Livre Culte Livre Maudit Histoire Du Devoir de Vio
Livre Culte Livre Maudit Histoire Du Devoir de Vio
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/coma/1189
ISSN : 2275-1742
Éditeur
Institut des textes & manuscrits modernes (ITEM)
Référence électronique
Jean-Pierre Orban, « Livre culte, livre maudit : Histoire du Devoir de violence de Yambo Ouologuem »,
Continents manuscrits [En ligne], HS | 2018, mis en ligne le 28 mai 2018, consulté le 30 mai 2018. URL :
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Continents manuscrits – Génétique des textes littéraires – Afrique, Caraîbe, dispora est mis à
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Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
Livre culte, livre maudit : Histoire du Devoir de violence de Yambo Ouologuem 1
NOTE DE L'AUTEUR
© Jean-Pierre Orban pour le texte et son architecture
© Ayants droit de Yambo Ouologuem pour les documents de sa main
© Le Seuil ou ayants droit respectifs de leurs auteurs pour les autres documents
L'auteur remercie Madame Ava Ouologuem, Monsieur Ambibé Ouologuem, les Éditions du
Seuil, les Éditions Gallimard, l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine, Madame
Simone Schwarz-Bart, Maître Georges Kiejman pour leur confiance et Céline Gahungu,
Claire Riffard, Michelle Garcin pour leur aide et soutien.
1 En septembre 1968, paraît aux Éditions du Seuil le roman d’un jeune Malien inconnu de
vingt-huit ans : Yambo Ouologuem. Le 18 novembre suivant, Le Devoir de violence obtient le
premier prix Renaudot attribué à un écrivain africain. Son succès est rapide et, traduit
dans dix langues, l’ouvrage dépasse les frontières, des États-Unis au Japon. Mais le 5
mai 1972, le Times Literary Supplement (TLS) londonien accuse l’auteur de plagiat à
l’encontre de l’écrivain britannique Graham Greene. Un scandale éclate. Il poursuivra
Yambo Ouologuem jusqu’à sa mort en 2017.
2 Cinquante ans après la première édition du Devoir de violence et alors que le roman
reparaît au Seuil dans la collection « Cadre Rouge » qui l’avait accueilli à l’origine,
quarante-six ans, mois pour mois, après le début de l’« Affaire Ouologuem » dans le TLS,
qu’en est-il du bien ou mal-fondé des rumeurs qui ont surgi, en sens divers, sur la genèse
et le traitement éditorial de ce livre culte devenu livre maudit ?
3 S’appuyant sur le seul dossier solide à ce jour1, celui des archives du Seuil déposées à
l’IMEC (Institut Mémoires de l’Édition contemporaine) et rendues publiques pour la
première fois2, cette étude vise à relater, sur la seule base des documents disponibles, en
réduisant au minimum les extrapolations risquées et les interprétations hâtives, l’histoire
du Devoir de violence et, à travers elle, de son auteur, depuis ses premières approches des
Éditions du Seuil en 1963 jusqu’à sa retraite définitive au Mali vers 19763. Et son
enfermement dans le silence public.
4 Des documents ainsi présentés, se dégage le récit d’un cas éditorial exemplaire où se
mêlent et souvent s’entrechoquent ambitions littéraires et règles éditoriales, liberté
d’écriture et contraintes éthiques, malentendus, susceptibilités et maladresses. Se dessine
alors, de la gloire à la chute, le parcours d’un auteur qui rêvait d’écrire un cycle
monumental sur « La Chair des civilisations4 ».
s’être employé à pêcher au hasard de ses lectures et de ses études » et « qu’il nous ressert
ici, recuites. »
11 La conclusion est écrite à la main par le lecteur : « [abréviation illisible] hélas. Je dis hélas
parce que j’ai vu l’auteur, sympathique et qu’il m’a déclaré avoir mis cinq ans à
“composer” cette chose ». Ouologuem aurait donc, selon lui, entamé l’écriture de ce
roman en 1958, à dix-huit ans.
12 Le manuscrit est rejeté et une lettre de refus est envoyée en octobre au lycée Henri IV.
22 Une autre note de lecture est donnée de façon plus informelle sous forme d’une lettre
d’un certain M ( ?) à « Régis »19. Ce prénom désigne sans doute François-Régis Bastide,
écrivain20, éditeur au Seuil où il dirige la collection de fiction « Cadre Rouge ». C’est aussi
à lui qu’est transmise la note de Weber. Et c’est lui qui va bientôt s’occuper du manuscrit
du Devoir de violence. Non datée, mais surmontée du numéro attribué par les Éditions du
Seuil au manuscrit du Devoir de violence, la lettre est virulente :
Cher Régis,
Il y a là dedans
1/ un vademecum de la négritude rédigé par un collectionneur boulimique et peu
organisé
2/ la transposition – sous une autre forme – des émois, glandulaires et autres, d’un
jeune homme de couleur et de vingt ans, épars déjà, semble-t-il, dans les précédents
ms [manuscrits]. […]
Je ne trouve pas d’unité dans ce tas de briques. Pas de ton dans ce ramassis de lieux
communs.
Des phrases d’un kilomètre, je veux bien. Mais quand elles pèsent une tonne. […]
Je veux bien faire des fleurs aux sous-développés. Mais attendons au moins que le
gars soit agrégé ès-lettres (j’oubliais qu’il a renoncé à Normale. Tant pis).
23 « Suis-je trop sévère ? », se demande le signataire de cette lettre.
24 La dureté des notes de lecture aboutira en tout cas au rejet du manuscrit. Le 24 mai 1967,
un mois après la soumission du manuscrit par Yambo Ouologuem, François-Régis Bastide
lui écrit :
Monsieur,
Je suis au regret de vous faire savoir que nos lecteurs n’ont pas cru devoir retenir
votre manuscrit intitulé Le devoir de violence. Certes, il y a dans votre propos une
belle ambition. Vous êtes, si j’ose dire, condamné à écrire un chef-d’œuvre. Vous
êtes trop attendu à ce merveilleux tournant de la civilisation africaine. Il semble
que vous n’ayez pas tout à fait réussi parce que vous avez trop à dire. Il faudrait
absolument être impitoyable à l’égard de votre talent, proscrire toutes les
tournures archaïques françaises qui ne peuvent que nuire à votre démarche. Il faut
trouver des équivalents africains. Les méditations philosophico-politiques, les
textes historiques, mythiques, les aperçus ethnographiques donnent l’impression
d’être juxtaposés. On ne sent pas un auteur qui domine sa matière. Il paraît
dérisoire de vous demander plus de sobriété, l’exubérance devant faire partie de
votre œuvre. Pourtant c’est à un peu plus d’ordre que nous nous permettons de
vous inviter.
En vous priant d’excuser la rapidité et la sécheresse forcées de mes remarques,
veuillez croire […]
27 De quand datent ces réactions plus positives ? Entre la soumission et son rejet, ou plus
tard encore ? En tout cas, la lettre de refus signée F.-R. Bastide est, elle aussi, marquée
d’annotations de la même main et dans la même couleur que les remarques en marge de
la note de Weber. Ces annotations sont traversées de doutes ou de questionnements :
« fumisterie ? / incohérence 184 / Henry ? l’évêque – la flûte / Kassoumi : pédé / trop
personnages ». Et puis il y a cette question qui résonne étrangement quand on connaît le
débat qui surgira plus tard sur les plagiats dans Le Devoir de violence et les guillemets qui –
ainsi que Ouologuem l’affirmera – auraient été retirés du manuscrit : « Guillemets ? » Rien
ici n’indique s’il s’agit de guillemets à enlever ou à intégrer. Selon les notes de lecture, le
manuscrit semblait truffé de références. Certaines d’entre elles étaient-elles entre
guillemets ? Ou l’auteur des annotations se posait-il la question de l’utilité d’en placer ?
Rien ne permet ici de le déterminer.
28 De même, il est difficile à ce stade de l’investigation de savoir qui est l’auteur des
annotations manuscrites (peut-être François-Régis Bastide lui-même ?). Mais on connaît
la personne qui, au vu des documents conservés, sauva le manuscrit. Il s’agit de Jean
Cayrol.
29 Cayrol, auteur reconnu d’une œuvre importante21, rédige une note de lecture non datée
où il évoque tout à la fois Voltaire, Queneau, Jarry et… Proust :
J’ai lu avec un très vif plaisir, malgré les rapports qui ont été faits sur lui, ce
manuscrit et je suis un peu étonné des réactions sur ce livre qui me paraît être la
première chronique en prose du monde africain.
J’ai été intéressé par le talent de cet auteur qui a su, en utilisant différentes
écritures et tonalités, nous donner une sorte de fresque de l’Afrique Noire et d’un
certain territoire, le Nékem22, depuis la fin du 19ème23 jusqu’à 1950 environ. Bien
que j’aie pu lire depuis des années des manuscrits d’écrivains noirs, je n’ai jamais
trouvé une telle liberté dans la manière de raconter en utilisant le mode caricatural
ou le mode délirant, un tel panorama où tout se mêle : cruauté, érotisme, images
fiévreuses etc. Les deux premiers tiers du manuscrit se lisent sans aucune difficulté.
Il y a de tout mais en même temps une visualisation étonnante de ce monde noir
rusé, instinctif et en même temps prêt à tous les excès. Le roman se gâte dès que le
héros arrive en France et là, l’écriture excessive se perd dans ses excès, devient
elle–même sa propre caricature car ses métaphores sont outrées et l’auteur se
prend les mots dans la plume. C’est dans cette partie où il y a le plus de travail, de
corrections et de rewriting. Texte très riche où il y a de tout, à boire et à manger,
brassant l’insolence, l’impudeur, le dérèglement, mais en même temps racontant
avec beaucoup d’aisance des choses insolites. Ça hésite quelquefois entre Voltaire et
Queneau pour en arriver jusqu’à Jarry. Mais, à chaque page, il y a des trouvailles,
même dans les échecs de style. Où l’auteur se trompe c’est dans la chronologie. Il
est évident que la pénicilline n’est pas inventée [mots barrés et remplacés par : « n’a
pas été » suivi d’un mot illisible] en 1900, par exemple. Mais si l’auteur pouvait arriver
à reprendre son texte, à le nettoyer de ses scories de langage, à simplifier parfois
son écriture, nous aurions le premier récit africain en prose qui ne soit pas aveuglé
par ce qu’il écrit mais qui garde une certaine distance vis à vis de ce qui est raconté.
Si l’écrivain accepte de reprendre son texte, alors je suis favorable à l’édition du
manuscrit, mais de toute manière tel qu’il est j’ai été agréablement surpris par cette
recherche du « Temps perdu » africain.
Note de lecture non datée du manuscrit du Devoir de violence par Jean Cayrol
30 Le manuscrit semble à nouveau circuler au Seuil. Une note de Christine Reygnault (CR)
du 15 octobre 1967 est négative, mais ne se prononce ni pour une acceptation ni pour un
refus. Mais un post-scriptum montre que le manuscrit a maintenant ses défenseurs :
On comprendra que je serais complètement désarmée d’avoir à prendre l’initiative
d’un remodelage de ce texte. Mais il va de soi que si l’on peut m’indiquer clairement
ce qu’on peut et ce qu’on ne peut pas « laisser passer » […] je suis prête à faire le
travail en question. Ceux qui aiment ce texte peuvent seuls en juger.
J’ai écrit tout cela assez tristement mais somme toute paisiblement car le triple
intérêt de PF [Paul Flamand, directeur du Seuil], JC [Jean Cayrol] et FRB [François-Régis
Bastide] est là pour soutenir ce manuscrit.
31 La note de Christiane Reygnault, de toute manière, arrive trop tard : le contrat d’édition
entre Isabelle Bardet, fille du cofondateur – avec Paul Flamand (1909-1998) – des Éditions
du Seuil, et Yambo Ouologuem pour Le Devoir de violence a été signé quatre jours plus tôt,
le 11 octobre 1967. La remise du manuscrit retravaillé est fixée au 1er janvier 1968 et le
premier tirage prévu est de 4000 exemplaires. Ce ne sera pas non plus Christiane
Reygnault qui s’attellera à préparer le manuscrit pour l’édition : ce sera, avec l’auteur,
François-Régis Bastide24.
Monsieur,
J’ai pu examiner à nouveau et faire examiner votre roman. Il y a toujours des pages
superbes et il y a toujours plusieurs vices de construction. Du moins, c’est notre
opinion qui est peut-être erronée. De toute façon, je crois le moment venu d’avoir
une conversation avec vous et à cette fin, je vous serais reconnaissant de passer me
voir au Seuil Lundi 4 Septembre à 15 heures. Si ce rendez-vous ne convenait pas,
vous pourriez téléphoner à ma secrétaire qui vous en donnera un autre.
Dans l’espoir de faire votre connaissance […]
François-Régis Bastide
33 Bastide et Ouologuem ne se sont pas encore rencontrés. Le contrat n’est pas encore signé.
Il le sera bientôt, on vient de le lire, dans le cours d’un travail de mise au point du texte
du roman qui s’étend pendant plusieurs mois, avec des allers-retours entre l’auteur et son
éditeur. En pleine conscience – il faut le noter pour la suite – de ce qui s’échange là et
connaissance du texte qui s’établit dans ces passages de l’un à l’autre.
Ainsi : 22 décembre 1967, lettre de Bastide à Ouologuem, maintenant au 60, Square du
Nord 95 à Gonesse :
[...] J’étudie très longuement la nouvelle version de votre roman et n’ai pu achever
cette étude avant la fin de cette année, comme je l’espérais.
Je crois pouvoir dire, dès maintenant, que vos corrections semblent excellentes. Je
reprendrai contact avec vous très prochainement pour l’établissement du dossier
de presse. Je me permettrai d’appeler à Présence Africaine 26.
34 3 janvier 1968, autre lettre de Bastide à Ouologuem :
Cher Ouologuem,
Je viens de relire entièrement, ligne à ligne, votre livre. J’ai encore des petits détails
à vous montrer qui, tous, posent des questions. Nous ne sommes pas loin de
l’achèvement. [...]
Il faudrait que nous puissions parler et du manuscrit et de la notice pendant deux
petites heures. Voulez-vous Vendredi 5 à 15 heures ? Entre temps, j’essaie de vous
joindre à Présence africaine pour que vous passiez plutôt demain, Jeudi.
Bien amicalement à vous.
François-Régis Bastide27
35 Le dossier avance bien et, somme toute, si on tient compte des remarques formulées lors
des premières lectures du manuscrit original, assez vite. Au point que le texte est mis en
fabrication28 le 14 mars 1968. La première chemise en faisant mention porte le nom de
François-Régis Bastide29. La publication est prévue en septembre de la même année.
36 Comme Bastide l’annonçait fin décembre à Ouologuem, le dossier de presse se prépare,
avant même la mise en fabrication. Le texte du Devoir de violence, établi par l’auteur et son
éditeur, est transmis le 22 mars au Service de Presse30. Autre date importante : le 29 mars,
le même texte est communiqué à « P.F. » Ce sera donc la première fois que Paul Flamand
aura en main le texte définitif, dernières corrections mises à part.
37 À propos de la campagne de presse qui s’entame là, Yambo Ouologuem a écrit peu avant –
le 28 décembre 1967 – la première longue lettre31 que l’on possède de lui dans les archives
de l’IMEC. Une lettre manuscrite. Une lettre d’écrivain. Un écrivain qui, soudain, se rend
compte de ce qu’implique la publication de son roman et prend position à cet égard :
Mon bon monsieur,
Le propos de cette lettre n’est pas d’élever une succession de temples à des
prétextes. À dire vrai, j’ai peur de n’être pas fait pour ce commerce qui semble
l’inévitable revers de vos fonctions. Vous voudrez bien excuser ces lieux communs
de commis-voyageur – mais est-il vraiment nécessaire de jouer « pour le dossier de
presse » ce jeu, assez pénible pour l’auteur, de montreur d’ours savants dans la foire
Jean Cayrol m’a dit quelques mots de la conversation qu’il avait eue avec vous : il y a
des décisions que vous seul pouvez prendre. Mais tout ce que je puis vous dire, c’est
que vous êtes un écrivain.
Alors, à bientôt, tout de même.
Cordialement vôtre.
Paul Flamand33
40 Les premiers acteurs de ce qui sera un succès avant de devenir un drame sont en place. Le
livre peut bientôt paraître.
D’autres corrections, traits barrant des passages et annotations sont d’une autre main. En
voici le début, sans les suppressions ni modifications :
Rugissement de l’homme dans la cage de ses infirmités. C’est le sort des Nègres
d’avoir été baptisés dans le supplice : essentiellement par le colonialisme des
Notables africains, puis la Conquête Arabe. L’Eternel, selon la légende, n’a-t-Il pas,
dans sa bénédiction implacable, fait de la négraille le serviteur des serviteurs, et du
Blanc, son maître ? (Genèse, verset 27).
Ensanglantée plus de cent millions de fois par les Empereurs Saïfs – négro-juifs et
berbéro-peulhs [mots barrés illisibles] la promenade des Nègres glisse de cette
fresque à la chronique (1202‑1900), puis au romanesque à clés où l’auteur nous
enfonce dans l’extase et le drame souvent dérisoire des Fils de la Nuit, au long des
siècles fétichistes, musulmans et chrétiens. [...]
43 Une autre version35 développe davantage la question ethnique 36 et insiste sur le
« colonialisme », cette fois, de la dynastie des Saïfs qui règne sur l’empire Nakem, décor
principal du Devoir de violence.
[...] Cham ou Japhet ? Nègres, Peulhs, Leuco-Ethiopiens ? Juifs d’Orient émigrés de
Cyrénaïque, puis du Touat, et descendant de la Reine de Saba ? – les avis des
ethnologues sont partagés ; mais sanglants colonialistes, les Saïfs [...] le sont avant
même l’Homme Blanc, qui, tout à son insu, a joué le jeu des Notables africains.
44 Beaucoup sera supprimé de ces introductions. Le texte final de la 4e de couverture, plus
court, plus sobre, plus neutre, commencera finalement par « C’est le sort des Nègres
d’avoir été baptisés dans le supplice : par le colonialisme des notables africains, puis par
la conquête arabe. La promenade des Nègres va de la fresque (1202‑1900) à la chronique
puis au romanesque contemporain et au drame souvent dérisoire des Fils de la Nuit. [...] »
54 On ne possède pas la réponse de Paul Flamand. Il n’y en eut peut-être jamais : Ouologuem
l’affirmera plus tard. Le contrat, de toute façon, est signé depuis sept mois et ne changera
pas. Et Le Seuil ne publiera, en définitive, qu’un seul ouvrage de Yambo Ouologuem.
55 La question des autres textes inédits est évoquée pour la première fois, publiquement,
dans Le Monde, dans l’entretien avec Philippe Decraene, qui accompagne la critique du
Devoir de violence : « Quatre années de travail pour rédiger ce Devoir de violence n’ont pas
découragé Yambo Ouologuem. Il vient d’achever une Lettre ouverte à la France nègre,
adressée au général de Gaulle, “Mon cher grand-père et libérateur”, pour laquelle il
cherche un éditeur49.” Provocateur, Ouologuem y proclame qu’il s’agit d’un « billet ouvert
Je vous l’ai dit, et vous le savez : il est plus de médailles que d’écrivains. J’ai donc
cherché à trouver chez mon éditeur – c’est à dire votre maison – ce hâvre de
sérénité où l’intransigeance vis à vis de soi-même fasse désespérer d’une certaine
pureté, engendrant ainsi – et comme surgie des zones d’ombres d’une objectivité
qui s’interroge – cette sève vive, laquelle fait aimer devoir mieux faire encore : c’est
à dire écrire.
Vous vous en souvenez, Monsieur le Directeur, je vous l’avais écrit : sur la dédicace
du « DEVOIR DE VIOLENCE ». De là sans doute, le caractère éminemment primordial
du climat humain. Ce qui, convenez-en, m’a toujours fait défaut aux Éditions du
SEUIL.
Entre autres, à une longue lettre de cinq pages54, que je vous avais adressée, et où,
bien avant le Renaudot, je vous exposais mon propos (d’ordre purement littéraire,
d’ailleurs), jamais réponse n’a été faite. Malgré mon nez fracturé par les matraques
du service d’ordre, en mai dernier, pendant que je passais l’agrégation, j’étais venu
à vous, m’informer des suites de la dite lettre : ici encore, un mur…
Enfin, depuis plus de quatre mois, j’ai remis à Monsieur BASTIDE, une dizaine de
pages – les premières de mon second roman – afin d’être guidé dans mes quêtes :
j’en étais à ma huitième ébauche. Là également, la littérature a été saluée par la
conjuration d’une indifférence polie, et le silence le plus total. Comment, dans ces
conditions, aurais-je osé vous laisser la « LETTRE À LA FRANCE NEGRE » au delà des
trois jours où Monsieur F.R. BASTIDE – qui avait tout le loisir de l’emporter, ou, tout
au moins, de la mettre en lecture, à défaut de la lire lui-même – l’a laissée sur son
bureau ?
Par ailleurs, LE MONDE, dans son article du 12 Novembre 68, signalait, sous la plume
de Monsieur Philippe de CRAENE « Yambo OUOLOGUEM vient d’achever un
pamphlet intitulé – LETTRE À LA FRANCE NEGRE – pour lequel il chercher un
éditeur ». Il a fallu que je reçoive des propositions d’autres éditeurs, que j’hésite à
les accepter, (puisque j’avais préjugé votre silence pour me penser écrivaillon), que
je vous dise que le pamphlet était prêt, pour que vous me le demandiez. Les
réclamations instantes des autres ont fait que j’ai cédé.
Et tout ceci, sans doute, n’eut pas tiré à conséquence, sans ce prix Renaudot.
Mieux, afin, sans doute, de me remettre à ma place d’auteur ouvrier « en me faisant
la leçon », vous avez tenu, Monsieur de Directeur, à me signaler votre puissance,
par la force de votre frappe : la presse – et l’article assez infamant que vous savez,
lequel, titré « le devoir d’insolence », est tout à la dérision de ma personne, et d’un
livre que, pourtant, vous avez édité.
Permettez, Monsieur le Directeur, que je veuille, en dépit de tant de contrariétés
qui me donneraient lieu de me sentir circonvenu de toutes parts – oser conserver
de vous une image autre que celle d’un éditeur-président-directeur général pour
qui dialoguer avec un auteur, c’est d’abord et avant tout l’initier au rite d’un
conformisme obséquieux – surtout dès lors que l’auteur à le tort, comme moi, de ne
compter que vingt huit ans : et que jeunesse, contrairement à noblesse, désoblige.
« Devoir d’Insolence », dites vous dans l’article commandé au Figaro Littéraire n o
1186. « Le jeune Malien accable presque chaque jour son éditeur de requêtes :
exigences, récriminations… Il fait suer le burnous » dites-vous.
Ne voulant pas vous importuner davantage, j’ai l’honneur de vous prier de bien
vouloir trouver ci-joint, le chèque N° 15 10955 tiré sur mon compte du C.R.C.A.M.
d’un montant de 20.000 Fr. (VINGT MILLE FRANCS).
Vos libraires ne vous ayant pas réglé, selon vos propres termes, cette somme
représente la différence entre les 150.000 Frs (CENT CINQUANTE MILLE) que vous
comptiez me verser – conformément d’ailleurs à l’esprit de votre lettre du 13
janvier, et les 170.000 Fr. (CENT SOIXANTE DIX MILLE) que vous m’avez
effectivement versés, à titre d’acompte sur les droits d’auteur du « DEVOIR DE
VIOLENCE ».
Avec toute l’expression de ma sincérité, veuillez agréer, Monsieur le Directeur,
l’expression de mes sentiments respectueux.
Yambo OUOLOGUEM
59 « Je dois dire que ma plus vive surprise est que vous paraissiez croire qu’il s’agit d’une
interview donnée par quelqu’un du Seuil », lui répond rapidement Paul Flamand 55. […] Je
vous renvoie votre chèque de 20 000 Fr. […] Bon ? Voulez-vous que nous tirions un trait
sur tous ces “incidents de parcours” […] Ce qui compte maintenant, c’est votre œuvre
littéraire, c’est votre prochain roman. » Et Flamand joint la copie du mot qu’il a adressé à
l’auteur de l’entrefilet :
Au retour d’un voyage de dix jours, je prends connaissance de l’entrefilet « Le
devoir d’insolence ».
Je ne puis empêcher quiconque de reproduire les propos qu’il a entendus au cours
d’un déjeuner auquel il était convié.
Mais je ne puis admettre qu’il soit prêté à la « rue Jacob 56 » des réflexions qui n’ont
jamais été tenues.
60 Les déceptions, les malentendus et les dissensions à propos des nouveaux écrits de
Ouologuem se poursuivront jusqu’au bout de ses relations avec Le Seuil. « Jamais eu le
manuscrit », est-il écrit à la main par FRB (François-Régis Bastide) dans un formulaire de
note de lecture vierge du 16 octobre 1968 à propos de Lettre à la France nègre 57.
61 Le Seuil ne publiera pas davantage les textes des Mille et une bibles du sexe 58, du Secret des
orchidées59 et des Moissons de l’amour60. Le premier, un ouvrage érotique aussi foisonnant
qu’audacieux, et les deux autres, des romances sentimentales61, seront publiés sous
pseudonymes – Utto Rodolph et Nelly Brigitta – aux Éditions du Dauphin, une maison à
laquelle Ouologuem sera étroitement lié, ainsi qu’à sa directrice. À partir de juin 1970,
Ouologuem utilisera comme adresse de correspondance l’adresse de ces Éditions (43, rue
de la Tombe Issoire, Paris 14e) que, dans plusieurs de ses communications, il dira siennes62
. En 1972, il inscrira dans l’entête de ses lettres le nom des Éditions du Nouveau Méridien
dans la même rue, mais au numéro 35.
62 Quant au deuxième roman dont Ouologuem parle dans sa lettre du 29 janvier 1969, il
s’agit des Pèlerins de Capharnaüm, un récit mythico-religieux dense, parfois touffu, dont le
début dactylographié sur 79 feuillets est conservé dans les dossiers du Seuil à l’IMEC63. Ce
tapuscrit, à ce jour encore inédit et sans doute inachevé, fera l’objet d’échanges,
notamment épistolaires, avec un autre éditeur du Seuil, Paul-André Lesort, ainsi qu’avec
Paul Flamand. Au terme de ces échanges, où l’auteur conteste les arguments des éditeurs
et renâcle à réécrire son texte dans les termes demandés, Ouologuem ira le proposer à
d’autres maisons. Cela fera l’objet d’un contentieux.
65 Août 1969, mai 1970, novembre 1970, janvier 1971 : les échanges à propos des comptes se
succèdent. Les réponses détaillées (état des stocks, récapitulation des tirages, modalités
de calculs des droits) de Paul Flamand ne suffisent pas. Pas plus que la réévaluation des
pourcentages des droits d’auteur suite à l’instauration de la TVA en janvier 1969 et le
succès du roman. Yambo Ouologuem s’accroche et ne cède pas, mêlant parfois – et ceci
explique peut-être cela – aux exigences matérielles, des attentes qui dépassent ces
dernières et des reproches où la susceptibilité dénature parfois la stricte vérité :
Cher Monsieur Bastide,
Mon bon monsieur,
Permettez-moi, encore une fois, de vous remercier d’avoir bien voulu m’honorer de
votre présence et de celle de Mme Bastide, lors de notre dernière rencontre,
d’ordre, si j’ose dire, extra-professionnel. Bon.
Je viens de recevoir une lettre de Mr Paul Flamand, qui fait état de l’augmentation
de pourcentage de mes droits d’auteur hissés jusqu’à 15%, réflexion faite.
Voyez-vous, si je me suis permis avec vous, de faire allusion à ce qui était ou n’était
pas une « anomalie » – à savoir mon taux maximum de 12%, tout ainsi que le
versement des droits survenu, effectivement, le 13 janvier 69 – ce n’était nullement
pour obtenir la réévaluation de mon premier contrat avec « le Seuil », par le biais
d’une rencontre avec vous.
Le but de cette rencontre – compte tenu de divers déboires miens, d’ordre privé –
était tout simplement, d’assurer à travers ce que vous représentez littérairement,
une espèce de lien [...], sans ombre portée, et qui me fasse mieux encore aller de
l’avant : en vous présentant mon second roman. Parce que je n’ai pas d’ami.
Vu la différence d’âge, il serait bien évidemment saugrenu de chercher en vous un
ami, [dans le] sens véritable du mot. Le mot est fréquent d’emploi, certes, et avec
toute relation ; mais il est [gal]vaudé par là-même. C’était donc une admirative
amitié, plutôt, que j’avais cru pouvoir [entre]tenir.
Par ailleurs, convenez-en, je n’ai plus rien à perdre. Ceci pour relever l’arbitraire de
[mon] état de compte de droits d’auteur, et l’arbitraire de la manière dont je viens
seulement [à] présent d’être tenu au courant : sans l’avoir réclamé. Pas plus que je
n’ai réclamé le justificatif des divers tirages du « Devoir de violence » 66. [...]
J’espère que vous voudrez ne point voir là des « récriminations ». Mais seulement
un constat. [...]67.
66 En mai 1970, une note interne au Seuil avertit Flamand que Ouologuem entend désormais
confier le dossier comptable à son avocat et à la justice. Ce qui adviendra finalement près
de deux ans plus tard. Le 18 février 1972, les Éditions du Seuil sont assignées à
comparaître le 25 au Tribunal de Grande Instance de Paris pour non-remise des comptes à
Yambo Ouologuem. Une expertise indépendante sera ordonnée. Entremêlée à d’autres qui
surgiront, l’affaire se poursuivra jusqu’en 1976.
77 Les choses s’aggraveront avec la nouvelle que, lors d’un voyage à Londres fin juillet de
cette année 1971, Ouologuem a cherché à signer un contrat pour un même roman à venir
avec Secker & Warburg, l’éditeur de la version britannique de Bound to Violence 84, le
soumettant « à grande pression85 ».
78 Et, non content d’explorer le marché anglo-saxon, pas plus qu’ébranlé par les cris
d’orfraie de ses éditeurs, Ouologuem, de retour en Europe en septembre, va à nouveau
frapper aux portes des maisons françaises, dont les Éditions Fayard, pour placer Les
Pèlerins de Capharnaüm, découragé sans doute par le peu d’enthousiasme du Seuil.
79 En définitive, la situation se calmera sur le front anglo-saxon, où aucun des nouveaux
projets n’aboutira. Le Britannique Secker & Warburg rejettera l’offre de Ouologuem et
l’éditeur américain Doubleday fera amende honorable auprès du Seuil, qui gardera son
« droit de suite » sur les romans de Ouologuem :
Après en avoir pris connaissance, notre Publisher, Mr. Samuel Vaughan, me
demande de vous dire qu’il regrette infiniment qu’un fâcheux malentendu se soit
produit, pouvant nuire aux rapports de Doubleday avec les Editions du Seuil,
rapports qui ont toujours été très amicaux et très importants pour nous 86.
80 En France, en revanche, Fayard ne lâche pas le morceau et traite avec la rue Jacob par
avocats interposés : pour le premier Maître Brossolet, pour la deuxième Maître Georges
Kiejman, ténor du barreau87, qui a accompagné et accompagnera Le Seuil de ses conseils
juridiques tout au long de son histoire depuis les années 1960.
81 Nous sommes au printemps 1972. Pendant trois ans, les accrochages se sont succédé. Tout
est en place pour que la tension culmine. L’« affaire Ouologuem » va bientôt éclater. Par
un biais que personne n’avait prévu…
Pages de l’article du Times Literary Supplement du 5 mai 1972 présentant en regard les pages
« plagiées » de It’s a Battlefield de G. Greene et les pages incriminées du Devoir de violence
83 Comment, quatre ans et demi après la parution du Devoir de violence et un an après celle de
sa version anglaise, la découverte d’un plagiat a-t-elle abouti dans les bureaux du Times
Literary Supplement ?
84 « Un jeune universitaire noir, de langue anglaise, [va] faire paraître dans une revue
africaine une longue étude intitulée “Bound to Violence, a case of plagiarism” [Le Devoir,
un cas de plagiat]91 », écrit Paul Flamand dans sa première lettre à Yambo Ouologuem à ce
sujet. Il semble cependant que la révélation publique d’un élément de plagiat92 ait suivi
des voies plus inattendues encore.
85 Dans Quand l’Afrique réplique, La collection « African Writers » et l’essor de la littérature africaine
93, James Currey, qui dirige la collection de poche où a paru la version brochée (paperback)
en 1934. C’est un étudiant australien qui menait des recherches en Zambie qui avait
informé Graham Greene que certains passages de la traduction française de son
roman qui se passe dans une pension avaient été transposés par Yambo Ouologuem
dans un cadre tout aussi désolant en Afrique et avec des personnages différents 94.
86 Averti à son tour, Tom Rosenthal, directeur de Martin Secker and Warburg où est éditée
la version reliée (hardback) de Bound to Violence écrit à Paul Flamand une lettre polie dans
laquelle il n’accuse pas l’éditeur français, mais davantage l’auteur malien à qui il a eu
affaire, dit-il, pendant six mois lors des tractations pour le nouveau roman. Cependant, de
façon ferme, Flamand lui demande des explications qu’il puisse transmettre à Graham
Greene.
87 « Tenez ! Voilà un œuf de Pâques… », tapote Flamand sur un feuillet à l’adresse de son
conseil Georges Kiejman, en joignant la lettre de l’agent littéraire de Graham Greene en
France qui lui demande un rendez-vous. Les échanges juridiques, éditoriaux et
commerciaux pour contenir le drame commencent.
88 En Grande-Bretagne, Graham Greene se montre conciliant : il « accept[e] immédiatement
l’offre d’Alan Hill qui lui propose d’intégrer un avertissement dans le livre95 ». C’est
cependant lui qui demande à son éditeur d’informer le Times Literary Supplement et met
donc, indirectement, le feu aux poudres96.
89 En France, Paul Flamand écrit immédiatement aux éditeurs étrangers avec lesquels il a
conclu ou est en tractations de « suspendre toutes négociations ou reproductions du livre
tant que [Yambo Ouologuem] n’aur[a] pas envoyé un nouveau texte pour remplacer les
pages délictueuses97 ».
90 Les éditeurs ne cèdent en général ni à la panique ni aux récriminations. L’éditeur
allemand répond, ainsi, qu’il arrive au bout du tirage et qu’il n’en envisage pas d’autre. Et
Heinemann se contente de bloquer un réassort vers le Nigeria, en notant toutefois
que 3000 exemplaires circulent déjà au Kenya.
91 La réaction de l’éditeur américain, Harcourt Brace Jovanovich, est, elle, différente.
92 Le jour même où le Times Literary Supplement publie la preuve, à ses yeux, du plagiat à
l’encontre de Graham Greene, le Times quotidien dont il est originellement issu se fait
l’écho de la nouvelle en Une : « Echoes of Graham Greene halt prizewinning book » et en suite,
page 2 : « Stir in European publishing houses ». Quelques heures plus tard, le New York Times
fait de même de l’autre côté de l’océan : « Novel is Likened to Greene’s Book. African “Bound to
Violence” Held Similar to “Battlefield” ». « L’affaire flambe », annonce Paul Flamand le 4 mai
98
. « Cette affaire Ouologuem me rendra-t-elle fou ?99 », ajoute-t-il.
93 Très tôt, Harcourt Brace Jovanovich envisage, sur le conseil de son avocat, de pilonner les
stocks. À la demande de l’agent américain de Graham Greene, il retire en tout cas de la
vente 3 400 exemplaires du roman et interrompt les négociations avec l’éditeur prévu
pour l’édition de poche. The Times londonien et le New York Times parlent tous deux de
coûts liés au retrait de l’édition de Bound to Violence de l’ordre de 10 000 dollars. La réalité
sera inférieure, autour de 6 000 dollars. Mais ces 5 598,62 dollars – pour être précis –
Harcourt Brace Jovanovich les réclamera en dédommagement au Seuil. La transaction
s’établira finalement à 4 786,12 dollars. Somme que la maison d’édition parisienne
réclamera ensuite à Yambo Ouologuem, dont elle débitera le compte d’auteur au fur et à
mesure des rentrées100.
94 L’affaire, cependant, ne se limite pas au monde anglo-saxon et au plagiat à l’encontre de
Graham Greene. Elle rebondit immédiatement en France.
104 Pour sa part, Le Figaro Littéraire ne ménagera pas l’auteur malien. Sous le droit de réponse
de Ouologuem, il publiera deux courts textes. L’un, intitulé « Le devoir d’exactitude » est
une lettre de l’agent littéraire de Graham Greene en France évoquant sa demande
formulée auprès du Seuil d’interdire « toutes reproductions » du roman tant que l’auteur
n’aurait pas réécrit les pages incriminées. L’autre, titré « Le devoir de vérité », est signé
B.P., initiales où l’on devine Bernard Pivot, alors journaliste au Figaro Littéraire. En trois
points, B.P. répond aux affirmations de Ouologuem, notamment sur la question des
guillemets :
Yambo Ouologuem se défend en invoquant des guillemets qui figureraient dans son
manuscrit. L’ennui, c’est qu’ils sont absents du livre auquel, faut-il rappeler cette
évidence, les critiques et le public ont seulement accès.
105 Dans un quatrième point, il conclut :
Quand Yambo Ouologuem n’emprunte qu’à lui-même, sa pensée est confuse et sa
prose emberlificotée. Il ne viendrait pas à l’idée de Graham Greene de le plagier. Ni
à quiconque.
106 Flamand, de son côté, utilise plusieurs arguments selon ses interlocuteurs et selon ce qui
est reproché au livre, à l’auteur et à l’éditeur.
107 À Helen Wolff, l’éditrice américaine, il parle de la jeunesse de l’auteur, des remaniements
apportés au manuscrit et, comme auprès de Tom Rosenthal, l’éditeur britannique, il
minimise les plagiats, réduits à des « lambeaux de phrase » :
Il me paraît indéniable que l’on ait retrouvé dans le Devoir de violence des passages
où apparaissent des traces d’autres œuvres, mais il me paraît également exagéré de
parler de « plagiats ».
En effet, si l’on examine les passages incriminés, on peut constater qu’il ne s’agit
pas de citations mais de lambeaux de phrases qui sont truffés de changements
apportés par l’Auteur. Comment cela a-t-il pu se produire ? Nous sommes là devant
le premier roman d’un jeune Auteur. Ce roman dont nous avons eu le manuscrit
pour la première fois entre les mains (au début nous l’avions refusé) a été maintes
et maintes fois remanié par l’Auteur. L’hypothèse la plus plausible est que celui-ci,
ayant relevé dans ses notes des passages venus d’autres œuvres, les a retranscrites
d’une version à l’autre de son roman sans une attention suffisante et en
s’appropriant – et en modifiant – des textes qui au départ ne lui appartenaient pas.
C’est une hypothèse, mais c’est celle qui me paraît la plus plausible car (nonobstant
toutes les autres considérations personnelles) [… ] pourquoi mettrait-on en doute
l’honnêteté littéraire de Ouologuem104 ?
108 À l’agent américain du Seuil, plus proche de lui, il ajoute un argument de cohérence :
Ouologuem argue que c’est nous (Bastide) qui, en mettant son manuscrit au net
pour l’impression, lui avons dit de faire sauter les guillemets des citations, mais cet
argument est absurde parce qu’on n’a jamais vu un romancier « citer » des scènes
ou des situations entières d’un autre Auteur – et du reste s’il s’agissait vraiment de
citations, pourquoi Ouologuem les aurait-il tronquées d’ajouts et de changements
de sa part pour mieux faire croire à un texte original (ce qui constitue un aveu…) ?
Je crois que mon hypothèse est plus valable si même, de vous à moi, je ne suis pas
sûr qu’elle couvre toute la question105.
109 Au Times Literary Supplement, Paul Flamand répond point par point aux accusations :
J’aimerais que vous portiez à la connaissance de vos lecteurs
1° je n’ai jamais rencontré Monsieur Dembri et je ne sais pas de qui il s’agit.
2° Monsieur Ouologuem n’a pas écrit son roman le Devoir de violence à notre
instigation, mais il nous a apporté le manuscrit comme le fait n’importe quel Auteur
pour un premier roman à un premier Editeur.
110 Il y ajoute un troisième argument qu’il répétera à l’envi par la suite et qui sera cité dans
tous les articles et études sur l’affaire des plagiats dans le roman de Yambo Ouologuem :
3° Quand nous avons constaté que dans le Devoir de Violence, on pouvait trouver
des échos du Dernier des Justes, nous en avons avisé Monsieur Schwarz-Bart qui
nous a répondu par une lettre dont j’ai à cœur de citer ces quelques lignes :
« L’utilisation faite du Dernier des Justes ne me gêne en aucune manière… J’ai
toujours vu mes livres comme des pommiers, content qu’on mange de mes pommes,
et content qu’on en prenne une, à l’occasion, pour la planter dans un autre sol. A
plus forte raison suis-je profondément touché, bouleversé même, qu’un écrivain
noir ait pu prendre appui sur le Dernier des Justes pour faire un livre tel que le
Devoir de Violence. Ainsi donc Monsieur Ouologuem n’est pas mon débiteur, mais
moi le sien ».
Cette lettre de Monsieur Schwarz-Bart est datée du 16 août 1968 106.
111 À l’attention d’Eric Sellin qui est cité dans le TLS et a écrit la première charge sur les
plagiats dans Le Devoir de violence, Flamand reprend les mêmes arguments. Mais, au cours
d’une correspondance qui s’instaure entre eux et où Sellin pose des questions incisives 107,
Paul Flamand, peut-être touché au vif, va plus loin :
Monsieur,
Je vous prie de m’excuser si je vous écris à la main : je suis en vacances et n’ai pas de
machine à écrire ; je n’ai pas non plus tous les documents datés qui me
permettraient de vous répondre encore plus précisément. Mais croyez qu’avec tous
les désagréments qu’elle me cause cette affaire est bien dans ma tête et que ce que
ce que je vais vous dire, je vous le donne comme sûr.
1° Je sais la différence qu’il faut faire entre « publisher » et « editor ». Il se trouve
que je suis le Président des Editions du Seuil et que c’est moi qui signe tous les
contrats. J’ai donc connu le manuscrit Ouologuem dès son acceptation. Je puis vous
affirmer de la façon la plus absolue que cette œuvre n’a pas été commandée par
nous, qu’elle nous est arrivée dans la composition générale qu’elle a actuellement et
que le travail sur manuscrit effectué avec l’auteur était essentiellement stylistique.
2° Ce travail a été fait par l’auteur avec « l’editor » chargé de le suivre. Il s’appelle
François-Régis Bastide. Bien entendu les similitudes d’architecture [du livre ?] avec
Le dernier des Justes ne lui a pas échappé : mais pourquoi s’en serait-il offusqué ?
N’a-t-on jamais vu un jeune auteur imiter une œuvre précédente qu’il admire ? De
plus, Schwarz-Bart n’a-t-il pas toujours rapproché le cas des Juifs et celui des
Noirs ? […] Qu’un jeune écrivain noir s’y soit référé par émulation ou hantise [ ?]
n’impliquait pas plagiat. Et cela semblait tellement évident que le « prière
d’insérer » ne l’a pas caché un instant.
3° Ce dont F.R. Bastide (qui évidemment avait lu Schwarz-Bart mais de loin) ne
s’était pas avisé, c’est qu’il y avait là des démarquages de passages entiers. Ce fait a
été découvert, quand le volume est sorti des presses, par « l’editor » de Schwarz-
Bart au Seuil, qui s’appelle Paul-André Lesort. Celui-ci l’a immédiatement signalé et
en a écrit sur le champ à André Schwarz-Bart qui a fait la noble réponse que j’ai
citée. […]
Ce n’est qu’après cette publication que Ouologuem a publié chez Nalis (?) sa Lettre à
la France nègre & qu’il nous l’a envoyée… Mais comment aurions-nous pu nous
douter, sur manuscrit, des « emprunts » faits par l’auteur, quasi textuellement, à
d’autres œuvres ? M. Mannheim lui-même, ce traducteur excellent et érudit, a
traduit l’œuvre en anglais sans s’en aviser…
Dans toute cette affaire, si désagréable (c’est le moins que je puis dire !) ce qui me
paraît le plus insupportable, c’est le soupçon jeté sur notre maison (prise en bloc ou
en partie) que nous ayons commandé une œuvre qui soit une réplique « nègre » de
l’œuvre « juive » de Schwarz-Bart. Je vous donne ma parole qu’il n’en est rien. Et je
viens de vous expliquer, de manière la plus simple et la plus franche, comment les
choses se sont passées : Ouologuem n’a rien ajouté, sur notre incitation, à son
manuscrit, pas plus la « Légende des Saïfs » que le reste. Et, en retour, j’attends de
ce Monsieur… (Demi ? Je ne me souviens plus de son nom) qu’il déclare quel est le
collaborateur des Editions du Seuil qui lui aurait tenu ce propos.
Monsieur, vous savez comme moi, combien les écrivains africains ont été et
demeurent hantés par l’Europe, combien il leur est difficile de trouver leur
complète identité. Des poètes noirs ont imité St John Perse, ou les surréalistes, ou
François Coppée. Et ce que nous avons fait, au Seuil, depuis des décennies c’est de
donner hospitalité à ces nouveaux talents qui, à travers ces imitations, tâchaient de
trouver leur voix – leur voie originale. Cela n’allait pas sans risque, nous le voyons
aujourd’hui ; ce n’est pas une raison pour regretter les services que nous avons pu
rendre en des cas plus heureux.
Je vous prie de croire, Monsieur, à mes meilleurs sentiments.
Paul Flamand [signature manuscrite + en lettres capitales] 108
112 La lettre manuscrite de Paul Flamand – qu’à son retour à Paris, il demandera à Eric Sellin
de ne pas publier telle quelle – est une de celles au ton le plus sincère dans les dossiers.
Eric Sellin y sera sensible, qui répondra en se rangeant aux arguments de Flamand :
J’assume la responsabilité de rédiger une rectification sur le rôle des Editions du
Seuil et vous prie de ne pas en vouloir à M. Dembri qui est un critique brillant et
sérieux et dont j’ai peut-être faussé les mots et qui n’avait aucune intention lui-
même de nuire la maison Seuil. [...] Un mot pour me permettre de publier vos deux
lettres dans RAL [Research of African Literatures) et nous essaierons de faire un rappel
à l’ordre et d’éliminer la spéculation désormais ! […] J’apprécie et votre ton
raisonnable et votre franchise109.
probable tout simplement que Ouologuem a dû apprendre par cœur une « dictée »
de Maupassant. Il ne l’oubliera jamais.
Ce qui est drôle c’est qu’il n’a pas pour Maupassant une prédilection particulière et
que dans sa bibliothèque je n’ai trouvé aucun livre de cet écrivain.
Cela dit, je comprends parfaitement votre émoi. Vous êtes jeune, vous connaissez
l’Afrique, vous avez le respect que l’on doit pour la chose imprimée. Tout cela est
parfait.
Si j’en avais le temps, je pourrais citer un bon nombre d’exemples de pastiches
involontaires dans la littérature française. Cela irait de Racine à Proust en passant
par Stendhal. Je vous rappellerais aussi la phrase de Cocteau, son conseil donné à
Radiguet : « Efforce-toi de faire des pastiches volontaires pour être sûr de n’en pas
faire d’involontaires ».
Votre juvénile rigueur vous a entraîné un peu loin. Même s’il y avait eu dans le livre
de Ouologuem un bien plus grand nombre de réminiscences involontaires, cela
n’aurait rien ôté à la valeur de son livre. Vous ne pouvez pas dire qu’une partie du
Devoir de violence est une pâle imitation d’une nouvelle bien antérieure 112.
115 Cette réponse de F.-R. Bastide sur l’enseignement français en Afrique, il l’attribue à
Yambo Ouologuem lui-même dans la réponse quasi identique qu’il fait, quelques mois
plus tard, à un autre lecteur qui signale la reprise d’une douzaine de lignes d’une autre
nouvelle de Maupassant, « Le Gueux »113 :
Vous n’êtes pas le premier à avoir remarqué, dans Le devoir de violence, cette
douzaine de lignes qui appartiennent à Maupassant.
Quand j’en ai fait la remarque à Ouologuem, c’était sur le ton un peu courroucé que
vous pouvez imaginer. Je ne le connaissais pas encore bien, et je ne connaissais pas
du tout l’Afrique francophone. Entre temps, j’ai parfaitement compris son
explication. Les Africains qui ont appris très jeunes le français [etc.]. Ouologuem n’a
pas « copié ». [...]114
116 La réponse de Bastide et, à travers lui, de Ouologuem vaut ce qu’elle vaut pour ce qui est
de Maupassant. Mais l’amplitude de la culture du jeune auteur malien – manifeste dans sa
correspondance – et sa boulimie de lecture – tout aussi évidente – le mènent à picorer
ailleurs que dans le fonds français classique. Ainsi, le 5 février 1970, Claude Gallimard
(1914-1991) – qui n’a pas encore repris la présidence des Éditions Gallimard mais travaille
encore sous la direction de son père, Gaston – envoie un mot teinté d’ironie à son
confrère Paul Flamand, accompagné des passages litigieux :
Cher Ami,
Des lecteurs nous ont exprimé leur étonnement devant d’étranges similitudes de
texte entre le roman de Yambo OUOLOGUEM : « LE DEVOIR DE VIOLENCE » paru à
vos éditions en 1968, et la traduction française de John D. MacDonald, « LES
ENERGUMENES », publiée en 1962 dans la « Série Noire » et réédité fin 1969 dans
« La Poche Noire ».
Vous pourrez voir, en comparant les phrases soulignées dans les quelques pages
mises en regard, que je vous adresse sous ce pli, qu’il ne peut s’agir là de pure
coïncidence ni de simple réminiscence, mais d’un recopiant pur et simple qui revêt
le caractère d’une véritable contrefaçon.
Il est certes assez flatteur pour le style de la « Série Noire » d’avoir été jugé digne du
Prix Renaudot. Et je ne doute pas un instant de votre bonne foi dans cette curieuse
histoire. Mais je ne peux faire autrement, vis-à-vis de Marcel DUHAMEL et de son
traducteur, que de vous demander de veiller à ce que M. OUOLOGUEM modifie son
texte en cas de réimpression.
Je vous prie de croire, Cher Ami, à mes sentiments les meilleurs.
Claude Gallimard115
Schwarz-Bart, Paul-André Lesort116, s’est avisé des démarquages à la sortie des presses du
Devoir de violence117.
119 Quand l’editor du Devoir de violence se rend-il, lui, compte du jeu de miroir entre la fresque
de Schwarz-Bart et celle de Ouologuem ? Tôt, va-t-il l’admettre. Mais il n’y voit pas une
difficulté majeure et ne juge pas nécessaire d’en avertir, sinon vaguement, André
Schwarz-Bart dont il est également l’éditeur pour un roman paru en 1967118. Le manuscrit
entre en fabrication le 14 mars 1968. En juillet, le livre est imprimé. À sa sortie des
presses, François-Régis Bastide envoie à Schwarz-Bart un exemplaire du Devoir de violence
accompagné d’une lettre – que l’on ne possède plus – où il signale les deux emprunts
aperçus par Paul-André Lesort.
120 André Schwarz-Bart reçoit le livre le 7 août, le lit et, de Lausanne où il habite alors, réagit
le 16 dans une lettre dont on cite toujours – à commencer par Paul Flamand comme on l’a
vu – un extrait de la première partie, mais jamais la deuxième partie, inédite :
Lausanne le 16.8.68
Mon cher Bastide,
Aux premières pages du livre, j’ai cru qu’il s’agissait d’une parodie du Dernier des
Justes, je me suis trouvé violemment heurté, choqué même, par une cruauté si
soutenue qu’elle m’a paru de système. Et c’était normal, car un tel cri n’avait pas
encore jailli d’Afrique, à ma connaissance. C’est donc surtout en deuxième lecture
que j’ai pu prendre la mesure de ce livre, qui est une chose considérable. Il ne s’agit
pas seulement de beaux endroits, comme tu le dis. L’œuvre est toute entière
traversée d’un même frisson. Il est vrai que ce frisson se relâche, parfois, lorsque la
transe onirique fait place à l’observation courante. Ainsi, dans certains passages
d’Europe, plus particulièrement. Mais tel quel, avec ses défauts de jeunesse, ce livre
marquera, sans doute, une date dans la littérature africaine. Quant à la langue,
lorsque l’auteur se sent chez lui, et rêve à son aise, cette langue devient royale. Je
ne sais si l’Afrique de Ouologuem est l’Afrique, ce qui regarde les spécialistes ; mais,
à coup sûr, nous nous trouvons devant une rêverie merveilleusement africaine sur
l’Afrique : ce qui nous regarde tous, gens d’Afrique et d’ailleurs.
Quant à l’utilisation faite du Dernier des Justes, elle ne me gêne en aucune manière.
Comme je l’ai dit à Monique Nathan, le jour de la réception du livre et de ta lettre, 7
août dernier, j’ai toujours vu mes livres comme des pommiers, content qu’on mange
de mes pommes, et content qu’on en prenne une, à l’occasion, pour la planter dans
un autre sol. À plus forte raison, suis-je profondément touché, bouleversé, même,
qu’un écrivain noir ait pu prendre appui sur le Dernier des Justes pour faire un livre
tel que Le devoir de violence. Ainsi donc, monsieur Ouologuem n’est pas mon
débiteur, mais moi, le sien. Tout ce que je regrette, c’est qu’il n’ait pas jugé utile de
m’adresser jamais le moindre mot.
Mais je ne connais pas Ouologuem, il n’est pas mon ami. Et tout serait parfait si son
livre avait paru n’importe où, sauf au Seuil.
Ce qui me gêne, vois-tu, ce qui m’offense, c’est ton mutisme tout au long de
l’élaboration de ce travail. Écrivain toi-même, tu sais que ton devoir était de
m’avertir dès que tu eus connaissance de ce projet. D’autant, et tu le sais aussi, que
ma femme et moi travaillons à un projet voisin depuis huit ans 119. Il se trouve, mais
tu l’ignorais, que le livre de Ouologuem ne gêne en rien le nôtre. Il se trouve
également, mais tu l’ignorais aussi, que, Simone et moi, depuis toujours, avons pour
conviction que jamais livre n’en a gêné un autre. Ceci posé, ton attitude se présente,
sinon comme un abus de confiance, du moins comme un « cachotterie »
incompréhensible, et que je trouve ridicule, et qui me blesse. Je ne puis voir dans ce
silence, et dans cette mise devant le fait accompli, qu’un geste inamical à mon
endroit ; et désinvolte, pour le moins, vis-à-vis de mon travail. Et maintenant, à qui
pourrai-je accorder confiance et amitié, dans cette maison que je considérais
mienne, le Seuil, alors qu’il ne s’est pas trouvé une seule personne parmi vous pour
amical.
François-Régis Bastide
122 À n’en pas douter, un des nœuds du processus éditorial à l’intérieur du Seuil, se trouve là.
Dans l’attitude de François-Régis Bastide où il est impossible de distinguer entre la faible
prise de conscience des risques de plagiats, l’assomption de ces risques dans une tradition
littéraire où les plagiats reconnus et même revendiqués sont loin d’être rares (de Racine,
comme Bastide le dit ailleurs, à Lautréamont qui les défend122) et la légèreté à l’égard du
principal auteur copié.
123 Le mal, en tout cas, est fait du côté d’André Schwarz-Bart qui, blessé par les réactions de
la communauté juive à la parution du Dernier des Justes, se sent trahi123 par son éditeur – et
dépossédé par un autre auteur – au moment où il essaie de contourner la thématique
juive par le biais d’une tragédie symétrique à ses yeux, celle de l’esclavage des peuples
noirs.
124 La collaboration d’André Schwarz-Bart, tout comme de son épouse Simone, avec Le Seuil
se poursuivra cependant, même au-delà de la mort d’André, avec la parution des œuvres
posthumes.
125 Mieux, malgré sa blessure, André Schwarz-Bart confirmera qu’il ne souhaite porter aucun
tort à Yambo Ouologuem lors d’un épisode avec la presse suisse, dont on se dit que s’il
avait abouti, l’histoire du Devoir de violence aurait été différente : l’ « affaire Ouologuem »
n’aurait sans doute pas attendu 1972 pour éclater, ni la Grande-Bretagne et les États-Unis
où le roman n’aurait peut-être pas été traduit.
126 Le 6 décembre 1968, dans une lettre124 à François-Régis Bastide, Franck Jotterand,
rédacteur en chef de La Gazette Littéraire, supplément de La Gazette de Lausanne, relaie les
réactions de lecteurs et d’un des rédacteurs de la Gazette ayant remarqué une
« inspiration » du Devoir de violence dans Le Dernier des Justes d’André Schwarz-Bart. Il
mentionne aussi le cycle que ce dernier a entrepris avec Un plat de porc aux bananes vertes :
une « grande et mystérieuse geste des Noirs ». Et il pose trois questions à Bastide :
Pourquoi avez-vous publié ce livre ?
Comment expliquez-vous ses ressemblances avec le Dernier des Justes ?
Pensez-vous que la littérature actuelle pourrait devenir en quelque sorte collective
ou anonyme comme au Moyen Âge en reprenant des formes ou des thèmes connus
pour les adapter à des situations diverses ?125
127 Mais treize jours plus tard, Franck Jotterand écrit une nouvelle lettre où il se rétracte, à la
demande même d’André Schwarz-Bart :
Cher Monsieur,
A la suite de la lettre que je lui avais adressée aux Editions du Seuil, M. André
Schwarz-Bart m’a demandé de ne pas publier l’enquête que j’avais entreprise au
sujet des ressemblances entre « Le devoir de violence » et « Le dernier des justes ».
J’estime trop cet auteur et ses livres pour ne pas tenir compte de ses désirs. Il craint
en effet qu’un débat ne suscite des réactions anti-africaines et ne nuise à la carrière
d’un écrivain qu’il estime beaucoup. Pour la première fois, m’écrit-il, on voit naître
une littérature africaine francophone, débarrassée des complexes blancs. Il ne faut
rien faire pour la décourager. Ces raisons me paraissent pertinentes. [...] 126
La pudeur de faire mention publique de ma vie privée, d’ailleurs sans intérêt public,
voilà qui, sans doute, devait contribuer à créer des malentendus. Ceux-ci, je tiens à
le répéter, preuve à l’appui, ne relèvent nullement de malheureux concours de
circonstances.
Le malheur nous rend simples et humbles, mais non salauds ; c’est pourquoi [si ?]
écrire dans le malheur (écrit-on jamais heureux ?) c’est toujours désespérer de la
pureté, au terme d’une densité d’être, mon honnêteté importune m’a poussé à les
évoquer, ces circonstances, lors de mon déjeuner après l’attribution du prix, avec
les membres du jury Renaudot.
Aussi devais-je dès lors choisir le silence, sachant que le temps parlerait et
m‘autoriserait enfin à mieux faire comprendre l’acte manqué d’un déjeuner dont le
Seuil m’avait honoré.
Bien à vous,
[signature manuscrite : Y. Ouologuem]
133 Les trois feuillets historiques dont Ouologuem parle dans cette lettre concernent, suivant
des chroniques portugaises des XVIe et XVIIe siècles, les conversions massives réalisées au
royaume du Kongo. Sous réserve d’analyse plus développée, ces sources historiques ont
été utilisées pour la mise en scène de la visite au Nakem de l’évêque Thomas de Saignac et
des baptêmes de foule dans la troisième partie du Devoir de violence, « La Nuit des géants ».
Elles peuvent aussi avoir irrigué les luttes de succession dans la dynastie des Saïfs. Dans
les deux cas, le lien n’est pas direct, la source étant seulement inspiratrice et ne
nécessitait pas de référence explicite.
134 Quant à la référence à Lettre à la France nègre, elle concerne, au sein de ce dernier ouvrage
et plus précisément dans le chapitre « Lettre aux pisse-copie nègres d’écrivains
célèbres », la mention de John Mac Donald134 au rang des auteurs sur lesquels un « pisse-
copie » doit, selon Ouologuem, se fonder pour devenir « nègre d’écrivains célèbres 135 » ou
« plumassier de la paperasse136 ». Sur la page, l’auteur a entouré au crayon rouge le nom
de l’écrivain américain, indiquant par là ses sources, sans que cela démontre, pour autant,
on doit le noter, que la référence ait été explicite dans le manuscrit du Devoir de violence.
Page numérisée de Lettre à la France nègre où Y. Ouologuem a entouré au crayon rouge le nom de
John MacDonald
135 On ne possède pas la réponse éventuelle de Paul Flamand à cette lettre de Ouologuem.
Mais on en détient une autre, datant de 1972, au moment du déclenchement de l’affaire :
Votre singulière attitude me laisserait croire que vous avez sciemment provoqué
des difficultés avec des éditeurs étrangers afin que ces derniers n’apportent point la
collaboration nécessaire à la marche de l’expertise137 en cours, ou puissent exciper
de pertes artificiellement créées, dont vous seriez d’ailleurs seuls responsables 138.
136 Le même jour, 18 juillet 1972, l’Agence France Presse (AFP) publie un communiqué qui
déclare que
Yambo Ouologuem accuse son éditeur Le Seuil d’avoir déclenché une campagne de
presse afin de le salir pour ne pas payer les droits qui lui étaient dus. Yambo
Ouologuem a affirmé que l’éditeur avait « de toute évidence » supprimé des
guillemets en éditant son livre139.
137 Désormais, c’est sur les comptes que Ouologuem s’en prend au Seuil. Par ailleurs, depuis
le début de l’année, il cherche à se libérer de son contrat pour poursuivre ses contacts
avec les autres éditeurs, tel Fayard : « En conséquence [des agissements du Seuil et des refus
opposés à plusieurs de ses manuscrits] l’application du contrat du 11 octobre 1967 ne peut
être invoqué par vous et [...] nous avons tous deux repris notre liberté.140 »
138 Plus largement, Ouologuem commence à prendre ses distances avec la France.
Physiquement. Géographiquement. Il séjourne de plus en plus souvent au Mali. La
dépêche de l’AFP commence par les mots « Yambo Ouologuem séjourne actuellement au
Mali où il s’est rendu au chevet de son père malade. » Le 10 novembre 1972, l’écrivain
écrit aux Éditions du Seuil – il dépersonnalise et institutionnalise de plus en plus ses
échanges – via le consul du Mali à Paris : « À toutes fins utiles, vous voudrez bien
désormais m’écrire à l’adresse de l’Ambassade de la République du Mali, dont je suis le
citoyen.141 »
139 Peu à peu, Ouologuem devient introuvable. En tout cas pour les Français. « [Yambo
Ouologuem] a complètement disparu de la circulation. Son propre avocat le recherche sans
savoir où il se trouve142 », note Paul Flamand dans une lettre à l’éditeur américain du
Devoir de violence. Les autorités maliennes, de leur côté, refusent de servir
d’intermédiaires : « Le Consul refuse de recevoir sa correspondance et nous l’a
retournée », ajoute Flamand dans la même lettre. Les accusations de complot et
d’empoisonnement qu’aurait subis Ouologuem naîtront plus tard dans son entourage et
dans les milieux maliens, à partir des circonstances imprécises de son départ de France 143.
Arrestation à la suite d’un esclandre sur la voie publique, internement, renvoi de France :
entre les témoignages et l’établissement strict des faits, il est difficile de faire la part tant
que ne seront pas rendus publics les documents probants.
140 En novembre 1973, Yambo Ouologuem semble en tout cas faire signe de vie et
réapparaître en France. Dans une note à Paul Flamand, François-Régis Bastide rend
compte d’un « long coup de fil » qu’il a eu avec une fonctionnaire du ministère des
Affaires culturelles : « Ouologuem, dit-elle, voulait absolument voir le Ministre. Il est resté
très longtemps dans la salle d’attente, puis au cabinet. Sa thèse est que nous l’avons
escroqué. Il demande justice à la République144. »
141 Dans les dossiers du Seuil à l’IMEC, ce sera, pour un temps, la dernière trace d’échanges
avec Ouologuem. Le 31 janvier 1975, cependant, Yambo Ouologuem réactive ses contacts
avec le monde éditorial français. Depuis Sévaré, au Mali, il écrit à Paul Flamand :
Référence : Affaire
Les Pèlerins de Capharnaüm
Monsieur le Directeur,
J’ai l’honneur de vous prier de bien vouloir trouver ci-joint copie de la lettre que
j’adresse ce jour à la Librairie Fayard, en vue d’une rencontre à trois entre Monsieur
Alex Grall, vous-même et moi, afin de mettre un heureux terme à la situation que
vous savez, et qui n’eut pu être autrement résolue plus tôt pour les raisons que vous
trouverez dans ma lettre à la librairie Fayard.
Que Dieu vous garde,
Yambo Ouologuem145
142 Ouologuem cherche à dénouer le conflit né trois ans plutôt quand il a présenté aux
Éditions Fayard le manuscrit des Pèlerins de Capharnaüm, alors qu’il était sous contrat avec
Le Seuil pour les romans.
143 La lettre à Alex Grall – directeur de Fayard – mise en copie de la missive à Flamand donne
pour « adresse personnelle : Yambo Ouologuem s/c Monsieur Boucari Ouologuem –
inspecteur d’Enseignement – Sévaré (Mopti) République du Mali » et annonce la venue
prochaine de l’écrivain :
Par la présente, j’ai l’honneur de vous confirmer à vous même comme au Seuil que
je serai en personne à Paris dans trois mois au plus tard afin de mettre, pour
l’honneur de l’édition française comme pour l’honneur de la France et le mien
propre, un heureux terme à la situation que vous savez – et qui, indubitablement,
réjouira autant la réputation des Editions du Seuil que celle de la Librairie Fayard.
144 Le voyage sera retardé de près d’un an. Le 4 mars 1976, un carton manuscrit146 signé
Yambo Ouologuem lors d’un passage à l’improviste (selon toutes les apparences) aux
Éditions du Seuil, fait savoir qu’il est à Paris et qu’il repassera la même journée « afin de
venir aux nouvelles et trouver un heureux terme à ladite situation – pour l’agrément de
Dieu147 et de tous ». « Je vous demande ce que vous comptez faire pour me permettre de
reprendre mes activités, grâce à vous, dans le domaine des œuvres d’imagination », écrit-
il le 20 mars148.
Mot de Yambo Ouologuem de passage au Seuil le 4 mars 1976, une des dernières traces d’échange
entre l’auteur et l’éditeur
145 Une réunion avec Fayard se prépare et les termes d’un accord éventuel se discutent à
l’intérieur des Éditions du Seuil, ainsi qu’avec leur Conseil, Me Georges Kiejman. Le Seuil
prend contact avec Fayard. Une réunion tripartite (Seuil, Fayard, Ouologuem) a lieu le 29
avril 1976 à 16 heures149. Le 3 mai, Paul Flamand écrit à Kiejman :
Comme transaction, j’ai proposé, pour enterrer la hache de guerre que, d’une part,
Ouologuem retire la plainte qu’il a déposée contre nous et qui suit son cours, et
d’autre part, que le Seuil renonce à son droit de suite. Il a semblé, à la suite d’une
discussion extravagante que Ouologuem était d’accord et qu’il préviendrait ses
Avocats qui se mettraient en contact avec vous pour les termes d’un tel protocole.
Mais le fera-t-il150 ?
146 Le 13 mai, Georges Kiejman écrit à Paul Flamand :
Aff. LE SEUIL C/ OUOLOGUEM
Cher ami,
Je prends note des derniers développements de l’affaire Ouologuem mais comme
vous, je ne puis qu’attendre151.
147 Les dossiers du Seuil ne possèdent pas de trace de contact avec Ouologuem au-delà de ce
mot. Le Devoir de violence continuera à être imprimé et vendu, « selon un rythme tout à fait
honorable152 ». En mars 1970, une note de Paul Flamand à la fabrication a pourtant fait
savoir, suite à la plainte des Éditions Gallimard (« et d’autres [faits] du même ordre »),
« qu’en cas de réédition le texte devra être complètement revu153 ». Le 26 octobre 1982,
cette note resurgit soudain à la fabrication :
ANNEXES
ANNEXE 1
Lettre du 18 mai 1968 de Yambo Ouologuem à Paul Flamand (IMEC, SEL 3772.2)
Monsieur le directeur,
Mon bon monsieur,
C’est l’impossibilité de pleurer qui entretient en nous le goût de l’authenticité, et la fait
exister encore.
La courbe interminable de l’œuvre que j’aurais voulu écrire pour votre maison d’édition,
est celle là même qui me fait conserver cette fierté verticale qui raffermit mon courage –
cette horreur des gestes qui me préserve des démonstrations. Mais je m’égare, il faut
reprendre les choses à leur point de départ.
Je vous prie de bien vouloir m’excuser pour jeudi ; la commission ne m’a été faite
qu’aujourd’hui : ce dont je suis extrêmement désolé.
J’avais souhaité vous rencontrer pour les raisons suivantes.
Tout d’abord, en ce qui concerne le roman « Le devoir de violence » que vous avez bien
voulu accepter de publier, à la suite d’ennuis de nez cassé et d’yeux touchés par voie de
conséquence (les gaz lacrymogènes de la répression n’ont rien arrangé, bien au contraire)
j’avais cru ne pouvoir remplir mes engagements et revoir les épreuves du roman. Il
semble que c’était une fausse alerte, qui nécessitera une double intervention chirurgicale,
mais ne compromettra pas définitivement ma vue. J’avais pressenti Mr Bastide pour
mener à bien une tâche que je ne croyais guère pouvoir achever. Ce côté ne soulève donc
plus de difficulté.
Mais il y a autre chose, de plus important, dont je voulais vous entretenir lors de notre
première entrevue. Je n’ai pu le faire, alors que c’est la raison précise pour laquelle j’avais
sollicité un rendez-vous. Voici donc.
Il s’agit de notre contrat, auquel j’aurais souhaité des clauses particulières.
Tout d’abord, je veux dire qu’il ne s’agit pas pour moi d’écrire « des » romans : il me faut
un système, à l’échelle de la vision que j’estime être celle des Noirs en général.
N’anticipons pas et ne parlons pas de « négritude ».
Ecrire en effet des « romans » serait à mes yeux faire œuvre de rhapsode plutôt que
d’assembleur. Ce n’est pas que je refuse la forme romanesque comme telle ; mais c’est
plutôt qu’en ce qui me concerne, je la conteste comme inadéquate dans l’optique d’une
œuvre totale, qui n’est pas de me proposer en narrateur d’anecdotes, dont l’ensemble,
romancé, constituerait à créer un muséum de « l’espèce négritudo-épique ».
La couleur historique, je ne la conçois que comme un moyen de surprendre l’attention du
lecteur, en lui donnant une preuve en plus de la vérité d’un conte. Il y a en effet, il faut en
convenir, une sorte de prestige attaché à cette résurrection de l’épopée, avec ses grands
noms, ses mœurs, ses lois, ses évènements ; et l’on a peine à ne pas croire à l’existence
réelle des personnages fictifs, lorsqu’on les voit se mouvoir dans la sphère de ces figures
historiques que l’on sait par cœur. Mais là s’arrête ce que l’histoire doit prêter au roman ;
cela se réduit à un canevas, à un fond de tableau sur lequel il reste à dessiner et à colorer
l’histoire individuelle la plus propre à inspirer l’émotion, avec cependant ceci : le génie
des détails vrais, puisqu’il semble qu’on ne relise une œuvre que pour ses détails.
Ici, permettez une parenthèse. J’ignorais les rapports personnels (tout autant que les
accidents pénibles que avez connus au décès de votre fils) de vous et de Senghor.
Autrement, soyez assuré que si je le savais, je n’aurais pas porté mon manuscrit au Seuil.
Il est en effet des valeurs qu’il faut respecter – et, quelque blasés que nous puissions être,
nous avons chacun une zone d’ombre qui nous vaut d’y venir puiser des forces vives, en
dépit de la dérision totale de l’ordre du monde.
Si donc j’ai incidemment parlé de certains aspects de sa vie, ce n’est guère pour cultiver
l’inédit diffamatoire. Après tout c’est une question de conduite individuelle, qui n’a pas
grand-chose de blâmable en soi, [mot illisible] l’absolu.
Eugène Sue (ce n’est pas une référence, je le sais) a commis l’erreur d’exposer l’histoire de
la lutte de Louis XIV et Cavalier, qui est trop connue, et de ce fait n’intéresse pas le
lecteur. Quand Walter Scott a voulu nous faire vivre avec Marie Antoinette et nous
intéresser à son évasion, il ne l’a pas emprisonnée à Fotheringay, d’où elle n’est sortie que
morte, mais à Loc[h]leven. Ainsi, on voit la primauté du roman sur l’histoire. De même,
Senghor a été reconnu homosexuel davantage à son retour du Sénégal que lors de son
séjour d’études en France. Vous me dites que pareille chose aurait fait du bruit. Mais elle
a fait du bruit, puisque le conseil de notables maliens l’a su de par la bouche des notables
sénégalais, que le « scandale » a été dévié par un soi-disant népotisme dont on accusa sa
politique, pour sauver l’homme. Conséquence directe enfin: lors des avant dernières
élections présidentielles, et quand on a opposé Mamadou Dia à Senghor, on a opposé la
probité et l’intransigeance africaine à l’homosexualité et l’aliénation de l’évolué. Bilan 108
morts lors d’émeutes, avec force grenades lacrymogènes lâchées l’hélicoptères : Senghor
lui même ne recevait plus ses repas que sous bonne garde. Enfin, lors de la scission du
Mali et du Sénégal, cette question de mœurs est revenue sur le tapis. Mieux : les
nationalistes ont accusé Mme Senghor de ne vivre avec Léopold que parce qu’il était
président : d’où railleries interminables sur la moralité des Blanches, que tout Nègre se
respectant devrait fuir. Des contes indigènes, des ballades même illustrent ceci. Senghor a
été obligé (ou s’est cru obligé) de devoir même en parler à la radio !…
Revenons à mon propos, et au but de cette lettre.
L’Afrique se meurt, elle est morte déjà.
Ecrire une suite discontinue de romans serait le plus grand péril pour moi. Je sais que
vous avez l’habitude des livres que vous faites naître, et qui survivent un mois ou un
trimestre. De quoi avoir envie de casser sa plume... Mais vivre, c’est s’aveugler sur soi-
même, en un sourire qui surplombe des paysages anéantis.
Ici encore, permettez-moi un exemple. Il est grandiose, certes, mais pas inutile. Schwarz
Bart, après le « Dernier des justes », en effet, n’a-t-il pas commis l’impardonnable erreur
de cultiver un misérabilisme facile en fabriquant « Un plat de porc aux bananes vertes » ?
Il est certain qu’une véritable intransigeance à l’égard de soi lui eût évité de se désavouer
si grossièrement. On me dira que je ne suis pas Schwartz Bart : je ne cherche qu’à être
moi. On me dira que je ne suis pas Juif : mais être Nègre, c’est précisément avoir la chance
d’être le plus sale des Juifs. Ici, je saisis pourquoi l’auteur du « Dernier des Justes » a dévié
vers « les Nègres ». N’était ce pas d’ailleurs, en 1964, je crois, le titre qu’il proposait de
donner à un roman qu’il n’a sorti que bien plus tard ?
Le mouvement de cette démarche est assez significatif. Tournez les yeux vers Glissant.
« La Lézarde » approche le problème de l’épique, dans lequel le personnage principal sert
uniquement de centre extérieur autour duquel les évènements gravitent. Mais Glissant a
cultivé sa propre cuisine, appauvrissant son écriture – je veux dire la sève vive qui frappe
les grandes créations – dans la spécialité formelle et historico-sociale du « Quatrième
Siècle ».
Je sais bien que ce ne sont pas là des choses, peut-être, qu’il faille dire tout haut. Mais j’y
suis bien contraint ; faute de quoi, en écrivant des « fragments », c’est à dire des romans
sans le système d’une espèce de « Comédie Humaine », je risque tout simplement d’être le
concierge attardé d’une forme de littérature négro-africaine, fort inégale dans ses
tentatives, et, de toute façon, vouée à être une espèce de continuation directe du grand
roman social réaliste du 18e siècle – lié à la situation post révolutionnaire (pré-
révolutionnaire ?) de l’Afrique.
Or, je le crois, les énormes transformations politico-sociales ont éveillé le sens de
l’Histoire, non pas seulement en Afrique, mais dans le « Tiers-Monde » tout entier.
Je sais bien que, de par ma littérature (et par les larges concessions qu’elle fait à l’action, à
l’épopée qui occasionne comme une subversion radicale des valeurs, conditionnant ainsi
une contestation critique, voire une adhésion motivée), le monde ne s’en trouvera pas
modifié, alors que le monde n’était plus le même après le voyage d’Ulysse. C’est pour cela
que je conçois mes personnages sous une ampleur épique – malgré toutes les césures de
style ou de présentation – faisant en sorte que ces personnages s’accomplissent, se
dépassent et transcendent une réalité qui semblait les définir complètement. Du même
coup, la réalité ou l’irréalité du monde qui les entoure apparaît, je crois, plus clairement
après leurs actions épiques. Le reste est question de métier propre à donner un substrat
romanesque à l’expérience créatrice. De là aussi, indirectement il est vrai, le rôle
prépondérant de l’ironie, arme de la satire d’autant plus que je répugne à l’invective et à
la dénonciation enragée. Et l’attaque ironique, prudente, feutrée, est comme un hommage
au lecteur, jugé assez intelligent pour saisir les sous-entendus. Il est dans ces conditions
évident que je ne crois pas avoir la niaiserie de penser qu’un livre a une quelconque
« couleur raciale », en raison de laquelle un éditeur investirait les capitaux d’une édition.
Bref, ce que je voudrais que vous m’accordiez ; c’est un contrat avec des clauses
particulières : fixer le nombre de titres de romans que je publierai à la suite du premier,
non pas à 5, mais à 15 ; ensuite, avoir le droit non pas à 2 mais à 3 refus de manuscrit pour
reprendre ma « liberté ».
Il ne s’agit pas, je vous l’ai expliqué, je crois, de s’enfermer dans la gaudriole de la
« négritude » et de ses éventuelles incidences épiques. Il s’agit de ne pas se condamner,
dès le départ, à amener les briques isolées d’un édifice épars.
Et c’est là un premier travail fondamental que de s’entendre bien sur cette optique
littéraire. J’avais déjà mis en sous titre, dès « le devoir de violence », « La chair des
civilisations ». Ce titre « La chair des civilisations » est la désignation générale de
l’ensemble des 15 volumes que je veux écrire pour vous. J’envisage encore deux titres
centrés sur l’Afrique ; ensuite, ce sera de façon incidente. Il y faut les États Unis,
ANNEXE 2
Article d’Eric Sellin dans Research in African Literatures, Automne 1971, Vol. 2, no II,
p. 117-120
OUOLOGUEM’S BLUEPRINT FOR LE DEVOIR DE VIOLENCE
Yambo Ouologuem, the Malian novelist, recently barnstormed in America in connection with the
publication of the English translation of his work, Bound to Violence. Numerous articles in the
leading newspapers celebrated the author whose vigorous novel had captured the imagination of
French and American critics and had already received the coveted Prix Renaudot in 1968 when
published in French by Editions du Seuil under the title Le Devoir de violence. Its American
billing as “the first truly African novel” appeared unassailable. Ouologuem not only showed a New
York Times interviewer his many “authentic” sources (photographs, ancient documents, and the
like) but appeared on the Today Show to state, among other things, that he “wrote this book in
French but followed the traditional African rhythms and the spirit of the African past”. That the
work is not fundamentally autochthonous in its rhythms and in its genesis will come as a surprise
to most readers. It did to me.
In the summer of 1970, when I asked my friend Mohamed-Salah Dembri his opinion of this brilliant
novel, he was less than enthusiastic and said flatly that Le Devoir de violence was no more than
an imitation of André Schwarz-Bart’s Le Dernier des Justes, published in 1959 by the same house
and awarded the Prix Goncourt only to have its authenticity subsequently questioned. Dembri said
that the publisher had even told him that Seuil had commissioned Ouologuem to write an African
Dernier des Justes. It had been years since I had read Schwarz-Bart and it was not until recently
that I had time to give the books a close parallel reading. Imagine my dismay and bewilderment
when I compared the opening of the “first truly African novel” (which I, myself, had glowingly
reviewed in the French Review):
Nos yeux boivent l’éclat du soleil, et, vaincus, s’étonnent de pleurer. Maschallah! oua
bismillah!… Un récit de l’aventure sanglante de la négraille – honte aux hommes de rien
! – tiendrait aisément dans la première moitié de ce siècle, mais la véritable histoire des
Nègres commence beaucoup, beaucoup plus tôt, avec les Saïfs, de l’an 1202 de notre ère,
dans l’Empire africain de Nakem, au Sud du Fezzan, bien après les conquêtes d’Okba ben
Nafi el Fitri.
with the first paragraph of Schwarz-Bart’s history of the Jews:
Nos yeux reçoivent la lumière d’étoiles mortes. Une biographie de mon ami Ernie
tiendrait aisément dans le deuxième quart du XXe siècle ; mais la véritable histoire
d’Ernie Lévy commence très tôt, vers l’an mille de notre ère, dans la vieille cité anglicane
de York. Plus précisément : le 11 mars 1185.
The first section of Schwarz-Bart’s work in entitled “La Légende des Justes”, that of Ouologuem’s
novel, “La Légende des Saïfs”. The rough lay-outs, certain paragraphs, and even the titles
parallel one another remarkably—although less closely than the similarity in opening paragraphs
would portend—right down to the works’ closures where Ouologuem resumes his high fidelity, even
resorting occasionally to assonance where shunning repetition:
Schwarz-Bart : Parfois, il est vrai, le cœur veut crever de chagrin. Mais souvent aussi, le
soir de préférence, je ne puis m’empêcher de penser qu’Ernie Lévy, mort six millions de
fois, est encore vivant, quelque part, je ne sais où… Hier, comme je tremblais de désespoir
au milieu de la rue, cloué au sol, une goutte de pitié tomba d’en haut sur mon visage ;
mais il n’y avait nul souffle dans l’air, aucun nuage dans le ciel… il n’y avait qu’une
présence.
Ouologuem : Souvent il est vrai, l’âme veut rêver l’écho sans passé du bonheur. Mais, jeté
dans le monde, l’on ne peut s’empêcher de songer que Saïf, pleuré trois millions de fois,
renaît sans cesse à l’Histoire, sous les cendres chaudes de plus de trente Républiques
africaines…
… Ce soir, tandis qu’ils se cherchaient l’un l’autre jusqu’à ce que la terrasse fût salie des
hauteurs noirâtres de l’aurore, une poussière chut d’en haut sur l’échiquier ; mais à cette
heure où le regard au Nakem vole autour des souvenirs, la brousse comme la côte était
fertile et brûlante de pitié. Dans l’air, l’eau et le feu, aussi, la terre des hommes fit n’y
avoir qu’un jeu…
The probability that the publisher was aware of the analogy between the two works—as Dembri
averred—would seem only reasonable since Seuil issued both books; furthermore, the possibility
that the intention to imitate originated with the publisher is supported by the similarity in the
cover blurbs. Schwarz-Bart’s work is described as follows: “Glissant de cette légende à la
chronique, puis au romanesque pur, l’auteur nous décrit la vie et la mort souvent
dérisoires des Justes, leur promenade sanglante au long des siècles chrétiens.”
Ouologuem’s reprise is billed thusly: “La promenade des Nègres va de la fresque à la
chronique (1202-1900), puis au romanesque contemporain et au drame souvent dérisoire
des Fils de la Nuit”.1 The supreme irony in the blurb on Ouologuem’s book lies in the publisher’s
declaration that “Dès maintenant, Ouologuem montre tout ce que l’imaginaire africain
peut apporter au roman français.” This is, of course, an equivocal statement and can, as it were,
work both ways. Ouologuem has not, to my knowledge, admitted that he used Le Dernier des
Justes as a blueprint for his novel, but once that fact is obvious, there are many oblique references
in the same spirit as that just quoted which one could interpret as veiled confessions or spoofs, as in
the interview with Mel Watkins in which Ouologuem states:
My novel is not traditional and, although it is based in fact and history, it is not autobiographical. I
wrote the book with references to international examples. Afro-American writers have influenced
its style and there are Greek and Latin references that are intended to heighten its meaning on a
human level. It addresses the problems of all civilizations at specific periods of development; it is
not just an African novel…2
Now, does the derivation negate the value of the work? Or may the writer, as with sonnets, assume
prescribed structures when writing novels and, in good Renaissance style, borrow freely of what he
likes? This opens a whole new area of critical conjecture. I have, however, a bit of advice for
Mr. Ouologuem. The biographical note on the French edition of Le Devoir de violence says that he
is preparing a doctoral thesis in sociology; I would certainly counsel him to avoid in that endeavor
the methodology adopted in the composition of his novel. Furthermore, many of the passages of
Ouologuem’s follow-up Lettre à la France Nègre which an uninitiated reader would admire as
sheer vitriol and righteous indignation can now, in light of Ouologuem’s extensive debt, only be
considered persiflage or pathetic irony.3 Le Devoir de violence is not the first real African novel!
It is as deeply set in European literary tradition as, say, Ferdinand Oyono’s Une vie de boy or
Camara Laye’s L’Enfant noir. I would suggest that Ahmadou Kourouma’s Les Soleils des
Indépendances, also published in 1968 (Presses de l’université de Montréal; reprinted by Editions
du Seuil, 1970), is a much more profoundly African novel.
1
The fact that the phrase “Drame –souvent dérisoire –des Fils de la Nuit” later appears in
Ouologuem’s Lettre à la France Nègre (Paris: Nalis, copyright 1968, p. 190) means nothing
because Lettre was printed in 1969.
2Mel Watkins, “Talk with Ouologuem”, New York Times Book Review, March 7, 1971, p. 7
3The essay entitled “Lettre aux pisse-copie, nègres d’écrivains célèbres” (pp. 163-79), with its
formula for literary brain-picking, now emerges not as the satire it appears to be but rather as an
all-too-real modus operandi.
ANNEXE 3
évident que si les faits évoqués par moi avaient été le fruit de mon imagination, mes
frères de race ne m’auraient guère pardonné d’avoir sali les Noirs.
Or, l’accouplement de la Noire et du chien est un fait véridique, comme tous les faits
rapportés par mon roman. (Mr Jean Chalon le sait, puisque c’est lui qui m’a interviewé et
communiqué la substance de mes propos à Mr Robert Kanters.) Le Blanc en question, qui
avait eu connaissance de l’existence au Musée de l’Homme à Paris d’un spécimen inoui
(L’Homme-Chien, en fait un Russe à tête de chien poilu et au corps d’homme) a cherché à
créer le Noir-Chien : par ledit accouplement… Dans ces conditions, mettre le texte de Mr
Greene entre guillemets, c’était non pas faire œuvre de plagiaire, mais ne pas me faire
désavouer par les miens, en plaçant sous l’angle littéraire un fait d’ordre juridique. Les
références à Graham Greene, à Kipling et à d’autres ont été publiquement données par
moi au New York Times, au New-Yorker et ailleurs, lors de conférences tant auprès de
professeurs que de diverses Black Studies Programs. « Si Graham Greene avait assisté à
la scène, voilà comment il aurait pu la décrire. » Pourquoi Graham Greene ? Parce que
l’auteur du Fond du problème et des Comédiens est le rare Blanc qui aie l’objectivité
lucide des écrivains concernés par l’Afrique de l’incompréhensible, par Haïti
inconcevable. La question fondamentale que je pose à travers ces techniques et qui n’a
échappé à aucun lecteur ou critique averti, ni a fortiori aux membres du jury Renaudot,
lesquels ne sont guère illettrés, est celle-ci : « Dans un monde de violence où le “devoir
d’amour” est passé dans le domaine du mensonge, qui aidera le Noir à sortir de la
condition qui est la sienne ? Ce n’est certes pas l’éditeur du Devoir de violence avec
lequel je suis en conflit et auquel j’ai refusé mon deuxième roman.
Il est peu reluisant que nous soyons actuellement en discussion pour des histoires de
comptes. Ce n’est donc pas Yambo Ouologuem qui emprunte aux riches, ce sont les riches
qui empruntent à Yambo Ouologuem : en lui faisant assumer, contrairement aux règles de
l’édition, les détails matériels de remerciements d’usage aux membres du jury Renaudot.
Et il est significatif que cet éditeur plaide coupable en mon nom sans même m’interroger,
et que, sans la moindre réclamation de Mr Graham Greene, il retire mon livre de la vente
dans le monde entier.
Yambo Ouologuem
NOTES
1. Jusqu’à la révélation éventuelle d’archives inédites laissées par Yambo Ouologuem.
2. L’auteur remercie, à cet égard, Le Seuil, en particulier Olivier Bétourné, Directeur des Éditions
jusqu’en avril 2018, Hugues Jallon, qui lui a succédé et Frédéric Mora, Directeur éditorial du
département littérature française, pour leur confiance accordée lors de la consultation du fonds
du Seuil à l’IMEC et leur autorisation à la publication, ci-après, des documents de ce fonds. À ces
remerciements, l’auteur associe l’IMEC, André Derval, Directeur des collections, et Albert Dichy,
Directeur littéraire, pour leur soutien.
3. Cette étude complète ainsi la thèse de Sarah Burnautzki, Les Frontières racialisées de la littérature
française : Contrôle au faciès et stratégies de passage, menée à l’École des Hautes Études en Sciences
Sociales et à la Ruprecht-Karls Universität Heidelberg et publiée sous ce titre chez Honoré
Champion, Paris, en 2017. Première chercheuse à consulter intégralement les dossiers du Seuil à
l’IMEC, Sarah Burnautzki les a ensuite exploités – avec une restriction quant à leur reproduction (
op. cit. p.36) – en décrivant, dans les rapports entre Yambo Ouologuem et Marie NDiaye d’une
part, le monde littéraire français d’autre part, « l’existence d’une ligne de couleur servant à
contrôler un ordre littéraire inégalitaire », « un espace littéraire subjugué par des rapports de
pouvoir racialisés » (présentation de l’éditeur). Sans nier quelque légitimité à cette thèse, la
présente étude s’écarte de son approche par la primauté donnée à l’exposition – rendue
désormais possible – des documents eux-mêmes, présentés de manière la plus large et la factuelle
possible et sollicités pour constituer d’eux-mêmes le récit de la genèse éditoriale et de la
réception du Devoir de violence. Laissant donc à la lectrice et au lecteur, chercheur(se) ou non, le
soin de les interpréter.
4. IMEC, SEL 3772.2.
5. Ibid.
6. En 1960, semble-t-il, l’été même où le Mali devient indépendant.
7. Ce que confirme la recherche menée par Sarah Burnautzki, op. cit. p. 35, dans les Archives de
Paris, dossiers d’élève du lycée Henri IV, 1371 W 160-163 (1960).
8. Entretien du 6 février 2018 avec François Dalbard, compagnon d’hypokhâgne. Le nom de
Dalbard est attribué à un personnage (prénommé Jean-Luc) du Devoir de violence (Seuil, 2018,
Troisième partie, à partir de la page 166).
9. Sarah Burnautzki, op. cit. p. 35, n’a pas trouvé trace, dans les Archives de Paris, d’une
inscription de Yambo Ouologuem en deuxième année de classe préparatoire au lycée Henri IV.
10. IMEC, SEL 3772.2.
11. La transcription des documents présents dans le présent article suit fidèlement les originaux,
graphies, lacunes et erreurs comprises.
12. Note de lecture signée « TREMBLAY », communiquée à l’auteur le 8 décembre 1964. IMEC,
SEL 3772.2.
13. Ibid.
14. IMEC, SEL 3772.2.
15. Qui y publia Cahier d’un retour au pays natal en 1956.
16. IMEC, SEL 3772.2.
17. La version définitive date du XIIIe siècle les prémisses du récit, mais il est vrai que celui-ci
débute réellement au XVIe siècle.
18. Les titres définitifs seront : I. La légende des Saïfs, II. L’extase et l’agonie, III. La nuit des
géants, IV. L’aurore.
19. IMEC, SEL 3772.2.
20. François-Régis Bastide (1926-1996), éditeur, animateur radio (notamment au « Masque et la
Plume » où il recevra Yambo Ouologuem après l’attribution du prix Renaudot au Devoir de violence
qu’il aura lui-même édité). Auteur de nombreux livres, dont Les Adieux (Paris, Gallimard, 1956),
roman qui obtient le prix Femina.
21. Jean Cayrol (1911-2005), poète, romancier (prix Renaudot 1947), scénariste (Nuit et brouillard
d’Alain Resnais, 1956) et réalisateur.
22. Le nom, déjà mentionné de cette manière dans une autre note de lecture, deviendra Nakem
dans la version définitive.
23. On ne sait si Cayrol se trompe ici (car le roman commence bien plus tôt) ou met l’accent sur
cette période qui occupe l’essentiel du roman.
24. Rien dans les dossiers n’indique explicitement si François-Régis Bastide s’est rangé
tardivement à l’avis de Jean Cayrol ou si ce dernier est venu, au contraire, le soutenir. Dans ce
cas, la lettre de refus signée de F.‑R. Bastide refléterait un avis collectif, celui, par exemple, du
comité de lecture.
25. IMEC, SEL 3772.2.
26. Ibid.
27. Ibid.
28. Ce qui ne signifie pas l’impression, mais implique la préparation de la copie, la composition,
les corrections, la mise en page, les épreuves d’auteur, jusqu’à l’impression et le brochage.
60. Les Moissons de l’amour, sous le pseudonyme de Nelly Brigitta, Paris, Éditions du Dauphin, 1970.
61. On se reportera à l’analyse que Sarah Burnautzki fait de ces deux « romans d’amour » et des
échos entre eux et Le Devoir de violence (Les Frontières racialisées de la littérature française, op. cit.
p. 172 et p. 347‑364).
62. Ce que conteste sa directrice, Anne Tromelin, dans un entretien avec Céline Gahungu
(Université Paris 4, ITEM) en juin 2017.
63. L’auteur remercie Céline Gahungu des informations communiquées sur ce roman inédit,
qu’elle a étudié dans les dossiers du Seuil à l’IMEC, et sur lequel elle publiera plus tard ses
analyses. On lira aussi ce qu’en dit Sarah Burnautzki, op. cit., p. 175.
64. IMEC, SEL 3907.2.
65. IMEC, SEL 3907.5.
66. Ce que contredisent les lettres et notes antérieures.
67. Lettre manuscrite de Y. Ouologuem à F.-R. Bastide, 26 août 1969. IMEC, SEL 3907.5
68. Lettre de P. Flamand à Y. Ouologuem, 3 juin 1970. IMEC, SEL 3772.2
69. IMEC, SEL 3772.2.
70. Ibid.
71. Bound to Violence, traduction de Ralph Manheim, « A Helen and Kurt Wolff book », New York,
Harcourt Brace Jovanovich, 1971.
72. IMEC, SEL 2923.3.
73. Ibid.
74. Lettre de Helen Wolff à Paul Flamand, 12 août 1971. IMEC, SEL 2923.3.
75. Lettre de Jacqueline Lesschaeve à Georges Borchardt, 28 juillet 1971. IMEC, SEL 2923.3.
76. Ibid.
77. À titre de repère, les dédommagements que réclameront les éditeurs américains au Seuil
après les accusations de plagiat seront légèrement inférieurs à cinq mille dollars.
78. Lettre de P. Flamand à G. Borchardt, 6 août 1971. La somme de 30.000 dollars est confirmée
dans une lettre de ce dernier, 16 août 1971. IMEC, SEL 2923.3.
79. Un des trois partenaires de la maison éditrice de Bound to Violence, Harcourt Brace Jovanovich.
80. Lettre à P. Flamand, 5 août 1971. IMEC, SEL 2923.3.
81. Mot de G. Borchardt à J. Lesschaeve, 3 août 1971. IMEC, SEL 2923.3.
82. Lettre de B. Gordey, éditeur de Doubleday, à P. Flamand, 14 septembre 1971. IMEC, SEL 2923.3.
83. Lettre de H. Wolff à P. Flamand, 12 août 1971. IMEC, SEL 2923.3.
84. Bound to Violence, traduction de Ralph Manheim, Londres, Secker and Warburg, 1971.
85. Dixit Tom Rosenthal, de Secker & Warburg, note. IMEC, SEL 2923.3.
86. Lettre de B. Gordey à P. Flamand, 14 septembre 1971, art. cit.
87. Également plusieurs fois ministre sous les présidences de François Mitterrand.
88. It’s a Battlefield, Londres, William Heinemann, 1934. C’est un champ de bataille, Paris, Laffont,
1953.
89. La Ferme africaine, Paris, Gallimard, 1942. Le livre sera adapté au cinéma par Sidney Pollack
sous le titre Out of Africa (1985).
90. Pour indiquer que les ressemblances ne sont pas le fait du traducteur Ralph Manheim.
91. P. Flamand à Y. Ouologuem, lettre recommandée avec accusé de réception du 29 mars 1972.
IMEC, SEL 2923.8.
92. Puisque c’est ce dont l’auteur était accusé, on emploiera généralement ici le terme de
« plagiat », en réservant à d’autres études l’analyse littéraire en profondeur de ce que sont les
« emprunts » de passages à d’autres œuvres, parfois subtilement réécrits et transposés de façon
complexe, par Yambo Ouologuem dans Le Devoir de violence au sein de ce qu’il décrit lui-même
comme un « système ».
93. Paris, L’Harmattan, coll. « L’Afrique au cœur des lettres », avant-propos de J.-P. Orban, 2011.
Titre original : Africa Writes Back, the “African Witers Series” and the Launch of African Literature,
Oxford, James Currey Publisher, 2008.
94. Ibid., p. 136.
95. Ibid., p. 137. Et lettre de Graham Greene à Paul Flamand, 1er juin 1972, dans laquelle il
n’accable pas Le Seuil, ayant toujours cru, écrit-il, à leur bonne foi. L’ironie est davantage dirigée
contre Yambo Ouologuem. IMEC, SEL 2923.8
96. Lettre de Tom Rosenthal. IMEC, SEL 2923.8
97. Lettre de P. Flamand à Y. Ouologuem déjà citée du 29 mars 1972 et lettres de P. Flamand aux
éditeurs étrangers dans IMEC, SEL 2923.8.
98. Lettre à Tom Rosenthal. IMEC, SEL 2923.8.
99. Lettre à Georges Borchardt, 4 mai 1972. IMEC, SEL 2923.6.
100. Lettre de Paul Flamand à Yambo Ouologuem, 13 mars 1973. IMEC SEL 2923.8.
101. « Ouloguem’s Blueprint for Le devoir de Violence », dans Research in African Literatures,
Automne 1971, Vol. II, no 2, p. 117-120. Article complet et original en annexe 2.
102. Le Figaro littéraire, no 1356, 13 mai 1972.
103. Texte complet de la réponse de Yambo Ouologuem en Annexe 3.
104. Lettre de Paul Flamand à Helen Wolff, 4 mai 1972. IMEC, SEL 2923.6 et 2923.8.
105. Lettre de Paul Flamand à Georges Borchardt, 4 mai 1972. IMEC, SEL 2923.6.
106. Lettre de Paul Flamand au Times Literary Supplement, 9 mai 1972. IMEC, SEL 2923.6. Cette
lettre sera publiée en anglais dans le TLS du 19 mai 1972.
107. « Qui a rédigé le “prière d’insérer” imprimé au dos du devoir de violence ? », « Est-ce que le
livre de Ouologuem est paru dans plus ou moins le même état où il se trouvait lorsque l’auteur a
offert le manuscrit aux Editions du Seuil ? », « Puisque vous étiez au courant au plus tard le 16
août 1968 [...], j’aimerais savoir si votre maison aurait signalé les “échos” au Jury du Prix [
Renaudot]. » Lettre d’Eric Sellin à Paul Flamand, 20 juin 1972. IMEC, SEL 2923.8.
108. Lettre de Paul Flamand à Eric Sellin, 3 juillet 1972. IMEC, SEL 2923.8.
109. Lettre d’Eric Sellin à Paul Flamand, 6 juillet 1972. IMEC, SEL 2923.8.
110. Lettre de Mme A. (nom réduit ici aux initiales), 29 janvier 1969, IMEC, SEL 3772.2
111. Lettre de J.-F. D. (nom réduit ici aux initiales) au Seuil, 29 novembre 1968. IMEC, SEL 2923.9.
112. Réponse de F-R. Bastide au précédent, 4 décembre 1968. IMEC, SEL 2923.9.
113. Lettre de P.B. (nom réduit ici aux initiales) au Seuil, 26 mai 1969. IMEC, SEL 2923.9.
114. Réponse de F.-R. Bastide au précédent, 6 juin 1969. IMEC, SEL 2923.9.
115. Lettre du 5 février 1970. IMEC, SEL 2923.9.
116. Qui deviendra l’editor de Ouologuem pour Les Pèlerins de Capharnaüm.
117. Voir supra.
118. Un plat de porc aux bananes vertes, cosigné avec Simone Schwarz-Bart, Le Seuil, 1967.
119. Peu après la parution du Dernier des Justes en 1959, André Schwarz-Bart va vivre un an au
Sénégal avec son épouse Simone, née Brumant. Avec elle, Guadeloupéenne, il entreprend ensuite
l’écriture d’un vaste cycle sur le drame de l’esclavage, en symétrie avec la tragédie juive, entre
l’Afrique, Paris et les Antilles. Cycle dont il a conçu la charpente avant même l’édition du Dernier
des Justes. Le Plat de porc aux bananes vertes est le premier volume en 1967, il publie le deuxième
en 1972, La Mulâtresse Solitude (les autres volumes seront posthumes).
120. IMEC, SEL 2923.9.
121. IMEC, SEL 2923.9.
122. « Le plagiat est nécessaire. Le progrès l’implique. Il serre de près la phrase d’un auteur, se
sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par l’idée juste », écrit Lautréamont
dans ses Poésies, et il en applique le principe dans Les Chants de Maldoror, vaste collage comme l’a
signalé Aragon dans Les collages (Catalogue d’exposition, 1930, réédition, Paris, Hermann, 1965).
123. Simone Schwarz-Bart confirme la blessure de son mari au moment de la parution du Devoir
de violence (entretien de Jean-Pierre Orban, mai 2018, avec Simone Schwarz-Bart).
124. IMEC, SEL 2923.9.
125. À noter que cette préoccupation sera celle d’André Schwarz-Bart lui-même : écrire une
œuvre « anonyme » comme l’étaient celles du Moyen Âge (témoignage de Simone Schwarz-Bart,
février 2018, à J.‑P. Orban).
126. IMEC, SEL 2923.9.
127. Sauf surprise qui surgirait, par exemple, des archives laissées, à sa mort, par Yambo
Ouologuem.
128. Lettre citée du 22 août 1968.
129. Ibid.
130. Lettre de Yambo Ouologuem à Paul Flamand, 15 mars 1970. IMEC, SEL 2923.9.
131. Par l’intermédiaire de l’écrivain Roger Grenier (1919-2017), membre du comité de lecture
des Éditions Gallimard.
132. Yambo Ouologuem reprend là une formule – presque borgésienne – qu’il a utilisée dans
Lettre à la France nègre : « Une interminable perspective de références et de possibilités de lecture :
Les Mille et Une Nuits sur un socle de tortures agoniques, avec les désespoirs souverains des
salauds. » (Nalis, 1968, p. 178, Serpent à plumes, 2003, p. 202).
133. Alain Bosquet (1919-1998), Les Tigres de papier, Paris, Grasset, 1968.
134. Ouologuem cite la page 175 de l’ouvrage, mais le document qu’il joint avec la mention de
Mac Donald – qui ne se retrouve pas ailleurs – est la page 167). Ce passage se retrouve aux
pages 185-186 de la réédition de Lettre à la France nègre au Serpent à plumes (2003). La page 175
(Serpents à plumes, p. 199) comporte une autre liste différente d’auteurs de romans policiers.
135. Lettre à la France nègre, Nalis, p. 166, Serpent à plumes, p. 185.
136. Lettre à la France nègre, Nalis, p. 166, Serpent à plumes, p. 184.
137. Il s’agit de l’expertise demandée par le Tribunal à la suite de la plainte de Ouologuem
introduite le 18 février. Voir supra.
138. Lettre recommandée avec accusé de réception aux Éditions du Seuil, 17 mai 1972. IMEC,
SEL 2923.8.
139. IMEC, SEL 2923.4.
140. Lettre recommandée avec accusé de réception de Yambo Ouologuem aux Éditions du Seuil,
10 mars 1972 ; IMEC SEL 2923.3.
141. IMEC, SEL 2923.4.
142. Lettre de P. Flamand à Edward A. Hodge, des Éditions Harcourt Brace Jovanovich, 18
avril 1973. IMEC, SEL 2923.4.
143. Dans un film documentaire de 2003 produit par la télévision malienne (ORTM), où Yambo
Ouologuem apparaît fugacement (il y dit : « Je n’ai pas de livres, je suis en train de vous dire que
j’ai refusé ce truc-là pour injures, injures raciales »), la mère de l’écrivain déclare : « Yambo est
revenu de la France très enflé. Il était méconnaissable et se déplaçait péniblement. Yambo était
silencieux. Il n’adressait la parole à personne. » Yambo Ouologuem, Le Hogon du Yamé, film de
Moussa Ouane.
144. Note du 13 novembre 1973. IMEC, SEL 2923.4.
145. IMEC, SEL 2923.5.
146. Ibid.
147. Les formules religieuses apparaissent dans la correspondance de Ouologuem après son
départ de France. On sait qu’à son retour au Mali, Yambo Ouologuem s’adonne de plus en plus à
la religion musulmane, en devient un pratiquant strict et un exégète. Sur cet aspect, dans ses
dimensions personnelles, historiques, ethniques et idéologiques (entre les œuvres de jeunesse et
la pratique religieuse ultérieure), on se reportera entre autres à Christopher Wise (ed.), Yambo
Ouologuem: Poscolonial Writer, Islamist Miltant, Lynne Riener Publishers, Boulder, USA, Londres,
Royaume-Uni, 1999.
148. Ibid.
149. Message de P. Flamand à Y. Ouologuem, 26 avril 1976 et note de P. Flamand à G. Kiejman, 3
mai 1976. IMEC, SEL 2923.5.
150. IMEC, SEL 2923.5.
151. Ibid.
152. Note (signée Daniel Clovel) interne au Seuil du 26 octobre 1982. IMEC, SEL 3772.2.
153. IMEC, SEL 3772.2.
154. Note de Clovel citée.
155. IMEC, SEL 4645. Aux demandes extérieures de réédition formulées au cours des années 1980
et 1990, les Éditions du Seuil répondront qu’elles ne peuvent y donner suite à cause des
accusations de plagiat et parce qu’elles ont perdu la trace de Yambo Ouologuem et tout contact
avec lui malgré certains efforts (ainsi la lettre d’Isabelle Bardet au père de Yambo Ouologuem
indiquant que les Éditions du Seuil essaient de contacter son fils pour obtenir des réponses de sa
part aux courriers reçus à propos de son œuvre, 21 octobre 1991, IMEC, SEL 3772.2). En 2003, Le
Devoir de violence est réédité par Le Serpent à plumes en accord et suite à un contrat avec Ava
Ouologuem, fille de l’auteur. Après épuisement du tirage, Le Devoir de violence n’est pas réimprimé
au Serpent à plumes.
156. Avec l’accord et la signature de la fille de l’auteur.
RÉSUMÉS
En septembre 1968, paraît aux Éditions du Seuil le roman d’un jeune Malien inconnu de vingt-
huit ans : Yambo Ouologuem. Le 18 novembre suivant, Le Devoir de violence obtient le premier prix
Renaudot attribué à un écrivain africain. Son succès est rapide et, traduit dans dix langues,
l’ouvrage dépasse les frontières, des États-Unis au Japon. Mais le 5 mai 1972, le Times Literary
Supplement (TLS) londonien accuse l’auteur de plagiat à l’encontre de l’écrivain britannique
Graham Greene. Un scandale éclate. Il poursuivra Yambo Ouologuem jusqu’à sa mort en 2017.
Cinquante ans après la première édition du Devoir de violence et alors que le roman reparaît au
Seuil dans la collection « Cadre Rouge » qui l’avait accueilli à l’origine, quarante-six ans, mois
pour mois, après le début de l’« Affaire Ouologuem » dans le TLS, qu’en est-il du bien ou mal-
fondé des rumeurs qui ont surgi, en sens divers, sur la genèse et le traitement éditorial de ce livre
culte devenu livre maudit ? S’appuyant sur le seul dossier solide à ce jour, celui des archives du
Seuil déposées à l’IMEC (Institut Mémoires de l’Édition contemporaine) et rendues publiques
pour la première fois, cette étude vise à relater, sur la seule base des documents disponibles, en
réduisant au minimum les extrapolations risquées et les interprétations hâtives, l’histoire du
Devoir de violence et, à travers elle, de son auteur, depuis ses premières approches des Éditions du
Seuil en 1963 jusqu’à sa retraite définitive au Mali vers 1976. Et son enfermement dans le silence
public.
In September 1968, Le Devoir de violence (Bound to violence), the work of an as yet unknown Malian
author, aged twenty-eight, Yambo Ouologuem, was published by the Editions du Seuil. On November 18 of
that same year, the novel won the prize Renaudot. This was the first time ever that a major French literary
prize was awarded to an African writer. Following the novel’s considerable success in France, it was soon to
be translated into ten languages and crossed many a border from the United States to Japan. But on May 5,
1972, the Times Literary Supplement (TLS) accused the author of plagiarizing the work of the British
writer Graham Greene. A scandal breaks out and will hound Yambo Ouologuem until his death in 2017. Fifty
years after the first publication of the Devoir de violence and just as the novel is republished by Le Seuil,
which of the various rumours regarding the genesis and the editorial treatment of this cult-cum-cursed
book are well-founded or ill-founded? In this essay, Jean-Pierre Orban traces the history of the Devoir de
violence and its author, from 1963 (date of the first presentation of a manuscript to Le Seuil) to the end
the 1970s (when he retired in Mali and of he confined himself to silence). This work—which endeavours
risky extrapolations and hasty interpretations—relies on the only solid files to date, those of the archives of
the Institut Mémoires de l’Édition contemporaine (IMEC), publicly disclosed in the present production for
the first time.
INDEX
Mots-clés : Yambo Ouologuem, Le Devoir de violence, Lettre à la France nègre, littérature
francophone, littérature africaine, Mali, roman, histoire de l’Afrique, esclavage, colonisation,
érotisme, homosexualité, plagiat, relations auteur-éditeur, Seuil, Gallimard, « Série Noire »,
Fayard, Harcourt Brace Jovanovich, Heinemann, Times Literary Supplement, Le Figaro Littéraire,
Eric Sellin, Graham Greene, André Schwarz-Bart, Gustave de Maupassant, John D. Mac Donald,
Paul Flamand, François-Régis Bastide, Paul-André Lesort, Jean Cayrol
AUTEUR
JEAN-PIERRE ORBAN
Jean-Pierre Orban est chercheur associé à l’Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-
ENS, Paris), spécialisé en littérature francophone. Écrivain, il est auteur de romans, de nouvelles
et de pièces de théâtre.