C. vers le pays
non identifié d’Agysimba rapportée par Ptolémée ; celle enfin du commandant des
troupes de Numidie, Septimus Flaccus qui, en 70 ap. J.-C., au départ de Lepcis alla
jusqu’au pays garamante. Ces sources romaines ne nous apprennent rien de plus
par rapport aux connaissances de la période antérieure.

Il est paradoxal de constater que les sources que nous venons de citer
sont toutes antérieures à la dynastie berbère des Sévères (193-235)
originaire de Lepcis Magna. Si ce grand port avait eu des contacts réguliers
et suivis avec l’Afrique sud saharienne, les fouilles en auraient livré des
traces, or ce n’est pas le cas. Dès les années 225, en Afrique du Nord Rome
fut sur la défensive pensant davantage à se protéger contre les nomades
sahariens qu’à lancer des expéditions de découverte vers un sud désertique
et hostile. En Tripolitaine, la poussée des tribus berbères chamelières devint
menaçante à partir du IVe siècle. C’est ainsi qu’en 363 les nomades berbères
assiégèrent Lepcis Magna, Oea et Sabratha, les principales villes de la
province. Dès lors, ils ne cessèrent plus de battre les murailles à l’intérieur
desquelles les populations se réfugièrent, abandonnant la frange agricole
gagnée sur la steppe pré-désertique à l’époque romaine. Plus généralement,
un mouvement poussa les nomades depuis la Cyrénaïque vers les provinces
romaines de l’actuel Maghreb, à commencer par la Byzacène, comme si leur
antique et traditionnel mouvement vers la basse vallée du Nil s’opérait
désormais vers l’Ouest et non plus vers l’Est. Ces Berbères étaient des
Zènètes et parmi eux, le groupe qui paraît avoir eu le rôle moteur semble
être celui des Sanhadja118.

Les africanae
Pour les Romains, l’Afrique du Nord était à la fois une région dans laquelle ils se
fournissaient en blé, en huile, en produits vivriers, mais également en animaux pour
les jeux du cirque comme les lions, les panthères (léopards), les rhinocéros ou les
éléphants, les africanae, qui vivaient à l’époque dans la région ou dans les parties
encore « humides » du Sahara septentrional.
Cette faune permettait un commerce régulier destiné à alimenter les jeux qui semble
avoir débuté au IIe siècle av. J.-C. Ce commerce était organisé par de véritables
sociétés de transport et de chasse qui rayonnaient sur toute l’Afrique du Nord. Les
sources donnent parfois des chiffres considérables et il n’est pas rare de voir
mentionnés des spectacles présentant cent lions et plusieurs dizaines d’éléphants
pour la seule ville de Rome. Or, de tels jeux étaient offerts dans toutes les grandes
villes de l’Empire, ce qui donne une idée de l’importance de la faune sauvage de
l’Afrique du Nord à l’époque. Par exemple en 93 av. J.-C., quand Sylla donna un
spectacle de cent lions attaqués par des chasseurs armés de javelots, fauves et
animaux envoyés par le roi Bocchus. Ou bien en 55 av. J.-C. quand Pompée, pour
inaugurer son THÉÂTRE offrit deux chasses quotidiennes durant cinq jours durant
lesquelles quatre cent dix panthères, cinq ou six cents lions et vingt éléphants
combattirent des Gétules armés de javelots. En 46 av. J.-C., quatre cents lions et
quarante éléphants parurent au cirque lors des triomphes de César. À l’époque
impériale, les chiffres sont encore plus importants ; ainsi, en 55 de notre ère, sous le
règne de Néron, les cavaliers de la garde à cheval de l’empereur tuèrent trois cents
lions, etc. (Ravanello, 1999 : 102-122).

4. Vandales et Byzantins
En 409, après avoir traversé la Gaule, la tribu germanique des Vandales
se fixa dans le sud de l’Espagne119. Vers 425, après avoir construit une
flotte, ils s’emparèrent des îles Baléares. En 429, sous la conduite de
Genséric, ils décidèrent de traverser la Méditerranée pour débarquer
probablement dans la région de Ceuta ou de Tanger. De là ils entreprirent
une marche vers l’Est sur laquelle nous ne sommes quasiment pas
documentés. Il semblerait qu’ils n’aient pas rencontré de résistance avant
d’avoir atteint les limites de l’Africa Proconsularis où, au mois de mai ou
de juin 430, ils défirent l’armée romaine commandée par le comte
d’Afrique, Boniface qui se retrancha dans les murs d’Hippo Regius avant
d’embarquer pour l’Italie. En 435 par le Traité d’Hippone, Rome leur
accorda le statut d’alliés avec droit de s’installer dans les régions qu’ils
venaient de conquérir.
Vers 435 les Vandales contrôlaient une partie de la Mauretania Sitifensis
jusqu’au Hodna, la Numidie jusqu’aux Aurès, la partie occidentale de la
Mauretania Proconsularis, et peut-être une partie de la Byzacène. En 439
ils s’emparèrent de Carthage tandis que les Romains s’étaient repliés dans
la Numidie occidentale, dans la Numidie césarienne et dans la Sitifensis. En
442, après qu’ils eurent débarqué en Sicile, l’empereur Valentinien III (424-
455) reconnut le royaume vandale d’Afrique avec pour capitale Carthage
contre l’abandon de leur conquête insulaire.
Dans tout l’ouest du Maghreb, nombre de principautés ou de royaumes
berbères aux limites plus que floues se partageaient alors l’espace. De
l’Ouest vers l’Est, il est possible d’identifier le royaume des Baquates dans
le sud de la Tingitane et le royaume de Masuna dans l’actuelle région
d’Oran. Le royaume de Djeddar dans l’Ouarsenis semble apparaître entre
466 et 480 et le plus connu de ses souverains fut Mastigas ou Mastinas qui,
en 535, noua une alliance avec Jauda, le roi du royaume des Aurès. Plus à
l’Est existait le royaume de Capsa, le royaume dit de la « Grande Dorsale »
et le royaume de Cabaon. Certains de ces États combattirent les Vandales, à
telle enseigne qu’en 474, la Maurétanie césarienne et la plus grande partie
de la Sitifensis échappaient au contrôle du royaume vandale cependant
qu’en 484, le royaume des Aurès se déclara indépendant (Camps, 1984).
La présence vandale qui dura un siècle environ eut des conséquences
considérables dans les anciennes provinces romaines de Byzacène et de
Proconsulaire (l’actuelle Tunisie) où la romanité et le maillage de l’église
catholique furent largement et parfois même systématiquement détruits
(Courtois, 1955 ; Modéran, 2003).
En 533, l’armée de l’Empereur Justinien (527-565) forte de
16 000 hommes et commandée par Bélisaire débarqua dans la région
d’Hadrumète (Sousse). En trois mois, elle conquit la partie orientale du
Maghreb et en chassa les Vandales. Le dernier roi vandale, Gelimer, trouva
refuge chez les Berbères de Kabylie d’où il tenta de rejoindre l’Espagne où
un noyau de population vandale s’était maintenu, mais il fut contraint de se
rendre. Ceux des Vandales qui n’avaient pas réussi à fuir furent vendus sur
les marchés d’esclaves tandis que d’autres, réfugiés chez les Berbères
commencèrent une guérilla qui dura jusqu’en 538.
En dépit de leur victoire sur les Vandales, les Byzantins furent incapables
de prendre le contrôle de la Césarienne et de la Sitifensis. Maîtres de
l’actuelle Tunisie, ils eurent immédiatement à lutter contre des rébellions
berbères. En 535, le général byzantin Solomon écrasa celle qui était née
dans l’est de l’actuelle Algérie, au sein des populations sédentaires, mais il
ne réussit pas à pénétrer dans le massif des Aurès. Quant aux nomades
chameliers, ils lancèrent de véritables expéditions contre les forces
byzantines et Solomon dut les affronter à plusieurs reprises. En 545, dans la
région de Théveste (Tébessa), il fut battu et perdit la vie lors d’un combat.
Il ne fut pas le seul haut officier byzantin à être tué par les insurgés berbères
puisque, en 569, ce fut le tour du préfet Théodor et en 570, celui
d’Amabilis, le chef de l’armée (Cuoq, 1984 : 95-96).
Plus à l’ouest, les Byzantins, maîtres de la Méditerranée purent prendre le
contrôle des villes portuaires de Rusguniae, Tipaza, Caesarea et Cartenna,
mais pas de leur hinterland. Dans l’extrême ouest du Maghreb, ils ne
contrôlaient en réalité que Ceuta et ses environs et ils eurent à faire face à la
révolte des tribus riffaines conduites par Garmul qui fut tué en 578.
En Tripolitaine, l’influence byzantine ne semble guère avoir dépassé une
étroite bande littorale autour des trois villes de Sabratha, Oea et Lepcis
Magna. Sous le règne de l’empereur Maurice (582-602), la région fut
rattachée aux provinces de Libye et d’Égypte.
Durant le siècle byzantin, l’Empire romain ne fut donc pas reconstitué
sur la rive africaine de la Méditerranée car les Berbères s’y opposèrent. En
définitive, la conquête byzantine porta essentiellement sur les villes où une
nouvelle romanité se développa qui se trouva bientôt coupée de la masse
berbère rurale120.

Les limites de la « reconquête » byzantine


À la fin du mois d’août 533, Bélisaire débarqua dans la région d’Hadrumète (Sousse),
où il fut accueilli en libérateur. Il remporta ensuite deux grandes batailles sur les
Vandales. La première lui ouvrit les portes de Carthage où il entra le 15 septembre, la
seconde assura sa victoire définitive quand, le 15 décembre, il écrase le chef vandale
Gelimer.
L’empereur Justinien reconstitua ensuite la Préfecture du prétoire d’Afrique avec à sa
tête un préfet qui avait théoriquement autorité sur sept provinces : Tripolitaine,
Byzacène, Numidie, Proconsulaire, Maurétanie Sitifienne, Maurétanie Caesarienne
ainsi que sur la Sardaigne. En réalité, les Byzantins furent incapables de prendre le
contrôle de la Césarienne et de la Sitifensis, cependant qu’en Tripolitaine, leur
influence ne semble guère avoir dépassé une étroite bande littorale autour des trois
villes de Sabratha, Oea et Lepcis Magna.
Comme les tribus berbères qui avaient profité du vide vandale n’avaient pas
l’intention de se soumettre à de nouveaux maîtres, elles se soulevèrent à plusieurs
reprises (Modéran, 2003 : 11). En Byzacène, Solomon, le successeur de Bélisaire
mena ainsi deux années de campagnes contre le chef Cusina et, en 535, dans les
Aurès, il fut battu par Iaudas.
En 539, Justinien renomma Solomon à la tête de l’armée d’Afrique et ce dernier
entama une seconde campagne contre les Aurès où il livra de rudes combats,
notamment au sud de Baghai où il vainquit Iaudas. Puis, en 543, les Lawata de
Tripolitaine se soulevèrent et ils furent rejoints par Antalas dans le cadre d’une
grande révolte berbère qui enflamma la région en 544.
Solomon fut tué à Cillium (Kasserine) au mois de juin 544 et Hadrumète, la métropole
de Byzacène tomba.
En 546, l’empereur nomma Jean Troglita à la tête de l’armée d’Afrique. Ce dernier
prit appui sur certains chefs berbères auxquels il concéda une quasi-indépendance
en échange de leur reconnaissance de la suzeraineté de l’Empereur121.
Plus tard, sous l’empereur Justin II (565-578), le pouvoir byzantin eut à faire face à la
révolte du chef berbère riffain Garmul. En 569, le préfet Theodor fut tué et en 570, ce
fut le tour d’Amabilis, le chef de l’armée (Cuoq, 1984 : 95-96). En 578, au début du
règne de Tibère II Constantin (578-582), Garmul fut finalement vaincu et tué.
L’empereur Maurice (582-602) incorpora la Tripolitaine au diocèse d’Égypte
cependant que les rares places de Maurétanie encore sous contrôle furent rattachées
à la Sitifienne et le tout forma la Maurétanie Première. La Maurétanie Seconde était
réduite à Septem (Ceuta) et aux Baléares.
Plus à l’ouest dans l’actuel Maghreb, les Byzantins, maîtres de la Méditerranée,
purent prendre le contrôle des villes portuaires de Rusguniae, Tipaza, Caesarea et
Cartenna, mais pas de leur hinterland. À l’exception de quelques ports, ils ne
contrôlèrent en réalité que certaines plaines côtières qu’ils protégèrent par de
nombreuses et puissantes citadelles.

1. Dates et périodes sont conventionnelles car nous ne disposons pas de chronologies absolues. De
plus, les « périodes intermédiaires » ont des limites floues et tous les auteurs ne leur accordent pas
les mêmes plages de temps. Certaines sont même contestées. C’est ainsi que l’on discute encore au
sujet de l’existence d’une 3e Période intermédiaire qui pourrait englober l’histoire des
cinq dynasties dites « Libyennes » (XXIe à XXIVe) et de la dynastie « Nubienne » (XXVe). Ces
problèmes et ces incertitudes font que le point de repère le plus commode est celui qui est donné
par les chronologies dynastiques, même si les dates ne sont pas toutes acceptées par les spécialistes.
2. Même si la césure entre la Période Thinite ou archaïque et l’Ancien Empire peut sembler arbitraire
ou même artificielle, il est très majoritairement admis de faire débuter ce dernier avec
la IIIe dynastie.
3. Nous sommes mal documentés sur cette dynastie.
4. Il est parfois considéré comme le premier pharaon de la VIe dynastie.
5. « […] les hauts fonctionnaires en poste à la fin du règne d’Ounas (continuant) à servir Teti,
premier pharaon de la VIe dynastie ». (Vercoutter, 1992 : 315, 318-319)
6. Les « périodes intermédiaires » sont celles qui voient le relâchement du pouvoir royal, donc de
l’unité, vitale pour la survie de l’Égypte. L’ouvrage de référence pour la Première Période
Intermédiaire ainsi que pour les période ultérieures jusqu’au Nouvel Empire inclus est celui de
Vandersleyen (1995). Nous adopterons les chronologies de l’auteur.
7. L’Égypte devait alors être divisée en trois zones, l’une, le delta aux mains des Asiatiques, la
seconde, ou Moyenne-Égypte gouvernée par les nomarques d’Hérakléopolis, quant à la Haute-
Égypte, elle était sous le contrôle des rois de Thèbes.
8. Il serait fastidieux de citer ici les dizaines de souverains réels, attestés ou légendaires, qui se
succédèrent durant cette période.
9. L’année 2064 av. J.-C. marque le début du règne de Mentouhotep II et celle de 2033 av. J.-C.
l’achèvement de la réunification de l’Égypte par le même Mentouhotep II.
10. Mentouhotep signifie « le dieu Montou est satisfait ». Montou était un dieu guerrier.
11. Antef III, dernier souverain de la XIe dynastie, pourrait avoir été à l’origine de la réunification et
non Montouhotep II.
12. C’était un vizir de Mentouhotep III qui prit probablement le pouvoir à la suite d’un coup de force
à la mort du pharaon.
13. Il mourut à la suite d’une intrigue de cour qui a donné naissance au Conte de Sinouhé.
14. Les Nomarques étaient des chefs territoriaux. À l’origine il s’agissait de fonctionnaires chargés
d’administrer une division territoriale administrative, le nome. Chaque nome avait sa capitale et son
emblème. Sos l’Ancien Empire, l’Égypte était divisée en 38 nomes. Durant les périodes de
faiblesse de l’État, les Nomarques avaient tendance à s’affranchir du pouvoir central.
15. Là encore il serait fastidieux d’en énumérer les différents souverains, d’autant plus que la
XIVe dynastie pourrait en avoir compté 76.
16. « […] la période Hyksos a vu toute frontière disparaître entre l’Égypte et l’Asie, et une sorte
d’État s’organiser englobant la Palestine et la vallée du Nil, on admet (donc) habituellement que
c’est à ce moment que les influences asiatiques se sont introduites massivement en Égypte. ».
(Vandersleyen, 1995 : 204).
17. En Nubie, c’est sous la XIIIe dynastie égyptienne (± 1797/± 1634 av. J.-C.) que les chefs locaux
avaient commencé à secouer le joug égyptien. Ils s’unirent ensuite sous l’autorité d’un roi qui
s’installa à Kerma.
18. Sauf durant la brève parenthèse d’Akhénaton.
19. Faut-il en effet la faire commencer avec ce pharaon alors que son père Séqénenré Taa et son oncle
(?) Kamosis font partie de la XVIIe dynastie ?
20. ou Touthmosis.
21. De l’un de ses mariages, Thoutmosis I eut deux filles, dont l’aînée fut Hatchepsout.
22. Elle était fille de Thoutmosis I, épouse de Thoutmosis II et tante de Thoutmosis III. « Cette
corégence d’une durée et d’une nature exceptionnelles dans toute l’histoire d’Égypte détermine les
trois étapes du règne de Thoutmosis III : une période où le roi-enfant est sous la tutelle de la reine-
régente ; la seconde quand la reine est devenue roi, période pendant laquelle deux souverains à part
entière règnent simultanément, c’est une vraie corégence ; enfin, après la disparition de la reine,
une période où Thoutmosis III règne seul ». (Vandersleyen, 1995 : 273)
23. Il y eu au moins quatorze campagnes. L’état de la question est fait par Vandersleyen (1995 : 294-
307).
24. Après de longues controverses, l’on pense aujourd’hui que le royaume de Mitanni qui semble
apparaître au XVIe siècle av. J.-C. était d’origine « indo-aryenne », une « aristocratie » indo-aryenne
prenant le commandement de populations hourrites. Ce royaume se serait développé au moment du
premier affaiblissement de l’empire hittite. Il avait vaincu l’Assyrie et pris sa capitale, Assur.
(Nikiprowetzky, 1998 : 252)
25. Ou Amenophis.
26. On discute sur le fait de savoir si le jeune souverain n’avait pas été co-pharaon de son père dans
les derniers temps de sa vie.
27. Il eut Néfertiti pour première épouse. Cette femme superbe était probablement égyptienne et non
une « princesse mitanienne ». Elle donna six filles à son époux.
28. De plus, Aton était un dieu sans visage.
29. D’où le nom d’amarnien pour caractériser le nouveau style artistique et architectural du règne. Il
se caractérise entre autres, par un abandon des canons et des conventions traditionnels. Les corps
sont ainsi souvent représentés en mouvement et non plus figés comme auparavant.
30. Après la mort d’Akhenaton, la vengeance du clergé d’Amon fut à la hauteur des persécutions
qu’il avait subies et tout ce qui pouvait rappeler le règne du pharaon fut supprimé, martelé et sa
capitale rasée.
31. Thoutankhaton décida de changer de nom en prenant celui de Toutankhamon pour bien marquer
la fin de la révolution religieuse.
32. Ses campagnes militaires sont représentées sur les bas-reliefs de Karnak.
33. La discussion subsiste au sujet de la véritable date du début de son règne.
34. Il s’agit d’une demi-victoire car, mal engagée face aux chars hittites, l’armée égyptienne ne fut
sauvée du désastre que par l’intervention personnelle du souverain au cœur de la mêlée. De plus,
Qadesh resta aux mains des Hittites. L’armée égyptienne disposait de chevaux et de chars de
combat depuis le début de la XVIIIe dynastie.
35. Non identifiés et hétérogènes, leur origine a donné lieu à d’inépuisables controverses (Grecs,
Crétois, etc. ?) dont le seul exposé ferait la matière d’un livre et nous entraînerait loin de notre
propos.
36. Qui était-il ? Un prince de lignée royale ? Un petit-fils de Ramsès II ou encore un fils rebelle de
Séthy II ? Nous l’ignorons.
37. « La notion des “Libyens”, étendue à toutes les populations de l’Ouest de l’Empire, n’est pas
égyptienne. Il s’agit d’un concept grec, de signification plus anthropologique que géographique, et
sans implication politique : il désignait, pour les Grecs, tout Africain non Noir (= “Éthiopien”) ni
Égyptien. Les Égyptiens, eux, n’ont jamais cité que des tribus d’envergure modeste, nommément
désignées : les Lebou n’étaient que l’une d’elles, et non un vaste peuple couvrant toute la Libye
actuelle jusqu’au pays garamantique et au Tassili. […] Les turbulents nomades du désert Occidental
dont nous parlent les Chroniques des Égyptiens […] ne sont que les tribus à leur frontière
immédiate, au-delà du delta et de la ligne des oasis du Désert occidental (celles-ci, d’ailleurs pas
toujours intégrées à l’Empire). Les Tehenou de l’Ancien Empire, les Temehou blonds du Moyen et
du Nouvel Empire, les Lebou et les Meshwesh. » (Muzzolini, 1983 : 49)
38. De Lébou dérive peut-être Libyen et Libye.
39. Sous la XXe dynastie (± 1188/± 1078 av. J.-C.), et plus particulièrement en 1177 av. J.-C., c’est-à-
dire durant le règne de Ramsès III (± 1185/± 1153 av. J.-C.), de nouvelles menaces surgirent depuis
le nord cette fois avec les invasions attribuées aux « peuples de la Mer ». Il semblerait que des
Libyens y aient été associés ou aient profité de l’occasion pour attaquer l’Égypte sous le
commandement d’un Lebou nommé Meghiev, fils de Ded.
40. Pour les Grecs puis pour les Romains, la Nubie était l’« aithiops » ou Éthiopie, littéralement, le
« pays des visages brûlés ». Cette remarque faisait référence à la couleur de la peau de ses habitants
et ne permettait pas d’établir une distinction entre la Nubie – aujourd’hui le Soudan –, et l’Éthiopie
proprement dite. C’est ainsi que, lorsque régnant en Égypte, les souverains nubiens de la
XXVe dynastie sont qualifiés d’« Éthiopiens », c’est l’usage linguistique gréco-romain qui prévaut
et non les définitions géographiques car cette dynastie était nubienne et non éthiopienne au sens
moderne de l’adjectif.
41. Pour la discussion se rapportant à la réalité des rapports maritimes entre l’Égypte et la
Méditerranée orientale, nous renvoyons à Vandersleyen (1995 : 27-30).
42. La construction navale égyptienne était diversifiée et, à côté des navires destinés à la navigation
sur le Nil, d’autres pouvaient naviguer en haute mer. Tous étaient construits en bois, les barques de
papyrus étant réservées aux marais ou aux bras morts du fleuve. Ils leur permettaient de naviguer
en mer Rouge et en Méditerranée. En mer Rouge, à partir du IIe millénaire av. J.-C., les rames de
gouvernail avaient été remplacées par un véritable gouvernail. Quant au mât, d’une seule pièce, il
était plus court et donc plus stable. La voile était moins haute mais plus large et le navire devait
ainsi gagner en maniabilité.
43. C’est ainsi que Vandersleyen (1995 : 282-283) pense que la navigation vers Pount se faisait par le
Nil et non par la mer Rouge. Quoi qu’il en soit, nous savons que les Égyptiens fréquentaient la mer
Rouge à l’époque pharaonique. En revanche, nous ignorons si le cap Gardafui était la limite
méridionale de leurs navigations. Il est admis en revanche que le « Pays de Pount » était situé en
Afrique et non en Arabie comme la faune (babouins et girafes) et la flore (palmier doum)
permettent de l’affirmer. De plus, sa localisation sur le littoral de l’actuelle Érythrée ne semblait pas
poser de problème particulier aux Égyptiens qui pouvaient l’atteindre par voie de terre-
difficilement – ou plus facilement par voie maritime.
44. L’encens pousse en Somalie et au Yémen. Il s’agit d’un petit arbuste, le baumier, dont on incise le
tronc pour en recueillir la sève qui en se solidifiant donne de petites boules de couleur jaunâtre.
Traditionnellement, l’encens était fourni aux Égyptiens par des marins arabes sabéens originaires
de l’Hadramaout qui remontaient la mer Rouge avec la mousson du sud-ouest en novembre ou en
décembre. Avant d’arriver en Égypte, cette précieuse marchandise passait entre les mains de
nombreux intermédiaires, ce qui augmentait son prix et qui donna aux Égyptiens l’envie d’aller
l’acheter directement dans les zones africaines de production.
La myrrhe était également très recherchée par les Égyptiens. Elle est naturellement exsudée par un
arbuste et elle était utilisée dans la pharmacopée, pour la fabrication des parfums et pour embaumer
les corps.
45. Et pourtant, sous l’Ancien Empire, un homme originaire d’Assouan a pu faire écrire sur son
tombeau : « Étant parti avec mes maîtres, les princes et scelleurs du Dieu Teti et Khuri à Byblos et
Pount, onze fois j’ai visité ces pays ». (Zayed, 1980)
46. Ptolémée était le fils de Lagos, d’où le nom de Lagide.
47. Ou Mazices. « Il s’agit en fait du nom que les Berbères se donnent eux-mêmes Imazighen (au
singulier Amazigh). Ce nom a été transcrit par les étrangers sous des formes variées : Meshwesh par
les Égyptiens, Mazyes et Maxyes par les Grecs, Mazices et Madices par les Latins. Au XIVe siècle,
le grand historien Ibn Khaldoun explique qu’une branche des Berbères, les Branès, descend de
Mazigh. Que certains habitants de l’Afrique antique aient déjà placé quelque ancêtre Mazigh ou
Madigh en tête de leur généalogie ne saurait étonner puisqu’ils se sont, de tout temps, donné ce
nom. » (Camps, 1981)
48. Ou Chéchanq. C’est le Chichaq de la Bible.
49. Sous cette dynastie la déesse chatte Bastêt associée à la déesse lionne Sekhmet eut un temple à
Thèbes.
50. Seshonq IV est un souverain meshwesh de la XXIIIe dynastie.
51. Padibastet (Pétoubastis Ier) (818-793) ; Loupout Ier (804-803) ; Seshonq IV (793-787) ;
Osorkon III (787-759) ; Takelot III (764-757) ; Roudamon (757-754) ; Loupout II (754-715) et
Seshonq VI (715).
52. Peut-être fut-il brûlé vif, mais rien ne permet de l’affirmer.
53. Un culte lui était rendu sur le Djebel Barkal où Séti Ier (± 1290/± 1279 av. J.-C.) avait fait édifier
un grand temple.
54. Le Sardanapale des Grecs.
55. Il était en partie Berbère puisqu’il descendait de Tefnakht, le fondateur de la XXIVe dynastie et
était un protégé des Assyriens qui lui avaient donné la principauté d’Athribis.
56. D’où le nom de dynastie saïte.
57. C’est alors que les Koushites déplacèrent leur capitale de Napata à Méroé pour la mettre hors
d’atteinte de nouvelles expéditions égyptiennes.
58. L’actuelle Port Saïd.
59. Cambyse, Darius Ier, Xerxès Ier, Artaxerxès Ier, Darius II.
60. Avec ce souverain débute la seconde dynastie perse, à savoir la XXXIe (341-333 av. J.-C.)
composée de trois souverains, à savoir Artaxerxès II, Arsis et Darius III.
61. Skeat (1954) ; Bernand (1995, 1998) ; Will (1990).
62. Il fut satrape d’Égypte de 323 à 305, puis roi de 305 à 282.
63. Il annexe également Chypre, des îles en mer Égée, des cités en Asie Mineure, etc.
64. Littéralement « qui aime sa sœur ». Ptolémée II avait épousé sa sœur Arsinoé.
65. « Alexandrie près l’Égypte », dont toute la partie administrative et les palais se sont effondrés
dans la mer.
66. Les Grecs jouèrent un rôle moteur dans le commerce avec l’Inde. L’un d’entre eux, Eudoxe de
Cyzique, semble être le premier Européen connu ayant fait la traversée entre la Corne de l’Afrique
et le sous-continent indien.
67. La puissance romaine permit de déverrouiller le détroit de Bab-el-Mandeb jusque-là contrôlé par
les Arabes. Le port d’Océlis situé à la jonction entre la mer Rouge et l’océan Indien fut à cette
époque le point essentiel du commerce avec l’Asie en raison de la disparition d’Aden (Eudeamon),
au mouillage beaucoup plus commode mais qui avait été détruit sous le règne de l’empereur Claude
(41-54 ap. J.-C.), par le roi de Muza – qui possédait Ocelis. À l’époque romaine, cette voie
commerciale eut une telle ampleur qu’il fut nécessaire de freiner l’hémorragie d’or et d’argent que
connaissait alors l’empire qui importait via la mer Rouge et l’océan Indien des marchandises
précieuses venues d’Extrême-Orient. C’est pourquoi une douane destinée à taxer les cargaisons
pénétrant en mer Rouge fut installée à Aden.
68. Ptolémée IV Philopator « qui aime son père » (221-205 av. J.-C.) assassina son oncle, sa mère et
son frère ; Ptolémée V Épiphane (205-181 av. J.-C.) ; Ptolémée VI Philométor « qui aime sa mère »
(181-145) sous le règne duquel, en 170 av. J.-C., la Syrie envahit l’Égypte ; Ptolémée VII qui ne
régna que quelques mois ; Ptolémée VIII Évergète II (145-116 av. J.-C.) frère du précédent dont il
épousa la veuve qui était sa sœur, qui fit assassiner son fils, donc son neveu Eupator, qui viola la
fille de sa femme qui était deux fois sa nièce avant de l’épouser. Ptolémée IX Sôter II (116-
107 av. J.-C.), Ptolémée X Alexandre Ier (107-88 av. J.-C.) et Ptolémée XI Alexandre II (?–80 av. J.-
C.) eurent des règnes insignifiants.
69. Donadoni (1980) ; Milne (1992).
70. Cléopâtre VII Théa Philopator gouverna l’Égypte entre 51 et 30 av. J.-C., d’abord avec ses deux
frères et époux Ptolémée XIII et Ptolémée XIV, puis avec Marc-Antoine.
71. Elle eut un fils de César, Césarion, le dernier des Ptolémées, né en 47 av. J.-C. et assassiné en
30 av. J.-C. S’il avait régné, il serait devenu Ptolémée XV. Elle eut des jumeaux de Marc Antoine
qui étaient Alexandre Hélios et Cléopâtre Séléné laquelle épousa Juba, roi berbère de Numidie qui
régna sur la Mauritanie et un fils, Ptolémée XVI Philadelphe.
72. Comme elle était surveillée, elle trouva une ruse, se faisant apporter un panier de figues dans
lequel ses fidèles avaient caché, dit-on, une vipère des sables, et non un aspic, serpent au venin non
mortel comme le veut la légende, et qui la piqua à la main.
73. L’empereur Claude (41-54 ap. J.-C.) donnait les instructions suivantes à Aemilius Rectus, préfet
d’Égypte : « tondre les brebis et non les écorcher ». Rapporté par Dion Cassius. De fait, l’Égypte
versait un impôt en nature, l’annone qui était l’équivalent de trois mois de consommation en blé de
la ville de Rome.
74. Lors de la prise de contrôle de l’Égypte par Octave, Rome y installa une garnison composée de
trois légions (± 15 000 hommes), ce qui constituait un effectif considérable. La garnison commença
à être allégée par Tibère (14-37 ap. J.-C.) qui la ramena à deux légions.
75. Adopté par des Juifs hellénisés qui vivaient à Alexandrie, le christianisme prit un essor
considérable au IIIe siècle après avoir été introduit en Égypte par saint Marc, martyrisé en 61. Les
persécutions de l’empereur Decius en 250 provoquèrent l’apostasie d’une grande partie des
chrétiens et furent suivies de celles de Dioclétien en 303.
76. L’intérêt que Rome portait à l’Égypte avait d’ailleurs baissé depuis le IIe siècle, car le pays avait
été remplacé par l’Africa dans son rôle de grenier à blé.
77. La bibliographie sur le sujet est considérable. Pour un état de la question, on se reportera à
Cannuyer (1996 et 2000).
78. L’évangéliste mourut à Alexandrie vers 65 ap. J.-C.
79. Les Coptes parlent de l’ère des Martyrs ou ère de Dioclétien.
80. Le culte rendu à la déesse Isis était très populaire en Égypte et il survécut tardivement puisque, en
537, l’empereur Justinien fit fermer le temple de Philae où un culte lui était rendu. Les Égyptiens
transférèrent ce culte sur la personne de la Vierge Marie.
81. À l’exception des melkites « royalistes ».
82. C’est à cette époque que la Nubie fut évangélisée en profondeur. L’originalité du mouvement qui
semble avoir véritablement débuté à partir de 543, est qu’il fut réalisé tant par des chalcédoniens
que par des anti-chalcédoniens. Entre 545 et 580, nous avons ainsi la trace de nombreux
missionnaires qui, depuis l’Égypte et même Constantinople, furent envoyés en Nubie où ils
convertirent les trois royaumes nubiens (Nobade, Makuria ou Makaria et Aloa) lesquels adoptèrent
alors l’écriture copte tandis que le grec y devenait la langue liturgique.
83. L’on ignore la date précise du transfert, mais en revanche il est certain qu’au Ve siècle av. J.-C.,
Méroé est devenue la nouvelle capitale koushite tandis que Napata conservait son rôle religieux, les
rois continuant à y être couronnés. Ils y furent également enterrés jusque vers 300 av. J.-C.
84. Ils fixèrent ensuite la frontière de l’Empire dans la région de Korosko, au sud du Dodécaschène
La Dodécaschène est la région des « Douze Schènes » (mesure grecque). Elle correspond à la Basse
Nubie entre Syène (Assouan) au nord et Maharaqa au Sud.
85. « Il pourrait être instructif sur ce point de se demander pourquoi la théorie de la genèse du sud-
arabique s’est révélée si séduisante et durable. L’étude de l’Éthiopie dans la tradition occidentale a
été menée essentiellement par des savants pétris de culture sémitique. Il était donc naturel en un
sens que l’étude de l’Éthiopie reflète les tendances inhérentes à une approche sémito-centrique
[…] » (Demoz, 1978 : 182-183).
86. À la mort du roi, les deux Syriens quittèrent le pays et tandis qu’Aedesius retournait en Syrie,
Frumentius alla en Égypte où Athanase, archevêque d’Alexandrie le sacra évêque d’Axoum. Puis il
revint à Axoum.
87. « […] les tribus amazighs (berbères nda) se sont éteintes il y a longtemps, depuis le temps du
royaume de Numidie. Personne n’a le droit de dire “je viens d’ici ou de là-bas”. Celui qui le fait est
un agent du colonialisme, qui veut diviser pour régner ». (Mouammar Kaddafi, discours à la Nation
le 2 mars 2007)
88. […] Une équipe franco-marocaine dirigée par Jean-Paul Raynaud et Fatima-Zohra Sbihi-Alaoui a
mis au jour le 15 mai 2008, une mandibule complète d’Homo erectus datée de plus de 500 000 ans
sur le site de la carrière Thomas I à Casablanca. L’intérêt principal de cette découverte est que la
morphologie de ce fossile est différente de celle de la variété maghrébine d’Homo erectus ou Homo
mauritanicus daté d’environ 700 000 ans (www. hominides.com).
89. Le Paléolithique est la période durant laquelle l’homme qui est chasseur-cueilleur taille des
pierres. Durant le Néolithique, il continuera à tailler mais il polira également la pierre.
90. Les dates les plus hautes concernant l’ibéromaurusien ont été obtenues à Taforalt au Maroc. Cette
industrie y serait apparue vers 20 000 av. J.-C., estimations confirmées en Algérie à partir de
± 18 000 av. J.-C. (Camps, 1987).
91. De même l’hypothèse de son origine orientale doit-elle être rejetée car : « […] aucun document
anthropologique entre la Palestine et la Tunisie ne peut l’appuyer. De plus, nous connaissons les
habitants du Proche-Orient à la fin du Paléolithique supérieur, ce sont les Natoufiens, de type proto-
méditerranéen, qui diffèrent considérablement des Hommes de Mechta el-Arbi. Comment
expliquer, si les hommes de Mechta el-Arbi ont une ascendance proche orientale, que leurs ancêtres
aient quitté en totalité ces régions sans y laisser la moindre trace sur le plan anthropologique ? »
(Camps, 1981)
92. Sa « […] filiation directe (est) continue, depuis les néandertaliens nord-africains (Homme du
Djebel Irhoud) jusqu’aux Cromagnoïdes que sont les Hommes de Mechta el-Arbi […] À ses
débuts, l’Homme de Mechta el-Arbi est associé à une industrie, nommé ibéromaurusien, qui
occupait toutes les régions littorales et telliennes. L’Ibéromaurusien, contemporain du Magdalénien
et de l’Azilien européens, a déjà les caractères d’une industrie épipaléolithique en raison de la
petite taille de ses pièces lithiques. Ce sont très souvent de petites lamelles dont l’un des tranchants
a été abattu pour former un dos. Ces objets étaient des éléments d’outils, des sortes de pièces
détachées dont l’agencement dans des manches en bois ou en os procurait des instruments ou des
armes efficaces. » (Camps, 1981)
93. Comme nous l’avons vu, le berbère, l’égyptien et le sémitique font partie du groupe afrasien
(nouvelle appellation de l’Afro-asiatique), ce qui laisse naturellement entendre une origine
orientale. Les hypothèses les plus récentes donneraient comme foyer d’origine de ce groupe la
région de l’Érythrée (Ehret, 1995, 1996).
94. Du nom de son site éponyme, Gafsa, l’antique Capsa.
95. « L’homme capsien est un protoméditerranéen bien plus proche par ses caractères physiques des
populations berbères actuelles que de son contemporain, l’Homme de Mechta […] c’est un
dolichocépahle et de grande taille. » (Camps, sd : 40-54)
96. L’Homme de Mechta el-Arbi n’est donc pas l’ancêtre des Protoméditerranéens-Berbères. Il ne
disparaît pas totalement puisqu’il semble se maintenir dans certaines zones atlantiques de l’ouest du
Maghreb et même progresser vers le centre du Sahara durant le Néolithique. À cette époque, au sud
du tropique du Cancer, le Sahara est peuplé par des Négroïdes (Camps, 1987 : 31).
97. Une question subsiste qui est de savoir si, selon l’hypothèse classique que défend Camps (1981)
ces nouveaux venus sont originaires du Proche-Orient ou si, selon l’hypothèse afrasienne exposée
par Ehret (1995), ils sont originaires d’Éthiopie-Erythrée.
98. Les types berbères sont divers. Les blonds, les roux, les yeux bleus ou verts y sont fréquents et
tous sont blancs de peau parfois même avec un teint laiteux. Les Berbères méridionaux ont une
carnation particulière résultant d’un important et ancien métissage avec les femmes esclaves
razziées au sud du Sahara. L’étude des haplotypes permet de voir quelle est l’identité génétique de
ces Berbères (Lucotte, 2003).
99. « Les Gétules, en contact à la fois avec les Garamantes, dont il est difficile de les distinguer, avec
les Éthiopiens (noirs) des oasis et du Soudan, et avec leurs frères de race, Numides et Maures des
pays heureux du Nord, occupaient […] les immenses steppes de la Berbérie présaharienne […]
pasteurs nomades, successeurs des “Bovidiens” blancs de la fin du Néolithique, prédécesseurs des
chameliers, ces cavaliers nomades avaient déjà appris à remonter, tous les étés, vers les pâturages
septentrionaux. » (Camps, 1987 : 85)
100. « Il faut […] attendre la deuxième moitié du IIIe siècle av. J.-C. pour que l’histoire permette de
saisir les royaumes berbères en plein jour. C’est alors seulement que les États constitués surgissent
aux yeux de l’historien […] Il ne s’agit certainement pas d’une génération spontanée […] L’état des
royaumes berbères au IIIe siècle av. J.-C. avec leurs frontières, leurs institutions, leur organisation
municipale, leurs conflits internes et leurs différends avec leurs voisins, tout cela suppose une
longue histoire, des traditions établies, des acquis capitalisés […] » (Decret ; Fantar, 1998 : 71-72)
101. Tripolis en grec. Quand Oea devint la capitale de la colonie, son nom fut changé pour celui de
Tripoli qui signifie « les trois villes ».
102. La cité était dirigée par un conseil des Anciens ou Sénat qui détenait tous les pouvoirs et une
assemblée du peuple qui élisait les généraux et les suffètes ou magistrats. Durant son histoire,
Carthage fut dominée par quelques grandes familles qui se réservèrent les fonctions officielles dont
les Magon (Magonides) et les Barca (Barcides). Hannibal était un Barca.
103. La pourpre était un colorant largement utilisé pour obtenir une gamme de coloris allant du rouge
au bleu verdâtre et qui était tiré de certains coquillages Murex brandaris, murex trunculus et
purpura hemastoma qui furent d’abord récoltés en Méditerranée orientale puis sur l’ile d’Ibiza aux
Baléares et enfin sur l’îlot de Mogador (Essaouira) où l’on récoltait le purpura hemastoma qui
donnait une meilleure qualité de colorant.
104. Du nom de la famille Magon.
105. Les Carthaginois prirent leur revanche en 409 av. J.-C. quand ils détruisirent la ville.
106. Massinissa : « […] ce Numide était aussi un Punique, ni physiquement, ni culturellement il ne
se distinguait de ses adversaires carthaginois. Il coulait dans ses veines autant de sang carthaginois
qu’il coulait de sang africain dans celles d’Hannibal. » (Camps, 1987 : 110)
107. Punique, du latin punicus, Carthaginois.
108. Carthage n’ayant pas d’armée permanente enrôla les Berbères vivant sur son territoire ou bien
recruta des mercenaires en Afrique du Nord ou ailleurs. La force principale de Carthage résidait
dans sa marine composée de trirèmes ou de quinquérèmes (navires à cinq rangs de rames).
109. Il s’agit des possessions grecques du sud de l’Italie et de la Sicile.
110. Les Carthaginois le torturèrent à mort.
111. « C’est à eux-mêmes que devaient s’en prendre les Carthaginois devant l’étendue de leurs
maux ; en effet, ils avaient […] fait sentir avec rigueur leur domination sur les Libyens ; ils avaient
réclamé la moitié de toutes les récoltes, doublé le tribut dû par les villes, n’accordant aux pauvres
aucune remise ou aucun délai pour les taxes qu’ils devaient acquitter […]. Aussi, chez les Libyens,
les hommes n’eurent pas besoin qu’on leur prêchât la révolte […]. Quant aux femmes qui avaient
eu l’occasion de voir emmener leurs époux et leurs pères coupables de n’avoir pas payé les taxes
(…elles se dépouillèrent) de leurs bijoux, les apportant sans hésiter, en contribution à l’effort de
guerre. » (Polybe, I, 72. à propos de la révolte des mercenaires)
112. Né vers 160 av. J.-C., Jugurtha était le petit-fils de Massinissa et le fils illégitime de Mastanabal,
frère de Micipsa qui l’avait adopté peu avant sa mort, faisant ainsi de lui le troisième de ses
héritiers dans l’ordre de succession après ses fils Adherbal et Hiempsal.
113. Salluste, Bellum Jugurthinium. Traduction de G. Walter, Paris, 1968.
114. Furent massacrés des Italiotes et des Romains, lesquels, écrit Salluste, avaient protégé la retraite
d’Adherbal et combattu sur les remparts de la ville.
115. De 17 à 24, avait eu lieu la révolte de Tacfarinas, ancien soldat romain tué au combat en
24 ap. J.-C. La révolte dura sept années et toucha jusqu’à l’est de l’actuelle Tunisie. Tacfarinas fut
vaincu par le proconsul Dolabelle. « Tacfarinas ne luttait pas pour instaurer un État numide. Il
n’exigeait pas de Rome qu’elle se retirât d’Afrique. Son combat avait des objectifs plus précis,
répondant à des nécessités immédiates. C’est certainement ce qui explique que les aspirations de
toutes ces populations qui nomadisaient dans les zones méridionales se soient cristallisées autour de
celui qui savait les proclamer et se révélait le plus capable de les réaliser. Le chef de guerre numide
exigeait que la politique impériale en Afrique respectât l’installation et le mode de vie traditionnel
des tribus dans ces régions […] la pénétration romaine dans le sud de la proconsulaire et de la
Numidie avait gravement perturbé la vie économique et sociale des populations. » (Decret et
Fantar, 1998 : 321-322)
116. Les royaumes berbères ayant disparu, les anciennes confédérations tribales éclatèrent et Rome
dût exercer son pouvoir sur une multitude de tribus, les gentes. Certaines étaient administrées par
des préfets (praefectus gentis), souvent des Berbères anciens officiers de l’armée romaine, d’autres,
directement par leurs chefs traditionnels que Rome reconnaissait en échange de la signature d’un
traité d’alliance.
117. Desanges a démontré que les tentatives de duplication des toponymes ou la transformation en
distances kilométriques des données du géographe Ptolémée était une méthode « totalement
illusoire » aboutissant à confondre l’oued Sebou et le Draa (Desanges, 1979 : 100).
118. Dans l’ensemble de l’Afrique du Nord, le bloc berbère est alors fragmenté, tandis que dans les
régions sahariennes, les grands groupes nomades se mettent en place : Sanhadja à l’Ouest et
Touaregs plus à l’Est.
119. Elle donnera son nom à la région de l’Andalousie.
120. On peut encore distinguer les fonctionnaires et les soldats byzantins, ceux que les Arabes
désigneront sous le vocable de « Roum ». Pour les Arabes, les chrétiens de la région seront appelés
« Roumis », les Romains, car, pour eux, l’empire byzantin était bien l’héritier de Rome.
121. La Johannide épopée en latin écrite par Corippe vers 550 et qui narre la reconquête de la
Byzacène et de la Proconsulaire, par Jean Troglita entre 546 et 548 est riche d’enseignements sur
les populations de la région. Sont en effet clairement distingués les Romani, les Afri et les Mauri
(Zarini, 2005). Corippe parle des Berbères en employant les synonymes : Mauri et Mazaces et les
qualifiant indifféremment de barbari ou de barbarici (Zarini, 2005 : 409).
Chapitre III.
L’Afrique sud-saharienne
de ± 2500 avant J.-C. au VIe siècle après J.-
C.

L’Aride post-néolithique (± 2500 av. J.-C./± 2000-1500 av. J.-C.) a eu des


conséquences déterminantes dans l’histoire de l’Afrique, tant dans la vallée
du Nil, et nous l’avons vu, que dans les régions situées au sud du Sahara
comme nous allons le voir.

A. L’Afrique de l’Ouest
À partir du début du IIIe millénaire av. J.-C., l’actuel Sahel devint peu à
peu un espace de refuge pour les populations du Sahara méridional et
central. De l’Atlantique au lac Tchad, la région abrita alors des noyaux de
forte concentration humaine.
Toute l’actuelle Mauritanie occidentale et méridionale fut touchée par le
phénomène. Ainsi en fut-il de la région du Tajirit, située au sud de l’actuel
Sahara occidental marocain, et de celles du Tagant et du Taskas dans le sud-
est du pays, où les sites d’habitats sédentaires sont extrêmement nombreux
puisque les villages s’y comptent par dizaines et parfois même par
centaines. Le mode de construction des habitations varie, allant du double
mur à remplissage comme dans le Hodh, région située dans l’extrême sud-
est, près de la frontière malienne, à l’appareillage de pierres sèches.
L’outillage mis au jour est composé de meules, de haches, d’herminettes
polies et de céramique. Dans le Tagant, les villageois délimitaient des
espaces avec des murets de pierres afin de protéger les récoltes des vents
sahariens et du sable qu’ils transportent.
Ce glissement de population venue du Sahara se retrouve également plus
à l’est, dans les actuels Mali, Niger et Tchad, avec, naturellement, une zone
de concentration le long de la vallée du Niger.
La véritable métallurgie du cuivre1, celle qui traite le minerai au moyen
de fours2, apparaît durant le dernier millénaire av. J.-C. dans l’immense
région comprise entre l’Atlantique et le lac Tchad. En Mauritanie, le cuivre
était extrait dans des mines, tandis qu’au Niger, le minerai était récolté à la
surface du sol. Dans les deux pays les datations sont voisines et s’étendent
sur une période comprise entre le IXe et le IIe siècle av. J.-C. Partout
l’outillage lithique demeure prédominant. Dans deux régions qui sont
Akjout dans l’extrême sud mauritanien et Agadès au Niger le travail du
cuivre est attesté au Ve siècle av. J.-C., et il précède celui du fer ; il s’agit là
de deux exceptions.
En ce qui concerne la sidérurgie du fer, l’actuel Niger donne les dates les
plus hautes de tout l’ouest africain. Comme nous l’avons vu précédemment,
à Termit, la métallurgie du fer pourrait ainsi apparaître entre la fin du IIe et
la première moitié du Ier millénaire av. J.-C. À Tigidit, elle semble plus
récente puisqu’elle a été datée de la seconde moitié du Ier millénaire av. J.-
C., ce qui fait qu’elle est donc contemporaine de l’âge du cuivre (Aumassip,
1996 : 15).
À Termit et à Tigidit ont été mises au jour des lames et des pointes de
harpons en fer associées à de l’outillage lithique et à une poterie différente à
la fois de celle fabriquées par les Néolithiques sahariens d’une part, et les
fondeurs de cuivre d’autre part. Il est également à noter que
« Le métal, cuivre et fer, ne paraît nullement avoir modifié le mode
d’existence de ses utilisateurs. La vie pastorale et prédatrice se poursuit,
et tout semble se passer comme si l’usage de ces métaux s’ajoutait à
celui de la pierre, de l’os et du bois pour compléter le petit outillage de
la vie courante : épingles, pointes de flèches, couteaux… » (Grebenart,
1996 : 81)3
En Mauritanie, la Culture des dhars Tichitt-Walata qui englobe une phase
encore entièrement lithique et une autre clairement métallurgique, sert à
désigner un ensemble de sites échelonnés le long de la falaise séparant les
deux villes de Tichitt et de Walata (Oualata), dans le sud du pays. Deux
zones sont cependant à distinguer, Walata et Tichitt (ou Tagant) qui
présentent deux stades culturels différents.
Walata offre une grande densité d’habitats groupés en hameaux et en
villages caractérisés par des murs délimitant des espaces clos. Plus de
400 villages datés entre ± 1800 et 200 av. J.-C., ont été répertoriés dans une
zone aujourd’hui désertique et qui, à l’époque, abritait donc plusieurs
dizaines de milliers de personnes. Un abondant matériel lithique composé
de flèches, de perçoirs, de haches, d’herminettes ou encore de meules a été
inventorié.
Tichitt-Tagant présente les mêmes définitions quant à l’habitat ; mais
avec cependant une différence essentielle qui est que le matériel lithique y
est absent, à l’exception des meules et des molettes, mais qu’en revanche, la
présence de métallurgie du fer y est attestée, notamment par des buttes de
scories. Les datations ont permis de calibrer cette période entre ± 200 av. J.-
C. et ± 100 ap. J.-C. (Ould Khattar, 1996 : 88).
Plus à l’est, dans une zone comprise entre le Nord ouest du Nigeria,
l’ouest du Tchad et l’extrême nord du Cameroun, s’est développée la
Culture Sao4. Elle semble apparaître au IIe siècle av. J.-C. et est caractérisée
par des statuettes humaines et animales en terre cuite. Un millier de sites
(900), ont été répertoriés, notamment sur des buttes, lieux de repli habituel
des habitants durant la saison des pluies et les inondations des mois de juin
à septembre. Durant le premier millénaire av. J.-C., elles furent occupées
par des chasseurs-pêcheurs néolithiques. Vers ± 200 av. J.-C., l’apparition
du fer coïncida avec les premières représentations en terre cuite, mais il faut
attendre le Xe siècle de notre ère pour voir apparaître les premières
figurations humaines.
Le sommet de la culture Sao se situe aux XIIe et XIIIe siècles avec
l’apparition de jarres-cercueils dont la hauteur dépasse 1 mètre, et un grand
raffinement dans l’orfèvrerie et la céramique. La disparition de cette culture
se produit au XVIIIe siècle au moment de l’expansion de l’islam (Lebeuf A.
et J.-P., 1992).
Dans la région située entre le sud du Sahel et l’océan, les datations sont
contradictoires : à Jenne-Jeno, au Mali, la métallurgie semble apparaître
durant les deux derniers siècles av. J.-C. tandis qu’à Rim, dans l’actuel
Burkina Faso, elle est datée du Ier siècle ap. J.-C.
Encore plus au sud, la même impression apparaît. La plus ancienne
évidence est Nok, au Nigeria où les premières découvertes ayant été faites
dans des niveaux archéologiques perturbés, des controverses en
découlèrent. Aujourd’hui, elles sont closes avec la fouille d’autres sites
rattachés à la Culture de Nok ; notamment à Taruga, où des charbons
prélevés dans une stratigraphie en place ont été datés entre le Ve et le
IIIe siècle av. J.-C., associés à des terres cuites typiques de Nok et des restes
de fourneaux. La culture de Nok continue jusque vers ± 300-400 ap. J.-C. À
côté de ces dates anciennes, dans tous les cas antérieures à l’ère chrétienne,
d’autres semblent indiquer que l’activité métallurgique serait plus récente.
Ainsi sur la rive sud du lac Tchad, à Daima, où une découverte intéressante
a été faite avec un continuum dans lequel l’apparition de la métallurgie est
datée du début de l’ère chrétienne. Quant au nord-est du lac Tchad, à Koro
Toro, la pleine activité métallurgique n’est pas attestée avant le
Ve siècle ap. J.-C. (Phillipson, 1998 : 177). Dans l’actuel Ghana, les dates
sont contemporaines de celles du lac Tchad puisque les analyses ont donné
le IIe siècle ap. J.-C. pour les débuts de la fonte du fer.

B. L’Afrique centrale
Il fut un temps postulé que les KhoiSan et les groupes qui leur sont
apparentés avaient précédé les actuelles populations bantuphones en
Afrique centrale, orientale et australe. Cette thèse n’ayant pas prospéré,
toute l’histoire du peuplement récent de ces régions a donc été revue.
Les anthropologues physiques ont ainsi démontré qu’avant les
bantuphones, des populations négroïdes (ou paléo-nigritique) non
khoïsanides occupaient les immensités s’étendant du sud de l’actuel
Cameroun à la région interlacustre et à l’Afrique orientale (Schepartz,
1988 ; Froment, 1998 : 35-37). Ici et là, l’existence de populations
négroïdes « résiduelles » indique d’ailleurs que les actuels occupants du sol
ont été précédés par d’autres groupes. Dans l’est du continent, au Kenya et
en Tanzanie, ont ainsi été identifiés les Dorobo, les Tatog, les Hadza, les
Iraqw et les Sandawe. Dans la région interlacustre, au Rwanda et au
Burundi, les traditions parlent des Renge, population différente des
pygmées Twa et qui était déjà installée quand les ancêtres des actuels Hutu
arrivèrent dans la région5. En Afrique centrale et forestière, des peuples
« vestiges » vivent encore dans la sylve et les populations bantuphones
arrivées ultérieurement reconnaissent leur antériorité6.
Aujourd’hui, quasiment toutes les populations de l’Afrique centrale
parlent des langues bantu. Ces langues parentes mais dispersées à travers de
vastes espaces ont évolué à partir du « proto-bantu », langue commune
d’origine, ou langue mère, qui pourrait être apparue vers ± 5000 av. J.-C.
dans la région comprise entre Nigeria et Cameroun actuels.

Le « phénomène » bantu
Le « phénomène » bantu a été « inventé » ou découvert en 1862 par le philologue
allemand Wilhelm Bleek qui proposa d’employer ce mot pour exprimer la parenté
existant entre les langues parlées dans le tiers méridional de l’Afrique et qui reposait
sur des « proto-préfixes communs ». Bleek avait en effet constaté que dans toutes
les langues de l’aire décrite – elles sont environ 600 –, le vocable ntu ou muntu au
singulier et bantu au pluriel est utilisé pour désigner l’homme ou les hommes. D’où le
mot bantuphone. En 1907, un autre linguiste allemand, Carl Meinhof, prouva
l’intuition de Bleek en réussissant à établir la parenté de toutes les langues de l’aire
bantu.
À partir de ce moment, l’idée apparut d’une migration aboutissant au peuplement de
l’Afrique aujourd’hui bantuphone. Il importe cependant de bien avoir à l’esprit qu’il ne
s’agit là que d’un apparentement linguistique car l’« Homme bantu », la « race
bantu », la « culture bantu », la « civilisation bantu » n’existent pas. Il y eut à l’origine
association entre proto-bantu et population locutrice, mais aujourd’hui ce n’est plus le
cas. Sont en effet bantuphones des populations « morphotypiquement » et
culturellement différentes les unes des autres comme par exemple les Pygmées et
les Tutsi.
Cependant, l’idée de la migration depuis l’ouest africain (région du Cameroun) est
acquise car :
« Hors langues indo-européennes, la classification des langues bantoues est
probablement celle sur laquelle ont porté les recherches les plus détaillées (avec les
langues austronésiennes). Aujourd’hui, les grandes lignes de l’arborescence de
cette famille sont acceptées et différents travaux ont permis de corroborer les
hypothèses de migration des populations bantoues obtenues grâce à des échanges
interdisciplinaires. » (Van der Veen, 2000 : 2)

Depuis l’intuition de Bleek, la connaissance du phénomène bantu a


évolué au fur et à mesure de la description des langues concernées et des
recherches se rapportant à leur histoire, ce qui nous permet d’en savoir plus
sur les phénomènes de mise en place des populations depuis ces derniers
millénaires (voir la carte couleur n° IV) :
– dans les années 1960, les chercheurs pensèrent que la maîtrise de la
métallurgie du fer7 ajoutée à la connaissance de l’agriculture avait
donné aux bantuphones un avantage sur les chasseurs-cueilleurs des
zones qu’ils traversaient8. Or, nous savons aujourd’hui que l’expansion
a commencé il y a environ cinq mille ans, donc avant la découverte de
la métallurgie ;
– dans les années 1970, fut mis en évidence un courant occidental ayant
conduit certains locuteurs depuis la région d’origine du proto bantu,
située aux limites du Cameroun et du Nigeria, jusqu’au nord de
l’Angola actuel, après avoir suivi une route parallèle à l’océan
Atlantique. La séparation entre les deux branches se serait faite vers
3000 av. J.-C. selon Guthrie (1972)9 ;
– concernant le courant oriental, dans les années 1970 également, l’idée
apparut du contournement de la forêt par le Nord, puis de la bifurcation
vers le Sud, par le couloir des hautes terres de la région interlacustre ;
– en 1995, un nouveau schéma fut proposé par Vansina (1995). Il
reposait sur l’étude et la description de 440 des 600 langues de l’aire
bantu et avançait plusieurs nouveautés :
1. l’existence des deux courants migratoires ouest et est n’était pas
remise en question, mais s’agissant du courant oriental, l’idée du
contournement de la forêt par le nord était abandonnée, ou du moins
présentée comme moins exclusive. À l’époque, la grande forêt était en
effet moins impénétrable qu’aujourd’hui. De plus, et contrairement à
ce que l’on croyait encore récemment, elle n’était pas exclusivement
peuplée de Pygmées car des sites d’habitats sédentaires néolithiques
relativement nombreux y ont été répertoriés (Froment, 1998). L’idée
de la traversée de la forêt par les fleuves semble désormais l’emporter
sur celle de son contournement. Il semble d’ailleurs que les
migrateurs bantuphones connaissaient l’usage de la pirogue (Froment,
1998 : 92). Le schéma général de la migration orientale n’est pas non
plus remis en cause car il aboutit toujours dans la région interlacustre,
mais par le Maniéma, donc par l’Ouest et non plus par le Nord
comme on le croyait auparavant. Dans l’état actuel des connaissances,
la région interlacustre demeure donc la zone la plus anciennement
atteinte par les bantuphones en Afrique orientale ;
2. le proto bantu occidental contenait des termes pour désigner les
chèvres, les chiens, l’agriculture et le bétail, ce qui signifierait que ses
locuteurs vivaient dans un milieu de savanes exempt des glossines
vectrices de la tripanosomiase10 animale, et non en zone pré-forestière
où vit la mouche tsé-tsé (Ehret, 1982 ; Froment, 1998 : 61). Pour ce
qui est du proto-bantu oriental, les emplois des mots servant à
désigner l’agriculture, l’élevage ou la poterie y sont plus tardifs que
dans le proto bantu occidental reconstitué ;
3. les langues bantu interlacustres ont fait des emprunts aux langues des
groupes Eastern Sudanic et Southern Cushitic. Or, nous savons que
des populations pastorales nilotiques et couchitiques connaissaient
l’élevage et la culture du sorgho dès la première moitié du
Ier millénaire av. J.-C. ;
4. le courant occidental semble avoir été plus important que ce que l’on
croyait jusqu’à présent. De plus, la dispersion des bantuphones
occidentaux précéda l’arrivée des bantuphones orientaux en Afrique
de l’est interlacustre. Les débuts de cette dispersion occidentale ont
été datés du IIe millénaire av. J.-C., à une époque où ils étaient donc
encore chasseurs-cueilleurs mais avaient la connaissance de la poterie.
Denbow (1990) a montré que ce courant a eu une influence jusqu’en
Afrique australe (Botswana) alors que l’on a un temps pensé que la
région avait été peuplée par les bantuphones du rameau oriental à
partir de la région interlacustre.

L’importance de la zone interlacustre


La zone interlacustre semble avoir joué un rôle essentiel dans l’histoire du
peuplement de l’Afrique centrale, orientale et même australe. La région a ainsi fourni
les dates les plus anciennes pour le Premier et pour le Second âge du fer, comme si,
avant de gagner toute l’Afrique orientale, centrale et aussi australe, ces innovations
avaient débuté – ou avaient d’abord été introduites –, entre le lac Victoria et la région
du Kivu. La céramique de la région interlacustre est ainsi la plus ancienne de toutes
celles composant le Complexe industriel du Premier âge du fer de l’Afrique orientale.
Parmi elles, l’ensemble culturel Urewe, semble être le plus ancien puisqu’il pourrait
être apparu vers 500 av. J.-C. (Connah, 1997 ; Desmedt, 1991).
Dans le domaine linguistique, la même réalité a été mise en évidence. La Zone J des
linguistes du Musée royal de Tervuren en Belgique, qui recouvre précisément la
région interlacustre paraît en effet contenir les langues les plus « archaïques » de
tout l’ensemble bantu oriental. À l’intérieur de cette Zone J, les langues rwanda et
rundi (Burundi) sont elles-mêmes les plus archaïques (Bastin, Coupez et de Halleux,
1983,1985), comme si toutes les langues bantu parlées en Afrique orientale, centrale
et australe dérivaient de ces deux langues. Nous pourrions ainsi avoir, avec elles, le
point primordial atteint par les premiers migrants d’il y a deux à trois millénaires. La
dissociation linguistique ayant donné naissance aux langues bantu parlées dans la
région interlacustre se serait faite entre 1000 av. J.-C. et l’an zéro. Toutes les langues
parlées dans la région pourraient alors descendre de locuteurs ayant formé une
communauté ancestrale ayant littéralement « surgi » de la forêt il y a entre 2500 et
3000 ans :
« L’arrivée des peuples bantouophones (émergeant de la forêt et équipés de fer)
dans l’est de l’Afrique est à situer entre il y a 3000 et 2000 ans […] les termes de la
métallurgie du fer semblent issus de la région interlacustre. Leur origine est souvent
cherchée dans l’emprunt à des langues soudanaises (nilotiques) ». (Van der Leen,
2003 : 3)
La suite du mouvement est inconnue, mais il est raisonnable de penser que vers 300-
100 av. J.-C., quittant la masse des populations installées en Afrique orientale,
certains groupes pionniers auraient repris ou poursuivi leur marche, ce qui les aurait
menés à contourner la forêt par le Sud avant d’entrer en contact avec certains
migrants du rameau bantuphone occidental. Puis, de ± 300 -400 jusqu’à ± 1000-
1100 ap. J.-C., les bantuphones auraient achevé de s’installer dans les zones qu’ils
occupent actuellement en Afrique.

Depuis la publication de Vansina (1995), de nouvelles découvertes ont


permis d’affiner les connaissances que l’on peut avoir de la question :
– c’est ainsi que quatre grands groupes bantu pourraient exister, le
« Bantu occidental », le « Bantu de la forêt », le « Bantu occidental-
central » et le Bantu oriental-septentrional ». Si les trois premiers
semblent avoir directement divergé d’un groupe commun, le quatrième
serait apparu à l’est de la forêt (Nurse et Philippson, 2003), ce qui met
encore davantage en évidence l’importance du foyer interlacustre, ainsi
que nous l’avons souligné ;
– la séparation entre la branche occidentale et la branche orientale se
serait produite il y a entre 3000 et 4000 ans ;
– dans le golfe de Guinée et vers l’embouchure du Congo nous sommes
en présence d’un mouvement migratoire ayant diffusé une forme
d’agriculture forestière basée sur l’igname et le palmier à huile (Van der
Veen, 2003 : 8) ;
– le mode d’expansion ne prit pas la forme d’une déferlante migratoire
car il fut :
« […] lent, progressif, par vagues majeures ou mineures successives et
probablement par petits groupes, à partir du foyer d’origine et aussi à
partir des divers centres d’expansion secondaires (comme la zone
Congo et la zone interlacustre). La plupart des théories considèrent que
les expansions étaient (pour l’essentiel) des expansions démiques. Elles
ont eu pour résultat l’occupation progressive d’un territoire déjà en
partie peuplé par des groupes de chasseurs-cueilleurs de culture
paléolithique ». (Van der Veen, 2003 : 3)

Bantuphones et Pygmées
Dans toute l’Afrique centrale existent des populations de Pygmées bantuphones
traditionnellement chasseurs-cueilleurs ou (et) potiers, comme dans la région
interlacustre. Morphotypiquement, et notamment en raison de leur petite taille (moins
de 1,50 m en moyenne), ils sont très différents des agriculteurs, eux aussi
bantuphones, à proximité desquels ils vivent, parfois en association. Depuis qu’ils ont
été « découverts » par les explorateurs de la fin du XIXe siècle, ils ont fasciné les
esprits curieux et une abondante littérature de qualité inégale leur a été consacrée.
La question de leurs origines qui était au centre de toutes les interrogations vient
semble-t-il d’être résolue, du moins en partie, par une équipe pluridisciplinaire
composée de 23 chercheurs, majoritairement Français, ayant travaillé sur l’ADN
mitochondrial11 de vingt-neuf populations du Gabon, du Cameroun, de République de
Centrafrique (RCA) et de République démocratique du Congo (RDC). Les principaux
résultats de cette recherche (Quintana-Murci et alii, 2008) sont que :
– originellement, Pygmées et autres bantuphones non pygmoïdes procéderaient
d’une même population ;
– les deux groupes se seraient séparés il y a environ 70 000 ans ;
– il y a environ 40 000 ans les deux populations se seraient rapprochées et des
unions se seraient produites, cela durant quelques millénaires ;
– il y a ± 30 000 ans les deux groupes se seraient à nouveau séparés ;
– ces phénomènes se seraient donc produits des dizaines de milliers d’années avant
les migrations bantu des cinq derniers millénaires. Nous aurions donc avec cette
étude, à la fois :
• la preuve que les bantuphones n’ont pas occupé des régions vides d’habitants ;
• la confirmation de l’existence d’un « fonds négroïde indigène » occupant toute
l’aire de la future expansion bantuphone.
Les recherches futures devraient nous permettre d’en savoir plus sur les migrations
les plus récentes, à savoir celles des bantuphones, ainsi que sur le point de savoir
comment tous les habitants de l’Afrique centrale sont devenus bantuphones. En effet,
la question du peuplement de l’Afrique qui a connu des avancées significatives ces
dernières années, notamment grâce à la linguistique, comporte encore de larges
pans inconnus. L’une des directions de recherche parmi les plus stimulantes
concerne les populations pré-bantuphones non Khoïsanides d’Afrique centrale et
orientale sur lesquelles les recherches ne font que débuter.
C. L’Afrique orientale
Comme nous l’avons vu, à partir de ± 2500 av. J.-C., le Sahara central et
méridional connut une accélération de la sécheresse, l’immense paléo-
Tchad disparaissant et le lac se rétrécissant à sa superficie de l’époque
historique.
Plus au sud, la péjoration climatique eut pour conséquence le départ des
pasteurs. Or, le recul vers le sud de l’isohyet de 500 mm de pluies provoqua
la disparition des mouches tsé-tsé, ce qui dégagea un corridor non infesté
s’étendant depuis l’ouest africain atlantique jusqu’à l’océan Indien, en
passant par les hautes terres d’Éthiopie (Clark, 1976 : 15) et leurs
piedmonts. La voie naturelle par laquelle le pastoralisme allait être introduit
en Afrique orientale était désormais ouverte (Smith, 1992b). Le processus
fut le suivant : des pasteurs nilo-sahariens fuyant l’assèchement du Sahara
s’installèrent en Nubie vers ± 1500 av. J.-C. Vers ± 1200 av. J.-C. la
sécheresse augmentant, certains d’entre eux migrèrent vers le Sud en
empruntant le corridor des hautes terres s’étendant depuis le nord du lac
Albert jusqu’au lac Victoria et à la région interlacustre12.
L’archéologie confirme ce schéma de progression Nord-Sud puisque,
plus nous allons vers le Sud, et plus les dates du pastoralisme sont récentes.
C’est ainsi que les plus anciennes datations proviennent de la région du lac
Turkana, dans le nord du Kenya où des ossements de bovins et
d’ovicapridés associés à de la céramique ont été datés entre ± 2000 et
± 1300 av. J.-C. Or, ces dates précèdent d’environ un millénaire celles
obtenues dans la partie centrale de la vallée du Rift. Encore plus au sud, sur
la frontière entre la Tanzanie et le Kenya, dans la région du Masaï-Mara, les
cultures pastorales de l’Elmenteitien ont été datées entre ± 500 av. J.-C. et
± 500 ap. J.-C. (Robersthaw, 1988)13.
Les agro-pasteurs qui vivaient de part et d’autre du Nil, dans le sud de
l’actuel Soudan, et qui sont à l’origine de ce mouvement migratoire étaient
des locuteurs nilo-sahariens. Des analogies dans les types de céramiques14,
dans les modes de vie et dans l’équipement se retrouvent depuis le sud du
Sahara central jusqu’au nord du lac Turkana. Elles font penser qu’à
l’origine, c’est-à-dire au moment où se constitua ce qui allait devenir le
Néolithique saharo-soudanais, à partir du VIIIe millénaire avant J.-C15., il
aurait pu n’y avoir qu’une seule et même culture (et donc une seule et
même population ?) dans cette partie du Sahara.
Vers 1300 av. J.-C., à l’est de la forêt, dans la vaste région comprise entre
le lac Victoria et l’Océan indien, le « fonds négroïde indigène » dont les
descendants seraient, entre autres, les actuels Hadza et Sandawe aurait été
« infiltré » par deux vagues pastorales, l’une nilotique et l’autre sud-
couchitique. Plus tard, vers 1000 av. J.-C., des agriculteurs d’« origine
soudanaise » seraient à leur tour arrivés dans la région, suivis vers
700 ap. J.-C. de « négroïdes sud-nilotiques ». (Ambrose, 1998 : 65). Ehret
(1974) situe pour sa part ce mouvement à des périodes plus anciennes
puisqu’il avance pour la migration des pasteurs sud-couchitiques, la période
de ± 3000 av. J.-C. Ces pasteurs auraient été suivis vers 500 av. J.-C. par les
premiers bantuphones venus de l’Ouest.
En Afrique orientale, mille ans av. J.-C., quatre grands groupes de
population étaient donc présents :
– des KhoiSan, alors en voie de disparition ;
– des sud Couchitiques (Iraqw), appartenant donc au groupe linguistique
afrasien et qui y introduisirent une économie pastorale. Ils se
déplaçaient depuis le Rift oriental jusqu’aux rives du lac Tanganyika
avec leurs vaches « sahariennes » à longues cornes et sans bosse ;
– des Nilo-sahariens appartenant au groupe Central saharien, en
l’occurence des Nilotes (Kalenjin, Tatog, Pokot et Sebei) ;
– des Nilo-sahariens appartenant au groupe Central Soudanais (Moru-
Madi, Lendu, Mari, Lugbara) qui semblent être les auteurs des
céramiques de Kansyore16 et qui étaient pêcheurs, agriculteurs et
éleveurs.
Vers 500 av. J.-C., débuta la période du premier âge du fer qui vit la
dispersion des cultures de langue bantu lesquelles essaimèrent à leur tour en
raison d’un essor démographique dû à l’essor de la métallurgie du fer, à une
agriculture plus performante et l’introduction d’une nouvelle variété de
bétail (ankole à bosse).

D. L’Afrique australe
Les premiers Hommes modernes ayant nomadisé en Afrique australe sont
des KhoiSan (Khoi et San). Les Khoi ont disparu en tant que peuple, quant
aux San, ils sont en voie de disparition et ne vivent plus que dans quelques
régions reculées de Namibie, du Botswana et peut-être d’Angola. Et
pourtant, avant l’arrivée des Noirs, puis des Blancs, ils occupaient toute
l’Afrique australe17. Sous la pression des Khoi éleveurs, puis sous celle des
Noirs bantuphones, ils trouvèrent refuge dans le massif du Drakensberg ou
dans les steppes désertiques du Kalahari. Le mouvement fut accentué à
partir du XVIIIe siècle quand les colons hollandais-boers occupèrent l’espace.
Les San tiraient leurs ressources du milieu, pratiquant une économie dite
« de ponction ». La chasse et la cueillette ne pouvant faire vivre des
communautés nombreuses, chaque groupe n’était composé que d’une
vingtaine d’individus se déplaçant sur des territoires immenses au gré des
migrations du gibier, de la maturation des tubercules, des graminées
sauvages et de l’assèchement des marigots. Les femmes, armées d’un bâton
à fouir alourdi par une pierre perforée, le kwé, fouillaient le sol à la
recherche de larves, d’insectes, d’œufs, de racines et de bulbes tandis que
les hommes chassaient à l’aide de petits arcs tirant des flêches
empoisonnées. Passés maîtres dans l’art d’approcher les animaux, ils en
connaissaient toutes les ruses. Remarquables artistes, les San ont laissé
des milliers de peintures sur les parois rocheuses de l’Afrique australe. Les
plus anciennes ont été identifiées en Namibie où elles ont été datées de
27 500 ans, les plus récentes datent du XIXe siècle18.
À la différence des San, les Khoi vivaient en habitats semi-groupés
composés de kraals, agglomérations de huttes entourées d’un enclos,
accolés les uns aux autres et pouvant rassembler plusieurs centaines de
personnes.
Il est aujourd’hui admis que des contacts s’établirent entre des migrants
non clairement identifiés venus du Nord et les chasseurs-cueilleurs KhoiSan
(Hall, 1994 : 27 ; Smith, 1990). Richard Elphick (1977) a montré que
l’acquisition du bétail et de la poterie par les KhoiSan auprès de pionniers
agro-pasteurs non clairement identifiés eut pour résultat l’essor des groupes
Khoi qui se séparèrent des San. Ils allèrent ensuite coloniser les régions
steppiques de l’ouest et du sud de l’actuelle Namibie et de l’Afrique du Sud
(Smith, 1990).
La question de savoir où le contact aurait pu s’établir entre les agro-
pasteurs venus du Nord et les KhoiSan demeure posée. Deux hypothèses
principales sont en présence (planche couleur n° IX).
1. celle de Stow (1905), actualisée par Cooke (1965), repose sur l’idée
que les éleveurs septentrionaux seraient arrivés depuis l’Afrique
centrale jusqu’au nord de la Namibie, d’où ils auraient longé le littoral
atlantique jusque dans la région du cap de Bonne-Espérance. Comme
les KhoiSan vivaient dans ces régions, c’est alors que des échanges
auraient pu se faire ;
2. se basant sur les similitudes entre les parlers khoi du Botswana
septentrional et ceux de la région du cap de Bonne-Espérance, Elphick
(1977) estime de son côté que le pastoralisme fut introduit depuis le
Nord par les Khoi eux-mêmes. Ces derniers auraient traversé le désert
du Khalahari dans l’actuel Botswana et ils auraient ensuite suivi le
fleuve Orange jusqu’à son embouchure sur l’Atlantique, avant de se
séparer en deux ensembles, l’un se dirigeant vers le cap de Bonne-
Espérance au Sud et l’autre remontant vers le Transvaal au Nord. C’est
donc au nord du Zambèze que les Khoi auraient acquis l’élevage au
contact de populations septentrionales.
Par-delà ces hypothèses non vérifiées, l’archéologie permet d’avoir
quelques certitudes. C’est ainsi qu’au Bradberd, dans l’actuelle Namibie,
des tessons de poterie ont été datés de ± 100 av. J.-C. Plus au sud, au
Namaqualand, dans l’actuelle province sud-africaine du Northern Cape, des
restes de moutons et des tessons ont donné une date qui correspondrait au
dernier siècle av. J.-C. Sur la côte ouest de la région du Cap, les dates les
plus anciennes associées à des moutons ne sont pas antérieures à
± 500 ap. J.-C. (Kasteelberg, sur la côte ouest du Cap). Quant aux bovins,
ils semblent inconnus dans ces régions avant ± 650 ap. J.-C., date la plus
ancienne établie également à Kasteelberg (Smith, 1992b : 135).
L’archéologie nous apprend également qu’il y a 2000 ans environ, une
population possédant la technologie de la fonte du fer arriva en Afrique
australe (Smith, 1992b : 134). Deux grandes cultures liées à cette période
sont ici identifiables :
1. la première est côtière, il s’agit de la Matola tradition, qui semble
introduite depuis le nord de l’actuel Mozambique en direction de
l’actuelle province du Kwazulu-Natal en Afrique du Sud. Dans l’état
actuel des connaissances, l’on ignore si les porteurs de cette culture
étaient éleveurs ou encore chasseurs-cueilleurs ;
2. la seconde arriva au sud du Limpopo après avoir traversé la Zambie et
le Zimbabwe actuels. Elle est connue sous le nom de Bambata
tradition. Il s’agit d’une culture connaissant et pratiquant l’élevage.
C’est ainsi qu’à Salumano, en Zambie, des restes de bovins et d’ovins
ont été datés de ± 400 av. J.-C. (Smith, 1992b : 134), tandis qu’à
Bambata, au Zimbabwe, des restes de moutons ont donné ± 100 av. J.-
C. (Huffman, 1990).
Au nord du Limpopo, à Zimbabwe, deux grandes phases d’occupation
ont été mises en évidence :
1. durant des millénaires, des chasseurs-cueilleurs du dernier âge de la
pierre fréquentérent le site, puis, dans les premiers siècles de l’ère
chrétienne, une nouvelle population, probablement bantuphone,
s’installa dans la région. Certains parmi ces immigrants élevaient des
moutons et semblent avoir maîtrisé la technologie du fer. Les chasseurs-
cueilleurs KhoiSan qui étaient d’excellents peintres, les représentèrent
sur nombre de parois rocheuses. Ces nouveaux venus fabriquaient des
poteries dites du « premier âge du fer » qui font partie du vaste
ensemble culturel est-africain. Ils n’utilisaient pas la pierre pour
construire leur habitat. La couche inférieure d’occupation du site de
Grand Zimbabwe qui est datée du IVe siècle ap. J.-C. semble
correspondre aux débuts du Premier âge du fer ;
2. vers les Xe-XIe siècles, ces populations qui occupaient une vaste zone
comprise entre le Zambèze au Nord et le Limpopo au Sud, semblent
avoir été remplacées par de nouveaux venus porteurs de la culture dite
de Gumanje. Ces derniers construisaient des huttes de boue séchée et de
pisé, le banco, étaient éleveurs de bovins et exploitaient l’or et le cuivre
sur une vaste échelle. Ce sont probablement les ancêtres de la
civilisation de Zimbabwe. Cette période est celle dite du « 2e âge du
fer » et elle marque le début des contacts avec les établissements arabes
de la côte de l’océan Indien car des perles de verre d’origine asiatique
ont été mises au jour dans les niveaux archéologiques qui lui
correspondent.

1. Non plus la pré-métallurgie qui voyait le traitement du cuivre natif par martelage.
2. Utilisation de bas-fourneaux.
3. L’Égypte a développé sa civilisation, a bâti ses pyramides, ses temples et ses palais alors que la
métallurgie du fer y était inconnue.
4. Sao est un nom collectif donné aux populations vivant dans la région avant l’introduction de
l’islam.
5. Le phénomène n’est pas limité à l’Afrique bantuphone puisque, en Afrique de l’Ouest, les Bassari
constitueraient eux aussi une « population vestige » (Girard, 1984).
6. Du Cameroun au Rwanda, la tradition des clans défricheurs reconnaît que les Pygmées étaient les
maîtres de la forêt auxquels les ancêtres fondateurs achetèrent les étendues aujourd’hui déboisées.
Au Rwanda, il est fréquent que des vieillards puissent indiquer les limites des territoires jadis cédés
par les Twa (nom donné aux Pygmées dans toute la région interlacustre), aux défricheurs hutu et
qui étaient matérialisées par des rochers ou des arbres (Lugan, 1983a).
7. On a longtemps pensé que la métallurgie du fer avait été introduite en Afrique à partir du Proche-
Orient ou de Carthage. Aujourd’hui, des faisceaux concordants d’analyses semblent indiquer
qu’elle serait beaucoup plus ancienne que ce que l’on croyait jusque-là. Cependant, nous ignorons
si elle fut introduite ou s’il s’agit d’une invention locale. Voir entre autres Schmidt (1978) et Van
Grunderbeek (1983, 1992).
8. Guthrie (1962 ; 1970) et Hiernaux (1968) pensaient que les bantuphones possédaient la métallurgie
du fer quand ils entreprirent leurs migrations. Pour l’Afrique de l’Ouest on se reportera à Grébenart
(1996 : 75-82).
9. Q. Atkinson (2008), a montré que 31 % des différences de vocabulaire entre les diverses langues
bantu sont apparues avec ce qu’il nomme les « divergences initiales », c’est-à-dire la séparation en
deux d’une population donnée, ou par la conquête d’une population par une autre.
10. Maladie du sommeil.
11. Transmis uniquement par la mère.
12. Dans les basses zones du sud de l’actuel Soudan, le haut niveau des eaux avait créé un
environnement lacustre et durant toute la période du mi-Holocène, le pastoralisme y avait été
difficile, voire impossible. Or, ici également vers 2000 av. J.-C., les conditions climatiques avaient
changé et c’est en empruntant le corridor des hautes terres s’étendant de l’Éthiopie jusqu’au lac
Victoria que les pasteurs étaient arrivés dans la région interlacustre (Ehret, 1982 : 19-48 ; Mack et
Robertshaw, 1982 ; Robertshaw, 1982, 1990). Jusque vers ± 2000 av. J.-C., la présence de la
mouche tsé-tsé avait interdit l’élevage entre les régions du haut-Nil Blanc, et les steppes du nord du
Kenya (région du lac Turkana).
13. À la même époque, venus depuis la partie orientale du plateau éthiopien, des locuteurs Sud
couchitiques se mirent en marche vers l’actuel Kenya puis vers la région du lac Victoria
(Robertshaw, 1990).
14. Les céramiques de ces groupes sont à fond rond et leurs thèmes décoratifs identiques, notamment
la wavy line.
15. La date la plus haute a été fournie par le site de Ti-n-Torha dans l’Acacus : ± 7130 av. J.-C.
16. Identifiée sur l’île de Kansyore sur le lac Victoria, cette céramique est associée à une industrie
lithique caractéristique du Middle Stone Age et a été datée du dernier millénaire av. J.-C.
17. Les premiers européens qui avaient visité la région du cap de Bonne-Espérance les désignèrent
sous le nom de Hottentots, du nom de l’onomatopée « Hautitou » qu’ils psalmodiaient durant leurs
danses. Cette appellation leur est longtemps demeurée accolée.
18. Pour la description de ces peintures, voir Willcox (1984) et Lewis-Williams (1996). Pour leur
interprétation à la lumière de l’hypothèse chamanique, voir Lewis-Williams (2003).
DEUXIÈME PARTIE
L’Afrique du VIIe
jusqu’au XVe siècle
Entre le VIIe et le XVe siècle, toute l’Afrique du Nord, spécialement le
Maghreb, connaît une mutation profonde avec la conquête arabe suivie de
l’islamisation puis de l’arabisation du monde berbère. Dans un premier
temps, sous les Almoravides, sous les Almohades et même sous les
Fatimides, la berbèrité islamisée atteint un immense rayonnement. Au
Maghreb, la dissociation qui succède à l’unité almohade découle en partie
du reflux islamique dans Al-Andalus.
Au sud du Sahara, la période est celle de l’« âge d’or » du Sahel. Elle
voit des empires islamisés ou engagés dans un processus d’islamisation, se
succéder de l’Atlantique au Nil, qu’il s’agisse du Ghana, du Mali, du
Songhay, du Kanem, du Bornou (Bornu) ou encore du Darfour (Darfur). À
la fin de la période, les entités situées à l’ouest du lac Tchad auront disparu
tandis que celles occupant l’espace depuis l’est du lac jusqu’au Nil
connaîtront un important rayonnement.
Plus au sud, dans la région interlacustre, après la période de l’« empire »
du Kitara et des migrations luo, nous assistons à la naissance de plusieurs
États généralement fondés par des pasteurs. Le littoral de l’océan Indien
entre quant à lui de plus en plus dans l’influence du golfe Persique et du
Yémen et la civilisation swahili connaît un essor remarquable.
En Afrique australe le rayonnement de Zimbabwe est notable, quant à la
grande île de Madagascar, elle semble recevoir ses premiers habitants à
partir des VIIe-VIIIe siècles.
Chapitre I.
L’Afrique du Nord aux VIIe et VIIIe siècles

Dans les années qui précédèrent l’intrusion arabo-musulmane, l’Afrique


du Nord, de l’Égypte à l’atlantique, était en crise.
En Égypte, les divisions des chrétiens et la guerre que se livraient les
deux Églises1 favorisèrent la conversion à l’islam car le petit peuple
chrétien, étranger aux querelles théologiques qui opposaient les clercs, fut
séduit par la clarté du message monothéiste et égalitaire véhiculé par les
conquérants. Cette donnée ajoutée à la lourde imposition des non
musulmans explique largement pourquoi l’Égypte, pays quasi
exclusivement chrétien, s’est aussi massivement et rapidement converti à
l’islam.
Plus à l’ouest, les Berbères n’eurent pas véritablement conscience du
type d’invasion à laquelle ils furent confrontés à partir de 644. N’ayant pas
l’impression d’être concernés par les combats que les Byzantins menaient
contre les envahisseurs, ils n’entrèrent pas immédiatement dans la lutte.

A. La conquête arabo-musulmane2
Les VIIe et VIIIe siècles furent ceux de la conquête arabo-musulmane,
laquelle prit des formes différentes en Égypte où elle fut bien accueillie et
au Maghreb, où les Byzantins d’abord, puis les Berbères ensuite,
opposèrent une forte résistance aux envahisseurs.

1. Égypte, vallée du Nil et Libye (632-644)


Né à La Mecque en ± 5703, Mohamed (Mahomet)4, orphelin de père,
perdit sa mère alors qu’il était encore très jeune et c’est son grand-père,
Abdelmoutalib qui l’éleva en même temps que le dernier de ses fils,
Abbas5. Mohamed eut ses premières révélations dictées par l’ange Gabriel
vers 610. Il commença sa prédication vers 612-613 et se dressa contre le
polythéisme mecquois, mettant ainsi en cause les fondements de la société
arabe. En 622, en butte à l’hostilité des riches marchands de la ville qui
refusaient son message révolutionnaire, il choisit d’émigrer. Suivi dans son
exil par quelques fidèles, dont Ali6, Abou Bakr et Omar, il partit pour
Yatrib7. Cette émigration (hidj’ra) qui eut lieu en 622 marque le début de
l’hégire ou ère musulmane.
Mohamed entreprit ensuite la conquête de l’Arabie. Lorsqu’il mourut, le
8 juin 632, il était le maître de la plus grande partie de la péninsule, mais les
grandes conquêtes extérieures furent réalisées par quatre califes qui lui
succédèrent.

Aboû Bakr (632-634) qui fut le premier calife, acheva la conquête de


l’Arabie, puis, en 633, il lança la première expédition en direction des
possessions byzantines de Syrie. Le contexte lui était alors favorable car la
longue lutte qui avait opposé les Byzantins et les Perses sassanides avait
épuisé les deux adversaires. De plus, pour les habitants de Palestine et de
Syrie, les Arabes n’étaient pas perçus comme des étrangers puisque, depuis
plusieurs siècles, des tribus venues d’Arabie s’étaient installées et
sédentarisées dans la région. En 634, en Palestine, les troupes byzantines
furent vaincues au moment où Abou Bakr mourait à Médine alors qu’il se
préparait à marcher sur Damas. Il eut cependant le temps de désigner son
successeur en la personne d’Omar (634-644), le second calife. C’est avec ce
dernier que l’expansion débuta véritablement, marquée par la première
prise de Damas en 6358. L’année 636 fut celle des grandes conquêtes de
Palestine et de Syrie. Entre 639 et 641, la prise de contrôle de l’ensemble de
la Mésopotamie fut achevée, puis, en 642, celle d’une partie de l’Arménie.
Sous le califat d’Omar, l’Égypte, la plus riche des provinces byzantines
devint un objectif pour les Arabes. En 639 Amr ibn al-As pénétra au Sinaï
où il prit El-Arish, avant de se diriger vers les villes de Bubastis et
d’Héliopolis, ne rencontrant qu’une faible résistance de la part des troupes
byzantines. Babylone d’Égypte tomba au printemps 641. Amr ibn al-As
occupa ensuite l’oasis du Fayoum et la région du Delta. Le siège
d’Alexandrie débuta au début de l’été 641. Au mois de septembre 642, la
riche cité pourtant protégée par un impressionnant système défensif fut
abandonnée par sa garnison byzantine9 et se rendit aux Arabes qui n’avaient
pourtant pas les moyens de la prendre. En 643, Amr ibn al-As décida de
fonder une nouvelle capitale et il choisit Babylone d’Égypte, au contact
entre les régions du Delta et de la Moyenne-Égypte, là où le Nil se divise en
plusieurs branches. Il y posa les fondations de la ville de Fostat.
En 644, le calife Omar fut assassiné par un esclave perse et Othman ibn
Affan (644-656), lui succéda10. Cette même année 644, Amr ibn al-As fut
destitué par le calife Othman et remplacé par Abd Allah ibn Arbi Sa’ad
nommé gouverneur de la province11. En 652, ce dernier remonta le Nil en
direction de la Nubie et il atteignit la ville de Dongola. À la différence des
chrétiens égyptiens, les chrétiens nubiens résistèrent et les Arabes
conclurent avec leurs souverains un traité de non-agression, le bakt. En
échange de la reconnaissance de leur indépendance, les Nubiens
s’engageaient à livrer annuellement un tribut en esclaves noirs capturés
parmi les tribus nilotiques de l’actuel sud-Soudan. Othman poursuivit la
conquête de l’Égypte, élargissant la zone contrôlée par ses troupes en
direction de l’Ouest, vers la Cyrénaïque.
La conquête fut favorablement accueillie par les populations chrétiennes
coptes qui considéraient les Byzantins comme des oppresseurs. Michel le
Syrien, historien copte du XIIe siècle, rapportant la conquête de l’Égypte par
les Arabes et la défaite des Byzantins l’écrit clairement :
« Le Dieu des vengeances voyant la méchanceté des Grecs qui, partout
où ils dominaient, pillaient cruellement nos églises et nos monastères et
nous condamnaient sans pitié, amena de la région du Sud les fils
d’Ismaël pour nous délivrer […] Ce ne fut pas un léger avantage pour
nous que d’être libérés de la cruauté des Romains ». (Cité par
Cannuyer, 2000 : 62)
Durant les premières années, les Coptes purent penser qu’ils avaient fait
une bonne affaire car les conquérants se montrèrent tolérants à leur égard.
Le patriarche d’Alexandrie, Benjamin, qui avait été déposé par les
Byzantins fut ainsi rétabli12 et les Arabes conservèrent les structures
administratives byzantines et ils confièrent la collecte des impôts aux
Coptes. Devenus des dhimmis (protégés), ces derniers durent, en échange de
la reconnaissance de leur religion et de leurs biens, acquitter deux impôts, la
gizya, ou impôt de capitation et le kharâg ou impôt foncier qui fut sans
cesse augmenté. Entre 705 et 868, il doubla ainsi à cinq reprises (Cannuyer,
2000 : 63).
L’arabisation linguistique et culturelle de l’Égypte fut rapidement réalisée
à partir du moment où, en 706, le calife omeyyade Walid Ier (705-715)
décida que l’arabe devenait langue officielle13 en Égypte et en Syrie. Le
mouvement fut achevé à partir de 715, quand il remplaça les fonctionnaires
chrétiens par des musulmans.
Des révoltes chrétiennes se produisirent en 722 et en 770. En 829-832 eut
lieu la grande insurrection des Coptes du Delta contre la perception des
impôts, mais elle fut réprimée avec une grande vigueur par le calife Al
Mamoun en personne qui fit vendre sur les marchés d’esclaves plusieurs
dizaines de milliers de Coptes. À partir de ce moment, terrorisés, les plus
nombreux se convertirent et la population du Delta devint majoritairement
musulmane. De moins en moins nombreux en raison des conversions, les
Coptes, dont le poids diminuait furent de moins en moins ménagés par le
pouvoir et les mesures vexatoires14 leur furent appliquées avec toute la
rigueur prévue par le Coran. Vers 1055, les chrétiens furent pourchassés et
les églises fermées.

2. La conquête du Maghreb (644-750)


Après la prise de Barka en 642, la Cyrénaïque puis la Tripolitaine furent
conquises. En 644, et nous l’avons vu, Othman succéda à Omar à la tête du
califat et la décision de poursuivre l’expansion vers l’Ouest, c’est-à-dire
vers le Maghreb15, fut alors prise. Une armée fut levée dans la région de
Médine et placée sous le commandement d’Abdallah ben Sad. Elle se
renforça avec des contingents égyptiens ; après avoir traversé la Cyrénaïque
et la Tripolitaine, à la fin de l’année 644, elle atteignit le sud de l’actuelle
Tunisie où l’Empire byzantin entretenait une troupe nombreuse et bien
équipée commandée par le patrice Grégoire.

La conquête de la Libye
En 641-642, quand Amr ibn al-As, le conquérant de l’Égypte pénétra en Cyrénaïque,
les premiers Berbères que rencontrèrent ses troupes furent les Laguatan qu’ils
désignèrent sous le nom de Lawâta.
Après la prise de Barqa ou Barca (Taucheira) en 642, Amr ibn al-As conquit la
Cyrénaïque. En 643, il pénétra en Tripolitaine où Tripoli (Oea) fut prise une première
fois, cependant que Sabratha fut mise à sac et que les Berbères Nefusa furent
vaincus. Plus au sud, l’oasis de Waddan et le pays des Berbères Mazata ainsi que
Ghadamès, la capitale des Garamantes, furent pris (Benhima, 2009 : 215 ;
Goodchild, 1967 : 115-123). Après sa percée en Tripolitaine, Amr ben al-As, se retira
vers la Cyrénaïque en laissant une garnison à Surt (Syrte) afin de contrôler la route
côtière reliant Tripoli à l’Égypte.
En 644, les villes de Tripolitaine furent reprises par les Byzantins qui les conservèrent
jusqu’en 647 (Modéran, 2005 : 423), année où les Arabes lancèrent une puissante
expédition placée sous les ordres d’Abd Allah Ibn Sarh. La conquête fut ensuite
poursuivie vers le sud saharien. En 666-667, parti de la région de Surt dans le golfe
des Syrtes, Uqba ben Nafi el Firhy soumit le Kawar, l’actuelle région de Bilma au
Niger (Mouton, 2012 : 104).
Les Byzantins ne semblèrent pas renoncer à la région puisque, vers 688, se repliant
depuis la Byzacène, le chef arabe Zuhayr ben Qays, fut intercepté en Cyrénaïque par
un détachement byzantin qui venait de débarquer dans la région de Barqa et il perdit
la vie en l’affrontant.
Entre 695 et 698, après qu’ils eurent évacué l’Ifrikiya à la suite leur défaite devant la
Kahina, les Arabes, commandés par Hassan ben Numan s’établirent sur le site de
l’actuelle Qsur Hassan à l’ouest de Syrte, afin de préparer l’expédition finale. À partir
de ce moment, la Cyrénaïque et la région syrtique furent englobées dans la province
de Barqa.
En Libye, les Arabes s’appuyèrent sur plusieurs tribus berbères, ce qui leur permit
d’exercer un contrôle sur les axes menant vers la région tchadienne. Certains clans
Lawâta (Laguatan) furent ainsi englobés dans l’armée califale. Les Lawâta, du moins
une partie d’entre eux, furent en effet rapidement islamisés et leur rôle dans la
conquête de la Tripolitaine puis de la Berbérie fut déterminant. On les retrouve ainsi
parmi les premiers contingents qui pénétrèrent en Byzacène et ensuite aux côtés
d’Uqba ben Nafi el-Fihri quand ce dernier fonda Kairouan en 670. Plus tard, lors de la
campagne de 692-693, Hassan Ben Numan avait deux généraux sous ses ordres, un
Arabe et un Lawâta nommé Hilâl ben Tarwân al-Luwâti. Ce fut d’ailleurs peut-être
grâce à cette présence berbère à leurs côtés que les Arabes semblent avoir été
primitivement bien accueillis.
Les Berbères de Cyrénaïque ne remirent plus en question leur adhésion à l’islam
orthodoxe, tandis que ceux de Tripolitaine se soulevèrent contre la présence arabe,
mais, au nom de l’Islam et sans jamais remettre en question leur nouvelle religion.
Cette résistance de la berbérité à l’arabisation se manifesta dans le cadre d’un islam
dissident, le kharijisme et de ses formes locales, en l’occurrence l’ibadisme pour la
Tripolitaine.

Face aux 20 000 hommes d’Abdallah ben Sad, le chef byzantin disposait
avec les villes fortifiées de la région d’un réel atout car la force d’invasion
était essentiellement composée de cavaliers. Il lui suffisait donc de se
retrancher derrière ses murailles et d’attendre le départ des envahisseurs qui
ne disposaient pas de matériel de siège. Or, le général byzantin commit une
erreur grossière : après s’être porté au-devant de l’armée d’Abdallah ben
Sad, il se fortifia à l’abri des fortifications de Sufutela (Sbeitla), puis il
tomba dans le piège que lui tendit son adversaire qui, feignant le repli,
l’encouragea à quitter ses défenses pour l’attirer en rase campagne où il
l’écrasa.
Cette victoire n’ouvrait cependant pas le Maghreb aux vainqueurs car les
forces byzantines étaient intactes et solidement retranchées dans plusieurs
villes fortifiées. Un accord fut trouvé après une année d’occupation et les
Byzantins versèrent une indemnité en échange de laquelle les hommes
d’Abdallah ben Sad acceptèrent de regagner la Tripolitaine. Cette première
campagne leur avait permis de tester les défenses byzantines et leur avait
donné une idée des immenses potentialités de la région.
La crise interne qui s’ouvrit à la tête du monde musulman en 656 avec
l’assassinat du calife Othman donna dix-sept années de répit aux Byzantins
et aux Berbères. Durant ces années, les luttes se succédèrent à la tête du
califat entre les partisans d’Ali, gendre du Prophète, et ceux de Moaouia16.
En 660 quand ce dernier l’emporta et fonda le califat omeyyade de Damas,
l’expansion vers l’Ouest reprit. Au lieu de profiter du répit qui lui avait été
offert, l’Afrique byzantine avait continué à s’entre-déchirer entre Byzantins
et Berbères, entre partisans de l’Empereur et chrétiens fidèles à Rome.
C’était donc une région profondément divisée qui allait subir coup sur coup
plusieurs expéditions de conquête (Cuoq, 1984 : 105-121).
Durant la seconde campagne (661-663), l’armée d’invasion, commandée
par Muhawiya ben Hudayi se heurta à des renforts byzantins. Les Arabes
furent victorieux mais ils rassemblèrent leur butin et regagnèrent la
Tripolitaine. La politique du rezzou était donc encore la règle car aucune
occupation durable n’était possible sans la construction d’un camp
permanent pouvant servir de base aux troupes venues de l’Orient. C’est
pourquoi il fut décidé de fonder une ville dans l’ancienne province romaine
de Byzacène, afin d’en faire un point de rayonnement et d’expansion de
l’Islam. Ce fut le but de la troisième campagne (669-672) dont le
commandement fut confié à Uqba ben Nafi el-Fihry qui avait sous ses
ordres environ 10 000 cavaliers arabes et un nombre indéterminé de
contingents égyptiens ou formés de Berbères islamisés originaires de
Cyrénaïque et de Tripolitaine17. Il s’acquitta de sa mission et fonda
Kairouan18.
En 672, Uqba ben Nafi fut relevé de son commandement et remplacé par
Abu al-Muhajir qui lança la quatrième campagne (673-681). Les forces
byzantines retranchées dans les villes étant quasiment intactes, il choisit de
les isoler des populations berbères et pour cela, il décida de convertir les
tribus de l’intérieur. Mais ces dernières résistèrent et Abu al-Muhajir dut
livrer de rudes combats qui le conduisirent jusque dans la région de
l’actuelle ville de Tlemcen où il réussit à capturer Qusayla19, le chef de la
tribu des Awréba et âme de la résistance berbère qui fut emprisonné à
Kairouan.
En 681, Uqba ben Nafi retrouva son commandement et il lança la
cinquième campagne de conquête (681-683). Contournant les garnisons
byzantines enfermées dans les villes du nord de l’actuelle Tunisie, il marcha
vers l’Ouest. Tout au long de sa progression, il eut à combattre les Berbères
parfois renforcés de Byzantins, comme dans le nord des Aurès, à Bagai
(Baghaia), où il fut victorieux, puis il prit la direction des hauts plateaux,
vers la région de l’actuelle ville de Tiaret où il remporta une nouvelle
victoire. Il obliqua ensuite vers l’Ouest, et sans que l’on sache avec
certitude par quel itinéraire, il arriva dans la région de Ceuta. Là, le patrice
Julien20, représentant de l’Empereur Constantin IV qui avait reçu pour
mission de défendre la rive africaine du détroit, lui offrit la ville, en échange
de quoi Uqba le confirma dans son commandement21.
Uqba ben Nafi décida ensuite de rentrer à Kairouan, mais il commit
l’erreur de scinder sa troupe en petites unités22. Entre-temps, Qusayla s’était
échappé et avait soulevé les Aurès. Uqba choisit alors de contourner le
massif par le Sud, mais il fut intercepté à Tahuda, au sud des Aurès, où sa
colonne fut anéantie, lui-même perdant la vie dans l’engagement23. Cette
victoire berbère eut un immense retentissement car, partout, les tribus se
soulevèrent, fournissant des combattants à Qusayla qui prit Kairouan
cependant que les Arabes survivants abandonnaient l’Ifriqiya pour se replier
vers l’Est, jusqu’à Barka24.
Les Byzantins se retrouvèrent alors en position de force car ils tenaient
les principales villes dont les garnisons venaient d’être relevées ou
renforcées par des troupes fraîches débarquées de Sicile. De plus, face au
nouveau danger, l’opposition Byzantins-Berbères s’estompa et de véritables
alliances furent nouées comme nous le verrons plus loin.
En 687 le calife omeyyade Abd-el-Malik ordonna une nouvelle
expédition dont il confia le commandement à Zuhair ben Qays qui arriva en
Ifriqiya au début de l’année 688. La sixième campagne débuta par la
bataille de Mems (Sbiba), à proximité de Kairouan, dans laquelle Qusayla
fut tué et son armée disloquée. Kairouan fut reprise par les arabo-
musulmans, mais les Berbères se ressaisirent et ils réussirent à submerger
les envahisseurs sous leur masse. Zuhair ben Qays fut tué durant les
opérations et son armée évacua l’Ifriqiya.
Les Omeyyades décidèrent alors d’en finir et ils constituèrent un puissant
corps expéditionnaire qu’ils confièrent à Hassan ben Numan. Cette
septième campagne s’étendit sur les années 693 à 698. Hassan ben Numan
commença par reprendre Kairouan, puis il se fixa pour objectif la ville de
Carthage défendue par une puissante enceinte fortifiée derrière laquelle une
importante garnison byzantine était stationnée. Le chef byzantin commit à
son tour l’erreur de livrer bataille en rase campagne car son armée fut mise
en déroute par la cavalerie arabe et les survivants se retranchèrent à Bizerte.
Les contingents berbères, eux aussi disloqués, se replièrent vers l’Ouest où
ils constituèrent une zone de résistance dans la région de Bône. Privée de
défenseurs, Carthage tomba dès le premier assaut.
En 695, à Bizerte, les Byzantins mirent à terre un corps de débarquement,
puis ils reprirent Carthage. Cette victoire fut cependant de courte durée car,
dès 697, Hassan ben Numan s’empara une seconde fois de la ville. Les
Byzantins étaient définitivement battus, même s’ils conservaient encore
quelques garnisons à travers la région, et les Berbères allaient bientôt se
retrouver seuls. Leur résistance s’effilocha puis, une femme, personnage
historico-légendaire, prit le commandement des derniers groupes de
combattants. Fille de Tabet, Dihya (Dahia), est connue dans l’histoire sous
le nom de l’Kahina (la sorcière) que lui donnèrent les Arabes. Elle
appartenait à une tribu des Aurès, les Jarawa, qui fait partie de la grande
confédération zénète. Elle réussit à remporter plusieurs batailles25 contre les
Arabes qui la pourchassaient, puis en 698 (ou en 702), elle fut contrainte de
livrer un combat majeur dans la région de Gabès. Vaincue et persuadée de
sa fin prochaine, la légende rapporte qu’avant la bataille, elle aurait
demandé à ses deux fils, Ifran et Yezdia, de se convertir à l’islam afin de
sauver sa lignée, puis elle prit le maquis, poursuivie par les Arabes qui la
rattrapèrent, la tuèrent, la décapitèrent et firent porter sa tête au calife26.
En 698, Hassan ben Numa fut remplacé par Musa ben Nusayr. En dix-
sept ans, de 698 à 715, ce dernier acheva la conquête du Maghreb et fit celle
de l’Espagne. Musa s’enfonça vers l’ouest atlantique et prit Tanger, mais il
échoua devant Ceuta, toujours commandée par le patrice Julien, l’homme
qui avait été confirmé dans son commandement par Uqba ben Nafi – en 682
ou en 683 –, puis il bifurqua vers le Sud-Ouest et les plaines littorales du
Maroc avant de revenir vers l’Est et la région de Volubilis. Il acheva son
expédition en pénétrant dans l’Atlas qu’il traversa pour aboutir au Tafilalet
et dans la région de l’oued Draa, tandis qu’un de ses fils s’enfonçait vers le
Sous.
Comment se fit la conquête de la région ? Nous l’ignorons. Nous ne
sommes pas davantage renseignés sur les modalités de la conversion car un
trou quasi complet des connaissances s’étend sur la période. La seule
certitude est que, à la différence des Berbères de l’actuelle Algérie, ceux de
l’actuel Maroc semblent s’être convertis rapidement et en masse à l’Islam.
Jamais ils ne remirent en question cette conversion et c’est eux qui
fournirent le contingent de douze mille guerriers qui permit au Berbère
Tarik de débarquer en Espagne où, de 711 à 715, le sort du royaume
wisigothique fut réglé.

3. La rapidité de l’islamisation
La question de la rapidité de l’islamisation du Maghreb a bien été posée
par Gabriel Camps dans les termes suivants :
« Comment l’Afrique du Nord, peuplée de Berbères en partie
romanisés, en partie christianisés27, est-elle devenue en quelques siècles
un ensemble de pays entièrement musulmans et très largement arabisés,
au point que la majeure partie de la population se dit et se croit
d’origine arabe ? » […] « Comment expliquer que l’Africa, la Numidie
et même les Maurétanies, qui avaient été évangélisées au même rythme
que les autres provinces de l’Empire et qui possédaient des églises
vigoureuses, aient été entièrement islamisées alors qu’aux portes
mêmes de l’Arabie ont subsisté des populations chrétiennes : Coptes
des pays du Nil, Maronites du Liban, Nestoriens et Jacobites de Syrie et
d’Iraq ? » (Camps, 1987 : 132)28
Si nous nous basons sur les sources écrites, sur l’épigraphie et sur les
ruines, l’influence romaine et son corollaire, la christianisation semblent
avoir été considérables en Afrique du Nord. Or, cette vision est largement
erronée car elle est globalisante et ne correspond pas aux réalités régionales.
Il est ainsi nécessaire de bien établir une différence entre la Maurétanie
tingitane et la partie la plus orientale de la Césarienne d’une part, et le reste
de l’Afrique romaine d’autre part. Pour ce qui est de la romanisation, nous
avons vu qu’à l’Ouest, à partir du IIIe siècle, la Maurétanie tingitane ne fut
plus qu’un maillon secondaire de l’Empire, la Tingitane intérieure ayant été
abandonnée, seule ayant été conservée la région de Tanger, afin de garantir
la sécurité du détroit et protéger le flanc sud de l’Espagne29.
Ailleurs, Rome avait maintenu sa présence, même si, notamment au Sud,
mais aussi également ailleurs, les menaces nomades se faisaient de plus en
plus fortes. Doit-on cependant les exagérer comme le fait Benabou (1976) ?
Probablement pas car l’ensemble du territoire était calme. À preuve, pour
défendre les immensités allant de la Tripolitaine à l’Atlantique, les Romains
ne disposaient que de 30 000 hommes au grand maximum, qu’il s’agisse
des réguliers de la Legio Tertia Augusta, ou des cohortes et de la cavalerie
berbères. Ceci fait que :
« S’il y avait eu au cours des siècles une résistance farouche et continue
des Africains contre les rares colons implantés dans les villes et les plus
riches plaines, ces effectifs ridicules auraient été balayés. Or, non
seulement ces troupes sont peu nombreuses mais il est impossible de les
considérer, dans une optique moderne, comme une armée coloniale ou
une armée d’occupation. Ces troupes sont dans leur grande majorité
recrutées sur place parmi les Africains peu ou prou romanisés. »
(Camps, 1987 : 127)
Ceci étant, quelle fut la réalité de la romanisation des Berbères ? Fut-elle
superficielle, voire inexistante comme le pensaient Gauthier (1927),
Courtois (1942)30 et avant eux, avec une grande radicalité, le RP Mesnage,
missionnaire Père Blanc, qui soutenait que :
« Derrière l’Afrique officielle ou semi-officielle […] vit et prospère
[…] une population nombreuse et active qui garde ses lois, ses usages,
ses croyances et ne se rapproche de la civilisation romaine à laquelle sa
nature est étrangement rebelle que dans les limites de ses besoins très
restreints […] Aujourd’hui, je crois à la faillite complète de la
romanisation de l’Afrique. C’est du reste la seule explication rationnelle
de la disparition si rapide de la civilisation romaine en ce pays ».
(Mesnage, 1913)
C’est essentiellement sous le poids de ses propres divisions et non sous
les coups de butoir d’une hypothétique « résistance berbère » que la
romanité s’est effondrée. Si l’ampleur réelle de la romanisation du Maghreb
est difficile à établir, il est en revanche possible d’affirmer, toujours à
l’exception de la Tingitane et de l’ouest de la Césarienne, que la
christianisation y fut intense. De l’actuelle Libye à l’actuel Maroc inclus, au
moins 600 évêchés ont en effet été recensés31. L’histoire de l’Église
d’Afrique du Nord qui a été bien étudiée, notamment par le RP Cuoq
(1984), est riche et complexe. Elle a donné trois papes32, des saints
illustres33 et de multiples martyrs. Dans ces conditions, comment expliquer
qu’elle ait en définitive si peu résisté à l’islamisation. Comme l’a dit
Camps, et nous l’avons cité, le sort des Coptes d’Égypte ou des Maronites
du Liban ne devait pas être différent de celui des Berbères chrétiens au
moment de la conquête et pourtant, le christianisme s’est maintenu chez les
premiers alors qu’il a disparu chez les seconds.
L’Afrique du Nord fut certes très tôt et très massivement christianisée,
mais elle connut cependant de nombreuses hérésies qui perturbèrent les
convertis (Cuoq, 1984, 1991), les deux principales étant le donatisme et
l’arianisme. Donat, évêque de Numidie qui vécut entre ± 270 et 355,
considérait qu’il était impossible de réintégrer dans le christianisme ceux
qui, à la suite des persécutions de Dioclétien en 303 et 304, avaient renié
leur foi pour échapper à la mort. Des centaines de milliers de personnes se
trouvèrent ainsi exclues de l’Église.
L’arianisme fut plus dévastateur encore dans la mesure où il niait la
divinité du Christ. Pour le prêtre Arius qui donna son nom à cette hérésie, le
Christ n’était pas le fils de Dieu, mais un prophète envoyé par lui. Or, les
Vandales étaient acquis à cette croyance et c’est en son nom qu’ils
détruisirent le maillage catholique dans la partie de l’Afrique du Nord qui
était sous leur contrôle. L’on aurait pu penser que la reconquête byzantine
sous Justinien avait restauré l’unité religieuse ; or il n’en fut rien car les
troupes grecques venues de Sicile véhiculèrent avec elles de nouvelles
controverses portant cette fois sur la nature du Christ, homme ou dieu…
Dans tous les cas Byzance rétablit l’Église catholique dans les zones
conquises, mais pas la romanité34. À la veille de la conquête arabo-
musulmane, le christianisme nord-africain était donc profondément divisé et
affaibli.
Les causes de la relative facilité de la conquête et de l’islamisation sont
en définitive au nombre de cinq :
1. faiblesse des Byzantins qui n’exerçaient leur présence que dans les
villes et qui étaient rejetés par le monde rural berbère. Les soldats et les
fonctionnaires byzantins étaient ces citadins que les conquérants arabes
désignèrent sous le nom de Roum, tandis qu’ils appelèrent les Berbères
romanisés et christianisés les Afariq ;
2. divisions entre Berbères sédentaires et nomades, mais aussi entre
Berbères romanisés vivant dans les villes et les ruraux, ceux que les
Romains appelaient les Maures. De plus, Rome ayant détruits leurs
États, les Berbères se redivisèrent en tribus et cet émiettement facilita la
conquête ;
3. anarchie dans tout le pays, amplifiée par les Vandales dans la zone
qu’ils contrôlaient (actuelle Tunisie et une petite partie de l’Algérie
orientale avec comme limite occidentale Cirta et les Aurès)35 ;
4. à partir de 520, sous le règne du vandale Thrasamond, la Byzacène fut
attaquée et dévastée par des nomades berbères sahariens disposant du
dromadaire ;
5. divisions de toute l’Afrique du Nord chrétienne dues aux querelles
théologiques, dont le donatisme, suivies dans la partie la plus orientale
du Maghreb par les persécutions des Vandales convertis à l’arianisme36.
Avec la conquête byzantine en 533, de nouvelles querelles religieuses
furent introduites.
Tout cela fit que les arabo-musulmans, animés par une puissante volonté
de conquête n’eurent jamais en face d’eux un front uni, mais des résistants
successifs réduits les uns après les autres : troupes byzantines, tribus ou
confédérations berbères, villes fortifiées. Quant à la population romano-
africaine :
« […] enfermée dans les murs de ses villes, bien que fort nombreuse,
elle n’a ni la possibilité, ni la volonté de résister longtemps à ces
nouveaux maîtres envoyés par Dieu. » (Camps, 1987 : 134)

« La moisson berbère »
La rapidité de la conversion des Berbères à l’islam s’explique largement par leur
volonté d’échapper à l’esclavage, la mise en servitude des musulmans étant
théoriquement interdite par le Coran.
Aux VIIe et au VIIIe siècles, selon les auteurs arabes de l’époque, tels Ibn Idâri, Al-
Mâliki ou An Nuwayri ou ceux ayant écrit postérieurement, comme Ibn Khaldûn, la
Berbérie était alors considérée comme terre de butin où se faisait une véritable
« moisson » d’esclaves, la « moisson berbère37 ». Les conquérants arabes y
réalisèrent des captures énormes se chiffrant en centaines de milliers d’hommes, de
femmes et d’enfants emmenés vers l’Orient pour y être vendus.
Selon Mohammed Talbi, entre le premier raid d’Uqba ben Nafi el Fihry en 669, et
l’arrivée de Musa ben Nusayr en Berbérie en 698, soit en trois décennies, quatre cent
quinze mille Berbères furent ainsi réduits en esclavage dans une entreprise de :
« […] chasse délibérée [qui] avait pour but de satisfaire la demande umayyâde, puis
abbâsside en esclaves, en particulier en jeunes filles berbères ». (Talbi, 1966 : 32)
B. Les mutations du monde berbère
Rapidement islamisé, le Maghreb berbère fut en revanche lentement
arabisé puisqu’il fallut attendre les XIe-XIIIe siècles pour y noter l’arrivée des
premiers forts noyaux de population arabe. Paradoxalement, la résistance de
la berbérité à l’arabisation s’y manifesta dans le cadre d’un islam dissident,
qu’il s’agisse du kharijisme ou du schiisme.

1. Une islamisation acceptée, une arabisation refusée


Démographiquement, l’apport arabe de la période de la conquête fut une
goutte d’eau dans l’océan berbère38 puisque, comme nous le verrons plus
loin, la première véritable arabisation humaine se fit plus tard, entre les XIe
et XIIIe siècles. Cependant, au lieu de se berbériser, les nouveaux venus
arabisèrent la masse des Berbères39 car la conversion entraîna l’arabisation
cultuelle, donc culturelle, le converti ayant pour obligation de prononcer
dans la langue arabe les phrases fondamentales qui consacraient son
adhésion à la nouvelle religion40.
À la différence de leurs frères de l’Est (Algérie et Tunisie actuelles), les
Berbères de l’actuel Maroc n’avaient pas participé aux grandes
insurrections de Qusayla et de la Kahina et deux expéditions suffirent pour
que l’Islam soit introduit chez eux et définitivement installé. Cependant,
alors qu’ils avaient accepté l’islamisation, ils se soulevèrent avec violence
quelques années plus tard contre la présence arabe mais, paradoxalement,
au nom de l’Islam et sans jamais remettre en question leur nouvelle
religion. Le processus mérite que l’on s’y attarde.
Sous les Omeyyades, l’expansion musulmane fut poursuivie41 et même
amplifiée avant le double coup d’arrêt, à l’Ouest, face aux Francs de
Charles Martel en 732 à Poitiers ; à l’Est, en Asie Mineure, face aux
Byzantins en 740. Le résultat de cette conquête foudroyante fut la création,
transcendant les races et les ethnies, d’une communauté de croyants, la
Umma, pour laquelle, l’arabe était devenu la langue de culte et parfois de
culture. Mais, dès cette époque, les Arabes « ethniques » étaient devenus
minoritaires dans le monde islamique tandis que la tête de l’empire était
composée d’Arabes. Les Omeyyades cherchèrent à :
« […] perpétuer cet état de fait en soumettant à l’impôt tous les non-
musulmans, tandis que les Arabes musulmans en étaient exonérés et
touchaient même des rentes alimentées par ces recettes fiscales. La
classe dirigeante arabe n’était donc pas favorable à la conversion en
masse des populations des territoires conquis et les nouveaux
musulmans, qui étaient tenus de se rattacher en tant que clients à une
kabila (tribu) arabe, étaient assujettis à l’impôt. » (El Fasi, 1997 : 62-
63)
Le paradoxe fut bientôt réel et il fut l’objet de longues discussions car il
s’agissait pour les Arabes de savoir si la Berbèrie était :
« […] un pays conquis par capitulation sans combat, ou une terre
arrachée à ses habitants par la force des armes. Dans le premier cas, la
terre demeurait entre les mains de ceux qui la cultivaient, lesquels
étaient astreints à verser un impôt en nature […] en sus de la capitation
en espèces […]. S’il s’agissait d’une conquête par les armes, la terre
revenait à la communauté des musulmans ; libre à ceux-ci d’employer
parmi les vaincus, à qui l’on avait fait grâce de la vie, des paysans
comme ouvriers ou comme métayers. » (Bianquis, 1997 : 147)
Quoi qu’il en soit, les califes de Damas exigèrent des nouveaux convertis
qu’ils acquittassent comme les non-musulmans, et l’impôt foncier (kharaj)
et l’impôt personnel (jiziya), preuve du statut inférieur des vaincus non
croyants qui ne conservaient leurs biens qu’en échange de cette taxe –
notamment le kharaj –, versée au bénéfice théorique de la communauté
musulmane. Le fond du problème était qu’après la conversion des Berbères,
les conquérants arabes ne pouvant donc plus procéder à la « moisson »
d’esclaves, l’impôt que les gouverneurs omeyyades de Kairouan envoyaient
à Damas, tant en numéraire qu’en jeunes captifs des deux sexes, fut
désormais minime.
Aussi, afin de pouvoir continuer à réduire les Berbères en esclavage,
accusèrent-ils ces derniers d’apostasie, prétexte légitimant de nouveau les
captures. Afin de justifier cette pratique, furent alors fabriqués des hadîths
destinés à fonder la mise en esclavage des Berbères à travers l’opinion que
le Prophète Mohamed aurait eue d’eux :
« On rapporte que le Prophète – que la Bénédiction et le salut de Dieu
soient sur lui ! – a dit : il n’existe pas sous les cieux ni sur terre de plus
méchantes créatures que les Berbères. Quand même je n’aurais rien à
donner en aumône dans la voie de Dieu, si ce n’est la poignée de mon
fouet, il me serait encore plus agréable de donner cette poignée plutôt
que d’affranchir un Berbère. » (Cité par Botte, 2011 : 4)
En 720, le gouverneur, Yazid ben Ali Muslim décida donc que, bien que
musulmans, les Berbères seraient assujettis comme les non croyants, à la
fois à l’impôt de capitation (jiziya) et à l’impôt foncier (kharaj), or une
partie de ce dernier devrait être acquittée en esclaves.

2. Le Kharijisme, réaction berbère à l’arabisation


Le représentant du pouvoir omeyyade considérait donc les Berbères
comme des vaincus42, or, et nous l’avons dit, seules les tribus de l’Ifrikiya et
de la partie centrale de l’actuelle Algérie avaient véritablement résisté aux
envahisseurs, tandis que celles de l’actuel Maroc avaient rapidement
embrassé l’islam. C’est même elles qui avaient fourni les contingents les
plus nombreux lors de l’expédition d’Espagne et les Arabes leur avaient
même attribué une partie des terres conquises.
Pour toutes ces raisons, les Berbères qui se considéraient comme les
égaux des Arabes se mirent à nourrir un profond sentiment de révolte, non
envers l’islam, mais envers ses dirigeants arabes. L’empire omeyyade fut
donc perçu par eux pour ce qu’il était, à savoir un État arabe dirigé par une
aristocratie composée de la tribu mecquoise des Kurashites laquelle
considérait le monde musulman comme un bien personnel conquis par la
force et dont elle pouvait ponctionner les ressources.
Or, pour nombre de musulmans, le pouvoir des Omeyyades/Kurashites
n’avait aucune légitimité historique. Il était en effet bien connu que dans un
premier temps, cette tribu avait combattu le Prophète et que ses membres ne
s’étaient que tardivement convertis. De plus, leur mode aristocratique de
gouvernement faisait peu de cas de la forte composante méritocratique et
égalitaire contenue dans la doctrine islamique.
Cette conception étroitement ethno-centrée, et donc bien peu universelle
de la religion musulmane, posa nombre de problèmes dans l’ensemble du
monde omeyyade ; mais c’est avec les Berbères que la rupture fut la plus
profonde car elle fut à la fois ethnique, religieuse et politique.
Dans l’historiographie, deux grandes interprétations dominent. La
première privilégie l’aspect ethnique de la révolte et insiste sur le
ressentiment berbère qui expliquerait le succès du kharijisme devenu le
moteur du soulèvement contre les Omeyyades. Elle est bien illustrée dans le
mémorandum remis au gouverneur Hisham ben Abd el-Malik (724-743) par
une délégation berbère menée par le chef Maysara. Ce document contient
les principales doléances et revendications berbères à savoir :
– lors des combats, les Berbères convertis sont toujours placés aux lieux
les plus exposés tandis que les Arabes demeurent en retrait ; or, lors du
partage du butin de guerre, les seconds se réservent les meilleures
parts ;
– les Arabes s’emparent des troupeaux appartenant aux Berbères ;
– les Arabes enlèvent jeunes filles et femmes berbères ;
– les Arabes considèrent les Berbères comme des vaincus devant
accepter leur loi. (Talbi, 1997 : 204)
La seconde vision est moins ethnique :
« […] le soulèvement général contre les Umayyades qui débuta au
Maghreb occidental n’a pas été un soulèvement des Berbères contre les
Arabes, destiné à chasser ceux-ci du Maghreb, mais plutôt une révolte
musulmane contre l’administration umayyade. » (Monès, 1997 : 202)
À l’appui de cette seconde explication, vient le fait qu’au Maghreb, le
kharijisme a également attiré des Arabes qui avaient, eux aussi, à se
plaindre des Omeyyades. Comme ces derniers étaient de rite sunnite, dit
orthodoxe, la réaction ethnique berbère prit une forme religieuse et c’est
pourquoi ces derniers embrassèrent le kharijisme sous ses diverses formes.
La révolte berbère qui débuta dans l’actuel Maroc fut donc dirigée contre
le calife arabe d’Orient, non contre l’islam, et elle balaya le pouvoir
omeyyade de la quasi-totalité du Maghreb. La rapidité du mouvement fut en
partie la conséquence de la trop grande centralisation d’un empire dont le
cœur était à Damas. Dans toute sa partie occidentale, de la Narbonnaise à la
frontière égyptienne, l’autorité de Damas était en effet représentée et
exercée par un gouverneur résidant à Kairouan (Talbi, 1997 : 203).

Le Kharijisme
Le kharijisme qui procède de la grande crise née en 656 au sein du monde
musulman à la suite de l’assassinat du calife Othman repose sur une idée
fondamentale : la direction de la communauté musulmane doit être confiée par
élection au meilleur des siens et cela sans distinction de race, ce qui implique l’égalité
de tous les musulmans43. Pour les Kharijites, le calife devait donc être élu par tous
les musulmans sans exception. Pour cette doctrine égalitaire et « démocratique »,
tous les membres de la Umma étant égaux, qu’il s’agisse des Arabes ou des
convertis, il n’était donc pas acceptable que les vainqueurs arabes constituassent
une oligarchie dominant la masse des croyants nouvellement convertis. Pour les
Omeyyades, cette hérésie était évidemment inacceptable car elle menaçait l’essence
même de leur pouvoir devenu temporel et ils traquèrent les dissidents.

La révolte éclata en 740 dans le nord du Maroc, dans le massif du Rif, où


Maysara prit la tête d’une insurrection kharijite de tendance sufritiste qui fit
se lever les tribus Berghwata, Ghomera et Miknasa. Il s’empara de Tanger
où il se proclama calife. Une armée arabe fut envoyée d’Espagne pour
réduire les insurgés, mais elle fut repoussée. Peu de temps après, Maysara
mourut. Selon certaines traditions, il fut capturé et exécuté ; selon d’autres,
il fut assassiné par ses propres compagnons qui désignèrent un successeur
en la personne d’un autre berbère, Khalid ben Hamid el-Zanati. En 741, sur
les bords de l’oued Chélif, ce dernier remporta la « bataille des nobles » qui
se termina par la mort de nombre de combattants arabes venus d’Espagne.
En 742, le calife décida d’en finir avec cette révolte. Pour l’écraser, il
nomma un nouveau gouverneur qui arriva à Kairouan à la tête de
plusieurs milliers de combattants arabes et égyptiens, mais, sur les berges
de l’oued Sebou l’armée califale fut taillée en pièces et le gouverneur
Koltoum tué. La révolte s’étendit ensuite à tout le Maghreb, la quasi-totalité
des tribus berbères ayant fini par la rejoindre. Kairouan était sur le point de
tomber aux mains des insurgés quand un coup d’arrêt fut donné à
l’extension du kharijisme grâce à deux victoires remportées par les troupes
califales.
La reconquête de la Berbèrie par les Omeyyades n’eut cependant pas lieu
car, en 750, les Abbassides44 prirent le pouvoir, ce qui entraîna le chaos et
l’indépendance de la quasi-totalité du Maghreb. Les Abbassides perdirent
ainsi toutes les provinces situées au-delà de l’Égypte qui passèrent sous le
contrôle des dissidents kharijites45 ou des Aghlabides46. En Égypte même, la
situation devint anarchique en raison d’incessantes révoltes contre leur
autorité et, en 832, le calife Al-Mamoun (813-833) fut contraint d’intervenir
en personne à la tête de plusieurs milliers de soldats turcs pour que l’ordre
soit rétabli.
Au Maghreb, la fragmentation politique qui succéda à l’unité omeyyade
recoupa les grandes zones d’influence berbère et tout d’abord celle des
tribus de la confédération zénéte qui s’étaient ralliées à la rébellion. Après
la rupture religieuse et politique avec l’Orient le monde berbère avait donc
quasiment retrouvé son indépendance. À cette époque il était encore
ethniquement quasiment « préservé », l’apport démographique arabe étant
comme nous l’avons dit, négligeable, à l’exception de noyaux dans
certaines villes.
Les Berbères qui avaient trouvé dans le karijisme le levier de la lutte
contre la domination arabe, s’en détachèrent ensuite pour revenir à
l’orthodoxie sunnite à partir du moment où cette dernière ne fut plus une
menace pour leur indépendance. Ainsi :
« Le kharijisme, qui semblait avoir arraché presque toute la Berbérie à
la Sunna, préparait de loin le retour à l’orthodoxie, par le fait même
qu’il libérait l’Afrique du joug des califes orientaux. Le jour où la
Sunna apparaîtra aux Berbères libre de toute attache avec une
domination orientale, elle cessera de leur être suspecte. » (Terrasse,
1949 : 104)
Parmi les États se réclamant du kharijisme sufristite, le royaume des
Berghwata survécut jusqu’au XIIe siècle. Fondé en 742 par Tarif, un Berbère
zénète, il s’étendait sur une partie de l’actuel Maroc atlantique, entre le Bou
Regreg (Salé) et Azemmour47. Le second royaume fut celui de Sijilmassa,
également connu sous le nom de royaume des Beni Wasul, du nom de
sa dynastie. Fondé en 757 dans le sud marocain par des Berbères miknassa,
il se maintint jusqu’en 909 au prix de conversions successives48. À
Tlemcen, un autre Zénète, Abu Kurra, fonda en 742 un royaume qui eut une
brève destinée puisqu’il disparut en 789 sous les coups des Idrissides
comme nous le verrons plus loin.

3. Les nouveaux États du Maghreb (Rustumide,


Idrisside, Aghlabide)
Le Maghreb après la révolte berbère
En 740, les Berbères marocains se révoltèrent contre l’oligarchie arabe au nom du
kharijisme, doctrine égalitaire selon laquelle tous les membres de la Umma étant
égaux, il n’était donc pas acceptable que les Arabes constituent une oligarchie
dominant la masse des croyants. Pour les Omeyyades puis pour les Abbassides,
cette hérésie était évidemment inacceptable car elle menaçait l’essence même de
leur pouvoir devenu temporel.
La révolte kharijite éclata dans le nord du Maroc, puis elle s’étendit ensuite à tout le
Maghreb. En 771, les divers groupes kharijites coalisés sous les ordres d’Abou-Qorra
battirent l’armée abbasside avant d’assiéger ses survivants dans Kairouan. Plusieurs
royaumes se développèrent ensuite en Berbérie.
– Dans l’ouest de l’actuel Maroc, le royaume des Barghwata qui tire son nom de la
tribu berbère éponyme – les Baquates des Romains –, fut fondé vers 742. Il
s’étendit sur une partie de l’actuel Maroc atlantique, entre le Bou Regreg (Salé) et
Azemmour. Sa base ethnique était composée de tribus masmouda rassemblées
autour des Barghwata.
– Le royaume de Sijilmassa ou royaume des Beni Wasul, du nom de sa dynastie, fut
fondé en 757 dans le sud marocain par des Berbères miknassa et il se maintint
jusqu’en 909.
– Le royaume rustumide de Tahert fut fondé vers 770 par un kharijite persan nommé
Abd er-Rahman ibn Rustum (Rostem). En 784, son fils, Abd al-Wahhab (784-823)
lui succéda. Les Rustumides furent les alliés des Omeyyades de Cordoue contre les
Aghlabides arabes de Kairouan fidèles aux Abbassides.
Aux deux extrémités du Maghreb, deux royaumes non kharijites se développèrent.
Celui qui fut fondé par les Idrissides (788-974), dans l’actuel Maroc était arabo-
berbère, alors que celui qui le fut par les Aghlabides, dans l’actuelle Tunisie et sur
une partie de la Tripolitaine, était authentiquement arabe.
– Le royaume Aghlabide d’Ifrikiya (800-909) fut fondé par un Arabe du nom d’Ibrahim
ben al-Aghlab, nommé par le calife Haroun al-Rachid.
– Le royaume idrisside fut fondé par Idriss, un descendant d’Ali par Hassan. Comme
en plus d’être de la famille du Prophète, il était l’ennemi des Abbassides, donc du
pouvoir arabe oriental, en 788 ou en 789, les Berbères le proclamèrent Imam.
Harun al-Rachid le calife abbasside de Bagdad (786-809) le fit assassiner en 791.
– En 803, Idriss ben Idriss qui avait alors onze ans fut proclamé sous le nom
dynastique d’Idriss II (803-828) et il installa sa capitale à Fès. Le 18 août 828, il
mourut, probablement empoisonné.
– Le royaume idrisside s’étendait sur le nord de l’actuel Maroc, englobant la région de
Tlemcen à l’est, allait jusqu’au Tadla au sud et comprenait les plaines atlantiques,
sauf le royaume des Barghwata à l’ouest. Avec les Idrissides, le Maroc se sépara
définitivement de l’Orient en rompant ses liens d’allégeance avec les Abbassides de
Bagdad et le califat y fut remplacé par le sultanat, fondant ainsi l’autonomie du
royaume.
– À la mort d’Idriss II, le Maghreb était divisé en trois grandes zones : celle sous
l’autorité des Idrissides à l’ouest, celle sous l’autorité des Kharijites au centre
(Tahert), et celle sous l’autorité des Aghlabides arabes à l’est.
Dans la région de Tripoli et dans le sud de l’actuelle Tunisie, plusieurs
États ou principautés se réclamant du kharijisme ibadite étaient apparus
avant 750. À la différence des entités kharijistes sufritistes de l’Ouest du
Maghreb, ils avaient été créés par des Arabes avant de passer sous le
contrôle des Berbères de la tribu des Nefusa. En 748, les Omeyyades
reprirent le contrôle de la région pour quelques années à peine puisqu’en
754 et en 758, le kharijisme ibadite fut à nouveau maître de Tripoli, puis de
Kairouan où s’installa un Persan nommé Abd el-Rahman ben Rustum,
fondateur de l’État rustumide.
En 761, les Abbassides prirent Kairouan d’où Abd-el-Rahman ben
Rustum réussit à s’échapper avant de trouver refuge à Tahert (Tiaret) où il
fonda un État qui se maintint jusqu’en 910 et dont il fut proclamé Imam. Le
calife abbasside Abou Jafar al-Mansour (754-775) rétablit en théorie
l’autorité orientale sur l’est du Maghreb, l’Ifrikiya, mais l’anarchie y fut
totale. En 800, avec réalisme, le calife Haroun al-Rachid (786-809)
reconnut l’indépendance de fait de la région quand il décida d’y confier le
pouvoir à un gouverneur arabe, Ibrahim ben al-Aghlab, qui y fut nommé
gouverneur héréditaire. Ce fut le fondateur du royaume aghlabide qui
survécut jusqu’en 904.
Un paradoxe a été souligné par Henri Terrasse :
« La Berbèrie […] reçoit d’Orient presque tous les chefs de ses
premiers États musulmans. Ibrahim ben Aghlab, Ibn Rostem (Rustum),
[…], Idris, sont tous des Orientaux. […] chez ces Berbères qui venaient
de rejeter la domination arabe, les Orientaux qui pouvaient se réclamer
d’une illustre naissance et surtout qui se présentaient comme des chefs
religieux, des guides dans l’islam, avaient toutes chances d’être bien
accueillis. Du fait qu’elle avait adopté l’Islam, la Berbèrie, bon gré, mal
gré, devait se tourner plus ou moins vers l’Orient. » (Terrasse, 1949 :
109)
Auréolé de sa légitimité de sang avec le Prophète, le shiisme vint ensuite
peu à peu supplanter le kharijisme chez les Berbères. Il est insolite de
constater que ces derniers abandonnèrent donc leurs revendications
égalitaires incarnées par le kharijisme au profit d’un ordre théocratique et
aristocratique représenté par le shiisme.
Tout était parti de l’échec des révoltes shiites de 762 et de 786 menées à
La Mecque et à la suite desquelles nombre de fugitifs étaient venus s’établir
au Maghreb. Parmi eux, Idriss arriva à Tanger avant de s’installer à Oualili
(Volubilis) où il fut accueilli par Ishaq ben Mohamed, le chef de la tribu
berbère des Awarba. Cette tribu avait eu un étonnant destin. Originaires des
Aurès, les Awarba avaient ainsi participé à la résistance à la conquête
arabo-musulmane sous les ordres de leur chef Qusayla. Après leur défaite,
certains clans Awarba étaient partis vers l’Ouest pour s’installer dans le
nord de l’actuel Maroc. Plus tard ils avaient embrassé l’Islam sans que nous
sachions ce que furent les modalités de leur conversion. Les Awarba
appartenaient à une puissante coalition berbère qui contrôlait tout le nord de
l’actuel Maroc. Pour eux, Idriss était un homme doublement important car,
en plus d’être de la famille du Prophète, il était l’ennemi mortel des
Abbassides49.
Idriss fut proclamé Imam et en 789 il fonda la ville de Fès avant de se
lancer à la conquête des régions voisines. Deveu maître de Tlemcen, il
représenta une menace pour le calife abbasside qui le fit assassiner en 791.
Son épouse berbère accoucha d’un garçon, le futur Idriss II qui élargit les
limites du royaume sans réussir toutefois à y incorporer les Bergwata. Ne
voulant pas dépendre de ses tuteurs berbères, il s’entoura d’Arabes venus
d’Espagne et d’Ifrikiya. Les rapports se tendirent donc peu à peu avec
Ishaq, le chef des Awarba et en 808, il le fit assassiner, puis il quitta Oualili
pour installer sa capitale à Fès.
À l’époque d’Idriss II, le Maghreb était divisé en trois grandes zones :
celle sous l’autorité des Idrissides à l’Ouest, celle sous l’autorité des
Kharijites au centre, et celle sous l’autorité des Aghlabides à l’Est. Vers
838, trois États karijites existaient : Sijilmassa (Sufrite), Zaoulia et Tahert
(Ibadites). Le long des plaines atlantiques de l’actuel Maroc, se maintenait
la Confédération des Berghwata que tous considéraient comme hérétique.
Quant à l’islam ibérique, il était dirigé par les émirs omeyyades de
Cordoue.

1. L’Église orthodoxe officielle byzantine et l’Église monophysite égyptienne.


2. Pour l’historique de la conquête musulmane en général, l’ouvrage de référence est toujours celui
de Mantran (1986). Voir aussi Bianquis (1997).
3. Nous adopterons le calendrier grégorien. L’an I du calendrier musulman est l’année 622.
4. Le Prophète Mohamed (Mahomet en français), appartenait à la tribu arabe des Beni Hachem dont
le centre politique était la ville de Yatrib. Elle était membre de la confédération des Kurashites qui
exerçait son pouvoir sur la région de La Mecque où se faisait un pèlerinage à une pierre cubique
(d’où le nom de Kaaba). Tombée blanche du Paradis elle serait devenue noire sous le poids des
pêchés des fils d’Adam. Un ange l’aurait remise à Abraham qui l’aurait transmise à son fils Ismaël,
le chargeant d’édifier un lieu de culte. Issus de la lignée d’Ismaël, les Arabes étaient les gardiens de
la Kaaba. Pour les musulmans, Dieu, qui avait décidé d’envoyer périodiquement des prophètes aux
hommes (Abraham, Moïse et Jésus), pour les guider, choisit Mohamed ibn’Abd Allah, pour donner
à l’humanité ses ultimes prophéties avant la fin du monde et le jugement dernier. Pour les
musulmans, Mohamed est donc le « Sceau des prophètes ».
5. D’où sera issue la dynastie des Abbassides.
6. C’était le fils de son oncle Abou Taleb qui l’avait élevé après la mort de son grand-père
Abdelmoutalib et qui avait épousé sa propre fille Fatima qu’il avait eue avec sa première femme
Khadija morte vers 620.
7. La ville deviendra Medinat-el-Nabi ou ville du Prophète, d’où le nom actuel de Médine.
8. La ville fut évacuée au début de l’année 636 et reprise aux Byzantins à la fin de l’année.
9. En 645, un corps expéditionnaire byzantin reprit possession d’Alexandrie et s’y retrancha plusieurs
mois avant d’en être chassé par les Arabes en 646.
10. Il était issu de la tribu des Beni Omeyya. Son père, Abou Soufiane, avait été un irréductible
adversaire du Prophète Mohamed.
11. En 658 ou en 659, Amr al-As sera à nouveau nommé gouverneur de l’Égypte par Moâwiya, le
futur calife (661-680).
12. Le Prophète Mohamed avait eu une femme copte nommée Maria qui lui avait donné un fils mort
en bas âge et il avait demandé à ses disciples de respecter les Coptes.
13. Le mouvement semble avoir très rapide puisque le dernier document bilingue grec-arabe date de
709. À la différence des Persans ou des Turcs qui conservèrent leurs langues respectives, les
Égyptiens abandonnèrent la leur et furent donc intégrés à l’ensemble linguistique arabe. Plus de la
moitié des Coptes se seraient convertis en moins d’un demi-siècle. Les musulmans auraient donc
été majoritaires en Égypte dès les années 700 ; vers 800, les chrétiens n’auraient pas dépassé 20 %
de la population. D’autres auteurs pensent que l’inversion des rapports démographiques en faveur
des musulmans ne serait pas faite avant les années 980-1000.
14. Interdiction de monter à cheval, interdiction des processions, interdiction d’arborer la croix en
public, obligation de porter un vêtement les distinguant des musulmans, etc.
15. Le monde arabe est divisé en deux. À l’Est, l’orient ou Machreq et à l’Ouest, l’Afrique du Nord
ou Maghreb. La partie la plus orientale de ce dernier fut désignée par les premiers conquérants
arabes sous le nom d’« Ifrîqîaya » (littéralement : Petite Afrique). Elle englobait la partie la plus
occidentale de l’actuelle Libye, la Tunisie et la partie orientale de l’Algérie.
16. À la mort d’Othman, le troisième calife, deux compétiteurs s’opposèrent, Ali, gendre du prophète
et héritier « automatique » en l’absence de descendance mâle et Moaouia, cousin d’Othman. Lors
de la bataille qui les opposa, Ali avait l’avantage quand Moaouia fit fixer des exemplaires du Coran
au bout des lances de ses cavaliers. De crainte de profaner le Livre Saint, Ali fit cesser le combat et
deux arbitres furent désignés pour dire le droit. Parmi les partisans d’Ali, certains qui refusèrent
l’idée même d’arbitrage, estimant que seul, Dieu était maître de juger, se séparèrent de lui et ils
furent désignés par le nom de kharijites ou dissidents. Plus tard, et nous le verrons plus loin, les
karijites contestèrent la nature même du califat, refusant que sa dévolution se fasse
automatiquement dans la famille du prophète, estimant que le calife devait au contraire être élu par
tous les musulmans sans exception.
17. Nous ignorons comment se fit l’islamisation des Berbères de Tripolitaine.
18. En arabe, Kairouan signifie « camp » ou « place d’armes ».
19. Son titre et son nom berbère étaient l’Aguellid Kusayla.
20. Qui était-il ? Probablement un berbère romanisé allié des Byzantins.
21. La ville de Tingi qui voulut résister aux Arabes fut enlevée de vive force et sa population vendue.
22. Il ne pouvait probablement pas faire autrement car il disposait essentiellement de cavalerie. Or, il
fallait du fourrage pour les chevaux. Une armée rassemblée aurait été incapable de s’en procurer et
c’est pourquoi il lui avait fallu la diviser en petits pelotons progressant à proximité les uns des
autres.
23. Une ville, Sidi Oqba, fut fondée près du lieu de sa mort.
24. Comme l’a démontré Ahmed Benabbès (2005), le périple d’Uqba ben Nafi est légendaire.
Inventée par les auteurs marocains tardifs, la présence d’Uqba ben Nafi, compagnon du Prophète
dans leur pays fonde en effet l’ancienneté des tribus berbères dans l’islam (Benabbès, 2005 : 484).
C’est ainsi que « […] les grandes tribus et les dynasties maghrébines ont […] rivalisé […]
d’ingéniosité, par le biais de leurs généalogistes, pour s’inventer des lignées prestigieuses et une
histoire qui les mettraient en vedette dès les premiers temps de l’Islam au Maghreb […] C’est alors
qu’ont commencé à s’accumuler les détails légendaires sur les pérégrinations lointaines d’Uqba ben
Nafi […] mêlant aux aventures du guerrier une impressionnante liste de tribus du haut Atlas
marocain. » (Modéran, 2005 : 438)
25. Notamment à Miskyna dans la région de Constantine, contre les troupes d’Hassan bin Numa qui
furent repoussées jusqu’à Gabès. En 695, elle remporta une nouvelle victoire dans la région de
Tabarqua.
26. Elle trouva la mort à proximité d’un puits qui porte encore son nom, Bir Kahina, à environ 50 km
au nord de Tobna.
27. « Comment la foi chrétienne, qui paraissait si vivante du IIIe au VIe siècle et qui se manifestait par
un nombre considérable de sièges épicopaux, a-t-elle pu disparaître dans sa totalité, laissant
seulement des ruines que les siècles effacent progressivement du sol africain ? […] Jusqu’au milieu
du VIIe siècle, le christianisme était culturellement dominant dans tout le Maghreb, notamment dans
la partie orientale. Dans les tribus berbères, il commençait à se répandre, surtout dans les
campagnes proches des villes. Il est probable que son enracinement n’avait quelque profondeur que
dans les milieux les plus romanisés, plus aptes à s’imprégner d’une culture chrétienne, exprimée en
latin ou en grrec, langues du pouvoir et du savoir » (Cuoq, 1984 : 174-175).
28. La compréhension du phénomène est complexe et ne peut se faire que par l’identification de deux
notions différentes trop souvent considérées comme synonymes : islam, concept religieux et
arabisme, concept ethnico-culturel. Tous les musulmans ne sont en effet pas des Arabes et tous les
Arabes ne sont pas musulmans. En Afrique du Nord, de la Libye au Maroc, si tous les Berbères
sont aujourd’hui musulmans, beaucoup ont néanmoins échappé à l’arabisation, notamment dans les
zones montagneuses des Kabylies, de l’Atlas ou dans certaines régions sahariennes. Or, il s’agit de
régions qui furent peu ou pas christianisées.
29. À Volubilis, la culture romaine survit cependant. Nous disposons en effet d’inscriptions
chrétiennes datant du VIIe siècle et nous savons que vers la rivière des Grenades, en contrebas de
l’ancienne cité, une ville nouvelle se créa et que les habitudes romaines y subsistèrent.
30. Christian Courtois (1942) pensait que la région n’avait été que superficiellement romanisée, que
sa latinisation n’avait été qu’apparente et que le monde berbère n’avait été, en définitive, que peu
ou même pas du tout été influencé par Rome.
31. 175 localités de l’actuelle Algérie, 141 de l’actuelle Tunisie et 4 de l’actuel Maroc étaient des
sièges épicopaux. Dans la seule Césarienne, en 484, il y avait 120 évêques catholiques (Février,
1990 : 155).
32. Victor Ier (189-199) ; Miltiade (311-314) ; Gélase Ier (492-496).
33. Tertullien, Cyprien, Augustin.
34. En définitive, le christianisme a-t-il affaibli à la fois la romanité et la berbérité ? Sans intervenir
dans ce vieux débat, notons simplement ce qu’écrivait Tertullien, ce Berbère carthaginois converti
au christianisme au début du IIe siècle dans le IIe livre de Ad nationes : « Il nous faut lutter contre
les institutions des ancêtres, l’autorité des traditions ». Ces propos d’une grande radicalité prenaient
même la forme d’un : « Discours provocateur dans une société dont la valeur suprême était
précisément le mos maiorum, les usages reçus des pères. Toute son argumentation – et l’argument a
longtemps servi – consistait à faire reconnaître que les lois de Moïse, et donc des chrétiens, étaient
plus anciennes. » (Février, 1990 : 163)
35. Contrairement à ce que soutenait l’historiographie ancienne, il est inexact d’attribuer aux
Vandales la dislocation de toute l’Afrique du Nord romaine.
36. Cependant, dès 525, sous le règne d’Hildéric le catholicisme orthodoxe s’était imposé à nouveau.
37. « Ici (au Maghreb) l’on trouve les belles esclaves berbères, de toison couleur de miel » Ibn
Khaldun.
38. Voir à ce sujet les études portant sur la génétique (Lucotte, 2003).
39. Le processus qui est bien connu des historiens est classique et s’est produit dans une certaine
mesure en Gaule quand les élites romano-gauloises ont germanisèrent leurs noms. Ici, le
phénomène fut facilité par le fait que les Berbères prenaient le nom de l’Arabe qui les avait
convertis, entrant ainsi dans sa propre généalogie, ce qui leur permettait de se rattacher à une des
tribus porteuses de l’islamisme originel.
40. Le Coran ne devant subir aucune altération de sens, il ne pouvait donc être traduit et la langue
arabe dut être obligatoirement apprise par les Berbères.
41. 711 : prise de Cordoue et de Tolède ; 712 : prise de Samarcande ; 713 : prise de Saragosse ; 715 :
prise de Narbonne ; 717-718 : siège de Constantinople ; 725 : prise de Carcassonne, etc. (Mantran,
1986).
42. En 721 les Berbères assassinèrent le gouverneur. La révolte fut ensuite périodiquement ranimée
au rythme des demandes exorbitantes des représentants omeyyades ; ainsi, en 734 quand celui de
Tanger demanda aux Berbères riffains d’acquitter leur impôt en esclaves.
43. Nous n’entrerons pas ici sur les quatre grandes subdivisions de cette doctrine, ce qui nous
entraînerait trop loin de notre sujet. Disons simplement que sur les quatre expressions du
Kharijisme, à savoir l’Azarikisme, le Nadjadatisme, le Sufritisme et l’Ibadisme, les deux premières
furent éliminées en Orient vers 693, soit avant la conquête définitive de l’Afrique du Nord berbère.
Vers 712-714, le Sufritisme et l’Ibadisme commencèrent à y être introduits.
44. Les Abbassides qui gouvernèrent le monde musulman jusqu’en 1258 tirent leur nom d’Abbas,
oncle du prophète Mohamed. Leur capitale fut déplacée de Damas à Bagdad. En 833 les Arabes
perdirent leur statut privilégié. La pension que leur servait l’État fut supprimée et ils furent
dispensés du service militaire. L’arrivée de la nouvelle dynastie, qui considérait les nouveaux
convertis à l’égal des Arabes marquait la fin de leur suprématie de conquérants.
45. Ou des Idrissides dans le cas du Maroc (Lugan, 2000 : 56-61).
46. Al-Aghlab, le gouverneur de l’Ifrikiya (l’actuelle Tunisie), fonda une dynastie indépendante en
800.
47. Au IXe siècle, l’un de ses souverains tenta une expérience originale de rupture avec l’arabisme par
la traduction du coran en berbère et par la tentative de transformer le fondateur de la dynastie en
prophète.
48. En 909, le royaume de Sijilmassa passa pour quelques semaines sous le contrôle des Fatimides,
puis les Beni Wasul reprirent le pouvoir en se ralliant à l’ibadisme, puis au sunnisme orthodoxe
avant d’être finalement éliminés par d’autres Berbères zénétes, les Beni Khazrun qui étaient les
alliés des Omeyyades d’Andalousie.
49. Idriss, descendant d’Ali par Hassan, venait de participer à la révolte alide de 786 qui s’était
terminée par une victoire abbasside.
Chapitre II.
L’Afrique du Nord du IXe au XVe siècle

Durant cette période, l’Afrique du Nord, connut de profondes mutations.


À l’Est, l’Égypte passa sous le contrôle de la dynastie turque des
Toulounides, puis sous celle des Fatimides installés par des contingents
berbères venus des Kabylies, avant d’être soumise aux Mamelouks. Dans la
partie orientale et centrale du Maghreb, les Zirides, auxquels les Fatimides
avaient confié l’administration de leurs conquêtes, furent incapables de
s’imposer aux autres tribus berbères. Durant la première moitié du XIe siècle
la région fut morcelée en plusieurs entités indépendantes, tandis qu’à
l’Ouest, les Berbères almoravides puis almohades, réunifièrent
provisoirement l’ensemble du Maghreb.

A. L’Égypte
En Égypte, Fatimides et Ayyubides exceptés, cette période vit l’entrée en
force des Turcs dans le pays.

1. L’Égypte sous les Toulounides (868-905)


En 868, sous le règne du calife abbasside Al-Moutaz (866-869), un préfet
d’origine turque, Ahmed ibn Touloun, devint peu à peu autonome par
rapport à Bagdad. Sous sa direction, puis sous celle de son fils
Khoumaraway, l’Égypte connut une période faste, jouant un rôle national
pour la première fois depuis l’époque des Ptolémées. Abandonnant Fostat,
Ahmed ibn Touloun décida de construire une nouvelle capitale, Kataf,
l’actuelle ville du Caire. Souverain bâtisseur, il couvrit le pays de
mosquées, de fontaines et de diverses autres constructions. Il fit même
restaurer partiellement le phare d’Alexandrie et cela, sans faire supporter
cette politique par la population qui vit au contraire ses impôts diminuer.
Inquiet de la montée en puissance de l’Égypte, le calife Al-Moutamid
(870-892) prit précisément prétexte des impôts que son gouverneur
égyptien ne lui versait plus en quantité suffisante et il décida de le démettre.
La guerre éclata alors et en 878 les troupes califales furent vaincues ; les
Égyptiens occupèrent la Syrie. Ibn Touloun mourut en 884 et son fils
Khoumaraway poursuivit les hostilités, contraignant le calife à lui
reconnaître, ainsi qu’à ses descendants le gouvernement de l’Égypte et de la
Syrie en échange d’un impôt annuel fixé à deux cent mille dinars. En 896,
Khoumaraway fut assassiné alors qu’il se trouvait à Damas.
En 905, le calife abbasside Al-Mouktafi (902-908) décida de faire rentrer
l’Égypte dans le droit commun califal et il y envoya une armée qui écrasa
celle des Toulounides. Au mois de janvier 905, Fostat fut prise. Redevenue
province du califat, l’Égypte fut confiée à des préfets d’origine turque qui
ne parvinrent pas à la pacifier.
En 935, sous le calife Al-Radi (934-940), un autre Turc, Mohamed Ibn
Toughdj (ou Tughg) fut nommé gouverneur d’Égypte avec pour mission de
défendre la frontière ouest du califat contre les Fatimides qui, depuis
l’Ifrikiya, se montraient de plus en plus menaçants, préparant même une
attaque majeure. En 939, il reçut le titre d’Ikhshid (serviteur) et réussit à
écarter la menace que les Berbères sahariens alliés aux Fatimides faisaient
peser sur la vallée du Nil.
À la mort de Mohamed ibn Toughdj, en 946, deux de ses fils lui
succédèrent, mais c’est le chef de son armée, un eunuque noir, Abou el
Misk Kafour1 qui exerça la réalité du pouvoir. En 966, à la mort du second
fils d’Ibn Toughdj, il devint le maître de l’Égypte et fut reconnu par le calife
abbasside. Il mourut en 968, au moment où, en Méditerranée orientale, la
reconquête byzantine se mettait en marche2. Au même moment, les
Fatimides, à la tête d’une armée berbère levée en Kabylie, s’avançaient vers
la vallée du Nil.
2. L’Égypte sous les Fatimides (909-1171)3
L’empire fatimide est né de la rencontre, lors d’un pèlerinage à
La Mecque, probablement en 893, d’Abou Abdallah al-Shi’i, un prédicateur
shiite ismaïlien et de membres de la tribu berbère des Kutama, une branche
des Sanhadja vivant en petite Kabylie. Ces derniers trouvèrent dans le
shiisme le moyen de combattre, non pas l’islamisation, mais l’arabisation.
Le pays kutama était en effet englobé dans le royaume aghlabide
représentant dans cette partie du Maghreb le pouvoir arabe sunnite des
califes abbassides de Bagdad.

Le « légitimisme » fatimide
« Les Fatimides – qui tirent leur nom de Fatima, fille du prophète et épouse d’Ali – ont
répandu la doctrine du chiisme – de shi’a, le parti. Résolument “légitimistes”, ils
enseignent que le khalifat doit revenir à la descendance d’Ali, les “gens de la
Maison”, et que les trois premiers califes qui se sont succédé depuis Abû Bakr –
pourtant qualifiés par la tradition de rashidûn, les “bien dirigés” – sont des
usurpateurs. Usurpateurs donc également les califes des Omeyyades et des
Abbassides, tous étrangers à la famille d’Ali et de Fatima ». (Decret, 2003)
C’est sous Ibrahim II (875-902), le troisième aghlabide, que la Kabylie
entra en rébellion. Attentifs aux paroles d’Abou Abdallah al-Shi’i, les
Kutama se levèrent en masse et déferlèrent depuis leurs montagnes, au nom
d’Obaid Allah, un Arabe qui se prétendait « descendant » du Prophète et
qui s’était proclamé Mahdi4. En 904 ils prirent Sétif, puis Kairouan, tandis
que le dernier aghlabide, Ziyadat Allah s’enfuyait en Égypte. L’armée du
Mahdi fit ensuite porter ses efforts vers l’Ouest et réduisit le royaume
kharijite de Tahert, avant de marcher sur l’oasis de Sijilmassa, étape
essentielle du commerce transsaharien.
En 912, Abou Abdallah qui s’était brouillé avec Obaid Allah fut mis à
mort et une partie des Berbères qu’il avait ralliés à la cause de ce dernier se
souleva. Cette révolte fut écrasée et le Mahdi en profita pour enrôler des
esclaves slaves afin de ne plus devoir dépendre totalement des Berbères.
Obaid Allah fonda une nouvelle capitale, Mahdia (la ville du Mahdi), dans
l’actuelle Tunisie, et il décida d’entrer en guerre contre le califat abbasside
de Bagdad. Mais il lui fallait pour cela faire sauter le verrou égyptien, or,
deux fois, en 914 et en 920, ce dernier résista.
Le Mahdi mourut en 934 et une période troublée s’ouvrit alors, laissant
mal augurer du règne de son fils, Abû al Quaim (934-946), qui l’emporta
difficilement sur les tribus berbères karijites soulevées contre son autorité.
Ismaël El Mansour (le victorieux) (946-952) lui succéda ; puis, sous le
règne d’el Mu’izz (952-975), la dynastie fatimide acheva d’asseoir son
pouvoir sur une partie du Maghreb. Désormais, tout était prêt pour la
conquête du califat oriental. En 969, une expédition fut lancée sous les
ordres d’un général d’origine slave nommé Djawar. L’armée fatimide était
alors composée essentiellement de contingents berbères majoritairement
Kutama et Beni Ziri5. La même année les troupes fatimides prirent Fostat et
Le Caire.
Les Fatimides avaient réussi à déplacer le cœur de leur pouvoir politique
de l’Ifrikiya à l’Égypte, d’un monde berbère très cloisonné, à une terre de
vieille civilisation ouverte sur ses périphéries. Cette réalité constitua
d’ailleurs la grande faiblesse de l’armée fatimide, composée de plusieurs
contingents homogènes ethniquement et qui se détestaient. En 970, les
éléments berbères de l’armée entrèrent en Palestine, prirent Ramhala, puis
Tibériade avant de s’emparer de Damas.
En Égypte, al Aziz (975-996), le successeur d’el Mu’izz, réforma en
profondeur l’armée fatimide en y incorporant de nombreux contingents
turcs6 grâce auxquels il se lança dans une ambitieuse politique en Palestine,
contre les tribus bédouines, et dans le nord de la Syrie contre la principauté
musulmane d’Alep devenue l’alliée des Byzantins.
Al-Hakim (996-1021), fils et successeur d’al Aziz, accéda au pouvoir
dans des conditions dramatiques car il n’était encore qu’un enfant à la mort
de son père. Profitant de la faiblesse du jeune calife, les divers contingents
ethniques7 composant l’armée fatimide s’entre-déchirèrent. Les premiers à
prendre les armes furent les Berbères qui avaient longtemps constitué la
force principale de la dynastie et qui acceptaient de plus en plus mal de se
voir supplantés par les Turcs. À la mort d’al Aziz, ils s’emparèrent du
pouvoir mais, en réaction, ils provoquèrent la constitution d’une coalition
rassemblant tous les autres contingents qui s’unirent pour les massacrer.
Durant le règne d’al-Hakim, l’Égypte fut menacée sur sa frontière ouest
par un membre de la famille omeyyade nommé Abu Rakwa qui avait réussi
à lever une armée composée de volontaires berbères zénètes et d’Arabes
issus de la tribu des Beni Kurra, installée en Tripolitaine. En 1006, Abu
Rakwa arriva jusqu’à Fostat et le régime fatimide ne fut alors sauvé que par
l’enrôlement de milliers de mercenaires nubiens. Al-Hakim souffrant de
maladie mentale, son règne fut largement incohérent. En 1009, il fit abattre
le Saint-Sépulcre à Jérusalem et contraignit chrétiens et juifs à la
conversion, avant de leur donner l’autorisation d’apostasier. Entre 1009 et
1014, il se livra à une sanglante persécution contre les Coptes8.
Sous ses successeurs, al-Zahir (1021-1035) et al-Mustansir (1035-1094),
la crise du régime prit de l’ampleur, cependant que l’armée, mal payée,
affaiblie par les luttes de clans était gagnée par l’indiscipline. En 1072, un
soulèvement militaire eut lieu en Égypte quand un général nommé Nasir el-
Dawla emprisonna le calife Al-Mustansir, reconnut le califat abbasside et
fit appel aux Turcs seldjukides. La dynastie fatimide fut alors sauvée par un
Arménien converti à l’islam, Badr el-Djamali, gouverneur de Palestine, qui
marcha sur l’Égypte à la tête d’une armée composée de soldats arméniens.
Au début de l’année 1074, il rétablit Al-Mustansir après avoir procédé à une
importante épuration de l’armée et de la fonction publique. Il écrasa ensuite
les troupes nubiennes qui s’étaient mutinées et qui pillaient la Haute-
Égypte. En 1077, il élimina la population berbère installée dans la région du
delta9.
En 1094, Badr al-Djamali et le calife al-Mustansir moururent et
l’anarchie gagna alors l’Égypte. Al-Afdal, fils de Badr al-Djamali installa
sur le trône le jeune al-Hasan, tandis qu’il écartait son frère aîné Nizar qu’il
faisait jeter dans un cachot. À partir de ce moment, la dynastie fatimide
cessa quasiment d’exister, ses représentants n’étant plus que le jouet des
chefs militaires qui exerçaient la réalité du pouvoir en se livrant de terribles
luttes.
3. L’Égypte de 1171 à la fin du XIVe siècle
Le Turc sunnite Nur al-Din (1116-1174), « maire du Palais » des califes
abbassides de Bagdad avait décidé de chasser les Croisés de Terre Sainte.
En 1154 il s’installa à Damas et entreprit donc la reconquête de la Syrie.
Devant le double jeu des Fatimides, il envoya en Égypte une armée
composée de Turcs et de Kurdes commandée par le Kurde Shirkuh.
Quelques mois plus tard, ce dernier mourut et son neveu Salah al-Din
(Saladin), le remplaça (1174-1193).
Al-Adid, le calife fatimide du Caire était dans une situation humiliante
car son État shiite était, de fait, placé sous la dépendance du calife
abbasside sunnite qui le faisait surveiller, chez lui, en Égypte, par un
général kurde également sunnite. Il décida alors de faire assassiner Salah al-
Din, mais ce dernier prit les devants en faisant massacrer la garde noire
fidèle au calife. En 1171, Al-Adid, le dernier calife fatimide mourut et la
prière fut dite au nom du calife abbasside de Bagdad. Le califat fatimide fut
aboli et l’Égypte regagna l’orthodoxie sunnite.
L’empire ayyubide10 sunnite fondé par un Kurde, succéda donc au califat
fatimide chiite d’origine arabe et à base ethnique berbère né en Ifrikiya.
En 1193, quand Salah al-Din mourut, les membres de sa famille
s’affrontèrent pour sa succession et cela au moment où les chrétiens
lançaient la cinquième croisade (1217-1219). Finalement, ce ne fut
qu’en 1240 qu’un pouvoir fort se réinstalla au Caire avec Al-Malik al-Salih,
arrière-petit-neveu de Salah al-Din.
La principale faiblesse de la dynastie ayyubide tenait à ses fortes
structures claniques et familiales étrangères plaquées sur la réalité sociale
égyptienne. C’est ainsi que l’armée, composée de Turcs et de Kurdes et
dont la subsistance était assurée par le système de l’ikta11 apparaissait
comme une force d’occupation vivant aux dépens de la population
égyptienne. C’est pourquoi les sultans décidèrent de ne fonder leur
puissance que sur les seuls Mamelouk. Avec ces derniers, l’Égypte disposa
dès lors d’une armée particulièrement efficace12.
En 1249, année où le roi de France Louis IX lançait la sixième croisade
en débarquant à Damiette, en Égypte, le sultan Al-Malik al-Salih mourait et
son successeur, Turanshah était absent du pays. La situation était favorable
aux Francs quand, près de Mansourah, les Mamelouks commandés par
Baybars l’emportèrent sur l’armée croisée décimée par les fièvres et
capturèrent le roi Louis IX. Quand Turanshah rentra d’Irak, il comprit que
les Mamelouks allaient se dresser contre lui et pour les reprendre en main, il
leur retira certaines de leurs possessions. Les Mamelouks ne l’entendirent
pas ainsi et ils l’assassinèrent. Turanshah, le dernier représentant de la
brève dynastie ayyubide éliminé, le chef mamelouk Koutouz fut proclamé
sultan le 12 novembre 125913.
Ce premier sultan mamelouk eut à affronter l’invasion mongole qui
débuta en 1258 et qui déferla sur le Proche-Orient dès 1259. Bagdad fut
prise et pillée et le calife abbasside Al-Mouztasim (1242-1258) assassiné.
Rien ne semblait pouvoir arrêter les envahisseurs quand, le 3 septembre
1260, non loin de Naplouse, en Palestine, les Mamelouks furent victorieux
et la tête du chef mongol Kitbouga portée au Caire. Les Mongols étaient
repoussés au-delà de l’Euphrate14 ; comme en 1249 face à Louis IX, les
Mamelouks avaient sauvé l’islam.
Le régime mamelouk nourrissait intrigues et complots car chaque
nouveau sultan étant porté par son clan, il s’empressait, aussitôt installé,
d’écarter de toutes les charges importantes les hommes de confiance de son
prédécesseur, lesquels ne pensaient plus qu’à se venger. Vingt-deux sultans
sur les quarante-cinq de la période mamelouke (1259-1517) arrivèrent au
pouvoir par la violence (Mansouri, 1992 : 31).

B. Le Maghreb jusqu’au XIIIe siècle


Au Maghreb, cette période fut d’abord celle de la dislocation, suivie à
l’Ouest par la constitution des deux empires berbères, celui des
Almoravides et celui des Almohades, cependant que des tribus arabes
venues d’Orient commençaient à entamer le bloc ethnique berbère.

1. La dissociation
Dans l’extrême ouest du Maghreb, après la mort d’Idriss II survenue en
828 (ou en 829), son royaume avait été, selon la coutume berbère, morcelé
entre sept de ses dix fils placés sous la suzeraineté de l’aîné, Mohamed. Il
n’y avait pas eu de remise territoriale comme bien personnel à chacun, mais
une responsabilité administrative régionalement déléguée par Mohamed qui
était demeuré le seul souverain ayant autorité sur ses frères lesquels, en
théorie ne faisaient qu’administrer les provinces en son nom. La décadence
débuta en 848 quand Yahia II succéda à son père Mohamed. Monarque
incompétent et dépravé, il laissa ses oncles gouverner à leur guise les
territoires qu’ils s’étaient mis à considérer comme leurs biens propres et,
petit à petit, une dissociation de fait se produisit.
Yahia II mort sans héritier en 859, la branche aînée des Idrissides perdit
alors le pouvoir et il s’ensuivit une dislocation territoriale et des guerres
civiles qui durèrent jusqu’en 985. Pris entre les feux croisés des Fatimides
orientaux et des Omeyyades de Cordoue qui s’opposaient, les principautés
idrissides disparurent les unes après les autres. C’est ainsi qu’en 920, Fès
tomba aux mains d’une armée berbère dirigée par Messala ben Mabbous,
gouverneur de la principauté de Tahert aux ordres des Fatimides et en 974,
les derniers émirs idrissides repliés dans la région de Tanger furent défaits
par une armée venue d’Espagne. Entre 984 et 986, les Omeyyades
d’Espagne réussirent à prendre le contrôle du nord du Maroc.
Dans la partie orientale du Maghreb, pendant que les Fatimides
constituaient leur empire oriental, les possessions qu’ils avaient
abandonnées pour se lancer à la conquête de l’Égypte avaient été confiées à
Bologin, un Berbère sanhaja (?-984)15 qui était le chef de la tribu des
Kutama. En 971-972, Bologin écrasa les Beni Ifren et les Magrawa. Ces
tribus membres de la confédération berbère zénéte, rivale des Sanhajiens, se
réfugièrent dans l’actuel Maroc avant de se mettre sous la protection du
Califat omeyyade de Cordoue auquel elles firent allégeance.

En 972, quand le Fatimide el-Mu’izz décida de rejoindre son armée en Égypte, il


laissa l’administration de toutes ses possessions maghrébines à Bologin, fils de Ziri
ibn Menad – d’où le nom de Ziride donné à la dynastie que ce dernier fonda. Le relais
des Fatimides fut donc pris par les Zirides, Berbères sanhaja qui furent les maîtres du
Maghreb central de 972 à 1014.
En 973, Bologin s’installa à proximité de Kairouan et il confia à son fils aîné Hammad
ben Bologin, le gouvernement de ses possessions de la région de Bougie. Bologin
qui mourût en 984 eut pour successeur son fils Al-Mansur ben Bologin (984-996) qui
combattit certains de ses frères et de ses cousins. Appuyé par son frère Hammad, il
réussit à reprendre en main les dissidents familiaux.
En 1014, sous le règne de Badis Al-Mansur ben Bologin (996-1016) le domaine des
Zirides se coupa en deux après qu’Hammad ben Bologin (1014-1028), oncle du
souverain, eut fait sécession, ce qui donna naissance à deux royaumes zirides
rivaux :
– le premier, celui des Zirides demeurés fidèles à Badis (les Badisides) était centré
sur l’actuelle Tunisie et il eut pour capitale Mahdiya. En 1048 ce royaume rejeta la
suzeraineté du Califat fatimide du Caire en prenant un prétexte religieux qui était le
retour à l’orthodoxie sunnite ;
– le second, celui des sécessionnistes zirides, ou royaume hammadide, du nom de
Hammad, oncle de Badis, s’étendait dans la région de Bougie, avec pour limites
approximatives, Alger à l’ouest et les Aurès au sud-est. Indépendant du pouvoir
ziride de Kairouan-Mahdiya, il abandonna lui aussi, à la fois le chiisme et le calife
fatimide pour se rallier au calife de Bagdad et à l’orthodoxie sunnite.
Les deux dynasties zirides cousines se combattirent. En 1014, Badis ben al-Mansour,
successeur de Badis al-Mansour ben Bologin, vint attaquer son oncle Hammad ben
Bologin puis, en 1015, une paix fut signée. Quand Badis ben al-Mansour mourut en
1016, son fils et successeur, Al Muizz ben Badis n’avait que 8 ans.
Les Badisides eurent une histoire sans grands bouleversements alors que les
Hammadides s’entre-déchirèrent avant de disparaître avec Yahia ben Abd-el-Aziz
(1121-1152).
Ce fut sous les Hammadides, les Zirides et les Badisides que se produisirent les
invasions des tribus arabes hilaliennes. Les Hammadides s’allièrent aux Hilaliens afin
d’attaquer le royaume berbère ifrénide de Tlemcen qu’ils détruisirent en 1058.
Au même moment, l’ouest du Maghreb subissait l’intrusion de nomades berbères
sahariens, les Almoravides.

Durant la première moitié du XIe siècle, les campagnes égyptiennes


avaient été dévastées par les incursions de Bédouins venus d’Arabie.
En 1050, afin d’éloigner les plus turbulentes de ces tribus16, les Fatimides
avaient décidé de les envoyer dans le Maghreb afin de punir les Zirides qui
avaient rompu avec eux17. L’arrivée de ces tribus arabes changea la
physionomie du Maghreb. Jusque-là Berbère, il devint en effet arabo-
berbère car nombre de ces derniers furent absorbés par les nouveaux venus.
De plus, l’économie régionale subit une forte mutation dans la mesure où
dans bien des régions de plaines, les cultivateurs berbères abandonnèrent
leur terre aux envahisseurs qu’Ibn Khaldoun décrit dans les termes
suivants :
« Semblables à une nuée de sauterelles, ils détruisaient tout sur leur
passage […] Si les Arabes ont besoin de pierres afin de caler leurs
marmites sur un foyer, ils dégradent les murs des bâtiments afin de se
les procurer ; s’il leur faut du bois pour en faire des piquets ou des mâts
de tentes, ils détruisent les toits des maisons » […] (cité par Decret,
2003)

L’arabisation de la Berbérie
Au début du VIIIe siècle, les tribus arabes Qays originaires du nord de l’Arabie, étaient
entrées en Égypte par le Sinaï. Au Xe siècle, leurs parents Beni Hilal, Beni Mâqil et
Beni Sulaim (Solaim) avaient migré vers le Maghreb où elles pénétrèrent en 1050,
bouleversant en profondeur le monde berbère. Cette migration :
« […] affectant des tribus entières (est) comparable à celle des peuples
germaniques qui, un demi-millénaire plus tôt, avaient mis fin à la domination
romaine en Occident ; mais pour les Beni Hillal il ne s’agissait pas, à proprement
parler, d’une conquête. Il n’était pas dans l’intention de ces Bédouins de créer des
États, ce dont ils n’avaient aucune conception […] les nomades arabes ébranlent
puis détruisent les zoyaumes ziride (Tunisie) et hammadide (Algérie orientale et
centrale), pillent consciencieusement le plat pays, font fuir les sédentaires,
accordent leur alliance, temporaire et souvent défaillante au moment critique, aux
princes berbères qui, en échange, leur concèdent des territoires. Ceux-ci une fois
mis en coupe réglée, les Beni Hilal tournent leurs regards vers d’autres horizons,
vers d’autres « printemps » comme ils disent, où leurs troupeaux trouveront de
nouveaux pâturages et les guerriers des villes à piller ou à rançonner durement […]
en moins de trois siècles, les Hilaliens font triompher leur genre de vie et
réussissent, sans l’avoir désiré, à arabiser linguistiquement et culturellement, la plus
grande partie d’une Berbérie qui ne mérite plus son nom.
Tout se passe comme si la vie citadine, susceptible de maintenir, vaille que vaille, la
notion d’État, s’était contractée dans la zone la plus septentrionale, abandonnant les
Hautes plaines et la steppe aux descendants des Beni Hilal qui pratiquaient un
élevage extensif et poursuivaient un déboisement catastrophique. […] L’arrivée des
Arabes bédouins devait transformer radicalement le visage de la berbérie et
l’arabiser en grande partie. C’est une étrange et à vrai dire assez merveilleuse
histoire que cette transformation ethno-socio-linguistique d’une population de
plusieurs millions de Berbères18 par quelques dizaines de milliers de Bédouins […].
En quelques siècles, la Berbérie qui était depuis longtemps islamisée s’est en
grande partie arabisée (ce qui n’est pas la même chose) et les États du Maghreb se
considèrent aujourd’hui comme des États arabes […] Les contingents nomades
arabes, qui parlaient la langue sacrée et en tiraient un grand prestige auprès des
autres musulmans, loin d’être absorbés par la masse berbère, servirent de modèles,
l’attirèrent à eux […] Cette assimilation était facilitée par une fiction juridique :
lorsqu’un groupe devient le client d’une famille arabe, il a le droit de prendre le nom
de son patron comme s’il s’agissait d’une sorte d’adoption collective. » (Camps,
1992 : 151-164)
C’est ainsi qu’insensiblement, les régions berbérophones ne furent bientôt plus que
des isolats montagnards. Certains Beni Maqil se dirigèrent ensuite vers la Mauritanie
actuelle où ils donnèrent naissance aux tribus Hassan.

Ce fut donc durant la première moitié du XIe siècle, que l’Ifriqiya fut
confrontée aux tribus arabes Beni Hilal, Beni Soleim (ou Sulaim) et Beni
Maqil, subdivisées en plusieurs clans dont les Atbej, les Riyah et les
Zoghba, qui avaient été lancées sur ces régions par les souverains fatimides
du Caire, pour punir les Zirides et les Hammadides de s’être soustraits à
leur influence.
La première tribu qui pénétra en Ifrikiya fut celle des Beni Riyah
conduite par Munis ben Yahia. Les Zirides s’allièrent ainsi à certains clans
hilaliens et ils autorisèrent les Beni Riyah à s’installer dans le Hodna, en
échange de leur aide contre les Hammadides qui, eux, s’appuyèrent sur les
Athbej. Quant aux Hafsides de Tunis, ils engagèrent à leur service les
Kooub, une fraction des Beni Soleim, tandis que le Zénète Yaghmorassen,
fondateur du royaume abd-el-wadide de Tlemcen s’appuyait sur les Zoghba
(Camps, 1992 : 163).
Installés dans le Hodna, les Beni Riyah mirent le pays en coupe réglée et
les Zirides décidèrent donc de les chasser, mais, en 1052, à Haydaran dans
la région de Gabès, leur armée fut battue.
En 1057 Kairouan fut prise et pillée. La chute de Kairouan eut des
conséquences considérables car ses élites lettrées qui échappèrent au
massacre prirent le chemin de l’exil et allèrent se réfugier à Fès où fut créé
le quartier des Kairouanais, à Tunis ou encore en Espagne. L’anarchie
s’empara de l’ancien royaume ziride. Sur les ruines de l’unité ziride se
constituèrent alors des pouvoirs locaux, certains arabes, d’autres dirigés par
des Zirides autonomes dont le principal fut celui de Tunis avec les Banu
Khurasan.
De leur côté, les Hammadides s’appuyèrent sur les Atbej mais, très vite,
les relations se tendirent et, par deux fois, en 1050 puis en 1051, les
Hammadides furent battus par les nouveaux venus, cependant que les
Zoghba et les Riyah dévastaient Béja.
Avec l’arrivée de ces tribus arabes le mode vie des habitants de l’Ifrikiya,
l’actuelle Tunisie, fut bouleversé en profondeur. Cette vieille région berbère
qui, depuis le néolithique, était essentiellement agricole vit en effet le
pastoralisme et le nomadisme l’emporter. Au même moment, l’ouest du
Maghreb subissait l’intrusion d’autres nomades, mais Berbères ceux-là, les
Almoravides qui surgirent du Sahara.

2. Le « feu de paille » almoravide19


Vers 1039-1049, dans l’extrême ouest saharien, nomadisaient les
Guddala (ou Djoddala), les Lamtuna (ou Lemtuna) et les Massufa, trois
tribus berbères Sanhaja originaires de l’Adrar et dont les membres avaient
été superficiellement islamisés dans les années 850. Vers 1035, l’émir des
Guddala, Yahia ben Ibrahim avait fait le pèlerinage de La Mecque et à
Kairouan. Sur le chemin du retour, il avait rencontré Abd Allah ben Yacin,
un Berbère originaire de la région de Sijilmassa, dans l’extrême sud
marocain, qui voulait prêcher la « vraie » foi, le sunnisme, et le « vrai »
droit islamique, le malékisme20.
Les deux hommes décidèrent de fonder, avec deux chefs lamtuna et
septnotables guddala, une petite communauté religieuse (ou ribat) et
guerrière qu’ils installèrent sur l’île Tidra, à la hauteur du banc d’Arguin
dans l’actuelle Mauritanie. Comme ils portaient le voile, le litham, qui
dissimulait la partie inférieure de leur visage, alors qu’une autre pièce
d’étoffe leur couvrait la tête jusqu’au-dessus des yeux, ils étaient désignés
sous le nom de moulathimoun, les « Voilés » d’où le nom Almoravide. Ces
guerriers gagnèrent rapidement une réputation d’invincibilité. De fait, il ne
leur fallut qu’une dizaine d’années, de 1042 à 1052, pour conquérir le
Sahara occidental. Cependant, les Guddala qui avaient été les initiateurs du
mouvement furent supplantés par les Lamtuna contre lesquels ils
combattirent avant de se séparer du mouvement.
En 1056, conduits par Abou Bakr, un Lemtuna, les Almoravides
s’emparèrent de toute la région du Tafilalet et de la ville de Sijilmassa, puis,
ils marchèrent vers l’Ouest atlantique où Ibn Yasin fut tué en combattant les
Berghwata. Bientôt, la puissance almoravide maîtrisa tout l’espace
s’étendant du Sénégal au nord du Maroc. En 1070 les Almoravides
installèrent leur capitale à Marrakech et la même année, en raison d’un
soulèvement de certaines tribus berbères sahariennes, Abou Bakr retourna
au désert, laissant à un cousin, Youssef ben Tachfin, le commandement des
conquêtes du Nord. En 1072, il revint au Maroc avant de retourner
définitivement vers le Sud où, en 1076, il conquit le Ghana. À partir de ce
moment l’empire almoravide fut coupé en deux entités qui eurent chacune
leur champ d’expansion. Au Nord, le Maghreb et l’Andalousie, au Sud Gao,
le Ghana et Tedmaka.
Au même moment, en Espagne, rien ne semblait pouvoir arrêter la
reconquista chrétienne, et c’est pourquoi il fut décidé de faire appel aux
Almoravides. Au mois de juin 1086, les « Voilés » répondirent
favorablement et en octobre 1086, les armées chrétiennes étaient battues.
Les Almoravides avaient fait triompher l’étendard de l’Islam et avaient
stoppé la première reconquête chrétienne. Le fondateur de la puissance
almoravide, Youssef ben Tachfin allait régner du Tage au Sénégal sur
l’« Empire des deux rives » qui constitua au début du XIIe siècle une
puissance redoutable, aussi inquiétante pour les royaumes chrétiens
d’Espagne que pour ses voisins musulmans du Maghreb oriental, Zirides ou
Hammadides.
Composite, l’empire almoravide se trouva très vite confronté à l’hostilité
grandissante des populations rassemblées sous son autorité. L’Andalousie
musulmane, riche et raffinée, supporta en effet mal la domination de ces
Berbères sahariens puritains. Quant aux Berbères de l’Atlas marocain,
jamais réellement soumis par eux, ils allaient bientôt soulever contre les
hommes au litham les populations qu’ils avaient subjuguées moins
d’un siècle plus tôt.
La désintégration se fit en effet à la fois dans Al-Andalus et au Maroc. En
quelques décennies, l’élan irrésistible qui avait conduit les Almoravides du
désert jusqu’aux pieds des Pyrénées se relâcha, nombre de féodaux
andalous qui ne supportaient plus le pouvoir des Almoravides n’hésitant pas
à se rapprocher des princes chrétiens. L’empire entra alors dans la phase de
décomposition qui allait le conduire à sa chute.

3. Les Almohades et l’unification du Maghreb21


À l’appel de Mohamed ibn Toumert, Berbère masmouda originaire de
l’anti-Atlas, les Berbères montagnards se dressèrent contre les
Almoravides, Berbères sahariens. Après sa mort, survenue vers 1130, son
successeur Abd el Moumen lança les Al-Mowahidou22 à la conquête du
Maroc. La lutte pour Marrakech, capitale des Almoravides, fut acharnée. La
ville fut finalement enlevée en mars 1147 et livrée à trois jours de pillage
tandis que ses défenseurs ainsi que tous les représentants de la lignée
almoravide étaient massacrés23.
Abd el Moumen se tourna ensuite vers l’est du Maghreb confronté depuis
un siècle aux envahisseurs arabes Beni Hilal, Beni Suleim et Beni Mâqil,
lancés, comme nous l’avons vu, sur ces régions par les souverains
Fatimides du Caire. Loin de les repousser, Zirides et Hammadides avaient
utilisé les nouveaux venus. C’est ainsi que les Zirides s’étaient alliés à
certains clans hilaliens (de Beni Hilal), dont les Riyah pour combattre leurs
cousins Hammadides, tandis que ces derniers s’appuyaient sur les Athbej.
Quant aux Hafsides de Tunis, ils engagèrent à leur service les Kooub, une
fraction des Beni Solaim, tandis que le Zénète Yaghmorassen, fondateur du
royaume abd-el-wadide de Tlemcen s’appuyait sur les Zoghba (Camps,
1992 : 163).
Ces « alliances » consacrées par des mariages étaient cependant fragiles,
les Bédouins n’ayant en vue que leur propre intérêt. C’est ainsi que, comme
nous venosn de le voir, les Hammadides furent battus par eux en 1050, puis
en 1051. Les Riyah prirent Béja (Bougie) et les Zoghba, Tripoli.
Les Berbères almohades lancés à la conquête de l’ensemble du
Maghreb24 allaient donc devoir affronter les tribus bédouines arrivées
d’Orient. Sentant la menace qui pesait sur elles, ces dernières s’unirent
mais, en 1152, à Sétif, Abd el Moumen les écrasa. Il prit ensuite une
décision lourde de conséquences : au lieu de les refouler vers l’Est, il les
installa dans le Maghreb occidental, dans des régions jusque-là
exclusivement berbères. Ce choix s’expliquait par son souci de rassembler
toutes les forces de l’Islam en vue de la guerre sainte qu’il allait devoir
livrer dans Al-Andalus où la reconquête chrétienne s’accélérait.
Désormais, les tribus hillaliennes constituèrent le djish des Almohades,
leur devant le service militaire en échange de la dispense du kharadj et de la
reconnaissance de nombre d’avantages (Benabdallah, 1994 : 37-38).

Ce furent donc ces Berbères qui ouvrirent le Maroc aux Arabes, leur
livrant même les plaines atlantiques ainsi que les steppes du sud et de l’est
de l’Atlas (Idriss, 1991 : 89). Sous le règne de Jacoub al Mansour (1184-
1199), les tribus arabes Riyah, Jochem, Athbej, Sofyan Khlot, Atrej et
Zoghba reçurent ainsi l’autorisation de s’installer dans les riches plaines
atlantiques, alors peuplées par plusieurs tribus masmouda aujourd’hui
disparues, dont les Doukkala, les Regrada, les Dghoug, les Maguer, les
Mouctaraia, les Barghwata et les Hazmir (Benhima, 2008 : 106 et
suivantes). Ces Berbères furent en partie refoulés vers l’Atlas, cependant
que ceux qui restèrent s’assimilèrent peu à peu aux Arabes ; à telle enseigne
qu’aujourd’hui, la plupart des habitants des Doukkala sont persuadés qu’ils
sont d’origine arabe25.
Certains Beni Maqil se dirigèrent ensuite vers la Mauritanie actuelle où
ils donnèrent naissance aux tribus Hassan.
Moins d’un siècle après avoir fait appel aux Almoravides, l’islam
ibérique fut contraint de se tourner à nouveau vers le Maroc et en 1147,
l’année même de la prise de Marrakech, Abd el Moumen lui envoya des
secours. En 1160, il franchit en personne le détroit et fit reculer le front
chrétien avant de rentrer à Marrakech où il mourût en 1163, au moment où
il préparait une nouvelle expédition. Il fut inhumé à Tinmel, auprès d’Ibn
Toumert.
Le déclin almohade débuta près la victoire chrétienne de Las Navas de
Tolosa (16 juillet 1212). En 1236, Cordoue, l’ancienne capitale du califat
Omeyyade redevint chrétienne. Valence fut prise en 1238 et en 1245, les
chrétiens étaient maîtres de l’ensemble du Levant. En 1249, c’était le tour
de Séville, suivie de Cadix et de Huelva. Devenu vassal du royaume de
Castille, le royaume de Grenade demeurait la dernière position musulmane
dans la péninsule Ibérique.
L’échec en Espagne était donc patent, mais il y avait encore plus grave
pour la dynastie almohade dont l’autorité était menacée au Maroc même par
la tribu berbère des Beni Merine, membre de la famille zénète et qui allait
bientôt fonder une nouvelle dynastie, celle des Mérinides.
Les Almohades avaient donné au Maroc médiéval sa plus grande
extension en même temps que l’éclat d’une civilisation née de la symbiose
qu’avait réalisée, en l’espace d’un peu plus d’un siècle, la vitalité des
peuples berbères et les raffinements de la culture andalouse.

C. Le Maghreb après les Almohades


Après les Almohades, trois dynasties dominèrent le Maghreb. Les
Hafsides (1229-1574) à Tunis, les Abd el-Wadides ou Zayyanides (1235-
1554) à Tlemcen et les Merinides (1258-1420) au Maroc. Ces trois pôles
politiques maghrébins qui rappelaient les trois royaumes berbères pré-
Romains, eurent des orientations différentes. À l’extrême ouest, le Maroc
exerça une influence à la fois vers le Sud saharien, vers la péninsule
ibérique et, quand il était puissant, vers l’est maghrébin. À l’Est, le royaume
de Tunis était en quelque sorte « à cheval » entre l’Égypte et le Maroc,
regardant à la fois vers l’Est et vers l’Ouest. Au centre, le royaume de
Tlemcen, était comme pris en tenaille par ses deux voisins, réussissant à
certains moments à desserrer leur étreinte, mais devant le plus souvent la
subir.

1. Les Hafsides (1229-1574)


Au début du XIIIe siècle, tout le Maghreb était sous domination almohade
mais ces derniers déléguaient le pouvoir local à des gouverneurs. De 1207 à
1221, celui d’Ifrikiya, province s’étendant de Constantine à la Tripolitaine,
fut Mohamed ben Abi Hafs, fils d’Abou Hafs Omar, compagnon d’Ibn
Toumert, le fondateur de la puissance almohade. En 1229, il rompit avec les
Almohades et se proclama émir. Il étendit ensuite son pouvoir vers l’Ouest
en soumettant le royaume de Tlemcen, en s’emparant du nord du Maroc et
en faisant passer le royaume de Grenade sous son autorité.
Son successeur fut Mohamed Ier Al-Mustansir (1249-1277) qui prit le
titre de calife après la mort du dernier calife abbasside tué par les Mongols
en 1258. C’est sous son règne qu’en 1270, le roi de France Louis IX
débarqua à Carthage lors de la huitième Croisade26.
À la mort d’Al-Mustansir s’ouvrit un siècle de décadence marqué par des
révoltes, des querelles de palais et des dissidences. La Tripolitaine prit son
autonomie et en 1294 le royaume hafside éclata en deux quand l’émir de
Bougie fit sécession. Sous le règne d’Abou Bakr II al-Mutawakil (1318-
1346), l’unité du royaume hafside fut reconstituée mais, à l’Ouest, les
Mérinides qui avaient lancé un grand mouvement d’expansion à travers le
Maghreb avaient pris Tlemcen et le centre de l’actuelle Algérie.
En 1347, le sultan mérinide Abou l’Hassan était le maître de toute
l’Ifrikiya dont il fut chassé en 1350. En 1358, son fils Abou Inan Faris
reprit brièvement Tunis. Le retrait marocain ne fut pas l’occasion d’une
renaissance puisque le royaume éclata en trois principautés, Tunis, Bougie
et Constantine, toutes trois dirigées par des membres de la famille hafside.
La réunification se produisit ultérieurement, sous les règnes d’Ahmad II
al-Mustansir (1370-1394), d’Abd-el-Aziz II al-Mutawakil (1394-1434) qui
prit Alger et Tlemcen et sous celui de son petit-fils, Othman (1435-1488).
Ce dernier eut un long règne glorieux suivi, après sa mort, d’une nouvelle
période de décadence qui vit les Hafsides maintenir tant bien que mal une
autorité de plus en plus chancelante sur l’Ifrikiya jusqu’à ce que les
Ottomans s’emparent de la région au XVIe siècle comme nous le verrons
plus loin.

2. Les Zianides ou Abd el-Wadides (1235-1554)


Yaghmorasan ben Zayan (1235-1283), Berbère de la tribu des Abd el-
Wad appartenant à la famille Zénète, était gouverneur de Tlemcen pour le
compte des Almohades quand il prit son autonomie et fonda sa
propre dynastie laquelle se maintint durant trois siècles, jusqu’à la conquête
ottomane. C’est durant cette période que les Zénètes et plus généralement
les Berbères de l’ouest de l’actuelle Algérie s’arabisèrent.
La force du royaume reposait sur la ville de Tlemcen devenue une des
principales plaques tournantes du commerce maghrébin et transsaharien. En
1264, Sijilmassa fut conquise et, durant une dizaine d’années, les Abd el-
Wadides purent s’y maintenir, contrôlant ainsi le principal carrefour nord
africain du commerce avec l’Afrique sud-saharienne. C’est d’ailleurs pour
la possession de ce relais essentiel du commerce que les Abd el-Wadides et
les Mérinides s’opposèrent.
Sous le règne d’Abu Hamou Musa II (1359 ou 1353-1389), le royaume
connut une grande prospérité illustrée par un développement architectural et
culturel qui fit de Tlemcen une ville de savants et d’artistes réputés. En
1389, le royaume entra dans une longue période de décadence, oscillant
entre deux maîtres successifs, le Marocain mérinide à l’Ouest et le
« Tunisien » hafside à l’Est, avant de disparaître en 1554 lors de la conquête
ottomane.
Le royaume de Tlemcen ou sultanat zianide n’avait qu’un seul poumon et
il était maritime puisqu’il dépendait de ses ports qui étaient Honeyn, Oran
et Ténès, bientôt rejoints par Arzew qui devint son arsenal et où étaient
construits ses navires. La plupart des routes de la Méditerranée occidentale
passaient par Honeyn. Dès que la poussée marocaine ou tunisienne cessait
de s’exercer, le royaume de Tlemcen, développait son dynamisme
commercial, notamment avec l’Espagne, tant chrétienne que nasride
(Grenade). Tlemcen qui était liée à l’Aragon par traité avait le quasi-
monopole du commerce avec les Baléares et des liaisons maritimes
régulières existaient entre les ports aragonais et les siens. Des contingents
tlemcénites combattaient régulièrement dans les rangs aragonais contre les
Castillans, tandis que des troupes aragonaises ou catalanes venaient non
moins régulièrement prêter main-forte aux Zianides quand ils étaient en
difficulté au Maghreb.
En 1411, Abou Malek (1411-1430) renversa son frère, le sultan Abou
Saïd (1410-1411), grâce au soutien du sultan Mérinide Abou Saïd III (1398-
1420), puis il se retourna contre ses alliés, défit leur armée et prit leur
capitale, Fès. Cette reconstruction de la puissance tlemcénite provoqua des
inquiétudes chez les Hafsides de Tunis qui fomentèrent alors une révolution
en soutenant un autre prétendant, Abou Abdallah, oncle d’Abou Malek et
d’Abou Said qu’ils reconnurent comme sultan en 1424. Un nouveau
retournement de situation se produisit en 1428 quand Abou Malek qui,
entretemps, s’était réconcilié avec les Hafsides, reprit Tlemcen grâce à leur
aide et redevint sultan. Mais cette victoire ne fut que de courte durée
puisqu’en 1430 Abou Abdallah le renversa et le tua.
L’anarchie fut alors à son comble et Abou Fares, le sultan hafside décida
d’en finir. En 1431, il se présenta devant Tlemcen à la tête d’une armée de
plusieurs dizaines de milliers d’hommes. Abou Abdallah qui avait réussi à
s’enfuir fut bientôt capturé et mis à mort. Abou Fares continua alors sa
marche vers l’Ouest et il pénétra au Maroc où le sultan mérinide se soumit
avec d’autant plus de facilité que le souverain hafside retourna rapidement à
Tunis. Le royaume de Tlemcen connut ensuite des temps difficiles. Ainsi en
1461 quand le zianide Abou Abdallah Mohamed dit El Metaoukkel, qui
s’était proclamé sultan du « royaume » de Ténès prit Tlemcen et en chassa
Abou el Abbas. Ce dernier se réfugia en Espagne avant de revenir en
Afrique et de tenter de reprendre son royaume, mais, le 31 août 1463, il
trouva la mort au combat. Sur ces entrefaites, les Espagnols avaient pris
Oran et avaient noué une alliance avec Abou Abdallah.

3. Les Mérinides (1258-1420)


Les Beni Merine, d’où le nom de Mérinide donné à la dynastie qu’ils
fondèrent, étaient des Berbères nomades originaires des confins sahariens et
qui appartenaient à la grande famille zénète. Au XIIe siècle ils nomadisaient
entre Figuig et Sijilmassa. Cavaliers, éleveurs de moutons et de chameaux,
ils devaient chaque été, se déplacer vers le Nord afin de trouver des
pâturages et acheter leurs réserves de grain pour l’hiver. Tous les ans, à la
fin du printemps, les agriculteurs sédentaires des régions de la vallée de la
Moulouya jusqu’à la steppe de Guercif, voyaient arriver avec inquiétude ces
nomades, souvent pillards. Rebelles au pouvoir almohade, ils ne le
reconnurent que le temps de participer au jihad andalou. Quand les
Almohades ne furent plus capables de les contenir à l’intérieur de leur
couloir de transhumance, les Beni Merine transformèrent une pratique
saisonnière en conquête territoriale.
Le phénomène débuta en 1216 ou en 1217, interrompu par une défaite
militaire en 1244, avant de reprendre, inexorablement cette fois en 1245,
sous la conduite d’Abou Yahia Abou Bakr. En dépit de leur faiblesse
numérique, les Beni Merine prirent Taza, Salé, Rabat et Fès où ils
installèrent leur capitale. À la fin de l’année 1245, les Almohades ne
contrôlaient plus que la région de Marrakech. En 1258 Abou Yahia mourut
et son frère Abou Youssef Yakoub (1258-1286) qui lui succéda acheva son
œuvre. En 1269, les Beni Merine étaient les maîtres de la totalité du Maroc.
À l’extérieur, les relations du premier souverain mérinide et de la dynastie
abd al-wadide de Tlemcen furent conflictuelles. Pourtant apparentées, les
tribus Béni Merine et Beni Abd el-Wad, toutes deux Zénétes, poursuivirent
une incessante guerre qui hypothéqua le développement de chacune des
deux dynasties.
Abou Youssef Yakoub lança quatre expéditions en Espagne mais leur
résultat fut nul pour les Marocains qui s’y épuisèrent sans réussir à faire
reculer le front de la reconquête chrétienne. Son fils et successeur, Abou
Yakoub Youssef (1286-1307) exerça son action dans trois directions. En
Espagne, ce fut encore un échec. Au Maroc même des révoltes incessantes
fomentées soit par des princes mérinides soit par les tribus arabes
entraînèrent un climat de méfiance et de répression permanentes. La seule
réussite du règne eut lieu à l’Est, aux dépens du royaume de Tlemcen. En
1288, Abou Yakoub lança contre lui une puissante offensive et mit le siège
devant Tlemcen en construisant le camp fortifié de Mansoura en face de la
ville. Petit à petit, tous les territoires abd-al Wadides furent conquis : Oran
et sa région en 1300 ; Alger et ses environs en 1301-1302, puis le massif de
l’Ouarsenis. Il ne restait plus que Tlemcen à enlever quand, en 1307, le
sultan fut assassiné à Mansoura. Son successeur, Abou Thabet qui régna
moins d’une année décida de lever le siège.
Le plus grand des souverains mérinides, Abou l’Hassan (1331-1351),
réussit pour un temps à réunifier le Maghreb. Si les relations étaient
détestables entre le Maroc et Tlemcen, elles étaient en revanche excellentes
avec Tunis, Abou l’Hassan ayant même épousé une princesse hafside. Les
Tlemcénites ayant attaqué les possessions hafsides, en 1334, Abou l’Hassan
entra en guerre contre Abou Tachfme, le sultan de Tlemcen. Oujda fut prise
et Tlemcen assiégée. Deux tribus zénètes, les Beni Toujin et les Maghraoua,
s’étant ralliées aux Marocains, toute la région comprise entre Oujda et
Alger incluse passa alors sous le contrôle d’Abou l’Hassan. Le 13 avril
1337, ce dernier enleva Tlemcen et durant l’assaut, Abou Tachfme fut tué.
En Espagne où les dernières villes musulmanes avaient appelé les
Mérinides à l’aide, ce fut au contraire l’échec. Après de durs combats et des
victoires initiales, les Marocains furent vaincus le 28 novembre 1340, sur le
Rio Salado. Mais au Maghreb en revanche, rien ne semblait pouvoir arrêter
Abou l’Hassan qui décida d’achever ses conquêtes en faisant désormais
porter ses efforts sur l’Ifriqiya, c’est-à-dire sur l’actuelle Tunisie. Tant que
son beau-père, le sultan Abou Bakr, fut en vie, Abou l’Hassan s’abstint de
toute revendication, mais en 1346, après sa mort, Abou l’Abbas, son
successeur, vit son autorité contestée par son frère Abou Hafs Omar. Abou
l’Hassan se mit alors en marche à la tête de son armée et en 1347 après
avoir soumis Biskra, le Mzab, et tout le Sud tunisien, il entra à Tunis d’où
Abou Hafs Omar s’enfuit avant d’être capturé et tué dans la région de
Gabès.
Le royaume hafside fut annexé et Abou l’Hassan devint roi du Maroc, de
Tlemcen et de Tunis. L’unité du Maghreb était reconstituée, mais pour peu
de temps. En deux ans, de 1348 à 1350, tout sembla en effet se liguer contre
le sultan car la peste noire s’abattit sur le Maghreb, son propre fils, le futur
sultan Abou Inane, se révolta contre lui et enfin, les tribus arabes le
trahirent ainsi que les populations nouvellement soumises. En Ifriqiya, une
armée rebelle marcha sur Tunis et Abou l’Hassan se porta à sa rencontre,
mais devant Kairouan, les contingents arabes de sa propre armée changèrent
de camp. Le sultan fut battu et il se réfugia dans la ville. Tunis puis
Tlemcen recouvrirent leur indépendance. En quelques mois l’empire
marocain s’effondra et Abou l’Hassan fut poursuivi dans le haut Atlas par
son fils révolté. Mort en 1351, il laissait un important héritage architectural,
religieux et culturel, de nombreuses mosquées et medersas ayant été
construites durant son règne.
Son fils, Abou Inane (1351-1358) mourut étranglé à l’âge de vingt-
neuf ans par un de ses vizirs, ce qui ouvrit une longue période d’intrigues de
sérail. Durant un siècle, les révolutions de palais entraînèrent une anarchie
complète : déposition, assassinat de sultans, morcellement territorial,
invasions étrangères. De 1358 à 1374, le pouvoir appartint aux vizirs qui
firent et défirent les sultans, souvent en les assassinant. Dix-sept sultans
« régnèrent » ainsi après Abou Inane, dont sept furent assassinés et cinq
déposés.
De 1374 à 1393, le sultan de Grenade, Mohammed V, exerça une
véritable tutelle sur le Maroc. Il prit Gibraltar et installa une garnison à
Ceuta. Les vizirs lui furent soumis et il leur imposa sa loi. Puis, à partir de
1399, les royaumes ibériques chrétiens intervinrent à leur tour dans la
politique intérieure marocaine. En 1399, Henri III de Castille prit Tétouan
afin d’en chasser les corsaires qui y étaient installés et, pour punir la ville de
les avoir abrités, il en vendit la population à des marchands d’esclaves. En
1415, les Portugais s’emparèrent de Ceuta. Le sultan Abou Saïd III (sultan
mérinide) (1398-1420) tenta de reconquérir la ville mais son armée fut
battue.
Le pays entra ensuite dans un processus de décomposition interne
aboutissant à une véritable dislocation territoriale, des régions entières, dans
le Rif, le Sous ou le Tafilalet, se rendirent même quasiment indépendantes.
Dans l’Atlas, l’émiettement fut presque total, chaque tribu reprenant ses
anciennes habitudes d’indépendance. Le Sud vit apparaître des dynasties
locales en rupture de plus en plus accentuée avec ce qu’il faut désormais
nommer le royaume de Fès et non plus le Maroc. Quant au Grand Sud, dans
la région de Sijilmassa et dans les oasis, les Arabes s’y rendirent
indépendants. Impuissants, les sultans furent contraints de faire appel
périodiquement aux plus puissantes de leurs tribus pour qu’elles viennent
les sauver, or cette aide fut monnayée sous forme d’une plus grande
autonomie locale ou du don de terres.
À partir de 1420, année de l’assassinat du sultan mérinide Abou Saïd III
(1398-1420), les Béni Watta, eux aussi Berbères du groupe zénéte
exercèrent la régence du royaume27.
La principale faiblesse des Mérinides fut qu’à la différence des
Almoravides ou des Almohades, qui étaient des réformateurs religieux, leur
pouvoir ne reposait pas sur le souffle islamique. Une autre grande raison de
l’échec mérinide fut le problème arabe. En raison de leur faiblesse
numérique, ils durent sans cesse osciller entre deux politiques vis-à-vis des
tribus bédouines : les utiliser ou tenter de les écraser quand elles
cherchaient à se rendre autonomes28. Pour s’assurer de leur fidélité les
Mérinides disposaient de trois moyens seulement : les alliances
matrimoniales, les alliances politiques et la remise de terres en échange
d’une participation à des expéditions guerrières ou tout simplement en
contrepartie d’une soumission. Cette troisième mesure accéléra la
décadence en favorisant la dissociation territoriale.
La faiblesse numérique des Mérinides provoqua également des
problèmes militaires car les contingents alliés ou incorporés trahirent
souvent sur le champ de bataille. Le plus gros problème qui se posa aux
Mérinides en ce domaine fut l’indigence pour ne pas dire l’inexistence de
leur infanterie et c’est d’ailleurs ce qui provoqua leurs échecs face aux
Castillans. En Espagne, l’armée mérinide ne fut en effet capable que de
razzias, de raids plus ou moins profonds, mais elle ne put ni tenir, ni enlever
des positions retranchées ou des positions défendues par l’infanterie
adverse. Elle ne livra qu’une seule véritable bataille rangée classique et elle
fut défaite, il s’agit de la bataille du Rio Salado (28 novembre 1340).
L’héritage mérinide est d’abord monumental car les sultans de
cette dynastie construisirent de nombreuses mosquées, voulant peut-être de
la sorte acquérir cette « légitimité islamique », qui leur manqua tant.

1. Déformation de kaffir : noir.


2. Reconquête de la Crète en 961 ; d’Alep en 962 ; de Chypre en 965 ; d’Antioche en 969, etc.
3. Hrbek (1997 : 248-265).
4. Il « régna » de 909 à 934 et prétendait descendre d’Hussein, fils de Fatima, la fille du prophète
Mohamed et d’Ali son époux. « Sur le point de savoir qui devrait être le dernier imam visible et le
premier caché (donc le Madhi), les shiites se scindent en de nombreux groupes. Ceux qui estiment
que l’imam caché est le douzième, Muhammad, qui disparut en 878, sont connus sous le nom de
duodécimains et forment aujourd’hui la majorité des shiites » (Krbek, 1997 : 248). La question de
savoir si le Mahdi était bien le descendant d’Ali et de Fatima ou un imposteur a fait couler des flots
d’encre. Nous n’entrerons pas dans cette discussion par trop étrangère à notre sujet.
5. Ziri, chef de la tribu des Talkata (groupe Sanhadja) fut récompensé de sa fidélité par le Mahdi qui
en fit le chef de tous les Sanhadja. En 972 ou en 973, quand el-Mu’izz décida de rejoindre son
armée en Égypte, il laissa l’administration de toutes ses possessions maghrébines à Bologin, fils de
Ziri, d’où le nom de Ziride qui donné à la dynastie berbère qu’il fonda.
6. Durant les premiers temps de la poussée des nomades turcs, eux-mêmes refoulés par les Mongols
hors des steppes de l’Asie centrale, l’empire byzantin avait réussi à les tenir à distance. Pour sa
part, le Califat abbasside en butte aux attaques des Fatimides d’Égypte les avait accueillis et
convertis à l’islam sunnite dès le Xe siècle, leur confiant ensuite les plus hautes responsabilités
civiles et militaires.
7. Berbères, Slaves, Nubiens et Turcs.
8. Sa mort mystérieuse en 1021 donna largement naissance à la croyance des Druzes qui attendent
son retour.
9. L’on a parlé à cette occasion de 20 000 femmes berbères vendues sur les marchés aux esclaves de
la région (Bianquis, 1997 : 163).
10. L’origine du nom vient de celui de son fondateur Salah al-Din ibn Ayyub (Saladin en français).
11. Ce système qui était déjà en vigueur à l’époque fatimide répartissait les unités à travers le pays, à
charge pour les régions ou villes de casernement d’en assurer la subsistance. Dans la réalité, chaque
responsable militaire ou amir en percevait le revenu fiscal dont il gardait une partie pour l’entretien
de sa troupe. Le reste était envoyé à l’autorité politique.
12. Il s’agissait d’une troupe blanche car ses membres étaient importés depuis l’Asie centrale –
populations turques –, de la Russie méridionale (Slaves) et surtout du Caucase. Les Noirs ou les
Asiatiques ne pouvaient en aucun cas en faire partie (Ayalon, 1996 : 19).
13. Il fut le premier des quarante-cinq sultans mamelouks qui régnèrent sur l’Égypte durant deux cent
cinquante-huit ans.
14. Sans minimiser la victoire mamelouk, il importe cependant de bien voir que les Mongols étaient
divisés en deux groupes, à savoir les Ilkhan qui descendaient de Hulagu, petit-fils de Gengis Khan
et les Khan du Kipcak. Durant l’été 1259, le chef suprême des Mongols, le Grand Khan Mongka
mourut en Chine et ses deux frères, Arik Boke et Koubilai s’affrontèrent. Hulegu qui commandait
l’armée d’invasion était partisan de Kubilai et il repartit pour la Mongolie, laissant une partie de
l’armée sur place sous le commandement de Kitbouga. L’autre grande chance des Mamelouks et
donc de l’islam fut que les Francs et les Mongols n’aient pas réussi à mettre sur pied une offensive
commune.
15. Il était fils de Ziri, d’où le nom de Ziride qui sera donné au royaume.
16. Les Beni Hilal, les Beni Mâqil et les Beni Sulaim (ou Solaim) qui dévastèrent l’Ifrikiya.
17. En 1047, le Ziride Al-Mu’izz ibn Badis avait fait allégeance au calife abbasside sunnite de
Bagdad, trahissant ainsi les Fatimides.
18. On estime que les effectifs totaux des tribus Beni Hilal, Beni Mâqil ou Beni Sulaim qui
pénétrèrent au Maghreb aux XIe et XIIe siècles était d’environ cent mille individus.
19. Selon l’expression de Charles-André Julien. Sur les Almoravides, voir Lugan (2000 : 64-86).
20. Du nom de l’Imam Malik Ibn Anas. Le malékisme est une des quatre subdivisions du sunnisme,
et l’une des plus rigoureuses.
21. Lugan (2000 : 87-116).
22. Almohade vient de l’arabe al-Muwahidoun qui signifie les unitariens car l’essentiel de la
théologie d’ibn Toumert était l’unité de Dieu.
23. Maître de Marrakech, le calife almohade fit édifier sur les ruines du Dar al Hajar, le palais de ses
ennemis abattus, une grande mosquée, la célèbre Koutoubiya.
24. En 1159-1160, Abd el Moumen acheva la conquête de l’Ifriqiya. Tunis se rendit, la garnison
normande de Mahdiya se replia sur la Sicile et Sfax fut prise.
25. « À partir du XIe siècle, l’équilibre entre nomades et sédentaires fut rompu en faveur des premiers
avec l’arrivée des Banu Hilal (Beni Hilal) suivis au XIIe siècle par les Banu Sulaym (Beni Suleim).
Les Almohades, par stratégie militaire, leur ont livré les plaines atlantiques, cependant que les Bani
Ma’kil (Beni Maqil) s’installaient dans le sud et l’est de l’Atlas marocain. » (Idriss, 1991 : 89)
26. Le souverain mourut des fièvres le 25 août 1270, sous les remparts de Tunis, couché sur un lit de
cendres en signe d’humilité et les bras en croix, à l’image du Christ.
27. Toute la descendance d’Abou Saïd III (sultan mérinide) avait péri avec lui, à l’exception d’un
enfant d’un an, Abd al Haqq, qui fut le dernier Mérinide (1420-1465).
28. Sous les Mérinides, les Arabes acquirent de plus en plus d’influence car la dynastie s’appuya sur
eux pour lutter contre les rébellions berbères. C’est sous les Mérinides que les tribus zénétes vivant
de part et d’autre de la Moulouya s’arabisèrent et que toute la partie occidentale de l’actuelle
Algérie perdit sa composante berbère.
Chapitre III.
L’Afrique sud-saharienne du VIIe siècle au
XVe siècle

Cette période est celle de la poussée musulmane dans la haute vallée du


Nil, de l’affirmation puis de la résistance de l’Éthiopie chrétienne, de la
constitution de grands États dans le monde sahélien, de vastes migrations
dans l’espace ouest africain atlantique, de l’émergence de la « civilisation
de la vache et de la lance » dans la région interlacustre, du rayonnement de
la civilisation arabo-swahili le long des rivages de l’océan Indien et de
l’essor de Zimbabwé puis du Monomotapa en Afrique australe.

A. La vallée du Nil et la Corne


En Nubie, entre la 1re et la 5e cataracte, plusieurs États constitués sur les
décombres de celui de Méroé survécurent à la conquête arabo-
musulmane. Les trois principaux furent le royaume Nobade au Nord, le
royaume de Makuria/Dongola au centre et le royaume d’Aloa plus au sud.
Dans la Corne de l’Afrique, cette période vit la confrontation entre
l’Éthiopie et les principautés musulmanes du littoral devenir de plus en plus
vive.

1. La Nubie jusqu’au XVe siècle


Nous avons vu qu’en 641, à partir de l’Égypte, les conquérants arabes
avaient remonté le Nil, mais qu’ils n’avaient pas réussi pas à triompher des
royaumes chrétiens de Nubie qui leur avaient opposé une farouche
résistance. En 652, Abdallâh ibn Arbi Sa’ad qui avait en vain tenté de
s’emparer du royaume de Makuria, décida de composer avec Kalidurut son
souverain. C’est ainsi que fut signé le bakt, à la fois trêve et traité de non-
agression qui resta en vigueur durant environ cinq siècles, jusqu’en 1260.
Les Nubiens devaient respecter et entretenir la mosquée fondée à Dongola
pour les voyageurs musulmans et verser un tribut annuel de 360 esclaves.
En 697, les chrétiens nubiens décidèrent de grouper leurs forces en
unissant le royaume Nobade dont la capitale était la ville de Faras, au
royaume de Makuria. La nouvelle entité s’étendait du sud d’Assouan
jusqu’à la zone comprise entre la 5e et la 6e cataracte. Ainsi renforcés, les
royaumes chrétiens nubiens ne se laissèrent pas intimider par leur puissant
voisin musulman septentrional. Ainsi en 748 quand le souverain du
royaume de Dongola attaqua l’Égypte pour obtenir la libération d’un
patriarche copte qui y avait été emprisonné. Au IXe siècle, s’estimant
suffisamment puissante, la Nubie cessa même de verser le baqt. En 956, les
Nubiens attaquèrent une nouvelle fois l’Égypte et ils pillèrent Assouan, ce
qui provoqua des représailles. Ils ne renoncèrent pas pour autant à affirmer
leur indépendance puisque, en 962, alliés aux Fatimides qui avançaient
depuis l’Ouest, ils envahirent la Haute-Égypte.
Durant toute la période fatimide la Nubie fut prospère et de nombreux
Nubiens intégrés à l’armée égyptienne dans laquelle ils constituèrent
notamment la garde du souverain, connue sous le nom de Garde noire.
À cette époque, quatre évêchés existaient en Nubie, Ksar Ibrim, Faras, Saï
et Dongola. La chronologie des évêques de Faras est connue depuis la
fondation du diocèse au VIIe siècle jusqu’en 1175.
Après des alliances suivies et permanentes au temps des Fatimides, les
relations entre l’Égypte et la Nubie se détériorèrent ensuite (Shaw, 1997 :
251-264). Entre 1172 et 1250 les Ayyubides étant au pouvoir au Caire, les
conflits avec le sud chrétien affaibli furent incessants. Une fois l’ancien
royaume Nobade conquis, deux grands royaumes nubiens subsistèrent, celui
de Makuria au Nord, avec Dongola pour capitale et celui d’Aloa au Sud.
Leurs limites de séparation étaient situées entre la 5e et la 6e cataractes.
En 1171, Saladin qui avait chassé les Fatimides d’Égypte après avoir
massacré leurs contingents de mercenaires nubiens mit un terme au bakt, ce
qui revenait à rouvrir les hostilités. En 1253 eut lieu la révolte des tribus de
pasteurs arabes arrivées au XIe siècle et qui s’étaient installées dans le désert
oriental, entre Nil et mer Rouge. Les sultans d’Égypte firent alors avec elles
comme l’avaient fait les Fatimides au XIe siècle avec les Beni Hillal, les
engageant à poursuivre ailleurs leurs déprédations, et les poussant vers le
Sud, c’est-à-dire vers la Nubie.
C’est cependant avec la période mamelouke que la grande offensive
contre les royautés chrétiennes nubiennes débuta. Le royaume de Makuria
fut alors en permanence attaqué par les Bédouins du désert oriental, ruiné et
peu à peu transformé en vassal du sultanat mamelouk. Le sultan Baybars
(1260-1277) somma ainsi Daoud, roi de Makuria de reprendre les
versements du bakt, puis il l’attaqua, le captura et l’emmena comme otage
en Égypte. Il le remplaça ensuite par Shakanda qui accepta la vassalisation
et versa comme tribut annuel la moitié des revenus de son royaume. La
Nubie devint alors « terre de razzia » (Shaw, 1996 : 254).
Sous le sultan mamelouk Kalaoun (1279-1290), le royaume de Dongola
releva la tête et par trois fois, sous la direction de Chemamoun (Shamamun)
son souverain, il se souleva et attaqua même la garnison mamelouke de
Dongola. Finalement vaincu, il disparut d’autant plus inéluctablement que
depuis 1291, les Mamelouks n’ayant plus à lutter contre les États latins de
Syrie, purent consacrer tous leurs efforts à conquérir les dernières
chrétientés nubiennes.
En 1315 le sultan En Nazir déposa Kérenbès (Karanbas), dernier roi
chrétien de Dongola, l’emprisonna en Égypte et installa à sa place un
musulman, Abdallâh Ibn Sanbou. Durant sa captivité, Kérenbès se convertit
à l’islam. En 1317, la cathédrale de Dongola fut transformée en mosquée.
Pendant un quart de siècle, Mamelouks turcs et Égyptiens de souche
installèrent tour à tour leurs prétendants. L’arabisation forcée des Nubiens
commença et en 1490, le roi d’Aloa, dernier souverain d’un royaume
chrétien nubien fut mis à mort. Ce royaume disparut quelques années plus
tard, en 1504, avant d’être conquis par des Noirs, les Funj qui se
convertirent à l’islam et constituèrent un État musulman, le royaume funj de
Sennar qui connût ultérieurement un important rayonnement.
2. Axoum et Gondar
L’Éthiopie s’est bâtie à l’abri de montagnes encadrant le plateau abyssin,
véritable cœur du pays et château d’eau d’une partie de l’Afrique d’où
sortent le Nil bleu, l’Omo, le Juba et le Shebelé. Isolée, donc protégée des
invasions extérieures, l’Éthiopie est intérieurement cloisonnée au point de
vue géographique et humain.
Le nom même d’Éthiopie est connu depuis l’Antiquité. Pour les Grecs et
les Romains, il désignait le monde situé au sud de l’Égypte. L’origine de
l’Éthiopie se trouve le royaume d’Axoum dont l’apparition semble
remonter aux derniers siècles avant notre ère. À son apogée, Axoum qui
avait noué des relations avec le monde méditerranéen s’étendait le long et
de part et d’autre de la mer Rouge. Comme nous l’avons vu précédemment,
allié de Constantinople contre les Perses, le royaume d’Axoum s’était
épuisé dans de longues guerres menées en Arabie contre leurs alliés arabes.
Au VIIe siècle, Axoum entra en décadence à la suite de l’islamisation de la
péninsule arabique et du soulèvement de certains de ses vassaux. Unie par
l’islam, l’Arabie s’empara du commerce de la mer Rouge et Axoum fut
alors ruinée. Il s’ensuivit une période peu connue durant laquelle le pouvoir
royal éthiopien de plus en plus affaibli se délita. C’est à cette époque que
d’une matrice commune se différencièrent les Amhara et les Tigréens avec
leurs langues respectives, l’amhara et le tigrinia.
À l’Est, les Blemmyes (les modernes Bedja1) qui sont des couchitiques,
occupaient le désert oriental. À partir du VIe siècle, ces pasteurs
transhumants se rapprochèrent du Nil, coupant ainsi l’Éthiopie du Nord.
Dans les siècles suivants l’islamisation littorale la priva de son accès à la
mer et elle se replia sur les hauts plateaux de l’Amhara et du Choa. Au
IXe siècle, le cœur du royaume s’était déplacé du Tigré au Wollo, plus au
Sud, Puis, au Xe siècle, une période de renaissance s’ouvrit durant laquelle
l’expansion vers le littoral reprit qui vit l’Éthiopie contrôler Massawa,
Dahlak et Zeila. Une terrible guerre ravagea ensuite l’Éthiopie,
probablement à la suite d’invasions de populations venues du Sud.
Affaiblie, elle ne fut plus en mesure de contenir la poussée musulmane et
perdit son débouché sur la mer Rouge.
Au XIIe siècle naquit un État original dominé par la dynastie Zagwé qui
régna jusqu’en 1270 et qui laissa à l’Éthiopie ces merveilles architecturales
que sont les églises taillées dans le roc, dont la célèbre église Saint
Georges2. Cette dynastie composée de sept souverains, régna un siècle et
demi environ. Son plus célèbre représentant fut le roi Lalibéla qui voulut
établir une église autocéphale détachée du patriarcat d’Alexandrie, ce qui
fut refusé à la fois par le patriarche et par les autorités musulmanes
du Caire.
En 1270, un chef amhara nommé Yekuno Amlak qui régna jusqu’en 1283
s’empara du pouvoir. Avec lui, naquit la dynastie dite des « Salomonides »
car ses membres prétendaient descendre du roi Salomon et de la reine de
Saba. Sous cette dynastie, l’Éthiopie fut tiraillée entre l’anarchie féodale
quand les souverains étaient faibles et la centralisation étatique quand des
monarques puissants étaient au pouvoir. Profitant des périodes de faiblesse
de l’État éthiopien, à partir de Zeila, des chefs musulmans renforcèrent
leurs possessions dans les régions bordières de la mer Rouge.
Au XIVe siècle, une forte réaction éthiopienne se produisit sous le règne
d’Amda Tsiyon (1314-1344) qui écrasa les féodaux et vainquit les
principautés musulmanes qui furent alors provisoirement vassalisées.

Salomon et la reine de Saba


« Le Kebra Nagast (Gloire des Rois), charte de l’empire éthiopien […] fut
probablement rédigé vers 1300, peu après la restauration de la dynastie qui,
jusqu’en 1974, fut appelée salomonienne. Il rassemble des légendes populaires et
des traditions bibliques, talmudiques et coraniques, les associant en une mission
divine de salut. Le Kebra Nagast raconte comment la Reine de Saba, ici assimilée à
l’Éthiopie, se rendit à Jérusalem pour s’instruire de la sagesse de Salomon. De lui,
elle conçut un fils, Ménélik, à qui elle donna le jour une fois rentrée en Éthiopie.
Ménélik devint le premier roi éthiopien. Lors d’une visite à son père, à Jérusalem, il
s’empara de l’Arche d’alliance et l’emporta en Éthiopie. Elle fut par la suite
conservée dans la célèbre cathédrale d’Axum où étaient intronisés les empereurs
éthiopiens. Le livre s’achève sur l’annonce du partage spirituel du monde entre les
deux grands empires sacrés, Rome et l’Éthiopie. L’histoire présente les chrétiens
d’Éthiopie comme le peuple élu de l’Ancien Testament et du Nouveau, car, à la
différence des Juifs, ils ont accepté l’Évangile. » (Haberland, 1998 : 462)

B. L’Ouest africain
En Afrique de l’Ouest, de grands Empires urbanisés apparurent dans la
zone contact entre le monde saharien et sahélien. Le Ghana, le Mali et le
Songhay (ou empire de Gao), s’y succédèrent, déplaçant leur cœur depuis le
fleuve Sénégal à l’Ouest jusqu’à l’est de la boucle du Niger3. À l’origine de
la création des premières villes commerçantes de la partie septentrionale de
la zone sahélienne, nous trouvons probablement des Berbères comme les
exemples de Tadmakka et d’Aoudaghost semblent le démontrer. Quant à
Tombouctou, selon le Ta’rikh al-Sudan, elle aurait été fondée vers l’an mille
par les Touareg Maghcharen.

1. Les empires de l’Ouest africain4


Les royaumes sahéliens étaient ethno-centrés : Soninké au Ghana,
Malinké ou Mandingue au Mali, Kanuzi (Nilo-sahariens) au Kanem et
Songhay dans l’empire de Gao. Fondés pour et par le commerce, ils
définirent une priorité : la défense des carrefours sahariens et le maintien du
monopole des transactions entre l’Afrique du Nord et le Sahel.
Dès les premiers temps du commerce transsaharien, une des principales
routes partait de Sijilmassa pour atteindre Ghana. Sijilmassa était comme le
port du nord du Sahara occidental et central, le point de passage obligé pour
les caravanes allant vers le Sud ou en revenant. Plaque tournante et plus
encore lien entre l’Afrique blanche et l’Afrique noire, la ville était
fréquentée par des commerçants venus de Fès, de Tlemcen, de toutes les
cités littorales ou intérieures du Maroc et plus généralement de la partie
occidentale et centrale du Maghreb (Cuoq, 1975 ; Devisse, 1972).
Cette position de carrefour apparaît clairement lorsque l’on compte les
jours de marche séparant Sijilmassa des pôles commerciaux de la région :
9 à 11 jours pour Fès ; 50 jours pour Kairouan ; 12 jours pour Tamedelt et
60 pour Ghana. Sijilmassa était également favorisée au point de vue
agricole car l’eau y était abondante. Ces possibilités constituaient un atout
considérable. « Porte du désert », la ville offrait toutes les possibilités de
ravitaillement aux caravanes venues du Nord et qui devaient s’y
approvisionner pour les deux mois de marche qu’elles avaient à faire à
travers 1 500 à 1 800 kilomètres de désert. Tout le sud du Maroc
s’enrichissait à partir de Sijilmassa (Lessard, 1969). Le Maroc fournissait
au monde noir des articles de luxe, qu’il s’agisse de produits de l’artisanat
comme les bijoux, les armes, ou les étoffes, mais aussi d’ustensiles de
cuisine, de poteries, de tissus ordinaires, de couteaux, de miroirs, etc. Les
productions agricoles comme le blé, les fruits secs, les dattes entraient
également pour une large part dans ce commerce, sans oublier les chevaux,
vendus de 4 à 5 fois leur prix au Maghreb5.
Le sel gemme, ou sel fossile du Sahara que les caravanes livraient en
blocs ou en plaques attachées sur le dos des dromadaires était également un
élément essentiel de ce commerce. Des salines sahariennes jusqu’au cœur
de la zone soudanienne, de longues distances étaient parcourues. Il y avait
ainsi 800 km à franchir entre la saline de Teghaza et Tombouctou. Ce sel
transitait par Djenné d’où il était transporté à dos d’homme jusque dans les
régions d’exploitation de l’or situées plus au sud.
Le fret caravanier venu du Sud consistait en or produit au Bambouk, à
proximité du fleuve Sénégal, au Bouré sur le Niger et au Lobi sur la Volta.
Mais l’or n’était pas le seul produit fourni par le Bilad al-Sudan puisque
l’ambre gris, la gomme arabique, les peaux d’oryx destinées à la fabrication
de boucliers, les peaux de léopard, de fennec, les esclaves alimentaient
également le commerce transsaharien.

Depuis la zone forestière jusqu’au Sahel, un autre commerce était


florissant, celui de la noix de kola dont la production était localisée à la
partie septentrionale de la forêt ouest africaine. Cet excitant, à la fois coupe-
soif et aphrodisiaque était à la base de toutes les relations sociales6. Son
transport se faisait le long des mêmes voies que le sel et l’or avec des étapes
de 25 à 30 km par jour.
Si le désert était le monde du dromadaire7, vers le Sud, le moyen de
transport était l’âne, le bœuf porteur et l’homme. Jusqu’au XIe siècle, les
principales routes commerciales transsahariennes partaient de Sijilmassa, au
Maroc, en direction de l’Adrar avant d’atteindre Aoudaghost-Tegdaoust
dans le sud de l’actuelle Mauritanie, puis Ghana, terme du voyage. Avec la
naissance de l’empire du Mali, une nouvelle route apparut au XIIe siècle,
toujours au départ de Sijilmassa, mais désormais en direction du Sahara
central. À partir du XIVe siècle, le grand axe transsaharien qui permettait de
relier Sijilmassa-Oualata et le Bambouk ou Oualata-Taoudeni et
Tombouctou s’effaça peu à peu au profit des pistes orientales qui, par Ghat
et Zaouila, conduisaient en Tripolitaine et en Égypte. C’est alors que le
monde économique ouest africain commença à basculer peu à peu vers le
Nord-Est. Puis, à la fin du XIVe siècle, la ville de Tombouctou se développa
et devint le principal pôle commercial de la région. L’historien et
chroniqueur marocain Ibn Battouta qui s’y rendit a décrit la ville et les
routes qui y menaient (Devisse, 1972).
a. Le Ghana
Le royaume de Ghana a été fondé par des Soninké8, mais ce furent peut-
être des Berbères karijites qui ouvrirent la route commerciale
transsaharienne qui partait de Tahert vers Sijilmassa, autre centre karijite
fondé en 757, puis vers Aoudaghost et Ghana. Au nord de Ghana, le
royaume d’Aoudaghost fut fondé au IXe siècle par des Berbères. À partir du
IXe siècle, les Berbères de l’ouest saharien furent semble-t-il rassemblés par
les Sanhadja qui constituèrent une vaste confédération regroupant sous leur
autorité les Lamtouna, les Mésoufa et les Goddala (Djoddala). En 836 ou en
837, sous la direction de Tiloutan, un de leurs chefs, ils firent passer sous
leur autorité les tribus qui vivaient dans la région d’Aoudaghost. En 990, le
royaume fut conquis par le Ghana qui élimina ainsi un rival, tout en lui
ravissant son rôle d’intermédiaire9.
Le Ghana fut d’abord concurrencé et même menacé par le Tekrour qui
attirait le commerce de l’or vers la route transsaharienne la plus occidentale,
celle qui longeait l’Atlantique. Le royaume du Tekrour semble avoir été
fondé au IXe ou au Xe siècle par la dynastie peule des Dia Ogo. Vers 980, elle
fut remplacée par les Manna dont les souverains se convertirent à l’Islam
avant de se rallier au mouvement almoravide. Des Soninké païens prirent
ensuite la tête du royaume et réussirent à en assurer l’indépendance jusqu’à
la conquête par le Mali à la fin du XIIIe siècle.
La décadence de Ghana eut plusieurs causes. La première est climatique :
à partir de 1100 ap. J.-C., la désertification reprit, or, le Ghana était situé en
limite du désert. De plus, de nouveaux gisements aurifères entrèrent en
production dans le Bouré, en pays malinké, dans des régions qui n’étaient
pas tournées vers le fleuve Sénégal mais vers le Niger. L’autre grande
raison tient à l’invasion almoravide qui se fit à la fois vers le Nord et vers le
Maroc comme nous l’avons vu précédemment, mais aussi vers le cœur du
Sahel. À partir des années 1050, les Berbères sahariens qui avaient rejoint
ce mouvement avaient en effet commencé à razzier le Ghana après avoir
conquis ou du moins vassalisé et en partie islamisé le Tekrour (le futur
Fouta Toro) alors dirigé par des chefs soninké. Aoudaghost fut prise en
1054. En 1076, Koumbi Saleh fut conquise et les Almoravides s’y livrèrent
à d’épouvantables massacres restés présents dans la mémoire collective :
décapitation des prisonniers, viol puis éventration des femmes, destruction
de la ville par le feu. Pour échapper aux conquérants, les Soninké partirent
vers le Sud, en direction de l’actuelle Guinée et c’est à ce moment que
débutèrent les grandes migrations qui bouleversèrent la carte ethnique de
cette partie de l’Ouest africain10.
b. Le Mali
L’Empire du Mali ou empire Mandingue qui s’est constitué au XIIIe siècle
a eu une brève existence puisque son apogée se situe au XIVe siècle et sa
disparition au XVe siècle. C’est de l’année 1235 qu’est datée la naissance du
Mali avec la victoire de Soundiata sur les Sosso qui avaient constitué un
royaume dans la région de Koulikoro au nord de Bamako.
Le Mali est le résultat d’une vaste entreprise de conquête réalisée par
Soundiata qui, en moins d’un demi-siècle, constitua un Empire allant de
l’Atlantique à la boucle du Niger, sur une longueur de 2000 km. Cette entité
englobait tout ou partie des actuels États de la Guinée, de la Gambie, du
Sénégal ainsi que l’extrême sud de la Mauritanie, du Niger et du Mali
actuels.
Selon les traditions, le nom de Mali viendrait de ce que, après ses
victoires, Soundiata se serait adressé aux chefs vaincus qui appartenaient
aux ethnies Malinké, Bambara, Sosso, Soninké, Dyula et Peul en ces
termes :
« Tous les rois qui ont lutté contre moi et qui ont été vaincus
conserveront leurs royaumes. L’animal le plus puissant, aussi bien dans
l’eau que la terre est l’hippopotame (« mali » en bambara) et tous
ensemble, nous formons une force encore plus importante que celle de
l’hippopotame et c’est pourquoi l’empire aura pour nom Mali. »
Le déclin du Mali qui fut graduel après le XIVe siècle est illustré par un
phénomène de glissement de son cœur politique vers l’Est, parallèlement à
la perte du contrôle des axes commerciaux transsahariens centraux et
orientaux au profit du Songhay qui prit le contrôle des marchés-foires de
Tombouctou et de Djenné. Le Mali fut dès lors confronté à quatre dangers :
– au Nord, les Touareg lui enlevèrent sa façade saharienne par laquelle il
commerçait avec le Maghreb ;
– à l’Est, le Songhay, lui coupa l’accès à la boucle du Niger, donc aux
routes caravanières menant vers la Tripolitaine et vers l’Égypte ;
– à l’Ouest les Fulbé (Peul) Denianke lui interdirent l’accès à la région de
Ghana, donc aux routes transsahariennes les plus occidentales, dont
celle longeant l’océan Atlantique ;
– sur le littoral, les navires portugais commençaient à fournir les peuples
côtiers en produits et marchandises qu’ils avaient jusque-là l’habitude
de recevoir depuis le Nord, c’est-à-dire depuis le Mali. Se tournant de
plus en plus vers la mer, ils se détachèrent donc de l’Empire du Mali et
certains se constituèrent même en royaumes, à l’image du Salum
(Saloum), du Wuli (Wouli) et du Cantor qui naquirent au XVIe siècle de
la dislocation de ce qui avait été la province gambienne du Mali. Pour
ce dernier, ce fut le coup de grâce car il perdait l’unique fenêtre
maritime par laquelle il aurait pu devenir le partenaire privilégié des
Portugais.
Au moment de l’expédition marocaine du Niger, à la fin du XVIe siècle,
Mahmoud IV du Mali tenta de s’emparer de Djenné afin de rouvrir une
route transsaharienne, mais il fut défait par les Marocains. Dès lors,
l’Empire disparut, les provinces s’émancipant. Sur les ruines de l’unité
impériale naquirent alors plusieurs entités dont les plus importants furent
les royaumes bambara de Ségou et du Kaarta. Quant au Mali, sa dynastie se
replia sur son foyer d’origine autour de Kaaba et de Kita, en zone forestière,
abandonnant le grand commerce international de l’or au profit de celui,
totalement africain et régionalement centré, de la noix de kola.
c. L’Empire Songhay ou Songhaï (Cissoko, 1996)
Selon les traditions, l’empire songhay fut fondé au VIIe siècle par le
Berbère Za el-Ayamen qui fuyait la conquête arabo-musulmane. Cet empire
succéda au Mali et il reprit ses activités en les centrant sur la boucle du
Niger. Le cœur de sa puissance était la ville de Gao située au centre d’un
éventail caravanier transsaharien, d’où le nom d’Empire de Gao qui lui est
souvent donné. Ses dirigeants furent islamisés au début du XIe siècle sous le
règne du roi Jaa Kosoy. À la fin du XIIIe siècle le Mali conquit le royaume
de Gao, mais quelques années plus tard, une nouvelle dynastie monta sur le
trône, celle des Sonni qui réussit à le libérer. Sous Sonni Ali Ber (1464-
1492), la région de Djenné et une grande partie du Macina furent conquis et
en 1468, ce fut le tour de Tombouctou (Abitbol, 1974). À partir de ce
moment, le Songhay développa un impérialisme régional dans plusieurs
directions à la fois :
– au Nord, contre les Touareg qui furent repoussés ;
– au Sud contre les Dogon, les Bariba et les Mossi ;
– à l’Ouest aux dépens du Mali.
Le successeur de Sonni Ali Ber fut Mohamed Sarakollé Touré (1493-
1528) qui islamisa l’empire mais qui dût faire face au Maroc qui convoitait
les salines de Teghaza. Sous l’Askia11 Ishak Ier (1539-1545), les relations se
tendirent avec le Saadien Mohamed Ech Cheik, à telle enseigne que le
premier envoya des Touaregs ravager le Draa marocain. Sous Daoud (1545-
1583) ce fut le temps des compromis avec le sultan Al-Mansour au sujet des
salines disputées ; mais sous Askia Mohammed III (1583-1586) la guerre
éclata, ce qui eut pour conséquence la conquête marocaine et la disparition
de l’Empire (voir plus loin).
Tombouctou
Tombouctou, la « cité mystérieuse », était le port méridional du Sahara entre le
monde méditerranéen et le Bilad al-Sudan (le pays des Noirs). Par Tombouctou, les
productions de l’Afrique noire sahélienne et forestière étaient écoulées en échange
des articles de l’artisanat et des productions agricoles nord africaines. À Tombouctou,
le fret venu du Sud, c’est-à-dire de l’Afrique préforestière ou forestière, consistait en
or du Bouré – sur le Niger –, et du Lobi – sur la Volta-. Les orpailleurs extrayaient des
pépites ou bien récoltaient de la poudre d’or au moment de la décrue des fleuves et
des rivières. Le Sahel exportait également de l’ambre gris, de la gomme arabique,
des peaux d’oryx destinées à la fabrication des boucliers, des peaux de léopard et
des esclaves.
Tombouctou était à la fois le point d’arrivée des caravanes venues du Nord et le point
de concentration de celles qui s’apprêtaient à y retourner. C’est de ce rôle carrefour
que la ville tira son immense prospérité qui se traduisit dans le domaine culturel.
Tombouctou fut en effet à la fois capitale économique, capitale culturelle et ville
sainte. Implanté dans les milieux sahéliens citadins, l’islam fut la religion des milieux
dominants, riches marchands ou cadres politiques. À l’époque de l’empire songhay,
de nombreuses mosquées furent édifiées à Tombouctou dont les trois principales, la
Jingereber, la Sidi Yaya et la Sankore attiraient une foule de fidèles qui visitaient la
« ville sainte » du Soudan.
Enrichie par le commerce, une partie de l’élite citadine songhay donna naissance à
une classe de lettrés qui n’hésitait pas à aller suivre des cours dans les deux plus
prestigieuses universités du monde musulman qui étaient la Karaouiyine de Fès au
Maroc et celle d’Al-Azar au Caire en Égypte. Puis, bientôt, la ville devint à son tour un
phare de l’islam et se mit à attirer les plus grands savants du monde musulman. Au
XVI siècle, au sommet de son rayonnement, Tombouctou abritait une population
e

étudiante et scolaire estimée à plusieurs milliers d’élèves qui suivaient les cours des
maîtres dans les grandes universités de la ville. L’enseignement dans ces medersa
portait sur la théologie mais également sur le droit, la rhétorique, la grammaire, la
logique, l’astronomie, l’histoire et la géographie. En plus de cet enseignement
supérieur, près de deux cents écoles coraniques (ou primaires) existaient. Cet
immense rayonnement intellectuel était cependant fragile car exclusivement lié aux
élites urbaines ; aussi, quand ces dernières furent ruinées et disparurent, le sort de la
ville fut scellé.

2. Entre Sahel et océan


Au XIVe siècle, aux confins des savanes du Burkina Faso et de l’actuel
Ghana, des États furent fondés parmi les peuples de langue voltaïque. Il
s’agit des royaumes mampoursi et dagomba.
Dans la haute région des Volta vivaient trois grands groupes de
population, les « autochtones » (Gourounsi, Sénoufo, Dogon,
Kouroumba, etc.) ; les Mandé (Bisa, Samo, Bobo, Yarsé, etc.) et les Peul.
L’émergence politique des Peul ou Fulbe se fit lentement. Depuis
des siècles, ces pasteurs dont les ancêtres avaient vécu dans le Sahara
suivaient le recul des pâturages provoqué par la sécheresse et ils se
repliaient vers le Sud en direction des plateaux herbeux du Fouta Toro, du
Macina, du Bundu et du Fouta Djalon. À chaque étape, ils devaient se faire
accepter par les sédentaires auxquels ils commençaient par se soumettre,
comme au Fouta Toro, avant, pour certains groupes, de prendre le pouvoir
et de fonder des États.
Vers 1450, n’acceptant plus l’autorité des chefs Mandé du Fouta Toro
auxquels il était soumis, le Peul Dulo Demba décida de migrer, mais ce
mouvement n’entraîna pas tous les Fulbé. Dans les années 1480-1510, sous
les ordres de Tengella et de son fils Koli, ceux d’entre eux qui étaient restés
se soulevèrent contre les Mandé. Ils furent victorieux et Koli fonda
la dynastie des Denianke du Fouta Toro12.
À l’est du lac Tchad, vers 700 ap. J.-C. des arabo musulmans fondèrent
Zaouila au Fezzan, dans une région peuplée de Berbères karijites. Cette
ville-étape était située sur une route d’accès vers le lac Tchad. Au nord de
ce dernier, les pasteurs berbères Zaghawa contrôlaient le commerce des
esclaves et étaient à la tête de la confédération du Kanem. En 872, Al
Yakubi cite le Kanem comme l’un des trois grands royaumes du Sahel avec
ceux de Gao et du Ghana. Probablement fondé au VIe siècle à l’est du lac
Tchad, l’État pastoral du Kanem fut gouverné à partir de la seconde moitié
du XIe siècle par la dynastie Saifawa. Au XIVe siècle, l’accentuation de la
désertification ajoutée à des problèmes politiques la fit s’installer dans les
plaines situées au sud-ouest du lac, au Bornou. Au XIVe siècle, sur les
frontières méridionales du Bornou apparurent plusieurs royaumes, dont le
Baguirmi, le Mandara, le Margi ou encore le Bolewa. Durant le règne
d’Idris ben Ali dit Alowoma (1571-1603 ou 1564-1596) le royaume
s’étendit sur des zones occupées par des peuples agriculteurs13.
En progressant vers le Bornou et le Sud, le Kanem était entré en contact
avec les Haoussa (Hawsa), peuple parlant une langue afrasienne.
L’ethnogénèse des Haoussa est encore sujette à discussions et cela d’autant
plus que leurs traditions ne font à aucun moment référence à une
quelconque migration. Ces mêmes traditions disent même que leurs
ancêtres seraient sortis de trous du sol (Adamu, 1991 : 180). Le mot
Haoussa semble n’apparaître qu’à partir du XVIe siècle :
« Au départ, le terme hawsa est une référence linguistique, les habitants
eux-mêmes se désignant comme hawsawa (hawsaphones). Par la suite
et par restriction, le terme a servi à désigner ceux qui à proximité de
l’empire songhay représentaient directement la collectivité hawsa : à
savoir les anciens royaumes de Zamfara, Kebbi et Gobir. Les non-
musulmans, pourtant hawsaphones, sont dénommés Maguzawa, ou
Azna, c’est-à-dire adeptes de la religion traditionnelle (de l’arabe
madjus). Cela montre le caractère assez récent de l’ethnonyme
Hawsa. » (Adamu, 1991 : 180)
Au XIe siècle le pays haoussa était divisé en plusieurs chefferies ou micro-
États. Entre le XIIe et le XVIe siècles, le monde haoussa se coagula ensuite en
cités-états. Les sept cités haoussa des origines (Daoura, Biram, Gobir,
Kano, Katsina, Rano et Zaria), auraient été, selon les traditions, fondées par
les sept fils d’un musulman blanc qui aurait épousé une princesse indigène.
Gobir, la plus septentrionale, rayonnait à l’origine sur l’Aïr et était en
quelque sorte le « bouclier » du monde haoussa vers le Nord. Selon la
Chronique de Kano, l’islamisation se serait faite au XIVe siècle, mais elle fut
toute relative puisque, et nous le verrons plus loin, c’est pour l’imposer,
qu’au XIXe siècle, Osmane dan Fodio déclencha son jihad.
Plus au sud, en zone forestière, l’apparition des États fut plus tardive que
dans la savane ; certaines régions en étaient encore dépourvues lorsque
débuta la colonisation européenne à l’extrême fin du XIXe siècle. Jusqu’aux
XVIIIe-XIXe siècles une grande partie des actuels Ghana, Liberia, Sierra
Leone ainsi que tout l’est de la Côte d’Ivoire étaient quasi totalement
forestiers et donc largement inhabités.
À partir des XIVe-XVe siècles, venus du Nord sahélien, les Mande, engagés
dans ce qui a été défini sous le nom de deuxième expansion mandé14,
pénétrèrent dans le monde forestier, refoulant devant eux les Kissi qui sont
des locuteurs Mel ou certains mandephones tels les Guro, les Dan ou les
Toma qui les y avaient précédés.
Les raisons de cette expansion ne sont pas clairement établies. Se fit-elle
dans le but de se rapprocher du littoral, donc des Européens avec lesquels
les Mandé auraient cherché à commercer ? Cette thèse stimulante est
néanmoins difficilement acceptable pour une simple raison de chronologie
puisque, du moins dans la phase la plus haute de l’expansion, les Européens
n’avaient pas encore découvert ces régions. Une autre raison tiendrait à
l’effacement du Mali et à la volonté pour les conquérants de se rapprocher
des zones de production d’or. Quoi qu’il en soit, il est possible de mettre en
évidence deux vagues conquérantes en direction et à travers la forêt :
1. celle des Kono et des Vai, les premiers s’installant dans l’intérieur et
les seconds se dirigeant vers le littoral avant l’arrivée des Portugais qui
donnèrent à ces derniers le nom de Galinas en raison du nombre élevé
de leurs volailles, d’où le rio Galinas.
2. avec la seconde phase de la seconde expansion ou invasion mande (ou
mane) qui débuta dans le premier quart du XVIe siècle, il est possible de
noter cette fois une évidente volonté de s’ouvrir un accès à la mer afin
d’aller à la rencontre des Portugais.
Plus à l’est, plusieurs siècles avant J.-C. des peuples de langue edo
avaient pénétré la forêt à l’ouest du fleuve Niger, dans des régions où ils
développèrent par la suite des sociétés villageoises avec villages clos de
murs de terre. Dans la trouée du Dahomey, conséquence de la disparition de
la forêt sous l’action des défricheurs, certains peuples de langue aja, à
savoir les Ewe et les Fon fondèrent un royaume qui eut ultérieurement un
grand rayonnement sous le nom de Dahomey.
Parmi les Yoruba, les Edo Nupe et les Jukun vivaient dans la zone entre
savane et forêt au sud de la région peuplée par les Haoussa. C’est là que se
développa le royaume d’Ifé célèbre pour ses bronzes datés des IXe-
Xe siècles. Il eut pour successeur le royaume edo du Bénin apparu vers
l’an 1000, seul autre État de la forêt de réelle importance à l’époque. Au
XVIIe siècle, le royaume edo entra en décadence avant de disparaître. Les
cités-États yoruba étaient soit isolées les unes des autres, soit fédérées. La
seule exception est constituée par le royaume d’Oyo qui était centralisé et
qui fédéra certaines entités périphériques à partir du XVIIe siècle (Shaw,
1978). À l’est du Niger les communautés ibo ne fondèrent pas d’État bien
qu’elles aient pratiqué à la fois le commerce et l’artisanat.
Dans la grande forêt équatoriale, à l’ouest de la cuvette du Congo,
certains peuples vivant dans la bordure nord de la sylve, comme les
Ngbandi et les Nzakara semblent émerger vers 1600. Les seuls États
durables n’apparurent cependant que lorsque certaines conditions naturelles
et politiques étaient réunies, permettant le développement de noyaux de
population relativement denses. Ce fut le cas dans la région de la bordure
sud de la forêt avec le royaume Kuba, émanation du peuple Mongo et qui
apparut au cours du XVIIe siècle. Plus à l’ouest, le royaume Kongo, lui aussi
en bordure de la forêt, unifia divers clans déjà groupés en chefferies aux
XIVe-XVe siècles et les coagula, les agrégea par la force autour de Mbanza
Kongo, comme nous le verrons plus loin.

C. La région interlacustre et l’Afrique orientale


La région nord interlacustre a une grande tradition originelle et fondatrice
qui fait remonter toutes les innovations : métallurgie, élevage, culture du
sorgho, etc. à des héros civilisateurs « tombés du ciel ». Il s’agit de la
tradition Bachwezi-Kitara (Doyle, 2005). Plus à l’Est, vers l’océan Indien,
la situation était tout à fait particulière et originale. À l’isolement de l’ouest
atlantique au sud du cap Bojador, correspond l’ouverture de la côte de
l’Afrique orientale et son intégration ancienne au système économique qui
l’associait au monde de la mer Rouge et de l’océan Indien. Il en est tout
naturellement résulté l’interpénétration des divers courants culturels
transmis par les peuples ainsi mis en contact. C’est d’elle qu’est sortie la
civilisation swahili.

La région interlacustre
Entre les lacs Kyoga et Albert au Nord et la rivière Malagarasi au Sud, s’étend en
Afrique orientale un domaine géographique original limité à l’Est par le lac Victoria et
à l’Ouest par les rebords de la cuvette congolaise. Il s’agit de la région interlacustre
dont les étendues d’eau douce (notamment les lacs Albert, Edouard, Kivu,
Tanganyika, etc.) sont enchâssées dans la branche occidentale de la Rift vallée,
dominée par un massif montagneux culminant à plus de 5 000 mètres dans la région
du Ruwenzori.
Région de volcanisme récent et même actuel avec le Nyiragongo, l’Afrique
interlacustre se présente sous la forme d’un couloir de hautes terres partageant le
bassin du Nil de celui du Congo. La ligne de partage des eaux se situe au Rwanda
avec la crête Congo-Nil, large de 25 à 50 km et longue d’environ 200 km.
En plus de sa vocation de passage obligé pour les migrations, la région est favorable
à l’installation humaine, tant par son climat exceptionnellement clément sous ces
latitudes, que par son régime des pluies axé autour de deux saisons principales et de
deux saisons secondaires. Les abondantes précipitations qui permettent des récoltes
en principe régulières y donnent naissance à de nombreux fleuves ou rivières et à
des marais qui cloisonnent le paysage, sans toutefois apparaître comme des
barrières infranchissables.
Dans toute la région, l’altitude permet de distinguer trois grandes zones :
1. la zone comprise en dessous de 1400-1500 m recouvre l’est de la région vers le
lac Victoria et était traditionnellement vouée à l’élevage, sauf durant les cycles de la
mouche tsé-tsé ;
2. la zone d’altitude moyenne, entre 1 500 et 1 800 m située de part et d’autre de la
crête Congo-Nil est une zone mixte qui traditionnellement associait élevage et
agriculture (Schoenbrun, 1993) et qui, de plus, est exempte de tsé-tsé ;
3. la zone de haute altitude, au-dessus de 1 800 est une région de défrichements
récents.

1. Le Kitara15
La région a connu plusieurs vagues de peuplement. Celle qu’il est
convenu de désigner sous le nom de migrations des bantuphones remonte
comme nous l’avons vu aux derniers siècles avant l’ère chrétienne. Les trois
autres ont atteint la région après l’an mille. Il s’agit de celle des Batembuzi
sur laquelle nous ne sommes pas documentés, de celle des Bachwezi et
enfin de celle des Babito. Selon les traditions, la dynastie des Bachwezi
aurait fondé l’empire du Kitara dont la capitale était Bigo bya Mugenyi et
aurait unifié toute la région. Sa dislocation aurait donné naissance aux
nombreuses entités politiques de la région interlacustre.
Ces échos légendaires sont porteurs d’une réalité qui est que l’ensemble
ou le complexe kitara constitua bien un État. Il semble même avoir
constitué la manifestation étatique la plus ancienne et la plus vaste de la
région interlacustre puisque, vers le XIVe siècle (?), elle s’étendit sur une
grande partie de l’Ouganda actuel (Bunyoro, Toro, Nkore), sur la partie de
l’actuelle Tanzanie comprise entre le lac Victoria et le fleuve Kagera ainsi
que sur une partie du nord Kivu.
Qui étaient les Bachwezi ? Deux hypothèses principales sont en
présence :
– la première considère qu’il s’agit de pasteurs, locuteurs couchitiques,
venus de l’Est africain et plus particulièrement de la Corne de
l’Afrique, et desquels descendraient à la fois les Hima et les Tutsi. Ces
migrants se seraient infiltrés dans la région au XIIIe ou au XIVe siècle.
Alliés à certains clans bantuphones auxquels ils se seraient mélangés,
ils auraient constitué un État dont ils formaient l’aristocratie ;
– la seconde hypothèse ignore les vagues migratoires dont nous avons
parlé plus haut et privilégie une évolution locale avec prise du pouvoir
par des chefs autochtones qui étaient les Bachwezi.
Quoi qu’il en soit de ces hypothèses, l’ensemble Kitara demeure une
nébuleuse sur laquelle nous sommes très mal renseignés et qui, selon les
traditions, pourrait avoir émergé au XIVe siècle sous l’impulsion du
Bachwezi Ndahura, chef du Bugangaizi, région faisant partie du Bunyoro.
Était-ce un empire organisé ou un vaste complexe pastoral unissant ou
rassemblant des chefferies au moyen de liens plus ou moins lâches, à
l’image du monde masaï pré-colonial ? Nous l’ignorons. Notre hypothèse
est qu’il devait s’agir d’une sorte de confédération de clans pastoraux
contrôlée par les derniers arrivants. Ce qui est en revanche certain c’est
qu’il recouvrit le Bunyoro, le Toro, une partie du Nkore et du Buganda.
L’ensemble Kitara annonçait ce qui allait être le modèle politique
régional reposant sur la domination exercée par la vache et la lance sur la
houe et les greniers (Lugan, 1983a). Avec le complexe Kitara et ses
successeurs, nous suivons en fait l’intrusion des dernières vagues pastorales
venues du Nord-Est couchitique ou (et) du Nord nilotique (nilo-saharien).
Le successeur de Ndahura fut son fils Wamara qui aurait pu « régner » à
la fin du XIVe siècle et qui fut incapable d’empêcher la dissociation de
l’ensemble sous le coup de plusieurs invasions, dont celles des Hima et
surtout des Luo, commandés par le chef Labongo, qui éliminèrent les
Bachwezi. La durée de l’empire Bachwezi du Kitara fut donc très brève
puisqu’elle s’étendit sur deux règnes à peine.

2. Les migrations des Luo


L’empire Bachwezi disparût donc sous la poussée de certaines
populations nilotiques parmi lequelles les Luo ont joué un rôle déterminant.
À la fin du premier millénaire ap. J.-C., le nord de l’Ouganda actuel et la
région de l’Ituri dans l’actuelle RDC, étaient peuplés par des populations
nilotiques parlant des langues du groupe central Soudanique. Des locuteurs
soudanais oriental venus du Nord ou (et) du Nord-Ouest, la colonisèrent
ensuite peu à peu, à telle enseigne qu’aujourd’hui, elle n’est plus peuplée
que par leurs descendants, à l’exception des Moru et des Madi, derniers
survivants de l’ancien peuplement central soudanique16.
Le mouvement de population qui se déroula du XVe au XVIIe siècles au
sein de l’ensemble nilotique fut le fait de populations originaires du sud de
l’actuel Soudan divisées en deux groupes, celui de l’Est et celui de l’Ouest,
ces derniers étant eux-mêmes divisés en de nombreux sous-groupes :
– le rameau oriental était uniquement pastoral et ses principaux
descendants sont aujourd’hui les Kalenjin du Kenya, les Massai17, les
Karamojong et les Teso ainsi que les Bari-Kakwa d’Ouganda. Ce
rameau est celui des « Nilotes des plaines » ou paranilotiques ou Itanga,
dont les membres ont l’interdit du poisson ;
– le rameau occidental, celui des « Nilotes des rivières et des lacs »,
était composé à la fois de pasteurs et d’agriculteurs. Il s’est divisé en
deux, une partie migrant vers le Nord et l’autre vers le Sud ;
– certains partirent vers le Nord et ce sont les ancêtres des Alur, des
Acholi et des Paluo du nord de l’Ouganda et de l’Ituri ainsi que des
Shilluk, ces derniers descendant la vallée du Nil pour aller fonder un
puissant État au sud de Karthoum ;
– d’autres migrèrent vers le Sud et se dirigèrent vers la région du lac
Victoria, où leurs descendants les plus connus sont les Luo du Kenya18.
Les ancêtres des Luo étaient établis entre les monts Agoro et le lac
Turkana entre les XIIe et XIVe siècles. Là, ils se scindèrent en deux
groupes, celui des Luo du Nord et celui des Luo du Sud :
• les ancêtres des Luo du Sud migrèrent vers la région interlacustre où
ils se métissèrent en partie avec les Hima, avant d’éclater en plusieurs
sous-groupes. L’histoire de leurs déplacements explique une grande
partie de la très complexe histoire ethnique régionale car, durant le
règne du Chwezi Wamara, au XIVe siècle, certains de ces groupes
pénétrèrent dans l’ensemble du Kitara dont ils changèrent les
équilibres ethniques et politiques ;
• les ancêtres des Luo du Nord restèrent tout d’abord dans la zone de
semi sédentarisation située entre les monts Agoro et le lac Turkana. Ils
ne suivirent donc pas le mouvement en direction du Kitara et ils furent
rassemblés par Owiny qui vivait au début du XVe siècle et qui créa un
État luo, le Tekidi. Ayant épousé une Hima, Owiny en eut un fils,
Rukidi. Ce dernier se brouilla avec son père, puis il se réfugia au
Kitara auprès de ses cousins qui y étaient déjà installés. Selon les
traditions, c’est lui qui y aurait fondé la nouvelle dynastie dirigeante,
celle des Babito (Ehret, 1975).

3. Le Ruhinda-Hinda et le Rwanda
Wamara renversé, les Bachwezi furent massacrés et l’empire coupé en
deux zones ethniques :
– au Nord, se constitua le Bunyoro, un État Luo dirigé par le clan ou
l’aristocratie Babito ou Bito (des Nilotiques occidentaux)19 ;
– au Sud, se constituèrent les chefferies hima, l’Ankole, le Karagwe, le
Buganda20, le Rwanda et le Burundi.
Sur les décombres de l’ancien ensemble du Kitara apparurent donc
plusieurs États dirigés par des pasteurs dont certains affirmaient être les
descendants des Bachwezi. Parmi eux, l’ensemble hinda ou Ruhinda, du
nom de son fondateur, s’établit sur l’Ankole, le Buzinza, le Rwanda et le
Burundi où il imposa la domination Hima-Tutsi aux agriculteurs
« bantuphones » dont certains étaient déjà largement organisés en mini-
États ayant leurs dynasties propres.
Ruhinda (± 1 400 à ± 1450 ?), contemporain de Wamara, le second
souverain du Kitara avait été nommé chef des troupeaux de la cour
bachwezi. Wamara ayant été détrôné et les Bachwezi massacrés, Ruhinda
partit pour le Karagwe où il prit le pouvoir avant de faire de même au
Nkore. Finalement, il devint le maître de toute la partie sud de l’ancien
ensemble du Kitara comprenant le Nkore, le Karagwe, le Buzinza et le
Kyamutwara, ces trois derniers ensembles étant situés entre le lac Victoria
et le Rwanda. À sa mort ses conquêtes se disloquèrent pour donner
naissance à quatre royaumes indépendants, le Nkore, le Karagwe, le
Buzinza et le Rwanda.
La question des origines du Rwanda a fait couler des flots d’encre. À la
tradition officielle des milieux de la cour telle qu’elle fut mise en forme par
l’abbé Kagamé (1956 ; 1959 ; 1972 ; 1975 ; 1981), d’autres historiens ont
opposé une vision moins « géométrique » et pour tout dire moins
déterministe (Vansina, 1962 et 2001 ; Nahimana 1993). Ces
reconsidérations n’enlèvent cependant rien à une certitude historique : le
royaume du Rwanda tel qu’il existait à la fin du XIXe siècle est une création
du clan tutsi nyiginya appuyé sur les clans Bega et Sindi et ce mouvement
d’unification débuta sous le règne de Ruganzu I Bwimba21.
Ayant pénétré dans la région avec les dernières vagues pastorales venues
du Nord, les Nyiginya22 créèrent le Rwanda en unifiant, en rassemblant, puis
en coagulant les groupes pastoraux qui les avaient précédés et dont ils firent
les Tutsi. Ils opérèrent lentement et en deux phases :
– durant la première, et alors qu’au départ l’entité nyiginya n’était que
l’un des groupements tutsi, elle conquit ou acquit les chefferies,
principautés ou royaumes dirigés par d’autres Tutsi, les unissant, les
agglomérant à eux pour finalement les unir autour du principe
monarchique qu’ils incarnaient23. Selon les traditions officielles de la
cour, les Nyiginya s’installèrent d’abord à Gasabo, au Buganza, près du
lac Mohazi d’où ils entreprirent la conquête progressive de ce qui
deviendra le Rwanda. Les récits légendaires ne permettent pas d’en
savoir davantage24 ;
– dans une seconde étape, une fois le bloc tutsi constitué25, les Nyiginya
entreprirent de s’étendre en zone « hutu ».
À la différence des Tutsi, chez les Hutu, aucun groupe fédérateur ne
s’imposa pour fonder un État, et pourtant, nombre de principautés ou de
royautés hutu existaient (Nahimana, 1979a, 1979b, 1982, 1993), mais les
Hutu n’eurent pas « leurs » Nyiginya pour les réunir.
Les Nyiginya et les groupes qui leur étaient apparentés se désignaient par
le nom d’Ibimanuka ou « Tombés du ciel ». Cette image traduit une réalité
qui est que nous sommes en présence des derniers groupes pastoraux arrivés
dans la région, peut-être entre les Xe et les XIIe siècles, dans tous les cas, bien
après les autres « Tutsi » ou « pré-Tutsi » qui les y avaient précédés. Afin
de se valoriser, puis de justifier leur pouvoir ultérieur, ils recomposèrent
leurs origines en postulant leur supériorité « consubstantielle ». Affirmant
qu’ils étaient d’essence divine, ils se prétendaient porteurs de tous les
principes civilisateurs et affirmaient qu’ils avaient donc vocation à
commander aux Hutu, mais également aux Tutsi arrivés avant eux (De
Heusch, 1966).
Les mythes tutsi véhiculant la notion d’inégalité originelle entre les trois
populations du pays (Tutsi, Hutu et pygmées Twa) furent acceptés par les
Hutu, mais sans que l’on sache toutefois à la suite de quel processus
(De Heusch, 1966 : 370-371 ; Vidal, 1971 : 334). L’historiographie du
Rwanda a ainsi associé Nyiginya et peuplement tutsi du Rwanda, gommant
de fait l’histoire des ancêtres des Tutsi arrivés à partir du néolithique
pastoral (± 1500 av. J.-C.), soit avant les migrants bantuphones. Il fut donc
admis que les Tutsi, peuple « envahisseur », avaient conquis le Rwanda où
les « indigènes » Hutu furent peu à peu colonisés et réduits en servage. En
définitive, les Nyiginya imposèrent à tous les habitants du Rwanda leur
propre vision de la conquête du pays, mais en ôtant à l’ensemble des Tutsi
leur légitimité « indigène », faisant même d’eux des étrangers sur leur
propre terre.

4. L’Afrique orientale
À l’est du lac Victoria, les cultures étaient segmentées, sans apparition
d’États. Nous sommes ici en présence d’une zone de contact entre trois
grands ensembles ethno-linguistiques : sud-couchitique, bantuphone et
nilotique, ce dernier subdivisé en nilotiques dits « des hautes terres »
(Kalenjin) et nilotiques dits « des plaines » (Teso et Karamojong).
Vers le Xe siècle, le centre de l’actuelle Tanzanie fut occupé par des
agriculteurs bantuphones, ancêtres des Sukuma et des Nyamwezi. À la
même époque, d’autres agriculteurs, tels les ancêtres des actuels Kikuyu,
commencèrent à coloniser et à défricher les régions d’altitude dans les
Highlands du Kenya. Le phénomène fut identique dans les hautes terres des
régions du Kilimanjaro avec les Chagga ou encore avec les Shambaa du
nord-est montagneux de la Tanzanie.
Encore plus à l’Est, la côte de l’océan Indien ne présente pas d’obstacles
majeurs. Ici, les courants et les vents, favorisent la navigation. Les Arabes
connaissaient les routes de l’océan Indien occidental bien avant
l’islamisation, mais c’est à partir des VIIe-VIIIe siècles que commencèrent les
grands voyages d’exploration qui allaient aboutir à la constitution de leur
« empire » commercial dans la région (Vérin, 1975 ; Wright, 1992b)26. Les
causes de cette expansion sont multiples. Aux raisons commerciales il
convient d’ajouter les évènements politiques ou religieux qui secouèrent la
péninsule arabique et les régions bordières du golfe Persique entre les VIIe et
XIIIe siècles. Durant cette période, les conflits religieux entraînèrent ainsi le
départ de nombreux proscrits, dissidents ou fuyards, qui allèrent tenter
fortune sur la côte des Zenjs (Noirs), où ils constituèrent de petites entités
autonomes, sortes de cités-États ayant parfois leurs propres colonies ou
dépendances.
Dès le VIIIe siècle, certains princes de la région d’Oman s’établirent ainsi
sur la petite île de Pate. Des fouilles ont permis de mettre au jour des
vestiges datés de la fin du VIIIe siècle sur l’île de Zanzibar et Kiloa (Chittick,
1974) semble être fondée à la même époque. Plus tard, au Xe siècle, des
shiites s’installèrent à Mogadiscio et à Barawa et des Persans originaires de
Chiraz s’emparèrent de Mombasa, de l’île de Pemba, de Kiloa et d’une
partie des Comores où leur présence est attestée à Anjouan (Chittick, 1965).
Dès les VIIIe-XIe siècles, des Yéménites, entre autres, sont installés à
demeure dans ces villes. Les fouilles ont mis au jour des vestiges de
maisons en dur avec des soubassements de corail et les parties supérieures
construites en briques ; outre des poteries sassano-islamiques, elles ont livré
du verre originaire du golfe Persique, un peu de céramique chinoise ayant
transité par Chiraz, des perles faites à partir de coquillages, des restes de
travail de forge et des pesons de quenouilles. Durant cette période dite
« archaïque, le littoral est-africain est tourné vers le golfe Persique (Verin,
1967 ; 1975) et les premiers établissements naissent et se développent. À
l’époque suivante, ils connurent un essor considérable parallèlement au
renforcement de l’islamisation.
Les XIIe-XIIIe siècles furent ceux de la confirmation de l’importance du
golfe Persique dans l’histoire du littoral de l’Afrique orientale dont la
principale ville était alors Mogadiscio. Ce fut également une période de
prospérité car les fouilles archéologiques ont permis de mettre en évidence
une augmentation des relations avec la Chine27.
Le commerce d’exportation de l’Afrique orientale portait sur des
matières premières à destination de la Péninsule arabique, de la mer Rouge,
d’Alexandrie, du golfe Persique et du littoral occidental de l’Inde. Il portait
sur l’ivoire, le bois de charpente, l’encens, les peaux de léopard, les écailles
de tortue, les plumes, ainsi que sur les esclaves28. Le commerce
d’importation reposait sur les productions des divers artisanats asiatiques
comme les produits de forge, les étoffes, les soieries, le verre, les perles, la
céramique chinoise, les épices, etc. Ces articles étaient destinés soit à
satisfaire la demande des riches musulmans installés dans les villes côtières,
soit aux transactions avec les peuples courtiers de l’intérieur comme les
Nyamwezi, les Kamba ou les Yao qui étaient les partenaires africains du
monde swahili. À cette période qui correspond à la domination du golfe
Persique et plus particulièrement à celle de Siraf, d’où le nom de période
chirazienne qui lui a été donnée, succéda une nouvelle période yéménite.
Le changement se produisit à partir du moment où Kiloa qui possédait les
comptoirs de Quelimane et de Sofala (Liesegang, 1972) passa sous la
domination d’une dynastie yéménite et devint plus importante que
Mogadiscio. Kiloa contrôlait en effet le commerce de l’or qui se faisait à
partir de Sofala vers les « royaumes des savanes » et le
Zimbabwe/Monomotapa. À cette époque, les arabo-musulmans étaient les
maîtres de la totalité du littoral est africain, depuis la Somalie au Nord,
jusqu’à Sofala au Sud29 et ils contrôlaient les deux routes maritimes de
l’Océan Indien :
– la plus septentrionale mettait en relation la mer Rouge, donc le monde
méditerranéen, et l’ensemble asiatique par le littoral de Malabar (la côte
occidentale des Indes) ;
– quant à la seconde, la plus méridionale, elle longeait le littoral africain.
Ces deux routes étaient reliées l’une à l’autre. Vers le Nord, le pivot de ce
commerce « triangulaire » était le port d’Aden, lui-même en relation avec
Alexandrie, point d’aboutissement du commerce asiatique, et ville avec
laquelle Venise avait noué des relations très étroites. De Sofala jusqu’à
Mogadiscio, des villes commerçantes se partageaient le littoral. À aucun
moment elles ne constituèrent un État unifié ou même homogène.
Indépendantes les unes des autres, elles avaient des liens directs avec les
régions d’Arabie ou du golfe Persique d’où étaient originaires leurs
dirigeants.
Les principales de ces cités-États étaient, du Nord vers le Sud,
Mogadiscio et ses dépendances comme Barawa, Malindi et son annexe
Gedi (Martin, 1973) ; Mombasa, et vers le Sud, l’importante ville de Kiloa
avec ses nombreux satellites dont Sofala qui cherchait à secouer la
domination de sa métropole. Mogadiscio, Mombasa et Kiloa devaient
compter au moins 10 000 habitants. À l’exception de légères tentatives dans
l’arrière-pays de Sofala, ces entités ne tentèrent pas de coloniser l’intérieur
des terres. Quant à Zanzibar, l’« île aux parfums », son passé est riche
puisque le Périple de la mer Érythrée30, source grecque datant du Ier siècle
de l’ère chrétienne la mentionne sous le nom d’« île Ménouthias ».
Ces villes littorales ou insulaires qui étaient grouillantes d’animation
offraient un aspect d’agglutinement des constructions avec des ruelles
étroites. La société y était coloniale dans la mesure où ses créateurs et leurs
descendants occupaient la position dominante. La hiérarchie était composée
de trois groupes : les dirigeants arabes ou arabo-persans formaient une élite
peu nombreuse s’appuyant sur les Swahili. Ces derniers étaient des métis
arabo-africains islamisés. À la base, se trouvaient les Noirs, esclaves ou
serviteurs libres. À la tête de chaque cité ou groupement de cités, on parlait
alors de principauté, régnait un souverain, sultan issu de la famille la plus
prestigieuse, souvent descendant du ou des ancêtres fondateurs.

L’origine des Swahili


La question de l’origine et donc de l’identité des swahiliphones a donné lieu à de
nombreux débats. Dans l’immensité de la documentation, deux grandes
interprétations se dégagent :
Pour les tenants de la première hypothèse, nous sommes en présence de
l’agglomération de groupes différents composés d’Africains côtiers (Mijikenda,
Pokomo, etc.), d’Arabes (qu’il s’agisse d’Omanais ou de Yéménites de
l’Hadramaout), de Persans et d’originaires de la côte de Malabar, dont les relations
sont largement antérieures à l’islamisation, et nous l’avons montré précédemment,
mais qui furent coagulés par l’islam.
Contrairement à cette idée classique selon laquelle la civilisation swahili résulte de la
rencontre, puis de l’osmose entre autochtones et Arabes, la seconde hypothèse
avance une interprétation moins « créole » et plus africaine (Spear, 1996)31.
Or, il n’y a pas lieu d’opposer ces deux approches mais de les replacer dans la
longue durée. Plutôt que d’hypothèses, il s’agit en effet de deux périodes historiques
dont le pont est constitué par l’islamisation laquelle impliqua le renforcement de
l’arabisation.
Un des travers de certains africanistes contemporains est de considérer que les
travaux faits par leurs prédécesseurs doivent être systématiquement reconsidérés au
nom de la « modernité », ce qui conduit régulièrement à obscurcir ce qui avait été
clairement démontré auparavant. Dans le cas présent, des spécialistes comme le
sont Middelton (1992) et Horton (1992 et 2000), n’ont ainsi fait que confirmer en
d’autres termes ce que Pierre Verin a si lumineusement mis en évidence dans sa
thèse (Verin, 1975), à savoir que la civilisation swahili qui est maritime est ancrée sur
le littoral africain de l’océan Indien et sur ses échelles commerciales insulaires. De
même, quand ils écrivent que les Swahili ont joué un rôle d’intermédiaires entre les
réseaux commerciaux extérieurs à l’océan Indien (Asie et monde méditerranéen) et
les centres de production de l’intérieur du continent africain, ils ne font que redire ce
que l’on savait depuis plus d’un demi-siècle. En effet :
1. l’unité du monde swahili repose sur le commerce pratiqué par des marchands
citadins exportant les matières premières africaines (ivoire, peaux, or, etc.), ainsi
que les esclaves à destination des mondes extérieurs ;
2. à ce trait primordial s’ajoutent la langue, les éléments culturels (poésie, littérature,
architecture) et l’islam.
D. L’Afrique australe et Madagascar
L’immense plateau compris entre le Limpopo au Sud et le Zambèze au
Nord a, dès le IIe siècle ap. J.-C., attiré des cultivateurs qui y développèrent
des sociétés particulièrement organisées. Quant à Madagascar, elle est
demeurée vierge de tout peuplement humain jusque vers le VIIIe siècle de
l’ère chrétienne. Sur la côte, existent au Xe siècle des établissements qui sont
en relation avec les Comores et l’Afrique orientale et sur le plateau central
les premières communautés agricoles cultivant le riz et les taros semblent
être présentes au XIe siècle.

1. L’Afrique australe
Dès la fin du Ier millénaire ap. J.-C., la région comprise entre Zambèze et
Limpopo était productrice d’or et Al-Masudi y fait référence en 916. Elle
était en relation, au moins indirecte, avec le littoral de l’océan Indien car
des perles importées d’Asie ont été mises au jour sur des sites datés
du VIIe siècle.
À Nthabazingwe (Leopard’s Kopje), dans les environs de Bulawayo, au
Zimbabwe actuel, un style nouveau de poterie a été découvert, associé à des
activités pastorales. Daté du XIe siècle, il a été attribué aux ancêtres des
Shona qui paraissent prendre alors possession du plateau, s’insinuant entre
les groupes qui les y avaient précédés et qui semblent conserver un temps
leur mode de vie et leurs styles céramiques propres.
À la fin du XIe siècle, une première citadelle bâtie en pierre est élevée à
Mapungubwe, au sud du Limpopo, dans l’actuelle Afrique du Sud,
quasiment dans la zone des trois frontières entre la RSA, le Botswana et le
Zimbabwe, sur une colline dominant les pâturages environnants. La
richesse des sépultures témoigne du haut niveau culturel de cette entité
shona (Beach, 1980a ; 1980b ; 1984). L’installation à Mapungubwe dura un
peu moins de deux siècles car le site fut abandonné vers 1250 quand toute
cette partie de la vallée du Limpopo fut désertée par sa population. Que
s’était-il passé ? Un brusque élargissement de la zone de la mouche tsé-tsé ?
Un épisode localisé de sécheresse ? Un épuisement des ressources du
milieu ? Nous l’ignorons. Une seule hypothèse doit être écartée, celle d’une
invasion ou d’un conflit car les fouilles ne permettent pas de mettre en
évidence une fuite rapide des habitants. Tout semble en fait s’être passé
comme si un glissement de population s’était progressivement opéré vers le
Nord, c’est-à-dire vers le centre de l’actuel État du Zimbabwe, à Grand
Zimbabwe où, au XIIIe siècle, commença à être édifiée une ville composée
d’imposants bâtiments dont les vestiges ont conservé une belle apparence.
Grand Zimbabwe était un pôle politique et commercial important dont
dépendait la prospérité des ports arabo-swahili de Kiloa et de Sofala sur le
littoral de l’océan Indien où parvenait l’or qui y était extrait. C’est par
dizaines que des ruines de pierre ont été découvertes dans la région
comprise entre Zambèze et Limpopo et débordant sur quatre États
modernes, Zimbabwe, Mozambique, Malawi et Zambie. Elles permettent de
mesurer l’influence qu’eut Grand Zimbabwe, dont le cœur était le pays
Shona, le Mashonaland de la littérature coloniale. Le nom même de
Zimbabwe est d’ailleurs shona et dans sa signification ancienne il veut dire
« cour du roi ». À la fois lieu de culte, résidence des rois et kraal pour le
bétail, Grand Zimbabwe était situé au cœur d’une zone peuplée. La ville
elle-même couvrait une superficie de 78 hectares et abritait une population
d’environ 18 000 personnes (Huffman et Vogel, 1991 : 71).
Le site commença à être abandonné vers la fin du XVe siècle et la
décadence s’amorça pour deux raisons. La première est clairement
environnementale puisqu’elle est liée au surpâturage et au déboisement qui
provoquérent l’appauvrissement des herbages. La seconde semble être liée
au déplacement du cœur politique et économique qui glissa à la fois vers le
Sud et vers l’Ouest, quand le clan Rozwi domina la région de Zimbabwe.
Ce phénomène est lié au déplacement de la voie d’exportation de l’or vers
la vallée du Zambèze où les sites d’Igombe Ilede, – quasiment au confluent
du Zambèze et de la Kafué –, témoignent de la richesse du lieu.
L’exportation de l’or se fit alors vers le port d’Angoche.

Zimbabwe
Les ruines de Zimbabwe ont longtemps hanté les imaginations. Évoquées pour la
première fois par le missionnaire allemand A. Mérensky de la Mission Évangélique de
Berlin, elles furent révélées par un autre Allemand, le géologue Karl Mauch, celui-là
même qui, en 1866, découvrit les premières mines d’or en Afrique du Sud32.
Grand Zimbabwe apparaît d’abord comme un mur, comme une imposante muraille
ceignant le sommet d’une colline et se confondant avec la roche. Puis, au fur et à
mesure que l’on s’en approche, la majesté du lieu apparaît33 car le site ne manque
pas d’allure. Il est dominé par l’Acropole, lui-même composé de blocs de granit reliés
les uns aux autres ou même raccordés par des murs formant de petits couloirs et de
multiples petits enclos ou kraals. Le plus vaste d’entre eux est le plus occidental. Les
ruines situées sur la colline de Zimbabwe dominent de presque 80 m la savane
environnante. Elles ne constituent qu’une petite partie d’un vaste ensemble composé
de murs en ruine d’une part et d’un édifice de taille impressionnante, aux murs
énormes, l’Acropole (Acropolis Hills) qui domine le Grand Enclos (Great Enclosure)34.
Les premières constructions semblent avoir été faites dans la vallée dominée par
l’Acropole entre la fin du XIIIe siècle et le début du XIVe siècle. Quant au Grand Enclos,
caractérisé par ses murs massifs, il fut érigé petit à petit, probablement à partir du
début du XVe siècle. Il s’agit d’un mur d’enceinte d’une hauteur moyenne de 7,30 m
avec une épaisseur de 5,50 m à la base et de 3,60 m à 1,30 m au sommet. Cette
construction impressionnante est décorée sur plus de 50 m par un motif à chevrons.
À l’intérieur de cette enceinte, un autre mur dont la finalité est inconnue est demeuré
inachevé. Il constitue une sorte d’étroit couloir conduisant à une grande tour conique
dont on ignore la signification et qui domine le Grand Enclos. Ce dernier est lui-même
divisé en plusieurs petits enclos, à la manière des kraals traditionnels des éleveurs
shona. L’architecture du Grand Zimbabwe est en effet une évolution des techniques
locales et elle ne doit rien à des influences extérieures, notamment arabes, comme
on l’a trop longtemps écrit35. Les techniques utilisées sont simples et ne connaissent
ni les voûtes, ni les dômes (Phillipson, 1993 : 233). La nouveauté est que la paille et
le banco sont ici remplacés par de la pierre. Dans l’enclos, les murs prennent appui
sur d’énormes blocs rocheux qu’ils relient les uns aux autres (Garlake, 1973). Cet
immense édifice était probablement la demeure des souverains de Grand Zimbabwe.
Les fouilles entreprises dans cette enceinte ont permis de mettre au jour un matériel
archéologique composé de bijoux en or, d’objets en cuivre, ainsi que de grandes
quantités de perles provenant d’Extrême Orient et datées du XIVe siècle.

C’est alors qu’apparut une nouvelle dynastie dont les souverains


portaient le titre de Mwene Mutapa (littéralement le « maître du pillage »)
d’où le nom dérivé du royaume de Monomotapa. Le premier de ces
souverains fut Mutota et c’est semble-t-il sous le règne de Mutope, second
roi, fils et successeur de Mutope, que la capitale fut déplacée vers le Nord,
loin de Grand Zimbabwe.
À la fin du XVe siècle, vers 1490, la dislocation territoriale s’accentua
quand le sud du royaume prit son autonomie. L’Empire Shona qui s’étendit
sur les actuels États du Zimbabwe, de l’est du Botswana et sur une partie du
Mozambique disparut et bientôt, il ne resta plus du Monomotapa qu’un
territoire tout en longueur, suivant le Zambèze jusqu’à l’océan Indien. Au
XVIe siècle, quand les Portugais s’installèrent sur le littoral africain de
l’océan Indien, Zimbabwe était déjà entré en décadence. À partir du
XVIe siècle, ils en firent une sorte de protectorat36.
Plus au sud, dans l’actuel Botswana, sur la bordure orientale du désert du
Kalahari, où, durant le Ier millénaire de l’ère chrétienne les pluies furent
relativement abondantes, une culture pastorale apparut, connue sous le nom
de tradition Toutswe qui dura jusqu’au XIIIe siècle quand la sécheresse et le
surpaturage provoquèrent sa disparition.

2. Madagascar37
La « grande île » de Madagascar est parfois présentée comme un petit
continent en raison de ses immenses diversités géographiques : côte
orientale avec sa luxuriance tropicale, savanes désertiques de l’Ouest,
hautes terres du centre, là où battait le cœur de l’État malgache et où des
hommes venus de la lointaine Asie transplantèrent la civilisation de la
rizière.
Le peuplement de Madagascar qui comporte une vingtaine d’ethnies
résulte de la rencontre de deux populations, l’une originaire d’Indonésie et
l’autre d’Afrique. La seconde abandonna sa(es) langue(s) au profit de celle
des premiers, la langue malgache étant en effet une langue indonésienne
créolisée par une langue bantou (Vérin, 1990 : 49). Celle qui lui est la plus
proche est le manjaan parlé dans le sud-est de l’île de Bornéo.
C’est à la suite d’une longue et complexe migration que des locuteurs
barito-manjaan découvrirent et peuplèrent Madagascar. Navigateurs
nomades et défricheurs, les Barito avaient pour habitude d’essarter et
d’ensemencer les terres nouvelles et vierges qu’ils découvraient. Une fois
les terrains défrichés et mis en culture, les hommes laissaient sur place les
femmes, les vieillards et les moins valides qui étaient chargés des récoltes
pendant qu’eux-mêmes partaient à la recherche de terres nouvelles, pour
pratiquer des activités commerciales ou encore pour piller des villages.
Vers les IIIe-Ve siècles ap. J.-C., ceux des Barito qui parcouraient les côtes
de Sumatra et de Java y perfectionnèrent leurs connaissances maritimes au
contact des peuples navigateurs qu’ils rencontrèrent. C’est en les imitant et
en les suivant qu’ils empruntèrent les routes maritimes menant à la pointe
sud du sous-continent indien et qu’ils parvinrent ensuite jusqu’aux
Maldives. Une fois arrivés dans ce monde insulaire émietté, ils n’étaient
plus qu’à mi-chemin entre leur point de départ indonésien et Madagascar.
La possession de la pirogue à balancier leur permettait la navigation
hauturière et comme ils savaient s’orienter dans le vide océanique en se
repérant sur la constellation que nous connaissons sous le nom de « Nuages
de Magellan », la traversée vers Madagascar était donc à leur portée.
Cependant, la découverte de l’île est encore largement mystérieuse. Fut-
elle le fruit du hasard ou le résultat d’une entreprise de reconnaissance
menée en « sauts de puce » le long du rivage de l’Afrique orientale ? Les
deux hypothèses sont étayées par de solides arguments.
À l’appui de la première vient le fait qu’il arrivait à des pêcheurs du sud
de l’Inde de s’échouer le long des rivages nord-est de Madagascar à la suite
de dérives accidentelles. Il est donc possible que des Indonésiens aient une
première fois découvert Madagascar par accident ou par hasard et que, plus
tard, ils aient décidé de peupler cette terre vierge. Pour cela, ils seraient
retournés en Asie pour y recruter des colons. La méthode n’aurait rien de
surprenant car c’est exactement de la même manière que procédèrent les
Vikings qui découvrirent puis peuplèrent l’Islande et le Groenland ou
encore les Maori dans le pacifique, se déplaçant d’île en île avant de
coloniser la Nouvelle-Zélande.
La seconde hypothèse est celle de l’utilisation par les Indonésiens des
voies maritimes de l’océan Indien où, et nous l’avons vu, un véritable
commerce triangulaire existait qui mettait en relation le sud de l’Arabie, la
côte occidentale des Indes – côte de Malabar –, et le littoral de l’Afrique
orientale jusqu’à la hauteur de l’actuel Mozambique. Dominé par les
Yéménites, ce commerce reposait sur l’utilisation de la mousson, laquelle,
selon les saisons, permettait d’aller de la mer Rouge vers l’Inde et d’en
revenir. Il est donc tout à fait possible que les migrants indonésiens aient
emprunté à leur tour cette route maritime ; mais, à la différence des
Yéménites, ils l’auraient prolongée vers le Sud et, naviguant dans le canal
de Mozambique, ils auraient alors découvert Madagascar. Cette hypothèse
est tout à fait plausible car nous savons que des jonques chinoises
fréquentaient certains mouillages d’Afrique orientale et que les « échelles »
du commerce arabe pré-musulman, puis musulman, étaient en relation
étroite avec l’Asie. De plus, nous savons qu’au XIIe siècle, l’île de Sumatra
envoya des navires sur le littoral de l’Afrique orientale pour y acheter du
morfil ou ivoire brut afin de le revendre en Chine ou au Japon. Un véritable
impérialisme indonésien se développa même dans l’océan Indien. Il réussit
à se maintenir jusqu’au XIVe siècle, période à laquelle il recula sous l’effet
du rouleau compresseur musulman. Dans un premier temps, les Indonésiens
se replièrent aux Comores, puis, quand l’archipel fut abandonné, les
relations ne subsistèrent bientôt plus qu’avec Madagascar (Verin, 1990).
Si les origines du peuplement indonésien de Madagascar sont donc à peu
près connues, celles de ses populations littorales, à l’évidence africaines est
encore le sujet de bien des controverses. Trois hypothèses principales sont
en effet en présence.
– La première considère que les populations malgaches noires
descendent d’esclaves importés depuis le continent africain par les
Indonésiens ou par les Arabes qui possédaient de nombreux et parfois
importants comptoirs sur le littoral.
– La seconde hypothèse met en avant l’idée d’un métissage entre
Indonésiens et Africains noirs qui aurait pu se produire quelque part en
Afrique orientale ou aux Comores et qui aurait donné naissance à une
nouvelle population, laquelle aurait ensuite migré en direction de
Madagascar qu’elle aurait alors peuplé. Tant que des preuves
archéologiques d’une installation indonésienne sur le littoral de
l’Afrique orientale n’auront pas été apportées, cette hypothèse ne
pourra être retenue.
– La troisième hypothèse est particulièrement intéressante et novatrice
car elle tient à l’évolution ou à la mutation, qui aurait pu se produire au
sein de certaines populations bantuphones, notamment les Sabaki,
vivant sur le littoral et qui auraient adopté des pratiques maritimes. Des
indices existent ainsi qui se rapportent à la culture Sabaki, du nom de la
rivière reliant la ville de Gedi, au littoral, culture commune qui s’étendit
sur une partie du littoral est-africain et dans les îles de l’océan Indien
lui faisant face. Les Sabaki qui développèrent une activité maritime
s’installèrent sur les îles de Pemba, de Zanzibar, aux Comores et à
Madagascar où ils introduisirent la culture Dembeni (Wright, 1992a) du
nom du site éponyme situé à Mayotte. Le phénomène a bien été décrit
par Pierre Vérin :
« […] du Ve siècle au Xe siècle, un groupe côtier bantou (les Sabaki)
acquiert une certaine individualité de culture et de langue. De ce groupe
Sabaki sont issues les langues pokomo qui se parle à l’embouchure de
la rivière Tana, swahilie répandue de la Somalie au Mozambique et
comorienne parvenue jusqu’à l’archipel des quatre Comores.
L’éclatement de ce groupe de langue Sabaki pourrait être la
manifestation d’une migration qui mènera les Bantous de la côte aux
îles comoriennes et à Madagascar qui sont sous le vent de la mousson.
[…] Un peu partout, du Mozambique aux Comores et de Kilwa à
Manda au Kenya (apparaît) au IXe siècle une culture qui va se prolonger
jusqu’au Xe siècle et qui est appelée Dembeni (et dont) on retrouve les
traces dans le nord de Madagascar à Irodo. » (Vérin, 1990 : 43-45)
Quoi qu’il en soit de ces hypothèses, l’histoire de Madagascar demeure
encore très largement inconnue jusqu’à la fin du XVIe siècle quand émergea
le royaume mérina sur le plateau central.

1. Au Soudan, en 1998, lors du dernier recensement, les locuteurs bedja étaient au nombre de plus
d’un million.
2. Lalibela est une cité monastique perchée à plus de 2 500 m d’altitude au sein d’un cirque de
montagnes, où un empereur de la dynastie zagwé, afin d’affirmer sa puissance et sa foi face à la
montée de la famille et dynastie rivale des Salomonides entreprit de faire construire, à proximité de
sa capitale, Roha, un ensemble de 10 églises taillées dans le roc.
3. Pour ce qui est de Djenné, même si les traditions font remonter sa fondation au VIIIe siècle ap. J.-
C., les fouilles archéologiques ont mis au jour la ville de Djenné l’Ancienne (Djenné-djeno) datée
des derniers siècles av. J.-C.
4. Ta’rikh al-Sudan et Ta’rikh al-Fattach, traductions françaises publiées à Paris en 1900 et en 1913.
5. Au sud du Sahara, un cheval pouvait être échangé contre 15 à 20 esclaves.
6. Sa récolte se faisait au mois de décembre, puis les fruits étaient lavés et séchés avant d’être
transportés à dos d’homme dans des paniers de 60 à 80 cm de long sur 25 de large et de profond,
protégés par des couches de feuilles. Chaque charge était de 25 à 30 kilogrammes.
7. Il y avait deux catégories de dromadaires. L’animal de transport ne travaillait que 4 mois et se
refaisait le reste de l’année. Sa charge utile était d’environ 140 kilogrammes et les étapes moyennes
qu’il franchissait étaient de 6 heures, soit entre 25 et 30 km. Le dromadaire de guerre, animal
rapide pouvait parcourir jusqu’à 60 km par jour.
8. Les Soninké constituent un important groupe ethnique qui se retrouve aujourd’hui au Sénégal, au
Mali, en Guinée. Ils sont également appelés Sarakolé ou Marka. En Guinée, les Soninké ont été
absorbés par les Malinké.
9. Les Soninké étaient les intermédiaires entre les caravaniers berbères venus du Nord et les
colporteurs (dioulas) en majorité malinké qui acheminaient vers le Ghana l’or et les productions
forestières.
10. Les peuples de langue mandé (mandingue) occupent ainsi aujourd’hui un espace beaucoup plus
vaste que leur territoire d’origine au XIIe siècle. À cette époque pouvaient être distinguées trois
zones d’implantation et trois grands groupes. Du Nord au Sud :
–les Soninké ou Sarakollé qui fondèrent le Ghana ;
–les Sosso ;
–les Malinké sur le haut bassin du Niger.
La première expansion des Mandé a probablement débuté vers l’an 1000 et elle s’est faite dans
plusieurs directions. Les Soussou ou Sosso ont ainsi ouvert une route dans la forêt jusqu’au littoral
guinéen. D’autres groupes partirent vers l’ouest, vers le fleuve Gambie ou en direction du pays des
Sérères.
11. Askia est le titre porté par les souverains songhay à partir de 1493 quand arriva au pouvoir la
seconde dynastie après celle des Sonni qui s’était achevée avec le règne de Sonni Ali Ber dit le
Grand (1464-1492).
12. Tengella fut tué au combat par l’armée songhay alors qu’il tentait de s’emparer des mines d’or du
Bambouk.
13. Ce qui entraîna une grande richesse au siècle suivant (XVIIe siècle), en raison de l’augmentation
des revenus agricoles dus à d’excellentes récoltes en raison de pluies à nouveau abondantes.
14. Au XVIe siècle, les Mané (Mandé), conquirent l’intérieur de l’actuelle Sierra Leone.
15. Ou empire Chwezi ou Bachwezi.
16. L’islamisation de la vallée du Nil aux XIIIe-XIVe siècles pourrait avoir été la cause de la migration
des nilotiques vers le Sud. Du moins, les deux évènements semblent avoir coïncidé.
17. Les Masaï sont arrivés plus tardivement et ils s’imposèrent dans la vallée du Rift à partir du
e
XVII siècle.
18. Ils furent l’élément moteur des évènements des mois de janvier-février 2008 au Kenya.
19. Le Bunyoro ne semble pas avoir eu un développement particulier avant le XVIe siècle, période de
grande expansion à la fois contre les États hinda et contre le Rwanda au Sud où ont été conservés
ses échos avec la mémoire des « invasions banyoro » qui dévastèrent le pays sous le règne du
mwami Kigeri I Mukobanya (1528/± 14 -1552/± 12) et de son successeur Mibamwe I Mutabazi
(1552-1576/± 16) (Chronologies Vansina, 1962 : 56).
20. Sur la rive nord du lac Victoria, au Buganda et au Busoga nous sommes en présence d’une autre
tradition fondatrice que celle des Bachwezi. Il s’agit de la tradition de Kintu, héros fondateur du
Buganda. À la différence de ce que nous venons de voir pour le Kitara, la tradition de Kintu semble
être associée à des bantuphones et remonterait peut-être au XVe siècle. La région n’était pas propice
à l’élevage en raison de l’existence de la mouche tsé-tsé et c’est pourquoi elle n’attira pas la
convoitise des pasteurs. Le royaume du Buganda était à l’origine une confédération de clans
rassemblés sous l’autorité d’un roi, le Kabaka. Durant les XVIIe-XVIIIe siècles, le Buganda s’étendit
vers le Nord, aux dépens du Bunyoro.
21. Il régna de 1345 à 1378 selon Kagamé (1972 : 37-38) et entre 1482 (± 12) et 1506 (± 10) selon
Vansina (1962 : 56).
22. Ils n’étaient pas Luo. Étaient-ils alors des couchitiques apparentés aux Chwezi ? Nous l’ignorons.
La linguistique devrait nous permettre d’en savoir davantage par l’étude des racines non
bantuphones contenues dans le kinyarwanda et le kirundi. Si nous nous basons sur certains
morphotypes, les ressemblances entre certains Tutsi et certains habitants d’une partie de l’Éthiopie
ou de la Somalie sont frappantes, ce qui ferait penser à une origine couchitique. Des racines nilo-
sahariennes ont été identifiées dans ces deux langues, ce qui pourrait faire penser qu’ils auraient pu
être originaires du Sud-Soudan, à moins qu’il ne s’agisse simplement d’emprunts sémantiques.
23. Pour tout ce qui concerne les clans, on se reportera à l’ouvrage de référence de Marcel
d’HertefeIt (1971). Antoine Nyagahene (1997) a singulièrement renouvelé la question, même si
nous ne partageons pas sa théorie concernant l’origine multi ethnique des clans.
24. La prise de contrôle de ces espaces ne changea rien au mode de vie des habitants. Le droit
agricole y demeura en vigueur et les Hutu ne devinrent pas Tutsi parce que leur région était passée
sous le contrôle de la monarchie rwando-nyiginya.
25. À l’exception du Gisaka qui ne sera rattaché qu’au XIXe siècle.
26. Ces possessions ne constituèrent jamais un « empire » arabo-musulman organisé avec un centre
décisionnel, ni même une thalassocratie islamique.
27. Tessons de porcelaine chinoise dont les céladons de couleur vert pâle.
28. L’or de l’arrière-pays de Sofala était également objet de commerce. À quelle époque fut-il
découvert ? La question n’est pas résolue.
29. Madagascar – connue des Arabes sous le nom de Waqwaq –, ou du moins une partie de son
littoral était intégrée à ce réseau (Vérin, 1975).
30. Son nom vient de la juxtaposition de deux mots arabes : Zenj, « les Noirs » et Bar qui désigne la
côte, le littoral, l’archipel. Littéralement, Zanzibar signifie donc « le littoral des Noirs ».
31. Les recherches archéologiques et ethno-linguistiques récentes ont permis de mettre en évidence
des migrations de groupes agriculteurs depuis l’arrière-pays jusque sur le littoral. On nous dit sans
emporter la conviction toutefois, qu’ils y seraient devenus pêcheurs avant de débuter un embryon
de commerce maritime.
32. Le site est à 25 km au sud-est de Masvingo, l’ancienne Fort Victoria coloniale et il
couvre 24 hectares dans un paysage de savane arbustive aujourd’hui parc national.
33. Le mystère et les légendes ont associé ces murs et constructions aux Égyptiens, à Salomon et à la
reine de Saba, aux Phéniciens ou aux Arabes et même aux extraterrestres (! ! !). Nombre
d’autodidactes ou de voyageurs romantiques ont laissé libre cours à leur imagination dans des
ouvrages à succès, contribuant à accréditer une vision romanesque et bien peu scientifique de ce
que fut Zimbabwe.
34. Les premières fouilles furent réalisées dans les années 1890-1894 par Théodore Bent et son
épouse accompagnés d’un topographe, R.M. Swan. Le débroussaillage et les excavations faites
avec les techniques de l’époque provoquèrent bien des destructions, mais permirent néanmoins les
premières découvertes comme les célèbres sculptures connues sous le nom d’« oiseaux de
Zimbabwe ».
35. La discussion subsiste néanmoins au sujet de la tour conique du Grand Zimbabwe dont la facture
ne correspond à aucune tradition locale.
36. Le coup de grace final sera donné au royaume shona par les Ndebele à la fin de 1831 quand
Mzilikazi entreprit la conquête de la région et s’installa dans le sud de l’actuel Zimbabwe où il créa
Bulawayo, sa nouvelle capitale.
37. Pour tout ce qui concerne le peuplement de Madagascar, voir Vérin (1990 : 31-50) et Wright
(1992a, 1992b et 2005).
TROISIÈME PARTIE
L’Afrique du XVe siècle
jusqu’au XVIIIe siècle
Dans toute l’Afrique, les XVIe-XVIIIe siècles sont des périodes de grandes
mutations.
Au Nord, durant les XVe-XVIe siècles, les Turcs qui ont coiffé la mer Noire
et conquis les Balkans, avancent vers le Danube tout en coupant la
Méditerranée en deux. Poussant ensuite vers l’Ouest, ils tentent de prendre
en tenaille leur adversaire espagnol, mais ils butent sur la résistance du
Maroc.
Au sud du Sahara, les « siècles d’or » du Sahel ne sont plus qu’un
souvenir et l’émiettement a succédé aux Empires. Quant aux mondes
littoraux, leur destin est bouleversé par la découverte portugaise dont la
conséquence principale est le basculement du cœur politique et économique
ouest africain, des régions sahéliennes vers les rivages du golfe de Guinée.
Puis, à partir du XVIIe siècle, et encore davantage durant tout le XVIIIe,
l’imbrication de l’Afrique atlantique et de l’Europe devient de plus en plus
réelle avec cette mondialisation négative opérée par la Traite esclavagiste
(Elliot, 2006).
À l’« intérieur » du continent la situation est différente puisque l’essor
des royaumes nilotiques et l’affirmation du principe étatique dans la région
interlacustre ainsi qu’au sud de la grande forêt, jusque dans les vallées du
Zambèze et du Limpopo, ne doivent rien à l’Europe. Même si, en 1652,
dans l’extrême sud du continent, la première véritable colonie européenne
naît et se développe avec l’installation hollandaise dans la région du Cap de
Bonne espérance.
Chapitre I.
L’Afrique aux XVe et XVIe siècles

En 1415, année de la bataille d’Azincourt et alors que la France et


l’Angleterre étaient encore engagées dans la « Guerre de cent ans », les
Portugais prenaient Ceuta, dans le nord du Maroc, lançant un fantastique
mouvement d’expansion qui allait aboutir à la découverte de la route
maritime des Indes et à l’inversion des rapports de force dans tout l’Ouest
africain. Au même moment, après avoir subjugué toute la Méditerranée
orientale, l’impérialisme ottoman bouleversait la géopolitique du Maghreb.

A. La découverte portugaise et ses conséquences


en l’Afrique
Nous avons vu que les Grecs, les Phéniciens et les Romains ne
connaissaient de l’Afrique qu’une étroite bande côtière méditerranéenne. À
l’exception de ses franges septentrionales le Sahara leur était donc inconnu.
Le long des côtes atlantiques leurs navigations ne semble pas avoir dépassé
le cap Bojador (Mauny, 1960). En mer Rouge et dans l’océan Indien la
situation était différente puisque les Égyptiens fréquentaient le « Pays de
Pount » dans le nord de l’actuelle Somalie et qu’au premier siècle de l’ère
chrétienne, un anonyme marin grec décrivit dans le « Périple de la mer
Érythrée », le littoral africain jusqu’à la hauteur de l’île de Zanzibar.

1. Les premières navigations


Les premières navigations européennes en direction de l’Atlantique sud
datent du XIVe siècle. Découvertes en 1312 ou en 1335 par le Génois
Lanzarote Malocello, les îles Canaries apparurent ainsi sur le Planisphère
de Dulcert en 1339. Les navigations dieppoises semblent avoir débuté trois
décennies plus tard, vers 1364. En 1402, deux gentilshommes normands,
Jean de Béthencourt et Gadifer de la Salle lancèrent la première entreprise
de colonisation européenne aux Canaries où ils installèrent quelques
familles de paysans recrutées dans le pays de Caux. L’année suivante, les
îles passèrent sous souveraineté ibérique après que Jean de Béthencourt eut
prêté hommage au roi de Castille.
Dès avant la chute de Constantinople en 1453, les Occidentaux qui
avaient appris l’existence au cœur du continent d’un royaume chrétien
avaient tenté de nouer des relations avec cette entité mal définie qu’ils
désignaient sous le nom de « Royaume du Prêtre Jean », et qui était
l’Éthiopie. En 1427, menacé par la poussée musulmane, le Négus Yetshaq
(1414-1429) avait envoyé deux ambassades en Europe, l’une auprès du roi
Alphonse V d’Aragon, et l’autre auprès du duc de Berry. À cette époque, le
Portugal était déjà engagé dans sa grande aventure ultramarine dont les
causes sont à la fois religieuses, commerciales et politiques.
Jusqu’au XVe siècle, l’Atlantique sud constitua un véritable mur sur lequel
butait la navigation européenne confinée dans la mer du Nord, la Baltique et
la Méditerranée. Les relations avec l’Asie se faisaient alors par la voie
caravanière terrestre, le long de la « route de la soie », et jusqu’à la mer
Noire ou la Palestine ; ou bien par une voie maritime sous contrôle arabe
qui partait du littoral occidental des Indes et qui aboutissait, soit dans le
golfe Persique, soit dans la mer Rouge, puis à Alexandrie. Or, à la fin du
XIVe siècle, l’expansion des Turcs ottomans s’exerça jusque dans les
Balkans avant de coiffer la mer Noire, coupant ainsi l’Occident d’une des
principales routes de commerce avec l’Asie et rendant la Méditerranée
orientale de moins en moins sûre. C’est alors que l’idée apparut de
découvrir de nouvelles voies menant directement aux Indes. À l’extrême fin
du XVe siècle les Espagnols choisirent la route de l’Ouest et c’est ainsi que
l’Amérique fut découverte. Quant aux Portugais, depuis plus d’un siècle, ils
exploraient méthodiquement et patiemment la route du Sud, au-delà des
rivages africains connus à l’époque.
Ces voyages lointains ne furent possibles que parce que l’Occident avait
fait une révolution politique avec la naissance d’institutions nouvelles et
l’émergence d’une classe d’armateurs supportée par les États naissants,
doublée d’une révolution dans le domaine maritime. Cette dernière permit
la navigation au long cours grâce aux caravelles1 qui étaient des navires
plus performants que les nefs ou les galères jusque-là utilisées, et qui
n’étaient pas adaptées à la navigation hauturière atlantique.

2. Le temps du Portugal
La première expansion européenne le long des côtes d’Afrique fut
exclusivement portugaise.
En 1413, Joao Gonçalves Zarce et Tristan Vaz Teixeira découvrirent
Madère où des colons acclimatèrent vigne et canne à sucre. Un siècle après
la découverte des Canaries, la seconde colonisation européenne des
périphéries africaines débutait donc.

Henri « le Navigateur »
Henri, Infant du Portugal, joua un rôle considérable dans la conception et le
déroulement de la découverte portugaise. Né le 4 mars 1394 à Porto, ce cinquième
des huit enfants légitimes du roi Joao Ier et de Filipa de Lancastre était profondément
croyant ; il était également amateur de chasse, de chevauchées et d’aventures
guerrières. En 1414, son père l’avait chargé d’armer la flotte fournie par les provinces
du Nord du royaume en vue de l’expédition de Ceuta et il obtint la faveur de
débarquer le premier en terre africaine. Ses frères et lui furent armés chevaliers dans
la mosquée de la ville transformée en église après sa prise le 23 juillet 1415. En
1416, il organisa une expédition scientifique en envoyant Gonçalo Velho étudier les
courants au large des îles Canaries. En 1418 Henri devint maître de l’Ordre du Christ
de Tomar dont il consacra l’immense fortune à la découverte maritime.
En 1437, avec son frère cadet Fernando, il obtint de son frère, le roi Duarte de
pouvoir lancer une expédition contre Tanger. Le désastre fut total et les Portugais
n’obtinrent de pouvoir se replier et de rembarquer, abandonnant de nombreux
prisonniers aux mains des Marocains, qu’après avoir laissé en otage Don Fernando.
Les Marocains exigeaient la remise de Ceuta en échange de sa liberté, mais les
Portugais ne cédèrent pas. Fernando mourut en captivité et son cadavre fut pendu
par les pieds à un créneau des remparts de la ville de Fès.
En 1432, Henri avait quitté Lisbonne pour s’installer dans une austère forteresse, la
Vila do Infante, bâtie en Algarve, sur le promontoire de Sagres, à la pointe du cap
Saint-Vincent. Elle devint à la fois sa retraite et la base arrière de l’aventure
ultramarine portugaise. Il y mourut le 13 novembre 1460.

En 1432 l’archipel des Açores fut reconnu par Gonçalo Velho.


Encouragés et soutenus par l’infant Henri, les marins portugais poussèrent
toujours plus loin. En 1434, Gil Eanes franchit le cap Bojador, considéré
jusque-là comme un point de non-retour en raison de l’existence d’un fort
courant contraire interdisant, compte tenu des moyens de la navigation de
l’époque, aux navires de doubler le cap en longeant la côte. Vers le Sud,
pour pouvoir franchir le cap Bojador, il fallait s’éloigner de 25 à 30
nautiques du rivage afin d’échapper à l’attirance du courant. Dans le sens
du retour vers l’Europe, la manœuvre était encore plus compliquée puisqu’il
fallait aux navires commencer par tirer un bord Ouest Nord-ouest,
perpendiculairement à la côte, en laissant l’alizé tribord amure jusqu’aux
Açores. Une fois en vue de l’archipel, il fallait utiliser le contre flux afin de
mettre le cap sur le sud du Portugal. Il était donc nécessaire d’effectuer une
grande boucle, d’où le nom donné la manœuvre, la Volta.

Les étapes de la découverte portugaise


– En 1441 les Portugais passèrent le Cap Blanc.
– En 1443 ils s’installèrent sur l’île d’Arguin où ils commencèrent les travaux d’un fort
qui fut achevé en 1482.
– En 1444 et en 1445, Diniz Diaz reconnut le fleuve Sénégal, le Cap Vert et le golfe
de Guinée. Comme ce dernier s’infléchissait vers l’Est, ils crurent alors que le
« Grand Passage » vers les Indes avait été découvert.
– En 1455, le monopole portugais risquant de se voir contesté par les autres
puissances maritimes européennes émergentes, la bulle Romanus Pontifex du
pape Nicolas V confirma les droits de Lisbonne « […] usque ad Indos ». L’Afrique
était donc officiellement domaine portugais et toutes les conquêtes et installations
ultérieures de Lisbonne étaient par avance légitimées. La même année, le prince
Henri le Navigateur commissionna deux marins italiens, le Vénitien Alvise Ca Da
Mosto et le Génois Uso Di Mare. Le premier remonta une partie du Sénégal et
reconnut le fleuve Gambie en partie exploré en 1456 par Diego Gomez.
– En 1471 et en 1472, Joao de Santarem, Pedro Escovar et Fernando Po
découvrirent la Côte de l’Or, le Delta du Niger et les îles du golfe de Guinée. Les
capitaines portugais étaient mandatés par un riche marchand, Fernao Gomès, qui
avait reçu du roi Alphonse V le monopole du commerce de Guinée, à la condition
d’explorer cent lieues de côtes par an à partir de la Sierra Leone.
– Le 21 décembre 1471, jour de la Saint Thomas, Vasconcellos découvrit une île qui
reçut naturellement le nom de Sao Tomé.
– Au tout début du mois de janvier 1472, une autre île fut reconnue et aussitôt
baptisée Ano Bom (Annobon), « bonne année ». Quant à Principe, découverte le
17 janvier 1472, jour de la fête de Saint Antoine, elle reçut le nom de Santo Antonio.
Contrairement à Fernando Po (Fernao Po), habitée par les Bubi, ces îles étaient
vides d’habitants au moment de la découverte portugaise. En 1472 toujours, Lopez
Gonçalvès qui reconnut le delta de l’Ogooué donna son nom au cap Iguezé, l’actuel
cap Lopez qui, sur les cartes portugaises portait le nom de Cap Lopo Gonçalves.
– En 1475, Ruy de Sequeira mit pied à terre dans la région du cap Sainte Catherine
dans l’actuel Gabon.

À la suite du couronnement de Jean II en 1481, une accélération fut


donnée au mouvement de découverte portugais car le nouveau souverain,
admirateur de son grand-oncle, Henri « le Navigateur », se fit le
continuateur de son œuvre.
Au mois d’avril 1483 Diego Cao atteignit l’embouchure du rio Poderoso,
l’actuel fleuve Zaïre. Les Portugais constatèrent alors, déçus, que le passage
vers l’Asie n’existait pas puisque la côte africaine s’infléchissait à nouveau
vers le Sud. Il fallait donc reprendre la navigation pour continuer
l’exploration de ces rivages inconnus. En 1486, Diego Cao entreprit ainsi
un second voyage encore plus loin vers le Sud, mais son navire se perdit
corps et biens, probablement au sud du Cap Cross.
Le 25 décembre 1487, Bartolomeu Diaz de Novaez atteignit la baie
d’Angra Pequena sur le site de l’actuelle ville de Luderitz2, en Namibie. Au
mois de janvier 1488, il longea le littoral atlantique entre l’embouchure du
fleuve Orange et le Cap des Tempêtes (cap de Bonne-Espérance), qui fut
doublé sans que les navigateurs s’en rendissent compte. Le 3 février 1488,
les navires portugais jetaient l’ancre dans la baie de Mossel (Mossel Bay).
Les navires reprirent ensuite la mer jusqu’à l’embouchure de la rivière
Keiskamma. Le 12 mars 1488, devant les risques de mutinerie, Bartolomeu
Diaz, décida de rebrousser chemin après avoir dressé un pedrao, colonne de
pierre aux armes du Portugal. Le 16 juin, un second pedrao le fut à la pointe
méridionale de l’Afrique, sur ce cap que l’explorateur baptisa lui-même de
Cabo de Boa Esperança. Au mois de juillet, il fit ériger un troisième
pedrao, à Angra Pequena celui-là.
Les Portugais avaient atteint l’océan Indien et ils n’étaient donc plus qu’à
quelques jours de navigation du premier comptoir arabe du Mozambique
quand l’ordre du retour fut donné. La découverte de ces contrées
méridionales de l’Afrique allait provisoirement demeurer sans suite car le
Portugal, absorbé par le commerce avec la côte du golfe de Guinée et par la
lutte d’influence qu’il menait contre l’Espagne n’avait pas les moyens
humains d’exploiter les terres nouvelles qui venaient d’être reconnues par
Diaz3. En 1494 le traité de Tordesillas fut signé entre l’Espagne et le
Portugal qui se partageaient le monde. L’expansion pouvait donc reprendre
avec pour Lisbonne une priorité : la découverte de la route des Indes.
En 1495, Manuel Ier succéda à Jean II. Le 7 novembre 1497, Vasco de
Gama jeta l’ancre dans la baie de Sainte-Hélène, au nord-ouest du cap de
Bonne-Espérance qu’il doubla le 22 novembre. Puis, il « remonta » le long
du littoral de l’actuel Zululand qu’il baptisa Natal, car sa découverte se fit le
jour de Noël 1497.
Le 22 janvier 1498, les Portugais étaient à Quelimane et le 1er mars, ils se
présentèrent devant l’île de Mozambique4. De là, ils entreprirent une
navigation de cabotage le long du littoral de l’Afrique orientale. Le 7 avril
1498, ils échappèrent à un piège tendu par le sultan de Mombasa et, le
14 avril 1498 Vasco de Gama mit au mouillage à quelques encablures de
Malindi. Afin de l’en écarter, le sultan lui fournit des vivres et surtout un
pilote, lequel lui ouvrit la route des Indes. Le 27 avril 1498, après 27 jours
de navigation, les Portugais étaient à Calicut. Le but mythique de l’épopée
lusitanienne était atteint presque un siècle après son commencement
(Albuquerque, 1987).
En 1499, l’expédition était de retour au Portugal. Cette découverte
marqua la fin du monopole commercial arabe car les Portugais
s’employèrent ensuite à couper à ces derniers la route de la mer Rouge.
Installés dans des places fortes littorales, ils ne s’intéressèrent pas à
l’intérieur de l’Afrique.

3. La première colonisation portugaise


La première colonisation portugaise africaine fut insulaire et elle eut pour
théâtre l’île de Sao Tomé dont les premiers habitants furent des Portugais.
En 1493, Alvaro de Caminha, auquel la couronne portugaise avait donné
l’île, y envoya quelques dizaines de colons afin qu’ils y cultivent la canne à
sucre comme cela se faisait déjà à Madère. Mais la colonie ne prospéra
guère, son total isolement et les difficultés dues au climat y rendant
particulièrement difficile la survie d’une population d’origine européenne.
Les Portugais commencèrent alors à y importer des esclaves noirs. La
population se mélangea et bientôt, des mulâtres devinrent propriétaires de la
plupart des plantations.
L’île s’organisa comme une société agricole féodale quasiment
indépendante du pouvoir royal. C’était une escale sur la route des Indes,
mais elle servit également de point de relâche aux navires négriers à
destination des Amériques. La capitale, Sao Tomé, fut la première colonie
urbaine portugaise, avant même Salvador de Bahia, et dès 1504, elle fut
dotée d’un hospice (Lanoye, 2000 : 56-57).
Ailleurs, sur le littoral africain, les Portugais édifièrent un certain nombre
de points d’appui, comme à El Mina dans l’actuel Ghana, où, dès 1476, ils
commencèrent la construction du Fort Saint-Georges à partir duquel le
commerce de l’or fut détourné vers le Sud et à leur profit5. Quant à
l’Afrique orientale, stratégiquement essentielle pour la garantie du
commerce avec l’Asie, ils y procédèrent à leurs premières implantations dès
le début du XVIe siècle : Quiloa (1505), île de Mozambique, où entre 1507 et
1510 ils construisirent leur principale implantation, Sao Sebastiao de
Moçambique dotée d’un fort et d’un embryon de ville, et Sofala (1508). De
même s’installèrent-ils sur le littoral de l’actuel Kenya, notamment à
Malindi et à Mombassa en 1505 et à Pemba en 1506.
Avec l’installation portugaise sur certains points du littoral du golfe de
Guinée, le commerce de l’or ne se fit plus dans le sens Sud-Nord, c’est-à-
dire depuis l’Afrique sahelienne à travers le Sahara et jusqu’au littoral
méditerranéen, mais dans le sens Nord-Sud, c’est-à-dire depuis l’Afrique
forestière jusqu’au littoral atlantique. Ce fut, selon l’historien portugais
Magalhaes Godinho (1969) « la victoire de la caravelle sur la caravane ».
Comme nous l’avons dit dans l’introduction de ce livre, mais il importe de
le redire, même si cette formule parlante doit être limitée dans sa portée
historique, et elle l’est effectivement aujourd’hui par l’historiographie
moderne, elle n’en souligne pas moins une réalité essentielle : le littoral de
l’Afrique noire atlantique, jusque-là marginal dans l’histoire du continent
devint, et cela en quelques décennies à peine, le principal pôle économique
et politique de tout l’Ouest africain puisque de puissants royaumes se
constituèrent là où les Européens venaient accoster. Ces derniers firent ainsi
basculer vers la mer le cœur économique et politique du continent. Or,
depuis les débuts du commerce transsaharien aux VIIIe-IXe siècles, il battait
dans la région du Sahel où s’étaient succédé, à l’ouest et à l’est du lac Tchad
de grands empires ou royaumes dont la fonction était d’être les
intermédiaires entre l’Afrique du Nord exportatrice de produits de
l’artisanat et l’Afrique forestière exportatrice d’or, d’épices et d’esclaves.
Le commerce de l’or ne se faisant plus dans le sens Afrique sud-nord, le
Maroc reçut moins d’or. Conséquence aggravante, son artisanat, qui
fournissait les articles servant à l’achat de l’or de la zone pré-forestière,
déclina, les caravelles fournissant aux Africains les produits de l’artisanat
portugais en plus grandes quantités et à meilleur coût puisque transportés
par les navires et non plus par les dromadaires des caravanes
transsahariennes.
4. Le Portugal et le Maroc
À partir de la seconde moitié du XVe siècle, donc dès avant la découverte
de la route des Indes, le Maroc était devenu une pièce essentielle du
commerce lusitanien avec l’Afrique et cela à partir de la seconde moitié du
XVe siècle (Lugan, 2000 : 140-147). Dans un premier temps, les Portugais
achetaient à Safi et à Azemmour des produits divers et du blé qu’ils
échangeaient contre de l’or et des esclaves en Afrique de l’Ouest. En 1458,
une flotte portugaise attaqua El Ksar Sghir qui fut prise le 23 octobre.
Plusieurs fois dans les années qui suivirent, les Portugais échouèrent devant
Tanger, mais quand Arzila fut enlevée, le 24 août 1471, la route de Tanger
leur fut ouverte et, le 29 août, les troupes portugaises investirent la ville.
Lisbonne fit ensuite porter ses efforts sur les ports du Maroc atlantique,
recherchant toujours plus loin vers le Sud les points d’aboutissement du
commerce transsaharien. Au mois de janvier 1497, les Portugais
débarquèrent à Massa où ils édifièrent une factorerie et un fort. Une fois
maîtres de la route des Indes, ils ne délaissèrent pas le Maroc
puisqu’en 1505, le roi du Portugal donna à un particulier l’autorisation de
s’installer à Santa Cruz de Aguer (Agadir) et en 1513, l’établissement
végétant, Emmanuel Ier le racheta au nom de la Couronne. En 1508 le
Portugal occupa effectivement Safi dont il fit sa principale implantation sur
la côte atlantique du Maroc. En 1513, Emmanuel Ier décida la conquête
d’Azemmour à l’embouchure de l’Oum er-Rbia, mais le port étant d’accès
difficile, en 1514, les Portugais s’installèrent à Mazagan dont la rade
accueillante était plus facilement utilisable et ils y commencèrent les
travaux d’une forteresse qui resta portugaise jusqu’en 1769. À partir de ces
Fronteiras, places littorales dans lesquelles ils étaient installés, les
commerçants lusitaniens inondaient le marché marocain et les caravanes qui
se formaient à Sijilmassa étaient chargées de produits ou d’articles venus de
Lisbonne, ce qui affecta gravement l’artisanat marocain. Bientôt, les
établissements portugais du Maroc furent assiégés quasiment en
permanence et ils ne survécurent plus que grâce au ravitaillement qui leur
parvenait du Portugal6.
En 1515, un siècle après la conquête de Ceuta, le Portugal subit son
premier et très grave échec à la Mamora où ses troupes durent rembarquer
et évacuer leurs positions. En 1519 les Portugais connurent une dernière
réussite en parvenant à construire une forteresse à Agouz à l’embouchure de
l’oued Tensift, puis le reflux commença. Il prit un tour dramatique le
12 mars 1541 quand le Saadien Mohamed Ech-Cheikh al-Mahdi s’empara
de la forteresse de Santa Cruz de Aguer. Politiquement, économiquement et
stratégiquement, la présence portugaise au Maroc ne se justifiait d’ailleurs
plus, étant donné que l’Afrique comptait de moins en moins dans le
dispositif lusitanien désormais orienté vers le Brésil et les Indes. Inutiles,
les Fronteiras du Maroc coûtaient de plus fort cher au trésor portugais qui
dépensait un tiers des revenus de l’État pour leur défense :
« Luis de Sousa nous donne quelques éléments d’appréciation chiffrés
concernant les dépenses liées à l’entretien des places d’Afrique.
En 1543, 30 000 cruzados sont prévus pour les magasins et la garnison
de Mazagan, dont 20 000 empruntés en Flandres et 10 000 par les soins
du facteur d’Andalousie. Nous possédons même un relevé des dépenses
pour d’autres places. En 1534, 10 000 cruzados pour secourir Safi
assiégée, pour ravitailler Azemmour et le cap de Gué et leur envoyer
des renforts. En 1542, 300 000 cruzados pour secourir Safi et
Azemmour, pour l’évacuation de ces deux places ainsi que pour les
travaux de Mazagan. 50 000 cruzados en achat de blé les années de
famine pour nourrir les places d’Afrique. En 1544, somme non
déterminée pour fortifier et secourir Ceuta. On peut avec raison penser
que toutes ces sommes mises bout à bout devaient peser lourdement sur
le trésor portugais. » (Berthier, 1985 : 208)
Jean III de Portugal (1502-1557), comprit la difficulté qu’il y avait à
maintenir les Fronteiras sur le littoral marocain, et il donna l’ordre
d’abandonner toutes les places atlantiques à l’exception de Mazagan, facile
à ravitailler en raison du bon accès de sa rade. En 1541 et en 1542 Safi et
Azemmour furent évacuées et, en 1550, dans le nord du Maroc, ce fut le
tour d’Arzila et de El Ksar Seghir. Le Portugal ne conservait plus au Maroc
que Tanger, Ceuta et Mazagan.

B. L’Égypte aux XVe et XVIe siècles


Cette période marque la fin du sultanat mamelouk et la reprise provisoire
du contrôle de l’Égypte par les Ottomans.

1. La fin du sultanat mamelouk


Depuis l’assassinat de Chaban al-Achraf (1362-1376), l’anarchie régnait
en Égypte, les sultans étant renversés ou portés au pouvoir à la suite
d’intrigues entre clans mamelouks qui durèrent presque un siècle7. Des
réformes étaient donc devenues indispensables. Le sultan Ahmed (1456-
1461) dont l’accession au pouvoir avait été préparée par son père, le sultan
Inal (1451-1456), semblait en mesure de les entreprendre, mais il fut déposé
au profit de Kouchkadam (1461-1467).
En 1467, à la mort de celui-ci, son fils Ahmed fut proclamé sultan et
presque immédiatement renversé, ce qui provoqua de sanglants règlements
de comptes. En 1468, débuta le long règne de Kaitbay (1468-1496) qui
affronta victorieusement la puissance ottomane8. En juillet 1496, Kaitbay
épuisé par les années – il avait au moins quatre-vingt-six ans –, abdiqua au
profit de son fils Mohamed (1496-1498). S’ouvrit alors une nouvelle
période noire pour l’Égypte car les factions mameloukes s’entre-
déchirèrent. Cinq sultans se succédèrent ainsi en moins de cinq années et
tous furent renversés ou tués. Finalement, au printemps 1501, Kansouh al-
Ghouri (1501-1516), fut proclamé sultan et il réussit à s’imposer. Mais un
nouveau danger menaçait le sultanat mamelouk ; il était maritime et
résultait de la présence portugaise dans l’océan Indien.
Après la découverte de la route du cap de Bonne-Espérance, les
Portugais, maîtres des routes maritimes de l’océan Indien tentèrent en effet
de fermer les marchés asiatiques aux commerçants musulmans. C’est ainsi
qu’en 1506 Albuquerque et Tristan da Cunha avaient pris et occupé l’île de
Socotora et l’année suivante, en 1507, Ormuz était passé sous souveraineté
portugaise. Pour l’Égypte et pour Venise, son partenaire, la situation était
grave car une grande partie de leur fortune provenait des recettes générées
par le commerce de la mer Rouge et de l’océan Indien.
Le sultan Kansouh décida alors de lancer une offensive maritime contre
le Portugal, afin de le chasser de l’océan Indien. L’Égypte, aidée par Venise,
se mit alors à construire des navires. Au mois de mars 1508, Lourenço de
Almeida, fils du vice-roi portugais des Indes, Francisco de Almeida fut tué
lors de la bataille de Diu quand la flotte portugaise fut détruite par une
armada turque9. La réaction de Lisbonne fut rapide et le 3 février 1509,
toujours au large de Diu, avec 18 navires Francisco de Almeida envoya par
le fond la flotte turco-égyptienne pourtant forte de 100 vaisseaux10.
Poussant leurs avantages, les Portugais s’emparèrent ensuite de Barein, de
Mascate et de la ville de Quatar. Ils étaient les maîtres des espaces
maritimes océaniques et du commerce avec l’Asie.

2. L’Égypte ottomane
En 1512, le sultan ottoman Bayezid mourut et son fils Selim Ier (1512-
1520) lui succéda. Les trois puissances régionales étaient alors la Perse, le
Sultanat mamelouk et l’Empire ottoman. Devant l’expansionnisme du
dernier, les deux premières s’allièrent, mais elles furent vaincues. Les
Ottomans commencèrent par écraser et détruire l’armée perse au printemps
1514, dans la région du lac de Van, puis ils marchèrent contre les
Mamelouks. Au mois d’août 1516, la bataille décisive eut lieu dans la
région d’Alep où l’armée égyptienne, forte de soixante mille hommes dont
douze mille mamelouks fut battue11.
Au Caire, un nouveau sultan fut proclamé en la personne de Touman,
mais le sort du sultanat était scellé par les défaites qui se succédaient,
notamment à Gaza, puis, les Ottomans se rapprochèrent du Caire où les
Mamelouks livrèrent leurs derniers combats. Le 23 janvier 1517 ils
réussirent à faire plier un moment les Turcs, puis l’on se battit dans la ville
même, rue par rue, bientôt maison par maison. Sa capitale prise, le sultan
Touman s’enfuit vers les oasis de l’Ouest où il fut capturé. Le 13 avril 1517,
il fut pendu.
Sélim Ier qui avait écrasé les derniers Mamelouks ne les évinça pas, se
contentant de leur imposer la reconnaissance de son autorité politique et
spirituelle, plaçant l’Égypte sous l’autorité de Khayr Bey. L’Égypte sous
domination ottomane continua donc à être dirigée par des Mamelouks et
cela, même s’il n’existait plus de sultan mamelouk et si le responsable
politique de la province égyptienne de l’Empire ottoman était désormais
désigné par La Porte. Les Mamelouks conservèrent cependant l’essentiel de
leurs privilèges puisque les Beys qui gouvernaient les vingt-quatre districts
de l’Égypte étaient quasiment tous Mamelouks. Ces vingt-quatre beys du
Sandjak12 constituaient le diwan (ou divan), qui était en quelque sorte le
gouvernement de l’Égypte. Il était présidé par le pacha nommé par le sultan
ottoman pour une durée de trois années et dont l’autorité fut rapidement
contestée.
À partir de 1524, les complots succédèrent aux destitutions et aux
assassinats, comme à l’époque du sultanat mamelouk. La première rébellion
fut celle d’Ahmed Pacha en 1524 et dès la fin du XVIe siècle, le pouvoir
éclata en deux centres. Le premier était celui du vice-régent (Wali ou pacha)
et de son entourage nommé par Istanbul. Le second était composé de deux
ensembles souvent opposés et parfois alliés : d’une part l’Odja, c’est-à-dire
les troupes impériales et leurs officiers qui dépendaient en théorie
directement de la Porte et les vingt-quatre beys du Sandjak qui étaient les
chefs des provinces et qui avaient leurs propres unités de Mamelouks
(Vesely, 1998).
Dès que les Ottomans furent maîtres de l’Égypte, ils s’employèrent à
lutter contre la présence portugaise dans l’océan Indien. C’est ainsi que le
Wali d’Égypte, Suleiman Pacha prit Aden en 1538, puis les Ottomans
s’installèrent à Massawa, en mer Rouge, afin de contrôler le plus
étroitement possible le commerce avec l’Asie. À la fin du XVe siècle,
Ozdemir Pacha prit Kasr Ibrim en Nubie où les Arabes Hawara étaient
devenus les maîtres et il fit de la région comprise entre Assouan et Kasr
Ibrim la province du Berberistan subordonnée au Wali d’Égypte.

C. Le Maghreb aux XVe et XVIe siècles


Alors que la Chrétienté s’organisait en États-nations de plus en plus
structurés et de plus en plus puissants, Grenade, Tlemcen mais également
Fès ne parvenaient plus à dépasser le cadre de la Cité-État. Ce décalage
explique en grande partie le recul de l’Islam occidental, la fin du royaume
de Grenade, la conquête par le Portugal d’une large façade maritime au
Maroc et la poussée turque au Maghreb.

1. Le Maroc au XVe siècle


Le XVe siècle fut une période critique pour le Maroc et plus généralement
pour l’Islam occidental. Durant cette période, les Espagnols et les Portugais
prirent largement pied au Maghreb. Au Maroc, les sultans mérinides étant
incapables de leur résister, des chefs se levèrent pour mener la guerre sainte
à leur place ; c’est ainsi que les Beni Wattas prirent le pouvoir, donnant
naissance à la dynastie Wattasside. Au même moment, depuis l’Est, et pour
faire face à la poussée chrétienne, les Turcs balayaient les royaumes
maghrébins, qu’il s’agisse de celui des Hafsides ou de celui des Zianides, et
ils marchèrent en direction du Maroc qui ne fut en mesure de résister qu’en
s’alliant aux Espagnols.
La nouvelle dynastie qui apparût au Maroc était donc celle des Beni
Wattas. C’est au terme de migrations séculaires que ces Berbères du groupe
zénète originaires du sud de la Tripolitaine étaient arrivés dans le sud de
l’actuel Maroc. Au XIVe siècle, ils s’étaient installés dans le Rif, puis ils
s’étaient associés aux Mérinides qu’ils supplantèrent peu à peu. Durant le
règne du sultan mérinide Abou Saïd III (1398-1420), le Maroc était entré
dans une phase de désintégration. La fin d’Abou Saïd III avait été
particulièrement dramatique car il fut assassiné avec ses fils et il y eut donc
vacance du pouvoir. Le sultan de Tlemcen tenta alors de profiter de la
situation pour placer sur le trône marocain un homme à lui. Cette manœuvre
fut mise en échec par le gouverneur de Salé, Abou Zakaria Yahya, un Beni
Watta qui réussit à faire proclamer le seul fils d’Abou Saïd III ayant
échappé au massacre, un bébé d’un an nommé Abd al Haqq qui fut le
dernier sultan mérinide.
Abou Yahya exerça une véritable régence, tentant de freiner le
mouvement d’éclatement du royaume. C’est d’ailleurs en combattant une
tribu arabe qu’il trouva la mort après vingt-huit années de pouvoir. Il eut
deux successeurs, Ali ben Youssouf, un de ses cousins, qui fut également
tué en réprimant une révolte arabe, et un de ses propres fils, qui portait le
même nom que lui et qui fut assassiné avec toute sa famille sur ordre du
sultan Abd al Haqq désireux de se défaire de ces régents qui lui avaient
certes sauvé la vie, mais qui étaient devenus d’encombrants soutiens. Mais,
deux Wattassides échappèrent au massacre, dont Mohamed Ech-Cheikh, qui
devint en 1471 le premier sultan de la dynastie. Après le massacre des
Wattassides à Fès, une période troublée agita le Maroc. Mohamed Ech-
Cheikh se réfugia dans le Rif, rassembla ses partisans et prit Fès en 1472.
Durant le règne de Mohamed Ech-Cheikh, premier sultan wattasside
(1472-1505), les Portugais s’étaient implantés de plus en plus largement sur
le littoral atlantique. Mohamed « le Portugais13 » (1505-1524) qui succéda à
Mohamed Ech-Cheikh, voulut reprendre Arzila et Tanger, mais il subit un
triple échec en 1508 et en 1515 devant Arzila, en 1511 devant Tanger.
Durant son règne, le démembrement du Maroc s’accéléra. Dans le Nord, les
émirs de Tétouan et de Chéchaouen, étant en première ligne face aux
Portugais, étaient devenus chefs de guerre sainte et avaient réussi à se
rendre quasiment indépendants du sultan.
Dans le Sud, le même phénomène se produisait, mais d’une manière
encore plus inquiétante pour le pouvoir wattasside car, avec la montée en
puissance de la famille saadienne, maîtresse de Marrakech depuis 1524,
c’était une nouvelle dynastie qui paraissait vouloir émerger. Or, nouveauté
dans ce Maroc jusque-là dirigé par des dynasties berbères, les Saadiens
étaient des Arabes. Originaires de la région de Yanbo dans le Hedjaz, en
Arabie ils étaient apparentés à la famille du Prophète ; ils étaient donc
Chérifs. Au XVe siècle, ils s’étaient installés dans le sud du Maroc, dans la
région de Zagora. Au début du XVIe siècle, la présence portugaise sur le
littoral atlantique provoqua une réaction islamique et les Saadiens furent
désignés comme chefs de guerre sainte. À partir de 1517, ils entreprirent la
conquête du Sud marocain et, petit à petit, ils firent reculer les Wattassides.
Conscient du danger, le sultan wattasside tenta d’empêcher la constitution
d’un royaume de Marrakech qui risquait de devenir un rival. Il mit le siège
devant Marrakech, mais au bout de quelques semaines, il comprit qu’il
n’avait pas les moyens de prendre la ville et il préféra donner l’ordre du
retour.
Le successeur de Mohamed « le Portugais », Ahmed al-Wattassi (1524-
1550), reconnut la possession du sud du Maroc aux Saadiens et par
conséquent leur indépendance de fait. Mais ces derniers se posaient
désormais en compétiteurs du pouvoir qu’ils revendiquèrent. Ahmed al-
Wattassi voyant que la menace était sérieuse décida de tourner toutes ses
forces contre ce danger venu du Sud. Il fit donc la paix avec les Portugais
afin de ne pas devoir combattre sur deux fronts et, en 1528, il marcha sur
Marrakech où il fut battu. Le pouvoir wattasside se délita ensuite dans
l’anarchie au moment où les Saadiens qui venaient d’arracher Agadir aux
Portugais (1541) et qui les forçaient à évacuer Safi et Azemmour
apparaissaient au contraire comme les champions de l’Islam. Dès lors, le
prestige de Mohamed Ech-Cheikh éclipsa celui du sultan wattasside14.
En 1550, les Saadiens prirent Fès. La résistance Wattasside fut poursuivie
par Bou Hassoun qui se replia dans le Rif avant de s’embarquer pour
l’Espagne et de combattre dans les armées de Charles Quint. Plus tard,
capturé par des corsaires et conduit à Alger, il parvint à y nouer
d’excellentes relations avec le beylerbey turc, Sahah Rais avant de prêter
hommage au sultan ottoman Soleiman, ce qui eut des conséquences
considérables comme nous le verrons plus loin.

2. L’impérialisme ottoman au Maghreb


Au début du XVIe siècle, le Maghreb qui ne s’était pas encore remis de la
saignée démographique provoquée par la Grande Peste de 1384 et des
dévastations résultant de l’intrusion des tribus arabes durant les siècles
précédents, subit une double conquête, turque à l’Est et ibérique à l’Ouest.
Durant le XVIe siècle, Espagnols et Ottomans s’affrontant pour la
domination de la Méditerranée, le royaume hafside de Tunis, passage obligé
entre Méditerranée orientale et occidentale, devint hautement stratégique.
Au pouvoir depuis 1228, les Hafsides n’étaient plus les maîtres des
évènements quand quatre frères grecs renégats15, les Barbaros, dont nous
avons transformé le nom en Barberousse, permirent aux Ottomans de
prendre pied au Maghreb. L’aîné, Aruj ou Orudj Aruj Barabaros, avait été
capturé en 1501 et il avait ramé trois ans sur les galères des chevaliers de
Saint-Jean de Jérusalem. Quand il recouvrit la liberté, le souverain hafside
de Tunis lui donna l’autorisation d’utiliser le port de La Goulette et l’île de
Djerba afin d’en faire une base d’action contre les chrétiens. En 1515, il
enleva Alger aux Espagnols qui conservèrent néanmoins le fort du Penon et
il s’y fit proclamer sultan. Il mourut peu après en combattant les soldats de
Charles Quint. En 1518 (?) son frère Hayrettin Barbaros prêta hommage au
sultan ottoman qui le nomma beylerbey, gouverneur de province, et lui
envoya des renforts en hommes et en canons (Heers, 2001 : 60-107).
Une lutte acharnée commença alors entre les Ottomans et les Habsbourg
pour la possession de l’Afrique du Nord ; elle dura jusqu’en 1581. En 1520,
Barberousse prit le penon d’Alger et il fut nommé grand amiral de l’Empire
ottoman. Au mois d’août 1534, les Turcs, commandés par Khayr ad-Din
Barbaros s’emparèrent de Tunis et mirent la ville au pillage. Le souverain
hafside s’enfuit, mais Charles Quint intervint ; les Espagnols débarquèrent,
enlevèrent Tunis le 6 août 1535 et y rétablirent Moulay Hassan, le
souverain hafside. La contre-attaque ottomane attendit quelques années. En
1551, le Grec Dragut (Torgut Reis) (1514-1565), amiral de la flotte
ottomane prit Tripoli et en 1560, un autre amiral ottoman, le renégat croate
Piyale Pacha, s’empara de Djerba. En 1569, Uludj Ali16 enleva Tunis mais,
en 1571, dans la foulée de leur victoire de Lépante, les Espagnols reprirent
la ville et y rétablirent une nouvelle fois un souverain hafside. Au mois
d’août 1574, Tunis fut définitivement occupée par les Ottomans et le
royaume hafside devint une province turque gouvernée par un pacha
nommé par le sultan.
En 1581, Philippe II d’Espagne renonça à la lutte. En conséquence, il
signa avec les Ottomans un traité par lequel il abandonnait toutes ses
possessions africaines, à l’exception de Mers el-Kebir, de Melilla et d’Oran
– qui resta espagnole jusqu’en 1792 –, et reconnaissait comme possession
turque les Régences d’Alger et de Tunis, la Cyrénaïque et la Tripolitaine17
(Heers, 2001 : 108-136).
Au plus fort de la lutte, dans la première moitié du XVIe siècle, les reis et
les gouverneurs envoyés par la Sublime Porte vivaient sur mer ou
retranchés dans leurs ports. Les tribus de l’intérieur étaient alors livrées à
elles-mêmes et l’anarchie perdurait. C’est seulement à partir de 1550 que
les conquérants turcs commencèrent à s’occuper de l’arrière-pays. Cette
année-là, Hassan Pacha, fils de Hairettin Barbaros, fit de Tlemcen un centre
militaire et administratif sous contrôle turc et son successeur, Salih Reis
(1552-1556), installa une garnison permanente à Biskra, puis il s’avança
dans le Sahara où il occupa Touggourt et Ouargla. Plus à l’ouest, les
Ottomans se heurtèrent aux Marocains.

3. Turcs et Marocains
En 1553, une expédition turque fut menée contre le Maroc par voie
terrestre et maritime. Fès fut prise en 1554 et l’ancien sultan Bou Hassoun,
le protégé des Ottomans y fut proclamé sultan. La dynastie wattasside était
ainsi restaurée. Présents à Tunis et à Alger, les Ottomans avaient donc
profité de l’anarchie marocaine pour avancer vers l’Ouest afin de tenter de
prendre l’Espagne à revers.
Après l’installation au pouvoir de Bou Hassoun, le sultan saadien
Mohamed Ech-Cheikh se replia sur Marrakech dans l’attente de jours
meilleurs. Ceux-ci ne tardèrent d’ailleurs pas à arriver car les Turcs se
rendirent bientôt odieux par leur mise en coupe réglée de la ville de Fès, à
tel point que Bou Hassoun leur demanda de repasser la Moulouya et de
rentrer à Alger. Une fois ses protecteurs partis, Bou Hassoun ne fut plus en
mesure de résister à l’armée saadienne. Durant l’été 1554, il fut vaincu et
tué et Mohamed Ech-Cheikh entra triomphalement à Fès le 13 septembre
1554.
Durant les trois années de son règne (1554-1557), le nouveau sultan qui
fit de Marrakech sa nouvelle capitale eut une politique réaliste. Pour lui, le
danger chrétien, essentiellement représenté par les Espagnols depuis que les
Portugais avaient renoncé à leur empire marocain, était moins réel que celui
que constituaient les Turcs. Ces derniers n’avaient d’ailleurs pas l’intention
de demeurer au-delà de la Moulouya car leur lutte contre l’Espagne
nécessitait une implantation au Maroc. Mohamed Ech-Cheikh, héros de la
guerre sainte contre les chrétiens, allait donc se retrouver allié du roi
d’Espagne, champion de la Chrétienté, contre la principale puissance
musulmane de l’époque qui était l’Empire ottoman. L’alliance fut conclue à
la suite de négociations avec le comte d’Alcaudete, gouverneur espagnol
d’Oran. Pour le sultan marocain, il ne s’agissait de rien moins que de nouer
une alliance avec l’ennemi héréditaire afin de sauvegarder l’indépendance
de son pays face à la poussée impérialiste ottomane.
De son côté, en 1556, afin de ne pas risquer d’être pris à revers lors de
l’offensive qu’il s’apprêtait à lancer contre le Maroc, le gouverneur turc
d’Alger confia à Hassan Corso, un renégat corse, la mission de prendre la
place forte espagnole d’Oran. Les combats furent extrêmement violents,
mais, au même moment, la flotte chrétienne d’Andréa Doria ayant réussi à
pénétrer dans le Bosphore, les navires turcs qui assiégeaient Oran furent
rappelés d’urgence en Méditerranée orientale et c’est ainsi qu’Oran fut
sauvée. Afin de tenter de soulager les Espagnols, Mohamed Ech-Cheikh
attaqua Tlemcen par voie de terre, mais il ne réussit pas à s’emparer de la
citadelle défendue par les Turcs. L’équilibre des forces semblait avoir été
trouvé quand Hassan, nommé gouverneur d’Alger, prit la décision de faire
assassiner le sultan du Maroc18. Ce dernier ayant été tué, Hassan marcha sur
Fès, mais comme le comte d’Alcaudete avait pris la décision d’avancer vers
Tlemcen, l’armée turque fut contrainte de faire demi-tour pour ne pas
risquer d’être prise à revers.
Mohamed Ech-Cheikh assassiné, son fils Abou Mohamed Abdallah el-
Ghalib Billah (1557-1574) lui succéda et il poursuivit sa politique d’unité
nationale et de consolidation du pouvoir central d’une part et
d’indépendance face aux menaces turques d’autre part. Sous son règne, en
1569, éclata en Espagne la grande révolte des Morisques qui s’étendit sur le
territoire de l’ancien royaume de Grenade. Pour le sultan, la situation
devenait difficile car l’allié espagnol combattait des musulmans qui
faisaient appel à la guerre sainte19 (Marc, 1979 ; Conrad, 1998).
En 1571, après la victoire de Lépante, les Espagnols prirent partout pris
l’offensive et ils décidèrent de chasser les Turcs d’Afrique du Nord. En
octobre 1573, Don Juan d’Autriche s’empara ainsi de Tunis puis de Bizerte,
ce qui provoqua une violente réaction turque, l’Espagne subissant à son tour
deux terribles défaites, l’une à Tunis et l’autre à La Goulette. Ayant perdu
leurs points d’appui en Tunisie, les armées espagnoles n’étaient donc plus
en mesure de prendre les Turcs d’Alger en tenaille, tandis que ces derniers
n’étaient plus menacés sur leurs arrières.
Les Ottomans purent alors faire porter tous leurs efforts en direction du
Maroc où, en 1574, le sultan Abdallah el-Ghalib fut emporté par une crise
d’asthme. Son fils, Mohamed el-Moutaoukil dit « el-Mesloukh » (1574-
1576), qu’il avait désigné comme son héritier lui succéda20.
Dix-sept ans plus tôt, en 1557, après la mort du sultan Mohamed Ech-
Cheikh, le second fils de ce dernier, Abd-el-Malek, se sentant menacé par
son frère Moulay Abdallah el-Ghalib, avait choisi de se réfugier à Istanbul
avant de participer aux campagnes militaires ottomanes, dont la bataille
de Lépante où il avait d’ailleurs été fait prisonnier, et également au siège de
La Goulette. Or, en 1574, quand le sultan Abdallah el-Ghalib mourut,
Abdelmalek était à Alger et il décida d’entreprendre immédiatement la
conquête du royaume marocain dont il s’estimait le souverain légitime. La
Porte qui se posait en arbitre et qui voulait affaiblir le Maroc, proposa un
partage du royaume entre les deux prétendants, l’oncle Mohamed el-
Moutaoukil et le neveu Abd-el-Malek, mais les négociations échouèrent.
La guerre débuta alors, Abdelmalek se lançant à la conquête du Maroc
avec l’aide des Ottomans qui avaient trouvé dans cette querelle dynastique
un excellent moyen de prendre enfin pied dans le pays. En échange de son
appui, Istanbul obtint la promesse d’un versement de 500 000 onces d’or
qui devait lui être acquitté après la victoire, la conclusion d’une alliance
militaire contre l’Espagne, ainsi que la remise aux corsaires d’Alger du port
de Larache qui servirait à ces derniers de relais pour leur guerre de course
dans l’océan Atlantique.
Au début du mois de janvier 1576, Abdelmalek quitta Alger pour Fès
accompagné de Ramdan Pacha à la tête d’un corps expéditionnaire turc
composé de 6 000 arquebusiers et de près de 8 000 cavaliers. Vers la mi-
mars 1576, les deux armées s’affrontèrent pour la première fois. Le combat
se déroula dans la région de Fès et le sort des armes pencha du côté
d’Abdelmalek et des Turcs après que les 2 000 hommes du contingent
andalou eurent passé du camp de Mohamed el-Moutaoukil à celui de son
oncle. Se voyant battu, le sultan s’enfuit vers Marrakech, laissant libre à
Abdelmalek la route de Fès où ce dernier se fit proclamer sultan sous le
nom d’Abdelmalek el-Moatassem Billah (1576-1578).
Le premier souci du vainqueur fut de faire verser aux Turcs la somme
qu’il s’était engagé à leur remettre, et ce, afin de précipiter leur départ. Il
n’en conserva qu’un petit contingent, plus les volontaires kabyles de la tribu
des Zouaoua, mais il ne tint pas ses promesses concernant le port de
Larache.
La victoire d’Abdelmalek ne mettait cependant pas fin à la guerre civile
car son oncle n’avait pas l’intention de renoncer. Replié à Marrakech, il y
avait même levé de nouvelles troupes et vers la fin juin ou au début du mois
de juillet 1576, une seconde bataille eut lieu entre les deux Saadiens à
quelques dizaines de kilomètres au sud de Rabat. Vaincu une nouvelle fois,
Mohamed el-Moutaoukil trouva refuge chez les Espagnols où il demanda
l’aide du roi Philippe II. Or, le souverain espagnol était en bons termes avec
Abdelmalek en qui il voyait un allié contre les Turcs car, même s’il leur
devait son accession au pouvoir, il savait que la Porte rêvait de faire du
Maroc la province la plus occidentale de son empire. Il avait donc renoué
avec l’alliance espagnole, seule susceptible de sauvegarder l’indépendance
du Maroc. Du côté espagnol, il était également prioritaire d’avoir à nouveau
de bonnes relations avec le Maroc. C’est pourquoi la demande d’aide
formulée par Mohamed el-Moutaoukil fut rejetée par Philippe II qui fit
comprendre au fuyard que son cas n’intéressait pas l’Espagne, mais que
Lisbonne pourrait peut-être avoir une attitude plus compréhensive à son
égard.

4. L’expédition portugaise de 1578 au Maroc


Au Portugal, le successeur de Jean III, Sébastien Ier (1557-1578)
regrettait l’abandon des Fronteiras décidé par son père quelques années
auparavant et il ne rêvait que de reprendre pied au Maroc. Aussi, quand
Mohamed el-Moutouakil, le sultan marocain déchu, vint lui offrir la place
d’Arzila et la reconnaissance de la suzeraineté portugaise en échange de son
appui militaire, le jeune et impétueux souverain pensa qu’il tenait là
l’occasion de venger l’échec portugais des années 1540. En conséquence,
en 1577, il décida une expédition militaire afin de l’aider à reconquérir son
trône.
Les raisons de cette folle aventure qui coûta son indépendance au
Portugal ont longuement été étudiées. Les historiens ont parlé de
l’inconscience chevaleresque du jeune roi. Certes, mais à ce trait de
caractère sans lequel il n’y aurait évidemment pas eu d’expédition, il
convient d’ajouter la cause essentielle qui est une analyse erronée du danger
turc dans cette partie de la Méditerranée. Certes, dans les années qui
précédèrent l’expédition portugaise de 1578, l’Espagne, mais aussi le
Portugal, avaient un objectif commun qui était de freiner ou d’arrêter la
progression des Ottomans vers le Maroc d’où ces derniers auraient pu
menacer la liberté de navigation en Méditerranée occidentale.
Or, en 1578, les priorités ottomanes ne s’exerçaient plus en direction du
Maroc, mais de la Perse où une épuisante campagne venait de commencer.
Le danger turc qui était une réalité pour les chrétiens espagnols et portugais
en 1576 s’était donc éloigné au moment où le roi du Portugal, le prenant
pour prétexte, lança son expédition contre le sultan Abdelmalek, l’allié des
Espagnols. Ce dernier tenta de le raisonner et par tous les moyens, il
chercha à lui faire comprendre qu’il n’était dans l’intérêt ni du Portugal, ni
du Maroc d’ouvrir les hostilités. Il proposa même à Sébastien de lui
remettre un port marocain de son choix et d’élargir de treize lieues
l’hinterland des places que le Portugal conservait encore sur le littoral du
Maroc. Rien n’y fit car Sébastien voulait en découdre et il considéra à tort
les sages propositions d’Abdelmalek comme autant d’aveux de faiblesse.
En désespoir de cause, Abdelmalek demanda alors à Philippe II d’Espagne
d’intervenir auprès de son neveu portugais. Toujours en vain.
À la fin du mois de juin 1578, 23 000 Portugais dont à peine 2 000
cavaliers et 36 canons débarquèrent dans la région d’Arsilah. Les
Marocains n’alignaient que 20 pièces d’artillerie, mais leur supériorité
numérique était écrasante, 40 000 à 50 000 hommes dont plus de 30 000
cavaliers.
Le choc eut lieu sur les berges de l’Oued el Makhazen où trois rois
s’affrontèrent durant cette bataille dans laquelle tous trois trouvèrent la
mort : Sébastien de Portugal et Mohamed el-Moutaoukil se noyèrent dans
l’oued el Makhazen en tentant de fuir, tandis qu’Abdelmalek mourait de
maladie au début de la bataille. Sa mort fut d’ailleurs cachée à ses troupes
(Berthier, 1985 ; Nékrouf, 2007).
La défaite portugaise fut totale ; ce fut même un véritable désastre car les
morts portugais jonchaient le champ de bataille. Quand ils reconnurent le
cadavre de Mohamed el-Moutaoukil, les Marocains l’écorchèrent, d’où le
nom d’el-Mesloukh (l’écorché), qui lui est resté dans l’histoire. La
sanglante dépouille fut ensuite bourrée de paille et exhibée dans les
principales villes du Maroc.
Pour le Portugal, les conséquences de cette défaite furent dramatiques
puisque le pays perdit son indépendance. Sébastien n’ayant en effet pas
d’héritier, son oncle Philippe II d’Espagne s’empara du royaume après un
pseudo-règne de moins de deux années durant lesquelles le trône du
Portugal fut occupé par le cardinal Don Henrique dernier fils du roi
Emmanuel le Fortuné, qui régna sous le nom d’Henri Ier le Chaste (1578-
1580). C’était un vieillard malade, à demi paralysé qui se trouvait
totalement impuissant à faire face aux terribles conséquences économiques
et politiques de cette défaite qui avait décimé la noblesse portugaise et vidé
le pays de ses cadres. De plus, le royaume devait consacrer sa fortune, non à
la reconstruction, mais au rachat de ses soldats prisonniers. La détresse était
générale. Le cardinal-roi mourut en février 1580 et, en juin 1580, l’armée
espagnole pénétrait au Portugal21. L’indépendance portugaise avait
provisoirement vécu.
Le soir de la Bataille des trois Rois, sur le lieu de la victoire marocaine,
Abou Abbas Ahmed, le frère du sultan défunt, fut proclamé sous le nom
d’Al-Mansour (1578-1603), le « Victorieux ». La politique étrangère du
nouveau sultan fut caractérisée par une méfiance vis-à-vis de la Turquie,
avec pour corollaire le maintien de l’alliance avec l’Espagne. En 1596,
Uludj Ali, le gouverneur turc d’Alger, mourut et le Maroc fut plus à l’aise
sur sa frontière orientale. La politique turque changea et la guerre
permanente que se livraient l’Espagne et l’Empire ottoman prit fin, ce
dernier renonçant à s’étendre en Méditerranée occidentale.
En 1603, l’épidémie de peste qui endeuillait le Maroc depuis 1588 enleva
le sultan et, avec lui, la parenthèse de paix fut refermée.

L’expulsion des Morisques


La reconquête chrétienne achevée, tous les musulmans n’avaient pas repassé le
détroit de Gibraltar puisqu’ils furent des centaines de milliers à demeurer en
Espagne. Certains, les Mudejars, demeurèrent musulmans, tandis que d’autres se
convertirent plus ou moins sincèrement au catholicisme. Ce sont les Morisques, ou
Nouveaux Chrétiens, qui étaient soupçonnés de conserver en secret la religion de
leurs pères. Tous furent expulsés.
Comme Fernand Braudel l’a écrit : « II ne s’agit point de savoir si l’Espagne a bien ou
mal fait en expulsant les Morisques, mais de savoir pourquoi elle l’a fait ». Quelles
furent donc les raisons de ces expulsions ? Pour les autorités espagnoles de
l’époque, une priorité demeurait : l’unité nationale, tâche titanesque s’il en était dans
une péninsule toujours minée par les particularismes et dans laquelle le seul véritable
facteur d’unité était l’orthodoxie catholique. La politique suivie depuis les débuts de la
Reconquista avait été la tolérance religieuse. Du Xe au XVe siècle, de nombreuses
communautés musulmanes étaient ainsi passées sous le contrôle chrétien tout en
conservant leur religion. Mais, à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe, la situation
changea car l’Espagne fut confrontée au danger turc. Il n’était donc plus possible
pour elle de tolérer des noyaux de peuplement dissidents éventuellement disposés à
servir de « cinquième colonne » à un projet de débarquement turc comme cela s’était
d’ailleurs produit en 1567, lors de la « grande révolte des Morisques » au cours de
laquelle les sujets musulmans du roi d’Espagne avaient fait appel à la Porte. Pour les
Espagnols de l’époque, l’existence de communautés musulmanes ou de musulmans
superficiellement convertis était donc inacceptable. Dans le contexte d’alors, il
n’existait que trois solutions possibles : la conversion réelle, le massacre ou
l’expulsion.
Les premiers expulsés furent les Morisques de Castille, de la Marche et de
l’Estremadure qui durent quitter ces régions en 1609. Ils furent suivis en 1610 par
ceux d’Andalousie et d’Aragon, puis en 1611 par les Catalans et enfin par ceux de
Murcie en 1614. Au total, ils furent plus de 300 000. L’expulsion se fit vers le Maroc,
vers Alger et vers Tunis (Conrad, 1998 : 120).

1. Les premières caravelles furent produites par les chantiers lusitaniens vers 1430. Synthèse de la
nef et de la galère, la caravelle était un petit navire disposant sur l’arrière d’un château à deux
étages. La « Santa-Maria » de Christophe Colomb mesurait 39 mètres de long sur 8 m de large et
avait un tirant d’eau de 3 mètres. Aux caravelles succédèrent les caraques et les galions. Les
caraques étaient d’imposants navires dotés de deux châteaux, à la poupe et à la proue et de sabords
d’artillerie. Les galions étaient plus légers, plus rapides et plus maniables que les caraques.
2. Toujours en 1487, le roi Joao II noua des relations directes avec l’Éthiopie grâce à Joao de
Covilham, venu depuis l’Égypte et qui parvint jusqu’au Négus.
3. En 1487, le roi Joao II avait commencé à se renseigner sur les routes qui menaient aux Indes et il
avait envoyé des espions au Moyen-Orient.
4. Le nom de Mozambique vient de Mussa Mbiki, nom du chef swahili de cette petite île. La
prononciation qu’en firent les marins portugais donna Mozambiki, d’où le nom qui fut donné à l’île
puis à tout le littoral de la côte africaine.
5. Nous ignorons quelle était la quantité de métal précieux produite par les mines du Bambouk et de
Bouré et qui était annuellement transportée à travers le Sahara. Nous sommes en revanche
renseignés sur les volumes du commerce de l’or à partir d’el-Mina puisque, vers 1532, à son
apogée 700 kg d’or y étaient embarqués à bord des navires portugais. Il s’agit cependant là du
niveau le plus haut atteint par ce commerce car durant les années suivantes, el Mina n’exporta plus
que 150 kg par an.
6. La conquête portugaise était pourtant faite pour durer puisque trois évêchés avaient été créés, à
Ceuta, Tanger et Safi.
7. Le 28 mai 1453, le sultan Mehmed II avait pris Constantinople. Pour le sultanat mamelouk
d’Égypte, la montée en puissance des Ottomans était porteuse de bien des périls même si l’annonce
de la prise de Constantinople fut fêtée dans la liesse.
8. Mehmed II avait deux fils, Bayezid l’aîné et Djem. Bayezid prit le pouvoir et Djem qui ne
l’entendait pas ainsi proposa un partage territorial que son frère refusa. Bientôt, la guerre éclata et
Djem, battu, se réfugia en Cilicie, à Tarsus, sous protection du sultanat mamelouk avant de se
rendre à Alep où il demanda officiellement à Kaitbay de lui accorder l’asile. Celui-ci accepta et au
mois de septembre 1481, il l’accueillit au Caire avec tous les honneurs, avant de le soutenir dans sa
tentative de conquête du pouvoir qui se solda par un échec.
9. Une partie de la flotte victorieuse était composée de galères turques qui avaient été démontées à
Alexandrie et transportées jusque sur les rivages de la mer Rouge où elles avaient été remontées.
10. Les Portugais disposaient d’artillerie.
11. Le sultan Kansouh mourut le lendemain : suicide ou crise d’apoplexie ?
12. Province turque.
13. Le fils de Mohamed Ech-Cheikh avait passé une partie de sa jeunesse au Portugal où il était otage
et c’est pourquoi il fut surnommé le Portugais (al-Bortougali).
14. La prise d’Agadir eut un énorme retentissement au Portugal où l’on craignit pour les autres places
fortes du Maroc et c’est alors que la décision fut prise de les évacuer toutes, à l’exception de
Mazagan.
15. Les Renégats étaient des Européens convertis à l’islam. Sur les Renégats, voir Bennassar B. et L.
(1989).
16. Giovani Dionogi Galeni (1520-1587), dit Uludj Pacha. Ce renégat né en Calabre tenta un
débarquement en Espagne en 1568 afin de venir en aide aux Morisques révoltés.
17. Ce qui n’empêcha pas l’Espagne de tenter à plusieurs reprises des opérations, ainsi en 1775
quand elle débarqua à Alger.
18. Quelques mois plus tard, lors d’une expédition dans l’Atlas, le sultan se trouva isolé avec sa
garde turque qui l’assassina, le décapita et mit sa tête dans un sac. Après des péripéties
romanesques, les assassins parvinrent à fuir le Maroc en passant par Sijilmassa et ils rentrèrent à
Alger porteurs de la preuve de la réussite de leur mission. Salée, la tête de Mohamed Ech-Cheikh
fut ensuite envoyée à Istanbul.
19. La révolte eut pour cause immédiate une décision de 1567 prise par Philippe II d’Espagne qui,
estimant que la conversion des Morisques était désormais une priorité, ordonna la démolition des
mosquées et l’abandon des costumes musulmans. Ce que recherchait le roi d’Espagne, au-delà de la
simple conversion, c’était l’hispanisation pure et simple, l’Espagne ne voulant plus de deux
religions sur son sol. La colère des Morisques qui couvait depuis des décennies dégénéra en révolte
ouverte puis en sédition quand ils demandèrent non seulement l’aide de la Turquie, ennemi mortel
de l’Espagne, mais encore que, dans tout le monde musulman, la guerre sainte soit prêchée pour
leur venir en aide. La répression fut brutale et à la hauteur du danger que la révolte avait fait courir
au royaume. Après de durs combats les zones soulevées furent pacifiées et les Morisques déportés
dans le nord de l’Espagne où ils furent dispersés en zones chrétiennes. Ils adoptèrent des noms
espagnols mais, souvent, ils restèrent secrètement fidèles à l’Islam. Entre 1609 et 1614 Philippe III
les fit expulser du royaume. Par deux fois les Turcs tentèrent de les secourir en tentant de faire
débarquer des troupes, mais ils échouèrent. En 1571, la défaite de Lépante ne leur permit pas de
renouveler leurs tentatives ; aussi, abandonnés, les Morisques furent peu à peu réduits (Conrad,
1998 : 113-121).
20. Cette succession ouvrit au Maroc une terrible guerre dynastique qui allait provoquer
l’intervention du Portugal et la bataille de l’oued el-Makhazen le 4 août 1578. La tradition
dynastique saadienne voulait que tous les frères du sultan décédé lui succèdent sur le trône avant
que n’y monte le premier fils. En d’autres termes, ce n’était en théorie pas à l’aîné des fils du sultan
défunt que la « couronne » revenait mais au plus âgé des mâles de la famille. Dans le cas présent, le
successeur d’Abdallah el-Ghalib aurait dû être Abdelmalek (ou Abd-el-Malek), frère du sultan
décédé, et non Mohamed el-Moutaoukil, l’aîné de ses fils. Or, pour compliquer les choses,
Abdallah el-Ghalib avait, de son vivant, désigné son fils comme l’héritier du royaume. Dans ces
conditions, entre l’oncle Abdelmalek et le neveu Mohamed el Moutaoukil, la guerre était
inévitable.
21. Antoine Ier régna 64 jours, entre la mort d’Henri Ier le 31 janvier 1580 et le 4 août, date de la
bataille d’Alcantara perdue face aux troupes de Philippe II d’Espagne.
Chapitre II.
L’Afrique sud-saharienne
du XVIe au XVIIIe siècle

Durant cette période, et dans une grande partie de l’Afrique sud-


saharienne, de nouveaux États apparurent.
Dans la région du Sahel, plusieurs royaumes se créèrent ainsi sur les
ruines des vastes entités disparues du Mali et du Songhay. Ils n’en eurent
pas la même étendue, furent davantage ethno-centrés et ils disparurent
quasiment tous lors des grands jihads des XVIIIe-XIXe siècles.
Sur le littoral ouest africain, deux types de sociétés existaient, celles qui
s’étaient constituées en États avant la découverte portugaise et celles qui
s’organisèrent ou se développèrent à la suite de la présence européenne1.
Dans la Corne, dans la région nilotique, dans l’Afrique interlacustre et
dans l’Afrique centrale et australe, les phénomènes mis en évidence durant
la période précédente se maintinrent dans la continuité de la longue durée.

A. L’ouest africain
Depuis les débuts du commerce transsaharien et jusqu’à la veille de la
colonisation, les contacts et la vie de relation de l’Ouest africain se faisaient
du Nord vers le Sud. Dans un premier temps les caravanes transportaient
l’or et la noix de kola depuis la forêt jusqu’au Sahel et dans un second, l’or,
l’ivoire et les esclaves vers le littoral à destination des navires européens.
Durant les XVIIe-XVIIIe siècles, la région sahélienne connut de profonds
bouleversements liés à l’expansion de l’islam qui se fit sous forme de
djihads dans lesquels les Peuls jouèrent un rôle de premier plan et qui
débouchèrent sur la constitution d’États comme l’Empire peul du Macina,
les États du Fouta Djalon, l’empire de Sokoto ou celui des Toucouleurs2.
Cette période voit également l’essor de plusieurs entités littorales.

1. L’expédition marocaine du Niger et la fin de l’Empire


songhay
À la suite de leur installation en Afrique occidentale et dans le golfe de
Guinée, les Portugais avaient, comme nous l’avons vu, détourné vers
l’océan une partie des grands axes caravaniers ouest-africains, ce qui fit que
le commerce de l’or ne s’effectua plus depuis l’Afrique sud-saharienne vers
la Méditerranée, mais vers le golfe de Guinée. Par voie de conséquence, les
quantités d’or arrivant au Maroc en provenance du Soudan diminuèrent,
n’atteignant bientôt plus que le dixième de celles qui arrivaient au début du
XIVe siècle. Le déclin du commerce transsaharien qui s’ensuivit affecta à la
fois Tombouctou et le Maroc. Au même moment, l’empire songhay qui
avait pris le contrôle des salines de Teghaza, en plein désert du Sahara, ne
dépendait plus des caravanes venues du Maroc. C’est afin de tenter de
rebâtir son monopole commercial transsaharien que ce dernier entreprit la
conquête de Teghaza et c’est ainsi qu’il entra en conflit avec l’empire
songhay.
Nous avons vu plus haut que les relations s’étaient détériorées entre le
Maroc et le Songhay durant les règnes du sultan marocain Al-Mansour
(1578-1603) et de l’Askia Mohamed III el-Hadj (1582-1586). En 1581 déjà,
les troupes marocaines avaient pris le contrôle des oasis du Touat et de
celles du Gourara, prélude à une campagne contre le Songhay. En 1585, un
détachement marocain s’empara de Teghaza et de ses salines. Le Songhay,
ne céda pas car, entre-temps à 150 kilomètres au sud de Teghaza, la saline
de Taoudeni avait été développée. Les Marocains abandonnèrent alors leur
inutile conquête qui fut immédiatement réoccupée par les forces songhay.
En 1589, le sultan marocain Al-Mansour constitua un corps
expéditionnaire fort de plusieurs milliers d’hommes dont plusieurs
centaines de renégats chrétiens. 8 000 chameaux et 1 000 chevaux de bât
étaient destinés à ravitailler la plus importante armée jamais lancée à travers
le Sahara. Son commandement fut confié à Pacha Jouder, un renégat
d’origine espagnole dont l’état-major était composé de 10 caïds, eux aussi
presque tous renégats. L’armée se dirigea vers Tindouf, puis vers Teghaza et
Taoudeni. 135 jours après son départ de Marrakech, elle atteignit le fleuve
Niger, puis elle marcha sur Gao que l’Askia Ishaq II (1588-1591) chercha à
défendre en se portant à la rencontre des Marocains. Le 13 mars 1591, à
Tondibi, sur le Niger, les troupes de l’Askia furent mises en déroute et Gao
prise. Des négociations s’ouvrirent. En échange de son retrait, l’Askia offrit
à Djouder 100 000 pièces d’or, un tribut de 10 000 esclaves, le versement
annuel d’une somme d’argent, le monopole du commerce des coquillages
de cauris dans les limites de l’empire songhay ainsi que le monopole
reconnu au Maroc du commerce du sel. Pacha Jouder écrivit au sultan Al-
Mansour pour lui conseiller d’accepter ces propositions, mais ce dernier les
refusa, voulant la soumission pure et simple de l’Askia. En juin, il remplaça
Jouder par Mahmoud, un autre renégat, lequel écrasa l’armée songhay,
tandis que l’Askia en fuite était massacré par des rebelles. Mahmoud réussit
à pénétrer jusqu’aux zones aurifères les plus septentrionales et à envoyer un
petit convoi d’or au Maroc.
L’empire songhay avait vécu et le Maroc créa sur ses décombres le
Pachalik du Soudan dirigé par un pacha nommé par le sultan. L’empire de
Gao conquis, le Maroc aurait pu espérer voir renaître les anciens circuits
commerciaux transsahariens qui avaient fait sa fortune, mais il n’en fut rien
et les impôts du pachalik ne compensèrent pas les baisses des flux
enregistrées depuis plusieurs décennies. L’or du Soudan continuait pourtant
à être produit et à arriver sur le littoral méditerranéen, mais dans des régions
d’Afrique du Nord sous contrôle turc, ou bien il était détourné vers le Sud,
au profit des Portugais.

2. Entre Atlantique et lac Tchad


Dans la région de la boucle du Niger, le royaume bambara tenta un temps
de combler le vide laissé par la disparition de l’empire songhay. À partir du
XVIe siècle, il eut pour colonne vertébrale le fleuve Niger, comme cela avait
été le cas à l’époque du Mali ou du Songhay. C’est sur les Bambara qui
demeuraient attachés à la religion de leurs ancêtres que buta, deux siècles
durant, la déferlante musulmane.
Au départ, les Bambara formaient le cœur d’une coalition ethnique
regroupant des Bozo, des Soninké et des Peuls du Macina, constituée pour
l’emporter sur le Mali qui, comme nous l’avons vu, s’était replié en zone
forestière au XVIe siècle.
En 1645, le dernier roi du Mali fut battu et les Bambara fondèrent
la dynastie des Coulibaly dont le premier souverain, Kaladian Coulibaly
régna de 1652 à 1682. Sous le règne du roi Biton Coulibaly mort en 1755,
se constitua le grand empire bambara qui s’étendit aux dépens des Soninké
et des Mandé des Volta (Marka, Samo et Yarsé) lesquels migrèrent vers le
Sud. Selon les traditions, son fils Dinkoro (1755-1757), un despote, mourut
assassiné ainsi que son frère qui avait voulu islamiser le pays. L’anarchie
s’empara ensuite de l’empire bambara qui se coupa en deux, donnant
naissance au royaume de Ségou et à celui du Kaarta.
En 1766, Ngolo Diarra rétablit l’unité, élargit les conquêtes bambara
jusqu’au-delà de Tombouctou et razzia le pays mossi où il mourût à l’âge de
quatre-vingt-dix ans. Ses deux fils, Naniankoro et Monzon s’affrontèrent
ensuite dans une guerre civile particulièrement dévastatrice. Monzon qui en
sortit vainqueur tenta la conquête du pays des Mossi. Son fils Da Diarra fut
vaincu par les Peuls de Cheikou Amadou, défaite qui marqua le début d’un
lent déclin et cela jusqu’au moment où, venus de l’Ouest, El Hadj Omar et
les Toucouleur submergèrent toute la région.
Les Mossi dont l’habitat actuel est le bassin de la Volta Blanche
s’installèrent dans la région après des péripéties sur lesquelles nous sommes
mal documentés. Bien des questions demeurent même quant à leur origine
puisque nous ignorons d’où ils viennent et quand le peuple mossi se
constitua.
Deux théories sont en présence, celle qui fait remonter leur origine au
XI siècle ou au XIIe siècle et une autre, au début du XVe siècle. Les deux
e

peuvent cependant être considérées comme complémentaires dans la


mesure où les sources parlent bien des Mossi à l’époque des Empires du
Mali et du Songhay, mais la fondation des royaumes mossi n’aurait quant à
elle, eu lieu qu’au XVe siècle.
Pour résumer la question, disons que les proto-Mossi venus du Nord-Est
seraient arrivés dans la boucle du Niger au XIIe ou au XIIIe siècle ; de là ils
lancèrent des raids contre les villes du Mali qui sont rapportés par les
sources (Tarikh, etc.). À cette époque ils n’avaient pas encore constitué
d’États. Le premier royaume mossi ou proto-mossi aurait été fondé dans la
première moitié du XIIIe siècle (Izard, 1991 : 155), à l’intérieur de la boucle
du Niger avec la volonté clairement affichée de franchir le fleuve pour avoir
accès au commerce transsaharien ; mais cela fut impossible tant que le Mali
et l’empire songhay furent puissants.
Au XVe siècle l’histoire des Mossi devient plus lisible avec la naissance
du royaume dagomba sous le règne de Na Nyaghse (± 1460-1500). Vers
1495, Naaba Wubri fonda le royaume de Ouagadougou (Wogodogo) dont le
souverain portait le titre de Moogo Naaba. À cette époque, la vallée de la
Volta Blanche passa sous le contrôle de l’armée mossi qui franchit la Volta
Rouge. Au Nord, vers 1540, les Dogon ayant été chassés de la plaine du
Gondo et s’étant réfugiés dans les falaises de Bandiagara dans l’actuel Mali,
fut fondé le royaume mossi du Yatenga. À la fin XVIe siècle le Yatenga se
détacha du Ouagadougou. Pour éviter le démembrement total du royaume,
sur ses périphéries, fut constitué un système de marches frontières formées
de principautés confiées aux fils du souverain.
Le royaume mossi
« Lorsqu’on parle de royaume mossi, il faut entendre non pas des États
correspondants à une société homogène qui serait l’ethnie mossi, mais des
formations sociopolitiques composites nées de la conquête, par des guerriers
appelés mossi, du bassin de la Volta blanche. Cependant, le processus
d’intermariages et d’infiltration par colonisation lente opérée par des paysans mossi
a été beaucoup plus déterminant que la conquête militaire. Chaque fois qu’un
espace était acquis, il était organisé selon le modèle socio-politique mossi.
Dans le cas du Yatenga, la population correspond, à la fin du XIXe siècle, à trois
sociétés distinctes : la société mossi, la société silmiga (fulbe) et la société silmi-
mossi. Seule, la première est soumise à l’autorité du roi, le yatenga-naaba. Les
Fulbe ou Silmiise ont en quelque sorte, le statut d’hôtes, sur la base de contrats
d’établissement leur réservant une large bande de territoire dans la partie nord du
pays. Installés depuis le XVIIe siècle dans le Yatenga, les Fulbe y ont créé des
localités permanentes à partir desquelles est organisée la transhumance du bétail ».
(Izard et Ki-Zerbo, 1991 : 249)

La décadence du Dagomba débuta dans la première moitié du


XVIIIe siècle. Le souverain s’était converti à l’islam en 1713 et dans les
années 1740, à l’occasion d’un conflit de succession, Opoku Ware (1731-
1741) le souverain ashanti se lança à sa conquête. En 1744 le roi Na Garba
fut fait prisonnier avant d’être libéré contre l’engagement de livrer chaque
année au royaume ashanti 2000 esclaves. À partir de ce moment, le
Dagomba entra dans l’orbite de l’Ashanti. (Izard et Ki-Zerbo, 1991 : 246).
Après de longues décennies de prospérité, sous le règne de Naba Sagha Ier
qui régna à l’extrême fin du XVIIIe siècle, le royaume du Yatenga fut secoué
par des querelles de succession qui l’affaiblirent cependant que l’islam,
introduit sous le règne de Naaba Kom (± 1784-1791) devenait de plus en
plus présent. Il sera d’ailleurs dominant au siècle suivant, sous le règne de
Koutou (1854-1871).
Aux XVIIe et XVIIIe siècles les Peul musulmans venus du Fouta Toro, du
Macina et plus généralement de la bande sahélienne, commencèrent à
s’installer dans le massif du Fouta Djalon dans l’actuelle Guinée, cette zone
de pâturages étant propice à leur économie pastorale. Appartenant à des
clans ou à des tribus différents, leur coagulation fut favorisée à la fois par
l’islam et par leur adhésion à la confrérie Kadiriya. Les Baga, les Kissi, les
Landouma, les Limba ou encore les Temné qui avaient déjà dû subir la
pression des Sosso deux ou trois siècles auparavant furent balayés par ce
vaste glissement de population vers le Sud et le littoral atlantique,
mouvement de longue durée lié à la fois aux soubresauts ayant accompagné
la fin des Empires sahéliens et à l’aggravation des conditions climatiques.
Toujours dans la région élargie de l’actuelle Guinée, sous le règne de
Mansa Dansa (1700-1730), les Dialonké, qui sont des Sosso, avaient
accordé aux Peuls l’autorisation de s’installer sur leur territoire. Après une
période de cohabitation, les rapports se tendirent quand les nouveaux venus
voulurent convertir leurs hôtes à l’islam. La lutte fut âpre et dura un demi-
siècle, puis les Dialonké vaincus furent poussés vers les plaines guinéennes.
Ils s’allièrent alors à leurs anciens ennemis Malinké et repoussèrent
provisoirement les Peuls après avoir enlevé leur « capitale », Timbo.

3. L’Afrique de l’Ouest littorale


Fondé au XIIIe siècle, le royaume Wolof (ou Oualof) était composé de
quatre provinces (Oualo ou Walo, Cayor, Bayor et Dyolof qui demeurèrent
unies durant deux siècles sous l’administration du Dyolof. Ce royaume qui
s’étendait sur le Sine, le Saloum et sur une partie du Bambouk éclata au
XVe siècle et trois royaumes, à savoir le Cayor, le Baol et le Sine-Saloum se
constituèrent sur ses ruines.
En Côte de l’or, entre le cap des Trois-Pointes et la Volta, plusieurs États
existaient à l’arrivée des Portugais, dont Axim, Ahanta, Eguafo, Fetu, Sabu
et Accra. Un peu plus à l’intérieur, il en était de même avec le Wassa, le
Twifo, l’Akani, l’Akyem, l’Adansi, le Denkyira, l’Asante (Ashanti) et le
Fante (Daaku, 1970).
Au sein du groupe Akan, les Baoulé qui s’installèrent dans la partie est
de la Côte d’Ivoire, sont originaires de l’actuel Ghana. Leur histoire
commença au XVIIe siècle, sous le règne du roi Osei Tutu, fondateur de la
Confédération ashanti dans l’actuel Ghana. En 1718 les Akim contestèrent
son autorité, ce qui provoqua une guerre et Osei Tutu fut tué. Sa succession
fut tumultueuse ; durant deux années le pays ashanti connut la guerre civile,
puis, en 1720, un de ses neveux (ou petits-neveux), Opuku Ware, l’emporta.
En 1742 les Akim se soulevèrent à nouveau et les Ashanti envahirent leur
territoire. Profitant du fait qu’ils avaient laissé Kumasi leur capitale sans
défense les Sefwi (tribu du groupe akan), du roi Ébiri Moro prirent la ville
et la mirent à feu et à sang. Abla Pokou, née vers 1700, petite-nièce d’Osei
Tutu et sœur du roi Opuku Ware fut enlevée afin de servir de monnaie
d’échange. La vengeance d’Opuku Ware fut brutale et les Sefwi massacrés.
Abla Pokou épousa Tano, le général ashanti qui l’avait délivrée.
Quelques années plus tard, le roi Opuku Ware tomba malade. Il annonça
aux chefs des sept clans Ashanti et à ceux des peuples vassaux que son
successeur serait Dakon, son propre frère. À la mort du roi survenue en
1752 la guerre civile éclata à nouveau quand Kusi Obodum, l’oncle du
défunt s’empara du pouvoir et fit assassiner Dakon. Menacée, Abla Pokou,
sœur de Dakon, décida de fuir vers l’Ouest avec ses partisans, bientôt
poursuivis par l’armée de l’usurpateur. Quand les fuyards eurent franchi la
rivière Comoé à la suite d’épisodes rocambolesques et légendaires, il ne
leur restait plus qu’à se tailler un territoire, ce qu’ils firent aux dépens des
Sénoufo et des Gouro (Guro) qu’ils chassèrent du bassin de la Bandama où
Abla Pokou devint la reine des Baoulé, peuple issu d’une scissiparité
ashanti/akan. Elle mourut en 1760.
Parmi les États qui existaient dans l’intérieur avant l’arrivée des
Européens, certains devinrent côtiers par conquête. Toujours dans la région
de la Côte de l’Or, mais au Nord, dans la zone forestière, des États
structurés comme l’Acany, le Denkyira et l’Akwamu étaient le point
d’aboutissement méridional du commerce transsaharien et ils regardaient
donc vers le Nord, vers le Sahel. Avec l’arrivée des Européens sur le
littoral, ils se tournèrent vers le Sud afin de pouvoir commercer directement
avec eux et ils absorbèrent, conquirent, subjuguèrent ou éliminèrent les
petits États côtiers.
L’exemple du Denkyira illustre cette évolution. Ce royaume né à la fin du
XVIe siècle ou au début du XVIIe siècle, se constitua à l’intérieur des terres, à
l’écart et indépendamment de toute influence européenne. Son expansion
commença par la conquête de l’Adansi au milieu du XVIIe siècle. Puis, dans
le dernier quart du XVIIe siècle, il poussa son impérialisme en direction du
Sud-Ouest, où il prit le contrôle du Wassa et de l’Oawin. Pour contrer
l’expansion du Denkyira, son voisin de l’Est, l’Akwamu, s’allia au royaume
côtier des Fante, ce qui conduisit le Denkyira à regarder vers le Sud-Est et
l’entraîna à conquérir le royaume d’Accra, puis à pousser en direction de
Ouidah. Autre exemple, celui de l’Ashanti ou Asante qui l’emporta sur le
Denkyira et qui obtint en conséquence un débouché maritime à El-Mina.
Cependant, le royaume ashanti demeura continental car il était coupé du
littoral par le Fante.
Plus à l’Est, sur la Côte des Esclaves, les deux principaux États étaient
les royaumes d’Allada et de Ouidah, fondés par des migrants yoruba,
probablement au XVe siècle. Leur origine semble être liée à la migration du
lignage Adja fondateur d’Allada qui se divisa en deux, un rameau allant
fonder à l’intérieur des terres le royaume d’Agbomé qui donna
ultérieurement naissance au royaume du Dahomey et l’autre partant vers le
littoral où il fonda le royaume de Porto-Novo, probablement au début du
XVIIe siècle (Akindele et Aguessy, 1953). Dans les années 1730, le
Dahomey entra dans l’orbite politique et économique du royaume d’Oyo
dont il sortit en 1818 lorsque la dynastie agaja fut remplacée par celle de
Gezo.
Dans le golfe de Guinée, c’est semble-t-il vers 1470 que le royaume de
Bénin situé en zone forestière créa une dépendance côtière, l’Itsekiri qui
devint ensuite un royaume à part entière et dont le rôle fut d’exercer un rôle
de tampon avec les Européens. Cependant, comme il prit une trop grande
importance, sa métropole réagit en le faisant repasser sous son autorité.
Au sud de l’équateur existait le royaume vili de Loango qui s’étendait au
sud du Gabon et au nord du fleuve Congo. Peut-être fut-il à l’origine une
simple excroissance du royaume de Kongo. Au début du XVIe siècle il était
indépendant (Phyllis, 1972). Le plus important État de la région était le
royaume de Kongo qui existait lorsque les Portugais le découvrirent et dont
l’origine remonte au XIVe siècle. Il s’agit :
« […] d’un État souverain qui de son propre gré tenta d’assimiler le
christianisme à sa propre culture et d’intégrer d’autres éléments de la
culture européenne. Il faudra attendre notre époque pour voir
réapparaître des tentatives similaires de transculturation massive mais
libre et sélective ». (Vansina, 1965 : 31)
De plus, et à la différence de la plupart des autres États côtiers, le Kongo
ne semble pas devoir son essor aux Européens, puisque, dans les années
1480, quand les Portugais prirent contact avec lui, il était alors au sommet
de sa puissance, ayant imposé son hégémonie à tous les autres États de la
région. Le déclin intervint au siècle suivant quand le processus que nous
avons mis en évidence en Afrique de l’Ouest apparut à son tour dans la
région, à savoir, le développement d’entités existantes dopées par
l’ouverture de relations avec les Européens. Ainsi, après que les Portugais
eurent aidé à l’essor des Téké ou des Ndongo en commerçant avec eux, ces
derniers s’affirmèrent comme des rivaux du Kongo.
En 1576, Paolo Dias de Novaes, après avoir négocié avec le roi du
Ndongo fonda la colonie de Ngola (d’où l’Angola), du nom du titre que
portait son roi. Ce comptoir qui chercha par la suite à affaiblir la puissance
du Kongo qu’il ne pouvait contrôler, participa à la traite des esclaves. Il
entra ainsi en concurrence directe avec le roi du Ndongo qui massacra les
Portugais vivant à sa cour, ce qui provoqua une longue guerre qui ne se
termina qu’en 1671. La présence européenne eut donc des conséquences
négatives pour ce vieux royaume. Cependant, sa déstructuration est due à
d’autres que les Portugais puisqu’il s’agit des Jaga, envahisseurs venus de
l’Est et qui à partir de 1568, dévastèrent toute la région, pillant la capitale,
San Salvador (ou Mbanza Kongo). À cette époque, le Kongo ne survécut
que parce que son allié portugais lui envoya un secours de six cents
hommes sous les ordres de Francisco de Gouvea, le gouverneur de Sao
Tomé. Débarqués en 1571, les soldats portugais menèrent une dure lutte de
deux années avant de pouvoir repousser les envahisseurs.

Les premiers contacts entre le royaume de Kongo et les


Portugais
« En 1482, Nzinga Kuwu régnait sur le Kongo. Cette année-là, il lui fut rapporté que
des mindele ou cétacés d’une espèce particulière avaient été aperçus sur la côte.
C’étaient les premières caravelles et leurs occupants, les hommes de Diego Cao.
En 1485, cet explorateur revint sur les lieux, et laissa quatre missionnaires à la cour
du roi tandis qu’il ramenait au Portugal quatre nobles de Mpinda, port situé à
l’embouchure du fleuve3. En 1487, revenant pour la troisième fois, il ramena les
émissaires kongolais et reprit ses propres messagers […] Nzinga Kuwu4 décida
d’envoyer un ambassadeur au Portugal afin d’y demander des techniciens :
missionnaires, charpentiers, maçons. Cet ambassadeur était accompagné d’un
certain nombre de jeunes gens dont le roi du Kongo voulait confier l’éducation à des
écoles portugaises. À titre de paiement, il envoyait à Joao II, roi du Portugal, de
l’ivoire et du raphia. L’ambassade congolaise revint de Lisbonne en 1491,
accompagnée de missionnaires, d’artisans et d’explorateurs qui avaient reçu
mission de découvrir le chemin de l’Abyssinie5. Le commandant de la flotte
portugaise qui avait ramené cette ambassade, Rui da Souza […] gagna la capitale
avec les missionnaires et les artisans. Ils y bâtirent une église où fut baptisé en juin
le roi du Kongo, sous le nom de Joao Ier. » (Vansina, 1965 : 36-37)
B. L’Éthiopie, l’Afrique nilotique et interlacustre
Au XVIe siècle, l’Éthiopie dut faire face à une nouvelle menace
musulmane à laquelle elle résista avec difficulté. Une période de
renaissance suivit à laquelle succéda une phase de morcellement, le pays ne
parvenant pas à se dégager de ce mouvement de longue durée alternant ces
tendances centripètes et centrifuges déjà mis en évidence précédemment.
Cette période fut également celle de l’essor des royaumes nilotiques Funj
et Shilluk, du royaume nilo-saharien du Darfur et des États de la région
interlacustre.

1. L’Éthiopie du XVIe au XVIIIe siècle


Au XVe siècle, l’Éthiopie avait subi une nouvelle poussée islamique.
Cherchant alors des alliés chrétiens, ses souverains avaient envoyé des
ambassades en Occident. Le premier contact attesté eut ainsi lieu en 1451
ou en 1452 quand un certain « Jorge, ambassadeur du Prêtre Jean », résida à
la cour d’Alfonse V d’Aragon (Aubin, 1976 : 1-56)6.
Au XVIe siècle, à partir de 1517, date de la conquête de l’Égypte, l’empire
ottoman fut présent en mer Rouge. Au même moment, les Portugais prirent
pied sur les rivages de l’océan Indien et se rapprochèrent de la mer Rouge
tout en tentant une alliance avec l’Éthiopie. L’affrontement était inévitable
et il dura durant toute la première moitié du XVIe siècle avec des suites
d’offensives et de contre-offensives (Lesure, 1976)7.
À la même époque, de terribles combats avaient lieu en Éthiopie où le roi
Lebna Dengel, puis son fils et successeur Galawdewos, s’opposaient à
l’émir de Harar, Ahmed ibn Ibrahim al-Ghazi, surnommé el Gragne (1525-
1543) – le Gaucher –, qui avait proclamé le jihad en 1526. Parties du golfe
de Tadjourah, ses troupes détruisirent les églises et les monastères, brûlèrent
manuscrits et objets d’art, massacrant les populations qui refusaient de se
convertir à l’islam.
En 1540, une flotte portugaise qui avait quitté Goa, aux Indes, afin de
mener campagne en mer Rouge contre les Turcs, jeta l’ancre à Massaoua,
possession éthiopienne. Là, le gouverneur de la province se présenta aux
Portugais auxquels il remit une demande officielle d’aide de la part du
Négus d’Éthiopie. Le commandant de l’escadre répondit favorablement et
fit appel à 400 volontaires qui furent placés sous les ordres de Christofo de
Gama, fils du navigateur Vasco de Gama. Au mois de juillet 1541, la petite
troupe arriva dans le cœur de l’Empire où elle commença une série de
campagnes. Elles furent d’abord victorieuses, puis, le 28 août 1542, à la
bataille de Wolfa, Ahmed el-Gragne renforcé par un contingent turc
remporta une importante victoire, capturant Christofo de Gama qu’il fit
mettre à mort. Puis, le 21 février 1543, lors de la bataille de Wayna Daga, à
l’est du lac Tana, l’armée éthiopo-portugaise écrasa celle d’Ahmed el-
Gragne qui fut tué d’un coup d’arquebuse tiré par un soldat portugais.
Au bout de dix-huit ans de lutte, les musulmans étaient repoussés, mais
c’est une Éthiopie épuisée qui subit ensuite les invasions des Oromos (ou
Gallas) qui enfoncèrent un coin entre les régions chrétiennes et
musulmanes. Les premiers se replièrent vers le Nord, dans la région du lac
Tana, et les seconds se retranchèrent autour de la ville de Harar. Originaires
de la province de Bali dans la région des plateaux du sud de l’Éthiopie, les
Oromos, n’étaient pas ces « sauvages » destructeurs (Haberland, 1998 :
467-470) encore ainsi présentés par une littérature obsolète. Ces pasteurs
dont le mode de vie et les références culturelles étaient proches de ceux des
populations pastorales de la région interlacustre (Hima-Tutsi) et est
africaines (Masaï), pénétrérent dans les régions qui avaient été dévastées
durant les guerres islamo chrétiennes et ils les occupèrent. À partir des
années 1530, certains groupes s’attaquèrent au sultanat musulman d’Adal
qu’ils détruisirent en 1554. Dans la région, la présence musulmane fut alors
réduite à quelques isolats autour de la ville de Harar et Sek Hussen.
D’autres, tels les Harmufa, ravagèrent à la fois les zones chrétiennes et les
régions musulmanes, phénomène qui se produisit entre 1560 et 1570. Un
tiers de l’Empire éthiopien fut alors occupé par les Oromos dont certains se
convertirent à l’islam, cependant que d’autres adoptaient la langue et la
culture amhariques.
En 1554 l’Empire ottoman créa la « province d’Abyssinie » et en 1555
un beylerbey y fut nommé. Quelques années plus tard, Soliman le
Magnifique (1520-1566) ordonna au premier beylerbey d’Abyssinie,
Ozdemir Pacha (1555-1560), de conquérir l’Éthiopie. La guerre dura de
1559 à 1592 et fut marquée par plusieurs grandes batailles dont celle
d’Addi Qarro (1579) qui vit la mort du beylerbey Ahmad Pacha et qui
provoqua le reflux ottoman vers la côte. Au début du XVIIIe, l’Empire
ottoman se désintéressa de la région et la « province d’Abyssinie » qui n’eut
plus de gestion autonome fut rattachée au Sandjak de Djeddah.
Suivant les soldats Portugais, des missionnaires jésuites étaient arrivés en
Éthiopie où ils voulurent procéder à la réintégration de l’Église d’Éthiopie,
afin de « ramener » les populations à ce qu’ils considéraient comme étant le
« véritable » christianisme. Sous la direction de l’évêque Andrea de Oviedo,
les Jésuites voulurent alors convertir tout le royaume, ce qui provoqua une
vive réaction du clergé orthodoxe. Cette entreprise provoqua de graves
désordres car, en 1632, sous la direction de Pedro Paez, les Jésuites
réussirent à convertir le roi Susenios au catholicisme. Au moment où
l’Empire devait faire face à l’encerclement musulman, la nomination d’un
nouvel évêque catholique, un Espagnol du nom d’Alfonso Menendez, eut
pour résultat d’affaiblir durablement la chrétienté éthiopienne car celui-ci
voulut imposer une nouvelle ordination au clergé éthiopien, une nouvelle
consécration à toutes les églises du royaume et un nouveau baptême à tous
les chrétiens. Devant une telle méconnaissance des réalités éthiopiennes et
pour tout dire devant un tel fanatisme, les chrétiens éthiopiens se
soulevèrent contre l’empereur qu’ils accusèrent de trahison. En 1632 la
guerre civile éclata et à l’issue d’une difficile bataille, Susenios réussit à
écraser ses sujets révoltés, mais, réaliste, il comprit que le pays allait
éclater. Aussi, pour le sauver de l’anarchie, il abdiqua au profit de son fils
Fasiladas (1632-1667) qui chassa les Jésuites et les Portugais. Cet épisode
laissa des traces dans la mémoire collective des Éthiopiens qui, désormais,
se méfièrent des Européens, ce qui explique dans une large mesure
l’isolement ultérieur du pays du pays et sa non-ouverture à la modernité8.
En 1636, Fasiladas créa la ville de Gondar, première résidence impériale
fixe. Auparavant, la cour déplaçait ses tentes selon les saisons ou les
nécessités des campagnes militaires. Durant près de deux siècles, Gondar
connut un immense épanouissement culturel illustré par d’imposantes
constructions architecturales comme ses palais ou ses églises. Mais son
rayonnement politique ne fut pas à la hauteur de sa renommée culturelle.
Dès le XVIIIe siècle, ses souverains s’effacèrent en effet au profit de féodaux
locaux d’origine oromo qui, de 1783 à 1853 se comportèrent en véritables
maires du palais. Puis le pouvoir fut morcelé en de nombreuses entités
dirigées par autant de chefs indépendants. Parmi elles, quatre furent
relativement importantes : le Tigray, le Begameder, le Godjam et le Shoa.

2. Les sultanats nilotiques et leurs voisins


Au début du XVIe siècle, dans la région de Sennar, au Soudan, l’expansion
des Funj entraîna un bouleversement régional.
a. Les Funj
Les Funj (ou Fundj) étaient des pasteurs nilotiques musulmans
nomadisant le long du Nil Bleu. En 1504, ils furent les vainqueurs des
Arabes Abdallab qui devinrent leurs vassaux9.

L’origine des Funj


« Les Funj […] avaient la peu sombre et n’étaient, semble-t-il, ni Arabes ni
musulmans à l’origine en dépit de leur prétention à une généalogie omayade
(omeyyade). Leur dynastie était connue de la tradition soudanaise sous le nom de
Sultanat Noir. C’est un voyageur écossais, James Bruce qui, ayant visité Sennar en
1772, le premier, lança l’hypothèse “Shilluk” des origines des Funj : on peut donc
penser que le type physique des Funj à l’époque de sa visite ne différait pas
considérablement de celui des Shilluk.
La controverse a débouché jusqu’ici sur trois hypothèses :
1. les Funj seraient venus d’Abyssinie ;
2. ils seraient issus d’une bande de guerriers Shilluk ayant remonté le Nil blanc ;
3. enfin, les rois Funj descendraient d’un prince originaire du Bornou […].
Il semble en tout cas que le terme Funj avait une connotation plus politique que
raciale, et était lié à l’aristocratie régnante à Sennar et dans les centres des diverses
provinces du royaume […]. Quoi qu’il en soit, l’apparition de la dynastie Funj a
coïncidé avec la dernière vague de migration d’Arabes nomades vers le Sud. À cette
période, la région du nord de la Gézira et du confluent était sous le contrôle d’un clan
arabe sédentaire, les “Abdallab” […] dès le début, les relations des “Abdallab” et des
Funj (furent) hostiles. » (Grandin, 1982 : 27)

Cette poussée des Funj vers le Nord, c’est-à-dire vers la basse Nubie,
inquiéta les Ottomans, maîtres de l’Égypte depuis 1517. D’autant plus que,
sous le règne de Suleiman le Magnifique (1520-1566), ils eurent, et comme
nous l’avons vu, une forte politique de présence dans l’océan Indien afin
d’en repousser les Portugais. C’est pourquoi ils intervinrent en Nubie afin
de contrer la puissance du sultanat Funj. Pour bien matérialiser la frontière
des territoires ottomans, ils construisirent plusieurs citadelles à Ibrim, à Dir
et ils firent de Say la frontière méridionale du Berberistan, province
nubienne sous administration turque. La Nubie était donc occupée jusqu’à
la 3e cataracte10 et divisée en plusieurs zones placées sous le
commandement des Kashifs, officiers albanais ou bosniaques chargés de
lever l’impôt pour le sultan en échange d’une grande autonomie de décision
(Fogel, 1997 : 73).
Au milieu du XVIe siècle, les Abdallab prirent leur revanche sur les Funj
qui durent se réfugier en Éthiopie ; mais, entre 1568 et 1612, ces derniers
réussirent à rétablir leur suprématie régionale. L’année 1612 marqua même
le début d’une nouvelle période de grande prospérité pour les Funj qui
écrasèrent l’armée des Abdallab, tuant leur roi, Adjid Ier. De cette bataille
résulta un nouvel équilibre régional, les Funj laissant aux Arabes la
direction des territoires s’étendant au Nord, jusqu’à la Nubie alors sous
contrôle égyptien.
Les Funj devinrent ensuite les principaux partenaires du commerce des
esclaves dans la région, soit à partir de la portion du littoral de la mer
Rouge comprise entre les ports de Souakim et de Massaoua (Massawa), qui
fut désignée sous le nom de région de Habesh, soit directement par le Nil.
L’expansion de leur royaume se fit alors dans deux directions :
– vers l’Ouest ils atteignirent le Kordofan dès le milieu du XVIe ;
– vers le Sud ils furent confrontés aux Shilluks, population nilotique
qu’ils fixèrent sur le Nil Blanc. Encore plus au Sud, ils atteignirent la
région des Monts Nuba, dans l’actuel sud-Soudan où ils se lancèrent
dans la chasse aux esclaves11.
En 1762, les Funj installés au Kordofan déposèrent le sultan Badi IV et
mirent au pouvoir Mohamed Abu Likaylik qui prit le titre de vazir (vizir).
À la mort d’Abu Likaylik, en 1776, une période d’anarchie s’ouvrit, ses
successeurs exerçant héréditairement la fonction de vazir cependant que les
anciens souverains cherchèrent à reprendre le pouvoir. La dislocation
résulta de ces tensions qui se transformèrent en guerre civile et cela au
moment où le royaume funj subissait une forte pression au Kordofan même
face aux Fur12.
b. Les Shilluk
Rivaux des Funj, les Shilluk (ou Luo du Nord), sont originaires de la
région de la confluence du Nil et du Sobat. Au XVIIe siècle, sous le règne du
reth (roi) Odak Ocollo (± 1600-1635), ils développèrent un mouvement
impérialiste à la fois vers le Nord et la vallée du Nil Blanc et vers le Sud, en
direction des monts Nuba. Au Nord, le long du Nil Blanc, ils menèrent de
longues guerres contre les Funj. C’est semble-t-il entre les années 1680 et
1710 que le pouvoir royal shilluk commença à s’exercer sous une forme
centralisée qui semble avoir été définie dès le règne du roi Togo (± 1690-
1710) durant lequel la capitale fut établie à Fachoda.
À partir de la seconde moitié du XVIIe siècle et durant tout le XVIIIe siècle,
les Jieng qui sont des Dinka, s’engouffrèrent à leur tour dans la région. Sous
le règne du reth Shilluk Nyakwaa (± 1780-1820), ils franchirent en masse le
fleuve Sobat et ils s’installèrent dans la vallée du Nil Blanc.
En 1821, les armées égyptiennes de Méhémet Ali, après avoir envahi le
Soudan et défait les Funj se retrouvèrent face aux Shilluk qui, en dépit
d’une résistance désespérée furent écrasés. À partir de 1826, les Égyptiens
mirent fin à la suprématie navale des Shilluk sur le Nil Blanc, les flottilles
de pirogues ne pouvant rivaliser avec les modernes embarcations
égyptiennes.
c. Le Darfur (Darfour)
À l’ouest du Nil, le Darfur est constitué par la juxtaposition de la steppe
sahélienne dans lesquelles vivaient traditionnellement les éleveurs nomades
« blancs » et d’une zone à forts noyaux d’agro pasteurs noirs occupant les
hauteurs. Dans la région des monts Mara, le royaume Dadju apparut
semble-t-il au XIIe siècle avant d’être supplanté au XVe siècle par le royaume
Tundjur. À l’origine, les Tundjur étaient peut-être des Arabes qui se seraient
métissés aux Noirs et aux Berbères sahariens. L’émergence de ce royaume
semble s’être produite entre les XIIIe-XVe siècle et son islamisation aurait pu
débuter au XVe. À partir du règne de Suleiman Solongdungu (± 1640-1660)
et de ses successeurs son histoire est mieux connue.
L’islamisation se généralisa plus tard, sous le sultanat Fur, qui se
constitua ensuite dans la zone du djebel Mara, région fertile et peuplée à un
carrefour de pistes. Dirigé par la dynastie des Kayra, il fut l’un des plus
puissants États de la zone sahélienne. Il semble avoir existé du début du
XVIIe siècle jusqu’au moment où il fut annexé par l’Égypte. C’est en 1874, à
la mort d’Ibrahim, son dernier roi, que Zubair Pacha fit passer le Darfour
sous domination égyptienne comme nous le verrons plus loin. Le sultanat
Fur bénéficiait de frontières naturelles au Nord avec le désert du Sahara, et
au sud avec le Bahr el-Arab. À l’Ouest, le Ouadai étant trop puissant pour
lui, il se tourna vers le Kordofan à l’Est qui fut enlevé aux Funj et qui resta
au pouvoir des Fur jusqu’à la conquête égyptienne.

3. L’Afrique interlacustre
Nous avons dit plus haut que la région interlacustre fut une zone de forte
concentration étatique. Du Nord au Sud, les principaux États étaient le
Bunyoro, le Toro, le Nkore (Ankole), le Buganda, le Buhaya, le Karagwe, le
Rwanda, le Burundi et le Buha. Selon les récits historico-mythiques, les
fondateurs des royautés de la région interlacustre étaient d’essence divine.
Ainsi Kintu le premier Kabaka (roi) du Buganda qui avait épousé Nambi
Nantuttutulu, fille du dieu du ciel ; Kigwa au Rwanda, Ntare Rushatsi au
Burundi, Mpuga Rukidi au Bunyoro ou encore Kabare-Kaganda au Bushi.
Dans une grande partie de la région interlacustre le Tambour était le
symbole du pouvoir et lors de son intronisation, le nouveau souverain
devait frapper celui qui incarnait la Nation et l’État. Ces tambours avaient
pour nom Bagyendanwa au Nkore, Mujaguzo au Buganda, Nyabatama au
Karagwe, Kalinga au Rwanda, Karyenda au Burundi. Dernier point
commun, dans tous ces royaumes, la reine-mère jouait un rôle important.
Dans toute la région, deux périodes doivent être distinguées. Durant la
première, le pouvoir fut à la fois clanique et territorialement limité, puis à
partir des XVIe-XVIIe siècles, les monarchies agglomèrent les clans pour
constituer des États, comme au Bunyoro13, au Buganda14, au Nkore15 ou
encore au Rwanda. Ailleurs, comme au Burundi, au Karagwe, au Kiziba, au
Bushubi, au Buha ou au Bushi, c’est au contraire un délitement de l’État
« centralisé » qui se produisit.
Les XVIIe et XVIIIe siècles semblent être pour toute la région interlacustre
une période de grandes mutations résultant d’un important essor
démographique qui pourrait être le résultat de la généralisation des plantes
d’origine américaine comme le haricot, le manioc, la patate douce ou le
maïs, qui bouleversèrent le régime alimentaire des populations. Jusque-là,
dans toute la région, l’alimentation reposait sur l’association de plantes à
relative faible valeur alimentaire telles le taro, l’éleusine et le sorgho. Du
lac Albert au lac Tanganyika, ces siècles sont ceux d’importantes
migrations poussant les groupes agriculteurs vers les régions vierges de la
crête Congo-Nil, des monts Virunga et du massif du Ruwenzori. Les
généalogies et les traditions indiquent que c’est d’ailleurs à cette époque
que les agriculteurs commencèrent à « tuer la forêt », c’est-à-dire à la
défricher. Au Rwanda, c’est sous le règne du mwami Kigeri III Ndabarasa
(seconde partie du XVIIIe siècle) que la plupart des traditions font apparaître
les lignages défricheurs. Les enquêtes orales menées dans les années 1970
dans la partie centrale de la Crête Congo-Nil font quant à elles remonter à
11 générations, c’est-à-dire à environ trois siècles les premiers
défrichements (Lugan, 1997 : 147).
À la même époque, partout, dans la région interlacustre, et notamment au
Rwanda et au Burundi, les pasteurs Tutsi-Hima furent confrontés à
l’expansion démographique des agriculteurs. En réaction, afin de garantir
leur mode de vie, ils instaurèrent des droits exclusifs de pacage, réservant
pour cela de vastes étendues aux seules activités pastorales. Au Rwanda,
c’est à ce moment que le droit pastoral tutsi fut constitué afin de
« sauvegarder les biens de la vache contre la rapacité de la houe » (Lugan,
1997 : 145-148). Le droit foncier fut alors défini au seul avantage du bétail.
Dans les royaumes de la région interlacustre dirigés par des pasteurs, les
mêmes valeurs aristocratiques, pastorales et guerrières étaient à l’honneur.
L’idéologie qui était à la base de la domination sociale, politique,
économique et militaire de ces États pastoraux était d’essence raciale.

Tutsi-Hutu, des différences d’abord génétiques et


ensuite sociales
La question de savoir si Hutu et Tutsi sont des « ethnies », des « races », des
« classes sociales » ou des « castes » est essentielle car elle sous-entend que leurs
différences sont soit innées – car génétiques – et par conséquent immuables, soit
acquises car économiques ou sociales, et par définition mouvantes16. L’approche de
la question peut-être faite par plusieurs disciplines.
– La tolérance au lactose ou déficience en lactase constitue un premier marqueur
permettant d’en savoir plus sur l’origine de ces populations. Le lactose est un sucre
contenu dans le lait. Une fois absorbé il est hydrolisé par l’enzyme lacté et se
constituent ensuite le glucose et la galactose. Les populations qui possèdent cet
enzyme sont tolérantes au lactose et les autres non. Jusqu’à l’âge de quatre ans,
tous les enfants sont tolérants, ensuite, cette tolérance disparaît chez certaines
populations tandis qu’elle demeure chez d’autres. Une recherche menée en Afrique
orientale a montré que seuls les Tutsi et les Hima possèdent l’enzyme et cela entre
83 et 91 %. Toutes les autres populations étudiées, qu’il s’agisse des Hutu du
Rwanda ou du Burundi, des Ganda d’Ouganda, des Shona du Zimbabwe ou encore
des Shi sont intolérantes au lactose (Cook, 1969 : 265-267 ; Simoons, 1978). Ces
populations étant originairement alactasiques, nous sommes donc en présence
d’une donnée génétique et non du résultat d’une adaptation (Cox et Elliot, 1974 :
722 ; Delneuf, Essomba et Froment, 1998 : 57).
– Les travaux portant sur les distances séparant les populations africaines en fonction
des marqueurs génétiques choisis dans les groupes sanguins, les protéines
sériques (albumine et immunoglobulines), ainsi que dans le système Human
Leucocyte Antigen (HLA) constitué d’antigènes d’histocompatibilité spécifiques d’un
individu et qui interviennent dans la reconnaissance cellulaire, permettent d’affirmer
que Tutsi et Hutu constituaient à l’origine deux groupes différents17. Les disparités
génétiques entre ces deux populations indiquent en effet que leurs différences sont
innées, puisque biologiques, et non le résultat d’un phénomène économique18 ou
encore moins d’une manœuvre politique des colonisateurs comme certains l’ont
jadis affirmé à la suite de J.-P. Chrétien (1981, 1985).
Au Rwanda et au Burundi, les ancêtres des actuels Tutsi se sont linguistiquement
« bantuisés » en adoptant une langue bantu et en perdant l’usage de la leur qui
appartenait peut-être au groupe Nil Sahara. Mais en devenant des locuteurs
bantuphones, ils ne se sont pas pour autant transformés morphotypiquement en
Hutu19. Quant aux nombreux métissages, ils n’ont fait disparaître ni les Tutsi, ni les
Hutu. Il existe en effet un morphotype tutsi, même si tous les Tutsi ne le présentent
pas. Quant à l’accession à la « tutsité », elle n’était pas automatique dès lors qu’un
Hutu possédait un troupeau car, hier comme aujourd’hui, on naît Tutsi ou Hutu, on ne
le devient pas. Prétendre qu’il suffisait aux Hutu de posséder des vaches pour
devenir Tutsi est donc une grossière erreur20. Nombre de lignages hutu possédaient
ainsi des bovins, parfois même en quantité supérieure à celle de bien des Tutsi, mais
ils n’étaient pas pour autant « tutsisés21 ».

Dans ces sociétés pastorales interlacustres, tous les actes de la vie étaient
placés sous le signe du bétail, quasiment sacralisé, et la terre était d’abord
un pâturage. Politiquement, les rois ne régnaient pas sur des hommes, mais
sur des troupeaux. Dans l’enclos royal brûlait un feu de bouse qui
symbolisait la vie du monarque et quand le roi mourait, on laissait le feu
s’éteindre avant de proclamer « le lait est renversé ».
Au Rwanda, les Tutsi avaient tissé entre eux et avec le roi des liens tout à
la fois de soumission et de solidarité scellés par le don de vaches. Les
troupeaux appartenant aux Tutsi constituaient des « armées bovines »
(Kamagé, 1961) auxquelles étaient rattachés des lignages humains. Ainsi,
en « zone pastorale », l’organisation sociale dépendait-elle des bovins. Les
vaches qui formaient ces « armées bovines » étaient exaltées par des chants
composant la « poésie pastorale ». L’amour de la vache était associé à la
beauté dont les canons étaient souvent inspirés par les bovins. Les femmes
tutsi étaient ainsi comparées aux vaches royales, les Nyambo qu’on ne
laissait pas trop se reproduire afin de leur conserver l’élégance des formes.
Physiquement, le morphotype tutsi : taille élancée, traits fins,
dolichocéphalie était chanté et proposé comme modèle. Dans cette
monarchie « raciale » qu’était le Rwanda précolonial, la lance et le bétail
dominaient la glèbe et les greniers car les hommes de la vache
commandaient à ceux de la houe. Du moins là où s’appliquait le droit
pastoral, ce qui n’était pas le cas dans l’ensemble du Rwanda et notamment
pas chez les montagnards du Nord ou Bakiga, là où le pouvoir tutsi ne
s’était jamais réellement exercé avant l’époque coloniale, comme Ferdinand
Nahimana l’a montré (1979a, 1979b, 1982, 1983).

C. L’Afrique centrale et australe


Entre le XVIe siècle et la fin du XVIIIe siècle, la vaste région comprise entre
le sud de la forêt équatoriale et le Zambèze a vu se succéder plusieurs États
dans lesquels le pastoralisme fut en général moins important que
l’agriculture en raison de la présence de la mouche tsé-tsé. Les principaux
de ces États furent le royaume Luba, l’empire Lunda et son prolongement,
le Kazembé (Vansina, 1965). Plus au Sud, les peuples appartenant aux deux
grands rameaux du peuplement noir sud-africain, nguni et sotho, achevèrent
leur colonisation de l’espace aux dépens des KhoiSan, cependant que de
nouveaux venus, les Hollandais imposaient une redéfinition politique
régionale.
1. Le royaume Luba, l’empire Lunda et le Kazembé
Le monde Luba était divisé en deux ensembles, le royaume proprement
dit et des territoires d’expansion qui n’étaient ni unifiés, ni centralisés. Le
cœur de la nation luba était situé dans le nord du Katanga, entre la rivière
Lomani à l’Ouest et depuis le haut Lualaba jusqu’aux lacs Kisale et
Upemba à l’Est. C’est là que s’organisa un État puissant et fortement
structuré. Puis, à la suite de migrations22, nombre de Luba s’installèrent plus
à l’Ouest, au Kasaï, où, groupés par clans, ils formèrent un peuplement non
rattaché à leur homeland d’origine, ce sont les Luba Kasaï.
Les traditions des Luba véhiculent le mythe d’un héros fondateur venu du
Nord, ce qui est en accord avec les grands mouvements de population dont
nous avons parlé plus haut. Toujours selon ces traditions, c’est au XVe siècle
ou au début du XVIe que le héros fondateur nommé Kongolo serait arrivé
dans la région où il aurait fondé un premier royaume luba. Il fut assassiné
par un de ses neveux nommé Kalala Ilounga qui devint le deuxième roi
luba, d’où son nom de règne, Kalala Ilounga Mbili23. Grâce à ses conquêtes,
ce dernier élargit le domaine luba jusqu’au haut Sankuru à l’Ouest et
jusqu’à la Lukuga, c’est-à-dire en direction du Maniema au Nord. Nous
sommes mal documentés sur les successeurs de ce monarque et cela
jusqu’au règne de Kuvimbu Ngombé, probablement le dixième roi Luba qui
régna à la fin du XVIIIe siècle et qui agrandit considérablement son royaume
puisqu’il l’étendit jusqu’à la rive occidentale du lac Tanganyika, qu’il
atteignit par la vallée de la Lukuga. Le début du XIXe siècle fut une période
de décadence pour le royaume.
À l’ouest du Lubilashi, donc à l’ouest du royaume luba, le royaume lunda
apparut lui aussi au XVe ou au début du XVIe siècle pour atteindre son apogée
au XVIIIe siècle. Les traditions font remonter son origine au même héros
mythique fondateur que celui de l’empire luba ; comme les Luba, les Lunda
affirment que leurs ancêtres sont venus du Nord.
À la différence du royaume luba, l’entité lunda ne constituait pas à
l’époque un ensemble centralisé et homogène puisqu’il présentait l’image
d’une sorte de confédération de clans et de tribus, ce qui s’expliquerait par
la façon dont se serait créé le royaume. L’entité lunda serait en effet apparue
dans un territoire situé entre les rivières Lubilash et Lulua quand plusieurs
chefs de villages (?) ou de clans (?) auraient décidé de s’unir et d’élire un
chef en leur sein, donnant ainsi naissance à la confédération lunda24. Ce
premier chef avait pour nom Yala Mwakou et après sa mort, ce fut un de ses
fils, nommé Kondé, qui lui succéda. Ce dernier eut deux garçons et une fille
nommée Lueji (ou Loueji), laquelle hérita du trône, ce que ses frères
n’acceptèrent pas et c’est pourquoi ils décidèrent de partir. C’est de ce
mouvement que résulta la grande expansion lunda.
L’aîné, Chinguli, alla vers l’Ouest et s’installa dans la région du fleuve
Kwango, dans l’actuel Angola, où, au tout début du XVIIe siècle, il fonda le
royaume Imbangala (Bangala). Le cadet, nommé Chiniama, prit la route du
Sud et se fixa dans le bassin de la rivière Luena, toujours dans l’actuel
Angola. Quant à leur sœur, la reine Lueji, également connue sous le nom de
Swana Mulunda (mère des Lunda), elle épousa Ilunga Chibinda qui n’était
autre que le frère (ou le neveu ?) de Kalala Ilunga Mbili, le second
souverain luba. C’est lui qui régna à la place de son épouse, et durant son
long règne d’un quart de siècle, il étendit la fédération Lunda vers le Nord,
quasiment jusqu’à la hauteur de l’actuelle ville de Mbujimai (Luluabourg)
par la conquête du pays Bateké. Son petit-fils, Yavo Naweji régna de 1660 à
1675, ou de 1675 à 1715, sous le nom de Mwata Yamvo Naweji et il est
considéré comme le fondateur de la puissance lunda. C’est d’ailleurs à
partir de son règne que les souverains lunda portent le titre de Mwata
Yamvo et que la codification des règles successorales fut établie25.
Le souverain étendit les limites de l’empire à l’Ouest, jusqu’au fleuve
Kasaï, au Sud, au-delà du Zambèze et en direction de l’Est, jusque dans la
région du lac Moéro au Katanga. L’artisan de cette expansion avait pour
nom Kanyembo et c’était l’un des principaux chefs militaires lunda. Il fut
nommé gouverneur des territoires qu’il avait conquis avec le titre de
Kazembé. La création du Kazembé dont le cœur était le fleuve Luapala
permit à l’empire lunda d’entrer directement en relation avec les comptoirs
portugais de l’intérieur du Mozambique comme celui de Tete sur le
Zambèze.
Vers 1740, Nganda, le fils de Kanyembo, succéda à son père à la tête du
Kazembé où une sorte de dynastie lunda autonome se développa, tout en
versant tribut et en maintenant des liens commerciaux très étroits avec les
Mwata Yamvo lunda qui régnaient plus à l’Ouest26.
De nouveaux réseaux de commerce s’ouvrirent avec le littoral contrôlé
par Lisbonne. C’est ainsi que les Portugais avaient pris pour habitude de se
fournir en ivoire auprès des Yao qui vivaient au sud du lac Nyassa (lac
Malawi) et des Bisa dont le territoire était situé au sud-est du lac Bangwelo.
Depuis les conquêtes de Kanyembo, les Bisa étaient devenus tributaires du
Mwata Yamvo par l’intermédiaire du Kazembé. À partir du « règne » de
Kazembé III Lukwesa, les Yao fournirent des esclaves au Mwata Yamvo
qui les envoyait dans le royaume d’Imbangala lequel les revendait aux
Portugais de Saint-Paul de Loanda (Luanda)27. Ainsi, les partenaires
africains des négriers portugais livraient-ils à ces derniers des esclaves
provenant d’une zone de capture éloignée de plus de 2000 kilomètres de
l’océan Atlantique28. Le Kazembé était également l’intermédiaire
commercial entre les établissements portugais du Mozambique et le cœur
de l’empire lunda29.

Plus au sud, c’est durant le XVe siècle, qu’arrivèrent les Maravi et que se
constituèrent les États tonga qui dominèrent la région jusqu’au XVIIIe siècle,
jusqu’à ce que l’expansion des Yao les subjugue. Au sud du Zambèze
l’empire rowzi-shona naquit dans la région de la ville de Bulawayo dans
l’actuel Zimbabwe, avant de s’étendre à la quasi-totalité de ce pays. Ses
origines, longtemps demeurées controversées sont aujourd’hui mieux
connues (Beach, 1980a ; 1980b ; 1984). Les Rowzi30 faisaient à l’origine
partie de l’empire du Monomotapa. Entré en décadence au début du
XVIIe siècle, ce dernier devint une sorte de protectorat portugais. Dans les
années 1693-1695 les Portugais furent évincés du plateau rhodésien par un
des vassaux du Monomotapa, Changamire Dombo Ier (± 1684-± 1695) qui
fonda l’empire Rowzi, subjugua le Venda, au sud du Limpopo, et s’empara
du Manica, région à cheval sur les actuels Mozambique, Zimbabwe et
Malawi.

2. L’Afrique australe
Au sud du fleuve Limpopo, trois peuples entrèrent en compétition pour
l’espace, les KhoiSan, les Nguni et les Sotho. Puis, à partir de 1652, de
nouveux venus, les Hollandais s’insérèrent dans la géopolitique ethnique
régionale et la perturbèrent en profondeur.

a. Les KhoiSan, les Nguni et les Sotho


À la veille de la fondation du comptoir du cap de Bonne-Espérance par
les Hollandais, l’intérieur de l’actuelle Afrique du Sud était occupé par les
deux grands ensembles ethno-linguistiques sotho et nguni divisés en une
infinité de tribus. À cette époque, les KhoiSan ne constituaient déjà plus
qu’un peuplement résiduel puisqu’ils avaient été ethnocidés et refoulés par
les ancêtres des actuels sotho et Nguni. Un important métissage s’était
également produit car les analyses génétiques ont montré que les Xhosa, les
Venda et les Sotho ont des marqueurs communs avec les populations
khoisanes (Excoffier et al., 1987) :
« […] les populations bantuphones des Sotho et des Nguni ont acquis
l’haplotype Gm1,17 ; ; 10, 11, 13, 15, ce qui signifie qu’il y a eu des
mélanges avec les populations khoisanes. D’autres populations
bantuphones ont également migré vers le Sud mais ne possèdent pas
l’haplotype Gm1,17 ; ; 13, 15, ce qui implique l’absence de mélange
avec les populations khoisanes. Ces différences suggèrent des
migrations décalées dans le temps. » (Van der Veen, 2000 : 9)
Les recherches faites dans le domaine de la linguistique confirment ce
point :
« Au début du XVIe siècle, les Nguni couvraient déjà tout l’espace qui
était le leur au XIXe siècle, sauf que, dans les régions occidentales ils
étaient encore mêlés aux Khoi-Khoi, qu’ils vont assimiler
ultérieurement. Réciproquement, les Khoi-Khoi vont laisser une
empreinte profonde sur les langues nguni de l’est et de l’ouest ;
influence d’ailleurs tardive et postérieure au début du XVIIe siècle, c’est-
à-dire après le processus de différenciation des langues xhosa et zulu.
Avec un pourcentage lexical de 14 pour cent dans le zulu et 20 pour
cent dans le xhosa, l’influence du khoi-khoi transforma le système
phonétique des Xhosa. Les Khoi-Khoi devaient être prodondément
encastrés dans le Natal, puisque les parlers nguni les plus orientaux ont
été touchés. […] Les Nguni actuels sont des métis du type « nègre » et
du type khoi-khoi. Cette présence d’un pourcentage majoritaire de
gènes communs apparaît aussi entre Khoi-Khoi et Tswana. En cumulant
les éléments linguistiques et biologiques, on arrive à la conclusion (que)
l’impact des Khoi-Khoi sur l’histoire des peuples de l’Afrique
méridionale a été beaucoup plus profond que les historiens ne l’ont
reconnu jusqu’ici31 ». (Ngcongco, 1991 : 357-358)
Selon les traditions, les ancêtres des Nguni seraient arrivés dans la région
du Natal il y a environ mille ans, venant du Nord, ce qui semble être
confirmé par l’archéologie et par la linguistique historique. Ils s’installèrent
dans les plaines côtières et les vallées des cours d’eau descendant du massif
du Drakensberg. Les premiers des Nguni à avoir constitué un État furent les
plus méridionaux d’entre eux, ceux qui constituaient en quelque sorte la
pointe de la migration vers le Sud et il s’agit des Xhosa. À cette époque, les
chefs xhosa appartenaient au clan Tshawe. Était considéré comme Xhosa
quiconque parmi les Nguni acceptait l’allégeance à ce groupe.
L’émiettement des Nguni méridionaux se fit par scissiparité, les fils des
chefs tshawe créant leurs propres chefferies à chaque génération. Allant
toujours plus loin vers le sud afin d’occuper des zones vierges, ils
maintenaient néanmoins des liens de plus en plus lâches avec le paramount
xhosa, c’est-à-dire avec la lignée des aînés. Ce point essentiel explique
l’histoire tumultueuse des Xhosa durant les XVIIe et XVIIIe siècles comme
nous le verrons plus loin.
Quant aux Sotho qui occupaient le plateau central depuis le Limpopo au
Nord, jusqu’au fleuve Orange au Sud, leur installation sur le plateau central
sud africain serait légèrement antérieure à l’arrivée des Nguni au sud du
Limpopo (Breutz, 1987 ; Gill, 1993 : 14-35).
b. La fondation du comptoir du cap de Bonne-Espérance
À la fin du XVIe siècle, les Provinces-Unies se lancèrent dans une
ambitieuse politique d’expansion maritime supportée par de puissantes
compagnies qui décidèrent de fusionner pour constituer la VOC32. Cette
dernière organisa, coordonna et développa l’impérialisme colonial
hollandais (Lugan, 1995 ; 1996) lequel reposa sur une puissante marine qui
domina ses rivales européennes jusqu’au début du XVIIIe siècle. En 1619, les
Hollandais prirent pied en Indonésie où ils fondèrent Batavia (Djakarta), qui
devint le cœur de leur empire. La VOC s’implanta également à Formose
(1624) et à Malacca (1641). À partir de ces points d’appui, les marchands
venus de Hollande rayonnaient jusqu’en Chine et au Japon.
Le grand problème qui se posa alors fut celui de la longueur de la
navigation Europe-Asie-Europe, car le voyage aller ou retour, durait
environ 6 mois. Les responsables de la VOC étaient bien conscients de cette
difficulté et ils étaient donc à la recherche d’une escale sur la route des
Indes où les navires pourraient être réparés et les équipages ravitaillés en
eau et en vivres frais. C’est ainsi qu’en 1638 une station fut installée sur
l’île Maurice, mais elle présentait un double inconvénient. Le premier était
qu’elle n’avait pas les moyens de fournir les navires de passage ; le second
était constitué par la vulnérabilité de l’établissement en cas d’attaque
française ou anglaise. Les responsables de la VOC pensèrent alors prendre
le contrôle de l’île de Sainte-Hélène dans l’Atlantique sud. Mais cette
escale n’aurait pas permis de couper en deux la navigation, quant aux
possibilités d’y créer des exploitations agricoles, elles étaient bien faibles ;
sans parler de l’impossibilité de mettre le site sous véritable protection.
Ce fut par hasard, à la suite d’un naufrage, que l’idée de la création d’un
comptoir au cap de Bonne-Espérance s’imposa. Le 25 mars 1647, un navire
hollandais, le Nieuw Haarlem, sombra en effet dans la baie de la Table et
soixante rescapés jetés à terre survécurent sur le site même de l’actuelle
ville du Cap. Au mois de mars 1648, un an plus tard donc, cinq navires
hollandais de retour des Indes vinrent s’abriter d’une tempête dans la baie
où ils découvrirent les naufragés qu’ils rapatrièrent en Hollande.
Au mois de juillet 1649, Leendert Janszen et Matthys Proot qui avaient
pris le commandement des colons forcés furent convoqués devant le
Conseil des Dix-sept, organe de direction de la VOC, auquel ils vantèrent la
douceur du climat de la région de la baie de la Table ainsi que ses
potentialités. Les « Dix-sept Seigneuries » décidèrent alors que la VOC
installerait dans la région une « station de rafraîchissement » destinée au
ravitaillement des équipages et à l’entretien des navires faisant la route des
Indes. L’établissement devait être protégé par un fort et capable de recevoir
une petite flottille de bateaux-pilotes destinés à guider les navires qui y
feraient escale. Un potager et un verger devraient y être créés et un troupeau
de bovidés implanté. La première véritable colonie européenne sur la terre
d’Afrique et non plus dans les îles, allait donc être fondée, mais les autorités
hollandaises avaient interdit aux colons toute installation dans l’arrière-
pays. Le commandement de ce comptoir fut confié à Jan Anthoniszoon Van
Riebeeck33.
Le 24 décembre 1651, cinq navires quittèrent la Hollande à destination
du cap de Bonne-Espérance et le 6 avril 1652, ils déposèrent 90 colons dans
la baie de la Table. Ces derniers se mirent immédiatement au travail et
l’année suivante, en 1653, ils réussirent à ravitailler en légumes et en viande
fraîche une flotte de la VOC en route pour Batavia34.
Le 7 mai 1662, Jan Van Riebeeck quittait le Cap pour l’établissement de
Malacca dont il venait d’être nommé commandant35. Il laissait derrière lui
200 colons, des maisons en dur, un fort, un potager, un verger et un
vignoble dont la première vendange avait été faite le 2 février 1659.
En 1679, le gouverneur Simon Van der Stel réussit à persuader la VOC
que, sans une augmentation du nombre de ses colons, le comptoir ne
pourrait pas remplir son rôle. C’est pourquoi des volontaires furent
demandés parmi les dizaines de milliers de huguenots français réfugiés en
Hollande. Entre 1688 et 1701, trois à quatre cents d’entre eux embarquèrent
sur une dizaine de navires. La moitié à peine arriva au Cap car les pertes en
mer furent importantes : maladies, naufrages, accidents, capture par des
pirates marocains au large de Salé (Lugan, 1996 : 47-109)36.
Durant l’hiver 1795, la contagion révolutionnaire qui s’était développée
en Hollande avait débouché sur la proclamation, au mois de mars, d’une
République batave, sœur de la République française et les autorités
hollandaises se réfugièrent en Angleterre. N’étant plus en mesure d’exercer
sa souveraineté, la VOC demanda alors à Londres de prendre
provisoirement en charge ses intérêts ultra-marins. Le 11 juin 1795 une
flotte anglaise commandée par l’amiral Elphinstone se présenta dans la baie
de la Table et un corps expéditionnaire commandé par le général Craig mis
à terre.
En 1802, la France et l’Angleterre signèrent le Traité d’Amiens. Londres,
qui reconnaissait l’existence et la légitimité de la République batave, devait,
par voie de conséquence, lui rétrocéder l’ancien comptoir hollandais du cap
de Bonne-Espérance. Entre la France et l’Angleterre, la guerre reprit en
1803. En conséquence, le 7 janvier 1806, Londres réoccupa Le Cap, puis,
en 1814, la Hollande lui vendit son ancien comptoir pour la somme de
6 millions de livres. Quelques mois plus tard, en 1815, le Congrès de
Vienne entérina le transfert de souveraineté intervenu en Afrique australe37.

3. Madagascar
Dès cette époque, le dualisme racial, culturel et linguistique malgache
apparaît clairement. C’est ainsi que la civilisation côtière arabo-malgache
présente bien des points communs avec celle de la côte de l’Afrique
orientale (Vérin, 1967, 1975). C’est au IXe siècle que des islamisés étaient
arrivés à Madagascar38, évènement majeur, car des Africains peuplèrent dès
lors le littoral, profitant du va-et-vient des marins swahili venus de la côte
orientale de l’Afrique.
Au XVIIIe siècle, les comptoirs arabo-swahili dans lesquels étaient vendus
des esclaves passèrent sous la domination des Sakalava qui avaient fondé
un État au XVIIe siècle. À cette époque, le port principal était Boeny qui a
livré une grande nécropole et qui fut ensuite dépassé par Majunga. Les
descendants de la civilisation islamique des côtes malgaches sont connus
sous le nom d’Antalaotse et ils vivent dans le nord-ouest de l’île.
Sur les hauts plateaux intérieurs, le royaume d’Imérina émergea sous le
règne d’Andriamanelo (± 1540/1575) mais, c’est son fils et héritier,
Ralambo (± 1575-1610) qui fut son véritable fondateur. À la mort
d’Andriamasinavalona au XVIIe siècle, le royaume disparut car il fut partagé
entre les quatre fils du défunt.
En 1783, Ramboasalama s’empara du pouvoir dans le petit royaume
d’Ambohimanga dont la superficie ne devait pas dépasser 500 km2. Il
choisit pour nom de règne Andrianampoinimerina (Seigneur du cœur de
l’Imerina) afin de bien montrer qu’il se voulait l’héritier et le continuateur
de son ancêtre Adriamasinavolana, le dernier souverain de l’Imerina unifié.
Durant son règne (± 1787 -1810), il entreprit de réunifier les quatre entités
de l’Imerina, ce qui fut achevé en 1803. Andrianampoinimerina étendit
ensuite son pouvoir en direction de l’Ouest et du Sud, toujours en pays
mérina, avant d’entrer en contact avec le Betsileo (Vérin, 1990).

1. Dans l’arrière-pays forestier où la situation institutionnelle était celle d’une « chaîne d’îles
politiques au sein d’une mer de forêts » (Illife, 2002 : 153), les créations étatiques furent plus
tardives que sur le littoral.
2. Cet empire a été édifié sous l’impulsion des Haalpulars ou Toucouleurs parmi lesquels les Peuls ne
constituaient qu’une minorité, celle qui était spécialisée dans l’élevage.
3. Sur la rive sud de l’estuaire du Congo.
4. Il était soit le cinquième, soit le huitième souverain, ce qui placerait la fondation du royaume entre
± 1350 et ± 1 400.
5. À la recherche du royaume du « prêtre Jean ».
6. Des ambassades furent également envoyées à Rome car l’Église d’Éthiopie était en pleine
interrogation, l’abuna, son plus haut dignitaire : « […] se trouvait être, traditionnellement, étranger
au royaume : il était nommé par le patriarche d’Alexandrie, chef de l’Église copte, et arrivait
d’Égypte dans un pays dont il ne connaissait ni les mœurs ni la langue. Cette règle avait de plus
l’inconvénient majeur de suspendre la désignation de l’abuna à l’agrément des sultans mamelouks.
Au cours du XVe siècle, deux tendances s’étaient manifestées dans le clergé éthiopien, l’une prônant
l’élection d’un métropolite indigène, l’autre favorable à un rapprochement avec Rome. Par
Jérusalem, où les moines éthiopiens allaient nombreux en pèlerinage, et où ils avaient un couvent,
les contacts avec la papauté avaient été suivis. » (Aubin, 1976 : 12)
7. Alonso de Albuquerque en 1513 pour les Portugais ; Souleiman Reis et Hussein en 1515-1516
pour les Ottomans ; Lopo Soares à nouveau pour le Portugal en 1517, suivi de Diogo Lopo de
Sequeira en 1520. La réaction ottomane se fit avec Soliman Reis en 1525 et avec Suleiman Pacha
en 1538 puis les Portugais reprirent l’offensive avec Estavao de Gama en 1540. Enfin, les
Ottomans s’imposèrent avec Piri Reis en 1552 et Seydi Ali Reis en 1554.
8. Le traumatisme ressenti, par les Éthiopiens fut tel que Fasiladas se rapprocha des Turcs, offrant au
gouverneur ottoman de Massawa une récompense pour la tête de tout missionnaire catholique qui y
débarquerait (Haberland, 1998 : 478).
9. En dépit des heurts entre les deux populations, le partage territorial permit d’assurer la stabilité du
royaume, à telle enseigne que l’on a pu parler de sultanat funj-abdallab.
10. Dans les années 1520, les Turcs organisèrent une expédition contre l’Abyssinie qu’ils désignaient
sous le nom d’Habesistan. En chemin, elle devait en finir avec les Funj, mais ce fut un échec, car,
arrivée à hauteur d’Assouan l’armée turque connut de tels problèmes, notamment de discipline,
qu’elle rebroussa chemin.
11. Les Funj se heurtèrent également à l’Éthiopie, notamment en 1618-1619 et en 1744. La première
se termina par une victoire éthiopienne et la seconde par une victoire funj.
12. En 1820-1821 quand les forces égyptiennes de Méhémet Ali prirent l’offensive, la résistance du
royaume funj fut faible et Sennar leur capitale prise en 1821.
13. L’État luo du Bunyoro développa un puissant mouvement d’expansion vers le Sud qui le mena
jusqu’au Rwanda. Ayant succédé aux Bacwezi au XVe siècle, la dynastie des Babito régna sur le
Bunyoro qui fut le principal royaume régional jusqu’à la fin du XVIIe siècle.
14. Durant les XVIIe et XVIIIe siècles, le royaume du Buganda connut une forte poussée expansionniste
sous l’impulsion de trois souverains, Mawanda, Junju et Kamaya. Entre ± 1674 et ± 1794 ces
monarques réussirent à dégager le royaume de la tutelle du Bunyoro avant de lui permettre de
s’imposer à ce dernier à la fin du XVIIIe siècle.
15. Au début du XVIIIe, le Nkore/Mpororo remplaça le Bunyoro dans le rôle d’État régional dominant.
Au XIXe siècle, il était en crise, mais il ne se disloqua pas en dépit de ses deux composantes ethno-
géographiques : Nord-Est pastoral et Hima ; Sud-Ouest agricole et peuplé d’une population
apparentée aux Hutu, les Baïru.
16. Pour le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) « Un groupe ethnique se définit
comme un groupe dont les membres ont en commun une langue et une culture ; ou un groupe qui se
distingue comme tel (auto-identification) ; ou un groupe reconnu comme tel par d’autres, y compris
les auteurs des crimes (identification par des tiers). Un groupe racial se distingue par des traits
physiques héréditaires. » TPIR, Jugement Kayishema, 16/12/2003, p. 3.
17. Voir à ce sujet, entre autres, Excoffier et alii (1987 : 151-194), Froment et alii (1999, pp. 12-90),
ainsi que Simoons (1997-1998 : 25-28).
18. En France, pendant mille ans, les nobles ont pratiqué l’endogamie ne se mariant quasiment
qu’entre eux et les « serfs » ont fait de même. Mille ans plus tard, au moment de la révolution de
1789 il n’existait pourtant pas de différence morphotypique entre leurs descendants. Au Rwanda,
oui.
19. De même, le fait de devenir anglophones n’a ni génétiquement, ni morphotypiquement
transformé les Zulu en Anglais, en Gallois ou en Écossais.
20. Pour tout ce qui concerne les catégories juridiques du bétail et le statut de ses possesseurs, on se
reportera à Lugan (1983a, tome II : 264-271).
21. Seuls pouvaient « devenir » Tutsi, certains Hutu qui s’étaient distingués, notamment au combat et
que le Mwami désirait particulièrement honorer. La faible fréquence de ces changements
d’« ethnie » est établie par les traditions. Généraliser ou étendre la réalité de cette procédure est un
contresens.
22. Certaines anciennes, d’autres datant de l’époque coloniale, notamment quand il fut nécessaire
d’engager de la main-d’œuvre pour les chantiers de chemin de fer ou les mines.
23. Mbili signifie deux, deuxième.
24. Lunda veut dire amitié.
25. La succession se faisait parmi les fils du souverain défunt. Le nouveau Mwata Yamvo était choisi
par quatre dignitaires qui désignaient également la mère du roi, choisie parmi ses demi-sœurs, ses
cousines ou ses nièces. La capitale royale qui portait le nom de Musumba changeait avec chaque
règne.
26. Bien qu’il ait continué à verser tribut à l’empire lunda, le Kazembé devint de fait un État
indépendant. La limite entre les deux États était le fleuve Lualaba mais le lac Kisale appartenait au
Kazembé.
27. Au XIXe siècle, le commerce régional portait également sur le minerai de cuivre du Katanga qui
était fondu sous forme de X, les « croisettes » du Katanga.
28. Ce circuit dura jusqu’au début du XIXe siècle. Lorsque les Européens eurent interdit la traite et
qu’ils donnèrent la chasse aux navires négriers brésiliens, le circuit, toujours totalement africain,
bascula vers la côte orientale, vers les comptoirs arabo-swahili.
29. Il fournissait aux Portugais puis aux Arabes le cuivre du Katanga, l’ivoire et les esclaves
échangés contre les coquillages de cauris, la verroterie, les outils en fer, les étoffes, etc. Sur la
question des relations entre le Kazembé et le Portugal, Cunnison (1961 : 61-76).
30. Rowzi vient du shona kurozwa qui signifie détruire et ce nom leur fut donné par les peuples qui
eurent à subir leur expansion. Selon certaines traditions ce seraient les soldats de Dombo Ier qui se
seraient donné ce nom pour vanter leur vaillance.
31. Cette dernière affirmation est inexacte car en 1977 Richard Elphick (1977) publia un important
livre dans lequel il faisait précisément ressortir le rôle des KhoiSan dans l’histoire régionale.
32. VOC sont les initiales de Generale Vereenigde Needeslantsche Geoctroyeer Oostindische
Compagnie ou Compagnie hollandaise des Indes orientales.
33. Né le 21 avril 1619 à Culemborg, en Hollande, ce chirurgien avait suivi son père, grand voyageur,
dans plusieurs de ses périples, notamment au Brésil et au Groenland. Entré en 1639 au service de la
VOC, il en était devenu le correspondant au Japon ; mais il en avait été rappelé pour avoir enfreint
l’interdiction faite aux agents de la compagnie de commercer pour leur propre compte. La VOC lui
offrit une seconde chance en lui proposant le commandement du comptoir du Cap car, en cas de
réussite, il lui avait été promis un poste en Extrême-Orient.
34. La baie de la Table était une escale régulièrement fréquentée par les navires appartenant aux
différentes nations maritimes européennes et nombre de capitaines l’ont décrite. Le bilan de ces
expéditions a été fait par R. Raven-Hart (1967).
35. Il mourut à Batavia, en Insulinde, le 18 janvier 1677.
36. Le gouverneur Van der Stel installa les Français survivants dans la vallée du Berg, à 80 km du
Cap dans une zone en arc de cercle adossée à la montagne et qui allait devenir Franschhoeck, le
« Coin français ».
37. La Grande-Bretagne venait donc d’hériter d’un territoire immense peuplé de 26 000 Blancs, de
30 000 esclaves et de 20 000 KhoiSan.
38. Fondation du comptoir d’Irodo dans l’extrême nord-est de Madagascar au IXe siècle.
Chapitre III.
L’Afrique du Nord au XVIIe et XVIIIe siècle

Les XVIIe et XVIIIe siècles constituèrent une période d’anarchie en Égypte.


Dans l’est du Maghreb, les possessions turques de Tunis et d’Alger ne
parvinrent pas à dépasser le stade de la cité-État et à l’Ouest, avec
l’accession au pouvoir des Alaouites qui succédèrent aux Saadiens, le
Maroc connut un nouvel essor.

A. L’Égypte et le Maghreb à l’époque ottomane


En théorie présente de l’Égypte à l’Est jusqu’à Tlemcen à l’Ouest, la
Porte ottomane exerçait en réalité une autorité plus que relative sur cette
immense région, ni l’Égypte, ni les régences de l’ouest n’obéissant
véritablement au pouvoir du sultan.

1. L’Égypte
En Égypte, durant la seconde partie du XVIe siècle, l’autorité de la Porte
se relâcha à nouveau ; durant tout le XVIIe siècle, le climat redevint
anarchique, la crise économique fut de plus en plus forte et les famines
quasi continuelles, le pays étant pillé par les factions mameloukes se
disputant le pouvoir. Le mécontentement de la population était réel, mais il
n’osait pas s’exprimer.
En 1772, Muhamad Bey, le nouveau Wali fut assassiné et une période de
dix années de sanglants conflits débuta alors durant lesquelles la lutte pour
le pouvoir au sein de la caste mamelouke entraîna une succession de coups
d’État dont il serait fastidieux de vouloir dresser la liste ici. La Porte laissait
faire et manipulait même les factions, utilisant l’anarchie pour augmenter le
volume du hazine, l’impôt annuel qu’elle recevait d’Égypte.
Durant le dernier quart du XVIIIe siècle, trois adversaires s’opposèrent :
Ismaël Bey, Mourad Bey et Ibrahim Bey. L’alliance des deux derniers
permit de chasser le premier qui avait les faveurs d’Istanbul, puis les
vainqueurs s’affrontèrent avant de se réconcilier en 1786. Le sultan ottoman
qui craignait pour son autorité décida alors de reprendre la situation en main
et en juillet 1786, un corps expéditionnaire turc commandé par Hassan
Pacha débarqua à Alexandrie. Les Mamelouks furent battus. Mourad Bey et
Ibrahim Bey se réfugièrent en Haute-Égypte et le pays fut coupé en deux, la
Basse-Égypte étant placée sous l’autorité d’Ismaël Bey qui la gouverna
pour le compte du sultan ottoman et la Haute-Égypte sous celle des deux
chefs mamelouks rebelles. Ismaël Bey mourut en 1791 et ses deux
adversaires reprirent alors le contrôle de toute l’Égypte. En 1792, ils
conclurent un accord avec Istanbul portant sur l’impôt annuel qu’ils
devaient verser au Sultan. Dès lors, La Porte les laissa gouverner à leur
guise. L’anarchie, l’oppression, les crises ne cessèrent plus jusqu’à
l’expédition de Bonaparte qui fut d’abord vue par la population égyptienne
comme une libération.

2. Les Régences turques de l’Ouest


Aux XVIIe-XVIIIe siècles, le Maghreb, à l’exception du Maroc, était sous
domination turque et divisé en Régences (Tripoli, Tunis et Alger) dites
Sandjak ou Odjak de l’Ouest. Ces régions profondément désorganisées
depuis la disparition des États qui les structuraient bénéficiaient de l’« ordre
ottoman » avec son administration et son encadrement militaire qui y
assuraient un minimum de cohésion. Le pouvoir d’Istanbul était cependant
lointain et bien vite elles devinrent quasiment autonomes, sans toutefois
commettre l’imprudence de se détacher du pouvoir central, ce qui aurait
entraîné de sa part d’inévitables réactions. L’évolution fut singulière dans la
mesure où trois territoires « nationaux » naquirent de la décentralisation
ottomane. Ils étaient en partie les héritiers des royaumes ou principautés qui
avaient existé antérieurement. Deux d’entre eux, Tunis et Alger, eurent dès
cette époque des politiques qu’il est possible de qualifier de pré-nationales
et qui se traduisirent, notamment, par de nombreuses guerres qui les
opposèrent entre 1600 et 1800.
a. La Régence de Tripoli
La Régence de Tripoli qui était géographiquement la plus proche du cœur
de l’empire ottoman fut dans un premier temps la seule à être véritablement
administrée par le Sultan, même si, comme ailleurs dans l’empire, les
janissaires se montrèrent particulièrement indisciplinés.
Au début du XVIIe siècle, pour tenter de les mettre au pas, les deys
imposèrent un pouvoir quasi dictatorial et un siècle plus tard, en 1711, un
officier Kouloughli1 nommé Ahmed Karamanli prit le pouvoir,
s’autoproclama dey et fonda une dynastie. En 1793, un officier turc chassa
les Karamanli avant d’être à son tour évincé par une armée venue de la
régence de Tunis qui rétablit Yusuf Karamanli à Tripoli. En dépit de
multiples difficultés politiques et économiques, les Karamanli se
maintinrent au pouvoir jusqu’en 1835, date à laquelle la région fut replacée
sous autorité directe d’Istanbul.
b. La Régence de Tunis
La régence de Tunis était elle aussi une province de l’empire ottoman. En
théorie dirigée par un wali ou gouverneur nommé par Istanbul, la réalité du
pouvoir y était exercée par le Bey de Tunis. En 1705, lors d’une des
nombreuses guerres opposant Alger à Tunis, un officier kouloughli nommé
Hussein ben Ali se proclama Bey et il constitua autour de lui une résistance
nationale, ce qui lui permit de repousser les troupes turques que la régence
d’Alger avait envoyées contre lui. La dynastie des beys husainides était
fondée. Le pouvoir d’Hussein ben Ali fut menacé en 1728 lorsque son
neveu Ali Basha se révolta, ce qui entraîna de longs troubles qui ne prirent
fin qu’en 1762. Sous les règnes d’Ali Bey (1759-1782) et de Hammuda Bey
(1782-1814), la Régence de Tunis connut une période de prospérité en dépit
de deux famines et d’une épidémie de peste. Le contexte international était
alors favorable aux pays producteurs de blé en raison des guerres
européennes de la période révolutionnaire. Profitant de la situation, les
corsaires tunisiens reprirent du service, ce qui augmenta les ressources de
l’État beylical. Militairement, Tunis triompha de Venise entre 1784 et 1792,
de Tripoli en 1793-1794 et d’Alger en 1807.
Socialement, l’aristocratie conquérante turque s’était ouverte aux
Kouloughli et aux notables indigènes, ce qui fit qu’une réelle fusion se
produisit, permettant la naissance d’une monarchie que l’on pourrait
qualifier de pré-nationale.
c. La Régence d’Alger
À la différence de celles de Tripoli et de Tunis, la Régence d’Alger
demeura une colonie turque. La situation était cependant très différente à
Alger même et dans les chefs-lieux des provinces. Alger et sa région où les
janissaires étaient relativement nombreux, était dirigée par un dey turc
prenant appui sur des notables turcs qui le désignaient. À Constantine, à
Titteri ou dans la région d’Oran, les responsables turcs ne disposaient que
d’un nombre restreint de janissaires et c’est pourquoi ils furent rapidement
contraints de prendre appui sur les notables indigènes qui se méfiaient du
pouvoir algérois. Cette évolution explique largement pourquoi le sentiment
« national » n’apparut pas en Algérie.
La Régence turque d’Alger était divisée en trois beylik (provinces)
soumis à l’autorité théorique du dey d’Alger et dirigés par trois beys. Il
s’agissait du beylik de Titteri dont le chef-lieu était Médéa, du beylik de
Constantine et de celui de Mascara2. En plus de ces trois ensembles, et
dépendant directement de l’autorité du dey d’Alger, le Dar es Sultan
s’étendait à la Mitidja et jusqu’à l’atlas blidéen.
Les derniers dey vécurent quasiment enfermés avec leur milice janissaire
dans la forteresse de la casbah qui dominait le port d’Alger. Leur
administration reposait sur un conseil des principaux responsables militaires
et territoriaux qui avait pour nom le divan. Le corps des janissaires qui
atteignait un maximum de 15 000 hommes pour toute la Régence était
incapable d’y faire respecter l’autorité du dey. Dans les beylik l’autorité
« centrale » qui était plus qu’inégale était théoriquement représentée par des
caïds nommés par l’administration turque et qui s’appuyaient sur des tribus
ralliées (les Deira ou Makhzen). Parfois, l’autorité était exercée par des
Kouloughli, comme à Tlemcen ou à Mostaganem.
Pour tenter d’administrer leurs beylik, les beys cherchaient à s’appuyer
sur les féodaux locaux qui en profitaient pour renforcer leur puissance.
Dans tous les cas, les zones qu’ils contrôlaient étaient réduites car la plupart
des tribus kabyles, qu’elles fussent sédentaires ou nomades, étaient de fait
indépendantes. Seule la perception de l’impôt était relativement bien
assurée au moyen d’un système d’intéressement consistant à exonérer les
tribus chargées de les lever et qui, de plus, leur donnait droit de razzia sur
celles qui ne s’y soumettaient pas (Fleury, 2004).

B. Le Maroc
Le Maroc connut une période de dissociation dès le lendemain de la mort
du sultan saadien El-Mansour intervenue en 1603, ses fils s’entre-
déchirèrent pour le pouvoir (Hajji, 1977 et 1983). La guerre civile ravagea
le royaume, comme si toutes les forces centrifuges contenues durant le
règne qui venait de s’achever s’étaient liguées pour provoquer l’éclatement
du pays. C’est dans ce climat anarchique qu’apparût une nouvelle dynastie,
celle des Alaouites3.

1. L’entrée en scène des Alaouites


La montée en puissance de la famille alaouite date de la première moitié
du XVIIe siècle. C’est en effet en 1631 que les habitants du Tafilalet qui
craignaient de voir la guerre civile s’étendre à leur région décidèrent de s’en
remettre à un chef énergique, Moulay ach-Chérif alors âgé de cinquante-
deux ans. Cinq années plus tard, en 1636, il renonça à ses responsabilités et
les populations se tournèrent vers un de ses fils, Moulay Mohamed, homme
d’une force physique légendaire qui commença par asseoir son pouvoir au
Tafilalet même où il se fit proclamer sultan. Il échoua devant Fès et fit alors
porter ses efforts vers l’Est afin de s’ouvrir un accès à la Méditerranée, afin
de contrôler le commerce transsaharien de bout en bout. Après avoir
conquis Oujda puis Tlemcen, il fut repoussé par les Turcs qui ne pouvaient
laisser les marges ouest de leur empire maghrébin échapper à leur contrôle.
Vaincu, il se replia une nouvelle fois sur la région du Tafilalet avant de
reprendre une politique d’expansion en direction de la vallée de la
Moulouya et de la région du Draa cette fois.
Le premier souverain alaouite fut son frère cadet, Moulay Rachid qui
régna de 1664 à 1672. En moins de dix années, il réussit à imposer son
autorité à tout le Maroc. Il commença par prendre le contrôle de la voie
caravanière partant de Sijilmassa et aboutissant à la basse vallée de la
Moulouya qui permettait de relier la Méditerranée aux confins sahariens.
Contrôlant donc l’itinéraire marocain du commerce transsaharien, il en
perçut les profits qui lui permirent d’armer ses troupes. En 1668 il entreprit
de détruire la puissante confrérie (zaouia) de Dila, rasant l’agglomération
qui était le cœur. En 1669, il s’empara de Marrakech. Moulay Rachid avait
reconstitué l’État marocain qui sortit dès lors de la longue période
d’anarchie qui avait débuté avec les derniers saadiens. Il n’eut cependant
pas le temps de consolider son pouvoir car, âgé de quarante-deux ans, il se
fracassa le crâne sur un arbre contre lequel son cheval l’avait projeté.
Son successeur fut son demi-frère Moulay Ismaïl, gouverneur de Meknès
et qui régna de 1672 à 1727. Les débuts de son règne furent difficiles
puisque, durant quatorze années, son neveu Ahmed ben Mahrez, fils de
Moulay Rachid le combattit. Il eut également à faire face au problème posé
par les Berbères sanhaja du moyen Atlas qui avaient failli conquérir le
Maroc, abrités derrière la façade religieuse constituée par la zaouia de Dila
avant sa réduction par Moulay Rachid. En 1692-1693, Moulay Ismaïl réunit
des forces considérables et il donna l’assaut au réduit montagnard qui fut
disloqué puis détruit. Il poursuivit également la « guerre sainte » contre la
présence militaire chrétienne au Maroc. En dix ans, et à l’exception de
Mazagan qui demeura portugaise jusqu’en 1769, les dernières Fronteiras
lusitaniennes ou les places fortes que les Anglais avaient réussi à conquérir
sur le littoral, furent enlevées de vive force comme Mehdiya en 1681,
Tanger en 1684, Larache en 1689 et Arzila en 1691. Sur le littoral de la
Méditerranée, les Espagnols réussirent à conserver Ceuta, Melilla,
Alhucemas et Vêlez, arc-boutés sur leurs défenses. Durant vingt-sept ans, le
sultan mit le siège devant Ceuta qui résista. Moulay Ismaïl entreprit en 1701
une expédition contre les Turcs de la régence d’Alger, mais ce fut un échec.
Sous le règne de Moulay Ismaïl, le Maroc fut pour l’Europe un partenaire
commercial important. Des négociants européens étaient installés à
demeure dans les principaux ports marocains, mais le plus grand nombre
résidait à Salé et à Tétouan. Parmi eux, les protestants, notamment des
huguenots français étaient relativement nombreux. Les principales nations
européennes étaient représentées au Maroc par des consuls.
La politique extérieure de Moulay Ismaïl fut également très active en
direction du Sud, c’est-à-dire du Bilad al-Sudan. C’est ainsi que, sous son
règne, l’actuelle Mauritanie devint de fait un protectorat marocain. La
présence marocaine y était directe et effective, ainsi en 1724, quand Moulay
Ismaïl envoya des troupes pour permettre à l’émir du Trarza d’attaquer les
Français installés sur la rive gauche du fleuve Sénégal.
La région située un peu plus au nord fut directement placée sous autorité
marocaine et le sultan nomma un gouverneur à Chinguite. Tout le long de
l’axe commercial transsaharien reliant le Maroc à la vallée du fleuve
Sénégal et à la boucle du fleuve Niger, les transactions reposaient sur la
monnaie et sur les unités de poids et de mesures marocaines. Les
populations maures du Trarza comme celles de Mauritanie considéraient
Moulay Ismaïl comme leur chérif.
Le souverain réorganisa en profondeur l’armée marocaine qui fut
composée de trois éléments : les unités fournies par les tribus guich4, les
contingents formés par les renégats chrétiens et enfin les unités composées
d’esclaves noirs, les abid. Avec ces derniers, le sultan constitua un corps de
mercenaires dévoués à sa personne en étoffant sa garde noire par l’achat
d’esclaves dans la région du pachalik de Tombouctou qui était sous
souveraineté marocaine. Cette armée noire eut des effectifs de plusieurs
dizaines de milliers d’hommes.

2. La Course salétine
Même si les Marocains ignoraient largement la mer à laquelle ils
tournaient le dos, sous les Saadiens, les chantiers navals de Salé, Larache et
Badis construisirent une vingtaine de navires5. Sous le règne du sultan
Moulay Abdallah el-Ghalib (1557-1574), la flotte de guerre marocaine
alignait trente vaisseaux. Durant le règne de son successeur Mohamed el-
Moutaoukil (1574-1576), elle en comptait dix de plus. La mort du sultan
Ahmed el-Mansour en 1603 provoqua une période d’anarchie qui fut fatale
à cette première marine marocaine. Puis, à partir de 1609, des Morisques
originaires de la ville espagnole d’Hornachos s’étaient fixés dans la casbah
des Oudaïa à Rabat, sur l’estuaire du Bou Regreg. L’année suivante, en
1610, des Andalous avaient fondé Salé-la-Neuve où ils constituèrent une
sorte de « république corsaire » en partie indépendante du pouvoir royal.
La flotte corsaire marocaine maraudait sur les grandes voies maritimes de
l’époque qui, toutes, passaient au large du Maroc6, provoquant de violentes
réactions européennes se traduisant par des bombardements de ports
marocains ou par des blocus (Aboualfa, 2003). À partir de 1622, l’audace
des corsaires salétins ne connut plus de bornes et leurs navires chassèrent en
meute jusque dans la Manche, la mer d’Irlande ou sur les bancs de Terre-
Neuve.
Les riches Hornacheros finançaient l’armement des navires corsaires de
Salé dont les capitaines étaient le plus souvent des Andalous ou des
Européens convertis à l’islam, ceux que l’on désignait en pays chrétien sous
le nom de « renégats ». Parmi ces derniers, Morat-Rais, un Hollandais, fut
un des plus redoutables. La flotte corsaire de Salé était forte de plusieurs
dizaines de navires taillés pour la course, fins, rapides, faciles à manœuvrer,
mais pouvant également supporter toutes les tempêtes. Le plus souvent, il
s’agissait de navires de prise, mais le chantier naval situé au pied de la tour
Hassan à Rabat, en construisait également, qu’il s’agisse des brigantins
montés par 100 hommes et armés de 10 canons ou des chébecs avec un
équipage de 200 hommes et 20 bouches à feu (Aboualfa, 2003).
De retour de campagne, les navires débarquaient leurs prises, qu’il
s’agisse de cargaisons ou de captifs qui étaient vendus aux enchères
publiques. Les prisonniers de qualité étaient libérés contre rançon tandis
que les simples marins ou les voyageurs anonymes attendaient parfois des
années que des ordres religieux comme celui de Notre-Dame de la Merci
aient réuni suffisamment de fonds pour les racheter (Cocard, 2007).
Durant des décennies, les corsaires marocains écumèrent la
Méditerranée, le détroit de Gibraltar et l’Atlantique, ce qui eut des
conséquences diplomatiques néfastes pour le Maroc, notamment quand
Moulay Ismaïl chercha à se rapprocher de la France7. Des négociations
eurent lieu, mais elles échouèrent en raison de la poursuite de la course
salétine qui s’exerçait aux dépens de navires français. Les expéditions de
représailles menées par Jean d’Estrées et Château-Renaud firent que les
discussions traînèrent en longueur. Elles furent suspendues mais néanmoins
jamais totalement interrompues ; en 1681, à La Mamora, un projet de traité
fut même rédigé qui prévoyait une alliance entre les deux royaumes.
Les activités des corsaires ne cessant toujours pas, Louis XIV ne ratifia
pas ce traité, mais Moulay Ismaïl débloqua la situation en envoyant en
France un ambassadeur, Hadj Mohammed Temim. Celui-ci réussit en partie
dans sa mission puisque, en 1682, fut signé le traité de Saint-Germain-en-
Laye, traité d’amitié entre les deux souverains qui prévoyait de régler le
contentieux relatif à la course salétine, mais qui ne comportait aucune
clause d’alliance.
Les relations se dégradèrent à nouveau entre le Maroc et la France car les
corsaires de Salé ne respectèrent pas davantage les navires français
qu’avant la signature de ce traité, en conséquence de quoi la France
organisa des expéditions de représailles puis, durant deux années, de 1686 à
1688, en France, tout commerce avec le Maroc fut interdit.
Les contacts diplomatiques furent néanmoins maintenus et, en 1689,
Louis XIV envoya à Moulay Ismaïl une ambassade conduite par Pidou de
Saint-Olon.
Son résultat fut nul car ce que le sultan attendait d’une éventuelle alliance
française était une aide qui lui aurait permis d’en finir avec les places fortes
espagnoles du Maroc. Or Louis XIV ne voulait aucunement se voir
impliqué dans une telle entreprise. En 1698, une dernière tentative eut lieu
avec le départ, à bord d’un navire français commandé par Château-Renaud,
d’une ambassade marocaine conduite par le célèbre corsaire Ben Aïcha.
Mais les positions des deux souverains étaient toujours contradictoires :
Moulay Ismaïl faisait de l’aide française contre l’Espagne le préalable
susceptible de le pousser à prendre des mesures réelles pour mettre un
terme aux activités des corsaires marocains. Louis XIV, de son côté, voulait
certes que cesse la course contre les navires français, mais il refusait de
combattre aux côtés d’une nation musulmane contre une nation catholique.
Puis le contexte franco-marocain changea en 1700 quand le nouveau roi
d’Espagne fut Philippe V, le petit-fils de Louis XIV. Moulay Ismaïl ne
pouvait donc plus proposer à Versailles une alliance contre l’Espagne. Entre
le Maroc et la France, les relations furent alors interrompues durant une
quarantaine d’années. Les marchands français quittèrent le royaume, suivis
en 1710 du consul de France à Salé et en 1712 par celui de Tétouan. En
1718, la France et l’Espagne décidèrent de rompre leurs relations avec le
Maroc pour le plus grand profit des négociants anglais qui, durant des
décennies, s’implantèrent commercialement dans le pays. Désormais, les
captifs français ne purent plus compter pour leur délivrance que sur les
rachats effectués par les Frères de la Merci (ou Mercédaires) et les
Trinitaires (Coquard, 2007).
À la mort de Moulay Ismaïl, en 1727, le Maroc entra dans une période
d’anarchie de trente ans durant laquelle les abids, ou Garde noire, firent et
défirent les sultans qui furent cependant toujours choisis au sein de la
famille alaouite. En 1757, Sidi Mohamed ben Abdallah fut à son tour
proclamé sultan. Durant son règne de trente-sept ans (1757-1790), il rétablit
l’unité du pays et réorganisa l’armée.
À peine arrivé au pouvoir, il entreprit de casser la puissance des abids en
prenant appui sur les tribus arabes du Sous, notamment les Beni Maqil.
À plusieurs reprises il fit même massacrer ses soldats noirs dont il ne
conserva que quelques garnisons isolées au milieu des contingents guich8. Il
fit également fortifier les villes côtières qu’il équipa d’artillerie, puis il
développa la Course à partir de Salé et de Tétouan. Le développement de la
Course entraîna de vigoureuses réactions européennes. En 1765, une
escadre française bombarda ainsi Salé et Larache. L’année suivante, en
1766, à Larache, un coup de main français tourna au désastre quand
l’escadre Du Chaffaut mit à la mer plusieurs compagnies embarquées sur
des chaloupes qui incendièrent les navires corsaires ; mais, sur le chemin du
retour, plusieurs embarcations ne purent franchir la barre du Loukkos et 260
hommes dont 30 officiers furent noyés ou faits prisonniers.
Mohamed ben Abdallah voulant concentrer la plus grande partie du
commerce extérieur du Maroc dans un port facile à contrôler, son choix se
porta sur la baie de Mogador (Essaouira). Il fit appel à un captif français,
l’ingénieur François Cornut, originaire de Toulon, qui avait été fait
prisonnier lors du désastre de Larache en 1766. Aidé par 400 prisonniers
chrétiens, c’est ce dernier qui construisit la ville et ses fortifications sur un
modèle architectural européen9.
Durant la fin du règne de Mohamed ben Abdallah et notamment à partir
de 1776, le Maroc fut terriblement affecté par une sécheresse de sept années
(1776-1782), puis par une épidémie de peste. La population s’effondra
d’environ 50 % et nombre de villes furent abandonnées.
Moulay Yazid succéda à son père pour un bref règne de deux années
(1790-1792) qui fut marqué par une guerre contre l’Espagne. Dans le sud
du pays, un soulèvement eut lieu au profit d’un des frères du sultan qui se
proclama sultan à Marrakech cependant qu’un autre entrait en rébellion
dans le Tafilalet. Moulay Yazid réprima avec férocité ces deux
soulèvements et Marrakech fut livrée au pillage. Alors qu’il supervisait la
répression, Moulay Yazid reçut une balle en pleine tête.

1. Métis de Turc et de femme indigène.


2. Qui devint celui d’Oran à partir de 1792, date du départ définitif des Espagnols qui occupèrent la
ville jusqu’à cette date.
3. Venus d’Arabie et originaires de la région de Yanbo, dans le Hedjaz, les Alaouites sont
d’authentiques chérifs puisqu’ils descendent de Hassan, fils de Fatima, elle-même fille du Prophète
Mohamed et de Ali son gendre ; c’est pourquoi ils sont désignés sous le nom de Hassaniens. C’est
sous le règne d’Abou Yakoub Youssef (1286-1307), le second sultan mérinide, que l’ancêtre des
Alaouites arriva dans le Tafilalet qui devint le fief de la famille. En raison de leur installation dans
cette région ils sont également désignés sous le nom de Filaliens.
4. En échange du service militaire, ces tribus recevaient des terres et étaient dispensées de certains
impôts.
5. Sur la question (Dziubinski, 1972 ; Kaddouri, 1992 ; Boucharb, 1992 ; Bookin-Weiner, 1992 :
163-191).
6. Qu’il s’agisse de la route des Indes longeant l’Afrique ou de la route des Amériques qui longeait le
littoral marocain avant de s’orienter vers l’Ouest et les Antilles.
7. Son but était de nouer une alliance avec Versailles afin de pouvoir lutter contre l’Espagne et
l’Angleterre qui occupaient des points d’appui ou des places fortes sur le littoral marocain. La
volonté de rapprochement entre le roi « Très Chrétien » et le « Commandeur des Croyants » est
connue par une correspondance relativement abondante et par des projets de traités. Mal traduits et
mal interprétés, ils ont conduit à une incompréhension suivie de ressentiment. Pour Moulay Ismaïl,
la course était une affaire licite, légitime et lucrative, tandis que, pour Louis XIV, il s’agissait tout
simplement de piraterie (Aboualfa, 2003).
8. Contingents militaires fournis par les tribus ralliées au Sultan.
9. La partie nord de la ville de Mogador est probablement l’œuvre d’un renégat anglais, Ahmed El
Eulj.
Chapitre IV.
Les traites esclavagistes

L’Afrique sud-saharienne fut victime de trois traites. La première fut la


traite interne ou traite inter-africaine. La seconde fut la traite arabo-
musulmane qui débuta au VIIIe siècle et qui prit fin avec la colonisation. La
troisième, ou traite atlantique, commença au XVIe siècle pour s’achever au
XIXe siècle. Si les historiens sont bien renseignés sur la troisième en raison
de l’abondance des sources, les connaissances concernant la première sont
inexistantes, quant à celles concernant la seconde, elles plus que
fragmentaires1.

A. La traite atlantique (XVIe-XIXe siècles)


L’état des connaissances au sujet de la Traite atlantique a été renouvelé
en profondeur2 sur les trois points suivants :
1. le rôle des Africains dans la traite elle-même3 ;
2. la rentabilité de l’opération pour les négriers européens ;
3. les effets de la ponction esclavagiste sur la démographie africaine.
Une nouvelle direction de recherche, elle aussi très prometteuse a été
ouverte récemment par Marcus Rediker (2007) qui s’intéresse à la vie à
bord des navires négriers ; derrière les statistiques désincarnées l’on ne doit
en effet pas oublier que se trouvaient des hommes.

1. Les partenaires africains des négriers européens


Si la Traite fut un drame affreux pour les individus qui furent vendus et
une catastrophe pour les tribus victimes des razzieurs, elle fut en revanche
une source de bénéfice et de puissance pour ceux des Africains qui étaient
les associés et les fournisseurs des Européens. Un puissant intérêt liait en
effet des « partenaires blancs et noirs engagés dans une opération
économique créatrice de profits » (Renault, Daget, 1985 : 87)4. Ainsi que
l’écrivit Fernand Braudel, « la Traite négrière n’a pas été une invention
diabolique de l’Europe » puisque :
« […] les captifs qui n’apparaissaient pas par enchantement sur les sites
de traite, étaient « produits », transportés, parqués et estimés par des
négriers noirs ». (Pétré-Grenouilleau, 2004 : 128)
La traite ne fut en effet possible que parce que des Noirs capturaient
d’autres Noirs pour venir les vendre aux négriers européens :
« […] la traite des esclaves […] est le fruit d’une collaboration entre
Africains et Européens dans laquelle ni les uns ni les autres, au début,
ne se pensaient comme Africains ou Européens ». (Appiah, 2008)

La traite interne
« L’histoire des traites internes constitue un gigantesque trou noir sur le plan des
connaissances […] or, la plupart des études récentes, toutes écoles confondues,
indiquent que les Africains ne furent pas seulement des victimes de la traite, mais
aussi des acteurs, et que nombre de questions ne pourront trouver de réponse
adéquate à moins de revisiter l’histoire africaine, qu’il s’agisse de la mortalité au
cours de la traversée de l’Atlantique […] ou de bien d’autres problèmes ». (Pétré-
Grenouilleau, 2004 : 185)
Or, l’étude des traites inter-africaines en est à ses débuts et il est évident que, faute
de documentation, il sera impossible d’en dresser un bilan aussi complet que celui
qu’il est possible de faire au sujet de la traite atlantique. Néanmoins, nous disposons
d’un certain nombre de chiffres partiels ou même d’estimations. Manning (1990)
estime ainsi qu’avant 1850, un tiers de tous les captifs restaient en Afrique, ce qui
conduit Olivier Pétré-Grenouilleau à écrique que :
« Si l’on retient le chiffre de 28 millions de captifs exportés (11 pour la traite
occidentale et 17 pour la traite orientale5), on peut estimer que 9,3 millions
d’esclaves sont restés en Afrique noire avant 1850 et qu’au total les traites internes
ont conduit la réduction en servitude de 14 millions de personnes. Martin A. Klein6
va plus loin que Manning. Selon lui, en Afrique occidentale, même durant les
années d’intensité maximale de la traite atlantique, une majorité de captifs –
notamment des femmes et des enfants – était en fait absorbée sur place. Un
phénomène qui aurait ensuite pris une ampleur encore plus grande […] Une partie
de ces esclaves est parfois qualifiée de “domestiques” […] Cela ne doit nullement
impliquer l’idée de conditions d’existence idylliques. Un esclave est un esclave […]
et l’adjectif interne ne doit pas être perçu comme une sorte d’atténuation, du fait que
les victimes demeuraient sur le sol africain. » (Pétré-Grenouilleau, 2004 : 186)
À l’exception des pombeiros qui étaient des métis portugais opérant en
Angola, les Européens ne pénétraient pas à l’intérieur du continent. Ils n’ont
donc quasiment jamais été actifs dans les phases de la capture, puis de
l’acheminement des esclaves vers la côte, ces deux rôles étant en totalité
tenus par des Africains7. Au total, en effet, seuls 2 % de tous les esclaves
furent razziés par des Européens, en l’occurrence les Portugais, et cela au
tout début de la période, c’est-à-dire au XVe siècle tandis que 98 % le furent
par des Africains (Pétré-Grenouilleau, 2004 : 22)8.
La traite des esclaves fut donc d’abord une opération interafricaine. De
l’intérieur du continent jusqu’au littoral, les réseaux de distribution, les
péages, les versements de taxes et les marchés continentaux faisaient
qu’une partie de l’Afrique s’enrichissait en en vendant une autre.
De plus, il ne faut pas perdre de vue que la traite esclavagiste ne fut
qu’une des composantes, de plus en plus importante au demeurant, du
commerce d’ensemble qui se faisait, lui aussi, avec des partenaires
africains. D’ailleurs, la côte d’Afrique avait reçu des marins européens des
noms faisant référence aux principaux articles de ce commerce. Du littoral
de l’actuelle Mauritanie jusqu’à la Casamance, l’on pouvait ainsi distinguer
le Pays des gommes (gomme arabique) ; de l’actuelle Guinée-Bissau
jusqu’à l’ouest de l’actuelle Côte d’Ivoire, la Côte de Malaguette ou de
Maniguette (une variété de poivre) ; puis la Côte des dents (ivoire), la Côte
de l’or (l’actuel Ghana) et les Côtes des esclaves qui s’étendaient de
l’actuel Togo jusqu’à l’Angola inclus (Wondji, 1985).
Les Européens avaient deux méthodes pour se procurer des esclaves
auprès de leurs pourvoyeurs africains :
– la première était connue sous le nom « d’usine ». Elle consistait en
implantations côtières dans lesquelles les captifs étaient rassemblés par
les esclavagistes africains et où les navires relâchaient pour y
embarquer leur cargaison humaine à destination des Amériques ;
– la seconde était mobile et il s’agissait d’une sorte de cabotage le long
des rivages africains durant lequel les navires remplissaient peu à peu
leurs cales avec les malheureux achetés à la côte. Mais, il importe de
bien voir que « […] dans un cas comme dans l’autre, le système était,
en dernier ressort, sous contrôle africain » (Illife, 2002).
Une fois leur « marchandise » humaine achetée, les navires prenaient le
plus rapidement possible la direction des Amériques par la route directe ou
« passage du milieu ». La réalité du « commerce triangulaire » (Europe-
Afrique-Amériques) a fait oublier une autre forme de relation mettant
directement en contact l’Amérique et l’Afrique. Cette question a été bien
étudiée en ce qui concerne Bahia au Brésil, qui commerçait avec quatre
ports du golfe de Guinée, Grand Popo, Ouidah, Jaquin et Apa sous forme
d’échanges directs tabac contre esclaves à l’exclusion de tout article ou
marchandise d’Europe (Verger, 1968).
Sur les côtes d’Afrique, le rôle des Blancs était limité. Ils n’étaient
d’ailleurs que quelques centaines à vivre à demeure dans trois ou quatre
dizaines de fortins à l’intérieur desquels ils étaient retranchés, tentant
d’échapper au vomito negro, la terrible fièvre jaune, à la malaria ou aux
autres maladies qui faisaient des coupes sombres parmi les traitants. Dans
ces forts côtiers échelonnés du Sénégal à l’Angola, ils attendaient que leurs
partenaires africains vinssent leur proposer les captifs qu’ils avaient faits ou
qu’ils avaient acheté à d’autres intermédiaires.
Ces implantations ponctuelles étaient autorisées à titre précaire et sans
garantie de souveraineté. Les Européens n’implantaient pas leurs comptoirs
ou leurs forts sans compensation et, ensuite, ils en louaient les
emplacements, ce qui était une autre source de revenu pour les États côtiers.
Généralement, quand l’implantation était bâtie en dur, un premier
versement était acquitté au moment de la concession et un autre sous forme
de loyers souvent mensuels. À Accra où trois forts européens furent
édifiés9, le loyer était de deux onces d’or par mois. À El-Mina, ce loyer
avait pour nom la « Note d’El-Mina » et elle fut transférée à chaque fois
qu’un peuple exerça le pouvoir sur la zone (Eguafo, Fetu, Denkyira et
Ashanti). Le fort de Cape Coast qui avait été construit sur un emplacement
loué par le roi Efutu était lui aussi une source importante de revenus pour
les souverains locaux qui ne se privèrent pas de faire jouer la concurrence
européenne, à telle enseigne que durant la période concernée, ce fort, ainsi
que les deux autres changèrent plusieurs fois de locataires (Saint-Clair,
2007). À Ouidah, les Européens versaient une coutume annuelle au roi de
Savi. Quand il s’agissait simplement d’un mouillage, la taxe ne portait que
sur le droit d’ancrage et il était acquitté en deux fois, au début et à la fin de
la campagne, en plus des taxes sur chaque esclave vendu. (Daget, 1980 :
321-322). En définitive :
« […] les États côtiers se donnent deux fonctions essentielles,
rentabiliser la concession territoriale qu’ils ont faite ; préserver
l’intégrité territoriale de la société locale. Les Européens ne pénétreront
pas dans les territoires, ne pourront dépasser les limites qui leur sont
assignées, payeront les rois. En fait : ils sont subordonnés à la décision
de l’autorité africaine ». (Daget, 1980 : 323)

Dans un premier temps, du XVe siècle jusqu’à la moitié du XVIIe siècle, les
Européens firent avec les Africains un commerce diversifié : textiles,
ustensiles, verroterie, coquillages, tabac et troc à terre ou « sous voile », à
bord des navires, échangé contre de la malaguette (faux poivre), de l’or, de
l’ivoire, des bois, des peaux ou des captifs. Ce commerce ne portait pas
seulement sur des produits d’Europe, mais pouvait revétir la forme d’un
courtage de productions africaines à l’image des Portugais qui exportaient
depuis le Maroc vers le littoral ouest africain, des produits de l’artisanat et
des grains. Cette forme de commerce enrichissait les États côtiers ; ainsi au
Loango où les autorités prélevaient 10 % de taxes sur les ventes d’ivoire
(Daget, 1980 : 324).
Dans une seconde période, un important changement se produisit avec la
place de plus en plus importante prise par le commerce des esclaves, mais il
ne faudrait pas croire pour autant que le commerce classique disparut
puisque ce dernier procurait des bénéfices qui étaient sans commune
mesure avec ceux provenant de la traite. Ainsi en était-il avec le Portugal
qui, au XVIIe siècle, possédait en Côte de l’or l’un de ses plus importants
forts africains, celui de Sao Jorge da Mina (Elmina) et où :
« L’objet de la traite en ce lieu était l’or. Les principes qui présidaient
aux échanges avaient amené les navigateurs portugais à troquer des
barres de fer au Congo contre des esclaves, et à échanger ensuite ces
esclaves contre de l’or au château Sao Jorge da Mina, réalisant ainsi
une assez brutale transmutation du fer en or » (Verger, 1968 : 8)10
Ceci avait fait dire à F. Mauro que :
« […] vers 1610-1620, pour permettre à Mina le commerce de l’or en
particulier, alors en décadence, les Portugais décident qu’aucun Noir à
dix lieues dans l’intérieur et le long de la côte ne sera ni capturé ni
vendu. » (Mauro, 1960 : 166)
Pour ce qui avait trait à la vente des hommes, là encore les réseaux
étaient africains et ils généraient des taxes. L’exemple du Loango, royaume
peuplé par les Vili est parlant : à l’apogée du système, au XVIIIe siècle, tout
était organisé par l’État au moyen d’une pyramide administrative complexe
qui s’étendait à chaque point d’échange. Ce commerce était sous l’autorité
du Mafouk, le troisième personnage du royaume qui avait acheté sa charge.
Il versait en plus une redevance annuelle au roi. Il avait la haute main sur
toute la filière, nommait et contrôlait les intermédiaires autorisés qui, seuls,
pouvaient entrer en contact avec les Européens et qui fixait le prix des
captifs, toujours des étrangers au royaume, ainsi que le montant des taxes
payées par les Européens. C’est lui qui assurait enfin le bon fonctionnement
des transactions et qui assurait la police commerciale (Daget, 1980 : 327-
328).
Au Dahomey un responsable, le Yovogan, littéralement le « chef des
Blancs », dirigeait ce commerce. Comme l’on ne vendait pas les sujets du
roi, il était donc nécessaire, pour alimenter la traite, de razzier les
périphéries du royaume ou de recevoir des tributs en captifs de la part des
peuples soumis (Daget, 1980 : 328). Ailleurs, la ponction pouvait se faire au
sein de l’entité, comme dans les sociétés peu structurées de l’est du delta du
Niger, comme chez les Efik ou chez les Ibo.
Comme l’a montré Hugh Thomas (2006), certains de ces États ont connu
une prospérité remarquable tirée de la vente de captifs aux Européens. Le
roi du Dahomey Tegbessou qui régnait vers 1750 vendait chaque année plus
de 9000 esclaves aux négriers et il avait des revenus supérieurs à ceux des
armateurs de Liverpool ou de Nantes et quatre à cinq fois plus élevés que
ceux des plus riches propriétaires terriens d’Angleterre.
La valeur des biens et marchandises donnés par les négriers européens
aux fournisseurs africains, les « termes de l’échange » pour parler en
langage économique actuel, ont toujours été en faveur des esclavagistes
africains. David Richardson (1998 : 440-464) a démontré que le phénomène
ne fit que prendre de l’ampleur sur la longue durée, ne cessant d’augmenter
en faveur des négriers africains avec une forte amplification à partir de
1750. Quant à David Eltis, il a établi que si les acheteurs d’esclaves
européens avaient pour préférence les jeunes hommes en état de travailler
sur les plantations, ils étaient en définitive dépendants de l’offre africaine
sur laquelle ils n’avaient que peu de prise (Eltis, 1986).
Parmi les nombreux États esclavagistes africains, quatre grands royaumes
côtiers le Bénin, le Dahomey, l’Ashanti et l’Oyo durent leur fortune et leur
développement au commerce des esclaves.
Au nord de la forêt, dès la fin du XVIIIe siècle, le royaume d’Oyo chercha
à atteindre l’Océan afin d’établir des contacts directs avec les Européens. Sa
force guerrière, surtout sa cavalerie, lui permettait une abondante moisson
de captifs razziés au Sud-Ouest, chez les Yoruba, et au Nord chez les Bariba
ou chez les Nupé (ou Noupé). Traditionnellement, les prisonniers de guerre
devenaient esclaves au sein de la société d’Oyo. Avec l’apparition de la
traite européenne, une partie de ces captifs fut acheminée vers le littoral et à
partir du moment où Oyo comprit que les intermédiaires côtiers réalisaient
des bénéfices considérables en vendant aux négriers venus d’Europe les
esclaves qu’il lui fournissait, il décida de s’ouvrir un débouché direct sur
l’Océan, cherchant à contrôler les routes qui conduisaient aux navires des
Blancs. Dans les années 1650-1670, les petites principautés littorales de
l’actuel Dahomey – Allada, Jaquin et Porto-Novo –, devinrent ainsi des
dépendances commerciales d’Oyo qui les fournissait en captifs qu’elles
vendaient aux négriers.

Le royaume d’Abomey
À la fin du XVe siècle, les Portugais avaient reconnu la partie du littoral comprise entre
la rivière Pra et le delta du Niger. Dès le début du XVIe siècle, cette région participa à
la traite des esclaves qui se fit par l’intermédiaire de partenaires africains. Dans le
cas présent, il s’agit des entités côtières d’Allada, de Jaquin, d’Ouidah et de Porto
Novo, dépendances du royaume d’Oyo.
Au XVIIe siècle sembla apparaître le royaume d’Abomey dont la naissance résultait de
la réunion de plusieurs tribus appartenant au rameau linguistique kwa et au groupe
aja, dont les Arada, les Fon et les Gun. La domination des Fon fit que l’on parle du
royaume Fon d’Abomey. Limité par les rivières Ouéné à l’Est et Couffo à l’Ouest, le
royaume fut fondé par le roi Digbagli Genu (ou Doaklin) d’Allada qui choisit de
s’établir dans l’intérieur des terres, sur le plateau d’Agbomé. L’essor du royaume se fit
durant le XVIIe siècle. Sous le règne du roi Akaba (1685-1708) il prit le nom de
royaume d’Abomey :
« Depuis ses origines, le royaume de Dahomey fut un état prédateur. Il conquit et
annexa plusieurs petits états. Dans ses guerres d’expansion, le Dahomey se heurta
aux peuples qui vivaient sur ses frontières septentrionales et orientales,
respectivement les Yoruba et les Mahi. Les habitants de ces régions étaient capturés
comme prisonniers de guerre et conduits à Abomey, la capitale. » (Obichere, 1978).
Ces captifs étaient vendus sur les nombreux marchés du royaume. Sur chacun
d’entre eux, un emplacement était réservé à ce commerce. Au total, et selon
Obichere (1978), dans l’ensemble du royaume, on en comptait une vingtaine. Ce
nombre est considérable par rapport à la superficie du Dahomey. Ces marchés
étaient semble-t-il quotidiens et ils existaient déjà quand les Européens reconnurent
le pays. Ils apparaissent bien comme étant le prolongement de pratiques
traditionnelles, non d’une innovation, mais d’une évolution du système.
Le royaume d’Abomey présentait la particularité d’avoir une organisation politique
centralisée autour d’un souverain au pouvoir absolu, idée qui est rendue par une
image : l’État, incarné par son roi était comme un récipient percé de trous. Aussi,
pour que le liquide ne s’en échappe pas, chaque sujet était un doigt qui en bouchait
un des trous. Au début du XVIIIe siècle le roi Agaja (1708-1728) rassembla les petites
principautés ceinturant son royaume, puis il entreprit d’entrer directement en relation
avec les négriers européens qui venaient acheter des esclaves à Ouidah ou à Porto
Novo. Le Dahomey mena alors une politique extrêmement habile, cherchant à couper
le royaume d’Oyo de ses débouchés maritimes, annexant l’une après l’autre les
petites principautés littorales qui étaient ses partenaires et ses relais. En 1725, le
royaume d’Oyo décida de réagir et il entra en guerre contre Abomey, sans toutefois
réussir à l’emporter véritablement. En 1730 les souverains des deux royaumes
acceptèrent un compromis consacrant le partage des circuits de traite ; cependant, le
royaume d’Abomey ne respectant pas ses engagements, Oyo, plutôt que de lancer
une nouvelle campagne militaire renforça ses liens avec le royaume de Porto Novo et
prit le contrôle de la route qui y conduisait. En 1747, le roi Tegbasu d’Abomey
s’empara de Ouidah. Dans la seconde partie du XVIIIe siècle, le royaume d’Oyo entra
en décadence au moment où ses possessions périphériques qui voulaient profiter
des retombées du commerce des esclaves commencèrent à s’éloigner de lui ce qui
provoqua sa désagrégation, d’autant plus qu’au siècle suivant, le rôle de Porto-Novo
diminua au profit de Badagri et de Lagos.

2. Un « commerce » à la rentabilité aléatoire


Les profits découlant de la Traite des esclaves ont-ils permis la révolution
industrielle européenne ? La substance arrachée à l’Afrique est-elle à
l’origine de la richesse de l’Europe11. La réponse est clairement négative et
cela pour deux grandes raisons :
– la première est que la traite ne constitua qu’une part infime du
commerce atlantique des puissances européennes. Ainsi, au
XVIIIe siècle, époque de l’apogée du commerce colonial britannique, les
navires négriers représentaient moins de 1,5 % de toute la flotte
commerciale anglaise et moins de 3 % de son tonnage (Eltis, 2000 :
269), ce qui fait dire à D. Eltis que :
« […] la traite constituait une part si infime du commerce atlantique des
puissances européennes que, même en imaginant que les ressources
employées dans la traite n’auraient pu être employées ailleurs, sa
contribution à la croissance économique des puissances européennes
aurait été insignifiante. » (Eltis, 1999 : 345)
– la seconde est que la rentabilité du commerce négrier pour les
Européens est à limiter. H. Thomas a ainsi calculé que sur 30
expéditions négrières parties de Nantes entre 1783 et 1790,16 permirent
aux armateurs de faire des bénéfices tandis que 14 furent déficitaires.
Sur 100 bateaux hollandais se livrant à la Traite durant la seconde
moitié du XVIIIe siècle, 41 firent des pertes, quant aux profits des 59
autres, ils furent en moyenne de 3 % avec un retour annuel sur
investissement de 2 % (Thomas, 2006 : 461-463). Dans le meilleur des
cas les profits des négriers français furent de 6 %, quant aux négriers
hollandais, les profits qu’ils réalisèrent entre 1730 et 1790 furent en
moyenne de 2,1 % (Pétré-Grenouilleau, 2004 : 318, 324). Si le
commerce colonial au sens le plus large, était rentable pour les
armateurs, il n’en allait donc pas de même du commerce négrier.
L’Angleterre n’a pas tiré sa richesse du commerce des esclaves. Chiffres
à l’appui David Richardson (1998 : 440-464) prouve ainsi que les bénéfices
de la Traite des Noirs ne généraient pas de bénéfices particulièrement élevés
et que l’entreprise étant particulièrement risquée, elle n’a pas attiré
massivement les investisseurs. De plus, ce ne furent pas les profits de la
Traite qui permirent l’industrialisation britannique puisque les bénéfices
tirés du commerce négrier ne représentèrent que moins de 1 % de tous les
investissements liés à la révolution industrielle d’Outre-Manche.
L’industrialisation de l’Angleterre ne reposa donc pas non plus sur la vente
des esclaves africains (Richardson, 1998 : 460-461). Certes, des fortunes
furent basées sur cet odieux commerce, mais les bénéfices doivent en être
relativisés puisqu’ils étaient de 8 à 10 % des investissements à la fin du
XVIIIe siècle. L’idée selon laquelle ces profits auraient permis le financement
de la révolution industrielle britannique est donc fausse. Le calcul est
simple : vers 1790, les sommes investies dans le commerce négrier étaient
légèrement supérieures à £ 1,5 million et elles générèrent des profits
s’élevant au maximum à £ 150 000 par an. À supposer qu’un tiers de ces
bénéfices ait été investi dans des activités nouvelles, soit £ 50 000, ils
représenteraient moins de 1 % de tous les investissements intérieurs liés à la
révolution industrielle. Richardson écrit donc que :
« […] la traite n’était en rien vitale pour le financement de la première
révolution industrielle britannique. » (Richardson, 1998)
D’ailleurs, en 1700, le produit brut de toutes les colonies esclavagistes
britanniques était à peine équivalent à celui d’un petit comté anglais (Pétré-
Grenouilleau, 2004 : 347) et l’ : […] apport du capital négrier dans la
formation du revenu national britannique dépassa rarement la barre de 1 %,
atteignant seulement 1,7 % en 1770 et en moyenne la contribution de la
traite à la formation du capital anglais se situa annuellement, autour de
0,11 % » (Pétré-Grenouilleau, 2004 : 339).
Si la révolution industrielle anglaise n’a pas été financée par le commerce
esclavagiste, en fut-il de même en ce qui concerne la France ?
Au XVIIIe siècle les esclavagistes français affirmaient que la traite était
nécessaire aux Antilles, que celles-ci étaient indispensables au commerce
colonial et que ce dernier était primordial pour l’économie française. Donc
la Traite était vitale pour la France. C’est en se basant sur ce syllogisme que
les historiens marxistes et leurs héritiers n’ont cessé d’affirmer que la
France avait bâti sa richesse sur la traite des esclaves. Or :
« […] dans le cas de la France, il suffit de constater que l’interruption
de la traite entre 1792 et 1815 pour cause de guerre maritime n’a pas
provoqué, loin s’en faut, la misère et la mort de cinq à six millions de
personnes comme les négriers l’avaient annoncé. » (Pétré-Grenouilleau,
2004 : 345)
Si les profits de la Traite avaient été à l’origine de la révolution
industrielle, comment expliquer, alors qu’à la fin du XVIIIe siècle le
commerce colonial français étant supérieur en volume au commerce
colonial anglais (Pétré-Grenouilleau, 2005 : 339), la France, à la différence
de l’Angleterre, n’ait pas fait sa révolution industrielle ? Plus encore, cette
dernière s’est effectuée bien plus tard, dans la seconde partie du XIXe siècle,
donc bien après l’abolition de l’esclavage, et qui plus est, dans l’Est,
notamment en Lorraine, dans la région lyonnaise ainsi que dans le Nord, et
non à Bordeaux ou à La Rochelle. Pas davantage que la révolution
industrielle anglaise, la révolution industrielle française ne s’explique donc
par la Traite12.

3. Démographie africaine et traite négrière


Quelles furent les conséquences des 27 233 expéditions négrières qui se
firent entre 1595 et 1866 (Pétré-Grenouilleau, 2004 : 163) sur la
démographie africaine ? Poser cette question revient à nous interroger sur le
volume de la traite atlantique, donc du nombre d’Africains arrachés à
l’Afrique.
Les premières estimations globales ont été faites par Ph. Curtin (1969).
Elles ont ensuite été précisées notamment par P. E. Lovejoy (1993) et par
D. Richardson (1989) qui ont particulièrement étudié les pertes en mer.
Jusqu’au début du XVIIIe siècle, ces dernières sont évaluées à environ 20 %
du nombre des esclaves transportés ; à la fin du siècle à environ 10 %, pour
tomber à 5 % au XIXe siècle. Pour ce qui est du seul domaine anglais,
Richardson (1998 : 454) écrit que la mortalité en mer des esclaves fut forte
jusque vers 1680 pour atteindre une moyenne de 10 % dans la seconde
moitié du XVIIIe siècle. Puis elle baissa à nouveau à partir de 1788 en raison
du Dolben Act qui imposait des règles d’hygiène à bord des navires négriers
ainsi que la diminution du nombre de captifs transportés.
Au total, sur les 3,4 millions d’Africains embarqués à bord des navires
anglais de 1662 à 1807, environ 450 000, soit 13,2 % moururent durant le
voyage. Paradoxalement, ces pertes étaient voisines et parfois même
inférieures à celles subies par les équipages car :
« La traite demande et consomme des marins et des capitaines – et ici le
verbe consommer prend toute sa force : beaucoup meurent à la traite, en
moyenne 20 % de l’effectif d’un équipage, statistiquement davantage
que la cargaison noire ». (Renault et Daget, 1985 : 87)
Marcus Rediker qui s’est attaché à raconter le quotidien des équipages et
des captifs à bord de navires négriers (2007), explique bien comment les
marins européens, souvent des laissés-pour-compte embarqués contre leur
gré, étaient à ce point victimes des maladies tropicales (malaria ou fièvre
jaune), sans parler du scorbut que durant la première année de leur vie à la
mer, plus de la moitié d’entre eux mourrait durant les expéditions.

La querelle des chiffres


La première estimation sérieuse du volume de la traite atlantique date de 1966,
quand D. Fage (1966) écrivait que la Traite à destination de l’Amérique avait arraché
à l’Afrique entre 10 et 15 millions de Noirs soit :
– 900 000 au XVIe siècle ;
– 2 750 000 au XVIIe siècle ;
– 7 millions au XVIIIe siècle ;
– 4 millions au XIXe.
Trois ans plus tard, Ph. Curtin (1969) publia une autre estimation, inférieure celle-là à
12 millions d’esclaves et il proposait la périodisation suivante :
– de 1450 à 1600, moins de 200 000 Noirs ;
– de 1600 à 1700, 2 millions ;
– de 1700 à 1810, 7 millions ;
– de 1810 à 1870, 2 millions.
Pour en finir une fois pour toutes avec les évaluations fantaisistes, maximalistes ou
minimalistes, Curtin était parti d’un chiffre réel, le seul indiscutable, celui des esclaves
débarqués en Amérique. Les chiffres qu’il avançait constituaient donc la première
estimation sérieuse de la Traite. Depuis 1969, de très nombreuses publications ont
été consacrées à cette question et nombre de correctifs apportés au fur et à mesure
de la publication de nouvelles sources. Tous ayant été intégrés, l’estimation du
volume global de la traite atlantique fait aujourd’hui l’objet d’un consensus de la part
des historiens qui admettent le chiffre de 11 millions, plus ou moins 500 000 esclaves
arrachés à l’Afrique par cette Traite (Pétré-Grenouilleau, 2004 : 147 ; Thomas, 2006 :
935).

La question des effets de la Traite sur la démographie africaine est


toujours ouverte, même si l’image d’une Afrique dépeuplée au profit des
colonies américaines ne semble plus devoir être soutenue et cela pour deux
principales raisons :
1. d’abord, parce que les prélèvements humains ne se sont pas toujours
opérés au même moment. Ainsi, la Sénégambie et les régions de Haute
Guinée, importantes aux XVIe et XVIIe siècles, déclinèrent-elles dès la fin
du XVIIe siècle ;
2. ensuite, parce que les plus grosses zones de traite sont aujourd’hui
parmi les régions les plus densément peuplées d’Afrique. Ainsi, au
XVIIIe siècle, la traite non portugaise s’effectua-t-elle dans la zone des
actuels États du Ghana, du Dahomey, du Togo et du Cameroun, c’est-à-
dire la Gold Coast et la Côte des Esclaves, englobant tout le delta du
Niger. Or, il s’agit des terres ibo, yoruba, akan et ewe. Si elles avaient
été vidées par la Traite, à la fin du XIXe siècle les colonisateurs auraient
dû se trouver face à des déserts humains, ce qui ne fut pas le cas13.
En 1980, Yves Person, titulaire de la chaire d’histoire de l’Afrique à la
Sorbonne, provoqua une puissante polémique quand il écrivit que,
localement, au lieu de vider des régions de leur population, la traite avait
plutôt « épongé » l’excédent d’une population en croissance. Selon lui, cette
croissance s’expliquait par l’introduction des plantes américaines par les
Portugais, plantes, comme le manioc, le maïs et les haricots qui
révolutionnèrent la vie alimentaire des Africains. Après lui, Hugh Thomas
(2000) a montré que la traite n’eut en définitive que peu d’effets sur le bilan
démographique global de l’Afrique. La plus grande partie du continent y
échappa en effet et les plantes américaines firent plus que compensé ses
effets négatifs, provoquant même un considérable essor démographique dès
les XVIe-XVIIe siècles, ce qui lui permet d’écrire :
« La population de l’Afrique de l’Ouest était probablement de l’ordre
de 25 millions au début du XVIIe siècle, avec un taux de croissance de 17
pour 1 000. La Traite qui prélevait 0,2 % de la population par an n’a pu
avoir pour effet maximum que de ralentir son augmentation » (Thomas,
2006).
La traite ne provoqua donc pas le dépeuplement de l’Afrique, mais en
modifia parfois la répartition. John Illife a résumé cette réalité d’une phrase
choc en écrivant que la ponction humaine opérée par la Traite fut pour
l’Afrique « un désastre démographique, mais pas une catastrophe : les
Africains survécurent » (Illife, 2002 : 201).

4. L’Abolition
Quelles furent les causes de l’abolition14 ? Durant la première moitié du
XXe siècle, les historiens admettaient que l’abolition de la traite par le
Parlement britannique en 1807, puis de l’esclavage en 1834, résultait de
l’action d’un puissant mouvement philanthropique abolitionniste à base
religieuse incarné notamment par la Société anti-esclavagiste de William
Wilberforce.
Cette explication a ensuite été combattue par Eric Williams, qui,
s’inspirant des travaux de Lowell Ragatz (1928), soutenait que si l’abolition
s’était faite, ce n’était pas par prise de conscience morale, mais parce que
l’économie sucrière étant moribonde, les capitalistes avaient décidé de
placer leurs capitaux dans d’autres domaines plus rentables, notamment en
Asie. En effet, et toujours selon Williams, la monoculture de la canne à
sucre avait épuisé un sol pauvre et fragile et les plantations n’étaient plus
rentables.

L’Abolition
La fin de la traite n’a pas entraîné la fin de l’esclavage. C’est en France que l’abolition
de l’esclavage est votée et cela en 1794 (loi du 16 Pluviôse an II) par la Convention.
Le mouvement avait été préparé par le courant philanthropique réuni dans la Société
des Amis des Noirs (Dorigny et Gainot, 1998), fondée en 1788 et dont les figures de
proue étaient Condorcet, Jean-Baptiste Say et l’abbé Grégoire (Dieng, 2000). En
1791 le Code noir qui faisait de l’esclave un bien meuble avait été aboli et en 1792, la
citoyenneté reconnue aux noirs libres. Le décret consulaire du 30 floréal an X rétablit
à la fois l’esclavage et la traite. Puis, en 1815, durant les Cent jours, l’empereur
supprima la traite par décret. L’Angleterre et les États-Unis d’Amérique firent de
même en 1807. Quant à l’abolition de l’esclavage, elle se fit plus tardivement puisqu’il
fallut attendre 1834 pour l’Angleterre, 1848 pour la France et 1865 pour les États-
Unis d’Amérique15. En 1815, le Congrès de Vienne avait aboli la Traite mais avait
laissé chaque pays mettre en pratique son application.

La thèse de Williams qui eut la faveur des historiens durant la période de


domination marxiste sur les études universitaires africanistes servit
largement de support à la lutte anti-coloniale des années 1950-1960, et il
fallut attendre les années 1970 pour que son argumentation soit solidement
combattue (Anstey, 1968 : 307-321 ; Drescher, 1977). Puis, en 1998 fut
publié le tome II de l’Oxford History of the British Empire dans lequel deux
chapitres, rédigés l’un par J.R. Ward (1998 : 415-439) et l’autre par
D. Richardson (1998 : 440-464), achevaient de réduire à néant les
arguments de Williams et de ses héritiers.
J.R.Ward démontrait ainsi que l’abolition n’avait pas été décidée pour
une raison économique car au moment de la suppression de l’esclavage,
jamais les exportations des Antilles britanniques n’avaient été aussi
importantes. Loin d’être sur le déclin, les plantations étaient au contraire au
maximum de leur production et de leur rentabilité ; et cela pour plusieurs
raisons :
– une nouvelle variété de canne de meilleur rendement avait été
introduite ;
– de nouvelles techniques permettaient une meilleure production,
notamment par l’amélioration du broyage des cannes et du raffinage de
la mélasse ;
– l’élevage qui avait été développé produisait un fumier permettant une
plus grande fertilisation des sols ;
– preuve supplémentaire que les îles n’étaient pas en déclin économique,
au moment de l’abolition, leur commerce nécessitait la moitié de la
flotte marchande britannique et il représentait environ 1/8e des recettes
de l’État britannique.
Contrairement à ce que postulait Williams, l’historiographie actuelle
privilégie donc à nouveau le rôle de la pression de l’opinion publique et des
sociétés anti-esclavagistes européennes sur les causes de l’abolition
(Drescher, 1993).

B. Les traites arabo-musulmanes (VIIe-XXe siècles)16


Les traites arabo-musulmanes durèrent plus de mille ans. Elles
précédèrent dans le temps la traite européenne (Gordon, 1987 ; Heers,
2003 ; N’Diaye, 2008), et elles lui survécurent. Elles débutèrent
au VIIe siècle ap. J.-C., pour s’achever à l’extrême fin du XIXe siècle et
même, dans certaines zones reculées de la Corne de l’Afrique, au début du
XXe siècle17.
La traite arabo-musulmane présentait quatre grandes différences avec la
traite européenne :
1. elle s’est exercée dans d’autres régions18 puisque ses grandes zones
d’extension furent le Sahel, la région du haut-Nil, l’Afrique centrale et
orientale ;
2. les Européens ne participaient pas aux opérations de chasse à l’esclave,
alors que les Arabo-musulmans y étaient régulièrement directement
impliqués ;
3. la traite européenne portait avant tout sur des hommes en état de
travailler sur les plantations tandis que la traite musulmane d’abord, et
semble-t-il, sur les jeunes filles et les jeunes enfants ;
4. au XIXe siècle, l’abolition décidée unilatéralement par les Européens ne
concerna pas les Arabo-musulmans. Depuis la Libye, au Nord, ou
depuis Zanzibar, à l’Est, des caravanes organisées militairement
continuèrent ainsi à dévaster des régions entières de l’Afrique sud-
saharienne.

Les commerces des eunuques, une particularité de la


traite arabo-musulmane
Les jeunes garçons africains étaient régulièrement émasculés pour fournir les
eunuques gardiens des harem. Le Bornou, le pays haoussa et le Soudan étaient les
principaux « producteurs » d’eunuques. L’évaluation du nombre de jeunes gens19
mourant des suites de la mutilation qu’ils subissaient est problématique. Charles
Gordon, qui fut gouverneur de Khartoum estimait qu’un seul garçon mutilé sur 200
survivait. Cette évaluation ne semble pas exagérée car la malheureuse victime se
voyait :
« […] retirer l’appareil génital au complet, verge et testicules. Après la castration, les
opérateurs introduisent dans le canal urinaire une tige de plomb que le mutilé sort
au moment d’uriner jusqu’au jour où la cautérisation est achevée […] le nombre de
ceux qui y laissaient la vie était de loin supérieur au nombre de ceux qui en
réchappaient, essentiellement faute de soins et d’hygiène, l’opération touchant des
centres vitaux ; il fallait compter une dizaine d’eunuques “réussis” pour quatre-vingt-
dix “perdus” ». (Chebel, 2007 : 81-82)
Ces procédés de castration entraînaient une mortalité considérable ce qui faisait que
le prix des eunuques était très élevé :
« Un (notable) de Kano acheta par exemple, douze eunuques en livrant dix
chevaux. Quand on sait d’autre part que le cheval s’échangeait habituellement pour
une quinzaine d’esclaves ordinaires, cette opération attribuait aux eunuques une
valeur douze fois supérieure à ces derniers. » (Renault ; Daget, 1985 : 59)

La traite musulmane a concerné trois vastes régions de l’Afrique noire, le


monde saharo-soudanais, la région du haut-Nil et l’Afrique centrale et
orientale.

1. La traite saharienne20
La première région touchée fut l’Afrique de l’Ouest sahélienne. Ici, le
commerce des esclaves était une composante des échanges transsahariens
qui mettaient en relation l’Afrique du Nord et l’Afrique sud saharienne
(Renault, 1982 : 163-181).
Cette pratique dura jusqu’au début du xxe siècle. En 1895, les Fulbé,
Peuls islamisés, dévastaient encore tout l’est du Tchad actuel, s’emparant de
milliers de captifs. Dans cette partie de l’Afrique sahélienne, la paix ne
revint qu’avec la mort du chef esclavagiste Snoussou, tué dans un combat
contre les troupes françaises en 1911. En général, ici, les Arabo-musulmans
ne capturaient pas directement les esclaves ; des tribus armées le faisaient à
leur place. Peu à peu, des États organisés, appuyés sur des ethnies
spécialisées, organisèrent les razzias. Le XIXe siècle nous a laissé de
nombreux témoignages se rapportant à ce commerce et aux razzias qui
l’alimentaient. Les Écossais Mungo Park (1771-1806) et Hugh Clapperton
(1799-1838) ou encore l’Allemand Gustav Nachtigal (1834-1885) ont décrit
les dévastations opérées par les esclavagistes. En général, les hommes
étaient décapités, les femmes et les enfants emmenés en esclavage à travers
les pistes sahariennes. En 1822, Clapperton et Denham suivirent durant cinq
jours des esclavagistes ramenant vers le Nord leur butin humain et ils
rapportèrent que la marche de la caravane était jalonnée de dizaines de
cadavres enchaînés.

2. L’Égypte et la mer Rouge


En mer Rouge, le commerce des esclaves fut également florissant.
Périodiquement, les Arabes y organisaient des razzias. L’installation de la
Grande-Bretagne à Aden en 1839, celle de la France à Obock en 1862, puis
à Djibouti en 1884 contribuèrent à freiner la traite. Dans l’intérieur, les
razzias se poursuivirent néanmoins puisque, en 1888, sur le seul marché de
Médine, en Arabie, 5 000 esclaves noirs furent vendus21. Ces captifs
venaient en partie des régions périphériques de l’Éthiopie, et notamment du
sud de l’empire où la traite était encore importante à la veille du premier
conflit mondial.
Durant la première moitié du XIXe siècle, l’Égypte avait développé une
politique impérialiste en mer Rouge et en Nubie ; la ville de Khartoum avait
été fondée en 1830 et des comptoirs créés vers le Sud. L’ivoire et les
esclaves constituaient la base du commerce, dont l’axe était le Nil. Dans les
principales villes d’Égypte se tenaient des foires où des marchands
spécialisés proposaient des Noirs aux acheteurs venus de tout le Moyen-
Orient. En 1883, 32 « traitants d’esclaves » furent découverts au Caire
(Renault, 1971, t. II : 33).
Les principales zones de « chasse » des esclavagistes furent le Bahr el
Ghazal, la région de Fachoda, et celle de l’Equatoria. Il s’agit du nord du
lac Albert et plus généralement des régions peuplées par les populations
nilotiques parlant des langues du groupe Nil Sahara et dont les femmes
étaient particulièrement recherchées pour leur beauté.

Les marchés aux esclaves au Caire


Aux XVIe et au XVIIe siècle, Le Caire et Alexandrie recevaient des esclaves de toute
l’Afrique sud-saharienne et des marchands spécialisés les proposaient à la vente.
Nous disposons de nombreuses descriptions de ces marchés. Celle qui suit est datée
de 1581 :
« Il y a deux ou trois rues (au Caire) où se vendent les pauvres esclaves chrétiens,
où j’en ai vu plus de quatre cents pour un coup, la plupart desquels sont noirs qu’ils
dérobent sur les frontières du prêtre Jean (Éthiopie nda). Ils les font ranger par
ordre contre la muraille, tous nus, les mains liées par derrière, afin qu’on puisse
mieux les contempler, et voir s’ils ont quelque défectuosité, et avant que de les
mener au marché, ils les font aller au bain, leur peignent et tressent les cheveux
assez mignardement, pour les mieux vendre, leur mettent bracelets et anneaux au
bras et aux jambes, des pendants aux oreilles, aux doigts et au bout des tresses de
leurs cheveux ; et de cette manière, ils sont menés au marché et maquignondés
comme chevaux. Les filles, à la différence des garçons, ont seulement un petit linge
au tour pour couvrir leurs parties honteuses : là est permis à chacun de les visiter et
manier devant et derrière, de les faire marcher et courir, parler et chanter, regarder
aux dents, sentir si leur haleine n’est point puante : et comme on est prêt de faire
marché, si c’est une fille, ils la retirent seulement un peu à l’écart, qu’ils couvrent
d’un grand drap, où elle est amplement visitée en présence de l’acheteur par des
matrones à ce commises pour connaître si elle est pucelle. Cela étant, elle vaut
davantage. » (Cité par Renault et Daget, 1985 : 42)

Dans ces régions qui furent longtemps au cœur de la confrontation entre


le monde arabo-musulman et le monde africain noir, puisqu’il s’agit du Sud
Soudan, les témoignages laissés par les voyageurs européens sont précis et
détaillés. L’Allemand Georg Schweinfurth (1836-1925) qui parcourut ces
régions de 1868 à 1871 décrivit les villages incendiés, les cadavres
d’hommes en décomposition, seuls les garçons et les filles avaient été
capturés par les Arabes. La résistance des Shilluk dont le cœur territorial
était Fachoda est mentionnée. Ils se soulevèrent en 1860, en 1868 et en
1874-1875 et les représailles égyptiennes furent sévères. Fachoda devint
ainsi un marché aux esclaves sur lequel nombre de Shilluk furent vendus.
Vers le Sud, dans l’Equatoria, nous disposons notamment du témoignage
de Samuel Baker (1821-1893) sur les razzias arabes dépeuplant la région. Il
en est de même des récits de Livingstone ou de Stanley plus au Sud.
L’Europe se mobilisa contre ces pratiques et, cédant devant la poussée
internationale, le khédive d’Égypte Ismaël (1830-1895), voulant montrer
qu’il était de bonne foi et qu’il voulait sincèrement la fin de la Traite,
nomma des résidents européens au Soudan. Déjà, en 1869, l’Anglais
Samuel Baker avait conquis la région de l’Equatoria dont il avait été
nommé gouverneur. En 1877, un autre Anglais, Charles Gordon, fut nommé
gouverneur général du Soudan. En juillet 1879 également, l’Autrichien
Slatin s’installa au Darfour. En 1878, l’Allemand Edouard Schnitzer (Emin
Pacha), fut nommé gouverneur de la province égyptienne de l’Equatoria.
Plus au Sud, dans la région interlacustre, le contact avec les musulmans
s’opéra différemment au Nord et au Sud. C’est ainsi que le Bunyoro et le
Buganda furent soumis à une double influence, l’une venue du Nord
égyptien et l’autre de l’est zanzibarite tandis que le reste de la région
interlacustre n’a connu que l’influence zanzibarite (Gray, 1957 : 226-246).
Ici, le commerce de l’ivoire fut, semble-t-il, plus important que celui des
esclaves22.

3. Zanzibar et l’Afrique orientale


La traite zanzibarite ravagea toute une partie de l’Afrique orientale et
centrale, depuis le nord de l’Ouganda jusqu’au Mozambique, et de l’océan
Indien au fleuve Congo. Elle est connue grâce aux nombreux témoignages
laissés par des voyageurs européens. Les plus détaillés sont ceux de Richard
Burton (1821-1890) qui parcourut la région du lac Tanganyika de 1857 à
1859 ; de David Livingstone (1813-1873) qui fit deux voyages en Afrique
centrale, le premier de 1858 à 1864 et le second de 1866 à 1873 ; de Verney
Cameron (1844-1894) qui traversa ces régions du 1873 à 1876 et Stanley de
1871 à 1890, etc.
À partir du XVIIIe siècle, le commerce des esclaves était devenu, avec
celui de l’ivoire, l’élément principal du commerce zanzibarite qui connût
une extension particulière à partir de 1811, date de la création d’un marché
aux esclaves sur l’île même23. En 1832 la capitale du sultanat de Mascate
fut transférée à Zanzibar et le sultan Seyid Said (1804-1856), y résida
désormais. Quelques années auparavant, il avait fait introduire la culture du
giroflier à Zanzibar et dans ses autres possessions insulaires d’Afrique de
l’Est. Cette culture nécessitant une importante main-d’œuvre, l’importation
d’esclaves noirs depuis le continent avait alors augmenté (Renault, 1971,
t. II ; Marissal, 1976, 1978).
En 1856 Seyid Majid succéda à son père Seyid Saïd, mais son frère aîné,
Seyid Hamed bin Thuwein qui était à ce moment-là à Mascate contesta ses
droits. Le gouvernement britannique qui était bien disposé à l’égard de
Seyid Saïd constitua alors une commission dirigée par lord Canning afin de
régler le contentieux entre les deux frères. En 1861, elle rendit un jugement
« à la Salomon », décidant que le royaume serait coupé en deux, Seyid Saïd
devenant sultan de Zanzibar et de ses dépendances, tandis que Thuwein
régnerait sur Mascate24. L’île de Zanzibar qui jusque-là faisait partie du
sultanat d’Oman devint donc pleinement indépendante.
Présents sur le littoral depuis des siècles, les Arabes n’avaient jusque-là
pas cherché à pénétrer dans l’intérieur des terres. Jusqu’aux années 1830-
1840, ils n’eurent pas l’initiative des contacts et ils n’exercèrent aucun
contrôle sur les voies de communication avec la région des grands lacs. Les
Yao du Mozambique septentrional, les Kamba de l’actuel Kenya et surtout
les Nyamwezi vivant au sud du lac Victoria détenaient alors le monopole
commercial.
Durant la première moitié du XIXe siècle, un changement considérable se
produisit dans la mesure où les Arabes de Zanzibar décidèrent de
« remonter » les trois pistes qui conduisaient vers l’intérieur. Elles furent
alors les pénétrantes de leur impérialisme. En 1830, le comptoir de Tabora
fut créé sur un point de passage obligé vers les lacs Victoria et Tanganyika.
Ce dernier fut atteint en 1840 et le port d’Ujiji y fut fondé. En 1844, les
premiers Arabes arrivèrent à la cour du Buganda.
Des métis arabo africains se taillèrent ensuite de vastes empires dans le
bassin du fleuve Congo. Parmi eux, Hamed ben Mohamed el-Murjebi, dit
Tippo-Tip (± 1835-1905), né et mort à Zanzibar, appartenait à une famille
commerçante de Mascate installée en Afrique orientale25. Il fut le maître
d’un immense empire commercial dans le bassin du Congo où il exploitait
esclaves et morfil (ivoire brut). En 1887, le sultan Seyid Bargash le nomma
Wali (gouverneur ou préfet) de toute la région des Stanley Falls avec
résidence à Nyangwé, comptoir fondé en 1860, sur la rive droite du fleuve
Lualaba26.
Une fois capturés et vendus aux Arabes, les Noirs étaient divisés en deux
lots : quelques-uns demeuraient dans l’intérieur du continent comme
esclaves dans les comptoirs arabes, tandis que la grande majorité prenait le
chemin de l’océan Indien.
Dans les caravanes, les captifs étaient liés entre eux, les femmes et les
enfants à l’aide de simples cordages, les hommes enchaînés par groupes de
10 à 20. Durant la marche vers l’Océan, ceux qui ne pouvaient pas suivre
étaient abattus. Le voyage durait de deux à trois mois et durant cet
interminable trajet, les pertes étaient énormes. La description des
souffrances des captifs est parfois à peine croyable. Durant des semaines,
Livingstone (1876), croisa ainsi les caravanes venant d’Afrique centrale. En
1869, ce furent celles du Maniéma qu’il rencontra, avec leurs centaines de
captifs enchaînés portant des défenses d’éléphant. À l’arrière, les femmes et
les enfants suivaient.
Livingstone fut véritablement le premier européen à observer et à
dénoncer en profondeur l’esclavage zanzibarite et les ravages exercés par
ses réseaux dans l’intérieur du continent. Ses récits provoquèrent
l’indignation en Grande Bretagne et ils permirent la naissance du
mouvement anti esclavagiste et l’envoi des premières missions dans la
région du lac Nyassa (Malawi). Il avait une idée originale : comme le
continent n’était pas occupé par les Européens qui étaient les seuls à
pouvoir mettre un terme à la traite, et comme les gouvernements ne
voulaient pas se lancer dans une conquête libératrice, il fallait donc attirer
les commerçants européens au cœur de l’Afrique où leur seule présence
ferait cesser l’odieux trafic des hommes. Certes, mais comment les y faire
venir ? En créant un commerce licite permettant d’ouvrir l’intérieur par des
explorations préparant la voie au commerce et à la christianisation. Le seul
problème était que le continent ne recelait alors aucune richesse susceptible
de pousser des commerçants européens à y risquer une mort assurée.
Les captifs étaient « exportés » depuis de nombreux ports du littoral de
l’Afrique orientale, le plus souvent à destination de l’île de Zanzibar. Du
continent, ils étaient transportés sur des boutres pouvant contenir de 150 à
200 hommes accroupis, pour un voyage qui durait de 24 heures à 3 jours.
Pour chaque esclave débarqué, le capitaine du boutre devait acquitter un
droit de douane et c’est pourquoi les malades ou les mourants étaient
précipités à l’eau. En 1859, Burton constata que ce droit d’entrée était
variable selon l’ethnie de l’esclave, de un à trois dollars par individu. Pour
chaque esclave, la taxe que devaient acquitter les capitaines des boutres
arabes était une pièce d’argent, le thaler frappé en Autriche à l’effigie de
l’impératrice Marie-Thérèse et qui faisait office de monnaie officielle, non
seulement à Zanzibar même, mais encore dans tout l’océan Indien et sur le
littoral de l’Afrique orientale.
Tirant l’essentiel de ses revenus de la vente des esclaves, le sultan de
Zanzibar avait constitué un corps de fonctionnaires chargé de tenir un
compte précis du nombre de captifs débarqués sur son île. Grâce aux
registres des perceptions douanières, nous savons qu’entre 600 000 et
740 000 esclaves furent vendus sur le seul marché de Zanzibar entre 1830 et
1873, date de sa fermeture, soit ± 20 000 esclaves par an. Mais ces chiffres
qui ne valent que pour le commerce officiel de Zanzibar ne tiennent
évidemment pas compte de la contrebande. Ils ne concernent pas non plus
les activités des nombreux ports du littoral qui commerçaient directement
avec le monde musulman. Jacques Marissal considère que pour un esclave
vendu sur le marché de Zanzibar, quatre ou cinq périssaient en route ou lors
de leur capture. La mortalité provoquée par ce seul circuit commercial
aurait donc pu s’élever à plus de 3 millions de morts en quarante-cinq ans,
chiffres qui, rappelons-le, ne portent que sur Zanzibar (Marissal, 1970)27.
Avant de passer par l’étape obligée du marché de Zanzibar, les esclaves
devaient récupérer les forces perdues depuis leur capture. Ils donc étaient
engraissés et lavés puis, lorsqu’ils étaient jugés « présentables », ils étaient
conduits sur le marché qui était quotidien et qui se tenait à partir de
16 heures. La vente se faisait en procession. En tête marchait le vendeur
avec ses crieurs qui vantaient la qualité des hommes, des femmes et des
enfants présentés. Lorsqu’un spectateur était attiré par l’un d’entre eux, la
procession s’arrêtait et celui qui avait suscité l’intérêt de l’éventuel acheteur
était examiné en détail.
La lutte contre ces pratiques fut longue et difficile. En 1822, les
Britanniques imposèrent au sultan Seyid Saïd, la limitation du commerce au
littoral de l’Afrique orientale, au golfe Persique et à l’Arabie. Réalistes, ils
avaient bien conscience qu’ils n’avaient pas les moyens de mettre un terme
à la traite sans une installation, sans une occupation territoriale effective.
C’est pourquoi, durant plus de soixante années, ils hésitèrent à franchir le
pas, freinant, ralentissant, tentant de contrôler puis de contenir la traite sans
jamais avoir la possibilité de l’interrompre. Ils procédèrent par étapes.
Ainsi, le 2 octobre 1845, le traité Hamerton, signé par Seyid Saïd,
interdisait l’exportation d’esclaves hors des possessions africaines du
sultan. Une tolérance était prévue pour la main-d’œuvre des plantations de
girofliers.
La marine britannique n’avait guère les moyens de contrôler l’application
du traité par les Zanzibarites. De 1867 à 1869, sur 37 000 esclaves exportés
au mépris du traité Hamerton, seuls 2 600 furent interceptés et libérés par
les Britanniques (Renault, 1971, T. I), ce qui donne une indication du
volume réel de la traite. En 1871, le gouvernement de Londres ordonna à la
marine britannique d’instaurer un blocus provisoire de l’île de Zanzibar. En
1873, Sir Bartle Frère et le consul John Kirk imposèrent à Seyid Bargash,
sultan depuis 187028, la fermeture du marché de Zanzibar et l’abandon de la
traite mais elle fut poursuivie à l’intérieur du continent où elle ne recula que
sous l’action des missions religieuses.
Les protestants de la Church Missionary Society fondèrent leur première
mission en 1844, à Mombasa et en 1862 et en 1873, les Pères du Saint-
Esprit s’installèrent à Zanzibar et à Bagamoyo. Mais le mouvement
missionnaire prit toute son ampleur avec les Missionnaires d’Afrique ou
Pères Blancs du cardinal Lavigerie qui arrivèrent en Afrique orientale en
1878. Les esclavagistes furent également traqués par les associations
privées, dont l’Association internationale pour l’exploration et la
civilisation de l’Afrique Centrale qui mit sur pied des expéditions destinées
à bâtir des postes aux carrefours des pistes empruntées par les caravanes.
C’est ainsi que Karema et Mpala furent fondés sur le lac Tanganyika
(Heremans, 1966). C’est encore cette association qui envoya Stanley créer
des stations sur le fleuve Congo.
La lutte contre la traite fut donc largement le résultat d’une mobilisation
philanthropique et elle déboucha en partie sur la colonisation de l’Afrique,
mais il fallut parfois que les puissances coloniales mettent sur pied des
expéditions militaires pour venir à bout des traitants. Sur le lac Victoria, les
Allemands durent ainsi livrer de véritables batailles navales. Au Congo, et
nous l’avons vu, les Belges furent contraints d’organiser des campagnes
contre les trafiquants. Sans la conquête coloniale, des millions de Noirs
auraient continué à prendre le chemin des marchés d’esclaves de Zanzibar
puis de ceux du Caire, d’Alexandrie, de Mascate ou d’ailleurs.

La vision des Africains par Tippo Tip


« Les hommes blancs se font des idées bien fausses sur nos coutumes et sur nos
mœurs. Tout ce qui n’existe plus chez eux-mêmes de date récente – ils ont la
prétention de l’abolir immédiatement chez les autres ! […] Dans le fait, quelle
différence y a-t-il entre un esclave et un domestique ? Ce dernier est libre et quitte
son maître quand il lui plaît. Mes esclaves, eux, n’auraient garde de me quitter. Ils
sont trop contents de leur sort ! Si j’étais injuste à leur égard, ils fuiraient peut-être…
Mais à quoi cela leur servirait-il ? À retomber sous la domination de leurs pareils, à
être vendus de nouveau, maltraités, tués peut-être et à devoir travailler deux fois
plus qu’auparavant […] Il n’y a pas de manque de dignité à passer du joug
abominable d’un tyran nègre, sous la tutelle protectrice d’un Arabe auquel sa
religion commande la bienveillance et la justice. Nous sommes très fraternels pour
les nègres, puisque nous élevons nos enfants avec les leurs, et plus paternels
assurément, que vous autres avec vos laquais ! […] Si nous achetons des hommes,
c’est qu’on nous offre de nous les vendre et que nous ne pourrions pas nous les
procurer autrement. Et il vaut mieux pour eux, qu’ils tombent entre nos mains
qu’entre celles des tribus ennemies – toutes le sont – qui les massacrent, les
épuisent et les abrutissent. Si vous appelez sujétion arbitraire, l’obligation de
travailler pour le nègre, naturellement fainéant, et qui préfère voler son pain à le
gagner honorablement, je me permettrai de demander où vous placez votre
moralité.[…] La traite existe toujours à l’intérieur, et c’est l’Africain, même, qui ne
veut pas qu’on la supprime. Il se vendrait lui-même si on l’émancipait !
L’indépendance, pour lui, n’est autre chose que la licence, le vol, le brigandage, la
folie et aussi la misère la plus invétérée. Nous ne nous entendrons jamais sur cette
question-là. » (Tippo Tip à Jérôme Becker, Tabora, 1881, cité par Renault, 1987 :
328-329)

Quelle fut l’ampleur réelle des traites arabo-musulmanes ? La réponse est


impossible à donner car les esclavagistes arabo-musulmans n’ont pas laissé
d’archives à l’image de celles des ports négriers ou des compagnies
coloniales européennes.
Selon Austen (1979 : 66-68), entre leurs débuts et les années 1700, les
traites arabo musulmanes auraient porté sur plus ou moins
8 430 000 individus. Ces chiffres qui ne tenaient pas compte des traites
postérieures et notamment pas des importants fluxs du XIXe siècle dans les
régions nilotiques et en Afrique orientale furent ensuite révisés par l’auteur
selon lequel, au total, de leurs débuts à 1920, ces traites auraient porté sur
17 millions d’individus (Austen, 1987 : 275). Selon Renault et Daget
(1985 : 210), au XIXe siècle, la seule traite orientale aurait porté sur
1 500 000 individus. Pour ce qui est uniquement des points
d’embarquement situés sur le littoral des actuels Kenya et Tanzanie, les
travaux de Martin et Ryan (1977 : 71-91) donnent un chiffre de 1 120 000
esclaves.
Nous ignorons quels furent les effets de la traite arabo-musulmane sur la
démographie sud-saharienne car, là encore, nous ne disposons pas de
chiffres fiables29.

1. O. Pétré-Grenouilleau donne les chiffres suivants : traite atlantique ou traite européenne,


11 millions d’individus (2004 : 147) ; traite interne ou inter-africaine, 14 millions d’individus
(2004 : 185-186) et traites arabo-musulmanes, 17 millions d’individus pour la période 650 à 1920
(2004 : 147-148), soit au total 42 millions d’esclaves.
2. Notamment par les travaux pionniers de Philip Curtin (1969) aux États-Unis, par ceux de Serge
Daget (1985) et de François Renault (1990) en France, par la publication de The Oxford History of
the British Empire, sous la direction de Roger Louis, et par la somme d’Olivier Pétré-Grenouilleau
(2004).
3. Cette question fut traitée par Lugan (1990 : 128-142).
4. Pour Madagascar, Bourbon et l’île Maurice, voir Filliot (1974).
5. Ou traite arabo-musulmane.
6. Références bibliographiques non indiquées par l’auteur.
7. Marcus Rediker (2007) revient sur les quelques témoignages d’esclaves capturés dont on dispose.
Il parle ainsi naturellement du plus connu d’entre eux, Olaudah Equiano, mais aussi de Hyuba
Boon Salumena, fils d’un chef musulman de haute-Guinée vendu par des négriers anglais alors que
lui-même se livrait au trafic des esclaves. Ou encore de cette captive anonyme capturée dans son
village natal et plusieurs fois vendue et revendue, passant d’intermédiaire en intermédiaire jusqu’à
son arrivée à la côte où elle entra en contact avec les négriers blancs qui l’embarquèrent à bord de
leur navire d’où elle réussit à s’échapper avant d’être reprise par d’autres Africains qui la remirent
aux marins. Randy S. Sparks (2004) relate l’aventure de deux marchands d’esclaves originaires de
la baie de Biafra et pourtant vendus par des Anglais qui les transportèrent aux Amériques où ils
réussirent à obtenir leur liberté après s’être convertis au protestantisme avant de retourner en
Afrique pour y reprendre le commerce des esclaves !
8. Les sociétés africaines étaient quasiment toutes esclavagistes. Sidiya Hartman (2008) qui descend
d’esclaves d’Alabama et de Curacao raconte comment, allant en Afrique à la recherche de ses
racines, elle découvrit avec stupéfaction que les siens avaient été vendus par d’autres Africains.
S’étant rendue sur le site du marché d’esclaves de Salaga dans le nord de l’actuel Ghana, elle parle
du royaume Ashanti comme d’« un empire de pillards engraissés par la traite des esclaves ».
9. Par les Hollandais à Elmina, par les Danois à Accra (Christianborg Castle) et par les Anglais à
Cape Coast. Il ne s’agissait pas de véritables forts, mais plutôt d’« entrepôts gardés » (Saint-Clair,
2007). Le fort de Cape Coast eut une destinée particulière bien étudiée par William Saint-Clair
(2007) car il fut notamment le point d’embarquement des esclaves qui formèrent le régiment des
Caraïbes dont la vocation était de protéger les Antilles britanniques en cas de soulèvement des
esclaves de plantation. De plus, des éléments de ce régiment, eux aussi composés d’esclaves
achetés dans la région, composaient l’essentiel de la garnison du fort.
10. Vers 1475 les Portugais vendaient des esclaves noirs aux Africains à Elmina, contre de l’or « car
les marchands africains préféraient ou exigeaient de se voir payer en partie en esclaves » (Thomas,
2006 : 60).
11. Cette affirmation reposait notamment sur Capitalism and Slavery, publié en 1944 par l’historien
marxiste Eric Williams dont les idées furent en partie reprises et « actualisées » par Edward Said
dans son livre Culture et impérialisme publié en anglais en 1993 et en français sept ans plus tard, en
2000.
12. Raisonnons par l’absurde : durant la période 1701-1810, une part très importante du commerce
des esclaves était contrôlée par le Portugal. Si le développement industriel s’était mesuré aux
profits réalisés dans ce commerce, le Portugal aurait donc dû être une des nations les mieux loties,
or, il y a encore trois décennies, ce pays était une quasi-enclave du tiers monde en Europe et, de
plus, il n’a jamais fait sa révolution industrielle. Et que dire de l’industrialisation, réelle celle-là, de
l’Allemagne, de la Suède, de la Tchécoslovaquie, etc., pays qui n’ont pourtant pas participé (ou
alors d’une manière plus qu’anecdotique) au commerce des esclaves ? Cette réalité se retrouve
également aux États-Unis d’Amérique. Si le postulat énoncé plus haut était vérifié, la révolution
industrielle aurait dû se produire au Sud, région esclavagiste et non au Nord, région abolitionniste.
Or, les États du Sud sont demeurés essentiellement agricoles, et c’est précisément parce qu’ils
n’avaient pas fait leur révolution industrielle qu’ils furent battus par le Nord industrialisé. On peut
même dire que la Traite et le système esclavagiste ont enfoncé le Sud dans l’immobilisme quand le
Nord, qui avait la chance de ne pas dépendre d’une économie esclavagiste, s’était industrialisé.
13. En pays Ibo, le mouvement d’évangélisation débuta dans les années 1840, soit, quelques dizaines
d’années à peine après la fin de la Traite, or, les écrits des premiers missionnaires insistent sur la
surpopulation régionale (Illife, 2002 : 227).
14. Pour l’historiographie de la question, on se reportera à Heuman (1999 : 315-326) et à Drescher
(1993 : 136-166).
15. Sur la question de la répression de la traite clandestine, il importe de se reporter à Serge Daget
(1998).
16. Voir planche couleur n° XII.
17. « Il serait grand temps que la génocidaire traite négrière arabo-musulmane soit examinée et
versée au débat, au même titre que la ponction transatlantique. Car, bien qu’il n’existe pas de
degrés dans l’horreur ni de monopole de la cruauté, on peut soutenir, sans risque de se tromper que
le commerce négrier arabo-musulman et les djihad provoqués par ses impitoyables prédateurs pour
se procurer des captifs furent pour l’Afrique noire bien plus dévastateurs que la traite
transatlantique » (N’Diaye, 2008 : 11).
18. Notamment aux dépens des Européens en Méditerranée, voir à ce sujet Davis (2006) et Milton
(2006).
19. « La castration est généralement pratiquée sur des garçons de dix à quinze ans, l’âge requis afin
que les bourses soient bien visibles » (Chebel, 2007 : 82).
20. Pour tout ce qui concerne la Traite saharienne, voir Renault (1971, t. II : 4-20).
21. Pour tout ce qui concerne l’Égypte et le Soudan, voir Renault (1971, t. II : 20-41) ; pour
l’évaluation de la Traite en Arabie à la fin du XIXe siècle, voir Renault (1971, t. II : 48-54).
22. Pour tout ce qui concerne l’organisation commerciale zanzibarite dans la cuvette du Congo, il est
essentiel de se reporter à Renault (1971, t. II en totalité et 1987 : 209-217).
23. Les Omani (sultanat d’Oman et Mascate) s’étaient installés à Zanzibar à partir de 1728 quand
Hassan ben Abdullah el Alawi qui avait épousé la reine Fatuma devint le roi de l’île et qu’il donna
l’autorisation à ses compatriotes de venir s’y installer.
24. Le plus jeune frère du nouveau sultan, Seyid Bargash fut « désintéressé » par les Britanniques qui
l’envoyèrent à Bombay pour y poursuivre des études. En 1870, à la mort de Seyid Majid, il hérita
du trône de Zanzibar.
25. Rentré à Zanzibar pour y finir ses jours, Tippo-Tip dicta ses souvenirs à son ami le docteur
Henrich Broch. Ils furent publiés en 1901 en langue allemande puis réédités et commentés par F.
Bontinck (1974). Voir aussi Renault (1987).
26. Livingstone fut le premier européen à y séjourner du 29 mars au 20 juillet 1871. Les troupes
belges prirent Nyangwé le 4 mars 1893, mettant un point final au commerce des esclaves dans la
région.
27. Selon Burton, entre la zone de sa capture et sa vente à Zanzibar, la valeur d’un esclave était en
effet multipliée par 5 ou 6 et entre Zanzibar et Mascate le prix était encore multiplié par 3.
28. En 1856, à la mort de Seyid Saïd qui avait régné durant 50 ans à la tête du sultanat de Mascate, la
succession échut à son fils Seyid Majid. Le royaume se divisa alors en deux parties et le territoire
d’Oman se sépara de Zanzibar. Seyid Bargash se révolta contre son frère Seyid Majid et fut exilé à
Bombay. Au mois d’octobre 1870, après la mort de Seyid Majid, Seyid Bargash devint sultan de
Zanzibar (1870-1888) et de ses dépendances en Afrique orientale.
29. Un paradoxe doit être souligné : en Afrique au sud du Sahara, la traite arabo-musulmane fut en
elle-même un frein à l’islamisation car les esclavagistes ne cherchaient pas à convertir. L’auraient-
ils fait qu’ils seraient allés contre leurs intérêts puisque, selon le Coran, l’esclavage des non
musulmans est licite (Ennaji, 2007).
QUATRIÈME PARTIE
L’Afrique au XIXe siècle : 1800-
1884
Durant cette période, en Afrique du Nord, l’Égypte s’affirme comme État
national, cependant que, dans les Régences de Tripoli et de Tunis, le
délitement du pouvoir turc se poursuit. En Algérie, la France consolide sa
présence, tandis que le Maroc s’enfonce dans la crise.
Au sud du Sahara l’histoire semble connaître une accélération1 :
– sous l’impulsion des Jihads, le Sahel subit une profonde mutation ; le
mouvement n’est d’ailleurs pas limité à la région comprise entre le
Sénégal et le lac Tchad, puisque le même phénomène se déroule au
Soudan et dans la région du haut-Nil avec le mahdisme ;
– le littoral atlantique, délaissé depuis la fin de la Traite, voit ses États
ruinés par l’abolition. Dans la première partie de la période, le timide
retour des Européens sur quelques points du littoral (Sierra Leone,
Liberia, Gabon), répond essentiellement à un souci philanthropique qui
est l’installation d’anciens esclaves ;
– en Afrique australe, la période débute avec l’expansion des Nguni
septentrionaux (Zulu, Ngwane et Ndebele), qui se fait aux dépens des
Sotho lesquels sont largement chassés du plateau central sud africain.
Elle se termine avec la prise de contrôle par les Britanniques de tous les
peuples vivant au sud du Limpopo, à l’exception des Boers du
Transvaal et de l’État libre d’Orange ;
– en Afrique orientale, l’impérialisme zanzibarite qui précède d’un demi-
siècle l’expansion européenne s’étend vers l’Ouest, jusqu’au centre de
la forêt congolaise, bouleversant les rapports de force et entraînant la
mutation de nombre de sociétés, aussi bien dans la région interlacustre
qu’au sud de la grande forêt. Fondée sur la traite des esclaves, la
prédation zanzibarite est abondamment décrite par les explorateurs ;
l’indignation européenne déclenche une mobilisation philanthropique
qui va directement préparer la voie à la colonisation.
1. Il s’agit en partie d’une impression essentiellement due à la multiplication et à la diversification
des sources : récits de voyageurs, relations de missionnaires ou encore rapports d’agents
consulaires, etc., qui permettent de découvrir un continent jusque-là demeuré inconnu des
Européens.
Chapitre I.
L’Afrique du Nord de 1800 à 1880

En Égypte, l’évolution vers l’État national fut précipitée par l’expédition


de Bonaparte qui ouvrit le pays à la modernité et dont l’héritage fut recueilli
par Méhémet Ali. Ce dernier étendit l’influence égyptienne au Soudan. Au
Maghreb, la Régence turque d’Alger passa sous souveraineté française mais
l’Algérie demeurait flanquée par deux territoires indépendants, la Régence
de Tunis à l’Est et l’empire chérifien à l’Ouest, or, au XIXe siècle, ces deux
territoires traversaient une crise profonde.

A. L’Égypte et le Soudan
Entre 1800 et 1880, l’Égypte et le Soudan connurent de profonds
bouleversements, conséquences de l’expédition de Bonaparte, de la
naissance de l’impérialisme égyptien qui s’exerça dans le haut-Nil
soudanais et de l’ouverture du canal de Suez.

1. La campagne de Bonaparte en Égypte (1798-1801)1


Le 14 février 1798, à Paris, devant le Directoire, Talleyrand avait
présenté un rapport préconisant la conquête de l’Égypte. Selon ses propres
termes, cette dernière pourrait devenir une colonie « qui vaudrait à elle
seule toutes celles que la France avait perdues », tout en lui assurant la
maîtrise de l’isthme de Suez qui lui permettrait de couper l’une des routes
du commerce anglais vers l’Inde. Enfin, le contrôle de la mer Rouge
ouvrirait la possibilité d’aller soutenir le sultan de Mysore Tippoo-Sahib2,
en guerre contre les Anglais.
Le 5 mars 1798, le Directoire autorisa Bonaparte à entreprendre la
conquête de l’Égypte. Mais pour cela, il fallait commencer par relever le
défi que représentait le rassemblement rapide d’une flotte de près de trois
cents navires, capables de transporter un corps expéditionnaire de
38 000 hommes doté d’un millier de pièces d’artillerie, à un moment où la
Marine française sortait très éprouvée des années révolutionnaires.
L’expédition fut rassemblée en un temps record et dans la nuit du 1er au
2 juillet 1798, quatre mille hommes débarquèrent à l’ouest d’Alexandrie.
Le 6 juillet, l’armée se mit en marche. L’amiral Brueys qui ne pouvait
utiliser la rade d’Alexandrie, trop peu profonde, installa sa flotte à Aboukir.
Le 14 juillet, le combat de Chebreis, livré au pied des Pyramides à douze
cents Mamelouks engagés par Mourad Bey3 – qui fut l’âme de la résistance
à l’invasion – tourna à l’avantage des Français.
Cette victoire fut compromise le 1er août à Aboukir par la destruction de
la flotte de l’amiral Brueys qui attendait la confirmation de la prise du Caire
pour faire voile vers Corfou. Privée de communications avec la France,
l’Armée d’Égypte se retrouva alors prisonnière de sa conquête.
L’entrée en guerre du Sultan ottoman ouvrit entre-temps un nouveau
« front » au Nord et, le 10 février 1799, Bonaparte quitta Le Caire pour
marcher sur la Syrie, avec treize mille hommes. Dans la nuit du 14 au
15 février, il infligea, à hauteur d’El Arish, un cuisant revers aux troupes du
pacha turc d’Acre et, dès le lendemain, le fort voisin dut capituler. Gaza fut
prise le 25 février, Jaffa enlevée le 7 et, rendus furieux par l’assassinat d’un
parlementaire, les Français y firent un grand massacre. Quatre jours plus
tard, la peste, déjà signalée à El Arish, commença à décimer la troupe
malgré les mesures préventives imposées par René-Nicolas Desgenettes,
médecin chef de l’armée d’Orient. Dans la nuit du 21 mai, la petite armée
engagée en Syrie se replia vers l’Égypte où l’on craignait un prochain
débarquement des troupes turques. Le 14 juin 1799, les « vainqueurs »
étaient de retour au Caire mais, sur les treize mille hommes partis en février,
huit mille seulement avaient regagné l’Égypte.
Avec dix-huit mille hommes encore disponibles (la moitié de l’effectif
débarqué un an plus tôt) Bonaparte devait préserver sa conquête sans
l’espoir de recevoir le moindre soutien du Directoire, confronté à une
nouvelle coalition européenne. Le 14 juillet, il fut informé de l’arrivée,
deux jours plus tôt, d’une flotte anglo-turque en rade d’Aboukir où 20 000
Turcs commandés par Mustapha Pacha avaient débarqué. Dès le 23 juillet,
le gros de l’Armée française fut rassemblé à Alexandrie et le 25, les forces
turques étaient mises en pièces. Le 2 août, les derniers défenseurs turcs
repliés dans le village d’Aboukir furent contraints de se rendre. La majeure
partie des forces mises à terre avait été anéantie alors que les Français ne
comptaient qu’une centaine de tués.
La victoire était totale mais Bonaparte avait pris connaissance des graves
évènements qui se déroulaient en France. La défaite de Jourdan à Stokach,
celles de Scherer, de Moreau et de Mac Donald en Italie faisaient que le
pays risquait de se trouver de nouveau menacé d’invasion, ce qui l’incita à
envisager son retour. Aussi, embarqua-t-il pour la France et le 8 octobre
1799 il mettait pied à terre à Toulon.
Le 29 octobre 1799, à l’embouchure du Nil la marine britannique
débarqua sept mille janissaires turcs mais le général Verdier qui
commandait à Damiette les rejetta à la mer avec seulement un millier
d’hommes. Le 24 janvier 1800, Kléber signa à El Arish une convention –
négociée avec les Ottomans – qui prévoyait le repli des forces françaises sur
Alexandrie, Rosette et Aboukir en vue d’un rapatriement en France. Mais
Londres s’opposa à ce compromis, exigeant une reddition pure et simple
car, depuis El Arish une armée ottomane forte de soixante-dix mille
hommes s’avançait. Laissant derrière lui la ville du Caire révoltée, Kléber
se porta à leur rencontre avec les dix mille hommes qui lui restaient et il
remporta la victoire d’Héliopolis. Il se retourna ensuite contre Le Caire et y
écrasa l’insurrection avec l’aide de Mourad Bey, devenu désormais un allié
de la France. Kléber fut assassiné le 14 juin 18004 et le général Menou – qui
avait épousé une Égyptienne et s’était converti à l’Islam – lui succéda. Le
8 mars 1801, la flotte anglaise débarqua à Aboukir seize mille hommes
commandés par le général Abercrombie. Le 23 mars, avec neuf mille six
cents hommes, Menou livra bataille devant Canope, à mi-chemin entre
Alexandrie et Aboukir, mais il perdit le tiers de son effectif et fut vaincu. Il
s’enferma alors dans Alexandrie et, le 27 juin 1801, le général Belliard
demeuré au Caire accepta de négocier avec les représentants anglo-turcs,
puis de signer l’acte de capitulation. 13 000 Français et 700 Coptes, Grecs
ou Mamelouks de leurs unités auxiliaires quittèrent ensuite Le Caire
emportant la dépouille de Kléber – et se dirigèrent vers Damiette pour y être
embarqués et rapatriés. Après avoir vainement attendu l’arrivée
d’hypothétiques secours, Menou capitula à son tour le 2 septembre,
trois ans et deux mois après la prise d’Alexandrie qui avait marqué le début
de l’aventure égyptienne.

2. L’Égypte sous Méhémet Ali (1805-1848)


Au lendemain du départ des Français, un gouverneur turc nommé
Khosreu Pacha, fut nommé au Caire. L’Égypte était donc théoriquement
redevenue une simple province de l’Empire ottoman et non plus un État
indépendant, comme à l’époque du sultanat mamelouk. Or, ce statut
juridique ne convenait plus à des élites ayant une réelle conscience
nationale et Méhémet Ali exploita habilement cette situation pour en arriver
à incarner le nationalisme égyptien (Fargette, 1996 ; Sinoué, 1996).
Né en 1769 à Ravala en Macédoine, mort en 1849, Méhémet Ali
(Mohamed-Ali), sujet turc, fut envoyé en Égypte comme officier d’un
régiment albanais par le sultan ottoman désireux d’y rétablir son autorité.
Quand il y débarqua au mois de mars 1801, les deux principaux chefs
mamelouks, Oçman Bardisi et Mohammed el-Alfi étaient entrés en
rébellion contre Kosreu Pacha qui fut vaincu. Méhémet Ali profita alors de
la situation et, s’alliant aux Mamelouks, il se fit élire pacha du Caire au
mois de mai 1804, puis, en 1805 il s’autoproclama gouverneur de l’Égypte.
Impuissante, La Porte entérina ce coup de force contre un dédommagement
financier et elle le nomma pacha le 18 juin 1805.
Dès le début de son « règne », Méhémet Ali rétablit l’ordre, puis il
chercha à nouer de bonnes relations avec la France et même à s’appuyer sur
elle. Cette volonté provoqua bien évidemment l’hostilité de l’Angleterre,
échaudée par l’expédition de Bonaparte et qui chercha à l’écarter. Le
contexte international fournit bientôt à l’Angleterre l’occasion d’intervenir.
Au début de l’année 1807, les Russes ayant occupé la Moldavie afin d’y
défendre les Roumains, la Porte leur déclara la guerre or, comme Londres
était alliée à Saint-Pétersbourg, elle se trouva donc engagée dans le conflit,
mais, par voie de conséquence, Paris et Istanbul se rapprochèrent. La
crainte des Anglais fut alors que Napoléon tente une nouvelle aventure en
Égypte, mais avec l’appui du sultan ottoman cette fois. Ne voulant courir
aucun risque, le 19 mars 1807, les Anglais prirent le port d’Alexandrie, puis
ils tentèrent de s’emparer de celui de Rosette, mais les troupes de Méhémet
Ali les repoussèrent. Les Mamelouks5 qui devaient soutenir le corps de
débarquement demeurèrent absents et les Britanniques parurent alors bien
isolés. Le 21 avril 1807, ils étaient battus et ils décidèrent de rembarquer,
abandonnant Alexandrie.
Cette victoire remportée sur une armée européenne moderne renforça
naturellement d’une manière considérable le prestige du nouveau pacha. Au
même moment, Mahmoud II (1808-1839), le sultan ottoman qui venait juste
d’accéder au pouvoir n’était pas en mesure de rétablir l’autorité de la Porte
en Arabie où les tribus wahabites s’étaient soulevées. En 1808, il demanda
donc à Méhémet Ali, son représentant en Égypte, d’entreprendre une
expédition à sa place.
En 1812, les Égyptiens commandés par deux des fils de Méhémet Ali,
Toûsoûn et Ibrahim, prirent Médine puis Djeddah et enfin La Mecque.
L’offensive fut poursuivie dans le Hedjaz. Les insurgés furent écrasés lors
de la bataille de Taef en 1815, et leur nouveau chef, Abdallah fait
prisonnier6. Les survivants des ibn Saud se replièrent alors en plein désert, à
Dir’Aijab, près de Riyad où ils se firent oublier7.
À partir de 1820, Méhémet Ali se tourna vers le Soudan dont il confia la
conquête à son troisième fils, Ismael. Alors que ce dernier était aux prises
avec les ultimes résistances soudanaises, Mehémet Ali reçut un nouvel
appel à l’aide du sultan Mahmoud II qui ne parvenait pas à mater ses sujets
grecs révoltés8 ; il accepta de voler au secours du sultan et en 1823, il
envoya une escadre en Crête ainsi que plusieurs régiments. La révolte de la
Crête fut pour un temps réprimée.
Mahmoud II lui demanda ensuite d’intervenir en Morée (le Péloponnèse)
et dans les îles Cyclades. Le corps expéditionnaire placé sous le
commandement d’Ibrahim, second fils de Méhémet9, et de son adjoint,
Soliman Pacha10 s’assura la maîtrise du Péloponnèse que les Égyptiens
occupèrent de 1824 à 1828, mais les insurgés grecs parvinrent à se
maintenir à Hydra. Le 29 octobre 1827, à Navarin, la flotte ottomane
composée de quatre-vingt neuf navires égyptiens et de quarante navires
turcs aux équipages hétéroclites et peu entraînés fut détruite par une escadre
franco-anglaise11.
Méhémet Ali entra ensuite en guerre contre le sultan ottoman. Pour prix
de son aide en Arabie, en Crête et en Grèce, il avait en effet demandé le
gouvernement de la Syrie, ce que Mahmoud II avait refusé. Aussi, rompant
avec ce dernier, en 1831, il envahit la Palestine, puis confia à son fils
Ibrahim la mission de conquérir la Syrie. Le 8 avril 1832, les Égyptiens
prirent Tripoli et marchèrent sur Homs d’où ils repoussèrent les forces
ottomanes. La Russie et la France imposèrent alors aux belligérants de
cesser les hostilités et leur firent signer la Convention de Kutâhyeh (14 mais
1833), qui consacrait la victoire de Méhémet Ali puisque la possession de
toute la Syrie lui était reconnue.
Mehémet Ali avait donc montré qu’il était en mesure de renverser le
sultan, ce qui, pour la Grande Bretagne, était inacceptable. En 1839,
poussée par Londres, la Porte entra donc en guerre mais le 24 juin, Ibrahim
écrasa l’armée turque. En réaction, en 1840, à l’initiative de Palmerston,
ministre anglais des Affaires étrangères, une coalition fut constituée afin
d’imposer à Mehémet Ali l’abandon de la Syrie et limiter ainsi l’essor de
son empire. Cette politique venait encore obscurcir la Question d’Orient
désormais ouvertement posée. Elle provoqua même une grave crise
internationale car Adolphe Thiers, Président du Conseil et ministre des
Affaires étrangères français depuis la fin du mois de février 1840 soutenait
clairement Méhémet Ali. Le fond du problème était que Palmerston
considérait que l’Égypte et la France avaient partie liée. Il ne voulait donc
pas d’une présence égyptienne en Syrie car Paris possédant déjà l’Algérie,
sa place en Méditerranée risquait de devenir dominante. De plus,
Palmerston voulait éviter une coupure en deux de l’Empire ottoman avec le
risque d’en voir une partie passer sous influence russe et l’autre, autour de
l’Égypte, entrer dans l’orbite française.
Thiers refusa de discuter avec les autres puissances et il tenta une
négociation directe entre le sultan ottoman et Méhémet Ali. Palmerston
décida alors de brusquer les choses et le 15 juillet 1840, la Convention de
Londres fut signée par l’Angleterre, la Prusse, la Russie, l’Autriche et la
Porte. La France avait été tenue à l’écart des pourparlers. Aux termes de
cette convention, Méhémet Ali obtenait à titre héréditaire le Pachalik
d’Égypte12, et à titre personnel non transmissible, donc viager, la Syrie
méridionale. Il devait en revanche évacuer sans délais toutes ses autres
possessions : la Crête, les villes saintes d’Arabie, etc. Il avait dix jours pour
accepter ces propositions ; en cas de refus, il en perdrait les avantages et les
flottes anglaise et autrichienne mettraient un blocus devant les ports
égyptiens. Il était donc imposé à l’Égypte de redevenir une province de
l’Empire ottoman. L’ultimatum étant dépassé, le 15 septembre 1840, le
sultan ottoman déposa Méhémet Ali et nomma un autre pacha au Caire.
Cette décision provoqua une nouvelle crise internationale car Thiers
intervint vigoureusement auprès du gouvernement britannique, soulignant
que l’équilibre en Méditerranée orientale passait par le maintien à la fois du
pouvoir du sultan ottoman et du Vice-Roi d’Égypte. Au même moment,
plusieurs révoltes anti-égyptiennes éclatèrent en Syrie et les forces turques,
renforcées par un corps expéditionnaire britannique passèrent à l’offensive,
tandis que la marine anglaise mettait le blocus devant les côtes égyptiennes.
Afin de ne pas acculer la France, et parce qu’il ne souhaitait tout de
même pas que la Turquie se renforce trop, Palmerston demanda alors au
Sultan de renommer Méhémet Ali comme pacha d’Égypte. Entre-temps, le
chef du corps expéditionnaire anglais, le commodore Henry Napier, avait
entamé une négociation directe avec Méhémet Ali qui avait accepté de
retirer ses troupes de Syrie en échange de la reconnaissance de son titre de
souverain héréditaire d’Égypte. Le sultan ottoman qui ne pouvait que
s’incliner devant cette décision anglaise avait cependant posé deux
conditions : que l’armée égyptienne soit ramenée à un effectif de dix-huit
mille hommes et que l’Égypte augmente le tribut annuel qu’elle lui versait.
La crise était donc réglée au profit de l’Angleterre qui avait
provisoirement réussi à garantir le statu quo en Méditerranée orientale, tout
en y affirmant davantage sa présence et en y faisant reculer la France.
Au mois de mars 1848, Méhémet Ali, malade, fut écarté du pouvoir au
profit de son fils Ibrahim nommé pacha par un décret de la Sublime Porte13.
Le règne de ce dernier ne fut que de sept mois puisqu’il mourut le
10 novembre 1848, donc avant son père dont il avait été l’artisan des
conquêtes réalisées durant son règne. Méhémet Ali avait voulu que l’Égypte
devienne indépendante tout en maintenant des liens avec l’Empire ottoman,
tandis qu’Ibrahim désirait couper tout lien avec ce dernier, avant de le
supplanter et de faire ensuite de l’Égypte le centre d’un nouvel empire
musulman moderne.

3. La question égyptienne
Le successeur d’Ibrahim fut un petit-fils de Méhémet Ali qui régna sous
le nom d’Abbas Ier (1848-1854)14. Son successeur fut Mohamed Saïd (1854-
1863) puis, en janvier 1863, un neveu de ce dernier, Ismael (1863-1879),
fils d’Ibrahim et petit-fils de Méhémet Ali, accéda au trône. Formé en
France, il voulait moderniser l’Égypte mais pour financer les grands travaux
nécessaires à cette politique, il continua à l’enfoncer dans l’endettement.
À l’extérieur, il participa à la pacification de la Crète aux côtés des
Ottomans et en remerciement, il reçut par firman du 8 juin 1867, le titre de
Khédive avec droit de transmission à ses seuls descendants directs15.
Dans les années 1870-1880 l’Égypte se trouva placée au cœur de
l’actualité internationale pour trois grandes raisons :
1. le canal de Suez ayant été inauguré en 1869, la région était donc
devenue hautement stratégique ;
2. l’Empire ottoman dont dépendait l’Égypte était en déclin ;
3. les finances égyptiennes allaient mal et le pays connaissait même un
véritable chaos financier.
Sous le règne d’Ismaël, l’Égypte dépassa les possibilités de son
endettement. Le Royaume-Uni et la France, ses principaux créanciers,
s’ingérèrent alors peu à peu dans ses affaires afin de garantir le
remboursement de cette dette. La part de plus en plus importante prise par
les capitaux européens dans l’économie égyptienne avait véritablement
commencé à croître à partir des années 1840-185016. Le mouvement avait
été initié en 1851 par Abbas Ier qui avait contracté un emprunt destiné à
financer la construction du chemin de fer reliant Alexandrie au Caire.
L’Égypte s’était alors peu à peu livrée à la finance internationale en se
lançant dans une campagne peu réaliste de recours à l’emprunt. Le
mouvement fut amplifié sous Ismaël pour atteindre des proportions
déraisonnables, notamment quand les emprunts furent systématiques pour
lancer une politique de creusement de canaux, de lancement de ponts, de
mise en chantier de nouvelles lignes de chemin de fer, de lignes
télégraphiques ou encore d’aménagement des grandes villes égyptiennes. À
la fin de l’année 1875, l’Égypte ne fut plus en mesure de rembourser ses
créanciers.

Mohamed Saïd qui entretenait d’excellentes relations avec Ferdinand de Lesseps lui
avait accordé par firman en date du 30 novembre 1854 le droit de fonder une société
chargée de construire un canal maritime reliant la Méditerranée et la mer Rouge.
La Compagnie du canal de Suez fut constituée au mois de décembre 1858 avec un
capital de quatre cent mille actions de cinq cents francs chacune. Mohamed Saïd en
souscrivit 42 % et les particuliers français 52 %.
À cette phase, l’Angleterre était absente et la presse britannique qui ne croyait pas
dans la faisabilité du projet parlait même d’une duperie. La compagnie reçut pour
99 ans la concession des terres nécessaires au percement du canal.
Le chantier démarra le 25 avril 1859 et le canal fut inauguré le 17 novembre 1869 en
présence de l’impératrice Eugénie. Dans sa Réponse au discours de réception de
Ferdinand de Lesseps à l’Académie française prononcé en 1895, Ernest Renan avait
déclaré :
« Un seul Bosphore avait suffi jusqu’ici aux embarras du monde ; vous en avez créé
un second, bien plus important que l’autre, car il sert de couloir de communication à
toutes les grandes mers du globe. En cas de conflit, il serait le point pour lequel tout
le monde lutterait de vitesse. Vous aurez ainsi marqué la place des grandes batailles
de l’avenir. » Cité par Lefebvre (1996 : 39-40)

À Londres, les critiques, pour ne pas dire les sarcasmes, qui avaient
accompagné le début du projet du canal de Suez étaient oubliés et grands
étaient les regrets de ne pas avoir participé à sa création. Disraeli Premier
ministre, la Grande-Bretagne n’hésita donc pas à racheter à l’Égypte la
totalité de ses parts dans la Compagnie du canal de Suez, ce qui donna un
ballon d’oxygène de quelques mois aux finances égyptiennes et qui permit à
Londres de devenir l’actionnaire majoritaire de la Compagnie17.
Au mois de mai 1876, le pays fut néanmoins à nouveau en situation de
banqueroute et au mois de novembre, les créanciers imposèrent au khédive
la nomination de deux contrôleurs généraux des finances, un Français et un
Anglais. Moins de deux années plus tard, au mois d’août 1878, Paris et
Londres exigèrent qu’Ismaël constitue un gouvernement composé d’experts
européens qui, de fait, prit le contrôle du pays. L’agitation nationaliste qui
découla d’un tel diktat fut telle que le khédive se sentit menacé. C’est alors
qu’il tenta d’apparaître comme un résistant, s’opposant dans la mesure de
ses faibles moyens à la mainmise étrangère. Cédant devant les menaces de
la rue, il se sépara même de ses conseillers européens, ce qui fut considéré
comme un acte d’hostilité par la Grande-Bretagne et par la France qui
demandèrent alors au sultan turc l’autorisation de le déposer. Istanbul qui
n’était pas en mesure de répondre par la négative à deux des principales
puissances européennes, donna son accord et le Khédive Ismaël fut
contraint d’abdiquer en 1879 avant d’être remplacé par son fils Tawfik.
Tewfik Bey (1879-1892) accepta le retour des conseillers européens. En
quelques mois, les finances égyptiennes se rétablirent, mais l’agitation
nationaliste reprit avec une vigueur accrue. En 1881, c’est même à une
véritable révolte que l’on assista, Tewfik Bey étant accusé d’être le « valet
des Européens ».
Le mouvement qui prit une vaste ampleur était mené par un officier dont
la popularité devint immense et qui avait pour nom Ahmed Urabi (ou
Orabi), plus connu sous le nom d’Arabi Pacha (ou Orabi Pacha) (1839-
1911) et qui, à la différence des hauts gradés de l’armée était d’origine
paysanne et égyptienne. Il devait sa promotion aux réformes qui avaient été
décidées sous le règne de Mohamed Said et qui avaient eu pour but d’ouvrir
l’accès aux hauts grades de l’armée à des officiers issus de milieux
modestes.
En 1876, Arabi Pacha avait constitué une société secrète recrutant parmi
les élites égyptiennes : officiers, fonctionnaires, propriétaires fonciers,
intellectuels, etc. En 1879, le noyau actif de la revendication nationale
égyptienne18 naquit dans l’armée dont le corps des officiers autochtones
s’estimait humilié par la caste turco-mamelouke qui monopolisait toujours
les grades supérieurs. Le mouvement s’était ensuite transformé en un parti
politique qui avait pris le nom de Parti nationaliste (Al-Hizab al Watani).
Influent auprès du nouveau khédive, il menaçait directement les intérêts
britanniques, d’autant plus qu’en février 1881 une révolte militaire éclata et
qu’au mois de janvier 1882, Arabi Pacha devint sous-secrétaire d’État à la
Guerre, puis ministre de la Guerre un mois plus tard.
Sous les pressions européennes, Tawfik renvoya le gouvernement et, au
mois de juin 1882, afin d’intimider les nationalistes, une flotte franco-
britannique croisa au large d’Alexandrie. Mais la réaction populaire fut telle
que le souverain se vit obligé de faire revenir Arabi Pacha au
gouvernement. La pression nationaliste ne tomba pas pour autant et de
sanglantes émeutes anti-européennes éclatèrent dans toute l’Égypte.
Londres qui craignait pour la sécurité du canal de Suez se montra alors de
plus en plus inquiète et le prétexte d’une intervention lui fut fourni au début
de l’été 1882 quand nombre de chrétiens furent massacrés à Alexandrie. La
flotte anglaise bombarda alors la ville, mais la Grande-Bretagne hésitait
toujours à s’engager sur le terrain. Ne désirant pas agir directement, elle
souhaitait même demander à la Turquie de le faire à sa place. Seule la
complexité des relations internationales du moment empêcha cette
intervention car la Russie étant en conflit quasiment ouvert avec la Turquie
au sujet des Balkans, Saint-Pétersbourg s’opposait donc à tout ce qui
pouvait renforcer « l’homme malade de l’Europe ».
C’est alors qu’une intervention militaire franco-britannique en Égypte fut
envisagée. Mais la France était au même moment agitée par une grande
controverse à laquelle le Parlement donna le plus large écho : quel choix
politique devait être fait entre l’expansion coloniale et la « Revanche » ?
Dans ces conditions, l’éventualité d’une participation française à une
opération en Égypte fut âprement discutée. Si Gambetta était partisan d’une
intervention aux côtés des Anglais, les radicaux étaient quant à eux
favorables à une opération internationale dont le commandement serait
donné à la Turquie, ce qui, et nous venons de le voir, était impossible à
envisager. La Grande-Bretagne estima alors que ses intérêts vitaux étaient
menacés et au mois de juiller 1882, elle décida d’agir seule.

4. Le Soudan
L’impérialisme égyptien moderne en direction de la Nubie qui avait
débuté en 1820 ne fut pas une entreprise aisée. En effet, dès 1822 la Nubie
se souleva et Ismaël, le propre fils de Méhémet Ali, pacha d’Égypte, périt,
brûlé vif lors d’un accrochage. Un militaire à poigne nommé Mohamed
Kousrao rétablit ensuite l’autorité égyptienne et en 1830, la ville de
Khartoum fut fondée. À partir de cette date, la poussée égyptienne vers le
Sud devint de plus en plus forte, mais les réalités politiques, ethniques et
religieuses locales firent que dès les années 1880-1885, ceux qui refusaient
la mainmise égyptienne se regroupèrent sous la bannière verte du Mahdi ou
« envoyé de Dieu ».
Au début du XIXe siècle, à la veille de la conquête égyptienne, le plus
important des États nubiens était celui des Funj (Fundj), dont la capitale
était Sennar, et qui fut conquis en 1820-1821. Le but de la conquête
égyptienne était le commerce de l’ivoire et la chasse aux esclaves laquelle
prit une importance considérable à partir de 184019. Arrivés dans la région
de Fachoda, les Égyptiens se heurtèrent aux Shilluk qui résistèrent avec
détermination. Avec l’accession au pouvoir du Khédive Ismaël (1863-1879),
la chasse à l’esclave augmenta encore, mais le nouveau maître de l’Égypte
voulut la réglementer, la rendre moins anarchique, la contrôler, afin d’en
tirer un maximum d’avantages. Ce fut la période de la conquête du Bahr el-
Ghazal et de l’Equatoria.
En 1874, Ziber Pacha qui était le gouverneur de la province du Bahr el
Ghazal et qui venait de conquérir le Darfour, prit un tel poids que le khédive
se mit à craindre de voir naître en Nubie un sultanat rival et il le rappela
au Caire. Il imagina alors de nommer des Européens pour gouverner son
immense empire soudanais. La mesure avait un double avantage pour lui.
D’une part, les philanthropes ne pourraient que reconnaître la bonne volonté
des autorités égyptiennes dans leur intention de contrôler la traite des
esclaves et d’autre part, il n’aurait rien à craindre de gouverneurs européens
qui ne seraient jamais des concurrents, des rivaux ou des compétiteurs.
L’inconvénient était cependant de taille dans la mesure où les populations
musulmanes de la région virent d’un très mauvais œil des « infidèles »
devenir les maîtres du pays. Cette réalité ne doit pas être perdue de vue si
nous voulons mettre en évidence les origines du mahdisme.
Dans l’immédiat, des Européens assurèrent donc localement la réalité du
pouvoir égyptien. En 1872, l’Anglais Samuel Baker fut nommé gouverneur
de la région de l’Equatoria. Au mois de mars 1873, un autre Anglais,
Charles Gordon, lui succéda comme gouverneur de l’Equatoria avant d’être
nommé gouverneur général du Soudan en 187720. Ses successeurs,
l’Américain H.G. Prout, colonel dans l’armée égyptienne et Ibrahim Fauzi
furent dépassés par leurs responsabilités et il fallut attendre 1878 et la
nomination de l’Allemand Edouard Schnitzer (Emin Pacha) comme
gouverneur de la province de l’Equatoria pour que l’autorité égyptienne soit
véritablement rétablie.
Gordon eut à combattre Soliman, le fils de Ziber Pacha, qui s’était
révolté contre les autorités égyptiennes et qui fut tué au mois de juillet 1879
par la colonne de l’Italien Gessi. Rabah, un des adjoints de Soliman réussit
à s’échapper et, vers 1885-1886, il réussit à fonder un royaume esclavagiste
à l’est du lac Tchad et à se maintenir jusqu’en 1900, date à laquelle il trouva
la mort dans un combat contre les troupes françaises.

B. De la Tripolitaine au Maroc
Dans les trois Régences de Tripoli, de Tunis et d’Alger, l’autorité turque
s’exerçait de manière très décentralisée, pour ne pas dire, dans une totale
autonomie par rapport à Istanbul avec cependant d’importantes différences
locales. À l’extrême ouest du Maghreb l’État marocain traversait une crise
profonde amplifiée par les révoltes berbères.

1. Les Régences de Tripoli et de Tunis


Dans la Régence de Tripoli, un officier Kouloughli21 nommé Ahmed
Karamanli s’était appuyé sur les élites citadines pour tenter de se dégager
de la tutelle ottomane. En 1711, après avoir pris le pouvoir, il avait réussi à
fonder une dynastie. Reconnu comme Pacha-régent par la Porte, il « régna »
de 1711 à 1745 en ayant eu la prudence de reconnaître la suzeraineté
d’Istanbul. Un 1793, un officier turc, Ali Benghul restaura la pleine autorité
ottomane, mais en 1795, soutenus par Youssouf ben Ali, le Bey de Tunis,
les Karamanli reprirent le pouvoir.
La Régence était cependant coupée en deux, l’opposition entre côtiers
citadins et tribus nomades de l’intérieur étant de plus en plus forte (Mac
Lachlan, 1978). Les Karamanli pouvaient cependant s’appuyer sur la tribu
arabe des Ouled-Slimane. En 1835, un corps expéditionnaire turc débarqua
à Tripoli et replaça la région sous autorité directe d’Istanbul, mais il fallut
ensuite que la Porte ottomane mène des expéditions contre les nomades. À
partir de 1858 les troupes turques réussirent à s’imposer dans toute la
Tripolitaine et dans une partie du Fezzan où elles conclurent une sorte de
condominion avec la confrérie sénoussiste22 qui devint de fait le
représentant du sultan auprès des nomades.

La Guerre de Tripoli ou The Barbary Coast War (1801-


1805)
La première guerre que menèrent les États-Unis d’Amérique après leur
indépendance fut contre les Régences turques de Tripoli, de Tunis et d’Alger, mais ce
fut contre celle de Tripoli que porta l’essentiel des combats. La raison de ce conflit
tenait dans l’obligation qu’avaient les navires de commerce de payer tribut s’ils ne
voulaient pas être capturés par les corsaires et voir leurs équipages vendus sur les
marchés d’esclaves. Les États-Unis signèrent ainsi des traités avec Tunis et Alger,
mais la Régence de Tripoli augmenta d’une manière considérable le montant de la
somme que devaient verser les États-Unis pour garantir la « protection » de leurs
navires de commerce. En 1801, ces derniers refusèrent le chantage et les trois
Régences leur déclarèrent la guerre. En conséquence, une flotte américaine
composée d’une dizaine de navires dont des transports de troupes, fut envoyée en
Méditerranée et, malgré la disproportion des forces, la flotte des trois Régences étant
composée de plusieurs dizaines de navires, la guerre tourna à l’avantage des
Américains. Le 4 juin 1805, un traité fut signé avec la Régence de Tripoli aux termes
duquel les navires américains ne seraient plus soumis à l’obligation de payer un
« droit de protection ». Méfiants, les États-Unis maintinrent cependant une escadre
sur zone, ce qui était une sage précaution car, en 1815, une autre expédition fut
nécessaire, contre Alger cette fois Dans la Régence de Tripoli, la course prit fin en
1815 (London, 2005 ; Smethurst, 2007).

La Régence de Tunis, était une province turque administrée par un


Pacha, mais le pouvoir y était passé dans les faits au commandant militaire,
le Dey, qui avait finalement été supplanté par un administrateur civil, le
Bey. La Régence de Tunis avait connu un début d’évolution identique à
celui de sa voisine orientale puisque, en 1705, un officier kouloughli,
Hussein ben Ali s’était proclamé Bey et avait lui aussi, fondé une dynastie.
Les nouveaux maîtres du pays vivaient dans la hantise d’une réaction
turque, aussi, dans la première moitié du XIXe siècle, ils virent dans la
France une alliée. La prise d’Alger par les Français en 1830 fut donc
accueillie avec joie car elle signifiait l’éviction définitive du maître
ottoman. Le Bey Hussein adressa même ses félicitations au général en chef
français, le comte de Bourmont, et un Te Deum fut célébré dans l’église de
Tunis. Plus insolite encore, Hussein Bey céda à la France l’emplacement
même de la mort du roi de France Louis IX, lors de la 8e croisade, qui
s’était déroulée à Tunis en 1270, afin qu’y soit édifié un monument23. Le
25 août 1841, sous le règne d’Ahmed Bey, une chapelle commémorative fut
d’ailleurs consacrée. Du port de la Goulette à Byrsa, deux cents soldats de
l’armée beylicale tirèrent le chariot transportant la statue du roi, le Bey
ayant déclaré au consul de France que s’il en avait eu la force, il aurait lui-
même porté la statue…

2. La Régence d’Alger24
Les rapports entre Paris et la Régence d’Alger s’étaient détériorés quand
Alger avait cherché à récupérer la fameuse « créance Bacri ». La France
devait en effet 7 millions de francs à Alger depuis que, durant la période
révolutionnaire et jusqu’au Directoire, cette dernière lui avait livré de
grandes quantités de blé. Les livraisons s’étaient faites par des circuits
interlopes et les intermédiaires, qu’il s’agisse des Bacri ou des Busnach,
représentants de riches familles de négociants juifs de la Régence, ou
encore de Talleyrand, y avaient beaucoup gagné, mais le Dey d’Alger
n’avait jamais été payé. Bonaparte avait refusé de solder la dette du
Directoire, trouvant que les taux pratiqués par les intermédiaires étaient trop
élevés. Paris et Alger avaient ensuite discuté, transigé et en 1820,
Louis XVIII avait remboursé la moitié de la dette, mais la somme avait été
consignée dans l’attente d’un arbitrage juridique. Comme rien n’avait été
versé à son trésor, le Dey d’Alger soupçonnait le consul Deval de
détournement et il demanda à Charles X son rappel.
Ce dernier était mal disposé à l’égard du Dey car il avait été mal informé.
La réponse française n’était pas arrivée quand se produisit l’« incident
Deval » : lors d’une audience, cet affairiste à la réputation discutable et dont
la seule présence indisposait le Dey Hassan, fut congédié par ce dernier,
étonné de le voir encore figurer parmi les représentants des nations
étrangères accréditées à Alger. Le Dey se voulant méprisant lui notifia qu’il
devait se retirer de sa vue au moyen du chasse-mouches qu’il tenait à la
main. Il n’y eut jamais de soufflet donné à Deval, mais le prétexte était tout
trouvé pour un régime français aux abois et qui escomptait un regain de
popularité d’une éventuelle victoire en terre d’Afrique. Le Dey refusant de
présenter ses excuses, la France considéra qu’il y avait casus belli (Péan,
2004). Contrairement à la croyance populaire française, la lutte contre la
piraterie algéroise n’était donc pas le motif de cette expédition car elle avait
quasiment pris fin depuis une dizaine d’années25.

La périodisation de la Course algéroise


Lemnouar Merouche (2001-2007) a considérablement renouvelé la vision « grand
public » d’Alger « nid de pirates ». Dans le tome II de son livre intitulé Recherche sur
l’Algérie à l’époque ottomane (2007), il traite en détail de la Course. Cette activité qui
débuta en 1520, constitua jusqu’en 1830 le cœur de la vie politique et économique de
la Régence. Selon lui, la course explique l’émergence et le maintien de ce qu’il
nomme l’« État d’Alger ». Il ne s’agissait pas de piraterie puisque les rais, les
capitaines, étaient des agents de l’« État ». D’ailleurs, toutes les nations maritimes se
livraient à cette activité. Il distingue trois grandes périodes. La première, entre 1535 et
1579, vit la fondation de l’« État d’Alger » qui s’ancra régionalement dans la lutte
menée contre l’Espagne. La seconde, entre 1580 et 1699, fut celle de l’apogée de la
Course, « le siècle de la Course », durant laquelle se construisirent les fortunes et les
hiérarchies sociales qu’elles impliquaient. À ce propos, l’auteur écrit qu’à l’exception
de raïs Hamidou, aucun des dirigeants de la course et aucun bâtisseur de fortune ne
fut d’origine algérienne. La troisième période qui recouvre les années 1780 à 1830 fut
celle du ralentissement, puis du déclin et enfin de la disparition de la Course. Dans
cette partie, Lemnouar Merouche se livre à une étude économique et politique
particulièrement éclairante. Il y montre que les revenus et les bénéfices liés à la
course ne cessant de décliner, les détenteurs des fortunes amassées durant la
période précédente se tournèrent vers des placements plus rentables, comme les
exportations agricoles, notamment de blé et nous rejoignons ici la « créance Bacri »
évoquée plus haut.

La marine française à bord de laquelle avait embarqué un puissant corps


expéditionnaire fit alors le blocus du port d’Alger. L’on continua cependant
à négocier, mais des plénipotentiaires français furent agressés, ce qui
envenima encore davantage la situation et, comme la situation devenait
dangereuse pour la flotte en raison des incertitudes climatiques, il fallut se
décider à agir et c’est pourquoi le débarquement fut décidé.

3. Le Maroc
Dans le dernier quart du XVIIIe siècle, le Maroc fut durement affecté par
une sécheresse qui dura de 1776 à 1782 puis par une épidémie de peste
entre 1797 et 1800. La famine et la mortalité qui en résultèrent firent que la
moitié de la population marocaine succomba durant ces vingt-cinq années.
Ces calamités ne furent peut-être pas étrangères à la poussée des tribus
berbères montagnardes en direction des plaines atlantiques.
Le mouvement avait débuté dans le moyen Atlas. Puis, en 1811, un
conflit éclata dans la région de Meknès entre Berbères sédentarisés –
Zemmour, Aït Yemmou et Guérouanes – et Berbères montagnards – Zaïans
et Béni Mguild –, désireux de s’établir à leur tour dans les plaines. Les
premiers, vaincus par les seconds rejoints entre-temps par les Guérouanes,
firent appel au sultan Moulay Slimane (1792-1822) qui intervint à leurs
côtés, mais les Zaïans et les Béni Mguild remportèrent deux victoires, l’une
en 1811, à Sefrou et la seconde en 1812 à Azrou. Bientôt, toutes les tribus
sanhaja et zénètes du moyen Atlas, s’unirent autour du chef des Aït Sidi
Ali, Abou Bekr Amhaouch. Les Aït ou Malou, les Béni Mguild, les Aït
Youssi, les Marmoucha et les Aït Serhouchen se trouvaient ainsi coalisés
contre le sultan et ils furent rejoints par les Zemmour. En 1818, l’armée du
sultan fut battue et Moulay Slimane fait prisonnier :
« La rébellion était dirigée contre tout ce qui parlait arabe au Maroc ;
elle devenait ouvertement une révolte berbère. » (Terrasse, 1949, t. II :
310)
Cette « révolte berbère » menaçait d’emporter le trône chérifien car elle
s’était alliée aux confréries religieuses26, qui combattaient Moulay Slimane
parce qu’il avait voulu s’attaquer à leurs privilèges. En 1820, les chefs de
confréries et les tribus berbères déposèrent le souverain qui ne fut sauvé que
par l’intervention des tribus arabes, dont les beni Maqil installés dans la
région depuis l’époque des Almohades. Le Maroc arabe l’avait donc
finalement emporté sur le Maroc berbère.
En 1822 Moulay Slimane abdiqua en faveur d’un de ses neveux qui
régna sous le nom de Moulay Abderrahmane (1822-1859) et qui fut
confronté au dynamisme conquérant des puissances européennes. Dès son
arrivée au pouvoir, le nouveau sultan, contrairement à son prédécesseur,
tenta d’ouvrir le Maroc à des partenaires commerciaux en signant des
conventions avec le Portugal en 1823, l’Angleterre en 1824, la Sardaigne et
la France en 1825. Parallèlement, il essaya de rétablir la puissance maritime
de son empire en favorisant la reprise de la Course, ce qui, en juillet 1828,
provoqua une grave crise internationale.
Comme nous le verrons plus loin, pour le Maroc, le principal danger
venait de l’Est, c’est-à-dire d’Algérie où, depuis 1830 la France était
présente. En 1832, afin d’obtenir la neutralité du Maroc dans les affaires
algériennes, Paris envoya une mission dirigée par le comte de Mornay27.
Quelques années plus tard, Abd el Kader continuant à tenir tête à l’armée
française les Oulemas de Fès décrétèrent que sa résistance s’apparentait au
djihad, à la guerre sainte, ce qui fit que le Maroc se trouva impliqué dans un
conflit dont il se serait bien passé et qui aboutit le 14 août 1844 à la défaite
de l’oued Isly. Le 18 mars 1845, Français et Marocains signaient le traité de
Lalla Maghnia par lequel une frontière était tracée entre l’Algérie et le
Maroc, de la mer à la hauteur de Teniet Sassi, au sud-est d’Oujda. Tribus,
villages et ksours (ksar ou villages fortifiés) furent alors séparés de la
manière la plus artificielle, ce qui ouvrit la porte à tous les conflits
ultérieurs.
Moulay Abderrahmane mourut en 1859 en ayant désigné son fils Sidi
Mohamed pour lui succéder. Ce dernier régna sous le nom de Mohamed IV
(1859-1873). Son successeur fut son fils Moulay Hassan qui régna sous le
nom de Moulay Hassan Ier (1873-1894)28. Jouissant d’un grand prestige en
raison de sa piété et de sa pondération, il tenta de reconstituer l’unité du
royaume en menant de nombreuses expéditions destinées à ramener les
tribus dans la fidélité au trône alaouite.

C. La France en Algérie
La présence française en Algérie résulte de choix politiques bien
incertains, ce qui fit que très rapidement, Paris se demanda ce qu’il
convenait de faire de ce qui apparût rapidement comme une encombrante
conquête. Après une phase d’administration militaire respectueuse des
particularismes, l’Algérie fut ensuite coulée dans le moule républicain au
lendemain de la guerre de 1870, ce qui ne fut pas étranger à la Révolte
kabyle.

1. La conquête
Le 14 juin 1830, le corps expéditionnaire français fut mis à terre sur la
plage de Sidi Ferruch. Les défenses d’Alger furent prises à revers, par la
voie de terre, l’artillerie turque étant tournée vers la mer et la ville capitula
le 5 juillet. Dans le reste du pays, certaines tribus et plusieurs responsables
turcs prirent le parti des Français afin de régler des querelles locales,
comme à Oran ou à Bône ; d’autres résistèrent, comme à Constantine, qui
ne fut prise qu’en 1837.
Dans un pays qui n’existait pas29, aucune « résistance nationale » ne se
manifesta avant la tentative d’Abd el-Kader dans l’ouest de l’Algérie. Né à
Mascara en 1808, Abd el-Kader30 appartenait à la tribu arabe des Beni
Hachem (les Hachémites) qui se rattachait à la lignée des Idrissides, les
fondateurs du premier État marocain au IXe siècle. Il descendait donc du
Prophète, comme le sultan alaouite qui était sur le trône du Maroc. Mahi ed
Dine, le père d’Abd el-Kader avait d’ailleurs été son khalifat (ou
représentant) à Tlemcen. Opposant au pouvoir turc, il avait par deux fois été
condamné à la prison, en 1818 et en 1824. Le chérifisme était donc un
facteur « supranational » très largement utilisé par les souverains marocains
qui avaient, comme nous l’avons vu, toujours suivi une politique d’extrême
méfiance à l’égard des Turcs.
Abd el-Kader voulut utiliser la présence française qu’il pensait provisoire
pour éliminer les Turcs et devenir ainsi « sultan des Côtes d’Alger, d’Oran
et de Tlemcen jusqu’à la frontière de Tunis ». Comme ils détestaient Abd el-
Kader, les Turcs et les Kouloughli de Tlemcen ainsi que les anciennes tribus
maghzen de l’Oranie, à savoir les Douairs et les Smela dont le territoire
était la plaine de Mleta, et qui étaient dirigées par Mustapha ben Ismail se
rallièrent aux Français. Une guerre confuse éclata alors.

Bugeaud
De haute taille, vigoureux, l’œil gris clair, le nez légèrement aquilin, ancien officier de
la Grande Armée, Thomas Robert Bugeaud, marquis de la Piconnerie, duc d’Isly,
maréchal de France, naquit à Limoges le 15 octobre 1784. Engagé volontaire en
1804 dans la Garde impériale, il participa à la bataille d’Austerlitz comme caporal et à
celle de Waterloo avec le grade de colonel. Il gagna la plupart de ses grades durant
les campagnes d’Espagne où il servit quasiment sans interruption de 1808 à 1813, et
où il acquit une grande expérience de la guerre contre les partisans ce qui lui servira
en Algérie. Rallié à l’Empereur durant les Cent Jours, il fut mis en demi-solde et se
retira en Dordogne avant de reprendre sa carrière sous la Monarchie de Juillet.
Promu maréchal de camp le 2 avril 1831, il se fit élire député de la Dordogne au mois
de juillet de la même année. Au mois de mai 1836 il fut nommé à la tête des renforts
envoyés en Algérie. Il avait alors cinquante-deux ans et une nouvelle carrière
s’ouvrait devant lui.
Dès son arrivée au mois de juin 1836, Bugeaud décida de bousculer les pesanteurs
qui faisaient de l’armée d’Algérie un corps lent et peu apte aux combats d’Afrique. La
lutte contre la guérilla espagnole ayant été formatrice, il décida de se débarrasser des
lourds convois et d’une artillerie qu’il jugeait largement inutile dans ce genre de
campagne. Sa première priorité fut d’alléger les hommes qui portaient alors un
fourniment composé de sept à huit jours de vivres, de soixante cartouches, de
chemises et souliers de rechange, d’ustensiles de cuisine et de couchage, etc.
Sa vision fut clairement définie dans un rapport daté du 10 juin 1836 :
« Il faut, pour commander en Afrique, des hommes vigoureusement trempés au moral
comme au physique. Les colonels et les chefs de bataillon un peu âgés, chez qui la
vigueur d’esprit et de cœur ne soutient pas les forces physiques devraient être
rappelés en France […] Ce qu’il faut aussi pour faire la guerre avec succès, ce sont
des brigades de mulets militairement organisés afin de ne pas dépendre des
habitants du pays, de pouvoir se porter partout avec légèreté et de ne pas charger les
soldats. »
Dans un autre rapport daté du 24 juin celui-là, il préconisait la création d’unités
spécialisées, car les régiments de renfort arrivant de France avaient une mentalité
qu’il qualifiait de « détestable », leurs officiers servant en Afrique à contrecœur, ce qui
avait naturellement pour effet de démoraliser les hommes. Aussi, écrivait-il qu’il fallait
« des troupes constituées tout exprès ».
En fin de séjour, il rédigea un Mémoire sur la guerre dans la province d’Oran. Il y
reprenait les idées développées dans ses précédents rapports :
« Il ne faut point trop multiplier les postes fortifiés, qui diminuent les ressources
disponibles en hommes, sont coûteux et difficiles à ravitailler, et exposent aux
surprises. »
Il concluait en préconisant le mouvement, toujours le mouvement et cela grâce à la
mise au point d’un « système de colonnes agissantes ». Gouverneur général de
l’Algérie du 29 décembre 1840 au 29 juin 1847, Bugeaud quitta l’Algérie le 5 juin
1847 après avoir démissionné. Nommé Maréchal de France le 31 juillet 1843, élu
député de la Charente Inférieure du 26 novembre au 10 juin 1849, il mourut à Paris le
10 juin 1849, emporté par le choléra.

Nommé lieutenant général en 1836, Bugeaud fut chargé d’une délicate


mission en Algérie. Le gouvernement voulait en effet signer la paix avec
Abd el Kader et il eut carte blanche pour l’obtenir, sans avoir à en référer au
Gouverneur, le général de Damrémont31, qui protesta vigoureusement
auprès du roi Louis-Philippe. Bugeaud débarqua le 5 avril 1837 et le traité
de la Tafna fut signé le 30 mai. Abd el Kader se voyait reconnaître la
possession de l’Oranie et de l’Algérois. La France conservait Oran et Alger
ainsi qu’une petite zone de colonisation dans l’immédiat environnement de
cette dernière. Par une lettre en date du 29 mai 1837 rédigée au camp de la
Tafna et destinée au ministre de la Guerre, Bugeaud justifia ainsi les
importantes concessions faites à Abd el-Kader :
« J’ai cru qu’il était de mon devoir comme bon Français, comme sujet
fidèle et dévoué du Roi, de traiter avec Abd el-Kader, bien que les
délimitations du territoire fussent différentes de celles qui m’ont été
indiquées par M. le ministre de la Guerre. »
En signant ce traité, Bugeaud n’était semble-t-il pas en désaccord avec
les vues du gouvernement puisque, le 22 mai 1837, le comte Louis Molé,
président du Conseil, écrivit au général de Damrémont :
« Le but que le gouvernement se propose n’est pas la domination
absolue ni l’occupation effective de la Régence […] La France a surtout
intérêt à être maîtresse du littoral. Les principaux points à occuper sont
Alger, Oran et Bône avec leurs territoires. Le reste doit être abandonné
à des chefs indigènes. »
À l’Assemblée, certains représentants reprochèrent à Bugeaud les
abandons contenus dans les accords de la Tafna. En 1838, alors qu’il était
toujours député de la Dordogne, il défendit le traité qu’il avait conclu,
répondant aux critiques des parlementaires avec un grand sens politique
doublé d’une rare clairvoyance. Il argumenta, expliquant que l’alternative
était simple : soit le traité qu’il avait signé, soit une guerre coûteuse en
hommes, en moyens et en définitive inutile car le système militaire français
étant inadapté, les territoires conquis ne pourraient dans tous les cas pas être
conservés. D’ailleurs, quelle était au juste la politique de la France ? Avant
toutes choses il importait de le savoir et Bugeaud eut alors cette phrase :
« Vous n’avez pas encore de système ; je vous ai donné par le traité, du
temps pour en juger ; et quand ce ne serait que cela, ce serait déjà un
très grand service. »
Il ajoutait que si la France voulait conquérir l’Algérie il faudrait d’abord
réorganiser l’armée en profondeur et lui donner d’autres moyens que ceux
qui y étaient déployés. C’est ainsi que 100 000 hommes seraient nécessaires
qu’il faudrait répartir en dix colonnes de 10 000 hommes chacune, 3000
demeurant au dépôt et les 7 000 autres légèrement équipés et très mobiles,
devant sillonner le pays.
Après la signature du Traité de la Tafna, Abd el Kader chercha à
constituer un État et un consul de France résida auprès de lui à Mascara. La
rupture avec la France se produisit à l’automne 1839 quand le maréchal
Valée32 relia Constantine à Alger par les « Portes de fer des Bibans33 », ce
que le jeune Émir considéra comme une violation territoriale de la
Convention de la Tafna et il proclama alors le djihad, la guerre sainte. Les
régions contrôlées par les Français furent attaquées, notamment les zones de
colonisation de la Mitidja où de nombreux colons furent massacrés. Les
postes de Koléa et de Blida furent assiégés et l’avant-garde d’Abd el Kader
poussa jusque sous les murs d’Alger.
Les nouvelles d’Algérie qui parvenaient à Paris étaient alarmantes et le
15 janvier 1840, le député Bugeaud donna son avis en séance. Après avoir
exposé qu’il n’y avait selon lui que trois options possibles, à savoir
l’abandon pur et simple, l’occupation maritime de « quelques Gibraltar »
qui absorberait des effectifs disproportionnés pour des objectifs peu clairs,
ou enfin la conquête totale, il déclara :
« […] Je ne serai pas suspect quand je dirai que l’occupation restreinte,
me paraît une chimère. Cependant, c’est sur cette idée qu’avait été fait
le traité de la Tafna. Eh bien, c’est une chimère […] Messieurs, il ne
reste pas trois partis à prendre : l’abandon, l’occupation maritime et la
conquête absolue.
L’abandon, la France officielle n’en veut pas […]. L’occupation
maritime serait bonne si l’on pouvait avoir sur la côte quelques
Gibraltar qu’on pût garder avec 1 200 ou 1 500 hommes et
approvisionner par mer. Mais il n’en est point ainsi ; vous avez des
populations considérables à nourrir : 35 000 âmes à Alger, 12 000 à
15 000 à Oran, 8 000 à Bône, etc. Vous ne pouvez étouffer ces grosses
populations entre quatre murailles, il leur faut une zone pour leurs
besoins et pour la sécurité de ces zones il faut 25 000 ou 30 000
hommes. […] Il ne reste donc, selon moi, que la domination absolue, la
soumission du pays […]. Oui, à mon avis, la possession d’Alger est une
faute, mais puisque vous voulez la faire […], il faut que vous la fassiez
grandement. Il faut donc que le pays soit conquis et la puissance d’Abd
el-Kader détruite […] »
En mai 1840, toujours devant les députés, il s’opposa à la stratégie des
petits postes suivie par le maréchal Valée :
« Que diriez-vous, d’un amiral qui, chargé de dominer la Méditerranée,
amarrerait ses vaisseaux en grand nombre sur quelques points de la côte
et ne bougerait pas de là ? Vous avez fait la même chose. Vous avez
réparti la plus grande partie de vos forces sur la côte, et vous ne pouvez,
de là, dominer l’intérieur. Entre l’occupation restreinte par les postes
retranchés et la mobilité, il y a toute la différence qui existe entre la
portée du fusil et la portée des jambes. Les postes retranchés
commandent seulement à portée de fusil, tandis que la mobilité
commande le pays à quinze ou vingt lieues. Il faut donc être avare de
retranchements, et n’établir un poste que quand la nécessité en est dix
fois démontrée. »
Au mois de décembre 1840 le Maréchal Valée était rappelé en France et
Bugeaud désigné pour le remplacer. Cette nomination par le roi Louis-
Philippe provoqua des remous chez les partisans de la conquête car le
nouveau commandant en chef était considéré par eux comme un adversaire
de ce projet. Débarqué à Alger le 22 février 1841, Bugeaud était donc de
retour pour une troisième campagne et c’est lui, l’opposant à l’occupation
de l’Algérie, qui allait pourtant soumettre le pays.
En 1841, Bugeaud prit Saïda et Boghari. En 1842, ce fut le tour de
Tlemcen, puis il fonda Orléansville. Tandis qu’il harcelait l’émir Abd-el-
Kader dans l’ouest de l’Algérie, de Mascara à Saïda, Lamoricière et
Changarnier dispersaient ses lieutenants dans la région d’Alger et d’Oran.
Le 16 mai 1843, les cinq cents cavaliers du duc d’Aumale et de Yusuf34
capturaient la Smala (camp mobile) d’Abd el-Kader. Les survivants se
replièrent au Maroc, base arrière d’autant plus solide pour eux qu’Abd el
Kader avait épousé une des filles sultan Moulay Abderramane (1822-1859)
et qu’il reconnaissait son autorité religieuse. Les oulémas de Fès décrétèrent
que sa résistance s’apparentait au djihad, à la guerre sainte.
En 1844, un poste militaire français fut construit à Lalla-Maghnia. Cette
zone étant marocaine, le sultan y envoya donc une armée. La guerre entre le
Maroc et la France éclata ensuite Le 6 août 1844, l’escadre du prince de
Joinville bombarda Tanger et le 15 août, après un débarquement, le prince
se rendit maître de Mogador qui fut brièvement occupée. La veille, le
14 août 1844, Bugeaud avait remporté la bataille de l’oued Isly qui fut un
désastre pour l’armée marocaine. Le 10 septembre 1844, le Maroc signa les
accords de Tanger et le 18 mars 1845, Français et Marocains paraphaient le
traité de Lalla Maghnia par lequel une frontière artificielle était tracée entre
le Maroc et l’Algérie. La France était désormais engagée dans une
entreprise de conquête dans la durée.
En 1845, Abd el-Kader reprit le combat alors que Bugeaud était rentré en
France pour un congé, laissant le commandement au général de La
Moricière. À l’automne, les colonnes françaises perdirent de nombreux
morts dans de meurtrières embuscades et Bugeaud revint en hâte. Le
22 décembre 184735, traqué par les colonnes mobiles françaises, devenu
indésirable au Maroc qui ne voulait pas de nouvelle confrontation armée
avec la France, ayant vu ses forces se réduire, Abd el-Kader se rendit au
général Lamoricière. Le lendemain il fit sa soumission au duc d’Aumale qui
venait juste de succéder à Bugeaud comme gouverneur général de l’Algérie.
Les honneurs de la guerre lui furent rendus et le duc s’engagea à lui rendre
sa liberté afin qu’il puisse se retirer au Levant36.

La tension avec le Maroc


Le traité de Lalla Maghnia (1845) autorisait la France à exercer son droit de suite au
Maroc. Or, comme il devenait nécessaire de le faire de façon quasi permanente, le
gouvernement français décida d’intervenir directement auprès du sultan afin de lui
demander de contrôler les tribus frontalières relevant de son autorité. Mais le
Makhzen (administartion ou État marocain) n’étaient plus en mesure d’imposer
l’autorité de l’État sur les confins du royaume. Bientôt la situation dégénéra à la
frontière entre le Maroc et l’Algérie, à la suite de problèmes internes à la tribu des
Ouled Sidi Cheikh, divisée en deux groupes, celui des Cheraga, qui vivait en territoire
français, et celui des Gharaba sous autorité marocaine. En 1861, à la mort du chef
des Cheraga, Si Hamza, un allié de la France, les deux composantes de la tribu
décidèrent de se réunir et une insurrection éclata, s’étendant aux hauts plateaux
algériens dont les populations se joignirent aux Ouled Sidi Cheikh.
En 1870, le général Wimpfen battit les Cheraga qui trouvèrent refuge au Maroc où il
les poursuivit. Durant plus de dix années, les Ouled Sidi Cheikh posèrent des
problèmes à l’état-major français en raison de leurs incessants rezzous menés à
partir du Maroc (Nordman, 1996a : 41-71). En 1884, l’ensemble de la tribu se soumit
à l’exception de Bou Amama. Ce marabout fondateur d’une zaouia demanda la
protection effective du sultan du Maroc sur les oasis du Touat afin de se garder des
ambitions françaises qui devenaient de plus en plus réelles depuis l’annexion du
Mzab en 1882. La crainte des populations de la région venait surtout de la volonté
française d’exercer des représailles à la suite du massacre de la mission Flatters le
16 février 1881 au puits de Bir-el-Gharana dans le Hoggar, volonté renforcée à la
suite de l’assassinat du lieutenant Palat près d’In Salah en 1886. C’est pourquoi les
gens du Tidikelt se placèrent également sous la protection marocaine mais, le
gouvernement français hésitait encore à lancer une vaste campagne militaire sur le
territoire marocain37.
2. L’Algérie sous administration militaire
Après la reddition d’Abd el-Kader, les ultimes résistances furent certes
farouches, mais d’abord désordonnées, les tribus révoltées ne parvenant pas
à s’unir contre les Français. En 1857 la Kabylie fut soumise, mais d’une
manière superficielle. Implicitement annexée à la France, l’Algérie fut
d’abord administrée selon la Loi du 24 avril 1833 créant les établissements
français d’Afrique dont la gestion était prévue par Ordonnances royales.
C’était en réalité une colonie militaire dont le régime fut défini par
l’Ordonnance du 22 juillet 1834. Elle était rattachée au ministère de la
Guerre et dirigée par un Gouverneur Général.
Bugeaud créa les Bureaux arabes dont le premier commandant fut le
général Daumas. L’Arrêté ministériel du 1er février 1844 créa le Service des
Bureaux Arabes composé d’officiers appartenant à toutes les armes, bons
connaisseurs des langues et des mœurs des populations dont ils avaient la
charge. Ils étaient placés en « hors cadre » ou détachés et furent mis à la
disposition du Service. À la tête du corps se trouvait un Bureau Politique
stationné à Alger et qui commandait à trois directions provinciales
territorialement alignées sur les trois divisions militaires. Ces dernières
étaient composées de bureaux de « première » et de « deuxième » classe
placés auprès des commandants des subdivisions militaires, et subdivisés en
postes ou cercles. À la base, sur le terrain, chaque Bureau Arabe était
composé d’un officier chef du Bureau, d’un ou de plusieurs officiers
adjoints, d’un interprète, d’un ou de plusieurs secrétaires, généralement des
sous-officiers français ; d’un secrétaire indigène ou khodja, d’un chaouch,
d’un médecin, d’un détachement de spahis et de moghaznis qui étaient des
auxiliaires militaires recrutés localement (Frémeaux, 1993).
Les chefs de bureau étaient en même temps administrateurs, médiateurs,
juges, officiers d’état civil, gendarmes. En quelques années, ce service,
composé d’un personnel d’élite fut d’une remarquable efficacité. Son
autorité morale incontestée en fit l’instrument essentiel de la pacification. Il
combattit victorieusement la politique dite du « cantonnement » qui visait à
exproprier les tribus de leurs terrains de parcours pour les troupeaux et ils
s’attirèrent donc l’hostilité des partisans de la colonisation agricole
européenne. Conscients des réalités, soucieux de ne pas déraciner les
populations, ils respectèrent la religion musulmane, soutinrent les confréries
à travers lesquelles ils exerçaient le contrôle du pays ainsi que leurs
établissements d’enseignement, les zaouias.
Le 6 février 1863, l’empereur Napoléon III écrivit au maréchal Pélissier
alors gouverneur général de l’Algérie :
« L’Algérie n’est pas une colonie proprement dite, mais un « royaume
arabe ». Les indigènes ont comme les colons un droit égal à ma
protection et je suis aussi bien l’Empereur des Arabes que l’Empereur
des Français. »
Après avoir hésité entre un certain jacobinisme et un réel fédéralisme,
l’Empereur avait donc défini des vues précises quant au statut de l’Algérie.
Sensible aux arguments des militaires, eux-mêmes soucieux du sort des
musulmans, et qui ne voulaient donc pas d’une colonisation massive,
Napoléon III déclara qu’il n’avait pas l’intention de sacrifier
« deux millions d’indigènes à deux cent mille colons », et il eut une
politique très originale reposant sur l’idée d’un double statut. C’est ainsi
que les natifs devinrent des « sujets français » sans perdre pour autant leur
statut civil musulman. Ils eurent accès à tous les emplois civils et militaires
sous réserve de compétence et obtinrent d’être représentés dans les conseils
municipaux et généraux. Quant aux tribus, elles se voyaient reconnaître la
propriété de leurs territoires. Cette politique généreuse et réaliste dont la
paternité revenait au Bureau arabe fut farouchement combattue par les
colons qui devinrent à partir de ce moment de fermes opposants au régime
impérial. Par réaction, ils se rallièrent à l’opposition républicaine.
Le fond du problème était que le Bureau arabe protégeait les indigènes
des tentatives de spoliation car le nombre des Européens était passé de
moins de 600 à la fin de 1830 à 160 000 en 1856 et à plus de 200 000 en
1870 ; or, pour certains colons, le corps des Bureaux arabes était un
obstacle qu’il importait de supprimer.
L’effondrement de l’Empire fut accueilli dans la joie chez les Européens
d’Algérie qui se mirent à croire qu’ils allaient désormais pouvoir
s’affranchir du régime militaire et établir leur propre régime civil. Ils
rallièrent donc avec enthousiasme les nouvelles autorités de Tours afin d’en
finir avec ce qu’ils appelaient « le régime du sabre » et, fin octobre 1870, ils
créèrent des communes insurrectionnelles ou des « comités républicains » à
Alger, Oran, Constantine, Philippeville et Bône. Le 30 octobre, Alger passa
ainsi sous le contrôle d’un avocat, Romuald Vuillermoz, déporté républicain
de 1848 qui s’autodésigna « Commissaire civil extraordinaire par intérim »,
proclama le régime civil et exigea la suppression des Bureaux arabes.
Les insurgés furent écoutés par le Gouvernement provisoire qui confia
l’Algérie au garde des Sceaux, Adolphe Isaac Crémieux38. Investi des pleins
pouvoirs, cet adversaire déterminé du régime militaire promulgua 58
décrets en moins de cinq mois. Son but était de couler l’Algérie dans le
moule français et de la soumettre au même régime que les départements de
la métropole, ayant des préfets à leur tête et une représentation au
Parlement. Les décrets du 24 octobre 1870 plaçaient l’Algérie sous
l’autorité d’un gouverneur général civil dépendant du ministère de
l’Intérieur et naturalisaient les Juifs d’Algérie, faisant d’eux des citoyens
français de plein exercice à la différence des musulmans qui étaient des
sujets de la République.
Crémieux fit un véritable procès en sorcellerie aux Bureaux arabes, les
accusant de « politique antinationale » pour s’être opposés à l’extension de
la colonisation terrienne. Par le décret du 24 décembre 1870 le corps fut
décapité, le Bureau Politique et les subdivisions étant supprimés. Il allait
bientôt être vidé de sa substance par le décret du 1er janvier 1871 qui le
transformait en Bureau des Affaires Indigènes et le cantonnait aux territoires
du Sud, là où le colonat était inexistant (Frémeaux, 1993).
Le régime civil républicain succédait donc au régime militaire. Son
jacobinisme, le mépris qu’il affichait pour les populations indigènes, son
laïcisme qui fit passer ses représentants pour des mécréants aux yeux des
musulmans, allaient exercer des ravages et provoquer un traumatisme que
l’Algérie française ne surmonta jamais.

3. La révolte kabyle de 1870


Le soulèvement kabyle de 1871 qui débuta au sud de Souk-Ahras à la fin
du mois de janvier 1871, s’étendit comme une traînée de poudre. Au mois
d’avril 1871, la Petite Kabylie était touchée, puis la région de Tébessa et
enfin la Grande Kabylie.
Ce n’était pas la première fois que la montagne bougeait. Des
insurrections sporadiques s’étaient en effet déjà produites entre 1858 et
1870 dans les Kabylies, les Aurès et le Hodna. Mais en 1871 le
soulèvement prit une autre dimension, même si la présence française ne fut
pas réellement menacée. Les insurgés se rassemblèrent derrière Mohammed
el-Mokrani, un notable dont le père s’était rallié aux Français après la prise
de Constantine. Sa révolte était d’abord féodale39 et, même si des motifs
personnels l’avaient amplifiée, il n’en demeure pas moins qu’elle
s’expliquait d’abord par une incompréhension de la nouvelle politique
française, ce qui lui fit dire :
« Je consens à obéir à un soldat, mais je ne recevrai jamais d’ordres
d’un juif, ni d’un marchand40 » (cité par Martin, 1987 : 109).
Féodale et aristocratique la révolte fut également populaire, mais, seuls
les Kabyles se soulevèrent, tandis que les populations « arabes » de l’ouest
ne bougèrent pas. Au moment du déclenchement de l’insurrection kabyle,
l’armée d’Algérie était d’ailleurs largement composée d’unités de tirailleurs
qui demeurèrent dans le devoir. Les Kabyles étaient pour leur part restés à
l’écart du soulèvement d’Abd el-Kader dans les années 1840. L’Algérie
n’était décidément pas une nation.
Le mouvement fut une lame de fond en pays kabyle puisqu’entre
80 000 et 100 000 combattants coururent aux armes, attaquant fermes et
villages. Tizi-Ouzou fut prise à l’exception du bordj à l’intérieur duquel une
poignée de Français résista. L’insurrection toucha la région côtière et les
insurgés qui marchaient sur Alger furent arrêtés le 22 avril 1871 par des
volontaires européens.
En France, malgré l’insurrection de la Commune, le danger fut évalué à
sa juste mesure et de très importants renforts promptement rassemblés. La
lutte fut âpre, les villages perchés devant être enlevés les uns après les
autres. Le 5 mai, Mokrani fut tué et son frère Bou Mezrag le remplaça.
Dans leurs représailles, les Français eurent la « main lourde » :
condamnations à mort, déportations en Nouvelle-Calédonie, impôt de
guerre, confiscation de terres, destruction de plantations, etc.
L’insurrection kabyle était écrasée ; elle avait tiré sa force de son support
ethnique mais ce fut également sa faiblesse car elle ne réussit pas à
impliquer les tribus arabes. Ses traces allaient demeurer même si, en dépit
de petits mouvements sporadiques périodiques, l’Algérie allait désormais
connaître des décennies de paix.
Aux ordres des nouvelles autorités républicaines l’amiral de Gueydon qui
avait écrasé la révolte kabyle, installa des villages de colonisation sur les
terres confisquées aux tribus insurgées. Son successeur, le général Chanzy,
un authentique républicain, acheva de mettre en place le régime civil qui
broya sans états d’âme les identités indigènes.
Le décret du 26 août 1881 retira ce qui restait de personnalité à l’Algérie
avec la mise en place du système des « rattachements » qui enlevait ses
derniers pouvoirs au Gouverneur général. Chacun des grands services
administratifs d’Algérie était désormais directement placé sous l’autorité
des ministères parisiens et chaque administration ne fut plus qu’un bureau
détaché.
À partir de 1892 le système des « rattachements » fut dénoncé devant le
Parlement par les élus d’Algérie eux-mêmes, tant les lourdeurs
administratives et l’incompétence des services parisiens entravaient toute
initiative locale. Mais il fallut attendre le Gouverneur général Jules
Cambon, en poste d’avril 1891 à septembre 1897, pour que le système soit
enfin aboli par le décret du 31 décembre 1896 qui mettait fin aux
« rattachements » et adoptait une timide forme de décentralisation. La
période de l’assimilation administrative était terminée. La décentralisation
se fit ensuite en trois étapes :
– le décret du 23 août 1898 définit les nouveaux pouvoirs du Gouverneur
général puis les délégations financières, etc. ;
– la loi du 19 décembre 1900 dota l’Algérie de la personnalité civile ;
– la loi du 24 décembre 1902 aménagea une circonscription distincte,
celle des Territoires du Sud.
Pour le législateur l’Algérie n’était donc plus un simple prolongement de
la France car il reconnaissait qu’elle avait un caractère propre. Cependant,
elle n’avait ni autonomie politique, ni financière ; la gestion était certes
décentralisée mais elle demeurait étroitement subordonnée aux pouvoirs
publics métropolitains.

1. Dans l’immensité de la bibliographie, on retiendra : Laurens (1989), Brégeon (1991), Laissus


(1998), Tranié et Carmignani (1988).
2. Tippoo-Sahib (1749-1799), le sultan de Mysore allié de la France avait continué la lutte après le
départ des Français et en 1784, il avait réussi à chasser les Anglais de la région de Mysore.
3. Mourad bey (1750-1801) était un des vingt-quatre beys mamelouks gouvernant l’Égypte pour le
compte du sultan ottoman contre lequel il se rebella. Après avoir farouchement combattu les
Français, il se rallia à eux quand La Porte envoya un puissant corps expéditionnaire en Égypte.
Mourad Bey qui craignit alors, en cas de victoire turque, les représailles du Sultan, lia son sort à
l’armée d’Égypte. Il mourut de la peste en 1801.
4. « Quoique l’Égypte soit soumise en apparence, elle n’est rien moins que soumise en réalité. »,
Kléber, dernier rapport au Directoire.
5. Le 1er mars 1811, Mehémet Ali fit exterminer les Mamelouks qui ne cessaient de comploter contre
lui.
6. Envoyé à Istanbul, Mahmoud II le mit en cage et le fit promener durant trois jours dans les rues de
sa capitale avant de le faire décapiter publiquement devant Sainte Sophie.
7. C’est de là que le Wahabisme renaquit de ses cendres en 1902 et qu’il s’étendit sur toute l’Arabie.
8. L’insurrection éclata en Grèce en 1821 ; en 1822, le congrès d’Epidaure proclama l’indépendance.
La réaction turque fut brutale et les forces ottomanes reprirent Missolonghi et Athènes. En 1827, la
France, la Grande Bretagne et la Russie intervinrent. La Russie qui était entrée en guerre obtint
l’indépendance de la Grèce par le traité d’Andrinople en 1829. En 1830, cette indépendance fut
confirmée par le traité de Londres, la Grande-Bretagne, la France et la Russie garantissant
l’indépendance de l’État grec.
9. L’aîné, Ismail fut brûlé vif durant la campagne du Soudan en 1822.
10. Soliman Pacha était un officier français du nom de Joseph Anthelme Sève. Né à Lyon e 1788, il
avait fait la campagne de Russie. Durant les Cent Jours, il fut attaché à l’état-major de Grouchy en
qualité de lieutenant. Il quitta l’armée sous la Restauration et partit pour l’Égypte où Méhémet Ali
était à la recherche d’instructeurs européens afin de moderniser son armée.
11. Méhémet Ali qui avait perdu sa flotte regretta de ne pas avoir écouté les envoyés des Puissances
qui avaient tenté de le dissuader d’intervenir en Grèce ; en 1828, il rapatria l’armée de Morée.
12. La reconnaissance par le sultan ottoman de la vice-royauté égyptienne de Méhémet Ali marquait
une considérable évolution dans la mesure où la notion de nation arabe commençait à s’élaborer
face à celle d’empire musulman ou califat.
13. Méhémet Ali mourut le 2 août 1849.
14. Abbas Ier (1849-1854), petit-fils de Méhémet Ali chercha, par la négociation, à persuader la
Turquie d’accorder à l’Égypte une autonomie de plus en plus importante. Il fut assassiné en 1854.
15. Ses frères, ses oncles et ses neveux ne pouvaient donc pas hériter de ce titre. Le titre de khédive
qui ne servit à désigner que le monarque égyptien était, dans la hiérarchie ottomane, situé entre le
sultan et les ministres. En 1873, Ismail imposa l’existence de l’Égypte en tant qu’État, ce qui
marqua une nouvelle étape vers la souveraineté. Au fur et à mesure de la réalisation de ces étapes,
l’évolution se fit donc vers l’idée de patrie et d’État-nation, ce qui écartait donc le concept ancien
d’une supranationalité des croyants au sein d’un califat présentement incarné par l’Empire ottoman.
16. Ce qui avait favorisé la coupure en deux du pays. C’est ainsi que la Basse-Égypte, en partie
intégrée à l’économie européenne, avait vu naître une bourgeoisie dirigeante nationale qui était son
relais, tandis que la Haute-Égypte était demeurée totalement rurale.
17. Les actions détenues par des Français l’étaient essentiellement par des petits porteurs et non par
l’État.
18. Cette revendication nationale était largement portée par un renouveau islamique et par
l’émergence d’un courant intellectuel qui marqua très fortement les élites égyptiennes. Il fut
largement incarné par Abdullah al-Nadim (1843-1896), propriétaire de plusieurs journaux.
19. En s’étendant vers le Sud, Mehémet Ali poursuivait également un autre but qui était d’en finir
avec ceux des Mamelouks qui refusaient son autorité et qui s’étaient réfugiés en Nubie. Sur la
question de l’impérialisme égyptien, voir Lugan (2002).
20. Rappelé en Angleterre, il fut à nouveau nommé à ce poste en 1884.
21. Comme nous l’avons dit, les Kouloughli étaient des métis de Turcs et de femmes indigènes.
22. Il s’agit d’un ordre religieux musulman fondé au XIXe siècle par un Algérien, Mohamed ben Ali
as-Senoussi, né en 1780. S’étant exilé en 1843 pour ne pas devoir obéir à des chrétiens, il s’établit
en Tripolitaine où il créa une confrérie à laquelle il donna une rigoureuse organisation et qui se
développa le long des axes caravaniers et qui fut l’âme de la résistance à l’implantation française
dans le Sahara oriental puis à la mainmise italienne dans la future Libye.
23. Le 8 août 1830, par un traité conclu entre le consul de France à Tunis, Mathieu de Lesseps et le
Bey de Tunis, ce dernier cédait « à perpétuité à Sa majesté le Roi de France, un emplacement à
carthage pour ériger un monument religieux à la mémoire du Roi Louis IX ».
24. Voir à ce sujet Merouche (2002 et 2007).
25. Les Français délivrèrent tout de même 122 captifs du bagne d’Alger.
26. À l’exception de la Tidjania, confrérie soufie fondée au début du XIXe siècle par Ahmad ibn Idris
qui au contraire soutenait le sultan. Cet ordre mystique musulman appliquant un sunnisme chaféite
doit son nom à Abd al-Qadir al-Jilani, un prédicateur hanbalite renommé qui vivait au XVIIe siècle à
Bagdad (Sourdel, 1996a).
27. Delacroix qui en faisait partie en rapporta des carnets de dessins qui constituent un « reportage »
sur le « vieux » Maroc.
28. Sur le règne de Moulay Hassan et l’étendue réelle de son pouvoir, on se reportera à D. Nordman
(1996b : 101-126).
29. Et qui n’avait pas de nom, puisque le nom d’Algérie lui fut donné le 14 octobre 1839 par le
général Antoine Schneider, ministre de la Guerre sous la monarchie de Juillet dans le deuxième
gouvernement Soult : « Le pays occupé par les Français dans le nord de l’Afrique sera, à l’avenir
désigné sous le nom d’Algérie ».
30. Abd el Kader, de son vrai nom Abd al-Qadir ibn Muhyi al-Din (Mascara1808-Damas 1883).
Ayant caressé le rêve de création d’une Algérie unifiée sous son autorité, il échoua car il ne parvint
pas à unir les tribus autour d’un but commun supérieur.
31. Le général de Damrémont qui était le successeur de Clauzel à la tête de l’armée d’Afrique trouva
la mort quelques semaines plus tard, le 12 octobre 1837, tué par un éclat d’obus lors de la prise de
Constantine.
32. Le comte Sylvain-Charles de Valée commandait l’artillerie lors de la prise d’Alger en 1830. Il fut
ensuite nommé chef de l’Artillerie et du Génie. Il prit le commandement après la mort du général
de Damrémont et c’est lui qui réussit l’assaut de Constantine. Il fut ensuite nommé gouverneur
général de l’Algérie.
33. Il s’agit de la première ride montagneuse de la petite Kabylie séparant la région côtière des
plateaux et dont le nom vient des défilés par lesquels passe la route d’Alger à Constantine.
34. De son vrai nom Joseph Vantini, né à l’île d’Elbe. À l’âge de trois ans, il fut enlevé par des
pirates barbaresques avant d’être vendu comme esclave à Tunis. Après une évasion rocambolesque,
il rallia l’armée d’Algérie. Au mois de mai 1831, il fut nommé capitaine dans le 1er régiment des
chasseurs d’Afrique avant de rejoindre les Spahis sous les ordres du célèbre Marey-Monge.
Nommé colonel en 1842, c’est comme général qu’il participa à la guerre de Crimée en 1854.
35. Pour l’histoire de la conquête de l’Algérie depuis le débarquement de 1830 jusqu’à la reddition
d’Abd el-Kader, voir Georges Fleury (2004).
36. La IIe République bientôt triomphante ne tint pas les engagements de la Monarchie de Juillet et
Abd-el-Kader fut enfermé à Toulon, ensuite à Pau et enfin dans le château d’Amboise. Libéré par
Louis Napoléon, il fut officiellement reçu à Paris, visita la cathédrale de Notre-Dame de Paris et s’y
recueillit. Il demanda et obtint de pouvoir se retirer au Moyen-Orient. Après un séjour en Turquie,
il s’installa à Damas où, en 1860, lors d’une émeute, il protégea avec sa garde plusieurs milliers de
chrétiens que les Turcs voulaient massacrer. Il mourut à Damas en 1883.
37. Le sultan avait nommé à Figuig un caïd chargé de le représenter dans les oasis du Touat.
38. Né le 30 avril 1796, Isaac Jacob Adolphe Crémieux était avocat. Président du Consistoire central
israélite de Paris en 1843, il fut président de l’Alliance israélite universelle en 1864. Ministre de la
Justice du gouvernement provisoire de Défense nationale, c’est le 24 octobre qu’il fit promulguer
six décrets qui furent publiés au Bulletin officiel en date du 7 novembre à Tours. Ils étaient destinés
à refondre l’administration de l’Algérie. L’un d’entre eux accordait la citoyenneté française aux
juifs d’Algérie : « Les Israélites indigènes des départements de l’Algérie sont déclarés citoyens
français : en conséquence, leur statut réel et le statut personnel sont, à compter de la promulgation
du présent décret, réglés par la loi française. Tous les droits acquis jusqu’à ce jour restent
inviolables. Toutes dispositions législatives, décret, règlement ou ordonnance contraires sont
abolis ».
39. Il y eut également une composante religieuse dans cette révolte et elle fut incarnée par Mohamed
Ameziane El Haddad au nom de la confrérie des Rahmania de Seddouk. Il fut déporté en Nouvelle-
Calédonie.
40. Mokhrani faisait allusion aux décrets Crémieux.
Chapitre II.
L’Afrique sud-saharienne de 1800 à ± 1880

Au XIXe siècle, à la veille de sa confrontation avec l’impérialisme


européen, l’Afrique sud-saharienne connut d’importantes mutations. Elles
se produisirent dans la région sahélienne où l’islam exerça une forte
poussée expansionniste, le long du littoral ouest africain où, à la traite des
esclaves se substitua un commerce licite portant essentiellement sur les
huiles végétales mais aussi en Afrique centrale et australe où de solides
structures étatiques apparurent.

A. L’islamisation et les jihad


À la fin du XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIXe siècle, le
paysage politique de l’ouest africain sahélien fut largement remodelé par
des éleveurs Peul (ou Fulbe) islamisés qui constituèrent de vastes États à la
suite d’importants mouvements inspirés par le jihad. La principale
résistance à cette expansion fut le fait des Bambara animistes des royaumes
de Ségou et du Kaarta. Entre lac Tchad et mer Rouge, un autre mouvement
islamiste apparut, le Mahdisme qui s’étendit inexorablement sur toute la
région soudano-nilotique, ne butant que sur la résistance éthiopienne.

1. L’islamisation de l’Afrique de l’Ouest1


L’islam fut introduit en Afrique occidentale par le commerce2
(Trimingham, 1962). Ce fut à l’origine un islam hérétique, essentiellement
kharijite. Au début du XVIe siècle, les grandes constructions politiques de la
frange sud saharienne islamisée s’étaient effondrées et l’Afrique occidentale
fut ensuite en proie à l’émiettement politique. À partir de la seconde moitié
du XVIIIe siècle, et tout au long du XIXe, l’islam permit de fédérer certaines
ethnies et de recréer de grands ensembles politiques au moyen de jihad qui
eurent pour but de restituer à l’islam sa pureté originelle.
Parmi les peuples qui prirent part aux jihads3 d’Afrique de l’Ouest, Peuls,
Toucouleurs et Haoussa jouèrent un rôle déterminant. Il y eut quatre grands
djihads :
– celui d’Ousmane (Othman) dan Fodio en pays Haoussa en 1804 ;
– celui de Seku Ahmadou au Macina en 1818 ;
– celui d’El-Hadj Omar contre les Bambara à partir de 1852 ;
– celui de Samory Touré à partir des années 1880.
Tout avait commencé chez les Peuls du Fouta-Toro et du Fouta-Djalon
durant la seconde moitié du XVIIIe siècle4 avant de s’étendre au tout début du
XIXe siècle à ceux des Peuls qui vivaient dans le royaume de Sokoto5.
À l’exception de celui de Samory, tous ces jihads furent menés par des
Peuls ou Fulani qui vivaient dispersés dans tout le Sahel.

Les confréries ouest africaines


Dans l’Ouest africain, trois grandes confréries ont joué un rôle essentiel dans
l’islamisation :
– la Qadiriya, grande confrérie d’origine arabo-musulmane6 et d’inspiration sunnite
hanbalite qui se répandit chez les Peuls (Sourdrel, 1996b) ;
– la Tijaniya, ou ordre soufi de la Tijaniyya, naquit au Maghreb (Abun-Nasr, 1965),
dans l’actuelle Algérie, sous l’inspiration d’Ahmad al-Tijani (1737-1815) qui s’installa
ensuite au Maroc, à Fès où il est enterré7. Au Maroc elle s’était placée sous la
protection de la dynastie alaouite et traversa le Sahara en suivant les pistes du
commerce transsaharien (Triaud et Robinson, 1996a) et c’est ainsi qu’elle atteignit
les Peuls (Sourdrel, 1996c) ;
– le Mouridisme, fondé en 1886 au Sénégal par Ahmadou Bamba, lui-même membre
de la Qadiriya et qui a laissé une empreinte profonde dans le Sénégal d’aujourd’hui
puisqu’un tiers de la population se rattache à cette confrérie. En arabe, murid
signifie novice et était employé dans l’Andalus du XIIe siècle pour désigner les
soufis. « Le fondateur du mouridisme s’était déclaré chergé par l’ange Gabriel/Jibril
de rénover l’islam au Sénégal en exaltant notamment, au contraire de beaucoup
d’autres mystiques, la valeur du travail manuel. Son tombeau, à Touba, est l’objet
d’un pèlerinage annuel obligatoire pour tous les mourids. » (Sourdel, 1996a).
De ces jihads, naquirent trois grands califats : celui de Sokoto dans le
nord du Nigeria, celui d’Hamdallahi au Macina et enfin le califat tijaniyya
de Sénégambie et du Macina.
a. Ousmane dan Fodio
C’est dans l’actuel Nigeria que se produisit le premier jihad, sous la
conduite d’Ousmane dan Fodio (1754-1817). Ce Peul Fulani (synonyme :
Fula ou Fulbé) né dans l’État haoussa du Gobir fut porté par l’idée de
construire dans l’Ouest africain une société régie selon les préceptes de
l’islam tel qu’il lui avait été enseigné au sein de la confrérie Qadiriya.
Ses débuts furent difficiles car, en 1802, Yunfa, le roi de Gobir qui avait
pourtant suivi ses enseignements, décida de le chasser et peut-être même de
le faire assassiner. À l’image du prophète Mohamed, Ousmane dan Fodio
connut alors sa propre fuite au désert, son Hidjira (Egire). Elle lui fut
également profitable car il réussit à attirer à lui une partie des Peuls qui
nomadisaient alors à l’ouest du monde haoussa et qui lui fournirent l’appui
de leur cavalerie. C’est eux qui le proclamèrent Émir al-Mouminin (guide
des croyants), ce qui lui permit d’appeler au jihad et de rassembler une
armée avec laquelle il envahit le pays haoussa. Ayant conquis les villes de
Zaria et de Kano, il fut bientôt le maître d’un vaste territoire dont il fit
l’Empire de Sokoto, du nom de la capitale qu’il fonda en 1809. En 1815 il
transmit le titre de sultan de Sokoto à son fils Mohamed Bello.
b. Seku Ahmadou
C’est à l’imitation d’Ousmane dan Fodio et au nom de l’islam, que les
Peuls vivant dans les royaumes bambara du Kaarta et de Ségou, se
soulevèrent contre leurs maîtres animistes. Le mouvement fut lancé par
Seku Ahmadu. Né en 1773, il avait suivi des études islamiques à Djenné et
était convaincu de la nécessité d’un retour à l’orthodoxie islamique
originelle. Ayant regroupé autour de lui des disciples-partisans, il se rendit à
Sokoto auprès d’Ousmane dan Fodio qui lui conféra le titre de Cheik, d’où
son nom de Cheikou (Sékou) Amadou. Il prit ensuite le titre d’Emir des
Croyants, affirmant qu’il était le dernier des douze Imam8, à la suite de
quoi, les Peuls du Macina se rallièrent à lui. Fort de cette reconnaissance, il
entreprit de combattre le Kaarta et le Macina qui étaient soutenus
militairement par le royaume bambara de Ségou, mais, seul le Macina fut
conquis. En 1817, à la mort d’Ousmane dan Fodio, Seku Ahmadu se
déclara indépendant du califat de Sokoto et de son nouveau calife,
Mohamed Bello. Poursuivant ses campagnes, mais désormais vers le Sud
puis vers l’Est, il s’empara de Djenné en 1819 et se donna une capitale,
Hamdallahi (louange à Dieu), ville fondée en 1820. Dans les années
suivantes, il élargit ses conquêtes, y englobant Tombouctou ; vers le Sud, il
les étendit jusqu’à la confluence du Sourou et de la Volta Noire et il
constitua l’empire peul du Macina.
Quand il mourut, en 1844, Tombouctou se libéra et son fils Ahmadu
Seku (1845-1853) lui succéda. Pour s’imposer, ce dernier dut affronter les
Bambara du Saro, région comprise entre Ségou et Djenné, qui étaient
toujours réfractaires à l’islam et qui se soulevèrent, ainsi que les Touaregs
de la région de Tombouctou. En 1862 El Hadj Omar conquit le Macina.
c. Le royaume d’El Hadj-Omar (ou empire Toucouleur9 ou Torodbe)
Omar Tall dit el-Hadj-Omar naquit dans le Fouta Toro, en 1796, au sein
d’une famille peule (fulbé) convertie à l’islam et membre de la confrérie
kadiriya. Encore jeune homme, il rompit avec cette dernière. Il adhéra
ensuite à la confrérie tijaniya avant de partir pour vingt années de voyages
qui le menèrent en Arabie et en Afrique du Nord, se déplaçant grâce au
réseau international de cette puissante confrérie. De 1830 à 1838 il vécut
dans l’empire de Sokoto où il fut reçu par Mohamed Bello et où il se forma
militairement. En 1847 il était de retour à l’ouest du fleuve Sénégal et il
s’établit au Fouta-Djalon. Ayant été nommé grand calife de la confrérie
Tijaniya, il se fixa pour but l’islamisation de l’Ouest africain. En 1847 il
s’installa à Dinguiraye ; vers 1852 il s’attaqua aux Bambara de Segou et du
Kaarta qui avaient réussi à échapper à la conquête de Seku Ahmadou.
Pour El-Hadj Omar le moment était bien choisi car les Bambara du
Kaarta étaient alors en pleine guerre dynastique. Profitant de cette division,
il prit Nioro la capitale du Kaarta en (1856 ?). En juillet 1857 il tenta
d’enlever Médine, poste français très avancé situé sur le haut Sénégal, afin
de s’ouvrir une voie vers le bas-Sénégal, mais il fut défait par les troupes
françaises commandées par le colonel Louis Faidherbe. C’est alors qu’il prit
la décision de se tourner vers l’Est.
En 1859 il s’attaqua à Ségou, la principale cité bambara. En 1860,
s’estimant en grand danger, cette dernière s’allia au Macina alors dirigé par
Ahmadu-Ahmadu, le petit-fils de Seku Ahmadu, le conquérant fulbe10. La
ville fut néanmoins prise en 1861 et le souverain bambara se réfugia au
Macina qui devint dès lors le nouvel objectif d’El Hadj Omar. Le premier
affrontement entre l’armée du Macina renforcée de contingents bambara et
celle d’El Hadj Omar eut lieu devant la ville de Sansanding en 1861. La
bataille tourna à l’avantage du second qui marcha ensuite sur Hamdallahi
qui fut prise en 1862. El Hadj Omar mit alors à la tête du Macina son propre
fils Ahmadu Tall.
Tout le Macina n’était cependant pas conquis. C’est ainsi qu’à
Tombouctou, ville contrôlée par le clan arabe des Kunta et dont le chef, El
Bekay, était un notable de la confrérie Kadiriya, la résistance s’organisa. El
Bekay avait ainsi soutenu les Bambara avant d’entrer lui-même en guerre et
c’est d’ailleurs en le combattant qu’en 1864, El Hadj Omar trouva la mort
sur les plateaux de Bandiagara (Robinson, 1988).
Son fils Ahmadu Tall lui succéda (1864-1878) mais, durant tout son
« règne », il lui fallut affronter d’abord ses frères, puis nombre de chefs de
clans, cependant que les Bambara qui n’étaient toujours pas islamisés
refusaient l’autorité de l’empire toucouleur.

Le jihad d’El-Hadj Omar


« À partir des Futa et du Macina (Umar et ses disciples) créèrent un espace
pratiquement sans faille de domination musulmane […] garantissant l’appartenance
de l’ensemble de la savane au Dar al-Islam ». (Robinson, 1988 : 347-348)
De plus, cette conquête aboutit, par l’amalgame de populations différentes, à la
création du royaume des Toucouleurs dont les limites allaient des marges du Sénégal
contrôlé par les Français, jusqu’à Tombouctou, soit de l’est de l’actuel Sénégal à
l’ouest de l’actuel Mali. Le souvenir de ces épisodes toujours présents dans les
immensités ouest africaines n’est pas le même selon qu’il est vu par les Toucouleurs
ou par leurs victimes. Ainsi :
« Le Sénégal et le Mali gardent chacun un souvenir diamétralement opposé du jihad.
Pour les Sénégalais, Umar et ses talibés11 furent des héros de la cause islamique,
des croisés contre les infidèles. Les Maliens, quant à eux, perçoivent leurs ancêtres
comme des défenseurs face à un envahisseur futanké12 qui masquait ses visées
impérialistes et sa cupidité sous le couvert de l’islam ». (Robinson, 1988 : 317)

d. Samory
Né près de Kankan, dans l’actuelle Guinée, au début des années 1830,
Samory qui appartenait au peuple malinké ou mandingue, était apparenté
par sa mère à la corporation des Dioulas, colporteurs islamisés échangeant
le sel, l’or, la noix de kola ou le bétail contre des tissus européens ou des
armes à feu. Ils pratiquaient également le commerce des esclaves qui
perdurait à l’intérieur du continent après l’interdiction de la traite atlantique
imposée par les États européens13.
Vers 1861, Samory rassembla autour de lui un noyau de fidèles et il
entreprit avec eux la construction d’un État militaire et commerçant qui
prospéra rapidement. Simple chef de bande au début, Samory vit tout
l’intérêt que pouvait présenter le contrôle des pistes conduisant au sud-
ouest, vers Freetown (en Sierra Leone sous le contrôle des Anglais) et vers
Monrovia (au Liberia voisin). C’est par là qu’arrivaient en effet les produits
européens qu’il revendait et les armes à feu qui lui avaient permis d’établir
sa supériorité militaire dans la région.
En 1869, il se proclama faama, chef de guerre, et il installa sa capitale à
Bissandougou. En 1878, il prit le contrôle de la région aurifère du Bouré et
l’année suivante, il s’empara de Kankan. Son entreprise reposait sur une
armée disciplinée et bien organisée, composée de plusieurs dizaines de
milliers de fantassins (sofa) et d’environ trois mille cavaliers. Son armée
constituait, par le volume de ses effectifs, son degré d’organisation et son
armement, une exception dans l’Afrique sud-saharienne d’alors14. Les
soldats étaient équipés de fusils de qualité inégale achetés sur la côte, à des
trafiquants anglais le plus souvent, mais Samory réussit à faire fabriquer un
certain nombre d’armes à feu par ses propres artisans.
Jusque vers 1880, Samory était demeuré religieusement tolérant vis-à-vis
des populations soumises pourvu qu’elles consentissent à lui payer tribut et
à lui fournir des guerriers. Elles pouvaient, dans ce cas, conserver leurs
traditions religieuses animistes. Cette politique changea après 1880.
À partir de ce moment, Samory, qui avait appris à lire et à écrire l’arabe
auprès d’un lettré musulman du Fouta Djalon, se persuada en effet qu’un
ralliement plus complet à l’Islam lui fournirait le moyen de mobiliser plus
largement les populations du Soudan contre la poussée française qui
débutait alors. Il voyait également dans l’Islam le moyen d’élargir et de
légitimer son pouvoir tout en rassemblant dans un cadre unique les diverses
populations soumises. Il prit le titre d’almamy, « celui qui dirige la prière »,
substitua la charia islamique au droit coutumier et imposa la conversion
aux populations vaincues. C’est de ce moment que date le début de son
jihad qui se heurta quelques années plus tard à la poussée française comme
nous l’avons vu plus haut.

2. Le Mahdisme et l’islamisation de l’Afrique nilotique


Dans la région nilotique, l’expansion et l’islamisation connurent un
nouvel essor à partir de 1820 avec l’impérialisme égyptien en direction de
la Nubie. Avec l’accession au pouvoir du Khédive Ismaël (1863-1879), le
mouvement fut amplifié et la conquête du Bahr el-Ghazal et de l’Equatoria
entreprises. Puis, à l’appel d’un chef religieux originaire de Dongola,
Muhamad Ahmed Ibn Abdallâh (1844-1885)15, qui se faisait appeler al-
Mahdi16, un puissant mouvement connu sous le nom de Mahdisme agita
toute la région comme nous l’avons vu plus haut.
Le Mahdisme qui était un fondamentalisme musulman résultait
directement de la poussée impérialiste égyptienne vers le Sud et des
réactions qu’elle avait entraînées. Comme le Mahdi se soulevait d’abord
contre le Khédive d’Égypte qu’il accusait d’être le « valet des infidèles », il
réussit à rassembler autour de lui tous ceux qui étaient opposés à l’Égypte et
à ses représentants européens. C’est pourquoi ceux des chefs musulmans
qui n’acceptaient pas la domination égyptienne, ainsi que les marchands
d’esclaves qui ne supportaient pas d’être contrôlés dans leur lucratif
commerce, se rallièrent à lui quand il proclama le jihad au mois
d’août 1881.
Le mouvement s’étendit comme une traînée de poudre après qu’au mois
de juin 1882, une force de plusieurs milliers d’hommes envoyée par le
gouverneur égyptien de Khartoum eut été exterminée par les combattants
rassemblés par le Mahdi. Le 18 janvier 1883, El Obeid, la capitale du
Kordofan fut prise17.

Londres devait réagir car la situation du Khédive d’Égypte paraissait


désespérée puisqu’il était en quelque sorte « pris en tenaille » entre Orabi
Pacha qui contrôlait la Basse Égypte et le Mahdi désormais le maître du
Soudan. C’est alors qu’une colonne composée d’une dizaine de milliers de
recrues égyptiennes mal entraînées et encadrées par quarante-deux officiers
britanniques fut envoyée au Soudan. Placée sous les ordres du colonel
Hicks (Hicks Pacha), elle partit de Souakin sur la mer Rouge avec pour
objectif El Obeid, mais le 4 novembre 1883, à Shaykan, à proximité de son
objectif, elle fut attaquée par les Mahdistes qui l’écrasèrent. Elle laissa sur
le terrain, outre son chef, neuf mille cinq cents hommes, la quasi-totalité de
son encadrement européen et tout son matériel. Cette défaite entraîna une
réaction en chaîne et condamna les derniers points de résistance égyptiens
aventurés dans la région, dont celui du Darfour qui avait pour gouverneur
l’Autrichien Rudolf Carl von Slatin.
Rudolf Carl von Slatin (1857-1932)
En 1875, à peine âgé de dix-sept ans, il avait accompagné Theodore von Heuglin lors
de son expédition au Soudan à l’occasion de laquelle il avait visité la région des
monts Nuba et fait la connaissance d’Emin Pacha.
Rentré en Europe, et alors qu’il était lieutenant dans l’armée autrichienne et qu’il se
trouvait en Bosnie, il reçut une lettre de Gordon qui venait d’être nommé gouverneur-
général du Soudan (1873) et qui recrutait des adjoints. Quand la campagne de
Bosnie prit fin, Slatin reçut l’autorisation de partir pour l’Afrique et il arriva à Khartoum
au mois de janvier 1879. Il fut bientôt nommé gouverneur (Mudir) de la région de
Dara dans le sud-ouest du Darfur avec le rang de Bey. En 1882, les populations
arabes du Darfour se révoltèrent au nom du Mahdi et Slatin qui ne pouvait compter
sur aucune aide depuis Khartoum résista. Afin de mieux être admis par les
populations locales, il se convertit à l’islam, mais, après la défaite de Hicks Pacha, il
fut totalement coupé de ses bases et son combat fut sans espoir.
Au mois de décembre 1883, afin de ne pas sacrifier inutilement la vie de ses
hommes, il capitula et le Mahdi voulut l’envoyer auprès de Gordon pour le convaincre
de faire de même. Le 26 janvier 1885, dès la nouvelle de la prise de Khartoum
connue, Slatin fut enchaîné et mis en cellule à Omdurman où il demeura prisonnier
durant de longues années. Au début de l’année 1895, il réussit une incroyable
évasion grâce au major Reginald Wingate, officier des services de renseignement
britanniques en Égypte et il regagna le Caire au mois de mars. La même année, il
écrivit le récit de son aventure dans un ouvrage en allemand traduit en anglais
l’année suivante18. Fait Pacha par le Khédive, Slatin fut décoré de l’Ordre du Bain par
la reine Victoria avant de participer dans les rangs britanniques à la campagne que le
général H. Kitchener mena contre les mahdistes.
En 1899, il fut annobli par l’Empereur François-Joseph. En 1900 il fut nommé
Inspecteur-Général du Soudan et en 1907 major-général de l’armée britannique. Le
déclenchement des hostilités au mois d’août 1914 fit qu’en sa double qualité de sujet
autrichien et de général britannique, il ne pouvait plus rester au Soudan et il rentra
alors en Autriche où il fut nommé responsable de la section autrichienne de la croix-
Rouge chargée des prisonniers de guerre.

Les insurgés prirent ensuite le contrôle d’une grande partie du Soudan,


notamment des provinces du Kordofan, du Darfour et du Bahr el-Ghazal.
À la suite du désastre subi par Hicks Pacha, les autorités britanniques qui
avaient décidé d’évacuer l’Égypte revinrent sur leur décision et, tout au
contraire, ce furent des renforts venus essentiellement des Indes qui y furent
envoyés. En revanche, il fut décidé d’abandonner le Soudan, à l’exception
de Khartoum et du port de Souakim. La victoire du Mahdi semblait donc
totale car le gouverneur Charles Gordon était assiégé dans Khartoum. Le
26 janvier 1885, après plusieurs mois de siège, les forces mahdistes
enlevèrent la ville dans laquelle quatre mille soldats anglo-égyptiens furent
massacrés. Gordon subit le même sort et son cadavre fut décapité. Les
Britanniques avaient perdu le Soudan. Maître de Khartoum, Muhamad
Ahmed fonda un État mahdiste et se donna le titre de calife19.
Seul, résistait encore l’Allemand Emin Pacha, gouverneur de l’Equatoria
qui décida de reculer devant les armées mahdistes et d’établir une ligne de
résistance loin vers le Sud, sur les bords du lac Albert.

Emin Pacha et Stanley


L’extension de la révolte mahdiste isola plusieurs gouverneurs européens au service
de l’Égypte. Il restait ainsi dans la province soudanaise de l’Equatoria un petit corps
expéditionnaire et administratif égyptien que commandait un Allemand, Edouard
Schnitzler, plus connu sous le nom d’Emin Pacha.
En 1876, il avait été nommé médecin en chef de l’armée égyptienne du Soudan avec
le titre d’Emin Effendi et en 1878 nommé gouverneur de l’Equatoria poste dans lequel
il succédait à l’Égyptien Ibrahim Fawzi. Il y fut rejoint en 1883 par un Italien, Gaetano
Casati20 qui avait parcouru toute la région pour dresser la carte du Bahr el-Ghazal, et
par un Allemand, Wilhelm Junker. Les deux hommes venaient d’explorer la région
séparant les bassins du Nil et du Congo, traversant ainsi le Haut-Uélé avant
d’atteindre Lado quand, au mois de mars 1883, ils rencontrèrent Émin Pacha qui leur
apprit qu’ils étaient coupés de leurs bases.
En décembre 1885, Junker, qui avait réussi à regagner Le Caire après avoir vécu
d’extraordinaires aventures21 raconta qu’Émin Pacha et ses compagnons étaient
encore en vie et qu’ils résistaient à la poussée mahdiste. Pour leur éviter une issue
comparable à celle qui avait coûté la vie à Gordon, une expédition de secours fut
mise sur pied sous le commandement de Sir Mackinnon, mais on décida finalement
de recourir à Stanley22 pour la conduire à travers les régions inconnues de l’Afrique
centrale. Le 21 janvier 1887, ce dernier s’embarqua pour Zanzibar accompagné du
Major Edmund Battelot et du lieutenant William Grant Stairs. À Zanzibar, Stanley
rencontra Tippo-Tip auquel il demanda de l’aider pour la fourniture des porteurs
nécessaires à l’expédition, puis il décida de contourner l’Afrique par le cap de Bonne-
Espérance afin de se mettre en marche depuis l’atlantique en remontant le fleuve
Congo, puis son principal affluent, l’Aruwimi.
Engagés sur le Congo en avril 1887, Stanley et ses hommes effectuèrent en moins
de deux mois sa remontée jusqu’à Yambuya, au pied de la cataracte inférieure de
l’Aruwimi, à huit cents kilomètres du lac Albert dont ils étaient alors séparés par une
immense forêt dense totalement inconnue. Il fallut six mois d’une marche épuisante
pour franchir ce formidable obstacle. La seule traversée de la forêt prit cent soixante-
quinze jours, au terme desquels l’expédition déboucha enfin dans la savane. Le
13 décembre, les rives du lac Albert furent atteintes mais il n’y avait pas la moindre
trace d’Emin Pacha et de ses hommes.
Ces derniers ne se manifestèrent qu’au bout de quatre mois, le 30 avril 1888 et le
« vice-roi » de l’Equatoria ne semblait guère pressé de quitter la région. Reparti vers
Yambuya, Stanley y découvrit que son arrière-garde commandée par le major
Barttelot avait été décimée par une révolte et quand il revint sur les rives du lac
Albert, ce fut pour y constater qu’Emin Pacha avait dû, lui aussi, faire face à une
mutinerie de ses troupes passées au service du Mahdi. Fait prisonnier, il avait
cependant été relâché. Le 10 avril 1889, ayant réussi à persuader Émin Pacha et son
adjoint, le capitaine italien Gaetano Casati (1838-1902), Stanley prit le chemin de
l’océan Indien qui fut atteint au bout de sept mois de marche.
Le 4 décembre 1889, l’expédition arriva à Bagamoyo où elle fut accueillie par le major
Hermann von Wissmann, Commissaire Impérial pour l’Afrique orientale allemande.
Le bilan géographique de ce voyage qui fut le dernier entrepris par Stanley en Afrique
était remarquable puisque l’explorateur avait vu les Montagnes de la Lune, reconnu la
rivière Semliki qui relie le lac Albert au lac Edouard, et suivi le cours de la rivière
Kagera. Il était passé sans le savoir à proximité des monts Virunga, cette chaîne
volcanique dont la reconnaissance était indispensable pour compléter la carte de la
région des Grands Lacs africains que les géographes tentaient alors d’établir.
En 1890, Émin Pacha manifesta l’intention de regagner l’Equatoria. Reparti vers
l’intérieur, il fut assassiné en chemin, le 23 octobre 1892, par deux Arabes originaires
de Zanzibar que les Belges exécutèrent en 1893 lorsqu’ils prirent le contrôle du
bassin du Congo.

3. L’Éthiopie et ses marges


L’Éthiopie fut également confrontée à la poussée islamique mahdiste. Cet
îlot chrétien résista parce que le XIXe siècle y fut une période de renaissance
nationale et de restauration du pouvoir royal. Ce fut l’œuvre de l’empereur
Théodoros II (1855-1868) dont le règne fut une longue suite de révoltes
écrasées dans le sang.
Dans les années 1850, alors qu’il n’était encore qu’un des principaux
féodaux, le futur empereur dont le nom était alors Kassa Haylu, écrasa l’un
après l’autre ses rivaux puis, en 1855, il se fit sacrer Roi des Rois. Il soumit
ensuite le Wollo et le Shoa et fit prisonnier un de ses princes, le futur
empereur Menelik II. En 1867, l’empereur fut vaincu par une expédition
militaire britannique forte de 32 000 hommes. Pour ne pas tomber vivant
entre les mains des étrangers et de celles de ses sujets soulevés qui s’étaient
joints à eux, il se suicida.
En 1871, après une période de troubles durant laquelle plusieurs féodaux
cherchèrent à s’emparer du pouvoir, un seigneur du Tigray du nom de
Kassa Maecha l’emporta et devint empereur d’Éthiopie sous le nom de
Yohannès IV (1872-1889). Avec lui, la politique d’unification entamée par
Théodoros fut poursuivie, mais sous une forme différente puisque le nouvel
empereur reconnut l’autonomie de ses vassaux dont les principaux étaient
les princes Ménelik du Shoa et Adal du Godjam qui s’affrontèrent bientôt.
Le nouvel empereur eut à faire face à la poussée impérialiste égyptienne,
qui, après s’être exercée au Soudan, menaçait désormais l’Éthiopie. En
1872, le khédive d’Égypte nomma un Suisse, Werner Münzinger, comme
gouverneur à Massaoua d’où il lança une première campagne contre les
contreforts éthiopiens, annexant la région et en faisant une province
égyptienne. En 1875 les Égyptiens lancèrent trois campagnes contre
l’Éthiopie. Une seule fut victorieuse, celle commandée par le gouverneur
général égyptien Raouf pacha qui réussit à prendre pied au Harrar où les
Égyptiens réussirent à se maintenir jusqu’en 1884. Les deux autres furent
de véritables désastres pour les assaillants. Celle commandée par le colonel
danois Ahrendrup dans l’arrière région d’Adoua s’acheva en déroute ; quant
à la colonne Münzinger, elle fut totalement massacrée en pays afar. Au
mois de mars 1876, par deux fois, les Égyptiens qui tentaient de contre-
attaquer furent sévèrement battus.
La paix ne fut pas signée entre les deux pays car l’Égypte se maintenait à
Massaoua, ce qui était inacceptable pour l’empereur Johannes, ce port étant
le seul accès de l’Éthiopie à la mer.
En 1889, les mahdistes du Soudan lancèrent à leur tour une offensive
contre l’Éthiopie et ils pillèrent Gondar. Au mois de mars 1889, l’empereur
les repoussa lors de la bataille de Matamma, mais, blessé durant les
combats, il mourut peu de temps après. Son successeur, Ménélik du Shoa,
régna sous le nom de Ménélik II (1889-1913) et il se lança dans une
vigoureuse politique d’expansion territoriale qui lui permit non seulement
de reconquérir les anciennes possessions éthiopiennes perdues
quelques siècles auparavant, mais encore d’en conquérir de nouvelles.

B. L’Ouest africain littoral après l’abolition


de la Traite
Avec la fin de la Traite des esclaves, les Européens se détournèrent de
l’Afrique sud-saharienne. Ainsi :
« […] il y eut jusqu’en 1840 environ un manque d’intérêt quasi-total de
l’Europe pour l’Afrique, qui s’explique fort bien par la difficulté de
remplacer le commerce des esclaves par d’autres marchandises
rapportant un bénéfice suffisant pour inciter quelques commerçants à
braver un climat meurtrier. On conçoit la rareté des candidats, quand on
sait qu’une expédition anglaise remontant le Niger en 1832-34 jusqu’à
Raba perdit 80 % de son effectif européen ; et le pourcentage était
analogue chez les premiers missionnaires. » (Cornevin, 1970 : 278-279)
La première partie du XIXe siècle fut une période de retrait européen23. Ce
mouvement général de repli connut cependant deux exceptions. La
première, le long de certaines portions du littoral ouest africain en raison
des campagnes de réinstallation d’anciens esclaves ; puis, à partir du milieu
du XIXe siècle à la suite de la découverte des huiles. La seconde se situe dans
le sud du continent, en Afrique australe, où se déroula l’expansion des
Boers.

1. Les colons noirs du Liberia et de Sierra Leone


Au début du XIXe siècle, les milieux économiques anglais étaient opposés
à l’idée de colonisation de l’Afrique. Selon eux, la colonisation en général
était un frein au commerce comme l’avait démontré l’exemple américain.
Les Treize colonies perdues à la fin du XVIIIe siècle avaient en effet constitué
un boulet puisqu’il avait fallu les mettre en valeur, les administrer et les
défendre. Leur perte avait donc libéré l’Angleterre d’un poids, tout en
permettant un essor des échanges puisque le commerce avec les États-Unis
indépendants était devenu florissant. L’Angleterre n’avait donc pas besoin
de colonies et moins encore en Afrique.
C’est par souci philanthropique et non par intérêt économique que les
Britanniques reprirent pied sur le littoral de l’ouest africain. Nous avons vu
que l’abolition de la Traite par le Parlement de Londres en 1807, puis de
l’esclavage en 1833, furent le résultat d’un puissant mouvement
abolitionniste à base religieuse incarné notamment par la Société anti-
esclavagiste de William Wilberforce.
Certains milieux philanthropiques de la fin du XVIIIe et du début du
XIXe siècles voulaient également organiser le retour sur leur continent
d’origine d’un certain nombre d’esclaves. Les plus anciens projets dataient
de 1713 et ils étaient dus aux Quakers de George Keith. Le révérend Ezra
Stiles et le docteur Samuel Hopkins reprirent l’idée qui fut relayée en 1781
par Thomas Jefferson. Leur concrétisation se fit en Sierra Leone et au
Liberia.
a. La Sierra Leone
En 1786, les abolitionnistes anglais avaient fondé la Société pour
l’abolition de la traite négrière. Grenville Sharp avait ensuite pris la tête
d’une organisation de rapatriement d’anciens esclaves et de Noirs
américains car il voulait créer, et cela dans la future région de Freetown, la
« Province de la liberté » d’où le christianisme « libérateur » pourrait être
diffusé vers l’intérieur de l’Afrique par des esclaves affranchis qui en
seraient les missionnaires.
En 1787, le gouvernement anglais donna son accord. Des Noirs vivaient
à Londres à cette époque et ils avaient connu des aventures peu communes.
Demeurés fidèles à la couronne britannique, refusant de rejoindre les
insurgés américains durant la Guerre d’Indépendance de 1775-1783, ils
avaient décidé de suivre les troupes anglaises dans leur repli et ils avaient
été embarqués pour l’Europe. Quelques années plus tard, des organisations
philanthropiques leur proposèrent de partir pour l’Afrique afin d’y fonder
une communauté de paysans libres. En avril 1787, 327 Noirs et 87 Blancs,
dont plusieurs prostituées, prirent ainsi la mer à bord de trois navires. Sur
ces 414 immigrants, 80 moururent en route et les survivants prirent
possession du site actuel de Freetown, ce qui posa d’ailleurs bien des
problèmes avec les autochtones de la tribu Temné. Dans les semaines de
leur installation les fièvres tuèrent une centaine de pionniers (Campbell,
2006).
Au même moment, en 1788, mais aux États-Unis cette fois, naquit un
mouvement noir, la Negro Union of Newport qui militait en faveur d’une
réinstallation massive des Noirs américains en Afrique. Plusieurs tentatives
eurent lieu mais elles aboutirent toutes à de tragiques échecs. Ce fut
notamment le cas des deux expéditions que le président Jefferson envoya en
Sierra Leone en 1815 et en 1820.
En 1790, une compagnie à charte, la Sierra Leone Company, fut créée.
Ses buts commerciaux et philanthropiques étaient de combattre l’esclavage
et de promouvoir le christianisme. La colonie reçut alors le renfort de Noirs
venus du Canada et plus précisément de Nouvelle-Écosse. Il s’agissait là
encore d’anciens esclaves demeurés fidèles aux Anglais et qui avaient
reflué avec eux vers le Nord après la victoire des insurgés américains.
Affranchis et établis au Canada, ils y végétaient. Aussi, en 1791, quand il
leur fut proposé de venir peupler le territoire de la compagnie, ils
acceptèrent. C’est ainsi que le 28 mars 1792, 1200 Nova Scotians
débarquèrent en Afrique, donnant un nouveau souffle au premier
établissement qui avait été fondé en 1787 et qu’ils baptisèrent de nom de
« Free Town », l’actuelle Freetown.

L’échec de l’établissement de la baie des Français


Au moment où l’établissement de Freetown sortait péniblement de terre, une autre
tentative d’installation de Noirs libres sur la côte d’Afrique fut un total échec.
Une des raisons du ralliement de nombreux Noirs américains à la Couronne
britannique lors de la Guerre d’Indépendance américaine fut qu’en Angleterre le
mouvement abolitionniste prenait une grande ampleur. Après 1783, nombre de Noirs
avaient suivi le reflux anglais et ils avaient débarqué à Londres. Là, ils menèrent une
vie misérable, attirant sur eux la compassion des philanthropes qui créèrent le Comité
d’assistance aux Noirs indigents au sein duquel naquit l’idée de fonder une colonie de
Noirs libres sur les côtes africaines. Le choix du site revint à un entomologiste, Henry
Smeathman qui, en 1777, avait séjourné sur l’île Banana au large de la Sierra Leone
afin d’y récolter des plantes exotiques destinées aux jardins royaux. En 1786, alors
qu’il était devenu l’un des animateurs du Comité d’assistance aux Noirs indigents, il
proposa que le futur établissement puisse être fondé en Sierra Leone. Le
financement de l’entreprise fut assuré par le gouvernement et par de généreux
donateurs ; environ 600 Noirs se portèrent volontaires pour l’aventure, car c’en était
bien une. Sur les 600 volontaires, 259 embarquèrent au mois de novembre 1786 à
bord de deux navires qui restèrent à quai jusqu’en février 1787, et à bord desquels
une soixantaine mourût. Finalement, le 10 mai 1787, ils touchaient au but dans la
Baie des Français où ils furent accueillis par le chef Temné connu sous le nom de
« roi Tom » qui donna l’autorisation de s’installer aux 195 Noirs et aux six Blancs qui
avaient résisté au voyage. Désemparés, ils survécurent en nouant des relations avec
les négriers européens installés à proximité, sur l’île Bance. Au mois de septembre,
soit à peine trois mois après le débarquement, 122 colons étaient morts des fièvres et
plusieurs avaient déserté pour aller se mettre au service des chasseurs d’esclaves.
En 1789 les relations entre le roi Jimmy qui avait succédé au roi Tom et les Anglais
se détériorèrent quand ces derniers voulurent imposer des limites au commerce des
esclaves. Le 20 novembre il y eut un affrontement avec une patrouille britannique qui
venait de débarquer d’un navire de passage et qui incendia son village. La réaction
fut brutale et le 3 décembre, après le départ du navire anglais, le roi Jimmy donna
trois jours aux colons survivants pour quitter leur établissement, puis il l’incendia
(Campbell, 2006).

Une troisième vague de colons noirs arriva quelques années plus tard, en
1800. Il s’agissait cette fois d’esclaves de la Jamaïque qui s’étaient révoltés.
La répression avait été sévère et 550 de ceux qui échappèrent à la pendaison
avaient été déportés au Canada où leur présence n’était guère souhaitée ;
c’est pourquoi ils furent envoyés en Afrique. D’autres colons noirs
arrivèrent plus tard en Sierra Leone, notamment des anciens soldats du
régiment anglais des Indes occidentales qui fondèrent les villages de
Waterloo, de Hastings et de Wellington.
En 1807, et comme nous l’avons vu, le Parlement anglais interdit la traite
des Noirs et il décida de poursuivre et de châtier ceux qui continuaient à s’y
livrer. Des navires chargés de la surveillance furent alors envoyés le long
des côtes africaines où il leur fallut un port d’attache. De même, les
autorités anglaises décidèrent d’installer à la côte une juridiction destinée à
juger les équipages esclavagistes. En 1807 la Couronne britannique racheta
alors le comptoir de Freetown pour en faire la base de ses activités contre la
traite clandestine24.
En 1816, le révérend Robert Finley, originaire du New Jersey fonda la
Society for the Colonization of the Free People of Color in the United
States, qui devint ensuite l’American Colonization Society. Son but était
d’organiser un vaste mouvement de retour des Noirs américains en Afrique.
L’idée était cependant loin de faire l’unanimité chez les intéressés. Nombre
d’entre eux s’y opposèrent même, notamment ceux de Philadelphie, de
Boston et de New York, soutenus par les Quakers qui pensaient qu’une telle
politique avait pour principal objectif de se débarrasser d’eux25. Bientôt,
l’idée fut davantage précisée. Elle évolua dans le sens de la réinstallation,
non pas de tous les Noirs américains, mais simplement des esclaves
devenus libres et de captifs libérés en mer par les navires faisant la chasse
aux vaisseaux négriers. Le 3 mars 1819, le Congrès des États-Unis vota une
loi autorisant la colonisation d’un territoire en Afrique de l’Ouest sur lequel
il serait possible de réinstaller un certain nombre d’entre eux.
Si les premiers pionniers noirs étaient largement imprégnés de culture
anglo-saxonne, tel n’était pas le cas de la seconde vague, composée celle-là
de captifs libérés en mer lors de l’arraisonnement des navires négriers.
Après 1808, la Royal Navy intercepta en effet tout vaisseau se livrant à la
traite et les esclaves libérés furent installés à Freetown. À partir de 1820, les
« libérés » dépassèrent en nombre les premiers installés et ils continuèrent à
débarquer jusque vers 1850 avec un pic entre 1830 et 1840. Ils étaient de
toutes origines ethniques, depuis le Sénégal au Nord, jusqu’à l’Angola au
Sud, mais les plus nombreux étaient les Yoruba, peuple vivant dans le sud-
ouest de l’actuel Nigeria, qui avaient été capturés durant les guerres qui
secouaient à l’époque le royaume d’Oyo. À Freetown, ils devinrent
domestiques ou soldats. Le gouverneur MacCarthy (1814-1824) vit dans le
nombre de ces Yoruba débarqués une opportunité de créer un noyau
chrétien susceptible d’évangéliser l’Afrique. Envisageant de leur donner
une solide éducation puis de les renvoyer chez eux, en pays yoruba, il fit
créer à leur intention un village à l’écart de Freetown où des missionnaires
anglicans de la Church Missionary Society (CMS) et protestants de la
Wesleyen Methodist Society (WMS) s’employèrent à leur enseigner les
rudiments du christianisme. En 1827, la CMS fonda le Fourah Bay College
à l’est de Freetown. Plusieurs dizaines de ces Yoruba furent ensuite
rapatriés dans leur pays d’origine où ils introduisirent le christianisme et
préparèrent la voie à l’installation britannique de 1861, suivie de l’annexion
de la région en 1870.
La Sierra Leone fut donc une zone d’installation d’anciens esclaves
rachetés, libérés ou déportés. Le but des promoteurs chrétiens blancs de cet
établissement était de créer, sur le modèle évangélique, un peuplement
mixte par la fusion des anciens esclaves et des indigènes, avec apport des
« lumières du protestantisme » aux Africains, par leurs « frères » venus
d’outre-atlantique. Mais la greffe ne prit pas. Les anciens esclaves
refusèrent ainsi de se mêler à des « primitifs » et ils se constituèrent même
en caste fermée pratiquant l’endogamie, exploitant leurs « frères » de
couleur et se réservant le pouvoir. Devenus citadins et commerçants,
certains constituèrent d’importantes fortunes. Se considérant comme une
aristocratie, ils se donnèrent plusieurs noms : Krios (ou Crios) ou « White
men ». Il y eut de fréquents affrontements entre colons noirs et autochtones
et même de véritables conflits, notamment avec les Temné dans les années
1805-1807.
Durant tout le XIXe siècle, chez les philanthropes américains, deux
conceptions s’affrontèrent, celle qui défendait une émigration de masse et
une autre, incarnée plus tard dans la période par le révérend H.M. Turner
qui était en faveur d’une colonisation de qualité, pour ne pas dire élitiste. En
1902 fut créé le Colored Emigration and Commercial Convention
(Convention pour l’émigration des gens de couleur et le commerce), qui
sollicita l’appui financier du Congrès pour organiser le transfert en Afrique
de tous ceux qui le désireraient (Maccaskie, 1999).
b. Le Liberia
Le Liberia fut, lui aussi, une zone de colonisation noire. À la différence
de la Sierra Leone, il ne fut pas d’abord destiné à des esclaves anglicisés et
christianisés car ce fut essentiellement un point de débarquement de captifs
libérés en mer après l’interdiction de la Traite et lors de la saisie des navires
négriers.
Le Liberia était à l’origine un comptoir commercial anglais fondé au
XVIIIe siècle et dans lequel vivaient des agents qui donnèrent naissance à une
population métisse dont les descendants portent des noms anglais comme
Caulker, Cleverland, Roger ou Tucker. L’un des premiers établissements
afro américain dans ce qui devint par la suite le Liberia fut celui de
Providence et ce fut un échec. En 1821, les États-Unis achetèrent un
territoire dans la région et l’année suivante, en 1822, un vaste mouvement
de réinstallation s’y fit avec la création de plusieurs colonies, comme celles
de Mississippi in Africa, de Maryland in Liberia, de Providence Island
Settlement ou encore celui de Bassa Cave Community.
En 1847, le Liberia devint indépendant et le mouvement de réinstallation
fut poursuivi. En 1851,7597 colons noirs y furent installés. Très
minoritaires, puisqu’ils ne constituèrent jamais plus de 2 ou 3 % de la
population, ils eurent cependant un rôle considérable dans le territoire,
vivant tournés vers l’Angleterre et les États-Unis dont ils adoptaient les
modes. Pour se distinguer des indigènes, ils s’étaient donnés le nom
d’« Honorables » et c’est eux qui dirigèrent le pays jusqu’en 198026.
En définitive, le Colonization Movement, c’est-à-dire la tentative de
colonisation de l’Afrique par des Noirs venus d’Amérique fut un échec dont
les causes sont multiples. Parmi elles, il est possible de mettre en avant le
manque de préparation et de moyens des expéditions, les difficultés
rencontrées à la côte d’Afrique comme les maladies, ou encore l’hostilité
des peuples côtiers qui voyaient d’un mauvais œil débarquer des colons.
Qu’ils fussent noirs comme eux ne changeait rien à la chose27. Ceci
explique les nombreux soulèvements tribaux que connut le Liberia dans les
années 1910 à 1920. Ainsi en fut-il des Grebo en 1910 et de 1916 à 1918,
des Kpele et des Bandi entre 1911 et 1914, des Kru en 1915 et en 1916, des
Gyo et des Mano de 1913 à 1918, des Gola et des Bandi en 1918 et 1919,
des Kpele de 1916 à 1920, etc.

2. La découverte des « huiles »


Après l’abolition décidée unilatéralement par les Européens, comment les
États côtiers qui avaient été leurs partenaires allaient-ils survivre à la perte
de leur principale et souvent unique ressource ? Il leur fallut donc s’adapter
ou mourir et certains firent preuve d’une grande faculté d’innovation au
moment où la révolution industrielle européenne nécessitait des corps gras
pour lubrifier les machines. Le littoral africain en disposait, qu’il s’agisse
des arachides au Sénégal ou de l’huile de palme dans la zone du golfe de
Guinée. Mais pour cela il fallait produire d’énormes quantités d’oléagineux,
passer du stade de la cueillette à la quasi-culture industrielle, d’où une
volonté étatique avec défrichements, production et vente28.
C’est vers le milieu du XIXe siècle que certaines zones de l’Afrique
littorale, le plus souvent là où la traite des Noirs avait été pratiquée
auparavant, se mirent à produire de l’huile de palme. Destinée à fournir le
combustible d’éclairage, puis à fabriquer un lubrifiant pour les roulages et
les machines, cette huile remplaça peu à peu le suif dans la fabrication des
bougies. Elle entra ensuite dans la composition du savon, puis dans celle de
la margarine.
Le commerce des huiles fut pratiqué selon les principes et les méthodes
qui avaient précédemment nourri le commerce des esclaves :
– les traitants européens n’étaient pas les maîtres du marché ;
– ils dépendaient du bon vouloir des Africains ;
– ils n’étaient que tolérés sur la côte où ils ne disposaient que de facilités
d’accostage ou de petits comptoirs ;
– ils achetaient la marchandise aux courtiers africains ;
– les Africains savaient jouer sur les prix et sur la loi de l’offre et de la
demande.
Cependant, à la différence de ce qui s’était passé avec le commerce des
esclaves, certains européens tentèrent de s’ouvrir directement un chemin en
direction des producteurs de l’arrière-pays afin de se passer des
intermédiaires côtiers. Les maladies et l’existence de puissantes entités
politiques les en dissuadèrent vite. D’ailleurs, et une fois encore, pourquoi
se lancer dans d’inutiles et importantes expéditions alors qu’il était, et de
beaucoup, plus simple et plus rentable de laisser les Africains gérer eux-
mêmes l’approvisionnement, quitte à surpayer les produits, ce qui, en
définitive était moins coûteux en hommes et en moyens que l’exploitation
directe ?
Néanmoins, avec le cycle des oléagineux, des habitudes se prirent, des
contacts furent noués, des droits territoriaux furent acquis qui permirent
ultérieurement la « course au clocher » vers l’intérieur du continent. Ainsi
en fut-il de la France et de la Grande-Bretagne.
Dans le premier cas, dès 1841, le marseillais Victor Régis installa des
comptoirs dans la future Côte d’Ivoire et dans le futur Dahomey. Ces
implantations permirent d’alimenter la savonnerie marseillaise puisque, en
1881, les importations d’oléagineux (huile de palme et arachides) en
provenance de ces régions et du Sénégal atteignirent près de 130 000
tonnes. Dans le cas de la Grande-Bretagne, en 1879, George Taubman
Goldie fonda la United African Company (UAC), qui eut pour terrain
d’expansion la région des Oil Rivers, c’est-à-dire le delta du Niger où
poussent les palmiers à huile. L’année suivante, dans la même région, un
Français, le comte de Sémélé fonda la Compagnie française de l’Afrique
occidentale qui eut du mal à supporter la concurrence de sa devancière
britannique et qui cessa ses activités en 1883. Ce fut cette présence de
l’UAC qui permit ultérieurement, lors de la Conférence de Berlin, au
gouvernement britannique de revendiquer la possession de la région.

3. Le golfe de Guinée
Dans cette région, une importante mutation se produisit au sein des
sociétés africaines dont la puissance reposait sur la Traite. À cet égard, le
cas du royaume d’Oyo est emblématique. Au début du XIXe siècle l’empire
yoruba d’Oyo (Asiwaju, 1997) dont le cœur était situé entre les fleuves
Ogun et Osun, dominait nombre d’États yoruba ainsi que le Dahomey qui
était son vassal depuis 1748 et qui le demeura jusque dans les années 1820.
Comme nous l’avons vu, pour obtenir des débouchés maritimes, le royaume
avait conquis les régions situées entre sa capitale, Oyo, et le littoral. Il avait
également pris le contrôle du royaume de Porto Novo qui était devenu son
principal port exportateur d’esclaves.
La puissance militaire d’Oyo reposait essentiellement sur la cavalerie qui
lui avait permis de s’étendre dans les savanes de la région du haut Ogun. À
l’est de l’Osun, et jusqu’au Niger, la partie orientale de l’ensemble yoruba
était divisée en plusieurs ensembles dont les principaux étaient les
royaumes « frères » d’Ife et du Benin29 et qui étaient indépendants d’Oyo.
Plus généralement, les Yoruba de l’Ouest (Oyo), s’étaient étendus à la fois
dans les savanes du nord et vers le littoral tandis que ceux de l’Est avaient
eu pour champ d’expansion la forêt humide. Les premiers avaient fondé
leur puissance sur la vente des esclaves, les seconds davantage sur le
commerce classique.
Vers 1820, le royaume d’Oyo qui avait perdu l’essentiel de ses revenus
puisqu’ils étaient tirés de la traite esclavagiste, entra dans une phase de
dissociation. Les ressources devenant rares, l’autorité fut minée par des
luttes pour le pouvoir. Quant à l’armée, elle se trouva tout naturellement
affaiblie, ce qui s’était traduit à la fin du XVIIIe siècle déjà par une série de
défaites militaires, dont celle de 1783 face au Borgou. Le résultat de cet
effacement progressif d’Oyo fut que la poussée musulmane nordiste
résultant du jihad d’Ousmane dan Fodio ne put être contenue par les
sociétés animistes30. La disparition d’Oyo eut d’autres importantes
conséquences régionales qui se traduisirent par plusieurs décennies de
guerres entre entités yoruba, conflits qui se déroulèrent de 1820
jusqu’en 1886, date à laquelle les Britanniques imposèrent la paix. À
l’Ouest, le Dahomey profita de l’effacement d’Oyo pour devenir
indépendant, avant de s’attaquer à certaines des entités yoruba les plus
occidentales comme Ketu, Egba et Egbado31.
Comme Oyo, le Bénin entra dans une phase de dissociation durant le
XIXe siècle, à la veille de la conquête européenne. Au début du siècle sa
puissance était pourtant considérable puisqu’il englobait les États yoruba
d’Ekiti, d’Ondo et d’Owo ainsi que la partie la plus occidentale du pays ibo.
À l’Ouest, l’autorité du Bénin s’étendait alors jusqu’à la hauteur de Lagos.
Les raisons expliquant la décadence du royaume ne sont pas celles qui ont
été mises en évidence dans le cas d’Oyo. Ici, nous sommes en présence
d’une série d’offensives venues de toutes les périphéries du royaume et qui
entraînèrent sa rétractation : au Nord, le jihad des Fulbe qui avait
auparavant subjugué Nupe avait franchi le Niger et s’était étendu dans le
nord-ouest du royaume ; à l’Ouest, Ondo et Ife passèrent sous l’autorité de
la principauté d’Ibadan. Au Sud, les Britanniques qui avaient annexé Lagos
en 1861 et qui avaient pris pied dans le delta du Niger et dans l’estuaire
Forcados avaient coupé le Bénin du commerce côtier puisque ses
intermédiaires itsekiri, ijo et Igbo (Ibo) s’étaient placés sous leur protection
pour mieux rejeter la suzeraineté béninoise. Pour le royaume, le coup était
mortel car ses anciens vassaux, non contents de ne plus leur verser une
rente, étaient de plus devenus leurs concurrents.

C. L’Afrique centrale et australe


Dans toute la région, la période fut celle de l’affirmation des grandes
constructions étatiques mises en évidence précédemment et dont l’essor
provoqua régulièrement de considérables bouleversements.

1. La région interlacustre
Dans le nord de la région interlacustre nous avons vu qu’à la fin du
XVe siècle, les Babito qui avaient succédé aux Bacwezi avaient fondé le
Bunyoro, lequel avait développé une vigoureuse politique expansionniste en
direction du Sud, notamment aux dépens du Rwanda. Dans la seconde
partie du XVIIe siècle, le royaume commença à s’affaiblir à la suite de
querelles dynastiques. Au début du XVIIIe siècle, le déclin du Bunyoro
favorisa l’apparition du royaume du Mpororo qui disparût quelques
décennies plus tard, mais également la renaissance du Nkore32 miné par son
dualisme ethno-régional entre un nord hima-pastoral et un sud baïru-
agricole. Au XIXe siècle, même si le Bunyoro demeurait un État puissant, il
ne put empêcher le mouvement de délitement qui avait débuté au siècle
précédent et c’est ainsi que vers 1830, dans la partie sud-ouest, naquit le
royaume du Toro.
À la fin du XVIIIe siècle, le Buganda avait réussi à couper le Bunyoro du
lac Victoria en prenant le contrôle des régions situées au nord-ouest du lac.
À partir de 1840 les Zanzibarites commencèrent à fréquenter la cour du
Buganda avant d’en être expulsés vers 1850. En 1860, durant le règne du
kabaka (roi) Mutesa (1854-1884), ils furent de retour et vers 1867 le
souverain se convertit à l’islam.
Au XIXe siècle, les deux royaumes du Rwanda et du Burundi connurent
des évolutions différentes dans la mesure où, au Rwanda, l’on peut parler
d’une évolution vers une certaine forme de centralisation monarchique et
dans tous les cas d’un abaissement de la féodalité, alors qu’au Burundi la
féodalité ne fut jamais canalisée.
Au XVIIe siècle, sous le mwami Mibambwe II Gisanura (± 1672-1696), le
Rwanda avait mené des guerres continuelles contre le Burundi qui
développait alors une politique hégémonique en direction du Nord et qui
réussit à s’emparer un temps de la province du Bungwe, dans le sud du
Rwanda. Yuhi III Mazimhaka (± 1696-1720) étant devenu fou, son fils
Rujugira lui succéda33, régnant sous le nom de Cylima II Rujugira (± 1744-
1768). Sous son règne, le Rwanda combattit le royaume rival du Gisaka
auquel il reprit le Buganza, cœur et noyau nucléaire du Rwanda. Autour du
Gisaka s’étaient coalisés trois autres royaumes tutsi, le Burundi, le
Bugesera et le Ndorwa. Le Rwanda fut vainqueur du Burundi et s’empara
du Buyenzi, le Gisaka fut également vaincu et le prince héritier Kirenga,
fils du roi Kimenyi IV Getura, périt dans les combats. Sur le front du
Ndorwa, les armées rwandaises commandées par le prince Ndabarasa, fils
du Mwami, furent également victorieuses et le Rwanda conquit deux
grandes régions pastorales peuplées par des Hima-Tutsi, à savoir le Mutara
et le sud du Ndorwa ainsi qu’une région peuplée de Hutu, le Buyaga ou
Rukiga.
Le prince Ndabarasa succéda à son père sous le nom de Kigeli III
Ndabarasa (± 1768-1792) ; il poursuivit l’expansion vers le Nord contre le
royaume Hima-Tutsi du Nkore (Ankole) et rattacha au Rwanda le petit
royaume tutsi du Mubali situé dans l’est du pays. Fils ou petit-fils de
Kigeli III, Mibambwe III Sentabyo (± 1792-1797) s’allia au Burundi du
Mwami Ntare IV Rugamba pour attaquer le royaume tutsi du Bugesera34
qui fut vaincu et partagé entre les deux vainqueurs, le roi Nsoro IV
Nyamugeta qui se réfugia chez son parent Kimenyi IV du Gisaka, dernier
royaume kinyarwandophone35 à ne pas être rattaché au Rwanda.
Sous Yuhi IV Gahindiro (± 1797-1830), le Rwanda eut à combattre à la
fois le Burundi et le Karagwe, royaume tutsi situé entre le lac Victoria et le
fleuve Kagera.
Sous le règne du Mwami Mutara II Rwogera (± 1830-1860), le royaume
du Gisaka fut vaincu et rattaché au Rwanda.
Le règne du Mwami Kigeli IV Rwabugiri (± 1860-1895) fut un des plus
grands de l’histoire du Rwanda. À l’intérieur, il renforça le pouvoir royal en
éliminant ceux de ses oncles ou de ses frères qui auraient pu lui contester le
pouvoir (Kalibwami, 1991 : 141) et à l’extérieur, il annexa plusieurs
territoires, notamment au nord des volcans, dans l’actuel Ouganda. Son
impérialisme s’exerça cependant avec le plus de vigueur à l’ouest et il
s’empara de l’île Ijwi, du Buhunde et du Bushi (Newbury, D.S., 1974,
1975). Rwabugiri fut le premier souverain du Rwanda qui fut mis en
présence d’Européens. L’évènement eut lieu en 1894, quand l’expédition du
comte von Götzen atteignit le Rwanda.
Le royaume du Burundi n’a jamais atteint le degré de « centralisation »
institutionnelle du Rwanda, son voisin septentrional. Peut-être est-ce dû au
fait que, les Tutsi étaient ici divisés en trois groupes bien différenciés et
souvent opposés.
– Les « grands » Tutsi ou Banyaruguru (littéralement : « ceux qui
viennent d’en haut », c’est-à-dire du nord) se rattachent au rameau
rwandais. Répartis en quatre clans, ils vivaient essentiellement dans le
nord du Burundi dans les régions de Muramvya, de Ngozi, et de
Muyinga, etc. Le cœur de la royauté tutsi était Muramvya avec ses
dépendances de Bukeye, Mbuye et Kiganda.
– La haute aristocratie tutsi était constituée par les Baganwa, princes de
sang descendant des quatre derniers Mwami (Bami au pluriel). Leur
titre de Baganwa disparaissait au moment où un nouveau roi portant le
nom dynastique de leur propre ancêtre accédait au trône (on disait au
tambour)36 et ils devenaient alors Bafasoni (grands notables) (Ghislain,
1970, 2003a).
– Les Hima ou « petits tutsi » sont les derniers tutsi arrivés
(probablement après le XVe siècle), et ils se sont installés dans le
Bututsi, c’est-à-dire dans la région de Bururi, au sud du pays. À la
différence des autres Tutsi, venus du Nord, leur migration s’est faite
depuis l’Est37.
Après une période de gloire aux XVIIe-XVIIIe siècles, l’unité burundaise se
délita. Au début du XIXe siècle, le pays était divisé en une multitude de
territoires plus ou moins autonomes du pouvoir royal. Au même moment, le
royaume du Rwanda, son rival septentrional s’était lancé dans une politique
d’expansion territoriale.
Au XIXe siècle, et sous l’impulsion de ses deux Mwami, car le pays eut la
chance de n’avoir que deux souverains durant ce siècle, le Burundi connut
un mouvement d’unification et les conquêtes élargirent les régions sous
contrôle royal. Il fut alors nécessaire de réorganiser administrativement le
royaume et les territoires nouvellement soumis furent confiés à des princes
de sang royal, les Baganwa.
Durant le long règne du mwami Ntare IV Rugamba (1800-1850),
contemporain de trois souverains du Rwanda (Mibambwe III Sentabyo,
Yuhi IV Gahindiro et Mutara II Rwogera), le Burundi suivit une vigoureuse
politique d’expansion territoriale en direction du Nord, contre le Rwanda
afin de venger les échecs des règnes précédents. En dépit de leur alliance de
circonstance contre le Bugesera, les deux royaumes furent continuellement
en conflit. À l’issue du long règne de Ntare Rugamba, le Burundi était un
pays puissant à l’extérieur, administré à l’intérieur autour de chefferies
administratives et militaires dont les plus stratégiques étaient confiées à des
fils du souverain.
À la mort du mwami, la légitimité de son fils, Mwezi Gisabo (1850-
1908) fut contestée par son demi-frère Twarereye qui avait été initialement
désigné comme prince héritier et une guerre civile éclata à l’issue de
laquelle le rebelle et son lignage furent éliminés (Mworoha, 1987 : 208).
Puis, le Mwami imposa son autorité.
Vers 1870, un chef Nyamwezi nommé Mirambo entreprit d’unifier les
clans nyamwezi, peuple qui vivait à l’ouest de Tabora et qui assurait le rôle
d’intermédiaire entre le lac Tanganyika et les Zanzibarites38. En 1880, il
s’étendit vers le sud, dans l’Uvinza afin d’atteindre le lac Tanganyika et
prendre ainsi le contrôle de la route des caravanes. En 1884, il se heurta aux
armées de Mwezi Gisabo, mais sa mort, la même année marqua la fin de
son entreprise.
Les premiers traitants zanzibarites avaient atteint le lac Tanganyika vers
1820, mais il fallut attendre 1860 pour que l’Imbo, autrement dit les plaines
lacustres du nord-ouest du Burundi, commence à être influencé par eux,
tandis que l’intérieur du royaume, le Burundi des hautes terres restait
totalement à l’écart du mouvement. Présents à Uvira sur la rive occidentale
du lac Tanganyika depuis les années 1860, les Zanzibarites venus d’Ujiji
entreprirent de prendre le contrôle du nord du lac. En 1881, le sultan de
Zanzibar nomma un gouverneur à Uvira dans la personne de Mwinyi Kéri.
En 1885, un Arabe lui succéda, Mohamed bin Kalfan issu d’une grande
famille omani qui reçut le nom de Rumaliza (celui qui achève) (Chrétien,
1987 : 241).

2. Les « savanes du Sud »


Dans la région forestière les constructions étatiques prirent naturellement
des formes différentes de celles des savanes. Dans ces dernières, les
Empires, à l’image de celui constitué par les Lunda, contrôlaient les grands
carrefours du commerce à longue distance tandis que, dans le monde
forestier, la fragmentation et même l’émiettement étaient généralement la
règle. Ici, les entités politiques se contentaient de défendre leur monopole
sur les portions fluviales qu’elles contrôlaient, les cours d’eau constituant
les seules voies de communication.
Au XIXe siècle, dans toute la région comprise entre la forêt au Nord et le
Zambèze au Sud, existaient des États. Parmi les principaux, se détachaient
le Congo, les royaumes Luba39 et Lunda ainsi que le royaume Lozi40.
Le Kazembe41 a connu une évolution particulière due à sa conquête par
des aventuriers venus de l’Est. Un temps partenaire méridional du
commerce avec les Arabes, il entra en décadence quand un conquérant
nyamwezi nommé Ngelengwa, dit M’siri, créa un royaume concurrent. Né
vers 1830, année de la fondation du comptoir arabe de Tabora en plein pays
Nyamwezi, il accompagna très jeune son père, Mazwiri-Kalasa chef de
caravane au service des Zanzibarites. Vers 1858, après un voyage dans ce
qui deviendra le Katanga et d’où il avait rapporté une cargaison d’ivoire, il
décida de s’installer dans la région d’un village du nom de Katanga, sur les
bords de la Loufira, avec un groupe de Bayéké, c’est-à-dire des chasseurs
d’éléphants. La route reliant Tabora au Katanga était longue et elle
traversait les territoires du Kazembé auquel les traitants devaient payer
tribut. Ayant épousé une des filles du chef de Katanga, M’Siri intervint dans
les querelles locales à la tête de ses Bayéké, aidant certains chefs contre
d’autres et se procurant de ce fait des esclaves qu’il allait revendre aux
Arabes installés dans les villes littorales de l’océan Indien.
Ce commerce lui permit de se procurer des fusils et de plus en plus de
Bayéké vinrent se joindre à lui. Bientôt, il disposa d’une véritable armée
avec laquelle il bouleversa profondément la géopolitique régionale. C’est
ainsi qu’il détourna à son profit le commerce des esclaves, de l’ivoire et du
cuivre qui faisait la richesse des royaumes Luba et Kazembé, ce qui
provoqua une forte réaction de ces derniers. Il commença par faire refluer
les Luba qui étaient installés entre la rivière Louvoua et le lac Tanganyika,
puis il les repoussa vers l’Ouest, jusqu’au lac Kisale. Dans un second
temps, il écrasa l’armée du Kazembé et coupa le royaume, à la fois des
peuples tributaires vivant à l’ouest du lac Moero et du territoire du Mwata
Yamvo, scindant ainsi le peuplement lunda en deux ensembles désormais
distincts. Le Kazembé qui avait perdu son rôle de double intermédiaire était
ruiné.
Au centre géographique de ses conquêtes, M’Siri fonda une capitale,
Bounkeya, qui attira des aventuriers d’origines ethniques différentes venus
se mettre à son service. Pour administrer l’ensemble il s’appuya sur les
Bayéké qui étaient haïs par les autochtones dont ils mettaient le pays en
coupe réglée. En 1891, les Basanga se révoltèrent et la même année M’Siri
fut tué par le capitaine Bodson qui faisait partie de l’expédition Stairs et son
royaume disparut avec lui (Moloney, 2007)42.

3. La confrontation Nguni, Sotho et Boers en Afrique


australe
Entre la fin du XVIIIe siècle et les années 1840, l’Afrique australe fut
profondément bouleversée par la mise en mouvement de la tectonique
ethnique régionale. Le phénomène qui affecta tous les Nguni (Xhosa, Zulu,
Ndebele, Ngwane, Swazi, etc.), se fit aux dépens des Sotho qui furent
quasiment chassés de l’actuel Transvaal et d’une grande partie de l’État
libre d’Orange et contraints de se replier à la fois dans l’actuel Botswana et
dans le réduit montagnard du Drakensberg où ils fondèrent le Lesotho. Elle
se fit également aux dépens des KhoiSan, mais aussi de certains Nguni
(Ndebele et Ngwane). Ce bouleversement débuta entre les rivières Sundays
et Great Kei, quand deux front pionniers se heurtèrent, celui des Boers-
Hollandais en marche vers le nord et celui des bantuphones xhosa en
progression vers le sud. Ce furent les guerres de frontière43.
a. Les Xhosa
Nous avons vu que jusqu’en 1740, les Xhosa vécurent entre les rivières
Mthatha et Bashee (ou Mbashe). Langa (1704-1794), un fils du roi des
Xhosa, décida d’aller à la découverte de pâturages nouveaux et il partit vers
le Sud. Après avoir traversé la rivière Great Kei, il se dirigea vers la rivière
Great Fish. Dix ans plus tard, en 1750, son demi-frère Phalo (1702-1775)
franchit à son tour la rivière Kei et vint établir son kraal à proximité de
l’actuelle ville de King William’s Town. Les divisions internes des Xhosa
débouchèrent en 1779 sur une véritable guerre civile au nord de la rivière
Great Fish (Peires, 1987). Les vaincus, dont Langa, cherchèrent refuge au
Sud. Comme en 1760, les Boers avaient atteint la rivière Sundays et que la
ville de Graff Reinet avait été fondée, les deux fronts pionniers avançaient
donc lentement l’un vers l’autre, aussi, vers 1770 les avant-gardes blanches
et noires entrèrent en contact (Lugan, 1990c : 111-126). En 1781, Adriaan
Van Jaarsveld, le représentant du gouverneur hollandais du Cap leva des
kommandos et entreprit de repousser les Xhosa, ce qui donna lieu à la
première des guerres de frontière. Les Blancs en sortirent victorieux et les
Xhosa reconnurent la rivière Fish comme frontière occidentale.
En 1789, la guerre civile fit rage chez les Xhosa au-delà de la rivière Fish
et les vaincus se réfugièrent en deçà – donc en « zone blanche » –, pour
échapper au massacre. Ndlambe (1740-1828), le petit-fils de Phalo, dernier
roi de tous les Xhosa d’avant les guerres civiles et de la grande division qui
en était résulté, voulut réunifier la nation xhosa, aussi, en 1789, il entra en
guerre contre Langa qui s’était installé à l’ouest de la rivière Great Fish, ce
qui provoqua la seconde guerre de frontière. Les déplacements de
population et l’anarchie entraînèrent ensuite un climat d’insécurité qui dura
neuf ans, de 1793 à 1802, épisode connu sous le nom de troisième guerre de
frontière. Dans toute la région les fermes hollandaises furent attaquées et les
colons ne purent contenir les Xhosa. Le front pionnier boer recula alors,
mais dès les années 1810, la situation se retourna en faveur des Blancs
comme nous le verrons plus loin.

Dans années 1800, au nord de la rivière Great Fish, Ngqika s’était


proclamé chef de tous les Xhosa. Ceux qui s’étaient installés au Sud de la
rivière avec Ndlambe se soulevèrent. En 1811, le nouveau gouverneur
anglais, Sir John Cradock ordonna au colonel Graham, commissaire civil et
militaire, de les refouler et au mois de mars 1812, à l’issue de la quatrième
guerre de frontière, ils avaient repassé la rivière Great Fish.
La cinquième guerre de frontière (1818-1819) éclata quand Ngqika, battu
par Ndlambe se réfugia au sud de la rivière Fish où les autorités anglaises
lui accordèrent asile avant de décider d’intervenir en sa faveur. Une force
britannique franchit donc la rivière Great Fish et restaura son pouvoir. En
remerciement, Ngqika céda à la Colonie du Cap la zone comprise entre les
rivières Great Fish et Buffalo. En 1820, 5 000 colons anglais furent installés
au sud de la rivière Great Fish. Le mouvement migratoire xhosa vers le sud
parut alors définitivement bloqué, mais en 1824, Londres autorisa Ngqika à
s’installer entre les rivières Buffalo et Keiskamma.
En 1825 un fait nouveau intervint quand les Ngwane qui fuyaient devant
les Zulu, attaquèrent les Tembo, une des tribus Xhosa vivant à l’ouest de la
rivière Bashee, puis menacèrent Ngqika.
En 1834, les forces anglo-boer intervinrent. Ce fut la sixième guerre de
frontière à l’issue de laquelle les Xhosa furent refoulés au nord de la rivière
Great Kei, limite des territoires qu’ils occupaient au XVIIIe siècle. Londres
annexa ensuite la partie de leur territoire comprise entre les rivières
Keiskama et Great Kei qui devint la Province de la reine Adélaïde ou
Kaffirland.
En décembre 1835, Lord Glenelg, secrétaire d’État aux Colonies, revint
sur cette décision et ordonna au gouverneur du Cap de restituer la région
aux Xhosa. La situation d’avant 1834 était rétablie sur la frontière, ce qui
provoqua la colère des Boers (Stapleton, 1994). En 1847, Londres annexa le
territoire compris entre les rivières Keiskamma et Great Kei qui devint la
British Kaffraria.
Les Xhosa cessèrent la lutte en 1853, après une dernière guerre de
frontière à la suite de laquelle ceux qui vivaient à l’ouest de la rivière Great
Kei furent placés sous la tutelle de conseillers anglais chargés d’assister
leurs chefs. Le « suicide national » de 1857 en fut la conséquence directe.
En 1856, une jeune fille eut une vision : la puissance xhosa serait
restaurée, les troupeaux multipliés et les morts ressusciteraient si tout le
bétail, toutes les récoltes et toutes les réserves alimentaires étaient détruites
car, au mois d’août suivant, tout serait remplacé et multiplié par les dieux.
Alors, les pasteurs qui chérissaient tant leur bétail l’égorgèrent, les récoltes
encore sur pied furent saccagées et les réserves de grains brûlées ou noyées.
Le jour fixé pour la prophétie fut bien entendu un jour comme les autres,
même s’il fut étrangement silencieux. Quand la nuit tomba, les Xhosa de
l’ouest comprirent qu’ils allaient désormais subir une terrible famine. Les
morts se comptèrent en effet par dizaines de milliers et les survivants
vinrent implorer des secours à l’intérieur du territoire de la colonie du Cap.
La longue série des guerres de frontière s’achevait, faute de combattants.
Les Britanniques en profitèrent pour installer 6000 colons – dont de
nombreux Allemands –, dans l’arrière-pays du port d’East London fondé en
1848. Le pays xhosa, en partie vidé de ses habitants, fut englobé dans la
British Kaffraria, laquelle fut cédée à la colonie du Cap en 1866.
b. La naissance du royaume zulu (Morris, 1981 ; Laband, 1995)
La division de la branche nguni qui donna naissance aux Xhosa se
produisit vers ± 1500. À cette époque, au nord, de ces derniers, les Nguni
septentrionaux n’avaient pas encore fondé d’États. À l’origine, les Zulu ne
constituaient qu’une petite tribu parmi les centaines d’autres tribus nguni.
Leurs voisins étaient les Mthethwa, les Ndwandwe, les Elangeni, etc., et
c’est en agglomérant ces « cousins » qu’ils fondèrent un empire.
Né dans la région d’Eshowe entre les XVe et XVIe siècles, Zulu fut
l’ancêtre éponyme de la tribu, donc du royaume. Ses quatre premiers
héritiers et successeurs furent Punga, Mageba, Ndaba et Jama. Vers 1786,
Senzangakona, le 6e chef de la tribu44 qui avait déjà deux épouses eut une
liaison avec Nandi, fille du chef de la tribu voisine des Elangeni dont naquit
un garçon nommé Shaka Zulu45. Senzangakona épousa ensuite Nandi qui
devint sa troisième épouse. Bien qu’enfant illégitime au moment de sa
naissance, Shaka était le premier fils de Senzangakona et donc en théorie
son successeur et, par voie de conséquence, Nandi deviendrait reine-mère,
personnage important chez les Nguni. En 1795, cédant à son entourage,
Senzangakona finit par expulser Nandi qui trouva refuge chez les Elangeni,
sa tribu de naissance où le jeune Shaka fut maltraité par les enfants de son
âge qui le considéraient comme un bâtard. Vers 1802, une grave famine
frappant la région, il fut recueilli par une tante maternelle qui était une
Mthethwa. Dingiswayo qui était alors le chef de cette tribu46, prit Shaka
sous sa protection. Atléthique, courageux, discipliné, ce dernier devint un
des chefs de l’armée mthetwa.
En 1816, à la mort de Senzangakona, Shaka prit la tête des Zulu après
avoir assassiné son demi-frère Sigujana qui était l’héritier légitime du
royaume. Puis, en 1818, lorsque Dingiswayo mourut, il s’en empara de son
royaume, puis il soumit les tribus voisines et constitua le royaume zulu qu’il
dirigea durant douze ans, de 1816 à 1828.
Shaka créa ensuite une puissance militaire redoutable. Des régiments, les
impi, furent constitués par classe d’âge et leur mobilisation effective une
partie de l’année. Les guerriers n’ayant pas « lavé leur sagaie dans le sang
d’un ennemi » ne recevaient du roi l’autorisation de se marier qu’après
quinze années de service. Durant deux à trois ans, les futurs soldats
apprenaient à se soumettre à une discipline implacable ; puis l’entraînement
formait les corps et les âmes à l’offensive, la seule manœuvre utilisée. Les
recrues se familiarisaient avec la formation en croissant ou en « corne » qui
permettait d’encercler l’ennemi, puis de l’écraser par des assauts au corps à
corps. Lors de chaque bataille, déployée en quasi-demi-cercle, l’armée était
divisée en quatre groupes : le centre, chargé de fixer l’adversaire ; en avant,
les éclaireurs répartis sur deux lignes dont la plus avancée composée de
conscrits ; les ailes, formées des combattants les plus rapides à la course
avaient pour tâche d’envelopper les défenses adverses ; à l’arrière enfin et
tournant le dos aux combats, les vétérans constituaient la réserve. Des
unités d’égorgeurs achevaient les blessés ennemis. Le javelot, en définitive
peu meurtrier et dont le lancer laissait le guerrier désarmé, fut abandonné et
le combattant zulu armé d’un assagai, sorte de glaive à manche court et à la
lourde lame, pratique pour le corps à corps ainsi que d’un redoutable casse-
tête, le knobkirrie. Comme protection, il disposait d’un bouclier tressé lui
couvrant le buste et les cuisses. Chaque régiment ou impi, fort d’environ
un millier de combattants, se distinguait sur le champ de bataille par les
couleurs de sa coiffure ou de ses boucliers. Tous avaient le même uniforme
composé d’un bandeau décoré de plumes ceignant le chef, de peaux de
singe ou de petits félins autour de la taille, de bracelets aux bras et aux
jambes, etc.
L’armée zulu était extrêmement mobile. Capables de faire des étapes
quotidiennes de plus de 60 kilomètres, les impis étaient précédés d’un
service de renseignement particulièrement efficace. Quant au ravitaillement,
il était assuré par des adolescents à raison d’un pour trois hommes.
À la fin de son règne, Shaka, qui avait réussi à rassembler toutes les
tribus nguni de l’actuel Zululand en une seule nation, disposait d’une force
de 30 000 combattants, sans rivale parmi les peuples de l’Afrique australe.
En 1828, il fut assassiné par ses demi-frères Dingane et Mhlangana.
LE Mfecane (1818-1838)
Le Mfecane ou « broyage » est le résultat d’une réaction en chaîne ayant débuté à la
fin du XVIIIe siècle lorsque les Ndwandwe et les Mthethwa s’affrontèrent pour le
leadership régional. S’affaiblissant mutuellement, ils permirent à une chefferie jusque-
là marginale, celle des Zulu, et à Shaka, un chef exceptionnellement doué, de
s’imposer (Cobbing, 1988 ; Wilson et Thompson, 1986).
Ses principaux adversaires en déroute, Shaka fut le maître au nord de la rivière
Tugela. À partir de ce moment, il se lança à la conquête des chefferies nguni de la
région afin de les incorporer. Ceux qui refusèrent de reconnaître son autorité furent
impitoyablement massacrés et les rescapés, paniqués, se précipitèrent sur les
territoires limitrophes. Devenus eux-mêmes des envahisseurs, ils répandirent la
terreur de proche en proche.
Avec l’arrivée des Ndebele de Mzilikazi dans le Highveld sud-africain à partir de 1823
débutèrent les plus importantes dévastations et le peuplement sotho fut
profondément remanié.
Mzilikazi (± 1770-1868), était le fils de Mashobane, chef des Ndebele/Khumalo dont
le homeland était situé à proximité de la rivière Umfolozi, et de Nompethu, fille de
Zwide, chef des Ndwandwe. Mashobane fut tué par Zwide et Mzilikazi passa une
partie de son enfance auprès de son grand-père Zwide. Après la mort de Dingiswayo,
le chef des Mthetwa, Shaka et Zwide entrèrent en conflit et Mzilikazi se rallia à Shaka
qui lui donna un impi (régiment) à commander (Lye, 1967 et 1969 ; Lye et Murray,
1980 ; Rasmussen, 1978).
Au mois de juin 1822, brouillé avec Shaka, Mzilikazi choisit de fuir. Suivi de quelques
centaines de guerriers et de quelques dizaines de femmes et d’enfants, il traversa le
massif du Drakensberg et se dirigea vers le nord et le nord-ouest. Le reste de sa tribu
fut massacré par les Zulu.
Durant les mois de juillet août 1823, Mzilikazi refit ses forces. Il battit les Pedi (des
Sotho) puis il regroupa autour de lui des milliers de Nguni du nord appartenant à des
tribus n’ayant pas accepté de se fondre dans la nation zulu, mais aussi de forts
contingents de Ndwandwe. Avec cette troupe, il déboucha ensuite sur les plateaux
d’entre Limpopo et Vaal. Durant l’année 1824, il nomadisa dans l’actuelle région de
Pietersburg (Polokwane), puis, à partir de 1825, il s’installa dans la région de
l’actuelle ville de Pretoria, auprès de ses cousins Ndzundza les Ndebele du
Transvaal.
Au début de 1831, les Ndebele franchirent le Vaal puis la rivière Modder et ils
attaquèrent successivement les Tlokwa du chef Sekonyela, puis les Sotho de
Moshwesh (Gill, 1993).
À la fin de 1831, Mzilikazi lança un raid au nord du Limpopo, contre les Shona vivant
dans le sud de l’actuel Zimbabwe. Profitant de l’occasion, les Taung de Moletsane qui
venaient de vaincre les Rolong, eux-mêmes fuyant les Ndebele, attaquèrent une
nouvelle fois Mzilikazi. Alliés aux Korana et aux Griqua, ils furent battus.
Au mois de juillet 1832, redoutant une attaque zulu, Mzilikazi partit s’établir dans la
région du fleuve Marico après en avoir chassé les Rolong et les Hurutshe. Il s’installa
ensuite dans la région des Magaliesberg dans la confluence des rivières Crocodile et
Mariko où, en 1837, il fut attaqué et vaincu par les Voortrekkers à Kapain et à
Mosaga.
c. Les Ndebele et les Ngwane
Comme leurs proches parents zulu, les Ndebele sont des Nguni du Nord.
En 1821, Mzilikazi, jusque-là un des hommes de confiance de Shaka, se
brouilla avec lui. Il tenta d’abord de résister mais, trahi par un membre de
son propre clan, il fut contraint de fuir, suivi par 300 guerriers à peine, le
reste de la tribu étant massacré par les Zulu. Durant les mois de juillet-août
1821, Mzilikazi se trouvait loin du Zululand, dans les environs des actuelles
villes de Piet Retief et d’Ermelo. Là, il refit ses forces, regroupant autour de
lui des milliers de Nguni septentrionaux appartenant à des petites tribus qui
n’avaient pas accepté de se fondre dans la nation zulu et, sur le modèle
agglomérant zulu, il en fit les Matabele.
Cette invasion du plateau central sud-africain par les Nguni menaça les
Sotho. Aussi, en 1828, Moletsane, le chef des Taung – une tribu sotho –,
s’allia aux Korana – une tribu Khoi-Khoi (Hottentots) –, qui avaient été
contraints de fuir devant les guerriers de Mzilikazi, mais ils furent mis en
déroute, abandonnant une partie de leurs armes à feu entre les mains des
Ndebele-Matabele (Breutz, 1987). En 1829, Mzilikazi se lança à leur
poursuite et il franchit la rivière Modder. Il apprit alors que des Blancs
vivaient plus au Sud et il entra en contact avec un chasseur, Robert Scoon,
auquel il demanda de lui fournir des fusils. La même année, Mzilikazi
rencontra le missionnaire Robert Moffat (1795-1883).
À la fin de 1829 ou au début de 1830, Mzilikazi attaqua les tribus sotho
vivant à l’ouest de ses territoires. Les Ngwaketse furent alors mis en
déroute et se réfugièrent dans les régions désertiques du Nord. Au début de
1831, les Ndebele-Matabele franchirent le Vaal et ils attaquèrent les Tlokwa
du chef Sekonyela, puis les Sotho de Moshwesh retranchés dans la citadelle
naturelle de Thaba Bosigo (Gill, 1993). À la fin de 1831, Mzilikazi lança un
raid au nord du Limpopo, contre les Shona vivant dans le sud de l’actuel
Zimbabwe. Une coalition de Griqua, de Korana et de Tswana47 en profita
pour pénétrer dans le sud-ouest de son territoire, mais, en dépit de ses armes
à feu, elle fut mise en déroute.
En 1832, Mzilikazi s’installa dans la vallée du fleuve Marico après avoir
battu et chassé trois autres tribus sotho, les Rolong, les Kwena et les
Ngwaketse. Les Sotho du Transvaal étaient dispersés et la frontière ouest du
royaume ndebele était le Vaal.
Les Sotho méridionaux qui vivaient dans l’actuelle province d’Orange
avant ce fantastique mouvement de déplacement de population résultant des
migrations nguni et connu sous le nom de Mfecane ou dislocation furent
chassés de leurs terres par les Ngwane. Commandés par Matiwane (1790 ?
-1829) les Ngwane étaient des Nguni non incorporés au royaume zulu. Leur
territoire bordait la rivière White Umfolozi, près de l’actuelle ville de
Wakkerstroom. En 1818, quand Shaka avait commencé à absorber les tribus
nguni du Nord, ils avaient résisté mais une seconde offensive avait été
lancée par Zwide, le chef des Ndwandwe dont la fille, Nompethu, était la
mère de Mzilikazi.
Les Ngwane, vaincus et contraints de prendre la fuite devinrent alors
guerriers errants et ils attaquèrent, pour les razzier, tous les peuples qu’ils
rencontraient durant leur marche. De 1818 à 1828, les Sotho furent ainsi
leurs principales victimes. Le déferlement et les bouleversements
territoriaux qui suivirent débutèrent par l’attaque des Hlubi, qui furent
dispersés. Matiwane pénétra ensuite dans l’actuel Lesotho, puis il écrasa les
Bhele dans l’actuel Natal avant d’occuper leur territoire, au pied du
Drakensberg.
En 1820, Shaka et ses Zulu envahirent la région et les Ngwane
préférèrent s’enfuir. Ils traversèrent alors le Drakensberg et fondirent sur la
tribu sotho des Tlokwa commandée par le chef Sekonyelela. Après les avoir
écrasés, ils attaquèrent les autres tribus sotho. En 1825, ils rattrapèrent les
Hlubi fugitifs, tuèrent leur chef Mpangazitha et massacrèrent la tribu. Les
Ngwane s’installèrent alors dans la région située entre le fleuve Caledon et
la ville actuelle de Bethleem vidée de ses habitants, les Sotho Tlou et
Tswaneng. Ils tentèrent ensuite d’écraser le chef Moshwesh du Lesotho,
mais son réduit montagneux de Thaba Bosigo fut imprenable (Gill, 1993).
En 1826, un raid zulu franchit le Caledon à Maseru, sur le site de
l’actuelle capitale du royaume du Lesotho. Les Ngwane furent battus lors
d’un combat qui se déroula à proximité de l’actuelle ville de Ladybrand et
ils se replièrent après avoir perdu presque tout leur bétail. Afin de
reconstituer ses troupeaux, Matiwane décida d’attaquer les plus proches des
Xhosa qui étaient les Tembu. Pour cela, il franchit le fleuve Orange près
d’Aliwal-North et, le 17 août 1827, il écrasa les Tembu du clan Bawana
avant de se diriger vers Umtata, la capitale de Ngubenkuka, le chef suprême
des Tembu. Ce dernier demanda alors l’aide des Anglais avec lesquels il
était en bons termes.
Le major W.B. Dundee arriva en renfort et le 25 juillet 1828, il battit les
Ngwane et leur reprit 25 000 têtes de bétail qui avaient été razziées aux
Xhosa. Un mois plus tard, le colonel Somerset les défit définitivement à
Mbolompo, près d’Umtata. Les survivants s’enfuirent alors au Natal où
Matiwane fut capturé par les Zulu. Conduit à la cour de Dingane, le
successeur de Shaka, il y fut torturé et mis à mort48.
4. Boers, Britanniques et Zulu49
Dans les premières années de la période britannique, la Colonie du Cap
ne fut considérée que comme une place forte, un « Gibraltar de l’océan
Indien » destiné à verrouiller l’accès maritime aux Indes. Mais Londres se
vit peu à peu, et le plus souvent contre son gré, attirée vers son hinterland,
comme lors des « guerres de frontière » contre les Xhosa ainsi que nous
venons de le voir. Cette politique provoquée par les évènements ne reposait
pas sur une stratégie de conquête, mais la situation changea à partir du
moment où les Boers s’installèrent à Durban car Londres ne pouvait
accepter qu’ils aient un débouché sur l’océan Indien.

Le Grand Trek (1836-1838)


En 1828, à la suite d’une intense campagne missionnaire menée par le docteur Philip
(Ross, 1986) de la LMS (London Missionary Society), les Noirs libres avaient obtenu
l’égalité juridique avec les Blancs (Ross, 1986). À partir de 1836, face à ce qu’ils
considéraient comme une inacceptable guerre rampante que leur livraient les
missionnaires anglicans et l’administration coloniale britannique, plusieurs milliers de
Boers décidèrent de quitter le territoire de la Colonie du Cap pour aller s’installer dans
les territoires vierges situés au nord du fleuve Orange. Ce fut le Grand Trek (grand
voyage).
Andries Potgieter partit le premier en 1836, puis, en 1837, sous les ordres de Piet
Retief, une dizaine de convois se formèrent à Graaff Reinet, Uitenhage et
Grahamstown. Le Grand Trek qui concerna au total vingt mille personnes environ se
fit dans trois directions :
1. entre les rivières Orange et Vaal dans la région que les Trekkers nommèrent
Transgariep50 et qui deviendrait l’Oranje Vrij Staat (OVS) ou Orange Free State en
anglais ;
2. au nord du Vaal, dans le Transvaal ou Zuid-Afrikaansche Republiek (ZAR, South
African Republic en anglais ;
3. à l’est du Drakensberg, vers le Natal.
Chaque convoi était commandé par un chef élu. Les plus célèbres d’entre eux furent
Piet Retief, Gerrit Maritz, Andries Potgieter et Andries Pretorius. Chaque jour, les
Trekkers ou Voortrekkers – ce qui signifie les pionniers de l’avant –, s’éloignaient de
20 à 30 kilomètres de la terre qui les avait vus naître. Ils se rapprochaient d’autant de
la « Terre promise » que le « Créateur » leur réservait puisqu’ils étaient certains d’être
le « Peuple élu ». La lecture quotidienne de la Bible les persuadait d’ailleurs qu’ils
vivaient un moderne « Exode » au terme duquel ils trouveraient enfin la « Terre de
Canaan ». Leur vocabulaire était profondément imprégné par les Saintes Écritures :
pour eux, le roi d’Angleterre était « Pharaon » et la colonie du Cap une nouvelle
Égypte qu’ils devaient fuir comme les Hébreux auxquels ils s’identifiaient.
Le 16 octobre 1836, Mzilikazi attaqua les Trekkers51 d’Andries Potgieter à Vegkop (la
colline du combat), mais les Ndebele perdirent des centaines de guerriers avant de
se replier. À la fin du mois d’octobre 1837, Potgieter, renseigné et aidé par des Sotho,
contre-attaqua. La cavalerie boer, forte de quelques dizaines d’hommes, défie
les milliers de guerriers ndebele et l’armée de Mzilikazi fut alors scindée en deux. Un
groupe s’enfuit en direction du lac Ngami et des marais de l’Okavango, au nord de
l’actuel Botswana ; l’autre pénétra dans le sud de l’actuel Zimbabwe où il fonda un
État ndebele (ou Matabele), dans la région de l’actuelle ville de Bulawayo.
Après leur victoire sur les Ndebele, certains Voortrekkers décidèrent de s’établir sur
place, pensant qu’ils avaient mis une distance suffisante entre les Anglais et eux.
D’autres, commandés par Piet Retief et Gert Maritz pensèrent qu’il fallait aller encore
plus loin en direction de l’océan Indien. La chaîne du Drakensberg fut alors franchie
au prix d’efforts immenses et à la fin du mois d’octobre 1837, les éléments de tête
arrivèrent à Port Natal (Durban). À Mgungundlovu, Piet Retief fut reçu en audience
par Dingane, le roi des Zulu qui lui laissa entendre qu’il ne voyait pas d’obstacle à son
installation. Au mois de février 1838, lors d’une seconde audience, il fut massacré
avec 60 de ses hommes.
À la tête d’une expédition de représailles forte de 470 hommes, Andries Pretorius se
mit en marche vers le Zululand. Le 14 décembre 1838, le cercle de chariots (laager)
fut formé dans le méandre d’un affluent de la rivière Buffalo. Le 16 décembre, de
furieux combats s’y engagèrent entre 12 000 Zulu et les 470 Boers et les eaux de la
rivière furent rougies de sang. Ce fut la bataille de Blood River remportée par les
Boers sur des armées zulu jusque-là invaincues.
Deux logiques s’affrontèrent alors à partir de cette époque. Les Boers estimaient, par
leur départ, avoir rompu tous les liens avec la Couronne, tandis que les Anglais les
considéraient comme des rebelles qu’il importait de ramener dans le chemin de la
légalité. Cette réalité fut la base des relations entre les uns et les autres de 1835 à
1902 (Lugan, 1995 : 85-110 ; 1998a : 23-41).

Après la bataille de Blood River, les 6 000 Voortrekkers du Natal avaient


créé la République indépendante du Natal ou Natalia, avec Port Natal
(Durban)52 comme accès à la mer. Ils n’en avaient cependant pas fini avec
les Anglais puisqu’en 1843, Londres annexa officiellement le Natal et y
développa une politique d’immigration de colons anglais destinée à la
submersion démographique des Boers.
Restaient ceux des Boers qui s’étaient installés au nord du fleuve Orange.
Afin de pouvoir annexer la région qu’ils habitaient et qui était comprise
entre l’Orange et le Vaal, Sir Harry Smith, le gouverneur anglais du Cap,
joua habilement des conflits opposant les Boers aux Griqua qui étaient des
métis de KhoiSan et de Boers. Au mois d’avril 1845, les Griqua qui étaient
sujets de la Couronne, entrèrent en conflit avec les Boers et les Anglais
intervinrent en leur faveur ; le 3 février 1848, la région fut officiellement
annexée.
En 1852, Sir Harry Smith fut remplacé par un militaire, Sir George
Cathcart. Sa mission qui n’était plus impériale n’avait plus pour finalité
l’élargissement des terres de la Couronne, mais simplement la protection de
la base du Cap nécessaire à la sécurité de la route des Indes. Le 18 janvier
1852, par la convention de la Sand River, la Grande-Bretagne reconnut en
conséquence l’indépendance des territoires situés au nord du Vaal qui
devenaient la République d’Afrique du Sud ou Transvaal53. Le 23 février
1854, la convention de Bloemfontein fut signée qui consacrait la naissance
de l’État libre d’Orange. Désormais, le fleuve Orange marquait la frontière
entre les territoires britanniques de la Colonie du Cap et les États boers.
De 1858 à 1868, la guerre ne cessa pas entre les Boers de l’État libre
d’Orange et les Sotho et Sir Philip Woodehouse, le nouveau gouverneur, se
rangea aux supplications des missionnaires protestants français54 qui lui
demandaient d’accorder le protectorat britannique aux Sotho afin de leur
éviter une conquête boer. Le protectorat anglais fut effectivement proclamé
le 15 avril 1868 sur le royaume de Moshesh qui devint à partir de cette date
le Basutoland. Puis, dans les années 1872-1881, la Grande-Bretagne
commença à préciser les grandes lignes de ce qui allait être sa constante
politique dans les décennies ultérieures, à savoir la constitution d’une
fédération des États et des peuples d’Afrique australe sous son autorité.
L’analyse des responsables coloniaux britanniques partait d’une réalité qui
était la profonde hétérogénéité du peuplement régional, ce qui débouchait
sur d’incessants conflits préjudiciables aux intérêts de Londres. Dans ces
conditions, puisque ces divers peuples étaient en permanence en situation
de préconflit, la seule solution consistait à leur imposer une autorité
supérieure qui les fédérerait tout en contrôlant leurs débordements.
À partir du mois de février 1874, les conservateurs – Disraeli étant
Premier ministre –, furent aux affaires. Lord Carnavon, qui était en charge
des questions coloniales, chargea alors Sir Garnet Wolseley de préparer
l’évolution de l’Afrique australe vers ce but fédéral. La première étape de
ce plan fut atteinte en 1879 avec l’annexion du Griqualand, ou région de
Kimberley où les premiers diamants avaient été découverts en 1867. La
seconde concerna le Transvaal en situation de banqueroute, menacé par les
Zulu à l’Est et aux prises dans le Nord à un soulèvement des Pedi animé par
le chef Sekukuni, à telle enseigne que Lord Carnavon en vint à penser qu’il
était à ce point fragilisé qu’il faisait courir un très grave danger à la Colonie
du Natal, placée en première ligne face aux Zulu. C’est pourquoi, le 12 avril
1877, il fut annexé (Lugan, 1998a).
Le royaume zulu était alors au sommet de sa puissance (Morris, 1981 ;
Laband, 1995). En 1873, Cetshwayo avait succédé à son père Mpande et il
disposait d’une armée forte de 40 000 guerriers. Le Zululand avait pour
voisin méridional la Colonie du Natal dont il était séparé par les rivières
Tugela et Buffalo. Au Nord, la rivière Pongola formait sa limite avec le
royaume du Swaziland et l’Afrique portugaise. À l’Ouest, l’escarpement du
Drakensberg formait une frontière naturelle avec le Transvaal.
Cetshwayo fut alors l’objet d’une véritable guérilla politique de la part de
sir Bartle et de Theophile Shepstone55. Le 11 décembre 1878, comme il ne
cédait pas, ils lui adressèrent un ultimatum-provocation par lequel il lui était
demandé l’auto-dissolution de l’armée et de son code d’honneur guerrier,
ciments de la nation zulu. Reçu comme une insulte, cet ultimatum prévoyait
qu’en cas de non-réponse au bout de vingt jours, l’armée commandée par
Lord Thesiger-Chelmsford pénétrerait au Zululand. De fait, le 11 janvier
1879, trois colonnes britanniques totalisant 17 922 hommes franchirent la
frontière. Les 40 000 guerriers zulu étaient extrêmement mobiles et
15 000 d’entre eux possédaient des armes à feu. Encombrées d’une lourde
intendance, les unités anglaises n’avaient pas les moyens d’occuper et de
quadriller tout le royaume. Lord Chelmsford choisit donc d’attirer l’armée
zulu afin de la détruire sous son feu. Mais les opérations ne se déroulèrent
pas comme il l’avait prévu, les Zulu s’emparant même du camp britannique
d’Isandlawana le 22 janvier 1879, après avoir tué 1 600 soldats et
auxiliaires britanniques.
Après cette défaite, Iord Chelmsford se replia au Natal avant de lancer,
deux mois plus tard, une seconde offensive qui lui permit de venir à bout de
la résistance zulu.
Déçus de se voir traités comme des sujets britanniques, ballottés par les
autorités au gré des changements politiques intervenus en métropole, agacés
par les incessantes campagnes menées contre eux par les missionnaires et
plus généralement par l’Exeter Hall Lobby, un prolongement du
mouvement anti-esclavagiste qui prenait systématiquement le parti des
Noirs, les Boers du Transvaal commencèrent à parler de nouveau
d’indépendance.
À la fin de l’année 1879, leurs rapports avec les autorités britanniques
devinrent franchement mauvais en raison de l’ascendant que le vice
président Paul Kruger prenait sur ses concitoyens. Ce dernier avait conduit
deux délégations à Londres pour protester contre l’annexion de 1877. Les
libéraux alors dans l’opposition l’avaient accueilli avec sympathie mais il
avait compris que si les autorités britanniques étaient disposées à
reconnaître une certaine autonomie au Transvaal, il n’était absolument pas
question pour elles d’envisager son indépendance.
Kruger était rentré dans son pays bien décidé à se battre. Sur place, les
Boers commencèrent à protester ouvertement, lors de réunions publiques,
contre ce qu’ils qualifiaient d’occupation britannique, puis, en 1880, ils se
soulevèrent. Après la victoire boer d’Amajuba Hill le 27 février 1881, la
guerre se termina officiellement le 6 mars 1881 par la signature d’un
armistice (Lugan, 1998a : 65-72).
Le Premier ministre britannique, Gladstone, proposa ensuite des
conditions de paix conciliantes. Par la Convention de Pretoria signée le
3 août 1881, Londres reconnaissait l’indépendance du Transvaal, mais sous
certaines limites, notamment dans le domaine de la politique étrangère et
dans celui de la politique indigène. Kruger, chercha ensuite à faire annuler
cette convention et il se rendit à Londres pour en discuter. En 1884, la
Convention de Londres était signée et la République du Transvaal
redevenait République sud africaine (ZAR). Londres renonçait à tout droit
de regard sur sa politique indigène.

5. Madagascar56
Au XIXe siècle, Madagascar était peuplée par une vingtaine de groupes
ethniques dont le plus dynamique et peut-être le plus nombreux était celui
des Merina vivant sur le plateau central et qui au XIXe siècle, s’engagèrent
dans un mouvement d’expansion vers le reste de l’île.
Durant le règne le règne d’Andrianampoinimerina (1792-1810), les
Merina s’engagèrent dans un mouvement d’expansion aux dépens des
Sakalaves, des Bezanozano et des Ambongo. Son fils, qui régna sous le
nom de Radama Ier (1810-1828) et qui fut le premier « roi de Madagascar »
consolida la puissance du royaume d’Imerina et ouvrit le royaume aux
Britanniques. Radama Ier (1810-1828), fils et successeur
d’Andrianampoinimerina, étendit l’autorité du royaume d’Imerina en
dehors de la zone du plateau central. Ayant réussi à se procurer des armes à
feu modernes auprès des Britanniques, il entreprit la conquête de l’île et en
1815, il réussit à faire passer tout le pays betsileo sous son autorité.
Entre 1817 et 1824, il mena des expéditions à l’Est, à travers le pays
betsimisaraka et il conquit la région de Toamasina (Tamatave) avant de
lancer une expédition en direction du Tsimiheti. En 1822 il commença la
conquête du pays sakalava et en 1824, il prit possession plus au nord des
trois villes de Mojanga (Majunga), de Marovoay et d’Ampasindava.
Les missionnaires de la London Missionary Society (LMS) s’installèrent à
Madagascar en 1820 et des conseillers militaires formèrent l’armée à
l’européenne. Durant les dernières années de son règne, grâce à elle, le
souverain conquit toute la côte est de l’île, depuis Vohemar jusqu’à Fort-
Dauphin. Cette expansion fut achevée en 1825 mais à l’ouest, elle fut
bloquée par la résistance des Sakalaves.
À la mort du monarque, la succession échut à la reine Ranavalona Ire
(1828-1861) qui avait la particularité d’être à la fois une cousine et la
première épouse du défunt. Avec elle, la politique pro-britannique fut
abandonnée et, dès le début de son règne, en 1828, le résident anglais fut
expulsé. La reine révoqua ensuite tous les Britanniques qui occupaient des
postes de responsabilité au sein des institutions malgaches, notamment dans
l’armée, puis elle annula tous les traités précédemment conclus avec
Londres. Parallèlement, une volonté de retour à la tradition s’exprima avec
force dans la naissance d’un mouvement de résistance nationale au
christianisme. Une véritable lutte contre la religion importée dont le
message égalitaire menaçait de ruiner l’ordre social national fondé sur le
système des castes fut même menée et en 1835, la religion chrétienne fut
interdite et les chrétiens persécutés.

Les Merina et les Hova


La hiérarchie sociale malgache reposait sur un système de castes, lui-même
enraciné sur la primauté de la notion de hiérarchie, elle-même fondée sur l’inégalité.
Toutes les ethnies de Madagascar le connaissaient. Au sein du peuple mérina l’on
distinguait ainsi les andriana ou « nobles », les hova, les mainty (libres) et les andevo
(esclaves57) (Razafindralambo, 2005), mais il ne s’agit là que de grandes distinctions,
car au sein de chacune de ces catégories, existait une infinité d’échelons. Les non-
Merina désignaient généralement tous les membres de l’ethnie merina par le nom de
hova et c’est pourquoi, au XIXe siècle, les Européens parlaient indifféremment de
royaume merina ou de royaume hova :
« Dans sa signification la plus courante à Madagascar même, le terme hova désigne
traditionnellement la plus importante subdivision du peuple merina, correspondant
aux gens du commun. Dans ce sens, il pouvait être opposé à andriana d’une part et à
mainty enindreny de l’autre. Dans bien des cas cependant, il ne correspondait pas
forcément à roturier car le statut particulier des clans hova pouvait varier
considérablement. Certains bénéficiaient en effet de privilèges importants analogues
à ceux de la haute noblesse […]. On sait également que certains clans hova
descendent en fait de roitelets locaux vaincus lors de l’unification du royaume et
continuaient à se considérer […] comme « nobles ». Ceci explique pourquoi tous les
premiers ministres du Royaume de Madagascar depuis l’accès au pouvoir de la reine
Ranavalona première en 1828 étaient issus des deux clans hova Tsimahafotsy et
Tsimiamboholahy. Et malgré la règle d’endogamie58 interdisant normalement l’union
entyre hova et andriana, Rainilaiarivony, Premier ministre de 1864 à 1895 put devenir
officiellement (même si, en réalité, ce fut surtout à titre symbolique !) l’époux des trois
dernières reines qu’il a servies. » (Wikipedia.org/wiki/Hova)

En 1836, le gouvernement malgache décida d’assouplir sa position et fit


une ouverture en direction de Londres et de Paris, mais ce fut un échec. Les
relations se tendirent alors avec ces deux puissances et en 1845, une flotte
franco-britannique bombarda la ville de Tamatave. En réaction, la reine fit
expulser tous les ressortissants des deux nations et se ferma totalement à
l’étranger, ne conservant des relations qu’avec les États-Unis d’Amérique.
Puis, durant les dernières années du règne, la politique de fermeture et
d’isolement fut abandonnée sous l’influence du prince héritier Rakoto
Radama qui avait bien conscience de l’isolement du pays. Les dirigeants
malgaches firent alors appel à des Français pour créer des plantations de
canne à sucre et des manufactures cependant qu’en 1856, les missionnaires
furent autorisés à revenir à Madagascar.
Rakota Radama qui régna sous le nom de Radama II (1861-1863) mena
une politique totalement opposée à celle de sa tante puisqu’il était partisan
d’une ouverture de Madagascar à la modernité, donc aux influences
étrangères. Il rétablit ainsi les relations diplomatiques avec Paris et Londres
et fit appel aux missionnaires, ce qui provoqua un vif mécontentement des
élites traditionalistes. Le 12 mai 1863, le souverain fut assassiné. Durant
cinq années, de 1863 à 1868, régna ensuite la reine Rasoherina mais la
réalité du pouvoir appartint au gouvernement qui était dirigé par le Premier
ministre Rainilaiarivony à la tête d’un groupe à la fois nationaliste et
moderniste. N’entendant pas brader l’indépendance du royaume sur l’autel
du « progrès », il revint sur toutes les concessions faites par le souverain
assassiné, notamment le droit donné à des étrangers de posséder des terres à
Madagascar, et il renégocia tous les accords internationaux signés sous son
règne. À partir de ce moment, Londres se rapprocha d’Antananarivo,
cependant que les relations avec Paris se durcirent ; d’autant plus que, sous
le règne de Ranavalona, quand la résistance des Sakakaves avait été brisée,
plusieurs de leurs chefs s’étaient placés sous protection française. En 1841,
la France avait même imposé son protectorat sur l’île de Nossi-Bé. Bientôt,
pour les élites malgaches, l’amitié avec les Britanniques fut associée au
développement du protestantisme, tandis que leur hostilité au catholicisme
fut l’illustration de leur méfiance envers la France.
En 1868 la reine Ranavalona II (1868-1883), accéda au trône et sous son
règne une double révolution se produisit. Politiquement, le Premier ministre
empiéta de plus en plus sur les pouvoirs du monarque, notamment en
devenant l’époux de la reine ; l’on passa alors d’une monarchie absolue à
une sorte de monarchie constitutionnelle dans laquelle l’oligarchie hova
constitua la réalité du pouvoir. La seconde révolution se fit avec la
conversion au protestantisme des élites malgaches, à commencer par la
reine et son Premier ministre en 1869, tandis que les missionnaires
catholiques développaient leur apostolat chez les déshérités et chez les
peuples dominés. Or, et nous l’avons dit, pour les Malgaches, catholicisme
était synonyme d’influence française, et cette réalité eut des conséquences
importantes ultérieurement.
Durant le règne de Ranavalona III (1883-1896), le royaume merina
contrôlait environ les 2/3 de l’île de Madagascar. Cependant, cette politique
impérialiste avait suscité des oppositions dont celle des Sakalaves. Comme
nous l’avons également vu, dans les années 1840, pour échapper à l’emprise
d’Antananarivo, plusieurs chefs sakalaves avaient conclu des traités avec
des officiers français ; or, c’est en se fondant sur eux que la France affirma
ses « droits » sur la partie nord-ouest de l’île. Ceci conduisit à une première
guerre franco-malgache (1883-1885), à l’issue de laquelle les troupes
françaises s’emparèrent de plusieurs points d’appui sur le littoral de l’île. À
l’issue du conflit, la France revendiqua un droit de contrôle sur les relations
étrangères du gouvernement malgache, ce que ce dernier refusa
farouchement.

D. De la question des sources du Nil


à la Conférence de Berlin (1884-1885)
La conquête coloniale fut précédée par de nombreuses explorations
illustrant une grande curiosité en Europe où avaient été créées des sociétés
géographiques et des revues spécialisées. Ces explorations débouchèrent sur
l’impérialisme et ce dernier provoqua des tensions entre nations
européennes. C’est alors que Bismarck convoqua la Conférence de Berlin
afin que les éventuelles rivalités coloniales ne viennent pas remettre en
cause l’équilibre diplomatique européen hérité de la guerre franco-
prussienne de 1870 et qui était à l’avantage de l’Allemagne.Cartes n°92 et

1. Explorateurs et missionnaires
Précédent la conquête coloniale et dans une large mesure la préparant,
explorateurs et missionnaires ouvrirent l’Afrique à la curiosité du public
européen.
a. La question des sources du Nil
Au milieu du XIXe siècle, le centre de l’Afrique était auréolé de mystère et
de légendes, à telle enseigne que, durant un demi-siècle cette région fascina
les Européens qui y recherchèrent les sources du Nil. Les premiers
explorateurs pensèrent avoir retrouvé avec le Ruwenzori les mythiques
« Monts de la lune » évoqués par Ptolémée59.
Richard Burton et John Hanning Speke, deux officiers de l’armée
britannique furent les pionniers de cette entreprise. Leur périple débuta en
1857 à Zanzibar. Le 14 décembre 1857 ils étaient à Ujiji, important
comptoir arabe sur le lac Tanganyika. De retour vers Tabora, Burton tomba
malade et Speke partit seul vers le nord où les indigènes situaient une
grande masse d’eau. Le 3 août 1858, il atteignit le lac Nyanza ou Victoria et
pensa qu’il venait de découvrir les sources du Nil, ce que contesta Burton.
La polémique entre les deux hommes se développa après leur retour en
Angleterre et Speke obtint de la Royal Geographic Society de repartir avec
un autre officier de l’Armée des Indes, James Augustus Grant. Reprenant
l’itinéraire suivi en 1857, les deux hommes atteignirent le royaume du
Buganda où régnait Mutesa (Mtesa) et celui du Bunyoro, dont le trône était
occupé par Kamresi.
Grant étant tombé malade, Speke partit seul vers le Nord et le 21 juillet
1862, il atteignit l’ouest du lac Kyoga. Le 28 juillet, il découvrit des chutes
qu’il baptisa Ripon du nom de l’ancien président de la Société royale de
géographie. Une fois rétabli, Grant rejoignit Speke au Bunyoro. À la cour
du roi Kamresi les deux hommes entendirent parler d’un lac situé plus à
l’ouest et connu des indigènes sous le nom de Muta Nzige – le tueur de
sauterelles –, car les vols venus de l’est et portés par les vents dominants s’y
noyaient. Il s’agissait du lac Albert qu’ils ne parvinrent pas à découvrir,
mais ils pensèrent cependant qu’il recevait le Nil, lui-même issu du lac
Victoria.
Speke et Grant gagnèrent ensuite Khartoum et descendirent le fleuve,
pour câbler à Londres, depuis Le Caire : « la question du Nil est réglée ».
Mais Burton demeurait sceptique et fit valoir qu’il fallait rechercher la
source du fleuve en amont du lac Victoria60.
Cependant, d’autres explorateurs, venant cette fois du Nord en remontant
le Nil, avaient pris le relais des pionniers partis de Zanzibar.
En 1860, Alexandrine Tinne61, passionnée de géographie décida de partir
vers l’Afrique pour y découvrir les sources du Nil, en emmenant avec elle
sa mère, sa tante et plusieurs domestiques. Au mois de janvier 1861,
négligeant tous les conseils de prudence, les trois femmes embarquèrent sur
le Nil, à bord de trois bateaux et entamèrent la remontée du fleuve. Il fallut
ensuite constituer une caravane pour traverser le désert de Nubie et
atteindre Khartoum, au confluent du Nil blanc et du Nil bleu. Alexine y
découvrit l’ampleur de la traite négrière et, comme tous les voyageurs
européens de l’époque, s’indigna de cet « odieux commerce ». Le 11 mai
1862, l’expédition reprit la remontée du fleuve, puis atteignit le pays dinka,
dans ce qui est aujourd’hui le Sud-Soudan. Elle parvint ensuite chez les
Shilluks puis chez les Nuers. Le 23 septembre 1862, l’expédition arriva à
Gondokoro, aux portes de la forêt tropicale. Faute de trouver vivres et
porteurs, il fallut renoncer à s’avancer plus loin vers le Sud et Alexine
envisagea de marcher vers l’Ouest, dans les régions inconnues du Bahr el
Ghazal qui avaient été fatales au Français Lejean, mort des fièvres et à
l’Allemand Vogel qui y avait disparu. C’est d’ailleurs pour rechercher ce
dernier que le baron d’Ablaing, un botaniste belge, le baron autrichien von
Heuglin et le médecin allemand Steudner se joignirent à l’expédition. Il
fallut affronter les fièvres, fatales à Steudner, les mutineries des porteurs, la
saison des pluies, les moustiques et la végétation aquatique qui paralysait la
progression du vapeur.
Le 22 juillet 1863, Harriett, la mère d’Alexandrine, s’éteignit durant son
sommeil, à l’âge de soixante-cinq ans. Plus prudente, la tante Adrienne
avait refusé d’accompagner sa nièce et était restée à Khartoum. Les
servantes hollandaises moururent à leur tour et, en janvier 1864,
l’expédition se replia après qu’Alexine eut renoncé à poursuivre en
direction du pays des « Nyam-Nyam », les Zandé. De retour à Khartoum,
elle y retrouva sa tante mais celle-ci succomba à son tour quelques
semaines plus tard62.
Le 15 avril 1861, Samuel White Baker63 et son épouse Florence quittèrent
Le Caire pour remonter le Nil, avec le projet de gagner la région des Grands
Lacs pour y rejoindre Speke et Grant. Avant de s’enfoncer complètement
vers le sud, le couple explora le bassin de l’Atbara, un affluent de la rive
droite du Nil, et atteignit ainsi le cours du Nil bleu qu’il redescendit jusqu’à
Khartoum que venait juste de quitter Alexandrine Tinne.
Le 18 décembre 1862, Baker entama la remontée du Nil blanc et le
3 janvier 1863, il était à Gondokoro où arrivèrent, douze jours plus tard,
Speke et Grant qui venaient de contempler, sur la rive nord du Lac Victoria,
le déversoir des chutes Ripon. Baker fut déçu dans la mesure où il espérait
retrouver plus au sud les deux explorateurs, ce qui lui aurait permis de se
compter parmi les découvreurs des sources du Nil. Mais d’autres
perspectives s’ouvraient à lui : Speke lui indiqua en effet qu’un autre lac,
baptisé Luta Nzige (le lac Albert) était peut-être une des sources du Nil.
Le 26 mars 1863, le couple Baker se joignit à une caravane de trafiquants
d’ivoire pour s’avancer vers le Sud. Arrivés aux chutes de Kérouma le
22 janvier 1864, les Baker durent compter avec Kamresi, le souverain du
Bunyoro qui chercha à les décourager en voulant leur faire croire que le
Luta Nzige était à six mois de route. Le 14 mars 1864, le couple atteignit
cependant les rives du lac et Baker put écrire que : « […] Les lacs Victoria
et Albert sont les deux sources du Nil64. »
Remontant ensuite le lac jusqu’à son extrémité septentrionale, Baker et sa
femme y découvrirent les chutes dont on leur avait parlé qu’ils baptisèrent
du nom de Sir Roderick Murchison, l’un des présidents de la Royal
Geographical Society. Le 5 mai 1865, le couple était de retour à Khartoum
après avoir descendu le Nil Blanc. Rentré à Londres, Samuel Baker reçut la
grande médaille d’or de la Royal Society et fut anobli par la reine. Après
avoir publié en 1866 le récit de son voyage, il accompagna le prince de
Galles en Égypte où, à la demande du Khédive, il repartit, accompagné de
sa femme, vers les provinces équatoriales du Nil pour lutter, de 1869 à
1874, contre la traite des esclaves.
À la même époque que Speke, Grant, Tinne ou Baker, un Allemand, le
botaniste George Schweinfurth, explora les régions inconnues du Soudan
nilotique, déjà visitées en partie par l’Anglais Petherick, le Français Poncet,
les Italiens Miani et Piaggia. Né à Riga en 1836, Schweinfurth avait été
séduit par l’Afrique lors d’un premier séjour effectué en Égypte de 1863 à
1866. En 1868, il partit de Souakin, sur la côte occidentale de la mer Rouge,
pour gagner Khartoum et entreprendre de remonter le Nil blanc en
compagnie d’un trafiquant d’ivoire. En février 1869, les deux hommes
quittèrent Fachoda pour s’engager sur le cours du Bahr el Ghazal – la
« Rivière aux Gazelles » –, où ils se heurtèrent à la barrière que forme la
végétation aquatique, mais ils parvinrent cependant à atteindre le pays
dinka, avant de visiter les Nuers et les Bongos, dont les coutumes
(mutilations, orgies rituelles) étonnèrent Schweinfuth. Au mois de
janvier 1870, il repartit vers l’ouest pour aborder le pays des « Nyam-
Nyam » qui, à l’abri de leur forêt dense et de leur réputation
d’anthropophagie, tenaient en respect les esclavagistes musulmans.
Schweinfurth fit ensuite étape en pays mangbetu, chez le roi Mounza qui le
reçut amicalement. En juillet 1871, il était de retour à Khartoum d’où il
regagna Souakin pour s’y embarquer et regagner l’Europe65.
b. David Livingstone
David Livingstone naquit en 1813. À peine âgé de dix ans, il s’employa
dans une manufacture textile établie sur les bords de la Clyde, en amont de
Glasgow. Au prix d’efforts et de sacrifices constants, il parvint, tout en
travaillant, à poursuivre des études médicales, apprenant aussi le grec et la
théologie. En 1840 il obtint son diplôme de docteur en médecine.
Profondément religieux, il choisit alors de se faire missionnaire pour aller
porter l’Évangile chez les Chinois, mais c’est au cap de Bonne-Espérance
qu’il fut envoyé par la London Missionary Society.
Arrivé en Afrique australe, il fut désigné pour le Bechuanaland, l’actuel
Botswana où il épousa Mary, la fille de Robert Moffat, un missionnaire
anglican. À bord d’un lourd chariot tiré par cinq paires de bœufs, le couple
s’avança vers le Nord à partir de la petite station de Kuruman. En 1849, un
jeune aristocrate fortuné, William Cotton Oswell, l’emmena vers le Nord, à
titre d’interprète, dans une expédition dont il était l’initiateur et dont il
supporta les frais66.
Livingstone et Oswell n’étaient pas les premiers Blancs à parcourir ces
régions. Au début du XVIe siècle, le Portugais Antonio Fernandez avait en
effet traversé une partie du Mozambique et de l’actuel Zimbabwe. En 1615,
un autre Portugais, Gaspar Bocarro, avait exploré le sud de l’actuel Malawi.
En 1798-1799, Francisco José de Lacerda avait remonté le Zambèze et,
entre 1806 et 1814, le continent avait été traversé dans sa partie australe, de
l’Angola au Mozambique, par deux métis portugais. Quant au lac Ngami, il
avait déjà été reconnu entre 1846 et 1848 par le commandant Coimbra,
administrateur portugais de la province angolaise du Bié.
À la fin du mois de juin 1851, une reconnaissance poussée vers le nord-
est permit à Livingstone d’atteindre les rives du Zambèze dont personne ne
pensait alors en Europe qu’il prenait sa source aussi loin à l’intérieur du
continent. Mais il fallait songer à rentrer car il n’était guère prudent
d’entraîner Thomas, Agnès, Robert et leur mère, qui attendait un quatrième
enfant, dans une reconnaissance en direction du centre inconnu du
continent.
Au mois de juin 1852, une fois sa famille repartie pour l’Europe,
Livingstone quitta Le Cap en direction du Nord. En novembre 1853, avec
vingt-sept porteurs, il se lança dans une expédition dont le but était la côte
atlantique, à seize cents kilomètres de là. Le 31 mai 1854, l’Océan était
atteint à Saint Paul de Loanda. En septembre 1854, la petite expédition
repartit vers l’intérieur et au mois d’août 1855, Livingstone décida de
marcher vers l’Océan Indien en descendant le cours du Zambèze. Le
17 novembre 1855, il découvrit les chutes du Zambèze ou Victoria Falls, et
au mois de mars 1856, il atteignit la ville portugaise de Quelimane, au
Mozambique. Il était le premier Européen à avoir traversé l’Afrique australe
d’ouest en est. Il n’était cependant pas le découvreur de ces régions car, en
1852, des Arabes venus de la côte de l’Océan Indien étaient arrivés à
Benguela, réalisant ainsi avant lui la traversée du continent. Quant au
Hongrois Lazlo Magyar qui avait épousé la fille du roi du Bié, en Angola, il
devança Livingstone en de nombreux endroits.
En mai 1856, Livingstone embarqua à Quelimane à destination de
l’Europe. Il fut accueilli triomphalement à Londres où il retrouva sa famille
et où il rédigea ses Voyages et recherches d’un missionnaire dans l’Afrique
australe. Il multiplia les conférences et fut nommé consul d’Angleterre dans
la région du Zambèze. Les souscriptions lancées pour soutenir son action
rapportèrent des sommes astronomiques et, à son exemple, de nombreux
missionnaires britanniques s’embarquèrent pour le continent noir.
Au mois de mars 1858, Livingstone repartit pour le Mozambique
accompagné de sa famille, de son frère Charles et d’un ami, le docteur John
Kirk, nommé consul anglais à Zanzibar. Il entreprit de remonter le cours du
Chiré, un affluent de la rive gauche du Zambèze, ce qui lui permit, le
16 septembre 1859, d’atteindre le lac Nyassa, ou lac Malawi, dans lequel ce
cours d’eau prend sa source. Ce lac que Livingstone prétendait avoir
découvert était en fait connu des Portugais depuis le XVIIe siècle. En 1846,
un administrateur de Tété, Candido José da Costa Cardoso, avait même
établi une carte de ses rives méridionales. Mary Livingstone mourut en
avril 1862 et avec une énergie farouche, l’explorateur – dont la santé se
détériorait sérieusement – multiplia ensuite les reconnaissances des
affluents du Zambèze. Il dénonça les agissements des trafiquants d’esclaves
musulmans qui écumaient la région, puis, à l’été 1863, il rentra à Londres
où il rédigea sa Relation de l’exploration du Zambèze et de ses affluents.
Au mois de janvier 1866, Livingstone était de retour à Zanzibar. Son but
fut alors d’explorer la région de la ligne de partage des eaux s’étendant à
hauteur des lacs Nyassa et Tanganyika, avec l’idée de trouver les véritables
sources du Nil ; les découvertes réalisées par Burton et Speke en 1860-
1863, le laissaient en effet sceptique. Il remonta la Ruvuma depuis son
embouchure pour gagner le lac Nyassa ou lac Malawi. De là, il marcha vers
le lac Tanganyika qu’il atteignit au mois d’avril 1867. Il se heurta alors à de
grosses difficultés car les marchands d’esclaves de Zanzibar firent tout pour
lui compliquer la tâche. Mutineries et désertions devinrent courantes chez
ses porteurs et c’est dans des conditions très difficiles et même dans un
dénuement extrême, qu’il poursuivit l’exploration de ces régions. C’est à ce
moment que des porteurs déserteurs commencèrent à colporter la rumeur de
sa mort.
Infatigable malgré les fièvres qui l’accablaient, Livingstone découvrit les
lacs Mweru et Bangwela situés au sud-est du lac Tanganyika dont il
atteignit les rives en mars 1869. Reparti vers l’Ouest, il reconnut la rivière
Lualaba et il pensa qu’il s’agissait d’un affluent du Nil. Il se trompait car
elle se jette dans le Congo comme Stanley le démontra plus tard. Au mois
d’octobre 1871, il revint à Ujiji, sur les bords du Tanganyika.
Durant ses mois d’errance dans la région des Grands Lacs africains, la
rumeur de sa disparition, pourtant infirmée par des lettres écrites en 1869,
s’était répandue en Europe où l’opinion publique anglaise reprochait
vivement au gouvernement de se désintéresser de son sort. C’est dans ces
conditions que James Gordon Bennett Junior, le directeur du New York
Herald, confia à Henry Morton Stanley, un journaliste à l’esprit aventureux,
la mission de « retrouver Livingstone ». Stanley débarqua à Zanzibar en
janvier 1871 et, de là, il gagna Tabora. Après avoir affronté l’hostilité des
trafiquants d’esclaves, les fièvres et une mutinerie de ses porteurs, il parvint
à Ujiji le 10 novembre pour y lancer au missionnaire retrouvé le fameux
« Doctor Livingstone, I presume » ; mais, contre toute attente, l’intéressé
refusa de repartir vers l’Europe avec celui qui pensait être accueilli comme
un sauveur. Livingstone s’était en effet mis en tête de découvrir les sources
du Nil et il n’entendait pas renoncer à ce projet. Il entraîna même Stanley
dans l’exploration de la rive nord-est du lac Tanganyika, au nord d’Ujiji67.
Livingstone partit donc seul vers le lac Bangwelo, mais, affecté par la
dysenterie, il s’affaiblit rapidement. Le 30 avril 1873 à Chitambo, au sud du
lac, l’un de ses serviteurs le découvrit à genoux à la tête de son lit de camp.
ll le crut en train de prier, mais il était mort d’épuisement. Ses derniers
fidèles embaumèrent son corps et ils le ramenèrent à Zanzibar, puis en
Angleterre où il eut droit à des funérailles nationales68.
c. Les missionnaires
Les missionnaires eurent un rôle déterminant dans le mouvement
d’exploration de l’Afrique et nous l’avons vu dans le cas de l’Afrique
australe avec les protestants de la LMS (London Missionary Society),
société fondée en 1792.
Les principales sociétés missionnaires protestantes qui œuvrèrent en
Afrique furent la Church Missionary Society (CMS), la Mission évangélique
de Bâle, la Mission d’Allemagne du Nord également connue sous le nom de
Mission de Brême, l’United Presbytérian Church of Scotland, l’Universities
Mission to Central Africa (UMCA) fondée en 1857, la Mission Morave, la
Société missionnaire norvégienne, la Wesleyan Missionary Society, la
Glasgow Missionary Society, l’United Presbyterian Mission, la Société
missionnaire de Berlin, la Société du Rhin, la Mission évangélique de Paris
la USA Mission to Zululand and Mosega.
Chez les catholiques, la première congrégation moderne s’intéressant à
l’Afrique sud saharienne fut la Congrégation des Pères du Saint-Esprit
fondée en 1815, puis la Congrégation des Pères du Sacré Cœur de Jésus et
de Marie dont la fondation eut lieu en 1825. Des œuvres missionnaires
laïques telle l’Œuvre de la Propagation de la foi fondée à Lyon en 1822
(Essertel, 2001), apparurent également à cette époque.
Le mouvement en direction de l’Afrique débuta véritablement après 1848
quand se fit la fusion entre la Société du Saint-Esprit et celle du Saint-Cœur
de Jésus et de Marie qui donna naissance aux Pères du Saint-Esprit qui
œuvrèrent au Sénégal, au Gabon et au Bas Congo. Elle fut suivie par les
Missions africaines de Lyon en 1854 (Essertel, 2001) et par la Société des
missionnaires d’Afrique ou Société des Pères de Notre-Dame d’Afrique (ou
Pères Blancs) en 1863 (Renault, 1971). Parmi les missions catholiques,
figurent également la Société des Missions étrangères, essentiellement
française et les Pères de Mill Hill, quasi exclusivement britanniques.

2. Le nouveau contexte international et la Conférence de


Berlin
Le Congrès de Berlin, réuni à l’initiative de Bismarck entre le 13 juin et
le 13 juillet 1878 n’était pas destiné à fonder les modalités de
l’impérialisme européen en Afrique puisque ce dernier n’avait pas encore
débuté. Son but était de régler la « Question d’Orient », c’est-à-dire le
problème des Balkans et plus généralement celui posé par le délitement de
l’Empire turc69. Quelques années plus tard, débuta effectivement le
mouvement de colonisation qui aboutit en moins de vingt ans à un partage
total de l’Afrique70 et c’est alors que Bismarck réunit la Conférence de
Berlin (1884-1885).
Jusque dans les années 1880 et à l’exception de l’Algérie, de l’Afrique
australe et de quelques points d’appui situés sur le littoral, les Européens
s’étaient tenus à l’écart du continent africain. En 1880, en Afrique de
l’Ouest, et à l’exception de la région de Saint-Louis du Sénégal, la présence
européenne sur le littoral de l’Afrique occidentale était limitée à des
comptoirs isolés les uns des autres. Leur hinterland était souvent contrôlé
par de puissants royaumes africains qu’il s’agisse de l’Ashanti, du
Dahomey, du Bénin, etc.
C’est à partir de 1885 que l’Europe se lança véritablement dans une la
« course aux colonies ». Le Portugal qui craignait de voir les principales
puissances s’emparer de ses possessions africaines lança alors l’idée d’une
conférence internationale. Bismarck reprit l’idée à son compte car les temps
étaient effectivement venus d’une tractation au niveau européen. Aussi, du
15 novembre 1884 au 26 février 1885, réunit-il à Berlin une conférence
internationale dont la conclusion, connue sous le nom d’Acte de Berlin
contenait sept points principaux :
– les bassins des fleuves Congo et Niger étaient déclarés zones de liberté
commerciale dans lesquelles les droits préférentiels étaient interdits ;
– les établissements sur le littoral ne donnaient pas automatiquement
droit à une extension dans l’hinterland ;
– les puissances colonisatrices ne pouvaient imposer leur souveraineté
que sur des territoires non occupés par une autre puissance ;
– l’élargissement de chaque territoire ne serait possible que jusqu’au
moment où ses limites territoriales atteindraient celles d’un territoire
appartenant à un autre État européen ;
– des « sphères d’influence » étaient prévues par l’article 34, mais
l’article 35 prévoyait une occupation effective ;
– toute puissance prenant possession d’une portion de littoral africain
devait en informer les signataires de l’Acte de Berlin pour ratification ;
– les contentieux éventuels devaient être réglés par des accords
bilatéraux.
En définitive, l’Acte de Berlin établissait des règles de bonne conduite
entre les puissances. Il faisait également admettre, tout en les réglementant,
les principes du partage opéré à partir de points d’appui situés sur le littoral,
et enfin, il prévoyait des accords bilatéraux entre les puissances en cas de
contestation71.

1. La colonisation, avec l’essor des villes, l’immigration, l’amélioration des transports et


l’abaissement des obstacles géographiques traditionnels) favorisa la diffusion de l’islam vers le
littoral ouest-africain, au-delà de la barrière que constitua longtemps la grande forêt. En mélangeant
les populations, la colonisation accéléra la diffusion de l’islam au-delà de ses aires historiques
d’expansion ou de conquête.
2. À Gao, c’est vers l’an 1000 que le premier souverain sahélien se convertit à l’islam. La conversion
du Tekrour se produisit vers 1040, celle du Kanem vers 1067 et celle du Ghana vers 1070.
En Afrique orientale le processus fut identique car il se développa le long des anciennes routes
commerciales de l’océan Indien. Une mosquée existait sur l’île de Paté sur le littoral de l’actuel
Kenya dès le VIIIe siècle.
3. « Pour prouver le bien-fondé du djihad, ses chefs faisaient [aussi] appel à la prophétie de
Muhammad selon laquelle Allah enverrait tous les cent ans à toutes les communautés musulmanes
authentiques le réformateur qui purifierait et régénérerait la religion. Douze de ces réformateurs
successifs étaient réputés avoir été annoncés par le prophète : les dix premiers, selon l’opinion
communément admise étaient apparus dans l’Orient musulman et le onzième était venu en la
personne d’Askia al-Muhammad, le roi songhay. Le douzième était attendu au XIXe siècle. Les
chefs du djihad surent exploiter cette croyance : Uthman dan Fodio et Seku Ahmadu affirmaient
l’un et l’autre être le dernier réformateur promis par Allah quant à al-Hadjdj Umar, [il] affirmait
avoir été chargé dans une vision par le prophète et par Shaykh al-Tidjani, le guide spirituel de la
Tijaniyya, de la mission de mener le djihad » (Batran, 1997 : 288).
4. L’implantation des Peuls musulmans dans le massif montagneux du Fouta Djalon s’était faite aux
e e
XVII et XVIII siècles. C’est de là qu’ils lancèrent le jihad qui fut conduit par deux chefs, Ibrahim
Sambego Sori et Karamoho Alfa Ba. En 1763 les Dialonké s’étaient alliés à leurs ennemis Malinké
et repoussèrent les Peuls, s’emparant même de leur future capitale, Timbo où ils firent un grand
massacre. Un retournement se produisit vers 1770 qui vit la victoire des Peuls conduits par Ibrahim
Sambego Sori qui prit le titre d’Almamy en 1776. Après sa mort en 1784, la guerre civile éclata et
elle dura jusque vers 1840.
5. Si les jihads africains apparaissent liés à un vaste mouvement de déplacement des Peuls de l’Ouest
vers l’Est, depuis le sud de la Mauritanie et le Fouta Toro, – mouvement qui s’est étendu sur tout le
deuxième millénaire de l’ère chrétienne (Robinson, 1988 : 51) –, est-il pour autant possible de
soutenir qu’ils ne furent que des insurrections fulbé (peules) contre les pays qui les avaient
accueillis ? Non car certains Fulbé combattirent aux côtés de ceux qui résistaient aux jihads. Celui
d’el Hadj Omar fut même en partie dirigé contre des chefs fulbe (torodbe) de Sénégambie et du
Macina. Quant au Mahdisme et à la conquête samorienne (de Samory), ils n’ont rien à voir avec le
phénomène peul.
6. Née à Bagdad au XVIIe siècle.
7. Son tombeau à Fès est un lieu de pèlerinage réputé.
8. En référence à la prophétie shiite.
9. Déformation du nom de Tekrour. Les Toucouleurs sont issus d’un mélange entre Peuls et Sérères et
se désignent entre eux par le nom Haalpulaaren ce qui veut dire « ceux qui parlent le pulaar », la
langue des Peuls. La société toucouleur est composée de douze castes dont une est supérieure, celle
des Toorobbê ou Torodbe.
10. Les raisons qui firent qu’El-Hadj Omar et Ahmadu-Ahmadu se combattirent tiennent à la rivalité
entre les deux hommes. El-Hadj Omar avait en effet proposé une alliance au souverain du Macina
en vue d’assurer le triomphe de l’islam, mais ce dernier qui craignait de perdre toute influence sur
la région avait refusé.
11. Littéralement élève ou étudiant apprenant le Coran. Par extension, et dans le cas présent,
disciples-guerriers.
12. Originaire du Futa Toro, région du nord du Sénégal actuel.
13. Dyla ou Dioula signifie colporteur en langue mandé. Il s’agit d’une catégorie de colporteurs ou de
commerçants itinérants de confession musulmane intervenant à l’échelle d’assez vastes régions. Ils
sont désignés par le terme mandingue de dioulas, qui ne correspond pas à une ethnie particulière
(Bambara, Malinké, Sénoufo…), mais à une catégorie sociale identifiée par son activité et son
adhésion à l’Islam. Ils ne doivent pas être confondus avec les Diolas qui vivent au sud du Sénégal,
en Casamance.
14. Les autres exemples sont rares. Parmi eux, celui donné par les Zulu et par Rabah, un ancien
Mahdiste, qui se dotèrent à la même époque de moyens assez comparables.
15. Il était à la tête d’une secte dont le nom était Ansar ce qui signifie « les victorieux ».
16. Littéralement « le bien guidé par Dieu ».
17. Il est important de noter qu’après cette victoire, le Mahdi décida d’émigrer vers l’Ouest, en
direction du Darfour et qu’à partir de ce moment, ses soldats furent de plus en plus originaires de
cette région, tandis que son recrutement dans la vallée du Nil diminuait. Ceci explique pourquoi,
aujourd’hui, la base principale du mahdisme soudanais se situe dans l’ouest du Soudan, au Darfour
précisément.
18. Slatin Pacha, R. (von), Fer et feu au Soudan. Le Caire, 1898.
19. Quelques mois plus tard, en juin 1885, le Mahdi mourut. Son successeur, le calife Abdallah,
attaqua l’Éthiopie où il fut battu entre 1891 et 1894.
20. Casati, G., (1892) Dix années en Equatoria. Le retour avec Émin Pacha et l’expédition Stanley.
Paris.
21. Junker, W., Travels in Africa. 3 volumes, Londres, 1890-1892.
22. Stanley, H.M., (1890) Dans les ténèbres de l’Afrique. Recherche, Délivrance et Retraite d’Émin
Pacha. Paris. Léopold II avait autorisé Stanley, qui était alors à son service, à entreprendre cette
expédition car il avait le projet d’étendre l’EIC jusqu’au Soudan afin d’établir une jonction entre le
Congo et le Nil.
23. Les Danois achevèrent leur repli vers 1850 et les Hollandais dans les années 1870-1872. En 1865,
une commission parlementaire britannique avait proposé au gouvernement l’évacuation de toutes
les possessions de la Couronne à l’exception de la Sierra Leone.
24. Sur la question de la répression de la traite clandestine, on se reportera à Serge Daget (1998).
25. Henry Clay, vice-président de l’association déclara, lors de son meeting de lancement : « Peut-il
y avoir une plus noble cause que celle qui, tout en visant à défaire le pays d’une part inutile et
pernicieuse, si ce n’est dangereuse, de sa population, se propose de propager les arts de la vie
civilisée et de racheter l’ignorance et la barbarie d’un quart du globe plongé dans les ténèbres » ?
(Campbell, 2006). Quelques années auparavant, Abraham Lincoln (1809-1865) qui était alors l’un
des responsables de l’Illinois Colonization Society, association qui militait pour un retour des Noirs
libres en Afrique avait déclaré : « […] il existe entre la race noire et blanche une différence
physique […] qui leur interdira à jamais de vivre ensemble dans des conditions d’égalité sociale et
politique » (Cité par Appiah, 2008).
26. Le 12 avril 1980, la greffe négro américaine fut rejetée par les autochtones qui reprochaient à
leurs dirigeants d’origine afro américaine de les exploiter. Pour mettre un terme à la domination de
cette « petite Amérique africaine », le sergent Samuel Doe, membre de l’ethnie Krahn prit le
pouvoir dans une orgie de massacres qui débuta par l’exécution sur une plage des dignitaires
« Honorables » de l’ancien régime du président Tolbert.
27. Une dernière raison de ces échecs, et non la moindre, fut l’absence d’unité parmi les nouveaux
arrivants. Entre ceux qui avaient été libérés en mer d’une part, et qui appartenaient à des peuples
différents et les anciens esclaves américains, d’autre part, aucun point commun n’existait en effet.
28. En 1790, Angleterre importait d’Afrique 132 tonnes d’huile de palme et un demi-siècle plus tard,
en 1844, 21 060 tonnes. (Daget, 1980 : 331-333 ; Northurp, 1976).
29. Les deux familles régnantes affirmaient être originaires d’Ife et descendre d’un même ancêtre
fondateur.
30. Paradoxalement, l’abolition de la traite atlantique sous la poussée des philanthropes chrétiens eut
donc pour résultat indirect de favoriser la poussée de l’islam dans ce qui est aujourd’hui le Nigeria.
31. Ces entreprises furent incertaines puisque le Dahomey fut vaincu par les Egba en 1851 et en
1864.
32. L’Ankole colonial.
33. Une sorte de régence fut exercée par Karemera Rwaka.
34. Entré en décadence depuis la fin du XVIIIe siècle, le royaume tutsi du Bugesera s’étendait au nord,
vers le centre du Rwanda puisque ses limites septentrionales étaient le mont Kigali et au sud, vers
le cœur du Burundi. Le Rwanda et le Burundi, pourtant ennemis, s’entendirent pour le conquérir.
35. Le kinyarwanda est la langue du Rwanda.
36. Les rois se succédant dans l’ordre suivant : Ntare, Mwezi, Mutaga et Mwambutsa, quand un
nouveau Ntare arrivait au pouvoir, tous les Baganwa descendant du précédent Ntare perdaient donc
leur titre et ainsi de suite.
37. Les Hima s’opposent traditionnellement entre originaires de Rutovu et originaires de Matana.
Méprisés par leurs cousins du Nord qui étaient au pouvoir sous la monarchie, ils prirent leur
revanche à partir de 1966 quand le colonel Micombero instaura une République tutsi dirigée par les
Hima.
38. Ses guerriers, les ruga-ruga étaient armés de fusils.
39. Vers 1890 semble apparaître l’« entité » lulua qui procède des Luba du Kasaï.
40. Quant à l’Angola colonial portugais, il connut une mutation à partir de 1764 quand fut nommé un
nouveau gouverneur, Innocenzia de Souza Coutinho qui tenta de diversifier l’économie de la
colonie alors totalement tournée vers la traite puisque, à l’époque de sa nomination, 88,1 % du
revenu de la colonie provenait de l’esclavage, 4,09 % des taxes, 4,81 % de l’ivoire et 0,9 % du sel
(Vansina, 1965 : 142). Il tenta également de rétablir la souveraineté portugaise sur les sertanejos,
les colons de l’intérieur en établissant un poste à Novo Redondo. L’immigration était cependant
faible puisqu’en 1845 il n’y avait que 1832 blancs dans toute la colonie. Vers 1860, les Portugais se
replièrent vers le littoral ce qui fit qu’à la veille de la colonisation, le Portugal ne contrôlait qu’une
infime partie de l’Angola.
41. Le Kazembe semble avoir atteint son apogée, sous Kazembe III Ilunga (Lukwesa) qui accéda au
pouvoir vers 1760. Vers 1790, le royaume entra en contact avec les Portugais installés à Tete et il
reçut la visite de plusieurs d’entre eux en 1798 et 1799.
42. Il reste aujourd’hui de cette aventure une nouvelle « ethnie », celle des Bayéké, descendants des
soldats de M’Siri ayant épousé des femmes appartenant aux diverses tribus locales. Elle eut un rôle
essentiel dans la sécession katangaise de 1960-1963, puisque son âme en fut le ministre de
l’intérieur de Moïse Tschombe, Godefroid Munongo, petit-fils de M’Siri.
43. Voir Saunders et Derricourt (1974), Milton (1983), Berg (1985), Crais (1992), Mostert (1992) et
Lugan (2010).
44. Les Zulu n’étaient encore qu’une petite tribu dépassant à peine quinze cents âmes vivant dans un
minuscule territoire adossé à la rivière Umfolozi.
45. Le prénom donné au futur fondateur de la puissance zulu a une singulière explication. Voyant
d’un mauvais œil la place que Nandi prenait dans le cœur du roi, les conseillers-devins de
Senzangakona accusèrent cette dernière de mentir en affirmant qu’elle était enceinte alors que,
selon eux, elle ne portait qu’un parasite intestinal, un i-shaka, un taenia en zulu.
46. Dingiswayo avait commencé à rassembler certains clans nguni septentrionaux car son royaume
s’étendait du Nord au Sud des rivières Umfolozi à Tugela et sur 100 à 130 kilomètres de
profondeur vers l’intérieur.
47. Ces derniers sont des Sotho de l’ouest.
48. Les conséquences du Mfecane se firent sentir au-delà du Limpopo, du Zambèze et jusqu’au lac
Tanganyika. Fuyant l’expansion zulu, plusieurs groupes de Nguni commandés par Mzilikazi,
Soshangane, Msene, Maseko et Zwangendaba dévastèrent de vastes régions de l’Afrique australe et
orientale.
49. Lugan (1990c : 111-126).
50. Le nom khoisan du fleuve Orange était le Gariep.
51. Trekkers = hommes du Grand trek.
52. Depuis 1824, un petit poste de traite britannique toléré par les Zulu existait à Port Natal. Or, les
traitants qui y commerçaient avec ces derniers avaient en vain demandé que Londres annexe la
région.
53. Les appellations et dénominations du Transvaal ont changé plusieurs fois. Avant 1877, l’on doit
parler du Transvaal. De 1877 à 1902, le Transvaal devint Zuid-Afrikaansche Republiek, dont
l’abréviation était ZAR. Pour les Britanniques, il s’agissait de la South African Republic ou SAR,
en français, la République d’Afrique du Sud. De 1910 à 1961, le Transvaal fut englobé, avec l’État
libre d’Orange, le Natal et la Province du Cap dans l’Unie van Suid-Africa (UZA) ou Union sud-
africaine. Après la proclamation de la République en 1961, le pays devint Republiek van Suid-
Afrika (RSA) ou, en français, République sud-africaine. Par commodité, nous parlons de la ZAR,
aussi bien que du Transvaal pour la période 1877 à 1902.
54. Sur la question sotho et sur le rôle des missionnaires protestants français et plus généralement sur
l’histoire de la LMS et de la SMEP (Société des Missions évangéliques de Paris) en Afrique du
Sud, on se reportera à Lugan (1996 : 165-198) et à Minassian (1992).
55. Haut-commissaire britannique pour l’Afrique australe de 1877 à 1880, Sir Bartle Frere développa
une politique dont le but était de casser l’empire zulu afin d’étendre le domaine britannique au nord
de la rivière Tugela. Il fut largement secondé dans cette entreprise par Theophile Shepstone qui
était à ce moment-là son commissaire pour les Affaires indigènes. Cette politique était en
contradiction avec celle qui avait été définie par Lord Carnavon et qui prévoyait au contraire le
maintien de la puissante entité zulu au sein d’une Afrique du Sud confédérée dans un cadre
britannique.
56. Mutibwa et Esoavelomandroso (1997).
57. Cette notion n’est pas unanimement acceptée ; ainsi, pour certains, les seuls esclaves étaient les
captifs venus d’Afrique, ceux que l’on désigne sous le nom d’andevo, étant des domestiques et non
des esclaves.
58. Et surtout le poids de la notion de mésalliance la mandrorona qui interdisait théoriquement le
mariage entre individus n’appartenant pas aux mêmes groupes sociaux.
59. C’est par les traitants zanzibarites que les Européens apprirent l’existence au centre de l’Afrique
de grands lacs et de puissants royaumes dominés par des guerriers à la haute taille, et c’est en
suivant les pistes ouvertes par les caravanes zanzibarites que se fit la découverte du système
lacustre qui donne naissance à la branche principale du Nil.
60. Le débat entre les deux anciens compagnons n’eut pas lieu. En septembre 1864, à la veille de leur
confrontation devant la Royal Geographical Society, Speke trouva la mort dans un accident de
chasse. La question demeura alors ouverte.
61. Son père avait longtemps vécu au Surinam où, chassé de Hollande par l’invasion napoléonienne,
il avait créé des plantations qui avaient assuré sa fortune. Marié à Harriett van Capellen, de
vingt ans plus jeune que lui, il en eut cette fille unique qu’il entraîna très jeune dans ses voyages à
travers l’Europe avant de mourir en 1842. La mère et la fille poursuivirent cette vie d’itinérance
touristique et mondaine qui les vit reçues par la meilleure société ; mais elles cèdèrent bientôt à
l’appel de l’Orient et en 1856, elles s’embarquèrent pour l’Égypte. Après avoir poussé jusqu’à
Assouan et visité Tripoli, Palmyre, Smyrne et Constantinople, les deux voyageuses regagnèrent
La Haye deux ans plus tard avant de partir pour l’Afrique (Lapierre et Mouchard, 2007).
62. Revenue au Caire, Alexandrine Tinne voyagea à bord d’un yacht en Méditerranée, avant de
s’enfoncer de nouveau à l’intérieur du continent africain, au cœur du Sahara libyen cette fois, où
elle fut tuée en 1869 dans une embuscade tendue par les Touareg.
63. Né à Londres en 1821, Samuel Baker était le fils d’un riche négociant des Antilles devenu
planteur à l’île Maurice puis à Ceylan où il était devenu un chasseur d’éléphants réputé. Veuf, il
abandonna l’Asie et se retrouva chargé de la construction d’une ligne de chemin de fer en Hongrie.
C’est là qu’il épousa Florence Ninian von Sass, de quinze ans sa cadette. Elle le suivit dans toutes
ses entreprises, jusqu’au cœur de l’Afrique.
64. Baker pensait que le lac Albert était la source principale du Nil, mais Stanley établit en 1889 que
la source essentielle du Nil blanc est le lac Victoria. Il fallut cependant attendre l’Allemand Richard
Kandt pour que les véritables sources du Nil soient découvertes. Richard Kandt qui fut le premier
Résident allemand au Ruanda, mena de 1897 à 1902 de constantes expéditions dans la région et
découvrit que la Rukarara, affluent de la Nyabarongo, est la véritable source du Nil.
65. Revenu en Afrique, Schweinfurth résida en Égypte où il fonda en 1875 la Société de Géographie
du Caire. Après plusieurs voyages de reconnaissance dans les déserts saharien et arabique il rentra
définitivement à Berlin en 1889, pour y mourir en 1925, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans.
66. Quand ils découvrent le lac Ngami c’est pourtant Livingstone qui adressa un rapport très complet
à la Royal Geographical Society, en mentionnant à peine le nom de celui qui était à l’origine de
l’entreprise.
67. Livingstone confia ses lettres et son journal à Stanley qui le quitta le 14 mars 1872. Au moment
de se séparer de celui qu’il était venu secourir, Stanley expliquait la détermination de ce dernier
par : » […] un mysticisme voisin de la recherche du martyre, qui rejoignait chez lui la soif de
découverte. »
68. Stanley fit, pendant un temps, les frais de la gloire attribuée à Livingstone. Les Anglais lui
reprochèrent même d’avoir abandonné leur héros national dans la brousse hostile. Aussi, ils lui
refusèrent de se joindre à l’expédition du lieutenant Verney Lovett Cameron qui entendait traverser
à son tour l’Afrique centrale d’Est en Ouest. Un refus stimulant puisque, relevant le défi, Stanley
entreprit, seul, cette aventure entre les mois de septembre 1874 et d’août 1877, réussissant à relier
Zanzibar à l’embouchure du Congo.
69. Le cœur du débat était que l’Angleterre souhaitait que les Détroits continuent à demeurer fermer
à la flotte russe de la Mer Noire.
70. L’Europe ne fut pas toute entière engagée dans le phénomène de colonisation puisque les nations
impliquées furent au nombre de sept : France, Grande-Bretagne, Allemagne, Portugal, Italie,
Belgique et Espagne. Bien plus nombreux furent les États du vieux continent qui ne participèrent
pas à l’expansion en Afrique : Norvège, Suède, Russie, Grèce, Autriche-Hongrie, Danemark, Pays-
Bas, plus les États nés de la Première Guerre mondiale, dont la Pologne, la Yougoslavie, la
Tchécoslovaquie, la Finlande, etc.
71. Il s’agissait donc d’un « accord-cadre » car les tensions qui naquirent entre puissances furent
réglées par des accords bilatéraux : traité anglo-allemand du 1er juillet 1890 ; traité anglo-français
du 4 août 1890 ; protocoles anglo-italiens de 1891 ; accord franco-allemand du 15 mars 1894 ;
convention franco-britannique du 14 juin 1898 (Afrique occidentale) ; traité franco-allemand du
4 novembre 1911.
CINQUIÈME PARTIE
L’Afrique de 1885 à 1914
À partir des années 1880-1885, certaines nations européennes se lancent
dans le Scamble for Africa, la ruée vers l’Afrique. Ce ne furent pas des
raisons économiques qui les poussèrent à la conquête d’une Afrique
inconnue dont, par définition, elles ignoraient si elle recelait des richesses,
mais des raisons essentiellement politiques et stratégiques :
« La France cherchait à compenser ses pertes en Europe par des gains
outre-mer. La Grande Bretagne souhaitait compenser son isolement en
Europe en agrandissant et en exaltant l’empire britannique.[…]. Quant
à l’Allemagne et à l’Italie, elles allaient montrer au monde qu’elles
avaient le droit de rehausser leur prestige, acquis par la force en Europe,
par des exploits impériaux sur d’autres continents […]
(fondamentalement) le nouvel impérialisme était un phénomène
nationaliste. » (Carlton Hayes, cité par Uzoigwe, 1989 : 44)
Pour se lancer dans cette formidable entreprise, l’Europe disposait de
cinq atouts principaux :
– le poids démographique, avec un doublement de la population
entre 1800 et 1900. Mais en France les naissances stagnaient, ce qui fait
que la démographie n’explique pas tout ;
– le progrès technique dont le résultat fut d’abord un gain de temps.
Vapeur, télégraphe, moteur diesel, TSF, furent certes des instruments de
puissance, mais avant tout de rapidité ;
– la curiosité, l’engouement pour les récits de voyage, les missions
scientifiques et religieuses firent que l’Europe se passionnait pour les
terres lointaines au nom de l’honneur national, de la « mission
civilisatrice », ou tout simplement du « fardeau de l’homme blanc » ;
– l’armement moderne avec les fusils à chargement par la culasse, puis à
répétition, et enfin les mitrailleuses, tout cela fit que, désormais, la
supériorité européenne devint incontestable1. Mais la supériorité
matérielle elle-même, n’explique pas tout car elle fut très largement
compensée par le milieu, les distances, les conditions naturelles, le
nombre, la maladie2 ;
– la création de troupes indigènes adaptées au climat3.
Cependant, la rapidité de la conquête s’explique d’abord et surtout parce
que les colonisateurs n’eurent jamais face à eux une résistance globale, car
il n’y eut à aucun moment la moindre solidarité entre les peuples africains.
Plus encore, quand la conquête coloniale renversait des empires, leur
écroulement se faisait dans l’allégresse de ceux qui avaient été exploités,
d’où les aides que les Européens obtinrent lors de chaque résistance ethno-
nationale. Les animistes bambara soutinrent ainsi les Français lors de leurs
campagnes contre l’Empire Toucouleur ou contre Samory, les Fanti et les
Yoruba firent de même avec les Britanniques quand ces derniers
combattirent les Ashanti ou le califat de Sokoto ; en Afrique australe, les
Sotho épaulèrent les Boers contre les Ndebele et les Anglais contre les
Zulu ; quant à Madagascar, les Côtiers y prirent le parti du corps
expéditionnaire français contre les Mérinas, etc. La colonisation prit donc
régulièrement la forme d’une revanche offerte par l’Europe aux vaincus de
la longue histoire africaine.

1. On, n’en n’était donc plus à Pizarre qui conquit l’empire inca sans la moindre arme à feu, ou
encore à Vasco de Gama qui triompha des forces hostiles avec ses seules arbalètes.
2. « La moyenne de la mortalité des Européens est considérable pour les premières années, effrayante
même. Elle oscille entre 40 et 45 pour cent. À cette époque, de 1880 à 1885 […] quel Européen, sur
son sol natal eut résisté à des fatigues et des privations semblables à celles qu’endurèrent nos
jeunes soldats sous ce climat tropical ? Aucun d’eux, pendant cette période, ne fit moins de 2000
kilomètres en l’espace de huit mois, n’y ayant pour toute nourriture que du biscuit de mauvaise
qualité, souvent avarié, de la viande de conserve fermentée sous l’action d’une chaleur torride, du
riz, du maïs, du mil et, pour toute boisson, de l’eau boueuse coupée de tafia. Cependant, c’est dans
de pareilles conditions hygiéniques qu’ils construisirent sur notre ligne de ravitaillement sept forts,
la route de 600 kilomètres qui les relie, les divers établissements qui les complètent ; en même
temps ils assiégèrent et prirent quatre villages fortifiés, livrèrent neuf batailles rangées et quarante-
trois engagements partiels. » (Péroz, 1896 : 452)
3. En France, la Loi de 1900 créa l’Armée coloniale, ce qui fit dire au général de Gallifet que : « La
France aura désormais deux armées, une armée métropolitaine contre l’Allemagne et une armée
coloniale contre l’Angleterre ».
Chapitre I.
La Grande-Bretagne en Afrique 1

À l’exception de petits comptoirs essaimés sur le littoral, l’Angleterre


avait véritablement pris pied en Afrique en 1795 puis en 1806, au cap de
Bonne-Espérance, dans le but de contrôler ce verrou stratégique sur la route
des Indes2. Durant la plus grande partie du XIXe siècle, elle tenta de freiner
le mouvement d’occupation territoriale, avant de se lancer dans
l’impérialisme, et cela, dans trois zones, l’Afrique australe, l’Égypte et le
Soudan, l’Afrique de l’Ouest.

A. L’Afrique australe
En 1881, les Boers du Transvaal avaient réussi à faire reculer
l’Angleterre et à défaut de pouvoir les soumettre cette dernière s’employa à
leur couper tout accès à l’océan Indien puis bloqua leur mouvement
d’expansion vers le Nord par la constitution de la Rhodésie. Le protectorat
anglais sur le Bechuanaland (l’actuel Botswana) et l’installation dans le
Mashonaland et le Matabeleland, l’actuel Zimbabwe achevèrent cette
politique. Les États boers étant pris au piège de leur continentalité, il
n’allait plus rester à Londres qu’à les réduire, ce qui se fit entre 1899 et
1902.
1. La Rhodésie
Cecil Rhodes était à la tête d’une énorme fortune bâtie dans l’exploitation
des mines de diamant. Il avait fondé la BSAC (British South Africa
Company), devenue une compagnie à charte le 29 octobre 1890, avec des
privilèges considérables (droits de police, de commerce, d’exploitation des
mines et de création de voies ferrées), sur un immense territoire situé au
nord du fleuve Limpopo. C’est la BSAC qui ouvrit cette partie de l’Afrique
australe à la colonisation britannique et cela, sans intervention directe de
Londres. Pour mener cette politique, Rhodes agit en deux temps, contre le
Portugal d’abord, puis contre les Matabele ensuite.
En 1886, l’explorateur portugais Serpa Pinto avait proposé le protectorat
de Lisbonne aux Makololo vivant au sud du lac Nyassa (Malawi). Au mois
de janvier 1890, Londres imposa à Lisbonne l’abandon de toutes ses
revendications sur les territoires shona et kololo et en 1891 le Portugal
reconnut à la BSAC la possession de cette zone. En 1893, sous le nom de
Nyassaland, elle devint officiellement protectorat anglais. Cecil Rhodes
avait ainsi bloqué l’expansion portugaise qui aurait pu menacer la
continuité de l’axe impérial du Caire au Cap.
Au mois de mars 1889, Cecil Rhodes arriva à Londres, porteur d’un traité
signé par Lobenguela, le roi des Matabélé, dont le territoire, le
Matabeleland, recouvrait le sud de l’actuel Zimbabwe. Ce traité accordait à
la BSAC, la possession du sous-sol minier du royaume. En 1893, la guerre
éclata avec les Matabélé. Jameson, l’homme de confiance de Rhodes arma
les 700 Blancs vivant dans la région du fort Salisbury et il prit d’assaut
Bulawayo, la capitale de Lobenguela. En mai 1895, en l’honneur de Cecil
Rhodes, le territoire fut baptisé Rhodésie. La Rhodésie n’était cependant
qu’une étape vers le Nord et les agents de la BSAC signèrent un accord
avec les Barotse du Barotseland. Les « savanes du sud » étaient donc
atteintes et le partage de ce qui allait devenir le copperbelt se fit alors entre
la BSAC et l’État indépendant du Congo. La première se vit reconnaître la
possession de la future Rhodésie du Nord (l’actuelle Zambie) et le second
celle du Katanga.

2. Les Républiques boers


En 1867 des diamants avaient été découverts dans une partie désolée du
Griqualand située à la confluence de l’Orange, du Vaal et du Harts, dans la
zone où la ville de Kimberley, du nom de Lord Kimberley, secrétaire aux
Affaires coloniales, allait bientôt surgir de terre3. En 1886, le Transvaal eut
la chance de mettre au jour sur son territoire le principal gisement aurifère
mondial. Les extractions débutèrent rapidement et la ZAR (République
d’Afrique du Sud)4, devint la principale puissance économique de la région
et Johannesburg, ville nouvelle, devint alors capitale minière ainsi que
métropole bancaire et industrielle. Six ans après la construction des
premières cabanes de prospecteurs, la ville comptait 80 000 habitants. En
dix ans, 90 000 Blancs s’y installèrent. Cette population cosmopolite venait
en majorité d’Europe. Ces immigrants furent désignés par les Boers du nom
péjoratif pour eux de Uitlanders, littéralement « ceux qui n’ont pas de
terre ».

Rhodes et Kruger
Dans les dernières années du XIXe siècle, l’histoire de l’Afrique australe fut marquée
par l’opposition entre Cecil Rhodes et Paul Kruger, deux hommes que tout opposait.
Cecil Rhodes était un personnage paradoxal. De santé fragile mais fasciné par
Nietzsche et son « surhomme », cet impérialiste convaincu de la supériorité de
l’homo britannicus estimait les Boers. Il fonda même sa carrière politique dans la
Colonie du Cap grâce à une alliance conclue avec l’Afrikaner Bond qui y représentait
les Afrikaners. La vision impériale de Rhodes était intrinsèquement raciale. Pour lui, il
existait en effet entre les « races » humaines, non seulement une différence, mais
encore une hiérarchie. Selon lui, la « race » blanche en occupait le niveau le plus
élevé mais, en son sein, l’« Anglo-Saxon-Germain » était le plus « doué » pour être le
véritable maître du monde. Or, les Boers étaient des Germains. Son but était l’unité
raciale germanique-anglo-saxonne dont le moteur était précisément l’impérialisme
britannique. Les Boers devaient donc collaborer à l’œuvre impériale au lieu de s’y
opposer au nom d’un fractionnisme hérité d’une interprétation restrictive de la Bible.
Cette vision racialo-politique ne pouvait être acceptée par Kruger et cela pour au
moins deux raisons. La première était que les Boers pensaient que Dieu avait donné
à leur peuple, qui était le « Peuple élu », la terre d’Afrique à charge pour lui d’y
apporter la civilisation, c’est-à-dire les principes de vie découlant d’une stricte
application de l’Ancien Testament. Or, Dieu n’avait pas prévu que cette terre puisse
un jour être partagée avec de nouveaux venus. Qu’ils soient blancs de peau ne
changeait rien à ce postulat car ces étrangers, ces Uitlanders, étaient aux yeux des
Boers des êtres quasiment sataniques puisqu’ils ne se conformaient pas aux règles
de vie édictées par le Tout-Puissant5.
La seconde raison était que Kruger n’était pas raciste au sens moderne du terme.
Pour lui, les hommes n’étaient pas divisés en « races », mais en « vrais » chrétiens et
en païens. Pour les Boers, les Noirs, qu’ils considéraient certes comme des enfants,
étaient d’abord des créatures de Dieu qu’ils avaient pour mission d’éclairer afin de les
hisser à leurs côtés, mais d’une manière séparée, vers les « Lumières de la
Révélation chrétienne ». Les Boers qui votaient pour Paul Kruger considéraient la
Bible comme la seule référence politique et sociale. Selon eux leur communauté
devait obéir à ses chefs patriarches, comme durant les temps bibliques, car ils étaient
les intermédiaires entre eux et un Dieu tout-puissant dont le courroux serait terrible si
l’on n’obéissait pas à Sa parole. Dans le monde boer tel qu’ils voulaient le pérenniser,
l’argent, le profit et le luxe n’avaient pas leur place. Les hommes avaient été mis sur
terre pour surveiller les troupeaux, protéger la communauté et pour faire de
nombreux enfants à leurs femmes dont la mission divine était précisément d’enfanter
et d’obéir à leurs époux dont le pouvoir était une délégation du Tout-Puissant. Dans
les années 1890, quand leur pays avait été frappé par une invasion de sauterelles
détruisant les récoltes, ils avaient refusé l’aide des Britanniques de la Colonie du Cap
et du Natal, considérant cette catastrophe comme un fléau biblique devant être
accepté avec résignation puisqu’il était envoyé comme une punition par le Tout-
puissant à son Peuple qui avait certainement pêché.
L’opinion publique boer n’était pas cependant pas monolithique et deux grands
courants s’opposaient, les conservateurs qui se reconnaissaient dans Kruger et les
modernistes dans le général Piet Joubert (1831-1900). Ce dernier était suivi par
plusieurs jeunes chefs dont Botha et Smuts qui furent parmi les plus brillants
généraux de la guerre des Boers. Pour ces hommes, le futur ne se résumait pas à un
décalque idéalisé de la vie des patriarches de la Bible et il était nécessaire de
conclure un partenariat avec la Grande Bretagne. Ils avaient également compris que
les immigrants européens constituaient non une menace, mais au contraire un renfort
démographique vital permettant cette ouverture sur l’extérieur qui manquait tant aux
Républiques boers. Ils avaient conscience que, coupés de l’Europe depuis
deux siècles, vivant en autarcie, les Boers étaient incapables de répondre seuls aux
défis de la modernité. Piet Joubert et ceux qui le soutenaient, voyaient bien que face
à la démographie des Noirs, il n’y aurait d’avenir pour les Blancs vivant dans ce pays,
qu’unis. Mais, de 1883 à 1898, lors de chaque élection, Piet Joubert fut constamment
battu par Paul Kruger. Au moment où la survie de la nation boer afrikaner passait par
une nécessaire modernisation, les électeurs du Transvaal se donnèrent ainsi pour
chef celui de leurs responsables qui était le plus étranger à l’idée même d’innovation.

Les revenus de la ZAR décuplèrent en quatre ans et en quinze ans, ils


furent multipliés par plus de vingt. L’or avait ainsi fait du Transvaal un État
fabuleusement riche.
Pour Londres, le risque était qu’il parvienne à constituer le futur pôle
politique de l’Afrique australe aux dépens des colonies anglaises du Cap et
du Natal. Une course de vitesse s’établit alors entre la Grande Bretagne et la
ZAR. Pour Londres, la priorité était d’interdire à la République boer tout
accès à la mer. À cette époque, du Cap au nord de Durban, toute la côte
étant sous contrôle anglais, la seule et unique possibilité d’ouverture sur la
mer existant pour le Transvaal était le Tongaland (voir carte, p.), territoire
compris entre le Swaziland et l’océan (Kuper, 1986). En 1894, les
kommandos boers avaient d’ailleurs pris le contrôle du Swaziland et ils
s’apprêtaient à faire de même du pays tonga et de son littoral. Au mois de
juin 1895, Londres réagit à cette menace en annexant la région et en
fermant ainsi aux Boers la dernière porte qui leur était encore ouverte vers
la mer. Désormais, le Transvaal, pris au piège de son enclavement allait
devoir s’entendre avec les Portugais qui possédaient la baie Delagoa afin de
disposer de facilités portuaires à Lourenço Marques.
C’est en luttant pour l’obtention du droit de vote des Uitlanders que Cecil
Rhodes tenta de prendre le pouvoir dans la ZAR. Les Boers considéraient
les Uitlanders comme étrangers à la communion culturelle afrikaner. Il
n’était donc pas question que la nationalité de la ZAR leur soit accordée,
avec les droits civiques en découlant. Pour le président Kruger, toute
demande britannique allant dans ce sens était même inacceptable6.
En 1892, les plus militants parmi les Uitlanders fondèrent la Transvaal
National Union, dénoncée par Kruger comme une association subversive.
Au même moment Cecil Rhodes inventa à leur sujet le fameux slogan :
« Des droits égaux pour tous les hommes civilisés au sud du Zambèze. » La
formule allait porter sur une opinion publique anglaise excédée par
l’attitude des autorités boers à l’égard de leurs compatriotes, traités au
même plan que les travailleurs noirs, ce qui, aux yeux des Britanniques,
était une provocation.
Le plan de Rhodes consistait en une invasion du Transvaal par un corps
expéditionnaire venu de Rhodésie pour appuyer un soulèvement
« spontané » des Uitlanders. En d’autres termes, à la faveur d’une
insurrection des Uitlanders, les Britanniques seraient « contraints »
d’intervenir et pour éviter la guerre civile, ils placeraient alors la ZAR sous
leur autorité. Rhodes entreprit de lever une petite armée pour le compte de
la BSAC. Il la mit sous le commandement du docteur Leander Starr
Jameson, l’homme qui, en 1893, avait réussi à imposer le protectorat
britannique sur la Rhodésie et qui était à ce moment-là responsable de la
construction de la voie ferrée au nord du fleuve Limpopo. Il prétendit que la
Chartered devait protéger ses chantiers et il recruta à cette fin une force de
510 hommes qui devait constituer le noyau de son corps expéditionnaire. Il
se rendit ensuite à Johannesburg où, le 17 novembre 1895, au cours d’une
entrevue avec les chefs uitlanders, il mit au point le plan combiné de
soulèvement-invasion.
Jameson se mit en marche dans la nuit du dimanche 29 décembre 1895.
Prévenus dès le matin du 30 décembre, les Boers mobilisèrent leurs
kommandos. La journée du 31 leur permit de localiser et de suivre les
envahisseurs auxquels ils livrèrent bataille le ler janvier 1896 à Krugersdorp,
à quelques kilomètres à l’ouest de Johannesburg. Jameson fut battu et sa
petite armée tenta de se replier, mais en vain car, le lendemain, les
kommandos l’encerclèrent. Jameson dut se rendre. Enchaînés, les
prisonniers furent conduits à Pretoria et emprisonnés avant d’être remis aux
autorités britanniques (Lugan, 1998a).
Cecil Rhodes qui apparût comme le grand vaincu de l’échec de Jameson
en tira les conséquences en démissionnant, à la fois de son poste de Premier
ministre de la Colonie du Cap et de celui de directeur de la Chartered
Company. Le gouvernement de la Colonie du Cap tomba et Rhodes fut
remplacé comme Premier ministre par Gordon Sprigg7.

3. Les colonies du Cap et du Natal


Dans les années 1854-1884, pendant que les Républiques fondées par les
Voortrekkers perdaient puis regagnaient leur indépendance, la Colonie du
Cap faisait l’expérience de la gestion de ses propres affaires. L’évolution de
la doctrine britannique s’était faite dans les années 1840-1850, quand le
Canada d’abord, l’Australie ensuite, furent dotés de gouvernements
représentatifs et que l’idée d’accorder une certaine autonomie à la Colonie
du Cap commença à faire son chemin.
Après la démission de Rhodes, les élections d’avril 1899 furent
remportées par l’Afrikaner Bond dirigé par Hofmeyr, mais ce fut Schreiner,
un modéré, qui accéda au pouvoir. Il était tiraillé entre ses origines boers et
son loyalisme envers la Grande-Bretagne, ce qui rendait sa position
particulièrement inconfortable. L’opposition était représentée par le Parti
progressiste dirigé par Gordon Sprigg et dont l’électorat était composé des
anglophones majoritairement acquis aux vues impérialistes métropolitaines
et qui considéraient qu’il était temps de mettre les Boers au pas.
Impuissants et parfois même velléitaires, les membres du gouvernement du
Cap vivaient dans la hantise de se voir accusés de « traîtrise ».
L’autre colonie britannique d’Afrique australe, le Natal, présentait une
situation différente dans la mesure où sa population afrikaner avait émigré
après l’annexion du 31 mai 1844, quand l’éphémère République
Voortrekker de Natalia était devenue un district rattaché à la Colonie du
Cap. Le Natal, colonie séparée de celle du Cap en 1856, était administré par
un gouverneur détenant le pouvoir exécutif et par un conseil législatif
composé de 16 membres dont 12 élus.
Le 10 mai 1893, le conseil vota la création d’un gouvernement
responsable, ce que Londres entérina au mois de juillet. La Colonie du
Natal avait donc accédé à l’autonomie, avec un Parlement à deux chambres
et un ministère responsable devant lui.
La Colonie du Natal était bien moins vaste que celle du Cap, sa
superficie étant d’environ 40 000 kilomètres carrés. En 1895, sa population
était d’environ 600 000 personnes dont 50 000 Blancs, 500 000 Zulu et
40 000 Indiens. En effet, depuis 1860, une immigration d’Indiens était
organisée, ces derniers travaillant comme coupeurs de canne sur les
plantations. Le Natal, avec son climat tropical, était en effet une région de
grandes plantations côtières (canne à sucre, thé, coton, café, tabac, etc.). La
principale ville de la Colonie était Durban, avec un peu moins de 30 000
habitants. À la différence de ceux de la Colonie du Cap, divisés en
Afrikaners et en fervents partisans de l’Empire, les Blancs du Natal étaient
quasiment tous d’origine britannique et prêts à en découdre avec les Boers
qu’ils détestaient. Cette attitude se retrouva d’ailleurs dans les prises de
position différentes qu’eurent les gouvernements des deux colonies. Au
Cap, la conciliation était prônée, tandis qu’à Durban l’on soufflait sur les
braises. Cette attitude extrémiste est également bien illustrée par les
réactions officielles lors des négociations anglo-boers des mois qui
précédèrent l’embrasement régional et qui furent vues comme des
tergiversations. Le Natal, qui avait totalement épousé la cause des
Uitlanders, exigeait la guerre dans une ambiance de frénésie patriotique
inconnue au Cap. Pour les impérialistes du Natal, la guerre aurait un but
clairement avoué : la conquête pure et simple d’une partie du Transvaal, du
Swaziland et du Basutoland.

4. La fin des Républiques boers8


L’échec du raid Jameson avait fragilisé la position britannique en Afrique
australe. Londres ne pouvait cependant pas demeurer sur un tel échec. Ce
que Rhodes n’avait pu conduire à terme le serait par Joseph Chamberlain
(1836-1914), ministre des Colonies de 1895 à 1903, et par Alfred Milner,
son haut-commissaire en Afrique australe où il arriva en 1897 et où il reprit
la politique de Cecil Rhodes dont il partageait la même foi impérialiste.
Dans son livre intitulé The Nation and the Empire, il était même allé
jusqu’à écrire que « l’impérialisme a toute la profondeur et l’étendue d’une
foi religieuse ». Milner pensait que la « race britannique représente quelque
chose d’unique et d’inestimable dans la marche en avant de l’humanité », et
comme l’Afrique du Sud lui était nécessaire, tout ce qui pouvait y
contrecarrer son expansion devait y être brisé. Sa ligne de conduite allait
donc être claire : puisque les Boers refusaient le partenariat que Londres
leur proposait, il leur ferait la guerre, non pour les détruire, mais afin de les
associer de force au projet de rassemblement des peuples blancs d’Afrique
australe.
La réélection de Kruger comme président de la République sud-africaine
en 1898 signifiait pour les Britanniques qui avaient espéré sa défaite que,
pour cinq années au moins, l’intransigeance des Boers serait totale. À partir
de ce moment, Milner provoqua délibérément le conflit en faisant tomber le
vieux chef boer dans tous les pièges qu’il lui tendit. Chamberlain, le
ministre des Colonies, partageait l’avis de son haut-commissaire au Cap
mais il n’ignorait pas que ni le cabinet ni l’opinion britannique n’étaient
favorables à la guerre.
En février-mars 1899, des négociations eurent lieu entre les autorités du
Transvaal et les dirigeants de l’industrie minière au sujet du droit de vote
des Uitlanders. Kruger proposa de leur accorder ce droit après quatorze ans
de résidence, ce qui ne fut pas jugé suffisant. Au mois de mars 1899, Milner
fit parvenir à Londres une pétition des Uitlanders demandant l’intervention
militaire britannique et qui avait réuni vingt et un mille signatures.
Pour tenter de sortir de l’impasse, mais d’abord pour éviter le conflit qui
s’annonçait, le président de l’État libre d’Orange, Marthinus Steyn, invita
Kruger et Milner à Bloemfontein pour une ultime négociation. Kruger ne
nourrissait aucune illusion car il n’ignorait pas que la Grande Bretagne ne
cherchait qu’un prétexte pour une intervention, tout en montrant au monde
qu’elle avait tout fait pour l’éviter. De fait, la conférence échoua en dépit
des concessions faites par Kruger qui accepta quasiment toutes les
demandes britanniques, à l’exception de celle, irréaliste, qui entendait
obtenir des Boers qu’ils fassent de la zone minière du Rand (Johannesburg)
un district autonome du Transvaal.
Depuis le mois d’avril, la Grande-Bretagne acheminait des troupes vers
l’Afrique australe et massait des contingents sur la frontière du Transvaal.
Le 9 octobre, les Boers lui adressèrent un ultimatum exigeant le retrait de
toutes les troupes stationnées sur les frontières du Transvaal ainsi que
l’interruption de l’arrivée de renforts. Le mercredi 11 octobre à 17 heures,
l’ultimatum que les Anglais avaient refusé d’examiner ayant expiré, la
guerre fut déclarée. Les Boers en parlent comme de leur « seconde guerre
d’indépendance ».

La guerre des Boers (Lugan, 1998)


La première guerre du XXe siècle se déroula dans le sud du continent africain. Ce fut
une guerre totale qui opposa l’Empire britannique aux Républiques boers du
Transvaal et de l’Orange. Durant presque trois ans, la « guerre des Boers » mit aux
prises deux peuples blancs : l’un luttant pour sa survie et l’autre pour sa suprématie.
Cette guerre fut un conflit international puisque, face à des forces venues de tout
l’Empire britannique, les Boers furent renforcés par des volontaires français,
allemands, italiens, irlandais, russes, serbes, américains, hollandais (Lugan, 1989 ;
1990a ; 1998a : 237-308)9. La guerre des Boers annonçait à bien des titres les
conflits du siècle à venir : utilisation de matériel moderne, guerre de tranchées, fil de
fer barbelé, maîtrise des moyens de transport et attaques contre les civils utilisés
comme otages puis internés dans des camps. Autre innovation, les Britanniques
eurent recours à une vaste propagande pour diaboliser l’ennemi et s’assurer le
soutien de leur opinion publique.
Ce n’était pas de gaieté de cœur que le Transvaal et l’État libre d’Orange avaient
déclaré la guerre10. La population boer des deux Républiques était de 200 000 âmes
et pourtant, en quelques jours, 40 000 hommes rejoignirent les kommandos, ces
unités militaires régionales dont les chefs étaient élus par leurs hommes (Lugan,
1998a : 123-134). Rien n’était plus étranger que la notion de hiérarchie à cette armée
composée de libres citoyens égaux entre eux. Chez ces soldats-paysans, point
d’uniformes, sauf chez les artilleurs, mais la tenue de travail de tous les jours. Pour
tous, un chapeau à larges bords protégeant à la fois du soleil et de la pluie, une
épaisse chemise, une veste, une culotte de toile ou de laine, des bottes et une
cartouchière barrant le torse. Chaque combattant fournissait son cheval et sa
remonte, son harnachement, son arme, le redoutable Mauser 95 de calibre 7x57. Il
devait disposer d’une autonomie en vivres de huit jours. Les Boers étaient d’abord
des cavaliers. Moins chargés que ceux des Britanniques, leurs petits chevaux étaient
capables de les porter sur de longues distances. Mais ils combattaient toujours à
pied. Ils étaient en fait une infanterie portée, rapide à décrocher et à changer de
position au gré du combat. Insaisissables, rapides, connaissant admirablement le
terrain, excellents tireurs, rustiques, résistants, endurants et sobres, les combattants
boers donnèrent du fil à retordre aux unités britanniques hautes en couleurs,
disciplinées, lourdes, peu mobiles et dépendant totalement de leurs lignes
d’approvisionnement.
Au point de vue militaire, la guerre des Boers s’est déroulée en trois phases. Durant
les deux premières, les vieux chefs boers accumulèrent les erreurs et ils eurent de la
chance d’avoir en face d’eux des généraux britanniques souvent incompétents. Ce ne
fut qu’avec la troisième période du conflit, celle de la guérilla que les jeunes
commandants boers purent donner la mesure de leur pugnacité dans une guerre faite
de coups de main dans laquelle les hommes des kommandos excellaient.
D’octobre 1899 à janvier 1900, les Boers passèrent partout à l’offensive et
enfoncèrent les lignes anglaises. Leur commandant en chef, le vieux général Piet
Joubert fut cependant dépassé par l’ampleur de la victoire et il se montra incapable
de l’exploiter. Au lieu de poursuivre les Anglais jusqu’à l’océan Indien et de prendre la
ville de Durban, il préféra immobiliser ses meilleures troupes pour assiéger des
poches anglaises isolées. Ce furent les sièges inutiles de Ladysmith, de Kimberley où
Cecil Rhodes se trouva encerclé, et de Mafeking où s’illustra le colonel anglais
Baden-Powell, futur fondateur des « Boy-Scouts ». Durant cette première phase de la
guerre, les Britanniques lancèrent une triple contre-offensive destinée à dégager les
garnisons assiégées. Mais elle s’acheva par trois terribles défaites à Stormberg, le
10 décembre 1899, à Magersfontein le 11 décembre et à Colenso le 15 décembre.
Ce fut la « semaine noire » (Black Week) qui provoqua un véritable séisme en
Europe où les caricaturistes ne se privèrent pas de ridiculiser les troupiers de la reine
Victoria affrontant des combattants plus redoutables que leurs habituels adversaires,
les guerriers pathans, ashantis ou mahdistes. Cependant, soutenu par une opinion
acquise au parti de la guerre, le Premier ministre Chamberlain fit parvenir
d’importants renforts au corps expéditionnaire qui atteignit bientôt 270 000 hommes.
Durant la seconde phase de la guerre, comprise entre les mois de janvier et
d’octobre 1900, les Boers furent submergés sous le nombre. Leurs vieux chefs
avaient commis une nouvelle erreur en se laissant entraîner dans une guerre
moderne voulue par l’état-major britannique. Ils n’avaient en effet aucune expérience
du déplacement coordonné de grosses unités, de la concentration des moyens, de
l’utilisation rationnelle de l’artillerie ou même de l’unité du commandement.
La troisième phase du conflit, celle de la guérilla, fut la plus longue et la plus
meurtrière. Elle s’étendit de novembre 1900 à mai 1902 et vit les jeunes chefs boers,
Jan Smuts, Louis Botha, Jacobus De La Rey, Cristiaan De Wet, Manie Maritz, etc.,
prendre le commandement des opérations. Les Britanniques qui pensaient avoir
gagné la guerre se virent partout attaqués par des adversaires insaisissables surgis
du Veld. Le corps expéditionnaire se trouva même bientôt en position délicate, englué
et fixé le long des voies de chemin de fer. Nouveau commandant en chef britannique
depuis le mois de novembre 1900, le général Horatio Kitchener, qui avait assis sa
réputation comme « pacificateur » du Soudan en 1898 contre les armées du Mahdi,
devait donc, coûte que coûte, tenter de limiter l’autonomie de déplacement des
kommandos.
Il fit alors quadriller tout le pays par des lignes de barbelés et des points fortifiés – les
blockhouses –, qui devaient prendre au piège les kommandos dans des sortes de
damiers où il serait facile de les exterminer. Ce fut un échec car les Boers apprirent à
couper et à franchir ces réseaux barbelés. Quant aux blockhouses, ils devinrent vite
des pièges dans lesquels se retrouvèrent isolés des milliers de soldats britanniques.
Kitchener déclencha alors une guerre contre les civils. Des villages entiers furent
détruits et 25 000 à 30 000 fermes incendiées. Tout le maillage rural boer fut ainsi
rayé de la carte. Quant aux civils, ils furent enfermés dans des camps (58 au total)
où, exposés au froid et à la pluie, subissant les épidémies de rougeole, de dysenterie,
de furonculose, de pneumonie, de bronchite et de coqueluche, la mortalité infantile
atteignit 80 %. Une génération de femmes et d’enfants boers y mourut11.
Contrairement à une idée reçue, la guerre des Boers ne fut pas qu’une guerre de
Blancs car, dans les deux camps, des Noirs participèrent activement aux opérations.
Un peu plus de 10 000 volontaires noirs furent recrutés et armés par les Britanniques
(Warwick, 1983). Ils eurent droit de pillage sur les fermes non évacuées et de viol sur
les femmes qui avaient échappé aux rafles. Cette guerre annonçait les conflits du
XX siècle conçus comme des guerres totales et ayant recours à la terreur à l’encontre
e

des populations civiles (Lugan, 1998a).

Le 31 mai 1902, le conflit s’acheva par la capitulation des Boers signée


dans la petite ville de Vereeniging. Mais c’était une amère victoire que
remportait l’armée britannique. Les kommandos étaient en effet invaincus
et ils n’abandonnaient la lutte que pour sauver les civils menacés
d’extinction dans les camps de concentration.
Entrés en guerre pour sauver leur indépendance politique et leur identité
culturelle, les Boers sortirent du conflit en ayant perdu leur liberté. Leurs
deux Républiques étaient en effet purement et simplement annexées et
soumises à une administration militaire d’occupation. Plus grave encore,
l’âme de leur peuple était irrémédiablement atteinte et son identité rurale
détruite par la politique de la « terre brûlée » pratiquée par les forces
britanniques. Des milliers de Boers dont les familles avaient péri dans les
camps, dont les fermes avaient été détruites et les troupeaux abattus se
trouvèrent ainsi déracinés.
Ayant tout perdu, ils migrèrent alors vers les villes où ils entrèrent en
concurrence avec les Noirs qui avaient été recrutés comme mineurs par les
grandes compagnies. Urbanisés dans des conditions souvent précaires, les
Boers constituèrent un prolétariat prompt à la revendication nationaliste et
fidèle soutien des partis incarnant l’irrédentisme afrikaner face au monde
anglo-saxon présenté comme l’incarnation du libéralisme économique.
Pour survivre, les Boers imposèrent alors la priorité d’embauche des
travailleurs blancs aux magnats des mines, les fameux « Randlords », qui
avaient préféré employer des Noirs parce qu’ils pouvaient les payer moins.
La contestation de ces « petits blancs » fut rude et les heurts qu’elle
engendra d’une violence extrême. Par peur d’une révolution, le patronat fit
adopter les premières lois raciales, réservant même les emplois spécialisés
aux seuls Blancs. La question raciale sud-africaine était née.

5. La création de l’Union Sud-africaine


Le 12 janvier 1906, le Parti libéral sortit vainqueur des élections
britanniques. Les Conservateurs au pouvoir depuis 1895 cédèrent donc la
place à ceux qui n’avaient cessé de dénoncer, et parfois avec vigueur, leur
manière de conduire la guerre en Afrique australe. Le nouveau Premier
ministre, Lord Campbell-Bannerman accorda des gouvernements
responsables aux deux anciennes républiques boers et les partis afrikaners,
Het Volk (le Peuple) et Orangia Union y remportèrent les premières
élections de l’après-guerre. Les deux parlements élus désignèrent leurs
Premiers ministres en 1907 qui furent Louis Botha et Abraham Fischer
respectivement pour le Transvaal et pour l’Orange. Cinq années après leur
victoire, les Britanniques avaient donc octroyé l’autonomie à ceux qui les
avaient si farouchement combattus et cela, afin de créer une Afrique du Sud
fidèlement mais librement associée à eux.
Aux yeux des Britanniques l’union de l’Afrique australe était une
nécessité. Économiquement tout d’abord car si les mines étaient
principalement situées en territoire afrikaner, les ports, eux, étaient
construits au Cap et au Natal, dans les terres anglophones. Politiquement
ensuite car tous les Blancs, qu’ils fussent Afrikaners ou d’origine
britannique, ressentaient la poussée démographique des Noirs. C’est
pourquoi, au mois de janvier 1907, Lord Selborne qui avait succédé en
1905 à Lord Milner comme haut commissaire britannique au Cap, prit
l’initiative de communiquer aux quatre gouvernements de l’Afrique du Sud
et à celui de la Rhodésie du Sud, un document mettant en évidence les
avantages qu’aurait pour tous l’unification de la région.
L’idée fut retenue et une convention nationale se réunit à Durban le
12 octobre 1908, puis au Cap et enfin à Bloemfontein où, le 3 mai 1909 se
tint la session finale. Assistaient à cette dernière les quatre Premiers
ministres et les délégués des quatre États d’Afrique du Sud plus deux venus
de Rhodésie du Sud. Les discussions furent difficiles et elles achoppèrent
essentiellement sur deux questions. L’une, portant sur le choix d’une
capitale, l’autre sur le droit de vote des Noirs (Lugan 1993b). Pour sortir de
l’impasse, il fut décidé que Pretoria serait la future capitale administrative
et le siège de l’exécutif, que Le Cap serait capitale parlementaire et
législative et que Bloemfontain deviendrait capitale judiciaire avec le siège
de la Cour Suprême. Sur la question du droit de vote des Noirs, les
positions étaient inconciliables. Les propositions libérales des délégués du
Cap qui désiraient accorder le droit de suffrage sur la base de qualifications
sociales étaient combattues par les délégations du Transvaal et de l’Orange.
Le général Smuts sauva la Convention en proposant que chaque future
région de l’Union conserve le système en vigueur au moment de la
signature de l’acte d’Union.
En revanche, l’accord se fit aisément sur le lien avec la Couronne
britannique. Il allait être incarné par un Gouverneur général nommé par
Londres pour une durée de cinq ans. Un cabinet présidé par un Premier
ministre aurait la charge de l’exécutif. Quant au pouvoir législatif, il serait
exercé par deux chambres élues. L’Assemblée serait composée de 153
membres à raison de 66 pour le Transvaal, 55 pour le Cap, 16 pour le Natal
et 13 pour l’Orange. Quant au Sénat, sur ses 40 membres, 8 seraient
nommés par le gouverneur et les 32 autres, élus à raison de 8 par province.
Le Gouverneur désignerait le leader de la majorité comme Premier ministre
et la responsabilité de ce dernier serait entière devant le Parlement.
Le 11 mai 1909, les délégués signèrent un texte qui fut soumis aux
Parlements locaux qui l’approuvèrent. Au mois de septembre 1909, le roi
Édouard VII signa la Constitution de l’Union sud-africaine12 qui entra en
vigueur le 31 mai 1910.
Le premier gouverneur général de l’Union sud-africaine, Lord Glodstone,
nomma le cabinet chargé d’organiser l’élection du nouveau Parlement. Le
général Louis Botha, chef du gouvernement du Transvaal fut désigné et il
choisit ses ministres dans les quatre provinces composant l’Union. Les
élections se déroulèrent le 15 septembre 1910 et elles furent remportées par
les partis afrikaners coalisés qui avaient à leur tête Louis Botha.
En 1911, de violentes grèves éclatèrent dans la région industrielle du
Rand. La situation prit rapidement une allure de revendication raciale car
les mineurs et les cheminots blancs s’opposaient à l’embauche de
travailleurs noirs. Le sang coula et la répression gouvernementale qui fut
fermement menée accentua la coupure entre une large frange des Afrikaners
et le gouvernement qui fut néanmoins contraint d’institutionnaliser le
« Colour bar », réservant ainsi les emplois spécialisés aux Blancs afin de les
calmer.
Au mois de novembre 1911, la coalition afrikaner fusionna en un seul
mouvement, le Parti sud-africain, dirigé par Botha et Smuts, tous deux
anciens généraux durant la guerre des Boers. Le parti se prononça pour la
réconciliation et l’union des deux communautés blanches. Comme l’on ne
parlait plus de République, les plus intransigeants des Afrikaners menés par
le général Hertzog reprochèrent à Botha de « trahir la nation boer13 ». Au
mois de janvier 1914, Hertzog créa le Parti national (premier du nom) qui
rallia la frange la plus dure des Afrikaners, créant ainsi une scission au sein
de cette dernière population.
Le durcissement d’une partie des Afrikaners ne fut pas le seul problème
qu’eut à affronter le gouvernement Botha dans les années 1911-1914. La
communauté indienne, sous l’impulsion de Gandhi14, s’agitait pour la
défense de certains de ses membres menacés d’expulsion et le problème
noir commença en effet à se poser en termes nouveaux. En 1912, fut ainsi
créé à Bloemfontein le premier parti politique africain prônant l’Union du
peuple noir par-delà ses divisions ethniques. Avec l’apparition sur la scène
politique du South African Native National Congress, devenu African
National Congress, les Noirs commençaient donc à s’organiser.

B. Le reste de l’Afrique
À partir de 1869, année de son inauguration, le canal de Suez devint un
carrefour essentiel pour les communications britanniques. C’est pourquoi,
après l’Afrique australe autre verrou de la route des Indes, l’impérialisme
britannique s’exerça en Égypte, au Soudan et en Afrique orientale. Le cas
de l’Afrique occidentale est différent car cette région apparaît comme
secondaire dans le jeu colonial de Londres.

1. L’Égypte et le Soudan
Comme nous l’avons vu, en 1881, lors de l’insurrection d’Orabi Pacha,
Londres qui craignait pour la sécurité du canal, avait hésité à s’engager sur
le terrain, souhaitant que la Turquie le fasse à sa place. Quant à la France,
alors dirigée par le deuxième gouvernement Freycinet qui avait succédé au
gouvernement Gambetta le 30 janvier 1882, elle proposait une intervention
symbolique destinée à intimider Orabi Pacha. Le 10 juin, une flotte franco-
britannique s’était ainsi présentée devant Alexandrie et le 11, une violente
émeute avait éclaté en ville durant laquelle plusieurs dizaines d’Européens
avaient été massacrés. Partisan d’une action aux côtés des Anglais,
Gambetta poussa Freycinet à agir, mais ce dernier hésita tant les critiques de
l’opposition parlementaire étaient fortes. En juillet 1882, Freycinet qui
s’était finalement décidé à intervenir aux côtés de la Grande-Bretagne
demanda des crédits au Parlement afin de financer l’expédition. Le
29 juillet les débats furent passionnés et Clemenceau qui menait la charge
contre le gouvernement rallia les 3/4 des députés. Le 30 juillet, la demande
de Freycinet fut massivement rejetée et le gouvernement démissionna.
Se retrouvant seule, et comme elle estimait ses intérêts vitaux menacés, la
Grande-Bretagne se décida alors à agir. Le 11 juillet 1882, la marine
britannique bombarda les forts d’Alexandrie et un corps de débarquement
commandé par sir Garnet Wolseley fut mis à terre. Orabi Pacha fut battu et
au mois d’août 1882, les Britanniques étaient maîtres du terrain. Le
13 septembre 1882, les dernières forces égyptiennes étaient dispersées lors
de la bataille de Tell el-Kébir. Orabi Pacha fut capturé puis déporté à
Ceylan15 et l’armée égyptienne licenciée.
L’Égypte fut donc occupée alors qu’elle faisait pourtant partie de
l’Empire ottoman. Le pays fut mis sous tutelle et les ministres égyptiens
contrôlés par des conseillers britanniques sous les ordres directs de Sir
Evelyn Baring, futur Lord Cromer, Haut Commissaire de 1883 à 1907. En
théorie, cette présence anglaise n’était que temporaire. Tout changea
cependant quand Lord Salisbury devint Premier ministre (1887-1888), car il
estima qu’il n’était plus question de quitter l’Égypte en raison d’une
nouvelle situation internationale particulièrement complexe et qui pouvait
être résumée en cinq points :
1. Pour Londres, il était prioritaire de garantir la liberté de navigation
vers les Indes, via le canal de Suez ;
2. Au même moment, la Russie cherchait à ouvrir à sa flotte de la mer
Noire l’accès à la Méditerranée ;
3. Conséquence du « point 2 », Londres avait tout intérêt à ce que le statu
quo balkanique perdure afin de ne pas voir la Turquie, gardienne des
Détroits, affaiblie ;
4. Or, les guerres balkaniques se succédaient et elles avaient pour
conséquence un recul turc et une poussée slave. Ceci fit que les
Britanniques durent se rendre à l’évidence : les Détroits ne resteraient
pas fermés à la flotte russe ;
5. Londres était donc condamnée à rester en Égypte pour y assurer sa
liberté de circulation via le canal de Suez au cas où la flotte russe
parviendrait à s’ouvrir un passage vers la Méditerranée.
L’enchaînement des évènements déboucha alors sur un engagement de
plus en plus réel de la Grande Bretagne dans la région. La nécessité de
sécuriser l’Égypte, donc le canal de Suez, la conduisit ensuite à lancer la
campagne du Soudan où, comme nous l’avons vu plus haut, depuis 1880-
1881, un puissant mouvement connu sous le nom de Mahdisme agitait la
région. Or, les mahdistes avaient pris le contrôle d’une grande partie du
Soudan actuel et notamment du Bahr el-Ghazal, du Kordofan et du Darfour.
Le gouvernement britannique hésita à intervenir, mais, après quelques
années d’hésitation, il fut contraint d’agir pour quatre raisons principales :
1. L’exemple soudanais risquait d’être contagieux et pouvait avoir de
graves conséquences en Égypte, et donc dans la zone du canal de Suez ;
2. La France qui avait remporté sur la Grande-Bretagne la « course au
Niger » se rapprochait de la région du Tchad par laquelle elle cherchait
à progresser vers le haut-Nil, ce qui risquait de couper le « corridor »
que certains milieux impériaux anglais souhaitaient ouvrir depuis
Le Caire au Nord, jusqu’au cap de Bonne-Espérance au Sud ;
3. Les Italiens venaient de s’installer sur la rive africaine de la mer
Rouge. Comme ils avaient entrepris de progresser vers l’intérieur, ils
étaient donc susceptibles de menacer la prépondérance britannique le
long de cette « écluse » naturelle reliant la Méditerranée à l’océan
Indien ;
4. L’autorité du successeur du Mahdi était contestée.
Le moment semblait propice à une intervention et la conquête du Soudan
fut décidée. Au mois de mars 1896, une expédition britannique placée sous
les ordres du général Horatius Kitchener s’ébranla, progressant vers le Sud,
à la vitesse de la construction de la voie de chemin de fer Égypte-Khartoum
par laquelle avançaient troupes et matériel. À l’issue de trois batailles16
livrées en 1898 et en 1899, les armées mahdistes furent vaincues et le
19 janvier 1899, le Soudan devint un Condominium anglo-égyptien. Pour
les Britanniques, il était temps car l’expédition française du capitaine
Marchand avait atteint le Nil à Fachoda, ce qui déclencha une forte crise
entre Londres et Paris.

2. L’Afrique de l’Ouest
À la fin du XIXe siècle, la poussée coloniale britannique en Afrique de
l’Ouest s’exerça à partir du littoral du golfe de Guinée et, à l’exception de la
résistance du royaume Ashanti, la progression se fit sans grandes difficultés
jusqu’au moment où, dans la région du haut-Niger, elle se heurta aux
sultanats du Sahel. Les troupes anglaises furent parfois bien accueillies par
certaines populations sudistes, qui voyaient en elles une protection contre
les guerriers musulmans et esclavagistes nordistes (sultanat de Sokoto, etc.).
En Gold Coast, l’actuel Ghana, l’Angleterre fut un temps bloquée dans sa
progression vers le Niger par les Ashanti du royaume de Kumasi (ou
Koumasi) contre lequel ils menèrent quatre guerres difficiles. La première
avait débuté en 1824 quand les Ashanti tuèrent au combat Charles
MacCarthy, le gouverneur de la Gold Coast, mais le conflit s’était terminé
en 1826 par une victoire anglaise. Entre 1869 et 1872, la poussée ashanti
s’exerça vers le royaume côtier des Fante (ou Fanti), qui fut submergé.
La seconde guerre de l’Ashanti éclata en 1874 quand les Anglais
décidèrent de repousser les Ashanti vers le Nord. Ils lancèrent alors une
campagne militaire d’importance dont le commandement fut confié au
général Garnet Wolseley. Kumasi fut prise au mois de février 1874,
l’empire ashanti fut ensuite démantelé et une guerre civile éclata. Elle se
termina en 1888 avec la victoire de Prempeh Ier qui devint le nouveau roi
(asantehene) et qui refit la puissance ashanti. Londres proposa alors son
protectorat mais les Ashanti le refusèrent, ce qui entraîna une troisième
expédition, celle du général Sir Francis Scott qui prit Kumasi en
janvier 1896. Prempeh fut arrêté et déporté aux Seychelles et le protectorat
anglais proclamé sur le royaume. Une nouvelle insurrection éclata en 1900,
mais elle fut rapidement écrasée et le royaume ashanti intégré à la Gold
Coast britannique.
Au Nigeria les Anglais étaient présents à Lagos depuis 1851. Les
missionnaires avaient préparé le terrain à la colonisation et c’est même eux
qui firent passer le pays yoruba sous influence britannique. En 1886
presque tous les chefs yoruba avaient signé des traités avec Londres et ceux
qui ne l’avaient pas encore fait suivirent le mouvement entre 1893 et 1899.
À partir de 1897, toute la zone côtière et son hinterland étaient sous
contrôle britannique.
Au Nord, ce fut la RNC (Royal Niger Company) qui imposa la présence
britannique. Comme le principe de l’occupation effective avait été établi
lors de la Conférence de Berlin, Londres ne pouvait donc pas se contenter
de revendiquer la possession de la région, d’autant plus que les Français et
les Allemands s’en rapprochaient. Mais, les Anglais étaient face à un
sérieux problème : entre le Niger et le littoral, les principautés d’Ife et
d’Illorin refusaient de les laisser passer. En 1897 la question fut réglée
militairement mais les Anglais se trouvèrent ensuite face aux chefs ou aux
émirs du Nord musulman (Kano, Sokoto, etc.) qui leur opposèrent une forte
résistance. Il leur fallut ainsi plusieurs campagnes pour en venir à bout et la
région ne fut pas considérée comme pacifiée avant 1903.

3. L’Afrique orientale
Dans les années 1875, le sultan de Zanzibar contrôlait en théorie la côte
depuis l’actuelle Somalie au Nord jusqu’à la Rovuma au Sud, mais ses
possessions étaient en crise depuis le recul des activités de traite et il n’avait
pas les moyens de les protéger. En 1876, il fit appel aux capitaux privés
britanniques afin de se reconvertir en des activités licites et pour ouvrir
l’intérieur à un commerce non esclavagiste.
C’est alors que William Mackinnon qui avait construit le câble sous-
marin Europe -Zanzibar et qui possédait des navires faisant la ligne Europe-
Afrique orientale, répondit à l’offre du sultan. En 1877 il obtint de lui la
concession de la région de Mombasa dans l’actuel Kenya. En 1878, il
l’offrit à la couronne britannique qui refusa d’en prendre possession car elle
ne voulait pas se trouver impliquée dans la région.
En 1887, Mackinnon et ses associés fondèrent la BEA (British East
Africa Association) dont le but était commercial. Le sultan de Zanzibar lui
accorda des droits sur le littoral au nord et au sud de Mombasa. En 1888,
Londres qui ne voulait toujours pas avoir à administrer la région octroya
néanmoins à la BEA une charte aux conditions suivantes :
– aucune aide financière britannique ne lui serait accordée ;
– les financements se feraient exclusivement sur fonds privés ;
– aucun monopole commercial garanti ne lui serait donné ;
– aucune initiative politique ou administrative ne pourrait être prise sans
l’aval de Londres.

La question du Buganda
La région fut approchée à la fois par le Nord, depuis l’Égypte et par l’Est, à partir de
l’océan Indien.
1. La route du Nil : En 1872, quand le khédive Ismaël nomma Samuel Baker
gouverneur de la province égyptienne d’Equatoria, son but était d’annexer toute la
région du haut Nil, dont le Buganda, mais il échoua au Bunyoro tant l’opposition du
roi Kabarega fut forte. En 1874, après cet échec, Baker fut remplacé par Charles
Gordon qui entreprit une progression systématique dans la région en y construisant
une ligne de postes et en confiant l’exploration du lac Albert à deux Italiens, Carlo
Piaggia et Romolo Gessi (Gessi Pacha). Parallèlement, il tenta d’entrer en contact
avec Mutesa, le kabaka (roi) du Buganda en envoyant trois expéditions à sa
capitale Rubaga. La première, celle de 1874, fut dirigée par l’Américain Charles
Chaillé-Long, la seconde qui date de 1875 le fut par le Français Louis-Maurice
Linant de Bellefonds et la troisième, en 1876, par l’Allemand Edouard Schnitzer dit
Emin Pacha (Prunier, 1992b).
2. La route de l’océan Indien : En 1875, quand H.M. Stanley arriva à la cour du
Buganda, le roi Mutesa vit en lui un contrepoids aux ambitions soudano-
égyptiennes et zanzibarites. Conscient du problème posé par la poussée
musulmane dans la région, l’explorateur proposa au souverain d’accueillir des
missionnaires chrétiens. De fait, au mois de juin 1877, le révérend C. Wilson de la
Church Missionary Society arriva au Buganda, suivi au mois de février 1879, du RP
Siméon Lourdel de la Société des Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique (Pères
Blancs)17.

Tous les problèmes étaient donc laissés à la charge de la BEA et cela sans
aucune aide ni garantie de l’État. Au mois de septembre 1888 la BEA se
transforma en IBEAC (Imperial British East Africa Company).
Londres fut cependant contrainte d’intervenir car régionalement le
contexte avait changé :
– en 1888 le sultan de Zanzibar entra en conflit avec les agents de
l’IBEAC ;
– au même moment les Italiens étaient de plus en plus présents au nord
de Kismayo ;
– les Arabes qui ne pouvaient plus pratiquer le commerce des esclaves
exigeaient des compensations.
De plus, Mackinnon, chargé par Londres d’étendre l’influence de
l’IBEAC dans la région du Buganda, éprouvait de grosses difficultés.
Revenons en arrière pour mieux comprendre la question qui se posait alors.
Pendant l’épisode Emin Pacha dont nous avons parlé plus haut, une
expédition allemande de secours dirigée par Karl Peters avait débarqué
clandestinement sur le littoral de l’Afrique orientale18 ; mais au moment où
sa caravane allait s’ébranler, Karl Peters apprit qu’Émin était rentré. Il avait
tout de même pris la direction du lac Nyanza (Victoria). Parvenu à la cour
du roi Mwanga du Buganda, appuyé par les missionnaires catholiques, il lui
fit signer un traité de protectorat19. Or, Berlin ne fit rien de ce document car
Bismarck, qui allait bientôt être écarté des affaires refusait toujours d’être
entraîné dans la région. La prudence du chancelier allemand s’expliquait car
trois problèmes majeurs se posaient au Buganda :
– le premier était la lutte d’influence que s’y livraient les missions
catholiques et protestantes ; or, il ne voulait pas que des tensions
coloniales viennent perturber les délicats rapports politiques et religieux
en Allemagne même ;
– le second était la forte présence musulmane dans le royaume ;
– le troisième était que la guerre civile avait éclaté entre clans baganda
opposés et il ne désirait pas voir l’Allemagne s’y impliquer.
Après le départ de Bismarck, le premier ministre britannique, Lord
Salisbury, proposa des négociations et le 1er juillet 1890 fut conclu un Traité
anglo-allemand portant sur les limites des sphères d’influence des deux
pays en Afrique orientale. Pour Londres le succès était considérable et
même inespéré, car le chancelier Caprivi, successeur de Bismarck, avait
abandonné les droits allemands sur l’Ouganda, tout en renonçant à
revendiquer la Côte de la future Somalie et la région située au nord du
Kilimanjaro. Londres se voyait également reconnaître le protectorat sur
Zanzibar. En échange, l’Allemagne avait obtenu l’île d’Héligoland située en
mer du Nord, ainsi que le droit d’acheter au sultan de Zanzibar le littoral
continental faisant face à l’île.
Dans les cercles coloniaux allemands, l’indignation fut réelle, et l’accord
anglo-allemand présenté comme un marché de dupes. Le gouvernement du
Reich, qui était conscient des avantages concédés à la Grande-Bretagne,
espérait qu’en échange ses rapports avec Londres seraient assainis. La
France fut l’autre grand bénéficiaire de l’accord. Elle n’accepta en effet le
nouveau partage est-africain que contre la reconnaissance par l’Angleterre
du protectorat français à Madagascar. Londres, qui céda, montrait ainsi la
réelle importance de ses gains en Afrique orientale.
L’Angleterre qui avait donc réussi à écarter l’Allemagne du Buganda, ne
prit pas immédiatement possession du royaume. Cependant, Salisbury aida
Mackinnon à faire de l’Ouganda le pivot entre l’Est africain, la vallée du
Nil et la Méditerranée. Le but était de prolonger la voie ferrée depuis le
littoral de l’actuel Kenya jusqu’à l’Ouganda, mais la dépense était
considérable et les parlementaires anglais s’y opposèrent. Salisbury eut
alors l’habileté d’expliquer que cette voie ferrée allait servir à encore mieux
lutter contre les esclavagistes. Dès lors le projet fut soutenu par les
philanthropes et par les puissantes associations anti esclavagistes qui
vinrent ainsi en renfort du mouvement impérialiste.
En 1891, l’IBEAC qui était à bout de ressources annonça qu’elle allait
être contrainte de se retirer d’Ouganda. Les missionnaires protestèrent
vivement et ils déclenchèrent une puissante campagne d’opinion en Grande-
Bretagne même sur un thème très mobilisateur qui était que si l’IBEAC
quittait la région, l’esclavage allait y reprendre. Le cabinet Gladstone fut
constitué en 1892 et Lord Rosebery qui en était secrétaire d’État aux
colonies était partisan de l’instauration du protectorat sur l’Ouganda. Dans
l’immédiat, il accorda des subsides à l’IBEAC afin qu’elle puisse tenir
encore quelques mois.
Au mois de mars 1894, Rosebury, le continuateur de Gladstone après la
démission de ce dernier pour raisons de santé, devint Premier ministre et au
mois d’août 1894 le Buganda fut placé sous protectorat britannique. Le
territoire englobait alors tout l’ouest de l’actuel Kenya.
En 1895, l’IBEAC qui avait permis l’implantation britannique dans la
région fut dissoute. Le reste du Kenya devint l’EAP (East African
Protectorate). En 1896 le protectorat du Buganda fut étendu au Toro, au
Nkore (Ankole), au Busoga et au Bunyoro qui furent réunis au Buganda
pour former ensemble l’Ouganda qui, jusqu’en 1900, fut administré à partir
de Zanzibar où résidait un consul général. Après 1900 un Commissaire
britannique résidant à Mombasa le remplaça. En 1895, débutèrent les
travaux du chemin de fer de l’Ouganda qui fut achevé en 1902, et qui
permit de relier le littoral de l’océan Indien au lac Victoria.
Dans l’actuel Kenya, les Kikuyu avaient été approchés par un
missionnaire allemand, Johan Ludwig Krapf qui avait découvert le mont
Kenya en 1849. Il avait cependant fallu cependant attendre les années 1887
pour qu’une véritable expédition de reconnaissance se fasse avec la
traversée du pays kikuyu, du Sud au Nord, par le comte Teleki von Szek
accompagné du lieutenant Ludwig von Höhnel. Le premier poste établi en
territoire kikuyu le fut en 1890 par l’IBEAC dans la région de Kiambu, à
peu de distance au nord de l’actuelle ville de Nairobi20. Le protectorat
britannique sur le futur Kenya fut déclaré en 1895.

4. Le système colonial britannique


Le système britannique de colonisation fut profondément différent du
« modèle » français :
« Pour les Anglais, l’utilitarisme demeure le principe de l’entreprise
(coloniale). En dehors de cette règle vitale, pas de solutions théoriques,
pas de vastes plans préconçus : un empirisme résolu qui varie au
possible les formules de commandement, une souplesse à toute épreuve
qui suggère, selon les besoins du moment, une attitude oppressive ou
les plus simples concessions. Pas de sentiment non plus : ni
attendrissement ni rancune, une égale horreur des faiblesses et des
duretés inutiles ; un orgueil tranquille qui repose sur la conscience
d’une supériorité indiscutable et qui maintient naturellement les
distances entre le maître d’œuvre et les exécutants. Du même coup, une
solide indifférence à l’égard des idées et des coutumes locales, une
singulière facilité à se contenter d’administration indirecte, le dédain du
rapprochement humain et du rayonnement moral. Mais une vigilance
extrême, une énergie tenace, une continuité d’action qui permet de
corriger les excès ou les erreurs et qui, sous d’apparentes
contradictions, attache à la même œuvre les partis les plus opposés
[…] » (Hardy, 1937 : 341-342).
Les territoires sous souveraineté britannique furent souvent, mais pas
toujours, administrés par l’intermédiaire de leurs chefs traditionnels, les
Native Authorities, non seulement maintenus, mais reconnus. Ils exerçaient
leurs pouvoirs sous le contrôle des District Commissioners ou des Districts
Officers. Ces chefs traditionnels étaient représentés dans les deux conseils
assistant le gouverneur britannique, le conseil exécutif et le conseil
législatif.
Ce qui, pour le grand public, caractérise généralement le système
administratif britannique à savoir l’Indirect Rule ne s’appliquait pas partout
et il pouvait même coexister avec d’autres systèmes. C’est ainsi qu’en
Rhodésie du Sud, les Blancs gérèrent leurs affaires à partir de 1923 tandis
que les territoires tribaux étaient, selon les cas, soit sous administration
directe militaire, soit placés sous le contrôle des Native Authorities.
Dans les années 1930, la règle générale fut le self-government. Le
système connaissait cependant de grandes différences régionales,
notamment entre les possessions de l’Ouest et de l’Est africain21. Dans un
premier temps, les self-governments n’existèrent que dans la British West
Africa et dans aucun des territoires de l’Est, il n’y eut de participation
africaine aux Conseils législatifs et exécutifs avant 1939.
Les Britanniques appliquèrent l’Indiret rule dans leurs protectorats du
Nyassaland, du Bechuanaland, de l’Ouganda et du nord du Nigeria où
existaient de puissantes chefferies ou sultanats. Au sud du Nigeria, là où
l’émiettement ethnique était la règle, l’administration fut plus directe. En
Gold Coast où les Ashanti constituaient une société structurée au brillant
passé, les Britanniques s’appuyèrent au contraire, sur les Fanti, leurs rivaux
vivant sur le littoral. Au Soudan, ils définirent une politique originale faite
par les administrateurs du Sudan Civil Service qui étaient des agents de la
Couronne maintenus longuement sur place et excellents connaisseurs des
langues et des traditions locales. Ce personnel d’une exceptionnelle
compétence permit aux populations du Sud-Soudan de continuer à vivre
selon leurs coutumes originales et profondément différentes de celles du
Nord Soudan musulman.
En définitive, la Grande Bretagne laissa en place les autorités
traditionnelles et gela les rapports de force, comme à Zanzibar par exemple,
où elle maintint la minorité arabe au pouvoir. Plus généralement, le système
britannique réussit là où les structures de pouvoir de l’époque précoloniale
étaient fortes. Quand il y avait dispersion ou longue pénétration
européenne, ce ne fut pas le cas. Ainsi au Nigeria, chez les Yoruba et chez
les Ibo, ce furent les élites anciennement européanisées et évangélisées qui
s’y opposèrent car elles y voyaient un moyen utilisé par la Grande-Bretagne
pour maintenir son pouvoir.

1. Pour l’état de la question concernant l’impérialisme britannique, on se reportera à : Newbury


(1999 : 624-650) et à Flint (1999 : 450-462).
2. Dans son entreprise coloniale Londres opéra une « sélection spatiale » à l’échelle du globe, en
prenant le contrôle des carrefours maritimes essentiels pour elle et des espaces vierges ou très peu
peuplés dans lesquels elle pût édifier des colonies de peuplement (Canada, Australie, Nouvelle-
Zélande).
3. À Kimberley, les diamants se trouvaient dans de véritables filons, des « tuyaux », et non pas dans
des sables alluviaux comme à la confluence des trois rivières citées ci-dessus. Ces filons devaient
être suivis en profondeur et, rapidement, les petits prospecteurs indépendants furent contraints de se
mettre au service de sociétés capables d’investir dans l’achat d’engins coûteux et sophistiqués. La
concentration industrielle fut même très rapide puisque, dès 1890, la De Beers Mining Company,
fondée en 1880 par Cecil Rhodes, produisait 90 % de tous les diamants extraits en Afrique australe.
4. Ou ZAR (Zuid-Afrikaansche Republiek), ou Transvaal.
5. Ils cherchaient à s’enrichir, buvaient, fréquentaient les filles de « mauvaise vie » qui suivaient leur
installation, et ne respectaient même pas les interdits du dimanche. Pour les Boers, ils vivaient donc
comme des païens.
6. Le paradoxe de la situation était réel, comme ne manqua pas de le noter le chef du parti libéral, Sir
Henry Campbell Bannerman, quand il déclara à propos de la question uitlander : « Il serait tout à
fait curieux de partir en guerre pour permettre à des citoyens britanniques de changer de
nationalité ». (cité par Wesseling, 1996 : 442, note 190). Kruger exigeait de ces étrangers blancs
leur soumission aux lois du Transvaal. Le choix qu’il leur proposait était clair : « C’est mon pays [.]
ceux qui ne veulent pas obéir à ses lois n’ont qu’à le quitter », avait-il coutume de dire.
7. La commission d’enquête qui fut constituée mit le gouvernement britannique hors de cause ; ni le
ministre des colonies Chamberlain ni Sir Hercules Robinson, le gouverneur, ni même Cecil Rhodes
n’eurent de comptes à rendre. En revanche, Jameson et son lieutenant Willoughby furent
condamnés à quinze mois de prison. Quatre mois plus tard, Jameson fut libéré pour raisons
médicales. Alors que le raid brisa net la carrière de Rhodes, il propulsa au contraire Jameson,
devenu un héros pour les impérialistes du Cap qui l’élirent député en 1900. Il fut ensuite chef du
parti progressiste, avant de devenir Premier ministre de la Colonie du Cap de 1904 à 1908.
8. Lugan, 1998a : 95-118.
9. Les Boers suscitèrent en effet un immense courant de sympathie en Europe où les opinions
publiques s’enflammèrent pour leur cause. Ils devinrent les héros à la fois de la gauche qui en fit les
champions du combat anticolonialiste et de la droite qui vit en leur lutte l’enracinement opposé au
« cosmopolitisme anglo-saxon ».
10. À un diplomate allemand qui lui faisait remarquer que son attitude était suicidaire, en raison de la
disproportion des forces, Paul Kruger répondit : « Supposez que vous marchez sur un chemin avec
pour seule arme un canif et qu’un lion croise votre route, seriez-vous assez fou pour l’attaquer avec
ce canif ? « Évidemment non » lui dit le diplomate. « Mais, si le lion vous attaquait, seriez-vous
assez lâche pour ne pas vous défendre, même avec votre canif » interrogea Kruger ? « J’utiliserais
tout ce qui est en ma possession pour tenter de sauver ma vie » répondit le diplomate. « Vous avez
la réponse à votre remarque » lui déclara alors le président.
11. Durant les trois années de ce conflit, les Britanniques perdirent 21 942 morts contre 5 000 chez
les Boers, mais 27 927 femmes et enfants boers avaient péri dans les camps de concentration, soit
environ 15 % de la population boer totale.
12. L’Union sud-africaine était née de la fusion des deux anciennes Républiques boers du Transvaal
et de l’Orange et des colonies britanniques du Cap et du Natal. Le nouvel État devenait un
Dominion avec un gouvernement autonome. Les trois protectorats anglais du Basutoland (l’actuel
Lesotho) du Bechuanaland (l’actuel Botswana) et du Swaziland, ainsi que la Rhodésie du Sud qui
n’avait pas désiré rejoindre l’Union, continuèrent à être administrés par Londres.
13. Entre les deux conceptions, la différence était sensible ; elle annonçait les combats politiques
futurs qui allaient entraîner la rupture progressive avec la Grande-Bretagne. Botha avait pour but la
fusion et l’unification des deux communautés blanches afin de créer une nation sud-africaine
blanche. Hertzog n’était pas adversaire de la nécessaire coopération entre anglophones et
Afrikaners, mais il combattait en revanche l’idée d’assimilation car, selon lui, toute intégration,
toute fusion aurait fait perdre leur âme aux deux peuples.
14. C’est en Afrique du Sud où il arriva en 1893 que le Mahatma Gandhi commença sa carrière
politique. Dès 1894, il fonda le NIC (Natal Indian Congress) ; c’est lui qui introduisit le terme
Congress en Afrique du Sud, que l’ANC reprit. Pendant la guerre des Boers, il créa une unité
d’ambulanciers. Après 20 ans de militantisme en Afrique du Sud, il rentra en Inde au mois de
janvier 1914.
15. En 1901, Orabi Pacha fut autorisé à revenir en Égypte où il mourût dans l’oubli en 1911.
16. Celle du 8 avril 1898 sur les bords de l’Atbara, celle de Karari près d’Omdurman le 2 septembre
1898 et celle d’Umn Diwaykrat au Kordofan le 24 novembre 1899 à l’issue de laquelle le calife fut
retrouvé, mort, sur son tapis de prière. Tous les chefs mahdistes avaient été tués ou faits prisonniers.
17. Bientôt, catholiques et protestants se livrèrent une guerre d’influence acharnée, cependant que les
musulmans profitaient de leurs divisions. En 1882, les Pères quittèrent le Buganda, mais ils
laissaient derrière eux des convertis. À la mort de Mutesa, son fils Mwanga II (1884-1897) les
persécuta. En 1885, l’évêque anglican James Hannington fut assassiné et le 3 juin 1886, 22
chrétiens furent brûlés à Namugongo (13 catholiques et 9 protestants). Ils furent béatifiés en 1920
par le pape Benoît XV et canonisés par le pape Paul VI en 1964. Catholiques, protestants,
musulmans, tous eurent leurs partisans au Buganda et dans le futur Ouganda où des clans entiers
ayant fait le choix politique d’adhérer à l’une ou l’autre de ces religions importées, le facteur
religieux allait dès lors amplifier les divisions ethniques.
18. Peters, C., (1895) Au secours d’Émin Pacha (1889-1890), Paris.
19. Au Buganda, en 1888, les catholiques, les protestants et les musulmans s’étaient ligués pour
détrôner Mwanga et les musulmans avaient réussi à mettre Kalema sur le trône. Au mois de
février 1890, catholiques et protestants s’allièrent pour rétablir Mwanga qui devint l’allié des
premiers. Les Pères Blancs le poussèrent ensuite à jouer la carte allemande contre les Britanniques,
considérés comme alliés des protestants, et c’est pourquoi Mwanga signa l’accord de protectorat
avec Karl Peters. De retour à la côte, Karl Peters apprit qu’à la suite de la déclaration du 19 août
1889, le Buganda était situé dans la zone d’influence britannique
20. Les autres fondations en pays kikuyu furent plus tardives puisque Fort Hall ne fut fondé
qu’en 1901, Meru qu’en 1908 et Chuka juste à la veille du premier conflit mondial, en 1913.
21. Londres ne craignit pas les interventions directes faites en violation des Traités. Ainsi en
Ouganda où le royaume du Buganda, une des composantes territoriales de l’Uganda britannique,
était géré par le Foreign Office et non par le Colonial Office. Dans les années 1950, quand le
Kabaka (roi) du Buganda voulut se séparer de l’Uganda et devenir indépendant, Londres n’hésita
pas à violer le statut du protectorat. Comme la France le fit au Maroc avec le sultan Mohamed Ben
Youssef qu’elle détrôna le 20 août 1953, en Uganda, le 30 novembre 1953, Mutesa II fut destitué et
exilé au Canada, avant d’être rétabli dans ses fonctions et prérogatives le 17 octobre 1955.
Chapitre II.
La France en Afrique

Au lendemain des guerres de la période révolutionnaire, la France


possédait en Afrique, outre l’île Bourbon (La Réunion), quelques petits
comptoirs sur la côte malgache, l’île de Gorée et Saint-Louis du Sénégal.
Économiquement parlant, elle n’avait alors pas besoin de colonies. Durant
les années 1793-1815, n’avait-elle pas conquis l’Europe sans en posséder ?
Jusque dans les années 1880, qu’auraient d’ailleurs pu lui fournir des
colonies ? Des esclaves ? Le commerce en était interdit. Du sucre ? La
France avait avantageusement remplacé la canne à sucre par la betterave
sucrière. Des épices ? Ils abondaient sur le marché mondial et les acheter
aux Hollandais revenait moins cher qu’envisager de les produire dans des
colonies à conquérir, à pacifier, à administrer, à organiser, à peupler, à
équiper et à défendre. Quant à l’industrie française, elle n’avait pas
davantage besoin de domaines d’exportation réservés car les débouchés
européens lui étaient largement suffisants. Et enfin, la France n’était pas un
pays d’émigration. Et pourtant, dans les années 1885-1890, elle s’engagea
dans un puissant mouvement d’expansion outre-mer et notamment en
Afrique. Pourquoi ?

A. Le temps des hésitations


Jusque dans les deux dernières décennies du XIXe siècle, la France n’eut
pas de véritable doctrine coloniale. Plus encore, la question de savoir s’il lui
fallait ou non des colonies fut régulièrement posée et longtemps, les
adversaires de la création d’un empire colonial l’emportèrent sur les
partisans de la « plus grande France ».
1. La première doctrine coloniale française.
Sous la Monarchie de juillet, la politique coloniale de la France reposa
sur des points d’appui. François Guizot (1787-1874), la définit très
précisément dans un discours qu’il prononça alors qu’il était ministre des
Affaires étrangères :
« […] il convient peu à la politique et au génie de la France de tenter, à
de grandes distances de son territoire, de nouveaux et grands
établissements coloniaux et de s’engager à leur sujet dans de longues
luttes, soit avec les naturels du pays, soit avec d’autres puissances. Mais
ce qui convient à la France, ce qui lui est indispensable, c’est de
posséder, sur les points du globe qui sont destinés à devenir de grands
centres de commerce et de navigation, des stations maritimes sûres et
fortes qui servent d’appui à notre commerce, où il puisse venir se
ravitailler et chercher un refuge […] (Discours à la Chambre des
Députés le 31 mars 1842)
C’est en application de cette doctrine que la France prit peu à peu
possession de points d’appui sur le littoral, et c’est à partir de ceux-ci qu’à
l’époque suivante, elle lança un puissant mouvement de conquête
territoriale.

La création des troupes coloniales


Avant la révolution de 1789, les troupes de marine avaient en charge la conquête des
colonies. La défense tactique et les expéditions d’exploration relevaient des troupes
recrutées en métropole par les compagnies commerciales et la police de milices
levées localement parmi les colons.
Les troupes de marine intervinrent par deux fois, en 1677 et en 1779, pour conquérir
ou reprendre les établissements du Sénégal, mais la Compagnie des Indes
occidentales, recruta des soldats noirs pour protéger les maisons de commerce
installées à la côte ou dans l’intérieur, le long du fleuve. Composé de Français
métropolitains, le Bataillon d’Afrique créé au mois d’avril 1763 par le ministre
Choiseul, ayant été décimé par les fièvres et rapatrié en France, en 1765, du
Mesnager, le gouverneur des établissements français du Sénégal, leva une unité
locale, les Laptots de Gorée dans laquelle servaient à des grades différents, toutes
les composantes de la population de la colonie : colons blancs, métis, noirs libres,
esclaves.
« Le terme laptot signifiant matelot ou mousse en langue wolof désigne à l’origine en
Afrique de l’ouest les matelots ou les bateliers indigènes au service de l’armée
française. Les laptots sont vêtus d’une longue culotte à la matelote de toile blanche
ou grise et d’un gilet ou veste courte de même étoffe, avec boutons blancs, col jaune
et turban à la turque à fond blanc, revers jaune et houppe de laine jaune. Ils sont
armés d’une lance de 2,43 m à banderole jaune. Leurs chefs portent un habit court
ou une grande veste blanche avec collet et paremement “à la polonaise” jaune et une
petite veste courte et jaune. Ils sont armés d’épées ou de sabres et de fusils avec
baïonnettes et gibernes » (Champeaux et Deroo, 2006).
Cette unité fut dissoute au début de la période révolutionnaire quand le décret du
21 juillet 1791 supprima les corps spéciaux. En 1796, le Directoire envoya à Gorée
un détachement de Noirs antillais et durant le Consulat, deux compagnies indigènes
furent recrutées sur place. En 1802 un corps de Volontaires du Sénégal fut créé,
mais sa piètre conduite au feu entraîna la capitulation de Saint-Louis du Sénégal
devant les Anglais au mois de juillet 1809. En 1818 fut créé le 1er bataillon d’Afrique
qui devint bataillon de Gorée en 1823. En 1831, sous la monarchie de Juillet,
naquirent les troupes coloniales : infanterie de marine (marsouins), artillerie de
marine (bigors) et légion étrangère. Pour ce qui est des troupes indigènes, leur
création s’était faite en Algérie avec les spahis, plus tard avec les tirailleurs. En
Afrique noire, les troupes indigènes, notamment les tirailleurs sénégalais, furent
créées en 1857 (Champeaux et Deroo, 2006).
À la Chambre des Députés, Jean Jaurès s’éleva contre la constitution d’une armée
coloniale recrutant des indigènes car il y voyait une menace pour le prolétariat
français :
« Quand 120 000 hommes pourront être brusquement mobilisés à la moindre alerte
des troubles civils et des antagonismes sociaux, ils deviendront une armée
prétorienne au service de la bourgeoisie et du Capital. » (Cité par Dubois, 1985 : 116)

Entre les années 1820 et 1870 les marins portèrent à eux seuls la
politique d’expansion coloniale et cela, dans la quasi-indifférence de la
métropole. Ils furent particulièrement encouragés par le marquis de
Chasseloup-Laubat, ministre de la Marine de 1859 à 1867. Leur but était
avant tout de marquer leurs rivaux anglais, et à chaque fois que ces derniers
semblaient s’intéresser à une zone du littoral africain, les marins français
s’y montraient entreprenants. C’est ainsi que le ministère de la Marine joua
de toute son influence dans une première période, entre 1837 et 1843, pour
pousser le gouvernement à proclamer le protectorat français à Nossi-Bé
dans le nord-est de Madagascar et aux Comores afin de montrer aux
Anglais qu’en dépit de la perte de l’île Maurice, la France ne renonçait pas
à exercer une présence dans l’océan Indien. C’est toujours le ministère de la
Marine qui fit occuper l’estuaire du Gabon dans le golfe de Guinée, ainsi
que Grand Bassam et Assinie dans la future Côte d’Ivoire.
Sous le Second Empire, des confettis coloniaux furent ensuite
rassemblés, toujours par la Marine, tant en Indochine, qu’au Sénégal, sur la
côte des Somalis ou encore en Nouvelle-Calédonie. Mais l’échec de
l’aventure mexicaine suivie de la défaite de 1870 face à la Prusse mirent
provisoirement un terme aux velléités expansionnistes outre-mer, à
l’exception du Sénégal.
Héritage de l’ancien empire d’avant 1763, le Sénégal a longtemps vivoté
dans l’oubli et l’indifférence de la métropole. En 1837, la colonie abritait
moins de 500 Français, fonctionnaires compris. La population européenne
augmenta sensiblement dans les années qui suivirent avec l’installation des
Frères de Ploërmel à Saint-Louis en 1841 et à Gorée en 1843, puis des
Pères du Saint-Esprit à Dakar. En 1850, une commission d’enquête fut
envoyée au Sénégal afin de savoir ce qu’il convenait de faire de cette
possession qui se limitait alors à quelques comptoirs sur la côte et le long
du fleuve. Ses conclusions et ses recommandations contenaient le préalable
qui allait définir la future politique française dans la région, à savoir la
nécessité d’assurer la sécurité sur le fleuve. Cette politique fut mise en
application par Louis Léon César Faidherbe, gouverneur de 1854 à 1861 et
de 1863 à 1865. Ce polytechnicien originaire de Lille appartenait au corps
des ingénieurs. Il avait une expérience africaine acquise essentiellement en
Algérie où il avait servi de 1842 à 1847. Ami de Victor Schoelcher, réputé
franc-maçon, authentique républicain, admirateur de la Révolution de 1848,
Faidherbe était inspiré par la philosophie des Lumières. Il voulait faire de la
colonie du Sénégal un ensemble économique viable, exportateur
d’arachides et de gomme arabique. Cette politique passait par une
expansion en direction du haut fleuve or, ces régions dépendaient de
puissants États islamiques qu’il allait falloir soumettre. Dès 1859 Faidherbe
avait cherché à en savoir plus sur ces régions et c’est pourquoi il avait
encouragé des voyages d’exploration. Le plus connu et le plus réussi fut
celui entrepris par le lieutenant de Vaisseau Mage et le docteur Quintin
auxquels avait été confiée la périlleuse et incertaine mission d’atteindre
Ségou, la capitale d’El-Hadj Omar, de faire signer à ce dernier un traité
d’amitié et d’obtenir de lui l’autorisation d’établir des comptoirs
commerciaux entre Médine et le Niger. Parvenus à Ségou, ils y furent
retenus prisonniers durant deux années, mais ils s’acquittèrent finalement
de leur mission puisque le fils d’El-Hadj Omar, Ahmadou signa un traité
avec la France.
Les successeurs de Faidherbe, et notamment Pinet-Laprade, gouverneur
de 1865 à 1869, commencèrent à réaliser cette politique expansionniste.
Nous avons dit que la défaite de 1870 face à la Prusse mit provisoirement
en sommeil les projets français. Ils furent repris sous le ministère de Charles
de Freycinet, constitué en 1879, quand l’amiral Jauréguiberry reçut le
portefeuille de la Marine et des Colonies. Au mois de septembre 1880, peu
avant son départ du ministère, l’amiral1 mit le Soudan occidental sous
autorité militaire et confia la direction des opérations dans tout le haut
Sénégal au lieutenant-colonel Gustave Borgnis-Desbordes2. L’option
militaire était donc privilégiée puisque les pouvoirs du gouverneur résidant
à Saint-Louis étaient de fait attribués au commandant militaire de la zone
intérieure. Borgnis-Desbordes entreprit rapidement de mettre sur pied des
opérations contre les États islamiques de la région qui s’étaient constitués à
la suite de guerres saintes dévastatrices qui avaient bouleversé la carte de
l’Afrique occidentale. Au mois de février 1883, un an avant le début de la
Conférence de Berlin, Bamako fut occupée

2. Le débat colonial
Lors du Congrès des Nations de Berlin réuni à l’initiative de Bismarck
entre le 13 juin et le 13 juillet 18783, le partage des dépouilles ottomanes
donna lieu à d’âpres marchandages. L’Angleterre qui avait obtenu l’île de
Chypre sans contestation française se devait de lui offrir une compensation.
Comme un tel « dédommagement » ne pouvait être pris que sur des
territoires appartenant à la Turquie, la Régence de Tunis, pourtant convoitée
par Rome fut attribuée à Paris qui ne s’empressa pas d’en prendre
possession. La France était en effet en phase de grande interrogation et
n’avait pas encore choisi entre « Revanche » et colonisation. Le fond du
problème était de savoir si elle avait les moyens de préparer la reconquête
des provinces perdues en 1870 face à la Prusse, donc de se lancer tôt ou tard
dans une nouvelle guerre contre l’Allemagne, tout en développant une
politique de constitution d’un empire colonial.
C’est sous l’influence de Jules Ferry4 que la France de la Troisième
République s’engagea dans la voie de la constitution d’un empire colonial5.
En 1874, Paul Leroy-Beaulieu avait publié De la colonisation chez les
peuples modernes, livre qui eut un grand retentissement car les thèses qu’il
y développait étaient singulièrement novatrices. Il distinguait en effet deux
grandes formes de colonisation. La première était le fait de peuples pauvres
cherchant des terres pour des populations trop nombreuses, ce qui avait été
le cas de la colonisation américaine ou australienne. Selon lui, une
colonisation moderne devait au contraire être élitiste, donc sans émigrants
colons, et réservée aux pays riches. Avec cette forme d’expansion, plus de
recherche de terres à cultiver ou d’espaces à peupler, mais des transferts de
capitaux, de techniques, de moyens, de cadres, afin de mettre en valeur les
pays colonisés avec une volonté d’en civiliser et d’en éduquer les
populations. En ayant fait de ces dernières des partenaires du Progrès et non
des sujets, il serait donc possible de partager avec elles les profits de
l’opération, sans qu’il soit nécessaire de leur retirer leur liberté. Ainsi, selon
Leroy-Beaulieu, serait réussie la synthèse entre l’universalisme des
Lumières porté par la France et l’intérêt économique mutuel bien compris.
L’approche de Leroy-Beaulieu libéra la gauche française d’une
contradiction qui la taraudait et qui était de savoir comment il était possible
de concilier la colonisation avec les idéaux de liberté portés par les
principes révolutionnaires de 1789. La réponse de la gauche française fut
donc claire : en faisant de la colonisation le vecteur des idéaux de 1789 !
Le premier ministère Ferry6 fut constitué le 23 septembre 1880 et durant
son exercice la France prit pied en Tunisie. Renversé en novembre 1881,
Jules Ferry eut pour successeur Léon Gambetta qui constitua son cabinet le
14 novembre et qui fut renversé à son tour le 26 janvier 1882. Le 30 janvier
fut constitué le second ministère Freycinet dans lequel Ferry retrouva le
portefeuille de l’Instruction publique et des Beaux-arts. Ce cabinet tomba le
30 juillet à propos de l’affaire d’Égypte, quand une coalition droite gauche
lui refusa les crédits nécessaires à l’expédition qui devait être organisée
conjointement avec la Grande-Bretagne.
Les deux brefs ministères d’E. Duclerc et d’A. Fallières succédèrent à
Freycinet, puis, le 21 février 1883, J. Ferry obtint à nouveau la confiance
des députés. Il constitua alors son second ministère durant lequel la France
prit pied dans l’Annam, au Tonkin, au Congo et à Madagascar. Redevenu
Président du conseil, Jules Ferry voulut mettre en pratique ses idées en
matière coloniale. Deux courants s’opposèrent alors. L’un défendait le
patriotisme continental et l’autre l’expansion coloniale (Ageron, 1973 : 69 ;
Biondi, 1993).
Le pseudo-désastre de Langson7 du 3 février 1885 fut connu à Paris le
25 mars et il provoqua un véritable tumulte à la Chambre. Le 30 mars 1885,
Jules Ferry demanda des crédits pour le Tonkin. Attaqué au parlement dès
le 26 par la droite et par les radicaux, les crédits pour « venger Langson »,
lui furent refusés par 273 voix contre et 227 pour. « Ferry-Tonkin » fut donc
renversé dans les invectives cependant que dans la rue, la foule manifestait,
le contraignant à sortir par une porte dérobée.
Lors des débats, Clemenceau avait été on ne peut plus clair. Pour lui, la
politique coloniale était une trahison puisqu’elle détournait des moyens
nécessaires à la « revanche » et parce que le pays ne pouvait pas tenir deux
fronts à la fois : l’Alsace-Lorraine et le Tonkin. En effet, affirmait-il avec
force, alors que la guerre pouvait éclater à tout moment avec l’Allemagne,
Jules Ferry affaiblissait les capacités militaires françaises en envoyant la
flotte et l’armée guerroyer au bout du monde. De même, n’aurait-il pas été
plus judicieux d’installer sur la frontière de l’Est les 50 000 hommes du
corps expéditionnaire de Tunisie ? Le général Jules Lewal, ministre de la
Guerre du 3 janvier au 30 mars 1885, exprimait la même idée en ces
termes : « 10 000 hommes aux colonies sont 10 000 hommes de moins sur
le continent ».
À droite, Paul Déroulède estimait qu’ :
« Avant d’aller planter le drapeau français là où il n’est jamais allé, il
fallait le replanter d’abord là où il flottait jadis, là où nous l’avons vu de
nos propres yeux ». (Paul Déroulède, Discours du Trocadéro,
octobre 1884)
Pour Paul Déroulède, la cause était entendue : jamais les colonies ne
pourraient offrir une compensation à la perte des provinces occupées par
l’Allemagne, l’Alsace et la Lorraine et c’est dans ce sens qu’il déclara à
Jules Ferry : « J’ai perdu deux sœurs, et vous m’offrez vingt
domestiques8 ».
Le 11 décembre 1884, devant le Sénat, le duc de Broglie, sénateur
monarchiste, déclara quant à lui :
« […] pour une nation momentanément affaiblie, un grand
développement colonial ; c’est une charge qui la grève, qu’elle ne peut
porter longtemps, et qui, avant de lui échapper, peut avoir amené la
ruine tout à la fois de la colonie et de la métropole […] (Les colonies)
affaiblissent la patrie qui les fonde. Bien loin de la fortifier, elles lui
soutirent son sang et ses forces. »
Le lorrain Jules Ferry fut profondément blessé pas ces accusations car il
refusait que l’on puisse le soupçonner de vouloir chercher dans les colonies
une compensation à la perte de l’Alsace-Lorraine que rien ne pouvait
remplacer. Pour lui, l’expansion coloniale ne devait pas se faire à la place
de la revanche, mais à cause d’elle car le « Recueillement » n’était selon
lui, rien d’autre que la contemplation d’« une blessure qui coulera
toujours ».
Le 28 juillet 1885, et à propos de la question de Madagascar, le débat fut
enfin ouvert par Jules Ferry lui-même qui voulait justifier sa politique
passée. Il articula son exposé autour de trois points qui constituent ce qui
est considéré comme étant sa « doctrine coloniale » :
1. économique : l’Empire devait offrir un débouché à la France9 ;
2. philosophique : la France « patrie des Lumières » se devait de faire
connaître aux peuples qui l’ignoraient encore ce message
universaliste10 ;
3. politique : créer à la France de nouvelles conditions de rayonnement
d’une grande puissance.
Jules Ferry posait une question fondamentale : était-il possible que la
France puisse s’ouvrir ces débouchés d’une manière pacifique ? Sa réponse
fut clairement négative car :
« […] à l’heure qu’il est, vous savez qu’un navire de guerre ne peut pas
porter, si parfaite que soit son organisation, plus de 14 jours de charbon,
et qu’un navire qui n’a plus de charbon est une épave abandonnée au
premier occupant ». (Chambre des députés, séance du 28 juillet 1885)
Or, les postes disséminés que possédait la France étant indéfendables, il
fallait donc impérativement élargir leur hinterland, ce qui ne pouvait se faire
de manière pacifique.
Quelques jours plus tard, toujours devant les députés, Clemenceau
répondit point par point à Jules Ferry. Au sujet de l’intérêt économique des
colonies il déclara ainsi :
« M. Jules Ferry a apporté ici un axiome. Il nous a dit : « La puissance
économique suit la puissance politique ». Voilà une formule […]. Si je
prends la Cochinchine, est-ce que la puissance économique suit la
puissance politique ? Les importations de la France en Cochinchine
sont de 5 millions, tandis que les étrangers importent près de
66 millions. La Cochinchine exporte en France 1 600 000 francs et à
l’étranger 78 millions. Par conséquent, en Cochinchine, la puissance
économique ne suit pas la puissance politique […]. Voilà pourquoi,
jusqu’à présent, notre principale exportation dans les colonies
nouvellement acquises, c’est le demi-milliard qu’elles nous ont coûté.
Voilà les débouchés que nous avons trouvés ; nous avons pris l’argent
français, l’argent des contribuables, qui serait productif en France, où il
aurait tant d’emplois utiles, et on l’a expédié au-delà des mers, d’où il
ne reviendra plus ». (Chambres des députés, séance du 30 juillet 1885)
Le lendemain, Clemenceau ajouta :
« C’est en augmentant incessamment les charges du budget que vous
prétendez vous ouvrir des débouchés, alors qu’il y a d’autres nations à
côté de nous qui, n’ayant pas fait la dépense de ces expéditions
coloniales, entrent en lutte avec nous sur le terrain même que nous
avons choisi. Comme elles ont des budgets qui ne sont pas grevés des
frais de ces expéditions, elles nous font une concurrence redoutable et
nous enlèvent le commerce jusque dans nos propres marchés. Nous
faisons la police pour elles et nous montons la garde pour qu’elles
puissent commercer en toute sécurité et gagner de l’argent à nos
dépens. Lors donc que, pour vous créer des débouchés vous allez
guerroyer au bout du monde, lorsque vous dépensez des centaines de
millions, lorsque vous faites tuer des milliers de Français pour ce
résultat, vous allez directement contre votre but : autant d’hommes tués,
autant de millions dépensés, autant de charges nouvelles pour le travail,
autant de débouchés qui se ferment […] les débouchés ne s’ouvrent pas
à coups de canon. » (Chambre des députés, Séance du 31 juillet 1885)
Des Républicains, des hommes de gauche, des laïcs militants furent donc
les initiateurs de la colonisation alors que toute la philosophie qui les
animait reposait pourtant sur le contrat social. Pourquoi ? La réponse est
claire : parce que la France républicaine avait un devoir, celui d’un aîné
devant guider son cadet non encore parvenu à l’éclairage des Lumières.
Pour eux, coloniser était donc un devoir révolutionnaire, d’autant plus que
la colonisation allait permettre de briser les chaînes des peuples tenus en
sujétion par les tyrans qui les gouvernaient (Bancel, Blanchard et Vergès,
2003).
Puis, au nom de la lutte anti esclavagiste et de l’évangélisation, la droite
nationaliste et catholique se rallia à la doctrine coloniale définie par Jules
Ferry, donc aux principes qu’elle combattait depuis 1789. La fusion fut
effective en 1890 quand, par le « toast d’Alger », le cardinal Lavigerie
demanda le ralliement des catholiques à la République. La France baigna
alors dans l’unanimisme colonial :
« […] le mot d’ordre commun est de « civiliser ». Il s’agit pour les
républicains de conquérir des débouchés indispensables à l’économie,
et en même temps d’apporter les Lumières au monde et faire rayonner
la civilisation de la France. Pour les missionnaires, il s’agit de diffuser
la religion catholique et de convertir ceux que l’on nomme alors des
« primitifs ». L’unanimité habite alors les deux camps, de la gauche à la
droite […] » (Marseille, 1993 : 16).

3. La Tunisie et Madagascar
En Tunisie, dans les années 1850, le bey Ahmad Ier (1837-1855) qui
voulait moderniser la régence l’avait considérablement endettée,
notamment auprès de banques françaises. En 1863, acculé, le bey
Mohamed II (Sadok Bey) (1859-1882) décida de doubler les impôts ce qui
provoqua un soulèvement de la population. En 1867, incapable de
rembourser ses emprunts et interdite d’en contracter de nouveaux, la
Régence de Tunis fut en situation de faillite. En 1869 elle passa sous le
contrôle de ses créanciers européens quand une commission financière
internationale s’installa à Tunis afin de prendre en charge la gestion
économique de l’État et garantir les remboursements de ses emprunts.
En 1878, c’était donc un État en totale banqueroute que les congressistes
de Berlin avaient offert à la France qui ne s’était d’ailleurs pas précipitée
pour en prendre possession. Les hésitations françaises répondaient alors à
quatre motifs :
– le premier était que Bismarck la poussait à agir ; or, Paris qui ne croyait
pas à l’attitude désintéressée du chancelier allemand, soupçonnait au
contraire une manœuvre de sa part. Nous savons depuis les travaux déjà
anciens de A. J. Taylor (1938) que Bismarck désirait se rapprocher de la
France en la soutenant dans son mouvement d’expansion outre-mer. En
réalité, c’était là un dérivatif qu’il pensait offrir à la volonté française de
revanche. De plus, Bismarck escomptait bien que cette politique
heurterait celle de Londres, ce qui empêcherait, par voie de
conséquence, toute alliance franco-britannique dirigée contre
l’Allemagne ;
– le second résultait du quasi-revirement britannique, Londres semblant
revenir sur les promesses faites à Berlin en 1878 ;
– le troisième avait pour fondement le dépit italien. La France qui
cherchait à constituer une alliance contre l’Allemagne hésitait en effet à
se brouiller à la fois avec Londres et avec Rome au seul avantage de
Berlin ;
– le quatrième motif était économique : la France ne voyait pas d’intérêt
à porter le fardeau de la faillite beylicale.
En 1881, l’analyse française changea dans la mesure où Bismarck qui ne
voulait pas voir l’Angleterre maîtresse de tous les verrous méditerranéens, à
savoir Gibraltar, Malte, Chypre et l’Égypte, pressa Paris d’intervenir,
menaçant, en cas de tergiversation de soutenir les revendications italiennes
sur la Tunisie. Au même moment, l’idée que la sécurité de l’Algérie passait
par le contrôle de la totalité du Maghreb s’imposait, tant à Alger qu’à l’état-
major ; dans ces conditions, il importait d’occuper la Tunisie.
Le gouvernement de Jules Ferry constitué au mois le 23 septembre 1880
décida alors de prendre le contrôle de la Tunisie. Le prétexte de
l’intervention fut offert au mois de février 1881 par une tribu vivant dans un
territoire partagé entre l’Algérie et la Tunisie, la Kroumirie, et qui viola une
frontière algéro-tunisienne dont elle ne comprenait pas le sens. Le 4 avril
Jules Ferry fit une déclaration solennelle au Parlement en annonçant qu’il
avait décidé de rétablir l’ordre sur la frontière algéro-tunisienne et le
24 avril, les colonnes françaises entraient en Tunisie. Le 12 mai 1881,
35 000 soldats se présentèrent devant le palais du Bardo, résidence du Bey
qui n’eut que deux heures pour étudier et signer le Traité du Bardo. En
paraphant cet acte de droit international passé entre deux États souverains,
le Bey ne renonçait pas à la souveraineté interne et, de plus, il se réservait le
droit d’entretenir une armée. Il était précisé que la présence française ne
devait être que provisoire :
« Son Altesse le Bey de Tunis consent à ce que l’autorité militaire
française fasse occuper les points qu’elle jugera nécessaires pour le
rétablissement de l’ordre et la sécurité de la frontière et du littoral […]
Cette occupation cessera lorsque les autorités militaires françaises et
tunisiennes auront reconnu, d’un commun accord, que l’administration
locale est en état de garantir le maintien de l’ordre. » (Traité du Bardo,
article 2)
Le 9 juin 1881 le Bey reconnut à la France représentée à Tunis par un
ministre résident, un rôle d’intermédiaire dans le domaine des « rapports de
la régence avec les représentants des puissances amies » accréditées. Cette
reconnaissance déclencha une crise parlementaire en France. En effet, à
l’automne 1881, lors de la rentrée du Parlement, Jules Ferry fut accusé
d’être allé au-delà du Traité du Bardo11 et d’avoir suivi cette politique hors
du contrôle des députés. L’opposition considéra donc que le texte signé le
9 juin était sans valeur. Jules Ferry démissionna alors et Gambetta lui
succéda.
La France prit pied à Madagascar en 1890, à la faveur d’un accord
international destiné à régler le contentieux opposant l’Allemagne,
l’Angleterre et le Portugal en Afrique orientale. Londres et Berlin qui
voulaient que leurs arrangements territoriaux soient officialisés par un
consensus des grandes puissances, décidèrent d’y associer la France, lui
reconnaissant en échange le droit d’intégrer Madagascar dans sa zone
d’influence.
Nous avons vu plus haut que, dans les années 1840, pour échapper à
l’emprise mérina, plusieurs chefs sakalaves avaient conclu des traités avec
des officiers de marine français. Depuis le début du XIXe siècle, le royaume
mérina était en mutation, ses souverains ayant engagé une politique de
modernisation de l’armée et de l’administration qui s’était traduite par une
ouverture du pays au monde extérieur. Les missionnaires protestants et
catholiques12 avaient afflué dans la « grande ile » où ils avaient engagé un
vaste programme de scolarisation des Mérina. Paradoxe politique français,
les députés de la droite catholique pourtant opposés à la politique
d’expansion coloniale qui détournait selon eux les ardeurs nationales de la
« Ligne bleue des Vosges », étaient au contraire partisans d’une intervention
militaire à Madagascar car ils avaient en tête la situation des missions
catholiques.
La France avait donc décidé de s’installer dans la « Grande île », mais
seul le motif de son intervention manquait encore. Il lui fut donné à partir
de 1881 quand les autorités malgaches qui déclarèrent illégale toute
propriété foncière détenue par des étrangers annulèrent un traité signé en
1868 et qui reconnaissait à des Français le droit de posséder de la terre. En
1883, Paris exigea une indemnisation tout en revendiquant le protectorat sur
Madagascar. Le gouvernement malgache refusa et une escadre française
bombarda, puis occupa plusieurs villes côtières.
Le 17 décembre 1885, fut signé le traité de Tamatave par lequel Paris qui
se voyait confier les relations extérieures du royaume reconnaissait les
pouvoirs, l’autorité et la souveraineté de la reine Ranavalona III sur la
totalité de l’ile alors qu’elle n’en contrôlait effectivement que les 2/3
environ. Le protectorat proprement dit ne fut reconnu par les puissances
qu’en 1890 à la suite d’un marchandage. Comme nous l’avons vu plus haut,
l’Allemagne et l’Angleterre s’étaient en effet entendues pour se partager le
littoral de l’Afrique orientale mais, pour que cet arrangement soit
officialisé, l’accord de la France était souhaitable. Or, Paris avait accordé
son blanc-seing contre la reconnaissance de son protectorat sur Madagascar.
La conquête pouvait débuter. Le 12 décembre 1894, l’armée française
occupa Tamatave, Diego Suarez, puis Majunga d’où un important corps
expéditionnaire marcha vers le plateau central, cœur du royaume. Le
30 septembre 1895, le général Duchesne faisait son entrée à Antananarivo à
la tête du corps expéditionnaire français qui venait de vaincre l’armée
malgache. Le 1er octobre, la reine Ranavalona III (1862-1917) et son
Premier ministre Rainilaiarivony acceptèrent le Protectorat français. Dans
les jours qui suivirent, une révolte nationaliste connue sous le nom de
« rébellion de Manalamba » se produisit et le 15 octobre 1896, accusés
d’être les chefs de l’insurrection, le nouveau ministre de l’Intérieur et
l’oncle de la reine furent fusillés. Le 6 août 1896, la France mit fin au statut
de protectorat et Madagascar devint une simple colonie. La monarchie fut
abolie en 1897 et la reine déposée par le général Gallieni avant d’être exilée
sur l’île de la Réunion, puis en Algérie où elle mourût en 1917.

4. Le tournant des années 1890


À partir de 1890, la France se lança avec ardeur dans la course aux
colonies. D’abord parce que les incertitudes sur la nature du régime
républicain avaient été définitivement levées avec l’échec du général
Boulanger en 1889, mais aussi en raison du ralliement des catholiques à la
République en 1892, évènement de grande portée préparé par Mgr Lavigerie
le 12 novembre 1890 avec le Toast d’Alger (Montclos, 1965, 1966).
Ensuite, parce que depuis 1887, année du rapprochement franco-russe, elle
n’était plus isolée diplomatiquement. L’alliance qui en sortit fut d’ailleurs
concrétisée entre 1892 et 1894, ce qui permit à la France de disposer d’un
allié sur les arrières de l’Allemagne.
Les équilibres diplomatiques que Bismarck avait tenté de maintenir tant
qu’il fut chancelier, étaient d’ailleurs en passe d’être totalement
bouleversés. Dans les années 1900, la Grande Bretagne prit en effet
conscience que l’Allemagne lui avait ravi la première place industrielle,
qu’elle la talonnait au point de vue commercial et qu’elle achevait la
constitution d’une puissante marine de guerre menaçant sa propre
suprématie navale. Un allié continental lui était donc nécessaire. La France
et l’Angleterre étaient donc faites pour s’entendre. Et pourtant les Français
étaient anglophobes, tandis que les Anglais étaient francophobes. L’affaire
de Fachoda, ne contribua pas à réchauffer les opinions publiques dans les
deux pays, mais l’habileté de Théophile Delcassé, ministre français des
Affaires étrangères de 1898 à 1905, permit de constituer l’Entente cordiale
laquelle fut scellée en 1904. Ce « mariage de raison » déboucha de plus sur
un rapprochement entre l’Angleterre et la Russie, puis sur une alliance
permettant un quasi-encerclement de l’Allemagne.
Dans les années 1890, la grande politique préconisée par le « parti
colonial » pouvait donc se mettre en place. D’autant plus que le
« recueillement » exclusif destiné à préparer la « Revanche » n’était plus
guère défendu que par la gauche radicale incarnée par Clémenceau et par
une partie de la droite monarchiste depuis qu’une majorité de députés s’était
ralliée à l’expansion coloniale.

Le « parti colonial » (Ageron, 1978)


Le « parti colonial » n’était pas à proprement parler un parti politique, mais une
constellation de groupes de pression, d’associations géographiques, d’amicales
régimentaires, etc., qui militaient pour que la France se lance avec force dans
l’expansion outre-mer. Le terme même de « parti colonial » fut prononcé pour la
première fois lors du banquet de l’Union coloniale du 6 juin 1894 (Girardet, 1978 :
303, note no 1).
Le plus important de ces groupes fut le Comité de l’Afrique française (CAF). Fondé
en 1890, il avait une position originale dans la mesure où, pour ses membres, la
vocation coloniale française était méditerranéenne et plus généralement Africaine.
Pour le CAF, l’Algérie était le pivot du futur empire africain de la France et il importait,
pour garantir sa sécurité, de mieux affermir la présence française sur la Tunisie avant
de l’installer au Maroc.
Composante essentielle du « parti colonial », le groupe colonial de la Chambre des
députés fondé en 1892 par Eugène Étienne (1844-1921) eut un rôle considérable
puisqu’il regroupa jusqu’à 200 adhérents. Né à Oran, d’un père officier, républicain,
protégé de Gambetta, Eugène Étienne fut député d’Oran de 1881 à 1919, année où il
fut élu sénateur. En 1887, puis, de février 1889 et jusqu’au mois de février 1892, il fut
sous-secrétaire d’État aux Colonies, mais il occupa plusieurs autres postes
ministériels, notamment de 1892 à 1905. En 1892 il fut élu vice-président de la
Chambre.

B. La constitution de l’Empire
En sept années à peine, de 1893 à 1899, la France atteignit la plupart de
ses objectifs en Afrique de l’Ouest. Cette expansion qui se fit
essentiellement de l’Ouest vers l’Est, eut pour objectif le haut-Niger qui fut
atteint par l’axe fluvial Sénégal-Niger et elle eut pour résultat la destruction
de sultanats musulmans nordistes (Empire d’Ahmadou, de Rabah, mais
aussi de celui de Samory, etc.). La France contourna ainsi par le Nord les
royaumes qui pouvaient présenter un obstacle à sa progression (royaume
Ashanti, États de Samory et royaume de Sokoto). Deux pénétrantes Sud-
Nord partirent également de Porto-Novo et de Cotonou. Le but de cette
politique était d’établir autour du lac Tchad la jonction territoriale entre
l’hinterland de l’Algérie, celui du Sénégal et les comptoirs du golfe de
Guinée. La poussée britannique se fit au contraire du Sud vers le Nord avec
pour pivot le bas-Niger et c’est au croisement de ces deux axes de
pénétration que les deux impérialismes se rencontrèrent.

1. La conquête de l’Ouest africain13


L’impérialisme français s’exerça à la fois entre océan et lac Tchad et sur
le littoral.
a. La poussée Ouest-Est et Samory
La conquête du Soudan se fit lors de campagnes annuelles généralement
menées de novembre à juin. Comme nous l’avons vu, les premières, qui
furent dirigées par le colonel Borgnis-Desbordes, avaient abouti à la prise
de Bamako en 1883. De 1885 à 1888, le colonel Gallieni élargit la zone
sous contrôle français en prenant Siguiri.
Louis Archinard qui venait de succéder au colonel Gallieni en 1891
obtint du ministère des Colonies l’autorisation de lancer une expédition
contre Ségou, la capitale du royaume toucouleur située au nord-est de
Bamako. La ville fut prise au mois de février 1891 et la puissance des
Toucouleurs disloquée. Dans la région de la boucle du Niger les Touaregs
furent de rudes opposants à la mainmise française. En 1894, après la prise
de Tombouctou, le colonel de Trintinian eut comme priorité de les
repousser vers le Sahara car, depuis de longues années, ils avaient pris
l’habitude de venir razzier les populations vivant à l’intérieur de la boucle
du Niger. En 1897 les lieutenants de Chevigné et de La Tour furent
massacrés et il fallut attendre 1898 pour que le colonel Jean-François Klobb
réussisse à pacifier la région. À cette phase de la conquête les Français
avaient atteint les franges de l’empire de Samory (Person, 1975 ; Conrad,
2003).
La poussée française se heurta naturellement à l’État samorien et en
1882, le colonel Borgnis-Desbordes lui ferma la rive gauche du Niger.
Samory préféra alors négocier et il conclut avec les Français les traités de
Kényéba-Koura en 1886 et de Bissandougou l’année suivante
(Oloruntimehin, 1971 : 67-92). Tranquille à l’Ouest, il porta alors ses
regards vers l’Est. En 1887 il engagea ainsi les hostilités contre le roi
Sénoufo Tyéba et vint assiéger Sikasso. Malgré dix-huit mois de campagne,
ce fut un échec car une révolte de grande ampleur avait éclaté sur ses
arrières contre sa volonté d’imposer l’Islam à l’ensemble de ses sujets.

La pénétrante du Sénégal
« Les forts jalonnent la ligne de pénétration qui suit l’axe fluvial du Sénégal et de ses
affluents, le Bafing, le Bakhoy recevant à son tour le Baoulé. Le fleuve, lieu de
transport, acquiert une importance majeure aux yeux des militaires car sa vallée
constitue le véritable axe de communication à contrôler à tout prix malgré les
contraintes du fanchissement. Les officiers, qu’ils aient comme le saint-cyrien Gallieni
une solide formation de géographie militaire ou bien moindre comme les
polytechniciens Borgnis-Desbordes ou Archinard, ont le sens du terrain, c’est
pourquoi ils cherchent à maîtriser les axes de convergence des vallées pour
organiser leurs communications et leur logistique.
Les premiers forts sont isolés et séparés par des distances de plusieurs dizaines
voire de plusieurs centaines de kilomètres les uns des autres. Puis les intervalles
sont complétés de façon à réduire les trop longues distances. Le choix de
l’emplacement état statégique, il s’est discuté âprement entre les chefs militaires. Il a
fait l’objet de reconnaissances spéciales du terrain, véritables missions de
renseignement. En août 1879 puis en avril 1880, à la demande du gouverneur Brière
de l’Isle, le capitaine Gallieni a effectué des missions de repérage entre Médine et
Bafoulabé jusqu’au Bakhoy […] ». (Cuttier, 2003 : 81)

En 1891, Archinard, qui, comme nous l’avons vu, avait remplacé


Gallieni au commandement des forces du Soudan, franchit le Niger et
pénétra dans les territoires de l’almamy. Ce dernier tenta de ralentir
l’avance des colonnes françaises en ordonnant la mise en œuvre d’une
politique de la « terre brûlée ». En entraînant de force vers l’Est les
populations qui lui étaient soumises, il tenta également de rechercher à
hauteur de la Gold Coast le moyen de rétablir des relations indispensables
avec la côte d’où lui arrivaient les armes à feu. Il se déplaça ainsi dans une
sorte de « longue marche », installant une nouvelle capitale à Dabakala dans
l’actuelle Côte d’Ivoire, à 150 km au sud de Kong, soit à 700 km à vol
d’oiseau de Bissandougou qui était son point de départ. Les Sénoufo et les
Gouro furent alors soumis de la manière la plus brutale et la cité de Kong
rasée. Durant cette progression, une colonne anglaise ayant été détruite,
Samory ne put donc plus espérer quelque secours que ce soit de la part des
Britanniques, et en 1898, assailli de toutes parts, il tenta de gagner le
territoire libérien.
Le 9 septembre, le lieutenant Woelffel surprit une partie des forces de
Samory qui s’apprêtaient à franchir la rivière Cavally pour passer au
Liberia. Les Français firent alors 1800 prisonniers et récupérèrent de
grandes quantités d’armes. Le 29 septembre Samory fut capturé par un
détachement français commandé par le capitaine Gouraud et le lieutenant
Mangin14.
b. La poussée Sud-Nord
Sur le littoral en 1863, la France avait imposé son protectorat au petit
royaume de Porto-Novo avant d’y renoncer en 1868, mais elle s’était en
revanche maintenue à Cotonou et à Ouidah, ce que n’acceptait pas Glé-Glé
(1858-1889), le souverain du royaume Fon d’Abomey. Dans un premier
temps, ce royaume n’avait pas été affecté par l’abolition de la traite
puisqu’elle s’y était maintenue sous forme clandestine avec le Brésil,
notamment à Ouidah. Ce fut donc la lutte contre la traite clandestine qui
ruina le Dahomey. En 1884 Paris rétablit son protectorat sur Porto-Novo.
En 1889, le successeur de Glé-Glé (ou Glélé) fut son fils aîné, Kondo, qui
prit le nom dynastique de Béhanzin. Le royaume disposait alors d’une
armée composée de quinze mille hommes bien équipés en armes à feu
modernes. Or, pour accéder au bas-Niger, les Français devaient franchir
l’obstacle présenté par ce royaume qui, de plus avait attaqué le royaume de
Porto Novo qui, comme nous l’avons vu, était sous protection française.
Aussi, en 1889 le docteur Jean-Marie Bayol15 fut-il envoyé chez Glé-Glé
qui refusa toute négociation, affirmant qu’il résisterait à toute tentative
française, d’autant plus qu’étant une République et non plus une monarchie,
la France était selon lui dirigée « par des jeunes gens irréfléchis » avec
lesquels il n’avait aucune intention de marchander la liberté de son pays.
Le 29 décembre 1889, Glé-Glé mourut et son fils Béhanzin lui succéda.
Les relations avec la France ne s’améliorèrent pas, même si le docteur
Bayol avait recouvré la liberté. Un premier débarquement français eut lieu
au mois de février 1890 quand 500 hommes furent mis à terre à Cotonou
sous les ordres du commandant Terrillon ; mais des tensions se produisirent
avec le docteur Bayol qui participait à l’expédition. Fin mars 1890, les
troupes françaises repoussèrent l’armée dahoméenne et au mois d’avril le
docteur Bayol était rappelé en France. Au mois d’octobre 1890
l’Arrangement de Ouidah fut signé entre les représentants français et le roi
Béhanzin qui reconnaissait à la France la possession de Porto Novo et qui
lui cédait Cotonou. Au mois de février 1891, Victor Ballot qui venait d’être
nommé lieutenant-gouverneur des établissements du Bénin débarqua à
Cotonou. Le mois suivant, Béhanzin lança une razzia sur une région
dépendant de l’établissement de Porto Novo et attaqua une canonnière
française. Fin mai 1892, à Cotonou, deux mille hommes débarquèrent,
commandés par le colonel Alfred Dodds, natif de Saint-Louis du Sénégal.
Pour venir à bout du royaume Fon il fallut cependant à la France deux
difficiles campagnes.
La première débuta au mois de novembre 1892. Le 17 novembre
Abomey fut prise et Béhanzin contraint de se replier dans l’intérieur du
pays où il déclencha la guérilla. Nommé général, Dodds lança la seconde
campagne au mois d’août 1893. Durant le mois de septembre, les troupes
françaises prirent le contrôle du nord du pays et fin janvier 1894 Béhanzin
fut capturé, puis déporté à la Martinique et enfin en Algérie où il mourût en
1906. Agouli Agbo, frère du souverain fut installé sur le trône et il accepta
le protectorat français.
Au mois de mars 1893, le Dahomey devint une colonie autonome
détachée des Rivières du Sud et au mois de juin 1894, Victor Ballot en fut
nommé gouverneur avec pour mission, à partir du littoral, d’élargir la zone
contrôlée par la France en direction du Niger afin d’y devancer
Britanniques et Allemands. La conquête du Dahomey avait donc ouvert à la
France l’accès au Niger. Mais il lui fallait auparavant réduire la principauté
de Nikki (ou de Borgou), également revendiquée par la Grande Bretagne.
La question de l’accès au Niger créait donc une forte tension entre les deux
puissances. Finalement la raison l’emporta et l’on négocia pour signer le
14 juin 1898 une convention réglant le contentieux régional franco-
britannique et qui allait permettre aux Anglais de constituer l’immense
Nigeria. Les Français obtinrent Nikki et donc une ouverture sur le sud du
Niger, tandis que les Anglais qui voyaient leur possession du bas-Niger
reconnue obtenaient en plus le califat de Sokoto (ou empire de Sokoto).
Dans l’actuelle Côte d’Ivoire, le 4 février 1868, Mane, roi de Petit-
Béréby, Kika, roi de Bassa et Demba-Gué roi de Grand Béréby avaient
accepté la souveraineté de l’empereur Napoléon III. Cette reconnaissance
avait été ratifiée quinze ans plus tard, quand, par le décret du 20 décembre
1883, la région fut intégrée dans les Dépendances des rivières du Sud, nom
alors donné aux possessions de la France sur cette partie du littoral africain.
Quant à Grand Bassam et à Assinie, occupés en 1843, ils furent évacués
en 1871, puis réoccupés en 1886. La France proposa ensuite à la Grande
Bretagne d’échanger ces comptoirs contre la Gambie afin d’assurer la
continuité territoriale du Sénégal, mais Londres refusa.
Dans l’extrême ouest de l’actuelle Côte d’Ivoire, le pays Kru, situé au-
delà de la Sassandra et dont le fleuve Cavally, forme la colonne vertébrale,
avait été découvert en 1471 par les Portugais. C’est eux qui avaient donné
aux fleuves de la région les noms de Rio de San Andrea (Sassandra), de Rio
de San Pedro ou rio Sao Padrao (San Pedro). Dès ses abords la région
paraissait inhospitalière avec sa barre littorale autant traîtresse que
meurtrière et qui s’ouvrait sur une forêt impénétrable. Son climat était
implacable et le tristement célèbre « Vomito Negro », autrement dit la fièvre
jaune, y exerçait des ravages. La « sauvagerie » de ses populations avait
d’ailleurs valu à cette région le nom peu engageant de « Côte des malgens »
ou de « Côte du mauvais peuple ». À l’exception de quelques mouillages, la
fréquentation de ce littoral par les navires européens, avait été très
épisodique, ce qui contribuait à son isolement. Néanmoins, quelques hardis
marins s’aventuraient sur la « Côte des dents » pour y acheter de l’ivoire.
D’autres venaient charger une sorte de poivre sur la Côte de Malaguette.
La première reconnaissance de la « Côte des malgens » par la France, se
fit en 1891 quand le lieutenant Quiquerez et le sous-lieutenant de Segonzac,
partis de la région de Grand Lahou, explorèrent le littoral jusqu’au fleuve
Cavally. Quiquerez mourut au nord de l’actuelle ville de San Pedro. Le
Décret du 12 décembre 1891 donna à la région englobant les établissements
côtiers contrôlés par la France le nom de Côte d’Ivoire. En 1893, Louis
Gustave Binger en fut le premier gouverneur. C’est lui qui en fixa les
limites occidentales sur le Cavally et qui fonda les postes de Sassandra, San
Pedro, Béréby et Tabou16.
La véritable pénétration à l’intérieur de cette région inhospitalière fut
entreprise par l’administrateur Hostains et le lieutenant Henri d’Ollone
accompagnés de 60 tirailleurs. La mission Hostains-d’Ollone avait pour but
d’établir la liaison entre le golfe de Guinée et le Soudan, tout en vérifiant le
tracé de la frontière de la Côte d’Ivoire et du Liberia. Partis de la région de
Grand Bassam le 19 février 1899, elle arriva le 25 février 1900 à Conakry
(Ollone, 1901). De 1897 à 1902, la Mission Thomann explora le bassin de
la Sassandra. Mais dans cet Ouest ivoirien forestier et notamment en pays
Kru, Dan et Gouro, la pacification, c’est-à-dire la prise effective de
contrôle, ne se fit pas avant 1914.
c. Le Gabon17 et le golfe de Guinée
Vers 1830, les puissances européennes ayant décidé de donner la chasse
aux navires qui poursuivaient une activité de traite désormais illicite, en
1837, le capitaine de vaisseau Bouet Willaumez était parti à la recherche
d’un mouillage susceptible d’abriter les navires français engagés contre les
négriers. En 1839, il conclut avec Denis Rapontchombo (le « roi Denis »),
le chef de la tribu des Mpangwe, elle-même rattachée à la famille Myéné,
un traité aux termes duquel la France se voyait reconnaître le droit d’établir
un comptoir. De 1843 à 1862, la France signa d’autres traités avec des chefs
myéné comme les « rois » Kringer, Glass, Quaben et Georges. En 1849, la
marine française libéra plusieurs dizaines d’esclaves en arraisonnant un
navire négrier brésilien et elle les établit en un lieu qui prit le nom de
Libreville.
Dès les années 1860, la France contrôlait le littoral compris entre le cap
Lopez au Sud et le Rio Muni (l’actuelle Guinée équatoriale) au Nord mais
l’intérieur du pays était encore totalement inconnu. Sa découverte fut
l’œuvre de hardis explorateurs. Certains étaient militaires comme les
lieutenants de vaisseau Darricau ou Pigeard, d’autres civils comme
l’Américain Paul Belloni du Chaillu (Hombert et Perrois, 2007) ou les
Français du Mesnil, Braouzec, Genoyer, ou Savorgnan de Brazza.
Ce dernier pensait qu’en remontrant l’Ogooué, il pourrait atteindre le
centre de l’Afrique et le bassin du Congo et ce fut d’ailleurs le but de son
expédition de 1875-1878. Lors d’une seconde expédition (1879-82), il
remonta l’Ogooué et en 1880 il fonda Franceville avant d’atteindre le
Congo, mais par voie terrestre. Plus tard, alors qu’il était commissaire de la
République française, il créa la colonie du Congo français dont il devint le
Commissaire général.

Les diverses appellations du Gabon


Avant de devenir le Congo français, le Gabon a porté plusieurs noms. Le 26 février
1859, un décret créa une entité administrative qui reçut le nom d’Établissements
français de la côte d’or et du Gabon avec Libreville pour chef-lieu. Le futur Gabon
était ainsi englobé dans l’ensemble des petites possessions françaises disséminées
sur le littoral de l’ouest africain à l’est de la Sénégambie.
En 1883, le Gabon devint l’Établissement français du golfe de Guinée et fut dirigé par
un lieutenant de vaisseau portant le titre de « Commandant particulier » avec
résidence à Libreville.
En 1886, le Gabon qui était placé sous la tutelle du ministère de la Marine passa
sous celle du ministère de la Marine et des Colonies. En 1886 toujours, le Gabon et
le Congo furent délimités et eurent chacun leur autonomie financière et
administrative. En 1888 ils furent à nouveau réunis et prirent en 1891 le nom de
Congo français avec pour chef-lieu Libreville. Brazzaville qui avait connu un essor
plus important que Libreville devint en 1908 la capitale de la colonie dirigée par un
gouverneur général.
Le décret du 15 janvier 1910 créa l’Afrique Équatoriale Française (AEF) qui
regroupait les possessions du Gabon, du Moyen Congo, de l’Oubangui-Chari et du
Tchad dirigées par un gouverneur général résidant à Brazzaville. Un lieutenant
général était placé à la tête de chacune des quatre colonies.
Le décret du 30 juin 1934 fit perdre leur autonomie aux quatre colonies et le Gabon
devint, comme les autres territoires, une simple région de l’AEF. En 1937, il retrouva
son statut de Territoire ayant un gouverneur à sa tête. En 1946, le Gabon fut doté de
la personnalité administrative et de l’autonomie financière dans le cadre de la
Fédération de l’AEF.

Le 4 novembre 1911 la France signa avec l’Allemagne la « convention


d’Agadir » qui lui laissait les mains libres au Maroc en échange de
compensations territoriales en AEF. C’est ainsi que le Gabon fut amputé de
trente mille km218 au profit du Kamerun allemand.

2. La conquête du Tchad et la lutte contre Rabah


Dès les années 1880, les Français avaient compris que le contrôle des
régions riveraines du lac Tchad, véritable clef de voûte et point
d’aboutissement des territoires conquis à partir de l’Algérie, du Sénégal et
du Congo était nécessaire à la constitution de l’Empire. La progression
française qui fut méthodique se fit dans trois directions, depuis le Niger19,
depuis le Congo et depuis l’Algérie (Conrad, 2003 : 45-56). Cependant,
avant d’atteindre le lac Tchad, il allait falloir aux Français, triompher de
rudes adversaires dont Rabah20.
Rabah avait créé un empire dont la richesse reposait sur l’esclavage qui :
« […] fournissait tout à la fois, la main-d’œuvre, les soldats, les
fonctionnaires, les hommes de confiance des chefs, un moyen de
transport, un produit de luxe et un article d’exportation. L’esclavage
soutenait cette civilisation aussi fermement que la monnaie du monde
occidental ». (Pascal, 2001 : 5-6)
Rabah (ou Rabèh) naquit en 1845 à Salamat al-Bacha, l’actuelle
Khartoum21. Tout jeune homme il participa à la chasse aux esclaves dans la
région du Barh el-Ghazal (le sud-Soudan actuel) pour le compte d’un
esclavagiste de Khartoum. Il entra ensuite au service du plus grand
trafiquant d’esclaves soudanais, un arabe appartenant à une tribu de rang
élevé nommé Zuber Rahma Mansur dont il devint l’homme de confiance, à
telle enseigne qu’il prit son nom, se faisant appeler Rabèh Zuber22.
Zuber (ou Zubayr), écumait le Bahr el-Ghazal depuis 1856, d’abord pour
le compte d’un important esclavagiste nommé Ali Abou Amouri, puis pour
le sien propre. Zuber élargit l’aire de chasse à l’esclave jusqu’aux lisières de
la forêt, chez les Azandé (Zandé). Exploitant des régions jusque-là
épargnées par la traite, il édifia une immense fortune en fournissant les
marchands d’esclaves de Khartoum. Ces activités se faisaient avec
l’autorisation des autorités égyptiennes du Caire qui en tiraient avantage ;
mais, vers 1865, Zuber voulut échapper au contrôle égyptien et par le sud
du Darfur et le Kordofan, il avança vers le lac Tchad, région non encore
affectée par la chasse aux esclaves. Craignant de perdre le contrôle de la
Traite, les autorités égyptiennes de Khartoum décidèrent alors d’occuper le
Bahr el-Ghazal et elles envoyèrent contre Zuber un autre esclavagiste,
Mohammed al-Hilali, qui fut tué au combat en 1872.
Ayant cependant compris qu’il lui fallait être plus diplomate avec le
Khédive, Zuber promit alors de conquérir le Darfour pour le compte de
l’Égypte en échange de quoi il fut nommé gouverneur du Barh el-Ghazal
avec le titre de bey, mais subordonné au gouverneur égyptien d’El-Fascher,
ce qu’il prit comme une humiliation. En 1875, il se rendit au Caire pour se
plaindre directement auprès du Khédive, mais il se vit signifier
l’interdiction de retourner au Darfour, puis fut placé en résidence surveillée.
Quant au gouverneur d’El-Fascher, il fut remplacé par l’Anglais Charles
Gordon qui réussit à prendre le contrôle de la région au prix de longs
conciliabules avec les esclavagistes locaux, à l’exception de Suleiman, le
fils de Zuber23. Une entrevue eut finalement lieu entre les deux hommes et
en 1877, magnanime, Gordon nomma Suleiman gouverneur du Bahr el-
Ghazal. Puis à la suite d’intrigues tribales d’une grande complexité, ce
dernier fut démis et remplacé par le chef de la tribu arabe des Danagla,
ennemie de celle des Dja’aliyin à laquelle il appartenait. La guerre était
donc inévitable.
Au début de l’année 1878, l’armée de Suleiman eut l’avantage sur celle
des Danagla qui firent appel à Gordon lequel leur envoya l’Italien Romolo
Gessi qui remporta deux batailles sur le fils de Zubeir, la première le
25 décembre 1878 et la seconde le 1er mars 1879. Suleiman s’enfuit alors
vers l’Ouest et Rabah fit partie de la petite troupe qui lui demeura fidèle.
Le 15 juillet 1879, au nom du Khédive d’Égypte, Romolo Gessi proposa
le pardon aux rebelles s’ils déposaient les armes. Epuisés et sans ressources,
Suleiman et ses principaux adjoints acceptèrent. Seul Rabah demeura
intraitable car il craignait de tomber au pouvoir des Danagla et il annonça
alors qu’il partait vers l’Ouest, là où Gessi et les Danagla ne pourraient pas
le poursuivre24. Désormais fugitif, il abandonna la vallée du Nil pour tenter
sa chance dans la région du lac Tchad, réussissant à y imposer son autorité à
divers souverains locaux, dont Mohamed es Senoussi, sultan d’El Koutio,
dont l’influence s’étendait vers le Sud, en pays Sara, mais aussi au Bornou,
au Kanem et au Baguirmi. Le sultan de l’Ouadaï ou Wadai, demeurait le
seul souverain local encore en mesure de lui tenir tête.
a. La progression à partir du Congo25
À partir du Congo, deux colonnes françaises progressèrent en direction
du lac Tchad, l’une commandée par Paul Crampel26 et l’autre par Emile
Gentil.
Arrivé à Brazzaville le 10 août 1890, Crampel gagna Bangui, en
septembre. L’expédition ne rencontra initialement aucune résistance mais
Lauzière et Orsi, les deux autres Européens de l’expédition succombèrent
aux fièvres. Au fur et à mesure que la petite troupe progressait vers le Nord,
elle se rapprochait des territoires contrôlés par Rabah qui dévastait les
régions proches du Tchad où il razziait les populations noires du Sud.
Au printemps de 1891, Rabah s’installa sur la rive gauche du Chari, près
des monts de Niellim, afin d’y devancer Crampel qui était sur le point d’y
arriver. Le Français fut bien reçu par le sultan d’El Kouti dont l’hospitalité
n’était pas exempte d’arrière-pensées. Mohamed es Senoussi supportait en
effet très mal l’autorité de Rabah et celle du sultan du Wadaï (Ouadaï)
auxquels il devait payer tribut. Il se réservait donc la possibilité de jouer la
carte des nouveaux venus, à condition toutefois que ceux-ci disposassent de
forces suffisantes pour inquiéter sérieusement Rabah. Comme ce n’était
manifestement pas le cas, il décida de tendre une embuscade à la petite
colonne française au moment où cette dernière reprenait sa progression vers
le Nord. Le 23 mai, à el Kouti (2 sur la carte) Crampel et l’interprète kabyle
qui l’accompagnait furent tués. Le 25 mai 1891, ce fut au tour de Biscarrat
dont le cuisinier, seul rescapé de la tuerie parvint à prévenir Nebout qui était
en arrière-garde. Ne disposant que de huit tirailleurs, ce dernier n’avait pas
d’autre choix que de se replier sur Bangui et de regagner Brazzaville.
Les missions de l’ingénieur Jean Dybowski (1891) et de l’explorateur
Casimir Maistre (1892-1893) permirent le châtiment de certains des
assassins de la mission Crampel, ainsi que la reconnaissance complète de la
région, notamment celle du cours du Chari, la voie qu’empruntèrent
quelques années plus tard les conquérants du Tchad venus d’Afrique
équatoriale avec Emile Gentil.
En 1892 Rabah lança une offensive contre le Baguirmi, royaume vassal
du Ouadai. Il fut vainqueur, mais le sultan Gaourang parvint à s’enfuir.
Rabah orienta alors son action en direction du Bornou et il noua une
alliance avec la dynastie peule de Sokoto. Sa puissance était alors à son
zénith car plusieurs contingents mahdistes avaient fait défection et l’avaient
rejoint. Ce renfort eut une grande importance pour la suite des évènements
car Rabah adopta certaines coutumes en usage dans l’armée mahdiste,
notamment l’uniforme fait de morceaux d’étoffes de diverses couleurs ainsi
que les bannières brodées portant son nom et le titre de mahdi qu’il prit à
partir de ce moment. En 1893, il s’empara de Kouka, la capitale du Bornou
et la rasa, puis il installa sa capitale à Dikoa, en zone théoriquement
allemande.
La seconde colonne française en marche vers le lac Tchad était
commandée par Emile Gentil (Haurie, 2003). Officier de marine, Emile
Gentil (1866-1914) était naturellement convaincu qu’il fallait utiliser la voie
d’eau pour atteindre le Tchad en faisant passer des bateaux du bassin du
Congo et de l’Oubangui à celui du Chari. Avec l’aide d’Ernest
Huntzbüchler27, il organisa donc le portage, en pièces détachées, d’un petit
vapeur, le Léon Blot, long de 18 m et large de 4 m, pour un tirant d’eau de
40 cm et dont l’hélice pouvait être démontée. La flottille était en outre
composée de deux baleinières.
Parvenu sur la rive droite du Gribingui, un affluent du Chari, Gentil y
installa une base de départ baptisée Fort Crampel et il embarqua sur le Léon
Blot le 27 juillet 1897. Il atteignit ainsi le Tchad après mille kilomètres de
navigation sur le Chari et sur certains de ses affluents. Ce fut l’occasion de
conclure un traité avec le sultan Gaourang, roi du Baguirmi et d’obtenir la
soumission de Mohamed es-Senoussi, le meurtrier de Crampel. Puis Gentil
rentra en France, laissant à Fort Crampel le lieutenant de vaisseau
Bretonnet.
Pendant ce temps, un négociant explorateur nommé Ferdinand de
Behagle avait décidé, contre les conseils d’Emile Gentil, d’établir des
relations commerciales avec Rabah. Au mois de mars 1899, il gagna donc
Dikoa (no 7 sur la carte), qui était alors sa capitale, mais il y fut mis aux
fers. Informé, Bretonnet se mit en marche pour aller le délivrer. Quittant
Fort Crampel le 1er mai 1899, il s’avança vers Kouno pour y faire sa
jonction avec le sultan Gaourang et il envoya à Rabah le lieutenant Durand-
Autier pour exiger la libération de Behagle. Rabah marcha contre Bretonnet
avec des forces considérables. Prévenu, celui-ci s’installa en défensive dans
la région de Togbao (no 6 sur la carte) mais il ne disposait que d’une section
de tirailleurs pour faire face aux milliers d’hommes de Rabah, dont 2000
étaient armés de fusils. Un premier assaut fut néanmoins repoussé mais
Bretonnet, puis Durand-Autier, furent tués au cours du second. Le sergent
sénégalais Samba Sall qui avait pris le commandement fut grièvement
blessé mais il parvint tout de même à rejoindre Fort Crampel pour y
annoncer le désastre. Convaincu que la mort de Bretonnet allait
durablement dissuader les Français de poursuivre leur marche en direction
du Tchad, Rabah fit alors pendre Ferdinand de Behagle (15 octobre 1899).
Treize jours plus tard, Emile Gentil, de retour de congé en France arriva à
la tête d’une importante colonne dont l’objectif était certes, de venger
Crampel, Bretonnet, et Behagle, mais surtout d’assurer la jonction sur les
rives du Tchad avec la Mission Afrique centrale, venue du Soudan et avec la
Mission Foureau-Lamy venue d’Algérie à travers le Sahara. Fin octobre,
Emile Gentil infligea aux troupes de Rabah une première défaite lors du
combat de Kouno.
b. La prise de contrôle du Tchad et la fin de Rabah
La progression française vers le lac Tchad se fit ensuite sur trois axes
(Gentil, 1971) :
– venant du Soudan, la Mission Afrique centrale commandée par le
lieutenant Voulet et son adjoint le lieutenant Chanoine se rapprochait du
lac Tchad tout en fermant aux Britanniques l’accès au haut-Niger ;
– gentil avançait depuis le Congo et l’Oubangui en suivant, comme il
l’avait fait en 1897, le cours du Chari ;
– la Mission Foureau-Lamy progressait à travers le Sahara.

Les Tirailleurs sénégalais


« Commencé au Sénégal, le recrutement des tirailleurs s’étend rapidement à tous les
territoires conquis par la France. Les soldats recrutés en Afrique où à Madagascar
sont appelés initialement en fonction de leur région d’origine tirailleurs sénégalais,
haoussas, gabonais, malgaches, somalis. Par la suite on utilise pendant quelques
années l’expression tirailleurs coloniaux. Dans la pratique, c’est l’appellation
générique tirailleurs sénégalais qui s’impose à tous, le Sénégal étant le premier pays
ayant fourni des soldats à l’initiative de Faidherbe. Quant au terme tirailleur,
désignant à l’origine un combattant doté d’une certaine liberté de manœuvre qui tire
en dehors du rang, il s’applique indifféremment à des soldats servant comme
fantassins, cavaliers, artilleurs ou même encore comme conducteurs, infirmiers,
ouvriers des bataillons d’étape… » (Champeaux et Deroo, 2006 : 3)

La Mission Afrique centrale (Mathieu, 1995 ; Simoën, 1996 ; Rolland,


2003), ou Mission Voulet-Chanoine, connut des épisodes dramatiques. Au
mois de juillet 1898, les lieutenants Paul Voulet et Julien Chanoine qui
avaient conquis l’empire du Mossi et ouvert la liaison entre la région de
Ouagadougou et le Dahomey en 1896, se virent confier par André Lebon,
secrétaire d’État aux colonies, la mission d’atteindre le lac Tchad avant les
Britanniques.
Au mois de septembre 1898, à Ségou, sur le Niger, Voulet et Chanoine se
séparèrent. Voulet descendit le Niger en pirogue, passa à Tombouctou où le
commandant du territoire, le lieutenant-colonel Klobb28 lui prodigua ses
encouragements tout en regrettant de ne pas avoir été choisi pour diriger
l’expédition. Dans la région de Tombouctou, Voulet recruta ses adjoints, les
lieutenants Joalland et Peteau, le médecin commandant Henric et le sergent-
major Laury. Il compléta également les effectifs de la mission en y
adjoignant cent cinquante tirailleurs. De son côté, Chanoine, accompagné
du lieutenant Pallier traversa le pays mossi où il recruta huit cents porteurs.
Au mois de janvier 1899, les deux détachements se rejoignirent à Sansanné-
Maoussa sur le Niger. La mission qui était prête à s’ébranler était formée,
outre des capitaines Voulet et Chanoine et du médecin commandant Henric,
de trois lieutenants, de trois sous-officiers, d’une cinquantaine de tirailleurs
sénégalais, d’une vingtaine de spahis de l’escadron soudanais et
d’environ 250 tirailleurs bambara. La colonne étant composée de mille sept
cents personnes, y compris les femmes, il lui fallait trente mille litres d’eau
par jour, or, les deux chefs avaient sous-estimé les possibilités de
ravitaillement. Au mois d’avril 1899 il fallut alors orienter la marche au Sud
et pénétrer en zone britannique dans le secteur de la rivière Sokoto avant de
reprendre la direction du Nord. En route, des exactions furent commises et
le lieutenant Peteau qui s’en indignait fut relevé de ses fonctions par Voulet
puis renvoyé à Tombouctou. Le 2 mai, le chef de Biski N’Konni ayant
refusé de ravitailler la colonne, Voulet donna l’assaut qui fut suivi d’un
massacre.
Alerté par les rumeurs qui lui parvenaient du Soudan, le ministre des
colonies, Guillain décida de relever Voulet et Chanoine tandis que, depuis
Saint-Louis du Sénégal, le gouverneur général de l’Afrique occidentale
envoyait à la poursuite de la Mission Afrique centrale une petite troupe
confiée au lieutenant-colonel Klobb, assisté du lieutenant Meynier. Ceux-ci
découvrirent l’ampleur des destructions et des tueries perpétrées par la
colonne. Le 14 juillet 1899, à Dankoro, ils rattrapèrent son arrière-gardeo,
mais, bien décidé à poursuivre sa marche et convaincu que l’on voulait lui
« voler » sa découverte, Voulet fit ouvrir le feu sur ses poursuivants. Le
lieutenant Meynier fut blessé, le lieutenant-colonel Klobb tué et Voulet
n’eut plus d’autre choix qu’une fuite en avant suicidaire. Il autorisa alors les
officiers qui refusaient de le suivre à le quitter et il leur remit une décharge
dans laquelle il assumait toute la responsabilité des décisions prises, mais il
entendait toutefois poursuivre son aventure en promettant à ses tirailleurs de
nouvelles conquêtes. La perspective de ne pas retrouver leur terre natale
conduisit cependant ceux-ci à la rébellion. Chanoine fut tué le premier et
trois jours après le « drame de Dankori » qui avait vu la mort du lieutenant-
colonel Klobb, le capitaine Voulet tomba à son tour29.
Le lieutenant Joalland prit alors le commandement et décida de
poursuivre la marche vers le Tchad. En chemin, le 30 juillet, la mission
Joalland-Meynier s’empara de la ville de Zinder, après en avoir repoussé les
guerriers du sultan Ahmadou. Dans un puits on retrouva les squelettes du
capitaine Cazemajou et de l’interprète Olive qui avaient été faits prisonniers
et assassinés en 189830. Pendant plusieurs semaines, les Français donnèrent
la chasse au sultan et ils finirent par le tuer le 15 septembre. Le lieutenant
Pallier et le médecin commandant Henric furent ensuite renvoyés vers le
Soudan, tandis que le sergent Bouthel restait à Zinder avec quelques
dizaines de tirailleurs dans l’attente de la mission Foureau-Lamy qui arrivait
d’Algérie après avoir traversé le Sahara. Le 3 octobre, Joalland et le
lieutenant Meynier partirent pour le lac Tchad à la tête de cent soixante
tirailleurs et spahis. Le 24 octobre 1899, le lac était atteint au terme d’une
marche de 525 kilomètres faite en vingt jours31.
La Mission Foureau-Lamy32 quitta Blida, en Algérie, au mois de
septembre 1898 avec près de quatre cents hommes. Après Sétif, Biskra et
Touggourt, la progression se poursuivit jusqu’à Ouargla où devaient être
rassemblées les montures nécessaires. Plus d’un millier de chameaux furent
réunis et répartis entre les différents éléments de la mission, mais il fallait
prévoir la nourriture et l’eau pour cet immense troupeau. Le 23 octobre
1898, ce fut enfin le grand départ vers le Sud. Après l’oued el Biod atteint
le 10 novembre, l’expédition parvint à Timassanine (Fort Flatters) une
semaine plus tard. La marche vers le Sud reprit mais les pertes de chameaux
devinrent de plus en plus lourdes. Elles furent un temps équilibrées par le
fait que les charges transportées étant utilisées au fur et à mesure de la
progression, le nombre d’animaux nécessaire au transport diminuait
d’autant. Bientôt il fallut, pour pouvoir continuer, abandonner ou détruire
une partie du matériel et des réserves. Près d’une centaine de chameaux
disparurent ainsi dans les derniers jours de janvier. On trouva ensuite
suffisamment de points d’eau pour abreuver les hommes et les bêtes, mais
ce furent les pâturages qui se révélèrent alors insuffisants.
Au début du mois de février, la traversée des régions situées à l’ouest du
Ténéré fut particulièrement pénible. Après la sortie du terrible Tanezrouft et
une halte réparatrice à In-Azaoua, la progression reprit vers Iferouane. À ce
moment-là, la colonne avait perdu la moitié des bêtes dont elle disposait au
départ d’Ouargla. Les relations avec les Touareg se tendirent et le 8 mars,
l’un des guides chaamba et un tirailleur furent assassinés alors qu’ils
recherchaient un puits. Quatre jours plus tard, un fort parti de Touareg
attaqua le camp français. Au début du mois de juin il ne restait plus que
soixante-quinze chameaux du millier rassemblé au départ. Il fallut alors
organiser des razzias chez les Touareg pour reconstituer en partie le
troupeau nécessaire à la poursuite de la mission.
Le 20 juin, Lamy livra un combat de six heures qui coûta deux tués aux
Français et une trentaine à leurs adversaires. Le 24, il fallut détruire de
nouveau du matériel devenu intransportable faute d’animaux de bât. Le
27 juillet, l’expédition était en vue d’Agadès où elle fut bien accueillie par
le sultan, mais celui-ci tenta de se débarrasser des Français en leur
fournissant un guide chargé de les perdre. Sa félonie démasquée et, sous la
menace de voir sa ville détruite, il livra une centaine de chameaux et toute
la nourriture dont la colonne avait besoin. Le 17 octobre, la mission quitta
Agadès et découvrit au bout de quelques jours des régions plus riches en
pâturages et en gibier.
Le 2 novembre 1899, le contact fut établi avec le détachement de Zinder
(n 3 sur la carte). Le sergent Bouthel, de la Mission Afrique centrale
o

accueillit les rescapés du Tanezrouft et de l’Aïr qui purent alors reconstituer


leurs forces. La marche vers le Tchad reprit en janvier 1900. Lamy envoya
un émissaire signaler sa présence à Joalland et à Gentil qui s’étaient
retrouvés sur les rives du Chari après que le second avait, comme nous
l’avons vu (p…), infligé à Rabah une première défaite lors du combat livré
à Kouno en octobre 1899. Le 21 janvier, la Mission Foureau-Lamy atteignit
les rives du lac Tchad, mais il lui fallait encore effectuer sa jonction avec les
deux autres missions venues respectivement du Soudan et du Congo.
Foureau et Lamy ayant décidé de contourner le lac par le Nord,
l’expédition se remit en marche le 3 février. Faute de guides sûrs, la colonne
perdit du temps, mais elle rencontra le 18 février les premiers éléments de
la mission Joalland-Meynier. Informé de la mort de Bretonnet et de
Behagle, le commandant Lamy entendit se mettre le plus rapidement
possible à la disposition d’Emile Gentil venu par l’Oubangui et le Chari
afin d’être en mesure de détruire une fois pour toutes la puissance de
Rabah. La colonne marcha alors vers l’Est et, le 24 février – après avoir
parcouru 180 km en quatre jours, ce qui constituait un exploit dans cet
environnement inconnu –, elle atteignit les rives du Chari. Le 3 mars,
Kousseri (no 8 sur la carte) fut prise d’assaut et, le 8, les sofas (contingents
de fantassins) du fils de Rabah, Fadel Allah, étaient dispersés. Rabah n’en
conservait pas moins le gros de ses troupes33.

L’armée de Rabah
« L’armée constituait la base de l’État et était divisée en vingt-neuf détachements
appelés bannières (birak en arabe) qui étaient commandées par un chef
indépendant. Elles comptaient de 50 à 300 hommes. Le nom et l’armement dont
disposait chaque soldat était consigné dans un registre. Les chefs des bannières
étaient Arabes, Bornous, Jellabs, Kreichs, etc. Une discipline militaire stricte
caractérisait l’armée de Rabèh : exercices réguliers et châtiments corporels sévères
en cas d’insubordination ou de mauvais entretien des armes à feu.
D’après les estimations françaises, l’infanterie régulière comptait 4 000 hommes
armés de fusils dont 1500 à répétition. On comptait aussi 15 000 porteurs de lances
et 4 000 cavaliers utilisés principalement comme éclaireurs. L’artillerie était peu
importante : quelques vieux canons dont certains pris à Kouka. Certains soldats
savaient utiliser des pièces modernes récupérées par exemple lors des combats
contre Bretonnet. On trouvait aussi dans l’armée de Rabèh des armuriers capables
de transformer en fusils de précision à capsule des armes à pierre ou à mèche et de
réparer des armes. Les douilles des cartouches étaient récupérées pour être à
nouveau utilisées. La poudre de moindre portée que celle venant d’Europe était
fabriquée sur place. Les Bazinguers (guerriers) étaient accompagnés de leurs
femmes qui jouaient non seulement un rôle dans l’intendance de l’armée mais
encourageaient les troupes lors des combats. » (Arditi, 2003 : 102)

Réunies à Kousseri (8 sur la carte), le 21 avril 1900, les trois missions


(Gentil, Afrique centrale et Foureau-Lamy), disposaient alors de sept cents
fusils et de quatre canons pour faire face aux quatre mille hommes (dont
quinze cents armés de fusils) que pouvait encore aligner Rabah. Le 22 avril
son camp retranché était emporté par l’assaut des tirailleurs, mais le
commandant Lamy fut tué à l’issue du combat, quasiment en même temps
que Rabah34. Durant cette opération le capitaine de Cointet perdit également
la vie. Le capitaine Reibell, qui avait succédé au commandant Lamy,
poursuivit ce qui restait des troupes de Rabah et il prit Dikoa (7 sur la
carte). Fadel Allah, fils de Rabah poursuivit le combat et chercha à se placer
sous protectorat anglais mais, le 23 août 1901, le lieutenant-colonel
Destenave franchit le Chari, pénétra en territoire britannique, le surprit et le
tua. « L’empire » de Rabah n’était plus dès lors qu’un souvenir.
c. Les régions sahariennes
La défaite de Rabah et la prise de contrôle des régions riveraines du lac
Tchad soudaient les possessions de l’Afrique occidentale à celles de
l’Afrique équatoriale, mais il restait encore à la France à prendre le contrôle
effectif du Sahara.
Dans le nord du Tchad, de 1900 à 1902, les forces françaises furent
confrontées à la confrérie sénoussiste dont la résistance fut réduite par le
lieutenant-colonel Destenave (Triaud, 1988). Au mois de juillet 1901 le
capitaine Laperrine qui venait d’être nommé commandant supérieur des
oasis entreprit la pacification des immensités sahariennes, mais il eut à faire
à de sérieuses résistances opposées par plusieurs tribus touaregs dont les
Oulliminden, les Kel Air et les Kel Gress. Pour tenir la région il lui fut
nécessaire de créer plusieurs postes, dont ceux d’Agadès en 1904 et d’In
Gall en 1905. En 1906 ce fut celui de Bilma en plein désert du Ténéré. Mais
le Sahara n’était toujours pas totalement pacifié car les Touaregs refusaient
de se soumettre. L’Adrar des Iforas le fut cependant en 1909 et le Tibesti en
1913. Durant le premier conflit mondial, Agadès fut attaquée et assiégée
durant 80 jours.
Dans l’ouest saharien, la Mauritanie qui dépendait en théorie du Sénégal
constitua un cas à part. En 1900, un traité franco-espagnol attribua à la
France toute la région comprise entre le Rio de Oro et le Sénégal, mais la
pacification était à faire. En 1905, Xavier Coppolani fut assassiné dans le
Tagant alors qu’il réorganisait sous le nom de Mauritanie occidentale, le
protectorat que la France exerçait sur les tribus maures de la rive droite du
fleuve Sénégal (Coppolani, 2005).
En 1908, à la tête d’une importante expédition composée d’un millier
d’hommes, le colonel Gouraud quitta le Tagant en direction de l’Adrar. Atar
fut prise en janvier 1908 suivie de Chinguetti et de Ouadane au mois de
juillet. Les successeurs de Gouraud, notamment le commandant Claudel,
puis les colonels Patey et Mouret élargirent la zone contrôlée. En 1912
Tichit et Oualata furent prises, mais l’occupation effective et définitive
attendit le lendemain du premier conflit mondial35.

3. La mission Marchand (ou mission Congo-Nil)


et l’affaire de Fachoda
Le 11 mars 1862, par une Convention signée avec un envoyé du sultan
afar-on disait à l’époque Danakil –, de Tadjourah, la France s’était vue
reconnaître la possession d’Obock (ou Obok), contre une somme de
52 000 francs or. Paris attendit 1884 pour y créer un véritable établissement
pour sa flotte, mais la faible profondeur de la rade lui interdisait tout
développement. C’est pourquoi le site de Djibouti fut acquis en 1888. Le
20 mai 1896, la France qui possédait plusieurs petites enclaves – Obock,
Tadjourah, le territoire des Danakils et le protectorat des Somalis –, les
regroupa en un seul ensemble de 23 000 km2 qui prit le nom de Colonie de
la Côte française des Somalis et dépendances (CFS), dont Djibouti devint
le chef-lieu36.
Pendant qu’ils prenaient pied dans la région de Djibouti, plus à l’ouest,
les Français tentaient de s’ouvrir une route vers le Barh el Ghazal et le Nil à
partir du Congo. Certains avaient même rêvé de relier par là les possessions
d’Afrique occidentale à celles de la mer Rouge, par une ligne imaginaire
« Dakar Djibouti », pendant français de l’axe impérial britannique du Caire
au Cap.
En 1887, un accord conclu avec l’État indépendant du Congo (EIC), avait
laissé à la France la rive droite de l’Oubangui et en 1890 la mission Ponel
avait remonté le fleuve après avoir franchi les rapides de Bangui ; puis, en
1893, la mission du colonel Monteil, secondé par le commandant Decazes
avait cherché à reconnaître le fleuve jusqu’à sa source. En 1894, un accord
signé entre la France et l’EIC eut pour conséquence l’évacuation par ce
dernier des postes qu’il avait fondés au nord de l’Oubangui et du Mbomou.
En 1895, le pharmacien de marine Victor Liotard fut nommé Délégué du
commissaire général, qui n’était autre que Savorgnan de Brazza, dans le
haut-Oubangui. Cette nomination était assortie d’une mission claire :
installer des postes jusqu’au Nil.
Cette politique devait nécessairement heurter la Grande Bretagne qui
considérait que la région devait, tôt ou tard, lui revenir. Le 28 mars 1895,
Sir Edward Grey, secrétaire du Foreign Office avait d’ailleurs mis en garde
le gouvernement français, prévenant que toute action de la France dans la
région du haut-Nil serait considérée par Londres comme un geste
« inamical ». La fermeté de cet avertissement s’expliquait aussi par le
climat anti-anglais qui animait alors certains cercles coloniaux français
lesquels n’avaient pas accepté le renoncement de 1882, quand la France
avait refusé de se joindre à l’expédition qui avait consacré la mainmise de
Londres sur l’Égypte. La « marche au Nil » pouvait donc être pour certains
milieux français une sorte de prise de gage destinée à rouvrir la question
égyptienne.
Au mois de juillet 189637, le capitaine Jean-Baptiste Marchand fut
envoyé dans le haut Oubangui afin d’y renforcer Liotard avant de se diriger
vers le Nil (Michel, 1972)38. Une course de vitesse se fit alors avec le
général Horatio Kitchener qui était encore au nord de Karthoum et qui
n’avait donc pas encore fait sauter le verrou constitué par l’État mahdiste.
Marchand fut le plus rapide car il atteignit le Nil loin au sud de la colonne
Kitchener le 10 juillet 1898 après une marche de plus de 6 000 kilomètres et
le 12 juillet, il édifia un fortin à Fachoda (Kodok), l’ancienne capitale du
royaume des Shillouk. La Grande-Bretagne protesta contre cette installation
française à la limite du bassin du Nil qu’elle considérait comme lui revenant
en totalité. Le 2 septembre 1898, les forces britanniques remportèrent la
victoire d’Omdurman qui marquait la fin de la puissance mahdiste et le
19 septembre 1898, un peu plus de deux mois après les Français, Kitchener
arriva à son tour à Fachoda où il eut une entrevue avec Marchand auquel il
demanda de se replier (Michel, 2003). Ce dernier refusa mais le
commandant en chef britannique eut la sagesse de ne pas créer l’irréparable
et d’attendre les instructions de son gouvernement39.
Une grave crise franco-anglaise éclata alors. L’opinion française se
déchaîna contre l’Angleterre. L’anglophobie quasiment belliciste de la rue
fut encore amplifiée au mois d’octobre par l’arrivée du capitaine Baratier, le
second de Marchand, venu à Paris pour y défendre l’option du maintien
français et par les télégrammes envoyés depuis Fachoda grâce à la ligne
télégraphique anglaise. Delcassé et le président Félix Faure gardèrent
cependant la tête froide et le 4 novembre, Marchand reçut un télégramme
d’une grande clarté :
« Le gouvernement, seul juge sous sa responsabilité devant le
Parlement des intérêts généraux de la France, estime qu’ils ne doivent
pas être liés à ce point au Nil […]Le commandant Marchand
comprendra que l’amour de la patrie se mesure[…] à ce qu’on lui
sacrifie. »
Le 11 décembre, Marchand abandonna le poste de Fachoda avant de se
diriger vers la mer Rouge en passant par l’Abyssinie. La crise fut ensuite
résolue par l’Accord du 21 mars 1899 fixant à l’ouest de la ligne de partage
des eaux du Nil et du Congo, la limite de la zone d’influence de la France40.
Paris ordonna en conséquence d’évacuer tous les postes du Barh el
Ghazal, notamment ceux qui y avaient été fondés par la mission Roulet. Au
début de l’année 1898, A. Cureau, Commissaire du gouvernement dans le
Haut-Oubangui avait en effet envoyé le capitaine Edouard Roulet à la tête
de 200 tirailleurs dans le Bahr-el-Ghazal afin d’y assurer les arrières de la
Mission Marchand. Le 5 août 1898, il était parvenu à Tamboura (Fort-
Hossinger), sur la ligne de partage des eaux entre le Nil et le Congo d’où il
s’était mis à la recherche d’un accès au Nil en amont de Fachoda. Le
1er janvier 1899 il avait fondé un poste à Bia, sur le fleuve Roah, et,
traversant les immenses marécages de la région, le 20 mars, il était arrivé
sur le Nil Blanc. Ce fut le 18 juin 1899, alors qu’il était installé au cœur de
l’immense Bahr-el-Ghazal, baptisé par lui Pays des Rivières, qu’il fut
informé de la signature de l’accord franco-britannique du 21 mars 1899
(Arrangement) ; en conséquence de quoi il évacua la région (Paluel-
Marmont, 1933).

4. La question marocaine (1894-1912)


En 1894, à la mort de son père Moulay Hassan, Abd el Aziz fut proclamé
sultan. Il avait quatorze ans et régna sous le nom de Moulay Abdelaziz
(1894-1908). Son intronisation suscita bien des oppositions parmi les
notables de Fès. Nombre d’opposants auraient en effet préféré voir sur le
trône le frère aîné d’Abd el Aziz, Moulay Mohamed. Compte tenu du jeune
âge du souverain, Ba Ahmed, soutenu par une des veuves de Moulay
Hassan, la Circassienne Lalla Reqiya, exerça la réalité du pouvoir pendant
six ans avec le titre de grand vizir. Il fit régner l’ordre à l’intérieur et, à
l’extérieur, joua sur les rivalités des puissances, en particulier la France et
l’Angleterre, pour retarder la mainmise européenne sur le Maroc.
Le 5 août 1890, aux termes d’une convention secrète, la France et la
Grande-Bretagne s’étaient mises d’accord pour délimiter leurs sphères
d’influente en Afrique. En échange de la reconnaissance du protectorat
britannique sur les îles de Zanzibar et de Pemba, dans l’océan Indien, Paris
s’était vu reconnaître la possibilité d’occuper le Sahara centre occidental et
cela afin de posséder un passage vers le Sud, vers le Niger et le lac Tchad
afin d’établir une continuité territoriale entre l’Algérie et la région
sahélienne. La France avait à l’époque un grand projet qui était une voie de
chemin de fer transsaharien dont le tracé, étudié par la mission Flatters,
devait traverser le Touat, le Gourara et passer par Igli dans la vallée de la
Saoura. Or, ces régions étaient marocaines et aux termes de l’accord,
Londres autorisait la France, certes sans grand enthousiasme, à les occuper,
c’est-à-dire à les rattacher à l’Algérie.
Paris attendit une dizaine d’années avant de procéder à une occupation
effective parce que, et comme nous l’avons vu, dans le grand jeu des
alliances qui commençait à redéfinir les rapports de force en Europe, la
diplomatie française était engagée dans une rude tâche. Sortie totalement
isolée du conflit de 1870, la France, patiemment, était en passe de renverser
la situation, faisant de l’Allemagne, diplomatiquement toute puissante à
l’époque du chancelier Bismarck, un pays emprisonné dans le faisceau
croisé de l’alliance franco-russe et bientôt de l’Entente cordiale. Il importait
donc de ne pas froisser les susceptibilités anglaises et c’est en grande partie
pourquoi Théophile Delcassé avait cédé à Fachoda au mois de mars 1899.
En 1900, l’occupation des oasis du Touat devint cependant inévitable car
le 28 décembre 1899, une mission topographique française dirigée par le
géologue Flamand fut attaquée depuis le territoire marocain. Son escorte,
commandée par le capitaine Pein repoussa les assaillants, se lança à leur
poursuite et s’empara d’In Salah le 29 décembre 1899. Le gouvernement
français ordonna l’occupation des oasis du Tidikelt, du Gourara et du Touat,
puis un compromis fut ensuite conclu avec le Maroc : ce furent les accords
des Confins du mois de mai 1902. Ils prévoyaient une sorte de co-
souveraineté franco-marocaine sur la région.
Puis les évènements se précipitèrent. En 1902 toujours, par un traité
secret, la France et l’Italie s’engagèrent à se partager le littoral sud de la
Méditerranée. À l’Italie, la Tripolitaine et le Fezzan, à la France le Maroc.
Quant à l’accord franco-britannique du 8 avril 1904, il reconnut à la France
le droit d’intervenir au Maroc en échange de la reconnaissance par Paris des
droits de Londres sur l’Égypte. En 1905, Saint-René Taillandier fut chargé
d’une mission qui devait « engager » Abd el Aziz à entreprendre des
réformes qui accéléreraient l’installation d’un protectorat français. Ces
réformes touchaient notamment l’armée, car il était impensable de « faire
des affaires » et de peupler le royaume de colons, sans assurer auparavant
l’ordre intérieur. Six bataillons marocains devaient être basés dans les
grandes villes sous le commandement d’officiers français. Les autres
« suggestions » concernaient la création d’une banque d’État, des projets de
grands travaux, le contrôle des exportations et des importations. Contre
toute attente, le sultan résista fermement et prétendit devoir rendre compte
de chaque détail à une assemblée de notables. Au même moment, le
contrôle financier qu’exerçaient les Français sur les douanes marocaines
comme garantie des emprunts d’État, suscitait résistance et mouvements de
révolte, surtout à Fès, et le peuple demandait au sultan de renvoyer ses
conseillers français.
Le 31 mars 1905, l’empereur Guillaume II vint à Tanger et cette visite
déclencha une vive crise diplomatique (Guillen, 1967). Sa conversation
avec le représentant du sultan, Moulay Abd el Malek, fut rédigée et
transcrite après coup par une agence de presse qui la répandit dans le monde
entier, sous le titre solennel de « discours de Tanger » :
« C’est au sultan, en sa qualité de souverain indépendant, que je fais
aujourd’hui ma visite. J’espère que, sous la souveraineté du sultan, un
Maroc libre restera ouvert à la concurrence pacifique de toutes les
nations, sans monopole et sans annexion, sur le pied d’une égalité
absolue. Ma visite à Tanger a eu pour but de faire savoir que je suis
décidé à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour sauvegarder
efficacement les intérêts de l’Allemagne au Maroc. Puisque je
considère le sultan comme un souverain absolument libre, c’est avec lui
que je veux m’entendre sur les moyens propres à sauvegarder ces
intérêts. Quant aux réformes que le sultan a l’intention de faire, il me
semble qu’il faut procéder avec beaucoup de précaution, en tenant
compte des sentiments religieux de la population pour que l’ordre
public ne soit pas troublé. »
En France, deux camps s’opposèrent alors. Le ministre des Affaires
étrangères Delcassé était partisan de la résistance face aux prétentions
allemandes, même si cette position pouvait déboucher sur une guerre. Il
n’en fallut pas plus pour déclencher un processus de tension européenne qui
entraîna le départ de Delcassé, et qui provoqua une conférence
internationale demandée par le sultan sous la pression allemande. Le
président du Conseil, Maurice Rouvier, étant quant à lui partisan d’une
négociation.
La question marocaine fut effectivement réglée par une conférence
internationale qui se tint du 7 janvier au 6 avril 1906 à Algésiras, en
Espagne et qui réunit treize pays dont les États-Unis et le Maroc.
L’Allemagne qui avait voulu sortir de son isolement en posant la question
marocaine, se trouva minoritaire car l’Angleterre soutint la France qui en
retira tout l’avantage. L’indépendance et l’intégrité du Maroc étaient certes
reconnues solennellement, mais Paris obtenait le contrôle des ports de
Rabat, Mazagan, Safi et Mogador. Tanger et Casablanca étaient partagés
avec les Espagnols qui obtenaient Tétouan et Larache. Le principe d’un
contrôle international du Maroc était ainsi fondé. Paris était de plus
majoritaire dans la banque d’État, ce qui lui assurait la domination des
finances, donc du Makhzen (l’administration)
En 1908, Moulay Hafid (1908-1912) succéda à son frère aîné Moulay
Abdelaziz qu’il fit déposer, appuyé sur les chefs des tribus berbères du sud
marocain. En 1909, un accord fut conclu entre Français et Allemands, ces
derniers reconnaissant le rôle politique de la France au Maroc, mais
obtenant en contrepartie des avantages économiques.
Des deux côtés, la priorité était à l’apaisement et le 11 mai 1910, un
accord était signé à Berlin, mais des problèmes de politique intérieure
française vinrent compliquer la situation. Aristide Briand, le président du
Conseil et Stephen Pichon, le ministre des Affaires étrangères, étaient en
effet favorables à un rapprochement franco-allemand, même au prix de
concessions. Opposé à cette politique, Joseph Caillaux, le prédécesseur
d’Aristide Briand, pourtant l’artisan de l’amélioration des relations franco-
allemandes, s’opposait aux tractations. La France hésita donc à choisir une
ligne politique au moment où l’Allemagne suivait résolument celle d’un
règlement négocié. Le cabinet Briand fut renversé et celui d’Alexandre
Monis lui succéda. Dans ce ministère, Caillaux détenait le portefeuille des
Finances. C’est alors qu’éclata la « crise d’Agadir ».
En mai 1911, le sultan Moulay-Hafid fut assiégé dans la ville de Fès par
une partie de ses sujets révoltés. Impuissant à rétablir son autorité, il fit
appel aux troupes françaises présentes depuis 1907 dans les ports marocains
de l’Atlantique. La colonne Moinier dégagea la ville de Fès mais en violant
le principe de l’indépendance marocaine garantie par l’Acte d’Algésiras.
Bien que Paris eût assuré les différentes ambassades que cette occupation
était provisoire, certaines d’entre elles s’émurent. Ce fut d’abord l’Espagne,
qui pour ne pas être en reste occupa Larache et El Ksar el Kébir. Puis
l’Allemagne protesta et le 1er juillet 1911, elle fit mouiller le croiseur
Panther devant Agadir. L’on frôla la guerre.
Pour l’éviter et pour tenter de trouver un terrain d’entente entre Paris et
Berlin, les diplomates discutèrent, proposèrent et surtout marchandèrent. La
France avait un préalable : les droits français sur le Maroc n’étaient pas
négociables. Ceci étant, il convenait naturellement d’offrir des
compensations à l’Allemagne. Mais où la France pouvait-elle le faire sinon
en Afrique équatoriale ? Cette proposition de principe étant faite,
l’Allemagne, qui désirait obtenir pour le Cameroun un accès aux fleuves
Congo et Oubangui, pensa qu’une négociation véritable pouvait débuter. En
conséquence de quoi, le 4 novembre 1911, une convention fut signée qui
réglait le contentieux colonial entre les deux pays41.
La diplomatie française avait donc réussi à détourner les appétits
allemands qui s’exerçaient sur le Maroc vers l’Afrique équatoriale.
Territorialement, le Kamerun gagnait 275 000 km2 qui allaient constituer le
Neukamerun. 152 270 km2 avaient été pris sur le Moyen-Congo,
46 989 km2 sur l’Oubangui-Chari, 40 569 km2 sur le Gabon et 34 450 km2
sur le territoire militaire du Tchad. En échange, l’Allemagne reconnaissait
le protectorat français sur le Maroc et cédait à la France « le bec de
canard », un territoire de 15 000 km2 situé au sud du lac Tchad et compris
entre le Chari et le Logone.
Le 30 mars 1912, sous la pression de cinq mille soldats français qui
campaient sous les murs de son palais, Moulay Hafid signa le Traité de
Protectorat. Il s’agissait d’un accord passé entre deux États, le Maroc et la
France, donc d’un acte international qui ne supprimait en aucune manière la
souveraineté de l’État marocain. Le général Hubert Lyautey fut nommé
Résident général au Maroc et le 16 mai, il entrait dans Fès avec à ses côtés
le colonel Gouraud. Sa grande ombre allait s’étendre sur le Maroc pendant
treize ans (Miège, 1963 ; Rivet, 1999 ; Lugan 2000).

Le traité de Fès (30 mars 1912)


Conclu le 30 mars 1912 entre la France et le Maroc, le Traité de Fès établit
« l’organisation du Protectorat français dans l’Empire chérifien ». En le signant, le
sultan marocain Moulay Abd el-Hafid (1908-1912) acceptait le protectorat de la
France sur son royaume. La « Question marocaine » qui avait été posée durant les
règnes des sultans Moulay Hassan (1873-1894) et Moulay Abd el-Aziz (1894-1908)
alors que le royaume traversait une grave crise dynastique, politique et sociale fut
ainsi résolue à l’avantage de la France.
Aîné du sultan Moulay Abd el-Aziz, Moulay Abd el-Hafid n’avait eu de cesse
d’intriguer contre son frère. En 1908, soutenu par les grands féodaux du Sud dont
Madani Glaoui et Abdel Malek M’Tougui, il finit par le battre, puis à l’évincer, avant de
le remplacer sur le trône. Incapable de tenir les promesses démagogiques faites à
ses partisans, il fut rapidement confronté à un immense mouvement de rejet, finissant
même par être désigné sous le vocable méprisant de « sultan vendu aux chrétiens ».
Au début de l’année 1911 plusieurs tribus l’assiégèrent à Fès, sa capitale. Le 15 avril,
sa situation étant désespérée, il demanda l’intervention des troupes françaises
stationnées dans la région de Casablanca et le 21 mai, une colonne commandée par
le général Moinier entra à Fès après avoir fait lever le siège de la ville. Cependant, en
lançant cette opération militaire à l’intérieur du Maroc, la France avait clairement
outrepassé ses droits, le traité d’Algésiras du 6 avril 1906 limitant en effet sa zone
d’occupation et d’intervention à la seule région de Casablanca et à son arrière-pays.
L’Allemagne réagit le 1er juillet 1911, en envoyant le croiseur Panther mouiller devant
la ville d’Agadir. L’on frôla alors la guerre qui ne fut évitée que par une rude
négociation. Dès le début, Jules Cambon, ambassadeur de France à Berlin et Joseph
Caillaux, président du Conseil posèrent un préalable qui était que les droits français
sur le Maroc n’étaient pas négociables ; le 21 juillet, la Grande-Bretagne se rangea
aux côtés de Paris. La crise fut résolue le 4 novembre 1911 par la signature d’une
convention réglant le contentieux colonial entre Paris et Berlin. Aux termes de cette
convention, l’Allemagne reconnaissant les « droits » de la France au Maroc contre
des compensations territoriales en Afrique équatoriale.
La France ayant désormais « les mains libres », Eugène Regnault, le Ministre
plénipotentiaire français à Tanger, fut chargé de faire signer le traité de Protectorat à
Moulay Abd el-Hafid. Il fallut néanmoins une semaine pour convaincre le sultan, mais
tout fut finalement réglé le 30 mars 1912, sous la pression de cinq mille soldats
français campant sous les murs de son palais de Fès, de l’occupation de vastes
zones dans l’ouest et dans l’est de son royaume.
Au terme du Traité de Fès, le Maroc qui, en théorie, demeurait un État souverain,
déléguait à la France ses droits régaliens. Dès la nouvelle connue de la fin de
l’indépendance du Maroc, plusieurs tribus se soulevèrent contre le sultan et elles
convergèrent vers Fès. La situation étant grave, le nouveau Président du Conseil,
Raymond Poincaré et Alexandre Millerand, son ministre de la Guerre, trouvèrent
alors dans le général de corps d’armée Hubert Lyautey, l’homme providentiel qui,
selon eux, pourrait prendre le contrôle du pays. Nommé Résident général de France
au Maroc le 27 avril 1912, il exerça cette fonction durant treize ans, démissionnant le
24 septembre 1925, pour marquer son désaccord avec le maréchal Pétain quant à la
conduite à tenir face à l’insurrection du Rif.
Au mois d’août 1912, totalement discrédité, le sultan Moulay Abd el-Hafid abdiqua en
faveur de son frère Moulay Youssef (1912-1927).
Le Traité de Fès fut supprimé de fait le 2 mars 1956 quand la France reconnut
l’indépendance du Maroc.

C. Le système colonial français


Durant toute la période coloniale, la France hésita entre deux idées,
l’assimilation et l’association. Ces deux modèles reposaient sur deux
philosophies non seulement différentes, mais aussi contradictoires.

1. Assimilation ou association ?
L’assimilation « à la française » était ancrée sur le postulat de l’identité
du genre humain. Son corollaire était l’éducation : une fois éduquées, les
populations coloniales et la population métropolitaine se fondraient. Le but
à plus ou moins long terme de l’assimilation était l’identité des institutions
et le resserrement de la centralisation.
La colonisation française fut d’abord, un humanitarisme civilisateur et
assimilateur reposant sur un véritable messianisme laïc (Lugan, 2006 : 95-
114). Cette idée se retrouve tout au long de la parenthèse coloniale
française. Henri Laurentie42, écrivait ainsi dans la revue Renaissance du
mois d’octobre 1945, que l’assimilation, donc l’acculturation, était un bien
pour les colonisés parce que :
« Nous leur apportons des règles bonnes et éprouvées : qu’ils en
partagent les bénéfices avec nous. Notre intervention leur épargne ainsi
des siècles de lutte et de tâtonnements. Au prix d’une crise passagère
les voilà parvenus d’un bond, là où une expérience souvent douloureuse
nous avait permis à nous-mêmes en si long temps de nous hausser.
Qu’importe le désordre familial ou social par où il aura fallu passer
devant la grandeur et l’avantage obtenu ». (Laurentie, 1945).
L’idée était que la diffusion de la culture et de la langue française
préparaient l’assimilation à long terme. À l’exemple de ce qui s’était
produit avec l’empire romain, colonisateurs et colonisés se fondraient un
jour au sein d’une même nation sous les plis d’un drapeau tricolore flottant
sur les cinq continents. Ce fut cette idée qui anima le courant
intégrationniste de l’Algérie française incarné par des hommes comme
Jacques Soustelle.
D’autres grands coloniaux comme l’étaient Joseph Gallieni, Hubert
Lyautey ou Joost Van Vollenhoven étaient quant à eux, hostiles à
l’assimilation, jugeant qu’il fallait préserver les institutions existantes, à la
condition naturellement, qu’elles ne soient pas hostiles à la présence
française. Cette idée fut d’abord défendue au nom du refus de
l’universalisme, par des hommes de « droite », minoritaires dans leur
famille de pensée par rapport aux impérialistes-intégrationnistes. Ils furent
rejoints par certains hommes de « gauche » eux aussi minoritaires, et qui
condamnaient l’idée de l’assimilation-intégration au nom du refus de la
hiérarchie des « races » et des cultures. Ainsi, lors du Congrès national de
la Ligue des droits de l’homme qui se tint à Vichy en 1931, alors que le
mouvement était clairement assimilationniste et pro colonial, un courant
minoritaire s’exprima par la voix de Félicien Challaye43 qui s’opposait à
l’assimilation vue comme « un orgueil de race » dont l’aboutissement serait
l’uniformisation :
« En vérité, la race blanche est-elle tellement certaine de sa supériorité
pour imposer sa civilisation à tous les autres peuples et vouloir les
assimiler ? ». (Cité par Girardet, 1978 : 319).
En 1918, Marius Moutet, futur Président de la Ligue des droits de
l’homme et ministre des Colonies du Front populaire s’était opposé à
l’accession à la citoyenneté des colonisés en des termes qui marquaient une
totale rupture avec les dogmes défendus par ses amis philosophiques et
politiques :
« Si l’on veut faire œuvre pratique, il faut décidément renoncer à l’unité
mystique des êtres humains qui pourraient indifféremment recevoir les
mêmes lois […] (Cité par Bancel et Blanchard, 2005 : 41)
L’assimilation était d’ailleurs rapidement apparue comme irréalisable et
devant son impossibilité sous forme massive, elle se fit de manière
individuelle, à la discrétion de l’autorité et distribuée sous certaines
conditions comme une faveur.
Bien différente était l’Association puisqu’elle reposait sur une
constatation qui était que les colonies n’étaient pas la France, mais à la
France. Ainsi, la France possédait certes l’Algérie, ce qui ne voulait pas dire
pour autant que l’Algérie était la France. La distinction était de taille. Dans
ces conditions, il aurait peut-être été possible de maintenir un cadre
commun dans lequel chacun aurait conservé ses institutions. Cette idée qui
se serait rapprochée de ce que la Grande-Bretagne avait instauré dans son
Empire n’était dans tous les cas plus valable après le second conflit
mondial, sans parler, et nous le verrons plus loin, du poids insupportable
que le maintien de l’Empire faisait peser sur l’économie française.

L’Empire africain de la France


L’Empire africain de la France formait un ensemble extrêmement diversifié au point
de vue administratif. La vieille distinction entre « colonies de peuplement » et
« colonies d’exploitation » fut renouvelée par Hardy (1953) quand il identifia des
« territoires d’enracinement, d’encadrement et de position ». Mais là encore la
classification était européocentrée. De plus, et à la différence de certaines colonies
britanniques comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou le Canada, aucun territoire
français n’était exclusivement ou quasi exclusivement peuplé par des Européens, y
compris l’Algérie dont la population européenne n’était que de 1 pour 10. Quant aux
territoires d’« encadrement » et de « position » (protectorats et mandats),
administrativement parlant, ils se rapprochaient de plus en plus des colonies
d’« encadrement » où la France exerçait son autorité directement.
À partir de 1871 les diverses possessions françaises au sud du Sahara prirent leur
autonomie administrative par rapport au Sénégal. En 1883 les Rivières du Sud en
furent ainsi détachées tandis que le Sénégal absorbait les territoires du Soudan au
fur et à mesure de l’avance française le long du Niger. En 1893 les Rivières du Sud
donnèrent naissance à trois colonies : la Guinée française, la Côte d’Ivoire et le
Dahomey. En 1895, le Soudan fut séparé du Sénégal puis, en 1899, il fut découpé au
profit de la Guinée, du Sénégal et de la Côte d’Ivoire avant d’être reconstitué en 1904
sous le nom de Haut-Sénégal-Niger. La Haute-Volta en fut détachée en 1919. En
1920 le Niger et le Soudan furent séparés et en 1932 la Haute-Volta fut démembrée
au profit de la Côte d’Ivoire, du Niger et du Soudan, avant d’être reconstituée en
1947. Dans le golfe de Guinée, en 1886, le Gabon donna naissance au Congo qui
devint en 1902 le Moyen-Congo duquel fut détaché l’Oubangui-Chari-Tchad en 1906.
Puis, à partir de 1920, le Tchad et l’Oubangui-Chari constituèrent deux colonies
distinctes qui connurent plusieurs redécoupages frontaliers jusqu’en 1936.
Le 16 juin 1885 avait été créée la Fédération de l’AOF (Afrique occidentale française)
avec siège du gouvernement général à Dakar et après nombre de remaniements, le
15 janvier 1910, avait été constituée la Fédération de l’Afrique équatoriale française
(AEF) avec siège du gouvernement général à Brazzaville.
Après 1919, leTogo et le Cameroun, anciens territoires allemands, furent gérés par
des Commissaires de la République et non par des Gouverneurs.
En Afrique du Nord, l’Algérie dépendait du ministère de l’Intérieur, les protectorats
(Tunisie et Maroc) du ministère des Affaires étrangères et le reste des possessions
africaines françaises du ministère des Colonies.

2. Centralisation ou décentralisation ?
La France eut donc des politiques administratives contradictoirement
simultanées, ce qui, avec le recul, donne une impression d’incohérence.
La première doctrine officielle française fut unificatrice et elle s’appuyait
sur la Constitution de l’an III qui stipulait que : « Les colonies sont
soumises à la même loi constitutionnelle que la métropole ». La
Constitution de 1875 rédigée avant le partage de l’Afrique ne contenait rien
de plus au sujet des colonies, ce qui fit que, durant des décennies, le seul
texte de référence fut un sénatus-consulte datant de 1854 stipulant que les
colonies étaient régies par décret de l’Empereur des Français. Le Parlement
n’ayant pas légiféré, c’est donc le plus généralement par décret du ministre
des Colonies et au nom du président de la République, que furent prises les
décisions applicables aux colonies.
Chaque groupe de territoires (AOF et AEF) avait à sa tête un gouverneur
général qui était le représentant du ministre des Colonies. Les colonies
étaient gouvernées par arrêtés émanant des gouverneurs ou des hauts-
commissaires. La circonscription administrative était le Cercle (une
centaine en AOF et la moitié en AEF) avec à sa tête le Commandant de
cercle. Le Cameroun était à part avec, à lui seul, un peu plus de 60
circonscriptions. Le Commandant de cercle était pour les Africains le
représentait du pouvoir colonial. Il fixait l’impôt de capitation, les taxes,
organisait et mobilisait pour les travaux obligatoires etc..
Les indigènes étaient donc totalement absents de la chaîne de décision44
mais, pour autant, peut-on véritablement dire que le système français fut
celui de l’administration directe ? Oui et non tout à la fois.
Entre 1870 et 1890 la politique coloniale française fut clairement une
volonté centralisatrice avec simple transfert d’institutions calquées sur
celles de la métropole et cela, afin d’obtenir un ensemble homogène soumis
à un régime uniforme. Cependant, la multiplication de nouvelles
acquisitions de territoires différents les uns des autres rendit impossible
cette politique qui fut remplacée par un réalisme empirique, laissant
finalement aux gouverneurs le soin d’organiser les territoires selon leurs
conceptions.
Il convient donc de sortir des schémas simplificateurs car
l’administration coloniale française ne fut pas toujours directe tandis que, et
nous l’avons vu, l’administration coloniale britannique ne fut pas toujours
indirecte. Dans le cas de la France une administration indirecte a même été
pratiquée régulièrement au Sahara et dans les pays du Sahel, là où les
chefferies traditionnelles étaient puissantes, tandis que les Britanniques ont
dû administrer presque directement là où les nouvelles élites locales
formées par les missionnaires étaient régulièrement révolutionnaires et
contestaient le pouvoir des chefs traditionnels.
De plus, la France, en dépit de bien des pesanteurs idéologiques a
néanmoins su faire preuve d’empirisme, de réalisme. C’est ainsi que, si
l’idée de départ était bien jacobine, avec la volonté de supprimer la
chefferie afin de placer les populations sous l’autorité de fonctionnaires
français, la réalité fut bien plus souple. À chaque fois que l’administration
locale pouvait aider à la mise en place de l’autorité coloniale, la France
conserva ainsi le pouvoir traditionnel, comme par exemple avec le roi du
Dahomey jusqu’en 1900. En Oubangui-Chari, l’organisation du royaume
Bandia fut maintenue jusque dans les années 1940 et en Haute-Volta, le
Moro Naba empereur des Mossi fut également laissé en place. Au Sénégal,
après l’avoir combattue, la France s’appuya sur la confrérie des Mourides et
plus largement sur les marabouts, ce qui permit d’ailleurs l’adhésion du
Sénégal à la Communauté française en 1958 dans ce qui a été défini comme
le « oui des marabouts ». Ailleurs, la France adopta l’administration directe
en créant de nouveaux chefs dépendant d’elle et qui assuraient l’interface
ou l’élément de simple transmission entre les commandants de cercle et les
populations ; il s’agit des chefs de canton ou de village qui n’étaient pas des
chefs traditionnels.
Dans le cas de l’Algérie, il est caricatural de présenter l’administration
française comme un bloc monolithique ayant favorisé l’islam par
détestation de l’Église catholique. Que dire dans ce cas de Mgr Lavigerie,
qui, contrairement à ce qui est trop souvent écrit, n’était pas partisan d’une
politique trop offensive de conversion des musulmans d’Afrique du Nord ?
Il exprima d’ailleurs plusieurs fois et très clairement sa position, notamment
en 1873 quand il donna pour consigne aux fondateurs de la mission du
Djurdjura « l’école pour les enfants et la charité pour tous ». Il fut
également très clair avec les Pères Jésuites qu’il envoyait en Kabylie :
« Ce n’est pas le moment de convertir, c’est le moment de gagner le
cœur et la confiance des Kabyles par la charité. Vous ne devez pas viser
à autre chose. Tout ce que vous ferez en dehors perdra l’œuvre. »
En définitive, il y eut déconcentration de la pratique administrative
française puisque l’exercice du pouvoir central fut transféré à des agents
locaux, gouverneurs généraux et gouverneurs et cela sans jamais prévoir la
création d’assemblées locales véritablement représentatives. Aux côtés des
gouverneurs furent certes créés des Conseils de Gouvernement en Algérie et
en AOF, un Conseil d’Administration à Madagascar, un Grand Conseil des
Intérêts économiques et financiers en Indochine. Tous étaient composés de
fonctionnaires et de notables européens et indigènes choisis
discrétionnairement par le gouverneur général. À Madagascar, le conseil
était composé de 9 chefs de service français et de 6 notables dont 4
Européens.

1. L’amiral Jean-Bernard Jauréguiberry fut deux fois ministre de la Marine, du 4 février 1879 au
23 septembre 1880 durant le gouvernement Waddington et le premier gouvernement Freycinet ;
puis du 30 janvier 1882 au 29 janvier 1883 durant le second gouvernement Freycinet, puis sous
celui de Duclerc, dont il démissionna le 28 janvier 1883, à la fois car il était en désaccord avec les
hésitations gouvernementales au sujet du Tonkin où il s’était illustré comme capitaine de frégate
en 1858 et 1859 ; et également parce qu’il était opposé à l’expulsion des princes.
2. Les Français n’eurent pas de politique claire vis-à-vis du royaume toucouleur, hésitant même sur la
conduite à tenir ce qui les conduisit à bien des incohérences, puisque, tantôt des traités étaient
signés avec lui et tantôt une politique militaire était suivie. Avec la nomination de Borgnis-
Desbordes, la ligne définie fut claire et c’était la manière forte.
3. Ce Congrès destiné à fonder les modalités de l’impérialisme européen avait pour but initial de
tenter de régler la « Question d’Orient », c’est-à-dire le problème des Balkans et plus généralement
celui posé par le délitement de l’Empire turc.
4. Jules Ferry naquit à Saint-Dié, en Lorraine, en 1832. Ce Républicain qui fut opposant à l’Empire
devint membre du gouvernement de Défense nationale. Délégué à la préfecture de la Seine au
début de la Commune, il quitta l’Hôtel de Ville pour rallier les « Versaillais ». Élu député des
Vosges à l’avènement du président maréchal de Mac-Mahon, il devint le champion de l’idéal
laïque. À Jean Jaurès qui lui demandait : « Quel est votre but ? », il répondit : « Mon but est
d’organiser l’humanité sans dieu, ni roi ».
5. Ce fut la « République opportuniste » qui le constitua. On désignait alors du nom
d’« opportuniste » la gauche républicaine qui avait choisi le réformisme afin de changer le système,
mais tout en demeurant théoriquement ferme sur ses principes. Elle fut sévèrement dénoncée par
les radicaux qui y voyaient une trahison de l’idéal révolutionnaire et républicain.
6. En 1879, Jules Ferry était devenu ministre de l’Instruction publique dans le cabinet Waddington.
7. Le 13 février 1885, durant la guerre franco-chinoise (1881-1885), les troupes françaises
commandées par le général Brière de l’Isle s’emparèrent de Langson sur la frontière entre le Tonkin
et la Chine. Le général se porta ensuite au secours du commandant Dominé assiégé à Tuyen Quang
et il ne laissa sur place à Langson, qu’une brigade commandée par le général de Négrier. Le
23 mars les Chinois donnèrent l’assaut et le général lança une charge particulièrement audacieuse,
se plaçant à la tête de ses hommes, mais il fut blessé et passa le commandement à son adjoint, le
lieutenant-colonel Herbinger. Le 28 mars, ce dernier ordonna une retraite totalement injustifiée. Le
30 mars, sur la foi d’une dépêche alarmiste venue de Hanoï et rédigée par le général Brière de l’Isle
qui avait été mal informé, la retraite de Langson fut connue à Paris où l’opposition à Jules Ferry la
transforma en « désastre de Langson » dans lequel 1 800 soldats français avaient trouvé la mort
tandis que les Chinois déferlaient sur le Tonkin. La vérité fut rétablie par une nouvelle dépêche qui
remit les choses en place : la défaite des Chinois était totale puisqu’ils s’étaient repliés en laissant
1 200 morts sur le terrain contre 5 chez les Français et qu’ils avaient demandé l’armistice.
8. Cité par Girardet (1978 : 103). Pour tout ce qui concerne l’anti colonialisme de droite, on se
reportera à Lugan (2006 : 107-114).
9. Dans la préface du livre Le Tonkin et la mère Patrie, datée de 1890, il écrivit à ce propos que « la
politique coloniale est fille de la politique industrielle ». Pour Ferry, la force d’une industrie était
contenue dans le volume de ses exportations. Or, les débouchés se fermaient et il était donc
nécessaire d’en chercher ailleurs. Les débouchés coloniaux constituant ainsi une sorte de soupape
de sécurité.
10. Dans la réflexion de la gauche française, la dimension idéologique morale et universaliste a
d’ailleurs tenu une part considérable. On trouve chez Jules Ferry la notion de colonisation
émancipatrice, de lutte pour la justice, d’élévation de l’esprit grâce aux Lumières. Comme l’écrivait
Raoul Girardet : « Comment la France, patrie des Droits de l’Homme, annonciatrice de la grande
espérance de 1789, pourrait-elle se dérober devant les exigences de cette nouvelle croisade
libératrice (qu’est la colonisation) ? » (Girardet, 1978 : 49).
11. La Tunisie devint un authentique protectorat français le 8 juin 1883, sous le second ministère
Ferry, lorsque fut signée la Convention de la Marsa qui donnait à la France le droit de promulguer
les réformes administratives, judiciaires et financières qu’elle jugerait nécessaires.
12. Les protestants qui réussirent à évangéliser les milieux de la cour l’emportèrent sur les
catholiques et en 1868, le protestantisme devint religion d’État à la grande colère des catholiques.
13. Planche couleur n° XIX.
14. Le gouvernement français décida de l’exiler au Gabon où il mourût le 2 juin 1900.
15. Jean-Marie Bayol (1849-1905), formé à l’école de médecine navale de Toulon, commença par
exercer la médecine à bord de la Vénus le long des côtes d’Afrique. En 1878, au Gabon, il participa
à une expédition dans le pays pahouin puis fut nommé au Sénégal. En 1880-1881 il fut membre de
l’expédition Gallieni avant d’être envoyé à Bamako comme représentant du gouvernement français.
À partir de ce moment, il abandonna la médecine pour l’administration coloniale. En 1881, depuis
le Sénégal, il se lança dans une importante entreprise d’exploration au Fouta Djalon dans l’actuelle
Guinée. Il en revint par la Gambie et le Bambouk avec une ambassade peule qui fut reçue à Paris
par le président Jules Grévy. Il effectua d’autres explorations, notamment au Kaarta. Il publia le
récit de ces voyages :
– Bayol, J.-M., Voyage au pays de Bamako sur le Haut-Niger, Paris, 1881.
– Bayol, J.-M., Voyage en Sénégambie, Paris, 1888.
En 1887, il fut nommé gouverneur des « Rivières du Sud » et en 1888, gouverneur de Guinée. Au
mois de mars 1889, Glé-Glé adressa un ultimatum à la France, la sommant de se retirer de Porto
Novo et de Cotonou. Afin de régler le contentieux franco-dahoméen, le docteur Bayol se rendit à
Abomey à la cour de Glé-Glé qui le garda en otage.
16. Le Liberia qui revendiquait cette zone reconnut l’autorité française en 1907. Quant aux limites
avec la Gold Coast, elles furent fixées en 1898. Dans le Nord, les régions d’Odiénné et de Kong
furent détachées du Soudan français et rattachées à la Côte d’Ivoire en 1899. De 1932 à 1948, la
Côte d’Ivoire fut encore étendue vers le Nord puisqu’elle engloba alors la majeure partie de la
Haute-Volta dont le pays Mossi.
17. Le nom de Gabon est une transformation de la désignation portugaise de l’estuaire du « Rio do
Gabâo ». Ici également, la toponymie littorale doit beaucoup aux Portugais qui furent les premiers
européens à reconnaître la région. Cette première présence dans le territoire qui deviendra le Gabon
fut éphémère et il fallut attendre le début du XVIIe siècle pour assister à une véritable tentative
d’implantation réalisée par les Hollandais, les Anglais et les Français qui étaient à la recherche
d’esclaves.
18. Il s’agissait des districts d’Oyem, de Bitam, de Minvouli et de Minkébo qui seront récupérés par
la France au lendemain du premier conflit mondial.
19. Elle avait été préparée par l’expédition du colonel Louis Monteil qui, de 1890 à 1892, traversa le
Songhay, atteignit Segou, Sikasso, Ouagadougou, régions qui avaient déjà été parcourues quelques
années plus tôt par Binger, puis se rendit à Sokoto, à Kano et dans le Bornou pour aboutir
finalement à quelques dizaines de kilomètres du lac Tchad. Il rentra par le Fezzan et Tripoli
(Monteil, 1895).
20. Sur Rabah, voir Zeltner (1988) ; Tubiana (2003) ; Arditi (2003).
21. Ses origines ethniques sont controversées. Peut-être appartenait-il au groupe des Hamadj,
population noire partiellement arabisée.
22. Pour tout ce qui concerne les populations arabes ou arabisées de la région du lac Tchad, voir
Zeltner (1970 et 1988).
23. Ce dernier se proposait d’enlever Gordon pour l’échanger contre son père.
24. Suleiman et les chefs Dja’aliyin qui s’étaient rendus furent exécutés, après que les Danagla eurent
fait croire à Gessi qu’ils allaient de nouveau se soulever.
25. En 1888-1889, Paul Crampel – qui avait été secrétaire de Brazza – s’était avancé dans les régions
septentrionales du Congo mais, blessé lors d’une embuscade, il avait dû battre en retraite à travers
une zone de forêts et de marais particulièrement hostile. Soutenu par le sous-secrétaire d’État aux
Colonies, Eugène Étienne et par le Comité de l’Afrique française, il repartit deux ans plus tard pour
tenter d’atteindre le lac Tchad par le Congo et l’Oubangui.
26. À Dakar, Paul Crampel recruta les cadres et les soldats de son expédition. Albert Nebout, chef de
gare à Rufisque se porta volontaire et Crampel en fit son adjoint. C’est lui qui fit la relation de la
mission et de la mort de son chef. Autres recrues, Gabriel Biscarrat, qui était commissaire de police
à Dakar et Mohamed ben Saïd, étudiant en médecine kabyle devait servir d’interprète au-delà du
Tchad car, une fois le lac atteint, le chef de l’expédition devait rejoindre l’Algérie à travers le
Sahara.
Avec seulement trente tirailleurs sénégalais et quatre-vingt-dix porteurs, la mission Crampel se
proposait de parcourir et de découvrir les régions encore inexplorées s’étendant entre Bembé sur
l’Oubangui – à deux cents kilomètres en amont de Bangui – et le lac Tchad, situé à vol d’oiseau à
mille kilomètres de là.
27. Chef d’exploration, c’est-à-dire chargé de reconnaître le fleuve, d’assurer l’intendance, les stocks,
la cartographie.
28. Jean-François Arsène Klobb (1857-1899).
29. Le capitaine Voulet, ce brillant officier, « Vrai surhomme qu’eût aimé Nietzsche » selon
l’expression de Paul Morand, était avant tout un conquistador égaré en son siècle. De la trempe
d’un Cortez ou d’un Pizarre, il n’avait pas hésité à aller jusqu’à la sanglante rupture avec ses chefs
afin de poursuivre son aventure personnelle.
30. Le capitaine Gabriel Cazemajou dirigeait une expédition partie du Niger en 1896 en direction de
l’Oubangui, afin d’y épauler la Mission Marchand. Ayant atteint Sokoto, il arriva à Zinder où il fut
fait prisonnier et assassiné.
31. Les deux hommes ne restèrent pas inactifs puisque le 11 décembre, Joalland atteignit le Chari,
cependant que Meynier arrivait à Fort-Archambault, à sept cents kilomètres plus au sud.
32. Le massacre de la mission Flatters, perpétré en 1881 (no 1 sur la carte), avait paru compromettre
pour longtemps toute tentative de pénétration française au Sahara, reconnu comme « zone
d’influence » de la France lors de la Conférence de Berlin de 1885. La prise d’El Goléa, en 1891
puis celle de Tombouctou, conquise par le futur général Joffre en 1894 firent que la France était
solidement installée sur les deux rives du Sahara. Il allait donc falloir établir sa domination sur les
territoires s’étendant de l’Algérie au Soudan. Ce fut le but de la Mission Foureau-Lamy (Ardisson,
2003 : 57-62). Fernand Foureau était un « vieux Saharien » qui avait accompli onze voyages dans
le grand désert entre 1876 et 1898. François-Joseph Lamy était un officier familier des affectations
coloniales, qui avait servi en Algérie, en Tunisie, au Tonkin, à El Goléa au Sahara, au Congo et à
Madagascar avant de prendre le commandement de la mission.
33. Les opérations militaires à venir n’étant plus de son ressort, Foureau quitta la mission pour
ramener en France ses notes et ses collections. Accompagné d’un adjudant et de trente hommes, il
rentra par la route du Sud et le Congo.
34. La tête de Rabah coupée par un tirailleur et fichée en haut d’une lance, fournit à la revue « Le
Tour du Monde » l’une de ses couvertures les plus célèbres.
35. Jusqu’en 1934 les résistances se poursuivirent avec parfois même de sérieuses menaces comme
en 1923-1924 quand le petit-fils de Ma el-Ainin, Taqui Allah ould Ely Cheikh menaça Port-
Étienne, puis en 1931 quand il fut aux portes d’Atar. Il fallut en fait attendre 1936 pour que la
région soit totalement pacifiée, soit vingt années avant l’indépendance du Maroc et vingt-quatre
avant celle de la Mauritanie. Dans ces régions, la parenthèse coloniale dura donc moins d’un quart
de siècle.
36. La mise en chantier du chemin de fer Djibouti-Addis-Abeba en 1898 changea totalement la
destinée de la Côte française des Somalis, le port de Djibouti devenant peu à peu le débouché du
plateau abyssin.
37. À la fin de l’année 1896, au départ de Djibouti, une mission « scientifique » placée sous les
ordres du marquis de Bonchamps secondé par Charles Michel, fut envoyée en direction de la
mission Marchand. Son but réel était très ambitieux puisqu’elle devait engager l’Éthiopie à exercer
son influence en direction du Nil Blanc afin de contenir la poussée anglaise dans la région.
Cependant, les difficultés furent telles qu’après avoir perdu la moitié des 150 hommes la
composant, la mission fut contrainte de faire demi-tour (Michel, 1900).
38. Marchand avait lui-même choisi ses subordonnés : deux capitaines, Germain et Baratier, trois
lieutenants : Mangin, Largeau et Simon qui sera ultérieurement remplacé par Fouques ; un enseigne
de vaisseau, Dyé, un médecin, Émily, un interprète d’arabe, Moïse Landeroin et quatre sous-
officiers français. La troupe était composée de cent cinquante tirailleurs bambara.
39. Et pourtant, il avait les moyens de déloger Marchand, sa dizaine de Français et sa centaine de
tirailleurs sénégalais isolés loin de leurs bases, lui qui était à la tête d’une formidable armée de
vingt-cinq mille hommes dont près de 10 000 Britanniques, appuyée sur le chemin de fer
Méditerranée-Soudan et disposant du télégraphe.
40. Le contentieux franco-britannique fut réglé en deux temps :
1. au mois de mars 1899, un « Arrangement » franco-britannique reconnaissait à la Grande-
Bretagne la souveraineté sur le Bahr el-Ghazal, affluent ouest du Nil ;
2. en 1904, Paris abandonnera ses derniers droits sur l’Égypte et Londres lui laissera toute liberté
d’action au Maroc.
Cet accord fut interprété par une large partie de l’opinion française comme une reculade et même
un affront.
41. L’importance de cet arrangement était considérable puisque, après l’Espagne et l’Angleterre,
l’Allemagne reconnaissait les droits de la France au Maroc et cela, d’une manière très précise :
« Dans l’hypothèse où le gouvernement français croirait devoir assurer le protectorat du Maroc, le
gouvernement impérial n’y apporterait aucun obstacle ».
42. Henri Laurentie (1901-1984), administrateur des Colonies qui avait longtemps servi au
Cameroun, en Guinée et au Tchad se rallia à la France Libre dès 1940 et fut un des principaux
organisateurs de la Conférence de Brazzaville (1944). En 1944, après la Libération, et
jusqu’en 1947 il fut Directeur des affaires politiques au ministère de la France d’Outre-Mer.
43. Né en 1875 et mort en 1967, ce socialiste Dreyfusard, rédacteur des Cahiers de la Quinzaine de
Charles Péguy, membre du Parti communiste français, membre du comité de vigilance des
intellectuels antifascistes avant de se rallier au régime de Vichy, était un farouche anticolonialiste.
44. Le gouverneur général ou le gouverneur était à la tête d’une hiérarchie de commandement
pyramidale de type militaire depuis les villageois, le chef de village, le chef de canton, le chef de
subdivision, le commandant de cercle, le gouverneur et (ou) le gouverneur-général et jusqu’au
ministre.
Chapitre III.
L’Allemagne et l’Afrique 1

Jusqu’en 1884, les priorités allemandes furent européennes. Avant 1870,


afin de réaliser l’unité des États allemands ; après la proclamation de
l’Empire, afin de consolider ce dernier. C’est ce qui explique le retard pris
par l’Allemagne dans la course aux colonies.

Les explorateurs allemands


Les Allemands comptent parmi les principaux découvreurs du continent africain. Les
noms de Ziegler et de Schwartz au Nord, de Barth au Niger, de von Schlieffen au
Soudan et au Kordofan, de Brugsch en Égypte, de Beurmann en Nubie, au Fezzan et
au Bornou, d’Oterveg et de Vogel au Baguirmi et vers le lac Tchad illustrent l’intérêt
des Allemands pour les espaces désertiques. Les plus célèbres explorateurs
allemands de ces régions furent Gerhard Rohlfs (1831-1896) et Gustav Nachtigal
(1834-1885). Gerhard Rohlfs, ancien lieutenant de l’armée prussienne, avait servi en
Algérie comme médecin dans la Légion étrangère. Il y avait appris l’arabe et ayant
décidé d’explorer le Grand Sud encore inconnu, il se fit circoncire puis, vêtu à la
mode locale, en 1861, il visita le Tafilalet et le Touat qu’il fut le premier Européen à
atteindre. En 1865, il était à Tripoli d’où il comptait se rendre au Hoggar, mais la piste
était alors rendue périlleuse en raison d’une guerre opposant les tribus touareg. Il
changea alors de destination et décida de visiter Mourzouk, puis le Bornou, avant
d’atteindre la rivière Bénoué et enfin de rejoindre Lagos en 1867. En 1868, il reprit
son projet saharien abandonné en 1865 et il explora la Cyrénaïque. Rohlfs finit ses
jours comme consul d’Allemagne à Zanzibar.
Le 17 février 1869, Nachtigal partit quant à lui pour un des plus étonnants voyages
d’exploration de l’époque puisqu’il dura cinq années. Ne pouvant se rendre au
Bornou en raison des troubles qui secouaient ses approches, il visita Mourzouk et le
Tibesti qu’il fut le premier Européen à parcourir et où il apprit la langue toubou, puis il
atteignit Bardai avant de revenir à Mourzouk. L’année suivante, il était au Bornou,
puis, en 1873, il prit la route de l’Est, vers le Wadaï et le Baguirmi. Enfin, par le
Darfour et El Fasher (ou El Facher), il rejoignit le Nil et l’Égypte. Comme nous l’avons
vu, le botaniste George Schweinfurth (1836-1925), explora pour sa part les régions
inconnues du Soudan nilotique.
Jusque dans les années 1885, les efforts des voyageurs et des explorateurs
allemands ne débouchèrent pas sur la constitution d’un Empire colonial ce qui
provoqua bien des frustrations, bien résumées dans cette question posée en 1878
par un journaliste allemand qui demandait : « II s’agit de savoir si l’Allemagne va se
décider à faire autre chose en Afrique que d’y envoyer des missions scientifiques et
d’y semer les ossements de ses explorateurs […] ».

A. Bismarck et l’Afrique
Durant la première époque bismarckienne, l’Allemagne qui était pourtant
présente sur tous les fronts de l’exploration de l’Afrique, n’en profita pas
pour se constituer les bases d’un futur empire colonial. Au contraire,
Bismarck fit tout ce qui était en son pouvoir pour freiner le mouvement.

1. « Nous autres Allemands n’avons pas besoin de


colonies »
La première doctrine de Bismarck en matière coloniale fut résumée par
cette phrase car le chancelier pensait que l’État allemand devait se tenir à
l’écart du mouvement colonial. Cependant, rien n’interdisait aux firmes
commerciales germaniques de se lancer dans des entreprises ultra-marines,
mais à leurs risques et périls toutefois. Pour Bismarck la constitution d’un
empire colonial présentait trois inconvénients principaux :
1. celui d’affaiblir l’Allemagne en détournant vers l’Afrique une partie
des énergies nationales et cela au moment où le Reich avait, en Europe
même, besoin de tous ses fils ;
2. celui de gaspiller les ressources de l’État ou même des particuliers
dans une entreprise au devenir douteux ;
3. celui enfin de risquer de créer des conflits diplomatiques avec la
France et la Grande-Bretagne qui considéraient le continent noir
comme leur « chasse gardée « (Guillen, 1972).
Allant plus loin qu’un simple refus d’engagement outre-mer, Bismarck
définit la doctrine qui fut celle de l’Allemagne durant une douzaine
d’années et qui tenait en trois points principaux :
1. le gouvernement allemand n’avait pas pour objectif de planter son
drapeau sur une poussière de possessions dispersées et indéfendables ;
2. l’Allemagne annonçait officiellement qu’elle ne nourrissait aucune
ambition territoriale coloniale. Dans ces conditions, les puissances
concernées ne devaient pas voir dans les dynamiques commerçants
allemands qui parcouraient les Afriques déjà partagées, les
représentants d’un quelconque impérialisme colonial germanique ;
3. en revanche, l’Allemagne affirmait que son objectif était d’ordre
commercial ; il était donc d’une toute autre nature que celui de la
France ou de la Grande-Bretagne qui cherchaient à acquérir un
maximum de territoires coloniaux.
La position de Bismarck qui fut défendable tant que le « scramble for
Africa » n’avait pas débuté fut vite intenable car la France et la Grande-
Bretagne qui subissaient des contraintes de souveraineté dans leurs empires
respectifs, ne pouvaient évidemment accepter sans réagir que la méthodique
et agressive politique commerciale allemande s’y exerce à leurs dépens.
C’était en effet grâce aux infrastructures, aux fonctionnaires, aux soldats
britanniques ou français que les commerçants de Brême ou de Hambourg
pouvaient créer et développer leurs affaires.
À cette opposition extérieure s’ajouta bientôt celle des milieux
économiques allemands qui trouvaient des échos de plus en plus attentifs
quand ils affirmaient que l’Allemagne perdait de sa substance par
l’émigration et par les investissements qui se faisaient ailleurs que dans des
territoires allemands.
Ces réalités firent que Bismarck fut contraint d’évoluer et de définir une
nouvelle politique qui fut élaborée sous la pression des événements durant
les années 1884-1890. Trois arguments avaient « tempéré « ses certitudes,
le problème de l’émigration allemande, celui de la marine et enfin, la
question du prestige du Reich. En effet :
1. pays d’émigration durant tout le XIXe siècle, l’Allemagne avait vu partir
sans espoir de retour 3 500 000 des siens entre 1819 et 1885. Il
s’agissait d’une véritable hémorragie humaine et les groupes de
pression coloniaux, dont la Ligue coloniale fondée en 1883, militaient
pour que ce flot soit détourné vers des colonies de peuplement
appartenant à l’Allemagne ;
2. l’Allemagne s’était lancée dans un ambitieux programme maritime
destiné à garantir la liberté commerciale sur toutes les mers du globe.
Mais encore fallait-il disposer de points d’appui sûrs ; il était donc
nécessaire de posséder des colonies ;
3. les initiatives commerciales privées permettaient certes à l’État de ne
pas être engagé dans un engrenage colonial mais, en cas de menace
pesant sur des ressortissants allemands, là où aucune autre autorité
européenne ne s’exerçait, fallait-il les laisser massacrer sans intervenir ?
Bismarck qui ne pouvait plus s’opposer au mouvement de course aux
colonies tenta d’en rester maître, de le contrôler et même de le freiner. Il
affirma ainsi que la constitution d’un empire colonial n’était pas un but, une
fin en soi, mais simplement un moyen de soutenir et d’aider le commerce
de l’Allemagne. C’est précisément pour faire respecter la liberté des
activités commerciales allemandes qu’il accepta la constitution des
premiers noyaux de colonisation en Afrique orientale, au Togo et au
Cameroun, mais, pour le moment, il n’était pas question de conquête
territoriale.
Le 24 avril 1884, après de longues hésitations, Bismarck télégraphia au
consul allemand du Cap que les 1 500 kilomètres situés entre les fleuves
Orange et Cunene (au sud de l’Angola) étaient placés sous protection du
Reich. L’Allemagne se lançait donc à son tour dans la course aux colonies.
Le 6 juillet 1884, le drapeau allemand fut hissé à Lomé (Togo) et le
12 juillet, le protectorat allemand proclamé au Cameroun.

Une première colonisation allemande


Durant la seconde moitié du XVIIe siècle, Frédéric-Guillaume, Grand Électeur de
Brandebourg, après avoir agrandi sa principauté de la Poméranie et des bouches de
l’Oder, avait songé à participer au commerce colonial et il avait engagé à son service
l’amiral hollandais Gysels van Lier. En 1647 avait été fondée une compagnie
brandebourgeoise des Indes orientales, et en 1676, une autre, qui devait commercer
le long des côtes du golfe de Guinée.
En 1681 une expédition brandebourgeoise avait réussi à imposer un traité de
commerce aux chefs de la région comprise entre Axim et le cap des Trois Pointes en
Côte-de-l’Or. En 1683, une forteresse, Gross-Friedrichburg, fut édifiée sur le cap des
Trois Pointes et le territoire brandebourgeois s’agrandit peu à peu dans la région
grâce à l’acquisition d’Accada et de Tacarary.
En 1687, l’île d’Arguin, située en Afrique de l’Ouest, au sud du cap Blanc, passa sous
la souveraineté du Grand Électeur, mais la compagnie brandebourgeoise ne parvint
pas à conserver ces possessions convoitées par la France et par la Hollande. En
1688, une flotte hollandaise s’empara d’Accada et de Tacarary et assiégea Gross-
Friedrichburg. Après la mort du Grand Électeur survenue en mai 1688, les efforts
coloniaux du Brandebourg furent quasiment réduits à néant. Frédéric Ier, son fils,
parvint néanmoins à conserver Arguin et Gross-Friedrichburg mais, en 1717,
quatre ans après la mort de ce dernier, ces deux comptoirs furent vendus aux
Hollandais par Frédéric-Guillaume Ier.

Afin que les rivalités en Afrique ne se transforment pas en conflits armés


entre les puissances, Bismarck réunit une conférence internationale à Berlin
car les temps étaient venus d’une tractation coloniale au niveau européen.
Cette conférence se tint du 15 novembre 1884 au 26 février 1885 et le
partage du continent y fut organisé et codifié. Sa conclusion est connue sous
le nom d’Acte de Berlin.

2. L’Allemagne entre le refus de la colonisation et la


« place au soleil »
Après la mise à l’écart de Bismarck par le nouvel empereur Guillaume II
(1859-1941), l’Allemagne développa une politique coloniale différente de
celle suivie sous le règne de Guillaume Ier (1797-1888) (Lugan, 1990b ;
1993a).
Désormais, le Reich ne réclama plus la liberté pour ses maisons de
commerce, mais une place en Afrique correspondant à sa véritable
puissance économique. Vecteur de cette volonté, la Ligue pangermaniste et
de nombreux comités coloniaux s’efforcèrent de « soutenir », de favoriser
ou de « pousser » les initiatives gouvernementales. La Ligue pangermaniste
(Alldeutscher Verband) fondée en 1883 ne compta que peu d’adhérents,
mais son influence fut énorme dans les milieux nationalistes et intellectuels.
De son côté, de 1890 à 1896, le Dr Kayser, directeur de la Section coloniale
du ministère des Affaires étrangères, entreprit de transformer des comptoirs
isolés et sans arrière-pays en empire colonial, mais comme il ne fut guère
encouragé dans cette voie par le chancelier Leo von Caprivi, successeur de
Bismarck depuis le 20 mars 1890, il lui fallut attendre 1894 pour voir le
chancelier Carl Viktor von Hohenlohe-Shillingdfürst, engager
définitivement le Reich dans une véritable politique coloniale. Cette
nouvelle orientation se traduisit par une augmentation significative des
crédits coloniaux qui passèrent de 2 millions de marks pour
l’exercice 1890-1891 à près de 10 millions pour 1896-1897.
À partir de ce moment l’Allemagne chercha à acquérir des positions
partout de par le monde et l’Extrême-Orient eut les faveurs de
Guillaume II2. Une preuve de l’intérêt croissant des questions coloniales en
Allemagne est fournie par l’importance que ces dernières prirent dans les
questions de politique intérieure, et notamment dans les débats au Reichstag
avec les attaques systématiques menées par le parti socialiste contre le
gouvernement. En 1906, le Reichstag refusa même de voter des crédits
destinés à un ambitieux programme de voies ferrées ; il s’était également
opposé à la création d’un ministère des Colonies et à l’augmentation de la
garnison militaire du Sud-Ouest africain. C’est alors que l’Empereur décida
de le dissoudre et de placer à la tête de l’administration coloniale un homme
à poigne, Bernhard von Dernburg. Les élections qui suivirent la dissolution
renforcèrent la majorité gouvernementale : les Allemands adhéraient donc à
la politique coloniale nationale. Le nouveau Reichstag accorda les crédits
refusés par l’ancien, et Dernburg se mit au travail, privilégiant les travaux
publics et la mise en valeur définis par le Kolonial-Wirtschaftiiches Komitee
(comité économique colonial) avec un objectif : créer des voies ferrées et
produire des matières premières pour l’industrie allemande.
Ce n’est que petit à petit que l’Allemagne substitua dans ses colonies
l’administration directe à celle déléguée à des compagnies à charte. Dans ce
domaine, comme aucune tradition coloniale ne pouvait la guider, le
réalisme fut la règle car les agents des firmes commerciales, implantés dans
les régions concernées, étaient en mesure d’administrer ces dernières mieux
que des fonctionnaires métropolitains sans expérience.
C’est dans la seconde phase de l’histoire coloniale allemande, quand,
petit à petit, le Reich se décida à créer un véritable empire, qu’il fallut
songer à mettre sur pied une authentique administration coloniale. C’est
ainsi qu’au sein du ministère des Affaires étrangères fut créée une division
coloniale, puis en 1890, après le départ de Bismarck, le Kolonialrath ou
conseil colonial, commission de techniciens, dont les 19 membres, nommés
par le chancelier de l’Empire, étaient choisis parmi des hommes ayant
l’expérience des territoires lointains. En 1894, la Division coloniale devint
Direction des colonies dépendant directement du chancelier et non plus du
ministre des Affaires étrangères. Son premier titulaire en fut le Dr Kayser.
En 1897, deux éphémères successeurs lui furent trouvés quand il fut nommé
sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères. En 1898, un nouveau
directeur leur succéda, von Buschka, puis un autre en 1900, le Dr Stubel. En
1905, ce fut le tour du prince Herman von Hohenlohe-Langenburg qui
n’occupa cette fonction que durant quelques mois.
Comme nous l’avons vu, en 1906, von Dernburg qui était un économiste
connaissant l’Afrique, fut placé à la tête de l’entreprise coloniale. En 1907,
sous son impulsion, la division coloniale devint ministère des Colonies3, et
il en fut le premier titulaire4. Localement, l’administration de chaque
territoire était placée sous l’autorité d’un gouverneur ou d’un résident
impérial. En 1903, des conseils locaux, à simple pouvoir consultatif, avaient
été créés. L’existence d’un ministère des Colonies ne se traduisit pas par la
création d’un corps de fonctionnaires coloniaux. C’est en effet parmi les
cadres volontaires de la fonction publique métropolitaine qu’étaient recrutés
les agents servant outre-mer. Après un stage d’initiation à l’institut colonial
de Hambourg ou dans des instituts linguistiques ou économiques berlinois,
ils étaient affectés à l’un ou l’autre territoire composant l’empire colonial
du Reich.

3. La question de la Mittelafrika
La notion de la Mittelafrika, vaste espace qui aurait correspondu, au
centre de l’Afrique, à la position géographique du Reich en Europe,
déclencha les appréhensions des-uns et les rêves utopiques des autres. Cette
idée fut parfaitement exprimée par le géographe Félix Hansch :
« Maintenant que le Maroc est perdu, le Congo belge doit devenir le
centre des intérêts allemands. Ces mots, il ne faut pas les interpréter
dans le sens que l’Allemagne aurait la plus lointaine velléité de songer à
une annexion politique du Congo ; non, nous entendons par là que toute
la « Mittelafrika « dont le Congo belge est le centre et dont nous en
possédons les bords, toute cette Mittelafrika constitue une grande unité.
C’est la pression anglaise qui nous a repoussés vers cette zone-là. Des
accords avec Londres ont réservé à l’Allemagne des droits
économiques dans l’Angola et lui ont même donné une sorte d’option
sur cette colonie. D’Ouest en Est, les chemins de fer vont mettre en
valeur une région où les intérêts belges et allemands sont alliés, une
région économique de 10 000 000 km2 qui prospérera sous le signe de
la liberté commerciale. Ce sera une zone immense, réservée au labeur
germanique comme le Brésil, mais mieux que ce dernier, puisque la
Mittelafrika débouchera sur deux océans. » (Cité par Colette Dubois,
1985 : 105-106)
L’idée des milieux officiels allemands était :
1. que l’industrie, les capitaux et les techniciens allemands cherchaient
des espaces dans lesquels ils pourraient utilement être employés ;
2. qu’il n’était plus possible de trouver de vastes territoires vacants, toute
l’Afrique étant « partagée », et qu’il n’était pas question de se lancer
dans une politique de conquête coloniale aux dépens d’autres
colonisateurs ;
3. que l’Afrique centrale sous souveraineté belge et portugaise n’était pas
à la mesure de ces « petites » nations, mais bien à l’échelle de la
puissante Allemagne qui devait collaborer avec elles ;
4. que dans cette Afrique centrale, un expansionnisme allemand ne
contrarierait pas les intérêts de la France ; qu’il y serait observé avec
une certaine bienveillance par la Grande-Bretagne et que, à la
différence des projets du Reich en Europe centrale, il ne heurterait pas
la Russie.
Pour les milieux pan-germanistes, l’Afrique centrale belge et portugaise
attendait :
« […] ce que seule l’Allemagne peut lui apporter, dans une mesure
suffisante, les travailleurs, les techniciens, les produits métallurgiques et
les capitaux. En matière de voies de communication, une tâche
gigantesque peut être réalisée. Un chemin de fer, du Mozambique aux
Grands Lacs et des Grands Lacs à la côte atlantique de l’Angola,
formerait l’ossature d’un immense empire commercial. Il apporterait
partout la civilisation et la prospérité. » (Dubois, 1985 : 108).
Mais comment réaliser la Mittelafrika sans faire la guerre ? Les chances
allemandes en Angola paraissaient en effet bien minces. Quant à l’accord
secret de 1898 entre Londres et Berlin, il était bien peu détaillé. Et surtout,
la Grande-Bretagne qui s’apprêtait à intervenir contre les Boers soutenus
par l’Allemagne, y voyait d’abord la possibilité, au moyen de vagues
promesses, d’isoler davantage le Transvaal en le privant de son seul allié
sérieux. D’ailleurs, après 1902, date de la fin de la guerre des Boers, le
rapprochement germano-britannique connut une phase de refroidissement et
l’accord du 20 août 1898 fut alors oublié.
Les négociations reprirent dans les mois précédant l’été 1914. Les
propositions de partage de l’Angola et du Mozambique entre Londres et
Berlin furent même cartographiées. La Grande-Bretagne devait recevoir la
plus grosse partie du Mozambique et l’Allemagne tout l’Angola, à
l’exception d’une bande de terre qui serait ajoutée à la Rhodésie. En plus de
ce domaine continental, le Reich se serait vu remettre les îles de Sâo Tome
et Principe. Le 20 octobre 1913, un accord secret fut signé, mais il fut
révélé par un journal anglais, puis par la presse allemande. La France réagit
aussitôt et indiqua qu’elle soutenait le Portugal. Quant à l’accord, avant
d’être entraîné vers les oubliettes de l’Histoire par le premier conflit
mondial, il fut bien vite caduc en raison de la publication par le Portugal du
Traité secret de Windsor datant de 1899 et dans lequel Londres garantissait
à Lisbonne le devenir de ses possessions africaines.
Au centre de l’Afrique, en dépit des assurances officielles, l’immense
Congo belge suscitait les convoitises des milieux pangermanistes. Les
tensions furent même parfois assez vives entre Berlin et Bruxelles à propos
du Congo et de ses frontières. C’est ainsi qu’à l’Est, la frontière entre l’État
indépendant du Congo, devenu Congo belge en 1908, et les colonies
allemandes donna lieu à plusieurs incidents, notamment sur le lac Kivu et
au Rwanda. La frontière avait été primitivement fixée d’une manière
arbitraire lors de la convention du 8 novembre 18845 conclue entre le Reich
et l’Association internationale du Congo.
En 1910, un accord fut signé à Bruxelles et la question frontalière réglée6.
Les arrière-pensées demeurèrent cependant, Bruxelles soupçonnant Berlin
de vouloir s’emparer du Congo avec l’aval des Britanniques. Même si
l’idée allemande n’était pas aussi radicale et si les autorités du Reich se
défendaient énergiquement de nourrir des ambitions territoriales sur la
colonie belge, l’Allemagne s’intéressait de plus en plus au Congo. Ainsi le
Reich accélérait-il la construction du Zentralbahn, chemin de fer reliant Dar
es-Salaam sur l’océan Indien à Ujiji sur le lac Tanganyika, dont les travaux
furent achevés en 1914 et dont un des buts était de drainer les richesses
minières du Katanga à travers un territoire allemand. Une fois cette ligne
inaugurée, Stanleyville au Congo belge n’était plus qu’à 10 jours de l’océan
Indien.

B. La constitution de l’empire africain


Après avoir pris du retard par rapport à la France et à la Grande-
Bretagne, l’Allemagne se lança avec ardeur dans la constitution d’un
empire colonial africain à la fois dans l’ouest, le sud et l’est du continent.
Cette politique fut initiée par l’empereur Guillaume II et elle provoqua de
fortes tensions internationales.

1. Le Kamerun
Nous avons vu qu’entre le 12 juillet et le 14 juillet 1884, l’Allemagne prit
officiellement possession de la région de Douala, noyau constitutif du futur
Kamerun.
Les étapes de la pénétration allemande dans la région tiennent en
quelques dates :
– en 1860, le botaniste Gustav Mann explora les pentes du mont
Cameroun, inaugurant ainsi une phase de présence allemande de plus
en plus active dans la région ;
– en 1848, Johannès Thormàlen, un commerçant qui représentait la
maison Woermann de Hambourg, s’installa dans la baie du Wouri. En
1884, la firme demanda au ministère des Affaires étrangères qu’un
consul soit nommé au Cameroun, mais la requête demeura sans suite ;
– en 1875, la maison Woermann s’associa à la firme Jantzen, également
de Hambourg, et une station fut créée sur le fleuve Cameroun. L’essor
commercial résultant de cette fusion fut considérable, dépassant
largement le cadre du littoral de l’actuel Cameroun puisque, en 1883,
elle totalisait la moitié du volume du commerce de toute l’Afrique
occidentale. La société Woermann décida alors de concurrencer les
Britanniques sur leur propre terrain, celui des transports maritimes, et
une ligne maritime fut ouverte entre Hambourg et l’Ouest africain.
Les premières implantations au Cameroun
Le nom même du Cameroun a une origine portugaise et il remonte à l’extrême fin du
XV siècle quand des navigateurs lusitaniens, lancés à la découverte des rivages
e

africains, mouillèrent dans l’estuaire d’une large rivière dans laquelle abondaient les
crevettes – camaraos en portugais – et qu’ils baptisèrent donc Rio dos Camaraos.
Les marins anglais adoptèrent ce nom en l’anglicisant, et il devint le Cameroun.
La région était peuplée par la puissante tribu des Douala. Négriers anglais, hollandais
ou français demeuraient sur le littoral, surtout dans la baie du Cameroun où les
Douala leur livraient des esclaves. Les profits de la traite enrichirent ce peuple
guerrier qui réussit à maintenir son monopole d’intermédiaire entre les zones de
capture des esclaves, loin dans l’arrière-pays, et les navires européens. Afin de
défendre leur monopole, les Douala interdisaient aux Européens de s’aventurer dans
l’intérieur du pays. Il fallut attendre 1837 pour que, au nord du delta du Cameroun,
une concession soit attribuée à des Européens, des Britanniques en l’occurrence.
Puis, en 1845, afin de lutter contre la traite, le missionnaire baptiste Alfred Saker
s’établit sur le site de la future ville de Douala. En 1848, une autre mission fut fondée,
à Bimbia cette fois, et, peu à peu, les Douala se convertirent et abandonnèrent le
commerce des esclaves. En 1858, Saker créa à Victoria, dans la baie d’Ambas, une
colonie d’esclaves libérés, et les commerçants européens commencèrent à
véritablement s’installer sur le littoral. Parmi eux, les Allemands et les Britanniques
dominaient.

L’économie du territoire démarra lentement. Et pourtant, l’administration


impériale avait d’ambitieux projets puisqu’ils prévoyaient de faire de
Douala le débouché de toutes les productions d’une vaste partie de
l’Afrique centrale. Mais il y avait un préalable qui était, une fois encore, la
création de voies de communication et surtout de trois lignes ferroviaires
qui devaient transformer le Cameroun en plaque tournante obligée pour les
pays voisins. La guerre ne laissa pas le temps aux ingénieurs allemands
d’achever la construction de ces voies ferrées.
Le plus colossal parmi ces projets était la voie du Nord ou Nordbahn qui
devait atteindre le lac Tchad. En 1914, 160 km de voies étaient posés entre
Douala et N’Kongsamba. Le Mittellandbahn devait, quant à lui, permettre
de relier l’est et le sud-est de la colonie à Douala. Cent cinquante kilomètres
de voies étaient achevés en 1914, et la priorité fut donnée à cet axe qui
devait atteindre Mbalmajo sur la rivière Njong – à environ 300 km de
Douala –, où il était prévu qu’il se diviserait en deux lignes. La première, la
ligne Est, avait pour but Zinga sur l’Oubangui via Bertua et Baturi. La
seconde, ou ligne Sud-Est, devait avoir pour terminus Ouesso. Ainsi, les
deux pénétrantes territoriales, acquises par les Allemands à la suite de la
convention du 4 novembre 1911, auraient-elles servi à développer une
vigoureuse politique économique en direction de l’Afrique équatoriale
française. Le troisième projet ferroviaire était la voie du Sud, ou Sudbahn, à
destination du Gabon, mais il en resta au stade de l’étude avant d’être
abandonné. Au total 3 000 km de voies ferrées étaient en projet. Le
développement des voies de communication devait aussi se faire en utilisant
le réseau fluvial grâce au lancement de vapeurs. Ces plans avaient pour
finalité de faire de Douala le point d’ouverture et d’aboutissement de toute
l’Afrique équatoriale, centrale et tchadienne7. D’importants travaux
devaient être entrepris afin d’ouvrir l’estuaire aux navires de fort tonnage :
« […] Grâce au chemin de fer allemand, les marchandises seraient
transportées de Marseille à Fort-Archambault en trois mois, au prix de
500 francs la tonne, au lieu des onze à dix-huit mois, au prix de 1 100 à
3 000 francs la tonne, dans les circonstances existantes, en 1913. Le
Gabon et le Congo, le Tchad et l’Oubangui-Chari tomberaient sous la
tutelle économique du Cameroun, grâce aux voies de communication
germaniques. Toute l’AEF serait réduite au rang d’hinterland du
Cameroun. On comprend pourquoi Paris se soit inquiété et élabore à
son tour un projet de voies en mesure de rivaliser avec celui des
Allemands. » (Dubois, 1985 : 124)
En 1913, l’Afrique équatoriale française était déjà largement connectée
au réseau du Cameroun allemand. Au Gabon, la part de l’Allemagne était
plus importante que celle de la France en ce qui concernait les exportations.
Quant aux importations en provenance d’Allemagne, elles augmentaient
d’année en année8.
Les milieux coloniaux français étant conscients du danger, la réponse de
la France se situa sur le même terrain à savoir, celui du réseau ferré avec les
projets Pointe-Noire-Brazzaville-Ndjole-Kanjama-Libreville-Ouesso-
Bangui et Fort-Crampel.
Le Togo
L’Allemagne possédait un autre territoire en Afrique occidentale, le Togo, étroite
langue de terre aux frontières artificielles, mais qui aurait pu devenir une partie d’un
grand ensemble allemand ouest-africain :
« L’Allemagne alors a la chance d’avoir pour arrière-pays le “no man’s land” situé
entre l’Achanti et le Dahomey. À l’ouest, les Anglais sont barrés par le roi du
Koumassi dans leur progression vers le nord, cependant qu’à l’est les Français sont
dans la même position par rapport au Dahomey. S’ils arrivent suffisamment tôt dans
le nord, les Allemands peuvent atteindre le Niger et s’étendre dangereusement vers
le Gonja et le Mossi. Si cette possibilité de 1889 s’était réalisée, c’est alors le Togo
allemand qui, avec le Cameroun, eût formé tenaille autour du Nigeria […] ».
(Cornevin, 1968 : 161)

2. Le Sud-Ouest africain
En 1806, des missionnaires allemands au service de la Société des
missions de Londres (LMS) s’étaient établis au nord du fleuve Orange. À
partir de 1814, ils furent suivis par deux autres sociétés missionnaires
protestantes, la Wesleyan Methodist Missionary Society et la Rhenish
Missionary Society ou Mission Rhénane qui multiplièrent les fondations.
En 1883, Franz Lüderitz (1834-1886), négociant originaire de Brème, en
Allemagne du Nord, fit installer un comptoir à Angra Pequena sur le site de
l’actuelle ville de Lüderitz. Le 24 avril le gouvernement allemand avait
accordé sa protection à ses ressortissants vivant dans les territoires acquis
par Lüderitz.
En 1885, afin de démarrer la colonisation du Sud-ouest africain, Lüderitz
fonda une société qui fut reconnue par le gouvernement. Cette même année,
Heinrich Göring (1839-1913), nommé commissaire impérial du nouveau
protectorat, débarqua à Angra Pequena et décida de s’installer dans
l’intérieur du pays, à Otjimbingwe, la plus importante station de la Mission
rhénane. Il entreprit de signer des traités de protectorat avec les chefs du
voisinage, étendant ainsi la zone d’influence allemande. En octobre 1885,
lors d’une visite à Okahandja, il parvint à faire reconnaître le protectorat
allemand à Maherero, le grand chef des Herero. Les Herero occupaient
alors le centre de la colonie. En 1898, leur population totale était évaluée à
environ 80 000 âmes. Ces pasteurs s’étaient installés dans la région au
XVIIe siècle, au terme de lentes migrations qui avaient débuté en Afrique
centrale et orientale.
En 1888, le capitaine Curt von François (1852-1931), succéda à Henrich
Göring et il comprit que la colonie n’aurait aucun avenir si elle continuait à
dépendre du port anglais de Walvis Bay. Comme il lui fallait donc
impérativement un port, il choisit alors l’embouchure de la rivière Swakop
où fut bâti le port de Swakopmund. En 1891, il transféra le siège de
l’administration d’Otjimbingwe à Windhoek. En 1903, Von François fut
remplacé par Theodor Leutwein (1849-1921) et un an plus tard, en 1904,
éclata la révolte des Herero.
Lors du soulèvement des Herero, la quasi-totalité des troupes allemandes
opéraient contre une tribu soulevée en pays Nama, à plus de 20 jours de
marche au Sud9. Les Herero débutèrent leur mouvement à Okahandja le
12 janvier 1904 en coupant la voie ferrée de Swakopmund et en massacrant
123 civils allemands10.
Le 12 janvier, le capitaine August Viktor Franke (1866-1936),
commandant le poste d’Omaruru et qui venait juste d’arriver dans l’extrême
sud du territoire avec sa compagnie, fut renvoyé d’urgence vers le pays
herero avec pour mission de dégager les postes de Windhoek, d’Okahandja
et d’Omaruru assiégés et gravement menacés. Il rallia Windhoek, distante
de 400 kilomètres, le 17 avril, soit en quatre jours et demi de marche forcée.
Le 18, il se remit en route pour Okahandja où la situation était critique. Il
franchit la Swakop en crue et le 27, il brisa l’encerclement du poste au
moment où la petite garnison et les civils armés étaient sur le point de céder
sous les assauts herero. Puis il délivra Omaruru le 4 février.
Berlin envoya ensuite d’importants renforts qui arrivèrent durant les mois
d’avril, de mai et de juin ; au total, 3 500 hommes, 180 officiers, 2 stations
de TSF, 41 canons, 13 mitrailleuses, 5 277 chevaux et 953 mulets. Le
11 juin, le général major Lothar von Trotha11, le nouveau commandant en
chef, débarquait à son tour, accompagné de son chef d’état-major, le
lieutenant-colonel Charles de Beaulieu.
Von Trotha comprit vite que les Herero étaient des adversaires sérieux et
qu’il convenait d’agir ni à la légère, ni avec précipitation. Il savait qu’ils
allaient se replier au premier assaut et qu’ils deviendraient alors
insaisissables. Il convenait donc de sécuriser le territoire dans l’attente des
renforts d’infanterie montée en voie d’acheminement depuis la métropole et
avec lesquels il pourrait les poursuivre et les écraser. À la fin du mois de
juillet 1904, il disposait de 7 000 hommes. Il en préleva 1500 pour
constituer une colonne d’attaque. Les autres quadrillèrent le Hereroland.
Puis il investit le massif du Waterberg, y encerclant les Herero. Le 11 août,
sur un front de 40 kilomètres, il lança son assaut. Dans la soirée l’infanterie
allemande prit l’avantage et les Herero abandonnèrent le combat et
s’enfuirent vers le désert du Kalahari, plus à l’Est12. En novembre 1905, von
Trotha quitta le Sud-Ouest africain.
À la veille de la guerre de 1914, le territoire était la seule colonie
allemande ayant un véritable peuplement blanc, puisqu’il était composé de
15 000 âmes, mais un peuplement mixte associant Allemands dans une
proportion des deux tiers et Afrikaners venus d’Afrique du Sud après la
guerre des Boers (Lugan, 1990b : 77-97).
3. L’Est africain
La première présence allemande dans la région date de 1844, quand la
firme Hertz s’installa à Zanzibar pour y faire le commerce des coquillages
cauris qui servaient de monnaie dans toute l’Afrique orientale et centrale.
En 1859, un consul représentant les villes de la Hanse fut accrédité auprès
du sultan avec lequel il conclut un traité d’amitié étendu en 1869 à la
Confédération de l’Allemagne du Nord.
Après 1871, la priorité pour les commerçants allemands fut de trouver un
débouché sur le littoral afin d’y construire un port ; or, comme le sultan de
Zanzibar ne voulait rien leur céder – encouragé en cela par les
Britanniques –, les relations se tendirent. En avril 1885, le sultan de
Zanzibar envoya des troupes sur le littoral continental afin de décourager
les appétits des représentants du Reich. Il déclara ensuite nulles les cessions
territoriales précédemment accordées par les chefs de l’intérieur, car il
s’estimait propriétaire des immensités s’étendant jusqu’aux Grands Lacs de
l’Afrique Centrale et de la totalité du littoral, depuis la Somalie au Nord,
jusqu’au Mozambique au Sud. En réaction, le 7 août 1885, cinq navires de
guerre allemands se présentèrent devant Zanzibar. Le sultan comprit alors
qu’il devait céder et il mit la rade de Dar es-Salaam à la disposition de
l’Allemagne.
Bismarck proposa alors qu’une commission internationale fixe les limites
du sultanat de Zanzibar afin que, dans l’avenir, il n’y ait aucune
contestation possible. Le 1er novembre 1886, la délimitation était faite. Le
sultan de Zanzibar se voyait reconnaître la possession des îles (Zanzibar,
Pemba, Mafia.) et d’une bande côtière continentale large de 10 milles
marins. Le territoire allemand était limité au Nord par l’embouchure de la
Wanga, se prolongeait jusqu’au lac Victoria en suivant le versant nord du
Kilimanjaro ; au Sud, sa limite était le fleuve Rovuma. Au nord du
Kilimanjaro, l’Allemagne reconnaissait les droits britanniques. Le sultan de
Zanzibar signa cette convention le 4 décembre 1886 et le Portugal reconnut
le 10 décembre le Rovuma comme frontière entre le Mozambique et
l’Afrique orientale allemande.
L’Afrique orientale allemande connut des débuts difficiles avec les
révoltes des Hehe et des Maji-Maji d’une part et les problèmes financiers de
la Deutsche Ostafrikanische Geselschaft fondée par Karl Peters. Cette
dernière était incapable de venir à bout des révoltes qui éclataient ici et là et
le major von Wissmann avait perdu 21 Allemands et 151 Askaris dans les
incessantes campagnes de pacification menées contre les arabisés de l’Est
africain ruinés par la fin de la traite. Ces opérations coûtaient cher : pas
moins de neuf millions de marks pour l’année 1890 et les trois premiers
mois de 1891. Comme elle était à bout de ressources, au mois de
novembre 1890, le gouvernement autorisa la compagnie à contracter un
emprunt de 11 millions de marks. Puis, à partir de février 1891, après un
vote du Reichstag, l’Empire prit en charge l’administration du territoire.
Le 1er avril 1891, Freiherr von Saden, gouverneur du Kamerun, remplaça
le Reichkommissar von Wissmann. Sa résidence fut établie à Dar es-Salaam
d’où il exerça les pouvoirs civils et militaires. Cette même année 1891, les
Hehe entrèrent en rébellion et le capitaine Emil von Zelewski qui avait été
chargé de la réduire se mit en marche à la tête d’une colonne de 150
hommes. Le 17 août 1891, il tomba dans une embuscade et fut tué avec plus
de cent de ses Askaris. Il fallut ensuite 7 années de durs combats pour venir
à bout des révoltés et ce fut la tâche du capitaine Tom von Prince13 qui, le
19 juillet 1898, réussit à encercler Mkwakwa, le chef des Hehe qui se
suicida afin de ne pas être capturé.
En 1905, sept ans après la mort de Mkwakwa, éclata l’insurrection des
Maji-Maji qui menaça tout le sud de la colonie. Maji-Maji est un mot
swahili, maji signifiant eau car la croyance des insurgés était que les balles
tirées par les Allemands se changeaient en eau. L’originalité de cette
révolte, plus encore que dans le cas des Hehe, est d’avoir associé plusieurs
tribus et elle est parfois considérée comme une guerre anticoloniale. Elle fut
encouragée par les arabo-musulmans qui avaient un compte à régler avec le
Reich qui venait de les ruiner en mettant un terme à la traite des esclaves
(Belle, 1950 ; Illife, 1967).
Cette révolte n’empécha pas la réalisation de grands travaux. En 1896, la
ligne de chemin de fer de l’Usambara, c’est-à-dire de Tanga à Arusha, était
ainsi en chantier. En 1899, le Reichstag vota un crédit de 2 millions de
marks afin que la colonie puisse racheter les droits de cette ligne et
accélérer sa pose. En 1905, elle était achevée. Un budget de 12 millions de
marks fut voté pour qu’elle soit étendue jusqu’à Moshi et que le port de
Tanga soit agrandi. En 1902, un ambitieux projet ferroviaire fut mis à
l’étude afin de relier Dar es-Salaam sur l’océan Indien à Kigoma sur le lac
Tanganyika. Il était en effet impossible au Reich de mettre en valeur sa
colonie, voire de la défendre en cas de conflit, quand il fallait 42 jours de
portage dans le meilleur des cas pour atteindre le lac Tanganyika au départ
du littoral de l’océan Indien. Les travaux sur la ligne de chemin de fer
central furent rondement menés car au mois de février 1912, le rail était
posé jusqu’à Tabora et au début de l’année 1914, Kigoma sur le lac
Tanganyika était relié à l’océan Indien14. Tout le long de la ligne, des gares
avaient été construites, et, sur le littoral, des ports et des villes. Partout, des
bomas ou postes militaires et administratifs, des hôpitaux, des hôtels
s’élevèrent. Dar es-Salaam et Tanga, simples villages de pêcheurs, se
transformèrent en ports et en villes modernes.
La politique allemande des communications se traduisit également, dès
avant 1896, par la pose d’un câble sous-marin de Hambourg à Dar es-
Salaam, permettant ainsi de relier directement la métropole à sa colonie. En
1902, 300 000 marks furent alloués au projet de télégraphe Dar es-Salaam-
Tabora. Un réseau télégraphique dense reliait les postes de l’intérieur, et
l’Afrique-Orientale allemande possédait ses propres postes de T.S.F. En
1914, Dar es-Salaam avait une population d’environ 20 000 habitants.
C’était une vraie ville avec des rues rectilignes, un tout-à-l’égout,
l’éclairage électrique. Chaque maison avait son puits. L’eau, puisée au
moyen de pompes à main, était stockée sous la toiture dans des réservoirs,
et un système de tuyauterie permettait de la répartir dans l’habitation.
La capitale impériale, Dar es-Salaam, était le chef-lieu de l’Est africain
allemand et le siège du gouvernement impérial. Le gouverneur y résidait,
pouvant contrôler les services dépendant directement de lui : la force de
protection (Kaiserliche Schutztruppe) et les grands services administratifs :
conseil du gouvernement, bureau central, comptabilité. D’autres services
étaient installés à Dar es-Salaam : les affaires portuaires, les douanes,
l’administration vétérinaire, la santé publique, etc. (Lugan, 1990b : 97-114).

4. Les Résidences de l’Urundi et du Ruanda


La première tentative d’installation européenne au Burundi (Urundi) date
du 28 juillet 1879 quand les pères Deniaud et Dromaux, deux missionnaires
catholiques appartenant à l’ordre des Missionnaires d’Afrique – les Pères
Blancs –, tentèrent une fondation à Rumonge, chez le chef du même nom,
sur le bord du lac Tanganyika. Cette éphémère création fut abandonnée
quatre mois plus tard. Une nouvelle tentative eut lieu l’année suivante avec
les pères Toussaint Deniaux, Joseph Augier, Théophile Dromaux, Henri
Delaunay et l’ancien zouave pontifical Félix d’Hoop. Peu de temps après,
les RRPP deniaux et Auger ainsi que Félix d’Hoop, furent massacrés15.
En 1883, les Pères n’avaient pas renoncé et ils décidèrent de fonder un
poste, toujours en Urundi, mais plus au nord, dans la région de l’Usige, à
proximité d’un marché traditionnel du nom d’Usumbura. Cette région était
densément peuplée et ses chefs quasiment indépendants du Mwami (roi) de
l’Urundi, Mwezi Kisabo, qui résidait à l’intérieur du pays, dans les hautes
terres. Cette nouvelle installation fut, elle aussi, éphémère car le chef
esclavagiste Mohamed bin Hassan Rumaliza, sultan d’Ujiji, n’admit pas la
présence des missionnaires qui durent se retirer. En 1896 le capitaine von
Ramsay s’installa dans la région d’Usumbura et le 20 novembre, deux
missionnaires catholiques, les pères Van der Burgt et Van der Biesen
fondèrent la mission d’Usumbura.
En 1899 fut créé le Bezirk (cercle) du Ruanda-Urundi, avec Usumbura
comme chef-lieu et le capitaine Bethe réussit à faire admettre la
reconnaissance du protectorat allemand au Mwami du Ruanda.
En 1899, en Urundi, au moment où les Allemands prenaient pied au nord
du lac Tanganyika, le contexte politique n’était alors guère favorable au
Mwami Mwezi Kisabo, un vieillard presque nonagénaire dont le pouvoir
était contesté par plusieurs chefs importants qui tentaient de se rendre
indépendants de lui. Un rapport équivoque s’établit alors entre lui et le
Résident von Bethe, chacun cherchant à se servir de l’autre. Le Mwami
multiplia les assurances de soumission, espérant ainsi écarter les menaces
d’intervention militaire allemande afin de gagner du temps pour écraser des
chefs révoltés contre son pouvoir. Un de ces derniers, Cyilima, avait
conquis une partie importante du royaume, affirmant que le capitaine von
Bethe, lui avait promis de le reconnaître comme roi. Partout, les armées du
Mwami reculaient et les Allemands laissaient faire car ils hésitaient entre
deux politiques : renforcer le pouvoir du souverain et la centralisation du
royaume, ou au contraire prendre appui sur les Baganwa – la haute
aristocratie – pour affaiblir le pouvoir de Mwezi Kisabo afin de mieux
dominer le pays. Ces hésitations étaient renforcées par le fait que plusieurs
Baganwa reconnaissaient l’autorité de l’Allemagne, tandis que le Mwami
en était un adversaire. Après bien des hésitations, l’administration
allemande décida de jouer la carte royale, comme au Ruanda, et cela afin
d’avoir une politique régionale cohérente.
En 1890, lors de la signature du traité germano-britannique délimitant la
sphère d’influence dévolue à l’Allemagne en Afrique-Orientale, le Ruanda
(Rwanda) était totalement inconnu des Européens, ni les Arabes, maintenus
sur les frontières, ni les explorateurs, comme Stanley, n’ayant pu y pénétrer.
Le premier Européen qui osa s’aventurer dans le « royaume de la lance et
de la vache » fut l’Autrichien Oscar Baumann (1864-1899). Géographe,
chef d’une expédition mise sur pied par l’Association allemande de lutte
contre l’esclavage, Oscar Baumann16 fit un séjour de quatre jours seulement
– du 11 au 15 septembre 1892 – au Ruanda ; et encore se contenta-t-il de
franchir la rivière Akanyaru séparant ce royaume de celui de l’Urundi et de
parcourir la partie la plus méridionale du pays. Il fallut attendre 1894 pour
noter la première prise de contact officielle entre la future puissance
coloniale et ses futurs administrés. Ce fut le résultat du voyage du lieutenant
comte Gustav Adolf von Goetzen (1866-1910) et de son séjour de deux
mois au Ruanda du 2 mai au 26 juin 1894. Von Goetzen, qui avait parcouru
la région du Kilimanjaro en 1891, avait décidé de traverser l’Afrique d’Est
en Ouest. Du 21 décembre 1893, date de son départ de Pangani, au
8 décembre 1894, jour de son arrivée sur l’Atlantique, non loin de
l’embouchure du Congo, il réalisa un véritable exploit qu’il raconta dans un
livre17. À l’occasion de ce voyage, il séjourna au Ruanda, découvrit le lac
Kivu et eut le privilège d’être le premier Européen reçu par le Mwami
Kigeri IV Rwabugiri (1860-1895) qui mourut peu de temps après en
rentrant d’une expédition contre le Bushi.
Rutalindwa le fils et successeur du défunt avait été intronisé sous le nom
de Mibamwe IV Rutalindwa, mais tout Mwami devait être doublé par une
reine-mère, or, le nouveau souverain avait perdu la sienne. Une autre des
épouses de Rwabugiri, Kanjogera, fut désignée18 comme reine mère, or, elle
appartenait au clan Bega et avait eu un fils avec Rwabugiri, le jeune
Musinga. Les Bega intriguèrent alors pour éliminer Rutalindwa et mettre au
pouvoir son demi-frère Musinga. Kabare, un des frères de Kanjogera fut
l’âme du complot qui se termina par le suicide du Mwami lequel, pour ne
pas tomber vivant entre les mains des conjurés, mit le feu à la hutte royale
dans laquelle il mourut avec sa femme, ses trois fils et ses derniers fidèles.
Le jeune Musinga fut proclamé Mwami mais la monarchie rwandaise avait
perdu sa légitimité. Le pouvoir de Musinga fut contesté, à telle enseigne
qu’il faillit être plusieurs fois emporté et ne fut sauvé que grâce aux
Allemands qui soutinrent le souverain afin d’éviter d’avoir à gérer
l’anarchie.
En 1906 furent créées les Résidences de Bukoba sur la rive ouest du lac
Victoria et du Ruanda. Devenu le Bezirk (cercle) no 20 de l’Est africain
allemand, le Ruanda passait sous administration civile19. Le 15 novembre
1907, le capitaine Werner von Grawert perdit donc ses attributions sur le
pays, ne conservant que celles sur l’Urundi et Richard Kandt fut nommé
Résident impérial au Ruanda. Une de ses premières tâches fut de fonder un
chef-lieu et le site de Kigali fut choisi en raison de sa position centrale au
croisement de plusieurs voies naturelles. Pour assurer l’ordre à l’intérieur
du pays, le gouvernement civil qui succéda à l’administration militaire
disposait d’un corps de policiers d’une cinquantaine d’hommes, sous le
commandement d’un officier allemand. La 11e compagnie maintint ses
postes (Gisenyi et Shangi) et de nouveaux furent créés à Cyangugu et à
Ruhengeri. Dès lors, le Ruanda remplit les conditions de protectorat
(Schutzgebiet). L’Allemagne y appliqua le système de gouvernement
indirect : la souveraineté suprême et les relations extérieures étaient
réservées au Reich, mais le Mwami conservait tous ses pouvoirs.

1. Townsend (1930) ; Brunschwig (1957) ; Cornevin (1969) ; Guillen (1967 ; 1972) ; Lugan (1990b ;
1993a) ; Porte (2006).
2. La Convention sino-allemande du 6 mars 1898 donna à bail à l’Allemagne pour 99 ans la baie de
Kiao-Tchéou et le port de Tsing-Tao. Le 12 février 1899, l’Allemagne racheta à l’Espagne les
Carolines, les Mariannes et les îles Palaos, puis elle acquit les îles Bougainville et Buka.
3. Le ministère des Colonies était composé de quatre divisions (Première division : administration
générale et justice Seconde division : finances, transports, etc. Troisième division-personnel.
Quatrième division : administration militaire, troupes coloniales.
4. En juin 1910, von Dernburg fut entraîné par la chute du chancelier Bernhard von Bülow et son
successeur fut Friedrich von Lindequist qui avait été gouverneur du Sud-Ouest africain de 1905 à
1907.
5. Seules les données astronomiques avaient servi de base aux négociateurs, les limites naturelles et
les réalités ethnographiques n’étant pas prises en considération car elles étaient alors ignorées.
6. Elle était arrêtée comme suit : « Une ligne partant de la Rusizi aboutit au nord en un point de la
rive située à égale distance de Goma (poste belge) et Kissegnie (Gisenyi) ». Cette ligne laissait à
l’Ouest l’île Ijwi qui revenait au Congo. Au Nord, la frontière suivait la ligne partant de la rive nord
du Kivu et passant par le volcan Karisimbi, pour aboutir au Sabyinyo dont le sommet marquait le
point de jonction des territoires allemand, belge et anglais. L’Allemagne était parvenue à faire
triompher ses vues concernant l’établissement d’une frontière naturelle, même si elle perdait la
moitié occidentale du lac Kivu et l’île Idjwi. La Grande-Bretagne, qui revendiquait tout le
Bufumbira, région située au nord de la chaîne volcanique formant la frontière septentrionale du
Rwanda, n’obtint pas une entière satisfaction et se contenta d’un accès aux trois sommets les plus
orientaux.
7. Douala, capitale du Cameroun de 1885 à 1901, fut dépossédée par Bovéa dont l’altitude en faisait
un site moins malsain pour les Européens, mais, en 1909, après un fort tremblement de terre, la
capitale fut de nouveau fixée à Douala.
8. « Que constate-t-on pour un même produit ? Des différences de prix de 50 à 100 font pencher la
balance vers les produits allemands, transportés par des navires allemands. L’industrie germanique
est soutenue par une politique maritime qui la stimule, en lui trouvant des débouchés. La ligne
allemande, la Woermann, multiplie les escales sur la côte africaine et adopte un tarif tenant compte
du poids du fret. Ainsi, en 1913, les ports gabonais ont vu entrer 135 navires allemands et
seulement 81 navires français. […] Les avantages consentis par la Woermann incitent les
producteurs de l’AEF à recourir à ses lignes. L’Allemagne devenait ainsi le meilleur client du
Gabon pour les bois tropicaux et pour les palmistes. » (Dubois, 1985 : 140).
9. Les Herero pouvaient aligner 15 000 guerriers dont 4 000 à 5 000 possédaient des carabines
Martini Henry à chargement par la culasse. Quant à la garnison allemande chargée de protéger les
830 000 km2 du territoire, elle se composait de 34 officiers, de 785 sous-officiers et soldats répartis
en quatre compagnies d’infanterie montée ; 780 réservistes pouvaient, le cas échéant, venir
renforcer cette petite troupe. Ici, et à la différence du Cameroun et de l’Afrique de l’Est, la
Schutztruppe ne comprenait pas de soldats noirs, les Askari.
10. Les comportements incontestablement brutaux de la Schutztruppe s’expliquent peut-être par les
atrocités commises auparavant par les révoltés : familles entières de colons massacrées, torturées,
les hommes émasculés puis éventrés, femmes violées puis parfois suspendues par les pieds avant
d’être éviscérées.
11. Von Trotha (1848-1920) était un homme d’expérience. Il avait fait la campagne de 1866 contre
l’Autriche et la guerre de 1870-71 contre la France. Il avait été deux fois blessé au feu. En 1894, il
avait été nommé gouverneur et chef militaire de l’Est africain où, en 1895, il avait écrasé la révolte
des Hehe (Lugan, 1990b). En 1900, il avait été envoyé en Chine afin d’y réprimer les Boxers qui
avaient assassiné le consul d’Allemagne à Pékin.
12. Le plan de von Trotha était de les maintenir dans les zones désertiques où il savait que leur bétail
allait périr. De fait, leurs pertes en bovins mais aussi en hommes furent importantes et ils décidèrent
de se rendre. Mais von Trotha, qui voulait leur faire payer leurs massacres tout en faisant un
exemple, refusa leur reddition et décida de les chasser du territoire allemand. Le 2 octobre 1904, il
rédigea alors son célèbre Vernichtungsbefehl (ordre d’extermination) : « À l’intérieur de la frontière
allemande, tout Herero, avec ou sans fusil, avec ou sans bétail, sera fusillé. Je n’accepte plus ni
femme ni enfant, je les renvoie à leur peuple ou fais tirer sur eux. Telles sont mes paroles au peuple
herero. Le grand général du puissant empereur. Von Trotha. »
13. Sur la personnalité du capitaine von Prince, voir Schmiedel (1959).
14. En neuf ans, les ingénieurs allemands avaient posé 1 250 kilomètres de voie ferrée mettant
désormais Dar es-Salaam à 32 heures du lac Tanganyika. Le coût total avait été de 125 millions de
marks. L’Allemagne allait donc être en mesure de drainer vers sa colonie les richesses du Congo
belge. La politique allemande de pénétration dans le bassin du Congo pourrait bientôt se
concrétiser, et ce d’autant plus qu’un projet secondaire était à l’étude à partir de Kossa vers
Bismarckburg au sud du lac Tanganyika, de façon que s’affirme la présence allemande en limite de
la zone britannique d’Afrique australe.
15. Ces assassinats ne sont pas imputables aux musulmans, mais à la rivalité opposant Rumonge, ami
des missionnaires, à Bikari, un autre chef qui les attaqua.
16. En 1894, il publia le récit de cette expédition dans un livre intitulé Durch Massai-Land zur
Nilquelle (À travers le pays Masaï jusqu’aux sources du Nil).
17. Durch Afrika von Ost nach West, 1895, Berlin.
18. À partir de ce moment elle porta le nom de Nyiramibambwe.
19. De 1898 à 1907, les Allemands avaient exercé une administration militaire sur le Ruanda, les
officiers de l’armée étaient en même temps gouverneurs des territoires. Le Ruanda était alors
occupé et administré par la 11e compagnie, sous les ordres d’un lieutenant (Oberleutnant) relevant
d’un capitaine commandant (Hauptmann) dont la résidence était la station militaire d’Usumbura.
La 11e compagnie entretenait une garnison à Kisseygnies (Gisenyi) et un détachement à Shangi.
Chapitre IV.
Les autres nations coloniales (Belgique,
Portugal, Italie et Espagne)

Quatre autres nations européennes participèrent à des degrés divers à la


colonisation de l’Afrique. Il s’agit du Portugal, de la Belgique, de l’Italie et
de l’Espagne.
Le Portugal fut la plus ancienne nation coloniale européenne puisque son
expansion débuta au XIVe siècle. Les implantations lusitaniennes qui étaient
alors littorales et insulaires visaient essentiellement au contrôle de
comptoirs ou d’escales sur la route des Indes et il fallut attendre la fin du
XIXe siècle pour voir les Portugais prendre possession de l’arrière-pays de
leurs façades maritimes angolaise et mozambicaine.
L’expansion belge résulta du volontarisme du roi Léopold II et fut
d’abord une entreprise privée. L’Italie qui, comme l’Allemagne, avait
réalisé son unité au XIXe siècle se lança tardivement dans l’entreprise
coloniale, mais sans avoir la puissance nécessaire pour imposer à la France
à la Grande Bretagne et à l’Allemagne la création d’un véritable empire
africain. Quant à l’Espagne, à l’exception du Maroc et de quelques petites
possessions équatoriales, sa vocation impériale ne fut pas africaine.

A. Le Portugal
À la veille du partage de l’Afrique, l’empire colonial portugais africain
était composé de territoires continentaux et insulaires qui étaient, à l’Ouest,
la Guinée portugaise, l’Angola et l’enclave de Cabinda, plus les îles du
Cap-Vert, de Sao Thomé et de Principe traditionnellement tournés vers
l’Amérique en direction de laquelle ils avaient durant trois siècles exporté
des esclaves. Sur l’océan Indien le Mozambique fut jusqu’en 1752
administré depuis Goa, aux Indes, puis, à partir de cette date il avait été doté
d’une administration coloniale propre. Tous ces territoires étaient l’héritage
de l’ancien Empire colonial portugais constitué au XVIe siècle. Au début du
XIXe siècle le Portugal n’exerçait en réalité sa souveraineté que sur une
étroite bande côtière, l’hinterland de ses possessions étant totalement
négligé.
À la fin du XIXe siècle, les Portugais prirent conscience que s’ils ne
bornaient pas leurs colonies, s’ils n’en prenaient pas véritablement
possession, leurs rivaux européens allaient s’en emparer. D’autant plus que
les explorations de Livingstone et celles de Cameron entre 1873 et 1875,
avaient commencé à éveiller l’intérêt de la Grande-Bretagne pour cette
partie de l’Afrique. C’est pourquoi la Société de Géographie de Lisbonne,
fondée en 1875, mit sur pied en 1877 la mission Capello-Ivens-Serpa Pinto
qui avait pour but d’affirmer la souveraineté portugaise sur l’intérieur de
l’Angola. Puis, dans les années 1890, sous l’influence du ministre de la
Marine et de l’Outre-mer, Antonio Enes, l’expansion coloniale fut une
composante essentielle dans le processus de « régénération nationale » dans
lequel s’était engagé le Portugal (Pélissier, 2004).

Serpa Pinto
Le major Alexandre Alberto da Rocha da Serpa Pinto (1846-1900) est une grande
figure de l’exploration de l’Afrique. De 1877 à 1879, d’abord en compagnie de deux
officiers de la marine royale portugaise, le capitaine Brito Capello et le lieutenant
Roberto Ivens, puis seul, il réalisa la sixième traversée du continent africain au sud
de l’Équateur. La première avait duré presque une décennie, entre 1802 et 1811, et
elle avait été effectuée par deux Pombeiros (métis portugais) qui avaient relié Saint-
Paul de Loanda sur l’atlantique aux bouches du Zambèze sur l’océan Indien. La
seconde eut lieu en 1853 quand deux Portugais, Silva Porto et Joao de Silva
rallièrent également l’océan Indien au départ de Benguela, toujours sur l’atlantique.
La troisième traversée fut réalisée par Livingstone (1854-1856), la quatrième par
Cameron (1873-1875) et la cinquième par Stanley (1874-1877).
L’expédition Serpa Pinto-Capello-Ivens, s’inscrivait dans un contexte bien particulier
qui était la nécessité pour le Portugal de prendre effectivement possession de son
immense empire africain face aux ambitions britanniques. Les trois hommes
quittèrent Benguela, sur l’atlantique, le 12 novembre 1877, mais ils piétinèrent à une
journée de marche de leur point de départ, et cela jusqu’au 4 décembre, dans
l’attente de porteurs. Le problème du recrutement de porteurs se posa d’ailleurs
durant tout le voyage et à plusieurs reprises il faillit compromettre l’expédition. Du
17 janvier au 8 février 1878, elle fut bloquée à Caconda, dernier poste administratif
portugais dans l’intérieur de l’Angola. Fondé en 1857, cet établissement n’était situé
qu’à 225 kilomètres du point de départ. Découragés, Capello et Ivens décidèrent
alors de rebrousser chemin et Serpa Pinto poursuivit seul sa route vers l’Est, suivi de
dix porteurs. Pensant que ce Blanc seul avec une si petite troupe ne pouvait qu’être
l’avant-garde d’une forte colonne, les tribus ne l’attaquèrent pas. Malade, épuisé,
Serpa Pinto fut contraint de s’arrêter durant un mois à Bihé, l’actuelle Cuito d’où il ne
repartit que le 22 mai. Le 24 juin il franchit le fleuve Cuenza et orienta sa marche vers
le Sud-Est. Durant les mois de juillet et d’août, alors que l’expédition était égarée
dans une forêt dense, ses porteurs se révoltèrent et il dût en abattre un qui le
menaçait. Tout semblait perdu quand un miracle se produisit avec la rencontre d’un
autochtone qui conduisit l’expédition jusque sur le haut Zambèze. Ayant atteint le
Barotséland, il manqua d’y être assassiné. Ses derniers porteurs ayant déserté, il eut
la chance de pouvoir en recruter de nouveaux sur place. Au début du mois de
décembre il arriva dans l’est du Kalahari où il rencontra le missionnaire François
Coillard et sa femme Christina. Il était sauvé. Le 18 janvier 1879, il atteignit le
Limpopo, le 3 février il était au Transvaal et le 12 février il arriva à Pretoria où il refit
ses forces jusqu’au 8 mars. De là, il gagna Durban, puis les territoires portugais du
Mozambique. À Lourenço Marquès il embarqua pour Zanzibar, puis, ce fut le retour
par l’Égypte. Il arriva à Lisbonne le 9 juin 1879 (Serpa Pinto, 1881).

Dans la région de l’embouchure du Congo les droits du Portugal furent


menacés à la fois par Brazza et par les envoyés de Léopold II. Lisbonne se
tourna alors vers son allié traditionnel, l’Angleterre et le 26 février 1884 fut
signé avec elle un traité par lequel Londres reconnaissait la souveraineté
portugaise sur les deux rives de l’estuaire du Congo et sur une partie du
littoral atlantique. L’Association internationale du Congo (AIC) protesta
alors et une commission internationale lui donna raison. Léopold II
s’appuya alors sur cet arbitrage pour tenter de faire valider son projet d’État
en proposant d’accorder la liberté commerciale dans ses limites de
souveraineté.
Faisant volte-face, le 26 juin 1884, les Britanniques dénoncèrent le traité
signé quatre mois auparavant, le 26 février 1884, ce qui provoqua une forte
tension internationale. Bismarck, dont la doctrine coloniale était en cours
d’évolution comme nous l’avons vu plus haut, décida alors d’organiser la
Conférence de Berlin.
Le Portugal tenta un rapprochement avec l’Allemagne afin de bénéficier
de son appui dans son ambitieuse politique visant à réaliser la jonction
territoriale entre l’Angola et le Mozambique. Or, pour la Grande Bretagne,
le projet portugais constituait un véritable casus belli puisqu’il aurait en
effet abouti à isoler l’Afrique australe, tout en bloquant la politique
d’expansion britannique vers le Nord, interdisant de fait la réalisation de
l’axe impérial Le Caire-Le Cap. Par un ultimatum en date du 12 janvier
1890, le gouvernement britannique somma donc le Portugal de renoncer
aux accords de 1886 que Serpa Pinto avait fait signer aux Makololo dont le
territoire était situé au sud du lac Nyassa (Malawi) et par lesquels ils
acceptaient le protectorat portugais. De plus, et nous l’avons vu, alors que le
Manica, – approximativement l’actuel Malawi –, était un territoire
portugais, la Chartered Company de Cecil Rhodes y avait lancé une
expédition et fait prisonnier le gouverneur portugais avant de s’emparer de
la région.
Le Portugal qui fut contraint d’accepter le fait accompli (traité du 11 juin
1891) avait retenu la leçon et décida que, désormais, son autorité
s’exercerait effectivement sur l’ensemble des territoires lui appartenant afin
qu’il n’y ait plus d’interprétation possible. C’est ainsi que l’établissement
de Sao Sébastiano de Moçambique édifié en 1552 dans le nord de l’île de
Mozambique, fut délaissé au profit de Lourenço-Marquès, pénétrante
naturelle vers l’intérieur, et qui fut à partir de 1890 le débouché du
Transvaal grâce à l’achèvement de la voie ferrée de Johannesburg.
N’ayant pas les moyens de procéder à une occupation effective de
l’immense Mozambique, Lisbonne en confia le soin à trois compagnies
privées à capitaux britanniques, allemands, français et accessoirement
portugais pour une durée de cinquante années en échange de droits versés
au Trésor portugais1.
Au point de vue administratif, le Portugal balança entre centralisation et
décentralisation et cela jusqu’à la Constitution de 1933 affirmant que les
territoires d’outre-mer faisaient partie intégrante du Portugal avec droit
d’intervention de la métropole dans les affaires locales. La politique
coloniale fut dès lors, définie et élaborée à Lisbonne2.

B. La Belgique
Après la Conférence géographique de Bruxelles des 12-19
septembre 1876, Léopold II3 avait fondé l’Association internationale pour
l’exploration et la civilisation de l’Afrique centrale (AIEC), qui eut pour
champ d’expansion un vaste quadrilatère tracé au centre du continent.
En 1877, Stanley, qui venait de traverser le continent africain d’Est en
Ouest et avait ainsi démontré que le Congo était la porte de l’Afrique
centrale4, accepta les offres de Léopold II et il repartit pour le Congo où il
fonda Léopoldville, en face du poste de Brazzaville qui venait d’être créée
par Savorgnan de Brazza.

Le roi Léopold II voulait une colonie, mais il savait que ce projet était
impopulaire dans l’opinion et c’est pourquoi il comptait bien le financer
grâce à son énorme fortune personnelle. Le 24 octobre 1869, il écrivit à
Hubert Joseph Frère-Orban (1812-1896) qui fut un temps son chef de
cabinet : « Je promets solennellement de ne rien demander au ministère des
Finances ». La politique léopoldienne fut bien définie le 15 juillet 1880
dans une autre lettre à Frère-Orban : « La Belgique aura sa part du
mouvement africain et de l’ouverture de ce continent sans dépense pour
l’État ».
En 1882, Léopold II fonda l’Association internationale du Congo, puis,
en février 1885, lors de la Conférence de Berlin, il fut reconnu à l’unanimité
roi du Congo par les puissances signataires ; or, l’opinion publique belge
n’était pas favorable à l’acquisition du Congo et le parlement n’autorisa le
souverain à accepter cette royauté qu’à titre personnel. En 1885, l’État
Indépendant du Congo fut créé et avec l’autorisation des Chambres belges,
Léopold II en devint le souverain. Le Parlement avait cependant hésité car il
se préoccupait de la question du coût de cette entreprise. Le roi rassura les
représentants en leur affirmant qu’il ne s’agissait que d’une union
personnelle et que l’administration et les finances du Congo seraient
distinctes de celles de la Belgique. D’ailleurs, le Congo ne serait pas à la
charge de la Belgique puisque les ressources locales assureraient son
autonomie.
L’Acte de Berlin prévoyait une occupation effective des territoires
revendiqués par les puissances européennes. Aussi, en 1889, quand le roi
Léopold apprit que Cecil Rhodes s’apprêtait à lancer une expédition en
direction du Katanga, il craignit que M’Siri n’accepte un éventuel
protectorat britannique, ce qui aurait, de fait, rattaché le Katanga aux
territoires sous contrôle britannique situés au nord du Zambèze. En
réaction, l’État Indépendant du Congo lança deux expéditions destinées à
convaincre M’Siri d’accepter sa tutelle. La première était dirigée par le
lieutenant Paul Le Marinel qui parvint auprès de M’Siri le 18 avril 1891,
mais qui ne réussit pas à le convaincre de se placer sous l’autorité de l’EIC.
La seconde expédition (1891-1892) fut celle du capitaine Stairs, ancien
adjoint de Stanley, qui, partie de Zanzibar, avait transité à Karema et à
Mpala. Elle comprenait le capitaine belge Bodson, le marquis de
Bonchamps et le docteur Moleney qui raconté l’expédition. Le
14 décembre, l’expédition était auprès de M’Siri, mais ce dernier, affolé par
la succession d’autant de voyageurs belges venant le visiter, chercha à se
rapprocher des Britanniques. L’ayant appris, le capitaine Stairs usa de
persuasion pour convaincre M’Siri d’accepter la souveraineté de l’EIC, en
vain. Lors d’une nouvelle tentative, le ton monta et M’Siri menaça le
capitaine Bodson qui le tua d’un coup de revolver avant d’être lui-même
abattu (Moloney, 2007)
Entretemps, la fortune de Léopold II s’épuisa car les sommes dépensées
pour le Congo avaient atteint un total de 10 millions de francs-or entre 1878
et 1885 tandis que les ressources locales étaient encore inexistantes. En
1890, l’EIC fut en faillite et, contrairement à ses engagements, le roi se
tourna alors vers l’État belge. En 1890 et en 1895, par deux fois, ce dernier
accorda des prêts à l’EIC. En 1890, ce furent 25 millions de francs-or, dont
5 versés immédiatement et le reste en dix annuités de deux millions
chacune ; en contrepartie, le roi légua le Congo à la Belgique.
En 1895, la faillite menaça de nouveau et 6 millions furent encore
nécessaires qui furent accordés par les Chambres, mais après un vif débat
sur l’opportunité de posséder le Congo. Les députés ne voulaient en effet
pas se laisser entraîner dans une spirale budgétaire, à l’image de la Hollande
qui n’ayant pas de budget colonial séparé, voyait le déficit des colonies
comblé par le budget de l’État. Or, à cette date, le Congo avait coûté
31 millions de francs-or.
Durant cette première période, l’économie de cueillette (ivoire et
caoutchouc) fut associée au travail forcé, puis débuta l’économie de
plantation avec, là encore, réquisitions, spoliations et travail forcé. Tout le
problème de la mise en valeur de cet immense territoire était en effet qu’il
fallait commencer par y créer des voies de communication et notamment,
comme nous l’avons vu, une voie ferrée reliant l’estuaire du Congo
(Matadi), à la partie navigable du fleuve. Or, pour cela il fallait des capitaux
et c’est pourquoi, la Compagnie du chemin de fer du Congo au capital de
25 millions fut constituée en 1889. Mais les dépenses furent supérieures et
l’État belge accorda 15 millions plus un emprunt de 10 millions, le reste de
la somme nécessaire étant fournie par des capitaux privés. Le chantier
arriva néanmoins à son terme en dépit de terribles difficultés dues au milieu
et aux maladies. Le 1er juillet 1898, au bout de neuf années d’efforts
surhumains, les 390 kilomètres de la ligne Matadi Léopoldville étaient
achevés5.
En 1896, un retournement de tendance s’opéra car l’ivoire et surtout le
caoutchouc permirent d’équilibrer le budget du Congo qui devint ensuite
bénéficiaire. À partir de cette date, le territoire ne coûta d’ailleurs plus rien
à la Belgique. Vers 1910, une fois les infrastructures routières, ferroviaires
et extractives créées, débuta même un gigantesque mouvement de mise en
valeur des ressources du pays.
Militairement, l’État indépendant du Congo (EIC) connut des débuts
difficiles car il lui fallut mener de véritables guerres contre les esclavagistes
qui refusaient la ruine de leurs entreprises. Dans la partie orientale du
Congo, la « campagne arabe » se déroula ainsi de 1891 à 1894 (Hinde,
1897). Cependant, par chance pour Bruxelles, le Congo ne nécessita tout de
même pas de trop grosses dépenses militaires, les difficiles campagnes que
menèrent les troupes belges (Vellut, 1987) ayant coûté relativement peu en
comparaison de celles que durent conduire les Français en Tunisie
(142 millions de francs de 1881 à 1886), à Madagascar (80 millions de
francs en 1895-1896), ou les Allemands qui durent dépenser 400 millions
de marks en 1904-1905 pour venir à bout de la « révolte des Herero » au
Sud-Ouest africain.

La campagne anti esclavagiste au Congo


En 1885 quand fut internationalement reconnu l’État indépendant du Congo, la
puissance zanzibarite était à son sommet dans l’est du pays. Ayant largement franchi
le fleuve, les esclavagistes étaient présents le long de la Lualaba, de l’Uélé, dans le
bassin de la Lomami et ils avaient quasiment atteint la Mongala. La Société
antiesclavagiste belge organisa les premières campagnes destinées à les bloquer et
elle fut bientôt relayée par les forces de l’État indépendant du Congo. Les premiers
combats eurent lieu en 1890 à Lusambo où Francis Dhanis et Oscar Michaux
repoussèrent une attaque lancée par les Batetela alliés des esclavagistes.
L’année suivante, en 1891, le capitaine van Kerckhoven arriva dans la région de
l’Uélé et le 27 octobre, le capitaine Pierre Ponthier repoussa un groupe
d’esclavagistes au confluent entre l’Uélé et le Bomokandi. Au mois d’avril 1892, le
capitaine Alphonse Jacques fut assiégé par le chef esclavagiste Rumaliza dans le
poste d’Albertville (Kalemie), qu’il venait de fonder sur les rives du lac Tanganyika.
Durant deux années, des mois d’avril-mai 1892 à janvier 1894, les forces de l’EIC et
les esclavagistes s’affrontèrent cependant que Tippo-Tip, le principal d’entre eux
quittait la région pour retourner à Zanzibar. Plusieurs européens perdirent la vie
durant ces évènements, notamment le 15 mars 1892, dans la région de Riba-Riba
(Lokandu), quand le traitant d’ivoire Arthur Hodister et dix de ses compagnons furent
massacrés tandis que, dans le Maniema, le lieutenant Joseph Lippens et le sergent
Henri De Bruyne étaient capturés puis massacrés après avoir eu les mains et les
pieds coupés.
Petit à petit, les forces de l’EIC prirent le dessus, menées par les capitaines Francis
Dhanis et Oscar Michaux avec une dizaine d’Européens et quelques centaines de
soldats noirs. Le 23 novembre, sur la Lomani, Michaux affronta ainsi plusieurs milliers
de Zanzibarites, de Swahili et de guerriers fournis par les tribus qui étaient leurs
partenaires qui laissèrent dans la bataille 600 morts et un millier de prisonniers, sans
compter un nombre indéterminé de noyés. Avec 6 Belges et 400 askaris, le capitaine
Dhanis, suivi par des milliers de guerriers désireux de se venger des esclavagistes,
traversa ensuite la Lomami et le 30 décembre, les Zanzibarites commandés par Sefu,
l’un des fils de Tippo-Tip subirent une seconde défaite. Le 4 mars 1893, Nyangwe
leur « capitale » sur le Congo fut prise et Séfu se replia à Kasongo. Renforcé par le
capitaine Cyriaque Gillain qui était arrivé avec 500 askaris, Dhanis se dirigea ensuite
vers Kasongo qui fut prise le 22 avril.
Pendant ce temps, le commandant Louis Napoléon Chaltin progressait en direction
des Stanley-Falls, d’abord au moyen d’un vapeur, puis à pied. Il prit Riba Riba le
30 avril puis se porta au secours de Nicolas Tobback assiégé dans la station des
Stanley Falls qu’il délivra le 18 mai. À la fin du mois de juin, les capitaines Ponthier et
Lothaire achevèrent la pacification de la région. Dernier chef esclavagiste, Mohamed
bin Hassan Rumaliza, sultan d’Ujiji décida de contre-attaquer en direction du
Maniéma mais il se heurta au capitaine Dhanis. Le 25 octobre les esclavagistes
furent défaits mais Ponthier fut tué dans la bataille. Rumaliza en fuite fut pourchassé
mais il parvint à s’enfuir. La Campagne anti-esclavagiste était terminée6.
En 1908, la Chambre des députés accepta le testament de Léopold II qui
faisait don à la Belgique de l’État du Congo qui devint la Colonie du
Congo. Le 16 novembre 1908, à Boma, alors chef-lieu du territoire, les
couleurs belges furent hissées. À cette date, les finances du territoire étaient
excédentaires. Le Congo n’avait même rien coûté à la Belgique car, au total,
des origines à 1908, elle y avait dépensé 50 millions de francs-or et en avait
retiré 66 millions ; le bénéfice était donc de 16 millions. Mais cette somme
est à relativiser par rapport au budget de l’État belge puisque la seule
construction du palais de Laeken entre 1902 et 1908, coûta 12 millions et
celle du Palais de Justice de Bruxelles 43 millions. Le Congo ne comptait
donc pas pour grand chose dans l’économie belge.
La gestion du Congo se fit selon un mode bien particulier que l’on a pu
définir comme une forme de « paternalisme ». Cette formule ne reflète
qu’imparfaitement la réalité car, dans le non-État qu’était le Congo belge,
l’autorité était de fait répartie entre trois pouvoirs qui s’équilibraient : les
missions catholiques, les grandes sociétés privées et l’administration. Les
Congolais dépendaient donc de trois partenaires : l’administration coloniale,
les missions (6000 missionnaires en 1958) et les sociétés capitalistes (Union
minière du Haut Katanga, Forminière pour les diamants du Kasai, Géomine
pour l’étain), compagnies ferroviaires, compagnies agricoles, etc.
Au Ruanda-Urundi, dans les premières années de son administration, la
Belgique hésita. Convenait-il de maintenir le système précédemment
instauré par l’Allemagne en continuant à soutenir la cour et les grands chefs
ou fallait-il au contraire l’amender ?
L’engagement de l’Église aux côtés des Tutsi pesa alors d’un poids
considérable dans les décisions prises par Bruxelles, Mgr Léon Classe,
Vicaire apostolique pour le Ruanda et véritable homme fort du pays
défendant l’idée d’un appui résolu donné aux Tutsi. En 1924, la Belgique
unifia administrativement et territorialement le Ruanda, élargissant à
l’ensemble du pays des coutumes qui ne prévalaient jusque-là que dans les
régions anciennement contrôlées par les Tutsi et le pouvoir royal7. C’est sur
les Tutsi que reposa la politique d’administration de la Belgique8.
Le résultat la réforme administrative de 1924 fut de donner encore
davantage de pouvoirs à la fraction de l’aristocratie tutsi au sein de laquelle
étaient recrutés les chefs et les sous-chefs. Jusque-là, la division de
l’autorité en trois permettait – du moins quand elle était effective –, aux
Hutu de s’appuyer sur un chef contre un autre, de diluer en quelque sorte les
servitudes et les corvées. Désormais, tout allait dépendre d’un chef unique
et qui, de plus, allait être soutenu à la fois par le Mwami, l’administration
coloniale et les missions. Plus encore, cette réforme fut appliquée dans des
régions où les Tutsi n’avaient jamais exercé d’autorité et où, de plus,
existait le droit foncier de l’ubukonde, droit familial ou clanique du sol
résultant des défrichements opérés jadis par les ancêtres9.

C. L’Italie
Tard venue dans la compétition coloniale, l’Italie connut en ce domaine
échecs et déceptions (Miège, 1968 ; Conrad, 2007). Jusqu’en 1870, toutes
les énergies italiennes demeurèrent tournées en priorité vers la réalisation de
l’Unité et, une fois celle-ci acquise, le retard militaire et les difficultés
financières du royaume imposèrent une période d’attente. L’idée coloniale
demeura cependant présente, encouragée par l’essor des sociétés
géographiques10 tandis que les explorations réalisées par Pellegrino
Matteucci au Soudan et en Éthiopie, ou par Renzo Manzoni au Yémen et en
Afrique orientale suscitaient l’enthousiasme de l’opinion.
En avril 1881, l’occupation de la Tunisie par la France provoqua
déceptions et rancœurs car, pour l’Italie, le pays était vu comme un
prolongement géographique naturel, d’autant plus que 55 000 Italiens y
résidaient. Le profond ressentiment envers la France à laquelle elle devait
pourtant son unité fit qu’en 1882, l’Italie conclut avec l’Allemagne et
l’Autriche-Hongrie le traité créant la Triple Alliance. Elle chercha ensuite
une compensation en mer Rouge où, en 1869, Giuseppe Sapeto avait acheté
le territoire d’Assab pour le compte de la compagnie maritime Rubattino.
La prise de possession attendit cependant 1880 avec le rachat de ce modeste
comptoir par le gouvernement qui fit de ce point d’appui bien lontain la
première colonie italienne. Puis, en 1885 les Italiens prirent possession de
Massaoua11.
En 1889, Vincenzo Filonardi fit accepter le protectorat italien aux sultans
de la côte orientale de l’Afrique, entre la Somalie britannique et les
territoires dépendant du sultan de Zanzibar, cession confirmée par les
accords italo-anglais conclus en mars 1891 et en mai 1894.
En Éthiopie, la mort du Négus Yohannès IV, mort de ses blessures le
10 mars 1889, le lendemain de la bataille de Matamma remportée sur les
mahdistes du Soudan, avait entraîné une crise de succession dans laquelle
les Italiens soutinrent le ras Ménélik, roi du Choa.
En mai 1889, par le traité d’Ucciali, l’Italie le reconnut comme Négus,
tout en interprétant le texte comme une reconnaissance de leur protectorat
sur l’Éthiopie. Le contentieux italo éthiopien fut aggravé par l’occupation
d’Asmara en août 1889 laquelle ouvrit la voie à la création, en janvier 1890,
de la colonie d’Érythrée dont Ménélik refusa de reconnaître les frontières
que les Italiens prétendaient lui donner.
Inquiet de l’influence grandissante qu’exerçait la France auprès de
Ménélik – qui avait dénoncé le traité d’Ucciali – et désireux de devancer la
réalisation du chemin de fer qui devait relier Djibouti à Addis Abeba, Crispi
décida alors de forcer le destin et, au mois de juillet 1895, il ordonna au
général Baratieri d’engager la conquête de l’Éthiopie. L’entreprise
déboucha sur deux désastres (Lugan, 2013).
Le premier se produisit le 7 décembre 1895, à Alagi où les Italiens
laissèrent 2 000 morts sur le terrain. Le second eut lieu quelques mois plus
tard quand, pressé d’agir, Baratieri relança l’offensive. C’est ainsi que le
1er mars 1896, le corps expéditionnaire du général Dabormida, confronté à
des forces quatre fois supérieures, fut mis en déroute à Adoua par les
guerriers du ras Makonnen. Les Italiens perdirent 40 % de leur effectif,
laissant 5 000 morts sur le terrain et abandonnant 2 000 prisonniers aux
mains des Éthiopiens12.
Ces désastres provoquèrent un séisme politique en Italie et entraînèrent la
démission de Crispi. Le 26 octobre 1896 fut signé le Traité d’Addis-Abeba
par lequel l’Italie reconnaîssait l’indépendance totale de l’Éthiopie. Un
coup d’arrêt définitif semblait alors donné aux tentatives coloniales
italiennes. D’autant plus qu’un véritable sentiment anticolonialiste, exprimé
notamment par les socialistes, mais aussi par la bourgeoisie industrielle peu
soucieuse de financer des chimères, se répandit alors dans le pays. En
réaction, les nationalistes étaient animés par la volonté de venger
l’humiliation subie (Conrad, 2007).
Après Adoua, l’Italie redéfinit ses ambitions coloniales d’une manière
plus réaliste à la suite des réflexions du courant nationaliste, largement
influencé par Gabriele d’Annunzio et par l’Association nationale italienne
fondée en 1910 qui voulaient la revanche d’Adoua par la création d’une
« plus grande Italie » afin que des millions d’Italiens ne soient plus obligés
d’émigrer13. À ce moment-là, à l’exception de l’Éthiopie, il ne restait plus
que deux territoires encore « libres » en Afrique, le Maroc, quasiment
acquis par la France et la Tripolitaine turque.
Cette dernière devint donc le nouveau champ d’expansion italien et
Rome prépara diplomatiquement le terrain14. En 1902, la France laissa les
mains libres à l’Italie en échange de la reconnaissance de ses droits sur le
Maroc et en 1909, la Russie qui emboita le pas à la France fit de même. Le
29 septembre 1911 l’Italie déclara la guerre à la Turquie au motif que ses
colons installés en Libye étaient maltraités et le 30 septembre, la flotte
italienne croisa devant Tripoli. La guerre italo-turque (1911-1912) venait
donc d’éclater et, paradoxalement, ce furent les alliés de l’Italie, à savoir
l’Autriche et l’Allemagne qui protestèrent. L’Autriche craignait en effet
qu’en cas de guerre générale avec la Turquie l’Italie décide d’intervenir
dans les Balkans, quant à l’Allemagne qui avait des intérêts en Turquie, elle
était furieuse d’avoir été placée devant un fait accompli qui allait la
contraindre à choisir entre deux ententes, toutes deux indispensables à sa
diplomatie.
Contre les 25 000 hommes sous les ordres d’Enver Pacha, le corps
expéditionnaire italien, fort de 100 000 hommes et commandé par le
général Carlo Caneva disposait d’un équipement moderne15. Le 4 octobre
les Italiens s’emparèrent de Tripoli, puis des villes de Benghazi et de
Tobrouk, mais ailleurs, et notamment à l’intérieur la résistance fut vive.
Ainsi, le 23 octobre 1911, à al-Hani, à quelques dizaines de kilomètres de
Tripoli quand les Italiens subirent une grave défaite. Derna résista, défendue
par des officiers turcs qui firent parler d’eux plus tard puisqu’il s’agissait
d’Enver Pacha et de Mustafa Kemal, le futur Kemal Ataturk.
Pour faire plier la Turquie, au mois de mai 1912 la marine italienne
ouvrit un second front en mer Égée et s’empara de Rhodes ainsi que du
Dodécanèse. Le renversement du gouvernement Jeune Turc par l’armée, le
soulèvement de l’Albanie et les pressions russes aidèrent les Italiens.
D’autant plus que, au mois d’octobre 1912, jugeant le moment favorable,
les États balkaniques (Serbie, Montenégro, Grèce et Bulgarie) adressèrent
un ultimatum à la Turquie puis l’attaquèrent à leur tour. Devant la
multiplication des périls, et menacée sur plusieurs fronts à la fois, Istanbul
signa le Traité de Lausanne le 15 octobre 1912. Quant à la Guerre Italo-
Turque, elle se termina le 18 octobre 1912 par la signature du Traité
d’Ouchy par lequel la Turquie cédait à l’Italie la Tripolitaire, la Cyrénaïque
et les îles du Dodécanèse.
Une grande partie de la Libye demeura cependant incontrôlée et il fallut
attendre 1924 pour que la Tripolitaine passe sous le contrôle effectif de
l’Italie.

D. L’Espagne
En Afrique, les Espagnols furent tournés vers le Maroc où ils possédaient
Ceuta et Melilla et vers le littoral du Sahara occidental. Du nord du cap
Bojador jusqu’à la baie d’Arguin, la côte saharienne est extrêmement
poissonneuse et dès le XVe siècle, les pêcheurs de toutes les nations
maritimes européennes fréquentaient ces parages. Peu à peu les Canariens,
sujets espagnols, eurent un rôle dominant grâce aux salines de l’archipel qui
permettaient la conservation et l’exportation du produit de ces pêches.
C’est pour défendre ce monopole que l’Espagne voulut contrôler le
littoral saharien faisant face aux îles Canaries et c’est pourquoi elle chercha
à s’y installer afin d’en écarter ses éventuels concurrents flamands, basques,
anglais, italiens ou français qui auraient pu être tentés d’y prendre pied16.
En 1859, l’Espagne déclara la guerre au Maroc afin de régler une fois
pour toutes la question de la souveraineté de ses Présides de Ceuta et
Melilla. Un corps expéditionnaire espagnol commandé par le général
O’Donnell débarqua alors à Ceuta, remporta deux victoires sur l’armée
marocaine et s’empara de la ville de Tétouan. Dans le traité de paix signé le
26 avril 1860, le maréchal O’Donnell fit insérer la clause suivante :
« […] sa Majesté marocaine s’engage à concéder à perpétuité à sa
Majesté Catholique, sur la côte de l’Océan, près de Santa-Cruz la
Pequeña, le territoire suffisant pour la formation d’un établissement de
pêcherie, comme celui que l’Espagne y possédait autrefois. »
En 1884 fut fondée la Sociedad de Africanistas y colonistas qui
coordonna les initiatives ultramarines et, au mois de décembre de la même
année, le gouvernement espagnol décida d’établir son protectorat sur le
littoral saharien, du cap Blanc (Tarfaya), au cap Bojador. Des troupes furent
ensuite débarquées sur la presqu’île de Dakhla où le petit poste de Villa
Cisneros sortit de terre. Durant dix ans, de 1884 à 1894, la tribu des Ouled
Delim interdit à la garnison espagnole d’élargir la zone sous son contrôle,
limitée au poste et à ses environs immédiats. De 1885 à 1894, six attaques
marocaines furent ainsi lancées contre la modeste position.
Dans le reste de l’Afrique, les colonies espagnoles se limitaient à
quelques îles dans le golfe de Guinée ainsi qu’à la Guinée espagnole ou Rio
Muni. En 1777 et en 1778 par les traités de San Ildefonso et du Pardo, le
Portugal avait échangé ses droits de commerce sur une immense bande
côtière de 800 000 km2 s’étendant du Niger à l’Ogoué et qui englobait donc
toute une partie du golfe de Guinée, plus la possession des îles de Fernando
Pôo, Annobon et Corisco, contre la colonie de Sacramento au sud du Brésil.
En 1778, depuis Montevideo en Uruguay, les Espagnols avaient lancé une
expédition destinée à prendre possession de l’île de Fernando Pôo (Bioko)
mais l’établissement avait végété, les maladies ayant décimé les colons.
L’accord anglo-espagnol du 27 septembre 1817 concernant la répression
de la traite permit aux Anglais de s’installer à Fernando Pôo et le poste de
Santa Isabel fut rebaptisé Port-Clarence. En plus de créer un tribunal chargé
de juger les trafiquants, les Anglais occupèrent l’île tout en cherchant à
l’acheter à l’Espagne. Le parlement espagnol, les Cortes, refusa cette offre
et en 1845 Madrid reprit possession de l’île qui reçut son premier
gouverneur en 1858 après que, en 1856, eut été créée la Guinée espagnole.
Sur le continent, quelques expéditions furent menées dans l’arrière-pays
du Rio Muni, notamment par Manuel Iradier (1854-1911) qui explora la
région de 1875 à 1877, parcourant plus de 1800 kilomètres et atteignant les
Monts de Cristal. En 1884, il partit pour une seconde expédition,
accompagné de d’Amado Ossorio y Zavala, à l’occasion de laquelle il visita
le pays des Fang.
Lors du Congrès de Berlin, en 1884-1885, l’Espagne ne réussit pas à se
voir reconnaître la possession des territoires échangés au XVIIIe siècle avec
le Portugal et seuls 180 000 km2 lui furent attribués. De plus, le 27 juin
1900, les possessions guinéennes continentales espagnoles furent ramenées
à 26 000 km2 par le traité franco-espagnol de Paris qui fixait la frontière du
territoire espagnol avec le Gabon. La colonie fut directement administrée
par la Direction du Maroc et des Colonies et, en 1904, fut créé le
Gouvernement général des Territoires du golfe de Guinée avec siège à
Santa Isabel.

1. Dans le Nord, la Compagnie du Nyassa ; dans le centre, la Compagnie de Zambézie avec deux
bases à Quelimane et à Tete et enfin la Compagnie de Moçambique qui avait pour champ
d’expansion le Manica et pour centres Beira et Sofala. Ces compagnies ne furent guère actives dans
la mise en valeur du territoire, à l’exception de celle du Moçambique qui créa la voie ferrée Beira-
Salisbury, mise en service en 1900.
2. Contrairement à une idée-recue, les Portugais n’ont en réalité que peu pratiqué le métissage dans
leurs colonies africaines continentales où les mariages mixtes furent relativement peu nombreux.
3. Dès les années 1860, le roi Léopold II dont l’avènement date de 1866 et qui était porté par l’idée
coloniale, s’intéressa d’abord à la Chine, à l’Égypte puis à Bornéo, mais en vain. En 1873,
l’Espagne étant en banqueroute, il pensa lui acheter les Philippines, puis il songea à une
implantation en Afrique australe avant de jeter son dévolu sur le Congo.
4. La seule difficulté était constituée par les rapides situés en amont de l’embouchure, mais dès cette
époque, Léopold II avait trouvé la solution : il suffirait de créer une voie ferrée parallèle au fleuve,
depuis l’océan jusqu’à sa limite navigable.
5. 1800 travailleurs noirs et 132 cadres et contremaîtres blancs étaient morts durant les travaux.
Rapportées aux effectifs engagés, les pertes des Blancs étaient 10 fois supérieures à celles des
Noirs.
6. Les Belges n’avaient cependant pas achevé la pacification du Congo. En 1897 se produisit ainsi la
révolte des soldats batetela de l’expédition Dhanis en marche pour l’enclave de Lado en Ituri
(Salmon, 1977).
7. Dans le système précolonial l’administration se faisait à trois niveaux différents : -la production
agricole avec les redevances qui y étaient liées était sous la responsabilité du mutwale wa butaka
(chef des terres), -les hommes étaient placés sous l’autorité d’un mutwale wa ingabo (chef des
hommes) chargé entre autres de lever les combattants en cas de guerre, -le mutwale wa inka (ou
chef des vaches) avait en charge les pâturages. En général, le chef de région concentrait les trois
fonctions et il était Tutsi. Cependant, il n’était pas rare que le Mwami sépare les domaines de
compétence et que, dans ce cas, nombre de mutwale wa butaka soient Hutu. Avec la réforme de
1924 entreprise par le gouverneur Voisin, les trois fonctions furent réunies entre les mains d’une
seule autorité et les chefs ainsi que les sous-chefs furent désormais quasiment tous Tutsi. En 1959,
à la veille de la révolution rwandaise, 43 chefs sur 45 étaient Tutsi et 549 sous-chefs sur 559.
8. Le Ruanda sous administration belge fut divisé en une dizaine de territoires dirigés par autant
d’administrateurs de territoire. Ces territoires administratifs englobaient des chefferies à la tête
desquelles étaient placés des chefs tutsi, puis, à partir de 1929, ces chefferies furent subdivisées en
sous-chefferies dirigées par des sous-chefs qui remplacèrent les traditionnels chefs de collines.
Les sous-chefs eurent davantage de pouvoir que les anciens chefs de collines. Comme nous l’avons
vu, ces sous-chefs furent essentiellement tutsi alors que les anciens chefs de collines étaient souvent
hutu. Durant la période belge, leur rôle fut disproportionné par rapport à la structure administrative
dans laquelle ils furent insérés. C’est ainsi qu’ils cumulaient plusieurs fonctions puisqu’ils étaient :
« […] à la fois patrons de clientèles “traditionnelles”, percepteurs, distributeurs de terre, juges,
contremaîtres, recruteurs […] ; plus que de simples intermédiaires entre le Blanc et la paysannerie,
ils sont les privilégiés d’un (du) régime colonial […] ». (Willame, 1995 : 116)
9. Pour tout ce qui concerne l’ubukonde, on se reportera à Lugan (1983a : 453-496 et 1997 : 154-
157,561-563). Une autre évolution allait provoquer bien des mécontentements et marquer
profondément le subconscient hutu ; il s’agit du système de la corvée ou ubuletwa qui fut étendu à
tout le Rwanda, y compris dans les régions où il n’existait pas durant la période précoloniale et
notamment dans les régions montagneuses du nord du Rwanda et de la Crête Congo-Nil. De plus,
dans le système traditionnel, ce n’étaient pas les hommes qui étaient soumis à l’ubuletwa, mais les
lignages ou les familles qui désignaient l’un ou l’autre de leurs membres pour l’accomplir.
Désormais, ce furent les individus (Newbury, 1981 : 138-147 ; 1988).
10. La Societa Geografica Italiana fut créée en 1867 à Florence – alors capitale du royaume – puis
installée à Rome en 1873. En 1877, le journal l’Esploratore fut lancé à Milan. La Societa
d’Esplorazioni Comerciali in Africa fut fondée à Milan en 1879. En 1884, l’éditeur Perino créa la
Biblioteca dei Viaggi et la Societa Africana d’Italia vit le jour à Naples en 1880.
11. Sous le premier gouvernement Crispi, l’Italie développa une ambitieuse politique dans la région
qui aboutit en 1890 à la création de l’Érythrée et en 1891 de la Somalie italienne. Francesco Crispi
(1819-1901), joua un rôle décisif dans la mise en œuvre des projets coloniaux italiens. Président du
Conseil et ministre des Affaires étrangères de juillet 1887 à février 1891, puis de novembre 1893 à
mars 1896, il mit en pratique sa politique en s’appuyant sur l’Angleterre qui cherchait à
contrecarrer l’expansionnisme français en Afrique du Nord. Comme le statu quo méditerranéen ne
pouvait être remis en cause, c’est en mer Rouge et en Afrique orientale qu’il concentra ses efforts.
En 1859, bien avant d’être au pouvoir et d’engager l’Italie dans la voie de l’expansion coloniale,
Francesco Crispi avait déclaré : « […] Nous autres, qui rêvons d’une Italie plus grande et nous
rappelons le passé, l’Afrique nous semble le symbole du passé et l’espérance ardente de l’avenir. »
Convaincu de la nécessité d’une grande politique coloniale, Crispi la justifia – dans un discours
demeuré fameux prononcé à Palerme en octobre 1889 – par « le besoin de terres et la surpopulation
du Sud ».
12. 261 officiers, 2 918 sous-officiers ou soldats italiens et plus de 2 000 askaris furent tués tandis
que 954 soldats italiens furent portés disparus. Les Italiens comptaient également près de
1 500 blessés.
13. Ses buts étaient triples : irrédentisme contre l’Autriche (Trentin et Istrie) ; revendications en
Albanie et volonté d’expansion en Tripolitaine. Auteur du Saluto Italico, Giosue Carducci exalta la
mission impériale de l’Italie. Alfredo Moriani, Enrico Corradini – qui fonda en 1904 la revue Il
Regno – et surtout Gabriele d’Annunzio lui-même – qui exalta « la nouvelle aurore de l’Italie, fleur
de toutes les races » – s’inscrivaient dans la même lignée. La Ligue Navale, la Société Dante
Alighieri, l’Institut Colonial Italien fondé en 1906 et sa Rivista Coloniale, les congrès
géographiques et coloniaux contribuèrent alors au maintien des espérances impériales (Conrad,
2007).
14. En 1887, un accord avait été donné par les Britanniques qui voulaient à la fois détourner les
ambitions de Rome de l’Afrique orientale tout en limitant l’expansion française au sud de la
Méditerranée.
15. Notamment d’une aviation embryonnaire. Ce fut durant ce conflit que l’aviation fut pour la
première fois engagée, notamment le 1er novembre 1911 quand un avion largua une bombe sur une
position turque. Le 10 septembre 1912, le premier avion détruit au combat fut un monoplan
Nieuport abattu par une mitrailleuse turque. Les Italiens engagèrent pour tenir un désert plus
d’hommes que Bugeaud quand il lui avait fallu conquérir l’Algérie.
16. Le premier établissement espagnol sur cette partie du littoral saharien date de 1476 quand le
seigneur de Lanzarote, Don Diego de Herrera, prit possession d’une petite portion de côte sur
laquelle il édifia un fortin qu’il baptisa du nom de Santa Cruz de Mar Pequena. En 1527, le sultan
du Maroc Ahmed al-Wattassi fit détruire ce comptoir.
SIXIÈME PARTIE
L’Afrique de 1914 à 1945
Trente années séparent le début du premier conflit mondial de la fin du
second. Durant ces trois décennies, les rapports entre l’Europe coloniale et
l’Afrique colonisée furent bouleversés. La période débute en effet avec
l’apogée de la colonisation pour s’achever avec sa mort annoncée et même
programmée. Entretemps, de profondes lézardes étaient apparues dans le
système.
Durant le premier conflit mondial, les Africains constatèrent que leurs
« maîtres » se combattaient avec férocité. Ayant pu observer leurs faiblesses
et leurs souffrances, ils cessèrent de leur apparaître comme des quasi-demi-
dieux.
Sortie affaiblie du conflit, l’Europe coloniale eut de plus en plus de mal à
contenir la vague nationaliste qui connut une grande ampleur dans toute
l’Afrique du Nord, spécialement à ses deux extrémités, en Égypte avec une
forte contestation anti-britannique et au Maroc avec la guerre du Rif.
Au sud du Sahara, la remise en cause du système colonial fut moins
violente car moins organisée et elle revétit des formes différentes dans les
domaines britannique et français.
À l’issue du second conflit mondial, le refus de la colonisation fut
général, d’autant plus que l’Europe avait perdu son leadership au profit des
puissances anti impérialistes. Pour des motifs différents Washington et
Moscou soutenaient en effet le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Mais, alors que le Royaume-Uni anticipa un processus qu’il mit lui-même
en marche dès 1941 avec la reconnaissance de l’indépendance prochaine de
l’Inde, la France resta figée dans l’immobilisme, le préambule de la
Conférence de Brazzaville en date du 30 janvier 1944 rejetant toute idée
d’indépendance, d’autonomie et même de self-government.
Chapitre I.
Le premier conflit mondial

Le premier conflit mondial éclata alors que le système colonial était à son
apogée. Il en sortit ébranlé même si, en apparence du moins, au lendemain
des hostilités l’« ordre colonial » semblait partout solidement assuré. Les
opérations militaires se déroulèrent au nord et au sud du Sahara. En Égypte,
dans la zone du canal de Suez, elles opposèrent l’armée turque aux Alliés.
En Afrique sud-saharienne, isolées les unes des autres les possessions
allemandes opposèrent une résistance variable. Si le Togo, le Sud-Ouest
africain et la plus grande partie du Kamerun furent rapidement occupés par
les Alliés, il n’en fut pas de même de l’Est africain où la pugnacité de la
Schutztruppe commandée par le colonel, puis général Paul-Emil von
Lettow-Vorbeck ralentit l’inéluctable victoire des contingents britanniques,
sud-africains, belges et portugais.

A. Le conflit en Afrique du Nord


La Première Guerre mondiale posa un sérieux problème à l’Égypte car
ses deux tuteurs, l’Empire ottoman et la Grande-Bretagne, se trouvèrent
rangés dans des camps opposés. L’Allemagne souhaitait voir la Turquie
intervenir à ses côtés, mais la Porte, sachant qu’elle pouvait perdre gros en
cas de défaite, hésita jusqu’à la fin du mois d’octobre 1914. Après un
incident naval turco-russe intervenu le 29 octobre, ce fut le gouvernement
du Tsar qui l’accula à entrer en guerre1 alors qu’elle cherchait à demeurer
étrangère au conflit. Après bien des hésitations, la Turquie se rangea donc
dans le camp allemand, menaçant par le fait le dispositif britannique de
protection du canal de Suez.
Nationalisme égyptien et nationalisme arabe
Dans la conception des premiers nationalistes égyptiens, l’idée d’un État national
laïque n’existait pas. En leur temps, les partisans d’Arabi Pacha n’étaient pas des
nationalistes égyptiens au sens propre du terme, mais des arabo-musulmans militant
pour le départ des étrangers chrétiens et partisans de l’empire ottoman ; pour eux,
seul le sultan turc était en mesure de défendre les territoires musulmans menacés
par les infidèles. Plus panislamistes que nationalistes, ceux qui avaient suivi Arabi
Pacha furent désemparés après l’échec de son mouvement.
La revendication nationaliste fut ensuite incarnée de 1898 à 1906 par Mustapha
Kamil (1874-1908)2, leader du Parti nationaliste, qui l’exprima dans de nombreux
discours et dans des articles publiés notamment dans Al-Liwa (l’Étendard), revue qu’il
avait fondée en 1900. Comme lui, son successeur, Muhamad Farid était partisan
d’une souveraineté ottomane sur l’Égypte (Delanoue, 1977 : 129-156).
Durant l’année 1906, la revendication égyptienne prit un tour plus militant, avec une
grève des étudiants et une émeute paysanne dirigée contre des officiers britanniques.
La tension était devenue telle qu’en 1907, les autorités d’occupation annoncèrent le
début d’un processus devant déboucher sur l’autonomie de l’Égypte. Or, au même
moment, certains nationalistes égyptiens appartenant au courant libéral et laïc
pensèrent qu’ils n’obtiendraient rien en affrontant directement les Britanniques et qu’il
était préférable de collaborer avec eux afin d’en retirer des concessions successives
qui iraient jusqu’à l’indépendance. En 1907, ils fondèrent donc un nouveau parti
politique, l’Umma ou Parti du Peuple lequel n’eut que peu d’échos parmi la population
égyptienne.
Pour les nationalistes arabes, le conflit mondial changeait les données du problème3.
La question qui se posa alors pour tous fut de savoir si les Arabes avaient oui ou non
intérêt à participer au conflit. Les nationalistes de Syrie étant francophiles, ils
désiraient donc entrer en guerre contre la Turquie. Ceux d’Égypte ayant un ennemi
prioritaire, à savoir la Grande-Bretagne, étaient au contraire partisans d’aider la
Turquie. Quant à Hussein, le chérif hachémite de La Mecque, il voulait bien entrer en
guerre, mais à la condition que les Arabes obtiennent en retour de sérieux avantages.
Au mois de juin 1915, le Haut-commissaire britannique au Caire, Sir Arthur Henry
Mac Mahon, publia un texte dans lequel la Grande-Bretagne annonçait qu’elle était
disposée à reconnaître un État arabe indépendant exerçant sa pleine souveraineté
sur les Lieux Saints. Puis, le 30 janvier 1916, il s’engagea auprès d’Hussein à
favoriser la création d’un grand État arabe si les tribus du Hedjaz entraient en guerre
aux côtés des Britanniques.
À partir de ce moment, les Arabes commencèrent se rapprocher des Alliés, même si
ces derniers connaissaient de grandes difficultés militaires face aux Turcs4.

Le 18 décembre 1914, les Britanniques profitèrent de l’entrée en guerre


de la Turquie aux côtés de l’Allemagne pour mettre un terme à la
suzeraineté nominale que le sultan turc exerçait sur l’Égypte et ils
imposèrent leur protectorat au pays. Le 19 décembre, le khédive Abbas II
fut déposé pour avoir manifesté de l’indocilité et remplacé par un de ses
oncles, Hussein Kamel (1914-1917), second fils du khédive Ismaïl qui reçut
le titre de sultan5.
Au mois de janvier 1915, le canal de Suez fut menacé par une puissante
offensive menée par le général Djemal Pacha6, à la tête d’une armée quatre-
vingt mille hommes. Cette offensive était destinée à reprendre l’initiative
militaire car, depuis le début des hostilités, l’armée turque subissait en effet
une très forte pression sur plusieurs fronts à la fois7.
En Arabie, convaincus par les promesses alliées, les Hachémites se
soulevèrent contre les Ottomans et ce fut Hussein, chérif de La Mecque qui
lança la « révolte arabe ». Le 12 juin elle était maîtresse de La Mecque que
les Turcs avaient abandonnée et le 16 juin, le port de Djeddah passa sous le
contrôle des Hachémites. Les Britanniques avaient acheté la neutralité de la
puissante tribu whahabite des Saud (les Saoudiens) afin qu’ils n’attaquent
pas les Hachémites, mais, le 6 novembre 1916, quand, à La Mecque,
Hussein se proclama « roi des Arabes », ils se sentirent à la fois humiliés et
provoqués. C’est pourquoi, à l’automne 1917, quand les Britanniques
tentèrent de les persuader de rejoindre l’armée de Hussein8, ils essuyèrent
un refus. Au mois de novembre 1917, la « révolte arabe » qui avait trouvé
dans Lawrence son conducteur, triompha des Turcs qui perdirent le Hedjaz.
Les Alliés étaient victorieux et l’armée anglo-arabe entra à Damas le
1er octobre 1918.
À l’Ouest, en s’appuyant sur la confrérie sénoussiste, les Turcs tentèrent
de déstabiliser une vaste zone s’étendant depuis la Tripolitaine au Nord, le
Fezzan au Sud-Ouest et le Darfour au Sud. Cette politique posa des
problèmes aux Italiens en Tripolitaine, aux Français dans le Sahara oriental
et aux Anglais dans la partie occidentale du Soudan. Ces derniers réagirent
en 1916 en occupant le Darfour. Jusqu’à cette date, ils avaient laissé la
région vivre une existence quasi autonome, se contentant d’une vassalité
plus que théorique. Mais, en 1916, quand le sultan du Darfour sembla se
rapprocher des Turcs présents en Libye, le Gouverneur général Wingate
décida d’intervenir afin d’éviter tout risque de contagion dans la région.
Au Maghreb, l’Algérie ne fut pas directement touchée par la guerre, à
l’exception d’un bombardement naval effectué par deux croiseurs
allemands, le Breslau et le Goeben au début du mois d’août 1914. Le pays
demeura calme, même si, en 1916, des troubles sporadiques agitèrent les
Aurès. La mobilisation à grande échelle effectuée au sein de la population
française eut d’importantes conséquences car les cadres et les colons une
fois mobilisés, le maillage européen de l’Algérie intérieure se relâcha
considérablement. Dans les zones de colonisation les plus récentes, l’on
assista même à un repli vers les centres urbains de nombre de familles
européennes isolées dans le bled. Ces départs furent souvent définitifs, ce
qui fit que le premier conflit mondial marqua le début de la décrue du
processus de colonisation terrienne en Algérie, phénomène qui accentua
encore davantage la concentration des Européens dans les centres urbains9.
Au Maroc, la déclaration de guerre intervint à un moment
particulièrement difficile car la conquête ou la « pacification », y était alors
loin d’être achevée et les troupes françaises n’occupaient effectivement
qu’une partie du pays. De plus, bien des régions soumises ne l’étaient que
superficiellement. Or, le Résident général Lyautey avait reçu des ordres très
clairs : replier vers la côte les unités qui tenaient les contreforts de l’Atlas
afin de pouvoir envoyer le maximum de troupes sur le front européen. Il
n’ignorait pas qu’un tel repli entraînerait une révolte générale qui pourrait
avoir des conséquences dans tout le Maghreb. Il réussit à rallier le
gouvernement à une autre option qu’il baptisa d’une manière imagée de
« politique de la langouste » : aucune position avancée ne serait
abandonnée, mais les troupes de première ligne qui les tenaient seraient
remplacées par des réservistes. Le dispositif resterait donc le même sur le
terrain, du moins en apparence. La guerre ralentit l’œuvre de Lyautey, mais
elle ne l’interrompit pas puisqu’en dépit des restrictions et du manque de
cadres, il réussit à tracer des routes, à construire des voies ferrées, à bâtir
des écoles, des dispensaires, des hôpitaux et même à organiser des foires,
aimant dire : « la France continue10 ».

B. Le conflit en Afrique de l’Ouest11


Les Alliés ouvrirent les hostilités au Togo dès le 7 août 1914. Pour Paris
et pour Londres, l’intérêt d’une telle campagne était d’abord de permettre la
prise de la station radio de Kamina (près d’Atakpamé). Cette station de
T.S.F, ultramoderne pour l’époque, aurait permis la coordination de la
guerre maritime sur des axes vitaux pour les Alliés et aurait pu donner à
l’Allemagne un avantage certain. Il est d’ailleurs insolite que le Reich ait
construit une telle station dans la moins protégée et la moins défendue de
ses colonies.
L’invasion du Togo se fit par mer et par terre, au Nord, à l’Ouest et à
l’Est. Dans la nuit du 24 au 25 août, les Allemands détruisirent leur station
radio de Kamina et, dans la journée du 25, alors que les forces alliées se
rapprochaient d’Atakpamé, le major von Roben entama des pourparlers en
vue d’une reddition. Le 26, les troupes commandées par le gouverneur von
Doering capitulèrent.
La victoire du Togo était la première « bonne nouvelle » d’une guerre qui
avait bien mal débuté pour les Alliés. Charleroi et Morhange étaient certes
perdus, les armées étaient en retraite, mais à des milliers de kilomètres du
front belgo français, une colonie allemande venait d’être conquise. Deux
autres n’allaient pas tarder à l’être également, le Kamerun et le Sud-ouest
africain.

En Afrique, la guerre aurait pu être évitée


La guerre déclarée, l’Allemagne souhaita que le conflit ne soit pas étendu aux
colonies puisqu’en définitive le sort des empires se déciderait sur les fronts d’Europe.
Le général Eymerich, commandant supérieur des troupes de l’Afrique équatoriale
française partageait cet avis :
« […] les succès remportés aux colonies, pour si brillants qu’ils soient, n’atténueraient
pas les résultats d’une défaite en Europe et réciproquement ».
L’Allemagne tenta de faire prévaloir la neutralité de tout le bassin du Congo. Sa
référence était l’Acte de Berlin de 1885 qui avait, par convention diplomatique, élargi
ses limites géographiques à une fraction de l’A.-E.F., au Kamerun, à l’Afrique-
Orientale allemande, à l’Afrique-Orientale anglaise, au nord de l’Angola et de la
Rhodésie, ce qui revenait, de facto, à neutraliser une grande partie de l’Afrique :
« Dans le cas où une puissance exerçant des droits de souveraineté ou de
protectorat dans les contrées mentionnées à l’article premier et placées sous le
régime de la liberté commerciale, serait impliquée dans une guerre, les Hautes
Parties signataires du présent acte s’engagent à prêter leurs bons offices pour que
les territoires appartenant à cette puissance et compris dans la zone conventionnelle
de la liberté commerciale, soient placés, pour la durée de la guerre, sous le régime
de neutralité et considérés comme appartenant à un état non belligérant ; les parties
belligérantes renonceraient, dès lors, à étendre les hostilités aux territoires ainsi
neutralisés aussi bien qu’à les faire servir de bases à des opérations de guerre »
(Article 2 de l’Acte de Berlin).
Le 7 août 1914, le gouvernement belge qui soutenait le principe de neutralité de
l’Afrique orientale, envoya une note dans ce sens à ses ambassadeurs à Londres et
à Paris :
« Vu la mission civilisatrice commune aux nations colonisatrices, le gouvernement
belge désire, par un souci d’humanité, ne pas étendre le champ des hostilités à
l’Afrique centrale. Il ne prendra donc pas l’initiative d’infliger une pareille épreuve à la
civilisation dans cette région et les forces militaires qu’il y possède n’entreront en
action que dans le cas où elles devraient repousser une attaque contre ses
possessions africaines. »
Le 15 septembre 1914, alors que le Togo était sur le point d’être conquis par les
Alliés, le sous-secrétaire d’État allemand aux Affaires étrangères, le Dr. Zimmermann,
adressa une note à l’ambassadeur américain à Berlin dans laquelle il défendait
encore la nécessité de neutraliser l’Afrique centrale, et ce afin de :
« [… prévenir une aggravation purement gratuite de l’état de guerre qui serait
préjudiciable à la communauté de culture de la race blanche ».
Les gouvernements britannique et français refusèrent cette proposition, mais les
Allemands persistèrent puisque, encore en 1915, une note allemande soulignait que :
« L’emploi des troupes de couleur en Europe et l’extension de la guerre dans les
colonies africaines, qui s’est produite contrairement aux traités existants, qui diminue
le prestige de la race blanche dans cette partie du monde, ne sont pas moins
inconciliables avec les principes du droit international et de la civilisation. » (Dubois
1985 : 164)
Londres et Paris restèrent sourds à ces remarques car leur priorité était d’attaquer
l’Allemagne sur tous les théâtres d’opérations possibles afin d’obtenir des victoires
faciles qui pourraient donner à l’opinion publique des motifs d’espoir.

1. La campagne du Kamerun (Cameroun)


Quand la guerre éclata, les forces allemandes du Kamerun s’élevaient,
après mobilisation, à 1 460 Blancs et à environ 3 000 tirailleurs. Le pays
était divisé en 12 circonscriptions civiles ayant autant de compagnies de
police. Chaque circonscription avait un chef-lieu qui était le quartier général
de la compagnie locale et où était construit un fortin avec blockhaus,
généralement entouré de fossés et garni de deux mitrailleuses. À l’intérieur
de l’enceinte crénelée étaient construits les bureaux, l’armurerie, la prison
et le logement de la troupe. Le commandant supérieur du Kamerun était le
lieutenant-colonel Emil Zimmermann.
Dans leurs colonies d’Afrique Occidentale, les Britanniques disposaient,
en août 1914, du régiment de Sierra Leone, de la compagnie de Gambie, de
trois unités de la Gold Coast composées d’un régiment régulier, d’une
batterie d’artillerie de montagne et d’un bataillon d’infanterie, ainsi que de
quatre autres éléments fournis par le Nigeria, à savoir un bataillon
d’infanterie montée, un bataillon d’infanterie et deux batteries d’artillerie de
montagne équipées de 20 pièces. L’effectif total de ces forces d’active était
de 500 Britanniques et de 8 000 Africains, mais la mobilisation permit
d’enrôler plusieurs centaines de fonctionnaires, de colons ou de résidents
qui vinrent renforcer ces unités.
Le plan militaire français prévoyait de revenir par les armes sur les
accords de 1911 afin de ressouder l’A.-E.F. en un seul bloc. Les forces
françaises de l’A.-E.F. s’élevaient à 6 440 tirailleurs africains, dont les trois
quarts recrutés en A.-O.F., et à environ 1 000 cadres européens.
Un petit contingent belge de 580 hommes, dont dix Européens, participa
également aux combats. L’entrée en guerre de la Belgique au côté des Alliés
donna à ces derniers un réel avantage dans la mesure où le chemin de fer,
les navires fluviaux et les lignes télégraphiques du Congo furent mis à leur
disposition.
La campagne du Kamerun débuta les 6 et 7 août avec l’occupation de
Bonga et de Zinga par les troupes françaises, ce qui permit de rétablir les
communications fluviales entre les possessions de l’A.-E. F. À la fin du
mois d’août, un corps expéditionnaire franco-britannique placé sous les
ordres du brigadier-général C. Dobell, fut mis à terre à proximité de Douala,
la capitale de la colonie qui fut prise le 27 septembre. Dans le Nord, le poste
de Kousséri avait été enlevé le 20 septembre par les 600 hommes de la
colonne du Tchad commandée par le général Largeau mais la garnison
allemande avait réussi à rejoindre le gros de la compagnie du capitaine von
Raben à Mora.
Au mois de mars 1915, quand la principale offensive alliée débuta, le
colonel Zimmermann avait deux possibilités : soit s’arc-bouter en position
défensive autour de Yaoundé et se condamner tôt ou tard à un encerclement,
donc à une capitulation, soit abandonner le territoire allemand et tenter une
percée à travers le sud du Kamerun afin d’atteindre le Rio Muni, ou Guinée
espagnole, et échapper ainsi à la capture par les troupes alliées. Ayant choisi
la seconde option, une course-poursuite s’engagea alors entre les troupes
allemandes convergeant vers la frontière espagnole et les forces alliées
désireuses de les intercepter. Les Allemands furent les plus rapides et ce fut
dans la plus stricte discipline que les compagnies se rassemblèrent autour de
panneaux indiquant leur numéro, le nom de leur commandant et la date de
franchissement de la frontière. Le 7 janvier 1916, une ultime parade eut lieu
en territoire allemand, puis la petite armée composée de 73 officiers, 22
médecins, 310 sous-officiers, 570 colons ou fonctionnaires allemands,
6 000 tirailleurs et porteurs noirs et 14 000 civils indigènes passa en zone
espagnole12.
Dans le nord du Kamerun une enclave résistait toujours, à Sava, près de
Mora, où à l’abri d’une formidable position rocheuse, le capitaine von
Raben encerclé depuis 18 mois avec une poignée d’hommes, refusait de
capituler. Le 20 février 1916, un émissaire l’informa que les troupes
allemandes avaient été désarmées au Rio Muni. Von Raben accepta alors de
rendre la position, mais à la condition que les honneurs lui soient rendus, ce
qui lui fut accordé (Lugan, 1990b : 152-164).

2. La conquête du Sud-ouest africain par l’Afrique du


Sud
Au Sud-Ouest africain, les Allemands étaient plus nombreux qu’au Togo
et qu’au Kamerun, et les 1 600 soldats d’active composant la garnison
furent renforcés par plusieurs milliers de réservistes issus d’une population
de 12 000 colons.
Le 4 août 1914, quand la guerre fut déclarée, l’Union sud-africaine,
dominion britannique, se trouva automatiquement engagée dans le camp
anglais. Les anglophones acceptèrent l’entrée en guerre comme un devoir
patriotique ; mais les Afrikaners se divisèrent. Certains, suivant en cela le
Premier ministre de l’Union, le général Louis Botha et le général Ian Smuts,
son ministre de la Défense, affirmèrent leur solidarité avec la Grande-
Bretagne. D’autres, alignés sur la position du général Hertzog, fondateur du
Parti national, prônaient la neutralité tant que le pays n’était pas attaqué.
Au mois de septembre 1914, le Parlement du Cap accepta la demande
britannique de lever une armée afin d’envahir le Sud-Ouest africain
allemand. C’est alors que le colonel Manie Maritz, commandant le régiment
sud-africain stationné à proximité de la frontière allemande entra en
rébellion afin de s’allier aux Allemands pour proclamer ensuite
l’indépendance des Républiques boers de l’Orange et du Transvaal
(Davenport, 1963 ; Lugan, 1995 : 184-187)13. Une nouvelle guerre des
Boers était donc sur le point d’éclater. Pour les Britanniques la situation
était particulièrement grave, car ils risquaient de devoir affronter Boers et
Allemands coalisés. Le gouvernement de Londres fut à ce point inquiet
qu’il envisagea même de dérouter les trente mille hommes du contingent
australo-néo-zélandais en route pour les Dardanelles et de les faire
débarquer en Afrique du Sud. Au total, 12 000 hommes prirent les armes
contre le gouvernement de l’Union.
Le 12 octobre, Louis Botha proclama la loi martiale et il marcha à la
rencontre des rebelles qui avaient décidé de prendre Pretoria et il les battit.
Maritz continua seul la lutte, mais en janvier 1915, pressé par les forces
loyalistes, il fut contraint de trouver refuge en territoire allemand. Le 5 mai
1915, fuyant devant l’avance des troupes sud-africaines, il se réfugia en
Angola où les Portugais l’internèrent jusqu’en 1916. La rébellion était
écrasée. Les irréductibles de la cause boer qui avaient pensé que
l’Allemagne allait vaincre l’Angleterre et qu’ils avaient là l’occasion rêvée
de prendre leur revanche de la guerre des Boers, avaient perdu.
La campagne du Sud-Ouest africain débuta ensuite mais la disproportion
des forces était telle que les Allemands ne pouvaient que tenter de retarder
une défaite inévitable. En plus de cela, le 9 novembre 1914, le colonel
Joachim von Heyderbreck qui était le commandant des troupes se tua
accidentellement en manipulant une grenade. Son successeur fut le colonel
August-Viktor Franke, lui-même ancien combattant de la guerre des Herero
comme nous l’avons vu plus haut.
Au mois d’avril 1916, trois colonnes sud-africaines, fortes de 42 000
hommes au total pénétrèrent en territoire allemand. Le 12 mai, le général
Botha occupa le poste Windhoek abandonné par les Allemands repliés à
Tsumeb. Le 22 mai, Omaruru était prise et le 28 Otjiwarongo tandis que le
massif du Waterberg était investi14. Le 1er juillet, Otavi était contrôlé par les
Sud-Africains et le 8, c’était au tour de Tsumeb. Les Allemands avaient
peut-être espéré, par la bande de Caprivi, rejoindre l’Afrique-Orientale où
le colonel von Lettow-Vorbeck résistait aux Alliés. Ils ne le pouvaient plus
et, comme ils n’avaient aucune possibilité de retraite, le 9 juillet à deux
heures du matin, le Dr Seitz, gouverneur du territoire, capitula. Les
prisonniers allemands étaient au nombre de 204 officiers et de 3 166
hommes de troupe. Les Sud-africains les démobilisèrent sur place et le
colonel Franke passa le restant de la guerre dans une ferme. Les Allemands
qui le désiraient furent rapatriés en 1919, mais une majorité choisit de
demeurer sur le territoire (Lugan, 1990b : 165-173).

C. Le conflit en Afrique orientale


Administrée par le Dr Schnee depuis le 22 juillet 1912, l’Afrique
orientale allemande était divisée en 22 districts dirigés par des
commissaires impériaux. Deux de ces districts, ceux de Mahenge et
d’Iringa où avait eu lieu l’insurrection des Hehe et des Maji-Maji
entre 1892 et 1906, étaient placés sous administration militaire. Le Ruanda,
l’Urundi, et le Karagwe (la région de Bukoba), constituaient des Résidences
autonomes et avaient à leur tête des Résidents impériaux. Depuis
janvier 1914, l’Est africain allemand avait un nouveau chef militaire, le
colonel Paul-Emil von Lettow-Vorbeck.

Paul-Emil von Lettow-Vorbeck (1870-1964)


Né en 1870, Paul-Emil von Lettow-Vorbeck avait 44 ans quand il débarqua à Dar es-
Salaam. En 1900, il avait fait partie du corps expéditionnaire envoyé en Chine pour y
venger l’assassinat du consul d’Allemagne, le baron von Ketteler. En 1904, il avait
servi comme capitaine au Sud-Ouest africain sous les ordres de von Trotha. Il s’y
était familiarisé avec les campagnes coloniales faites de rapidité et d’initiatives. À la
fin de cette guerre, il fut blessé à l’œil gauche lors d’un engagement contre les Herero
et rapatrié. Il reçut ensuite le commandement d’un bataillon d’infanterie de marine
basé à Wilhelmshaven. En 1913, il fut désigné pour l’état-major où il fit un rapport
remarqué sur les aspects militaires de la politique coloniale de l’Allemagne.
À peine débarqué à Dar es Salam, il n’ignorait pas qu’en cas de guerre il ne pourrait
compter que sur lui-même car les Britanniques allaient imposer un blocus maritime. Il
disposait cependant de rééls atouts tenant au moral élevé de sa troupe, au niveau de
ses cadres et à la connaissance du terrain. Chez les colons, généralement installés
dans la région du Kilimanjaro et du mont Meru, nombreux étaient les officiers de
réserve prêts à reprendre du service au premier signal. Qu’il s’agisse, entre autres,
du lieutenant capitaine en retraite Niemeyer, du capitaine de frégate en retraite
Schoenfeld, du baron von Ledebur, ancien cadet, ou encore du lieutenant-colonel de
réserve, baron von Bock, tous se révélèrent de remarquables meneurs d’hommes.
Durant quatre ans, von Lettow résista aux Alliés. Promu général, il ne cessa le
combat qu’après la signature de l’Armistice européen.
Les Britanniques traitèrent leurs adversaires de la veille avec tous les égards. À Dar
es-Salaam, dans l’attente de navires devant les rapatrier, les survivants de la
campagne de l’Est africain furent victimes de la grippe espagnole qui fit des ravages
chez des hommes épuisés par quatre années de guerre de brousse. Le 18 décembre
1918, les pertes occasionnées par l’épidémie atteignaient 10 % de l’effectif. Au mois
de mars 1919, le général von Lettow-Vorbeck rentra en Allemagne. Durant quelques
mois il commanda une division de la Reichwehr avec laquelle il intervint à Hambourg
pour y contrer un soulèvement communiste. Ce fut là sa dernière action militaire.
En 1920, il quitta l’armée et se fit élire comme député au Reichstag où il siégea
jusqu’en 1930 au sein de la coalition de Weimar. Il écrivit ses Mémoires (Lettow-
Vorbeck, 1933), voyagea en Europe, fut triomphalement reçu en Grande-Bretagne.
En 1935, il refusa le poste d’ambassadeur à Londres qu’Hitler lui proposait. Suspecté
par les nazis, il fut placé sous surveillance. Durant le second conflit mondial, deux de
ses fils trouvèrent la mort au combat, dont l’un comme colonel d’un régiment de
Waffen SS. Quand la Seconde Guerre mondiale se termina, von Lettow subit une
épuration aussi injuste qu’infondée. Privé de ressources, il fut alors contraint de
s’employer comme jardinier. Il avait alors 75 ans, mais était en pleine forme physique,
intellectuelle et morale. En 1953, invité par les Britanniques, il entreprit un voyage
dans l’ancienne Afrique-Orientale allemande, à ce moment-là divisée en Tanganyika
sous souveraineté britannique et Ruanda-Urundi administré par la Belgique. Il y reçut
un accueil triomphal, ses hôtes poussant la délicatesse jusqu’à faire jouer en son
honneur la marche de la Schutztruppe, le fameux Heia Safari. Il mourut en 1964 à
l’âge de 94 ans15.

Von Lettow-Vorbeck pouvait s’appuyer sur deux voies ferrées, l’une, au


Nord le Nordbahn, le long de la frontière du Kenya, et l’autre le
Centralbahn, qui permettait de relier l’océan Indien au lac Tanganyika. Ces
deux voies ferrées lui permirent de déplacer rapidement ses compagnies, de
faire face aux offensives ennemies et de lancer des contre-attaques.

1. La résistance allemande
Quel était l’état des forces en présence au moment où le conflit mondial
embrasait l’Afrique-Orientale ? Au point de vue militaire, la Schutztruppe
allemande était surtout une force de police. Destinée au maintien de l’ordre,
elle n’était pas une armée ayant vocation à participer à une guerre moderne
à l’européenne. La troupe était fractionnée en 14 compagnies dont
l’armement était largement déclassé, la majorité des fusils étant du modèle
71 à poudre noire de calibre 8x8. Six compagnies étaient néanmoins
équipées de fusils modernes du modèle 98 de calibre 7x9 mm, en service
dans l’armée allemande. L’artillerie se composait d’environ 50 canons de
tous calibres allant du 105 mm au 37 mm. Ce parc fut ultérieurement
renforcé par les canons enlevés à deux navires, le Königsberg et la Môwe.
Sur le lac Victoria, les Allemands disposaient de deux vapeurs armés, le
Mwanza et le Henrich-Otto et sur le Tanganyika, de quatre navires, le
Hedwig-von-Wissmann, le Kingani, le Graf-von-Goetzen et le Wami. Au
début de la guerre, von Lettow ne possédait que trois camions16 bien vite
hors d’état de servir et c’est pourquoi une armée de porteurs fut recrutée
pour ravitailler la Schutztruppe ; en moyenne, trois porteurs par combattant
furent nécessaires durant la guerre.
Avant mobilisation, la Schutztruppe était composée de 216 officiers et
sous-officiers allemands et de 2 540 askaris. À ce total, il convient d’ajouter
une force de police de 45 Allemands et de 2 140 askaris. Chaque
compagnie était commandée par un capitaine ayant sous ses ordres 16
officiers et sous-officiers, tous Allemands et 160 askaris. Chacune de ces
compagnies avait, en temps de paix, un effectif d’environ 250 porteurs et
était dotée de 2 mitrailleuses. Après mobilisation des colons et des
réservistes – environ 2 500 hommes –, et l’appel aux volontaires noirs, von
Lettow fut en mesure d’aligner 18 compagnies au lieu de 14. Puis, à partir
de 1915, quand les 322 marins du Königsberg et les 102 de la Môwe furent
débarqués, il disposa de 60 compagnies d’infanterie et de deux compagnies
montées, chacune d’entre elles à effectif de 200 askaris.
Au début de la guerre, les Britanniques disposaient de trois régiments des
King’s African Rifles à effectif de 1 200 hommes chacun, soit 3
600combattants. Par rapport aux Allemands, ils étaient donc initialement en
position d’infériorité numérique, mais la mobilisation des colons blancs
s’effectua et des renforts arrivèrent de tout l’Empire, ce qui fit que les
effectifs britanniques dépassèrent bientôt les 80 000 hommes.
Pour contrôler leur immense colonie du Congo, les Belges disposaient
pour leur part de 18 000 hommes recrutés localement. Il s’agissait plus
d’une force de police destinée à maintenir l’ordre que d’une armée apte à
affronter un ennemi européen. En Afrique comme en Europe, la Belgique
pensait que sa neutralité était son meilleur bouclier. L’encadrement de ces
hommes était d’un Européen pour cinq Noirs. L’armement était composé du
vieux fusil Albini et seules les forces du Katanga étaient équipées de fusils
à répétition. L’artillerie belge qui était performante était constituée de
12 canons de 70 mm Saint-Chamond.
Avec les moyens dont ils disposaient, les Britanniques avaient trois
possibilités d’action, soit débarquer au point d’aboutissement de l’une des
deux voies ferrées pour les utiliser dans une progression vers l’intérieur ;
soit attaquer depuis le Nord, à partir du Kenya, afin de couper le Nordbahn
et ensuite progresser vers le Sud. Dernière option, une action combinée
belgo anglaise : les Belges progressant depuis le Congo et les Britanniques
depuis l’Ouganda afin de converger à Tabora. Cette manœuvre anglo-belge
eut bien lieu, mais en 1916 seulement.
En Afrique-Orientale, les hostilités débutèrent le 8 août 1914 avec le
bombardement de la ville, du port et de la station de TSF, de Dar es-Salaam
par deux croiseurs anglais, l’Astrée et le Pégase. En application du plan
décidé par von Lettow, les responsables militaires des districts passèrent à
l’offensive à partir du 14 août.
Entre le Kilimanjaro et l’océan Indien, les Allemands eurent d’abord
l’avantage. Comme ils ne parvenaient pas à arrêter leur offensive, les
Britanniques effectuèrent un débarquement à Tanga, en novembre 1914,
afin de les contraindre à combattre sur deux fronts. Seize navires anglais
mirent ainsi à terre un corps expéditionnaire de 6 500 hommes. Ce fut un
échec, et le 5 novembre, la victoire allemande était totale. Les vainqueurs
étaient moins d’un millier. Le butin capturé leur permit d’équiper et de
nourrir la Schutztruppe durant une année et d’armer 3 compagnies de fusils
modernes. Une installation téléphonique de campagne, 16 mitrailleuses et
600 000 cartouches complètaient le tableau des prises.
Un tournant intervint en janvier 1915 quand von Lettow comprit qu’en
raison du blocus maritime, même lorsqu’il sortait vainqueur d’un combat,
ses pertes étaient irréparables. Durant toute l’année 1915, l’offensive de von
Lettow fit alors place à une retraite offensive, c’est-à-dire à un lent repli
entrecoupé de contre-attaques. Au mois de juillet 1915, les Britanniques
réussirent à détruire le croiseur Königsberg17.
2. L’offensive anglo-belge de 1916
À la fin de 1915, le commandement allemand alignait 2 998 Européens et
11 300 Askaris divisés en 60 compagnies de 160 à 200 hommes avec 2
mitrailleuses chacune. Les Britanniques ne pouvaient espérer en venir à
bout sans un important renfort. L’Union sud-africaine le leur fournit en
envoyant sur le front d’Afrique-Orientale un corps expéditionnaire de 15
000 hommes. En mars 1916, après création de 5 nouveaux régiments de
King’s African Rifles, les effectifs britanniques s’élevaient à 42 000
hommes.
Sous le nombre, la défense du chemin de fer central, le Zentralbahn, ne
pouvait plus être assurée et il fut définitivement perdu. La dernière carte
allemande résida alors dans la mobilité et von Lettow la joua avec habileté.
Allégeant ses colonnes, il commença par supprimer l’intendance, puis il
écarta les non-combattants, ne conservant que les hommes valides.
Au mois d’avril 1916, trois mille soldats portugais venus du Mozambique
franchirent par surprise la frontière de l’Est africain allemand en traversant
la rivière Rovuma. Von Lettow réagit rapidement et en novembre, les
Portugais furent repoussés après avoir abandonné 4 canons de montagne,
13 mitrailleuses, plusieurs centaines de caisses de fusils neufs, des centaines
de milliers de cartouches, des vivres, une installation téléphonique,
300 chevaux ou mules et trois automobiles.
En juin 1916, le général Charles Tombeur commandant de toutes les
forces belges engagées sur le front du Congo lança une puissante offensive
sur le lac Tanganyika afin d’en chasser la marine allemande. L’emploi de
quatre hydravions donna aux Belges la victoire totale. Après le Graf-von-
Götzen, ce furent les autres navires allemands qui furent détruits. Sur le
front du Kivu les Belges alignaient 12 000 Africains et 719 cadres
européens. Face à eux, le capitaine Wintgens, qui ne disposait que de
quelques centaines d’hommes dont une vingtaine d’Allemands, se replia.
Les Belges entrèrent à Kigali le 6 mai. Au Burundi, Kitega fut prise le
17 juin 1916 et le 19 septembre, les éléments avancés belges pénétraient
dans Tabora.
Au début de l’année 1917, les Allemands se replièrent vers le Sud où ils
ne tenaient plus qu’un quadrilatère délimité par l’océan Indien à l’Est, le lac
Nyassa à l’Ouest, la Rufidji au Nord, le Mozambique portugais au Sud.
Totalement coupés du monde extérieur, ils ne pouvaient plus compter que
sur eux-mêmes.

Les forceurs de blocus


Plusieurs tentatives de ravitaillement des troupes de l’Est africain allemand eurent
lieu. Ainsi, au mois d’août 1915, un navire commandé par le lieutenant de vaisseau
Christiansen réussit à forcer le blocus, à apporter des nouvelles du front d’Europe,
alors largement dominé par les troupes du Kaiser et surtout à ravitailler la
Schutztruppe en fusils modernes, en mitrailleuses, en équipement et en matériel
sanitaire. En mars 1916, un autre navire ravitailleur réussit à forcer le blocus
britannique. Son aventure mérite que l’on s’y attarde. Le nom de ce vaisseau était La
Marie. Commandée par le lieutenant Soeren, il réussit à débarquer un véritable
arsenal à la barbe de la flotte anglaise qui formait une véritable chaîne devant les
côtes de l’Afrique orientale allemande. Parti de Kiel, il avait traversé la mer du Nord,
longé les côtes d’Afrique de l’Ouest, franchi le cap de Bonne-Espérance et, toujours
sans se faire repérer, réussi à jeter l’ancre au sud de Lindi où il mit à terre un matériel
précieux pour la Schutztruppe : des centaines de fusils, des quantités de munitions,
des obus, des obusiers, du matériel de fabrication de munitions, des uniformes, etc.
En avril, alors que sa cargaison était juste débarquée, La Marie fut repérée par la
flotte britannique et elle subit une pluie d’obus. Plusieurs fois touchée, son équipage
réussit cependant à lui faire reprendre la mer. Le 25 avril, le navire trompa une
nouvelle fois la vigilance des Britanniques et le 14 mai 1916, il atteignit un port neutre
de l’Insulinde, ou Indonésie hollandaise.
Au mois de novembre 1917, une dernière tentative de secours à la Schutztruppe eut
lieu avec l’envoi d’un dirigeable Zeppelin de la Kriegsmarine, le L 59, chargé de
matériel médical, d’armes et de munitions. Parti de Jamboli, en Bulgarie, le
21 novembre, l’aéronef avait dépassé Ouadi-Halfa, dans la vallée du Nil, une
quarantaine d’heures plus tard lorsqu’il reçut par radio l’ordre de revenir, sous le
prétexte que le général von Lettow-Vorbeck venait de se rendre aux Britanniques. Or,
la nouvelle était fausse. Cette histoire de message radio qui émanait en principe de
l’émetteur allemand de Nauen n’a jamais été élucidée et elle pourrait représenter un
exemple typique de désinformation dans le cas où un émetteur « pirate » britannique
en aurait été le véritable auteur. Obéissant à l’ordre reçu, le commandant du
Zeppelin, le capitaine-lieutenant Ludwig Bockholt, revint à Jamboli où l’atterrissage
eut lieu le 25 novembre, après un extraordinaire vol sans escale de 7 000 kilomètres
en moins de 100 heures.

Fin novembre 1917, von Lettow décida de porter la guerre en territoire


portugais. Pour être en mesure de le faire, il réduisit sa petite armée à
320 Européens et à 2 000 askari, ce qui lui permit de disposer de 15
compagnies équipées de deux mitrailleuses chacune. Son artillerie était
réduite à deux canons. 3 000 porteurs étaient conservés, chargés de
transporter des armes, des munitions et des médicaments pour un mois ainsi
que pour douze jours de vivres. Ayant allégé sa troupe, ne dépendant plus
d’itinéraires tracés à partir de magasins de ravitaillement, en libérant les
porteurs au fur et à mesure de la consommation de leur charge, von Lettow
qui avait fait un pari sur le butin qui devait être pris à l’ennemi était
désormais libre de ses mouvements.
Le 25 novembre 1917, les éléments avancés allemands traversèrent le
Rovuma et pénétrèrent en territoire portugais défendu par 7 500 hommes,
dont 5 500 Européens. Le 27 novembre, le poste de Ngomano tenu par
un millier d’hommes fut pris avec tous les approvisionnements qui y étaient
entreposés : un hôpital de campagne, plusieurs tonnes de nourriture,
30 chevaux, 6 mitrailleuses et un million de cartouches. Les Portugais
abandonnèrent 200 morts sur le terrain et plusieurs centaines de prisonniers
dont 150 Européens. À Namacourra, gare sur la voie ferrée de la ligne de
Quelimane, von Lettow remporta une autre importante bataille quand, du
1er au 3 juillet 1918, les défenseurs perdirent près de 300 hommes et
421 prisonniers parmi lesquels 5 Anglais et 117 Portugais18.
Les Anglo-Portugais préparèrent alors une contre-offensive à partir de
Quelimane et von Lettow décida de marcher vers le Nord-Est en direction
de Porto Amelia. À ce stade de la guerre, il ne lui restait plus que 176
Européens et 1 500 Askaris, mais, comme nous venons de le voir, leur
armement était excellent, en quantité suffisante, et le nombre de
mitrailleuses en dotation atteignait la quarantaine. Cependant, comme la
nasse menaçait de se refermer sur lui, il décida de quitter le territoire
portugais, hésitant entre deux directions : soit se diriger vers Blantyre au
Nyassaland – l’actuel Malawi –, soit retourner en territoire allemand occupé
par l’ennemi. C’est cette dernière solution qu’il choisit et, le 29 septembre
1918, franchissant le Rovuma, ses compagnies pénétrèrent dans ce qui avait
été la Deutsche Ostafrika.
Attendu au Nord, dans la région de Lupembe, von Lettow obliqua vers
l’Ouest, en direction de Fifé, en Rhodésie, se jouant une fois de plus de ses
poursuivants. Le 9 novembre, l’avant-garde allemande, commandée par le
capitaine Spangerberg, s’empara du poste de Kasama et d’un ravitaillement
considérable. Von Lettow l’y rejoignit le 11 novembre. Le 13 novembre, la
colonne se remit en marche.
Dans la nuit du 13 au 14 novembre, un message du général sud-africain
van Deventer parvint à von Lettow, l’informant que la guerre était terminée.
Des discussions avec le commandement britannique s’engagèrent alors et
elles durèrent jusqu’au 25 novembre, von Lettow ne voulant entendre parler
ni de « reddition sans conditions », ni même « d’évacuation sans
conditions ». Il acceptait uniquement de se remettre volontairement au
pouvoir de l’ennemi, en soldat discipliné appliquant les clauses de
l’Armistice signé en Europe.
Le 25 novembre 1918 au matin, dans la région d’Abercorn, en Rhodésie
du Nord, et alors que l’armistice était signé depuis 14jours, une colonne
allemande se rangea face à l’Union Jack hissé sur un mât de fortune.
Derrière le Dr Schnee, gouverneur de l’Est africain allemand et le général
von Lettow-Vorbeck, commandant en chef, 20 officiers, 6 médecins, un
secrétaire télégraphiste, un pharmacien, un vétérinaire, 125 Allemands,
officiers, sous-officiers et rappelés, 1 156 Askaris et 1 598 porteurs se
formèrent en carré au milieu duquel ils déposèrent un canon portugais, 37
mitrailleuses dont 7seulement étaient allemandes, 1 071 fusils anglais et
portugais, 208 000 cartouches et 40 projectiles d’artillerie. Ces hommes
étaient les survivants d’une petite troupe qui, durant quatre années, conduite
par un chef de guerre exceptionnel, avait résisté à près de 250 000 soldats
britanniques, belges, sud-africains et portugais.

D. Le partage des colonies allemandes


Le 28 juin 1919, considérant qu’elle ne pouvait plus reprendre la guerre,
l’Allemagne fut contrainte de signer le Traité de Versailles, reconnaissant,
contre toute évidence, sa responsabilité exclusive dans le déclenchement
des hostilités et entérinant sa déchéance coloniale pour « manquement à sa
mission civilisatrice ». L’Allemagne était en effet jugée indigne de posséder
des colonies. L’affirmation de la culpabilité coloniale, die koloniale
Schuldluge, donnait aux Alliés le droit de s’emparer des colonies du Reich.
Quarante articles du Traité de Versailles furent consacrés à cette question.
Les principaux portent les numéros 118, 119, et 120. Les Alliés ne
désiraient pas que la prise de possession des dépouilles allemandes puisse
apparaître comme une simple opération de rapt colonial, comme un
nouveau partage de l’Afrique et c’est pourquoi le système des « Mandats
« fut inventé pour la circonstance19. Ce fut un habile artifice diplomatique
car, en théorie, les Alliés n’occupaient les anciennes colonies allemandes
qu’au nom de la Société des Nations qui leur confiait Mandat afin qu’ils
exercent à sa place les droits de souveraineté sur les territoires en question.
Trois types de mandat furent prévus. Le « Mandat A » concernait les
anciens territoires de l’empire ottoman partagés entre la France et la
Grande-Bretagne. Le « Mandat B » concernait le Ruanda, l’Urundi, le
Kamerun, le Tanganyika et le Togo, administrés par la Belgique, la France
et la Grande-Bretagne. Le « Mandat C » s’appliquait au Sud-Ouest africain
et aux anciennes possessions allemandes du Pacifique. II prévoyait
l’intégration au territoire de la puissance mandataire20.
Ces précautions juridiques prises, il apparut bien vite que les Alliés
considéraient naturellement leurs nouvelles acquisitions coloniales comme
des parties intégrantes de leurs empires respectifs.
Le partage du Togo et du Kamerun, – nous parlerons désormais du
Cameroun –, fut réalisé à l’avantage de la France. Entre la Belgique et la
Grande-Bretagne, les marchandages furent laborieux. La Belgique occupant
la zone de Kigoma, important port créé par l’Allemagne sur le lac
Tanganyika et terminus du chemin de fer qui reliait l’océan Indien au centre
de l’Afrique, Lord Milner, le négociateur britannique, désirait la voir
renoncer à cette conquête afin de maintenir les communications entre les
diverses possessions britanniques d’Afrique orientale. En échange d’un
abandon belge, il proposait des compensations aux dépens du domaine
colonial portugais.
Le 13 avril 1919, la délégation belge à la Conférence de la Paix découvrit
avec stupéfaction que le démembrement colonial allemand allait se faire au
profit des « grandes puissances alliées et associées », mais non à celui de la
Belgique. Après une ferme intervention, le ministre belge des Affaires
étrangères obtint que le terme « grandes puissances « soit remplacé par
celui de « principales puissances « afin que Bruxelles puisse obtenir sa part
des dépouilles du Reich.
Le 30 mai 1919, une convention anglo-belge était signée, la Belgique
conservait le Ruanda amputé du Gisaka et l’Urundi moins la région du
Bugufi. Les deux territoires allaient devenir le Ruanda-Urundi. Elle
abandonnait Kigoma à la Grande-Bretagne en échange d’avantages
économiques. En réalité, Londres accordait à Bruxelles la liberté de transit à
travers l’Est africain britannique ainsi que des tarifs préférentiels sur ses
voies ferrées et dans ses ports.

1. Les Russes avaient intérêt à ce que la Turquie entre en guerre aux côtés des Empires centraux car
ils espéraient, en cas de victoire, pouvoir achever la reconquête des Balkans et prendre ainsi le
contrôle des Détroits. C’est pourquoi, après l’incident du 29 octobre, ils rappelèrent leur
ambassadeur, suivis par la France et par la Grande-Bretagne, ce qui acheva de pousser la Turquie
dans le camp de l’Allemagne à la plus grande satisfaction du ministre de la Guerre Enver Pacha et
des militaires qui s’opposaient aux partisans de la neutralité.
2. Après sa mort survenue en 1908, le nouveau chef du parti fut Muhamad Farid.
3. À la veille de la guerre, Hussein ibn Ali, Chérif de La Mecque, roi du Hedjaz et chef des
Hachémites depuis 1908 n’était pas hostile à une union avec l’Égypte afin d’établir un contrepoids
à l’influence turque, mais les Britanniques s’y étaient opposés.
4. Ainsi à Gallipoli en 1915, dans la région du canal de Suez où les Turcs avaient avancé en Palestine
et surtout en Irak où le général Townshend subit une grave défaite le 22 novembre 1915 en tentant
de marcher sur Bagdad. Contraint de battre en retraite vers Kut el-Amara, il y fut assiégé et forcé
de capituler le 26 avril 1916 devant l’armée du général Khalil-pacha.
5. Le fait que l’Égypte avait désormais à sa tête un sultan revenait de facto, à rompre tous les liens
d’allégeance avec la Porte. La couronne britannique était représentée par un Haut-commissaire et le
premier qui occupa cette charge fut Sir Arthur Henry Mac Mahon.
6. L’offensive turque vers l’Égypte partit de Damas et traversa le Sinaï pour atteindre le canal mais
elle ne réussit pas à le conquérir et elle battit en retraite après un sévère échec enregistré le 3 février
lors de la bataille de Toussoun, en Palestine.
7. Dans le golfe face aux Britanniques qui avaient pris Bassora et Fao ; face aux Russes dans le
Caucase et à partir du 25 avril 1915, face aux Alliés dans la presqu’île de Gallipoli.
8. En juin 1918, débuta la guerre civile en Arabie entre les Hachémites groupés derrière Hussein et
les Wahabites saoudiens conduits par Abd-el Aziz ibn Saud (Séoud), laquelle se termina en
octobre 1924 par la victoire du second, marquée par la prise de La Mecque et l’abdication du chérif
Hussein qui partit pour l’exil à Chypre. Après la prise de Médine et de Djeddah au mois de
décembre 1925, l’Arabie fut unifiée sous la direction d’Add el-Aziz ibn Saud souverain du Nedjd
et du Hedjaz et fondateur de la dynastie saoudienne. Il ne lui resta plus qu’à éliminer les confréries
guerrières pour asseoir pleinement son pouvoir, ce qui fut fait en 1929. Au mois de
septembre 1932, le Royaume du Nedjd et du Hedjaz prit le nom d’Arabie saoudite.
9. Le premier conflit mondial constitua pour bien des Algériens, sinon une prise de conscience, du
moins le révélateur de leur situation (Meynier, 1981).
10. Durant le premier conflit mondial, 7,8 millions de Français métropolitains furent mobilisés.
L’outre-mer dans son ensemble fournit ± 500 000 hommes (457 000 hommes), soit 8 % de l’effectif
total, l’Algérie en fournissant à elle seule 251 000, dont 73 000 Français de souche. 25 000
Algériens, soit environ 1/7e de l’effectif et 22 000 Français d’Algérie, soit un peu plus d’1/3 furent
tués. Le 2e Corps colonial engagé à Verdun en 1916 était aux 2/3 Européens. Il était composé de 16
régiments venus du Maghreb, dont 10 régiments de Zouaves formés de Français d’Algérie
mobilisés et du RICM, totalement européen. En 1917, aucune mutinerie ne se produisit dans les
régiments coloniaux, qu’ils fussent composés d’Européens ou d’Africains (Faivre, 2006 : 6).
Durant tout le conflit, la France importa six millions de tonnes de marchandises de son Empire
contre 170 millions de tonnes de l’étranger, ce qui représenta 3,5 % de toutes les importations
françaises (Lefeuvre, 2006).
11. Lugan (1990b) ; Porte (2006).
12. Cette forte présence allemande en territoire espagnol inquiéta les autorités françaises car en cas
de décision de reprise des hostilités, qu’auraient pu faire les 180 miliciens du Rio Muni contre ces
combattants aguerris ? À l’issue de négociations franco-espagnoles, 875 Allemands, y compris le
gouverneur Ebermayer et le colonel Zimmermann, embarquèrent sur des navires espagnols à
destination de Cadix. Les tirailleurs furent transférés sur l’île de Femando-Po, scindés en groupes
de 55 hommes encadrés par des officiers et des sous-officiers allemands. Cet épisode est raconté
par Pierre Benoît dans un roman intitulé Monsieur de La Ferté, Paris, 1934.
13. Maritz rassembla son régiment et donna une minute à ses hommes pour décider s’ils voulaient le
suivre dans la rébellion. Sur un effectif de 1 000 soldats, 940 entrèrent en dissidence. Maritz
proclama ensuite la République.
14. Dans la région de Rehoboth, des indigènes se soulevèrent. Après avoir massacré des colons
allemands, ils vinrent proposer leur coopération au général Botha qui les renvoya après qu’il leur
eut fait savoir que cette guerre ne les concernait en rien, car c’était une affaire entre Blancs.
15. En Allemagne, quatre casernes de la Bundeswehr ont un temps porté son nom, à Brême, à Bad
Segaberg, à Hambourg-Jenfeld et à Leer. Elles furent débaptisées dans les années 2000.
16. La disproportion des forces apparaît nettement lorsque l’on considère le train des équipages. La
Schutztruppe ne disposait en effet que de trois automobiles et de trois camions de trois tonnes alors
que les Britanniques, et plus tard les Sud-africains, en totalisèrent plusieurs centaines. Or un
camion de trois tonnes remplaçait 600 porteurs. La charge utile des porteurs était de 25 kg, mais
comme il leur fallait 1 kg de ravitaillement par jour, le déplacement des colonnes était conditionné
par l’obligation de ne traverser que des contrées où il était possible de les nourrir. Disposant de
nombreux véhicules, les Alliés n’eurent pas ce problème. De plus, les camions ne craignant ni les
moustiques, ni la mouche tsé-tsé, ni les maladies tropicales, ils pouvaient emprunter des itinéraires
interdits aux caravanes.
17. Jaugeant 3 400 tonnes, il était armé de 10 canons de 105 mm. Le 20 septembre 1914, il avait
coulé un navire britannique à la hauteur de Zanzibar. Pris en chasse, il s’était abrité dans le delta de
la Rufidji, où, dissimulé dans l’épaisse végétation il était difficilement détectable. Une fois repéré,
16 navires britanniques, dont 4 croiseurs et deux canonnières armées, l’attaquèrent. Les tirs furent
réglés par avion et, le 11 juillet, après cinq jours de bombardement, les servants du bord étant
presque tous hors de combat, le commandant Schoenfeld, grièvement blessé, fit sauter son navire
après en avoir débarqué les canons qui furent transportés jusque sur le front du Tanganyika.
18. Là encore, le butin était énorme : 10 mitrailleuses, 2 canons, 350 fusils modernes qui allaient
permettre de réformer les derniers fusils modèle 71 encore en dotation dans la Schutztruppe, des
centaines de caisses de cartouches, du vin, des conserves, des vêtements, etc. Ces prises durent être
en partie abandonnées faute de porteurs, mais la troupe était équipée à neuf et elle put reprendre sa
progression.
19. Le souhait de l’Australie et de l’Afrique du Sud fut de pouvoir annexer leurs conquêtes militaires
de Nouvelle-Guinée et du Sud-Ouest africain. Pour le président américain Wilson il n’était pas
question d’opérer un tel transfert de souveraineté basé sur le droit de conquête. Il avait donc fallu
trouver un compromis et c’est alors que les diplomates avaient « inventé » le système des mandats
coloniaux. L’idée était simple : les puissances ayant conquis une partie des empires coloniaux
allemand et turc firent retour de ces territoires à la Société des Nations laquelle, et sous sa
supervision, leur donna alors mandat d’exercer à sa place les droits de souveraineté.
20. « Le « mandat C était prévu pour : « […] des territoires tels que le Sud-Ouest africain et certaines
îles du Pacifique austral, qui par suite de la faible densité de leur population, de leur superficie
restreinte, de leur éloignement des centres de civilisation, de leur contiguïté géographique au
territoire du mandataire, ou d’autres circonstances, ne sauraient être mieux administrés que sous les
lois du mandataire, comme une partie intégrante de son territoire, sous réserve des garanties
prévues dans l’intérêt de la population indigène. »
Chapitre II.
L’Afrique de 1919 à 1939

Durant les deux décennies de l’entre-deux-guerres, en dépit des


affirmations de pérennité coloniale, comme l’Exposition coloniale de Paris
en 1931 ou les cérémonies du Centenaire de l’Algérie en 1930, il était clair
que la décolonisation était déjà en marche, avec des définitions différentes
au nord et au sud du Sahara.

A. L’Égypte et la Libye
Le traité de Versailles signé le 28 juin 1919 provoqua la colère des
nationalistes arabes car, non seulement leurs droits nationaux n’étaient pas
reconnus, mais encore, plusieurs territoires arabes, Syrie, Palestine, Irak et
Transjordanie, devenaient des Mandats confiés à la Grande-Bretagne et à la
France. Les Arabes affirmaient qu’ils avaient été bernés par les Alliés
puisque, au lieu d’une « Grande Arabie », trois États artificiels, l’Irak, la
Transjordanie et la Palestine – cette dernière composée par la réunion de
trois anciens districts turcs –, furent en effet découpés sur les anciennes
possessions ottomanes.
La revendication nationaliste qui était ancienne, connut un considérable
essor en Égypte au lendemain du premier conflit mondial, à telle enseigne
que la Grande-Bretagne fut obligée de reconnaître l’indépendance du pays
dès 1922. En Libye où les Italiens eurent bien du mal à s’imposer, la
souveraineté de Rome ne fut en définitive exercée que durant quelques
brèves années car dès 1942 le pays passa sous domination britannique.

1. L’Égypte et la renaissance du nationalisme


Le Protectorat britannique avait été imposé à l’Égypte le 18 décembre
1914, mais les nationalistes ne l’avaient pas accepté. Le 13 novembre 1918,
le haut-Commissaire britannique, Sir Réginald Wingate, refusa de laisser
partir une délégation parlementaire dirigée par Saad Zaghloul (1857-1927),
qui souhaitait se rendre à la Conférence de la paix à Paris pour y plaider la
cause de l’indépendance de l’Égypte.
Au mois de décembre 1918, des manifestations éclatèrent à l’appel du
parti Wafd al-Misri (Parti de la délégation), plus communément désigné
sous le nom de Wafd. Ce parti exigeait l’indépendance et incarnait les
aspirations des nouvelles élites égyptiennes. Sa revendication immédiate
était l’abolition de la déclaration unilatérale de protectorat de 1914 au nom
même de la doctrine définie par le président américain Wilson, ainsi que
l’évacuation des troupes britanniques.
En 1919, le climat devint lourd et il aboutit, le 8 mars, à l’arrestation de
Zaghloul et de deux de ses adjoints, suivie de leur déportation à Malte.
Quelques jours plus tard, des militaires anglais furent assassinés et, partout,
en Égypte, des troubles éclatèrent. Les Égyptiens en parlent comme de la
« Révolution de 1919 ». La répression britannique fut très ferme, mais elle
ne fit pas pour autant tomber la tension. Afin de sortir de l’impasse, un
nouveau haut-commissaire fut nommé en la personne du général Allenby,
ancien commandant des forces britanniques en Palestine et vainqueur des
Turcs en 1917-1918.
Avec pragmatisme, les Britanniques décidèrent alors de réviser leur
politique. C’est ainsi qu’ils autorisèrent finalement une délégation
égyptienne à se rendre à Paris, puis à Londres où une négociation débuta au
mois de juin pour ne s’achever qu’en septembre. Malgré de sérieuses
avancées, ce fut tout de même un échec car la Grande Bretagne qui
contestait toujours la représentativité du Wafd, ne voulait négocier qu’avec
le représentant du sultan Fouad.
Le 29 mars 1921, Zaghloul, désormais appelé Zaghloul Pacha rentra en
Égypte où il fut accueilli triomphalement. Les incidents reprirent et au mois
de mai 1921, ils firent de nombreuses victimes. Zaghloul Pacha fut une
nouvelle fois arrêté et déporté, d’abord à Aden, puis aux Seychelles et enfin
à Gibraltar. Les troubles connurent ensuite une accélération, mais le
28 février 1922 les Britanniques acceptèrent de renoncer à leur protectorat
et ils accordèrent unilatéralement l’indépendance à l’Égypte avec cependant
des réserves, ou « points réservés », en matière de défense, ce qui limitait la
portée de cette indépendance. Zaghloul Pacha qui voulait une indépendance
pleine et entière appela à la poursuite de la lutte et les attentats ne cessèrent
pas.
Le 15 mars 1922, l’Égypte fut officiellement indépendante et Fouad Ier
qui en était le souverain depuis le 9 octobre 1917, date de la mort de son
frère aîné, le sultan Hussein, prit le titre de Fouad Ier, roi d’Égypte (1917-
1936), renonçant à celui de sultan. Au mois de mars 1923, Zaghloul Pacha
fut libéré et au mois de septembre, il regagna l’Égypte où il reçut un accueil
triomphal. À la tête du Wafd il remporta les élections législatives de
décembre 1923. Au mois de janvier 1924, le roi Fouad lui demanda de
constituer un gouvernement. Ce fut le premier après l’indépendance du
pays. L’octroi unilatéral de l’indépendance ne calma pas les revendications
des nationalistes, puisque le combat se fit à partir de ce moment pour
l’abolition des « points réservés ». Peu à peu, le Wafd en vint cependant à
s’opposer au souverain et ce dernier pensa alors que le parti avait l’intention
d’abolir la monarchie et de faire proclamer la République. Le Wafd fut alors
combattu, ses journaux interdits, ses militants chassés de la fonction
publique et ses dirigeants envoyés en prison. Pour tenter d’affaiblir sa
position, le Palais favorisa la création d’un parti politique rival, le Parti du
peuple (al Cha’b). Le paradoxe de cette situation fut que le Wafd eut
désormais la monarchie comme adversaire prioritaire et, pour mieux
l’affronter, il n’hésita pas à se rapprocher des Britanniques alors qu’il avait
été précisément constitué pour les combattre.
En deux ans, de 1928 à 1930, l’Égypte connut une succession de cabinets
avec comme Premiers ministres successifs, Nahas Pacha le nouveau chef du
Wafd, Mohamed Mahmud, Adli Yeghem et une nouvelle fois Nahas Pacha.
En 1930, le roi désigna Ismail Sidqi qui se maintint aux affaires jusqu’au
mois de septembre 1933. Devant ce coup de force, le Wafd boycotta les
élections de 1931 et le parti al-Cha’b en sortit vainqueur par défaut.
En raison de la guerre d’Éthiopie, la Grande-Bretagne assouplit sa
position et le 26 août 1936, fut signé un traité anglo-égyptien prévoyant un
partenariat et même une alliance remplaçant le régime d’occupation
militaire. En cas de guerre, la Grande-Bretagne avait la possibilité de se
déployer en Égypte et d’en utiliser les infrastructures militaires et quoi qu’il
en soit, elle pouvait maintenir ses garnisons dans la zone du canal pour une
durée de vingt ans. Signe symbolique, le Haut-Commissaire de Londres
était remplacé par un ambassadeur.
Le roi Farouk Ier (1936-1952) succéda à son père, le roi Fouad Ier, le
28 avril 1936. Comme il était mineur (il avait 17 ans), son règne débuta par
une régence et le souverain n’exerça la plénitude de ses droits qu’à partir de
1937. Au mois de mai 1936, le Wafd fut le grand vainqueur des élections
législatives et Nahas Pacha revint aux affaires. En 1937, l’Égypte poursuivit
son chemin sur la voie de la totale indépendance avec la suppression, le
4 mai, des clauses restrictives imposées en 1922 par les Britanniques et
l’entrée du pays à la SDN (Société des Nations). À la fin de l’année 1937, le
roi Farouk procéda à la dissolution du Parlement. Il révoqua ensuite Nahas
Pacha qui, avec le Wafd, avait dominé la vie politique égyptienne depuis
1924 et cela en dépit de nombreuses scissions et du départ des nationalistes
les plus intransigeants. Les élections qui eurent lieu au début de
l’année 1938 virent la défaite du Wafd (Lugan, 2002 : 232-233).

2. La Libye italienne
Durant le premier conflit mondial, la Turquie avait soutenu Ahmed As-
Senusi, mais les rapports s’étaient tendus à partir du moment où ce dernier
comprit qu’il ne pourrait pas lutter contre deux adversaires à la fois, la
Grande-Bretagne, présente en Égypte, et l’Italie. Afin de mieux combattre
la seconde, il avait décidé de ménager la première. Au mois d’avril 1917,
conscient que les Alliés allaient être les vainqueurs du conflit, Idriss As-
Senusi, le successeur d’Ahmed As-Senusi, entama des négociations à la fois
avec Londres et Rome, ce qui déboucha sur l’accord d’Ikrimah prévoyant
un partage territorial de la Libye entre une zone italienne et une autre sous
autorité sénoussiste. Le 25 octobre 1920 fut signé l’accord d’Ar-Rajmah par
lequel Rome reconnaissait Idriss As-Senusi comme émir autonome dans la
région des oasis d’Aujila et de Koufra.
Ces accords ne ramenèrent cependant pas la paix et la conquête par les
Italiens de l’intérieur de la Libye jusqu’aux oasis du Fezzan, se révéla
laborieuse. Le 21 décembre 1922, Idriss As-Senusi s’exila en Égypte après
avoir nommé Omar al-Mukhtar commandant militaire. La guerre qui reprit
dura de 1922 à 1931 et se termina avec la capture puis l’exécution d’Omar
al-Mukhtar, le 11 septembre 1931.
Au début des années 1930, la Libye italienne, étendue sur 1 800 000 km2,
était un pays pauvre ne comptant que 700 000 habitants dont un peu moins
de 70 000 Italiens. En 1939, les Italiens vivant en Libye étaient 120 000 sur
une population de 751 000 habitants, soit 16 % du total. Tripoli comptait
alors une population de 40 000 italiens sur 113 000 habitants. La même
année, les Italiens étaient 94 000 en Éthiopie, 72 000 en Érythrée et 15 000
en Somalie. Rome investit beaucoup en Libye et y réalisa d’importants
travaux d’infrastructure (routes, voies ferrées, aérodromes), mais les
résultats demeurèrent modestes et le coût de cette colonisation apparut bien
élevé pour la métropole.
Au mois de décembre 1934, les deux territoires italiens de Tripolitaine et
de Cyrénaïque furent unis dans la colonie de Libye dont la capitale était
Tripoli. Les quatre provinces côtières furent dès lors considérées comme
faisant partie du territoire national italien tandis que le Sahara libyen
conservait son statut de colonie. L’Impero italien fut créé le 9 mai 1936 et
en 1937 le ministère de l’Afrique italienne remplaça l’ancien ministère des
colonies.

B. Le Maghreb
Dans les deux protectorats de Tunisie et du Maroc, les revendications
nationalistes s’affirmèrent entre 1919 et 1939. Au Maroc, en 1930, une
grave crise éclata entre le Sultan et la Résidence de France à propos du
Dahir berbère, vu par les Marocains comme une tentative de destruction de
l’unité nationale. En Algérie, derrière l’unanimisme de façade et les
fastueuses célébrations du centenaire de la présence française, la
revendication nationaliste s’affirmait.

1. La Tunisie
En Tunisie, les revendications nationalistes étaient anciennes. Fondé en
1919, le Parti libéral constitutionnel ou Destour avait des demandes
modérées puisqu’il militait pour des réformes démocratiques et une plus
grande participation des Tunisiens aux affaires. Il fut néanmoins interdit en
1933, et au mois de mars 1934 naquit le Néo-Destour, dont Habib
Bourguiba, un jeune avocat largement influencé par la révolution française
de 1789 prit la tête.
Dans un premier temps, le nouveau parti ne demanda pas la fin
immédiate du Protectorat, puis il se radicalisa, se prononçant pour
l’indépendance de la Tunisie, assortie d’un traité d’amitié ou même d’une
sorte d’union avec la République française. Le Résident général Marcel
Peyrouton1 fit arrêter Bourguiba et les principaux responsables du néo-
Destour.
En 1936, le front populaire nomma un nouveau Résident général en la
personne d’Armand Guillon. Les prisonniers furent libérés, mais la tension
demeura, illustrée le 9 avril 1938 par de graves émeutes dont Tunis fut le
théâtre. Pour y mettre un terme, l’état de siège fut instauré et les
responsables nationalistes une nouvelle fois arrêtés tandis que le néo-
Destour plongeait dans la clandestinité2.
Une forte minorité européenne vivait en Tunisie où le nombre des
Européens passa de 143 000 en 1911 à 213 000 en 1936 et à 240 000 en
1946. Par la Loi de 1923 la France chercha à faciliter la naturalisation des
Italiens résidant dans le pays. Ils étaient 85 000 en 1921 et 91 000 dix ans
plus tard en 1931 sur un total de 195 000 Européens. Ces derniers étaient à
80 % citadins et 60 % d’entre eux vivaient à Tunis. Quant aux Tunisiens, ils
étaient 2,1 millions, en 1921, 2,6 millions en 1936 et 3,2 millions en 1946.
À la veille du second conflit mondial, la colonisation rurale concernait
moins de 5 000 chefs de famille, cultivant 725 000 hectares, soit une
moyenne de 161 hectares par exploitation. Cependant, de fortes disparités
existaient entre les 2 380 colons italiens se partageant 70 000 hectares, soit
une moyenne de 24 hectares par exploitation, et les 2 185 colons français
dont la propriété moyenne était de 299 hectares.

2. Le Maroc
Dès son arrivée au Maroc en 1912, Hubert Lyautey (1854-1934) avait vu
qu’il n’avait pas été nommé dans un territoire « quelconque » habité par des
« indigènes », mais dans une authentique Nation au passé
exceptionnellement riche. Il exprima clairement cette réalité en 1916 :
« Alors que nous nous sommes trouvés en Algérie en face d’une
véritable poussière, d’un état de choses inorganique, où le seul pouvoir
était celui du Dey turc effondré dès notre venue, au Maroc, au contraire,
nous nous sommes trouvés en face d’un empire historique et
indépendant, jaloux à l’extrême de son indépendance, rebelle à toute
servitude, qui, jusqu’à ces dernières années, faisait encore figure d’État
constitué, avec sa hiérarchie de fonctionnaires, sa représentation à
l’étranger, ses organismes sociaux […] » (Discours de février 1916
devant la Chambre de commerce de Lyon).
Dans le contexte universaliste et assimilateur dans lequel baignait la
colonisation française, Lyautey constitue une grande et profonde originalité
car son action procéda d’une constante qu’il eut toujours à l’esprit et qui
était que le Protectorat français sur le Maroc n’était qu’un état transitoire,
provisoire, devant inéluctablement aboutir à l’indépendance du pays. Ce
que voulait Lyautey, c’était doter le Maroc, qu’il aima passionnément, de
tous les atouts nécessaires à son entrée dans la modernité.
Durant treize années, de 1912 à 1925, il fut tout à la fois chef de guerre
respecté, administrateur intelligent, diplomate avisé et par-dessus tout,
connaisseur de la mentalité marocaine. Il comprit que sans l’appui des
féodaux il ne pourrait pas tenir le Maroc et c’est pourquoi il établit avec eux
des relations privilégiées dans lesquelles les réceptions, les cadeaux, le
cérémonial constituaient des éléments essentiels. Mais cette politique
n’avait pas pour but d’affaiblir l’État marocain, tout au contraire,
puisqu’elle rapprochait les grands féodaux du Sultan, ce qui renforçait
l’autorité de ce dernier (Lugan, 2000 : 247-258). Lyautey s’est donc attaché
à ce que le sultan conserve tous les attributs de son prestige et que son
pouvoir spirituel demeure intact.
Lyautey qui affirmait qu’il était le premier serviteur du sultan fit
construire la Résidence de France à Rabat, dans l’immédiate proximité du
Palais royal. Il l’entoura de bâtiments administratifs dans lesquels battit le
cœur du Protectorat. En attendant l’achèvement des travaux, et ils prirent
dix ans, il recevait, somptueusement, sous une tente. Quand il séjournait à
Fès, la capitale religieuse et culturelle du Maroc, il habitait le palais de Bou
Jeloud et quand il se rendait à Marrakech, c’est au palais Bahia qu’il
demeurait, toujours soucieux de cet apparat non ostentatoire qui caractérisa
les grands coloniaux.

Lyautey, ou l’éloge des hiérachies sociales


Grand serviteur de l’État, Hubert Lyautey nourrissait un réel mépris pour la classe
politique française, déplorant que les gens « bien élevés » fussent de moins en moins
nombreux à en faire partie. Peu de temps avant sa mort, faisant le bilan de son action
au Maroc, il écrivit ces lignes qui résument bien sa personnalité :
« Au fond, si j’ai réussi au Maroc, dans la tâche que le gouvernement de la
République m’avait confiée là-bas, c’est pour les raisons mêmes qui me rendaient
inutilisable en France. J’ai réussi au Maroc parce que je suis monarchiste et que je
m’y suis trouvé en pays monarchique. Il y avait le Sultan, dont je n’ai jamais cessé de
respecter et de soutenir l’autorité. J’étais religieux et le Maroc est un pays religieux
[…] Je crois à la bienfaisance, à la nécessité d’une vie sociale hiérarchisée. Je suis
pour l’aristocratie, pour le gouvernement des meilleurs. J’ai vu qu’il y avait (au Maroc)
des écoles où allaient les enfants de telles classes, d’autres écoles où allaient des
enfants d’autres milieux et qui ne se mélangeaient pas. […] J’ai respecté tout cela, à
la fois parce que cette soumission au fait fortifiait ma propre politique et parce que
mes propres convictions m’en montraient la légitimité et la noblesse […] tout cela
m’eût été impossible en France et c’est pour cela que je n’aurais peut-être pas réussi
à Strasbourg » (Cité par Raymond Postal, 1946).

Esthète cultivé Lyautey s’entoura d’une équipe particulièrement bien


choisie parmi l’élite militaire et civile afin de mener une politique qui allait
à l’encontre de la rapacité terrienne de certains colons :
« Autant je puis m’appuyer sur les industriels et les commerçants,
autant certains de mes colons agricoles ont une mentalité de bête
déchaînée. Ils n’attendent que mon départ pour algérianiser le Maroc,
déposséder l’indigène. Ils y sont aidés par les socialistes. La doctrine du
protectorat, si intelligente, si souple, si féconde, si nuancée, dépasse
absolument la portée de ces cerveaux primaires […]. Cela rend la tâche
très décourageante, car j’ai la sensation très nette que l’essentiel de mon
œuvre s’écroulera avec moi et, malheureusement, c’est également la
sensation des indigènes notables, à commencer par le sultan ». (Lettre à
Barrucand, 19 août 1918)
Deux ans plus tard, Lyautey faisait état d’ :
« […] un discours déplorable prononcé par le président de la chambre
d’agriculture de Casablanca, et qui a parlé des indigènes en termes qui
les ont profondément blessés, d’autant plus qu’ils y ont vu, non sans
raison, l’expression de la mentalité des colons, presque tous imbus de la
mentalité algérienne ». (Lettre au Président du Conseil Georges
Leygues, 1920)
Dans les deux cas, ce que Lyautey refusait, c’était l’introduction au
Maroc des principes sur lesquels reposait la colonisation de l’Algérie.
Lucide et iconoclaste, il écrivit en 1920 un texte prophétique dans lequel il
adoptait une attitude proprement révolutionnaire pour l’époque puisqu’il se
prononçait clairement pour la décolonisation de toute l’Afrique du Nord,
Algérie comprise :
« Je crois comme une vérité historique que dans un temps plus ou
moins lointain, l’Afrique du Nord évoluée, civilisée, vivant de sa vie
autonome, se détachera de la métropole. Il faut qu’à ce moment-là et ce
doit être le but suprême de notre politique – cette séparation se fasse
sans douleur3 ».
Comme en Tunisie et en Algérie, la population indigène connut une forte
croissance entre les deux guerres mondiales, passant de 5 millions
d’habitants en 1921, à 7,6 millions en 1936 et à 8,4 en 1946. Les Européens
étaient 29 000 en 1913, 78 000 en 1921, 157 000 en 1931 et 236 000 en
1936. En 1931, sur 157 000 Européens, on comptait 22 000 Espagnols et
12 000 Italiens. La population européenne était citadine à 90 % et plus de
40 % de tous les Européens vivant au Maroc résidaient à Casablanca.
Lyautey était opposé à une colonisation de « petits blancs » ruraux. Il
avait clairement défini sa politique élitiste à ce sujet au mois de
janvier 1921, déclarant que « le Maroc n’est pas et ne sera jamais une
colonie de petit peuplement agricole ». Ce que voulait éviter Lyautey,
c’était l’exemple algérien avec une juxtaposition entre « grands » et petits
colons, ces derniers constituant souvent un quasi-prolétariat agricole ne
relevant guère le prestige de la France auquel le Résident général était
particulièrement attaché. À son époque, la colonisation agricole marocaine
fut donc entreprise essentiellement par des colons disposant de moyens
permettant une modernisation et une grosse production. Durant toute la
période du protectorat, et à la différence de l’Algérie, la richesse du colonat
marocain fut d’ailleurs une réalité. En 1927 on ne recensait que 2044
colons, dont 1 847 Français qui exploitaient 650 000 hectares. En 1935 leur
nombre avait doublé, mais il était encore modeste par rapport à l’Algérie
puisque 4 000 colons cultivaient 840 000 hectares, soit une moyenne de 210
hectares par exploitation.
Au mois de juillet 1921, dans le nord du Maroc, en zone espagnole, les
Berbères du Rif se soulevèrent à l’appel d’Abd el Krim membre de la
puissante tribu des Aït Ouriaghel -clan des Aït Youssef –, qui vit dans le Rif
central. Abd-el Krim avait fait ses études en Espagne avant dêtre interprète
à la Oficina de Asuntos Indigenas, le renseignement espagnol au Maroc ; il
avait également été journaliste puisqu’il avait collaboré au Telegrama del
Rif. C’était un moderniste ouvert à l’extérieur et non pas un résistant
menant retranché dans ses montagnes un combat désespéré. Il avait un
projet politique qui dépassait le cadre du Maroc et il était porté par les
évènements de Syrie où la révolte druze était pour lui un modèle. Il avait
également suivi avec un grand intérêt les évènements qui s’étaient déroulés
en Turquie et, plus généralement il se tenait au fait du bouillonnement
nationaliste qui agitait les intellectuels du monde arabo-musulman.
Le 21 juillet 1921, à Anoual, non loin de son fief d’Ajdir, il tailla en
pièces une armée espagnole forte de quinze mille hommes qui laissa sur le
terrain plusieurs milliers de morts et de prisonniers, soixante canons et
des milliers de fusils avec leurs munitions. Devant l’ampleur du désastre, le
général Manuel Fernandez Silvestre qui commandait l’expédition se
suicida. Désormais bien armé, Abd el Krim réunit les chefs des tribus du
Rif et leur fit élire une assemblée nationale qui adopta une charte rejetant le
Protectorat. Le 1er février 1922, il proclama la République confédérée des
tribus du Rif dont il devint Président. Il demanda pour elle la
reconnaissance internationale et l’établissement de relations diplomatiques
et économiques. L’Espagne fut sommée de dédommager les populations
pour les pertes subies depuis le début de l’instauration de son protectorat et
fut contrainte de racheter les prisonniers détenus par les Rifains.
Abd el Krim constitua une armée moderne avec un noyau permanent et
des contingents levés dans les tribus. Tous les hommes entre 16 et 50 ans
étaient mobilisables. Prenant l’offensive, cette armée repoussa les
Espagnols en direction du littoral et en 1924, ces derniers ne contrôlaient
plus que Ceuta, Melilla, Arzila et Larache.
La déroute espagnole inquiétait Lyautey qui savait bien que le projet
d’Abd el Krim dépassait largement le cadre de la zone sous protectorat
espagnol et qui analysait ainsi le mouvement :
« Rien ne pourrait être pire pour notre régime que l’établissement si
près de Fès d’un État musulman indépendant et moderne. »
Des troupes furent donc envoyées sur la frontière de la zone sous
administration française. Au mois de juin 1924, des postes avancés furent
installés mais ils furent immédiatement attaqués, ce qui conduisit la France
à intervenir directement dans le conflit. Durant l’hiver et le printemps 1925,
les Rifains lancèrent une offensive générale contre les postes français
protégeant la route de Fès.
Le conflit provoqua une forte tension politique à Paris où Lyautey fut
critiqué, certains lui reprochant de ne pas mener une vraie guerre destinée à
écraser Abd el Krim, cependant que le parti communiste français (PCF) et
les pacifistes se déchaînaient contre la « guerre coloniale ». Au mois de
septembre 1924, le PCF envoya même à Abd-el-Krim un télégramme de
solidarité signé de Pierre Sémard pour la direction et de Jacques Doriot
pour les jeunesses communistes. La campagne que déclencha ensuite le
PCF se fit sur les slogans de « paix immédiate », de « fraternisation entre
Rifains et soldats français ». Le 15 mai 1925, le PCF créa une structure de
rassemblement intitulée Comité national d’action contre la guerre au
Maroc et le 12 octobre 1925, la question du Maroc fut associée à la grève
générale de 24 heures déclenchée par le PCF et la CGTU.
Lyautey demanda des renforts à Paris. Ils arrivèrent au mois de
juillet 1925 sous les ordres d’un commandant opérationnel, le général
Stanislas Naulin qui était accompagné par le maréchal Philippe Pétain
chargé d’une mission d’évaluation et dont le rapport fut aussi critique
qu’injuste. Pétain qui ne connaissait rien du Maroc ne se priva pourtant pas
de pointer des erreurs militaires qui n’en étaient pas puisqu’elles
constituaient la poursuite de cette politique si originale suivie par Lyautey et
qui visait à éviter une confrontation généralisée en jouant sur les rapports
personnels qu’il entretenait avec les chefs des tribus. En réalité, dans cette
opposition Pétain-Lyautey, de vieux comptes se réglaient entre le héros de
la Grande Guerre et le Résident général dont le passage au ministère de la
Guerre en 1916-1917, s’était mal terminé4.
En chargeant Pétain de régler la question du Rif, le gouvernement
humiliait donc Lyautey. Ulcéré de voir sa politique réduite à néant, ce
dernier présenta sa démission en ces termes :
« Les organisations militaires, les doctrines, les méthodes, les
programmes instaurés actuellement au Maroc l’ont été en dehors de moi
[…] Elles diffèrent totalement de celles que, pendant toute ma carrière,
j’ai toujours préconisées et appliquées. À tort ou à raison je n’ai pas
confiance dans leur efficacité. Je n’ai pas été en mesure de donner mon
avis […] Il m’était impossible, à l’égard de la France, du Maroc et de
moi-même, de garder un jour de plus une apparence même de
responsabilité ». (Lettre à Aristide Briand, ministre des Affaires
étrangères, septembre 1925)
Lyautey regagna la France au mois d’octobre 1925 et il fut remplacé par
un civil, Théodore Steeg qui lui succéda comme Résident général5.
Ayant les mains libres, le maréchal Pétain et le général Naulin qui avaient
obtenu les moyens qui avaient été refusés à Lyautey menèrent alors la
guerre totale que ce dernier voulait éviter. Le corps de bataille rifain fut
cassé par les Français et le 8 septembre 1925, les Espagnols réussissaient un
débarquement risqué à Alhucemas. En 1926 des pourparlers eurent lieu
mais ils butèrent sur l’exigence d’Abd el Krim qui demandait la
reconnaissance de la République du Rif. La France et l’Espagne menèrent
alors de concert une offensive totale avec emploi massif de l’aviation qui
soumit les zones soulevées à un déluge de feu. Les villages furent détruits,
les positions rifaines prises les unes après les autres et les combattants se
dispersèrent. L’échec militaire étant consommé, Abd el Krim se rendit le
27 mai 1926 aux troupes françaises (Lévy, 1984 : 121)6.
Pendant que la guerre du Rif se terminait, les revendications nationalistes
prenaient une force de plus en plus réelle dans le reste du pays. Au Maroc,
comme d’ailleurs également en Tunisie, ce que voulaient d’abord les
nationalistes, c’était le retour à l’esprit et à la lettre du Protectorat. Ce fut
même la demande du Comité d’Action marocaine en 1934.
Le 18 novembre 1927 le sultan Mouley Youssef mourut et la France
imposa comme successeur, son troisième fils, le jeune Sidi Mohamed ben
Youssef qui allait incarner le nationalisme marocain. En 1929 Lucien Saint
fut nommé Résident général et le 16 mai 1930 fut promulgué le Dahir
berbère, ressenti par les Marocains comme une volonté française de casser
l’unité nationale en rehaussant le particularisme berbère7. C’est de ce
moment que date la véritable rupture entre le Palais royal et les milieux
nationalistes d’une part, et la Résidence de France d’autre part. En 1936, la
nomination du général Charles Noguès comme Résident général détendit la
situation car ce disciple de Lyautey sous les ordres duquel il avait servi,
allait s’employer à rétablir des relations de confiance entre la France et le
souverain. Néanmoins, le nationalisme marocain avait pris son essor et il
allait s’affirmer dans la période suivante.

3. L’Algérie
En 1919 la « loi Jonnart », voulu par le Président du Conseil
Clemenceau, étendit la représentation indigène dans les assemblées locales
d’Algérie et élargit les conditions de naturalisation. En 1925, Maurice
Viollette fut nommé Gouverneur général. Au mois de juin 1926, l’Étoile
Nord-africaine fut fondée à Paris et Ahmed Messali Hadj en fut élu
secrétaire général. Ce mouvement nationaliste qui réclamait l’indépendance
cristallisa les aspirations des nationalistes durant une décennie.
Maurice Viollette fut rappelé en métropole en 1927, année où fut créée la
Fédération des élus indigènes d’Algérie qui allait constituer un autre
élément de contestation, au demeurant modéré, de la politique française.
En 1930 se déroulèrent les cérémonies du centenaire de la présence
française en Algérie. Le faste et l’unanimisme colonial de façade
masquaient en réalité de profondes fractures.
En 1936, l’Étoile Nord-africaine fut dissoute et le PPA (Parti populaire
algérien) créé par Messali Hadj lui succéda. Avec ce parti, les nationalistes
algériens étaient désormais dotés d’un véritable outil politique de
contestation.
Pour satisfaire les demandes du Congrès musulman algérien de
juin 1936, le Front populaire décida des mesures libérales dont sortit
ultérieurement le projet Blum-Viollette prévoyant l’octroi de la nationalité
française à 21 000 Algériens. Il déclencha une très forte réaction de la part
des Européens et une menace de grève des maires d’Algérie. La
radicalisation était en donc marche, entraînant la détérioration du climat
politique, illustrée par de violents et sanglants incidents isolés qui éclatèrent
ici ou là, notamment en 1937. L’immobilisme politique redevint la règle,
avec comme priorité la lutte contre le courant nationaliste. Les arrestations
se multiplièrent alors, dont celle de Messali Hadj. À la veille du second
conflit mondial, et contrairement aux apparences, il n’était donc pas
exagéré de dire qu’en Algérie, le feu couvait sous la cendre.
Au point de vue humain, l’Algérie connut une forte poussée
démographique entre les deux guerres, la population indigène passant de
5,8 millions de personnes en 1921 à 7,2 en 1936 et à 8,6 millions en 1946.
Quant aux Européens, ils étaient 681 000 en 1911 et 946 000 en 1936 dont
709 000 vivaient en ville. En 1930, les colons terriens étaient 34 821 et leur
nombre s’était effondré à 25 795 en 1938. Au total, colons, fermiers,
métayers et ouvriers agricoles, formaient une masse de 85 000 chefs de
famille européens vivant à la terre en 1930 et moins de 70 000 en 1938. La
crise de 1929 avait amplifié la crise du colonat dans tout le Maghreb avec
un départ très réel de nombre de petits et moyens colons vers les centres
urbains.
En 1930, les colons d’Algérie cultivaient 2,3 millions d’hectares, soit une
étendue moyenne de 66 hectares par exploitation. Cependant, ces chiffres
ne peuvent que difficilement être comparés à ceux de la colonisation
agricole en Tunisie et au Maroc. En effet, dans les deux protectorats, le
colonat se consacrait essentiellement à de grandes productions comme les
céréales, les fruits ou les olives qui demandaient de vastes espaces, tandis
qu’en Algérie, nombre de petits producteurs, surtout dans la région du Tell,
pratiquaient un micromaraîchage à forte valeur ajoutée produisant des
légumes primeur.

C. L’Afrique sud saharienne


Au sud du Sahara, dans la période de l’entre-deux-guerres se déroula la
guerre d’Éthiopie, anachronique conquête coloniale qui bouleversa les
rapports diplomatiques internationaux et qui aboutit au rapprochement
germano-italien. Partout, les revendications nationalistes s’affirmèrent et
montèrent en puissance. Elles prirent cependant des formes différentes.
Essentiellement religieuses et politiques avec la constitution de Congress,
dans le domaine britannique, elles furent à la fois plus intellectuelles et
assimilatrices dans l’empire français. Quant à l’Afrique du Sud, elle vit
l’essor du nationalisme afrikaner et le début des lois raciales imposées par
la classe ouvrière blanche.

1. La guerre d’Éthiopie
Demeurée neutre en août 1914 au nom de son « égoïsme sacré », l’Italie
s’était finalement rangée dans le camp de l’Entente qui semblait en mesure
de lui apporter davantage que les Empires centraux. Les promesses incluses
dans le pacte de Londres d’avril 1915 et dans l’accord de Saint Jean de
Maurienne d’avril 1917 pouvaient en effet apparaître bien alléchantes, or,
lors de la Conférence de la Paix réunie à Paris à partir de janvier 1919, ces
promesses furent oubliées (Conrad, 2007).
Après l’échec Éthiopien de la fin du XIXe siècle, l’idée coloniale retrouva
toute sa vigueur avec l’arrivée au pouvoir de Mussolini. Le retournement de
ce dernier était total car, avant 1914, alors qu’il était socialiste, il s’était
farouchement opposé à la campagne de Libye. Au mois de janvier 1919,
avant donc la création des premiers faisceaux, il avait changé d’avis,
proclamant dans le journal Popolo d’Italia qu’il fallait faire de la
Méditerranée « un lac italien » afin d’ouvrir « la prison méditerranéenne
dont les barreaux s’appellent Gibraltar, Tunis et Suez. » Avec lui, les
ambitions italiennes se portèrent également sur l’Afrique orientale et donc à
nouveau sur l’Éthiopie. Or, comment allait-il être possible à l’Italie de se
lancer dans une nouvelle campagne contre le vieil empire alors que le
souvenir de la défaite d’Adoua en 1896 était encore présent à toutes les
mémoires ?
En Afrique orientale les Italiens possédaient deux colonies. L’Érythrée,
était un territoire de 119 000 km2 dont la « capitale », Asmara, n’était qu’un
simple point d’appui. Sur les côtes de l’Océan Indien, la Somalie italienne
avait été agrandie – après un accord conclu en 1924 – du Giubaland anglais,
pris sur le territoire du Kenya –, mais ses 500 000 km2 peuplés par moins
d’un million d’habitants étaient essentiellement désertiques. L’Éthiopie,
avec ses 1 184 000 km2, ses dix millions d’habitants et son climat favorable,
était une proie tentante car le pays pouvait, selon les milieux coloniaux
italiens, devenir une colonie de peuplement et le moyen de réaliser la
vocation impériale et africaine de l’Italie fasciste8.
Le 5 décembre 1934, un incident qui survint sur la frontière très
incertaine séparant la Somalie italienne de la province éthiopienne de
l’Ogaden, fournit à Mussolini le prétexte de la guerre. Juridiquement
parlant, la position italienne était indéfendable. Le pacte de la Société des
Nations l’obligeait en effet à rechercher l’arbitrage international et, en 1928,
Rome s’était associée à la conclusion du Pacte Briand-Kellog de
renonciation à la guerre. Quant à l’Accord tripartite anglo-franco-italien de
1906, il garantissait l’indépendance de l’Éthiopie et, au mois de
septembre 1923, l’Italie avait soutenu, avec la France et contre l’avis de la
Grande-Bretagne, son entrée à la SDN. Mais la France était prête à des
concessions pour qu’en échange l’Italie continue à interdire l’Anschluss à
l’Allemagne tandis que l’Angleterre s’inquiétait de la montée en puissance
de la flotte italienne en Méditerranée, en même temps que des ambitions de
Rome en Afrique orientale.
Au début de l’année 1935, l’Italie accéléra ses préparatifs. Au mois
d’août, elle disposait de 170 000 hommes en Afrique orientale et de
nouveaux renforts en effectifs et en matériel continuaient à y affluer. Le
déploiement en Méditerranée d’une imposante armada britannique ne
changea rien à l’affaire et il apparut désormais clairement que la guerre était
devenue inévitable. Elle fut déclenchée par l’Italie le 3 octobre 1935.
Le corps expéditionnaire italien, fort de cinq cent mille hommes, fut
divisé en deux forces distinctes. L’armée d’Érythrée, confiée au général De
Bono, avait pour mission de pénétrer en Éthiopie et de marcher sur Addis
Abeba. L’armée de Somalie, que commandait le général Graziani, avait
quant à elle pour objectif Harrar. Le Négus disposait de près de trois cent
mille combattants très motivés et la campagne ne fut pas une simple
« promenade militaire ».
L’Italie mena une guerre de type européen en déployant des unités
motorisées, ce qui impliquait d’aménager des voies de communication dans
un pays où les pistes se transformaient en bourbiers durant la saison des
pluies. Les forces italiennes engagèrent des effectifs considérables
puisqu’elles alignèrent des dizaines de milliers de combattants, chiffre tout
à fait exceptionnel pour une guerre coloniale. À maintes reprises, les
Italiens furent contraints d’engager massivement leur aviation de
bombardement pour disloquer les positions adverses et durent utiliser des
bombes asphyxiantes (Del Bocca, 1996)9.
La prise d’Adoua le 6 octobre, puis celle d’Axoum le 14, déclenchèrent
l’enthousiasme en Italie, mais la progression fut ensuite prudente et
méthodique, trop lente sans doute au goût du Duce qui, le 28 novembre,
remplaça le général De Bono par le général Badoglio. Fin février 1936,
Addis-Abeba était à portée de l’armée italienne, mais la bataille qui se
déclencha le 31 mars dura sept jours. La Garde impériale éthiopienne
opposa une forte résistance et perdit les trois quarts de son effectif, mais elle
ne pût rien contre la puissance de feu italienne. Au soir du 6 avril, le Négus
s’enfuit avec quelques fidèles pour gagner Djibouti. Le 26 avril, le général
Badoglio lança vers la capitale éthiopienne trois colonnes motorisées fortes
de vingt mille hommes, appuyées par onze batteries d’artillerie et par un
escadron de chars rapides. L’état de la piste et la pluie ralentirent la
progression et les sapeurs italiens durent réaliser des prodiges car il fallut
trois jours pour franchir le col de Termeber, dernier obstacle naturel avant
Addis-Abeba où la colonne motorisée italienne entra dans l’après-midi du
4 mai (Conrad 2007). Le même jour, l’ambassadeur anglais, Sidney Barton,
avait lancé un appel au secours à Badoglio pour qu’il accélère sa marche car
la capitale éthiopienne était plongée dans l’anarchie et la sécurité des
Européens réfugiés dans le quartier des légations n’était plus assurée. Le
8 mai 1936, les troupes de Graziani pénétraient dans Harrar et, dès le
lendemain, elles faisaient leur jonction à Dire-Daoua avec celles de
Badoglio. Il avait fallu sept mois et six jours aux Italiens pour venir à bout
de la résistance éthiopienne.
Pendant que les troupes italiennes progressaient en Abyssinie, la crise
internationale ouverte par le déclenchement des hostilités plaçait Mussolini
en situation délicate. Dès le 7 octobre 1935, le Conseil de la SDN désigna
l’Italie comme étant l’agresseur, ce que confirma l’Assemblée générale le
11. En Angleterre, Anthony Eden, qui partageait avec Samuel Hoare la
responsabilité du Foreign Office et qui s’appuyait sur une opinion publique
très hostile à l’Italie, se fit le champion de la politique des sanctions. Il
bénéficia sur ce point du soutien des États-Unis et plus particulièrement du
président F.D. Roosevelt. La France était dans une position délicate car elle
ne voulait pas voir remettre en cause l’amitié franco-anglaise mais, en
même temps, elle ne souhaitait pas rompre avec Mussolini.
Le 18 novembre, les sanctions décidées contre l’Italie entrèrent en
vigueur. Elles comprenaient un embargo sur les armes et les munitions, un
embargo sur les exportations italiennes et sur les marchandises destinées à
ce pays, et un embargo financier. Cependant, ni le charbon, ni le pétrole ne
se trouvaient sur la liste des produits qu’il était interdit de vendre à l’Italie.
Cinquante-trois pays avaient voté ces mesures, tandis que quatre s’y étaient
refusés, l’Autriche, la Hongrie, l’Albanie et le Paraguay. Hitler fit savoir à
Mussolini que l’Allemagne, qui avait quitté la SDN en octobre 1933, était
disposée à lui fournir les matières premières qui pourraient lui manquer10.
Le 8 mai 1936 le roi Victor Emmanuel III prit le titre d’Empereur
d’Éthiopie.
Le 18 juin, soutenu par la presse britannique, Eden fit preuve d’un grand
pragmatisme en révisant totalement sa position, déclarant qu’il défendrait
lui-même à Genève la levée des sanctions, ce qui fut effectivement voté le
4 juillet à la demande des gouvernements du Royaume-Uni, du Canada et
de l’Australie. Mais, face aux sanctions, l’Italie avait changé de camp,
devenant l’alliée de l’Allemagne hitlérienne. Churchill tira la leçon de la
crise en ces termes :
« […] le Gouvernement de Sa Majesté s’est fait imprudemment le
champion d’une grande cause mondiale. Il s’est mis à la tête de
cinquante nations et les a poussées en avant avec force belles paroles
[…] Sa politique a été longtemps dictée par le désir de satisfaire
certaines puissants courants d’opinion qui se manifestaient chez nous
plutôt que par le souci des réalités européennes. En s’aliénant l’Italie, il
a complètement bouleversé l’équilibre du continent, sans obtenir pour
autant le moindre avantage pour l’Abyssinie. » (Cité par Conrad, 2007)
En Éthiopie même, les Italiens durent affronter une résistance non
négligeable. L’empereur Haïlé Sélassié se réfugia à Londres mais des foyers
de guérilla subsistèrent, notamment dans l’ouest du pays. En février 1937,
une tentative d’attentat contre le maréchal Graziani déclencha une vague de
représailles très violentes, mais l’arrivée à Addis-Abeba du duc d’Aoste et
l’engagement d’un programme de grands travaux visant à la mise en valeur
du pays contribuèrent à stabiliser la situation, même si une révolte éclata en
février 1938 (Miège, 1968 ; Pankhurst, 1977 : 35-86 ; Sbacchi, 1977 : 503-
516).
Après la victoire de 1936 contre l’Éthiopie, l’Italie réorganisa l’ensemble
de l’Africa orientale italiana (AOI) sur des bases ethniques, cassant
l’empire Éthiopien, mais donnant en revanche satisfaction aux peuples qu’il
dominait. C’est ainsi que l’ensemble de l’AOI fut divisée en cinq
gouvernements dont certains à base ethnique : celui d’Érythrée rassemblait
les Afars et la majorité des Tigrininya, celui de l’Amhara sa population
éponyme, celui de Galla-Sidamo une grande partie des Oromo et la quasi-
totalité des Sidamo et celui de Somalia les régions peuplées de Somalis
dont l’Ogaden. Quant à celui de Harrar, il faisait référence au sultanat
musulman du même nom qui s’était posé en rival de l’Éthiopie durant le
Moyen Âge.

2. Hitler et la question coloniale


Entre les deux guerres, en Allemagne, à l’exception des communistes et
des socialistes indépendants, il y eut pratiquement une unanimité sur la
question coloniale parmi les forces politiques de la République de
Weimar11. Dès 1920, le ministère des Affaires étrangères avait reconstitué
une section coloniale et en 1925, le maréchal Hindenburg, président du
Reich, avait déclaré que « tout ce qui a été allemand devra redevenir
allemand ». En 1931, un important mouvement de jeunesse colonial fut
créé, la Ligue des éclaireurs coloniaux allemands alors que les anciens
combattants étaient déjà regroupés dans le Deutscher Kolonialkriegerbund
ou Ligue des combattants coloniaux.
En 1933, Hitler arriva au pouvoir. Comment ses idées racistes
s’accommodèrent-elles d’une revendication coloniale populaire dans
l’opinion allemande ? Dans Mein Kampf, il avait clairement exprimé son
hostilité aux colonies, sa crainte étant de voir les peuples coloniaux créer en
Europe des noyaux de population en décrivant une situation française
apocalyptique afin de détourner les Allemands de tout romantisme colonial.
Kuma N’Dumbe (1980) qui a étudié cette question dans sa thèse de
doctorat, cite plusieurs phrases d’Hitler à ce sujet. Ne s’embarrassant pas de
précautions sémantiques, ce dernier ne craignait ainsi pas d’écrire qu’en
France, l’ :
« […] envahissement par les Nègres fait des progrès si rapides que l’on
peut vraiment parler de la naissance d’un État africain sur le sol de
l’Europe […] Si l’évolution de la France se prolongeait […], les
derniers restes du sang franc disparaîtraient dans l’État mulâtre
africano-européen qui est en train de se constituer […], rempli de la
race inférieure qui se forme lentement sous l’influence d’un métissage
prolongé. » (Cité par Kuma N’Dumbe, 1980)
Paradoxalement, en dépit de ses postulats racistes, l’Allemagne
nationale-socialiste eut pourtant une politique de revendication coloniale.
En 1934, fut ainsi créé le Bureau politique colonial confié au général von
Epp et en 1936 la Ligue coloniale du Reich, ou Reichskolonialbund, dont le
rôle était de défendre les revendications coloniales allemandes sur le plan
international. Ces dernières dépassaient d’ailleurs largement le cadre de
l’ancienne Afrique allemande puisque l’idée de la Mittelafrika était à
nouveau avancée, et que sa constitution était prévue aux dépens des empires
alliés. Il semblerait même que l’Allemagne soit allée très loin dans ce sens
puisque :
« […] vers le mois d’août 1941, les principaux travaux avaient abouti,
et l’essentiel de l’appareil colonial allemand était prêt pour permettre au
Reich sa rentrée africaine. L’organisation économique était conçue, les
lois étaient rédigées et n’attendaient que leur promulgation par le
Führer et chancelier du Reich ; les ordonnances des ministres des
Colonies et de la Justice, les décrets des gouverneurs du Kamerun, de
l’Afrique de l’Est allemande, du Sud-Ouest africain et de la Nouvelle-
Guinée étaient aussi prêts ; les fonctionnaires des différentes branches
coloniales avaient déjà été sélectionnés et désignés. » (Kuma N’Dumbe,
1980 : 234)
Le rêve colonial allemand fut dissipé avec la défaite de 1945 et, par voie
de conséquence, l’Allemagne fut provisoirement lavée du « péché »
colonial. Robert Cornevin cite à ce propos un texte allemand datant de 1928
et qui apparaît comme prophétique à bien des égards :
« Pour ceux qui veulent voir, la guerre (de 1914-1918) a ouvert un
nouveau chapitre de l’histoire coloniale, le dernier. Peu importe de
savoir quand ce chapitre finira ; l’issue de la lutte ne peut être douteuse
et elle surviendra dans une période de l’histoire rapprochée de la nôtre.
Nous avons l’heureux privilège de nous trouver placés en dehors de
cette lutte imminente ; nous n’avons. Dieu merci, pas de colonies à
défendre par le fer et par le sang, ce qui ne nous empêcherait d’ailleurs
pas de les perdre tôt ou tard. Aux yeux des peuples qui luttent pour leur
liberté, Chinois aujourd’hui. Nègres ou Indiens demain, nous n’avons
pas la souillure d’être une puissance coloniale […] Quelle que petite
que puisse être la colonie sur laquelle on serait disposé à nous concéder
un mandat, elle serait toujours assez grande pour donner aux
populations des pays coloniaux l’impression que l’Allemagne est une
ennemie, qu’elle est complice des autres États impérialistes. » (Klôtzel,
1928, cité par Cornevin, 1969 : 113)

3. L’Afrique du Sud
Au lendemain du premier conflit mondial, trois des plus importants
généraux de la guerre des Boers animèrent la vie politique sud-africaine. Le
premier d’entre eux, Louis Botha, mourut au mois d’août 1919 et Ian Smuts
lui succéda comme Premier ministre de l’Union sud-africaine, tandis que
James B. Hertzog dénonça de plus en plus vigoureusement le « libéralisme
ambiant « qui gagnait le Parti sud-africain. Cette même année, le Parti
national affirma le droit de l’Union d’abandonner son statut de Dominion et
donc d’accéder à l’égalité totale avec la Grande-Bretagne.
Aux élections de mars 1920, le Parti national dépassa le Parti sud-africain
et pour se maintenir au pouvoir, Smuts dut s’allier avec les Unionistes ;
puis, le Parti sud-africain et les Unionistes fusionnèrent, ce qui permit à
Smuts de remporter les élections de février 1921 avec 79 sièges contre 45
aux nationalistes du Parti national et 9 aux Travaillistes. Désormais, ce fut
le parti d’Hertzog qui se posa en défenseur des Afrikaners, des « petits
blancs « et des fermiers et qui prétendit incarner seul le nationalisme
afrikaner contre le capitalisme britannique et ses « collaborateurs ». Smuts
et le Parti sud-africain étaient ainsi clairement désignés.
En 1922, dans la région du Rand, éclata une insurrection ouvrière
blanche à la suite de la décision de la Chambre des Mines de mettre à pied
4 000 ouvriers afin de les remplacer par des Noirs acceptant des salaires
inférieurs pour un même travail. Les dirigeants miniers auxquels les
syndicats blancs et le gouvernement avaient imposé le Colour bar en 1911
afin de donner du travail aux nombreux chômeurs blancs cherchaient par
ces mesures, à revenir sur cette loi.
Les « petits blancs « ne l’entendirent pas ainsi et ils prirent les armes.
Une véritable guerre urbaine éclata alors, 20 000 à 30 000 insurgés
affrontant, les armes à la main, plusieurs dizaines de milliers de policiers,
de soldats et de volontaires bourgeois que le gouvernement Smuts lança
contre eux. Toute la région du Rand fut embrasée et l’artillerie tonna. Au
bout de huit jours de rudes combats, les insurgés furent écrasés. Ils avaient
perdu 230 morts et comptaient un millier de blessés, mais le gouvernement
Smuts devait impérativement donner satisfaction à la « classe ouvrière
« blanche afin de calmer la tension sociale. C’est pourquoi son
gouvernement adopta les premières grandes mesures raciales qui allaient
peu à peu aboutir au système dit d’Apartheid. En 1922, l’Apprentice Ship
Act réserva ainsi aux Blancs l’enseignement professionnel et en 1923, le
Native Urban Areas Act leur concéda des zones urbaines.
Ces mesures n’empêchèrent pas Smuts d’être désavoué lors des élections
de juin 1924 face à la coalition du Parti national d’Hertzog et des
Travaillistes de Cresswell. De 1924 à 1929, cette insolite coalition se
maintint au pouvoir, Hertzog étant Premier ministre.
En 1926, à la Conférence impériale de Londres, Hertzog, soutenu par les
autres dominions fut à l’origine de la « Déclaration Baltour « , laquelle
précisait que les dominions étaient égaux, autonomes, maîtres de leurs
politiques extérieures et intérieures, et que leur lien résidait en leur
commune allégeance à la Couronne britannique et dans leur libre
association en tant que membres du Commonwealth.
Aux élections de 1929, le Parti national obtint la majorité absolue à lui
seul. En 1930, la crise économique mondiale commença à toucher l’Afrique
du Sud. Pour y faire face, Hertzog et Smuts se rapprochèrent alors et leurs
deux partis constituèrent une alliance qui permit à Hertzog de remporter une
écrasante victoire électorale aux élections de mai 1933. Un an plus tard, en
1934, les deux partis fusionnèrent en une seule formation qui prit le nom de
Parti national unifié sud-africain, plus connu sous le nom de Parti uni.
Menés par le révérend Daniel Malan, les nationalistes afrikaners les plus
intransigeants, soit 25 députés, refusèrent cette fusion qu’ils considéraient
comme un alignement sur les options politiques de Smuts et ils firent
scission, fondant ensuite le Parti national purifié en novembre 1934. Pour
limiter leur influence, le gouvernement, s’appuyant sur sa très forte
majorité, fit voter en 1936 plusieurs lois qui renforcèrent la ségrégation
raciale, dont le Representation of Natives Act qui privait les Noirs de la
province du Cap des droits électoraux dont ils jouissaient depuis 1853 et le
Native Land and Trust Act, qui en même temps qu’il faisait passer la
surface des réserves tribales de 7 à 13 % de la surface du pays, renforçait la
ségrégation territoriale dans le reste du territoire. En 1937, le Native Laws
Amendment Act accentuait le contrôle des flux migratoires des Noirs vers
les villes blanches (Coquerel, 1992 : 138). Aux élections de 1938, les
nationalistes afrikaners obtinrent 27 sièges, consolidant leurs positions face
aux 111 du parti gouvernemental.
Le 3 septembre 1939, la guerre qui éclata en Europe ne tarda pas à faire
voler en éclats le tandem Hertzog-Smuts car les lignes de fracture de 1914
réapparurent. Le 4 septembre, le Parlement sud-africain se réunit en session
spéciale et Hertzog déposa une motion de neutralité. Soutenu par Malan et
ses députés, il ne recueillit cependant que 67 voix contre 80 à Smuts qui
était partisan de la guerre. Ayant perdu la confiance du Parlement, il céda
son fauteuil de premier ministre à ce dernier et le 6 septembre, l’Union sud-
africaine entra en guerre. Hertzog mourut en 1942.

4. La naissance des revendications nationalistes


Dans le monde africain anglophone, la lutte pour la libération qui avait
débuté dans les années 1920 mettait en avant l’idée du panafricanisme et le
christianisme biblique y joua un rôle éminemment émancipateur.
Dans le domaine français, le mouvement fut plus tardif et la littérature
tint une grande place. Le prix Goncourt attribué en 1921, à Batouala de
René Maran, avait ainsi provoqué une onde de choc dans les milieux
intellectuels. Elle avait été confirmée par le voyage d’André Gide en AEF
en 1926 et à l’issue duquel il avait publié son Voyage au Congo (1927) qui
démystifiait le credo colonial. Autre différence avec le domaine
britannique, dans l’entre-deux-guerres, ce ne fut pas tant en Afrique que se
manifesta la revendication nationaliste, qu’à Paris, où un foisonnement
intellectuel se produisit. Il fut illustré par la création de mouvements et de
revues dont les plus connues sont la Ligue de Défense de la Race Noire,
créée en 1924 et dont le mensuel, Le Cri des Nègres, devint La race Nègre
en 1934. Dans le numéro de juillet 1935 de La race Nègre, il était possible
de lire ces lignes à la fois inspirées du panafricanisme et du courant
surréaliste :
« Nous voulons retrouver notre indépendance politique et ressusciter, à
sa faveur, notre antique civilisation nègre. Le retour aux usages de nos
ancêtres, à leur philosophies, à leurs organisations sociales est une
nécessité vitale […] Nous voulons un État nègre unique englobant toute
l’Afrique noire et les Antilles, et, au sein de cet État, nous ferons de la
question des races ce qu’elle était avant, un élément de joyeuse
diversité, d’agréments et de compétition joyeuse et non un prétexte à
des antipathies bilieuses. »
En 1930 avait été créé le Comité Universel de l’Institut nègre de Paris, et
en 1934, Léopold Sedar Senghor, Aimé Césaire et Léon Damas originaires
respectivement du Sénégal, de la Martinique et de la Guyane, avaient fondé
une revue, L’Étudiant Noir. En 1939, Aimé Césaire employa pour la
première fois le mot « négritude » dans son Cahier d’un retour au pays
natal. À l’universalisme assimilateur proposé par la France, les intellectuels
africains contestataires opposèrent désormais un autre universalisme, la
« Négritude ».
Cette démarche exclusivement francophone était incompréhensible pour
les colonisés anglophones, les sujets africains de Sa Gracieuse Majesté
n’ayant pas subi l’aliénation culturelle qu’était l’assimilation ou la volonté
assimilatrice. Pour eux, la notion de négritude était donc vue comme la
manifestation d’un complexe d’infériorité comme l’a bien exprimé d’une
formule percutante le grand écrivain nigérian Wole Soyinka quand, parlant
d’elle, il disait : « Un tigre ne proclame pas sa tigritude ».
Plus tard, une troisième grande forme de contestation du système
colonial, propre à l’Afrique du Nord celle-là, apparut sous deux formes qui
parfois s’entrecoupèrent : l’Islam et le panarabisme.
Dans les domaines français et britannique, la contestation du pouvoir
colonial se fit au sein de l’élite « éduquée » formée à l’École William Ponty
de Dakar dans le cas de la France et pour ce qui est de l’empire britannique,
au Yaba Higher College au Nigeria à l’Achimota College en Gold Coast, au
Gordon’s College au Soudan ou encore au Makarere College en Ouganda.
Les mouvements de jeunesse qui y naquirent furent, pour les principaux, la
Gold Coast Youth Conference fondée en 1929 ; le Nigeria Youth Movement,
le Young Kikuyu Association fondée en 1921, le Sudan Graduate’s
Congress. Les mouvements étudiants nés dans les universités anglophones
ouest africaines se regroupèrent dans la West African Students Union
(Oloruntimehin, 1989).
La contestation nationaliste née dans le domaine britannique fut fédérée
par deux grandes associations régionales, le National Congress of British
West Africa et le South Africa Congress. Au sein de ces deux grandes
fédérations, le mouvement le plus dynamique fut le South African Native
National Congress qui changea de nom en 1925 pour devenir l’African
National Congress ou ANC. Le drapeau qu’il adopta était noir vert et or. Le
noir en référence au peuple noir, le vert pour symboliser la richesse agricole
et l’or, pour le minerai. L’hymne qui fut choisi était « Que Dieu bénisse
l’Afrique ». L’ANC se rapprocha du mouvement métis African Political
Organization et du South African Indian Congress.
Des Congrès panafricanistes se tinrent également sous l’impulsion des
Afro-américains Burghard Du Bois et Marcus Garvey en 1919 et en 1921 à
Paris, Londres et Bruxelles, puis à Londres et à Lisbonne en 1922 et enfin à
New York en 1927. Ils étaient destinés à donner un caractère international
aux actions nationalistes et à la lutte contre le colonialisme. En 1927, sous
la houlette du Komintern, un Congrès international anticolonial se tint à
Bruxelles à l’occasion duquel fut créée la Ligue contre l’impérialisme. Y
assistaient, entre autres, Messali Hadj et Jomo Kenyatta.
1. Il fut deux fois Résident général, du 29 juillet 1933 au 21 mars 1936 puis du 3 juin au 22 juillet
1940.
2. Arrêté, Habib Bourguiba fut d’abord interné dans le sud du pays, puis à Marseille.
3. En 1931, six ans après le départ de Lyautey du Maroc, Chekib Arslane, le maître à penser du
nationalisme arabe lui rendit involontairement un superbe hommage en écrivant : « Le Maréchal
Lyautey, c’est un ennemi qui ne commet pas d’actes indignes […] Lyautey est au point de vue
indigène le plus dangereux Français que le Nord de l’Afrique ait connu parce le plus sage. Il savait
par sa sagesse, calmer les Arabes : il les attirait par tous les moyens vers la France ; il ménageait
leur amour-propre […] Lyautey tua l’indépendance du Maroc, mais sans l’humilier ». (La Nation
arabe, mai juin 1931)
4. Ministre de la Guerre dans le cabinet Briand entre décembre 1916 et mars 1917, Lyautey s’y fit de
nombreux ennemis parmi certains cadres métropolitains qui jalousaient les « coloniaux », ces
hommes des grands espaces habitués aux plus larges initiatives. Comme il le faisait d’ailleurs
remarquer : « Il n’y a pas de ces petits lieutenants, chef de poste ou de reconnaissance, qui ne
développe en six mois plus d’initiative, d’endurance, de persuasion, de personnalité qu’un officier
de France dans toute sa carrière ». De plus, et ce point ne doit jamais être perdu de vue, il était
monarchiste et il servait la France, pas la République pour laquelle il avait un aristocratique et
solide mépris.
5. Daniel Rivet a bien montré qu’il y eut de fait, deux Protectorats : « Pendant douze ans, Lyautey,
« un vieux lord colonial de la IIIe République », impose avec éclat – au point d’être taxé
d’« indigénofolie » – des conceptions qui sont à l’opposé de celles du milieu ultra-colonial
dominant alors à Paris[…]. Le deuxième Protectorat s’engage sur une phase déclinante :
l’expérience de Lyautey n’a pas été comprise ; ses successeurs – parfois ses disciples comme
Noguès ou Labonne – sont paralysés par la carence de Paris qui ne peut définir une politique nord-
africaine[…] » (Rivet, 1999).
6. Exilé sur l’île de la Réunion et alors qu’il avait été autorisé à se rendre à Marseille, au mois de
mai 1947, il profite d’une escale à Suez pour s’évader. Il finit ses jours en Égypte et quand il y
meurt, le 6 février 1963, le colonel Nasser lui organise des funérailles nationales.
7. Avec le Dahir berbère la France proposait en fait que deux systèmes juridiques soient appliqués
aux Marocains, les Arabes étant soumis au droit islamique et les Berbères à leurs coutumes
traditionnelles. Cette reconnaissance de la personnalité berbère fut considérée par le Palais royal
comme une rupture de l’unité nationale marocaine car les Berbères allaient être soustraits au droit
coranique, donc ne dépendraient plus du Sultan Commandeur des Croyants. Devant les
protestations et la résistance du Sultan, le projet fut abandonné en 1934.
8. En Éthiopie, à la mort de Ménélik survenue en 1913, le pouvoir éthiopien avait traversé une
période difficile. Un de ses petit-fils avait accédé brièvement au trône avant d’être déposé en 1917
et remplacé par sa tante Zawditou elle-même fille de l’empereur défunt. Après la mort de cette
dernière, le Ras Tafari était monté sur le trône sous le nom de Hailé Sélassié 1er (1931-1974).
9. L’emploi de telles armes valut d’ailleurs à l’Italie de se trouver mise en accusation par la presse
britannique et française, les Anglais ayant « oublié » qu’en 1920, en Irak, ils avaient eux-mêmes
utilisé les gaz de combat.
10. Le 9 décembre, le plan proposé par Pierre Laval à Samuel Hoare fut accepté par le cabinet
britannique de Stanley Baldwin. Mais ce plan, qui devait demeurer secret jusqu’à son acceptation
par la SDN et les États concernés, fut révélé par plusieurs journaux à Paris et à Londres le
13 décembre. Le tollé qui se déchaîna alors dans la presse britannique contraignit Samuel Hoare à
la démission le 18 décembre. Le 23 janvier suivant, ce fut le tour de Pierre Laval, mais Albert
Sarraut qui lui succéda et Pierre-Étienne Flandin qui s’installa au Quai d’Orsay n’avaient pas
l’intention de suivre Eden dans la mise en œuvre d’une politique radicale impliquant
l’établissement d’un embargo sur le pétrole. La France était d’autant plus réticente que la Grande-
Bretagne avait fait preuve d’une réserve remarquée quand il s’était agi de condamner l’Allemagne
hitlérienne pour la remilitarisation de la rive gauche du Rhin, réalisée le 7 mars.
11. Les partis de Weimar et l’opposition de droite créèrent même une Union coloniale
interparlementaire en mai 1925.
Chapitre III.
Le second conflit mondial
et ses conséquences

Comme durant le premier conflit mondial, l’Afrique fut d’abord un enjeu


pour les belligérants en raison de la position stratégique du canal de Suez.
Au sud du Sahara les combats opposèrent les forces demeurées loyales à
Vichy à celles de la France Libre et de la Grande Bretagne. Après le
débarquement anglo-américain de novembre 1942 en Afrique du Nord,
l’armée française stationnée au Maghreb, l’Armée d’Afrique, entra en
guerre aux côtés des Alliés. Le conflit accéléra l’évolution des empires et
provoqua une énorme mutation en raison de la remise en cause du principe
même de la colonisation par les deux principaux vainqueurs du conflit, les
États-Unis d’Amérique et l’Union soviétique. Alors que la Grande-Bretagne
intégra cette nouveauté et prépara le mouvement des indépendances, la
France eut une attitude hésitante tandis que le Portugal se murait dans le
statu quo.

A. Les années 1940-1942


De 1940 à 1942, l’essentiel des combats se déroula dans le domaine
italien, qu’il s’agisse de la Libye ou de l’Afrique orientale, et au sein de
l’empire français entre gaullistes et forces loyales au gouvernement de
l’État français.

1. La guerre pour le canal de Suez


Au mois de septembre 1940, depuis la Tripolitaine et la Cyrénaïque, une
armée italienne commandée par le maréchal Rodolfo Graziani lança une
offensive en direction du canal de Suez, mais elle fut repoussée par les
forces du général britannique Archibald Wavell. Le 9 décembre, à Sidi
Barani une contre-attaque dirigée par le brigadier général Richard
O’Connor enfonça ensuite les lignes italiennes sur 600 kilomètres. L’armée
italienne laissa 130 000 prisonniers aux mains des Britanniques.

Au mois de mars 1941, l’Allemagne intervint en envoyant en Libye un


corps expéditionnaire moderne, l’Afrika Korps, placé sous les ordres du
général Erwin Rommel, spécialiste des opérations blindées, et qui s’était
distingué notamment lors de la campagne de France en 1940. L’intention
allemande était de tenter une opération de type blitzkrieg en direction du
canal de Suez et au-delà, pour s’assurer le contrôle des puits de pétrole du
Moyen-Orient. Cependant, pour mener à bien cette guerre du désert,
l’Afrika Korps avait besoin d’énormes quantités de carburant, de matériel
de rechange et de ravitaillement. La maîtrise de la navigation entre l’Europe
et l’Afrique du Nord était donc impérative et Berlin comptait sur la
puissante marine italienne pour l’aider à la garantir. La supériorité
aéronavale britannique l’en empêcha.
Militairement, l’Égypte se retrouvait donc en première ligne, comme
durant le précédent conflit mondial. Or, les Égyptiens souhaitaient
majoritairement la victoire de l’Allemagne1 afin de mettre un terme à la
présence anglaise. Ceci explique pourquoi les relations ne cessèrent de se
tendre entre le palais royal et les autorités britanniques.
À la fin de l’année 1941, le gouvernement de Hussein Siry appliqua à la
lettre les clauses du traité d’alliance du 26 août 1936 en acceptant
d’envoyer des troupes égyptiennes renforcer les Britanniques sur le front de
Tripolitaine, mais le roi Farouk refusa de déclarer la guerre à l’Axe. Son
principal adversaire politique fut alors le Wafd qui s’était clairement rangé
dans le camp des Alliés et qui avait condamné le national-socialisme sans la
moindre ambiguïté.
Au début de l’année 1942, quand le général Rommel passa à l’offensive
en direction du canal de Suez. Hussein Siry, Premier ministre égyptien
s’engagea encore davantage dans le camp des Alliés, allant jusqu’à rompre
les relations diplomatiques avec la France de Vichy et cela sans en informer
le palais royal. Le roi Farouk le congédia et décida de constituer un
gouvernement ayant des sympathies pour l’Axe. La crise était donc ouverte
car Londres exigeait au contraire de lui la désignation d’un gouvernement
issu du Wafd. Les Anglais adressèrent alors un ultimatum au souverain qui
le repoussa. En conséquence de quoi, une colonne blindée britannique prit
position à proximité du palais royal et le roi Farouk fut sommé de choisir
entre l’abdication et la nomination de Nahas Pacha, le chef du Wafd. Le
monarque céda et il accepta de désigner un cabinet Wafd avec Nahas Pacha
à sa tête2.
Entre le 23 octobre et le 4 novembre 1942, l’Afrika Korps du général
Rommel et la VIIIe armée britannique commandée par le général Bernard
Montgomery s’affrontèrent lors de la bataille d’el-Alamein, à une centaine
de kilomètres à l’ouest d’Alexandrie. Le front s’étendit sur une soixantaine
de kilomètres, depuis l’intérieur jusqu’à la mer et sur une profondeur de
plus de dix kilomètres. Deux fois supérieurs en hommes et en moyens
puisqu’ils alignèrent 200 000 combattants, 1030 chars, 1200 pièces
d’artillerie et 750 avions, pouvant de plus être facilement ravitaillés, les
Britanniques en furent les vainqueurs et Rommel replia ses troupes vers
Benghazi. Désormais, les Allemands et les Italiens furent sur la défensive et
le 23 janvier 1943 les Britanniques entrèrent à Tripoli.
Pendant que les belligérants se disputaient la possession du canal de
Suez, l’Afrique orientale italienne était conquise par les troupes
britanniques renforcées d’unités de la France libre et d’un contingent belge
venu du Congo (Delhougne, 1945). Les forces anglaises et les partisans du
Négus réalisèrent la conquête de l’Éthiopie entre janvier et mai 1941 et le
5 mai, l’empereur Haïlé Sélassié retrouva sa capitale qu’il avait dû fuir
cinq ans plus tôt.

2. L’Afrique française jusqu’en 1942


Le second conflit mondial provoqua un véritable traumatisme dans
l’Empire français, mais il n’entraîna pas une poussée particulièrement forte
du nationalisme indépendantiste.

Le sultan Sidi Mohamed ben Youssef et la guerre


Au Maroc, le vendredi 3 septembre 1939, jour de la déclaration de guerre et jour de
prière, le Sultan fit lire dans toutes les mosquées du Maroc un message dans lequel il
demandait que, durant toute la durée du conflit, les Marocains fassent taire leurs
revendications nationalistes :
« C’est aujourd’hui que la France prend les armes pour défendre son sol, son
honneur, sa dignité, son avenir et les nôtres, que nous devons être nous-mêmes,
fidèles aux principes de l’honneur de notre race, de notre histoire et de notre religion.
Il est de notre devoir le plus absolu de manifester au gouvernement de la France,
notre reconnaissance pour tout ce qu’elle a fait pour nous. Et le premier qui faillirait
au devoir élémentaire de cette reconnaissance serait indigne de nos ancêtres et
enfreindrait les ordres du Créateur qui nous a imposé le devoir de la reconnaissance
et celui de nous éloigner des ingrats.
À partir de ce jour et jusqu’à ce que l’étendard de la France et de ses alliés soit
couronné de gloire, nous lui devons un concours sans réserve, ne lui marchander
aucune de nos ressources et ne reculer devant aucun sacrifice. Nous étions liés à
elle dans les temps de tranquillité et d’opulence et il est juste que nous soyons à ses
côtés dans l’épreuve qu’elle traverse et d’où elle sortira, nous en sommes convaincu,
glorieuse et grande ». (Cité par Lugan, 2000 : 274)
Au mois de juin 1940, alors que l’armée française était battue en Europe,
les forces italiennes attaquèrent la Côte française des Somalis, mais elles
furent repoussées avec l’aide des contingents britanniques du Somaliland.
Le 22 juin fut signé l’armistice franco-allemand et le 3 juillet les
Britanniques attaquèrent par surprise la base navale française de Mers el-
Kébir, en Algérie, y détruisant une partie de la flotte qui s’y était réfugiée et
tuant 2000 marins français (Couteau-Bégarie et Huan, 1994 ; Rochas,
2006 ; Valla, 2007). Le traumatisme provoqué par cette agression fut
considérable et il explique certaines réticences lors du débarquement allié
du 8 novembre 1942.
Le 26 août 1940, sous l’autorité du gouverneur Félix Éboué, le Tchad se
rallia au général De Gaulle, suivi du Congo. À Libreville, le gouverneur
Masson qui était à la tête du Gabon, commença par se rallier à la France
libre le 28 août 1940 avant de faire volte-face, ce qui provoqua des
affrontements entre Français. Finalement, les forces gaullistes venues du
Congo l’emportèrent en s’emparant successivement de Lambaréné, de
Libreville puis enfin de Port Gentil. Dès la fin août 1940, toute l’AEF était
ralliée à la France libre (Bouche, 1994).
Le reste de l’Empire demeura fidèle à l’État français. Au mois de
septembre 1940, le général Weygand fut nommé Délégué général du
gouvernement en Afrique française, avec pour mission de défendre
l’Empire africain contre toute menace ou tentative de sécession. Le
23 septembre 1940 un débarquement anglo-gaulliste fut ainsi repoussé à
Dakar.
Jusqu’en 1942, la revendication indépendantiste fut quasi inexistante au
Maghreb. Au Maroc, après la défaite française de juin 1940, le sultan
demeura loyal au gouvernement du maréchal Pétain, tout en refusant
d’avoir le moindre contact avec les Allemands ou avec les Italiens.
Pourtant, en application des clauses de l’armistice, des commissions de
contrôle étaient chargées de vérifier si l’armée française ne se reconstituait
pas clandestinement au Maroc. De fait, de nombreuses unités militaires y
furent camouflées, et à travers tout le pays des dépôts clandestins
d’armement constitués.
En Algérie, le décret Crémieux fut aboli dès 1940, la revendication
nationaliste fut encore très minoritaire et au mois d’avril 1941, Ferhat
Abbas fut reçu en audience à Vichy par le maréchal Pétain.
C’est en Tunisie que le courant nationaliste fut le plus pugnace. En 1942,
Moncef Bey, intronisé au mois de juin, prit la tête du mouvement. Il
présenta au Résident français, l’amiral Jean-Pierre Esteva, un plan de très
large autonomie en 12 points au terme duquel il était prévu qu’il deviendrait
chef de l’État. Ce plan considéré comme injurieux n’obtint pas de réponse,
aussi, le 31 décembre 1942, Moncef Bey créa un ministère tunisien. À ce
moment-là, la situation venait d’être bouleversée par le débarquement
américain en Algérie et au Maroc.

3. Le débarquement de 1942 et ses conséquences


Le 7 novembre 1942 les forces américaines lancèrent l’opération
« Torch » en débarquant simultanément en Algérie et au Maroc. En
application des clauses de l’Armistice de 1940, le général Noguès3
commandant en chef au Maroc, donna l’ordre aux troupes françaises de s’y
opposer. Durant trois jours les forces américaines eurent alors à combattre
sur terre, sur mer et dans les airs, une armée d’Afrique particulièrement
pugnace.
Le 10 novembre, depuis Alger, l’amiral François Darlan qui venait de
quitter Vichy, transmit au général Noguès l’ordre du cessez-le-feu. Le
11 novembre, ce dernier signa l’« armistice de Fédala » qui mettait un terme
aux combats franco-américains. Le 7 décembre le général Noguès fut
nommé au Conseil impérial créé par l’amiral Darlan et il présida la séance
du 27 décembre 1942 au cours de laquelle, après l’assassinat de l’amiral le
24 décembre, le général Henri Giraud fut nommé commandant en chef civil
et militaire en Afrique.
Le débarquement américain du 8 novembre 1942 en Afrique du Nord
précipita les évènements. Voulant éviter d’être attaqués sur deux fronts à la
fois, les Allemands lancèrent ainsi une puissante offensive vers l’Ouest,
depuis la Libye et à travers la Tunisie, en direction des forces alliées à peine
débarquées en Algérie. Parallèlement, le 9 novembre 1942, une noria
d’avions allemands achemina une force d’intervention en Tunisie. Le
14 novembre, Tunis et toutes les grandes villes du pays étaient entre les
mains des Allemands. Le plan de Rommel était clair : attaquer les forces
alliées à revers et prendre le port de Bône. Les Américains, commandés par
le général Llyod Fredendal perdirent alors 150 chars et 2000 prisonniers,
mais l’avancée de la VIIIe armée britannique depuis la Tripolitaine, à l’Est,
inquiéta Berlin qui ordonna à Rommel de se replier. Au mois de mars 1943,
l’armée française qui s’était lancée au-devant des troupes allemandes
remporta coup sur coup deux victoires à Medjez El-Bab dans le nord de la
Tunisie et à Sbeitla, dans le sud. Le 22 mars, sur le front est, Rommel recula
face aux Britanniques et il se replia vers le nord de la Tunisie. Le 7 mai les
Alliés entraient dans Tunis et le 13 mai, les forces allemandes d’Afrique
capitulaient.
Après le débarquement américain du mois de novembre 1942, l’Afrique
française se rallia progressivement à l’amiral Darlan. L’AOF le fit dès le
22 novembre après qu’il eut été stipulé qu’il n’y aurait aucune ingérence
gaulliste4. Seule exception, Djibouti, où les autorités françaises demeurèrent
fidèles à Vichy jusqu’au 1er janvier 1943, date à laquelle les troupes
britanniques prirent possession du territoire. De même, Madagascar, qui fut
occupée par les Britanniques en 1942 avant d’être remise à la France libre
en 19435.
L’armée d’Afrique était donc rentrée dans la guerre, fournissant à la
France combattante des unités qui participèrent à la campagne de Tunisie,
puis aux débarquements de Corse, de l’île d’Elbe, de Provence, à la
campagne d’Italie, à l’épopée de Rhin et Danube et à celle de la 2e DB.

En 1939-1940, la France eut 4 700 000 hommes sous les armes. Tous les territoires
d’outre-mer confondus lui fournirent environ 400 000 hommes, soit environ 8 % des
effectifs. Parmi ces derniers, on comptait 123 000 Algériens et 93 000 Français
d’Algérie.
En 1942-1945, il y eut 700 000 Français sous les drapeaux et tous les territoires
d’outre-mer confondus lui fournirent 333 000 hommes, soit un total de
1 033 000 hommes. Parmi eux, on comptait 134 000 Algériens et 120 000 Français
d’Algérie, vingt classes ayant été mobilisées.
Le total des pertes de soldats nord-africains fut de 20 000, dont 5 400 en 1940, 3 750
au Levant, 3 458 en Tunisie, 4 019 en Italie et en Corse, et enfin 3 716 durant les
campagnes de France et d’Allemagne.
Les pertes concernant les contingents originaires d’Afrique Noire furent de
17 500 morts en 1940 et 4 000 de 1942 à 1945. Les Français d’Algérie eurent quant
à eux, 2 700 morts en 1939-1940 et 10 000 en 1942-1945. (Faivre, 2006 : 6).
Le 3 juin 1943, le CFLN (Comité français de libération nationale) fut
créé à Alger et le général De Gaulle s’y imposa face au général Giraud
(Cointet, 2005). Le 4 juin 1943, le général Noguès démissionna de son
poste de Résident général au Maroc avant de partir pour l’exil. Dans la zone
espagnole du Maroc, il fut pris en charge par le Khalifat du sultan à Tétouan
qui organisa son départ pour Lisbonne où il arriva le 20 juin6. Gabriel
Puaux lui succéda comme Résident général.

B. La remise en cause de la colonisation


Alors que la guerre n’en était qu’à ses débuts, le président Roosevelt
avait clairement déclaré qu’au lendemain du conflit, les peuples colonisés
devraient être émancipés. Il avait donc fait inscrire le principe des
indépendances dans la Charte de l’Atlantique signée le 14 août 1941.
Cosignée par Winston Churchill, alors Premier ministre britannique, ses
articles 3 et 4 mettaient en avant :
« […] le droit des peuples à choisir la forme de gouvernement sous
lequel ils veulent vivre ».
Les États-Unis d’Amérique et l’URSS qui allaient être les deux grands
vainqueurs du second conflit mondial soutenaient donc la lutte pour
l’émancipation des pays colonisés, comme cela fut d’ailleurs établi lors de
la Conférence de Téhéran en 1943 et lors de celle de Yalta en 1945.
L’Organisation des Nations unies qui succéda à la Société des Nations,
vit le jour le 26 juin 19457, lors de la Conférence de San Francisco. Ce jour-
là, le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes fut clairement
affirmé dans le chapitre XI de la Charte des Nations unies intitulé
Déclaration relative aux territoires non autonomes. La nouvelle
organisation du monde telle que la définissait la Charte des Nations unies
proclamait donc le droit à l’autodétermination des peuples colonisés.
L’ONU fut la tribune du combat anticolonialiste, rôle renforcé et amplifié
en 1961 avec la création du Comité de décolonisation. Au fur et à mesure
de l’entrée de nouveaux États membres venant d’acquérir leur
indépendance, la composition de l’ONU changea et les puissances
coloniales y furent de plus en plus placées en position d’accusées. Alors que
la colonisation africaine avait été une affaire entre l’Europe et l’Afrique, la
décolonisation fut une affaire entre certaines puissances européennes et le
reste du monde.

1. La France face à la nouvelle réalité


En 1941, la France avait été contrainte de reconnaître l’indépendance de
la Syrie et du Liban, tandis que la Grande Bretagne avait mis en marche le
processus qui allait aboutir à l’indépendance de l’Inde.
En Tunisie, la situation avait été compliquée du fait de la situation de
guerre et de l’occupation du pays par les troupes germano-italiennes.
Certains nationalistes avaient été tentés de s’appuyer sur elles pour arracher
l’indépendance. Ce ne fut pas le cas d’Habib Bourguiba qui, à la veille de
l’entrée des Alliés à Tunis, le 7 mai 1943, favait fait la déclaration
suivante :
« Tunisiens, mes amis, faites bloc autour de la France. Hors la France, il
n’est pas de salut, car la France, une fois libérée n’oubliera pas ses
vieux amis ».
Le 13 mai la capitulation allemande et italienne s’était produite. Le
14 mai, le bey Moncef qui avait constitué un gouvernement sans l’aval de la
Résidence de France fut destitué par le général Giraud, puis déporté dans le
sud algérien et cela en totale violation du Traité de protectorat. Il fut
remplacé par Lamine Bey. À partir de ce moment les indépendantistes
accélérèrent leurs revendications et le Consul général américain Hooker
Doolittle intervint directement dans les affaires du Protectorat. Il soutint
activement le Néo-destour et organisa la fuite en Égypte de son leader,
Habib Bourguiba accusé à tort par les Français d’être anti-allié et pronazi.
Au Maroc, la Conférence d’Anfa qui se tint au mois de janvier 1943 fut
un encouragement donné au mouvement nationaliste car, au cours de deux
entretiens qu’il eut en tête à tête avec le sultan et le prince héritier, le futur
Hassan II, le président Roosevelt promit l’aide américaine afin de hâter
l’indépendance du Maroc.
Au mois d’avril 1943 Ahmed Balafrej qui venait de rentrer d’exil
regroupa les divers courants nationalistes au sein de l’Istiqlal. Le 13 janvier
1944 le sultan prit fait et cause pour le mouvement dont le manifeste
demandant la fin du protectorat avait été rendu public deux jours plus tôt, le
11 janvier, et il désigna trois négociateurs afin d’entamer des discussions
avec le Résident général Puaux. Les autorités françaises d’Alger étant
opposées à tout compromis, de violentes émeutes éclatèrent au mois de
février, notamment à Fès et à Rabat. Le général Leclerc les réprima avec
une grande vigueur.
En Algérie, le Manifeste du peuple algérien fut rendu public le 10 février
1943 et publié au mois de mai. Il revendiquait la totale égalité entre
Algériens et Français. Ce texte était en réalité un document que Fehrat
Abbas avait fait signer par 28 élus algériens et qu’il avait transmis aux
Américains. Le CFLN le rejeta. Le 14 mars les nationalistes se regroupèrent
dans une structure souple, Les Amis du Manifeste et de la Liberté (AML). Le
12 décembre, le général De Gaulle prononça un important discours à
Constantine et le 7 mars 1944, il supprima le code de l’indigénat et accorda
la citoyenneté française à 65 000 Algériens.

2. La conférence de Brazzaville (30 janvier-8 février 1944)


Dans la phase finale de la guerre, du 30 janvier au 8 février 1944, une
conférence qui rassembla essentiellement des cadres coloniaux se tint à
Brazzaville, au Congo. Elle avait été imaginée en 1941 à Londres par René
Pleven qui fut plus tard le premier Commissaire aux colonies de la France
libre. La conférence fut présidée par le général De Gaulle, chef du GPRF
(Gouvernement provisoire de la République française). À l’exception des
représentants de l’administration de l’Indochine encore occupée par les
Japonais, tous les cadres de l’Empire y participèrent, qu’il s’agisse des
gouverneurs, des résidents généraux, des préfets, des administrateurs
coloniaux et des hauts magistrats coloniaux, souvent nouvellement nommés
et remplaçant les anciens responsables demeurés fidèles à Vichy.
Le paradoxe est que l’on parle aujourd’hui de cette conférence comme de
l’acte d’émancipation de l’Afrique française, alors que son préambule
refusait pourtant toute idée d’indépendance et même d’autonomie :
« […] les fins de l’œuvre de civilisation accomplie par la France dans
les colonies écartent toute idée d’autonomie, toute possibilité
d’évolution hors du bloc français de l’Empire ; la constitution
éventuelle, même lointaine de self-governments dans les colonies est à
écarter. »
Pourtant, le général De Gaulle avait exactement déclaré le contraire dans
son discours d’ouverture, affirmant qu’il :
« […] n’y aurait aucun progrès, si les hommes sur leur terre natale n’en
profitaient pas matériellement et moralement, s’ils ne pouvaient
s’élever peu à peu jusqu’au niveau où ils seront capables de participer,
chez eux, à la gestion de leurs propres affaires. Tel est le but vers lequel
nous avons à vous diriger. Nous ne nous dissimulons pas la longueur
des étapes. »
Au moment où les deux vainqueurs du conflit, les États-Unis et l’URSS
affirmaient le droit à la liberté des peuples colonisés, la France maintenait
donc sa ligne impériale traditionnelle. Elle était d’autant plus fondée à le
faire, qu’à cette époque, l’indépendance n’était pas la revendication des
Africains vivant dans le domaine impérial français, du moins au sud du
Sahara. Ces derniers demandaient plus de liberté, plus d’égalité et, comme
le préciseront les recommandations finales de la Conférence, une plus
grande association à la gestion territoriale.
Demeurée au niveau des recommandations, sauf dans le domaine
économique – un plan d’industrialisation et de développement était prévu
qui aboutira ultérieurement à la création du FIDES (Fonds d’investissement
économique et social) –, la Conférence de Brazzaville n’eut qu’une portée
symbolique.

1. Plusieurs officiers prirent même des contacts avec les Allemands, dont le futur président Anouar el
Sadate qui fut envoyé en prison par les Anglais de 1942 à 1944. Au début de l’année 1945, le
Premier ministre, Ahmed Maher fut assassiné au moment où il lisait la déclaration de guerre de
l’Égypte à l’Allemagne.
2. Le Wafd qui apparût alors paradoxalement comme pro-Anglais perdit une partie de son influence
dans l’opinion, ce qui créa un vide politique dans lequel s’engouffrèrent ultérieurement plusieurs
petits partis dont le Parti communiste, le Parti de la Jeune Égypte et les Frères musulmans.
3. Charles Noguès (1876-1971), l’un des proches collaborateurs de Lyautey avait été nommé
inspecteur général des troupes d’Afrique du Nord en 1936, puis Résident général au Maroc. Au
mois de septembre 1939, il devint Commandant en chef du théâtre d’opérations d’Afrique du Nord.
En juin 1940, il affirmait être en mesure d’y continuer la guerre et le 18 juin, il adjura le général
Weygand de venir le rejoindre à Alger pour y poursuivre le combat. Après l’armistice, il avait veilla
à maintenir en état l’outil de combat constitué par l’armée d’Afrique en créant des arsenaux
clandestins et en levant des recrues supplémentaires à la barbe de la commission allemande
d’armistice qu’il fit étroitement surveiller.
4. Le gouverneur général Pierre Boisson y fut remplacé au mois de juillet 1943 par Pierre Cournarie.
5. Le 5 mai 1942, comme ils l’avaient fait à Mers-el-Kébir, les Britanniques avaient attaqué par
surprise la base navale française de Diego-Suarez, tuant trois cents fantassins, marins et aviateurs et
coulant plusieurs navires. Le 7 septembre, ils débarquèrent à Majunga des unités sud-africaines. Le
5 novembre, les Français capitulèrent après avoir perdu environ 500 tués.
6. Le 28 novembre 1947, la Haute Cour de Justice française le condamna par contumace à 20 ans de
travaux forcés et à l’indignité nationale. À l’occasion de ce procès, le sultan marocain qui avait le
général Noguès en haute estime et auquel il avait accordé son amitié, répondit au colonel Kettani
qui lui demandait l’autorisation d’aller témoigner en faveur de l’inculpé : « Pour le général Noguès,
je ne t’autorise pas, je t’ordonne. »
En juin 1954 l’ancien Résident-général rentra en France où il se constitua prisonnier. Mis en liberté
provisoire, à nouveau jugé et condamné à la même peine, il en fut aussitôt relevé. Quelques mois
plus tard, sous le gouvernement Edgard Faure, la IVe République enlisée dans le bourbier marocain
lui demanda d’intervenir auprès du sultan déposé et exilé à Madagascar, afin de sortir la France de
l’impasse dans laquelle elle s’était elle-même placée. Justice était ainsi indirectement rendue à ce
« grand seigneur » de l’époque de Lyautey.
7. L’ONU se substitua à la SDN le 21 juillet 1947.
SEPTIÈME PARTIE
Les décolonisations
La décolonisation de l’Afrique s’est faite aussi rapidement que s’était
déroulée la « Course au clocher », en une décennie à peine.
En Afrique du Nord le mouvement débuta en 1952 en Libye et il fut
achevé en 1962 en Algérie. Au sud du Sahara, il fut encore plus rapide
puisque le Ghana était indépendant en 1957 et, que, à l’exception de
Djibouti, toute l’Afrique française l’était également trois ans plus tard, en
1960. Dans le domaine colonial belge la décolonisation fut achevée en 1962
avec l’indépendance du Ruanda-Urundi et pour ce qui est de la Grande-
Bretagne, en 1963 avec celle de Zanzibar.
Les seules exceptions concernent le Portugal qui décolonisa une décennie
plus tard, en 1975 à la suite d’un coup d’État militaire opéré en métropole et
l’Afrique australe avec la proclamation unilatérale de l’indépendance de la
Rhodésie du Sud. Quant à l’Afrique du Sud, elle constitue un cas
particulier.
Durant un demi-siècle, l’histoire de la décolonisation fut engluée dans les
pesanteurs idéologiques exaltant le mythe des indépendances arrachées au
colonisateur par des populations unaniment dressées contre lui.
Aujourd’hui, nous savons que :
– nulle part en Afrique, les puissances coloniales ne furent militairement
contraintes d’accorder la liberté à leurs possessions. Même là où des
guerres se déroulèrent, l’indépendance y fut finalement décidée par les
métropoles. Ainsi en Algérie où elle fut imposée par le général De
Gaulle à une armée française qui avait largement triomphé de ses
adversaires ; de même en Angola et au Mozambique où l’armée
portugaise était maîtresse du terrain, ou encore en Namibie où les
indépendantistes avaient été défaits par les unités sud-africaines ;
– les opinions des colonisés furent pour le moins partagées. Ainsi en fut-
il en Algérie où plus de 200 000 Algériens combattirent volontairement
dans les rangs de l’armée française (tirailleurs, spahis, harkis,
moghaznis, etc.), ce qui constitua des effectifs au moins quatre fois
supérieurs à ceux des maquisards de l’intérieur ou des membres de
l’ALN stationnés en Tunisie ou au Maroc1. Le même phénomène se
retrouva en Angola et au Mozambique ou encore en Namibie et même
en Rhodésie.
Les progrès de l’historiographie permettent d’affirmer que la
décolonisation fut facilement acceptée par des métropoles désireuses de
mettre un terme à un anachronisme économiquement coûteux et générateur
de bien des problèmes au plan politique international.

1. Sans parler des combats et des règlements de comptes entre le FLN et le MNA.
Chapitre I.
La décolonisation française

Au lendemain du second conflit mondial, l’opinion française, encore


traumatisée par la défaite de 1940 et par ses conséquences, vit dans
l’Empire un substitut de puissance. Au même moment, les esprits lucides
avaient bien compris que les colonies étaient à la fois un boulet plombant
l’économie française et un obstacle politique isolant la France sur le plan
international. En quelques années la France se débarrassa alors de son
fardeau colonial. Nulle part, sauf en Indochine, cette décolonisation ne lui
fut imposée militairement, même en Algérie où elle résulta d’une volonté
politique unilatérale du général De Gaulle.

A. Le Maghreb
La situation était différente dans les protectorats de Tunisie et du Maroc
d’une part et dans les départements d’Algérie d’autre part. Les premiers
avaient par définition vocation à recouvrer leur indépendance, tandis que les
seconds, dans lesquels vivait de plus une importante minorité européenne,
étaient partie intégrante de la France.

Chronologie de la décolonisation de l’Afrique du Nord


française
1945
– Mai, troubles et répression dans la Constantinois, Ferhat Abbas crée l’UDMA
(Union démocratique du Manifeste algérien). Nomination du général Juin comme
Résident général au Maroc.
– 20 septembre, adoption du statut de l’Algérie.
– Octobre, Messali Hadj crée le MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés
démocratiques).
– Décembre, formation au Caire du Comité de Libération du Maghreb (CLM).
1948
– 11 février, E. Naegelen succède à Y. Chataigneau comme Gouverneur général de
l’Algérie.
– Élection de l’Assemblée algérienne (avril).
1949
– L. Périllier succède à J. Mons comme Résident général en Tunisie.
– Discours de R. Schuman à Thionville sur la Tunisie (10 juin).
1951
– R. Léonard succède à E. Naegelen comme Gouverneur général de l’Algérie.
– Le général Guillaume succède au général Juin comme Résident général au Maroc
(août).
1952
– J. de Hauteclocque succède à L. Périllier comme Résident général en Tunisie (18
janv.).
– Répression en Tunisie (fév.-mars).
– Émeutes à Casablanca.
– Interdiction de l’Istiqlal (décembre).
1953
– Émeutes à Oujda (16 août).
– Déposition du Sultan marocain Sidi Mohamed Ben Youssef (20 août).
– Ben Arafa proclamé Sultan (21 août).
1954
– Fondation du CRUA (Comité révolutionnaire d’unité et d’action) en Algérie (mars).
– Ouverture des négociations franco-tunisiennes (sept.).
– Début de l’insurrection algérienne (1er nov.).
– Dissolution du MTLD (5 nov.).
1955
– J. Soustelle est nommé Gouverneur général de l’Algérie (1er fév.).
– Chute du gouvernement Mendès France (5 fév.).
– Promulgation de la loi sur l’état d’urgence en Algérie (3 avril).
– Retour de Bourguiba en Tunisie (1er juin).
– Gilbert Grandval est nommé Résident général au Maroc (21 juin).
– Émeutes au Maroc et dans le Constantinois (20 août).
– Conférence d’Aix-les-Bains (26-27 août).
– Dissolution du Parti communiste algérien (12 sept.).
– R. Seydoux est nommé Haut commissaire en Tunisie (sept.).
– Abdication du sultan Ben Arafa (30 oct.).
– Entretiens de La Celle-Saint-Cloud (6 nov.).
– Retour triomphal du Sultan Mohamed Ben Youssef au Maroc (16 nov.).
1956
– Investiture de Guy Mollet (1er fév.).
– Voyage de Guy Mollet à Alger (6 fév.).
– Robert Lacoste est nommé ministre résidant à Alger (9 fév.).
– Indépendance du Maroc (2 mars).
– Vote des pouvoirs spéciaux sur l’Algérie (12 mars).
– Indépendance de la Tunisie (20 mars).
– Envoi de renforts en Algérie (avril).
– Congrès de la Soummam (août). Capture de Ben Bella et des chefs historiques du
FLN (22 oct.).
– Le général Salan est nommé commandant en chef en Algérie (15 nov.).
1957
– Le général Massu reçoit la plénitude des pouvoirs de police à Alger (7 janv.). Début
de la « Bataille d’Alger ».
– Chute du gouvernement Mollet (21 mai).
– L’armée française remporte la « Bataille d’Alger » avec la capture de Yacef Saadi
(24 sept).
– Chute du gouvernement de Maurice Bourgès-Maunoury (30 sept.).
1958
– Bombardement du village de Sakhiet sidi Youssef en Tunisie par l’armée française
(8 fév.).
– Chute du gouvernement Félix Gaillard (15 avril).
– Création à Alger d’un Comité de salut public présidé par le général Massu (13 mai).
– Investiture du gouvernement de Pierre Pflimlin (14 mai).
– Investiture du général De Gaulle (1er juin).
– De Gaulle à Alger (4 juin).
– Formation du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) (19
sept.).
– Le général De Gaulle présente le plan de Constantine (3 oct.).
– Le général De Gaulle offre la « paix des braves » (23 oct.).
– Le général Challe est nommé commandant en chef en Algérie (décembre).
1959
– Discours du général De Gaulle sur l’autodétermination algérienne (16 sept.).
1960
– Semaine des barricades à Alger (24 janv.-1er fév.).
– Échec des pourparlers de Melun (juin).
– Accord franco-marocain sur l’évacuation des troupes françaises du Maroc (1er
sept.).
– De Gaulle évoque l’existence d’une « République algérienne » (4 nov.).
– Voyage du général De Gaulle en Algérie (9-13 déc.).
1961
– Référendum sur la politique algérienne (8 janv.).
– Mort de Mohammed V (26 fév.). Avènement du roi Hassan II.
– De Gaulle envisage un « État algérien souverain » (11 avril).
– Putsch des généraux en Algérie (22-25 avril).
– Crise franco-tunisienne à propos de Bizerte (juillet).
– Accord franco-tunisien sur Bizerte (22 sept.).
– Manifestation FLN à Paris (17 oct.).
1962
– Rencontre franco-FLN aux Rousses (10-19 fév.).
– Signature des accords d’Évian (18 mars).
– Mise en place de l’Exécutif provisoire en Algérie (29 mars).
– Référendum ratifiant les accords d’Évian (8 avril).
– Référendum d’autodétermination en Algérie (1er juillet).
– Proclamation de l’indépendance algérienne (3 juillet).
– Retour massif des Français d’Algérie (été).

1. L’indépendance des deux protectorats (Tunisie et


Maroc)
Après des crispations plus ou moins profondes et après l’abandon de la
revendication de la souveraineté interne, la Tunisie et le Maroc recouvrèrent
leur pleine souveraineté en 1956.
a. La Tunisie
En Tunisie, le charisme d’Habib Bourguiba, le soutien fourni à l’UGTT
(Union générale des travailleurs tunisiens) par les syndicats américains et
la montée en puissance des revendications nationalistes à l’ONU firent que
l’inéluctabilité de l’indépendance s’imposa (Droz, 1993).
Le 11 avril 1950, Lamine Bey écrivit au Président de la République
française Vincent Auriol, pour lui demander une accélération des réformes.
Trois jours plus tard, le 14 avril, Bourguiba présenta une proposition
d’autonomie interne avec un programme contenant les points suivants :
création d’un exécutif tunisien, constitution d’un gouvernement,
remplacement de la haute administration française par des Tunisiens,
suppression de la gendarmerie française, élections municipales, puis
élections législatives permettant d’élire une Assemblée nationale.
Le 8 octobre 1951 M. Mongi Slim, directeur du Neo-Destour prononça
un important discours dans lequel il reprit ces demandes. Il termina son
intervention en ces termes :
« Alors que nous sommes convaincus de la mauvaise volonté de notre
partenaire de Tunis (le Résident de France) nous nous adressons
directement au gouvernement français […] La France est-elle décidée
réellement à donner une suite aux actes aux termes desquels elle s’est
engagée à conduire la Tunisie à l’autonomie interne ? Ce qui ne peut se
réaliser que par la constitution d’un gouvernement tunisien homogène
responsable devant un Parlement tunisien […] La colonie française
étant une colonie étrangère n’a pas le droit de participer en aucune
façon au pouvoir législatif, quelle que soit son importance
numérique1. »
Le 31 octobre 1951, les autorités tunisiennes se firent plus pressantes,
demandant à Paris « la consécration dans un temps minimum de
l’autonomie interne ». La tension monta alors d’un cran entre la France et la
Tunisie. Puis, le 15 décembre, les négociations furent rompues en raison du
refus de la partie tunisienne d’associer les résidents français aux définitions
de la Tunisie indépendante.
Au début de l’année 1952 une nouvelle tentative de compromis échoua et
des troubles se produisirent, entraînant l’arrestation d’Habib Bourguiba par
les autorités françaises. Au mois de mars, Lamine Bey constitua un
gouvernement sans l’aval de la Résidence de France laquelle exigea qu’il en
limoge les ministres. Devant son refus, ces derniers furent à leur tour
arrêtés. La Tunisie traversa alors des moments troublés, une organisation
secrète opposée à l’indépendance, la Main Rouge, organisant même une
campagne d’attentats en réponse à ceux des nationalistes (Méléro, 1997)2.
La situation se détendit en 1954 avec l’arrivée aux affaires d’un nouveau
Président du Conseil, le radical-socialiste Pierre Mendès-France. Le
31 juillet ce dernier se rendit en Tunisie accompagné du maréchal Juin et il
fit une visite solennelle au Bey pour lui annoncer que la France ne
s’opposait plus à l’autonomie interne de la Tunisie3.
Les négociations de fond, entreprises en avril 1955, conduisirent à un
ensemble de Conventions. Elles furent approuvées par Bourguiba qui était
encore en exil en France, libre de ses mouvements, et elles furent paraphées
au mois de mai 1955. Elles ouvraient la voie à l’autonomie interne, prélude
à l’indépendance.
Le 1er août Habib Bourguiba regagna Tunis où il reçut un accueil
triomphal. Le 10 août, par un vote du Parlement français, la Tunisie se vit
reconnaître l’autonomie interne. Le 3 juin 1955, Edgar Faure, successeur de
Pierre Mendès-France, signa les conventions qui mettaient fin à la
participation de la France au gouvernement et à l’administration de la
Tunisie. Il ne restait plus qu’à achever le processus menant vers
l’indépendance, ce qui se fit à la suite de la Conférence d’Aix-les-Bains du
mois d’août 1955 et qui était destinée à régler à la fois la question du Maroc
et celle de la Tunisie. Le 20 mars 1956, sous le cabinet Guy Mollet, la
Tunisie obtint son indépendance.
Lamine Bey fut destitué en 1957 par les nouvelles autorités tunisiennes et
la République proclamée au mois de juillet. Plusieurs graves tensions se
produisirent ensuite avec la France en raison du soutien apporté par la
Tunisie au FLN algérien dont les principales bases étaient situées sur son
territoire. Cette présence entraîna le bombardement du village de Sakiet
Sidi Youssef par l’aviation française au mois de février 1958. Une autre
grave crise éclata en 1960 quand l’armée tunisienne tenta un coup de force
contre la base française de Bizerte, ce qui entraîna une vigoureuse riposte
avec largage d’un régiment parachutiste français. En 1964 les colons
français furent spoliés et leurs biens saisis.
Le 20 mars 1956, soit trois jours après la date de l’indépendance, une
assemblée constituante fut élue et Habib Bourguiba nommé Premier
ministre. Cet inlassable nationaliste imprégné du discours républicain et laïc
hérité de la IIIe République française, réussit à moderniser la Tunisie. Le
31 mai furent ainsi abolis les privilèges liés à la personne des princes et le
13 août 1956, le Code du statut personnel fut instauré. Quant à la
monarchie, elle fut abolie et la République proclamée le 25 juillet 1957 par
l’Assemblée nationale constituante. Un terme fut ainsi mis à 252 ans de
règne de la dynastie husseinite qui avait dirigé la Tunisie depuis 1705.
Habib Bourguiba adapta en quelque sorte le kémalisme à la Tunisie avec
un islam placé sous l’autorité de l’État4, donc contrôlé, ce qui lui permit de
faire adopter, dès son arrivée au pouvoir, le CSP (Code du statut personnel)
qui émancipa la femme. Si l’islam demeurait la religion d’État, cela
n’empêcha pas Habib Bourguiba de vouloir balayer ce qu’il considérait
comme des archaïsmes bloquant la Tunisie sur une vision passéiste. Il
s’attaqua alors à la mosquée-université Zaytouna, bastion de ses adversaires
de la fraction arabisante du neo-destour qui avaient pour leader Salah ben
Youssef.
Bourguiba fut ensuite fragilisé quand Salah ben Youssef, son compagnon
du temps de la lutte pour l’indépendance, le présenta comme un tyran
voulant anéantir l’arabisme et l’islam et offrir la Tunisie « à l’Occident et
aux infidèles ». Puis il l’accusa de jeter le peuple « dans l’abîme de
l’hérésie et du libertinage » en proclamant « matin et soir que la Tunisie,
pays musulman et arabe, fait partie de l’occident et qu’elle ne vivra qu’avec
l’occident, c’est-à-dire avec son impiété et sous sa domination » (cité par
C.A. Julien, 1985 : 202).
Condamné à mort au mois de janvier 1957, Salah ben Youssef réussit à
s’enfuir. Réfugié au Caire, en 1958, il fut une seconde fois condamné à
mort, mais par contumace cette fois. Le 3 octobre 1959, 123 de ses
partisans furent condamnés pour complot visant à assassiner le président de
la république dont 8 à la peine de mort qui fut appliquée5.
De graves tensions se produisirent ensuite avec la France en raison du
soutien apporté par la Tunisie au FLN algérien dont les principales bases
étaient situées sur son territoire. Cette présence entraîna le bombardement
du village de Sakiet Sidi Youssef par l’aviation française au mois de
février 1958.
Une autre grave crise éclata en juillet 1961 quand l’armée tunisienne
tenta un coup de force contre la base française de Bizerte, ce qui entraîna
une vigoureuse riposte avec largage d’un régiment parachutiste français6.

L’affaire de Bizerte
Selon les clauses des conventions du 3 juin 1955 accordant l’autonomie interne à la
Tunisie, la France conservait, outre des garnisons dans le pays, la base navale de
Bizerte ainsi que deux zones de sécurité dans ses abords immédiats. L’indépendance
de la Tunisie devenue effective le 22 mars 1956, les autorités tunisiennes
demandèrent l’évacuation, dans un délai raisonnable de toutes les emprises militaires
françaises, y compris Bizerte.
Au début de l’année 1961, il ne restait plus à la France que la base aéronavale de
Bizerte et, le 27 février, lors d’un voyage en France le président Bourguiba demanda
au général De Gaulle sa restitution à la Tunisie. Le chef de l’État français répondit à
son visiteur que Bizerte était indispensable à la défense de la France et à la stratégie
de l’OTAN, mais que la question serait à nouveau envisagée dès lors que la France
disposerait de l’arme nucléaire.
Au mois d’avril, la France entreprit d’allonger la piste d’aviation, ce qui provoqua une
forte protestation du président Bourguiba, suivie de la construction d’un mur en limite
des barbelés entourant la base et de manifestations demandant son évacuation.
La tension ne cessant de monter, le gouvernement tunisien fixa à la France un
ultimatum expirant le 19 juillet cependant que le blocus était mis autour de la base.
Les Tunisiens ayant mis des mortiers en batterie dans l’axe de la piste, la position
française fut alors clairement menacée, d’autant plus qu’avec à peine 2000
hommes7, l’amiral Maurice Amman, le commandant de la base, devait assurer la
défense d’un périmètre de 30 km.
Le général De Gaulle ordonna alors une intervention militaire destinée à dégager la
base. Ce fut l’« opération Bouledogue » qui consista dans le parachutage d’éléments
des 2e et 3e RPIMa (Régiment parachutiste de l’infanterie de marine) ainsi que du
3e REI (Régiment étranger d’infanterie)8. Les premiers largués furent les hommes du
2e RPIMa dans la soirée du 19 juillet. Après cette action, l’opération changea de nom
et devint l’« Opération charrue courte » avec pour mission la destruction des batteries
tunisiennes qui menaçaient les emprises françaises. Parallèlement, l’« Opération
Ficelle » fut menée par la marine pour libérer le goulet reliant la base navale à la
Méditerranée.
Puis, une nouvelle opération fut lancée qui visait à aérer le dispositif français. Ce fut
l’« opération Collines » qui fut elle aussi une réussite.
Au terme de trois jours de combats, les forces françaises eurent la situation en main.
Le 23 juillet, un accord de cessez-le-feu fut conclu. Les pertes furent, selon les
sources militaires françaises entre 19 et 24 morts et une centaine de blessés, les
pertes tunisiennes de 723 morts officiellement dénombrés et de 656 prisonniers ;
mais à ce chiffre, il convient d’ajouter de nombreux morts non comptabilisés par la
partie française9.
Le 17 septembre des négociations franco-tunisiennes s’ouvrirent et un accord fut
trouvé quant à l’évacuation de la base ; le 19 juillet 1962, le général De Gaulle
annonça que les forces françaises abandonneraient leurs positions dans les mois à
venir et, effectivement, le 15 octobre 1963, le dernier soldat français quitta Bizerte.
Alain Peyrefitte qui demanda au général De Gaulle pourquoi il avait ordonné
l’intervention militaire française contre l’armée tunisienne pour, en définitive quitter
Bizerte quelques mois plus tard reçut la réponse suivante :
« […] Bourguiba s’est cru autorisé à lancer ses troupes contre Bizerte. Il voulait faire
perdre la face à la France […] Nous avons répondu comme il le méritait. Nous avons
repoussé son assaut et nous avons écrabouillé son armée […] J’ai toujours dit que
nous ne resterions pas à Bizerte. Par malheur, Bourguiba a attaqué […] pour
apparaître comme ayant arraché par la force ce que nous nous apprêtions à accepter
de nous-mêmes […] Naturellement, nous avons riposté. » (Peyrefitte, 1994)

b. Le Maroc
Le 10 avril 1947, dans un discours prononcé à Tanger, le sultan Sidi
Mohamed Ben Youssef, fit clairement siennes les revendications de
l’Istiqlal10. Le 13 mai, le général Alphonse Juin fut nommé Résident
général en remplacement d’Eirik Labonne et il resta en poste jusqu’en
1951.
La tension ne cessa plus d’augmenter entre le Sultan et la Résidence de
France. Comme le nationalisme marocain était incarné par le souverain,
c’est contre lui, donc contre la monarchie, que porta la contre-offensive
française avec l’appui de plusieurs grandes tribus berbères et de nombre de
féodaux conduits par le pacha de Marrakech, Si Thami el Glaoui11. La crise
fut à son paroxysme durant l’été 1953, sous le ministère Laniel, quand une
pétition de chefs de tribus demanda la destitution du souverain « inféodé à
des partis illégaux », lire Istiqlal. Au mois de mai, Si Thami El Glaoui en
visite en France déclara :
« Pour les représentants qualifiés du Maroc et pour moi-même, le sultan
est déchu ».
De fait, le 15 août, sa dignité de chef religieux (Imam), lui fut retirée au
profit d’un de ses vieux cousins, Moulay Ben Arafa. Le 20 août, le général
Guillaume, qui avait remplacé le général Juin entérina le fait accompli12.
Sidi Mohamed Ben Youssef fut déporté en Corse puis à Madagascar et le
nouveau sultan, Moulay Ben Arafa, accepta le principe de co-souveraineté
franco-marocaine. Mais loin d’avoir réglé la question marocaine, la
déposition du sultan légitime donna au contraire à ce dernier une dimension
considérable et le mythe « yousséfiste » servit d’amplificateur aux
revendications des nationalistes. Ces derniers refusèrent ainsi de discuter
avec la partie française tant que la question dynastique n’était pas réglée.
Le successeur du général Guillaume, Francis Lacoste, fut un Résident de
transition et quand Edgar Faure, qui succéda à Pierre Mendès France le
23 février 1955, voulut rétablir le dialogue, il nomma Gilbert Grandval à sa
place (juin 1955). Ce dernier proposa une solution intermédiaire, à savoir
un conseil de régence accepté par le sultan Mohamed Ben Youssef ; mais,
les 20 et 21 août, les massacres de Khénitra et d’Oued-Zem qui firent
plusieurs dizaines de victimes françaises dont nombre de femmes et
d’enfants, provoquèrent une nouvelle tension dans l’ensemble du Maroc.
L’insécurité fut alors grandissante et des régions entières semblèrent sur le
point de se soulever, notamment le Rif.
La situation qui paraissait bloquée fut cependant dénouée en moins de
trois mois, du 20 août au 6 novembre à la suite de la Conférence Franco-
Marocaine d’Aix les Bains. La délégation française réunissait le Président
du Conseil et les Ministres Robert Schuman, Antoine Pinay et Pierre July13
ainsi que le Général Pierre Koenig. La délégation marocaine était composée
du grand Vizir El Mokri14, de Si Thami el-Glaoui, Pacha de Marrakech,
d’El Hajoui, Directeur du Protocole auprès du sultan Ben Arafa et d’un
groupe de pachas. Le mouvement Istiqlal était représenté par M° Bouabid
et le P.D.I. (parti démocratique de l’indépendance) par MM. Benjelloun et
Cherkaoui15.
Pour les Marocains, le départ du Sultan Moulay ben Arafa, était un
préalable16 car Mohamed Ben Youssef était considéré comme le Sultan
légitime. La délégation marocaine accepta que, sous l’autorité du Conseil
du Trône17, soit constitué un Gouvernement marocain représentatif des
différentes fractions de la population.
Le départ du Sultan Ben Arafa et la formation d’un Gouvernement
marocain furent acceptés au cours du Conseil des Ministres français des 28
et 29 août. Au nom du gouvernement Pinay, ces propositions furent ensuite
soumises à l’approbation formelle de Sidi Mohamed Ben Youssef à
Madagascar où il était en résidence surveillée, par une délégation composée
du général Catroux et de son directeur de cabinet, Henri Yrissou (Yrissou,
2000 : 62-77).
Au Maroc, le général Boyer de Latour succéda à Gilbert Grandval
comme Résident général. Le 1er octobre, le sultan Moulay ben Arafa se
retira à Tanger, et le 25 août Si Thami El Glaoui demanda que l’on
reconnaisse l’autorité de Sidi Mohamed Ben Youssef. Le 25 octobre, Si
Thami el-Glaoui déclara éprouver :
« […] la joie du peuple marocain tout entier à l’annonce du retour en
France de Sa Majesté Sidi Mohammed Ben Youssef […] je fais mien le
vœu de la nation marocaine qui est la prompte restauration de Sa
Majesté Sidi Mohammed Ben Youssef et son retour sur le Trône, retour
seul à même d’unifier dans l’ordre les esprits et les cœurs […] l’amitié
de la France et du Maroc doit à tout prix être sauvegardée […] Mon
aspiration c’est […] l’indépendance de mon Pays dans un cadre
d’interdépendance entre lui et la France ».
Dès lors, les ralliements se généralisèrent chez les Pachas et les Caïds et
la prière du vendredi fut à nouveau dite au nom du souverain légitime. Le
sultan Ben Arafa renonça officiellement à ses droits et il invita au ralliement
de tous les Marocains à la personne de Sidi Mohamed Ben Youssef18. Ce
dernier arriva en France le 31 octobre et le conseil des ministres français
affirma sa volonté de :
« […] favoriser l’accession du Maroc, dans le cadre de
l’interdépendance avec la France, au statut d’État moderne, libre et
souverain ».
On ne parlait donc plus d’autonomie interne mais bien d’indépendance.
Le 15 février 1956 débutèrent les négociations entre Mohamed Ben Youssef
et le président Coty et le 2 mars, la France reconnaissait l’indépendance du
Maroc par la signature d’une déclaration commune mettant fin au
protectorat19.

2. La déchirure algérienne
En Algérie, le compromis était impossible entre fédéralisme et
assimilation, entre autonomie et intégration, entre « la France de Dunkerque
à Tamanrasset » et l’« Algérie algérienne » ; d’où la radicalisation des
positions des uns et des autres.
a. La naissance du nationalisme
Le 25 avril 1945, Messali Hadj fut arrêté et déporté à Brazzaville. Le
1er mai suivant, le PPA (Parti populaire algérien) organisa une
démonstration de force en défilant avec des banderoles réclamant à la fois
la libération de son leader et l’indépendance. Des coups de feu furent tirés
et il y eut des morts, des blessés et de nombreuses arrestations. La tension
fut alors extrême. Le 8 mai, le climat était particulièrement tendu dans tout
le nord constantinois, fief du PPA, car le parti, qui recrutait majoritairement
chez les Kabyles, avait décidé de profiter des commémorations de la
capitulation allemande pour y faire une démonstration de force.
L’inquiétude de la petite minorité européenne vivant dans la région était
grande car les forces de l’ordre y étaient quasiment inexistantes puisque les
hommes valides étaient encore sous les drapeaux en Europe. À Sétif, les
effectifs de la gendarmerie s’élevaient ainsi à 20 hommes à peine (Jauffret,
1987).
À Sétif et à Guelma, en pleine cérémonie de commémoration de la
capitulation allemande, les quelques policiers présents voulurent se saisir du
drapeau du PPA et des banderoles réclamant l’indépendance. Des coups de
feu furent alors tirés et les troubles s’étendirent au bled. Durant cinq jours,
les Européens furent attaqués sans pouvoir se défendre. Au bilan, cent trois
d’entre eux, de tous ages et de tous sexes, furent massacrés, souvent
d’horrible manière20 (Vétillard, 2007). Dans l’attente de renforts, des
milices d’autodéfense furent constituées. Puis arrivèrent les premières
forces régulières, essentiellement des unités de tirailleurs sénégalais qui
procédèrent à des ratissages. L’aviation intervint, notamment pour repérer
les douars suspects et les bandes qui avaient gagné le bled afin de les
détruire.

Tirant notamment argument des « massacres de Sétif », Olivier Le Cour


Grandmaison (2005), publia un livre dans lequel il développait une thèse
outrancièrement radicale puisqu’il soutenait que la colonisation de l’Afrique en
général – et celle de l’Algérie en particulier –, avait été une entreprise d’extermination
annonçant la Shoa.
Gilbert Meynier et Pierre Vidal-Naquet (2005) écrivirent à son propos :
« Assimiler peu ou prou le système colonial à une anticipation du IIIe Reich, voire à un
« précédent inquiétant » d’Auschwitz, est une entreprise idéologique frauduleuse,
guère moins frelatée que l’identification, le 6 mai 2005 à Sétif, par le ministre des
Anciens moudjahidines, porte-voix officiel du président Bouteflika, de la répression
coloniale aux fours crématoires d’Auschwitz et au nazisme […] Ou alors, si les
massacres coloniaux annoncent le nazisme, on ne voit pas pourquoi la répression
sanglante de la révolte de Spartacus, ou encore la Saint-Barthélemy, ne l’auraient
pas tout autant annoncé… En histoire, il est dangereux de tout mélanger. […].Le
texte l’Oliver Le Cour Grandmaison, comporte nombre de schématisations
idéologiques, de jugements tranchés, voire d’outrances inadmissibles pour un
historien […] A le lire, on ne peut s’empêcher de poser la question : un sottisier peut-il
tenir lieu d’œuvre de réflexion et de synthèse historique ? […] L’air du temps de la
dénonciation médiatique ne suffit pas à arrimer à la science des convictions et à faire
d’Olivier Le Cour Grandmaison un historien plausible. Le contexte social, économique
et politique actuel est encore fécond qui continuera à générer de telles tonitruances
idéologiques à vocation surtout médiatique. » (Meynier et Vidal-Naquet, 2005 : 167-
168,176)

La répression française fut certes brutale, mais elle n’eut pas l’ampleur
que les nationalistes algériens décrivirent, avec un bilan de 40 000 victimes
au moins21. Les historiens s’accordent aujourd’hui sur le chiffre de 7 000 à
10 000 morts, ce qui est encore une estimation « haute » (SHD, 1990 ;
Vétillard, 2007).
Le 9 août 1946, devant l’Assemblée constituante, Fehrat Abbas (1899-
1985) déposa un projet de Constitution pour une République algérienne
fédérale membre de l’Union française. La position de Ferhat Abbas avait
considérablement évolué car, dix ans plus tôt, en 1936, il écrivait :
« Si j’avais découvert la nation algérienne, je serais nationaliste. […] je
ne mourrai pas pour la patrie algérienne parce que cette patrie n’existe
pas. Je ne l’ai pas découverte. J’ai interrogé l’histoire, j’ai interrogé les
morts et les vivants ; j’ai visité les cimetières : personne ne m’en a
parlé… Nous avons donc écarté une fois pour toutes les nuées et les
chimères pour lier définitivement notre avenir à celui de l’œuvre
française dans ce pays […] Mais, sans l’émancipation des indigènes il
n’y a pas d’Algérie française durable ».
La majorité du Parlement refusa l’option fédéraliste proposée par Ferhat
Abbas qui voulait construire une Algérie nouvelle « sous l’égide de la
France », comme entité certes séparée, mais fédérée à elle.
Le débat reprit en 1947, avec, une nouvelle fois, refus par les députés du
projet de République fédérale. La Loi du 20 septembre 1947 fut cependant
votée. Elle prévoyait un embryon de parlement local avec la création de
l’Assemblée algérienne élue au double collège, chacun élisant séparément
60 membres. Mais le statut de 1947 ne fut jamais véritablement appliqué.
La léthargie politique française continua donc, cependant que le
mécontentement montait en Algérie où la radicalisation nationaliste
s’opérait.
Ahmed Messali Hadj (Stora, 2004), né à Tlemcen en 1898 et mort à Paris
en 1974 était alors le leader quasi incontesté du nationalisme algérien. En
1937, il avait fondé le PPA (Parti populaire algérien), mouvement qui
succédait à l’Étoile nord-africaine dissous par le gouvernement de Front
populaire. En 1939, le PPA avait à son tour été interdit et ses cadres étaient
alors entrés dans la clandestinité. En 1947, il s’était reconstitué en un parti
politique, le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques
(MTLD) et s’était doté d’une antenne clandestine, l’Organisation spéciale
(OS) à laquelle adhéra un jeune militant nommé Ben Bella22.
Déchirée entre nationalistes « algériens » et irrédentistes kabyles, l’OS se
chercha ; en 1949, après la « crise berbère », l’« Arabe » Ben Bella succéda
au Kabyle Hocine Aït Hamed. Arrêté, il s’évada en 1952 et trouva refuge
au Caire où il fut bientôt rejoint par Aït Ahmed et Mohamed Khider avec
lesquels il fonda la « Délégation extérieure » du MTLD. Mais le
mouvement éclata en factions. Au mois de mars 1954, fut ainsi créé le
Comité révolutionnaire pour l’Unité et l’Action (CRUA), puis, le 23 octobre
1954, les anciens de l’OS créèrent le FLN (Front de libération nationale)
lequel déclencha neuf jours plus tard l’insurrection du 1er novembre (Harbi,
1999). Une partie des militants du MTLD les rejoignit ensuite.
Dépassé par le radicalisme du FLN, Messali Hadj créa le MNA
(Mouvement national algérien) en 1956. Les militants des deux
mouvements se livrèrent une lutte sans merci, tant en Algérie que sur le
territoire métropolitain, à l’issue de laquelle les réseaux du MNA furent au
sens propre liquidés23 par le FLN24.
b. Les hésitations françaises
La guerre d’Algérie25 éclata dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre
195426 quand, à Boufarik et à Blida, des commandos respectivement dirigés
par Amar Ouamrane et par Rabah Bitat attaquèrent des casernes françaises.
Dans la région d’Alger, une coopérative d’agrumes, une usine de
transformation de l’alfa, un relais téléphonique et un dépôt de carburant
furent mitraillés et à Alger même, trois bombes explosèrent. Dans l’Oranais
la gendarmerie de Cassaigne fut mitraillée et deux fermes attaquées. En
Kabylie, Krim Belkacem qui avait pris le maquis depuis 1947 lança
plusieurs attaques contre des dépôts de liège, des mairies ou des
gendarmeries. C’est cependant dans les Aurès et les régions voisines que le
mouvement fut le plus significatif car Mostafa ben Boulaïd qui disposait de
plusieurs centaines d’hommes y lança de véritables opérations militaires ;
ainsi à Batna, à Kenchela et à Biskra où le commandant de la garnison fut
tué. La ville d’Arris fut coupée de l’extérieur durant deux jours et dans les
gorges de Tighanimine, sur la route de Biskra, une embuscade tendue à un
car de voyageurs, coûta la vie à un instituteur, Guy Monnerot, ainsi qu’au
caïd de M’Chounèche, Hadj Sadok qui s’était interposé.
L’insurrection algérienne déclenchée, le gouvernement de Pierre Mendès-
France affirma que la défense de la souveraineté française n’était pas
négociable et que la « pacification » était un préalable :
« Qu’on n’attende de nous aucun ménagement à l’égard de la sédition,
aucun compromis avec elle. On ne transige pas lorsqu’il s’agit de
défendre la paix intérieure de la Nation et l’intégrité de la République.
Les départements d’Algérie font partie de la République française, ils
sont français depuis longtemps et d’une manière irrévocable. […] Cela
doit être clair pour toujours et pour tout le monde, en Algérie, dans la
métropole et aussi à l’étranger. Jamais la France, jamais aucun
Parlement, jamais aucun gouvernement, ne cédera sur ce principe
fondamental […] L’Algérie c’est la France, et non un pays étranger que
nous protégeons. » (Mendès-France, déclaration du 12 novembre 1954
à la tribune de l’Assemblée nationale)
Pierre Mendès-France résumait bien l’opinion de l’immense majorité des
Français : l’Algérie était la France. Quant à François Mitterrand, ministre de
l’Intérieur, il déclara que « la seule négociation, c’est la guerre ». La gauche
française campait donc toujours sur une ligne de grande fermeté concernant
l’Algérie française. Cette position n’était pas nouvelle car le gouvernement
de Front populaire avait en son temps fermement réprimé le nationalisme
algérien. De même, en 1945, la répression dans le Constantinois avait été
décidée par un gouvernement issu de la Résistance et qui était très
majoritairement de gauche avec participation communiste. À ce moment-là,
le PCF avait eu une position dénuée de la moindre ambiguïté puisqu’il avait
qualifié les nationalistes impliqués dans les évènements de Sétif et de
Guelma de « provocateurs à gages hitlériens » et réclamé que « les meneurs
soient passés par les armes » (Harbi, 2006 : 61).
Des renforts furent donc envoyés en Algérie et des rafles organisées dans
les milieux nationalistes. Parallèlement, Pierre Mendès-France voulut
s’attaquer aux racines du problème qui, pour lui, étaient économiques et
sociales. Dès le début, l’erreur d’analyse des dirigeants français était donc
totale car la question algérienne ne se posait à l’évidence pas en termes
d’équipements sociaux, mais selon l’éclatante réalité d’incompatibilité des
cultures exacerbée par le renouveau du nationalisme arabe. Face à la guerre
révolutionnaire menée par les partisans de l’Indépendance, tout ce qui fut
tenté par la France fut donc à la fois insuffisant et en décalage avec les
aspirations des nationalistes algériens. C’est ainsi que, ni l’amélioration du
sort des travailleurs algériens en métropole, ni la politique de mise en valeur
des terres incultes, ni la création d’emplois industriels, ni l’augmentation du
nombre des membres du premier collège ne mirent un terme aux
affrontements armés. D’autant plus que les élus d’Algérie firent tout ce qui
était en leur pouvoir pour saboter ces timides avancées en les dénonçant
comme une « prime donnée à la rébellion ». La question algérienne était
décidément insoluble.
Au mois de janvier 1955, Jacques Soustelle, ancien ministre des Colonies
du dernier gouvernement De Gaulle (24 novembre 1945-20 janvier 1946),
fut nommé Gouverneur général de l’Algérie, ce qui provoqua une crise
parlementaire. René Mayer, député de Constantine, qui avait été brièvement
Président du Conseil du 9 janvier 1953 au 21 mai 1953, avait en effet été
renversé par les gaullistes dirigés par Jacques Soustelle. En représailles, le
5 février 1955, il entraîna avec lui 20 députés radicaux, ce qui provoqua la
chute du gouvernement Mendès-France. Les évènements d’Algérie
commençaient donc à peser sur la vie politique française.
Le 23 février 1955, après deux semaines de consultation, de crise et
d’immobilisme de l’État, Edgar Faure constitua un gouvernement, renversé
au mois de décembre suivant, mais qui confirma la nomination de Jacques
Soustelle qui déplaisait aux partisans de l’Algérie française au motif qu’il
avait été nommé par Pierre Mendès-France que la droite qualifiait de
« bradeur ».
Grand résistant, humaniste, ethnologue de renom pour ses travaux sur les
Aztèques, Jacques Soustelle pensait qu’il était possible de faire des
Algériens des Français à part entière. Mais, pour cela, il soutenait que
l’Algérie devait évoluer encore plus étroitement dans le cadre français en
devenant une province à l’égal de l’Alsace, de la Provence ou de la
Bretagne. Sa politique était l’intégration et pour la mener à son terme, il
définit un plan reposant sur trois piliers :
1. intégration financière allant jusqu’à « fusionner les économies (et
d’)industrialiser l’Algérie selon un plan commun métropole-Algérie » ;
2. intégration politique car l’Algérie était « comme la Bretagne » et c’est
pourquoi il considérait qu’il lui fallait une représentation de 70 députés
au sein du Parlement français ;
3. intégration administrative au moyen de véritables entités
départementales, collège unique et réforme du régime foncier.
Le plan Soustelle fut combattu de toutes parts. D’abord par le général De
Gaulle qui voyait dans l’intégration : « […] un danger pour les Blancs, (et)
une arnaque pour les autres », et il développa à maintes reprises son
opposition à cette idée qui, selon lui, menaçait l’identité même de la
France :
« Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race
blanche, de culture grecque et latine, et de religion chrétienne. Essayez
d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un
moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont les Arabes, les
Français sont les Français. Vous croyez que le corps français peut
absorber dix millions de Musulmans, qui demain seront peut-être
vingt millions et après-demain quarante ! » (Cité par Stora, 1999)
De son côté, le gouvernement pesait le coût politique et économique de
l’intégration, car il était impossible, sans ruiner la métropole, de prétendre
mettre à niveau les économies et les réalités sociales de la France et de
l’Algérie. Les élus libéraux européens du premier collège de l’Assemblée
algérienne redoutaient quant à eux l’aspect jacobin du projet et ils étaient
toujours en faveur d’une solution fédérale.
Les partisans de l’Algérie française soutenaient en revanche l’intégration.
Ceux qui venaient de la gauche le faisaient sans réserves car elle rejoignait
les postulats intégrationnistes des pères fondateurs de la république
coloniale. Ceux qui étaient issus de la droite voyaient bien les dangers
d’une telle politique au plan de la démographie et du suffrage universel
mais, faute d’autre solution, ils s’y rallièrent afin de sauver ce qui, à leurs
yeux était l’essentiel, c’est-à-dire l’Algérie française.
Quant aux musulmans, ils étaient partagés entre une minorité
assimilationniste à l’image du notaire Abderrahmane Farès, ancien
président de l’Assemblée algérienne et une autre minorité nationaliste,
tandis que la grande masse demeurait attentiste27.
Au mois d’avril 1955 le Parlement français vota l’état d’urgence et le
20 août 1955, jouant la politique du pire, le FLN lança une attaque
sanglante contre Philippeville et plusieurs dizaines de petits centres urbains
où plusieurs dizaines de civils, tant européens que musulmans furent
massacrés.
Après les élections législatives du 2 janvier 1956, Guy Mollet leader de
la SFIO forma un gouvernement de Front républicain avec participation de
Pierre Mendès-France, tandis que François Mitterrand en était le garde des
Sceaux. Au mois de février 1956, le président du Conseil promit de
reconnaître la personnalité algérienne et l’égalité politique totale de tous ses
habitants et il nomma le général Catroux en remplacement de Jacques
Soustelle. Le 6 février 1956, Guy Mollet se rendit à Alger où éclata une
émeute européenne. Cédant devant la rue, il annula la nomination du
général Catroux qu’il remplaça par Robert Lacoste qui fut nommé Ministre
résidant et non plus Résident général, en Algérie. Cette capitulation donna
aux Européens d’Algérie l’illusion que désormais rien ne pourrait être fait
sans eux.
Puis, la situation se radicalisa. Le 16 mars 1956, l’Assemblée nationale
accorda les pouvoirs spéciaux au gouvernement Guy Mollet. Le 21 avril, les
nationalistes « modérés » qui étaient groupés autour de Ferhat Abbas se
rallièrent au FLN et partirent pour Le Caire. Au mois d’août, dans le douar
d’Ighbal, dans la vallée de la Soummam, en pays kabyle, se tint le premier
congrès du FLN qui décida de la création du Comité national de la
révolution algérienne (CNRA).
Pierre Mendès-France, ministre d’État, démissionna le 23 mai 1956 car il
estimait que le gouvernement était trop sensible aux arguments des
Européens d’Algérie et pas assez à ceux des musulmans. Il demandait donc
des mesures politiques destinées à empêcher que la population musulmane
rejoigne le FLN.
Le 22 octobre 1956, l’avion marocain qui transportait de Rabat à Tunis
cinq membres de la Délégation extérieure du FLN28 fut détourné par les
services français et tous furent emprisonnés jusqu’à la fin de la guerre.
Durant l’automne 1956, le FLN, constatant qu’il ne pouvait l’emporter
sur l’armée française dans le bled, décida de mener la bataille sur un terrain
qui lui était plus favorable, à Alger même, depuis le cœur de l’ancienne
citadelle turque, la casbah, où l’enchevêtrement des rues permettait une
facile dissimulation. De là, de sanglants attentats furent organisés dans la
ville européenne.
La police étant impuissante, le 7 janvier 1957, le gouvernement du
socialiste Guy Mollet donna ordre à la division parachutiste commandée par
le général Massu de rétablir l’ordre et de démanteler les réseaux du FLN.
Ce fut la « bataille d’Alger » qui eut lieu de janvier à septembre 1957. La
manière forte fut employée, et cela à la hauteur du défi que l’armée avait été
chargée de relever par le pouvoir civil : 24 000 personnes furent arrêtées,
des suspects furent torturés afin de leur faire révéler les lieux où étaient
entreposées les bombes qui tuaient des civils et les réseaux terroristes furent
démantelés (Massu, 1971 ; Léger, 1983 ; Schmitt, 2002). La victoire de
l’armée fut aussi totale que sa défaite politique organisée depuis Paris par
les alliés du FLN, qui déclenchèrent alors une puissante campagne contre la
torture29.
Le gouvernement Guy Mollet fut renversé le 21 mai 1957 et remplacé
par un autre gouvernement de Front républicain présidé par un radical,
Pierre Bourgès-Maunoury qui fut à son tour renversé au mois de
septembre 1957. Après plusieurs semaines de crise, en novembre 1957, un
nouveau gouvernement fut constitué par un autre radical, Félix Gaillard, qui
forma un gouvernement de centre-droit comportant des membres du MRP.
Au début de l’année 1958, l’armée française bombarda le village de
Sakhiet Sidi Youssef en Tunisie qui servait de base à l’ALN. La France fut
alors l’objet d’une violente campagne américaine et contrainte d’accepter
une mission de « bons offices » anglo-américaine.

3. De Gaulle et l’Algérie
Le 15 avril 1958, le gouvernement Félix Gaillard fut renversé et pour lui
succéder, le président Coty désigna Pierre Pfimlin qui constitua une
coalition de socialistes, de radicaux et de MRP. Le nouveau président du
Conseil était partisan de négocier avec le FLN, ce qui provoqua une
violente protestation de l’armée au moment où Alger était en effervescence
à la suite de l’exécution par le FLN de deux soldats français prisonniers. Le
13 mai, l’armée créa des Comités de salut public et la situation devint quasi
insurrectionnelle avec extension du mouvement en Corse. Dépassé par les
évènements, René Coty, Président de la République, fit appel au général De
Gaulle. Le 28 mai le gouvernement Pfimlin démissionna. Le 1er juin De
Gaulle reçut l’investiture du Parlement, puis il constitua un cabinet de large
coalition avec participation socialiste, dont Guy Mollet, qui demeura au
gouvernement jusqu’au 21 décembre.
Le référendum du 28 septembre 1958 approuva la Constitution de la
V République. Le 19 septembre 1958, De Gaulle30 proposa la « paix des
e

braves ». Le FLN qui se transforma en GPRA (Gouvernement provisoire de


la république algérienne), refusa toutes les ouvertures françaises, exigeant
l’indépendance immédiate de l’Algérie tandis que, pour l’opinion, il était
clair que le général allait maintenir l’Algérie française. Ce n’était qu’une
illusion. Un document daté de 1959 montre en effet que dès cette année-là,
au moins, il avait pris sa décision :
« […] il nous faut tuer mille combattants adverses par mois et […],
néanmoins, nous trouvons devant nous l’insurrection active et intacte
depuis plus de quatre ans. Et cela, bien que nous ayons en Algérie
400 000 hommes, plus que Napoléon n’en avait pour conquérir
l’Europe. Il faut donc bien reconnaître que l’intégration n’est
actuellement qu’un vain mot, une espèce de paravent derrière lequel se
cachent […] les impuissances. La seule politique acceptable consiste à
désamorcer la guerre en suscitant la transformation et, par conséquent,
la personnalité de l’Algérie ». (Lettre au général Ely, 17 janvier 1959.
Cité par Lacouture et Chagnolaud, 1993 : 252)
Le 16 septembre 1959, lors d’une allocution radiotélévisée, le général De
Gaulle créa la surprise en parlant pour la première fois d’autodétermination
avec trois options possibles : francisation, association ou sécession.
Le 26 décembre 1959, il eut une discussion « orageuse » avec un membre
de son cabinet militaire auquel il livra le fond de sa pensée :
« Il est parfaitement vrai que notre écrasante supériorité militaire finit
par réduire la plus grande partie des bandes. Mais moralement et
politiquement, c’est moins que jamais vers nous que se tournent les
musulmans algériens. Prétendre qu’ils sont Français ou qu’ils veulent
l’être, c’est une épouvantable dérision. Se bercer de l’idée que la
solution politique, c’est l’intégration ou la francisation, qui ne sont et ne
peuvent être que notre domination par la force – ce que les gens
d’Alger et nombre de bons militaires appellent « l’Algérie française » –
c’est une lamentable sottise ». (Cité par Pervillé, 1991 : 230)
Certes, mais c’était précisément sur cette promesse faite à « nombre de
bons militaires », que le général était revenu au pouvoir. Mais, comme il l’a
cyniquement expliqué plus tard, il lui avait fallu tenir compte du rapport des
forces :
« Avant que je revienne au pouvoir et lorsque j’y suis revenu, j’ai
toujours su qu’il faudrait donner à l’Algérie son indépendance. Mais
imaginez que j’aie dit sur le Forum qu’il fallait que les Algériens
prennent eux-mêmes leur gouvernement. Il n’y aurait plus eu de De
Gaulle. Immédiatement ! […] Alors il a fallu que je prenne des
précautions pour y aller progressivement ». (Entretien avec André
Passeron du journal Le Monde, sd.)
À partir de 1960, le général De Gaulle commença à préparer l’opinion
française à l’idée de l’« Algérie algérienne ». De conférence de presse en
discours, il passa ainsi de la solution « la plus française » à « l’Algérie
algérienne ».
Sur le terrain, les nationalistes algériens avaient perdu la guerre. En 1960,
après le « plan Challe », les unités de l’ALN avaient ainsi été quasiment
rayées de la carte et réduites à de petits groupes d’hommes pourchassés, sur
le qui-vive et dans l’incapacité de monter des opérations significatives. Au
sein même du mouvement indépendantiste, les tensions étaient fortes et
plusieurs clans s’opposaient. Après la création du GPRA (Gouvernement
provisoire de la République algérienne) à Tunis, les conflits s’étaient
exacerbés entre le « noyau dur » de cet organisme31 et les cinq prisonniers
détenus en France depuis le détournement de leur avion le 22 octobre 1956.
Il en fut de même, entre le GPRA et l’armée des frontières, l’ALN (Armée
de libération nationale) commandée à partir de 1960 par Houari
Boumediene et dont les, hommes, cantonnés au Maroc ou en Tunisie où ils
étaient contenus par les lignes fortifiées françaises ne participèrent pas à la
« guerre de libération nationale ». C’est d’ailleurs pourquoi, au moment de
l’indépendance, leur force étant intacte, ce sont eux qui profitèrent du vide
politique laissé par le départ de la France et qui s’imposèrent aux survivants
des maquis de l’intérieur.
Le 22 janvier 1960, le général Massu, chef du corps d’armée d’Alger, et
qui avait critiqué la politique algérienne du général De Gaulle dans un
entretien donné à un hebdomadaire allemand, fut relevé de son
commandement. Son rappel déclencha l’insurrection des Européens d’Alger
qui élevèrent des barricades le 24 janvier. Dans les affrontements avec les
forces de l’ordre, 14 gendarmes mobiles furent tués et 123 blessés contre 8
morts et 24 blessés chez les manifestants. Durant plusieurs jours, plusieurs
centaines d’insurgés armés se retranchèrent dans le centre d’Alger ; ce fut la
« semaine des barricades » (24 janvier-1er février 1960).
Le 29 janvier, dans une allocution radiotélévisée, le général De Gaulle
confirma que son option était l’autodétermination et il rappela à l’armée son
devoir d’obéissance. Trois jours plus tard les insurgés se rendaient aux
parachutistes. Après les évènements de janvier 1960, le général De Gaulle
éloigna des affaires et de son entourage ceux qui étaient trop ouvertement
engagés pour l’Algérie française et il sanctionna les officiers qui s’étaient
ouvertement prononcés pour les insurgés. Toute ambiguïté étant désormais
levée, il donna ensuite une accélération aux évènements afin d’en finir
avec :
« […] cette affaire (qui) nous absorbe et nous paralyse, alors que nous
avons tant de choses à réaliser chez nous et ailleurs32 ».
Ainsi, pour le chef de l’État, l’Algérie n’était plus qu’une « affaire » qu’il
convenait de terminer au plus vite afin de pouvoir redéployer les moyens de
la France sur d’autres terrains.
Par le référendum du 8 janvier 196133, les Français entérinèrent la
politique décidée par le général De Gaulle au sujet de l’Algérie. Tout alla
ensuite très vite avec le putsch d’avril 1961, le début des négociations au
mois de mai 1961, la lutte désespérée de l’OAS (Organisation armée
secrète) qui représenta le dernier espoir des Européens d’Algérie. Le
18 mars 1962, à 17 h 40, la France et une délégation du GPRA
(Gouvernement provisoire de la République algérienne) signaient les
« accords d’Évian ». Le même jour, le général Ailleret, commandant en
chef donnait l’ordre de cessez-le-feu aux unités françaises d’Algérie et le
8 avril, par référendum, les Français ratifièrent les « accords d’Évian » par
90,80 de « oui ».
La population de souche européenne fut ensuite l’objet d’une véritable
persécution de la part des forces de l’ordre françaises en général, et de
certaines unités de la gendarmerie mobile en particulier, tandis que les
musulmans pro-Français étaient massacrés par les nouveaux maîtres de
l’Algérie.

En 1960, il y avait dans l’armée française, 202 842 Algériens se répartissant ainsi :
– Réguliers (tirailleurs, spahis, etc.) 61 500
– Harkis 57 900
– GAD (Groupes d’autodéfense) 55 702
– SAS (Sections administratives spécialisées) 19 120
– Divers8 620
Pour la « Régulière », en 1961, on comptait 60 000 musulmans appelés,
27 700 engagés, 700 officiers dont 250 appelés et 4 600 sous-officiers.
Au total cumulé, et concernant les troupes d’origine européenne, 317 545 militaires
d’active et 1 101 580 appelés ont servi en Algérie, et non 2 à 3 millions comme il est
souvent écrit.
Les pertes furent les suivantes :
– ALN 143 500
– Armée française 24 61434
– Pertes françaises au combat : 9 000 Français de souche, dont 6 400 appelés, 1 200
légionnaires, 510 Africains, 1 345 réguliers musulmans et 3 200 supplétifs.
– Le nombre des Harkis et autres supplétifs assassinés après le 19 mars 1962 est
compris entre 60 000 et 80 000 (Faivre, 1995 et 1996).
– Les pertes civiles causées par le FLN furent, de novembre 1954 au 19 mars 1962
furent de 33 337 personnes :
– Européens : 2 788 tués 875 disparus 7 541 blessés
– Musulmans : 16 378 13 296 ?
Après le 19 mars 1962, plusieurs milliers d’Européens furent enlevés et la plupart
assassinés (Monneret, 2001 et 2006 ; Jordi, 2011 ; Mathias, 2014 et Lugan, 2017
chapitre VIII).

B. L’Afrique sud-saharienne
La France possédait deux grands ensembles territoriaux en Afrique noire,
l’AOF (Afrique occidentale française) et l’AEF (Afrique équatoriale
française).
L’AOF était composée de huit colonies : le Sénégal, la Mauritanie, la
Guinée, la Côte d’Ivoire, le Soudan français (devenu Mali), le Niger, le
Dahomey (devenu Bénin), la Haute Volta (devenue Burkina Faso) et d’un
territoire sous mandat, le Togo.
L’AEF était formée de quatre colonies : le Gabon, le Moyen Congo
(devenu le Congo), l’Oubangui Chari (devenu la RCA ou République de
centrafrique), le Tchad et d’un territoire sous mandat, le Cameroun. À ces
deux ensembles s’ajoutaient Madagascar et sa dépendance des Comores,
ainsi que la Côte française des Somalis devenue République de Djibouti.
En 1945, le Gouvernement provisoire de la République française (1944-
1946) avait décidé que dans la future assemblée la représentation coloniale
serait de 63 députés sur 52235 et il établit, sauf aux Antilles, à Djibouti et
dans les territoires du Pacifique, le système du double collège électoral, à
savoir celui des « citoyens » (Blancs ou indigènes) et celui des « sujets ».
Durant la première période coloniale française, et comme nous l’avons vu,
la doctrine avait été l’assimilation, mais elle ne fut appliquée que dans
quatre communes du Sénégal où, depuis 1848, les habitants avaient la
possibilité d’acquérir la nationalité française et élisaient un député qui
siégeait au parlement français. Au lendemain du second conflit mondial,
l’assimilation apparut de plus en plus comme une utopie. Dans ces
conditions, et à moins de maintenir un strict statut de domination, ce qui
était désormais impossible compte tenu du nouveau contexte international,
l’idée des indépendances apparut donc comme inéluctable. Comme elle
était politiquement paralysée par ses institutions, la France fut incapable de
définir une option claire en la matière. Refusant de choisir, elle mena alors
un combat d’arrière-garde sur le plan juridique, ce qui fit que les trois
grandes étapes qui marquèrent la décolonisation de son Empire, à savoir
l’Union française en 1946, la Loi-cadre en 1956 et la Communauté en 1959
étaient toutes dépassées au moment où elles entrèrent en application.

1. L’Union française (1946)


En 1946, à l’Assemblée nationale, les débats qui entourèrent la naissance
de l’Union française furent vifs et passionnés. Les parlementaires, issus de
la Résistance et qui étaient majoritairement de gauche refusèrent l’égalité
des droits politiques aux populations de l’Empire, suivant en cela Edouard
Herriot36, qui déclara à la tribune de l’Assemblée :
« Si nous donnions l’égalité des droits aux peuples coloniaux, nous
serions la colonie de nos colonies. » (Intervention du 27 août 1946)
Ces déclarations provoquèrent l’indignation des trois députés
« coloniaux », l’Algérien Ferhat Abbas et les Sénégalais Lamine Guèye et
Léopold Sedar Senghor, ce dernier parlant même de « racisme ». L’idée de
l’assimilation sur laquelle avait été bâti l’Empire français venait donc d’être
officiellement balayée et, dès lors, la décolonisation n’allait plus être qu’une
question de temps.
Aux termes du titre VIII de la Constitution de 1946, titre largement inspiré
par Léopold Sedar Senghor, la France fut néanmoins déclarée République
indivisible formant avec les États et territoires d’outre-mer une union
librement consentie. La Constitution reconnaissait l’existence de
collectivités territoriales s’administrant librement et de groupes de
territoires placés sous l’autorité d’un ministre résident. L’Union française
était animée par deux organismes : un Haut-conseil de l’Union formé par
des représentants du gouvernement français et des États associés et une
Assemblée de l’Union Française. Cette dernière, à pouvoir uniquement
consultatif, était composée pour moitié d’élus métropolitains désignés par
l’Assemblée nationale et le Sénat, et de représentants de l’outre-mer élus
par les assemblées territoriales. Le 13 octobre 1946, par référendum, les
Français votèrent la nouvelle Constitution prévoyant la création d’une
Union française, dans une sorte de contrat social passé entre la métropole et
ses colonies.
Si, dans l’esprit et dans la lettre, la nouveauté pouvait paraître mineure,
elle fut au contraire considérable dans les faits et cela sous les pressions
internes et surtout externes. La nouvelle situation internationale avec les
évènements d’Indochine puis d’Algérie, et la priorité donnée à la
décolonisation dans la polarisation autour des deux super-puissances
allaient en effet vite rendre obsolètes les principes de l’Union française et
conduire d’une manière inéluctable aux indépendances.
Les revendications des élites africaines qui étaient alors diverses
pouvaient alors être regroupées en deux grandes tendances :
– la première était clairement intégrationniste. Léopold Sédar Senghor
était ainsi partisan de « nations coloniales » unies en une fédération
autour de la France et ayant en commun un parlement impérial. Le
Cercle des Évolués de Potopoto à Brazzaville en était quant à lui,
toujours à « la libre intégration du peuple colonisé dans le peuple
colonisateur par l’assimilation » ;
– la seconde était émancipatrice. C’est ainsi qu’en 1946, Félix
Houphouët-Boigny fonda le Rassemblement démocratique Africain
(RDA)37 qui affirmait une volonté d’émancipation, mais dans le cadre
français. Le mouvement s’apparenta au parti communiste et tint son
premier congrès à Bamako ;
– le RDA demandait :
« […] l’émancipation des divers pays africains du joug colonial, par
l’affirmation de leur personnalité politique, économique, sociale et
culturelle et à l’adhésion librement consentie à une union de nations et
de peuples, fondée sur l’égalité des droits et devoirs ».

Madagascar
Après avoir résisté à la conquête, les Mérinas s’étaient ralliés à la France avant de se
lancer, entre les deux guerres, dans une forte contestation nationaliste. En 1946,
avec la création de l’Union française, Madagascar envoya trois députés Mérinas au
Parlement français, MM. Raseta, Rabemananjara et Ravoahangy. Au début de
l’année 1947, à Paris, ils fondèrent le MDRM (Mouvement démocratique de la
rénovation malgache) dont le manifeste, rédigé par le poète Jacques
Rabemananjara, homonyme du député proclamait :
« Exiger d’un peuple qu’il renonce à l’idée de son indépendance c’est, à proprement
parler, exiger de lui qu’il se résigne au suicide. C’est exiger qu’il tarisse en lui la
sève de sa noblesse, la source de sa force : son âme. »
Comme ces trois députés étaient Mérinas, les « Côtiers » se sentirent oubliés.
Frustrés, ils créèrent alors le Parti des déshérités de Madagascar (Pasdem), ce qui
en disait long sur leur état d’esprit. L’originalité de ce parti était double. D’une part il
rassemblait ceux qui redoutaient l’influence des Mérinas, à savoir les « Côtiers »,
mais également nombre d’Andevo, ces descendants d’esclaves vivant en pays
mérina. Le Pasdem était d’autre part opposé à une indépendance trop rapide. Cette
dernière position était la conséquence de la première car les « Côtiers » redoutaient,
en cas d’indépendance brusquée, de retourner à la situation pré coloniale et de se
retrouver en fin de compte soumis au pouvoir mérina. Le Pasdem fut appuyé par
l’administration française qui voyait en lui le moyen de contrebalancer la
revendication nationaliste incarnée par les Mérinas.
Les rapports des Mérinas avec la France se durcirent et Joseph Raseta créa une
société secrète, la Jina (jeunesse nationaliste) dont le but était de provoquer un
soulèvement indépendantiste. Le 29 mars 1947, éclata effectivement une révolte à
Madagascar, mais pas chez les Mérinas puisque le soulèvement se produisit dans la
région de la côte orientale où des centaines d’insurgés armés de sagaies et de
machettes s’attaquèrent aux petits centres de brousse et aux colons isolés. Après
une brutale répression due aux atrocités commises par les insurgés, la France exila
les députés mérinas et interdit leur parti politique, le MDRM, accusé d’avoir fomenté
l’insurrection.
Selon Fremigacci (2002), le bilan de l’insurrection serait le suivant :
– assassinés par les insurgés : 200 civils français et 2000 civils malgaches. Tués au
combat, 350 militaires français ;
– tués au combat lors de la reprise de contrôle par les troupes françaises : 5 000 à
6 000 insurgés. Massacrés lors de la répression : entre 1 000 à 2 000 civils ou
insurgés. À ces chiffres assez clairement établis, Fremigacci ajoute 20 000 à
30 000 insurgés ou civils morts de faim ou de maladie, mais cette estimation est
scientifiquement invérifiable car elle ne repose sur aucune étude sérieuse38.

En 1948, après avoir démissionné de la SFIO dont le leader régional était


Lamine Guèye, Léopold Sédar Senghor créa le Bloc démocratique
sénégalais (BDS)39.
Après la rupture du tripartisme (MRP-SFIO-PCF), en France au mois de
mai 1947, le gouvernement français ne ménagea plus le RDA, allié des
communistes du PCF. En 1949, le RDA rompit avec ses encombrants alliés
et il vota la confiance au gouvernement Pleven. Il perdit les élections de
1951 au profit de candidats « modérés » lesquels, depuis 1948 se
rassemblaient dans le groupe des Indépendants d’Outre-mer (IOM) et qui
venaient soit de la SFIO comme Senghor, soit du MRP comme Apithy, le
leader dahoméen. Le manifeste de création des IOM montrait bien que,
même chez eux, l’idée de l’assimilation était morte :
« C’est dans l’esprit du fédéralisme qu’il faut penser et éventuellement
compléter les institutions constitutionnelles, en tenant compte des
différences de toutes sortes qui, d’ores et déjà, existent entre les
territoires ».
Les « modérés » se prononçaient en revanche pour le fédéralisme. Lors
de leur congrès tenu à Bobo-Dioulasso au mois de février 1953, ils
demandèrent ainsi clairement « une évolution des structures de l’Union
française vers une République fédérale ». Le RDA était à ce moment-là sur
la même ligne de revendication car Houphouët-Boigny déclara en 1954 :
« Le RDA rejette l’impossible et hypocrite assimilation, de même qu’il
ne peut souscrire à l’association dont nous connaissons les
inconvénients. Nous nous sommes prononcés pour une orientation
fédérale, mais nous disons de façon très nette que les populations
africaines ne peuvent se contenter de positions formelles […]
Fédération, oui ; mais la volonté de progresser dans un sens fédéral doit
être immédiatement affirmée par l’installation de collectivités de base,
de municipalités, de mesures de déconcentration et de
décentralisation. »
Ce que voulait Houphouët-Boigny c’était, selon ses propres termes, une
« communauté franco-africaine à base d’égalité et de fraternité ».
En 1955, lors de la Conférence de Bandoeng, les pays afro-asiatiques
condamnèrent fermement le colonialisme, néologisme de plus en plus
utilisé, et ils prônèrent la liberté et l’indépendance des peuples colonisés. La
Grande Bretagne avait largement devancé le mouvement puisque, depuis
1951 Nkwame Nkrumah était chef de gouvernement du Ghana (Gold
Coast) et que la suite de la décolonisation britannique était annoncée. La
France était quant à elle en pleine indécision, acceptant le principe de
l’indépendance dans le cas du Togo ou du Cameroun40, territoires sous
Tutelle, mais la refusant lorsqu’il s’agissait de l’AOF, de l’AEF ou de
Madagascar.
En 1955, l’Assemblée de l’Union française demanda que les dispositions
togolaises soient étendues à tous les territoires français d’Afrique, mais le
gouvernement français refusa, laissant alors passer une occasion de sortir
avec avantage de la crise. Au lieu de cela, Paris choisit de s’abriter derrière
la Constitution de 1946. Alors que la Grande Bretagne profitait d’une
période de calme pour accélérer le processus de décolonisation, la France
s’enfermait donc dans un juridisme obsolète, ce qui allait la contraindre à
faire les réformes dans l’urgence et sans jamais être maîtresse des
évènements.
Lors des élections législatives de 1956, le RDA redevint la première
force politique de l’AOF. Conscient qu’un problème était posé, le
gouvernement français tenta de le résoudre au moyen d’une réforme
constitutionnelle une fois encore totalement déconnectée des réalités. Au
mois de janvier 1956, le nouveau président du Conseil, le socialiste Guy
Mollet, confia le ministère de la France d’Outre-mer à Gaston Defferre et il
nomma Félix Houphouët-Boigny ministre délégué à la Présidence. Pour la
première fois, un Africain devenait ministre et non plus secrétaire d’État.

2. La loi-Cadre (1956)
Devant le Parlement Guy Mollet prononça son discours d’investiture en
annonçant son projet pour l’Union française. Il rappela que dans son
préambule, la Constitution de 1946 prévoyait de « conduire les peuples dont
(la France) a pris la charge à la liberté de s’administrer eux-mêmes et de
gérer démocratiquement leurs propres affaires ». Gaston Defferre fut chargé
de travailler sur cette question et le 20 juin 1956 il fit voter une loi qui fut
promulguée trois jours plus tard, le 23 juin.
Comme il avait fallu aller vite pour tenter de désamorcer la crise majeure
qui s’annonçait, la procédure choisie fut celle de la loi-cadre qui définissait
les grandes lignes des réformes tout en laissant à l’exécutif, sous le contrôle
du parlement, le soin d’en établir les modalités41.
La Loi-cadre ou « Loi Defferre » fut la dernière tentative sérieuse de
conserver l’outre-mer à la France. Sa principale nouveauté était qu’elle
instituait le suffrage universel et le collège unique pour l’élection des
Assemblées territoriales. En AEF, les citoyens de statut français et ceux de
statut indigène qui élisaient séparément leurs représentants allaient
désormais pouvoir voter dans les mêmes collèges. En AOF, le résultat fut
sensiblement différent car le plus souvent, le collège unique existait déjà et
ce fut le nombre des électeurs qui augmenta, passant de 3 millions (chiffre
de 1951) à plus de 10 millions42. La Loi-cadre prévoyait également la mise
en place de Conseils de gouvernement composés de ministres désignés par
l’Assemblée territoriale présidée par l’ancien gouverneur devenu Chef de
Territoire. Ils étaient composés de 6 à 12 membres. Le conseiller élu en tête
prenait le titre de vice-président du conseil, le président étant le chef du
territoire. L’africanisation des cadres administratifs était également prévue.
Ces institutions donnaient de fait à chaque territoire la possibilité de
devenir un État et les limites administratives dessinées par le colonisateur
allaient donc se transformer en frontières politiques. Pierre Messmer, alors
directeur de cabinet de Gaston Defferre a expliqué dans quelles
circonstances cette décision fut prise :
« Un choix très important – car il ne sera pas possible de revenir dessus
au moment du référendum proposé par le général de Gaulle en
septembre 1958 – a été fait lors de la loi-cadre. Ce choix a été celui des
territoires, qui sont aujourd’hui des États, de préférence au maintien des
fédérations de l’AEF et de l’AOF. […] Personnellement, j’étais
convaincu que faire un État aussi vaste, aussi disparate que l’AOF ou
l’AEF, aurait été une illusion totale. Les fédérations, si elles avaient
subsisté après l’indépendance, auraient volé en éclats. » (Pierre
Messmer, Jeune Afrique, 25 juin 1997, p. 105)
La mise en place de conseils de gouvernement annonçait donc une
politique de mise en place de l’autonomie interne, territoire par territoire, et
non par fédérations d’États au sein des ensembles régionaux qu’étaient
l’AOF et l’AEF. Léopold Sédar Senghor et Sékou Touré étaient partisans de
la seconde solution, Félix Houphouët-Boigny de la première. Senghor avait
proposé la création de deux vastes fédérations reprenant les anciennes
définitions de l’AOF et de l’AEF, avec Dakar et Brazzaville comme chefs-
lieux des deux « groupes de Territoires ». Le débat fut vif avec Houphouët-
Boigny qui, au contraire, était partisan de fortifier la personnalité de chaque
territoire :
« Les partisans des territoires sont ceux qui suivent Houphouët, le
président du RDA, dont ses bons amis Léon Mba (Gabon), Lisette
(Tchad) ou Ouezzin Coulibaly (Haute-Volta). Houphouët est hostile au
système fédéral car, pour lui, la Côte d’Ivoire a les moyens
économiques de réaliser une sorte de décollage si ses ressources lui
demeurent affectées, mais elle ne décollera jamais si ses ressources sont
réparties entre tous les États de la fédération. Houphouët s’oppose à
Sékou Touré, qui est également au RDA et préside la Confédération
générale africaine du travail. Défenseur de la fédération, Sékou Touré y
voit un moyen, à travers les syndicats, de s’assurer le pouvoir dans un
large ensemble. Autrement, il ne peut espérer le pouvoir qu’en Guinée.
La thèse fédérale est donc soutenue par Sékou Touré […] mais aussi par
Senghor et les Indépendants d’Outre-mer. L’argument essentiel est que
l’AEF et l’AOF représentent des ensembles très vastes et peuplés, par
conséquent des États qui seront puissants face aux géants comme le
Nigeria. Senghor ne votera pas la loi […] ». (Pierre Messmer, Jeune
Afrique, 25 juin 1997, p. 105)

Félix Houphouët-Boigny (1905 ?-1993)


Félix Houphouët-Boigny43, né à Yamoussoukro, était l’héritier de la chefferie Akwe,
une branche des Baoulé. En 1944 il fonda l’Association des Planteurs africains. Le
21 octobre 1945, lors du référendum-élection destiné à élire les représentants à
l’Assemblée constituante française, comme la Haute-Volta, dont l’unité territoriale fut
rétablie en 1947, était encore rattachée à la Côte d’Ivoire, le siège qui aurait dû lui
revenir avait été attribué à cette dernière. Deux candidats s’étaient présentés. Celui
qui avait été désigné par le Moro Naba avait eu face à lui, Félix Houphouët-Boigny
qui avait été élu. Félix Houphouët-Boigny fut donc d’abord député, non de la Côte
d’Ivoire, mais de la Haute-Volta. Le 2 juin 1946, après l’échec du référendum
constitutionnel du 5 mai, s’étaient tenues des élections destinées à élire une seconde
Assemblée constituante et Houphouët-Boigny avait été réélu. Le 10 novembre 1946,
lors des premières élections législatives de la IVe République, il y avait eu liste
commune entre les candidats du Moro Naba et les partisans d’Houphouët-Boigny,
mais parmi les élus, ne figurait qu’un seul Voltaïque. Comme les élus ivoiriens étaient
opposés au rétablissement de la Haute-Volta, le Moro Naba avait encouragé la
constitution d’un parti politique, l’Union voltaïque, qui domina la vie politique locale
jusqu’en 1954, année où une scission se produisit entre partisans de la chefferie et
« modernistes », ce qui déboucha sur la création de plusieurs partis politiques.
Quatre groupes ethniques étaient alors en concurrence à l’intérieur du territoire de
Côte d’Ivoire : les Malinké-Voltaïques au Nord, les Kru/Beté à l’Ouest, les Abé-Attié
au Sud-Est et les Baoulé au centre. Comme il avait bien conscience des rapports de
force ethniques, il comprit, dès ce moment, qu’il devait tenir compte de la spécificité
nordiste.
En 1946 naquit le PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire) qui était membre du
RDA (Rassemblement démocratique africain) fondé à Bamako en novembre 1946.
Comme les socialistes français ne voulaient pas le soutenir, il s’apparenta un temps
au Parti communiste, mais cette alliance était contre nature car le PDCI qui n’était
pas nationaliste croyait à la mission civilisatrice de la France. Il militait alors pour
l’égalité raciale et pour un compromis avec métropole au profit de la bourgeoisie
locale constituée par les planteurs africains.
Lors des élections de 1956, le PDCI l’emporta en Côte d’Ivoire et Félix Houphouët-
Boigny entra au gouvernement français. Dès lors, son influence fut déterminante.
Comme il ne voulait pas que la Côte d’Ivoire soit la « vache à lait » de l’AOF, il prôna
une évolution nationale et non fédérale. Félix Houphouët-Boigny était alors
minoritaire au sein du RDA car, comme nous l’avons vu plus haut, bien des leaders
africains refusaient la territorialisation. Les options étaient à ce point opposées entre
ceux, comme Houphouët-Boigny, qui prônaient l’émiettement territorial de l’ancienne
AOF et ceux qui étaient partisans d’un cadre régional, que le RDA éclata lors du
Congrès de Bamako en septembre 1957. Houphouët-Boigny porte ainsi une réelle
responsabilité dans l’atomisation de l’ancienne AOF. Paradoxalement, lui qui ne
voulait pas de l’indépendance la proclama cependant unilatéralement en août 1960,
mais tout en négociant aussitôt des accords étroits avec la France.
Une nouvelle formation naquit en janvier 1957, la Convention africaine
qui tint congrès à Dakar où Mamadou Dia, leader du Soudan, déclara :
« La révision du Titre VIII ne saurait être ajournée. […] Pour nous, le
choix est clair : la communauté des peuples de France et d’Outre-mer
sera fédérale ou ne sera pas, et nous pensons qu’elle devra s’orienter
vers une sorte de Commonwealth si elle veut résoudre le problème de
l’intégration des États du Maghreb, y compris l’Algérie, et former une
association libre avec les territoires africains autonomes ».
Les 25-30 septembre 1957, le RDA tint congrès à Bamako et, comme
ceux de la Convention Africaine, ses responsables demandèrent la création
d’un État fédéral composé d’États autonomes avec un gouvernement fédéral
et un parlement fédéral, organes suprêmes de l’État unifié. La Loi-cadre
était donc obsolète dès sa mise en pratique et les indépendances n’étaient
plus qu’une question de temps.

La rébellion de l’UPC au Cameroun (1957-1958)


En 1957 et en 1958, la France mena une campagne militaire dans la Sanaga
maritime, province occidentale du Cameroun contre la rébellion de l’UPC (Union des
populations du Cameroun). Fondée en 1948 par Ruben Um Nyobé, un Bassa, l’UPC
avait deux revendications, l’unification des deux Cameroun (celui sous tutelle
britannique et celui sous tutelle française) et l’indépendance.
À partir de 1955, l’UPC qui recrutait essentiellement chez les Bassa et chez les
Bamileké lança de violentes campagnes, notamment à Douala et à Yaoundé,
blessant ou tuant des Africains et des Européens. En 1956, le mouvement fut interdit
et son leader, Um Nyobé, se réfugia en pays bassa où il créa le CNO (Comité
national d’organisation). Au même moment, à la suite des élections du mois de
décembre 1956, le Cameroun se voyait octroyer un nouveau statut mettant en
marche le processus d’indépendance. L’UPC qui voulait une indépendance arrachée
et non négociée, adopta une position maximaliste, ce qui lui fit perdre l’appui des
populations camerounaises et la condamna à un nationalisme radical lui interdisant
toute prise de contrôle du processus indépendantiste. Le 5 septembre 1957, des
troubles eurent lieu en pays bassa, dans les subdivisions d’Eséka et de Ngambé
dans la Sanaga. Le but d’Um Nyobé était alors de soustraire cette région largement
forestière à l’autorité de l’administration. Face à cette entreprise la France devait
rapidement rétablir l’ordre car, devant l’ONU, elle devait pouvoir montrer que le
gouvernement autonome qu’elle avait mis en place et qui devait conduire le pays à
l’indépendance était bien le représentant des populations du territoire. Le Haut-
commissaire français qui était alors Pierre Messmer et qui resta en poste jusqu’à
l’automne 1958, avant d’être nommé Haut-commissaire pour l’AEF, décida de
contenir puis de réduire l’insurrection.
Le 9 décembre 1957 fut ainsi créée une zone opérationnelle placée sous les ordres
du lieutenant-colonel Lamberton, lequel ne disposait que de quatre compagnies, soit
moins d’un millier d’hommes, pour accomplir sa mission44. Le cœur de la rébellion se
situait alors à Makak, à environ 30 kilomètres à l’est d’Eséka. La région fut isolée,
puis les unités donnèrent la chasse aux maquisards. Le 13 septembre 1958, lors d’un
accrochage à quelques kilomètres de Boumyebel, son village natal, Ruben Um
Nyobé fut tué. Le haut-commissaire français Xavier Torre fit alors une déclaration à
radio-Yaoundé annonçant que la France accorderait l’indépendance au Cameroun le
1er janvier 1960. Cette rébellion circonscrite à une seule ethnie était terminée. De
septembre 1957 à octobre 1958, les rebelles avaient tué 75 civils, en avaient blessé
90 et enlevé 91. L’armée française avait abattu 371 rebelles, en avait blessé 104 et
avait procédé à 882 arrestations. Contrairement à ce qui a été écrit à l’époque, dans
sa première mouture, l’UPC n’était pas communiste mais un parti indépendantiste
radical bénéficiant du soutien du camp communiste (Joseph, 1977). Parallèlement au
soulèvement des Bassa, un mouvement de fond toucha les Bamileké mais il se
manifesta véritablement qu’au lendemain de l’indépendance.

3. De la Communauté française aux indépendances


Au mois de mai 1958, dès son retour au pouvoir, le général De Gaulle
proposa de remplacer l’Union française qu’il jugeait trop contraignante et
trop directive par une structure fédérale plus souple permettant à chaque
territoire « par un acte de libre détermination », de faire partie de la
Communauté franco-africaine. Il s’agissait d’une révolution
constitutionnelle car il était prévu d’instaurer une véritable fédération dans
laquelle chaque colonie aurait un gouvernement autonome mais accepterait
de confier à la France sa politique étrangère, sa défense, sa monnaie, sa
politique économique et même sa justice.
Au mois d’août 1958, le général De Gaulle fit un voyage en Afrique sud-
saharienne pour y présenter la nouvelle politique de la France. Partout il
offrit le choix entre l’association et la sécession. Le 24 août 1958, à
Brazzaville, il déclara :
« À l’intérieur de cette Communauté, si quelque territoire, au fur et à
mesure des jours, se sent au bout d’un certain temps, que je ne précise
pas, en mesure d’exercer toutes les charges, tous les devoirs de
l’indépendance, eh bien, il lui appartiendra d’en décider par son
assemblée élue et si c’est nécessaire par le référendum de ses habitants
[…] Je garantis d’avance que, dans ce cas, la métropole ne s’y opposera
pas. »
La tournée du général fut triomphale, sauf en Guinée, où Sekou Touré
affirma avec une certaine emphase que son pays préférait « la pauvreté dans
la liberté à la richesse dans l’esclavage », ce qui lui attira la réponse
suivante de De Gaulle :
« On a parlé d’indépendance ; je le dis ici plus haut encore qu’ailleurs,
l’indépendance est à la disposition de la Guinée ; elle peut la prendre le
28 septembre en disant « non » à la proposition qui lui est faite et, dans
ce cas, je garantis que la métropole n’y fera pas obstacle. Elle en tirera
bien sûr des conséquences, mais d’obstacles elle n’en fera pas, et votre
territoire pourra, comme il le voudra, et dans les conditions qu’il
voudra, suivre la route qu’il voudra. »
Quant à Senghor, il avait clairement déclaré que :
« La Communauté n’est pour nous qu’un passage et un moyen,
notamment celui de nous préparer à l’indépendance à la manière des
territoires sous dépendance britannique ».
Le référendum africain du mois de septembre 1958 fut un succès pour le
général De Gaulle puisque la Communauté fut plébiscitée par
7 470 000 « oui », contre 1 120 000 « non », dont 636 000 en Guinée. Cette
dernière s’étant prononcée pour la sécession et l’indépendance immédiate,
le 2 octobre, la République de Guinée fut proclamée à Conakry.
La Constitution du 8 octobre 1958 instaura la Communauté franco-
africaine qui remplaça l’Union française. La communauté était selon les
termes de la Constitution « […] un grand ensemble vaste et libre, avec les
peuples associés d’Afrique et de Madagascar » qui serait soumis à
référendum dans les pays appelés à en être membres. L’article premier
stipulait que la Communauté découle de l’adoption de la Constitution « par
un acte de libre détermination ». L’article 86 prévoyait le retrait puisqu’un
État membre « peut devenir indépendant. Il cesse de ce fait d’appartenir à la
Communauté ».
La communauté était une structure fédérale présidée par le Président de
la République française. Elle disposait d’un organe exécutif, le Conseil
exécutif, présidé par le Président de la République et constitué par les chefs
de gouvernement de chaque État membre ainsi que par les ministres chargés
des affaires communes, à savoir politique étrangère, défense, monnaie,
enseignement supérieur, télécommunications, etc., La communauté était
également dotée d’un organe législatif, le Sénat de la Communauté,
composé de 186 représentants du parlement français et de 98 représentants
des assemblées législatives des États membres. Il était prévu qu’il tienne
deux sessions par an. En cas de litige entre deux États membres, une cour
arbitrale devait statuer. Un autre organisme non stipulé dans la Constitution
mais qui eut un rôle de plus en plus important fut créé, le Secrétariat
général de la Communauté pour les affaires africaines et malgaches. Son
premier titulaire en fut Raymond Janot qui eut pour successeur Jacques
Foccart à partir du 21 mars 1960.
La nouvelle construction juridique ne résista pas longtemps aux
revendications nationalistes et le général De Gaulle comprit vite qu’il avait
échoué dans sa politique d’association fédérale franco-africaine. Réaliste, il
ne s’opposa alors pas à son éclatement45 car les États membres de la
communauté ne se satisfaisant plus de leur représentation extérieure confiée
à la France demandaient désormais la reconnaissance de leur personnalité
internationale, ce qui revenait de facto à remettre en cause un des piliers de
la Communauté.
Lors du Conseil Exécutif de la Communauté réuni à Saint-Louis du
Sénégal le 12 décembre 1959, le général De Gaulle admit l’indépendance
du Mali qui devint effective au mois de juin 1960. Une réaction en chaîne
se produisit ensuite avec une décision historique prise au début de 1960
quand les pays du Conseil de l’Entente (Côte d’Ivoire, Dahomey, Haute-
Volta et Niger) demandèrent leur indépendance, ce qui signait l’arrêt de
mort de la Communauté. Cette dernière éclata effectivement puisque, du
1er janvier au 28 novembre 1960, 14 pays membres accédèrent à
l’indépendance. L’Empire africain de la France avait vécu.

1960, l’année des indépendances


– Le 27 avril, indépendance du Togo.
– Le 20 juin, indépendancedu Sénégal et du Soudan français (actuel Mali) qui
s’unissent et constituent la Fédération du Mali.
– Le 26 juin, indépendance de Madagascar.
– Le 1er août, indépendance du Dahomey.
– Le 3, indépendance du Niger.
– Le 5, indépendance de la Haute-Volta.
– Le 7, indépendance de la Côte d’Ivoire.
– Le 11, indépendance du Tchad.
– Le 13, indépendance de l’Oubangui-Chari qui devient la République centrafricaine.
– Le 15, indépendance du Moyen-Congo qui devient République du Congo ou
Congo-Brazzaville.
– Le 17, indépendance du Gabon.
– Le 19 août, la Fédération du Mali éclate, le Sénégal et le Soudan se séparent et le
22 septembre 1960, la République soudanaise devient le Mali.
– Le 28 novembre 1960 voit la naissance et l’indépendance de la République
islamique de Mauritanie.

C. La décolonisation française, une nécessité


économique ?
Dès avant 1914, il était clairement apparu que l’entreprise coloniale
n’était pas source de profits, sauf dans le cas de certains secteurs souvent
marginaux. Le capital privé refusant d’investir dans des entreprises non
rentables, l’État fut donc contraint de se substituer à lui. Jules Ferry et les
impérialistes s’étaient lourdement trompés. Pour la France l’addition fut
lourde.

1. L’Empire fut-il une ruine pour la France ?


L’Empire africain de la France connaissait une économie de traite. Les
2/3 des investissements privés français qui y furent réalisés avant 1914
portaient ainsi sur le commerce, les plantations ou certaines mines
facilement exploitables sans qu’il ait été besoin de mettre en place de lourds
et coûteux investissements qui auraient pu créer un développement
industriel impérial46. L’État fut donc contraint d’intervenir pour se
substituer et pour remplacer, le capital privé qui considérait l’empire
africain comme une affaire économique sans réel intérêt et qui s’en
désintéressait donc47. Selon J. Marseille, de 1900 à 1914, les dépenses
coloniales représentèrent en moyenne 6,5 % de toutes les dépenses
françaises. Cette proportion baissa par la suite, mais pour se maintenir
cependant à un niveau considérable puisque, entre 1950 et 1958, l’Empire,
Algérie mise à part, totalisait encore entre 3,5 % et 4 % de toutes les
dépenses de l’État français. De 1947 à 1955, l’Empire français reçut pour
300 milliards d’équipements. En 1955, le total de tous les investissements
réalisés outre-mer par la France atteignait 180 milliards de francs et
200 milliards en 195848. Comme les infrastructures portuaires, routières et
ferroviaires étaient insuffisantes ou inexistantes, après 1945, la France qui
sortait ruinée du conflit et qui avait pourtant toute son économie à
reconstruire49, lança dans son Empire et donc à fonds perdus pour elle, une
fantastique politique de développement et de mise en valeur qui se fit
largement aux dépens de la métropole elle-même.
La France avait en effet des « contraintes de souveraineté » à exercer et
c’est pourquoi elle s’est épuisée en construisant en Afrique 50 000 km de
routes bitumées, 215 000 km de pistes toutes saisons, 18 000 km de voies
ferrées, 63 ports équipés, 196 aérodromes, 2000 dispensaires équipés,
600 maternités, 220 hôpitaux dans lesquels les soins et les médicaments
étaient gratuits. En 1960, 3,8 millions d’enfants étaient scolarisés et dans la
seule Afrique noire, 16 000 écoles primaires et 350 écoles secondaires
collèges ou lycées fonctionnaient. En 1960 toujours, 28 000 enseignants
français, soit le huitième de tout le corps enseignant français exerçaient sur
le continent africain (Marseille, 1984).

Les investissements français à l’étranger avant 1914


Avant le premier conflit mondial, les investissements privés français à l’étranger se
répartissaient ainsi :

1900 1914

– Russie – 25 % – 25,1 %

– Péninsule ibérique – 16 % – 8,8 %

– Égypte et Afrique non française – 10,7 % – 7,3 %

– Turquie – 7,1 % – 7,5 %

– Amérique du Sud : – 7,1 % – 13,3 %

– Toutes colonies françaises – 5,3 % – 8,8 %

– Reste du monde – 28,8 % – 29,2 %


Les colonies françaises dans leur ensemble, Indochine, Algérie et Antilles comprises,
n’attiraient donc pas le capital privé français puisque les investissements privés y
étaient grosso modo équivalents en volume à ceux réalisés dans le seul empire
ottoman. (Michalet, 1968)

En dépit de cette réalité, l’unanimisme colonial était tel que les Français
étaient alors persuadés de la valeur économique de l’Empire et cette idée fut
acceptée sans discussion jusque dans la décennie 1980. Il a en effet fallu
attendre la thèse de Jacques Marseille (1984) pour comprendre en quoi et
pourquoi l’Empire fut une ruine pour la France.
Dans la conception héritée de Jules Ferry, il n’était pas question d’un
développement autonome des colonies où tout devait être conçu au profit de
la métropole. En théorie, le développement, la mise en valeur, la création
des infrastructures nécessaires auraient dû être confiés au capitalisme et
relever du secteur privé. Or, et nous l’avons dit, ces investissements ne se
faisant pas et les territoires n’ayant pas de ressources propres suffisantes,
leurs budgets durent être régulièrement alimentés par des emprunts émis en
métropole afin que puissent être entrepris les travaux d’infrastructure lourde
comme les ports, les ponts, les routes, les hôpitaux, etc. La mise en valeur
de l’Empire africain fut donc totalement supportée par l’épargne des
Français ; les sommes considérables qui y furent investies furent donc
retirées du capital disponible français afin de financer outre-mer des
infrastructures pourtant nécessaires en métropole car :
« […] les usines, les barrages restent en place (en Afrique) et
n’augmentent en rien l’équipement de la métropole. Nous donnons de
l’argent à ces pays pour qu’ils nous payent les installations que nous
réalisons chez eux ; n’est-ce pas une perte ? » (Bonnefous, 1963 : 52)

Les colonies africaines ont-elles enrichi la France ?


En 1788 les colonies qui assuraient une partie de la prospérité des ports atlantiques
généraient des revenus fiscaux de 7 millions de livres tandis que leurs seules
dépenses de fonctionnement coûtaient au trésor français environ 17 millions de
livres. Économiquement parlant, les colonies de l’ancienne monarchie furent peut-
être rentables pour certains Français, mais elles furent certainement ruineuses pour
la France. Il en fut de même avec les colonies acquises par la IIIe République.
Aujourd’hui, grâce aux travaux de Jacques Marseille (1984 ; 1986) et de Lefeuvre
(2005), nous savons que ni l’industrialisation, ni la richesse française ne reposent sur
l’exploitation de l’Afrique. D’ailleurs, si la richesse était mesurée à l’échelle des
possessions impériales, le Portugal aurait dû être une grande puissance industrielle
mondiale. De même, la révolution industrielle française aurait dû se faire dans les
régions des grands ports coloniaux, c’est-à-dire à Nantes, à Bordeaux ou à
La Rochelle et non en Lorraine.
Dans la décennie 1960, les pays les plus riches et les plus développés étaient ceux
qui n’avaient jamais eu de colonies, comme les États-Unis d’Amérique, la Suède et la
Suisse ou ceux qui les avaient perdues comme la Hollande ou l’Allemagne. En
revanche, la Grande-Bretagne et la France qui étaient avec le Portugal, les
principales puissances coloniales étaient à la traîne car les capitaux dépensés outre-
mer n’avaient pas permis la modernisation et la mutation des industries
métropolitaines.
Les colonies ruinaient la France. Tous les responsables politiques le savaient, mais
rares étaient ceux qui le disaient. C’est un journaliste, Raymond Cartier qui, le
premier, osa enfreindre le tabou de l’unanimisme colonial. En 1956, dans
l’hebdomadaire Paris-Match, il publia ainsi un article qui, en son temps, provoqua une
véritable polémique. Il demandait en effet si les 1 400 milliards que la France avait
investis dans son Empire depuis 1946 ne lui auraient pas permis de se transformer
en pays moderne et internationalement compétitif. Au moment où le sous-équipement
métropolitain était criant en matière hospitalière et scolaire, il demandait s’il n’aurait
pas mieux « valu construire à Nevers l’hôpital de Lomé, à Tarbes le lycée de Bobo-
Dioulasso ». Prenant l’exemple de la Hollande qui avait perdu son empire colonial
dans les années d’après-guerre, Raymond Cartier ajoutait :
« […] La Hollande a perdu ses Indes orientales dans les pires conditions[…]et il a
suffi de quelques années pour qu’elle connaisse plus d’activité et de bien-être
qu’autrefois. Elle ne serait peut-être pas dans la même situation si, au lieu
d’assécher son Zuyderzee et de moderniser ses usines, elle avait dû construire des
chemins de fer à Java, couvrir Sumatra de barrages, subventionner les clous de
girofle des Moluques et payer des allocations familiales aux polygames de
Bornéo ». (Cartier, Paris-Match, 18 août 1956)

Véritable boulet pour la France, l’empire africain était-il au moins un


fournisseur de matières premières agricoles ou minières à bon compte pour
sa métropole ? Cette grande idée reçue a elle aussi été balayée par la
recherche moderne puisque nous savons aujourd’hui que la France a
toujours payé les productions impériales, qu’elle avait pourtant
subventionnées, environ 25 % au-dessus des cours mondiaux50. Le surcoût
de l’opération a même été chiffré :
« Un rapport du sous-comité du Marché commun, qui avait fonctionné
dans le cadre du Comité d’études de l’intégration économique de la
métropole et des pays d’outre-mer entre 1954 et 1956, chiffrait à plus
de 50 milliards la surcharge de prix imposée à la métropole sur un
volume d’importations coloniales totales de 360 milliards. » (Marseille,
1986 : 68)51
Quant au soutien des cours des productions coloniales, il coûta à la
France 60 milliards par an de 1956 à 1960. De plus, à l’exception des
phosphates du Maroc, des charbonnages du Tonkin et de quelques
productions sectorielles, l’Empire ne fournissait rien de rare à la France.
Année après année, la France s’est donc ruinée dans son Empire pour y
subventionner des productions non stratégiques, insuffisantes52 et qui,
comme nous venons de le voir, lui étaient vendues au-dessus des cours
mondiaux.
Dans le domaine colonial français au sud du Sahara, les dépenses locales
étaient toutes supportées par la métropole. Le FIDES (Fonds
d’Investissement pour le Développement Économique et Social) était en
théorie alimenté à 90 % par la France et à 10 % par les territoires. Or,
depuis le décret du 6 octobre 1956, la métropole finançait à 100 % tous les
travaux d’équipement dans les domaines sociaux, agricoles et industriels
prévus au plan. Elle assurait 100 % des investissements de Santé,
d’enseignement, d’urbanisation, d’habitat, des travaux urbains de voirie,
des travaux ruraux, de production agricole, d’hydraulique, de mise en
valeur des forêts, d’élevage, de la pêche, du tourisme, de l’industrialisation
et de l’électrification. De plus, la part des 10 % que les territoires devaient
théoriquement acquitter diminua constamment, avec, cette singularité qui
était que, quand ils étaient acquittés, ces 10 % l’étaient au moyen
d’emprunts au Trésor métropolitain par le biais de la Caisse Centrale de la
France d’Outre-mer (CCFOM), dont les fonds venaient directement du
budget métropolitain qui prêtait à long terme et à taux réduits. Prenons
l’exemple de l’AEF (Afrique équatoriale française) : du mois de juin 1946
au mois de juin 1951, la CCFOM prêta à la fédération, 9 800 000 000 FF ;
sur cette somme, l’AEF préleva 59 millions, soit sa part de participation au
FIDES. La France assura donc 100 % du financement !

L’œuvre médicale coloniale


Au point de vue sanitaire, l’œuvre accomplie par les médecins coloniaux français fut
considérable. Ils débarrassèrent les Africains de la lèpre, de la rougeole, de la
maladie du sommeil, du choléra, de la variole, de la fièvre typhoïde et ils leur
donnèrent la quinine qui permettait de lutter contre la malaria. Cette médecine
coloniale, héritière de l’École impériale de santé de Strasbourg forma à partir de 1856
les praticiens qui suivaient une spécialité à l’hôpital d’instruction du Val de Grâce.
Après l’annexion allemande de l’Alsace, deux écoles de santé furent ouvertes, l’une à
Lyon en 1889 et l’autre à Bordeaux en 1890. À partir de 1904, la dernière année de
spécialisation se fit au Pharo à Marseille. Parmi ces bienfaiteurs de l’humanité,
François Maillot (1804-1894) découvrit l’utilisation de la quinine, Alphonse Laveran
(1845-1922) identifia l’hématozoaire agent du paludisme et reçut le Nobel de
physiologie en 1907, Albert Calmette (1863-1933), fonda le laboratoire de l’hôpital de
Saigon en 1894, Alexandre Yersin (1863-1943) découvrit l’agent bactérien de la
peste, le bacille de Yersin, Paul Simond (1858-1947) montra que les puces et les
poux qui prolifèrent sur les rats sont les principaux vecteurs de la propagation de la
peste. Georges Girard et Jean Robic qui avaient été formés à l’École de Santé navale
de Bordeaux, puis au Pharo, à Marseille et enfin à l’Institut Pasteur de Paris, furent
nommés à Madagascar alors que la peste y exerçait des ravages. Ils y inventèrent un
vaccin et comme le temps pressait car il fallait gagner la course contre la mort, ils se
l’injectèrent, servant ainsi de cobayes humains.

En définitive, le budget métropolitain a financé la totalité du plan de


développement de l’empire africain. C’est ainsi que de 1948 à 1955, pour
les seuls investissements, le Trésor métropolitain a dépensé Outre-mer
1 340 milliards de FF, soit 4 milliards d’US $, soit 3 % du revenu national
français (Walter, 1955). Mais à cette somme, il convient encore d’ajouter
toutes les dépenses de fonctionnement, les salaires des fonctionnaires et les
dépenses militaires. La somme était colossale et elle fut mise en évidence à
l’époque car, en 1952, la totalité des dépenses de la France dans son Outre-
Mer, y compris les dépenses liées à la guerre d’Indochine, représentaient
1/5e du budget français (de Bieville, 1953).
Au total, le coût de l’Empire fut considérable. Les seuls investissements
totalisèrent ainsi 6 000 milliards de FF (valeur 1962) pour la période 1900-
1940 et 1 700 milliards pour la période 1945 à 1958 soit le chiffre effarant
de 22 % du total de toutes les dépenses françaises sur fonds publics. Une
telle dépense freinait toute modernisation, toute mutation de l’économie
française et cela au moment où ses principaux concurrents mondiaux
prenaient sur elle une avance déterminante.
De plus, et il importe de ne pas perdre de vue cet aspect essentiel,
Jacques Marseille a démontré que la seule existence d’un marché colonial
impérial créait des habitudes de facilité qui freinaient largement la
combativité commerciale française sur d’autres marchés plus rentables. Le
débouché impérial était en effet protégé. À l’abri des protections constituées
par les contingentements et les préférences tarifaires, de larges secteurs de
l’économie française vivotaient donc, assoupis dans la langueur résultant de
la certitude de contrôler des marchés définitivement acquis. Or, ce
protectionnisme ne favorisa que des industries en déclin, celles qui
n’avaient pas réussi ou qui n’avaient pas voulu s’ouvrir vers les marchés
européens ou en nord américains. Il défavorisait en même temps les
industries françaises de pointe qui étaient pénalisées à l’exportation par les
pays qui se heurtaient au protectionnisme impérial français.
Xavier Daumalin a bien montré dans sa thèse (1992), que, dans les
années 1882-1897, les huileries marseillaises furent confrontées à la
mondialisation du marché des oléagineux avec l’apparition de matières
grasses nouvelles et surtout plus compétitives, comme par exemple
l’arachide indienne. Voyant diminuer considérablement leurs importations
de produits oléagineux depuis l’Ouest africain53, elles tentèrent alors :
« […] d’enrayer leur déclin commercial en prônant – et en obtenant – la
conquête d’un de leurs fiefs traditionnels : le Dahomey. La solution
coloniale apparaît ainsi comme la traduction d’un refus ou d’une
incapacité à s’adapter aux évolutions du marché : c’est un réflexe anti-
libéral » (Daumalin, 1992)
Pour les huileries marseillaises, la colonisation fut donc une bouée de
sauvetage. Mais quelques décennies plus tard, un total retournement de
situation se produisit quand l’Empire devint un concurrent sérieux pour ces
mêmes industries qui avaient tant poussé à sa constitution. En effet :
« […] en favorisant la création d’huileries coloniales […] l’État enlève
aux huileries de Marseille une de leurs raisons d’être – la trituration des
arachides ouest africaines […]. L’AOF triturera désormais la quasi-
totalité de sa récolte d’arachides et le port de Marseille se contentera de
raffiner l’huile ainsi produite […]. Les huiliers marseillais […] rejettent
une politique économique qui […] favorise le développement d’une
industrie coloniale concurrente. Ils s’interrogent alors, dès les années
1934-1939, et plus encore au lendemain de laSeconde Guerre mondiale,
sur l’utilité et le coût de la colonisation. À Marseille, les colonies ne
font plus l’unanimité » (Daumalin, 1992)
Avec cet exemple, le paradoxe colonial français est bien mis en
évidence : par philantropisme, la France pratiqua la préférence coloniale
aux dépens de ses intérêts métropolitains. L’exemple de l’Algérie en est une
éclairante illustration comme nous allons le voir.
L’exemple de Madagascar
Au jour de l’indépendance, le 26 juin 1960, la France laissait à Madagascar
l’unification territoriale et politique ainsi que l’élimination du brigandage, ce fléau
endémique. Dans le domaine de la santé, les grandes endémies (peste, choléra,
variole, fièvre typhoïde) avaient été vaincues. C’est d’ailleurs à Tananarive, en 1935,
que les docteurs Girard et Robic mirent au point le vaccin antipesteux. Les effets de
la politique sanitaire coloniale sur la démographie furent particulièrement nets
puisque la population passa de 2 500 000 habitants environ en 1900 à plus de
6 000 000 en 1960. Au moment de l’indépendance, 50 % des enfants étaient
scolarisés.
En 1960, la France léguait à Madagascar 28 000 km de pistes carrossables,
3 000 km de routes bitumées ou empierrées, des centaines d’ouvrages d’art, des
lignes de chemin de fer (Antsirabe-Tananarive-Tamatave-lac Alaotra et Fianarantsoa-
Manakara), des ports équipés (Diego Suarez, Tamatave, Majunga et Tuléar) et des
aérodromes. La priorité française avait été l’agriculture et ses dérivés : café, vanille,
du girofle, de la canne à sucre et tabac. La culture du poivre avait été introduite avec
celle du coton, du sisal, des arbres fruitiers, de la vigne et de la pomme de terre.
Quant à la riziculture, elle avait été développée et dès 1920, Madagascar en exportait
33 000 tonnes. Les ingénieurs des Eaux et Forêts avaient lutté contre l’érosion par le
reboisement des hauts plateaux. Des barrages avaient été construits afin de
constituer des réserves pour l’irrigation. Des industries de transformation des
productions agricoles (huileries, sucreries, tanneries, conserveries de viande, etc.)
avaient été créées. Ceci faisait qu’au moment de l’indépendance, l’autosuffisance
alimentaire était assurée et les exportations de riz courantes et régulières.

2. Cette « Chère Algérie54 »


Suivant la voie ouverte par Jacques Marseille, Daniel Lefeuvre (2005) a
démontré dans un livre fondateur que l’Algérie était, elle aussi, un fardeau
pour la métropole. En 1959, toutes dépenses confondues, celle qu’il baptise
la « Chère Algérie » engloutissait ainsi à elle seule 20 % du budget de l’État
français, soit davantage que les budgets additionnés de l’Éducation
nationale, des Travaux publics, des Transports, de la Reconstruction et du
Logement, de l’Industrie et du Commerce !
Le paradoxe est que c’est en soulageant les misères des populations
algériennes et en faisant reculer la mortalité infantile que la France, avec la
meilleure intention du monde, créa les conditions d’une catastrophe qu’elle
s’était par avance condamnée à gérer. À partir de 1945, chaque
année 250 000 naissances nouvelles étaient en effet comptabilisées en
Algérie, soit un doublement de la population tous les 25 ans. Or, depuis les
années 1930 les ressources locales stagnaient et dès 1935 le territoire ne fut
plus en mesure de nourrir sa population55.
L’Algérie s’enfonçait donc inexorablement dans la crise, la France
accompagnant financièrement un déclin allant en s’aggravant année après
année, tout en nourrissant les bouches nouvelles, en bâtissant des hôpitaux,
des écoles, des routes, des ponts et en tentant de créer artificiellement
des milliers d’emplois. Aucun gouvernement n’osa poser la question du
nécessaire désengagement, l’appartenance de l’Algérie à l’ensemble
français étant alors une évidence pour tous les partis politiques. Mais
l’aveuglement avait un coût que les économistes et les milieux patronaux
métropolitains avaient évalué. Lucides et inquiets, ils tirèrent donc la
sonnette d’alarme. En vain.
En 1953 les recettes locales ne permettant plus de faire face aux dépenses
de fonctionnement, les dirigeants français durent se rendre à l’évidence :
l’Algérie était bel et bien en faillite. Au mois d’août 1952, anticipant en
quelque sorte la situation, le gouvernement d’Antoine Pinay (8 mars 1952-
23 décembre 1952), avait demandé au parlement le vote de 200 milliards
d’impôts nouveaux, tout en étant contraint de faire des choix budgétaires
douloureux. Pour aider encore davantage l’Algérie il fallut alors faire
patienter la Corrèze et le Cantal. Le sacrifice des Français de France fut
alors double puisque leurs impôts augmentaient tandis que les engagements
de l’État dans les domaines routiers, hospitaliers, énergétiques, etc., étaient
amputés ou retardés.
« Tutrice généreuse », la France continua à couvrir « avec constance les
découverts de sa pupille » selon les termes de Lefeuvre, et l’implication du
budget national dans les déséquilibres algériens alla sans cesse en
augmentant. C’est ainsi que, de 1949 à 1953 le volume des investissements
sur fonds publics en francs courants atteignit 305 milliards dont les
4/5e assurés par l’État français. De 1952 à 1956 les ressources d’origine
métropolitaine affectées au financement du 2e plan d’équipement passèrent
de 50 % à plus de 90 %. Le pic de cette politique fut même atteint avec le
« Plan de Constantine » annoncé par le général De Gaulle le 3 octobre 1958
et qui, lui aussi, prétendait apporter une réponse économique à des
problèmes sociaux, démographiques, culturels et politiques. Durant les neuf
premiers mois de 1959 les crédits d’investissement en Algérie atteignirent
103,7 milliards dont 71,5 milliards directement financés par le Trésor
français. De 1950 à 1956, la seule industrie algérienne reçut, hors secteur
minier, en moyenne 2 395 millions d’anciens francs annuellement. En 1959
et en 1960 cette somme atteignit en moyenne 5 390 millions56.
Quels intérêts la France avait-elle donc à défendre en Algérie pour s’y
ruiner ainsi avec une telle obstination, l’on pourrait presque dire avec un tel
aveuglement ? La réponse est claire : économiquement aucun ! Et pourtant
écrit Daniel Lefeuvre (2005) :
« Que d’articles, de déclarations, de discours pour rappeler que
l’Algérie est le premier client de la France ! Que de sottises ainsi
proférées sur le nombre d’ouvriers français qui travaillaient grâce aux
commandes passées par l’Empire ! »
Qu’il s’agisse des minerais, du liège, de l’alpha, des vins, des
agrumes, etc., toutes les productions algériennes avaient en effet des coûts
supérieurs à ceux du marché. En 1930 le prix du quintal de blé était de
93 francs en métropole alors que celui proposé par l’Algérie variait
entre 120 et 140 F, soit 30 à 50 % de plus. C’est parce que la France payait
sans discuter que l’Algérie pouvait pratiquer ces prix sans rapport avec les
cours mondiaux ce qui, en 1934, faisait tout de même dire au rapporteur
général de la Commission des finances des Assemblées financières
algériennes :
« Il n’y a pas d’exemple assurément que par sa législation protectrice,
par son économie dirigée, l’État ait fait subir à la loi naturelle de l’offre
et de la demande une aussi profonde mutilation ». (cité par Lefeuvre,
2005).
Résultat d’une telle politique, l’Algérie qui avait vu se fermer tous ses
débouchés internationaux en raison de ses prix n’eut bientôt plus qu’un seul
client et un seul fournisseur, la France. Décidément aveugle, cette dernière
continuait d’acheter à des cours largement supérieurs au marché des
productions qu’elle avait déjà largement payées puisqu’elle n’avait jamais
cessé de les subventionner ! Le plus insolite est que l’Algérie ne fit aucun
effort tarifaire dans sa direction, dévorant sans états d’âme une rente de
situation assurée par les impôts des Français. Ainsi, entre 1930 et 1933,
alors que le vin comptait pour près de 54 % de toutes ses exportations
agricoles, le prix de l’hectolitre qu’elle vendait à la France était supérieur de
58 % à celui produit en Espagne, ce qui n’empêcha pas la métropole de se
fermer au vin espagnol pour s’ouvrir encore davantage au sien…
Daniel Lefeuvre démontre également que, contrairement aux idées
reçues, la main-d’œuvre industrielle algérienne était plus chère que celle de
la métropole. Un rapport de Saint-Gobain daté de 1949 en évaluait même le
surcoût :
« […] pour le personnel au mois, la moyenne des (rémunérations
versées) ressort à 27 000 F pour la métropole contre 36 000 F en
Algérie […] Par comparaison avec une usine métropolitaine située en
province, l’ensemble des dépenses, salaires et accessoires est de 37 %
plus élevée. » (Lefeuvre, 2005)
L’industrialisation de l’Algérie était donc impossible, sauf à rembourser
le surcoût qu’elle impliquait aux industriels. C’est d’ailleurs ce que fit la
France comme le montre l’exemple du secteur de la verrerie. En 1945 une
bouteille fabriquée en Algérie coûtant 78 % de plus que la même bouteille
produite en métropole, il valait mieux importer que fabriquer sur place. Un
accord fut alors conclu entre les Verreries d’Afrique du Nord (VAN), la
Caisse des marchés de l’État et le Crédit national : les VAN s’engageaient à
produire en Algérie même des bouteilles et des dérivés, puis à les mettre sur
le marché à un prix agréé par le Gouvernement général de l’Algérie ; en
contrepartie l’État prenait à son compte les pertes. Quant aux
investissements nécessaires à la relance de la fabrication qui étaient de
150 millions de FF de 1946, ils étaient assurés pour 50 millions par l’État et
les 100 millions restants par emprunt du Crédit national avec garantie
étatique. De plus, pour faire face aux dépenses de fabrication les VAN
disposeraient de crédits d’aval de 70 millions consentis par la Caisse des
marchés. Pour survivre, l’industrie algérienne devait donc, non seulement
disposer d’un marché local protégé, mais encore être subventionnée par
l’État français.
Placée sous « assistance respiratoire » par la France qui ne cessa de
l’alimenter artificiellement, l’Algérie était incapable de subvenir à ses
propres besoins. Elle dépendit constamment des importations
métropolitaines et n’évita la banqueroute que parce que l’État français
combla obstinément ses déficits. Voilà qui explique le discours radiotélévisé
que le général De Gaulle prononça le 29 décembre 1961. C’est au « tonneau
des Danaïdes » algérien qu’il pensait quand il déclara que si l’engagement
français en Algérie :
« […] restait ce qu’il est, (il) ne saurait être pour (la France) qu’une
entreprise à hommes et à fonds perdus, alors que tant de tâches
appellent ses efforts ailleurs ».
L’Empire était bien une erreur économique majeure qui risquait de
conduire la France à l’asphyxie et au déclin. Le général De Gaulle l’avait
bien compris et pour lui, il était donc non seulement urgent, mais même
vital de décoloniser.

Les médecins de colonisation


Le 14 juin 1830, quand sous les ordres du maréchal de Bourmont et de l’amiral
Duperré, une armée de 36 450 hommes débarqua à Sidi Ferruch, il n’y avait pas de
médecins en Algérie. Cet art y était pratiqué par des soigneurs dans les bains maures
et les accouchements étaient réalisés par des matrones, les qablat. Seule exception,
certains consulats européens avaient monté des centres de soins.
Avant la fin du mois de juin 1830 le service de santé des Armées ouvrit ses premiers
centres destinés à la population civile. En 1853 le ministre de la Guerre créa les
Médecins de colonisation qui furent au nombre d’une centaine à la fin du XIXe siècle et
qui œuvrèrent dans une soixantaine de circonscriptions réduites au fur et à mesure
de l’installation de médecins libéraux. En 1940 le nombre des circonscriptions passa
à 112, ce qui fit qu’à partir de cette date, 64 % de la population eut accès à un
médecin pour des consultations et des vaccinations gratuites.
En 1944 les médecins de colonisation devinrent médecins de la santé, puis en 1951,
médecins de l’assistance médico-sociale, aidés et secondés par des infirmières
visiteuses coloniales. Ils éradiquèrent le typhus, firent reculer le paludisme et la
syphilis (mrid el kebir), traitée efficacement après l’introduction de la pénicilline. Ils
distribuèrent les sulfamides qui permirent de traiter le trachome. Ils firent reculer puis
ils éradiquèrent la tuberculose et la rage57.

1. La communauté européenne était forte d’environ 250 000 personnes dans les années 1950.
2. C’est ainsi que le 5 décembre 1952 fut assassiné Farhat Hached, militant nationaliste et leader
syndicaliste tunisien.
3. Et pourtant, quelques semaines auparavant, au mois de juin 1954, lors de son investiture, Pierre
Mendès-France avait déclaré : « J’affirme la nécessité de sauvegarder la présence française en
Tunisie. Je suis bien d’accord avec Mitterrand lorsqu’il dit qu’en Tunisie, le problème n’est pas
d’abandonner mais de rester. Bizerte a pour nous la même valeur que Toulon ».
4. Au mois de février 1961, Bourguiba déclara que le jeûne du ramadan paralyse les activités des
Tunisiens et leur interdit de combattre le sous-développement.
5. Le 14 août 1961, Salah ben Youssef fut abattu à Francfort et ses assassins ne furent jamais
clairement identifiés. Voir à ce sujet le livre d’Omar Khlifi (2005).
6. Voir à ce sujet Sébastien Abis (1998) et Patrick-Charles Renaud (2000).
7. Les effectifs français étaient au total de 7 700 hommes dont nombre de marins membres des
équipages des navires mouillés dans la rade ce qui faisait que seuls 2000 hommes pouvaient être
immédiatement engagés dans la défense de la base. Les effectifs de la garnison, dont l’ossature était
le 8e Régiment Interarmes étant insuffisants, la décision fut prise de la renforcer par un parachutage.
8. Sur le récit de l’action de ces deux régiments, voir Philippe Boisseau (1998).
9. Les chiffres faisant état de plusieurs milliers de morts tunisiens sont notoirement exagérés.
10. L’Istiqlal, principal mouvement nationaliste marocain fondé essentiellement par Allal el Fassi
lutta sans relâche pour l’indépendance du Maroc. Il se voulait moderniste et dénonçait les
survivances « féodales » incarnées notamment par le Glaoui. Ce dernier y voyait un rassemblement
de révolutionnaires et même de communistes, ce qui était largement exagéré.
11. L’œuvre de Lyautey était ainsi réduite à néant car il avait pacifié le Maroc en faisant précisément
accepter l’autorité du sultan aux tribus et à leurs chefs.
12. L’Espagne qui avait été tenue dans l’ignorance de la déposition du sultan, faite en infraction au
Traité de Fès du 30 mars 1912, continua à regarder Sidi Mohamed Ben Youssef comme le seul
souverain légitime.
13. Pierre July ministre des Affaires marocaines et tunisiennes depuis le 23 février 1955, conserva
son portefeuille jusqu’au 20 octobre 1955 quand le ministère fut rattaché à celui des Affaires
étrangères alors dirigé par Antoine Pinay.
14. Plus que centenaire en 1955, il avait effectué une première mission à Paris comme Ambassadeur
du Maroc entre 1885 et 1892.
15. Les Israélites et les Français du Maroc étaient également représentés.
16. Les Marocains partisans du souverain légitime l’avaient baptisé du sobriquet méprisant de
« Sultan des Français ».
17. Pour éviter la vacance du pouvoir, la constitution d’un Conseil du Trône avait été proposée le
26 décembre 1954 par le Sultan en exil.
18. Le 15 août 1957, afin de bien marquer la rupture avec l’ancien Maroc et pour renforcer encore
l’institution monarchique, il abandonna le titre de sultan pour prendre celui de roi. À cette occasion
il choisit comme nom de règne Mohammed V.
19. Au mois d’avril, l’Espagne restitua à Rabat la zone nord qui était sous son contrôle puis, au mois
d’octobre, la ville de Tanger. Elle conservait en revanche l’enclave de Sidi Ifni, la zone de Tarfaya,
et le Sahara occidental.
20. La première victime fut une fillette européenne âgée de huit ans.
21. Le chiffre de plus de 40 000 morts a été lancé sans vérification par une source diplomatique
américaine favorable aux indépendantistes (Vétillard, 2007).
22. Il en fut de même avec Hocine Aït Ahmed qui fut le premier chef de l’OS et avec Mohamed
Boudiaf.
23. Notamment au mois de juin 1957 lors du massacre de centaines de femmes, d’enfants et de
vieillards à Mélouza, tuerie qui s’inscrivait dans la stratégie du FLN visant à éliminer le MNA afin
d’apparaître comme le seul représentant du nationalisme algérien (Simon, 2006).
24. Mohammed Harbi (1980) a bien mis en évidence le rôle de Messali Hadj dans la genèse des
premiers mouvements indépendantistes algériens et cela dès les années 1920-1930, puis la manière
dont le FLN l’a ensuite marginalisé puis combattu. Il a décrit la féroce guerre que le FLN livra au
MNA et l’élimination physique de ses militants, notamment en France, mettant ainsi à mal le mythe
fondateur d’une unité des nationalistes contre le colonisateur français (Harbi et Stora, 2005).
25. Pour une vision dépassionnée, claire et objective de la guerre d’Algérie on se reportera à
Monneret (2008).
26. Le 1er novembre 1954, un communiqué de la radio La Voix des Arabes émettant depuis Le Caire
annonça : « la lutte grandiose pour la liberté a commencé ».
27. Le 26 septembre 1955, 61 élus musulmans des diverses assemblées françaises et de l’Assemblée
algérienne se prononcèrent contre l’intégration dans laquelle ils voyaient une forme déguisée
d’assimilation alors que, selon eux, l’heure était désormais à « l’idée nationale algérienne ».
28. Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Hamed, Mohamed Boudiaf, Mostefa Lacheraf et Mohamed
Khider.
29. Pour un état de la question, il sera utile de se reporter à Aussaresses (2001) et à Branche (2001)
qui présentent les faits d’une manière à la fois opposée et partisane et à Puy-Montbrun (2002) pour
sa hauteur de vue.
30. Pour une perspective nouvelle concernant le bilan historique du général De Gaulle, on se
reportera à Dominique Venner (2005).
31. Composé de Krim Belkacem, d’Abdelhafid Boussouf et de Lakhdar Bentobbal.
32. Lettre du général De Gaulle à son fils, 21 janvier 1962. Citée par Jean Lacouture (1993 : 252).
33. En métropole, le « oui » obtint 75,25 % et le « non » 24,74 %. En Algérie, le « oui » recueilli
69,09 % des suffrages et le « non » 31 %.
34. Dont 7 917 par accident et 1 114 par maladie donc 15 583 au combat.
35. Les élus d’Outre-mer étaient 75 en 1946, 83 en 1951 et 52 en 1956 année où il n’y eut pas
d’élections en Algérie. Plusieurs députés Africains participèrent aux travaux de l’Assemblée
constituante française, dont le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, l’Ivoirien Félix Houphouët-
Boigny, le Soudanais Fily Dabo Sissoko, le Dahoméen Sourou Migan Apithy, le Camerounais
Douala Manga Bell et le Congolais Jean-Félix Tchicaya. Ils choisirent de siéger parmi les grands
partis politiques français, MRP, SFIO et MUR (Mouvements unis de la résistance, communiste).
Rapidement, ils souhaitèrent prendre leur autonomie par rapport à ces partis au sein desquels ils
étaient souvent réduits à n’être qu’une force d’appoint.
36. Né en 1872 et mort en 1957, cette grande figure de la gauche française, radical humaniste, maire
de Lyon, président du Conseil en 1924 après la victoire du « Cartel des gauches », avait été
président de l’Assemblée nationale à la veille du second conflit mondial et le fut à nouveau de 1947
à 1954.
37. Un congrès fut convoqué à l’initiative de Félix Houphouët-Boigny, de Gabriel d’Arboussier, de
Fily Dado Sikosso et de Lamine Guèye. Cette initiative fut mal reçue par Marius Moutet, ministre
socialiste de la France d’outre-mer qui soupçonna le Parti communiste d’être à l’origine de
l’opération. Il engagea alors Fily Dabo Sissoko à se dissocier des organisateurs du congrès et à tout
faire pour empêcher sa tenue en dénonçant Houphouët-Boigny comme étant un sous-marin du Parti
communiste. Finalement, les deux hommes parvinrent à s’entendre et Sikosso présida même la
séance d’ouverture du congrès. Le 18 octobre 1946, à Bamako, chef-lieu du Soudan français, des
centaines de militants venus de toute l’Afrique sud-
saharienne se rassemblèrent alors pour un congrès fondateur qui exprima clairement le refus de
l’assimilation mais tout en se prononçant pour l’adhésion à un projet d’union avec la France. À
l’issue des travaux fut créé le premier politique panafricain, le Rassemblement démocratique
africain (RDA) qui vit le jour le 21 octobre et qui fut dirigé par Houphouët-Boigny.
38. Sur l’insurrection de 1947, voir également Tronchon (1986) et Duval (2002).
39. En 1956, le BDS devint le BPS (Bloc populaire sénégalais).
40. Longtemps la France eut la tentation de faire perdre au Cameroun son statut particulier afin de le
rattacher à l’Union française. En 1952, le Conseil de Tutelle de l’ONU lui avait demandé de créer
au Togo une « assemblée législative dotée d’une large compétence, largement indépendante, élue
par un collège unique ». Paris avait accepté et le Togo évolua selon le même principe que les
colonies anglaises. Le 16 avril 1955, fut ainsi promulgué un statut élargissant les pouvoirs de
l’assemblée territoriale élue depuis 1952 au collège unique, tandis qu’était créé un conseil de
gouvernement avec participation togolaise. Lors des élections de juillet 1955, le Parti togolais de
Progrès enleva tous les sièges et demanda la fin de la Tutelle. Le Togo britannique se prononça
pour le rattachement au Ghana.
41. Son exposé des motifs était on ne peut plus clair : « Il ne faut pas se laisser devancer et dominer
par les évènements pour ensuite céder aux revendications lorsqu’elles s’expriment sous une forme
violente. Il importe de prendre en temps utile les dispositions qui permettent d’éviter les conflits
graves ». (Exposé des motifs de la loi-cadre du 23 juin 1956)
42. Gaston Defferre avait écrit au mois d’avril 1956 que grâce aux mesures qu’il prévoyait : « […] le
paysan noir pourra, au même titre que le diplômé, exprimer son opinion ».
43. Boigny signifie « bélier » en langue baoulé.
44. Trois compagnies supplémentaires arrivèrent en renfort au mois de janvier 1958.
45. Comme nous l’avons vu plus haut, le problème fut alors d’éviter la balkanisation de l’Afrique
française. Senghor souhaitait une fédération dont Dakar serait la capitale mais le Dahomey et la
Haute-Volta refusèrent et, seul au sein de l’ancienne AOF, le Soudan rejoignit le Sénégal pour
constituer avec lui l’éphémère Fédération du Mali.
46. En 1914, les investissements français dans l’Afrique sudsaharienne s’élevaient à 4 % de
l’ensemble de tous les investissements français à l’étranger ; de plus, seul ¼ de ces 4 %, soit 1 %,
était d’origine privée. Le capitalisme français ne croyait donc pas à l’Empire africain.
47. Entre les deux guerres, le capital privé français se dégagea quasi totalement de l’Empire.
48. De 1945 à 1958, l’État français investit outre-mer 1 700 milliards de francs dont 800 en Afrique
noire et consacra 60 % de ses investissements à la création d’infrastructures de transport
(Bonnefous, 1963). Durant la décennie 1946 à 1956, la France dépensa 1 400 milliards en
infrastructures dans son Empire (Marseille, 1984).
49. En métropole il fallait reconstruire 7 000 ponts sur 9 000, 150 gares principales, 80 % du réseau
de navigation fluviale, 50 % du parc automobile, etc. (Marseille, 1986).
50. Ainsi, en 1958, 22 % de toutes les importations coloniales en métropole étaient constitués par le
vin algérien dont le litre était payé 35 francs alors que, à qualité égale, le vin grec, espagnol ou
portugais ne valait que 19 ou 20 francs. Le cacao de Côte d’Ivoire était payé 220 francs les 100 kg
quand le cours mondial était de 180 francs. Pour les arachides du Sénégal, les agrumes et les
bananes en général, le prix colonial français était de 15 à 20 % supérieur aux cours mondiaux.
(Marseille, 1983).
51. En définitive, le seul avantage pour la France qui payait les productions de son propre empire à
un cours supérieur aux prix du marché mondial, était de le faire sans avoir à sortir de devises.
52. L’exemple de l’Office du Niger est éloquent. Créé en 1932 au prix d’investissements
considérables, il ne fournissait à la France, 28 ans plus tard, en 1960, que 120 000 tonnes de coton
quand ses besoins étaient de 400 000 tonnes et cela, à un prix de revient final exhorbitant.
53. De 1881 à 1897, les importations marseillaises d’oléagineux tombèrent de 127 200 tonnes à
52 000 tonnes et les investissements de 27,1 à 13,1 millions de francs (Daumalin, 1992).
54. Selon le titre du livre de Daniel Lefeuvre (2005).
55. La France devait donc y importer grains, pommes de terre, viande, laitages, etc., Même l’huile
produite localement ne suffisait plus à la consommation. L’image d’Épinal de l’Algérie « grenier »
de la France s’envole ainsi sous le froid scalpel de l’économiste.
56. Entre 1959 et 1961, une nouveauté intervint : l’entrée en scène du capital privé. Pour le seul plan
de Constantine, les industries métropolitaines investirent ainsi 27,40 milliards d’anciens francs hors
secteur des hydrocarbures. Les industriels français étaient-ils soudainement devenus
philanthropes ? Alors qu’ils s’étaient jusque-là prudemment tenus à l’écart de la « chère Algérie »,
pourquoi se décidaient-ils subitement d’y investir ? Daniel Lefeuvre donne l’explication de cette
soudaine « générosité » : les créations d’usines en Algérie étaient payées par les contribuables
métropolitains grâce à un cadeau de 90 millions de francs de l’époque fait par l’État à chaque
industriel décidant d’investir en Algérie.
57. L’Algérianiste, no 11, septembre 1980, n° spécial consacré à l’œuvre médicale française en
Algérie.
Chapitre II.
La décolonisation britannique

En 1945, l’empire colonial africain britannique s’étendait en Afrique de


l’Ouest (Gold Coast – l’actuel Ghana –, Sierra Leone, Nigeria et Gambie,
plus une partie du Togo et du Cameroun) ; en Afrique de l’Est (Kenya,
Uganda, Zanzibar, plus l’ancien Tanganyika allemand sur lequel elle
exerçait une Tutelle) ; en Afrique australe (Nyassaland, – l’actuel Malawi –,
Rhodésie du Nord – l’actuelle Zambie –, Rhodésie du Sud, l’actuel
Zimbabwe, plus les protectorats du Bechuanaland – l’actuel Botswana –, du
Basutoland – l’actuel Lesotho – et du Swaziland). La Grande Bretagne
exerçait également sa souveraineté sur le Soudan-anglo-égyptien1.
La politique britannique de décolonisation fut différente de celle suivie
par la France. Londres ayant admis très tôt que le mouvement des
indépendances était inéluctable, il lui importait donc d’une part, de ne pas
se laisser acculer à des situations conflictuelles tout en organisant la
transition au mieux de ses intérêts. De plus, et encore à la différence de la
France, il y eut en Grande-Bretagne un consensus de toute la classe
politique2.
Contrairement à ce qui était la pratique dans le domaine impérial
français, le système colonial britannique était largement décentralisé. À
partir du moment où la politique de décolonisation fut décidée, il suffit donc
de renforcer progressivement les pouvoirs du conseil législatif et du conseil
exécutif existant dans chaque colonie, d’en augmenter ensuite petit à petit le
nombre de membres élus par rapport à ceux qui étaient nommés, puis enfin
d’élargir la base électorale chargée de les élire. Au terme du processus les
gouverneurs britanniques furent remplacés par des présidents africains.
Les indépendances furent donc en général acquises sans heurts, sans
ruptures majeures et au terme d’une évolution constitutionnelle contrôlée de
bout en bout. Les seules exceptions furent le Kenya où, en 1952, éclata la
révolte des Mau-Mau, et la Rhodésie du Sud où la minorité blanche
proclama unilatéralement son indépendance en novembre 1965.

A. L’Égypte et le Soudan
À la fin du second conflit mondial, l’Égypte, indépendante depuis 1922,
mais en réalité protectorat déguisé, fut un pays moteur dans le combat pour
la décolonisation. Quant à la question soudanaise, son importance fut
considérable dans le contexte de la montée du nationalisme égyptien, le
pays étant depuis 1899 un condominium anglo-égyptien. L’on parlait
d’ailleurs de Soudan anglo-égyptien.

1. L’Égypte, moteur de la décolonisation3


Au lendemain du second conflit mondial, l’Égypte fut secouée par une
vague de fond anti-britannique. Le 21 février 1946, de graves émeutes
eurent lieu au Caire qui provoquèrent de nombreuses victimes européennes.
Le 4 mai, de nouvelles émeutes embrasèrent la capitale et elles s’étendirent
ensuite à Alexandrie puis à Ismailia. Ces évènements se déroulèrent alors
que l’Égypte négociait avec Londres l’abrogation du traité de 1936 relatif
au stationnement des troupes britanniques dans la zone du canal. Les
négociations qui avaient débuté en 1946 furent rompues en 1947 et la
tension devint de plus en plus vive avec des attentats commis contre les
garnisons britanniques.
Le 14 mai 1948, David Ben Gourion proclama l’État d’Israël. Le 15 mai,
les États arabes qui refusaient la création d’un État juif entrèrent en guerre.
L’armée égyptienne prit Gaza, Hébron et marcha en direction de Jérusalem,
mais au mois d’octobre 1948, les forces israéliennes réussirent à l’encercler.
Les hostilités cessèrent le 7 janvier 1949 mais la défaite provoqua un
profond traumatisme en Égypte.
Lors des élections de 1950, le parti Wafd se livra à une surenchère
nationaliste et il remporta les deux tiers des sièges. Nahas Pacha qui revint
aux affaires avait bien pris le pouls de l’opinion qui exigeait l’évacuation
des forces d’occupation britanniques4 et l’union de l’Égypte et du Soudan.
En conséquence de quoi, le 15 octobre 1951, il décida unilatéralement
d’abroger le traité de 1936 et les accords de 1899 concernant l’existence du
condominium anglo-égyptien sur le Soudan. Londres considéra que cette
double décision n’avait aucune valeur juridique, provoquant ainsi la colère
des Égyptiens qui attaquèrent les garnisons anglaises stationnées dans la
zone du canal. La riposte de l’armée britannique fut de grande ampleur et
les victimes se comptèrent par dizaines.
L’Égypte décida alors de rompre ses relations diplomatiques avec la
Grande-Bretagne et les troubles s’étendirent à tout le pays. Une
manifestation monstre qui se déroula au Caire le 26 janvier 1952 dégénéra
en émeute, les magasins et les établissements de luxe de la capitale furent
pillés ainsi que les biens juifs et le gouvernement Wafd fut renversé.
Le 22 juillet 1952, dans la soirée, eut lieu le coup d’État des Officiers
libres. Les principaux responsables du mouvement étaient Gamal Abdel
Nasser, Anouar el-Sadate, Zakaria Mohieddine et Abd al-Hakim Amer.
Anouar El Sadate lut à la radio une proclamation rédigée par le colonel
Nasser et dans laquelle était dénoncée la corruption et l’inertie du pouvoir.
Le 26 juillet, le roi Farouk qui avait vainement sollicité l’aide britannique
abdiqua en faveur de son fils Fouad II avant de partir pour l’exil5. Ali
Maher, qui, en 1939, avait refusé de déclarer la guerre à l’Allemagne et à
l’Italie, présida un nouveau gouvernement mais il démissionna le
7 septembre et fut remplacé par le général Mohamed Néguib (1901-1984),
Commandant général de l’armée.
Le 18 juin 1953, la monarchie fut abolie, la République proclamée et le
général Néguib nommé président de la République. Au mois de mars 1954,
le colonel Gamal Abdel Nasser devint Président du Conseil des ministres et
du Conseil du commandement de la Révolution. Lors de son accession au
pouvoir il promit d’effacer l’humiliation militaire subie en 1948, de libérer
le monde arabe du colonialisme et de rendre leur fierté aux Égyptiens6 :
« Peuple égyptien, tu as sept mille ans d’histoire derrière toi. Sois fier
car tu peux l’être. Relève la tête, tu as ta dignité à défendre »
Le général Néguib qui avait été un paravent, et même une caution, pour
les Officiers libres était panislamiste, ce qui était à l’opposé du laïcisme des
auteurs du coup d’État du 22 juillet 1952. Comme il se rapprocha des
Frères musulmans (Mitchell, 1969), association dont le but était le retour au
califat, donc à un État regroupant tous les musulmans, l’épreuve de force
avec Nasser était donc inévitable.
Au mois de février 1954 Nasser décida l’élimination des Frères
musulmans7 et le 13 novembre 1954, le général Néguib fut démis de ses
fonctions et placé en résidence surveillée. Ayant assuré son pouvoir, Nasser
négocia ensuite le départ des troupes britanniques.

Les Frères musulmans


La confrérie des Frères musulmans fut fondée au mois de mars 1927 à Ismaïlia, par
Hassan al-Banna, un instituteur égyptien qui souhaitait trouver dans la tradition
islamique les moyens de relever les défis de l’occidentalisation. Pour lui, la société
égyptienne était malade et corrompue et ce n’était que par un retour à la vraie
tradition, aux sources du Coran, qu’elle pouvait être guérie. Au plan politique, le but
ultime était le califat, donc un État regroupant tous les musulmans.
Durant cinq années, de 1928 à 1933, Hassan al-Banna avait dénoncé l’occupation
anglaise dans de très nombreuses conférences et écrits, mais, en même temps, il
organisait et structurait son mouvement. Largement clandestin, il rassembla plusieurs
centaines de milliers d’adhérents dans les années 1946-1948. Il s’opposa vite au parti
Wafd qu’il considérait comme étant trop occidentalisé. Recrutant auprès des masses
défavorisées auxquelles elle apportait une aide charitable, l’organisation devint vite
un redoutable instrument politique face à une monarchie qui apparaissait comme
corrompue et un parti Wafd dénoncé comme ayant pactisé avec les Britanniques.
Le 12 février 1949, au Caire, Hassan al-Banna fut assassiné, probablement sur ordre
des autorités politiques car le mouvement des Frères musulmans, interdit depuis le
6 décembre 1948 avait de plus en plus d’influence parmi les masses8. Le
28 novembre, le Premier ministre Nokrachi que l’organisation considérait comme
responsable de l’interdiction fut assassiné en représailles à la mort d’Hassan al-
Banna.

Le 27 juillet 1954 fut signé un traité par lequel l’Angleterre s’engageait à


retirer toutes ses troupes de la zone du canal9. Ce fut chose faite le
19 octobre 1954 avec la ratification de l’accord du 27 juillet.
À partir de l’année suivante, Nasser adopta une nouvelle politique qui
commença à être dénoncée par les puissances occidentales. À la conférence
de Bandoeng, en avril 1955, il fut ainsi le porte-parole du monde arabe dans
ce qui allait devenir le Tiers Monde dont il devint rapidement un des
principaux leaders avec l’Indien Nehru, le Yougoslave Tito et le Chinois
Chou-en-Laï. C’est à partir de ce moment que les bons rapports qu’il avait
jusque-là entretenus avec les Occidentaux se dégradèrent, les États-Unis
d’Amérique n’acceptant pas la position de « non-alignement » de l’Égypte
considérée par eux comme une adhésion de facto au bloc soviétique. La
signature le 26 février 1955 du Pacte de Bagdad entre l’Irak, la Turquie, le
Pakistan, l’Iran et la Grande Bretagne avait été ressentie par Nasser comme
une grave erreur car il aboutissait à faire des Arabes des partenaires de
l’Occident dans leur confrontation avec les Soviétiques. Nasser réagit
d’ailleurs immédiatement en tentant de constituer avec la Syrie et l’Arabie
saoudite un front arabe neutraliste. Au Caire, la presse s’en prit alors
violemment à l’Irak où la situation devint vite explosive et où d’immenses
manifestations contre le pacte furent organisées10.
Pour bien montrer que l’Égypte était un pays souverain et effectivement
« non-aligné », Nasser entreprit de nouer des relations commerciales avec le
bloc soviétique. Afin de diversifier ses armements, il décida d’acheter des
armes auprès des fabricants de l’Europe de l’Est, ce qui provoqua la colère
des Occidentaux lesquels, en représailles, décidèrent de ne pas participer au
financement des travaux du barrage d’Assouan.

La crise de Suez
Durant l’année 1956, la tension n’ayant cessé de croître entre L’Égypte et Israël, le
colonel Nasser prit la décision de fermer le canal de Suez aux navires de l’État
hébreu. Le 26 juillet, pour répliquer au refus de financement du barrage d’Assouan
par les Occidentaux, il nationalisa le canal encore détenu à plus de 40 % par des
intérêts essentiellement britanniques et il plaça sous séquestre les biens de la
Compagnie universelle du canal de Suez. Britanniques et Français retirèrent alors
leurs techniciens qui furent remplacés notamment par des Indiens.
Antony Eden, Premier ministre britannique était partisan d’une réplique énergique à
ce qu’il considérait comme un inacceptable coup de force et il réussit à convaincre
Paris de la nécessité d’une opération militaire commune. Côté français, l’idée d’une
expédition qui détruirait la puissance du principal soutien du FLN algérien fut vue
avec intérêt et le Président du Conseil, le socialiste Guy Mollet, l’accepta. C’est alors
que fut conclu un accord secret dit « Accord de Sèvres » entre la France, la Grande-
Bretagne et Israël. Aux termes de cet accord, l’armée israélienne devait attaquer
l’Égypte cependant que Paris et Londres lanceraient un ultimatum aux deux
belligérants afin qu’ils se retirent des rives du canal de Suez ; en cas de refus
égyptien, un débarquement franco-britannique serait opéré à Port-Saïd.
L’expédition franco-britannique était considérable puisqu’elle impliquait 155 navires
de guerre dont 5 porte-avions plus une centaine de navires de commerce
réquisitionnés pour l’opération.
Le 29 octobre, l’armée israélienne attaqua l’Égypte et fonça sur le canal de Suez.
Paris et Londres adressèrent ensuite leur ultimatum à l’Égypte qui le repoussa et le
31 octobre, l’opération militaire franco-britannique programmée sous le nom de Plan
Mousquetaire débuta. Le 5 novembre, les parachutistes français du 2e RPC
(Régiment de parachutistes coloniaux) et du 11e choc sautèrent sur Port-Saïd
cependant que le 6 novembre, les Royal Marines britanniques débarquaient à Port-
Saïd et à Port-Fouad. Le canal fut rapidement sous le contrôle de la force alliée et les
troupes franco-britanniques se mirent en marche en direction du Caire cependant que
l’armée égyptienne capitulait.
La victoire militaire des alliés fut un fiasco diplomatique. À Paris, Guy Mollet fut
soutenu par le Parlement tandis qu’à Londres, le Premier ministre Antony Eden fut
hué à la Chambre des Communes pour n’avoir pas consulté le chef de l’opposition
avant de décider d’entrer en guerre. Dès le 6 octobre, les États-Unis et l’Union
soviétique s’unissaient pour imposer un cessez-le-feu, effectif le jour même. Le
10 novembre 1956 l’Assemblée générale des Nations unies votait la création de la
FUNU (Force d’Urgence des Nations unies) qui devait remplacer les unités franco-
britanniques (Beaufre, 1967 ; RHA, 1986 ; Lefebvre, 1996 ; Ferro, 2006).

2. Le Soudan
Les Égyptiens demandaient la fusion de l’Égypte et du Soudan mais, ni
les Britanniques, ni les Soudanais ne voulurent de l’union. Le processus qui
mena aux indépendances séparées des deux pays fut complexe et plein de
rebondissements.
En 1922, le sud du Soudan (trois provinces) avait été placé par les
Britanniques sous un régime spécial dit Closed Districts destiné à protéger
les populations sudistes de l’islamisation en interdisant l’usage de la langue
arabe, le port de la djellaba et la présence des colporteurs arabes. De plus,
le Passports and Permits Ordinance interdisait tout déplacement de
population, nordiste vers le Sud et sudiste vers le Nord. Ces mesures étaient
un héritage de la période précoloniale quand la traite des esclaves organisée
depuis le nord musulman dévastait les régions du Soudan méridional.
En 1943, quand l’administration britannique institua des conseils
consultatifs pour les différentes provinces soudanaises, celles du Sud en
furent exclues. En 1947, Londres changea de politique et abandonna la
Southern Policy, ce qui entraîna un véritable déferlement de nordistes sur la
région. En 1948, et en dépit de l’opposition égyptienne, les Britanniques
accordèrent une Constitution au Soudan, prélude à une indépendance qui
devait se faire hors du cadre de l’union avec l’Égypte. Or, au même
moment, les nationalistes égyptiens exigeaient le rattachement pur et simple
du Soudan à l’Égypte. À la fin de l’année 1948, les élections qui se
déroulèrent au Soudan virent la victoire de l’Umma Party, soutenu par
l’administration britannique. Or, ce parti revendiquait une indépendance
séparée pour le Soudan et donc une rupture avec l’Égypte.
Devant les attermoiements et les manœuvres britanniques, le 15 octobre
1951, et nous l’avons vu, le gouvernement égyptien décida unilatéralement
d’abroger l’accord de 1899 instaurant un condominium sur le Soudan et il
rattacha purement et simplement le territoire à l’Égypte, le roi Farouk
devenant roi d’Égypte et du Soudan. Cette mesure déclarée nulle par le
gouvernement britannique fut rejetée par la plupart des partis politiques
soudanais.
En février 1953, Londres mit un terme au Condominium anglo-égyptien
et concéda un statut d’autonomie interne au Soudan. Les élections du
25 novembre 1953 donnèrent la victoire au Parti national Unioniste qui
militait pour l’union avec l’Égypte. Un nouveau retournement de situation
se produisit en 1954 quand le Parti National Unioniste se prononça pour
l’indépendance sans liens avec l’Égypte et cela en raison de la mise à l’écart
du général Néguib, soudanais par sa mère, et de la politique d’élimination
des Frères musulmans en Égypte. Au mois d’août 1955, une révolte éclata
dans le Soudan méridional où les animistes et les chrétiens qui s’étaient très
largement groupés dans le mouvement Anyanya combattaient la mainmise
nordiste et musulmane. Le 1er janvier 1956, en accédant à l’indépendance,
le pays rompait définitivement avec l’Égypte.

B. La décolonisation de l’Afrique sud-saharienne


La décolonisation britannique en Afrique sud-saharienne se fit d’une
manière pacifique, à l’exception du Kenya, et par consensus, sauf dans le
cas de la Rhodésie du Sud. Quant à l’Afrique du Sud, il s’agit d’un cas
particulier car le pays a, de fait, connu deux décolonisations successives, la
première effectuée par la Grande-Bretagne dès 1910 et la seconde par le
pouvoir blanc minoritaire en 1994.

1. La révolte des Mau Mau au Kenya (1952-1956)11


Au Kenya, colonie de la Couronne depuis 1920, éclata en 1952 une
révolte dont la lecture a longtemps été faite à la lumière de la grille
idéologique qui prévalait dans le contexte de la décolonisation. Cette
révolte qui ne concerna que les Kikuyu12, qui fut circonscrite à une partie du
pays, qui fut rapidement écrasée par les Britanniques appuyés sur une partie
des Kikuyu et sur les autres ethnies du pays, dont les Luo et les Masaï, a eu
un retentissement international considérable. Vue comme la légitime
réaction des Kikuyu face au vol de leurs terres, elle fut présentée comme
archétypique de la situation que subissaient alors les peuples colonisés.
La compréhension du phénomène nécessite un retour sur l’histoire
ancienne des Kikuyu. Ce peuple d’agro-pasteurs bantuphones qui occupait
les hautes terres du centre de l’actuel Kenya depuis plusieurs siècles, avait,
à la veille de la colonisation, presque totalement défriché la forêt qui
recouvrait alors les Highlands13. Les défrichements achevés, le
développement territorial kikuyu se trouva bloqué :
– à l’Ouest et au Nord-Est par les hautes terres incultivables des
Aberdares et du mont Kenya ;
– au Nord par les plaines de Nyeri impropres à l’agriculture et occupées
par les pasteurs couchitiques Samburu, Boran et Somali ;
– au Sud par les basses terres contrôlées par les Masaï ;
– quant à l’Est et au Sud-Est, c’était le territoire des Kamba avec lesquels
les Kikuyu entretenaient des rapports conflictuels, d’autant plus que ce
peuple participait aux réseaux esclavagistes zanzibarites.
Les Kikuyu tentèrent alors un mouvement de conquête territoriale sur les
périphéries de leurs zones d’habitat, mais, dans un premier temps, la
colonisation figea l’occupation humaine. Pour les Kikuyu, habitués :
« […] à résoudre (leurs) problèmes démographiques ou même les
problèmes de clivage au sein d’un lignage, par la conquête plus ou
moins pacifique de nouvelles terres aux confins de (leur) territoire
coutumier […] l’arrivée des Européens […] a eu pour conséquence de
mettre brusquement fin à cette expansion territoriale séculaire. »
(Buijtenhuijs, 1998 : 99)
En 1898 et en 1899, dans les années qui précédèrent immédiatement la
colonisation européenne, les Kikuyu subirent quasi simultanément quatre
fléaux :
– la sécheresse qui brûla les semis ;
– une invasion de sauterelles qui détruisit les récoltes ;
– la peste bovine qui décima les troupeaux14 ;
– la variole qui provoqua un effondrement démographique.
De nombreux survivants décidèrent alors de migrer vers la région des
monts Aberdare et du futur poste administratif de Fort Hall qui leur servait
de pâturages de saison sèche. À partir de 1902, année de la promulgation de
la Crown Lands Ordinance, la Grande-Bretagne décida d’ouvrir les
territoires désormais vides ou quasiment vides, à la colonisation et de
vendre les terres largement abandonnées à des colons15 qui en firent ces
White Highlands dont Karen Blixen a chanté la beauté. Mais deux
problèmes se posèrent au lendemain du premier conflit mondial :
1. les Kikuyu dont la démographie était devenue galopante en raison du
maillage sanitaire colonial et missionnaire16 furent bientôt à l’étroit au
pied des Aberdare et ils voulurent récupérer leurs anciennes terres. Le
gouvernement de la colonie refusa, ce qui, naturellement provoqua chez
eux un fort sentiment de frustration mis en évidence en 1938 par un
jeune diplômé kikuyu, Johnston Kamau wa Ngengi qui publia à
Londres sous le pseudonyme de Jomo Kenyatta un livre qui fit l’effet
d’un manifeste politique17 ;
2. comme ils avaient besoin de main-d’œuvre sur leurs plantations de
café, les colons firent venir des travailleurs Kikuyu auxquels ils
offrirent un statut de squatters, c’est-à-dire d’occupants non définitifs.
Ils installèrent alors ces migrants kikuyu comme ouvriers agricoles ou
comme métayers sur une terre que ces derniers considéraient comme
leur ayant été volée (Tabitha Kanogo, 1987). En effet :
« […] vers 1952, la quasi-totalité des Kikuyu étaient convaincus que les
White Highlands avaient jadis appartenu à leur peuple, ce qui est
contraire aux faits historiques. » (Buijtenhuijs, 1998 : 106)
Ce mouvement de migration fut également encouragé par l’obligation de
payer l’impôt. En effet, la culture du café ayant été interdite en zone kikuyu,
il fallait absolument que ces derniers viennent s’employer en zone blanche,
ne fût-ce que quelques semaines, afin de disposer de monnaie pour pouvoir
l’acquitter. Tout ceci fit que les Kikuyu « colonisèrent » les White
Highlands18 et vers 1945, 200 000 d’entre eux étaient ainsi installés dans les
« zones blanches » des hauts plateaux, devenues ou redevenues kikuyu.
En 1920, éduqués par les missionnaires protestants, des intellectuels
avaient fondé la Kikuyu Association. Après la Seconde Guerre mondiale,
Jomo Kenyatta, lui aussi produit de la Mission, et qui avait longtemps
séjourné à Londres pour ses études, rentra au Kenya où il devint le
président de la KAU (Kenyan African Union), mouvement qui menait une
active campagne nationaliste, ce qui entraîna d’ailleurs sa dissolution. De
nombreux Kikuyu adhérèrent alors à une société secrète connue sous le
nom de Mau Mau. Ancrée sur le fonds culturel traditionnel et fondée sur
des pratiques de sorcellerie, elle reposait sur la prestation d’un serment
d’engagement, sur une cérémonie d’initiation et punissait avec cruauté toute
violation du secret et toute désobéissance.

La grande Ituika des années 1950-1953


« Le mouvement Mau-Mau est une contre-société agressive. Il est né d’une société
secrète, dont les membres, dès avant l’insurrection, ont prêté des serments
d’engagement et d’initiation, le Oath of Unity, le Warrior Oath. Ils ont leur juridiction
propre, qui punit avec cruauté toute violation, du secret, toute désobéissance. […] Il
correspond à une Ituika, à un changement de classe d’âge politique. Tous les vingt-
cinq ans environ, selon la tradition kikuyu, une classe d’âge passe au rang
d’« anciens » et peut assumer désormais les fonctions politiques au sein des tribus.
L’opération dure deux ou trois ans, c’est l’Ituika ponctuée de psychodrames et de
palabres. C’est un temps de purification, de mise en ordre au cours duquel on vide
le pays des injustices, des vieux comptes, des vieilles querelles […] or les
Britanniques ont nommé des chefs choisis par eux de façon tout à fait indépendante
des classes d’âge […] L’Ituika de 1925-1928 a été interdite […] Or, de 1950 à 1953,
il devrait y avoir une nouvelle Ituika, une relève, un passage d’une génération à une
autre dans le gouvernement des tribus. C’est cette mutation que réalise
l’insurrection Mau Mau, de façon brutale et cruelle. On n’assassine pas seulement
les chefs de tribus parce qu’ils sont les hommes des Britanniques […] parce qu’ils
n’en ont profité que trop souvent pour s’enrichir […] Mais parce que, selon la
tradition, on doit procéder à une grande Ituika à une grande relève de classe d’âge,
assortie d’un règlement des querelles pendantes. » (Pillorget, sd : 35-43)

Au mois de mai 1952 les Mau-Mau commencèrent à assassiner ceux des


Kikuyu qui ne voulaient pas les rejoindre et au mois de novembre 1952, les
premiers meurtres d’Européens furent commis. Le 20 octobre 1952, l’État
d’urgence fut proclamé par le gouverneur, Sir Evelyn Baring et des renforts
militaires envoyés. Au mois de juin 1953 les forces britanniques comptaient
7 500 hommes, plus un régiment levé chez les colons, ainsi que 5000
soldats africains des King’s African Rifles et 21 000 policiers en majorité
Kamba19 et Kalenjin. À ces effectifs, il convenait d’ajouter
plusieurs milliers de volontaires de la Kikuyu Home Guard, car nombre de
Kikuyu étaient opposés aux Mau Mau, d’où une guerre civile inter-Kikuyu.
Les Kikuyu étaient en effet divisés par des lignes de fracture
essentiellement régionalistes, ceux des régions septentrionales s’opposant à
ceux de Kiambu20 dans le Sud. Un nombre indéterminé de guerriers masaï,
kalenjin, luo et kamba participa également à la lutte contre les Mau-Mau,
vue comme un moyen de régler des comptes ancestraux avec les Kikuyu, ce
qui allait laisser bien des cicatrices dans les mémoires et expliquer nombre
d’affrontements futurs.
À la fin de l’année 1955, la révolte avait été écrasée et il ne restait plus
que quelques centaines de Mau Mau réfugiés dans les zones les plus
impénétrables de la forêt de montagne. La guerre prit fin officiellement au
mois d’octobre 1956 avec la capture du principal chef Mau-Mau, Dedan
Kimathi, suivie de sa pendaison.
Le bilan de cette guerre qui avait coûté 55 millions de livres au Trésor
britannique était, chez les Européens, de 32 civils et de 63 soldats tués, chez
les Asiatiques, de 26 civils et de 12 soldats, quant aux Africains, leurs
pertes en vies humaines s’élevaient à 100 policiers ou soldats, 1 800 civils
et 10 000 Mau Mau. Un peu plus d’un millier de Mau Mau avaient été
pendus et 90 000 suspects étaient détenus21.
Après avoir pris l’avantage sur le terrain, les Britanniques firent
participer les populations du Kenya à la gestion du territoire, tout en
négociant les modalités de l’indépendance avec Jomo Kenyatta, pourtant
accusé d’être un des chefs de la révolte Mau-Mau et qui fut libéré de prison
en 1961. Dès 1954, une nouvelle Constitution « multiraciale » donna ainsi
naissance à un Conseil des ministres composé de 11 Européens, d’un Indien
élu, d’un Arabe élu et d’un Africain nommé par le Gouverneur. En 1957, 8
représentants africains au Conseil législatif22 furent élus par un collège de
400 000 électeurs23. En 1958, le nombre des Africains siégeant au Conseil
législatif passa à 14, ce qui établissait une parité avec les Européens,
cependant que les Indiens disposaient de 6 représentants et les Arabes de 2.
Au mois de janvier 1959, les Africains siégeant au Conseil législatif
demandèrent que ce dernier ait une majorité indigène, ce qui fut refusé par
la majorité européenne.
En 1960, Londres organisa une conférence constitutionnelle qui se tint à
Lancaster House. En dépit de leurs oppositions, les différentes ethnies du
territoire constituèrent une seule délégation qui fit allégeance à Jomo
Kenyatta. Le leadership des Kikuyu était ainsi reconnu. Dès lors,
l’indépendance fut en marche et deux partis africains se créèrent, la Kanu
(Kenya African National Union) et la Kadu (Kenya African Democratic
Union)24. En réalité, il s’agissait de deux coalitions ethniques :
– la Kanu était une alliance entre les Kikuyu et leurs cousins Meru,
Embu, Kamba et Kisii. Les Luo, auxquels il avait été promis la
possession des grandes propriétés coloniales de l’ouest du pays, s’y
joignirent. La Kanu demandait l’indépendance immédiate et la
constitution d’un État unitaire ;
– la Kadu avait une vision politique totalement différente. Constituée par
les petites ethnies côtières et nilotiques dirigées par Ronald Ngala25, un
côtier, et Daniel Arap Moi, un Kalenjin, elle militait pour un État
fédéral. Sa doctrine, le Majimbo, était un régionalisme identitaire, l’idée
étant que chaque ethnie devait avoir son « jimbo », son territoire
ancestral ou homeland. Ainsi, aux « Kamatusa » (acronyme de
Kalenjin, Masaï, Turkana, Samburu), la vallée du Rift ; aux côtiers le
littoral ; aux Kikuyu les plateaux centraux et aux Luo les régions de
l’Ouest, etc.
Lors des élections de 1961, la Kanu obtint 67 % des voix et la Kadu
16 %. Le rapport ethnique était donc respecté puisque les bantuphones
avaient tous voté pour la Kanu, à l’exception des côtiers, tandis que les
nilotiques, à l’exception des Luo avaient donné leurs suffrages à la Kadu.
La crise du Buganda (1953-1955)
Le Kabaka du Buganda, Mutesa II, a connu le même sort que le sultan du Maroc Sidi
Mohamed Ben Youssef (Mohammed V) et la même année, dans les deux
protectorats, la puissance coloniale ayant déposé les souverains légitimes. Comme
dans le cas de la France au Maroc, les autorités britanniques reconnurent rapidement
leur erreur et elles rétablirent le monarque sur le trône.
En Ouganda, tout était parti d’une malheureuse déclaration faite à la fin du mois de
juin 1953 par le secrétaire d’État aux Colonies du gouvernement conservateur, Oliver
Lyttleton, dans laquelle ce dernier évoquait la constitution d’une Fédération d’Afrique
de l’Est à l’image de la Fédération d’Afrique centrale qui venait tout juste d’être
constituée. La protestation du souverain du royaume du Buganda, une des
composantes de l’Ouganda colonial fut vive. Mutesa II rappela ainsi aux autorités de
Londres que son royaume n’était pas une colonie dont elles pouvaient disposer à leur
guise, mais un protectorat même si, depuis 1902, elles avaient violé l’Uganda
Agreement Act de 1900 qui prévoyait qu’il soit géré non par le Colonial Office, mais
par le Foreign Office. Mais il allait plus loin, demandant à Londres de reconnaître
l’indépendance du Buganda, ce qui aurait eu pour résultat la partition de l’Uganda car
le Buganda comptait à l’époque I.500 000 habitants et les autres provinces réunies
environ 4 millions. Le 27 novembre Londres avait exigé que le Kabaka revienne sur
ses revendications, mais ce dernier les avait maintenues.
Aussi, le 30 novembre 1953 Mutesa II fut destitué et le 1er décembre il fut mis en état
d’arrestation et envoyé à Londres. Le parlement du Buganda, le Lukilo, refusa qu’un
autre souverain le remplace. Durant une année le gouvernement britannique et le
Kabaka négocièrent. Un accord fut trouvé au mois de juillet 1955, le Kabaka se
voyant reconnu comme monarque constitutionnel et le Buganda considéré comme un
royaume semi-autonome dont le Lukilo était considéré comme un authentique
parlement. Le 17 octobre 1955, Mutesa II retrouva son royaume dans un climat de
grande ferveur populaire.

Dans le reste de l’Afrique, la décolonisation britannique se fit sans


problèmes majeurs. Le 9 mai 1956, la partie britannique de l’ancien Togo
allemand s’était prononcée pour son intégration à la Gold Coast (Ghana) et
le 6 mars 1957, l’indépendance de cette dernière fut proclamée, l’ancienne
colonie devenant le Ghana.
Le 1er octobre 1960 le Nigeria accéda à l’indépendance. Le 11 février
1961, le sud de l’ex-Cameroun anglais se prononça pour le rattachement à
la République du Cameroun et la partie nord pour le rattachement au
Nigeria.
Le 27 février 1961, la Sierra Leone devint indépendante, suivie le
9 décembre par le Tanganyika. Le 9 octobre 1962, ce fut le tour de
l’Ouganda et le 10 décembre 1963 celui de Zanzibar26.
2. Les Rhodésies et le Nyassaland27
Maîtres d’une immense région s’étendant depuis le Congo au Nord
jusqu’au cap de Bonne-Espérance au Sud, les Britanniques avaient voulu
constituer des ensembles viables économiquement et politiquement loyaux
envers leur métropole. L’administration coloniale avait donc choisi de
considérer la Rhodésie du Nord et le Nyassaland d’une part et les quatre
possessions d’Afrique du Sud (Colonie du Cap, Natal, Transvaal et État
libre d’Orange), d’autre part. Un problème était posé par la Rhodésie du
Sud. Cette colonie charnière entre les deux ensembles distingués ci-dessus
ne fut pas intégrée à l’Union sud-africaine lors de sa création en 1910, ce
qui ne l’empêcha pas de freiner jusqu’en 1953 la constitution d’une
fédération septentrionale, contrecarrant ainsi les projets du Colonial Office.
La politique d’union voulue par Londres se traduisit d’une manière
différente au nord et au sud du Limpopo. Paradoxalement, ce furent les
possessions septentrionales, pourtant bien « anglicisées » et contrôlées qui
repoussèrent, des décennies durant, l’idée même d’union, première étape
vers un futur Dominion blanc souhaité par la métropole. Ce ne fut en effet
qu’en 1953, c’est-à-dire au moment où s’amorçait la décolonisation de
l’Afrique que fut constituée la Fédération des Rhodésies-Nyassaland,
finalement imposée par l’obstination du Colonial Office à la fois aux
nationalistes noirs et aux colons blancs de Rhodésie du Sud.
Au sud du Limpopo, dans l’actuelle Afrique du Sud, là où Londres
n’avait réussi à l’emporter qu’après de longues guerres contre les Xhosa,
puis contre les Zoulou et enfin contre les Boers, l’union avait été réalisée
dès 1910. Mais une union des seuls Blancs qui ne tenait aucun compte des
éventuels avis des peuples noirs. Paradoxe, cette union largement voulue et
encouragée par la Grande-Bretagne se retourna contre cette dernière dès les
années 1911 avec la montée en puissance des nationalistes afrikaners.
Par quatre fois entre 1916 et 1939, des tentatives eurent lieu pour créer
une union ou une fédération entre les trois territoires de la Rhodésie du Sud,
de la Rhodésie du Nord et du Nyassaland. En 1916 avait ainsi été proposée
une fusion entre les deux Rhodésies ; l’idée avait ressurgi en 1931, puis en
1936 lors de la Conférence des Victoria Falls et enfin en 1939 quand la
Commission Bledisloe, après avoir accepté le principe d’une fusion avait
estimé que les temps n’étaient pas encore venus de franchir un tel pas.
En 1945, fut créé un Central African Council composé des gouverneurs
et de 11 représentants des trois territoires. En février 1949, une nouvelle
conférence se tint aux Victoria Falls. Après de longues discussions et
tractations, elle aboutit quatre ans plus tard, en 1953 quand fut signé le
Rhodesia and Nyassaland Federation Act. À Londres, la Chambre des
Communes vota cet acte en mars 1953 et la nouvelle constitution entra en
vigueur le 23 octobre. Ainsi donc, au moment où débutait le mouvement de
décolonisation, la Grande-Bretagne tentait-elle l’expérience de la
constitution d’une sorte de Dominion d’Afrique australe. Les événements se
chargèrent de mettre rapidement en évidence cet anachronisme (Blake,
1978).
Chaque territoire conservait son autonomie en matière d’administration
locale, d’enseignement primaire et secondaire et pour ce qui concernait les
« affaires indigènes ». Le gouvernement fédéral, dirigé par un Premier
ministre, avait en charge les finances, le commerce extérieur, la défense,
l’enseignement supérieur, les affaires étrangères ainsi que tout ce qui
relevait des relations entre la justice et les Européens résidents. Un
Gouverneur général était nommé par la Couronne et il devait spécialement
veiller aux intérêts des populations africaines.
Un Parlement fédéral était créé, composé de 35 représentants désignés
par les trois territoires, à savoir : 17 par la Rhodésie du Sud, 11 par celle du
Nord et 7 par le Nyassaland. Vingt-six de ces représentants étaient élus par
les Blancs et 6 par les Noirs à raison de 2 par territoire. De plus, chaque
territoire élisait également un Blanc dont la fonction était de représenter les
non-Blancs.
L’idée qui prévalait et qui avait été largement inspirée par Londres était
celle de l’association (partnership) des Noirs au pouvoir ; mais leur sous-
représentation les plaçait en réalité en état de tutelle. La Rhodésie du Sud,
héritière de Cecil Rhodes avait d’ailleurs repris sa célèbre formule :
« Égalité des droits pour tous les hommes civilisés » ; et ce « label » était
plus que parcimonieusement accordé puisque, en 1953, seuis 481 Noirs y
avaient été jugés dignes d’obtenir le droit de vote.
Cette question de la participation des Noirs au pouvoir n’était pas vue de
la même manière par la Grande-Bretagne et par l’autorité fédérale dominée
par Sir Roy Welensky originaire de Rhodésie du Nord. Quant aux leaders
noirs, Kenneth Kaunda pour la Rhodésie du Nord et Hastings Banda pour le
Nyassaland, ils combattaient fermement l’existence même de la Fédération
qu’ils jugeaient comme le moyen trouvé par les Blancs de garantir leur
pouvoir et de maintenir les Noirs en situation de juniorpartners. Ils
militaient donc ouvertement pour sa suppression, pour le droit, à la
sécession et pour l’auto-détermination.
Quant aux Blancs de Rhodésie du Sud, ils pensaient que le partnership
allait inévitablement conduire à l’association de plus en plus forte des Noirs
aux affaires, donc, à plus ou moins longue échéance à la perte de leur
pouvoir. C’est pourquoi, eux aussi, commencèrent à envisager ouvertement
le retrait de la Rhodésie du Sud de la Fédération. À peine née, cette dernière
semblait donc condamnée. En 1960, le Rapport Monckton, annonciateur
d’une révision constitutionnelle fut froidement accueilli, tant par les Blancs
que par les nationalistes noirs. Il prévoyait en effet le maintien de la
Fédération en l’état pour cinq ans, puis ouvrait un droit à la sécession à
partir de 1965. Les évènements allaient en décider autrement.
1. Le Nyassaland
Le cas de ce petit pays largement montagnard est particulier. Le
Nyassaland avait obtenu un statut de protectorat en 1893 et un Conseil
exécutif et législatif y avait été instauré dès 1907. Les Européens y étaient
peu nombreux, quelques centaines à peine, et en 1930, le Mémorandum
Passfield y avait établi la souveraineté des droits des indigènes. Pays de
villégiature pour les Blancs de toute l’Afrique centrale et même australe,
son accession à l’indépendance se fit sans heurts majeurs.
En 1958, Hastings Banda devint le leader du NANC (Nyassaland African
National Congress). Il militait pour la destruction de la structure fédérale et,
en 1959, à la suite d’une campagne de protestation suivie de manifestations,
il fut arrêté et emprisonné en Rhodésie du Sud. Durant son absence, le
NANC devint le MCP (Malawi Congress Party) dont il prit la tête dès sa
libération intervenue en 1960. En 1961 le MCP remporta les élections et
Hastings Banda ainsi que quatre autres Noirs devinrent membres du
premier gouvernement noir d’un des territoires composant la Fédération.
Après sa victoire électorale, le MCP continua à combattre le principe
fédéral – mais de l’intérieur – et le 23 novembre 1962, la Grande-Bretagne
accorda le self-governement au Nyassaland. La Fédération venait d’entrer
en agonie. Le président Banda demanda ensuite que soit reconnu au
Nyassaland le droit à la sécession et, le 1er janvier 1964, le territoire prit
toutes les fonctions qui étaient jusque-là réservées au gouvernement fédéral.
Le 6 juillet 1964, il accéda à l’indépendance sous le nom de Malawi.
2. La Rhodésie du Nord
Gouvernée comme une colonie de la Couronne après 1923, la Rhodésie
du Nord qui avait un statut de protectorat, reçut l’introduction de l’Indirect
rule en 1929. À la différence du Nyassaland, le territoire était riche en
raison de ses activités minières et les Blancs y constituaient une importante
minorité puisqu’ils étaient 77 000 en 1960. En 1948, un Congress y fut créé
par des nationalistes noirs, mais une scission se produisit en 1958 qui le fit
éclater en deux mouvements. Le premier, fondé par Kenneth Kaunda28 prit
le nom de ZANC (Zambia African National Congress). Il s’était détaché du
NRANC (Northern Rhodesia African Congress) qu’il jugeait trop légaliste
et auquel il reprochait une position ambiguë au sujet des élections qui
devaient se tenir en 1959. Or, Kenneth Kaunda était fermement opposé à
toute participation des Noirs à des élections qui auraient pérennisé leur
statut de junior partners. La campagne de protestation s’amplifiant, Kaunda
fut arrêté, emprisonné et le ZANC interdit (Henderson, 1970).
Libéré un an plus tard, il fonda l’UNIP (United National Independant
Party). Des négociations directes débutèrent avec le Colonial Office et, en
février 1960, une nouvelle Constitution fut annoncée pour la Rhodésie du
Nord qui devait donner aux Noirs un rôle dominant dans le Conseil
législatif territorial. Sir Roy Welensky, le leader des Blancs de Rhodésie du
Nord tenta alors de s’opposer à ces réformes en faisant réviser le projet de
constitution mais, à l’annonce de cette nouvelle, des émeutes éclatèrent et le
Colonial Office, intervenant directement, procéda à une révision
constitutionnelle, non dans le sens voulu par Sir Roy Welensky, mais dans
celui des partisans de l’UNIP.
Kenneth Kaunda rejeta néanmoins cette nouvelle Constitution qu’il
considérait comme dépassée. Il demanda la dissolution de la Fédération et
la remise du pouvoir aux Noirs. L’UNIP décida pourtant de participer aux
élections d’octobre 1962, espérant les remporter afin de pouvoir détruire la
Fédération. Les résultats ne furent pas à la hauteur de ses espoirs, l’UNIP
partageant les suffrages noirs avec l’ANC, héritier du NRANC d’avant
1958.
L’UNIP et l’ANC constituèrent alors une coalition qui donna aux
nationalistes noirs la majorité au Conseil législatif de Rhodésie du Nord. En
février 1963 les deux partis demandèrent qu’une nouvelle Constitution soit
rédigée et que la Fédération soit dissoute. La Grande-Bretagne ne s’y
opposa pas et en janvier 1964, le principe de l’accession à l’indépendance
de la Rhodésie du Nord fut acquis. La nouvelle Constitution prévoyait que
10 sièges seraient réservés aux Blancs jusqu’en 1969. Le 24 octobre 1964,
la Rhodésie du Nord accéda à l’indépendance sous le nom de Zambie.

3. Le cas de la Rhodésie du Sud


La situation de ce territoire était bien différente de celle de la Rhodésie
du Nord. Deux grands peuples africains, les Shona et les Ndebele-Matabélé
(Matabélé) y cohabitaient depuis le début du XIXe siècle29. Scission de la
nation Zulu, les Ndebele-Matabélé du chef Mzilikazi qui avaient été
vaincus par les Boers en 1836 s’étaient réfugiés au nord du Limpopo où ils
avaient disloqué le royaume shona du Zimbabwe. Installés dans le Sud,
autour de Bulawayo, ils lancèrent des raids contre les Lozi et contre les
Ngwato et ils constituèrent, à la manière des Zulu, un État militaire et
guerrier particulièrement redouté de ses voisins, le royaume matabélé.
Quand ils arrivèrent dans la région, les Britanniques furent dans un
premier temps considérés comme des protecteurs par les Shona alors que,
pour les Matabélé, la présence européenne constituait un risque immédiat,
celui de les priver de leur principale source de revenus qui était la mise en
coupe réglée du pays shona. En 1893 les Matabélé entrèrent en guerre
contre les Blancs et en 1896-1897, les Shona se soulevèrent à leur tour.
À la suite des soulèvements matabélé et shona de 1893 et de 1896-97 les
chefs de tribus s’étaient vus retirer une partie de leurs pouvoirs au profit de
commissaires aux affaires indigènes subordonnés aux autorités civiles et le
gouvernement britannique avait décidé de superviser la BSAC, nommant un
Commissaire-Résident afin de contrôler ses activités. Dès 1898, ce dernier
fut assisté d’un conseil législatif de neuf membres dont 4 désignés par les
colons et 5 par la BSAC. Ce fut pour le territoire, la première étape vers le
self-government. Puis, la BSAC s’effaça progressivement et, en 1907, les
colons obtinrent la majorité à l’assemblée législative ; toutes les
ordonnances devaient cependant être approuvées par le Haut-Commissaire
britannique résidant au Cap. En 1910, la Rhodésie du Sud ne fut pas
incorporée à l’Union sud-africaine. À la différence de la Rhodésie du Nord,
la politique indigène y fut celle de l’administration directe.
En 1960, sept années après la création de la Fédération Rhodésie
Nyassaland, le Rapport Monckton suggéra de largement libéraliser les
conditions de participation des Noirs au gouvernement de Rhodésie du Sud
et des discussions suivirent au sujet d’une révision constitutionnelle. Une
nouvelle Constitution fut promulguée en 1961, prévoyant un parlement de
65 membres élu par un double collège électoral : 50 par les Blancs et 15 par
les Noirs.
La complexité de la question rhodésienne qui commençait à se poser
tenait au fait que les Blancs de ce territoire, instruits par les drames
congolais, refusaient l’évolution de la Rhodésie du Sud vers l’indépendance
que Londres ne désirait accorder qu’à une majorité noire30. La radicalisation
des Rhodésiens blancs se confirma avec la création du Rhodesian Front
party qui remporta les élections de 1963. Dirigé par Winston Field, il
entama en 1964 des discussions avec la Grande-Bretagne sur la question de
l’indépendance de la Rhodésie du Sud, mais sous direction blanche, ce que
refusait M. Harold Wilson le premier ministre travailliste britannique. L’aile
la plus dure du Rhodesian Front porta alors M. lan Smith (1919-2007), un
planteur, ancien pilote de la RAF et héros de la bataille d’Angleterre à la
tête du parti. L’évolution de la situation au Nyassaland et en Rhodésie du
Nord, l’acceptation de l’indépendance des deux territoires par Londres et
par conséquent la fin de la Fédération confortèrent le Rhodesian Front dans
sa résolution indépendantiste. Ian Smith poursuivit les négociations avec le
Premier ministre britannique, mais sans grande conviction, tout en évoluant
vers l’idée d’une déclaration unilatérale d’indépendance.
Le 11 novembre 1965, en dépit des menaces de sanctions économiques et
politiques, la Rhodésie du Sud proclama sa propre indépendance sous le
nom de Rhodésie. En octobre 1968, le pays décida de couper tous les liens
qui le rattachaient encore à la Grande-Bretagne, et en 1969, la République
fut proclamée. Une nouvelle Constitution fut promulguée, prévoyant une
parité entre les Blancs et les Noirs avec un nombre égal de sièges au
Parlement ; mais les nationalistes noirs refusèrent cette évolution, et à partir
de bases situées en Zambie, ils commencèrent des actions de guérilla. Il
fallut cependant attendre 1975 et le retrait portugais du Mozambique pour
qu’elle prenne une véritable ampleur.
Chacune des deux grandes ethnies de Rhodésie avait créé son propre
mouvement. C’est ainsi que les Shona se retrouvaient dans la ZANU
(Zimbabwe National Union) dirigée par Robert Mugabe31 tandis que les
Matabélé avaient fondé la ZAPU (Zimbabwe African People’s Union) ayant
à sa tête Josuah Nkomo. Sur le terrain, les mouvements noirs s’affrontèrent
et, pour mettre un terme à ces luttes qui affaiblissaient la guérilla face à
l’efficace petite armée rhodésienne, MM. Mugabe et Nkomo fondèrent
ensemble le Patriotic Front (PF), puis ils décidèrent d’intensifier les actions
militaires.

D. L’Empire britannique africain fut-il


une « bonne affaire » ?
Économiquement parlant, l’Afrique ne fut qu’une composante tout à fait
secondaire pour ne pas dire marginale du dispositif impérial britannique.
En effet, durant la période 1871-1913, la Grande Bretagne retira 31,5 %
de ses revenus de l’outre-mer en général, qu’il s’agisse des Dominions, des
colonies, mais d’abord du reste du monde. Les bénéfices retirés de l’Empire
dans son ensemble se situaient alors au maximum entre 5 et 6 % du revenu
national britannique et la part de l’Afrique dans ce pourcentage était de
1/5e à 1/6e, soit entre 1 et 2 % du total (Offer, 1999 : 690-711).
Pour les années 1870-1912, une étude portant sur 566 valeurs
(securities), incluant les variations du capital donne un rapport de 5,7 %
pour les investissements outre-mer en général (Empire et reste du monde) et
4,6 % pour ceux faits en métropole, soit une différence d’à peine 1,1 %.
Rapportés à toute la période qui fut un temps de grande prospérité
nationale, ces chiffres permettent à Avner Offer (1999), d’affirmer que la
différence sur ces investissements n’a représenté que 1,6 % dans le revenu
national britannique (national income). Le même Offer estime au maximum
à 0,4 % du revenu national les bénéfices des investissements retirés de
l’Empire en 1913, c’est-à-dire à son apogée.
En 1914, le total du capital britannique (en métropole et dans le reste du
monde), s’élevait à £5,783 m ainsi répartis (Fieldhouse, 1999) :
– métropole : £1,828 m soit 31,6 % ;
– empire : £1,148 m soit 19,8 % ;
– reste du monde : £2,467 m soit 42,6 % ;
– différence : £0,34 m soit 6 % répartition inconnue.
Le chiffre qui nous intéresse ici est celui de l’Empire, à savoir £1,148 m,
qui représentait 19,8 % du capital britannique. Or, sur cette somme,
£1,045 m concernait les Dominions32, et £0,286 m l’Inde. Le reste de
l’Empire représentait donc £0,183 m, soit 3 % du capital britannique. Or,
dans la rubrique « reste de l’Empire », en plus de l’Afrique, nous trouvons
Ceylan et nombre de possessions insulaires américaines ou asiatiques, etc.
Ceci revient à dire que l’Afrique, hormis l’Afrique du Sud, était inexistante
pour le capital britannique.
Pour ce qui est du commerce, nous retrouvons les mêmes tendances
(Fieldhouse, 1999).

À l’époque de l’apogée impériale, la totalité de ses colonies, dont


l’Afrique, ne fournissaient donc à la Grande-Bretagne qu’entre 5,1 % et
7,9 % de toutes ses importations et qu’entre 6,3 % et 10,8 % de toutes ses
exportations. Sur ces pourcentages, l’Afrique représentait au maximum un
tiers de ces chiffres, probablement moins, soit entre 1 et 2 % des
importations et 2 à 3 % des exportations britanniques33 ; de plus, à elle
seule, l’Afrique du Sud totalisait les deux tiers de ces pourcentages.
L’Empire africain de la Grande-Bretagne ne constituait donc qu’un élément
tout à fait secondaire, pour ne pas dire marginal et même insignifiant de son
économie34. L’Empire africain était donc aussi peu indispensable à Londres
qu’à Paris35.

4. De l’Union sud-africaine à la République sud-africaine


(1948-1961)
En 1939, le général Smuts avait fait entrer l’Afrique du Sud dans la
guerre contre la volonté de la plupart des Afrikaners. Honoré en Grande-
Bretagne comme un allié fidèle il allait être de plus en plus combattu en
Afrique du Sud même.
À l’intérieur du Parti uni, il fut contesté par l’aile libérale représentée par
J.H. Hofmeyr. Or, l’existence de cette tendance conciliante par rapport aux
problèmes raciaux avait aliéné au parti gouvernemental sa clientèle la plus
conservatrice. D’autant plus que chez les nationalistes, l’union était en
cours de réalisation entre le Parti national purifié de D. Malan et le Parti
Afrikaner qui regroupait les partisans de Hertzog et qui était dirigé par son
ancien bras droit, N. Havenga. En 1947, une union électorale fut même
constituée. Malan s’affirma ensuite comme le chef de l’opposition afrikaner
unie et il évita de heurter les anglophones en n’abordant pas directement la
question de la rupture constitutionnelle avec la Grande-Bretagne. En
revanche, il mit l’accent sur la nécessaire solidarité des Blancs d’Afrique du
Sud, allant jusqu’à proclamer « la race blanche en danger ».
Aux élections de mai 1948, le Parti uni fut battu par la coalition
nationaliste et Smuts perdit son siège de député. La campagne électorale
s’était faite sur un choix de société : Ia submersion à plus ou moins long
terme des Blancs ou la séparation étanche entre les communautés raciales
sud-africaines.
Malan devenu Premier ministre, en juin 1951 le Parti national purifié et
le Parti afrikaner fusionnèrent pour donner naissance au Parti national.
Aux élections de 1953, le Parti national renforça sa position avec 94 élus
contre 57 au Parti uni dont les sièges de députés ne cessèrent désormais de
diminuer en raison de scissions multiples dues au vide politique laissé par la
mort de Smuts en 195036. La scène politique fut dès lors largement occupée
par le Parti national, comme les élections générales de 1958 le
confirmèrent, ce dernier remportant la majorité des deux tiers avec 103
sièges contre 53 au Parti uni.
Le 30 novembre 1954, âgé de quatre-vingts ans, Malan avait démissionné
et son successeur comme Premier ministre désigné par le Parti fut J.G.
Strijdom. À partir de 1957, l’Union Jack et l’hymne national britannique ne
furent plus reconnus comme les doubles symboles de la nation sud-africaine
à côté du drapeau orange-blanc-bleu et du Die stem van suid-Afrika (la Voix
de l’Afrique du Sud).
Strijdom mourut le 24 août 1958 et H.F. Werwoerd qui lui succéda
comme Premier ministre attacha son nom à la politique d’apartheid37. Chef
du gouvernement, il mit tout en œuvre pour tenter de persuader les deux
groupes blancs, celui composé par les Afrikaners et celui constitué par les
anglophones, de leur identité de destin, et partant, de leur nécessaire
solidarité. Estimant que seule une rupture définitive avec la Grande-
Bretagne pouvait accélérer cette prise de conscience, il annonça en 1960
qu’un référendum aurait lieu sur la question de l’adoption d’un régime
républicain. Le 9 avril 1960, Verwoerd fut grièvement blessé par un Blanc
que les autorités présentèrent comme un déséquilibré. Cet attentat
n’empêcha pas le déroulement normal du référendum et, le 5 octobre, par
une majorité de 52 %, les 1 626 336 électeurs blancs se prononcèrent pour
la République qui fut officiellement proclamée le 31 mai 196138.
La République sud-africaine était véritablement indépendante et le rêve
des nationalistes afrikaners devenu réalité, mais c’était un défi qu’ils
lançaient à la face du monde. Il fut d’autant plus difficile à relever que les
émeutes noires de 1959-1960 avaient commencé à sensibiliser l’opinion
britannique et mondiale. La fusillade de Sharpeville, le 21 mars 1960 avait
provoqué un séisme politique et entraîné l’accélération et la radicalisation
de la crise. En réaction, le gouvernement décida d’interdire l’ANC et le
PAC (Pan African Congress) et d’emprisonner leurs dirigeants. Puis, ces
deux mouvements se dotèrent de branches armées clandestines destinées à
combattre le pouvoir blanc.
La rupture avec la Grande-Bretagne eut également pour conséquence
d’isoler l’Afrique du Sud et de faire peu à peu perdre à ses dirigeants le sens
des réalités politiques internationales. Certains en arrivèrent même à
considérer la mise à l’écart de leur pays comme le meilleur creuset du
nationalisme blanc sud-africain. Mais, héritiers des frontières léguées par
l’ancienne métropole britannique, dès les années 1970, les Afrikaners se
retrouvèrent dans une impasse car, après avoir lutté pour arracher leur
indépendance à la Grande-Bretagne, ils étaient de fait devenus des
colonisateurs intérieurs. Ils ne parvinrent pas à surmonter cette
contradiction.

1. À partir de 1942, la difficile situation des armées britanniques face aux Japonais, notamment après
la perte de la Malaisie, avait obligé Londres à demander de plus importantes contributions à ses
colonies africaines. En échange, d’importantes réformes y avaient été introduites, notamment au
Nigeria et en Gold Coast.
2. « Dans l’entreprise impériale anglaise, j’admire profondément le sens du mouvement, et plus
encore que le crescendo, le génie du decrescendo, du pouvoir absolu au départ absolu. Admirable
dextérité. » (Jacques Berque).
3. Le 22 mars 1945, l’Égypte créa la Ligue des États arabes indépendants ou Ligue arabe à la suite
d’une réunion rassemblant au Caire des délégations envoyées par l’Arabie saoudite, l’Irak, le
Liban, la Syrie, la Transjordanie et le Yémen. Ce regroupement était destiné à aider à la
décolonisation des pays arabes. En 1947, au Caire, fut constitué le Comité de Libération du
Maghreb.
4. 85 000 soldats britanniques étaient stationnés dans la zone du canal de Suez au lieu de
10 000 prévus par le traité de 1936.
5. Le nouveau roi qui était encore un enfant régna moins d’un an, du 26 juillet 1952 au 18 juin 1953.
Le conseil de régence qui fut formé en raison de la jeunesse du nouveau roi n’exerça aucun
pouvoir, sa réalité étant en effet détenue par le conseil des ministres.
6. Il comptait libérer le monde arabe du colonialisme en luttant contre ceux de ses leaders qu’il
accusait d’être vendus aux « sionistes » et aux Américains. Son « socialisme arabe » allait être une
arme redoutable contre les dirigeants coupables à ses yeux de défendre les intérêts « sionisto-
américains ». Tous furent d’ailleurs ses cibles, qu’il s’agisse de Fayçal d’Arabie, de Hussein de
Jordanie, d’Hassan II du Maroc, de Bourguiba de Tunisie ou de Kassem d’Irak. Sa politique de
radicalisation du monde arabe affaiblit bien des régimes « modérés » et permit l’arrivée au pouvoir
d’une nouvelle génération plus offensive à l’égard d’Israel et composée du Libyen Khadafi, du
Syrien Hafez el-Assad ou encore de l’Irakien Saddam Hussein.
7. Pour asseoir son pouvoir, Nasser écarta les forces organisées qui pouvaient se dresser face à lui, et
c’est pourquoi il entreprit d’éliminer ses anciens alliés communistes ainsi que les Frères
musulmans. Il fit pendre deux responsables communistes et le parti fut interdit. Le mouvement des
Frères musulmans fut également déclaré hors la loi. Après un attentat contre sa personne le
26 octobre 1954, une très dure répression s’abattit sur lui, des milliers de membres du mouvement
étant arrêtés, le plus souvent torturés et six responsables pendus en place publique.
8. En 1932, le mouvement disposait de quinze sections, en 1938 de 300 et en 1948 de 2000. À cette
date, les effectifs du mouvement étaient de 500 000 membres.
9. Londres se préparait à quitter l’Égypte sans trop d’arrière-pensées car, à l’époque, les rapports de
Nasser avec l’Occident étaient bons, le colonel se déclarant même anti-communiste. L’évacuation
de la zone du canal pouvait donc être faite sans trop de risques.
10. Le 14 juillet 1958, une sanglante révolution se produisit en Irak lors de laquelle le roi Faycal II, le
régent Abdullah et le Premier ministre Nuri al-Said furent assassinés et le général pro-communiste
Kassem prit le pouvoir.
11. Corfield (1959/60), Currey (1997) et Buijtenhuijs (1998 : 95-111).
12. Les tribus Embu et Meru qui leur sont apparentées ont également été concernées par le
mouvement. Les traditions fondatrices des Kikuyu parlent de Gikuyu et de sa femme Muumbi qui
eurent neuf filles, ancêtres des neuf clans kikuyu et elles permettent de faire remonter leur arrivée
dans la région aux environs du XIIe siècle. La première zone d’installation des ancêtres des actuels
Kikuyu et apparentés fut la région de Fort Hall, l’actuelle Muranga (Corfield, 1960 : 12).
13. Elle ne subsiste plus qu’autour du mont Kenya, région où vivent les Embu, les Meru, les Chuka
et les Mwindi qui sont apparentés aux Kikuyu.
14. Les Masaï furent également affectés par cette épizootie et afin de reconstituer leurs troupeaux, ils
se lancèrent dans des opérations de razzia à grande échelle, à la fois contre les troupeaux des
bantuphones, mais aussi contre d’autres troupeaux possédés par d’autres Masaï. C’est également à
cette époque que certains Masaï se réfugièrent au sein de communautés bantuphones, notamment
Kikuyu et qu’ils s’y métissèrent.
15. Ce furent les Masaï et non les Kikuyu qui furent les principales victimes de la colonisation
agricole car les terres proses aux Kikuyu pour y installer des colons n’ont représenté que 7 % du
total des terres occupées par les Européens (Buijtenhuijs, 1998 : 98).
16. Les Kikuyu étaient environ 500 000 au début du XXe siècle et environ 1,5 million au moment de
la révolte des Mau-Mau.
17. Jomo Kenyatta, Facing Mount Kenya, Londres, 1938.
18. Et le mouvement se fit « […] avec la complicité des colons. Ceci s’est fait par le truchement du
système des « squatters ». Ayant obtenu des terres, il fallait encore aux colons les cultiver […] on
fit alors appel au système des squatters dont le statut était le suivant : en échange d’un certain
nombre de jours de travail effectués au cours de l’année pour le propriétaire européen, le squatter
obtenait un salaire minimal, mais surtout le droit de s’établir avec toute sa famille sur la ferme de
son maître, d’y cultiver un champ pour son propre compte et d’y faire paître son bétail »
(Buijtenhuijs, 1998 : 99).
19. Les Mau-Mau avaient vainement tenté d’embrigader les Kamba qui demeurèrent « loyaux ».
Pourtant, un Kamba, Paul Ngei était membre du comité central Mau-Mau (Corfield, 1960 : 202) et
il réussit à recruter quelques partisans parmi les habitants des bidonvilles de Nairobi.
20. Kiambu est la région d’origine de Jomo Kenyatta.
21. Cette révolte a inspiré nombre de chroniqueurs ou romanciers. Parmi eux Robert Ruark (1955) et
Joseph Kessel (1954, chapitres I à IX).
22. Sur 6 millions d’électeurs potentiels, mais 126 000 seulement s’inscrivirent sur les listes
électorales.
23. Il s’agissait d’un Luo.
24. Ces deux partis procédaient du KIM (Kenya Independance Movement), émanation des Luo et des
Luhya qui se transforma en Kanu avec le renfort des Kikuyu et du KNP (Kenya National Party) qui
rassemblait Masaï, Côtiers, Kalenjin, Samburu et Somali. En 1960, furent créés la Kanu et la Kadu.
25. Il trouva la mort dans un accident automobile en 1972.
26. Le 22 avril 1964, se fit l’union de Zanzibar et du Tanganyika qui aboutit à la création de la
République du Tanganyika et de Zanzibar (Tanzanie). Le 18 février 1965 la Gambie accéda à
l’indépendance et le 30 août 1966 l’ancien Bechuanaland devint le Botswana. Le 4 octobre 1966 le
protectorat du Basutoland devint le Lesotho. Le 12 mars 1968, l’île Maurice accéda à
l’indépendance, suivie le 6 septembre 1968 par le Swaziland.
27. Pour tout ce qui concerne la décolonisation de l’Afrique australe britannique, on se reportera à
Lugan (1993b : 158-168).
28. Fils d’un pasteur originaire du Malawi, il n’avait pas d’attaches ethniques dans le territoire, ce qui
lui permit de se poser en arbitre. La mosaïque ethnique zambienne est composée des Bemba : 30 %
de la population, des Tonga (12 %), des Nyanja (12 %), des Lozi (5,5 %), des Lala-Bisa 5 %. Les
35,5 % restants sont divisés en une quarantaine d’autres ethnies.
29. L’opposition entre les deux principaux peuples de Rhodésie du Sud y explique largement la
lenteur initiale et les hésitations du nationalisme africain.
30. À la veille de la déclaration unilatérale d’indépendance, la Rhodésie du Sud avait une population
blanche relativement nombreuse passée de 11 000 personnes en 1901 à 56 000 en 1935 et à
250 000 en 1960 pour une population noire de 3 millions d’individus. L’économie du territoire était
prospère, associant l’exploitation de mines et une puissante agriculture d’exportation (tabac et
bétail).
31. Comme Kenneth Kaunda en Zambie, Robert Mugabe était d’origine malawite d’où était natif son
père. Sa mère était Shona.
32. Depuis la conférence impériale de Londres en 1907, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande
et Terre-Neuve étaient des Dominions. L’Afrique du Sud devint un Dominion 1910.
33. Ces chiffres sont d’ailleurs à peu de choses près identiques aux flux actuels du commerce avec
l’Afrique indépendante.
34. Les progrès de l’historiographie permettent d’aller encore plus loin. C’est ainsi que nous savons
aujourd’hui que les révolutions industrielles anglaises ne doivent pas grand chose à l’existence d’un
empire colonial dont elles auraient ponctionné les richesses puisqu’elles résultent d’un processus,
d’une évolution et d’une dynamique internes antérieures à l’expansion coloniale.
À la fin du XVIIe siècle, donc avant la période de développement de l’économie de plantation et de
la Traite, l’Angleterre fut le premier pays qui se dota d’un système bancaire moderne, ce qui permit
à la City de Londres de devenir la principale place bancaire mondiale. C’est également à partir de
cette époque que débuta la révolution industrielle dont le processus qui dura un siècle enrichit le
pays et lui permit de devenir la première puissance navale mondiale (Cain et Hopkins, 1993).
35. D’autant plus que Londres y avait des « contraintes de souveraineté » qu’il lui fallait assumer
financièrement. Ainsi, de 1946 à 1954, le Colonial Development and Welfare Fund, l’équivalent
britannique du FIDES fut alimenté par le budget métropolitain à hauteur de 123 millions de livres
dont 121 millions sous forme de dons, soit trois fois en moyenne le volume des importations
britanniques depuis l’Afrique et deux fois celui des exportations vers l’Afrique.
36. En 1953, le parti se divisa en trois fractions, puis, en 1959, une nouvelle scission donna naissance
au Parti progressiste qui milita pour le suffrage universel.
37. La notion de « développement séparé « ou apartheid était véritablement apparue dans les années
1945-1947, elle consistait en une séparation entre les composantes humaines de la population de
l’Afrique du Sud et était présentée comme la seule protection possible de la nation afrikaner. Dès
1949, l’appareil juridique sur lequel allait reposer cette politique commença à être mis en place au
moyen de lois spéciales.
38. Devant la pression des États membres, l’Afrique du Sud renonça à faire partie du Commonwealth.
Chapitre III.
Les autres décolonisations

La France et la Grande-Bretagne ne furent pas les seules nations


engagées dans le mouvement de décolonisation puisque la Belgique, le
Portugal, l’Italie et l’Espagne eurent, elles aussi, à faire face à cet impératif
devenu une nécessité politique et économique. Les modalités de ces
décolonisations furent diverses : organisées par l’ONU dans le cas de
l’Italie, précipitées pour ce qui fut de la Belgique et tardives chez les deux
puissances ibériques.

A. La décolonisation belge
La décolonisation belge laisse une impression de désastre, tant au Congo
où la politique de Bruxelles fut incohérente, qu’au Rwanda où un excès
d’interventionnisme posa les bases des catastrophes ultérieures.

1. Le chaos congolais
Le 30 juin 1960, c’est d’une manière précipitée que la Belgique accorda
l’indépendance au Congo qui n’était pas préparé à la recevoir1.
En 1955, Joseph Van Bilsen, professeur à l’Université de Louvain, avait
pourtant présenté un Plan de trente ans pour l’émancipation de l’Afrique
belge, mais il fut rejeté à la fois par les autorités belges2 et par les plus
radicaux des nationalistes congolais3. Son idée était double. D’une part il
proposait la création d’une sorte de confédération entre la Belgique et sa
colonie ; et d’autre part, il voyait l’avenir du Congo sous une forme
fédérale. Cette dernière vision lui aliéna donc les partisans de la création
d’un Congo unitaire d’autant plus enclins à le combattre que le plan
proposait une indépendance échelonnée dans le temps en fonction du degré
de préparation des régions4.
Le 30 juin 1956, le Manifeste de Conscience africaine fut rendu public à
Léopoldville. Or, Conscience africaine était un mouvement né dans la
capitale du Congo, donc en zone ethnique kongo, mais qui recrutait
essentiellement chez les immigrés Luba venus du Katanga et du Kasaï. Les
Kongo qui se retrouvaient dans le mouvement Abako (Association des
Bakongo) en étaient forts irrités car ils ne voulaient pas laisser l’initiative de
la contestation du pouvoir colonial à des « étrangers », d’où la surenchère
revendicatrice qui provoqua l’accélération, puis l’emballement des
évènements.
Les 4-7 janvier 1959 des émeutes éclatèrent à Léopoldville à la suite de
l’interdiction d’une réunion de l’Abako. La Belgique fut traumatisée par ces
évènements pourtant circonscrits à la seule ville de Léopoldville et qui
n’avaient pas débouché sur des troubles majeurs. Au mois de
novembre 1959, le gouvernement belge annonça que l’indépendance serait
accordée quatre ans plus tard. Surpris par une telle annonce, les
nationalistes firent alors du maximalisme, refusant cette échéance et
exigeant une indépendance immédiate. Bruxelles étant en pleine indécision,
la situation s’aggrava, notamment au Katanga et au Kasaï où éclatèrent des
affrontements tribaux.
Le contexte politique était encore compliqué par le fait que les
nationalistes congolais étaient extrêmement divisés. Tous les partis étaient
ainsi constitués sur des bases ethniques et tous étaient partisans du
fédéralisme, à l’exception du MNC (Mouvement national Congolais) de
Patrice Lumumba, un Tetela, qui avait une approche unitaire et même
jacobine5.

La démocratie ethnique congolaise


– L’Abako (Association des Bakongo), fondée en 1950 était à l’origine une association
culturelle ethnique se proposant de regrouper tous les membres de l’ethnie Kongo
séparés par les frontières coloniales entre l’Angola, le Congo belge et le Congo
Brazzaville, afin de reconstituer l’ancien royaume du Kongo. En 1957, l’Abako se
transforma en parti politique. Son chef en était un ancien séminariste, Joseph
Kasavubu. Le mouvement fut dissous au mois de janvier 1959 et recréée au mois
de juin suivant sous le même sigle, mais en devenant Alliance des Bakongo.
– En 1951 les Luluwa (ou Lulua) créèrent Lulua-Frères.
– En 1953 naquit la Fedekwalo (Fédération kwangolaise) qui regroupait les ethnies du
Kwango dont les Yaka et les Mbala et celles du Kwilu, notamment les Pende et les
Mbunda.
– En 1955, les Luba du Kasaï se groupèrent dans la Fegebaceka (Fédération
générale des Baluba du centre au Katanga). Dissoute par l’administration belge, elle
fut reconstituée le 1er décembre 1958 sous un nom moins ethnique et plus régional,
la Fedeka (Fédération des associations des ressortissants du Kasaï).
– Au mois de juillet 1956 fut créée la Fedequalac (Fédération de l’Équateur et du lac
Léopold), mouvement essentiellement Mongo qui se transforma ultérieurement en
Unimo (Union Mongo).
– En 1957 naquit la Fedekaleo (Fédération kasaienne de Léopoldville) qui éclata en
1958 car les non lubaphones refusaient que la langue du mouvement soit le ciluba.
– En octobre 1958 fut fondé le MNC (Mouvement national congolais). Ce mouvement,
partisan, d’un État congolais unitaire refusait tout régionalisme et tout séparatisme
et avait à l’origine une forte assise chez les Luba. Au mois d’avril 1959, lors du
congrès de Luluabourg, Lumumba exigea la création immédiate d’un gouvernement
autonome congolais. Les prises de position maximalistes de Lumumba ainsi que
des rivalités personnelles provoquèrent une scission en juillet 1959. Dirigée par MM
Albert Kalonji, Joseph Ileo et Cyrille Adoula, tous trois Luba, elle aboutit à la
création du MNC/Kalonji.
– Également au mois d’octobre 1958 fut fondée la Conatkat (Confédération des
Associations tribales du Katanga) essentiellement afin de lutter contre les immigrés
Luba du Kasaï. La Conatkat regroupait plusieurs associations directement ethno-
tribales comme le Gassamel (Groupement des Associations mutuelles de l’empire
Lunda), l’Assobakat (Association des Basonge du Katanga), la Fetrikat (Fédération
des Tribus du haut-Katanga), ainsi que de nombreux groupements défendant les
intérêts des Cokwe, des Basumbwa-Bayeke, des Batabwa, des Bahema, etc. La
Conatkat devint Conakat (Confédération des Nations du Katanga) au mois de
juillet 1959 et fut à partir de cette date présidée par Moïse Tschombe. Elle militait
pour l’autonomie du Katanga.
– En face fut créé le Cartel katangais, coalition regroupant trois partis dont le principal
était la Balubakat (Association des Baluba du Katanga) et qui s’était constitué pour
s’opposer aux visées séparatistes de la Conakat. Très fortement implantée chez les
Baluba du nord Katanga, la Balubakat avait été créée le 17 janvier 1957 par Jason
Sendwe qui la fit adhérer à la Conakat, car il se considérait comme Katangais. Dès
le mois de juillet 1959, la Balubakat se sépara de la Conakat en raison de la ligne
très anti-Luba du Kasaï suivie par elle et ses militants combattirent la gendarmerie
katangaise lors de la sécession de la province en 1960-1961.
– Au mois d’avril 1959, fut fondé le PSA (Parti solidaire africain) dont le président était
Antoine Gizenga, un Pende (ou Bapende) du Kwilu. Ce parti était à l’origine
fédéraliste, mais, durant l’été, il changea radicalement de doctrine et devint partisan
de la ligne unitaire, rejoignant ainsi le MNC/Lumumba et formant avec lui le Cartel
nationaliste.
– Bien d’autres partis ethniques existaient qu’il est impossible de tous citer, parmi eux,
l’Assobaleo (Association des Basongwe) qui deviendra le MUB (mouvement pour
l’unité des Basongwe) ; l’Assobakat (Association des Baluba du Katanga) qui
deviendra le Parti progressiste katangais ; la Fedebate (Fédération des Batetela)6 ;
l’Unibat (Union des bateke) ; l’Unerga (Union des Warega) ; le Liboke lya Bangala
(Rassemblement des Bangala) qui deviendra le Parti de l’Unité nationale ; le Cerea
(Centre de regroupement africain) qui rassemblait certaines ethnies du Kivu du
Kivu, etc.

Ces partis ethniques ou à base ethnique relevaient de deux catégories,


ceux qui ne représentaient que leur ethnie et ceux qui coalisaient des petites
ethnies sur une base régionale multiethnique comme l’ATCAR (Association
des Tchokwe du Congo, de l’Angola et de Rhodésie), la COAKA (Coalition
Kaisaïenne), la Conakat (Confédération des associations tribales du
Katanga), la FEDEKA (Fédération des associations des ressortissants de la
province du Kasaï), l’ASSORECO (Association des Ressortissants du haut-
Congo), la LUKA (Union Kwangolaise pour l’indépendance et la liberté),
le RDLK (Rassemblement démocratique du Lac Léopold II et du Kwango-
Kwilu), etc.
Les élections communales et territoriales qui s’étendirent sur deux
années7, 1958 et 1959, se firent donc sur une base totalement ethnique et
leurs résultats constituèrent un sondage ethnique grandeur nature. Ainsi à
Léopoldville où, lors des élections des conseils communaux l’Abako
remporta 133 sièges sur 170. Mais en raison des mouvements migratoires
récents, dans plusieurs régions, les peuples indigènes furent électoralement
battus par les partis ethniques constitués par les immigrés. Ainsi au Katanga
où aucun « indigène » ne fut élu puisque ce furent des Luba du Kasaï, des
Songwe ou encore des Kusu qui se retrouvèrent à la tête des conseils
communaux d’Elisabethville et de Jadotville. Ceci fit dire à Godefroid
Munongo, lui-même Bayeke, l’un des dirigeants de la Conakat :
« Les Katangais d’origine se demandent avec raison si les autorités ne
font pas exprès en accordant le séjour définitif aux gens du Kasaï dans
nos centres pour que les ressortissants de cette province puissent, grâce
à leur nombre toujours croissant, écraser ceux du pays. » (cité par
Ndaywel è Nziem, 1997 : 523)
Au Kasaï, le problème devint vite dramatique car les Luba-Kasaï étaient
devenus majoritaires dans la capitale de la province, Luluabourg8, alors que
la ville était en pleine zone Luluwa (ou Lulua), ce qui fit qu’ :
« […] à l’approche de l’indépendance, étant donné qu’on entrevoyait le
remplacement des colonisateurs par les Congolais qui aspiraient à la
gestion de la vie publique et que les Baluba (Luba) majoritaires à
Luluabourg, allaient occuper toutes les fonctions, les Luluwa estimaient
qu’ils allaient quitter une domination coloniale pour se retrouver sous
une autre forme de domination, celle des Baluba ». (Bakajika Banjikila,
1997 : 49)
Lors des élections communales de 1958, comme ils étaient divisés, les
Luba furent battus, quoiqu’étant les plus nombreux. En conséquence de
quoi leurs diverses composantes fusionnèrent dans le MSM (Mouvement
Solidaire Muluba), ce qui leur permit de remporter les élections de 1959
face aux Luluwa, lesquels comprirent alors qu’ils étaient devenus
minoritaires chez eux puisque la démocratie plus l’indépendance aboutissait
à donner le pouvoir à des étrangers. Leur réaction fut brutale. Par la voix de
leurs chefs coutumiers qui se réunirent au mois d’août 1959, ils adressèrent
un ultimatum aux Luba qui avaient jusqu’au 15 septembre pour quitter le
pays luluwa. Face à la montée des périls, l’administration belge donna
raison aux Luluwa, ce qui impliquait le transfert de 140 000 Luba. La
guerre tribale éclata le 11 octobre 1959, à la fin d’un match de football et
s’étendit comme une traînée de poudre, partout, les Luluwa s’en prenant
aux Luba.
Du 20 janvier au 20 février 1960, une Table Ronde se tint à Bruxelles et
l’Abako, allié au MNC/Kalonji défendit l’option fédéraliste et la
constitution d’un État composé de provinces quasiment autonomes. Face à
eux, les nationalistes regroupés autour du MNC/Lumumba réussirent à
imposer une approche centralisatrice. Dans la plus totale précipitation et
même improvisation, l’indépendance fut alors fixée au 30 juin suivant.
À l’issue des élections législatives du mois de mai 1960, la victoire revint
au MNC/Lumumba suivie au mois de juin par la formation d’un
gouvernement dirigé par Patrice Lumumba qui s’appuya sur deux
personnalités originaires du Kwilu, dans le sud-ouest du Congo, et qui
allaient animer les révoltes congolaises durant plusieurs années. Il s’agit
d’Antoine Gizenga, un Pende, comme Vice-premier ministre et de Pierre
Mulele, un Mbunda, comme ministre de l’éducation nationale.
Le 30 juin, le Congo devenait indépendant dans une situation de total
chaos.

La formation des élites


Il a été reproché à la Belgique d’avoir négligé la formation et la recherche et ne pas
avoir formé d’élites locales, ce qui est en partie inexact, même si, au moment de
l’indépendance, seuls trente congolais étaient diplômés de l’université.
À partir de 1934, de nombreuses écoles primaires avaient été créées et en 1954, les
Jésuites fondèrent l’Université de Lovanium qui dépendait de celle Louvain. Au
moment de l’indépendance, 345 étudiants africains et 140 européens y étaient
inscrits. En 1933, la Belgique avait créé l’INEAC (Institut national d’études
agronomiques au Congo) et en 1947, l’IRSAC (Institut pour la recherche scientifique
d’Afrique centrale). Dans ces centres de recherche, des formations de très haut
niveau étaient assurées dans les domaines de la médecine humaine tropicale, qu’il
s’agisse notamment, mais non exclusivement, de la parasitologie, de la virologie, de
l’épidémiologie. La médecine vétérinaire ne fut pas oubliée, pas plus que les sciences
de la terre : géologie, climatologie, pédologie, etc.
Le reproche fait à la Belgique en matière de formation est largement injustifié. Parmi
toutes les puissances coloniales, elle fut en effet la seule à avoir établi un plan
cohérent de développement de sa colonie. L’idée de ce plan partait d’une
constatation : tout devait être fait à partir du néant. En matière d’éducation, la France
et la Grande Bretagne saupoudrèrent leurs colonies d’Afrique sud-saharienne tandis
que la Belgique choisit de procéder par étapes et de commencer par bien développer
le primaire, puis le secondaire et enfin seulement le supérieur. Mais, pour que ce plan
puisse être efficace, il lui fallait une certaine durée ; or il fut interrompu par
l’indépendance alors qu’il fallait à la Belgique au moins deux décennies
supplémentaires pour le mener à son terme.
La première priorité de l’administration belge avait été de donner une certaine unité
au conglomérat congolais et c’est pour cela l’effort principal avait porté sur le
domaine des voies de communications. La réussite en ce domaine fut d’ailleurs tout à
fait remarquable, tant pour ce qui était de la navigation fluviale, que de la création du
réseau de voies ferrées, d’aérodromes ou de ports. Quant au réseau routier, il était
exceptionnellement dense et des pistes parfaitement entretenues permettaient de
traverser le pays d’Ouest en Est et du Nord au Sud en toutes saisons et rapidement.
Après l’indépendance, ces voies de communication disparurent, littéralement
« mangées » par la brousse ou la forêt.
La seconde priorité belge fut de dégager des moyens financiers permettant le
désenclavement et l’équipement de la colonie et c’est pour cela que furent favorisés
les grands projets de mise en valeur capitaliste générant des impôts en totalité
investis sur place au Congo.
La troisième priorité fut de nourrir les populations et de les soigner. La formation
venait ensuite.
La Belgique eut peut-être eu le tort de vouloir être trop méthodique, d’avoir voulu
constituer une colonie modèle. Un peu plus d’égoïsme et de dispersion dans les
projets lui aurait épargné les reproches souvent injustes qui lui sont généralement
faits.

2. Le Congo a-t-il enrichi la Belgique ?


Comme pour ce qui est de la France et de la Grande Bretagne, la question
se pose de savoir si le Congo a oui ou non enrichi sa métropole. Nous
disposons de chiffres relativement précis qui nous permettent de répondre à
cette question. En effet :
« En 1908 […] au moment de la reprise du Congo par la Belgique, le
Congo avait rapporté à l’État belge 26 millions de francs-or. De 1908 à
1950, les dépenses coloniales engagées par la Belgique […] atteignirent
un total de 259 millions de francs-or. Durant la même période, les
avantages recueillis par la Belgique grâce au Congo furent au total de
24 millions. Les dépenses nettes de la Belgique, de 1908 à 1950,
s’élevèrent donc à 235 millions.
Le Congo avait rapporté 26 millions au moment de la reprise. Il a coûté
235 millions depuis. Dans l’ensemble, il a donc coûté à la Belgique,
jusqu’en 1950, 209 millions de francs-or. » (Stengers, 1957 : 350)
Ces 209 millions de francs-or qui en 1950 avaient la contre-valeur de
7 milliards de francs belges représentaient alors moins de 1/10e des
dépenses annuelles de l’État belge. À titre de comparaison, la même année
c’est-à-dire en 1950, le simple budget belge des pensions était de
12 milliards et demi ce qui fait qu’annuellement, il constituait à lui seul une
dépense deux fois plus importante que le coût de soixante-dix ans de
présence au Congo (Stengers, 1957 : 350-351). Le Congo ne comptait donc
pas dans l’économie belge, même s’il avait une importance économique
considérable pour certains belges.

De 1918 à 1939, en moyenne, le budget des Colonies fut annuellement de


1 300 000 francs or et de 1 500 000 de 1945 à la fin (Van Bilsen, 1956 : 911). Le
budget du ministère des Colonies représentait :
– en 1910 : 0,15 % du budget national belge
– en 1920 : 0,17 % du budget national belge
– en 1930 : 0,13 % du budget national belge
– en 1950 : 0,10 % du budget national belge
– en 1956 : 0, 08 % du budget national belge
Rapporté au budget du Congo, le budget du ministère des Colonies représentait pour
sa part :
– en 1911 : 3 % du budget du Congo
– en 1930 : 1,8 % du budget du Congo
– en 1950 : 1,6 % du budget du Congo
– en 1956 : 0,6 % du budget du Congo

La Belgique n’a donc pas pillé le Congo et pourtant, cette colonie fut
cependant une de celles dans lesquelles les profits privés et ceux des
consortiums furent les plus importants9. Mais les investissements
nécessaires à l’exploitation des potentialités minières y furent considérables
(routes, voies ferrées, ports, etc.) tandis que les infrastructures humaines
(scolarisation ou santé) furent largement sous-traitées aux missions
catholiques. L’originalité du Congo belge était qu’il pouvait subvenir à ses
besoins, le plan de développement décennal ainsi que les investissements
étant financés par le pays lui-même.
Le Congo a enrichi la Belgique avant 1908 quand le roi Léopold puisa
dans ses ressources pour lancer en Belgique une politique de grands
travaux10. Il créa dans ce but la Fondation de la Couronne à laquelle il
attribua environ 1/10 de la superficie de tout le territoire et qui percevait les
revenus domaniaux des concessions. Ce fut une période sombre dans
l’histoire de la colonisation belge, avec une authentique politique
d’exploitation fondée sur le travail forcé et dénoncée dès 1899 par Joseph
Conrad dans son livre Au cœur des ténèbres (Hoschschild, 2001). Mais ce
ne fut qu’une parenthèse de quelques années. À partir de 1908, le Congo
rentra en effet dans l’État de droit et ses ressources ne servirent plus qu’à sa
mise en valeur. Ce fut d’ailleurs à partir de ce moment que la Belgique y
lança un formidable programme d’équipement routier, ferroviaire,
portuaire, etc. (Stengers, 1957).
Le Congo finançait son propre plan de développement décennal ainsi que
les investissements nécessaires à sa mise en valeur. Jusqu’en 1958 il ne
coûta rien à la Belgique puisque les recettes locales tirées de l’impôt des
grandes sociétés permettaient les investissements et les dépenses de
fonctionnement. Seule exception, la crise des « années 30 » qui ruina le
Congo en raison de la chute des cours du cuivre, ce qui entraîna un
chômage important et le retour de nombreux cadres européens en
métropole. L’État belge fut alors contraint d’intervenir et il créa la Loterie
Coloniale qui rapporta 58 millions de francs-or, tandis que le Trésor belge
intervenait à hauteur de 104 millions de francs-or durant la période 1933-
1940.
En résumé, des origines à 1908, le Congo a rapporté 26 millions de
francs-or et de 1908 à 1950 il a coûté 259 millions. Au total, des origines
à 1950, il a donc coûté 209 millions à la Belgique. Or, ces 209 millions
représentent à peine 1/10e des dépenses annuelles de l’État Belge. À partir
de 1955, le Congo fut en faillite et l’État belge dut renflouer ses finances.
Les économistes prévoyaient que le phénomène allait prendre de plus en
plus d’ampleur avec l’accélération des programmes de formation et de mise
en valeur prévus, sans compter l’exode rural qui gonflait les centres urbains
de masses de chômeurs. En 1956-1957, les investissements baissèrent et le
phénomène fut amplifié par un fait nouveau dans cette colonie où les
bénéfices étaient réinvestis sur place : la fuite des capitaux qui montrait
bien que les coloniaux avaient perdu confiance dans l’avenir du Congo. Le
gouffre financier congolais menaçant de s’ouvrir sous les pieds de la
prospère Belgique, voilà qui explique sans doute la précipitation à se
débarrasser au plus vite et l’on pourrait même dire à n’importe quel prix,
d’une colonie qui menaçait de devenir un insupportable fardeau.
Dans le cas du Ruanda-Urundi, la situation est comparable à celle des
autres territoires coloniaux où les dépenses engagées par la métropole se
faisaient à fonds perdus pour elle. De 1950 à 1956, les deux territoires sous
tutelle ont ainsi coûté à la Belgique 2 300 000 000 de FB, soit en six
années, un tiers de ce que le Congo lui avait coûté en 75 années.

3. Le Ruanda (Rwanda)11
Alors qu’au Congo la Belgique abdiqua ses responsabilités, au Ruanda,
elle se mêla au contraire de la situation, la changea en profondeur et créa les
conditions des futures déstabilisations qui conduisirent aux tragédies de
1994.
Au Ruanda, où la population était composée de 85 % de Hutu, de 15 %
de Tutsi et de quelques milliers de Twa (Pygmées), l’édifice tutsi avait
commencé à être ébranlé dans les années « 1950 ». Les trois partenaires
associés au pouvoir étaient alors le Mwami, le Vice gouverneur belge et le
Vicaire apostolique résidant à Kabgayi. Or, en 1955, deux importants
changements eurent lieu qui allaient bouleverser l’alchimie politique et
sociale du royaume : J.-P. Harroy le nouveau Vice gouverneur du Ruanda-
Urundi avait clairement choisi le camp des Hutu contre celui des Tutsi12 et
le nouveau Vicaire apostolique du Ruanda Mgr Perraudin13, un missionnaire
suisse, était, lui aussi acquis à la révolution hutu14.
Pour le Mwami Mutara III et pour les cadres tutsi, ces changements
furent rudes puisque leurs anciens partenaires et associés se déclaraient
soudain comme leurs adversaires et même leurs ennemis15. Dans ces
conditions, l’entourage du souverain dut à la hâte improviser une ligne de
défense. Maladroitement, il choisit alors de jouer la carte du nationalisme
africain, la seule lui permettant de gagner la sympathie internationale et
d’obtenir le soutien du bloc communiste et non-aligné majoritaire à l’ONU.
Les Tutsi demandèrent ensuite à l’ONU de retirer à la Belgique la Tutelle
qu’elle exerçait en son nom sur le pays, démarche qui acheva de braquer
contre eux l’administration belge.
À partir de ce moment, la Belgique et l’Église décidèrent, elles aussi dans
l’urgence, de casser la monarchie tutsi pour la remplacer par une docile
République hutu, détruisant le ciment national ruandais. Le sentiment
d’appartenir à une même nation qui, jusque-là, transcendait les deux
populations (Hutu et Tutsi) allait en effet s’effacer au profit de
régionalismes étroitement ethnocentrés et dont l’exacerbation conduisit à
l’enchaînement des tragiques événements qui débouchèrent sur le génocide
de 1994.
Au mois de mars 1957, un texte avait été remis au Vice Gouverneur
général accompagné d’une lettre explicative soulignant l’ampleur de
l’« exploitation » que les Hutu subissaient. Ce document qui portait comme
titre « Note sur l’aspect social du problème racial indigène au Ruanda » est
passé dans l’histoire sous le nom de Manifeste des Bahutu. Aux yeux des
responsables tutsi pour lesquels il n’existait que des Ruandais, Hutu ou
Tutsi, certes, mais tous sujets du Mwami, il s’agissait d’une véritable
provocation car, dans ce texte, et pour la première fois, était en effet posée
la question de l’existence de deux peuples au Ruanda dont l’un était
présenté comme le colonisateur intérieur de l’autre. Avec ce thème, les
auteurs mettaient en avant l’idée porteuse de bien des drames de la double
colonisation du Ruanda hutu et d’un « colonialisme à deux étages », l’un
belge et l’autre tutsi. De plus, il était écrit que
« Sans l’Européen nous (les Hutu), serions voués à une exploitation
plus inhumaine qu’autrefois […] ».
Pour les rédacteurs du texte, « de deux maux, il fallait choisir le
moindre », c’est-à-dire le colonialisme européen sur lequel les Hutu allaient
devoir s’appuyer contre le « colonialisme pire du hamite (lire Tutsi) sur le
Muhutu ». C’était donc bien en termes de blocs raciaux qu’était posé le
problème tutsi-hutu. Dans le Manifeste même les termes de « race »,
« raciste » ou de « racial » reviennent d’ailleurs une dizaine de fois. Quant
aux mots « hamite » ou « hamitisation » c’est treize fois qu’ils sont cités.
Pour les rédacteurs il était donc clair que les Tutsi et les Hutu appartenaient
bien à deux races différentes et que les premiers avaient colonisé les
seconds avant de les réduire en quasi servage. Le Manifeste des Bahutu,
texte radical, allait marquer considérablement l’inconscient collectif hutu.
De plus, la lutte pour l’indépendance n’allait pas opposer des
« modernistes » et des « réactionnaires » qui pouvaient se retrouver à la fois
chez les Tutsi et chez les Hutu, mais deux blocs « raciaux » dressés l’un
contre l’autre. L’unité nationale rwandaise n’existait plus16 et les positions
étaient devenues inconciliables car fondées sur des bases raciales17.
Afin de tenter de montrer que le problème Tutsi-Hutu n’existait pas ou
qu’il était artificiel, durant la 14e session du CSP (Conseil supérieur du
Pays), les délégués tutsi demandèrent que désormais les mentions de
« Hutu », « Tutsi » et « Twa » ne soient plus portées sur les documents
officiels. Considérant au contraire qu’il s’agissait là d’une manœuvre
destinée à camoufler le problème et à priver le « peuple indigène
majoritaire » du seul moyen de montrer sa domination démographique, les
six délégués hutu au CSP, s’opposèrent vigoureusement à cette résolution et
firent même une déclaration solennelle :
« Nous ici présents, membres de la délégation des Bahutu auprès du
Conseil supérieur du Pays, nous sommes des Bahutu, nous resterons
des Bahutu, et nous ne voulons pas du tout voir supprimer les termes
« Bahutu », « Batutsi », « Batwa » dans les documents officiels. Nous
et les nôtres voulons que le terme « Muhutu » (terme au singulier) soit
fièrement et fréquemment utilisé en vue de sa réhabilitation, terme dont
le sens a été terni par le servage18 ».
Comment le Mwami Mutara allait-il réagir ? Il se devait en effet de
prendre position sur cette question qui dressait l’une contre l’autre les deux
fractions « éduquées » des deux populations composant le « peuple » du
Ruanda. C’est pourquoi il assista à tous les débats de la 15e session du CSP
qui se déroula au début du mois de juin 1958. À l’issue des travaux, il fit la
déclaration suivante :
« […] je ne crois pas me tromper en déclarant que c’est pour la
première fois depuis toute l’existence du Ruanda que l’on entend parler
de ce problème récemment débattu ici au Conseil. […] je vous
recommande tous, avant mon départ, de vous ranimer mutuellement
pour vous rallier et colmater les brèches, afin que rien ne fonce ou ne
s’infiltre à travers – imbaga y’inyabutatu ijyambera – l’union des trois
ethnies. Il en coûtera cher à quiconque s’insurge contre le Ruanda ou
cherche sa désunion ». (CSP, 9 juin 1958)
Le samedi 25 juillet 1959 à 13 heures, à Usumbura, chef-lieu de l’Urundi
(Burundi), le Mwami Mutara III succomba, emporté par une congestion
cérébrale19. Ses obsèques furent célébrées le mardi 28 juillet à proximité de
Nyanza, la capitale royale. La question de sa succession était complexe car
il était mort sans postérité masculine, or, la dynastie nyginya obéit en
théorie à une règle successorale très claire : le nouveau Mwami doit être un
des fils du défunt désigné par les gardiens de la Coutume – les Biru. À
moins que, de son vivant, le défunt ait fait connaître aux Biru son choix que
ces derniers n’avaient plus, toujours en théorie, qu’à entériner en
proclamant le nom du successeur.
L’enterrement se déroula dans un climat extrêmement tendu car le bruit
courait que Mutara III avait été empoisonné par les Blancs qui auraient agi
ainsi pour supprimer l’obstacle qu’il constituait dans leurs vœux de
transformation du pays au profit des Hutu. Le nouveau Mwami, Jean-
Baptiste Ndahindurwa, un des neuf frères et demi-frères du défunt, fut
proclamé au cimetière même par Alexandre Kayumba, chef du conseil des
Biru qui annonça qu’il avait été désigné par le défunt et qu’il porterait le
nom dynastique de Kigeri V.
Au début du mois de novembre 1959, le feu qui couvait sous la cendre
embrasa une grande partie du pays et les cadres territoriaux tutsi, chefs et
sous-chefs, furent chassés. L’intervention de l’armée belge ne laissa pas la
jacquerie se transformer en massacre généralisé. Le 11 novembre, plusieurs
unités de paracommandos belges arrivèrent en renfort de la base de Kamina
au Congo et le colonel Guy Logiest fut nommé Résident militaire. Le même
jour, les autorités belges proclamèrent l’état d’exception. Le 12 novembre,
la Belgique instaura le « régime militaire » qui resta en vigueur jusqu’au
15 janvier 196020.
Le 15 novembre, le Ruanda avait retrouvé le calme21 et la réaction tutsi
avait échoué en raison de l’intervention des forces belges.
Après les événements du mois de novembre 1959, les Hutu radicalisèrent
leurs positions dans le sens d’un rejet pur et simple de l’institution
monarchique et du remplacement pur et simple d’une ethnie par une autre.
Des élections communales se déroulèrent entre la fin du mois de juin et la
fin du mois de juillet I960, Territoire par Territoire, afin de mieux garantir
la sécurité du scrutin. Les partis hutu connurent un véritable triomphe. Le
Parmehutu (Parti de l’émancipation de la masse hutu) qui était le seul à
avoir présenté des listes dans la quasi-totalité du pays rallia 70,4 % des voix
et remporta 2 390 sièges aux conseils communaux sur les 3 125 à pourvoir.
La victoire du Parmehutu était d’autant plus nette qu’il s’était présenté aux
électeurs sous sa nouvelle appellation, à savoir Parmehutu-MDR
(Mouvement démocratique républicain) qui, en plus de son caractère ethno-
racial faisait clairement allusion à son opposition à la monarchie. Les partis
hutu obtenaient au total 77,8 % des voix22. La République fut proclamée et
D. Mbonyumutwa, du Parmehutu-MDR élu président par 2 391 voix sur
2 873 votants qui élirent également les 44 membres composant l’Assemblée
législative. La révolution hutu l’avait emporté et le 25 septembre 1961,
79,7 % des votants rejetèrent la monarchie donc, indirectement, ce furent
presque 80 % de Ruandais qui se prononcèrent pour la République.
Quant aux élections législatives qui avaient été couplées avec le
référendum, leur résultat fut sans surprise puisque le Parmehutu recueillit
77,7 % des voix et 35 sièges sur 44. Les partis tutsi obtinrent 7 sièges. Le
vote avait été une fois de plus un sondage ethnique grandeur nature. La
nouvelle assemblée législative fut installée à Kigali le 25 octobre. Elle se
prononça pour un régime présidentiel et le 26 octobre Grégoire Kayibanda
fut élu comme Président de la République et en même temps chef du
gouvernement. Le 1er juillet 1962, le Ruanda accédait officiellement à
l’indépendance.

4. L’Urundi (Burundi)23
En Urundi, et à la différence du Rwanda, le statu quo fut préservé par la
Belgique. Le pays ne connut pas immédiatement la tragique situation de son
voisin septentrional même si l’indépendance du territoire qui intervint en
juillet 1962, se fit dans un contexte de troubles, l’assassinat du prince Louis
Rwagasore ayant cristallisé les tensions24.
Ici, le mouvement vers l’indépendance se fit sans engagement du Mwami
Mwambutsa25 dans le processus. Son fils aîné, le prince Louis Rwagasore26
né en 1932, y joua en revanche un rôle déterminant et même essentiel à
partir de 1959 quand il fonda le parti Uprona (Unité et progrès national)
qui réclamait l’indépendance immédiate.
Des élections étaient prévues alors que les autorités belges avaient retiré
au royaume sa colonne vertébrale administrative constituée par les chefs
Baganwa27 qui avaient été suspendus afin qu’ils n’influent pas sur les
résultats des élections communales et législatives (Ghislain, 2003 a).
Opposé au prince Rwagasore, le chef Pierre Baranyanka ne voulait pas
d’une indépendance précipitée. Encouragés par les autorités belges, ses fils
Jean-Baptiste Ndidendereza et Joseph Biroli fondèrent alors le PDC (Parti
démocrate chrétien) pour barrer la route à Rwagasore et à l’Uprona.
Les élections communales de novembre 1960 virent la victoire du PDC
qui remporta 925 sièges contre 545 à l’UPR0NA, mais, en revanche, lors
des élections législatives du 18 septembre 1961, la victoire de l’UPRONA
fut complète car 58 sièges sur 64 lui revinrent. Les paysans hutu avaient
voté massivement pour le parti du fils du Mwami et pour l’Uprona, le Parti
démocrate chrétien ayant été diabolisé car on leur avait fait croire qu’il était
adversaire du souverain (Ghislain, 2003 a : 34-37).
À contrecœur, le Mwami Mwambutsa désigna alors son fils aîné
Rwagasore au poste de premier ministre, mais Jean-Baptiste Ntidendereza,
fils de Pierre Baranyanka et son frère Joseph Biroli, ourdirent un complot
contre le prince qui était leur cousin. Le 13 octobre 1961, quinze jours après
la constitution du gouvernement Rwagasore, ce dernier fut assassiné par un
Grec nommé Jean Kageorgis.
Le 2 avril 1962, devant le Tribunal de Première Instance d’Usumbura
(Bujumbura), trois condamnations à mort furent prononcées contre
Ntidendereza, Nahimana et Kageorgis, ainsi que six peines de servitude
pénale dont la perpétuité pour Biroli. Le 7 mai la Cour d’Appel ramena les
condamnations à une seule peine de mort (le tueur Kageorgis) et des peines
de servitude pénales pour les huit autres comploteurs, dont vingt ans pour
Ntidendereza et Nahimana et quinze pour Biroli. L’exécution de Kageorgis
eut lieu le 30 juin I962, veille de l’indépendance de l’Urundi, par un peloton
de soldats barundi commandé par un officier belge.
Au lendemain de l’indépendance, en septembre 1962, le procès des
assassins de Rwagasore fut réouvert et le jugement du 27 novembre
comporta cinq nouvelles condamnations à mort. Au stade de Gitega, le
15 janvier 1963, devant une foule de plusieurs milliers de personnes, eut
lieu la pendaison des cinq condamnés : Ntidendereza, Biroli, Ntakiyica,
Nahimana, tous quatre membres de la plus haute aristocratie tutsi, et d’un
sujet grec nommé Iatrou (Ghislain, 2003 b : 48-50).

B. L’Italie, le Portugal et l’Espagne


Les autres décolonisations se firent sous des formes très diverses. Si la
décolonisation italienne fut une conséquence du second conflit mondial, les
décolonisations ibériques furent plus tardives, le Portugal et l’Espagne
n’achevant le processus que dans la décennie 1970.
1. La décolonisation italienne
Malgré des moyens limités et un contexte international rarement
favorable, l’Italie avait consenti beaucoup d’efforts pour se doter d’un
Empire colonial correspondant à ses ambitions de grande puissance
européenne, mais l’entreprise lui coûta beaucoup plus cher qu’elle ne lui
rapporta. Tard venue dans le partage colonial, elle gaspilla des ressources
financières et humaines dans une aventure impériale qui était déjà devenue
à beaucoup d’égards anachronique28.
Par le traité de Paris signé le 12 février 1947, l’Italie renonça à toutes ses
colonies. Depuis 1943, la Grand-Bretagne administrait la Cyrénaïque et la
Tripolitaine et la France, le Fezzan, territoire qui était passé sous son
contrôle à la suite de la campagne de la colonne Leclerc en 1942. Au
lendemain du conflit, avec le plan Bevin-Sforza, Britanniques et Italiens
proposèrent une division en trois du territoire : Londres exercerait ainsi une
tutelle sur la Cyrénaïque, Rome sur la Tripolitaine et Paris sur le Fezzan.
L’URSS s’opposa à ce plan, demandant que le territoire ne soit pas divisé et
qu’il soit placé sous tutelle de l’ONU. Au mois de mai 1949 l’ONU
repoussa le plan Bevin-Sforza et se prononça pour l’indépendance de la
Libye qui devrait intervenir avant le 1er janvier 1952.
Sur place, deux courants politiques cherchaient à s’imposer. L’un était
incarné par les citadins qui avaient une position moderniste et qui
souhaitaient voir naître un État républicain. Les tribus de l’intérieur
soutenaient quant à elles le chef de la confrérie sénoussiste, Mohamed
Idriss. Devant l’impossibilité de parvenir à un accord, au mois de juin 1949,
les Britanniques qui soutenaient Mohamed Idriss, accordèrent
l’indépendance à la seule Cyrénaïque. Le 21 novembre 1949, l’Assemblée
générale de l’ONU décida que la Libye deviendrait un État souverain
constitué par la réunion de la Cyrénaïque, du Fezzan et de la Tripolitaine.
Puis, de difficiles négociations eurent lieu entre les diverses composantes
politico-tribales libyennes qui aboutirent à un compromis : la Libye
indépendante serait une monarchie fédérale regroupant trois provinces : la
Cyrénaïque, la Tripolitaine et le Fezzan, avec pour souverain l’émir de
Cyrénaïque, Mohamed Idriss. Le 24 décembre 1951 la Libye était
indépendante.
Par un accord signé à Genève en 1949 et ratifié par le Parlement italien
l’année suivante l’ONU avait confié, pour dix ans, confié à l’Italie la tutelle
sur son ancienne possession somalienne. Rome exerça cette Tutelle de 1950
à 1960, supportant la totalité des dépenses locales et réussissant, à force de
ténacité, à créer des infrastructures et une agriculture alors que le pays ne
lui rapportait rien.
En 1960, en s’unissant à l’ancien Somaliland britannique, la Somalie
italienne devint la république de Somalie. Quant à l’Érythrée, elle fut
absorbée par l’Éthiopie.
2. La décolonisation portugaise
La décolonisation portugaise se produisit à la suite du coup d’État
militaire du 25 avril 1974 qui renversa le régime de l’Estado novo instauré
en 1926.
Présent en Afrique depuis le XVe siècle, le Portugal était demeuré à
contre-courant de l’évolution internationale puisqu’il considérait ses
colonies d’Angola, du Mozambique, de Guinée-Bissau, du Cap Vert et de
Sao Tomé et Principe comme parties intégrantes du Portugal selon le
principe constitutionnel qui voulait que le Portugal soit UN « en deçà et au-
delà de la mer ». En application de ce principe, Lisbonne investissait dans
son empire africain des sommes considérables, ce qui était largement au-
dessus de ses moyens. Les jeunes officiers majoritairement marxistes qui
prirent le pouvoir à Lisbonne à la faveur de la « révolution des œillets »
voulaient quant à eux décoloniser le plus rapidement possible et ils
accordèrent l’indépendance aux mouvements qui leur étaient
idéologiquement les plus proches. C’est ainsi que la décolonisation
portugaise se fit le plus souvent au profit des partis marxistes locaux,
comme en Angola et au Mozambique, et au terme d’un processus qui ne
dépassa pas deux années.
Tandis que la Guinée-Bissau29, le Mozambique et l’Angola étaient
ensanglantés par des conflits très durs, Sao Tomé demeura calme, le CLSTP
(Comité de Libertaçao de Sao Tomé e Principe), ouvertement marxisant,
avait été reconnu dès 1962 par l’ONU. En 1972, il se transforma en parti
politique, le MLSTP (Movimento de Libertaçao de Sao Tome et Principe).
Le 12 juillet 1975, l’indépendance fut proclamée et le dernier gouverneur
portugais quitta l’archipel, mettant un terme à cinq siècles de présence
lusitanienne.
Le 5 juillet 1975 avait eu lieu l’indépendance du Cap-Vert, archipel
composé de neuf îles au large du Sénégal. La lutte pour l’indépendance y
avait été menée par le PAIGC (Parti africain pour l’indépendance de la
Guinée-Bissau et des îles du Cap-Vert) fondé par Amilcar Cabral.
L’influence du mouvement fut très faible dans l’archipel alors qu’au
contraire, en Guinée-Bissau, les combats avaient été violents30.
En Angola où vivaient plusieurs centaines de milliers de Portugais et où
la métropole avait consenti d’énormes efforts de mise en valeur, c’est en
1956 que fut créé le premier mouvement indépendantiste, le MPLA
(Mouvement pour la libération de l’Angola), dont les cadres étaient
généralement des métis côtiers marxistes.
Durant les mois de février-mars 1961, en zone kongo, fief de l’Upa
(Union des populations d’Angola) d’Holden Roberto, plusieurs centaines de
Portugais et d’assimilados furent massacrés. En 1962, Holden Roberto
transforma l’UPA en FNLA (Front national de libération de l’Angola) et en
1966, Jonas Savimbi créa l’Unita (Union nationale pour l’indépendance
totale de l’Angola), mouvement ovimbundu. Les diverses guérillas
angolaises ne parvinrent pas à mettre l’armée portugaise en difficulté
puisque, à la veille du processus d’indépendance, ses unités étaient
maîtresses de la quasi-totalité de l’Angola.
Après le coup d’État intervenu au Portugal, la politique de Lisbonne
changea du tout au tout et le 15 janvier 1975, les accords d’Alvor furent
signés par MM. Agostinho Neto pour le MPLA, Jonas Savimbi pour
l’UNITA et Holden Roberto pour le FNLA. Un gouvernement provisoire
tripartite fut alors constitué, mais, le 29 avril 1975, à Luanda, les FAPLA
(Forces armées populaires de libération de l’Angola), branche armée du
MPLA, lancèrent une violente attaque-surprise contre les locaux du FNLA
et de l’UNITA, assassinant la plupart des cadres des deux mouvements. La
guerre civile angolaise venait de débuter.
Au mois de juillet 1975, 600 soldats cubains arrivèrent à Luanda afin
d’épauler le coup de force du MPLA qui prit le contrôle du gouvernement
de transition, cependant que Lisbonne reconnaissait ce mouvement comme
seul interlocuteur valable.
Le 12 novembre 1975, l’Angola devint indépendant, ce qui entraîna
l’exode de centaines de milliers de Portugais, tandis que la guerre civile
faisait rage, le MPLA et le FNLA contrôlant chacun une partie du pays.
Au Mozambique, le Frelimo (Front de libération du Mozambique),
mouvement marxiste prônant à la fois l’indépendance immédiate et la lutte
contre le capitalisme, fut fondé le 25 juin 1962. En 1964 le mouvement
débuta ses opérations militaires, tentant de créer au Mozambique une
véritable insurrection armée. Cependant, deux problèmes se posèrent aux
nationalistes mozambicains : leurs divisions internes d’une part, et
l’efficacité de l’armée portugaise d’autre part.
Après l’assassinat en 1969 d’Eduardo Mondlane, son chef historique et
afin de tenter d’unir sous la bannière du Frelimo tous les courants
indépendantistes, le mouvement se dota d’une direction tricéphale
composée d’un marxiste (Samora Machel), d’un intellectuel métis
(Marcelino Dos Santos) qui était l’idéologue du mouvement et d’un
chrétien (le révérend Uria Simango). Grâce à cette direction, le Frelimo fut
internationalement reconnu comme étant l’émanation de toutes les
composantes nationalistes du Mozambique.
Cependant, le vrai chef du Frelimo était Samora Machel et le révérend
Simango démissionna. Quant à Marcelino Dos Santos, il considéra que le
fait d’être métis était un handicap pour mener le Frelimo à la victoire31,
aussi, renonça-t-il à toute responsabilité politique, laissant à un « vrai »
Noir la direction du mouvement32 et c’est ainsi que Samora Machel devint
le seul chef du Frelimo.
Quand la « Révolution des œillets » renversa le président Marcello
Caetano, le Frelimo, en dépit de l’aide internationale qu’il recevait, ne
contrôlait que deux zones, la première, dans l’extrême nord car elle était
adossée à la Tanzanie, et la seconde, au centre, dans la région de Tete, soit
environ un quart du Mozambique. Partout ailleurs, l’armée portugaise était
maîtresse du terrain. Aussi, quand début septembre 1974, le gouvernement
portugais signa les accords de Lusaka avec le Frelimo, accords qui
prévoyaient non seulement l’indépendance du Mozambique, mais encore la
reconnaissance de facto du Frelimo comme futur gouvernement du
territoire, les colons portugais, soutenus par une grande partie des
populations du sud du pays se soulevèrent. Du 5 au 10 septembre 1974, une
révolte européenne se produisit ainsi à Lourenço-Marquès, capitale du
Mozambique mais le mouvement fut désordonné car ses objectifs étaient
confus. De plus, les Européens étaient profondément divisés entre un
courant prônant la rupture avec Lisbonne et la proclamation d’un
Mozambique indépendant à l’image de la Rhodésie, et un autre qui
souhaitait une partition de la colonie. Le 21 octobre, 400 Européens furent
massacrés, ce qui fit que, alors que la colonie n’était pas encore
indépendante, 120 000 Portugais sur une population de 200 000
la quittèrent en quelques jours, dont plus de la moitié pour aller s’établir en
Afrique du Sud. Certains de ces émigrants détruisirent leurs biens ou
brûlèrent leurs fermes avant de partir.
3. La décolonisation espagnole33
À la veille de la décolonisation, l’empire africain de l’Espagne était
composé du nord du Maroc (indépendant en 1956), d’une partie du Sahara
occidental et de quelques possessions dans le golfe de Guinée.
Dans le golfe de Guinée, en 1926, l’Espagne avait réuni ses territoires
insulaires (îles de Corisco et de Bioko) et continentaux qui devinrent la
Guinée espagnole. En 1959, la colonie devint Province espagnole d’outre-
mer sous le nom de Région équatoriale espagnole divisée en deux, une
partie insulaire Fernando Poo et une partie continentale, le Rio Muni. Le
15 décembre 1963, à la suite d’un référendum organisé par l’Espagne, le
territoire devint autonome sous le nom de Guinée équatoriale. Le
12 octobre 1968, l’indépendance fut proclamée et la Guinée équatoriale
devint la République de Guinée équatoriale.
Sur le littoral ouest saharien, en 1916, les Espagnols s’étaient installés au
Cap Juby (Bojador) puis, en 1919, au Cap Blanc où ils avaient fondé le
comptoir de la Guera (La Gouira). Sidi Ifni qu’ils revendiquaient depuis le
XIXe siècle fut occupée en 1934 et Smara en 1936. En 1925 fut créée la
Direction générale du Maroc et des Colonies et, en 1934, le haut-
commissaire d’Espagne au Maroc devint également gouverneur général des
territoires d’lfni, du Sahara Occidental et du Rio de Oro.
Conscientes qu’il leur faudrait accorder un jour l’indépendance à leur
protectorat marocain, les autorités espagnoles qui désiraient maintenir leur
présence au Sahara détachèrent administrativement cette région du Maroc
en créant l’Afrique Occidentale Espagnole (AOE). En 1947, l’AOE fut
divisée en deux entités distinctes administrativement : Ifni et le Sahara, ce
dernier étant partagé en deux zones, à savoir la Saquia el Hamra et le Rio de
Oro (ou Oued ad Dahab).
Avec l’indépendance de 1956, la souveraineté marocaine ne fut rétablie
que sur les deux anciennes zones des protectorats français et espagnol34, ce
qui était considéré comme inacceptable par les nationalistes. Ainsi, Allal el
Fassi, le dirigeant du puissant parti lstiqlal (Indépendance), fut très clair à
ce sujet le 27 mars 1956 en déclarant que :
« Tant que Tanger ne sera pas dégagé de son statut international tant
que les déserts espagnols du sud, tant que le Sahara de Tindouf à Atar,
tant que les confins algéro-marocains ne seront pas dégagés de leur
tutelle, notre indépendance demeurera boiteuse et notre premier devoir
sera de poursuivre l’action pour libérer la patrie et l’unifier. Car notre
indépendance ne sera complète qu’avec le Sahara ».
Au mois de juin 1956, la tribu des Rguibat prit les armes. En 1957, des
éléments de l’Armée de libération marocaine venus les renforcer parvinrent
jusque dans l’Adrar mauritanien et occupèrent Smara (carte) évacuée par sa
garnison espagnole. L’évolution de la situation sur les confins de l’Algérie
où l’armée française combattait le FLN algérien ne pouvait laisser
indifférent l’état-major français et c’est pourquoi, en liaison avec les
autorités espagnoles, une intervention conjointe fut décidée. Cette opération
militaire baptisée « Ouragan », coiffait en réalité deux actions. L’une, sous
responsabilité espagnole, avait pour nom « Teide » ; l’autre, française mais
conduite en totalité en territoire espagnol, fut baptisée « Opération
Écouvillon » et elle fut menée en deux étapes. La première, rapidement
conclue, eut pour cadre la Saquia el Hamra puis, les troupes françaises
obliquèrent vers le Sud, c’est-à-dire vers le Rio de Oro (ou Oued ad Dahab).
Cette seconde phase dura quatre jours, du 20 au 24 février 1958.
Des milliers de réfugiés s’enfuirent de la région des combats. À la suite de
l’« Opération Écouvillon » des pourparlers hispano-marocains furent
ouverts qui aboutirent le avril 1958 à l’Accord de Cintra, aux termes duquel
l’Espagne restitua la région de Tarfaya au Maroc.
En 1962, devant le refus espagnol d’envisager une remise du Sahara
occidental au Maroc, le roi Hassan II décida de demander au Comité de
décolonisation des Nations unies de mettre Ifni et le Sahara occidental sur
la liste des territoires à décoloniser. En 1964 et en 1965, l’ONU fit droit à la
revendication marocaine et invita l’Espagne à ouvrir immédiatement des
négociations. Le 20 décembre 1966, l’Assemblée générale demanda à
Madrid de restituer la zone de Sidi Ifni au Maroc et d’organiser, sous les
auspices de l’ONU, un référendum au Sahara occidental.
L’Espagne rétrocéda Ifni en 1969, mais l’épineuse question du Sahara
occidental demeura en suspens. En 1974, Madrid appliqua les résolutions
de l’ONU en ce qui concernait le référendum, mais dans un sens qui n’allait
pas dans celui des vues marocaines. En effet, le recensement de 1974
organisé sur le territoire était limitatif car l’administration espagnole ne
recensa que 73 487 habitants, dont 38 336 hommes et 35 151 femmes. Or, il
était clair que nombre de « Saharaouis », et notamment ceux qui avaient le
plus participé au soulèvement qui avait précédé et provoqué l’« Opération
Écouvillon », avaient fui au Maroc pour échapper à la répression qui avait
suivi la reprise de contrôle par l’Espagne. Rabat ne pouvait donc accepter
qu’un référendum consacrant la perte définitive de ses provinces
sahariennes soit organisé sur la base de listes électorales tronquées qui
écartaient plusieurs dizaines de milliers de personnes qui n’avaient pas été
recensées sur le territoire.
Le 23 juillet 1973, les présidents Boumedienne d’Algérie, Ould Daddah
de Mauritanie ainsi que le roi Hassan II, se réunirent à Agadir afin de
définir un plan d’action commun sur la question du Sahara occidental. Lors
de ce sommet, les positions contraires du Maroc et de l’Algérie furent
exprimées au grand jour :
– le Maroc n’acceptait l’autodétermination qu’à la seule condition que le
scrutin porte, soit sur le retour de la région au Maroc, soit sur le
maintien du statu quo espagnol ;
– l’Algérie qui voulait au contraire un « État saharaoui « indépendant
voyait dans l’autodétermination un moyen d’obtenir cette indépendance
officielle35.
Face au blocage de la situation, les possibilités de solution étaient au
nombre de quatre :
1. le rattachement et l’intégration au Maroc ;
2. le partage du territoire entre le Maroc et la Mauritanie ;
3. la constitution d’une entité à définir sous triple influence du Maroc, de
l’Algérie et de la Mauritanie ;
4. la constitution d’un État saharaoui indépendant.
Le 20 août 1974, le roi Hassan II s’opposa officiellement au référendum
prévu par l’Espagne et le 13 décembre 1974, l’Assemblée générale des
Nations unies décida de demander à la Cour internationale de justice un
avis consultatif sur les deux questions suivantes :
– « I. Le Sahara occidental (Rio de Oro et Saquia et Hamra) était-il, au
moment de la colonisation par l’Espagne, un territoire sans maître (terra
nullius) ?
– II. Quels étaient les liens juridiques de ce territoire avec le Royaume
du Maroc et l’ensemble mauritanien ? »
Le 16 septembre 1975, la Cour internationale fit connaître son avis :
– le Sahara occidental n’était pas une « terra nullius « au moment de sa
colonisation par l’Espagne puisque le territoire :
« […] était habité par des populations, qui, bien que nomades, étaient
socialement et politiquement organisées en tribus et placées sous
l’autorité de chefs compétents pour les représenter ».
– la Cour reconnaissait :
« […] l’existence, au moment de la colonisation espagnole, de liens
juridiques d’allégeance entre le sultan du Maroc et certaines tribus
vivant sur le territoire du Sahara occidental ».
– la Cour admettait :
« […] que les particularités de l’État marocain découlaient d’abord des
fondements mêmes du pouvoir au Maroc dont le lien religieux de
l’Islam et celui de l’allégeance constituaient, plus que la notion de
territoire, les deux éléments fondamentaux ».
Juridiquement en position de force, le roi Hassan II chercha un moyen de
contraindre le gouvernement espagnol à négocier avec lui. Il imagina alors
de réunir 350 000 volontaires dont 35 000 femmes, représentant toutes les
provinces, régions, villes du Maroc et de les faire participer à une marche
pacifique vers le Sahara occidental. Ce fut la « Marche verte ».
Le gouvernement espagnol donna l’ordre à ses troupes de se replier
devant la Marche verte qui débuta le jeudi 6 novembre 1975. Le
14 novembre, à Madrid, l’Accord tripartite Maroc, Mauritanie, Espagne
était signé. Il prévoyait la mise en place d’une administration commune par
les trois pays signataires, administration transitoire qui durerait jusqu’au
départ définitif des Espagnols fixé à la fin du mois de février 1976, mais
l’Algérie contesta cet accord.
En application de l’Accord tripartite du 14 novembre 1975, l’armée
espagnole se retira, laissant la place aux unités marocaines qui entrèrent à
El Aioun (Laâyoune) en décembre. Au Sud, dans l’Oued ad Dahab, zone
rattachée à la Mauritanie, l’armée de Nouakchott occupa avec difficulté La
Guera (La Gouira) où le Polisario l’avait précédée. La question n’était
cependant pas réglée et une longue guerre débuta comme nous le verrons
plus loin.
1. L’État belge avait un effort considérable au Congo puisque plus de 10 000 fonctionnaires furent
mis à la disposition de la colonie. Présents dans tout le pays et même dans les lieux les plus reculés
de la brousse, ils gérèrent ce conglomérat géographique et ethnique avec compétence. Les services
publics fonctionnaient, les pistes – entretenues par le travail forcé –, permettaient de circuler, d’où
le développement du commerce et des possibilités d’accès aux soins pour les populations dont
l’efficacité était unique en Afrique. En 1955, le service de santé du Congo belge examina ainsi près
de 7 millions de personnes grâce à la densité de son maillage, à sa disponibilité et à sa mobilité. Les
cultures obligatoires imposées par l’administration, comme le riz ou le manioc, permettaient
l’autosubsistance alimentaire et avaient supprimé les famines.
2. Traité de « bradeur d’Empire », van Bilsen fut littéralement pourchassé par Auguste Buisseret, le
ministre belge des colonies qui tenta de le faire révoquer de sa chaire et qui lui adressa un blâme.
3. Van Bielsen reprit ces idées dans un livre intitulé Vers l’indépendance du Congo et du Ruanda-
Urundi. Bruxelles, 1959.
4. Il était proposé que les territoires une fois indépendants devaient intégrer le Congo fédéral.
5. Ayant été les auxiliaires de l’administration coloniale, les Tetela étaient présents dans tout le
Congo et notamment dans la province orientale et à Léopoldville. Ceci a pu faire dire que :
« Lumumba, à cause de son identité de Tetela, avait son électorat « naturel » dispersé dans
l’ensemble du pays, ce qui l’obligeait à jouer la carte nationaliste ». (Ndaywel è Nziem, 1997 :
550).
6. Au sein de cette association, une forte lutte opposa Lumumba qui était partisan d’un Congo
indépendant unitaire aux fédéralistes.
7. Au Katanga elles débutèrent en décembre 1957.
8. Lors des élections de 1958, la population de Luluabourg était composée de 56 % des Baluba, de
25 % de Luluwa, de 5,8 % de Bena Konji, de 4 % de Songwe, de 2,7 % de Tetela, de 1,6 % de Binji
et de 4,9 % d’autres ou indéterminés (Ndaywel è Nziem, 1997 : 524).
9. Sur le rôle du colonat au Congo belge, on se reportera à Jewsiewicki (1979) qui a démontré que
durant toute la période coloniale, son poids économique fut nul, sauf au Kivu où il fut à l’origine
aristocratique, sa seule influence étant sociale car, avec les missionnaires, il constitua le seul groupe
européen stable.
10. Ainsi en fut-il de l’Arcade du Cinquantenaire (coût : 6 millions de francs/or) ; de l’extension du
Palais royal de Laecken (coût : 12,5 millions de francs/or), du Musée de Tervuren (coût 8 millions
de francs/or). Au total 30 millions de francs/or jusqu’en 1908, année de la suppression de la
Fondation et de la reprise du Congo par l’État belge.
11. Nous parlons de Ruanda pour toute la période coloniale, de 1894 à 1962 et de Rwanda avant et
après ces dates. Pour tout ce qui concerne le Ruanda et le Rwanda, on se reportera à Lugan et
notamment à (1997, 2004,2005,2006b, 2007 et 2008).
12. On se reportera aux souvenirs du Gouverneur général Harroy (1984) qui raconte avec une grande
sincérité la manière dont les évènements se sont déroulés et comment, lui-même et le colonel
Logiest, commandant les troupes belges sur le terrain, étaient acquis à la révolution hutu qu’ils
avaient décidé de faire triompher. On lira également les souvenirs du colonel Logiest (1988).
13. Mort le 25 avril 2003 à Sierre en Suisse à l’âge de 89 ans. Quelques mois avant sa mort, il avait
publié ses souvenirs du Rwanda, tardive et alambiquée justification de son action lors de la genèse
et des évènements de 1959 (Perraudin, 2003).
14. Ian Linden (1977 : 238) considère que l’alliance entre l’Église et le pouvoir tutsi a commencé à
s’éroder avec Mgr Deprimoz (1945-1955) quand l’Église eut conscience que les Tutsi, qui sentaient
une évolution démocratique dans le clergé, eurent commencé à prendre leurs distances avec
l’évêché de Kabgayi. Voir aussi la version française du même livre (Linden, 1999) ainsi que
Kalibwami (1991).
15. La Belgique avait abandonné le rôle d’arbitre qui lui avait été dévolu par l’ONU et avait
clairement désigné l’ennemi (Tutsi) et l’ami (Hutu). Le gouverneur Harroy qui parle de
l’« adversaire tutsi » (Harroy, 1984 : 249), allait s’employer à détruire le premier par la mise hors
de combat du Mwami et de son entourage.
16. Le Manifeste des Bahutu ne parle pas de la seule élite tutsi, mais de tous les Tutsi exploitant
l’ensemble des Hutu. Aux yeux des responsables tutsi, pour lesquels il n’existait que des Ruandais,
Hutu ou Tutsi, certes, mais tous sujets du Mwami, il s’agissait là d’une véritable provocation.
17. Le 4 avril 1958, lors de la 14e session du Conseil supérieur du Pays (CSP), l’abbé tutsi
Kagiraneza traita les délégués Hutu de « séparatistes » et d’« anarchistes » tandis que le délégué
hutu Gitera, un des signataires du Manifeste des Bahutu lui répliqua, qualifiant les Tutsi de
« fascistes ».
18. Communiqué du 6 juin 1958, CRISP (Bruxelles), pp. 32-33.
19. La reine-mère refusa l’autopsie.
20. Pour l’aspect judiciaire de la répression de ces évènements, on se reportera à Hubert (1965).
21. Tout le pays avait été touché à l’exception des Territoires de Kibungu (Kibungo), de Byumba et
de Shangugu (Cyangugu). Les Territoires les plus atteints par le soulèvement hutu avaient été ceux
de Gitarama, de Kisenyi (Gisenyi) et de Ruhengeri.
22. Le rapport ethno-racial du Rwanda était donc clairement indiqué par ce vote.
23. Nous parlons de l’Urundi pour toute la période coloniale et jusqu’en 1962. Avant et après nous
parlons du Burundi.
24. Au Burundi, les vrais problèmes se posèrent plus tard, à partir des années 1965, comme nous le
verrons plus loin.
25. Les Mwami du Burundi portaient quatre noms qui revenaient cycliquement : Mwezi, Mutaga
Mwambutsa et Ntare. Les souverains du nom de Mwambutsa, du verbe kwambutsa qui signifie
traverser une rivière n’avaient en théorie qu’un rôle de transition qui était d’engendrer un fils qui
aurait pour nom Ntare et dont le règne se devait d’être long et glorieux.
26. Le Mwami Mwambutsa avait épousé le 24 décembre 1930 une princesse chrétienne, Thérèse
Kanyonga, répudiée le 16 juin 1940 bien que mère de trois enfants dont l’aîné était le prince Louis
Rwagasore. Le 13 juillet 1946, le mwami se remaria avec une femme d’origine royale,
Mukundokazi Baramparaye. Le 2 décembre 1947 naissait un fils, Charles Ndizeye, le futur Ntare
V. Deux raisons expliquent le choix de ce prénom. La première est que SAR le Prince Charles de
Belgique, régent du royaume, avait visité l’Urundi où il fut reçu en juillet par le Mwami. La
seconde est que le Mwami Charles Mutara du Ruanda était le parrain du petit Ndizeye. Ni
Mwambutsa, ni sa seconde épouse n’étaient chrétiens (Ghislain, 2003 a).
27. Nous avons vu que les descendants de chaque Mwami avaient droit au titre de Baganwa et ils
étaient désignés suivant le nom de leur ancêtre. Ainsi, les descendants de Ntare V mort vers 1850
étaient-ils désignés sous le nom de Baganwa Batare et ceux de Mwezi IV sous celui de Baganwa
Bezi. Les noms des souverains revenant par cycles, lorsqu’un nouveau Ntare était intronisé, les
Baganwa Batare cessaient d’être des Baganwa pour devenir des Bafasoni ou grands notables
(Ghislain, 1970).
28. En 1938, le budget colonial représentait 12,5 % du budget de l’État italien. Cette année-là, trois
mille deux cent vingt-quatre kilomètres de routes et mille kilomètres de voies ferrées avaient été
construits en Afrique orientale italienne (Conrad, 2007).
29. Le 19 octobre 1956, Amilcar Cabral, originaire du Cap-Vert, créa à Bissau le PAIGC (Partido
africano de Independencia da Guiné y Cabo Verde). Au mois d’août 1959, il se lança dans la lutte
armée. À la fin de l’année 1967, le PAIGC contrôlait la moitié de la Guinée-Bissau. Amilcar Cabral
fut assassiné à Conakry, en Guinée, au mois de janvier 1973. Aristide Pereira lui succéda.
30. L’indépendance donna naissance à un seul État, mais les tensions furent vives entre insulaires
métis et continentaux et les deux anciens territoires portugais se séparèrent peu à peu puis,
véritablement après le coup d’État militaire du 14 novembre 1980 à Bissau.
31. Et cela en raison de l’opposition historique entre Noirs et métis, ces derniers ayant été largement
responsables de la traite esclavagiste, ce que les premiers n’avaient pas oublié.
32. Il demeura cependant l’un des principaux idéologues du Frelimo.
33. Pour ce qui est de la décolonisation espagnole en général, voir Pélissier (2005) et pour tout ce qui
concerne la question du Sahara occidental, voir Lugan (1998b ; 2000 : 307-344).
34. Dans le Nord, Sebta (Ceuta), Melilla, les îles Jaafarines et, dans le Sud, Ifni, Tarfaya, Saquia el
Hamra et Oued ad Dahab, demeuraient sous souveraineté espagnole.
35. Sur les implications géopolitiques de la question du Sahara occidental, on se reportera à Mohsen-
Finan (1997) et Lugan (1998b ; 2000 : 307-344).
HUITIÈME PARTIE
L’Afrique de 1960 à 2020
De 1960 à 2020, durant une période aussi longue que celle de la
parenthèse coloniale, l’Afrique a connu des évolutions et des mutations
inscrites dans deux grandes séquences de temps :
1. De 1960 à 1990, la guerre froide ne lui permit pas d’entrer pleinement
dans les indépendances car elle fut divisée en deux zones d’influence à
l’intérieur desquelles les jeunes États n’eurent quasiment aucune
autonomie. Politiquement, ce fut la période des coups d’État et du parti
unique ;
2. À partir de 1990, après la fin des blocs, ce « raccourci autoritaire » fut
remis en question quand l’Afrique ayant cessé d’être un enjeu
stratégique, elle fut alors abandonnée par ceux qui y avaient pratiqué
l’ingérence. Réapparurent alors ces grandes constantes inscrites dans la
longue durée et qui avaient été mises entre parenthèses, d’abord par la
colonisation, puis durant les trois premières décennies des
indépendances. Ce fut le retour en force de l’évidence ethnique niée
jusqu’à l’absurde par les universalismes (marxisme, libéralisme ou
tiers-mondisme). Trois nouveautés étaient cependant intervenues qui
changeaient en profondeur les données du problème et qui sont à
l’origine des multiples conflits de la période :
• les frontières artificielles étouffaient les peuples ;
• la suicidaire démographie bloquait toute possibilité de
développement ;
• l’ethno-mathématique électorale imposée par la transposition du
système démocratique occidental fondé sur le principe du « one man
one vote » donnait automatiquement la victoire aux peuples les plus
nombreux.
Après l’euphorie de la décennie « 1960 », ce fut alors le temps des
désillusions :
« Que l’Afrique était belle au moment où elle prenait le départ, il y a
1500 semaines ! Que de promesses à elle-même, à ses enfants et au
monde, dont presque aucune n’a été tenue ! » (Jeune Afrique, 2 octobre
1989).
« Qu’avons-nous fait ? Qu’ont fait nos aînés de ces longues années ?
Pas grand-chose. 1960-1990 : trois décennies perdues, faites de
résolutions creuses, de vœux pieux, de détournements de légitimité.
L’Afrique a traversé une histoire où la violence a souvent pris le pas sur
la raison. Sans réactions, elle a laissé ses économies s’enfoncer. Sans
sursaut, elle a vu les déserts grignoter la vie. Où sont donc passés les
rêves d’unité de nos pères ? La première génération de l’indépendance
a échoué, hypothéquant dans sa chute les chances de la deuxième. [.]
Lentement, nous prenons conscience que nous sommes seuls et qu’être
assistés en permanence, c’est être colonisés. (Jeune Afrique, 8 août
1990)
Près de trois décennies après ce constat, et en dépit du virage
démocratique, l’Afrique n’a toujours pas connu le développement. Au point
de vue économique, les pays producteurs de matières premières n’ont
toujours pas entamé l’impératif mouvement de diversification qui, seul,
pourrait leur permettre d’échapper aux malédictions liées à la variation des
cours. La démographie est devenue suicidaire et de nouvelles conflictualités
sont apparues.
En 2020, soixante-dix ans après les indépendances1, du nord au sud et de
l’est à l’ouest, le continent africain était meurtri. De la Méditerranée aux
prolongements sahariens, la dislocation libyenne entretenait un foyer
majeur de déstabilisation. Dans le cône austral, ce qui fut la puissante
Afrique du Sud sombrait lentement dans un chaos social duquel
émergeaient encore quelques secteurs ultra-performants cependant que la
criminalité réduisait peu à peu à néant la fiction du « vivre ensemble ». De
l’atlantique à l’océan Indien, toute la bande sahélienne était enflammée par
un mouvement à la fois fondamentaliste et mafieux dont les ancrages se
situaient au Mali, dans le nord du Nigeria et en Somalie ; plus au sud, la
Centrafrique avait explosé cependant que l’immense RDC n’en finissait pas
de mourir. La situation était à ce point grave que les anciennes puissances
coloniales étaient régulièrement appelées à l’aide2. L’époque de l’exigence
de l’abandon des bases militaires « impérialistes » était bien révolue.
Humainement, le désastre était grand avec des dizaines de milliers de
boat people qui se livraient au bon vouloir de gangs qui les lançaient dans
de mortelles traversées en direction de la « terre promise » européenne. Les
crises alimentaires étaient permanentes, les infrastructures de santé avaient
disparu comme le montra la tragédie d’Ebola en Afrique de l’Ouest ou la
flambée de peste à Madagascar, l’insécurité était généralisée et la pauvreté
avait atteint des niveaux sidérants.
Économiquement, à l’exception d’enclaves dévolues à l’exportation de
ressources minières confiées à des sociétés transnationales sans lien avec
l’économie locale, l’Afrique était largement en dehors du commerce, donc
de l’économie mondiale. Malgré le pétrole et les minerais, sa part dans les
échanges mondiaux (importations plus exportations), était en effet dérisoire.
Commercialement, elle n’existait donc pas, même si certains pays-
comptoirs connaissaient une réelle prospérité.

1. En 1962 René Dumont publia L’Afrique noire est mal partie, livre qui fit sa renommée en dépit
d’un titre aussi fort que faux car, à l’époque, le monde en perdition n’était pas l’Afrique, mais
l’Asie qui paraissait condamnée par de terrifiantes famines et de sanglants conflits : guerre civile
chinoise, guerres de Corée, guerres d’Indochine et guerres indo-pakistanaises. En comparaison,
durant la décennie 1950-1960, les habitants de l’Afrique mangeaient à leur faim, étaient
gratuitement soignés et pouvaient se déplacer le long de routes ou de pistes entretenues sans risquer
de se faire attaquer et rançonner.
2. Depuis 1960, l’Afrique est ravagée par de multiples confits qui y ont fait des millions de morts et
des dizaines de millions de déplacés. Durant la décennie 2000-2010, 70 % des décisions de l’ONU
et 45 % des séances du Conseil de Sécurité lui furent ainsi consacrées. Au premier semestre 2009,
quarante-deux des quatre-vingt-treize séances du Conseil de Sécurité et vingt-six des quarante-huit
rapports remis par le Secrétaire général de l’ONU la concernèrent (Esteban, 2005).
Chapitre I.
L’Afrique entre blocages,
débats et mutations

Au lendemain des indépendances, le continent africain a connu des crises


liées à la question de l’État, à son incontrôlable essor démographique, à
l’échec économique et à l’apparition de nouvelles formes de conflictualité.

A. La question de l’État
En 1968, Georges Balandier écrivait que :
« […] les nouveaux États africains [ayant] la charge d’effectuer
rapidement et en même temps des (révolutions) que l’histoire avait
échelonnées dans le temps [ils] doivent se réinsérer dans une société qui
s’est organisée en dehors d’eux […] ».
Cette remarque met clairement en évidence les problèmes politiques et
constitutionnels qui se posèrent à l’Afrique indépendante et qui étaient
suspendus à la définitiion de l’État.

1. La communauté ou l’individu ?
En Afrique sud-saharienne, et cela durant trois décennies, de 1960 à
1990, la priorité fut à la constitution des États-nations. Or, comme il leur
fallait brûler les étapes, les États africains nés des découpages coloniaux
empruntèrent le « raccourci autoritaire », le parti unique s’identifiant à
l’État. En réalité, une ethnie accaparait le plus souvent le pouvoir,
s’identifiant ainsi au parti unique, donc à l’État, tandis que celles qui en
étaient exclues se sentaient étrangères au mouvement de fusion nationale.
Cette réalité domina toute la période de la « guerre froide », laquelle
correspondit malheureusement pour l’Afrique à celle de ses indépendances.
Comme durant cette séquence de confrontation idéologique, la priorité pour
les deux blocs était de maintenir leurs positions africaines, le statu quo
politique fut recherché par le biais de régimes forts sur lesquels les uns et
les autres pouvaient s’appuyer.
Puis, dans les années « 1990 », après la disparition du bloc soviétique, la
question du pouvoir fut posée. Le 20 juin 1990, lors de la Conférence
franco-africaine de La Baule, le président François Mitterrand déclara ainsi
que si l’Afrique indépendante avait échoué, c’était par déficit de
démocratie. Le continent subit ensuite un véritable « diktat démocratique »
qui entraîna la chute du système de parti unique et une cascade de crises et
de guerres. La raison en était claire : la démocratie avait débouché sur
l’ethno-mathématique électorale, les ethnies les plus nombreuses
l’emportant automatiquement sur les moins nombreuses. La démocratie
avait en effet été plaquée sur un continent ignorant le partage de l’autorité,
sans qu’auparavant il ait été réfléchi à la création de contre-pouvoirs et au
mode de représentation et d’association au pouvoir des peuples
minoritaires.
Dans les pays de l’hémisphère nord les sociétés sont en effet
individualistes et les bases constitutionnelles y reposent sur des convictions
communes ou sur des programmes politiques transcendant les différences
culturelles ou sociales. C’est l’addition des suffrages individuels qui y
fonde la légitimité politique. Or, une telle notion est étrangère à l’Afrique
sud-saharienne où les sociétés sont traditionnellement communautaires,
hiérarchisées et solidaires. L’idée de Nation n’est donc pas la même en
Europe et en Afrique puisque dans un cas, l’ordre social repose sur les
individus, et dans l’autre, sur les groupes.

La négation de la réalité ethnique


Alors que la construction de l’État passait par la reconnaissance de la réalité
ethnique, cette dernière fut bannie des études africaines car jugée trop étrangère à la
conception matérialiste de l’histoire. La nécessité de dépasser l’apparence des
évènements imposait en effet de raisonner en termes de « conditions objectives », de
« contradictions », de « classes sociales ».
Le postulat qui sous-tendit les travaux des africanistes1 de la seconde moitié du
XX siècle, fut que les ethnies avaient une origine coloniale (Chrétien, 1981 et 1985 ;
e

Amselle, 19852)3. Une telle opinion qui revenait à demander si les Tutsi et les Hutu
au Rwanda, les Darod et les Saab en Somalie, les Sotho et les Xhosa en Afrique du
Sud, les Ovimbundu et les Kongo en Angola, les Kru et les Mano au Liberia, les
Temné et les Mendé en Sierra Leone, les Baoulé et les Bété en Côte d’Ivoire, etc.,
existaient ou non quand les Européens occupèrent le continent à la fin du XIXe siècle,
est toujours dominante au sein de l’africanisme français.
Jean-Pierre Chrétien est tout à fait clair à ce sujet quand il affirme que :
« L’ethnicité se réfère moins à des traditions locales qu’à des fantasmes plaqués
par l’ethnographie occidentale sur le monde dit coutumier ». (Chrétien, 1985)4
Dans les années 1970-1980, autour de Jean-Pierre Chrétien, se rassemblèrent deux
ou trois dizaines de chercheurs français et africains5 qui entreprirent d’élargir à
d’autres régions du continent des postulats primitivement énoncés pour le Rwanda et
le Burundi. Détenant le monopole de l’accès aux revues africanistes françaises et
pratiquant l’endogamie du recrutement dans les instituts de recherche et dans les
universités, ils formèrent des générations entières d’étudiants et imposèrent leur grille
de lecture des évènements africains6.
Or, il a été clairement démontré que l’histoire ancienne de l’Afrique est d’abord celle
de ses peuples, donc de ses ethnies, et que toutes les constructions étatiques
précoloniales furent à base ethnique. Comme nous l’avons vu dans cet ouvrage,
quand elles débouchèrent sur des ensembles pluriethniques, ce furent généralement
des entreprises sans lendemain. Les contre-exemples sont rares : entité toucouleur
ou bien certains empires musulmans nés des jihad et qui, eux, furent effectivement,
et par le sabre, des « agglomérateurs » ou des « coagulateurs » ethniques partiels.
Quant à l’histoire contemporaine de l’Afrique, elle s’écrit autour des ethnies, comme
l’actualité le montre quotidiennement7.

2. Les frontières artificielles


En 1972, ce grand connaisseur de l’Afrique qu’était le gouverneur
Deschamps8 écrivait :
« […] les nouvelles frontières tracées en Europe sur des cartes à petite
échelle, parfois fausses, étaient le plus souvent des lignes droites ou des
cercles, toute une abstraction géométrique ne tenant aucun compte des
peuples, le plus souvent ignorés. De là, des découpages à la hache, une
boucherie diplomatique. Une Gambie anglaise taillée dans les peuples
wolof et mandingue accordés à la France. Les Evhé coupés en deux
tronçons, anglais et allemand. De même les Pahouins entre le Kamerun
et le Gabon ; les Bakongo entre la France, la Belgique et le Portugal ;
les Ovambo entre le Portugal et l’Allemagne ; les Lunda entre belges,
Portugais et Anglais, etc.
Les réunions de nombreux peuples au sein de la même entité
administrative arbitraire posèrent peu de problèmes tant qu’ils furent
soumis à un même maître étranger. Les difficultés apparurent lors des
indépendances. La création artificielle de grands ensembles comme le
Nigeria, le Tchad, le Soudan nilotique groupait dans les mêmes
frontières des peuples du Nord, anciens esclavagistes et les peuples du
Sud qu’ils avaient rançonnés ; les premiers, musulmans n’avaient eu
aucun scrupule à lancer des raids chez les seconds païens. De là, des
souvenirs qui les portaient assez peu à vivre ensemble. La révolte du
Biafra, celle des Sud-soudanais, les malaises constants du Tchad
s’expliquent largement par l’absurdité des découpages européens. C’est
le péché originel. » (Deschamps, 1972 : 29)

La colonisation a donc tracé des frontières, réalité inconnue et même


souvent incompréhensible en Afrique. Ce faisant, elle y a perturbé les
grands équilibres humains car, dans l’ancienne Afrique, les territoires des
peuples n’étaient pas bornés et surtout, le plus généralement, l’on ne sortait
pas de chez soi pour immédiatement entrer chez le voisin. Entre les cœurs
nucléaires territoriaux existaient en effet de véritables « zones tampon »,
parfois mouvantes, n’appartenant ni aux uns, ni aux autres. Dans certains
cas, ces espaces pouvaient être parcourus par les uns et par les autres, mais
in fine, ils étaient le domaine des esprits dans lequel nul ne s’aventurait.
Or :
En instaurant la frontière-linéaire comme principe exclusif
d’encadrement de l’espace, la colonisation a entrepris de contester les
usages de la frontière comme espace tampon. Des délimitations précises
et rigides ont été substituées à une logique organisationnelle qui
permettait de transcrire dans le temps et dans l’espace la fluidité des
allégeances et rapports entre individus, groupes et structures politiques.
Avec la remise en cause de l’épaisseur géographique inhérente à la
frontière-tampon, ce sont ses fonctions de front pionnier qui ont aussi
été brutalement contestées ». (Bach, 2003 : 953)
Les frontières ont également détruit, et cela d’une manière irrémédiable,
l’équilibre interne aux grandes zones d’élevage où la transhumance
millénaire a été changée de nature par le cloisonnement de l’espace. Elles
ont également fait que des peuples ont été coupés par ces lignes de partage
artificielles. Ailleurs, la colonisation a tout aussi artificiellement rassemblé
un monde émietté en de nombreuses entités ethniques, tribales ou même
villageoises, afin d’en faire des ensembles administrativement cohérents.
Partout, la colonisation a ainsi bouleversé ou figé les rapports entre les
populations.

Quand la démographie bloque le développement


À l’époque précoloniale, le continent africain était un monde de basse pression
démographique, situation qui fut bouleversée en profondeur au XXe siècle ; d’abord
par la colonisation et son maillage médical, puis par l’amélioration des conditions
d’hygiène et les campagnes de vaccination9.
Quelques chiffres permettent de saisir l’ampleur du phénomène :
– dans les années 1900, la population de l’Afrique était d’environ 100 millions
d’individus ;
– dans les années 1950-1960, au moment des indépendances, elle était de
275 millions ;
– en 1990, de 642 millions dont 142 en Afrique du Nord ;
– en 2005 de 910 millions ;
– en 2019 de 1,216 milliard ;
– dans les années 2050, les Africains seront 2,4 milliards si les femmes n’ont
que 2,5 enfants en moyenne et plus de 3 milliards si elles continuent à en avoir 5,5.
Or, cette croissance démographique annule les effets du développement. Ainsi,
entre 1966 et 2005, le PNB10 du continent a augmenté de 3,9 % en moyenne, ce qui
est une excellente performance mais, ramené à l’évolution de la population, ce taux
tombe à 1,6 % (FMI, mars 2005). De même, entre les années 1960 et 1995, la
production agricole africaine a progressé en moyenne de 1,25 % par an, soit 43,75 %
en trente-cinq ans, ce qui est remarquable. Mais, dans le même temps, comme la
population croissait de 3 % par an, soit 105 %, l’écart entre les besoins et les moyens
s’est donc considérablement creusé.
Autre conséquence de la surpopulation, les disettes saisonnières qui, dans la société
traditionnelle apparaissaient régulièrement au moment de la soudure entre deux
cycles agricoles ou lors d’accidents climatiques ponctuels, se sont transformées en
famines, car les ressources alimentaires ont progressé moins vite que la population.
Le phénomène est amplifié par l’exode rural et par la création de mégapoles non
productives mais grosses consommatrices, ce qui a entraîné une baisse des
productions vivrières et augmenté le déficit alimentaire. Or, cette urbanisation n’est
pas le résultat de l’industrialisation, mais de la misère qui engendre l’abandon des
campagnes et l’exode vers les villes.
La surpopulation a également eu des conséquences dramatiquement observables
sur l’environnement, amplifiant le phénomène de désertification. Depuis la
décennie 1960, le déboisement de l’Afrique qui en est une conséquence directe a
même pris des proportions alarmantes. Les 3/4 des Africains se servent en effet de
bois ou de charbon de bois pour la cuisson de leurs aliments ; 85 % du bois coupé en
Afrique sert en bois de feu, 10 % pour l’habitat et 5 % seulement pour l’exportation.

B. L’échec économique et commercial


Des indépendances à 2020, l’économie africaine a connu quatre grandes
phases allant de la stagnation à la morosité.

1. 1960-2004 : la stagnation
En 1995, avec 14 % de la population mondiale, l’Afrique, moins la
RSA11 totalisait 1 % du PNB mondial. Avec ± 660 millions d’habitants le
PNB africain était alors inférieur à celui de l’Espagne (44mh). Avec
60 millions d’habitants, celui de la France était trois fois supérieur à celui
de l’Afrique. 75 % du PIB du continent était alors réalisé par 9 pays qui
étaient, par ordre alphabétique, l’Algérie, le Cameroun, la Côte d’Ivoire,
l’Égypte, la Libye, le Maroc, le Nigeria, la Tunisie et la RSA. Parmi ces
« privilégiés », trois « géants » continentaux dominaient, l’Afrique du Sud
(20,7 %), l’Égypte (17,1 %) et l’Algérie (10 %) qui totalisaient à eux trois
quasiment 50 % du PIB continental.
Selon la Banque mondiale (Rapport de décembre 2002), la croissance12
globale positive du PIB africain fut de 3,2 % en 2000, de 3 % en 2001 et de
2,5 % en 2002. Ces résultats ne permirent pas le décollage car une
croissance de 7 % durant plusieurs années était considérée comme un
minimum pour simplement combler un retard accumulé entre les années
1980 et 2000.
La croissance était d’ailleurs impossible car, durant la période étudiée,
l’intérêt des investisseurs pour l’Afrique baissa. Ainsi, de 1970 à 2002, la
part de l’Afrique dans les IED (Investissements étrangers directs),
mondiaux fut divisée par trois, passant de 6 % à 2 %. Durant la
décennie 1990 qui fut celle de l’euphorie économique mondiale, l’Afrique
n’a donc pas profité des IED :
– en 2000, sur 1500 milliards de $ d’IED mondiaux, l’Afrique n’en
recueillit que 9 milliards ;
– en 2001, le chiffre fut meilleur puisqu’il s’éleva à 17 milliards de $
pour toute l’Afrique, mais cette augmentation était tout à fait artificielle
s’expliquant uniquement par deux achats et non par une envolée du
continent13 ;
– en 2002, les IED destinés à l’Afrique tombèrent à 6 milliards de $, soit
± 2 % des flux mondiaux d’IED.
De 1960 à 2002, commercialement, le rang de l’Afrique sur le marché
mondial des exportations ne cessa de décliner, passant de 9,1 % de toutes
les exportations mondiales en 1960 à 5,3 % en 1980, à 4,1 % en 1987, à
2,3 % en 1996, à 1,8 % en 1998, à 1,9 % en 2000 et à 2 % en 2002.
En 2000, quatre pays sur 52, à savoir l’Afrique du Sud, le Nigeria,
l’Algérie et la Libye totalisaient à eux seuls plus de 25 % de tout le
commerce africain et le leader africain qu’était l’Afrique du Sud n’occupait
que le 38e rang mondial pour les exportations et le 40e pour les
importations14. Quarante pays africains vécurent donc de l’aide
internationale.
Pour six produits principaux (cacao, café, coton, bois, sucre et cuivre), la
baisse entre 1960 et 2002 atteignit une moyenne de 22 à 38 % et la part de
l’Afrique dans l’exportation des productions agricoles industrielles baissa,
le continent étant peu à peu distancé par l’Asie et par l’Amérique du Sud
dans des domaines qui lui procuraient jadis de véritables rentes de situation
comme le cacao, l’huile de palme, les arachides, etc. En 1960, l’Afrique
détenait ainsi 73 % du commerce mondial des huiles végétales, 27 % en
1990 et moins de 10 % en 2002. En 1960, le continent africain produisait
20 % de toute l’huile de palme mondiale, proportion qui tomba à environ
3 % en 2002. Quant aux arachides qui étaient à 60 % africaines en 1960,
elles ne l’étaient plus qu’à environ 18 %, toujours en 2002.
Durant cette période, dans le domaine des oléagineux, le recul ne fut
qu’Africain. Quand le continent perdait 6 % de parts sur le marché mondial,
l’Asie en gagnait 11 %. Plus généralement, en 1970, la part de l’Afrique
dans l’ensemble des exportations agricoles industrielles était de 7,2 %. En
2002, le chiffre était inférieur à 3 %.

La part de l’Afrique dans le commerce extérieur des cinq


plus grandes puissances économiques en 2002

Exportations Importations

France 5,3 % 4,3 %

Grande-Bretagne15 3,2 % 2,1 %

Allemagne 2% 2,2 %

USA 1% 2%

Japon 1% 1%
Ce commerce était concentré sur quelques pays. Dans le cas de la France, sur ces
5 %, 50 % étaient représentés par le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Commercialement
parlant, l’Afrique sud-saharienne ne comptait donc pas pour la France puisque ses 42
États pesaient le même poids que les trois pays du Maghreb, soit en moyenne
environ 140 milliards de FF (21,34 MDS d’euros) dont environ 60 MDS de FF (9,15
MDS d’euros) pour les importations et 80 MDS de FF (12,20 MDS d’euros) pour les
exportations16. Quant à la zone CFA, sur la décennie 1990, sa part dans tout le
commerce international français ne fut que de 1 %. À lui seul, le Maroc était pour la
France un partenaire plus important que l’ensemble de la zone CFA.
Le recul africain s’est également produit dans le domaine industriel.
Ainsi, de 1990 à 2000 la contribution africaine à la production mondiale a
été divisée par deux, passant de 2 % à 1 %. (Atlas de l’Afrique Jeune
Afrique, 2000).

2. 2004-2014 : l’embellie grâce aux matières premières


En 2004, la croissance de toute l’Afrique augmenta significativement
puisqu’elle fut de 4 %. Le mouvement s’amplifia par la suite avec 4,9 % en
2005, 5,8 % en 2006, 5,7 % en 200717 et 6 % en 2008 (OCDE, avril 2009).
En 2012 la croissance globale de l’Afrique fut de 5 %, 1/3 de tous les pays
africains atteignant ou dépassant alors ce chiffre, et de 4,7 % en 2013.
Trois remarques permettent de pondérer ces chiffres globaux :
a. cette croissance, largement due à l’envolée des cours des matières
premières n’affecta pas la totalité d’un continent aux fortes disparités.
Ainsi, entre 2004 et 2008, les producteurs de pétrole profitèrent de la
hausse des cours du prix du baril, mais pas ceux produisant du café, du
cacao ou du coton18 qui durent payer leur pétrole plus cher ;
b. les économies concernées étaient vulnérables car elles reposaient sur la
vente de matières premières dont elles ne contrôlaient pas les cours ;
c. cette croissance n’eut aucun impact sur le développement social.
En 2014, la croissance africaine fut de 5,1 %, avec des projections de
5,8 % pour 2015 (BAD, 27 octobre 2014). Pour l’homo economicus
européen, l’Afrique était donc devenue un « relais de croissance19 ».
Aussi totalement dogmatique que le pessimisme auquel il avait succédé,
cet optimisme permit alors à certains analystes d’annoncer que l’Afrique
allait remplacer une Chine qui perdait en compétitivité en raison du
vieillissement de sa population et des exigences salariales de ses
travailleurs, pour devenir la nouvelle « usine du monde ».
Or, cette affirmation était fondée sur des chiffres ne traduisant pas la
situation réelle des pays concernés car ils ne tenaient aucun compte des
tensions, des problèmes politiques, des héritages et des blocages.
Trois éléments avaient ainsi été perdus de vue20 :
1. comme la courbe de croissance africaine était d’abord la conséquence
des prix, par définition fluctuants des matières premières, elle était donc
à la fois fragile et artificielle ;
2. cette croissance n’était pas homogène, la différence étant considérable
entre les pays producteurs de pétrole ou de gaz et les autres. De plus,
comme le montrent les exemples de l’Algérie et du Nigeria, les
hydrocarbures faisaient certes enfler les courbes de croissance, mais ils
n’empêchaient pas la faillite économique et sociale ;
3. l’économie africaine n’a pas connu de diversification et pas davantage
d’industrialisation par le biais de la transformation des ressources
naturelles. Or, l’industrie extractive qui dope les PIB des pays
producteurs de matières premières ne créé pas d’emplois car elle ne
concerne que moins de 1 % des travailleurs (cabinet McKinsey 2011).

Une euphorie fondée sur des contresens


L’euphorie « afro-optimiste » de l’année 2014 fut parfaitement illustrée par un éditorial
de Nicolas Baverez dans le magazine Le Point en date du 7 août 2014 intitulé
« L’Afrique à l’aube de ses Trente Glorieuses ». Or, cet article reposait sur des
chiffres bruts analysés sans tenir compte des réalités sociopolitiques du continent :
1. en Afrique écrivait Nicolas Baverez, « 400 000 nouvelles sociétés sont créées
chaque année par une génération d’entrepreneurs dynamiques ». Pour l’auteur la
preuve était donc donnée que le continent s’était mis à bouger. Certes, mais en
2013, donc en pleine crise, 538 100 sociétés furent créées en France
(550 000 en 2012). Le ratio est donc clair, avec 66 millions d’habitants au 1er janvier
2014, en pleine crise, la France a créé 1/5e d’entreprises de plus que l’Afrique avec
1,1 milliard d’habitants ;
2. Nicolas Baverez écrivait également que l’Afrique était devenue attractive pour les
capitaux internationaux « comme le prouve l’accueil de plus de 50 milliards de
dollars21 d’investissements étrangers directs (IED) en 2013 ».
Là encore, le chiffre en lui-même était impressionnant, mais si nous le comparons
aux volumes mondiaux d’IED, il prenait une toute autre signification. En 2012,
l’ensemble des IED mondiaux fut en effet de 1 351 milliards de dollars, ce qui fait que
l’Afrique, avec 50 milliards de dollars pour 1,1 milliard d’habitants, ne reçut donc que
3,7 % de tout le volume mondial d’IED (Cnuced, 2013 : 3), soit à peine plus que la
« petite » Suisse qui, avec ses 8 millions d’habitants, se situait au 9e rang des pays
bénéficiaires d’IED avec 44 milliards de dollars (Cnuced, 2013 : 5).
De plus, cette part minime d’IED présentait deux caractéristiques essentielles :
1. ils étaient concentrés sur les 5 pays de l’Afrique du Nord, ce qui faisait que les 45
pays sud-sahariens en étaient exclus, à l’exception de l’Afrique du Sud, du Nigeria
et de l’Angola ;
2. au sud du Sahara les IED concernaient à plus de 90 % les seuls hydrocarbures et
le secteur minier.
Signe du « démarrage » postulé de l’Afrique, en 2014, selon la BAD, un
Africain sur trois – soit 370 millions de personnes –, aurait alors appartenu
à la « classe moyenne », soit 34 % des habitants du continent (BAD,
27 octobre 2014). Or, « classe moyenne » sous-entend consommation,
nouveaux besoins, donc dynamisme économique, et ouverture de marchés.
Le problème était que cette « classe moyenne africaine » n’existait pas
car, selon la BAD, elle rassemblait en effet des hommes et des femmes
ayant un revenu compris entre 2,2 et 20 dollars par jour. Entre les deux
extrémités de la « fourchette », les revenus variaient donc de 1 à 10, un peu
comme si, en France étaient comptabilisés dans la même rubrique des
ouvriers gagnant le SMIC, soit environ 1 200 euros, et des cadres très
supérieurs ayant un revenu mensuel de 12 000 euros…
Tout n’était donc finalement que méthode Coué car, en Afrique, la
pauvreté n’avait pas reculé puisque le nombre de pauvres qui était de
376 millions en 1999 avait encore augmenté et même quasiment doublé,
pour concerner 600 millions de personnes en 201422.
Cet échec économique était d’autant plus criant qu’en 2000, les OMD
(Objectifs du Millénaire pour le Développement) adoptés dans
l’enthousiasme par 189 États avaient eu pour but premier la diminution de
moitié de la pauvreté pour 2015. Il fut alors acté que le recul de cette
dernière ne pouvait se faire qu’avec un taux d’investissement moyen (TIM)
de 25 % minimum et qu’elle ne pouvait reculer sans un minimum de
croissance annuelle de 7 % soutenue, c’est-à-dire durant plusieurs années.
Or, cet ambitieux programme ne s’est pas concrétisé et ses objectifs n’ont
pas été atteints car, avec une croissance moyenne de 2 à 3 %, le continent
s’est appauvri année après année.

De 1960 à 2018, le continent africain a reçu en dons, au titre de l’APD (Aide pour le
Développement) près de 2000 milliards de dollars, soit en moyenne 35 milliards de
dollars par an, sans compter les aides privées et de très importantes annulations de
dettes23. En dollars constants, le continent a donc reçu plusieurs dizaines de fois plus
que l’Europe avec le plan Marshall.

3. 2015-2020 : le retour à la morosité


Après l’afroptimisme des années 2012-2014, dès l’année 2015, la réalité
s’est de nouveau imposée, à savoir que, totalement dépendante des prix
fluctuants des matières premières, l’économie africaine est à la fois fragile
et artificielle. De plus, l’Afrique ne produit que 1,9 % de la valeur ajoutée
mondiale dans l’industrie manufacturière, une part qui stagne depuis des
décennies. En 2019, la part de l’industrie n’était en effet que de 700 US
dollars (600 euros) dans le PIB africain par habitant, alors qu’elle était de
2000 US dollars en Amérique latine. De plus, les 9/10e de ces 700 US
dollars étaient réalisés par deux pays sur 52, l’Afrique du Sud et l’Égypte.
Comment aurait-il pu en être autrement quand, par manque de confiance,
les investisseurs boudent l’Afrique ? En 2017, sur 2000 milliards de dollars
d’IED (investissements étrangers directs) mondiaux, le continent dans la
globalité de ses 55 États et de son 1,2 milliard d’habitants, n’en a ainsi reçu
que 60, soit moins que l’Irlande qui, avec ses 5 millions d’habitants en a
engrangé plus de 79 milliards24.
Or, sans investissements, pas de créations d’infrastructures, donc pas de
développement industriel possible, donc pas de création d’emplois, donc
pas de recul de la pauvreté.
Dans le domaine commercial, malgré le pétrole et les minerais, la part de
l’Afrique dans les échanges mondiaux (importations plus exportations), est
dérisoire puisqu’elle était de 3,4 % en 2010 (REA25, 2010 : 10), de 3,2 % en
201326 et de moins de 3 % pour les années 2015-2017, avec une moyenne
de 3,5 % pour les années 2010-2015. Commercialement, l’Afrique
n’existait donc pas, même si certains comptoirs connaissaient une relative
prospérité27.
La question du Franc CFA, un débat d’un autre temps28
Depuis les indépendances, quatre grandes questions se sont posées au sujet du
franc CFA :
1. cette monnaie était-elle un obstacle au développement des 14 pays africains (plus
les Comores), membres de la zone franc pour lesquels elle constitue la monnaie
commune ?
2. était-elle au contraire un atout pour ces pays, la France jouant à leur profit le rôle
d’une assurance monétaire ?
3. créé en 1945, le CFA était-il une survivance de la période coloniale, un moyen pour
la France de continuer à exercer une influence sur ses anciennes colonies ?
4. l’intérêt politique de la France n’était-il pas de supprimer le CFA afin d’en finir une
fois pour toutes avec les lassantes accusations de néocolonialisme29.
Les détracteurs de la zone franc et du CFA formulaient les critiques suivantes :
– la parité fixe entre le CFA et l’euro pénalisait les pays membres car à partir des
années 2000, ces derniers commerçaient plus avec la Chine qu’avec l’Europe ;
– adossé à l’euro, le CFA était une monnaie forte surévaluée qui nuisait aux
économies concernées ;
– il s’agissait d’un mécanisme économique désuet dont la politique monétaire
immuable entraînait une lourdeur bureaucratique ;
– il ne favorisait pas la croissance puisque, dans les années 2000-2020, les pays de
la zone franc étaient au bas du classement des Nations unies sur le
développement, alors que les pays africains ayant leur souveraineté monétaire
étaient mieux classés ;
– les comptes d’opérations étant ouverts auprès du Trésor français, ce dernier
bloquait des sommes d’environ 14 MDS d’euros qui auraient pu être utilisées pour
financer le développement. De plus, comme la France profitait des intérêts de cette
somme, elle s’enrichissait donc aux dépens des Africains ;
– le système permettait toutes les ingérences françaises comme le montra la manière
dont le président Sarkozy l’utilisa pour acculer Laurent Gbagbo ;
– en définitive, il s’agissait d’un prolongement de la colonisation et d’une forme
patente de néo-colonialisme.
Pour les partisans de la zone franc et du franc CFA :
– le CFA garantissait la stabilité des monnaies des pays membres comme le redirent
le samedi 9 avril 2016 les ministres des Finances de la zone franc en citant
l’exemple du Ghana dont la monnaie souveraine s’est effondrée ;
– il était faux de dire que les pays membres de la zone franc étaient au bas du
tableau du développement. En 2014, l’UEMOA a ainsi connu une progression de
7 % de son PIB, un pourcentage très largement supérieur à celui du reste de
l’Afrique, en raison d’une politique de grands travaux d’investissement publics en
Côte d’Ivoire et au Sénégal. Le mouvement ne bénéficia cependant pas à toute la
zone UEMOA car les pays sahéliens la composant traversaient une crise profonde ;
– le système CFA obligeait les États à gérer leur monnaie et à freiner la corruption ;
– les émissions dépendant de la Banque de France, il y avait impossibilité pour les
pays membres de faire marcher la « planche à billets » ;
– la zone franc obtenait de meilleurs résultats en matière de stabilité des prix que le
reste de l’Afrique sud-saharienne. L’inflation était ainsi de 1 % dans l’UEMOA, de
2,5 % dans la CEMAC et de 1,3 % aux Comores, contre 7 % en moyenne pour
l’Afrique sud-saharienne (Banque de France 30 septembre 2016/Rapport annuel
zone Franc 2015) ;
– autre avantage pour les pays membres, en cas de problème, la France garantissait
les transactions ;
– les monnaies nationales de pays à faible revenu étaient adossées à une monnaie
forte et, dans tous les cas, les transactions se font en dollars ou en euros ;
– ce n’est pas le CFA qui a détruit les industries naissantes, mais la réduction des
barrières douanières imposée par la Banque mondiale ;
– quant aux comptes d’opérations ouverts auprès du Trésor français, ils n’étaient pas
des « vaches à lait » dont profitait la France car les 14 MDS d’euros bloqués
comme « assurance » et comme garantie par le Trésor français représentaient
moins de 1 % des réserves françaises de change ;
– de plus, selon la Direction générale du Trésor (avril 2016, en ligne), en 2015, alors
que la totalité de ses exportations mondiales était de 455,1 milliards d’euros, la
France vendit à la seule Afrique sud saharienne pour 12,2 milliards d’euros de biens
et marchandises, soit 2,68 % de toutes ses exportations. Sur ces 12,2 milliards
d’euros, la zone CFA en totalisa 46 %, soit environ 6 milliards d’euros, soit à
peine 1,32 % de toutes les exportations françaises. Pour ce qui est des
importations, les chiffres étaient voisins ;
– la zone CFA n’était donc pas cette « chasse commerciale gardée » permettant aux
productions françaises de bénéficier d’une sorte de marché réservé comme certains
l’affirmaient. Ainsi, en 2015, la part de la France dans le marché de cette zone ne
fut en effet que de 11,4 %, loin derrière la Chine.

C. L’évolution des formes de conflictualité


L’OUA (Organisation de l’Unité africaine), née le 25 mai 1963 à Addis-
Abeba fut sabordée à Durban le 8 juillet 2002 avant d’être transformée en
UA (Union africaine). Durant ses presque quarante années d’existence, elle
n’a réglé aucun des problèmes du continent et ne fut en mesure, ni de
prévenir, ni de traiter les conflits qui l’ont déchiré.

1. Les guerres africaines avant 2010

À l’exception de la guerre d’Algérie (1954-1962), la décolonisation de l’Afrique ne


donna pas lieu à des conflits de forte intensité. Le soulèvement régional malgache de
1947, la révolte des Mau-Mau au Kenya en 1952-1955, celle des Bamileké au
Cameroun en 1959 et celle des Ovambo regroupés dans la SWAPO au Sud-Ouest
africain dans les années 1980, furent d’abord des flambées circonscrites à certaines
ethnies et à leurs territoires. Comme nous l’avons vu, nulle part les insurgés
n’arrachèrent l’indépendance aux colonisateurs. La situation de l’Afrique portugaise
ne fut guère différente car ce ne furent ni les guérilleros du Mpla, du Fnla ou de
l’Unita dans le cas de l’Angola, ni ceux du Frelimo dans celui du Mozambique qui
triomphèrent du système colonial, mais les officiers « progressistes » ou
« marxistes » qui, à Lisbonne, firent la « Révolution des œillets ».

Les grands conflits africains débutèrent après les indépendances et ils


firent plusieurs millions de morts et des millions de déplacés. Avant 2010 ;
les guerres africaines eurent quatre grandes formes (Lugan, 2013) :
1. La plupart furent limités à un pays et ils opposèrent certaines ethnies
les unes à d’autres. Même si par capillarité ethnique des conséquences
se firent parfois sentir chez les voisins, et même si ces derniers ont
soutenu directement ou indirectement certains belligérants, la principale
caractéristique de ce type de conflits est qu’ils se déroulèrent en « vase
clos30 ».
Ce fut le cas de la guerre du Biafra (juillet 1967-janvier 1970), des
guerres du Congo-RDC entre 1960 et 1964, de celles l’Ouganda (1979-
1986) du conflit du Sud-Soudan (1955 aux années 2000), de ceux du
Liberia (1989-2003), de Sierra Leone (1991-2002), du Congo-
Brazzaville dans les années 1990, du Burundi (de 1965 à 2005), du
Rwanda (1990-1994), du Kivu (depuis 1996), de l’Ituri (depuis 1996) et
de celui de la Somalie, depuis les années 1970.
En Afrique du Nord, le cas de l’Algérie confrontée à l’islamisme peut
être, avec naturellement toutes ses spécificités particulières, rattaché à
ce type. En revanche, les guerres du Katanga entre 1960 et 1962
constituent un cas en partie différent dans la mesure où la sécession
katangaise fut réduite par un contingent international envoyé par
l’ONU ;
2. D’autres impliquèrent plusieurs pays : guerres du Tchad (Tchad,
Soudan, Libye, France), Sahara occidental (Polisario, Maroc, Algérie et
un temps Mauritanie), Angola après 1975 (Afrique du Sud, Angola,
Cuba et Pacte de Varsovie), guerres du Zaïre/RDC (Ouganda, Rwanda,
Burundi, Zimbabwe, Namibie, Angola, Tchad) ;
3. Certains opposèrent directement deux pays : Maroc-Algérie (1963),
Éthiopie-Somalie (années 1970), Tanzanie-Ouganda (1978-1979),
Mali-Burkina Faso (1985), Éthiopie-Erythrée (1998-2000) ;
4. À partir des années 1990, l’Afrique a connu de nouvelles formes de
conflictualité, souvent sous forme de résurgence d’anciennes
oppositions ethniques mises entre parenthèse durant la période
coloniale, puis artificiellement gommées durant la période de la guerre
froide. Depuis 1990, l’ethnisme est ainsi de retour. Au Rwanda, au
Burundi, au Kenya, en Éthiopie, à Djibouti, au Tchad, en Ouganda, en
RDC, en Zambie, en Afrique du Sud, en Angola, au Congo, au
Cameroun, au Nigeria, au Liberia, en Sierra Leone, en Guinée-Bissau,
en Côte d’Ivoire, au Nigeria, etc., partout, l’Afrique des peuples est
revenue en force, se réveillant d’un sommeil artificiel qui avait
interrompu le déroulé de sa longue histoire. Avec une nouveauté
cependant : les espaces étaient désormais bornés par un maillage
frontalier emprisonnant les peuples et leur interdisant tout
développement territorial, toute expansion.

2. Les nouvelles formes de conflictualité


Depuis 2011, une conflictualité nouvelle a éclaté dans toute la bande
saharo-sahélienne (BSS). La région est en effet frappée par l’extension de la
guerre qui a éclaté au Mali à la fin de l’année 2011 et au début de 2012. Un
conflit qui, par capillarité a essaimé au Niger et au Burkina Faso et qui
présente une grande nouveauté quant à son mode opératoire, dans la mesure
où il prétend s’ancrer sur des revendications religieuses.
Qu’ils appartiennent à l’une ou l’autre des différentes catégories, ces
conflits n’ont pas une origine économique, même si cette explication
permet de donner des clés immédiatement compréhensibles par le « grand
public31 ». En effet, les éléments déclencheurs de ces affrontements ne
furent ni la misère, ni le surpeuplement, ni même la compétition pour les
matières premières. Les deux premiers éléments purent certes
ponctuellement les favoriser ou les prolonger, tandis que le troisième a pu
permettre leur prolongement, mais ils n’en furent pas la cause.
Quelques exemples permettent de le comprendre :
1. Les guerres de Sierra Leone, du Liberia ou de l’Ituri n’eurent pas pour
origine le contrôle des diamants, du bois ou du coltan car ce furent des
conflits ethniques qui prirent de l’ampleur et qui, ensuite, s’auto-
financèrent avec les diamants, le bois et le coltan ;
2. Le conflit du Sahara occidental est d’abord politique, même si le non-
dit algérien concernant les potentialités pétrolières le long du littoral du
Sahara occidental ou la question du débouché océanique pour ses mines
de Gara Djebilet est naturellement prégnant ;
3. Les guerres du Tchad ont éclaté dès les années 1960, donc quatre
décennies avant la découverte et la mise en exploitation du pétrole.

De l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) à l’Union


africaine (UA)
Les objectifs de la nouvelle organisation née en 2002 étaient ambitieux : mettre sur
rails l’intégration et le développement du continent à l’image de ce que les Européens
avaient réalisé. Pour ce faire, l’Afrique fut divisée en plusieurs grandes régions au
sein desquelles des processus d’unions régionales devaient être mis en œuvre qui
seraient autant d’étapes avant le panafricanisme, but ultime de l’UA.
Deux différences de méthode distinguaient cependant la construction de l’UA de ce
qui avait été fait avec l’Union européenne. Ainsi :
– là où les Européens avaient agi dans le cadre d’un long processus, les initiateurs
africains de l’UA choisirent la rapidité, pour ne pas dire la précipitation ;
– alors que les Européens exigeaient des candidats à l’Union des critères politiques
et économiques, l’UA était ouverte à tous, et sans conditions, dès lors qu’ils sont
Africains.
Prenant acte de l’impuissance de la défunte OUA, les États africains représentés
décidèrent de donner à la nouvelle organisation des moyens réels d’action sur trois
points essentiels :
– politique, avec la création d’un parlement africain ;
– économique, avec la fondation d’une banque africaine ;
– ultérieurement militaire, avec la mise sur pied d’une armée africaine rendue
nécessaire en raison de la notion d’ingérence décidée par les signataires.
À peine née et non encore mise en route, l’UA dut affronter trois grands problèmes :
1. Celui de son financement : comment des pays aux économies moribondes allaient-
ils pouvoir faire face aux énormes besoins engendrés par la constitution d’une telle
institution. Les pays africains les plus riches allaient-ils s’engager à aider les moins
favorisés ? Certains observateurs en doutaient, car, au sein même du « club » des
pays africains producteurs de pétrole, l’or noir n’avait nulle part permis le
développement. Si une telle richesse n’avait pas été répartie équitablement au plan
national, comment imaginer qu’elle pourrait l’être au plan international ?
2. celui de son leadership : il était clair que deux des principaux leaders africains de
l’époque, à savoir les présidents Kadhafi de Libye et Mbeki d’Afrique du Sud avaient
des conceptions tout à fait divergentes au sujet de l’UA ;
3. celui des réalités locales car trois grandes crises secouaient alors le continent
africain que la défunte OUA avait été incapable de traiter, à savoir :
• la question du Sahara occidental qui voyait la division des pays africains entre
partisans du Maroc et partisans d’un « État sahraoui ». Le Maroc s’était même
retiré de l’OUA en 1984 au moment où la « République arabe sahraouie
démocratique (RASD) » y avait été admise. Or, parmi les cinq chefs d’États qui
s’exprimèrent lors de la cérémonie officielle de création de l’UA au stade de
Durban32, en Afrique du Sud, celui qui parla au nom de l’Afrique du Nord fut le
« président » de la RASD, Mohamed Abdelaziz, ce qui fut considéré comme une
véritable provocation par le Maroc ;
• le conflit de la RDC dans lequel une dizaine de pays africains, tous membres de
l’UA étaient directement impliqués au moment de la naissance de l’UA ;
• la question du Zimbabwe où le président Mugabe avait reçu le soutien de bien des
leaders africains lesquels, au même moment adoptaient avec l’UA une charte
concernant la démocratie et la « bonne gouvernance ». Une autre contradiction
concernait la Libye où le colonel Kadhafi refusait de soumettre son pouvoir à la
moindre élection, estimant que sa légitimité était précisément tirée de la révolution
qui l’avait porté à la tête du pays ?
Depuis la création de l’UA, plusieurs autres crises sont apparues (Côte d’Ivoire,
Kenya, Mali, etc.) et d’autres conflits ont éclaté ou se sont étendus (Tchad, Soudan)
que l’organisation n’a su ni prévenir, ni régler. À telle enseigne qu’au mois de
janvier 2008, une commission présidée par le Nigérian Adebayo Adedeji et formée de
treize « sages », diplomates, économistes, juristes et spécialistes dans divers
domaines, a remis un rapport d’audit accablant sur le fonctionnement, les dérives,
l’inefficacité et la gabegie de l’UA au terme de cinq années d’existence (Audit of the
African Union, janvier 2008, 274 pages).

D. Chine et Russie, l’entrée en scène


de deux nouveaux acteurs majeurs
Depuis les années 2000, la Chine a fait une entrée fracassante sur le
continent africain, suivie, une décennie plus tard par la Russie. Ces deux
puissances ont une approche radicalement différente : la Chine recherche en
Afrique des matières premières et des débouchés, la Russie y poursuit une
stratégie de désencerclement.

1. Chine : la prédation souriante


Alors qu’ils étaient quasiment inexistants dans les années 1980, en 1999,
les échanges sino-africains atteignirent 5,6 milliards de dollars et dix fois
plus, soit près de 56 milliards, dix ans plus tard, en 2006. Au mois de
décembre 2007, le Premier ministre chinois annonça qu’ils atteindraient les
100 milliards de dollars en 2010. En 2017, ils furent de 170 milliards de
dollars.
En 2008, la Chine est devenue le troisième partenaire économique de
l’Afrique après les États-Unis et l’Europe. En 2007, elle réalisa 10 % de ses
Investissements étrangers directs (IED) avec le continent africain.
Selon le président Jintao, la doctrine de la Chine est de :
« Construire un nouveau type de partenariat stratégique sur la base de
l’égalité et de la confiance mutuelle au plan politique et par la
coopération dans un esprit gagnant au plan économique ».
En dépit du climat officiel euphorique, certains Africains sont cependant
dubitatifs :
« Il faut être vigilant et sortir d’une admiration béate. Les Chinois sont
des capitalistes qui viennent en Afrique pour leurs intérêts. À nous
d’affirmer notre personnalité, de définir et de défendre nos intérêts dans
des accords précis. Sinon ce sera un marché de dupes » (Gaye, 2006).
De fait, l’Afrique risque de se livrer à un nouveau colonisateur, mû celui-
là, par le seul moteur du profit.
L’exemple du textile pourrait le laisser craindre car, en quelques années,
les exportateurs chinois ont porté un coup mortel à l’industrie textile
africaine. Au Nigeria, 80 % des entreprises ont fermé et en Afrique du Sud
50 % car les Chinois vendent des produits moins chers que ceux qui sont
fabriqués en Afrique et parfois même à des prix inférieurs au simple coût de
la matière première.
Quant aux conditions financières de l’aide chinoise, elles ont pour
résultat de livrer l’Afrique pieds et poings liés à Pékin puisque les prêts
préférentiels ou même sans conditions qui lui sont généreusement octroyés
font replonger les pays bénéficiaires dans la spirale de l’endettement dont
ils commençaient tout juste de sortir. Cité par l’hebdomadaire Jeune
Afrique33, M. Moeletsi Mbeki, vice-président de l’Institut sud-africain des
affaires étrangères considère même que :
« L’Afrique vend des matières premières à la Chine34, qui lui revend des
produits manufacturés. C’est une équation dangereuse qui reproduit le
vieux système de relation avec une puissance coloniale. L’équation
n’est pas soutenable. D’abord l’Afrique a besoin de préserver ses
ressources naturelles pour son développement industriel futur. En outre,
la stratégie d’exportation de la Chine contribue à désindustrialiser des
pays africains moyennement développés ».
En réalité, la Chine prête pour financer des routes, des ponts, des lignes
ferroviaires, des aéroports, etc., en échange de quoi, les États africains
accordent à Pékin les contrats de construction ou des concessions minières.
Elle s’implante également en Afrique en endettant ses partenaires à travers
des prêts qu’ils ne pourront jamais rembourser, ce qui va permettre à Pékin
de mettre la main sur les grandes infrastructures des pays concernés. C’est
ce qui se passe actuellement en Zambie où le gouvernement, qui a été
contraint de céder à la Chine la ZNBC, la société radio-télévision, est
actuellement engagé dans des discussions de cession concernant l’aéroport
de Lusaka et la ZESCO, la société nationale d’électricité.
À terme, ces pratiques chinoises vont immanquablement produire de
fortes turbulences.
2. Russie : le grand retour
Durant la décennie 2009-2019, après deux décennies d’absence, de la
Libye à la Centrafrique et du Burkina Faso au Mozambique, la Russie a fait
son grand retour en Afrique, essentiellement pour des raisons
géostratégiques.
Prise dans le cercle hostile que l’OTAN referme chaque jour un peu plus
sur elle, la Russie a en effet décidé de briser son isolement en définissant sa
propre politique africaine. Elle l’a fait en se plaçant au cœur des véritables
structures de pouvoir et d’influence, à savoir les forces armées, en
fournissant à ces dernières les armes et les techniciens chargés de
l’instruction et de la maintenance.
En 2018, par le biais de la société Rosoboronexport, la Russie est ainsi
devenue le premier fournisseur d’armes à l’Afrique. Rien que durant les 8
premiers mois de l’année 2018, des accords militaires ont ainsi été signés
avec la RDC, la RCA, le Burkina Faso, le Rwanda, la Guinée et plusieurs
autres étaient en cours de finalisation.
La Russie a également signé des accords de la plus haute importance
avec le Mozambique puisqu’ils prévoient l’« entrée gratuite » des navires
militaires russes dans les ports du pays. Moscou dispose donc désormais
d’une base-relais dans l’Océan indien, ce qui va permettre à sa flotte
d’exercer une présence directe sur les principales voies
d’approvisionnement en pétrole de l’Europe.
En 2019, la Russie avait établi ou rétabli des relations diplomatiques avec
tous les pays d’Afrique et Moscou abritait 35 ambassades africaines. Du 22
au 24 octobre 2019, en réunissant plus de 40 chefs d’États pour le premier
sommet Russie-Afrique dans la station balnéaire de Sotchi, Vladimir
Poutine confirma le retour de la Russie en Afrique, y imposant trois idées
qui font la différence avec la démarche des Occidentaux :
1. la Russie ne vient pas en Afrique pour piller le continent puisqu’elle-
même regorge de richesses minières ;
2. elle n’a pas de passé colonial ; tout au contraire, hier, l’URSS a aidé les
luttes de libération et aujourd’hui, elle engage des pays de la zone CFA
à se libérer de cette « survivance coloniale » ;
3. elle ne vient pas donner des leçons de morale aux Africains ; elle ne
vient pas non plus leur imposer des diktats politiques ou économiques
car elle tient compte du fait que chaque pays ayant ses traditions et ses
valeurs propres, il n’est pas question de lui imposer des modèles
extérieurs35.
La Russie agit à travers l’option militaire, ayant bien compris qu’il est
inutile de se lancer dans de grands projets, le développement de l’Afrique
étant une chimère à laquelle seuls les Européens croient ou font semblant de
croire. N’étant pas désireuse de « labourer l’océan », elle a donc décidé de
se placer au cœur des seules véritables structures de pouvoir et d’influence,
à savoir les forces armées. Sa méthode est simple : elle consiste dans la
fourniture d’armement avec naturellement les techniciens chargés de
l’instruction et de la maintenance. Ainsi, peu à peu, Moscou prend pied
dans les cercles du vrai pouvoir.
Le phénomène qui a pris de l’ampleur à partir de 2015 entre tout à fait
dans la stratégie de désencerclement évoquée plus haut car la politique
africaine de Moscou est clairement géostratégique. Les Russes qui se
sentaient agressés par les tentatives d’encerclement menées par l’OTAN,
par les tentatives américaines en Ukraine et en Crimée, par la guerre menée
contre leur allié syrien, ont décidé de réagir en traçant un cercle d’alliances
ou même de partenariats en Asie et en Afrique, cercle dans lequel elle a
cherché à enfermer ceux qui l’encerclaient.

Le panafricanisme
C’est un américain, W.E. Burghards du Bois (1868-1963) qui définit le
panafricanisme. En 1919, dix ans après avoir fondé la National Association for the
Advancement of Coloured People, il réunit à Paris le premier congrès panafricain qui
rassembla 57 délégués venus des colonies britanniques et françaises, ainsi que des
États-Unis et des Antilles. En 1921, à Londres, lors du IIe congrès, l’égalité des droits
entre Blancs et Noirs fut demandée. Au mois de mars 1945, se tint à Manchester le
Ve congrès panafricain qui marqua un tournant dans la mesure où il fut dominé à la
fois par des délégués marxistes à l’image de l’Antillais Frantz Fanon et du Ghanéen
Kwame Nkrumah, mais aussi par des nationalistes comme le Kenyan Jomo Kenyatta.
Les déclarations finales insistèrent sur l’impératif des indépendances et sur la fin de
l’« exploitation coloniale » ainsi que sur la nécessité de mettre un terme aux divisions
du continent postulées être la conséquence de la colonisation.
Le panafricanisme devint une réalité au mois de mai 1963 lors du congrès d’Addis
Abeba qui rassembla les délégués des trente États africains alors indépendants.
C’est à cette occasion que fut adoptée la Charte portant création de l’OUA
(Organisation de l’Unité Africaine), dont le but était la fin de la colonisation, la
coopération entre les États membres et la volonté de régler les éventuels conflits
potentiels par la négociation.
Cette volonté unitaire ne résista pas à la « guerre froide » et à la politique des blocs
puisque les membres de l’OUA se rangèrent dans des camps différents et que les
conflits se multiplièrent.
1. Il s’agit avant tout des africanistes français car dans le monde anglo-saxon, la réalité eut
rapidement raison des brouillards idéologiques.
2. Avec une grande radicalité, J.-L. Amselle, directeur d’études à l’EHESS affirme qu’ : « Au
Rwanda, les ethnies Tutsi ou Hutu ont été créées par les Belges ». (Amselle, 2008 : 96)
3. Sur les milliers d’ethnies africaines, une dizaine ressort effectivement de ce cas quand, par souci
administratif, le colonisateur regroupa sous un seul vocable, parfois un acronyme, plusieurs clans
ou tribus divisés mais parents.
4. « […] le problème avec J.-P. Chrétien est que l’on ne sait jamais très bien où finit le plaidoyer et
où commence l’analyse scientifique ; où se situe l’exhortation, la vindicte ou l’affirmation gratuite
[…] et où s’amorce le discours de l’historien-politiste ». (Lemarchand, 1990 : 242).
5. Notamment le franco-congolais Elikia M’Bokolo.
6. Ce qui explique largement les erreurs politiques françaises en Afrique. Une fois les « anciens »
connaisseurs partis en retraite, la gestion des affaires africaines, tant au ministère de la Coopération
qu’à celui des Affaires étrangères, fut en effet confiée à de jeunes fonctionnaires nourris des
postulats de J. P Chrétien.
7. En Afrique sud-saharienne la question ethnique est désormais acceptée puisqu’elle constitue
partout le soubassement même de la vie politique. La seule exception est le Rwanda où la question
Hutu-Tutsi est le fond de tous les problèmes, mais où les dirigeants tutsi ont décrété que les ethnies
n’existent plus. Quiconque conteste ce postulat est emprisonné pour « divisionnisme ethnique » car,
selon l’idéologie officielle, les ethnies étant une création coloniale, le génocide de 1994 est donc le
produit de la colonisation. Dans ces conditions, quiconque parle d’ethnies est un complice des
génocideurs. C.Q.F.D. ! On ne parle donc plus de Tutsi ou de Hutu et les véritables lignes de
fracture de la société rwandaise ont été remplacées par de nouvelles catégories « politiquement
correctes » comme « jeunes », « handicapés », « femmes ».
8. Né en 1900 et mort en 1979, Hubert Deschamps, administrateur des colonies a fait sa carrière
notamment à Madagascar, à Djibouti avant d’être nommé gouverneur de la Côte d’Ivoire en 1941,
puis du Sénégal en 1942. Gouverneur général des Colonies en 1960 il fut ensuite nommé
professeur d’Histoire de l’Afrique à l’Institut d’Études politiques de Paris.
9. Dans son discours prononcé le 9 juin 2008, lors de l’ouverture du deuxième congrès national sur
la population, le président Moubarak d’Égypte déclara que la pression démographique était la
« mère de tous les maux », la huitième plaie d’Égypte en quelque sorte. Avec, cette année-là, une
population de 80 millions d’habitants concentrée le long du Nil sur moins de 50 000 km2, avec un
indice de fécondité de 3,1 par femme et un taux de croissance naturelle qui est de 18,5 pour 1 000,
la catastrophe était effectivement annoncée. Le président égyptien alla jusqu’à reprocher à ses
compatriotes de « faire concurrence aux lapins ».
10. Le PNB ou Produit National Brut mesure la valeur totale des biens et des services produits. Le
PIB ou Produit Intérieur brut mesure l’ensemble des flux de biens et services produits sans tenir
compte des avoirs ou des investissements qu’un pays peut détenir à l’étranger. Ces deux définitions
étant proches, et comme nous ne nous proposons pas d’éditer un manuel d’économie, nous
emploierons indistinctement PIB ou PNB selon la source documentaire utilisée. Quant au PIB brut
par habitant, il calcule la valeur des biens et services déclarés qu’une personne produit par an.
11. La seule Afrique du Sud totalisait 1/4 du PNB continental.
12. La Croissance est l’évolution annuelle exprimée en pourcentage du PNB ou du PIB.
13. Achats de parts de De Beers par Anglo-American et de 35 % des parts de Maroc Télécom par
Vivendi Universal.
14. Source : OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économique), 2000.
15. Dont 55 % avec l’Afrique du Sud et l’Ile Maurice.
16. En 2002, la balance commerciale était en faveur de la France ; mais si nous mettons en évidence
le fait que la France consacrait à l’époque annuellement 15 % de son impôt sur le revenu soit 45
MDS de FF (6,8 MDS d’euros) à l’aide aux pays du sud, dont 35 MDS de FF (5,3 MDS d’euros) à
l’Afrique, le solde était favorable à l’Afrique.
17. En 2007, la croissance s’est concentrée sur les pays dotés de ressources naturelles,
essentiellement pétrolières. En vingt ans, de 1988 à 2008, seuls six pays africains ont connu un
enrichissement, à savoir la Guinée équatoriale avec un PIB multiplié par 25 entre 1987 et 2007 ; le
Mozambique, le Botswana, la Tunisie, Maurice et le Cap-Vert avec un PIB par habitant multiplié
entre 3 et 5 (World Economic Outlook, FMI, octobre 2007).
18. En 2007 et 2008, la filière cotonnière africaine a connu une crise profonde liée en partie aux
subventions aux producteurs américains et à l’euro fort. Sur 26 millions de tonnes produites dans le
monde en 2007-2008, la part de l’Afrique ne fut que de 587 000 tonnes, soit une baisse de 45 % en
une seule année. Pour la banane la situation n’était guère meilleure en raison de la concurrence de
l’Amérique du Sud.
19. Perspectives Économiques en Afrique (PEA) pour l’année 2014 (Economic Outlook 2014 OCDE,
BAD, PNUD).
20. La croissance de l’Afrique qui repose sur un trépied : matières premières, aide au développement
et allégement de la dette « ne s’appuie pas sur des fondations solides. Que l’une d’elles vacille et
tout l’édifice menacera de s’effondrer » (Marwane Ben Yahmed Jeune Afrique, 5 octobre 2014).
21. Les IED en Afrique ont atteint 44 milliards de dollars en 2010, 48 en 2011 et 50 en 2012
(Cnuced, Rapport sur l’investissement dans le monde, 2013).
22. Cette même année, l’ONU annonçait que plus de 600 millions d’Africains n’avaient pas accès à
l’eau potable.
23. Les pays « riches » ont ainsi consenti à l’Afrique des allègements de dette qui s’élevaient à de
plus de 97 milliards de dollars en juillet 2009 et cela pour une dette totale de 324,7 milliards de
dollars en 2010 (ONU, 2010 : 108-110).
24. CNUCED, World Investment Report 2017 (juin 2018).
25. REA = Rapport Économique sur l’Afrique, Addis-Abeba.
26. Rapport sur les échanges internationaux et intra-africains. Nations unies, Conseil Économique et
Social, Commission Économique pour l’Afrique, Addis Abeba février 2013.
27. Le développement passe par l’innovation, or en 2009, sur 155 900 brevets d’invention déposés
dans le monde, 486 le furent par des Africains, soit 0,3 %. Sur ce total, les 4/5e le furent par des
Sud-africains dont 90 % par des Sud Africains blancs, les 10 % restant par des Sud Africains
d’origine indienne. Cette année-là, le Maroc ayant déposé 46 brevets et l’Égypte 41, la part du reste
de l’Afrique est donc inexistante (REA, 2010 : 390).
28. Le franc CFA (Franc des colonies françaises d’Afrique) a été créé le 26 décembre 1945. En 1958,
il est devenu Franc de la communauté française d’Afrique. Aujourd’hui, il a deux noms car, dans la
réalité, deux CFA existent :
– pour les pays de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine), Bénin, Burkina
Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, et Togo, dont la banque d’émission est
la BCEAO (Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest), il est le Franc de la Communauté
financière d’Afrique ;
– pour les pays de la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale),
Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée Équatoriale et Tchad, dont la banque d’émission
est la BEAC (Banque des États de l’Afrique centrale), il est le Franc de la Coopération
Financière en Afrique centrale.
29. Pour tout ce qui concerne les critiques concernant les politiques d’aide et de coopération, voir
Lugan (2015).
30. Même si leurs conséquences entraînèrent une déstabilisation régionale.
31. À l’exception peut-être de celui du Katanga qui constitua un cas bien particulier car il s’inscrivait
dans le cadre de la décolonisation ratée du Congo belge.
32. La Conférence de Durban s’est tenue du 2 au 9 septembre 2001.
33. Jeune Afrique, hors-série no 18, 2008, p. 104.
34. En plus du pétrole, le cuivre, le fer, le chrome, le cobalt, l’aluminium et le bois attirent les
Chinois. Dans le domaine de l’investissement direct ils sont présents dans tous les secteurs, qu’il
s’agisse du BTP, des transports, de la téléphonie, de l’agriculture, de la pêche. Les sociétés
chinoises s’appuient sur la China Exim Bank qui, à l’image de la Coface française assure et garantit
les transactions.
35. Défenseur de la stabilité, Vladimir Poutine a pris le contre-pied de la politique imposée par
François Mitterrand en 1990 à la Baule, politique qui a provoqué une crise sans fin sur le continent
en y installant durablement le désordre démocratique. Or, pour la Russie, la défense de la stabilité
passe par un soutien aux régimes forts, donc aux armées.
Chapitre II.
L’Afrique du Nord

L’Afrique du Nord est divisée entre Machrek (Égypte et Libye) et


Maghreb (Tunisie, Algérie, Maroc). En dépit de leur « arabité » affirmée et
de leur « islamité » commune ces cinq pays sont profondément
individualisés. Depuis la décolonisation, ils ont eu des destins très
différents.
Après la disparition du colonel Nasser, l’Égypte a connu une sorte de
vide politique, la Libye a vécu de sa rente pétrolière au rythme des
soubresauts politiques imposés par le colonel Kadhafi, la Tunisie a tiré un
grand bénéfice de la gestion des deux seuls dirigeants qu’elle a connus
durant cette période, à savoir Habib Bourguiba et Zine el Abidine ben Ali.
En Algérie, ces six décennies y furent celles du pouvoir militaire, de la
gabegie et de la sanglante confrontation avec l’islamisme radical, quant au
Maroc, le début du règne d’Hassan II fut bien agité, au point que les
observateurs crurent alors que le régime monarchique était condamné.
Puis, en 2010 et en 2011, deux pays d’Afrique du Nord, la Tunisie et
l’Égypte, connurent des évènements sans réels liens entre eux. La presse les
baptisa « printemps arabe ». En Égypte, le « nationalisme autoritaire » du
maréchal Sissi mit un terme à l’anarchie ayant suivi le renversement du
président Moubarak, mais pas à la crise sociale structurelle que traverse le
pays et qui est due à une explosion démographique. La Tunisie a oscillé
entre islamisme et laïcisme, la Libye a subi une guerre civile dans laquelle
un camp l’emporta sur l’autre à la suite de l’intervention militaire franco-
otanienne.
Ces évènements provoquèrent une redéfinition en profondeur de la
géopolitique régionale et méditerranéenne, tout en inscrivant de nouvelles
lignes de fracture à l’intérieur même des cinq pays concernés.

A. Égypte : du colonel Nasser au maréchal Sissi


Après la mort du colonel Nasser, le « géant » égyptien affaibli par ses
guerres contre Israël et dont le développement est profondément
hypothéqué par une croissance démographique devenue insensée a vu son
leadership naturel contesté par la Libye dont le « destin », porté par le
colonel Kadhafi reposait sur de fabuleuses richesses pétrolières.

1. L’Égypte jusqu’en 2011


Le colonel Nasser donna à l’Égypte une dimension dépassant largement
le cadre de ses frontières.
En 1958 l’Égypte et la Syrie formèrent ainsi la RAU (République arabe
unie), mais le 28 septembre 1961, la Syrie rompit cette union et se sépara de
l’Égypte qui conserva cependant le nom de RAU. Au début de
l’année 1960, l’Égypte s’étant engagée dans une politique de
nationalisations des banques, des industries et des assurances, l’URSS
désireuse d’asseoir sa présence dans la région, annonça qu’elle prenait en
charge la totalité du financement du barrage d’Assouan1.
Le 21 octobre 1962, l’Égypte conclut un pacte d’assistance militaire avec
le gouvernement républicain du colonel Sallal au pouvoir au Yémen depuis
le coup d’État du 26 septembre 1962 et à l’issue duquel l’imam Badr avait
été renversé. Réfugié dans le nord du pays, où les tribus lui étaient
demeurées fidèles, et soutenu par l’Arabie saoudite, ce dernier entra en
guerre contre les républicains au pouvoir à Sanaa et les mit en difficulté,
contraignant le colonel Nasser à envoyer un corps expéditionnaire qui
compta jusqu’à cinquante mille hommes. La guerre du Yémen provoqua
une forte tension entre l’Égypte et l’Arabie saoudite, puis la rupture des
relations diplomatiques entre les deux pays. Finalement, après cinq ans de
conflit, un compromis fut trouvé entre les deux pays lors du Sommet Arabe
de Khartoum au mois d’août 1967.
Entretemps, au début du mois de juin 1967, la « Guerre des Six jours »
avait été une catastrophe pour le camp arabe et le prestige du colonel Nasser
en était sorti gravement atteint2. Le juin, ne cherchant pas à fuir ses
responsabilités, ce dernier annonça sa démission à l’occasion d’un discours
radio-télévisé. Rappelé par de gigantesques manifestations populaires, il
revint sur sa décision le 10 juin. Le 28 septembre 1970, il mourut d’une
crise cardiaque3.
À sa mort, le pouvoir revint à Mohamed Anouar el-Sadate (1918-1981).
Né dans la région de Ménoufia, dans le delta, ce fils de sous-officier avait
une mère soudanaise. Officier dans les Transmissions, Il avait participé à de
nombreuses actions nationalistes et avait été arrêté en 1942 pour avoir noué
des relations avec les services allemands, avant d’être chassé de l’armée et
emprisonné. S’étant évadé, il vécut dans la clandestinité jusqu’en 1945,
grâce notamment à des complicités nouées avec les Frères musulmans.
Renvoyé en prison durant trente et un mois, il fut réintégré dans l’armée en
1950. Ministre en 1954, secrétaire de l’Union nationale en 1959, il avait été
élu président de l’Assemblée nationale en 1960, poste qu’il occupa
jusqu’en 1968. Nommé vice-président en 1964 et en 1969, il était le
successeur naturel de Gamal Abdel Nasser. La lutte pour le pouvoir fut
cependant âpre car il s’opposa à l’aile pro-soviétique du régime incarnée
par Ali Sabri, chef du parti unique, l’Union socialiste arabe. Sadate fut élu
président en octobre 19704 et une nouvelle fois six ans plus tard au mois
d’octobre 1976.
Au mois de novembre 1970, influencé par le colonel Kadhafi, le
président Sadate se rallia à « une tendance unioniste accrue » (Rondot,
1973 : 11), caractérisée par un pacte entre la Libye, le Soudan, la Syrie et
l’Égypte. Mais, en avril 1971, inquiet devant le volontarisme libyen, le
général Numeiry du Soudan s’en retira tandis qu’était signé le Pacte de
Benghazi qui prévoyait la création d’une véritable institution fédérale,
l’Union des Républiques Arabes (Égypte, Syrie, Libye).
À la différence du colonel Kadhafi, Anouar el-Sadate était partisan d’une
solution négociée avec Israël5, ce qui lui valut d’être accusé de mollesse ou
d’immobilisme face à l’État hébreu, et son pouvoir fut alors contesté. Le
24 janvier 1972, au Caire, eurent lieu de violentes émeutes. Au mois de
février, le président effectua une visite officielle à Moscou où il demanda
une aide accrue afin d’être en mesure de reprendre les hostilités et de
construire en Égypte même une industrie militaire. Les résultats de cette
visite furent décevants pour l’Égypte. Ils eurent pour conséquence, quelques
mois plus tard, la rupture entre Le Caire et Moscou que Sadate annonça le
18 juillet 1972 en demandant le départ des vingt mille conseillers militaires
soviétiques résidant en Égypte.
Durant l’année 1973, la tension ne cessa de croître sur la frontière syro-
israélienne. La guerre de 1973, dite guerre du Kippour (6-25 octobre 1973),
fut déclenchée le 6 octobre, simultanément par l’Égypte et par la Syrie. Le
conflit débuta avec le franchissement du canal de Suez par l’armée
égyptienne et par une percée syrienne sur le Golan. À la différence de la
guerre de 1967, les Égyptiens disposaient de défenses antiaériennes
efficaces qui limitèrent l’action des avions israéliens. L’état-major égyptien
commit alors l’erreur qui lui fit perdre la guerre : au lieu de lancer ses
colonnes blindées à travers le Sinaï, il se prépara au contraire à la défensive.
L’état-major israélien profita alors des hésitations égyptiennes pour en finir
avec l’armée syrienne qui avait pris l’offensive sur le Golan et qui menaçait
directement le cœur d’Israël. Puis, le 15 octobre, l’armée israélienne se
retourna avec l’essentiel de ses moyens contre les divisions égyptiennes
passées sur la rive orientale du canal de Suez. Une colonne commandée par
le général Ariel Sharon réussit à franchir le canal le 15 octobre. La 3e armée
égyptienne contre-attaqua et une grande bataille de chars se livra dans le
Sinaï le 17 octobre. Les Israéliens prirent alors l’avantage et ils encerclèrent
les forces égyptiennes. Le 23 octobre ils atteignirent les faubourgs de Suez
et d’Ismaïlia.
Les Égyptiens avaient lavé l’affront subi lors des précédentes guerres et
comme le président Sadate n’avait pas l’intention de laisser détruire son
pays, il décida de demander un cessez-le-feu qui entra en vigueur le
22 octobre. Cette guerre ouvrit un processus de négociations de paix qui
aboutit quatre ans plus tard.
Le 20 novembre 1977, le président Anouar el-Sadate effectua un voyage
officiel en Israël où il fut accueilli à la Knesset, le parlement israélien. La
suite des pourparlers fut difficile, avec de nombreux retournements. Du 6 au
17 septembre 1978, réunis au Sommet de Camp David à l’invitation du
président Carter, les Israéliens s’engageaient à quitter le Sinaï qui repassa
ainsi sous souveraineté égyptienne. La signature des Accords de Camp
David, puis la signature du Traité de paix israélo-arabe du 26 mars 1979
provoquèrent la fureur de nombre de pays arabes appuyés par l’URSS.
Certains, comme la Syrie reprochaient ainsi à l’Égypte d’avoir « bradé la
terre arabe », tandis que la Jordanie et l’Arabie saoudite condamnaient une
négociation séparée avec Israël, contraire aux engagements et aux principes
de la Ligue arabe. De fait, le panarabisme auquel il avait longtemps cru
ayant montré ses limites, le président Sadate avait agi, non en nationaliste
arabe, mais en nationaliste égyptien (Rondot, 1976). Au mois d’avril 1979,
l’Égypte fut exclue des institutions panarabes.
Anouar el-Sadate fut assassiné le 6 octobre 1981 en plein défilé militaire
par un jeune officier qui lui reprochait d’avoir signé une paix séparée avec
« l’ennemi sioniste6 ».
Hosni Moubarak, né le 4 mai 1928 et vice-président depuis 1975 lui
succéda le 14 octobre. Constamment réélu depuis cette date, il remporta les
élections présidentielles multipartites du 9 septembre 2005 avec 88,5 % des
voix. Lors des élections législatives de 2007, un problème politique fut posé
par le poids de la confrérie des Frères musulmans habile à utiliser à son
profit la crise financière et alimentaire due à l’augmentation du prix des
denrées de base, et qui déboucha sur des émeutes de la faim.

2. La révolution égyptienne (février 2011-avril 2013)


Le président Moubarak fut chassé du pouvoir au bout de 17 jours de
manifestations qui débutèrent le 25 janvier 2011 pour s’achever le
11 février, date de son départ. Unies le temps de renverser le raïs7, les
forces composites qui l’avaient vaincu se déchirèrent ensuite. La révolution
changea alors de nature car les islamistes utilisèrent les institutions
démocratiques pour arriver au pouvoir. L’ayant légalement conquis par les
urnes et ayant fait élire Mohammed Morsi, ils voulurent imposer une
constitution théocratique. Le pays fut alors dans une situation de pré-guerre
civile et l’armée reprit le pouvoir.
La révolution égyptienne éclata pour de multiples raisons : problèmes
économiques, chômage, manque de logements, conditions de vie urbaines
indécentes, augmentation du prix des biens de première nécessité, bas
salaires, abus des forces de police, refus de la corruption, rejet de l’état
d’urgence permanent et de ses procédures permettant de museler toute
opinion dissidente, etc.

Avec un indice de fécondité de 3,1 par femme et un taux de croissance naturelle de


18,5 pour 1 000, la population égyptienne est passée de 23 millions d’habitants en
1955 à quasiment 100 millions en 2019. 28 millions d’habitants en 1961, 36 millions
en 1971, 44 millions en 1981, 57 millions en 1991, 70 millions en 2001, 80 millions en
2008.

Cette masse humaine est concentrée sur quelques dizaines de milliers de


km2 le long du Nil et l’accroissement de la population fait que
l’urbanisation empiète sur les terres arables. Le secteur agricole qui
représente 17 % du PIB national et qui emploie 30 % de la population
active produit moins de 50 % des besoins alimentaires du pays qui est
constamment menacé par des émeutes de la faim, comme ce fut le cas en
2008.
Ces revendications furent celles de toutes les catégories sociales, y
compris les classes moyennes, à l’image des pharmaciens qui menèrent une
grève dure en 2009. La diversité des griefs explique pourquoi les
manifestations du début de l’année 2011 rassemblèrent des foules
considérables.
Ces motifs de colère n’étaient pas nouveaux puisqu’ils sont récurrents en
Égypte, la véritable nouveauté étant que le pacte liant le président
Moubarak à l’armée avait été rompu. Depuis 1952, tous les présidents et les
principaux ministres furent en effet des militaires. Or, l’armée avait depuis
plusieurs années, pris ses distances avec Hosni Moubarak, pourtant l’un des
siens, et cela pour deux grandes raisons :
– la première était que, sous la pression des Occidentaux desquels il
dépendait financièrement, le président Moubarak avait voulu donner un
habillage démocratique à son régime en renvoyant l’armée dans les
casernes, ce que cette dernière n’accepta pas ;
– la seconde raison du divorce entre l’armée et le président Moubarak fut
que ce dernier voulut organiser sa succession au profit de son fils cadet
Gamal Moubarak, oubliant cette constante historique égyptienne qui est
que le pouvoir mamelouk n’est pas héréditaire. En 2009-2010, l’armée
fit donc clairement savoir qu’elle n’accepterait pas la remise du pouvoir
à Gamal Moubarak.
Le président Moubarak s’était donc attiré l’hostilité de l’institution
militaire, véritable colonne vertébrale du pays ; c’est pourquoi, le 25 janvier
2011, quand débutèrent les manifestations populaires, l’armée ne vola pas à
son secours.
En fin d’après-midi, le vice-président Omar Soliman annonça
officiellement dans une allocution de trente secondes que le président
égyptien avait renoncé à l’exercice de ses fonctions et que le pouvoir avait
été transféré à l’armée. La première phase de la révolution avait réussi.
Le président une fois chassé du pouvoir, débuta alors la seconde phase de
la révolution durant laquelle l’armée eut face à elle les Frères musulmans.
Comme ces derniers disposaient d’une influence considérable, les militaires
ne purent intervenir directement contre eux. Aussi, afin de demeurer
maîtres des évènements, ils lmeur ouvrirent alors un couloir politique
balisé, les autorisant à participer aux élections législatives destinées à élire
une assemblée constituante à la condition qu’ils ne présentent pas des
candidats partout. L’armée ne voulait en effet pas qu’ils obtiennent la
majorité dans la future assemblée, ce qui leur aurait permis de rédiger une
Constitution islamiste. Adoptant un ton plus que mesuré, les Frères
musulmans ne cessaient d’ailleurs d’affirmer qu’ils n’ambitionnaient que
30 % des sièges au parlement et qu’ils n’avaient aucune ambition
présidentielle.
Le 21 novembre 2011, Essam Charaf présenta la démission de son
gouvernement au CSFA (Conseil Supérieur des Forces Armées) et le
24 novembre 2011, ce dernier chargea Kamal al-Ganzouri, ancien Premier
ministre d’Hosni Moubarak de janvier 1996 à octobre 1999, d’en constituer
un nouveau. Le 28 novembre, le CSFA lui octroya les pouvoirs
présidentiels.
Disposant alors d’une immense popularité, les Frères musulmans ne
respectèrent pas leur parole et ils décidèrent de présenter partout des
candidats lors des élections législatives qui se déroulèrent entre le
28 novembre 2011 et le 3 janvier 2012.
Le Parti de la Liberté de la Justice (Frères musulmans), recueillit 44,6 %
des suffrages et obtint 222 sièges, cependant que le Parti de la Lumière Al-
Nour (Salafiste) réunit 22,5 % des votants et obtint 112 sièges.
Ces deux partis islamistes totalisèrent donc à eux deux 67 % des voix et
ils remportèrent 334 sièges sur 508. Si nous ajoutons à ces scores ceux de
plusieurs petits partis islamistes radicaux comme le Parti de la construction
et du développement (2,6 % des voix et 13 sièges) et le Parti de la
civilisation (0,4 % et 2 sièges), les candidats islamistes radicaux avaient
donc obtenu 70 % des votes et 355 sièges.
Ce parlement totalement dominé par les islamistes allait donc tout
naturellement pouvoir faire voter la Constitution qui allait permettre de
transformer l’Égypte en une théocratie.
L’armée qui avait été bernée tenta alors de s’opposer à la rédaction d’une
telle Constitution, mais les islamistes répliquèrent en lançant des masses
vociférantes dans la rue. Devant ces démonstrations de force, les militaires
choisirent de temporiser.
Le 24 mai 2012, lors du premier tour de scrutin des élections
présidentielles, Mohamed Morsi président du Parti Liberté et Justice,
vitrine politique de la confrérie recueillit 24,8 % des suffrages devant le
général Ahmed Chafik, ancien Premier ministre d’Hosni Moubarak, qui
réunit 23,7 % des électeurs sur son nom.
Le principal enseignement de ce premier tour était que les Frères
musulmans ne représentaient plus que 25 % du corps électoral, quasiment
autant que les partisans de l’ancien régime. Entre les législatives du mois de
janvier 2012 et les présidentielles de mai 2012, donc en cinq mois, ils
avaient perdu 50 % de leurs suffrages, passant de 10 à 5,7 millions de voix.
Puis la situation leur échappa quand, au mois de juin 2012, entre les deux
tours de l’élection présidentielle, la Haute Cour constitutionnelle leur
infligea deux sévères camouflets :
1. elle annula les élections législatives qui avaient vu leur écrasante
victoire8. L’Assemblée fut donc dissoute et il allait donc falloir procéder
à de nouvelles élections ;
2. afin de mettre hors course le général Ahmed Chafik qui se présentait
contre Mohammed Morsi, l’assemblée islamiste avait voté la loi dite
d’« isolement politique » qui interdisait à tous les anciens hauts
responsables (président de la République, vice-président et Premier
ministre) durant les dix années précédentes de se porter candidats à des
élections. Or, cette loi qui visait clairement Ahmed Chafik fut
également invalidée par la Haute cour constitutionnelle. Le général
Ahmed Chafik, dernier Premier ministre d’Hosni Moubarak put donc se
présenter pour le second tour qui se déroula les 16 et 17 juin 2012 et qui
vit le Frère musulman Mohammed Morsi l’emporter avec un score
« serré » de 51,6 % des voix sur le général Ahmed Chafik. L’Égypte
était coupée en deux.
Le 8 juillet, alors qu’il venait juste d’être élu, Mohammed Morsi annula
par décret la dissolution de l’Assemblée prononcée par la Haute cour
constitutionnelle. En rétablissant ainsi l’Assemblée, le président Morsi fit
un coup d’État tout en défiant l’armée.
D’énormes manifestations se produisirent alors et le 9 juillet le CSFA
appela solennellement Mohammed Morsi au respect de la Constitution et de
la loi9.
Le décret présidentiel prévoyait également, outre le rétablissement du
Parlement, l’organisation d’élections anticipées, mais la Haute cour
constitutionnelle rejeta ce décret au motif que ses jugements sont
« définitifs et contraignants ».
Le 22 novembre 2012, afin de se dégager des blocages juridiques dans
lesquels son projet constitutionnel islamiste était enfermé, le président
Morsi fit un second coup d’État « légal » en promulguant une déclaration
constitutionnelle lui accordant la possibilité de légiférer par décret. Il
suspendait ainsi tous les recours judiciaires afin d’être en mesure d’imposer
une Loi fondamentale rédigée par un comité constitutionnel en totalité
composé de Frères musulmans. Cette décision mit le feu aux poudres et des
foules d’opposants descendirent dans la rue.
Le 4 décembre 2012, la Présidence étant sur le point d’être prise par les
manifestants, l’armée sauva le président Morsi en l’exfiltrant. Elle le
ramena ensuite au Caire après l’avoir placé sous sa « protection ».
Le 7 décembre, dans un communiqué particulièrement clair, l’armée
égyptienne mit en garde les Frères musulmans, soulignant que les méthodes
du président Morsi, à savoir les pleins pouvoirs qu’il venait de s’octroyer
afin de faire adopter en force une constitution théocratique, allaient faire
emprunter à l’Égypte « un sentier obscur qui déboucherait sur un désastre,
ce que nous (l’armée) ne saurions permettre ».
Le 9 décembre le président Morsi recula, annonçant que le projet de
Constitution serait soumis à référendum. L’armée ne poussa pas plus loin
son avantage, sa stratégie étant de laisser le président et les Frères
musulmans se discréditer en s’engluant dans les difficultés économiques et
politiques.
Lors du référendum constitutionnel qui eut lieu les 15 et 22 décembre
2012, les islamistes remportèrent une nouvelle victoire puisque le « oui »
obtint 63,8 % des voix. Cependant, en raison des consignes d’abstention, le
taux de participation fut particulièrement bas, seuls 32,9 % des inscrits
s’étant rendus aux urnes. Cette nouvelle Constitution de facture islamiste
adoptée par moins de 25 % des Égyptiens, entra en vigueur le 26 décembre
2012.
Des manifestations rassemblant des foules immenses se produisirent
alors, regroupant tous ceux qui ne voulaient pas d’une Égypte théocratique.
Les Frères musulmans qui ne s’attendaient pas à une telle réaction
populaire virent leurs locaux pris d’assaut par la foule et incendiés.
Le 6 mars 2013, la justice administrative égyptienne infligea un nouveau
camouflet au président Morsi en annulant le décret présidentiel prévoyant
les élections législatives pour le 22 avril 2013 au motif qu’il avait été publié
sans attendre l’avis de la Haute cour constitutionnelle. À partir de ce
moment, le processus de son éviction se mit en marche avec la 3e phase de
la révolution durant laquelle l’armée reprit le pouvoir (avril-juillet 2013).
Arc-bouté sur sa légitimité démocratique acquise par les urnes10, le
président Morsi accumula les erreurs politiques. Le 15 juin 2013 le régime
islamiste égyptien rompit ainsi ses relations diplomatiques avec la Syrie,
deux jours après que la Maison Blanche eut annoncé qu’elle allait soutenir
les rebelles syriens. Cet alignement sur la position américaine fut très mal
ressenti par la fraction nationaliste et nassérienne de la population
égyptienne qui, plus qu’une réelle sympathie pour le régime de Damas,
soutenait celui qui avait à la fois pour ennemi les États-Unis, Israël, les
Européens, la Turquie et les pétro-monarchies du Golfe.
Alors qu’il avait fallu 18 jours pour renverser le président Moubarak,
quatre suffirent pour évincer le président Morsi.

3. L’armée reprend le pouvoir (avril 2013)


Le 22 avril 2013 vit le début du mouvement Tamarod (rébellion),
coagulation composite engerbant libéraux, nassériens du Courant populaire
de Hamdeen Sahabi, et divers partis de gauche. Tamarod réussit à récolter
22 millions de signatures d’Égyptiens réclamant le départ du président
Morsi et une élection présidentielle anticipée. Le pays connut ensuite des
manifestations quotidiennes.
Le 1er juillet 2013, par la voix de son chef d’état-major et ministre de la
Défense, le général Abdel Fattah al-Sissi11, l’armée égyptienne fit un
classique pronunciamento en retirant sa confiance au président Morsi, tout
en faisant sienne les revendications des millions de manifestants qui
réclamaient son départ. L’ultimatum militaire donnait deux jours au
président pour quitter le pouvoir. Ce dernier refusa et tenta une dernière
manœuvre en proposant un dialogue à l’opposition.
Le 3 juillet, Mohammed Morsi fut renversé par l’armée. Le 4 juillet,
Adly Mansour, président de la Haute cour constitutionnelle fut désigné
président par intérim et placé à la tête d’un gouvernement de technocrates
en charge de la direction de l’Égypte jusqu’aux prochaines élections
législatives et présidentielle.
Le 8 juillet, plus de 50 morts furent à déplorer lors d’une manifestation
pro-Morsi quand l’armée ouvrit le feu sur les manifestants.
Le 9 juillet, Mohammed el-Baradei fut nommé vice-président et Hazem
el-Beblawi, ancien ministre des Finances, devint Premier ministre désigné
par l’armée et chargé de former un gouvernement devant assurer la
transition jusqu’aux élections (législatives et présidentielle).
L’éviction du président Morsi ouvrit une période de troubles sécuritaires
dans le Sinaï où des groupes jihadistes lancèrent des actions armées
cependant que sur sa frontière ouest, l’armée égyptienne tentait d’éviter la
contagion libyenne. Avec leurs attentats les jihadistes ruinèrent l’industrie
touristique égyptienne qui représentait plus de 11 % du PIB avant 2011.
Le 16 mai 2015, Mohammed Morsi fut condamné à mort pour « avoir
commis des actes de violence et avoir incité au meurtre et au pillage ». Il
mourut en prison d’une crise cardiaque le 17 juin 2019.

B. Libye : du colonel Kadhafi à la guerre de tous


contre tous
À partir de 2007, jusque-là pays paria, la Libye du colonel Kadhafi
réussit à acquérir une nouvelle respectabilité se traduisant par des voyages
officiels du colonel Kadhafi en France (2007) et en Italie (2009 et 2010).
Puis, en 2011, dès le début des évènements, le régime libyen se trouva mis
en accusation par ses nouveaux amis qui lui déclarèrent la guerre.

1. Le colonel Kadhafi ou le pouvoir tribal


La Libye est une « société à deux dynamiques, celle du pouvoir et celle
des tribus (Ouannes, 2009 : 25). La grande constante socio-politique y est la
faiblesse du pouvoir par rapport aux tribus. Au nombre de plusieurs
dizaines, si toutefois nous ne comptons que les principales, mais de
plusieurs centaines si nous prenons en compte toutes leurs subdivisions, les
tribus libyennes sont groupées en çoff (alliances ou confédérations). Ces
dernières épousent à peu près les deux grandes unités territoriales de la
Cyrénaïque et de la Tripolitaine.
Les tribus les plus fortes agissaient en véritables « fendeurs
d’horizons12 » car elles contrôlaient les immenses couloirs de nomadisation
de l’axe Méditerranée-Fezzan. Les tribus les plus faibles pratiquaient quant
à elles, un semi nomadisme régional (Cauneille, 1963). Le tribalisme libyen
présente trois grandes caractéristiques :
a. « l’allégeance des tribus au pouvoir central est contractuelle, fondée
sur des négociations permanentes. » (Pliez, 2015 : 10). Les évènements
qui ont suivi la fin du régime Kadhafi le montrent d’une manière très
claire ;
b. les bases territoriales des groupes tribaux ont glissé vers les villes mais
les liens tribaux ne se sont pas distendus pour autant ;
c. les apparentements tribaux dépassent les frontières de la Libye.
À la différence de la Tunisie ou de l’Égypte, la Libye, dont plus de 90 %
du territoire est désertique, a une forte définition tribale13. Ses dizaines de
tribus qui sont divisées en centaines de sous tribus et en clans, constituent
des ensembles ayant des alliances traditionnelles mouvantes au sein des
trois régions composant le pays. Le colonel Kadhafi conserva le système
tribal tout en l’encadrant à travers un système administratif moderne, avec
préfectures (muhāfazāt) et municipalités (baladīyat)14.
Issu de la tribu des Qadhadfa15, Mouammar Kadhafi fonda son pouvoir
sur une profonde recomposition tribale reposant sur des alliances entre sa
tribu et de puissantes açabiyât. Cette recomposition ne demeura cependant
pas figée. En fonction des évènements, il fit en effet preuve d’une intime
connaissance des rouages tribaux qu’il utilisa à merveille pour ancrer ou
assurer son pouvoir. Nous pouvons distinguer cinq phases dans sa politique
tribale :
– phase 1 : au lendemain de sa prise de pouvoir, se méfiant de la
Cyrénaïque et de ses tribus demeurées fidèles au roi Idriss, il s’appuya
sur la tribu Hasa afin de faire contre-poids aux Barasa. Puis, il se
rapprocha des seconds et se sépara des premiers au prétexte qu’ils
furent jadis proches du colonisateur italien ;
– phase 2 : il répudia sa première femme qui était d’origine turque et qui
ne pouvait donc pas lui apporter les appuis tribaux qui lui étaient
nécessaires, et il épousa une femme Firkeche, un segment clanique de
la tribu Barasa. Ce mariage fut un coup de maître car, outre qu’il
écartait le danger représenté par les Barasa, il lui permit de construire
une alliance entre les Qadhafda et les grandes tribus de Cyrénaïque
liées aux Barasa, comme les Awaqir (Awaghir) et les Ubaydat
(Abidet) ;
– son pouvoir s’exerça alors sur les trois régions de Libye car il reposait
sur les trois grandes confédérations tribales régionales :
• celle de Cyrénaïque avec la confédération Sa’adi rassemblant les
tribus alliées aux Barasa ;
• celle du couloir allant des Syrtes au Fezzan avec sa propre
confédération ;
• celle des Awlad Sulayman (Ouled Slimane) ;
• celle du nord de la Tripolitaine à travers la confédération al-Bahar et
cela grâce à ses alliés, les Margarha de Sebha16, tribu guerrière et
makzénienne ;
– phase 3 : de 1973 à 1975, son pouvoir reposa également sur l’alliance
avec Misrata, cité disposant d’une élite lettrée qui fournit nombre de
cadres au régime, notamment dans l’administration, la diplomatie, la
banque ou l’université alors que les Bédouins, notamment les
Qadhafda, se réservaient l’armée, la police ou les douanes.
Puis, en 1975, une rupture inévitable se produisit entre le bédouin
Kadhafi et les patriciens de Misrata, cité portuaire, lettrée, tournée vers
la mer et « capitale » des Kouloughli. Comme l’a bien fait ressortir
Moncef Ouannes (2009), ce fut en réalité un choc entre deux
conceptions de la vie, un choc entre bédouinité et sédentarité17.
Les officiers de Misrata furent arrêtés et les cadres issus de la ville
furent mis à l’écart. Désormais, la haine des Misrati envers le régime et
la personne du colonel Kadhafi fut une donnée déterminante de la vie
politique libyenne. Elle explique l’évolution de cette ville qui jouera un
rôle essentiel dans la guerre civile de 2011, allant jusqu’à capturer puis
à lyncher à mort le colonel Kadhafi comme nous le verrons plus loin ;
– phase 4 : ayant perdu l’appui de Misrata, le colonel Kadhafi procéda à
une recomposition tribale en s’appuyant davantage sur sa propre
confédération, celle des Awlad Sulayman. Il se rapprocha ainsi de ses
« cousins » Warfalla de Bani Walid18, qui, comme les Qadhafda font
partie du groupe al-Fawqi et qui, de plus, étaient les ennemis acharnés
de Misrata depuis des évènements confus survenus durant la période
italienne19. Parallèlement, il consolida son pouvoir dans l’arrière-pays
de Tripoli en prenant appui sur les Rujban20 (Rojbane) et sur la fraction
arabe des Zintan du jebel Nefusa.
Cette nouvelle alliance couvrait un territoire immense puisqu’elle
partait de Tripolitaine, englobait la région des Syrtes et s’étendait
jusqu’au Fezzan. De plus, à travers la personne du colonel Kadhafi, lui
était associée une grande partie de la Cyrénaïque à travers les tribus qui
lui étaient alliées par mariage, à savoir les Barasa, les Ubaydat (Abidet)
et les Awaqir (Awaghir) ;
– phase 5 : le problème qui se posa bientôt fut que la complexe alliance
tribale constituée par le colonel Kadhafi se mua en une sorte
d’hégémonie exercée par les Qadhafda et les Warfalla aux dépens des
Ubayat, des Awaqir, des Barasa et même des Megarha. Or, en 1993, une
fraction de ses « cousins » Warfalla tenta un coup d’État. La réaction du
colonel Kadhafi qui s’estima trahi par ceux auxquels il avait accordé
toute sa confiance, fut extrême. Plusieurs hauts gradés furent ainsi
fusillés à Bani Walid, la « capitale » de la tribu, en présence des
familles et des notables. Puis leurs maisons furent rasées.
L’hypothèse de Moncef Ouannes est que les Warfalla se sentant trop
engagés avec le régime, craignirent de devenir des paria en cas de coup
d’État. Aussi, la tribu se serait-elle en quelque sorte partagé les rôles, les
anciens demeurant fidèles au colonel Kadhafi cependant que les jeunes
officiers ourdissaient un complot. Cette duplicité de la tribu expliquerait
alors la vengeance du colonel (Ouannes, 2009 : 310). L’explication est peut-
être valide, même si nous n’avons pas les éléments pour en juger,
cependant, une réalité ne doit pas être négligée qui est que les conjurés
étaient semble-t-il, essentiellement des Warfalla originaires de Cyrénaïque.
Ce fut d’ailleurs, à partir de ce moment que le colonel Kadhafi se mit à
soupçonner les tribus de cette région. Petit à petit, son régime rompit alors
avec elles, ce qui allait lui être fatal, et il reconstitua une alliance avec les
tribus de Tripolitaine et du Fezzan en tentant de reconstituer un front tribal
ancré sur les Megarha et sur plusieurs petites tribus indépendantes des
grandes alliances.

L’activisme international
Le colonel Kadhafi rechercha inlassablement la fusion des peuples arabes afin de
recréer à son profit une sorte de califat transnational :
– en 1972, alors qu’il n’exerçait pas encore la totalité du pouvoir, ce fut l’Union des
Républiques arabes (Libye, Égypte, Syrie) qui fut dissoute en 1977 ;
– en 1984, ce fut l’Union Libye-Maroc, dissoute en 1986 ;
– quatre autres tentatives avortées de fusion eurent également lieu, avec la Tunisie
en 1974, avec le Tchad en 1981, avec l’Algérie en 1988 et avec le Soudan en 1990.
Une telle politique provoqua bien des tensions, notamment avec l’Égypte et elle
déboucha même sur un conflit frontalier qui opposa les deux armées du 21 au
24 juillet 1977. La conséquence en fut la fermeture de la frontière entre les deux pays
jusqu’au mois de mars 1989.
2. La politique saharo-africaine du colonel Kadhafi
Cette politique reposa sur deux grands piliers : l’union des peuples du
Sahara, d’où son tropisme touareg, et son interventionnisme au Tchad. Ce
furent deux échecs.
a. Le tropisme touareg21
Le colonel Kadhafi mena une active politique en direction du Sahara et
de l’Afrique noire (Lugan, 2013 : 248-260). Sa vision africaine était bercée
par sa culture bédouine et les souvenirs mythiques du temps des grandes
caravanes transsahariennes d’avant l’époque coloniale, quand le bassin du
Tchad était le prolongement de l’axe qui partait des Syrtes pour s’enfoncer
vers le désert via le Fezzan, puis jusqu’au cœur du continent. Pour les tribus
chamelières, dont la sienne, le désert était en effet une voie de
communication, non un obstacle et encore moins une frontière.
À l’époque du colonel Kadhafi, l’organisation coutumière des Touareg
fut maintenue et ils purent continuer à parler le tamashek et à donner des
prénoms berbères à leurs enfants. Cette exception est notable car les
Berbères de la région du jebel Nefusa ne bénéficièrent pas des mêmes
libéralités puisqu’ils durent subir une stricte arabisation.
L’acte de naissance de la politique touareg du colonel Kadhafi date du
discours d’Oubari qu’il prononça en 1981. À partir de ce moment, il offrit à
tous les Touareg une patrie, la Libye. C’est alors que furent constituées des
unités révolutionnaires recrutées chez les jeunes touareg algériens, maliens,
nigériens et libyens. Parmi ces volontaires, certains furent envoyés
combattre les Israéliens lors de l’invasion du Liban en 1982. La plupart
furent engagés dans les diverses guerres du Tchad (voir p. 869 et suivantes).
Parmi eux fut crée le FPLA (Front populaire de libération de l’Azawad) qui
déclencha la rébellion touareg de 1990 au Mali avant de devenir MPA
(Mouvement populaire de l’Azawad) en 199122.
Au mois d’août 2008, le colonel Kadhafi prononça son second discours
d’Oubari dont la teneur était bien différente de celui de 1981. La mystique
révolutionnaire y laissa en effet la place au réalisme et à l’esprit
pacificateur. Trois points essentiels furent alors mis en avant par le chef de
l’État libyen :
– l’incapacité des Touareg à diriger un État en raison de leurs multiples
divisions internes (tribales, politiques, sociétales) ;
– le dévoiement d’une cause « nationale » ayant évolué dans les trafics
divers dont celui de la drogue et celui des armes ;
– l’exhortation faite aux Touareg d’abandonner la lutte armée et
d’intégrer les institutions de leurs États respectifs (Badi, 2010 : 20).
Ayant bien compris que le colonel Kadhafi allait cesser d’appuyer leurs
actions armées, les chefs touareg malien et nigériens présents lui
demandèrent alors solennellement « d’intercéder auprès des deux
gouvernements du Mali et du Niger pour arriver à une solution négociée du
problème touareg » (Badi, 2010 : 21).
b. Les guerres perdues du Tchad23 (1973-1989)
Au Tchad, de 1973 à 1989, le colonel Kadhafi profita d’une situation de
morcellement ethno-politique dont il tenta de tirer parti à son profit en
appuyant certaines composantes toubou et arabes, tout en revendiquant une
partie du pays à travers la question de la « bande d’Aouzou ».
Au début du mois de février 1986, l’armée libyenne franchit le
16e parallèle. En réaction, le 14 février, la France déclencha l’Opération
Épervier qui succédait à l’Opération Manta. Le 16 février, l’aviation
française bombarda l’aéroport libyen d’Ouadi-Doum, au nord du
16e parallèle.
Le 8 août 1987, les FANT (Forces armées nationales tchadiennes)
prirent Aouzou, repris le 28 par les Libyens. Au mois de septembre 1987, à
l’issue d’un raid audacieux, les FANT réussirent à détruire une base
aérienne en Libye. En représailles, deux avions libyens bombardèrent
N’Djamena et Abéché, mais un des deux appareils fut abattu par les forces
françaises.
À partir de ce moment, le colonel Kadhafi comprit que la France ne le
laisserait pas s’emparer du Tchad et il cessa d’aider Goukouni Weddeye qui
s’exila en Algérie24.

Un régime terroriste
Durant les années 1980, en raison de son soutien aux mouvements terroristes, les
relations du colonel Kadhafi avec les États-Unis d’Amérique et la Grande-Bretagne
furent exécrables.
– En 1981, deux avions libyens furent abattus par l’US Air Force.
– En 1984, une fusillade ayant éclaté devant l’ambassade de Libye à Londres et une
femme policier ayant été tuée, Londres rompit ses relations diplomatiques avec
Tripoli.
– En 1986, à la suite d’un attentat dans une discothèque de la ville de Berlin
fréquentée par des militaires américains, les États-Unis menèrent un vaste raid
aérien contre la Libye, bombardant des bases militaires et des zones résidentielles,
faisant une centaine de morts parmi la population civile. Les implications terroristes
de la Libye ne cessèrent pas pour autant.
– En 1988, un avion de ligne américain fut détruit au-dessus de la ville écossaise de
Lockerbie.
– En 1989, un avion français de la compagnie UTA le fut au-dessus du désert du
Ténéré.
– En 1992, le Conseil de sécurité des Nations unies adopta une politique de sanctions
contre Tripoli qui refusait de livrer les responsables de ces attentats25.
– En 1993, l’embargo commercial et financier décidé en 1992 par le conseil de
sécurité fut renforcé par le gel des avoirs libyens à l’étranger en raison du refus de
Tripoli d’extrader ses ressortissants accusés d’être les auteurs de ces attentats26.

3. Le colonel Kadhafi devient « respectable »


Le colonel Kadhafi changea ensuite de politique et cela d’une manière
radicale. En 2003, la Libye reconnut ainsi ses responsabilités dans l’attentat
de Lockerbie et versa des dédommagements aux familles des victimes,
geste qui lui valut la levée définitive des sanctions par le Conseil de
sécurité.
Au mois de décembre de la même année, elle renonça à la production
d’armes de destruction massive et au mois de mars 2004, elle signa le
protocole additionnel du Traité de non-prolifération nucléaire. Peu à peu, le
rapprochement se fit avec les pays occidentaux et nombre de contrats
d’industrialisation furent signés. Dernier sujet de friction avec la
communauté internationale, l’affaire dite des infirmières bulgares trouva un
heureux dénouement en 2007 après que ces dernières eurent été détenues et
maltraitées durant de longues années.
En 2008, un accord soldant le passif de la période coloniale fut signé
entre le colonel Kadhafi et Silvio Berlusconi, le président du Conseil italien.
L’Italie s’engageait à verser à la Libye une somme de 5 milliards de dollars
étalée sur 25 ans, cependant que Tripoli se fournirait sur le marché italien et
lutterait contre l’immigration clandestine à destination de l’Europe.
Bénéficiant de la rente pétrolière et gazière et n’ayant que cinq millions
d’habitants, la Libye utilisa ses pétrodollars pour assurer à sa population un
niveau de vie exceptionnellement élevé sur le continent africain avec un
revenu par habitant voisin de 3 000 euros en 2011.
À la différence de l’Algérie où la manne pétrolière servit d’abord à
enrichir les milieux dirigeants, sous le colonel Kadhafi, la population
libyenne bénéficia des revenus des hydrocarbures ce qui fit des Libyens
privilégiés par rapport à leurs voisins nord-africains.
Les services de santé étaient gratuits, l’agriculture fut subventionnée afin
de créer des centres de production en plein désert avec pour horizon l’auto-
suffisance. Le projet « grande rivière » GMMR (Great Man Made River)
déverse quotidiennement vers le nord du pays 6 millions de m3 d’eau fossile
grâce à 4 000 kilomètres d’aqueducs.
Dans tout le pays des écoles, des hôpitaux, des routes surgirent des
sables, sans parler des usines car, à la différence de l’Algérie, la Libye du
colonel Kadhafi avait décidé de fabriquer un maximum de produits,
préférant subventionner des productions plus onéreuses que sur le marché
mondial mais qui, du moins restaient dans le pays et donnaient du travail à
ses habitants. Le taux de chômage était d’ailleurs quasi inexistant et les
salaires particulièrement avantageux par rapport à ceux des pays voisins.

Le colonel Kadhafi et les islamistes


L’opposition principale au régime vint des milieux islamistes, tant des Frères
musulmans que des salafistes. La contestation islamiste se radicalisa à partir de
1995 sous l’impulsion d’anciens d’Afghanistan.
La mouvance islamiste radicale était divisée en plusieurs mouvements, presque tous
centrés sur la Cyrénaïque. Les principaux étaient le Parti de la libération islamique, le
Mouvement des Martyrs de Libye, le Groupe islamique de Libye, Ansar Allah, le
Mouvement des patriotes libyens et le GICL (Groupe islamique combattant en Libye),
proche du réseau Al-Qaïda.
En 1995-1996, éclata une rébellion islamiste initiée par le Front de salut pour la
libération de la Libye qui opéra dans le jebel Akhdar en Cyrénaïque. Après quatre
années de difficiles combats et au prix d’une féroce répression, les insurgés furent
éliminés. Des milliers d’arrestations eurent lieu car, selon le colonel Kadhafi,
l’islamisme radical était « pire que le Sida » (Zoubir, 2008 : 272) et :
« Lorsqu’un animal est malade, le vétérinaire doit l’abattre pour éviter la
contamination des autres animaux […] Nous ne pouvons pas laisser cette épidémie
anéantir la société. Nous devons être cruels. Toute personne touchée sera
considérée comme infectée par une maladie grave et incurable et devra donc
disparaître » (cité par Zoubir, 2008 : 268).
Des lois anti islamistes permirent de punir les familles et les tribus qui ne réprimaient
pas ou ne dénonçaient pas les islamistes (Zoubir, 2008 : 270). Le colonel Kadhafi fit
également fermer la plupart des zawiya, dont celles de la Sanûsiya. En revanche, il
permit à celle de Zliten (Zlitan) la zawiya de Sidi Abdel Salam al-Asmar, en
Tripolitaine de rester ouverte.
Chassés du jebel Akhdar, les combattants islamistes tentèrent de se fondre dans la
population de Benghazi et la ville fut alors soumise à une féroce répression. Le
régime en extirpa les cellules islamistes, mais il s’attira la haine de la population qui
fut considérée comme complice.
En 1999, les maquis étaient éliminés et les cellules urbaines détruites, les survivants
attendant des jours meilleurs tout en se rapprochant d’Al-Qaïda. Ils seront parmi les
premiers à rejoindre l’insurrection de 2011 et à la coiffer, ce qui explique pourquoi son
épicentre fut Benghazi. En 2011, en intervenant pour « sauver la population de
Benghazi du massacre », la France offrira donc la région aux islamistes.

À l’exception ses réalisations sociales, le colonel Kadhafi accumula les


échecs. Le premier fut intellectuel quand il voulut, grâce à l’islam rénové,
dépasser à la fois le socialisme et le capitalisme. Ce fut l’expérience du
Livre vert qui tourna court. Quant à ses aventures militaires africaine, elles
furent autant de désastres.

4. La guerre de Libye (février-octobre 2011)


En Libye, il n’y eut pas un « printemps arabe », mais une guerre civile
née en Cyrénaïque, à l’est du pays et renforcée par le soulèvement de la
minorité berbère vivant dans le jebel Nefusa, à cheval sur la frontière
tunisienne, à l’ouest. Les islamistes vinrent opportunément se greffer sur
cette opposition régionale et tribale.
À la différence de la Tunisie et de l’Égypte, ici, le mouvement n’est donc
pas parti de la capitale. Toujours à la différence de la Tunisie et de l’Égypte,
les causes du soulèvement ne furent pas économiques. Dans ce qui était
alors le pays le plus riche de toute l’Afrique, la proportion de jeunes ayant
moins de 25 ans était certes de 47,4 % de la population, mais, une fois
encore à la différence des autres pays de l’Afrique du Nord, le chômage de
cette tranche d’âge était très faible.
Au mois de janvier 2011, après 42 ans de pouvoir, lors des premières
manifestations, le colonel Kadhafi ne prit pas la mesure des évènements.
Dans un premier temps, ayant l’exemple tunisien à ses frontières, et afin de
ne pas écorner l’image positive qu’il avait finalement réussi à construire
auprès de la communauté internationale, il hésita à employer les grands
moyens pour rétablir son pouvoir en Cyrénaïque. Puis, le 15 février, quand
le mouvement de protestation de transforma en guerre civile, le colonel
Kadhafi décida d’user de la manière forte, ce qui lui aliéna ses amis de la
veille, à commencer par la France.
Au nom de l’ingérence humanitaire, cette dernière prit alors la tête d’une
coalition destinée à le renverser. Londres, puis l’OTAN, emboîtèrent le pas
à Paris. Cependant, l’intervention décidée par Nicolas Sarkozy ne prévoyait
originellement qu’une zone d’exclusion aérienne destinée à protéger les
populations de Benghazi. Il n’était alors pas question d’une implication
directe dans la guerre civile libyenne. Mais, de fil en aiguille, violant la
résolution 1973 du 17 mars 2011 du Conseil de sécurité des Nations unies,
la France et l’Otan menèrent une vraie guerre, tout en ciblant directement,
et à plusieurs reprises le colonel Kadhafi.
Ce fut donc dans une guerre civile que la France s’immisça pour des
raisons officiellement éthiques. Deux conceptions s’affrontèrent alors :
– la France et l’Otan avaient décidé de détruire le régime Kadhafi ;
– l’Union africaine voulait faire sortir le colonel Kadhafi du jeu politique
libyen par la négociation afin d’éviter les traumatismes consécutifs à
son renversement.
Le 31 mars, l’Otan prit le relais de la coalition internationale27 cependant
que, par la voix de son fils Saïf al-Islam, le colonel Kadhafi proposa qu’un
référendum visant à l’instauration d’une démocratie se tienne en Libye.
Mais alors que l’OTAN se disait prêt à examiner ces propositions, le CNT
(Conseil national de transition), s’y opposa car il exigeait le départ pur et
simple du colonel Kadhafi.
Le 30 avril, Saïf al-Arab, le plus jeune fils du colonel Kadhafi fut tué
avec trois de ses enfants dans un bombardement aérien de l’OTAN. Puis,
prime à l’appui, le CNT lança une véritable chasse à l’homme, « mort ou
vif », contre le colonel Kadhafi et ses fils.
Les chefs d’État africains qui s’étaient quasi unanimement opposés à
cette guerre et qui avaient, en vain, tenté de dissuader le président Sarkozy
de la mener, pensèrent ensuite avoir trouvé une issue acceptable : le colonel
Kadhafi se retirerait et l’intérim du pouvoir serait assuré par son fils Saïf al-
Islam Kadhafi afin d’éviter une vacance propice au chaos. Cette option fut
refusée par le CNT et par la France, puis le colonel Kadhafi se retrouva
assiégé dans la ville de Syrte soumise aux bombardements incessants et
intensifs de l’Otan.
Le 20 octobre 2011, il tenta une sortie vers le sud, en direction du
Fezzan, mais son convoi uniquement composé de véhicules civils fut pris
pour cible par des avions de l’Otan et en partie détruit. Capturé, le colonel
Kadhafi fut sauvagement mis à mort après avoir été sodomisé avec une
baïonnette. Son fils Moatassem Kadhafi fut émasculé après avoir eu les
yeux crevés, les mains et les pieds coupés. Leurs dépouilles sanglantes
furent ensuite exposées dans la morgue de Misrata.
L’intervention franco-otanienne avait donc donné la victoire aux
insurgés. Cette dernière fut proclamée le 23 octobre 2011, date de l’annonce
à Benghazi par Mustapha Abdel Jalil, président CNT (Conseil national de
transition), de la « libération » du pays.
Les conséquences de la guerre civile libyenne furent à la fois internes et
externes.
À l’intérieur, la mort du colonel Kadhafi, ne marqua pas la fin du conflit
car, dans tout le pays, les milices tribales, régionales et religieuses
s’opposèrent sur fond de rupture entre la Cyrénaïque et la Tripolitaine.
À l’extérieur, comme le colonel Kadhafi déstabilisait et contrôlait tout à
la fois une vaste partie de la sous région, sa mort bouleversa la géopolitique
saharo-sahélienne, tout en offrant aux jihadistes de nouvelles opportunités.
Cinq périodes doivent être distinguées :
1. de la fin de l’année 2011 jusqu’à la fin de l’année 2013, ce fut le temps
des incertitudes, mais également celui des espoirs et de l’illusion
démocratique ;
2. l’année 2014 fut celle de l’embrasement anarchique et des tentatives de
recomposition ;
3. l’année 2015 vit l’entrée en scène de l’État islamique, ce qui
bouleversa le tableau politique libyen ;
4. à partir de l’année 2016, le général Haftar entama la conquête de la
Cyrénaïque ;
5. en 2018 et en 2019, une fois la Cyrénaïque pacifiée, le général conquit
les terminaux pétroliers du golfe des Syrtes, puis le Fezzan et, au début
de l’année 2019, il tenta vainement de s’emparer de Tripoli.

5. L’illusion démocratique (fin 2011-fin 2013)


Au lendemain du conflit, la Libye n’existait plus comme État, le pays
n’étant plus qu’une mosaïque territoriale aux mains d’une multitude de
milices tribales, citadines et mafieuses en guerre les unes contre les autres28.
Les islamistes de Cyrénaïque tentèrent alors, par la terreur, de « coiffer » les
fédéralistes. Pour cela, il leur fallait auparavant briser les confréries soufies
constituant l’armature tribalo religieuse de la région qu’ils considéraient
comme hérétiques.
Impitoyablement pourchassés par le régime du colonel Kadhafi, ces
islamistes, dont le fief était la ville de Darnah, cherchèrent à investir
Benghazi à partir du jebel Akhdar où ils avaient déjà constitué des maquis
dans les années 1990.
Le 11 septembre 2012, à Benghazi, l’ambassadeur américain John
Christopher Stevens qui avait joué un rôle très actif dans le renversement du
colonel Kadhafi fut assassiné lors d’une attaque menée contre les locaux du
consulat des États-Unis par le groupe salafiste Ansar al-Charia.
La priorité était donc de reconstruire un État libyen capable de remplir le
vide caractérisant le pays. Pressées par les Occidentaux, les nouvelles
autorités libyennes définirent alors un calendrier démocratique en deux
points :
– la première étape fut franchie le 31 octobre 2011 avec l’élection
d’Abdel Rahim al-Keeb originaire de Tripoli par 26 voix sur 51,
comme Premier ministre du gouvernement libyen de transition devant
Mustafa al Rajbani, un Berbère du jebel Nefusa avec 19 voix ;
– des élections législatives qui se tinrent le 7 juillet 2012 permirent
d’élire le CNG (Congrès national général), une assemblée de
200 membres chargée de remplacer le CNT. Lors de ce scrutin, la
coalition dite « libérale » de Mahmoud Jibril, ancien Premier ministre
du CNT, obtint 48,8 % des voix et remporta 39 des 80 sièges réservés
aux partis politiques. Le parti des Frères musulmans, Justice et
construction totalisa 21,3 % des suffrages et obtint 17 sièges.
Le 20 février 2014, les élections destinées à élire les 60 membres de
l’Assemblée constituante chargée de rédiger la nouvelle Constitution
n’attirèrent que moins de 15 % des électeurs. Quant aux élections
législatives du 25 juin 2014, elles permirent d’élire les 200 membres de la
Chambre des représentants qui devait succéder au CNG (Congrès général
national) islamiste élu en 2012 et dont le terme était échu. Reconnue par la
communauté internationale, cette Chambre des représentants fut
immédiatement contestée par les islamistes de Fajr Libya qui contrôlaient
Tripoli. Comme Benghazi, son lieu d’implantation était aux mains des
islamistes de Ansar Asharia, elle fut contrainte de s’installer à Tobrouk,
près de la frontière égyptienne.
Quant au CNG dont le mandat était échu, il s’auto-prorogea, arguant du
fait qu’il avait été élu par 60 % des électeurs, et le 25 août les députés
islamistes de l’ancien CNG formèrent un gouvernement « de salut
national » concurrent de celui de Tobrouk. La Libye avait donc deux
parlements, l’un, siégeant à Tripoli et passé sous le contrôle des islamistes ;
le second, reconnu par la communauté internationale et réfugié à Tobrouk,
dans l’extrême est de la Cyrénaïque, à proximité de la frontière égyptienne.
Puis, le 12 mars 2016, formé sous l’égide de l’ONU, le Gouvernement
d’union nationale (GUN) dirigé par Fayez el-Sarraj fut installé à Tripoli.

6. De l’anarchie à l’offensive du général Haftar (2014-


2020)
Militairement, le pays était coupé en trois : Cyrénaïque, Tripolitaine et
Fezzan. Trois guerres qui avaient chacune leurs propres spécificités s’y
déroulaient :
– en Cyrénaïque, la lutte opposait les islamistes aux forces du général
Haftar soutenues par l’Égypte, elle-même en guerre contre les Frères
musulmans appuyés par la Turquie. La base régionale des Frères
musulmans était la ville de Misrata en Tripolitaine. Quant aux
islamistes, ceux de Derna (Daznah) Darnah avaient fait allégeance à EI
(Daesh), le 5 octobre 2013 en prenant le nom d’EI branche de Barqua ;
– à la fin du mois de décembre 2014, les milices islamistes tentèrent de
s’emparer des terminaux pétroliers de Cyrénaïque ;
– la Tripolitaine était en plein basculement islamiste. Les milices de la
ville de Misrata, fief des Frères musulmans alliées pour la circonstance
aux jihadistes, avaient entrepris de conquérir l’ouest de la Tripolitaine
longtemps dominé par les milices berbères (berbérophones ou
arabophones) de Zentan (Zenten) Zenten et du jebel Nefusa. Tripoli, la
« capitale » d’un État qui n’existait plus était sous leur contrôle, ainsi
que tous les aéroports et la quasi-totalité des ports d’où la Turquie et le
Qatar les ravitaillaient en armes ;
– le « Grand Sud » était une « zone grise » dans laquelle Touareg,
Toubou et tribus arabes se disputaient le trafic illicite sur les axes de
contrebande entre Sahel et Méditerranée, sur l’ancienne route des
caravanes. La région était également devenue le refuge d’une partie des
islamistes repliés du Mali après l’opération Serval.
Durant toute l’année 2016, la présence de l’État islamique à Syrte servit
de tampon entre les forces soutenant le GUN et celles du général Haftar.
Fin 2016, l’EI fut chassé de Syrte.
À la fin de l’année 2016, le général Haftar était le maître de la
Cyrénaïque et de ses puits de pétrole. Adossée à l’alliance tribale de
Cyrénaïque ainsi que sur les tribus kadhafistes de Tripolitaine dont les
Kadafdha, les Magarha et les Warfalla, le 11 septembre 2016, l’ANL
(Armée nationale libyenne) qu’il commandait, prit le contrôle du « croissant
pétrolier » libyen et des ports terminaux de Sidra et de Ras Lanouf. Cette
victoire mit à mal le plan de l’ONU soutenu par l’UE, qui était de refaire
l’unité de la Libye à travers le gouvernement El Sarraj appuyé sur les
Frères musulmans de Misrata et sur les islamistes de Tripoli.
À la fin du mois de décembre 2016, à Tripoli, la situation fut plus que
confuse en raison de la reprise des combats entre plusieurs milices
islamistes rivales, dont celles de la coalition islamiste de Fajr Libya (Aube
de la Libye), qui fut contrainte de céder le pouvoir à Fayez el-Sarraj. Or,
comme en Tripolitaine il n’existait pas d’armée nationale, l’autorité de ce
dernier reposait sur ces milices dont les plus importantes étaient celles de
Misrata et la Brigade révolutionnaire de Tripoli (BRT).
Dans le sud de la Libye, au Fezzan, Touareg, Toubou et Arabes faisaient
partie d’alliances commercialo-politiques opposées et fluctuantes.
Au mois de mai 2017, le général Haftar lança une offensive en direction
du Fezzan avec pour but d’imposer un nouveau rapport de forces au GUN
(Gouvernement d’union nationale) présidé par Fayez al-Sarraj, et le
contraindre ainsi à entamer de véritables négociations. Puis, en 2019, le
général Haftar décida de trancher le nœud gordien en lançant ses forces à la
conquête de Tripoli.
Au début de l’année 2019, le général Haftar lança une offensive éclair sur
la partie du Fezzan qui échappait à son contrôle, ce qui eut à la fois pour
conséquence de purger la région des jihadistes d’al Quaïda et des groupes
d’opposition au président Idriss Déby Itno, tout en donnant un avantage
considérable au général dans son jeu de pouvoir avec le président Fayez el-
Sarraj.
Estimant le moment favorable, le général Haftar lança ensuite une
offensive sur Tripoli. Dans un premier temps, l’avance de ses forces fut
rapide ; puis, ce fut l’enlisement car, les milices de Tripolitaine firent bloc
autour du GUN qu’elles combattaient la veille encore.
En réalité, ces milices qui vivent de la guerre et des trafics ne voulaient
en aucun cas d’une victoire du général Haftar puisque ce dernier avait
déclaré que le but de sa campagne était précisément leur destruction…
Non seulement l’offensive du général Haftar piétina devant Tripoli29,
mais, en plus, elle eut pour résultat de coaguler autour du GUN les forces
de Tripolitaine qui se combattaient jusque-là et qui s’unirent dans un
commun rejet du général :
– les Amazigh qui se tenaient à l’écart du GUN se rallièrent à ce dernier
par crainte d’une victoire « arabiste » ;
– Zintan (Zenten) ancienne alliée du général Haftar et dont les milices
regroupées dans un « Conseil militaire » se rangèrent derrière le GUN,
seule la milice du colonel Moktar Fernane, vieil allié d’Haftar lui resta
fidèle ;
– les radicaux islamistes chassés de Tripoli en 2017 firent leur retour à la
faveur des combats ;
– Misrata devint l’âme de la résistance en raison de son poids militaire et
un Misrati fut nommé chef de la défense de Tripoli.
C. La Tunisie entre laïcisme et islamisme
En quasiment 35 ans, la Tunisie n’eut que deux chefs de l’État, les
présidents Bourguiba et Ben Ali. Cette stabilité explique en partie le miracle
économique et politique tunisien qui fut ruiné par la révolution de 2011.

1. La Tunisie de Bourguiba à Ben Ali (1956-2011)


À partir de 1962, sous l’impulsion d’Ahmed Ben Salah30, secrétaire
général de l’UGTT (Union générale de travailleurs tunisiens), puis ministre
du Plan et des Finances, la Tunisie tenta une expérience collectiviste dont
elle sortit ruinée. La libre-entreprise fut alors mise en accusation et des
coopératives d’État imposées aux agriculteurs.
En 1964, la Tunisie promulgua la nationalisation des terres possédées par
les étrangers ; les colons français furent alors spoliés et leurs biens saisis.
Le Premier plan quinquennal aboutit à un échec et le dinar fut dévalué de
25 %, ce qui ne freina pas la socialisation du pays confirmée en 1964 lors
du congrès de Bizerte du Neo-Destour à l’occasion duquel le parti devint le
Parti socialiste destourien (PSD) avec un comité central formé sur le
modèle soviétique.
La politique de collectivisation agricole se heurta à de fortes résistances
qui débouchèrent sur de violents affrontements faisant des dizaines de morts
et entraînant des centaines d’arrestations. Au mois de janvier 1969, les
incidents prirent la forme d’une véritable révolte agraire, ce qui n’empêcha
pas Ben Salah de soumettre le 3 août 1969 au président Bourguiba un projet
de généralisation du système coopératif dans le monde rural.
Prenant conscience de la gravité de la situation, ce dernier le refusa et le
8 septembre, Ben Salah fut limogé puis, accusé d’avoir abusé de la
confiance du président, il fut jugé par la Haute Cour qui le condamna à dix
années de travaux forcés31.
Le 8 juin 1970, Bourguiba fit publiquement son auto-critique dans les
termes suivants :
« Parce que je suis homme, donc sujet à l’erreur, je me suis trompé, je
le dis en toute modestie. Je demande donc pardon au Peuple et surtout
aux militants qui ont souffert […] j’ai été abusé par un homme qui
maniait le mensonge avec une adresse diabolique » (Cité par Belkhodja,
1998 : 77).
Dès lors, Habib Bourguiba opéra un virage complet, annonçant des
réformes structurelles profondes et il promit que justice serait rendue aux
victimes de la politique collectiviste. Pour mettre en forme cette nouvelle
politique, il fit appel à un libéral, Hédi Nouira. Cependant, en dépit des
nouvelles orientations, la Tunisie, ruinée par l’expérience socialiste,
s’enfonça dans une grave crise politique suspendue à la question de la
succession de son président.
Le 26 janvier 1978 un ordre de grève lancé par l’UGTT mit des dizaines
de milliers de manifestants dans la rue et la manifestation tourna à l’émeute.
L’armée réprima le mouvement en faisant des dizaines de victimes32 et le
président Bourguiba décréta l’état d’urgence ainsi qu’un couvre-feu.
Au mois d’avril 1981, lors du congrès du PSD, Habib Bourguiba annonça
le multi partisme dans un contexte de plus en plus lourd plombé par la
question du non-dit de sa succession33.
À la fin du mois de décembre 1983, éclatèrent de très graves émeutes de
la faim à la suite de l’annonce de l’augmentation du prix du pain. Le
1er janvier, l’état d’urgence fut à nouveau proclamé et le couvre-feu décrété,
mais les troubles se poursuivirent jusqu’au 3 janvier 1984, faisant des
dizaines de morts. Finalement, le 6 janvier, le président Bourguiba annula
toutes les augmentations, mais, en même temps, il fit rappeler le général
Zine el-Abidine Ben Ali34 qui était alors ambassadeur à Varsovie, pour le
nommer directeur de la Sûreté nationale. Le 23 octobre 1985, il fut nommé
ministre de la Sûreté nationale puis ministre de l’Intérieur le 28 avril 1986.
Il devint ensuite secrétaire général adjoint du PSD. Enfin, au mois de
mai 1987, sous le gouvernement de Rachid Sfar, il fut nommé ministre
d’État chargé de l’intérieur et secrétaire général du PSD, apparaissant donc
comme le dauphin du président Bourguiba. Son ascension n’était pas
terminée puisque, au mois d’octobre 1987, il fut nommé Premier ministre.
Quelques jours plus tard, le 6 octobre 1987, appuyé sur l’expertise de
sept médecins qui attestèrent de son incapacité mentale, le général Ben Ali
déposa Habib Bourguiba.
L’accession au pouvoir du général Ben Ali qui se présentait comme le fils
spirituel de son prédécesseur, fut largement saluée comme une avancée
démocratique. De fait, le 25 juillet 1988, il abrogea la présidence à vie,
limita la présidence à trois mandats, imposa la limite d’âge de 65 ans pour
les candidats aux élections présidentielles et il légalisa plusieurs partis
politiques. En 1989, il transforma le PSD en RCD (Rassemblement
constitutionnel et démocratique).
En 1991 le gouvernement fit état de la découverte d’un plan islamiste
visant à la prise du pouvoir et les enquêteurs mirent au jour d’importantes
ramifications dans la police et dans l’armée. Des procès eurent lieu durant
l’été 1992.
À partir de l’année 2000, la contestation des intellectuels prit de
l’ampleur cependant que le président, mis sous influence par le clan
affairiste gravitant autour de sa seconde épouse Leïla Trabelsi, revenait peu
à peu sur les mesures démocratiques qu’il avait prises au début de son
accession au pouvoir et qui l’avaient rendu populaire (Camau et Geisser,
2003).
Au début de l’année 2000, le journaliste Taoufik Ben Brik entama une
grève de la faim qui eut un énorme retentissement médiatique en Europe.
Le 11 avril 2002, des islamistes firent exploser un camion piégé devant la
synagogue de la Ghriba à Djerba, tuant 19 personnes dont 14 touristes
allemands.
Le 26 mai 2002, par référendum, les Tunisiens approuvèrent que l’âge
limite de candidature à la présidence de la République soit repoussé à
75 ans et ne soit plus limitée à trois mandats, ce qui permit au président de
se faire élire pour un quatrième mandat le 24 octobre 2004.
À partir de ce moment, le président ben Ali fut l’objet d’une campagne
de dénigrement et de déstabilisation menée à la fois par l’islamisme
clandestin et l’intelligentsia tunisienne qui bénéficiait de très importants
relais en France, au sein du parti socialiste et dans les médias.

2. Les causes et les étapes de la révolution tunisienne


de 2010-2014
La révolution tunisienne eut quatre principales causes :
– un facteur générationnel. Les 42 % des Tunisiens ayant moins de
25 ans estimaient être les oubliés du développement ; c’est eux qui
formèrent les gros bataillons de la contestation ;
– une agitation sociale qui débuta en 2008 dans le bassin minier de Gafsa
et qui dura pendant plus de six mois. Des centaines de Tunisiens furent
alors arrêtés et emprisonnés, certains trouvant la mort dans les
affrontements avec la police. Cette région défavorisée fut le levier de la
révolution. Selon l’UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens), le
chômage y touchait à l’époque 44 % des femmes et 25 % des hommes
diplômés de l’université de Sidi Bouzid, contre une moyenne nationale
de 19 % pour les hommes et 13,4 % pour les femmes ;
– la détestation de la seconde épouse du général ben Ali, Leïla Trabelsi et
de son neveu Imed Trabelsi ;
– l’intention du président Ben Ali de briguer un cinquième mandat
La révolution tunisienne se fit en quatre étapes :
– la première, ou « révolution du jasmin », qui dura quatre semaines, se
déroula entre la fin du mois de décembre 2010 et la mi-janvier 2011.
Elle eut pour résultat le départ du président Zine el-Abidine Ben Ali
dont le régime fut emporté en une vingtaine de jours, au terme de trois
semaines de manifestations étendues à tout le pays et amplifiées par une
grève générale. Le 14 janvier 2011, le président s’envola vers l’Arabie
saoudite ;
– la seconde qui débuta le 15 janvier 2011 pour s’achever au mois
d’octobre de la même année, vit le pays sombrer dans l’anarchie. Ce fut
la période de la révolution inachevée ;
– la troisième qui commença après le scrutin législatif du 23 octobre
2011 vit la tentative de confiscation de la révolution par les islamistes ;
ce fut le temps des interrogations concernant la définition
constitutionnelle de la Tunisie, avec un vif débat entre islamistes et
laïcs. Les islamistes voulurent alors faire adopter en force leurs
principes théocratiques afin d’empêcher tout retour en arrière. Passés en
quelques mois de la clandestinité au pouvoir, ils s’engagèrent alors dans
une politique de fuite en avant. Face à eux, la seule force d’opposition
cohérente et organisée était l’UGTT qui revendiquait 500 000
membres ;
– la quatrième débuta le 9 janvier 2014 avec la démission du Premier
ministre islamiste Ali Larayedh et son remplacement par un
indépendant, Mehdi Jamaa. Finalement, la Tunisie échappa au chaos
grâce à la constitution d’un gouvernement indépendant et consensuel
qui mena le pays vers des élections législatives et présidentielles qui se
tinrent au mois d’octobre 2014. Ces dernières virent la victoire des
modérés de Nidaa Tounes qui remportèrent 86 sièges sur les 217 que
compte l’assemblée, devant les islamistes d’Ennahda avec 69 sièges,
une douzaine de petits partis se partageant le restant des sièges à
pourvoir ;
– les élections présidentielles du mois de décembre 2014 virent la
victoire de Béji Caîd Essebsi, chef du parti Nidaa Tounès (55,68 % des
voix) sur Moncef Marzouki soutenu par les islamistes d’Ennahda
(44,32 % des voix). La coupure géopolitique de la Tunisie apparut alors
très clairement, le nord et la région de Tunis ayant voté Essebsi, le
centre et le sud ayant donné leurs voix à Marzouki, donc aux islamistes.

L’échec du panarabisme créa un vide dans lequel s’est engouffré l’islamisme politique
dont la vision est universelle. Pour un des principaux penseurs de l’Organisation des
Frères musulmans nommé Sayyed Qutb et que le colonel Nasser fit exécuter en
1965, la terre est divisés en deux, le monde musulman et le monde de l’ignorance de
Dieu ou jahaliyya. Le but de la confrérie est l’instauration d’un État islamique mondial.
Pour l’atteindre, il faut procéder par étapes, en unifiant préalablement le monde
islamisé puis, ensuite, dans un second temps, la guerre devra être menée contre le
monde de la jahaliyya afin de le détruire avant de le soumettre et pouvoir établir l’État
islamique universel. Voilà pourquoi, la priorité est de renverser les régimes arabes
nationalistes ou bien alliés de la Jahaliyya, ce qui était le cas de la Tunisie sous Ben
Ali et de l’Égypte sous Moubarak.
Après l’Égypte, c’est en Tunisie que ce courant s’est montré le plus actif avec pour
leader Rached Gannouchi, chef du mouvement Ennahda qui avait été condamné à la
prison à vie en 1981 et qui s’était réfugié en Grande-Bretagne.

3. Le bilan de la révolution
Fin 2015, soit cinq années après le début de la « révolution du jasmin »,
le bilan économique et social était catastrophique :
– une croissance économique inférieure à 1 %35 ;
– des grèves sauvages et des mouvements sociaux généralisés
paralysaient le pays, à telle enseigne qu’au mois de décembre 2011,
considérant qu’il ne lui était plus possible d’assurer une production
fiable, l’équipementier japonais Yazaki ferma un de ses cinq sites de la
région de Gafsa, puis, au mois de février 2012, ce fut le tour d’une
usine automobile allemande employant 2 700 personnes à Mateur ;
– un chômage qui continuait à augmenter. Au début de l’année 2015, les
490 000 chômeurs de 2010 étaient plus de 800 000. Le chômage des
jeunes atteignait 42 % et un Tunisien sur cinq vivait dans la grande
précarité. D’où des mouvements de colère qui débutèrent à la fin de
l’année 2012. À Siliana, des affrontements de grande intensité
opposèrent même manifestants et forces de l’ordre ;
– dans la vie de tous les jours, tout semblait en effet s’être détérioré : les
poubelles n’étaient plus ramassées, les coupures d’eau, d’électricité et
de gaz étaient de plus en plus fréquentes, quant à l’insécurité, elle avait
explosé.
Avec une croissance économique nulle, une incapacité à lancer des
réformes de fond, une majorité politique bancale car formée par la coalition
entre réformistes et Ennahda, vitrine des Frères musulmans, le pays qui
traversait une grave crise économique était menacé par la récession. Avec
en toile de fond, un spectaculaire envol de la dette qui atteignit 60 % du PIB
et la paralysie du tourisme qui, avant la révolution, représentait environ 7 %
du PIB national.
Quant aux attentats islamistes, l’année 2015 vit leur multiplication36. Les
autorités estimaient alors à plus de 5 000 le nombre de jeunes Tunisiens
ayant rejoint les rangs de Daesh.
Le 13 octobre 2019, lors du second tour des élections présidentielles,
Kaïs Saïed l’a emporté sur Nabil Karoui avec près de 7 % des voix après un
scrutin auquel participèrent 57,8 % des électeurs inscrits.

D. L’Algérie et son « Système »


Tout juste indépendante, l’Algérie connut un coup d’État, le GPRA
(Gouvernement provisoire de la république algérienne), étant évincé par
l’ALN, c’est-à-dire par l’armée des frontières. Ce fut alors que le
« Système » algérien dénoncé par le Hirak de 2019 se mit en place.

1. Du coup d’État de l’été 1962 à la guerre civile de 1992


Le 5 juillet 1962, l’Algérie à peine indépendante connut une situation
troublée car l’opposition latente entre le GPRA (Gouvernement provisoire
de la République algérienne) et l’ALN (Armée de libération nationale)
éclata au grand jour. L’ALN ne tarda pas à imposer son candidat, Ahmed
Ben Bella contre ceux du GPRA et des combattants de l’intérieur, ce qui
entraîna, dès le mois de septembre, la rupture avec Mohamed Boudiaf qui
tenta un soulèvement avant de trouver refuge au Maroc. Ahmed Ben Bella
accéda au pouvoir et le colonel Boumedienne fut nommé ministre de la
Défense cependant que le FLN (Front de libération nationale) devenait
parti unique. Ahmed Ben Bella se fit élire au suffrage universel le
15 septembre 1963.
Au mois d’octobre 1963, Hocine Aït Ahmed déclencha à son tour un
mouvement armé en Kabylie, mais l’ALN, devenue ANP (Armée nationale
populaire) en vint facilement à bout. Installé au pouvoir avec le soutien du
colonel Boumedienne et sous sa surveillance, Ben Bella engagea l’Algérie
sur la voie d’un socialisme autogestionnaire et tiers-mondiste. Proche du
maréchal Tito, de Gamal Abd-el Nasser et de Fidel Castro, le président
algérien devint alors un des leaders du mouvement des « non-alignés ».
Le 19 juin 1965, Ben Bella qui tentait de se dégager de l’emprise
militaire fut renversé par le colonel Boumediene qui s’installa au pouvoir
comme président d’un Conseil de la Révolution et qui fit enfermer son
professeur à Tamanrasset o il resta emprisonné durant seize années.
Houari Boumedienne37 avait gravi tous les échelons de commandement
en veillant toujours à ne pas se trouver impliqué dans les intrigues de clans
agitant le milieu nationaliste algérien. Soutenu par Abdelhafid Boussouf, le
chef du renseignement de l’ALN, il avait pris en 1958 la direction du
Comité d’organisation militaire (COM) du front ouest, organisme qui
coordonnait et planifiait à partir du Maroc les opérations en Algérie. En
1960 il avait été nommé chef de l’état-major général (EMG) qui venait
d’être crée par le GPRA.
Avec Boumedienne, l’armée accédait au pouvoir et il imposa sa dictature
après la répression d’une tentative de putsch militaire au mois de
décembre 1967 et à travers la mise au pas des syndicats. Il s’appuya sur une
équipe de fidèles exécutants, dont son ministre des Affaires étrangères
Abdelaziz Bouteflika, et il précipita l’Algérie dans une politique hâtive et
désordonnée d’industrialisation axée sur la production de pétrole et la
pétrochimie. Mal gérées et mal encadrées, les nouvelles entreprises
connurent de retentissants échecs et devinrent des gouffres financiers tandis
que la ruine de l’agriculture plaçait le pays face à une dépendance
alimentaire chronique. Le phénomène fut aggravé par un essor
démographique proprement suicidaire que le gouvernement encourageait.
En 1966, une vague de nationalisations de sociétés étrangères acheva de
faire de l’Algérie un État socialiste aligné sur l’URSS et sur la Chine. De
République socialiste autogérée, l’Algérie était devenue un État inspiré du
modèle stalinien.
Mort de maladie le 27 décembre 1977, le colonel Boumedienne laissait
un pays ruiné et corrompu dont la jeunesse désœuvrée et démoralisée, allait
bientôt être la proie des islamistes. L’armée lui désigna un successeur en la
personne du colonel Chadli Bendjedid38 qui prit le contre-pied de la
politique suivie par son prédécesseur. À un ascète révolutionnaire
longiligne, succédait un pragmatique jovial bon vivant.
Avec Chadli, le « tout industriel » fut mis entre parenthèses et les grands
combinats ingérables furent démantelés, tandis que la priorité était donnée à
l’autosuffisance alimentaire, donc à l’agriculture et à l’amélioration des
conditions de vie des Algériens. La nouvelle politique dépendant d’un
ralentissement de la croissance démographique, une campagne de réduction
des naissances fut lancée, mais elle déclencha la fureur des islamistes et ne
parvint pas à faire baisser la courbe démographique39.
Après les « années de plomb » de l’ère Boumedienne, les Algériens
crurent qu’ils allaient pouvoir revivre. En 1980, Ben Bella fut libéré et un
vent de liberté souffla sur le pays. Après la féroce dictature de l’époque
Boumedienne, la période nouvelle apparut donc d’abord comme un
relâchement du système. Jusque-là contenues et bridées, les oppositions
s’exprimèrent alors à nouveau dans le monde étudiant et dans celui du
travail, mais dans un contexte d’appauvrissement accéléré par
l’effondrement des cours du pétrole et du gaz.
Bientôt acculé financièrement, le gouvernement fut contraint de réduire
les importations de biens de consommation. L’Algérie retomba alors dans la
pénurie, doublée d’un taux de chômage proprement effarant. De leur côté,
les Kabyles qui luttaient contre l’arabisation forcée qu’ils subissaient depuis
1962 réclamèrent de plus en plus ouvertement la reconnaissance de leur
langue dans une revendication qui prit la forme d’une vague de fond
identitaire (Mahé, 2001) et qui culmina en 1981 dans le mouvement dit du
« printemps berbère40 ».
Le 4 octobre 1988, des « émeutes de la misère » éclatèrent dans tout le
pays. L’armée les réprima avec vigueur, faisant des centaines de morts. Le
pouvoir qui avait repris les affaires en main annonça une politique de
libéralisation politique et l’instauration du multipartisme.
Seule force organisée en dehors de l’armée et du FLN, parti de caciques
fossilisé sur les mythes de la guerre d’indépendance et dont les cadres,
gavés de leurs détournements, étaient coupés de la population, le courant
islamiste n’eut aucune peine à s’enfoncer dans la brèche politique qui
s’ouvrait et il s’organisa en parti, le FIS (Front islamique de salut). Dirigé
par Abassi Madani et Ali Bel Hadj, il mena une campagne efficace,
dénonçant la corruption du régime.

2. La « décennie noire » (1992-2002)


Au mois de juin 1990 les élections municipales et communales
pluralistes furent boycottées par le FFS (Front des forces socialistes) de
Hocine Aït-Hamed et par le MDA (Mouvement pour la démocratie en
Algérie) d’Ahmed Ben Bella. Le FIS (Front islamique du Salut) en fut le
grand vainqueur avec 55 % des suffrages contre 28 % au FLN, l’ancien
parti unique.
Puis, au mois de décembre 1991, la victoire électorale des islamistes lors
du premier tour des élections législatives fut totale, le FIS obtenant 47,3 %
des voix, le FLN 23,4 % et le FFS 7,4 %. Les islamistes étaient désormais
la première force politique du pays. De plus, dans les 2/3 des
circonscriptions, à l’exception de la Kabylie, le FIS était arrivé très
largement en tête. Assuré d’obtenir la majorité absolue à l’issue du second
tour, il allait être en mesure de transformer l’Algérie en République
islamique. Pour l’armée et pour la nomenklatura au pouvoir depuis
l’indépendance, le danger était mortel.
La réaction fut alors brutale : le président Bendjedid fut écarté du pouvoir
le 11 janvier 1992 et le 12 janvier, les élections furent annulées. Un Haut
Comité d’État (HCE) de cinq membres fut constitué et sa présidence
confiée à Mohamed Boudiaf, un des chefs historiques du FLN qui vivait
alors en exil au Maroc41 où, tel un sauveur, les autorités algériennes vinrent
le chercher pour qu’il puisse couvrir de sa « légitimité » nationaliste
l’annulation du processus électoral.
Dès son retour, il annonça une rupture avec les anciennes pratiques et une
lutte totale contre la corruption. Les leaders du FIS ainsi que des milliers de
militants furent emprisonnés et peu de temps après, le pays bascula dans la
guerre civile. Après avoir joué son rôle de caution historique au coup de
force politique du 12 janvier 1992, il apparut à beaucoup comme un gêneur
et il fut assassiné le 29 juin 1992.
Coopté par le HCE, le colonel Ali Kafi succéda à Mohamed Boudiaf.
Composant avec les clans politiques algériens, il nomma comme Premier
ministre Belaid Abdesslam, un homme lié à l’époque Boumedienne, avant
de le remplacer un an plus tard, au mois d’août 1993 par Reda Malek, un
démocrate.
Au mois de janvier 1994, les plus hautes autorités militaires réunies dans
une « Conférence nationale de consensus » décidèrent de la candidature du
général Zeroual comme « Président de l’État ». Le 31 janvier 1994 ce
dernier entra en fonction.
Le 16 novembre 1995, le général Zeroual qui remporta les élections
présidentielles contre un candidat islamiste « officiel » et un candidat
kabyle, gagna ainsi une réelle légitimité populaire. Afin de faire éclater le
front islamiste déjà largement fissuré, il poursuivit le dialogue avec le FIS
dont deux leaders, Abdelkader Hachami et Abassi Madani furent libérés.
Cette démarche eut pour principal résultat de discréditer le FIS aux yeux de
la tendance extrémiste de l’islamisme. Éclatée dans ce que certains
observateurs définirent alors comme la « nébuleuse des GIA » (Groupes
islamiques armés), elle s’engagea dans une surenchère de l’horreur,
massacrant les civils dans des conditions de cruauté indescriptibles.

Les courants du FIS


Le FIS qui fédéra les multiples composantes islamistes était à l’origine divisé en deux
grands courants :
1. le courant dit « salafiste » était un fondamentalisme. Pour ses tenants, la
démocratie allait contre les enseignements du Coran car seul un pouvoir ayant
l’autorité divine est légitime ;
2. le courant nationaliste ou « Djezarien » (Algérie en arabe = El-Djezair) prônait la
définition d’un islam algérien non opposé à la démocratie dès lors que le caractère
musulman du pays était affirmé par les institutions et non remis en question par une
politique de laïcité.
À la veille des élections de 1992, le FIS était contrôlé par la tendance « djezarienne »
mais l’annulation du scrutin justifia les analyses des « salafistes » qui eurent un rôle
déterminant dans les débuts de la guerre civile.

La coupure entre les deux branches de l’islamisme s’affirma vite. C’est


ainsi que le FIS créa l’AIS (Armée islamique du salut) en juillet 1994.
L’AIS n’étant pas implantée partout, les GIA (Groupes islamiques armés)
plus radicaux, apparurent dans tout l’Algérois et notamment dans la
Mitidja. Créés en 1992, les GIA, dont le noyau fondateur était constitué des
« Afghans », ces combattants islamistes qui avaient lutté contre les Russes
en Afghanistan, recrutèrent rapidement parmi les petits délinquants en
rupture avec la société.
Les GIA déclenchèrent une violence aveugle, l’ensemble de la
population algérienne étant suspecte à leurs yeux : le FIS et ses militants
étaient accusés de trahir la cause islamique ; les intellectuels et plus
particulièrement les journalistes furent désignés comme « ennemis de
l’islam » ; les étrangers devinrent des cibles car leurs gouvernements
respectifs soutenaient celui d’Alger et enfin, la population civile dans son
ensemble était complice du pouvoir car elle manifestait son impiété en ne
les soutenant pas. Cette guerre menée contre tout un peuple explique la
cruauté des exactions et notamment le traitement réservé aux femmes et aux
jeunes filles enlevées pour devenir les esclaves sexuelles des terroristes
avant d’être égorgées.
Le 1er octobre 1997, les chefs de l’AIS (Armée islamique du salut),
branche armée du FIS, se démarquèrent de la politique de terreur et
proclamèrent même une trêve unilatérale42.
N’ayant pas réussi à vaincre le terrorisme, et se trouvant dans une
impasse politique, le président Zeroual décida de se retirer.

3. L’Algérie d’Abdelaziz Bouteflika (1999-2020)


Fidèle compagnon de Houari Boumedienne qu’il avait suivi et
accompagné durant vingt années, Abdelaziz Bouteflika43 accéda alors au
pouvoir. Le 15 avril 1999, il effectuait un retour en forme de revanche en se
faisant élire à la présidence de la République sur un programme de
restauration de la paix. Mais sa marge de manœuvre était alors
singulièrement réduite car l’armée ne l’avait fait élire que parce qu’elle était
à la recherche d’un alibi civil crédible.
Au mois de juillet 1999, un référendum lui permit de tenter une ouverture
en direction des islamistes par la promulgation d’une « loi sur la concorde
civile » qui prévoyait l’amnistie pour ceux qui n’avaient commis ni viols, ni
crimes de sang. Après une légère baisse des massacres au quatrième
trimestre 1999, les violences reprirent avec une sauvagerie encore inégalées
durant l’année 2000, dépassant même la phase de massacres collectifs de
l’année 199744.
L’échec de Bouteflika semblait évident, la loi sur la « concorde civile »
plébiscitée à l’automne 1999 par les Algériens n’ayant en effet eu pour seul
résultat tangible que d’officialiser la trêve unilatérale décidée par l’AIS en
octobre 1997. Quant aux GIA qui ne se sentaient pas concernés, ils
redoublaient de violence, ce qui entraîna les critiques des durs de l’armée.
Nombre d’observateurs pensèrent alors que les jours du président
Bouteflika à la tête du pays étaient comptés, mais il redressa la situation et à
partir de l’année 2002, le nombre des attentats terroristes baissa et l’on
assista à un retour des étrangers et des investissements.
Réélu à la Présidence en 2004, au mois de septembre 2005, Abdelaziz
Bouteflika fit adopter par référendum la Charte pour la paix et la
réconciliation nationale. Les actions des groupes islamistes radicaux ne
cessèrent pas pour autant, avec une recrudescence à partir du mois de
mai 2008. Au mois d’août, plusieurs attentats suicide ensanglantèrent le
pays et ils furent revendiqués par l’Organisation Al-Quaïda au Maghreb
islamique (Oaqmi).
En 2010, au moment des « printemps arabes », tous les ingrédients d’un
cataclysme politique étaient réunis en Algérie : démographie suicidaire,
moitié de la population ayant moins de 20 ans, dont 35 % au chômage,
misère sociale, société fermée incapable de se réformer, État policier,
président dans l’incapacité de gouverner, vague d’immolations par le
feu, etc. Or, grâce aux flots de devises provenant du pétrole et du gaz,
l’Algérie eut les moyens d’acheter la paix sociale à grand renfort de
subventions aux catégories les plus démunies45, ce qui évita la coagulation
des nombreux mouvements de revendication dans un processus
révolutionnaire. Rendus totalement dépendants, les Algériens ne voulurent
donc pas renverser le régime, mais simplement faire pression sur lui pour
obtenir encore plus d’assistance. Ils choisirent donc la stabilité, s’abstenant
même de sanctionner l’ancien parti unique, le FLN, qui remporta une nette
victoire lors des élections législatives du mois de mai 2012.
Cependant, dès 2012-2013, se posa la question de la succession du
président Bouteflika sur fond de baisse de la production des hydrocarbures
et d’effondrement du prix du baril de pétrole.
Le 17 avril 2014, lors des élections présidentielles Abdelaziz Bouteflika
fut élu pour un quatrième mandat malgré son état de santé. Dès ce moment,
ses partisans préparèrent sa réélection à un cinquième mandat, mais
l’aggravation de sa maladie fit que ceux qui avaient soutenu le quatrième
mandat se divisèrent. Le « Système » entama alors des purges en
profondeur afin de ne garder que des affidés aux postes de responsabilité.
C’est ainsi qu’au mois de juillet 2015, le général-major « Ali »
Bendaoud, proche du directeur du DRS, les services algériens, le général
Mohamed Mediene, fut remplacé à la direction de la DSI par le général
Abdelkader. Puis, la Direction générale de la sécurité et de la protection
présidentielle (DGSPP), qui dépendait du DRS, fut rattachée à l’état-major
de l’ANP, et son chef, le général Djamel Lekhal Medjdoub, fut remplacé
par le général Nacer Habchi. Quant au général-major Ahmed Moulay
Meliani, patron de la Garde républicaine, il fut remplacé par le général-
major Ben Ali Ben Ali, chef de la 5e région militaire. Puis, le 13, le général
Mohamed Mediene alias « Tewfik », chef du DRS depuis un quart de siècle
fut limogé et remplacé par le général Athmane Sahraoui dit « Bachir
Tartag ». Dès sa prise de fonction, ce dernier entreprit une purge massive,
14 généraux étant mis à la retraite.
En 2019, la gravité de la crise algérienne pouvait être résumée à travers
le rappel de quelques données de base :
1. le pétrole et le gaz assurent bon an mal an entre 95 et 97 % des
exportations et environ 75 % des recettes budgétaires de l’Algérie ;
2. selon le FMI (mai 2015), dans l’état du moment de l’économie de
l’Algérie, le prix d’équilibre budgétaire de son pétrole était de
111 dollars le baril ;
3. en dehors des hydrocarbures, l’Algérie ne fabrique rien et ses fleurons
non pétroliers ne comptent pas dans l’économie nationale. Ainsi, les
40 millions de dollars rapportés par les exportations de dattes étaient
« gommés » par les seules importations de mayonnaise et de
moutarde46 ;
4. les rentiers de l’indépendance qui forment le noyau dur du régime
prélèvent, à travers le ministère des anciens combattants, 6 % du budget
de l’État algérien, soit plus que les budgets des ministères de
l’Agriculture (5 %) et de la Justice (2 %)47.

La crise des hydrocarbures


L’Algérie a connu son pic pétrolier entre 2005 et 2007, avec 2 millions de barils/jour.
La courbe décroissante commença en 2008, or, cette baisse de production fut voilée
par l’envolée des prix du baril.
Le 28 janvier 2013, interrogé par Maghreb Émergent, M. Tewfik Hasni, ancien vice-
président de Sonatrach (Société nationale pour la recherche, la production, le
transport, la transformation et la commercialisation des hydrocarbures) et ancien P.-
D.G. de NEAL, la filiale commune de Sonelgaz (Société nationale de l’électricité et du
gaz) et Sonatrach, déclara au sujet du gaz qu’« en 2030, il ne restera plus rien pour
l’exportation ».
Un mois plus tard, le 24 février 2013, M. Abdelhamid Zerguine, P.-D.G. de Sonatrach
affirma à son tour que l’Algérie aura épuisé ses réserves de pétrole et de gaz
conventionnel entre 2020 et 2025 en raison d’un double phénomène de baisse de
production ajoutée à l’augmentation de la consommation intérieure.
Puis, le 1er juin 2014, le Premier ministre algérien, M. Abdelmalek Sellal, déclara
devant l’APN (Assemblée populaire nationale) :
« D’ici 2030, l’Algérie ne sera plus en mesure d’exporter les hydrocarbures, sinon
en petites quantités seulement […]. D’ici 2030, nos réserves couvriront nos besoins
internes seulement. »
Selon Mohammed Saïd Beghoul, expert en énergie et interrogé par Algeria Watch,
sans nouvelles découvertes, la production gazière algérienne cessera dans un peu
plus de 20 ans, soit vers 203548.
À défaut de relancer sa production d’hydrocarbures, pour l’Algérie, l’urgence est de la
faire durer le plus longtemps possible, donc d’en rationaliser l’usage. Or, afin de
préserver la paix sociale, le gouvernement a maintenu des tarifs artificiellement bas.
Ce choix politique a conduit à consacrer une proportion considérable et croissante
des ressources en pétrole et en gaz à la consommation des ménages et non à
l’exportation génératrice de devises ou à une transformation sur place qui allégerait la
facture des importations.

Politiquement, durant toute l’année 2018, autour de la succession du


président Bouteflika, le sérail s’entre-déchira d’où les limogeages et les
incarcérations de généraux auparavant tout-puissants, les anathèmes et les
excommunications au sein du FLN.
En 2019, la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un 5e mandat mit le feu
aux poudres. La rue algérienne se mobila alors massivement, faisant oublier
la résilience dont elle avait fait preuve jusque-là. Or, ce mouvement n’était
pas une simple contestation, mais une claire volonté de refondation en
profondeur des institutions algériennes dans l’esprit du « congrès de la
Soummam49 ».
Dans un premier temps, face à la rue, les militaires ne comprirent pas la
profondeur de la revendication et ils utilisèrent le mouvement pour éliminer
à la fois le clan Bouteflika avec ses affidés et le clan du DRS. En d’autres
termes, au sein du « Système », le clan composé par le haut état-major,
utilisa la rue pour se débarrasser de deux clans rivaux et concurrents,
pensant qu’en mettant au cachot des personnalités honnies, les manifestants
allaient s’estimer satisfaits et qu’il allaient leur donner quitus, ce qui allait
leur permettre d’assurer la pérennité du « Système ».
Or, la rue ne se satisfaisait pas de la mise en prison de plusieurs dizaines
de dignitaires du clan Bouteflika, car, ce n’était pas la fin d’un clan dont
elle voulait, mais celle de tous les clans composant le « Système », à
commencer par son cœur, celui des hauts gradés.
L’armée se trouva donc dans une impasse, et pour tenter de sortir du
piège dans lequel elle était entrée, il lui fallait organiser coûte que coûte une
élection présidentielle afin de ne plus apparaître en première ligne face à la
rue.
Le 12 décembre 2019, après plusieurs mois d’immenses manifestations
baptisées hirak (mouvement), eurent lieu les élections présidentielles qui
virent la victoire Abdelmajid Tebboune, ancien ministre d’Abdelaziz
Bouteflika et qui fut même son Premier ministre du 24 mai au 15 août 2017.
Face au naufrage économique de son pays, le nouveau président algérien
avait alors une marge de manoeuvre réduite. D’autant plus qu’il allait lui
falloir tailler dans les 20 % annuels du budget de l’État consacrés au soutien
à l’habitat, aux familles, aux retraites, à la santé, aux anciens combattants,
aux démunis et à toutes les catégories vulnérables.

E. Le Maroc et ses permanences


La mort subite du sultan Mohammed V le 26 février 1961 laissait un
immense vide dans un Maroc encore traditionnel qui avait besoin d’une
réelle mutation politique pour pouvoir être en mesure d’affronter les défis
du monde qui l’entourait. successeur du défunt fut son fils Moulay Hassan,
né le 9 juillet 1929, intronisé le 3 mars 1961 sous le nom d’Hassan II et
mort le 23 juillet 1999.

Hassan II (1929-1999)
Hassan II avait été formé et préparé par son père Mohammed V (Mohamed ben
Youssef) qui l’avait associé très tôt au pouvoir50. Il avait ainsi fait ses premières
armes politiques au mois de janvier 1943 – il n’avait pas quatorze ans –, lors de la
conférence d’Anfa dans la banlieue résidentielle de Casablanca51. À cette occasion,
le président Roosevelt avait longuement reçu le sultan Mohamed ben Youssef
accompagné de son fils lequel eut également l’occasion de s’entretenir avec Churchill
et De Gaulle.
En 1944, le prince Moulay Hassan qui suivait la montée du nationalisme avait
semble-t-il été associé à la rédaction du « Manifeste du 11 janvier 1944 » dans lequel
l’indépendance était revendiquée.
Après le 14 août 1953, date de la déposition du sultan son père, le prince Moulay
Hassan suivit ce dernier dans son exil. Toujours à ses côtés, il participa ensuite
étroitement aux négociations de La Celle Saint-Cloud avec le président du Conseil
Edgar Faure assisté d’Antoine Pinay. Elles aboutirent à l’indépendance du Maroc qui
devint effective le 2 mars 1956. Celle-ci obtenue, le roi Mohammed V confia à son fils
le commandement de l’armée, puis il le désigna comme prince héritier le jour de
son 28e anniversaire, le 9 juillet 1957. En 1960 il devint vice-Premier ministre et
ministre de la défense.
En près de quarante années de règne, le roi Hassan II transforma l’« Empire
chérifien » en moderne « Royaume du Maroc ». Le pays qu’il laissa à son fils
Mohamed VI en 1999 était profondément différent de celui qu’il avait lui-même reçu
de son père Mohammed V. C’est d’abord un pays dont le centre de gravité politique
et économique a achevé de basculer vers l’Ouest52. Le Maroc qui, au début de son
règne, tournait encore le dos à la mer et vivait toujours dans un repli cloisonné par
ses massifs montagneux s’était en effet peu à peu ouvert sur le « grand large »
atlantique. Ce fut une véritable révolution car le cœur du pays se déplaça
définitivement de Fès ou de Marrakech vers Rabat et Casablanca. Avec la
« récupération » du Sahara occidental, le mouvement fut encore accéléré.
Aujourd’hui, grâce à ses trois mille kilomètres de côtes atlantiques, le Maroc est
devenu une puissance maritime.

1. Le règne d’Hassan II (1961-1999)


Dès le début de son règne, le souverain entreprit de moderniser les
institutions du royaume, le problème étant que toute réforme se heurtait au
fait que les Alaouites étant des descendants du Prophète, les monarques
marocains cumulaient toutes les fonctions de la subtile et complexe
hiérarchie marocaine.
C’est ainsi que le souverain marocain est à la fois Malik (roi), Chérif (car
descendant du Prophète), Sultan (car il détient l’autorité), Émir (car il est
chef des armées), Imam (car il est le chef de la communauté religieuse
nationale), Khalife (car il est à la fois lieutenant et glaive de Dieu) et enfin
Amir al-Mouminin (Commandeur des Croyants). Hassan II joua habilement
de tous ces éléments pour contrôler ses opposants et notamment les
fondamentalistes qui pouvaient difficilement l’attaquer sur son orthodoxie
religieuse, lui, dont la personne était sacrée et qui régnait sur un authentique
État islamique. Ces définitions expliquent également les difficultés
qu’eurent les juristes quand il leur fallut faire encadrer les pouvoirs du
souverain par les principes occidentaux du droit public exprimés dans les
Constitutions.
La première expérience démocratique marocaine fut tentée en 1961, dès
le début de son règne, quand Hassan II promulgua la « Loi fondamentale
pour le Royaume du Maroc ». L’année suivante, en 1962, la première
Constitution fut adoptée par référendum. La monarchie marocaine devenait
ainsi constitutionnelle avec pour corollaire le suffrage universel et le régime
des partis. Cependant, bien vite, deux légitimités s’affrontèrent. Celle du
souverain, Commandeur des Croyants et celle du « peuple électeur »
revendiquée par la gauche qui qualifiait la constitution d’« absolutiste ».
L’anarchie qui découla de cette opposition menaça d’emporter le trône
tiraillé et déstabilisé par le parti Istiqlal d’une part et par l’UNFP (Union
nationale des forces populaires) menée par Mehdi Ben Barka et
Abderrahim Bouabid d’autre part. Maîtres de la rue, prompts à soulever les
masses populaires et ayant placé leurs hommes dans tous les rouages de
l’État, ces deux partis firent courir de graves dangers à la monarchie et à
l’État marocain. Aux prises avec une véritable entreprise de subversion
menée par la gauche, le roi fut menacé de devenir l’otage politique de
l’Istiqlal qui, de son côté, aspirait au rôle de parti unique marocain. Entre
ces deux dangers, sa marge de manœuvre était singulièrement réduite ; et
pourtant, il réussit à se rendre maître de la situation.
En 1963 la contestation venue de la gauche fut provisoirement jugulée au
moyen d’une forte répression suivie d’une vague d’arrestations.
Entretemps, au mois d’octobre 1963, Hassan II avait eu à faire face à un
conflit militaire avec l’Algérie. Le contentieux était territorial et il résultait
des délimitations coloniales françaises qui avaient amputé le Maroc de toute
sa partie orientale, de Bechar à Timimoun et à In Salah en passant par
Tindouf. Le 6 juillet 1961, le Maroc avait pourtant signé avec le GPRA
(Gouvernement provisoire de la République algérienne) un accord stipulant
que les problèmes frontaliers existant entre les deux pays seraient résolus
par la négociation dès lors que l’Algérie aurait acquis son indépendance.
Au lendemain de l’indépendance algérienne, le roi Hassan II avait
demandé à plusieurs reprises que les commissions marocaine et algérienne
chargées de la mise en application de l’accord du 6 juillet 1961 se
réunissent afin qu’il soit possible d’entrer dans une phase concrète de
négociation. Mais le 8 octobre 1963, l’armée algérienne lança une attaque
surprise et anéantit plusieurs petites garnisons marocaines avant de tenter de
s’emparer d’Ich et de Figuig. La « guerre des sables » venait d’éclater. Elle
tourna à l’avantage de l’armée marocaine, mais le roi Hassan II accepta un
cessez-le-feu53 et la médiation de l’OUA (Organisation de l’unité africaine)
sous l’égide du président Modibo Keita du Mali et de l’Empereur
d’Éthiopie Hailé Sélassié.
Le souverain marocain qui ne voulait pas humilier davantage l’Algérie
désirait en effet régler une fois pour toutes le contentieux territorial avec
son voisin, fut-ce au prix de l’abandon de ses revendications sur des régions
pourtant historiquement marocaines, espérant qu’en retour la neutralité
d’Alger dans sa volonté de récupération du Sahara occidental espagnol lui
serait acquise54.
« La guerre des sables » n’avait pas fait envoler les menaces qui pesaient
sur le trône. C’est ainsi qu’au mois de mars 1965, de violentes émeutes
populaires secouèrent la ville de Casablanca tandis que la vie politique
continuait à être paralysée par l’opposition à la fois de l’Istiqlal et de
l’UNFP.
Au mois de juin 1965, Hassan II décida de dissoudre le Parlement et de
prendre tous les pouvoirs, utilisant, pour cela l’article 35 de la
Constitution55 et proclamant l’état d’exception afin de permettre un
fonctionnement minimal de l’État jusqu’à l’adoption de réformes
constitutionnelles. La première expérience démocratique avait vécu. C’était
un échec et le pays en sortait traumatisé.
Cette même année, les relations entre le Maroc d’Hassan II et la France
du général De Gaulle se tendirent à la suite de l’enlèvement en plein Paris,
au mois d’octobre 1965 du chef de l’UNFP, Mehdi Ben Barka. Le général
Oufkir, ministre de la Défense et collaborateur très proche du souverain fut
alors soupçonné et inculpé par la justice française avant d’être condamné
par contumace. Ce fut alors la rupture avec Paris.
À la fin de la décennie 1960, le roi pensa qu’il avait consolidé son
pouvoir et il décida alors de tenter une seconde expérience démocratique.
Au mois de juillet 1970, il soumit ainsi une nouvelle Constitution à
référendum, mais elle n’eut pas le temps de faire ses preuves car le Maroc
entra dans une période de complots sanglants.
Le 10 juillet 1971, le coup d’État de Skhirat fit ainsi vaciller le trône. Les
élèves officiers de l’Académie militaire d’Ahermoumou auxquels les
conjurés avaient fait croire que le roi avait été fait prisonnier et qu’il
convenait d’aller à son secours pénétrèrent à l’intérieur du palais royal où se
donnait une réception offerte par le souverain pour son 42e anniversaire et
ils ouvrirent le feu. Plus de deux cents morts furent à déplorer tandis que le
roi Hassan II échappait par miracle à la tuerie. Le complot avait été ourdi
par les généraux Medbou et Hababou qui furent exécutés. L’armée
marocaine fut ensuite décapitée par la purge que mena le général Oufkir.
Un an plus tard, le 16 août 1972 le même général Oufkir fut à son tour le
maître d’œuvre d’un nouveau complot quand des chasseurs de l’armée de
l’air marocaine mitraillèrent en plein ciel l’avion royal qui rentrait d’un
voyage à l’étranger, mais, son pilote parvint néanmoins à se poser à Rabat.
Une nouvelle fois, le roi avait miraculeusement échappé à la mort. Quant au
général Oufkir, selon la version officielle, il se suicida.
En 1992, Hassan II proposa une troisième Constitution mettant sur rails
une démocratie encadrée et étroitement liée au Palais royal dans la mesure
où le souverain nommait et contrôlait l’exécutif qui était de fait responsable
devant lui. La réforme constitutionnelle de 1992 opéra néanmoins une
véritable mutation du pouvoir car elle prévoyait que le souverain nomme les
ministres sur proposition du Premier ministre.
Hassan II56 eut une politique africaine57 qu’il résuma de la phrase
suivante :
« Le Maroc ressemble à un arbre dont les racines nourricières plongent
profondément dans la terre d’Afrique, et qui respire grâce à son
feuillage bruissant aux vents de l’Europe. »
Or, les racines du Maroc étant largement sahariennes, il fit de la
« récupération » de l’ancien Sahara espagnol une cause non négociable58.
En 1975, devant les hésitations espagnoles, et inquiet des manœuvres
algériennes, le roi Hassan II décida de forcer le destin. Il eut alors l’idée
d’envoyer des centaines de milliers d’hommes et de femmes prendre
pacifiquement possession de cette partie du territoire national perdue lors
des partages coloniaux. Ce fut la « Marche Verte ». Elle débuta le jeudi
6 novembre 1975 et réunit plusieurs centaines de milliers de marcheurs,
Coran à la main et dans un foisonnement de drapeaux marocains. Madrid
accepta le fait accompli et le 14 novembre fut signé l’accord tripartite
Espagne, Maroc et Mauritanie. Il prévoyait le partage de l’ancienne colonie
espagnole entre le Maroc et la Mauritanie. Au Maroc la partie nord, c’est-à-
dire la Saquia el Hamra et à la Mauritanie la partie sud ou Oued ad Dahab.
Hassan II avait donc fait « la part du feu » puisque, dans un souci de
règlement global il avait accepté d’abandonner la partie méridionale du
Sahara occidental à la Mauritanie afin de se faire un allié de Nouakchott. La
concession qui était de taille ne s’entendait cependant que parce que la
Mauritanie était devenue l’amie du Maroc. Or, l’Algérie et le Polisario
tentèrent de s’opposer à la nouvelle situation et de violents combats
éclatèrent dans l’ancien territoire espagnol.
Dans la zone marocaine, l’armée royale parvint à contenir les assaillants.
Il n’en fut pas de même au sud où l’armée mauritanienne fut surclassée, ce
qui obligea le Maroc à intervenir. Puis, le 10 juillet 1979, un coup d’État
pro-algérien eut lieu à Nouakchott et la Mauritanie qui renversa ses
alliances remit l’Oued ad Dahab au Polisario. Le 11 août, considérant que la
région se trouvait en déshérence, le roi Hassan II donna alors à son armée
l’ordre de l’occuper.
Le Sahara occidental était donc redevenu marocain en totalité. Pour le
souverain, la réussite était réelle même si le coût de cette politique était
considérable, le Maroc ayant en effet consenti d’énormes sacrifices pour
mettre en défense puis pour moderniser ces immensités désertiques. Le
problème saharien eut également des conséquences sur les relations entre
Rabat et une grande partie de l’Afrique. C’est ainsi qu’au mois de
novembre 1985, le Maroc se retira de l’OUA (Organisation de l’unité
africaine) quand cette organisation reconnut officiellement la RASD
(République arabe saharaouie démocratique).

2. Le Maroc de Mohamed VI
Le 23 juillet 1999, à la mort de son père, le roi Hassan II, son fils
Mohamed ben al-Hassan, né le 21 août 1963, lui succéda et prit comme
nom de règne Mohamed VI. Il était le 23e souverain de la dynastie alaouite.
En quelques années, le jeune souverain changea en profondeur le style de
gouvernement du Maroc. Il commença par rajeunir les cadres de l’État,
s’entourant d’hommes de sa génération, puis il entreprit de profondes
réformes tenant au statut de la femme et à l’État de droit.
Lors des élections législatives du 27 septembre 2002, sur 325 sièges, les
socialistes de l’USFP (Union socialiste des forces populaires) en
remportèrent 50, le parti nationaliste Istiqlal 48, les islamistes du PJD (Parti
de la justice et du développement) 42 et le RNI (Rassemblement des
indépendants) 41. Le roi Mohamed VI nomma un gestionnaire, Driss Jettou
comme Premier ministre.
Le 7 septembre 2007, alors que les sondages les donnaient vainqueurs,
les islamistes du PJD (Parti de la justice et du développement)59 n’obtinrent
que 40 sièges sur 295 et ils furent battus par l’Istiqlal (46 sièges) tandis que
les socialistes de l’USFP connaissaient une défaite historique avec 33
sièges, se trouvant dépassés par deux autres partis, le MP (Mouvement
populaire) qui obtint 36 sièges et le RNI, 34 sièges. Tout naturellement, le
leader de l’Istiqlal, M. Abbas El Fassi fut nommé Premier ministre.
De même que l’Algérie, le Maroc échappa aux convulsions de l’année
2011 dites « printemps arabe », mais pour des raisons différentes.
Au Maroc où la situation sociale était dégradée et où le chômage des
jeunes diplômés était dramatiquement élevé, quelques dizaines de milliers
de manifestants se rassemblèrent à partir du 30 janvier 2011 dans un
mouvement de protestation qui culmina le 20 février. Cependant, dès le
9 mars, il suffit que le roi annonce une réforme constitutionnelle pour que
cette contestation s’étiole et finisse par ne plus rassembler que quelques
poignées d’irréductibles contestataires. Décrédibilisés, les manifestants
furent ensuite dispersés sans ménagement par la police. Le Maroc avait
échappé à la contagion du « printemps arabe ».
À peine bousculée par le « Mouvement du 20 février », la monarchie
précéda en quelque sorte la contestation avec le référendum du 1er juillet
2011 portant sur une nouvelle Constitution, suivi le 25 novembre par des
élections législatives anticipées.
Le roi ne se laissa donc pas déborder par une rue agitée par une
opposition ni réformiste, ni démocratique, mais bel et bien radicale et
révolutionnaire puisqu’elle contestait les bases mêmes du régime. Le
« Mouvement du 20 février » était en effet un hétéroclite rassemblement des
mécontents composé de deux grands courants, le premier, clairement
révolutionnaire et laïc, le second islamiste fondamentaliste :
1. la gauche radicale essentiellement composée de groupuscules
gauchistes étudiants, de l’Alliance de la gauche démocratique (AGD) et
de la Confédération démocratique du travail (CDT) demandait
l’instauration d’une assemblée constituante, donc la fin de la
monarchie ;
2. les islamistes radicaux voulaient quant à eux abolir la notion de
Commandeur des Croyants. Pour les islamistes d’Al Adl wal Ihsane
(Association justice et bienfaisance), la monarchie marocaine est
condamnable pour deux raisons :
• la première parce qu’elle est héréditaire ; or, pour ces
fondamentalistes, sortes de néo-kharijites, le chef politique et
religieux, le Khalife, doit être élu par tous les musulmans, la direction
de la communauté, la Umma, devant être confiée par élection au
« meilleur » des siens et non « confisquée » par une lignée ;
• la seconde est qu’ils combattent l’État marocain, comme tous les
autres États musulmans, car, selon eux, ce dernier participe à la
fragmentation de l’umma qui empêche la création du khalifat
transfrontalier universel qu’ils rêvent d’instaurer.
Cette double contestation des deux piliers du régime marocain n’avait
donc rien d’une revendication pour plus de liberté et il ne s’agissait pas de
lutter pour une démocratisation du régime, mais pour son renversement.

3. Les réformes constitutionnelles de 2012 et leurs


conséquences
Ne restant pas sans réaction face au mouvement, le roi Mohamed VI
procéda à de profondes réformes. Avec celle de la Constitution de 2011, un
véritable toilettage des institutions fut opéré, même si, en apparence, les
changements peuvent paraître limités.
Le projet de réforme constitutionnelle présenté le 17 juin par le souverain
et qui visait, selon ses propres paroles, à « consolider les piliers d’une
monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale » fut
massivement adopté par référendum le 1er juillet par 98 % des votants avec
un taux record de participation atteignant pratiquement 73 %. Pour
mémoire, en 2007, lors des élections législatives, le taux d’abstention avait
été de 67 % et en 2002 de 48,6 %. Avec 2 % de « non », les oppositions
radicales qui s’étaient retrouvées dans le « mouvement du 20 février » se
comptèrent alors.
Quelles sont les nouveautés introduites par cette réforme
constitutionnelle ?
1. L’article 1er de la Constitution de 1992 stipulait que : « Le Maroc est
une monarchie constitutionnelle, démocratique et sociale ». Désormais,
« le Maroc est une monarchie constitutionnelle, démocratique,
parlementaire et sociale ».
2. Dans la Constitution de 1992, la personne du roi concentrait en les
fusionnant les pouvoirs temporel et spirituel qui, désormais, sont
scindés :
– comme Commandeur des Croyants (Amir al mouminime), il « veille au
respect de l’islam et préside le Conseil supérieur des Oulemas » ;
– en tant que chef de l’État il est « son représentant suprême, symbole de
l’unité de la nation, garant de la pérennité et de la continuité de l’État et
arbitre suprême entre ses institutions ».
3. Dans la Constitution de 1992, la personne du roi était « inviolable et
sacrée ». Désormais, « la personne du roi est inviolable et respect lui est
dû ».
4. La Constitution de 1992 prévoyait que « le roi nomme le Premier
ministre ». Désormais « le roi nomme le chef du gouvernement au sein
du parti politique arrivé en tête des élections des membres de la
Chambre des représentants ». Fut donc entérinée et inscrite dans la
Constitution une pratique politique déjà en vigueur, à savoir la
nomination d’un Premier ministre issu du parti politique ayant remporté
les élections législatives.
5. Une nouveauté de poids fut introduite dans la mesure où le Premier
ministre a désormais la possibilité, tout comme le souverain, de
dissoudre la chambre des représentants, ce qui, auparavant, relevait de
la seule discrétion du monarque.
6. Afin d’éviter le « nomadisme » partisan et les « magouilles »
parlementaires, « Tout membre de l’une des deux Chambres qui
renonce à son appartenance politique au nom de laquelle il s’est porté
candidat […] est déchu de son mandat ». La Constitution met ainsi fin à
une pratique qui scandalisait l’opinion et qui voyait les députés changer
de parti au gré des avantages qui leur étaient proposés.
7. L’officialisation de la langue tamazight (le berbère) comme deuxième
langue nationale aux côtés de l’arabe est également inscrite dans la
nouvelle constitution. Il s’agit d’une mesure visant à renforcer la
cohésion nationale. L’Article 5 de la Constitution de 2011 stipule ainsi
que :
« […] l’arabe demeure la langue officielle de l’État. L’État œuvre à la
protection et au développement de la langue arabe, ainsi qu’à la
promotion de son utilisation. De même, l’amazigh constitue une langue
officielle de l’État, en tant que patrimoine commun à tous les
Marocains sans exception60 ».
Désormais, comme l’écrit Hamid Barrada :
« […] on est en présence d’une nouvelle monarchie. Le roi s’est délesté
des pouvoirs exécutif et législatif et conserve des charges régaliennes
par excellence. » (Jeune Afrique, 21 juillet 2013)
Après celles de 2011, les élections législatives du mois d’octobre 2016
ont vu une nouvelle victoire du PJD (Parti de la justice et du
développement) dont la ligne est proche de celle des Frères musulmans. Ces
islamistes qui ont longtemps combattu la monarchie au nom du califat
universel semblaient s’être finalement ralliés au roi « commandeur des
croyants ».

1. Il fut inauguré le 15 janvier 1971.


2. L’armée israélienne occupa le Sinaï, contrôlant donc les réserves de pétrole égyptiennes, et prit
pied sur la rive asiatique du canal de Suez.
3. Quelques mois avant sa mort, il déclarait : « Je n’ai pas de rêve personnel. Je n’ai pas de vie
personnelle. Je n’ai rien de personnel » (New York Times, mars 1969).
4. Mais il ne l’emporta définitivement que le 2 mai 1971 après avoir fait arrêter pour conspiration
l’équipe d’Ali Sabri.
5. Il avait d’ailleurs proposé une solution politique au mois de février 1971.
6. Son assassinat perpétré par le sous-lieutenant d’artillerie Khalid Hassan Chafiq fut organisé par
une l’organisation islamiste radicale Takfir wal Hijra qui avait succédé à l’Organisation de
libération islamique. Assis à la droite du président Sadate, le vice-président Hosni Moubarak
échappa à la mort en ayant le réflexe de se jeter à terre.
7. Chef en arabe. En Égypte raïs est le titre porté par le chef de l’État.
8. Au motif que tous les candidats élus appartenaient à des partis politiques alors que la Constitution
prévoyait qu’un tiers des sièges auraient dû être réservés à des candidats hors partis.
9. Parallèlement, le régime islamiste chercha à museler la presse. Entre l’élection du président Morsi
et son éviction, il y eut ainsi quatre fois plus de plaintes contre des journalistes que durant les trois
décennies du régime Moubarak.
10. Les élections donnèrent toute légitimité démocratique aux islamistes. Ce fut en effet le plus
légalement, par les urnes, que les Frères musulmans arrivèrent au pouvoir et cela, à travers
plusieurs scrutins libres :
1. entre novembre 2011 et janvier 2012, les élections à l’Assemblée constituante virent l’écrasante
victoire des candidats islamistes puisque les Frères musulmans et les salafistes obtinrent les 2/3
des députés ;
2. au mois de juin 2012, à l’issue d’un scrutin au suffrage universel, le Frère musulman Mohamed
Morsi fut élu au second tour avec 51,6 % des voix contre Ahmed Chafik ;
3. étant majoritaires à l’Assemblée constituante, ce fut tout naturellement que les islamistes
rédigèrent et firent voter une Constitution selon leurs vœux ;
4. samedi 15 décembre et samedi 22 décembre 2012, cette Constitution fut soumise à référendum et
les islamistes remportèrent une nouvelle victoire puisque le « oui » obtint 63,8 % des voix.
11. Au mois d’août 2012, le président Morsi avait nommé un nouveau chef d’état-major et ministre
de la Défense pour remplacer le maréchal Tantawi, l’homme qui, dans les années 1970, avait purgé
l’armée de ses éléments islamistes, pour le remplacer par le général Abdel Fattah al-Sissi, ancien
chef du renseignement militaire qui était réputé proche des Frères musulmans.
12. L’expression est de Christiane Souriau.
13. 15 % seulement de la population du pays est détribalisée et vit en majorité dans les villes de
Tripoli et de Misrata (Al-Haram Weekly).
14. La classification la plus complète est la plus fine des tribus de Libye a été faite par le colonel
Enrico de Agostini (1917 et 1987).
15. La tribu du colonel Kadhafi, les Qadhafda, dont le cœur est la ville de Sebha, est numériquement
peu importante avec ses 150 000 membres, mais elle occupe un espace stratégique à la jonction de
la Tripolitaine et de la Cyrénaïque et à la verticale reliant la Méditerranée au cœur du Sahara, de
Syrte à Mourzouk. Elle fait ainsi le lien avec les Toubou et les Touareg, ce qui explique les
alliances du régime Kadhafi et son attirance pour le sud saharien et sahélien. Cette tribu chamelière
engagée dans le commerce à longue distance était traditionnellement alliée aux Warfalla.
16. Les Margarha qui constituent la seconde tribu en importance, ont longtemps donné le numéro 2
du régime en la personne du commandant Abdeslam Jalloud chef de la tribu. Son centre est la ville
de Waddan à environ 280 km au sud de Syrte.
17. Dans son livre Escapade en enfer (2000), Guy Georgy rapporte des propos de Mouammar
Kadhafi résumant parfaitement bien le sentiment de ce dernier face à la ville : « qu’est ce que je
convoite, moi, le bédouin perdu dans une ville moderne et folle ». Le colonel Kadhafi déclara
également qu’« il avait toujours préféré la vie bédouine, la tente vagabonde, la steppe et le troupeau
de chameaux à toutes les commodités de la ville ». (Ouannes, 2009 : 270)
18. Avec plus d’un million de membres, les Warfalla forment la principale tribu de Libye. Ils sont
divisés en plusieurs dizaines de clans que l’on retrouve dans toute la partie septentrionale du pays,
avec une assise en Cyrénaïque dans la région des villes de Benghazi et de Darnah ; ils sont
également présents en Tripolitaine avec pour centre Beni Walid.
19. Voir à ce sujet Ouannes (2009 : 305). Cette haine explique largement les prises de position
contradictoires durant la guerre otano-libyenne.
20. Confédération al-Bahar, groupe Mahamid al-Sharqiyin.
21. Le cas particulier des Touareg peut être expliqué pour deux raisons. La première est le tropisme
saharien du colonel Kadhafi ; la seconde tient au fait que pour ce dernier, et à la différence des
berbérophones du nord ouest, les Touareg n’avaient pas de revendication « séparatiste ».Pour tout
ce qui concerne les relations entre les Touareg et l’État libyen, il est indispensable de se reporter à
Dida Badi (2010).
22. Ses résurgences furent à l’origine des évènements du Mali des années 2011-2012, lors du
soulèvement du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) (voir p. 855 et suivantes).
23. Voir à ce sujet Lugan (2015b).
24. Le colonel Kadhafi qui ne faisait pas confiance à l’armée qui avait à plusieurs reprises comploté
contre lui, constitua une force qui lui était dévouée et qui était composée de sept brigades bien
équipées et bien payées, placées sous les ordres de membres de sa famille ou de sa tribu. Quant à
l’armée proprement dite, après les échecs tchadiens, elle n’était plus réellement opérationnelle et
son matériel était largement obsolète (Haddad, 2012).
25. Le colonel Kadhafi sut tenir sa politique pétrolière à l’écart de ses aventures internationales. C’est
ainsi, alors qu’ils avaient décrété un embargo, le pétrole libyen ne cessa jamais de couler aux États-
Unis à travers des sociétés canadiennes à capitaux américains.
26. En 1999, les sanctions furent levées quand Tripoli livra ses deux agents.
27. L’évocation d’un transfert de la direction des opérations de la coalition à l’OTAN fit que la
Norvège suspendit sa participation à la coalition. L’Opération Harmattan fut le volet français de
l’opération menée par la coalition internationale qui s’est déroulée du 19 mars au 31 octobre 2011.
Le nom de l’opération britannique fut Ellamy, celle des États-Unis eut pour nom de code Odyssey,
quant au Canada, il baptisa la sienne du nom de Mobile.
Durant cette opération, l’aviation française largua 950 bombes et tira 240 missiles air-sol dont 15
Scalp et 225 A2SM. Les hélicoptères français lancèrent 431 missiles Hot cependant que la marine
nationale tira 3 000 obus de 100 et de 78 mm.
28. « Gardiennes autoproclamées de la révolution et fortes d’une légitimité issue des combats contre
le régime de Kadhafi, les milices révolutionnaires se posent à la fois en concurrentes du pouvoir
politique et de son bras armé tout en suppléant aux faiblesses du pouvoir dans le domaine
sécuritaire » (Haddad, 2013 : 326).
29. La Turquie s’engagea directement sur le terrain et ses forces spéciales bloquèrent le général
Haftar aux portes de Tripoli.
30. Sur Ben Salah, voir le livre apologétique et daté de Marc Nerfin (1974), celui de Noura Borsali
(2008) et celui de Ben Salah lui-même (2008).
31. Il s’évada au mois de février 1973 et se réfugia en Algérie. Au mois de mai 1988, le président
Ben Ali le gracia et il rentra en Tunisie.
32. L’UGTT parla de centaines de morts.
33. Le 18 mars 1975 par un vote de l’Assemblée nationale, Habib Bourguiba était devenu président à
vie à titre personnel pour services rendus au pays.
34. Né le 3 septembre 1936, il est diplômé de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr. En 1964, à son
retour en Tunisie, il fut chargé de la création de la direction de la sécurité militaire, puis il eut une
carrière diplomatique étant nommé attaché militaire au Maroc puis en Espagne. Au mois de
janvier 1978, en pleine insurrection, il devint le chef de la Sûreté générale, puis il redémarra une
carrière diplomatique en étant nommé ambassadeur en Pologne.
35. En 2011, la baisse des IED (Investissements étrangers directs) fut de 30 %, or, avant la
révolution, ils permettaient de créer annuellement 25 % de tous les nouveaux emplois.
36. Notamment ceux du musée du Bardo le 18 mars 2015, de l’hôtel de Sousse le 26 juin et du bus de
la garde présidentielle le 24 novembre.
37. Né en 1927 dans le Constantinois, apparatchik austère, sans le moindre charisme et à l’allure
sévère, Mohamed Brahim Boukharouba, devenu Houari Boumedienne dans la clandestinité avait
reçu une formation musulmane classique dans les universités islamiques de Tunis et du Caire.
38. Né en 1929 près de Bône dans une famille aisée. Il fut un militant du MTLD avant de rejoindre
un maquis sur la frontière tunisienne à la fin de l’année 1955. En 1960, il fit partie de l’état-major
de la Zone opérationnelle Nord (ZON) de l’ALN basée en Tunisie, puis il suivit fidèlement
Boumediene et Ben Bella alors partenaires. En 1963, il reçut le commandement de la région
militaire de Constantine, puis en 1964 celui de la région militaire d’Oran. En 1965 Boumedienne le
fit entrer au Conseil de la révolution qui était l’instance suprême du régime.
39. Durant les années 1990-2000, le programme de planification familiale permit de faire baisser
l’indice synthétique de fécondité (ISF) de 4,5 enfants par femme en 1990 à 2,8 en 2008. Or, signe
de la ré-islamisation du pays, en 2014, l’ISF y avait rebondi à 3,03. Résultat, en 2016 la population
algérienne était de 40 millions d’habitants en ne comptant toutefois que les seuls résidents. Pour
mémoire, en 1830 elle était estimée à 1 million.
40. Le « printemps berbère » de 1980 ou Tafsut Imazighen constitue le retour en force de la berbérité
qui fit une intrusion remarquée dans le paysage politique algérien, faisant éclater le mythe de
l’arabité plaqué avec volontarisme sur le pays depuis 1962. Puis, à partir de 2001, à la suite des
émeutes qui secouèrent la Kabylie, les véritables solidarités réapparurent autour des tribus et (ou)
des clans (arch) marquant ainsi le retour à la longue histoire, à celle d’avant la colonisation, et
même d’avant l’islamisation même.
41. Né en 1919 à M’Sila, militant du PPA puis de l’OS il fut un des fondateurs du FLN avant d’être
arrêté au mois d’octobre 1956 lors de l’interception de l’avion marocain qui le transportait avec les
autres chefs du mouvement.
42. Certains groupes durent alors se réfugier dans les casernes pour échapper aux GIA lancés à leur
poursuite.
43. Né le 2 mars 1937 à Oujda au Maroc, sa famille était originaire de Tlemcen. À 18 ans, en 1956, il
rejoignit l’ALN à Oujda et participa à la direction de la base arrière de la wilaya 5, celle de l’Oranie
qui y était installée. C’est là qu’il fit la connaissance du lieutenant Houari Boumedienne. En 1963,
Bouteflika fut nommé ministre des Affaires étrangères. Il avait à peine 26 ans. Au début du mois de
mai 1965, Ben Bella le limogea. Le 19 juin, Ben Bella fut arrêté et le colonel Boumedienne prit le
pouvoir à la tête d’un Conseil de la révolution. Bouteflika redevint ministre des Affaires étrangères.
Dans la réalité, il était le numéro 2 du régime. Après la mort de Boumedienne en décembre 1978, il
subit une véritable « traversée du désert », le président Chadli Bendjedid se livrant à une
« déboumediennisation » de la société algérienne. En 1981, après avoir été exclu du comité central
du FLN, il choisit l’exil en Suisse.
44. Durant le mois de ramadan, plus de 500 morts furent à déplorer dans des tueries cruelles, comme
celle de 17 collégiens égorgés dans leur dortoir du lycée professionnel de Médéa. C’est même une
véritable guerre qui se déroula alors, puisque, durant la seule semaine du 11 au 16 décembre 2000,
plus de cent civils furent massacrés tandis que l’armée perdait au combat une soixantaine
d’hommes à travers tout le pays.
45. « L’État consacre annuellement 20 % de ses dépenses au soutien à l’habitat, aux familles, aux
retraites, à la santé, aux anciens combattants, aux démunis et à d’autres catégories vulnérables »
((Dris-Aït Hamadouche, 2012). L’État subventionnait les produits de première nécessité comme le
blé, le lait, le sucre et l’huile. Avec 70 milliards de dollars par an, les subventions (essence,
électricité, logement, transports, produits alimentaires de base, etc.) totalisaient entre 25 % et 30 %
du PIB. Pour mémoire, le litre de gazole était vendu à environ 0,10 euro le litre
46. Amara Benyounès, ministre du Commerce, Le Soir d’Algérie, 18 juin 2015.
47. Selon l’ancien ministre Abdeslam Ali Rachidi, le budget des anciens combattants (anciens
moudjahidine atteint 248 milliards de dinars (2,1 milliards d’euros) alors que, selon ses dires « tout
le monde sait que 90 % sont de faux anciens combattants » (El Watan, 1er décembre 2015).
48. Pour le gaz, le pic de 90 milliards de mètres cubes fut atteint au milieu des années 2000, puis la
production déclina. Or, parallèlement à la baisse de la production, la consommation interne ayant
augmenté de 7 % par an, l’Algérie va donc avoir de moins en moins de quantités à mettre sur le
marché et ses recettes extérieures vont donc baisser. De plus, Gazprom est en mesure de fournir à
l’Europe le gaz russe entre 10 à 15 % moins cher que celui produit par l’Algérie. Et enfin, depuis
2014, devenu autonome grâce à ses gisements non conventionnels, le client américain qui
représentait entre 30 et 35 % des recettes de la Sonatrach a disparu.
49. Nous avons vu plus haut que fin août 1956, en Kabylie, les représentants de 4 des 5 willayas de
l’intérieur avaient discuté de l’avenir de la future Algérie indépendante. L’accord s’était fait sur
trois grands points : primauté du politique sur le militaire, primauté des combattants de l’intérieur
sur les structures politico-militaires de l’extérieur et refus de tout projet théocratique islamique. Le
résultat fut qu’une guerre fratricide éclata à l’intérieur du mouvement nationaliste, ceux qui étaient
réfugiés au Caire et à Tunis accusant les congressistes de la Soummam d’avoir réalisé un coup de
force berbère. Ils rejetèrent donc ses conclusions et son concepteur, Abane Ramdane fut étranglé
par les tenants de la ligne arabo-islamiste. Puis, ces derniers firent un coup de force durant l’été
1962. Leurs héritiers qui formaient le cœur du « Système » algérien ne voulaient naturellement pas
lâcher le pouvoir et ses « avantages ».
50. Sur la jeunesse du prince Moulay Hassan et sur son règne jusqu’en 1968, le livre
d’A. Benmansour, « Hassan II, sa vie, sa lutte et ses réalisations », publié en langue arabe à Rabat
en 1969 est irremplaçable par les précisions et les détails qu’il contient. Il s’agit d’une véritable
chronique du règne, contenant naturellement une part d’hagiographie, trop peu utilisée par les
historiens.
51. À l’issue de la Conférence, les Alliés décidèrent que l’objectif final de la guerre était la
capitulation sans conditions de l’Allemagne et du Japon.
52. Le mouvement avait été initié par Lyautey.
53. Le général Kettani, ancien général de l’armée française avait proposé à Hassan II un plan
d’offensive à travers le Sahara visant précisément le reconquête des régions marocaines que la
France avait rattachées à l’Algérie. Le souverain lui avait répondu : « […] ça ne servira à rien, moi
je pars du principe, peut-être cynique, que lorsqu’on fait la guerre à quelqu’un c’est pour avoir la
paix pendant au moins une génération. Si on n’est pas assuré de la tranquillité pendant trente ans
après avoir mis au tapis son adversaire, il vaut mieux éviter de lancer une opération militaire, parce
qu’on défigure le présent, on compromet l’avenir, on tue des hommes, on dépense de l’argent, pour
recommencer quatre on cinq années après » (Hassan II, 1993 : 86).
54. Il se trompait car, à partir de 1975, l’Algérie arma et soutint les combattants du Polisario.
55. L’équivalent de « l’article 16 » dans la Constitution française de 1958.
56. Le roi Hassan II fut également l’artisan des débuts du rapprochement israélo-arabe car c’est lui
qui ouvrit le long chemin qui allait mener à la paix entre Israël et ses voisins arabes quand, au mois
de mars 1981, à Marrakech, il reçut le chef de l’opposition israélienne, M. Shimon Peres.
57. Hassan II s’est toujours intéressé à l’Afrique sud-saharienne, n’hésitant pas à s’y impliquer
directement en intervenant militairement et par deux fois au Zaïre en 1977 et en 1979 quand les
Angolais appuyés par des contingents cubains envahirent le Katanga, menaçant directement le
régime du président Mobutu. Le monde était alors coupé en deux par la « guerre froide ».
58. Cette grande affaire du règne fut résumée d’une phrase par le roi Hassan II : « […] en récupérant
leur Sahara, les Marocains ne font que renouer avec les hauts lieux qui furent, par le passé, le
creuset de leurs dynasties, le point de départ de leur rayonnement au-delà de leurs frontières et les
racines nourricières de l’arbre qui constitue leur communauté. »
59. Le vote islamiste fut essentiellement urbain, 23 des 40 sièges du PJD ayant été conquis à
Casablanca, Salé, Rabat, Meknès et Tanger. En revanche, les campagnes ne donnèrent que peu de
voix à ses candidats. Le Maroc doit faire face à une tentative de subversion de la part de noyaux
terroristes issus de la mouvance islamiste. Le 11 mars 2007 un attentat-suicide s’est ainsi produit
dans un cyber-café de Casablanca et il ne s’est pas passé de mois sans que des terroristes qui
s’apprêtaient à commettre des attentats n’aient été mis hors d’état de nuire.
60. Cette formulation fut le résultat d’une subtile négociation suivie d’un compromis historique.
L’officialisation du tamazight fut en effet longtemps refusée à la fois par les nationalistes de
l’Istiqlal, parti que l’on pourrait qualifier d’arabo-andalou, et par les islamistes du PJD (Parti de la
Justice et du développement), tous deux partisans du panarabisme.
Chapitre III.
L’Ouest africain atlantique de 1960 à 2020

Durant la période 1960-2020, le monde ouest africain atlantique a connu


plusieurs grandes crises, toutes à base ethnique. Dans la décennie « 1990 »,
la poussée des peuples du Sahel vers l’Océan a repris, mouvement qui avait
été bloqué à la fin du XIXe siècle par la colonisation. La tectonique ethnique
ouest africaine atlantique s’étant dès lors mise à bouger, et comme les
peuples concernés sont « à cheval » sur les artificielles frontières
régionales, les conflits ont débordé sur les pays voisins. C’est ainsi que la
guerre du Liberia a fait tâche d’huile en Sierra Leone avant de s’étendre à la
Guinée, tandis que les évènements de Côte d’Ivoire ont eu des
répercussions au Liberia et au Burkina Faso (Galy, 2008).

A. Mauritanie et Sénégal
Séparés par le fleuve Sénégal, la République islamique de Mauritanie et
la République du Sénégal ont un temps entretenu des rapports tendus et
même conflictuels puisque, entre 1989 et 1991, un conflit les opposa,
faisant des dizaines de milliers de réfugiés. La région du fleuve constitue en
effet à la fois une zone de contact entre populations différentes et un rift
ethno-racial car elle est habitée à la fois par des agriculteurs noirs Wolof,
Bambara ou Soninké et par des pasteurs « blancs » d’origine arabo-berbère,
ainsi que par des nomades peul.

1. La République islamique de Mauritanie


En 1920, la France avait regroupé les quatre émirats, de l’Adrar, du
Brakna, du Tagant et du Trarza pour en faire la Mauritanie qui fut rattachée
à l’Afrique occidentale française (AOF) avec pour capitale Saint-Louis du
Sénégal.
En 1958, Paris décida de faire de la région un État indépendant qui prit le
nom de République islamique de Mauritanie avec une capitale, Nouakchott,
puis le pays accéda à l’indépendance en 1960. Rabat protesta alors auprès
de l’ONU et ne reconnut pas ce nouvel État, suivi en cela par les pays
membres de la Ligue Arabe, à l’exception de la Tunisie.
La Mauritanie indépendante qui vécut plusieurs années dans la crainte
des revendications marocaines1 vit dans l’éventuelle création d’un « État »
saharaoui le moyen de créer un « tampon » entre le puissant voisin du nord
et elle. Le roi Hassan II qui avait bien conscience du problème décida de se
rapprocher de la Mauritanie, ce qui se fit en deux étapes : en 1967, Rabat
reconnut Nouakchott et en 1975, accepta qu’elle obtienne la partie sud de
l’ancien Sahara espagnol dont elle fit l’Oued ad Dahab. Cependant, le
10 juillet 1978, à la suite d’un coup d’État militaire, le président Ould Dada
fut remplacé par le colonel Ould Mohamed Salek et, comme nous l’avons
vu, la Mauritanie renversa ses alliances et se tourna vers l’Algérie, ce qui
entraîna l’annexion par le Maroc de l’Oued ad Dahab.
Au mois d’avril 1986 les FLAM (Forces de libération des Africains)
publièrent un document intitulé Le Manifeste du Négro-Mauritanien
opprimé dans lequel était dénoncée la mainmise des Maures sur l’État. Ce
document était le révélateur de la profonde crise opposant la minorité
« Nègre » à la majorité maure.
Au mois de janvier 1988 les tensions entre Maures et Négro-
Mauritaniens se traduisirent par la radiation de 500 sous-officiers négro-
africains de l’armée et le 26 avril 1989 une crise éclata entre le Sénégal et la
Mauritanie à la suite du massacre de plusieurs dizaines de Sénégalais à
Nouakchott. Le 21 août 1989 la Mauritanie rompit ses relations
diplomatiques avec le Sénégal2.
En juillet 1991 le multipartisme fut instauré et le 24 juillet 1992,
Maaouiya ould Taya fut élu Président de la république avant d’être réélu le
7 novembre 2003. Le 3 août 2005, il fut renversé par un « Conseil militaire
pour la justice et la démocratie » présidé par le colonel Ely ould
Mohammed Vall qui demeura au pouvoir jusqu’au mois d’avril 2007, date
des élections présidentielles pluralistes auxquelles se présentèrent dix-neuf
candidats3 et qui virent la victoire au second tour de Sidi Mohamed Ould
Cheikh Abdallahi qui l’emporta avec 52,89 % des voix face à Ahmed Ould
Daddah.
Le 6 août 2008, un putsch militaire mené par le général Mohamed ould
Abdel Aziz renversa le premier président démocratiquement élu depuis
l’indépendance de la Mauritanie. Puis, en 2009, après une période de
transition ayant succédé au coup d’État, Mohamed Ould Abdelaziz fut élu à
le présidence. Il fut réélu en 2014.

2. La république du Sénégal
L’indépendance du Sénégal se fit le 11 septembre 1960 après
l’éclatement de la Fédération du Mali4. Le premier président de la
République fut Léopold Sédar Senghor. Abdou Diouf devint président de la
république le 31 décembre 1981 quand le président Senghor lui céda le
pouvoir. Il termina le mandat de son prédécesseur puis il remporta les
élections de 1983 avec plus de 83 % des suffrages et fut constamment réélu
jusqu’en 2000.
Élu le 19 mars 2000, Abdoulaye Wade5, chef du PDS (Parti
démocratique sénégalais) triompha d’Abdou Diouf en obtenant 58,5 % des
suffrages. Il fut réélu en 2007 dès le premier tour avec 55,86 des voix. Son
successeur fut Macky Sall élu une première fois au mois de mars 2012, puis
réélu au mois de février 2019.
La question ethnique se pose au Sénégal en termes différents du reste de l’Afrique
dans la mesure où une ethnie, celle des Wolofs est non seulement
démographiquement dominante, mais encore en passe d’établir sa domination sur le
pays. On a ainsi pu parler de « wolofisation » du Sénégal. Le mouvement connaît
d’ailleurs une accélération depuis le départ du président Senghor qui avait la
particularité dans ce pays quasi-totalement musulman d’être catholique et Sérère. Au
premier tour des élections présidentielles de 2007, sur les 8 candidats, sept étaient
Wolofs. Le seul candidat n’appartenant pas à cette ethnie, M. Djobo Kâ, un Peul, a
obtenu 7 % des voix.

À l’exception de la Casamance6 le Sénégal n’a pas connu de problèmes


majeurs depuis la décolonisation. Si le problème ethnique national est
inexistant au Sénégal, un problème ethnique régional se posait en revanche
en Casamance où la colonisation française freina un temps le mouvement
séculaire de refoulement des Diolas vers la mer sous la pression des
Malinkés ou Mandingues musulmans. Or, avec l’indépendance du Sénégal,
cette poussée a repris, d’où la question de la Casamance, région méridionale
du Sénégal ayant une superficie de 28 350 km2 et une population d’un peu
moins d’un million d’habitants.
Le 12 mai 1886, la France prit pied dans la région quand, par convention
franco-portugaise, Lisbonne lui remit son comptoir de Ziguinchor. Paris
proposa ensuite en vain à Londres un échange territorial qui aurait permis à
la colonie du Sénégal d’être agrandie de la Gambie. En conséquence de
quoi, le 10 août 1889, la France et la Grande-Bretagne fixèrent les limites
de la Gambie, artificielle langue territoriale qui interdisait toute continuité
territoriale au Sénégal, mutilant d’une manière irrversible les zones
ethniques.
Difficile à administrer, la Casamance posa bien des problèmes à l’autorité
coloniale française et l’évolution vers l’indépendance y fut différente du
reste du Sénégal où la SFIO était toute puissante. Ici, ce fut au contraire un
mouvement régionaliste, le MFDC (Mouvement des forces démocratiques
de Casamance), créé en mars 1947 à Sedhiou, qui anima le débat politique
(Roche, 2000).
Après l’indépendance du Sénégal et surtout à partir de 1970, la tension
monta en Casamance quand les Diolas, majoritaires en basse Casamance
reprochèrent au gouvernement sénégalais de les tenir à l’écart de la gestion
de leur région. Le climat était également empoisonné par le sentiment
d’impuissance qu’avaient les mêmes Diolas face à l’expansion des nordistes
dont ils avaient fait les frais par le passé quand les islamisés du nord les
capturaient pour en faire des esclaves. Le 26 décembre 1982 une marche se
fit à Zinguinchor, chef-lieu de la région de Casamance pour protester contre
l’« invasion » des nordistes, mais elle tourna au bain de sang. Dans les
années qui suivirent, le MFDC créa une branche militaire et les premiers
maquis furent constitués. La « guerre » de Casamance venait de débuter.
Le but des ultras de la lutte de la Casamance fut la constitution d’un État
diola englobant, outre la Casamance, une partie de la Gambie et de la
Guinée-Bissau. Plusieurs cessez-le-feu furent signés, dont celui de Cacheu
en Guinée-Bissau en 1991, mais ils ne réglèrent pas la question. Le
22 janvier 1999, la rencontre entre le président Abdou Diouf et l’abbé
Augustin Diamacoune Senghor, secrétaire général du MFDC sembla sonner
l’heure de la réconciliation mais les accrochages de la fin de l’année
montrèrent qu’il n’en était rien.
Un autre accord de cessez-le-feu fut signé au mois de janvier 2000 à
Banjul celui-là et des négociations se poursuivirent ensuite pour tenter de
ramener la paix dans cette région, mais au mois d’avril, de graves incidents
éclatèrent.
En 2003, après la mort de Sidhi Badji, chef de la branche armée du
MFDC, l’Atika (flèche en diola), les négociations de paix reprirent et le
30 décembre 2004, un accord de paix fut signé entre le président Abdoulay
Wade et l’abbé Augustin Diamacoune Senghor qui mourut en 2007 à l’âge
de 78 ans. Le calme ne revint pas pour autant car au mois de janvier 2007,
Oumar Lamine Badji, président du conseil régional de Ziguinchor fut
assassiné par des dissidents du MFDC dirigés par Salif Sadio. Depuis cette
date, les attaques de véhicules, l’explosion de mines et les intimidations
sont redevenues fréquentes. Le 22 juillet 2008, l’axe routier Ziguinchor-
Bignona a même été coupé durant plusieurs heures par plusieurs dizaines
d’hommes armés qui ont attaqué un bus et plusieurs voitures.
B. La Guinée et son ethno-fédéralisme
Trois grandes ethnies, les Peul, les Soso (ou Soussou) et les Malinké
totalisent environ 80 % de la population de la Guinée (quasiment
12 millions d’habitants en 2018). La vie politique du pays se joue donc à
trois. Même si la Constitution interdit la création de partis politiques sur une
base ethnique, dans la réalité, toute la vie politique nationale repose sur
l’ethnisme7.

1. Les clés ethniques de la question guinéenne


La géographie physique et la géographie ethnique de la Guinée se
juxtaposent presque parfaitement. Le pays est composé de quatre grandes
régions naturelles :
1. la Guinée maritime, façade littorale du pays est le territoire des Soso,
environ 15 % de la population totale. Au nord-ouest de Conakry, en
direction de la frontière avec la Guinée-Bissau, le littoral est peuplé par
de petites ethnies comme les Baga, les Landuma, les Nalu, les
Mbulungish, les Mbala-Mboteni, etc., qui totalisent environ 8 % de la
population de la Guinée. La Guinée maritime abrite près de 75 % des
Soso ;
2. la Moyenne Guinée, région des hautes terres du Fouta Djalon couvre
environ 1/3 de la superficie du pays. C’est le fief des Peul, ethnie qui
rassemble ± 40 % de la population de la Guinée. La Moyenne Guinée
abrite 80 % des Peul ;
3. la Haute Guinée qui est une région de savanes recouvrant presque la
moitié du pays est le pays Malinké. Environ 45 % de tous les malinké
vivent dans cette région ;
4. la Guinée forestière est une région montagneuse couverte par la sylve
et dont les habitants sont divisés en de nombreux groupes bien
différenciés rassemblés par commodité sous le nom d’ethnies
forestières, à l’exception des Malinké qui composent 35 % de la
population de la région. Les linguistes regroupent d’une part les Kpélé-
Guézé et les Loma qui sont apparentés aux Malinké et d’autre part les
Kissi rassemblant une multitude de petites tribus plus ou moins
parentes. L’ensemble des ethnies dites forestières rassemble
environ 10 % de la population de la Guinée.

2. La Guinée de Lansana Conté (1984-2008)


Dès les années « 1950 », les Peul et les Malinké qui avaient (et qui ont
toujours) sensiblement le même poids démographique entrèrent en
compétition politique, laissant aux Soso un rôle de figurants. Conduite par
Sékou Touré, l’indépendance de 1958 permit aux Malinké de confisquer le
pouvoir à leur profit8. Les Peul qui pensaient être à l’abri dans leur
forteresse naturelle du Fouta Djalon, furent persécutés et tenus à l’écart de
la vie nationale.
Sekou Touré laissa en héritage une situation incertaine qui devint vite
chaotique, sa disparition ayant créé un tel vide politique que la Guinée fut
au bord de la guerre civile et même de l’éclatement en grandes zones
ethniques. Ses successeurs potentiels étant divisés, son héritage échappa
alors aux Malinké.
Le 3 avril 1984, face à l’anarchie qui gagnait le pays, un groupe
d’officiers prit le pouvoir au sein d’un Comité militaire de redressement
national (CMRN). Il était en effet urgent de combler la vacance à la tête de
l’État. Le colonel Lansana Conté qui était l’officier le plus ancien dans le
grade le plus élevé, se vit alors remettre le pouvoir. Ce Soso fut accepté à la
fois par les Malinké et par les Peul qui voyaient en lui une solution
d’attente, un chef de l’État temporaire ou même intérimaire. Or,
contrairement à ce qu’ils avaient espéré, le général s’accrocha au pouvoir,
réussissant même à diviser ses puissants adversaires ethniques. Les Soso
étant minoritaires, le général Lansana Conté avait en effet compris qu’il ne
pouvait garantir la pérennité de son pouvoir qu’en s’appuyant sur certaines
fractions des deux principales ethnies.
Les Malinké voulurent alors reprendre le pouvoir par la force. C’est ainsi
que doit être compris le putsch du colonel Diarra Traoré, membre du
CMRN et ministre de l’Éducation nationale qui éclata le 4 juillet 1985. Ce
soulèvement des officiers malinké fut brutalement réprimé, le colonel
Traoré passé par les armes et les officiers membres de son ethnie fusillés ou
épurés.
En 1992, sous la pression des bailleurs de fonds, le général Lansana
Conté instaura le multipartisme, mais cette nouveauté ne fut qu’une
apparence et en 1993, sous l’étiquette du PUP (Parti de l’unité et du
progrès), il fut élu président de la République à l’occasion d’un scrutin
entaché d’irrégularités9. Lors de cette élection les Guinéens avaient voté
pour les candidats de leur ethnie, mettant ainsi en évidence, s’il en était
encore besoin, la cassure du pays en trois blocs ethno régionaux. Des
élections législatives primitivement prévues pour le mois de décembre 1994
eurent lieu en février 1995 et à cette occasion, de nouveaux partis politiques
à base ethnique apparurent10.
Au début de l’année 1996, le pays traversa une profonde crise,
notamment à la suite des mesures d’austérité provoquées par le plan
d’ajustement structurel imposé par le FMI et la Banque mondiale. Les 2 et
3 février 1996, de graves évènements se déroulèrent à Conakry quand des
militaires s’affrontèrent à l’occasion d’une tentative de putsch. Arrêté et
enfermé au camp Alpha Yaya, le président Lansana Conté eut alors la vie
sauve parce que les mutins, ethniquement très divisés, ne parvinrent pas à
se mettre d’accord sur le nom d’un successeur. Paradoxalement, putschistes
peuls et malinké préférèrent alors rendre le pouvoir au général président
pourtant Soso plutôt que de voir un membre de l’ethnie rivale s’en emparer.
Le 22 mars, soit quelques semaines à peine après la tentative de coup
d’État, le colonel Sény Bangoura commandant du camp Alpha Yaya fut
assassiné. Cet officier soso, fidèle soutien du général Lansana Conté, fut
abattu par des soldats malinké appartenant à une unité majoritairement
malinké, le BATA (Bataillon autonome des troupes aéroportées) dont le
chef, le commandant Kader Doumbouya était également Malinké. Le
président Lansana Conté se servit de cette mutinerie pour achever son
emprise sur l’armée au moyen d’une vaste épuration.
Lors de l’élection présidentielle du 14 décembre 1998, et en dépit de
fraudes criantes, l’opposition totalisa 45 % des voix. Ces élections furent
une fois de plus ethniques, illustrant bien la réalité ethnocratique guinéenne.
C’est ainsi qu’à Kankan, capitale malinké de la région de la Haute Guinée,
les électeurs votèrent pour Alpha Condé du RPG. En revanche, à Labé,
capitale des Peuls de la Moyenne Guinée, ce fut Bah Mamadou de l’UPG
qui l’emporta. Dans la Guinée Forestière c’est à un membre des ethnies
locales, Jean-Marie Doré, que les électeurs apportèrent leurs suffrages.
Enfin, dans la Basse Guinée, les Soso se prononcèrent naturellement pour
leur chef, à savoir le général Lansana Conté du PUP.
Alpha Condé qui était apparu comme le principal opposant fut arrêté à
l’issue du scrutin. Accusé d’atteinte à la sûreté de l’État et de tentative
d’assassinat sur la personne du chef de l’État, il fit quinze mois de détention
préventive pour être enfin condamné à 5 années d’emprisonnement.
Le 11 novembre 2001, le président Conté remporta avec 98,6 % des voix
un référendum constitutionnel lui permettant de porter le mandat
présidentiel de 5 à 7 ans et ne limitant plus le nombre de mandats. La voie
vers la présidence à vie lui était ainsi ouverte. Divisée et impuissante,
l’opposition décida alors de réagir. Au mois de mai 2002, les principaux
partis de l’opposition guinéenne se regroupèrent dans le Frad (Front
républicain pour l’alternance démocratique)11.
Au mois de juin 2002, les élections législatives furent remportées par le
Parti de l’unité et du progrès, parti présidentiel, qui obtint 85 des 114 sièges
de l’Assemblée, mais ces élections avaient été très largement vidées de
toute réelle signification en raison de leur boycott par l’opposition. En
2003, le président Conté fut réélu à la tête de l’État.

La guerre contre Charles Taylor


Le contentieux entre le président Lansana Conté et son homologue libérien Charles
Taylor remonte à 1989, au début de la guerre civile du Liberia, quand certains pays
de l’Ouest africain étaient intervenus pour tenter de mettre un terme au conflit. La
Guinée qui avait fourni un contingent avait ainsi contribué à bloquer la situation
militaire, empêchant Charles Taylor de prendre Monrovia, la capitale. Élu président du
Liberia en 1997, Charles Taylor eut à faire face à une puissante rébellion en partie
soutenue par la Guinée.
Durant l’année 2000, une guerre non déclarée éclata alors entre la Guinée, la Sierra
Leone et le Liberia. En Guinée, tout l’est de la région de Forecariah et tout le sud des
régions de Guékégou et de Macenta furent en situation de conflit, provoquant
d’importants déplacements de population. Ces zones étant proches de la Sierra
Leone et du Liberia, les affrontements qui se déroulaient dans ces deux pays se
prolongeaient donc en Guinée qui se voyait entraînée dans le conflit régional ouest-
africain, certaines populations parentes vivant en effet de part et d’autre des
artificielles frontières régionales. De plus, des centaines de milliers de réfugiés étaient
présents en Guinée. Au mois de décembre 2000, les incursions se transformèrent en
une véritable guerre quand les villes de Guékédou et de Kissidougou furent
attaquées par un mouvement jusque-là inconnu, le RFDG (Rassemblement des
forces démocratiques de Guinée). Les pertes furent importantes puisque plusieurs
centaines de civils auraient alors péri, non seulement dans les deux localités, mais
encore dans les nombreux camps de réfugiés qui furent vidés par les assaillants.
Selon les autorités guinéennes, les mystérieux agresseurs obéissaient au président
Charles Taylor du Liberia qui utilisait le RUF sierra-léonais pour déstabiliser la Guinée
à laquelle il reprochait son intervention dans la guerre civile libérienne.
Dans la région de Macenta, des affrontements interethniques opposèrent les tribus
Toma et Tomamamya, or les Toma du Liberia combattaient pour le président Charles
Taylor tandis que les Tomamanya étaient partisans de l’un de ses plus farouches
opposants, El-Hadj Kroumah, soutenu par le gouvernement guinéen. Charles Taylor,
accusa donc la Guinée de servir de base arrière à ses propres rebelles.
Dans cette guerre contre le régime libérien, la Guinée reçut l’appui des États-Unis qui
voulaient en finir avec Charles Taylor et qui modernisèrent l’armée de Conakry, en
remplaçant son vétuste matériel soviétique et chinois.

Au début de l’année 2003, l’état de santé du président Lansana Conté


s’étant aggravé, la question de sa succession fut officiellement posée12.
Au mois de novembre 2003 un nouveau complot fut éventé et des
dizaines d’officiers et de sous-officiers arrêtés. Les rumeurs de coup d’État
continuèrent à circuler, aussi, le 4 novembre 2005, une nouvelle purge,
exceptionnelle par son ampleur, eut lieu avec la mise à la retraite d’office de
1872 officiers, sous-officiers et hommes du rang, soit le dixième de
l’effectif total des forces armées. Parmi les victimes de ces purges,
figuraient trois officiers supérieurs Peul, les généraux Mamadou Bailo
Diallo, chef d’état-major de l’armée de terre et Abdourahmane Diallo, ainsi
que le colonel Mamadou Baldé, inspecteur général des forces armées.
Entre les mois de janvier et de février 2007, un puissant mouvement de
grève fit vaciller le régime. Plus de 100 morts et des milliers de blessés
furent alors à dénombrer. Quant à l’armée, les purges successives n’y
avaient pas laissé que des hommes fidèles au président Conté puisque, entre
les 2 et 15 mai 2007, elle fut secouée par un nouveau mouvement.
Le président limogea alors le chef d’état-major, le général Kerfalla
Camara, Soso comme lui, mais qui appartenait à une génération coupée de
celle des jeunes officiers et il le remplaça par le général Diarra Camara, un
Toma chrétien, donc doublement minoritaire13, auquel il adjoignit un chef
d’état-major adjoint Soso, le général Mamadou Sampil. Au mois de
février 2007, un gouvernement de « large consensus » fut constitué et
Lansana Kouyaté fut nommé Premier ministre.
Au mois de janvier 2008, de violents incidents secouèrent Conakry à la
suite de manifestations syndicales en marge d’un puissant mouvement de
grève. Le 20 mai, Ahmed Tidiane Souaré devenait Premier ministre en
remplacement de Lansana Kouyaté. Le général Sampil, chef d’état-major,
fut gardé en otage et tout rentra dans l’ordre après le limogeage du ministre
de la Défense, le général Mamadou Baïlo Diallo.
Le 22 décembre 2008, jour de la mort du président Conté, une junte
militaire prit le pouvoir sous le nom de Conseil national pour la démocratie
et le développement et mit à sa tête le capitaine Moussa Dadis Camara. Une
période troublée s’ouvrit alors ponctuée de massacres et elle s’acheva avec
les élections présidentielles de 2010.

3. Le retour au pouvoir des Malinké


Le 27 juin 2010, lors du premier tour, une vingtaine de candidats
briguèrent certes les suffrages des électeurs guinéens, mais d’abord ceux de
leur propre ethnie. Le principal candidat peul, Cellou Dalein Diallo, obtint
ainsi 39,72 % des voix, arrivant largement en tête ; les deux principaux
candidats malinké rallièrent un peu moins de 30 % des suffrages (Alpha
Condé 20,67 % et Lansana Kouyaté 7,75 %) ; Sidya Touré, un Diakanké
allié aux Soso obtint 15,60 % des voix et Papa Koly Kouroumah, d’ethnie
kpélé-guerzé, 4,83 %.
Le second tour qui s’est déroulé dimanche 7 novembre, soit cinq mois
après le premier tour, opposa Cellou Dalein Diallo, le candidat des Peul, à
Alpha Condé, celui des Malinké. Si, comme il le prétend, Alpha Condé l’a
emporté, c’est qu’il aura obtenu le soutien des Soso, plus celui des
« Forestiers ». Les Peul considéreront alors que la victoire leur a été volée,
mais comme l’armée est très majoritairement composée de Malinké, ils
seront mis à la raison. Du moins à Conakry, car leur région, la Moyenne
Guinée va se trouver en état de partition ethnique.
Les résultats définitifs officiels du second tour des élections
présidentielles guinéennes du mois de novembre 2010 n’étaient pas encore
connus que des affrontements éclataient dans le pays, évènements hélas
prévisibles, le premier tour, sondage ethnique grandeur nature, ayant
exacerbé les tensions.
Une fois encore en Afrique, la démocratie reposant sur le « one man, one
vote », a donc débouché sur l’ethno mathématique. En Guinée, elle a
amplifié les problèmes car la géographie physique y est juxtaposée à
l’ethnopolitique. Le pays est en effet et comme nous l’avons vu, composé
de quatre grandes régions naturelles peuplées par chacune des quatre
grandes ethnies.
Alpha Condé fut réélu au premier tour au mois d’octobre 2015 pour un
second mandat.
Puis, au mois de septembre 2019, il décida l’organisation d’un
référendum pour modifier la Constitution et lui permettre ainsi de briguer
un troisième mandat présidentiel, ce qui entraîna un puissant mouvement de
contestation populaire.

C. La Sierra Leone et le Liberia


La Sierra Leone et le Liberia ont tous deux connu une période de guerre
civile à base ethnique durant les années 1990-2010. Les deux pays en sont
sortis ruinés et détruits.
1. Sierra Leone : les Mendé contre les Limba
La Sierra Leone, « petit » pays de 71 740 km2 et peuplé par près de
8 millions d’habitants en 2019, a connu, jusque dans les années 1970, une
des plus fortes croissances du continent africain avec un taux moyen de
7 %. Surnommé alors « la petite Suisse africaine », sa prospérité était
fondée sur un sous-sol riche en diamants14. Le pays avait hérité d’une solide
organisation léguée par le colonisateur britannique et était bien géré par ses
élites krios, descendant d’esclaves affranchis. Dans les années 1990, ce
paradis tropical, destination touristique à la mode, bascula dans l’horreur.

Comme le Liberia son voisin, la Sierra Leone fut une zone d’installation d’anciens
esclaves rachetés ou libérés. Le but des promoteurs blancs de cet établissement était
généreux : création sur le modèle évangélique américain d’un peuplement mixte par
la fusion des anciens esclaves et des indigènes avec apport des « lumières du
protestantisme » aux Africains, par des « frères » venus d’outre-atlantique.
Mais la greffe ne prit pas car les anciens esclaves n’eurent que mépris pour les
indigènes qu’ils considéraient comme des sauvages. Refusant de se mêler à des
« primitifs », ils se constituèrent en caste fermée exploitant leurs « frères » de
couleur15. Au Liberia, pour se distinguer d’eux, les nouveaux venus s’étaient donné le
nom d’« Honorables ». En Sierra Leone, l’aristocratie négro-anglo saxonne, les Krios
(10 % de la population), se faisait appeler White Men, par opposition aux indigènes.
En 1920, l’élite krio se regroupa en une association politique, le National Congress of
British West Africa qui réclama des élections, puis l’indépendance, naturellement à
son profit. Une de ses revendications était l’expulsion des Libanais. Londres ne
considéra pas le NCBWA comme représentatif des populations du territoire et, par
dépit, les Krios commencèrent à revendiquer leurs origines africaines, certains
abandonnant même leurs noms anglais et développant un racisme anti-Blanc car ils
voyaient que Londres allait donner l’indépendance à une majorité noire qui les
haïssait.

En 1961, quand la Sierra Leone devint indépendante, deux partis à


fondements ethniques s’opposèrent : le SLPP (Sierra Leone People’s Party)
dirigé par Milton Margai, un Mendé qui devint Premier ministre et l’APC
(All People’s Congress) avec à sa tête Siaka Stevens, un Limba. Dès cette
époque, les principaux acteurs ethniques du conflit ultérieur étaient en
place.
En 1964, Milton Margai mourut et son frère Albert Margai qui lui
succéda inaugura une politique d’exclusivisme tribal, chassant les ministres
non Mende du gouvernement. Mais, en 1967, les élections furent
remportées par l’APC de Siaka Stevens. Devant la menace de l’arrivée au
pouvoir des Limba, le général Lansana, un Mendé, tenta alors de maintenir
A. Margai à la Primature. Au mois d’avril 1968, la « révolte des caporaux »
installa Siaka Stevens au pouvoir. Les Limba étaient vainqueurs et les
cadres mendé chassés de l’administration. Une armée ethnique
essentiellement composée de Limba fut alors constituée.
À partir de ce moment, les tensions montèrent, rythmées par de
nombreuses tentatives de coups d’État, toutes déjouées et dont les auteurs
furent pendus.
Au mois d’avril 1971 un régime présidentiel fut instauré et Siaka Stevens
devint président de la République. Il fut réélu en 1976, mais la corruption
était devenue générale et l’impopularité du régime considérable. Aussi, en
1985, au moment de la nouvelle échéance présidentielle, sentant qu’il
n’avait aucune chance d’être réélu, Siaka Stevens présenta-t-il aux élections
un « homme de paille », le général Saidu Momoh, lui aussi Limba. À
travers ce dernier il continua à gouverner et cela jusqu’à sa mort survenue
en 1988, tandis que le pays s’enfonçait dans la crise économique et dans la
violence.
Au mois d’avril 1991, alors que la guerre civile du Liberia s’était étendue
en Sierra Leone, le RUF (Revolutionary United Front), dirigé par Foday
Sankoh et appuyé par Charles Taylor, alors chef de milice libérien lança une
offensive dans l’est du pays16. L’armée sierra léonnaise fut incapable de
maîtriser la situation et la Guinée ainsi que le Nigeria durent voler au
secours du gouvernement en envoyant des troupes. Le conflit était devenu
régional.
Cette offensive provoqua l’anarchie dans le pays, d’autant plus que
l’armée était incapable de venir à bout du RUF. En 1992, le capitaine
Valentine Strasser prit le pouvoir et en 1995, depuis les zones les plus
impénétrables de l’est du pays dans lesquelles il était solidement retranché,
le RUF lança une offensive. Pour tenter de l’enrayer, le gouvernement
engagea un détachement de mercenaires gurkhas népalais mais le RUF
progressait toujours, s’avançant même jusqu’à 100 km de Freetown. Au
mois de janvier 1996, le brigadier Julius Maade Bio chassa le capitaine
Strasser du pouvoir et fit appel à des mercenaires sud-africains de la société
Executive Outcome. Au mois de mai, ces derniers repoussèrent les
guérilleros du RUF, notamment autour de Bo, la seconde ville du pays.
En mars 1996, les élections générales furent remportées par Ahmed Tejan
Kabbah un Mende du sud-ouest qui voulut apparaître comme indépendant
des forces ethniques du pays. Mais ces élections n’avaient pas pu se tenir
dans les zones contrôlées par le RUF qui n’en reconnût pas le vainqueur. Le
17 mars, le mouvement accepta cependant un cessez-le-feu. Le nouveau
président qui savait qu’il ne pourrait vaincre le RUF engagea alors des
pourparlers à Yamoussokro en Côte d’Ivoire. Mais le RUF ne respecta pas
l’accord signé et la guerre reprit. Début 1997, Foday Sankoh fut arrêté au
Nigeria dans des circonstances confuses, ce qui provoqua la fureur de ses
hommes bien décidés à tout tenter pour le faire libérer.
Le 25 mai 1997, un coup d’État renversa le président Kabbah qui trouva
refuge en Guinée. Un « Conseil révolutionnaire des forces armées »
(AFRC) fut formé, associant le RUF et une partie de l’armée. Cette junte
était dirigée par le capitaine Johnny Paul Koroma, un Temné dont le père, le
général Koroma avait été fusillé quelques mois plus tôt après un coup
d’État avorté. Foday Sankoh, toujours détenu au Nigeria fut quant à lui
nommé vice-président de l’AFRC. Freetown qui fut livrée au pillage fut
alors le théâtre d’évènements atroces, avec mises à mort, torture et
mutilation des victimes. La panique étant totale, des navires américains et
français débarquèrent des unités de commandos chargés d’évacuer les
Européens pris au piège.
Au mois de février 1998, la junte militaire fut chassée de Freetown par
l’armée nigériane qui constituait l’essentiel de l’ECOMOG (Force ouest-
africaine de maintien de la paix) mandaté par la CEDEAO (Communauté
économique des États de l’Afrique de l’Ouest) et dont les hommes portaient
le casque blanc. Le président Kabbaj fut rétabli au pouvoir, puis le Nigeria
ramena Foday Sankoh à Freetown. Il y fut jugé et condamné à mort.
Le 6 janvier 1999, le RUF avec pour chef intérimaire Sam Bockarie, dit
« général Mosquito » et les militaires du capitaine Koroma reprirent
Freetown dont ils avaient été chassés en février 1998. Ils y semèrent à
nouveau la terreur en lançant l’« Operation no living thing » (Opération
plus rien de vivant). Les massacres firent entre 6 000 et 10 000 morts et il
fallut un mois à l’armée du Nigeria pour reprendre la ville. Le président
Kabbaj comprit alors qu’il lui fallait une fois pour toutes négocier avec le
RUF.
Les rebelles purent alors rencontrer leur chef, Foday Sankoh, détenu à
bord d’un navire nigérian, et ils acceptèrent l’ouverture de discussions
conclues le 7 juillet, à Lomé, par un accord de paix signé sous l’égide de
l’ONU. L’accord amnistiait le chef du RUF et lui accordait la vice-
présidence ainsi que huit postes ministériels. De plus la quasi possession
des zones diamantifères lui était reconnue. En contrepartie le RUF devait se
laisser désarmer et accepter une présence des casques bleus dans les zones
qu’il contrôlait.
L’ECOMOG allait être remplacé par la MINUSIL (Mission des Nations
Unies pour la Sierra Leone) qui s’engageait à déployer 8000 casques bleus.
Le 2 mai, les derniers soldats de l’ECOMOG quittèrent la Sierra Leone et le
même jour, le RUF prenait 500 casques bleus en otage dans l’extrême est
du pays, violant ainsi l’accord de paix signé le 7 juillet 1999 à Lomé17.
Le 8 mai, à Freetown, une foule de manifestants tenta d’investir la villa
de Fodah Sankoh, mais sa garde ouvrit le feu faisant de nombreuses
victimes. La guerre civile venait de reprendre. Le même jour, la Grande-
Bretagne lança une puissante expédition aéronavale. Forte d’une dizaine de
navires dont un porte-avions, un porte-hélicoptères, de 6 frégates et de deux
navires ravitailleurs elle mit à terre 800 parachutistes, un bataillon de Royal
Marines et plusieurs commandos des SAS. Les soldats de l’ancienne
puissance coloniale avaient pour mission première l’évacuation des
ressortissants étrangers, mais ils venaient également au secours d’une
population martyrisée, pour sécuriser Freetown, la capitale du pays
menacée par l’avancée des hommes du RUF, mais aussi pour sauver le
prestige de l’ONU.
Le 10 mai, les rebelles abandonnèrent la ville de Masiaka, important
nœud de communication situé à environ 70 km de Freetown. Le 11 mai, de
violents combats se déroulèrent à une trentaine de kilomètres de la capitale
sur la route entre Songo et Newton. Le 16 mai, les rebelles que l’on disait
en fuite attaquèrent la ville de Port Loko défendue par des casques bleus
nigérians et ils se heurtèrent aux Britanniques autour de l’aéroport de
Lungi, dans la banlieue de Freetown. Le 18 mai, Foday Sankoh qui avait
disparu depuis le 8 mai était arrêté par les SAS britanniques.
Militairement, la situation changea à partir de ce moment car le RUF se
trouva isolé. En janvier 1999, l’appui des 2000 hommes du capitaine
Koroma lui avait permis de prendre la ville, or, ces derniers avaient rejoint
le camp présidentiel. Leur retournement avait trois raisons principales :
– ils voulaient tenter de faire oublier qu’ils avaient égalé et même parfois
dépassé en horreur les guérilleros du RUF ;
– ils étaient animés par une volonté de vengeance car ils accusaient le
RUF de les avoir trahis en signant les accords de Lomé qui ne réglaient
en rien leur propre sort. Alors que le RUF avait fait taire les armes le
7 juillet 1999, ces anciens mutins avaient en effet continué les
opérations militaires, solidement retranchés dans les Occra Hills, région
d’altitude située à une soixantaine de kilomètres de Freetown, située au
cœur de leur territoire ethnique ;
– la dernière raison, et non la moindre était ethnique car ils étaient
essentiellement Temnés, donc adversaires des composantes de la
famille Mandé.
Les hommes du capitaine Koroma combattirent donc aux côtés des
soldats « réguliers » de la SLA (Armée du Sierra Leone) et des CDF
(Forces de défense Civiles) de Sam Inga Norman. Ces derniers étaient ceux
que la presse occidentale désigna sous le nom de Karamajors, chasseurs
traditionnels, mi-brigands, mi-initiés de sociétés animistes recrutant dans
les tribus mendé du sud-ouest et appartenant donc au même ensemble
ethnique que le président Kabbaj. Avec l’appui des soldats britanniques,
cette alliance hétéroclite l’emporta sur les combattants du RUF.
Le 18 janvier 2002, la guerre civile de Sierra Leone prenait officiellement
fin et le 14 mai, des élections eurent lieu. Lors du scrutin des
présidentielles, le président sortant, Ahlad Tejan Kabbaj fut réélu avec 70 %
des voix18.

Au mois d’août 2007, dans un contexte politique apaisé19, la Sierra Leone


renoua avec la démocratie. Lors du premier tour des élections
présidentielles, le Temné Ernest Baï Koroma, leader de l’APC20 (Congrès
de tout le Peuple) devança Solomon Berewa, candidat du SLPP (Parti du
peuple de Sierra Leone) au pouvoir et Charles Margaï le leader du PMDC
(Mouvement du peuple pour un changement démocratique). Lors du second
tour, au mois de septembre, il fut élu, puis réélu en 2012. Lors des élections
présidentielles de 2018, Julius Maada Bio du SLPP, fut élu.
Le Ghana
Indépendant le 6 mars 1957, le Ghana, ancienne Gold Coast, fut dirigé jusqu’en 1966
par Kwame Nkrumah. Le 30 décembre 1981, après deux échecs, le lieutenant Jerry
Rawlings parvint au pouvoir à la suite d’un coup d’État.
Le pays dont il héritait était exsangue, près de vingt-cinq années de gestion socialiste
aggravée par la corruption l’avaient en effet ruiné. Rapidement il remit de l’ordre en
commençant par faire fusiller pour corruption huit généraux et en appliquant avec
fermeté le plan de redressement du FMI. Au mois de novembre 1992 il fut élu
président de la République puis réélu au mois de décembre 1996. Totalement intègre,
en vingt ans, il réussit à reconstruire le Ghana économiquement mais aussi
politiquement. Il rétablit ainsi le multipartisme en 1992, promulgua une nouvelle
Constitution en 1996 et, en 2000, conformément à la Constitution, il quitta le pouvoir
au terme de ses deux mandats.
Les élections de décembre 2000 virent la victoire de John Kufuor, leader du NPP
(Nouveau Parti patriotique) qui fut réélu au mois de décembre 2004.
Sur la lancée des réalisations de Jerry Rawlings, durant les deux mandats de John
Kufuor, la libéralisation de l’économie attira les investisseurs étrangers. En 2017, fut
élu un nouveau président en la personne de Nana Akufo-Addo.
En 2007, le Ghana devint le second producteur mondial de cacao après la Côte
d’Ivoire. En 2007 également, plusieurs gisements de pétrole furent découverts qui
font du pays au producteur au même rang que le Gabon. Le pays est également
producteur d’or et il occupe le second rang africain derrière l’Afrique du Sud. Le
Ghana produit également des diamants, de la bauxite, du bois.

2. Liberia : Krahn contre Gyo et Mano


Jamais colonisé, le Liberia, fondé par des philanthropes au XIXe siècle
demeura, jusque dans les années 1980 une société profondément
inégalitaire dans laquelle une minorité composée de 2,5 % de la population,
les descendants d’esclaves affranchis, les Américano libériens ou
« Honorables », détenaient tous les pouvoirs et pratiquaient le travail forcé
sur les plantations de caoutchouc. Les abus furent tels qu’en 1931, la SDN
(Société des Nations) adressa une mise en garde solennelle aux autorités de
Monrovia, ce qui provoqua une crise politique majeure dans le pays, le
gouvernement étant même contraint de démissionner.
Élu au mois de mai 1943, le président William Shadrach Tubman fut
confronté au réveil des autochtones africains qui revendiquaient une
participation aux affaires et le droit de vote qui leur fut accordé au
lendemain du second conflit mondial. Arrivé au pouvoir en 1971, après la
mort de son prédécesseur, le président William R. Tolbert maintint la
domination des Améicano-Libériens dans un contexte devenu explosif.
Le 12 avril 1980, les autochtones prirent leur revanche lors d’un coup
d’État particulièrement sanglant mené par le sergent-chef Samuel Doe, un
Krahn. Le président Tolbert fut assassiné tandis que 13 ministres et hautes
personnalités américano-libériennes étaient fusillés. Le nouveau chef de
l’État21 créa un Conseil de la rédemption du Peuple, mais en réalité, il
confisquait le pouvoir au profit des Krahn.
La guerre civile éclata le 24 décembre 1989 quand Charles Taylor, le
chef du NPLF (National Patriotic Front of Liberia), composé de Gyo et de
Mano déclencha une insurrection contre les Krahn22. Au mois de
juillet 1990, l’anarchie s’empara du pays, d’autant plus que le mouvement
de Charles Taylor connaissait une scission menée par un de ses adjoints, un
Mano nommé Prince Jonhson, qui investit Monrovia. Le 5 août eut lieu un
débarquement américain destiné à évacuer les ressortissants étrangers et le
9 septembre, le président Samuel Doe qui avait été fait prisonnier par les
hommes de Prince Johnson fut torturé, mutilé, mis à mort, puis dépecé en
direct sous l’œil des caméras de télévision23.
La Communauté économique des États d’Afrique occidentale (Cedeao)
ou Ecowas en anglais (Economic Community of West Africa States)
mandata alors le Nigeria pour intervenir sous le nom d’Ecomog (Ecowas
Monitoring Group). Par sa seule présence, cette force d’interposition
empêcha Charles Taylor de prendre Monrovia. La guerre civile libérienne
toucha alors la Sierra Leone car Charles Taylor y ouvrit un front au début de
l’année 1991 en parrainant le RUF (Revolutionary United Front) de Foday
Sankoh. Quant à la Côte d’Ivoire, elle soutenait Charles Taylor par
opposition aux Krahn, tribu apparentée aux Kru/Bété qui menaient alors la
vie dure au président Houphouët-Boigny.
Au Liberia même, durant sept années, la guerre civile atteignit des
proportions indescriptibles au gré des combats entre partisans de Charles
Taylor et de Prince Jonhson. Finalement, en 1997, des élections supervisées
par l’ONU donnèrent le pouvoir à Charles Taylor qui fut élu président du
Liberia le 19 juillet 1997. À partir de 1999, le nouveau président dut faire
face à une puissante guérilla menée notamment par le LURD (Libériens
unis pour la réconciliation et la démocratie), mouvement soutenu à la fois
par les États-Unis et par la Guinée, et dont chef était Charyee Doe, le propre
frère de Samuel Doe. Le conflit libérien s’enlisant et menaçant d’embraser
et de déséquilibrer toute la région, de fortes pressions internationales furent
exercées sur Charles Taylor pour qu’il abandonne le pouvoir. Le 11 août
2003, ayant obtenu des garanties sur son avenir, il quitta le Liberia et obtint
l’asile au Nigeria contre l’assurance qu’il ne serait pas extradé24.
Les accords de paix d’Accra furent signés le 18 août 2003 et ils ouvraient
une période de transition de deux années qui prit fin le 23 novembre 2005
quand Ellen Johnson-Sirleaf fut élue présidente de la République avec
59,4 % des voix contre 40,6 % à son adversaire, le footballeur George
Weah. Avec l’élection à la présidence de l’ancien ministre des Finances du
président William Tolbert, la sanglante parenthèse ouverte en 1980 était
refermée car les « Honorables » étaient à nouveau à la tête du Liberia.
Le pays était ruiné. Au mois de janvier 2018, avec près de 62 % des voix,
George Weah fut élu à la présidence dans un climat économique et social
plus que morose.

Les clés ethniques du conflit libérien


1. Les ethnies : Kpellé : 17 %, Bassa 14,5 %, Klao 7,6 %, Grebo 8,4 (dont Grebo du
Nord 2,9 et Grebo du Sud 2,2 % et autres Grebo 3,4 %), Mano 6,7 %, Loma 6 %,
Dan 5,1 %, Kissi 4 %, Krahn 4 %, Vai 3,7 %, Gola 3,5 % (groupe Mel), Bandi 2,9 %.
2. Les groupes ethno-linguistiques :
• groupe Krou : Bassa, Krahn, Grebo, Klao donc ± 34,5 % ;
• groupe Mandé : Vai, Kpellé, Mano, Dan, Bandi, Loma donc ± 41,4 % ;
• autres : 24,1 %.
La guerre du Liberia qui a fait plus de 200 000 morts sur une population de
2,5 millions d’habitants et lancé sur les routes de l’exil plus d’un million de réfugiés fut
un conflit ethnique opposant les Kru aux Mandé.
– Les Kru qui vivent dans le sud et dans l’est du Liberia sont divisés en six principales
tribus : les Krahn, les Grébo, les Klao, les Bassa, les De et les Kwaa. Les Krahn
(4 % de la population du Liberia) étaient au pouvoir avec le président Samuel Doe
(1980-1990). Après la victoire de Charles Taylor en 1997, ils se regroupèrent dans
l’Ulimo (United Liberation Movements) fondé en 1990 au Sierra Leone par des
anciens de la garde présidentielle de Samuel Doe. L’Ulimo recrutait également
parmi les Gola – groupe ethno linguistique Mel –, et parmi les musulmans que l’on
désigne régionalement sous le nom de Mandingues. Au mois d’avril 1994, à la suite
d’une scission fut créé l’Ulimo/K commandé par El-Hadj Kromah, d’où le « K » dans
le sigle du mouvement. L’Ulimo/K soutenu par la Guinée du président Lansana
Conté menait la guerre contre le régime du président Taylor qui répliqua en portant
le conflit dans le sud de la Guinée en prenant appui sur les ethnies guinéennes qui
étaient apparentées aux Gyo et aux Mano.
– Parmi les Mandé, les Gyo et les Mano constituèrent la base ethnique de Charles
Taylor, lui-même Gyo. Les Mandé appartiennent à un des principaux groupes ouest
africains. Extrêmement morcelé, il s’étend depuis le Sénégal, la Guinée, le Mali et la
Côte d’Ivoire. Les Bambara du Mali et les Malinké de Guinée sont des Mandé. Au
Liberia, les Mandé occupent le nord du pays. Ils sont divisés en sept tribus
principales. Les Loma, les Gbundé et les Bandi sont éclatés en trois blocs ; les
Kpélé sont coupés en deux par la frontière guinéenne. Quant aux Mano, aux Gyo et
aux Vay, ils sont éclatés en trois ensembles.
– Le troisième grand groupe est celui des Mel. Refoulés lors des migrations Kru et
Mandé, les Mel sont à cheval sur trois pays : Guinée, Sierra Leone et Liberia, c’est
pourquoi leur entrée en guerre a eu des répercussions régionales.

D. La Côte d’Ivoire
Considérée à l’origine comme une colonie sans valeur et comme le
« tombeau des Blancs », la Côte d’Ivoire a connu, à la veille de la
décolonisation, puis durant la décennie 1960, un fort développement dû à
l’envolée des cours du café et du cacao, à telle enseigne qu’elle fut ensuite
présentée comme l’exception africaine. Ce « miracle économique »
masquait cependant une réalité ethno-politique aux tendances lourdes. Le
président Houphouët-Boigny disait à ce propos que son pays était
l’amalgame de :
« […] soixante tribus qui ne se connaissaient pas, qui n’avaient pas la
même façon d’organiser leur société. Les villages, tous les vingt-cinq
kilomètres, étaient aussi éloignés que le Portugal de la Russie25. »

1. La Côte d’Ivoire, cœur de la tectonique ethnique


régionale
En 1895-1896, en créant la « Colonie de Côte d’Ivoire », la France
bloqua la tectonique ethnique régionale, la zone étant le point de rencontre
de plusieurs populations qui n’avaient pas fini de prendre possession de
l’espace. À l’exception des Sénoufo, tous les peuples de Côte d’Ivoire sont
en effet des « envahisseurs » ou des colonisateurs. Cette réalité a bien été
décrite par Gabriel Rougerie :
« Au tournant du siècle, des esprits étrangers ont conçu la définition
d’un quadrilatère aux bords du bloc ouest-africain. Ses limites se sont
insinuées parmi les éléments du relief, enserrant au hasard un
échantillonnage disparate. Dans ce filet, de même, se sont trouvés pris
des groupes d’hommes ; chacun vivant son particularisme, chacun
parvenu à un moment différent de son histoire, de ses migrations, de
son évolution » (Rougerie, 1964 : 63).
La Côte d’Ivoire est ainsi le point de contact entre quatre grands groupes
de population : les Akan/Kwa venus de l’Est ; les Mandé arrivés du Nord et
les Kru originaires de l’Ouest qui entrèrent en contact avec les premiers
occupants du pays, les Voltaïques :
– le groupe Akan inclut plusieurs peuples qui sont les Baoulé, derniers
arrivés dans le pays, les Agni et les Abron qui les y précédèrent. Les
peuples dits « Lagunaires26 » font également partie de cette famille,
même s’il n’y a pas intercompréhension entre eux et les autres membres
du groupe ;
– parmi les peuples Kru de Côte d’Ivoire, les Dida sont les plus orientaux
et ils sont constitués de 68 tribus ; les plus nombreux sont les Bété,
divisés en 93 tribus avec celles qui leur sont rattachées, à savoir les
Niaboua, les Niédéboua, les Kouziéé et les Kouya ; les Wé (Guéré ou
Wobé) sont socialement les plus structurés ; les Krou ou Kroumen
s’employèrent sur les navires européens dès le XVIIIe siècle27 ; les autre
ensembles kru sont les Bakwé, les Godié et enfin les dix tribus Néyo28.
Les Kru constituent des sociétés atomisées29 dont le lien social
relativement lâche est centré sur les cellules familiales de base, ce qui
s’explique en raison des conditions de vie imposées par le milieu
forestier. Les Kru vivaient ainsi dans les clairières, en petites
communautés séparées les uns des autres par la sylve. Repliés sur eux-
mêmes à l’époque précoloniale, les peuples kru n’ont jamais constitué
d’États, leur organisation sociale se faisant sous forme de juxtaposition
d’unités lignagères de type patrilinéaire30. Ils pratiquaient une
agriculture itinérante sur brûlis avec un minimum d’élevage et
d’importantes pratiques cynégétiques. Leur habitat traditionnel était
constitué de cases rondes qui ont aujourd’hui disparu au profit de la
case rectangulaire ;
– les Mandé constituent la pointe avancée de l’expansion mandingue
dont le cœur de peuplement est le Mali et la Haute Guinée. Ils sont
divisés en deux sous-groupes :
• les Mandé du Sud : Dan ou Yacouba, Gouro, Toura, Gban (Gagous) ;
• les Malinké (ou Mandingues), dont les Dioula ou Dyula. À ce nom, on
rattache communément tous ceux qui font partie du groupe
mandingue. Durant leur poussée vers le Sud, les Malinké ont percé
vers l’océan en Sierra Leone et dans les régions de Lahou et de
Bandama tout en évitant le massif forestier kru ;
– les Voltaïques, dont les trois-quarts des représentants vivent au Burkina
Faso, dans le nord du Ghana du Togo et du Bénin sont représentés en
Côte d’Ivoire par les Sénoufo, les Koulango et les Lobi. Ils sont
considérés comme les « vrais » indigènes du pays dont le territoire s’est
peu à peu rétracté sous le pression des Mandé et des Akan.
Jusqu’à l’époque coloniale la Côte d’Ivoire fut une terre de conquête.
Avant les grandes migrations du XVe siècle, certaines ethnies étaient déjà
présentes sur le territoire comme les Dan, les Toura et les Gouro ainsi que
les Sénoufo et les Kulango. Ensuite, arrivèrent les autres peuples qui sont :
– les Malinké qui firent reculer les Mandé du Sud vers le Sud et les
Sénoufo vers l’Est ;
– les Akan qui arrivèrent non pas en bloc homogène mais en vagues
successives, d’où leurs importantes différences internes. Les Baoulé et
les Agni repoussèrent les Senoufo au nord de Bouaké. Les Baoulé firent
également reculer les Gouro et les Dida vers l’Ouest, établissant grosso
modo les limites de leurs établissements occidentaux sur le Bandama ;
– les Kru traversèrent la forêt et se dirigèrent vers l’Est où leur poussée
fut stoppée par les Baoulé. Au Nord, ils s’établirent aux dépens des
Mandé du Sud, c’est-à-dire des Dan ou Yacouba qu’ils séparèrent en
deux groupes dont le plus oriental donna naissance aux Guro (Gouro).

2. Le pouvoir baoulé (1960-1999)


En 1960, avec le président Houphouët-Boigny ce furent les Baoulé qui
s’imposèrent et durant des années, le « miracle ivoirien » masqua cette
puissante réalité. Mais, à la fin de la décennie 1970 le pays subit le premier
choc pétrolier qui fut suivi de la baisse des cours des matières premières
agricoles (café et cacao).
En 1990, la Côte d’Ivoire entra en récession. Dépendant des bailleurs de
fonds et plus particulièrement de l’aide française31, le président Houphouët-
Boigny fut alors contraint d’adopter le multipartisme, et cela, après trente
années de parti unique. Cette même année 1990, il brigua un septième
mandat dans un contexte de désenchantement, de crise économique et de
violentes manifestations qui culminèrent durant les mois de mars et
d’avril 1990. Un début de mutinerie se produisit même au sein de la garde
présidentielle.
Félix Houphouët-Boigny fut néanmoins réélu contre M. Laurent Gbagbo
avec un score de 70 % des voix. Cette « petite » victoire avait été en partie
obtenue grâce aux voix des immigrés auxquels le président avait accordé le
droit de vote et qui constituaient une clientèle fidèle et reconnaissante32.
Le président Houphouët Boigny mourut le 7 décembre 1993. La
Constitution ivoirienne prévoyant qu’en cas de vacance du pouvoir
présidentiel, l’intérim devait être assuré par le président de l’Assemblée
nationale, M. Henri Konan Bédié, d’ethnie Baoulé comme le défunt, et qui
occupait cette fonction depuis 1980, lui succéda donc jusqu’au terme du
mandat. Avec lui, l’alchimie ethnique élaborée par le défunt président se
délita33.
Le président Bédié commit une première erreur en remplaçant Alassane
Ouattara, un Nordiste, par le sudiste Daniel Kablan Duncan34 comme
Premier ministre. L’alliance Baoulé-nordistes sur laquelle reposait le
pouvoir d’Houphouët-Boigny avait donc vécu. Puis le droit de vote fut
retiré aux étrangers installés depuis l’indépendance, ce qui priva le PDCI, le
parti gouvernemental, d’une partie de ses électeurs traditionnels.
En réaction, le 27 juin 1994 fut créé le RDR (Rassemblement des
Républicains) par des dissidents nordistes du PDCI, le parti
gouvernemental. Or, le Nord était un bastion du PDCI depuis que Félix
Houphouet-Boigny y avait commencé sa carrière politique comme député
de Korhogo35. La question ethnique qui avait été occultée et même niée
durant trente ans refaisait surface avec force.
M. Alassane Ouattara apparût alors comme un danger pour la survie du
régime baoulé incarné par M. Bédié. Le pouvoir qui comprit, mais un peu
tard, qu’il avait fait une erreur, ne chercha pas à la réparer en renouant les
fils du dialogue avec le Nord. Tout au contraire, il trouva un moyen indirect
d’écarter la menace nordiste en faisant promulguer le 30 novembre 1994,
une nouvelle loi électorale qui réservait le droit de vote aux Ivoiriens et qui
prévoyait que seuls des Ivoiriens de souche pouvaient être candidats à la
présidence de la République. Cette loi avait pour but principal d’écarter de
la course à la présidence le rival le plus sérieux du président Bédié, à savoir,
M. Alassane Dramane Ouattara, ancien Premier ministre.
En 1995, lors des premières élections présidentielles de l’après
Houphouët-Boigny, le candidat du RDR fut ainsi déclaré inéligible car non
ivoirien. Cette manœuvre permit à Henri Konan Bédié, le candidat baoulé,
d’être « triomphalement » élu avec 90 % des voix contre un opposant
« taillé » sur mesures puisqu’il était le représentant d’un groupuscule de
gauche encore inconnu la veille des élections. Le score obtenu par M. Bédié
avait permis de camoufler la grande réalité de ce scrutin qui était que
l’abstention avait atteint des taux record, allant jusqu’à 88 % des inscrits
dans les zones ethniques de l’opposition, alors qu’en pays baoulé, l’on avait
voté quasiment à 100 %. Durant la campagne électorale, de violentes
émeutes avaient secoué le pays et le pouvoir baoulé qui n’était pas sûr de la
loyauté du chef d’état-major de l’armée, le général Robert Guei, avait
décidé de limoger ce dernier.
De nouvelles élections présidentielles devaient avoir lieu en 2000 et
l’entourage du président Bédié voulut recommencer la manœuvre qui avait
réussi en 1995. Le pouvoir déclara alors inéligible car non ivoirien de
naissance, M. Alassane Ouattara, principal leader de l’opposition et qui,
comme nous l’avons dit, avait été de 1990 à 1993 le dernier Premier
ministre du président Houphouët-Boigny. Le 27 octobre 1999, les
responsables de son parti, le RDR, furent emprisonnés et lui-même placé
sous le coup d’un mandat d’arrêt. Les Akan/Baoulé, venaient ainsi de
déclarer la guerre aux ethnies nordistes et aux musulmans, soit à environ
40 % de la population.

La question de l’Ivoirité
Le tableau 149 et la carte 153 vont avec cet encadré
Le drame ivoirien s’est noué autour de la question nationale et ethnique parce que les
« sudistes » ont vu leur terre occupée par des immigrés, qu’il s’agisse d’étrangers ou
de nationaux. Submergée par une immigration déferlant depuis les pays du Sahel, la
Côte d’Ivoire accueillait également sur son sol des centaines de milliers de Libériens
ou de Sierra Léonais qui avaient fui les guerres ravageant leurs pays respectifs. Ces
grands mouvements de population entraînèrent de profonds changements. Ainsi, en
pays baoulé, des villes comme Dimbroko ou Bouaké sont désormais linguistiquement
à majorité Dioula. Quant aux Baoulé, ils ont essaimé chez les Gouro, les Bété ou
parmi les populations lagunaires
Au recensement de 1998, on comptait 15,4 millions d’habitants dont environ
4 millions d’étrangers, soit 26 % de la population totale. 50 % d’entre eux étaient nés
dans le pays. 56 % des non-nationaux étaient des Burkinabe, 19,8 % des Maliens,
5,7 % des Guinéens.
Les plus fortes concentrations d’immigrés se trouvent dans les zones agricoles du
sud, qu’il s’agisse de l’Ouest ou de l’Est. À l’Est, à proximité de la frontière du Ghana,
en zone akan, dans la région du Sud-Comoé qui a pour chef-lieu Aboisso et celle du
Moyen-Comoé dont le chef-lieu est Abengourou, furent recensés 45 et 43,4 %
d’étrangers. À l’Ouest, en pays kru, la région du Bas-Sassandra dont le chef-lieu est
San Pedro en abritait 42,9 %. Dans cette région, le département de Tabou détenait
un record avec 54,3 % d’étrangers dont essentiellement des réfugiés du Liberia
installés chez leurs « cousins » Kru. Abidjan avec une population totale de
3,1 millions d’habitants comptait 29 % de non-ivoiriens, soit environ 900 000
personnes.
À cette immigration doivent être ajoutées les migrations intérieures qui expliquent
également les tensions et les crispations ethniques. C’est ainsi que le pays Kru a en
quelque sorte était « colonisé » par des nationaux ivoiriens venus du Nord et du pays
akan.
Dans les quatre régions du Haut-Sassandra, du Bas-Sassandra, du Sud-Bandama et
de Fromager, les autochtones Kru ne constituaient plus que 13 % de la population.
37,4 % des « étrangers » y vivant étant Burkinabe ou Maliens, mais plus de 46 %
sont Ivoiriens (9 % Mandé du Nord, 9 % Sénoufo et 26,5 % Akan). Un
bouleversement ethnique a donc eu lieu qui explique l’apparition de la notion
d’« Ivoirité ».

3. La présidence de Laurent Gbagbo (2000-2010)


Le 24 décembre 1999, à l’issue du premier putsch de l’histoire de la Côte
d’Ivoire le général Robert Guei qui était Yacuba, tribu faisant partie de
l’ethnie des Dan et du groupe ethno-linguistique mandé, renversa le
président Henri Konan Bédié.
Afin de s’organiser une élection présidentielle sur mesure, il écarta
ensuite à la fois M. Ouattara et le représentant des Baoulé. Puis il choisit un
adversaire « à sa main », le Bété Laurent Gbagbo qui lui servit à la fois de
caution et de faire-valoir.
Le scrutin présidentiel du mois d’octobre 2000 fut alors vidé de toute
signification. M. Ouattara représentait en effet au moins 35 % des voix,
celles des populations voltaïques (± 18 % de la population ivoirienne) et
nord Mandé (± 17 %). Quant à l’ancien président Bédié ou tout autre
candidat officiel Baoulé, il était assuré de rassembler sur son nom une partie
importante des ± 42 % d’Akan/Baoulé et apparentés. À eux deux, ces
candidats « pesaient » donc au moins 70 % des suffrages. À peu de chose
près le chiffre des abstentionnistes lors de ce scrutin. Dans les zones
ethniques pro-Ouattara et pro-Bédié l’abstention fut d’ailleurs considérable
tandis que dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, zones Dan et Kru, la
participation atteignit presque 100 %.
Le président Gbagbo fut donc élu par 20 % du corps électoral ivoirien, à
savoir les 12 % du groupe ethnolinguistique Kru/Bété et les 8 % de ses
alliés lagunaires et Attié36.
Pour 70 % des Ivoiriens, le nouveau président était donc illégitime et la
contestation du scrutin prit de l’ampleur. C’est alors que débuta la guerre
civile ivoirienne. Pour écarter les partisans de M. Ouattara qui réclamaient
la reprise de l’élection présidentielle, le nouveau président lança ses milices
et la gendarmerie dans la rue. Du 24 au 27 octobre 2000, la « chasse aux
nordistes » fit ainsi des centaines de victimes.
Le 19 septembre 2002 eut lieu une tentative de coup d’État suivie d’un
soulèvement armé37. Les villes de Korhogo et de Bouaké furent prises par
les mutins. Le 22 septembre des renforts militaires français arrivèrent à
Abidjan où les évacuations d’expatriés débutèrent aussitôt. Mardi
1er octobre, la France annonça officiellement qu’elle soutenait le président
Gbagbo. L’armée française s’interposa ensuite entre les insurgés
« nordistes » qui avaient alors l’avantage et les troupes fidèles au président
Gbagbo, ce qui interdit aux « mutins » de marcher sur Abidjan.
Le 6 octobre 2002, une tentative de médiation de la CEDEAO
(Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) échoua. Le
17 octobre, un accord de cessez-le-feu entre le gouvernement de M. Gbagbo
et les rebelles nordistes fut signé tandis que la France garantissait la sécurité
de la « ligne de front ». Le 20 octobre, la « Force Licorne » se déploya le
long de la ligne de cessez-le-feu et le 30 octobre des négociations
débutèrent à Lomé. Le 14 décembre 2002, les effectifs militaires français de
l’opération « Licorne » furent portés à 2 500 hommes.
Au début du mois de janvier 2003 M. Dominique de Villepin, ministre
français des Affaires étrangères, entreprit un voyage en Côte d’Ivoire. À
Bouaké, fief rebelle, il obtint la signature d’un accord de cessez-le-feu et
l’ouverture de négociations qui se déroulèrent à Paris.
Le 24 janvier 2003 les « accords de Marcoussis » furent en réalité
imposés par la France à des leaders politiques ivoiriens qui n’en voulaient
pas. Ils visaient à la réconciliation nationale (Gouvernement de
réconciliation nationale) et au partage du pouvoir, mais ils furent
inapplicables car largement déconnectés des réalités locales.
Le 13 mai 2003 fut créée la MINUCI (Mission des Nations unies en Côte
d’Ivoire) par la résolution 1479 du Conseil de sécurité.

Les évènements du mois de novembre 2004


Le jeudi 4 novembre 2004, les FANCI (Forces armées nationales de Côte d’Ivoire)
lancèrent une attaque aérienne contre les positions rebelles de Bouaké et de
Korhogo. Le 5 novembre, les raids furent étendus à Seguela, Vavoua et Man tandis
qu’une offensive terrestre étaient lancée en direction de Bouaké où elle fut stoppée
par le contingent marocain de l’ONUCI. Le cessez-le-feu était donc rompu.
Le samedi 6 novembre, le camp français de Bouaké fut bombardé par deux appareils
ivoiriens38. La réaction française fut immédiate : les deux avions qui avaient mené
l’attaque furent détruits au sol ainsi qu’un hélicoptère39. À partir de 16 heures,
toujours le 6 novembre, plusieurs roquettes furent tirées contre les troupes françaises
stationnées à l’aéroport d’Abidjan, cependant que, dans toute la ville la « chasse aux
Blancs » était déclenchée et les établissements français pillés et incendiés. L’armée
française dut alors évacuer au moyen d’opérations particulièrement risquées des
familles entières en extrême péril.
Devant l’aggravation de la situation, ordre fut alors donné aux troupes françaises
positionnées long de la ligne de démarcation où elles surveillaient un cessez-le-feu
qui n’existait plus, de marcher le plus rapidement possible vers Abidjan.
Mardi 9 novembre, l’hôtel Ivoire fut assiégé par une foule agressive que la radio
nationale poussait à affronter l’armée française pour engager la bataille médiatique
au moment où le président sud-africain Thabo Mbeki arrivait en médiateur dans le
pays.

Après ces graves incidents la tension retomba car la communauté


internationale soutenait Paris et menaçait le président ivoirien de sanctions.
Du mois de novembre 2004 au début de l’année 2007, la situation
politique s’enlisa et le scrutin présidentiel fut sans cesse repoussé. Puis, le
4 mars 2007, à Ouagadougou, un accord fut signé entre le gouvernement
ivoirien et les rebelles nordistes et le 29 mars, le chef de l’ex-rébellion des
Forces nouvelles (FN), Guillaume Soro, fut nommé Premier ministre. Au
mois de juillet, le président Gbagbo se rendit à Bouaké, le fief des FN pour
y annoncer officiellement la fin de la guerre.
4. La crise de novembre 2010 à avril 2011
Après ces graves tensions, le processus de sortie de crise s’amorça au
début de l’année 2008, mais il fut interrompu à la suite de la contestation du
résultat des élections présidentielles du mois de novembre 2018.
Le premier tour des élections présidentielles qui eut lieu le 28 novembre
2010 fut une nouvelle photographie des rapports de force entre les trois
grandes coalitions ethniques du pays.
C’est ainsi que le président sortant, Laurent Gbagbo, rassembla sur son
nom 38 % des suffrages, au-delà donc de son noyau ethnique (± 12 % de la
population) car les ethnies Lagunaires (± 10 % de la population), groupe de
son épouse Simone Gbagbo avaient majoritairement voté pour lui ainsi que
l’électorat détribalisé de la région d’Abidjan qui se reconnaissait dans son
discours nationaliste et ses positions anti-françaises.
L’ancien président Henri Konan Bédié qui ne recueillit que 25 % des
suffrages nationaux, à savoir les voix des seuls Baoulé, fut le grand perdant
de ce premier tour.
Avec 33 % des voix, Alassane Ouattara coagula sur son nom les votes
des ethnies nordistes et musulmanes (Malinké, Dioula, Sénoufo, Kulango
ou Lobi, etc.), et il mit Laurent Gbagbo en ballottage. Dans les régions
administratives nordistes il totalisa entre 73 et 93 % des suffrages. En plus
de ces bastions, il obtint des résultats honorables dans le sud où ses résultats
furent le simple décalque des noyaux de peuplement résultant de
l’immigration nordiste40.
Le 28 novembre 2010, lors du second tour, Henri Konan Bédié ayant
appelé à voter pour Alassane Ouattara, l’ethno-mathématique garantit en
conséquence la victoire électorale de ce dernier. Le 2 décembre 2010 au
siège de l’ONUCI (Mission des Nations unies pour la Côte d’Ivoire), la
Commission électorale ivoirienne (CEI) proclama donc la victoire
d’Alassane Ouattara au second tour des élections présidentielles avec 54 %
des voix. Ce résultat fut certifié par l’ONU, mais, le 3 décembre, le Conseil
Constitutionnel ivoirien annula le scrutin dans les régions ayant le plus
massivement voté pour Alassane Ouattara et proclama Laurent Gbagbo
vainqueur avec 51,45 % des voix.
Le 4 décembre, ce dernier fut investi comme Président de la République,
cependant que l’ONU, l’Union africaine (UA), les États-Unis et la France
reconnaissaient Alassane Ouattara.
Le pays était coupé en deux. Maître du sud côtier pétrolier et de la
« boucle » du cacao, la Côte d’Ivoire « utile », Laurent Gbagbo s’obstina.
Sourd aux multiples pressions et interventions de la communauté
internationale et de l’Union africaine, il demeura intraitable, cramponné à la
« légalité constitutionnelle » ivoirienne. Quant à Alassane Ouattara, il vivait
retranché à l’hôtel du golf sous la protection de l’Onuci.
Mais Laurent Gbagbo avait sous-estimé les effets de la stratégie
d’étouffement économique décidée par l’ONU. Bientôt, en dépit de l’aide
angolaise, il ne fut plus en mesure de payer les fonctionnaires et les forces
de sécurité. Puis, durant le mois de mars, le cœur de son pouvoir fut attaqué
à Abidjan même, depuis l’immense quartier nordiste d’Abobo d’où des
commandos dits « invisibles » lancèrent des actions de déstabilisation.
Le 28 mars 2011, quatre colonnes parties de la zone nord sous contrôle
des partisans d’Alassane Ouattara avancèrent vers le sud, jalonnant leur
progression de massacres, comme à Duekoué où des centaines de Wé-
Guéré apparentés aux Bété, la tribu de Laurent Gbagbo, furent massacrés.
Le dimanche 10 avril, les hélicoptères français attaquèrent la résidence
présidentielle où plusieurs véhicules armés furent détruits. Puis, le lundi
11 avril, les hélicoptères français procédèrent à de nouvelles frappes,
cependant que des troupes à terre ouvraient le chemin aux forces
d’Alassane Ouattara qui arrêtèrent l’ancien président.
Le 12 avril, commença la « chasse » aux Bété, aux Guéré, aux Abrié, et
plus généralement à tous les membres des ethnies ayant soutenu le président
déchu. Particulièrement ciblés, les cadres et les militants du FPI (Front
Populaire Ivoirien), le parti de Laurent Gbagbo, payèrent un lourd tribut,
tant les haines accumulées depuis plus d’une décennie étaient fortes.

5. La présidence d’Alassane Ouattara


Les problèmes qui attendaient le président Alassane Ouattara étaient
immenses. Se posait d’abord une question de prestige car, ayant été installé
au pouvoir par l’ancien colonisateur, il lui fallait s’imposer en coupant le
cordon ombilical qui le reliait à l’Élysée. Le second grand problème était
sécuritaire car il allait lui falloir faire cesser les représailles ethniques et
mettre un terme au banditisme. Il allait également devoir veiller à ce que les
tensions ne prennent pas un tour religieux, avec un sud très majoritairement
chrétien dressé face à un nord quasi exclusivement musulman. Il lui fallait
enfin remettre l’économie en marche et restaurer la confiance, seule
susceptible de rassurer les investisseurs.
Le cœur de la question ivoirienne était que les positions des nordistes et
celles des sudistes étaient ancrées sur des mentalités inscrites dans la longue
durée. Pour les sudistes qui avaient très majoritairement voté Laurent
Gbagbo, les nordistes rassemblés derrière Alassane Ouattara formaient un
monde qui leur était étranger et même hostile.
Pour eux, le vaste ensemble musulman sahélien avait repris à leurs
dépens son expansion traditionnelle vers l’océan. La coupure nord-sud entre
le monde sahélien, ouvert et traditionnellement structuré en chefferies ou en
royaumes d’une part, et le monde forestier littoral peuplé d’ethnies
cloisonnées d’autre part, mais tourné vers l’océan, était bien la grande
donnée géopolitique régionale. Le président Alassane Ouattara était
condamné à ne pas négliger cette réalité, au risque de voir sa victoire perçue
comme la conquête du Sud par le Nord.
La coalition qui avait permis de chasser Laurent Gbagbo du pouvoir
explosa lors des élections municipales et régionales du mois d’avril 2013.
Boycotté par le Front populaire ivoirien (FPI), le parti de Laurent Gbagbo,
le scrutin fut une cinglante défaite pour le régime. En effet, même si 23 des
31 régions furent remportées par le RDR (Rassemblement des Républicains)
d’Alassane Ouattara et ses alliés baoulé du PDCI (Parti démocratique de
Côte d’Ivoire), ces deux partis furent devancés par les candidats
indépendants, le plus souvent issus des formations fidèles à l’ancien
président Gbagbo. Le vote sudiste étant toujours présent, la Côte d’Ivoire
était donc toujours coupée deux.
Ces résultats changèrent la donne politique car l’échec électoral réveilla
les rancœurs anciennes et raviva les plaies entre les Baoulé du PDCI et les
nordistes soutenant le président Ouattara. Ces derniers n’avaient en effet
pas oublié que ce furent les Baoulé du président Bédié qui déclenchèrent la
crise ivoirienne quand, en 2000, ils avaient contesté la nationalité ivoirienne
d’Alassane Ouattara.
Lors des élections présidentielles de 2015, Alassane Ouattara fut réélu au
premier tour avec 83,66 % des voix. Puis, au début janvier 2017, une
mutinerie affecta le noyau dur des fidèles du président, ceux qui avaient
combattu pour le hisser au pouvoir et qui, en récompense, avaient été
intégrés dans l’armée nationale. Ne se satisfaisant pas de ces
« embauches », les mutins exigeaient non seulement le versement de
primes, mais encore l’équivalent de 7 500 euros… plus une maison. Des
prétentions insensées dans un pays où la moitié de la population survit avec
un euro par jour. Et pourtant, paniqué et impuissant, le gouvernement céda
immédiatement à ces demandes exorbitantes41. Or, loin d’apaiser la
situation, cette capitulation provoqua une réaction en chaîne de la part de
tous les « corps habillés », à savoir les policiers, les gendarmes, les
douaniers et les pompiers.
En 2019, la perspective des élections présidentielles de 2020 provoqua
des crispations et une nette détérioration du climat politique, le tout faisant
craindre le retour de la sanglante crise post-électorale des années 2010-
2011. Dans ce contexte, le pouvoir engagea des poursuites contre
Guillaume Soro, ex-chef rebelle ayant combattu pour Alassane Ouattara et
candidat déclaré au scrutin présidentiel. Pris en otage par sa vieille classe
politique, le Côte d’Ivoire paraissait ne pas pouvoir sortir de l’éternel
combat triangulaire entre Alassane Ouattara, Konan Bédié et Laurent
Gbagbo quand, le 5 mars 2020, le président Ouattara annonça qu’il ne
briguerait pas un troisième mandat.
1. Pour Xavier Coppolani qui fut le premier commissaire du gouvernement français dans la région,
« la Mauritanie (était) le prolongement naturel et politique de l’Empire chérifien du Maroc ». Pour
les Marocains, il s’agissait des « provinces de Chenguit », région qui a toujours gravité dans
l’orbite du Maroc.
2. Au mois d’avril 1989, à la suite d’un incident ayant opposé des agriculteurs sénégalais à des
pasteurs mauritaniens, des émeutes eurent lieu de part et d’autre de la frontière et devant l’ampleur
du mouvement, un pont aérien fut mis en place entre les deux pays afin de rapatrier les immigrés
dans leurs pays respectifs. Par la même occasion, des Négro-Mauritaniens furent arrêtés en
Mauritanie et expulsés vers le Sénégal. À partir du mois de mai 1989, le mouvement d’expulsion
des Négro-Mauritaniens prit de l’ampleur. Au mois de mai 1992, la situation se détendit avec la
reprise des relations diplomatiques entre les deux pays et la réouverture de la frontière.
3. Lors du premier tour du scrutin, M. Ibrahima Moctar Sarr du Mouvement pour la réconciliation
nationale qui représentait les négro-africains obtint 7,95 % des voix, quant à M. Messaoud Ould
Boulkheir de l’Alliance populaire progressiste représentant les haratines (anciens esclaves), il
réunit sur son nom 9,79 % des suffrages.
4. La Fédération du Mali (union avec le Sénégal) accéda à l’indépendance le 20 juin 1960. En
septembre, la rupture se produisit et la République du Soudan fut proclamée sous le nom de Mali
avec Modibo Keita comme président. Le 19 novembre 1968 il fut renversé par l’armée.
5. Né le 29 mai 1926 au sud de Saint-Louis, vice-président de l’internationale libérale, avocat au
barreau de Paris, Abdoulaye Wade fut un opposant plusieurs fois arrêté par le pouvoir. Personnage
contradictoire, il fut également et par deux fois ministre sous le président Diouf, d’avril 1991 à
octobre 1992 et de mars 1994 à avril 1998. Abdoulaye Wade fut au total cinq fois candidat 1978
contre Léopold Senghor puis 4 fois contre Abdou Diouf.
6. Le nom même de Casamance vient du Kasa mansa ou roi du Kasa, petit royaume local tributaire
de l’empire du Mali qui fut reconnu en 1456 par Alvise Cadamosto, un Vénitien au service du
Portugal.
7. On se reportera à ce sujet à la thèse de Diallo Elhadj Ramadan (2018).
8. Durant ses 24 années de pouvoir (de 1958 à 1984), un Guinéen sur trois a quitté le pays qui s’est
ainsi vidé de ses élites.
9. Les votes dans la préfecture de Siguiri en Haute Guinée, là où le candidat malinké Alpha Condé
avait obtenu plus de 90 % des voix furent ainsi annulés, ce qui lui fit perdre 100 000 voix.
10. Les principaux d’entre eux étaient :
– le PUP (Parti de l’Unité et du progrès) du Général Lansana Conté (Soso) ;
– le RPG (Rassemblement du Peuple de Guinée) d’Alpha Condé (Malinké) ;
– le PRP (Parti du Renouveau et du Progrès) de Siradiou Diallo (Peul) ;
– l’UNR (Union pour la Nouvelle République) de Ba Mamadou (Peul).
11. Fondé par l’ancien premier ministre Sidya Touré, leader de l’Union des forces républicaines
(UFR). Premier ministre de Lansana Conté de 1996 à 1999, il est devenu opposant en 2000.
12. L’article 34 de la Constitution guinéenne prévoit qu’en cas de vacance à la tête de l’État, le
président de l’Assemblée nationale assure l’intérim et organise une élection présidentielle dans les
soixante jours.
13. Les Toma ne constituent que 2 % de la population et le pays est en très grande majorité
musulman.
14. La zone diamantifère se trouve en région orientale limitrophe de la Guinée forestière et du
Liberia avec pour chef-lieu Kenema et la ville de Koidou-Senafou, riche en diamants alluviaux.
15. Il y eut d’ailleurs de fréquents affrontements entre colons noirs et indigènes et même de
véritables conflits, notamment avec les Temnés vers 1805-1807.
16. Charles Taylor et Foday Sankoh appartenaient tous deux à l’ensemble Mandé.
17. La paix fut rompue quand les forces de l’ONU tentèrent de se déployer dans l’est du pays, c’est-
à-dire dans les zones de production des diamants tenues par le RUF qui y vit une agression.
18. En 2002 Foday Sankoh fut de nouveau arrêté et il mourut le 29 juillet 2003 à l’hôpital de
Freetown.
19. Le 13 août 2008, les locaux du parti d’opposition SLPP (Parti du Peuple de Sierra Leone) furent
attaqués par des militants de l’APC au pouvoir.
20. L’ancien parti unique de Siaka Stevens qui fut au pouvoir de 1968 à 1992.
21. Il fut élu président de la République en 1985.
22. Les Krahn sont apparentés aux Beté de Côte d’Ivoire, ethnie de M. Laurent Gbagbo. Quant aux
Mano et aux Gyo, ce sont des cousins des Yacuba/Dan, ethnie de feu le général Robert Guei,
éphémère chef de l’État ivoirien.
23. Sur le film video on voit Prince Yormie Jonhson couper les oreilles de Samuel Doe encore vivant.
Réfugié au Nigeria depuis 1992, Prince Johnson est devenu chrétien évangéliste.
24. Au mois de mars 2006, le Nigeria semblant vouloir revenir sur ses engagements, Charles Taylor
tenta de s’enfuir au Cameroun, mais il fut arrêté et extradé en Sierra Leone où siégeait alors la
CSSL (Cour Spéciale pour la Sierra Leone), chargée de juger les responsables des crimes de guerre
et des crimes contre l’humanité commis durant le conflit qui avait ravagé ce pays. Accusé d’en être
l’un des instigateurs. La CSSL ayant été transférée à La Haye, aux Pays-Bas, au mois d’avril 2006,
son procès s’y est ouvert au mois de juin 2007. Il fut condamné à 50 années de prison.
25. Il ajoutait : « Ces hommes, grâce à la colonisation, ont constitué un embryon de nation. Donc,
grâce à la colonisation, il y aura demain une nation ivoirienne. »
26. Les peuples lagunaires sont les Attié, les Abé, les Ebrié, les Abidji, les Abouré, les Adioukou, les
Avikam, les Alladian et les Nzima (ou Appoloniens).
27. Ceci explique pourquoi le terme « Kroumen » servit à désigner toutes les populations du littoral
qui s’embarquaient à bord des navires européens.
28. Les Kru vivent également au Liberia où ils sont connus sous le nom de Krou et où ils sont divisés
en cinq tribus, Bassa, Grébo, Krahn, Béllé et Déi.
29. Cette atomisation des Kru se retrouve dans le domaine linguistique. Le bété, l’une des principales
langues kru, est composé de trois groupes de dialectes, ce qui fait que même à l’intérieur de l’ethnie
bété, l’incompréhension est fréquente. La parenté existant entre les langues kru pourrait être
comparée à celle existant entre les langues romanes dont les différences sont importantes alors que
les langues akan pourraient quant à elles, être comparées aux langues anglo-saxonnes, beaucoup
plus proches les unes des autres (Menehi et Retord, 1980).
30. À la différence de la quasi-totalité des peuples de la région, les Kru ne connaissent pas le culte
des ancêtres.
31. En 1998, la seule aide bilatérale française à la Côte d’Ivoire s’est élevée à environ 1,6 milliard de
FF.
32. C’est contre cette pratique électorale qui permettait le maintien au pouvoir du système Houphouët
Boigny que naquît ce que l’on a appelé l’« Ivoirité » et dont l’inventeur fut Laurent Gbagbo.
33. Le recensement de 1998 donnait chez les nationaux : 34 % de chrétiens, 27 % de musulmans,
15 % d’animistes et 21 % sans religion. Chez les immigrés, on comptait 70 % de musulmans, 20 %
de chrétiens et 2 % d’animistes. Ces chiffres expliquent en partie la politique d’« Ivoirité » car les
ethnies du sud (Akan/Baoulé et Kru) sont majoritairement chrétiennes avec de forts noyaux
animistes.
34. Il est Akan mais non Baoulé car Lagunaire et membre de la petite tribu des Appolo.
35. Cette scission se traduisit également dans la presse qui se « tribalisa ». C’est ainsi que
Le Républicain ivoirien devint l’organe du RDR, donc des Nordistes ; Fraternité Matin demeura
fidèle au PDCI, donc aux Baoulé. Quant aux Bété du FPI (Front populaire ivoirien), ils lisaient Le
Nouvel Horizon.
36. Au mois de février 2001, l’ambassadeur américain en Côte d’Ivoire considéra que le
« gouvernement a été élu dans un cadre non représentatif » car 14 des 19 candidats avaient été
exclus de la présidentielle.
37. Le ministre de l’Intérieur, Emile Boga Doudou et l’ancien président Robert Guei furent
assassinés Le général Guei, présenté à tort comme l’instigateur du putsch fut abattu chez lui, avec
toute sa famille et ses proches, au total 19 personnes. Selon les témoins, le commando responsable
de sa mort aurait été constitué par des membres d’une unité de gendarmerie à recrutement bété.
38. Le bilan fut de 9 morts et de 38 blessés, dont plusieurs graves. Nous savons aujourd’hui que cette
attaque était délibérée comme l’a appris la saisie des disquettes de vol des drones fournis à la Côte
d’Ivoire par la société israélienne Aeronautics Defense Systems. Quelques jours plus tard le
gouvernement israélien annonça un embargo sur les armes et le matériel sensible à destination de la
Côte d’Ivoire.
39. Les hélicoptères et le reste de l’aviation ivoirienne furent ensuite détruits par l’armée française.
40. L’exemple le plus emblématique est celui de la région du bas-Sassandra, en plein pays kru (krou)
où, en raison de l’immigration, les indigènes sont désormais minoritaires, ce qui explique pourquoi
cette région méridionale a voté pour Alassane Ouattara lors du second tour des élections
présidentielles.
41. Respectant sa promesse, le gouvernement versa 5 millions de francs CFA, soit 7 620 euros à
chacun des 8 400 hommes concernés, le reste devant l’être en plusieurs termes. Or, les responsables
de la mutinerie du mois de janvier négocièrent avec le gouvernement dans le dos de leurs mandants
et, à l’issue d’un marchandage complexe, ils renoncèrent officiellement au versement du reste des
sommes promises, à savoir environ 7 millions de francs CFA par mutin. La « base » n’ayant pas
accepté ce geste « patriotique », elle accusa ses leaders d’avoir été achetés… Résultat, le 12 mai,
une nouvelle mutinerie éclata à Bouaké, puis une autre à Abidjan. Une mutinerie d’hommes de
base livrés à leur bon vouloir et n’ayant plus de cadres pour les contrôler… Mais, pour encore
compliquer l’affaire, ceux des « anciens combattants » ayant porté Alasssane Ouattara au pouvoir
et qui n’avaient pas été intégrés dans l’armée, réclamèrent eux aussi ce qu’ils estiment être leur dû.
Or, en raison de l’effondrement du prix de la noix de cacao, les caisses de l’État étaient vides.
Chapitre IV.
L’espace saharo-sahélien

Les immensités saharo-sahéliennes sont le domaine du temps long dans


lesquelles l’affirmation d’une constante islamique radicale, alibi de
l’expansionnisme de certains peuples, est régulièrement le paravent cachant
des intérêts économiques ou politiques.
Au XIe siècle, derrière ses grandes proclamations de foi purificatrice, le
jihad des Berbères Almoravides visait ainsi l’or du Ghana au sud et les
riches cités marchandes marocaines au nord. Au XVIIIe siècle, les jihad des
Peul furent d’abord des entreprises de destruction des chefferies sédentaires
auxquelles ces pasteurs étaient alors soumis. Quant au mahdisme soudanais,
au XIXe siècle, son appel à la guerre sainte, masquait une volonté de contrer
l’impérialisme égyptien qui faisait courir un danger mortel au commerce
esclavagiste régional.
En guerre depuis les indépendances (conflits du Tchad et guerres touareg
du Mali et du Niger) l’espace saharo-sahélien s’est de nouveau embrasé
durant la décennie 2010-2020, quand, au Mali, au Niger, au Nigeria, au
Tchad et au Cameroun, l’islamisme s’est greffé sur une opposition nord-sud
dans une résurgence – sous une forme nouvelle –, des anciennes oppositions
ethniques et des frustrations régionales.
Immiscés avec opportunisme dans le jeu politique local, les islamo-
jihadistes y provoquèrent la surinfection de la plaie ethno-raciale ouverte
depuis la nuit des temps. Cette dernière a d’autant moins de chance d’être
refermée que la région est devenue une terre à prendre en raison de ses
matières premières (uranium, fer, pétrole, etc.), et de son rôle de plaque
tournante de nombreux trafics. Avec, en arrière-plan, une tension entre
agriculteurs et pasteurs aggravée par la suicidaire explosion démographique
qui a provoqué un phénomène d’extension des terres arables aux dépens des
pâturages et une surexploitation des puits1.

A. La terre et les hommes


La région saharo-sahélienne s’aridifie depuis environ 5 000 ans. Cette
tendance lourde est illustrée par la descente de 100 à 150 kilomètres vers le
sud des isohyètes moyennes.

1. Un milieu original
La mise en place des populations et toute l’histoire régionale sont
inscrites dans ce phénomène de péjoration climatique. Ayant provoqué de
grands bouleversements dans la vie des hommes, il les contraignit en effet à
s’adapter, à migrer ou à entrer en compétition pour la jouissance d’un
milieu dont les zones favorables se rétrécissaient.
Aujourd’hui, le phénomène est fortement aggravé par une poussée
démographique entraînant la destruction du maigre couvert végétal et
l’épuisement des points d’eau. À telle enseigne que le qualificatif de
« suicidaire » qui est donné à cette folle augmentation du nombre des
Sahéliens n’est pas une exagération.
Vaste de plus de plusieurs millions de kilomètres carrés, l’espace saharo-
sahélien est composé de deux ensembles, le désert du Sahara et le Sahel qui
s’interpénètrent. Monde naturellement ouvert, l’espace saharo-sahélien est
aujourd’hui cloisonné par des frontières artificielles que Pierre Gourou
(1982) qualifiait de « pièges à peuples » et dont l’artificiel tracé ne tient pas
compte de la remarque du capitaine Larroque pour qui « la meilleure
frontière est celle qui sépare des zones de transhumance différentes2 ».
Prises au piège de ces lignes artificielles, les populations « blanches » au
nord et noires au sud sont historiquement en rivalité pour le contrôle des
zones intermédiaires situées entre le désert et les savanes. Ces dernières
forment le Sahel « rivage » en arabe (al Sàhil), couloir de 4 000 kilomètres
de long s’étendant du Sénégal au Soudan du Nord, de l’atlantique à l’ouest
jusqu’à la mer Rouge à l’est3. Au nord, il s’abîme insensiblement dans la
désolation saharienne, cependant qu’au sud, il se fond par touches dans le
monde des savanes.
D’ouest en est, le Sahel englobe en totalité ou partie neuf États
(Mauritanie, Sénégal, Mali, Burkina Faso, Niger, Nigeria, Tchad, Soudan
du Nord et une toute petite fraction de l’Érythrée). Le Sahel est à la fois un
espace de contact et de transition entre l’Afrique « blanche » et l’Afrique
« noire ». Composé de zones agricoles au sud et pastorales au nord, il met
en relation la civilisation méridionale des greniers ou Bilad el-Sudan (pays
des Noirs), et celle du nomadisme septentrional, le Bilad el-Beidan (le pays
des Blancs).

2. Une histoire riche et complexe


L’immensité longitudinale saharo-sahélienne est faite de deux grands
ensembles historico-politiques séparés par le lac Tchad :
– à l’ouest du lac, à partir du Xe siècle, et durant plus d’un demi-
millénaire, se succédèrent royaumes et empires, Ghana, Mali et
Songhay. Tous trois contrôlaient les voies méridionales d’un commerce
transsaharien articulé et même ancré sur des villes-marchés mettant en
contact le monde soudanien et le monde méditerranéen. Au XVIe siècle,
la région entra dans une lente période de dormition, conséquence de
trois phénomènes :
• la découverte des mines d’or américaines relégua au second rang
celles de l’ouest africain (Bambouk, Bouré…) ;
• l’installation portugaise sur le littoral provoqua le détournement du
commerce transsaharien vers les comptoirs maritimes lusitaniens ;
• après la conquête de l’empire songhay par le Maroc en 1591 les
populations sédentaires vivant dans la boucle du Niger se retrouvèrent
sans protection et elles furent prises dans la tenaille prédatrice des
Touareg au nord et des Peul au sud ;
– dans l’est du Sahel, entre le lac Tchad et la mer Rouge, la situation fut
différente car le XVIe siècle n’y vit pas la fin des réalités étatiques.
Plusieurs grands royaumes s’y succédèrent en effet, dont le Kanem, le
Bornou, le Darfour et, au XIXe siècle, l’État mahdiste. Directement reliés
à l’Égypte ottomane, les trois premiers furent ses pourvoyeurs en
esclaves et en ivoire.
Les conflits régionaux qui ont ensanglanté cette sous-région reposent
tous sur l’antagonisme entre populations « blanches » et noires. Ce fut le
cas en Mauritanie avec la question des négro-mauritaniens, au Mali et au
Niger avec la question touareg. Au Tchad l’opposition entre les nordistes
Toubou-Goranes-Zaghawa et les sudistes essentiellement Sara est encore
compliqués par de profonds clivages internes aux groupes nordistes.
Depuis la décennie des indépendances, la région saharo-sahélienne est
ravagée par des guerres qui ont six grandes causes :
1. les immensités de ce monde ouvert ont été cloisonnées par des
frontières artificielles qui ont pris au piège des pasteurs nomades
nordistes et des agriculteurs sédentaires sudistes ;
2. avant la colonisation les nomades nordistes razziaient les sédentaires
sudistes, les capturaient pour en faire des esclaves ou pour leur imposer
un tribut. Ces souvenirs très présents dans les mémoires collectives sont
à l’origine des ressentiments et des non-dits expliquant bien des prises
de position actuelles4 ;
3. depuis deux ou trois décennies la région est devenue un relais pour les
organisations mafieuses et une part importante de la production
mondiale de cocaïne y transiterait à destination de l’Europe ;
4. des organisations terroristes islamistes se sont installées dans la région,
profitant de la porosité de ses frontières, trafiquants et terroristes
transnationaux utilisant les anciennes structures précoloniales de
circulation nord-sud ;
5. la région est devenue une terre à prendre en raison de ses matières
premières (uranium, fer, pétrole, etc.) ;
6. après 2011, le vide libyen a donné aux mouvements irrédentistes, aux
trafiquants et aux terroristes, des opportunités d’action exceptionnelles.
Comme le colonel Kadhafi avait une active politique saharo-sahélienne,
son élimination a en effet créé une nouvelle définition géopolitique
régionale. Quant aux armes dérobées dans ses arsenaux, elles irriguent
ces conflits.
En 2020, cinq États, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Nigeria et le
Tchad, étaient directement concernés par cette guerre, cependant que deux
autres, la Mauritanie et le Sénégal, risquaient la contagion. Quant au Ghana,
à la Côte d’Ivoire, au Togo et au Bénin, ils regardaient avec inquiétude
l’extension de la tâche jihadiste nordiste…

3. Les guerres touareg de 1963 à 2009


Le pays touareg ou Kel tamachek s’étend au cœur du Sahara. Avant la
colonisation, les Touareg, Berbères nomades, se considéraient comme les
« seigneurs du désert ». Ils apparaissent aujourd’hui comme les principales
victimes de la décolonisation de l’Afrique de l’Ouest puisque leur peuple,
évalué à un peu moins de deux millions d’âmes a été éclaté entre cinq États
nés des indépendances : Algérie, Mali, Niger, Libye et Burkina Faso.
Les Touaregs qui sont les seuls berbérophones possédant une écriture, les
tifinagh, faite de consonnes et de signes sont divisés en huit grandes
confédérations, subdivisées en une infinité de clans et sous-clans. Tous ont
en commun une langue, le tamasheq ou tamachek. Comme tous les
Berbères, les Touareg font une large place aux femmes.

La société touareg est divisée en trois grands groupes (Bernus, 1992) :


– les Imajiren (Imajeghen) sont les nobles ;
– les imghad sont les tributaires ;
– les ineslemen sont les religieux ;
– les iklan qui sont les serfs sont divisés en trois sous-groupes, les iderfan ou serfs
libres, les iborroliten ou métis touareg-nègres affranchis et les serviteurs.

Relativement homogène au Nord, le peuplement touareg s’est peu à peu


dilué parmi la population des agriculteurs noirs ou des nomades peuls de la
région sahélienne. Issus du découpage de l’ancienne AOF (Afrique
occidentale française), les États sahéliens imposèrent des nationalités
artificielles à ces nomades qui devinrent des étrangers dans des pays qui
n’étaient pas les leurs. Ces hommes des espaces infinis durent accepter de
voir leurs axes de transhumance barrés par des frontières dont le tracé avait
été décidé sans eux, et le plus souvent contre eux. Ils furent également
contraints d’accepter de voir leurs enfants scolarisés dans des langues qui
n’étaient pas les leurs. De plus, afin de ruiner leur mode de vie fondé sur la
transhumance pastorale, les États issus de la décolonisation décidèrent de
les sédentariser de force par la saisie des chameaux et par la confiscation
des troupeaux dès lors qu’ils franchissaient une frontière.
La première révolte touareg éclata en 1962 dans l’Adrar des Iforas, au
Mali, mais le régime du président Modibo Keita réagit avec une grande
fermeté, provoquant un exode en direction de camps de réfugiés situés en
Algérie. Forcés de s’y sédentariser, les Touaregs s’y clochardisèrent. Ce
processus connut une accélération dans les années 1970-1980, au moment
de la grande sécheresse du Sahel qui détruisit les troupeaux et força les
hommes à un repli vers les oasis.
Au Niger la révolte touarégue débuta en 1984, animée par le FLAA
(Front de libération de l’Aïr et de l’Azawagh). Au Mali entre les mois
d’octobre et de décembre 1990 de violents affrontements se produisirent
entre l’armée et les Touaregs, puis, au mois de mai 1990, de graves
incidents éclatèrent à la fois au Mali et au Niger où, durant huit mois, une
véritable « guerre des sables » se déroula. Les armées malienne et
nigérienne organisèrent la répression contre les campements :
« Dès lors, une césure s’opéra entre le monde arabo-berbère et le reste
du pays. Le Mali devint un peu comme le négatif de la Mauritanie, avec
une majorité noire de plus en plus hostile à une minorité blanche. »
(Bernus, 1992 : 29)
Le 6 janvier 1991, à Tamanrasset, sous l’égide de l’Algérie, les Touaregs
du Mali signèrent un accord de cessez-le-feu avec le régime malien du
général Moussa Traoré, mais la guerre reprit en 1991 dans l’Aïr. Après le
renversement du général Traoré, un « pacte national » fut signé le 11 avril
1992 à Bamako entre les autorités maliennes et une coordination des
multiples mouvements touaregs du Mali. En mai 1992, les hostilités
reprirent. À la fin de l’année 1994, les combattants touaregs contrôlaient le
nord du Mali et du Niger5. En 1995, un accord de paix parrainé par
l’Algérie et le Burkina Faso fut signé. Il prévoyait une large autonomie, la
reconversion des combattants et une meilleure répartition des revenus de
l’uranium. Extrêmement divisés, les Touaregs déposèrent donc les armes,
mais la question touareg n’était pas résolue pour autant.
Après cette date, les hostilités n’ont jamais véritablement cessé, ainsi au
mois de mai 2006, dans le nord du Mali où des rebelles touaregs attaquèrent
deux camps militaires et créèrent l’ADC (Alliance démocratique pour le
changement). Puis, au mois de février 2007, c’est au Niger que reprirent les
activités militaires touarégues sous l’égide du MNJ (Mouvement des
nigériens pour la justice) dirigé par Agaly Alambo.
En 2008, les forces armées maliennes durent faire face à des actions
multiples traduisant un glissement vers le sud de la rébellion et l’apparition
de plusieurs factions. Si les précédentes rébellions étaient clairement
identifiées à la fois géographiquement, extrême nord du pays (Adrar des
Ifoghas) et ethniquement (tribu Ifogha), il n’en était plus de même.
L’ATNMC (Alliance touarègue Nord-Mali pour le changement),
mouvement essentiellement Ifogha dirigé par Ibrahim Ag Bahanga n’avait
en effet plus le monopole de la rébellion puisque le clan Imghad obéissant à
Akli Ag Iknane était lui aussi entré en dissidence et sous ses propres
couleurs. Le 22 mai, l’ATNMC s’empara du poste d’Abeïdane situé à une
centaine de kilomètres au nord de Kidal.
Au même moment, dans le nord du Niger, l’armée devait faire face aux
rebelles du MNJ (Mouvement nigérien pour la justice) d’Aghalahy
Alambo6.

B. Les guerres du Mali et leur extension régionale


Au Mali, en 2012, à la permanence de l’irrédentisme touareg, donnée de
longue durée, se greffa avec opportunisme l’islamo-jihadisme. Un conflit
primitivement identitaire changea alors de nature.

1. De la guerre touareg à la guerre islamiste (2011-2013).


Au mois d’octobre 2011, deux ans après la fin de la quatrième guerre
touareg, fut fondé le MNLA (Mouvement national de libération de
l’Azawad) qui engerbait plusieurs mouvements et dont l’ossature était
composée de Touareg Ifora qui avaient servi dans l’armée du colonel
Kadhafi.
Avec le MNLA, c’était une nouvelle forme de revendication qui était
formulée. Lors des précédentes insurrections les Touareg s’étaient en effet
battus pour obtenir plus de justice alors qu’au mois de janvier 2012 après
avoir mis en déroute les forces armées maliennes, le MNLA exigeait la
partition du Mali et la création d’un État de l’Azawad.
Cependant, deux problèmes se posèrent alors au mouvement :
– les Touareg ne constituent pas les seules populations de l’Azawad. Il
existe en réalité trois Azawad : celui des Touareg, à l’est, celui des
Maures à l’ouest et celui du fleuve à la population composite : Songhay,
Peul, Maure, Touareg, etc. ;
– à un mouvement initialement touareg avec une composante maure, se
joignirent par opportunisme les combattants islamistes et islamo-
mafieux du Mujao7 puis ceux d’Ansar Dine qui supplantèrent le MNLA
et le chassèrent même de Gao, Tombouctou et Kidal.
Deux guerres avaient donc éclaté au Mali :
– la première qui concernait essentiellement les Touareg était, et nous
venons de le voir, menée par le MNLA dont le but était l’indépendance
de l’Azawad, ce qui passait par la partition du Mali ;
– la seconde était menée par les jihadistes d’Ansar Dine et du Mujao dont
l’objectif, totalement différent, était l’instauration d’un califat
islamique, au Mali et plus largement dans toute la zone sahélo-
saharienne. Dirigé par Iyad Ag Ghali, un Touareg Ifora, tribu qui
fournissait l’essentiel des troupes du MNLA, Ansar Dine était composé
de sahéliens de diverses ethnies dont des Touareg et des Arabes
sahariens comme des Chaamba, des Reguibat ou encore des Maures.
Une accélération des événements se produisit début janvier 2013 quand
se fit une tentative jihadiste de progression vers le sud, en direction de
Mopti, puis de Bamako. Le 8 janvier 2013 la ville de Konna fut prise et,
dans l’urgence, François Hollande, le président de la République française
donna l’ordre d’intervention.
Le 11 janvier 2013, une colonne se dirigeant vers le sud, fut alors
« traitée » par des hélicoptères français. L’Opération Serval venait de
débuter, légitimée par la résolution 2085 du Conseil de sécurité des Nations
unies du 20 décembre 2012 qui prévoyait une aide destinée à reconstituer
une armée malienne apte à reprendre le contrôle de la partie nord du pays.
Le 25 janvier 2013, les forces françaises prirent Gao, le 27 janvier, ce fut
le tour de Tombouctou, puis de Kidal le 30 janvier. Les jihadistes furent
ensuite repoussés vers le massif des Iforas où ils furent cernés. Le 8 février
2013, la ville de Tessalit fut libérée. Puis, à partir du 18 février, fut
déclenchée l’opération Panthère II qui consista dans la réduction des
éléments jihadistes repliés et retranchés dans les Iforas.
Après les élections présidentielles du mois d’août 2013, légitimés par le
scrutin, les politiciens sudistes refusèrent de prendre véritablement en
compte les revendications nordistes. Pour Bamako, les ennemis n’étaient
d’ailleurs pas tant les islamistes que combattaient les soldats français, que
les séparatistes touareg8.
Le 23 mai 2014 furent signés les accords de paix de Kidal sous les
auspices de l’Union africaine et de la Mauritanie. Un processus de paix
sembla alors s’engager, et, le 15 mai 2015, l’accord de paix et de
réconciliation d’Alger fut signé. Cependant, la mise en place de cet accord
fut impossible car, comme les groupes armés vivaient de l’insécurité et des
trafics, ils n’avaient donc pas intérêt à encourager la fin des hostilités. Tout
le nord du Mali est en effet irrigué par le trafic du haschich et de la cocaïne
qui a donné de formidables opportunités aux populations locales9.
Jusque dans les années 2000, le monopole de ce trafic fut détenu par des
tribus arabes, qu’il s’agisse des Bérabiches dans la région de Tombouctou et
Taoudeni, ou des Lamhar de Gao et de la vallée du Tilemsi. Aujourd’hui, ce
monopole arabe n’existe plus car des Touareg sont à leur tour devenus actifs
dans ce trafic à ce point lucratif, que les larges solidarités ethniques, ont
éclaté au profit d’un morcellement clanique, rendant encore plus difficile
toute analyse et donc toute sortie de crise.
Ainsi, en plus des traditionnels affrontements entre Arabes et Touareg,
c’est désormais à l’intérieur de ces ensembles qu’existent des divisions.
Tribus et narcotrafiquants sont ainsi engagés dans la constitution d’alliances
de circonstances fluctuantes et fragiles qui viennent encore davantage
obscurcir toute tentative de règlement politique.
Dans son rapport du 12 juin 2018, Crisis Group a synthétisé la question
en écrivant que :
« […] la frontière entre le combattant jihadiste, le bandit armé et celui
qui prend les armes pour défendre sa communauté est floue. Faire
l’économie de cette distinction revient à ranger dans la catégorie
« jihadiste » un vivier d’hommes en armes qui gagnerait au contraire à
être traité différemment. » (Crisis, 2018 : 17)
Le délitement du MNLA
Ayant échoué à obtenir l’indépendance ou, du moins, une très large autonomie de
l’Azawad, le MNLA se trouva affaibli, avec pour conséquence l’isolement de plus en
plus net des Ifora. Refusant le leadership trop prononcé de ces derniers, les Touareg
et leurs alliés se divisèrent peu à peu. Parmi les tribus ayant à l’origine rejoint le
MNLA, figuraient les Idnanes, les Imididaghane, les Chamanamass, les Kel Antessar
(Kel Ansar) et les Daoussak10.
La CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad) était ainsi une émanation ifora,
Alghabass Ag Intalla, le frère de l’amenokal des Ifora dirigeait le HCUA (Haut conseil
pour l’unité de l’Azawad), quant à son numéro 2, Cheikh Ag Aoussa, tué le 8 octobre
2016 dans l’explosion d’une mine (?)11 il était lui aussi ifora, comme le chef du MNLA,
Bilai Ag Achérif.
Au mois de décembre 2012, les Chamanamass de la région de Gao, fondèrent le
FPA (Front populaire de l’Azawad) qui s’allia ensuite au GATIA […] du colonel Ag
Gamou. Au mois de septembre 2016, les Daoussak créèrent le MSA (Mouvement
pour le Salut de l’Azawad), une scission dirigée par Moussa Ag Acharatoumane
cofondateur du MNLA, puis, au mois d’octobre 2016, les Kel Antessar (Kel Ansar) se
séparèrent du MNLA pour créer le CJA (Congrès pour la justice dans l’Azawad) dirigé
par Hama Ag Mahmoud.
Tout se passa alors comme si chaque fraction tribale et même clanique touareg ou
apparentée, avait voulu former son propre groupe afin d’exister politiquement et cela
afin de pouvoir contrôler sa fraction de zone de désert sur les axes du narcotrafic
alors aux mains de quelques familles arabes.
Le résultat de ce délitement fut donc l’apparition d’une véritable mosaïque de groupes
armés à base tribale et même clanique, donc une baisse du poids politique du MNLA
et de la CMA, ramenés peu à peu à leur seule composante ifora.

2. La guerre du Macina
En 2015, après l’Azawad au nord, ce fut le centre du Mali, l’ancien
Macina historique, région administrative de Mopti, qui s’embrasa.
En partie composé du delta intérieur du Niger (Gallais, 1967), le Macina
est partiellement inondé une partie de l’année, donnant naissance à des
zones exondées très fertiles convoitées à la fois par les agriculteurs Dogon
(± 45 % de la population), Songhay ou Bambara, ainsi que par les éleveurs
Peul (± 30 %).
Au mois de janvier 2015, un Peul du Macina, Amadou Koufa, de son vrai
nom Amadou Diallo, créa le FLM (Front de libération du Macina),
diverticule d’Ansar Dine et connu localement sous le nom de Katiba
Macina.
Amadou Koufa ancra clairement sa revendication sur l’ethnie peul. C’est
ainsi qu’au début du mois de novembre 2018, il publia une vidéo dans
laquelle il parût aux côtés d’Iyad Ag Ghali, le chef du mouvement Ansar
Dine et de l’Algérien Djamel Okacha membre d’Al-Qaïda. Dans cette vidéo
qui annonçait l’union des groupes jihadistes régionaux dans le GSIM
(Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), il demandait aux Peul de
se soulever et cela : « […] où qu’ils se trouvent : au Sénégal, au Mali, au
Niger, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Nigeria, au Ghana et au
Cameroun ».

Peul et Dogon
À partir de l’année 2018, dans la région du Macina, des affrontements meurtriers ont
opposé Peul et Dogon12.
Le pays dogon qui déborde sur le Burkina Faso est situé au sud-ouest de la boucle
du Niger et il fait administrativement partie de la région de Mopti. Son cœur est
constitué par le plateau de Bandiagara dont la hauteur varie de 300 à 600 m. Il est
délimité par une paroi abrupte coupée de failles, véritable barrière constituée
d’éboulis de pierre bordés par un étroit piedmont de terre cultivable. À l’abri de cette
forteresse naturelle les Dogon ont réussi à survivre entourés par un monde
musulman hostile.
Ce n’est pas par choix qu’ils s’étaient jadis fixés dans la région pauvre en eau des
falaises de Bandiagara. Leur installation est en effet l’aboutissement d’un long
processus de repli devant la poussée musulmane qui se traduisit par une chasse
effrénée à l’esclave. Les traditions des Dogon rapportent ainsi qu’ils sont originaires
de l’ouest et qu’ils durent fuir devant un ennemi à cheval. Parvenus dans les falaises
de Bandiagara, ils s’y retranchèrent, harcelés en permanence par les chasseurs
d’esclave.
Or, ces esclavagistes étaient majoritairement des Peul dont l’installation dans la
région, notamment dans le Gourma, avait débuté au XVIIe siècle.
En 1893, le général Archinard conquit la région et, ayant compris que l’arrivée des
Français leur apportait la paix, ils redescendirent peu à peu des falaises dans
lesquelles ils s’étaient réfugiés pour se réinstaller dans la plaine occupée par les
Peul.
Le phénomène qui débuta dans les années 1930, donna naissance à l’actuelle
occupation de l’espace, à savoir un enchevêtrement des villages dogon et des
campements peul.
Depuis deux ou trois décennies, en raison, de l’essor démographique des Dogon, de
l’adoption de l’élevage par ces derniers et de la péjoration climatique, la cohabitation
des deux peuples est devenue de plus en plus difficile. D’où de très nombreux
affrontements dont profitent les jihadistes peul qui volent au secours de leurs frères
par le sang et par la religion et qui voient dans les Dogon, même quand ils sont
devenus musulmans, des païens qu’il importe de châtier.
Quant aux Dogon, ils considèrent les Peul comme des envahisseurs cherchant à
reprendre une conquête qui avait été mise entre parenthèses par la colonisation.

Au Macina, accusés par les sédentaires, notamment les Dogon, de


soutenir les jihadistes, les Peul furent régulièrement victimes d’exécutions
sommaires ou même de massacres de grande ampleur13 et l’ethnisation du
conflit prit peu à peu une forme de plus en plus radicale avec la constitution
de groupes ethniques d’autodéfense Bambara, Dogon et Peul. Dans cette
région, les GAT (Groupes armés terroristes) se fondaient donc dans le
maillage ethnique, étendant leurs métastases par l’exploitation de toutes les
rancœurs, de toutes les frustrations. Le mouvement toucha ensuite la région
dite des « trois frontières » puis le nord du Burkina Faso à partir de 2017.

Qui sont les jihadistes sahéliens14 ?


En 2019 les trois principaux groupes jihadistes opérant dans la partie occidentale du
Sahel (Mali, Niger et Burkina Faso) étaient :
1. le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) dont le chef était le
Touareg ifora Iyad Ag Ghali qui « semblait » être le leader de la nébuleuse jihadiste
sahélienne. Ce mouvement était officiellement rattaché à Al-Qaida ;
2. Ansarul Islam, créé au mois de décembre 2016 par un Peul nommé Ibrahim Dicko
affilié à Al-Qaida. Au Burkina Faso, son centre opérationnel était situé dans la
région de Djibo, dans le nord du pays ;
3. le troisième groupe apparu en 2018, était affilié à l’État islamique. Il s’agit de l’État
islamique au grand Sahara (EIGS) qui opérait dans la région des « trois frontières »
ainsi que dans l’est et dans le centre-est du Burkina Faso. Étranger à la région dans
laquelle opère son groupe, son chef, Adnane Abou Wali Al-Saharaoui s’y est
implanté en épousant une Peul15.
– Le cœur de la zone d’action d’Adnane Abou Wali Al-Saharaoui était la région des
« trois frontières » (Mali-Niger-Burkina Faso) où son groupe s’était inséré dans le
maillage peul. Bien que collaborant avec les autres GAT, son autonomie était totale.

3. Le front de la région des « trois frontières » (Mali-


Niger-Burkina Faso)
Sur l’axe Ménaka-Tillabéri, dans la région des « trois frontières » (Mali-
Niger-Burkina Faso), le jihadisme a également réveillé les conflits d’hier.
Cette région fait parler d’elle depuis le 4 octobre 2017, jour où un
élément américano-nigérien à ossature de forces spéciales tomba dans une
embuscade près de Tongo Tongo, un village situé à proximité de Tillaberi,
faisant 4 morts parmi les soldats américains et au moins cinq parmi les
Nigériens, ainsi que plusieurs blessés. Pour la première fois, des assaillants
s’en étaient pris ouvertement, et dans un combat frontal, à une force
occidentale, qui plus est, à des forces spéciales.
Cette attaque s’était produite dans une zone dans laquelle le paravent
islamique cache le cœur de la question. Ici, tout se greffe en effet sur
l’opposition entre Peul, Touareg, Imghad et autres groupes
traditionnellement engagés dans une féroce compétition, hier pour le
contrôle des points d’eau et des pâturages, aujourd’hui pour la maîtrise des
routes du trafic. Dans ce contexte, certains Peul se sont jihadisés afin de
pouvoir lutter contre leurs concurrents, notamment les Imghad. Ces derniers
qui avaient été primitivement armés par le Mali pour lutter contre les
Touareg Ifora du MNLA, profitèrent de la situation pour s’en prendre à
eux16.
Ici, l’actuel conflit a commencé au début de l’année 2012, quand,
inquiets de voir les Touareg et les Daoussak rejoindre le MNLA, les Peul de
la zone frontière se rapprochèrent des jihadistes (Crisis, 2018 : 8). Au début
de l’année 2019, les groupes armés régionaux opposés aux jihadistes étaient
le Gatia représentant les Imghad et le MSA (Mouvement pour le Salut de
l’Azawad), émanation des Daoussak. Face à eux, nous trouvions les
groupes participant au jihad armé, à savoir l’EIGS et les mouvements
Mourabityoun et Jamaat Nosrat al Islam wal Muslimin qui recrutaient
essentiellement parmi les Peul et chez certains Djerma.

4. La contagion au Burkina Faso17


Le 5 août 1960, la Haute-Volta accéda à l’indépendance et le Mossi
Maurice Yaméogo en fut le premier président. Le 4 janvier 1966, le colonel
Sangoulé Laminaza le renversa, puis, au mois de février 1981, le colonel
Saye Zerbo prit le pouvoir à la suite d’un putsch. Le capitaine Thomas
Sankara, Peul par son père et Mossi par sa mère, fut nommé secrétaire
d’État à l’Information ; poste dont il démissionna au mois de mai 1982.
Le 25 novembre 1980, le colonel Zerbo fut renversé par un groupe de
militaires regroupés dans le Conseil de salut du peuple (CSP) qui installa le
médecin commandant Jean-Baptiste Ouédraogo au pouvoir et désigna le
capitaine Sankara comme Premier ministre. Bientôt les relations se
tendirent entre le chef de l’État, pro-occidental, et son Premier ministre
admirateur du colonel Kadhafi.
Dans la nuit du 4 au 5 août, le capitaine Blaise Compaoré à la tête des
para-commandos prit la ville de Ouagadougou lors d’un putsch qui fit
plusieurs dizaines de morts et de blessés. Le capitaine Sankara s’imposa à la
tête des putschistes et le 25 août fut constitué un Conseil national de la
révolution (CNR), composé de cinq militaires et de quinze civils
appartenant à divers courants marxistes, pro-chinois, pro-soviétique et pro-
albanais. Le capitaine Sankara devint chef de l’État, fonction qu’il cumula
avec celle de ministre de l’Intérieur et de la Sécurité cependant que Blaise
Compaoré était le numéro deux du régime. Le commandant Lingani fut
désigné ministre de la défense nationale et le capitaine Zongo ministre des
Sociétés d’État. Le 4 août 1984, la Haute-Volta devint le Burkina Faso.
Le « sankarisme »
Arrivé au pouvoir dans un contexte économique catastrophique, le capitaine Sankara
répudia les modèles de développement importés et entreprit ce qui a été défini
comme la « révolution sankariste » laquelle était composée de deux volets. Le
premier n’était rien d’autre qu’un retour au réel, à savoir que la Haute Volta étant un
pays sans ressources autres qu’agricoles, il était impératif d’aider au développement
rural en favorisant les cultures locales, en limitant les importations de produits vivriers
étrangers qui venaient les concurrencer, en lançant une politique de formation de la
jeunesse et de la promotion féminine, tout en diminuant les dépenses de l’État. Le
pendant de cette approche concrète était l’adhésion aux mythes marxistes à la mode
et le pays s’engagea dans l’impasse du marxisme tiers-mondiste cependant que les
factions marxistes s’entredéchiraient à la tête de l’État.

Le CNR prit en main la population par le biais des Comités de défense de


la révolution (CDR) et fit régner la terreur grâce aux Tribunaux
révolutionnaires. Créés par une ordonnance du mois d’octobre 1983, ces
derniers commencèrent à siéger au mois de janvier 1984, rendant la justice
devant le peuple, sans ministère public et sans avocat.
Le 15 octobre 1987, le palais présidentiel fut attaqué par des putschistes
et Thomas Sankara trouva la mort durant l’assaut dans des circonstances
controversées. Au nom du Front populaire, le capitaine Blaise Compaoré18
devint chef de l’État après avoir dissous le CNR et il mit un terme aux
aventures idéologiques.
Le 18 septembre le commandant Jean-Baptiste Lingani et le capitaine
Henri Zongo accusés de tentative de coup d’État furent exécutés. Au mois
de mars 1990, le Burkina Faso amorça une transition démocratique et le
19 janvier 1991 le multipartisme fut instauré. Le 2 juin 1991 la Constitution
de la IVe République fut adoptée par référendum et le 1er décembre 1991,
Blaise Compaoré était élu président de la République alors que le taux des
abstentions atteint 74 %. Il fut réélu le 15 novembre 1998 et le 13 novembre
2005.

À l’époque coloniale, la Haute-Volta a vu ses frontières plusieurs fois redessinées19.


Ces remaniements frontaliers ont laissé des traces tout au long de l’actuelle frontière
de 3 000 km que le pays partage avec six États, le Mali, le Niger, la Côte d’Ivoire, le
Bénin, le Togo et le Ghana et ils expliquent les guerres de 1974 et de 1985 contre le
Mali à propos d’une zone revendiquée à la fois par les deux pays. Le principal
différend a été tranché en 1986 par la Cour internationale de justice (CIJ).
Périodiquement, la tension est également vive avec le Niger au sujet de la
souveraineté revendiquée à la fois par Ouagadougou et par Niamey sur quelques
localités à cheval sur l’imprécise frontière. Afin d’éviter tout embrasement, les deux
pays ont décidé de s’en remettre là encore à la CIJ et dans l’attente de son avis, la
zone contestée est conjointement administrée. Le Burkina Faso a également un
contentieux territorial avec le Bénin, portant sur la souveraineté de 68 km2 dans la
région de Koualou.

En 2014, Blaise Compaoré fut chassé du pouvoir ainsi que son bras droit,
le général Diendéré20. Le pays, qui avait réussi à se tenir à l’écart des
actions jihadistes, fut ensuite victime de violentes actions terroristes faisant
des dizaines de morts, tant civils que militaires. La situation y devint à ce
point grave que l’existence même du Burkina Faso fut menacée.
C’est en 2016 que débutèrent ces attaques terroristes. D’abord dans le
nord, région du Soum, limitrophe du Macina malien et en contagion des
évènements qui s’y déroulaient, puis, dans l’est du pays, provoquant de
fortes réactions ethniques. Dans ces régions où le maillage administratif
était lâche, les GAT achevèrent sa destruction en attaquant les
gendarmeries, les casernes, les écoles. Le 2 mars 2016 la capitale,
Ouagadougou fut le théâtre d’un attentat sanglant revendiqué par le Groupe
de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM).

Dans la seconde partie de l’année 2017, la tache terroriste s’étendit vers


le sud, depuis la région frontalière avec le Mali. Puis, en 2018, la situation
commença à échapper au contrôle des forces de sécurité nationales quand, à
leur tour, furent touchées les régions peu peuplées de l’est et du centre-est
où existait une tradition de banditisme de brousse. Puis, les attentats
ciblèrent la population en général avec utilisation de mines antipersonnel.
Laissées sans protection, les Forces de Défense et de Sécurité (FDS)
étant totalement dépassées, les populations s’armèrent et constituèrent des
groupes d’auto-défense qui s’attaquèrent aux Peul suspectés d’être de
connivence avec les terroristes. Résultat, la mosaïque ethnique du Burkina
Faso menaça de se déliter.
Durant les derniers mois de l’année 2018, l’est de la région de Fada-
Ngourma fut touché par les actes terroristes. Ici aussi, abandonnées par
l’armée et par l’administration, les populations locales levèrent des milices
notamment en pays mossi, ce qui amplifia encore une tension ethnique dont
profitèrent les jihadistes qui exploitaient les revendications locales avec
opportunisme et habileté. C’est ainsi que dans l’est du Burkina Faso, ils
veulent supprimer l’immense réserve naturelle d’où les villageois ont été
expulsés, et ils autorisent la chasse et l’extraction de l’or.
Le but des GAT était clair : déstabiliser le Burkina Faso afin de s’ouvrir
un couloir de terrorisme vers les pays du littoral, Bénin21, Togo, Ghana et
Côte d’Ivoire.

5. Les fronts du Niger


En 2019, le Niger était menacé à la fois au sud et au nord. Au sud, outre
la région des « trois frontières », un autre front était ouvert à l’est face à
Boko Haram, cependant qu’au nord la question toubou était mise entre
parenthèses.
Le Niger est tripolaire : l’ouest est Djerma-Songhay (± 22 % de la
population totale), le centre est Haoussa (55 % de la population du Niger),
le nord est Touareg (10 % de la population du pays), cependant que les
Kanouri constituent environ 5 % de la population.
Situé au carrefour des trafics entre l’Afrique sud-saharienne et l’Europe,
au point de jonction des foyers terroristes de la région saharo-sahélienne, de
celui du Nigeria (Boko Haram) et de ceux de Libye, le pays était menacé au
nord par un mouvement Toubou, le MJRN (Mouvement pour la justice et la
réhabilitation du Niger)22, cependant que l’irrédentisme touareg était
toujours latent.
La partie nord du pays est le prolongement territorial des trois
populations qui s’affrontent dans le sud libyen, à savoir les Arabes, les
Touareg et les Toubou.
Dans le nord du Niger le partage territorial du trafic s’articule sur les
Toubou et les Touareg qui sont en concurrence, moins désormais pour
l’espace, les pâturages ou les points d’eau que pour le contrôle des routes de
la contrebande. Aujourd’hui, les deux peuples sont en compétition pour :
1. vendre leurs services aux compagnies étrangères qui veulent assurer la
sécurisation des puits de pétrole et des pipe line. C’est ainsi que le
MJRN dénonce la compagnie pétrolière chinoise China National
Petroleum Corporation (CNPC) accusée à la fois de ne pas
suffisamment intéresser les locaux et de polluer l’environnement ;
2. pour le contrôle des trafics (essence, armes, drogue, migrants, etc.) et,
de plus en plus, pour l’exploitation de l’or du Djado (Haugegaard,
2018).
L’exemple du Niger illustre la catastrophe démographique qui se profile à
l’horizon 2040. Dans un entretien à Jeune Afrique en date du 28 décembre
2014, le président nigérien Mamadou Issoufou a ainsi révélé un sondage
proprement effarant réalisé parmi la population de son pays qui montre que
les Nigériennes souhaitent avoir 9 enfants et leurs maris 11. Le Niger, pays
désertique qui a un taux de fécondité de 7,1 enfants par femme avait
3 millions d’habitants en 1960, et il en aura 40 en 2040 et 60 en 2050.
Comme tous les pays du Sahel, le Niger a une démographie suicidaire.
Dans ce pays particulièrement défavorisé, le taux de natalité qui est de 7,60
enfants par femme avec un taux de natalité de plus de 46 % est le plus élevé
du monde. Ce n’est pas la catastrophe qui y est annoncée, mais l’apocalypse
car les projections annoncent 80 millions d’habitants en 2050 et plus de
200 millions en 2100 (ONU, 2015).
Ceci fait que :
« Malgré les importantes richesses du pays, la plupart des Nigérians
sont plus pauvres aujourd’hui qu’au moment de l’indépendance »
(Crisis Group, 2015).

C. La question du Tchad23
Le 11 août 1960, le Tchad accéda à l’indépendance sous la direction de
François Tombalbaye, un Sara originaire de la région du Moyen-Chari dans
le sud du pays. Le 19 janvier 1962, il imposa le Parti Progressiste Tchadien
(PPT) comme parti unique et promulgua une nouvelle Constitution
instaurant un régime présidentiel.
Détenant tous les pouvoirs, il ancra son régime sur les CTS (Compagnies
tchadiennes de sécurité), police politique et ethnique dévouée à sa
personne. Il imposa également le pouvoir sudiste en écartant des postes
stratégiques les hommes du nord, réalisant ainsi la revanche des Noirs
sédentaires24 sur les nomades « blancs » du BET (Borkou, Ennedi, Tibesti).
Ces derniers, pourtant fortement divisées s’unirent alors.
140. Les ethnies du Tchad

1. De la revanche des sudistes au soulèvement des


nordistes
Dans les années 1965-1968, des soulèvements se produisirent25 et
l’opposition au régime se transforma peu à peu en lutte armée dont le noyau
d’origine nordiste était rassemblé dans un parti politique, l’UNT (Union
Nationale du Tchad) dont l’appareil se réfugia au Ghana où Ibrahim
Abatcha, fonda le Front de Libération du Tchad (FLT). En 1966 le FLT se
transforma en FROLINAT (Front de Libération National du Tchad) dont
Ibrahim Abatcha devint le secrétaire général avant de trouver la mort au
combat le 11 février 1968.
Politiquement, le Frolinat était la réunion de deux courants rebelles
artificiellement unis :
– celui du Nord rassemblait les Toubou ou Goranes26 et il était scindé en
deux, ses deux principaux dirigeants étant Goukouni Weddeye, fils du
Derdéi, le chef spirituel des Tomagra qui sont les Toubou du Tibesti, et
Hissène Habré, membre du clan Anakaza d’Oum Chalouba ;
– celui de l’Est, regroupait de nombreuses ethnies dont celle des
Zaghawa27.
Militairement, le Frolinat était formé par la juxtaposition de deux forces
armées, celle des Toubou ou Deuxième armée du BET, et celle des Zaghawa
et apparentés ou Première armée du Centre-Est.
Un moment unies, les deux grandes composantes du Frolinat menèrent,
deux années durant, en 1968 et en 1969, la vie dure à l’armée
gouvernementale, l’ANT (Armée nationale tchadienne). En avril 1969, la
situation militaire étant quasi désespérée, le président Tombalbaye fit appel
à la France dont l’intervention militaire permit de repousser les forces du
Frolinat.
En 1973, le président Tombalbaye transforma le PPT en Mouvement
National pour la révolution culturelle et Sociale (MNRCS), puis il lança le
pays dans un mouvement d’authenticité, la « tchaditude ». Les Tchadiens
qui durent abandonner leurs prénoms chrétiens28 s’appelèrent désormais
« compatriotes », la toponymie fut modifiée29 et le Yondo devint la culture,
pour ne pas dire la religion nationale30. Le président qui voulait rassembler
les Tchadiens autour de lui obtint le résultat contraire car le pays se replia
sur ses zones ethniques ; puis il fut assassiné par les siens dans la nuit du 13
au 14 avril 1975. Un Conseil supérieur militaire issu de l’armée sudiste prit
le pouvoir avant de désigner le général Félix Malloum pour lui succéder. Au
mois d’octobre 1975, ce dernier obtint le retrait total des troupes françaises.
Le général Malloum tenta une politique de réconciliation nationale qui
fut refusée par Goukouni Weddeye, le nouveau chef du Frolinat, tandis
qu’Hissène Habré31 acceptait la main tendue32. La guerre Sud-Nord se
doubla dès lors d’une guerre inter-Toubou. Hissène Habré qui venait de
créer les FAN (Forces armées du Nord) se rapprocha ensuite de plus en plus
du général Malloum après que, en juillet 1977, à la tribune de l’OUA, ce
dernier eut accusé la Libye d’occuper une partie du Tchad. L’alliance entre
les deux hommes fut scellée par un accord de paix signé le 16 septembre
1977 entre le CSM et les FAN, suivi d’un second accord au mois de
janvier 1978, se traduisant par la création d’un Gouvernement d’union
nationale. Le 29 août 1978, Hissène Habré fut nommé Premier ministre.
La paix ne dura pas bien longtemps car au mois de février, les FAN du
Premier ministre entrèrent en guerre contre les FAT (Forces armées
tchadiennes) commandées par un Sudiste sara, le général Kamougué.
Contre lui, l’union des Toubou-Goranes se reconstitua aussitôt, les diverses
composantes du Frolinat se joignant aux forces d’Hissène Habré, ce qui, au
mois de mars 1979, entraîna la défaite des FAT qui durent se replier au sud
du Chari où le général Kamougué constitua un « Gouvernement du Sud ».
La partition du pays sembla alors consommée.

2. Toubou du Tibesti contre Toubou de l’Ennedi


À N’Djamena, les Nordistes victorieux installèrent un président en la
personne de Lol Mahamat Choua, mais ils s’entre-déchirèrent à nouveau et
une seconde guerre civile éclata au mois de mars 1980. Dans un climat de
totale anarchie, les nordistes s’affrontèrent alors une nouvelle fois tandis
que les sudistes se divisaient.
Afin de l’emporter sur Hissène Habré, Goukouni Weddeye fit appel à son
allié le colonel Khadafi, qui envoya 20 000 hommes au Tchad. Au bout de
plusieurs mois de combats, les Libyens étaient vainqueurs et Hissène Habré
contraint d’abandonner la capitale pour se retirer dans l’est du Tchad, chez
les Zaghawa, ethnie vivant à cheval sur la frontière Tchad-Soudan.
Le 6 janvier 1981, N’djamena et Tripoli signèrent un accord secret de
fusion cependant que, dans le sud du pays, le colonel Kamougué faisait face
à une mutinerie d’une partie de son armée, laquelle avait décidé de
rejoindre Hissène Habré afin de combattre les Libyens.
Au mois de juin 1982, profitant du retrait militaire libyen demandé par
Goukouni Weddeye à la suite de pressions de l’OUA, Hissène Habré reprit
l’offensive. Cette nouvelle guerre contre Goukouni Weddeye et les Goranes
du Tibesti fut rendue possible parce qu’Hissène Habré avait réussi à
rassembler autour de lui les Goranes du Borkou, les Bideyat de l’Ennedi,
les Hadjerai du Guera (région de Mongo) et les Zaghawa. Cette coalition
ethno-tribale nordiste lui permit de prendre N’Djamena le 17 juin 198233,
puis de s’emparer de la quasi-totalité du pays à l’exception du Tibesti. Les
forces armées libyennes intervinrent alors pour sauver Goukouni Weddeye
et la France déclencha l’Opération Manta afin d’interdire à l’armée
libyenne de franchir le 16e parallèle.

La question de la « bande d’Aouzou34 »


Durant le premier conflit mondial, l’Italie avait négocié son entrée en guerre aux côtés
des Alliés et demandé, entre autres, pour prix de sa participation, que sa colonie de
Libye soit agrandie. Au lendemain de la guerre, les Alliés oublièrent leur promesse.
Mussolini revendiqua ensuite l’hinterland libyen en direction du lac Tchad. Le 7 janvier
1935, avait été signé à Rome un traité franco-italien prévoyant la remise à la Libye
italienne d’une partie du territoire français, dont le poste d’Aouzou dans le nord du
Tibesti. Les tensions internationales résultant de l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie
firent que le traité ne fut pas appliqué.
En 1955, un traité d’amitié franco-libyen fut signé. Tripoli reconnaissait la frontière de
1899 établie alors par un traité franco-britannique. En 1969, le colonel Kadhafi
renversa le roi Idriss et prit le pouvoir à Tripoli. À partir de ce moment, la Libye tenta
de faire passer le Tchad sous son autorité. Aidant tous ceux qui pouvaient affaiblir le
pouvoir central de Fort-Lamy (N’Djamena), elle revendiqua la bande d’Aouzou. En
1968, au Tibesti, l’armée tchadienne mise en échec par les maquisards du Frolinat fut
contrainte d’évacuer Aouzou. En 1973, la Libye l’annexa et la considéra désormais
comme partie intégrante de son territoire. Au mois d’août 1987 les forces tchadiennes
reconquirent la bande d’Aouzou.
Goukouni Weddeye ne s’estimait cependant pas battu et durant l’année
1983, à la tête du Gunt (Gouvernement d’unité nationale et de Transition),
il s’empara d’un certain nombre de localités dans le nord du pays, dont
Faya-Largeau et Abéché.
Au mois de janvier 1984, un processus de réconciliation nationale se mit
en place et en 1985, un accord de paix fut signé au Gabon entre le
gouvernement d’Hissène Habré et certains opposants, ce qui provoqua
l’éclatement du GUNT, une partie de sa composante, dont Goukouni
Weddeye, acceptant les ouvertures d’Hissène Habré, cependant qu’une
autre voulait poursuivre la lutte armée. Les deux factions du GUNT
s’affrontèrent alors. Au mois d’avril 1987, isolé, Goukouni Weddeye
reconnut Hissène Habré comme chef de l’État.
Ce dernier semblait donc être le grand vainqueur de l’interminable conflit
tchadien quand d’autres oppositions apparurent au sein même de la
coalition qui lui avait permis la victoire de juin 1982 puisque les Hadjerai
l’abandonnèrent. Puis, à la suite d’une purge, ce fut le tour des Zaghawa
menés par Idriss Déby Itno35. Appuyé par la Libye, par le Soudan et surtout
assuré de la neutralité de la France qui avait décidé de « lâcher » Hissène
Habré en raison de ses violations des droits de l’Homme, Idriss Déby Itno36,
ancien commandant en chef des FANT tenta un coup d’État le 1er avril
1989. Ayant échoué, il entra en rébellion et se réfugia dans la province
soudanaise du Darfour où il fonda le MPS (Mouvement Patriotique du
Salut) rassemblant autour de lui divers groupes opposés aux Goranes
d’Hissène Habré.
Après une seconde tentative malheureuse, la troisième offensive d’Idriss
Déby réussit au mois de novembre 1990. Le 10 novembre, le MPS prit le
plateau rocailleux de Biltine où il créa une base avancée et le 25 eut lieu la
bataille décisive dont Idriss Déby sortit vainqueur37. Idriss Déby Itno entra
ensuite à N’Djaména d’où Hissène Habré venait de partir pour trouver
refuge au Cameroun.
Le nouveau président promit de démocratiser le pays. De fait, le
multipartisme fut instauré au mois d’octobre 1991, mais l’émiettement en
plus de trente partis ne permit guère l’expression démocratique. Durant les
mois de janvier à avril 1993, se tint une Conférence nationale souveraine
(CNS) dont les travaux permirent l’adoption d’institutions démocratiques et
d’un parlement de transition, le Conseil Supérieur de la Transition (CST).
Des élections se déroulèrent en 1996 et la Constitution qui instaurait un
régime semi-présidentiel fut adoptée par référendum. Dans la réalité, l’État
était contrôlé par les Zaghawa. Des élections présidentielles eurent lieu en
juin et juillet 1996 dans un climat de grande confusion et Idriss Déby Itno
l’emporta face au général Kamougué. Au mois de janvier 1997, le parti
présidentiel, le MPS remporta la majorité des sièges lors des élections
législatives. Le président Déby était donc légitimement le maître, mais les
actions armées ne cessèrent pas pour autant. Ainsi, en 1998, dans le Tibesti
où une nouvelle rébellion nordiste éclata, se réclamant du MDJT
(Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad) dirigé par Youssouf
Togoimi, ancien ministre de la défense d’Idriss Deby.
En 2002, après un premier mandat de cinq ans durant lequel la manne
pétrolière commença à irriguer le Tchad, le président Déby fut réélu et lors
des élections législatives suivantes, le MPS obtint une nouvelle fois la
majorité des sièges. Une fois encore, ces élections ne se traduisirent
cependant pas par la victoire définitive du régime. À partir de 2003, ce fut
en effet au tour du premier cercle présidentiel de se révolter.

3. Les guerres d’Idriss Déby Itno (2003-2008)


À partir de 2003, le président Déby se trouva pris dans l’engrenage du
conflit du Darfour, quand les rebelles soudanais, ALS (Armée de libération
du Soudan) et MJE (Mouvement pour la justice et l’égalité), eurent fait de
l’est du Tchad et notamment du homeland des Zaghawa tchadiens, leur base
arrière. Comme il ne parvenait pas à contrôler les siens, le pouvoir de
Khartoum le soupçonna alors de jouer un double jeu et en représailles, il
décida d’intégrer :
« […] des éléments de l’opposition tchadienne au sein des Janjawids.
Parmi eux se trouvaient des Arabes […] ainsi que des Tamas, ennemis
traditionnels des Beris (ou Zaghawa). Lorsque ces groupes ne
combattaient pas aux côtés de l’armée soudanaise au Darfour, ils
lançaient des attaques périodiques sur le territoire tchadien » (Tubiana,
2008 : 3).
Puis, en 2004, sous la pression du Soudan, les rebelles tchadiens
s’unirent. Le président Déby répliqua en soutenant clairement les insurgés
du Darfour, ALS et MJE, qui attaquèrent alors les sanctuaires soudanais de
ses propres opposants. Khartoum réagit en armant davantage les opposants
tchadiens et le 18 décembre 2005, le RDL (Rassemblement pour la
démocratie et les libertés), mouvement de l’ethnie tama et dirigé par
Mahamat Nour Abdelkarim, ancien agent de renseignement soudanais et
chef d’une milice janjawid (Tubiana, 2008 : 3), attaqua la ville d’Adré dans
l’est du Tchad. Fort de cette victoire, Mahamat Nour Abdelkarim s’imposa
à la tête de la coalition rebelle, le FUC (Front uni pour le changement).
En 2005, les défections se multiplièrent et les diverses composantes de la
rébellion se regroupèrent. À cette époque, l’opposition au président Déby se
retrouvait dans trois principaux mouvements, le FUC (Front uni pour le
changement) de Mahamat Nour (ou Nouri) Abdelkarim, un Gorane
Anakaza, comme Hissène Habré, et qui recrutait chez les Tama38, le SCUD
(Socle pour le changement l’unité et la démocratie)39 et le RAFD
(Rassemblement des forces démocratiques), ces deux derniers recrutant
chez les Zaghawa40. Au mois de décembre 2005 le FUC tenta vainement de
prendre N’Djamena.

Le cœur du problème tchadien


« […] la responsabilité cruciale, dans le cancer qui mine le Tchad (est celle) d’une
petite minorité de Tchadiens, adossés sur des communautés elles-mêmes
marginales -15 % à 20 % de la population tout au plus – et qui depuis près de
trente ans ont pris l’ensemble de la population de ce pays en otage de leurs
déchirements claniques et familiaux.
Sous Goukouni Weddeye puis Hissein Habré, entre 1979 et 1990, la lutte fratricide
pour le pouvoir opposa les Toubous aux Goranes (41), soit une centaine de milliers
de personnes au total, en comptant les femmes et les enfants sur une population
globale d’environ 7 millions de Tchadiens. Sous Idriss Déby Itno elle s’est déplacée
vers le nord-est sans quitter pour autant la même aire géographique et culturelle du
Borkou-Ennedi-Tibesti, englobant au passage d’autres groupes – notamment les
Arabes tchadiens – tout en se réduisant encore et toujours. Ces dernières années,
les Zaghawas contrôlent à la fois la présidence avec Déby, et l’un des principaux
mouvements de rébellion avec ses neveux Timlane et Tom Erdimi. Or ce groupe,
qui tient en quelque sorte les deux bouts du kalachnikov, représente moins de 3 %
d’une population estimée aujourd’hui à 9 millions de personnes, soit moins de
30 000 individus. Quand on sait par ailleurs que les autres chefs rebelles ont tous,
par le passé, travaillé avec Idriss Déby Itno, lequel fut le chef d’état-major d’Hissein
Habré, lui-même ex-collaborateur au maquis de Goukouni Weddeye, on mesure
mieux l’aspect quasi incestueux de cette tragédie à répétition ainsi que la faible
légitimité de ses acteurs, pour ne pas dire la franche antipathie suscitée au sud du
13e parallèle, là où vivent 60 % des Tchadiens ». (Soudan, 2008 : 25-26)

Au mois d’avril 2006, une colonne du FUC qui tentait de prendre


N’Djamena fut repoussée. Puis, au mois de mai 2006, Idriss Déby Itno fut
réélu pour un troisième mandat42. Après sa réélection il tenta de mettre un
terme au conflit indirect qui l’opposait au Soudan. Le 26 juillet, grâce à la
médiation du colonel Khadafi, un accord fut signé aux termes duquel
chaque partie s’engageait à ne plus soutenir les rebelles du voisin. Cet
accord fut violé par les Janjawids et les opposants tchadiens qui reprirent
leurs attaques. La guerre par milices interposées que se livraient N’Djamena
et Khartoum reprit alors de plus belle.
Le 22 octobre 2006, l’UFDD (Union des forces pour la démocratie et le
développement) lança une nouvelle offensive en direction de N’Djamena.
Cette nouvelle coalition rebelle destinée à prendre la relève du FUC avait
une direction bicéphale puisque ses deux chefs en étaient le Gorane
Mahamat Nouri43 et l’Arabe Acheikh Ibn Oumar Saïd. Les Tama de
Mahamat Nour Abdalkarim refusèrent de les rejoindre et certains Arabes
firent scission au mois de mai 2007 pour former l’UFDD-F
(Fondamentale)44.
Rallié un temps au président Déby qui en fit son ministre de la Défense,
Mahamat Nour Abdalkarim refusa d’intégrer l’armée tchadienne et il
regroupa ses miliciens en zone tama où ils entreprirent de chasser les
Zaghawa soudanais réfugiés ainsi que les Zaghawa tchadiens qui avaient fui
les épisodes de sécheresse des années 1970. En représailles, les Zaghawa
attaquèrent les villages Tama.
Le ralliement des Tama avait certes affaibli provisoirement les
adversaires d’Idriss Déby, mais il avait également suscité la colère des
Zaghawa, leurs ennemis héréditaires, qui se mirent à penser que « leur »
président avait trahi les siens. C’est alors que certains Zaghawa basculèrent
à leur tour dans la rébellion. Finalement, au mois de décembre 2007,
Mahamat Nour Abdelkarim fut destitué. Au même moment, le CNT
(Concorde nationale du Tchad), mouvement arabe fondé en 2004 par
Hassan Saleh al-Djinedi, se rallia au président Déby.
Le 3 octobre 2007, à Tripoli, fut signé un accord entre le gouvernement
tchadien et quatre groupes rebelles, l’UFDD, l’UFDD-F, le RFC et la
CNT45, mais il ne fut appliqué sur le terrain. Fin octobre 2007, depuis le
Soudan, les rebelles reprirent leurs attaques contre le régime tchadien ; en
réaction, le MJE lança une offensive dans l’ouest du Darfour afin de les
prendre à revers. Dans ces combats à fronts renversés, les Soudanais
réarmèrent les rebelles tchadiens.
Le déploiement de l’EUFOR destinée à protéger les populations du
Darfour avait débuté au mois de janvier 2008 et sa montée en puissance,
prévue pour les mois de février et de mars, menaçait d’interdire aux rebelles
tchadiens toute nouvelle possibilité d’incursion majeure. À la fin du mois
de janvier 2008, voulant donc profiter de la dernière opportunité de
renverser le pouvoir, plusieurs mouvements unirent leurs forces, dont le
RFC (Rassemblement des forces pour le changement) de Timan Erdimi, un
Zaghawa neveu d’Idriss Déby Itno, l’UFDD (Union des forces pour la
démocratie et le développement) de Mahamat Nouri, un Gorane46 et
l’UFDD-F (Union des forces pour la démocratie et le développement-
Fondamentale) d’Abdelwahid Aboud Makaye, un Arabe tchadien47.
Equipés et armés à neuf par le Soudan, les 30 et 31 janvier 2008, ils
contournèrent la garnison d’Abéché et le point d’appui défensif de Ngoura
avant de tenter un raid sur N’Djamena où ils se heurtèrent à des positions
défensives de l’armée tchadienne. Équipée légèrement, la colonne rebelle
ne fut pas en mesure d’y soutenir le combat de haute intensité
consommateur de munitions et de carburant que leur livrèrent les forces
loyales au président Déby qui disposaient de blindés et d’hélicoptères. Le
3 février, l’échec de l’offensive était consommé.
Durant les mois de mars et d’avril 2008, le président Idriss Deby Itno
consolida ses positions à la suite du ralliement d’éléments rebelles zaghawa
membres du RFC (Rassemblement des forces pour le changement), ainsi
que de certains combattants de l’UFDD. Quant aux rebelles, à la fin du
mois de février, sous la direction de Mahamat Nouri, ils formèrent un
nouveau mouvement baptisé l’Alliance nationale (AN) et regroupant les
Goranes de l’UFDD, et les Arabes de l’UFDD-Fondamentale ou de du FSR
(Front de salut de la République), ce dernier mouvement étant dirigé par M.
Soudiane. Depuis, l’AN rejoignit l’UFCD (Union des forces pour le
changement et la démocratie) de M. Adouma Hassabalah.
Le 17 juin 2008, à Am Zoer, une ultime bataille eut lieu avant la saison
des pluies – période traditionnelle de gel des opérations militaires –, et elle
fut remportée par les FAS (Forces armées et de sécurité), l’armée
tchadienne.
Le 18 août, les deux-tiers des combattants zaghawa du RFC de Timan
Erdimi se rallièrent au président Déby cependant que MM Erdimi et Nouri,
respectivement chefs du RFC et de l’AN annonçaient leur intention de
reprendre la lutte armée dès la fin de la saison des pluies.

4. Les tensions de l’année 2019


En 2013, ayant stabilisé son pouvoir après une décennie de contestation
militaire le président Idriss Déby Itno envoya un contingent militaire
combattre au Mali aux côtés des forces françaises de l’opération Serval.
Cependant, ses adversaires n’avaient pas abandonné la lutte ; d’autant plus
que le Tchad traversait une forte crise économique en partie liée à
l’effondrement des cours du pétrole.
Au mois d’avril 2016, se produisit une scission au sein de l’UFDD […]
du Gorane Mahamat Nouri48. Puis, au mois de juin 2016, le FACT se divisa
en deux sur une base clanique quand, suivant Mahamat Hassani Bulmay qui
venait de créer le CCMSR (Conseil de commandement militaire pour le
salut de la République), les Toubou-Goranes Kreda quittèrent le mouvement
(McGregor, 2017 ; Tubiana et Gramizzi, 2017).
Le 16 octobre 2018, maître de la Cyrénaïque, le général Haftar effectua
une visite officielle à N’Djamena. Quelques mois plus tard, au début de
l’année 2019, ses forces lancèrent une offensive dans le sud du Fezzan,
forçant les groupes rebelles au président Idriss Déby Itno à quitter la région.
Certains rebelles tchadiens, dont les FACT, composèrent alors avec le
général Haftar. D’autres factions tchadiennes retournèrent au Tchad, et, en
fonction de leurs bases ethniques, elles partirent soit vers l’Ennedi, soit vers
le Tibesti.
a. Le front de l’Ennedi
Les rebelles tchadiens qui, au mois de janvier 2019, pénétrèrent dans
l’Ennedi étaient dirigés par les frères Timan et Tom Erdimi, tous deux
Zaghawa Bideyat et neveux du président Idriss Déby Itno avec lequel ils
s’étaient brouillés en 2004. Après avoir, et nous l’avons vu plus haut,
échoué par deux fois, en 2008 et en 2009, à s’emparer de N’Djamena, en
2009, les frères Erdimi se réfugièrent au Darfour où ils fondèrent l’UFR
(Union des forces de la résistance), un mouvement étroitement ethno-centré
sur des fractions Zaghawa et Tama. Puis, ils s’exilèrent au Qatar. Après
l’élimination du colonel Kadhafi, ils profitèrent de l’anarchie libyenne pour
regrouper leurs forces au Fezzan, y agissant en sous-traitants de certains des
principaux acteurs du jeu politique libyen. Ils furent ainsi soutenus à la fois
par le chef du gouvernement libyen de Tripoli, M. Fayez el Sarraj, et par la
ville de Misrata qui les utilisèrent contre le général Haftar. Mais, et comme
nous venons de le voir, au début de l’année 2019, l’offensive de ce dernier
les obligea à quitter la région. Tentant alors le tout pour le tout, ils lancèrent
leurs forces à la conquête de N’Djamena.
Le 3 février 2019, à la demande des autorités tchadiennes, des avions
français firent une passe d’intimidation au-dessus de la colonne de l’UFR
qui traversait la partie orientale de l’Ennedi, longeant la frontière avec le
Soudan. Puis, les 4,5 et 6 février, l’aviation française détruisit la colonne
dans la région de Bao dans le nord-est de l’Ennedi, cœur du clan Déby.
Cette intervention se fit au nom de l’accord de défense franco-tchadien
de 1976 prévoyant une assistance militaire de Paris en cas d’agression du
Tchad par des forces extérieures.
L’intervention était militairement justifiée du côté français car la sécurité
du Tchad devait impérativement être garantie, faute de quoi l’avenir du G5
et de Barkhane aurait été compromis. D’autant plus qu’Idriss Déby Itno
avait fait valoir un argument de poids auprès des autorités françaises qui
était que, intervenant au Mali et contre Boko Haram au sein de la FMM
(Force multinationale mixte) Tchad, Nigeria, Niger et Cameroun49, son
armée avait besoin d’aide. Faute de quoi, pour repousser les rebelles, il
serait contraint de retirer son contingent du Mali, ce qui aurait privé les
forces françaises de leur seul allié fiable militairement.
b. Le front du Tibesti
Au début de l’année 2019, le front du Tibesti présentait des
caractéristiques différentes de celui de l’Ennedi, leur point commun étant
qu’à l’origine, les islamo-jihadistes étaient étrangers aux évènements.
La rébellion du Tibesti qui provoqua de vigoureuses interventions des
hélicoptères tchadiens au tout début de l’année 2019 était menée par le
CCMSR. Ce mouvement ethno-centré sur les Toubou-Goranes Kreda né,
comme nous l’avons vu, en 2016, d’une scission du FACT, fut soutenu par
la ville de Misrata qui cherchait, à travers lui, à avoir un continuum vers le
sud et la route des oasis menant à la fois vers le Tchad et vers le Niger.
Chassé par les forces du général Haftar, le CCMSR passa au Tchad où il
trouva appui à la fois sur l’irrédentisme toubou et sur les orpailleurs
clandestins qui exploitaient les mines d’or de Miski et de Kouri Bougoudi.
Au mois d’août 2018, près de la frontière avec la Libye, les combattants du
CCMSR avaient déjà affronté l’armée tchadienne et tué plusieurs soldats.
Au mois de mars 2019 le président Idriss Déby Itno avait réussi à
repousser les forces qui lui étaient hostiles. Cependant, l’avenir du Tchad
posait plusieurs problèmes dans la mesure. En plus de la crise économique
en partie conséquence de la question pétrolière, le pays était en effet
profondément divisé par de puissants déterminismes ethno-régionaux. Mis
en sommeil durant deux décennies, ils semblèrent se réveiller fin 2018 et
début 2019 dans un contexte régional conflictuel aggravé par les solidarités
ethniques transfrontalières (Libye, Soudan, Nigeria et RCA). Les fractures
qui provoquèrent un demi-siècle de conflits, demeuraient donc50.

1. À cela s’ajoutent les atteintes au milieu dues à la surexploitation du bois pour la cuisine, les
déprédations dues aux chèvres qui détruisent la végétation arborescente et buissonnante, et aux
bovins qui éliminent le couvert végétal.
2. Le capitaine Larroque donna son nom français à la passe connue en arabe sous le nom de « pince
du scorpion », aujourd’hui « Passe Salvador » : « Au pied du Messak, nous avons baptisé la région
« Salvador » parce qu’il y existe 3 maigres salvadorus persica (alias siwak, baboul, abeesgui,
you, etc.) et 2 tamaris ». (Capitaine Larroque, Rapport provisoire sur les travaux de la Mission des
confins libyens. Dakar, 13 juillet 1939). Archives de la guerre, Vincennes.
3. Le Sahel est compris en théorie entre les isohyètes 200 (ou 150 mm) et 600 (ou 500 mm) de pluies
annuelles. Le choix de ces isohyètes, indispensable pour fixer des limites cartographiques, est
largement arbitraire, pour ne pas dire artificiel. En effet, l’échelle pluviométrique sahélo-saharienne
donne naissance à une infinité de sous-régions dont l’existence ou les limites sont variables dans le
temps et dans l’espace. En règle générale, au Sahel, les précipitations sont concentrées sur les mois
de juin-juillet à septembre-octobre avec un maximum en août, quant à la période des plus fortes
chaleurs, elle s’étend de mars-avril jusqu’en juillet.
4. À la fin du XIXe siècle, la conquête de l’Afrique sahélienne bloqua l’expansion d’entités prédatrices
nordistes et nomades dont l’écroulement se fit dans l’allégresse des sédentaires sudistes.
Cependant, dans tout le Sahel occidental, la colonisation française eut deux conséquences
contradictoires. Elle libéra, comme nous venons de le dire, les sudistes de la prédation nordiste,
mais, en même temps, elle rassembla razzieurs et razziés dans les limites administratives de l’AOF
(Afrique occidentale française). Avec les indépendances, les délimitations administratives internes
à ce vaste ensemble devinrent des frontières d’États à l’intérieur desquelles, comme ils étaient les
plus nombreux, les sudistes l’emportèrent politiquement sur les nordistes selon les lois immuables
de l’ethno-mathématique électorale.
La conséquence de cette situation fut que, au Mali, au Niger et au Tchad, les Touareg et les Toubou
qui refusaient d’être soumis à leurs anciens tributaires sudistes se soulevèrent. Dans le sud du
Soudan, ce furent les descendants des victimes sudistes qui refusèrent la soumission à leurs anciens
bourreaux nordistes.
5. En 1994, la rébellion touareg était divisée en onze mouvements principaux dont sept au Mali et
quatre au Niger ; par-delà leurs divisions essentiellement tribales, ils combattaient tous pour
l’indépendance des Kel Tamachek (ceux qui parlent tamachek).
6. En plus de ces deux mouvements, la nébuleuse Al-Qaïda semblait de plus en plus présente dans la
région comme semblait le démontrer l’enlèvement de deux touristes autrichiens le 22 février 2008.
7. Le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest) était aligné sur les
positions d’Aqmi.
8. L’erreur de Paris fut de ne pas avoir subordonné son intervention militaire à de véritables réformes
constitutionnelles maliennes allant dans le sens de la prise en compte de certaines des
revendications des Touareg (Le Flem et Oliva, 2018 : 151 et suivantes).
9. Le narcotrafic était alors contrôlé par quelques grands trafiquants ayant pignon sur rue à Bamako.
Tout le long de la route partant du littoral africain atlantique pour aboutir en Afrique du Nord, ils
disposaient d’une chaîne de complicités constituée de maillons formés par tous les groupes armés,
jihadistes ou non, et qui, d’une manière ou d’une autre, étaient partie prenante dans cette activité.
10. Les Daouassak dont le centre est Ménaka sont d’origine songhay.
11. Ancien d’Ansar Dine, en 2013, il avait fondé le MIA (Mouvement islamique de l’Azawad) qui
devint le HCUA au mois de mai 2014 avant de rallier la CMA.
12. Les Dogon qui constituent un peuple à la forte identité ont fait l’objet de très nombreuses études
ethnographiques qui débutèrent par celles du capitaine Louis Desplagnes à partir de 1907, puis par
les travaux de Germaine Dieterlen et Marcel Griaule (1965) de Montserrat Palau-Marty (1957), de
Jean Gallais (1975) et de Bénédicte Thibaud (2005).
13. L’accusation n’était totalement pas sans fondement car les jihadistes du Macina étaient
essentiellement des Peul. Quant aux attentats de 2015 et 2016 qui ensanglantèrent Bassam en Côte
d’Ivoire, Ouagadougou au Burkina Faso, Bamako et Sévaré au Mali, ils avaient été commis par des
Peul du Macina.
14. Situation à la date de rédaction de ces lignes car les affiliations sont « mouvantes ».
15. De son vrai nom Lehbib Ould Ali Saïd Ould Journani, Adnane Abou Wali Al-Saharaoui est né en
1973 à Layoune alors territoire espagnol. Il appartient à la grande confédération des Réguibat dont
la langue est le hassania ce qui lui ouvre une chaîne de relais dans toute la partie ouest du Sahara.
16. Avant la colonisation, les populations sédentaires vivant le long du fleuve Niger et dans ses
plaines alluviales, étaient prises en étau entre deux poussées prédatrices, celle des Touareg au nord
et celle des Peul au sud. Trop faibles pour résister, les sédentaires devinrent tributaires de ces
ethnies nomades afin d’être épargnés par leurs razzias. Se constituèrent alors des systèmes
d’alliance-dépendance qui se retrouvent avec les ethnies-tribus-clans soutenant les jihadistes et
ceux qui les combattent.
17. Voir la carte couleur n° XXXII.
18. Né le 3 février 1951, Blaise Compaoré est Mossi.
19. De 1898 à 1904, la Haute-Volta est un territoire militaire. De 1904 à 1919 ce territoire est dans sa
totalité rattaché à la Colonie de haut-Sénégal-Niger (Niger, Mali et Burkina Faso actuels). Le
1er mars 1919, il est reconstitué sous le nom de Colonie de la Haute-Volta. En 1932 cette dernière
est démembrée et rattachée pour partie au Niger, au Soudan (l’actuel Mali) et à la Côte d’Ivoire. En
1947, le territoire regagne ses frontières actuelles.
20. En 2019, il a été condamné à 30 ans de prison pour son rôle dans le coup d’État manqué du mois
de septembre 2015.
21. C’est dans le parc de la Pendjari qu’au mois de mai 2019 furent enlevés deux touristes français
dont la libération se fit au prix de la mort de deux commandos des forces spéciales françaises.
22. Ce mouvement fut fondé par Adam Tcheke Koudigan, successeur de Barka Wardougou décédé
au mois de juillet 2016 à Dubaï où il était hospitalisé. Ce Teda du Niger fut l’un des principaux
dirigeants de la rébellion des années 1990 au Niger et le chef des FARS (Forces armées
révolutionnaires du Sahara) qui combattaient alors pour l’autonomie des Toubou du Niger et qui
était soutenu par le colonel Kadhafi. À la recherche d’alliés, il s’était un temps rapproché de la
rébellion des Touareg du MNJ (Mouvement national nigérien). Plus près de nous, au mois
d’août 2011, c’est lui qui prit Mourzouk aux forces kadhafistes et qui y réinstalla le pouvoir toubou.
23. Bangoura (2005) ; Laurentin (2007).
24. Les 13 millions de Tchadiens (en 2019) dont plus de 60 % vivent dans le Sud du pays
appartiennent à plus de cent ethnies.
25. La révolte paysanne de 1965 dans la région de la sous-préfecture de Mangalmé et celle des
Toubou en 1968 avaient été réprimées avec férocité.
26. Gorane est un nom arabe pour désigner les Toubou. Le homeland des Toubou est le Tibesti, mais
une partie d’entre eux a jadis émigré vers le sud, au Kanem et à l’est au Borkou, ce sont les Téda du
Kanem et les Daza (Goranes) du Borkou. Ceux qui sont resté au Tibesti sont divisés en deux clans,
le clan Tomagra d’Aouzou et de Bardaï et le clan Arna de Yébi-Bou et de Gouro (Chapelle, 1982).
Ces principaux clans connaissent de nombreuses subdivisions.
27. Zaghawa et Bideyat sont des termes arabes. Les membres de ce groupe se désignent sous le nom
de Beri.
28. Le président ne se fit plus appeler François mais Ngarta.
29. Ainsi Fort Lamy fut-elle rebaptisée N’Djamena.
30. Le Yondo est un rite traditionnel d’initiation en usage chez les Sara et que tous doivent suivre,
quelque soit leur ethnie ou leur religion. Cette « saratisation » de la société provoque naturellement
une lame de fond de colère chez les nordistes.
31. En 1974 Hissène Habré avait enlevé l’archéologue française Françoise Claustre puis le
commandant Pierre Galopin venu négocier sa libération qu’il fit torturer avant de l’assassiner le
4 avril 1975.
32. Hissène Habré qui venait d’être remplacé à la tête du Frolinat par Goukouni Weddeye à la suite
d’intenses pressions libyennes cherchait ainsi à se venger de son rival.
33. Dans un second temps, il s’attaqua au colonel Kamougué qui fut battu.
34. Pour tout ce qui concerne la question frontalière entre le Tchad et la Libye, voir Bernard Lanne
(1982).
35. Or, tous les chefs militaires tchadiens étaient Zaghawa ainsi que la plupart des responsables des
régions militaires, qu’il s’agisse d’Idriss Deby Itno, de Yakoub Sinine, d’Hamid Abderamane
Haggar, d’Adam Koug, d’Omar Kengui ou encore d’Adam Kessou, etc. Idriss Déby Itno est
Zaghawa Bideyat du clan Kolyala.
36. Idriss Déby Itno, né en 1952 à Berdoba, dans l’est de l’Ennedi.
37. Hissène Habré manqua d’être capturé lors de cette bataille. Le 22 décembre, un avion l’avait
déposé à Oum Chalouba d’où il comptait en finir avec Idriss Déby Itno. Poursuivi après la bataille
du 25 décembre, il réussit à atteindre Oum Chalouba et son avion décolla au moment où les
véhicules de ses poursuivants arrivaient sur la piste.
38. Le homeland des Tama est le département de Dar Tama dans la région de Wadi Fira et sa capitale
est Guéréda bourgade située à moins de 200 kilomètres au nord-est d’Abéché. Les Tama sont des
agriculteurs sédentaires cultivant du mil et des haricots et élevant régulièrement du bétail. La
rivalité entre Tama et Zaghawa s’est exacerbée depuis les années 1980 quand, à la suite de la
sécheresse, plusieurs milliers de Zaghawa sont venus s’installer dans la région. Après son arrivée
au pouvoir, Idriss Déby nomma des Zaghawa à la tête de l’administration provinciale et de la
police. Les Tama qui s’estimèrent « colonisés » par les Zaghawa entrèrent en rébellion et en 1994
l’un d’entre eux, Mahamat Garfa, créa l’ANR (Alliance nationale de la Résistance). Ayant signé un
cessez-le-feu avec Idriss Déby, Mahamat Garfa fut nommé ministre des Mines. En 2005, à la suite
des attaques lancées par les Zaghawa contre les Tama, Mahamat Nour Abdelkarin se sépara de
l’ANR et créa le FUC. En représailles, les Zaghawa attaquèrent les Tama et les affrontements
ethniques prirent un tour particulièrement violent en 2006 et 2007, faisant de très nombreuses
victimes.
39. Le SCUD recrutait essentiellement chez les Zaghawa Bideyat
40. Sa direction était assurée par deux neveux du président Déby, Tom et Timan Erdimi.
41. Il s’agit là d’une erreur puisque Toubou et Gorane sont des synonymes. En réalité, ce fut un
conflit inter Toubou, entre les Toubou du Tibesti ou Tomagra, dirigés par Goukouni d’une part, et
les Toubou d’Oum Chalouba, ou Anakaza qui suivaient Hissène Habré d’autre part.
42. Le 6 juin 2005, par référendum, les électeurs avaient approuvé un changement constitutionnel
permettant au président de se représenter une troisième fois.
43. Ce Gorane, ethnie d’Hissène Habré, et beau-frère de Déby, appartient comme Hissène Habré au
clan des Anakazza.
44. D’autres Arabes suivirent Adouma Hassaballah Jedareb qui créa le RND (Rassemblement
national démocratique).
45. Parmi les groupes rebelles ou les milices ethno-tribales, l’on comptait également l’UFCD (Union
des forces pour le changement) qui rassemblait les « Ouaddaïens » ou originaires de la région du
Ouaddaï dont le chef-lieu est Abéché, ainsi que le FPRN (Front populaire pour la résistance
nationale), qui représentait les Masalits. (Tubiana, 2008 : 1)
46. Mahamat Nouri ministre d’Hissène Habré en 1982, puis chef du parti unique. En 1990, il se rallia
à Idriss Déby Itno et devint ministre de la défense (2001-2003).
47. Abdelwahid Aboud Makaye, rallié à Idriss Déby Itno, passa à la rébellion en 2003 et, en
compagnie de Mahamat Nouri, il participa au raid du mois d’avril 2006 avant d’intégrer l’UFDD
dont il se sépara en 2007 pour fonder l’UFDD-F.
48. Au mois de février 2008 l’UFDD était entrée dans la coalition baptisée Alliance nationale (AN).
Cette dissidence était menée par Mahamat Mahdi Ali, un Toubou-Gorane Daza qui fonda le FACT
(Front pour l’alternance et la concorde au Tchad).
49. L’armée tchadienne participait également à la force mixte-Tchad-Soudan qui depuis 2010
sécurisait la frontière Tchad-Soudan contre les rebelles des deux pays, notamment la SLA (armée
de libération du Soudan.
50. D’autant plus que se posait la question de l’avenir des Zaghawa, l’ethnie du président. Moins de
5 % de la population, ces derniers sont en effet divisés comme nous venons de le voir avec le cas
des frères Erdimi. De plus, certains Zaghawa considéraient que le clan arabe Ouadaïen d’Hinda,
l’épouse du président, était favorisé à leurs dépens, cependant que d’autres, qui craignaient de subir
des vengeances après le départ d’Idriss Déby Itno, étaient tentés de préparer l’avenir en précipitant
les échéances.
Chapitre V.
Le golfe de Guinée

Dans cette région, la domination du Nigeria est à la fois démographique,


économique, militaire et politique. Or, depuis les années 1960, le pays
connaît bien des tensions. Les autres principaux pays de la zone, à savoir le
Cameroun, le Congo-Brazzaville et le Gabon1 ont connu des vicissitudes
diverses.

A. Le Cameroun
De par sa position géographique, ses frontières communes avec six États,
sa mosaïque ethnique et ses fondamentaux religieux, le Cameroun est un
État pivot dans région du golfe de Guinée. Un État profondément divisé.
Les provinces anglophones de l’ouest naviguent ainsi entre séparatisme et
lutte armée2, cependant qu’au nord le fondamentalisme islamique menace
de faire éclater les hiérarchies politico-religieuses traditionnelles, et que la
contagion centrafricaine déstabilise une partie du sud-est.
Indépendant le 1er janvier 1960, le Cameroun « français » fut rejoint en
1961 par une partie du Cameroun « britannique » à la suite d’un référendum
qui divisa ce dernier en deux. Le nord musulman intégra le Nigeria et le sud
rejoignit l’ancien territoire sous tutelle française pour constituer avec lui la
République fédérale du Cameroun dont le premier président fut Ahmadou
Ahidjo, un nordiste Peul et musulman.
Le nouvel État dut faire face à la révolte bamileké, forme de jacquerie
ethnique qui déboucha sur le terrorisme et la création de maquis. Le
soulèvement de cette population vivant dans l’ouest du Cameroun avait
débuté avant l’indépendance du pays, encadré par l’UPC, mouvement qui
avait mené le combat nationaliste durant plusieurs décennies, à la fois
contre la présence française, mais aussi en zone britannique avec le One
Cameroun Party. Le risque fut alors grand d’assister à la désintégration du
pays dont la population est composée de plus de 200 ethnies. Liée au
Cameroun par des accords de défense, la France aida le gouvernement
fédéral à réduire le soulèvement bamileké.
En 1972, par référendum, un État unitaire succéda à la République
fédérale et le président Ahidjo sortit vainqueur de toutes les élections
jusqu’à sa démission pour raisons de santé en 1982. Il fut remplacé par son
ancien Premier ministre, Paul Biya, Fang3, chrétien et sudiste. Élu président
le 14 janvier 1984, ce dernier fut ensuite constamment réélu.
Au début de l’année 2008, le pays connut de fortes tensions dues à la fois
à l’augmentation des prix et à l’annonce d’une révision de la Constitution
permettant au président Biya de briguer un nouveau mandat lors des
élections présidentielles de 2011. Au mois de février 2008 des émeutes
eurent lieu à Douala et à Yaoundé, cependant que l’ouest anglophone était
secoué par un puissant mouvement autonomiste et même séparatiste.
En 2011, Paul Biya fut réélu pour sept ans à la présidence de la
République, puis, une nouvelle fois en 2018.
Au Cameroun comme quasiment partout ailleurs en Afrique au sud du
Sahara, le vote est d’abord ethnique et chaque élection y voit l’affirmation
des identités ethniques.
Au Cameroun, l’article 3 de la Constitution du 2 juin 1972, la loi 96-06
du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin 1972 et la
loi 90-056 du 19 décembre 1990 relative aux partis politiques proscrivent
leur dimension ethno-communautaire. Or, dans la réalité, la vie politique
camerounaise est un champ clos dans lequel s’affrontent les leaders
politiques des différentes ethnies. Les partis étant ethniques, leurs homeland
constituent donc leurs fiefs électoraux. D’autant plus que la Constitution de
1996 a introduit la notion d’« autochtonie », sorte de variante locale de ce
qu’a connu la Côte d’Ivoire avec le concept d’« Ivoirité ».
Le jeu interne à ces partis est au cœur de la vie politique camerounaise4 et
la vie politique dépend d’un accord tacite de partage des pouvoirs entre les
grandes régions, donc entre les principales ethnies dont les partis politiques
ne sont que les miroirs.
Dans l’extrême nord du Cameroun, l’islamisme jihadiste bénéficie de
réseaux de sympathie à la faveur de l’opposition de fond entre l’islam Peul
dominant et l’islam Kirdi, nom générique donné aux populations noires
islamisées par les Peul au XIXe siècle.
Ici, nous sommes en présence d’un choc entre l’islam des conquérants et
celui des conquis. Pour ces derniers, la conversion à l’islamisme wahhabite
et l’usage de la langue arabe sont deux moyens de revanche sur les Peul qui
ont soumis leurs ancêtres, d’autant plus qu’en ayant adhéré à l’arabité, ils
s’estiment plus proches du « vrai » islam que celui des Peul qui emprunte
aux influences locales.
Une identité africaine arabophone musulmane échappe donc désormais
de plus en plus aux structures traditionnelles de la chefferie et des Lamido
peul. Avec, en plus, l’apparition d’une revendication profondément
révolutionnaire puisque les jihadistes combattent de front les traditions et
les hiérarchies locales. Ainsi en est-il dans le pays kotoko où :
« […] les sultans et leurs imams sont accusés d’avor fermé les yeux sur
les héritages préislamiques » (et où) « les prédicateurs jeunes,
identifiables par leurs modes vestimentaires, font fi des rapports entre
classes d’âges fondés sur le respect des aînés […] c’est choquant pour
la société kotoko, mais leur discours radical séduit et la bonne
prononciation de l’arabe ajoute sa note de « distinction » sociale. La
famille étendue sous la domination de l’aîné, est remise en cause. »
(Seignobos, 2018)

B. Le Nigeria
Dans cet État mastodonte de 932 000 km2 peuplé par plus de
100 millions d’habitants, la nature et l’histoire dessinent trois grandes
régions dominées par trois grands groupes de populations :
– les Haoussa-Fulani-Kanouri, ± 25 % de la population totale vivent dans
le nord ;
– les Ibo, ± 18 % de tous les Nigérians vivent dans le Sud-Est ;
– les Yoruba, ± 22 % de l’ensemble, sont concentrés dans le sud-ouest.
Les Big Three
De l’indépendance en 1960 jusqu’à 1966, les Ibo (± 18 % de la population)
contrôlèrent de fait l’État. Très majoritairement chrétiens, ils vivent dans le sud du
Nigeria. Instruits par les missionnaires, ils occupaient, lors de l’indépendance, la
quasi-totalité des postes importants, non seulement dans l’administration, mais
encore dans l’armée.
Commerçants et entreprenants, les Yoruba vivent dans le sud-ouest du pays. Parmi
eux, l’on trouve des musulmans, des chrétiens, mais aussi des animistes. À
l’occasion de la guerre du Biafra (1967-1970), menée contre les Ibo, ils se
rapprochèrent des Haoussa-Fulani-Kanouri. Ces derniers leur accordèrent une
tranche de pouvoir de 1976 à 1979 quand le général Olusegun Obasanjo qui s’était
distingué dans le conflit fut désigné à la présidence.
Les Haoussa-Fulani (ou Haoussa Peul)-Kanouri constituent en réalité une
confédération ethnique dont les composantes sont nettement individualisées. Ils ont
une tradition guerrière, sont nordistes et musulmans. Avant la colonisation, les
Haoussa-Fulani-Kanouri étaient organisés en puissants empires dont les principaux
chefs spirituels et temporels étaient l’émir de Kano et le sultan de Sokoto. Cette
confédération ethnique contrôle l’armée, donc le pouvoir. Huit des douze chefs de
l’État qui se succédèrent depuis l’indépendance appartenaient à cette population.
Dans les mois qui précédèrent l’indépendance de 1960, les « petites »
ethnies comprirent que les autonomies locales garanties par l’« Indirect
Rule » britannique allaient leur être arrachées par les trois colonisations
internes qui allaient établir leur pouvoir sur le pays.
Les revendications constitutionnelles furent alors contradictoires. Les
« Big Three » voulaient ainsi imposer une décentralisation maximale du
pouvoir afin d’exercer un contrôle étroit de leurs zones respectives
d’influence, tandis que les « petites » ethnies – près de 40 % de la
population –, demandaient au contraire un renforcement du pouvoir fédéral
dans lequel elles espéraient trouver un contrepoids à l’hégémonie régionale
des ethnies dominantes. Comme elles n’obtinrent pas satisfaction, elles
furent donc exclues de la vie politique qui se joua à trois.

1. Les militaires au pouvoir


Le premier coup d’État militaire que connut le Nigeria eut lieu en 1966 et
c’est un Ibo, le général Ironsi qui le mena. Ce putsch rompit l’équilibre
tacite jusque-là respecté entre les trois grandes ethnies. Il aboutissait en fait
à une tentative d’instauration d’un « Ibo power » chrétien5 sur le Nigeria.
Pour les Haoussa-Fulani-Kanouri cela était inacceptable et ils répliquèrent
par un contre-coup d’État dirigé par le général Yakubu Gowon, nordiste,
mais lui aussi chrétien.
Ces coups d’État croisés eurent pour résultat un exode des Ibo car ceux
qui étaient installés dans le nord et dans le centre du Nigeria furent
massacrés et ils décidèrent alors de se regrouper dans leur région ethnique
d’origine qu’ils baptisèrent Biafra et où ils firent sécession. En 1967, une
terrible guerre éclata et en 1970 le Biafra fut vaincu. Les Ibo perdirent en
conséquence tout rôle politique au profit de leurs vainqueurs nordistes qui
monopolisèrent le pouvoir.
Le 29 juillet 1975, le général Yakubu Gowon fut renversé par le général
Murtala Mohamed, nordiste et musulman qui promit d’éradiquer la
corruption et de rendre le pouvoir aux civils en 1979. Au mois de
février 1976 le général fut assassiné6. Le chef d’état-major des armées, le
lieutenant-général Olesungun Obasanjo, un Yoruba issu du sérail militaire,
fut désigné par les vingt membres du conseil militaire suprême pour lui
succéder. En 1979, il organisa des élections présidentielles qui furent
remportées par un civil nordiste, Shehu Shagari.
Au mois de décembre 1983, un coup d’État militaire porta au pouvoir le
général Mohamed Buhari. Le 27 août 1985, le général Babangida remplaça
le général Buhari à la suite d’un nouveau coup d’État. Sous les pressions
internationales, le général organisa des élections présidentielles qui se
déroulèrent au mois de juin 1993 dans un climat tendu. Elles furent
remportées par le Yoruba Moshood Abiola, mais, comme l’armée ne voulait
pas abandonner le pouvoir à un sudiste, civil de surcroît, elles furent
annulées7.
Le 27 août 1993, le général Babangida démissionna au profit d’un
personnage falot, Ernest Shonekan, étroitement contrôlé par le ministre de
la défense, le général Sani Abacha. Trois mois plus tard, le 17 novembre,
l’armée désignait le général Sani Abacha comme nouveau chef de l’État.
Après la mort de ce dernier, en 1998, son successeur fut le général
Abdulsalami Abubakar qui organisa des élections présidentielles au mois de
février 1999.
Après seize années de dictature militaire, ce scrutin permit le retour au
pouvoir de l’ancien général Olesungu Obasanjo8. Ce processus
démocratique avait été engagé afin de permettre la réintégration du Nigeria
dans la communauté internationale. Mis au ban des Nations sous la
présidence du général Sani Abacha (1993-1998), exclu du Commonwealth,
frappé par des sanctions et même par un embargo de l’ONU, le pays était en
effet devenu une dictature placée sous régime de gangstérisme d’État.
À la fin de son second mandat achevé au mois d’avril 2007, le président
Obasanjo eut pour successeur un universitaire, Umaru Musa Yar’Adua, élu
le 21 avril 2007 à l’issue d’un scrutin dont la fiabilité fut contestée par
l’opposition. Pour la première fois dans l’histoire du pays, le pouvoir s’était
transmis d’un civil à un autre civil, en l’occurrence d’un chrétien sudiste à
un musulman9 originaire de l’État de Katsina dans le nord. Le mandat de ce
dernier était de quatre ans, mais il mourut en 2010, soit un an avant sa fin et
le vice président, Goodluck Jonathan, un chrétien sudiste, lui succéda
comme le veut la Constitution.
Or, les nordistes considéraient qu’il aurait dû s’effacer pour laisser un des
leurs être élu à la tête de l’État fédéral. Mais le président par intérim se
présenta aux élections présidentielles et, en 2011, il fut élu à l’issue d’un
scrutin clairement ethno régional, le sud chrétien ayant voté pour lui alors
que le nord musulman s’était massivement prononcé pour le général Buhari.
Cette élection provoqua l’inversion des rapports de force entre le nord et
le sud. Jusque-là, les nordistes contrôlaient en effet l’administration et
l’armée, exerçant le pouvoir tout en détournant à leur profit la manne
pétrolière sudiste. Or, à la suite de l’élection présidentielle, les sudistes
prirent le contrôle de la production pétrolière, puis ils cassèrent le monopole
que les Peul (Fulani) exerçaient sur l’armée en favorisant la promotion
d’officiers originaires du sud, le plus souvent chrétiens.

2. La guerre au nord
Depuis 2002, année de l’apparition du mouvement Boko Haram, le nord-
est du Nigeria est en situation de guerre, cependant que dans le centre et
dans le sud, subsistaient des foyers de conflictualité.
Le conflit ancré à l’origine sur la zone de peuplement des Kanouri10, a
débordé sur une partie de la région péri-tchadique.
Boko Haram a une interprétation intégriste du takfir
(l’excommunication), considérant que tout musulman non rallié à sa vision
de l’islam est un ennemi qui doit être éliminé. Voilà pourquoi il utilise des
kamikase, notamment des femmes et des enfants qui se font exploser dans
les mosquées ou sur les marchés, ceux qui les fréquentent étant considérés
comme des quasi mécréants.
En 2015, Abubakar Shekau, le chef de Boko Haram fit allégeance à l’EI
(État islamique). Puis, au mois d’août 2016, l’EI lui retira sa
reconnaissance.
En 2018, Boko Haram éclata en deux branches. Sa dissidence qui prit le
nom d’État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO ou ISWAP selon son
acronyme anglais) était dirigée par Abou Musa al-Barnawi, d’ethnie
Kanouri comme Abubakar Shekau. Actif dans la partie nord du lac Tchad,
dans la région des quatre frontières (Nigeria, Niger, Cameroun, Tchad),
l’EIAO disposait de plusieurs milliers de combattants. Alors que Boko
Haram fraction historique sombrait dans le banditisme et massacrait
indistinctement les civils, l’EIAO réussit à s’attirer le soutien des
populations en ciblant ses attaques et en soutenant les revendications
locales.
L’EIAO prit le contrôle de la région et y installa une autorité parallèle,
luttant contre le banditisme, punissant les voleurs de bétail, et, à la
différence de Boko Haram, y autorisant les campagnes de vaccination.
L’EIAO s’est également fait banquier en prêtant aux agriculteurs afin de
leur permettre d’acheter des semences ou des outils et il aida au forage de
puits.
Toujours à la différence de Boko Haram dont les attaques ne répondaient
à aucune définition stratégique cohérente, l’EIOA combinait la guérilla
avec ses procédés de harcèlement et les assauts classiques, et en 2019, le
mouvement fut en mesure d’attaquer des garnisons importantes.
Impuissante et subissant des pertes de plus en plus sévères, l’armée
nigériane tenta d’asphyxier l’EIAO en faisant le blocus de la région, ce qui
se traduisit par nombre d’exactions et qui poussa encore davantage les
populations vers l’EIAO.

Les Kanouri
Les Kanouri qui ne parlent pas la même langue que les Haoussa sont les héritiers de
l’empire de Kanem Bornou qui dura de la fin du XVe siècle jusqu’en 1893, date de sa
conquête par Rabah, et qui s’étendait sur une partie du Tchad, du Niger et du
Cameroun avec une pénétrante vers la Libye via Bilma.
La carte montre l’étendue de la zone ethno-territoriale kanouri qui déborde largement
à l’extérieur des frontières du Nigeria, notamment au Niger où les Kanouri constituent
5 % de la population, dans l’extrême nord du Cameroun et au Tchad. Dans ces trois
pays, leur peuplement n’est pas homogène et les Kanouri partagent le territoire avec
d’autres ethnies.
Au Tchad, leur peuplement est plus concentré dans les deux régions administratives
de Kanem et du Lac. Dans les années 2016-2019, Boko Haram contrôlait en partie
deux États de la fédération, le Yobé et le Bornou ainsi qu’une partie du Gombé, soit la
plus grande partie du territoire des Kanouri.
Alors que les sultanats haoussa-peul, dont celui de Sokoto, sont issus du jihad des
Peul d’Othman dan Fodio venus de la région du Sénégal à la fin du XVIIIe siècle,
l’islamisation des Kanouri fut réalisée par des tribus arabes venues de Libye. Les
descendants de ces derniers sont aujourd’hui installés dans la partie centrale du
Tchad ainsi que dans toute la région péri tchadique. Au Tchad, ils sont groupés en
trois ensembles, les nomades Djoheïna, les Hassaouna et les Ouled Slimane ; ces
derniers vivent également en Libye où ils sont en conflit avec les Toubou
(MacMichael, 1967).
3. Le guerre au sud
En 2006, la région du delta du Niger, où sont localisés la plupart des puits
de pétrole, du Nigeria, a vu la naissance d’une guérilla mi-ethnique, mi-
maffieuse frappant cinq provinces : Rivers, Akwa, Ibom, Delta et Bayelsa.
Les vingt-cinq millions d’habitants qui y vivent appartiennent à un grand
nombre d’ethnies dont les principales sont les Ijaw, les Itsereki, les Urhobo
et les Ogoni. La guérilla est divisée en mouvements ethno-centrés recrutant
notamment chez les Ogoni comme le Mosop (Mouvement pour la survie du
peuple ogoni-) ou chez les Ijo, comme le MEDN (Mouvement pour
l’émancipation du delta du Niger). À l’origine, dans les années 1990, les
premières actions furent menées par le Mosop qui militait pour une
meilleure redistribution des revenus du pétrole et dont faisait partie
l’écrivain Ken Saro-Wiwa, pendu en 1995. Après 1996, ces mouvements
développèrent des actions de sabotage, puis, des gangs maffieux se mêlèrent
aux militants indépendantistes.
Cette guérilla visait les installations pétrolières et les techniciens
étrangers qui étaient enlevés contre rançon. Les installations du terminal de
Bonny et les installations offshore furent régulièrement attaquées par des
commandos lourdement armés et équipés de vedettes rapides. Une étape
nouvelle fut franchie le 19 juin 2008 avec l’attaque revendiquée par le
Medn de la plate-forme Bonga appartenant à la Shell et située à 120 km des
côtes. La situation fut encore compliquée en raison de l’existence d’autres
mouvements aux origines confuses, comme le VDN (Vigiles du delta du
Niger) fondé en 2003, le NVPDN (Force volontaire du peuple du delta du
Niger) créé en 2005 par Alhaji Muhajid Dokub-Asari, un Ijaw.
En raison de ces violences, au mois de janvier 2007, la firme française
Michelin ferma son usine de Port-Harcourt et en 2006 et 2007, les
extractions pétrolières baissèrent de 6 %. En 2008, le Nigeria a même perdu
sa place de premier producteur africain au profit de l’Angola. En plus du
manque à gagner pour le budget de l’État qui dépend à 80 % du pétrole, ces
attaques entraînent des dépenses liées à la sécurité.
Durant l’année 2016, toujours dans la même région, les Vengeurs du
Delta du Niger (Delta Niger Avengers DNA), déclenchèrent une guérilla qui
suivit l’élection de Muhammadu Buhari en 2015 et le retour de la caste
militaire nordiste au pouvoir. Or, le général Muhammadu Buhari était
détesté par les populations du sud-est du Nigeria car, au mois de
juillet 1966, il avait participé au contre-coup d’État du général Murtala
Mohammed qui, le 12 juillet 1966, avait renversé et tué le général chrétien
sudiste Johnson Ironsi, prélude des pogromes devant aboutir à la sécession
du Biafra.
Si Boko Haram ne menaçait pas les intérêts vitaux du pays, il n’en était
pas de même avec la guérilla du sud car l’ancienne région sécessionniste du
Biafra possède une ouverture maritime, des terres fertiles et contrôle les
puits de pétrole. Résultat, la production de pétrole du Nigeria tomba de
2,2 millions de barils/jour à 1,6 million. Une saignée insupportable pour
une économie rentière déjà plombée par l’effondrement des cours du brut.

4. La guerre au centre
Au centre du Nigeria, dans la région de Jos, les affrontements frontaux
entre ethnies musulmanes et chrétiennes sont permanents car le saillant de
Jos est situé sur une triple frontière :
– géographique entre le Sahel et les plateaux du centre ;
– ethnique entre les éleveurs Haoussa-Peul-Kanouri et les agro pasteurs
sédentaires ;
– religieuse car elle met en contact la zone musulmane et la zone
chrétienne.
Pendant toute l’année 2010 et durant la plus grande partie de l’année
2011, l’État du Plateau où est située Jos, et qui est dirigé par des chrétiens, a
vu bouger sa tectonique ethno religieuse, la région du saillant de Jos étant
devenue une véritable ligne de front ethno-religieuse entre Peul Fulani
musulmans et Berom chrétiens.
Les Berom (ou Birom), sont un peu plus de 500 000 chrétiens
(protestants) à 75 %, leur territoire, est immédiatement situé au sud de la
ville de Jos, région considérée comme le Berom Homeland. Leurs voisins et
parents sont les Jarawa et les Anaguta. Tous sont des agro pasteurs
sédentaires. Or, depuis plus d’une décennie, leur territoire est peu à peu
colonisé par des nordistes haoussa musulmans, tandis que les pasteurs peul-
fulani, poussés vers le sud par la péjoration climatique, tentent de venir y
faire paître leur bétail.
Nous assistons en réalité à une reprise de la poussée nordiste vers le sud,
mouvement qui avait été mis entre parenthèses par la colonisation. Ces
affrontements sont en effet le prolongement de ceux de l’époque
précoloniale et ils s’inscrivent donc dans la longue durée ethnique
régionale. L’actuelle opposition entre musulmans et chrétiens prolonge ainsi
la situation précoloniale qui était celle d’un conflit ethnique entre les
populations nordistes en partie islamisées et celles du sud, alors animistes.
À la fin du XVIIIe siècle, la région de Jos résista ainsi à la poussée du
royaume musulman de Sokoto, puis, à la fin du XIXe siècle, en passe d’être
subjugués, les Birom et les peuples qui leur sont apparentés n’échappèrent à
la conquête et à l’islamisation que grâce à l’arrivée des Britanniques. C’est
alors qu’ils se convertirent au christianisme afin de bien marquer leur
différence avec les nordistes.

C. La République du Congo (Brazzaville)


Au pouvoir depuis l’indépendance du mois d’août 1960, l’abbé Fulbert
Youlou était un des principaux chefs de la tribu lari (ethnie Kongo).
Soutenu par son parti, l’Uddia (Union démocratique de défense des intérêts
africains), il voulut instaurer un régime de parti unique, mais il fut
fortement combattu par son opposition qui se retrouvait dans le MSA
(Mouvement socialiste africain) et dans le PPC (Parti progressiste
congolais). Les syndicats se mobilisèrent également contre ce projet ; quant
à l’armée, elle était fractionnée en plusieurs blocs ethniques.
Le 8 août 1963, le président décida d’interdire toutes les réunions
politiques et, deux jours plus tard, il fit arrêter quatre leaders syndicaux, ce
qui déclencha une grève générale. Le 13 août, les manifestants marchèrent
sur la prison afin d’en libérer les détenus politiques. Le 15 août, impuissant
à contenir l’émeute, le président Youlou fit appel à la France, mais le
général De Gaulle ayant refusé d’intervenir, il démissionna. Le pouvoir
étant en déshérence, l’armée le recueillit, puis le remit à des civils qui
constituèrent un gouvernement provisoire dont la présidence fut confiée à
Alphonse Massemba-Debat, Kongo-Lari comme l’abbé Youlou.
Ceux qui avaient renversé l’abbé Youlou parce qu’il voulait instaurer le
parti unique s’empressèrent alors de l’imposer. Le 8 décembre, c’est une
liste unique du MNR (Mouvement national pour la révolution) qui se
présenta ainsi aux suffrages des électeurs et le 19 décembre, un collège
électoral restreint porta Alphonse Massembat-Debat à la présidence de la
République. Au mois de janvier 1964, Pascal Lissouba, chef de file du
courant marxiste du MNR fut nommé Premier ministre. La situation
échappa alors au président Massembat-Debat, cependant que ceux des Lari,
demeurés fidèles à l’abbé Youlou manifestaient et que les factions
s’affrontaient au sein du MNR.
Au mois de février 1964, lors des élections municipales organisées dans
les trois villes du pays (Brazzaville, Dolisie et Pointe-Noire), le MNR subit
une défaite car les consignes de boycott lancées par les partisans de l’abbé
Youlou furent largement suivies. En conséquence, le président annula le
scrutin et le 7 février 1964, une importante manifestation Lari se déroula à
Brazzaville, demandant le retour au pouvoir de l’abbé Youlou. Le régime se
crispa, interdit les syndicats chrétiens, expulsa des missionnaires européens,
emprisonna des religieux congolais qui furent parfois torturés et assassina
plusieurs grandes figures de l’opposition dont MM Lazare Matsocota,
procureur de la République parent de l’abbé Youlou et Joseph Pouabou,
président de la Cour Suprême. Le climat se tendait donc d’autant plus qu’à
Léopoldville, sur l’autre rive du Congo, un ami de l’abbé Youlou, Moïse
Tschombé, était au pouvoir depuis le mois de juillet 1964. Le 25 mars 1965,
l’abbé Fulbert Youlou réussit à s’évader de prison et il se réfugia à
Léopoldville où il fut accueilli par Moïse Tschombé11.
Le régime congolais se durcit de plus en plus, le slogan « la modération
est démodée » devint sa ligne politique. Les factions se déchirèrent, ce qui
entraîna de constants remaniements ministériels cependant que la
coopération avec la Chine communiste s’amorçait et que des milliers de
travailleurs chinois vêtus de bleu de chauffe se répandaient dans les
campagne pour y endoctriner les Congolais, le « petit livre rouge » à la
main. Au même moment, les plus extrémistes parmi les militants marxistes
demandaient des mesures de transformation de l’armée en milice populaire.
Au mois d’octobre 1965 une centaine de cadres de l’armée cubaine furent
envoyés au Congo.
Le 26 avril 1967, Pascal Lissouba démissionna, officiellement pour
« surmenage physique » et il fut remplacé à la primature par Ambroise
Noumazalay. Au mois de juin 1967, groupés autour du capitaine Marien
Ngouabi, un Mbochi, commandant les parachutistes et qui avait été
rétrogradé au rang de « soldat de première classe », une fraction de l’armée
tenta un coup d’État que le contingent cubain fit échouer.
Au mois de juillet 1968, le président Massembat-Débat subit de très
fortes pressions de la part de l’aile la plus extrémiste du MNR et il offrit de
démissionner. L’armée se rangea alors derrière lui et d’importantes
manifestations de soutien furent organisées. Le 1er août, en position de
force, le président procéda à la dissolution de l’assemblée, puis, d’une
manière inexplicable, le 2 août, il quitta Brazzaville.
Un épisode rocambolesque se déroula alors. L’armée remplit le vide
politique, nomma le capitaine Ngouabi chef d’état-major tandis que le
lieutenant Poignet assurait l’intérim du pouvoir pendant l’absence du
président. Le 6 août le président Massembat-Débat réapparut subitement à
Brazzaville, constitua un nouveau gouvernement et maintint le capitaine
Ngouabi à la tête de l’armée. La Constitution fut abrogée et remplacée par
un Acte fondamental qui consacrait le rôle dominant désormais joué par
l’armée puisque l’organe exécutif du Conseil National de la révolution était
présidé par le capitaine Ngouabi qui ordonna la dissolution des milices et le
renvoi des militaires cubains.
Marien Ngouabi s’imposa peu à peu et créa le PCT (Parti congolais du
travail). Dans la réalité, les Mbochi confisquaient le pouvoir à leur profit et
pour la première fois depuis l’indépendance du pays, les Kongo
n’exerçaient donc plus le pouvoir. Le 18 mars 1977, le président Ngouabi
fut assassiné et le Comité militaire du Parti mit au pouvoir le colonel
Yhombi Opango, lui aussi Mbochi.
Le 8 février 1979, le colonel Sassou Nguesso, également Mbochi prit le
pouvoir. Contraint par la France d’adopter le multipartisme, au début de
l’année 1991 il mit en marche un processus démocratique qui déboucha sur
l’ethno-mathématique, c’est-à-dire sur la victoire des plus nombreux, à
savoir les Kongo.
Une Conférence nationale se tint alors. André Milongo, un Kongo, fut
élu Premier ministre et, le 15 juin 1991, il constitua un gouvernement dit
d’union nationale dont la tâche était de mener une transition de douze mois.
Lors des élections présidentielles de 1992, ce fut un autre Kongo, l’ancien
Premier ministre Pascal Lissouba qui fut élu12. Le nouveau président fit un
mandat de cinq ans durant lequel la véritable opposition se fit au sein même
du groupe Kongo entre les Lari menés par Bernard Kolélas et les
ressortissants des régions du Niari, de Bouenza et de Lékoumou, qui
soutenaient le président Lissouba. Bientôt, une guerre opposa les deux
grandes factions du peuple kongo (Kouvibidala, 2003 : 207-258).
De nouvelles élections présidentielles étaient prévues en 1997. Sachant
qu’il allait ethno-mathématiquement les perdre, et cela pour la seconde fois,
le colonel Sassou Nguesso força alors le destin, et, au mois d’octobre 1997,
à l’issue d’une guerre féroce, les Mbochi reprirent par les armes un pouvoir
perdu cinq ans plus tôt par les urnes.
Les Kongo se replièrent alors dans leurs régions d’origine (Niari,
Bouenza, Lekoumou et Pool). Les miliciens de l’ancien président Pascal
Lissouba et ceux de Bernard Kolelas, l’ancien maire de Brazzaville, y
menèrent une guérilla pugnace soutenus par les séparatistes angolais du
Cabinda. Les enjeux étant alors clairement régionaux le président Sassou
Nguesso fut quant à lui, appuyé par l’armée angolaise. Pour Luanda, il était
en effet essentiel que les Kongo soient maintenus à l’écart du pouvoir car il
en allait de la pacification de l’enclave de Cabinda, également peuplée de
Kongo. En cas de retour au pouvoir de ces derniers à Brazzaville, la guérilla
du Cabinda aurait en effet été assurée de retrouver les bases dont elle
disposait avant 1992.
À la fin du mois de décembre 1998, les miliciens kongo pensèrent que le
contexte leur était devenu favorable en raison de la guerre qui avait repris
en Angola où l’UNITA semblait avoir l’avantage, et ils attaquèrent
Brazzaville. De très violents combats de rue eurent lieu et l’armée
congolaise, débordée, fit appel à l’Angola. L’attaque fut repoussée après des
combats à l’arme lourde. Rue par rue, parcelle par parcelle, maison par
maison, le « nettoyage » fut systématique et impitoyable, notamment dans
les quartiers de Bakongo et de Makelekele. De nombreux règlements de
compte ethniques l’accompagnèrent, suivis d’exécutions sommaires. Les
victimes se comptèrent par centaines et peut-être même par milliers. Les
miliciens kongo ayant été finalement repoussés, l’armée gouvernementale
reprit le contrôle d’une capitale une nouvelle fois détruite. Puis une lente
reconquête des quatre provinces du sud, Bouenza, Lekoumou, Niari – fief
de Pascal Lissouba –, et Pool – région ethnique de Bernard Kolelas –, fut
entreprise durant l’année 2000 (Yengo : 2006).
Le 10 mars 2002 Denis Sassou Nguesso fut élu président de la
République et il fut réélu en 2009 puis en 2016.

D. Le Gabon
Le 26 juillet 1958, le Gabon obtint l’autonomie interne et Léon Mba,
maire de Libreville et vice-président du Conseil du Gouvernement du
Gabon remplaça le gouverneur français au poste de président du Conseil du
Gouvernement. Le 19 janvier 1959, la Constitution gabonaise fut
promulguée et Léon Mba devint Premier ministre. Le 19 juin 1959,
l’Assemblée territoriale devint Assemblée nationale et le 17 août 1960, le
Gabon était indépendant.
Le 13 février 1961 Léon Mba fut plébiscité à la présidence de la
République mais des tensions opposaient les deux principaux partis
politiques, à savoir l’UDSG (Union démocratique et sociale gabonaise) et
le BDG (Bloc démocratique gabonais) qui soutenait le président. En 1963,
ce dernier se sépara de ses ministres UDSG et la crise déboucha sur la
dissolution de l’Assemblée nationale le 21 janvier 1964. Le 18 février,
l’UDSG tenta un coup d’État quand son leader, Jean Hilaire prit la tête d’un
« comité révolutionnaire » et chassa le président Léon Mba du pouvoir.
Mais une intervention militaire française rétablit le président.
Au mois d’avril 1964 l’opposition qui réunit 44 % des suffrages remporta
les élections législatives cependant qu’au mois de mars 1967 le président
Mba était réélu avec 99 % des voix. Quelques mois plus tard, le
28 novembre 1967, il mourait à Paris où il était en traitement médical.
Nommé vice-président le 12 novembre 1966, Albert-Bernard Bongo13
succéda au président défunt. Au mois de mars 1968 il créa le P.-D.G. (Parti
démocratique gabonais) qui fut le parti unique jusqu’en 1990.
Sous la direction du président Bongo le Gabon devint le phare
économique de cette partie de l’Afrique, ce qui suscita bien des jalousies et
des critiques. Fort de ses ressources naturelles (pétrole et manganèse
notamment), mais aussi de sa stabilité garantie par une forte présence
militaire française, le pays attira les investissements internationaux qui se
portèrent sur l’uranium, le manganèse, le pétrole et le bois. De nombreux
immigrants venus de toute l’Afrique se ruèrent alors vers l’« eldorado »
gabonais.
À partir de 1984, le pays connut des difficultés économiques dues à la
baisse des cours du pétrole. L’harmonie sociale du pays fut alors remise en
question et une forte poussée xénophobe s’empara des nationaux qui
accusaient les nombreux étrangers de piller leur richesse. Il s’ensuivit en
1984 et en 1985 des campagnes d’expulsion d’immigrés clandestins qui se
firent sans ménagements14. Mais ces mesures ne permirent pas de juguler la
crise dont les causes étaient bien plus profondes et à la fin de l’année 1989,
de graves troubles sociaux éclatèrent, animés par les étudiants et les
enseignants. Ils furent suivis de scènes de pillage et même d’émeute,
notamment lors de l’insurrection qui se produisit à Port-Gentil et à
Libreville en 1990.
Le gouvernement ne se laissa cependant pas déborder et, solidement
appuyé sur l’armée, il reprit la situation en main au prix d’une dure
répression destinée à rassurer les investisseurs. Sous le poids des pressions
extérieures, le président Bongo engagea ensuite le pays dans un processus
démocratique. Au mois d’avril 1990, il nomma ainsi un nouveau premier
ministre en la personne de M.C. Oyé-Mba et au mois de mai, il entérina la
réforme constitutionnelle qui officialisait le multipartisme.
Cette évolution se fit dans un climat troublé et des violences éclatèrent à
la suite de l’assassinat du secrétaire général du PGP (Parti gabonais du
progrès), le principal parti de l’opposition. C’est dans ce contexte lourd
d’orages accumulés depuis plusieurs décennies qu’eurent lieu les élections
présidentielles du mois de décembre 1993. Elles virent le président Bongo
élu pour son quatrième mandat15, mais avec un score « serré » de 52 % des
suffrages contre 26,51 % au RNB (Rassemblement des Bûcherons).
Ces élections ne calmèrent pas l’opposition qui parla de manipulation et
le pays parut alors s’enfoncer dans une crise sans fin ponctuée de graves
désordres, comme au mois de février 1994 quand eurent lieu les émeutes de
Libreville. Pour tenter de faire sortir le pays de la crise, la France prit
l’initiative d’organiser une rencontre de toutes les forces politiques du pays.
Cette réunion se tint à Paris le 27 septembre 1994 et un accord fut signé
prévoyant la mise en place d’un gouvernement d’union nationale et la tenue
d’élections législatives incontestables dans les dix-huit mois. Le 23 juillet
1995, les Gabonais approuvèrent les « Accords de Paris » à plus de 96 %,
puis le parlement ratifia la réforme de la Constitution.
Le 6 décembre 1998, au premier tour des élections présidentielles, Omar
Bongo fut réélu avec un score de 66,55 % des voix. Réélu pour sept ans le
27 novembre 2005, le président Omar Bongo entama en 2008 sa
quarantième année au pouvoir. Un an plus tard, il mourut et son successeur
fut son fils Ali Bongo.
Lors des élections présidentielles du 27 août 2016 le président sortant eut
face à lui Jean Ping Okoka, né en 1942.
Ce dernier, ancien haut fonctionnaire de l’ONU et de l’Union africaine
est de père chinois et de mère Nkomi-Myéné de la région de Lambaréné.
C’est un cacique du clan Bongo puisqu’il fut ministre d’Omar Bongo durant
18 ans, de 1990 à 2008, tout en étant le compagnon de sa fille Pascaline
Bongo avec laquelle il eut 2 enfants. Or, paradoxalement, toute sa
campagne qui fut d’une grande violence de ton fut orientée sur deux
thèmes :
– la dénonciation du clan qu’il avait si longtemps servi et grâce auquel il
a bâti sa fortune,
– l’accusation portée contre Ali Bongo Ondimba de n’être pas le fils de
son père, ni même d’être d’origine gabonaise était insolite de la part
d’un fils de Chinois.
Les principaux soutiens de Jean Ping étaient des caciques du clan Bongo
qui, sentant le vent tourner, avaient décidé de trahir celui auquel ils devaient
tout. Ainsi l’ancien Premier ministre fang, Casimir Oyé Mba.
Le président sortant ayant remporté les élections d’extrême justesse, leurs
résultats furent contestés, ce qui provoqua de vifs incidents.

1. Ancienne colonie espagnole, la Guinée équatoriale, jadis un des territoires les plus pauvres
d’Afrique devenu un eldorado pétrolier. Le pays est cependant déchiré entre sa composante
insulaire peuplée par les Bubi et sa partie continentale habitée par les Fang. La Guinée équatoriale a
fait l’actualité durant la sanglante dictature de Macias Nguema, renversé au mois d’août 1979, puis
fusillé le 29 septembre. Au pouvoir depuis le 3 août 1979, le colonel Teodoro Obiang Nguema a
constamment été réélu à la tête de l’État depuis cette date.
2. Les deux provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest qui rassemblent 20 % des 23 millions de
Camerounais et dont la « capitale » est la ville de Bamenda connaissent un sentiment
sécessionniste.
3. En réalité il est Fang-Beti car les Fang dont le territoire s’étant sur le sud du Cameroun, le nord-est
du Congo, tout le nord du Gabon et la Guinée équatoriale, sont connus au Cameroun sous le nom
de Beti.
4. L’Église est également profondément tribalisée comme l’a montré au mois d’août 1999 la
contestation de l’intronisation du nouvel archevêque de Yaoundé, un Bamiléké, refusée par les
Ewon sous-groupe Béti. Les catholiques représentent 39 % de la population, les protestants 26 %,
les chrétiens évangélistes 4 %, les musulmans 21 %, les animistes 6 %.
5. Aux conflits ethniques traditionnels s’ajoutent de puissantes oppositions religieuses (les
musulmans sont officiellement 43 %, les chrétiens 34 % et les animistes 19 %), ainsi, au mois de
mai 2000, l’annonce de l’application de la charia dans l’État de Kaduna provoqua de sanglants
affrontements qui firent plus de 2000 morts. La même mesure religieuse provoqua l’embrasement
de la ville de Kano au mois de novembre de la même année quand églises et mosquées furent
pillées ou incendiées. Dans tout le nord du Nigeria, il s’est ensuivi l’exode des chrétiens. En
représailles, dans le sud, les Yoruba massacrèrent des centaines de Haoussa, comme à Lagos et à
Ilorin au mois d’octobre 2000.
6. Trente-sept conjurés furent exécutés.
7. Le général Babangida fit emprisonner Moshood Abiola qui mourût en détention au mois de
juin 1998.
8. Le président Obasanjo était un sudiste d’ethnie yoruba, mais c’était un général qui avait été adoubé
par le lobby militaire nordiste.
9. Où il introduisit la Charia alors qu’il était gouverneur de cet État.
10. Les statistiques de l’armée indiquaient que 90 % des prisonniers faits au combat ou lors des
opérations de maintien de l’ordre étaient Kanouri.
11. Il mourut à Madrid le 6 mai 1973
12. Bien que divisés, les Kongo qui, toutes tribus confondues, totalisent 48 % de la population étaient
certains de l’emporter sur l’ancien président Sassou Nguesso soutenu par les Mbochi puisque ces
derniers ne sont qu’entre 13 et 20 % de la population.
13. Albert-Bernard « Omar » Bongo était Téké (Batéké). Originaire de Lewai, village des environs de
Franceville, il naquit le 30 décembre 1935. Après avoir suivi une scolarité au lycée technique de
Brazzaville, il entra dans l’administration des postes en 1958 et très rapidement fut attiré par la
politique et adhéra au MSA (Mouvement socialiste africain), version coloniale de la SFIO, tout en
effectuant son service militaire dans l’aviation à Fort Lamy. Il le termina avec le grade de
lieutenant. Sa carrière politique débuta véritablement au mois de mars 1962 quand il fut nommé
directeur de cabinet adjoint du président de la République. Sept mois plus tard il devint directeur de
cabinet en titre. En 1965, en plus de ce poste il fut nommé ministre délégué à la présidence de la
République, chargé de la défense nationale et de la coordination. Au mois d’août 1966, il devint
ministre du tourisme et le 12 novembre de la même année, le président Mba malade, le nomma au
poste de vice-président, nomination confirmée lors de l’élection présidentielle de mars 1967.
14. Les principales mesures d’expulsion ont porté en 1978 sur les Béninois, en 1981 sur les
Camerounais, en 1992 sur les Nigérians. En 1995, la mesure fut spectaculaire et de grande
envergure car elle portait sur tous les clandestins notamment Maliens, Nigériens et Nigérians
accusés par le général Idriss Ngari, ministre de la Défense et de l’Immigration d’être à l’origine du
chômage et de la délinquance.
15. Les précédentes élections avaient eu lieu en 1973,1979 et 1986
Chapitre VI.
La Corne de l’Afrique

Alors que, durant les années 1945-1970, le cœur de la confrontation entre


les deux blocs avait été l’Asie (Chine, Guerre de Corée, Guerre d’Indochine
puis du Vietnam, etc.), à partir du début des années 1970, la Corne de
l’Afrique devint une zone disputée à la suite de la rupture du statu quo
régional découlant du basculement de l’Éthiopie dans le camp soviétique et
de la Somalie dans celui des États-Unis.
En conséquence, ces derniers qui jusque-là avaient soutenu
l’expansionnisme éthiopien, suivirent une politique opposée dont le but
était l’affaiblisement du régime marxiste éthiopien par l’appui donné à
toutes les forces de dissociation périphériques : indépendantistes érythréens,
sécessionnistes de l’Ogaden et encouragement aux revendications
somaliennes.
Cette politique qui allait contre les constantes régionales conditionna les
conflictualités ultérieures. En effet, quand la puissance soviétique disparut,
les États-Unis se retrouvèrent confrontés au retour des lourdes tendances
géostratégiques régionales. Or, l’effacement de l’Éthiopie dont ils étaient
largement les responsables, avait créé un climat d’anarchie sur les
périphéries de la seule puissance régionale. D’autant plus que la poussée
séculaire de l’islam qui avait été masquée par la confrontation Est-Ouest
était un nouvel élément d’affaiblissement de l’Éthiopie, redevenue une
« citadelle chrétienne » assiégée et coupée de ses débouchés maritimes par
l’indépendance de l’Érythrée à laquelle Washington avait tant œuvré.
L’Éthiopie étant au plus bas et l’anarchie somalienne menaçant ses
intérêts géostratégiques, Washington dut intervenir directement en Somalie
en 1993. L’échec fut à la hauteur des bouleversements régionaux découlant
de la calamiteuse politique régionale suivie à l’époque de la « guerre
froide ». Avec réalisme, les États-Unis d’Amérique tirèrent alors les leçons
de leur catastrophique intervention et ils définirent une nouvelle politique
visant à déléguer le maintien de l’ordre régional à l’Éthiopie, tout en
assurant une forte présence militaire à Djibouti où, au mois de juin 2002, ils
créèrent le Combined Joint Task Force of Horn of Africa (CJTF-HOA).
Ensuite, durant la décennie 2009-2019, la région de la Corne de l’Afrique
a connu de grandes nouveautés. À commencer par la partition du Soudan
qui donna naissance à deux États, le Soudan du Nord et le Soudan du Sud.
Au Soudan du Nord, le président Omar el Béchir fut renversé, cependant
qu’au Soudan du Sud éclatait une féroce guerre ethnique.
En Éthiopie, la mort du Premier ministre Méles Zenawi au mois
d’août 2012 marqua la fin de la domination de la minorité tigrinya puis, en
2018, l’accession au pouvoir de la majorité oromo se fit à travers la
personne d’Abiy Ahmed.
A. L’Éthiopie
L’empereur Hailé Sélassié Ier (1892-1975) fut couronné en 1930. Revenu
au pouvoir après une brève parenthèse de domination coloniale italienne
(1936-1941), il entreprit de centraliser le pays1. Cette politique se fit au
profit de l’ethnie amhara, 1/4 de la population totale, les autres peuples
subissant alors une triple hégémonie :
– politique car le personnel administratif et les gradés de l’armée étaient
Amhara ;
– religieuse quand, à partir de 1931, le christianisme orthodoxe devint
religion d’État2 ;
– linguistique enfin car l’amharique fut langue officielle en 1955.
En 1945 les frontières de 1897 furent rétablies3 et l’Ogaden peuplé de
Somali définitivement rattaché à l’Éthiopie. Désireux d’obtenir un
débouché maritime, l’empereur revendiqua ensuite l’Érythrée. En 1952, les
Nations unies lui donnérent satisfaction et l’Érythrée fut alors rattachée à
l’Éthiopie sous une forme fédérale. En 1962 Addis-Abeba annexa purement
et simplement l’ancienne colonie italienne, ce qui déclencha le début de la
guerre de libération de l’Érythrée.

1. La fin du régime impérial


Durant le règne d’Hailé Sélassié, plusieurs soulèvements se produisirent.
Puis, à partir de 1965, ce furent les étudiants acquis à l’idéologie marxiste-
léniniste qui commencèrent à contester le régime.
Le 12 septembre 1974, l’empereur fut déposé et incarcéré par le Derg4.
L’anarchie suivit cette prise de pouvoir et de nombreuses factions
s’opposèrent d’une manière violente. Puis l’épuration physique des cadres
du régime impérial débuta et le général Andom devint président du
gouvernement militaire provisoire. Le 23 novembre eut lieu une purge
sanglante durant laquelle 60 militaires, dont le général Andom, et civils de
haut rang furent fusillés. Le 27 novembre le nouveau maître de l’Éthiopie
était le général Teferi Bente. Le 3 février 1977, à l’issue d’un coup d’État,
ce dernier fut tué et le 11 février, le colonel Mengistu Hailé Mariam lui
succéda.
Dans les années 1976-1977, le gouvernement se lança dans une politique
de répression connue sous le nom de « Terreur rouge » qui lui permit de
sortir victorieux de sa confrontation avec la guérilla urbaine menée par
divers mouvements gauchistes et par le PRPE (Parti révolutionnaire du
peuple éthiopien).
Sur le front extérieur, le Derg réussit, grâce à l’appui massif de l’URSS, à
repousser l’invasion de l’armée somalienne qui s’était avancée à travers
l’Ogaden et qui menaçait la région du Harar. Au sein du Derg, le colonel
Mengistu Haile Mariam concentra entre ses mains la totalité des pouvoirs
puis, en 1987, il devint président de la République.
Le contexte devenait cependant de plus en plus explosif pour son régime
car, en Érythrée et au Tigré, deux guérillas enracinées et structurées (le
FPLE ou Front populaire de libération de l’Érythrée et le FPLT ou Front
populaire de libération du Tigré) menaient la vie dure aux troupes
éthiopiennes.
Ne bénéficiant plus du soutien soviétique après l’éclatement de l’URSS,
le régime éthiopien s’effondra en 1989. En 1990, le FPLE s’empara de
Massawa et au mois de mai 1991 il prit Asmara tandis que le 21 mai 1991,
le FPLT de Méles Zenawi entrait en vainqueur à Addis-Abeba. Le régime
marxiste était renversé et le colonel Mengistu en fuite se réfugia au
Zimbabwe. Une page nouvelle de l’histoire de l’Éthiopie allait être écrite.
2. La redéfinition de l’État
En 1991, l’Éthiopie faillit disparaître, toutes les forces de dissoçiation
difficilement contenues depuis des années semblant alors s’être liguées pour
faire éclater le plus vieil État africain :
– au mois de mai 1991, l’Érythrée se sépara de fait de l’Éthiopie, même
si l’indépendance officielle n’intervint qu’en 1993 ;
– au mois de juin, en Ogaden, le MNS (Mouvement national somalien)
demanda le rattachement de la région à la Somalie ;
– au mois de juillet, les Oromo du FLO (Front de libération oromo) et les
Issa du FLI (Front de libération issa) s’affrontèrent dans la ville de Dire
Dawa et dans ses environs. Avec cette mobilisation des Oromo, la
menace pour l’unité éthiopienne devenait gravissime car les Oromo
constituent 40 % de la population du pays et leur territoire occupe une
position centrale, ce qui signifie qu’une indépendance de l’Oromie
aurait sonné le glas de l’Éthiopie ;
– comme les Oromo s’opposaient aux Issa, donc à des Somali, les Afar
devinrent par conséquent leurs alliés. Cette situation se vérifia à la mi-
juillet quand le conflit gagna la ville de Djibouti où les Afar volèrent au
secours des réfugiés oromo victimes de raids lancés par des militants
issa. Cette prise de conscience des Afar constituait un nouveau défi,
non plus seulement pour l’Éthiopie, mais pour toute la région car le
« triangle afar », est plaqué sur le territoire de deux autres États,
l’Érythrée et Djibouti.
Ces mouvements séparatistes ou fortement identitaires n’étaient pas les
seuls à menacer l’existence de l’Éthiopie puisque, dans le sud-ouest du
pays, les Sidamo avaient crée leur propre mouvement, le FLS (Front de
libération sidamo).
Peu à peu dépecée, l’Éthiopie risquait de se voir réduite à son bastion
montagneux abyssin, c’est-à-dire aux « petites » limites qui avaient été les
siennes au XVIIIe siècle, à l’époque de son grand repli. Mais un autre danger
de démembrement menaçait le cœur même du pays, là où les éternelles
rivalités opposant les Amhara aux Tigréens se trouvaient exacerbées à la
suite de la victoire de ces derniers. Avec Méles Zenawi, ce n’étaient en effet
pas les Amhara qui reprenaient un pouvoir perdu en 1974 avec la déposition
de l’empereur Hailé Sélassié, mais les Tigréens qui tenaient là leur
revanche.

Une Constitution ethno-fédérale


Durant plus de vingt ans, les guerres civiles éthiopiennes furent d’abord ethniques. Il
s’agissait de soulèvements ethno-nationalistes menés contre le pouvoir central
amhara avant 1974 et militaro-marxiste ensuite. En 1991, la victoire de la coalition
insurgée fut d’abord celle des fédéralistes et des séparatistes. Parmi eux, les
Tigréens du FPLT ne voulaient pas de la dissolution de la nation éthiopienne et c’est
pourquoi, après leur victoire sur le régime marxiste, ils recherchèrent un moyen
constitutionnel et politique de sauver l’Éthiopie. Ils pensèrent l’avoir trouvé en partant
de quatre réalités :
1. l’Éthiopie est une mosaïque ethnique dont le « ciment » amhara s’était délité
depuis la révolution de 1974 ;
2. chaque ethnie a des revendications autonomistes qui sont en contradiction avec
l’existence même de l’État unitaire crée par l’empereur Menelik II au XIXe siècle.
Pour tenter d’éviter le démembrement du pays, il fallait donc inventer un système
laissant à chaque peuple son territoire sur lequel il pourrait se gouverner, tout en
continuant à faire partie du cadre éthiopien ;
3. si le centre et le nord – notamment la région amhara –, ont toujours constitué le
cœur politique et culturel de l’Éthiopie, c’est le sud agricole qui nourrit le pays. Or,
traditionnellement, les populations qui y vivent – essentiellement les Oromo –, ont
toujours été considérées comme inférieures par les nordistes ;
4. parmi les dizaines d’ethnies composant la population du pays, cinq dominent
politiquement ou démographiquement. Ethnie-mère de l’Éthiopie, les Amharas qui
représentent 25 % de la population étaient par le passé associés au pouvoir
impérial. Les Tigréen qui sont que 5 % de la population ont toujours jalousé leurs
voisins-cousins dont ils dénonçaient le sentiment de supériorité. Amhara et Tigréen
sont chrétiens. Les Oromo qui constituent plus de 40 % de la population totale sont
en majorité musulmans, mais on compte également un pourcentage non
négligeable de chrétiens parmi. Quant aux Somali et aux Afar, ce sont des
musulmans.
Amhara, Tigréen, Oromo, Somali et Afar totalisent environ 80 % de la population de
l’Éthiopie et c’est autour d’eux que s’est construite la Constitution fédérale adoptée au
mois de décembre 1994 et qui offre peut-être la solution aux États africains. En
Éthiopie, c’est d’État-ethnique qu’il faut désormais parler puisque le préambule de la
Constitution contient la phrase suivante : « Nous, les Nations, les Nationalités, et les
Peuples d’Éthiopie. » La Constitution place ainsi sur un pied d’égalité les différentes
composantes nationales éthiopiennes qui disposent toutes de leur territoire et se
voient reconnaître le droit de promouvoir leur culture et leur langue. La Constitution
prévoit le découpage du pays en plusieurs régions. Certaines seront mono-ethniques
et d’autres engloberont plusieurs « petites » ethnies qui, au sein des régions
concernées disposeront cependant de leur homeland5. De plus, le droit solennel à
l’auto-détermination, donc la possibilité de faire sécession, est reconnu.

Les élections des mois de mai et juin 1995 furent remportées par le
FRDPE (Front révolutionnaire démocratique du peuple éthiopien), et le
Tigréen Méles Zenawi accéda à la Primature tandis qu’un Oromo,
M. Negasso Gidada devenait président de la République fédérale
démocratique d’Éthiopie6.
Au mois de juin 2000, le FRDPE de Méles Zenawi remporta les élections
législatives. Sa victoire fut plus limitée et même contestée lors de celles du
15 mai 2005.
La Constitution fédérale était le garant de la survie du pays à condition
que soient « gérées » les questions somali et oromo. La région somali qui
recouvre l’ancienne province de l’Ogaden constitue en effet une menace
potentielle pour le devenir de l’Éthiopie. Peuplée par environ 2 à 3 millions
de musulmans qui regardent vers le Somaliland ou vers les régions
claniques de la Somalie, elle est profondément différente du reste de
l’Éthiopie. Plusieurs mouvements politiques y sont actifs, un seul étant
partisan du maintien de la région dans le cadre éthiopien, il s’agit de la
LDES (Ligue démocratique des Éthiopiens Somalis). À partir de la Somalie
voisine en pleine anarchie, les autres mouvements mènent des actions
violentes7. La question de l’Ogaden n’est donc pas réglée.
Après les attentats du 11 septembre 2001 à New York, l’Éthiopie devint
un élément essentiel du dispositif américain de lutte contre les réseaux
terroristes de la Corne. À la fin du mois de décembre 2006, une opération
militaire de grande envergure fut ainsi lancée en Somalie par l’armée
d’Addis Abeba au moment où les milices islamistes du mouvement des
Tribunaux islamistes étaient sur le point de l’emporter sur le Gouvernement
fédéral somalien de transition dirigé par Abdallah Youssouf Ahmed.
Une victoire des Tribunaux islamistes aurait en effet représenté un triple
danger pour l’Éthiopie :
– une possibilité de réunification de la Somalie et la fin de
l’indépendance du Somaliland, donc la perte du débouché représenté
par le port de Berbera ;
– la prise du pouvoir en Somalie d’un allié de l’Érythrée ;
– une menace pour l’unité même de l’Éthiopie car les Tribunaux
islamistes soutenaient tous les mouvements séparatistes éthiopiens,
qu’il s’agisse des Ogadeni ou des Oromo du FLO.

L’Éthiopie et la mer
Carte 162 avec cet encadré
Vers le début du VIIIe siècle, l’Éthiopie avait brièvement détenu la supériorité navale
en mer Rouge, mais, dès la fin du Xe siècle, elle fut repoussée loin du littoral, sur les
hautes terres. L’offensive portugaise de 1541 qui remit en question la suprématie
navale des musulmans et des Turcs dans la région, ne lui permit pas de sortir
totalement de l’enclavement. Cependant, sous le règne de l’empereur Jésus II (1729-
1753), les Éthiopiens rétablirent leur contrôle sur la « province maritime », l’actuelle
Érythrée, et cela pour quelques années puis, après une courte occupation par les
Turcs, l’empereur Theodoros en reprit le contrôle.
En 1875, le Khédive d’Égypte s’empara de la région jusqu’à l’occupation italienne de
1885. En 1952, l’ONU vota la réunion de l’Éthiopie et de l’Érythrée. Ce nouvel
ensemble correspondait en fait à l’ancien Empire éthiopien de l’époque médiévale
dont le littoral sur la mer Rouge courait sur les 800 kilomètres séparant la cité de
Souakin de celle d’Assab. Avec l’indépendance de l’Érythrée en 1993, l’Éthiopie
perdit son seul débouché maritime et redevint un État enclavé. Un empire millénaire
se voyait ainsi coupé de la mer par la naissance comme État de son ancienne
marche maritime. Dépendant donc de Djibouti, solution insatisfaisante, l’Éthiopie se
tourna alors vers le port de Berbera dans l’État autoproclamé du Somaliland.

Le deuxième grand défi à relever par le nouvel État éthiopien était celui
posé par les Oromo. Descendants des « envahisseurs galla », les Oromo
furent toujours considérés comme les serfs ou les domestiques des Amhara
avec lesquels ils entretenaient des rapports subtils d’acculturation.
Afin de ne pas se couper de cette ethnie au poids démographique
considérable, le gouvernement éthiopien multiplia les concessions, allant
jusqu’à permettre aux Oromo l’usage du syllabaire latin en lieu et place du
guez, alphabet officiel utilisé dans le domaine religieux et administratif. Le
risque fut donc grand de voir le dernier facteur d’unification national
disparaître. Sans compter que l’abandon du guez fut considéré comme une
trahison nationale par la puissante Église d’Éthiopie, par les Amhara et
même par les Tigréens.

3. Le conflit Éthiopie-Erythrée8
L’Érythrée est une langue de terre longue de 1 000 km bordière de la mer
Rouge dont la superficie est de 1 210 00 km2. En 2019, sa population était
de 5 200 000 habitants appartenant à plusieurs ethnies. Les langues
officielles du pays sont le tigrinia et l’arabe et la population y est divisée à
égalité entre musulmans et chrétiens. L’Érythrée coupe l’Éthiopie de tout
accès à la mer Rouge.
De 1889 à 1941, l’Érythrée fut une colonie italienne. Quand vint le temps
du partage des dépouilles des vaincus du second conflit mondial,
l’empereur Hailé Selassié revendiqua le territoire. En 1952, l’ONU confia
la région à l’Éthiopie comme entité autonome dotée d’un drapeau et d’un
gouvernement. Dix ans plus tard, en 1962, l’Éthiopie l’annexa, y appliqua
une rigoureuse politique de centralisation administrative et entreprit d’en
faire une simple province de l’Empire. Cette annexion provoqua une
rébellion qui ne prit fin que trente ans plus tard, au mois de mai 1991 avec
la prise d’Asmara et la victoire sur l’armée éthiopienne.
En 1993, le régime « frère » d’Addis-Abeba accepta l’indépendance de
l’Érythrée qui fut reconnue par l’OUA, ce qui brisait le tabou de
l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation.
Au mois de mai 1998, la guerre éclata entre l’Éthiopie et l’Érythrée. La
cause du conflit était un différend frontalier portant sur moins de 400
kilomètres carrés dans la région du « triangle de Badme », mais les raisons
profondes de l’affrontement étaient ailleurs. La guerre qui opposa
l’Érythrée et l’Éthiopie était en effet le révélateur d’une crise profonde
opposant deux pays et leurs dirigeants, alliés avant 1991 contre le régime
marxiste éthiopien et qui durent, ensuite, assumer les continuités et les
obligations stratégiques des États qu’ils dirigeaient.
C’est ainsi que l’Érythrée, bande côtière arrachée à l’Éthiopie, fut
contrainte de devoir affirmer son identité pour échapper à la vassalisation
dans laquelle entendait la maintenir son puissant voisin. Le problème
politique qui se posait en Érythrée était qu’il fallait y construire l’État et
c’est pourquoi le régime d’Asmara y appliqua une totale centralisation avec
régime de parti unique. Mais, au point de vue économique, l’Érythrée optait
en même temps pour un véritable libéralisme qui lui était dicté par de
vieilles traditions marchandes liées à sa situation géographique.
En Éthiopie, la situation était autre. À la différence de l’Érythrée, le
problème y était en effet non pas l’édification de l’État, mais sa mutation.
Pour tenter d’éviter la dislocation territoriale, les nouvelles autorités
éthiopiennes avaient choisi, comme nous l’avons vu, de répudier le
jacobinisme du régime précédent et de construire un État fédéral en théorie,
mais confédéral dans la réalité.
Ces options constitutionnelles montraient bien que les deux pays avaient
choisi deux voies opposées. Le fossé commença à se creuser véritablement
au mois de novembre 1997, quand l’Érythrée décida de créer sa propre
monnaie, le nacfa. Le message adressé par Asmara à Addis-Abeba était
clair : l’Érythrée prenait véritablement son indépendance en sortant du
système monétaire éthiopien – la monnaie éthiopienne est le birr –, et de la
zone de libre-échange qui jusque-là unissait les deux pays. Pour Addis-
Abeba qui considérait jusque-là que l’indépendance de l’Érythrée n’était
que théorique puisque les deux pays étaient toujours unis par une monnaie
commune, la décision d’Asmara fut donc considérée comme une volonté de
rupture.
Pour l’Éthiopie, les conséquences économiques étaient graves car tout le
commerce du pays se faisait par les ports érythréens et notamment par celui
d’Assab. L’Éthiopie réagit alors en imposant à l’Érythrée le règlement en
dollars de toutes les transactions entre les deux pays. Cette mesure
pénalisait sérieusement l’Érythrée qui était importatrice des productions
agricoles éthiopiennes. Les relations se tendaient donc peu à peu entre les
anciens « frères d’armes » et les griefs enfouis sous l’euphorie de leur
commune victoire de 1991 commencèrent alors à refaire surface. C’est ainsi
que l’Érythrée accusa l’Éthiopie d’ingérence, tandis qu’Addis-Abeda avait
du mal à admettre qu’Asmara eut décidé de voler de ses propres ailes sans
rendre de comptes à son ancienne métropole. Dans un tel climat, il ne fallait
plus qu’un prétexte pour déclencher un conflit et ce fut une question de
bornage frontalier qui mit le feu aux poudres.
L’Érythrée ouvrit les hostilités au mois de mai 1998 en s’emparant de la
région dite du « triangle de Badme » ou « triangle de Yirga9 ». Dans ce
conflit, le principal atout éthiopien fut son énorme supériorité
démographique (53 millions d’habitants pour seulement 3,5 millions en
Érythrée en 1998), ce qui permit à Addis-Abeba d’aligner plusieurs
centaines de milliers de soldats. Commencée le 22 février 1999, la seconde
bataille de Badme s’acheva quatre jours plus tard, le 26 février par une
victoire éthiopienne. Au prix de plusieurs milliers de morts l’armée
d’Addis-Abeba avait reconquis le territoire perdu neuf mois plus tôt. Le
front de Badme ne fut cependant pas le seul à s’embraser lors de la contre-
offensive éthiopienne puisque les combats s’étendirent également aux zones
de Tsorona et de Burié. Si la première fait partie des régions contestées, il
n’en est pas de même de la seconde et les combats qui y ont éclaté
paraissaient bien indiquer que l’objectif éthiopien était le port d’Assab. En
se rapprochant de son débouché maritime « naturel », l’Éthiopie entendait
en même temps « sécuriser » Djibouti et son port, devenu vital pour elle
depuis que celui d’Assab lui était fermé. Le 19 décembre 2000, un accord
de paix fut signé à Alger10.
Avec la victoire de Badme, l’Éthiopie se reprit à rêver au rôle traditionnel
qui était le sien dans la région, entendant désormais bien faire comprendre à
la « petite » Érythrée qu’il lui faudrait tenir compte de ses intérêts de grande
puissance régionale. Consciente du problème, l’Érythrée a quant à elle noué
des alliances avec les fondamentalistes somaliens et les séparatistes de
l’Ogaden afin de tenter de provoquer l’éclatement de son puissant voisin.

4. Du pouvoir des Tigréens à celui des Oromo


Durant 20 ans, la Constitution fédérale fut le garant de la survie de
l’Éthiopie. Or, après la mort de meles Zénawi le 21 août 2012, l’Éthiopie
sembla à nouveau menacée par ses divisions ethniques.
Puis, une ère nouvelle sembla s’ouvrir avec l’accession au pouvoir d’un
Premier ministre oromo, Ably Ahmed, membre de l’ethnie majoritaire mais
qui fut historiquement discriminée. Le pays sembla rompre alors avec une
politique héritée de la « vieille » Éthiopie qui n’arrivait pas à solder son
passif avec l’Érythrée.
C’est ainsi que l’Éthiopie ayant compris qu’elle ne pourrait pas mener de
guerre pour arracher Assab à l’Érythrée a fini par admettre la perte
définitive d’un accès à la mer Rouge. Elle a donc décidé de multiplier ses
débouchés afin de ne pas devoir dépendre du seul port de Djibouti par où
passent actuellement 90 % de ses import-export. À la suite du spectaculaire
rétablissement de ses relations avec l’Érythrée, elle s’est ouvert une
nouvelle porte à Assab qui va s’ajouter à celles de Djibouti, de Berbera et
de Port-Soudan.
Le résultat de cette realpolitique, l’Éthiopie et l’Érythrée qui étaient en
guerre depuis le mois de mai 1998 ont décidé de faire la paix. Dix ans plus
tard, au mois de juillet 2018, le premier ministre éthiopien M. Abiy Ahmed
et le président de l’Érythrée, M. Isaias Afwerki ont ainsi mis un terme à un
conflit sans issue qui pénalisait les deux pays.
Élu en interne à la tête de la coalition au pouvoir, l’EPRDF (Front
démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien).

La question des eaux du Nil


La géopolitique du Nil est hautement crisogène, l’Égypte ne pouvant accepter que
des barrages construits en amont fassent baisser le cours de son fleuve nourricier.
Or, les projets en cours, dont au premier chef ceux de l’Éthiopie, auront pour résultat
de faire perdre au Nil 25 milliards de m3 à l’entrée en Égypte, soit un tiers de son
débit actuel. Le niveau du fleuve baissant, le delta du Nil sera envahi par les eaux
salées de la Méditerranée, phénomène qui a d’ailleurs débuté depuis la mise en
service du barrage d’Assouan.
Le barrage « Renaissance » que l’Éthiopie achève de construire sur le Nil Bleu va
entraîner une réduction du débit du Nil en aval11. Voilà pourquoi, le 5 octobre 2019,
Le Caire a réclamé une médiation internationale.
En 1970, quelques semaines avant sa mort, le colonel Nasser avait déclaré que
« L’Égypte ne rentrera plus jamais en guerre dans la région, si ce n’est pour une
question d’eau ».
En 1978, ces menaces furent réitérées en termes très clairs par le président Anouar
el Sadate :
« Toute action qui mettrait en danger les eaux du Nil Bleu devra faire face à une
ferme réaction de la part de l’Égypte, même si cette réaction devait conduire à la
guerre […] ; l’Égypte est prête à rentrer en guerre si l’Éthiopie entreprend de
construire un barrage sur le lac Tana ».
Puis, en 1999, l’Égypte menaça de bombarder le chantier d’un barrage situé à la
sortie du lac Tana en Éthiopie.
Pour tenter de désamorcer les tensions, cette même année 1999, fut créé le NBI
(Nile Basin Initiative) qui réunit les gouvernements des neuf pays concernés.
En construisant le barrage d’Assouan et son immense lac de retenue l’Égypte avait
en quelque sorte tenté de « ramener » les sources du Nil chez elle car elle voulait
demeurer maîtresse du débit du fleuve. En représailles, le Soudan avait lancé le
projet du barrage de Roseires, ce qui avait provoqué une attaque aérienne
égyptienne en 1958. En 1959, sans la moindre concertation avec les pays situés en
amont, l’Égypte et le Soudan signèrent un accord qui accordait les 3/4 des eaux à
l’Égypte, soit 55,5 milliards de m3 et ¼ au Soudan avec 18,5 milliards de m3.
Or, l’Égypte a encore davantage besoin d’eau afin de mettre en valeur de nouveaux
espaces agricoles pour ne plus être en permanence à la merci d’émeutes de la faim
comme il s’en produisit en 2008 et durant l’hiver 2010-2011. L’Égypte est en réalité
dans une véritable impasse démographique. Avec un indice de fécondité de 3,1 par
femme et un taux de croissance naturelle de 18,5 pour 1 000, la population
égyptienne est passée de 23 millions d’habitants en 1955, à plus de 80 millions en
1990 et à 100 millions début 2020. Cette masse humaine est concentrée sur
quelques dizaines de milliers de km2 le long du Nil et l’urbanisation empiète
gravement sur les terres arables.
Le secteur agricole égyptien qui représente presque 20 % du PIB national et qui
emploie 30 % de la population active, produit moins de 50 % des besoins
alimentaires nationaux, avec pour conséquence que le pays est le 4e importateur
mondial de blé. L’alternative est claire : soit une baisse importante de la population,
soit la mise en valeur de nouvelles superficies cultivables. La première solution étant
impossible à mettre en place dans le contexte religieux actuel, l’Égypte veut donc
créer un immense complexe irrigué en plein désert à 220 kilomètres au sud
d’Assouan à Toshka. Ce New Valley Project, a pour but de porter de 6 à 35 % le
volume des terres arables du pays en pompant une partie des eaux du lac Nasser
grâce à un canal de 310 kilomètres aboutissant dans l’oasis de Baris. Or, comment
réaliser ce projet avec une baisse du débit du Nil ?
D’autant plus qu’un profond différend oppose l’Égypte à l’Éthiopie et aux autres pays
situés en amont, lesquels exigent une totale renégociation des modalités d’utilisation
des eaux du Nil prévue par le traité de 1959 signé par l’Égypte et le Soudan et qui
attribue les eaux du fleuve uniquement à ces deux pays.
Le 14 mai 2010, l’Éthiopie, l’Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie, rejoints quelques
jours plus tard par le Kenya, signèrent le CFA (Cooperative Frame Agreement) qui
rejette les accords sur les eaux du Nil signés, l’un en 1929, à l’époque coloniale, et
l’autre en 1959 qui partageaient le débit du fleuve entre l’Égypte et le Soudan. Ils
créèrent ensuite la Commission du bassin du Nil qui fut basée à Addis-Abeba, ce qui
illustrait la perte par l’Égypte de la maîtrise de la situation. Désormais, le Nil n’était
plus la propriété de l’Égypte et du Soudan.
La crise est profonde, car les intérêts des huit pays en amont de l’Égypte sont à
l’opposé des intérêts de cette dernière :
– le Soudan du Nord s’est lancé dans une politique de création de grands barrages
financés par des fonds chinois et saoudiens. Après le barrage de Méroe (Hamdab)
sur la 4e cataracte qui est entré en activité au mois de mars 2009, d’autres sont
prévus qui vont nécessiter de grandes quantités d’eau, dont le barrage de Merawi.
L’Égypte ne conteste pas les projets soudanais car elle a besoin de l’appui de
Khartoum face à l’Éthiopie ;
– l’Éthiopie qui est la source de 80 % des eaux du Nil avec le Nil Bleu, le fleuve
Abbay des Éthiopiens, ne consommait que 0,3 % de son potentiel. Or, près de 50 %
de sa population est sous-alimentée et moins de 1 % de ses terres est irrigué.
L’Éthiopie qui avait 65 millions d’habitants en 2001, devrait en avoir 120 millions en
2025 et 170 millions en 2050 ;
– les autorités d’Addis Abeba veulent faire du Nil bleu une artère de production
électrique afin de pouvoir exporter de l’électricité dans la péninsule arabique. Dans
ce but, l’Éthiopie a échafaudé un vaste projet d’aménagement du cours supérieur
du Nil, ce château d’eau de l’Afrique, ce qui lui fournirait les moyens de son
développement. Or, les projets éthiopiens entraîneraient une baisse du débit du Nil
en Égypte de 4 à 8 milliards de m3 par an (Lasserre). Cette politique a connu une
première réalisation avec le barrage de Tana Beles inauguré au mois de mai 2010 ;
– les autorités éthiopiennes se veulent rassurantes en affirmant que les constructions
en cours et prévues n’affecteront pas significativement le niveau du Nil en aval une
fois les travaux terminés. Peut-être, mais durant la phase de remplissage du seul
barrage « Renaissance », le débit du Nil en Égypte baissera de 20 % ;
– l’Ouganda veut construire des barrages sur le Nil Blanc. Celui de Bujagali près de
Jinja, a été mis en service en 2012 afin de mettre un terme aux pénuries de courant
de la capitale, Kampala ;
– le Kenya dont 80 % des terres sont arides ou semi arides et qui dépend uniquement
de la pluie pour son agriculture a dans la région du lac Victoria une potentialité de
180 000 hectares de terres irrigables dépendant du bassin du Nil et veut pouvoir
pomper dans le lac Victoria ;
– la Tanzanie veut construire un aqueduc de 170 km de long, depuis le lac Victoria
pour alimenter en eau une zone dans laquelle vivent un million de personnes dans
la région de Shinyanga située au sud du lac sur 250 000 hectares ;
– le Rwanda veut construire plusieurs barrages sur la Nyabarongo, un des hauts
affluents du Nil.
L’indépendance du Soudan du Sud a fait entrer un partenaire de plus dans le jeu et
qui plus est, un acteur peu favorable à l’Égypte en raison du soutien que cette
dernière apporta au gouvernement soudanais durant les années de guerre pour
l’indépendance. Le Soudan du Sud veut contrôler la partie des cours du Nil Bleu et du
Nil Blanc qui passe sur son sol. La question du canal de Jonglei dont les travaux ont
été interrompus en 1983 est au cœur de la question car son but était de récupérer
une partie des 14 milliards de m3 d’eau perdus chaque année dans les marécages du
Sudd ; mais, selon le Soudan du Sud, ce canal est une menace pour l’équilibre
écologique de la région.
Face à ce nouvel état des lieux, l’Égypte est en position de faiblesse car les moyens
politiques, militaires, diplomatiques et financiers dont elle dispose pour peser dans la
géopolitique de l’eau du Nil sont inexistants :
– économiquement son influence sur les pays situés en amont est nulle ;
– militairement, elle n’est pas en mesure d’intervenir loin de ses bases, sauf à lancer
des raids sans lendemain sur des barrages, ce qui aggraverait la situation plutôt
que la régler.
Voilà pourquoi, sans solution, au début du mois d’octobre 2019, Le Caire, a demandé
une médiation internationale. Cependant, quoiqu’il advienne de cette demande, une
chose est certaine : l’Égypte n’a aucun pouvoir sur les États de l’amont.

B. Djibouti
Géographiquement prise en étau entre l’Érythrée, l’Éthiopie et la
Somalie, la République de Djibouti née le 27 juin 1977 est la caisse de
résonance des conflits qui secouent ses voisins, ses propres composantes
humaines étant rattachées aux blocs ethniques et religieux de ces trois pays.
À Djibouti, à la suite d’une immigration régulière, les Somali sont
devenus plus nombreux que les Afar (Charpin ; Georget, 1977). Selon les
estimations, le « bloc somali », à savoir les Issa, les Issak et les Gadaboursi
représenterait désormais plus de la moitié de la population, la proportion
des Afar étant tombée à environ 40 % sur une population d’environ
950 000 habitants en 2019. Si les Issa sont dominants, la réalité du pouvoir
est entre les mains du sous-clan des Mamassan (Issa), auquel appartenait le
président Hassan Gouled Aptidon.
En 1991, face à la confiscation du pouvoir par les Issa soutenus par
l’ensemble des groupes somali, certains Afar tentèrent un coup d’État. Des
troubles en résultèrent qui s’étendirent à toute la zone afar durant le mois de
janvier 1992. En quelques semaines, l’armée djiboutienne Issa fut chassée
du pays afar ou prise au piège dans ses garnisons. La petite république fut
donc coupée en deux de part et d’autre du golfe de Tadjourah.
La guerre prit fin au mois de décembre 1994 avec la signature d’accords
de paix prévoyant la légalisation du Frud (Front pour la Restauration de
l’Unité et de la Démocratie) et même son entrée au gouvernement12, mais
ils laissaient un pays profondément divisé et ruiné. Pour venir à bout des
maquisards du Frud, le gouvernement djiboutien avait en effet été contraint
de recruter des milliers de soldats. Comme les dépenses publiques avaient
atteint des sommets, Djibouti se vit imposer un Programme d’ajustement
structurel (PAS) par le FMI et la Banque mondiale.
Au mois de janvier 1999, à l’âge de 83 ans et alors qu’il avait été aux
affaires depuis l’indépendance de Djibouti, le président Hassan Gouled
Aptidon prit sa retraite. Des élections présidentielles eurent lieu le 6 avril de
la même année et elles furent remportées par son dauphin, Ismael Omar
Guelleh comme lui Issa du clan Mamassan et qui fut ensuite constamment
réélu. L’accession au pouvoir de ce dernier se fit dans un climat
économique morose avec un taux de chômage dépassant les 40 %. Quant au
contexte régional, il était chargé d’orages, Djibouti s’étant en effet
clairement rangée dans le camp d’Addis-Abeba dans le conflit qui
l’opposait à l’Érythrée.

C. La Somalie
La Somalie est en guerre depuis 1978. Tout y fut tenté pour y rétablir la
paix : interventions militaires directes puis indirectes des États-Unis suivies
de celles de l’ONU, de l’Éthiopie, des États africains13, puis enfin du
Kenya. Sur ce terreau propice, se sont développés les jihadistes Shabaab.

1. Pan-somalisme ou tribalisme ?
Le grand ensemble ethnique somali occupe une vaste partie de la Corne
de l’Afrique. Les Somali sont divisés en trois grands groupes subdivisés en
tribus, en clans et en sous clans. Il s’agit des Darod, des Irir et des Saab
(voir la carte couleur n° XXVIII).
À l’époque coloniale, les clans somali furent répartis entre cinq
ensembles territoriaux : le Somaliland britannique, le Northern District du
Kenya, l’Ogaden éthiopien, la Somalia italienne et la Côte française des
Somalis.
En 1936, après sa victoire sur l’Éthiopie, l’Italie découpa le pays selon
des critères ethniques, la ramenant sur les hautes terres, autour de son noyau
historique central, l’amputant pour cela de l’Ogaden qui fut rattaché à la
Somalia. Au lendemain du second conflit mondial, un projet britannique
connu sous le nom de « plan Bevin », proposa la création d’une Grande
Somalie rassemblant le Somaliland, la Somalia et l’Ogaden, mais le projet
avorta car l’Éthiopie refusa de renoncer à l’Ogaden. L’idée de la Grande
Somalie allait hanter les nationalistes somaliens qui y virent le seul dérivatif
au tribalisme qui minait leur pays.
Le 26 juin 1960, le Somaliland devint indépendant, suivi le 1er juillet par
la Somalia. Le même jour, les parlements des deux États décidèrent la
fusion, donnant ainsi naissance à la République de Somalie. Le nouvel État
fut rapidement déchiré par le tribalisme, le régime parlementaire amplifiant
les divisions car chaque tribu, chaque clan et presque chaque sous-clan eut
son propre parti. Pour une population de moins de cinq millions d’habitants,
90 partis politiques furent ainsi enregistrés.
Au président Edem Abdullah Osman succéda le président Ali Shermake
qui fut assassiné le 15 octobre 1969. Le chef de l’armée, le général Siyad
Barre prit alors le pouvoir. C’était un Darod de la tribu Maheran. Pour
tenter de venir à bout du tribalisme, il trouva un dérivatif dans le
nationalisme pan somalien. Le drapeau du pays était d’ailleurs frappé d’une
étoile à cinq branches symbolisant la volonté de regrouper tous les Somalis
en un seul État.
La Somalie, jusque-là pro-occidentale, se tourna vers le bloc soviétique
et en 1977, grâce à l’armement considérable qui lui fut ensuite fourni, le
général Siyad Barre lança son armée dans l’aventureuse guerre de
l’Ogaden. Dans un premier temps, l’armée éthiopienne fut balayée,
cependant, à Addis Abeba, le colonel Mengistu Hailé Mariam qui avait pris
le pouvoir était marxiste et Moscou comprit alors qu’il valait mieux ancrer
sa présence régionale sur un vieil État, à savoir l’Éthiopie, que sur la
Somalie, État en gestation. En conséquence, l’URSS renversa ses alliances
et abandonna Mogadiscio pour se tourner vers Addis-Abeba.
Pour le général Siyad Barre, la roue avait tourné et l’offensive
somalienne en Ogaden fut bloquée par les forces éthiopiennes grâce à
l’appui fourni par leur nouvel allié. La Grande Somalie n’existerait pas et,
le mythe envolé, les réalités tribales s’imposèrent avec encore plus de force
qu’auparavant.
De plus en plus contesté, le président somalien vit son pouvoir se déliter
et après avoir combattu le tribalisme, il fut contraint de prendre appui sur
lui. Bientôt, le gouvernement ne fut plus désigné que sous l’abréviation
MOD, qui signifiait Marehan-Ogadeni-Dhulbahante, à savoir les trois clans
Darod associés aux affaires.
Au mois d’avril 1978 une rébellion militaire fomentée par des officiers
majertein fut férocement réprimée ; les insurgés furent exécutés et le
territoire majertein, dans le nord-est de la Somalie livré aux représailles.
Une terrible guerre tribale éclata alors à l’issue de laquelle la puissante tribu
des Hawiyé l’emporta sur les Maheran qui étaient les derniers soutiens du
régime et le général Siyad Barre fut renversé le 27 janvier 1991.

2. L’anarchie somalienne
Après son départ, la Somalie subit la loi de deux factions antagonistes du
CSU (Congrès somalien unifié), mouvement tribal des Hawiyé qui éclata
sur un critère non pas tribal, mais clanique, les Agbal s’opposant aux Habar
Gedir (ou Habr Gedir). Ali Mahdi Mohamed, chef du clan agbal de la tribu
hawiyé prit alors le pouvoir et, dès le mois de février 1991, il entreprit de
chasser de Mogadiscio ses anciens alliés darod appartenant aux tribus
majertein et ogadeni. Puis, au mois de novembre, les clans hawiyé se
livrèrent une guerre totale pour le contrôle de Mogadiscio. Elle opposa le
clan agbal d’Ali Mahdi Mohamed au clan des Habar Gedir dirigé par le
« général » Mohamed Farah Aidid.
Dans le nord du pays, le 18 mai 1991, le Somaliland, ancien protectorat
britannique, se déclara indépendant. À la différence du reste de la Somalie,
cet « État » fut alors le seul à connaître paix et stabilité car son alchimie
clanique y est bien plus simple que celle du reste de la Somalie14.
La guerre des milices tribales ou claniques provoqua une atroce famine et
l’opinion américaine se mobilisa. Au mois de décembre 1992, un corps
expéditionnaire débarqua dans une mise en scène théâtrale et une énorme
orchestration médiatique pour « rendre l’espoir » aux populations
somaliennes. L’opération « Restore Hope » fut déclenchée au nom d’une
nouvelle doctrine inventée pour la circonstance, l’ingérence humanitaire.
Puis, le 4 mai 1993, l’ONU prit le relais des États-Unis en faisant débarquer
un corps expéditionnaire de 28 000 hommes. Le 5 juin, 23 Casques Bleus
pakistanais furent tués par les miliciens du « général » Aidid et le 12 juin,
un commando américain échoua dans une tentative de représailles contre ce
dernier. Le 3 octobre, 18 soldats américains furent tués et le président
Clinton, annonça un prochain retrait militaire.
Au mois de mars 1994, à Nairobi, un accord de réconciliation fut signé
entre les deux chefs hawiyé, le « général » Aidid et Ali Mahdi Mohamed,
mais il ne réglait rien. À partir du mois d’août, l’anarchie fut même totale,
les hommes d’Ali Mahdi contrôlant le nord de Mogadiscio et ceux du
« général » Aidid le sud. Le 22 août, 7 Casques Bleus indiens furent tués.
Les Américains qui avaient pris conscience de leur impuissance
rembarquèrent, abandonnant dans le bourbier somalien le contingent de
l’ONU composé de soldats pakistanais et bengalais. Le 28 février 1995, il
fallut un nouveau débarquement baptisé opération « Bouclier unifié » pour
extraire les malheureux devenus otages. L’ONU quittait la Somalie sur un
cuisant échec politique et militaire qui lui avait coûté136 morts et 423
blessés.
Les clans somalis se retrouvèrent donc entre eux et ils s’affrontèrent alors
de plus belle. Le 1er août 1996, le « général » Aidid, grièvement blessé au
combat mourut. Son fils Hussein Aidid lui succéda à la tête de son parti, le
CSU/UNS (Congrès somalien unifié/Union nationale somalienne), c’est-à-
dire de sa milice tribale composée du noyau dur du sous-clan des Saad, lui-
même étant une sous division du clan des Habr Gedir de la tribu hawiyé.
Dans le sud du pays, les miliciens de Hussein Aidid s’opposèrent aux
Rahanwein, ces derniers s’affrontant ensuite en fonction de leur
composition clanique. L’on se combattit également dans la ville de
Kismayo entre Majertein et Maheran, devenus alliés d’Aidid, tandis que
dans le nord-est, plusieurs composantes des Darod dirigées par Abdullahi
Yussuf Ahmed créaient au mois d’août 1998 une région autonome baptisée
Puntland du nom du Pays de Pount que visitaient les navires de l’Égypte
pharaonique. L’ancienne Somalie d’avant 1991 se retrouvait donc divisée
en trois États dont un seul reconnu par la communauté internationale.
Finalement, en 2004, après d’interminables discussions entre les diverses
factions claniques somaliennes, un accord de partage du pouvoir fut trouvé
et le 10 octobre, Abdallah Youssouf Ahmed, président du Puntland auto-
proclamé, fut élu président du Gouvernement Fédéral de Transition (GFT).
Son « gouvernement » ne pouvant s’installer en Somalie où les milices
s’affrontaient à nouveau, il fut contraint de« gouverner » depuis le Kenya.
Puis un nouveau mouvement fit son apparition sur la scène somalienne,
les Tribunaux islamiques dont les milices, les Shababs (Jeunes), étaient
commandées par Aden Hashi Ayro15.
En quelques mois, ces miliciens conquirent une partie de la Somalie,
repoussant les forces « gouvernementales » et menaçant de prendre
Mogadiscio. Au mois de décembre 2006, afin d’empêcher la chute du GFT,
l’armée éthiopienne entra en Somalie sans mandat international, même si
elle avait été encouragée à le faire par les États-Unis. À la fin du mois de
décembre 2007, elle chassa les Tribunaux islamiques de Mogadiscio, mais
les combats ne cessèrent pas pour autant. À cette date, il était possible de
mettre en évidence deux grandes coalitions politico-tribales. D’une part les
milices soutenant le GFT, elles-mêmes appuyées par l’armée éthiopienne.
D’autre part la coalition de tous ceux qui se présentaient comme des
résistants à l’« invasion » éthiopienne, à savoir les Shababs mais aussi les
miliciens tribaux Hawiye du clan Habr Gedir16, majoritaires à Mogadiscio
et qui combattaient le président du GFT, Abdullahi Yussuf Ahmed d’abord
parce qu’il est Darod.
Addis-Abeba affirma que sa présence militaire n’était que temporaire et
qu’elle servait uniquement à garantir la survie du processus politique de
transition dans l’attente du déploiement des troupes de l’AMISOM (Mission
de l’Union africaine en Somalie)17.
Au mois de mai 2008, alors que le GFT était incapable d’assurer son
pouvoir, les milices islamistes et celles du clan hawiyé s’affrontèrent tout en
négociant. Les seconds proposèrent une alliance aux Shahabs dans le but de
proclamer l’indépendance du homeland hawiyé, mais les islamistes
refusèrent. Ce refus était d’autant plus motivé qu’ils étaient en passe de
prendre l’avantage sur le terrain.
Le 9 juin, à Djibouti, le GFT et une partie des milices claniques
regroupées sous le sigle ARS (Alliance de relibération de la Somalie)
signèrent un cessez-le-feu prévoyant à terme le retrait de l’armée
éthiopienne, mais, dans les jours qui suivirent, une fraction de l’ARS
dirigée par Dahir Aweys dénonça ces accords et, de concert avec les
Shahabs, relança les attaques.
Le 19 août, le Conseil de sécurité des Nations unies adopta à l’unanimité
la résolution 1831 renouvelant pour six mois le mandat de l’Amisom, la
force de l’Union africaine en Somalie.
Le 22 août 2008, les islamistes s’emparèrent de la ville de Kismayo,
après en avoir chassé les milices du colonel Aden Bare Shire. Puis, les
combats s’intensifièrent dans la région de Mogadiscio entre insurgés
islamistes et forces de l’AMISOM et éthiopiennes, tandis que le
Gouvernement fédéral de Transition perdait le contrôle du centre et du sud
du pays. Dans la région semi-autonome du Puntland, les actions de piraterie
furent multipliées, les rançons versées par les armateurs des navires
capturés permettant la naissance d’un État mafieux.
Au mois d’octobre 2011, l’armée kenyane entra en Somalie afin de
protéger la partie nord de son territoire de la contagion terroriste islamo-
tribale. Le nord du Kenya est en effet peuplé de Somali de la tribu darod
localement éclatée en trois clans : les Ogadeni vivant à cheval sur la
frontière Kenya-Somalie, les Majertein dans la région de Kismayo et les
Maheran au nord, dans le triangle des trois frontières (Somalie-Kenya-
Éthiopie).
Cette intervention s’était faite à la suite de l’enlèvement de touristes au
Kenya par les Shabaab somaliens. Comme le tourisme est sa seconde
source de devises, le Kenya ne pouvait pas ne pas réagir.
Le 2 février 2012, ses forces prirent Badhadhe à environ 180 km au sud
de Kismayo ; puis, au mois de juin 2012, les 5000 soldats kenyans opérant
en Somalie furent intégrés à l’AMISOM. Le 28 septembre 2012 les
Kenyans entrèrent dans Kismayo après une opération combinée terre-mer.
Les violents combats qui s’y déroulèrent provoquèrent près de 120 morts
dans les rangs de l’Amisom.
Face à cette intervention, les Shaabab se présentèrent comme les forces
patriotiques de résistance à l’envahisseur.
Derrière la lutte contre le terrorisme islamiste, l’intervention militaire du
Kenya en Somalie cachait en effet une tentative de faire du Jubaland une
zone tampon, un quasi « protectorat ».
Ce territoire de 90 000 km2 avec une façade maritime de 120 km de long
fut en effet retiré du Kenya en 1925 quand la Grande-Bretagne le remit à la
Somalie italienne en compensation de l’entrée en guerre de Rome aux côtés
des Alliés durant la première guerre mondiale. Or, Nairobi a toujours
considéré le Jubaland comme une partie du Kenya. D’autant plus que la
région contient d’importantes réserves de pétrole off shore18.
Au mois de décembre 2016 un nouveau parlement fut élu, non au
suffrage universel direct, mais à partir de la désignation des candidats par
les clans somaliens. Les députés ont ensuite élu un président en la personne
de Mohamed Abdullah Mohamed dit Farmajo, un Darod.
D. Le Soudan
Avec presque 2 500 000 km2 de superficie avant 2012, date de
l’indépendance du Soudan du Sud, le Soudan était alors le plus vaste État
du continent africain, mais la géographie, l’histoire et le peuplement
permettent de distinguer trois ensembles sur lesquels vivent des populations
très différentes les unes des autres :
– le nord est désertique. La vie y est un « don du Nil » et la région est
tournée vers la péninsule arabique et la Méditerranée. Sur 35 millions
de Soudanais, population en 2011 – 41 millions en 2019 –,
environ 17 millions, quasiment tous musulmans, vivaient dans cette
partie du pays dont la superficie est de 1 900 000 km2. Ils sont de
carnation basanée, mais les Noirs du sud et de l’ouest les considèrent
comme des « Blancs » ;
– l’ouest occupe environ le 5e de la superficie du pays soit environ
500 000 km2 et en 2011, sa population était estimée à un peu plus de
5 millions d’habitants. Géographiquement cette région est composée de
deux sous-ensembles, la steppe sahélienne, zone de nomadisation des
éleveurs nomades « blancs » et les hautes terres, dont les Monts Mara,
habitat d’agro pasteurs noirs se rattachant aux populations négro-
africaines de l’Afrique centrale ;
– le sud dont la superficie est d’environ 700 000 km2 est luxuriant. L’eau
y est partout présente. Ses populations qui sont africaines « Nègres19 »
étaient au nombre d’environ 8 millions en 2011, dont ± 50 % de
chrétiens aux 2/3 catholiques convertis au christianisme à l’époque
coloniale. En 1955 une guerre raciale et religieuse dont les implications
régionales furent importantes éclata dans le sud du Soudan20.

1. Le Soudan indépendant
Politiquement le Soudan est bipolaire car il est traditionnellement dominé
par les chefs (Sayyids) des deux principales confréries religieuses du pays
(Tariqa) qui sont la Mahdiya, d’où le Mahdisme, et la Khatmiya. La
première fut anti-égyptienne et la seconde pro-égyptienne. Les
conséquences de ces choix furent considérables car les membres de la
Khatmiya furent persécutés lors de la victoire mahdiste de 1885, ce qui
explique que, pour se venger, ils aidèrent les Britanniques lors de la
campagne du général Kitchener en 1898.
Dans les années 1955-1956, au moment de l’indépendance, les deux
confréries avaient des vues totalement opposées, l’une voulant la fusion
avec l’Égypte et l’autre la séparation. Leur affrontement faillit alors se
transformer en guerre civile. Aujourd’hui encore, le poids des confréries est
important et il explique une partie de la vie politique soudanaise. La
Mahdiya a ainsi longtemps recruté chez les tribus nomades pour lesquelles
elle incarnait le nationalisme soudanais ancré sur le souvenir de l’État
théocratique fondé par le Mahdi à la fin du XIXe siècle. La Khatmiya quant à
elle est surtout implantée chez les populations sédentaires.
En 1958, à Khartoum le général Ibrahim Abboud prit le pouvoir avant
d’en être chassé en 1964 par une révolte animée par les étudiants. Durant
cinq ans, le pays connut un régime parlementaire21. Le 25 mai 1969, le
général Djafar al-Nimeiry fit un coup d’État. Dans un premier temps, il
pourchassa les Frères musulmans et se rapprocha des États-Unis. En 1971,
le puissant parti communiste soudanais échoua dans une tentative de
soulèvement et le général Nimeiry en profita pour éliminer les cadres de ce
parti et pour emprisonner des milliers de ses militants. Il fit ensuite une
ouverture en direction des rebelles sudistes, ce qui permit la signature des
accords d’Addis Abeba de 1972 par lesquels étaient reconnus les droits
politiques et religieux du sud, donc une certaine forme autonomie. À la
suite de ces accords, les heurts diminuèrent et la guerre sembla prendre fin.
Débuta alors une période transitoire durant laquelle l’accalmie ne fut que de
façade.
Le général Nimeiry qui avait fondé l’Union Socialiste Soudanaise (USS)
résista ensuite à plusieurs tentatives de coup d’État dont celui de
juillet 1976 mené par les Ansars qui se réclamaient du Mahdisme. En 1977,
il appela à la réconciliation nationale, ce qui se traduisit par une
réorientation du régime vers l’islamisme militant. C’est ainsi que Sadek el-
Mahdi, descendant du Mahdi et alors en exil, fut autorisé à revenir au
Soudan tandis que les Frères musulmans d’Hassan el Tourabi se fondaient
dans l’USS devenu parti unique. Le 22 mars, le chef de l’État participa à la
rencontre de Taez (Yémen) qui rassemblait les principaux chefs d’États de
la région et dont l’objectif était de transformer la zone de la mer Rouge en
un « lac de paix arabe ». Dans ce contexte, Hassan el Tourabi prit de plus en
plus de poids sur la scène politique soudanaise.
Le 8 septembre 1983, le général Nimeiry promu entre-temps maréchal,
institua la Charia afin de bénéficier de l’appui des Frères musulmans. Cette
tentative de faire du Soudan une République islamique fut rejetée par le
Parlement.
Le 6 avril 1985, le maréchal Nimeiry fut renversé par un coup d’État
dirigé par le général Dahab. Des élections eurent lieu au mois d’avril 1986
pour élire les 260 députés de l’assemblée nationale22. Les Frères
Musulmans obtinrent 50 sièges, l’OUMMA (Umma) de Sadek el-Mahdi 99,
et le DUP (Parti unioniste démocratique) 63. Le 6 mai 1986, le général
Dahab, remit le pouvoir à un gouvernement civil dirigé par M. Sadek el-
Mahdi qui devenait Premier ministre.
Le 16 novembre 1988, le DUP et l’ALPS (Armée de libération du peuple
soudanais), principal mouvement sudiste, signèrent un accord d’alliance
aux termes duquel la Charia serait abolie, l’état d’urgence levé, un cessez-
le-feu appliqué et une conférence constitutionnelle convoquée. Au mois de
mars, l’accord fut adopté par le gouvernement et approuvé le 3 avril 1989
par l’Assemblée constituante par 128 voix contre 23. En réaction, le 3 mai,
Hassan el Tourabi appela au jihad contre les rebelles sudistes, et, le 30 juin,
le général Omar Hassan el-Béchir fit un coup d’État et renversa Sadek el-
Mahdi. Le Conseil révolutionnaire pour le salut national qui fut formé
supprima toutes les libertés, suspendit les institutions démocratiques et
déclara l’état d’urgence.
Le 21 octobre fut constituée l’AND (Alliance Nationale Démocratique)
regroupant tous les syndicats et tous les partis politiques à l’exception des
Frères musulmans et à laquelle l’ALPS adhèra le 28 mars 1990. Le
16 octobre 1993, le général el-Béchir devint Président de la république.

2. La guerre du Sud-Soudan
Au lendemain du second conflit mondial, la Grande-Bretagne fut
consciente des problèmes qui n’allaient pas manquer de se poser au sud
Soudan après l’indépendance. Elle chercha alors à garantir l’avenir des
populations sudistes jusque préservées de l’expansion arabo-musulmane par
la Southern Policy qui n’était rien d’autre qu’une politique de
développement séparé.
Comme il était évident que les futures autorités de Khartoum allaient la
répudier, il fut alors envisagé de détacher le sud-Soudan du Soudan anglo-
égyptien et de le rattacher à l’Ouganda puisque tout le nord de ce territoire
est peuplé par des ethnies apparentées. Ce projet n’eut pas de suite et dès
l’indépendance de 1956, le sud Soudan se souleva contre le pouvoir de
Khartoum. Ce premier conflit se termina avec le cessez-le-feu et les accords
d’Addis Abeba, signés en 1972 qui prévoyaient l’autonomie régionale du
Sud, le développement régional, une représentation équitable au
gouvernement central et une Constitution laïque.
En 1981 du pétrole fut découvert dans le sud du Soudan et le général
Nimeiry souhaita le faire raffiner au nord, ce que les dirigeants politiques
du sud refusèrent. Contrairement aux accords d’Addis Abeba de 1972, le
président Nimeiry découpa alors administrativement le sud, faisant de la
région productrice de pétrole une nouvelle province directement rattachée
au gouvernement central, puis il supprima l’autonomie du sud. La guerre
reprit alors, les rebelles sudistes étant commandés parle colonel John
Garang, un Dinka qui fonda la SPLA ou ALPS (Armée de libération du
peuple soudanais). Ce conflit se distinguait de la première et précédente
rébellion en ce sens que les rebelles ne demandaient plus la partition du
pays et affirmaient qu’ils combattaient pour la création d’un Soudan laïc et
d’inspiration socialiste.
En 1994 fut constituée l’IGAD (Intergovernmental Authority for
Development) par le Kenya, l’Éthiopie, l’Ouganda et l’Érythrée. Sous son
égide les négociations reprirent entre le gouvernement de Khartoum et les
diverses composantes de l’APLS qui, entre-temps avait connu des scissions
tribales. Le 20 mai l’IGAD publia une déclaration de principes selon
laquelle la fin du conflit passait par « l’unité du pays dans la démocratie et
la laïcité de l’État », mais le gouvernement la rejeta.
En 1997, un cessez-le-feu fut conclu entre le président Omar el-Béchir et
plusieurs factions sudistes. Il ne fut cependant pas suivi sur le terrain car la
principale composante de la rébellion dirigée par John Garang n’y avait pas
été associée.
Le 9 janvier 2005, à Nairobi, les envoyés de Khartoum et les combattants
de la SPLA signèrent un accord de paix prévoyant le partage des ressources
pétrolières, la mise en place d’une administration autonome et un
référendum d’autodétermination dans le Sud en juillet 2011.
Investi vice-président le 9 juillet 2005, John Garang, le charismatique
chef de la rébellion sudiste trouva la mort le 31 juillet suivant dans un
accident d’hélicoptère et Salva Kiir Mayardit lui succéda. Le gouvernement
d’unité nationale fut néanmoins formé, mais la tension demeure vive dans
la région car les deux camps préparent le référendum d’autodétermination
de 2011.
Au mois de mai 2008, d’intenses combats opposèrent ainsi l’armée
nationale aux troupes du gouvernement du Sud-Soudan à Malakal, la
capitale de l’État du haut-Nil qui produit les 3/5e du pétrole du Soudan et où
sont stationnés des Casques Bleu de l’ONU23. Les combats se sont ensuite
étendus à Abyei, zone particulièrement sensible car enjeu territorial entre la
tribu dinka des Ngok et la tribu arabe des Miseriya installée dans la région
par les autorités de Khartoum de façon à y inverser le rapport ethnique24.

Le 8 juin 2008, un accord de sortie de crise fut signé par le président


Omar el-Béchir et le premier vice-président Salva Kiir. Il prévoyait la mise
en place d’une administration intérimaire, composée de membres du parti
au pouvoir à Khartoum, le Parti du Congrès national et le SPLM
(Mouvement populaire de libération du Soudan) dans la zone contestée
d’Abyei.

3. La question du Darfour
Le conflit du Darfour, ravagea l’ouest du Soudan et menaça d’embraser
le Tchad. Vaste de 500 000 km2, le Darfour ou « Pays des Fur », du nom de
la principale ethnie de la région, constitue la partie occidentale du Soudan.
En 2005, sa population était estimée à un peu plus de 5 millions d’habitants.
Les apparentements ethniques firent que la guerre du Darfour se transforma
en une guerre entre les Zaghawa et le pouvoir central soudanais, conflit
dans lequel furent entraînées les autres populations de la région.
La guerre provoqua l’exode de plusieurs centaines de milliers de
personnes qui s’entassèrent sur la longue frontière entre le Soudan et le
Tchad où elles furent attaquées par des milices arabes venues du Soudan.
Désignées sous le nom générique de Janjawid (Janjaweed) ou « hommes à
cheval25 », ces milices tribales dont la fonction traditionnelle était de
protéger les troupeaux contre les tentatives de vol eurent un rôle essentiel
dans le conflit26.

Les populations du Darfour

Croquis 168 ici


Les principales tribus non arabes du Darfour sont au nombre de 15, subdivisées en
une infinité de sous tribus, de clans et de sous clans. C’est contre ces populations
que le gouvernement central soudanais fit la guerre par milices tribales arabes
interposées.
Parmi ces tribus non Arabes, trois ont été particulièrement engagées dans le conflit,
les Fur (no 8 sur la carte), les Massalit (no 11) et les Zaghawa (no 12). Les numéros
d’identifiction renvoient à leur localisation approximative dans les années 1950.
– Les Fur (ou Four) constituent la population éponyme du Darfour occidental. Leur
habitat d’origine était situé dans la région du Djebel Mara. Les Massalit vivent dans
la partie la plus occidentale du Soudan et au Tchad, ce qui a naturellement
contribué à l’extension du conflit.
– Les Zagahwa vivent à cheval sur le Tchad et le Soudan ; au pouvoir à Ndjamena
avec Idris Deby Itno, ils sont apparentés aux Bedayat. Comme les Zaghawa, les
Bedayat sont des nomades constituant une population mélangée vivant dans le
nord-ouest du Darfour et dont plusieurs clans nomadisent au Tchad, en direction de
l’Ennedi27. Une autre population est apparentée aux Zaghawa, notamment
linguistiquement, il s’agit des Berti.
Les mouvements du Darfour sont des émanations des tribus Fur, Massalit et d’abord
Zaghawa :
– l’ALS (Armée de libération du Soudan) recrutait chez les Fur et les Massalit, même
si certains clans zaghawa en faisaient partie. Elle demandait une séparation de la
religion et de l’État et la fin de la marginalisation économique du Darfour. L’ALS était
en liaison avec les mouvements du Sud Soudan ;
– le MJE (Mouvement pour la Justice et l’Égalité) était à l’origine un mouvement
islamiste recrutant essentiellement chez les Zaghawa.
Les Arabes impliqués dans les évènements ont deux origines différentes. Certains
sont venus du nord, depuis la Libye, en suivant les pistes sahariennes ouvertes par
les Berbères garamantes depuis des millénaires et il s’agit des Hassana. Les plus
nombreux sont arrivés directement d’Arabie, en remontant le Nil au fur et à mesure
de la conquête musulmane. Ceux qui vivent au Tchad sont essentiellement Hassana
tandis que les multiples groupes du Soudan sont les Djohana avec trois grandes
subdivisions, à savoir les El Djuzm, les El Fezara et les Homs. Ces principales
familles sont subdivisées en plusieurs dizaines de tribus dont les liens sont d’une
grande complexité (MacMichael, 1967).

Durant la guerre du Tchad, la Libye du colonel Kadhafi alliée au Soudan


de Sadek el-Mahdi avait cherché à renverser le Toubou Hissène Habré en
s’appuyant sur Idris Deby Itno, un Zaghawa. Les Zaghawa du Soudan
furent alors armés. Une fois Idris Deby Itno maître du pouvoir au Tchad, ils
voulurent se dégager de la tutelle de Khartoum, ce qui inquiéta le président
soudanais Omar el Béchir car nombre d’officiers soudanais étaient
Zaghawa. Il demanda donc à Idris Deby Itno de modérer les siens. En vain,
car ce dernier ne parvenait plus à contrôler ses lieutenants.
Dès lors, le conflit était inévitable et Khartoum qui craignait de voir
s’ouvrir un nouveau front à l’Ouest décida alors de prendre les devants afin
d’en finir militairement avec les Zaghawa sur lesquels il lança les milices
arabes. Mais ces irréguliers s’en prirent à toutes les populations du Darfour
dont les Noirs agriculteurs28.
Le 6 novembre 2007, l’Union européenne approuva l’envoi de 2 500 à
3 000 soldats au Tchad et en Centrafrique (Rca), à la frontière du Darfour
afin d’y assurer, conjointement avec 300 policiers de l’ONU, la sécurité des
populations, d’y protéger les réfugiés et d’assurer leur retour au Darfour ou
dans les régions du Tchad affectées par le conflit. Cette opération militaire
baptisée Eufor Tchad-Rca avait été approuvée le 25 septembre 2007 par la
Résolution 1778 du Conseil de sécurité. Le déploiement de cette force était
parallèle à celui de la Minuad (Mission des Nations unies et de l’Union
africain au Darfour), force mixte formée conjointement par l’ONU et
l’Union africaine.
Le 10 mai 2008, après une progression de plus de 600 km à travers le
désert, les rebelles soudanais du MJE (Mouvement pour la justice et
l’égalité), dirigé par Khalil Ibrahim, un Zaghawa, lancèrent un raid
spectaculaire dans la région de Khartoum, atteignant la ville d’Omdurman
qui fait face à la capitale soudanaise, sur la rive occidentale du Nil pour
n’être stoppés que devant un pont les séparant de Khartoum. Le 11 mai,
accusant les autorités de Ndjamena d’avoir organisé cette opération, le
Soudan rompit ses relations diplomatiques avec le Tchad.
Ce raid, qui était la réponse à celui que les rebelles tchadiens avaient
lancé contre Ndjamena au mois de janvier 2008 était destiné à montrer aux
autorités de Khartoum que le président Déby avait les moyens de porter des
coups sévères au régime soudanais si ce dernier persistait à armer ses
opposants.

4. La naissance chaotique du Soudan du Sud (2012-


2020)
Affaibli par l’interminable guerre du sud Soudan et déstabilisé par les
conséquences humanitaires et politiques du conflit du Darfour, le régime
islamiste de Khartoum fut acculé à composer avec la rébellion sudiste.
Les accords de paix signés en 2005 prévoyaient un référendum
d’autodétermination qui se tint le 9 janvier 2011 et lors duquel 98 % des
électeurs votèrent pour la partition du Soudan.
En 2012, une fois l’indépendance obtenue, le nouvel État qui prit le nom
de Soudan du Sud, fut présidé par Salva Kiir, un Dinka, le vice-président,
Riek Machar, étant Nuer. Les Dinka durent alors faire face aux
revendications des Nuer qui débouchèrent sur une féroce guerre civile.
Cette dernière fut nourrie par les souvenirs de la longue lutte pour
l’indépendance qui avait été essentiellement menée par les Dinka dirigés
par John Garang le leader emblématique du SPLA (Sudan People’s
Liberation Army). Quant aux Nuer, ils avaient changé constamment de
camp, rejoignant tantôt les Dinka, tantôt épaulant les forces de Khartoum.
De telles tergiversations avaient laissé des souvenirs « mitigés » aux
indépendantistes dinka.
Le gouvernement de Khartoum attisa le conflit en soutenant les Nuer afin
de demeurer présent dans cette région riche en pétrole.
Le 10 avril 2012, les forces armées du Soudan du Sud attaquèrent celles
du Soudan du Nord à Heglig, zone produisant 50 % de tout le pétrole extrait
dans le Soudan du Nord et qui touche le saillant d’Abyei. Le 20 avril, après
de durs combats, les forces sudistes se replièrent. En lançant son offensive
surprise à Heglig, le Soudan du Sud n’avait pas pour objectif de s’emparer
de cette région, mais d’y détruire les infrastructures pétrolières afin
d’affaiblir encore davantage le Soudan du Nord pour le contraindre à
accepter, à la fois ses revendications territoriales et celles portant sur le coût
du transit de son pétrole.
Trois grandes raisons expliquaient cette guerre :
– la région d’Abyei et d’Heglig, homeland de certaines tribus Dinka dont
les Ngok est occupée par l’armée nordiste. Un référendum aurait dû
décider de l’appartenance d’Abyei au Soudan du Nord ou au Soudan du
Sud. Or, les Dinka y ayant été l’objet d’un vaste nettoyage ethnique
opéré par les milices arabes favorables à Khartoum, la composition du
corps électoral y a profondément changé ;
– au mois de juillet 2009, la Cour d’arbitrage de La Haye préconisa le
partage de la région entre Dinka et Arabes de la tribu des Misseryia sur
la base de l’occupation du moment, entérinant ainsi la spoliation des
Dinka, la zone pétrolière d’Heglig étant, elle, définitivement rattachée
au Soudan du Nord ;
– avant la partition de 2011, le Soudan produisait 470 000 barils/jour
dont les ¾ dans l’actuel Soudan du Sud. Or, les 350 000 barils/jour
extraits dans le nouvel État du Soudan du Sud étaient exportés par un
pipeline traversant tout le Soudan du Nord pour aboutir sur la mer
Rouge. Les négociations entre les deux pays portant sur les droits de
transport du brut du Soudan Sud à travers le pipe line du Soudan du
Nord furent rompues ;
– afin de ne plus dépendre du Soudan du Nord, le Soudan du Sud signa
deux accords de désenclavement prévoyant la construction de deux
nouveaux pipe line, l’un avec le Kenya et l’autre avec l’Éthiopie. Puis,
le 26 janvier 2012, le Soudan du Sud ferma tous ses puits situés à
proximité de la frontière avec le Soudan du Nord. Avec cette mesure,
certes il se pénalisait, mais il privait en même temps le Soudan du Nord
des droits de transit de son propre pétrole, aggravant ainsi son naufrage
économique.

5. La fin de la période Béchir au Soudan du Nord (2019)


Le 11 avril 2019, Omar el-Béchir qui était au pouvoir depuis trente ans,
fut renversé par les siens, c’est-à-dire par l’armée, après des semaines de
contestation populaire née du triplement du prix du pain. Lui succéda le
CMT (Conseil militaire de transition) dirigé par le général Abdel Fattah al-
Burhane. Remplacé par vice-président et ministre de la Défense le
lieutenant-général Ahmed Awad Ibn Auf qui mit en place un CMT.
Face à la contestation, ce dernier transféra le pouvoir au Conseil
souverain (CS), une instance de transition remplaçant le CMT. Dominé par
les cinvils, le CS fut chargé de superviser la transition pour une durée de 39
mois devant se terminer par des élections prévues en 2022.
Le Gouvernement de transition avec comme premier ministre Abdallah
Hamdok fut investi le 20 août. Avec l’accession de ce dernier au pouvoir,
fut entamé le processus de levée du Soudan du Nord de la liste des « États
soutenant le terrorisme29 ».
Se posait toutefois la question de savoir comment redresser une
économie qui avait perdu plus de 50 % de ses recettes pétrolières avec
l’indépendance du Soudan du Sud ?
1. Afin d’en finir une fois pour toutes avec la définition féodale qui caractérisait son administration, il
décida de casser la réalité des pouvoirs régionaux héréditaires détenus par l’aristocratie en imposant
dans les provinces des gouverneurs nommés par Addis-Abeba.
2. Bien que les musulmans aient été à l’époque plus de 40 %.
3. En 1897, trois traités qui furent passés entre le négus Ménélik, l’Italie, la France et la Grande-
Bretagne, établissaient les frontières de l’Éthiopie moderne.
4. « Comité » en langue amharique et dont l’intitulé complet était Comité de coordination des forces
armées, de la police et de l’armée territoriale.
5. La Constitution de 1994 prévoyait la création de 9 régions : Tigré, Amhara, Afar, Oromie, Somali,
Benshangul/Gumaz, Harar, Gambela et la région des nations du sud. Ce découpage fut remanié en
1996 et l’Éthiopie compte aujourd’hui 7 régions.
6. La fonction présidentielle est honorifique et c’est le Premier ministre qui concentre l’essentiel des
pouvoirs.
7. Le 24 avril 2008, une attaque meurtrière fut lancée contre un site pétrolier exploité par une
compagnie chinoise et soixante-quatorze morts furent à déplorer. Entre le 15 juin et le 15 juillet, au
moins trente-trois soldats éthiopiens trouvèrent la mort dans l’Ogaden.
8. Le Houerou (2000) ; Clapham (2000) ; Gournay (2001).
9. Sur de nombreux points, et parce qu’elle a plusieurs fois été déplacée, la frontière entre l’Éthiopie
et l’Érythrée n’est pas véritablement matérialisée. Pour l’essentiel, elle a été établie à la fin du
e
XIX siècle, au moment du traité italo-éthiopien de 1896, signé après la victoire éthiopienne
d’Adoua. En 1935-1936 la frontière fut remaniée après la victoire italienne sur l’Éthiopie ; puis,
quand ils eurent chassé les Italiens d’Éthiopie après leur campagne de 1941, les Britanniques
rétablirent le tracé de 1896 qui disparut en 1962 quand l’Éthiopie de l’empereur Hailé Sélassié
annexa l’Érythrée. Après l’indépendance de 1993, le gouvernement d’Asmara, se référant aux
tracés coloniaux, exigea que l’Éthiopie lui rétrocède plusieurs zones qu’elle estimait devoir lui
revenir.
En qui concerne le « triangle de Badme » ou « triangle de Yirga », les choses sont compliquées car
le traité italo-éthiopien de 1896 établissait la frontière entre l’Érythrée colonie italienne et
l’Éthiopie indépendante sur la rivière Mereb, fondant ainsi les droits de l’Éthiopie sur cette région.
Mais Asmara appuie ses revendications sur un accord frontalier postérieur datant de 1902 et conclu
entre la Grande Bretagne, alors présente au Soudan anglo-égyptien, l’Italie et l’Éthiopie, et qui
attribuait Badme et Tsorena aux Italiens, donc à l’Érythrée.
10. Le 30 juillet 2008, le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé à l’unanimité de mettre fin à la
MINUEE (Mission des Nations unies en Éthiopie et Érythrée) composée de 1 700 hommes, en
raison de la mauvaise volonté des deux belligérants. Aux termes de l’Accord d’Alger de 2000, les
Addis-Abeba et Asmara s’étaient engagées à accepter le tracé frontalier qui serait établi par une
commission indépendante. En 2002, quand cette commission attribua Badmé à l’Érythrée,
l’Éthiopie refusa de rétrocéder la zone.
11. À la fin du mois de mai 2013, l’Éthiopie a entrepris de détourner provisoirement le cours du Nil
Bleu afin de construire le barrage « Renaissance », le plus important du continent avec une capacité
de production de 5 240 mégawatts. Son coût est estimé à plus de 3 milliards d’euros.
12. Tous les Afars n’avaient cependant pas déposé les armes. C’est ainsi qu’au mois de
septembre 1997, la branche la plus radicale du Frud reprit ses opérations de guérilla. Au mois de
janvier 1999, dans la région d’Obock, une unité spéciale de l’armée gouvernementale tomba dans
une sanglante embuscade, laissant plusieurs morts sur le terrain.
13. Présente en Somalie depuis 2007, l’Union africaine s’y était impliquée militairement en mettant
en place une force militaire, l’AMISOM (Mission de l’Union africaine en Somalie).
14. Le Somaliland recèle d’immenses réserves de pétrole et de gaz.
15. Formé en Afghanistan, il figurait sur la liste américaine des membres ou sympathisants d’Al-
Qaeda.
16. Ils étaient soutenus par l’Érythrée qui cherchait à affaiblir l’Éthiopie.
17. Par le vote de la Résolution 1744 en date du 21 février 2007, le Conseil de sécurité de l’ONU
autorisa le déploiement d’une mission de l’Union Africaine, l’AMISOM. L’UA avait prévu qu’elle
serait composée de 8 000 hommes, or les pays volontaires ne se bousculèrent pas puisque, seuls
l’Ouganda, le Burundi, le Nigeria, le Malawi et le Ghana mirent des contingents à la disposition de
cette mission, soit à peine la moitié des effectifs demandés. À la fin du mois de mars 2007, 1 600
Ougandais et 200 Barundais étaient sur place, avec pour mission la sécurisation du port et de
l’aéroport de Mogadiscio ainsi que de la Présidence. Le 21 février 2008, le Conseil de sécurité de
l’ONU approuva la prorogation pour six mois du mandat de l’AMISOM, remettant à plus tard
l’étude d’un éventuel remplacement de cette mission africaine par une mission de l’ONU.
18. En représailles, les Shabaab déclenchèrent une série d’attentats, dont celui qui ensanglanta
Nairobi le 21 septembre 2013. Le 24 octobre, une grenade fut lancée dans une discothèque
Nairobi ; au mois de décembre 2011, de nombreuses attaques se produisirent dans le nord du
Kenya, le dimanche 30 septembre 2012, une église de Nairobi fut attaquée, le 1er juillet 2013, 17
morts furent à déplorer dans l’attaque de deux églises à Garissa près de la frontière avec la
Somalie, etc.
19. Ces populations se rattachent soit au groupe linguistique Niger-Congo (Toposa, Azande, etc), soit
nilote (Dinka principalement). Les deux ensembles ont le même nombre de locuteurs, environ
4 millions chacun, mais les différences, notamment morphotypiques, sont grandes entre les
représentants de ces deux ensembles, entre les Dinka Agar (faisant partie du peuple le plus grand et
le plus noir du monde) et les Toposa ; entre les Schilluk et les Zande de la forêt luxuriante de la
RDC, entre les Didinga vivant dans les plateaux et les Nuer, etc. De plus, ces populations sont
extrêmement divisées. Ainsi en est-il de la grande tribu des Dinka qui se divise en Ngok, Rek, Agar
et dix autres sous-tribus. Plusieurs centaines de tribus existent au sud-Soudan et chacune considère
le village voisin comme ennemi potentiel et non comme faisant partie d’un même groupe. Ici, la
référence est donc tribale ou clanique et non ethnique. Avant 2011, sur les 8 millions de sudistes,
deux millions avaient quitté le sud pour le nord ou pour l’étranger.
20. L’Éthiopie et l’Ouganda ont longtemps aidé les sudistes, à la fois pour contenir la poussée
musulmane qui s’exerçait de plus en plus fortement à l’intérieur de leurs frontières, mais aussi en
raison de certains apparentements ethniques transfrontaliers.
21. Deux ministres sudistes, MM. Clément Mboro et Ezboni Mundiri firent leur entrée au
gouvernement mais la tension ne cessa pas pour autant au Sud-Soudan.
22. 31 circonscriptions du sud n’avaient pas voté à cause de la guerre.
23. Créée par la résolution 1769 du Conseil de sécurité de l’ONU du 31 juillet 2007, la Minuad a pris
la relève de la prudente AMIS (Mission de l’Union africaine au Soudan).
24. Afin d’inverser la majorité ethnique, donc politique de la région, durant la guerre du Sud-Soudan,
Khartoum s’est appuyé sur les tribus arabes venues du nord. Dans la région d’Abyei, la politique de
la terre brûlée pratiquée par les miliciens Mutahileen, l’équivalent des Janjaweds du Darfour, eut
pour résultat de chasser des dizaines de milliers de Dinka vers le sud.
25. Ce terme est un acronyme récent composé de trois mots jan, jawad et jin qui peuvent être traduits
par diable, cheval et mitrailleuse allemande G-3 ou G-4, ce qui fait que Janjawid signifierait
Diables à cheval armés de G-3 (El Talib, 2004 : 3).
26. Lors de la guerre du Sud-Soudan, et notamment en 1986, sous le gouvernement élu de Sadek al-
Mahdi, les rebelles sud-soudanais ayant renforcé leurs positions et les autorités de Khartoum étant
en difficulté, des groupes d’autodéfense furent constitués sous le nom de Popular Defense Forces
(PDF). Après le 29 juin 1989 et la constitution du gouvernement de National Salvation Revolution
par le président Omar Hassan El-Bachir, la sécurité soudanaise fut décentralisée afin que les
régions en proie à la guerre civile soient plus aptes à faire face aux évènements. Parallèlement, le
recrutement des PDF augmenta, au point qu’elles devinrent une sorte de réserve de l’armée
nationale ou SPAF (Sudan People’s Armed Forces). Or, ce furent les tribus arabes qui fournirent les
plus gros contingents de miliciens.
27. Les Karaan vivent au nord du territoire des Bedayat et la légende en fait les descendants des
Garamantes. Leur langue est très proche de celle des Toubou.
28. Les tensions entre agriculteurs noirs et éleveurs « arabes » ont été exacerbées par la
désertification, la baisse des ressources en eau et l’appauvrissement des pâturages. Entre 1987
et 1989, les Fur sédentaires et agriculteurs se sont ainsi opposés aux Arabes nomades éleveurs.
Entre 1996 et 1998, ce furent les Massalit qui eurent à combattre les Arabes. Déjà soutenus par
Khartoum, les Arabes ravagèrent la région. Aussi, quand en 2003, le gouvernement soudanais leur
donna carte blanche contre les Zaghawa, ils ne firent pas la différence entre les uns et les autres et
c’est tout le Darfour qu’ils mirent au pillage. Au moment où éclata la guerre du darfour, le régime
de Khartoum devait faire face dans la partie orientale du pays, à la révolte des Béja, musulmans
d’origine couchitique et donc non Arabes, regroupés dans l’AND (Alliance nationale
démocratique) qui occupait de vastes portions du territoire compris entre le Nil et la mer Rouge,
dans l’arrière-pays de Port-Soudan.
29. Il y était inscrit depuis 1993 et l’attentat ayant visé le World Trade Center qui avait fait 6 morts et
des centaines de blessés.
Chapitre VII.
Au centre du continent

Depuis les indépendances des années 1960, le centre du continent


africain n’a cessé de connaître des convulsions et même des drames.
L’immense RDC a plusieurs fois failli éclater et, en 2020, ne contrôlait
toujours pas la totalité de ses terres les plus orientales, du Kivu au sud à
l’Ituri au nord. En 2020, la Centrafrique avait quasiment cessé d’exister
comme État, cependant que le Rwanda et le Burundi étaient toujours minés
par l’enclavement, la surpopulation et la question ethnique.

A. La RCA (République de Centrafrique)


La RCA ancien Oubangui-Chari colonial est un quadrilatère de
623 000 km2. Le pays est divers au point de vue climatique, la végétation y
présente de grandes différences entre le nord sahélien, la zone des savanes,
la forêt méridionale et les régions du fleuve. Ces immensités sont sous-
peuplées. En 1998, les estimations étaient de 3 600 000 habitants
inégalement répartis, de très vastes zones étant de véritables déserts
humains alors que d’autres connaissent au contraire un phénomène de
relative concentration.

1. Les gens du fleuve au pouvoir


Le 13 août 1959 la République centrafricaine fut indépendante avec
David Dacko comme premier président. Réélu le 5 janvier 1964, il fut
renversé le 1er janvier 1966 par le colonel Jean-Bedel Bokassa,
Commandant en chef de l’armée qui prit le pouvoir. Le 2 mars 1972, ce
dernier devint président à vie et le 19 mai 1974, il fut promu maréchal. Le
4 décembre 1976, l’Empire centrafricain fut proclamé et le 4 décembre
1977, eut lieu le sacre de l’empereur Bokassa Ier.
Au mois de janvier 1979 des émeutes étudiantes furent durement
réprimées et une violente campagne de déstabilisation de l’empereur
Bokassa fut lancée en France à la suite de quoi, le 21 septembre 1979, la
Paris déclencha l’« Opération Barracuda » et installa au pouvoir David
Dacko, lui aussi Ngbaka1.
Le pouvoir du président Dacko était fragile face aux revendication
nordistes incarnées par Ange Patassé alors soutenu par la Libye. Cet
ingénieur agronome, ancien premier ministre du général Bokassa en 1977,
s’était séparé de ce dernier dont il était devenu l’un des plus fermes
opposants, ayant fondé dans la clandestinité le PLPC (Mouvement de
libération du peuple centrafricain).
Le 15 mars 1981, le président Dacko fut néanmoins élu avec 50,23 % des
suffrages face à Ange Patassé (38,11 %) ; mais le pays était au bord de la
guerre civile et le 21 juillet, le président décréta l’état de siège. Le
1er septembre 1981, afin d’éviter une prise de pouvoir par Ange Patassé, le
général André Kolingba, un Yakoma2, renversa le président Dacko et devint
président du Comité militaire de redressement national (CMRN).
Durant les douze années de sa présidence (1981-1993), le général André
Kolingba, pratiqua une solide politique ethnique faisant de l’armée une
milice personnelle. À partir des années 1990, sous la pression de la
communauté internationale, il fut contraint d’organiser des élections. Le
22 août et le 19 septembre 1993, lors des élections présidentielles et
législatives, l’ethno-mathématique donna l’avantage aux plus nombreux, en
l’occurrence à la coalition Gbaya-Banda-Sara et le Sara Ange Patassé arriva
au pouvoir3.

2. L’altenance ethnique
Comme les Yakoma constituaient les 2/3 des effectifs de l’armée, Ange
Patassé voulut mettre un terme à cette situation dangereuse pour son
pouvoir et en 1996, par trois fois, l’armée yakoma se mutina et le pays
sombra dans la guerre ethnique. Par trois fois l’armée française intervint
pour tenter d’éviter un embrasement général « à la libérienne ».
Le déploiement militaire français évita un choc frontal entre les deux
camps, puis, le 8 décembre 1996, l’intervention personnelle des présidents
Bongo du Gabon, Alpha Konare du Mali, Idriss Deby Itno du Tchad et
Blaise Compaore du Burkina Faso, qui firent le voyage de Bangui, permit
aux rebelles et au président Patassé de signer une trêve de quinze jours,
prolongée d’un mois le 22 décembre. Le 4 janvier 1997, elle était rompue et
la France lança une offensive de représailles contre les positions des mutins
à la suite de l’assassinat de deux de ses militaires.
Au mois de juillet 1997, des accords de cessez-le-feu furent signés entre
les mutins et la MISAB (Mission d’intervention et de surveillance des
accords de Bangui) et le 4 mars 1998 fut adopté un pacte de réconciliation
nationale. Le 15 avril 1998, la MINURCA (Mission des Nations unies en
République centrafricaine) prit le relais de la MISAB avec des effectifs de
1 350 hommes.
Le 19 septembre 1999, lors des élections présidentielles, le président
Patassé fut réélu dès le premier tour de scrutin avec 51,63 % des voix pour
un second mandat présidentiel. Chacun des trois grands candidats l’avait
emporté dans sa région : le président Patassé dans l’Ouest, le général
Kolingba (19,38 % des voix) le long du fleuve et dans trois arrondissements
de Bangui sur huit. Quant à David Dacko qui réunit 11,15 % des votes sur
son nom, il l’emporta dans son fief ethnique.
Ces élections ne mirent pas un terme aux tensions puisque, le 28 mai
2001 eut lieu un putsch qui déboucha sur de violents affrontements. Au
début du mois de juin, les loyalistes, soutenus par un contingent libyen et
des combattants venus de RDC l’emportèrent après d’amples destructions et
massacres ethniques ayant fait plusieurs centaines de morts.
Le 25 août 2001, un nouveau putsch éclata, une fois encore fomenté par
une partie de l’armée et par le général André Kolingba. Puis, au mois de
novembre 2001, le général Bozizé ancien chef d’état-major centrafricain
qui venait d’être limogé et qui avait été un des artisans de la réduction du
putsch du 28 mai 2001 se souleva. En plus d’être militaire le général était
également pasteur d’une église charismatique, mais le plus grave pour le
président Patassé était que c’était un Gbaya, ethnie qui, jusque-là, l’avait
soutenu et de plus, les Gbaya étaient nombreux dans l’armée. Ce coup de
force ayant échoué, le général Bozizé s’enfuit au Tchad avant de tenter un
nouveau putsch à la fin du mois d’octobre 2002.

3. Le temps des rebelles (2003-2012)


Le 15 mars 2003, le général François Bozizé finit par renverser le
président Patassé et en 2005, il se fit élire Président de la République. Après
cette date, tout le nord de la RCA fut touché par la contagion du conflit
soudano-tchadien, les rebelles tchadiens soutenus par le Soudan tentant de
contourner les défenses tchadiennes par le sud, en passant par Birao, dans le
nord-est de la RCA, ce qui entraîna une ferme intervention française au
mois de novembre 2006.
Le 9 mai 2008, le gouvernement centrafricain et la principale rébellion,
l’APRD (Armée populaire pour la restauration de la démocratie) signèrent
un accord de cessez-le-feu et de paix à Libreville. Cet accord qui constituait
une victoire politique pour le président Bozizé finalisait le processus de
paix engagé en 2007 avec les accords de Syrte et de Birao entre les diverses
composantes centrafricaines.

Le naufrage économique centrafricain


À l’époque coloniale, l’Oubangui-Chari produisait du café et était réputé pour sa
faune. Aujourd’hui, en RCA, la caféiculture n’existe plus et la grande faune a été
éliminée par le braconnage local. De 1992 à 2004, le pays est passé de la 146e place
du classement du Pnud au 166e rang sur 174 pays et le PIB par tête d’habitant y a
chuté de plus de 20 %. La RCA, État sans ressources à l’exception des diamants
alluvionnaires et du bois, est littéralement portée à bout de bras par l’aide
internationale4.
Pays enclavé, la RCA est tributaire pour ses relations commerciales de Pointe-Noire
située à plus de 1 800 km par le chemin de fer Congo-Océan et par les fleuves
Oubangui et Zaïre ; or ces derniers ne sont pas toujours navigables. Quant au port de
Douala, il est situé à 1 500 km par la route. Cet enclavement fait que les productions
locales subissent un surcoût élevé. Le bois revient ainsi à au moins 30 % plus cher
que celui du Cameroun, ce qui explique en partie le faible rôle de la forêt dans
l’économie de la RCA avec en moyenne seulement1 % du PIB durant la
décennie 1990-2000. Alors que la RCA dépend de ses voies de communication, le
phénomène des coupeurs de route y a pris une telle ampleur dans les années
« 2000 » qu’il était alors devenu quasiment impossible de circuler dans une grande
partie du pays. Cette calamité fut aggravée par la présence de nombreuses bandes
armées et, toujours durant la décennie 2000, le pays s’est refermé sur lui-même avec
un important phénomène de cloisonnement intérieur.
Cependant, depuis l’indépendance, l’histoire de la RCA se résumait dans
l’alternance de cycles ethno-politiques sudistes et chrétiens, les nordistes
musulmans – moins de 10 % de la population – étant totalement exclus de
la vie politique. Ils prirent leur revanche en 2012-2013 à travers un
mouvement particulièrement sanguinaire, le Seleka (coalition en langue
sango) originellement composé de plusieurs petites tribus du nord-est, dont
les Gula et les Runga5.
Après l’évacuation de la base de Birao par les troupes françaises en 2010,
la région échappa aux autorités de Bangui. À la fin du mois de
novembre 2012, des rebelles qui s’y étaient installés marchèrent vers le sud
et tentèrent de prendre Bangui pour en chasser le général François Bozizé.
L’interposition des forces françaises secondées par des détachements
tchadien et congolais les en dissuada.
L’offensive rebelle reprit dans les semaines qui suivirent, « organisée »
cette fois autour du Séléka, mouvement engerbant plusieurs petites tribus
nordistes et musulmanes, dont les Gula et les Runga, appuyées par des
Soudanais et des Tchadiens. Dans les derniers jours de 2012, le Séléka
avança vers Bangui6.
Le président Hollande fut alors face à un choix : soit soutenir le régime
sudiste et chrétien du président Bozizé, soit laisser se développer le chaos
avec tous les dangers de contagion qu’une telle option impliquait. La
seconde option fut choisie.
Le 24 mars, le président Bozizé quitta Bangui pour la RDC et les rebelles
du Séléka prirent la ville. À ces bandes vinrent s’agréger d’autres pillards
venus tant du Tchad que du Soudan, notamment des Janjawid qui s’étaient
cruellement illustrés à la fois lors de la guerre du Darfour et contre les
indépendantistes sud-soudanais7.
Puis débuta le pillage systématique des biens des chrétiens, la destruction
des églises catholiques et des temples protestants, les massacres de
chrétiens suivis de tirs sur ceux qui suivaient les enterrements, les villages
brûlés, comme cela avait été le cas au Soudan et au Darfour. Face à ces
excations8 des forces d’auto-défense dites « anti-balaka » se formèrent, et
fin 2013 l’Élysée décida d’intervenir mais, ne voulant pas donner une
coloration par trop militaire à l’opération, les forces françaises n’eurent pas
de mission claire, devant sans cesse naviguer entre humanitaire et
interposition.

4. Sangaris, une opération sans but (2014-2016)


Lancée au mois de janvier 2014, l’Opération Sangaris avait été
primitivement décidée pour mettre un terme aux massacres, ce qui passait
donc par la neutralisation de ceux qui les commettaient, à savoir les
membres du Séléka. Or, l’Élysée ne donna pas aux militaires français les
moyens de sidérer l’adversaire et de saturer l’objectif. Les chiches moyens
qui leur furent alloués ne leur permirent donc que de lancer des patrouilles,
non de quadriller et de tenir le terrain, pourtant seul moyen d’empêcher les
massacres.
L’impression d’impuissancefut accentuée par le fait qu’au lieu d’être
désarmé, but primitif de l’opération, le Séléka fut au contraire cantonné
avec l’autorisation de pouvoir conserver ses armes… Au lieu de détruire
ceux qui avaient provoqué le désastre, Paris demanda simplement à ses
soldats, de séparer agresseurs et agressés, bourreaux et victimes. Dès lors,
comme la France reconnaissait l’occupation des trois-quarts du pays par le
Séléka, l’Opération Sangaris n’avait plus de sens.
Le 30 octobre 2016, la France mit un terme à l’Opération Sangaris,
passant le relais à 8 000 hommes de la Minusca (Mission des Nations unies
pour la Centrafrique) dont la pugnacité et l’efficacité furent au minimum
« discutables ». Le retrait français laissa donc le champ libre au Séléka qui
occupait déjà le centre, le nord et l’est du pays, ainsi que les zones minières.
Puis, le mouvement se divisa en trois grandes factions ayant chacune un
fief territorial et minier, à savoir Bambari, Bria et Kaga Bandoro
(anciennement Fort Crampel). Puis, au Séléka vinrent s’agréger un certain
nombre de pasteurs peul ayant perdu leurs troupeaux durant les évènements.
En 2016, Faustin-Archange Touadera fut élu à la présidence de la
République et le 6 février 2019, furent signés les Accords de Khartoum
entre l’État centrafricain et 14 groupes armés. La paix ne revint pas pour
autant cependant qu’un nouvel acteur était apparu dans le théâtre
centrafricain, à savoir la Russie9.
B. La République démocratique du Congo (Zaïre)
de 1960 à 2020
Le 30 juin 1960, l’indépendance du Congo belge se fit dans la
précipitation et le 5 juillet, quand la Force publique se mutina, le Congo
explosa. La raison de cette mutinerie était que :
« Pour la Force publique10, corps de métier, « après l’indépendance »
signifiait “avant l’indépendance”. Celui qui leur rappela avec
empressement à l’issue des festivités (de l’indépendance) cette vérité
brutale en était lui-même le symbole vivant : le général Janssens était
en effet commandant en chef de la Force publique, avant comme après.
Dans le processus de promotion d’indépendance en cours de réalisation,
rien n’était prévu pour les fonctionnaires autochtones en uniforme. Ils
ne devenaient ni ministres, ni députés. Ils devaient encore se mettre au
garde-à-vous devant des officiers blancs, et qui plus est, et désormais
même devant des civils zaïrois dont certains-parmi ceux-ci le Président
et le Premier ministre – étaient encore hier en prison, sous leur garde.
[…] Les gardiens de l’ordre allaient à l’encontre de l’ordre au moment
où celui-ci était le plus vulnérable. Mais pouvait-il en être autrement ?
(Ndaywel è Nziem, 1997 : 564)

1. Les risques de démembrement (1960-1965)


En plus du chaos, le pays fut au bord du démembrement car, le 11 juillet
le Katanga se sépara du Congo et se proclama indépendant (Gérard-Libois,
1963). Dès le 12 juillet le gouvernement congolais demanda l’aide militaire
de l’ONU et des États-Unis afin de réduire cette sécession. Le 14 juillet, le
conseil de Sécurité décida l’envoi de troupes mais le mouvement de
sécession prit de l’ampleur.
Le 8 août, Albert Kalondji un Luba qui avait rompu avec Patrice
Lumumba et provoqué la scission du MNC (Mouvement national
congolais), proclama l’indépendance du sud-Kasaï11 depuis Elisabethville
(Lubumbashi) au Katanga, puis il fixa sa capitale à Bakwanga (actuellement
Mbujimayi), laissant Luluabourg (Kananga) sous le contrôle des Luluwa.
Le 25 août le Kasaï et le Katanga formèrent une confédération.
Les deux « États » disposaient de l’essentiel des richesses minières de
l’ancien Congo Belge, mais ils étaient en proie à des graves problèmes
ethniques. Les Luba du Katanga groupés dans la Balubakat (Association
des Baluba du Katanga) luttèrent ainsi farouchement contre les Gendarmes
katangais, à telle enseigne qu’à Elisabethville, l’ONU dut regrouper sous sa
garde la population luba afin de la protéger des assauts des militants de la
Conakat (Confédération des associations tribales du Katanga).

Le tribalisme au Congo/Zaïre
« Le développement de la prise de conscience tribaliste au Zaïre s’est déroulé en
trois phases :
– la naissance d’une vie et d’une compétition politiques en milieu urbain, à partir de
1955, et les élections communales de 1957-1958 stimulent le développement des
premières associations ethniques ;
– la formation des partis politiques se réalise à partir de 1959 en vue des élections
provinciales et nationales de mai 1960. La plupart des partis sont, ouvertement ou
de manière camouflée, à base ethnique ou régionale : l’idéologie nationaliste sous
sa forme unitaire et jacobine, est incarnée principalement dans le MNC/L
(Mouvement national congolais/Lumumba) ;
– la lutte pour la conquête et la maîtrise de l’appareil de l’État par la nouvelle classe
politique constitue la troisième phase (avec) l’utilisation par la nouvelle bourgeoisie
du clientélisme politique à base ethnique ou régionale pour la conquête et la
conservation du pouvoir – ce qui propage le tribalisme de la ville au village […] »
(Verhaegen, 1987 : 152).

À la fin du mois d’août 1960, afin de réduire ces deux sécessions, Patrice
Lumumba, alors Premier ministre, lança une opération militaire. Au Kasaï,
Bakwanga fut occupée le 27 août mais l’armée nationale y massacra des
civils luba. Lumumba devint alors « l’assassin des Luba-Kasaï » et Albert
Kalondji qui s’était réfugié à Elisabethville leva des volontaires parmi les
membres de cette ethnie travaillant au Katanga. Aidés par la gendarmerie
katangaise et encadrés par des volontaires belges, souvent anciens officiers
ou sous-officiers de la Force Publique, ils reprirent Bakwanga le
23 septembre. Albert Kalondji s’y fit proclamer Mulopwe (empereur, roi) le
8 avril 1961.
Le 5 septembre 1960, Patrice Lumumba fut révoqué par le président
Kasavubu et transféré – en réalité livré –, au Katanga où il fut assassiné le
17 janvier 1961 après avoir été malmené durant son transport par des
soldats Luba-Kasaï qui voulaient venger les massacres des leurs (Brassine
et Kestergat, 1991).
Des rébellions lumumbistes éclatèrent aussitôt dans l’Ouest, au Kwilu
(Verhaegen, 1987), dans l’Est, dans le nord-Katanga, au Maniema et au
Kivu dont les principaux dirigeants étaient Antoine Gizenga, Gaston
Soumialot et Pierre Mulele. Une République populaire du Congo fut créée à
Stanleyville où des centaines d’Européens furent pris en otage, tandis qu’au
Katanga, l’ONU lançait une puissante offensive contre les gendarmes
katangais encadrés par une poignée de mercenaires, notamment français
(Lartéguy, 1967). Mi-janvier 1963, les gendarmes katangais perdirent pied
et Moïse Tschombe s’enfuit en Espagne.
Le Congo fut alors en pleine anarchie. Les opposants s’installèrent à
Brazzaville sur l’autre rive du fleuve où ils se regroupèrent sous le nom de
CNL (Comité national de Libération), cependant que l’armée nationale
congolaise était incapable de faire face aux diverses rébellions. C’est alors
que son chef, Joseph-Désiré Mobutu et plusieurs responsables politiques
dont Justin Bomboko, ancien ministre des Affaires étrangères ainsi que
Victor Nendaka, chef de la Sûreté eurent l’idée de faire appel à Moïse
Tschombe. Parallèlement, le CNL avait entrepris la même démarche.
Paradoxe, l’ancien chef de la sécession Katangaise était donc unanimement
rappelé pour éviter l’éclatement du Congo. Il arriva à Léopoldville le
26 juin 1964 et le 6 juillet le président Kasavubu le chargea de former un
nouveau gouvernement.
Au mois de novembre 1964, la tentative de création d’une République
populaire à Stanleyville (Kisangani) s’étant transformée en une sanglante
aventure quand des guerriers emplumés, drogués au chanvre et ivres
d’alcool de palme, s’étaient mis à massacrer indistinctement Africains et
Européens. Pour mettre un terme à ces tueries, le 24 novembre 1964, la
Belgique lança une opération aéroportée sur Stanleyville et sur Paulis,
doublée par la colonne terrestre de la 5e brigade motorisée commandée par
le colonel F. Vandewalle. Ce fut l’Opération 0mmegang (Vandewalle,
1970 ; Closset, 1995 ; Schramme, 1969). Puis, les mercenaires se lancèrent
à la reconquête du Congo oriental pour le compte du gouvernement central.
À la fin de l’année 1965, la révolte des simba12 était écrasée. La « guerre
froide » battait alors son plein et les Occidentaux avaient décidé de « tuer
dans l’œuf » ce foyer subversif qui risquait d’embraser toute la région.
Au mois de juin 1965, le parti de Moïse Tschombe, la Conaco
(Convention nationale congolaise) remporta les élections, mais, le
15 octobre 1965, le président Kasavubu révoqua Moïse Tschombe13 qui
repartit pour un second exil espagnol14.

2. Du Zaïre du maréchal Mobutu à la première guerre


du Congo Zaïre (1965-1997)
Au mois de novembre 1965, le général Joseph-Désiré Mobutu s’empara
du pouvoir en éliminant Joseph Kasavubu. Washington, Bruxelles et Paris,
qui cherchaient un homme fort capable de « tenir » l’immense Congo
avaient trouvé en lui un allié fidèle et loyal qui cumula les fonctions de
Premier ministre et de président de la République.
En 1971, le pays fut rebaptisé Zaïre15, puis, en 1972 Joseph-Désiré
Mobutu lança une campagne de retour à l’« authenticité » ; les Congolais
durent alors abandonner leurs noms chrétiens pour des noms africains.
Au mois de mars 1977 des troupes angolaises envahirent le Shaba (ex-
Katanga) et le Maroc envoya une force d’intervention d’un millier
d’hommes qui permit au général Mobutu de rétablir la situation. Mais,
moins d’un an plus tard, le 14 mai 1978, toujours au Shaba, plus de 2 000
Européens furent pris en otage à Kolwezi par des rebelles venus d’Angola.
Le 19 mai, les massacres d’otages ayant commencé, la France lança une
opération aéroportée ; le 20 mai des parachutistes belges sautèrent à leur
tour sur Kolwezi (Sergent, 1978).

L’intervention française à Kolwezi


Le 13 mai 1978 au petit matin, la ville minière de Kolwezi, cœur économique du
Katanga-Shaba, était investie par 3 000 à 4 000 hommes armés venus d’Angola. Ils
étaient en partie les héritiers des « gendarmes katangais ». Leurs pères avaient
fidèlement servi Moïse Tschombe durant les épisodes de la sécession Katangaise
des années 1960-1963. Réfugiés en Angola, ils étaient passés au service de l’armée
portugaise alors en lutte contre les mouvements indépendantistes. À partir de 1975,
après l’indépendance de l’Angola, ils furent enrôlés par le gouvernement marxiste du
MPLA et engagés contre l’UNITA de Jonas Savimbi. Le bloc soviétique qui avait pris
pied en Angola cherchait alors à priver l’Occident de ses sources
d’approvisionnement en minerais stratégiques. Or, ces dernières étaient
essentiellement situées au Zaïre, au Sud-Ouest africain/Namibie et en Afrique du
Sud. Le Zaïre du maréchal Mobutu était le maillon faible du dispositif occidental. De
plus, il constituait la base arrière de l’UNITA, principal adversaire de la coalition
soviétique en Angola. Luanda et ses alliés soviéto-cubains décidèrent alors de le
déstabiliser. L’objectif choisi fut son point le plus sensible, à savoir le Shaba-Katanga
d’où était tiré l’essentiel de ses revenus. En 1977, la région produisait en effet 15 000
tonnes de cobalt par an et 450 000 tonnes de cuivre, ce qui représentait 75 % des
recettes en devises du Zaïre et 1/3 de son PNB. De plus, les oppositions ethniques
toujours latentes et les plaies non refermées depuis 1963, permettaient d’y entretenir
un foyer de troubles.
La base arrière de l’opération contre le Shaba fut installée à Texeira de Souza, en
Angola où une centaine d’experts est-allemands et plusieurs centaines de soldats
cubains formèrent « Katangais » et opposants zaïrois. Les Allemands de l’Est
s’occupaient de la logistique et les Cubains de l’encadrement des combattants.
Une première tentative d’invasion avait eu lieu au mois de mars 1977 quand une
offensive venue d’Angola poussa loin à l’intérieur du territoire zaïrois. L’armée
zaïroise étant dans l’incapacité de s’y opposer, l’intervention d’un millier de soldats
marocains soutenus par l’aviation française avait permis de repousser les assaillants.
La seconde tentative eut lieu un peu plus d’un an plus tard, le samedi 13 mai vers
5 h 30 du matin quand plusieurs colonnes fortes chacune de 250 hommes prirent
possession de Kolwezi. Les assaillants commencèrent par liquider les membres des
ethnies de la région de l’Équateur et notamment les Ngbandi-Mbakas – l’ethnie
présidentielle –, tout en se lançant à la chasse aux Français. Six coopérants militaires
français furent alors enlevés et massacrés. Rapidement informée, l’ambassade de
France à Kinshasa ne parvint pas à joindre l’Élysée avant la fin de l’après-midi de ce
long week-end de la Pentecôte. Le lundi 15 mai, Paris qui avait pris conscience de la
gravité de la situation se tint en contact permanent avec Bruxelles qui souhaitait
négocier avec les rebelles. Le mardi 16 mai, les informations firent clairement état de
massacres et le colonel Yves Gras, l’attaché militaire français à Kinshasa demanda
une intervention urgente.
Le mercredi 17 mai, le 2e Régiment étranger de parachutistes commandé par le
colonel Philippe Érulin (Érulin, 1979) fut placé en alerte opérationnelle. L’« Opération
Léopard » se mit alors en marche. De son côté, Bruxelles hésitait toujours à
intervenir. Pour les diplomates belges, une action militaire à Kolwezi aurait en effet eu
pour résultat de sauver le régime à bout de souffle du maréchal Mobutu, or, Bruxelles
aurait voulu que la crise puisse servir à promouvoir une solution politique globale de
la question zaïroise.
Devant les menaces qui pesaient sur les Européens, le président Giscard d’Estaing
décida que la France interviendrait seule. Le jeudi 18 mai, des fuites se produisirent
ou furent orchestrées sur diverses radios. Elles firent comprendre aux rebelles qu’une
opération aéroportée était en cours. Leurs chefs ordonnèrent de tuer tous les
Européens et de détruire les installations minières.
Le vendredi 19 mai, à 15 h 42, le premier légionnaire sauta sur Kolwezi. La seconde
vague fut larguée à partir de 17 h 15. Il faisait un vent de 8 mètres/seconde et les
hommes avaient été équipés de parachutes américains qu’ils ne connaissaient pas.
La « casse au saut » fut néanmoins limitée. Au sol, les Katangais, surpris, furent mis
en déroute. Quand la nuit tomba la ville était sécurisée à 50 %. Le samedi 20 mai un
renfort fut parachuté. Vers 16 heures, à la cité Métal Shaba où les Katangais s’étaient
solidement retranchés, les Français se heurtèrent à une forte résistance. Dans la
soirée, tous les objectifs étaient cependant atteints. Le dimanche 21 mai et dans les
jours suivants, les soldats français tentèrent d’intercepter la colonne katangaise qui
se repliait vers l’Angola afin de délivrer une soixantaine d’otages qu’elle emmenait
avec elle.
La réussite militaire de l’« Opération Léopard » fut unanimement saluée car elle avait
permis de sauver des milliers d’Africains et d’Européens. C’est ainsi que 2000
Européens furent évacués et une quantité importante de matériel militaire récupéré.
La Légion étrangère avait perdu 5 tués et 20 blessés durant les combats et les
Katangais 300 morts. Le raid des rebelles avait entraîné de grosses pertes dans la
population civile zaïroise, 131 européens avaient été massacrés et 70 enlevés qui ne
furent jamais récupérés. 382 militaires zaïrois avaient été tués lors des combats ou
massacrés une fois faits prisonniers par les « Katangais ». Avant de s’enfuir, ces
derniers avaient mis hors service une partie des moyens miniers de production, ce
qui eut pour résultat de paralyser toute la production minière durant des années
(Sergent, 1978).

Avec la fin de la « guerre froide », le Zaïre fut abandonné à lui-même et,


dès 1990, le régime du maréchal Mobutu fut dénoncé par ses protecteurs de
la veille.
La crise zaïroise apparut alors dans son ampleur, le pays étant miné par la
corruption, le clientélisme et l’ethnisme. Le remède qui fut proposé fut le
multipartisme. Acculé, le maréchal Mobutu organisa alors une Conférence
nationale, mais les oppositions longtemps bridées voulurent goûter trop
rapidement d’une certaine forme de liberté retrouvée et l’anarchie s’empara
du pays16.
Devant les risques de paralysie politique et d’explosion sociale, le
maréchal Mobutu nomma comme Premier ministre Étienne Tshisekedi qui
semblait être le chef de l’opposition. Mais, incapable de gouverner, ce
dernier fut limogé en 1993. Durant la même période, de très graves
évènements se déroulèrent au Kasaï où les Lunda chassèrent environ
400 000 Luba (Bakajika Banjikila, 1997), tandis que de graves
affrontements ethniques ensanglantaient le nord-Kivu.
Le 14 novembre 1992, une nouvelle Conférence nationale se tint durant
laquelle il fut décidé que le pays s’ouvrirait au fédéralisme et qu’un
référendum se tiendrait en 1997 afin d’entériner ce changement
constitutionnel, le Zaïre devant devenir la République fédérale du Congo,
mais, les évènements du Rwanda et leurs prolongements au Zaïre
interrompirent le processus.
Au mois de septembre 1996, le nouveau pouvoir de Kigali, décida de
renverser le maréchal Mobutu, allié du régime de Juvénal Habyarimana
qu’il avait vaincu au mois de juillet 1994. Il pensa alors avoir trouvé en
Laurent-Désité Kabila17 un exécutant docile qu’il plaça à la tête d’un
mouvement créé pour la circonstance, l’AFDLC (Alliance des Forces
démocratiques pour la libération du Congo).
Le 14 septembre 1996, armés par le Rwanda, les Banyamulenge de la
région du plateau de l’Itombwe qui domine le lac Tanganyika repoussèrent
un détachement zaïrois. Au même moment une triple offensive était lancée
par les armées du Burundi, du Rwanda et de l’Ouganda dont le résultat fut
la déroute militaire zaïroise, et la fin des camps de réfugiés hutu rwandais
installés au Zaïre. Certains réfugiés retournèrent par centaines de milliers au
Rwanda tandis que des centaines de milliers d’autres s’enfuyaient vers
l’ouest en direction de Punia et de Kisangani18.
Face au vide militaire qui s’était créé au Zaïre, l’Ouganda et le Rwanda
décidèrent alors de pousser leur avantage et de renverser le régime du
maréchal Mobutu. La conquête du Zaïre se fit alors dans le prolongement
de la campagne du Kivu.
À la fin du mois de mai 1997, l’armée rwandaise était victorieuse après
avoir bénéficié le 15 mai à Kenge de l’aide décisive des blindés angolais.
Le président Mobutu fut chassé du pouvoir, Laurent-Désiré Kabila lui
succéda et le Zaïre redevint République démocratique du Congo (RDC).
Les Luba du Katanga étaient au pouvoir à Kinshasa.

Les Banyamulenge
Les Banyamulenge sont des Tutsi installés dans la région du Kivu et parlant le
kinyarwanda, la langue du Rwanda. Ils sont composés de deux groupes :
– celui du Nord-Kivu, dans la région du Masisi n’a pas de nom propre et ses membres
sont désignés sous le nom de Banyarwanda (les Rwandais) par les peuples au
milieu desquels ils vivent. Or, ce terme est réducteur et vague à la fois car de très
nombreux Hutu rwandais ont également fait souche dans la région depuis des
générations ;
– le second groupe est composé de ceux qui sont originaires de l’arrière-pays d’Uvira,
dans le Sud-Kivu, en fait dans le Nord du lac Tanganyika, et du plateau de
l’Itombwe. Ils tirent leur nom de la colline de Mulenge, d’où leur nom de
Banyamulenge (ceux de Mulenge). Présents sur les hautes terres de l’ouest du lac
Kivu depuis au moins le XVIIIe siècle, ils sont au total moins d’un million mais ils ont
été renforcés par de nombreux réfugiés tutsi arrivés après la révolution hutu de
1959 et qui ont fusionné avec eux.
Le problème fut de savoir s’ils étaient Congolais ou Rwandais. Les législations les
concernant étaient en effet contradictoires et souvent incohérentes leur reconnaissant
ou au contraire leur retirant tout ou partie de leur nationalité congolaise (lois sur la
nationalité de 1972 puis de 1981) et de leurs propriétés (nouveau droit foncier, loi de
1973 puis de 1982).
Le président Mobutu les naturalisa en 1972 pour les remercier de leur participation au
combat contre les rebelles Mulélistes, ce qui provoqua bien des tensions avec les
autres populations de la région qui avaient au contraire soutenu le mouvement
muleliste et qui les considéraient comme des étrangers. En 1981 la nationalité
zaïroise leur fut retirée.
En 1994 après l’arrivée de plus d’un million de réfugiés hutu, leur situation devint
intenable. Craignant de voir en eux une « 5e colonne » de Kigali, le maréchal Mobutu
exigea leur départ, ce qui fut compris par les autres ethnies comme un blanc-seing
permettant de les attaquer. C’est alors qu’ils s’allièrent à Laurent-Désiré Kabila, leur
ancien ennemi muléliste, lui-même soutenu par le régime tutsi du Rwanda (Willame,
1997).

3. La RDC de Kabila père (1997-2001)


En 1998 Laurent-Désiré Kabila se retourna contre ses anciens alliés
rwandais avant de réarmer les Hutu réfugiés au Congo. Au mois
d’août 1998, le Rwanda tenta alors un coup de main sur Kinshasa. La
capitale du Congo était sur le point de tomber quand une double
intervention militaire de l’Angola et du Zimbabwe renversa la situation.
La seconde guerre du Congo venait d’éclater, se transformant en un
véritable jeu de massacre régional. Sept pays furent en effet directement
engagés dans le conflit : l’Angola, le Zimbabwe, la Namibie, le Tchad, le
Rwanda, le Burundi et l’Ouganda19. Ces pays appartenaient à deux
coalitions dont les intérêts étaient à la fois contradictoires et croisés. La
première associait l’Ouganda, le Rwanda et dans une moindre mesure le
Burundi. La seconde regroupait l’Angola, le Zimbabwe et la Namibie :
– l’Ouganda était militairement présent dans le nord de la RDC
officiellement pour sécuriser sa frontière occidentale ;
– le Rwanda proclamait qu’il faisait la guerre en RDC pour en finir avec
les « génocidaires » hutu qui y étaient réfugiés depuis 1994 ;
– le Zimbabwe affirmait n’être intervenu militairement en RDC que pour
aider ce pays à repousser une agression étrangère20 ;
– l’Angola avait deux grands impératifs stratégiques dans le pays, d’une
part le maintien d’un régime ami à Kinshasa afin d’interdire à l’Unita
de Jonas Savimbi d’utiliser le sud-ouest de la RDC comme base
arrière ; d’autre part la volonté de sécuriser le Cabinda, enclave
angolaise située entre les deux Congo et qui produit 75 % du pétrole
angolais21.
À l’intérieur de la RDC, l’Ouganda et le Rwanda armèrent des
« rebelles » groupés en deux principaux mouvements :
– au nord de la RDC, le long de la frontière avec la République
centrafricaine, les tribus Ngbandi et Ngbaka au pouvoir sous le
maréchal Mobutu avaient créé le MLC (Mouvement pour la libération
du Congo) dirigé par Jean-Pierre Bemba Gombo. Le MLC était une
union tribale bénéficiant de l’appui de l’Ouganda ;
– dans le Kivu le RCD (Rassemblement congolais pour la Démocratie)
prenait ses ordres à Kigali.
En 1999, le conflit de la RDC s’enlisa. Le Tchad qui était entré en guerre
aux côtés du président Kabila, retira ses troupes après plusieurs défaites
subies face à des rebelles encadrés par l’armée ougandaise. Quant aux
autres protagonistes non Congolais, ils cherchèrent une porte de sortie
honorable. Tous avaient d’ailleurs atteint leurs buts de guerre :
– les Angolais avaient sécurisé la région de Kinshasa et le Cabinda,
tandis que la RDC n’était plus le sanctuaire de l’Unita en déroute.
N’ayant pas de frontière commune avec le Rwanda, ils n’avaient aucun
intérêt à se lancer, dans une difficile et hypothétique opération de
reconquête du Kivu pour le compte de Kinshasa ;
– l’Ouganda et le Rwanda avaient également intérêt à figer le statu quo
puisque leurs conquêtes territoriales semblaient solidement assurées
dans l’est du pays ;
– restait le Zimbabwe dont le corps expéditionnaire de 11 000 hommes
était embourbé au Katanga et dont l’économie ne pouvait plus supporter
les 30 millions de dollars mensuels que coûtait l’intervention en RDC.
Harare cherchait donc une issue politique lui permettant de se retirer en
bon ordre.
Les temps d’un compromis étant donc venus, en 1999, furent signés les
« accords de Lusaka ». Ils prévoyaient un cessez-le-feu, le déploiement
entre les belligérants d’une force de l’ONU de 5 500 hommes, la MONUC
(Mission d’observation des Nations unies au Congo). Ils devaient entrer en
vigueur le 1er septembre 1999, mais ils ne furent pas appliqués et le conflit
continua car le président Kabila refusait ce qui aboutissait de fait à une
partition du Congo, la présence des hommes de l’ONU permettant
d’entériner l’occupation des deux tiers du pays par l’Ouganda, le Rwanda et
leurs alliés locaux.
4. La RDC de Kabila fils (2001-2019)
Laurent Désiré Kabila fut assassiné le 16 janvier 200122 par un officier de
son armée originaire du Kivu, région sous contrôle rwandais, ce qui
alimenta bien des rumeurs. Ayant été immédiatement abattu par la garde
présidentielle, les raisons de son geste demeurèrent donc mystérieuses.
Son successeur, Joseph Kabila Kabange était son propre fils. Né en 1971,
il aurait été imposé par l’Angola et le Zimbabwe aux clans qui
s’affrontaient en coulisses à Kinshasa23. Lors de son accession au pouvoir,
la marge de manœuvre du jeune président paraissait bien étroite. Pourtant,
après avoir limogé le gouvernement hérité de son père, il mit en place sa
propre équipe et prit résolument appui sur deux des principales ethnies du
pays, les Lunda du Kasaï, proches des Angolais et les Luba du Katanga
ethnie de son père. Avec une équipe à sa main, il négocia ensuite la difficile
sortie de la guerre, jouant un jeu serré entre les protagonistes étrangers du
conflit, à savoir le Rwanda, l’Uganda, le Zimbabwe et l’Angola, qui, tous
avaient comme nous l’avons vu des intérêts contradictoires en RDC.
Un calendrier de retrait de toutes les forces étrangères fut mis au point et
à la fin du mois de mars 2001, la Monuc commença son déploiement. Le
29 mars, elle installa ses premiers observateurs à Kalemie, ville tenue par le
Rwanda et à Kananga (Luluabourg), sous contrôle gouvernemental. Fin
avril, un contingent sénégalais prit position à Mbandaka, en zone
gouvernementale, puis à Goma en zone rebelle. Fin mai, 1500 casques
bleus étaient sur place en RDC.
Le 19 avril 2002, le principe de la réunification de la RDC était accepté
par tous les protagonistes qui signèrent l’accord de Sun City en Afrique du
Sud. Le 30 juillet 2002, l’Accord de paix Congo-Rwanda signé à Pretoria
prévoyait le retrait des soldats rwandais de la RDC et le 6 septembre 2002,
l’Accord de Luanda permettait de conclure la paix avec l’Ouganda qui
s’engageait à retirer ses troupes de l’Ituri. Dernière étape, le 17 décembre
2002, les membres du Dialogue intercongolais, à savoir les milices plus le
gouvernement de Kinshasa, signaient un accord global de paix prévoyant la
constitution d’un gouvernement de transition, puis des élections législatives
et présidentielles dans les deux ans. La seconde guerre du Congo était
terminée.
Le 30 juin 2003, le Gouvernement de transition fut installé, dirigé par le
président de la République, Joseph Kabila, assisté de quatre vice-présidents
représentant les principales forces du pays : Abdoulaye Yerodia Ndombasi
pour le camp présidentiel ; Azarias Ruberwa (RCD) ; Jean-Pierre Bemba
(MLC) et Arthur Zaidi Ngoma représentant la société civile. Ce
gouvernement resta en fonction jusqu’au 18 février 2006 date de la
proclamation de la Troisième République et de la fin de la période de
transition.
Des élections présidentielles eurent ensuite lieu au mois de juillet 2006 et
à l’issue du second tour, Joseph Kabila fut élu au second tour devant Jean-
Pierre Bemba avec 58,05 % des voix contre 41,95 %. Le pays était coupé en
deux, l’est et le Katanga ayant massivement voté pour le président Kabila et
l’Ouest pour son concurrent. Un Premier ministre fut nommé le 5 février
2007 en la personne d’Antoine Gizenga.
Au mois de janvier 2007 de violents affrontements survinrent dans la
région du Bas-Congo entre les forces de l’ordre et les membres du
mouvement séparatiste kongo Bundu dia Kongo24.
À la fin du mois de mars, à Kinshasa, de sanglants combats opposèrent la
garde présidentielle et les éléments assurant la sécurité de l’ancien vice-
président Jean-Pierre Bemba. Le 24 mai 2008, ce dernier fut arrêté à
Bruxelles puis remis à la CPI (Cour pénale internationale) qui l’accusa de
crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis en République de
Centre Afrique (RCA) en 2002 et 2003, quand ses miliciens avaient volé au
secours du président Ange-Félix Patassé. Jugement ?
Après les violences tribales qui ensanglantèrent le Kasaï en 2017, en
2018, l’est de la RDC fit de nouveau parler de lui, à la fois en raison du
retour d’Ebola et des massacres dans la région du lac Albert.
Le 13 juillet 2018, l’ONU dénonça des « violences barbares » commises
en Ituri, où se déroulait une féroce guerre ethnique. Ainsi donc, 15 ans
après l’opération française Artémis, en dépit de la présence de 16 000
casques bleus25, et après les procès de chefs miliciens impliqués dans les
massacres des années 2000 devant la CPI de La Haye26, tout avait donc
recommencé… Un interminable conflit ethnique s’était donc rallumé au
cœur d’une région hautement crisogène en contact avec les foyers embrasés
du Soudan du Sud et de la RCA.
Alors que son mandat expirait à la fin de l’année 2016 et que la
constitution lui interdisait de se représenter, le président Joseph Kabila
annonça le report des élections présidentielles et joua la montre. Puis, une
transition pacifique eut lieu au terme des élections du 30 décembre 2018 qui
virent l’accession au pouvoir de Félix Tshisekedi.
5. La question de l’Ituri
Dans les années 1996-2004, l’Ituri fut le théâtre de sanglants
affontements ethniques qui provoquèrent l’intervention de l’ONU et celle
de l’armée française.
Située dans le nord-est de la RDC, l’Ituri qui tire son nom de la
principale rivière qui traverse la région est une zone de hautes terres
comprise entre la grande forêt congolaise à l’Ouest et le lac Albert à l’Est.
À l’exception des zones bordières du lac Albert, la région jouit d’un climat
salubre propice tant à l’élevage qu’à l’agriculture, ce qui explique ses fortes
densités humaines et la variété de ses habitants.
En plus d’être un carrefour géographique et climatique, l’Ituri est une
zone de grande diversité humaine, plusieurs strates de populations s’y étant
superposées mais aussi entremêlées.

L’Ituri est composé de quatre grandes régions naturelles :


– l’étroit trottoir de basses terres bordant le lac Albert est situé à une altitude variant
de 618 à 700 m. Son climat est subéquatorial avec des pluies variant de 900 à
1 000 mm ;
– la zone de l’escarpement fait 150 km de long sur 22 km de large en moyenne et
offre une pente très prononcée entre 618 m au niveau du lac et 2 400 sur le plateau.
Cette réalité fait que l’on y rencontre une grande variété de climats, de températures
et de végétation ;
– la zone de la crête Congo-Nil et du plateau, parallèle à l’escarpement a une altitude
variant entre 1 800 et 2 456 m. La pluviométrie y est de 1 300 à 1 500 mm avec un
pic au mois de mai. L’amplitude thermique y est très prononcée et en règle
générale, le climat y est sain, la malaria rare et la mouche tsé-tsé inexistante. À
environ 25 km à l’ouest d’Irumu, le paysage qui change du tout au tout marque une
nette limite naturelle. À la sylve écrasante succède en effet un paysage de collines
herbeuses avec couvert arboré. Irumu se trouve sur la rive gauche du Shari à
proximité immédiate du confluent de l’Ituri. D’Irumu à Bunia, le paysage est fait de
collines herbeuses. De Bunia à Kasenyi sur le lac Albert le pays est constitué de
collines aux bons pâturages dans lesquels sont éparpillés les villages ;
– la zone de contact de la grande forêt constitue une véritable barrière naturelle.
Région à forte nébulosité, très humide, aux fortes précipitations et au climat chaud
et humide, elle était jadis le domaine des seuls pygmées

Les massacres qui se sont produits en Ituri n’avaient pas pour origine la
lutte pour des richesses naturelles. Même si l’or ou les diamants
alimentèrent les trésors de guerre, ils n’en furent pas la cause qui est à
rechercher dans l’histoire tumultueuse des contacts entre trois ensembles de
populations en lutte pour l’espace. L’Ituri est en effet une « frontière » entre
le monde bantuphone, central-soudanique (Lugbara et Madi), « nilotique
des plaines » (Karamojong) et Nilotes « des rivières et lacs » comme les
Luo (Acholi et Langi).
L’Ituri a commencé sa descente aux enfers dès le lendemain de
l’indépendance du Congo car cette région périphérique a toujours plus ou
moins échappé au contrôle du pouvoir central. En 1996, afin de combattre
une guérilla de plus en plus pugnace, l’Ouganda, alors alliée au Rwanda,
participa à la grande offensive que Kigali lança contre les camps hutu du
Kivu, puis contre l’armée du maréchal Mobutu. En 1998, quand l’offensive
reprit contre le régime de Laurent-Désiré Kabila, l’Ouganda fut une
nouvelle fois de la partie. Avec l’aide de ses alliés Hima, proches cousins
des Hima d’Ouganda vivant dans la région de l’Ankole – dont le président
Museveni est lui-même originaire –, l’armée ougandaise n’eut pas de mal à
s’imposer. Mais, bientôt, entre le Rwanda et l’Ouganda, des tensions
éclatèrent et le RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie),
mouvement créé de concert par Kigali et par Kampala éclata en deux
tendances.
L’une était alignée sur le Rwanda et elle fut désignée sous le nom de
RCD-G (G comme Goma, sa capitale). L’autre, qui dépendait de l’Ouganda
et qui prit le nom de RCD-ML (Rassemblement congolais pour la
démocratie – Mouvement de libération) était dirigée par le professeur
Wamba dia Wamba dont l’autorité s’étendait depuis le nord Kivu jusqu’à
l’ouest de Walikale. Abandonné par certains de ses appuis ougandais, le
professeur Wamba dia Wamba céda le pouvoir à Mbusa Nyamwisi, chef
Nandé qui rebaptisa le mouvement RCD-ML-K (K = Kinshasa) afin de
signifier qu’il était pour l’unité et l’intégrité du pays. Au même moment,
d’autres cercles ougandais favorisaient la création du RCD-N (N = national)
dirigé par Roger Lumbala, un dissident du RCD-G.
Dans le nord de la RDC, en pays Ngbandi, et plus généralement le long
de la frontière avec la RCA, Jean-Pierre Bemba tenait une vaste région avec
son Mouvement de libération du Congo (MLC).
En 2001, la guerre du Congo redoublant d’intensité, le président
Museveni d’Ouganda souhaita unifier ces divers mouvements afin de
pouvoir peser davantage encore sur les évènements, et il invita leurs
dirigeants à se fédérer dans un Front de libération du Congo (FLC) placé
sous l’autorité de M. Bemba, seul susceptible selon lui d’avoir un destin
« national » à la tête d’une RDC alliée à l’Ouganda. De fait, les
affrontements cessèrent dans l’Ituri, mais, quelques mois plus tard, les
milices Nandé de Mbusa Nyamwisi rejetèrent l’autorité de M. Bemba.
Kampala décida alors de combattre Mbusa Nyamwisi et de soutenir à la fois
le MLC de Jean-Pierre Bemba et le RCD-N de Roger Lumbala. Mbusa
Nyamwisi n’eut plus alors qu’une seule issue, l’appel à Kinshasa. C’est
ainsi que le RCD-K-ML reconnut le pouvoir central.
Cette nouvelle situation étant inacceptable pour l’Ouganda, son armée
intervint et chassa le RCD-ML-K- de la ville de Bunia avec l’aide d’une
faction héma, l’Union des patriotes congolais (UPC) dirigée par Thomas
Lubanga.
Les Nandé et les Lendu ayant quitté la ville, des dizaines de milliers de
Hémas jusque-là dispersés dans des zones ethniques hostiles vinrent s’y
réfugier. La situation ressemblait ainsi, à bien des égards, à ce qui prévalait
au Burundi où les Tutsi s’étaient repliés dans les villes en abandonnant le
reste du pays aux Hutu. Au mois de janvier 2003, Thomas Lubanga (UPC)
se rendit à Goma, ville contrôlée par le RCD-G, c’est-à-dire par le Rwanda,
et il y signa un accord de quasi-alliance avec ce mouvement, ce qui déplût à
l’Ouganda qui considérait l’Ituri comme son prolongement naturel.
Kampala chercha alors à affaiblir l’UPC en poussant un chef Héma, Kahwa
Panga Mandro à faire scission pour fonder le Parti pour l’unité et la
sauvegarde de l’intégrité du Congo (PUSIC). Mais Kampala voulait
également affaiblir les Lendu et c’est pourquoi, afin de les diviser, fut fondé
le Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI) par un leader Lendu,
Floribert Ndjabu Ngabu. Au même moment, les Alur décidaient de se doter
eux aussi d’une structure combattante, les Forces populaires pour la
démocratie au Congo (FPDC). Quant aux Kwakwa vivant dans la région
d’Aru, ils créèrent également leur propre mouvement, les Forces armées du
peuple congolais (FAPC) dirigées par Jérôme Kwakwavu Bukande.
Avec ces trois partis ethniques (PUSIC, FNI et FAPC), Kampala
souhaitait recommencer l’opération d’union qui avait été tentée avec le FLC
en 2001. De fait, au mois de février 2003, à Kampala, fut fondé le Front
pour l’intégration et la paix en Ituri (FIPI) dont l’objectif était clairement
l’élimination de l’UPC. Mais les milices de l’UPC qui avaient une nette
supériorité militaire en dépit de leur faible base démographique entrèrent en
conflit ouvert avec l’armée ougandaise avant de devoir abandonner Bunia
pour se replier en brousse. Maîtresse des lieux, l’armée ougandaise mit
alors en place le CPI (Comité de pacification de l’Ituri) que demandait
l’ONU et qui était destiné à organiser le retour de la province au sein de
l’État congolais. Or, le CPI n’était en fait constitué que des mouvements qui
collaboraient avec les autorités de Kampala, à savoir le PUSIC, le FNI, le
FPDC et le FAPC. Un front ethnique anti Héma fut donc constitué puisque
les seuls Héma à en faire partie étaient ceux du PUSIC27.
Kigali considéra que l’intervention ougandaise violait les engagements
précédents et menaça d’intervenir. L’ONU se porta alors garante d’un
accord de paix régional visant à rétablir l’autorité de Kinshasa sur les
territoires occupés par le Rwanda et l’Ouganda. En échange du départ des
troupes rwandaises et ougandaises, l’ONU s’engagea à déployer un
contingent chargé d’assurer la paix publique.
Le 24 avril 2003, l’armée ougandaise évacua l’Ituri au moment où la
Monuc 1 (Mission d’observation des Nations unies pour le Congo) y
prenait position. Mais le contingent uruguayen fort de 700 hommes
disposant d’une vingtaine de blindés et renforcé par un millier de soldats de
Kinshasa (FAC : Forces armées congolaises) présentés comme des
« policiers », ne put protéger la ville de Bunia qui fut livrée à une sanglante
guerre ethnique, les miliciens Lendu alliés aux « policiers » congolais
s’étant lancés à la chasse aux civils Héma qui furent massacrés, les femmes
violées et les enfants dépecés. Face à ces tueries, les Héma firent taire leurs
divisions et les milices de l’UPC et du PUSIC s’unirent pour contre-
attaquer. Les combats furent violents. Moins nombreux, mais mieux
encadrés et ayant un minimum de discipline, les Héma mirent en déroute les
Lendu et les « policiers » congolais. Le 12 mai, Bunia était entre leurs
mains, mais les milices Lendu étaient présentes autour de la ville.
L’ONU décida alors de renforcer son dispositif sous forme de Monuc 2.
Il était prévu qu’elle serait composée de 3 800 hommes, mais il fallait trois
mois pour les rassembler. Et durant ces quatre-vingt-dix jours, les
massacres n’allaient pas cesser. C’est alors que la France intervint en
déclenchant l’Opération Artemis, opération européenne sous mandat des
Nations unies (Bagayoko, 2004). Son objectif était de sécuriser la ville de
Bunia et son aéroport afin de préparer la venue de la Monuc 228.
Après cette date, le conflit de l’Ituri se ralluma périodiquement avec des
pics en 2018 et en 2019.

Les populations de l’Ituri

Tableau 175 ici


Selon le recensement de 199529 la population de l’Ituri était cette année-là de
1 748 256 habitants répartis en huit ethnies principales :
– les Alur qui vivent à la pointe nord du lac Albert et le long du Haut-Nil sont à cheval
sur l’Ouganda et la RDC. Ce sont des Nilotes se rattachant aux Acholi d’Ouganda et
qui font partie de la famille Luo/Shilluk. Ils constituent 22 % de la population totale
de l’Ituri. Ils ont jadis conquis le territoire de Mahagi sur les Okebo et les Lendu, ces
derniers étant refoulés vers le Sud où ils furent asservis par les Héma ;
– les Lendu. Entre eux, ils s’appellent Bale, « Ka ku a i balé » « nous sommes des
hommes d’ici », sous entendu des indigènes. Balendu est un mot Alur. Il s’agit d’un
peuple nilotique autrefois vaincu par l’alliance Bira-Héma30. Les Bira et les Hima les
méprisent. Il est inexact de les comparer aux Hutu du Rwanda ou du Burundi,
puisque ce sont des nilotiques. Ils forment 19,80 % de la population de l’Ituri ;
– les Lugbera (Lugbara ou Lugwara), 13,64 % de la population de l’Ituri, se rattachent
au groupe linguistique Central Sudanic ;
– les Héma, 12,61 % de la population totale de l’Ituri. Venus du sud éthiopien, ils font
partie de la grande vague pastorale qui se retrouve dans toute l’Afrique
interlacustre. Les plus anciens peuplements héma en Ituri, à l’ouest du lac Albert
pourraient remonter au XVIe ou au XVIIe siècles. Les Héma sont divisés en de
nombreux clans disséminés au milieu des autres populations et nulle part, ils ne
forment un ensemble territorial homogène en raison de leur mode de vie pastoral
(Thiry, 2004). Submergés par les Lendu, ils ont subi une véritable épuration
ethnique et se sont largement regroupés autour des villes comme Kasenye et
Bunia ;
– les Héma étaient culturellement et politiquement tournés vers le royaume du
Bunyoro dans l’actuel Ouganda qui donnait l’investiture à leurs chefs ;
– les Bira ou Babira, 5,229 % de la population de l’Ituri. La limite territoriale
septentrionale de leur territoire est marquée par la rivière Ituri et ils sont divisés en
deux groupes, celui dit des « plaines » et celui dit des « forêts ». Ce sont des
agriculteurs constituant un sous-groupe de la grande ethnie bantuphone des
Bakumu vivant dans l’est de la RDC. Leur nom qui signifie littéralement « ceux qui
viennent de la forêt » leur a été donné par les pasteurs Héma. Alliés à ces derniers,
ils combattirent à leurs côtés pour refouler les Lendu, population nilotique
indigène31 ;
– les Kakwa représentent 4,06 % de la population ;
– les Ndo ou Okebo, petite ethnie de forgerons forment 2,85 % de la population de
l’Ituri ;
– les Nyari ou Banyari ou Nyali, 2,12 % de la population de l’Ituri, sont des
bantuphones ;
– les Lese ou Balese, population venue du Soudan forment 1,79 % de la population
de l’Ituri ;
– les Mabendi ou Babendi ou Bindi sont probablement une tribu séparée des Lendu.
Ils étaient 2 700 en 1949 et 7 760 en 1995, soit 0,44 % de la population ;
– les pygmées désignés localement sous le nom de Mambuti ou de Baenswa.

La question du Kivu32
Carte 173 avec cet encadré
La région dite du Kivu englobe le nord ouest du lac Tanganyika au sud et la région du
Masisi au nord du lac Kivu. Elle est frontalière de quatre pays, la Tanzanie, le
Burundi, le Rwanda et l’Ouganda.
En crise depuis le début des années 1990, le Kivu fut à l’origine des deux guerres du
Congo en 1996 et en 1998. Vide d’habitants la région est située en limite des
espaces surpeuplés du Rwanda et du Burundi, et ses fortes potentialités agricoles
face aux terroirs saturés de ces mêmes pays font qu’il en est l’exutoire naturel et
géopolitiquement inéluctable. De plus, le sous-sol de la région contient des minerais
rares, dont le coltan. Le Rwanda qui occupe directement ou indirectement la région,
est la plaque tournante du commerce illicite de ces métaux ainsi que des pierres
précieuses qui se fait à travers des sociétés écran et des coopératives minières qui
accordent le label « Rwanda » aux productions pillées en RDC.
Voilà pourquoi, au Kivu, depuis 1996, Kigali s’emploie à créer une situation de non-
retour débouchant sur une sorte d’autonomie régionale sous son contrôle.
Au mois de décembre 2007, les FARDC (Forces armées de la République
démocratique du Congo), ont été défaites par les combattants du CNDP (Congrès
national pour la défense du peuple) de Laurent Nkunda, le chef des Banyamulenge
ou Tutsi congolais.
Au mois de juin 2008 des combats éclatèrent entre l’armée nationale (FARDC), et les
miliciens hutu des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), tandis que
les milices du CNDP affrontaient à la fois ces dernières et les FARDC. Cette situation
posait d’insolubles problèmes au président Kabila qui se montrait incapable de
rétablir l’autorité de l’État alors que le Rwanda exigeait de lui le désarmement des
FDLR. Quant à la MONUC, elle semblait totalement dépassée par les évènements.
Au mois d’octobre 2008, les affrontements devinrent incessants et Laurent Nkunda
lança une offensive contre les FARDC. La progression des forces du CNDP se fit à la
fois en direction de Rutshuru et de Goma. Cette reprise officielle des hostilités
provoqua un nouveau drame humanitaire dans tout le nord Kivu et des centaines de
milliers de réfugiés furent à nouveau poussés sur les routes.
À la fin du mois d’octobre, le CNDP qui nomma un « gouverneur des territoires
libérés » semblait avoir pour but d’installer une administration autonome alliée à
Kigali dans la région du Nord-Kivu.
Aux termes d’un accord de paix signé le 23 mars 2009, la milice du CNDP intégra
l’armée nationale, les FARDC. Cependant, au mois de mars 2012, quand il fut
question de déployer les hommes du CNDP ailleurs qu’au Kivu, ces derniers se
mutinèrent et ils créèrent un mouvement nommé M23 en référence aux accords du
23 mars 2009 qu’ils accusaient Kinshasa de violer. Leur chef était le « général »
Bosco Ntaganda que la Cour pénale internationale (CPI) considérait comme un
criminel de guerre pour des massacres commis entre 1998 et 200333. Ce Tutsi
ancien de l’armée rwandaise fut ensuite rejoint par un autre Tutsi congolais, le
« colonel » Sultani Makenga.
Fort de près de 5 000 hommes bien entraînés et très largement aidés par le Rwanda,
le M23 surclassa les FARDC sous le regard aussi passif qu’impuissant des Casques
bleus de la Monusco34.

C. Le Rwanda (1961-1974)
Le 28 janvier 1961, au Ruanda, soutenus par la Belgique et par l’Église
catholique, les Hutu avaient proclamé la République et le 26 octobre 1961,
Grégoire Kayibanda, chef du Parmehutu, avait été élu Président de la
République. Le juillet 1962 le Rwanda était indépendant.

1. La première république (1961-1973)


La conquête du pouvoir par les Hutu avait à la fois entériné les rapports
ethniques du pays -80 % de Hutu et 20 % de Tutsi –, et masqué de
profondes oppositions entre Hutu du nord (les Bakiga) et Hutu du sud (les
Banyenduga)35. Or, durant toute la première République (1961-1973), les
Hutu du sud confisquèrent le pouvoir. Plus généralement, durant la
période 1963-1990, le clivage Hutu-Tutsi fut politiquement moins
important que celui opposant les Hutu entre eux.
Le 3 mai 1973, l’Assemblée nationale autorisa le président Kayibanda à
solliciter un quatrième mandat, ouvrant ainsi la voie à la présidence à vie,
ce qui indisposa les politiciens nordistes qui considéraient que les temps de
l’alternance régionale étaient venus. La Constitution du 24 novembre 1962
prévoyait en effet que le Président de la République puisse exercer au
maximum trois mandats successifs de quatre années.
Au début de l’année 1973, le gouvernement de Grégoire Kayibanda
comprit que sa position était devenue intenable et pour tenter de sortir de la
nasse dans laquelle il s’était lui-même enfermé il eut recours au bouc
émissaire tutsi. Afin de tenter de reconstituer l’unité des Hutu autour du
Parmehutu et du chef de l’État, les responsables rwandais lancèrent alors
une véritable « chasse aux Tutsi » qui débuta durant la première semaine du
mois de février 197336.
Ces persécutions provoquèrent un nombre difficile à déterminer de morts,
pas plus qu’il n’est possible de donner un chiffre sérieux du nombre
d’exilés. Il est en revanche certain que ces derniers appartenaient à la frange
la plus éduquée de la population. Leur départ eut donc deux conséquences :
il priva le Rwanda de cadres administratifs compétents dont le pays ne se
remit jamais ; à l’opposé, ces nouveaux réfugiés donnèrent à la diaspora
tutsi une partie de l’encadrement qui lui permit de conquérir le pouvoir en
1994.
Le déclenchement des pogroms anti-Tutsi ne sauva pas le régime. Dans
les semaines qui suivirent, un climat détestable gagna l’ensemble du
Rwanda et les responsables hutu du nord comprirent qu’ils allaient, à leur
tour, être victimes de persécutions. Le régime Kayibanda se référait en effet
au manifeste no 4 du MDR-Parmehutu qui prônait l’équilibre régional et
ethnique dans tous les secteurs publics et il chercha donc à limiter la
représentativité des nordistes dans la Garde nationale (armée) et la police37.
Devenu incohérent, le régime nomma comme ministre de la Défense
nationale le général-major Juvénal Habyarimana, un nordiste38, mais tout en
cherchant à se défaire de lui.

2. Le régime Habyarimana (1973-1994)


Un coup d’État eut lieu le 5 juillet 1973. Les putschistes, essentiellement
des officiers nordistes dirigés par le général Juvénal Habyarimana, s’étaient
regroupés dans un Comité pour la paix et l’unité nationale.
Ce coup d’État fut généralement accueilli avec soulagement. De fait le
général Habyarimana parlait de restauration de l’unité nationale, de
répudiation du régionalisme et de l’ethnisme, de retour à la morale
publique, etc. Dans un premier temps il se présenta presque comme le
successeur naturel des « pères fondateurs » de la Ire République, qualifiant
même le coup d’État du 5 juillet 1973 d’« héritier du mouvement de 1959 ».
Selon ses premières déclarations, son but était uniquement de restaurer
l’esprit de la révolution voulue par les « grands ancêtres » du Parmehutu,
mais en supprimant le régionalisme et le népotisme.
Au bout de quelques mois, son pouvoir étant assuré, le général
Habyarimana rompit avec la Ire République à l’occasion d’un procès devant
une cour martiale qui jugea l’ancien président Kayibanda et les dignitaires
de son régime. Huit peines de mort et des dizaines de peines de prison
furent alors prononcées. Le régime de Gitarama était rayé de la carte
politique, mais pas les haines qui allaient se réveiller à partir de 1991 lors
de l’instauration du multipartisme.
En 1975 fut créé le MRND (Mouvement révolutionnaire national pour le
développement), puis l’Assemblée nationale devint Conseil national pour le
développement (CND). En 1978 une nouvelle Constitution confirma
l’orientation présidentielle du régime.
Lors des élections présidentielles de 1983 et de 1988, le général
Habyarimana obtint plus de 99 % des voix, mais le climat politique se
détériorait tandis que les réfugiés tutsi réclamaient le droit au retour.
C’est en plusieurs vagues datant de 1959-1961, de 1963-1964 et de 1973
que les Tutsi s’étaient réfugiés au Burundi, au Congo Zaïre et en Ouganda39.
En 1969 et en 1981-1982, en Ouganda, le président Milton Obote déclencha
contre une campagne xénophobe contre ces réfugiés. En Ankole (ou Nkore)
province méridionale de l’Ouganda où ils étaient particulièrement
nombreux, les évènements prirent un tour racial. Ici, les Baïru majoritaires
et qui s’identifiaient aux Hutu se mirent à massacrer les Tutsi. Les
évènements qui avaient ensanglanté le Rwanda en 1959 semblaient se
reproduire, mais en Ouganda cette fois.
En 1988, les réfugiés tutsi exigèrent que Kigali reconnaisse leur droit au
retour (Guichaoua, 1992)40, ce qui fut accepté deux ans plus tard, le
31 juillet 1990, avec la signature d’un accord bilatéral Rwando-Ougandais
qui prévoyait le recensement de réfugiés afin de savoir s’ils souhaitaient
rentrer au Rwanda ou bien obtenir la nationalité ougandaise. Une autre
réunion était prévue à Kigali le 24 septembre 1990. Destinée à régler les
ultimes détails concernant cet accord, elle fut annulée au dernier moment en
raison de tensions apparues entre le Rwanda et l’Ouganda. Six jours plus
tard, le 1er octobre 1990, le FPR attaqua le Rwanda41 depuis ses bases
situées en Ouganda.
Bénéficiant de l’effet de surprise, l’APR (Armée patriotique rwandaise,
branche armée du FPR), eut initialement l’avantage, mais, dans les premiers
jours de l’offensive, le chef des assaillants, le « général » Fred Rwigema fut
tué. De plus, le 3 octobre dans l’après-midi, les hélicoptères Gazelle des
FAR contre-attaquèrent détruisant un convoi logistique de l’APR.
Manquant désormais de munitions et de carburant, les assaillants qui
avaient parié sur une victoire rapide et qui ne s’attendaient pas à devoir
faire face à une résistance pugnace piétinèrent dans la région de Gatsibo42.
À la fin du mois d’octobre 1990 l’incursion de l’APR était repoussée.
Militairement battu, le FPR remporta pourtant une importante victoire
politique puisque la France demanda au Président Habyarimana de négocier
avec lui, l’imposant donc dans le jeu politique rwandais. La Belgique, la
Grande Bretagne et les États-Unis exercèrent les mêmes pressions sur
Kigali.
En dépit de la guerre qui lui avait été déclarée, le président Habyarimana
accepta d’instaurer le multipartisme. Sortir d’une culture de parti unique en
plein conflit et dans un climat politique incertain comportait cependant bien
des risques. Le multipartisme fit ainsi apparaître au grand jour les fractures
de la société rwandaise, les opposants étant bien décidés à renverser le
régime.
Le 10 juin 1991, une nouvelle Constitution fut proclamée. Le 17 juin, la
loi sur le fonctionnement des partis politiques votée et au début du mois de
juillet, ces derniers furent officiellement reconnus. Un Gouvernement de
coalition fut constitué le 2 avril 1992 et le président Habyarimana nomma
un opposant hutu, Dismas Nsengiyaremye, Premier ministre désigné par le
MDR (Mouvement démocratique républicain).
En dépit de cette démocratisation en marche, au mois de juin 1992,
l’APR lança une puissante attaque dans la région de Byumba provoquant la
déroute des FAR. Afin d’éviter une prise de pouvoir par le FPR, le président
Mitterrand ordonna à l’armée française d’intervenir en soutien de l’armée
rwandaise. Le front fut aussitôt stabilisé et les négociations d’Arusha
débutèrent.

Huit mois plus tard, le 8 février 1993, soit un mois après la signature à
Arusha du protocole d’accord sur le partage du pouvoir, le FPR rompit le
cessez-le-feu en vigueur depuis le mois de juillet 1992 et il lança une
offensive militaire dans les régions de Byumba et de Ruhengeri. Les lignes
de défense des FAR furent enfoncées et le 20 février les assaillants étaient à
30 kilomètres au nord de Kigali.
Pour éviter un nouvel effondrement des FAR, Paris envoya un
détachement et le 9 mars, à Dar Es-Salam, craignant un engagement plus
direct de la France, le FPR signa un accord de cessez-le-feu, acceptant de se
retirer sur les positions qu’il occupait avant le 8 février et donc
d’abandonner ses gains territoriaux.

Les dernières phases des discussions d’Arusha débutèrent ensuite et elles


ouvrirent la voie à une transition démocratique que l’ONU devait garantir.
La Résolution 872 (1993) du Conseil de Sécurité du 5 octobre 1993 portait
ainsi création de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda
(MINUAR). Elle avait un mandat relevant du Chapitre VI de la Charte des
Nations unies qui proscrit le recours aux mesures de coercition pour
assumer ses responsabilités sur le terrain43.

Les accords d’Arusha


Les « Accords d’Arusha » dont le protocole final fut signé le 3 août 1993
bouleversèrent la situation politique rwandaise. Ils sont composés d’une série de
protocoles signés entre le 29 mars 1991 et le 3 août 1993 par le FPR et par le
président Habyarimana et qui furent élaborés à partir d’accords de cessez-le-feu
signés au Zaïre le 29 mars et le 16 septembre 1991, puis à Arusha le 12 juillet 1992.
Ils comportent tout d’abord un protocole relatif à la définition de l’État de droit (Arusha
le 18 août 1992). Deux protocoles concernent le partage du pouvoir dans le cadre
d’un Gouvernement de transition à base élargie (GTBE) (Arusha, le 30 octobre 1992
et le 9 janvier 1993). Ils prévoyaient que le futur Président de la République serait
membre du MRND (D) tandis que le futur Premier ministre appartiendrait au MDR.
Faustin Twagiramungu, pourtant exclu du MDR (Lugan : 2007b) s’auto-désigna et il
fut nommé… Un poste de vice-Premier ministre réservé au FPR était créé. Le GTBE
serait composé de cinq ministères MRND (D) dont ceux de la Défense et de la
Fonction publique, de cinq ministères FPR dont celui de l’Intérieur, de quatre
ministères MDR, de trois PSD, de trois PL et d’un PDC. Le GTBE, cœur de la
transition était nommé par les partis politiques participant au Gouvernement de
coalition installé le 16 avril 1992, plus le FPR. Le chef de l’État perdait donc
l’essentiel de ses attributions, ce qui constituait une véritable révolution politique.
Les Accords d’Arusha donnaient également naissance à une Assemblée nationale de
transition (ANT), composée de soixante-dix députés à raison de onze pour les cinq
principaux partis (MRND (D), MDR, FPR, PSD et PL), quatre pour le PDC et un siège
pour chacun des onze « petits partis ». Les nouvelles institutions devaient se mettre
en place le 10 septembre 1993 au plus tard. Quant à la durée de la période de
transition, elle devait être de 22 mois et s’achever par des élections au suffrage
universel qui allait ethno-mathématiquement donner le pouvoir aux Hutu.
Or, le FPR ayant compris que l’ethno-mathématique44 lui interdisait de remporter les
élections qui devaient mettre un terme à la transition et que sa seule force étant
militaire, il n’avait donc pas d’autre possibilité que la conquête du pouvoir par la force,
ce qui passait par une reprise unilatérale des hostilités (Lugan, 2006b).

Les accords d’Arusha ne purent être appliqués car deux des partis
politiques d’opposition, le MDR et le PL (Parti libéral) se divisèrent au
sujet des rapports qu’ils devaient entretenir avec le FPR. Le problème fut
alors de savoir quelles ailes de ces partis allaient désigner les députés à
l’ANT et les ministres au GTBE. Cette question entraîna d’incessantes
querelles et de multiples reports du processus de Transition.
Le 6 avril 1994, le président Juvénal Habyarimana du Rwanda se rendit à
Dar es Salam, en Tanzanie, pour y participer à un sommet régional
réunissant les présidents Ali Hassan Mwinyi de Tanzanie, Museveni
d’Ouganda, Cyprien Ntaryamira du Burundi et George Saitoti, vice
président du Kenya. Le président Mobutu du Zaïre se décommanda au
dernier moment (N’Gabanda-Nzambo, 2005)45. La réunion terminée, le chef
de l’État rwandais décida de rentrer dans son pays. Vers 20 h 30, alors qu’il
allait atterrir à Kigali, l’avion présidentiel fut abattu par deux missiles SAM
16 portant les références 04-87-04814 pour l’un et 04-87-04835 pour
l’autre. Fabriqués en URSS, ils faisaient partie d’un lot de 40 missiles SA
16 IGLA livrés à l’armée ougandaise quelques années auparavant
(Bruguière, 2006 : 38)46. Trouvèrent la mort dans cet acte de terrorisme
commis en temps de paix, deux chefs d’État en exercice, les présidents
Juvénal Habyarimana du Rwanda et Cyprien Ntaryamira du Burundi, ainsi
que deux ministre burundais, MM. Bernard Ciza et Cyriaque Simbizi.
Parmi les victimes se trouvaient également le Chef d’état-major des FAR
(Forces armées rwandaises), le général Deogratias Nsabimana, le major
Thaddée Bagaragaza, responsable de la maison militaire du président
rwandais, le colonel Elie Sagatwa, beau-frère du président Habyarimana et
chef de son cabinet militaire, ainsi que l’équipage français composé de MM
Jacky Héraud, Jean-Pierre Minoberry et Jean-Michel Perrine, tous trois
civils.
En quelques secondes le Rwanda se retrouvait sans chef de l’État et sans
chef d’état-major car le général Déogratias Nzabimana avait péri dans
l’attentat. Le ministre de la Défense, Augustin Bizimana, était en mission à
l’étranger, quant au ministre de l’Intérieur, Faustin Munyazeya qui faisait
lui aussi partie de la délégation du 6 avril à Dar es Salam, il n’avait pas pris
l’avion et il décida de ne pas rentrer au Rwanda.

3. Le génocide de 1994 et la prise de pouvoir par le FPR


Dans la nuit du 6 au 7 avril, les forces militaires du FPR rompirent le
cessez-le-feu et entamèrent la conquête du pays. Au bout de quelques jours,
l’armée rwandaise, paralysée par l’embargo sur les armes et les munitions
qu’elle subissait47, fut défaite48 et d’immenses tueries se déroulèrent alors
dans le pays, le génocide des Tutsi était doublé d’un massacre de masse des
Hutu par l’APR (Merelles, 2008).
Le 16 juin 1994, M. Alain Juppé, ministre français se prononça pour le
principe d’une opération humanitaire. Le 22 juin, le Conseil de sécurité de
l’ONU donna mandat à la France pour intervenir au Rwanda. Le 23,
l’Opération Turquoise49 débutait et le 5 juillet, l’armée française créait dans
le sud-ouest du Rwanda, une Zone humanitaire sûre cependant qu’au nord,
un flot ininterrompu de Hutu s’écoulait en territoire zaïrois où de
gigantesques camps surgirent de terre (Ntilikina, 2008).
Le bilan historiographique du génocide du Rwanda
(Lugan, 2014)
L’historiographie concernant le génocide du Rwanda a été bouleversée en profondeur
à partir de l’année 2000 en raison de la découverte ou de la mise en évidence de
sources historiques nouvelles. Les certitudes bétonnées par les terribles images des
massacres commencèrent à se fissurer quand, l’un après l’autre, trois transfuges tutsi
accusèrent directement le FPR (Front patriotique rwandais) et son chef, le général
Kagamé, d’être les commanditaires de l’attentat ayant provoqué la mort du président
Habyarimana, donnant force détails sur l’opération, dont les noms des membres du
commando ayant abattu l’avion50. Or, c’est ce meurtre qui provoqua les évènements
en chaîne qui aboutirent au génocide des Tutsi et au massacre de masse des Hutu.
Les commissions d’enquête de l’Assemblée nationale française (ETR, 1998) et du
Sénat de Belgique, les ordonnances du juge Bruguière (2006), les dizaines de milliers
de pages des procès-verbaux des audiences devant le TPIR, les centaines
d’auditions de témoins, les innombrables pièces ajoutées en preuve ou en contre
preuve, les rapports d’expertise devant le TPIR (Lugan, 2006b, 2007b, 2007c, 2007d,
2008, 2014)) et enfin le rapport de l’Audience nationale espagnole signé par le juge
Merelles (2008), permettent de soutenir que ce qui a été écrit auparavant au sujet du
génocide rwandais est désormais scientifiquement dépassé.
Par rapport à ce que l’on croyait au lendemain de l’assassinat du président
Habyarimana, que savons-nous de nouveau aujourd’hui51 ?
– L’attentat du 6 avril 1994 qui a coûté la vie au président Habyarimana du Rwanda
n’a pas été commis par des Hutu dits « extrémistes ».
– Entre 1991 et 1994, plusieurs responsables hutu dits « modérés », notamment MM
Félicien Gatabazi et Emmanuel Gapyisi furent assassinés, ce qui, à l’époque, avait
provoqué la condamnation et la mise au ban du régime Habyarimana accusé d’avoir
commandité ces crimes. Or, ces meurtres auraient été ordonnés par le FPR. Les
enquêtes du juge français Bruguière (2006) et du juge espagnol Merelles (2008)
donnent les noms des tireurs, des conducteurs des véhicules ou des motos ayant
servi aux attentats, etc..
– En 1991 et en 1992, des dizaines d’attentats aveugles (mines, grenades, etc.)
provoquèrent l’exacerbation de la haine ethnique. Sur le moment, ils furent attribués
aux hommes de main du président Habyarimana, les fameux « escadrons de la
mort ». Les juges Bruguière et Merelles soutiennent que ces attentats ont été
commis par des membres du FPR (Bruguière, 2006 ; Merelles 2008) et qu’ils
entraient dans le cadre d’une stratégie de tension destinée à provoquer le chaos
permettant une conquête du pouvoir (Guichaoua et Smith, 2006).
– Le FPR a bénéficié du soutien d’un réseau international totalement acquis à sa
cause et que Pierre Péan (2005) désigna sous le nom de « Blancs menteurs52 ».
– Les Interahamwe dont le nom est associé au génocide des Tutsi furent crées par un
Tutsi devenu plus tard ministre dans le gouvernement tutsi du général Kagamé. Le
chef de cette milice à Kigali était lui-même Tutsi ainsi que nombre d’infiltrés au sein
de la milice dont nous connaissons parfois les noms et jusqu’aux pseudonymes
(Lugan, 2007a : 56,149 ; Bruguière, 2006 ; Merelles, 2008). Leur mission était
double : provoquer le chaos afin de créer l’irréversible et discréditer les Hutu aux
yeux de l’opinion internationale.
– Procès après procès, en dépit de tous ses efforts, l’Accusation devant le TPIR n’a
pas été en mesure de démontrer que le génocide fut programmé, même s’il a bien
eu lieu.
– Le génocide a causé la mort de 1 100 000 personnes selon les chiffres officiels
donnés par l’actuel régime rwandais. En 1994, la population du Rwanda était d’un
peu plus de 7 millions d’habitants dont entre 12 à 14 % de Tutsi, soit environ
800 000 personnes. 70 à 75 % de tous les Tutsi vivant au Rwanda auraient été
tués, soit entre 500 000 et 600 000 personnes, ce qui ferait que la moitié des
1 100 000 victimes seraient des Hutu, la réalité étant que des Hutu, certains Hutu,
ont massivement tué des Tutsi, et que des Tutsi, certains Tutsi, ont non moins
massivement tué des Hutu. Or, seuls des Hutu ont été jugés puisque le TPIR a
constamment refusé poursuivre les Tutsi, à commencer par les commanditaires et
les exécutants connus des divers crimes et attentats dont il a été fait état plus haut.
– Les militaires hutu dits « extrémistes » n’ont pas fait un coup d’État dans la nuit du 6
au 7 avril 1994. Ils ont au contraire tout fait pour sauvegarder la légalité
constitutionnelle et ont, de plus, permis la constitution d’un gouvernement civil mis
en place dès le 10 avril (Lugan, 2007a : 79-82,164-189). Il s’agit là d’un cas unique
en Afrique. Cette obsession légaliste a d’ailleurs eu de funestes conséquences.
N’aurait-il pas mieux valu en effet que, face au vide politique et à la situation de
chaos provoqués par l’assassinat du président Habyarimana, les militaires prissent
provisoirement le pouvoir afin de rétablir l’ordre ? Ils ont jugé que la continuité de la
légalité institutionnelle passait avant le rétablissement de l’ordre. Peut-être ont-ils eu
tort, mais le comble est de les accuser d’avoir voulu faire un coup d’État.
– Contrairement à ce qu’a cherché à faire croire Kigali qui réagissait ainsi aux
ordonnances du juge Bruguière, la France et l’armée française ne sont en rien
impliquées dans ce génocide qui débuta en avril 1994, alors que les dernières
troupes françaises avaient quitté le Rwanda en décembre 1993 et à la demande
expresse du FPR tutsi qui en avait fait un préalable non négociable de la poursuite
du processus de paix.

Ayant conquis le pouvoir, le général Kagamé reconstitua l’appareil d’État


et le 19 juillet 1994, Pasteur Bizimungu (Hutu) fut désigné comme
Président de la République et Faustin Twagiramungu (Hutu) comme
Premier ministre. Le général Kagamé se réservait le ministère de la Défense
tout en devenant vice Président de la République. Le Rwanda entamait une
période de transition d’une dizaine d’années. Quelques mois plus tard,
Faustin Twagiramungu s’exilait, refusant le rôle de faire-valoir dans lequel
le FPR voulait le cantonner et en 2002, l’ancien président de la République,
Pasteur Bizimungu fut envoyé en prison pour « divisionnisme ethnique53 ».
Le 25 août 2003, près de dix après le drame de 1994, les quatre millions
d’électeurs rwandais se rendirent aux urnes pour élire leur président de la
République et cela, afin de mettre un terme à la « période de transition »
ayant débuté durant l’été 1994. Elles furent remportées par Paul Kagamé
qui se présentait sous l’étiquette du FPR (Front patriotique rwandais) et qui
obtint plus de 94 % des voix. En face de lui, tous les autres candidats, dont
l’ancien Premier ministre Faustin Twagiramungu étaient tous Hutu, mais il
leur avait été interdit de faire état de leur appartenance ethnique. Quant aux
élections législatives, elles se déroulèrent du 29 septembre au 2 octobre
2003 et virent également le triomphe du parti du Président.
Sans cesse réélu depuis cette date, le régime rwandais ne fut
véritablement contesté que par ses dissidents, le principal d’entre eux étant
le général Kayumba Nyamwasa, qui s’était réfugié en Afrique du Sud.

La liquidation des opposants rwandais


Ancien chef d’état-major de l’APR (Armée patriotique rwandaise), le général
Nyamwasa a fait l’objet de deux tentatives d’assassinat de la part des services
rwandais. Quant à son adjoint, le colonel Patrick Karegeya, l’ancien chef des
renseignements extérieurs de Paul Kagamé entre 1994 et 2004, il a été étranglé dans
sa chambre d’hôtel de Johannesburg après avoir accusé de la façon la plus claire le
président Kagamé d’être le responsable de l’attentat du 6 avril 1994 qui coûta la vie
au président Habyarimana. Patrick Karegeya avait même affirmé au micro de France
Info qu’il était en mesure de prouver d’où les missiles avaient été tirés. Quant au
général Nyamwasa, le jeudi 21 juin 2012, devant la justice sud-africaine, il déclara
sous serment que Paul Kagamé « a ordonné le meurtre du président Habyarimana »,
confirmant ainsi les termes de l’ordonnance du juge Bruguière accusant l’actuel chef
de l’État rwandais d’être à l’origine de l’attentat déclencheur du génocide du Rwanda.
À la suite de l’assassinat du colonel Karegeya, les autorités sud-africaines
expulsèrent plusieurs diplomates rwandais qu’elles accusaient d’avoir partie liée à ce
meurtre et le 10 septembre 2014, la justice sud-africaine condamna quatre hommes à
huit ans de prison chacun pour tentative d’assassinat sur le général Nyamwaza. Dans
le jugement, il est écrit que cette tentative d’assassinat politique avait été ourdie au
Rwanda.
Quant à Emile Gafirita qui, selon ses dires, aurait été l’un des membres du
commando de l’armée de Paul Kagamé qui, depuis la frontière de l’Ouganda jusqu’à
Kigali, aurait transporté les deux missiles qui, le 6 avril 1994, abattirent l’avion du
président Habyarimana, il fut enlevé le 13 novembre 2014 à Nairobi. Il devait
s’envoler le lendemain pour la France afin d’y être auditionné par les juges anti-
terroristes Trévidic et Poux qui enquêtaient sur l’assassinat de Juvénal Habyarimana,
le président du Rwanda. Il n’a pas réapparu depuis.
Émile Gafirita avait demandé à être entendu sous X avec le statut de « témoin
protégé », ce qui ne lui fut pas accordé par la justice française. Lui qui vivait
clandestinement depuis quelques semaines à Nairobi sous un nom d’emprunt fut
donc laissé seul et sans protection dans une ville où, en 1996 et en 1998, avaient
déjà été assassinés le colonel Théoneste Lizinde et Seth Sendashonga, deux très
hauts responsables rwandais ayant fait défection. En privé, le premier prétendait
avoir indiqué la ferme de Masaka comme le lieu le plus propice pour commettre
l’attentat du 6 avril 1994 ; quant au second, ancien ministre de l’Intérieur, il détenait
également bien des secrets sur les événements du mois d’avril 1994.

D. Le Burundi
Au Burundi comme au Rwanda, à la veille de l’indépendance, le pays
était une monarchie dominée par les Tutsi (± 20 % pour ± 80 % de Hutu).
Mais, alors qu’au Rwanda, l’Église catholique et la Tutelle belge
favorisèrent la révolution hutu, au Burundi, elles soutinrent en quelque sorte
le statu quo. Voilà pourquoi, à la différence du Rwanda, l’indépendance du
Burundi se fit sans heurts majeurs.

1. Tutsi du sud contre Tutsi du nord


Lors des élections législatives du 18 septembre 1961, l’UPRONA (Union
pour le Progrès national), dirigée par le prince Louis Rwagasore, fils du
Mwami Mwambutsa, avait remporté 58 des 64 sièges à l’assemblée
nationale et Louis Rwagasore était devenu Premier ministre. Le 13 octobre
1961, il avait été assassiné à la suite d’un complot ourdi par une faction
tutsi. L’UPRONA se divisa alors en deux courants ethniques car deux
personnalités considéraient qu’elles pouvaient revendiquer la succession
politique du prince à savoir, André Muhirwa, ministre de l’Intérieur, Tutsi
gendre du Mwami et Paul Mirerekano, Hutu. Ce dernier qui avait été le
principal fondateur de l’Uprona avec le prince Rwagasore avait été l’âme de
l’« accord de Kavumu » qui fondait une nouvelle légitimité nationale par
l’alliance du prince tutsi et des masses hutu.
Le Mwami nomma André Muhirwa comme Premier ministre, mais le
10 avril 1964, un nouveau gouvernement fut formé par un autre Tutsi, Albin
Nyamoya. Le 7 janvier 1965, le Mwami Mwambutsa lui retira sa confiance
et il chargea un Hutu, Pierre Ngandandumwa, de former un gouvernement
d’union nationale. Le 15 janvier 1965, le jour de sa constitution, Pierre
Ngendandumwa fut assassiné par des membres tutsi de la Jeunesse
Rwagasore mouvement dépendant de l’UPRONA. Pour le remplacer, le
Mwami nomma un autre Hutu, Joseph Bamina, comme Premier ministre,
mais le 3 mars, le Mwami Mwambutsa décida de dissoudre l’Assemblée
législative et d’organiser de nouvelles élections. L’UPRONA conserva la
majorité à l’assemblée, mais la moitié de ses élus étaient des Hutu. Avec les
élus des autres partis, les Hutu comptaient désormais 22 députés sur 33.
Le climat politique devint ensuite détestable. Au mois de juillet, le
Mwami refusa l’investiture de la nouvelle assemblée et abolit la
Constitution et le 27 juillet, il annonça le retour à un pouvoir traditionnel.
Le 29 septembre, il nomma le Tutsi Léopold Bihamugani comme Premier
ministre alors que ce dernier n’était membre d’aucun des partis ayant
remporté les élections.
Dans la nuit du 18 au 19 octobre, un groupe de mutins (gendarmes et
militaires) tenta d’assassiner le Mwami. Le 19 novembre 1965, la plupart
des parlementaires hutu, dont Paul Mirerekano furent arrêtés et exécutés
sans jugement (Niyonzima, sl nd). Quant au Mwami Mwambutsa, il prit
l’avion pour Bruxelles54.
Le prince héritier Charles Ndizeye qui suivait des études en Europe
rentra à Bujumbura au mois de mars 1966. Le 8 juillet 1966, il déposa son
père. Le 3 septembre, il fut proclamé Mwami sous le nom de Ntare V, mais
le 28 novembre, le capitaine Micombero, un Hima (Tutsi du sud) prit le
pouvoir et instaura un régime républicain.
Au mois de décembre 1969, des militaires hutu tentèrent à leur tour un
coup d’État, mais ils échouèrent et ils furent condamnés à mort. L’épuration
ethnique de l’armée commença alors.
Le 29 avril 1972, l’ex-Mwami, Ntare V fut assassiné par un officier
hima, le capitaine Ntabiraho, et un violent soulèvement se produisit dans le
sud du Burundi quand des milliers de Hutu réfugiés en Tanzanie tentèrent
d’investir les régions limitrophes du Bututsi, fief des Hima. Au prix de
terribles représailles la fraction tutsi de l’armée rétablit l’ordre. Au moins
200 000 Hutu furent alors massacrés, tandis que plusieurs centaines de
milliers d’autres se réfugiaient dans les pays voisins (Tanzanie, Rwanda,
Zaïre.).
Le 1er novembre 1976, le colonel Jean-Baptiste Bagaza, chef d’état-major
adjoint, cousin du colonel Micombero et originaire comme lui de la région
du Bututsi, s’empara du pouvoir et fonda la seconde République durant
laquelle les Hutu s’organisèrent dans plusieurs mouvements de libération,
dont le Palipehutu (Parti de la libération du Peuple hutu.) En 1986 fut
fondé le Frodebu (Front pour la démocratie au Burundi) qui déclencha des
actions violentes.
Le 3 août 1987, pour sortir de l’impasse politique dans laquelle ils
s’étaient enfermés, les Hima renversèrent le régime Bagaza et ils mirent un
autre des leurs à la tête de l’État en la personne du major Pierre Buyoya. Ce
natif de Rutovu au Bututsi qui était un cousin du colonel Bagaza fonda la
IIIe République.
Le 15 août 1988, les mouvements hutu passèrent à l’action dans les
communes limitrophes du Rwanda et notamment à Ntega et à Marangara,
où ils exterminèrent des milliers de Tutsi, entraînant de féroces représailles
militaires. Le colonel Buyoya lança malgré tout un processus démocratique
qui débuta en 1989-1990 avec l’entrée de ministres hutu au gouvernement.
Il nomma ensuite un Premier ministre hutu et un autre Hutu fut placé à la
tête de l’Uprona, l’ancien parti tutsi. Des Tutsi commencèrent alors à
comploter contre leur président qu’ils accusèrent de trahison.
De nouveaux massacres de Tutsi eurent lieu à Bujumbura et dans le nord-
ouest du Burundi au mois d’octobre 1991, mais ils ne s’étendirent pas au
reste du pays.

2. Le multipartisme et le chaos
En 1992, le multipartisme fut réintroduit et, lors des présidentielles du
1 juin 1993 le Hutu Melchior Ndadaye du Frodebu fut élu avec 64 % des
er

voix face à Pierre Buyoya. Lors des législatives du 30 juin 1993, le Frodebu
obtint 73 % des suffrages contre 20 % pour l’Uprona. Le 10 juillet, Sylvie
Kinigi devint Premier ministre. Après leur victoire, les nouvelles autorités
hutu décidèrent de prendre le contrôle de l’administration et elles
organisèrent le retour des réfugiés sur lesquels elles comptaient pour
neutraliser l’armée hima-tutsi.
Le climat politico-ethnique se dégrada, aggravé par une sécheresse
exceptionnelle qui laissait craindre une famine. Dans la nuit du 20 au
21 octobre 1993, une fraction de l’armée tutsi assassina le président
Ndadaye ainsi que six de ses ministres. Les Hutu réagirent et déclenchèrent
de vastes tueries. Les Tutsi, hommes, femmes et enfants vivant dans 35
communes du nord et du centre du pays furent quasiment éliminés. Comme
en 1972, l’armée à dominante tutsi engagea une très dure répression qui fit
entre cent mille et trois cent mille victimes selon les sources et près
d’un million de réfugiés. Le chaos fut alors le plus total.
Le 14 janvier, alors que Bujumbura était en proie à de violents incidents,
Cyprien Ntayamira du Frodebu fut élu président de la République et Sylvie
Kinigi maintenue comme Premier ministre jusqu’au 11 février, date de la
nomination à la Primature d’un membre de l’Uprona, Anatole Kanyenkiko
qui devait constituer un gouvernement d’Union nationale.
Le 6 avril 1994, comme nous l’avons vu p…, l’avion qui transportait le
président du Rwanda, le général Habyarimana et le nouveau président du
Burundi, Cyprien Ntaryamira fut abattu par un missile alors qu’il se posait à
Kigali, la capitale du Rwanda.
Le 10 septembre, les partis tutsi et hutu s’entendirent et une « convention
de gouvernement » partagea théoriquement le pouvoir. Un nouveau
président fut désigné par consensus en la personne de Sylvestre
Ntibantunganya, Hutu, tandis que le Tutsi, Antoine Nduwayo, était nommé
Premier ministre. Mais les Hutu radicaux qui, sous la direction du ministre
de l’intérieur Léonard Nyangoma avaient créé le CNDD (Conseil national
pour la défense de la démocratie), et dont la branche armée était les FDD
(Forces pour la défense de la démocratie), refusèrent cet accord. La guerre
civile fit alors rage et l’anarchie devint totale sur fond de massacres
interethniques.
Au mois de juin 1996, un sommet régional se tint à Arusha, en Tanzanie,
sous l’égide de l’ancien président tanzanien Julius Nyerere. Une
intervention militaire fut proposée afin de séparer les belligérants, mais au
Burundi, les évènements s’accélérèrent. Le 23 juillet 1996, après avoir été
pris à partie par des Tutsi lors des obsèques de 330 femmes et enfants qui
venaient d’être massacrés, le président Sylvestre Ntibantunganya se réfugia
à l’ambassade des États-Unis. Le 25 juillet, le Premier ministre tutsi
démissionna, donnant ainsi le coup de grâce à la « convention de
gouvernement » qui avait été signée en septembre 1994. Le jour même,
l’armée réinstalla au pouvoir Pierre Buyoya qui avait été président de 1987
à 1993 et qui avait entamé le processus démocratique. Cette prise de
pouvoir fut dénoncée par la communauté internationale et les pays voisins
isolèrent le Burundi qu’ils soumirent à un blocus, achevant ainsi de le
ruiner55.
À l’automne 1996, le rapport de force régional bascula au profit des Tutsi
avec la triple offensive menée par les armées de l’Ouganda, du Rwanda et
du Burundi dans la région du Kivu, puis dans tout le Zaïre, renversant le
régime Mobutu, allié des Hutu. C’est ainsi que l’armée burundaise, aidée
par les Banyamulenge, Tutsi vivant sur les hauteurs dominant la rive
congolaise du lac Tanganyika vida les camps de réfugiés hutu qui servaient
de bases pour les hommes du FDD menant la guerre au Burundi.
Au mois d’août 1998, le processus de paix se remit en marche et le
21 février 2000 la médiation de Nelson Mandela donna une nouvelle
impulsion aux tentatives de règlement. Le 28 août un accord de paix
parrainé par le président Bill Clinton et par Nelson Mandela fut signé à
Arusha. La transition devait se faire en plusieurs étapes durant trente mois ;
le pouvoir serait partagé et la rébellion serait intégrée dans l’armée qui
deviendrait à 50 % Hutu et à 50 % Tutsi.
Cependant, cet accord devant mettre un terme à sept années de guerre
civile était bien fragile. Si treize des dix-neuf parties impliquées dans le
conflit l’avaient paraphé, six organisations tutsi avaient refusé de le signer ;
quant aux principaux mouvements de guérilla hutu (FDD et FNL-Front
national de libération) qui n’avaient pas participé aux négociations, ils
annoncèrent qu’ils n’avaient pas l’intention de mettre un terme à la lutte
armée.
Au mois d’octobre 2000, de très violents combats se déroulèrent dans les
faubourgs de Bujumbura. Puis, en février et en mars 2001, une très forte
offensive de la guérilla hutu fut lancée contre les quartiers nord de la ville.
Entre les mois d’avril et de juillet 2001, l’anarchie sembla l’emporter avec
plusieurs tentatives de putsch tutsi et une longue série de massacres dans les
deux camps. Puis, le 23 juillet, à Arusha, fut entérinée la phase finale des
négociations entre Pierre Buyoya et Domitien Ndayizeye, secrétaire général
du Frodebu. Une période transitoire de 18 mois fut prévue, les deux
signataires devenant respectivement président et vice-président avec un
mandat précis qui était d’organiser l’intégration des rebelles hutu dans
l’armée, le déploiement d’une force de paix internationale et l’instauration
de la démocratie.
Mais au lieu d’apaiser la situation, ces accords amplifièrent encore les
tensions. Au mois d’août 2001, les radicaux tutsi se regroupèrent au sein du
MRC (Mouvement national de résistance pour la réhabilitation du citoyen).
Le gouvernement fit arrêter les responsables du PARENA (Parti pour le
redressement national), l’une des composantes extrémistes tutsi et parti de
l’ancien président Jean-Baptiste Bagaza qui était en garde à vue à
Bujumbura depuis son retour d’exil en Ouganda.
Le 3 décembre 2002, à Pretoria, un accord de cessez-le-feu fut signé
entre le gouvernement et les responsables de plusieurs mouvements hutu, à
savoir Pierre Nkurunziza du CNDD-FDD (Forces pour la défense de la
démocratie), Jean Bosco Ndayikengunukiye du CNDFD (Conseil national
de défense des Forces démocratiques) et Alain Mugabarabona du Fln-
Palipehutu, dissidence du Palipehutu. Mais cet accord ne fut jamais effectif,
les deux camps s’accusant mutuellement de le violer. De plus, le FNL ne
l’avait pas signé.
Le 25 janvier 2003, de nouvelles négociations débutèrent à Pretoria entre
le président Buyoya et divers responsables hutu. Le 27 janvier 2003, un
communiqué commun des deux parties fut rendu public afin de finaliser
l’accord du 3 décembre 2002, mais la guerre ne ralentit pas pour autant,
notamment à la suite des actions du FDD. Au mois de février 2003, le FNL
d’Agathon Rwasa refusa l’appel du Conseil de sécurité de l’ONU
demandant de négocier avec le président Buyoya et le 21 février 2003,
Pierre Nkurunziza chef du FDD annonça que son mouvement suspendait les
négociations.
Néanmoins, conformèment à l’accord du 3 décembre 2002, le 30 avril
2003, le président Buyoya remit le pouvoir à Domitien Ndayizeye, un Hutu,
qui était jusque-là le vice-président.
Le 7 juillet 2003, les CNDD-FDD (Conseil National pour la Défense de
la Démocratie-Forces pour la Défense de la démocratie), alliées au
Palipehutu-FNL (Parti, pour la libération du peuple hutu-Forces de
libération nationale) lancèrent une attaque sur Bujumbura et des dizaines
de milliers d’habitants s’enfuirent. Le 15 novembre 2003 un accord de paix
(protocole de Pretoria) fut cependant signé entre le président Ndayizeye et
le CNDD-FDD de Pierre Nkunrunziza qui obtint quatre ministères dans le
nouveau gouvernement.
Aux élections communales du 5 juin 2005, le CNDD-FDD recueillit
62,9 % des voix contre 20,5 % pour le Frodebu et 5,3 % pour l’Uprona. Le
4 juillet et le 29 juillet, le CNDD-FDD remporta également les élections
législatives et sénatoriales ; le 19 août, Pierre Nkunrunziza fut élu président
de la République et investi le 26.
Le 7 septembre 2006 un accord de cessez-le-feu fut signé à Dar es
Salaam, en Tanzanie, entre le gouvernement et les FNL (Forces de
libération nationale). La longue guerre civile (1993-2006) n’était pas
terminée pour autant. Les FNL n’avaient en effet accepté ce quasi acte de
reddition que parce que le contexte leur était alors très défavorable, mais
tout en étant bien décidées à reprendre les hostilités à la première occasion.
3. Le réveil des vieux démons
Des dissensions se produisirent ensuite au sein du parti au pouvoir, le
CNDD-FDD qui connut même une scission après le limogeage au mois de
février 2007 de son président, Hussein Radjabula qui fut ensuite mis en
prison. Le gouvernernement n’ayant plus de majorité au parlement, le
Frodebu et l’Uprona furent en force pour paralyser son action. À la fin du
mois de juin 2007, en conformité avec la Constitution, un nouveau
gouvernement fut nommé, mais le Frodebu et l’Uprona en contestèrent la
légalité car ses membres avaient été nommés directement par le Président
sans avoir été désignés par les partis.
Au mois de juillet 2007, les délégués des FNL présents à Bujumbura
reprirent le maquis, refusant de poursuivre les négociations car les
modalités de leur intégration dans l’armée nationale n’avaient pas connu
d’avancées, de même que la délicate question de l’immunité pour les chefs
du mouvement accusés de crimes de guerre. Le 17 avril puis le 7 mai 2008,
les FNL lancèrent une offensive dans la commune de Kabezi, à 20
kilomètres de la capitale Bujumbura, puis à moins de 10 kilomètres du
centre-ville. L’armée burundaise (FDN Forces de défense nationale)
repoussa ces attaques, mais le FNL qui fédérait les mécontents exigeait un
partage total du pouvoir comme préalable à une application de l’accord de
cessez-le-feu signé en 2006.
Après la longue guerre ethnique qui opposa les Tutsi (15 % de la
population), aux Hutu (85 %). Dans ce pays tout juste sorti de terribles
épreuves, éclata au printemps 2015 une crise politique initialement interne
aux Hutu, mais qui prit ensuite une dimension ethnique.
Le feu fut mis aux poudres en 2015 quand le président Pierre Nkurunziza
brigua un troisième mandat présidentiel, décision qui ulcéra les oppositions.
À partir de ce moment, le Burundi bascula de nouveau dans la violence.
Le 21 juillet, Pierre Nkurunziza fut élu avec 69,41 % des voix face à
Agathon Rwasa et les violences redoublèrent.
E. L’Est africain : Kenya, Ouganda et Tanzanie
Une fois la révolte des Mau-Mau écrasée, le Kenya avait retrouvé la paix.
Puis, au début de l’année 2008, le pays a connu de sanglants affrontements
ethniques s’expliquant par les rapports complexes que les Kikuyu et leurs
voisins nilotiques entretiennent depuis des siècles et qui furent amplifiés par
le multipartisme et la démocratisation56.
De son côté, l’Ouganda constitué par l’assemblage de quatre royaumes
ayant leur histoire et leurs définitions ethniques (le Buganda, le Bunyoro, le
Toro et l’Ankole), auquel avaient été ajoutés des territoires septentrionaux
peuplés par des Nilotiques dont l’organisation était la chefferie (Prunier et
Calas, 1994) semblait solidement armé grâce à son système fédéral. Quant à
la Tanzanie, son évolution fut particulière. À la fin de l’année 1919 la
Société des Nations (SDN) avait en effet confié en Mandat l’ancienne
Deutsch Ostafrika (moins le Ruanda et l’Urundi) à la Grande-Bretagne qui
en avait fait le Tanganyika Territory. En 1946, l’ONU qui avait succédé à
l’assemblée de Genève, avait confirmé l’autorité britannique qui s’exerça
dès lors sous forme de Tutelle.
En 1961, le Tanganyika accéda à l’autonomie avant de fusionner en 1963
avec l’île de Zanzibar, Protectorat britannique depuis 1890, pour donner
naissance à la Tanzanie le 26 avril 1963. De l’union naquit un nouvel État,
la Tanzanie, dont le nom résultait de la contraction de Tanganyika et de
Zanzibar57. De sanglantes émeutes raciales ensanglantèrent alors l’île, la
composante « noire » de sa population ayant entrepris d’exterminer les
descendants des « Arabes blancs » qui avaient jadis réduit leurs ancêtres en
esclavage. L’île connut alors des journées effroyables.

1. Le Kenya et la domination des Kikuyu

Les 53 millions (estimation de 2019) de Kenyans58 se répartissent en une


cinquantaine de tribus appartenant à trois grands ensembles ethno-linguistiques :
bantuphone (± 60 % de la population), nilotique (± 30 %) et couchitique (moins de
10 %). Les principales tribus bantuphones sont les Kikuyu (20,7 %), les Luhya
(14,3 %), les Kamba (11,4 %), les Kisii (± 5,5 %) et les Meru (± 4,5 %). Les
principales tribus nilotiques sont les Luo59 (12,3 %), les Kalenjin (11,4 %)60 et les
Massai (± 2 %). Quant aux Couchitiques, leurs principaux représentants sont les
Somali et apparentés (± 2 %) et les Rendille et apparentés (± 1,5 %).
Le centre du Kenya, région des hautes terres, les Highlands, est peuplé par les
populations bantuphones. Du sud-est au nord-ouest, nous trouvons ainsi les Kamba,
les Kikuyu et leurs parents Embu, Mbere, Ndia et Kichugu (ces deux dernières tribus
étant même considérées comme Kikuyu), ainsi que les Meru composés de plusieurs
tribus qui n’étaient pas unifiées au moment de la conquête coloniale61.

Le 12 décembre 1963, l’indépendance du Kenya se fit au profit des


Kikuyu et de leurs alliés luo. Le premier gouvernement de Jomo Kenyatta
refléta la domination des Kikuyu et plus généralement celle des
bantuphones puisque, sur 14 ministres, 8 étaient bantuphones, à savoir cinq
Kikuyu, un Meru, un Luhya et un Kamba. Les quatre nilotiques étaient tous
Luo et les deux ministres restants étaient, l’un côtier et l’autre Britannique.
Conscients du rapport de force ethno-politique qui leur était défavorable, les
leaders fédéralistes qui avaient fondé la KADU adhérèrent alors à la KANU
afin d’être en mesure de peser sur les évènements.
En 1966, la coalition entre Kikuyu et Luo éclata quand Jaramogi Oginga
Odinga démissionna de son poste de vice-président de la KANU pour
fonder la KPU (Kenya People’s Union), parti ethnique luo. Ayant perdu ses
partenaires luo, le président Kenyatta se tourna alors vers les tribus
nilotiques de la vallée du Rift et il nomma Daniel Arap Moi, un Kalenjin,
vice-président de la Kanu. Cette promotion fut très mal ressentie, à la fois
par ceux des Kikuyu qui n’oubliaient pas que les Kalenjin avaient soutenu
l’administration britannique durant la révolte des Mau-Mau, et par
l’opposition régionaliste kikuyu à Jomo Kenyatta.
Le 5 juillet 1969, Tom Mboya, le ministre luo du Plan fut assassiné par
un Kikuyu, ce qui déclencha la fureur des Luo et des émeutes éclatèrent
alors. En réaction, le KPU fut interdit et la KANU devint le parti unique,
mais un parti bien différent de ce qu’il était à l’origine. Les Luo l’avaient en
effet quitté, alors que les représentants des petites ethnies nilotiques
l’avaient au contraire rejoint.
À partir de 1970, le pouvoir renforça le poids des Kikuyu dans l’armée
jusque-là essentiellement Kamba et Kalenjin, puis fut créé le GSU (General
Service Unit) qui était une milice para-militaire kikuyu indépendante à la
fois de la police et de l’armée.
Au mois de septembre 1974, Jomo Kenyatta fut réélu Président de la
République pour un troisième mandat. Sentant cependant que la fin de
règne était proche et craignant de voir un Kalenjin lui succéder, une alliance
entre les Kikuyu du nord et leurs cousins Embu et Meru tenta de chasser
Daniel Arap Moi de la vice-présidence de la Kanu. La manoeuvre échoua
car les Kamba et les Kisii ne se joignirent pas au mouvement. Le bloc
bantuphone connaissait donc des fissures62.
À la mort de Jomo Kenyatta, le 22 août 1978, c’est le vice-président du
parti unique, Daniel Arap Moi, qui lui succéda. Le 12 septembre 1978, il fut
élu président de la République et le 6 octobre président de la KANU. Dans
l’immédiat, son arrivée au pouvoir fut considérée par les Kikuyu et par les
Luo comme une simple transition, mais le nouveau président eut une
longévité politique inattendue puisqu’il réussit à se maintenir au pouvoir
jusqu’en 2002.
Au mois d’août 1982, un coup d’État déclenché au nom d’un
fantomatique Conseil de Rédemption national fut mené par de jeunes
officiers kikuyu appartenant à l’armée de l’air. Son échec permit au
président de renforcer son pouvoir en faisant voter l’Amendement 2A de la
Constitution interdisant tout parti autre que la KANU.
À la fin de l’année 1991 les bailleurs de fonds internationaux imposèrent
le multipartisme en dépit des mises en garde du président Arap Moi qui
avait prévenu que cette introduction allait provoquer des polarisations
ethniques. Cette même année, Jaramogi Oginga Odinga fonda le principal
parti d’opposition, le FORD (Forum pour le Restauration de la
Démocratie). Au mois de décembre 1992, le FORD éclata en deux factions
ethniques :
– le FORD-K (Ford-Kenya), émanation des Luo et des Luhya, avec à sa
tête Jaramogi Oginga Odinga ;
– le FORD-A (Ford Asili ou authentique) composé d’une partie des
Kikuyu et dont le leader était le Kikuyu Kenneth Matiba ;
Les autres Kikuyu et apparentés s’étaient rassemblés autour d’Emilio
Kwai Kibaki qui avait fondé le Parti démocratique (DP).
Au mois de décembre 1992 furent organisés les premiers scrutins
multipartites. Lors des élections législatives, la KANU du président Arap
Moi obtint 40 % des voix, ce qui lui donna 105 sièges, tandis que les 60 %
de voix recueillies par les oppositions ne leur donnaient que 88 sièges. La
KANU n’eut aucun élu chez les Luo et chez les Kikuyu. Quant aux
élections présidentielles, elles furent remportées par le président sortant qui
réunit sur son nom 38 % des voix. Les trois candidats de l’opposition
totalisèrent quant à eux 62 % des suffrages : Kenneth Matiba du FORD-A
obtint 26 % des voix, Mwai Kibaki du DP, 19 % des suffrages et Jaramogi
Oginga Odinga du FORD-K, 17 %.
En 1994, à la mort de Jaramogi Oginga Odinga, son fils Raila Amolo
Odinga voulut lui succéder la tête du FORD-K, mais la composante luhya
du parti s’y opposa et il fut battu par Michael Kijana Wamalwa (1944-
2003), lui-même Luhya. Raila Amolo Odinga quitta alors le parti pour
fonder le NDP (National Democratic Party), parti clairement luo.
Les élections du 29 décembre 1997 furent une nouvelle fois remportées
par le président Arap Moi, mais la réalité ethnique s’était une fois encore
imposée puisque, dans la province centrale, fief Kikuyu, le président Arap
Moi n’avait obtenu que 5,6 % des voix.

Un problème ethnique, démographique et foncier


À partir de la décennie 1990, les violences, jusque-là endémiques prirent une
tournure inquiétante, ce qui n’était pas une nouveauté au Kenya où le problème est à
la fois démographique, foncier et ethnique63 : les zones Kikuyu et Luhya sont en effet
surpeuplées, ce qui entraîne une migration-colonisation en direction des zones
nilotiques où l’élevage est dominant :
« L’architecture du Kenya est faite d’un bastion sud-ouest dominant une vaste zone
de basses terres au nord-est. Ce bastion topographique correspond aux plus fortes
densités humaines, alors que, mise à part la frange côtière, les basses terres qui
couvrent le reste du pays constituent un désert humain64 […] les petits massifs situés
au milieu des basses terres (Taïta Hills, Marsabit, Maralal, Nyambeni Hills)
fonctionnent comme autant d’oasis […] Cette activité est très différente de celle qu’on
rencontre en Afrique de l’Ouest, domaine structuré en bandes zonales est-ouest, où
dominent les complémentarités inter-régionales de grande distance » (Calas, 1998 :
17-19).
Dans la région de la Rift Valley, s’affrontèrent ainsi des Nilotiques et des colons
bantuphones récents.
De violents affrontements eurent ainsi lieu dans le district de Nandi. Les Nandi, une
des tribus Kalenjin, avaient été affaiblis depuis leur révolte des années 1890-1906
(Matson, 1972) à la suite de laquelle ils avaient été parqués dans une réserve. Leurs
terres avaient alors été vendues à des colons européens, puis rachetées après
l’indépendance par l’État kenyan avant d’être cédées à des Luhya.
Dès 1963, le régime kikuyu avait largement installé sur les anciennes fermes
blanches de la vallée du Rift des colons appartenant à cette ethnie ou à celles qui lui
sont apparentées. Pour les indigènes, il s’agissait d’une spoliation doublée d’une
colonisation, d’où des affrontements incessants.
Les principaux épisodes violents qui secouèrent le Kenya eurent lieu :
– en 1992-1994 et ils provoquèrent 2000 morts et plus de 200 000 déplacés,
essentiellement dans la province de la Rift Valley ;
– en 1993 eurent lieu des émeutes à Mombasa quand les côtiers voulurent chasser
les wambara (les originaires des hautes terres) puis à Lamu en août 1993 contre le
projet d’installer des paysans de l’intérieur. Au mois de décembre 1993, le district de
Kwale fut le THÉÂTRE d’affrontements entre migrants Luo et autochtones Digo
(ethnie Mijikenda) ;
– en 1995 les Masais et les Kalenjin de la vallée du Rift affrontèrent une nouvelle fois
les colons kikuyu, luhya et luo ;
– entre les mois d’oût-octobre 1997 une centaine de morts furent à déplorer dans la
région de Mombasa ;
– en janvier-février 1998, il y eut plus de 200 morts dans la vallée du Rift et
des milliers de Kikuyu installés par Jomo Kenyatta quittèrent la région de Nakuru ;
– au mois de décembre 2001, des affrontements firent 40 morts dans le district de
Tana dans le sud-est du Kenya, etc., et enfin, rien qu’au mois de décembre 2007 les
violences pré électorales firent une centaine de morts.
L’explication de ces violences est également ethno-politique. Dans les zones
peuplées par les petites ethnies, la présence des colons kikuyu ou luhya peut faire
basculer la majorité d’une circonscription. Ceci fait que les indigènes ont non
seulement le sentiment de se voir voler leur terre (Christopher, 1984), mais en plus
d’être dominés politiquement par des étrangers.

En 1999, Raila Amolo Odinga, député NDP de la circonscription de


Langata englobant le bidonville de Kibera, le plus peuplé d’Afrique
orientale avec, à l’époque, une population de 800 000 habitants, dont une
grande partie de Luo, se rapprocha du président Arap Moi. En 2001 le NDP
et la KANU fusionnèrent, donnant naissance au New Kanu dont Raila
Odinga devint le secrétaire général, espérant que le président sortant allait
faire de lui son dauphin. Or le président Moi qui ne se représenta pas aux
élections du mois de décembre 2002, mais qui voulait barrer la route à
Mwai Kibaki, pensa que face à ce dernier, Raila Odinga serait battu et c’est
pourquoi il soutint un autre Kikuyu, Uhuru Kenyatta, fils de Jomo
Kenyatta. Cette candidature fit exploser les alliances alors en place. Elle
divisa ainsi les Kikuyu et les tribus apparentées, tout en provoquant le
départ de Raila Odinga et de nombreux responsables de la Kanu qui
fondèrent alors le LPD (Liberal Democratic Party) dirigé par Raila Odinga.
À la veille des élections de 2002, le LPD se rapprocha des partis
d’opposition au président Moi qui avaient formé une coalition, la NAK
(National Alliance of Kenya), dont les forces principales étaient le Ford-K
de Michael Kijana Wamalwa65, le SDP (Social Democratic Party) de
Charity Ngilu66 et le DP de Mwai Kibaki.
Une nouvelle coalition fut constituée qui rassembla le LPD de Raila
Odinga et le NAK de Kibaki, Wamalwa et Ngilu ; elle prit le nom de NARC
(National Rainbow Coalition). Un accord fut signé stipulant que :
– Mwai Kibaki serait le candidat du NARC lors des élections
présidentielles ;
– qu’il y aurait parité entre ministres issus du LPD et du NAK au sein du
futur gouvernement ;
– qu’après la victoire, il y aurait un changement constitutionnel afin que
soit créé le poste de Premier ministre avec des pouvoirs exécutifs ;
– que son premier titulaire en serait Raila Odinga.
Mwai Kibaki l’emporta avec 62,9 % des suffrages. Uhuru Kenyatta qui
en obtint 31,07 % avait bénéficié des voix des Nilotiques, sauf les Luo, une
nouvelle fois alliés aux Kikuyu d’une fraction hostile à Mwai Kibaki
essentiellement pour des raisons de régionalisme. Or, le président Kibaki ne
tint pas ses engagements puisqu’il favorisa le NAK aux dépens du LPD et
qu’il oublia le projet de création du poste de Premier ministre dans le texte
du référendum de 2005.
La campagne pour ce référendum entraîna de nouveaux reclassements
politiques. Alors qu’il était membre du gouvernement, Raila Odinga appela
ainsi à voter « Orange67 » et il entra en relation avec la Kanu afin de mener
une campagne commune. Le 21 novembre 2005, 57 % des électeurs
déposèrent des bulletins « orange » dans les urnes. Désavoué, le président
Kibaki chassa le LPD du gouvernement. Raila Odinga rejoignit alors
l’opposition et fonda un nouveau parti, l’ODM (Orange Democratic
Movement) bientôt rejoint par d’autres petits partis avec lesquels il fonda
l’ODM-K (Orange democratic Movement-Kenya).
Au mois de septembre 2007 l’ODM-K connut une scission ethnique
quand le Luo Raila Odinga et le Kamba Steven Kalonzo Musyoka,
voulurent chacun obtenir l’investiture du parti contre le Kikuyu Mwai
Kibaki. Raila Odinga préféra alors quitter l’ODM-K pour reconstituer
l’ODM68.
Face au PNU (Parti de l’Unité nationale) du président Mwai Kibaki qui
regroupait autour des Kikuyu désormais rassemblés, la plupart des ethnies
bantuphones (moins les Kamba de l’ODM-K), ainsi qu’une partie des
Luhya et des tribus côtières, deux candidats principaux se déclarèrent alors.
Le premier était le Luo Raila Odinda essentiellement soutenu par l’ODM
(Mouvement démocratique orange) et par les tribus nilotiques. Le second
était le Kamba Steven Kalonzo Musyoka de l’ODM-K.
Les coalitions qui se constituèrent à l’occasion de ces élections étaient
différentes des précédentes alliances trans-ethniques car elles laissaient
présager un affrontement bloc contre bloc, Nilotiques contre Bantuphones,
l’enjeu étant l’acceptation ou le refus de l’hégémonie des Kikuyu.
À l’issue des élections législatives69 l’ODM obtint 99 députés, le PNU 43
(presque tous élus de la Province centrale peuplée de Kikuyu), l’ODM-K
16, la Kanu 11. Les autres élus appartenaient à des petits partis ethniques.
Le résultat du scrutin présidentiel qui donnait Mwai Kibaki vainqueur fut
contesté par Raila Odinga. Au mois de janvier 2008, le Kenya connut alors
des troubles ethniques d’une ampleur encore inégalée. Les Luo avaient en
effet le sentiment d’avoir été bernés par les Kikuyu. Ces derniers leur
avaient en effet promis de partager le pouvoir ; une première fois en 1963,
au moment de l’indépendance, à nouveau en 2002 quand Mwai Kibaki
s’était engagé à changer le Constitution pour faire nommer Raila Odinga
Premier ministre. Or, dans les deux cas, ils n’avaient pas respecté leur
parole.
Politiquement isolé, Mwai Kibaki rompit ensuite son encerclement en se
tournant vers les Kamba de l’ODM-K dont les 16 députés lui permirent de
limiter le poids de l’ODM au parlement70 et il nomma Stephen Kalonzo à la
vice-présidence. Le jour, même, les Luo attaquèrent les Kamba dans l’ouest
du pays et dans les bidonvilles de Nairobi. Les deux blocs ethniques étaient
ainsi constitués, les dernières passerelles tribales les reliant ayant été
retirées.

Au Kenya où aucune ethnie n’est démographiquement dominante, la démocratie


ethnique ne peut être appliquée que dans le cadre d’un fédéralisme territorial. Or,
cette option a constamment été refusée par les Kikuyu, ce qui a débouché sur la
constitution de coalitions ethniques. Dans l’histoire du Kenya indépendant, deux
types de coalitions ont existé :
– des coalitions ponctuelles d’intérêt comme quand les Kikuyu et les Luo se
rassemblèrent à la veille de l’indépendance ou comme en 2002 quand ils s’unirent
pour en finir avec le président Arap Moi. Ou encore comme quand le président Arap
Moi réussit à réunir autour de lui nilotiques Kalenjin et bantuphones Luyha et
Kamba ;
– quant aux coalitions nées des élections du mois de décembre 2007 et des violences
du début de l’année 2008, elles n’étaient plus tribales, mais ethniques, les alliances
ponctuelles trans-ethniques ayant laissé la place à une opposition bloc contre bloc,
deux nationalismes ethniques Luo-nilotique contre Kikuyu-bantuphone se dressant
l’un contre l’autre71.

Le 28 février 2008, le président Kibaki et le chef de l’opposition Raila


Odinga signèrent un accord de partage du pouvoir validé par le Parlement.
Cet accord permettait de résoudre la crise politique du moment, mais il ne
réglait aucun des vrais problèmes ethniques et terriens qui se posent au
Kenya.
Uhuru Kenyatta remporta l’élection présidentielle de 2013 dès le premier
tour devant Raila Odonga qui contesta le résultat. Puis, les élections
générales du mois d’août 2017 donnèrent lieu à de nouveaux affrontements
ethniques.

2. Ouganda : le centre contre ses périphéries


Indépendant le 9 octobre 1962, l’Ouganda a connu une première
Constitution fédérale. Cependant, la domination du Buganda était réelle,
puisque le nom du nouvel État en était directement inspiré72 et que le
Kabaka Mutesa II du Buganda était président à vie de la république
d’Ouganda73.
Milton Obote, qui était Langi et qui avait fondé l’UPC (Congrès du
Peuple Ugandais), parti ethnique des nilotiques nordistes, devint Premier
ministre et, dans un premier temps, jusqu’en 1964, il gouverna avec le parti
monarchiste baganda Kabaka Yeka (Seul le Roi). Ensuite, comme il voulut
limiter l’influence du Buganda au sein de l’Ouganda, il décida de plaquer
un cadre centralisateur sur un corps social aux fortes définitions fédérales
ou même confédérales.
Dès 1964, le puissant Buganda s’opposa donc à Milton Obote et la
résistance à la centralisation fut incarnée par le Kabaka (roi) Mutesa74. En
réaction, le 22 février 1966, Milton Obote envoya l’armée commandée par
le colonel Idi Amin Dada, un Kakwa, donc un Nilotique75, quadriller le
Buganda et occuper le palais royal de Lubiri ; puis il abolit la monarchie
baganda.
En 1967 il fit promulguer une nouvelle Constitution ne reconnaissant
plus l’existence des quatre royaumes du Buganda, de l’Ankole, du Toro et
du Bunyoro et instituant un régime présidentiel avec parti unique. Puis, il
s’autoproclama président de la République. La fin de la monarchie braqua
encore davantage les Baganda contre le régime, or, comme ils totalisaient
environ 19 % de la population, ils constituaient l’ethnie la plus nombreuse,
mais aussi la plus éduquée et, de plus, son cœur territorial était la capitale,
Kampala.
Économiquement, le régime Obote lança une politique de
nationalisations et il choisit une option clairement tiers-mondiste à l’image
de ce que faisaient au même moment les présidents Nyerere de Tanzanie et
Kaunda de Zambie. L’armée étant dominée par les petites ethnies
soudaniques du nord-ouest de l’Ouganda, le président Obote créa un corps
paramilitaire uniquement composé de Langi qui fut placé sous le
commandement de son cousin, Akena Adoko (Okuku, 2002 : 20).
Le 25 janvier 1971, Idi Amin Dada, chef d’état-major de l’armée, fit un
coup d’État en profitant d’un voyage du président Obote à l’étranger.
S’affirmant pro-occidental et pro-israélien, le nouveau chef de l’État
commença par soutenir les rebelles chrétiens et animistes du sud-Soudan en
lutte contre le régime islamique de Khartoum. À l’intérieur, il liquida les
éléments langi et acholi encore présents dans l’armée.
En 1972, après une rencontre avec le colonel Kadhafi, il opéra un total
retournement politique, chassant les coopérants israéliens et venant en aide
au régime de Khartoum76. Puis il décida d’expulser les dizaines de milliers
d’Indiens d’Ouganda qui avaient compté parmi les plus solides soutiens du
président Obote et qui tenaient l’économie du pays (Prunier, 1990). Le tissu
économique national étant totalement désorganisé par ces expulsions,
l’Ouganda fut en faillite.
À la fin du mois de novembre 1978 des militaires mutinés se réfugièrent
en Tanzanie où ils rejoignirent le FLNO (Front de libération national de
l’Ouganda). L’armée fidèle au président Idi Amin Dada franchit la frontière
pour les combattre puis elle annexa le « saillant de la Kagera », dans lequel
s’était installé ce mouvement. Le régime tanzanien profita alors de
l’occasion qui lui était ainsi donnée pour se débarrasser du dictateur
ougandais afin de rétablir au pouvoir Milton Obote, un ami très proche du
président Nyerere.
Au mois d’avril 1979, une offensive militaire tanzanienne fut déclenchée,
avec l’aide de contingents ougandais regroupés dans l’Armée de libération
nationale de l’Ouganda qui fédérait plusieurs groupes rebelles dont les
principaux chefs étaient Tito Okello, David Oyite-Ojok et Yoweri
Museveni. En dépit d’un renfort de plusieurs milliers de soldats libyens,
l’armée ougandaise fut mise en déroute, Kampala prise le 11 avril 1979 et le
maréchal Idi Amin Dada s’enfuit en Arabie saoudite. Puis les groupes
ougandais qui avaient participé à la lutte contre Idi Amin Dada
s’opposèrent.

Les ethnies d’Ouganda en 1991 (Prunier et Calas, 1994 :


169)
Bantuphones : 66 % de la population totale se répartissant en
– Baganda : 18,8 %
– Banyankole : 10 % (divisés en Hima et Baïru)
– Basoga : 8,5 %
– Bakiga : 8,7 %
– Bagisu : 4,6 %
– Banyarwanda : 3,3 %
– Banyoro : 3 %
– Batoro : 3 %
– Bakonjo : 2,2 %
– Bagwere : 1,7 %
– Badama : 1,6 %
– Babyole : 1,4 %
Nilotiques des plaines : 8,7 % de la population totale se répartissant en :
– Teso : 6 %
– Karamojong : 2,1 %
– Kakwa : 0,6 %
Nilotiques des rivières (Luo) : 15,1 % de la population totale se répartissant en :
– Langi : 6 %
– Acholi : 4,4 %
– Alur : 2,5 %
– Padhola : 1,5 %
– Kuma : 0,7 %
Total des Nilotiques : 23,8 % de la population totale
Soudaniques : 4,7 % de la population totale se répartissant en :
– Lugbara : 3,6 %
– Madi : 1,1 %
Autres : 23,18 % de la population totale
Le Baganda Yusuf Lule devint président sur fond de massacres ethniques
et le 30 juin 1979, il fut remplacé par M. Godfrey Binaisa. La radicalisation
ethnique était en marche car le ministre de la défense, Yoweri Museveni, un
Hima d’Ankole, recrutait parmi les Banyankole, les Batoro, les Banyoro77,
les Tutsi réfugiés du Rwanda78 et les Baganda. Pour sa part, le chef d’état-
major, le général Oyite-Ojok armait les Langi, les Acholi et les Teso. Le
pays était donc coupé en deux sur base ethnique, les sudistes bantuphones
s’opposant aux nordistes nilotiques. Au mois de février 1980 le président
Binaisa qui cherchait à se maintenir au pouvoir tenta de se séparer des
principaux partisans d’Obote encore au gouvernement, mais le général
Oyite-Ojok l’en empêcha. Le 10 mai 1980 le président fut destitué par un
coup d’État pro-Obote mené par le général Oyite-Ojok qui annonça que des
élections se tiendraient avant la fin de l’année. Au mois d’octobre la
composante acholi de l’armée massacra les partisans d’Idi Amin Dada et
plus généralement les membres de l’ethnie Kakwa dans la région du West
Nile.
Le 15 décembre 1980 à l’issue d’élections truquées, Milton Obote revint
au pouvoir et reprit une politique ethnique, faisant de l’armée une milice
composée de nilotiques (Acholi, Teso et Langi) mais aussi de Baïru, qui
sont pourtant des Banyankole mais qui, par détestation de Museveni et des
Hima, pourtant Banyankole comme eux, soutenaient Obote dans un schéma
de type rwandais (Hutu-Tutsi).
Au début de l’année 1981 Yoweri Museveni qui venait de fonder l’UPM
(Uganda Patriotic Movement) commença sa guérilla contre le régime
Obote. Il élargit alors encore plus largement son recrutement aux émigrés
Tutsi. Certains d’entre ces derniers firent même partie du premier noyau de
combattants, les fameux « 26 originals », dont Fred Rwigema et Paul
Kagamé. Devenu NRA (National Resistance Army), le mouvement de
Yoweri Museveni les attira de plus en plus, au point que, vers 1984 les
Rwandais en constituaient ainsi le troisième groupe numérique, juste après
les combattants originaires de l’Ankole et les natifs du Buganda (Prunier,
2005)79.
La guerre civile redoubla d’intensité et le 22 février 1982, la guérilla
tenta un assaut sur Kampala, mais ce fut un échec. La répression s’abattit
alors sur les Baganda cependant que les nordistes se divisaient et
s’opposaient, les soldats acholi de l’Unla (Uganda National Liberation
Army)80 se soulevant contre les Langi qui constituaient le noyau dur du
pouvoir de Milton Obote. À la suite de ces tensions, le 27 juillet 1985, le
président Obote fut pour la seconde fois renversé par un coup d’État et le
général Tito Okello, un Acholi qui se vantait d’être analphabète s’installa au
pouvoir.
Enfin, le 25 janvier 1986, Kampala fut prise par l’Armée nationale de
résistance de Yoweri Museveni, et le général Tito Okello s’enfuit. Le
29 janvier Yoweri Museveni devint président de l’Ouganda.
En quelques années il reconstruisit le pays81 ravagé par des années de
gabegie et de conflits et en 1996, seul candidat à l’élection, il fut élu
Président de la République82. En 2001, s’étant converti au multipartisme,
« concept occidental » qu’il considérait jusque-là comme inadapté à
l’Afrique, il fut réélu face à cinq candidats. En 2006, en 2011 et en 2016, il
fut réélu.
3. La Tanzanie et son dualisme continent-île
Au pouvoir de 1961 à 1985, Julius Kambarage Nyerere (1922 ou 1923-
1999) a profondément marqué son pays. Originaire de la région de Butiama,
dans le nord de la Tanzanie, il était Zanaki, petite tribu de quelques dizaines
de milliers de membres. Comme son père en était le chef, il fut admis à
l’école des Pères Blancs (Missionnaires d’Afrique), puis envoyé dans un
collège et enfin à l’université de Makarere, en Ouganda, où il obtint son
diplôme d’instituteur. En 1948 il obtint une bourse pour l’université
écossaise d’Edimbourg où il suivit un cursus en histoire tout en y
découvrant le marxisme dont il entreprit de faire la synthèse avec le
christianisme.
En 1952, de retour au Tanganyika, il fut élu président de la Tanganyika
African Association qu’il transforma en un parti politique indépendantiste
qui prit le nom de Tanganyika African National Union (TANU). Soutenu
par l’administration britannique, lors des élections de 1960, la Tanu obtint
la quasi-totalité des sièges et le 9 décembre 1961, quand le pays devint
indépendant, Julius Nyerere fut tout naturellement nommé Premier
ministre. Au mois de décembre 1962, il fut élu président de la République.
S’il parvint à maintenir l’unité de la mosaïque ethnique83 composant la
Tanzanie, Julius Nyerere n’en ruina pas moins son pays par une sorte de
soviétisation tropicale dans laquelle les structures traditionnelles furent
cassées au profit de kolkhozes. Des milliers de villages furent ainsi détruits
et leur population condamnée à pratiquer l’agriculture communautaire.
Cette politique provoqua une grave crise économique ; mais, comme les
pays scandinaves subventionnaient son expérience socialiste, il put lma
poursuivie jusqu’à son terme, à savoir la banqueroute et la famine. En 1985,
Julius Nyerere fut alors contraint de quitter le pouvoir, laissant un pays
ruiné et déstructuré.
Le parti unique désigna alors le vice-président Ali Hassan Mwinyi pour
lui succéder (1985-1995). En 1977, le TANU s’était transformé en CCM
(Chama cha Mapinduzi ou Parti révolutionnaire) par la fusion avec le parti
unique de Zanzibar, l’ASP (Afro-Shirazi Party).
En 1992, le multi-partisme fut introduit mais sous contrôle, et lors des
élections présidentielles de 1995, Benjamin Mkapa fut élu. Ce proche de
Julius Nyerere l’emporta surAugustine Mrema, dissident du CCM, ancien
vice-Premier ministre et ministre de l’intérieur en 1993 sous le président Ali
Hassan Mwinyi.
Libéré des pesanteurs des caciques du CCM, parti dont il prit la
présidence au mois de juin 1996, Benjamin Mkapa s’attaqua au fléau de la
corruption en se lançant dans une politique d’assainissement économique. Il
réussit à obtenir du FMI des ajustements de dette et de nouveaux crédits qui
vinrent encore augmenter la masse de l’endettement national, mais qui lui
permirent de ne pas sombrer.

Le particularisme zanzibarite
Depuis le 23 août 1993, la Tanzanie a une constitution originale dans la mesure où le
pays n’est ni unitaire ni fédéral, mais en quelque sorte un État bicéphale. C’est ainsi
que le Parlement de Dar es-Salaam a voté la création de deux Chambres séparées
pour le Tanganyika et pour l’ile de Zanzibar qui de plus, a son propre président.
En dépit de cela, l’irrédentisme zanzibari ne s’e’stompa pas, le million d’habitants de
l’île (estimation 2019), ayant conscience de former un ensemble particulièrement
original façonné par une histoire à la fois riche et mouvementée. De plus, l’île est
culturellement tournée vers l’océan Indien et les terres qui le bordent.
Le particularisme zanzibarite a également été exacerbé par les tensions religieuses
illustrées en 1992 par l’adhésion secrète de l’île à l’OCI (Organisation de la
conférence islamique) alors que le gouvernement zanzibarite n’a pas autorité pour
conclure des accords internationaux.
La crise entre les deux composantes géographiques de la Tanzanie s’est même
aggravée en 1995 quand l’opposition du CUF (Front Civique Uni) accusa le pouvoir
de Dar es-Salaam d’avoir truqué les élections.
Les tensions avec les groupes musulmans fondamentalistes et la situation sur l’île de
Zanzibar furent alors telles que certains observateurs purent alors parler de menaces
d’éclatement de la République unie de Tanzanie. Durant quatre années le climat
politique demeura extrêmement tendu et cela jusqu’au mois de juin 1999 quand fut
signé un « pacte de réconciliation ». Mais les problèmes de cohabitation ethnique et
religieuse qui étaient à la base de la crise demeurent.

Au mois d’octobre 2000, Benjamin Mkapa fut réélu et au mois de


décembre 2005, les Tanzaniens se choisirent un nouveau président de la
République en la personne de Jakaya Kikwete tandis que le CCM
conservait la majorité au Parlement. Son successeur fut John Magufuli élu
au mois de novembre 2015.
1. De l’indépendance jusqu’à 1981, le pays fut dirigé par les Ngbaka, l’un des « peuples du fleuve ».
Barthélemy Boganda, Jean-Bedel Bokassa et David Dacko qui furent les trois premiers chefs de
l’État, étaient Ngbaka.
2. Le pouvoir restait ainsi aux « gens du fleuve », les Yakoma appartenant en effet au grand groupe
ngbandi majoritairement implanté en RDC (ex-Zaïre). Le président Mobutu était Ngbandi.
3. Les Sara vivent également au Tchad où ils constituent une grande partie de la population du sud du
pays alors qu’ils sont très minoritaires en RCA. Quant aux Gbaya et aux Banda, ils désiraient
s’affranchir de la tutelle des Yakoma.
4. En 1994, avant le début des évènements qui aboutirent au retrait français, les recettes de l’État
centrafricain étaient de 340 millions de FF (51,83 millions d’euros), alors que l’aide reçue se
montait à 540 millions de FF (82 millions d’euros), dont plus de 260 millions de FF (33,54 millions
d’euros) versés par la France. Le pays constituait alors une pièce essentielle du dispositif militaire
français en Afrique avec les bases de Bouar et de Bangui-Mboko fermées entre 1994 et 1998.
5. L’éphémère « président » Michel Am Nondroko Djokodia évincé par l’intervention française de
2014 était un Gula.
6. Dans ce pays que les négriers arabo-musulmans venus de la bande sahélienne et plus
particulièrement du Soudan avaient jadis baptisé Dar Kouti (« terre des esclaves »), la colonisation
avait mis un terme aux razzias des esclavagistes. Avec le Séléka, la poussée séculaire des sahéliens
vers le sud a repris. Là est la clé de compréhension des évènements. Les coupeurs de route du
Séléka sont en effet les héritiers directs des bandes mahdistes et de celles de Snoussou qui mettaient
en coupe réglée les populations de la forêt et du fleuve avant la colonisation.
7. Furent ainsi attirés « les désœuvrés de Centrafrique, du Soudan, du Soudan du Sud et du Tchad,
avides de prendre leur part du pillage et du racket » (Rapport de la LDH, septembre 2013, page 47).
8. « De nombreux membres de la Seléka se sont rendus coupables d’actes horribles […] les forces
anti-Balaka […] se sont formées pour s’opposer à la Séléka […] » (Amnesty international,
20 décembre 2013).
9. Sur les implantations de la Russie en RCA, voir Hector Guillon (2019)
10. Elle devint l’Armée nationale au mois de juillet 1960.
11. La raison de cette attitude remonte aux élections provinciales du mois de mai 1960, quand le
MNC Lumumba s’était allié aux Luluwa pour empêcher le dissident Kalondji de prendre le
gouvernement provincial. Or, les Luba qui étaient en butte aux persécutions des Luluwa, exigeaient
de contrôler le gouvernement provincial du Kasaï à défaut de quoi ils avaient annoncé qu’ils
proclameraient l’indépendance du sud Kasaï afin de disposer d’une province dans laquelle ils
seraient en sécurité. Ils réclamaient donc la création d’une 7e province, mais ils ne l’obtinrent pas
car Lumumba y était totalement opposé.
12. Entre les mois d’avril et de décembre 1965, « Che » Guevara séjourna dans la jungle congolaise
pour tenter d’y encadrer les rescapés de l’aventure simba. Mais le compagnon de Fidel Castro fut
vite édifié quant à la valeur révolutionnaire de ses « camarades » congolais. Le « Che » décrit dans
son Journal de Guerre les guérilleros locaux, plus intéressés par les filles, le whisky, le pillage et
les trafics que par la révolution prolétarienne. Quant à leur chef, Laurent Désiré Kabila, il le
dépeignit d’une phrase assassine comme « le plus inutile de tous » (Guevara, 2000). Sur Kabila et
les Cubains, voir également Dreke (2002).
13. Le 9 août 1967 à Bukavu, éclata une mutinerie des mercenaires et des gendarmes katangais qui
demandaient le retour au pouvoir de Moïse Tschombe. Le 5 novembre, le mouvement prit fin et les
mercenaires se replièrent au Rwanda où ils furent désarmés.
14. Le 30 juin 1967 il tomba dans un piège, l’avion privé dans lequel il avait pris place ayant été
détourné vers Alger où il fut emprisonné et où il mourût en 1969.
15. En 1966, la capitale Léopoldville avait été rebaptisée Kinshasa.
16. De très graves émeutes étudiantes ayant éclaté à Lubumbashi, l’armée les réprima avec férocité.
17. Né le 27 novembre 1939, Laurent Désiré Kabila était un survivant de la période de
l’indépendance congolaise. Ce Luba du Katanga avait fait ses premières armes en 1960 aux côtés
de Patrice Lumumba après avoir été élu député sur la liste présentée par la Balubakat (Alliance
tribale des Baluba du Katanga). Après l’assassinat de Patrice Lumumba, il avait lié son sort aux
rebelles simba (les lions) qui, avec Pierre Mulele et Gaston Soumialot avaient voulu constituer un
État révolutionnaire dans le Congo oriental. En 1967, après l’échec de la tentative révolutionnaire
dans le Congo oriental, Laurent-Désiré Kabila avait fondé le Parti révolutionnaire du peuple
(PRP). Il créa ensuite un maquis anti mobutiste qui opéra sur le territoire de la tribu Bembe, en
limite de la zone peuplée par les Tutsi Banyamulenge, dans la région de Fizi – à proximité d’Uvira,
ville congolaise faisant face à Bujumbura, la capitale du Burundi située sur l’autre rive du lac
Tanganyika. Ce « maquis » fut un temps toléré par les autorités de Kinshasa qui prélevaient leur
part des trafics d’ivoire, de corne de rhinocéros, de bois précieux, de peaux de léopard, de pépites
d’or et de diamants.
18. Pourchassés dans la forêt par les troupes rwandaises, ils furent massacrés par dizaines de milliers
(Mpayimana, 2004 ; Rugumaho, 2004 ; Ntilikina, 2008).
19. La guerre qui déborda chez les voisins eut des effets au Soudan, en RCA et au Congo
Brazzaville.
20. Ces arguments qui étaient réels occultaient le fait que les trois pays avaient d’incontestables
intérêts économiques et miniers en RDC.
21. C’est pour cette dernière raison qu’en 1998, Luanda était intervenu au Congo Brazzaville afin d’y
aider le colonel Sassou Nguesso, un Mbochi, contre Pascal Lissouba, un Kongo qui soutenaient les
indépendantistes kongo de l’enclave du Cabinda.
22. Il mourut le 17 janvier dans l’avion qui le transportait à Harare au Zimbabwe.
23. Le premier était celui des « Lubakat » (Luba du Katanga) dont le défunt président était le chef et
qui était désormais dirigé par un de ses neveux, Gaétan Kakudji, qui exerçait les très importantes
fonctions de ministre d’État chargé de la Sécurité. Le second était représenté par le colonel Eddy
Kapend, ancien aide de camp du président Kabila ensuite emprisonné pour complicité dans son
assassinat.
24. Dans l’ouest de la RDC, en zone ethnique kongo, le mouvement Bundu dia Kongo (BDK),
littéralement « Royaume du Kongo », milite pour l’autodétermination du peuple Kongo. Dirigé par
Ne Muanda Nsemi, député de la province du Bas-Congo qui s’est auto proclamé « grand maître de
la sagesse kongo », le BDK milite pour la renaissance du royaume du Kongo par le regroupement
de tous les membres de l’ethnie kongo éclatée entre la RDC, l’Angola, le Congo-Brazzaville et le
Gabon. Le 8 mars 2007, de violents affrontements eurent lieu à Matadi qui firent un nombre
indéterminé de victimes. Le 21 mars 2008, le mouvement a été interdit.
25. Ces Casques bleus étaient stationnés en RDC dans le cadre de la Monusco (Mission des Nations
unies au Congo). Leur entretien coûtait 1 milliard de dollars par an à la communauté internationale.
26. Condamnation par la CPI à La Haye du chef lendu Germain Katanga « le lion de l’Ituri » chef de
la milice Force de résistance patriotiques milice Lendu et de Thomas Lubanga des FRPI Union des
patriotes congolais UPC (héma).
27. La situation de son chef, Kahwa Panga Mandro, étant fragile, l’armée ougandaise dut protéger
son fief de Kasenye sur les bords du lac Albert ce qui n’empêcha pas les miliciens Lendu de
l’attaquer, faisant des centaines de morts parmi les civils.
28. Au moment où les Héma qui venaient d’échapper à un massacre généralisé s’étaient sauvés par
eux-mêmes, l’intrusion de la France se fit d’abord contre eux puisque c’est eux qui contrôlaient
Bunia. Sécuriser Bunia signifiait donc désarmer les Héma et laisser le pays aux Lendu.
29. Institut National de la Statistique, Kinshasa, 1995.
30. Stanley (1890) rapporte que lorsqu’il fut attaqué par des milliers de Lendu, il fut sauvé par un
parti de Hima et de Bira qui vola à son secours.
31. Traditionnellement, l’alliance Héma-Bira se traduisait par une soumission volontaire des seconds
aux premiers à l’occasion d’un contrat pastoral, comme dans le cas du Rwanda ou du Burundi entre
certains Hutu et des pasteurs Tutsi. Les chefs Bira recevaient même leur investiture des chefs Héma
au cours d’une curieuse cérémonie ; le chef Héma assis sur un petit tabouret prenait sur ses genoux
le futur chef Bira sur les genoux duquel sa femme venait à son tour s’asseoir. Le Héma leur donnait
à boire du lait et leur passait au poignet un bracelet en cuivre symbole du pouvoir, le melenga. Une
véritable association entre les deux populations existait de fait, les Bira fournissant aux Héma leurs
bras et ces derniers leur protection. Une réelle acculturation réciproque résulta de cette symbiose
entre ces deux populations qui ne se mélangèrent cependant pas.
32. Willame (1997) ; Mathieu et Willame (1999) ; Lugan (2004b) ; Kibel Bel Oka (2006).
33. En 2012, la Cour pénale internationale (CPI) condamna Thomas Lubanga à 14 ans de prison et en
2014, elle condamna Germain Katanga à 12 ans de prison. En 2019, Bosco Ntaganda fut condamné
à 30 ans de détention, cependant, cette condamnation ne portait que sur des faits qui s’étaient
produits en Ituri en 2002 et en 2003 et non sur son implication dans les crimes commis par le M23
au Kivu.
34. Le 27 juin 2012, l’ONU publia un rapport détaillé et cartographié de 52 pages intitulé « Additif au
rapport d’étape du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo (S/2012/348)
concernant les violations par le Gouvernement rwandais de l’embargo sur les armes et du régime
de sanctions » et dans lequel est dénoncé le soutien actif du Rwanda au M23 et à d’autres
mouvements opérant dans l’est de la RDC et mettant en avant le rôle plus que direct de hauts
gradés rwandais dont les généraux Jacques Nziza, James Kabarege, Charles Kayonga, Emmanuel
Rusha, Alexis Kamagé, etc.
35. À la veille de l’indépendance deux principaux partis rassemblaient les Hutu du sud ou
Banyenduga : l’Aprosoma (Association pour la promotion sociale de la masse) et le Parmehutu
(Parti du mouvement de l’émancipation hutu). Le Parmehutu était clairement enraciné à Gitarama,
au centre du pays, tandis que son principal concurrent, l’Aprosoma, était une émanation de la
région de Butare, dans le sud du Rwanda. Deux microrégionalismes divisaient donc les Hutu du
sud. Pour l’emporter sur l’Aprosoma, le Parmehutu avait trouvé des alliés hutu dans le nord du
Rwanda, à Ruhengeri et à Gisenyi. Après l’indépendance, un partage tacite du pouvoir fut en
conséquence opéré : l’administration aux Hutu de Gitarama et l’armée aux Hutu nordistes, c’est-à-
dire aux Bakiga.
36. Le mouvement se traduisit par la volonté de chasser les Tutsi des fonctions qu’ils occupaient, de
leurs maisons, de leurs champs. L’on parla à l’époque de « déguerpissements ». Des listes
d’employés, de fonctionnaires, de cadres tutsi furent placardées. Elles signifiaient le licenciement
immédiat.
37. Quasiment tous les officiers supérieurs nordistes, à l’exception du colonel et bientôt général,
Juvénal Habyarimana, furent retirés de l’armée et mis à la disposition de la fonction publique pour
être affectés dans des emplois civils. Le colonel Kanyarengwe chef des services de renseignement
fut ainsi nommé directeur du petit séminaire de Nyundo ; le major Benda devint directeur de
l’usine à thé de Cyangugu et le colonel Nsekalije directeur de l’Office du tourisme et des parcs
nationaux ; quant aux majors Serubuga et Ntibitura, ils attendaient une affectation dans le civil. La
police nationale qui était largement nordiste fut supprimée au mois de juin 1973 et ceux des
policiers qui ne furent pas exclus, versés dans la Garde nationale.
38. Le colonel Juvénal Habyarimana était chef d’état-major de la Garde nationale depuis 1965 quand
il succéda au colonel Louis-François Vanderstraeten. La Garde nationale devint l’Armée rwandaise
en 1973.
39. Au sud de l’Ouganda, le Bufumbira, est une province rwandaise rattachée à l’Ouganda par les
accords de Bruxelles signés au mois de mai 1910 par l’Allemagne et la Grande Bretagne. C’est
parmi ceux qui s’étaient réfugiés en Ouganda que fut créé le FPR (Front patriotique rwandais)
Prunier (1992a : 43-49 ; 1993 : 121-138).
40. Leur nombre était approximativement évalué entre 600 000 et 700 000 (Prunier, 1997 : 83). Sur
la question des réfugiés, et notamment sur ceux d’Ouganda et leur implication dans le mouvement
de Museveni, on se reportera à Prunier (1993 : 81-96). Selon le HCR de 1959 à 1962 il y aurait eu
entre 130 000 et 150 000 réfugiés dont 60 000 au nord Kivu, 35 000 en Ouganda, entre 35 000 et
42 000 au Burundi.
41. Pour tout ce qui concerne le FPR on se reportera à Prunier (1992a, 1993 et 1997).
42. Le 3 octobre 1990 le ministre des Affaires étrangères du Rwanda sollicita l’appui de la France.
Quelles furent les raisons qui poussèrent le Président Mitterrand à prendre la décision de
déclencher l’intervention française au Rwanda ? Selon l’amiral Jacques Lanxade qui était alors
Chef d’état-major particulier du président de la République, ce dernier : « […] a estimé qu’il
convenait de donner un signal clair de la volonté française de maintenir la stabilité du Rwanda car
il craignait une déstabilisation générale de l’ensemble de la région, qui risquait de toucher ensuite
le Burundi. Il considérait que l’agression du FPR était une action déterminée contre une zone
francophone à laquelle il convenait de s’opposer, sans pour autant s’engager directement dans le
conflit ou dans les combats. L’exiguïté du pays commandait une réaction rapide qui s’est traduite
par le déploiement de deux compagnies et la constitution du détachement Noroît […] Le président
(a) insisté pour que le régime rwandais s’engage dans un processus de démocratisation et pour que
notre présence militaire ait comme contrepartie cette évolution politique dans le sens de l’ouverture
afin de permettre la réconciliation nationale » (ETR, 1998, III/1 : 229).
43. Le chef de la mission de l’ONU était M. Jacques Roger Booh-Booh, nommé Représentant spécial
du Secrétaire général de l’ONU au Rwanda (RSSG). Diplomate de carrière de nationalité
camerounaise, il avait été plusieurs fois ambassadeur, notamment à Moscou, à Paris auprès de
l’Unesco et ministre des Relations extérieures de son pays durant 5 ans. Il avait sous ses ordres le
général canadien Roméo Dallaire, un militaire dont la personnalité se révéla fragile, qui n’avait
aucune expérience africaine et qui, dès son arrivée au Rwanda, apparût comme un adversaire du
général Habyarimana. Pour encore compliquer la situation, M. Booh-Booh et le général Dallaire ne
s’entendaient pas (Booh-Booh, 2005).
44. Les Tutsi n’étant que 15 % de la population, ils n’avaient aucune chance de l’emporter sur les
partis hutu, même si ces derniers étaient divisés.
45. Selon l’ancien ministre zaïrois de la Défense et conseiller spécial du président Mobutu en matière
de sécurité le président zaïrois aurait informé son homologue rwandais qu’un attentat le visant était
imminent.
46. Le Rapport du juge espagnol Merelles (2008) soutient lui aussi la thèse de l’attentat perpétré par
l’actuel pouvoir de Kigali. Or, comme l’a déclaré le 17 avril 2000 Madame Carla Del Ponte, ancien
Procureur devant le Tribunal pénal international du Rwanda (TPIR) : « S’il s’avérait que c’est le
FPR qui a abattu l’avion du Président Habyarimana, l’histoire du génocide devrait être réécrite. »
47. À la différence de l’APR largement approvisionné depuis l’Ouganda.
48. Les FAR résistèrent à Kigali alors qu’elles n’avaient pas de réserves de munitions. À ce sujet, on
se reportera au récit très documenté fait par le major Faustin Ntilikina (2008).
49. Cette opération fut décidée par la Résolution no 929 du 22 juin 1994 du Conseil de sécurité de
l’ONU. Selon la résolution, cette force devait « contribuer de manière impartiale, à la sécurité et à
la protection des personnes déplacées, des réfugiés et des civils en danger au Rwanda ».
Contrairement à la Minuar qui relevait du Chapitre VI, l’Opération Turquoise relevait du
Chapitre VII de la Charte de l’ONU qui permet le recours aux armes en cas de menace. Cette
opération qui s’est déroulée du 23 juin au 21 août 1994 était composée de 2 550 militaires français
et de 500 autres venus du Sénégal, de Guinée-Bissau, d’Égypte, du Tchad, de Mauritanie, du Niger
et du Congo.
50. Ces transfuges sont Jean-Pierre Mugabe (2000), Aloys Ruyenzi (2004) et Abdul-Joshua Ruzibiza
(2004 ; 2005).
51. Au mois de décembre 2019, au moment de la rédaction de ces lignes.
52. Après la publication de ce livre, Pierre Péan fut l’objet d’une véritable campagne de harcèlement
judiciaire lancée par des associations proches du régime de Kigali et par SOS Racisme. Plusieurs
plaintes furent déposées contre lui pour » complicité de diffamation raciale », « complicité de
provocation à la discrimination raciale » « racisme, xénophobie, révisionnisme et négationnisme ».
Durant le procès, un témoin de l’accusation a comparé le livre de Pierre Péan à « Mein Kampf ».
Le 7 novembre 2008, par un jugement de la 17e Chambre du tribunal correctionnel de Paris, Pierre
Péan a été relaxé de ces poursuites. Voir à ce sujet Deguine (2008).
53. Au Rwanda où la question Hutu-Tutsi est le fond du problème, l’actuel régime tutsi a décrété que
les ethnies n’existaient plus et que quiconque nierait ce postulat serait passible de poursuites pour
« divisionnisme ethnique ».
54. Le 26 avril I977, Mwambutsa mourut à Lausanne en Suisse.
55. Pays ayant décrété l’embargo : RDC, Zambie, Tanzanie, Éthiopie, Zimbabwe, Uganda, Rwanda,
Kenya et Érythrée.
56. La question n’est pas religieuse puisque les Kenyans sont à 66 % chrétiens, à 6 % musulmans et à
26 % animistes.
57. La double composante continentale et insulaire du pays pose bien des problèmes. Au point de vue
religieux tout d’abord, si la Tanzanie continentale est majoritairement chrétienne, il n’en est pas de
même des îles de Zanzibar et de Pemba, quasi exclusivement musulmanes.
58. 30,8 millions en 2001. Le recensement de 1989 qui n’a été rendu public qu’en 1994 a été contesté
(Golaz, 1997). Il a donné 25 millions d’habitants dont 4,4 millions de Kikuyu (17,6 %),
3,08 millions de Luhya (12,32 %), 2,65 millions de Luo (10,6 %), 2,45 millions de Kalenjin
(9,8 %), 2,44 millions de Kamba (9,76 %).
59. Les Luo appartiennent au groupe dit des « Nilotiques des rivières », ce qui les distingue des
autres nilotiques avec lesquels ils n’ont pas conscience de former une même population.
60. Il s’agit d’un ethnonyme désignant un ensemble de huit petites tribus, les Cherangani, les Elgeyo,
les Kipsigi, les Marakwet, les Nandi, les Pokot, les Sabaot et les Tugen, apparentées par la langue,
mais qui « […] n’avaient jamais connu une quelconque intégration » (Peatrik, 1998 : 71). Daniel
Arap Moi est Tugen.
61. Le terme Meru est lui aussi un ethnonyme servant à désigner huit petites tribus, les Igembe, les
Kienjai, les Muthara, les Thaîcho, les Munithû, les Ogoji, les Mwimbî et les Chuka, unies par la
langue et par la filiation car leurs membres prétendent descendre d’un ancêtre fondateur commun,
mais qui n’étaient pas unies au moment de la conquête coloniale (Peatrik, 1998 : 71).
62. En 1996 les députés Luhya accusèrent le secrétaire général de la Kanu, Joseph Kamotho, un
Kikuyu, de les avoir traités de tribu « de cuisiniers et de gardiens ».
63. L’attentat du 7 août 1998 contre l’ambassade américaine de Nairobi qui fit 213 morts n’entre pas
dans ces catégories.
64. Les trois-quarts des Kenyans vivent sur le huitième du territoire.
65. Il deviendra vice-président avant de mourir de maladie le 23 août 2003.
66. Elle rejoindra plus tard le NPK (National Party of Kenya) avant de soutenir la candidature de
Raila Amolo Odinga lors des élections de 2007.
67. D’après le fruit imprimé sur les bulletins « non », alors que les bulletins « oui » étaient ornés
d’une banane.
68. Steven Kalonzo Musyoka avait quitté la Kanu en 2002 avec Raila Odinga pour former avec lui le
NARC puis le PDL. Ministre de l’Environnement après la victoire de Mwai Kibaki, il avait une
fois encore suivi Raila Odinga dans la campagne pour le « Non » et, comme, lui avait été exclu du
gouvernement avant de cofonder, toujours avec lui, l’ODM. Leurs routes s’étaient séparées quand
Raila Odinga quitta l’ODM-K pour refonder l’ODM car lui, était resté dans le parti dont il avait
pris la tête.
69. Le Parlement est composé de 222 députés dont 210 élus au suffrage universel et 12 nommés par
les partis proportionnellement à leur représentativité.
70. Avec eux, le président Kibaki pouvait compter sur 78 sièges au Parlement.
71. Le problème est que « Nous les Kenyans, ne votons pas sur des sujets de société, nous votons sur
des considérations ethniques » (Maina Kiai président de la Commission nationale kenyane des
droits de l’Homme (KNCHR).
72. Les habitants du Buganda sont les Baganda ; leur langue est le luganda.
73. Les Baganda furent régulièrement les auxiliaires des Britanniques, notamment à l’époque de la
conquête coloniale, notamment au Bunyoro et dans les régions septentrionales où des Baganda
furent régulièrement nommé chefs. Pour les autochtones, ce n’étaient pas les Britanniques qui les
avaient colonisés, mais les Baganda et ils les virent comme leurs ennemis, ce qui posa bien des
problèmes au lendemain de l’indépendance (Okuku, 2002 : 12).
74. Un autre élément de division qu’il importe de ne pas perdre de vue est l’opposition entre
catholiques et protestants (Médard, 2003 ; Okuku, 2002 : 12-13).
75. Les Kakwa appartiennent au groupe des Nilotiques des plaines.
76. Il régularisa les relations entre l’Ouganda et le Soudan au mois de février 1972 en signant un
accord de paix à Addis-Abeba. C’est alors que Milton Obote quitta le Soudan où il s’était réfugié
pour aller s’installer en Tanzanie.
77. Banyankole : originaires de l’Ankole ; Batoro : originaires du Toro ; Banyoro : originaires du
Bunyoro, etc.
78. Il est Hima par son père et Tutsi rwandais par sa mère (Prunier, 1986 : 103).
79. Selon Prunier (2005), ils étaient alors 3000 sur les 14 000 combattants de la NRA, soit 20 % des
effectifs. En janvier 1986, au moment de la prise du pouvoir par Yoweri Museveni, 20 à 25 % des
effectifs de la NRA étaient Tutsi. Après la victoire, plusieurs hauts postes leur furent confiés. Fred
Rwigema fut nommé général major, puis chef d’état-major adjoint et vice-ministre de la défense
nationale. Les majors Chris Bunyenyezi et Stephen Ndugute reçurent chacun le commandement de
brigades tandis que Paul Kagamé devint directeur adjoint des services de renseignement. À la fin
de l’année 1989, Fred Rwigema et Paul Kagamé abandonnèrent leurs fonctions officielles au sein
de l’appareil d’État ougandais. Au sujet des Rwandais occupant des postes de responsabilité dans la
NRA ougandaise, on se reportera à Ruzibiza (Prunier, 2005 : 95 et suivantes).
80. Cette armée « nationale » ougandaise était en fait une milice tribale nordiste qui avait combattu
aux côtés des Tanzaniens lors de la guerre de 1978-1979 et qui était commandée par le général
Oyité-Ojok. Après sa mort survenue en 1983, elle éclata en factions tribales.
81. Afin de réconcilier les diverses composantes de l’Ouganda, Yoweri Museveni concrétisa les
promesses de restauration monarchique faites dans le maquis. En 1993 et en 1994, il restaura ainsi
les quatre royaumes du Buganda, du Bunyoro, du Toro et du Busoga (Aïna, 2004).
82. Cette année-là, sur 35 officiers promus 18 étaient Banyankole dont 16 Hima (Okuku, 2002 : 36).
83. Les 30 millions de Tanzaniens sont répartis en plus de 100 ethnies dont aucune n’est
véritablement dominante au point de vue démographique. Dans l’ordre d’importance, nous
distinguons : les Sukuma 12 % ; les Nyamwezi : 5 % ; les Ha : 4 % ; les Makonde : 3,8 % ; les
Gogo : 3,7 % ; les Haya : 3,6 %, les Chagga : 3,2 %, les Hehe : 2,6 %, les Nyakusa : 2,6 %, les
Nyaturu : 2,5 %, les Zaramo : 2,3 %, les Bena : 2,1 %, les Shambala : 1,7 %, les Yao : 1,7 %, les
Masai : 1,7 %, les Zigoula : 1,6 %, les Nguni : 1,4 %, les Iraqw : 1,4 %, les Pare : 1,3 %, les
Makoua : 1,3 %, les Ngindo : 1,1 %, les Fipa : 1 %, les Jita : 1 %, les Rufiji : 1 %. Ces principales
ethnies totalisent 63,4 % de la population. Elles appartiennent à deux grands ensembles : nilotique
ou para-nilotique et bantuphone.
Chapitre VIII.
L’Afrique australe

Depuis la décennie « 1960 », l’Afrique australe a connu de profondes


mutations.
En Rhodésie du Sud, en 1965, la déclaration unilatérale d’indépendance
de la minorité blanche dirigée par M. Ian Smith, déboucha sur un boycott
international et sur une guerre.
En Angola et au Mozambique, l’indépendance n’entraîna pas le retour à
la paix. Elle fut en effet suivie de la généralisation de deux guerres qui
constituèrent deux des plus importants conflits de la période de la guerre
froide avec des protagonistes nationaux (MPLA contre Unita et Frelimo
contre Renamo) soutenus, les uns par le bloc soviétique (Cuba), et le second
par l’Occident (Afrique du Sud).
Au Sud-ouest africain (Namibie) la situation était compliquée par un
imbroglio juridique international.
Quant à l’Afrique du Sud, en y acceptant les frontières tracées par les
Britanniques, les Afrikaners y étaient à leur tour devenus des colonisateurs,
mais des colonisateurs « intérieurs » car, à partir de 1948, c’est eux qui
eurent la charge de maintenir la cohésion de l’ensemble sud-africain. Ils
étaient paradoxalement devenus les nouveaux gardiens de cette véritable
« prison de peuples » qu’était l’Afrique du Sud contre la création de
laquelle ils avaient tant lutté.
Durant la décennie 2010-2020, l’Afrique australe a vu ses principaux
dirigeants historiques mourir ou quitter le pouvoir. Ce fut le cas de Nelson
Mandela en Afrique du Sud, de Robert Mugabe au Zimbabwe, de José
Eduardo Dos Santos en Angola, cependant qu’au Mozambique, un accord
de paix était signé entre le Frelimo et la Renamo, mettant ainsi un point
final à presque un demi-siècle de conflit. Si la page ouverte à l’époque des
luttes nationalistes est désormais tournée, les problèmes propres à la sous-
région demeurent.
A. De la Rhodésie au Zimbabwe
Le 11 novembre 1965, en dépit des menaces économiques et politiques,
la Rhodésie du Sud proclama sa propre indépendance sous le nom de
Rhodésie. La Grande-Bretagne refusa de reconnaître le nouvel « État »,
mais elle ne s’aligna pas sur les États africains qui exigeaient d’elle des
mesures militaires. L’ONU vota des sanctions et un embargo total. Les
Blancs ne cédèrent pas et créèrent une industrie capable de subvenir à la
plus grande partie des besoins du pays. Chez les Noirs, chacune des deux
grandes ethnies de Rhodésie créa son propre mouvement de lutte. Les
Shona se retrouvaient ainsi dans la ZANU (Zimbabwe National Union)
dirigée par Robert Mugabe tandis que les Matabélé avaient fondé la ZAPU
(Zimbabwe African People’s Union) ayant à sa tête Josuah Nkomo.

1. L’indépendance auto proclamée et ses conséquences


Par deux fois, en 1966 et en 1968, MM. Wilson, Premier ministre
britannique et Smith se rencontrèrent afin de tenter de résoudre la crise
opposant le gouvernement britannique à ses colons révoltés. En 1966,
M. Wilson réaffirma clairement la position de Londres qui était qu’aucune
reconnaissance de l’indépendance rhodésienne ne pouvait être envisagée
sans application de la règle de la majorité, ce que la délégation conduite par
M. Smith refusait.
Après l’échec de la seconde entrevue qui eut lieu en octobre 1968, la
Rhodésie décida de couper tous les liens qui la rattachaient encore à la
Grande-Bretagne. Puis, en 1969, la République fut proclamée avec Clifford
Dupont comme premier président. Une nouvelle Constitution fut
promulguée qui marquait une sérieuse évolution des positions du Front
rhodésien puisqu’une parité entre les Blancs et les Noirs était prévue avec
un nombre égal de sièges au Parlement. Les nationalistes noirs refusèrent
cette nouvelle Constitution et à partir de bases situées en Zambie,
l’ancienne Rhodésie du Nord, ils commencèrent des actions de guérilla.
En 1970, les Conservateurs remportèrent les élections britanniques et les
négociations reprirent sur la base de la constitution de 1969, c’est-à-dire sur
la parité entre les Noirs et les Blancs. Un accord constitutionnel fut conclu
en 1971. mais pour son application, Londres posa un préalable qui était
qu’une commission, la Commission Pearce, puisse aller sur place, afin de
vérifier si cette Constitution et l’Accord qui l’entérinait, satisfaisait la
majorité de la population.
Afin de contrer cette tentative de règlement politique entre l’ancienne
métropole et sa colonie rebelle, l’évêque Abel Muzorewa, un Shona, mena
en décembre 1971, une vigoureuse campagne de protestation. ll était le
leader de l’ANC (African National Council), parti non interdit car n’ayant
pas rejoint la guérilla. Londres abandonna alors ce projet et les nationalistes
noirs tentèrent d’unir leurs différents mouvements afin de lutter plus
efficacement contre le régime blanc. En décembre 1974 la ZANU et la
ZAPU rejoignirent l’ANC et fut alors fondé l’UANC (United African
National Council) avec l’aval de Josuah Nkomo, le leader matabélé alors en
prison.
Devant la radicalisation de la situation, l’Afrique du Sud commença à
faire pression sur le gouvernement rhodésien afin qu’un arrangement soit
trouvé avec les nationalistes noirs. En 1976 le secrétaire d’État américain,
M. Kissinger et le président Vorster proposèrent qu’un gouvernement
intérimaire composé à égalité de Blancs et de Noirs soit constitué et qu’il
soit chargé de rédiger une nouvelle Constitution permettant qu’au bout de
deux années les Noirs puissent accéder au pouvoir. M. Smith donna son
accord et une réunion se tint à Genève, mais les nationalistes noirs
refusèrent le plan Kissinger.
Une autre entrevue eut lieu en 1976 aux Victoria Falls, mais elle échoua
dès les premiers instants car l’UANC avait un préalable non négociable et
inacceptable pour la délégation blanche, à savoir, la remise immédiate du
pouvoir à la majorité noire.
Libéré de prison en 1975, Robert Mugabe1 était parti pour le
Mozambique qui venait d’accéder à l’indépendance et qui offrait aux
nationalistes noirs de Rhodésie la base arrière pour leurs attaques contre le
régime blanc. Soutenu par l’URSS et par la Chine communiste, il y
réorganisa la ZANU et en 1977, il devint le chef de son aile militaire, la
ZANLA (Zimbabwe African National Liberation Army). Sur le terrain, les
mouvements nationalistes noirs s’affrontaient ; aussi, pour mettre un terme
à ces luttes qui affaiblissaient la guérilla face à l’armée rhodésienne,
MM. Mugabe et Nkomo fondèrent ensemble le Patriotic Front (PF), puis
ils décidèrent d’intensifier les actions armées.
Dans le même temps, un front modéré noir se constitua avec
M Muzorewa, le révérend Ndabahingi Sithole2 et le chef Chirau. Ces trois
gr

personnalités négocièrent avec le gouvernement rhodésien et au mois de


mars 1978, un accord fut trouvé sur une base parlementaire de 100 députés,
à savoir 72 noirs et 28 blancs. Il était prévu que 20 des 28 députés blancs
seraient élus par les seuls blancs.
Ce règlement interne de la question rhodésienne fut rejeté par la Grande-
Bretagne, par les États-Unis et par les États africains car il avait été négocié
sans la participation du PF. Le gouvernement rhodésien organisa néanmoins
des élections. En dépit d’attentats, de menaces et de pressions, le scrutin
d’avril 1979 réunit 65 % de votants. Mgr Muzorewa en fut le vainqueur et le
29 mai 1979, il fut nommé Premier ministre de la Rhodésie. Mais l’impasse
était toujours totale car ce gouvernement multi-racial dans une Rhodésie
gouvernée par une majorité noire ne convenait pas à l’OUA (Organisation
de l’Unité Africaine) qui continuait à soutenir le PF, qui lui-même menait
une guérilla de plus en plus pugnace, soutenu militairement par le bloc
soviétique largement présent au Mozambique et en Zambie.
Cette même année 1979 vit le retour des Conservateurs au pouvoir en
Grande-Bretagne et le nouveau Premier ministre, Mme Thatcher réussit à
réunir autour d’une table de négociations, les représentants du nouveau
gouvernement rhodésien et ceux du PF. En décembre 1979, les accords de
Lancaster House furent signés. Leur originalité était que la Rhodésie
redevenait provisoirement une colonie britannique administrée directement
par un gouverneur nommé par Londres, en l’occurrence Lord Soams, lequel
était chargé d’organiser des élections libres sur la base du suffrage
universel. L’armée britannique devait veiller à ce que les trois armées
rhodésiennes (celle de la colonie rebelle, celle de la ZAPU et celle de la
ZANU) restent dans leurs casernes.
Le 28 décembre 1979, le cessez-le-feu devint officiel en Rhodésie et du
27 au 29 février 1980, eurent lieu des élections. Ce fut un vote
essentiellement ethnique dans la mesure où les suffrages des 70 % de Shona
se portèrent sur des candidats shona tandis que les votes des Matabélé se
retrouvèrent sur les candidats ZAPU de Josuah Nkomo. La ZANU de
Robert Mugabe remporta donc les élections et en avril 1980, la Rhodésie
devint officiellement indépendante, sous le nom de Zimbabwe. Dans le sud
du pays, en zone matabélé, une guerre tribale éclata bientôt, les Matabélé
n’acceptant pas de se voir dirigés par les Shona qui leur étaient soumis
avant la venue des Blancs3.

2. Le Zimbabwe de Robert Mugabe


L’héritage laissé par le régime de M. Ian Smith était important : le pays
disposait ainsi d’excellentes infrastructures routières et ferroviaires, la
population était largement alphabétisée et l’économie de type industriel
avec un secteur agricole hautement compétitif. De plus, la politique des
sanctions internationales avait contraint les Rhodésiens à créer une industrie
de transformation.
Le pays vécut sur ces acquis, cramponné au dogme socialiste et marxiste.
En 1995, la faillite étant totale, le président Mugabe fut contraint d’opérer
une spectaculaire volte-face idéologique afin de solliciter l’aide des
instances internationales. À la fin de l’année, une hausse de 28 % du prix
maïs, l’aliment de base des Zimbabwéens, déclencha les premières d’une
longue série d’émeutes de la faim. Le pouvoir les réprima avec fermeté.
Au mois de mars 1996, le président Mugabe, candidat unique à sa propre
succession fut réélu pour un mandat de six ans avec 92,7 % des voix ; mais,
seuls 32 % des électeurs s’étaient présentés aux urnes. En 1997, le climat
social continua à se détériorer, empoisonné par les rumeurs concernant le
train de vie fastueux des dirigeants et de leurs proches, notamment celui de
Grace Mugabe, la jeune épouse du président.
En 1998, le président Mugabe envoya un corps expéditionnaire de 12 000
hommes en RDC/Zaïre afin d’y soutenir le président Kabila dont les armées
avaient été balayées par celles du Rwanda. Mais l’économie du Zimbabwe
n’était pas en mesure d’assumer les dépenses occasionnées par le coût de
cette guerre, évaluées à 25 millions d’US dollars par mois4. Le pays devenu
insolvable subit alors une flambée des prix. Pour sortir de l’impasse, la
seule issue était d’augmenter les impôts. Mais, face à la mobilisation des
syndicats et aux menaces d’insurrection, le gouvernement dut renoncer à
son projet tout en accordant aux travailleurs une revalorisation des salaires
afin de compenser les effets de l’inflation. Le résultat de ces mesures fut
l’amplification du déficit budgétaire et l’effondrement de la monnaie avec,
de plus, une pénalisation du secteur industriel contraint de supporter
l’essentiel des augmentations.
L’explosion qui couvait se produisit avec l’annonce d’une augmentation
de 67 % du prix du litre d’essence et de 345 % du pétrole lampant utilisé
pour la cuisine et l’éclairage domestique. De graves émeutes éclatèrent
alors dans les principales villes du pays. C’est alors qu’un scandale faillit
couper le régime de sa base militante. Les pensions versées aux 55 000
« anciens combattants » de la guerre contre le régime de M. Ian Smith
durant les années 1965-1980 avaient en effet en partie été détournées,
provoquant la colère des ayants-droit, partisans inconditionnels du président
Mugabe. Pour ne pas perdre leur indispensable soutien au moment où son
pouvoir était menacé par les émeutes populaires, le président fit alors
accorder une prime de 5 000 dollars zimbabwéens à chaque vétéran,
achevant ainsi de crever toutes les prévisions budgétaires, et, afin de
conserver l’appui de ses alliés, il leur promit les terres possédées par les
Blancs.
En 1999 la catastrophe connut une nouvelle accélération avec
l’effondrement du dollar zimbabwéen qui perdit 80 % de sa valeur face aux
devises et les conditions de vie se dégradèrent encore davantage. L’inflation
dépassa les 57 %, tandis que le prix du gallon d’essence passa de 5 à
12 dollars zimbabwéens. Quant au taux de chômage il atteignit les 50 %.
Or, avec une croissance démographique de 2,8 % par an, le Zimbabwe
voyait arriver chaque année des dizaines de milliers de jeunes adultes sur le
marché du travail. Avec une dette extérieure s’élevant en janvier 2000 à
4,5 milliards d’US $, le pays fut en cessation de paiements. La compagnie
nationale la NOCZIM (National Oil Company of Zimbabwe) se trouva
même dans l’impossibilité de payer ses fournisseurs qui exigeaient des
garanties bancaires pour des chargements livrés au compte-gouttes. Or,
chaque semaine 1,5 million de litres de carburant étaient nécessaires pour le
corps expéditionnaire envoyé en RDC. La situation était la même en ce qui
concernait l’électricité car la ZESA (Zimbabwe Electricity Supply
Authority) avait également nombre de factures impayées chez ses
fournisseurs étrangers (RSA et Mozambique).
Pour tenter de rebondir politiquement le régime organisa alors un
référendum. Il se tint le 13 février 2000 et il prévoyait un pouvoir
présidentiel encore renforcé. Pour pousser les électeurs à voter « oui »,
furent associés à ce vote constitutionnel un projet d’expulsion des fermiers
blancs et une réforme agraire. Le référendum fut un désastre pour le
président qui, en dépit de la fraude, fut désavoué par 54,6 % des
Zimbabwéens qui votèrent « non ». Considérant que les 80 000 Blancs
étaient responsables de cette humiliation, il fit alors voter par l’Assemblée
l’expropriation sans indemnité des fermiers. L’opposition ayant attaqué ce
vote devant la Haute Cour, il ordonna à ses militants d’occuper
immédiatement 1 100 fermes5.
Au début du mois d’avril 2000, la Haute Cour ordonna au gouvernement
de faire évacuer les 1 100 fermes envahies. En réaction, le 11 avril le
gouvernement annonça la dissolution du parlement et le retour devant les
électeurs. L’opposition s’était alors structurée autour d’un jeune mouvement
fondé au mois septembre 1999, le MDC (Movement for Democratic
Change) issu du puissant syndicat ZCTU (Zimbabwean Congress of Trade
Union). Son leader, Morgan Tsvangirai, shona comme le président Mugabe,
n’hésita pas à déclarer qu’au bout de vingt années de dictature les
Zimbabwéens étaient plus pauvres qu’à l’époque du régime de la minorité
blanche.
En 2001, le taux d’inflation atteignit 103,8 % et en octobre 2001, pour
tenter de freiner le mouvement, le gouvernement décida de rétablir le
contrôle des prix sur les produits de base. Jadis exportateur de nourriture, le
Zimbabwe fut contraint de lancer un appel à l’aide internationale pour
éviter qu’une famine touche 500 000 personnes. Quant au taux de chômage,
il passa à 65 %, ce qui s’expliquait car, depuis l’année 2000, le PNB avait
baissé de 6 à 10 % et 300 000 emplois avaient été perdus.
Début 2002, face à tous ces échecs, le clan présidentiel engagea alors un
combat pour sa survie, sachant que s’il perdait le pouvoir il lui faudrait
rendre des comptes. Tout fut donc mis en place pour qu’il sorte vainqueur
des élections de mars 2002. Six des plus importants juges du Zimbabwe
furent ainsi été poussés à la démission ou démis et aussitôt remplacés par
des hommes appartenant au clan Mugabe. Le 9 janvier, l’armée fit savoir
qu’elle n’accepterait pas une victoire de M. Tsangirai car une telle
éventualité reviendrait à remettre en cause les « acquis de la révolution ».
Quant aux activités de l’opposition (MDC), elles furent qualifiées de
« terroristes » par le gouvernement et la prison fut promise aux journalistes
ou aux politiciens qui saperaient « l’autorité du président » ou qui
provoqueraient l’hostilité à sa personne.
Le 29 mars 2008 eut lieu le premier tour de l’élection présidentielle
couplée avec les élections législatives.
En dépit de fraudes importantes, la ZANU-PF, le parti au pouvoir, ne
remporta que 97 sièges contre 99 au MDC, 11 sièges allant à des candidats
indépendants.
Les deux principaux candidats à l’élection présidentielle étaient le
président sortant, M. Robert Mugabe pour la ZANU-PF et M. Morgan
Tsvangirai, leader du MDC. Le résultat de ce scrutin ne fut annoncé que le
2 mai et dans la plus grande confusion, la ZANU-PF ayant exigé que les
bulletins fussent recomptés. M. Tsvangirai ayant obtenu 48 % des voix et le
président sortant 43 %, un second tour était donc nécessaire, mais Morgan
Tsvangirai affirmait qu’il avait été élu dès le premier tour avec plus de 50 %
des voix.
La campagne pour le second tour se déroula dans un climat de quasi-
guerre civile, les militants de la ZANU-PF, la police et l’armée traquant les
opposant. Plusieurs dizaines de morts, des centaines de blessés et
des milliers de déplacés furent à déplorer. Huit jours avant la date du
scrutin, en raison du climat quasi insurrectionnel et de la terreur que le parti
au pouvoir faisait régner, Morgan Tsvangirai renonça à se présenter pour ne
pas faire courir de risques graves à ses électeurs.
Le second tour se déroula le 27 juin et, seul en lice, Robert Mugabe fut
réélu avec plus de 90 % des suffrages.
Le 27 juin 2008, Robert Mugabe fut élu pour un 5e mandat à l’issue d’un
nouveau scrutin truqué. Cinq ans plus tard, le 31 juillet 2013, alors que
l’effondrement économique du pays était total, il remporta une nouvelle fois
les élections présidentielles en étant élu pour un 6e mandat.
Le 27 février 2016, alors que le pays était en état de quasi-famine, les
92 ans du président Mugabe furent fastueusement célébrés par 50 000
invités. Cependant, son mandat s’achevant en 2018, et, compte tenu de son
âge, des remous secouèrent la ZANU-PF quand il fut question d’un
7e mandat. D’autant plus qu’au mois de juillet 2016, tout le pays fut secoué
par des mouvements sociaux.
Dans ce contexte lourd d’orages, le clan présidentiel tenta d’imposer
Grace Mugabe (41 ans), l’épouse du président devenue secrétaire national
de la ligue féminine de la ZANU-PF, le parti au pouvoir. Une fracture du
parti de gouvernement se produisit alors car sa personnalité était plus que
contestée en raison de ses frasques et de son luxueux train de vie. Les
opposants à Grace Mugabe se rangèrent alors derrière le vice-président
Emmerson Mnangagwa, jusque-là homme de confiance du président.
Grace Mugabe tenta alors d’évincer Emmerson Mnangagwa6. Menacé, ce
dernier fut contraint de s’enfuir au Mozambique, mais, le 21 novembre
2017, l’armée prit son parti et contraignit le président à la démission.
Le nouveau président hérita d’un pays ruiné par son prédécesseur dont il
fut un plus que fidèle serviteur, un pays au bord de la famine avec une
population en situation d’auto-subsistance. Robert Mugabe mourut le
6 septembre 2019, à l’âge de 95 ans et le pays lui fit des obsèques
nationales.
Un président populaire en Afrique
Pour les « Occidentaux », dernier chef d’État marxiste du continent africain, Robert
Mugabe fut un dictateur sanguinaire et borné qui ruina la prospère Rhodésie. En
Afrique, il était tout au contraire considéré comme un libérateur, comme l’homme qui
avait tenu tête aux instances internationales, et d’abord, comme celui qui avait su
enlever la terre aux colons blancs.
Robert Mugabe était également populaire sur le continent africain auprès en raison
de ses prises de position sur les problèmes de société. Ainsi au mois d’août 1996,
avait-il déclaré :
« Si nous acceptons l’homosexualité comme un droit, tel que l’exigent les
associations de sodomites et de pervers sexuels, quelle force morale aura notre
société pour refuser aux drogués, et même aux zoophiles, les droits qu’ils estiment
être les leurs sous prétexte de libertés individuelles et de droits de l’homme ? »
Robert Mugabe était également loué pour ses propos concernant les Blancs. Le
21 février 2000, date de son soixante-seizième anniversaire, il avait ainsi affirmé :
« Les Blancs de ce pays doivent demander pardon pour leurs péchés passés […]
Le combat est clair : c’est Noirs contre Blancs ».
Quelques jours auparavant, le 6 février, il n’avait pas hésité à déclarer, lors d’un
discours radiotélévisé : « Notre seuil de tolérance raciale a ses limites » et, trois
semaines plus tard, le 17 avril 2000, ses propos furent encore plus clairs : « Les
Blancs sont nos ennemis ».

B. L’Angola
Le 15 janvier 1975 les « accords d’Alvor » furent signés par MM
Agostinho Neto pour le MPLA, Jonas Savimbi (Loiseau et de Roux, 1987)
pour l’Unita et Holden Roberto pour le Fnla. La date de l’indépendance fut
fixée au 11 novembre et un gouvernement provisoire composé du Mpla, de
l’Unita et du Fnla devait être formé. Or, ces accords furent violés par le
Mpla au mois de mars 1975, quand les Fapla (Forces armées populaires de
libération de l’Angola) l’armée du Mpla, attaquèrent par surprise le quartier
général de l’Unita à Luanda, tuant plusieurs de ses dirigeants.
La seconde guerre d’Angola éclata alors. La ville de Luanda fut l’objet
de violents combats et un immense exode de la population portugaise se
produisit. Lisbonne dû même, dans l’urgence, organiser un pont aérien pour
transporter vers la métropole plusieurs centaines de milliers de rapatriés,
cependant que 200 000 Portugais émigraient en Afrique du Sud.

1. La seconde guerre d’Angola


Au mois de juin, à Nakuru, au Kenya, les trois mouvements nationalistes
acceptèrent d’en revenir aux accords d’Alvor et de fusionner leurs branches
armées respectives dans une armée nationale. Les combats ne cessèrent pas
pour autant et le Portugal, constatant l’impossibilité de constituer un
gouvernement transitoire, décida de reprendre provisoirement
l’administration directe du territoire. Mais le Mpla exigea le départ des
dernières troupes portugaises avant le 11 novembre, date fixée pour
l’indépendance. Lisbonne dont nombre de représentants locaux étaient
acquis au Mpla reconnut alors le mouvement marxiste comme seul
interlocuteur valable.
L’Angola devint ainsi un pays aligné sur le bloc soviétique. Pour éviter le
bouleversement régional qu’une telle orientation allait provoquer, le
22 octobre 1975, l’armée sud-africaine déclencha l’Operation Zoulou
destinée à empêcher la prise du pouvoir par le Mpla à Luanda. Les Sud-
africains7 avancèrent jusqu’aux portes de la capitale sans rencontrer de
résistance (Hamann, 2001 : 1-18), avant de devoir se replier devant la
réprobation internationale.
Le 5 novembre 1975, en réponse à l’intervention sud-africaine, le bloc
soviétique déclencha l’Opération Carlotta et une noria d’avions gros-
porteurs achemina un corps expéditionnaire cubain destiné à soutenir le
MPLA8. Le conflit s’était internationalisé.
Le 11 novembre 1975 l’indépendance fut proclamée dans le plus total
chaos. À Luanda, le Mpla proclama la République populaire d’Angola alors
qu’à Huambo, dans le centre du pays, l’Unita et le Fnla proclamaient la
République démocratique d’Angola.
Au mois de janvier 1976, les troupes sud-africaines commencèrent à se
retirer d’Angola et le MPLA, appuyé par les Cubains, en profita pour lancer
une puissante offensive contre l’Unita. Les blindés cubains lui permirent de
prendre Huambo, Lobito et les principales villes du pays. La victoire du
Mpla sembla alors totale et le FNLA abandonna la lutte cependant que
l’Unita se repliait en brousse, adossé à la frontière avec le Sud-Ouest
africain d’où il pouvait être aidé par l’Afrique du Sud. De là, il développa
une guérilla pugnace que le MPLA ne parvint pas à réduire, puis il lança
une contre-offensive qui bouscula les Fapla. En 1978, 23 000 soldats
cubains étaient présents en Angola où ils épaulaient les Fapla qui ne
parvenaient pas à vaincre l’Unita.
Le 10 septembre 1979 Agostinho Neto mourut à Moscou et José Eduardo
Dos Santos lui succéda à la tête du Mpla. De 1980 à 1983, les combats
furent incessants et l’armée sud-africaine lança des raids pour venir en aide
à l’Unita directement confrontée aux troupes cubaines. Au mois de
février 1981, l’Unita et les Sud-africains remportèrent une importante
bataille à Mavinga où plusieurs unités blindées cubaines furent détruites.
Le 16 février 1984 l’Afrique du Sud et l’Angola signèrent les accords de
Lusaka par lesquels Pretoria s’engageait à retirer ses troupes d’Angola,
mais le conflit, loin de cesser, gagna encore en intensité. En 1987 et en
1988, l’Unita prit l’offensive avec le soutien des unités spéciales sud-
africaines. La guerre qui était alors totale vit même se dérouler des
engagements aériens entre Mig Cubains et Mirage Sud-africains.
Au mois de décembre 1987, les Fapla lancèrent une offensive majeure
contre l’Unita et prirent la ville de Mavinga. En mai 1988, l’Unita, aidée
par les unités spéciales sud-africaines (32e bataillon) contre-attaquèrent et
reprirent la ville. Les Fapla et l’essentiel du corps blindé cubain se
replièrent alors à Cuito Cuanavale qui fut assiégée par l’armée sud-africaine
(Hamann, 2001 : 63-102). Pressé par ses généraux de donner l’ordre
d’assaut qui aurait permis à l’Afrique du Sud de remporter une victoire de
haute portée, le président Botha refusa9 et le siège fut levé.
Le 5 août 1988 un cessez-le-feu fut néanmoins signé entre Cuba, le
MPLA et la RSA, mais l’Unita déclara qu’elle n’était pas concernée par cet
accord. Ce cessez-le-feu fut néanmoins suivi le 22 décembre 1988 par le
Traité de New York conclu entre Cuba, l’Angola et l’Afrique du Sud et qui
stipulait le rapatriement des soldats cubains alors présents en Angola10.
Le 31 mai 1991, à Lisbonne, le président Dos Santos pour le Mpla et
Jonas Savimbi pour l’Unita, signèrent des accords de paix conclus à Estoril
le 1er mai. Le cessez-le-feu fut officiel à partir du 31 mai.
Le 26 août 1991 la République populaire d’Angola devint la République
d’Angola et les 29 et 30 septembre 1992, les élections générales prévues par
les accords de paix eurent lieu. Lors du scrutin pour les législatives le Mpla
obtint 53,74 % des voix et l’Unita 34,1 %. Au premier tour des élections
présidentielles, Eduardo Dos Santos réunit 49,57 % des suffrages sur son
nom et Jonas Savimbi 40,07 %. Ce dernier contesta ce résultat et le second
tour des présidentielles n’eut pas lieu car l’Unita retira ses troupes de
l’armée « unifiée ».
Le 29 octobre 1992, se produisirent les « massacres de la Toussaint ».
Comme il l’avait fait au mois de juin 1975, le Mpla attaqua en effet les
hôtels abritant les cadres de l’Unita qui furent massacrés. La guerre reprit
alors.

2. Les troisième et quatrième guerres d’Angola


La troisième guerre d’Angola se déroula en plusieurs phases :
– entre les mois de décembre et de septembre 1993, l’Unita eut
l’avantage. La plus importante bataille de cette phase de la guerre se
termina le 6 mars 1993 par une victoire des hommes de Jonas Savimbi
qui, après 55 jours de combats acharnés, s’emparèrent de la ville de
Huambo. À la fin du mois d’août 1993, l’Unita fut à son apogée
militaire puisque 75 % de l’Angola était alors sous son contrôle ;
– un retournement de situation se produisit le 19 mai 1993 quand les
États-Unis renversèrent leurs alliances, cessant de soutenir l’Unita et
reconnaissant le régime du président Dos Santos. Puis, au mois de
septembre, les Nations Unies décidèrent un embargo pétrolier et
militaire contre l’Unita ;
– à partir du 26 septembre 1993, date de l’entrée en vigueur de l’embargo
de l’ONU exercé contre son mouvement, Jonas Savimbi eut de plus en
plus de mal à se procurer carburant, armes et munitions et au mois de
décembre 1993 la situation militaire commença à évoluer en faveur des
forces gouvernementales ;
– du mois d’août au mois de septembre 1994, l’armée gouvernementale
reprit Cuito-Cuanavale, Huambo et les principales villes jusque-là
tenues par l’Unita qui perdit la quasi-totalité des territoires conquis
depuis 1993. Vaincu, le 20 novembre 1994, Jonas Savimbi accepta de
signer le « Protocole de Lusaka » qui prévoyait un cessez-le-feu et la
reconnaissance du résultat des élections de 1992.
Trois ans plus tard, en 1997, éclata la quatrième et dernière guerre
d’Angola, quand la crise zaïroise bouleversa les données géopolitiques
régionales. Le gouvernement de M. Dos Santos privilégia à partir de cette
date un vigoureux interventionnisme qui se fit en trois étapes :
1. au mois de mai 1997, en prenant à revers les ultimes lignes de défense
zaïroises, les forces angolaises permirent aux hommes de Laurent-
Désiré Kabila de faire sauter le verrou de Kenge, puis de s’emparer de
Kinshasa et de chasser du pouvoir le maréchal Mobutu indéfectible
soutien de l’Unita ;
2. en juillet 1997, au Congo Brazzaville, l’armée angolaise donna la
victoire à Denis Sassou Nguesso qui luttait contre le bloc kongo animé
par le président Lissouba et par Bernard Kolélas le maire de
Brazzaville. Pour Luanda, il importait de chasser du pouvoir les Kongo
qui soutenaient les indépendantistes du Cabinda auxquels ils étaient
ethniquement apparentés ;
3. au mois de juillet 1998, quand Laurent-Désiré Kabila fut gravement
menacé par une rébellion des contingents tutsi de son armée, c’est
également une intervention militaire angolaise qui sauva son régime.
Pour Luanda, il s’agissait une fois encore de sécuriser le Cabinda et les
forces angolaises pénétrèrent en RDC afin de couper la route de
Kinshasa aux « rebelles ».
En Angola même, la guerre qui n’avait jamais véritablement cessé
redémarra de plus belle en 1998. Au mois de décembre, l’Unita qui avait
repris l’offensive contrôlait environ 40 % du pays, mais une scission avait
affaibli le mouvement et plusieurs de ses dirigeants qui avaient décidé de se
rapprocher du gouvernement angolais avaient constitué un « comité de
rénovation de l’Unita ». Décidés à appliquer les accords de paix signés en
1994 à Lusaka, ils désavouaient ainsi Jonas Savimbi et sa politique
jusqu’au-boutiste, allant jusqu’à rompre avec lui en affirmant qu’ils
voulaient créer une Unita « démocratisée ».
Mais ce fut l’embargo de l’ONU qui eurt raison de la résistance de Jonas
Savimbi. Il comportait le gel des comptes bancaires de l’Unita et fut adopté
par le Conseil de sécurité le 12 juin 1998. Il entra en vigueur le 1er juillet
1998 et sa finalité était de contraindre Jonas Savimbi à appliquer les termes
des accords de paix de 1994. Le 28 juillet 1998, l’Union européenne décida
à son tour de prendre des sanctions contre l’Unita, se rangeant donc
ouvertement aux côtés du régime de M. Dos Santos. En juillet 1999 l’ONU
lança un mandat d’arrêt contre Jonas Savimbi pour rébellion, sabotage et
tueries après que deux avions de l’ONU eurent été abattus par l’Unita.
Désormais seul et traqué, il fut tué le 22 février 2002. Le 30 mars 2002, le
mouvement qui avait été créé par Jonas Savimbi faisait sa reddition.

L’ONU et l’Angola
Les Nations Unies sont intervenues à plusieurs reprises en Angola où elles ont
organisé quatre grandes missions de pacification :
Unavem I (Mission de vérification des Nations unies en Angola) dura du mois de
janvier 1989 au mois de mai 1990 et était composée de soixante-dix observateurs
dont la mission était de vérifier la réalité du retrait des troupes cubaines du sud de
l’Angola.
Unavem II dura de mai 1991 à février 1995 et était composée de 350 observateurs
militaires, de 126 observateurs de police, de 80 agents civils et de 555 observateurs
locaux dont la mission était de garantir la bonne tenue des élections et leur suivi.
Unavem III dura de février 1995 à juin 1997 et était forte de 4 220 hommes fournis
par une trentaine de pays afin d’aider le gouvernement angolais et l’Unita à établir la
paix et aider à la réconciliation.
La Monua ou Mission d’observation des Nations unies en Angola dura de juin 1997 à
février 1999 et elle était composée d’un millier de militaires, de policiers et d’agents
administratifs internationaux qui devaient assurer la consolidation de la paix et la
réconciliation nationale.

Le 4 avril 2002, le gouvernement angolais annonça que la guerre était


terminée. De fait, à l’exception de troubles sporadiques et de faible intensité
au Cabinda, la paix est bien revenue en Angola. Cependant, le pays était en
ruines et des centaines de milliers d’habitants avaient fui les zones de
combat.
Au pouvoir depuis 1979, José Eduardo Dos Santos dirigea l’Angola
comme une sorte de propriété familiale, sa fille gérant le secteur des
hydrocarbures et son fils les fonds souverains.
Ne s’étant pas représenté lors du scrutin présidentiel de 2017, il eut pour
successeur Joao Lourenço qui fut élu avec 61 % des suffrages. En principe,
le MPLA demeurait au pouvoir, mais, dans la réalité, l’élection du nouveau
président marqua une profonde rupture.
Joao Lourenço entreprit une puissante lutte contre la corruption qu’il
qualifia de « croisade », et il procéda à des profondes purges au sein de la
direction des entreprises publiques. La rupture avec le clan Dos Santos fut
totale et elle débuta par le limogeage d’Isabel Dos Santos de la présidence
de la Sonagol, la puissante compagnie nationale pétrolière angolaise. La
purge se poursuivit au mois de mars 2018 quand José Filomeno dos Santos,
le fils de l’ancien président fut inculpé de détournement de fonds, de trafic
d’influence, de blanchiment d’argent et d’association criminelle. Au mois
de septembre, il fut incarcéré.
Cette politique suscita de fortes oppositions de la part des anciens
caciques et de la famille de Dos Santos et de leurs obligés, à telle enseigne
que certains observateurs purent alors parler de risque de coup d’État.

C. Le Mozambique
Dès l’indépendance du 25 juin 1975, le Mozambique dirigé par Samora
Machel sombra dans une guerre civile de seize années. Les engagements de
Lusaka qui prévoyaient la tenue d’élections pluralistes et la constitution
d’un gouvernement d’unité nationale furent oubliés au profit de
l’instauration d’une démocratie populaire, de l’établissement du Frelimo
comme parti unique et de la mise en place d’un système d’élections
indirectes. Dans le domaine économique, les industries et les exploitations
agricoles furent nationalisées et, à l’image de ce que tentait le régime
tanzanien, Samora Machel chercha à regrouper la population dans de
nouveaux villages afin de briser les structures traditionnelles qui étaient
autant de résistances à l’instauration d’une société communiste (Cahen,
1985).

1. L’échec de la politique communiste


En quelques mois, l’économie du Mozambique s’effondra et les
populations rurales retournèrent à l’économie de subsistance, tandis que,
dans les villes, ce fut la pénurie. Le Mozambique eut alors le triste privilège
de figurer parmi les trois pays les plus pauvres au monde.
Les réactions contre le Frelimo se rassemblèrent dans un mouvement de
guérilla, la Renamo (Résistance nationale du Mozambique) qui, soutenu par
les sécessionnistes blancs de Rhodésie, prit le contrôle d’une grande partie
du Mozambique. Ce mouvement était largement encadré par les Ndau qui
sont les Shona du Mozambique et qui composent environ 3 % de la
population du pays (Geffray, 1990).
En 1979, André Matzangaissa, le chef de la Renamo fut abattu, mais, sur
le terrain, la guérilla conserva toute sa force. L’indépendance du Zimbabwe
en 1980 porta un coup sévère au mouvement, mais l’Afrique du Sud prit la
relève. Les actions de la Renamo semblèrent alors redoubler d’intensité et
toutes les voies de communication du Mozambique furent coupées ainsi que
les lignes électriques.
L’échec économique du Frelimo devint tel qu’en 1980, il fut décidé de
rétablir les villages traditionnels, ce qui permit le redémarrage de
l’agriculture familiale. Quant aux fermes d’État, leur mode de
fonctionnement devint plus ouvert à la production individuelle. En 1983, le
pays adhéra au FMI et à la Banque mondiale, puis il fit appel aux capitaux
occidentaux.
En 1984, étranglé par la guérilla de la Renamo, le président Samora
Machel fut contraint d’accepter une rencontre au sommet avec Pieter Botha,
le président sud-africain. Il en résulta les accords de Nkomati lesquels
étaient une parfaite illustration de real politique fondée sur le « donnant-
donnant ». Ils prévoyaient en effet l’arrêt de l’aide du Mozambique à
l’ANC sud-africain en échange de la fin du soutien sud-africain à la
RENAMO. Ces accords ne furent pas suivis d’effets.
En 1986, Samora Machel trouva la mort quand son avion piloté par un
équipage soviétique s’écrasa en Afrique du Sud, à 300 mètres de la frontière
mozambicaine. Joaquim Chissano lui succéda le 4 janvier 1987.
Le nouveau président accéléra la rupture avec l’idéologie marxiste et le
bloc soviétique en procédant aux premières privatisations dans l’industrie,
puis en rompant avec l’Union soviétique en 1988. Il recueillit
immédiatement les fruits de cette nouvelle politique car les Européens et les
États-Unis lui accordèrent une importante aide financière. Le retournement
idéologique s’acheva au mois de juillet 1989, quand le Frelimo répudia le
marxisme. Au mois de décembre 1990, le multipartisme fut introduit.
Durant l’été 1990, les premiers pourparlers de paix eurent lieu entre le
Frelimo et la Renamo. Puis, au mois de novembre, des accords furent signés
qui prévoyaient un changement constitutionnel et la reconnaissance du
pluralisme politique. La paix définitive fut signée le 4 octobre 1992, à
Rome, sous l’égide de la communauté de Sant’Egidio, entre Joaquim
Chissano pour le Frelimo et Alfonso Dhlakama pour la Renamo. L’ONU
déploya ensuite une force de maintien de la paix, l’ONUMOZ (Mission des
Nations Unies au Mozambique), qui demeura dans le pays jusqu’en 1995.
Au mois d’octobre 1994, lors des élections présidentielles, Joaquim
Chissano du Frelimo l’emporta sur A. Dhlakama de la Renamo par 44,3 %
des voix contre 37,8 %. Joaquim Chissano fut donc élu Président de la
république avant d’être réélu le 5 décembre 1999 par 52,3 % contre 47,7 %
à A. Dhlakama. En 1995, le Mozambique adhèra au Commonwealth, alors
qu’il n’avait jamais fait parti de l’empire britannique. Les élections du mois
de décembre 1999 virent une nouvelle victoire du Frelimo et Joaquim
Chissano ne s’étant pas représenté pour un troisième mandat, Armando
Guebuza qui lui avait succédé à la tête du Frelimo remporta les élections
présidentielles de décembre 2004 avec 63,7 % des voix contre 31,7 % à A.
Dhlakama.
En 2008, l’effondrement économique du Zimbabwe constitua une
menace pour la croissance du Mozambique en raison des effets secondaires
liés à la baisse d’activité des ports de Beira et de Maputo par lesquels
passent les importations et les exportations zimbabwéennes. De plus, des
centaines de milliers de Zimbabwéens émigrèrent au Mozambique, y
bouleversant les rapports sociaux.

2. La paix au centre, la guerre au nord


Lors des élections de 2014, le candidat du Frelimo, Filipe Nyusi fut élu,
mais, la Renamo contesta le résultat et menaça de gouverner seule les six
provinces où elle était majoritaire. Puis, en 2015, la guerre reprit.
Au mois de juin 2016, des négociations de paix débutèrent. Elles
aboutirent le 1er août 2019 à un premier accord signé par le président Nyusi
et Ossufo Momade de la Renamo qui fut suivi d’un Accord de paix et de
réconciliation signé le 6 août 2019. Cet accord fut suivi par des élections
générales au mois d’octobre 2019 qui furent remportées par Filipe Nyisi.
Au moment où un terme paraissait pouvoir être mis à quasiment un demi-
siècle de conflit dans le centre du pays, dans la province nordiste de Cabo
Delgado, peuplée de près de 2,5 millions d’habitants dont environ 60 % de
musulmans contre 18 % pour l’ensemble du Mozambique, éclata une
guerilla islamiste menée par un groupe baptisé al-Sunnah11.
Le mouvement était ethno-centré sur les Kimwami, population
étroitement apparentée aux Swahili de l’Afrique orientale littorale. Ces
pécheurs musulmans qui vivent le long du littoral et sur les îles du nord du
Mozambique sont influencés par le monde swahili depuis plus de 1 000 ans.
Jusqu’à l’arrivée des Portugais au XVIe siècle, ils furent les interfaces des
Arabes dans le grand commerce de l’or et des esclaves entre la côte (Sofala)
et Zimbabwe. Partenaires des esclavagistes arabes qui razziaient les
populations de l’arrière-pays, ils sont détestés par leurs voisins Makonde et
Makua dont les ancêtres furent leurs victimes.
En s’installant au Mozambique, les Portugais séparèrent le monde
swahili en deux, mais les liens entre Swahili du nord et Swahili du sud ne
furent pas coupés. Les Kimwami se considèrent d’ailleurs comme faisant
partie du monde swahili, ce qui les distingue de leurs voisins africains
(Nurse et Hinnebusch, 1993).
L’islam est particulièrement revendicatif au Mozambique. Après avoir été
mis à l’écart durant la période marxiste, notamment sous Samora Machel, le
multipartisme a ensuite permis d’élire des députés musulmans qui furent en
permanence à l’offensive au parlement, exigeant notamment la
reconnaissance des jours fériés musulmans et le halal. En 1996, excédé par
ces incessantes revendications, le parti gouvernemental FRELIMO définit
une politique séculière. En réaction, les musulmans affirmèrent qu’ils
étaient marginalisés.
Ce nouveau foyer islamique au sud du monde swahili qui occupe tout le
littoral de l’Afrique orientale africain, englobant les Comores et le littoral
ouest de Madagascar. dispose de réseaux à l’intérieur du continent où les
Swahili contrôlent tout le commerce jusque dans la cuvette du Congo à
travers les anciennes voies de pénétration des esclavagistes.

D. Du Sud-Ouest africain à la Namibie


La Namibie fut décolonisée, non par une puissance coloniale européenne,
mais par l’Afrique du Sud. Le Sud-ouest africain/Namibie était en effet une
ancienne colonie allemande conquise en 1916 par l’armée sud-africaine12.
En 1966, l’ONU mit officiellement fin au mandat sud-africain ; pour la
communauté internationale, le territoire devint alors la Namibie. L’Afrique
du Sud demeura de marbre. Pour elle, l’ONU n’avait aucun droit de regard
sur une partie intégrante de son territoire. En 1971, à la suite d’une nouvelle
action, la Cour de La Haye considéra que la présence sud-africaine en
Namibie était illégale. À partir de ce moment la mobilisation internationale
permit d’entamer un processus qui allait aboutir à la renonciation sud-
africaine.
Au Sud-ouest africain, la contestation prit véritablement forme à partir
des années 1950. Comme partout ailleurs en Afrique, les partis politiques y
étaient l’émanation des différentes ethnies. Ainsi la SWANU (South West
Africa national Union) constituée par les Herero et la SWAPO (South West
Africa Population’s Organisation) par les Ovambo. Sous l’impulsion de
Sam Nujoma, la SWAPO se lança dans la lutte armée.
En 1976 l’ONU considéra la SWAPO comme seul représentant du peuple
namibien. En 1977 fut créé le groupe de contact de l’ONU composé des
États-Unis d’Amérique, du Canada, de la Grande-Bretagne, de la
République fédérale allemande et de la France. Il mit au point la Résolution
435 prévoyant l’indépendance après des élections libres sous contrôle de
l’ONU.
L’Afrique du Sud définit alors une voie devant mener à l’indépendance,
mais tout en refusant le plan de l’ONU qui avait pour but de remettre le
pouvoir à une seule des dix ethnies du territoire, celle des Ovambo. Du 4 au
7 décembre 1978, furent ainsi organisées des élections que l’ONU
considéra comme illégales. Boycottées par la SWAPO, elles eurent
néanmoins un réel succès puisque 81 % des inscrits se rendirent aux urnes
et élirent une Assemblée constituante. L’Afrique du Sud avait ainsi
démontré que la SWAPO n’était pas l’unique représentant des ethnies de
Nambie, puisqu’un parti « modéré » avait emporté 41 sièges sur 50. En
1980, un gouvernement fut formé, constitué de 11 membres, un par ethnie.
Au même moment, l’armée sud-africaine portait des coups sévères à la
SWAPO en attaquant ses bases installées en Angola. Le 4 mai 1978, le
quartier général du mouvement y fut même détruit et plusieurs centaines de
guérilleros tués. Néanmoins, le processus devant mener à l’indépendance
était engagé et le 22 décembre 1988, les Accords de New York prévoyant
l’accession de la Namibie à l’indépendance, l’évacuation des troupes sud-
africaines casernées dans ce pays et celle de Cuba de l’Angola, furent
signés.

Dernière étape du processus devant mener l’ancienne colonie allemande


à l’indépendance était engagé. Après une conférence tenue au mois de
mai 1988 à Brazzaville, et une convention conclue au mois d’août 1988 à
Genève, le 22 décembre 1988, les Accords de New York furent signés. Ils
prévoyaient un cessez-le-feu, le retrait des troupes sud-africaines de
Namibie, des troupes cubaines d’Angola et l’accession de la Namibie à
l’indépendance.
Le 1er avril 1989 entra en action le Groupe d’Assistance des Nations
unies pour la période transitoire (GANUPT ou UNTAG), avec pour
principale mission d’organiser les élections en Namibie. C’était donc
l’ONU et non plus l’Afrique du Sud qui devenait responsable du maintien
de l’ordre. La SWAPO voulut profiter de la situation et infiltra ses
combattants afin de faire pression sur les électeurs. Dépassé par les
évènements, M. Marthi Ahtisaari, Représentant spécial du Secrétaire
Général de l’ONU pour la Namibie, fut alors contraint de faire appel à
l’Afrique du Sud pour repousser cette invasion. Après plus d’une semaine
de combats, le 9 avril, les hommes de la SWAPO furent repoussés en
Angola.
Les élections se déroulèrent du 7 au 11 novembre 1989. La participation
fut exceptionnelle puisque l’on dénombra 92 % de votants et la SWAPO de
Sam Nujoma les remporta avec 56 % des suffrages représentant
essentiellement l’addition des voix ovambo et celles des Damara, leurs
alliés traditionnels13.
Le 24 novembre, les dernières troupes sud-africaines quittaient la
Namibie et le 21 mars 1990, le pays accédait à l’indépendance.
Après quatorze années de pouvoir, et au terme de son troisième mandat,
le président Nujoma se retira de la vie politique, laissant la place à M.
Hifikepunye Pohamba, lui aussi Ovambo et membre de la SWAPO, qui
remporta les élections présidentielles du mois de novembre 2004 avec 75 %
des suffrages. Depuis, la SWAPO a conservé le pouvoir, notamment lors
des élections présidentielles du mois de novembre 2014 avec l’élection de
Hage Geingob, un Damara.

E. L’Afrique du Sud (République d’Afrique du


Sud-RSA)
En 1902, après avoir combattu pour l’indépendance de leurs deux
Républiques (l’Orange et le Transvaal) les Boers ou Afrikaners une fois
vaincus par les Britanniques avaient été fondus dans les frontières
coloniales de l’Afrique du Sud créée par Londres. Devenu Union Sud-
Africaine en 1910, le nouvel État était un assemblage de plusieurs peuples
différents dont le ciment devait être assuré par la commune appartenance à
la Couronne britannique. Les Afrikaners (Gigliomee, 2003) qui avaient
attendu quarante-six ans la revanche de la guerre des Boers l’obtinrent lors
des élections de 1948 quand ils l’emportèrent sur les partis unionistes. Ils
acceptèrent alors l’héritage colonial britannique et ses frontières, tournant
ainsi le dos aux principes républicains et nationaux au nom desquels ils
avaient combattu de 1899 à 1902. Comme nous l’avons vu précédemment,
ils comprirent alors qu’ils allaient être submergés par la démographie des
peuples noirs et, pour tenter de survivre, ils eurent recours à une
construction juridique aussi irréaliste qu’anachronique, connue sous le nom
d’Apartheid ou Développement séparé. Le but ultime de cette politique était
de donner aux Noirs des « États » nationaux permettant aux Blancs de
demeurer majoritaires sur les territoires qu’ils avaient décidé de conserver.

1. La fin du pouvoir blanc


À la fin des années 1970, cette sorte de décolonisation interne connue
sous le nom de politique des Bantustan arriva à son terme avec, en 1976,
l’« indépendance » du Transkei, État « national » des Xhosa du nord et celle
du Bophutatswana en 1977, État « national » des Tswana, suivie en 1979
par l’« indépendance » du Venda, État « national » des Venda et en 1981,
par celle du Ciskei, État « national » des Xhosa du sud. Il apparut alors à
l’évidence que ces territoires octroyés aux Noirs étaient davantage des
réserves que d’authentiques patries, même si certains étaient
économiquement viables.
Le 20 septembre 1978, le Premier ministre John Vorster qui incarnait
l’ordre ancien démissionna à la suite d’un scandale politico-financier. Le
28 septembre, M.P.W. Botha lui succéda avec une forte volonté de
réformes. Sa devise était « S’adapter ou mourir », mais sans avoir à faire
preuve de faiblesse, comme allait le montrer la militarisation de l’État.
Au mois de novembre 1983, une nouvelle Constitution fut adoptée par
les seuls électeurs blancs. Elle établissait un premier partage du pouvoir,
mais seulement au profit des Blancs, des métis et des Indiens. Ce texte
instaurait un parlement tricaméral et un régime présidentiel. La majorité
noire restait confinée dans les structures politiques des homeland alors que
plus de la moitié d’entre eux vivait en ville. Au mois d’août 1983, pour
protester contre ce projet, fut créé l’UDF (United Democratic Front).
Le 3 septembre 1984, après que la nouvelle Constitution fut entrée en
vigueur, M. Botha fut élu président de la République sur fond de
contestation du pouvoir blanc et de guerre civile entre Zulu rassemblés
autour de l’Inkhata et Xhosa partisans de l’ANC.
À la fin de la décennie 1980, les Afrikaners se trouvèrent dans une
impasse : à l’intérieur, les Noirs étaient sur le point de se soulever14 et à
l’extérieur les sanctions internationales transformaient l’Afrique du Sud en
pays paria. Au même moment, l’effondrement du bloc soviétique permettait
un règlement global de la question de l’Afrique australe (Angola, Sud-
Ouest africain-Namibie et Afrique du Sud).
Une révolution de palais feutrée se produisit le 14 août 1989 et le
président P. W. Botha fut mis à l’écart, officiellement pour raisons de santé,
et remplacé par F. W. De Klerk. La nouvelle équipe qui accédait au pouvoir
avait pour objectif de sortir le pays de l’impasse dans laquelle la politique
d’apartheid l’avait placé.
Le 2 février 1990, l’ANC (Congrès national africain), le SACP (Parti
communiste sud-africain) et d’autres organisations jusque-là interdites
furent légalisés et le 11 février, Nelson Mandela fut libéré de prison.
Le président De Klerk entama alors des négociations avec l’ANC en
pensant qu’il lui serait possible de sauver l’essentiel, à savoir la
reconnaissance de l’existence constitutionnelle des minorités, la possibilité
de droit de veto pour elles et le système électoral proportionnel. Or, pour
l’ANC, l’idée même du droit des minorités était un moyen pour les Blancs
d’empêcher la majorité noire d’exercer pleinement un pouvoir qui, ethno-
mathématiquement, devait lui revenir. L’ANC exigeait donc un cadre
unitaire avec un pouvoir central fort15. L’élaboration de la Constitution
intérimaire prit presque trois années, de 1991 à 1993. Au terme du
processus, il apparut clairement que le président De Klerk avait cédé aux
préalables de l’ANC (Galvane, 1998)16.
L’on frôla alors la guerre civile car nombre des Blancs refusaient ce
qu’ils considéraient comme une capitulation. Au mois de mai 1993 avait
ainsi été créé l’Afrikaner Volks Front (AVF) dirigé par le général Constand
Viljoen. Il demandait la création d’un Volkstaat (État national afrikaner) en
association avec le chef Buthelezi du Kwazulu, Lucas Mangope du
Bophuthatswana et le général Gqozo du Ciskeï afin de créer une
confédération d’États ethniques qui succéderait à l’Afrique du Sud unitaire
léguée par les Britanniques.
Au mois d’août 1993, les généraux Viljoen et Tinnie Groenewald
rencontrèrent secrètement Nelson Mandela et Joe Modise, chef de
l’UmKhonto We Sizwe, la branche armée de l’ANC. Nelson Mandela leur fit
comprendre que leur revendication était vouée à l’échec car, s’ils prenaient
les armes pour l’imposer, la communauté internationale apporterait son
soutien à l’ANC (Lugan, 1998c ; 1998d). Des négociations s’engagèrent
alors. Jusqu’en février 1994, une vingtaine de réunions suivirent, où Thabo
Mbeki dirigea la délégation de l’ANC. Le 21 décembre 1993, un
Memorandum of Agreement fut adopté par l’ANC et l’AVF, mais il n’entra
pas en application en raison de l’opposition du président De Klerk qui ne
voulait pas entendre parler d’un Volkstaat afrikaner, et d’une partie de
l’ANC qui refusait que de telles concessions fussent faites au général
Viljoen.
Au mois de janvier 1994, les généraux Viljoen et Groenewald reprirent
les discussions avec l’ANC. Thabo Mbeki fit plusieurs propositions
d’ouverture au sujet du Volkstaat ; mais, pour les mettre en pratique, il était
nécessaire de réviser la Constitution et il fallait donc l’accord du président
De Klerk, ce que ce dernier refusa de donner (Alden, 1995 ; Lugan, 1998c,
1998d).
Finalement, en alternant discussions et menaces de prendre les armes, le
général Viljoen obtint en deux temps un minimum de garanties :
– le 2 mars 1994, avec un amendement qui établissait un 34e Principe
constitutionnel ;
– sur le droit à l’autodétermination pour toute communauté partageant un
héritage culturel et linguistique commun et sur la base de ce principe, la
création d’un Conseil du Volkstaat ;
– le 23 avril 1994 un accord entre le Freedom Front, le nouveau parti du
général Viljoen, l’ANC et le gouvernement du Parti National, qui
garantissait que, quel que soit le résultat des élections, des négociations
débuteraient immédiatement afin que le Volkstaat puisse être créé de
manière pacifique (Galvane, 1998, 2004).
Les premières élections multiraciales se tinrent alors en avril 1994 et
l’ANC accéda au pouvoir. Après une période intérimaire, Nelson Mandela
succéda à F. W De Klerk. La priorité de l’ANC étant alors d’éviter la guerre
civile, les programmes de redistribution des terres blanches furent mis entre
parenthèses. Parallèlement, afin de donner une bonne image internationale
du pays, tout fut fait pour éviter le départ des investisseurs étrangers. C’est
pourquoi l’Afrique du Sud se tourna vers le FMI et la Banque mondiale et
appliqua à la lettre leurs directives : privatisations, flexibilité du marché du
travail et réductions des dépenses publiques (Klein, 2007).

2. L’ANC au pouvoir
Tout ce qu’avait pu obtenir le président de Klerk, dans la Constitution
intérimaire de 1993, c’était un gouvernement de coalition pour quatre ans,
de 1994 à 1999, avec une répartition des postes ministériels proportionnelle
aux résultats électoraux. N’ayant pas obtenu de droit de veto, les Blancs y
étaient donc impuissants. Dès l’adoption de la Constitution définitive, en
1996, les ministres membres du Parti national décidèrent de quitter le
gouvernement et de passer dans l’opposition. L’ANC n’avait plus de contre-
pouvoir face à lui.

L’exode des Blancs


En 2000, les Blancs sud-africains qui étaient alors moins de 10 % de la population
acquittaient 90 % des impôts. En 1999, 85 % de l’impôt sud-africain fut acquitté par la
seule classe moyenne blanche17. L’insécurité est par ailleurs devenue une menace
grandissante pour l’ensemble de la population et pour les Blancs plus
particulièrement18. Ces deux éléments expliquent que depuis 1994, le pays perd ses
diplômés blancs qui vont « monnayer » leurs diplômes à l’étranger (Van Rooyen,
2001).
Le quotidien The Citizen en date du 10 mars 2002 écrivait ainsi que les hôpitaux
publics du Gauteng avaient perdu en deux ans 3 351 médecins, dentistes,
pharmaciens et 1 932 infirmières. En deux ans, de fin 1999 à fin 2001, sur un
personnel médical de 44 000 personnes, un huitième avait quitté le service public et
parmi eux, une majorité avait émigré. En 2002, The Health Systems Trust (HST)
annonça que sur 1 100 médecins blancs diplomés en 2001, 43 % avaient annoncé
qu’ils allaient émigrer. Au mois de mars 2003 le HST fit savoir que 500 médecins de
plus allaient quitter l’Afrique du Sud19. Cette émigration ne toucha pas que les
anglophones puisque 150 000 Afrikaners quittèrent le pays entre 1994 et 2001, soit
5 % de la population afrikaner totale. Selon les chiffres officiels cités par le quotidien
The Citizen du 22 février 2001, les Afrikaners constituaient à cette date 50 % des Sud
africains blancs qui avaient émigré en Nouvelle-Zélande et 51 % des médecins sud
africains installés dans la province canadienne du Saskatchewan20.
Le 16 juillet 2003, Statistics South Africa (SSA) indiquait que les chiffres concernant
l’émigration des Blancs étaient minorés car seulement 62 % des émigrants
définitivement partis avaient rempli le questionnaire obligatoire au départ des trois
grands aéroports du pays. Selon SSA, pour les années 1996-2001, seuls 58 000
émigrants avaient signalé leur départ alors que dans la réalité leur nombre était d’au
moins 250 000. Toujours selon SSA, au mois de mars 2004, les Blancs sud-africains
ayant émigré depuis 1994 étaient environ 400 000, hémorragie qui, en termes
d’impôts coûtait environ 800 millions de rands par an à l’Afrique du Sud. Les pays
d’immigration étaient la Grande Bretagne pour 23 % des émigrés, les États-Unis
d’Amérique pour 14 %, l’Australie, le Canada et la Nouvelle Zélande pour environ 7 %
chacun. Tous chiffres confondus, entre 1994 et 2005, 841 000 Blancs, soit le
cinquième de la population blanche, avaient quitté l’Afrique du Sud (Cronjé et
Macfarlane, 2006).

L’élection de Thabo Mbeki en 1999 marqua la véritable fin de l’Afrique


du Sud blanche et la consécration du pouvoir noir. La première tâche du
président Mbeki fut de maintenir la cohésion des diverses composantes de
l’ANC. Comment l’aile marxiste pouvait-elle en effet continuer à cohabiter
avec les tenants du « Black business » totalement ralliés aux options du
capitalisme international ? Cette contradiction constituait une des clés de
l’avenir politique de la RSA car, avec un taux de croissance moyen bien en
dessous des pourcentages nécessaires pour simplement freiner
l’appauvrissement des masses noires, l’étalage de richesse fait par une toute
petite catégorie de Noirs masquait une tendance lourde qui était que la
population noire subit un continuel mouvement de paupérisation.
Au lieu de se combler, comme l’ANC le promettait depuis 1994, les
inégalités se sont au contraire davantage creusées. En 2000, le revenu de la
tranche la plus démunie de la population noire sud-africaine, c’est-à-dire
environ 18 millions d’habitants soit plus de 40 % des Sud-africains, était
ainsi inférieur de 48 % à celui qu’il était sous le régime blanc d’avant
199421. En 2000 toujours, plus de 50 % de la population noire vivait en
dessous du seuil de pauvreté22 et plus de 65 % en 2002. Quant au nombre de
personnes vivant avec moins de un dollar par jour, il passa de 2 millions en
1994 à 4 millions en 2006 et les revenus des ménages noirs avaient baissé
de 19 % entre 1995 et 2000 (Terreblanche, 2002).
Avant 1994, le programme électoral de l’ANC reposait sur la promesse
de donner du travail aux millions de chômeurs noirs. L’ambitieux projet
« Redistribution Croissance Emploi » lancé à grands effets d’annonce
prévoyait même la création de 100 000 emplois par an dès 1997. Or, cette
année-là, entre 115 000 et 120 000 emplois furent perdus dans les secteurs
secondaire et tertiaire. En 1998, le pourcentage des actifs par rapport à la
population totale était même tombé au niveau de 1981. En 1998 toujours,
186 000 emplois furent perdus dans les seuls secteurs de l’industrie et de
l’artisanat, dont 21 000 dans celui de la construction et 10 000 dans celui
des mines.
En dix ans, de 1994 à 2004, le chômage augmenta de plus de 40 %,
passant de 11,4 millions à 16,2 millions alors que, durant le même temps,
les créations d’emplois étaient de 2 millions. Au mois de mars 2004, un
Sud-africain sur trois était sans emploi et le taux de chômage chez les Noirs
atteignait 32 % selon les chiffres gouvernementaux et 41 % selon les
organismes indépendants.
En 2008, alors que la demande pour l’or, le platine, le charbon et tous les
autres minéraux était forte, la production sud africaine fut freinée par la
crise de l’électricité. Au premier trimestre 2008, la production aurifère qui
représentait 8 % des exportations et qui employait 170 000 personnes23
baissa de 17 % et la Chine ravit à l’Afrique du Sud la place de premier
producteur mondial. En 2008, l’ensemble de la production minière baissa
de 22 %, provoquant une forte contraction de l’économie dont la croissance
fléchit à 2,1 % pour le 1er trimestre 2008 contre 5,3 % pour la même période
en 2007. Au mois de juillet 2008, le déficit de la balance commerciale sud
africaine atteignit l’équivalent de 5 milliards d’euros, faisant plus que
doublé par rapport à la même époque en 2007.
Durant les mois de juillet et d’août 2008, l’Afrique du Sud connut des
mouvements sociaux et des grèves d’une ampleur exceptionnelle. À l’appel
du Cosatu (Congrès des syndicats sud-africains) qui revendiquait plus de
deux millions d’adhérents les masses ouvrières noires protestèrent contre la
hausse du coût de la vie24 et les augmentations des tarifs de l’électricité.
Au mois de mai 2008 les townships de Johannesburg, Pretoria et Durban
s’embrasèrent et une véritable épuration ethnique y fut lancée par des
groupes d’habitants excédés par le nombre des immigrés clandestins venus
de toute l’Afrique australe25. Le 22 mai, le bian provisoire des violences
était de plusieurs dizaines de morts et de 15 000 à 20 000 déplacés réfugiés
dans les commissariats de police ou dans des zones sécurisées par l’armée.
Ce même jour, dépassée par l’ampleur des émeutes, la police demanda au
gouvernement que l’armée vienne l’épauler.
Le climat social fut encore empoisonné par les criantes inégalités
sociales, les masses populaires dénonçant de plus en plus ouvertement les
« Black Diamonds », ces nouveaux riches noirs qui affichent un luxe
ostentatoire.
Politiquement, l’affrontement entre le clan xhosa du président Thabo
Mbeki et celui du Zulu Jacob Zuma, traduisit la perte d’influence du
premier qui voulait choisir son successeur. Pour être en mesure d’influer sur
la désignation du futur président de la République, il lui aurait fallu
conserver le poste de président de l’ANC, or, il fut battu par Jacob Zuma
lors du congrès du mois de décembre 2007.
Le 21 septembre 2008, Thabo Mbeki fut poussé à la démission par son
propre parti, l’ANC, qui lui avait retiré sa confiance en raison
d’« interférences » dans le dossier d’accusation en corruption contre Jacob
Zuma lequel briguait le Présidence. Le cœur du problème était la guerre
ouverte que se livraient, à l’intérieur de l’ANC, les partisans et les
adversaires de ce dernier avec, en toile de fond la rivalité Xhosa-Zulu.
Le 22 septembre, un Sotho, M. Kgalema Motlanthe fut désigné comme
Président dans l’attente des élections de 2009 et avec pour tâche principale
de tenter d’éviter l’éclatement de l’ANC, mais il échoua.

3. La fin des illusions


La mort de Nelson Mandela le 5 décembre 2013, marqué la fin d’un
cycle et le retour à la réalité qui est que l’Afrique du Sud traverse une crise
profonde et multiple :
– la criminalité fait ainsi de l’Afrique du Sud un des pays les plus
dangereux au monde. Les violences « xénophobes » qui y sont
régulières traduisent un climat économique plus que morose, les
émeutiers reprochant aux immigrés africains de leur « voler » leur
travail ;
– la stagnation – ou parfois même l’effondrement – de l’économie est
illustrée par le départ des investisseurs qui préfèrent délocaliser ;
– les cadres blancs continuent à quitter le pays26, chassés par la
discrimination inversée, l’insécurité et le surfiscalisme ;
– le secteur agricole, le seul à être excédentaire a été littéralement
assassiné par la décision de spoliation des fermiers blancs prise en
2019 ;
– l’exceptionnel maillage médical a disparu.
En 2018, par un coup d’État interne à l’ANC, le vice-président Cyril
Ramaphosa évinça le président Jacob Zuma, lequel avait fait de même avec
son prédécesseur Thabo Mbeki en 2008.
La présidence de Jacob Zuma s’est achevée dans le désastre. Englué dans
plusieurs affaires de corruption, le président sud-africain a été pris la main
dans le sac d’une gigantesque entreprise de favoritisme d’État au profit de
la famille indienne des Gupta. Une commission judiciaire fut même
désignée pour enquêter sur la gravissime accusation de « State Capture »,
ces gangsters affairistes ayant réussi à imposer leur droit de regard sur les
nominations officielles, ce qui leur avait permis de placer leurs agents à
tous les rouages de décision de l’État et des entreprises publiques.
À un Jacob Zuma lié au gang indien Gupta, succéda l’ex avocat-
syndicaliste Cyril Ramaphosa qui a bâti sa colossale fortune dans les
conseils d’administration des sociétés minières blanches au sein desquels il
fut coopté en échange de son « expertise » syndicale27.
Durant la décennie 2010-2020, le déclin de la RSA s’est accentué.
En 2012, selon le Rapport Économique sur l’Afrique pour l’année 2013,
rédigé par la Commission économique de l’Afrique (ONU) et l’Union
africaine (en ligne), l’Afrique du Sud s’est en effet classée parmi les 5 pays
« les moins performants » du continent sur la base de la croissance
moyenne annuelle, devançant à peine les Comores, Madagascar, le Soudan
et le Swaziland.
En 2019, il n’y eut pas eu d’amélioration. En effet :
– au mois de septembre 2018, le taux de chômage officiel était de 27,7 %
(taux officieux 40 %) et celui des jeunes âgés de 15 à 34 ans, de 38,8 %
selon le taux officiel (près de 60 % selon le taux officieux) ;
– le PIB était en chute libre : 3,5 % en 2011 ; 2,6 % en 2012 ; 1,9 % en
2013 ; 0,6 % en 2016 ; 1,3 % en 2017 et 0,8 % en 2018, alors qu’il
faudrait 7 % de croissance durant plusieurs décennies pour simplement
stabiliser la pauvreté ;
– l’économie est entrée en récession technique en 2018 ;
– le revenu de la tranche la plus démunie de la population noire était
inférieur de près de 50 % à celui qu’il était sous le régime blanc d’avant
1994 ;
– un habitant sur trois survivait grâce aux aides sociales, le Social Grant ;
– à l’exception de l’agriculture, branche encore contrôlée par les Blancs,
tous les secteurs économiques sud-africains étaient en recul ou en
faillite. À commencer par les industries de main-d’œuvre (textile,
vêtement, chaussures), qui n’avaient pu résister aux importations
chinoises. Quant aux secteurs de la mécanique dans lesquels, avant
1994, l’Afrique du Sud produisait la majeure partie des pièces dont ses
industries avaient besoin, ils étaient moribonds.
Les mines qui représentent 10 % du PIB sud-africain, qui emploient 8 %
de la population active et qui sont le premier employeur du pays avec
500 000 emplois directs, ont perdu plus de 300 000 emplois entre 1994
et 2019. Elles ont sombré en raison des pertes de production et des coûts
d’exploitation en hausse constants. Nombre de puits secondaires ont fermé,
entraînant la mise à pied de dizaines de milliers de mineurs. Pour maintenir
la production, il aurait fallu investir des sommes colossales, mais le climat
social, la corruption et l’insécurité ont découragé les investisseurs qui ont
préféré faire glisser leurs activités vers des pays moins incertains.
L’industrie minière était également pénalisée par les coupures de courant
à répétition car la compagnie publique Eskom n’a pas procédé aux
investissements indispensables.
D’où les émeutes 2012 quand, après plusieurs jours de violents
affrontements entre grévistes et non grévistes ayant fait une vingtaine de
morts et des dizaines de blessés, le 17 août, la mine de platine de Marikana
à l’ouest de Pretoria a connu de vraies scènes de guerre. Totalement
débordée, la police se dégagea en tirant dans la masse des émeutiers armés
faisant une quarantaine de morts et plus d’une centaine de blessés.
Le 4 septembre 2018, les autorités sud-africaines annoncèrent que le
produit intérieur brut avait baissé de 0,7 % alors qu’elles avaient déclaré
quelques mois auparavant qu’il allait augmenter de 0,6 %.
Économiquement et socialement, un abîme s’est creusé entre une
minorité de profiteurs noirs et des millions de chômeurs, d’assistés et de
travailleurs sous-payés qui paralysent le pays avec de continuels
mouvements de revendication. En 2017, alors que seuls 5 millions de Sud-
africains, en majorité des Blancs, payaient des impôts, 17 millions
recevaient des prestations, cependant que plus 13 millions ne survivaient
que grâce au versement d’une allocation (Social Grant) qui leur assure le
minimum vital.
En 2019, au pied du mur, l’État-parti ANC n’avait que trois options :
1. chercher à redresser l’économie en empruntant une voie libérale et il
provoquera alors une révolution sociale ;
2. accuser le bouc émissaire blanc en tentant de faire croire que la
situation est un héritage de l’apartheid et en nationalisant les mines et
la terre. La « poule aux œufs d’or » sera alors tuée, comme au
Zimbabwe, et le pays sombrera encore davantage dans la misère ;
3. le recours à la « planche à billets », ce qui provoquera d’abord
l’inflation, puis, comme au Zimbabwe, une hyperinflation avec la ruine
totale du pays.
Un an plus tard, la situation avait encore empiré. C’est ainsi que le
3 mars 2020, le service sud-africain des statistiques (StatsSA) annonça que
l’économie du pays s’était contractée de 1,4 % au quatrième trimestre 2019,
suivant une contraction de 0,8 % au troisième trimestre. Pour la troisième
fois depuis 1994 date de l’accession de l’ANC au pouvoir, l’Afrique du Sud
était donc en récession.

L’expropriation des fermiers blancs


Mardi 27 février 2018, par 241 voix contre 83, le parlement sud-africain a voté une
motion soumise par l’EFF (Economic Freedom Fighters) de Julius Malema. Cette
dernière avait pour objet de préparer un projet de loi visant à l’expropriation sans
compensation des 35 000 fermiers Blancs qui nourrissent l’Afrique du Sud et les pays
voisins28.
La motion radicale de l’EFF a rallié la totalité des parlementaires ANC et des autres
partis noirs, y compris les députés les plus « modérés », comme ceux de l’Inkhata
Freedom Party. Avec ce vote, le président Cyril Ramaphosa tout juste élu, a été dès
le début de son mandat, pris au piège des éléments les plus radicaux, tant de l’EFF
que de son propre parti, l’ANC.
Or, économiquement, la nationalisation-saisie des fermes possédées par les Blancs
provoquerait un cataclysme économique. Elle commencerait ainsi par entraîner la
décomposition du secteur bancaire car, s’endettant très lourdement d’une saison sur
l’autre, les fermiers ne pourraient plus rembourser leurs dettes. De plus, comme les
fermiers n’investiront plus dans des exploitations qui vont leur être volées, tout le
maillage économique rural sera sinistré (magasins d’outillage, garages, coopératives,
sociétés de vente ou de location de matériel agricole, exportation), tout ce qui, de
près ou de loin, dépend directement ou indirectement de l’agriculture, sera touché.
Toute une filière adossée à une chaîne de PME sera ainsi précipitée dans la faillite,
avec les centaines de milliers de chômeurs noirs supplémentaires que cette mesure
de spoliation provoquera.
Un vote idéologique :
1. les fermes des régions climatiquement défavorisées sont condamnées au
gigantisme car, impropres à l’agriculture, même avec irrigation, elles ne peuvent
être consacrées qu’à l’élevage très extensif des moutons, avec une moyenne de 1
mouton à l’hectare. Leur partage et leur redistribution à de petits éleveurs noirs
aboutirait automatiquement à une catastrophe car les futures exploitations seraient
sous-dimensionnées, donc non viables, et elles retourneraient à la brousse ;
2. ailleurs, sur les bonnes terres, 20 % des 35 000 fermiers blancs réalisent 80 % de
la production sud-africaine de céréales. Si ces exploitations modernes et quasiment
industrielles étaient démantelées, partagées et distribuées à de petits fermiers noirs,
la production s’effondrerait, comme ce fut le cas partout ailleurs en Afrique,
notamment dans le Zimbabwe voisin et le pays ne serait alors plus en mesure
d’assurer son autosuffisance alimentaire.

1. En 1960 il avait été nommé secrétaire à la propagande de la ZAPU (Zimbabwe African Patriotic
Union), le principal mouvement nationaliste noir qui éclata ensuite en raison des oppositions entre
les Shona et les Matabele-Ndebele. En 1963, il participa à la fondation de la ZANU (Zimbabwe
African National Union) mouvement ethnique Shona. Arrêté en 1964 par les autorités
rhodésiennes, il fut envoyé en prison. À sa libération, en 1975, il évinça le révérend Sithole et prit
le contrôle de la ZANU.
2. Après avoir quitté la ZAPU de Josuah Nkomo, le révérend Sithole avait fondé la ZANU en 1963,
mais il se brouilla avec Robert Mugabe et c’est ainsi que ce dernier prit la tête du mouvement.
3. La révolte fut écrasée par la 5e brigade de l’armée du Zimbabwe, exclusivement composée de
Shona et formée par des cadres nord-Coréens.
4. D’autant plus que certains membres de la nomenklatura avaient profité de l’aubaine pour s’enrichir
encore davantage. Ce fut le cas, notamment, du chef d’état-major de l’armée, propriétaire de la
société de transport ayant le monopole de l’acheminement du matériel et du ravitaillement en RDC.
5. Les trois quarts des productions agricoles industrielles et commerciales soutenant la balance des
paiements du Zimbabwe, à savoir le tabac, le paprika et le coton, avaient pour origine les 4 000
fermes encore possédées par les Blancs, soit 30 % de la superficie du pays et 11,5 millions
d’hectares.
La question foncière n’était pas nouvelle. Entre 1990 et 1999, plus de trois millions d’hectares
avaient été rachetés par le gouvernement au nom de la politique du Land Acquisition Bill qui
imposait un prix fixé par l’administration. Certaines de ces terres furent parcellisées et remises à de
petits paysans, transformant ainsi de riches terroirs d’agriculture industrielle en tenures agricoles
d’autosubsistance es quatre-vingt dix-huit plus belles fermes furent partagées entre la nomenklatura
au pouvoir. C’est ainsi que le général Rex Nhongo, ancien chef d’état-major de l’armée, s’en serait
directement ou indirectement approprié dix-sept.
6. Emmerson Mnangagwa était le chef des « anciens combattants » de la guerre d’indépendance.
Entraîné par les communistes et notamment les Chinois, il fut l’homme du renseignement et des
coups tordus. C’est lui qui dirigea la sanglante répression des partisans de Morgan Tsvangirai entre
les deux tours des élections présidentielles de 2008.
Derrière le conflit personnel entre Grace Mugabe et Emmerson Mnangagwa, était inscrite la rivalité
entre deux tribus appartenant toutes deux à l’ethnie shona, à savoir d’une part les Zezuru, tribu de
Robert Mugabe et de sa femme Grace, et les Karanga, tribu d’Emmerson Mnangagwa d’autre part.
Après l’éviction de Robert Mugabe s’est donc opérée une redistribution des cartes au sein de
l’ethnie Shona. Avec Robert Mugabe les Zezuru étaient au pouvoir et, à la manière d’un gang, le
clan présidentiel tenait le pays. Avec Emmerson Mnangagwa dit Ngwena (Crocodile) en shona, les
Karanga prirent le contrôle du Zimbabwe.
7. Pour tout ce qui concerne les opérations militaires sud-africaines en Angola et au Sud-Ouest
africain/Namibie, il est indispensable de se reporter à Steenkamp (1989), à Bridgland (1990) qui
traite des années 1988 et 1989 et de l’histoire du 32e bataillon sud-africain qui fut sans cesse
présent en Angola aux côtés de l’Unita, ainsi qu’à Hamann (2001).
8. Pour ce qui concerne le rôle des Cubains en Angola, mais aussi au Congo, on se reportera à Dreke
(2002).
9. Il s’en est expliqué : l’armée sud-africaine était alors une armée de conscription quasi uniquement
composée de Blancs et les pertes prévues pour un tel assaut étaient estimées à plusieurs centaines
d’hommes, ce qui aurait été politiquement inacceptable par une population blanche de cinq millions
d’habitants. De plus, le président Botha considérait que les intérêts vitaux sud-africains n’étaient
pas menacés. En revanche, il avait été clair : si les Fapla avaient attaqué la Namibie, la réaction
sud-africaine aurait été totale (Hamann, 2001 : 99).
10. Il restait à ce moment-là 17 000 soldats cubains en Angola, essentiellement des combattants, les
33 000 qui avaient été rapatriés intervenaient surtout dans le domaine des services ou de la
maintenance. Les derniers d’entre eux quittèrent l’Angola le 1er juillet 1991 (Hamann, 2001 : 100).
11. Son entier patronyme est Ahlu Sunnah Wa-Jamâ, ce qui signifie « Ceux qui adhérent à la tradition
du Prophète », en opposition à l’islam soufi local jugé hérétique. L’autre nom de ce groupe est
« Swahili Sunna », ce qui semblerait indiquer que son combat est également identitaire avec
référence au vieux monde swahili de l’époque des sultans esclavagistes éteint avec la colonisation.
12. En 1925, le territoire fut officiellement considéré comme la cinquième province de l’Union sud-
africaine et en 1946, cette dernière demanda à l’ONU de reconnaître ce rattachement, ce qui fut
refusé. La controverse juridique portait sur le point de savoir si l’ONU était ou non l’héritière de la
SDN. En d’autres termes, l’ONU avait-elle le droit de superviser et de retirer à la RS-A le mandat
que la défunte SDN lui avait attribué en 1920 ? En 1949, la Cour internationale de La Haye
considéra que l’ONU avait hérité les attributions de la SDN et elle engagea Pretoria à reconnaître à
l’assemblée de New York le droit de superviser sa gestion du territoire.
13. Avec 56 % des voix, on était loin de la décision de l’ONU de 1976 déclarant la SWAPO unique
représentant du « peuple namibien ».
14. Les émeutes de Soweto avaient débuté au mois de juin 1976.
15. En fait, le projet du Parti national était un partage du pouvoir entre les minorités (blanche, métisse
et indienne) et la majorité noire. Tout au contraire, le but de l’ANC était un transfert pur et simple
du pouvoir de la minorité blanche au « peuple » sud-africain dont la majorité (73 %), était
constituée par les Noirs.
16. Pour tout ce qui concerne l’histoire de l’Afrique du Sud depuis la période Verwoerd
jusqu’en 1997 et plus particulièrement pour l’histoire de la transition du pouvoir blanc à l’ANC,
voir Sparks (1995) et Waldmeir (1997).
17. En 1970, l’impôt par tête d’habitant était de 121 rands pour un Blanc, 10 pour un Asiatique, de 3
pour un métis et de 0,85 cent pour un Noir. En 1975, 99 % de tout l’impôt payé le fut par les Blancs
et en 1981 96,2 %. En 1981, pour un revenu mensuel imposable de 150 rands, un Noir célibataire
payait 2,26 rands, un Blanc célibataire 10,75 rands et un Blanc marié 4,31 rands. Pour une
imposition de 300 rands, un Noir célibataire payait 11,06 rands, un célibataire blanc 37,56 rands et
un Blanc marié 24,18 rands. Avec un revenu mensuel imposable de 500 rands, un Noir célibataire
payait 33,06 rands, un Blanc célibataire 82,15 rands et un Blanc marié 54,11 rands (Statistics South
Africa (SSA).
18. En 2003, 22 000 meurtres ont été commis et 1,5 million d’actions criminelles ont fait l’objet de
plaintes selon les statistiques officielles. Selon les organismes indépendants, ces dernières sont
minorées.
19. Pour faire face à la pénurie en secteur hospitalier et public, le gouvernement fut contraint de faire
appel à des dizaines de médecins cubains.
20. En 2001, 1 500 médecins, infirmiers ou membres du corps médical de nationalité sud africaine
étaient installés dans la province canadienne du Saskatchewan où le 5e du corps médical était sud-
africain. À cette date, 350 médecins cubains exerçaient dans les hôpitaux sud-africains.
21. Tous les chiffres proviennent des statistiques de l’institut Stats SA.
22. Avec un revenu mensuel inférieur à 300 rands par mois (1 rand = environ 1 F en 1999).
23. Dans les années 1980 l’industrie de l’or donnait du travail à 500 000 salariés noirs et à 300 000
en 1998.
24. En 2008, et par rapport à 2007, les produits alimentaires ont augmenté de 14 %, avec une
augmentation de 32 % pour les huiles alimentaires, de 26 % pour le lait, de 25 % pour le poulet de
plus de 20 % pour la farine de maïs.
25. En 1996, les étrangers vivant dans le pays étaient estimés entre 2,1 et 4,1 millions. En 2008, ils
étaient estimés à 8 millions au moins dont entre 3 et 4 millions d’illégaux sur une population de
48 millions d’habitants (Jeune Afrique, 25 mai 2008).
26. Ou bien ils se replient dans la région du Cap.
27. En réalité, il fut adoubé par le patronat pour contrer les revendications des mineurs noirs dont il
fut le représentant avant 1994.
28. La mise en œuvre de ce projet de loi exige au préalable une révision de l’article 25 de la
Constitution portant sur le droit de propriété.
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Index

A
Abacha Sani 891, 892
Abassi Madani 791, 792
Abatcha Ibrahim 873
Abba Salama 113
Abbas el-Fassi 804
Abbas Ier 357
Abbé Grégoire 338
Abd al-Haqq 206, 262
Abdallah (calife) 395
Abdallah el-Ghalib 267
Abd Allah Ibn Sarh 163
Abdallah ibn Yacin 196
Abdallah Youssouf Ahmed 912, 925
Abd al-Malek (ou Abd al-Malik) 267
Abd al-Malik 167
Abd al-Qadir al-Jilani 367
Abd al-Wahhab 179
Abd el Aziz 520
Abd-el Aziz ibn Saud (Séoud) 571
Abd-el-Aziz II al-Mutawakil 202
Abdelaziz Mohammed 752, 790, 794, 795, 797, 811
Abdel Fattah al-Burhana (général) 940
Abdel Fattah al-Sissi 768
Abdelkader (général) 795
Abdelkader Hachami 792
Abd el-Kader (ou Abd al-Qadir ibn Muhyi al-Din) 369, 371, 372, 373, 374, 375, 379
Abd el Krim 598, 599, 600, 601
Abdelmalek el-Moatassem Billah 267
Abd el-Moumen 199, 200
Abdel Rahim al-Keeb 780
Abdelwahid Aboud Makaye 880
Abd er-Rahman ibn Rustum (Rostem) 179
Abdou Diouf 811, 813
Abdoulaye Yerodia Ndombasi 963
Abdourahmane Diallo 819
Abdullahi Yussuf Ahmed 925, 926
Abdulsalami Abubakar 891
Abercrombie (général) 352
Abi Sébastien 635
Abiy Ahmed 906, 918
Ablaing (baron d’) 445
Abla Pokou 282
Abou Abbas Ahmed 270
Abou Abdallah al-Shi’i 185, 186
Abou Abdallah Mohamed dit El Metaoukkel 203
Aboualfa Malika 317, 318, 1045
Abou Bakr 159, 197, 205
Abou Bakr II al-Mutawakil 201
Abou Bekr Amhaouch 367
Abou el Abbas 203
Abou el Misk Kafour 185
Abou Fares 203
Abou Hafs Omar 201, 205
Abou Hamou Musa II 202
Abou Inane 205
Abou Inan Faris 202
Abou Jafar al-Mansour 180
Abou Kurra 178
Abou l’Hassan 204
Abou Likaylik 291
Abou Malek 203
Abou Mohamed Abdallah el-Ghalib Billah 266
Abou Musa al-Barnawi 893
Abou-Qorra 179
Abou Rakwa 187
Abou Saïd (de Tlemcen) 203, 206, 261
Abou Saïd III (sultan mérinide) 205, 206
Abou Tachfme 204
Abou Thabet 204
Abou Yahia Abou Bakr (Mérinide) 204
Abou Yahya 262
Abou Youssef Yakoub 204
Abu al-Muhajir 166
Abû al Quaim 186
Abun-Nasr 385, 1045
Adal (prince du Godjam) 398
Adam Kessou 876
Adam Koug 876
Adamu M. 226, 227, 1045
Adebayo Adedeji 752
Aden Bare Shire 926
Aden Hashi Ayro 925
Adherbal 129
Adli Yeghem 593
Adly Mansour 768
Adnane Abou Wali Al-Saharaoui 862
Adoula Cyrille 707
Adouma Hassaballah Jedareb 879, 881
Adriamasinavolana 307
Aedesius 113
Aemilius Rectus 106
Agaja 332
Agaly Alambo 857
Ageron C.R. 488, 497, 1045
Ag Gamou (colonel) 860
Aghalahy Alambo 857
Agostini Enrico (de) (colonel) 770, 1045
Agouli Agbo 501
Aguessy C. 283, 1045
Ahidjo Ahmadou 885, 887
Ahmad 1er 492
Ahmad al-Tijani 385
Ahmad II al-Mustansir 202
Ahmadou 385, 486, 497, 511, 885
Ahmadou Bamba 385
Ahmad Pacha 287
Ahmadu-Ahmadu 388
Ahmadu Seku 388
Ahmadu Tall 390
Ahmed al-Wattassi 263
Ahmed As-Senusi 594
Ahmed ibn Ibrahim al-Ghazi (el Gragne) 286
Ahmed ibn Touloun 183
Ahmed Karamanli 312, 363
Ahmed Maher 618
Ahmed Ould Daddah 811
Ahmed Pacha 260
Ahmed (sultan d’Égypte) 258, 317
Ahmosis 85
Ahrendrup (colonel) 398
Ahtisaari Marthi 1033
Aidid (général) 924, 925
Ailleret (général) 650
Aïna 1006, 1045
Aït-Hamed Hocine 791
Akaba 331
Akena Adoko 1003
Akindele A. 283, 1045
Akli Ag Iknane 857
Al-Adid 189
Al-Afdal 189
Al-Aghlab 178
Alara 100
Al Aziz 187
Albuquerque 253, 259, 286, 1045
Alcaudete (comte d’) 265, 266
Alden C. 1037, 1045
Alexandre Hélios 105
Alexandre le Grand 78, 103
Alfonse V d’Aragon 285
Alfonso Menendez 287
Alhaji Muhajid Dokub-Asari 894
Al-Hakim 187
Ali Abou Amouri 506
Ali Basha 312
Ali Bel Hadj 791
Ali Benghul 364
Ali Bey 312
Ali (gendre du prophète) 164
Ali Kafi 792
Ali Maher 681
Ali Reis 286
Ali Sabri 761
Ali Shermake 923
Allard-Huard L. 1063
Allenby (général) 592
Al-Malik al-Salih 190
Al-Mâliki 172
Al-Mansour 224, 270, 277
Al-Mansur (fils de Bologin) 192, 193
Al-Masudi 239
Almeida Francisco (de) 259
Al-Mouktafi 185
Al-Moutamid 185
Al-Moutaz 183
Al-Mouztasim 190
Al-Mu’izz ibn Badis (souverain ziride) 193
Al-Mu’izz (souverain fatimide) 193
Al-Mustansir 189, 201
Alpha Condé 816, 817, 820
Alphonse V d’Aragon 248
Al-Radi 185
Alvaro de Caminha 253
Al-Zahir 189
Amabilis 135, 139
Amadou Koufa (Amadou Diallo) 860, 861
Amara Benyounès 796
Amar Ouamrane 643
Amasis 101
Ambrose S.H. , 152
Amda Tsiyon 213
Amenemhat Ier 82
Amenemhat II 84
Amenemhat III 84
Amenemhat IV 84
Amenhotep Ier (Amenophis) 85, 86, 94
Amenhotep II 86
Amenhotep III 87
Amenhotep IV (ou Aménophis IV) Akhénaton 87, 88
Amenmès 89
Amenophis Voir Amenhotep 1er 86
Amer 681
Amon 85, 87, 88, 98, 99, 100
Amosis 85, 94
Amr ibn al-As 160, 163
Amselle J.-L. , 735, 15, 1046, 1051
Amyrtée 101
Andom (général) 908
Andrea de Oviedo 287
Andréa Doria 265
Andriamanelo 307
Andriamasinavalona 307
Andrianampoinimerina 307, 437
ange Gabriel/Jibril 385
Annunzio Gabriele (d’)
An Nuwayri 172
Anouar al-Sadate 618, 681, 761, 762, 763, 919
Anstey R. 338, 1046
Antipater 103
Antoine 369, 233, 638, 705, 706, 709, 105, 130
Antoine 1er 270
Antonio Fernandez 448
Apithy 657
Appiah 326, 402, 1046
Apriès 101
Arabi Pacha 360
Arap Moi Daniel 692, 992, 994, 996, 999, 1001
Arboussier Gabriel (d’) 656
Archinard Louis (colonel puis général) 498, 499, 861
Arditi C. 505, 514, 1046
Ariel Sharon 762
Arik Boke 191
Arius 171
Arkell A.J. , 68
Arsinoé 103
Arsis 103
Artama 1er 87
Artatama 88
Artaxerxès Ier 101
Aruj 263
Asdrubal 125
Asiwaju A.I. 407, 1046
Askia al-Mohammed 224, 277, 382
Askia Ishaq II 277
Aspelta 101
Assarhadon 100
Assourbanipal (Sardanapale) 100
Athanase , 113
Athmane Sahraoui (dit Bachir Tartag) 796
Atkinson Q.D. 146
Aton 87
Aubin J. 285, 1046
Augier 550
Auguste
Augustin 171, 813, 979
Aumassip G. , 115, 142, 53, 57
Aussaresses (général) 647, 1046
Austen R.A. , 1046
Awad Ibn Auf Ahmed (général) 940
Ay 88
Ayalon D. 190, 1046

B
Ba Ahmed 520
Babangida 891
Bach 738, 1047
Bacri 365
Baden-Powell Robert 468
Badi Dida 773, 774
Badis 192, 193, 317
Badoglio (maréchal) 605
Badr al-Djamali 189
Baga 277, 128
Bagaragaza Th. 979, 1047
Bagayoko N. 969, 1047
Bagaza J.-B. 986, 987, 989
Bah Mamadou 817
Baï Koroma 826
Bakajika Banjikila 709, 956, 1047
Baker Samuel 342, 363, 446, 447, 476
Bak In Rann If 99
Balafrej Ahmed 624
Balandier Georges 733
Baldwin S. 606
Ballot V. 500, 501
Ba Mamadou 817
Bamina 986
Bancel N. 524, 527, 14, 1047
Banda Hastings 695, 696, 945
Bangoura M. 871, 1047
Baranyanka 718, 720
Baratier (capitaine) 519
Baratieri Oreste (général)
Barbaros Hayretin (Barberousse) 263, 264
Barrucand Victor 597
Barth H. 531, 1047
Bartle Frère (sir) , 435
Barton Sydney 605
Bastin Y. , 149, 1047
Batran A.A. 382, 1047
Battelot Edmund (major) 397
Baumann O. 551
Baverez Nicolas 743
Baybars 190, 211
Bayezid 259, 260
Bayol (docteur) 500
Beach D.N. 239, 302, 1047, 1048
Beaufre (général) 685, 1048
Becker
Bédié 837, 838, 841, 844, 846
Behagle J.-F. (de) 509, 513
Béhanzin 500, 501
Béji Caîd Essebsi 787
Bélisaire 135, 138
Belkacem Krim 643, 649
Belkhodja 784, 1048
Belle 549
Belliard 352
Belloni du Chaillu Paul 504
Bemba Jean-Pierre 696, 961, 963, 967
Benabbès A. 167, 1048
Benabou M. 170, 1048
Ben Aïcha 319
Ben Ali 783
Ben Ali (Zine el-Abidine Ben Ali) 785, 786
Ben Arafa 630, 631, 638, 639, 640
Ben Barka Mehdi 800, 801
Ben Bella Ahmed 647, 789, 791
Ben Brik Taoufik 786
Bendaoud (général-major) 795
Bender L. , 41
Bendjedid 790, 792, 794
Ben Gourion 680
Benhima 163, 200, 1048
Benjamin 161, 1008, 1009
Benjelloun 639
Bennassar B. et L. 1048, 1068
Benoît XV 477
Ben Salah Youssef 783, 784, 1048, 1072
Bent Théodore 240
Ben Yahmed 743
Berewa 826
Bernand A. , 103, 1048
Bernus E. 855, 856, 1048
Berque J. 679, 1048
Berthier P. 258, 269, 1048
Béthencourt Jean (de) 247
Bevin Ernest 722
Bianquis T. 157, 174, 189, 1048
Bihamugani 986
Bilai Ag Achérif 860
Binaisa 1004
Binger Louis-Auguste 503, 505
Biondi J.-P. 488, 1048
Biroli 718, 720
Biscarrat 507, 508
Bismarck Otto (von) 440, 453, 477, 478, 487, 492, 493, 496, 521, 532, 533, 534, 535, 536, 548, 557
Biton Coulibaly 278
Biya Paul 887
Bizimana 979
Bizimungu Augustin 983
Blake R. 694, 1048
Blanchard P. 524, 527, 14, 1047
Bledisloe 694
Bleek W. 145
Blixen Karen 688
Blum Léon 602
Bocarro Gaspar 448
Bocchoris 99
Bocchus Ier 129, 130, 134
Bockarie S. 825
Bockholt 586
Bodson (capitaine) 418, 560
Boga Doudou 842
Boganda Barthélémy 945
Bogud 130
Böhne Madelaine , 22
Boisseau Philippe 636, 1049
Boisson Pierre 622
Bokassa Jean-Bedel 943
Bologin 187, 192
Bonaparte (Napoléon Bonaparte) 310, 349, 351, 352, 354, 365, 1080
Bonchamps (marquis de) 519, 560, 1070
Bongo 901, 902, 903, 947
Boniface 134
Bonnefous E. 666, 668, 1049
Bontinck F. , 1049
Bonzaier E. 41
Booh-Booh P.-R. 977, 1049
Bookin-Weiner J.-B. 317, 1049
Borgnis-Desbordes Gustave 486, 498, 499
Borsali Noura 783, 1049
Botha Louis (général) 462, 468, 470, 471, 472, 577, 578, 579, 610
Botha Pieter 1025, 1029, 1034, 1036
Botte Roger 175, 1049
Bouche D. 620, 1049
Boudiaf Mohammed 642, 647, 789, 792
Bouet Willaumez Edouard 503
Boumediene Houari 649, 789, 790
Bourgès-Maunoury Maurice 631, 647
Bourguiba Habib 595, 624, 630, 632, 633, 634, 635, 636, 681, 759, 783, 784, 785, 1048, 1050
Bourmont (de), maréchal 676
Boussouf A. 649, 789
Bouteflika Abdelaziz 641, 790, 794, 795, 797, 798
Bouthel 511, 513
Boyer de Latour (général) 639, 1049
Bozizé 947, 948, 949
Branche R. 647, 1049
Braouzec 504
Brassine J. 952, 1049
Braudel Fernand 270, 326
Brazza Pierre Savorgnan de 504, 507, 517, 557, 559
Brégeon J.-J. 349, 1049
Bretonnet Henri-Étienne 509, 513, 514
Breutz P.-L. 304, 424, 1049
Briand Arsitide 523, 600, 604, 1048, 1071, 1084
Bridgland F. 1023, 1049
Brière de l’Isle Pierre 488, 499
Broch
Brooks , 37
Bruce 288
Brueys 351
Brugsch 531
Bruguière (juge) 978, 982, 983, 984, 1049
Brunet , 23, 1050
Brunschwig H. 531, 1050
Bugeaud Thomas (général) 369, 370, 371, 373, 374, 375
Buhari 891, 892, 895
Buijtenhuijs R. 687, 688, 689, 1050
Buisseret Auguste 706
Bunyenyezi 1005
Burghard Dubois Richard 613
Burghards du Bois W.E. 757
Burton Richard 343, 444, 449
Busnach 365
Buyoya P. 987, 988, 989, 990

C
Cabaon 135
Cabral Amilcar 723, 724
Cadamosto Alvise 812
Caetano M. 726
Cahen M. 1029, 1050
Caillaux Joseph 523, 524
Cain P.J. 701, 1050
Calas B. 991, 998, 1004, 1050, 1075
Camau 786, 1050
Cambon 380, 524
Cambyse II 101
Cameron V.L. 343, 451, 556
Campbell Bannerman Henry(sir) 463
Campbell J.T. 400, 401, 402, 463, 470, 1050
Camps Gabriel 123, 135, 50, 98, 115
Caneva (général)
Canning (lord) 343
Cannuyer C. 160, 161, 107, 1050
Cao Diego 252, 284
Capello (capitaine) 556
Caprivi Georg Leo (von) 478, 535, 579
Capussa 125
Caracalla 107
Carbonell Eudald , 25,
Carducci
Carlton Hayes 455
Carmignani 349, 1080
Carnavon 433, 435
Carter (président) 762
Cartier R 669
Casati G. 395, 397, 1051
Castro Fidel 789, 953
Cathcart 432
Catroux (général) 639, 646
Cauneille 769, 1051
Cavalli-Sforza L. et F. , 41, 1051
Cazemajou Gabriel (capitaine) 511
Césaire Aimé 612
Césarion 105, 106
César Jules 105, 130, 134, 105
Cetshwayo 433, 435
Chaban al-Achraf 258
Chadli Benjedid 790, 794
Chafik Ahmed 765, 766
Chagnolaud 648
Chaillé-Long Charles 476
Challaye Félicien 526
Challe (général) 631
Chaltin Louis Napoléon (commandant) 563
Chamberlain Joseph 464, 465, 466, 468
Champeaux A. (lieutenant-colonel) 484, 485, 510, 1051
Changamire Dombo 1re 303
Changarnier Nicolas (général) 373
Chanoine Julien 509, 510, 511, 1077
Chanzy A. 379
Chapelle J. 873, 1051
Charles de Belgique 718
Charles Martel 174
Charles Quint 263, 264
Charles Taylor 818, 819, 823, 829, 831, 832
Charles X 365
Charpin M. 921, 1051
Chasseloup-Laubat Prosper (de) 485
Chataigneau 630
Château-Renaud 318, 319
Chebel M. 340, 1051
Cheikh Ag Aoussa 860
Cheikou Amadou 279
Chekib Arslane 598
Chelmsford Thesinger (lord) 435
Chemamoun (Shamamun) 212
Chéops 79, 80
Chéphren 79
Cherkaoui 639
Chiarelli , 69
Chinguli 301
Chiniama 301
Chirau Jeremiah (chef) 1014
Chissano Joaquim 1029, 1030
Chittick H.N. 235, 1051
Choiseul (duc de) 484
Chou En-Laï 683
Chrétien J.-P. 413, 735, 69, 1051, 1058
Christiansen 586
Christopher L. , 44, 780, 999
Churchill Winston 606, 623, 799
Cissoko S. 224, 1051
Ciza 979
Clapham C. 914, 1051
Clapperton 341
Clark J.-D. , 152, 1046
Classe Léon (Mgr) 563, 1052
Claude (empereur) 105, 106, 130
Claudel Paul 515
Claustre Françoise 874
Clauzel B. 370
Clay H. 402
Clemenceau Georges 473, 489, 490, 491, 602
Cléopâtre Séléné 105, 130
Cleverland 404
Clinton Bill 924, 989
Closset A. 953, 1052
Cocard H. 318, 1052
Coillard J.-F. 557
Coimbra 448
Cointet 514, 622, 1052
Colomb Christophe 248
Colombel P. , 49, 1052
Colonna C. , 128
Compaoré Blaise 865, 867
Condorcet Nicolas (de) 338
Connah G. , 149, 1052
Conrad Philippe 266, 271, 498, 505, 565, 603, 605, 608, 712, 722, 1052
Conté 816, 817, 818, 819, 820
Cooke C.K.
Cook G.C. 296, 1052
Coppolani Xavier 515, 810, 1052
Coquard 319
Coquerel P. 611, 1053
Coquery-Vidrovitch C. 1053, 1082
Corfield 687, 690, 1053
Corippe , 139
Cornelius Balbus 133
Cornevin Robert et Marianne 399, 531, 545, 609, 610, 1053
Cornut 321
Corradini
Cortez Hernan 511
Cotton Oswell 447
Coty René 640, 648
Coupez André , 149, 1047
Cournarie Pierre 622
Courtois C. 169, 170, 135, 1053
Couteau-Bégarie H. 620, 1053
Covilham Joao (de) 252
Cox J.-A. 296, 1053
Cradock 419
Craig 306
Crampel Paul 507, 508, 509, 545, 950
Crémieux Adolphe Isaac 378, 379, 620
Cresswell 611
Crispi F. 565
Cromer (lord) 473
Cronjé 1039, 1053
Cunnison I. 302, 1053
Cuoq 169, 170, 171, 213, 218, 135, 139, 1053
Cureau A. 520
Currey J. 687, 1053
Curtin Ph. 325, 335, 336, 1053
Cusina 138
Cuttier M. 499, 1053
Cyilima 551
Cylima II Rujugira 410
Cyprien 171, 978, 988

D
Daaku K.J. 282, 1053
Dabormida
Dabo Sissoko 654, 656
Dacko David 943, 945, 947
Da Diarra 279
Dado Sikosso 656
Daget Serge 325, 326, 329, 330, 335, 338, 340, 342, 402, 405, 1053, 1076
Dahab 727, 803, 810, 931
Dahia ou Dihya. Voir Kahina (la) 168
Dahir Aweys 926
Dakon 282
Dallaire (général) 977, 1049, 1054
Damas 189
Damas Léon 159, 164, 174, 177, 185, 187, 369, 374, 571, 572, 612, 768
Damrémont Charles-Marie (général) 370, 371, 372
Dante Alighieri
Daoud 211, 224
Darius Ier 101
Darius II 101
Darius III 103
Darlan (amiral) 621, 622
Darricau 504
Datoo B.A. , 104
Daumalin X. 671, 672, 1054
Daumas 375
Davenport 578, 1054
Davis R.C. 339, 1054
De Beaulieu Charles 547
De Bieville M. 1054
De Bono 605
De Bruyne Henri (lieutenant) 562
Decazes E. 517
De Chevigné 498
Decius 106, 107
Decret F. 185, 192, 121, 130
Ded 92
Dedan Kimathi 691
Defferre Gaston 659
De Gama Christofo 286
De Gama Estavao 286
De Gama Vasco 252, 253, 286, 456
De Gaulle Charles (général) 620, 622, 627, 629, 631, 632, 635, 636, 645, 648, 649, 650, 663, 664,
665, 674, 676, 799, 801, 896, 1052, 1082
De Heusch L. 234, 1054
De Klerk Frederik 1036, 1037, 1067
Delacroix E. 368
Delanoue G. 570, 1054
De La Rey J. (général) 468
De la Salle Gadifer 247
De La Tour (lieutenant) 498
Delaunay 550
Del Bocca A. 605
Delcassé Théophile 519, 521, 522
De Lesseps Ferdinand 358, 359
De Lesseps Mathieu 365
Delhougne G. 619, 1054
Delneuf M. 296, 1054, 1058
Del Ponte Carla 978
Demba-Gué 501
Demoz A. , 113, 113
Denbow J. , 149
De Négrier (général) 488
Denham 341
Deniaud (RP) 550
Deprimoz (Mgr) 714
Deroo 484, 485, 510, 1051
Déroulède Paul 489
De Roux P.-G. 1021, 1067
Desanges J. , 121, 133, 1054, 1055
Deschamps H. 736, 1055
Desgenettes René-Nicolas 351
De Silva Joao 556
Desjacques J. , 122
Desmedt C. , 149
De Sousse 788
Desplagnes Louis 861
Destenave 514
Deval Pierre 365, 366
De Villepin Dominique 842
Devisse J. 218, 219, 1055
De Wet C. (général) 468
De Wet J. , 53
Dhanis Francis (capitaine) 562, 563
Dhlakama Alfonso 1030
D’Hoop 550
Diamacoune Senghor (abbé) 813
Diarra Camara 819
Dias de Novaes Bartolomeu 284
Dicko Ibrahim 862
Diego Gomez 251
Diendéré (général) 867
Dieng 338, 1055
Dieterlen Germaine 861, 1055
Digbagli Genu 331
Dihya 168
Dingane 423, 430, 431
Dingiswayo 421, 423
Diniz Diaz 251
Dinkoro 278
Dioclétien 107, 110, 131,
Diogo Lopo de Sequeira 286
Dion Cassius 106
Diop C.A. , 68, 69, 74,
Dioscore 109
Disraeli 433
Djafar al-Nimeiry 930
Djamel Lekhal Medjdoub (général) 795, 861
Djawar 187
Djekaré-Isesi 80
Djem 259
Djemal Pacha 571
Djeser 79
Djobo Kâ 812
Dobell 576
Dodds Alfred 501
Doe Charyee 829
Doe Samuel 404, 829, 831
Dolabelle 130
Dombo 1er 302
Dominé Charles- Hubert 243, 488, 941
Donadoni , 105
Donat 171
Don Diego de Herrera
Don Fernando 250
Dong , 27, 26
Don Henrique 269
Doolittle (général) 624
Doré 817
Dorigny 338, 1055
Doriot Jacques 600
Dos Santos Eduardo 1026
Dos Santos Isabel 1028
Dos Santos José Eduardo 1011, 1025, 1028
Dos Santos José Filomeno 1028
Dos Santos Marcelino 726
Doyle S. 228, 1055
Dragut (Torgus Reïs) 264
Dreke V. 953, 1023, 1055
Drescher S. 337, 338, 339, 1055
Driss Jettou 804
Dromaux (RP) 550
Droz B. 632, 1055
Duarte 250
Dubois C. 485, 538, 539, 544, 545, 574, 1056
Duc d’Aoste 608
Duc d’Aumale 373, 374
Du Chaffaut 319
Duchesne 494
Duclerc 486, 488
Dulo Demba 226
Dumont, René 730
Dundee 430
Duperré 676
Dupont 1013
Durand-Autier 509
Duval 657, 1056
Dybowski 508
Dyé 519
Dziubinski A. 317, 1056

E
Eanes Gil
Ebermayer 577
Ébiri Moro 282
Edem Abdullah Osman 923
Eden Anthony 606, 685
Édouard Vll 471
Ehret Ch. 41, 44, 117, 149, 152
El-Hadj Kroumah 819
El-Hadj Omar 382, 388, 390, 486
Élissa (Didon) 122
Elliot J.H. 245, 296, 1053, 1057
Elphick R. 304, 153
Elphinstone 306
El Talib 935, 1056
Eltis D. 331, 333, 1057
Ely Ould Mohammed Vall 648, 811
Émily 519
Emin Pacha (Edouard Schnitzer) 343, 363, 394, 395, 397, 477, 1051, 1079
Emmanuel le Fortuné 269
Emmerson Mnangagwa 1020
Enes 556
Ennaji , 1057
Enver Pacha , 569
Erdimi Timan 878, 880, 881
Erdimi Tom 878, 881
Érulin (colonel) 955, 1057
Esoavelomandroso 437, 1057, 1072
Essam Charaf 765
Essertel Y. 451, 453, 1057
Essomba 296, 1054, 1058
Esteva (amiral) 621
Estrées 318
Étienne E. 497, 507, 515, 606
Eudoxe de Cyzique 104
Eupator 105
Eurydice 103
Euzennat M. , 106, 130, 131, 1057
Evelyn Baring 473, 690
Excoffier L. 296, 303, 1057
Eymerich 574
Ézana 113
Ezboni Mundiri 930

F
Fadel Allah 513, 514
Fage D. 336, 1057
Faidherbe Louis 388, 486, 510
Faivre (général) 573, 622, 653, 1057
Fallières Armand 488
Fanon Frantz 757, 1058
Fantar M.H. , 121, 130
Farès Abderrahmane 646
Fargette G. 354, 1058
Farhat Hached 633
Farouk 1er 593
Fasiladas 287, 288
Fatima (fille du prophète Mohammed) 159, 186,
Fatuma (reine de Zanzibar) 343
Faure Edgard 519, 623, 634, 638, 645, 799
Fauvelle-Aymar F.-X. , 69, 1051, 1058, 1070, 1074, 1082
Fayçal d’Arabie 681
Fayez el-Sarraj 781, 782
Fehrat Abbas , 642
Félix Éboué 519, 538, 550, 620, 631, 647, 648, 654, 656, 659, 660, 661, 837, 838, 874, 964
Fernandez Silvestre 599
Fernando (frère cadet d’Henri le Navigateur) 250, 251, 727
Fernando Po 251, 727
Fernao Gomès 251
Ferro M. 685, 1058
Ferry J. 487, 488, 489, 490, 491, 493, 666, 668
Février P.-A. 170, 171, 1046
Fieldhouse D.K. 699, 700, 1058
Field Winston 698
Filipa de Lancastre 250
Filliot J.-M. 326, 1058
Filonardi 565
Finley Robert (révérend) 402
Fischer Abraham 470
Flamand 521
Flandin 606
Flatters Paul 375, 512, 521
Fleury G. 313, 374, 1058
Flint J.E. 459, 1058
Foccart J. 665
Foday (ou Fodah) Sankoh 823, 824, 825, 826, 829
Fogel F. 290, 1058
Fouad 1er 592, 593
Fouques 519
Foureau Fernand 509, 511, 512, 513, 514, 1046
François-Joseph 394, 512
Franke (capitaine puis colonel) 546, 578, 579
Fredendal (général) 621
Frédéric-Guillaume 1er 534
Frémeaux J. 375, 378, 1058
Fremigacci J. 657, 1058
Frère-Orban H.J.W. 560
Freycinet Charles (de) 472, 486, 488
Froment A. 146, 149, 41, 49, 51, 68
Frumentius 113

G
Gafirita Emile 985
Gaia 125
Gaillard 631, 647, 648
Gainot 338, 1055
Galawdewos 286
Gallais Jean 860, 861, 1058, 1059
Gallieni (général) 496, 498, 499, 500, 526
Gallifet (général de) 456
Galvane F. 1036, 1037, 1059
Galy M. 809, 1059
Gambetta L. 362, 472, 488, 493, 497
Gandhi 472
Gannouchi Rached 788
Gaourang 508, 509
Gapyisi E. 982
Garang J. 933, 939
Garcin J.-C. 1059
Garlake P.-S. 241, 1059
Garmul 138, 139
Garvey 613
Gascou J. , 130
Gatabazi 982
Gattefossé J. , 122
Gauda 129
Gauthier E.F. 170, 1059
Gaye 753, 1059
Gbagbo Laurent 829, 837, 841, 844, 845, 846
Gbagbo Simone 844
Geffray C. 1029, 1059
Geingob Hage 1033
Geisser 786, 1050
Gelimer 135, 138
Gélon de Syracuse 122
Gengis Khan 191, 1060
Genoyer 504
Genséric 134
Gentil P. 507, 508, 509, 513, 514, 620, 902, 1059, 1062
Georges 213, 253, 374, 504, 597, 670, 733
Georget 921, 1051
Gérard-Libois J. 951
Germain 318, 519, 964, 972, 1066
Gessi 363, 476, 506, 507
Ghislain J. 413, 718, 720, 1059
Gide André 612
Gigliomee H. 1034, 1060
Gillain 562
Gill S.J. 304, 423, 424, 428, 562, 1060
Giluheba 87
Giovani Dionogi Galeni 264
Girardet R. 489, 490, 497, 526, 1060
Girard G. (docteur) 670
Girard J. , 144
Giraud (général) 621, 622, 624, 1052
Giscard d’Estaing Valéry 955
Gizenga Antoine 708, 709, 953
Gladstone W.E. 437, 479
Glass 504
Glé-Glé 499, 500
Glenelg 419
Glodstone (lord gouverneur général) 471
Godinho M. 253, 8
Golaz 992, 1060
Gonçalo Velho 250
Gonçalves Zarce Joao 250, 251
Goodchild 163, 1060
Goodluck Jonathan 892
Gordon Bennett Junior 449
Gordon Charles 339, 340, 342, 363, 394, 395, 449, 464, 476, 506, 613, 1060
Gordon Sprigg 464
Göring Heinrich 545, 546
Goukouni Weddeye 775, 873, 874, 875, 876, 878
Gouraud H.-J. 499, 515, 524
Gournay (lieutenant colonel) 914, 1060
Gouvea Francisco (de) 284
Gowon (général) 891
Gqozo 1037
Graham (colonel) 419
Gramizzi 881, 1081
Grandin N. 290, 1060
Grandval Gilbert 630, 638, 639
Grant (capitaine) 397, 444, 446, 447, 1043
Grant Stairs 397
Gras 955
Gray J.M. 343, 1060
Graziani (maréchal) 605, 608, 617
Grebenart D. 142
Greenberg J. , 44
Grégoire Patrice 163
Grenville Sharp 400
Grévy Jules 500
Grey Edward (sir) 517
Griaule Marcel 861, 1055, 1060
Groenewald (général) 1037, 1067
Grouchy E. (de) 355
Guebuza Armando 1030
Guei 829, 838, 841, 842
Guelleh 922
Gueydon (amiral de) 379
Guichaoua A. 975, 982, 1061, 1075
Guillain 511
Guillaume (général) 630, 638
Guillaume Ier 535
Guillaume II 522, 535, 541
Guillen P. 522, 531, 532, 1061
Guillon Armand 595
Guillon Hector 950
Guizot F. 484
Gulussa 129
Gupta. 1042
Guthrie M. , 146
Guy Georgy 771
Gysels van Lier 534

H
Hababou 802
Habchi Nacer (général) 796
Haberland E. 216, 286, 288, 1061
Habyarimana Juvénal 956, 974, 975, 976, 977, 978, 982, 983, 984, 985, 988, 1072, 1077
Hachid M. , 49, 117
Haddad 775, 780, 1061
Hadj Mohammed Temim 318
Hadj Sadok 644
Hadrien 106
Hafez al-Assad 682
Haftar Khalifa (général) 779, 781, 782, 783, 881, 882, 883
Haïlé Sélassié 1er 608, 619
Hajji 313, 1061, 1071
Halleux B. (de) , 149
Hall M. 685, 688, 153
Hama Ag Mahmoud. 860
Hamadouche Dris-Aït 795, 1055
Hamann H. 1023, 1025, 1061
Hamdok Abdallah 941
Hamed ben Mohamed el-Murjebi. Voir Tippo-Tip
Hamerton
Hamid Abderamane Haggar 876
Hamid Barrada 807
Hamilcar Barca 124, 125
Hammad 192, 193
Hammad ben Bologin 192, 193
Hannibal 122, 123, 125, 128
Hannington James 477
Haouaria , 129
Haour , 37
Harbi 643, 644, 1061, 1062, 1080
Hardy G. 480, 527, 1062
Hargreaves A.G. , 14
Harlan J.R. , 53
Haroun al-Rachid 179, 180
Harroy J.-P. 713, 714, 1062
Hartman S. 327, 1062
Hassan al-Banna 682, 683
Hassan ben Abdullah el Alawi 343
Hassan Ben Numan 163
Hassan Corso 265
Hassan dey 366
Hassan el Tourabi 930, 931
Hassan Gouled Aptidon 921, 922
Hassan II 799, 800
Hassan II (roi du Maroc) 624, 632, 681, 728
Hassan Pacha 264, 310
Hassan Saleh al-Djinedi 880
Hatchepsout 85, 86, 96
Haugegaard 870, 1062
Haurie M. 508, 1062
Havenga N. 701
Hayrettin Barbaros. Voir Barberousse (Hayretin Barbaros et Khayr ad-Din Barbaros ) 264
Hazem el-Beblawi 768
Heers Jacques 264, 339, 1062
Henderson I. 1062
Henric 510, 511
Henri Ier le Chaste 269
Henri III de Castille 205
Henri « le Navigateur » 250, 251
Héraclius 109
Héraud 979
Herbinger 488
Hercules Robinson 464
Heremans R. , 1062
Hérodote , 118, 118
Herriot Édouard 655
Hertefelt Marcel (d’) 1055
Hertzog J.-B. (général) 471, 578, 610, 611, 701
Heuglin Théodore (von) 445
Heuman 337, 1062
Hicks Pacha 393, 394, 395
Hiempsal 129
Hiernaux J. , 146
Hifikepunye Pohamba 1033
Hilaire 901
Hilal ben Tarwân al-Luwati 193, 194, 199, 200
Hildéric 172
Hinde 562, 1063
Hindenburg (maréchal) 608
Hinnebusch J. 1031, 1073
Hisham ben Abd el-Malik 176
Hisham ben Abd el-Malik (calife omeyyade) 176
Hissène Habré 873, 874, 875, 876, 878, 879, 880, 938
Hitler A. 580, 606, 608, 1065
Hoare 606
Hocine Aït Ahmed 642
Hodister A. 562
Hofmeyr J.H. 464, 701
Hohenlohe-Langenburg Herman (von) 536
Höhnel 479
Holden Roberto 724, 1021
Hollande François 304, 305, 306, 445, 534, 561, 668, 669, 858, 949
Hombert 500, 39, 1047, 1063
Hopkins A.G. 701, 1050
Hopkins Samuel 400
Horemheb , 88, 74
Horton 238, 1063
Hoschschild A. 712
Hostains 503, 1074
Houphouët-Boigny Félix 654, 656, 658, 659, 660, 661, 829, 832, 837, 838
Hrbek I. 185, 1063
Hrdy D.R. , 69
Huan 620, 1053
Huard P. , 48, 1045, 1063
Hubert 524, 525, 526, 560, 596, 597, 717, 736, 1063
Huffman 237, 1063
Huje 74
Hulagu 191
Huntzbüchler Ernest 508
Hussein Aidid 925
Hussein Bey 365
Hussein (chérif de La Mecque) 571
Hussein de Jordanie 681
Hussein ibn Ali 570
Hussein Kamel 571
Hussein Siry 618
Hyuba Boon Salumena 327

I
Ibn Battouta 219
Ibn Idâri 172
Ibn Khaldoun
Ibn Rostem (Rustum) 180
Ibn Toughdj 185
Ibn Touloun 185
Ibn Toumert 200, 201
Ibn Yasin 197
Ibrahim Abboud 930
Ibrahim Ag Bahanga 857
Ibrahima Moktar Sarr 811
Ibrahim ben al-Aghlab 179, 180
Ibrahim II 186
Ibrahim Sambego Sori 385
Idi Amin Dada 1002, 1003, 1005
Idriss As-Senusi 594
Idriss Déby Itno 876, 877, 878, 879, 880, 881, 882, 883
Ifran 168
Ileo 707
Illife J. 275, 332, 337, 546, 39, 53
Ilunga Chibinda 301
Inal 258
Inaros 101
Iradier
Ironsi 890, 895
Isaias Afwerki 918
Ishak 1er 224
Ishaq ibn Mohammed 180, 181
Ismaïl 316
Ismail Sidqi 593
Ivens (lieutenant) 556
Iyad Ag Ghali 858, 861, 862
Izard 279, 280, 1063, 1065

J
Jaa Kosoy 224
Jacoub al-Mansour 200
Jaeger Jean-Jacques , 21
Jakaya Kikwete 1009
Jakobielski S. , 109
Jama 420
Jameson 460, 463, 464, 465
Janot Raymond 665
Janszen 305
Jantzen 543
Janvier Y. , 104, 1046
Jaramogi Oginga Odinga 994, 996
Jauda 135
Jauffret J.-Ch. 641, 1064
Jauréguiberry (amiral) 486
Jaurès Jean 485, 487
Jean III de Portugal 258
Jean II (Joao II) 251, 252
Jefferson Thomas 400
Jésus II 913
Jewsiewicki B. 712, 1064
Jintao 753
Joalland (capitaine) 510, 511, 512, 513
Joao Lourenço 1028
Joffre (maréchal) 512
Johannes 398
Johnson Prince 829, 831, 895
Johnson-Sirleaf 831
Johnston Kamau wa Ngengi 689
José da Costa Cardoso 449
Joubert (général) 462, 468
Jouder (Pacha Jouder) 277
Jourdan 352
Journet N. , 14
Juba
Jugurtha , 129, 129
Juin (maréchal) 630, 633, 638, 1057, 1077
Julien 166, 168, 196, 510, 635
Julius Malema. 1044
Julius Maternus 133
July 639, 1069
Junju 292
Junker W. 395, 1064
Juppé A. 979
Justinien 109, 135, 138,

K
Kabare 292, 552
Kabarega 476
Kabarege James (général) 972
Kabare-Kaganda 292
Kabbah 824
Kabbaj 825, 826
Kabila 953, 959, 960, 961, 962, 963, 964, 966, 972, 1017, 1026, 1027
Kablan Duncan 837
Kachta 100
Kaddouri A. 317, 1049, 1064
Kader Doumbouya 817
Kadhafi 752
Kadhafi Moatassem 779
Kadhafi Mouammar 770, 771, 772, 773, 774, 775, 776, 777, 778, 779, 780
Kadhafi Saïf al-Arab 779
Kadhafi Saïf al-Islam 778
Kagamé Alexis (abbé) 233, 972, 1064
Kagamé Paul 982, 983, 984, 1005, 1073, 1077
Kageorgis 720
Kagiraneza 715
Kahina (la) 163, 168, 173
Kahwa Panga Mandro 967, 968
Kaïs Saïed 789
Kaitbay 258, 259
Kakudji G. 962
Kaladian Coulibaly 278
Kalala Ilounga Mbili 299
Kalaoun 212
Kalema 477
Kalibwami J. 411, 714, 1064
Kalidurut 209
Kalondji Albert 951, 952
Kalonzo Musyoka 1000
Kamal al-Ganzouri 765
Kamaya 292
Kamosis 85
Kamotho 994
Kamougué (général) 874, 875, 877
Kamresi 444, 446
Kandt Richard 446, 552
Kanjogera 552
Kansouh al-Ghouri 259
Kanyarengwe A. 974
Kanyembo 301, 302
Kanyenkiko 988
Kanyonga 718
Kapend 962
Kaper 92
Karamanli 312, 364
Karamoho Alfa Ba 385
Karegeya Patrick (colonel) 984
Karemera Rwaka 410
Kasavubu Joseph 707, 952, 953, 954
Kassa Haylu 397
Kassa Maecha 398
Katanga Germain 299, 301, 302, 416, 460, 541, 560, 563, 584, 706, 707, 708, 750, 751, 802, 951,
952, 953, 954, 959, 962, 963, 964, 972, 1047, 1059, 1071
Kaunda Kenneth 695, 696, 697, 699, 1003
Kayibanda Grégoire 718, 973, 974, 975
Kayonga Charles (général) 972
Kayser 535, 536
Kayumba Alexandre 716, 984
Keith G. 400
Kemal Atatürk
Ken Saro-Wiwa 894
Kenyatta Jomo 613, 689, 690, 691, 757, 992, 994, 998, 999, 1000, 1002, 1064, 1075
Kérenbès (Karanbas) 212
Kerfalla Camara 819
Kessel Joseph 691, 1065
Kestergat 952, 1049
Kettani (général) 623, 801
Khadija 159
Khâemhat 74
Khalid Hassan Chafiq 763
Khalid ibn Hamid al-Zanati 177, 763
Khalil Ibrahim 939
Khalil-pacha 571
Khasekhmouy 79
Khayr Bey 260
khédive Ismaïl 571
Khéops (Khoufou) 79
Khider Mohammed 643, 647
Khlifi Omar 635, 1065
Khoufou (Khéops) 79
Khoumaraway 183, 185
Kibaki Mwai 996, 999, 1000, 1001, 1002
Kibel Bel Oka 971, 1065
Kigeli III Ndabarasa 411
Kigeri I Mukobanya 232
Kigeri IV Rwabugiri 552
Kigeri V 716
Kigwa 292
Kijana Wamalwa 996, 999
Kika 501
Kimberley (lord) 433, 460
Kimenyi IV du Gisaka 411
Kimenyi IV Getura 410
Kinigi 987, 988
Kintu 232, 292
Kirenga 410
Kirk John (consul) , 448
Kissinger 1014
Kitbouga 191
Kitchener (général) 394, 468, 474, 519, 930
Ki-Zerbo 280
Kléber 352
Klein R.G. 319, 55, 1037, 1065
Klobb J.-F. (colonel) 498, 510
Klôtzel 610
Koeberlé , 122
Koenig (général) 639
Kolélas 899, 1027
Koli 226
Kolingba André (général) 945, 947
Koltoum 177
Konan Bédié Henri 837, 838, 841, 844
Kond 301
Kongolo 299
Koroma 824, 825, 826
Kosreu Pacha 354
Kouchkadam 258
Koutou 280
Koutouz 190
Kouvibidala G.J. 899
Krapf J.L. 479
Kringer 504
Kruger Paul 435, 437, 461, 462, 463, 466, 467
Kubilai 191
Kufuor 827
Kuma N’Dumbe A. 608, 609, 1004, 1065
Kuper H. 463, 1065
Kusi Obodum 282
Kuvimbu Ngombé 299
Kwakwavu Bukande 968

L
Laband J. 420, 433, 1065
Labongo 231
Labonne E. 601, 638
Lacerda 448
Lacheraf 647
Lacoste 631, 638, 646
Lacouture J. 648, 650, 1065
Lacumazes 125
Lagos 473, 97
Laissus 349, 1065
Lakhdar Bentobbal 649
Lalibéla 213
Lamberton (colonel) 663
Laminaza (général) 863
Lamine Bey 624, 632, 633, 634
Lamine Guèye 655, 656, 657
La Moricière (général de) 374
Lamy 509, 511, 512, 513, 514, 873, 875, 901
Landeroin 519
Langa 418, 419
Langaney A. , 49, 53, 21
Laniel A. 638
Lanne B. 875, 1065
Lanoye S. 253, 1065
Lansana Conté 816, 817, 818, 819, 832
Lanxade (amiral) 976
Laperrine (général) 514
Lapierre A. 445, 1065
Larayedh 787
Largeau 519, 576, 876, 1059
Lartéguy J. 953, 1065
Laurens H. 349, 1065
Laurentie H. 526, 1065
Laurentin J. 871, 1065
Lauzière 507
Laval Pierre 606
Lavigerie (Mgr) , 491, 496, 530, 1071, 1076
Lawrence T.E. 572
Lazaridis Iosif , 27
Lazlo Magyar 448
Lebeuf J.-P. , 143, 1066
Lebna Dengel 286
Le Bohec Y. , 124
Lebon André 510
Leclant J. , 48, 1063
Leclerc de Hauteclocque (maréchal) 624, 722
Le Cour Grandmaison O. 641, 1066
Lefebvre D. 359, 685, 1066
Lefeuvre D. 573, 668, 673, 674, 675, 1066
Léger P.-A. 647, 1066
Le Houerou F. 914, 1066
Lejean 445
Lemaire , 14
Lemarchand 735, 1066
Léonard 630, 988
Léopold II 395, 555, 557, 559, 560, 561, 563
Le Quellec L. , 34, 41, 44, 50, 51, 54, 55, 56, 34
Leroux M. 32, 30, 32
Leroy-Beaulieu Paul 487, 488
Lessard J.-M. 218, 1066
Lesure M. 286, 1066
Leutwein Th. 546
Lévy S. 601, 1066
Lewal 489
Lewis-Williams J.D. , 153, 1066
Leygues Georges 597
Lieberman D.E. , 24
Liesegang G. 236, 1067
Linant de Bellefonds 476
Lincoln A. 402
Linden Ian 714, 1067
Lingani 865, 867
Liotard Victor 517, 519
Lippens Joseph 562
Lisette 660
Lissouba 896, 898, 899, 900, 961, 1027
Livingstone David 343, 447
Livingstone Mary 449
Lizinde Théoneste (colonel) 985
Logiest (colonel) 714, 717, 1067
Loiseau Y. 1021, 1067
Lol Mahamat Choua 874
London J. 364, 420, 430, 437, 447, 451, 1045, 1057, 1065, 1067, 1071, 1073, 1079, 1080, 1083
Lopez Gonçalvès 251
Lopo Soares 286
Lothaire (capitaine) 563
Louis IX 190, 191, 201, 365
Louis Napoléon 374, 563
Louis-Philippe (roi des Français) 371, 373
Louis XIV 318, 319, 1045
Louis XVIII 365
Lourdel S. (RP) 477
Lovejoy P.E. 335, 1067
Lubanga 964, 967, 972
Lucotte G. 173, 73
Lüderitz F. 545
Lueji (ou Loueji) 301
Lugan B. 178, 196, 325, 433, 437, 525, 531, 535, 547, 550, 564, 595, 618, 620, 690, 710, 723, 726,
14, 746, 749, 773, 774, 48, 64, 69, 144, 971, 977, 978, 982, 983, 1037, 1067
Lumbala 967
Lumumba Patrice 706, 707, 708, 709, 951, 952, 959, 1049
Lyautey Hubert (maréchal) 524, 525, 526, 572, 596, 597, 598, 599, 600, 601, 602, 621, 623, 638,
799, 1075, 1077
Lyttleton Oliver 692
M
Maada Bio Julius 827
Maaouiya Ould Taya 811
MacCarthy 403, 475
Maccaskie 403, 1068
Mac Donald 352
Macfarlane 1039, 1053
Macias Nguema 885
Mackinnon 395, 476, 477, 478
Mack J. , 152
Mac Lachlan K.S. 364, 1068
Mac Mahon Arthur (sir) 570, 571
Mac-Mahon (maréchal de) 487
MacMichael H.A. 894, 938, 1068
Ma el-Ainin 515
Magalhaes Godinho V. 253, 8
Mage 486
Mageba 420
Magon 122
Magufuli John 1009
Mahamat Garfa 878
Mahamat Hassani Bulmay 881
Mahamat Mahdi Ali 881, 1068
Mahamat Nour (Nouri) Abdelkarim 879, 880, 881
Mahdi (al-Mahdi) 186, 187, 362, 393, 394, 395, 397, 468, 474, 924, 930, 931, 938
Mahé A. 791, 1068
Maherero 545
Mahi al-Dine 332, 369
Mahmoud 278, 780, 1064
Mahmoud II 354, 355
Mahmoud Jibril 780
Mahomet. Voir Mohammed et Prophète Mohammed 159
Maina Kiai 1001
Maistre 508
Makare (Maâtka Rê) 98
Malan 611, 701, 702
Malik ibn Anas 196, 800
Malloum (général) 874
Malocello Lanzarote 247
Mamadou Bailo Diallo 819
Mamadou Baldé 819
Mamadou Dia 662
Mamadou Issoufou 870
Mamadou Sampil 819
Mandela Nelson 989, 1011, 1036, 1037, 1041
Mane 501
Manga Bell 654
Mangin (général) 499, 519
Mangope Lucas 1037
Manica 25
Mann 541, 1047
Manning P. 326, 1068
Mansa Dansa 280
Mansouri 191, 1068
Mantran R. 157, 174, 1068
Manuel Ier 252
Manzoni 565
Maran René 612
Marc-Antoine 105
Marchand Jean-Baptiste (capitaine) 474, 515, 519, 520, 1070
Marc (saint) 107, 105
Marey-Monge Guillaume-Stanislas (général) 373
Margaï Albert 826
Maria (épouse de Mohammed) 161
Marie-Thérèse (impératrice)
Marissal J. 343, 1068
Maritz Gerrit 431
Maritz Manie 468, 578
Marivaux Laurent , 21
Marseille Jacques 492, 544, 595, 601, 666, 667, 668, 669, 670, 671, 672, 673, 1054, 1069
Maseko 430
Massemba-Debat 896
Massinissa 123
Massinissa II 129
Masson 620
Massu (général) 631, 647, 650, 1069
Mastanabal 129
Mastigas 135
Mathieu P. 1069
Matiba 996
Matiwane 428, 430
Matsocota 898
Matson A.T. 998, 1069
Matteucci 565
Matzangaissa André 1029
Mauch Karl 240
Mauny Raymond 246, 104, 131, 1069
Maurice 326, 522, 635, 690, 693, 741, 742, 138, 139
Mauro F. 330, 1069
Mawanda 292
Maximin Daïa 107
Mayer 645
Maysara 176, 177
Mazwiri-Kalasa 416
Mba Abessole 660, 900, 901, 903
Mba Léon 660, 900, 901
Mbeki Moeletsi 754
Mbeki Thabo 752, 843, 1037, 1039, 1041
Mbonyumutwa 717
Mboro 930
Mboya 994
Mbusa Nyamwisi 967
McGregor 881
Médard H. 1002, 1070
Medbou (général) 802
Mediene Mohamed alias « Tewfik » (général) 795, 796
Meghiev 92
Mehdi Jamaa 787
Méhémet Ali 291, 349, 354, 355, 356, 357, 362, 1058, 1079
Meinhof Carl 145
Méléro A. 633, 1070
Méles Zenawi 906, 908, 909, 912
Mendès-France Pierre 633, 634, 644, 645, 646, 647
Menehi G. 834, 1070
Menès 78, 79
Mengistu Haïle Mariam 908, 923
Menkaouhor 80
Menkaouré (Mycérinus) 79
Menou (général) 352
Mentouhotep II 81, 82
Mentouhotep III 82
Mentouhotep IV 82
Mercier , 73
Merelles F.A. 978, 979, 982, 983, 1070
Mérenptah 89, 92
Mérensky A. 240
Merouche 365, 366
Mesher 92
Mesnage (RP) 170, 1070
Mesnil 504
Messala ibn Mabbous 192
Messali Hadj 602, 613, 630, 640, 642, 643, 1080
Messaoud Ould Boulkheir 811
Messmer Pierre 660, 662
Metellus 130, 133
Metzul 125
Meynier 511, 512, 513, 572, 641, 1070, 1082
Mhlangana 423
Miani 447
Mibambwe II Gisanura 410
Mibambwe III Sentabyo 411, 413
Mibambwe IV Rutalindwa 552
Mibamwe I Mutabazi 232
Michalet Ch.-A. 667, 1070
Michaux Oscar 562
Michel Charles 519
Michel le Syrien 160
Michel M. 519, 1070
Micipsa 129
Micombero (colonel) 413, 986
Midant-Reynes B. , 65, 67, 79, 57, 62, 64
Middelton 238, 1063, 1070
Miège J.-L. 565, 608, 1070
Migan Apithy 654
Milne J.-G. , 105
Milner Alfred (lord) 465, 466, 470, 589, 1069, 1073
Milongo 899
Miltiade 171
Milton 339, 418, 823, 975, 1002, 1003, 1005, 1006, 1070
Minassian I. 433, 1070
Mineptah 92
Minoberry 979
Mirambo 415
Mirerekano P. 985, 986
Mitchell R. 682, 1071
Mitterrand François 633, 644, 646, 734, 755, 976
Mkapa 1008, 1009
Mkwakwa 549
Mobutu (maréchal) 802, 945, 953, 954, 955, 956, 959, 960, 961, 966, 978, 988, 1026, 1072
Modéran 166, 167, 138, 1071
Modibo Keita 801, 811, 856
Modise 1037
Moffat Robert 424, 447
Mohamed 1er Al-Mustansir 201
Mohamed Abdullah Mohamed Farmejo 927
Mohamed Abu Likaylik 291
Mohamed Ameziane El Haddad 379
Mohamed Bello 386
Mohamed ben Ali as-Senoussi 364
Mohamed ben Saïd 507
Mohamed Ech-Cheikh al-Mahdi 257
Mohamed el-Moutaoukil 267
Mohamed es-Senoussi 509
Mohamed ibn Toumert 199
Mohamed Idriss 722
Mohamed III al-Hadj 277
Mohamed II (Sadok Bey) 492
Mohamed Kousrao 362
Mohamed « le Portugais » 262
Mohamed Mahmud 593
Mohamed ould Abdel Aziz 811
Mohamed Saïd 358
Mohamed Sarakollé Touré 224
Mohamed VI (roi du Maroc) 799, 804, 805
Mohammed al-Hilali 506
Mohammed Brahim Boukharouba. Voir Boumediene Houari 789
Mohammed el-Alfi 354
Mohammed III 224
Mohammed (Prophète) 799
Mohammed Sa 797
Mohammed V 632, 640, 692
Mohammed V de Grenade 205
Mohammed V (Mohammed ben Youssef sultan du Maroc) 1064, 1077
Mohieddine 681
Mohsen-Finan K. 728, 1071
Moinier 523, 524
Mokrani Mohammed al 379
Moktar Fernane 783
Molé 371
Moleney 560
Moletsane 424
Molga Paul , 26
Mollet Guy 631, 634, 646, 647, 648, 659, 685
Moloney J.-A. 418, 560, 1071
Moncef Bey 621
Moncef Marzouki 787
Monckton 695, 698
Mondlane Eduardo 726
Monès H. 176, 1071
Mongi Slim 633
Mongka 191
Monis 523
Monneret J. 643, 653, 1071
Monnerot 644
Mons 630
Montclos X. (de) 496, 1071
Monteil (lieutenant-colonel) 505, 517, 1071
Montgomery (maréchal) 619
Monzon 279
Morand Paul 511
Morat-Rais 317
Moreau 352
Moriani
Mornay 368
Moro Naba 529, 661
Morris D.R. 420, 433, 1071
Morsi Mohamed 763, 765, 766, 767, 768, 769
Moshood Abiola 891
Moshwesh 423, 424, 428
Mostafa ben Boulaïd 643
Moubarak Hosni 763, 764, 765, 766
Mouchard Chrystelle 445, 1065
Moulay Abdelaziz 520, 523
Moulay Abderrahmane 367, 368
Moulay ben Arafa 639
Moulay Hafid 523, 524
Moulay Hassan Ier 368, 520
Moulay Ismaïl 316, 318, 319, 1045
Moulay Mohamed 520
Moulay Rachid 315, 316
Moulay Slimane 367
Moulay Yazid 321
Moulay Youssef 525
Mourad Bey 310, 351, 352
Mouret 515
Moussa Ag Acharatoumane 860
Moussa Dadis Camara (capitaine) 820, 856, 860
Moutet M. 527, 656
Mouton J.M 163, 1071
Mpande 433
Mpangazitha 428
Mpayimana 959, 1071
Mpuga Rukidi 292
Mrema 1008
Msene 430
Mugabarabona 989
Mugabe Grace 1020
Mugabe Jean-Pierre 982, 1072
Mugabe Robert 699, 752, 1011, 1013, 1014, 1016, 1017, 1019, 1020, 1021
Muhammad 186, 382
Muhammadu Buhari 895
Muhawiya ibn Hudayi 166
Muhirwa 985
Mukundokazi Baramparaye 718
Mulele Pierre 709, 953, 959
Mungo Park 341
Munongo Godefroid 418, 708
Munyazeya 979
Münzinger W. 398
Murchison 446
Murdock G.P. , 53
Murtala 891, 895
Musa ibn Nusayr 168, 173
Museveni Yoweri 966, 967, 975, 978, 1005, 1006
Musinga 552
Mussa Mbiki 253
Mussolini Benito 603, 604, 606, 875, 1054
Mustafa al Rajbani 780
Mustafa Kemal
Mustapha Abdel Jalil 779
Mustapha ibn Ismaïl 352, 369, 570, 779
Mustapha Kamil 570
Mustapha Pacha 352
Mutara II Rwogera 411, 413
Mutesa 410
Mutesa II 480, 692
Mutesa (Mtesa) 444
Mutibwa 437, 1057, 1072
Mutope 241
Mutota 241
Muzorewa Abel (Mgr) 1013, 1014, 1016
Muzzolini A. , 49, 50, 52, 54, 55, 82, 90, 48, 49
Mwai Kibaki 996, 999, 1000, 1001
Mwambutsa 413, 718, 720, 985, 986
Mwanga 477
Mwanga II 477
Mwezi IV Gisabo (ou Kisabo) 413, 415, 550, 551, 718
Mwinyi 415, 978, 1008
Mworoha E. 415, 1072
Mycérinus Menkaouré 79
Mzilikazi 241, 423, 424, 428, 430, 431, 697

N
Naaba Kom 280
Naaba Wubri 279
Nabil Karoui 789
Nabuchodonosor 101
Nachtigal G. 341, 531
Naegelen 630
Na Garba 280
Nahas Pacha 593, 619, 681
Nahimana F. 233, 234, 297, 720, 1072
Nambi Nantuttutulu 292
Nana Akufo-Addo 827
Nandi 420, 992, 998, 1069
Naniankoro 279
Na Nyaghse 279
Napier 357
Napoléon III 376, 501
Napoléon Voir Bonaparte (Napoléon Bonaparte) 354, 648
Narmer 78, 79
Nasir al-Dawla 189
Nasser colonel 601, 681, 682, 683, 685, 759, 760, 761, 787, 789, 919, 1051, 1065, 1080
Naulin (général) 600, 601
Ndaba 420
Ndadaye 987
Ndahindurwa 716
Ndahura 230
Ndayikengunukiye 989
Ndayizeye 989, 990
Ndaywel è Nziem I. 706, 709, 951, 1072
Ndidendereza 718
Ndizeye Charles 718, 986
Ndjabu Ngabu 967
Ndlambe 419
Ndongo 284
Ndugute 1005
Nduwayo 988
Nebout 507, 508
Necherophes (Nebka) 79
Nectanebo 1er 103
Nectanebo II 103
Neferefré 80
Neferirkarê 80
Néférousébek (Sébeknéférou) 84
Néfertiti 87
Negasso Gidada 912
Néguib (général) 681, 682, 686
Nehru 683
Nékrouf 269
Nemart 98
Ne Muanda Nsemi 963
Nendaka 953
Neterkhaou 80
Neto Agostinho 724, 1021, 1025
Newbury M.C. 411, 459, 564, 1072, 1073
Ngala 692
Nganda 302
Ngandandumwa 986
Ngari 901
Ngcongco L. 304, 1073
Ngei 690
Ngendandumwa 986
Ngilu 999
Ngolo Diarra 279
Ngouabi Marien 898, 899
Ngqika 419
Ngubenkuka 430
Nhongo 1018
Nicolas V 251
Niemeyer 580
Nietzsche F. 461
Nikiprowetzky V. , 86
Nimeiry (général) 930, 931, 933
Ninian von Sass 446
Niouserré 80
Niyonzima 986, 1073
Nizar 189
Nkomo Josuah 699, 1013, 1014, 1016
Nkrumah Kwame 658, 757, 827
Nkunda Laurent 972
Nkurunziza 989, 990, 991
Noguès (général) 601, 621, 622, 623
Nokrachi 683
Nompethu 423, 428
Nordman D. 368, 374, 1073
Northurp D. 405
Nouira Hedi 784
Noumazalay 898
Nouri al-Said 881
Nsabimana 979
Nsengiyaremye 976
Nsoro IV Nyamugeta 411
Ntabiraho 986
Ntaganda Bosco 972
Ntakiyica 720
Ntare IV Rugamba 411, 413
Ntare Rushatsi 292
Ntare V 718, 986
Ntaryamira 978, 988
Ntibantunganya 988
Ntibitura 974
Ntidendereza 720
Ntilikina F. 959, 979, 1073
Nujoma Sam 1032, 1033
Numeiry. Voir Nimeiry (général) 761
Nur al-Din 189
Nurse D. , 150, 1031, 1073
Nyagahene A. 233, 1073
Nyakwaa 291
Nyamoya 985
Nyamwaza Faustin (général) 984
Nyangoma 988
Nyerere Julius 988, 1003, 1006, 1008
Nyiramibambwe 552
Nyusi 1030
Nziza Jacques (général) 972

O
Obaid Allah 186
Obasanjo 890, 891, 892
Obiang Nguema 885
Obichere B.I. 332, 1073
Obote Milton 975, 1002, 1003, 1005, 1006
Octave (Octavien) 105
Odak Ocollo 291
Oezalces 125
Offer A. 699, 1073
Okacha Djamel 861
Okello 1003, 1006
Okuku J. 1002, 1003, 1006, 1073
Olaudah Equiano 327
Oloruntimehin O. 498, 613, 1074
Omar el Béchir 906, 938
Omar Kengui 876
Omar Soliman 764
Opoku Ware 280
Opuku Ware 282
Orabi Pacha (Arabi Pacha) 472, 473
Orsi 507
Osei Tutu 282
Osorkon Ier Sekhemkheperre 99
Osorkon II 99
Osorkon III 99
Osorkon IV 99
Ossorio y Zavala
Ossufo Momade 1030
Oswell 448
Oterveg 531
Othman ibn Affan 160
Ouannes Moncef 769, 771, 772, 1074
Ouattara 837, 838, 841, 842, 844, 845, 846, 847
Ouédraogo 865
Ouezzin Coulibaly 660
Oufkir 801, 802
Ould Khattar , 143
Oumar Lamine Badji 813
Ounas 80
Ouserkaf 80
Ouserkaré 80
Ousmane (Othman) dan Fodio 382, 386
Owiny 232
Oyé Mba Casimir 902, 903
Oyite-Ojok 1003, 1005
Ozdemir Pacha 261, 287

P
Padibastet (Pétoubastis Ier) 99
Palat 375
Palau-Marty Montserrat 861, 1074
Pallier 510, 511
Palmerston 356, 357
Paluel-Marmont A.P. 520, 1074
Pankhurst R. 608, 1074
Paramsès 88
Passeron 649
Patassé Ange 945, 947, 964
Patey 515
Paul VI 477
Péan P. 366, 982, 1054, 1074
Peatrik A.M. 992, 1074
Pedro Escovar 251
Pedro Paez 287
Péguy Charles 526
Pein (capitaine) 521
Peires 418, 1074
Pélissier 376, 556, 727, 1074
Pepy Ier 80
Pepy II 80, 81
Pereira Aristide 723
Peres Shimon 802
Périllier G. 630
Perino 565
Péroz E. 456, 1074
Perraudin (Mgr) 714, 1074
Perrine 979
Perrois 504, 1063
Perrot C. , 69
Person Yves 337, 498, 1074, 1075
Pervillé 649, 1075
Pétain (maréchal) 525, 600, 601, 620
Peteau 510
Peters Karl 477, 548
Petherick 447
Pétré-Grenouilleau O. 325, 326, 327, 333, 334, 335, 336, 1075
Peyrouton Marcel 595
Pfimlin Pierre 648
Phalo 418, 419, 1074
Philip (docteur) 325, 430, 433, 1077
Philippe V 319
Philippson D. 150
Phyllis 283, 1075
Piaggia 447, 476
Piankhi 100
Pichon 523
Pidou de Saint-Olon 318
Pierre Benoît 577
Pigeard 504
Pillorget R. 690, 1075
Pimay 99
Pinay Antoine 639, 674, 799
Pinet-Laprade 486
Ping Okoka Jean 902, 903
Piri Reis 286
Piyale Pacha 264
Pizarre 456, 511
Pleven René , 657
Pliez 769, 1075
Pline l’Ancien 133
Poignet 899
Polybe 125
Pompée 105, 130, 134
Poncet 447
Ponel 517
Ponsich M. , 122
Ponthier Pierre (capitaine) 562, 563
Ponty William 613
Porte 573
Postal R. 597, 1075
Potgieter A. 430, 431
Poutine Vladimir 755
Poux (juge) 985
Pretorius 431
Prêtre Jean 248, 285
Prince de Galles 718, 829, 1075
Probst Jean-Luc 19
Proot M. 305
Prophète Mohammed 159, 160, 161, 164, 167, 175, 179, 180, 181, 186, 262, 315, 369, 799, 800
Prout 363
Prunier G. 476, 975, 991, 1003, 1004, 1005, 1050, 1060, 1071, 1074, 1075
Psammétique Ier 101
Psammétique II 101
Psammétique III 101
Ptolémaios 103
Ptolémée Évergète 114
Ptolémée (géographe) 133
Ptolémée Ier 103
Ptolémée Ier Sôter 103
Ptolémée III Évergète Ier 104, 105
Ptolémée II Philadelphe 103, 104
Ptolémée IV Philopator 105
Ptolémée IX Sôter II 105
Ptolémée VII 105
Ptolémée VIII Évergète II 105
Ptolémée VI Philométor 105
Ptolémée X Alexandre Ier 105
Ptolémée XI Alexandre II 105
Ptolémée XII Aulète « le flûtiste » 105
Ptolémée XIII 105
Ptolémée XIV 105
Ptolémée XV Césarion 106
Ptolémée XVI Philadelphe 105
Puaux 623, 624
Punga 420
Puy-Montbrun Déodat (de) 647, 1075

Q
Quaben 504
Quéchon G. , 58
Quintana-Murci L. , 151
Quintin 486
Quiquerez 503
Qusayla 166, 167, 173, 180

R
Rabah Bitat 643
Rabah (ou Rabèh) 363, 391, 497, 505, 506, 507, 508, 509, 513, 514, 643, 893, 1083
Rabemananjara 656
Rabino-Massa , 69
Radama Ier 437
Radama II 439
Radjabula 990
Ragatz L. 337, 1076
Raila Amolo Odinga 996, 999
Raila Odinda 1000
Rainilaiarivony 439, 496
Rakota Radama 439
Ralambo 307
Ramaphosa Cyril 1041, 1042, 1044
Ramboasalama 307
Ramdane Abane 797
Ramdan Pacha 267
Ramsès Ier 88
Ramsès II 74, 89, 92, 94
Ramsès III 74, 89, 92
Ramsès (IV V VI VII VIII IX X et XI) 74, 89, 90, 92, 98
Ranavalona II 439
Ranavalona III 440
Ranavalona Ire 438
Raouf Pacha 398
Rapontchombo Denis (le « roi Denis ») 504
Raseta 656, 657
Ras Makonnen 604, 782
Rasoherina 439
Ras Tafari 604
Ratsimbazafy 1076
Ravanello S. , 134
Raven-Hart R. 306, 1076
Ravoahangy 656
Rawlings Jerry 827
Raynaud J.-P. 24, 115
Razafindralambo 438, 1076
Reda Malek 792
Redford D.B. 87
Rediker M. 325, 327, 335, 1076
Régis Victor 405
Regulus 124
Reine de Saba 216
Reinhardt C.A. , 14
Reisner 67
Rekhmiré (Rekhmara) 74
Renan Ernest 359
Renaud Patrick 635, 1076
Renault F. (RP) 325, 326, 335, 340, 341, 342, 343, 453, 1076
Reqiya 520
Retief Piet 424, 430, 431
Retord G. 834, 1070
Rhodes Cecil 460, 461, 463, 464, 465, 468, 557, 560
Richardson D. 331, 333, 334, 335, 338, 1076
Riek Machar 939
Ripon 444, 446
Rivet D. 524, 601, 1077
Robersthaw P. 152
Robic J. (docteur) 670, 672
Robinson D. 1080
Rochas Y. 620, 1077
Roche C. 813, 1077
Roger Louis 325, 1077
Rohlfs 531
Roi Jimmy 365, 371, 395, 397, 103, 1002, 1062
Rolland J.-F. 510, 1077
Rommel (maréchal) 618, 619, 621
Rondot P. 761, 762, 1077
Roosevelt F.D. 606, 623, 624, 799
Rosebery 479
Roset J.-P. , 57
Ross A. 430, 1077
Roudamon 99
Rougerie G. 832, 834, 1077
Roulet Édouard (capitaine) 520, 1074
Rouvier Maurice 522
Ruark R.C. 691, 1077
Rubattino 565
Ruben Um Nyobé 662, 663
Ruberwa 963
Ruffat E. 1077
Ruganzu I Bwimba 233
Rugumaho 959
Ruhinda 232, 233
Rui da Souza 285
Rukidi 232
Rumaliza 415, 550, 562, 563
Rusha Emmanuel (général) 972
Rutalindwa 552
Ruy de Sequeira 251
Ruyenzi Aloys 982, 1077
Ruzibiza Abdul 982, 1005, 1077
Rwagasore 718, 720, 985, 986
Rwasa 990, 991
Rwigema Fred 976, 1005

S
Saad Zaghloul 592
Saba 213, 216, 240
Saddam Hussein 682
Sadek al-Mahdi 935
Sagatwa E. 979
Sahah Rais 263
Sahouré 80
Said 203, 332, 343, 360, 683
Saïd Beghoul Mohammed 797
Saidu Momoh 823
Saint-Clair W. 328, 329, 1078
Saint Frumentius 113
Saint Marc 106
Saitoti 978
Saker Alfred 543
Saladin (Salah al-Din ibn Ayyoub) 189, 190, 211
Salan (général) 631
Salif Sadio 813
Salih Reis 264
Salisbury (lord) 460, 473, 478, 559
Salitis 84
Sallal 760
Sall Macky 811
Salluste , 129, 133, 129
Salmon P. 563, 1078
Salomon 216, 240
Salva Kiir 933, 935, 939
Samba Sall 509
Sam Inga Norman 826
Samora Machel 726, 1028, 1029, 1031
Samory Touré 382
Sampil 820
Sankara Thomas 865, 867
Santarem Joao (de) 251
Sapeto G. 565
Sardanapale 100
Sarkozy Nicolas 746, 778, 779
Sarraut Albert 606
Sassou Nguesso 899, 900, 961, 1027
Saumagne Ch. , 128
Savimbi Jonas 724, 954, 961, 1021, 1025, 1026, 1027, 1067
Savorgnan (de) Brazza, Pierre 504, 517, 559
Say 290, 338
Sayyed Qutb 787
Sbacchi A. 608, 1078
Sbihi-Alaoui Fatima 24, 115
Schepartz L.A. , 144
Scherer 352
Schild , 54
Schmidt P.R. , 58, 145
Schmiedel H. 549, 1078
Schmitt (général) 647, 1078
Schnee 579, 588
Schneider 369
Schnitzer Edouard dit Emin Pacha 343, 363, 476
Schoelcher Victor 486
Schoenfeld 580, 585
Schramme J. 953, 1078
Schreiner J. 464
Schuenemann V. , 73, 73
Schuman 630, 639
Schwartz 31
Schweinfurth 342, 447, 532
Scipion Émilien 128
Scipion l’Africain 128
Scoon 424
Scott Francis (général) 473, 55
Scylla 129
Sébastien de Portugal 269
Sébeknéférou 84
Sebkhotpe 74
Séfu 562
Segonzac 503
Seignobos 888, 1078
Seitz 579
Sekonyela 423, 424
Sékou Ouattara 386, 660, 816
Sékou Touré 660, 816
Seku Ahmadou 382, 386, 388
Seku Ahmadou (ou Ahmadu) 382, 386, 388
Sekukuni 433
Selborne (lord) 470
Sélim 1er 260
Sellal Abdelmalek 797
Sémard Pierre 600
Sémélé (comte de) 407
Sendashonga Seth 985
Sendwe 707
Senghor Léopold Sédar 612, 654, 655, 656, 657, 660, 664, 665, 811, 812, 813
Sény Bangoura 817
Senzangakona 420, 421
Septime Sévère 106, 107
Septimus Flaccus 133
Séqénenré Taa 85
Sereno , 37, 37
Sergent P. 954, 956, 1078
Serpa Pinto A.A. 460, 556, 557, 1078
Serubuga 974
Seshonq Ier 99
Seshonq II 99
Seshonq III 99
Seshonq IV 99
Seshonq V 99
Seshonq VI 99
Sésostris 1er 93
Sésostris III 94
Sethnakht 89
Séti Ier 88, 92, 100
Sève Joseph Anthelme 355
Sévères 106, 107, 133
Seydoux 631
Seyid Bargash
Seyid Hamed ibn Thuwein 343
Seyid Majid 343
Seyid Saïd 343
Sforza 722
Shabataqa 99
Shakanda 212
Shaka Zulu 420
Shaw T. 211, 212, 228, 1078, 1079
Shaykh al-Tidjani 382
Shehu Shagari 891
Shekau Abubakar 893
Shepseskaf 80
Shepseskarê 80
Shepstone Théophile 435
Sheshonq 1er 98
Sheshonq l’Ancien 98
Shirkuh 189
Shonekan Ernest 891
Siaka Stevens 823, 826
Sidhi Badji 813
Sidi Mohamed ben Abdallah 319
Sidi Mohammed 640
Sidya Touré 818, 820
Sigujana 421
Si Hamza 374
Silva Porto 556
Silvestre (général) 599
Simbizi 979
Simoën 510, 1079
Simon 306, 519, 643, 1079
Simoons F.J. 296, 1079
Sinoué G. 354, 1079
Sinouhé 82
Siptah 89
Siradiou Diallo 817
Sir Harry Smith 432
Si Thami el-Glaoui 638, 639
Sithole (révérend) 1014
Siyad Barre 923, 924
Skeat , 103
Slatin Rudolph (von) 343, 394
Smeathman H. 401
Smendès 98
Smethurst 364, 1079
Smith Ian 695, 49, 54, 152, 153, 982, 1011, 1013, 1014, 1016
Smuts (maréchal) 462, 468, 470, 471, 577, 610, 611, 701, 702
Snéfrou 79
Snoussou 341, 949
Soams 1016
Soeren 586
Soliman 287, 355, 363
Soliman Pacha 355
Soliman Reis 286
Solomon , 138, 139, 135
Somerset 430
Sonni Ali Ber dit le Grand 224
Soro 843
Soshangane 430
Soudan François 879
Soudiane 881
Soumialot Gaston 953, 959
Soundiata 223
Sourdel D. et J. 367, 385, 1079
Souriau Christiane 769
Sourtarna 87
Soustelle Jacques 526, 630, 645, 646
Souza Coutinho Innocenzia de 415, 955
Spangerberg (capitaine) 587
Sparks A. 327, 1036, 1079
Spartacus 641
Spassov N. 22
Spasssov N. 1049
Spear T. 238, 1079
Speke 444, 446, 447, 449, 1079
Spoor 1079
Stairs 418, 560, 1071
Stanley H.M. 342, 343, 395, 397, 446, 449, 451, 476, 551, 556, 559, 560, 563, 606, 970, 1051, 1079
Stapleton T.J. 419, 1079
Steeg 601
Steenkamp W. 1023, 1080
Stemler , 53
Stengers J. 711, 712, 1080
Steudner 445
Stevens John Christopher 780, 823
Steyn 466
Stiles E. 400
Stora B. 642, 643, 646, 1061, 1080
Stow G.W.
Strasser 823
Strijdom 702
Stubel 536
Suleiman (fils de Zuber) 507
Suleiman le Magnifique 290
Suleiman Pacha 261, 286
Suleiman Solongdungu 291
Sultani Makenga 972
Suppiluliumas 88
Susenios 287
Swan A.M. 240
Swana Mulunda 301
Sylla 134

T
Tabet 168
Tabitha Kanogo 689, 1064
Tacfarinas 130, 133
Taduheba 87
Taharqa 100
Taillandier 521
Takelot Ier 99
Takelot II 99
Takelot III 99
Talbi Mohamed 173, 176, 1080
Talleyrand 349, 365
Tano 282
Tantawi (maréchal) 768
Taousert 89
Taqui Allah ould Ely Cheikh 515
Tardy Yves 19
Tarif 178
Tarik 168
Taubman Goldie G. 407
Taylor A. J. 492
Tchicaya 654
Tebboune Abdelmajid 798
Teferi Bente 908
Tefnakht 99, 101
Tegbasu 332
Tegbessou 330
Tejan Kabbah 824
Teleki von Szek 479
Tengella 226
Terrasse H. 178, 180, 367, 1080
Terreblanche S. 1039, 1080
Terrillon (commandant) 500
Tertullien 171
Teti 80, 96
Tewfik Hasni 796
Thatcher Margaret 1016
Théodor 135
Theodoros 913
Théodoros II 397
Théodose 109
Thibaud Bénédicte. 861, 1080
Thiers Adolphe 356, 357
Thiry 970, 1080
Thomas H. 330, 330, 333, 336, 337, 399, 447, 448, 24, 115, 865, 867, 964, 967, 972
Thormàlen J. 543
Thoutmosis Ier 85, 86
Thoutmosis II 86
Thoutmosis III 74, 86
Thoutmosis IV 87
Thrasamond 172
Thuwein 343
Tibère 106
Tidiane Souaré 819
Tiloutan 219
Timlane 878
Tinne Alexandrine 445, 446, 447
Tippoo-Sahib 349
Tippo-Tip , 397, 562, 1049, 1076
Tito (maréchal) 683, 1003, 1006
Tobback Nicolas 563
Tolbert W. 404, 829, 831
Tom 401, 549, 878, 881, 994
Tombalbaye François 871, 873
Tombeur (général) 585
Torgut Reis 264
Torre Xavier 663
Touadera Faustin-Archange 950
Touman 260
Tourte R. , 53
Toûsoûn 355
Toutankhamon 88
Toutankhaton 88
Townsend M. 531, 1080
Trabelsi Imed 786
Trabelsi Leïla 786
Tranié 349, 1080
Trévidic (juge) 985
Triaud J.-L. 385, 514, 1080
Trimingham J.S. 382, 1080
Trintinian (colonel de) 498
Tristan da Cunha 259
Tristan Vaz Teixeira 250
Troglita Jean 139
Tronchon J. 657, 1081
Tsangirai 1019
Tschombe Moïse 418, 707, 953, 954
Tshisekedi Etienne 956
Tshisekedi Félix 964
Tsvangirai Morgan 1019, 1020
Tubiana 505, 877, 880, 881, 1081
Tubman 827
Tucker 404
Turanshah 190
Turner H. M. (révérend) 403
Tusratta 87
Twagiramungu 977, 983, 984
Twarereye 415

U
Ucko P.J. , 68
Uludj Pacha 264
Umaru Musa Yar’Adua 892
Uqba ibn Nafi al-Fihri 163, 166, 167, 168, 173
Urabi Pacha 360
Uso Di Mare 251

V
Valbelle D. , 90
Valée (maréchal) 372, 373
Valérien 107
Valla J.-C. 620, 1081
Van Bielsen A.J. 706, 1081
Van der Biesen 550
Van der Burgt (RP) 550
Van der Leen 150
Vandersleyen C. , 84, 85, 86, 88, 96, 81
Van der Stel 306
Vanderstraeten 974
Van der Veen L. 145, 150
Vandewalle F. 953, 1082
Van Grunderbeek M.C. , 145, 1081
Van Jaarsveld Adriaan 418
Van Kerckhoven (capitaine) 562
Van Riebeeck I. 305, 306, 1076
Van Rooyen J. 1038, 1081
Vansina J. 232, 233, 299, 415, 146, 150, 1082
Van Vollenhoven Joost 526
Vasconcellos 251
Vellut J.L. 562, 1082
Venner D. 648, 1082
Vercoutter J. , 73, 79, 80, 62, 65, 68
Verdier 352
Verger P. 328, 330, 1082
Vergès 491, 1047
Verhaegen 952, 953, 1082
Verin Pierre 236, 238, 243
Vermina 128
Verwoerd 702, 1036
Vesely R. 260, 1082
Vétillard R. 641, 642, 1082
Victor 1re 171
Victoria (reine) 394
Vidal C. 234, 641, 1070, 1082
Vidal-Naquet P. 641, 1070, 1082
Vierge Marie 109
Viljoen (général) 1036, 1037
Viollette 602
Vogel J.-C. 1063
Voisin 564
Von Bock 580
Von Bülow 536
Von Buschka 536
Von Dernburg 535, 536
Von Doering 573
Von Epp 609
Von François 546
Von Goetzen 551
Von Grawert 552
Von Heuglin 394
Von Heyderbreck 578
Von Hohenlohe-Shillingdfürst 535
Von Ketteler 579
Von Lettow-Vorbeck Paul-Emil (général) 569, 579, 582, 584, 585
Von Lindequist 536
Von Prince 549, 1078
Von Raben 577
Von Ramsay 550
Von Roben 573
Von Saden 548
Von Schlieffen 531
Von Trotha 547
Von Wissmann 582
Von Zelewski 548
Vorbeck Paul-Emil (général) 586, 587, 588
Vorster J. 1014, 1034
Voulet Paul 509, 510, 511, 1077, 1082

W
Waddington W. 486, 488
Wade Abdoulaye 811, 813
Waldmeir P. 1036, 1083
Walker S. , 69
Walter F. 670, 129, 1078
Wamalwa 999
Wamara 230, 232, 233
Wamba dia Wamba 967
Ward J.R. 338, 1083
Warwick P. 469, 1083
Wavell (général) 617
Weah G. 831
Welensky (sir Roy) 695, 696
Wendorf F. , 54
Wesseling H. 463, 1083
Weygand (général) 620, 621
Wilberforce William 337
Wilding D. 1083
Willame J.-C. 564, 960, 971, 1069, 1083
Willcox A.R. , 153
Will E. , 103
Williams 332, 337, 338, 339
Willoughby 464
Wilson Harold 1013
Wilson (président) 588, 592
Wilson (révérend) 477
Wimpfen 374
Wingate Reginald 394, 572, 591
Wintgens (capitaine) 585
Woelffel (lieutenant) 499
Woermann 543, 544
Wole Soyinka 612
Wolseley Garnet (sir) 433, 473, 475
Wondji C. 328, 1083
Woodehouse 433
Wright H. 235, 242, 1083

X
Xanthippe 124
Xerxès 1re 101

Y
Yacef Saadi 631
Yaghmorassen ibn Zayan 196, 199
Yahia ben Abd-el-Aziz 193
Yahia ibn Ibrahim 193, 194, 196, 204
Yahia II 191, 192
Yakoub Sinine 876
Yala Mwakou 301
Yaméogo Maurice 863
Yavo Naweji 301
Yazid ben Ali Muslim 175
Yazid ibn Ali Muslim 175, 321
Yekuno Amlak 213
Yengo 900, 1084
Yersin A. 670
Yetshaq 248
Yezdia 168
Yhombi Opango 899
Youlou Fulbert (abbé) 896, 898
Youssef ibn Tachfin 197
Youssouf ibn Ali 262, 364, 877
Youssouf Togoimi 877
Yoweri Museveni 1003, 1004, 1005, 1006
Yrissou H. 639, 1084
Yuhi III Mazimhaka 410
Yuhi IV Gahindiro 411, 413
Yunfa 386
Yusuf (Joseph Ventini) général 373, 1004
Yusuf Karamanli 312
Yusuf Lule 1004

Z
Za el-Ayamen 224
Zaghloul Pacha 592
Zaidi Ngoma 963
Zarini , 139
Zawditou 604
Zayed A.H. , 96
Zeltner J.-C. 505, 506, 1084
Zerbo Saye (colonel) 863, 865, 1063, 1065
Zerguine Abdelhamid 796
Zeroual Liamine 792, 794
Ziber Pacha 362, 363
Ziegler 531
Zimmermann 574, 576, 577
Ziri 187, 192
Ziri ibn Menad 192
Ziyadat Allah 186
Zongo 865, 867
Zoubir 777, 1084
Zubair Pacha 292
Zuber (ou Zubayr) 506
Zuber Rahma Mansour 506
Zuhair ibn Qays 167
Zuma Jacob 1041, 1042
Zwangendaba 430
Zwide 423, 428
Table des cartes

L’Afrique entre le désert et la forêt


L’Afrique politique
L’Afrique dans sa phase d’aridité maximale au Dernier Maximum Glaciaire
(DMG) (± 18 000/± 15 000)
L’Afrique entre ± 9000/± 6000
L’Afrique ethno-linguistique
L’Afrique il y a ± 8000 ans
Généalogie et mise en place du groupe Afrasien (± 18 000/± 10 000)
Le Sahara archéologique
Le Sahara, un espace de conquête
Les populations du Sahara
Les populations du Sahara
La Répulsion nilotique (± 15 000/± 8000)
Le Refuge nilotique (±9000/± 6000)
Égypte : les proto-États du Sud vers ± 3500 ± 3000 av. J.-C.
Les trois principaux haplotypes du chromosome Y en Égypte
Comment les Égyptiens voyaient leurs voisins
Les Berbères vus par leurs propres artistes
L’Égypte prédynastique
L’Égypte de ± 2700 à ± 1078 av. J.-C.
L’Égypte du Nouvel Empire ( ±1543/± 1078 av. J.-C.) et les royaumes
voisins
La Nubie
Le Delta égyptien
Le « Périple de la mer Érythrée » au Ier siècle ap. J.-C.
Méroé et Axoum (± 500 av. J.-C./± 700 ap. J.-C.)
Les principaux peuples de Berbérie
Carthage et les royaumes berbères
L’empire carthaginois
L’Afrique romaine à la fin du IIe siècle ap. J.-C.
L’Afrique romaine vers ± 300 av. J.-C.
Vandales, Berbères et Byzantins (± 430/± 600 ap. J.-C.)
L’Afrique il y a 3500 ans
L’Afrique à l’époque romaine
Les populations résiduelles de l’Afrique orientale
Le Rift africain
La première conquête arabo-musulmane (631-714)
Le raid d’Uqba ben Nafi el Firhy (680-683)
La conquête de la Berbérie par les Arabes
L’Empire fatimide (909-1171)
L’Empire mamelouk entre 1260 et 1340
L’Empire almoravide (XIe siècle) couleur
L’Empire almohade
L’océan Indien du Xe au XVe siècle
L’Afrique au XIe siècle
La pénétration musulmane dans le Bilad al-Sudan
Le commerce transsaharien (VIIIe-XVe siècles)
L’Empire de Ghana au début du XIe siècle
L’Empire du Mali
L’Empire Songhaï au début du XVIe siècle
La découverte portugaise
La victoire des caravelles sur les caravanes (XVe-XVIe siècles)
Portugais et Espagnols au Maroc
La conquête du Songjay par le Maroc
Le Maroc dans sa plus grande extension
Les royaumes du Sahel aux XVIIe-XVIIIe siècles
Le royaume Kongo au XVIe siècle
La région interlacustre ou l’Afrique de la vache et de la lance
Les savanes du sud (XVe-XVIIe)
L’empire lunda, l’Imbangala et le Kazembé (XVIe-XVIIIe siècles)
Les royaumes des savanes du sud
Les populations sud-africaines vers 1800
La dynastie alaouite
La Course salétine au XVIIe siècle
L’Empire ashanti (± 1700-1800)
Les principaux royaumes côtiers aux XVIIe-XIXe siècles
Les grands États africains au début du XIXe siècle
L’Empire ottoman au début du XIXe siècle
La campagne de Bonaparte en Égypte
L’Égypte sous Méhémet Ali
L’Égypte et le Soudan (1820-1898)
L’insurrection kabyle de 1870
Les Peul en Afrique de l’Ouest
Les royaumes musulmans du Sahel au XIXe siècle
Les États du Sahel au XIXe siècle
« L’Empire » de Samory
Les grands États du Soudan central et oriental (XVIIIe-XIXe siècles)
L’Éthiopie et la Corne
Abomey et Oyo au XIXe siècle
L’expansion du Rwanda (XIVe-XIXe siècles)
Le Burundi
Le royaume luba (XVIIIe-XIXe siècles)
L’extension du comptoir du Cap de 1652 à 1778
Le Mfecane
Bantuphones et Hollandais en Afrique du Sud
Noirs et Blancs et Afrique du Sud
Le Mfecane et ses conséquences
Le Grand Trek (1836-1838)
La guerre anglo-Zoulou
Les principales ethnies de Madagascar
Les principales explorations (I)
Les principales explorations (II)
A la recherche des sources du Nil
Les expéditions de Stanley
Les Européens en Afrique en 1820 et en 1880
L’Afrique australe de 1854 à 1900
Les Français au Sénégal
La conquête du Tchad (1880-1900)
Les étapes de l’occupation du Maroc par les Européens (1907-1934)
Les confins algéro-marocains
Le Cameroun allemand
Le Togo allemand
Le Sud-Ouest africain allemand
Le royaume de M’Siri
L’État indépendant du Congo et les Zanzibarites
La campagne du Cameroun (1914-1916)
L’Afrique orientale allemande
Heia Safari !
L’Afrique orientale italienne à la veille de la Seconde Guerre mondiale
Le second conflit mondial (1969-1944)
La réunification du Maroc
L’Afrique occidentale française (AOF)
L’Afrique équatoriale française (AEF)
Le pays kikuyu à l’époque coloniale
Le Mozambique portugais
L’Angola portugais
Les principales tribus du Sahara occidental
La population mondiale
Les principales zones de tension en 2002
Les religions
La question ethnique au Sénégal
Langues et peuples de Guinée
Langues et peuples de Sierra Leone
Les ethnies de Sierra Leone
Langues et peuples du Liberia
Les clés ethniques du conflit libérien
La Côte d’Ivoire : une terre de conquête (XVe-XVIIIe siècles)
Les peuples de Côte d’Ivoire
La population de Côte d’Ivoire
La question de l’Ivoirité : les étrangers en Côte d’Ivoire
L’espace sahélo-soudanais : un archipel de conflits
Le Kel Tamachek
Les principales ethnies du Burkina Faso
Le front du Burkina Faso
Les quatre fronts du Niger
Les guerres du Tchad
Les ethnies du Tchad
Le Cameroun ethno-linguistique
Nigeria : les trois ethnies dominantes et leurs minorités au moment de
l’indépendance
Langues et peuples du Congo Brazzaville
Les groupes ethniques d’Éthiopie/Les langues d’Éthiopie
L’Éthiopie et ses périphéries
L’Éthiopie et la mer
La guerre entre l’Éthiopie et l’Érythrée
Le Soudan
Sud-Soudan (les populations nilotiques)
Les deux Soudan
Les guerres du Soudan (sud Soudan et Darfour)
Les principales tribus non « arabes » du Darfour
Centrafrique (les ethnies)
Centrafrique (la mosaïque ethnique)
La guerre du Kivu (sept.-nov. 1996)
La première guerre du Zaïre (sept. 1996-15 mai 1997)
Les populations de l’Ituri
Les populations de l’Ituri camembert ethnique
Le Kivu
La conquête du Rwanda par l’APR-FPR
La Phase 1 de l’Opération Turquoise (23 juin-3 juillet 1994)
Kenya : les densités de population
La mosaïque ethnique du Kenya
Le Kenya ethnique
Tanzanie : relief et principales ethnies
L’Afrique australe de 1910 à nos jours
La guerre de Rhodésie (1965-1980)
Les trois principales ethnies de l’Angola
Les guerres d’Angola (1975-1994)
Les Bantustan en 1960
Table des cartes en couleur
Cartes • Cahier I
La végétation II
Les premiers Africains III
Les migrations des Bantuphones IV
Illustration des Égyptiens tardifs V
Carthage et les royaumes berbères VI
Vandales, Berbères et Byzantins (± 430/± 600 ap. J.-C.) VII
L’islamisation de la vallée du Nil VIII
Afrique du Sud : les grandes migrations IX
L’Afrique du XVIe au XVIIe siècle X
La traite atlantique (XVe-début XIXe) XI
Les traites arabo-musulmanes (VIIIe-XIXe) XII
L’Éthiopie et la Corne du XIVe au XIXe siècle XIII
L’Afrique au XIXe siècle XIV
Le royaume Mérina (XVIIIe-XIXe) XV
Les conquêtes jihadistes entre Sénégal et Tchad (ext. maximale) XVI

Cartes • Cahier II
Les implantations étrangères vers 1880 XVIII
La conquête de l’Afrique de l’Ouest (≠1890-1900) XIX
L’Afrique en 1914 XX
Le second conflit mondial (1940-1944) XXI
Britanniques et Français en Afrique (1945) XXII
Kenya : la révolte des Mau-Mau XXIII
La guerre du Sahara occidental XIV
Les quatre principaux peuples du Sahara XXV
Les guerres du Tchad XXVI
Les peuples d’Éthiopie XXVII
La question somalienne XXVIII
Les quatre grands ensembles ethniques du Nigeria XXIX
Les quatre grands blocs ethniques sud-africains XXX
Les confédérations tribales de Libye XXXI
La zone des « trois frontières » et sa tectonique ethnique XXXII
Table des matières

Introduction

PREMIÈRE PARTIE
L’AFRIQUE DES ORIGINES JUSQU’AU VIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
Chapitre I. L’Afrique jusque vers ± 3 200 avant J.-C.
A. Les étapes de l’hominisation
1. Hominidés et primates
2. Premiers hommes ou premiers africains ?
3. L’Homme moderne
B. Ces changements climatiques qui expliquent la mise en place
des populations
1. Avant ± 10 000 av. J.-C.
2. Entre ± 10 000 et 1000 av. J.-C.
a. Le Grand Humide holocène ou Optimum climatique holocène
b. L’Aride mi-Holocène (ou Aride intermédiaire ou Aride
intermédiaire mi-Holocène)
c. Le Petit Humide ou Humide Néolithique
d. L’Aride post-néolithique
C. Les familles linguistiques
1. La famille KhoiSan
2. La famille Nilo-Saharienne (Nilotique)
3. La famille Niger-Congo
4. La famille Afrasienne (Afro-asiatique)
D. Le Sahara, une terre à prendre
1. Le peuplement du Sahara
2. Qui étaient les premiers habitants du Sahara ?
E. Les néolithiques africains
1. La question de l’agriculture et de l’élevage
2. La poterie
3. La métallurgie
F. La révolution égyptienne
1. L’Égypte, fille des changements climatiques
a. De ± 16 000 à ± 13 000 av. J.-C.
b. De ± 13 000 à ± 7000-6000 av. J.-C.
c. De ± 7000-6000 à ± 5000-4000 av. J.-C.
d. Vers ± 3500-3000 av. J.-C.
2. Le Prédynastique (-5500-3500 av. J.-C.)
et le Protodynastique (-3500-3200 av. J.-C.)
3. La Nubie
4. Les populations de la vallée du Nil
Chapitre II. L’Afrique du Nord et la Nubie de ± 3200 avant J.-C.
jusqu’au VIe siècle après J.-C.
A. L’Égypte dynastique
1. L’unification et les premières dynasties
2. L’Ancien Empire (± 2700-2200 av. J.-C.)
3. Le Moyen Empire (± 2064/± 1800 av. J.-C.)
4. Le Nouvel Empire (± 1543/± 1078 av. J.-C.)
5. L’Égypte dans son environnement africain
B. L’Égypte de la fin de la période dynastique à la veille de la
conquête arabo-musulmane
1. La période berbère (XXIIe, XXIIIe et XXIVe dynasties)
2. L’Égypte sous domination nubienne (± 730 av. J.-C./± 656
av. J.-C.)
3. L’Égypte ptolémaïque (333-30 av. J.-C.)
4. La période romaine
5. La Nubie (Napata, Méroé et Axoum) de ± 660 av. J.-
C. à 572 ap. J.-C.
C. L’Afrique berbère
1. Le monde libyque
2. Carthage (± 814/146 av. J.-C.) (Fantar, 1993)
3. La période romaine
4. Vandales et Byzantins
Chapitre III. L’Afrique sud-saharienne de ± 2500 avant J.-C.
au VIe siècle après J.-C.
A. L’Afrique de l’Ouest
B. L’Afrique centrale
C. L’Afrique orientale
D. L’Afrique australe

DEUXIÈME PARTIE
L’AFRIQUE DU VIIe JUSQU’AU XVe SIÈCLE
Chapitre I. L’Afrique du Nord aux VIIe et VIIIe siècles
A. La conquête arabo-musulmane
1. Égypte, vallée du Nil et Libye (632-644)
2. La conquête du Maghreb (644-750)
3. La rapidité de l’islamisation
B. Les mutations du monde berbère
1. Une islamisation acceptée, une arabisation refusée
2. Le Kharijisme, réaction berbère à l’arabisation
3. Les nouveaux États du Maghreb (Rustumide, Idrisside,
Aghlabide)
Chapitre II. L’Afrique du Nord du IXe au XVe siècle
A. L’Égypte
1. L’Égypte sous les Toulounides (868-905)
2. L’Égypte sous les Fatimides (909-1171)
3. L’Égypte de 1171 à la fin du xive siècle
B. Le Maghreb jusqu’au XIIIe siècle
1. La dissociation
2. Le « feu de paille » almoravide
3. Les Almohades et l’unification du Maghreb
C. Le Maghreb après les Almohades
1. Les Hafsides (1229-1574)
2. Les Zianides ou Abd el-Wadides (1235-1554)
3. Les Mérinides (1258-1420)
Chapitre III. L’Afrique sud-saharienne du VIIe siècle au XVe siècle
A. La vallée du Nil et la Corne
1. La Nubie jusqu’au XVe siècle
2. Axoum et Gondar
B. L’Ouest africain
1. Les empires de l’Ouest africain
a. Le Ghana
b. Le Mali
c. L’Empire Songhay ou Songhaï (Cissoko, 1996)
2. Entre Sahel et océan
C. La région interlacustre et l’Afrique orientale
1. Le Kitara
2. Les migrations des Luo
3. Le Ruhinda-Hinda et le Rwanda
4. L’Afrique orientale
D. L’Afrique australe et Madagascar
1. L’Afrique australe
2. Madagascar

TROISIÈME PARTIE
L’AFRIQUE DU XVe SIÈCLE JUSQU’AU XVIIIe SIÈCLE
Chapitre I. L’Afrique aux XVe et XVIe siècles
A. La découverte portugaise et ses conséquences en l’Afrique
1. Les premières navigations
2. Le temps du Portugal
3. La première colonisation portugaise
4. Le Portugal et le Maroc
B. L’Égypte aux XVe et XVIe siècles
1. La fin du sultanat mamelouk
2. L’Égypte ottomane
C. Le Maghreb aux XVe et XVIe siècles
1. Le Maroc au XVe siècle
2. L’impérialisme ottoman au Maghreb
3. Turcs et Marocains
4. L’expédition portugaise de 1578 au Maroc
Chapitre II. L’Afrique sud-saharienne du XVIe au XVIIIe siècle
A. L’ouest africain
1. L’expédition marocaine du Niger et la fin de l’Empire songhay
2. Entre Atlantique et lac Tchad
3. L’Afrique de l’Ouest littorale
B. L’Éthiopie, l’Afrique nilotique et interlacustre
1. L’Éthiopie du XVIe au XVIIIe siècle
2. Les sultanats nilotiques et leurs voisins
a. Les Funj
b. Les Shilluk
c. Le Darfur (Darfour)
3. L’Afrique interlacustre
C. L’Afrique centrale et australe
1. Le royaume Luba, l’empire Lunda et le Kazembé
2. L’Afrique australe
a. Les KhoiSan, les Nguni et les Sotho
b. La fondation du comptoir du cap de Bonne-Espérance
3. Madagascar
Chapitre III. L’Afrique du Nord au XVIIe et XVIIIe siècle
A. L’Égypte et le Maghreb à l’époque ottomane
1. L’Égypte
2. Les Régences turques de l’Ouest
a. La Régence de Tripoli
b. La Régence de Tunis
c. La Régence d’Alger
B. Le Maroc
1. L’entrée en scène des Alaouites
2. La Course salétine
Chapitre IV. Les traites esclavagistes
A. La traite atlantique (XVIe-XIXe siècles)
1. Les partenaires africains des négriers européens
2. Un « commerce » à la rentabilité aléatoire
3. Démographie africaine et traite négrière
4. L’Abolition
B. Les traites arabo-musulmanes (VIIe-XXe siècles)
1. La traite saharienne
2. L’Égypte et la mer Rouge
3. Zanzibar et l’Afrique orientale

QUATRIÈME PARTIE
L’AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE : 1800-1884
Chapitre I. L’Afrique du Nord de 1800 à 1880
A. L’Égypte et le Soudan
1. La campagne de Bonaparte en Égypte (1798-1801)
2. L’Égypte sous Méhémet Ali (1805-1848)
3. La question égyptienne
4. Le Soudan
B. De la Tripolitaine au Maroc
1. Les Régences de Tripoli et de Tunis
2. La Régence d’Alger
3. Le Maroc
C. La France en Algérie
1. La conquête
2. L’Algérie sous administration militaire
3. La révolte kabyle de 1870
Chapitre II. L’Afrique sud-saharienne de 1800 à ± 1880
A. L’islamisation et les jihad
1. L’islamisation de l’Afrique de l’Ouest
a. Ousmane dan Fodio
b. Seku Ahmadou
c. Le royaume d’El Hadj-Omar (ou empire Toucouleur ou
Torodbe)
d. Samory
2. Le Mahdisme et l’islamisation de l’Afrique nilotique
3. L’Éthiopie et ses marges
B. L’Ouest africain littoral après l’abolition de la Traite
1. Les colons noirs du Liberia et de Sierra Leone
a. La Sierra Leone
b. Le Liberia
2. La découverte des « huiles »
3. Le golfe de Guinée
C. L’Afrique centrale et australe
1. La région interlacustre
2. Les « savanes du Sud »
3. La confrontation Nguni, Sotho et Boers en Afrique australe
a. Les Xhosa
b. La naissance du royaume zulu (Morris, 1981 ; Laband, 1995)
c. Les Ndebele et les Ngwane
4. Boers, Britanniques et Zulu
5. Madagascar
D. De la question des sources du Nil à la Conférence de Berlin
(1884-1885)
1. Explorateurs et missionnaires
a. La question des sources du Nil
b. David Livingstone
c. Les missionnaires
2. Le nouveau contexte international et la Conférence de Berlin

CINQUIÈME PARTIE
L’AFRIQUE DE 1885 À 1914
Chapitre I. La Grande-Bretagne en Afrique
A. L’Afrique australe
1. La Rhodésie
2. Les Républiques boers
3. Les colonies du Cap et du Natal
4. La fin des Républiques boers
5. La création de l’Union Sud-africaine
B. Le reste de l’Afrique
1. L’Égypte et le Soudan
2. L’Afrique de l’Ouest
3. L’Afrique orientale
4. Le système colonial britannique
Chapitre II. La France en Afrique
A. Le temps des hésitations
1. La première doctrine coloniale française.
2. Le débat colonial
3. La Tunisie et Madagascar
4. Le tournant des années 1890
B. La constitution de l’Empire
1. La conquête de l’Ouest africain
a. La poussée Ouest-Est et Samory
b. La poussée Sud-Nord
c. Le Gabon et le golfe de Guinée
2. La conquête du Tchad et la lutte contre Rabah
a. La progression à partir du Congo
b. La prise de contrôle du Tchad et la fin de Rabah
c. Les régions sahariennes
3. La mission Marchand (ou mission Congo-Nil)
et l’affaire de Fachoda
4. La question marocaine (1894-1912)
C. Le système colonial français
1. Assimilation ou association ?
2. Centralisation ou décentralisation ?
Chapitre III. L’Allemagne et l’Afrique
A. Bismarck et l’Afrique
1. « Nous autres Allemands n’avons pas besoin de colonies »
2. L’Allemagne entre le refus de la colonisation et la « place
au soleil »
3. La question de la Mittelafrika
B. La constitution de l’empire africain
1. Le Kamerun
2. Le Sud-Ouest africain
3. L’Est africain
4. Les Résidences de l’Urundi et du Ruanda
Chapitre IV. Les autres nations coloniales (Belgique, Portugal, Italie et
Espagne)
A. Le Portugal
B. La Belgique
C. L’Italie
D. L’Espagne

SIXIÈME PARTIE
L’AFRIQUE DE 1914 À 1945
Chapitre I. Le premier conflit mondial
A. Le conflit en Afrique du Nord
B. Le conflit en Afrique de l’Ouest
1. La campagne du Kamerun (Cameroun)
2. La conquête du Sud-ouest africain par l’Afrique du Sud
C. Le conflit en Afrique orientale
1. La résistance allemande
2. L’offensive anglo-belge de 1916
D. Le partage des colonies allemandes
Chapitre II. L’Afrique de 1919 à 1939
A. L’Égypte et la Libye
1. L’Égypte et la renaissance du nationalisme
2. La Libye italienne
B. Le Maghreb
1. La Tunisie
2. Le Maroc
3. L’Algérie
C. L’Afrique sud saharienne
1. La guerre d’Éthiopie
2. Hitler et la question coloniale
3. L’Afrique du Sud
4. La naissance des revendications nationalistes
Chapitre III. Le second conflit mondial et ses conséquences
A. Les années 1940-1942
1. La guerre pour le canal de Suez
2. L’Afrique française jusqu’en 1942
3. Le débarquement de 1942 et ses conséquences
B. La remise en cause de la colonisation
1. La France face à la nouvelle réalité
2. La conférence de Brazzaville (30 janvier-8 février 1944)

SEPTIÈME PARTIE
LES DÉCOLONISATIONS
Chapitre I. La décolonisation française
A. Le Maghreb
1. L’indépendance des deux protectorats (Tunisie et Maroc)
a. La Tunisie
b. Le Maroc
2. La déchirure algérienne
a. La naissance du nationalisme
b. Les hésitations françaises
3. De Gaulle et l’Algérie
B. L’Afrique sud-saharienne
1. L’Union française (1946)
2. La loi-Cadre (1956)
3. De la Communauté française aux indépendances
C. La décolonisation française, une nécessité économique ?
1. L’Empire fut-il une ruine pour la France ?
2. Cette « Chère Algérie »
Chapitre II. La décolonisation britannique
A. L’Égypte et le Soudan
1. L’Égypte, moteur de la décolonisation
2. Le Soudan
B. La décolonisation de l’Afrique sud-saharienne
1. La révolte des Mau Mau au Kenya (1952-1956)
2. Les Rhodésies et le Nyassaland
1. Le Nyassaland
2. La Rhodésie du Nord
3. Le cas de la Rhodésie du Sud
D. L’Empire britannique africain fut-il une « bonne affaire » ?
4. De l’Union sud-africaine à la République sud-africaine (1948-
1961)
Chapitre III. Les autres décolonisations
A. La décolonisation belge
1. Le chaos congolais
2. Le Congo a-t-il enrichi la Belgique ?
3. Le Ruanda (Rwanda)
4. L’Urundi (Burundi)
B. L’Italie, le Portugal et l’Espagne
1. La décolonisation italienne
2. La décolonisation portugaise
3. La décolonisation espagnole

HUITIÈME PARTIE
L’AFRIQUE DE 1960 À 2020
Chapitre I. L’Afrique entre blocages, débats et mutations
A. La question de l’État
1. La communauté ou l’individu ?
2. Les frontières artificielles
B. L’échec économique et commercial
1. 1960-2004 : la stagnation
2. 2004-2014 : l’embellie grâce aux matières premières
3. 2015-2020 : le retour à la morosité
C. L’évolution des formes de conflictualité
1. Les guerres africaines avant 2010
2. Les nouvelles formes de conflictualité
D. Chine et Russie, l’entrée en scène de deux nouveaux acteurs
majeurs
1. Chine : la prédation souriante
2. Russie : le grand retour
Chapitre II. L’Afrique du Nord
A. Égypte : du colonel Nasser au maréchal Sissi
1. L’Égypte jusqu’en 2011
2. La révolution égyptienne (février 2011-avril 2013)
3. L’armée reprend le pouvoir (avril 2013)
B. Libye : du colonel Kadhafi à la guerre de tous contre tous
1. Le colonel Kadhafi ou le pouvoir tribal
2. La politique saharo-africaine du colonel Kadhafi
a. Le tropisme touareg
b. Les guerres perdues du Tchad (1973-1989)
3. Le colonel Kadhafi devient « respectable »
4. La guerre de Libye (février-octobre 2011)
5. L’illusion démocratique (fin 2011-fin 2013)
6. De l’anarchie à l’offensive du général Haftar (2014-2020)
C. La Tunisie entre laïcisme et islamisme
1. La Tunisie de Bourguiba à Ben Ali (1956-2011)
2. Les causes et les étapes de la révolution tunisienne de 2010-
2014
3. Le bilan de la révolution
D. L’Algérie et son « Système »
1. Du coup d’État de l’été 1962 à la guerre civile de 1992
2. La « décennie noire » (1992-2002)
3. L’Algérie d’Abdelaziz Bouteflika (1999-2020)
E. Le Maroc et ses permanences
1. Le règne d’Hassan II (1961-1999)
2. Le Maroc de Mohamed VI
3. Les réformes constitutionnelles de 2012 et leurs conséquences
Chapitre III. L’Ouest africain atlantique de 1960 à 2020
A. Mauritanie et Sénégal
1. La République islamique de Mauritanie
2. La république du Sénégal
B. La Guinée et son ethno-fédéralisme
1. Les clés ethniques de la question guinéenne
2. La Guinée de Lansana Conté (1984-2008)
3. Le retour au pouvoir des Malinké
C. La Sierra Leone et le Liberia
1. Sierra Leone : les Mendé contre les Limba
2. Liberia : Krahn contre Gyo et Mano
D. La Côte d’Ivoire
1. La Côte d’Ivoire, cœur de la tectonique ethnique régionale
2. Le pouvoir baoulé (1960-1999)
3. La présidence de Laurent Gbagbo (2000-2010)
4. La crise de novembre 2010 à avril 2011
5. La présidence d’Alassane Ouattara
Chapitre IV. L’espace saharo-sahélien
A. La terre et les hommes
1. Un milieu original
2. Une histoire riche et complexe
3. Les guerres touareg de 1963 à 2009
B. Les guerres du Mali et leur extension régionale
1. De la guerre touareg à la guerre islamiste (2011-2013).
2. La guerre du Macina
3. Le front de la région des « trois frontières » (Mali-Niger-
Burkina Faso)
4. La contagion au Burkina Faso
5. Les fronts du Niger
C. La question du Tchad
1. De la revanche des sudistes au soulèvement des nordistes
2. Toubou du Tibesti contre Toubou de l’Ennedi
3. Les guerres d’Idriss Déby Itno (2003-2008)
4. Les tensions de l’année 2019
a. Le front de l’Ennedi
b. Le front du Tibesti
Chapitre V. Le golfe de Guinée
A. Le Cameroun
B. Le Nigeria
1. Les militaires au pouvoir
2. La guerre au nord
3. Le guerre au sud
4. La guerre au centre
C. La République du Congo (Brazzaville)
D. Le Gabon
Chapitre VI. La Corne de l’Afrique
A. L’Éthiopie
1. La fin du régime impérial
2. La redéfinition de l’État
3. Le conflit Éthiopie-Erythrée
4. Du pouvoir des Tigréens à celui des Oromo
B. Djibouti
C. La Somalie
1. Pan-somalisme ou tribalisme ?
2. L’anarchie somalienne
D. Le Soudan
1. Le Soudan indépendant
2. La guerre du Sud-Soudan
3. La question du Darfour
4. La naissance chaotique du Soudan du Sud (2012-2020)
5. La fin de la période Béchir au Soudan du Nord (2019)
Chapitre VII. Au centre du continent
A. La RCA (République de Centrafrique)
1. Les gens du fleuve au pouvoir
2. L’altenance ethnique
3. Le temps des rebelles (2003-2012)
4. Sangaris, une opération sans but (2014-2016)
B. La République démocratique du Congo (Zaïre) de 1960 à 2020
1. Les risques de démembrement (1960-1965)
2. Du Zaïre du maréchal Mobutu à la première guerre
du Congo Zaïre (1965-1997)
3. La RDC de Kabila père (1997-2001)
4. La RDC de Kabila fils (2001-2019)
5. La question de l’Ituri
C. Le Rwanda (1961-1974)
1. La première république (1961-1973)
2. Le régime Habyarimana (1973-1994)
3. Le génocide de 1994 et la prise de pouvoir par le FPR
D. Le Burundi
1. Tutsi du sud contre Tutsi du nord
2. Le multipartisme et le chaos
3. Le réveil des vieux démons
E. L’Est africain : Kenya, Ouganda et Tanzanie
1. Le Kenya et la domination des Kikuyu
2. Ouganda : le centre contre ses périphéries
3. La Tanzanie et son dualisme continent-île
Chapitre VIII. L’Afrique australe
A. De la Rhodésie au Zimbabwe
1. L’indépendance auto proclamée et ses conséquences
2. Le Zimbabwe de Robert Mugabe
B. L’Angola
1. La seconde guerre d’Angola
2. Les troisième et quatrième guerres d’Angola
C. Le Mozambique
1. L’échec de la politique communiste
2. La paix au centre, la guerre au nord
D. Du Sud-Ouest africain à la Namibie
E. L’Afrique du Sud (République d’Afrique du Sud-RSA)
1. La fin du pouvoir blanc
2. L’ANC au pouvoir
3. La fin des illusions
Bibliographie
Index
Table des cartes

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