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Le monde vu de la plus extrême droite

Du fascisme au nationalisme-révolutionnaire

Nicolas Lebourg

DOI : 10.4000/books.pupvd.535
Éditeur : Presses universitaires de Édition imprimée
Perpignan ISBN : 9782354120757
Année d'édition : 2010 Nombre de pages : 260
Date de mise en ligne : 2 octobre 2013
Collection : Études
ISBN électronique : 9782354122218 Ce document vous est offert par Université
de Perpignan Via Domitia

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Référence électronique
LEBOURG, Nicolas. Le monde vu de la plus extrême droite : Du fascisme au nationalisme-révolutionnaire.
Nouvelle édition [en ligne]. Perpignan : Presses universitaires de Perpignan, 2010 (généré le 12 août
2017). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pupvd/535>. ISBN : 9782354122218.
DOI : 10.4000/books.pupvd.535.

© Presses universitaires de Perpignan, 2010


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Nicolas LEBOURG

LE MONDE VU
DE LA PLUS EXTRÊME DROITE
Du fascisme au nationalisme-révolutionnaire

Du fascisme au nationalisme-révolutionnaire

Collection Études
Presses Universitaires de Perpignan
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE
DU FASCISME AU NATIONALISME-RÉVOLUTIONNAIRE
La loi du 1er juillet 1992 (code de la propriété intellectuelle, première partie) n’autorisant,
aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les « copies ou repro-
ductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation
collective » et, d’autre part, que les analyses et courtes citations dans un but d’exemple et
d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le
consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de
l’article L. 122-4).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc
une contrefaçon passible des peines prévues au titre III de la loi précitée.

© PUP 2010 ISBN 978-2-35412-075-7


Nicolas LEBOURG

Le monde vu
de la plus extrême droite
Du fascisme au nationalisme-révolutionnaire

Collection Études
Presses Universitaires de Perpignan
Introduction
Construire le nationalisme-révolutionnaire

Le siècle des nations s’achève en 1914. La Première Guerre mondiale


produit d’une part une volonté de dépassement des antagonismes
nationalistes, qui s’exprime par la création de la Société des Nations
ou le vœu de construction européenne, d’autre part une réaction ultra-
nationaliste. Au sein des fascismes se crée, en chaque pays, un courant
marginal européiste et sinistriste. Dans les discours de Mussolini, l’ultra-
nationalisme impérialiste cohabite avec l’appel à l’union des « nations
prolétaires » contre « l’impérialisme » et le « colonialisme » de « l’Occident
ploutocratique » – un verbe qui, après la naissance du Tiers-Monde,
paraît généralement relever de l’extrémisme de gauche. Sans varier sur ses
fondamentaux conceptuels, l’éristique anti-colonialiste d’extrême droite a
connu trois temps : 1) la phase de l’ordre de Versailles ; 2) la Guerre froide
et la décolonisation ; 3) l’accélération de la mondialisation néo-libérale. En
chaque moment la réponse aux problèmes politiques posés fut : « l’Europe
est la solution ».
Sur le plan idéologique, le néo-fascisme, partout en Europe, s’est
inspiré des courants de la Révolution Conservatrice sous Weimar, pour
qui l’Allemagne était victime d’une « colonisation » par l’Occident libéral
impérialiste, état dont elle s’extrairait par la construction organique de
son peuple contre le « Système », l’union avec les autres peuples colonisés,
puis, grâce à la guerre perçue comme moyen et esthétique, l’édification
de grands espaces. Pour les nationaux-bolcheviques l’importation du
bolchevisme était « l’ultime recours » pour sauver la nation allemande
de la subversion occidentale ; Ernst Niekisch est ainsi partisan de la
« Résistance » allemande contre tout ce qui correspond à l’Occident libéral,
6 NICOLAS LEBOURG

au bénéfice d’une révolution nationale du sang et du sol dont le modèle


serait la Volksgemeinschaft1 qu’eût réalisée la Russie stalinienne. Le but est
une révolution allemande menant à un Empire avec la Russie, pour aboutir
à la Révolution mondiale. Durant sa phase d’ascension au pouvoir, le parti
nazi sait utiliser les idées et le travail lexical de la Révolution Conservatrice,
via d’abord les frères Strasser et Joseph Goebbels. En 1942, sous la férule de
ce dernier, jadis chaud partisan d’une alliance germano-soviétique contre
l’Occident libéral, la propagande du IIIe Reich s’est réorientée du discours de
la Grande Allemagne à celui de la défense et de la construction de l’Europe2.
De la « guerre d’anéantissement » du judéo-bolchevisme promulguée par
Hitler, le conflit s’est mû en « guerre totale » et c’est ce qui impose cette
évolution : sur ses 900 000 membres recensés en 1944, la Waffen S.S. est
composée pour plus de la moitié de non-Allemands3. Le précepte, établi en
1937 par le juriste révolutionnaire-conservateur Carll Schmitt, « Ennemi
total, Guerre totale, Etat total » (chaque terme étant conditionné par le
précédent), semble alors être devenu la règle de l’Europe.
Pour la propagande S.S., il s’agit désormais d’un combat de libération du
continent à l’encontre d’un judaïsme ennemi géopolitique (maître occulte
des U.S.A. et de l’U.R.S.S.), culturel et racial, et dont l’anéantissement
ouvre la voie à un Empire continental unifiant des groupes ethno-culturels
reconnus dans leur diversité. Le thème est prégnant dans les revues rédigées
depuis l’Allemagne en diverses langues, telles que La Jeune Europe ou Signal,
afin de vanter l’engagement dans la Waffen S.S. Destiné aux masses, Signal
glorifie la « libération » des pays européens prisonniers derrière ce qu’il
baptise le « rideau de fer » bolchevique. Désormais, la propagande oppose
une Waffen S.S. matrice de la « révolution européenne », « socialiste »

1 « Communauté du peuple » ; le mot naît dans l’espace communiste en 1918 avant d’être typique
du lexique nazi. Il est construit à partir de Gemeinschaft, « société naturelle traditionnelle », dont
l’opposition à la société moderne a été théorisée en 1887 par Ferdinand Tönnies.
2 Goebbels fut proche de Gregor Strasser (le frère d’Otto Strasser et l’un des guides du parti nazi
jusqu’à ce qu’Hitler le fasse assassiner en 1934) qui faisait le vœu d’une Mitteleuropa en lutte contre
l’Occident, avec le soutien provisoire de l’Union soviétique. O. Strasser fit scission du parti nazi
pour créer sa propre formation (1931) ; le programme de « libération nationale et sociale du peuple
allemand » de la Kommunist Partei Deutschlands le fait participer à l’un de ses meeting, mais in
fine provoque l’hémorragie militante de sa structure vers la K.P.D. Cf. L. Dupeux, National-bolche-
visme. Stratégie communiste et dynamique conservatrice, Honoré Champion, Paris, 1979, pp.365-
385 ; idem, Aspects du fondamentalisme national en Allemagne, Presses Universitaires de Strasbourg,
Strasbourg, 2001 ; E. Niekisch, Hitler, une fatalité allemande et autres écrits nationaux-bolcheviks,
préface d’A. de Benoist, Pardès, Puiseaux, 1991.
3 L’expression de « guerre d’anéantissement » renvoie à celle de « paix d’anéantissement » qui en
Allemagne désignait l’après traité de Versailles. La « guerre totale » est proclamée par Goebbels le 18
février 1943.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 7

car sans intellectuel ni juif, à une figure enrichie de l’Ennemi total où le


discours sur l’anéantissement du judéo-bolchevisme désigne dorénavant
un monstre judéo-américano-soviétique dont « l’impérialisme » agresse
l’Europe4. Naît ainsi en 1942 le néo-fascisme. La dialectique néo-fasciste
cherche à concevoir le nationalisme politique comme mouvement
international de libération en butte aux forces colonialistes et impérialistes.
L’Europe-puissance comme horizon d’attente et mythe sorélien répond à la
définition de cette sujétion et fonde le moyen de repenser les rapports entre
ethno-nationalisme et organicisme.
L’effondrement du Nouvel ordre européen nazi a sonné le glas, pour
les extrêmes droites françaises, d’une conception de l’Europe ramenée à
une simple collaboration avec une superpuissance continentale ; puis la
décolonisation a, du côté des nationalistes, mis fin à leur vision tradition-
nelle de la nation. C’est à “Yalta” et à la mondialisation qu’ils veulent faire
face, et cela implique de leur part un projet de réorganisation géopolitique
original et global. Il faut recomposer une grille de lecture des rapports
internationaux rêvés qui soit conforme à ces points et où l’évocation de la
géographie est une mise en organisation des rapports entre ethnies, races et
cultures bien plus qu’entre Etats et nations. L’histoire de la transformation
du fascisme, et de sa vision du monde, est ensuite liée à l’humiliation de
l’échec de l’Algérie française qui oblige les néo-fascistes à chercher une nou-
velle voie tant en leurs pratiques qu’en leur idéologie. Deux courants nais-
sent de cet effort, la Nouvelle Droite et le nationalisme-révolutionnaire. Ils
proviennent d’une matrice commune : Pour une Critique positive, publiée
par Dominique Venner en juillet 1962. Parmi les idées qui découlent de
cet opuscule, largement inspiré du Que faire ? de Lénine, se trouvent tout à
la fois la nécessaire alliance internationale des nationalistes et l’abandon du
nationalisme français au bénéfice d’un nationalisme européen. Il instaure
la division de l’extrême droite en deux camps : d’une part les « nationaux »,
« conservateurs », de l’autre les « nationalistes », « révolutionnaires5 ».

4 Cf. Signal, 1940-1944, revue éditée en 24 langues ; Un Appel aux Français ! Aux armes pour
l’Europe ; texte du discours prononcé à Paris, le 5 mars 1944, au Palais de Chaillot par le S.S.-Sturm-
bannführer Léon Degrelle Chevalier de la croix de fer Commandeur de la Brigade d’assaut Wallonie,
Erzàtzkommado des Waffen S.S. français ed., s.d.
5 Pour une critique positive, Ars Magna, Nantes, 1997 (1962). Ce document aboutit à la naissance
d’Europe-Action, revue qui prend le contrôle idéologique de la Fédération des Etudiants Nationa-
listes et constitue l’ancêtre de la Nouvelle droite. L’acte de naissance de la Nouvelle droite est la fon-
dation en janvier 1968 du Groupement de Recherche et d’Etudes pour la Civilisation Européenne
(G.R.E.C.E.) par d’ex-Europe-Action. La querelle entre les nationalistes et les nationaux, c’est en
fait un peu l’éternelle polémique entre les dissidents fascistes de l’Action Française et Maurras, entre
les collaborationnistes et Vichy. Le distinguo existait en Allemagne dès 1928.
8 NICOLAS LEBOURG

Le nationalisme-révolutionnaire se veut l’un des phénomènes


politiques les plus originaux de ces dernières décennies. Il équivaudrait
à un néo-fascisme qui serait un fascisme de “gauche”, économiquement
socialiste, globalement pro-soviétique durant la Guerre froide, souvent
philo-maoïste. Cela a mené à la production d’autres désignations, toutes
basées sur l’attirance de l’oxymoron provocateur : « gauchistes de droite »,
« nationaux-communistes », « fascistes de gauche », « nazi-maoïstes »,
« rouges-bruns », entre autres. Il est en tous cas certain que le nationalisme-
révolutionnaire se construit via une propagande sur le thème du fascisme
de gauche et une stratégie qui se veut un léninisme de droite. Comme
le fascisme s’appuya sur « une acculturation à droite des leçons de la
révolution d’octobre6 », les néo-fascistes ont tenté d’intégrer mai 1968 – et
l’influence du modèle italien compte en cela, lui même étant culturellement
et stratégiquement très marqué par le « Mai rampant » transalpin.
Idéologiquement, les nationalistes-révolutionnaires (dits N.R.) ont
pour autre événement fondateur la réunion à Venise le quatre mars 1962
de l’essentiel des forces néo-fascistes ouest-européennes. Nul Français n’en
est. Est là l’Anglais Sir Oswald Mosley, vivant en France depuis 1952 et
instigateur du congrès ; l’ex-ministre travailliste et leader de la British Union
of Fascists a fondé en 1948 l’Union Movement, qui proclame que l’Europe
est une nation unitaire et la troisième force en devenir devant jouir du tiers
Nord de l’Afrique. Est aussi présent celui qui va être un doctrinaire phare
du nationalisme-révolutionnaire, l’ancien membre de l’Association des
Amis du Grand Reich Allemand et alors contact belge de l’Organisation
de l’Armée Secrète (O.A.S.), le Wallon Jean-François Thiriart converti
depuis 1961 à l’idée d’une nation européenne. Si ce dernier influence
peut être déjà Europe-Action, et si ensuite il pèse d’un poids étonnamment
mésestimé sur les évolutions et convulsions du G.R.E.C.E., il n’empêche
que la revue fondée par D. Venner et Alain de Benoist, Europe-Action,
refuse de souscrire à sa proposition et celle de Mosley de créer le parti
nationaliste européen intégré, au nom du refus d’une tutelle étrangère7.
Allemands et Italiens ne parviennent, quant à eux, à oublier leur querelle
relative au Sud-Tyrol… Thiriart devait considérer plus tard être seul resté
fidèle à la Proclamation de Venise8.
Lors de celle-ci, les groupes présents s’engagèrent à fonder un parti

6 P. Ory, Du Fascisme, Perrin, Paris, 2003, p.287.


7 A-M. Duranton-Crabol, L’Europe de l’extrême droite de 1945 à nos jours, Complexe, Bruxelles,
1991, p.168. Il n’empêche que, malgré cette influence, Thiriart aura toujours des flèches acérées
pour les néo-droitiers.
8 Dans La Nation européenne, 15 octobre-15 novembre 1966.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 9

nationaliste européen intégré travaillant à l’édification d’une Europe


unitaire, tout à la fois troisième force et troisième voie entre l’U.R.S.S. et
le communisme et les U.S.A. et le capitalisme, refusant « la satellisation
de l’Europe occidentale par les Etats-Unis » et exigeant « la récupération
de nos territoires de l’Est9 ». La première mise en forme de ce discours est
le fait d’anciens d’Europe-Action. Au nom du « socialisme-européen », ils
tentent d’opérer la jonction avec la gauche et la mouvance régionaliste, en
fondant toute une nébuleuse de bulletins officiellement autonomes10.
En ce jeu, saille particulièrement la problématique telle que posée
par Jean-Pierre Faye dans son ouvrage sur Les Langages totalitaires :

« un lieu bien déterminé de la topographie sera lié à une


fonction singulière : celle de faire éclater les langages idéologiques
et d’introduire en eux ce qui a été désigné comme la Verschänkheit
(Thomas Mann), l’entrecroisement ; ou encore le Schwanken,
l’oscillation, l’alternance. Cette zone de l’éclateur idéologique,
c’est le syndicalisme-révolutionnaire dans l’exemple italien ; c’est le
national-bolchevisme dans la topographie allemande11 ».

Cette « oscillation idéologique » a été rendue possible par l’adoption


de la représentation de l’espace politique par l’image du « fer à cheval »
où les extrêmes se rapprochent12. Cette idée typique de la Révolution
Conservatrice allemande de l’entre-deux-guerres témoigne du rôle
de l’appropriation de cette mouvance, également assimilée grâce
aux échanges avec la jeunesse de l’extrême droite allemande. Son
acculturation achève le processus de mise en place d’un courant N.R.
en France. Naissant les uns des autres, les principaux groupes qui se
désignent ensuite comme « N.R. » sont : l’Organisation Lutte du Peuple

9 Combat, 13 décembre 1966 ; Y. Sauveur, Jean Thiriart et le national communautarisme européen,


Revue d’Histoire du nationalisme révolutionnaire, n°3, s.d. (1978), p.25 .
10 La stratégie première est proposée par D. Venner : tenter d’opérer la jonction avec la Fédération
de la Gauche Démocrate et Socialiste de François Mitterrand (Direction Centrale de la Police Judi-
ciaire, Situation des mouvements d’extrême droite en France, 29 mars 1968, p.2 ; B.D.I.C. F8150/1).
Après Mai 68, les efforts des bulletins sont redirigés vers la mouvance anarchiste.
11 J-P. Faye, Langages totalitaires, Hermann, Paris, 1972, p. 7.
12 Popularisée en France par J-P. Faye, 1972, qui introduisit également l’étiquette « nationaliste-
révolutionnaire ». Le « fer à cheval » est une modélisation du politique mise en avant par Armin
Mohler. Candidat malheureux à l’intégration dans la S.S. alors qu’il était assistant en sciences po-
litiques, secrétaire d’Ernst Jünger, dès 1949 Mohler soutient sa thèse relative à ce qu’il baptise « la
Révolution Conservatrice ». A l’orée des années 1970, Mohler fait découvrir les grands penseurs
de cette mouvance à Alain de Benoist : Moeller van den Bruck, Spengler, les frères Jünger et Carl
Schmitt. C’était là l’impulsion nécessaire à une profonde rénovation du néo-fascisme, qui va am-
plement se construire grâce aux travaux sur ce que les historiens qualifièrent de « pré-fascismes ».
10 NICOLAS LEBOURG

(1972), les Groupes Nationalistes-Révolutionnaires de base (1976), le


Mouvement Nationaliste Révolutionnaire (1979), Troisième Voie (1985),
Nouvelle Résistance (1991), et Unité Radicale (1998). Les mouvances dites
« socialiste-européenne », « solidariste », « nazi-maoïste » et « national-
bolchevique » sont dénuées d’autonomie et sont à intégrer à l’histoire du
nationalisme-révolutionnaire.
Ce dernier est consubstantiel de l’histoire du rapport entre Europe
et extrêmes droites. Est donc ici entendu que les mouvements d’extrême
droite sont ceux qui présentent la totalité des caractéristiques suivantes.
Ils disposent d’une conception organiciste de la communauté qu’ils
désirent constituer (que celle-ci repose sur l’ethnie, la nationalité ou la
race ne changeant rien à l’affaire), qu’ils affirment vouloir reconstituer.
Cet organicisme est concomitant d’un rejet du libéralisme, du marxisme,
du cosmopolitisme, de tout universalisme (y compris celui induit par les
déclarations des Droits de l’Homme), au bénéfice de l’hétérophobie et/ou de
l’autophilie. Ils absolutisent ainsi les différences et divergences (entre nations,
races, individus, cultures). Ils tendent à assimiler celles-ci à des inégalités,
ce qui crée chez eux un climat anxiogène quant à leur volonté d’organiser
de manière homogène et sécurisée leur communauté (l’utopie étant celle
d’une « société fermée »). Ils récusent le système politique en vigueur, dans
ses institutions, jugées soit foncièrement néfastes soit détournées jusqu’à la
« démoploutocratie », et dans ses valeurs (paradigme républicano-libéral et
humanisme égalitaire). La société leur paraît en décadence et l’Etat aggraver ce
fait : ils jouissent en conséquence d’une mission perçue comme salvatrice. Ils
se constituent en contre-société et se présentent en tant qu’élite de rechange.
Leur fonctionnement interne ne repose pas sur des règles démocratiques
mais sur le dégagement des « élites véritables ». Leur imaginaire renvoie
l’histoire et la société à de grandes figures archétypales (âge d’or, sauveur,
décadence, complot, etc.) et exalte des valeurs irrationnelles (la jeunesse
comme valeur politique et métaphore de la civilisation, le culte des morts,
etc.). Ils ne déjugent pas et valorisent l’action violente de leurs militants mais
ne considèrent positivement l’idée de Révolution qu’en tant qu’elle renvoie
à l’idée d’un retour à l’Ordre qui est aussi une palingénésie communautaire.
Enfin, ils rejettent l’ordre géopolitique en état. Idéologiquement, ce courant
a pris forme à la fin du XIXe siècle. Dès lors, « l’extrême droite » ne saurait être
une expression polémique démonologisante inutilisable scientifiquement :
elle est une réalité structurelle de l’histoire politique et l’expression n’a aucune
plus-value morale. Elle correspond simplement à une réalité continue de cette
histoire. L’idée que cette désignation soit une péjoration relève davantage de
la polémique que de l’analyse.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 11

C’est également le cas de l’axiome parfois posé selon lequel les


mouvements politiques quantitativement marginaux et qualitativement
extrémistes puissent être une déviance sans intérêt, le simple signe social
d’un dysfonctionnement psychique frappant quelques individus hagards. Il
est évident que si on a pu considérer que la xénophobie représentait l’offre
idéologique internationalement dominante dans l’après-1991, ce n’est
certes pas du simple fait des propagandes groupusculaires et des discours
des extrêmes droites. Néanmoins, la mission des sciences humaines et
sociales n’est pas d’établir des normes de rationalité, des définitions du
Bien, des argumentaires de légitimation du pouvoir en place ou des
marges qui le contestent. L’observation d’une mouvance composée de
groupuscules et d’infra-groupuscules ne saurait perdre sa valeur du fait que
celle-ci n’aboutisse pas, ou n’ait pas abouti, sur un parti de masse, ni même
de cadres : ce serait là affirmer que l’analyse du nationalisme n’existerait
que par le schéma du national-socialisme allemand et du fascisme italien –
et que ce qui incombe en Histoire, c’est la réussite, conclusion saugrenue
s’il en est. On reprocherait aux groupuscules d’après-guerre de n’avoir
pas obéi à un schéma historique préétabli et, par cela, de ne pas être
dignes d’intérêt : c’est bien, au final, un point de vue téléologique quant
aux régimes fascistes dont il s’agit, et qui applique ses présupposés aux
phénomènes nationalistes postérieurs, sous prétexte qu’il les a mal situés
dans cette perspective.
Pour les N.R., l’expérience fasciste fut un échec empirique critiquable
mais se situant dans des conditions spatiales et temporelles spécifiques. Le
moment N.R. est celui d’un monde en mutations, de métamorphoses qui
agissent sur le socle idéologique des extrêmes droites. Les acteurs se situent
en la sortie de l’ère industrielle, puis dans l’ère post-industrielle, dans la
phase de remise en cause puis d’écroulement du marxisme, d’offensive de
la révolution-conservatrice néo-libérale, de bouleversements géopolitiques
hâtés (naissance du Tiers-Monde, désintégration de l’U.R.S.S., construc-
tion de l’Europe, développement du terrorisme international, etc.). Ces
bouleversements ont pu permettre l’émergence de « contre-pensées », et s’il
faut tenir compte de la progression des nationalismes au sein de l’espace
public de cette ère post-industrielle, il faut être aussi sensible aux mutations
que cette dernière a engendrées, menant ces mouvements à épouser les va-
leurs post-matérialistes (en particulier le sentiment dit identitaire), tandis
que l’achèvement de l’époque coloniale a vu une partie de l’hétérophobie
12 NICOLAS LEBOURG

devenir autophilie13. Le contexte géopolitique ayant changé, les militants


promeuvent un néo-fascisme qui se veut un mouvement de libération na-
tionale en lutte contre les pouvoirs colonisant l’Europe. Ils ont ainsi usé
d’un binôme U.R.S.S.-U.S.A., puis après 1967 U.S.A.-Israël, et, suite à la
Guerre du Kosovo, U.S.A.-Islam, afin d’en faire la figure de l’ennemi « co-
lonialiste ». S’opposer à celui-ci serait donc œuvrer pour « un programme
de libération nationale et sociale du peuple » européen, selon une formule
du Parti Communiste Allemand (1930) qu’ils ne cessent de citer.
Leur « troisième voie » politique, économique, géopolitique, serait en
fait l’équivalent européen des régimes populistes du Tiers-Monde (en par-
ticulier le péronisme, le nasserisme, le baasisme et la Jamahiriya libyenne).
Malgré un goût de l’affectation, l’intérêt néo-fasciste pour les gauchismes
n’a jamais été jusqu’à l’imprégnation idéologique. La convergence touche
en fait des aspects d’auto-représentation et des choix (économiques, de
soutien à tel ou tel belligérant dans un conflit, de mode d’appréhension
des modalités techniques de l’action partisane, etc.), non la culture poli-
tique. La vision du monde N.R. est fasciste et le fascisme est d’extrême
droite14. En effet, les N.R. mettent en avant une continuité entre les no-
tions d’ethnie, de peuple, de nation, de construction européenne, de so-
cialisme et d’Etat15. L’antisémitisme N.R. n’est pas d’ordre biologique ou
religieux mais conspirationniste et politique. Le juif est conçu tel l’agent
du cosmopolitisme, qui empêche l’édification du socialisme national, et
du sionisme, qui vise à dominer le monde avec l’appui des U.S.A. via le
processus de mondialisation.

13 Cf. P. Ignazi, « Les Partis d’extrême droite : les fruits inachevés de la société postindustrielle », Les
Croisés de la Société fermée, P. Perrineau dir., L’Aube, La Tour d’Aigues, 2001, pp.369-384 ; Lagrange
et Perrineau, « Le Syndrome lepéniste », Mayer et Perrineau dir., Le Front National à découvert,
Presses de la F.N.S.P., Paris, 1998, pp.228-246.
14 L’expression « vision du monde » traduit le concept de Weltanschauung, constamment utilisé
par la Nouvelle droite et les N.R. Le mot fut tant répété par Hitler qu’il est en allemand quasiment
devenu synonyme d’« idéologie nazie ».
15 Le mot « ethnie » est désormais largement utilisé dans le discours médiatique et est entendu
comme un terme d’évidence ; il fut forgé à la fin du XIXe siècle par le théoricien de l’inégalité des
races Georges Vacher de Lapouge « pour désigner une entité intermédiaire entre la « race « (catégorie
biologique) et la « nation « (catégorie historico-juridique) » (P-A. Taguieff, « L’Invention racialiste
du juif », Raisons politiques, février-avril 2002, p.32). Si les sciences humaines nord-américaines
sont coutumières de l’utilisation du terme « ethnique », le débordement en France de ce champ
lexical suit une étrange ascension, d’une analyse biaisée de la guerre en ex-Yougoslavie (1991),
permettant d’en évacuer les dimensions idéologiques, jusqu’au contre-sens de la Coupe du monde
de football sise en France où l’on vanta la « France républicaine multi-ethnique » (la République ne
saurait être multi-ethnique puisqu’elle ne connaît que des citoyens). Le mot démontre par là qu’il a
les vertus des mots « magiques » désignant ce que l’on veut, passant pour une évidence qui n’a pas
besoin de précision, passe-partout idéal dans les stratégies lexico-idéologiques.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 13

D’abord passés par la défense des guerres d’Algérie et du Sud-Viet-


nam, les discours des extrémistes de droite français ont appris à se dé-
placer sur l’axe de l’éristique colonialiste. La guerre des Six Jours ouvre
pleinement la période d’internationalisation de l’antisionisme. Les N.R.
vivent avec ce dernier une histoire d’autant plus passionnée qu’il les diffé-
rencie des nationaux et leur ouvre de nouvelles voies lexico-idéologiques.
En France, c’est à ce propos François Duprat16 qui joue le rôle de passeur
idéologique, offrant aux extrêmes droites une forme discursive opératoire,
qui, pour arriver jusqu’à eux, a connu de sinueux trajets. Suite au conflit
israélo-palestinien et à la guerre du Vietnam, la critique de l’impérialisme
américain, comme celle du sionisme, a été largement menée par la contes-
tation gauchiste estudiantine. L’apparition et l’internationalisation de ce
mouvement ont été parmi les principales chances du néo-fascisme, non
seulement parce qu’elles permettent aux nationalistes de jouer la carte de
la contre-révolution préventive, mais aussi en raison des idées et langages
qu’elles popularisent. L’aggiornamento est profond, les N.R. considèrent
dès lors que leurs prédécesseurs nationalistes ont fait fausse route et que
« c’est précisément avec l’impérialisme que nous devons rompre tous nos
liens17 ». C’est là un programme qui, quoique dogme affiché, s’est avéré
remarquablement complexe à pleinement intégrer pour une part de la
mouvance.
Conséquemment, la géopolitique, la géographie et l’histoire sont au
cœur du discours N.R. et de sa vision du monde. Cette Weltanschauung
est tout autant une vue du « Monde », des rapports entre nations, ethnies,
races. La définition des relations avec les immigrés y est donc fondamentale
en politique intérieure, tandis que la politique extérieure accorde une
place prépondérante à la question israélo-palestinienne, et que la réflexion
idéologique s’exerce amplement autour de la question du révisionnisme
géopolitique. Il s’agit de promouvoir, via l’édification d’une Europe-
puissance, l’avènement d’une nouvelle Volksgemeinschaft. Il s’agit encore,
par l’insistance sur les prétendues « lois » de la « science géopolitique » et
de l’histoire, de prôner une Europe politique qui, sous prétexte de ne point
être un dominion américain et un simple marché néo-libéral, soit une
volonté-de-puissance brisant l’universalisme de l’idéologie des Droits de
l’Homme. Mais partir à la découverte des vœux et visées politiques N.R.

16 Né en 1940, il rejoint l’extrême droite en 1958 (Jeune Nation), et fut mystérieusement assassiné
le 18 mars 1978. Duprat a participé à la fondation et la direction de l’essentiel des mouvements néo-
fascistes français. Cheville ouvrière de la création par Ordre Nouveau du Front National (1972),
puis de sa direction, il anime ses Groupes Nationalistes-Révolutionnaires à la lisière du parti.
17 Dans Jeune Nation Solidariste, 3 août 1978.
14 NICOLAS LEBOURG

doit peut-être se faire sans omettre ce qu’écrivit sur un forum internet l’un
des principaux cadres de la mouvance : « Il y a l’exotérisme et l’ésotérisme...
Ce que l’on dit à l’extérieur et ce que l’on dit entre nous... C’est souvent
assez différent18 ».
Les N.R. ont su fédérer leurs divers thèmes de propagande et d’idéologie
pour construire deux mythes, l’un répulsif (le mondialisme) l’autre positif
(l’Europe), tout à la fois mobilisateurs et à divers niveaux de lecture.
Leur construction relève d’un processus d’hybridation, puisque c’est par
l’usage de méthodes d’apprentissage historique (imitation de la Révolution
Conservatrice), spatial (imitation de l’étranger) et via la Périphérie
(imitation des autres marges politiques) que les N.R. ont constitué un
champ lexical d’où se dégagent leur ennemi total et leur vision globale.
Ceux-ci se créent et se diffusent avec un haut degré d’interconnexions
lexico-idéologiques au sein des extrêmes droites françaises et européennes
et avec l’usage de termes et thèmes qui sont des oscillateurs idéologiques.
En définitive, le nationalisme-révolutionnaire puise autant dans les idées
des fascismes que dans la Révolution Conservatrice allemande, dans les
nationalismes du Tiers-Monde que dans les propagandes soviétiques et
gauchistes. Malgré les références constantes à Lénine, il n’y a donc pas
un dogme qui construit l’action, mais la recherche d’une action politique
extrayant de l’impuissance et, finalement, c’est ici la propagande qui
construit l’idéologie et non l’inverse.
La polysémie des discours N.R. leur permet de se réorienter avec une
certaine régularité. Il n’en demeure pas moins qu’ils disposent de penchants
structurels, dont le moindre n’est pas leur passion pour la légitimation
idéologique par l’appel à la discipline historique et à la géopolitique. Il
s’agit pour eux de parvenir à articuler les notions d’ethnie, de nation et
d’Empire, de manière à jouir d’une propagande et d’une idéologie qui
soient cohérentes, révolutionnaires et opératoires. Cependant, d’une part,
leur participation dans le même temps au champ des extrêmes droites
provoque une croissance des contradictions internes qui s’avère quasiment
ingérable, d’autre part cette recherche d’une modernité politique les mène
à développer des discours sur un triptyque ethnie-nation-Empire qui
dépassent la seule question de la marge extrémiste et interrogent l’ensemble
du champ politique.
L’absence d’orthodoxie figée n’a toutefois pas bonne presse chez les
analystes du politique, d’autant qu’ils tendent parfois à mésestimer les
enjeux liés aux groupuscules. Le milieu groupusculaire n’est pas dissocié

18 C. Bouchet, forum d’Unité Radicale, thread ouvert au 10 février 2002.


LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 15

de la société, loin s’en faut. Les marges sont révélatrices du « Système » et


la « Périphérie » du « Centre », tandis que les contestations idéologiques
radicales soulignent le paradigme en vigueur. Les nationalismes radicaux
permettent ainsi de mieux saisir les imaginaires nationalistes et pro-société
fermée diffus au sein de l’opinion. Nonobstant son caractère groupusculaire,
le nationalisme-révolutionnaire permet de confronter l’étude de la
mondialisation des biens culturels (ici idées et propagandes politiques)
à celle du rejet politique de cette même mondialisation. En effet, il n’y
a pas une zone d’influence simple du nationalisme-révolutionnaire mais
des disséminations contradictoires. Sa structure de rhizome19, tant culturel
qu’organisationnel, lui a permis d’entrer en contact avec de nombreux
espaces politiques et permet de les éclairer en retour. Il rassemble l’énergie
produit par ses confrontations dans l’action européenne et la pensée
européiste. Il permet de réévaluer la question du fascisme, tant sa nature
(plus culturelle que politique), que son mode organisationnel (un réseau
horizontal plus qu’un parti vertical), ses bornes spatiales et temporelles
(en mettant en lumière la chrysalide du fascisme en néo-fascisme inter-
nationaliste dès 1942 et la forme particulière du fascisme français). Le néo-
fascisme conte une utopie, celle de l’union européenne, et pour cela lui
édifie une mythologie de l’ennemi cosmopolite. Pour les fascistes, penser et
construire l’Europe passe définitivement par une définition d’un Ennemi
total engendrant une mobilisation pour « la Grande Europe », souvent
géographiquement définie comme allant jusqu’au Pacifique. Ennemi total,
Europe totale : tel est le credo. En somme, construire l’objet « nationalisme-
révolutionnaire » c’est revenir à la question de l’organisation de la politique
selon l’axe droite-gauche et la place particulière qui tient l’extrême droite.
Par surcroît, ce sont les oscillations idéologiques qui permettent
de comprendre la réorganisation structurelle et programmatique de la
plus extrême droite. Le néo-nationalisme produit dépasse les cadres
nationaux dans son idéologie comme dans sa pratique pour réinventer
les espaces (géopolitiques ou militants). Au débouché de ces oscillations

19 Tout jardinier sait ce qu’est un rhizome : une tige souterraine issue d’une plante vivace qui
produit un réseau diffus et touffu de racines et, hors sol, bourgeonne puis étend ses ramifications.
La métaphore est d’usage pour décrire des phénomènes sociaux idoines depuis Deleuze et Guattari,
Mille plateaux, Minuit, Paris, 1980, pp.13-37. L’historien britannique Roger Griffin a développé
une analyse du néo-fascisme comme rhizome organisationnel international sans chef ni centre de
décision (cf. Erwägen, Wissen, Ethik, vol. 15-3, 2004). Pour certains N.R., il faut envisager « le na-
tionalisme-révolutionnaire comme un méta-réseau [où se connectent] des réseaux musicaux (indus,
black et pagan metal, gothique, Oï), des réseaux religieux (païens, occultistes, convertis à l’islam),
un réseau écolo radical, des réseaux régionalistes, etc. » (Note d’orientation proposée par le SG de
Nouvelle Résistance 1995, pp.6-7 ; document interne).
16 NICOLAS LEBOURG

et internationalisations, se réorganisent les orientations politiques des


nationalismes européens. Disciples de Georges Sorel et de Carl Schmitt, les
nationalistes-révolutionnaires s’appliquent à ces opérations en dégageant
des mythes : celui du « fer à cheval » politique pour les oscillations, celui d’un
« système de Yalta » pour leurs internationalisations, celui d’un « Ennemi
total » pour leurs orientations. Ainsi, à travers mythes et discours, actions
publiques et stratagèmes internes, peut se reconstruire l’objet « fascisme ».
Premiere partie :
Oscillations

Le fascisme a toujours bénéficié d’une composante européiste au sein


de sa dialectique. La recherche incantatoire d’une « troisième voie » est
aussi prégnante que les appels à la (re)naissance de l’Europe, et les deux
thèmes sont en fait difficilement dissociables. L’écroulement de l’Axe et la
marginalisation de ses anciens partisans ont porté cet élément au premier
plan : le rêve européen devait sauver le fascisme de lui-même, de ses pulsions
chauvines et réactionnaires. L’échec sanglant de l’O.A.S. porte la révolution
dans la doctrine idéologique et stratégique (deux phénomènes connexes
quand il s’agit de se percevoir comme révolutionnaire). L’attitude face à
mai 1968 induit une volonté d’ouverture au monde et l’appropriation
partielle du champ lexical et culturel des gauches. Les nationalistes se
détachent de l’imitation historique servile et de la sphère du combat
activiste, d’où la mise sur le marché idéologique d’un nombre croissants
de produits politico-culturels ; ainsi peut-on noter que « vehicles of fascism’s
metapoliticization are Eurasianism, Third Positionism, and its off-shoot or
close cousin, National Bolshevism (though some forms of Third Positionism are
violently anti-Communist)1 ».
Puisque la naissance même du courant N.R. en France n’est pas sans
être sous l’influence de l’analyse universitaire de la Révolution Conserva-
trice, la forte tendance du nationalisme-révolutionnaire à l’oscillation ne
souffre pas d’aporie. Cependant, l’affirmation d’un dégagement du clivage
droite – gauche n’est pas aisée, ni en cette période ni dans ce pays. Lorsque

1 R. Griffin, « Fascism’s new faces (and new facelessness) in the “post-fascist” epoch », Erwägen, Wissen,
Ethik, vol. 15, n°3, 2004, § 30.
18 NICOLAS LEBOURG

l’oscillation ancre les N.R. au sein des extrêmes droites, ils doivent encore
savoir comment ils y agissent et se représentent pour comprendre pour-
quoi ils mènent une existence indépendante plutôt que de rejoindre des
camps qui y sont préétablis. Lorsque le mouvement les entraîne vers la
gauche, ils se retrouvent confrontés moins à la question de leurs contradic-
tions internes qu’à celles de leur stratégie et de leur nature.

1. Les Décombres

Sublimant la nation par l’apologie de la culture et de la race, Europe-


Action a connu bien des soupçons de néo-nazisme, repoussés d’une main
ferme. Car si Europe-Action se présente sans cesse sous l’angle européiste,
son discours accumule néanmoins les ambiguïtés en amalgamant la
question de la civilisation continentale à celles de l’Occident et de la lutte
des races, le mouvement arguant que l’Europe est « un cœur dont le sang
bat à Johannesbourg et à Québec, à Sidney et à Budapest2 ». Le fait que les
jeunes gens qui l’animaient aient attiré à eux les anciens Waffen S.S. Jean
Castrillo et Pierre Bousquet ne relève pas de l’anecdote sans valeur, pas plus
que sa mention du procès d’intention.
A la Libération, les leaders collaborationnistes ont disparu : Jacques
Doriot est abattu sur le territoire allemand où il s’était réfugié, Marcel
Bucard et Joseph Darnand sont fusillés et Marcel Déat se cloître en Italie.
Ce sont donc des seconds couteaux qui prennent en charge la transmission
de leur flamme idéologique. Chez les anciens Waffen S.S. français, ce sont
d’abord Marc Augier, dit Saint-Loup, et René Binet. Au delà de leurs
divergences, ils représentent une ligne commune : celle d’une analyse
du nazisme en tant qu’européisme anti-matérialiste et socialiste. Augier
était en 1936 chargé de mission auprès de Léo Lagrange, le ministre de
la Jeunesse du gouvernement Blum. En 1941, il participe à la création du
Groupe « Collaboration, groupement des énergies françaises pour l’unité
continentale », qui milite pour l’édification d’un « bloc économique
eurafricain, acheminement vers l’institution d’une économie mondiale

2 J. Mabire, « Notre nationalisme européen », Europe-Action, juillet-août 1965, cité dans A-M.
Duranton-Crabol Visages de la nouvelle droite. Le G.R.E.C.E. et son histoire, 1988, p.27.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 19

unifiée3 ». Il s’occupe plus particulièrement de sa section des Jeunes de


l’Europe Nouvelle (J.E.N.) puis intègre la Légion des Volontaires Français
contre le bolchevisme (L.V.F.). Condamné à mort à la Libération, il
est amnistié en 1951. Il publie en 1965 un ouvrage d’importance pour
l’élaboration idéologique d’Europe-Action, puis de la Nouvelle droite, y
contant l’existence dans la S.S. d’un courant pro-Europe des ethnies et
anti-pangermanisme, et en appelle ainsi à l’édification d’une Europe qui
soit une fédération völkisch4. L’ancien Waffen S.S. s’est reconverti dans
l’écriture d’ouvrages magnifiant la “geste” de son ordre, recyclant dans
une pseudo-histoire les thèmes dont il assurait déjà la propagande au sein
des publications S.S. : cette armée n’était pas celle de l’impérialisme nazi
mais une armée européenne, réalisant l’unité du continent par sa croisade
contre le bolchevisme et par l’avènement d’un Reich fédérant les ethnies
d’Europe, ce que Saint Loup nomme les « patries charnelles » aujourd’hui
engoncées dans le cadre national. Saint-Loup n’abandonne pas non plus
l’écriture ouvertement militante, ainsi participe-t-il à Europe-Action, ou
plus tard, et épisodiquement, au Devenir européen, l’organe « ethniste-
socialiste » de l’ex-Waffen S.S. Yves Jeanne, lui aussi partisan d’une Europe
des ethnies et d’une alliance blanche mondiale5.
Un autre Waffen S.S. a influencé tant la Nouvelle Droite que les
néo-fascistes, René Binet. Celui-ci a connu une évolution politique

3 Contribution de la section économique du Groupe « Collaboration » à l’Etude des problèmes eu-


ropéens, Paris, mai 1941, p.4. Le discours de Saint-Loup est moins technocratique : « Comment
n’avez vous pas encore compris que les petits concepts nationaux étaient aujourd’hui dépassés ?
Comment n’avez vous pas encore compris qu’il ne s’agissait plus d’une guerre pour des territoires ou
des dynasties, mais de la guerre civile de l’Europe ? (…) Le véritable enjeu du présent conflit [c’est]
la construction du socialisme dans une Europe unifiée » (M. Augier, Les Jeunes devant l’Europe Nou-
velle, Les Conférences du groupe « Collaboration », Paris, octobre 1941, pp.28-33). Les J.E.N. se
sont essentiellement consacrés à la promotion de la L.V.F., et ont intégré le Front Révolutionnaire
National de Déat. La plupart des militants sont ensuite passés à la Milice, ou vers la division S.S.
Frankreich (F. Duprat, Les Mouvements d’extrême droite en France de 1940 à 1944, L’Homme libre,
Paris, 1998, première édition : 1971, pp.148-149).
4 « Völkisch » est intraduisible. En sus de sa dimension mystique, «populiste» et agrairienne, il si-
gnifie « raciste » et à partir de 1900 « antisémite ». Les Völkischen sont les adeptes de l’idéal du Blut
und Boden (« Sang et Sol »).
5 Yves Jeanne fut militant monarchiste, membre du P.P.F., Waffen S.S., président algérois des Amis
de Rivarol, animateur des Amis de Défense de l’Occident, responsable du Mouvement Social Euro-
péen ainsi que du Parti Français National-Communautaire, animateur de la Fédération Ouest-Eu-
ropéenne de la World Union of National-Socialists, membre de la Fédération d’Action Nationaliste
et Européenne de 1967 à 1970 (Article 31, juillet 1985). Le Devenir européen milite pour l’Europe
des régions mono-ethniques, son nationalisme breton accorde une forte place à la pensée évolienne
dans une revue qui ne se cache guère de ses références nazies ; il a été en contact avec le G.R.E.C.E.
et la F.A.N.E. Son titre fait référence au journal francophone de la Waffen S.S., dont Saint-Loup
laissa croire qu’il en fut le rédacteur-en-chef.
20 NICOLAS LEBOURG

en plusieurs temps : trotskyste puis stalinien, il quitte le P.C.F. pour le


Parti Populaire Français lors de la fondation de ce dernier. En septembre
1939, il est poursuivi pour distribution de tracts « nuisibles à la défense
nationale ». Son engagement dans la Waffen S.S. lui vaut condamnation
à six mois de prison en 19476. Son Combattant européen d’après-guerre,
à côté de l’antisémitisme obsessionnel, révèle clairement une exécration
des matérialismes américain et russe ainsi que de toute promiscuité inter-
raciale. Le refus du stationnement des troupes américaines et russes en
Europe est d’ailleurs largement exprimé via le refus d’y voir des Noirs et
des « Mongols », et l’union de l’Europe est bel et bien une union racialo-
culturelle. « Notre conception de la Race », expose le périodique, est celle
d’un moteur de l’histoire recouvrant l’idée « de la substitution lente ou
rapide des races aux races ». Il s’agit donc de procéder à la jonction entre
ex-résistants qui eussent voulu une France forte dans une Europe socialiste,
et ex-Waffen S.S., qui eussent été les artisans d’une « fédération des Etats
N.S. d’Europe », afin de libérer leur terre car « l’occupant a changé mais
l’occupation est restée. Les anglo-américains d’abord et maintenant, plus
sournoisement, les Juifs et les nègres occupent notre pays7 ».
Binet cherche à affiner ses idées et, à partir de 1950, qualifie sa doctrine
non de nazisme, non plus de « socialisme européen », mais de « réalisme
biologique ». Il s’agit de présenter le projet comme la transcription dans
le champ politique des “vérités” des sciences expérimentales et le racisme
comme étant ce qu’eût raté le marxisme, un socialisme scientifique : « la
lutte pour la race est une lutte socialiste et la lutte pour le véritable socialisme
est un moyen d’atteindre à la libération de la race », d’abord entamée
par « une ségrégation absolue à l’échelon mondial comme à l’échelon
de la Nation8 ». Pour diffuser ces idées, Binet est de toutes les tentatives
nationalistes, jusqu’à son décès accidentel en 1958. Dès la chute de l’Axe,
il tente de fonder une internationale avec Bardèche et l’Américain Francis-

6 Le Monde, 30-31 octobre 1949.


7 Le Combattant européen, avril 1946 ; idem, juin 1946. La jonction ne s’opéra pas : Binet et 29
de ses partisans furent poursuivis pour l’organisation d’un meeting tenu à la Mutualité en 1948 au
titre de « complot contre la Sûreté intérieure de l’Etat ayant pour but d’inciter à la guerre civile » :
il s’avère que les inculpés étaient tous d’ex-collaborationnistes, L.V.F., Waffen S.S. ou miliciens (19
militants furent renvoyés en correctionnelle pour reconstitution de groupes dissous et trois, dont
Binet, poursuivis pour les caches d’armes qu’ils avaient constituées).
8 R. Binet, Théorie du Racisme, s.e., Paris, 1950, p.24 et p.35.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 21

Parker Yockey9. Son opposition avec Yockey vient que chacun d’eux veut
commander à l’autre et lui imposer ses principes. Il se heurte également à
Bardèche, lorsque ce dernier travaille à la fondation de la première tentative
sérieuse de construction paneuropéenne nationaliste. En 1950, le néo-
fasciste Mouvement Social Italien procède à deux réunions qui regroupent
la fine fleur des nationalistes et des épurés de France, Angleterre, Espagne,
Italie, Suède, Danemark, Norvège, Allemagne, Belgique et Suisse, ainsi que
des émigrés albanais et roumains. L’année suivante, soixante congressistes
d’Allemagne, du Danemark, d’Espagne, de France, d’Italie, de Suède, de
Suisse, de Norvège, ainsi que des émigrés baltes se retrouvent en Suède,
à Malmö. De la réunion naissent, d’une part, le Mouvement Social
Européen et, d’autre part, le mythe d’une Internationale noire subversive.
Le M.S.E. entend réhabiliter le fascisme, mais sans servilité, malgré la forte
présence d’anciens Waffen S.S. en son sein. Il prône la construction d’un
empire européen anticommuniste, corporatiste, placé sous la direction
d’un chef désigné par plébiscite. L’Empire devrait disposer de règles de
défense et d’économie communes à ses nations intégrées, dont, à certaines
conditions, des colonies ; il oeuvrerait à « une éducation morale, chrétienne,
au renouvellement spirituel des hommes, de l’Etat et de la société10 ».
Les Français sont regroupés dans un Comité National Français
dirigé par Bardèche, toutefois, dès juillet 1952, Binet en est le maître
et Bardèche a constitué en remplacement un Comité de Coordination
des Forces Nationales, rassemblement de divers groupuscules tel que le
Mouvement Populaire Européen. La ligne de fracture est personnelle mais
aussi politique : Bardèche récuse la ligne raciale que veut imposer Binet,
ce dernier rejette l’orientation trop droitière et légaliste de Bardèche. In

9 Militant de l’extrême droite américaine de Coughlin, qui mêlait catholicisme social et antisé-
mitisme conspirationniste en une tonalité qui pour être fascisante n’en était pas moins avant tout
réactionnaire, Yockey sous le pseudonyme d’Ulrick Varange, publie Imperium en 1948. L’ouvrage
est inspiré par les révolutionnaires conservateurs allemands Spengler et Schmitt et voit en l’Europe
une communauté de destin davantage basée sur la culture que sur la race, mais pour son auteur
l’élément fondamental est que cette culture des peuples blancs serait détruite par le complot juif
appuyé sur ses moyens de propagande, tels que Hollywood. Chez Yockey, tout revient à la question
juive, le complot judéo-sioniste n’ayant d’autre souhait que de détruire la civilisation occidentale
afin d’asseoir sa maîtrise du monde (cf. F.P. Yockey, Le Monde en flammes, s.d., s.p. La traduction
française est de Charles Culbert, militant solidariste, membre du Mouvement Nationaliste-Révolu-
tionnaire, et rédacteur à Défense de l’Occident).
10 I.R. Barnes, « Antisemitic Europe and the «Third Way» : the ideas of Maurice Bardèche », Patterns
of Pprejudice, vol. 34, n°2, 2000, p.62 ; G. Desbuissons, Itinéraire d’un intellectuel fasciste : Maurice
Bardèche, thèse de doctorat de sciences politiques, I.E.P. de Paris, 1990, pp.30-32 ; F. Duprat, 1998
(1972), pp.50-54 ; Camus et Monzat, Les Droites nationales et radicales en France, P.U.L., Lyon,
1992, pp.366. Duprat précise que, dès 1950, Bardèche a joué un rôle moteur dans le processus de
création du M.S.E.
22 NICOLAS LEBOURG

fine, Bardèche est vaincu en cette guerre d’usure, d’autant qu’elle a englobé
internationalement le M.S.E. en le plongeant dans un fractionnisme
fratricide11. Avec des militants d’Allemagne, d’Angleterre d’Italie, d’Irlande,
de France, du Portugal, de Norvège, de Suisse et de Wallonie, Binet fonde
sa propre internationale raciste, le Nouvel Ordre Européen. Celle-ci est
réputée pour son néo-nazisme folklorique : elle a pourtant non seulement
influencé Europe-Action mais en certains points préfigure tant le discours
de la Nouvelle droite des trente dernières années que les préoccupations
des N.R. Si elle refuse l’unité du monde blanc, arguant qu’ « américanisme
et bolchévisme nous sont également étrangers et ennemis », elle fait montre
dans son texte fondateur d’un intérêt particulier pour l’organisation raciale
du monde :

La hiérarchie des races ne peut être fondée que sur leur


confrontation et par la suite sur le respect des particularités et des
traditions de chacune. (…) Il nous appartient : 1) d’affirmer notre
volonté de restituer à leurs traditions propres les races des pays colonisés
par l’Europe ; 2) de substituer au régime colonialiste actuel un régime
d’association dans le respect des traditions propres de chaque race,
accompagné d’une ségrégation raciale sévère dans l’intérêt de chacun
des contractants ; 3) de réclamer et de réaliser le retour des groupes
allogènes dans leurs espaces traditionnels12.

Le discours et l’idéologie préfigurent ainsi tout à la fois les deux


premières grandes périodes néo-droitières, celles du racialisme d’Europe-
Action, comme celle de l’ethnodifférencialisme du Groupement de
Recherches et d’Etudes pour la Civilisation Européenne (G.R.E.C.E.).
« Réalisme biologique », concept de Nation ramené en-deçà de celui de
race, entente entre les peuples blancs d’Europe contre la destruction des
particularismes biologiques et culturels : Saint Loup, Binet et Yockey
laissent leur legs à Europe-Action. La thématique d’une Europe des ethnies,
qui devient un thème central tant du néo-nazisme que du nationalisme-
révolutionnaire, et qu’Europe-Action est la première à réellement mener
sur le devant de la scène idéologique, doit aussi beaucoup au ralliement de
Jean Mabire.
Militant de la cause normande, ce dernier anime en ce sens, de 1949

11 Direction Nationale de la Sûreté Nationale, Direction des Renseignements Généraux, Partis


et groupements politiques d’extrême droite. Tome I : Identification et organisation des mouvements et
associations, janvier 1956, pp.11-52 (A.N. F7/15591).
12 Déclarations du Nouvel Ordre Européen, s.e., 1958, pp.1-3.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 23

à 1958, une revue dont l’intitulé est déjà un programme : Viking. Officier
de réserve, il combat en Algérie. Il rejoint à l’automne 1962 L’Esprit public,
journal lié à l’O.A.S., puis le quitte en mai 1965 pour devenir le rédacteur-
en-chef d’Europe-Action, estimant que le nationalisme doit procéder à une
triple révolution interne : a) échapper au stade de la réaction pour devenir
une vision du monde ; b) sortir de la thématique Algérie française (d’où
une apologie romantique de la fièvre nazie, pour mieux se lamenter
qu’aujourd’hui « les soldats nègres et les guerriers mongols veillent face à
face devant [la] porte de Brandebourg [tandis que nous] pensons à peine
l’Europe [et] ne pensons jamais à l’indispensable unité russo-américano-
européenne qui constituera demain le triple front nordique et occidental
contre l’inéluctable marée asiatique ») ; c) suivre l’exemple des débuts du
parti nazi (le N.S.D.A.P.) : seul compte qu’une communauté d’hommes,
partageant totalement une doctrine et un destin, reste compacte jusqu’au
jour où les conditions historiques lui assureront une victoire-éclair13.
La perception de la constitution d’un entre-soi compact et détaché du
temps, facteur palingénésique du monde en attente, peut certes paraître
politiquement surprenante. Suite à l’assassinat de François Duprat, Michel
Faci affirmait que les nationaux voulaient en profiter pour expurger le Front
National des N.R. et qu’il fallait dès lors « s’attendre à une grave crise au
sein du F.N., et donc appliquer la tactique de Duprat : former des groupes
locaux capables de survivre en autarcie à l’éventuelle chute du F.N., en
attendant des jours meilleurs14 ». Cette volonté d’underground envers et
contre tout, combinée au phantasme du camp, s’appuie sur des icônes
dont elle se nourrit culturellement, celles des minorités révolutionnaires
triomphantes et, souvent, sur ce qui est retenu de la philosophie du temps
révolutionnaire-conservatrice (“nous vivons l’interregnum et les minorités
agissantes comportent en devenir l’établissement du prochain cycle par la
conservation de l’esprit”) ou de la philosophie évolienne revue par Franco
Freda (“nous vivons le Kali-Yuga, l’âge sombre précédant l’âge doré, et les
néo-fascistes en tant que créatures prométhéennes se regroupent en cellules
pour précipiter la fin des âges”). Il est donc ici plus qu’un comportement

13 L’Esprit public, février 1963 ; idem, février-mars 1966. Les thèses radicales pro-Europe des
ethnies de J. Mabire sont peu au goût de l’essentiel des rédacteurs mais très suivies au sein du Ras-
semblement de l’Esprit Public, groupe militant fondé par le journal en janvier 1964. La proximité
idéologique avec Europe-Action entraîne un accord de coopération entre le R.E.P. et la Fédération
des Etudiants Nationalistes (Direction Centrale des Renseignements Généraux, «Rassemblement
de l’Esprit Public », Informations hebdomadaires, 23 juin 1964, p.5 ; A.N.1 F7/15573).
14 Peuple et Nation, mai 1978.
24 NICOLAS LEBOURG

politique : une culture15.


La rhétorique du réalisme biologique vient ainsi offrir un nouveau
souffle au nationalisme qui s’extrait de la nation pour se situer dans le
domaine de la race et de l’occidentalisme. Les arguments jadis amplement
brandis de l’intégration de l’Algérie sont abandonnés, Mabire stipulant
que celle-ci n’eût été que « la France algérienne », et signale qu’il n’a pu se
féliciter de combattre outre-méditerranée car partisan de « la Normandie
normande. On me mobilise pour combattre l’Algérie algérienne. Quelle
ironie ! » L’argument fera les beaux jours de l’ethnodifférencialisme et de
l’anti-impérialisme N.R., et il est doublé d’un projet racialiste, l’auteur
précisant, en une formule que n’eût pas renié René Binet : « l’Internationale
européenne a déjà eu ses martyrs. Pendant la dernière guerre les hommes
des maquis communistes et les volontaires du front de l’Est, au-delà de
leurs patries charnelles, se battaient pour une plus grande patrie qu’ils
nommaient du même nom de Socialisme16 ».
La défaite du colonialisme creuse un vide propice à l’instauration de
ce discours appuyé sur la polysémie du concept d’Occident, perçu tout
à la fois comme lieu de la race blanche en lutte contre les populations
du Tiers-Monde et comme citadelle de résistance au bolchevisme. Par
rapport au mouvement de référence de l’extrême droite des années 1950,
le nationaliste anti-européen Jeune Nation, cela signifie une évolution du
racisme, réflexe et acte, au racialisme comme fondement du politique. En
effet, les structures précitées essaiment des idées plus qu’elles n’attirent des
hommes : ceux d’Europe-Action proviennent d’abord de Jeune Nation. La
formation a été fondée en 1949 et est dirigée par les trois frères Sidos, fils
d’un milicien fusillé. Premier mouvement activiste d’ampleur, matrice de
ceux qui s’ensuivront, y compris de certains N.R. idéologiquement éloignés,
J.N. a vu passer en ses rangs nombre de jeunes gens qui se retrouvent par
la suite au sein ou aux marges de la mouvance N.R. : Duprat, Dominique
Venner (nationalisme-européen), Alain de Benoist (Nouvelle droite),
Pierre Vial (Nouvelle droite völkisch), etc. Le mouvement, en référence
au Parti franciste de Bucard, est mené officiellement par une direction
collégiale, nommée « conductoire » ; cette forme est celle proclamée par
tous les mouvements N.R. et par un très grand nombre des mouvements

15 Cf. R. Griffin, « Between metapolitics and apoliteia : the Nouvelle Droite’s strategy for conserving
the fascist vision of the “interregnum” », Modern and contemporary France, février 2000, pp.35-53.
16 L’Esprit public, mai 1963.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 25

nationalistes qui s’ensuivent17. J.N. n’a pu trouver quelque élan qu’avec les
anciens d’Indochine, à partir de 1953, avec la venue en 1955-1956 d’anciens
collaborationnistes (surtout issus de la Milice, du francisme et du P.P.F.) et
de jeunes militants gaullistes en rupture de banc, mais il ne dispose que
d’une centaine de membres à la veille du 13 mai18. Son emblème, la croix
celtique, est devenu celui de tous les mouvements nationalistes, quitte à ce
qu’ils soient fort éloignés idéologiquement de J.N., et s’exporte amplement
en Europe. Ce logotype devient synonyme et marqueur d’activisme néo-
fasciste. Il est parfois rejeté pour se distinguer de la facette provocatrice
du nationalisme ; partant, dès qu’il est abandonné, est choisie une autre
appellation doctrinale. Ainsi, lorsque se restructure la tendance qui se dit
« solidariste », elle choisit explicitement ce terme pour éviter l’étiquette de
« néo-fasciste », et son symbole, le trident, pour marquer sa différence avec
la croix celtique.
Suite aux évènements insurrectionnels du 13 mai 1958, J.N. est
dissous pour atteinte à la sûreté de l’Etat, tandis que ses leaders Domique
Venner et Pierre Sidos sont arrêtés. Une structure clandestine est, par
définition, insuffisante à la déstabilisation d’un régime disposant de bonnes
assises. D’abord exempte de membres étudiants, J.N., par le hasard d’une
rencontre entre un groupe estudiantin et Dominique Venner, lors d’un
collage, recrute en ce milieu à compter de 1957, constituant un groupe
d’une quinzaine de militants et d’une soixantaine de sympathisants actifs19.
Or, il s’avère que depuis 1950, les questions des colonies et de l’adhésion
au communisme ou de son rejet entraînent des tensions avouées au sein
de l’Union Nationale des Etudiants de France. La tactique est simple : les
étudiants nationalistes vont profiter du congrès de l’U.N.E.F. d’avril 1960
pour annoncer leur indignation face à la “dérive marxiste” du syndicat.
Les “étudiants indignés” créent la Fédération des Etudiants Nationalistes,
ainsi fondée par, entre autres, Duprat, déjà responsable de la section

17 F. Charpier, Génération Occident, Le Seuil, Paris, 2005, p.28. Bucard (1895-1946) fonda le Parti
franciste en 1933 ; la collaboration de ses hommes avec les nazis dans la répression de la Résistance
lui a valu condamnation à mort.
18 Direction des Renseignements Généraux, Confidentiel : 11 mouvements nationalistes français,
mars 1958, p.10 ; A.N. F7/15591 (contre 500 militants en 1954 précise le document). Cinq cel-
lules seraient actives à Paris (L’Humanité, 1er janvier 1957).
19 O. Dard, « Jalons pour une histoire des étudiants nationalistes sous la IVe République », Histo-
riens & Géographes, juillet-août 1997, pp.252-253 et p.259. L’auteur souligne que les étudiants de
J.N. sont avant toute chose des lycéens. Cette forte présence de membres des classes préparatoires
se trouvent ensuite encore dans les bataillons d’Occident et d’Ordre Nouveau. Signe révélateur des
transformations sociologiques de l’extrême droite, quarante ans plus tard, les lycéens d’Unité Radi-
cale ne sont plus en «classes prépas» mais en lycée technique ou technologique.
26 NICOLAS LEBOURG

Jeunes-Lycéens-Etudiants de J.N., et Georges Schmetz, qui en assure la


présidence.
La réflexion idéologique est le cheval de bataille de la F.E.N. Or,
avec l’O.A.S., apparaît dans l’extrême droite française la dénonciation du
« Système », liée à celles des « cosmopolites » et de la « trahison ». Il s’agit là,
dans les colonnes de la presse aussi bien que sur les tracts, de la résurgence
du champ discursif des extrêmes droites allemandes de l’entre-deux-
guerres (dénonçant cosmopolitisme et trahison du Systemzeit de Weimar),
et tout particulièrement du tronc lexical commun aux révolutionnaires-
conservateurs et nationaux-socialistes. L’intrusion de ce vocabulaire a de
profondes conséquences idéologiques. La F.E.N. prend ses distances avec
ses aînés et une circulaire interne de 1961 ordonne aux militants de rompre
avec toute autre structure qu’elle-même, proclamant « l’autarcie » du
mouvement20. Sous l’égide de la F.E.N., le nationalisme classique originel
est en train de subir une (r)évolution résultant d’un “putsch” interne mené
par l’équipe publiant Europe-Action à compter de 1963.
Europe-Action se présente sans cesse sous l’angle européiste tandis
que son discours accumule les ambiguïtés en amalgamant la question de la
civilisation continentale à celle de la suprématie de la race blanche. Alors que
sont franchement affichés darwinisme social et racialisme (le mouvement
opérant en particulier une campagne sur le thème « sous-développés, sous-
capables »), le nazisme et le fascisme sont présentés sous leur meilleur angle
(avec force révisionnisme) mais sont dits être morts avec leurs fondateurs. La
« Communauté du peuple » relève de l’organicisme völkisch en regroupant
« la terre et le peuple, le sol et le sang (…) ceux du même sang, de la même
culture et du même destin ». De cet aggiornamento découle une complète
transformation de l’acception du mot « nationalisme », dorénavant ainsi
défini : « doctrine qui exprime en termes politiques la philosophie et
les nécessités vitales des peuples blancs ». Face à un tel changement de
combat, doit s’opérer un changement de méthode et la tentation activiste
est désormais vouée aux gémonies en tant qu’« attitude du révolté qui n’est
pas encore devenu un révolutionnaire21 ». Les choix lexicaux témoignent
d’une fascination pour le nazisme. C’est dire si la volonté d’agir en
politique, d’être en prise avec le réel, vient souvent se briser sur une image
marginalisante. Certains éléments soulignent également l’influence de
Jean Thiriart qui, avant Europe-Action, prônait la construction du monde

20 Citée in Direction des Renseignements Généraux, Bulletin de documentation, mai 1962, p.2.
21 Dans « Dictionnaire du militant », Europe-Action, mai 1963, pp.52-80.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 27

blanc, « communauté de Narvik au Cap, de Brest à Bucarest22 ».


Les rêves conjoints de constitution d’une Europe unie et d’un parti
européen intégré sont en effet profondément liés à l’histoire de Thiriart.
Celui-ci eût commencé à militer dans les rangs de la Jeune Garde Socialiste
avant de rejoindre en 1939 la Légion Nationale puis l’Association des
Amis du Grand Reich Allemand. Dans une lettre à Christophe Bourseiller
(1989), il écrit que « la plus belle, la plus exaltante partie de ma vie, a été
le pacte germano-soviétique. Ribbentrop est à cent coudées, mille coudées
au dessus d’un Talleyrand ou d’un Metternich23 ». Le propos laisse à penser
que, dès cette époque, une vision de nationalisme-européen l’aurait porté,
mais il se fait d’abord connaître dans le cadre anticolonialiste. En juillet
1960, il participe à la fondation du C.A.D.B.A., le Comité d’Action et
de Défense des Belges d’Afrique. Plus l’indépendance du Congo semble
inéluctable, plus le groupe adopte une ligne de suprématisme blanc et
européen. D’un nationalisme belgiciste colonialiste et fidèle à la couronne,
il évolue vers une dimension européenne, prônant le soutien à l’O.A.S. et
l’intégration de l’Algérie, adoptant la croix celtique de J.N.
Le C.A.D.B.A. se transforme dès lors en Mouvement d’Action
Civique qui recrute d’abord par le biais d’une circulaire aux anciens de
la Légion Nationale. Son but est d’user des tensions de la décolonisation
pour accroître les mécontentements et diriger ceux-ci vers une structure
partisane dont il s’assurerait le contrôle discret par son noyautage24.
Il publie les communiqués codés à l’usage des groupes terroristes sis en
Algérie, imprime le principal journal de l’O.A.S.-Métro, organise le repli
de terroristes français sur le territoire belge. Pour Thiriart il est patent que
le combat pour l’Algérie française est le combat et la défense de l’Europe
toute entière : il édite son premier opuscule européiste, Le Manifeste à la
nation européenne, où il rêve pour la première fois de la constitution d’un

22 Cité dans S. Dumont, Les Brigades noires. L’extrême droite en France et en Belgique
francophone de 1944 à nos jours, E.P.O., Berchem, 1983, p.21.
23 Cité dans C. Bourseiller, La Nouvelle extrême droite, Le Rocher, Monaco, 2002, p.114. Joachim
von Ribbentrop (1893-1946) n’a rallié le parti nazi qu’en janvier 1932, mais Hitler l’estimait, en fit
son conseiller pour les relations étrangères dès 1933, et le nomma ministre des affaires étrangères en
1938. Ribbentrop ne raisonne pas en termes de races ou d’idéologies, mais d’espaces géographiques,
d’où sa volonté d’entente avec les puissances continentales afin de bâtir d’abord une Grande Al-
lemagne jouissant d’un Empire africain, puis, second projet, un espace unifié qui irait de Madrid
jusqu’au Pacifique. A partir de 1941, ses lubies lui font perdre toute influence auprès de Hitler. En
1946, il est jugé à Nuremberg et pendu.
24 F. Balace, « Le Tournant des années soixante, de la droite réactionnaire à l’extrême droite révo-
lutionnaire », De l’avant à l’après-guerre, l’extrême droite en Belgique francophone, De Boeck-Wemael,
Bruxelles, 1994, pp.137-140.
28 NICOLAS LEBOURG

Etat-Nation européen « de Brest à Bucarest » ; cherchant un terme pour


le régime qu’il souhaite y édifier, il décide d’abandonner celui de fascisme
au profit de « communautarisme ». En août 1961, le Wallon participe à
une réunion avec Peter Kelist, chef du Deutsche Reichspartei, Ion Emilanu,
ancien chef de la Garde de Fer et président du Bloc Antibolchevique des
Nations « ainsi que des “colonisateurs” blancs venus d’Afrique du Sud,
d’Angola, du Congo et d’Algérie25 ». A son retour de la réunion européenne
de Venise, Thiriart est arrêté avec d’autres membres du M.A.C. dans le
cadre de la répression des soutiens de l’O.A.S. Emprisonné un mois, il
entame l’écriture de ce qui reste son opus magnum, Un Empire de 400
millions d’hommes : l’Europe, qu’il auto-édite en 1964.
Le M.A.C. s’est approprié le but du protocole de Venise : la constitution
du parti européen. Jeune Europe est devenu le nom du journal du groupe
à compter de son numéro de janvier 1963 et le M.A.C. se décrète branche
belge de J.E. dès septembre 1961. Le mouvement, centralisé, ouvre en
un an des sections (aux effectifs toujours modestes) dans de nombreux
pays : Espagne, Autriche, Allemagne, Italie, Angleterre, Pays-Bas, Afrique
du Sud, Portugal, Suisse, Brésil, Canada et Colombie. Dans les groupes
notables, outre les Italiens qui sont un cas spécifique, se distinguent
les Sud-Africains d’Eurafrika (un nom programmatique) et la section
autrichienne, Junges Europa, qui procède sur la question du Sud-Tyrol à
une scission qui la transmue en Legion Europa. Menée par Fred Borth (à
17 ans officier de la Waffen S.S. décoré de la croix de fer) le mouvement
perpètre des attentats en Italie et Autriche. Mais il organise aussi une
internationale dissidente Europafront, avec les scissionnistes flamingants
d’une Jong Europa renvoyée par Thiriart au « ghetto néo-nazi » (1963).
Europafront récupère les liens qu’avaient eu le M.A.C. puis J.E. avec le
Nouvel Ordre Européen. Elle réorganise les éléments germaniques de J.E.
et joue son rôle dans les tensions du néo-nazi N.P.D. de même qu’elle
participe, via Lothar Penz, tout à la fois à la production du mouvement
N.R. allemand et à l’introduction des thèses du G.R.E.C.E. en Allemagne,
en menant une politique d’infiltration des Verts basée sur un discours
qui se dit « solidariste ». Quant aux Français, ils peinent d’autant plus à
composer un groupe que la formation est interdite en 1961, pour cause
d’O.A.S., et son journal en 1963, pour son racisme.
L’intitulé même de la formation peut prêter à bien des interprétations.
La première apparition de cette dénomination, c’est la Giovane Europa

25 P. Moreau, Les Héritiers du IIIe Reich. L’Extrême droite allemande de 1945 à nos jours, Le Seuil,
Paris, 1994, pp.58-59.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 29

de Giuseppe Mazzini (1805-1872), la personnalité phare du jacobinisme


italien. Il s‘agit d’un nationalisme républicain et révolutionnaire. Sa
G.E. se considère comme une préfiguration du faisceau des Républiques
européennes. En 1932, les fascistes récupèrent cette icône en tentant de
relancer une internationale G.E. à leur goût, et la Revista del fascismo
universale qu’était Ottobre affirmait : « ou la vieille Europe ou la jeune
Europe. (…) Le fascisme est le fossoyeur de la vieille Europe. Voici que
surgissent les forces de l’Internationale fasciste26 ». Jeune Europe fut ensuite
le titre d’un ouvrage (1933) de piliers de L’Ordre Nouveau, les non-
conformistes Alexandre Marc et René Dupuis, qui voyait dans l’U.R.S.S.,
le IIIe Reich et l’Italie fasciste la « Jeune Europe » pouvant revivifier les
vieilles démocraties grâce à leur caractère « total ». Mais deux expériences
de « Jeune Europe » sont encore plus notables pour l’histoire de Thiriart.
En 1930 est née à Genève une Union Jeune Europe qui veut faire de la
Suisse l’embryon d’une fédération européenne. Ses fondateurs connaissent
bien l’œuvre de Mazzini, mais ils visent surtout par ce nom à opposer une
Europe de la paix et de la solidarité à la “vieille Europe” des nationalismes.
L’U.J.E. met en place ses sections en Suisse, Allemagne, France,
Luxembourg, Pays-Bas, mais sa section la plus fournie et dynamique est en
Belgique. Elle y est fondée en 1932 et compte, dès 1933, 5 000 adhérents
et un journal, Jeune Europe. Face à l’évolution de la situation internationale,
l’U.J.E. s’écroule, sauf en Belgique où elle décide en conséquence de ne
plus s’adresser aux masses, mais aux élites et aux mouvements de jeunesse
de toutes les obédiences politiques, et de s’ouvrir à la nouvelle Allemagne
dans une perspective de rapprochement pacifiste. J.E. a pour moteurs les
époux Didier, Edouard et Lucienne, qui fondent un salon à Bruxelles,
le « club Jeune Europe ». D’abord fréquenté par des jeunes intellectuels
pacifistes de formation socialiste ou chrétienne, il accueille ensuite Henri
de Man, le “Déat belge”, les membres de Rex et le diplomate allemand
Otto Abetz. Au nom du pacifisme, J.E. soutient la politique hitlérienne,
conçue comme un rééquilibrage après la paix injuste de Versailles. Lorsque
le IIIe Reich occupe le royaume, les époux Didier lancent avec des fonds
allemands les éditions de la Toison d’Or, qui promeuvent la construction

26 Ottobre cité dans P. Milza, Les Fascismes, Imprimerie nationale, Paris, 1985, p.283. Pour Mus-
solini c’est l’Etat, c’est-à-dire son Chef, qui crée la nation : grande différence, mais il y a dans le
mazzinisme un lien tiré entre peuple et nation, révolution et nation, Etat unitaire et nation, qui
constitue un élément important dans la constitution de l’alchimie fasciste.
30 NICOLAS LEBOURG

de l’Europe nouvelle en diffusant la littérature des services de Ribbentrop27.


Le IIIe Reich réalise lui-même un journal intitulé La Jeune Europe,
rédigé en Allemagne directement en une douzaine de langues afin de
vanter, dans la collaboration et l’engagement dans la Waffen S.S., « la lutte
pour la libération européenne ». La diffusion de l’organe est assurée par
les collaborationnistes, par exemple en France par les Jeunes de l’Europe
Nouvelle28. Déat y assure que la présence française en Afrique est celle
de l’Europe, l’Allemand Matthias Schmitt assène que l’Allemagne unifie
l’Europe et l’Italie l’Afrique afin d’aboutir à une communauté « depuis
Hammerfest jusqu’au Cap », l’Italien Bruno Francolini stipule qu’après
la guerre la colonisation de l’Afrique devra être basée sur l’interdiction
absolue du métissage et du travail intellectuel des Noirs, car « vouloir
imposer à l’indigène une vie entièrement à l’Européenne et lui inculquer de
force notre culture ne pourrait que nuire aux indigènes ». Des intellectuels
prestigieux apportent leurs concours : l’Espagnol Ortega y Gasset vient
défendre « l’idée nationale de l’Europe », tandis que l’Italien Julius Evola,
futur maître à penser du néo-fascisme transalpin, expose que « l’espace de
Reich » à venir est supérieur aux petits nationalismes bornés et permettra
aux communautés de s’attacher à un idéal qui les dépasse sans sombrer
dans l’universalisme29. Force idées dont l’on vient bien comment elles ont
perduré jusqu’à Europe-Action, au N.O.E. et à J.E. Il est vrai que le premier
idéologue de J.E. n’est pas Thiriart mais Emile Lecerf, ancien auteur des
éditions de la Toison d’Or. Il rédige le premier manifeste officiel de J.E., La
Révolution nationale-européenne. L’opuscule précise que, si l’Europe doit
avoir un gouvernement unique, elle doit aussi être organisée régionalement
sur des « bases ethniques, culturelles et économiques », se situant donc
pleinement dans la perspective propagandiste de la Waffen S.S. Opposée à
l’U.R.S.S. autant qu’aux U.S.A., elle doit reprendre l’Afrique 30.
Néanmoins, Lecerf s’est séparé de J.E. à partir d’août 1964, refusant les
directives qu’avait prodiguées Thiriart : soutien à de Gaulle et modération
du discours raciste. Lecerf prône au contraire une radicalisation de

27 X. Dehan, « Jeune Europe : des Etats-Unis d’Europe à l’Europe allemande (1930-1940) », M.


Dumoulin dir., Penser l’Europe à l’aube des années trente, Nauwels, Bruxelles, 1995, pp.151-203 ; Y.
Durand, Le Nouvel ordre européen nazi, Complexe, Bruxelles, 1990, pp.204-207.
28 Les J.E.N. connurent d’ailleurs une scission qui se baptisa Jeune Europe et reprit l’insigne du
Jeune Europe produit par l’Allemagne, cinq flambeaux fumants. C’est aussi ce logotype que choisit
le Parti Communautaire Nationaliste-européen soutenue par Thiriart après sa fondation (1984),
mais en arguant seulement d’une référence à Mazzini.
29 Cf. La Jeune Europe, n°1-2, 1942, pp.42-44 ; idem, n°3-4, 1942, pp.9-11 ; idem, n°7, 1942,
p.21 ; idem, n°8, 1942, p.5 et p.24.
30 La Révolution nationale-européenne , Ars, Nantes, s.d (1963), pp.15-31.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 31

la propagande, comme le montre la diffusion d’un tract présentant un


programme en 25 points, à l’instar de celui du parti nazi. En peu de
temps, 172 démissions et exclusions frappent l’organisation31. La branche
étudiante de J.E., la Fédération Générale des Etudiants européens (F.G.E.),
le rejoint et il fonde le Front National-Européen et son journal Révolution
européenne32.
Les Français de la F.G.E. ont d’abord tenté d’influer sur la scission
de la F.E.N., pour l’arracher d’Europe-Action et en faire un sous-marin
de Jeune Europe. Face à l’échec, la scission donnant finalement naissance
à Occident (1964), mouvement néo-fasciste adogmatique et a-structuré,
ils ne désarment pas et obtiennent une excellente implantation au sein
des Comités Tixier-Vignancour durant la préparation de l’élection
présidentielle de 196533. Ils établissent ensuite un Jeune Europe officiel
mais leur brouille avec Thiriart en 1966 mène la vingtaine de militants
à rallier les scissionnistes belges34. Ce bloc F.G.E./F.N.E. récuse le
tournant idéologique national-communiste de Thiriart et s’aligne sur des
positions d’Europe-Action – à laquelle Lecerf fut lié, ainsi qu’à Nouvelle
Ecole, l’organe du G.R.E.C.E. La F.G.E. apparaît comme une structure
idéologiquement néo-nazie s’inscrivant dans le nationalisme-européen par
souci de modernisation de son discours et dans l’espoir de lui accorder
une meilleure réception. Il y a donc, d’une part, la volonté de préserver la
vision du monde du collaborationnisme, d’autre part, un travail qui vise à
faire de la politique dans le contexte des années 1960, au prix de sacrifices
idéologiques dans la propagande destinée à l’extérieur. L’organisation peine,
ne parvient jamais à atteindre la quarantaine de membres, se rapproche un
temps des néo-nazis de la Fédération d’Action Nationaliste et Européenne,
se lie aux décombres « socialistes européens » produits par la dissolution
d’Occident (1968) pour produire tous ensemble le Rassemblement
Socialiste Européen35.

31 Direction Centrale des Renseignements Généraux, « Le Mouvement «Jeune Europe» », Bulletin


mensuel confidentiel Documentation-Orientation, septembre 1965, p.23 ; idem, « Le Mouvement
«Révolution européenne» », juin 1965, p.2 (A.N. F7/15584).
32 L’intitulé est repris en 1987 par l’organe de Troisième Voie, avec pour logotype un dessin prove-
nant d’une affiche de propagande d’un quotidien du syndicalisme fasciste italien.
33 Renseignements Généraux de la Préfecture de Police, Le Mouvement Jeune Europe, février 1968,
p.4 (A.P.P. GAJ4).
34 Contre Occident, Thiriart écrit : « L’Occident dont se gargarisent les droitiers français ce n’est
que ça : l’aire d’expansion de la limonade américaine. (…) Cet Occident nous le vomissons. Et nous
vomissons les gens qui s’en font les complices [et idolâtrent les USA] premier Etat juif du monde »
(La Nation européenne, 15 mars au 15 avril 1966). Nombre de scissionnistes de la F.E.N. avaient été
rebutés par son tournant racialiste.
35 R.G.P.P., L’Extrême droite, 10 septembre 1969, p.77 ( A.P.P. GADR15).
32 NICOLAS LEBOURG

Le problème de J.E. est patent : son projet attire les néo-nazis, mais
ceux-ci récusent le jacobinisme anti-völkisch de Thiriart. L’idéologue
prône, bien que J.E. soit en Belgique même composée de sections Wallonie
et Flandres, non une Europe des ethnies mais un Etat européen unique,
jacobin et laïque, aux citoyens égaux qu’ils soient de Marrakech ou de
Bucarest. Ainsi, en France, J.E. n’est implantée réellement qu’à Paris et
Lille, et appuyée sur deux piliers : Jean-Claude Jacquard, qui part pour
Révolution européenne, et Gérard Bordes, qui provenait des Jeunes de
l’Esprit Public, organisation qui popularisait les conceptions de Mabire
pour une Europe des ethnies. Thiriart récuse quant à lui le nationalisme
de langue, d’héritage, au profit d’un nationalisme révolutionnaire issu
d’une avant-garde qui imposerait la fusion de tous les Etats en une seule
entité continentale jacobine (selon une analyse qui témoigne d’une grande
influence de la pensée de Machiavel). Ce dessein ne pourrait être celui
d’une union des nationalistes d’Europe, mais le fait d’un parti hiérarchisé et
centralisé « animé de la foi d’un Ordre religieux et de la discipline d’un Ordre
militaire ». Il ne doit donc ni former des alliances ni chercher à attirer des
notables : il doit seulement être un groupuscule monolithique se formant
dans l’épreuve comme l’auraient fait les hommes de Lénine, d’Hitler, de
Tito, de Ben Bella, de Nasser ou de Mao. Le but reste la constitution d’une
Eurafrique basée sur la supériorité de la race blanche européenne, mais elle
devrait donc soutenir la Chine pour affaiblir l’U.R.S.S., qui ainsi rendrait à
l’Europe sa part orientale, puis soutenir l’U.R.S.S. afin que celle-ci bloque
« la marée asiatique ». Quant aux U.S.A., qui eussent mené à partir de
1940 une politique d’« impérialisme yankee » à l’encontre du continent,
ils devraient en être chassés36.
Les crises ont vidé le parti : il reste 200 membres belges fin 1964
selon Francis Balace, J.E. en revendique 5 000 pour toute l’Europe
en 1965, il en resterait 66 belges et 300 pour toute l’Europe en 1966
selon une note des R.G.P.P. La disproportion est immense entre l’Italie
qui regroupe les deux tiers de cet effectif, et l’Allemagne qui ne compte

36 J. Thiriart, Un Empire de 400 millions d’hommes : l’Europe, J. Thiriart, Bruxelles, 1964, pp.14-
263. Bucard avait placé l’Etat-Nation européen en horizon d’attente succédant à une fédération
européenne des nations (cf. P. Burrin, La France à l’heure allemande 1940-1944, Le Seuil, Paris,
1995, p.422).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 33

qu’une dizaine de membres37. Thiriart, qui avait clamé que « le plastic


sera le porte-voix de l’anticommunisme dans la seconde moitié du XXe
siècle38 », se fait l’évangéliste du « national-communisme européen » et,
in fine, du « national-bolchevisme européen ». Désormais seul maître
à bord, il est personnellement interdit de séjour en Algérie, Autriche,
France et Angleterre. Ces raisons mènent à la volonté de construire un
parti révolutionnaire de cadres : leur formation devient le cœur d’un
mouvement qui a abandonné tant l’activisme (ses étudiants s’en sont
allés) que l’électoralisme (J.E. s’étant présenté en 1964 sur un programme
populiste réclamant la fin de l’aide au Tiers-Monde et le soutien africain
de la Belgique au Portugal et à la Rhodésie). Le culte absolu du chef et de
sa pensée devient la règle.
J.E. s’est installée dans un imposant local avenue Fonsy à Bruxelles,
jouit de sa propre imprimerie, et de deux autobus de propagande. Elle
franchit un pas important de communication et d’auto-représentation
en abandonnant le port de la chemise d’uniforme et du brassard à croix
celtique39. En 1964, les Français non-scissionistes forment un nouveau
groupe : le C.E.P.S.E. (Centre d’Etudes Politiques et Sociales Européennes).
Ils prennent l’initiative d’un nouvel organe, La Nation européenne, qui
remplace tous les autres titres produits jusque là et qui se veut résolument
européen, comptant ainsi parmi ses responsables l’Italien Claudio Mutti.
Le seul sigle qui y apparaisse est celui du C.E.P.S.E, pourtant J.E. s’est
transformé vers l’été 1965 en une nouvelle entité, le Parti Communautaire
Européen.
Ce nouvel avatar se veut résolument un « parti historique », c’est-à-
dire fondant une nation dont il serait la préfiguration , comme « l’Algérie
avec le F.L.N. ». Devant être l’Europe, il ne peut que refuser en sa structure
elle-même les « petits nationalismes » coagulés par sections nationales et ne
se reconnaît de militants qu’européens et réunis par sections linguistiques
(francophone, germanophone, etc.). Selon ses thèses, l’Europe est victime
de « l’occupation » et de la « colonisation » des U.S.A. et de l’U.R.S.S.
Ceux-ci se seraient entendus depuis Yalta pour co-dominer l’Europe, tous

37 F. Balace, 1994, p.117 ; Bruno Garcet, « Jeune Europe : souvenirs de la section de Louvain », In
memoriam Jean Thiriart, Machiavel, Charleroi, 1993, p.35 ; note des R.G..P.P., 15 mai 1966 (A.P.P.
GAJ4 ; la note affirme que la mère de Thiriart aurait pour ami un agent de la P.I.D.E., la police
secrète salazariste, et que juive polonaise elle aurait infiltré l’extrême droite pour le compte d’un
service communiste qui financerait J.E.).
38 Cité dans F. Laurent, L’Orchestre noir, Stock, Paris, 1978, p.101.
39 E. Verhoeyen, L’Extrême-droite en Belgique (I), Courrier Hebdomadaire, n°642-643, C.R.I.S.P.,
Bruxelles, 26 avril 1974, pp.20-23. La chemise était bleue, comme celle de la Phalange.
34 NICOLAS LEBOURG

deux reposant sur le même « mondialisme » matérialiste impérialiste.


Pourtant, le processus historique devrait mener ultérieurement la Russie à
rejoindre l’Europe. Aussi, l’ennemi économique, politique, stratégique, de
l’Europe de l’Ouest, ce seraient d’abord les Etats-Unis. Les « collabos » de
ceux-ci essayeraient de nuire à « la communauté de destin » européenne en
détournant le projet européiste vers celui d’une « république ploutocratique
de Frankfort à San Fransisco40 » (soit une formule qui revient à désigner
Lecerf et Europe-Action comme ennemis, puisque apôtres de l’union de
l’Occident blanc). Thiriart ne dénonce plus comme avant les hordes
mongoles tapies derrière un bolchevisme asiate, dorénavant il reconnaît
à l’U.R.S.S. des prédispositions panslaves et un caractère ethnique
européen41. Dès lors, il s’agit de s’engager « pour un Front Mondial contre
l’Impérialisme U.S. ». Le mouvement n’hésite plus à citer Che Guevara à
l’encontre de la Bolivie de Barrientos, soutient le Cuba de Castro, et son
journal va jusqu’à publier un article de l’Agence de presse de la Havane.
Ce que fait le P.C.E. n’est que la stricte application de l’adage de Carl
Schmitt relatif à l’essence du politique : définir l’ennemi principal et agir
en conséquence. A partir de là, le groupe adopte les positions les plus
hérétiques pour l’extrême droite classique.
L’évolution de la politique maoïste amène Thiriart à penser que
l’affrontement Chine-U.S.A. est inéluctable et que ce conflit devrait
permettre aux Européens de l’Est de chasser de chez eux l’occupant russe.
Il faut donc œuvrer à une unité d’action avec la puissance chinoise. Cela
ne signifie en rien approbation du maoïsme (jugé barbare au sens premier
du terme) ou réelle compréhension de celui-ci (on lit dans l’organe du
P.C.E. que la sinoïsation du marxisme fut entamée à compter de 1952,
affirmation qui démontre une méconnaissance absolue)42. Pour Thiriart, le
communisme en tant que système et doctrine d’Etat est un échec total, mais
il s’avère une réussite complète en tant que religion et en tant que mode

40 J. Thiriart, La Grande Nation : l’Europe unitaire de Brest à Bucarest, Ars, Nantes, 1998 (1965),
s.p.
41 En France, les enquêtes d’opinion des années 1960 témoignent que l’image de la « Russie
éternelle » est fortement attachée à celle de l’U.R.S.S. tandis que la mauvaise opinion de l’U.R.S.S.
passe de 37% des sondés en 1964 à 9% en 1967 : ces considérations sont à souligner concernant
une évolution dont on pointe toujours l’originalité dans le champ de l’extrême droite, mais qui
doit être intégrée aussi dans celui de la société (sondages cités in O. Dard, « L’Anticommunisme
des nationalistes au temps de la République gaullienne. L’exemple des héritiers de Jeune Nation »,
Communisme, n°62-63, deuxième et troisième trimestre 2000, p.145).
42 La Nation européenne, 15 avril-15 mai 1966 ; idem, 15 septembre-15 octobre 1966 ; idem, 15
janvier-15 février 1967; idem, septembre 1967. La présentation faite après coup de cette phase par
les N.R. a induit en erreur nombre d’analystes écrivant que Thiriart s’était converti au maoïsme.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 35

d’encadrement des masses43. Or, pour que se constitue l’Europe national-


communautariste, « c’est-à-dire non-marxiste », l’entente entre nationalistes
occidentaux et dirigeants communistes orientaux est nécessaire. Il faut donc
que, contre l’U.R.S.S. et les U.S.A., la Chine adopte la politique du « Front
unique (ou nommé parfois Front National) » et devienne ainsi le soutien des
nationalistes-européens et demain l’alliée de l’Europe communautariste.
En attendant « la subversion anti-américaine, de caractère para-militaire,
puis militaire [nécessite de] bénéficier de sanctuaires inviolables, de bases
de repos, d’entraînement » que la Chine pourrait lui offrir. Le nouveau
positionnement n’est pas, comme on a voulu le faire accroire dans les années
1980 et 1990, une évolution progressiste, mais est en fait parfaitement
résumé par un visuel de couverture de la presse de Thiriart où, sous le
titre « Le National-communisme européen ? », apparaît une croix celtique
derrière un drapeau communiste que l’on tire44.
Cependant, Thiriart noue des liens à l’Est, ainsi à l’été 1966 il
publie un article dans la revue officielle yougoslave et aurait rencontré
Zhou Enlai à Bucarest. Selon ses dires, il aurait demandé au Premier
ministre chinois que son pays passe de la lutte tricontinentale à une guerre
quadricontinentale contre les U.S.A., en y incluant « la colonie la plus
riche des Etats-Unis », l’Europe. L’objectif est, certes, d’épuiser les forces
étasuniennes par leur dispersion militaire, mais également de fournir
un « poumon » ou « tremplin » extérieur aux guérillas. Malgré le refus
de Zhou, le doctrinaire belge aurait été en lien avec le chef du bureau
parisien de l’agence de presse Chine Nouvelle, homme fiché par les services
français comme appartenant aux services chinois45. Ce type de contacts est
complexe à interpréter, car Thiriart et ses amis en usent tel un écran de
fumée pour assurer l’aura du prophète.
L’ex-soutien de l’O.A.S. n’hésite pas à multiplier les relations avec
le monde arabo-musulman. L’ambassadeur de Syrie publie un article
antisioniste en deux parties dans l’organe du P.C.E. (la première partie, ce
n’est pas fortuit, étant incluse en un numéro où figurent aussi des entretiens
avec un député travailliste anglais, avec Evola, et avec un responsable maoïste

43 Point de vue qui tranche dans les opinions d’extrême droite des années soixante mais non no-
vateur : c’est exactement la thématique et la dialectique développées par exemple dans le Bulletin de
l’Institut national légionnaire, n°7, septembre 1943.
44 La Nation européenne, 15 octobre-15 novembre 1966 ; idem, 15 novembre-15 décembre 1966.
45 Thiriart cité dans De Jeune Europe aux Brigades Rouges. Anti-américanisme et logique de l’engage-
ment révolutionnaire, s.e., s.d., s.p ; P. Chairoff, Dossier néo-nazisme, Ramsay, Paris, 1977, p.444 (les
deux sources sont orientées et à lire avec prudence). Zhou Enlai fut ensuite l’artisan de la détente
sino-américaine.
36 NICOLAS LEBOURG

suisse qui s’affirme, sur l’analyse géopolitique, entièrement en accord avec


le P.C.E.), des dirigeants palestiniens, algériens, un ambassadeur irakien,
viennent tour à tour affirmer leurs concordances de vue46. Le journal est
diffusé en Algérie par une société d’Etat et Thiriart rencontre le chef de l’Etat
algérien, Ahmed El Bakr, suite à son coup d’Etat de juillet 1968. Quelques
semaines après, le militant wallon est reçu en Irak, au Liban et en Egypte
où il participe au congrès de l’Union socialiste arabe. La Nation européenne
reçoit de la publicité de la Ligue des Etats arabes et de l’Organisation de
Libération de la Palestine. C’est d’ailleurs, semble-t-il, le soutien de celle-ci
qui lui permet de tenir financièrement et, lorsque Ahmed Choukeiry est
remplacé par Yasser Arafat à la tête de l’organisation, le journal et le P.C.E.
disparaissent47. Les liens avec le monde arabe furent considérés comme
si intenses que les archives des services secrets de la dictature portugaise
accusaient le P.C.E. « d’être lié aux services de renseignements de certains
pays arabes48 ».
Auprès de ses partenaires nationalistes arabes, Thiriart tente à
nouveau de promouvoir une collaboration dans le cadre d’une guérilla
quadricontinentale. Il leur propose de former des Brigades Européennes
qui apporteraient leur soutien dans la guerre de destruction d’Israël, s’y
aguerriraient, et formeraient ainsi le noyau expérimenté de la future « Armée
Populaire de Libération de l’Europe » après être passées sur d’autres terrains
d’opérations, tels que la Colombie ou la Bolivie. Dans la même perspective,
le cadre du P.C.E. Gérard Bordes aurait remis un mémorandum au
pouvoir algérien, durant l’automne 1967, afin de proposer l’organisation
d’un service de renseignements antisioniste et anti-américain en Europe,
ainsi que la formation au terrorisme, par Alger, des militants nationalistes
européens. Ici non plus, Thiriart n’emporte pas l’adhésion de ses vis-à-
vis, mais il se targue d’avoir ainsi formé des militants appelés à devenir
fameux dans une organisation terroriste marxiste-léniniste tiers-mondiste,

46 La Nation européenne, 15 janvier-15 février 1967 ; idem, 15 février au 15 mars 1967. Une
présentation quelque peu hyperbolique a été parfois faite de ces contacts : on ne peut considérer le
maoïsme suisse (par ailleurs infiltré par les nationalistes) comme un mouvement de masse.
47 Camus et Monzat, 1992, pp.50-51. Gilles Meunier, l’un des principaux rédacteurs d’articles
antisionistes au sein de La Nation européenne et son correspondant à Alger, est le président de
l’Association des amitiés franco-irakiennes. A ce titre, il a fait partie des organisateurs du voyage de
soutien des N.R. européens à Bagdad en 2003.
48 F. Laurent, 1978, p.133.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 37

les Brigades Rouges, dont leur chef, Renato Curcio49. Or, c’est justement
cette phase, qui s’ouvre pleinement avec mai 1968, qui voit disparaître le
P.C.E. et nombre de nationalistes se tourner vers l’exemple gauchiste50.

2. Oxymores

La révision du marxisme, le rejet de l’impérialisme (qu’il soit américain


ou soviétique) faisant de la Chine un nouvel horizon, la condamnation
ferme des valeurs « bourgeoises » et de la démocratie de marché, le désir
d’ordre : voilà autant d’éléments qui, à la suite de 1968 et par-delà leurs
contradictions, laissent entrevoir un espace pour un nationalisme qui
saurait se rénover et se mettre à l’école des nouvelles contestations. En
effet, si à l’origine l’extrême droite ne se dit pas « révolutionnaire » avant
1917, il n’est pas de « N.R. » sans le phénomène gauchiste. Le grand
chambardement n’advient certes pas et, structurellement, c’est en fait
l’adhésion sociale aux institutions en place qui s’est renforcée. C’est donc
entre cette illusion politique, née d’une situation de rénovation culturelle,
et cet état de fait d’absorption du potentiel révolutionnaire de Mai, d’une
part par la société de consommation, d’autre part par le système politique
concurrentiel traditionnel, qu’ont éclos de nouveaux oxymores politiques.
Déjà, la tendance séculaire de la propagande politique française au
sinistrisme « engendre souvent un confusionnisme verbal nécessitant une
difficile herméneutique politique51 » : le problème s’aggrave ici, et impose
de s’interroger sur les réactions au poids culturel du gauchisme et sur les
ambivalences stratégiques.
Dans le gauchisme ambiant post-1968, quelle part du phénomène
relève du culturel, du politique, du sociologique ? Débat classique auquel
les N.R. apportent indirectement leur contribution en ne retenant

49 Thiriart cité dans De Jeune Europe aux Brigades Rouges…, s.p. En ce qui concerne R. Curcio, son
autobiographie expose : a) qu’il a évolué vers le maoïsme en 1967 dans le cadre de l’opposition à la
guerre du Vietnam et de la solidarité avec les étudiants de Berkeley ; b) que la décision de création
des B.R. a été prise suite au massacre de la Piazza Fontana ; c) que le choix du nom de « B.R. » s’est
fait par référence à la Fraction Armée Rouge d’Andréas Baader et aux Brigades partisanes antifas-
cistes, R. Curcio ayant lui-même un oncle partisan communiste qui fut tué par les nazis ; d) que le
modèle suivi n’était pas européen mais correspondait aux expériences nouvelles de guérillas menées
par les Tupamaros ou les Black panthers (R. Curcio, A Visage découvert, Lieu Commun, Paris, 1993).
50 L’arrêt du P.C.E. en 1969 serait due à une « une réunion du cadre dirigeant, à Imperia en Italie,
où Thiriart a été mis en minorité sur la question de l’entrisme des militants de notre Organisation
dans les Organisations de masse issues du mouvement étudiant » (L. Michel, courrier à l’auteur, 14
octobre 2004).
51 F. Borella, Les Partis politiques dans la France d’aujourd’hui, Le Seuil, Paris, 1990, p.12.
38 NICOLAS LEBOURG

prioritairement de cet objet que les signes extérieurs, qu’une manière


d’envisager la langue, le graphisme, la révolte. Parmi les serpents de mer
du débat politique, il en est un autre très prisé, car il est apte à préserver la
continuité de l’offre politique : les extrêmes se « toucheraient ». Le pendant
censé et historiographique de la question est, bien sûr, le débat scientifique
autour du caractère plus ou moins révolutionnaire des phénomènes fascistes.
En ce qui concerne l’histoire du temps présent, le rapport gauchisme / néo-
fascisme tourne bien sûr autour de l’axe N.R. et l’un des exemples les plus
prisés demeure le cas du « nazi-maoïsme », tant son intitulé et ses slogans
paraissent représenter parfaitement la problématique. L’inventivité en la
matière souligne le rôle essentiel du maniement d’un vocabulaire précis :
l’extrême droite adopte une attitude révolutionnaire en cherchant à faire
exploser les champs lexicaux politiques relatifs au paradigme républicain
et à un système politique éliminant les extrêmes. Dans un projet fasciste
qui est culturel d’abord, le néo-fascisme, en quête d’un mode et d’une
pensée opératoires, cherche en premier lieu à faire sa révolution culturelle
propre52.
Le produit « traditionaliste révolutionnaire » mieux connu sous le
sobriquet de « nazi-maoïste » a été importé en France d’une manière qui
relève du fonctionnement typique des crises de l’extrême droite53. L’image
qu’elle a laissée est celle d’une scission de l’aile ultra d’Ordre Nouveau,
quitté par ses éléments « de gauche nationaliste » se joignant à des ex-
socialistes européens de Pour une Jeune Europe pour fonder l’Organisation

52 Cf. R. Griffin, « The Primacy of culture : the current growth (or manufacture) of consensus within
fascist studies », Journal of contemporary history, 2002, pp.21-43. Deux revues sont à ce titre essen-
tielles, les Cahiers du C.D.P.U. et la Revue d’Histoire du fascisme de Duprat.
53 Le terme « nazi-maoïste » a souvent provoqué l’ire des N.R. (qui en ont pour quelques uns usé).
Il ne fait pas de doute que le mouvement est mieux nommé « traditionalisme révolutionnaire » au
sens évolien du mot « Tradition ». Je m’en permets toutefois l’usage, car il s’inscrit dans la question
de l’image projetée et dans une problématique sise entre usages politiques de l’histoire et du langage,
car les nazi-maoïstes français peuvent fort bien se passer d’Evola en ne retenant que le discours de
l’oscillation de Franco Freda.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 39

Lutte du Peuple54. Il s’agit, en fait, de l’habillage d’une exclusion qui aboutit


à ce positionnement. En 1971, le dirigeant de la cellule nantaise d’O.N.,
Yves Bataille, est exclu et est suivi en dissidence par sa section qui aurait
décidé de continuer à « œuvrer au Combat National de libération selon un
axe “Lutte du Peuple”, c’est-à-dire autant anticapitaliste qu’antimarxiste
et antisioniste, dans le cadre grand-nationaliste avenir de l’Europe
révolutionnaire Unitaire ». S’il s’agit là d’un vocabulaire qui témoigne de
l’intérêt porté aux N.R. italiens et allemands, le texte n’omet pas de se
référer nommément à Doriot comme à Drieu La Rochelle et précise que la
nouvelle structure fondée s’oppose idéologiquement aux « nationaux »55.
En fait, ce qui intéresse d’abord à cette époque Y. Bataille, c’est de
s’inspirer tout ensemble de Thiriart, de l’italien Ordine Nuovo et d’intégrer
le climat de Mai 68 au discours nationaliste. Suite à son voyage en Italie
durant l’été 1972, il baptise son groupe Organisation Lutte du Peuple (le
sigle étant, comme il se doit, une plus-value)56. L’organisation applique
en France tactiques et stratégie de l’italienne Lotta di Popolo et participe
à la micro-internationale impulsée, qui regroupe avec elles l’allemande
Nationalrevolutionäre Aufbauorganisation–Sache des Volkes (1974), le
Comité de Liaison Européen Révolutionnaire.
Fondée en août 1974, la N.A.R.O.-S.d.V. regroupe environ 450

54 C’est l’esprit völkisch qui souffle sur « l’organe de combat socialiste-européen » qu’est Pour
une Jeune Europe, convaincue que l’Europe « sera celle des ethnies et des régions historiques », et
qu’elle devra être dirigée par un comité où chaque ethnie aura un nombre de représentants évo-
luant « selon le principe du putsch permanent ». A son origine, il y a la dissolution d’Occident par
l’Etat fin 1968. Certains de ses membres ne l’avaient rejoint qu’en raison de l’écroulement de la
nébuleuse Europe-Action. C’est donc sur ces bases qu’ils repartent en février 1969, en parvenant,
le temps d’une contribution, à ramener à eux Bardèche et Saint-Loup. On n’y ajoute pas foi à l’is-
sue révolutionnaire des gauchismes et l’on espère que cet avenir bouché dégage l’autre perspective
révolutionnaire, celle de la revendication ethnique. Pour une Jeune Europe constitue un moment
essentiel dans la construction du nationalisme- en liant les conceptions raciales d’Europe-Action,
avec des emprunts à Thiriart et aux néo-fascistes transalpins – le journal faisant preuve d’une tendre
complaisance pour l’hitlérime – et les thèmes radicaux du néo-nationalisme émergeant : apologie
de la Commune, antisionisme, mixophobie, dénonciation de la société de consommation, révolu-
tionnarisme européiste, condamnations de la police oppressive et de l’extrême droite traditionnelle,
dont les idées capitalistes et géopolitiques feraient d’elle le jouet du « sionisme ». « Socialisme eu-
ropéen » est son étiquette mais elle désigne son idéologie d’un mot alors méconnu, « racialisme ».
Cependant, ses multiples références occidentalistes la distinguent subtilement d’Europe-Action : ici
le thème de l’union blanche internationale recoupe celui de la dénonciation du pacte anti-européen
qui tiendrait ensemble Etats-Unis et Union soviétique (Pour une Jeune Europe, février 1969 ; idem,
mars 1969 ; idem, avril-mai 1969 ; idem, juin 1969 ; idem, été 1970). Une dimension provocatrice
n’est pas à exclure puisque le principal responsable, Nicolas Tandler, est lié aux réseaux Albertini.
55 Avant-garde nationale, n°1, s.d. Le texte présente également des références implicites quoique
évidentes à Evola et Thiriart.
56 La Flamme, septembre 1972 (organe de l’O.L.P.).
40 NICOLAS LEBOURG

militants sur la base doctrinale du Manifeste de la Cause du Peuple d’Henning


Eichberg (l’intitulé de cette charte et ses orientations se retrouvent plus
tard chez Nouvelle Résistance). L’organisation tente de prendre langue
aussi bien à l’extrême droite qu’à l’extrême gauche, affiche une orientation
anti-chrétienne, puis s’oriente à compter de 1979 vers le mouvement
écologiste. Outre Ernst Niekisch, promu opposant en chef à l’hitlérisme,
la N.A.R.O.-S.d.V. remet au goût du jour la proclamation de la K.P.D.
sur la « libération nationale et sociale du peuple allemand », et une phrase
de Lénine, déjà très commune sous Weimar dans la mouvance national-
bolchevique : « faites de la cause du peuple la cause de la nation et la cause
de la nation sera la cause du peuple ». Le trajet politique d’Eichberg est lui-
même lié au nationalisme-européen français. Il commence à militer en 1956
dans la Deutsche Soziale Union d’Otto Strasser où il adopte les positions
européistes et neutralistes en même temps qu’il découvre la Révolution
Conservatrice. Après avoir participé au camp d’été de la Fédération des
Etudiants Nationalistes en 1966, il popularise dans le milieu nationaliste
allemand les thèses d’Europe-Action, puis effectue la même tâche relative à
la Nouvelle droite57.
C’est Franco Freda (dit « Giorgio Freda ») qui irradie depuis Milan la
donne réformatrice. Son trait le plus constant est l’aspect protéiforme de
sa militance : encadrer idéologiquement un mouvement, écrire des textes,
éditer des livres, appeler à l’action terroriste et être accusé de s’y livrer, avec
Franco Freda tous les moyens, même légaux, doivent être en usage. Il fonde
sa librairie-maison d’édition, di Ar, en 1964, et commence par publier en
italien L’Essai sur l’inégalité des races d’Arthur de Gobineau, puis des œuvres
de Julius Evola et de Corneliu Codreanu. S’y ajoutent ensuite L’Agression
israélienne de Duprat (pamphlet antisémite, antisioniste et négationniste),
le livre vert du colonel Kadhafi, la prose antisémite d’Henri Ford, les
Protocoles des Sages de Sion, publiés avec des annexes visant à démontrer
que nombre des événements prédits dans le texte se seraient déjà déroulés,
etc. Suite au Maggio rampiante et à un stage de formation dans la Grèce des
Colonels, le positionnement idéologique relève de l’oscillation idéologique,

57 Cf. P. Moreau, 1994, p. 197-198 et p. 396-397. Ce camp de 1966 n’était nullement un lieu
d’oscillation idéologique. Il regroupe durant dix jours environ 130 jeunes, avec des conférences
quant aux méthodes du 13 mai, à la révolution russe, à la prise du pouvoir par le N.S.D.A.P. L’idée
qui transparaît est celle d’une révolution à mener selon des modèles techniques historiques qu’il
faut savoir appréhender et réutiliser. Eichberg s’y félicite « qu’en France, des phénomènes tels que le
fascisme et le national-socialisme [ont] été réellement dépassés [ainsi que l’idée de] l’autoritarisme
d’un seul homme » (Flamme camp école, 21 juillet 1966 ; document interne). Les évolutions entre
nationalismes français et allemand se font ainsi conjointement, mais outre-Rhin l’évolution récla-
mée par la nécessité de se défaire de l’ombre hitlérienne accélère les choses.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 41

l’O.L.P. a ainsi pour slogans les plus fameux « Vive la dictature fasciste du
prolétariat ! » et « Hitler et Mao unis dans la lutte ». Franco Freda doit
son aura à son apparition au cœur de la piste fasciste relative au massacre
de la Piazza Fontana (12 décembre 1969, 16 morts et 88 blessés). et à la
publication de La Disintegrazione dei Sistema en 1969, texte mythique pour
les N.R. qui va être considéré a posteriori comme un véritable manifeste de
la stratégie de la tension – de même que son comparse Claudio Mutti, l’un
des principaux cadres de Giovane Nazione, se tient d’abord en retrait de
l’O.L.P. avant que de devenir une personnalité-phare du nazi-maoïsme58.
« Iconoclaste et totalitaire » affirment les néo-fascistes Cahiers du C.D.P.U.
lorsqu’ils en publient la première traduction, et c’est un fait. Usant de
métaphores scatologiques et de propos orduriers, faisant la critique sans
concession des stratégies et dogmes passés, osant la proposition non d’un
énième replâtrage autoritaire de la droite, mais d’un totalitarisme assumé
et brutal, l’opuscule montre clairement que “quelque chose” se passe.
Quatre idées présentes dans La Désintégration du Système ont spécifi-
quement marqué les esprits. Primo, l’ennemi désigné est le Système, c’est-
à-dire la dictature capitaliste sous sa forme libérale ou socialiste. La bour-
geoisie a acquis « l’hégémonie politique ». Il faut donc détruire le Système
pour ériger un Etat qui ait une valeur transcendantale et dont le « but vrai »
est la « participation au divin de l’homme », ce qui passe par l’adoption
d’une « structure – pour ainsi dire – communiste », i.e. « l’Etat organique »
et « l’ordre hiérarchique ». Secundo, le programme c’est le terrorisme :
« nous sommes des fanatiques. (…) Et c’est vraiment le fanatique qui peut
assumer une vision du monde, et après l’avoir reconnue, la vivre, aller vers
elle, détachée de tous les moyens efficaces pour l’atteindre (et par consé-
quent prêt à les utiliser) ». La lutte révolutionnaire doit être « en dehors
des solutions étouffées par des chaînes légalitaires et réformatrices, et dans
les termes cohérents, durs et résolus que seulement la violence possède ».
Tertio, peuvent rejoindre le programme, ceux qui viennent des formations
« bourgeoises » de la « droite néo-fasciste » et de la « gauche révisionniste »,
mais l’appel à « l’extrême droite du système » doit être clos et il faut doré-
navant s’adresser à ceux qui sont « au-delà de la gauche du régime ». Aucun
accord n’est certes conclu avec eux sur « l’après-système bourgeois », mais

58 Figure de la Nouvelle droite italienne, Claudio Mutti a été autant proche de Terza Posizione
(groupe présumé terroriste dont les dirigeants iront fonder l’International Third Position en Grande-
Bretagne – organisation de troisième voie, certes, mais avec une forte marque national-catholique),
que du Front Européen de Libération lancé par Nouvelle Résistance ou de Synergies européennes,
dissidence völkisch de la Nouvelle droite ; converti à l’islam chiite, il se définit tel « un musulman
européen ».
42 NICOLAS LEBOURG

doit être mise en place « une unité opérationnelle dans une stratégie de
lutte loyale ». Les autres mouvements extrémistes, de droite comme de
gauche, ne sont, dès lors, que des dérivatifs du système. Quatro, ces nou-
velles alliances doivent aussi se refléter à l’échelle internationale :

Le terroriste palestinien est plus proche de nos rêves de vengeance


que l’Anglais (Européen ? personnellement j’en doute !) juif ou en-
juivé (…). La dénonciation du pacte atlantique et de son organisation
militaire, ainsi que la suppression des chaînes, qui actuellement ratta-
chent l’Italie aux structures néocapitalistes supra-nationales (…) devra
provoquer l’intégration active de l’Etat populaire dans l’aire des Etats
qui refusent de s’attacher à la traîne politique des blocs de puissance
impérialistes. L’Etat populaire conclura des alliances avec les Etats au-
thentiquement anticapitalistes et favorisera, décidés à un niveau inter-
national, les mouvements de lutte contre le capitalisme et les compli-
cités révisionnistes59.

L’un des axes forts de cette rhétorique est qu’elle se prête à diverses
lectures, renvoyant, selon le récepteur, aussi bien à Goebbels qu’à l’extrême
ou l’ultra gauche. Le mélange de national-bolchevisme, de références
marxistes-léninistes et de philosophie évolienne, de cette lignée du
national-bolchevisme allemand voyant dans le stalinisme un modèle
d’Etat “prussien” et de remarques gramscistes, l’assemblage des thèses de
Corradini sur l’alliance des nations prolétaires à une référence maoïste,
la reprise de conceptions strasseriennes, fournissent ainsi un mélange
hautement détonnant, dont on espéra sans doute qu’il puisse intensifier
les contradictions internes de la démocratie de marché60. Le discours
que tient F. Freda peut tout à fait être “retraduit”. En lieu et place de son
offre de réunion internationale des révolutionnaires, il eût pu écrire qu’il
souhaitait un Etat national et socialiste luttant contre les matérialismes
internationalistes de l’or et du sang par l’alliance avec les nations opprimées,
et qu’il en appelait pour cela à l’union de la Périphérie contre la société
bourgeoise : c’eût été la langue du Goebbels des années 1920, et eût-ce été

59 F.G. Freda, La Désintégration du système, Ars, Nantes, s.d. (1969).


60 La notion de « nations prolétaires » est inventée en 1909 par Enrico Corradini (1865-1931).
Darwiniste social, il affirme que le combat n’est pas entre classes mais entre nations ploutocratiques,
comme la Grande-Bretagne et la France, et nations prolétaires, comme l’Italie. Cette dernière devait
en conséquence mener la guerre pour se régénérer et pour bâtir un Empire. Il fonde en 1910 une
Association nationaliste qui joue un rôle certain dans l’agitation pour l’entrée en guerre en 1914 et
qui fusionne avec le Parti National Fasciste en 1923 (l’influence de Corradini sur Mussolini étant
d’importance). Le concept de « nations prolétaires » a su émigrer vers la gauche tiersmondiste.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 43

si différent ? Il eût aussi pu aller jusqu’à vilipender ces faux antagonistes


que seraient capitalisme d’Etat et de marché, usant d’un concept de l’ultra-
gauche : eût-ce été si différent ? Enfin, il eût pu en appeler à Michel Pablo,
dont les thèses (qui provoquèrent tant de remous au sein de la section
française de la IVe Internationale), non seulement stipulaient que le
moteur actuel de l’Histoire n’était pas contenu dans la lutte des classes mais
dans celle des deux blocs, mais préconisaient également l’alliance, durant
la guerre mondiale à venir entre le capital et les forces anticapitalistes,
de l’ensemble des mouvements et pays révolutionnaires. Sur le plan
idéologico-historique, tout cela est différent et induit Weltanschauung,
nature politique, pratiques, utopie et stratégies divergentes. Mais, dans
l’actualité politique, les choses sont naturellement plus confuses et si les
discours émis sont différenciés, leur réception ne l’est pas fatalement.
Certes, chez nombre de cadres nationalistes, une certaine séduction
soit se fait jour soit est affichée envers des éléments présents dans le maoïsme
mais qui permettent en fait de réévaluer les fascismes, tels que le socialisme
nationaliste, le renouvellement de la théorie des minorités agissantes,
l’interprétation völkisch du rôle révolutionnaire de la paysannerie, ou
de communs schèmes esthétiques. Il n’y a pas d’accommodation du
nationalisme, italien ou français, au maoïsme qui se soit faite, malgré
une certaine légende en la matière. La donnée est, en fait, parfaitement
synthétisée par le cas de Serge Vincent-Vidal, Français catalan étant
passé par les Jeunes de l’Europe Nouvelle, la Hitlerjugend, des divisions
wallonne, française et allemande de la Waffen S.S. et qui, tenant un stand
maoïste dans la Sorbonne occupée de mai 1968, déclarait : « avec les
Chinois, je continue mon vieux combat, à la fois contre les Soviétiques et
les Américains61 ». C’est là un usage avant tout instrumental, s’inscrivant
dans les conséquences de la désignation de l’Ennemi prioritaire ; il s’agit
du positionnement en tant que révolutionnaires en rupture totale avec
le « Système » et l’Occident, les N.R. n’ayant pas spécialement d’intérêt
pour l’Asie en tant que telle (hormis la question de la civilisation et du
nationalisme hindous bien sûr. Jusque là, l’appel à l’union des extrêmes
n’avait guère été clairement entonné en France que par Binet et, à sa suite,
par les groupes du Nouvel Ordre Européen, dont Peuple et Nation qui opte
pour la ligne « nazi-maoïste » puis se range sous la bannière des Groupes
Nationalistes-Révolutionnaires de Duprat. En somme, l’appel à l’union

61 Lambert et Le Marec, Partis et mouvements de la Collaboration. Paris 1940-1944, Jacques Gran-


cher, Paris, 1993, pp.149-151. Il devint ensuite enseignant à la très gauchiste université de Vin-
cennes.
44 NICOLAS LEBOURG

des révolutionnaires de droite et de gauche était un moyen de rénover et


redorer la filiation stigmatisante national-socialiste. Il fallait renouer le lien
remontant à un nazisme qui n’eût pas connu la même évolution barbare
que celui du IIIe Reich, d’un nazisme qui n’eût point été un hitlérisme
mais un national-socialisme. Il s’agit là d’un contrecoup de l’analyse alors
courante du phénomène, surévaluant l’importance du facteur Hitler : cela
s’inscrit dès lors dans une perspective de légitimation révisionniste (au sens
classique du terme). L’influence des expériences italiennes et allemandes, de
la redécouverte de l’œuvre de Jünger, vient permettre d’articuler en France,
hors du camp néo-nazi, idiosyncrasie révolutionnaire et militantisme
nationaliste. Mieux, la langue nouvelle permet de trancher par le dogme
du slogan les gênes face aux ambiguïtés induites par l’esprit réactionnaire
du nationalisme, l’oscillation s’avérant une formidable mode de résolution
des contradictions internes.
L’Organisation Lutte du Peuple ne cesse d’employer un vocabulaire
tout en connotations gauchistoïdes, mais elle ne le fait pas n’importe
comment. Elle est l’un des premiers groupes français à refuser de parler
d’Occident et dénonce « une Europe mentalement et politiquement
colonisée » (car l’impérialisme culturel américain tue « l’individu et
la communauté du peuple » et qu’U.R.S.S. et U.S.A. ont imposé leurs
« troupes d’Occupation ») ayant pour seule solution : « une lutte des classes
entre nations dominantes et nations dominées », i.e. une « résistance » et une
« lutte de libération contre l’impérialisme (U.S.A.-U.R.S.S.-SIONISME) »
mené par les juifs. Cette libération est dite devoir éliminer les « Kollabos
pro-russes ou pro-américains et édifiera un nouvel ordre culturel fondé sur
un socialisme viril : le socialisme européen62 ». C’est en fait du trotskysme
que les nazi-maoïstes français affirment explicitement vouloir s’inspirer63.
Lotta di Popolo a puisé son style dans le maoïsme, gauchisme majoritaire en
Italie, l’O.L.P. recherche le sien dans le gauchisme majoritaire en France.
Cela n’interdit pas les subtilités de langage… elle use ici de la définition que
Drieu La Rochelle donnait du nazisme (« socialisme viril ») et de la formule
d’un Déat pour le Nouvel Ordre européen nazi (« socialisme européen »).
Cette expression de « socialisme européen » qu’elle emploie si souvent,

62 Cf. La Flamme, janvier 1972 ; Lutte du peuple, juillet 1973 ; idem, 4 au 18 mars 1974 (jour-
naux O.L.P.) ; J. Algazy, 1989, pp.150-151. Etant donné l’influence de l’ouvrage de J-P. Faye, sur
les nationalistes en général et Y. Bataille en particulier, il faut souligner que celui-ci insiste sur la
manière dont Goebbels avait repris à la Révolution Conservatrice l’argumentaire de dénonciation
de la colonisation de l’Allemagne par l’Occident (1972, p.16 et p.74).
63 O.L.P.-M.N.R., s.d., courrier qui affirme être adressé à plusieurs centaines de membres de la
mouvance nationaliste (document interne).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 45

elle ne la définit guère, mais c’est bien l’équivalence déjà sous-entendue


par des groupes comme Pour une Jeune Europe puisqu’elle évoque par
exemple Binet comme un « ex-trotskyste passé au Socialisme européen »,
pour ne point dire à la Waffen S.S.64 Le mouvement expose clairement à
ses militants que les mots d’ordre, de sélection et de discipline ne doivent
être utilisés qu’en précisant que l’on est hors système et anti-capitaliste, que
les termes de droite, d’Occident et de nationalisme ne doivent en aucun
cas être utilisés sans les adjectifs « européen » ou « révolutionnaire », et de
conclure : « ne pas avoir peur d’utiliser des terminologies dites gauchistes, à
condition bien entendu d’en préciser ou d’en modifier le sens65 ».
Pour une autre des notes internes de l’O.L.P., si certains « thèmes
et comportements gauchistes sont typiquement d’extrême droite, fascistes,
[car le] fascisme est surtout un mouvement poétique et esthétique lié à une
énergétique de vie », il n’en demeure pas moins que, au-delà des militants
considérés comme récupérables, l’objectif final doit être l’élimination
physique des responsables gauchistes. Néanmoins, cela donne une
puissante coloration, et le fait même qu’il soit difficile de tenir ce langage
au sein de l’espace des N.R. le souligne : l’O.L.P. est accusé de maoïsme par
Le Devenir européen, lui même bientôt accusé de générer des « déviations
gauchistes du nationalisme-révolutionnaire » par Duprat, etc.66 Si l’O.L.P.
paraît donc tant réaliser l’oscillateur idéologique, ce n’est pas parce qu’elle
l’incarne, mais parce que cela correspond à sa réflexion stratégique,
aboutissement d’une triple influence : a) l’observation de la mouvance
trotskyste en France ; b) l’imitation de Lotta di Popolo ; c) l’influence de la
parution des Langages totalitaires de J-P. Faye.
Le maniement de la dialectique gauchiste par les N.R. ne saurait
toutefois en aucun cas être cantonné dans une vision complotiste, il est
un réel travail de décloisonnement. Ce travail s’inscrit exactement en
parallèle de celui mené sous le nom de métapolitique par le G.R.E.C.E.
et témoigne que l’originalité avant-gardiste de celui-ci doit être pondérée
lors d’une analyse de champ. Il s’effectue avec le même penchant
consécutif pour la Révolution Conservatrice comme mode palingénésique
du nationalisme, avec la même passion pour le maniement précis du
vocabulaire, et avec une légère avance chronologique. L’acculturation du

64 O.L.P. citée dans J. Algazy, 1989, p.151, Drieu La Rochelle cité dans P. Ory, 1976, p.212 ;
Lutte du peuple, n°1, 1973 ; Déat cité dans B. Bruneteau, « L’Europe nouvelle « de Hitler, Le Rocher,
Monaco, 2003, pp.293-306.
65 O.L.P., Code du militant Lutte du peuple, s.d., p.2 (document interne).
66 O.L.P., s.d., note interne ; La Flamme, septembre 1972 et Lutte du peuple, s.d., s.n. ; Cahiers
Européens, 26 juillet 1977.
46 NICOLAS LEBOURG

gauchisme concerne les leçons, l’esthétique, et des éléments culturels :


il n’est pas d’apports profonds au substrat idéologique si on se place
dans une perspective analytique centrée sur le « minimum fasciste ». La
dimension révolutionnaire conservatrice reste ici la partie la plus stable et
la plus enracinée dans la conception politique : l’instinct réactionnaire, le
goût de l’ordre, mais avant toute chose et au bout du compte la Révolte
contre le monde moderne – pour reprendre l’intitulé de l’un des plus
importants ouvrages d’Evola – constituent en quelque sorte le fichier
racine du logiciel N.R. En tant que « réaction moderniste », la mouvance
retient, dans les leçons de Mai, le dogme de la nécessaire adéquation avec la
réalité culturelle du temps, d’où vient qu’il ne faut point être obstinément
réactionnaire, en particulier dans les questions de mœurs. L’appropriation
culturelle sincère d’aspects du gauchisme et des populismes nationalistes
(un amalgame en soi très parlant) est en fait un mode enthousiaste de
redécouverte et de dépassement du fascisme historique, une volonté
de régénération du nationalisme par un jeu de “billard à trois bandes”
envers le fascisme-mouvement : la respiration “gauchisante” du discours
et de l’auto-représentation N.R. est parallèle à celle de la réévaluation du
caractère révolutionnaire du fascisme par l’historiographie. Il est évident
que, dans leur auto-représentation, les N.R. se perçoivent, et par là-même
sont, des fascistes de “gauche”, et que les oscillations de langage portent
fatalement l’oscillation idéologique.
Cependant, les “sections” nationales de l’ordre européen nazi-maoïste
en sont réduites à greffer leurs rencontres sur celles de structures contre
lesquelles elles mènent un combat concurrentiel en leur propre pays, ainsi
celle de Munich en 1972 avec des groupes que les nazi-maoïstes sont censés
honnir pour cause de pureté idéologique autoproclamée. Néanmoins, dans
chaque pays sont tentées les mêmes tactiques de propagande (emprunts
lexicologiques à l’extrême gauche) et d’entrisme (dans la tradition de Jeune
Europe). L’O.L.P. française ne réussit pas mieux que ses formations sœurs,
puisqu’un rapport interne précise qu’elle a connu un « succès de curiosité au
sein de l’extrême droite à laquelle ont appartenu la plupart des militants de
l’O.L.P. » et que son recrutement effectif au terme de deux années d’activités
se limite à deux personnes à Bordeaux, deux à Nantes, cinq à Tours, deux à
Paris, deux à Toulon et une à Amiens. Les contacts avec des lycéens et des
marginaux n’ont pu déboucher sur aucun travail et globalement l’action est
« nulle ou sans intérêt ». L’organisation enchaîne d’amères auto-critiques :
« résultats : une impasse totale », perspectives « nulles », expression
« infantile », « style et propagande déplorables : exaltation, romantisme
et provocation verbale »… Elle se propose en conséquence de tenter une
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 47

nouvelle tactique : tenter l’entrisme dans « les élites de la Nation (…) :


universitaires, cadres, administrateurs, etc. » par le biais d’une structure qui
ne serait en rien extrémiste mais uniquement européiste. Cette « Centrale
d’Action et d’Initiative Nationale-Européenne » devait servir de base à la
constitution d’un futur Parti Européen à l’échelle continentale67.
En somme, et quoiqu’elle ne se l’avoue pas, l’O.L.P. se rend pour partie
à la stratégie métapolitique qu’elle fustigea tant. La fin de l’année 1974 voit
le groupe se scinder sur la question de la stratégie et de l’utopie : Y. Bataille
rejoint le Centre de Documentation Politique et Universitaire (C.D.P.U.)
tandis que Yannick Sauveur fonde le Centre d’Initiative Progressiste
Européen et sa revue Dimension européenne. Il ne fait aucun doute que ce
dernier poursuit en fait l’idéal du projet de centrale. Son utopie définie
est très nettement marquée par l’influence de Thiriart, augmentée de
l’ethnicisme et au discours gauchisant du « socialisme européen ». Se voulant
résolument progressiste, il propose la libération des peuples d’Europe dans
une fédération régionale et socialiste. La carte qu’il en propose n’est autre
que celle imaginée par des Waffen S.S. ethnorégionalistes selon Saint-
Loup68. Quoi qu’il en soit, les idées et le ton « nazi-maoïstes » vont marquer
les nationalistes et ce qui était, pour part, propagande débouche sur de
véritables innovations idéologiques et conceptuelles69.

3. Troisième voie

La troisième voie entre U.R.S.S. et U.S.A. paraît naturellement


désigner la revendication d’une troisième voie entre société capitaliste et
Etat communiste. La remise en cause de ces deux-ci dépassent largement
le cadre des extrémistes marginaux dans les années 1970. Si Armin Mohler
est un ami personnel d’Alain de Benoist depuis les années 1960, c’est
seulement en ces années, de 1972 à 1987, que l’apport de la Révolution

67 Rapport relatif à l’Organisation Lutte du Peuple. Propositions relatives à la création d’une centrale
d’action et d’initiative nationale-européenne (document interne de l’Assemblée Générale sise lors de
son camp d’été 1974). Dans une toute autre perspective la carte des régions imaginée par L’Esprit
public en 1963 évoque assez ce qui sera fait par l’Etat en 1982.
68 C.I.P.R.E., Dimension européenne (Manifeste), s.d (1975) ; Saint-Loup, Les S.S. de la Toison
d’or : Flamands et Wallons au combat, Presses de la Cité, Paris, 1975 (double page non numérotée) ;
F. Duprat, 1976, p.9. Bataille et Sauveur se retrouvent vingt ans plus tard aux marges du P.C.N.
69 Alors même que l’internationale nazi-maoïste a disparu, on voit s’instaurer en Belgique une
structure reprenant tous ses éléments à son compte et dont surgit pour part ensuite la tendance lo-
cale de la Nouvelle droite, appelée à constituer sa propre internationale euro-régionaliste, Synergies
européennes (1993).
48 NICOLAS LEBOURG

Conservatrice devient central, permettant au G.R.E.C.E. d’assimiler Carl


Schmitt, Moeller van den Bruck, Spengler et Jünger. Or, c’est aussi à
cette époque qu’Evola est découvert en France, depuis le néo-nazi Devenir
européen aux N.R., puis jusqu’à la Nouvelle droite qui l’intègre à ses
références en 1977. Puisque Thiriart avait, quant à lui, antérieurement
assimilé la Révolution Conservatrice, que Franco Freda avait, déjà, opéré
la jonction entre Thiriart et Evola, suivi en cela par ses émules français,
l’interpénétration à ce stade entre les zones du néo-fascisme et de la
Nouvelle droite est remarquable. C’est-à-dire que, dans l’organisation en
quatre temps des vingt premières années du G.R.E.C.E. que décrit Pierre-
André Taguieff (racialisme de type « réalisme biologique » violemment
anti-marxiste de 1968 à 1972 ; anti-égalitarisme et racisme culturel
indo-européen violemment anti-judéo-chrétien de 1972 à 1979 ; anti-
libéralisme et autres « réductionnismes » violemment anti-américains de
1979 à 1983 ; ethnopluralisme et troisième voie révolutionnaire de 1984 à
1987), la deuxième moitié et au-delà doit en fait s’appréhender dans le jeu
d’influences réciproques avec l’espace N.R.70
Les transferts entre N.R. et Nouvelle droite se font d’autant plus
naturellement que, si les deux groupes se fréquentent en France, le second
a renouvelé ses idées par l’absorption des thèses de N.R. allemands – or
le nationalisme-révolutionnaire allemand de la décennie 1970 allie sa
redécouverte de la Révolution Conservatrice et du national-bolchevisme à
son assimilation des thèses de la Nouvelle droite française de la deuxième
époque (surtout à compter de 1973), et se bâtit amplement à partir du
courant dit nazi-maoïste. De plus, les N.R. français, grâce à Duprat tout
particulièrement, à partir de l’O.L.P. chronologiquement, avaient déjà
adopté la langue néo-révolutionnaire conservatrice de leurs homologues
d’outre-Rhin. Partant, sans renier leurs différences, les N.R. participent
au fruit de la conjonction entre les découvertes conjointes d’Evola et de la
Révolution Conservatrice observée par Roger Griffin. Celui-ci la définit
comme l’ancrage de l’idée qu’une Weltanschauung a ses racines dans une
sagesse païenne primordiale atteignable pour ceux qui se sont délivrés
des schémas du « one-worldisme », et cela induit le passage de la Nouvelle
droite au combat métapolitique et à l’utopie d’une Europe débarrassée des
U.S.A. et de l’U.R.S.S. connaissant une palingénésie par la fédération de
ses ethnies. C’est aussi, pour les N.R., une raison de combattre, selon les

70 Cf. P-A. Taguieff, Sur la Nouvelle droite. Jalons d’une analyse critique, 1994, pp.64-105 ; P. Milza,
L’Europe en chemise noire. Les extrêmes droites européennes de 1945 à aujourd’hui, Fayard, Paris, 2002,
p.216 ; A-M. Duranton-Crabol, 1988, p.152 .
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 49

formules justement néo-droitières, le « Système à tuer les Peuples » qui


serait basé sur les principes de la Déclaration des Droits de l’Homme71.
En choisissant ensuite le nom de « Troisième Voie », suite à leurs
rapprochements intellectuels et organiques avec la Nouvelle droite, les
militants du Mouvement Nationaliste-Révolutionnaire tentent, certes, un
nouveau décloisonnement, mais ils s’inscrivent aussi dans une perspective et
un jeu structurels qui, pour devenir intelligibles, imposent de faire exploser
certaines rigidités analytiques, par trop focalisées sur la notion de courants
lorsque importe celle de champ et fixées sur un cadre hexagonal qui n’a
qu’un sens limité lorsque le marché des idées est mondial. La décennie
1990 est quant à elle marquée par les bouleversements parallèles des zones
néo-droitières et N.R. dus idéologiquement à la montée en force des thèses
ethniques et, ce n’est pas une coïncidence, à la domination absolue du F.N.
sur le champ des extrêmes droites.
La formule « troisième voie » est employée pour évoquer un large
ensemble de mouvements et d’idées et, parmi les références que se
donnent des N.R., elle s’applique aussi bien au non-conformisme français
qu’au fascisme italien ou au nationalisme-révolutionnaire sous Weimar.
L’expression est utilisée par les solidaristes dès la fin des années 1970 pour
désigner leur “doctrine”72. Avant la création de Troisième Voie, elle est
omniprésente en 1984 dans Jeune Nation solidariste, l’organe du M.N.R.
Terza Posizione venait d’être fondée à Rome par d’ex-M.S.I. qui voulaient
ainsi rendre hommage au justicialisme péroniste et au national-bolchevisme
allemand, tout en ayant Franco Freda et Claudio Mutti comme maîtres
à penser, la Libye du colonel Kadhafi ou l’Iran de Khomeyni comme
exemples. Les N.R. français étant toujours soucieux du modèle transalpin,
ces expressions s’importent automatiquement, transposées telles quelles.
La légende noire du nationalisme italien renforce l’aura fascinatrice de la
troisième position : en 1980, suite au massacre de Bologne (un attentat
néo-fasciste dans la gare fait 85 morts et près de 200 blessés), la répression
s’abat sur Terza Posizione 73 ; ses principaux dirigeants s’expatrient à
Londres où ils fondent l’International Third Position avec, entre autres,
des militants du racialiste National Front. Le mouvement milite pour une

71 Cf. R. Griffin, « Between metapolitics and apoilteia », 2000, pp.43-45 ; P. Moreau, 1994, pp.150-
207.
72 Cahiers du Solidarisme, été 1979.
73 Plus de 150 militants furent arrêtés, soulignait à dessein Nouvelle Résistance. Ce chiffre s’inscrit
cependant dans la politique de l’Etat italien des Années de plomb : ce ne sont, durant cette phase,
pas moins de 20 000 personnes qui furent inculpées, selon la terminologie officielle, pour tentatives
de subversion de l’ordre constitutionnel. Terza Posizione fut le contact officiel de T.V. en Italie.
50 NICOLAS LEBOURG

Europe des ethnies et inclut tous les ingrédients du mouvement N.R.,


avec en sus un national-catholicisme étonnant au niveau d’une scène
européenne nationaliste de plus en plus marquée par le néo-paganisme et/
ou le traditionalisme évolien74.
Si ce sont ces faits qui donnent son aura à l’expression « troisième
voie », elle avait toutefois été utilisée en Italie en 1973 par un cadre néo-
fasciste italien, pour définir ce qu’il qualifiait de « nationalisme européen
(…) contrepoids aux mythologies de l’Occident libertaire et de l’Orient
collectiviste » défendant « l’Europe comme communauté de race et de
culture ». Son texte est traduit en France par le Centre d’Etudes Doctrinales
Julius Evola (fondé en 1970). Parmi les membres de cette structure, on
remarque le G.N.R. traditionaliste révolutionnaire Daniel Cologne et
Philippe Baillet, ancien de Pour une Jeune Europe et traducteur d’Evola.
Leur organisme, fondé en 1970, lance la revue Totalité en 1977 sous l’égide
de Georges Gondinet : outre Evola, elle met à la disposition du public
francophone des textes de Mutti et Freda, introduit les argumentaires pro-
Libye et pro-Iran dans l’extrême droite française. Ses membres fréquentent
le milieu N.R. ainsi que la Nouvelle droite, P. Baillet devint le rédacteur
en chef de Nouvelle Ecole, l’organe du G.R.E.C.E. (1985-1986) dont il
était déjà membre du comité de rédaction depuis 1984. En 1982, l’équipe
de Totalité fonde les éditions Pardès qui prennent en charge l’édition et
la diffusion des ouvrages de la Nouvelle droite75. Dans celle-ci, c’est G.
Faye qui en mai 1980, soit après Jeune Nation solidariste, rend le premier
un vibrant hommage à l’Iran de Khomeyni, selon une perspective qui est
ensuite synthétisée par A. de Benoist : l’Iran chiite serait une « troisième
voie : un traditionalisme révolutionnaire », soit une formule qui renvoie

74 Ce qui s’est accentué avec le temps, l’I.T.P. étant aujourd’hui clairement d’ordre «cléricalo-fas-
ciste». Cette internationale s’appuie sur la fortune de ses fondateurs, qui sont rentrés en Italie en
1999. Ils y ont fondé Forza Nuova, branche italienne de l’I.T.P. Forza Nuova a reçu le secours de
plusieurs scissionnistes du M.S.I.-Fiamma Tricolore de Rauti, et d’anciens membres de Terza Posi-
zione, dont une partie a été arrêtée entre 1999 et 2001 pour des attentats et tentatives d’attentats à
la bombe. Extradez le naturel…
75 C. Boutin, « L’Extrême droite française au-delà du nationalisme 1958-1996 », Revue Française
d’histoire des idées politiques, n°3, premier trimestre 1996,, pp.136-137 ; Camus et Monzat, 1992,
p. 454 et p.481. Comment, comme le firent nombre de grécistes, être évolien et haïr « l’Orient » ?
Cela souligne que le caractère élaboré d’une idéologie, sa préciosité intellectuelle, ne signifie pas sa
cohérence structurelle. Et donc qu’il existe une souplesse qui permet, derrière les façades préten-
dument monolithiques, les emprunts d’idées. C’est une constatation d’importance pour la suite.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 51

directement au nazi-maoïsme76.
C’est dans un mouvement parallèle à celui des publications du
G.R.E.C.E. que le M.N.R s’ouvre aux conceptions traditionalistes et
révolutionnaires-conservatrices allemandes. Mais c’est « l’Eternel Retour »
du nationalisme et de l’Europe qui est continuellement sous la plume de
J-G. Malliarakis, non le Kali-Yuga. Le fait que le M.N.R se veuille un
mouvement politique et non un groupe terroriste n’y est peut-être pas
étranger et cela met en lumière, sur le plan culturel, l’impossibilité de
réduire le cas français à la simple transposition de la situation italienne.
Néanmoins, l’influence d’Evola et du néo-paganisme va sans cesse
croissant dans la mouvance N.R., jusqu’à ce que, symptomatiquement,
J-G. Mallirakis affirme qu’elle serait à la base même de la naissance du
courant, arguant que le symbole du trident eût été choisi car « le message
de la Tripartition est fondamentalement solidariste77 ».
La formule « troisième voie » est donc déjà tout à la fois connue
et appréciée pour sa plasticité lorsqu’en 1983, le G.R.E.C.E. décide
d’intituler son colloque annuel « la Troisième voie ». Il est des désaccords
entre N.R. et Nouvelle droite, il est aussi des influences et se développent
des interpénétrations : les propos tenus à ce colloque par G. Faye et P. Vial
préfigurent amplement la vulgate N.R. des années suivantes78. Toutefois,
les N.R. populistes critiquent l’élitisme gréciste, et c’est sans doute pour
cela que la principale charnière entre les deux courants passe par le
monde évolien, seul Franco Freda étant réellement parvenu à produire
un nationalisme-révolutionnaire élitiste, en reprenant la conception de la
caste héroïque et aristocratique telle que conçue par Evola.
L’évolution du G.R.E.C.E. sur les questions raciales rassure le M.N.R,
qui considère non sans raison que « si, philosophiquement, la revue
Nouvelle Ecole exprime exactement les idées qui étaient en germe dans
Europe-Action, elle en a gommé les outrances, les violences, on pourrait

76 Cités dans Le Monde, 25 août 1987. G. Faye a commencé en animant le Cercle Vilfredo
Pareto, i.e. le G.R.E.C.E. de l’I.E.P. de Paris dirigé alors par Jean-Yves Le Gallou. Permanent du
G.R.E.C.E. ensuite, il participe à la direction de ses publications. A propos de l’influence qu’il
exerce sur les N.R. dans les années 80, on peut prendre en compte trois considérations indirectes :
a) l’âge : n’étant pas plus en âge d’avoir connu la Seconde guerre mondiale que la Guerre d’Algérie
il est générationnellement en phase avec les préoccupations de ce milieu ; b) le nom du cercle fait
signe : Pareto eut, certes, une grande influence sur le Fascisme, mais aussi sur les textes de Thiriart
qui aimait à le citer très régulièrement et le faisait systématiquement apprendre dans ses écoles de
cadres ; c) G. Faye a le goût de la provocation, citant souvent Debord, n’hésitant pas à faire l’apolo-
gie de l’homosexualité et des transsexuels : c’est le même esprit frondeur au sein de l’extrême droite
que celui des N.R.
77 Jeune Nation solidariste, décembre 1984.
78 Cf. Article 31, février 1986.
52 NICOLAS LEBOURG

dire : les sottises79 ». Plus qu’A. de Benoist, G. Faye est sur cette question
l’inspirateur des N.R. : Duprat affirmait qu’il ne fallait pas combattre les
immigrés, mais les « sionistes » qui organiseraient l’immigration. Guillaume
Faye affirme, quant à lui, en 1979 que ce ne sont pas les immigrés qu’il faut
combattre, mais l’immigration, afin de préserver « l’identité » culturelle et
biologique des deux côtés de la Méditerranée80. Ce point de vue est repris
par tous les mouvements N.R. postérieurs, quitte à le mêler, parfois, à celui
sur le complot juif. C’est en soi relativement logique, puisque G. Faye
s’inspire en la matière des nazi-maoïstes allemands (qui eux-mêmes s’étaient
préalablement inspirés de la période sociobiologique de la Nouvelle droite
française), inventeurs de l’éristique de « l’identité ». La constitution de la
R.F.A. interdisant les références raciales, les nationalistes avaient ainsi su
redéployer leur préocuppations sous le couvert de ce concept d’« identité
nationale » forgé par le nationalisme germanique au début du XIXe siècle81.
La réaction au colloque de 1979 est aussi très significative, puisque
l’organe du M.N.R loue le refus de l’axe droite-gauche, souligne l’accord
portant sur la dénonciation de « l’envahissement du “way of life américain”,
péril plus imminent que celui du bloc soviétique ». Néanmoins, deux
reproches sont encore formulés : 1) l’antichristianisme systématique ; b)
l’absence totale de référence à la nation française. Or, sur ces deux points,
les N.R. ne vont cesser de se radicaliser : si Troisième Voie tente le grand
écart en se référant à Evola et La Tour du Pin simultanément, Nouvelle
Résistance développe un discours anti-chrétien radical, la dissolution de
la référence stato-nationale aboutit à ce que Christian Bouchet puisse
écrire sur le forum d’Unité Radicale : « on est nationalistes européens et
(...) la France on s’en tape un peu. Français ce n’est pas une définition
ethnique. Européen si !82 ». Avant même le colloque sur la troisième voie,
le rapprochement est des plus sensibles quand, en 1981, le G.R.E.C.E.
intitule son colloque annuel « la Cause des peuples » ; là où les journalistes
croient voir un clin d’œil étonnant au maoïsme et au journal français
ayant porté ce nom, les N.R. savent très bien qu’il faut y lire la devise
des N.R. allemands imposée en France par Duprat. A la suite du 10 mai
1981, A. De Benoist et P. Vial constatent le caractère nationaliste de
l’U.R.S.S., sa physionomie plus grand-russe que marxiste, son socialisme
nationaliste identitaire tranchant avec l’universalisme libéral destructeur

79 Jeune Nation solidariste, 3 août 1978.


80 Eléments, mars 1979, cité dans A-M. Duranton-Crabol, 1988, p.120.
81 G. Noiriel, A qui sert « l’identité nationale », Agone, Marseille, 2007, p.15.
82 Jeune Nation solidariste, 15 novembre 1979. Forum d’U.R., thread ouvert au 4 novembre
2001.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 53

des particularismes. Après le colloque sur la troisième voie, le G.R.E.C.E.


organise le suivant avec un intitulé inspiré de Drumont83. A. de Benoist y
salue la mémoire des communards et clame que « dans l’espace libéralo-
libertaire, une certaine droite et une certaine gauche s’apprêtent à
confluer ». P. Vial attaque « le Système bourgeois » en faisant l’apologie
de Che Guevara, des Brigades Rouges et de la bande à Baader, « morts les
armes à la main pour leurs idées », et qu’il dit préférer aux libéraux en quête
de « strapontin » ; il en appelle à « un front commun entre révolutionnaires
de gauche et révolutionnaires de droite » pour renverser le système. Le
journaliste du Monde qui suit cette évolution s’interroge : « y a-t-il une
boussole dans la salle ? 84 ». Le Che, la Commune, les Brigades Rouges,
l’alliance de la Périphérie révolutionnaire, l’U.R.S.S. sauvant le monde
blanc… de Thiriart à F. Freda, les influences N.R. sur la Nouvelle droite
et Nouvelle droite sur les N.R. se croisent et se multiplient85. Chacun
joue son jeu, différent, mais certains observateurs sont enfermés dans un
cadre hexagonal qui n’est pas celui des néo-droitiers et des N.R., lesquels
composent « un courant transeuropéen86 ». A travers les diverses rencontres
s’échangent contacts et phraséologie : Nouvelle droite et N.R. s’accordent
pour prôner une « troisième voie » qui soit la défense de « l’identité » face
au « Système à tuer les peuples », selon l’expression forgée par G. Faye en
1981.

83 Avec des positions qui renvoient justement A. de Benoist au temps où il écrivait pour Europe-
Action que Drumont et Barrès étaient leurs « premiers maîtres » (cf. P-A. Taguieff, « Les Droites
radicales en France : nationalisme révolutionnaire et national-libéralisme », Les Temps modernes,
avril-mai 1985, pp.1781-1782 et p.1791).
84 Compte-rendu du XVIIIe colloque du G.R.E.C.E. dans Libération, 12 novembre 1984 et Le
Monde, 17 novembre 1984 ; A-M Duranton Crabol, 1988, pp.208-212. Dans le même temps, A.
de Benoist affirme que le rôle du G.R.E.C.E. est de réarmer idéologiquement la droite dite répu-
blicaine : alors que le G.R.E.C.E. a été très violemment mis sur la sellette médiatique durant l’été
1979, les proclamations philo-soviétiques de ces responsables grécistes, directement consécutives à
l’entrée de ministres communistes au gouvernement, n’ont-elles pas aussi pour fonction d’aider à
la dénonciation du « fascisme de gauche » que serait le stalinisme (stratégie polémique alors suivie
par le Club de l’Horloge et récupérée par les droites) ? La Nouvelle droite est tout à fait consciente
de l’image négative qu’elle véhicule, R. Steuckers a ainsi dénoncé cette « stratégie du marquage »
consistant à s’utiliser soi-même comme instrument déligitimant.
85 Considérant que trotskystes et nouveaux philosophes anti-marxistes se ressemblent X. Vallières
se demandait « et si, en face d’eux, gaullistes de conviction et communistes pour la Patrie, finalement,
nous ressemblaient ? ». J. Parvulesco considérait quant à lui qu’il fallait tout ensemble saluer le Che,
surhomme nietzschéen mort contre l’impérialisme américain, et Jean Cau, pour son affirmation
selon laquelle se serait peut être le destin de l’U.R.S.S. de sauver la race blanche (Jeune Nation solida-
riste, 1er mars 1979 ; idem, 15 mars 1979 ; la position de Cau étant soutenue par Mabire à l’intérieur
du G.R.E.C.E.) ; etc. J-G. Malliarakis écrit dans Eléments sous pseudonyme mais celui-ci, Gilles
de Kassos, est totalement transparent, J-G. Malliarakis l’utilisant depuis des années au su de tous.
86 J’emprunte la formule à P. Milza, 2002, pp.223-227.
54 NICOLAS LEBOURG

Alors que le forum de la Nouvelle droite de 1981 s’axe sur le thème


« Pour une alternative au socialisme » et se situe clairement dans l’offre
politique faite aux droites, c’est en 1983, juste avant qu’il ne commence
à fréquenter le M.N.R, que P. Vial s’avoue extrêmement déçu par la
droite parlementaire87. Cette année est celle d’une série d’échecs dans la
stratégie suivie : fin des liens avec le groupe Hersant, forte chute des ventes
d’Eléments, cession des éditions Copernic et départ de membres vers le
F.N.88 En cette année 1983, lors du colloque sur la « troisième voie », A.
de Benoist se présente comme un fournisseur de munitions idéologiques
pour la droite parlementaire, mais en 1984 il explique avoir voté pour le
P.C.F. et clame sa sympathie pour les Républiques socialistes89. Pour lui,
le P.C.F. est devenu un « national-populisme » et les pays communistes
des « Etats organiques90 ». Est-il raisonnable de voir, à l’instar de divers
analystes, en ces appréciations une évolution à gauche ? De la part d’un
admirateur de Jünger, cela renvoie à une idée, une expression, chère au
néo-nationalisme allemand : il faut être conséquent. Et lorsqu’on note
que la Nouvelle droite redécouvre Niekisch dans le même temps, s’éloigne
encore l’idée d’un rapprochement avec ce que la gauche française entend
par « communisme » ; nous sommes renvoyés directement à la Révolution
Conservatrice au niveau de la filiation idéologique et au nationalisme-
révolutionnaire français en ce qui concerne l’inscription dans l’espace
politique du moment91. La modernisation à « gauche » du nationalisme
est en fait avant tout un détour allemand de la pensée « identitaire » la plus
extrême droitière.
Dans Vouloir, Guillaume Faye écrit que « le modèle communautaire a
toujours tenté les doctrines de gauche les moins dogmatiques, [il] constitue
une réponse appropriée au nihilisme croissant de la société marchande » ;
toutefois, il ne l’inscrit pas dans le cadre d’un contrat social, mais dans
celui de la Volksgemeinschaft charpentée par une idéologie politique. Michel

87 Le Monde, 8 octobre 1983.


88 P. Milza, Fascisme français. Passé et présent, Flammarion, Paris,1987, p.395.
89 A-M. Duranton-Crabol, 1988, p.214.
90 A. de Benoist, « Chassé-croisé », Le Partisan européen, vendemiaire-brumaire 1986 (sic). La
revue est tout en évolisme et cette formulation organiciste s’inscrit dans cette perception évolienne.
91 Fantastique plasticité de la R.C. comme du G.R.E.C.E., puisque ces mêmes sources valaient
en 1979-1983 au G.R.E.C.E. d’être qualifié de « nazi » par certains analystes qui vont estimer le
G.R.E.C.E., ou plutôt A. de Benoist, être sorti de l’extrême droite. Il y a là un effet pervers quant
à la considération de l’espace extrême droitier : désigner comme d’extrême droite un homme ou
un groupe ne relève pas de la propagande stigmatisante ; le croire plutôt que resituer ce champ
comme un élément structurel de l’histoire politique française, c’est se contraindre à ne plus saisir les
extrêmes droites. A. de Benoist n’est pas un nazi camouflé, pas plus qu’un homme de gauche : c’est
un intellectuel d’extrême droite au discours construit et cultivé.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 55

Froissard appelle dans cette revue à la jonction des révolutionnaires pour


restaurer un communalisme confédéral contre les forces libérales, tandis
que Robert Steuckers souligne l’importance de Herder (1744-1803) et des
formes communautaires historiques qu’il perçoit dans l’athénienne agora
ou dans l’Althing germanique92.
Les thèses ainsi développés s’inscrivent bien dans un retour à Herder
(1744-1803) et Fichte (1762-1814), renvoient au concept du Volksgeist
facteur de progrès car producteur de « culture » et non de « civilisation ».
En effet, Herder considère que les peuples ont un génie propre, une âme
propre, le Volksgeist, qui s’exprime avant toute chose dans leur langue (une
idée reprise en permanence par la Révolution Conservatrice allemande).
Fichte reprend l’idée dans son Discours à la Nation allemande. Non
contaminée par le latin, la langue allemande serait ainsi la seule à être
réellement vivante : c’est donc seulement chez l’Allemand que la culture
irrigue toute action, qu’esprit et caractère sont un tout solidaire, là où les
Latins ne sont qu’esprit, aboutissant au distinguo ainsi formulé : « la vie
d’un côté, la mort de l’autre ». La culture chez les non-Allemands serait
le fait des élites, là où toute la communauté allemande en produit. En
définitive, l’Allemand étant le seul à jouir d’une langue originelle et d’une
culture englobant toute sa société, la nation allemande constitue le peuple
originel, pur, le seul à disposer d’une réelle patrie. Il est donc le seul à
pouvoir réaliser le progrès humain, et pour cela il doit d’abord organiser un
Etat qui lui permette de se réaliser dans sa perfection nationale, puis il doit
guider l’humanité toute entière – et si l’Allemagne n’est pas forte c’est toute
l’humanité qui sombre. Grâce à Fichte, l’Allemagne prend conscience de sa
propre existence, se définit par sa langue et par le sentiment de sa supériorité
naturelle. Cette supériorité s’exprime dans le distinguo fait entre « Culture »
et « Civilisation » : la première est vivante et est l’apanage de l’Allemagne
(Kulturvolk) la seconde est la mort par excès de rationalisme, elle est le fait
des nations d’Europe occidentale, de la civilisation occidentale, et est tout
particulièrement symbolisée par la France et son idéologie universaliste
des Droits de l’Homme. Cette nation n’est pas un produit de la Raison,
un contrat social, comme dans la conception française, mais une réalité en
soi, une œuvre métaphysique vécue par le peuple et exprimée dans le Volk.
Les thèses de R. Steuckers et G. Faye sont ainsi un déplacement de ces
notions de l’Allemagne à l’Europe, suivant la démarche qui avait été celle

92 Textes parus dans les revues de R. Steuckers, Vouloir, 1985, et Orientations, 1988, et repris
dans Démocratie et communauté, s.d., pp.5-26 et pp.46-70 (ces textes citent amplement Tönnies
qui vient ainsi une seconde fois, après les nationaux-socialistes, fournir des éléments de discours et
analyse sur le remplacement des sociétés traditionnelles par les modernes).
56 NICOLAS LEBOURG

de Thiriart quant à Niekisch. Quant à Evola, il souscrit à la dichotomie


culture et civilisation à partir de sa lecture de Spengler, en spécifiant que la
civilisation est l’entrée dans la modernité : elle est la « phase crépusculaire
et finale de chaque cycle. Dans la civilisation prédomine l’intellect abstrait,
le pur être éveillé, arraché à l’instinct, à la race, au substrat cosmique93».
En somme, il ne s’agit pas de simplement prétendre que la Nouvelle
droite, après un échec de séduction à droite, et un autre à gauche, tente
un repli sur l’espace nationaliste par simple calcul, voire dans le but de
retrouver un positionnement dans une extrême droite en développement,
mais de simplement observer l’enchaînement de faits. En conséquence,
pour le moins, la Nouvelle droite s’avère bloquée dans son espace. P. Vial
quitte d’ailleurs la métapolitique pour le F.N. avec de nombreux autres
cadres grécistes. Ces derniers sont désormais coincés à l’extrême droite
et ils n’ont guère le choix qu’entre un F.N. qui offre des places d’élus et
les N.R., desquels ils sont déjà les plus proches idéologiquement depuis
leur conversion commune à la Révolution Conservatrice. Quant à ces
N.R., le développement du F.N. les pousse à gauche, l’espace le plus libre
du nationalisme. Dans la même logique, peu avant que ne soit fondée
Troisième Voie, le M.N.R estime que la surenchère libérale à droite libère
un espace pour les nationalistes sociaux94. Il y a là une logique politique
réelle et non une hypothétique autant que fumeuse stratégie secrète.
Or, cet input dans le champ nationaliste vivifie et transforme le milieu
N.R. En 1986, Troisième Voie enfante une internationale tercériste où se
retrouvent les Belges des Forces Nouvelles, les Italiens de Terza Posizione, le
Troisième Voie suisse, le National Front ou l’allemand Nation Europa, etc. Le
fait même que le G.R.E.C.E. ait tenu des meetings avec les N.R., lui dont
le « gramscisme de droite », si fort proféré, aurait dû induire de toujours en
rester à la forme des colloques, n’est pas anodin, ni dans l’évolution d’A. de
Benoist aux débuts des années 1990, ni dans l’émigration conséquente des
troupes grécistes, P. Vial en tête, vers le F.N. dans les années 1984-1988. En
effet, quitte à avoir pris goût à la politique militante dans le groupuscule,
pourquoi ne pas rejoindre un réel parti ? C’est là un raisonnement courant
de militants extrémistes mûrissants et rejoignant un parti parlementaire,
ce qu’est le F.N. à cette date avec des députés nationaux et européens. Les
grécistes réagissent probablement alors au cas par cas, selon des logiques
privées, mais, pour ceux qui ne rejoignent pas le parti national-populiste,

93 J. Evola, « Le Déclin de l’Occident », 1957, repris dans idem, L’Europe ou le déclin de l’Occident,
Rémi Perrin, Paris, 1997, pp.22-23.
94 M.N.R. Bulletin de liaison, 5 juin 1985 (document interne).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 57

ils doivent redoubler d’énergie dans l’espace N.R. ou abandonner le


militantisme. C’est ce que fait consécutivement G. Faye qui s’inscrit à plein
dans ce lieu puis, après avoir été exclu du G.R.E.C.E., cesse dix années
l’activité politique. Il initie tout particulièrement les N.R. aux thèmes de
« l’identité » et de « l’autarcie des grands espaces », s’inspirant amplement
en la matière de la Révolution Conservatrice, des N.R. allemands, de
Thiriart ou Yockey. Les Belges de Volonté européenne récusent ainsi leur
appartenance à l’extrême droite pour affirmer n’avoir qu’un ennemi,
eux aussi, « le Système à tuer les peuples95 ». Avec les Belges R. Steuckers
et Pierre Freson, G. Faye publie en 1985 un livre qui représente une
synthèse idéologique via un glossaire pour « imposer ses propres notions,
ses propres définitions » qu’il est conseillé d’apprendre « “par cœur” »,
et où les néo-droitiers n’hésitent pas à considérer que Thiriart « est sans
doute le plus remarquable théoricien politique de notre époque96 ». Cette
technique linguistique est l’application au champ nationaliste de ce que
le Club de l’Horloge a fait pour les droites, mettant à leur disposition
un lexique de “nov-lang” propagandiste dès 1982 redoutablement efficace
et constamment utilisé 97. Quant à la brochure, écrite pourtant par des
auteurs dits néo-droitiers, elle se voit diffusée par T.V. en France et par
Forces Nouvelles en Belgique98.
Il n’y a, ainsi, pas de frontières strictes sous prétexte qu’il y a des
démarcations et le particularisme du courant gréciste se réduit dès qu’on
raisonne selon une analyse de champ. Or, ce dernier bénéficie à cette
date d’une dynamique due à la rencontre des populistes avec le peuple ;
s’accroissent en parallèle les contradictions internes résultant du déséquilibre
induit au profit d’un F.N. dont l’offre politique est à mille lieux des thèmes

95 Article 31, décembre 1986. Volonté européenne naît en 1985 par scission du Front Nationa-
liste d’anciens du Mouvement Socialiste Populaire, refusant le tournant philosoviétique de L. Mi-
chel. Proche de Rex National, il fonde le Cercle Copernic (reprenant ainsi un nom rattaché au
G.R.E.C.E.). Volonté européenne est aussi proche de l’association Etudes, Recherches et Orienta-
tions Européennes (1983), présidée par Jean E. van der Taelen et co-menée par R. Steuckers. Les
deux hommes sont également à la direction de Vouloir (1983) et participent en 1983-84 au Col-
lectif d’Etudes pour le Monde Contemporain de G. Faye (R. Steuckers, e-mail, 23 octobre 2001 ;
Article 31, juin 1986). J-G. Malliarakis a aussi donné une conférence à Bruxelles le 19 mars 1987
pour E.R.O.E. (Article 31, septembre 1988).
96 Faye, Freson et Steuckers, Petit lexique du partisan européen, Ars, Nantes, s.d. (1985), pp.7-8
et p.39.
97 Leroy et Blot, La Bataille des mots. Pour un nouveau langage politique de l’opposition, Lettre d’in-
formation, quatrième trimestre 1982. Fondé en 1974, le Club de l’Horloge est le pendant techno-
cratique et inséré aux partis de droite du G.R.E.C.E. Toutefois, les Horlogers n’ont cessé d’aller vers
la droite réactionnaire et libérale.
98 Article 31, mai 1989.
58 NICOLAS LEBOURG

modernisateurs qui étaient censés, selon Nouvelle droite et N.R., seuls


pouvoir sauver l’extrême droite. G. Faye, malgré ses discours radicaux, est
bel et bien intéressé aussi par les travaux des Horlogers. Ainsi, s’il affirme
dans la presse N.R. que « le slogan de Jean-Marie Le Pen : “deux millions de
chômeurs, c’est deux millions d’immigrés en trop” est totalement absurde
et ne peut, en aucun cas, être le nôtre ; car cela reviendrait à nier la crise
(...) orchestrée par la Trilatérale », il considère en 1985 que l’ouvrage qui
est la dot de l’horloger Jean-Yves Le Gallou lorsqu’il rejoint la direction
du F.N., La Préférence nationale: réponse à l’immigration, écrit au nom du
Club, est « le plus complet et le plus objectif sur l’immigration » qui soit99.
Or, celui-ci n’est que l’habillage technocratique, redoutablement efficace
en matière de propagande, de l’idée exprimée par le slogan frontiste susdit,
inventé à l’origine par François Duprat.
Même course, même but où les Horlogers ont une longueur d’avance
et repoussent grécistes et N.R. sur leur positionnement « tercériste »
nationaliste-social. En effet, lorsqu’en 1985 est proclamée publiquement,
lors d’un meeting à Lyon, la création de T.V. sur la base officielle du
rapprochement du M.N.R avec le Parti des Forces Nouvelles (né en 1974
suite à la dissolution d’Ordre Nouveau) et la Jeune Garde (présentée
comme un tiers groupuscule, en fait une émanation directe du M.N.R.),
soutenus par le G.R.E.C.E. et le G.U.D., leur diagnostic est celui du
“feu de paille populiste”, si répandu à l’époque, et le but annoncé est
d’apporter « la colonne vertébrale idéologique que rechercheront les déçus
du lepénisme100 ».

99 Jeune Nation Solidariste, octobre 1984 ; A-M. Duranton-Crabol, 1988, p.217. Ex-G.R.E.C.E.
lui-même, J-Y. Le Gallou fut antérieurement le collaborateur de Griotteray, et le “nègre” de ce-
lui-ci pour l’ouvrage Les Immigrés: le choc. Il quitte les instances du Parti Républicain pour le F.N.
en septembre 1985 où il devient le chargé aux argumentaires.
100 La réunion rassemble une centaine de personnes. Le nouveau mouvement ne se défait pas du
style «humour gudard» en naissant : on déclare au journaliste présent qu’étant donné le succès « la
prochaine fois il faudra qu’on prenne un stade » (Libération, 11 novembre 1985). Né en 1968 de la
dissolution du Mouvement Occident, officiellement auto-dissout en 1981, le Groupe Union Droit
est à l’origine de la fondation d’Ordre Nouveau (1970) puis, après la dissolution par l’Etat d’O.N.
(1973), devient le mouvement de jeunesse du P.F.N. En 1985, il participe à la fondation de T.V. Le
G.U.D. finit par rompre avec cette direction (1988), et attaque physiquement un de ses meetings
(1989). Il se rapproche du F.N. et participe, à partir de 1993, avec le F.N.J. et divers groupuscules,
au syndicat nationaliste étudiant frontiste. D’un néo-fascisme a-dogmatique il évolue vers des po-
sitions N.R. : antiaméricanisme, adoption de l’utopie d’une Europe fédérée des régions mono-
ethniques, et assimilation de son combat à celui du peuple palestinien autour du slogan « À Paris
comme à Gaza Intifada ! » (1995). Samuel Maréchal, ex- T.V., gendre de J-M. Le Pen et responsable
du F.N.J., tente de s’appuyer sur le G.U.D. pour contrer B. Mégret, mais le G.U.D. rejoint celui-ci
et forme son service d’ordre (1997) afin de le protéger du service d’ordre du parti, le Département
Protection Sécurité. Il rejoint Unité Radicale mais en claque la porte juste avant sa dissolution, ne
supportant plus le mégretisme et le tournant prosioniste de nombre de ses membres.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 59

Comme le souligne P-A. Taguieff, il y a une conjonction au sein des


droites, sur le thème de la « troisième voie », entre l’opposition aux gauches
et le F.N. : les membres du Club de l’Horloge téléguident, sur la base
des Comités d’Action Républicaine de Bruno Mégret, et dans l’espoir de
regrouper les différents clubs d’opposition, la naissance d’une Fédération
d’Action Républicaine. Celle-ci à son tour présente un discours de rupture
et de « troisième voie » entre ce qu’elle considère être le socialisme rampant
de l’avant-1981 et le socialisme101. C’est là, au bénéfice d’un programme
national-libéral, une analyse qui était celle du P.F.N. (et souvent du F.N.)
durant le septennat giscardien, accusé de n’être que la voie libérale d’accès
à la transformation de la France en pays socialiste102. La stratégie des
Horlogers recoupe d’ailleurs, dans sa critique du F.N., un grand nombre
d’arguments qui sont ceux de l’espace G.R.E.C.E. / N.R.103. Il y a donc
en 1985 deux tentatives de troisième voie provenant de l’espace originel
néo-droitier, l’une ultra-libérale, l’autre gauchistoïde, toutes deux basées
sur la nouvelle donne que représente l’éclosion du F.N. et la nouveauté de
l’alternance.
Les emprunts de propagande témoignent bien de la manière dont,
au-delà de différences et conflits, existent des passerelles personnelles
ou intellectuelles : témoin Alain de Benoit, qui déclare au colloque du
G.R.E.C.E. de 1985 « SOS-Racisme, disent certains. Nous répondons SOS
Racines » ; deux ans plus tard, un tract-dépliant de T.V. notifie qu’à « ceux
qui disent SOS Racisme, Troisième Voie répond SOS Racines » ; suivant
le même axiome, le Club de l’Horloge fonde en 1990 une association

101 P-A. Taguieff, « Les Droites radicales en France : nationalisme révolutionnaire et national-
libéralisme », 1985, pp.1806-1811.
102 A. de Benoist porta ce thème du libéralisme comme entrée dans le communisme, reprenant
des bases de Moeller van den Bruck et de l’Action Française (P-A. Taguieff, « La Stratégie culturelle
de la « Nouvelle Droite « en France (1968-1983) », 1984, p.104). Cette rhétorique sans cesse uti-
lisée par le P.F.N. a été réinitialisée par J. Chirac durant l’entre-deux-tours des élections présiden-
tielles de 1981, lorsqu’il accuse le Président Giscard d’Estaing d’avoir mené une politique socialiste
qui a ouvert la voie à F. Mitterrand. J-M. Le Pen martèle cet argument en 1984, vraisemblablement
dans le but de se légitimer auprès de l’électorat le plus anticommuniste des droites, qui est à cette
date son premier public.
103 En 1984, une note interne des C.A.R. sur le F.N. estime que le succès frontiste est « le résultat
d’une démarche plus négative que positive », que le parti souffre de ces « hommes issus de l’extrême
droite la plus réactionnaire et la plus rétrograde, [aux] obsessions caricaturales [dont le] mythique
«occident», [coiffés par une] structure totalement pyramidale [au service d’un chef ] omniprésent ».
Le sens de la note est que le F.N. souffre d’un manque de « pondération du ton et du discours »
qui risque de « heurter les nouveaux venus » (cité dans M. Soudais, « L’Anti-Le Pen », Le Nouveau
Politis, avril 1992).
60 NICOLAS LEBOURG

S.O.S. Identité104. A ce degré, étant donné le partage de liens et d’idées,


se comprend le désir de certains grécistes, G. Faye en tête, de s’offrir une
base militante adéquate et énergique avec les N.R. Le G.R.E.C.E. participe
donc à la mise en route de T.V. et celle-ci développe les liens qu’avait déjà le
M.N.R. avec la Nouvelle droite belge de R. Steuckers105. Les inter-relations
à l’intérieur sont facilitées par celles produites à l’extérieur.
En début d’année 1985, le groupe de la Nouvelle droite suisse du
Cercle Proudhon organise à Genève un meeting M.N.R sur Le Droit à
l’identité où, outre J-G. Malliarakis, les orateurs sont G. Faye, A. de Benoist,
P. Vial, R. Steuckers, l’Italien Mario Tarchi, l’Anglais Michael Walcker,
l’Allemand Pierre Krebs. A Paris, en mars, G. Faye, et J-G. Malliarakis
tiennent ensemble un meeting contre « l’Europe de Yalta ». Ce thème de
« Yalta », constamment répété par J-G. Malliarakis depuis les années 1960,
a aussi été l’objet le 31 décembre 1984 d’un meeting commun à Tours
entre le G.R.E.C.E. de Touraine et le M.N.R.106 J-G. Malliarakis est aussi
présent aux 18 ans du G.R.E.C.E., d’ailleurs pour y vendre sa réédition
de La France juive de Drumont, puisque celui-ci y revient à la mode pour
exprimer ce que l’extrême droite entend par l’idée d’un nationalisme
populaire107. C’est ainsi que, dans tous les courants nationalistes, se répand
la néo-Nouvelle droite des années 1984-1987 qui, sur les positions d’A. de
Benoist et de G. Faye, reformule sa doxa sur une série de thèmes : alliance
Europe-Tiers Monde contre l’Occident ramené à la figure américaine,
ethnodifférencialisme, post-modernisme, sacré comme fondement de
l’identité européenne108. Sur la scène européenne paraît se dessiner un
axe entre les “radicaux” grécistes et ceux qui n’hésitent pas à mêler la
pensée gréciste aux concepts de Thiriart pour aboutir à un néo-socialisme-
européen, à la tête desquels on trouve G. Faye et R. Steuckers. Ce dernier
considère comme fondamentaux les échanges internationaux, car il recycle
le concept militaire de Thiriart du poumon extérieur dans le domaine
métapolitique, ce qui s’avère fort utile car « un discours intellectuel de

104 Tract-dépliant de T.V., 1987 ; P-A. Taguieff, Sur la Nouvelle droite, 1994, p.63. Le colloque de
1985 est intitulé Une Certaine idée de la France. Nouvelle Résistance a également repris la formule
« Sos Racines » pour l’intitulé d’un de ses tracts dans les années 90, ainsi que le néo-nazi P.N.F.E.
105 C. Boutin, 1996, pp.152-153.
106 M.N.R. Bulletin de liaison, 10 décembre 1984 (document interne). Le Cercle Proudhon s’em-
ploya jusqu’à sa disparition en 1990 à créer des rencontres internationales néo-droitières ou néga-
tionnistes (P. Milza, 2002, p.225).
107 Libération, 25 novembre 1985.
108 P-A. Taguieff, « De l’anti-socialisme au national-racisme. Deux aspects de la recomposition
idéologique des droites en France », Raison présente, quatrième trimestre 1988, p.36.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 61

haut niveau (…) neutralisera l’adversaire109 ».


C’est bien toute l’extrême droite qui est, à ces dates, en recomposition
structurelle et idéologique, des personnes qui ont cessé le militantisme
reviennent, un foisonnement de micro-groupes N.R. et/ou néo-droitier se
fait jour, tandis que le F.N. reçoit un influx électoral venu des gauches et se
découvre pro-irakien. Sur la marge, c’est un réseau européen de quelques
cadres nationalistes adeptes de la « troisième voie » et de « l’Europe
impériale » qui tente une offre idéologique, une fois qu’elle a perdu le
combat de la conquête des droites et qu’elle voit se dessiner une nouvelle
configuration politique avec l’éclosion des nationaux-populismes. La
chronologie n’est pas la causalité mais, ici, elle paraît nette : la Nouvelle
droite sort à peine de sa phase d’influence sur les droites dites républicaines.
Mais si un quotidien vespéral peut commenter que « l’anti-égalitarisme est
devenu la tarte à la crème idéologique du R.P.R. et de l’U.D.F. », c’est pour
souligner a contrario que les liens de ces partis avec le G.R.E.C.E. sont
totalement distendus110. L’imprégnation néo-droitière qui a pleinement
fonctionné sur les droites n’est pas celle du racialisme chic gréciste, mais
celle du darwinisme-social choc de la dissidence horlogère ultra-libérale.

4. Fins de siècle

Après que l’œuvre de Jean-Pierre Faye sur la Révolution Conservatrice


allemande ait remis à la mode le nationalisme-révolutionnaire, c’est la thèse
de Louis Dupeux sur le national-bolchevisme qui réintroduit pleinement
cette référence. Le goût de la provocation y est pour beaucoup. Le cas Thi-
riart fait le reste. A la fin des années 1960, Thiriart voulait l’Europe contre
les Etats-Unis et à côté de l’U.R.S.S., dorénavant il prophétise que l’Europe
ne peut se faire que grâce à l’U.R.S.S. car « une Weltanschauung de l’homo

109 « Notre courant de pensée a toujours eu une qualité : celle d’avoir pu jouir d’un “poumon
extérieur”. La rénovation du discours intellectuel français par la Nouvelle droite a été possible grâce
à une adaptation pédagogique de philosophies anglo-saxonnes (empirisme logique, discours sur le
Q.I., sociobiologie) ou allemandes (Révolution Conservatrice, archéologie indo-européenne, pa-
ganisme, Konrad Lorenz, anthropologie, etc.). Ces thématiques ont leurs racines à l’étranger, elles
sont par conséquent étrangères au ronron conformiste français. En les mobilisant contre le discours
dominant, nous jouissons donc d’un poumon extérieur, d’une précieuse réserve de munitions idéo-
logiques » (R. Steuckers, «Réflexions diverses sur le sens et les objectifs de notre action », Le Lien,
avril 1989 ; cet article issu du bulletin interne du G.R.E.C.E. est disponible en ligne sur le site
multilingue de la Nouvelle droite espagnole ; l’intitulé du bulletin renvoie au concept de Bindung,
le « lien collectif » devant être noué en réaction au Kulturpessimismus qui envahit l’Allemagne à la
fin du XIXe siècle).
110 Le Monde, 27 novembre 1984.
62 NICOLAS LEBOURG

novus peut être greffée sur le communisme, pas sur le bric-à-brac métaphy-
sique américain ». Voilà Jünger porté à son point critique, l’avènement de
l’Arbeiter accouché par le stalinisme, rejoignant en quelque sorte le trajet
de Niekisch prophétisant la venue de « la Troisième figure impériale », pas-
sant de la plus extrême droite à un rôle de cadre dans l’Allemagne de l’Est
(dans les deux cas son aventure s’achève par l’internement). Il n’est donc
pas étonnant que Thiriart, dont les textes des années 1960 marquaient déjà
sa connaissance de la Révolution Conservatrice allemande, se revendique
désormais « national-bolchevique européen », adepte d’un Empire jacobin
de Reykjavik à Vladivostok. Le devoir des nationalistes européens serait
donc de préparer l’invasion de l’Europe par l’Armée rouge111.
La conception de l’U.R.S.S. comme élément-moteur de l’Europe na-
tionaliste ainsi sauvée de l’Occident est le décalque sur la réalité politique
des années 1980 du concept de « l’ultime recours » des nationaux-bol-
cheviques allemands, qui estimèrent durant la décennie 1920 que l’im-
portation du bolchevisme était « l’ultime recours » pour sauver la nation
allemande de la subversion occidentale (idée s’intégrant à la philosophie
révolutionnaire conservatrice selon laquelle la politique étrangère devait
user de la guerre comme moyen – voire comme esthétique – et avoir pour
fin l’édification de grands espaces). Thiriart affirme raisonner en géopoliti-
cien, en scientifique autant qu’en politique ; il est en fait passé du projet du
numéro deux du N.S.D.A.P. Gregor Strasser d’une Mitteleuropa en lutte
contre l’Occident, avec le soutien provisoire de l’U.R.S.S., à celui de l’Em-
pire national-bolchevique de Niekisch « de Flessingue à Vladivostok112 ».
Au-delà de cette perspective, se répand à la fin des années 1970, dans
les milieux néo-nazis européens, une vision de l’U.R.S.S. comme empire
allant sauver la race blanche, qui n’est pas sans évoquer d’abord l’œuvre
de l’américain Francis-Parker Yockey, ensuite les néo-nazis américains du
National Renaissance Party, qui ont opté pour l’U.R.S.S. dès les années
1950113. Quoique ses admirateurs veuillent donner de Thiriart l’image du
prophète seul dans le désert, il n’est historiquement pas possible de le sé-
parer de ces éléments divers, ni de négliger le parallélisme avec l’extrême
droite américaine et le néo-nazisme occidental. En fait, Thiriart est prêt à
tous les moyens, mêmes légaux. Revenant à l’écriture politique au début
des années 1980, il se lie au militant nationaliste Luc Michel. Ce dernier

111 « L’U.R.S.S. héritière du IIIe Reich », avant-propos de Y. Sauveur, (1978), pp.A-J.


112 Cf. L. Dupeux, 2001, pp.63-76 et 91-101.
113 J. Kaplan, « The Post-war paths of occult national socialism : from Rockwell and Madole to Man-
son », Patterns of prejudice, vol. 35, no. 3, 2001, p.49 ; le N.R.P. cherchait à mêler l’œuvre de Yockey
au satanisme et à la théosophie – préoccupations bien éloignées de celles du rationaliste Thiriart.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 63

a fait ses première armes au néo-fasciste Front de la Jeunesse (constitué


en 1974 autour des N.E.M.-clubs animés par Emile Lecerf sur la base
de son journal Nouvelle Europe magazine, ne répugnant pas à la violence
raciste) puis a fondé, à 19 ans, le groupe Occident 2000. Son mouve-
ment, selon Notre Europe, l’organe de la Fédération d’Action Nationaliste
et Européenne dont il participe au comité de rédaction, coopère « étroite-
ment » avec le Parti Européen et est en contact avec le Vlaams Militanten
Orde. Le militant wallon participe au Conseil fasciste européen réuni par la
F.A.N.E. à Paris en 1980, avec des militants néo-nazis wallons, flamands,
autrichiens, allemands et suisses. Avec des anciens de Forces Nouvelles
et du Mouvement Socialiste Populaire (les « nazi-maoïstes » belges ap-
pliquant outre-Quiévain une ligne Freda), il fonde le Front Nationaliste
qui fusionne avec l’équipe de Conscience européenne, revue néo-droitière,
au printemps 1982. Ce dernier groupe repart toutefois un an plus tard,
en réaction à l’axe pro-soviétique imposé par Luc Michel et Thiriart qui
conservent le titre114.
La trajectoire intellectuelle de l’ancien collaborateur et du jeune na-
tionaliste-européen ne souffre pas d’aporie car le national-socialisme ac-
cordait pleinement sa place, dans sa dialectique intérieure, aux référents
géopolitiques – ainsi Rudolf Hess était-il fort marqué par la pensée d’Haus-
hofer115. Depuis plusieurs années, les recherches sur le nazisme ont démon-
tré l’importance du rôle des intellectuels (historiens, géographes, géopoli-
tologues, etc.) dans le déroulement de la violence nazie. Si les références
aux doctrinaires de la géopolitique servent à se démarquer savamment de
l’image populaire de l’extrême droite, il n’empêche qu’en l’occasion nous
sommes bien dans la Weltanschauung d’un certain nationalisme allemand.
Le déplacement du néo-nazisme au national-communautarisme européen
n’est donc pas sans fondement philosophique ou logique, quoiqu’en dise
le niveau des formes. Le mode d’action premier passe plus que jamais par

114 Article 31, janvier 1986 ; idem, juin 1986 ; Notre Europe, mars 1979 ; idem, février 1980. Le
Parti Européen, fondé en 1972, est une scission de droite d’une scission péroniste de J.E. de 1965.
Le P.E. milite pour l’Europe des ethnies et la défense de la race blanche et a des contacts avec
l’O.L.P. française et italienne. Le V.M.O., refondé en 1971, est partisan de l’Europe des ethnies, de
« la troisième voie », et de l’antisionisme
115 Karl Haushofer voulait unir les « peuples de Culture » contre « l’impérialisme occidental ».
Selon le géopolitologue du N.S.D.A.P. l’avenir historique verrait se profiler quatre grands espaces :
U.S.A., U.R.S.S., Mitteleuropa formée autour d’une Grande Allemagne, et la « Panasie » regroupant
l’U.R.S.S., la Chine, le Japon et l’Inde. Face au système de Versailles, il fallait donc, selon lui, que
l’Allemagne et la Russie s’entendent pour préparer l’alliance de la Panasie et de la Mitteleuropa
contre l’Occident, composé des U.S.A. et de l’Europe occidentale. Thiriart remplace les espaces,
et Versailles par Yalta, mais il est tout à fait légitime de sa part de se situer dans cette perspective.
64 NICOLAS LEBOURG

le parti bolchevique, et Thiriart assiste à la naissance de la formation, par


Luc Michel, d’un parti dont le nom lui fait directement référence, le Parti
Communautaire National-européen (1984). Pour unifier l’Eurasie, dont
il veut désormais qu’Istanbul soit la capitale, il préconise in fine l’institu-
tion d’un Parti Communautaire Européen « transnational, avec des cel-
lules de Dublin à Vladivostok, destiné à récupérer les meilleurs éléments
des P.C. (…) Il faut également créer un parti de droite transnational (…).
Enfin, le projet de Grande Europe, de Grande République Européenne,
est susceptible d’intéresser les industriels116 ». Apôtre du jacobinisme, il
n’a pas hésité, avec le P.C.N., à entrer en contact avec les champions de
l’ethno-régionalisme européen, ainsi quand R. Steuckers et G. Faye sont
au cœur de l’expérience du Partisan européen (1986), réalisant une rénova-
tion lexico-idéologique appelée à influencer discours et idées des groupes
nationalistes ultérieurs.
Leur revue redécouvre le national-bolchevisme de Niekisch et reprend
jusqu’au logotype de Widerstand (« Résistance », la revue de Niekisch) :
l’aigle frappé d’un marteau tenant une épée et une faucille117. Parmi les
“grandes figures” tétulaires citées en référence, sont présents Heidegger,
Pareto, Mao Zedong, Otto Strasser, Pol Pot, Enver Hoxha, Thiriart, le
Colonel Kadhafi, Degrelle, Freda et, au premier chef, Evola et Niekisch.
La liste d’ouvrages dont la lecture est exigée des militants (preuve que l’on
se soucie de la formation et vise une élite du nationalisme – l’idéal de cette
frange restant toujours celle du guerrier-philosophe) sont la Révolte contre
le monde moderne d’Evola, De la Guerre de Clausewitz, Mythe et épopée de
Dumézil, Que faire ? de Lénine, La Religiosité indo-européenne de Hans
F.K. Gunther118. Le Partisan européen systématise et radicalise toutes les

116 Lutte du peuple, janvier 1993.


117 Le Partisan européen a pour directeur Jean-Pierre Patin et, à compter du numéro quatre, Thierry
Mudry comme « coordinateur ». Membre du G.R.E.C.E., proche du P.C.N. à cette date ainsi que
du Forum Provence (association pour une Europe des ethnies qui a été proche de toutes les struc-
tures de la Nouvelle droite), il participe à de nombreuses revues dont Vouloir, Junges Forum, Scor-
pion, Totalité ou Troisième Voie. Il a fait noter à ses camarades, dans deux articles parus en 1986 dans
la presse de R. Steuckers, que la notion même de « Troisième voie » était apparue dans la presse de
Niekisch (cités par R. Steuckers dans « «Questions à Robert Steuckers : Pour préciser les positions
de Synergies Européennes » , s.d., texte disponible sur le site Archivio eurasia).
118 Le Partisan européen, pluviôse 1987. Révolutionnaire conservateur völkisch, Gunther fut un
théoricien racialiste promoteur d’une religiosité nordique et rallia le IIIe Reich. Après guerre, ses
thèses ont été reprises par la néo-nazie Ligue Nordique, dont A. de Benoist fut longtemps membre,
puis par la Nouvelle droite. Certains aspects le rapprochent d’Evola. L’usage du calendrier révolu-
tionnaire par Le Partisan européen s’explique, outre la volonté provocatrice et le caractère naturaliste,
par le désir de faire référence à une conception cyclique du temps et d’affirmer que le Sang et l’Es-
prit sont supérieurs à la linéarité judéo-chrétienne. C’est là la perspective de l’usage du calendrier
völkisch et du culte solaire de ce courant, non une référence réelle à la Révolution française.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 65

positions de troisième voie. Plus de « nouvelle droite », mais du « national-


bolchevisme », plus des « nationalistes » mais des « Partisans », formule
qui, dans l’imaginaire français, renvoie à la Résistance mais qui est aussi ici
un des signes de la redécouverte de Carl Schmitt : c’est en effet bien à la
théorie du partisan de celui-ci qu’il est fait allusion, mais en le soumettant
à une grille d’analyse plus opératoire pour l’espace qui a, lui, choisi de pas-
ser de l’étiquette de « nationaliste » à celle de « tercériste » : le Partisan se
battrait pour l’Europe contre les U.S.A. et l’afflux d’immigrés, il « vit dans
l’interrègne », participant à la guerre qui « oppose la bourgeoisie mon-
diale et le capitalisme multinational aux Peuples dont les Partisans sont les
défenseurs », i.e. un conflit qui oppose « le parti américain au parti anti-
américain », les « tensions politiques, sociales et raciales » engendrées par le
premier devant déboucher sur « une GUERRE CIVILE OUVERTE » où
les Partisans Européens prendraient les armes119.
La réorientation est nette par rapport au tercérisme, puisque ici il n’y
a clairement que deux voies, que l’ordre dit de Yalta est considéré comme
achevé par le triomphe de « l’impérialisme américano-sioniste », l’un des deux
piliers du seul ennemi qui soit, « le Système à tuer les peuples », l’autre étant
« le capitalisme multinational120 ». L’élément premier est la dénonciation de
l’idéologie des Droits de l’Homme, tels que, revisitant Joseph de Maistre
et Evola, A. de Benoist et G. Faye l’avait théorisée dans Eléments, où ils
la stigmatisaient comme une « idéologie du troisième âge121 ». L’image
renvoie encore indéniablement à Evola puisque le « troisième âge », dans
la roue des temps évolienne, s’amorce avec l’humanisme et la Réforme122.
C’est le temps du monde matérialiste bourgeois engendré en 1789 dont
le destin est d’atteindre le point fatal de la régression cosmologique :
l’avènement, engendré par le communisme, de l’ère des masses totalement
détachées de la transcendance du monde supra-historique123. En voyant
comme point de rupture de l’involution cosmogonique la séparation entre
Cité et Sacré, Evola prend donc implicitement le contre-point du Prince
de Machiavel qui, le premier, sortait la philosophie politique de la question
de la « Cité de Dieu » pour la porter sur l’Etat. Vouloir le concilier avec

119 Le Partisan européen, vendemiaire-brumaire 1986.


120 Manifeste du partisan européen, s.d. (1986), s.p.
121 A. de Benoist, « L’Idéologie du troisième âge », Droits de l’Homme : le piège, Eléments, janvier-
mars 1981 (sous le pseudonyme de R. de Herte).
122 J. Evola, Révolte contre le monde moderne, 1991 (1934), pp.23-24. Sur le plan historiogra-
phique, il s’agit de la troisième période classiquement reconnue en histoire : « l’histoire moderne ».
123 J. Evola, Le Chemin du Cinabre (1963), cité dans P-A. Taguieff, « Julius Evola Penseur de la
décadence. Une «Métaphysique de l’histoire» dans la perspective traditionnelle et l’hyper-critique
de la modernité », Politica Hermética, n°1, 1987, pp.27-28.
66 NICOLAS LEBOURG

Thiriart, si obstinément machiavélien, révèle donc que les N.R. ne sont


orthodoxes ni en un cas ni en l’autre, mais ont un comportement politique
post-moderne, où l’on assemble les matériaux politiques selon l’alliage que
l’on souhaite en faire : apparaît là de manière particulièrement saillante ce
qu’est le mode de constitution de la doxa N.R. et qui explique qu’elle soit
en révolution permanente124.
C’est parce que le parti des Droits de l’Homme, parti américain,
représente « le Système », i.e. tout l’espace politique, le F.N. n’en étant
qu’une fausse contestation catholique et atlantiste, le P.C.F. qu’un faux
rejet vassalisé par Moscou, que la lutte des Partisans serait légitime. Ainsi
le partisan est-il dit ne pas devoir croire dans : le judéo-christianisme, le
jacobinisme, le libéralisme, l’égalité des hommes, le métissage, le pouvoir
de l’argent, l’individualisme, les Droits de l’Homme, l’antiracisme, l’anti-
totalitarisme, la bourgeoisie et l’Occident125. La lecture de l’ensemble des
numéros ne laisse guère à douter que, derrière ces phénomènes, l’ennemi
principal désigné est le juif assimilé au sioniste, identifié politiquement
et géographiquement aussi bien aux U.S.A. qu’à Israël. Par une heureuse
coïncidence, il est un certain nombre de militants prêts à entendre ce discours.
Est là un néo-fascisme très irrigué par la redécouverte de la Révolution
Conservatrice dont il affirme s’inspirer de toutes les composantes126.
Cependant, c’est le courant völkisch qui prédomine dans l’affirmation de
l’importance du Sol, du Sang et de l’esprit qui s’y rattacherait – ainsi peut-
on lire que « notre devoir est d’indiquer ses Racines à notre Peuple (…).
C’est en quelque sorte devenir les “chiites” de l’Europe127 ». A. de Benoist
lui-même vient tenir ici des propos bien plus radicaux et orientés national-

124 L’influence d’Evola tend à éloigner du fascisme mussolinien pour rapprocher du nazisme : cette
notion du machiavélisme (présente sans fard chez Mussolini, de sa pensée jusqu’à sa propagande)
supplantée par le mysticisme organiciste y est pour beaucoup.
125 Dans Le Partisan européen, germinal 1986 ; idem, vendemiaire-brumaire 1986.
126 Aux néo-conservateurs « (tendance à laquelle se rattache Julius Evola) [Le Partisan européen]
emprunte les idées d’ «Empire», d’»Ordre» aristocratique et d’états : aux Volkïschen, les idées de race,
de sang et de sol et la religiosité qui en émane : aux Nationaux-Bolcheviques, l’anti-occidentalisme
le plus radical fondé sur des postulats raciaux et culturels, géopolitiques et géoéconomiques, et leurs
conceptions social-révolutionnaires » (Le Manifeste du partisan européen, s.d. (1986), s.p.).
127 Le Partisan européen, thermidor-fructidor 1986.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 67

bolchevique que ce qu’il en était coutumier128


Est ainsi composé un tranchant discours où le libéralisme est l’ennemi
philosophique premier, mais où le danger du capitalisme repose avant tout
sur la proximité qu’on lui prête avec le marxisme : voici Evola traduit dans
une langue néo-fasciste. Au nom de la solidarité, le réformisme social est
rejeté au bénéfice du combat « contre le Kali-Yuga », l’âge sombre. La
solidarité aurait pour but « un Ordre véritablement et totalement européen »
qui implique d’abord la réalisation « d’une doctrine politique qui soit une
expression de la Tradition indo-européenne (…) une Weltanschauung (…)
propre aux Européens129 ». Cette formulation des concepts évoliens est
politiquement intransigeante, mais elle exprime implicitement un ordre
de la militance qui ne convient pas aux N.R. : « Culturel d’abord ! » vient
rappeler G. Faye, détournant la devise maurrassienne, ne paraissant pas
vouloir dépasser le rôle du laboratoire d’idées et surtout de formulations
propagandistes130. Cependant, la tension croît dans la Nouvelle droite, et
l’essentiel des publicistes du Partisan européen est exclu ou démissionne
du G.R.E.C.E. dans des conditions nébuleuses, l’association paraissant
vouloir se dissocier de ceux qui se mêlent à l’espace N.R. Le cas-phare
est celui de G. Faye qui aurait été exclu fin 1986, et dont l’éviction n’est
annoncée clairement qu’en août, lorsque P. Vial l’écrit au Monde dans un
courrier qui aligne les points de rupture avec les N.R., affirmant tour à
tour que le G.R.E.C.E. se refuse à reconnaître Vouloir et Orientations, les
revues dirigées par R. Steuckers, comme ses correspondants belges, qu’au
contraire de G. Faye l’association ne reconnaît pas Thiriart comme un
modèle, et que ce serait « à la suite de ce type d’appréciations que Faye

128 Il y affirme que la droite est devenu internationaliste par capitalisme, tandis qu’il cite J-P.
Chevènement faisant l’apologie de « «l’enracinement concret des êtres» » et qu’il considère que le
P.C.F. « s’oriente, à court terme, vers un national-populisme ». Il rapporte l’Ouest à « l’égalitarisme,
l’homogénéisation des modes de vie » et l’Est à « l’élitisme organisé, la discipline et l’ordre social »
pour conclure que « des hommes qui s’affrontaient encore hier se retrouveront peut-être demain
dans le même camp », ce qui serait logique dans la phase de transition que connaîtrait le monde
(Le Partisan européen, vendemiaire-brumaire 1986 – on reconnaît le thème de l’interregnum et du
fer à cheval directement importés depuis Mohler). A. de Benoist note également, dans sa préface
au recueil de textes de Niekisch qu’il a choisis, d’une part que « la plupart des P.C. occidentaux se
[sont] aujourd’hui ralliés à une conception implicitement lasalienne », d’autre part que « Niekisch
admirait l’U.R.S.S. pour les raisons mêmes qui la faisaient détester par ses adversaires et pour les
raisons inverses de celles qui la faisaient admirer par ses partisans » (1991, pp.55-56). Les deux
remarques sont justifiées et ne sont sans doute pas inintéressantes pour comprendre sa propre évo-
lution en la matière.
129 Le Partisan européen, pluviôse 1987.
130 L’article s’appuie sur Pareto : puisque structurellement le but du parti est de s’arroger un espace
social, la seule stratégie viable reste la métapolitique (Le Partisan européen, prairial-messidor 1986).
La différence est nette avec les conceptions de T.V.
68 NICOLAS LEBOURG

n’appartient plus au G.R.E.C.E.131 ». Est également exclu du G.R.E.C.E.,


Christian Bouchet, le secrétaire-général de Troisième Voie. Celui-ci joue
un rôle essentiel dans le recomposition de l’espace nationaliste suite à sa
déstabilisation de J-G. Malliarakis.
A l’été 1991, il emporte l’essentiel du capital militant en créant
Nouvelle Résistance. Moins qu’une résurgence du national-bolchevisme,
l’organisation est l’enfant spirituel et accidentel du bilan historique qu’avait
dressé C. Bouchet et dont il concluait qu’il existait deux voies pour T.V. :

« [Soit,] se situer comme une aile / marge N.R. du F.N. L’idée


serait de se servir de l’audience importante de ce mouvement pour faire
entendre notre voix, de recruter parmi ses cadres et militants. [Soit,]
s’affirmer comme un mouvement alternatif de contestation. L’idée
serait de présenter T.V. comme le catalyseur des mécontentements
et des luttes populaires, de recruter dans des milieux autres que
l’extrême droite et non touchés par notre propagande… cela nécessite
de soutenir / susciter toutes les contestations (régionales, écologiques,
sociales, populaires, etc.). Il est indispensable d’envisager alors la
création de groupes connexes et en tous les cas rompre avec l’extrême
droite groupusculaire et réactionnaire. Un travail sur les marges du
F.N. – considéré comme un mouvement de contestation populaire de
masse – peut être mené132 ».

Le problème est bien le F.N., et c’est pour empêcher le transfert de


leurs militants vers ce parti que les cadres N.R. sont contraints de le couvrir
d’opprobre, peut-on penser. Mais ce choix n’intervint qu’en dernière
instance, comme l’indique C. Bouchet : les radicaux de T.V. « en ayant
apparemment une attitude très hostile au Front » cherchaient en fait par ce
biais à intégrer directement le Conseil National du F.N. et à pouvoir obtenir
la gestion d’une fraction de “gauche” au sein du parti lepéniste, tandis que
J-G. Malliarakis aurait prôné un ralliement individuel au F.N.« On a éclaté
là-dessus, explique C. Bouchet, Mallia rentre au Front, et une fois que
Mallia était au Front on ne pouvait plus. On s’est retrouvé à ce moment là
obligés de trouver une ligne alternative » d’où le choix de la dénonciation

131 Le Monde, 25 août 1987. Durant l’été 1981 (date qui doit avoir du sens), P. Vial stipulait
pourtant que l’U.R.S.S. est « un empire admiré ou craint, enraciné dans une histoire tourmentée
et qui possède sans doute la clé de l’avenir du monde » (cité dans A-M. Duranton-Crabol, 1988,
p.208). P. Vial affirme donc que G. Faye est exclu pour ses contacts avec l’extrême droite radicale
belge, la crédibilité de la chose est infime de la part d’un P. Vial qui la fréquentait également et qui
ne manque guère un seul clin d’œil au nazisme ou au IIIe Reich.
132 C. Bouchet, Château-Thébaud, 12 août 2002.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 69

du F.N., la ligne du Front Uni Anti-Système, le virage à gauche toute via la


revendication de la résurrection du national-bolchevisme133.
Cette analyse implique donc une refondation du positionnement,
d’où cette définition de l’ennemi adoptée au congrès de T.V. de 1990,
et conservée à quelques amendements près par la suite par Nouvelle
Résistance et Unité Radicale :

L’ENNEMI C’EST LE SYSTEME OCCIDENTAL. Le système


occidental est la résultante d’une homogénéisation idéologique au
niveau planétaire. Les valeurs de la démocratie libérale et de l’esprit
bourgeois sont devenues la seule référence à la fois politique, éthique
et culturelle mondiale. Il n’y a pas un «chef d’orchestre inconnu» ou
«une main cachée qui dirige», mais des castes dirigeantes politiques,
économiques, religieuses, médiatiques, qui défendent les mêmes
concepts idéologiques, bases de leur domination. Ces concepts sont de
surcroît acceptés par une partie non négligeable des populations soit
de manière consciente, soit du fait de l’influence des mass-media. La
grande force de ce système réside dans son infinie capacité à récupérer
ses adversaires. Soit ceux-ci se rallient attirés par les prébendes,
soit leurs combats sont canalisés dans des ghettos politiques où ils
regroupent les révoltés, jouant ainsi un rôle de soupape de sécurité,
soit encore l’opposition des «extrêmes» permet d’annihiler les forces de
ceux-ci. (…) Lutter contre le système occidental nécessite de refuser
les schémas de celui-ci : droite / gauche, immigrés / Français, monde
libre / communisme, racisme / anti-racisme, etc. L’unique ennemi étant
le système, tout notre combat doit se présenter comme une alternative
à celui-ci. En conséquence notre grille d’appréciations amis-ennemis
ne doit prendre en compte qu’un seul critère l’appartenance ou non au
système. Dans un monde où règne le totalitarisme mou, où les droits
de l’homme sont l’unique référence, où toute opinion se dissout dans la
mer morte de la tolérance universelle, notre combat contre le système
doit reposer sur des valeurs précises, dures, invariables : l’homme
comme être en devenir ; la démocratie organique et communautaire ;
l’enracinement et l’ethnodifférencialisme ; le nationalisme grand-
européen134.

Alors que ce texte sert à légitimer un positionnement dû aux refus


du F.N. d’intégrer les trublions N.R., il paraît de prime abord, pour sa
première partie, par divers côtés relever plus d’un auteur populiste de

133 C. Bouchet, Troisième voie-Année zéro, 1989, s.d. (document interne).


134 Idem
70 NICOLAS LEBOURG

gauche imprégné de concepts bourdivins que de son auteur, C. Bouchet,


qui s’inspire en fait de Freda et Duprat (double influence bien plus visible
dans la dernière partie où transparaît résolument une vision fasciste du
monde). Néanmoins, saille également l’adoption obsessionnelle par les
N.R. de la formule de Carl Schmitt réclamant que l’on opérât la distinction
en politique selon le critère de la reconnaissance de l’ennemi principal,
d’abord essentiellement reprise par Thiriart et un G.R.E.C.E. qui, au-
delà des rodomontades, n’était jamais parvenu à lui donner une valeur
opératoire. Cependant, il est indubitable que la main tendue aux «autres
révolutionnaires» ne peut s’adresser qu’à une fraction d’entre eux, puisque
le texte pose comme base dogmatique l’ethnodifférencialisme, et prétend
implicitement à une conception essentialiste jusqu’en la pratique du
politique. C’est là le fond philosophique du critère schmittien : l’accepter
comme règle du politique convient donc nettement mieux aux divers types
de nationalistes, des nazis aux néo-droitiers, qu’aux gauches. En somme,
la ligne politique du Front Uni Anti-Système repose aussi, au-delà de la
subtilité intellectuelle qui est la sienne, sur quelques illusions.
La redécouverte de la Révolution Conservatrice ne s’était d’abord pas
faite en intégrant Niekisch, il est vrai délicatement gérable pour une Nou-
velle droite faisant ses offres de service aux droites. Mais l’intégration de
Jünger dans les références néo-droitières et N.R. durant les années 1980
peut en être vue telle une préparation culturelle, puisque le national-bol-
chevisme était, pour part, la version radicalisé du néo-nationalisme, ce que
ce dernier était déjà à la Révolution Conservatrice. Nouvelle Résistance est
l’organisation qui ramène « en mémoires », à toute l’extrême droite euro-
péenne, le référent national-bolchevique. Le mouvement crée un système
de signes de rupture totale. La réflexion porte ainsi sur les symboles que
se donne le mouvement. Selon son manifeste, et la chose se vérifie dans la
production propagandiste, ils sont trois, ainsi explicités :
1 ) « L’étoile a cinq branches [qui] a été utilisé par divers mouvements
de guérilla anti-yankee. Elle est surchargée des lettres N.R. ». Ce symbole
a en fait été introduit en Europe par les Brigades Rouges, qui elles-mêmes
l’empruntaient aux Tupamaros135. De la part de Nouvelle Résistance, qui
se définit dans le même texte comme « ethno-différencialiste » et « anti-
impérialiste », l’emprunt n’est pas incohérent. Le fait que le même document
soit, entre autres, dédié à « Nicolas Bombacci, assassiné par les milices de la
“résistance” italienne », et à deux cadres de Terza Posizione « assassinés par

135 R. Curcio, 1993, pp.12-13.


LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 71

la police », ne l’est pas moins136 . Si les Brigades Rouges se nommèrent ainsi


c’est en référence aux antifascistes Brigades partisanes ; et les liens entre
« nazi-maoïstes » et maoïstes se sont au final peu ou prou limités au sang
versé. Mais, dans la perspective de Nouvelle Résistance, les extrémistes
ne seraient que faussement opposés par le Système pour s’annihiler l’un
l’autre. Ils sont, dans une réalité supérieure, « alliés invisiblement », selon
une formule d’Ernst Jünger que le mouvement cite à satiété. On peut donc,
simultanément précisément, se revendiquer de Bombacci et des Brigades
Rouges, de celles-ci et du nazi-maoïsme. Est simplement du côté de la
« résistance » qui combat l’Amérique et le Nouvel Ordre mondial « pour la
cause du peuple ». La devise, reprise de l’usage de Lénine par la Révolution
Conservatrice, suite à l’exemple de la N.A.R.O.-S.d.V. puis de Duprat, est
évidemment citée, mais: ici il manque « la nation ». Nouvelle Résistance
a en effet franchi le pas : quitte à chercher à sortir du nationalisme c’est
désormais le concept de nation qui est abandonné en tant que notion
réactionnaire et passéiste.
2 ) L’aigle national-bolchevique de « Widerstand (Résistance) qui a été
une des structures nationalistes-révolutionnaires allemande de résistance
au nazisme ». La présentation suit l’exemple de la N.A.R.O.-S.d.V :
lorsque Niekisch parlait de « résistance » ce n’était nullement au nazisme,
mais au Sytemzeit de Weimar, aux Lumières et à la pression idéologique de
la déclaration des Droits de l’Homme. Le retournement de l’oxymoron
politique personnifié qu’était Niekisch est donc encore possible, et
redoutablement efficace. Ce symbole de l’aigle national-bolchevique
connaît un foudroyant succès dans l’Europe nationaliste : la référence n’est
plus tant à la doctrine de Niekisch qu’à celle de Nouvelle Résistance (qui
lui emprunte), et à son style, repris par d’autres groupuscules de tout le
continent.137
3 ) « L’épée et le marteau [qui] sont l’insigne du Front Noir allemand,
une structuration de résistance N.R. allemande au nazisme dirigée par Otto
Strasser ». Si le même jeu qu’avec Niekisch s’observe, appliqué à celui qui

136 Le choix de Bombacci parmi les dignitaires fascistes fusillés ne tient en rien du hasard. L’ancien
dirigeant communiste et membre du Komintern est publiquement passé au fascisme en reprenant
en 1936 la thèse de l’Italie fasciste nation prolétaire en butte contre le capitalisme international. Il
fut l’inspirateur de la Charte de Vérone (1943), document fondamental de l’auto-représentation
« fasciste de «gauche» », et négocia avec les socialistes pour le compte de Mussolini en 1945.
137 Les Espagnols d’Alternativa Europea présentent d’abord le logotype comme celui de leurs ca-
marades français de Nouvelle Résistance avant de l’adopter et de se dire nationaux-bolcheviques à
leur tour. Alternativa Europea naît en 1993 de la participation de militants espagnols à l’université
d’été française de Synergies européennes (J-Y. Camus, « La Nouvelle droite : bilan provisoire d’une
école de pensée », La Pensée, 2006, p. 28).
72 NICOLAS LEBOURG

fut l’un des principaux animateurs du parti nazi, le logo a été réemprunté
avant Nouvelle Résistance en France même138. Lorsque fut fondé en 1987
Rebelles Européens, une maison de disques d’obédience néo-nazie, elle
choisit cette icône. Les responsables de Nouvelle Résistance pouvaient
difficilement l’ignorer : ce label de musique nationaliste devint le second
d’Europe sur son secteur, et son responsable Gaël Bodolis était un skinhead
qui milita au F.N.J., à T.V., puis se lia au Parti Nationaliste Français et
Européen. Au sein de Nouvelle Résistance, le symbole devient justement
l’emblème de Jeune Résistance, le journal lancé par son responsable à la
jeunesse Fabrice Robert, qui le reprend également pour le symbole du
groupe de rock skin qu’il cofonde en 1994, Fraction Hexagone139.
La ligne du mouvement apparaît avec cet univers iconographique.
C’est l’oscillation idéologique assumée, le révolutionnarisme ardent,
l’esthétique nietzschéenne, l’exigence sociale, l’écologisme radical, une
ligne avec une forte connotation futuriste qui serait celle du fascisme
de “gauche” tel qu’il peut être fantasmé. Au niveau de la production
propagandiste, jamais le nationalisme-révolutionnaire n’a été aussi radical,
tranchant, « conséquent ». Au niveau de l’action et des idéologies, Nouvelle
Résistance se présente comme un nationalisme-révolutionnaire qui serait
« intégral » : tous les thèmes développés depuis trente ans sont présents,
quitte à ce qu’ils soient contradictoires, moult stratégies, idéologies,
puissent-elles s’exclure l’une l’autre, ont droit à une défense fanatique.
En appliquant avec un systématisme absolu le seul critère schmittien de
la désignation de l’Ennemi principal, Nouvelle Résistance aboutit au point
limite du nationalisme-révolutionnaire, prend à revers tous les stéréotypes
du milieu droitier. Le premier numéro de Lutte du peuple pousse autant
qu’il peut cet avantage : des groupes ayant créé Nouvelle Résistance il ne
cite que « l’Union Nationale des Etudiants Arabes » et affirme que 50% des
membres fondateurs sont des ex-marxistes. Il expose que le mouvement est
inclus dans les luttes régionalistes, écologistes, pour la cause des peuples.
Il exagère quelque peu son poids de références de gauche en affirmant que

138 Strasser ne résistait pas à Hitler : il concevait celui-ci comme son concurrent, ce qui est diffé-
rent. Le propos s’est décroché du réel : Strasser voulut former des S.A. en débauchant des membres
des milices nazies et staliniennes, pour faire une révolution qui, au final, verrait nationalistes et
communistes s’affronter ; le lien entre les deux tendances devait se faire par le combat antifasciste
contre Hitler, la victoire de celui-ci était néanmoins affirmée être impérative car il serait le Kérensky
d’un Strasser-Lénine… Au final, pour Nouvelle Résistance, Niekisch et Strasser reçoivent un brevet
de résistance anti-nazie mais pas les partisans italiens : quoi de plus révélateur ?
139 Le groupe naît de la fusion de deux formations aux noms évocateurs : Septembre noir et
Freikorps, soit la rencontre de deux références qui représentent très bien comment les N.R. se
conçoivent.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 73

son « Europe aux cent drapeaux » correspond aux projets d’Otto Bauer.
Or l’austro-marxiste préconisait une fédération de nationalités, avec leurs
autonomies culturelles organisées, qui ne correspond en rien à une telle idée.
Quant à le concilier avec la référence à Lénine c’est soit omettre que pour
celui-ci Bauer était un nationaliste, soit démontrer qu’irrémédiablement,
à l’extrême droite, le nom de Lénine est seulement synonyme de parti
monolithique et d’Etat totalitaire, rien d’autre. Ici, la doxa de Thiriart n’est
pas totalement reprise mais mêlée à d’autres, Nouvelle Résistance posant
précisément ses divergences en se revendiquant du Thiriart de 1963-1967,
mais en rejetant son jacobinisme au profit du fédéralisme des ethnies et en
refusant que le monde sud-méditerranéen puisse faire partie de l’Europe140.
L’opposition à l’extrême droite claironnée par la nouvelle structure
n’interdit nullement les habilités tactiques : Nouvelle Résistance envisage
promptement de créer un secteur périphérique fasciste qui ressemble
beaucoup à ce que sera ensuite Unité Radicale : le Front de la Jeunesse qui
« utilisera la croix celtique (enfer !) et un langage dur », paraîtra totalement
indépendant et dont le but sera de s’assurer une position « hégémonique en
province », menant les meilleurs éléments à la structure-mère141. Ainsi, des
deux options proposées en 1989 aucune des deux n’a finalement été écartée :
il s’agit, d’une part, de rompre avec l’extrême droite pour constituer un bloc
« anti-système », d’autre part de mener ce que le texte nommait le « travail
sur les marges du F.N. – considéré comme un mouvement de contestation
populaire de masse142 ». L’optique demeure celle d’une recomposition du
champ extrême droitier. Face à l’échec de cette stratégie, un second congrès
de l’organisation est convoqué à Valenciennes afin d’y redéfinir la ligne du
mouvement via une auto-critique radicale. Est constaté que si la pauvreté
progresse ce n’est pas le cas de la révolte, et que les effectifs sont en baisse
de 36% par rapport à la fin de T.V. L’organisation n’a ainsi quasiment
plus aucun militant sur Paris, ce qui de plus grève la trésorerie (un peu
moins de cent mille francs). En somme, le bilan du Front Uni Anti-
Système est clair : une réussite médiatique, Nouvelle Résistance ayant eu
une excellente couverture presse, mais un échec pratique. Relativement à
l’ensemble du monde politique, est estimé l’effondrement de la mouvance
nationaliste, le renforcement du F.N., du P.C.F. et de Lutte Ouvrière et
la récupération par le système des Verts. Est dès lors décidé de changer la
stratégie en s’adressant prioritairement aux électorats F.N., P.C.F. et L.O.,

140 Lutte du peuple, juillet 1992.


141 Nouvelle Résistance Secrétariat Général, Note d’orientation confidentielle, avril 1992 (docu-
ment interne).
142 C. Bouchet, Troisième voie-Année zéro, 1989, s.d. (document interne).
74 NICOLAS LEBOURG

au travers des thèmes qui peuvent les traverser : le « Socialisme », car les
travailleurs votent pour ces trois partis, l’« Identité », par la dénonciation
conjointe de l’américanisation et de l’immigration, la « Démocratie », en
dénonçant le kidnapping de celle-ci par la classe politicienne. En sus de
ces cibles, doit particulièrement être l’objet d’une tactique de charme « la
jeunesse nationaliste qui est actuellement orpheline d’organisation. En
ayant conscience qu’une partie notable de celle-ci est composée de jeunes
cons, mais qu’un nombre non négligeable de ses éléments les plus brillants
peuvent passer chez nous si l’on s’en donne la peine143 ».
Néanmoins, malgré ces réflexions stratégiques, l’hégémonie du
F.N. sur son champ, les tensions internes provoquées par le grand écart
idéologique (quelques militants rejoignent même l’extrême gauche),
l’impressionnant turn-over au sein du capital militant, tendent à avoir
raison du mouvement. En ce qui concerne le capital militant, les constats
sont amers lors du congrès de 1995 : un anarchisme petit bourgeois aurait
entraîné des dérives qui, selon les lieux, ont abouti à un « lepénisme
rampant ou [un] para-gauchisme conduisant à singer le S.C.A.L.P. .», i.e. les
activistes ultra-gauche des Section Carrément Anti Le Pen. Le recrutement
depuis la création de Nouvelle Résistance est dit composé à 15% de
« Français moyens », à 10% d’anciens militants de l’extrême gauche et à
75% de transfuges d’organisations néo-fascistes, ce qui nuit « à certaines
thèses ayant cours dans l’organisation sur un recrutement préférentiel à
“gauche”144 ». Ce scalpisme rampant de certains est tel que des militants
ont récupéré et détourné l’autocollant du S.C.A.L.P. La Jeunesse emmerde
le Front National en le signant du nom de Nouvelle Résistance, ce sans
aucune concertation stratégique, le secrétaire-général l’ayant appris dans
l’ouvrage d’Eric Rossi145.
Le rapport du secrétaire général au troisième congrès explicite les
problèmes causés par la stratégie qui avait été adoptée :

Une très grande hétérogénéité nous caractérisait et nous conduisait


à des grands écarts incessants, à des prises de position non-concertées
et contradictoires et au refus d’aborder certains problèmes pour ne
pas faire éclater l’organisation. Dans le même temps une tension qui

143 Note d’orientation proposée par le SG de Nouvelle Résistance 1995 (document interne).
144 Idem
145 E. Rossi, Jeunesse française des années 80-90 : la tentation néo-fasciste, L.G.D.J., Paris, 1995,
p.94 (l’auteur, issu de la mouvance skinhead, indiquant cette position pour l’ensemble de Nouvelle
Résistance, ce qui souligne l’image de celle-ci dans l’extrême droite) ; C. Bouchet, Château-Thé-
baud, 11 août 2004.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 75

nuisait aux bonnes relations internes était très nettement perceptible


entre les ailes “fascistes” et “progressistes” du mouvement. (…) Le ver
était dans le fruit depuis plusieurs années, nous avions eu le tort de
mettre l’accent uniquement sur le recrutement et la médiatisation sans
insister sur notre identité. Ainsi certains esprits faibles ou mal formés en
étaient venus à ne plus comprendre notre “langue de bois” et à donner à
nos termes un sens qui n’était pas le nôtre mais celui du système, tandis
que certains autres nous rejoignaient non pas pour ce que nous étions
mais pour ce qu’ils croyaient que nous étions… (…) Soyons clair que
nous nous dénommions rouges-bruns, nationaux-bolchevicks, N.R.,
strasseriens etc.,… nous sommes avant tout des fascistes au sens du
fascisme d’avant les accords du Latran et de la république de Salo. Et
nos ennemis ce sont le système libéral et occidental et ses valets (et
parmi ceux-ci les pseudo-révolutionnaires d’extrême gauche) (…). Sont des
alliés potentiels tous ceux qui remettent en cause les bases du système
(nationalistes ethniques, écolos radicaux, fondamentalistes religieux,
néo-staliniens, etc.). Mais ils ne sont que des alliés potentiels... pas des
exemples sur lesquels se calquer. Par ailleurs leur très faible présence en
France rend le travail en commun possible mais peu vraisemblable, et
la “ligne du front unique anti-système” adoptée lors de notre création
si elle est médiatiquement porteuse est dans la réalité inopérante. Elle
n’est en fait fertile qu’au niveau des relations internationales ou dans
des pays au développement politique très différent du nôtre (Argentine,
Russie, etc.) (…) Malgré ce que nous avons pu dire ou écrire il est
bien évident que nous appartenons à la “famille” (c’est d’ailleurs bien
par rapport à elle que nous nous définissons toujours) plutôt que de
nier sans être crédible ce fait, mieux vaut sans doute l’affirmer, tout
en le détournant : nous appartenons à “la famille”, soit !, mais à
une branche distincte qui réclame toute sa place et tous ses droits.
Quand au Front National, il n’est pas l’ennemi ou l’étranger, mais une
structure de “rassemblement familial” (…). Or notre attitude vis-à-vis
de ce dernier a largement contribuée à nous marginaliser, à minorer
notre recrutement et à nous priver de l’accès à un important marché.
[Il faut rejoindre l’extrême droite et la marge du F.N.] dans le même
temps tous les fantasmes de contacts avec des anars, des gauchistes,
des écolo-pacifistes sont abandonnés. [Est décidée la constitution aux
marges du F.N. d’un pôle N.R. en appelant à l’unité des nationalistes
quels qu’ils soient – car si la démarche est considérée n’avoir aucune
chance d’aboutir, il faut] faire croire en l’idée d’une unité en marche.
(...) En résumé “Moins de gauchisme, plus de fascisme !” 146.

146 3° congrès de Nouvelle Résistance Motion présentée par le secrétariat général de l’organisation ;
L’Europe combattante, novembre 1996, pp.1-2 (documents internes).
76 NICOLAS LEBOURG

Il s’agit bien d’essayer l’autre voie stratégique proposée par C. Bouchet


dans et dès le document précité de 1989 et, en sus de la fin « de toute
critique et agressivité » à l’égard du F.N., il est maintenant conseillé de s’y
encarter147. C. Bouchet expose que des environ 170 adhérents des débuts
« on a chuté très vite (…) ils étaient pas prêts pour faire du N.R. (…)
on est passé immédiatement à l’intérieur de l’extrême droite comme un
groupe d’extrême gauche. On nous a fait une réputation de communistes.
C’est très mal passé, on a perdu beaucoup d’adhérents comme ça ». Ainsi
s’il s’avère que « si on présente les idées N.R. pures dans le milieu d’extrême
droite » on s’en fait chasser, le jeu a aussi mené « environ 10% des adhérents
vers l’extrême gauche, parce que, quitte à faire du gauchisme… ». La
fédération de Normandie fait ainsi scission pour rejoindre unanimement
l’extrême gauche ; remontée, sa seconde mouture procède à une nouvelle
scission au nom de son progressisme. En fin de compte, quand il ne reste
plus qu’une petite cinquantaine de militants, ce ne sont pas 130 personnes
qui sont parties mais « beaucoup plus », tant Nouvelle Résistance aura
connu un turn-over militant qu’elle n’est pas arrivée à maîtriser148.
Tous les groupuscules radicaux d’extrême droite étant à cet instant en
déshérence, Unité Radicale est lancée par ce qui reste des N.R. avec divers
résidus néo-nazis ou fascisants et la prise de l’étiquette toujours flottante
du G.U.D. Unité Radicale se donna un objectif ambitieux : atteindre les
400 adhérents, considérant que ce nombre équivalait à 1% des adhérents
du F.N. qui représentent eux-mêmes 1% de l’électorat F.N. Elle parvint
non à cet objectif, mais à plus que tripler sa base initiale (entre autres
par un patient travail de réunions locales animées par ses responsables
nationaux, permettant ainsi de faire adhérer des sympathisants). Toutefois,
il ne s’agit pas d’un échec. Dès l’origine, le mouvement a connu un fort
écart entre sa puissance militante et le halo de sympathisants l’entourant,
qu’elle estimait fin 1999 s’établir dans une fourchette allant de quatre à
cinq mille personnes149. En somme : a) l’organisation n’a pas eu le nombre
fantasque d’adhérents annoncé dans l’après 14 juillet 2002 par des media
citant une étrange note des Renseignements Généraux inventant 2 000
membres à U.R. ; b) elle a su effectivement occuper la quasi-totalité de

147 Idem.
148 C. Bouchet, Château-Thébaud, 12 août 2004.
149 Entretiens avec Bouchet et Robert ; La Lettre du Réseau, septembre-octobre 1997 ; idem, jan-
vier 1998 ; idem, juillet-août 1998, idem, septembre 1999 (documents internes). L’estimation de
l’ampleur du halo paraît très haute. Avec le recul, C. Bouchet considère qu’il devait s’élever à 500-
600 personnes sur une mouvance nationaliste estimée à 3 000 personnes (e-mail, 2003). C’est bien
cet écroulement numérique qui explique la nécessité absolue de changer de cap.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 77

l’espace nationaliste ; c) sa difficulté à faire s’encarter les sympathisants est


à prendre en compte en son évolution : U.R. offre un discours idéologique
a minima dans l’espoir d’accroître les adhésions.
La tactique fonctionne mais doit être redéployée face à la scission
mégretiste du F.N. En interne, la stratégie définie tient un cap. U.R. a
proposé ses services aux lepénistes mais, en raison de la désorganisation
générale du parti à cette date, n’a pu obtenir de réponse satisfaisante ;
elle s’est donc lancée dans l’aventure mégretiste150. Le bulletin de liaison
spécifie lors du déclenchement de la partition : « 1-Nous ne devons pas
compromettre l’équipe Mégret en la soutenant officiellement. 2-Nous
conseillons à nos membres adhérents au F.N. de signer l’appel au congrès
et si possible de participer à celui-ci. 3-Nous devons rester vigilants face
à toute dérive “italienne”. [Si la crise aboutit à un schisme :] il serait
impératif que nos membres rejoignent la nouvelle structure et y occupent
des responsabilités locales. Il serait criminel que par purisme nous ne
profitions pas de la situation et que nous laissions les places à d’autres
tendances ». L’action vis-à-vis du F.N. perdure et lorsque le F.N.J. tient
congrès peu après la partition, les militants d’U.R. qui y sont encartés
sont convoqués le matin de l’événement pour une réunion présidée par
F. Robert151. Si le discours présente les pratiques comme transversales, il
s’agit bien d’une part d’un travail de fraction au sein du F.N. au profit du
parti mégretiste, d’autre part d’un travail de fraction au sein de ce dernier
au profit d’U.R. Les relations entre les deux formations sont accrues suite
à une rencontre entre leurs directions début mai 2000. Il est décidé que
« la clause d’exclusion pour appartenance à une autre structure politique
prévue dans les statuts du [Mouvement National Républicain de B.
Mégret] n’est pas applicable à ceux adhérant » à U.R. et que les militants
d’U.R. « figureront à des places éligibles » sur les listes mégretistes aux
élections municipales152.
Dans la perspective des élections présidentielles, alors qu’une grogne
certaine existe face à l’anti-lepénisme de la direction, son choix paraît
d’autant plus justifié que circule également en ces milieux la rumeur
affirmant que l’entourage du Président de la République empêchera J-M.

150 Lors de la scission, C. Bouchet a contacté « le cabinet de Maréchal [mais] c’était la déliques-
cence. On laissait des messages, on n’était pas certain que le type était pas déjà passé chez Mégret.
On aurait vu les gens du Front, les gens du Front nous auraient fait des propositions intéressantes,
on serait peut-être resté » (Château-Thébaud, 11 août 2002).
151 La Lettre du Réseau, novembre-décembre 1998 ; idem, janvier-février 1999 ; idem, mars-avril
1999 (documents internes).
152 Cf. Résistance ! , septembre-octobre 2000.
78 NICOLAS LEBOURG

Le Pen d’obtenir les 500 parrainages nécessaires à sa candidature. Selon


Eddy Marsan, le parti mégretiste et U.R. auraient alors eu besoin l’un de
l’autre : « d’un point de vue marketing, la marque “U.R.” doit permettre de
vendre la soupe “M.N.R.” à la frange de militants nationalistes “radicaux”
d’un F.N. sans candidat153 ». Le positionnement de l’extrême droite
parlementaire est celui de la rupture et, en ce sens, la présence d’éléments
tenant un discours néo-fasciste et/ou racialiste ne produit pas globalement
directement du vote mais de l’image de rupture, dont ce type de partis a
aussi besoin pour répondre à cette demande sociale154. Au siège du parti
mégretiste, une rencontre est organisée entre B. Mégret et C. Bouchet.
U.R. veut y démontrer qu’elle a joué un rôle non négligeable :

Celui d’un réservoir militant pour les municipales et les activités


militantes. [Elle] a été un sas permettant à des militants du F.N. en
désaccord avec leur direction de se rapprocher du M.N.R. en deux
temps. Enfin [elle] a fixé la mouvance radicale en réduisant la base
des forces centripètes et en limitant les dissidences. Nous occupons
un espace large ce qui ne permet pas de développer d’autres groupes.
De plus, en fixant la frange la plus radicale du mouvement national,
U.R. empêche au maximum les provocations toujours possibles. [Avec
U.R., le] M.N.R. s’assure de cadres jeunes et de militants dont le
soutien actif n’est pas à négliger pour l’action de terrain. Dans le même
temps ceux-ci ne sont pas officiellement au M.N.R. ce qui lui permet
éventuellement de se dédouaner et de ne pas compromettre ses relations
avec des courants plus modérés. (…) Nous considérons notre travail
avec le M.N.R. comme l’élément central de notre survie politique.
Donc le M.N.R. est certain avec nous de ne pas subir de critiques
internes, de provocations verbales ou de tentatives scissionnistes, au
contraire il bénéficiera d’un appui solide puisque dans notre stratégie
politique notre réussite passe entièrement par celle du M.N.R. (…)
Mais cette alliance n’est crédible que si elle est concrétisée d’une
manière forte quoique éventuellement symbolique, c’est-à-dire par
l’entrée d’un ou deux dirigeants connus d’U.R. à [la direction] du
M.N.R. (avec un objectif fonctionnel s’occuper du travail en direction

153 E. Marsan, dans La Lettre d’Eddy Marsan, mars 2002 (texte où l’auteur annonce sa rupture
avec U.R.).
154 Lorsque le M.R.A.P. porte plainte contre B. Mégret pour « incitation à la haine raciale » en
raison du caractère raciste de ses clips de campagne, seule raison qui fit qu’on parla de lui durant la
campagne des présidentielles 2002, C. Bouchet réagit sur sa mailing-list personnelle par ces mots :
« il est des initiatives ennemies qui valent des médailles ». Qui diable irait voter pour une extrême
droite aseptisée ? Aucun des groupes qui a tenté électoralement ce positionnement sous la Ve Répu-
blique n’a atteint un score viable.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 79

des milieux populaires)155.

B. Mégret paraît accepter partiellement l’offre des radicaux,


puisque C. Bouchet et F. Robert sont élus au Conseil National du parti
lors du congrès, avec deux autres membres d’U.R. Le courant paraît
considérablement conforté, une rencontre mensuelle U.R.-mégretistes est
conclue. Le 21 avril 2002 change la donne. Le matin est annoncé que C.
Bouchet passe la main à Fabrice Robert et Guillaume Luyt. Le soir c’est
l’événement de l’annonce de la présence de J-M. Le Pen au second tour de
l’élection présidentielle. U.R. change instantanément son fusil d’épaule.
En affichant sur internet ses contacts avec la direction du F.N., en défilant
bruyamment lors du défilé frontiste du premier mai, U.R. semble avoir
cherché à forcer la main au F.N., suivant le principe qu’elle avait défini
dès l’origine : « rien ne nous oblige à faire de la publicité pour qui ne nous
en fait pas, à moins que ce soit dans le but de le mouiller à nos côtés156 ».
En fait, U.R. a rapidement décidé ce qu’elle devait annoncer haut et fort
suite à sa dissolution par l’Etat consécutive à la tentative d’assassinat du
Président de la République par l’une de ses fraîches recrues : procéder à la
formation d’un véritable parti nationaliste et, pour cela, proclamer d’ores et
déjà la nécessité d’une « réforme profonde de nos mentalités, trop souvent
portées à la nostalgie ou au folklore157 ». Il s’agit bien de sortir de l’axe
N.R. pour construire un courant jugé plus adapté à la modernité présente.
Après la dissolution d’U.R. décrétée par l’Etat le 6 août 2002 il n’est donc
plus en France de groupe qui se revendique idéologiquement comme
N.R. et structurellement comme mouvement. Cette disparition avait été
amplement amorcée par U.R. dont le texte du dernier Conseil National
n’usait plus de l’auto-définition de N.R., mais de celle « de nationaliste et
identitaire », témoignant de l’évolution idéologique via la taxinomie158. A
travers cette question devenue obsessionnelle de « l’identité » se reformule
une doxa raciste qui, chez nombre de cadres et pour l’essentiel de la surface

155 Rencontre Ch. Bouchet / Br Mégret le 01-02-02 ; il s’agit du document préparatoire à l’entre-
vue. Le commentaire sur les forces centripètes fait allusion au départ fin 2001 de P. Vial, leader du
völkisch Terre et Peuple, au motif officiel qu’il aurait dénoncé le tournant jugé pro-américain de B.
Mégret suite au 11 septembre.
156 La Lettre du Réseau, septembre-octobre 1997 (document interne).
157 La Lettre du Réseau, juin 2002, numéro spécial diffusé par la mailing-list d’U.R. et donc non
exclusivement réservé aux membres.
158 « Motions administratives adoptées par le Conseil national de Bourges d’U.R. », La Lettre du
Réseau, décembre 2001 (document interne). C. Bouchet devait encore participer à la construction
d’un Réseau radical, fondé en 2002 pour s’auto-dissoudre en 2006 au profit d’un réseau d’indivi-
dus, Les Nôtres.
80 NICOLAS LEBOURG

militante ou sympathisante, se rapporte à des positions plus proches de


celles jadis d’Europe-Action, que du patient travail idéologico-stratégique
des trois précédentes décennies. Ce n’est évidemment pas un retour en
arrière exact : c’est une révolution conservatrice.

5. Le mythe du fer à cheval

Le jeu des emprunts et des alliages avec les extrêmes gauches est com-
plexe et dense, d’autant qu’il s’agit de savoir ce que les radicaux de droite
perçoivent de ce champ. Lorsqu’ils veulent s’acoquiner avec l’extrême
gauche, ils sont victimes de leur vision qui voudrait que le socialisme ce
soit Blanqui et Proudhon. La thématique anti-« gros » issue de la IIIe Répu-
blique peut être reprise avec l’assimilation à la Drumont des « Gros » aux
juifs. Or, de l’Affaire Dreyfus à la décolonisation en passant par la réaction
au judéocide, les gauches françaises ont clairement placé l’antiracisme au
cœur de leurs critères politiques. La référence antifasciste est d’autant plus
essentielle dans l’auto-représentation de gauche que l’effet de ciseaux entre
l’écroulement du communisme comme référence en France, puis comme
régime à l’Est, et la montée du national-populisme, recentre ce champ, de
la lutte des classes à l’humanisme égalitaire.
Dès 1946, dans le premier numéro de son « organe de combat du
socialisme européen », René Binet en appelait à l’union des anciens S.S. et
résistants en adressant un vibrant appel : « Ouvriers socialistes, commu-
nistes, syndicalistes, qui n’acceptez pas l’oppression du capital, votre lutte
est aussi la nôtre mais nous ne la laisserons pas détourner de son véritable
but de libération par des Etats-Majors juifs ou aux ordres de Moscou et
de la réaction ». Selon Binet, plus rien ne séparait nationaux-socialistes,
socialistes et communistes, puisqu’il n’y avait plus de IIIe Reich et que les
gauches avaient retrouvé « le sens national » dans la Résistance. Ne reste-
rait qu’un seul ennemi : le capitalisme juif159. L’ancien trotskyste passé à
la Waffen S.S. ne se contente donc pas d’en appeler à une alliance tactique
entre extrémistes contre le système bourgeois, comme l’évoquait un Jün-
ger, mais s’inscrit dans l’idée exprimée par l’un des nationaux-socialistes
ayant suivi Otto Strasser dans la dissidence : l’espace politique n’est pas une
ligne mais un « fer à cheval » dont la courbe voit se rapprocher les extrêmes.
La formule est reprise par Armin Mohler dans sa thèse de l’immédiate
après-guerre quant à la Révolution Conservatrice (n’hésitant pas à qualifier

159 Le Combattant européen, mars 1946 ; idem, avril 1946.


LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 81

les strasseriens de « trotskystes de la révolution allemande »), et popularisée


en France par la publication des Langages totalitaires de J-P. Faye. Voilà
l’analyse se muer en possibilité.
Binet fonde en juillet 1946 le Parti Républicain d’Unité Populaire,
dont la direction est essentiellement composée d’anciens membres du
P.C.F. et du trotskyste Parti Communiste Internationaliste, basé sur un
axe de « communisme national » prônant également la construction d’une
Europe-puissance contre l’U.R.S.S. et les Etats-Unis, le P.R.U.P. usant déjà
du slogan « U.S. go home ! ». Le groupuscule s’allie avec le Rassemblement
Travailliste Français (fondé fin 1946), mouvement qui se revendique de
la « troisième voie » péroniste et est financé par l’Argentine. Binet est en
position pour lancer son Mouvement Socialiste d’Unité Française (1948),
le premier groupe à avoir pour emblème une croix celtique, et son organe
L’Unité qui, aux idées précédentes, ajoute l’antisionisme avec soutien aux
pays arabes, le négationnisme, et, selon Duprat « un racisme absolu et
un très net antisémitisme (…) Binet créait ainsi à la fois le premier parti
et le premier journal reflétant fidèlement la totalité des options de l’aile
extrémiste de l’Opposition Nationale ». Si Binet est le chef, l’inspirateur
idéologique du mouvement est Bardèche qui rentre ainsi en militantisme
et grâce auquel l’extrême droite organisée dispose enfin d’un intellectuel,
ce qui lui faisait cruellement défaut. La thématique sociale se proclame
« contre le Front Rouge et la Réaction » et recoupe celle de la politique
étrangère, le journal du mouvement posant ainsi la question « Tito est-il le
Doriot slave ? » en même temps qu’il se revendique du blanquisme. L’ac-
tion anticommuniste de Jules Moch est jugée anti-populaire et les attaques
antisémites dont il est l’objet contribuent à l’interdiction du mouvement
en mars 1949. Binet a ensuite multiplié les tentatives de ce type, si bien
que Duprat en fait un exemple pour démontrer la vanité de la stratégie
d’union des extrêmes. A l’encontre des désirs de Binet de sceller alliance
avec l’extrême gauche, il vilipende « ces contacts, qui se répéteront souvent
dans le cours [de l’Histoire de l’extrême droite de l’après-guerre] et dont
la tentation n’a pas disparu chez certains, [ils] se heurteront à des fins de
non-recevoir de la part des gauchistes hérissés par le racisme de Binet160 ».
Il rappelle que les scissionnistes berlinois du N.S.D.A.P. qui formè-
rent le Parti Indépendant National-Socialiste d’Allemagne reçurent une
fin de non-recevoir de la part du Parti Communiste Allemand lorsqu’ils

160 Lassiera et Plumyène, Les Fascismes français 1923-1963, Le Seuil, Paris, 1963, p.199 ; F. Du-
prat, 1998 (1972), pp.36-54.
82 NICOLAS LEBOURG

lui proposèrent la jonction en 1927161. Surtout, il explique que ce refus est


automatique car les gauchistes ne peuvent que vouloir engager une lutte à
mort avec des nationalistes qu’ils considèrent comme les « bandes armées
du capital », et qui jugent en conséquence que « détruire les “bandes fas-
cistes” est l’avant-dernière étape qui doit mener à la révolution proléta-
rienne162 ». Un résumé pédagogique qui condamne clairement toute autre
issue que le combat. L’analyse est loin d’être erronée et des décennies de
tentatives d’appel à la Périphérie sont un tel échec que c’est manu militari
qu’en septembre 2000 les militants nationalistes ont été sortis de manifes-
tations anti-mondialisation à Prague163.
Néanmoins, des scissionnistes de la N.A.R.O.-S.d.V., jugeant leur
organisation réactionnaire, ont fusionné avec des dissidents maoïstes pour
fonder ensemble des cellules au sein du mouvement écologiste et y prôner
un néo-conseillisme ; le bilan militant s’élève à 30 personnes, mais l’opé-
ration va marquer les esprits et fournir une mythologie militante d’autant
plus importante que certains N.R. allemands de cette phase jouent, en-
suite, un rôle de premier plan dans l’agitation relative à la crise des euro-
missiles164. Le schéma est intégré par le Parti Communautaire National-
européen qui affirme toujours être né, en 1984, du rapprochement suscité
par l’opposition commune aux fusées Pershing de nationalistes, maoïstes
et écologistes et qui propose clairement cette optique à l’échelle conti-
nentale lorsqu’il cherche à remplacer le Front Européen de Libération par
ce qu’il baptise le Front Noir-Rouge-Vert. Le mouvement essaye de dé-
baucher les staliniens perdus depuis l’écroulement de leur ancien univers.
L’antiaméricanisme est bien sûr le mot de passe, et lorsque le P.C.N. tente
de se développer sur un axe de national-bolchevisme “à gauche toute”, Luc
Michel publie un texte qui réclame le droit de vote et le droit d’éligibi-
lité des immigrés en Europe (1997), tandis que Fabrice Béaur se présente
lors d’une législative partielle à Toulon, face à Cendrine Le Chevallier (la

161 F. Duprat, « Les Trotskystes du national-socialisme », Revue d’Histoire du fascisme, quatrième


trimestre 1977, p.5.
162 Pour un Ordre nouveau, n°0, 1971.
163 C. Mudde, « Globalisation and the extreme right backlash », working paper on-line du colloque
Challenges to the new world order Anti-globalism and counter-globalism, uiversité d’Amsterdam, 30-
31 mai 2003, p.12.
164 P. Moreau, 1994, pp.201-202. Les scissionnistes tentent leur approche autour des figures tuté-
laires de Proudhon, Lasalle et Sorel (E. Verhoeyen, L’Extrême-droite en Belgique (III), Courrier Heb-
domadaire, Centre de Recherche et d’Information Socio-Politique, n°715-716, mars 1976, p.36).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 83

“femme de”), où il réclame la dissolution par l’Etat du F.N. (1998)165.


Nouvelle Résistance a poussé au plus loin ses conceptions. Aux fac-
teurs endogènes qui, au sein de Troisième Voie, ont poussé à l’axe du Front
Uni Anti-Système, il est essentiel d’en ajouter d’exogènes de première im-
portance qui se déroulent tous en 1991 : la guerre du Golfe, la proclama-
tion d’un « Nouvel ordre mondial » (George Bush) qui, derrière l’idéologie
des Droits de l’Homme et du multilatéralisme, cache mal une prétention
à la pax americana, l’éclatement barbare de l’ex-Yougoslavie, l’écroulement
de ce qui restait de l’U.R.S.S. et son basculement immédiat dans ce que
Andréï Gratchev affirme être une période analogue par son esprit à celle de
la République de Weimar166. Dans le domaine français : a) les événements
de l’ex-Europe de l’Est viennent bouleverser les conceptions établies (une
Europe qui serait occidentale et pacifiée ; le choix du soutien aux Serbes
ou aux Croates, et ce que cela induit de respect ou de rupture dans des
traditions politiques, le tout dans une perception très floue et angoissée
du conflit, traduite par une logomachique analyse de l’opposition des eth-
nies167) ; b) l’opposition à la guerre du Golfe produit un arc de conver-
gences sur la scène médiatique politico-intellectuelle dont il importe de
tenir compte168. Les Verts excluent leur porte-parole, Jean Brière, suite à
un article dédié au « rôle belligène d’Israël », où l’antisionisme paraissait
fort mal couvrir l’antisémitisme, et le leader écologiste trouve refuge dans
les colonnes de Nationalisme et République. Ce titre paraît ouvrir la porte à
un début de redistribution des cartes au sein de l’extrême droite sur le plan
structurel, tandis qu’au niveau idéologique il tente d’y populariser le thème
de « l’Occidentalisme libéral, Ennemi unique169 ». T.V. a tenu meeting
contre l’intervention armée internationale avec en orateurs Gisèle Halimi

165 Il y obtient 1,84% des voix. La stratégie du P.C.N. a été rôdée en Belgique où son adresse
juridique lui avait permis de faire invalider l’élection de plusieurs membres du F.N. belge. Le parti
propose sur son site toute une série de coupures de presse qui lui permet ainsi de se présenter
comme farouchement antinazi (il omet seulement de préciser que, s’il fut si virulent à l’encontre du
F.N., il avait antérieurement récupéré quelques-uns de ses élus, avait ainsi obtenu ses premiers sièges
et que, ces personnes étant reparties, son intérêt stratégique change à nouveau).
166 A. Gratchev, L’Exception russe. Staline est-il mort ?, Le Rocher, Monaco, 1997 (l’auteur fut le
conseiller du Président Gorbatchev).
167 P-A. Taguieff, « Persistance et métamorphoses du nationalisme. Les limites de la mondialisa-
tion », Le Banquet, 1er semestre 1997, pp.31-64.
168 A-M. Duranton-Crabol, « L’Anti-américanisme français face à la guerre du Golfe », Vingtième
siècle, juillet-septembre 1998, pp.129-139. Il y a une réelle naïveté d’un certain nombre d’observa-
teurs à ce propos, outrés qu’A. de Benoist puisse participer aux manifestations contre la guerre et
voyant cela sous le signe de « l’infiltration » ; on ne voit surtout pas pour quels motifs A. de Benoist
aurait approuvé cette guerre, étant donné ses idées (lutte contre l’impérialisme U.S. par l’unité
d’action euro-arabe).
169 Nationalisme et République, février 1992.
84 NICOLAS LEBOURG

et Roger Garaudy. C’est avec des militants du P.C.F. d’origine arabe que
Fabrice Robert tracte contre la guerre, ses camarades du jour sachant plei-
nement qu’il a été condamné en vertu de la loi Gayssot170.
Dès l’origine, Nouvelle Résistance s’intéresse au courant d’Antoine
Waechter au sein des Verts, celui-ci ayant pour dogme un positionnement
« ni droite ni gauche » de l’écologie politique et étant partisan d’une Europe
des régions171. Le mouvement N.R. appelle donc à rechercher le contact
avec lui (ce qu’avait d’ailleurs prôné A. de Benoist dès 1989). A-Y. Beck
adresse une note demandant à certains militants de s’encarter discrètement
chez les Verts, puis leur enjoint de prendre d’abord contact soit avec lui-
même, soit avec C. Bouchet, pour viser non plus le parti mais sa structure
de jeunesse, Ecolo-J (pour des questions de surfaces en capital humain,
peut-on supputer)172. En cas de réussite, il s’agit de s’installer sur des listes
électorales, en cas d’échec de profiter de ce qui aura été fait en assurant un
maximum de publicité à la tentative ; la manœuvre est jugée suffisamment
importante pour que l’entrisme au sein des Verts soit désigné comme prio-
ritaire par rapport à la manipulation de l’extrême droite via la constitution
d’un groupe estudiantin néo-fasciste. Il est spécifié que, désormais, cette
voie est suivie en même temps par les camarades du F.E.L. : les N.R. ont
choisi en un mouvement coordonné d’infiltrer les Verts en France, Al-
lemagne, Pologne, Grande-Bretagne, Espagne et Italie173. Quelques mois
plus tard, C. Bouchet adresse à la presse un communiqué où il expose
qu’Ecolo-J vient d’exclure 16 de ses membres au motif qu’ils étaient des
« infiltrés » N.R. Il joint à son texte une copie d’une des lettres d’exclusion
et des textes internes de Nouvelle Résistance appelant à l’infiltration. Selon
lui, il n’y aurait pas moins d’une « centaine » de militants qui eussent ainsi
investi Ecolo-J « jusqu’à la direction174 ». Le chiffrage plaisant est cité par
les media sans recul critique. Désormais, Nouvelle Résistance ne va avoir
des contacts avec des militants écologistes… qu’issus de ses rangs et créant

170 T. Maricourt, Les Nouvelles passerelles de l’extrême droite, Syllepse, Paris, 1997, p.90 ; F. Robert,
Nice, 23 mars 2002. L’ex-dirigeant du P.C.F. n’est pas encore un auteur négationniste mais participe
aussi cette année-là à Nationalisme et République et au colloque du G.R.E.C.E.
171 Une fois les Verts au sein de la gauche parlementaire, A. Waechter fonde le Mouvement
Ecologique Indépendant qui reprend sa ligne en la durcissant, mais ne dépasse jamais le stade du
groupuscule (J. Brière y participe). Pour les N.R., le programme « pourrait être cosigné des deux
mains par un militant de Nouvelle Résistance » (Lutte du Peuple, septembre-octobre 1994 ).
172 Nouvelle Résistance Secrétariat Exécutif 3e bureau : Agitation et Propagande, octobre 1991 ; idem,
n°2bis /91 (documents internes).
173 L’Europe combattante Note d’orientation n°3 du secrétariat général de Nouvelle Résistance, avril
1992 ; idem, n°2, s.d (documents internes).
174 Le Monde, 25-26 octobre 1992 ; L’Evénement du jeudi, 5-11 novembre 1992.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 85

un groupe baptisé « Résistance Verte-Earth First ! ». Un bulletin présente


les thèses de ce groupe, Eco-Action, qui s’avère mêler aux thèses N.R. et
au néo-paganisme ceux de la deep ecology (la Nouvelle droite donnant,
elle, le jour à l’association Recours aux forêts sur le même principe)175. Le
jeu joué serait-il celui posé dès le départ en première option, à savoir une
provocation publicitaire ? En tous cas, 1) les N.R. tentent un entrisme à
l’échelle continentale ; 2) même si la cible est faible quantitativement et
naïve qualitativement, cet entrisme est hors de portée des NR étant donné
leurs effectifs ; 3) l’affaire rappelle tout de même fort celle des N.R. alle-
mands, or l’infiltration de membres de la N.A.R.O.-S.d.V. dans les Verts
avait provoqué un scandale, auquel les Grünen ont répondu par une stricte
épuration interne en 1980-1981176 : il est délicat de penser que cet exemple
ne puisse pas être présent à l’esprit des membres du P.C.N. puis du F.E.L.
L’ultime problème pour les N.R. est déjà apparu en creux : leur jonc-
tion avec les gauches tend à se faire avec seulement une poignée d’indivi-
dus qui sont considérés comme des traîtres à leur camp. U.R. a retourné
la question de manière positive en organisant un meeting, le 6 avril 2002,
sous le titre « De l’extrême gauche internationaliste à la résistance identi-
taire, itinéraire d’une génération » avec Patrick Gofman, ancien de l’Or-
ganisation Communiste Internationaliste, et Horst Mahler. Le cas de ce
dernier paraît emblématique, passé de l’espace de la Bande à Baader à celui
du néo-nazi N.P.D., définissant désormais le mouvement de Mai dont il
fut comme une « révolution conservatrice » correspondant à un « fascisme
de gauche » spontanéiste. D’un point de vue N.R., il est évident que ce
n’est pas l’avocat allemand qui a changé, toujours fidèle à la cause des
peuples contre l’impérialisme américain, mais le monde autour de lui, ce
qui l’a amené à être conséquent. Cependant, quoi qu’en disent les N.R., et
quoi qu’ils en pensent, les thèses qu’il défend dorénavant (par exemple sur
la nécessité de libérer l’Europe du « judaïsme ») ne lui valent et ne peuvent
lui valoir de la part des gauches que l’épithète infamante de « néo-nazi ». F.
Robert à propos de Pierre Guillaume, C. Bouchet à propos de Serge Thion,
affirment que leurs camarades sont toujours des ultra-gauchistes. Mais qui,
à gauche, leur accorde cette étiquette ? Leur collusion avec l’extrême droite

175 La deep ecology est le courant fondamentaliste de l’écologisme, il est donc assez aisé d’y raccor-
der des thèmes « contre le monde moderne » ou néo-païens en les adaptant.
176 P. Moreau, 1994, p.202-204 ; Article 31, mars 1985 ; entretiens. Le N.O.E. paraît également
avoir suivi l’exemple allemand en appelant « tous les nationaux-révolutionnaires » à soutenir les
luttes écologistes, afin d’opposer au « Système » et à ses « fausses idéologies de croissance (…) les
intérêts véritables de la communauté populaire et biologique » (motion publiée dans Le Devenir
européen, décembre 1980).
86 NICOLAS LEBOURG

et leur négationnisme leur valent, du point de vue des gauches, d’être sortis
de leur famille, tout simplement. Malgré leur dénonciation de la trahison
idéologique des gauches ayant abandonné la lutte sociale pour l’idéologie
des Droits de l’Homme, les N.R. se leurrent sur la manière dont le champ
social de la gauche s’auto-représente – ce qui nous ramène directement à
la critique de Binet faite par Duprat. A partir de 1993, un nouveau terme
permet de les condamner en un tout stigmatisé sous l’étiquette « rouge-
brun ».
Quand l’Est communiste s’écroule, non pas par l’action des minorités
agissantes anti-marxistes mais sur lui-même, le libéralisme rêve de la fin
de l’Histoire et cette ineptie fait mouche chez divers faiseurs d’opinions.
Dans le cadre français, la gauche, obsédée depuis 1920 par la question
de son aile communiste puis par ses non-dits molletistes, au-delà même
de 1983, entre dans une crise d’identité177 : « ni, ni » mitterrandien,
proclamation d’une « République du Centre » par des intellectuels
sociaux-libéraux, victoire triomphale au printemps 1993 d’une droite dont
le nouveau héros provisoire s’avère désireux d’installer « un conformisme
impitoyable et terrorisant à toutes les questions historiques178 ». Or, le
fondement historique du système politique français n’est autre que la
Révolution française, ce qui a fait « de la culture politique française une
culture historiquement conflictuelle, c’est-à-dire pensant historiquement
ses conflits et conflictuellement son histoire179 ». Au sein de ces états de
fait, les N.R. se convertissent, quant à eux, aux nouveaux signes bannis en
s’adonnant au « national-communisme ». Ils cherchent à opérer la jonction
avec ceux qui, au sein du « pays réel », ne se résolvent pas à enterrer le
socialisme, au sein des minorités agissantes, avec ceux qui croient qu’au
contraire la phase historique nouvelle leur offre d’inattendues occasions
de faire l’Histoire. Ils participent ainsi au déclenchement d’un scandale
de presse durant l’été 1993, qui n’est pas sans rappeler l’été de la Nouvelle
droite en 1979, sur le thème des « rouges-bruns ». Cependant, malgré leur
rôle moteur en l’affaire, ils n’ont pas l’heur de figurer clairement ni dans
les gazettes ni dans les analyses postérieures. Cette micro-tragi-comédie est
moins banale que n’en paraît la fumée.
Acte un : il passe par la reprise, par le provocateur Jean-Edern
Hallier, de L’Idiot international et les liens étroits que tisse ce titre avec

177 Cf. M. Winock, « Le Terrain vierge de la nouvelle gauche », Le Banquet, deuxième trimestre
1995, pp.81-88.
178 M. de Viry, « A l’enseigne du faux chic anglais ou démagogie et self-estime. A propos de
Edouard Balladur, Caractère de la France », Le Banquet, deuxième trimestre 1997, p.249.
179 P. Burrin Fascisme, Nazisme et autoritarisme, Le Seuil, Paris, 2001, p.284.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 87

le P.C.F. et la C.G.T. Le journal publie des auteurs de gauche membres


ou proches du P.C.F., ainsi que des auteurs d’extrême droite (ex-M.N.R.,
F.N., G.R.E.C.E., National-Hebdo, Présent, etc.) et l’un de ses rédacteurs
en chef est cadre communiste, l’autre cadre frontiste. Dans la presse
d’extrême droite, reproduire des extraits et louer le journal d’Hallier
deviennent des habitudes dans les titres qui, à cette date, tentent de
redessiner le paysage nationaliste, puisque, outre Lutte du peuple, l’organe
de Nouvelle Résistance, c’est le cas dans Le Choc du mois, Le Feu follet
et Nationalisme et République : quatre titres convaincus que redessiner
l’extrême droite passe par un virage populaire, social et anti-américain.
Pourquoi n’apprécieraient-ils pas un ludion à la provocation télégénique
qui déclare sa haine des U.S.A., d’Israël, et qu’« il faut réconcilier Doriot et
Thorez180 » ? L’organe de Nouvelle Résistance reproduit un article d’A. de
Benoist publié dans L’Idiot international, en soulignant que le penseur du
G.R.E.C.E. y « défend des thèses parfaitement identiques aux nôtres181 ».
Acte deux : une poignée de réunions publiques représentent le même
axe, on entend ainsi, le 12 mai 1993 à l’Institut d’Etudes Marxistes, A. de
Benoist, puis P. Gofman venu se flatter de la concomitance de son vote
P.C.F. et de sa participation au néo-fasciste Choc du Mois. Dans les colonnes
du journal d’Hallier, un ancien de la Gauche Prolétarienne journaliste
à Libération et membre de la C.G.T. en appelle à un nouveau « Front
National » regroupant communistes, souverainistes et nationalistes, sans
J-M. Le Pen. S’y trouve aussi reproduit un texte d’A. de Benoist « U.S. go
home, contre les U.S.A. et leurs Kollabos » (celui-ci, apprend-on ensuite
dans la presse, se rend d’ailleurs à Moscou y rencontrer communistes et
nationalistes, tout particulièrement Alexandre Dugin).
Acte trois : pendant l’été 1993, suite à une campagne lancée par
l’écrivain Didier Daeninckx, Libération, Le Monde et Le Canard enchaîné,
ainsi qu’en moindre part Le Figaro et Globe, enchaînent les articles contre

180 Le Monde, 29 juin 1991. On constate que c’est dans le numéro de l’organe de T.V. daté de
l’été 1991, i.e. du moment de la rupture entre Nouvelle Résistance et T.V., que J-G. Malliarakis
écrivait : « dans la France de cet hiver 90-91, une conjonction non-conformiste commençait à
s’opérer grâce à l’alchimie de l’opposition commune à la guerre du Golfe. L’explosive personnalité
d’un Jacques Vergés était en train de devenir pour les Français qui souhaitent le décloisonnement
une sorte de porte-parole et Jean-Edern Hallier une manière de porte-plume. En six mois, cette
espérance non-conformiste qui eût parfaitement pu, et dû, converger vers l’opinion nationale et
populaire qui se reconnaît en Jean-Marie Le Pen, cela s’est trouvé largement compromis ou ralenti,
comme la conjonction entre Nationalisme et Ecologie l’a été par l’affaire Brière. La bataille n’est pas
perdue, mais on doit reconnaître que plusieurs coups tactiques ont été portés contre cette stratégie
des alliances alternatives que nous avons adoptée » (cité in Camus et Monzat, 1992, p.338).
181 Lutte du peuple, janvier 1992.
88 NICOLAS LEBOURG

le « complot » de la « tentation national-communiste » et les « dérives


rouges-brunes », cette nouvelle dénomination connaissant d’emblée le
succès182. Ils pointent du doigt l’antisémitisme qui transparaît derrière le
thème central et commun de la dénonciation de l’américano-sionisme.
La direction du P.C.F. entame une série d’explications et annonce
l’exclusion immédiate de tous ses membres qui continueraient à entretenir
des contacts avec l’extrême droite. Chez les intellectuels, la tension
monte d’un cran quand Le Monde publie un appel de 40 intellectuels
de premier plan (sont présents trois Prix Nobel et treize membres du
Collège de France parmi lesquels Pierre Bourdieu, Umberto Eco, Jean-
Pierre Vernant) condamnant les rapprochements entre intellectuels néo-
droitiers et républicains, manifeste assorti d’un long article de Roger Pol-
Droit s’adonnant à l’exégèse des textes de P-A. Taguieff pour y souligner les
concordances de pensée avec la Nouvelle droite183. Beaucoup de bruit donc,
sur lesquels les bilans postérieurs s’avèrent très engagés personnellement,
et dont les faits doivent être resitués historiquement pour savoir comment
les N.R. travaillent à l’union de la Périphérie et ce qu’il faut en retenir sur
l’art de la dialectique184.
La non-analyse en termes de champ fit commettre une erreur à pro-

182 Le qualificatif ressurgit suite à la Deuxième Intifada dans le cadre de la controverse contre un
« islamo-gauchisme » amplement fantasmé.
183 Le Monde, 13 juillet 1993. Ce qui entraîne en défense de P-A. Taguieff une contre-pétition
d’universitaires fameux, publiée dans Le Monde, 27 juillet 1993.
184 Seuls deux des acteurs principaux de cette «affaire» ont publié ensuite une étude des faits et
de leur présentation durant cet été 1993 : D. Daeninckx, « L’Obscène alliance des contraires », Né-
gationnistes: Les Chiffonniers de l’Histoire, Golias, Villeurbanne, Syllepse, Paris, 1997, pp.145-164
et P-A. Taguieff, Sur la Nouvelle droite, 1994, pp.297-391. L’un et l’autre ont eu leur analyse forte-
ment influencée par leur implication personnelle, et ils recourent à un ton d’abord polémique. L’un
des éléments les plus surprenants du débat est l’aspect central donné aux déclarations anti-frontistes
d’A. de Benoist pour déterminer si celles-ci sont la preuve qu’il a rompu avec l’extrême droite ou
s’il serait un extrémiste camouflé : tous les nationalistes se définissent justement par leur rupture
avec les nationaux, tous les N.R. condamnent le F.N. sur les mêmes critères qu’A. de Benoist : en
somme, le critère n’est pas efficient. P-A. Taguieff écrit, à propos d’un article de M. Schneider dans
Nationalisme et République relatant les contacts franco-russes qui, pour l’auteur, sont peu ou prou
ramenés au cas A. de Benoist – A. Dugin : « il reste à se demander pourquoi M. Schneider a informé
avec autant de précipitation et de complaisance, les observateurs occidentaux des quelques contacts
groupusculaires entre Belges, Français et Russes. D’autres organes de presse «nationalistes-révolu-
tionnaires» ont également lancé sur le marché idéologique le thème du «national-communisme»
comme pour inciter les journalistes sensibles à la thématique antifasciste standard à lancer une cam-
pagne de dénonciation ; cf. notamment le mensuel Lutte du peuple » (id ibidem, p.309). La solution
est que M. Schneider fait donc bien naturellement la promotion de son courant, que toutes ces per-
sonnes (Bouchet, de Benoist, Schneider, Steuckers) travaillent ensemble, contre le lepénisme, pour
un nationalisme populaire et européen, non que Nouvelle Résistance et Nationalisme et République
complotent contre leur camarade A. de Benoist.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 89

pos de cette période : l’opposition construite pour «défendre» le second


entre un A. Dugin évolien intransigeant et un A. de Benoist évolien op-
portuniste ne résiste en effet pas à cette méthode – de même que l’on a am-
plement ignoré les parallèles d’intérêt pour la contre-culture des groupes
nationalistes russes et français. Ce qui unit ces deux intellectuels, les An-
glais de The Scorpion, Nouvelle Résistance, etc. aux activistes du F.E.L.,
c’est justement qu’ils sont des évoliens, des révolutionnaires-conservateurs
et thirariens systématiquement non-orthodoxes, se saisissant de ce qui leur
sied dans l’œuvre de leurs référents et lui donnant l’angle qu’ils souhai-
tent, dans la perspective propice pour laquelle ils militent : une alliance
euro-islamique anti-américano-sioniste – que cela soit par doxa néo-droi-
tière, N.R. ou eurasienne : les différences s’estompent. Les considérations
philosophiques s’effacent face à ce simple constat politique. C’est précisé-
ment cette attitude post-moderne qui explique pourquoi le F.E.L. évoque
le nazi-maoïsme, qui choisissait de faire son marché de la même manière,
chez les mêmes maîtres, et avec le même clivage ami-ennemi. Or, dans le
contexte français, l’évolution du P.C.F. à la fin des années 1970 vers une
posture encore plus patriotique qu’auparavant, et conjointement le début
de la redécouverte dans l’espace francophone de la Révolution Conser-
vatrice, avaient justement entraîné chez les N.R. lecteurs de F. Freda la
même tentation, mise au pas par J-G. Malliarakis lors de l’alternance de
1981, en appelant à l’intérieur à la jonction avec le P.C.F. et à l’extérieur
avec Moscou185. En définitive, ici comme ailleurs, la mise en perspective
historique réduit à néant les thèses conspirationniste.
A. de Benoist fait scandale car il discute avec des membres du P.C.F.
et avec des intellectuels de gauche. Mais que leur dit-il ? A Marc Cohen
et Jean-Marie Domenach, il expose le 19 mai 1993 que le clivage droite-
gauche n’est plus et que seul comptent le « Centre » et la « Périphérie » pré-
parant l’alliance des « rouges » et des « bruns », à l’instar du Parti National
Patriotique à l’œuvre à Moscou. Bref, il dit la même chose que Nouvelle
Résistance et participe pleinement à la production idéologique du F.E.L.
dont A. Dugin est devenu la coqueluche. Chez les N.R., on se félicite
avec bonheur de la popularité d’une ligne qui est d’abord née chez eux de
l’impossibilité d’intégrer le F.N… Est reproduit un article d’A. de Benoist
publié dans Eléments de mai 1992, en notant qu’il y reprend « les idées que
nous venions de lancer d’une Nouvelle Résistance et d’un Front Uni contre
le système ». A dire vrai, l’article en question reprend jusqu’à des éléments
tout à fait précis de l’éditorial de Lutte du peuple paru juste auparavant en

185 Jeune Nation solidariste, 4 janvier 1979 ; idem, 1er mars 1979; idem, 24 janvier 1980.
90 NICOLAS LEBOURG

mai. La position d’A. de Benoist ne peut être rapportée à ces appels anté-
rieurs à l’oscillation : jusqu’ici, soit il en avait appelé à la tradition du « ni
droite ni gauche » typique de l’extrême droite, soit avait donné en 1984
des signes à gauche après l’effacement des relations privilégiées avec les
droites parlementaires. Jamais il n’avait explicitement désigné le commu-
nisme parlementaire comme allié principal : situer la Nouvelle droite dans
son contexte n’est pas la redéfinir selon un point de vue téléologique.
Nouvelle Résistance, en toute logique, assure de sa « parfaite com-
munion avec les réunions publiques » des 12 et 19 mai où A. de Benoist
a débattu avec « l’aile radicale du P.C.F.186 ». Comment s’en étonner, si
l’on observe que ce n’est pas au Lutte du peuple de l’O.L.P. que ressemble
le Lutte du peuple de Nouvelle Résistance, mais au Partisan européen dont
il reprend la totalité des thèmes de prédilection, de l’analyse géopolitique
au conspirationnisme anti-américano-sioniste en passant par l’anti-catho-
licisme romain ? Les deux journaux ont, il est vrai, le même responsable de
leur vade-mecum idéologique, Thierry Mudry, qui officie aussi dans Natio-
nalisme et République, et ce fut, dans Le Partisan européen qu’A. de Benoist
alla antérieurement le plus loin dans l’oscillation : ce n’était pas fortuit .
Cet intérêt pour l’alliance avec les communistes post-soviétiques ne
peut se comprendre que si est observé ce qui se passe en Russie et la réac-
tion du champ nationaliste à cet égard, et en particulier la contribution
national-bolchevique au Front National de Salut fondé en 1991 et regrou-
pant néo-staliniens et extrêmes droites. C’est à ce moment que naît, utilisé
par les adversaires du F.N.S., l’expression de « rouge-brun »187. Dissident
de Pamiat, A. Dugin participe au colloque du G.R.E.C.E. du 24 novembre
1991188. A son retour en Russie, il fonde Elementy dont les articles font lire
au public russe les positions d’A. de Benoist et de R.Steuckers, de Debord
et Deleuze, de Debray, de Thiriart, de Moeller Van den Bruck, de Spengler
et de Jünger, d’Evola et de Schmitt. Il devient la plume centrale de Den,
l’organe principal de l’opposition dite national-patriotique, et y travaille à

186 Lutte du peuple, mai 1992 ; idem, juin 1992.


187 L’opposition national-patriotique obtient environ la moitié des sièges aux élections législatives
russes de décembre 1993.
188 « Pamiat » est une formule, il est des Pamiat, non une structure monolithique. Fanatiquement
réactionnaire, Pamiat considère que l’U.R.S.S. est le pouvoir des sionistes perpétrant le « géno-
cide » du peuple russe. Outre sa volonté de renouer la chaîne des temps avec la Russie impériale,
Pamiat veut protéger le génotype de la population russe et la religion orthodoxe en tant qu’élément
ethnique identitaire (cf. le recueil de textes Pamjat’ parle, Ars Magna, Nantes, s.d.). Les textes d’A.
Dugin, malgré leur sophistication, ne dissimulent pas un antisémitisme obsessionnel, loin s’en faut.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 91

transformer le conservatisme soviétiste en nationalisme-révolutionnaire189.


En soutenant les nostalgiques de l’U.R.S.S., Dugin est, quoi que l’on
en ait dit, moins national-bolchevique que révolutionnaire conservateur :
il sait que le retour au même n’existe pas et que la réaction soviétique qui se
dit révolutionnaire est le sas pour un Etat organiciste. Reprenant, à l’instar
d’A. de Benoist, les thèses de Karl Popper, il considère que l’expérience so-
viétique a démontré que le communisme réalisait une société fermée mieux
que n’y réussit le fascisme : les deux devraient donc réussir la synthèse hé-
gélienne pour détruire la « société ouverte », les valeurs occidentales maté-
rialistes que la mondialisation impose, et édifier de la sorte l’Empire final.
Il estime que l’effondrement de l’U.R.S.S. a mené à une modification du
paradigme identitaire russe et que les conditions objectives de l’édification
de l’Empire eurasien sont dorénavant réunies en Russie – d’autant plus que
la culture russe serait fondamentalement révolutionnaire conservatrice et
organiciste : la Révolution d’octobre serait le fruit de l’éveil de l’âme russe
impériale face à la décadence libérale de la monarchie. En fait, une des for-
mules de Dugin qui résume le mieux sa pensée est celle selon laquelle « la
Troisième Rome, le Troisième Reich et la Troisième Internationale sont des
éléments qu’il faut connecter dans la révolte contre le monde moderne190 ».
De la sorte, c’est une impulsion sciemment étonnante de prime abord
qui meut cette extrême droite : voilà Staline sacré par Nouvelle Résistance
« figure limpide de la révolution intégrale du XXe siècle » car son œuvre se-
rait anticapitaliste, anti-individualiste, anti-occidentale, antisioniste, com-
munautariste, tout en respectant la famille et l’ordre, car lui-même serait,
in fine, un combattant antimarxiste191. Voici R. Steuckers qui proclame
que « l’anti-stalinisme est une variante du discours mondialiste192 ». Ces

189 R. Griffin, « Plus ça change ! The Fascist Legacy in the Metapolitics of the Nouvelle Droite », The
Development of the Radical Right in France 1890-1995, E. Arnold dir., Routledge, London, 2000,
2000, pp. 217-252 ; M. Mathyl, « The National-Bolshevik Party and Arctogaia : two neo-fascist grou-
puscules in the post-Soviet political space », R. Griffin dir., 2002, p.64. « Arctogaïa », l’équivalent du
G.R.E.C.E. mis en place, peut se traduire, comme le nom l’indique, par Ultima Thulé, Hyperborée.
190 A. Dugin, interview à Lutte du peuple, octobre 1992 ; idem, « Métaphysique du national-
bolchevisme », « Julius Evola et le traditionalisme russe » et « La Révolution conservatrice russe »
dans Archivio eurasia, site lié à Synergies européennes. Thiriart faisait la même confusion vis-à-vis
du sens de la dialectique hégélienne, croyant lui aussi que la synthèse était la rencontre opératoire
de la thèse et de l’antithèse. Cette confusion de lycéen souligne qu’il ne faut pas prendre tout à fait
au sérieux leur ostentation d’un capital culturel exceptionnel. Néanmoins, c’est précisément sa ca-
pacité philosophique qui permet au fondateur d’Arctogaïa d’émerger de l’extrême droite, à l’image
toujours embarrassante en cette matière. Il a ainsi participé à un colloque en Sorbonne dédié à Evola
et organisé par la revue Politica Hermetica produite par la maison d’éditions L’Age d’Homme, à cette
époque proche de la N.D. (1992, avec A. de Benoist, P. Baillet, P-A Taguieff, etc.).
191 Lutte du peuple, juin 1993. La position est parfaitement orthodoxe avec Niekisch.
192 R. Steuckers, « Une nouvelle vision positive du stalinisme », Nation Europe, février-avril 1996.
92 NICOLAS LEBOURG

discours ne sauraient surprendre qui connaît la relecture de la Révolution


Cnservatrice faite par Thiriart. Devant l’alliance russe des communistes
et des nationalistes qui se fait au sein du « national-patriotique » F.N.S.
regroupant extrêmes droites et gauches autour de Guennadi Zuganov, le
F.E.L. peut sentir vibrer son néo-nazi-maoïsme et Lutte du peuple inter-
roge A. Dugin sur son sentiment de voir la Russie réaliser le « rêve italien
[du] nazi-maoïsme ». Sa réponse ne peut que satisfaire ceux qui s’étaient
dotés en 1989 d’une définition du « Système » en appelant aux nouvelles
convergences contre le libéralisme mondialiste : le philosophe traditiona-
liste déclare en effet que rouges et bruns partagent l’amour de la patrie et
l’attachement à son Histoire, ainsi que le rejet du libéralisme, de la démo-
cratie, des U.S.A., du sionisme. De plus, ajoute-t-il, les deux anciens clans
ont une ligne de césure interne entre des eurasistes, qui considèrent qu’ils
ont avec les fondamentalistes musulmans le Nouvel ordre mondial comme
ennemi commun, et les panslaves racistes et islamophobes193. C’était par le
biais des œuvres d’A. de Benoist, de G. Faye, de F. Freda et de Thiriart, que
les N.R. avaient désigné les mêmes alliances et ennemis ; la concordance
est manifeste.
Nouvelle Résistance peut constater que le F.N.S. perturbe le commu-
nisme français, ce qui peut être à l’évidence propice à ses vues, lorsqu’elle
va tracter devant un meeting du P.C.F. pour exiger que celui-ci soutienne le
F.N.S. et que, plutôt que de lui envoyer le service d’ordre, les organisateurs
l’invitent à venir débattre à la tribune. Aussi, suite à la campagne de presse
contre les rouges-bruns, elle se saisit de l’étiquette « national-communiste »
avec d’autant plus de vigueur qu’elle définit le qualificatif en reprenant un
texte antérieur et en y remplaçant « nationalisme-révolutionnaire » par
« national-communisme » après un nettoyage cosmétique des marques les
plus évidemment néo-fascistes194. Quant au fameux voyage de la Nouvelle
droite en Russie, objet de fantasmagories en France, il n’a jamais existé

193 Lutte du peuple, octobre 1992. G. Zuganov dirige en même temps le Parti Communiste de
la Fédération de Russie qu’il a fait évoluer vers un socialisme anti-marxiste nationaliste. Comme
A. Dugin, il désigne la révolution socialiste comme une expression de l’essence du peuple russe et
établit une continuité historique rigide entre la Russie des Tzars, celle de l’U.R.S.S., et celle à la-
quelle il aspire. Désigné comme adversaire principal car « rouge-brun » par B. Eltsine, E. Zuganov a
joué avec lui le jeu très trouble de l’opposition préférée, permettant au Président russe d’apparaître
comme le seul rempart contre une synthèse « national-communiste » de « rouges-bruns » crypto-
fascistes (cf. A.Gratchev, 1997, pp.132-181). Ce rôle a été ensuite repris par V. Jirinovski de manière
beaucoup plus instrumentalisée et sur un axe plus à droite, V. Jirinovski n’ayant rien de fasciste à
l’évidence mais étant désigné comme tel (y compris par P-A. Taguieff dans sa polémique quant au
phénomène « rouge-brun »).
194 Lutte du peuple, avril 1993 ; idem, octobre 1993.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 93

en soi, car, comme A. de Benoist, se sont en fait toutes les personnalités


de l’espace du Front Européen de Libération qui prennent le chemin de
Moscou : Battara, Bouchet, Michel, Schneider, Steuckers, Terracciano et
Thiriart. Durant l’été 1992, une délégation, comptant C. Bouchet et M.
Schneider pour la France, est reçue une semaine à Moscou. Elle y tient un
meeting, où Thiriart déclare qu’il faut nouer des réseaux « entre l’élite lu-
cide de l’ex-U.R.S.S. et l’élite lucide de l’Europe de l’Ouest [pour] préparer
le départ, l’expulsion de l’occupant américain ». Elle discute avec Dien, A.
Dugin, le Comité Anti-Sioniste, Heïdar Djemal (Parti de la Renaissance
Islamique du Tadjikistan), Egor Ligatchev, G. Zuganov, Vladimir Jirinov-
ski, et Victor Anpilov (Parti Communiste Ouvrier de Russie)195.
En mai 1993, A. Dugin fonde avec Edouard Limonov le Front Natio-
nal Bolchevik qui rejoint le F.E.L.196 Celui-ci en appelle à un front uni ré-
volutionnaire des communistes et nationalistes s’opposant au système oc-
cidentalisé et se définit comme un « intermédiaire entre les chemises noires
de Mussolini et les gardes rouges de la révolution culturelle chinoise197 »,
parmi les divers symboles qu’il utilise se retrouvent celui du Front Noir de
Strasser, repris depuis le F.E.L., et d’autres plus provocateurs encore (un
drapeau nazi où la swastika est remplacée par une grenade, un autre où elle
l’est par une faucille et un marteau croisés et gammés). La reprise est d’au-
tant plus naturelle qu’outre les voyages d’A. Dugin en France, E. Limonov
connaît aussi bien ce pays où il a vécu, et où il a été un collaborateur de
L’Idiot international et du Choc du mois198. Le parti n’est pas un succès po-
litique, mais un beau succès médiatique dont la provocation attire l’atten-

195 Lutte du peuple, septembre 1992 ; M. Laruelle, « Alexandre Dugin, esquisse d’un eurasisme
d’extrême droite en Russie post-soviétique », Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 32, n°3,
2001, p.87.
196 E. Limonov est un écrivain russe célèbre en son pays ; l’ouvrage que publie à New-York en
1978 celui qui est alors un beatnik en exil est une pièce essentielle de la contre-culture russe, vendu
à plus d’un million d’exemplaires. En 1992, lorsqu’il rejoint la Russie, il fonde le Parti National-
Radical et est proche du populiste V. Jirinovski (M. Mathyl, 2002, pp.66-67).
197 A. Dreiling, «Les Nationalistes radicaux russes en 1996-1997 », Les Extrémismes en Europe, J-Y.
Camus dir., L’Aube / CERA, La Tour d’Aigues,, pp.316-317.
198 Parti rejoindre le conflit en ex-Yougoslavie, son premier article de reporter au front dans les
milices serbes paraît dans Révolution, organe du P.C.F., en même temps qu’il publie dans Le Choc
du mois un texte où il expose les raisons de son stalinisme : « en massacrant les communistes mieux
que Hitler, César Staline s’est couronné excellent César de la Russie » (cités dans Ras l’Front, jan-
vier-février 1993). Il devait ensuite revenir sur son expérience de guerre dans un entretien avec C.
Bouchet où il fait l’apologie du meurtre en tant qu’esthétisme et expose sa joie d’avoir participé à la
guerre en Bosnie car « c’était la plus atroce et la plus moderne » où il « espère » bien avoir tué (La
Voix du peuple, octobre-novembre 1996). Derrière le psychopathe ou le provocateur, on reconnaît
l’idée futuriste de la guerre comme expression de l’énergie vitaliste, le rapport néo-nationaliste à la
technique.
94 NICOLAS LEBOURG

tion de quelques personnalités tant il est évocateur de l’ambiguïté du front


national-patriotique auquel il participe. Le scandale des « rouges-bruns »
dans sa version française est en marche…
Que retenir structurellement de ces faits ? Un très grand nombre de
leçons, à dire vrai. Tout d’abord, les taxinomies n’engagent que ceux qui y
croient, car leur maîtrise est un facteur d’ostentation de capital culturel ou
de légitimation à occuper un segment du marché idéologique ; les autres
font de la politique. Preuve que nous ne sommes pas dans le folklore mais
dans le politique, les différences entre les deux idéologues-totems du F.E.L.,
Thiriart et Dugin. Alors que l’un déteste l’islam, l’autre l’apprécie dans sa
forme fondamentaliste ; quand le premier veut voir la Turquie laïque dans
l’Europe, pour des motifs géopolitiques, le second l’y veut car il reprend
l’idée des fascistes turcs selon laquelle leur groupe ethnique est un rameau
de la race aryenne, ce qui lui permet de concilier eurasisme et aryanisme,
tandis que le secrétaire général du F.E.L., C. Bouchet, n’en veut tout sim-
plement pas ; le Belge en appelle à la laïcité comme fondement du poli-
tique, là où le Russe ne différencie pas spiritualité, ésotérisme et politique.
Se trouvent chez A. Dugin des références qui sont familières à Nouvelle
Résistance, ainsi Aleister Crowley et le paganisme, mais A. Dugin en use
dans un sens nettement plus proche de celui du nazisme. Or, ce qui dif-
férencie la marge sectaire des groupes qui veulent faire du politique, c’est
bien le rassemblement de leaders aux conceptions divergentes, état présent
dans tous les partis politiques, et les néo-fascistes réels ont depuis long-
temps abandonné la thématique du Chef dont le logos fait la doxa (dans le
cas français, la question est au cœur des publications de M. Bardèche et D.
Venner en 1961 et 1962). C’est donc un pas considérable vers la maturité
politique qui s’est fait jour grâce à la structuration en réseau international.
Ensuite, l’expérience « rouge-brune » démontre que la même idéo-
logie peut être vendue «customisée» à gauche, comme Unité Radicale la
présente ensuite depuis la droite. Il s’avère toutefois que le système poli-
tique français est tel que, si la seconde formule a mené les media parlant
d’U.R. à l’amalgamer avec le néo-nazisme, la première formule n’a guère
donné autre chose que la thématique de l’infiltration de la gauche par des
néo-nazis camouflés. De plus, ces media n’ont pas prioritairement attaqué
Nouvelle Résistance, ce qui aurait pu lui permettre de se désigner comme
ennemi du système, mais ont choisi des cibles répertoriées et politique-
ment plus intéressantes à compromettre en tant que manipulatrices : F.N.
et G.R.E.C.E. Autant dire que, vis-à-vis de l’extérieur du mouvement, la
marge de manœuvre des N.R. apparaît considérablement faible. Vue de
l’intérieur, la situation apparaît comme simplement catastrophique pour
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 95

l’organisation. A force d’avoir les yeux rivés sur les expériences étrangères,
les N.R. ont mésestimé le caractère structurant du clivage droite-gauche en
France, où aucun mouvement « ni droite ni gauche » n’a jamais été un parti
de masse. Ils le payent lourdement.
Mais cet échec démontre également une chose essentielle : les mi-
litants politiques construisent leurs identité et positionnement selon le
discours et non selon le dogme, selon la propagande et non selon l’idéo-
logie. Le vocabulaire est effectivement l’oscillateur absolu. Que Nouvelle
Résistance et U.R. présentent deux fois la même idéologie sous des angles
propagandistes totalement différents, et ce sont deux clientèles militantes
avec des idées et préoccupations différentes qui se présentent. La théma-
tique « nazi-maoïste » est-elle originellement le fruit de la Stratégie de la
tension ? En partie, cependant cette oscillation totale, traduisant le désir
de Périphérie unie en lutte, finit par animer des pans de la mouvance. Que
la thématique anti-impérialiste ait été utilisée de manière instrumentale,
par exemple par Thiriart qui reste fondamentalement lui-même un impé-
rialiste, comment en douter ? Il est pourtant évident que les militants de
Nouvelle Résistance sont d’abord mus par cette perspective. Les slogans de
leurs aînés sont devenus leurs idées. Lorsque l’étiquette n’est pas une mo-
dernisation du nationalisme classique, le nationalisme-révolutionnaire est
plus révolutionnaire qu’il n’est nationaliste ou socialiste, car il se focalise
sur des problématiques ethno-culturelles qui le sortent de la dialectique de
la nation comme de celle de la classe, pour épouser une vision qui est « an-
ti-système » au sens où elle n’est pas compatible avec le paradigme libéral,
au sens historique du dernier terme ; en cela, il appartient fondamentale-
ment à une perspective révolutionnaire-conservatrice. En épousant cette
dynamique de révolte contre le monde moderne, l’oscillation s’arrête tou-
jours à droite, par définition.
Il en résulte d’abord que, si c’est culturellement que se situe la révolu-
tion et que politiquement nous sommes ici à droite, alors le nationalisme-
révolutionnaire vu de droite tel qu’à U.R. n’est pas une rupture par rapport
à Nouvelle Résistance, mais sa continuité dans un contexte normalisé. A
ce stade, le nationalisme-révolutionnaire comme national-bolchevisme et
oscillation « rouge-brune » qu’est censé défendre Nouvelle Résistance, et le
nationalisme-révolutionnaire raciste qu’est censée incarner U.R., s’échap-
pent de la dialectologie politique pour s’inscrire dans la même veine de
contestation de la démocratie de marché et de sa culture politique.
La somme de ces éléments est mise en lumière par la comparaison
entre le bilan ici dressé et la tentative « national-progressiste » de René
Binet. Pas plus que Nouvelle Résistance, le Mouvement Socialiste d’Unité
96 NICOLAS LEBOURG

Française ne parvient, malgré ses efforts, à se développer et à organiser


une frange gauche qu’il souhaitait attirer. Quoique le racisme soit dans
le M.S.U.F. prédominant, là où Nouvelle Résistance se positionne sur
l’ethnopluralisme, les points communs sont à l’évidence nombreux, tant
au niveau idéologique que tactique. S’observe que le jeu de la Périphérie
intéresse des extrémistes de droite partisans de l’Europe, anti-américains,
antisionistes, trois éléments qui ne sont jamais conjointement présents
chez les nationaux (et qui même, la plupart du temps, sont tous absents).
Il s’avère que ces trois thématiques regroupent chez les nationalistes, ce
qui est parfaitement logique de par les motivations de ces positions, les
éléments les plus partisans d’une action sociale et populaire et ses meilleurs
intellectuels – par définition capables de pensée dialectique.
Malgré tous leurs efforts propagandistes, et la sincérité qui peut plus
ou moins les motiver, leur appel à la Périphérie ne rencontre quelque écho
à gauche que chez des individus qui partagent le même triptyque théma-
tique et reste, sinon, lettre morte. La solution du problème « rouge-brun »
se trouve dès lors dans la réponse à cette question : avec qui Nouvelle
Résistance a-t-elle construit des relations ? Avec des nationalistes, des mili-
tants anglais, allemands, etc. européistes, anti-américains, et antisionistes.
Aucun groupe un tant soit peu classable à gauche n’est présent au F.E.L.
et ses diverses factions nationales ont, par la suite, accentuer leur position-
nement ethniciste. Sur le plan intérieur, Nouvelle Résistance a prioritaire-
ment recruté des néo-fascistes, et dans une bien moindre mesure, des par-
tisans d’une lutte des peuples anti-impérialiste qui les portent à « gauche »
mais qui néanmoins y considèrent le fait ethnique comme participant du
socialisme. Droite extrême « vécue dans un style de gauche extrême », « na-
turisme radical », ayant vis-à-vis de Mai fait « une acculturation à droite »,
le nationalisme-révolutionnaire qui revêt les habits de la Périphérie unie en
lutte ne cesse de renvoyer aux fondamentaux du fascisme, dans une forme
évidemment modernisée, et non d’un autre produit idéologique199.
C’est-à-dire, en définitive, que l’appel à la Périphérie ne correspond
nullement à une alliance « rouge-brune » ou « nazi-maoïste », qui serait
une alliance des extrêmes droites et gauches. Il s’agit toujours dans les faits
d’une alliance à l’intérieur de l’extrême droite des éléments radicaux qui re-
fusent le compromis nationaliste avec les nationaux, et élaborent un nou-
veau compromis nationaliste, un camp nationaliste, qui, effectivement,
regroupe les ailes droite (racistes de type völkisch) et gauche (pour une

199 J’emprunte ces formules à l’analyse du phénomène fasciste faite in P. Ory, 2003, p.287 ; elles
conviennent rigoureusement au cas présent.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 97

action sociale, laïque, reconnaissant en héritage une part de la Révolu-


tion française et philosophiquement anti-libérale) de cette zone que l’on
pourrait qualifier d’intransigeante, en raison de son opposition totale au
paradigme politique en vigueur. Sur le plan structurel, le combat de la
Périphérie contre le Centre, c’est le combat des nationalistes contre les
nationaux, l’union des révolutionnaires est celle des révolutionnaires na-
tionalistes de “gauche” (N.R.) et de “droite” (racialistes), mais à l’intérieur
de l’extrême droite.
La charge idéologique « rouge-brune » représente un mode de rassem-
blement des jeunes, des prolétaires, des déclassés, et des révolutionnaires
rabattus vers des questionnements de “droite”, tandis qu’elle procure aux
intellectuels un corpus révolutionnaire complexe et des réponses, au moins
au niveau langagier, à “gauche”. Si la tradition du nationalisme à la fran-
çaise est de joindre des valeurs sociales de gauche et des valeurs politiques
de droite, cette dynamique-ci lie tout ensemble valeurs sociales et de poli-
tique étrangère de “gauche” et valeurs culturelles et de politique intérieure
de “droite”. Elle est donc a) une modernisation de ce nationalisme, appli-
qué à un temps où le clivage politique passe plus par des notions de culture
politique que d’organisation socio-économique ; b) elle est historiquement
à lier au fascisme du premier XXe siècle, dont on peut considérer qu’il est
de l’ordre du « culturel d’abord »200.
Les commentaires de Révolution européenne pendant l’été 1991 dési-
gnent aussi en creux un autre usage de ce fait, puisque l’oscillation est cen-
sée nourrir en fin de compte le F.N. En étant proche du Front Européen de
Libération tout en s’inscrivant de manière anti-lepéniste dans le F.N. et en
travaillant à y structurer un courant, Nationalisme et République ne fait pas
autre chose. Et Unité Radicale n’a pas cherché autre chose vis-à-vis du parti
de B. Mégret, non plus que les G.N.R. à l’égard du F.N. Les impulsions
données à “gauche”, le positionnement N.R. et l’appel fait une fois ce stade
atteint à l’union des révolutionnaires, aboutissent toutes au compromis
nationaliste. L’une des versions du tract de fondation d’U.R. porte ainsi
l’appel à un pôle de « gauche nationaliste et/ou de droite révolutionnaire
au sein du mouvement national (…) l’Unité Radicale et Transversale de
tous les révolutionnaires au sein d’une seule et même organisation, qui aille
enfin au-delà de notre tribu ». Ce « et/ou » entre ces deux dénominations
dit tout, et il s’avère que la transversalité révolutionnaire déghettoïsante

200 Cf. S. Berstein, « Les Cultures politiques à la fin du XXe siècle », Les Cultures politiques en
France, Le Seuil, Paris, S. Berstein dir., 2003, pp.415-421 ; R. Griffin, « The Primacy of culture : the
current growth (or manufacture) of consensus within fascist studies », Journal of contemporary history,
vol. 37, n°1, 2002, p.43 ; M. Winock, 1995, pp.81-88.
98 NICOLAS LEBOURG

d’U.R. n’est pas la Périphérie, mais d’abord l’ouverture aux nationalistes


racistes 201.
Bien loin de témoigner d’un axe droite-gauche qui soit un fer à che-
val, d’extrêmes qui se rejoignent, les expériences « rouges-brunes », « na-
tional-bolcheviques », etc. démontrent la rigidité du clivage politique et
le fait que la mobilité de groupe s’y résume au mouvement, bien difficile
déjà, à l’intérieur de sa sphère d’origine. L’image de la sphère est d’ailleurs
bien connue de la Révolution Conservatrice : elle symbolise le temps, té-
moignant qu’un retour en arrière ne parvient jamais au même point. L’os-
cillation idéologique est donc, dans la réalité du fait politique à défaut
de celui de l’auto-représentation, le mouvement qu’impriment les N.R. à
cette sphère que Duprat nommait « l’opposition nationale », qu’A. Dugin
rebaptise en dernier lieu « l’opposition révolutionnaire », et résolument pas
à l’ensemble du champ politique.

201 Tract « Premier mai 1999. Nationalistes et nationaux-populistes pour une gauche nationaliste
et une droite révolutionnaire » signé « U.R.-G.U.D.-J.R.-U.C.R.-U.F.R. », soit trois sigles syno-
nymes, un fantôme et un fantaisiste.
Deuxième partie :
internationalisations

Il est des mythes qui sont devenus pour l’essentiel des masses des
évidences historiques et le pseudo-partage du monde à Yalta en est un cas
exemplaire – par agrégation avec la conférence de Moscou entre Churchill
et Staline, ou parce que se conter cette histoire peut être commode pour les
Européens en particulier, afin de ne pas affronter leur responsabilité dans
leur déclin géopolitique. Vu de la plus extrême droite, croire que le monde
a été partagé à Yalta donne corps à la fameuse alliance entre capitalisme et
socialisme dénoncée par le IIIe Reich et ses collaborateurs durant la guerre –
il s’agirait des deux mâchoires du complot juif, comme l’assènent aussi les
antisémites de la fin du XIXè siècle à nos jours. L’unification européenne
et l’alliance avec le monde arabe deviennent dès lors des thèmes d’autant
plus importants qu’ils permettent de passer du nationalisme impérialiste,
démonétisé idéologiquement, à un combat de libération nationale qui, lui,
est valorisé. Le « pacte de Yalta » et le duopole U.S.A.-U.R.S.S. prennent ici
intelligemment le rôle que tenaient le Traité de Versailles et la Société Des
Nations dans l’économie politique des fascismes de l’entre-deux-guerres.
Parallèlement, du thème de passe-passe propagandiste grand-allemand
et du déni du réel collaborationniste, le thème européiste a mué en praxis
et en « mémoires » exaltées de la geste de la Waffen S.S. Les nationalistes
entreprennent l’action européenne et peuvent désormais faire exploser les
cadres nationaux. Brasillach moquait déjà l’adulation maurrassienne de la
« France seule » et les nationalistes français portent désormais leur regard
sur la planète, imitent perpétuellement les Italiens, mais sont eux-mêmes
un modèle pour leurs camarades européens. Grâce à cette conception, la
très controversée formule du politologue israélien Zeev Sternhell, déclarant
100 NICOLAS LEBOURG

que le fascisme fut « la seule idéologie internationaliste authentique » avec


le communisme, prend corps dans le nationalisme-révolutionnaire : elle y
devient une réalité idéologique et, aspect fondamental pour qui a quelque
lien de pensée avec le fascisme, une réalité dans l’action militante.

6. Internationales fascistes

Le souhait d’une internationale européenne structurée, et non d’un


système lâche de prises de contacts, est apparu dès l’immédiate après-
guerre parmi les nationalistes. Il est en grande partie le fait des milieux
néo-nazis. L’un des premiers à exalter la construction d’une Internationale
européenne de libération est l’Etasunien Yockey, dans sa Proclamation of
London, déclaration-programme lors de la fondation de son European
Liberation Front (1949)1. Désireux de créer un mouvement révolutionnaire
européen contre l’U.R.S.S. et les U.S.A., conçus comme deux mâchoires
du capitalisme juif s’apprêtant à broyer l’Europe, Yockey prit en vain
contact en ce sens avec Binet et Bardèche2. Joseph Algazy souligne de
deux manières l’importance de la question. Tout d’abord, il rappelle
cette évidence : la fragmentation infinie du fascisme en groupuscules
dans l’après-guerre est conjointe d’une tendance à l’internationalisation.
Deuxièmement, il confirme que les Français poussent à ce phénomène.
A son étude on peut ajouter une troisième considération : la nécessité
de la pondération des estimations. En effet, J. Algazy insiste sur le Front
Noir International (1946 ; le « Front Noir » était l’intitulé de l’un des
groupes fondés par O. Strasser après sa scission du N.S.D.A.P.), qui
eût été à « l’échelle du continent », et eût joui de « moyens financiers
énormes et [d’] un réseau de relations ramifié ». Dans le même temps, il
précise combien l’organe clandestin français Le Drapeau noir présente des
concordances avec Le Combattant européen de Binet (riche en références au
Front Noir), et en déduit qu’il s’agit de la même équipe. Or, tout désigne
l’échec absolu des maigrelets groupuscules de Binet à la Libération, jusqu’à
la qualité d’impression extrêmement basse de ces journaux et l’absence

1 Un groupe terroriste allemand reprit ce nom du groupe paneuropéen de Yockey avant que ce
ne soit Nouvelle Résistance pour son internationale.
2 Yockey rejoint l’Union Movement de Mosley, puis fonde son E.L.F. et adhère peu après au
Sozialistiche Reichpartei, un parti néo-nazi, négationniste, mené par un ancien responsable du IIIe
Reich, et qui fut finalement interdit : cf. Benteli et Milza, La Liberté en question. Le Fascisme au
XXe siècle, Richelieu, Paris, 1973, p.340 ; C. Bouchet, « Yockey le précurseur », Revue d’histoire du
nationalisme-révolutionnaire, décembre 1988,s.p. ; F. Duprat, 1998 (1972), p.28.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 101

totale d’effet de ses consignes (Binet se retrouve d’ailleurs dans les diverses
internationales de ces années) … Cet échec exclut l’idée d’une puissante
“internationale noire” et l’on peut tenir pour acquis que ce F.N.I. a été une
internationale fantôme... comme beaucoup d’autres3.
Le monde étranger n’est plus un amas de barbares, mais une source
d’inspiration légitime où il faut développer des relations pour démontrer
que l’on existe – et offrant de surcroît des régimes-modèles moins sociale-
ment honnis que le IIIè Reich ou le Fascisme. Ainsi, si les influences idéo-
logiques qui sortent la Fédération des Etudiants Nationalistes de l’horizon
du nationalisme intégral sont si prégnantes, c’est aussi que ce groupe fut
le premier de l’extrême droite radicale d’après-guerre à mettre en place de
réelles relations internationales4. Cette ouverture s’intègre dans la volonté
de renouvellement des pratiques militantes nées de la guerre d’Algérie, où
diverses nationalités offrirent des « “poumons extérieurs” à la résistance
française ». Le manifeste fondateur d’Europe-Action estime que tous les
nationalistes d’Occident, tous les partisans de « la jeune Europe » doi-
vent s’entraider « autour d’un thème central très simple : lutte contre le
communisme et tous ceux qui le favorisent » grâce à un « organisme coor-
dinateur laissant à chacun sa liberté d’action [et qui] devra recueillir les
informations et les diffuser aux fins d’exploitation5 ». « Jeune Europe »
et « poumon extérieur » sont deux formules typiques du vocabulaire et de
la pensée de Thiriart : il s’agit donc bien de son influence mais avec une
reprise a minima du fond idéologique que recouvre cette forme. Très vite,
l’évolution d’Europe-Action l’entraîne vers sa position raciale et sa brochure

3 J. Algazy, La Tentation néo-fasciste en France 1944-1968, Fayard, Paris, 1984, pp.291-293. Le


Mouvement Populaire Européen dont Strasser est le président d’honneur après-guerre n’est ni néo-
nazi ni une internationale structurée. Son groupe français affilié est la Phalange française, rebaptisée
Mouvement Populaire Français après sa dissolution par l’Etat en 1958. En 1954, la délégation de
la Phalange française rendant visite au M.P.E. fut menée par Henri Roques, ancien membre des
Chantiers de jeunesse de Vichy qui devint le secrétaire-général adjoint du M.P.E. Henri Roques fut
aussi lié à L’Europe réelle du N.O.E. Il a été rendu célèbre par sa soutenance, à l’université de Nantes,
le 15 juin 1985, d’un mémoire négationniste, en des conditions non-conformes et avec un jury
composé d’universitaires membres de la Nouvelle droite : Jean-Pierre Allard (président de la section
française de Synergies européennes depuis 1998, antérieurement président du comité de soutien
lyonnais à J-M. Le Pen et collaborateur de la presse du G.R.E.C.E.), Jean-Claude Rivière (membre
du Rassemblement Européen de la Liberté lancé par Europe-Action, collaborateur de la presse du
G.R.E.C.E.), Pierre Zind (auteur aux éditions émanant du G.R.E.C.E.) Le seul universitaire nan-
tais a avoir apporté son soutien est André Delaporte, ancien membre de L’Elite européenne, journal
né de la dissolution d’Occident, de la direction du F.N. (alors proche de Duprat), et de Militant.
4 J-Y. Camus, « Nostalgia and political impotence : néo-nazi and extreme right movements in France
1944-1964 », The Devlopment of the radical right in France From Boulanger to le Pen, E. J. Arnold
dir., Macmillan press, Basingstoke, 2000, p.213.
5 Pour une critique positive, s.p.
102 NICOLAS LEBOURG

Qu’est ce que le nationalisme ?, lorsqu’elle reprend le paragraphe ci-dessus


cité, y apporte de considérables modifications : non seulement ces expres-
sions ne sont plus de mise mais, dorénavant, les nationalistes d’Occident
sont les « militants d’une nation blanche » dont le combat ne relève plus du
domaine de l’anti-communisme mais de la lutte des races6.
Cette transformation, outre, fait fondamental, qu’elle souligne que
dès ses plus lointaines origines la Nouvelle droite connaît des influences de
Thiriart, démontre que le refus d’Europe-Action de souscrire au projet de
Thiriart et Mosley de créer un parti nationaliste européen intégré, au nom
du refus d’une tutelle étrangère, n’est pas d’ordre conjoncturel. Tandis que
Thiriart évolue vers un pseudo national-communisme frénétiquement anti-
américain, Europe-Action de juin 1964 considère que les Etats-Unis sont
au même titre que la France ou l’Afrique du Sud de simples « provinces de
cette grande patrie qu’est la race blanche7 ». Bien loin de la traditionnelle
germanophobie maurrassienne, les contacts sont pris avec de nombreux
groupes d’outre-Rhin. A partir de 1965, la F.E.N. est liée à Junges Forum
qui va s’imprégner des thèses néo-droitières françaises (éthologie, défense
de l’ethnopluralisme, etc.) et les véhiculer dans l’ensemble des courants
nationalistes allemands8. Or, le G.R.E.C.E. a ensuite ré-ingurgité la
vision des N.R. allemands provenant de ces nationalistes, et, de là, il a
transmis nombre de ces idées et codes langagiers aux N.R. français ; le
trajet ne se fait donc pas dans le simplisme de la ligne droite mais avec des
cassures au sein d’un circuit qui a besoin de nationalistes étrangers pour
qu’une idée ou un mot circule entre deux groupes de nationalistes français
ayant pourtant la même racine, la F.E.N. et Jeune Nation.
Si les constructions d’Internationales sont l’un des revers les plus patents
de l’extrême droite d’après-guerre, c’est entre autres car l’encadrement lui-
même des structures nationales s’avère incapable de suivre l’impulsion qu’il
veut donner. En 1962, la déclaration de Venise établissait deux premières
étapes : la création d’un Bureau de liaison regroupant le Reichspartei,
le Mouvement d’Action Civique, l’Union Movement et le Movimiento
Sociale Italiano, et la transformation de leurs noms à tous dans leur langue
respective en une seule dénomination, soit en Français le Parti National-

6 Qu’est ce que le nationalisme ?, Europe-Action, mai 1963, p.51. Les souvenirs du neveu de Déat,
Luca, le dirigeant de la Phalange française, affirment que les nationalistes d’Europe se sont rendus
services en faisant des attentats les uns chez les autres afin d’embrouiller les pistes (C. Luca, La
Paume et le poing, s.e., 1988, pp.289-290 ; il stipule également que le représentant de la Phalange
au congrès du M.S.I. était un policier français assassin d’Arabes).
7 Cité dans P-A. Taguieff, « La Nouvelle droite à l’œil nu (1) », Droit et liberté, décembre 1979.
8 P. Moreau, 1994, p.172.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 103

Européen. Non seulement le bureau n’a pas vu le jour, mais aucun de ces
groupes n’a fait seulement l’effort de modifier son intitulé, y compris le
M.S.I. qui est pourtant de toutes les velléités d’organisation européiste
ou Thiriart qui a tant fulminé qu’il était le seul à être resté fidèle à ce
programme9.
Malgré le poids du M.S.I. et de Jeune Europe en Italie, un groupe
y a rejoint une autre tentative d’internationale, le Front de Libération de
l’Europe de l’Est lancé par les Français du Mouvement Jeune Révolution
avec le N.T.S. (1969)10. Ils forment, avec le renfort d’Europa Civiltà,
un Conseil central pour un solidarisme européen, puis à l’instigation de
ces derniers participent à un congrès « pour un Solidarisme mondial »
(1971), et publient tous ensemble un Bulletin of European Solidarists
(1972-1974)11. Cependant, le plus pertinent ici est la difficulté manifeste
à mettre en place une Internationale par-delà les barrières affectives liées
à l’absence d’une langue commune et à trouver un interlocuteur valable.
Effectivement, Europa Civiltà : a) est un mouvement activiste et évolien,
autrement dit sans guère de lien avec ce que le N.T.S. ou le M.J.R. placent,
eux, sous le mot « solidarisme » ; b) paraît avoir pour chef réel, par-delà
l’officiel, un journaliste belge francophone en poste à Rome12. Cette
tendance à produire des internationales de bric et de broc, souvent réduites
à des réseaux linguistiques ou regroupant des personnes n’ayant que peu

9 National Party of Europe Decisions by the conference, sur le site oswaldmosley.com.


10 Le M.J.R. est fondé en 1967 par des anciens de l’O.A.S.-Métro Jeunes très marqués par le
catholicisme social et la version résistancialiste de l’O.A.S. Le groupe gauchise son discours suite
à mai 1968 et à partir de là met sans cesse en avant le mot « solidarisme » ainsi que, à partir d’oc-
tobre 1969, ses liens avec le russe-blanc Narodno Trudovoï Soyouz qui, depuis les années 1930, se
dit « solidariste » pour recouvrir une phraséologie confuse empruntant au personnalisme aussi bien
qu’à Berdiaev, Bergson et Bourgeois, réclamant un régime national-autoritaire mais conservant les
conquêtes sociales de l’U.R.S.S – ce que Duprat lui-même considérait comme « une idéologie assez
sommaire, essentiellement anti-communiste, plus ou moins teintée de fascisme ». Le N.T.S. est doté
de représentants en France, il a, comme les membres du M.J.R., la fibre chrétienne développée,
et il s’est mis en contact avec divers groupes ouest-européens qui ont tous choisi en conséquence
d’adopter le qualificatif de « solidariste ». Devenu « solidariste », le M.J.R. adopte le nom d’A.S.-
M.J.R. (pour Action Solidariste ; 1970) puis celui de Mouvement Solidariste Français (1971), et
abandonne la dialectique eurafricaine pour un européisme anti-américain rejetant références et
projets fascistes – quoique le refus du Système couplé à l’antifascisme s’exprime de la part du M.J.R.
par la reprise du slogan de Doriot « ni droite, ni gauche : en avant ! » (cf. F. Backman, Le Mouvement
Jeune Révolution (1966-1971), de l’OAS au « Solidarisme » (genèse, transformation et postérité d’une
organisation politique « marginale »), mémoire de DEA d’Histoire, Sciences-Po Paris, 1993, pp.117-
132 ; F. Duprat, La Droite nationale en France de 1971 à 1975, L’Homme libre, Paris, 2002, p.129
; F. Solchaga (pseudonyme de Duprat), « Une Nouvelle Guépou : Le N.S.T. [sic], police secrète
soviétique », Défense de l’Occident, février 1968, pp.47-54).
11 E. Verhoeyen, L’Extrême-droite en Belgique (III), 26 mars 1976, pp.34-35.
12 Le Néo-fascisme en Italie, Fédération Internationale des Résistants, Vienne, 1971, pp.40-41.
104 NICOLAS LEBOURG

de points communs, est assez typique des internationales d’extrême droite.


Malgré une tentative avortée d’unification, en 1953, du N.O.E. et
du M.S.E. dans un Mouvement du Peuple Européen, qui aurait pris une
ligne idéologique médiane et modérée en désignant comme adversaires le
judaïsme, le communisme et la franc-maçonnerie, aucun des deux groupes
n’échappe à l’agonie lente des groupuscules. Per Engdahl fait sécession du
M.S.E. pour créer un néo-N.O.E. (1954) qui est à l’origine de la Young
European Legion. Avec l’appoint de l’ancien Waffen S.S. belge Jean-Robert
Debbaudt, de Stefano Delle Chiaie et de Nino Capotondi, du Portugais
Zarco Ferreira et de l’ex-Waffen S.S. allemand Jean Baumann, celle-
ci est fondée en avril 1958 à Milan, avec le but proclamé de constituer
l’organisation de jeunesse européenne unique13. L’identité des membres
fait se demander s’il s’agit d’une concurrence faite au N.O.E., le M.S.E.
n’étant déjà plus, ou plutôt d’une parallèle qui lui serait tracée quitte à
éventuellement le rejoindre. L’idée est en somme une reprise de celle qui
avait présidé aux réunions de 1950, dont l’objet avait d’abord été une
entreprise d’unification de la « jeunesse nationale d’Europe ». Les échecs
de cette union activiste ne peuvent être évoqués sans souligner qu’outre la
principale revue doctrinale française unifiant à la base les nationalistes, celle
de Bardèche, l’échec du M.S.E. mène aussi à la création par l’ancien Waffen
S.S. Arthur Ehrhardt de Nation Europa, revue ayant la même fonction en
R.F.A., avec l’aide financière d’Albertini, Bardèche, Mosley et de l’ancien

13 Engdahl a récupéré en Suède l’héritage du Parti Populaire National-Socialiste fondé en 1929.


Entré très jeune au M.S.I., S. Delle Chiaie fonde à Rome en 1959 son groupe d’étudiants activites
l’Avanguardia Nazionale. Dissoute en 1966, l’Avanguardia Nazionale est réactivée en 1970 et se
caractérise par sa violence, dirigée contre les étudiants communistes et « la police du système ». Sa
propagande n’hésite pas à être abrupte, puisque son logo est la rune de la victoire (Sig), l’ancien
symbole de la Hitlerjugend, ou qu’elle est capable de faire son slogan d’une phrase telle que « le
fusil est le second membre viril de l’homme ». Il est parmi les fondateurs d’Ordine Nuovo en 1956,
scission du M.S.I.menée par Pino Rauti. Ordine Nuovo réunit environ 10 000 militants sur un axe
nazi-fasciste (selon la terminologie italienne) très influencé par Evola. Selon la justice italienne,
S. Delle Chiaie serait l’un des responsables de l’attentat de la Piazza Fontana, point de départ de
la stratégie de la tension. Membre du N.O.E., il est lié aux barbouzes ex-O.A.S. oeuvrant pour les
services secrets portugais. Lors de la tentative de coup d’Etat du 7 décembre 1970 commise par
Borghese, il est à la tête du commando prenant le ministère de l’Intérieur italien. Trafiquant de
cocaïne, il est un collaborateur des services italiens et de la C.I.A., ainsi qu’un proche de Licio Gelli,
le Grand Maître de la Loge P.2. Après avoir travaillé à l’élimination d’opposants politiques exilés
pour le compte du général Pinochet, il s’installe en Bolivie où il dirige un escadron de la mort. On
le retrouve en Espagne dans l’histoire des para-étatiques groupes armés antinationalistes basques.
Arrêté par la police italienne en 1987, il est jugé et finalement acquitté « faute de preuves ». Il a
fondé un nouveau groupuscule en 1991 à Rome. Y. Bataille expose que c’est à cause de l’image très
trouble de Delle Chiaie qu’il a préféré rebaptiser Organisation Lutte du Peuple son groupe, d’abord
nommé Avant-Garde nationale.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 105

secrétaire d’Etat de Goebbels, Werner Naumann14.


Autrement dit, sans que nul ne théorise la chose, l’échec du parti,
comme celui de l’activisme, entraîne dès les années 1950 le passage d’un
certain nombre de cadres à ce que l’on nomma vingt ans plus tard la
métapolitique, le combat culturel. En ce qui concerne le N.O.E., il adopte
après la mort de Binet (1958) des positions souvent très proches de celles
ultérieures des N.R., mais il ne parvient pas à abandonner la référence
sentimentale au national-socialisme et le départ des infra-groupuscules
français partisans d’une ligne national-populaire suffit à le vider de
toute substance et de volonté modernisatrice. En effet, les partisans d’un
ancrage dans la tradition historique nazie représentent un problème pour
l’unification des forces nationalistes en même temps qu’ils s’avèrent
toujours friands d’organisations mondiales. Cela s’inscrit dans le cadre
de leur révolution idéologique, abandonnant les concepts de nation et
de supériorité allemande pour la promotion d’une suprématie de la race
blanche.
L’organisation qui représente le mieux ce que R. Griffin nomme
l’« Universal Nazism » est la World Union of National-Socialists (1962) fondée
en Angleterre mais se déplaçant ensuite aux U.S.A., comme le N.S.D.A.P.-
A.O., soi-disant parti nazi en exil ayant des “branches” en quelques lieux
et bénéficiant de cadres étrangers. En France, la W.U.N.S. a eu plusieurs
sections. Lorsque la police démantèle, en mai 1964, la Fédération Ouest-
Européenne de la W.U.N.S. fondée en septembre 1963, elle représente
une cinquantaine de personnes qui sont majoritairement des cas sociaux15.
Néanmoins, le discours tenu par le groupe « ethniste socialiste » de l’ex-
Waffen S.S. Yves Jeanne, à peu près autant lié d’ailleurs au N.O.E. qu’à la
W.U.N.S., lui vaut un discret encouragement de la part de Mabire dans les
colonnes de L’Esprit public – ce qui témoigne que les partisans de la ligne
Europe-Action sont parfaitement au courant des convergences entre leur
pensée « occidentale » ou « socialiste-européenne », alliant aussi les Blancs
des deux côtés de l’Atlantique, et celle du “nazisme universel”. Il est vrai
que Mabire considère que l’internationale nationaliste n’est pas à construire
mais à reconstruire, puisqu’elle est censée avoir déjà eu deux incarnations,
la Waffen S.S., dite trahie par le pangermanisme, et les maquis, dits trahis
par le panslavisme16.
Même si la dynamique d’une alliance néo-nazie américano-européenne

14 P. Moreau, 1994, pp.55-56 ; Camus et Monzat, 1992, p.367.


15 J. Delarue, Les Nazis sont parmi nous, Le Pavillon, Paris, 1968, p.54. LA F.O.E. est censée
couvrir les pays européens francophones et être subdivisée selon des critères ethno-culturels.
16 L’Esprit public, septembre 1963 ; idem, juillet-août 1964.
106 NICOLAS LEBOURG

ne s’est jamais remise de l’assassinat du second leader de la W.U.N.S.,


Lincoln Rockwell (également chef de l’American Nazi Party)17, le cadre
du “nazisme universel” permet des actions de propagande commune et des
prises de contacts par réseaux. Sans qu’il soit besoin d’une internationale
officielle, début 1983 « de nombreux tracts sont apparus (notamment
à Londres, Cologne, Berne, Madrid, Milan, Poitiers) s’appuyant sur les
mesures prises par le gouvernement nigérien pour réclamer le départ des
immigrés18 ». On est ici au-delà des simples rapports entre militants
et structures, hors de la question de la structuration, mais dans l’action
militante, ce qui en politique se nomme souvent l’essentiel.
A Jeune Europe, cette coordination de l’action est assurée par la
création de bureaux thématiques qui chapeautent l’action des « cellules »
(noyaux de six adhérents) : le premier s’occupe de la formation des cadres
et de la communication entre eux quel que soit leur lieu de vie ; le second a
en charge toute la structure administrative et la perception des cotisations
(1% du revenu minimum à partir du grade de « militant », le second dans
l’organisation) ; le troisième réalise la propagande, dont le journal et la
formation des bibliothèques de section ; le quatrième est responsable du
S.O. et du service social militant (il s’agit de trouver à un membre un
travail, un logement, un échange de résidences pour des vacances…) ; le
cinquième est préposé à l’information, de la veille de la presse jusqu’à la
récolte de données sur les adversaires et à a traque des policiers infiltrés dans
l’organisation ; le sixième est en charge des relations publiques. Toutefois
nombre d’Etats-Majors nationaux ne disposent pas de responsable pour
l’un des bureaux, témoignant ainsi de la perpétuelle difficulté à faire vivre
dans le réel un léninisme de droite19. L’ensemble ne se réfère qu’à l’échelle
continentale et dépasse ainsi les clivages linguistiques, nationaux, etc. S’y
ajoute une division géographique et c’est ici que le bât blesse, puisque
celle-ci correspond soit à l’échelon national, passe encore, soit à un
échelon régional, telle la Belgique divisée entre Wallonie et Flandres. Le
système de subdivisions ethno-culturelles entre « régions » et « groupes »

17 J. Kaplan, 2001, p.41. La W.U.N.S. n’a eu aucune influence en Europe, restant une secte
folklorique, mais elle a connu des succès en Amérique latine, en particulier en Argentine et au Chili.
Ces pays disposaient sans doute d’un double avantage : l’existence d’une tradition politique en ce
sens, leur non-participation à une politique exterminatrice extra-continentale.
18 Rapport de la commission « antisémitisme » du M.R.A.P., mars 1983 (archives du M.R.A.P.).
19 Direction Centrale des Renseignements Généraux « Le Mouvement «Jeune Europe» », Bulletin
mensuel confidentiel Documentation-Orientation, septembre 1965, p.10 (AN15584) ; Y. Sauveur,
s.d. (1978), pp.59-60. Si, à l’évidence, le modèle est celui des P.C., le cinquième bureau fait ré-
férence à l’intitulé de l’officine militaire française en charge de l’Action psychologique (à laquelle
collabora Duprat par ailleurs).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 107

peut être rapproché de celui de la W.U.N.S. et on pourrait y voir sans


invraisemblance un emprunt direct réalisé par un mouvement à l’idéologie
moins que jacobine à son origine.
Or, toutes les scissions de J.E. se sont faites en se légitimant, entre
autres, par le rejet de l’Europe jacobine de Thiriart, au bénéfice d’un
euro-régionalisme ethno-culturel. De même, les internationales nées par
scission de J.E., surtout Europafront, avaient de forts relents néo-nazis. En
somme, une impulsion qui émane de l’origine de J.E. rencontre celle du
“nazisme universel” et représente une fine ligne de friction et de fraction
entre néo-nazisme et nationalisme-révolutionnaire. Dans une organisation
dont sempiternellement le chef rappelle que la démocratie interne est une
hérésie et que sa “volonté commande”, pareille contradiction ne paraît pas
viable, et en tous cas ne le fut pas. Le problème n’est pas résolu quand est
édifié le P.C.N. Avec celui-ci, sur le plan de la constitution internationale,
les choses sont simples : le P.C.N. est le parti européen en devenir, prêt
à accueillir en son sein les partisans de la cause européenne de toutes
les nations. Les statuts déposés en préfecture montrent à quel point
l’organisme est centralisé, puisque l’association loi 1901 créée en France
y est définie comme, et seulement comme, représentante de la structure
belge et a, comme celle-ci, pour président Luc Michel. Toutes les instances
sont à l’échelle européenne, ce qui assure le centralisme national-européen
du mouvement. Aucune section nationale n’est reconnue : les militants
étant l’avant-garde de l’Europe unitaire, ils sont regroupés par réseaux
linguistiques. Ils le sont cependant par régions supposées ne correspondre
qu’à des critères administratifs : est là une tentative de contournement
du problème de l’opposition entre partisans de l’Europe-Nation et ceux
de l’Europe aux cent drapeaux. Néanmoins, discours et pratique diffèrent
en réalité. La meilleure démonstration en est offerte, à côté de régions
Wallonie ou Suisse romande, par la présence d’une région Bretagne-Pays
de la Loire qui renvoie ainsi à une revendication première de l’emsav :
la “réunification” de la Bretagne “historique”. C’est donc, en fait, un
prudent et délicat grand-écart qui est tenté afin de satisfaire les divers
types de militants. Cette entreprise entre toutefois en résonance puis en
concurrence avec le Front Européen de Libération, promu par Nouvelle
Résistance (1991).
Le F.E.L. regroupe Nouvelles droites et N.R. d’Europe et
l’internationalisation du terme « national-bolchevique » participe à
l’inflation taxinomique qui rend toujours plus délicate de procéder à
une césure opératoire entre les courants. La transformation de l’épithète
« nationaliste-révolutionnaire » au bénéfice de l’usage systématique
108 NICOLAS LEBOURG

de son sigle évacua jusqu’à l’idée de « nation » pour ne laisser qu’une


Weltanschauung. Le jeu des alliages arrive à un degré de sophistication
qui annule une grande part de l’intérêt du découpage en chapelles.
Outre son aspect médiatiquement porteur et la désignation d’une réelle
stratégie révolutionnaire dans la quête d’un « Piémont » ou d’un « poumon
extérieur », de tactiques communes tel l’entrisme dans les milieux verts, le
F.E.L. a aussi été un instrument de modernisation des nationalistes et l’une
des rares réussites en matière d’Internationale. Sa constitution avait été un
objectif prioritaire suite à la scission du groupe français Troisième Voie. La
mise en place a été beaucoup plus rapide que prévue, puisque le congrès
constitutif de Nouvelle Résistance évoquait dans ses objectifs à deux ans la
création d’un « Secrétariat Européen représentatif ». Nouvelle Résistance
précise que tous les groupes liés à T.V. ont opté pour elle 20.
Ce qui unit les diverses nationalités dans le F.E.L., ce sont aussi des
icônes organisationnelles : tous les cadres sont marqués par les exemples
de Jeune Europe, du Mouvement Populaire Européen de Strasser et du
F.E.L. de Yockey ainsi que « fascinés par l’exemple de la IVe Internationale-
Secrétariat Unifié21 ». Le F.E.L. a permis des échanges matériels et
idéologiques. Les Italiens, bénéficiant d’une imprimerie, impriment à prix
coûtant la presse des autres sections. Les thèmes de campagne propagandiste
sont testés dans tous les pays, avec l’appui critique que cela représente. Les
transferts de références se font et participent de la sorte à l’éternelle quête
N.R. de la rénovation-modernisation : les Italiens adoptent Georges Valois
et Gustave Hervé, les Espagnols découvrent Thiriart et les Français font
leur miel de Ledesma Ramos22. Le fait que la modernisation idéologique
rime avec des hommes du premier XXe siècle est un trait très N.R., de
même que l’on peut noter que Ledesma Ramos est une référence qui
apparaissait déjà souvent dans la presse « socialiste-européenne » française
et jusque dans le Jeune Nation solidariste des années 1970, et qu’il s’agit
donc d’une redécouverte ; de la même façon, si Thiriart avait été oublié
en France, il semble que ce soit la même chose en Espagne où son opus
magnum avait été traduit quelques décennies plus tôt. Le fait de mener un
réseau national-bolchevique et de se faire taxer de gauchisme par l’extrême
droite française ne cantonne pas Nouvelle Résistance à l’aile gauche du
fascisme dans ses relations internationales. Le second congrès se déroule
à Valenciennes et il est précisé aux militants que cette localisation leur

20 T.V. Circulaire SG-8, 4 septembre 1991 ; Nouvelle Résistance SG-9, 23 septembre 1991 (do-
cuments internes).
21 C. Bouchet dans C. Bouchet, Les Nouveaux nationalistes, Déterna, Paris, 2001, p.57.
22 C. Bouchet, entretien avec l’auteur, Château-Thébaud, 12 août 2002.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 109

permettra de « se rendre au rassemblement nationaliste de Diksmudes23 »,


bien connu pour être l’annuelle réunion européenne de l’extrême droite
radicale, tous les types de nationalistes y ayant leur place. Les réseaux et les
identités peuvent ainsi se croiser sans difficulté ressentie.
Cet ensemble dynamique connaît une crise avec la double rupture
entre Français et Belges. En 1992, R. Steuckers rompt ses liens avec le
G.R.E.C.E. Il met en place une nouvelle structure transnationale, Synergies
européennes, dont la première université d’été se déroule en juillet 1993.
Dans le même temps, se déroule la rupture entre le P.C.N. et le F.E.L. Le
F.E.L. exclue le P.C.N. en octobre 1993, en raison, explique-t-il, de la dérive
réactionnaire qu’il lui impute : contacts avec le Vlaams Blok et le Front
National belge et proposition de l’adoption d’une campagne islamophobe
autour du slogan « l’Europe ne sera pas une République islamique », alors
que le F.E.L. souhaite ardemment procéder à la jonction avec les groupes
musulmans radicaux. Synergies européennes et P.C.N. collaborent dès lors
ensemble, et il apparaît de surcroît que la césure est délicate à faire accepter
comme l’expose une note interne de Nouvelle Résistance :

Nous rappelons à tous nos cadres que Synergies européennes


est une organisation ennemie, dont les dirigeants ont montré à de
nombreuses reprises leur volonté de nous nuire. En conséquence,
il est interdit à tous d’avoir des contacts avec elle ou de participer à
ses activités. Au contraire, chacun doit s’employer à faire circuler des
bruits négatifs sur son compte “Steuckers a rendu public les pseudos
d’Alain de Benoist et renseigne l’extrême gauche. Syncir est lié au R.P.R.,
les dirigeants de S.E. ont des comportements contraires à l’honneur, etc.”.
Dans le même temps on pourra insister sur nos excellents rapports
avec le G.R.E.C.E.…24

Des militants du P.C.N. déposent en préfecture les statuts du F.E.L.


en 1993, puis en 1996 ceux de Nouvelle Résistance (les deux groupes
n’étant jusque là juridiquement que des associations de fait). Le P.C.N.
déclare ensuite la fusion de ces deux mouvements en son sein et la
constitution d’une nouvelle internationale, le Front Noir-Rouge-Vert.
Si Nouvelle Résistance perd jusqu’à son nom, la récupération du F.E.L.
s’est avérée une opération blanche, car les sections nationales de cette

23 L’Europe combattante, mai-juin 1995 (document interne).


24 L’Europe combattante, note d’orientation n°31 du Secrétariat Général du Mouvement Nouvelle
Résistance, mai-juin 1995 (document interne). L’alliance entre Synergies européennes et le P.C.N.
ne fit pas long feu.
110 NICOLAS LEBOURG

internationale ne l’ont pas reconnue. Quant au troisième congrès de l’ex-


Nouvelle Résistance, consécutif de la perte de son propre intitulé par
l’organisation, il confirme l’importance symbolique des liens : avant sa
tenue, le bulletin interne informe en effet ses abonnés que tous les groupes
du F.E.L. ont renouvelé leur confiance à l’équipe dirigeante de Nouvelle
Résistance, et il évoque la difficulté à gérer une internationale N.R.,
puisque le fruit du congrès est un changement de ligne à droite toute dont
la conclusion logique est tirée : il faut rompre avec les groupes étrangers
placés sur l’alignement à gauche25. Le F.E.L. se maintient donc tandis que
le changement de ligne, du national-bolchevisme de Nouvelle Résistance à
ce qui va bientôt se nommer Unité Radicale, est aussi adopté par les autres
groupes, démontrant un certain leadership idéologique français, même si
c’est le britannique Troy Southgate qui a récupéré le secrétariat général
du F.E.L.. La primauté de la communauté de références sur la cohérence
idéologique est attestée par le titre du journal européen que le F.E.L.
envisage un temps de produire, en quatre ou cinq langues, pour un total
d’un millier d’exemplaires : Jeune Europe26.
De plus, le F.E.L. fusionne, à la fin 1997, avec le Comité pour
une Ligue Nationaliste-Révolutionnaire installé en Angleterre, puis
entre en contact permanent avec le Comité de Liaison des Nationalistes-
Révolutionnaires, structure comprenant des mouvements sis aux U.S.A., au
Canada et en Nouvelle Zélande. Preuve s’il en est qu’un virage idéologique
sur l’aile ne pose guère de problèmes à l’essentiel des troupes : la réunion
du 19 septembre 1998, qui fonde ce qui est ainsi un nouveau F.E.L., se fait
dans le cadre de la fête des Bleu Blanc Rouge organisée par le Front National,
jusque là censée être l’ennemi juré27. Unité Radicale ne se passionne
pas pour la structure et lui préfère les contacts bipartites ; l’imitation
internationale perdure, quand bien même la situation nationale n’a aucun
rapport avec le modèle. Les Espagnols d’Alternativa Europa recopient
point par point, slogan par image, l’évolution de Nouvelle Résistance à
U.R. pour donner naissance au Movimiento Social Republicano28.
La dialectique national / Internationale fonctionne à plein sur un
autre plan. U.R. “nationalise” sa pratique comme son idéologie, mais elle

25 L’Europe combattante, octobre 1996 (document interne).


26 L’Europe combattante, été 1997 (document interne).
27 La Lettre du Réseau, novembre-décembre 1997 ; idem, novembre-décembre 1998 (documents
internes).
28 Cf., d’une part, la presse de Nouvelle Résistance et d’U.R., Lutte du peuple (1992-1996), Jeune
Résistance (1995-1998) et Résistance ! (1997-1998), et d’autre part la presse d’A.E., Tribuna de Eu-
ropa (1993-1998) et Alternativa Joven (1996-1998) : les transferts sont saisissants.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 111

tient dans Résistance ! une chronique « Nouvelles du F.E.L. » afin de bien


spécifier qu’elle n’est pas seule au monde. En 1999, T. Southgate publie
un manifeste du nouveau F.E.L. U.R. ne lui donne aucune publicité et
ne le traduit seulement pas, alors que le texte représente bien l’évolution
qu’elle-même connaît. Il est vrai qu’elle est ici inscrite en des termes
tombant directement sous le coup de la loi française, dans leur défense de
la race et leur attaque des sionistes, censés chercher à abâtardir la première
pour s’assurer le contrôle de la planète29. Ce discours de dénonciation du
complot juif mondial visant à détruire les ethnies blanches, ajouté à une
organisation qui recoupe dorénavant de facto l’idée de l’unité du monde
blanc plutôt que de l’Europe impériale, constitue clairement un symptôme
de l’affaiblissement des positions N.R. au bénéfice de visions raciales.
Celles-ci sont désormais au premier chef théorisées en France par G. Faye,
qui abandonne ses conceptions européistes au bénéfice de la promotion
d’un « Septentrion » qui n’est que le nouveau nom de « l’Occident »
d’Europe-Action, i.e. le monde blanc, qu’une autre dénomination relative
au « racisme nordique » de la Ligue Nordique30, et le pamphlétaire reprend
dans le même élan l’ancienne et sommaire opposition néo-droitière à
« l’Orient », dans une confusion, efficiente au niveau propagandiste, du
Sud, de l’Islam et des immigrés.
Le F.E.L. rejoint ainsi définitivement le schéma classique des
Internationales néo-fascistes. Premièrement, dans la pratique et dans la
stratégie, où il ne représente quasiment plus rien, connaissant le même
échec que ses prédécesseurs. Deuxièmement, doctrinalement, car il ne
saurait être un hasard que tous ces mouvements (M.S.E., N.O.E., J.E.,
W.U.N.S., nouveau F.E.L.) aient pour pierre angulaire doctrinale la
dénonciation d’une conspiration judéo-sioniste ; Les Protocoles des Sages de
Sion sont diffusés de l’Amérique du Sud au Japon, et ce thème constitue
clairement le plus petit dénominateur commun à des nationalismes de
toute la planète, donc le meilleur moyen de les fédérer. Le F.E.L. première
manière se voulait une IVe Internationale national-bolchevique, et avait
praxis et idéologie européistes, le nouveau tend nettement plus à se
rapprocher du “nazisme universel”. Le paradoxe est bien sûr l’évolution
prosioniste concomitante d’une grande part tant de la base que de

29 T. Southgate, Manifesto of the European Liberation Front, 1999, disponible en ligne.


30 Fondée en 1957 par Roger Pearson, également membre du comité de parrainage de Nouvelle
Ecole et qui fut président de la W.A.C.L., il est exclu de celle-ci en 1981. A. de Benoist en fut
membre ainsi que d’un pseudo-institut racialiste créée par le N.O.E. (cf. P-A. Taguieff, « La Stra-
tégie culturelle de la « Nouvelle Droite « en France (1968-1983) », Vous avez dit fascismes ?, dir. A.
Spire, Montalba, Paris, pp.129-130).
112 NICOLAS LEBOURG

l’encadrement nationalistes, mais il s’agit là aussi d’un retour à Europe-


Action qui voyait, comme les identitaristes après le onze septembre 2001,
Israël comme un avant-poste nationaliste de « l’Occident ».
Enfin, s’observe en ce jeu des Internationales que le F.E.L. perd attrait
publicitaire et originalité idéologique lorsqu’il accepte le positionnement
au sein des familles d’extrême droite en lieu et place de son prime appel
à l’union de la Périphérie, des rouges et des bruns. Or, pendant ce temps,
l’Internationale en-soi qu’a choisi d’être le P.C.N. a opté pour un système
de tendances censées représenter cette union faite. Il abandonne du même
coup sa posture anti-immigrés et islamophobe, et son antisionisme ne
contient pas de dénonciation du complot judéo-sioniste. Quoiqu’elle
soit une “déN.R.isation” sa stratégie le situe dans une posture qui ne le
fait pas participer au glissement généralisé vers les positions de l’extrême
droite raciste. La comparaison des cas laisse ainsi à penser que, pour être
une poétique de la politique au sein de son champ, l’appel à la Périphérie
s’avère, au tournant entre les deux siècles, la seule façon de ne pas céder
le pas face à la pression idéologique raciste. Il se paye néanmoins par
la marginalisation quantitative, tant l’espace militant ne souhaite pas
entendre ce discours. Ici, les convulsions à l’échelle de l’Internationale sont
donc l’un des meilleurs moyens de comprendre l’évolution trouble du fait
national et témoignent parfaitement de l’extrême plasticité structurelle
et idéologique des nationalismes par-delà leur répétition de références.
Dès lors, ses commentaires, rapportés tout ensemble, expliquent la quasi-
impossibilité de bâtir une Internationale néo-fasciste et l’absurdité qu’il
peut exister à vouloir appliquer une analyse taxinomique à un champ aussi
fluide dans ses attitudes.
Pour se donner un sentiment de prise sur le réel, les marges politiques
tendent néanmoins toujours à multiplier les agitations internationales. La
tactique n’est pas sans intérêt puisque, en 2001, suite à une réunion du
M.S.R. et d’U.R. à Perpignan, les deux formations éditent conjointement
un autocollant catalaniste antisioniste anti-impérialiste qui proclame
« ISRAEL ESTAT ASSASSI PALESTINA PER ALS PALESTINS
D’EUROPA A GAZA INTIFADA 31 ». L’intérêt idéologique et militant est
net : les militants vivent par là même dans leur communauté d’action leur
utopie géopolitique : la coopération entre Catalans français et espagnols
préfigure la future région mono-ethnique qu’ils appellent de leurs vœux –
l’utopie précédant ici clairement la pratique. Les transferts sont toutefois
de première importance et les militants nationalistes politiquement formés

31 Site du M.S.R. et autocollant collecté à Perpignan, 2001.


LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 113

citent aujourd’hui en sources doctrinales des auteurs de toute l’Europe,


signifiant ainsi l’émergence d’une subculture à l’échelle européenne. La
quête des nationalismes étant la production d’une Weltanschauung autant
qu’une aspiration à l’action politique, on peut sans atermoiement conclure
que, du point de vue N.R., l’opération est un succès. La contre-partie
manifeste en est la tendance à préférer la première option à la seconde, si
bien que la Weltanschauung de commune devient communautaire.
Le schéma qui émerge va donc dans le sens de l’analyse de la triple
transformation du néo-fascisme : internationalisation, métapolitisation,
structuration en rhizome32. Cependant, ces rhizomes nationalistes ne
sont pas que structurels, mais d’abord culturels, produisant un amalgame
de références à l’origine disparates. Ils renvoient à une sociologie des
mouvements : a) le comportement révèle un nomadisme en matière
d’organisations, de capital humain, comme d’idées ; b) le manque
critique, en toutes les nations, de cadres capables tend à donner une
importance extrême à leur “mise en commun” et à leurs interconnexions ;
c) l’internationalisation est celle de la doxa comme des praxis, c’est-à-
dire que tout ce qui est normalement considéré comme constituant
les schèmes du politique ne devient plus que signes échangeables :
dénomination doctrinale, logotypes, slogans sont disponibles sur un
marché politique qui réalise l’utopie d’une offre mondiale libre de
l’information et de la communication. Dès lors, l’échec sempiternel de
constitution d’Internationales se place sous un tout autre angle, car si le
modèle de l’Internationale put être politiquement pertinent durant l’ère
industrielle (cf. l’usage qu’en fit Staline), son efficacité hors de celle-ci est
moins que démontrée. Les réseaux relationnels de transferts de signes,
méthodes, vocabulaire, idées, ont trouvé une toute autre efficacité dans
les trois dernières décennies du siècle33. Conformément à cet espace-
temps qui est le leur, les N.R. s’avèrent tout à la fois être un symptôme
extrêmement éclairant de l’évolution globale et être, tous comptes faits,
quant à cette problématique, remarquablement adaptés à la période et à sa
post-modernité.

32 Cf. R. Griffin, « From slime mould to rhizome : an introduction to the groupuscular right », Patterns
of Prejudice, mars 2003, pp.27-50.
33 Cf. par exemple l’analyse de l’histoire des réseaux de think tanks néo-libéraux dans K. Dixon, Les
Evangélistes du marché, Raisons d’Agir, Paris, 1998.
114 NICOLAS LEBOURG

7. Le mythe de Yalta

En Allemagne, après la Première guerre mondiale, Moeller van den


Bruck publie Le Droit des peuples jeunes, livre fondateur de la Révolution
Conservatrice. Moeller, et à sa suite toute la R.C., y reprend un concept de
Herder : il existerait des nations juvéniles, dont l’Allemagne et la Russie,
et face à elle un Occident décadent et matérialiste (idée courante dans le
mouvement romantique). Il y considère que la nation allemande est toute
entière un prolétariat et qu’elle doit donc mener la lutte de classe contre les
nations bourgeoises. La finesse de ce discours nourrit les stratégies du parti
nazi – ce dernier fustige ce qu’il nomme « l’impérialisme » de la France
durant la paix, puis celui de la Grande-Bretagne et des U.S.A. durant
la guerre ; en Afrique du nord c’est en arabe que les radios allemandes
promettent leur libération aux peuples colonisés par la France, une fois la
guerre finie.
Les conceptions de l’impérialisme nationaliste, de l’universalité
de Rome, et de la lutte des nations prolétaires, se voient complétés par
l’immense succès dans les élites européennes de l’ouvrage de l’Allemand
Oswald Spengler, Le Déclin de l’Occident (1918-1922), un texte qui fait
la jonction entre le Kulturpessimismus et la Révolution Conservatrice.
Le diagnostic de Spengler est que l’Occident, i.e. dans sa conception
l’Europe, vit une crise de civilisation ; le remède en serait la prussianisation
de l’Allemagne, qui devrait ensuite mener une politique impérialiste lui
permettant de mettre fin à l’ère libérale et de prendre la tête de l’Occident :
l’impérialisme d’une nation devient ainsi un moyen de régénération
culturelle de tout le continent. Tandis que pour de nombreux cadres du
N.S.D.A.P., l’influence de l’œuvre de Spengler aboutissait à considérer que
la régénération de l’Allemagne impliquait obligatoirement une régénération
continentale, les N.R. considèrent que leur révolution nationaliste sera le
prélude à la libération spirituelle et culturelle de l’Europe.
Pour les néo-fascistes post-1945 c’est l’incapacité d’Hitler à assumer
dans les faits le discours européiste qui explique la ruine de l’Axe. Le discours
anti-Yalta, contre ce qui est estimé être la complicité d’une U.R.S.S. et
d’U.S.A. qui se seraient partagé le monde et coloniseraient chacun la
moitié de l’Europe, ne naît pourtant pas d’une perpétuation du discours
nazi, ni d’une immédiate imitation des nationalismes-révolutionnaires
du Tiers-Monde. Dans la France de 1948, plus de la moitié des sondés
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 115

craignent que la Troisième Guerre mondiale soit imminente34. Le


débat politique de la guerre froide devient largement un jeu de renvois
des mêmes icônes, ceux qui sont traités de valets de Moscou qualifiant
de laquais de Washington leurs vis-à-vis, tous agitant une panoplie
commune de signes propagandistes (liberté, Résistance, nation d’un côté
contre totalitarisme, Collaboration, impérialisme de l’autre). L’extrême
droite, dans ce canevas, se range globalement avec fougue dans le camp
atlantiste (Occident, Ordre Nouveau, entre autres). La particularité des
N.R. est de se construire en récusant ce choix, affirmant qu’il n’est qu’un
leurre construit contre l’Europe35. L’atlantisme, conséquence logique de
l’obsession anti-soviétique, vient en effet butter contre une constatation :
U.S.A. et U.R.S.S. soutiennent le processus de décolonisation. C’est à ce
stade qu’intervient le facteur des ex-collaborationnistes qui disposent d’une
vision du monde apte à donner sa cohérence à l’idée d’une union secrète
contre l’Europe – un discours fortifié par l’analyse de la convergence socio-
économique entre les deux systèmes, puis, en France, par l’unité d’action
perçue entre staliniens et gaullistes36.
Dès les années 1950, les néo-nazis développent conjointement
l’idée d’un apartheid mondial et, aux U.S.A., que leur propre Etat est un
« Zionist Occupation Government » (Z.O.G.)37. Le Germain n’a plus de
rôle spécifique et l’aryanisme se limite à clamer la suprématie d’une race
blanche dans laquelle sont ainsi incorporables les Slaves – est donc close
la question de l’impérialisme entre Blancs. L’antisionisme de l’U.R.S.S. les
mène à considérer qu’elle serait, après le IIIe Reich, la dernière figure de

34 Cité dans M. Dogan, « Le Nationalisme en Europe : déclin à l’Ouest, résurgence à l’Est »,


E. Philippart dir., Nations et frontières dans la nouvelle Europe, Complexe, Bruxelles, 1993, p.145.
35 Cela ne s’est pas fait sans heurts et la France a connu un cas de nationalisme-révolutionnaire
extrêmement singulier en la question à cause du rôle joué par Duprat, inventeur du nationalisme-
révolutionnaire atlantiste.
36 C’est là largement le sujet d’O. Mosley, La Nation Europe, Nouvelles Editions Latines, Paris,
1962. Ces thèmes dépassent amplement les seules questions de la transmission des schèmes idéolo-
giques du nazisme dans le milieu nationaliste ainsi que le cadre spatial français. Ainsi, en littérature,
l’écrivain américain Philip. K. Dick, un des papes de la contre-culture quoique indicateur mytho-
mane du F.B.I., a témoigné mieux que tout discours sociologique de la lecture conspirationniste
qui pouvait être faite de la Guerre froide (voir en particulier son opus magnum, SIVA, 1981, sur le
thème de l’Empire-Janus englobant secrètement U.R.S.S. et U.S.A., et Le Maître du Haut-Château,
1962, sur le sentiment d’absurdité métaphysique provoqué par une guerre mondiale accouchant
d’une guerre froide).
37 Le terme a été adopté par les néo-nazis du monde entier durant la décennie 1990. Le tract de
fondation d’Unité Radicale, distribué au cours du défilé Jeanne d’Arc 1998, proclame la nécessité
d’unir toutes les tendances nationalistes au nom du combat commun contre l’ennemi, seule sa
désignation variant selon le texte entre les nationalistes : Z.O.G., Big Brother, le Système ou le
mondialisme.
116 NICOLAS LEBOURG

Sparte38. L’américain F-P. Yockey transforme le slogan nazi « Allemagne


réveille-toi ! » en « Europe awake ! », slogan repris par tous les groupes
néo-fascistes et néo-nazis en Europe. Le N.O.E. défend ce qu’il nomme
le « néo-racisme ». Il soutient l’indépendance des colonies au bénéfice
d’Empires raciaux homogènes car continentaux.
L’anticolonialisme n’est donc, à ce stade, en rien une hétérophilie
mais la conséquence d’une autophilie organiciste. La confusion d’analyse
en la matière est la règle et il faut enfin saisir que lorsque les néo-fascistes
allemands ou étasuniens, ou les néo-nazis occidentaux, choisissent de ne
pas soutenir l’Algérie française, cela paraît certes idéologiquement avancé
de leur part, mais qu’ils suivent ainsi le point de vue des gouvernements
allemand et étasunien ; idem pour le thème européiste ou eurasiste où
les néo-fascistes ne font que radicaliser des positions existantes dans
l’espace public et dans l’establishment. Ainsi constitué, l’anticolonialisme
nationaliste peut entrer en résonance avec la populaire et mythique version
du sommet de Yalta.
Vaincue par l’alliance de deux « impérialismes » en 1945, affirme
le premier manifeste de Jeune Europe, les nations européennes firent
immédiatement face à « une arme impérialiste : la décolonisation » –
dernier terme censé recouvrir la guerre du système de Yalta contre l’Europe,
dépossédant celle-ci de ses richesses aux bénéfices du « capitalisme d’Etat
soviétique » et de Wall Street. Thiriart édifie ainsi un révisionnisme
géopolitique sur les bases d’un révisionnisme historique conspirationniste,
qui fait se répondre 1939 et 1962 et doit mobiliser les Européens
contre le monstre bicéphale soviéto-américain39. La perspective est ici
encore très marquée par le racialisme : si le système de Yalta est dirigé
contre l’Europe ce serait car celle-ci est le seul continent a jouir d’une
« population exclusivement blanche [qui] est la plus intelligente et la plus
industrieuse du monde40 ». « Race supérieure biologiquement », la « race »
européenne est ainsi décrétée au nom de deux motifs : a) la supériorité

38 R. Griffin, « Caught in its own net : Post-war fascism outside Europe », Fascism outside Europe,
S. Larsen dir., Columbia University Press, Columbia, 1997, pp.46-68 ; J. Kaplan, 2001, pp.41-67.
En France, le Parti Prolétarien National-Socialiste soutient lui « la révolution algérienne », le pan-
arabisme, et l’U.R.S.S. « russo-aryenne » afin que l’Europe des ethnies finisse par aboutir à un « Etat
mondial aryen » alors que « catholicism = latinicism = democracy = capitalism = jews = marxism =
chineses = niggers » (Le Viking, janvier 1964).
39 « La guerre civile européenne de 1939-1945 a été mise à profit par les étrangers pour réduire
l’Europe toute entière à leur merci et s’emparer sans coup férir de tous ses empires d’outre-mer. (…)
En fait, l’accord de Yalta inaugurait une nouvelle guerre et cette guerre-là, dirigée contre l’Europe toute
entière, s’est terminée en 1962, par la perte de l’Algérie » (J.Thiriart, 1965, s.p).
40 Cf. La Révolution nationale-européenne, s.d. (1963).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 117

de son génotype, ce qui implique que « les blancs d’Europe » doivent ne


pas haïr les autres races, moins chanceuses, mais les guider ; b) l’idée que
la race européenne serait toute entière le Kulturvolk. De là découle une
hiérarchie des peuples établie à cheval entre Spengler et le racialisme de Le
Bon. L’Européen est tout en haut, créature prométhéenne seule porteuse
de culture. L’Etasunien et le Russe, aux phénotypes divergents, viennent
ensuite car ils sont les « rameaux stériles » de la race. Ils jouissent d’une unité
de civilisation avec l’Europe, mais ils ont produit une culture collectiviste
débilitante qui s’exprime différemment chez chacun d’eux mais qui leur est
commune et qui, bien sûr, n’est pas une culture au sens spenglérien. Vient
ensuite l’Asiatique, producteur de civilisation mais incapable de culture,
capable de technicité mais dénué de capacité créatrice. Le bas de l’échelle
est occupé par le Noir, dénué de civilisation comme de culture et plus
proche de l’animalité qu’il n’est de l’Européen. Ce schéma expliquerait
que le partage des empires coloniaux et de l’Europe que se sont effectués
U.R.S.S. et U.S.A. soit instable et destiné à cesser dès que l’Europe aura
retrouvé sa volonté de puissance41.
Si Thiriart purge par la suite ses écrits de ces dimensions racialistes, il
n’en est pas moins, par son analyse, celui qui va mener les N.R. à s’enticher
du slogan « l’Europe aux Européens », censé être le cri de guerre qu’exige la
réplique au « pacte de Yalta » et une réponse à la doctrine Monroe42. Pour
les N.R., c’est un slogan qui, manifestement, a valeur de démonstration
de leur rupture avec l’extrême droite, faisant d’eux un nationalisme de
libération progressiste engagé dans un au-delà du nationalisme. La doctrine
Monroe avait depuis longtemps suscité l’idée d’une riposte européiste43.
Cependant, l’expression elle-même du slogan paraît se trouver d’abord
chez des auteurs qu’il paraîtrait concevable que Thiriart ait lu dans sa
jeunesse. L’Europe aux Européens, est en effet l’intitulé de l’ouvrage que
publie le Belge Pierre Daye en 1942 : la formule est utilisée pour légitimer

41 J. Thiriart, 1964, pp.20- 23 et pp.145-165.


42 Le président américain James Monroe exposait en décembre 1823 le refus définitif de son pays
de voir l’Europe jouer un rôle politique dans les deux Amériques, ce que l’on traduit classiquement
par la formule « l’Amérique aux Américains ». La Doctrine Monroe a souvent concilié impérialisme
et messianisme démocratique, par amalgame avec la Destinée manifeste dès les années 1850-1860.
En 1904 le président Théodore Roosevelt précise que « la doctrine de Monroe (…) peut conduire
les Etats-Unis à exercer un pouvoir de police internationale », légitimant et précisant ainsi sa dé-
finition de la politique étrangère : « Parlez doucement et portez un gros bâton : vous irez loin ».
« Doctrine Monroe » et « gros bâton » sont restés des thèmes centraux de la réflexion en matière de
politique internationale aux U.S.A.
43 P. Roger, L’Ennemi américain. Généalogie de l’antiaméricanisme français, Le Seuil, Paris, 2002,
pp.376-377. L’appel à une doctrine Monroe européenne est fait par O. Mosley, 1962, p.13.
118 NICOLAS LEBOURG

le Nouvel ordre européen organisé par le IIIe Reich, et est alors censée viser
le couple soviéto-britannique. Ancien briandiste, eurafricaniste, passé au
rexisme, Daye est un eurofédéraliste qui voit l’union internationale des
Travailleurs naître de la guerre menée par le IIIe Reich44. Contre le Moloch
judéo-américano-bolchevique, le slogan et l’idée sont repris par Hitler
quelques jours avant son suicide. Dans ses notes dictées à Bormann lors de
l’écroulement du Reich, il affirme en effet :

Nous devrions imposer à l’Europe une doctrine de Monroe


applicable à l’Europe : «L’Europe aux Européens !». [Les Russes] sous
la contrainte des évènements, peuvent se dégager complètement du
marxisme juif pour ne plus incarner, dans son expression la plus féroce
et la plus sauvage, que l’éternel panslavisme. Quant aux Américains,
s’ils ne parviennent pas à secouer rapidement le joug des juifs new-
yorkais (…) et bien ils ne tarderont pas à sombrer – avant même
d’avoir atteint l’âge de raison45 .

François Genoud a fait éditer ces notes en 1959 et il est probable que
l’ex-membre de l’Association des Amis du Grand Reich Allemand qu’est
Thiriart ait eu la curiosité de les lire. Le slogan n’est pas repris d’abord dans
la zone francophone mais, ce qui accrédite l’hypothèse de la référence, par
le néo-nazi allemand Parti National-Démocrate (N.P.D.), qui proclame
dans son manifeste de 1965 : « L’ALLEMAGNE aux ALLEMANDS,
L’EUROPE aux EUROPEENS46 ». Les adeptes d’une Europe völkisch y
trouvent un de leurs marqueurs d’orientation à «gauche» : « l’Europe aux
Européens. L’entreprise à ses travailleurs47 », cela a un signifiant fasciste
mais un signifié d’oscillation idéologique. Le N.P.D. lui-même ne paraît pas
avoir agi à l’aveugle, puisque cette date est pour lui celle d’une affirmation

44 P. Daye, L’Europe aux Européens, Nouvelle Société d’Editions, Bruxelles, 1942, p.163.
45 A. Hitler dans Le Testament politique de Hitler Notes recueillies par Martin Bormann, Fayard,
Paris, 1959, p.74 et pp.146-148. La doctrine Monroe européenne ici affichée reste lourde d’ambi-
guïté, puisque l’on peine à ne pas songer que Haushofer avait conceptualisé pour le IIIe Reich une
« doctrine de Monroe allemande » et que Hitler déclara antérieurement que « l’Allemagne ne sera
véritablement l’Allemagne que lorsqu’elle sera l’Europe. Tant que nous ne dominerons pas l’Europe,
nous ne ferons que végéter. L’Allemagne, c’est l’Europe » (Berstein et Milza, Dictionnaire historique
des fascismes et du nazisme, Complexe, Bruxelles, 1992, p.253). Cependant, le romantisme des
lecteurs nationalistes les mène sans doute à ne pas tenir compte de cette ambiguïté foncière, ou à
en faire litière pour cause de rénovation idéologique. Par rapport aux nazis comme par rapport à
Thiriart et aux N.R., on ne saurait mésestimer le rôle de Carl Schmitt voyant dans une doctrine
Monroe européenne le moyen de dépasser la crise de l’Etat-Nation.
46 Cité in R. Solliers, « Que devient l’Allemagne aujourd’hui ? Naissance et développement de la
N.P.D. (1964-1967) », Revue d’Histoire du fascisme, septembre 1974, p.183.
47 Réalités socialistes européennes, 21 mai-21 juin 1969.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 119

idéologique de fidélité nationale-socialiste affublée d’un programme


conservateur et populiste destiné à fédérer les mécontentements48.
Probablement, le N.P.D. a-t-il contribué à diffuser le mot d’ordre auprès
de nationalistes qui, non hitlériens, pouvaient s’intéresser aux méthodes de
réactivation d’un parti nationaliste. Néanmoins, sa formulation témoigne
qu’il ne s’agit pas que d’une réponse en matière de politique internationale :
il use tout autant de celle-ci pour exprimer sa conception raciste. Le slogan
va ainsi conserver une forte ambiguïté. Hormis peut-être une poignée de
cadres, il est manifeste que son usage se fait en France sans aucune référence
à Hitler, les N.R. en usant comme un élément du corpus propagandiste
de leur mouvance. Mais quand bien même il est utilisé sans doute par des
militants qui le considèrent sincèrement comme un signe de leur caractère
progressiste, il tend à revenir malgré eux à son origine.
Les jeunes nationalistes allemands ont évolué à la fin des années
1960 en optant pour une formulation modernisée de leur doxa. Le point
de basculement est à n’en pas douter la campagne « Résistance » qui est
lancée par le N.P.D. à la fin 1969. Elle englobe l’essentiel des structures
nationalistes si bien qu’un an plus tard est fondé un front commun,
l’Action Résistance (Aktion Widerstand) qui regroupe 25 000 militants.
Si le nom est une référence limpide à Niekisch, von Thadden a théorisé
l’action en décembre 1969 dans un document intitulé « La Révolution
conservatrice ». Il y affirme la nécessité d’un soulèvement pour conserver
les schèmes éthiques et biologiques du peuple allemand, ce qui passe
tant par la structuration de mouvements de cadres que par la violence
révolutionnaire – c’est dans ce contexte que des éléments du N.P.D.
fondent le groupe terroriste Front de Libération Européen49. Les plus

48 P. Moreau, 1994, pp.91-94.


49 Cet intitulé paraît fort être une référence à Yockey. Or, ce dernier ne conspue pas Yalta sous la
forme classique de deux super-puissances se partageant le monde, mais en tant que fruit du complot
judéo-sioniste mondial. Cette thématique du « sionisme » contrôlant U.R.S.S. et U.S.A. alors que
la Guerre froide fait rage trouve ainsi sa formulation la plus psychodysleptique chez l’écrivain amé-
ricain qui, confronté aux contradictions de son analyse, en trouve la solution en ces mots : « c’est
une énigme psychologique qui ne peut s’expliquer que d’une façon : les sionistes ont deux cerveaux
qui fonctionnent séparément. Comme sionistes, ils recherchent la destruction de la Civilisation
Occidentale, et de ce fait sympathisent avec la Russie, la Chine, le Japon, les Arabes, et frappent
d’anathème l’Allemagne qui est le cerveau et le cœur de la Civilisation Occidentale. Comme gar-
diens des Etats-Unis, ils doivent bon gré mal gré maintenir la domination technique et politique de
cette civilisation, tout en détruisant en même temps son âme et son sens. En un mot, ils travaillent
simultanément pour et contre la civilisation occidentale » (F-P. Yockey, Le Monde en flamme, s.d,
s.p). Quand le traducteur français de Yockey écrit que la « politique de la ploutocratie mondiale, au
travers de Carter et de la Trilatérale, est de permettre à l’U.R.S.S. d’arriver à parité avec le «monde
libre» » (dans Jeune Nation solidariste, 31 août 1978) il est loisible de s’interroger sur l’impact de la
loi Pleven quant à la formulation modernisée et rationalisée des discours racistes délirants.
120 NICOLAS LEBOURG

ardents partisans de l’Aktion Widerstand scissionnent en 1972 du N.P.D.


pour fonder le mouvement qui se dit « solidariste » de l’Aktion Neue Rechte
(Action Nouvelle Droite), qui donne ensuite naissance à la nazi-maoïste
N.A.R.O. Le bouillonnement N.R. du nationalisme allemand ne se limite
toutefois pas à la périphérie du N.P.D. puisque le mouvement de jeunesse
de celui-ci déclare en 1973 que le nationalisme s’oppose aux impérialismes
des capitalismes américains et soviétiques. Il assimile pleinement U.S.A.
et U.R.S.S., censés constituer un système d’écrasement des peuples face
auquel il faut mener une lutte de « libération nationale » et soutenir « dans
un cadre international et ethnopluraliste » les combats des Africains,
des Asiatiques, des Basques, des Bretons, des Flamands, etc50. Le travail
éristique est remarquable mais dans ce qui constitue une modernisation
de la Révolution Conservatrice (i.e. de ce qui était déjà une modernisation
du nationalisme allemand) se trouve à l’évidence un penchant vers l’aile
völkisch de celle-ci.
L’Organisation Lutte du Peuple importe ces avancées idéologico-
lexicales en France. A cette date, les nationalistes français considèrent
généralement comme une évidence que, s’il existe une convergence russo-
étasunienne, le camp américain est toutefois plus proche de l’Europe, et
que l’entente présente n’est qu’un répit dans l’affrontement mondial à venir
entre deux impérialismes qui visent à remodeler le monde à leur image.
Une note de l’O.L.P., destinée à présenter l’organisation aux sympathisants,
synthétise bien des thèmes sous l’angle donnée par Yalta, tout en balayant
nombre d’autres grâce à cette nouvelle construction :
Face à la collusion P.C. – U.D.R. au plan national, et U.S.A. –
U.R.S.S. au plan européen, les militants n.r. n’ont pas à hésiter une
seconde à s’affirmer comme les représentants d’un légitime mouvement
de libération nationale qui n’en est, pour l’instant, qu’à ses débuts. (…)
La conception viciée d’une prétendue solidarité du « Monde Blanc »,
par delà les continents et les régimes, est anti-politique51.

Le nationalisme-intégral est ainsi liquidé dans le même mouvement


que le racialisme occidentaliste d’Europe-Action, au profit d’un ensemble
qui doit nettement plus aux N.R. allemands et italiens et sur lequel pèse
lourdement Thiriart. Le discours est dès lors établi, l’appel à la construction
de la « Nation européenne » s’entamant par la reprise implicite des mots
du doctrinaire belge (« De Brest à Bucarest nous effacerons Yalta »)

50 P. Moreau, 1994, pp.154-174.


51 Opposition extra-parlementaire « LUTTE DU PEUPLE « O.L.P. Travail militant, s.d. (document
interne).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 121

pour exiger que soit menée la « lutte de libération [contre] l’impérialisme


(U.S.A.-U.R.S.S.-SIONISME) ». «Yalta» est en effet un triptyque et non
une dyarchie : U.R.S.S. et U.S.A. sont dits dirigés par les juifs, ce qui
redonne une connotation certaine au slogan ici aussi en usage : « l’Europe
aux Européens52 ».
Un document interne de l’O.L.P. explique que le militant ne doit
pas tenir de discours racistes mais « parler de l’originalité de chaque
grand ensemble racial qui correspond sur le plan géopolitique à une ou
plusieurs zones ethnico-géographiques bien déterminées ». Il faut évoquer
la préservation de « l’identité » et de la culture de l’Europe qui doit
s’assurer d’un « espace vital digne de sa race ». Il importe tout autant de se
redéfinir : « Insister sur le fait qu’il s’agit d’un nationalisme de libération
juste et légitime (…) à l’instar du nationalisme arabe et des nationalismes
sud-américains53 ». Ce méta-discours est enrichi par l’anti-impérialisme de
l’antisionisme et, surtout, par les Allemands de cette nébuleuse Ceux-ci
provenaient donc d’un mouvement ayant réinventé le slogan « l’Europe
aux Européens » et opté pour l’indépendance de l’Algérie ; désormais ils
ont redécouvert la Révolution Conservatrice comme le démontre leur
reprise de la formule de Lénine sur la Cause des peuples, reprise de là
en France via Duprat puis par le G.R.E.C.E. lui-même, puis ont lancé
le slogan « Identité nationale et solidarité internationale54 ». Les apports
de cette rhétorique fournissent ce dont les nationalistes étaient en quête
depuis Europe-Action : une modernisation, offrant par un vrai-faux
paradoxe une doxa qui tout en n’étant pas maurrassienne n’est pas pour
autant le racialisme et l’exaltation du monde blanc. Ce discours peut donc
se greffer sur d’autres, pour peu qu’à un point de leur raisonnement ils
récusent «Yalta».
Après que le Mouvement Nationaliste-Révolutionnaire ait été
symboliquement fondé le jour anniversaire de Yalta, J-G. Malliarakis
développe son analyse de «Yalta», en remarquant que le dogme du
containment est inférieur aux visées de la Destinée manifeste et que
l’U.R.S.S. n’œuvre guère au triomphe universel du communisme, en
soulignant que Yalta n’est qu’un terme aussi mythique que pratique
pour désigner ce qui, amorcé en 1943, est devenu un jeu de dupes
complices. Cependant, il situe le « système de Yalta » au-delà du
duopole américano-soviétique pour affirmer qu’il est en fait dirigé

52 Lutte du peuple, juillet 1973.


53 Code du militant Lutte du peuple, s.d. (document interne).
54 Cité par A. de Benoist, préface à E. Niekisch, 1991, p.51.
122 NICOLAS LEBOURG

par les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l’O.N.U.


Il n’en attribue nullement la faute au logiciel wilsonien de F.D.
Roosevelt, pour lequel il paraît d’ailleurs avoir une certaine estime.
Il rattache cette donne au Pacte synarchique pour l’Empire français
du Mouvement Synarchique Européen – celui-ci étant entendu ici
dans sa version la plus classique de maître technocratique occulte de
Vichy55. Au contraire de l’idée d’une opposition des blocs ceux-ci
coopèreraient donc, à l’avantage premier de la ploutocratie américaine,
sur un principe qui n’est pas celui de la division territoriale et de la
territorialisation des idéologies mais de l’inscription dans le réel d’une
utopie mondialiste unitariste. La coopération des blocs ne serait
d’ailleurs plus celle de nations mais celles de systèmes économiques
technocratiques tenant chacun leur zone par l’abrutissement massif
de leurs peuples, et J-G. Malliarakis de citer le titre d’un ouvrage de
Charles Levinson : Vodka-Cola (1978)56. La formule fait mouche : elle
est utilisée continuellement par la suite par les N.R. et de là se transmet
même au F.N.J.»Yalta» est donc analysé selon une grille de lecture qui
permet une revitalisation idéologique du nationalisme. S’il est décrit
comme l’ennemi principal des peuples européens, il ne fait pas de
doute qu’il est ainsi également le mode de démarquage du M.N.R. de
ses concurrents nationaux et nationalistes : sérieux de l’analyse, offre
d’une théorie homogénéisatrice, désignation de l’ennemi dit réel et
non des ennemis dits imaginaires, antiaméricanisme, démonétisation
de la totalité de la classe politique jusqu’au F.N. et à l’extrême gauche
en tant que valets de «Yalta», exaltation du militantisme qui devient
préparation d’une insurrection libératrice à l’échelle mondiale dans
une sorte de néo-blanquisme à visée planétaire, etc.
Dans ce travail militant, l’organisation se tourne vers un slogan…
« l’Europe aux Européens », avec lequel elle réalise une affiche en 1985.
Trois ans plus tard, le slogan est étendu par les militants de Troisième
Voie participant au défilé en l’honneur de Jeanne d’Arc et qui y scandent
« La France aux Français, l’Europe aux Européens57 ». La première partie
de ce slogan peut se voir attribuer deux sens étant donné le contexte. Le

55 A l’encontre des allégations repopularisées depuis quelques années par l’universitaire conspi-
rationniste Annie Lacroix-Riz, il faut rappeller que la Synarchie est un mythe relevant de la famille
des théories du complot : cf. Olivier Dard, La Synarchie ou le mythe du complot permanent, Perrin,
Paris, 1998.
56 J-G. Malliarakis, Yalta et la naissance des blocs, Albatros, Paris, 1982.
57 M.N.R., Bulletin de liaison, 24 décembre 1984 ; feuille Consignes pour le défilé Jeanne d’Arc
1988 (documents internes).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 123

défilé en tant que rassemblement du camp nationaliste, et en tant que


tradition en provenance du nationalisme de la fin du XIXe siècle, situe « la
France aux Français » comme une proclamation de filiation avec Drumont
et a donc un sens antisémite. Mais, en tant que manifestation désormais
estampillée « Front National » le slogan prend le sens anti-immigrés et
anti-Maghrébins que lui a donné le F.N. Le fait qu’un autre slogan du
M.N.R. dans le même espace-temps soit « Poing blanc tendu pour la
France et l’Europe », laisse à penser qu’il faut en tous cas considérer que
se meut une conception raciale derrière celle de «Yalta». C’est là la magie
opératoire du nationalisme-révolutionnaire français : récusant le racisme
pour l’ethnodifférencialisme, rejetant le nazisme comme le national-
populisme au profit d’une lutte de libération nationale et sociale, il exprime
ce positionnement avec une formule qui est la somme de slogans racistes
nationaux-populistes et nationaux-socialistes. Il ne fait pourtant pas de
doute, étant donné leur auto-représentation, qu’en entonnant « la France
aux Français » auprès de « l’Europe aux Européens », les N.R. cherchent
à se montrer plus conséquents et modernes que le F.N. Il n’est pas plus
discutable que, au-delà de ses origines nazies, la seconde formule avait pris
un sens progressiste et qu’elle se voit rabattue ici sur un sens ethniciste.
Cette ambiguïté est d’ailleurs soulignée par le fait que, sans doute grâce
aux transferts d’encadrement, les nationaux-populistes atlantistes et anti-
européens ont repris eux aussi le slogan « l’Europe aux Européens » (F.N.
et parti mégretiste).
Aussi, lorsque «Yalta» est achevé et le mondialisme capitalistique
désigné comme ennemi unique, le slogan devient un symptôme édifiant des
irréconciliables contradictions du nationalisme-révolutionnaire. Le P.C.N.,
devenu sur son site web le champion de la lutte contre les extrêmes droites
et animant un collectif « anti-nazi », affiche un manifeste anti-impérialiste
qui n’est pas moins que nommé « « L’Europe aux Européens »... Nouvelle
Résistance use du slogan dans son discours ethnopluraliste anti-américain,
mais sa section grenobloise menée par André-Yves Beck entend le slogan
dans un sens expressément raciste, en éditant un autocollant « A Grenoble
comme à Rostock ! l’Europe aux Européens ! ». De ce qui se disait un
nationalisme de libération face à l’asservissement de l’Europe perçue dans
« Yalta», le message est passé à l’apologie de la ratonnade – dans le premier
cas leurs buts et leur conscience révolutionnaires différenciaient les N.R.
des nationaux, dans le second cas l’encadrement décide d’affirmer que
c’est l’usage conséquent de la violence relative à des conceptions racistes
assumées hors de tout discours légaliste ou relatif à la notion de nationalité.
Les N.R. avaient placé dans leur panthéon les feddayin et guérilleros se
124 NICOLAS LEBOURG

battant jusqu’au bout contre un ennemi les dépassant, mais face à leur
hémorragie militante ils choisissent de remplacer ceux-ci par la caricature
d’une horde de Dupont-Lajoie soutenus par l’inertie de la police58. Le
glissement s’est donc fait du géopolitique à l’ethnique. Or, « l’Europe aux
Européens » est le slogan préféré d’Unité Radicale, le choisissant même
pour sa banderole lors du premier mai 2002. Il n’est plus question de
révolution mondiale contre un ordre impérialiste, mais de restructuration
ethnique de la population. L’habilité dialectique de son encadrement a été
d’user du même slogan et de son ambiguïté intrinsèque pour signifier que
c’était là la même chose, en offrant un objet de synthèse maléfique aussi
puissant mythologiquement que celui qu’avait été «Yalta».

8. Races et espaces

L’idée de l’Eurafrique fut d’abord un débat politique français,


vivace depuis la naissance de l’idée en 1921. A l’origine, il s’agit d’aider
au rapprochement franco-allemand et à la construction de l’Europe, en
faisant des colonies un bien commun des nations européennes. Le thème
se mêle à celui du planisme et est également envisagé dans la perspective de
la construction d’une autarcie du grand espace eurafricain. L’idée connaît
aussi un succès certain en Belgique, soutenue là aussi par des personnalités
aussi bien de gauche que de droite, dont P. Daye. Dans la France « à l’heure
allemande », le thème eurafricain est surtout la rencontre des aspirations
technocratiques des équipes de Vichy et du Nouvel ordre européen ; il
s’éclipse ensuite pour revenir lors des négociations du Pacte de Bruxelles en
1948, jusqu’à celles du Traité de Rome en 195759. Cependant, l’Eurafrique

58 Les violences racistes de Rostock se firent durant la fin août 1992, aux cris de « l’Allemagne
aux Allemands », sous des applaudissements des voisins, et avec la bienveillante neutralité des forces
de répression. Comme le stipule A. Pfahl-Traughber « on ne trouve pas que des skinheads du côté
des émeutiers et des lyncheurs : la majorité des acteurs sont des jeunes «tout à fait normaux» et des
adultes, tout ce petit monde agissant sous les applaudissements des passants. Dans la scène skin, ces
événements deviennent alors un fanal poussant à la répétition de tels actes. La violence pratiquée
lors de ces affrontements, qui dépasse tout ce que l’on connaît à l’Ouest, montre que tuer n’est plus
un problème » (A. Pfhal-Traughber, « La Scène skinhead », Extrême droite et national-populisme en
Europe, Blaise et Moreau dir., Centre de Recherche et d’Information Socio-Politique, Bruxelles,
2004, p.538). Rostock est resté le symbole de cette année 1992 où la R.F.A. connaissait le point le
plus haut de violences racistes depuis sa fondation, l’année comptant 2 584 agressions physiques
racistes (contre 1 486 en 1991) provoquant la mort de 17 personnes.
59 B. Bruneteau, 2003, pp.94-99 ; E. Deschamps, « Quelle Afrique pour une Europe unie ?», M.
Dumoulin dir., 1995,pp.95-150. Le concept avait aussi été soutenu par Pan-Europe de Couden-
hove-Kalergi.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 125

est un concept si plastique qu’il put franchir le Rhin sans ambages et voyager
jusqu’aux nazis. Lorsqu’il fit scission du N.S.D.A.P., Otto Strasser émit un
programme où se trouvait l’idée d’une zone européenne de coopération
économique relative aux ressources de l’Afrique, de l’Est de l’Europe et
de l’Asie. Après-guerre, il déclare encore à Thiriart qu’il faut édifier une
Europe neutre entre les blocs et disposant « d’une zone économique afro-
américaine60 ». L’idée put même parcourir l’esprit de Hitler, ce dernier
évoquant auprès de Ciano une Eurafrique combattant les U.S.A.61
Après-guerre, le thème se retrouve marginalisé dans les groupuscules
politiques et il se stabilise d’abord sous la forme que lui en donne
Mosley. Son credo est que l’Europe unitaire en devenir se devrait d’user
à son profit d’un tiers de l’Afrique. Cette Eurafrique serait blanche, les
Noirs devant être relégués en une nation à son Sud qui leur serait dévolue,
au motif de la protection de l’arriéré face au civilisé qui ne pourrait être
que tenté de réduire le premier en esclavage. Cette zone se constituerait
en autarcie, bénéficierait de sa propre doctrine Monroe vis-à-vis de la
nation noire, mais partagerait avec les U.S.A. l’influence sur l’Amérique
du Sud, tandis que les pays arabes constitueraient une zone tampon entre
elle et l’U.R.S.S.62 Le néo-racisme effectue lui le trajet intellectuel inverse,
et il faudra du temps pour que les divers axes se rencontrent en une
synthèse opératoire. Le père du mot comme de l’idée de « néo-racisme »
n’est autre que René Binet. Son évolution l’a mené à soutenir la cause
de la décolonisation au nom de la défense de la race blanche. Dès 1950,
il propose le retrait de tous les Blancs de la totalité des colonies, puis le
N.O.E. proclame que « la hiérarchie des races ne peut être fondée que
sur leur confrontation et par la suite sur le respect des particularités et des
traditions de chacune. Le rétablissement d’un certain équilibre du monde
n’est possible que si on rompt radicalement avec le colonialisme63 ».

60 Entretien dans La Nation européenne, 15 janvier-15 février 1967 ; P. Moreau, « «Socialisme»


national contre hitlérisme. Le Cas Otto Strasser », Revue d’Allemagne, juillet-septembre 1984,
pp.485-498.
61 Le 25 octobre 1941 il présente à Ciano ses vues en matière de fondation de ce qu’il nomme
une « Europe ressuscitée » : « Il appartiendra à une génération ultérieure d’aborder le problème de
l’Europe et de l’Amérique. A ce moment là on ne parlera plus d’Allemagne et d’Angleterre ; il ne
sera plus question de fascisme, de national-socialisme, et de systèmes opposés, mais des intérêts
communs d’une Europe unifiée au sein d’une zone économique complétée des colonies africaines »
(cité dans C. Bloch, Le IIIe Reich et le monde, Imprimerie nationale, Paris, 1986, p.432).
62 Cf. O. Mosley, 1962, pp.7-56.
63 « Déclaration de Zürich » (1952), Déclarations du Nouvel Ordre Européen, s.e., s.d., p.3.
126 NICOLAS LEBOURG

Malgré les aléas de la formation et la radicalisation du combat


colonial, dix ans plus tard l’organisation adopte une motion qui refuse les
thèses intégrationnistes et soutient la décolonisation, considérant qu’une
victoire de l’Algérie française « ne nous laisserait que le choix d’imposer
aux autochtones, soit un esclavage anachronique soit une intégration tout
aussi forcée qui se traduirait inéluctablement par un métissage de plus en
plus inconsidéré et généralisé. (…) nous préférons renoncer aux territoires
algériens plutôt que de les voir servir à l’abâtardissement des populations
européennes ». Les jeunes du N.O.E. tirent un trait sur le dogme
suprématiste, stipulant que « les hommes doivent concevoir qu’il n’y a pas
de race supérieure ni de race élue ». Cette analyse est suivie à Alger même
par le groupuscule de l’ex-Waffen S.S. Jeanne, qui achève en ces termes sa
condamnation de l’empire colonial comme facteur du métissage: « nous
ne voulons pas que “l’Algérie française” aboutisse un jour à la “France
algérienne”. Pour Bardèche, ces thèses néo-racistes ne sont ni plus ni moins
que la préfiguration des attendus du Congrès de Bandœng et il en précise
le fondement théorique : « l’élément entièrement nouveau qui explique
l’anti-impérialisme du néo-racisme : toutes les races sont égales entre elles,
aucune n’a de titre à s’installer dans l’espace vital d’une autre race et la paix
ne règnera sur le monde que lorsque chaque race aura réintégré le continent
qui lui a été attribué par la nature64 ». Ainsi, le N.O.E., malgré sa réputation
de simple folklore néo-nazi, affirme en ces années 1959-1960 des idées qui
font ensuite leur chemin en récusant tout ensemble « l’occupation coloniale
des territoire européens » par «Yalta», le colonialisme européen en Afrique,
et en réclamant que les populations africaines en Europe soient en échange
soumises à un strict système d’Apartheid65.
Si Binet a personnellement connu Yockey c’est un des adeptes
américains de celui-ci, James Hartung Madole et son National Renaissance
Party, qui mêle l’apport de l’Imperium de Yockey à ceux du nazisme, de la
théosophie et du satanisme, qui outre-Atlantique adoptent une position
analogue à propos de la question noire américaine. Le programme de
1953 du N.R.P. affirme un nationalisme racial qui reprend la doctrine
Christian Identity : tout doit revenir à sa place lors de la création, et,
moins que de l’Amérique, le N.R.P. parle de l’émergence d’une conscience
raciale blanche et réclame l’alliance des U.S.A. avec l’U.R.S.S., le monde
arabe et des alliances régionales avec les pays de l’ancien Axe. Comme
Madole voit le christianisme comme une infection de la race aryenne, se

64 M. Bardèche, 1992 (1960), pp.3-8.


65 Cité dans P. Fournier, Le Feu mal éteint, s.e., 1961, pp.82-88.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 127

précise le rapprochement avec la réévaluation idéologique d’Europe-Action,


témoignant que c’est dans l’ensemble de l’Occident que les nationalistes
commencent à se demander ce que signifient la nation et l’Occident66.
Cette redéfinition du racisme a permis la transformation du nationalisme,
puisqu’elle se trouve dans la base idéologique d’Europe-Action qui, grâce au
néo-racisme, aboutit à sa nouvelle définition du nationalisme (« doctrine
qui exprime en termes politiques la philosophie et les nécessités vitales
des peuples blancs »). Elle fait du nationalisme et des nationalistes une
catégorie militante en-soi non liée à la question de la nation mais à celle
de la pratique (sorélienne et léniniste pourrait-on dire) et de la doctrine
(seules comptent l’édification de l’ordre nouveau et la préservation de la
race blanche). Ce sens donné au mot « nationaliste » permet désormais
toute les audaces conceptuelles, loin des questions de la défense du drapeau
et de l’intégrité du territoire, les reléguant au rayon des accessoires passés
de mode auxquels ne s’accrocheraient que les nationaux nostalgiques – et
c’est ce sens que prennent amplement plus tard ceux qui vont se nommer
N.R. La gloire de l’Apartheid est particulièrement chantée dans Europe-
Action. Il est vrai que son dogme offre une modernité et une méthode : les
Afrikaners mettent en place leur système en 1958 et le légitiment par une
doctrine qui présente la race blanche comme élue, attendant le messie qui
viendrait lui donner la domination absolue sur les races inférieures67.
Europe-Action, avec son mysticisme néo-païen et son racialisme, n’est
donc pas déconnectée d’une réalité internationale du racisme. Le référent
africain se relève jusque dans la création sociale de la communauté militante :
lorsque celle-ci se rassemble pour un camp-école estival un « Commando
Rhodésie » y écrit un chant pour les nuitées : « … A l’Europe, ils font envie /
Devant la France qui salue / (…) Hommes blancs d’Afrique australe /
Ensemble cont’ les chacals / ils resteront tous ensemble / Au commando
Rhodésie68 ». Le régime raciste est donc une utopie-modèle où il est
entendu que le séparatisme racial provoque de facto une unité organiciste
de l’élément blanc : le racisme devient le moyen de réaliser une unité non
plus national-totalitaire mais racial-totalitaire. L’anticolonialisme n’est
donc, encore une fois, non pas une hétérophilie mais la conséquence d’une

66 J. Kaplan, 2001, pp.45-50. L’auteur souligne que deux ans après naissait le Tiers-Monde et que
les U.S.A. passaient d’une politique globale basée sur l’O.T.A.N. à une autre basée sur les alliances
régionales.
67 Cf. P. Milza, 1985, pp.360-361.
68 Flamme quotidien, 23 juillet 1966 (journal du camp-école ; document interne).
128 NICOLAS LEBOURG

autophilie69. Il se mue dans ce que P-A. Taguieff a nommé le néo-racisme,


retrouvant ainsi le terme de Binet, et qu’expose à la fin des années 1970
A. de Benoist en des termes qui méritent d’être placés dans la perspective
du néo-racisme du N.O.E. : « toutes les races sont supérieures. Toutes ont
leur génie propre », et en conséquence toutes se doivent de conserver ce qui
serait leur place70. Pour parvenir à la transformation « néo-tiers-mondiste »
de la pensée gréciste et N.R. dix ans plus tard, il ne faut pas mésestimer
l’observation que font les N.R. d’Europe entre eux.
La référence à la géopolitique de Thiriart est en ce sens un exercice des
plus courants dans la nébuleuse N.R. Si les thèses de Mosley convainquent
Thiriart, les disciples de ce dernier considèrent que, par la suite, son
évolution vers le « national-bolchevisme » l’aurait débarrassé de ces scories
idéologiques. Les travaux de modernisation scientiste des racismes et
impérialismes, via cette nouvelle science générale de l’homme que serait,
selon d’aucuns, la géopolitique, aboutissent ainsi à redonner un lustre à
une vision du monde moins évolutive que ses formulations. Car, dans le
cas de Thiriart, ce dernier a beau rejeter l’Occident et le colonialisme il
faut prendre garde au sens des mots, par exemple quand il écarte les thèses
intégrationnistes au profit, dit-il, de plus progressistes, qui correspondent
de facto à une utopie d’Eurafrique. Car si sa haine de l’Occident est sans
appel lorsqu’il le situe aux U.S.A. et en Israël, il loue ce qui eût été un
Occident réel et qui se serait situé à Poitiers en 732, durant les Croisades, la
Reconquista, lorsque furent refoulés de Vienne les Turcs – soit une perception
assez focalisée sur l’islam comme ennemi71. Puisque, selon Thiriart, il faut
suivre Sieyès et ne pas additionner mais fusionner les particularismes, le
temps des dominations de type Algérie française est clos au profit de celui
d’un « impérialisme d’intégration » basé sur « l’omnicitoyenneté » : l’égalité
totale des droits de tous les citoyens européens. Il affirme que les Arabes
sont Européens et que grâce à l’intégration du monde arabe à l’Europe
celle-ci aura « accès aux sources de pétrole, le verrouillage de l’U.R.S.S.,
le contrôle de l’Afrique, l’accès à l’Océan indien, le contact géographique
avec l’Asie, la Méditerranée devenue un lac72 ». L’Empire paraît fort se
muer en classique impérialisme, d’autant que Thiriart déclare que les
Arabes doivent changer de mœurs et pensées pour se conformer à « des

69 Ce n’est pas non plus chez les N.R. une hétérophilie mais un ethnodifférencialisme pour la
cause des peuples.
70 Cité dans P-A. Taguieff, 1994, p.196.
71 La Nation européenne, 15 mars-15 avril 1966.
72 La Nation européenne, 15 mars-15 avril 1967 ; idem, n°17, s.d., (entre juin et juillet 1967).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 129

méthodes kémalistes73 ». La formule est habilement troussée, mais c’est


exactement signifier que les Arabes doivent s’occidentaliser. De plus, il
n’applique pas l’omnicitoyenneté aux juifs, car ceux-ci seraient tous fidèles
à Israël et devraient donc être déchus de toute citoyenneté autre que celle
de ce pays – qui doit par ailleurs être transféré à l’intérieur des U.S.A.74
Néanmoins, ses positions se sont radicalisées avec les années et, en
1987, il proclame que « dans l’Empire euro-soviétique, les irréductibles
de l’islam, de Jésus ou de Moïse, devront probablement être regroupés
dans une série de «Disneylands» religieux…75 ». Dans l’un de ses derniers
textes, il reproche à la France de ne pas avoir fait des Algériens des
citoyens : « il fallait éradiquer l’islam, instruire, donner l’égalité, donner
la dignité ». Quant aux juifs, il estime d’abord qu’un juif athée n’est plus
juif et s’affirme dans la continuité des conceptions de Clermont-Tonnerre,
et pour cela être prêt aux moyens de la force : « dans l’Etat européen,
sémitiques et antisémitiques : tous au goulag ! ». En somme la république
européenne sera dans la continuité de la Révolution française qui « a
voulu le melting-pot «racial» pour ne reconnaître que la citoyenneté
politique. Moi aussi. (…) La République doit être a-raciale, tout comme
a-religieuse » et l’Europe doit compter la Sibérie, l’Afghanistan et la rive sud
de la Méditerranée76. Il ne fait pas de doute que la géopolitique rêvée de
Thiriart n’évacua jamais la nécessaire domination de l’Afrique. La fusion
souhaitée dans un Etat unitaire entre U.R.S.S. et Europe avait, selon lui,
parmi ses premiers avantages, qu’elle eût permise à l’Empire de « dévaler
sur l’Afrique, d’Alger à Johannesburg, et d’y retrouver globalement tout
ce que [l’Europe] a perdu en ordre dispersé » tandis qu’il souhaitait voir se
rapprocher les deux Amériques77. Les moyens (accord avec les peuples du

73 La Nation européenne, novembre 1968. On peut noter qu’aucune section thirarienne n’a été
créée par des Turcs – alors que le N.O.E. avait lui des Turcs en son sein (selon H. G. Simmons,
« The French and european extreme right and globalization », colloque Challenges to the new world
order Anti-globalism and counter-globalism, Université d’Amsterdam, 30-31 mai 2003, working pa-
per, p.37).
74 La Nation européenne, septembre 1967.
75 Cité dans Nation-Europe, juin-juillet 1994 (qui en phase islamophobe cite également la posi-
tion sur le kémalisme).
76 Nationalisme et République, février 1992.
77 Entretien avec Jean Thiriart, Machiavel, Charleroi, 1994 (1987), p.17 et p.35. Le fait que la
stylistique ait changé témoigne de l’évolution de son système idéologique, mais le projet revient
bien, en fait, a celui qu’il affirmait en 1964 en termes racistes : « jamais la France seule ne retour-
nera en Algérie. C’est l’Europe qui retournera en Afrique. (…) Alors ce n’est pas le Bicot à Pigalle
ou le nègre sur la cannebière, minables protagonistes, qui pourraient nous émouvoir ou même
nous inquiéter… L’Europe n’est pas seulement la volonté de puissance, c’est surtout la volonté de
supériorité. Les plus grandes pages de son histoire vont s’écrire demain » (cité dans F. Backmann,
1993, p.24)
130 NICOLAS LEBOURG

Tiers-Monde, et en particulier avec son élite révolutionnaire panarabiste)


sont donc strictement différenciés des fins (la domination naturelle de
l’Europe rationalisant l’ex-système colonial).
Thiriart n’est présenté comme un apôtre de l’anti-impérialisme et de
la cause des peuples que si on dissimule, ce dont il ne se cachait nullement
lui-même, que son projet doit définitivement plus à Haushofer qu’à Lénine.
Après les années 1960, l’affirmation simple d’une suprématie colonialiste
européenne est moins qu’envisageable, pis : moins que concevable pour
qui veut penser sérieusement. Cependant, dans les projets de coopération
Europe-Tiers-Monde seule la confusion entre propagande et idéologie a
permis d’occulter la racine eurafricaine des projets. De par l’influence de la
conversion du G.R.E.C.E. du racialisme aryaniste à « l’ethnopluralisme »,
de par la disqualification du colonialisme, et de par l’apprentissage par les
masses des réalités de la politique raciste nazie, le discours suprémaciste
disparaît de la majorité des propagandes extrêmes droitières les plus
impérialistes pour se muer en éloge des Empires – mais quel Empire eût-il
jamais une frontière avant qu’il ne périclite ?
Le néo-eurasisme d’A. Dugin, qui est une référence pour tous les
groupes du F.E.L., en est une démonstration probante. Après avoir participé
au front rouge-brun, il se redirige vers l’action métapolitique : proposer
une idéologie et un horizon d’attente de substitution à une Russie en crise
politique et économique. Le contexte est particulier : désir d’un pouvoir
fort par des masses non démocratistes et développement de la conception
de l’orthodoxie en tant que religion ethnique russe. A. Dugin inscrit donc
son discours en une offre idéologique faite aux élites afin de leur fournir un
corpus légitimant78. Il est devenu le conseiller du Président de la Douma
en 1998. En mars 2000, il a fondé le mouvement Eurasia qui se veut
un think tank au service de Vladimir Poutine79. Prégnances et conversions
sont manifestes : il n’est plus question dans cette utopie de dominer et
d’exploiter l’Afrique. « L’arc euro-africain » souhaité est constitué de trois
espaces ethno-culturels centralisés (Europe, monde arabo-musulman et

78 La réception est avérée, ainsi en 1998 le président de la Chambre haute de l’Assemblée fédérale
traitait de la Russie comme du « cœur de l’espace de la civilisation eurasienne sur lequel s’ancre la
synthèse unique de la chrétienté orientale et de l’islam » (A. Agadjanian, « Pluralisme religieux et
identité nationale en Russie », Journal on Multicultural Societies, vol. 2, n°2, 2000, version on-line).
La violence raciste qui a marqué l’actualité intérieure russe depuis 2001 rencontre également des
aspirations populaires : 58% des sondés estimaient en 2002 que les skinheads faisaient le «sale bou-
lot» en lieu et place des forces étatiques.
79 Ce serait une erreur ethnocentriste que de croire que l’ésotérisme d’A. Dugin le condamne à la
marginalité : en Russie le caractère sacral de la politique n’a pas été effacé par l’U.R.S.S.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 131

Afrique noire) réunis en une commune « zone géo-économique80 ». Nous


voici passés du colonialisme à l’Empire – avec comme un soupçon que
cette intégration soit une ségrégation dominée par la « Troisième Rome »,
une néo-Eurafrique. Certes le discours n’a plus guère à voir avec celui
intellectuellement bas de gamme des Pamiat, évacuant les formulations
racistes primaires pour dessiner un projet global et mondial. Mais il s’agit,
une fois défaits certains slogans, d’un organicisme absolu et totalitaire, non
de la défense de la cause des peuples. Quand A. Dugin écrit en 1997 que
« la nation est tout, l’individu n’est rien81 », il est permis de songer à la
fameuse formule de Goebbels, disant quelque soixante ans plus tôt « tu
n’es rien, ton peuple est tout ».
L’intérêt bien compris de l’Europe serait donc le soutien à tous les
nationalismes contre le système mondialiste («Yalta» puis le Nouvel ordre
mondial) et dans l’édification de zones raciales s’entraidant. Rien n’étant
plus mobile qu’une échelle de distinction entre races, ethnies, nations et
cultures, tous les jeux sont ouverts, dont la possibilité de combiner en un
tout séduisant l’Eurafrique, le néo-racisme et le néo-tiers-mondisme anti-
impérialiste82. L’essence de la Révolution Conservatrice que redécouvrent
les N.R. outre-Rhin et la Nouvelle droite en France, c’est l’idée que
l’Allemagne était victime d’une colonisation par l’Occident et qu’elle s’en
sortirait par l’union contre lui avec les autres peuples opprimés et colonisés
puis par l’édification de grands espaces83. Le discours néo-droitier des
années 1980, synthétisé par la publication par A. de Benoist d’Europe-Tiers

80 Cf. « Dossier : l’Eurasisme contemporain » dans La Nation eurasienne, juin 2003.


81 A Dugin cité dans M. Laruelle, « Alexandre Dugin, esquisse d’un eurasisme d’extrême droite
en Russie post-soviétique », Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 32, n°3, 2001, p.97.
82 Quant au mot « Eurafrique » il n’a plus aucun sens dans le contexte géopolitique de la fin du
XXe siècle et lorsque le député européen J-M. Le Pen clame au Parlement de Strasbourg que celle-ci
serait le slogan de demain (H. G. Simmons, 2003, p.39), ou lorsque le Président Sarkozy en use
lors de son discours de Dakar (œuvre d’H. Guiano), il s’agit simplement de l’usage maladroit d’un
mot à disposition.
83 Le N.S.D.A.P. avait su récupérer des argumentaires anti-impérialistes légitimant l’impérialisme
allemand, formulés dans le premier point de son programme sous la forme suivante : « Nous de-
mandons la constitution d’une Grande Allemagne, réunissant tous les Allemands sur la base du
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Mais lorsque Strasser fit scission du N.S.D.A.P. en
1930 son fameux texte de rupture liste les divergences entre le nazisme et ce qu’il considère être le
national-socialisme et expose que « nous concevions et concevons le national-socialisme comme un
mouvement expressément anti-impérialiste. (…) Nous approuvons la lutte des peuples opprimés
contre les usurpateurs et les exploiteurs car notre idée du nationalisme implique que le droit à
l’épanouissement de l’identité des peuples que nous réclamons pour nous-mêmes s’applique égale-
ment aux autres peuples et autres nations » (O. Strasser, Les Socialistes quittent le N.S.D.A.P. Textes
fondateurs du Front Noir, Ars Magna, Nantes, s.d. (1930), p.13). C’est là non seulement l’idée mais
aussi la langue dont usent les N.R.
132 NICOLAS LEBOURG

monde : même combat (1986), est l’exacte poursuite de cette ligne, «Yalta»
en guise de traité de Versailles, les Américains remplaçant les Français
dans la dissémination d’une idéologie dite colonialiste derrière son vernis
émancipateur, les Droits de l’Homme. Affirmer que la Nouvelle droite
effectue alors un virage à gauche original est un contre-sens.
Le rejet de l’immigration au nom du respect de l’identité ethno-
culturelle des immigrés et la volonté de leur rapatriement « chez
eux » achèvent de permettre de redessiner les cartes géographiques et
démographiques du monde (et permettent de développer l’éristique que
J-G. Malliarakis appelait de ses vœux afin de vendre l’anti-immigration
à gauche). Le détournement impérialiste du droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes n’est pas une innovation : il importe toutefois de souligner
que chez les N.R. les plus avancés idéologiquement on ne saurait parler de
détournement impérialiste mais de vision impériale car anti-impérialiste.
Les ambiguïtés laissent toutefois à penser que derrière les proclamations
se produit un déplacement du national-impérial vers le racial-totalitaire.
Il y a donc de valses hésitations qui vont néanmoins toutes dans le sens
que T.V. considère rejeter : celui de l’impérialisme blanc où T.V. prend les
éléments de ces deux courants que les N.R. s’emploient peut-être d’autant
plus à rejeter qu’ils ressentent comment ils sont bloqués entre eux : au néo-
nazisme ils empruntent le néo-racisme, aux nationaux le rêve d’Empire
colonial. Celui-ci peut se muer parfois en un produit plus fascisant, selon
le rapport édicté entre nation et Europe (qui fait passer de l’Etat-Nation
et son Empire au concept d’Eurafrique), car il faut également considérer
que le M.N.R., pris des débuts à la fin de T.V., à affirmer des dogmes
de réorganisation géopolitique totalement contradictoires, faisant tour
à tour et/ou simultanément l’apologie de l’Eurafrique, de l’Etat-Nation,
de l’Europe des ethnies, de la fédération des nations francophones (« la
Francité »), ou de l’Europe des Etats-Nations. La seule permanence en ce
trait est l’immuable ligne contre l’immigration.
Avec Nouvelle Résistance, les choses apparaissent d’abord comme
plus simples. La motion sur laquelle elle repose affirme en effet : « Nous
sommes ethno-différencialistes. Si nous estimons également les différentes
races et ethnies existant sur notre planète, nous estimons aussi que
l’harmonie de celle-ci nécessite le respect des cultures et des différences
de chacun dans un cadre géographique propre84 ». Le groupe peut donc
facilement concilier l’ethnodifférencialisme et la lutte de la Périphérie

84 31 août 1991 Contribution de la Communauté Rédactionnelle d’Alternative Tercériste Un projet


1991-1996, p.4 (document interne).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 133

contre le Système impérialiste, faire se compléter le G.R.E.C.E. et


Franco Freda. Jusqu’à là, les N.R. avaient soutenu des mouvements qu’ils
estimaient être des luttes de libération nationale et sociale : sandinisme,
péronisme, castrisme d’avant l’alignement sur l’U.R.S.S., ont toujours
eu leur sympathie. Avec Nouvelle Résistance le soutien est désormais
total à tous ceux qui sont perçus comme des frères de combat dans la
lutte contre le mondialisme homogénéisateur. Sont exaltées les luttes de
libération nationale (les groupes indépendantistes ou autonomistes corses,
basques, kanaks, les néo-zapatistes, le F.P.L.P. palestinien), les luttes locales
(Vallée d’Aspe), comme les régimes et mouvements censés s’opposer au
« Nouvel ordre mondial américano-sioniste » (Croatie, Cuba, Corée du
Nord, Libye, Iran, Front Islamique du Salut)85. En ce cadre, l’organisation
considère que « le séparatisme ethnique » noir rejoint ses propres « positions
ethnodifférencialistes » ; Lutte du peuple n’hésite pas à consacrer un dossier
récurrent au panafricanisme de Garvey et à publier une interview d’un
cadre du Pan-African International Movement, ceux-ci étant partisans de
l’émigration de tous les Noirs en Afrique.
Le but est de s’allier avec ces autres mixophobes contre l’immigration
africaine « véritable «bois d’ébène» des nouveaux négriers ». Est tenu en ce
sens un meeting commun avec divers nationalistes, dont un représentant
d’une fraction de la Nation of Islam86. Faut-il voir là une application des
préceptes de la Révolution Conservatrice, de l’application de la grille
de lecture d’un Corradini, à l’auto-représentation des mouvements
emblématiques du Black Power ? Certes, le Black Panther Party ou la Nation
of Islam avaient d’abord été perçus comme de simples ennemis de race,

85 Presque toutes en fait, car R. Gaucher souligne qu’il manque deux mouvements qui, sur ce
créneau idéologique, devraient apparaître : le Sinn Fein et l’Irish Republican Army.. Il se demande,
non sans malice, si leur catholicisme ne serait pas l’unique raison de cet état (R. Gaucher, La Montée
du Front 1983-1997, Jean Picollec, Paris, 1997, p.312).
86 Lutte du peuple, avril 1993 ; idem, juillet 1993 ; idem, mai-juin 1994 ; idem, mars-avril 1995 ;
idem, juin-juillet 1995.
134 NICOLAS LEBOURG

de classe et de religion87. Cependant, leur reflet s’intègre à la révolution


ethnodifférencialiste qui porte les N.R. à souhaiter la réalisation d’une
société préservant les identités ethno-culturelles (au nom de la formule
selon laquelle la société multiraciale serait multiraciste) en attendant le
rapatriement des personnes de substrat racial non indo-européen vers
leur futur Empire racial. Mais s’il est permis de voir là, comme l’affirme
Nouvelle Résistance, des influences de la Révolution Conservatrice, du
G.R.E.C.E., ou du courant de la Troisième Position, et si cela conviendrait
bien à une histoire des idées tout en quête de continuité de textes élaborés, il
y a sans doute pour le moins quelque influence de ces suprémacistes blancs
américains issus des Klans, chez qui la conversion est largement faite à l’idée
des nations raciales séparées, phénomène qui aboutit à des collaborations
avec les séparatistes noirs. Or, les responsables de ces groupes, qui viennent
de redécouvrir l’œuvre de Madole qui avait été oubliée, l’expliquent à C.
Bouchet dans une brochure d’entretiens, et les mouvements noirs qu’ils
citent sont justement ceux avec lesquels collabore Nouvelle Résistance88.
L’extrême droite est idéologiquement aliénée par le racisme et la
tentative de construction d’une éristique progressiste est un échec. Le
néo-tiersmondisme néo-droitier ou N.R. n’a pu être analysée comme
une évolution à gauche que parce que la confusion faite entre éristique et

87 Duprat ou L’Elite européenne n’avaient pas encore saisi que des socialistes noirs pouvaient être
les alliés des nationalistes blancs. Le slogan « Black Power » a été inventé en 1966 aux U.S.A. Ses
partisans provoquent le trouble dans le mouvement noir en affirmant que leur lutte est la même que
celle des mouvements de décolonisation du Tiers-Monde, puis en fustigeant en 1967 « la guerre im-
périaliste sioniste ». Ils s’affirment révolutionnaires et en appellent à la lutte armée contre le système.
Ils réclament la ségrégation raciale en tant que libération (elle n’avait jusque là été que combattue
par le mouvement des droits civiques pour lequel elle était l’oppression.) Le Black Panther Party
est fondé en octobre 1966. Il s’affirme « socialiste-révolutionnaire » et est la structure militante du
Black Power. Le B.P.P. évolue en 1970 en proclamant « l’intercommunalisme révolutionnaire » : une
alliance de toutes les communautés opprimées du monde qui, sous la direction de l’avant-garde
révolutionnaire qu’est le B.P.P., détruirait le joug du gouvernement américain. La Nation of Islam a
été fondée à Chicago en 1930 ; elle rappelle quelque peu le dogme Afrikaner, puisque pour elle, les
Noirs sont la race élue par Dieu, également créateur des Indiens et des Asiatiques, tandis que Satan
aurait créé la race blanche (s’y ajoute un antisémitisme assez virulent pour voir en 1984 son leader
Louis Farrakan saluer en Hitler « un grand homme »). Le moteur de l’histoire est donc à la fois racial
et théologique : le triomphe apparent du peuple de Satan opprimant celui de Dieu jusqu’à l’Apoca-
lypse qui verra la race blanche être entièrement détruite. Le premier pas dans ce plan de l’Histoire
est la sécession des Noirs des U.S.A. qui doivent obtenir leur propre Etat séparé et religieux, et
l’instauration de l’interdiction du métissage (cf. N. Bacharan, Histoire des Noirs américains au XXe
siècle, Complexe, Bruxelles, 1994, pp.187-229).
88 Cf. C.Bouchet, Ainsi parle l’extrême droite américaine, Ars Magna, Nantes, s.d., s.p. (avec cette
formule de John Baumgardner du Revolutionary Klan, en lien avec le Pan-African International
Movement et la Nation of Islam : « le problème ce n’est pas les autres séparatistes, c’est le reste du
monde ! » ; tout est dit) ; J. Kaplan, 2001, pp.46-47.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 135

idéologie a permis d’occulter la racine fasciste des projets, les influences


aussi contradictoires de prime abord que l’Eurafrique, l’Eurasie ou le
néo-racisme. Les N.R. développent un discours de réorganisation du
monde qui est fondamentalement utilitariste et conçu comme au service
de l’Européen. Il y a ainsi, derrière un discours surchargé de références
«épate-bourgeois», une structure idéologique qui doit aussi au néo-racisme
de Binet dans sa pensée et au néo-nazisme dans sa technique – mais le
fait qu’il y ait des turbulences idéologiques avec les ailes «gauches» au
sein de Nouvelle Résistance témoigne que les militants se conçoivent
comme anti-impérialistes et non comme participant à une continuité
qui représente le Mal politique. Le nazisme peut se rapporter, sur le
plan de l’idéal-type, à une équation où toutes les composantes sont
liées à l’ethno-nationalisme palingénésique : fascisme radical + idéologie
völkisch + concepts révolutionnaires conservateurs = nazisme – l’élément
Hitler étant celui qui permet cette somme dans sa phase historique. Le
«fascisme de gauche» que se veut un courant comme le nationalisme-
révolutionnaire tend, par l’adoption même de sa thématique d’Imperium
anti-impérialiste, à s’approcher grandement de cette alchimie. Rejetant
sincèrement l’antisémitisme hitlérien, il reformule néanmoins les thèmes
du Kulturbolschewismus produit par un Systemzeit cosmopolite et avide de
destruction biologique de l’Européen. Ce n’est pas une dissimulation qui
est à l’œuvre, mais le fait que le logos conduit à des topoï même à l’encontre
de l’auto-représentation de son émetteur.

9. A l’école de l’antisionisme

Le discours antisioniste ne manque jamais de s’écrier que l’antisionisme


n’est pas l’antisémitisme. Il a parfaitement raison. Le discours sioniste ne
manque jamais de relever que bien souvent l’antisionisme n’est qu’un
paravent de l’antisémitisme. Il a parfaitement raison. Le combat dialectique
en ce domaine use de mots «magiques» tant les mots « sionisme »,
« territoires occupés », « Palestine » ou « Israël » charrient à leur suite un
incroyable flot d’images et de valeurs. C’est une guerre moyen-orientale
dont on ne compte plus les héros parisiens partant vaillamment à l’assaut
des tribunes, prêts à y résister jusqu’à la dernière goutte du sang d’autrui.
Quel que soit l’émetteur du discours antisioniste, il est à noter qu’il
conspue « le sionisme », comme si ce dernier était une réalité uniforme –
ce qu’il est loin d’être – et qu’il tend à amalgamer cette idéologie avec
136 NICOLAS LEBOURG

les pratiques dénoncées des gouvernements israéliens et de Tsahal 89.


Les mêmes commentaires sont possibles pour les émetteurs du discours
sioniste, qui souvent refusent de voir qu’un jeune Palestinien chassé de sa
terre ou y vivant en sujétion n’a rien de commun avec un Waffen S.S., ou
de se rappeler que certains des plus intransigeants adversaires du sionisme
ne sont autres que des juifs ultra-orthodoxes.
Les extrêmes droites françaises ont une longue histoire avec le
sionisme. Le pro-sionisme extrême droitier s’explique par différentes
raisons qui sont loin de tenir du philosémitisme : désir de voir les juifs
résider hors de France, admiration pour les aspects nationalistes et
socialistes d’Israël, mythe du paysan-soldat, jubilation de voir la défaite
des armées arabes après l’humiliation de la guerre d’Algérie, perception
d’Israël tel un bastion de l’Occident contre le communisme. Après guerre,
l’antisémite et colonialiste Phalange française obtient de l’Etat un soutien
logistique et financier pour racheter un village abandonné en Algérie, afin
d’y fonder une communauté de soldats-paysans. Charles Luca explique à
la presse que son modèle ce sont les « kibboutz encerclés par les Arabes »,
et considère que « le sionisme nous montre la voie ». Mabire en personne
appelle à « unir le tracteur et l’automitrailleuse comme ceux d’Israël90 ».
Les kibboutzim représentent un idéal communautaire, qui, plus qu’il
n’inspire, exalte le sentiment de possibilité de création de micro-sociétés
nationalistes et socialistes. En 1967, l’éclatante victoire de Tsahal vient
contredire les décennies de propagande dépeignant le juif comme pleutre,
incapable de porter les armes. A contrario, la Guerre des Six Jours est
très fortement ressentie par nombre de Français juifs, jusque là souvent
hostiles au sionisme. La précarité de l’existence de l’Etat israélien est alors
amalgamée au souvenir du judéocide, et la solidarité entre Français juifs
et Israël se consolide nettement. Guerre moyen-orientale et obsession

89 Il est parfois très malaisé d’appréhender certains discours. Quand est mis en cause le sionisme
sous prétexte qu’il serait « fondé sur la base d’une idéologie religieuse démente («le peuple élu !»,
base du sionisme) » (Le Partisan Européen, pluviôse 1987) a-t-on affaire à une méconnaissance ou à
une habilité polémique qui cherche à assimiler antisionisme et antijudaïsme ? Affirmer que les N.R.
ne sont antisionistes que par dissimulation de l’antisémitisme c’est a) ne pas comprendre l’impor-
tance de la thématique anti-impérialiste dans la construction du néo-fascisme européen ; b) refuser
d’admettre que l’on puisse soutenir la cause palestinienne en soi, pour ce qu’elle est, ce qui revient
à émettre un discours de propagande ; c) ne pas prendre en considération le fait que la propagande
est assimilée en tant qu’idéologie par le militant. Ceci dit il est certain que, quel que soit le posi-
tionnement politique d’un individu, défendre la cause palestinienne au nom du droit des peuples
à disposer d’eux-mêmes relève de très lourdes ambiguïtés lorsque l’idée est émise dans le cadre de
l’antisionisme radical, puisque cela revient à affirmer que ce principe ne s’appliquerait en revanche
pas au peuple israélien, et donc à nier son existence.
90 C. Luca, 1988, pp.297-298 ; L’Esprit public, mai 1963.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 137

victimaire autour du judéocide vont nourrir ensemble communautarisme


et renouvellements de l’antisémitisme.
Hors du champ extrême droitier, le thème anti-impérialiste a
rapidement connu des ambiguïtés idéologiques dans le débat relatif au
conflit israélo-palestinien. Car si le discours antisioniste permet de réhabiliter
l’antisémitisme, c’est aussi parce qu’il brouille les cartes idéologiques, parce
qu’il jouit du soutien d’une grande part des gauches. Puisque les gauches
communistes se présentent comme détentrices de la légitimité de la
Résistance, elles refusent que l’on puisse les accuser d’antisémitisme… En
1948, des dizaines de milliers de juifs sont arrêtés en U.R.S.S. car ils sont
accusés d’être des « cosmopolites » mondialistes et anti-nationaux. Lors du
procès Eichmann (1960-1961) la presse soviétique amalgame Israël et le IIIe
Reich, accuse les Israéliens de s’être alliés à la R.F.A., afin de provoquer la
Troisième Guerre mondiale. En 1963, la publication soviétique Le Judaïsme
sans fard représente des soldats de Tsahal affublés du faciès des caricatures
antisémites mais portant croix gammées et casques à pointes. L’U.R.S.S.
consacre le maximum de sa production propagandiste, au-delà même de ce
qui est consacré aux «déviances» marxistes-léninistes, à la dénonciation du
« sionisme » : entre 1967 et 1978, cent quatre-vingt ouvrages antisémites-
antisionistes sont publiés, dont environ une cinquantaine de thèses
universitaires, ainsi que plusieurs milliers d’articles dans la presse officielle.
En 1969, Prudence : Sionisme, fantasmant sur l’alliance entre sionistes et
nazis, et sur l’équivalence doctrinale entre sionisme et nazisme, est tiré à
cinq cent mille exemplaires91. Cette pente dialectique mène l’U.R.S.S. à
être, à la fin des années 1970, le premier éditeur mondial d’écrits sur les

91 Y. Manor, « L’Antisionisme », Revue française de sciences politiques, avril 1984, pp.295-322.;


E. Poliakov, « La Russie au XXe siècle », Histoire de l’antisémitisme 1945-1993, E. Poliakov dir., Le
Seuil, Paris, 1994, pp.267-285 ; idem, « Caractéristiques et prolongements actuels du nazisme »,
Antisémitisme et nazisme aujourd’hui, supplément à Droit et liberté n°379, avril 1979, p.9. Des sio-
nistes avaient tenté d’obtenir une alliance avec le IIIe Reich contre l’ennemi commun anglo-saxon –
ce qui est de la géostratégie, non de l’idéologie.
138 NICOLAS LEBOURG

complots des «sages de Sion»92. Elle essaime ainsi sa dialectique. Pendant


qu’au lendemain encore et toujours de ce « marqueur » fondamental qu’est
la Guerre des Six Jours, L’Humanité met en place la logomachie selon
laquelle « antisémitisme = fascisme = réaction = capitalisme », la presse
maoïste met en cause « le complot impérialiste et sioniste », amalgame
le sionisme avec l’impérialisme et le fascisme. Rouge, l’organe de la Ligue
Communiste, définit, quant à lui, le sionisme comme « expansionniste,
raciste, colonialiste93 ».
Les responsables arabes empruntent à la propagande soviétique
l’amalgame juifs = sionisme = nazisme. Illustration en est faite dans la
charte de l’Organisation de Libération de la Palestine : en sa forme initiale
(1964) l’article 19 stigmatisait le sionisme en tant que « mouvement
foncièrement colonialiste, agresseur et expansionniste, raciste et séparatiste
de par sa structure, fasciste dans ses objectifs et moyens » ; en sa forme
révisée (1968) le vingt-deuxième article affirme que « le sionisme est un
mouvement politique organiquement lié à l’impérialisme international et
opposé à toute action de libération et à tout mouvement progressiste dans
le monde. Il est raciste et fanatique par nature, agressif, expansionniste et
colonial dans ses buts, et fasciste dans ses méthodes. Israël est l’instrument
du mouvement sioniste et la base géographique de l’impérialisme
mondial ». En 1964, une brochure de la centrale palestinienne voit dans les
Palestiniens les victimes d’un complot conjoint entre les anglo-américains
et la « Juiverie mondiale et tendant à transformer la Palestine en un Etat
juif, devant servir de base au colonialisme et de suppôt au capitalisme
monopolistique », le « complot judéo-impérialiste contre la Palestine »
ayant déjà expulsé un million d’Arabes de leur pays 94. Ce chiffrage, que

92 Cela se situe dans le cadre de la Guerre froide et de ses habituelles manœuvres de déstabili-
sation contre les alliés de son ennemi. En ce qui concerne la fascination qui se fait jour chez les
néo-nazis pour l’U.R.S.S., il est certain que cela compte. Les staliniens français ne sont pas en reste,
puisque Benoît Frachon, au congrès de la C.G.T. qui s’ouvre sitôt la Guerre des Six Jours achevée,
proclame : « Les correspondants de guerre nous ont présenté avec force détails, comme une grande
manifestation de la foi, une cérémonie au mur des Lamentations (…). La présence de certains
personnages de la haute finance lui conférait un autre sens que celui de ferveur religieuse (…). Le
spectacle faisait penser que, comme dans Faust, c’était Satan qui conduisait le bal. Il n’y manquait
même pas le veau d’or, toujours debout qui (…) contemplait à ses pieds, dans le sang et dans la
fange, les résultats de ses machinations diaboliques. En effet, les informations nous indiquaient
qu’avaient assisté à ces saturnales deux représentants d’une tribu cosmopolite de banquiers bien
connus : Alain et Edmond de Rothschild. A leurs pieds, des morts encore saignants » (cité dans M.
Szafran, Les Juifs dans la politique française de 1945 à nos jours, Flammarion, Paris, 1990, p.115).
93 M. Winock, Nationalisme, Antisémitisme et fascisme en France, Le Seuil, Paris, 1990, pp.212-
216.
94 P-A. Taguieff, Les Protocoles des Sages de Sion Faux et usages de faux, Berg International, Paris,
1992, pp.327-328.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 139

reprend Duprat ensuite, est fantaisiste ; il est une propagande permettant


de connoter une politique impérialiste en invoquant en sous-entendu
l’image des déportations effectuées par le IIIe Reich. Mais le fait que
Duprat le reprenne témoigne qu’un tel théoricien N.R. ne méconnaît pas
la propagande palestinienne, et comment il veut y trouver des arguments
pour sa propre cause. Certains nationalistes développent en effet, à l’ombre
de cette thématique, timidement puis de plus en plus franchement, leur
rhétorique antisioniste. Ils le font d’autant plus avantageusement que
leurs ennemis préférés, les gauchistes, sont un vecteur de diffusion de la
péjoration nazifiante d’Israël.
A l’origine, c’est en effet l’extrême gauche qui porte cette accusation,
plus encore que les staliniens, et alors que l’extrême droite française est
encore massivement pro-israélienne. Un tract unitaire gauchiste, signé par
L’Humanité rouge (maoïste), la L.C.R., etc., s’applique consciencieusement
à recopier le style mis en place. Ils affirment ici leur « SOUTIEN TOTAL
aux peuples palestinien et libanais contre l’agression sioniste », conspuent
la « tentative d’extermination de la population palestinienne et libanaise,
les projets impérialistes sionistes et réactionnaires de l’Etat sioniste »,
« ennemi » face auquel il en est appelé par trois fois à la « résistance »
(une fois écrit avec majuscule). Le tract dénonce encore : « les troupes
sionistes poursuivent leur guerre d’extermination contre l’existence même
des peuples palestinien et libanais », tandis que « les milieux sionistes
européens » manœuvrent pour les soutenir95. Les réactions au massacre
des athlètes israéliens lors des Jeux Olympiques de 1972, perpétré par un
commando palestinien, constituent un exemple parfait. Pour l’occasion,
l’Alliance marxiste-révolutionnaire, la Gauche marxiste, la L.C.,
l’Organisation Communiste Libertaire, l’Organisation révolutionnaire
marxiste et Révolution publient un communiqué commun qui dénonce
« l’alliance sacrée internationale qui s’est formée contre l’action d’un
commando de Septembre noir à Munich. (…) Les superpuissances, tous
les Etats du monde ne se sont jamais souciés du sort du peuple palestinien,
quand ils ne l’ont pas réprimé dans le sang. Leurs pleurs sur ce qui se
passe actuellement n’ont pas été aussi importants lors des massacres de

95 A.N. 79A.J.44.
140 NICOLAS LEBOURG

1947 en Palestine ou de septembre 1970 en Jordanie96 ». Est-il nécessaire


de souligner que maoïstes, trotskystes et libertaires semblent massivement
oublier qu’il s’agit d’un massacre perpétré par des Palestiniens et non par
l’Etat israélien ? que cet antisionisme radical est une hérésie doctrinale
pour des internationalistes qui devraient soutenir prolétariat israélien et
palestinien contre la bourgeoisie israélienne et palestinienne ? que cette
omission n’est rendue possible que par le lien tiré entre Israël et impérialisme
capitaliste anglo-saxon, ce qui nous renvoie à des notions antisémites et
au concept implicite de déplacement de la lutte des classes sur la lutte
entre nations prolétaires et nations bourgeoises ? Le soutien à la cause
palestinienne mène trotskystes et maoïstes à emprunter aux nationalistes
arabes leur rhétorique, c’est-à-dire, en fin de compte, que les gauchistes
antisoviétiques répandent l’argumentation soviétique... Une raison sans
doute importante de ce fait relève du sentimentalisme et non de l’analyse
politique : le soutien instinctif à « l’opprimé » qui mène à « choisir son
camp », à définir « l’oppresseur » en tant que Mal absolu, à reprendre
tous les arguments de « l’opprimé ». C’est là un réflexe chez de nombreux
gauchistes qui les mène à manquer de cohérence idéologique.
La propagande antisioniste stalinienne et gauchiste, grâce à la
sympathie que voue une partie de l’intelligentsia à l’une ou l’autre de
ces gauches et leur plus facile accès aux media, est un instrument de
propagation de la rhétorique qui sert aux N.R. Ces derniers s’inscrivent
dans leur sillage, dans leur langue commune, pour leur propagande
propre. Ce que conspuent les gauchistes, par imitation, c’est « l’Etat
sioniste » et non « Israël » : la rhétorique de l’antisionisme radical nie
jusqu’au droit à la nation israélienne de porter son nom, elle n’est que
l’instrument étatico-impérialiste de l’idéologie «nazie sioniste» (alors que
les gauches antisionistes françaises, en leur dénonciation du « racisme »,
du « fascisme » et du « bellicisme » israéliens pourraient remarquer que
la charte de l’O.L.P. stipule « la destruction d’Israël », ce qui ne relève
pas du pacifisme). Enfin, l’O.N.U. offre une formidable légitimité aux
formulations les plus ambiguës en adoptant le 10 novembre 1975 sa
résolution 3 379 (abrogée le 16 décembre 1991, après la Guerre froide) qui
« considère que le sionisme est une forme de racisme et de discrimination

96 Communiqués dans Le Monde, 7 septembre 1972 ; idem, 8 septembre 1972. Seules deux
formations gauchistes ne sombrent pas ici dans l’antisionisme caricatural. Lutte Ouvrière réprouve
la politique consistant à considérer tous les Israéliens responsables « des menées criminelles de l’Etat
sioniste », en condamnant ensemble la violence contre les civils et celle du gouvernement de Tel-
Aviv. La Gauche Prolétarienne oppose un total déni de légitimité à un tel acte et, pour que les choses
soient claires, son communiqué est signé par sa branche militaire, la Nouvelle Résistance Populaire.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 141

raciale », tandis que la conférence des non-alignés à la Havane en 1979


va encore plus loin dans l’assimilation avec le nazisme en considérant le
sionisme comme un « crime contre l’humanité ». Les néo-fascistes qui
se rêvaient l’équivalent européen des mouvement de libération du Tiers-
Monde ne pouvaient rêver mieux.
Or, la tâche des nationalistes antisionistes est d’autant plus ardue
qu’ils sont extrêmement minoritaires en leurs rangs : avant 1973 (Guerre
du Kippour) ne s’y trouvent guère que les rescapés de l’Epuration et les
plus nazifiants des jeunes nationalistes. Le discours antisioniste ne trouve
donc guère d’éléments au sein des extrêmes droites françaises sur lesquels
s’appuyer et se nourrit en conséquence des autres champs politiques ou de la
propagande d’extrême droite d’autres contrées. Dès 1948, Bardèche cofonde
avec Binet un groupuscule antisioniste et affirme qu’Israël serait bâti sur «le
mensonge de la Shoah». Il ne ramène jamais le fascisme à un antisémitisme
traduit en politique, mais il considère qu’il n’est pas de fascisme qui puisse
s’élever sans combattre la «main-mise» juive. Son antisionisme virulent va
de pair avec un désir d’expulsion des Français juifs, selon une contradiction
peut-être trop logique que l’on retrouve quasiment en permanence chez les
N.R. Défense de l’Occident, dès 1954, s’adonne au négationnisme et, dès
1955, dans l’antisionisme assimilant sionisme et nazisme97. Bardèche finit
par conclure, lui aussi, que « les juifs ont parfaitement raison de soutenir que
l’antisionisme conduit à l’antisémitisme98 ». La thèse de la responsabilité
juive dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale (qui, par
ailleurs, était la légitimation donnée par Hitler à l’extermination des juifs)
devient un élément du négationnisme (Bardèche en use dès Nuremberg
ou la Terre promise, 1948) et de l’antisionisme (Défense de l’Occident
rend compte avec gourmandise des propos de l’organe du Parti National
Socialiste de Californie qui décrirait comment la guerre fut « déclenchée
par le «sionisme», dans l’intérêt du sionisme et faite par… les Aryens99 »).
En Europe les néo-fascistes se saisissent des propagandes soviétique
et populiste arabe : en Allemagne un journal d’extrême droite titre
alors sur « L’Auschwitz israélien du désert100 ». En 1967, Duprat réalise,
avec des contributions de Bardèche, Fontaine et Rassinier, un essai sur
L’Agression israélienne, document fondamental dans l’évolution doctrinale
des extrêmes droites françaises. Il y expose que les U.S.A. agissent au

97 Cf. V. Igounet, Histoire du Négationnisme en France, Le Seuil, Paris, 2000, pp.53-55.


98 M. Bardèche, « Progrès et chances du fascisme », préface à F. Duprat, Le Fascisme dans le
monde, 1970, p.10.
99 Défense de l’Occident, août-septembre 1965.
100 Cité dans P. Vidal-Naquet, Les Assassins de la mémoire, La Découverte, Paris, 1987, p.173.
142 NICOLAS LEBOURG

Moyen-Orient selon les ordres du lobby juif, alors que l’intérêt occidental
serait de voir Nasser réussir l’unité arabe. Il clame que diaspora et Etat
israélien constituent un ensemble solidaire. Réfutant tour à tour tous
les arguments pro-sionistes extrêmes droitiers, il use de l’ensemble de
l’argumentaire soviético-arabe : impérialisme, expansionnisme, racisme,
bellicisme, déportations des Palestiniens, cosmopolitisme. Il vilipende la
mainmise juive sur les media et sur les hommes politiques en vue d’assurer
la puissance du « lobby sioniste ». Il en appelle enfin à la mobilisation :

Bâti sur une injustice et sur un véritable génocide (car l’expulsion


de tout un peuple de sa patrie est un génocide, au même titre que
son extermination), Israël poursuit, grâce au soutien inconditionnel
de la juiverie internationale, sa «Solution Finale» du problème arabe.
Et, à la différence de la solution finale des S.S. du IIIe Reich, il est
bien question là d’une liquidation globale du fait arabe au sein de
l’état juif. (…) Nous avons pu assister, à propos du conflit judéo-
arabe, à une sensationnelle prise en main de la population française
par des techniciens de classe. (…) Les juifs ont tort de montrer
trop ostensiblement leur puissance et de prouver que leur puissance
belliciste en 1939 était aussi puissante que de nos jours. (…) Il est
bien possible que les mêmes causes finissent par produire les mêmes
effets. (…) Au moment où les agresseurs impérialistes d’Israël effectuent
dans les territoires occupés leur «solution finale» du problème arabe,
nous, patriotes Français, réaffirmons notre solidarité avec le peuple
opprimé de Palestine, dans son héroïque résistance contre l’occupation
sioniste. (…) Décidés à informer nos compatriotes au sujet du génocide
en cours depuis 1948, nous demandons aux Français désireux de
défendre le Droit et la Justice, de prendre contact avec nous pour lutter
contre le lobby sioniste en France et pour diffuser toute information
sur le combat livré par le peuple arabe contre l’envahisseur. A BAS LES
AGRESSEURS IMPERIALISTES D’ISRAEL ! LA LIBERTE POUR
LA PALESTINE ARABE101 !

Le négationnisme est ici, pour la première fois, lié à l’antisionisme,


légitimé par l’anti-impérialisme et l’antiracisme. Le texte est une pierre
marquant l’édification d’une doxa néo-fasciste, un moment essentiel
dans l’histoire des extrêmes droites européennes. Duprat ne cesse ici de
rendre la totalité des juifs solidaires du sionisme et d’Israël. Il les exclue
ainsi de l’ensemble national et dessine les tentacules du complot juif
mondial, recyclé en sionisme international, travaillant à l’élaboration d’un

101 F. Duprat, L’Agression israélienne, Défense de l’Occident, juillet-août 1967, pp.8-53 et p.80.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 143

nouvel antisémitisme conspirationniste. Il lie par-là les juifs de France et


d’ailleurs, puisque dits complices, aux crimes qu’il impute à Israël. Cette
rencontre explicite de l’antisémitisme et de l’antisionisme est absolument
fondamentale puisque c’est la fusion de ces éléments qui était au cœur de
l’idéologie antijuive nazie définie par Rosenberg (et pour Hitler il était
entendu qu’un Etat juif serait naturellement « au point de vue territorial,
sans aucune frontière102 »). Ainsi, à travers le soutien aux Palestiniens,
Duprat inculque-t-il une doctrine antijuive totale et radicale. Son discours
est clair : Israël n’est pas respectable, comme ont tendance à le penser la
Phalange française, Mabire ou Rivarol, parce que nationaliste et socialiste :
il serait condamnable parce qu’il commettrait les crimes que l’on prêterait
par mensonge au nazisme. L’antisionisme n’est pas ici séparable de
l’accusation de perpétuation d’un génocide à l’encontre des Palestiniens
et du négationnisme. Cette reformulation est d’autant plus nécessaire que
le vote de la loi Pleven va tantôt interdire la publication des assertions
racistes telles que celles qu’il livrait ici. L’antisionisme et le négationnisme
deviennent alors d’obligatoires passages rhétoriques pour la propagande
antisémite. Le sionisme étant censé concerner tous les juifs, il devient le
meilleur instrument de la délégitimation antisémite, puisqu’il permet de
faire reposer celle-ci sur une rationalité politique et non raciale, et ainsi de
contourner l’ombre réprobatrice du judéocide. La dénonciation du martyre
palestinien est l’une des armes les plus acérées de ce discours : jusque là,
les négationnistes ne s’étaient intéressés qu’à la dénonciation des malheurs
allemands, de l’extorsion de fonds dont serait victime la R.F.A. calomniée.
Alors que l’Occupation était encore si proche, l’argument ne pouvait guère
avoir d’audience. Il ne faisait sans doute que marquer les extrémistes de
droite en anti-patriotes, effet pervers désastreux. Faire remarquer qu’il y
a un vice originel dans le concept « une terre sans peuple pour un peuple
sans terre » est nettement plus habile.
Duprat constitue son pseudo « Rassemblement pour la Libération de la
Palestine », situé sur la ligne du Fatah, se lie au Parti Populaire Syrien (issu du
Parti National-Socialiste Syrien) afin de combattre le pro-sionisme extrême
droitier français : « avec Maurice Bardèche, nous avons été les seuls à prendre
une position nettement anti-Israël. Ce n’était pas courant à l’époque. Je suis
heureux de voir que nous avons été suivis sur cette voie-là ». Dominique
Venner critique d’ailleurs L’Agression israélienne en une tribune libre publiée
par Minute, stigmatisant ce soutien aux Arabes communistes et affirmant
qu’Israël n’a pas à être confondu avec l’internationale juive. La Guerre des

102 Hitler, Mein Kampf, Nouvelles Editions Latines, Paris, s.d, p.302.
144 NICOLAS LEBOURG

Six Jours voit même l’ancien Commissaire aux questions juives Xavier
Vallat ou l’écrivain antisémite Rebatet prendre fait et cause pour Israël – lui
dont le dernier article sous l’Occupation s’intitulait « Fidélité au national-
socialisme » et qui salua en la Waffen S.S. une « élite de cette Internationale
aryenne qui refera demain le monde sans juifs (….). Mort aux juifs ! 103 ».
Les anciens partisans du IIIe Reich eux-mêmes ont saisi toute la force
d’un discours d’amalgame du nazisme et du sionisme. La Nation européenne,
diffusée dans le monde arabe, se spécialise dans cette dénonciation des
«juifs nazis». Thiriart y affirme que « la meilleure solution » serait de
délocaliser Israël aux U.S.A., où se devraient d’émigrer les juifs d’Europe
car « il n’y aura aucune place pour une cinquième colonne permanente ».
Cette décision serait imposée par le fait que les juifs « contrôlent entre 40 et
90% de notre cinéma, de notre radio, de la télévision, de la politique, de la
presse. La conspiration politique juive n’est pas un phantasme ». La Seconde
Guerre mondiale aurait été provoquée par l’entourage juif de Roosevelt et
la victoire que les juifs y auraient acquise, de par la création de leur Etat, les
aurait menés à penser qu’ils étaient sur la voie de la domination mondiale.
En fait, « la juiverie mondiale, à 99,99%, soutient de tout cœur l’Etat
d’Israël et sa politique d’extermination du peuple palestinien. (…) A côté
d’Israël, il existe un Etat juif invisible de dimensions mondiales ». Aussi,
son journal met en cause « les ignobles méthodes gestapistes d’Israël104 ».
L’ex-Waffen S.S. Saint-Loup, entre deux ouvrages hagiographiques sur
son ancien ordre, apprend à user de sa propre image en tant qu’élément
stigmatisant, comparant Israël et le IIIe Reich, Tsahal et la Waffen S.S. dans
une perception négative du nazisme que l’on ne lui connaissait pas105.
Pourtant, l’antisionisme à l’extrême droite ne se trouve guère encore

103 Devenir, avril-mai 1944 ; Notre Europe, mars 1970 ; G. Pons, Les Rats noirs, Jean-Claude Si-
méon, Paris, 1977, p.65 ; Minute, 10 août 1967, cité in G. Desbuissons, 1990, p.124.
104 La Nation européenne, octobre 1967 ; idem, novembre 1968 ; idem, février 1969.
105 Pour une Jeune Europe, été 1970. Le journal expose que ces articles antisionistes lui ont valu
un tombereau de courriers de lecteurs furieux, alors même qu’il était coutumier à ce périodique
de flirter avec les références nazies. Son manifeste définit Israël comme la « véritable métropole du
Sionisme international, financé par la Diaspora [et] tous les pays capitalistes (…), soutenu par la
conscience universelle, n’est que le paravent pour la colonisation de tous les pays islamiques. [Il n’y
a pas de différences entre les Européens juifs et Israël.] Nous prétendons qu’il s’agit d’un seul Peuple,
et donc leur mentalité, cet esprit toujours présent de destruction d’un monde qui n’est pas sous leur
domination, est toujours le même. (…) Chaque coup porté contre le pays d’Israël est une blessure à
la grande communauté juive du monde entier. Les Arabes ont compris que la seule lutte possible est
la lutte armée, le terrorisme, les actions de commando (…), notre position vis-à-vis de cette guerre
ne peut être que la défaite finale des Israéliens. Cette défaite ne peut que nous être profitable, car
elle portera un coup terrible à la Diaspora et au Capitalisme apatride » (Manifeste pour une Jeune
Europe, novembre 1969, pp.15-16).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 145

que dans les publications d’Henry Coston ou de Pierre Sidos. Marc


Fredriksen, en sus de sa F.A.N.E., également antisioniste, tente avec ceux-
ci et Françoise Dior de mettre en place un Front Uni Antisioniste, en
1969, qui s’avère sans existence aucune. Cependant on s’aperçoit que les
éléments constituants de la future nébuleuse N.R. se trouvent sur cette
ligne. L’ambivalence des positions de mouvements comme Occident et
Ordre Nouveau est à cet égard particulièrement révélatrice. Jusqu’à la
Guerre des Six Jours, une tendance sioniste existait au sein d’Occident,
mais certains « affichent de la sympathie pour la cause palestinienne, et vont
le long du boulevard Saint-Michel complimenter les marxistes-léninistes
qui distribuent des tracts appelant à détruire le colonialisme sioniste » ; ils
déclenchent finalement le départ des pro-israéliens106. La virulence dont
fait montre personnellement constamment Duprat n’est plus de mise
quand il présente la conception officielle d’O.N. à son congrès de juin
1972 – développant une formulation consensuelle afin de représenter une
synthèse des divers sentiments encore présents 107.
Voilà, un nationalisme revigoré par imitation du Fatah vers ce qui
l’extraie du classicisme pour amorcer le mouvement qui l’entraîne vers
le nationalisme-révolutionnaire. Le courant N.R. se constitue en fait
amplement sur cette question de l’antisionisme radical : Franco Freda
organise la première manifestation italienne de soutien au Fatah, et il traduit
l’opuscule de Duprat. En R.F.A., les N.R. brandissent le nom de Strasser,
et affirment refuser l’antisémitisme mais être antisionistes par attachement
à la liberté des peuples. Le premier article que publie Christian Bouchet
dans Jeune Nation solidariste est « une colonne admirative pour Kazo
Okamoto (de l’Armée rouge japonaise, auteur de l’attentat de Lod)108 ».
Mais, sur cette question, il faut lire avec attention ces lignes écrites en 1972
en prison par Franco Freda :

106 Les Rats maudits. Histoire des étudiants nationalistes 1965-1995, Editions des Monts d’Arrée,
Paris, 1995, p.19. Les voyages officiels de dignitaires soviétiques ne donnent d’ailleurs pas lieu qu’à
un intense et systématique activisme nationaliste, mais aussi à celui des jeunes sionistes qui n’hé-
sitent pas à réimprimer sous leur signature les affiches antisoviétiques d’O.N. – ce qui doit laisser
quelque peu pantois son ancien responsable de la propagande, Duprat.
107 Il réclame qu’Israël libère les territoires occupés, ceux-ci formant dès lors un Etat palestinien
auxquels Tel-Aviv payerait des dédommagements, de même qu’elle aurait réglé la question des réfu-
giés palestiniens (F. Duprat, « Un Programme de politique étrangère : nationalisme et Occident »,
Ordre Nouveau, supplément à Pour un Ordre nouveau, juin 1972, p.257).
108 Cahiers européens hebdomadaires, 20 juillet 1976 ; A-M. Duranton-Crabol, 1991, p.41 ; C.
Bouchet, e-mail, 2003. Le 30 mai 1972, trois membres de l’Armée rouge japonaise alliée au F.P.L.P.
de Georges Habache réalisèrent le premier attentat-suicide de l’histoire à l’aéroport Lod de Tel-Aviv,
faisant 26 morts et une centaine de blessés. La nouveauté du procédé impressionna fort et inaugura
l’ère du terrorisme kamikaze.
146 NICOLAS LEBOURG

Je ne suis pas sûr du tout que ma solidarité avec la lutte antisioniste


puisse déposer en faveur de la thèse qui découvrirait en cela un lien
emblématique avec des milieux de gauche. Cela pourra seulement
déposer en faveur de l’intelligente sensibilité démontrée par une
fraction de la gauche sur ce problème et – dans une mesure réduite –
servira seulement à enregistrer l’honnêteté de quelques franges isolées
situées à gauche, contre l’écume d’enthousiasme hystérique pour le
sionisme montée en surface sous l’action d’autres forces importantes de
la droite et de la gauche italiennes et européennes, sorties ensemble de
la même matrice ploutocratique. De toute façon, seule la mauvaise foi
pourrait confier le «monopole» des positions antisionistes aux diverses
gauches : le confirment les courageuses prises de position du «fasciste»
Bardèche (…) ; des «néo-nazis» français d’Ordre Nouveau ; d’Henry
Coston (…). J’ai été un des premiers – et des peu nombreux – en
Italie, en 1963, à travers une brochure à condamner (…) la politique
de rapine, d’assassinats, de massacres (en un mot : de génocide) menée
par le colonialisme juif dans la Palestine «sionistisée»109.

Ces commentaires démontrent pleinement l’absurdité qui consisterait


à affirmer l’équivalence des extrêmes pour cause de rhétorique antisioniste
commune. Les N.R. ne peuvent qu’aller chercher chez les gauchistes une
langue bien plus adaptée à leur époque que celle des préjugés racialistes,
comme ils le font aussi, de la même manière, pour les questions sociales.
Ils ne peuvent que constater que, face à une campagne internationale
massive, ils ont tout intérêt à s’y ancrer – comme le disait Almirante en
avril 1972 : « Nous sommes tous victimes, ces vingt-cinq dernières années,
d’une guerre des mots. Cette guerre, les communistes l’ont gagnée110 ». Les
N.R. ne vont plus changer de cap – jusqu’au onze septembre 2001 – tant
les voilà ayant trouvé la voie d’un néo-nationalisme qui soit une rupture
avec l’impérialisme.

10. Exemplarités arabo-musulmanes

La référence de politique étrangère correspond d’abord à ce que


l’émetteur du discours veut trouver dans le pays ou mouvement qu’il
cite ; lorsqu’un groupe politique fait référence à un pays étranger on

109 G. Freda, Deux lettres à contre courant, s.e., Nancy, 1990, s.p.
110 Cité dans L. Cheles, « Le «New look» du néo-fascisme italien », Droite Nouvelle droite Extrême
droite Discours et idéologies en France et en Italie, Mots, Bonnafous et Taguieff dir., mars 1986, 1986,
p.37.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 147

apprend peu sur cette contrée, mais beaucoup sur les fantasmes et idéaux
du groupe. Le Maghreb, le Moyen-Orient et l’Asie mineure ajoutent à
ces effets d’optique, outre leurs valeurs historiques ou industrielles, une
imprécise nature géographique apte à exciter les imaginaires, ô combien
importante quand on parle de nationalisme.
La question des relations entre N.R. et nationalistes arabes ou islamistes
est une de celles qui a le plus contribué à faire parler des premiers. Les
trois niveaux les plus bassement polémiques de l’analyse sont hélas les plus
courants : cela ne serait dû, lit-on, qu’au prurit antisémite prêté aux N.R.,
cela ne serait que la démonstration que les nationalistes arabes ou islamistes
ne sont que la continuité de ces musulmans qui jadis choisirent la Waffen
S.S., cela, enfin, ne serait que dissimulation pseudo-tiers-mondiste ; sans
que ces aspects soient à mésestimer rigoureusement, ils nous apprennent
plus sur leurs émetteurs que sur la réalité du phénomène111. Celui-ci est
bien mieux éclairé par l’analyse historique qui estime que la véritable
postérité de la Révolution Conservatrice se situe à Bagdad et Téhéran112.
C’est en quête de ce que représente celle-ci que sont les N.R. et l’illogisme
de leur part serait, précisément, de mésestimer les voies empruntées par les
mondes arabo-musulmans en une telle matière.
Il est aussi une part instrumentale. De manière révélatrice, Duprat
se soucie de celles-ci dès la première conférence de presse d’O.N. ; il y
déclare, afin de démontrer la modernité qu’il prête aux thèses qu’il prône,
que « les solutions pratiquées dans les pays du Tiers-Monde sont des
solutions néo-fascistes si on les débarrasse des oripeaux marxistes dont

111 Il est certain que la problématique relève un caractère de déplacement polémique. Drumont
s’offusquait du décret Crémieux en mettant en avant les « Arabes héroïques » à certains desquels
la France eût dû donner la citoyenneté (E. Drumont, La France juive, Flammarion, Paris, 1941
(1912), tome deux, pp.12-13). Le Grand Mufti de Jérusalem alla prêcher le jihad en Bosnie-Herzé-
govine pour exhorter les musulmans bosniaques à rejoindre la Waffen S.S., et un régiment fut ainsi
constitué. Grâce à l’intervention de dignitaires turcs purent être incorporés aux unités militaires du
Reich 200 000 volontaires soviétiques musulmans du mouvement pantouranien voulant créer une
république musulmane entre Turquie et U.R.S.S. (à compter de l’été 1943, l’Etat turc réprime ce
mouvement et il finit par déclarer la guerre à l’Allemagne… le 1er mars 1945). Dans les mouve-
ments nationalistes musulmans pro-Axe il faut noter des algériens, des égyptiens, des irakiens, des
iraniens, des pakistanais et des tunisiens. L’invasion anglo-soviétique de l’Iran marqua un certain
nombre d’esprits en tant que démonstration d’une collusion contre l’Islam entre l’impérialisme
colonialiste occidental et le communisme athée (C. Bloch, 1986, p.441).
112 S. Breuer, Anatomie de la Révolution conservatrice, Maison des sciences de l’Homme, Paris,
1996, p.237.
148 NICOLAS LEBOURG

elles se couvrent113 ». Au delà de l’analyse politique, c’est là affirmer aux


nationalistes qu’ils peuvent conserver l’espoir et que leurs idées ne sont
pas historiquement définitivement condamnées. C’est suggérer également
qu’un « détour révolutionnaire », selon la formule et l’idée de Moeller van
den Bruck, est l’un des meilleurs moyens d’instaurer l’ordre.
Thiriart ou Duprat symbolisent l’ambiguïté d’une époque lorsqu’ils
évoluent de l’O.A.S. à l’apologie du baasisme et entretiennent dès lors des
contacts avec divers nationalistes arabes. Les G.N.R., le M.N.R., Troisième
Voie, Nouvelle Résistance, le Parti Communautaire National-européen
ou Unité Radicale ont tous fait l’apologie de régimes arabes ou islamistes
en s’opposant à l’immigration en Europe de leurs ressortissants, ce qui a
souvent intrigué. Lorsqu’il s’agissait de diffuser les positions du Mouvement
Social Européen, Bardèche s’inscrivait dans la perspective eurafricaine, non
sans, déjà, esquisser, par-delà ce qui demeure une perspective impériale,
une ébauche de rapprochement avec l’élite politique arabe :

Quand l’Europe sera [une] unité politique, les colonies des


divers pays européens [devront] être largement ouvertes à toutes les
nations de la communauté européenne. (...) Nous sommes convaincus
aussi que la conception du monde qui sera celle de l’Europe nous
permettra de trouver un terrain d’entente avec les nationalistes
arabes. En leur présentant des conceptions absolument neuves sur la
présence simultanée des Européens et des Arabes dans les territoires
communs, nous pensons que nous pourrons résoudre la plupart des
difficultés devant lesquelles échouent l’hypocrisie démocratique et les
survivances colonialistes. Au moins, aborderons-nous ces discussions,
nous Européens, avec une mentalité généreuse et loyale à l’égard du
peuple arabe dont nous reconnaissons la valeur et l’antiquité comme
race et comme culture114.

C’est autour de cette thématique que s’organise, malgré la Guerre


d’Algérie, une conception proche de celle du programme de la République
Sociale Italienne. Depuis le congrès de Vérone (1943), l’idéal fasciste
demeure celui d’une fédération européenne des Etats nationalistes
qui engage la lutte contre la « ploutocratie mondiale » et organise la

113 Le 31 mars 1970, cité in A. Rollat, Les Hommes de l’extrême droite, Calmann-Lévy, Paris, 1985,
p.50. Pour un Ordre Nouveau soutient dans ses colonnes les néo-fascistes italiens, les oustachis, mais
également les militaires de l’Uruguay, Juan Perón, l’Organisation de Libération de la Palestine, le
colonel Kadhafi, etc.
114 M. Bardèche, L’Oeuf de Christophe Colomb, Les Sept couleurs, Paris, 1951, p.149.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 149

valorisation de l’Afrique, appuyée sur les nationalistes musulmans115. Cette


perspective, profondément inscrite dans celle de l’utopie eurafricaine
qu’elle modernise, est confrontée d’une part aux répercussions du conflit
israélo-palestinien, d’autre part à l’onde de choc de la perte de l’Algérie
par la France. Bardèche a nourri des sentiments ambigus vis-à-vis de la
Guerre d’Algérie. Sa conception n’est pas sans connotation impérialiste ;
alors que, toute sa vie, il prône l’Europe blanche, il octroie bel et bien à
l’Europe une part de l’Afrique : « les territoires communs » ne sauraient
se situer ailleurs. En 1955, il amorce un virage essentiel, puisqu’il prône
désormais la constitution d’une troisième force non européenne mais
constituée de l’alliance entre Europe et Islam ; Islam et non monde arabe,
car c’est la communauté d’affects entre nationalistes européens et islamistes
ou nationaux-musulmans qui lui paraît chargée de promesses ; cela ne
l’empêche nullement de soutenir l’O.A.S., de conspuer la déclaration du
M.S.E. condamnant le système colonialiste116. Pourtant, si l’organisation
internationale le fait, c’est sans guère de doute sous l’influence de ses
membres allemands à laquelle se rend également Bardèche.
Son ouvrage-somme de 1961 procède à de nombreuses observations
éclairantes. Tour à tour, il affirme que les nationalistes français se sont
engagés dans la cause Algérie française sentimentalement, ne réalisant
qu’après coup qu’il n’était pas question que de la France mais de « la dot
de l’Europe », ne se rendant pas compte, au contraire des nationalistes
allemands, que les nationalistes algériens leur ressemblaient plus que ne leur
ressemblait leur gouvernement. Sur ce, il stipule que le Coran a « quelque
chose de viril, quelque chose de romain pour ainsi dire » et développe un
panégyrique du nassérisme comme fascisme, expose qu’il correspond à un
peuple, comme jadis le nazisme aux Allemands, mais que son écho fait
vibrer toute l’Afrique, réveillant les peuples ainsi que le sublime et la rage
de l’islam, et ce passé de « l’empire arabe [qui] fut l’empire de la civilisation
et de la beauté ». Pour lui, le rêve d’une « île idéale placée entre les deux
continents ennemis [qui] surgit dans l’imagination des doctrinaires fascistes
entre 1946 et 1948 » s’est réalisé ailleurs, dans la naissance du Tiers-Monde.
Enfin, l’un de ces commentaires ramène à la philosophie révolutionnaire-
conservatrice et au désir palingénésique, car pour Bardèche s’il peut y avoir
fascisme arabe c’est bien que le fascisme n’est pas cantonner à un espace-
temps mais à cette définition qu’il en donne : « tout fascisme est réaction

115 « Manifeste de Vérone », Manifestes pour une Gauche fasciste, s.e., s.l., s.d. (1943), s.p.
116 G. Desbuissons, 1990, pp. 30-35. et p.77.
150 NICOLAS LEBOURG

par rapport au présent et toute réaction fasciste est résurrection117 ». Peu


d’auto-définitions sont aussi judicieuses (sur le plan scientifique l’historien
Roger Griffin a basé depuis quelques années sa définition du fascisme
générique sur la notion de palingénésie) et c’est, de là, sans contradiction
aucune que les N.R. peuvent vouer un intérêt certain à une idéologie
tel que le baasisme et au parti Ba’th qui, certes, est d’un laïcisme qui ne
correspond pas à cette fascination pour l’islam, mais qui est en accord sur
ce point de l’idéal-type : « ba’th » en arabe signifie « résurrection »… Pour
le Ba’th le but idéologique est de réaliser une palingénésie de la nation
arabe, et, de même que les N.R. conçoivent le parti nationaliste comme
la forme préliminaire du futur Etat nationaliste, personnalisation de la
nation, Aflaq, le théoricien du Ba’th, conçoit celui-ci comme l’avant-garde
de la nation arabe et comme « l’image projetée de l’ensemble de la Nation
arabe118 ». La conception d’une France à l’avant-garde de la révolution
nationaliste européenne n’est donc pas éloignée des visions du baasisme.
L’analyse d’Aflaq de « l’impérialisme » et du « sionisme » recoupe en bien
des points celle des N.R. Il écrit en 1945 qu’il ne conçoit son parti qu’en
tant que « porte-parole » du « mouvement », tel les N.R. et leur conception
du mouvement nationaliste-révolutionnaire, mais en étant un « parti
historique », tels les thirariens, devant avoir une section dans chacun des
pays arabes et en envisageant ceux-ci jamais que comme des « régions » de
« la nation arabe » à édifier, soit un système qui sera celui de Jeune Europe ;
le théoricien réclame que l’action prime le dogme, comme tous les fascistes
d’Europe n’ont jamais cessé de le penser, en se soumettant à l’impératif de
l’autocritique, démarche sans cesse clamée par les N.R. depuis Pour une
Critique positive119.
Il est tout à fait logique que, dans le jeu réducteur qui est celui de
l’analyse de l’étranger en politique, les N.R. se sentent attirés, voire qu’ils
s’inspirent dans la démarche cent fois réclamée par Duprat de mise à l’école
des nationalismes extra-nationaux. Cette révolution nationale-ci est déjà
en marche, grâce à une Guerre froide qui a fait le jeu et a entraîné l’éclosion
de régimes populistes. Après avoir été parfois influencés par les fascismes

117 M. Bardèche, Qu’est ce que le fascisme ?, Pythéas, Sassetot-le-Mauconduit, 1995 (1961), pp.111-
169. Il est vrai que de même que l’exaltation continentale fut un prétexte à l’impérialisme allemand
du IIIe Reich, le nasserisme usait du mythe du panarabisme au service de son impérialisme.
118 O. Carre, « Populismes en Orient arabe moyen », Populismes du Tiers-Monde, R. Gallisot
dir., L’Harmattan, Association pour la recherche de synthèses en sciences humaines, Paris, 1997,
pp.127-131.
119 M. Aflaq, A propos du mouvement du Ba’th arabe, s.e., Nancy, 1990, pp.6-15 ; idem, Impéria-
lisme et sionisme, Ars, Nantes, s.d., pp.6-8.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 151

européens, les nationalismes arabes peuvent donc à leur tour devenir une
source d’inspiration. La praxis panarabiste réalise en effet les concepts
des nationalistes-européens. Le premier février 1958, l’Egypte et la Syrie
procèdent à ce qui paraîtrait inimaginable sur le vieux continent : la
fusion de deux nations en une seule (la République Arabe Unie)120. L’intérêt
qu’y portent les N.R. n’est ni anodin ni étonnant, puisque ceux-ci naissent
justement de la volonté de dépasser l’antagonisme entre nationalistes et le
souvenir de l’Algérie française.
Le Ba’th syrien a pour devise « Unité Liberté Socialisme » ; il s’affirme
socialiste et nationaliste, mais récuse l’internationalisme prolétarien ou
capitaliste, mène une grande politique de nationalisations, de planification
et de grands travaux, tout en récusant le collectivisme. Duprat ne s’y trompe
pas et note que le « socialisme ba’asiste [est] identique à celui de tous les
mouvements de type fasciste », il affirme même que la prise du pouvoir par
le néo-ba’th syrien ne constitue pas, comme l’affirme toute la presse, un
coup d’Etat de la gauche mais de « l’aile nationaliste du parti Baas » dont
il y a tout lieu de se réjouir. Il prétend clairement que les régimes arabes
soutenus par l’U.R.S.S. sont « nationalistes et populaires », soit d’extrême
droite en sa terminologie121.
Mais, après Duprat, le baasisme n’intéresse plus guère, du moins
jusqu’à la Guerre du Golfe. Si le soutien des N.R. à l’Irak allait de soi,
celui du F.N. n’était au départ pas attendu, fut contesté en son sein, et
très mal compris sur l’instant par une part de son électorat mû par un
réflexe anti-Arabes122. Le Président du F.N. amorce alors une logique
discursive qui ne peut qu’étonner, d’abord, et ravir, ensuite, les N.R.,
J-M. Le Pen leur reprenant désormais, pour expliquer sa position, le cri
de ralliement « Nationalistes de tous les pays unissez-vous ». Avec ses
principaux ténors, il met en place un discours de mise en accusation du
mondialisme impérialiste qui ne saurait ne pas être mis en relation avec

120 Afin d’assurer la nouvelle unité, Nasser déclare la dissolution des partis politiques existants et
met en place un Parti unique. La République arabe unie prend fin le 28 septembre 1961.
121 F. Duprat, Le Néo-fascisme dans le monde arabe et en Amérique latine, Notre Europe, Supplément
à La Revue d’Histoire du fascisme, 1974, p.23 et p.2 ; idem, « Les Beaux jours », Occident-Université,
26 avril 1966 ; idem, L’Agression israélienne, 1967, p. 3.
122 Présent est ainsi originellement sur une ligne très anti-irakienne avant que d’exécuter une volte-
face complète. Le sujet donne lieu à la première agitation publique d’un leader du F.N. contre J-M.
Le Pen, Pierre Sergent. Il est vrai que l’électorat F.N. paraît assez déboussolé, la moitié des sondés
frontistes affirmant soutenir en la matière la politique du Président Mitterrand (Libération, 2-3 fé-
vrier 1991). Pour Y. Bataille c’est l’ultime soubresaut de «Yalta» : U.S.A. et U.R.S.S. se seraient mis
d’accord pour faire financer la Perestroïka par le Koweït, mais c’est surtout une manipulation d’Is-
raël pour abattre un adversaire, et il conclue en affirmant la totale conformité de vue entre baasisme
et N.R. contre « l’Occident » américano-sioniste (Nationalisme et République, automne 1990).
152 NICOLAS LEBOURG

celui que tiennent les différentes familles nationalistes depuis si longtemps.


Le refus de soutenir la guerre devient ainsi général à l’extrême droite123.
Néanmoins, ni les nationaux-populistes, ni les néo-nazis, ne font ce que
font les N.R. : défendre le baasisme en tant que régime politique légitime
et séduisant face à un Nouvel Ordre mondial conçu comme l’inverse.
Le sujet irakien permet à T.V. de présenter ses positions non
conformistes en matière de politique étrangère ; dans le climat de mise
en accusation des Français musulmans et/ou d’origine arabe, T.V. trouve
une occasion de montrer un visage des nationalistes moins arabophobe
que celui d’un certain nombre de media – mais, c’est révélateur, en
partant du même préjugé selon lequel devrait mécaniquement exister un
réflexe pro-Saddam Hussein de ces Français. A Marseille, par exemple,
les militants diffusent un tract où le nom de leur organisation est placé
sous le portrait du dictateur irakien, et qui proclame le droit des peuples
arabe et européen à jouir de leur unité respective, pourfend la « guerre
d’intérêts américano-sionistes » et porte pour slogan : « SOLIDARITE
ENTRE LES NATIONALISMES : CONTRE LE MONDIALISME ».
A Angers un autre tract demande qu’on mette fin à la « Bu$herie » et
présente en illustrations un jeune palestinien au keffieh et à la fronde
ainsi qu’une illustration en provenance du P.C.N. représentant une statue
de la Liberté qui tient une Ménorah en lieu et place de son coutumier
flambeau. Sont amalgamés tout ensemble les bombardements de Dresde,
Tripoli et le « génocide commis par l’Etat raciste israélien [à] Sabra et
Chattila124 ». Par rapport aux directives, une idée paraît suivie par les

123 Dans l’hebdomadaire du F.N. on fulmine contre « ce syndicat international, complice de la


tyrannie soviétique, qui voudrait que des hommes meurent pour le Koweït, cet Etat-croupion ? La
vérité c’est que l’atlantisme sert aujourd’hui de masque aux opérations des ploutocrates, des pétro-
liers, des émirs, de la Trilatérale, des lobbies médiatiques ou financiers, y compris d’un certain lobby
juif au sein duquel s’épanouit la triplette Elie Wiesel, Bernard-Henry Lévy et Marek Halter ». Le
chargé aux argumentaires du F.N., le dirigeant du Club de l’Horloge Y. Blot fustige « Georges Bush
et son nouvel ordre international qui défend les idées de Mme Veil, de M. Servan-Schreiber et de
Mme Barzach, vous voyez ce que je veux dire... ». Durant le défilé Jeanne d’Arc, des nationalistes
brûlent les drapeaux américain, européen et israélien. Comme souvent à l’extrême droite, les jeux
de références se font un peu n’importe comment tant que cela permet de jouer les «réprouvés» : en
1991 les insignes du Ba’th irakien sont achetables à la fête des Bleu Blanc Rouge, mais mêlés à ceux
du P.P.F., de la Milice, du Ku Klux Klan, des Waffen S.S. de la division Charlemagne, d’exemplaires
de Mein Kampf et d’un agenda préfacé par Degrelle avec des dates comme celles des anniversaires
d’Hitler ou Mussolini… bref : il y a peut-être là une cohérence politique mais aucune sur le plan
idéologique (Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, La Lutte contre le racisme
et la xénophobie. Exclusion et Droits de l’Homme, La Documentation française, Paris, 1991, p.45 ;
idem, 1994, p.40 ; Libération, 28 août 1991 ; Camus et Monzat, 1992, p.460).
124 Malgré une légende bien établie les occupants de ces camps palestiniens n’ont pas été massacrés
par Tsahal.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 153

troupes et une autre quelque peu abandonnée en route. En effet, une


circulaire interne explique le sens de la propagande relative à la Guerre
du Golfe :

Des rapprochements / collaborations avec des cercles arabes


ou musulmans anti-impérialistes (a priori les futurs facteurs de
déstabilisation du système) sont probables et souhaitables. Dans ce cas
on insistera sur un discours ethnodifférencialiste (…). On ne craindra
pas de perdre quelques adhérents en appliquant une telle ligne : s’ils
partent c’est qu’ils n’avaient rien compris… cependant on évitera toute
dérive pro-irakienne ou pro-Saddam125.

Ici l’agitation est entendue dans son sens le plus léniniste. A


proprement dire, il n’y a pas instrumentalisation du thème irakien puisque
le « Système » est considéré autant frapper les Irakiens que les Français :
sa déstabilisation en quelque point du globe est en conséquence un temps
de respiration dont sont censés profiter tous ceux qui le combattent. Il n’y
a pas de manipulation, mais une vision du monde. Celle-ci n’empêche
pas l’habileté tactique. Elle n’empêche pas non plus une certaine difficulté
quant à la réalisation effective des consignes, comme en témoigne
l’impression de soutien au régime irakien qui ressort des tracts. Toutefois,
il n’en demeure pas moins que les discours « anti-impérialistes » antérieurs
ont fourni à l’extrême droite un lexique anti-guerre prêt à l’emploi. Preuve
en est : grâce au rôle lexical-idéologique des N.R. et de la Nouvelle droite,
bientôt le F.N. considère à son tour, en interne, que l’islamisme participe
lui aussi au mouvement « identitaire » de « résistance contre le nouvel
ordre mondial126 ». Cependant, il est ici question de représentations, non
d’action.
Durant les années 1970, des groupes arabes ont cherché à établir des
contacts avec des mouvements politiques extrémistes à travers le monde.
Certains estimaient que les nationalistes d’Europe leur permettaient de
tenter d’intensifier une propagande anti-israélienne, mais leur aide allait
aussi au-delà de la question de la déstabilisation philosophique. Ainsi,
des terroristes fascistes italiens ou allemands purent-ils s’entraîner au
Liban dans des camps aussi bien palestiniens que phalangistes. Sur le sol
allemand, l’Organisation de Libération de la Palestine apporta son soutien
à une myriade de petits groupes activistes ou terroristes néo-nazis. Le

125 C. Bouchet, Circulaire SG / 91/ 1, 4 février 1991 (document interne).


126 J-M. Le Chevallier, « Dans le sens de l’Histoire », Identité, janvier-février 1994 (l’année d’après
l’auteur devenait le maire de Toulon).
154 NICOLAS LEBOURG

Front Populaire de Libération de la Palestine collabora également avec la


Bande à Baader, Carlos et l’Armée rouge japonaise. Il contacta la Gauche
Prolétarienne (idéologiquement proche du Fatah) pour lui proposer d’y
coorganiser des actions antisionistes127.
Thiriart et Duprat sont les pionniers des contacts de l’extrême droite
nationaliste européenne avec le monde arabe. Les regards se portent en
particulier sur le Fatah. En 1967, ce dernier, après s’être inspiré des luttes
algériennes, cubaines et chinoises, estime « que la Syrie, la R.A.U., l’Algérie
et l’Irak sont apparus comme des forces pro-révolutionnaires128 ». Après
la guerre de 1967, il évolue sur une position dure de proclamation de sa
volonté de non-ingérence des Etats arabes dans la question palestinienne.
L’organisation considère désormais que les juifs ne sont des ennemis ni sur
le plan religieux ni sur le plan racial, mais qu’Israël est l’ennemi colonialiste,
impérialiste, le bras armé des U.S.A. au Moyen-Orient. Selon elle, le
sionisme ne coïncide donc pas avec le judaïsme mais avec l’impérialisme.
On saisit aisément que cette position n’ait pu que séduire, voire influencer,
les N.R. européens ; cependant, le Fatah en tire la conclusion officielle, à
la fin des années 1960, que la Palestine doit devenir un Etat démocratique
pluri-confessionnel où les membres des trois monothéismes disposeraient
d’une citoyenneté égale. Ce dernier point ne paraît pas du tout correspondre
à la conception N.R. Aussi le rapprochement à cette époque de quelqu’un
comme Duprat avec le F.P.L.P. est-il compréhensible.
L’organisation se réclame du marxisme mais s’identifie au nassérisme,

127 Duprat ne souffre aucune sympathie pour Carlos, qu’il attaque vigoureusement. La page d’ac-
cueil du site internet d’U.R. portait quant à elle comme devise en 2 000 une citation du terroriste
demandant qu’on abatte « un sioniste » pour chacune de ses journées de prison. Dans celle de la
Santé, il a accordé le premier novembre 2001 un entretien à C. Bouchet. Ce dernier présente ce
fait comme une démonstration « de ce que les nationalistes-révolutionnaires ne cessent d’affirmer
à l’image d’Ernst Jünger : «toutes les forces révolutionnaires sont alliées invisiblement, malgré leur
opposition mutuelle» ». La retranscription en est d’ailleurs publiée en un numéro de Résistance ! où
elle se trouve entre un éditorial qui évoque le soutien d’U.R. à B. Mégret et son influence dans la
« jeunesse prolétaire blanche », et un appel à signer et faire signer la pétition pour la libération d’E.
Limonov (à cette date incarcéré en Russie sous l’inculpation de constitution d’une organisation ter-
roriste armée). Quoiqu’il s’y dise communiste et musulman, son discours est clairement proche de
celui des N.R. Il expose sa haine des U.S.A. et soutient le Président Chavez, clame son admiration
pour Perón et son adulation de Oussama Ben Laden, et en appelle à la vocation de la Russie à réali-
ser un « Empire continental multinational (…) en s’appuyant sur trois piliers : le nationalisme pan-
slave, le communisme et la Sainte Eglise orthodoxe. Moscou sera de nouveau la Troisième Rome ! »
(dans Résistance ! , février-mars 2002). En somme, si il y a convergence entre le « communiste »
Carlos et les N.R. c’est bien parce qu’aucun communiste conséquent ne reconnaîtrait le premier
comme sien, et que Carlos est de «l’autre bord» quelle que soit la façon dont il s’auto-représente.
128 L. Stradal, « Entretien avec les commandos Al-Fatah », Le Conflit israélo-arabe, J-P. Sartre dir.,
Les Temps modernes, juin 1967, p.215. A cette date la dénomination R.A.U. est celle de l’Egypte.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 155

ce qui renvoie dès lors au socialisme national cher au néo-fasciste français


et signifie de facto un rejet du «marxisme réel». Au contraire du Fatah,
Georges Habache affirme que la lutte palestinienne est partie prenante
et non premier palier du combat pour l’unité arabe, et que la route de
Jérusalem ne peut passer que par Amman, Damas et le Caire129. Il existe
donc clairement des convergences idéologiques (étapes révolutionnaires
de l’édification d’un ordre nouveau international social-nationaliste)
et stratégiques (son premier pas est la destruction de « l’entité sioniste »
synonyme de l’impérialisme libéral-marxiste) qui démontrent que l’entente
ne saurait se limiter ici à un vulgaire opportunisme tactique.
Les contacts entre N.R. et nationalistes arabes, ou avec les régimes
libyens et iraniens, excitent divers imaginaires. Il faut considérer ces faits
en les relativisant amplement. L’intérêt des Etats comme des mouvements
politiques tient en deux points essentiels : leur perpétuation et l’évolution
des rapports de force en leur faveur. Autrement dit, des groupes européens
de quelques dizaines de militants sont d’un intérêt à peu près nul pour les
mouvements et Etats du monde arabo-musulman. Par exemple, quand
la Libye invite tous les ans des représentants de groupes politiques, des
Verts aux N.R., à son « camp anti-impérialiste », cela ne paraît guère avoir
pour intérêt que de dire à sa population que le régime n’est pas totalement
ostracisé et que tel ou tel Français ou Allemand loue la « démocratie »
libyenne contre « l’impérialisme américain ». Cela a l’avantage pour
ces groupes marginaux dans leur pays de se donner une légende, une
impression de prise sur le réel, mais qui pourrait croire que le régime libyen
ne préfèrerait pas développer des relations avec TotalFinaElf qu’avec la
nébuleuse qu’il invite ? Pour les N.R. comme pour les Arabo-musulmans
dont il est question, il s’agit de desserrer leur étau dans une mise en scène
qui a des vertus symboliques certaines, et c’est à peu près tout130. Les seuls
intérêts pratiques qu’on puisse trouver pour ces Etats sont : a) avec la
création des associations d’amitiés bi-nationales un travail d’encadrement
des populations immigrées en Europe, afin d’éviter qu’elles n’importent
ensuite dans leur pays d’origine des conceptions libérales ; b) l’entretien de

129 A. Gresh, O.L.P. Histoire et stratégies. Vers L’Etat palestinien, Spag-Papyrus, Paris, 1983, pp.34-
61.
130 Que l’on regarde chez les Verts : on y trouva des membres de la direction enfiévrés par la Libye
ou le Hamas, mais les seuls Verts qui auraient un intérêt politique pour ceux-ci ce sont les leaders
(qui ne sont pas sur cette ligne) et non des membres d’une direction byzantine dont les patronymes
ne sont même pas connus du citoyen lambda dans leur propre pays. Dès que la politique a prise sur
son réel national, elle fuit ses gains symboliques qui n’ont d’intérêt que dans l’entre-soi marginal.
De l’autre côté, la centrale palestinienne a très bien compris que des liens avec l’extrême droite ne
servaient qu’à se faire stigmatiser.
156 NICOLAS LEBOURG

groupes qui peuvent servir en cas de nécessité absolue de démonstration


d’un soutien étranger (l’usage de nationalistes européens par exemple
avant l’attaque de l’Irak par les U.S.A. en 2003, en étant conscient que
le départ de ceux-ci pour Bagdad a aussi été utilisé pour stigmatiser ce
régime).
Le romantisme recoupe l’esthétisme et c’est, pour partie, ce qui
explique aussi le soutien des N.R. à des groupes divers, fort divergents
entre eux. Quand ils les mirent, il leur semble que ces mouvements arabes
portent un supplément d’âme qui aurait déserté le monde moderne
occidental et petit-bourgeois. La réflexion sur une convergence entre N.R.
et nationalistes-arabes ou islamistes n’est pas tant à porter sur le système
politique pratique, ses institutions, son code pénal, etc. que sur l’idée que
sont partagés un ennemi et une vision du monde de type Révolution
Conservatrice131. C’est d’ailleurs sans doute pour cela que le monde
musulman intéresse tant ceux qui sont influencés par Evola – outre le fait
que le Traditionalisme avait déjà mené Guénon à se convertir à l’islam.
Les nationalistes d’Europe croient retrouver dans ces idées, mouvements
et régimes le concept d’une élite au service d’une idée qui donne forme à
la société selon des visées supra-historiques – idée qui les séduit bien plus
que celle d’un parti comme le N.S.D.A.P., Léviathan aux huit millions de
membres. En ce sens, l’islam est plus une métaphore qu’une religion – ce
qui ramène précisément au statut de la « révolution », elle aussi bien plus
métaphore poétique qu’énoncé programmatique, allégorie floue plus que
souhait précis132.
La fascination pour l’islamisme ne recoupe ainsi en rien un désir de
voir la loi coranique établie en France, mais fait fort songer au vieux cri
de « Viva la muerte », tant les kamikazes paraissent provoquer presque
autant de fascination sur les N.R. que les enfants lanceurs de pierres de
l’Intifada133. Lorsque la bombe humaine entre dans le même panthéon

131 Ainsi si les N.R. étaient acquis réellement à l’idéologie du Ba’th, ils n’eussent pu que dénoncer
les trahisons idéologiques des régimes syrien et irakien. Or, jusqu’à la chute de Hussein, la propa-
gande N.R. a livré une étonnante défense du régime baasiste qui était censé régner à Bagdad. Il
s’agissait donc, sans que l’un exclue l’autre, d’une défense des « opposants au Nouvel ordre mon-
dial » ou d’un attrait pour un régime fait d’acier.
132 Dans Lutte du peuple hebdo (Nouvelle Résistance) la rubrique « Monothéisme », très acerbe, ne
concerne que judaïsme et christianisme, l’islam étant traité à part, inclus tout entier dans la « résis-
tance au Nouvel ordre mondial ». Pour les Partisans Européens, il faut construire la confluence des
révolutionnaires arabes et européens, la Libye pouvant en être le moteur et l’Iran offrant l’exemple
d’un « nationalisme-révolutionnaire comme mobilisation totale du peuple face à l’oppression étran-
gère » (Le Partisan européen, floréal 1986).
133 En ce qui concerne l’islamisme il semble bien également qu’on retrouve de communes passions
antisémites.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 157

où étaient déjà placés Mishima et Drieu La Rochelle faut-il réellement


s’en étonner ? Les adeptes de classifications politiques fixées sur des listes
intangibles d’idées le feront peut être, mais c’est mésestimer la valeur de
l’esthétisme en politique – i.e., pour les fascistes, une très grande part de
ce qu’ils sont134.

134 Les trois organes d’U.R. ont fait des références plus esthétiques que politiques à l’islamisme,
allant néanmoins toutes dans le même sens idéologique. Jeune Résistance n’hésitait pas à déclarer
que les commandos suicides palestiniens donnaient l’exemple aux nationalistes d’Europe (Jeune
Résistance, mai 1997). Résistance ! a quant à elle affiché en lettres gigantesques sur sa quatrième
de couverture une citation d’O. Ben Laden sur les Américains s’achevant par ces mots « Nous ne
faisons aucune différence entre ceux qui portent l’uniforme et les civils. Ils sont tous des cibles »
(Résistance !, novembre-décembre 1998). Quant au G.U.D., il publie alors un dossier panégyrique
sur le Hamas (Jusqu’à Nouvel ordre, n°1[5], 2002).
Troisième partie :
orientations

Théoricien ésotériste tout autant que politique, Julius Evola


considèrait « la Tradition » comme opposée à l’idée de nation et liée à
celle d’un pouvoir impérial et fédératif. En 1950, il publie Orientations
où, condamnant la massification matérialiste, il précise que « sur le
plan idéologique, Russie et Amérique du Nord doivent être considérées
comme les deux mâchoires d’une même tenaille en train de se resserrer
définitivement autour de l’Europe1 ».
Ce constat dressé, il s’agit de promouvoir, via l’édification d’une
Europe-puissance, l’avènement d’une nouvelle Volksgemeinschaft. La vision
du monde produit ainsi des représentations qui sont autant de mythes de
mobilisation de l’agir militant. Cependant, l’importance de la polysémie
du langage est ici telle que si les N.R. construisent leur discours amplement
par des processus de rétorsion ils en sont, in fine, eux-mêmes victimes.

11. Rejets de l’immigration

Sur la question des politiques d’immigration, les N.R. poussent au


summum leurs goûts du paradoxe, de l’action structurée et de l’agitation
désordonnée. Ils réussissent en effet sur cette question un exploit rare en
politique : mettre en place des argumentaires et idées qui connaissent un

1 Cf. C. Boutin « Tradition et réaction : la figure de Julius Evola », Mil neuf cent, septembre 1991,
pp.81-97. Ce nom a souvent été repris en référence – R. Steuckers fonda ainsi la revue Orientations
(1981), titre qui fut aussi celui des cahiers du G.R.E.C.E. de 1983 à 1985, etc.
160 NICOLAS LEBOURG

succès fantastique dans les bouches de leurs rivaux, et combattre dès lors
avec acharnement leur propre discours. Lorsque les néo-fascistes peignaient
sur les murs du bidonville de Nanterre le slogan « la France aux Français »
entouré de croix celtiques l’idée de l’immigration n’apparaissait pas, il ne
s’agissait que d’un simple discours raciste. La situation a déjà évolué avec
Europe-Action pour qui les immigrés algériens sont sources de tous les
maux, et, surtout, se voient accusés d’être des violeurs, des voleurs et des
assassins, ce qui constitue un thème de propagande populiste efficace. C’est
clairement l’Algérien qui est pris à partie, soulignant que cette propagande
est une retombée de la guerre d’Algérie et comment les violences du conflit
servent à créer ce stéréotype de la violence maghrébine. Lorsqu’en 1965,
le parti qu’a lancé Europe-Action cherche à sortir de sa base sociologique
estudiantine pour s’aventurer en milieu ouvrier, François Brigneau réalise
des tracts « Stop à l’invasion algérienne en France2 ». Le discours demeure
toutefois celui de la « lutte des races » et du « réalisme biologique » et peine
à profiter du jeu des concurrences sociales. La dimension économique
de l’argumentaire raciste n’est d’ailleurs guère placée sur la question de
l’immigration mais sur celle de l’aide étatique aux pays du Tiers-Monde.
En un numéro spécial de Défense de l’Occident, consacré à l’anti-
gaullisme et réalisé par Pierre Fontaine, Duprat publie un article en annexe où
il prétend que la baisse démographique est concomitante d’une progression
de l’immigration, particulièrement « nord-africaine [s’effectuant] à une
cadence jamais atteinte. [Les immigrés constituent une] masse de manœuvre
docile et peu exigeante. Ce qui explique l’augmentation du chômage. (…)
La comparaison de ces chiffres [de baisse du montant des aides sociales]
avec ceux de la main d’œuvre «importée» permettra certaines conclusions
que nous laissons nos lecteurs tirer seuls3 ». Duprat invente le discours
anti-immigration qui, à l’instar de l’antisionisme, a l’énorme avantage de
laisser à penser que les gens sont attaqués pour des causes objectives et non
selon les critères de leur naissance. De même que le conspirationnisme est
la tentative de rationalisation de l’antisémitisme, la rhétorique sociale-anti-
immigrationiste crée une offre et une demande racistes et un système de
rationalisation des deux. De par son pragmatisme, Duprat nourrit quelques
temps quelque réticence. Il observe que dans des quartiers à très forte
population immigrée, un Front National y faisant campagne sur le thème

2 Engagé dans la Milice en juin 1944, Brigneau devient l’une des principales plumes nationa-
listes après-guerre. Il fut le premier vice-président du F.N.
3 F. Duprat, Défense de l’Occident, février 1967, pp.112-120. La Fédération des Etudiants Na-
tionalistes avait déjà préconisé que les allocations sociales soient réservées aux Français (Cahiers
universitaires, septembre-octobre 1962).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 161

anti-immigration réalise un score inférieur à celui du parti d’Europe-Action


en 1967. L’une des raisons essentielles de cet échec tient, selon lui, au fait
que les Français seraient intoxiqués par l’anti-racisme. De plus, il craint que
le thème ne pousse les extrêmes droites à fustiger les immigrés, alors qu’il
considère que ce sont les « sionistes » qui organisent cette immigration, et
qu’il faut donc s’attaquer à eux et non aux premiers4.
Le thème anti-immigrés est étudié dans le sens de la résurrection du
nationalisme. Duprat observe patiemment les stratégiesdes partis frères,
et leurs résultats. En 1970, il constate que la renaissance du nationalisme,
en divers lieux, est due à la crainte qu’engendre le gauchisme. Mais il note
également que le facteur de l’immigration entre en jeu dans deux cas. En
Suisse, il a provoqué une explosion de la xénophobie, malgré l’opposition à
celle-ci affichée par les partis parlementaires, églises et syndicats. En somme :
« un capitalisme uniquement soucieux de rentabilité immédiate et de gros
gains rapides est en train de créer de toutes pièces en Europe un problème
qui mine les USA (…). Dans la renaissance d’une sorte de «néo-fascisme» à
l’échelle européenne, voire à l’échelle mondiale, les agissements mercantilistes
d’un capitalisme revenant peu ou prou à ses traditions esclavagistes du XVIIIe
siècle risquent de peser très lourd ». Le cas de la Grande-Bretagne s’avère
encore plus riche d’enseignements. La campagne raciste anti-immigrés,
couplée à l’anti-gauchisme, d’Enoch Powell, leader ultra du parti tory, lui a
permis de rafler la mise dans l’électorat conservateur, de conquérir une part
de l’électorat travailliste, et a reçu un fort bon accueil au sein du prolétariat5.
Powell a usé pour slogan d’un offensif « si tu veux que ton voisin soit nègre,
vote travailliste ». La thématique reçoit le soutien enthousiaste des socialistes-
européens français (Powell aurait le courage d’exposer qu’une « Angleterre
noire » signifierait son auto-destruction, les marxistes favoriseraient l’invasion
nègre et arabe de l’Occident pour le détruire par la guerre raciale, etc.)6.
Les événements postérieurs montrent que l’agitation orchestrée par
Powell, exigeant le rapatriement des immigrés sous peine de déclenchement
d’une guerre raciale, a d’abord contenu le vote extrême droitier, puis, de
par la popularisation des thèmes racistes, a permis l’apparition sur la scène
politique du National Front. Duprat constate que si en France l’extrême
droite électorale joue la carte de la modération, le N.F. a choisi une
propagande radicale et racialiste. L’absence de l’extrême gauche lui permet
de tenir le secteur politique de l’opposition radicale :

4 F. Duprat, 2002, pp.63-64.


5 F. Duprat, 1970, p.35 et pp.44-45.
6 Pour une Jeune Europe, février-mars 1970.
162 NICOLAS LEBOURG

Ceci explique le succès rapide de la lutte contre l’immigration


en Grande-Bretagne et son échec relatif en France. (…) Avec la
lutte contre l’immigration, le N.F. a sa meilleure carte politique et la
joue au maximum. Elle est susceptible de lui permettre d’entrer au
Parlement tôt ou tard. (…) Le chômage rend beaucoup plus sensible
la concurrence des travailleurs immigrés sur le marché du travail.
[Un projet de loi contre la propagande racialiste a été mis en place,
cependant l’efficience de ce type de disposition] est beaucoup plus
mince lorsqu’il s’agit de combattre une formation politique en pleine
ascension. [Les mesures anti-immigrés prises par le gouvernement ont
été sans impact sur la progression du N.F. qui continuera à croître
grâce à la crise]7.

C’est cette technique que Duprat tente d’importer en France.


L’antisémitisme fournit une idéologie unitaire aux militants, l’anti-
immigration doit servir à rallier des masses auxquelles il conviendra ensuite
de faire saisir le «vrai problème». Duprat invente ainsi de nouveaux modes
de péjorations raciales basées sur une division entre une praxis secondaire
anti-immigrés et une nouvelle doxa antisémite, les deux étant utilisées dans
une stratégie de réhabilitation (révision) philosophique et électoraliste du
nationalisme. Avant d’être exclu d’O.N. au début 1973, il lui a imposé
différents thèmes : le gauchisme ne serait qu’une manipulation du sionisme,
donc ce serait lui qui constituerait les véritables « bandes armées du capital »,
il chercherait à manipuler les masses immigrées pour pouvoir organiser la
Révolution avec le P.C.F. auquel il est secrètement allié. Le congrès d’O.N.
avait entériné la dénonciation du gauchisme, de l’immigration organisée
par la technocratie pour saper le système social, le caractère dit totalitaire
de la démocratie. Mais il avait également esquissé un discours très proche
de celui de l’ethnodifférencialisme et du retournement du droit à la
différence, systématisé par la Nouvelle droite dans les années 1970, par le
F.N. ensuite, position qui était également celle de l’ex-P.P.F. Barthélémy au
sein de la direction du F.N.8 Après l’éviction de Duprat, O.N. se lance
à cœur joie dans sa campagne contre « l’immigration sauvage » et préfère
communiquer de manière plus abrupte, éditant un tract « Bougnoule go

7 F. Duprat, « La Marche vers le pouvoir », dans Duprat et Faci, La Montée du nationalisme en


Grande-Bretagne, 1977, Supplément à la Revue d’Histoire du fascisme, juin-juillet 1977, pp.33-35.
8 Barthélémy, passé de Doriot au F.N., fustige l’immigration qui transforme les immigrés « en
sous-hommes victimes de l’exploitation des négriers, coupés la plupart du temps de leur famille,
isolés dans des ghettos, ils n’ont pas la possibilité de s’épanouir, tout en constituant une menace
pour la sécurité dans de nombreux quartiers » (propos in H. Laux, La Formation du Front National
pour l’Unité Française (octobre 1972 - juin 1973), mémoire de diplôme, I.E.P. de Paris, 1974, p.87).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 163

home ! 9 ».
Au sein du F.N., Duprat insiste d’abord auprès de ses interlocuteurs
sur une idée : pour exister, un parti politique groupusculaire doit répondre
à une demande politique insatisfaite. Or, le créneau anticommuniste
sur lequel s’est positionné le F.N. le contraint à la marginalité, l’électeur
d’abord motivé par ce motif n’ayant guère de raisons de disperser sa voix en
l’offrant à un groupuscule lorsque de grands partis de droite s’offrent à lui.
Un parti d’extrême droite ne peut limiter sa propagande à la dénonciation
de la menace extérieure (U.R.S.S.) contre laquelle un gouvernement
autoritaire n’est nullement obligatoire. Pour imposer l’idée qu’il est seul
capable de régler une situation dite d’une extrême gravité, il faut qu’il y ait
également perception d’un ennemi intérieur. Cependant, tonner contre
« l’immigration sauvage » n’est pas un très bon calcul politique, car une
politique gouvernementale anti-immigrés ne pourrait qu’ôter la plupart
de son sens et de son efficacité à cette exigence. A l’inverse, attaquer
l’immigration en général et sans limite place un Rubicon que la plupart
des républicains hésiteront à franchir, et la lier au chômage comme le fait
Duprat offre une véritable rente propagandiste.
L’idéologue N.R. impose ses thèmes à J-M. Le Pen, qui dénonce le
P.C.F. comme « cinquième colonne », les immigrés étant la « sixième », et
les deux ayant accompli leur jonction10. J-M. Le Pen ne voulait pas de
la lutte contre l’immigration comme thématique de propagande, Duprat
invente néanmoins un slogan : « Un million de chômeurs, c’est un million
d’immigrés de trop ! La France et les Français d’abord ! ». Aussi, pour
les élections de 1977, Duprat ne place-t-il pas d’abord son slogan sur la
propagande frontiste directe, mais en des tracts diffusés par l’équipe de
Militant. En fait, il impose plusieurs concepts et pratiques à la fois11.

9 Le Figaro, 12 février 1974. Le texte fondateur du F.N., présenté par O.N. en 1972 liait le rejet
de l’immigration à l’unicité raciale dite corollaire de l’unité nationale, mais le thème ne constitue
que quelques lignes au sein d’un document résolument tourné vers la lutte anticommuniste et le
fourre-tout poujadisant. Le premier grand meeting frontiste ne parle nullement de l’immigration,
restant uniquement sur le créneau de l’anticommunisme. Lors du congrès de 1973, J-M. Le Pen,
attaqué par O.N., reconnaît à ses adversaires que « l’immigration constitue un thème de propa-
gande qui fournit un moyen de propagande exceptionnel dans les milieux travailleurs » (J. Algazy,
L’Extrême droite en France (1965 à 1984), L’Harmattan, Paris, 1989, p.123).
10 Le National, janvier 1978.
11 Il explique à ses amis politiques : « la lutte contre l’immigration va devenir un thème de plus
en plus brûlant. Il n’a pas encore payé parce qu’on l’a décliné dans une logique ethnique. Les gens
sont contre l’immigration, mais pour l’instant ils ne se sentent pas directement concernés. Ce n’est
pas encore une motivation de vote. En revanche, avec la montée du chômage, ça va le devenir :
l’immigration sera ressentie et comme une gêne, et comme un facteur d’insécurité économique »
(Bresson et Lionet, Le Pen. Biographie, Le Seuil, Paris, 1994, p.381).
164 NICOLAS LEBOURG

Pour forcer la main à J-M. Le Pen et aux autres responsables frontistes


qui ne croient pas en son idée, il la fait d’abord diffuser par des signatures
périphériques, et utilise ces militants pour faire en retour diffuser cette idée
sous la signature du F.N.
En cette tâche il est épaulé par le groupe de Militant et les G.N.R.
Ces derniers collent ensemble leurs affiches France d’abord ! et Pour un
socialisme nationaliste, ils tractent contre l’immigration. Les thématiques
sont ainsi testées, affinées, les N.R. jouant ici un rôle de laboratoire pour
le F.N., autant propagandiste qu’idéologique12. Ce thème permet donc de
réussir l’oscillateur idéologique : pour les électeurs et pour les militants, il
offre un discours national-social. Duprat le concrétise pleinement par une
affiche de 1978 qui affirme : « LES FRANÇAIS D’ABORD 1 000 000 de
chômeurs c’est 1 000 000 d’immigrés en trop Le 12 mars 1978 VOTEZ
pour les DEFENSEURS des TRAVAILLEURS FRANÇAIS FRONT
NATIONAL ». Ainsi, a contrario des classiques propagandes racistes, se pose
le principe selon lequel «le parti national» ne combat pas les individus selon
des motifs raciaux, mais, face au chômage, constitue le véritable défenseur
du peuple, remplaçant le P.C.F. dans la défense des travailleurs. Les Cahiers
Européens publient un éditorial, signé par le F.N., qui expose les deux axes
de la propagande pour les municipales de 1977 : anticommunisme absolu
et anti-immigration. Il y est clairement expliqué que la seule formulation
doit être celle de « Un Million… », qu’il faut montrer aux électeurs que la
gauche au pouvoir favoriserait l’immigration. Le vote F.N. est dit pouvoir
ainsi devenir un vote de protestation « «à gauche» » pour l’électorat
populaire13. Les G.N.R. ont en effet saisi ce que professait l’O.L.P. d’Y.
Bataille, (et qui est ensuite le cheval de bataille de B. Mégret) : « il convient
de convenir que le langage n’est jamais politiquement neutre », et ce travail
lexical est tout à la fois le « seul moyen d’atteindre les couches populaires »,
de détourner au profit de l’extrême droite des suffrages acquis jusque là
à la gauche, et de minorer ainsi au sein de l’extrême droite le poids des
« nationaux-conservateurs » au profit des NR. Avec cette « campagne de
défense des travailleurs français », il leur semble alors possible « que l’on
constate dans quelques années que cette campagne a marqué un véritable
tournant historique dans la vie » de l’extrême droite…14
La réussite est d’avoir compris que le nationalisme ne pourrait resurgir

12 Cahiers Européens hebdomadaires, 3 mai 1977 ; idem, 1er juin 1977 ; idem, 26 juillet 1977;
idem, 4 octobre 1977 ; idem, 17 janvier 1978 ; idem, 24 janvier 1978.
13 Cahiers européens hebdomadaires, 10 mai 1977.
14 P. Solliers, « A propos de la campagne contre l’immigration », Le Salut public, janvier-février
1978.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 165

d’une logorrhée raciste (rebutante de prime abord en raison du souvenir


du judéocide, d’où l’importance du négationnisme), mais de ce qui se
présenterait comme une critique sociale et populaire ; le racisme en se
donnant des airs d’objectivité, d’analyse économique et de responsabilité
sociale, peut devenir l’instrument de résurrection du nationalisme. Ceci
nécessitait bien sûr une période socialement difficile, et l’hebdomadaire
des G.N.R. constate que c’est bien grâce au chômage que la dénonciation
de l’immigration fonctionne désormais15. Malgré son programme ultra-
libéral, une fois qu’il aura fait le plein de son électorat radicalement
anticommuniste, le F.N. ne va pas cesser de lier discours anti-immigration
et discours social, pour orienter vers lui les voix des classes populaires.
Enfin, Duprat saisit la nécessité d’un rapport dialectique avec la
droite dite républicaine d’abord, avec l’ensemble du champ politique
ensuite. Il rédige à ce propos un éditorial fondamental, partant de récentes
déclarations de responsables du patronat français établissant la corrélation
entre immigration et chômage. Il se réjouit : tandis que la « droite
nationale » avait toujours été strictement incapable d’avoir la moindre
crédibilité économique, elle y accède enfin par ce biais. De plus, les mesures
de Lionel Stoleru « avaient lavé du «pêché de racisme» nos propositions,
désamorçant décisivement les campagnes furieuses du M.R.A.P. et de la
L.I.C.R.A. à ce propos. [Tout] ceci est une belle leçon pour ceux qui, il y
a quelques mois, s’opposaient au sein du camp national, à la propagande
anti-immigration, dont les nationalistes-révolutionnaires se montraient les
plus ardents défenseurs16 ». Duprat désigne là un fait qui est par la suite
au cœur de toute la stratégie frontiste : la démagogie anti-immigrés, les
lois anti-immigration (officiellement stoppée depuis 1974) ne représentent
pas un barrage au parti nationaliste, mais au contraire l’un de ses meilleurs
modes de propagande. C’est là la vraie leçon tirée de la campagne powelliste
permettant l’éclosion du National Front : la droite, en récupérant langage et
idées frontistes, avalise et légitime ceux-ci et constitue dès lors un élément
central et indispensable de toute progression et offensive frontiste17.
Le processus de « lepénisation des esprits », dénoncé par Robert

15 Cahiers européens hebdomadaires, 13 septembre 1977.


16 Cahiers européens hebdomadaires, 31 janvier 1978. Quelques semaines auparavant, J. Chirac
déclare qu’il serait facile de résoudre la question du chômage « dans un pays qui a deux fois plus de
travailleurs immigrés que de demandeurs d’emploi » (cité dans Le Nouvel observateur, 5 septembre
1977).
17 L’idée n’est pas illogique émanant d’un anti-parlementariste : ce qui sous-tend le raisonne-
ment de Duprat c’est de faire confiance à la veulerie et à la médiocrité intellectuelle qu’il prête aux
hommes politiques.
166 NICOLAS LEBOURG

Badinter lors du débat sur les lois Debré, s’amorça en fait franchement
en 1983, par une «lepénisation des partis», la reprise par la droite et par
la gauche d’une rhétorique anti-immigrés calquée sur celle du F.N.18
Ainsi, lorsqu’en 1991, le Président Giscard d’Estaing clame que « le type
de problème » auquel se trouve confronté la France « se déplace de celui
de l’immigration vers celui de l’invasion19 », il ne fait pas que reprendre
l’expression frontiste classique « immigration-invasion », il s’attire aussi
cette réponse cinglante de B. Mégret : « vous êtes encore en retard, nous
n’en sommes plus à l’invasion mais à la colonisation20 ». Les associations
antiracistes, qui eussent réagi violemment si de tels propos avaient émanés
d’un responsable F.N., n’osèrent pas attaquer un ancien Président de la
République : comme l’indiquait Duprat, la «caution honorable» permet de
«déminer» le champ propagandiste. L’ancien Président réclamait au passage
que soit instauré le droit du sang : une proposition qui n’avait guère été
formulée ouvertement en ces années que par les groupuscules néo-nazis,
et qui ainsi peut être reprise par B. Mégret dans ses 50 propositions, le 16
novembre 1991. Lorsqu’en août 1998, peu après les remous extrêmement
violents provoqués par des accords F.N.-droites dans les nouveaux exécutifs
régionaux, l’ancien Premier ministre Edouard Balladur estima naturel de
s’interroger sur la mise en place de la «préférence nationale», le F.N. passa
un nouveau cap. Martin Peltier, rédacteur en chef de National-Hebdo, déjà
auteur d’articles anti-juifs, en appelle, face à la question de l’immigration,
à l’organisation de « rafles et de camps de concentration », ajoutant que,

18 A Marseille, le P.S. affiche : « La droite : 30 ans d’immigration sauvage. Avec la gauche des
contrôles vigilants dont on commence à mesurer les effets » ; J. Chirac assure que « naturellement,
s’il y avait moins d’immigrés, il y aurait moins de chômage, moins de tension dans certaines villes
et quartiers, un moindre coût social » ; le P.C.F. publie un tract intitulé « L’immigration : un vrai
problème » (Le Droit de vivre, août 1983 ; Birenbaum et François, « Le Front National joue les
ambiguïtés », Projet, novembre-décembre 1987, pp.55-63). Confronté au début de son effondre-
ment le P.C.F. tenta un temps un populisme anti-immigrés. J-G. Malliarakis saisit l’avantage de
cette tactique : « à plus longue échéance, une autre évidence s’impose. Jojo le démago, Marchais
(…) laissera forcément sur leur faim tous ceux qu’il aura ainsi attirés. Il s’ensuivra pour nous une
aubaine extraordinaire dont nous lui sommes, par avance, reconnaissants » (Jeune Nation Solidariste,
19 février 1981).
19 Interview au Figaro magazine, 22 septembre 1991.
20 Libération, 7 novembre 1991. L’année 1991 est exemplaire : Eric Raoult défend les valeurs
communes R.P.R.-F.N., J. Chirac se lamente sur « le bruit et l’odeur » et envisage l’instauration de la
«préférence nationale», Edith Cresson fait l’apologie des charters tout en conspuant les « fourmis »
japonaises et les Anglais pédérastes, Gérard Longuet propose d’appliquer « la préférence nationale »
aux versements du R.M.I., etc. A l’automne, la compréhension affichée par les sondés envers le
vote F.N. est en hausse de dix points par rapport à l’année précédente, J-M. Le Pen arrive en tête
des hommes politiques proposant une politique satisfaisante en matière d’immigration, près de la
moitié des sondés réclament l’instauration de la « préférence nationale ».
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 167

justement, « la Shoah sert entre autres (d’abord ?) aujourd’hui à rendre


impensables certains moyens indispensables d’une juste cause, la lutte
contre l’immigration-invasion21 ». Ainsi, à chaque palier passé, le parti put-
il durcir son discours, légitimé en ses avancées par ses adversaires sans que
ceux-ci ne puissent se permettre de le rejoindre au bout de son chemin.
Néanmoins, ce serait méconnaître les N.R. que de croire qu’ils puissent
s’être satisfaits de cette situation. Ceux-ci ont, en effet, dépensé une grande
part de leur énergie, à dénoncer cette propagande en affirmant qu’elle
n’était pas moins que fallacieuse, sotte et dangereuse. J-G. Malliarakis
récuse l’argumentaire « Un Million… » en le trouvant « débile (…) dans
le style aigri qu’affectionne un certain public droitier ». L’immigration,
expose-t-il, n’interfère pas sur le chômage qui est le produit d’un libéralisme
qui cherche à établir un marché pur et s’en sert pour faire accepter aux
travailleurs les baisses de salaires et convaincre les Etats de réduire leur
interventionnisme. Le seul problème pour le libéralisme serait que cette
politique revient à moyen terme à jeter « les masses populaires » dans les
bras du communisme : le discours anti-immigration ne serait donc que
l’ultime esbroufe du Capital pour empêcher ce fait et aboutirait du même
coup à provoquer de la sympathie pour Israël en lui accordant l’image
d’un avant-poste anti-Arabes22. La crainte de l’encadrement N.R. est donc
aussi amplement de voir l’argumentaire de Duprat muer les nationalistes
en philosionistes. Pour complaire aux militants, le leader du nouveau né
M.N.R. doit néanmoins adopter leur ton et il se retrouve bientôt à fustiger
« l’accroissement par ailleurs extrêmement rapide d’une population
allogène, inassimilable biologiquement, [qui] fait courir un risque grave à
l’identité de notre peuple23 ».
Il cherche néanmoins à adapter à sa visée anti-impérialiste la
dialectique ethnodifférencialiste en lui donnant un angle prioritairement
social antisioniste (ainsi quand des ouvriers turcs organisent au Sentier
une manifestation contre leurs employeurs, le M.N.R. conspue le soutien
des nationaux et nationalistes à ceux-ci et s’affirme avec les « travailleurs
turcs [qui comme les N.R.] combattent la ploutocratie capitaliste
internationaliste afin de pouvoir vivre et travailler au pays24 ». Il s’agit de
s’appuyer sur la dialectique ethnopluraliste afin de clamer que la résolution
de la question de l’immigration réside dans le slogan « Français-immigrés

21 National-Hebdo, 6-12 août 1998. Suite au tollé déclenché, J-M. Le Pen félicite publiquement
l’auteur (qui choisit ensuite B. Mégret).
22 Dans Jeune Nation solidariste, 22 juin 1978.
23 Jeune Nation solidariste, 8 février 1979.
24 Jeune Nation solidariste, 12 mars 1980 ; idem, 21 février 1980.
168 NICOLAS LEBOURG

solidaires contre l’immigration », chacun se devant de préserver son identité


et sa terre25. En 1985, alors qu’il croit et espère en une décrue du F.N.,
J-G. Malliarkis exprime clairement la stratégie : contre l’immigration il
faut donner des arguments « de gauche » aux hommes de gauche26. Les
N.R. étant des N.R. ils ont en conséquence logique amplement développer
ceux-ci dans une vision du monde qui est évidemment celle de la plus
extrême droite. Cette méthode entraîne une situation délicate, entre un
ethnopluralisme qui se radicalise dans des projets communautaristes, un
racisme qui croît, et un thème de l’immigration qui, selon tous les cadres
N.R. interrogés, devient la première raison de l’engagement en politique
des nouveaux militants. Néanmoins, il serait inopportun de penser qu’ici
la plus extrême droite est totalement détachée du tissu social.
En effet, se sont parallèlement diffusés depuis le début des années
1980, deux discours d’importation étasunienne (et d’ailleurs stigmatisant
les U.S.A. en leur usage) : a) une division de « la Cité » en « cités », la
thématique des ghettos traversant l’Atlantique pour devenir un lieu
commun du débat sur l’espace social27 ; b) l’imposition de la thématique
des « minorités », divisant à base de déterminants ethno-culturels des
groupes dans l’Etat-Nation et absolutisant leurs existences hors des
conditions historiques (espaces-temps ; rapports de force entre les groupes
sociaux). « Le Noir » et « l’Arabe » sont réduits à un nouveau type du
« sauvage(on) » : le « jeune de banlieue » qui allierait à sa particularité raciale
la nullité culturelle et intellectuelle de par son assimilation à l’a-culture
américano-centrée. A la vision d’une perpétuation à travers le temps de
l’origine spatiale ou raciale (le populaire oxymoron « immigré de la troisième
génération ») répond la perception d’une fragmentation de l’espace et
du lieu national selon ces origines, une vision anxiogène par rapport à
la culture historique française de la symbiose Etat-Nation-République à
laquelle vient répondre le triptyque ethnie-nation-Europe impériale, se
présentant comme l’analyse et la réponse au constat établi de faillite de la
précédente. La fixation du discours non plus sur « le travailleur immigré »
mais sur les « filières de clandestins » et leurs « nouveaux négriers » achève
cette absolutisation ethniciste en criminalisant et altérisant les immigrés
et leurs descendants, rendant inimaginable leur intégration à un espace
public où la révolution conservatrice néo-libérale a, qui plus est, atomisé

25 Jeune Nation solidariste, octobre 1984.


26 Troisième voie, septembre-octobre 1985.
27 Discours qui renvoie également à l’institution par l’Etat des Z.U.P. en 1982, qui peut être
lue comme la reconnaissance d’îlots à l’intérieur du territoire de la République – s’y sont ensuite
ajoutées Z.E.P., zones franches, etc.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 169

les structures, faisant du même coup saillir l’image des communautarismes


ou supposés tels (aspect renforcé par l’auto-assimilation des individus à la
vision médiatique donnée d’eux). Ces éléments, associés à une exigence
du respect des « identités » censément « traditionnelles », aboutissent à
une opposition spatiale et ethnique qui constitue un efficace instrument
de sape des principes du contrat social républicain et de son plébiscite de
tous les jours. Ces principes se voient opposer celui d’une nécessaire stase
raciale : « si Mouloud est Français … moi je suis Breton ! » proclame un
autocollant d’Unité Radicale.
Ces données structurantes n’ont toutefois manifestement pas profité
aux N.R., comment le comprendre ? Depuis 1962, ceux qui constituent
la nébuleuse N.R. ont fait leur la démarche léniniste : il faut d’abord une
doctrine révolutionnaire imprégnant des cadres extrêmement formés
agissant dans une structure monolithique. Ils ont pour cela œuvrer
à la constitution d’un compromis nationaliste électoraliste dont ils
pensaient que leur formation idéologique leur assurerait le contrôle et la
manipulation. La prise en main complète du F.N. par les nationalistes,
autour de B. Mégret, dans les années précédant la scission, a paru finaliser
un plan qui eût été rigoureux et confirmé par les faits. Durant la décennie
1990, il n’est sans doute pas un seul parti politique ayant produit un travail
idéologique semblable à celui réalisé par l’encadrement nationaliste du
F.N., transformant, comme l’avait réclamé jadis Pour une Critique positive,
un parti de nationaux en unité de droite révolutionnaire.
Lors de la scission de 1998-1999, la vision des mégretistes a été
unanimement relayée : ils allaient remplacer le F.N., la victoire leur était
promise car ils avaient emporté la quasi-totalité de l’encadrement et
des structures de l’appareil dont ils étaient devenus les maîtres d’œuvre
idéologiques28. Cette phase peut se comparer à celle de la séparation
avec l’équipe d’Ordre Nouveau en 1973 : dans les deux cas, J-M. Le Pen
est contraint d’en appeler aux tribunaux pour conserver la jouissance
de l’étiquette F.N. et ne doit qu’à son absolu déni du fonctionnement
démocratique de son parti de conserver la présidence de sa formation.
Dans les deux cas encore, il se retrouve dépouillé de l’encadrement et des
militants de son parti par les scissionnistes. Or, il s’avère que dans cette
situation, il a politiquement éliminé ses adversaires.

28 Le putsch idéologique des mégretistes est repérable en trois radicalisations du discours de J-M.
Le Pen, accordant l’imprimatur à des thèses nettement plus radicales que ses opinions coutumières :
la dénonciation d’un complot mondialiste dirigé contre les nations et les « travailleurs » par la « for-
tune anonyme et vagabonde » (1995), l’affirmation de l’inégalité des races, puis la désignation de la
nationalité comme reposant sur le sol, le sang et l’âme des peuples (1996).
170 NICOLAS LEBOURG

Le résultat du 21 avril 2002 est obtenu par le président septuagénaire


d’un parti sans cadres, victime d’une hémorragie militante et à la doctrine
désormais inexistante et illisible dès que l’on s’écarte du slogan de
« préférence nationale ». Alors que les N.R. ont justifié, pendant trente
ans, leur existence autonome en affirmant que les nationaux étaient
d’incurables sentimentaux incapables d’une démarche léniniste seule
capable de ressusciter le nationalisme, J-M. Le Pen a démontré qu’un parti
sans cohérence, sans programme, presque sans militants, pouvait mener
l’extrême droite au second tour des élections présidentielles. Qu’en retenir ?
L’analyse du déplacement de la fonction tribunitienne du P.C.F. au F.N. a
été menée à de nombreuses occasions. La dénonciation par les gauchistes
d’un P.C.F. contre-révolutionnaire est connue. En somme, le P.C.F. fut
longtemps un parti que l’on pourrait qualifier de transactionnel : il tenait
un langage révolutionnaire au simple bénéfice d’une attitude réformiste.
Les slogans révolutionnaires étaient dans les faits un modus operandi chargé
d’obtenir des dominants des transformations sociales, par une transaction
entre le langage de rupture et la praxis pragmatique. Le communisme
parlementaire et syndical joua ainsi peu ou prou le rôle de lobby au bénéfice
non d’une classe, mais de masses usant de ce moyen pour agir sur un seul
segment politique, celui désigné par les communistes sous le vocable de
« justice sociale ». Plus encore que le P.C.F., le F.N. nous semble avoir
structurellement tant joué cette fonction transactionnelle que l’on pourrait
le qualifier de « parti-lobby », agissant au profit de masses n’en usant que
sur le segment que les frontistes intitulent la « préférence nationale ».
Hormis le cas d’Orange, des mairies frontistes, qui pour leurs zélateurs
étaient censées être la vitrine sociale des laboratoires d’une révolution
nationale, et pour leurs adversaires être les métastases menaçant de mort
l’ordre républicain, il ne reste que le tiède bilan d’un clientélisme droitier.
En 1995, lors de leurs conquêtes, B. Mégret avait pourtant affirmé qu’il
contournerait la loi pour y appliquer la préférence nationale, tandis que J-M.
Le Pen clamait que la légitimité des urnes affronterait celle des préfectures.
La mesure phare adoptée par la nouvelle municipalité de Vitrolles, invalidée
par le tribunal administratif, fut la création d’une subvention aux couples
de jeunes parents dont l’un des deux membres était ressortissant d’un pays
membre de l’Union Européenne ; elle était ainsi nettement en-deçà d’une
délibération du conseil municipal de Paris, annulée par le Conseil d’Etat
le 30 juin 1989, qui instaurait une telle subvention à la condition que les
deux parents soient de nationalité française, arguant de « l’instabilité » et
de la « fécondité » des populations étrangères pour les en écarter. Alors que
le F.N. a joui d’un groupe parlementaire, aucun de ses députés n’a donné
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 171

son nom à une quelconque loi ; en revanche, depuis que le parti projette
son ombre sur la scène politique, la législation relative à l’immigration n’a
cessé d’être compulsivement révisée par toutes les majorités parlementaires,
entraînant systématiquement la saisine du Conseil Constitutionnel
par l’opposition (par exemple, la procédure de reconduite à la frontière
codifiée en octobre 1981 devait être durcie en septembre 1986, août 1989,
février 1992, août 1993…). C’est-à-dire, in fine, que si, selon la formule
de Dominique Sistach, « le F.N. ne «pèse» pas tant sur la vie politique
française par sa puissance politique que par sa force de socialisation », on
peut suggérer qu’il est structurellement un instrument de lobbying d’une
fraction de l’électorat29.
Or, normalement par définition, le lobby est mono-thématique et le
parti programmatique : si l’un se réduit à l’autre dans sa pratique, c’est bien
qu’il s’agit d’une hybridation. En ce cas, le F.N. témoignerait de l’inverse
absolue de la règle N.R., en désignant le fait que le parti de rupture n’a besoin
ni de cadres ni de doctrine, mais seulement de répondre à une demande
sociale qu’il se doit d’exciter pour simplement perdurer. Le candidat d’un
tel parti-lobby, sans appareil ni programme, pouvant parvenir au second
tour des élections présidentielles, la marge du compromis nationaliste n’a
plus alors un rôle d’aiguillon idéologique, mais d’agit-prop radicalisée en
amont. Cependant, celle-ci se fait au bénéfice d’un segment politique qu’elle
n’a pas choisi et qui lui interdit de se développer, la position de formation
repère du lobbying étant déjà occupée par le F.N. Aucun développement
n’est pour elle faisable sur de telles bases.
En somme, au niveau de la stratégie politique, on peut estimer que les
discours N.R. s’inscrivent dans une réalité sociale dont ils sont la réaction à
l’extrême droite militante, mais qu’ils pouvaient raisonnablement aspirer à
un débouché. C’est la nature de parti-lobby du F.N., couvrant ce segment
du marché politique, qui bloque à la marge la rencontre de cette offre et de
cette demande. Dans la perspective analytique d’une aspiration sociale à la
totalité lors de moments palingénésiques30, l’imagerie de fragmentation du
«corps de la nation» indique un état d’anomie qui est la base constituante

29 Cf. J-P. Brouant, « Le Contrôle de légalité des mairies Front National », Le Front National au
regard du droit, Vandendriessche et Villalba dir., Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve
d’Ascq, 2001, pp.123-142 ; D. Sistach, « Le Front National et les discriminations raciales », idem,
p.90 ; X. Villalba, « Statut constitutionnel de l’étranger ou érosion des droits fondamentaux ?»,
idem, pp.97-108.
30 Sur la thèse du moment palingénésique, cf. R. Griffin, « The Palingentic political community :
rethinking the legitimation of totalitarian regimes in inter-war Europe », Totalitarian movements and
political religions, hiver 2002, pp.32-38.
172 NICOLAS LEBOURG

de la transformation d’un malaise social en dynamique autoritariste, mais


le problème pour les N.R. est que ce schéma d’aspiration à un unitarisme
palingénésique est plutôt propice au mythe du Sauveur qu’à celui d’un
Ordre, donc, dans cet espace-temps, au national-populisme…

12. Anti-mondialisme

L’évolution de la représentation néo-fasciste de la situation des


peuples d’Europe se nourrit d’éléments d’importance : la vulgate anti-
colonialiste, l’antisionisme, le rejet de l’immigration nord-africaine, la mise
en place du discours ethnodifférencialiste et la dénonciation généralisée de
l’impérialisme culturel américain. C’est ainsi que les nationalistes finissent
par pointer un ennemi total : le mondialisme, et sa représentation première,
les U.S.A.31 Le mot « mondialisation » apparaît entre 1955 et 196032 ;
celui de « mondialisme » n’entre qu’une quarantaine d’années plus tard
dans les dictionnaires, étant, pour le public français, d’abord connoté par
l’usage qu’en fait systématiquement J-M. Le Pen dans l’espace public après
les présidentielles de 1995. Les nationalistes, eux, passent directement de
l’observation des mondialisations à la dénonciation du « mondialisme »,
dès les années 1960.
Pour Bardèche, ce qui menaçait les Européens était au premier chef la
faiblesse de leur ordre qui les soumettait à deux conséquences tragiques :
devenir à court terme « une colonie d’un type nouveau » des U.S.A. et de
l’U.R.S.S., et à moyen terme leur destruction biologique par le métissage
biologique et culturel induit par l’immigration : « l’apparition d’une race
adultère dans une nation est le véritable génocide moderne et les démocraties
le favorisent systématiquement ». Il y aurait donc un triple risque pour la
nature de l’homme européen : a) désagrégation de sa liberté politique ; b)
désagrégation de sa culture ; c) métissage dit génocidaire. Seul un ordre
nouveau est censé pouvoir sauver l’Europe, mais, c’est là la conclusion de
Bardèche, ce ne saurait être l’hypothétique retour du fascisme :

Le terme même de fascisme sombrera sans doute, parce qu’il est


trop chargé de calomnies, parce qu’il est perdu dans une mer de ténèbres

31 L’accusation de complot totalitaire étasunien derrière le mondialisme a au début du XXIe siècle


une diffusion mondiale. La version étasunienne est qu’il s’agit d’un complot européo-sioniste et/
ou communiste.
32 R. Dagorn, « Généalogie d’un concept : une brève histoire du mot «mondialisation» », La
Mondialisation, les mots et les choses, Karthala, Paris, 1999, contribution on-line.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 173

entourée de brumes maléfiques. Qu’importe le mot ? L’ordre de Sparte,


l’homme selon Sparte, c’est le seul bouclier qui nous restera, nous le
savons tous, quand l’ombre de la mort s’élèvera devant l’Occident.
C’est Lénine qui prophétisait que le fascisme serait la dernière forme
que prendraient pour survivre les sociétés qui ne capituleraient pas
sans combat devant la dictature communiste. (…) Sous un autre nom,
sous un autre visage, et sans doute sans rien qui soit la projection du
passé, figure d’enfant que nous ne reconnaîtrons pas, tête de jeune
méduse, l’ordre de Sparte renaîtra : et, paradoxalement, sans doute,
sera-t-il le dernier rempart de la Liberté et de la douceur de vivre33.

Tandis que l’ordre peine à naître, ce nouveau nom de Sparte se cherche :


« socialisme européen », « solidarisme », « nationalisme-révolutionnaire »,
etc. Dès la Libération, Binet tentait d’organiser des forces pour protéger la
race, l’indépendance et la culture européennes. Son organe affirme que « les
Volontaires du Front de l’Est (…) qui ont été des pionniers de la nation
européenne, ont aujourd’hui la joie de lancer les premiers mots d’ordre
et d’aider à dresser le premier rempart de la nouvelle résistance contre la
nouvelle occupation ». C’est pourquoi le titre achève ce retournement
symbolique en proclamant qu’il constitue la « voix de la France libre ». Il
s’agit, par l’union des anciens résistants communistes et des ex-Waffen S.S.,
de renverser le cours d’une Histoire dont le moteur est « la substitution
lente ou rapide des races aux races34 ». En 1946, le mouvement de
Binet use du slogan « U.S. go home ! » ; en 1948 l’agitateur fonde, avec
Bardèche, le premier mouvement d’extrême droite antisioniste, européiste
et antiaméricain, proclamant la nécessité d’une Europe-troisième voie
géopolitique entre U.R.S.S. et U.S.A.. Binet, estimant que la culture naît
de la race, récuse vigoureusement tout influx culturel externe au sein de la
civilisation européenne35. Les deux hommes sont à cette date en contact
avec Yockey, qui explique s’inspirer de la Révolution Conservatrice.
La déclaration du European Liberation Front , que rédige l’Américain,
considère que la Chrétienté médiévale représentait la parfaite totalité
européenne, détruite par les hordes barbares, les Lumières, la Révolution
française et le matérialisme et, au-delà, par le judaïsme (considéré comme
culture, race, nation et Etat) détenteur aujourd’hui de la totalité des pouvoirs
politiques et culturels aux U.S.A. La destruction de ceux-ci est donc le
premier élément pour qu’à son tour l’Europe soit tout à la fois une culture,

33 M. Bardèche, 1961, p.178 et p.188.


34 Le Combattant européen, mars 1946 ; idem, avril 1946 ; idem, juin 1946 ; idem, juillet 1946.
35 Cf. F. Duprat, 1998 (1972), pp.27-54.
174 NICOLAS LEBOURG

une race, une nation et un Etat36. Cependant, ce combat pour une totalité
organique passe d’abord par la collaboration avec les autorités militaires
soviétiques : il faudrait infiltrer tous les mouvements d’extrême droite pour
que ceux-ci lancent ensemble une campagne d’agitation anti-U.S.A. afin
que l’U.R.S.S. les finance dans leur « action against the Western occupying
powers ». En 1952, Yockey félicite Staline pour avoir écrasé Prague et avoir
ainsi maté un complot américano-sionisto-maçonnique, et n’hésite pas à
écrire que « Today Pravda says “Zionisme is a tool of American imperialism”,
tomorrow it will say “American imperialisme is the tool of Zionism” 37 ». Il est
vrai que la propagande soviétique, dénonçant dans le sionisme un nazisme
et un impérialisme colonialiste, paraît à certains nationalistes offrir des
gages idéologiques. En juillet-août 1967, les grands journaux soviétiques
de province publient un texte qui voit dans le sionisme « un vaste réseau
d’organisations ayant un centre commun, un programme commun, et un
budget bien plus important que celui de la mafia, qui agit dans les coulisses
de la scène internationale38 ».
Après son amnistie, Henry Coston devient la référence omniprésente
en matière de théorie du complot juif ; il s’avère que s’il fut l’éditeur dans
l’entre-deux-guerres des Protocoles des Sages de Sion, il est l’inventeur, en
particulier dans sa brochure consacrée à Blum Je vous hais (1944), de la
dénonciation conspirationniste du B’nai B’rith, une organisation juive
internationale de forme maçonnique39. Cette dernière est remise en cause
par une publication soviétique, le rapport Emilanov, publié en 1977. Ce
document établit la liste des supposés juifs et francs-maçons membres du
gouvernement de Jimmy Carter, puis argue que Carter aurait été élu sur
ordre de « l’organe suprême de la confédération sioniste-maçonnique,
l’ordre B’nai Brith [face auquel l’U.R.S.S. ne peut se défendre que par]
la création d’un large front mondial antisémite et antimaçonnique sur le
modèle des fronts antifascistes ». Le rapport Emilanov radicalise à l’échelle
planétaire l’éristique antisioniste soviétique pour mieux la croiser aux
fantasmes des Protocoles des Sages de Sion, en affirmant qu’en absence de
cette stratégie de front uni « l’inévitable génocide attend tous les goyim,
car la menace d’une domination mondiale du sionisme fixée pour l’an

36 F-P. Yockey, Proclamation of London, 1948, version on-line.


37 Cité dans The «Groupouscular right», R. Griffin dir., Patterns of prejudice, juillet 2002, pp.20-
21.
38 Cité in Y. Manor, 1984, p.311 et p.314.
39 Camus et Monzat, 1992, p. 51.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 175

2000 pèse sur tous les goyim de la terre40 ». Ce sont là des idées qui vont
se retrouver chez des extrémistes de droite occidentaux. Un article de Jeune
Nation solidariste, considère d’ailleurs que l’anti-soviétisme farouche n’est
qu’une manipulation de l’Occident censé être aux mains des sionistes et
n’attaquant l’U.R.S.S. que parce que celle-ci résiste à ceux-là. Et pour
démontrer la chose le texte cite le rapport Emilanov en adressant toute
sa sympathie à ce cadre soviétique qui démontrerait que l’organisation
« sionisto-maçonnique contrôle 80% de l’économie et 95% des moyens
d’information de masse du monde capitaliste41 ».
Cependant, le thème ne fait pas l’unanimité. Jacques Bastide, ex-
G.N.R. et journaliste aux Cahiers européens, avait écrit dans l’organe
de la néo-nazie F.A.N.E. : « Pour nous, Nationalistes-Révolutionnaires,
l’impérialisme américain n’existe pas [car les U.S.A. sont dirigés par les
sionistes]. Les Américains, pas plus que nous ou le peuple palestinien ne
sont maîtres chez eux. Que ce soit en Palestine, aux U.S.A. ou en France,
c’est la même colonisation que nous subissons ». Jeune Nation Solidariste
avait considéré que ce raisonnement « reviendrait à dire que les sionistes
sont maîtres du monde ce qui est vraiment très, très sommaire », J. Bastide
l’a néanmoins rejoint quelques mois plus tard et les N.R. développent
toujours plus ensuite ce type de raisonnement42. Bardèche avait quelque
conscience des risques d’incompréhension à ce sujet, en écrivant que l’anti-
américanisme ne devait pas se confondre avec la dénonciation du lobby
sioniste américain : « la maladie des U.S.A., c’est le messianisme de la
démocratie : ce n’est pas la même chose43 ». Les N.R. balancent en fait
souvent de l’un vers l’autre et un grand nombre assimilent en un même
élan les conséquences de la Destinée manifeste et le fantasme des Sages de
Sion.
Pour d’autres raisons, le P.C.F. a mené une campagne « U.S. go
home ! » d’une toute autre importance pour les masses que celle de Binet.
Il amalgame vertement les U.S.A. et le IIIe Reich et dénonce en une affiche
les hommes politiques anti-U.R.S.S. comme « les nouveaux COLLABOS »
de « l’occupation américaine », tandis que ses membres seraient « LES

40 O. Dard, 1998, pp.162-169 ; F. de Fontette, Sociologie de l’antisémitisme, P.U.F., Paris, 1991,


p.66 ; Camus et Monzat, 1992, p.51. ; L. Poliakov, « La Russie au XXe siècle », L. Poliakov dir.,
1994, p.289.
41 Jeune Nation Solidariste, 8 février 1979.
42 Jeune Nation solidariste, 19 octobre 1978. J. Bastide continue ensuite à participer au mouve-
ment N.R. mais dorénavant sous son vrai nom, tandis qu’il use de diverses signatures pour réaliser
une agit-prop pro-nationalistes arabes et antisioniste.
43 M. Bardèche, « De la fascination des bottes en politique », Défense de l’Occident, septembre-
octobre 1978, cité dans Jeune Nation solidariste, 26 octobre 1978.
176 NICOLAS LEBOURG

PATRIOTES [qui] ne pactisent pas avec l’occupant !44 ». Selon Michel


Winock, le thème anti-américain qui pénètre le plus la société est celui de
la « résistance » face à la « colonisation » américaine, et l’imposition d’un
nouveau « totalitarisme », plus sournois45. C’est également le capitalisme
américain qui est accusé de générer un néo-totalitarisme mondial via une
Trilatérale qui préparerait un gouvernement mondial. Ce thème est parfois
amalgamé avec le fantasme du complot juif mondial, mais est aussi mis en
cause dans d’autres discours, dans une dialectique anti-impérialiste ou dans
ce que dans les années 1990 est parfois surnommé la « macworldisation du
monde ».
Dans les extrêmes droites, cette dénonciation de la pression américaine
poussant à la dérégulation du monde est très longtemps l’exclusive des
nationalistes les plus radicaux, qui l’y mêlent à la question raciste. Hormis
Duprat, tous les N.R. réclament que la France sorte totalement du pacte
atlantique. Quand bien même il ne sont pas sur une ligne d’anti-américanisme
viscéral, ils estiment que l’impérialisme économique, culturel, moral et
militaire du gouvernement américain rendrait l’amitié entre les peuples
étasunien et européens tributaire de la « liquidation radicale d’un système de
servitude et de culpabilité [face auquel] notre lutte de libération européenne
est une lutte totale46 ». La Phalange française affirmait que l’antiracisme
avait pour but le métissage qui permettait la dégénérescence des peuples
afin de les transformer en consommateurs soumis47. Pour Lecerf, le plan
machiavélique ne fait pas de doute, l’ancien collaborationniste ayant certes
épousé le suprématisme mais ayant conservé force invariants idéologiques48.
Il retrouve un schéma très classiquement nazifiant : le capitalisme américain
est mené par les juifs tout comme sont juifs les maîtres de l’U.R.S.S., leur
but final étant d’instaurer une dictature juive mondiale dont l’ordre étatique
serait le communisme si brutal et l’économique le capitalisme le plus
monopolistique. La race blanche étant dite seule maîtresse du génie créateur
sa capacité unique de résistance face à l’imposition de cet « univers de 1984 »
ferait qu’est promu le métissage par tous les moyens de propagande, alors que
seule la ségrégation raciale et l’édification de l’Europe-puissance pourraient

44 Buton et Gervereau, Le Couteau entre les dents. 70 Ans d’affiches communistes et anticommu-
nistes, Chêne, Paris, 1989, p.110.
45 M. Winock, 1990, pp.50-83.
46 Jeune Garde solidariste, mai 1975.
47 Cf. J. Algazy, 1984, p.107
48 « Ce furent et ce sont encore les juifs, dit Hitler, qui ont amené le nègre sur le Rhin, toujours
avec la même pensée secrète et le but évident : détruire par l’abâtardissement résultant du métissage
cette race blanche qu’ils haïssent » (cité dans T. Feral, Le National-socialisme, vocabulaire et chrono-
logie, L’Harmattan, Paris, 1998, p.121).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 177

sauver les peuples européens49. Mai 68 et la dialectique socialiste-européenne


consécutive mènent le groupe de Lecerf à réorienter le discours : est affirmée
son intention d’édifier une Europe blanche face à « la conspiration néo-
capitaliste mondiale contre les peuples : néo-capitaliste monopoliste aux
U.S.A., néo-capitalisme d’Etat en U.R.S.S., néo-capitalisme semi-étatique
en Europe (…) ; libéral ou marxiste (…) le MONDIALISME sait que des
peuples privés de structures spécifiques sont incapables de se défendre contre
ses manœuvres » et sont donc métissés pour devenir aptes à être le simple
déversoir de sa production50.
Ces formulations se retrouvent lorsque se durcit l’anti-américanisme
pour lequel opte la Nouvelle droite en 1975 (mais en abandonnant
le suprématisme). Ayant décrété le libéralisme, perçu comme porteur
de l’universalisme métisseur, ennemi principal idéologique, les U.S.A.
deviennent l’ennemi principal géopolitique. Pour parodier Maurras et
Corradini : N.R. et néo-droitiers opposent l’Europe réelle à l’Europe
légale, la première étant une nation prolétaire devant se libérer du joug
international bourgeois, la seconde étant une décadence rationaliste
complice de cet Occident libéral. Cette posture les mène vers ce que le
G.R.E.C.E. nomme « un nouveau tiers-mondisme », rejetant la société
multiculturelle :
Pour qu’I.B.M., Coca-Cola et N.B.C. Network puissent
uniformiser les types et les mœurs et vendre leurs produits et leurs
programmes sur toute la terre, il ne suffit pas d’occidentaliser les
peuples ex-colonisés: il faut aussi transformer l’Europe (qui est, de par
sa culture, l’éventuel foyer de résistance géoculturelle) en une société
hétérogène, «pluriculturelle» et multiraciale : c’est-à-dire l’aligner sur le
modèle universel de la north american society. [D’ailleurs,] les fast-foods
croissent en proportion des immigrés. [La France compte] un nombre
excessif d’allogènes [et aura en l’an 2 000] 9 millions d’individus
de couleur. [Or les immigrés seraient les premières victimes de la]
déportation massive, (…) nouvelle forme d’esclavage [utilisée par] le
libéralisme négrier des vingt dernières années [ayant fait des «beurs»]
le pitoyable résultat d’une déculturation, d’une occidentalisation en
cours et opérée dans les pires conditions. (...) La société multiraciale est
le terreau du racisme [car, créant ghettos et citoyens de seconde zone,
elle provoque] des haines minables et des xénophobies imbéciles [qui
empêchent l’Europe et l’Afrique d’être alliées contre les deux blocs]51.

49 Révolution européenne, 15 janvier-15 février 1965.


50 Réalités Socialistes européennes, février 1969.
51 Extraits rapportés dans Le Monde, 17 avril 1984, faisant un compte-rendu des numéros 48 et
49 d’Eléments qui venaient de paraître.
178 NICOLAS LEBOURG

Le champ discursif néo-tiermondiste du G.R.E.C.E. entre en


sympathie avec celui d’une partie de la gauche pour défendre les identités
ethno-culturelles du Tiers-Monde, de l’Europe et des « patries charnelles »
face à l’universalisme marchand ramené à la figure impériale américaine.
Mais, in fine, avec l’impérialisme néo-libéral, c’est la modernité que l’on
évacue, et il est probablement plus raisonnable de mettre ces positions
en résonance avec le champ des extrêmes droites, avec le socialisme-
européen ou le nationalisme-révolutionnaire pré-cités qu’avec les gauches.
Il n’en demeure pas moins que l’analyse oppose un Occident bourgeois,
essentiellement les U.S.A., à des nations prolétaires ; mais si le distinguo
entre nations prolétaires et ploutocratiques est typiquement fasciste, et
l’opposition entre Occident et nations prolétaires court des révolutionnaires
conservateurs à Goebbels, dans son contexte spatio-temporel nul doute que
la réception du message est envisagée comme un positionnement à gauche
(et certains gauchistes usent de cette terminologie sans être conscients de
son origine).
Là où le discours de la Nouvelle droite pose le clivage entre de
nouvelles droites et gauches qui convergeraient dans leur opposition aux
anciennes, les N.R. affirment que la vie politique connaît une nouvelle
césure entre les partisans de la supranationalité pro-atlantistes et les
partisans de l’indépendance52. C’est bien autour de cette revitalisation
du nationalisme barrésien que la marge N.R. et néo-droitière crée son
originalité, sa raison d’être. Tout s’y rattache. Même les G.N.R. et même
Duprat, les plus américanophiles et stalinophobes des N.R., désignent
l’Ennemi total : le « One World Government53 », qui donne aux N.R.
leur mission de libération nationale contre « la moralité judéo-chrétienne
débilitante de la société US, (…) contre l’impérialisme yankee-sioniste et
ses collabos54 ».
La thématique fast-food-métissage est de cet axiome une représentation
propagandiste estimée populaire, et le M.N.R. en donne une formulation
radicale lorsqu’il demande à ses membres de scander en manifestation le
slogan « Luther King on t’a eu Burger King on t’aura55 ». Pour le M.N.R.,
il s’agit à travers cette thématique de se différencier du capitalisme des
nationaux et de se désigner comme le seul mouvement politique luttant
contre l’impérialisme culturel américain.. Le bulletin interne de T.V.

52 X. Vallières, « Le Nouveau front », Cahiers du solidarisme, été 1979 ( la couverture de ce nu-


méro, sous le titre La France libre, représente… une carte de la C.E.E.).
53 F. Duprat, « Bases de combat N.R. », Le Salut public, janvier-février 1978.
54 Le Salut public, novembre-décembre 1977.
55 M.N.R. Informations, 30 mars 1985 (document interne).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 179

note qu’une excellente campagne anti-Mc Donald’s est faite à Lyon, y


encourageant ainsi implicitement ses autres sections56. A Saint-Aventin,
une action unitaire N.R. de diffusion à l’entrée des Mc Donald de 600
tracts le quatre juillet 1991 reçoit un bon accueil du public57.
Dans la création de ce discours, on peut considérer que les socialistes-
européens précèdent les N.R. et que ceux-ci devancent la dialectique
mondialisation-immigration du G.R.E.C.E., puis la reprennent dans la
forme que lui a donnée la Nouvelle droite. Cependant, J-G. Malliarakis
affirme n’avoir jamais souscrit à l’attaque de la mondialisation sous l’angle
de propagande du fast-food : « j’ai toujours trouvé ça très con » dit-il
simplement58. Mais avec l’écroulement de l’Est et le passage à Nouvelle
Résistance, le thème devient tout à fait central. L’organisation construit sur
ce thème des secteurs périphériques (Comités anti-McDonald’s ; Collectif
contre l’Eurodisneyland )59. Les autocollants qu’elle produit contre la
chaîne de restauration rapide, au ton scatologique provocateur, sont ceux
qui sont les plus repris en Europe par ses camarades60. Néanmoins, c’est
systématiquement par l’application de l’assimilation des U.S.A. au nazisme
que le mouvement combat l’impérialisme étasunien – ou, si on préfère :
qu’elle se positionne. En 1994, pour l’anniversaire du Débarquement,
elle édite toute une série de tracts sur ce thème, l’un proclame : « 1944
fin de l’occupation allemande. Quand finira l’occupation américaine ? »,
tandis qu’un autre affirme « 6 juin 1944 un Occupant peut en cacher un
autre ! (…) Hier l’Ordre Nouveau des Nazis Aujourd’hui le Nouvel Ordre
Mondial des Capitalistes YANKEES GO HOME ! ». Face à cette nouvelle
occupation, la solidarité euro-arabe devrait se faire jour et le Front Européen
de Libération distribue dans toute l’Europe le même tract, exposant
que les immigrés doivent être séparés du corps national pour préserver
leur identité ethno-culturelle comme celle des ethnies d’Europe, et qui

56 La lettre tercériste, mars 1991 (document interne).


57 L.N.R., s.d., archives C. Bouchet.
58 J-G. Malliarakis, Paris, 30 septembre 2002.
59 Le collectif anti-Disneyland reçoit les signatures d’A. de Benoist, de Thiriart, de nombreux
membres du G.R.E.C.E., de plusieurs centaines de militants d’Ecolo-J, de Paul-Marie Couteaux
(qui passe ensuite de la droite ultra au chevènementisme) de R. Debray, etc. , ce qui permet à
Nouvelle Résistance de se flatter de la réussite de sa stratégie de Front Uni Anti-Système (Lutte du
peuple, avril 1992). Cela permet de faire parler de soi, de démontrer dans le milieu nationaliste que
l’on sait réussir des coups médiatiques ; cela permet de cibler les anti-américains les plus politiques
et de pouvoir entamer une démarche ciblée de débauchage. Outre l’entrisme à Ecolo-J ensuite réa-
lisé, ce comité permet ainsi à Nouvelle Résistance de se rapprocher des éléments anti-lepénistes du
G.R.E.C.E. (L’Europe combattante, mai 1992 ; document interne).
60 C. Bouchet, Château-Thébaud, 11 août 2002. Les slogans sont « hamburgers étrons de l’Occi-
dent » et « les McDo c’est de la merde ! » avec des illustrations idoines mettant en scène l’Oncle Sam.
180 NICOLAS LEBOURG

s’intitule… « Travailleur immigré réveille-toi ! ». « Allemagne réveille-toi ! »


était un slogan classique du N.S.D.A.P. repris par tous les groupes néo-
fascistes depuis Yockey sous la forme « Europe réveille-toi ! »…. L’éristique
est bien un des beaux-arts…
Outre la dénonciation sincère de la politique américaine, les N.R.
connaissent leur Sorel et leur Le Bon. Si tant de faits sont ramenés à la
mondialisation et celle-ci aux U.S.A. c’est que cela permet de reformuler
nombre de thèmes nationalistes et de jouir d’un Ennemi total qui est bien
sûr un mythe mobilisateur. Thiriart, dont l’anti-américanisme n’est pas
factice pour autant, le reconnaît sans peine : pour construire l’Europe
il faut « un «grand ennemi diabolique». Il suffit de se baisser pour le
trouver. (…) Nous avons un grand projet, l’Europe république impériale
de Dublin à Vladivostok : nous avons un magnifique ennemi, les Etats-
Unis. Tout doit se ramener aux U.S.A.. (…) Ils sont responsables de tout,
depuis la fausse couche de la dactylo Joséphine jusqu’aux cadavres du
Vietnam. Nous devons les diaboliser61 ». De l’idée de la croisade contre
le bolchevisme comme moteur de l’édification de l’Europe, nous voilà
passés à l’anti-américanisme comme autre mythe mobilisateur capable de
mouvoir l’Histoire.
Face à ce mondialisme, le M.N.R. systématise le discours N.R.
allemand sur l’identité qu’a importée l’Organisation Lutte du Peuple la
première. Lorsqu’il publie sa charte idéologique, J-G. Malliarakis prend soin
de désigner le sens du combat : même si le mouvement a été fondé le jour
anniversaire des accords de Yalta, c’est bien aux U.S.A. d’incarner la figure
du mal mondialiste62. Le thème identitaire est immédiatement redéployé
sur celui de la lutte contre l’immigration : « nos identités, individuelle,
familiale, locale, régionale, nationale, sont plus que jamais en danger de
mort ! [Les jeunes doivent se révolter contre l’immigration.] C’est à ce prix
seulement que la France ne sera pas une nation d’esclaves63 ! ». Le texte
s’achève ainsi avec un slogan du P.P.F. et devient lourd d’ambiguïtés.
Se superposent donc six niveaux de discours : 1) la dénonciation
du mondialisme vise le système démo-libéral perçu comme une société
totalitaire du spectacle et s’appuie sur le sentiment largement partagé d’une
colonisation culturelle américaine et sur le mythe de «Yalta» ; 2) le tableau

61 Entretien posthume dans Lutte du peuple, janvier 1993.


62 « Le système capitaliste mondial veut abolir les frontières au profit de l’impérialisme américain.
C’est là notre véritable ennemi » (dans Jeune Nation solidariste, 11 février 1979). « Le Système (…)
tend à faire disparaître au plan mondial la France et toutes les nations européennes dans un gris
conglomérat onusien » (idem, 24 avril 1980).
63 Jeune Nation solidariste, 31 juillet 1980.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 181

géopolitique dressé permet de faire des néo-fascistes l’équivalent des


nationalistes-révolutionnaires du Tiers-Monde ; 3) le bellicisme étasunien
est affirmé frapper partout, de Dresde à Gaza, et son impérialisme imposer
une dictature brutale et sans âme enfermant les peuples ; 4) est pointée
derrière cela la mise en place d’un système mondial homogénéisateur qui
pour s’instaurer détruirait les permanences ethno-culturelles via les biens
culturels, l’américanisation, l’ostracisme des régimes et idées nationalistes
et l’immigration provocatrice de métissage et de nivellement social –
bref, l’immigration est « une arme du colonialisme U.S.64 » ; 5) cette
américanisation serait la dernière étape du plan des Sages de Sion après
la mise en place de l’état israélien, raisonnement qui rappelle celui de
Rosenberg pour qui le sionisme était une manœuvre de domination juive
mondiale, la logique de Hitler vitupérant que les juifs « n’ont pas du tout
l’intention d’édifier en Palestine un Etat juif pour aller s’y fixer ; ils ont
simplement en vue d’y établir l’organisation centrale de leur entreprise
charlatanesque d’internationalisme universel. [L’Etat juif ne peut qu’être]
au point de vue territorial, sans aucune frontière65 », l’ordre mondialiste
ne serait donc qu’ordre sioniste ; 6) le niveau précédent circule selon deux
degrés : soit le mot « sioniste » n’est qu’une politesse légale pour ne pas
écrire « juif » et en ce cas, comme dans le tract fondateur d’Unité Radicale,
« Z.O.G. » et le « mondialisme » ne sont effectivement qu’une seule et
même machine de destruction biologique et culturelle de la race blanche,
soit il s’agit de désigner le rôle non des juifs en général mais réellement
d’un lobby sioniste censé manœuvrer l’essentiel de la politique américaine
rendue responsable de la mondialisation, et s’appuyant sur les diverses
sections nationales qu’aurait ce lobby.
Cette dernière position est celle qui a la reconnaissance, semble-t-il,
de l’essentiel des cadres N.R. Cependant, l’ambiguïté de cet empilement de
sens rend le déplacement entre les niveaux des plus aisé et praticable. Une
obsession certaine pour tout ce qui a trait aux juifs transparaît largement
dans les discours, et la confusion permanente entre juifs et sionistes n’est
pas faite pour éclairer où les N.R. tracent la démarcation entre les uns et
les autres. Il n’est d’ailleurs pas impossible, loin s’en faut, que la confusion
soit parfaitement voulue par certains auteurs pour des raisons de droit de
la presse. On ne peut néanmoins considérer que l’on a affaire à un simple
camouflage de la doctrine antisémite national-socialiste : non seulement
les juifs ne sont jamais attaqués en tant que race, aucun N.R. ne croyant en

64 Jeune Nation solidariste, novembre 1984.


65 A. Hitler, s.d, p.302 et p.325.
182 NICOLAS LEBOURG

l’existence de celle-ci, mais ils ne sont pas visés en tant qu’ensemble. La part
ésotérique de la doxa du M.N.R. est ainsi explicite : à partir de la Commune
le socialisme est intégré au « messianisme de la classe financière [et à sa]
stratégie de domination planétaire. Ainsi doit être compris le texte fameux
des Protocoles des Sages de Sion. [Ce document est authentique mais il n’est
pas comme l’affirment les antisémites] le point de vue «des» juifs, dans
leur totalité, mais de la fraction extrême du sionisme. [Celle-ci a instauré
la] dictature juive mondiale [qui repose sur les U.S.A.] véritable pouvoir
du sionisme international, [ainis que sur l’U.R.S.S. qui est le] champ
d’expériences collectivistes [et l’Europe qui en est la synthèse]66 ». Il s’agit
là d’une structure qui a tous les éléments classiques de l’antisémitisme du
premier XXe siècle, mais qui est bien, jusqu’en interne, redéployée hors
de la question raciale, uniquement sur celle d’une fraction du sionisme –
fraction néanmoins toute puissante. Lorsqu’on informe C. Bouchet que
l’on croit avoir perçu une radicalisation antisémite de ses éditoriaux après
le 11 septembre, il répond qu’il s’agit d’une erreur d’analyse et précise son
point de vue :

Etre juif en tant que religion ça n’a pas de conséquence politique,


être sioniste… L’existence d’Israël et le combat pour la survie d’Israël
a des conséquences politiques en France. C’est-à-dire que les juifs qui
se reconnaissent dans le sionisme, en France, jouent sur la politique
française, de façon à soutenir Israël. (…) On est dans la même situation
vis-à-vis des sionistes qu’on pouvait l’être vis-à-vis des catholiques à la
fin du XIXe siècle, quand il y a eu l’ultramontanisme67.

En somme, il s’agirait de la modernisation du slogan « le cléricalisme,


voilà l’ennemi ! » au bénéfice de l’organisation de l’unité communautaire.
Cette subtilité à l’esprit, il ne fait pourtant pas de doute qu’une idéologie
s’est mise en place, que les N.R. y sont pour beaucoup, mais que cette
idéologie elle-même fonctionne par bribes que l’on peut joindre et

66 M.N.R. L’AILE JUIVE DU COMMUNISME Rapport secret du Comité Central du 14 avril


1982, pp.1-2 (document réservé aux cadres dit « à ne pas communiquer et à ne pas laisser sai-
sir »). Le texte considère conséquemment que la propagande devrait donc insister sur trois points
essentiels : a) l’économie de l’Est « est une forme particulièrement esclavagiste des économies de
type capitaliste » ; b) l’assimilation du système démo-libéral au communisme, et de ce dernier au
stalinisme « doit être le b-a-ba » ; c) il faut détruire le P.C.F. en lui reprenant ses arguments positifs
(M.N.R. L’Aile juive du communisme Rapport secret du Comité Central du 14 avril 1982, pp.2-12 ).
Ces trois points de la propagande sont tout aussi présents, durant les années 1980, dans les discours
des libéraux d’extrême droite, F.N. et Club de l’Horloge, avec lesquels le M.N.R. entretient des
relations discrètes.
67 C. Bouchet, Château-Thébaud,12 août 2002.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 183

disjoindre, et qu’elle peut ainsi circuler dans l’ensemble du champ extrême


droitier, d’autant plus aisément qu’il est d’abord question de constitution
d’un champ lexical dont l’assemblage des termes produit l’Ennemi total.
Le déplacement de l’Occident sur la figure négative américano-israélienne
est d’ailleurs pour Thiriart due à la question du lobby sioniste entendue en
un sens très étendu. En 1965, il conspue les « collaborateurs de l’occupant
qui perpétuent l’imposture d’un régime «national» » et désigne l’O.N.U.
comme symbole de l’entente de « l’axe Moscou-Washington » et de ses
« «collabos» de droite et de gauche68 ». L’Occident américano-sioniste, c’est
« la ploutocratie mondiale qui a pour instrument représentatif les U.S.A.
en tant qu’Etat structuré et les zones d’occupation américaine en tant que
terrain d’exploitation économique. C’est la Carthage moderne69 ». La
raison donnée de ce mal américain ? C’est, renforçant le matérialisme qui
servirait de civilisation à des étasuniens immatures historiquement, que les
juifs tiennent les U.S.A. : au pays de « Jew-York » ils « contrôlent toute la
vie politique et [de même qu’ils ont] amené Roosevelt à la guerre contre
l’Europe en 1941 » ils vont entraîner les U.S.A. dans de nouvelles guerres.
Ce problème juif au sein du drame américain ne serait pas plus dû à la
religion (qui relève du « dominium » et non du politique) qu’à la race (« il
n’y a pas de race juive ») : « le problème juif doit être abordé sous l’aspect
du groupe de pression économico-politique international » ; c’est une « maffia
économique et politique » dont le comportement exigerait que l’on liquide
le sionisme comme Philippe le Bel liquida les Templiers70. En fait, comme
Bardèche, Thiriart considère absurde de faire de l’antisémitisme une base
programmatique et sensé d’en disposer comme base idéologique. En effet,
les juifs « contrôlent entre 40 et 90% de notre cinéma, de notre radio, de
la télévision, de la politique, de la presse. La conspiration politique juive
n’est pas un phantasme ». La Seconde Guerre mondiale aurait été, selon
lui, provoquée par l’entourage juif de Roosevelt et la victoire que les juifs y
auraient acquise, de par la création de leur Etat, les aurait menés à penser
qu’ils étaient sur la voie de la domination mondiale71.
Pour Thiriart, « la juiverie mondiale, à 99,99%, soutient de tout cœur

68 J. Thiriart, « Conditions et chronologie d’une action révolutionnaire », L’Europe communau-


taire, juin-juillet 1965.
69 J. Thiriart, « Une Imposture nommée «Occident» », La Nation européenne, 15 mars-15 avril
1966. Le Carthago delenda est appliqué aux U.S.A. est d’usage courant dans ces milieux ; il est diffi-
cile de ne pas songer à Radio-Paris appliquant sans cesse la citation à Londres.
70 J. Thiriart, « D’un mur l’autre », La Nation européenne, septembre 1967. On sait la violence de
l’élimination des Templiers... la formule n’est certes pas virulente dans sa forme, mais elle a quelque
parenté avec l’appel au meurtre.
71 La Nation européenne, octobre 1967.
184 NICOLAS LEBOURG

l’Etat d’Israël et sa politique d’extermination du peuple palestinien. (…)


A côté d’Israël, il existe un Etat juif invisible de dimensions mondiales ».
Le sionisme mondial est censé être lié à l’antiracisme, G. Meunier mettant
en cause en 1969 dans La Nation européenne « l’octopus sioniste dans le
monde [qui est] composé de plus d’une centaine d’organisations (…) une
sorte d’état parallèle avec une armée d’irréguliers et sa police [i.e. des]
organisations de type maçonnique chargées de calomnier tous ceux qui
tentent de contrecarrer les objectifs du sionisme [comme le M.R.A.P.]».
Son article achève de mêler Europe et Palestine en étant illustré d’une
photographie de Roger Coudroy légendée comme suit : « le premier
européen tombé au champ d’honneur en Palestine, dans le combat contre
l’impérialisme américano-sioniste72 ».
Il y a là de préfiguré tout le discours sur la « police de la pensée »
anti-raciste, en désignant celle-ci comme l’instrument d’abrutissement des
masses d’un sionisme impérialiste, raciste et assassin. Aussi, les « sionistes »
tendent-ils à être représentés selon la vieille logique du « je suis partout ». Le
« sionisme », désigné comme pierre d’achoppement du régime totalitaire à
abattre, de par sa toute puissance proclamée, est un signe révolutionnariste qui
légitime toutes les compromissions, toutes les alliances avec toutes les forces,
aussi bien conservatrices que révolutionnaires. Il permet, en même temps, de
ranger la pluralité d’ennemis dans un seul et unique signe, particulièrement
riche en oscillation idéologiques (anti-impérialisme, ethnodifférencialisme,
négationnisme) et fournissant une bipolarisation mobilisatrice.
Comment ne pas songer à Maurras qui reconnaissait que « tout
paraît impossible, ou affreusement difficile, sans cette providence de
l’antisémitisme. Par elle, tout s’arrange, s’aplanit ou se simplifie. Si l’on
n’était antisémite par volonté patriotique, on le deviendrait par simple
sentiment de l’opportunité 73 » ? Comment ne pas constater que ce
mythe de l’Ennemi vise autant à légitimer une vision du monde qu’une
restructuration de la Périphérie contre le Centre ?

13. Le mythe de l’Ennemi

A ce stade, les néo-fascistes se présentent donc comme les opposants


à la colonisation et l’occupation de l’Europe par l’impérialisme américano-
sioniste au cosmopolitisme génocidaire. Le thème de l’afflux d’immigrés

72 La Nation européenne, novembre 1968 ; S. Dumont, 1983, pp.142-143.


73 C. Maurras, L’Action française, 28 mars 1911, cité dans M. Winock, 1990, p.138.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 185

se lie à celui du « génocide des enfants français » par la légalisation de


l’avortement. En effet, Duprat prévient que la loi Veil peut être un moyen
de récupérer électorat ou des cadres droitiers, aussi expose-t-il qu’il faut
animer les associations, les manifestations qui s’y opposent car « seule une
politique de présence peut nous permettre de rejouer un véritable rôle
politique74 ». Il y a donc, derrière ce thème de propagande, la volonté de
construire le parti nationaliste. La marge de manœuvre apparaît d’autant
mieux que le débat parlementaire a été marqué par un certain nombre
d’attaques contre Simone Veil qui relèvent clairement de la banalisation
du discours antisémite juifs = sionisme = nazisme. Duprat développe
alors jusqu’au bout, de manière implacable, le raisonnement de sa logique
politique. Le sionisme est censé être une machine mondiale impérialiste,
colonialiste et raciste ayant pour bras séculier Israël, nouvel Etat fasciste.
Un fascisme issu du capitalisme financier chercherait à s’étendre par le
complot sur l’ensemble de l’humanité. Il userait pour cela du seul réel
génocide : celui de la race blanche réalisé par métissage75.
Ne manque plus à l’édifice rhétorique que la dénonciation anti-
colonialiste, fournie par la réflexion autour du thème géopolitique, par
l’imitation du gauchisme et du tiers-mondisme, et par l’assimilation de
la Révolution Conservatrice, pour faire des nationalistes les combattants
de la liberté contre le totalitarisme génocidaire, en même temps que s’est
édifié le mythe du génocide blanc par domination juive issue de la Seconde
guerre mondiale et masquée par ce qui serait le mythe du judéocide.
La République et le sionisme seraient deux réalités intimement liées,
la dernière étant définie telle « l’idéologie pernicieuse de destruction et
d’asservissement de nos nations76 ». Les deux réalités (Etat nationaliste et
cosmopolitisme mondialiste) ne sont plus antinomiques mais synonymes.
Duprat précise :

74 Dans Cahiers européens hebdomadaires, 5 décembre 1974.


75 Les N.R. n’ont pas repris le fait d’inclure l’I.V.G. dans les moyens de ce génocide. En revanche,
Romain Marie, chef de file des catholiques traditionalistes frontistes, déclare que l’I.V.G. est un
génocide et ajoute : « est-ce tabou de le dire ? Tout est organisé pour qu’il y ait de moins en moins
de petits Européens et de plus en plus de Maghrébins. Cela va dans le sens de l’Europe cosmopolite
et affairiste prônée par Guy Sorman » (Présent, 26 novembre 1984). Dans Militant est affirmé : « on
pourrait croire qu’une main invisible dirige une opération monstrueuse d’épuration ethnique d’un
continent entier, détruisant d’un côté toute procréation de petits aryens plus ou moins christianisés
pour les remplacer doucement mais fermement par des allogènes » (Militant, novembre 1999).
76 Dans les Cahiers européens hebdomadaires, 13 juillet 1976. Dans les colonnes du Devenir eu-
ropéen d’Y. Jeanne, l’ancien Waffen S.S. Robert Dun, passé ensuite à l’ésotérisme celtico-sataniste et
à la Nouvelle droite, expose les idées dans leur formulation la plus «franche», en affirmant qu’il y a
« un génocide anti-aryen, une entreprise dans laquelle agissent en rivaux complices le capitalisme,
le marxisme, le catholicisme et tous les mondialismes » (dans Le Devenir européen, décembre 1980).
186 NICOLAS LEBOURG

Nous avons la naïveté de croire qu’il n’existe pas seulement un


état sioniste, mais une réalité à tout le moins occidentale du sionisme
en tant que force politique dominante, et groupe de pression combien
puissant. Nous sommes contre l’état sioniste pour deux raisons et non
pour une seule : parce que cet état est fondé sur la spoliation et le vol,
et parce que la France doit avoir une politique d’amitié avec les pays
arabes ; parce que cet état est le bras séculier d’une force politique que
nous avons à combattre au sein de notre propre pays77.

Le raisonnement fait donc d’Israël la tête de pont du fameux complot


juif mondial dénoncé depuis Les Protocoles des Sages de Sion, évacuant de
facto l’argument classique à l’extrême droite qui voulait que l’on reconnaisse
aux juifs le droit de vivre en Israël mais que l’on s’opposait à l’existence
d’un lobby juif international. En rendant hommage à Coston, par ailleurs
auteur de La France colonie juive (1937), Duprat affirme :

Le Nationalisme-révolutionnaire envisage la France comme


une nation colonisée, qu’il est urgent de décoloniser (…). Face à
cette situation, nous pouvons estimer que les conditions de lutte des
Nationalistes-Révolutionnaires sont similaires à celles qui furent le lot
des groupes nationalistes du Tiers-Monde (…). Il est évident que cette
situation de pays colonisé n’est pas perçue par nos compatriotes ; cette
cécité n’est due qu’à l’habileté de nos exploiteurs, qui n’ont de cesse
que de prendre le contrôle des Mass-Media, puis, insensiblement, de
toute notre culture nationale, dont la réalité même peut désormais être
niée78.

L’extension du discours antisioniste s’avère une arme politique


majeure, la Terre entière devient une grande Palestine occupée où les
N.R. seraient l’avant-garde des peuples pour la libération nationale et
sociale. Duprat écrit que « QUICONQUE CROIT QUE NOTRE
NATION EST COLONISEE ACCEPTERA TOT OU TARD NOS
METHODES D’ACTION EN VUE DE SA LIBERATION79 ». Ainsi,
sous l’effet conjoint de «Yalta», des campagnes anti-impérialistes relatives
aux guerres du Vietnam et israélo-arabes, se transmet à l’extrême droite
nationaliste une langue dénonciatrice de l’impérialisme américano-
sioniste, morigénant le colonialisme au profit des libertés nationales et

77 Cahiers européens hebdomadaires, 10 août 1976.


78 F. Duprat, Le Manifeste nationaliste-révolutionnaire, Dossiers Nationalistes, Supplément numéro
deux aux Cahiers Européens-Notre Europe, 1976, pp.6-7
79 Cahiers Européens hebdomadaires, 20 juillet 1976.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 187

sociales. L’Aktion Neue Rechte avait récupéré le discours anticolonialiste de


la Révolution Conservatrice pour refonder un nationalisme allemand qui
soit audible, et les N.R. allemands avaient ainsi su relier le destin de leur
nation, effectivement occupée par des forces armées étrangères, à une lutte
nationale et sociale exprimée à travers l’idée-slogan de « Résistance ». C’est
aussi une légitimité retrouvée : les néo-fascistes peuvent ainsi enfin se situer
du côté de l’opprimé et non de l’oppresseur, faire renaître le fascisme de
«gauche», mais toujours contre la «main-mise juive». Un slogan est pour
cela devenu omniprésent dans la propagande N.R. de la fin du siècle : « A
Paris comme à Gaza : Intifada ! ».
Le retournement des symboles est opéré en France avec une très nette
reprise de l’art discursif maoïste. L’ensemble du schéma éristique trouve sa
première forme accomplie dans Le Partisan européen pour qui « le projet
américain pour la France » est de placer les « Français de souche » dans
« des réserves indiennes », les immigrés extra-européens dans des ghettos
qui absorberaient les villes puis les campagnes, d’américaniser les classes
moyennes et supérieures, afin d’assurer « l’intégration totale politique,
économique, militaire et culturelle de la France dans le système dominé
par les U.S.A. ». L’Europe serait donc victime d’un « génocide par
substitution (…). Ce génocide s’accompagne d’un ethnocide, de la perte
de l’identité culturelle ». Aurait ainsi été établie une nouvelle échelle de la
race humaine : le W.A.S.P., le Beur et l’Européen. Ces éléments discursifs,
ainsi que d’autres apportés par Le Partisan européen, se cristallisent à cette
époque, rassemblant des thèmes et termes pour toute la suite80. C’est
particulièrement le cas de Nouvelle Résistance qui, par ailleurs, s’était
donné la Gauche Prolétarienne comme modèle propagandiste81. La G.P.
avait dépassé la formulation du P.C.F. et en appelait à une « Nouvelle
Résistance populaire » (désignation de sa structure «militaire», et la
résistance face au nazisme étant imaginée avoir été celle du peuple tout
entier hormis la grande bourgeoisie collaboratrice), elle s’était dotée d’un
hymne baptisé « Chant des nouveaux partisans », dénonçait le système
comme le « nouveau fascisme » doté de ses « nouveaux collabos », tout

80 Le Partisan européen, germinal 1986. L’action est dès lors tracée : « l’occupant fait édicter par
ses gouvernements collaborationnistes et appliquer par ses agents gestapistes des règlements visant
la répression de la résistance intérieure (…) PALESTINE LIBRE EUROPE LIBRE UN MEME
COMBAT CONTRE L’OCCUPANT ».
81 C. Bouchet, Château-Thébaud, 12 août 2002. Le discours de Nouvelle Résistance fait ainsi
reposer une synthèse néo-fasciste très dense (R.C., Freda, Nouvelle droite, néo-eurasisme, etc.) sur
un alliage propagandiste qui va du maoïsme spontanéiste à la R.C. revue et corrigée par la Nouvelle
droite des années 1980.
188 NICOLAS LEBOURG

en assimilant son combat à celui du Fatah. Ce schéma se retrouve dans


l’éristique N.R. Puisque les N.R. ne sont pas parvenus à agir sur le constat
de Bardèche (celui qui n’a pas été résistant est dit avoir été un mauvais
Français82), ils en changent le signifié.
Le champ mythologico-argumentatif se compose donc comme suit.
Ennemi total : « le Système à tuer les peuples », i.e. le système libéral
mondialiste et son hegemon américano-sioniste usant de « l’idéologie des
Droits de l’Homme » pour homogénéiser et assassiner les « identités »
culturelles et biologiques ; Guerre totale : celle de la « résistance » des
« partisans européens » pour « libérer l’Europe » ; Etat total : « la nation
européenne » « auto-centrée », économiquement, géopolitiquement,
ethno-culturellement. Certes, l’on voit bien tout ce que ces thèses
empruntent à Yockey, à Strasser, Saint-Loup, Binet, Evola et Thiriart, en
somme au champ le plus socialement réprouvé de l’espace politique, mais
ce qui importe ce n’est pas l’archéologie de ce discours, mais son efficience
en tant que réarmement idéologique. Dans ce triptyque schmittien, les
formulations sont largement liées à G. Faye, ce qui confirme la confluence
qui s’est opérée entre une aile de la Nouvelle droite et le mouvement
N.R. Le néo-paganisme trouve ici son sens politique, puisqu’il vient
renforcer ce jeu en approfondissant la construction d’une contre-société
communautaire. Les néo-païens voient dans le christianisme la matrice
et l’allié du libéralisme afin de détruire spirituellement des Blancs qui
« verront les mêmes programmes de télévision, ouvriront les mêmes boîtes
de conserve et invoqueront le même Dieu d’Israël83 ».
Ce discours participe à son temps autant qu’il l’éclaire : les N.R.
s’inscrivent dans l’obsession de la reconnaissance pour soi du statut de
victime, l’extension exponentielle des qualifications de « génocide » et
« crimes contre l’Humanité », et leur mise en concurrence, l’exigence sans fin
que l’Etat reconnaisse et répare au nom de la nation des crimes qu’auraient
commis « la France », « les Français » ou « les Blancs » («débats» sur la
question de la nature du lien entre Vichy et la France ou sur « l’antisémitisme
français » hors de toute considération sur l’historicité des faits ; polémiques
sur les « génocides » et « déportations » qu’auraient connus les Indiens,
les Arméniens, les Africains, les Palestiniens, les Vendéens, bref, toute
communauté dont l’on souhaite affirmer l’existence historique, comme si
le plébiscite de chaque jour ne s’édifiait plus que sur le sol et le sang). A cette
idéologie de la victime et à ce marché concurrentiel de sa reconnaissance,

82 M. Bardèche, Lettre à François Mauriac, La Pensée Libre, Paris, 1947, p. 14.


83 Fidélité, 15 novembre 1957 (organe de la Phalange Française).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 189

s’ajoutent la confusion incantatoire entre « mémoire » (une imagerie sociale


évolutive) et Histoire (une vérité scientifique donc temporaire), celle entre
justice et Histoire, et la volonté de faire du judéocide un pilier culturel
fondateur de l’édification de l’Union Européenne – idée qui n’est pas pour
plaire à l’européisme N.R. Ces procédés discursifs soulignent comment la
thématique de l’ennemi total a largement puisé aux sources d’imaginaire
offertes par le négationnisme.
Celui-ci constitue en-soi une idéologie nationaliste, un oscillateur
idéologique largement appuyé sur d’autres oscillateurs, l’anti-américanisme,
le rejet de l’immigration, et le soutien à la cause palestinienne. Il importe
donc d’insister : le but du négationnisme n’est pas en premier lieu de
persuader la population de la non-existence du judéocide. Il recherche
une banalisation des régimes fascistes, de leur nature et de leurs crimes.
Il souhaite les rendre comparables aux natures et crimes des régimes
libéraux et communistes. Il constitue un syncrétisme entre antisémitisme
et antisionisme. Le négationnisme n’est pas la négation des chambres à gaz
homicides : le ramener à cela revient à produire une confusion entre un
instrument argumentaire et une idéologie. La seule conclusion conséquente
du négationnisme c’est la dénonciation de Z.O.G., et la logique de cette
dernière c’est la légitimation d’une violence antisémite radicale.
C’est en abandonnant le nationalisme-impérialisme pour la cause des
peuples, le racisme pour l’ethnodifférencialisme, en voulant n’avoir rien
à voir avec le néo-nazisme comme avec le national-populisme, bref : en
voulant réaliser une offre idéologique et partisane de fascisme de «gauche»,
que les N.R. aboutissent à un point qui, d’une part, est à rapprocher de
Binet (horresco referens pour l’essentiel d’entre eux) et de l’ensemble de la
mouvance socialiste-européenne – en somme de quelque chose qui a à
voir avec la transmission de la Weltanschauung de la Waffen S.S. – et qui,
d’autre part, fait d’eux une avant-garde du parti national-populiste. Ce
dernier vient en effet puiser dans le langage et les idées des marges quand
il est en quête de redéfinition après la perte d’une U.R.S.S. qui jouait un
rôle essentiel de repoussoir dans son imaginaire – soit au moment où les
N.R. se font bolcheviques… Le F.N. avait bénéficié de l’arrivée en son sein
des dirigeants du Club de l’Horloge. Ceux-ci, issus de la Nouvelle droite,
avaient antérieurement convaincu les droites d’opposer le « socialisme » en
tant que totalitarisme homogénéisateur aux « républicains » défenseurs de
la « liberté » et de « l’identité ». Face au « fascisme socialo-communiste »,
ils exposaient dans un séminaire à un parterre de dirigeants de l’U.D.F. et
190 NICOLAS LEBOURG

du R.P.R. comment organiser « le début d’une résistance84 ». Le Club de


l’Horloge insiste sur le thème de l’enracinement qu’il parvient à faire passer
dans les programmes du R.P.R. et de l’U.D.F., affirme que la droite doit
reprendre une à une les références historiques qu’elle a tendu à abandonner
à la gauche et utiliser le vocabulaire de cette gauche pour « permettre de
minorer l’adversaire sur le plan du langage », et invente finalement le
concept de « préférence nationale » (1985), une reformulation euphémisée
de la thématique emploi-immigrés inventée par Duprat, qui est alors
reprise par le F.N.85
Ils effectuent également un important travail de propagande autour
de l’idée que l’extrême droite était résistante alors même que le pacte
germano-soviétique était encore en vigueur. Or, pour le F.N., l’année 1986
a été marquée par la publication dans Le Monde d’un communiqué du
B’nai B’rith (qui n’était plus guère évoqué depuis le rapport Emilanov).
Cette organisation internationale judéo-maçonnique demandait à la
droite de tenir son engagement de ne pas s’allier avec le F.N. Pour celui-
ci, l’affaire devient « le diktat du B’nai B’rith », les hommes politiques de
droite étant dits avoir dû prêter serment dans les loges de l’obédience.
Celle-ci redevient ipso facto le centre d’accusations qui en font le symbole
parfait du lobby juif, elle se voit également accusée d’être la maison-mère,
la donneuse d’ordres, des mouvements antiracistes. Ce «lobby juif» n’est
pas directement attaquable car, comme l’affirme une note interne frontiste,
« c’est tactiquement mauvais et cela détériore notre image, [il faut attaquer
les associations antiracistes qui lui servent d’écran et qui] constituent la
partie émergée de l’iceberg, du Parti de l’étranger, ou encore du lobby pro-
immigration86 ».
La revue doctrinaire frontiste, nommée Identité et fondée par B.
Mégret, un mois après la Chute du Mur, redéfinit le corpus idéologique
via le principe ami-ennemi : désormais serait le temps de l’opposition
planétaire entre partisans de « l’identité » et ceux du « cosmopolitisme »
du « nouvel ordre mondial » détruisant les premières par le biais de

84 Sur ce séminaire cf. Le Matin de Paris, 12 mai 1982.


85 Cf. Leroy et Blot, 1982, et P-A Taguieff, « De l’anti-socialisme au national-racisme », Raison
présente, quatrième trimestre 1988, p.25.
86 Note interne F.N. publiée par P-A. Taguieff dans C.N.C.D.H., 1991, pp.152-153. Pour
National-Hebdo du 6-12 avril 2000, les U.S.A. veulent produire en Europe des sociétés multi-eth-
niques, les nations devant être détruites par l’immigration et la culture musulmane, ce qui permet-
tra d’établir le gouvernement de banquiers aux patronymes à consonance juive (H. G. Simmons,
2003, pp.16-20). Ce que dit l’hebdomadaire frontiste c’est désormais, sans fioriture, ce que disait
Lecerf.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 191

l’idéologie des droits de l’Homme, l’antiracisme, l’immigration87. Le pli


de l’assimilation est pris et surgissent l’affiche « Le Pen La Résistance » et
l’édifiant colloque « D’une Résistance à l’autre » (1993, soit un intitulé
provenant de la légitimation du combat de l’O.A.S.), assimilant le camp
de l’identitarisme à celui de l’anti-totalitarisme. B. Mégret fait connaître
en 1991, les 50 propositions sur l’immigration du F.N., où il affirme que
« l’identité française est liée au sang ». En 1993, il chapeaute le programme
global frontiste ; y est affirmé que le premier référent est « l’identité »
et une photographie d’une publicité Mac Donald’s est légendée : « un
libre-échangisme sans frein détruit les économies nationales au seul
profit de l’idéologie cosmopolite ». Il ne s’agit pas de protester contre la
mondialisation néo-libérale, mais d’affirmer qu’elle constitue un complot
de destruction des nations et du patrimoine génétique de leurs peuples88.
En somme, il est non seulement évident que, grâce à l’avant-garde
N.R., le parti national-populiste a su trouver une culture de rechange
lorsqu’il a été privé de l’agitation du spectre bolchevique, mais il apparaît
également que son discours mixophobique anti-impérialiste n’hésite
pas à dépasser les formulations des N.R. sur le plan de la race ou de la
désignation d’un ennemi judaïque – le parti ayant l’immense avantage de
son poids89. Un problème de fond se pose toutefois : depuis l’invention de
la thématique anti-immigrés en un sens social et antisioniste par Duprat,
la question de l’immigration n’a cessé d’occuper plus de poids dans les
préoccupations des N.R. Ceux-ci hésitent donc entre une dénonciation
radicale qui les différencierait des nationaux-populistes simplement en
faisant d’eux les «durs» de l’extrême droite, et une analyse totalement
différente orientée contre le système. L’évolution est à cet égard exemplaire
et elle mène le nationalisme-révolutionnaire a une surexcitation ingérable
de ces contradictions internes.
En 1986, Le Partisan européen pousse la logique de
l’ethnodifférencialisme dans le sens communautariste en affirmant que
les jeunes Français d’origine arabe doivent avoir le droit au bilinguisme
scolaire et à une pleine pratique de l’islam. En 1989, A. de Benoist fustige

87 Dossier « Les Mutations idéologiques », Identité, novembre-décembre 1989. Karl Popper eût
dit : Société fermée vs. Société ouverte.
88 B. Mégret, « Contribution au règlement du problème de l’immigration », Colloque Immigra-
tion : les solutions, secrétariat du Front National, 1991 ; F.N., 300 Mesures pour la renaissance de la
France, dir. B. Mégret, Editions Nationales, Paris, 1993, p127
89 Le mail de M. Brunerie affirmant qu’il voulait abattre le Président Chirac car ce dernier était
l’agent de Z.O.G., s’explique par « l’affaire du B’nai B’rith ». Si celle-ci emplit perpétuellement
depuis 1986 les colonnes de la presse frontiste, elle n’intéressait par contre pas Unité Radicale. Mais
c’est U.R. qui fut interdit.
192 NICOLAS LEBOURG

les affaires dites du « voile islamique » qui secouent l’Education nationale


et soutient les jeunes filles musulmanes au nom de leur droit à « leur
identité90 ». Le pli est pris par T.V. mais Nouvelle Résistance radicalise ces
positions. Son manifeste et l’ensemble de sa pratique rhétorique opposent
« identité » et « mondialisme », ramènent le statut national au critère
ethnique mais avec une formulation altérophile, et Nouvelle Résistance
n’hésite pas à produire un tract « Le Tchador, j’adore ! » ou un autre,
comparant l’exclusion des lycéennes voilées au pogrom de Rostock, ayant
pour titre un slogan régulièrement affiché dans sa presse : « Halte au racisme
anti-musulman ! ». Cependant, un objet intellectuel et rhétorique très bien
construit ne fait pas fatalement un moteur politique, et au crépuscule du
mouvement le secrétaire général stipule ceci :

Quant à l’immigration, notre ethno-différentialisme et notre


orientation pro-arabe en politique étrangère nous ont largement
incapacités et privés d’un thème de recrutement porteur. Malgré
les textes produits par T.V., Le Partisan européen ou le G.R.E.C.E.
nous n’avons jamais été capables d’articuler une position théorique
cohérente et porteuse, ce qui constitue pour nous une grave
lacune91.

Aussi, le changement de ligne est-il vigoureux. Indice significatif :


l’un des responsables d’U.R., lorsqu’il évoque l’histoire de l’extrême
droite française, affirme que le compromis nationaliste par lequel
naquit le F.N. reposait sur le commun rejet de l’immigration par les
divers courants extrêmes droitiers, alors même que cette question était
absolument absente, l’argumentaire d’alors étant totalement fondé sur
l’anti-communisme. Cette erreur d’optique sur l’histoire de son propre
courant politique souligne amplement la façon dont cette question a
redéfini les extrêmes droites92. Ainsi la violence n’était-elle louée par
Nouvelle Résistance qu’en tant qu’arme à utiliser contre l’Etat lorsque
se ferait jour la crise révolutionnaire, « l’Octobre » N.R. Avec Unité

90 Le Partisan européen, vendémiaire-brumaire 1986. Camus et Monzat, « France : la consolida-


tion du Front National », Blaise et Moreau dir., 2004, p.257. Ce n’est donc pas Nouvelle Résistance
qui vulgarise A. de Benoist, mais un mouvement où a) la première impulsion (ou premier symp-
tôme) provient du Partisan européen; b) celle-ci n’est réellement reçue et amplifiée qu’après sa reprise
par A. de Benoist ; c) elle est radicalisée suite à la Guerre du Golfe. En somme on va des N.R. aux
N.R. mais de et par la Nouvelle droite.
91 3° congrès de Nouvelle Résistance Motion présentée par le secrétariat général de l’organisation, p.3
(document interne).
92 J-F. Colombani (pseudonyme) dans C. Bouchet, Les Nouveaux nationalistes, 2001, p.96.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 193

Radicale, la violence à l’encontre des militants antifascistes est vantée et,


tout en prenant garde à la législation, la violence raciste est favorablement
présentée. La différence d’appréciation des violences racistes survenues à
Rostock est parlante. Pour Lutte du Peuple, il s’agissait d’une manipulation
étasunienne afin de déstabiliser l’Europe. La section grenobloise avait
démontré que cette attitude analytique n’était pas partagée au sein-même
de la direction, en liant ces émeutes racistes au thème « l’Europe aux
Européens ». Désormais, les pogromes sont les « étapes de la Renaissance
européenne » et de prédire :

Il y a fort à parier qu’il y aura bien d’autres Rostock, Vauvert,


El Ejido, Oldham ou Bradford. Les radicaux ont dans cette optique
un rôle tout particulier à jouer. Ils ne sont pas tenus comme les
partis électoralistes de la résistance nationale à veiller à leur image,
ils peuvent aller au charbon, ils peuvent aller au cœur même de la
fournaise… Lénine a écrit : «Une seule étincelle peut enflammer
toute la plaine». Nous n’avons qu’un seul souhait, que les radicaux
soient ceux qui déclenchent cette étincelle qui enflammera la plaine
européenne et qui fera entrer le peuple tout entier dans la lutte de
libération nationale. Alors, Rostock, Vauvert, El Ejido, Oldham et
Bradford n’auront été que les prémices du grand embrasement à
venir93.

Certes, il y a toujours eu, tout le long cours de l’histoire du


nationalisme-révolutionnaire, une crainte affirmée que l’immigration
extra-européenne ne produise un conflit racial sur le territoire
métropolitain, ce jusque dans les antécédents dits solidaristes ou
socialistes-européens. Le thème tenait particulièrement à cœur à
Pour une Jeune Europe qui justifiait par cet argument son soutien à
l’Afrique du Sud, à Powell et Wallace. Du suprématisme à la reprise de

93 Résistance !, été 2001 ; Lutte du Peuple, septembre 1993 ; idem, octobre 1993. La formule citée
n’est pas de Lénine mais de Mao Zedong dans son rapport sur le Hunan (1927).
194 NICOLAS LEBOURG

la mythologie des Turner diaries94, il y a ainsi une influence récurrente


du racisme des mondes anglo-saxons sur les nationalistes français, tandis
que les nébuleuses N.R. et völkisch s’apprêtent à la fin des années 1990 à
entrer dans une zone de turbulences idéologiques, entre autres exprimée
par une convergence vers un schéma idéologique qui est, précisément, un
réalignement sur un socialisme-européen enrichi de la modernité raciste
étasunienne. Or, si le glissement est aisé, c’est qu’il entraîne les N.R. vers
le credo de la nébuleuse völkisch, organisée autour de l’association Terre et
Peuple de Pierre Vial, qui avait jusque là la spécialité de l’imprécation sur
l’inévitable guerre des races.
Le credo essentiel de l’ancien socialiste-européen et toujours néo-
païen qu’est P. Vial95 est qu’après l’actuelle phase de « colonisation » de
l’Europe par des immigrés porteurs de métissage, « nous allons tout droit
vers une guerre ethnique et cette guerre sera totale ». Mais cette guerre
future s’inscrit elle-même dans le mouvement naturel de l’Histoire, car il
écrit dans l’ouvrage d’hommage à Saint Loup (1992) : « le seul véritable
enjeu, depuis deux mille ans, est de savoir si l’on appartient aux peuples
de la forêt ou à cette tribu de gardiens de chèvres qui, dans le désert,
s’est autoproclamée élue (…). Je fais partie de ceux qui ont découvert

94 Cet ouvrage de 1978 « can be regarded as the Mein Kampf of Universal Nazism’s terrorist wing »
(R. Griffin, « Caught in its own net : Post-war fascism outside Europe », Fascism outside Europe, S.
Larsen dir., Columbia University Press, Columbia, 1997, s.p.). Il narre la lutte finale des races avec
le soulèvement des suprémacistes blancs contre « Z.O.G. » suite à leur conquête militaire d’une Cal-
ifornie qui leur servirait de base. On y trouve force détails sur l’art de créer une bombe (influençant
ainsi le militant d’extrême droite auteur de l’attentat d’Oklahoma City qui fit 168 morts en 1995)
et force fantasmes sur le fait d’en lancer de nucléaires, chimiques ou bactériologiques sur les popula-
tions non aryennes. La fin voit le héros mourir dans un attentat nucléaire contre le Pentagone. Le
livre est l’œuvre de William Pierce, leader de la National Alliance, qui le publia sous pseudonyme.
La N.A. a été fondée comme mouvement de jeunes soutenant le candidat ségrégationniste George
Wallace à la présidentielle ; Pierce en devient le chef en 1971 après avoir milité à l’American Nazi
Party et le National-Socialist White People’s Party. La N.A. se revendique de Yockey et souhaite le
dégagement d’une élite de prêtres-guerriers qui détruira « The System » et guidera la race aryenne
jusqu’à la divinité. Elle a récupéré le label Resistance Records à la fin des années 1990 et l’a orienté
vers le black metal. Pierce et la N.A. ont été en contact avec le G.R.E.C.E., le N.P.D., le National
Front et le British National Party (M. Durham, « From Imperium to internet : the National Alliance
and the American extreme right », R. Griffin dir., 2002, pp.50-61 ; P. Moreau, « L’Extrême droite et
internet », Blaise et Moreau dir., 2004, p.504). Le livre a été interdit en France le 29 octobre 1999.
Il a néanmoins été édité en 2003 sous le nom de Journal de Turner par les publications Henri de
Fersan (pseudonyme de Christophe Picard, membre du conseil national du parti de B. Mégret) le
livre étant illustré par la dessinatrice de la presse frontiste Chard.
95 P. Vial a été de J.N., d’Europe-Action, a fondé Socialisme européen, a fréquenté les cercles giscar-
diens, a été le secrétaire général du G.R.E.C.E. avant que de rejoindre la direction du F.N., et est
parent de Clémenti. En 1998, il est exclu du F.N. par J-M. Le Pen qui qualifie publiquement le
courant T.P. de « racistes », de « racialistes » et d’« extrémistes ».
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 195

le signe éternel de toute vie : la roue toujours tournoyante, du Soleil


Invaincu ». Cette roue est bien sûr la Svastika, et le discours sur l’identité
ethno-culturelle et ses fédérations sert donc ici, pour le moins, à une
reformulation idéologique : référence constante au Blut und boden, clin
d’œil au slogan offert par Carl Schmitt au IIIe Reich (« Ennemi total, guerre
totale, Etat total »), renvoi à la conception d’une histoire dont le moteur
serait l’affrontement Aryens-juifs, à celle de Rosenberg pour laquelle la
néo-spiritualité était le ferment de la nouvelle Weltanschauung et le Soleil
le mythe aryen, au millénarisme de la S.S. qui voit la dégénérescence de
l’Europe mener à la lutte raciale finale d’où serait issu un monde purifié
et politiquement ré-organisé (parousie et palingénésie raciales). Le duo G.
Faye – P. Vial annonce que l’Europe est dans « l’avant-guerre » raciale
après laquelle les nationalistes établiront une société basée sur les valeurs
de ce que le premier nomme « l’archéofuturisme » et qui rappelle fort le
« vieux-neuf » de Rosenberg. A cette fétichisation des particularismes, P.
Vial lie en 2002 une transformation lexicale, revendiquant l’abandon de
l’auto-appellation « nationaliste ». Puisque la nation, dit-il, ne porte pas le
concept racial elle est à abandonner à son sort, et les nationalistes doivent
désormais se dire des « combattants identitaires européens » partisans de
l’Europe des « communautés ethniques, porteuses d’identité96 ».
L’utopie de Terre et Peuple n’est pas très éloignée de celle de Nouvelle
Résistance, mais quand cette dernière parle d’Eurasie à construire,
T.P. lui préfère le terme de G. Faye « Eurosibérie », mot qui renvoie
exclusivement au «monde blanc» et sous-entend donc que ne doit exister
aucune promiscuité raciale au sein de l’Empire et que l’Islam n’y a pas sa
place (A. Dugin et Nouvelle Résistance envisageant eux l’Eurasie comme
multi-ethnique et faisant de l’islam l’un de ses piliers, même si le virage
de Nouvelle Résistance à U.R. ou le soutien d’A. Dugin à la politique
tchétchène du Président Poutine démontrent qu’il existe des ambiguïtés
dans leur conception). Selon T.P., l’Eurosibérie sera précipitée suite à
l’inéluctable guerre des races à venir au sein des sociétés multiraciales. A ce
schéma mythologique puissant (moteur de l’histoire constitué par la guerre
raciale ; affirmation d’une eschatologie et d’une palingénésie raciales), elle
offre un mode d’attente, de confirmation et de substitution : s’appuyant
sur l’amalgame insécurité-immigration elle prétend que les faits divers
des « drames des banlieues » (espace mythifié perçu tel un espace racial

96 Terre et Peuple, solstice d’été 2000 ; Libération, 13-14 mai 1993 ; Ras l’Front, juin-juillet 2001 ;
Camus et Monzat, « France », 1998 ; A-M. Duranton-Crabol, 1988 ; P. Vial, « Tout ce qui identi-
taire est nôtre », Terre et peuple, équinoxe de printemps 2002 (la référence va bien sûr au maurrassien
« tout ce qui est nationaliste est nôtre »).
196 NICOLAS LEBOURG

qui serait une métastase au sein du corps ethno-national) sont le fait de


« bandes ethniques » et préfigurent la guerre raciale.
En somme, les proximités sur un certain nombre de points
parviennent aisément à dissimuler d’abyssales divergences. Chez les
Völkischen, les N.R. sont sans doute attirés par ce qui les séduit aussi dans
l’islamisme : l’affirmation d’un horizon d’attente là où l’Occident et « le
monde moderne » qu’ils fustigent tant n’en offrent plus, ne présentant tout
au mieux que le fantasme d’une fin de l’histoire établie par une démocratie
de marché planétaire. C’est aussi qu’à mêler esprit völkisch, fantasme de
Vernordung (« renordification »), aspiration à la création de grands espaces,
et provocations nazifiantes, T.P. comme U.R. connaissent le même
penchant vers le même pôle magnétique. De plus, les N.R. ne parviennent
plus dans leur majorité à considérer que leur rejet de l’immigration est un
instrument d’agit-prop au service de leur idéologie. Le schisme mégretiste
complique les relations entre les deux zones, car il s’avère impossible de
voir se perpétuer deux ailes ultra au Mouvement National Républicain.
Toutefois, T.P. insiste d’abord sur des thèmes völkisch et sur ce qu’elle
qualifie de combat culturel, très éloigné de l’agit-prop chère aux N.R. Elle
se réfère aux chouans et à une fraction de l’héritage contre-révolutionnaire,
lorsque U.R. cite Babeuf et loue 1793. T.P. est néo-païen, U.R. se veut
laïque. En fait, les critiques qu’ U.R. fait à T.P. sont assez proches de
celles que Jünger faisait à l’encontre des Wandervögel 97. Il n’est là rien
d’insurmontable et in fine les publics visés se recoupent. Avant même
le lancement d’U.R., une rencontre s’opère entre T.P. et l’ex-Nouvelle
Résistance. U.R. cherche à attirer à elle la mouvance, demandant à G. Faye
de rédiger son propre manifeste (ce qui ne se fit pas) et veut « s’afficher
avec des personnalités telles que Vial, Faye (…) en essayant de les faire
collaborer à Résistance !98 ». Néanmoins, aucun accord n’aboutit. Bien au
contraire, les Völkischen se structurent en une mouvance concurrentielle de
celle d’U.R., T.P. instaurant des liens avec la revue Réfléchir & Agir, tandis
que, selon U.R., « une lutte d’influence nous oppose au conglomérat
Memorial records/ L’Æncre/ Réfléchir & Agir ». U.R. parvient à organiser
diverses jonctions : en 2000, G. Faye tient meeting en son nom, P. Vial

97 Les Wandervögel (les Oiseaux migrateurs) furent fondés en 1896 et regroupèrent autour d’une
idéologie des sexes plusieurs milliers de jeunes Allemands (dont les jeunes Heinrich Himmler, Adolf
Eichmann, Baldur von Schirach, etc.). Pour eux, les ligues et les Etats proviennent d’un Eros inter-
masculin. Les hommes doivent donc se regrouper pour diriger l’Etat, la femme doit être soumise
à l’homme et un ordre d’élite masculin doit être chargé de la défloration des jeunes Allemandes.
98 La Lettre du Réseau, septembre-octobre 1997 ; idem, mars-avril 1998 ; Réflexions sur le dévelop-
pement interne d’UR, s.d., (documents internes).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 197

est l’orateur d’une réunion commune aux deux formations, le groupe se


joint au solstice organisé par T.P. à Montségur99. En fait, les deux groupes
tentent une O.P.A. sur la mouvance nationaliste et pour cela optent pour
un produit d’appel simple : le rejet de l’immigré et de l’islam. Le discours
N.R. est redirigé en ce sens, se nourrissant des analyses déjà formulées,
puisant dans des fantasmes provenant de l’analyse «géopolitique» de la
Guerre du Kosovo. Derrière la proclamation de « guerre de civilisations »,
il y a parfois un simple problème de concurrence entre organisations
politiques.

14. Guerre de civilisations

Si la « science » géopolitique a connu un long purgatoire après la


Seconde Guerre mondiale, elle redevient à la mode après l’écroulement
du mur de Berlin. Elle devient un vecteur essentiel de production et de
diffusion de discours ethnodifférencialistes, en leur donnant le cachet de
l’expertise affirmant une raison exclusive. Le concept de Lebensraum a
toujours été peu défini et, surtout, n’a pas démontré sa valeur scientifique,
n’importe : l’évidence de la nécessité des blocs ethno-culturels est devenue
un poncif 100.
En Europe de l’Ouest, la mort du premier Front Européen de
Libération a, certes, amené la quasi-disparition de la diffusion militante des
thèses eurasiennes, seule Synergies européennes conservant ce flambeau.
Le réseau de R. Steuckers et le G.R.E.C.E. font désormais de la réflexion
géopolitique (mot répété à satiété) une de leurs «marques de fabrique».
Le plus paradoxal est sans doute que, de ce point, le transfert idéologique
essentiellement se réalise vers certains représentants des associations juives
dites représentatives et l’extrême droite sioniste – mais, finalement, au
prix de l’idéologie eurasiste. Le personnage symbolique de ce transfert
est Alexandre del Valle, toujours présenté comme géopoliticien dans les
media, et, par les N.R., après qu’ils aient rompu leurs relations, comme un

99 La Lettre du Réseau, février 2000 ; idem, juin 2000 (documents internes).


100 La Guerre du Golfe et en ex-Yougoslavie ont vu l’explosion médiatique de cette langue scien-
tifique de rationalisation de la pensée des dominants. Des idées très « Nouvelle droite » ont par
exemple amplement été affirmées sous leurs formes euphémisées par politiques et intellectuels pour
récuser l’idée d’une Turquie membre de l’Union Européenne, parlant d’évidence de l’homogénéité
de blocs ethno-culturels – non sans omettre que si l’islam est décrété incompatible avec l’Europe,
Sarajevo réclame que l’on réécrive la geste européiste...
198 NICOLAS LEBOURG

agent sioniste qui aurait été infiltré à l’extrême droite101. Il réussit le tour de
force, durant quelques années, de collaborer à la fois avec l’extrême droite
catholique intégriste partisane du nationalisme-intégral et les Völkischen
néo-païens. Participant aux travaux du G.R.E.C.E., il se joint à l’axe Vial–
Faye, comme eux collabore avec le parti de B. Mégret, avec Synergies
européennes, et est proche de Réfléchir & Agir102.
Contre la guerre du Kosovo, il participe au lancement de la pétition
de la Nouvelle droite qui organise pour l’occasion un collectif « Non à la
guerre ! ». Celui-ci affirme que l’intervention de l’O.T.A.N. est dictée par
les U.S.A. qui appliqueraient ainsi les thèses de Samuel Huntington et
Zbigniew Brzezinski (dont Le Grand Echiquier est perçu par de nombreux
nationalistes comme la «bible» géopolitique étasunienne permettant de
décrypter toute action des U.S.A.) : il s’agirait d’empêcher une jonction
Europe-Russie qui aboutirait à une Eurasie contrepoids de l’Amérique103.
A partir de ce texte, pour les N.R., comme pour une très grande part des
extrêmes droites, les conflits des dix dernières années dans les Balkans
sont censés témoigner parfaitement du complot américain visant à créer,
grâce à l’Islam, une zone de turbulences en Europe qui devrait ainsi
empêcher la réalisation de l’unité européenne. Le Nouvel ordre mondial
eût visé Slobodan Milosevic car celui-ci représentait le type même de
l’homme qui aurait su allier souveraineté nationale, sociale, ethnique
et géopolitique. Il s’agit là des prodromes du virage islamophobe de
l’extrême droite – partant justement d’une zone de l’extrême droite
favorable à un islam « identitaire » comme instrument de résistance au
Nouvel ordre mondial. Y. Bataille est l’un des premiers à donner une
cohérence idéologique aux divers thèmes : la guerre en ex-Yougoslavie
s’expliquerait par la volonté américano-sioniste de générer au cœur
de l’Europe une République islamique chargée de la déstabiliser et de
permettre ainsi la perpétuation de son hegemon104. Se retrouve ici sous la
forme géopolitique, une concordance avec le discours de manœuvre des
immigrés arabo-musulmans par le Nouvel ordre mondial voulant mettre
à bas l’Europe, ainsi que la thématique de banlieues – zones islamiques

101 Dans les présentations d’A. del Valle, celui-ci est défini comme chercheur à l’Institut interna-
tional d’études stratégiques : il s’agit d’un laboratoire indépendant et non d’un centre reconnu par
le ministère. Il fut le rédacteur en chef de sa revue Géostratégiques.
102 Cf. R. Monzat, « L’Etonnant parcours d’A. del Valle », Ras l’Front, avril 2002. L’article signale
également la participation en 1998 d’A. del Valle à World Report, le bulletin antisioniste de J. Borde,
ancien des G.N.R.
103 Cette pétition (disponible on-line) regroupe anciens membres et membres de toujours en un
étonnant portrait de famille : G. Faye, J. Mabire, A. de Benoist, P. Sérant, le général Gallois, etc.
104 Nation Europe, juin-juillet 1994.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 199

tournées contre la nation.


Suite à la Guerre du Kosovo, A. del Valle développe ce point de vue
dans des cénacles de la plus extrême droite mais aussi dans des revues sans
lien avec celle-ci : selon ses écrits, les U.S.A. manipuleraient les mouvements
islamistes de manière à empêcher la jonction entre Europe et Russie qui
aboutirait à une « Eurosibérie », une « Grande Europe », une « Eurasie »,
qui serait le seul contre-poids à l’hégémonie mondiale américaine. Toute
la thèse repose sur l’analyse de l’œuvre de Brzezinscki en tant que clef du
complot et sur la reprise de la systématisation de l’assimilation démocratie-
thallasocratie : A. del Valle emprunte à A. Dugin, l’utilisation en une
perspective anti-universaliste pro-néo-eurasiste des thèses de Haushofer et
Mackinder et décalque largement les conceptions géopolitiques de Carl
Schmitt sur les situations internationales de la fin du siècle105. A cette zone
d’interpénétration N.R.-Nouvelle droite völkisch dont il provient, il reprend
le rêve géopolitique de « l’Eurosibérie », affirmant que, face à l’Amérique,
l’Europe doit faire sa propre doctrine Monroe, et adopter pour slogan…
« l’Europe aux Européens ». Pour empêcher la naissance de l’Eurosibérie, les
U.S.A. useraient de l’Islam (d’où la nécessité de « l’arrêt de l’immigration
islamo-africaine ») afin d’amener l’Europe à croire que son destin est dans
un pseudo-Occident, entité dévoyée où les U.S.A. ont installé la Turquie
qui n’appartiendrait pas au bloc géocivilisationnel européen cependant
que des nations chrétiennes et de substrat ethno-culturel ou linguistique
« indo-européen », comme la Russie, la Biélorussie, la Serbie, ou l’Arménie,
sont de facto exclues de la représentation géopolitique et idéologique du dit
Occident. La seule solution serait de mettre en branle « l’axe stratégique
idéal continental Paris-Berlin-Moscou », qui, accouchant de la Grande
Europe, pourrait devenir l’ami des U.S.A., recréant un ensemble Europe-
Russie-U.S.A. harmonieux106.

105 L’Anglais Mackinder (1861-1947) est un des fondateurs de la géopolitique. Pour lui l’Eurasie
est, de par son format, le « World Island ». Cette île mondiale comporte une zone pivot (« Heart-
land »), qui compte la Russie, la Sibérie, la Mongolie, et la zone afghano-iranienne. De là, il donne
comme règle à la géopolitique que qui tient l’Europe orientale tient l’Heartland, qui tient celui-ci
contrôle le World Island, et qui tient cette dernière domine le monde. A. Dugin a systématisé
Mackinder, et son idée selon laquelle la puissance de la terre était autoritariste et la puissance mari-
time démocratiste et marchande. Dugin en fait l’opposition entre la thallasocratie étasunienne et la
tellurocratie eurasienne (M. Laruelle, 2001, p.94). Ceci s’inscrit dans une redécouverte fascinée de
Schmitt de la part d’une partie de l’intelligentsia, ce qui facilite sans doute la réception de ce qui se
dit schmittien. De plus, le succès de l’ouvrage de Brzezinski importe, puisque pour lui c’est l’Eurasie
qui est l’échiquier où se joue le monde.
106 Cf. A ; del Valle, « Les Relations Union Européenne-Russie, de la guerre Froide à la guerre du
Kosovo : approche géopolitique et stratégique », Géopolitiques, février 2001(version on-line).
200 NICOLAS LEBOURG

C’est cette thèse, qui amalgame les reprises de Thiriart et Dumézil par
la Nouvelle droite à d’autres éléments, assénée sous la forme de l’expertise
universitaire maîtrisant un savoir technique spécialisé, qui lui permet
de sortir du ghetto nationaliste ; elle n’est que la formulation savante
d’analyses provenant du milieu ici étudié. Jean Parvulesco, membre
de Synergies européennes à cette date, a sans douté été un des premiers
auteurs à introduire Mackinder dans la mouvance nationaliste française,
dans la revue qu’il anima avec Y. Bataille. Il y reprenait les conceptions
spatiales de Mackinder et d’Evola sur le temps cyclique, pour affirmer
que la politique de Staline avait visé « l’unité continentale eurasiatique,
les buts occultes de la «révolution mondiale du centre de la terre», les buts
mêmes des grands polaires à la poursuite transhistorique du Hearthland de
la fin du «dernier cycle obscur» ». L’Eurasie devait selon lui être construite
pour devenir le lieu d’affrontement dialectique des U.S.A. et de l’U.R.S.S.
aboutissant à « l’assomption finale de l’ensemble vers une nouvelle unité
de civilisation [au sein] d’une même communauté de civilisation, d’être
et de destin107 ». Il s’agit là d’une reformulation géopolitico-ésotériste
des thèses d’Europe-Action sur le monde blanc, et de la préfiguration des
thèses fin de siècle sur la nouvelle entente eurasio-américaine. Ce qu’A. del
Valle doit à la Nouvelle droite et aux N.R. dans son étude géopolitique est
évident. Mais, sans doute parce que son discours synthétise les pulsions et
anti-américaines et anti-Arabes, en un discours neutralisé et intellectuel,
ces thèses provoquent de profonds troubles dans les extrêmes droites et
séduisent bien au-delà.
Pour les N.R., le problème majeur est leur adoption par G. Faye.
Celui-ci est revenu au G.R.E.C.E. en 1997, considérablement radicalisé
dans un sens raciste, et il a donc rejoint le courant animé par P. Vial. Il
publie un ouvrage où il expose sa vision de la Colonisation de l’Europe par
l’immigration islamique et la nécessité de l’édification de la « Reconquête »
grâce à la « propagation de l’incendie » aboutissant à la guerre ethnique108.
Il rejette l’ethnopluralisme au nom de la supériorité de la civilisation
européenne sur toutes les autres, qui eût été démontrée par Abellio,

107 J. Parvulesco, « De la libération nationale à la libération continentale », De l’Atlantique au


Pacifique, février 1976. En 1979, X. Vallières écrivait que l’axe Washington-Tel-Aviv-Pékin voulait
ravir « l’Hearthland », i.e. « l’Axe potentiel » Paris-Berlin-Moscou (dans Jeune Nation Solidariste, 1er
mars 1979).
108 L’auteur entend le terme d’islam à la fois comme religion, comme civilisation et comme com-
munauté ce qui, dans ce dernier cas, devrait s’orthographier « Islam ». La confusion entre les deux
graphies a évidemment un sens polémique. Tout le long de l’ouvrage, G. Faye place résolument
l’Asiatique au-dessus du Maghrébin et du Noir, signe du poids structurel des vieux thèmes racia-
listes même dans une doxa basée sur le fait divers.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 201

Spengler et Yockey, et au nom du fait racial. Il accuse «l’établissement»


d’avoir adopté les vues trotskystes de « dilution du peuple européen », tandis
que les immigrés et leurs enfants seraient des agents du Jyhad international
usant de l’idéologie des Droits de l’Homme pour transformer la France
en République islamique. La délinquance de « bandes afro-maghrébines »
serait en fait une stratégie de « guerre civile ethnique dans un but de
conquête territoriale intérieure », « d’épuration ethnique des Européens de
zones entières » dont l’un des signes les plus tangibles seraient les viols
collectifs de jeunes femmes blanches. L’ouvrage exige le déplacement des
populations dans leur zones raciales, réclame que cette épuration soit
totale, et que, biologiquement et culturellement, tout ce qui ne serait
pas européen soit extirpé du continent, une fois achevée la guerre raciale
dans un chaos salvateur qui permettra aux forces de la « Résistance » de
« libérer » l’Europe109.
Thèmes et vocables se construisent dans la nouvelle doxa en s’appuyant
sur des thèmes anciens, mais en assumant une obsession racialiste et une
islamophobie qui étaient jusque là considérées par les N.R. comme des
éléments relevant du vulgaire. L’ouvrage a été condamné pour incitation
à la haine raciale, a été dénoncé par A. de Benoist comme un hybride de
Mein Kampf et des X-files, et a valu à G. Faye d’être re-exclu du G.R.E.C.E.
Cependant le livre est devenu la référence de tous ceux qui, à l’extrême
droite, sont d’abord mus par l’islamophobie ou le rejet de l’immigration –
ce qui fait un nombre certain – tandis qu’à l’évidence, chez ceux qui ont
animé la Nouvelle droite et le nationalisme-révolutionnaire, nombreux
sont ceux qui n’acceptent pas de s’aligner sur des thèses qui revivifient
l’occidentalisme et font de la redécouverte et de la préservation de tout ce qui
serait « l’identité » racialo-culturelle de l’Europe le Graal du nationalisme.
La volonté d’« enracinement », de « redécouverte » de ses « racines » et de
« sauvegarde » de son « identité » ethno-culturelle aboutissent à vouloir
faire siennes toutes les « traditions » censément européennes et intensifient
la mixophobie.
Le thème identitaire est mobilisateur et permet de faire vivre

109 G. Faye, La Colonisation de l’Europe, L’Æncre, Paris, 2000, pp.4-198 (quoique l’éditeur soit
néo-nazi, mon exemplaire a été téléchargé depuis un site sioniste d’extrême droite). G. Faye expose
avoir abandonné des idées qu’il a contribué à forger mais qui seraient démenties par les faits. Il re-
jette Herder et l’Europe aux cent drapeaux (pp.44-45). Il réfute le communautarisme néo-droitier
en affirmant que ce dernier s’aligne « sur les positions du lobby cosmopolite » (p.50). La Nouvelle
droite aurait eu tort de se contenter d’affirmer que la civilisation naissait de la culture : il faut ajou-
ter que la culture naît de la race (pp.148-148 et p.157). « L’ethnopluralisme est une forme honteuse
et dissimulée de l’égalitarisme » (p.194) dont l’analyse en tant que racisme différentialiste « est une
lourde erreur » (p.218).
202 NICOLAS LEBOURG

ensemble un fatras hétéroclite de références. Mais il mène les nationalistes


à intensifier ce qui était un penchant qu’avait connu le G.R.E.C.E., les
fantasmes européens retrouvant les pas de Hans F.K. Günther quand il
inventait les termes d’Aufnordung (« nordification ») et de Vernordung
(« renordification ») pour signifier comment les Allemands ne pouvaient
survivre que par un retour à leur essence nordique. Le tout est vendu
habillé dans une novlangue géopolitique en charge de légitimer la
pulsion altérophobe. Unité Radicale en fait d’abord son miel : G. Faye
est longuement interviewé dans Jeune Résistance pour expliquer l’évolution
de son analyse du philo-islamisme à l’islam comme ennemi principal, et
Fraction, le groupe de rock de F. Robert, publie un album Reconquista
et un titre Islam hors d’Europe. Si le groupe précise bien qu’en sa pensée
l’immigration est d’abord un effet du capitalisme, qui est un « esclavage
mondial » et ensuite seulement une « colonisation », l’influence se révèle
toutefois sans ambages.
D’ailleurs, U.R. abandonne le terme d’ « Eurasie » pour adopter à
son tour celui d’« Eurosibérie », elle adopte des expressions venues de
l’ouvrage telles que « fracture ethnique » et « ethnomasochisme ». Elle
édite en conséquence de nouveaux autocollants « Islam hors d’Europe »
et « Ni Mosquées, ni Mac Do », slogans qui sont tous deux repris par
la matériel de propagande du mouvement jeunes du parti de B. Mégret.
Si la prime réception par U.R. de ces thèses est tout à fait positive c’est
qu’elles lui permettent de lier tout ensemble le marketing arabophobe qui
est le sien, son eurasisme, son anti-américanisme. En concurrence avec
Terre et Peuple, U.R. a aussi pour fonction structurelle de nuire au F.N.
Les lepénistes, pour se démarquer du racialisme mégretiste, affirment alors
la possibilité d’une France multi-confessionnelle, multi-raciale ; sont mis
en avant de nouveaux cadres, dont Farid Smahi d’origine maghrébine,
tandis que les discours de J-M. Le Pen sont précédés de la prestation
d’une chanteuse noire, Isabella. U.R. durcit son discours et affirme qu’il
s’agit d’une trahison. L’organisation abandonne toute référence positive
à la question de la nation au profit des régions mono-ethniques fédérées
dans « l’Eurosibérie ». Il s’agit de contourner la problématique universaliste
républicaine en affirmant que si, certes, tout un chacun peut devenir
Français, la qualité régionaliste repose sur une origine ethno-culturelle
qui interdit toute assimilation. L’utopie prônée devient ainsi également
une arme rhétorique dirigée vers les milieux militants extrêmes droitiers
pour leur démontrer le «cosmopolitisme» lepéniste. Afin d’occuper
l’espace nationaliste, tout est ramené à cette question, avec un certain suivi
de l’exemple du néo-nazisme américain. La somme des contradictions
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 203

atteint son point critique avec le 11 septembre, après lequel G. Faye, R.


Steuckers et A. del Valle affirment que face à l’islam il faut réussir l’unité
et passent ainsi au soutien à la droite ultra israélienne et à un discours
qui lie Occident, islamophobie, et sionisme radical chez le dernier. Le
différend est publiquement affiché par l’éditorial du site internet d’U.R.,
suite à une conférence d’A. del Valle pour Terre et Peuple où il eût encensé
le Likoud, Israël et prôné l’alliance entre nationalistes et sionistes110. U.R.
ne cesse de pourfendre « la stratégie de l’indifférence » aussi dite « ni
keffieh, ni kippa », désormais recommandée par Synergies européennes
et G. Faye, et qui rejette les camps tant pro-palestinien que pro-israélien,
arguant que l’affaire ne concerne pas l’Europe. Elle s’inquiète, surtout,
de l’extraordinaire dynamique philosioniste qui prend toute une part de
l’extrême droite.
Mais, l’évolution si brusque de l’utopie géopolitique affichée
peut aussi s’observer à l’aune de la distinction par Sorel du mythe et de
l’utopie : le mythe est l’élément mobilisateur, prenant toutes entières les
masses pour diriger leur action. C’est bien de cela dont il s’agit avec cette
Europe blanche des régions mono-ethniques : d’une offre idéologique
mobilisatrice. Néanmoins, ce que Sorel nommait l’utopie est ici tout
autant d’importance. Pour lui, l’utopie menait au réformisme, car en
dessinant un projet idéal lointain elle aboutissait à ce que l’on se contente
de mesures permettant de s’en rapprocher111. Or, dans cette perspective,
l’utopie de l’Eurosibérie ne peut mener en termes de réformes partielles
qu’à des mesures contre l’immigration, empêchant celle-ci et rendant plus
difficiles les changements de nationalité.
L’observateur est toutefois ici face à un mystère de la psychologie des
extrêmes droites : le soutien aux gouvernements américain et israélien
se fait au moment où le rejet des politiques américaine et israélienne n’a
peut-être jamais été aussi fort, mais après avoir attaqué avec rage U.S.A. et
Israël, au moment où ces idées étaient peu audibles. Il est vrai que, déjà, la
récupération de la symbolique communiste s’est faite après la chute du Mur,
au moment où celle-ci était la plus difficile à porter dans l’espace politique,
et que les nationalistes ont glosé sur leur admiration pour les dirigeants

110 C. Bouchet, « Quand le sionisme devient un modèle », 2 avril 2001, unite-radicale.com (le
site a été interdit durant l’été 2002 suite à une plainte pour incitation à la haine raciale déposée par
l’association J’Accuse présidée par Marc Knobel).
111 Georges Sorel, Réflexions sur la violence, Le Seuil, Paris, 1990 (1908), pp. 46-49). Au-delà du
cas fameux de Mussolini proclamant « c’est à Sorel que je dois le plus », l’influence sorélienne sur les
milieux d’extrême droite en Europe durant les deux guerres a non seulement été importante mais a
contribué à y diffuser des formes d’oscillation.
204 NICOLAS LEBOURG

serbes lorsque ceux-ci étaient cloués au pilori en tant que criminels


contre l’humanité : serait-ce un vertige de la vision politique « radicale »,
inexorablement attirée par ce qui est politiquement dévalorisant, dès lors
érigé en aune de pureté et d’originalité ? Ou, beaucoup plus prosaïquement,
est-ce que l’établissement d’une Weltanschauung et la réalisation d’une
utopie construite sont le cadet des soucis des militants, mus d’abord, quoi
que fassent les cadres, par l’arabophobie et l’islamophobie ?
Le franco-judaïsme était en crise depuis 1967 et c’est une fois de
plus la répercussion d’événements internationaux qui le met à mal. Suite
au 11 septembre et à la Deuxième Intifada, s’observe le détournement
propagandiste par la droite (pro)israélienne de la propagande liant anti-
américanisme, antisémitisme et antisionisme (qui n’est pas pro-Bush ou
pro-Sharon serait antisémite). Des connexions idéologiques apparaissent
sur le web, avec la naissance d’une galaxie de sites sionistes d’extrême
droite qui appellent à la « Résistance », contre l’islam et « la racaille »
qui « colonisent » l’Europe, et fustigent leurs « collabos » de gauche – un
discours dans lequel les nationalistes peuvent se reconnaître – mais usent
également parfois des textes philo-musulmans ou pro-palestiniens des
N.R. pour dénoncer les « iSSlamistes ». Le judéocide est ici utilisée par
des propagandistes pro-israliens comme référent symbolique et amalgamée
aux questions du franco-judaïsme et du sionisme – ce qui s’inscrit en un
contexte de campagne menée contre « la France antisémite » par les ultra-
droites américaine et israélienne.
En somme, une demande politique se forme et l’offre suit, A. del Valle
n’en étant qu’un symptôme éclairant. Il enchaîne dorénavant les conférences
devant des institutions juives et participe à la presse communautaire. Il
y défend ses thèses sur la convergence dans l’antisionisme-antisémitisme
entre ce qu’il nomme les « trois totalitarismes » : nazisme, communisme,
islamisme. Après avoir tenté de rejoindre J-P. Chevènement et avant que
d’être candidat à la vice-présidence de l’Union pour une Majorité Populaire,
suite aux résultats du premier tour des élections présidentielles de 2002,
il co-signe un article dans Le Figaro avec Marc Knobel, chercheur au
centre Simon Wiesenthal, qui met en garde contre la montée en France…
de l’extrême gauche et de l’écologisme112. Le texte amalgame « attentats
islamistes, insécurité, actes antijuifs » avec l’immigration et la gauche. Il est

112 Del Valle et Knobel, « La Convergence des totalitarismes », Le Figaro, 22 avril 2002 – les
auteurs écrivent au passage que le F.P.L.P. est « très marxiste » et en convergence avec le Hamas… si
de telles inepties sont publiables c’est que la demande de produits culturels légitimant l’islamopho-
bie est réelle. A. del Valle est devenu membre de la rédaction d’Israël magazine (R. Monzat 2004,
p.481).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 205

affirmé que c’est celle-ci qui est à l’origine du négationnisme (alors qu’il
s’agit de Bardèche) et que la gauche internationaliste tente de manœuvrer
les masses immigrées dans son processus révolutionnaire de destruction de
la nation. Qu’en est-il de ce fameux axe brun-rouge-vert qui suscite tant de
crainte et d’attaques113 ? Le thème est : a) une démonstration de l’efficience
(pour cette fois) de la tactique métapolitique : par le combat culturel et
la dissimulation, un travail de communautarisation est exécuté via la
thématique géopolitique, le racisme est légitimé, la gauche stigmatisée ;
b) un possible règlement de comptes interne à l’extrême droite, permis
par le jeu d’oscillation idéologique N.R., en usant pour cible disqualifiée-
disqualifiante de ses concurrents. En effet, quelle est l’extrême droite
antisémite-antisioniste visée par le géopolitologue ? Il s’agit clairement de
la nébuleuse d’U.R., i.e. d’une structure d’une part concurrente de celle
dont il provient, d’autre part avec laquelle il est en conflit ouvert. Quant à
U.R., elle jouit avec A. del Valle d’un prétexte permettant toutes les mises
en cause de la nébuleuse völkisch.
Elle a toutefois souffert de ce chamboulement idéologique. D’où
l’apparition, semble-t-il, d’une tension au sein d’U.R. entre la tendance
pour laquelle l’ennemi principal sont les U.S.A. et le mondialisme, et une
autre qui se convertit aux nouvelles thèses (qui sont un retour au temps
d’Europe-Action). Or, lors du conseil national d’U.R. du 18 décembre
2001, cette tension se relève clairement dans les motions adoptées.
L’évolution islamophobe est patente et l’auto-définition de N.R. que se
donnait U.R. y est remplacée par celle de « nationaliste et identitaire »,
témoignant de l’évolution idéologique via la taxinomie114. Situation qui eût

113 Le président du Conseil Représentatif des Institutions juives de France, Roger Cukierman,
reprit cette idée lors de l’annuel dîner du C.R.I.F., évoquant une alliance « vert brun rouge, re-
groupant une extrême droite nostalgique des hiérarchies raciales et un courant d’extrême gauche,
anti-mondialiste, anti-capitaliste, anti-américain, anti-sioniste », et visant particulièrement J. Bové
(dépêche AFP, 25 janvier 2003, 23 heures 31). R. Cukierman avait estimé le 22 avril 2002 que le
score électoral de J-M. Le Pen était « un message aux musulmans leur indiquant de se tenir tran-
quilles » (puis s’était rétracté face au tollé). L’axe Noir-Vert-Rouge n’a jamais fonctionné que dans les
souhaits des N.R., tel celui qui a été tenté par les camarades d’A. del Valle de Synergies européennes,
organisation qui travaille étroitement avec le P.C.N. lorsque celui-ci décide de mettre en place son
Front Noir-Rouge-Vert. A. del Valle, s’est aussi adonné à l’alter-mondialisme, citant Daniel Bensaïd
dans Nouvelles de Synergies européennes ; cf. l’éditorial de sa revue soutenant J. Bové : G-F. Dumont,
« Globalisation, Internationalisation, Mondialisation », Géostratégiques, février 2001 ; quant à la
homepage de l’Institut international d’études stratégiques, elle renvoie aux sites de toute la galaxie
alter-mondialiste.
114 « Motions administratives adoptées par le Conseil national de Bourges d’UR », La Lettre du
Réseau, décembre 2001 (document interne). Sur le forum d’U.R., la traditionnelle formule de
politesse « SNR » (salutations nationalistes-révolutionnaires) est alors souvent remplacée par « salu-
tations identitaires » ou « SNI ».
206 NICOLAS LEBOURG

été invraisemblable quelques années plus tôt : le G.U.D. claque la porte,


affirmant ne plus supporter aussi bien les tendances anti-palestiniennes
que philo-mégretistes du mouvement… Lui pour qui A. del Valle avait
fait des conférences de formation, le désigne désormais comme un agent
sioniste infiltré 115. U.R. devait, enfin, après les présidentielles de 2002,
abandonner l’antisionisme au nom de la ligne « ni keffieh, ni kippa »,
l’estimant définitivement inadaptée au milieu militant et préférant s’y
résoudre. A la manifestation du premier mai ce n’est plus « Deauville,
Sentier : territoires occupés » que scandent les militants mais « Marseille :
Poubelle, territoire occupé ».
La querelle autour de la question israélo-palestienne et de l’islam est
l’évènement majeur au sein de l’extrême droite française qui organise le
clivage tant dans la Nouvelle droite que chez les N.R. La « nordification »
fétichiste paraît en 2002 avoir balayé toutes les « orientations à l’Est ». Les
semaines qui suivent la dissolution d’U.R. voient d’un côté s’organiser les
Jeunesses Identitaires sur des positions anti-islam et peu ou prou sur les thèses
de G. Faye, de l’autre côté le site voxnr sur les thèses néocommunautaristes
d’A. de Benoist, en y ajoutant une tendresse pour l’islamisme radical et des
références aux fascismes-mouvements.
Mais il demeure une question : les thèses qui s’affrontent ici sont-elles
révolutionnaires ? Le bouleversement total que représenterait la naissance
d’une nation eurosibérienne ou eurasienne ne fait certes pas de doute, et
elles peuvent donc être ainsi qualifiées. Mais sont-elles révolutionnaires
dans le sens où ce discours met en cause les institutions pour une tabula
rasa créant un ordre nouveau ? Reprenons : suite à l’agit-prop de Synergies
européennes en particulier a été diffusée conjointement dans les extrêmes
droites françaises l’idée que la constitution d’un axe Paris-Berlin-Moscou
était révolutionnaire et que les Etats-Unis avaient manœuvré l’islam
contre l’Europe durant la Guerre du Kosovo et continuaient à le faire.
Ces thèmes à l’évidence pouvaient s’appuyer en ce milieu sur des éléments
ultérieurs quant à leur mythologie anti-américaine ou anti-immigration ou
à leurs utopies d’une grande Europe (Yockey, Thiriart ou Dugin en étant
trois prophètes). Rapidement, le thème hors du microcosme nationaliste
devient l’apanage d’un membre qui s’extraie de cette mouvance, A. del
Valle. Ce dernier le popularise en se légitimant par son statut de chercheur,
effectuant une thèse sous la direction d’André Malet, donnant quelques
cours en étant rattaché au laboratoire d’Yves Lacoste, et voyant son premier
ouvrage préfacé par le général Gallois (également préfacier de la version

115 Cf. Jusqu’à Nouvel ordre, hiver 1999-2000.


LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 207

française d’un ouvrage de G. Zuganov). Ses travaux ont parfois un fort


air de parenté avec les publications de la mouvance, ainsi semble-t-il fort
être le cas d’un article d’Y. Bataille publié dans la presse du P.C.N. lorsque
celui-ci était proche de Synergies européennes. Or, Y. Bataille ne fait aucun
mystère qu’il est un lobbyiste pro-serbe. Il s’avère que les menées serbes
en ex-Yougoslavie se mènent en mettant en avant un document intitulé
La Déclaration islamique rédigé en 1970 par Alija Izetbegovic, qui, de
nationalité musulmane, fut un acteur essentiel durant la désintégration de
l’ex-Yougoslavie. Le texte était un manifeste pour une grande république
islamique : les responsables serbes le font resurgir durant la guerre afin
d’organiser leur propagande et d’éviter une intervention de l’Occident.
Il s’agit de répondre à la propagande bosniaque sur le thème de l’islam
tolérant et européen, sans aucun rapport avec l’islamisme, qui serait en
butte à un monstre rouge-brun. L’argumentaire de ces responsables serbes
réside dans l’idée qu’ils ne mèneraient pas une guerre aux visées pan-serbes
mais se prémuniraient, et par là-même prémuniraient l’Europe, contre
un foyer musulman en passe de devenir une République islamiste qui
déstabiliserait le continent.
Ce discours a des résonances. Dans les milieux qui se piquent de penser
en termes géopolitiques c’est une certaine effervescence qui se fait jour, où
il s’agit, notes de Z. Brzezinski en main, de traquer le plan de domination
américaine. Le général Gallois souscrit au schéma dressé par la puissance
serbe et affirme que le retournement des U.S.A. dans l’affaire yougoslave
s’explique d’une part par leur volonté de manœuvrer une République
islamique qui déstabiliserait le continent et l’empêcherait de s’unir, d’autre
part par leurs liens avec la R.F.A. qui leur permettent de ligoter la France
au sein de l’Union Européenne. Face à cela, il affirme la nécessité d’une
alliance alternative entre la France, la Russie, l’Irak et la Serbie. In fine,
face à la surpuissance américaine, il considère que l’une des uniques
chances des nations d’Europe est de cesser d’abandonner des parcelles de
leur souveraineté pour l’offrir réellement à un Etat européen épousant les
formes fédératives des U.S.A.116 Un professeur de l’Université Catholique
de Louvain expose dans un colloque international de 1993, que le monde
se divise en grands espaces, que l’Amérique crée des conflits dans les
Balkans pour affaiblir la Russie et l’Europe. Il s’agirait pour les Etats-Unis

116 U.S.A. qui pousseraient la Turquie dans l’Europe afin que celle-ci se limite à être un simple
marché avec des Etats ayant perdu des pans de leur souveraineté sans gagner la puissance. Paul-
Marie Gallois participe à la liste chevènementiste aux européennes de 1994, aux conférences du
Club de l’Horloge, et présente en 2002 à son domicile P. de Villiers et J-P. Chevènement (Le Nouvel
observateur, 21 février 2002).
208 NICOLAS LEBOURG

d’empêcher « une alliance euro-asiatique » et de lui livrer éventuellement


la guerre si d’aventure cette dernière parvenait à se construire117. L’analyse
qui se diffuse dans les divers organismes militaires français, tels que la
Direction du Renseignement Militaire ou dans le milieu de l’Etat-Major,
qui utilise en conseillers des géopolitologues universitaires tels qu’André
Malet, et est celle d’une manipulation de l’islamisme contre l’Europe118.
Ainsi, les thèses révolutionnaires paraissent fort suivre celles des élites
conservatrices traditionnelles. Y. Bataille a des positions qui corrèlent
celles des dirigeants serbes, A. del Valle et ses disciples (i.e, G. Faye et
l’essentiel des nationalistes), celles des milieux militaires et militaristes
français. Déjà, durant la guerre d’Algérie, la position anti-impérialiste des
N.R. allemands n’était-elle pas aussi, alors qu’elle est toujours présentée
comme un signe d’avant-gardisme, le simple alignement sur les thèses en
cours à la Chancellerie, le gouvernement de Bonn ayant sans ambages opté
pour l’indépendance algérienne ? Certes, et l’on ne peut que constater que
des positions qui servent la perpétuation des élites sont «revendues» dans
un habillage révolutionnariste à l’extrême droite. Néanmoins, dès 2003,
le thème de l’axe Paris-Berlin-Moscou contre Washington est devenu un
élément tout à fait ordinaire du débat politique. Faut-il alors cette fois
en déduire que les thèses N.R. n’avaient rien de révolutionnaire, ou que
leur antériorité de réflexion sur cette question témoigne de leur finesse
analytique ?
En fait, le dédain souvent de mise vis-à-vis des thèses géopolitiques des
nationalistes, traitées comme de simples affabulations d’esprits hagards, ne
tient pas compte de cette globalité du phénomène ; si elle s’accompagne dans
le même temps de références laudatives à des « experts » ou à des hommes
politiques «classiques» qui tiennent peu ou prou des analyses parallèles
c’est soit que l’on a affaire à une simplification du réel derrière laquelle
transparaît un mépris de classe et la revendication du monopole du savoir
spécialisé socialement hiérarchisant, soit que l’émetteur du discours refuse
d’envisager les conséquences les plus extrêmes de son raisonnement – là où

117 N. Bàrdos-Féltoronyi, « Quelle géopolitique pour l’Europe centrale ? », E. Philippart dir.,


1993, p.105-124. Y. Lacoste considère lors de la guerre en ex-Yougolsavie que la raison géopoli-
tique impose que le pays soit réorganisé en Etats-nations conformes aux unités ethno-culturelles
par l’organisation des transferts de populations (cité dans D. Franche, « La Géopolitique comme
idéologie », Le Banquet, deuxième semestre 1995, p.255).
118 R. Monzat, « L’Etonnant parcours d’A. del Valle », Ras l’Front, avril 2002. Dessiner un plan
continu de la politique étrangère américaine relève de l’aveuglement idéologique et démontre que
les tirades historico-géopolitiques ne sont là que pour justifier les conclusions pré-définies.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 209

les nationalistes les portent naturellement.


Les nationalistes ne sont pas intellectuellement hors du monde.
En particulier en ce qui concerne la réflexion en matière de politique
étrangère, ils sont plus au fait des éléments du débat en cours que
l’essentiel de leurs concitoyens. Sur le plan propagandiste, il paraît difficile
de ne pas considérer aujourd’hui que leur stratégie de promotion de thèses
islamophobes et arabophobes, d’amalgame entre insécurité et guerre,
islamisme et immigration, n’était pas efficace. Cependant, cette stratégie
les situe là où ils se refusent d’être : à l’extrême de la droite, voire des droites
fondamentalistes étasuniennes ou israéliennes. Elle les fait participer
à la légitimation de ce que celles-ci promeuvent et que les nationalistes
haïssent : la mondialisation. En effet, cette dernière, en ce qui concerne
la réponse pratique et concrète à la question du rapport entre Etats et
sociétés, ne cesse de procéder au « démantèlement délibéré de l’Etat social
et [à] l’hypercroissance corrélative de l’Etat pénal119 ». Le discours anti-
immigration anti-islam pro-eurosibérien ou occidentaliste n’aboutit pas à
autre chose. Les nationalistes paraissent en fait concentrer idéologiquement
les éléments des débats, les mener vers leur point ultime, comme s’ils
agissaient en tant que laboratoire cherchant le point de combustion d’une
idée, une fois qu’on l’a vue à la plus extrême droite. Contre-partie évidente :
ils participent précisément au fameux « Système » qu’ils dénoncent. Au
niveau politique, en passant à l’idéologie de la guerre ethnique, ils achèvent
de se ranger dans les rangs du nationalisme réactionnaire, puisque cela
signifie abandonner la révolution comme horizon d’attente.
Certes, la guerre ethnique est censée accoucher de l’ordre nouveau,
mais il n’empêche : il n’est là plus de révolution au sens classique du terme.
C’est une guerre entre groupes, entre bandes, qui est rêvée, où l’Etat
n’apparaît nullement ; ni à affronter ni à prendre, il a simplement disparu.
Seule existe, avant comme après le chaos, la société, d’abord perçue en
termes ethniques et avec l’intention qu’elle soit après coup organique,
qu’elle soit une Volksgemeinschaft. Aussi, si les nationalistes optent là
pour une perspective qui s’inscrit bien en une période d’effacement de
la croyance en l’Etat, adoptent une vue résolument post-moderne, ils
conservent encore ce qui les différencie : une pensée historique basée sur le
rapport entre peuple, espace et temps. Dans une analyse sorélienne, il est
patent qu’à cette date, la Révolution est culturelle mais que la construction
continentale fonctionne comme un mythe et une utopie réactionnaires
en ce qui concerne ses effets à moyen terme. Par-delà, cela signifie que

119 P. Bourdieu, Contre-feux, tome un, Raisons d’agir, Paris, 1998, p.39.
210 NICOLAS LEBOURG

jusqu’au bout la pensée N.R. est de l’ordre révolutionnaire conservatrice –


mais qu’elle est passée de son aile néo-nationaliste à son aile völkisch en
passant de l’Eurasie à l’Eurosibérie.

15. L’Europe totale

Les néo-droitiers ont exalté en l’Europe son passé indo-européen :


l’Europe serait par nature une société organique et son unité ethnique
et culturelle remonterait à l’origine des temps. A cet égard, Evola est
une source logique pour les partisans d’une Europe des ethnies ayant
une commune Weltanschauung originelle, puisque en tant que solution
à l’hybris nationaliste et projet pour l’après «Yalta» il était partisan de
l’imperium en ce qui concerne la vie des ethnies incluses dans un Etat
organique basé sur la Tradition. Evola exige que l’unité organique se
réfère à une unicité religieuse nouvelle et, surtout, il récuse vertement le
principe de « civilisation européenne » car il y aurait osmose « entre l’esprit
anti-traditionnel et l’esprit occidental », et parce qu’il considère que cette
civilisation équivaut au monde moderne. Ici les notions d’espace et de
temps, d’utopie et d’histoire sont indissociables120.
Les nouveaux nationalistes ne veulent pas plus défendre l’Occident
que l’Hexagone : ce sont en fait les concepts de Sonderweg et de
Schicksalsgemeinschaft qui ont été déplacés de l’Allemagne sur l’Europe,
et c’est la palingénésie de celle-ci qui est leur horizon d’attente121. Ils font,
en ce domaine, preuve d’un avant-gardisme certain mais qui s’inscrit
dans ce rapport particulier au temps. Certes, l’obsession européiste des
N.R. détonne dans un espace public français où le non-national n’a que
peu de place et où le discours sur l’Europe est atone. Moins qu’en avance
sur leur temps, les N.R. s’inscrivent plutôt dans la continuité du débat
politique de l’entre-deux-guerres, et de ses querelles parfois passionnées sur
l’Europe. Ainsi, si durant la décennie 1970, à diverses reprises, Y. Sauveur
peut présenter ses excuses pour user du barbarisme « européisme », ensuite
devenu mot courant, le terme lui-même avait été forgé dès 1915122. Mais,

120 J. Evola, 1997 (1951), pp.19-45 ; idem et H. Sima, Forme et conditions préalables de l’unité
européenne, Centro Studi Evoliani, Bruxelles, 1992.
121 Sonderweg : « voie particulière de l’Allemagne » ; Schicksalsgemeinschaft : « communauté de
destin » (expression utilisée par les nazis pour les Allemands, par les N.R. pour les Européens).
122 C’est Jules Romains qui paraît en être le père. Le Petit Robert ne date quant à lui le terme que
de 1969, témoignant de l’ampleur de l’oubli de l’importance de l’européisme dans le premier XXe
siècle.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 211

un trouble est indéniable entre l’influence du fascisme du premier XXe siècle


pour lequel c’est l’Etat qui crée la nation (position de Thiriart), celle de la
Nouvelle droite qui réclame que la nation corresponde à une communauté
bio-historique à reconstruire (tendance qui aboutit très souvent à l’Europe
des ethnies) et le fond de « nationalisme des nationalistes », plus persistant
chez les N.R. qu’ils ne veulent l’admettre123.
L’un ancêtre fondateur d’un euro-régionalisme «vu de droite», d’une
Europe fédérée des régions mono-ethniques, est Otto Strasser.. Dans la
pratique, il noua de nombreux contacts : en France avec Alexandre Marc
et la revue non-conformiste L’Ordre nouveau, en Espagne avec les Juntas de
Ofensiva Nacional Sindicalista, en Allemagne avec le cercle Widerstand de
Niekisch. Outre sa promotion d’une zone eurafricaine et du démantèlement
de la société industrielle et urbaine, il propose un soutien aux mouvements
séparatistes existant au sein d’Etats-Nations opposés à l’Allemagne ; il est
ainsi le premier à proposer un démembrement des nations européennes
en unités ethno-culturelles se fédérant124. Cette utopie, moins qu’une
généreuse « libération des patries charnelles », peut être lue comme un
impérialisme culturel et politique car a) elle entend que tous les peuples
d’Europe se reconnaîtraient selon le triple critère du sang, du sol et de
la langue, i.e. qu’elle fait des principes du nationalisme à l’allemande
des principes généraux ; b) elle renvoie à la conception de la fédération
des tribus (telle qu’entendue par le droit allemand jusqu’à nos jours), et
l’impose donc aux peuples qui ne se reconnaissent pas dans ce concept ;
c) la structure de la démographie européenne aboutit en un tel schéma et
à cette date à un directoire allemand du continent. Au-delà, l’Europe ainsi
prônée se réfère amplement à la chrétienté médiévale qui est l’idéal de ce
conservatisme révolutionnaire.
Quoique ces thèses aient été repoussées par l’impérialisme hitlérien,
les difficultés militaires du Front de l’Est firent que pour la propagande

123 L’unité aryenne de l’Europe est toutefois un thème qu’on put trouver dans la presse de Thiriart,
cf. La Nation européenne, août 1967.
124 P. Moreau, 1984. On retrouve nettement l’influence de Spengler et de Moeller van den Bruck.
L’Ordre Nouveau, autour du slogan « ni droite, ni gauche », proclamait tout à la fois son refus des
matérialismes soviétique et américain et son rejet de la nation jacobine au profit des traditions et
ethnies régionales censées s’organiser en un cadre européen (préfiguré par le Comité Plans-Ordre
nouveau qui se voulait la section française d’un front unique de la jeunesse européenne) : l’intérêt
pour Strasser était donc légitime, même si les non-conformistes ne sont pas des fascistes. Cepen-
dant, suivant l’analyse de Z. Sternhell des non-conformistes, les N.R. ont pu affirmer que ceux-ci
étaient leur ascendance (Lutte du peuple, février 1992). Au-delà des concordances, idées communes,
emprunts, les visions du monde (et de l’homme) ne sont pas les mêmes : il n’y a pas filiation mais
inspiration partielle.
212 NICOLAS LEBOURG

de la Waffen S.S., la guerre s’était transfigurée en combat de libération de


l’Europe à l’encontre d’un judaïsme ennemi total. Le journal francophone
de la Waffen S.S. loue ainsi « l’Internationale Aryenne », des 18 « nations »
S.S. aux antisémites étasuniens ; les bataillons ethniques S.S. (Wallonie,
Bretagne, etc.) en lutte contre le Baal juifs-U.R.S.S.-U.S.A. referaient vivre
un Aryen pour lequel la nation est « une idée d’Etat surannée » car il n’y a
qu’un Führer, « qu’une révolution national-socialiste et qu’une communauté
européenne125 ». Il y a en fait une transmission entre deux générations, car
il est certain que dans la production de cette vision compte beaucoup le
transfert de celle des anciens collaborateurs et collaborationnistes. Chez
les anciens Waffen S.S. français, ce sont d’abord Saint Loup, qui laissa à
penser après-guerre qu’il fut le responsable de Devenir, et Binet. Au delà
des divergences, ils représentent pourtant une ligne commune : celle d’une
analyse du nazisme en tant qu’européisme anti-matérialiste et socialiste
(tous deux provenant de la gauche). Les promoteurs les plus zélés de la
fédération ethnique européenne sont, ce n’est pas fortuit, ceux qui prônent
des Empires raciaux via le néo-racisme et qui dénoncent l’occupation de
l’Europe par les immigrés du Tiers-Monde et les Américains. Si Binet
est frappé du sceau infamant de vulgarité néo-nazie, Saint Loup a su
déclencher l’enthousiasme de nombreux nationalistes en leur donnant
à voir d’une autre manière le passé nazi et l’avenir européen. Le néo-
paganisme, que porte le redéploiement de l’imagerie du IIIe Reich après
1945, vient renforcer ce jeu en approfondissant la construction d’une
contre-société communautaire126. Mabire, quant à lui, regrette que le IIIe
Reich n’ait pas su convenablement s’allier avec l’U.R.S.S. pour bâtir une
Europe qui soit une troisième force entre celle-ci et les U.S.A., afin d’unir
« les patries charnelles » en des « Etats-Unis d’Europe où flotteraient sous
le même ciel gris les étendards de Normandie et d’Ukraine, de Prusse et de
Catalogne127 ».

125 Devenir, février 1944 ; idem, mars 1944 ; idem, avril-mai 1944 ; idem, juin 1944. C’est là un
discours prototypique du néo-nazisme dans sa conception d’un aryanisme ramené au suprémacisme
organiciste.
126 Cf. S. François, Le Nazisme revisité, Berg International, Paris, 2008.
127 J. Mabire, dans L’Esprit public,1963 ; idem, août 1963 ; idem, octobre 1963 ; idem, juillet-août
1964. Bien sûr, se ressent ici l’ombre portée des Etats-Unis d’Europe de Drieu La Rochelle, opposés
aux matérialismes russe et américain. Or, selon C. Boutin, 1996, c’est précisément en préparant
son ouvrage Drieu et nous (1963) que Mabire a conçu son utopie. On voit là le travail d’analyse et
de redéfinition qui est celui des penseurs nationalistes, puisque Drieu, quant à lui, avait vu dans le
jacobinisme l’une des racines du fascisme français, tandis que Déat décrivait les soldats de l’An II
comme les premiers partisans d’un Etat « totalitaire » nouveau voulant en ensemencer l’Europe et
constituant ainsi la racine de la « Waffen S.S. française ».
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 213

L’autre tendance, d’une importance fondamentale dans la formation


de la mouvance nationaliste favorable à l’Europe des régions, provient du
mouvement breton, l’emsav. Le Parti National Breton d’Olier Mordrel,
partisan de l’indépendance avant-guerre, s’est aligné sur l’occupant,
puis a prôné une Europe des régions intégrées au IIIe Reich. La revue du
P.N.B., Stur, dont la première lettre a la graphie de la rune Sig, introduit
des références révolutionnaires-conservatrices (Spengler, Jünger) tout en
dépassant la seule question de la nation bretonne au profit de l’apologie
d’Empires raciaux continentaux. Après un exil en Amérique du Sud,
Mordrel travaille à La Bretagne réelle (1954 ; prônant l’Europe des régions
ethniques) et participe par la suite à la Nouvelle droite. Il est vrai que
toutes les revues socialistes européennes issues d’Europe-Action, puis plus
tard Pour une jeune Europe et Le Devenir européen, invitent à la lecture de la
Bretagne réelle. L’autre tendance du nationalisme breton est le régionalisme
incarné par Yann Fouéré. Sous-préfet, il fonda son premier journal afin
d’orienter le régime de Vichy vers une ligne décentralisatrice. En 1942,
tout en intensifiant sa collaboration avec la Propagandastafell, il accueillit
tel « un geste historique » la création par Pétain du Comité Consultatif de
Bretagne, chargé de donner son avis sur les questions culturelles128.
Sa pensée évolua toutefois en un sens marqué par la publication en
1968 de L’Europe aux cent drapeaux, ouvrage préfacé par A. Marc. Il y fait
l’apologie de la « Troisième Europe », après celle de la chrétienté et celle
des nations, qui serait une fédération des régions à base ethno-culturelle.
Si cette expression de « Troisième Europe » se trouvait déjà dans la presse
collaborationniste, si Fouéré ne cesse de citer Proudhon, il remet également
à l’honneur le distinguo entre « nations prolétaires et peuples et nations
nantis », arguant que les minorités nationales d’Occident ont été victimes
du colonialisme des peuples majoritaires129. La nébuleuse socialiste-
européenne est extrêmement sensible à l’emsav et cette dialectique s’intègre
aisément en celle de l’après mai 68 où les mouvements autonomistes
français s’auto-représentent tels des mouvements de libération nationale
et sociale d’une patrie victime d’un Etat colonialiste, tous s’identifiant
aux pays en lutte du Tiers-Monde. Cette éristique jouit, qui plus est,
de l’aura antifranquiste de l’E.T.A. basque, qui en use dès 1964, et à

128 J. Sainclivier, La Bretagne dans la guerre 1939-1945, Ouest-France, Rennes, Mémorial pour la
Paix, Caen, 1994, pp.87-89.
129 Y. Fouéré, L’Europe aux cents drapeaux, Presses d’Europe, Nice, 1968, p.98. Le fait que de
très nombreux N.R. se revendiquent de « l’Europe aux cent drapeaux de Yann Fouéré » ne signifie
nullement que l’ouvrage est une de leurs bibles. En politique, la référence à des auteurs en tant que
maîtres à penser relève du slogan et de l’auto-représentation non de l’histoire des idées.
214 NICOLAS LEBOURG

laquelle les N.R. allemands se comparent dans leur lutte anti-impérialiste


dès 1973, ainsi qu’avec les Bretons, les Flamands, les peuples du Tiers-
Monde, etc.130.
Certains des mouvements indépendantistes prennent quelquefois
langue avec cette nouvelle extrême droite « anti-impérialiste ». Au sein
du mouvement corse, par exemple, se trouve quelquefois l’empreinte du
G.U.D. – dès l’origine du Front de Libération National Corse, de même
que s’y trouvaient des ex-Ordre Nouveau ou Occident . La dénonciation
de « l’Etat colonialiste » se fait, dès 1967, en affirmant que celui-ci, par
le jeu de l’immigration continentale provoquant un métissage avec les
femmes corses, vise à détruire l’ethnie insulaire socle de la « communauté
de destin » des insulaires. Aux Journées internationales de Corte, une
délégation de Nouvelle Résistance fut reçue par la Cuncolta – qui prit fait
et cause pour le négationniste R. Garaudy et, via la plume de feu Jean-
Michel Rossi, reprit une partie du discours du mouvement N.R. dans son
organe. La pression idéologique assurée par le mouvement corse mène à
une extension de la revendication « identitaire » (ainsi soutenue par les
socialistes corses au nom du « droit à la différence »). En 1992, l’Assemblée
de Corse réclame officiellement à l’Etat l’instauration de la corsication des
emplois, i.e. de l’embauche sur critère ethnique. S’ensuit l’adoption d’un
plan de « développement identitaire » basé sur l’enseignement public131.
Voilà l’extrême droite racialiste repartit à gauche toute, puisque anti-
impérialiste, et dans le combat culturel dont elle aime tant à se targuer…
Dans l’emsav, G. Faye participe à la fondation d’Europa Riezel (« l’Europe
impériale ») avec Trystan Mordrel et Goulven Pennaod (le même trio
ayant également fondé Diaspad, une revue nationaliste bretonne celto-
druidique militant pour l’Europe des ethnies)132. Europa Riezel veut,
tels les adeptes belges de Thiriart, unifier la mouvance révolutionnaire

130 Cf. Crettiez, et Torreiro, « La Rébellion autonomiste », La France rebelle, dir. Crettiez et Som-
mier, La France rebelle, Michalon, Paris, 2002, pp.25-90 ; P. Moreau, 1994, p.164.
131 Cf. G-C. Culioli, « Itinéraire d’un enfant gâché », Corsica, septembre 2002 ; M. Lefevre, Géo-
politique de la Corse, L’Harmattan, Paris, 2000, pp.91-126.
132 T. Mordrel, fils d’Olier Mordrel, participe à Notre Europe et par la suite à Eléments. Il est secré-
taire de rédaction d’Eléments en 1984-85 (il accompagne A. de Benoist pour un voyage en Iran). Il
a collaboré au néo-nazi Ar Stourner avec Georges Pinault, alias Goulven Pennaod. Ancien membre
des Jeunes de l’Europe Nouvelle, celui-ci participe à La Bretagne réelle. Il collabore à Nouvelle Ecole
après avoir été d’Europe-Action et il est l’éditeur du Devenir européen. Enseignant à Lyon III, il a été
ensuite chercheur associé à l’université brestoise. Il fut aussi l’un des responsables de la librairie néo-
nazie Ogmios, qui avait défrayé la chronique en 1987, lorsqu’il fut révélé que l’ambassade d’Iran
lui octroya un financement, via la commande de l’édition d’un ouvrage de propagande (Ogmios
travaillant également à la diffusion d’ouvrages de Mabire sur S.S. et parachutistes). La même année,
la librairie rééditait le journal S.S. Devenir.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 215

européenne, qui, selon elle, regroupe Action Directe, le F.L.N.C., le


Front de Libération de la Bretagne, le M.N.R., le G.R.E.C.E., etc. Le
soutien à l’euroterrorisme anarcho-maoïste y est d’autant plus naturel que
le président de la structure, Jean-Pierre Tillenon (dit Yann-Ber Tillenon ;
G.R.E.C.E.), est intime de Joëlle Aubron, l’activiste d’Action Directe
ayant assassiné Georges Besse ; ils participèrent ensemble en 1979 au
solstice du Centre d’Etudes Doctrinales Julius Evola et il lui fournit
une cache durant sa cavale133. Parmi les noms des conférenciers au Ker
Vreizh se détachent désormais les noms des grécistes, A. de Benoist et
R. Steuckers, des négationnistes comme P. Guillaume, Olivier Mathieu
ou Henri Roques, etc. Y-B. Tillenon se rend, le 16 janvier 1986, au Cercle
Louis Rossel chargé de former les militants de Troisième Voie pour y
donner une conférence sur le thème « Du mouvement breton à la Grande
Europe134 ».
La question n’est pas de savoir qui inspire qui, ni de simplifier la
dialectique des nationalismes «régionaux», mais de constater qu’à travers
la rhétorique N.R. anti-impérialiste, qui considère que l’Europe est une
colonie, et l’agit-prop identitaire relative à des fondamentaux ethno-
culturels (l’idée qu’une nation se compose d’une ethnie, d’un sol et
d’une histoire est omniprésente déjà dans la Révolution Conservatrice),
les extrêmes droites visent à la reconstitution d’un discours ethniciste
légitime et audible dans un champ politique où le paradigme démo-libéral
a triomphé, mais où les discours concernant « le peuple tout entier » et
le respect de son « droit à la différence » disposent d’une possibilité de
greffe135. Il s’agit bien de travailler à ce que le G.R.E.C.E. a nommé un
« gramscisme de droite » qui permette l’imposition de la Weltanschauung
nationaliste. Ces conceptions ont toujours été en concurrence avec d’autres
au sein du nationalisme-révolutionnaire, mais en occupant une telle place
que souvent les N.R. sont simplement considérés comme des adeptes de

133 En 1988, on croise son nom aussi bien au comité de soutien à J-M. Le Pen que dans la pétition
de soutien aux grévistes de la faim d’Action Directe. Une couverture de Diaspad le montre tenant
une femme qui tire au pistolet : certains journalistes affirment qu’il s’agit de J. Aubron. Au sein
d’Action Directe, Frédéric Oriach avait pris des positions pro-emsav et avait dénoncé l’influence du
sionisme dans la vie politique occidentale.
134 Annoncé dans Informations N.R., 2 janvier 1986 (bulletin interne de TV).
135 Que l’on compare les évolutions. En 1978 sont dénoncées les tendances séparatistes du mou-
vement corse mais soutenue sa conception nationale (Jeune Nation Solidariste, 5 octobre 1978). En
1979, est considéré par l’un des membres d’un débat contradictoire que « Racialistes, ethno-diffé-
rencialistes, tous les nationalistes-révolutionnaires le sont ou devraient l’être. Comme les Corses, les
Basques ou les Bretons » (Jeune Nation Solidariste, 7 juin 1979).
216 NICOLAS LEBOURG

l’Europe des ethnies136.


Une Europe des nations souveraines reste l’idéal du M.N.R., très
hostile à la construction européenne comme elle se déroule, y voyant un
projet synarchique. Dès 1980, il est demandé aux militants d’infiltrer les
luttes régionalistes mais d’y refuser les positions séparatistes137. Si le leader
du M.N.R. affirme clairement que l’ethnie française ne saurait être une
question raciale mais sociologique, qu’il est hostile à toute Europe des
ethnies au profit d’une Europe des nations, l’influence grandissante des
positions néo-droitièrs bouleverse cette donne138. Troisième Voie marque
néanmoins un manque de ligne idéologique évident. Elle diffuse le Petit
lexique du partisan européen qui considère que l’Occident est générateur
d’ethnocides car synonyme d’universalisme égalitariste matérialiste
véhiculé par l’idéologie des Droits de l’Homme, en appelle à la restauration
d’une Volksgemeinschaft enracinée, « ethnopluraliste », dans le cadre d’une
Europe traditionaliste auto-centrée des régions mono-ethniques et liée
au Tiers-Monde contre le condominium U.R.S.S.-U.S.A.. En 1986,
T.V. affirme des perspectives contradictoires. Elle prône une « Nation
européenne Une, Grande et Libre » (référence au centralisme franquiste et
à Thiriart), affirme dans le même temps que la nation est basée sur le sol et
le sang, fédère des régions ethno-culturelles qui doivent œuvrer de manière
transeuropéenne, mais dans une Europe qui soit une Confédération des
Nations souveraines…139
Les choses paraissent beaucoup plus simples avec Nouvelle Résistance
et U.R. puisqu’on y prône l’Europe aux cent drapeaux, Eurasie ou
Eurosibérie. Les groupes soutiennent même plutôt le processus de
construction européenne, Nouvelle Résistance appelant à voter oui au

136 Une pluralité de positions a aussi existé au sein du G.R.E.C.E., et si A. de Benoist a hésité
durant les années 1970, puis soutenu une Europe des ethnies (C. Boutin, 1996, pp.142-145), les
positions de Mabire ont in fine été rejetées du credo officiel gréciste dont la dernière version « estime
que l’identité ethnoculturelle des différentes communautés qui vivent en France aujourd’hui doit
cesser d’être rabattue sur le domaine privé, pour faire l’objet d’une véritable reconnaissance dans la
sphère publique et que l’Europe (occidentale, centrale et orientale) doit se réorganiser de la base au
sommet – en étroite association «continentale» avec la Russie – les nations existantes se fédéralisant
à l’intérieur pour mieux se fédéraliser à l’extérieur » (G.R.E.C.E.Manifeste pour une renaissance
européenne, Grece, Paris, 2000, p.74 et p.80).
137 M.N.R., Courrier intérieur, 14 janvier 1980 (document interne) ; Cahiers du solidarisme, n°1
et n°3, 1976 ; Jeune Garde solidariste, octobre-novembre 1975.
138 Cf. J-G. Malliarakis, Ni Trusts ni soviets, Le Trident, Paris, 1985 ; C. Boutin, 1996, pp.151-
152. Le journal du M.N.R. morigéna même, en parodiant Lénine, « le séparatisme régional maladie
infantile du nationalisme » (Jeune Nation Solidariste, 13 juillet 1978).
139 Faye, Freson et Steuckers, Petit lexique du partisan européen, s.d. (1985) ; Troisième Voie,
Pourquoi nous combattons, Ars, Nantes, s.d. (1986) ; Jeune Garde, Axes de Combat, Axes de combat,
Ars, Nantes, 1998 (1986).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 217

référendum relatif au traité de Maastricht, puis se ravisant en trouvant sans


doute que l’abstention correspond à une attitude plus révolutionnaire140.
Toutefois, parmi les discours sur l’Europe des ethnies, apparaissent parfois
une tendance à l’irrédentisme ou un appel à l’union anti-impérialiste des
zones francophones que l’on trouvait également aux débuts du M.N.R.
(qui le qualifiait de « francisme » et proclamait que sa réalisation historique
était le but même du nationalisme-révolutionnaire141). Nouvelle Résistance
jouit grâce à A. Dugin d’une idéologie légitimée par la philosophie
poppérienne de l’histoire et par des thèses géopolitiques : en somme elle
bénéficie du thème de l’identité pour l’agit-prop vis-à-vis des masses et de
justifications scientifiques pour les intellectuels.
Les N.R. s’inscrivent dans la réalité des évolutions juridiques,
géopolitiques et du discours dominant. Après avoir été marquée à
gauche dans la période post-1968, et amalgamée avec le tiers-mondisme
et la dénonciation du capitalisme industriel, la défense des identités
régionales est aujourd’hui commune à la totalité des partis politiques
parlementaires ; est aussi prégnante la thématique de la défense de celles-
ci face à un mondialisme homogénéisateur. L’Union européenne a établi
une reconnaissance institutionnelle supranationale des régions (Charte
des langues régionales et minoritaires, Comité des régions d’Europe),
problématique dont l’importance politique et culturelle est étonnement
disproportionnée comparativement aux scores électoraux désastreux que
connaissent dans tous les pays européens les mouvements prônant une
Europe fédérée des régions, et en cela signe de l’importance du combat
culturel en direction des élites.
Le concept d’Etat-Nation porte tout à la fois une conception
discriminante et celle d’un premier pas vers l’universel. Puisque l’Etat-
Nation et la démocratie moderne naissent conjointement de la Révolution
française, remplacer la nation par l’ethnie c’est espérer remplacer l’Etat
libéral par l’Etat organique. Affirmer une unité culturelle historique des
ethnies européennes devant se fédérer, c’est à la fois ramener l’idée d’ethnie
à son origine historique, échelon entre les notions de nation et de race,

140 Lutte du peuple, mai 1992 ; idem, juillet 1992.


141 Lorsque X. Vallières fait l’énumération de peuples concernés on s’aperçoit que cette « Union
des Républiques Solidaristes Françaises » regroupe des francophones (Wallons, Romands, Qué-
bécois, etc.) tous situés dans l’hémisphère nord ; autrement dit il s’agit d’unir les Blancs franco-
phones… où quand la « France seule » assimile le néo-racisme… (Jeune Nation solidariste, 5 avril
1979). Il pourrait sembler assez illogique que le même journal affirme aussi que l’Eurafrique et
l’Europe des nations sont les projets du nationalisme-révolutionnaire. Certes, mais force est de
constater que l’Etat français n’hésite guère à jouer la carte de la construction européenne en Europe,
de la nation à l’O.N.U., de la francophonie en Afrique.
218 NICOLAS LEBOURG

et chercher à dépasser le nationalisme – le point ultime de la « critique


positive ». Ces éléments renvoient précisément à une vision fasciste du
monde ainsi qu’à une pratique militante.
Il s’agit, lors de l’interrègne et jusqu’au prochain cycle, de constituer
une micro-communauté soudée dont l’ensemble de la vision du monde
soit en rupture complète avec le paradigme culturel en vigueur. Il est donc
question de lier la communauté, l’espace et le temps. La communauté
approfondit sa vision du monde en délimitant son territoire et en se
donnant ses propres rythmes : le M.N.R., T.V., Nouvelle Résistance et
U.R. cumulent ainsi les pèlerinages, qu’ils soient au Mur des Fédérés ou
sur la tombe de Rossel142. A partir des années 1980, les N.R. ont repris
à la Nouvelle droite la pratique de la commémoration des solstices, car
« par imprégnation idéologique, par passage de militants et de cadres
d’une structure à une autre, le néo-paganisme droitisant [est devenu] une
composante essentielle de la subculture de l’extrême droite française143 ».
Nouvelle Résistance travaille ses considérations, en liant le vécu militant,
la vie active, la communauté organique. Selon elle, construire

la communauté militante [passe par] l’organisation


communautaire de notre temps libre (fêtes, solstices (…) randonnées,
etc.) et par l’organisation communautaire de nos moyens de production.
L’idéal étant de financer nos activités politiques par des coopératives
d’édition, de librairie, de production artisanale (posters, t-shirts, etc.)
voire de financer nos vies propres par de tels moyens (société de micro-
édition, agriculture bio, etc.). [Il faut offrir] une contre-culture politique
et existentielle aux nationalistes non-calotins [il s’agit de fournir à ses
militants] une vue du monde globale qui intègre notre passé (…) nos
loisirs (…) notre conception du temps [toute communauté ayant ses
dates rituelles, donc] il nous revient de créer / recréer nos marquages
même en débutant petit 144.

142 Le référent communard est un grand classique de l’extrême droite radicale, l’analyse faite de
la Commune étant dans la lignée de celle de Blanqui et non de Marx : une insurrection nationale
d’abord où le bourgeois est le « Prussien de l’intérieur ». Lorsque Europe-Action éclate en une galaxie
de publications « socialistes-européennes », le référent communard y est systématiquement mis
en avant Cela s’inscrit dans la stratégie d’oscillation et de tentatives de récupération, car, dans la
mémoire des gauches, la Commune est un élément constituant de leur propre histoire et ne peut
être rattachée en aucune manière à celle de l’extrême droite, celle-ci étant perçue comme le champ
anti-populaire, anti-prolétarien, réactionnaire par essence et par excellence.
143 C. Bouchet, B.A.-BA du néo-paganisme, Pardès, Puiseaux, 2001, p.91.
144 Note d’orientation confidentielle, avril 1992 ; L’Europe combattante, été 1997 ; La Lettre du Ré-
seau, juin 2000 (documents internes).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 219

Vision du monde, espace fermé, réunion communautaire : le travail


militant rejoint les conceptions philosophiques. La dénonciation faite de
l’ère présente s’explique d’autant mieux que la mise en concurrence de
projets totalisants demeure l’apanage de l’entre-deux-guerres, les N.R.
s’avérant ici être des étrangers en leur temps – des « hommes au milieu
des ruines » eût dit Evola. C’est en effet, de par l’insistance donnée à la
Weltanschauung traditionaliste, par définition totalisante, l’espace marqué
par Evola qui développe en priorité ce discours. En fait, c’est en l’ensemble
de la mouvance dite néo-païenne qu’il se dévelloppe, et c’est largement
ce qui explique que N.R. et néo-païens tendent tant à s’entremêler,
malgré des réticences en la matière des leaders N.R. Quant au fait que
les commémorations historiques renvoient à la Commune de Paris et les
métaphysiques au néo-paganisme cela ne souffre d’aucun illogisme. Que
disent les rêveries indo-européistes ou traditionalistes évoliennes ? Que le
passé indo-européen était marqué du sceau de l’unité de langue, de race,
de vision du monde, non réduit à l’unicité mais sachant s’incarner de
manière multiple. Politiquement, leur aspiration est à l’Imperium, i.e. à
la « renaissance » de ce modèle : les communautés, le temps et l’espace
continentaux doivent retrouver leurs liens fédératifs. En attendant ce
nouveau cycle, le « Partisan », « l’homme différencié » se retranche dans
l’interrègne temporel et dans un espace clos qu’il délimite aux frontières
de sa conscience communautaire ethno-culturelle, i.e. tout à la fois
« la révolution en soi » et l’adulation des « identités ». Ce repli sur soi
correspond à celui dans l’interrègne, et à la position de marginalité que
connaissent les nationalistes dans l’après-guerre. La palingénésie est donc
un projet relatif au « temps fasciste », à la Weltanschauung, mais aussi à
l’espace. Le fantasme de l’unité fédérative, dans le passé comme dans
l’avenir, renvoie à la perception d’un état présent marqué par un temps
et un espace en involution (et non seulement le temps comme dans la
pensée fasciste classique). Il est la source d’un désir de communauté dans
le présent qui fédèrerait des parcelles ethno-culturelles (Euskadi, Bretagne)
par l’unité de son élite révolutionnaire dans la vision païenne du monde.
Là où langue, temps, espace, race, système idéologico-religieux sont unis
d’un côté (le passé le plus lointain et l’utopie pour demain), la réponse
donnée est celle de la fragmentation communautaire et d’une sortie de la
société commune, au profit des micro-sociétés militantes et des « patries
charnelles ».
Néanmoins, cette conception d’un nationalisme de préservation
des micro-entitrés ne peut que butter perpétuellement contre l’osmose
française entre les notions d’Etat, de Nation et de République. La nation
220 NICOLAS LEBOURG

et la République écartées au profit du fédéralisme organiciste il ne reste


du système politique en place que la notion d’Etat. Or, le comportement
révolutionnaire ayant attaqué non les formes parlementaires, mais
désigné pour cible le « Système » avec ses piliers culturels, l’Etat se trouve
dépourvu de sa mystique pour ne plus guère représenter que ses fonctions
oppressives. Ce sont ses policiers, auxquels sont confrontés les jeunes
militants activistes, ce sont ses ministres de l’Intérieur, qui proclament la
dissolution des mouvements nationalistes. C’est son ordonnancement au
nom du Welfare d’un capitalisme de société de consommation, dont les
droites radicales ne cessent de dénoncer le matérialisme anti-vitaliste, et le
passage de ses commandes à la technostructure, perçue comme une menace
synarchique. C’est, enfin, un Droit qui est toujours un puissant producteur
de «la morale» mais où, précisément, les nationalistes perçoivent le vote de
la loi Pleven (1972) comme une manière de les désigner comme des êtres
amoraux en faisant de leurs idées des délits. Autrement dit : « Il n’y a plus
de différence entre le pays réel et le pays légal, il y a une société totalitaire au
sens exact du mot, une société où existe désormais une harmonie parfaite
entre l’idéologie du Régime, ses institutions politiques et économiques et
le corps social145 ».
Détruire le pays légal ne peut donc plus être la substitution
d’administrations à d’autres, mais implique une révolution contre l’Etat
entendue dans une perspective gramscienne : la prise d’assaut des sociétés
politique et civile. La logique du raisonnement est telle que ce n’est plus
longtemps à du Gramsci retraduit dans la langue de Maurras que l’on
a affaire, mais à de l’Evola retraduit en Gramsci, car la conclusion est
évidemment la « révolte contre le monde moderne ». Certes, la Nouvelle
droite persévère dans la reconnaissance de la valeur de l’Etat, pour peu
que la Révolution le rende organique et transcendant selon la reprise
des conceptions en la matière de Julius Evola. Néanmoins, si elle le fait
c’est peut-être grâce à son métapolitisme lui-même qui la tient écartée
de l’affrontement avec l’Etat coercitif. Chez les N.R., la situation est plus
confuse car le désir idéologique de l’Ordre y cohabite avec l’exigence
d’insoumission individuelle. La traduction militante peut en être très
variable. Pour Nouvelle Résistance, c’est l’appel à l’oscillation par le vœu
d’une

Démocratie, directe, totale et décentralisée (...) le pouvoir


des conseils. Ce type d’organisation politique est connu en Europe

145 Qu’est ce que le nationalisme ?, Europe-Action, mai 1963, p.27.


LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 221

depuis l’apparition des Indo-Européens et resurgit spontanément lors


de toutes les périodes révolutionnaires. [Il passe par des] assemblées
générales dont les délégués (…) restent révocables en permanence par
ceux qui les ont nommés146.

Ainsi, les références à la Commune de Paris, au conseillisme, se


fondent avec l’idée racialiste sous-jacente de l’âme héréditaire de la race
et aux apports néo-droitiers. C’est quand elle parle ainsi que Nouvelle
Résistance mérite le plus son étiquette national-bolchevique, car elle
s’inscrit dans la lignée des thèses du premier intellectuel allemand à se
dire national-bolchevique, Paul Eltzbacher (1868-1928) qui fit rimer le
Volksgeist avec les Conseils. Selon Eltzbacher, le bolchevisme était l’antidote
au marxisme car les Soviets étaient une « construction organique » qui
instaurait « la dictature ordonnée de tout le Peuple travailleur ». On songe
également à Paetel qui proposa une révision du programme du N.S.D.A.P
prônant l’alliance avec l’U.R.S.S. et un « Etat populaire des Conseils » qui
soit ultra-völkisch. Cet Etat nouveau renvoyait selon Paetel au thing, qui
serait le modèle de la démocratie147. En somme, Nouvelle Résistance peut
en quelque sorte être considérée comme le pendant gauchiste du national-
bolchevisme allemand, avec cette étrangeté qui veuille qu’elle se réclame du
léninisme au niveau du Front Européen de Libération et du conseillisme
en ces matières, et U.R. comme le pendant völkisch de ce discours148. Car
ce dernier peut en effet s’exprimer de manière nettement plus «tranchée»
et vigoureusement raciste dans cet éditorial du site d’U.R. :

Que nos lecteurs réfléchissent bien à une chose : la démocratie


est une valeur aryenne (le thing des premiers germains), alors que la
dictature a toujours été une valeur sémite (consultez certains textes
de l’Ancien Testament...). Notre combat doit donc être clairement un
combat pour la démocratie, mais pour une véritable démocratie, c’est-
à-dire pour le pouvoir du peuple pas pour celui d’une minorité de
privilégiés149.

146 Pour la Cause du peuple, Manifeste de Nouvelle Résistance, Ars Magna, Nantes, 1997, s.p.
147 Cité dans L. Dupeux, 1979, pp.53-54 ; p.351 et p.378.
148 Ce qui témoigne de la vacuité de la thèse conspirationniste cherchant infiltration et dissimu-
lation dans tous les positionnements à «gauche» des N.R., car, dans cette perspective, leur intérêt
pour Guy Debord ou Socialisme ou Barbarie ne souffre aucun illogisme.
149 U.R., « L’Egalité de tous devant la loi est une des bases de la démocratie », éditorial du web
site, août 2000.
222 NICOLAS LEBOURG

Si c’est ici la formulation raciste qui est utilisée, en vue de mobilisation


militante, l’idée s’inscrit néanmoins dans le cadre de la fascination jamais
démentie des nationalistes pour le principe fédéraliste proudhonien. Car
le « socialisme de Proudhon » auquel ne cessent de se référer les N.R.
est toujours conçu dans le sens que lui donne en 1968 l’ancienne tête
pensante de L’Ordre Nouveau, Alexandre Marc dans sa préface à l’ouvrage
de Fouéré : Proudhon c’est le socialisme qui lie « l’Atelier libéré aux
franchises communales, régionales, ethniques, nationales150 ». L’intitulé du
dit ouvrage, L’Europe aux cent drapeaux, est devenu le slogan préféré de
Nouvelle Résistance, en autocollant comme dans sa revue, et c’est elle qui
pousse le raisonnement à son point dialectique ultime en considérant :

Nouvelle Résistance envisage une reconstruction de l’Europe par la


base, conformément à la tradition libertaire dont elle est l’héritière. Une
reconstruction politique à partir de communes autonomes fédérées en
régions autonomes, elles mêmes associées en confédérations ethniques
ou géopolitiques incluses dans une FEDERATION EUROPEENNE
(…). Cette reconstruction permettra à la DEMOCRATIE DIRECTE
de s’épanouir de nouveau dans le cadre d’assemblées de base dotées
de larges attributions (…). Une reconstruction sociale à partir de
communautés de base autogérées (telles que les coopératives ouvrières
de production et de consommation ou les coopératives intégrales)
réalisant le projet de SOCIALISME LIBERTAIRE151

Lors du dernier congrès du mouvement, la contribution du groupe


niçois et de l’équipe de Jeune Résistance, est tout particulièrement
intéressante en la manière dont elle lie son utopie avec sa vision militante
organisatrice :

Tout en «fafisant» son discours (car l’échec du recrutement


à gauche est flagrant), et en évitant d’attaquer de front le F.N.,
[Nouvelle Résistance] doit conserver une orientation véritablement
révolutionnaire. Nous devons continuer à combattre la démocratie
représentative et le système des partis, au profit d’une démocratie directe

150 A. Marc, préface à Y. Fouéré, 1968, p.13.


151 Le texte paraît régulièrement en quatrième de couverture de Lutte du peuple. En France,
Ordre Nouveau cherche en 1973 à créer un village autogéré. A Rome fonctionne depuis 2002 un
vaste squatt artistique néofasciste et autogéré, baptisé Casamontag en hommage au lecteur dissident
de Fahrenheit 451. Les néo-fascistes paraissent bien s’inscrire dans les logiques d’auto-exclusion
spatiale et sociale telle que pensées et pratiquées particulièrement dans l’ultra gauche italienne des
années 1970 (cf. I. Sommier, La Violence politique et son deuil, Presses Universitaires de Rennes,
Rennes, 2008, pp.73-75).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 223

s’appuyant sur des conseils populaires, dans le cadre d’une fédération


des communes. Résolument contre le capitalisme et la domination
bourgeoise, le néo-capitalisme américain, le nivellement mondialiste,
et la destruction de l’environnement, Nouvelle Résistance doit, sans
cesse, avancer ses propositions. Dans l’avenir, il n’est pas exclu de voir
une tendance Nouvelle Droite se développer au sein du F.N152.

Le notable usage de la désignation néo-droitière va ici avec des


idées qui, malgré la reconnaissance de leur échec quant à leur «vente» à
gauche, paraissent, de prime abord, fort proches de certaines visées du
mouvement libertaire. Un membre de celui-ci pourrait bien souscrire aux
idées fédératives ici formulées, en ayant à l’esprit les écrits de Proudhon
ou ceux de Bakounine et de sa fédération des communes dans des Etats-
Unis d’abord d’Europe puis du Monde, tandis qu’un gauchiste mal formé
y retrouverait son sacro-saint principe du droit des peuples à s’auto-
déterminer. Cette Europe völkisch permet de concilier parfaitement
éristique anti-impérialiste et idéologie impériale. Si elle pose manifestement
la question de la jonction philosophique avec l’ultra-gauche et le socialisme
utopique, la base doctrinale diverge : pour les néo-fascistes, il s’agit de
retrouver l’essence de l’identité et de la culture européennes via l’entre-soi.
De la fascination pour l’Etat hiérarchique, les néo-fascistes ont évolué vers
le concept de communautés organiques fédérées à la base et conformes aux
critères du nationalisme allemand.
Il n’en demeure pas moins que les tenants de ce néo-fédéralisme intégral,
entendu en fait dans la perspective N.R. de production d’une d’extrême
droite rejetant le nationalisme intégral, posent bel et bien la question du
rapport entre basisme social, politique et culturel et celle de la figure de
l’autorité. Si le fascisme est « éminemment moderne » c’est que d’une
part « toute idéologie est, d’abord, une anthropologie », et qu’il cherche à
corréler l’organisation sociale à « un ordre cosmique » donc à produire une
« totalité153 » qui se manifeste par « une volonté de mobilisation totale de la
société selon les lignes d’une idéologie exclusive154 ». Or, tout totalitarisme
est une « exacerbation utopique du principe représentatif155 », et le fascisme
tout particulièrement se veut une révolution démocratiste par l’instauration

152 Le Groupe de Base de Nice et l’équipe rédactionnelle de Jeune Résistance, Textes et propositions
pour le 3ème congrès de Nouvelle Résistance, 1996, p.4 (document interne).
153 P. Ory, 2003, p.173 et p.287.
154 P. Burrin, 2001, p.14.
155 P. Rosanvallon, Pour une Histoire conceptuelle du politique, Le Seuil, Paris, 2003, p.38
224 NICOLAS LEBOURG

d’une religion civile représentant la souveraineté populaire156. Ainsi, le


fédéralisme intégral produit par l’espace de rencontre entre Nouvelle droite
et N.R. s’avère-t-il non inscrit dans la « tradition libertaire » mais dans le
cadre de la radicalisation totalitaire du système représentatif, lorsque ce
dernier vise à correspondre au « peuple tout entier » plutôt qu’à produire
un système libéral équilibrant les divergences157.
Nul besoin de croire en l’Etat totalitaire pour rechercher la totalité
sociale. « Tout le pouvoir au peuple, tout le pouvoir à l’Ordre nouveau ! »
s’écriait Ordre Nouveau, sans fournir de doxa ou s’adonner à une praxis
idoines. Les nationalistes ont ainsi très sensiblement progressé. Si l’auto-
représentation N.R. peut parfois sincèrement s’imaginer développer une
critique « libertaire », car l’Etat est honni, ramené à un ordre sans âme et à
ses fonctions oppressives (ce qui est déjà un pas considérable pour l’extrême
droite française), et par cette incapacité à ce que l’espace militant épouse
lui-même une forme organique, le fond idéologique du projet demeure
incontestablement de l’ordre du totalitarisme fasciste. Son mode langagier
est l’expression d’un vitalisme qui rêve d’héroïsme avant d’être une
oscillation idéologique. En somme, la revendication d’une anthropologie
libertaire est ici la voie ouverte à la redéfinition d’un projet totalitaire.

156 Cf. G. L. Mosse, La Révolution fasciste, Le Seuil, Paris, 2003, pp.7-74.


157 L’expression de « peuple tout entier » se retrouve sans cesse, tant chez les nationalismes-révo-
lutionnaires du Tiers-Monde que chez les constitutionnalistes soviétiques ou les N.R. Elle permet,
entre autres, de fusionner le socialisme lassallien et la revendication d’une Volksgemeinschaft.
Conclusion
Déconstruire le fascisme

Les Nationalistes-Révolutionaires ont su fédérer leurs divers thèmes


de propagande et d’idéologie pour construire des mythes, tout à la fois
mobilisateurs et à divers niveaux de lecture. Leur construction relève
d’un processus d’hybridation, puisque c’est par l’usage de méthodes
d’apprentissage historique (imitation de la Révolution Conservatrice),
spatial (imitation de l’étranger) et via la Périphérie (imitation des autres
marges politiques) que les N.R. ont constitué un champ lexical d’où se
dégage leur ennemi total et leur vision globale. Ceux-ci se créent et se
diffusent avec un haut degré d’interconnexions lexico-idéologiques au sein
des extrêmes droites françaises et européennes et avec l’usage de termes et
thèmes qui sont des oscillateurs idéologiques.
En 1942, la part européiste et socialisante de la dialectique interne des
fascismes-mouvements européens de l’entre-deux-guerres a fourni les bases
d’un redéploiement de la propagande des fascismes-régimes. Les grands
axes idéologiques du néo-fascisme n’ont ensuite plus guère varié jusqu’à
nos jours. Dans la transmission de cette Weltanschauung sont de première
importance les jeunes collaborationnistes et Waffen S.S. non-Allemands et
l’exemple italien qui se veut un au-delà du fascisme dès 1943.
En 1962, l’extrême droite en France se voyait, pour la seconde
fois en vingt ans, idéologiquement laminée ; il s’avère que s’est produit
un cycle dans le nationalisme recouvrant la période 1962-2002, cycle
de réaménagement propagandiste, tactique, idéologique, stratégique,
lexicologique, qui prolonge et amplifie le virage néo-fasciste de 1942. En
1962, l’intention est d’inventer une nouvelle forme de nationalisme, en
particulier par la promotion d’un inter-nationalismes. Après 1968, c’est
226 NICOLAS LEBOURG

une volonté d’usage d’oscillateurs idéologiques qui est favorisée, préparée


déjà par l’adoption de la dialectique antisioniste en 1967. Dans ce cadre, les
appellations « nationalisme-révolutionnaire » et « N.R. » sont en fait posées
avant que ne soit formalisé ce qu’elles recouvrent, et elles sont interprétées
de manière très différentes selon leurs émetteurs. L’imitation des modèles
allemands et italiens joue un rôle essentiel d’approfondissement lexico-
idéologique – l’Organisation Lutte du Peuple servant souvent de sas initial
tandis que François Duprat effectue une mise en forme rendant la greffe
possible sur le substrat du nationalisme français.
La proclamation de foi dans un travail politique léniniste conforme
à une volonté révolutionnaire ne saurait dissimuler que, dans l’histoire
des N.R., d’une part les éléments « histoire des idées » et « histoire des
mouvements » y sont particulièrement tributaires de l’histoire des cadres
et de leurs interactions avec les extrêmes droites électorales, d’autre part
que les indications initiales sont biaisées, suite aux difficultés qu’elles
rencontrent face à un milieu militant et sympathisant peinant à suivre les
impulsions de son encadrement. Les efforts faits pour dépasser les réflexes
impérialistes, chauvins ou racistes sont systématiquement mis à mal peu
après, l’encadrement qui souhaite cette réorientation n’ayant en fait jamais
cessé, au contraire de ce qu’il proclame, d’appliquer l’adage «il faut bien que
je les suive, puisque je suis leur chef». Lé léninisme est plus un souhait et
une auto-représentation qu’une réalité empirique. Moins que d’idéologies,
les N.R. sont producteurs d’une radicalisation de thèmes émergents (leurs
querelles sur la structure et l’identité de l’Europe comme leurs visions des
rapports inter-ethniques ou géopolitiques sont les formes extrêmes de
débats courants dans l’espace public et elles les précèdent de peu nombre
de fois). Le nationalisme-révolutionnaire s’inscrit dans les évolutions de la
charnière idéologique constituée par les années 1960 et 1970 ; il s’agit là
non seulement de la phase de sortie de l’ère industrielle, de l’épuisement
du marxisme comme « vision du monde », mais aussi de la révolution
conservatrice néo-libérale accouchant de la globalisation.
C’est en cet «interregnum» que se prépare la mue des nationalismes,
accouchant des extrêmes droites actuelles marquées tout à la fois par un
caractère postindustriel et des valeurs postmatérialistes. Son développement
dans des cercles originellement simplement nationalistes est à lier à une
révolution des structures de l’économie et des équilibres géopolitiques,
indiquant ainsi un réel rapport historique dialectique entre Centre
et Périphérie politiques – et la marge politique s’avère un instrument
pertinent pour appréhender les évolutions de l’imaginaire social, i.e. de ce
qui travaille le socle socio-culturel sur lequel reposent les institutions de la
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 227

démocratie de marché. Quand sont observés les divers thèmes sur lesquels
les N.R. sont intervenus (mondialisation, impérialisme, anticléricalisme,
critique des libertés formelles, etc.), force est de constater que c’est le fait
de la société de ne vouloir entendre de la part des extrêmes droites que
les discours de socialisation du racisme. Cette offre idéologique des N.R.
est probablement facilitée par la volonté d’oscillation idéologique qui les
amène à glaner des éléments discursifs et analytiques en provenance de
différents champs politiques et culturels, et d’internationalisme, qui leur
permet de prendre connaissance et joindre tout ensemble des éléments
lexico-idéologiques en provenance des différentes nations d’Europe, mais
également de Russie, des Etats-Unis ou du Tiers-Monde.
L’unification européenne et l’alliance avec le monde arabe deviennent
dès lors des thèmes d’autant plus importants qu’ils permettent de passer du
nationalisme impérialiste, démonétisé idéologiquement, à un combat de
libération nationale qui, lui, est valorisé. Le « pacte de Yalta » et le duopole
U.S.A.-U.R.S.S. prennent ici intelligemment le rôle que tenaient le Traité
de Versailles et la Société Des Nations dans l’économie politique des
fascismes de l’entre-deux-guerres. Que le monde communiste s’écroule ne
change rien à l’affaire tant, dans cette grille de lecture, la rhétorique relative
à Israël offre de capacités de mutations et de perpétuations du discours.
L’imaginaire extrême droitier, même dans certains courants des nationaux,
est devenu nettement plus proche de celui du national-socialisme que du
fascisme italien de par sa velléité de construction d’un ennemi unique.
Et pour réaliser cette opération de mythification historique, des N.R.
n’ont pas craint d’effectuer l’opération inverse : affirmer qu’une évidence
historique, la réalisation rationalisée d’une politique exterminatrice du fait
du IIIe Reich, n’était rien moins qu’un mythe.
Est ainsi établie une vision du monde dont les applications politiques
qui en sont déduites sont soumises à une « révolution perpétuelle »,
pour reprendre une formule hitlérienne. Cette Weltanschauung structure
bien des courants nés du désir d’affirmer que la révolution n’était pas à
constituer sur des valeurs internationalistes mais nationalistes. Conscients
que les terme et thème « nationaliste » avaient perdu leur modernité, ils
leur ont cherché d’autres noms et principes : « socialisme-européen »,
« nationalisme-révolutionnaire », « solidarisme », « tercérisme », « national-
bolchevisme », etc. Le sigle N.R. a vidé le nationalisme-révolutionnaire
de la référence à la nation, et ces courants peuvent tous aisément être
regroupés sous cette unique étiquette.
Les mêmes cadres évoluent non pas d’un courant à l’autre, comme on
l’écrit, mais d’un positionnement à l’autre. L’analyse fixée sur la taxinomie
228 NICOLAS LEBOURG

et y voyant une réalité idéologique parvient alors à des mystère abyssaux,


l’observateur notant qu’un national-libéral d’hier est un national-
bolchevique d’aujourd’hui sis à la tête d’un mouvement solidariste aux
penchants völkisch, etc. Tandis qu’ils disposent d’un programme minimum,
les N.R. peuvent aussi bien : proclamer qu’ils sont les ennemis ultimes
de l’extrême droite réactionnaire et participer à l’encadrement et/ou à la
marge d’un parti national-populiste ; fournir l’encadrement à des partis
qui sont situés entre la droite et l’extrême droite parlementaires et sont
plus proches de la première ; appeler à la jonction avec les gauchistes et
se rapprocher des néo-nazis ; exalter les notions raciales et être jacobins ;
prôner l’action directe ou un patient travail de formation philosophique
à propos de découvertes archéologiques, etc. Un tel lot de contradictions
internes ne peut avoir pour analyse ni qu’il est la démonstration de
l’ambiguïté d’une philosophie politique, ni qu’il relève d’un manque de
cohérence politique, mais est la preuve, si on s’arrête à cette lecture, que
c’est le choix méthodologique qui est inopérant.
L’étude de la Révolution Conservatrice a permis aux N.R. de réussir
mieux qu’ils ne l’eussent pu par eux-mêmes la production de l’oscillation
idéologique, et elle leur a permis de s’en convaincre. En effet, leur intérêt
pour les gauchismes n’a jamais été jusqu’à l’imprégnation idéologique,
mais l’oscillation a été rendue possible par l’adoption de la représentation
de l’espace politique par l’image du « fer à cheval » et par la proclamation
de la logique interne des oxymorons… Cette représentation a fasciné les
N.R. et leur a permis de se construire. Pourtant, leur histoire n’avalise pas
ce schéma. Si, dans le système politique français contemporain, le dessin de
l’axe droite - gauche fonctionne comme représentation du politique, c’est
lorsqu’il s’agit des mouvements qui participent à ce système composé des
institutions et du socle socio-culturel sur lesquelles elles reposent. Tel n’est
pas le cas de ceux qui, en 1962, ont choisi de se qualifier de « nationalistes »
pour constituer une extrême droite au-delà de l’extrême droite, pour
représenter une tendance en opposition totale, politique, culturelle et
philosophique, au « Système ». Ils peuvent se mouvoir jusqu’au bord
extérieur de cet axe, dans les partis et clubs des droites et des nationaux.
Dans la métaphore de l’axe droite - gauche, ce point ultime des droites
peut se nommer «B», l’axe du système politique, «S», allant jusqu’au point
ultime des gauches, «A». Les nationalistes n’oscillent jamais culturellement
et philosophiquement vers la gauche, mais uniquement à propos de
questions politiques au sens concis du terme (choix économiques, choix
de soutien à tel ou tel belligérant dans un conflit, mode d’appréhension
des modalités techniques de l’action partisane, etc.). Dans un plan à trois
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 229

dimensions (politique, culture et philosophie) l’image du fer à cheval n’est


pas opératoire : l’extrême droite ne peut pas parvenir à progresser vers la
gauche.
Quand elle le tente, que fait-elle ? Elle transforme son positionnement
politique (pourquoi pas jusqu’à son utopie) mais non ses fondamentaux
philosophiques et culturels (ce qui est conforme à son idée que la
Weltanschauung supplante l’idéologie). C’est-à-dire qu’elle s’est déplacée
dans son propre espace, sans aucunement interagir avec tout ce qui est au-
delà du point «B». De même, l’appel nationaliste à l’union des extrêmes
aboutit-il non à une rencontre avec l’extrême gauche, mais à une union de
tous ceux à droite dont la Weltanschauung est opposé au système politique
en vigueur. Elle peut, en revanche, évoluer encore et se repositionner,
parvenant parfaitement à épouser assez de formes pour que l’on ait une
surproduction taxinomique. Elle est donc un point situé à droite de «B»
et qui se déplace de manière circulaire pour ne jamais revenir exactement
au même lieu, ni tout à fait s’en séparer. C’est, par exemple, du même
document de 1989, interprété par le même encadrement, que naissent
Nouvelle Résistance et Unité Radicale, si différentes de prime abord. Ce
mouvement rappelle celui que la Révolution Conservatrice, la Nouvelle
droite et les N.R. voient dans le temps : une sphère qu’on peut mouvoir
mais qui ne revient jamais exactement au même point. L’extrême politique
correspond fort bien à cette image de sphère. Si ni l’axe rectiligne, ni le
fer à cheval, ne sont des représentations corroborés par les mouvements
N.R., qui sortent effectivement de ces plans géométriques, on peut
toutefois les lire sur cette figure sphérique. Le point qu’ils y représentent
circule du « socialisme-européen » au « communautarisme », du « national-
bolchevisme » au « solidarisme » ; on peut les y observer aller se rapprocher
du libéralisme ethnocratique puis du néo-nazisme (et, bien sûr, on peut
observer des néo-nazis évoluer vers le traditionalisme révolutionnaire, etc.).
L’oscillation idéologique est le déplacement de ce point sur cette sphère,
non le déplacement du nationalisme dans le socialisme. Ni fer à cheval, ni
ligne droite, la représentation de l’espace politique, confrontée à la réalité
des mouvements riches en oscillations idéologiques, montre une forme
autre. Si est supposé que ce schéma peut se retrouver après le point «A»,
alors, pour rester dans la stylistique d’une image aussi triviale, et donc
évocatrice, que celle du fer à cheval, disons qu’un axe ayant des sphères
à ses extrémités pourrait se rapporter à une image simple : un bâton de
majorette...
Ainsi, l’affirmation courante dans les études du politique selon
laquelle les soubresauts de groupuscules ne constituent pas un objet digne
230 NICOLAS LEBOURG

d’analyse est allée de pair avec l’usage des taxinomies d’auto-désignation


produites par les dits groupuscules. Cette situation a contribué à dessiner
un champ de l’extrême droite en courants monolithiques, en dépit des
permanents transferts d’idées, méthodes, slogans, capital humain. Au sein
même du système politique concurrentiel, les groupuscules trouvent leur
importance en leur travail de « veilleurs » et de fournisseurs de concepts et
éléments discursifs aux structures populistes qui ont, quant à elles, accès
à l’espace médiatique1. Refuser de s’intéresser aux spasmes des milieux
groupusculaires aboutit ainsi à abandonner la réalité empirique pour
construire des objets proprement inexistants, à prendre au pied de la lettre
les auto-représentations, transformant l’analyste en vecteur inconscient des
propagandes.
Les N.R. naissent à l’extrême droite néo-fasciste, s’y développent
et y demeurent. Leur caractère de «gauche» s’inscrit dans ce cadre
et, bien moins que relevant de l’histoire des idées, il témoigne d’une
histoire des représentations. Leur auto-représentation s’inscrit dans leur
relation privilégiée à la Révolution Conservatrice, dont ils s’affirment les
descendants. R Steuckers précise en un entretien, avec certes un souci
polémique et concurrentiel, un état des lieux qui est aussi une critique
positive de l’action menée :

Dans la plupart des cas, les cercles actuels, dits nationaux-


révolutionnaires, souvent dirigés par de faux savants (très prétentieux),
de grandes gueules insipides ou des frustrés qui cherchent une
manière inhabituelle de se faire valoir, se sont effectivement borné à
reproduire, comme des chromos, les phraséologies de l’ère de Weimar.
C’est à la fois une insuffisance et une pitrerie. Ce discours doit être
instrumentalisé, utilisé comme matériau, mais de concert avec des
matériaux philosophiques ou sociologiques plus scientifiques, plus
communément admis dans les institutions scientifiques, et confrontés
évidemment avec la réalité mouvante, avec l’actualité en marche. Les
petites cliques de faux savants et de frustrés atteints de führerite aigüe
ont évidemment été incapables de parfaire un tel travail2.

1 La Nouvelle droite et les N.R. ont donné trois idées au F.N. : l’anti-immigration, l’anti-améri-
canisme, l’anti-sionisme, et l’ont ainsi armé lexico-idéologiquement, tandis que, quand bien même
ce parti n’a pu disposer d’importantes responsabilités, la pression qu’il a exercée sur le débat n’a cessé
de mener à des modifications de la législation relative à l’immigration (le F.N. étant bien en, ce sens,
un parti-lobby dont l’action est en grande part du domaine métapolitique).
2 « Questions à Robert Steuckers : pour préciser les positions de Synergies Européennes », s.d.,
web site Eurocombate.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 231

Derrière les mots vengeurs, est dit un fait : les N.R. ne descendent
pas de la Révolution Conservatrice, ils y remontent. Ce qu’ils créent
comme icône est une illusion historique : le nationalisme-révolutionnaire
des années 1970-2000 est foncièrement révolutionnaire-conservateur
mais il ne provient pas directement de la Révolution Conservatrice et du
nationalisme-révolutionnaire allemands de l’entre-deux-guerres. Que ce
soit en France, en Belgique, en Allemagne, en Espagne, en Suisse, en Italie,
en Russie, aux Etats-Unis, en Angleterre, partout où se porte le regard,
surgit le même schéma : des néo-fascistes cherchent une modernité et ils
la trouvent en greffant à ce qu’ils sont une Révolution Conservatrice qu’ils
découvrent d’abord par sa modélisation historique. Comment pourrait-il
en être autrement, puisque la Révolution Conservatrice sous Weimar et les
non-conformistes en France n’existent (aussi) que parce que des historiens
ont synthétisé en objets historiques des nébuleuses où les structures se
reconnaissaient entre-elles des points communs, mais où jamais on n’avait
déclaré constituer un ensemble en soi ? La nébuleuse et son unité culturelle
sont des faits historiques mais la théorisation minitueuse de leur unité
idéologique est le fait de la méthodologie historique3.
S’ajoute à cela le rôle essentiel tenu dans la transmission d’une
Weltanschauung fasciste par des personnes qui étaient de jeunes adultes
durant l’entre-deux-guerres et qui transmettent après 1945 une perception
très subjectivée des problématiques du fascisme : est produit une étiquette
dont il est finalement logique qu’elle soit soit si malléable, et qu’elle soit
en usage pour évoquer des néo-fascistes sans guère de rapport avec la
thématique anti-impérialiste, aussi bien qu’en voulant la réserver à une
lignée précise remontant aux ultras de la Révolution Conservatrice. Le
jeu même des divergences entre groupes N.R. en concurrence se fait
finalement par la manière dont ils se dessinent une ascendance remontant

3 Lorsque meurt Mohler, la presse N.R. lui rend hommage en spécifiant que son ouvrage mo-
délisant la Révolution Conservatrice eut « une influence fondamentale (avec ceux de Louis Dupeux
et de Jean-Pierre Faye) sur la redéfinition de la doxa N.R. A ce titre, nous sommes collectivement
redevables au professeur Mohler » (Résistance, septembre 2003). Le cas est plus que rarissime d’un
courant qui se baptise d’abord, puis se cherche, se trouve chez des historiens du politique, et re-
prend des idées d’un phénomène passé en affirmant en descendre. Quand U.R. affirmait chercher
à regrouper les « nationalistes-révolutionnaires et révolutionnaires conservateurs », elle signifiait
parfaitement comment des étiquettes comme la Révolution Conservatrice nées d’une modélisation
historique (même si le terme a été utilisé par Dostoïevski et Moller van den Bruck) sont devenus des
courants contemporains, tandis que sa concurrence avec Terre et Peuple se voyait intellectuellement
légitimée par la différenciation entre N.R. et Völkischen durant Weimar.
232 NICOLAS LEBOURG

à l’entre-deux-guerres4.
L’élément central, celui sur lequel se sont fondées toutes les tentatives
militantes et intellectuelles du nationalisme-révolutionnaire, est un mot
plus qu’une idée : l’Europe. Il est, en ce sens, un réarmement intellectuel
et militant. Mythe mobilisateur, il est un redéploiement axial mû par des
intellectuels ayant constaté l’échec de leurs travaux précédents. Ils ont usé
d’un duopole U.R.S.S.-U.S.A., puis du binôme U.S.A.-Israël, ou finalement
U.S.A.-islam puis islam-immigrés, comme d’un mythe mobilisateur
négatif, figure de l’ennemi devant permettre l’unité de l’Europe. Par ces
thématiques, ils ont émis et mis en place des concepts tabous sans cela
dans le paradigme républicano-libéral. Il apparaît en effet que les discours
sur l’Europe (et ses régions) peuvent (aussi) être les vecteurs d’un potentiel
ethniciste.
C’est autour de questions lexicales qui sont des questions de
représentations (soi-même ; l’ennemi principal ; la Révolution ; la
communauté populaire ; la connexion ethnie-nation-Europe) que
peuvent se lire évolutions, crises, input et output idéologiques au sein
du nationalisme-révolutionnaire, que se dessine le jeu de l’oscillation
idéologique. Le discours émis génère peut-être plus de l’idéologie qu’il n’est
produit par elle. Le champ lexical s’avère fondamental : sur les ruines du
discours Algérie française et la récupération du discours de gauche sur la
« Nouvelle Résistance » et la « cause des peuples » s’est édifiée une éristique
précise qui n’est pas restée circonscrite à la marge.
Les thèmes N.R. sont, pour une grande part, le transfert au bénéfice de
la « Grande Europe » de données lexico-idéologiques relatives à la mystique
de la « Grande Allemagne ». En 1918, c’est à gauche que naissait en
Allemagne le terme de Volksgemeinschaft, mot qui glissa dans le vocabulaire
nazi. Ce dernier, essentiellement l’œuvre de Goebbels et des Strasser, s’est
nourri des divers vocables en présence, et puisa volontiers au sein d’une
Révolution Conservatrice qui, elle aussi, n’hésitait pas à reprendre à son
compte les vocables des gauches afin de « gagner la révolution » (Moeller
van den Bruck). La galaxie des extrêmes droites fustige alors en son entier
le « Systemzeit » (« Système »), i.e. la République de Weimar, l’intrusion de
« la philosophie des Droits de l’Homme » et de son « cosmopolitisme », et
c’est à elle que Niekisch demande que l’on oppose une « Résistance ». Ce
champ discursif resurgit en France et Belgique, avec la lutte pour l’Algérie

4 Pour Duprat, le nationalisme-révolutionnaire c’est d’abord le nationalisme français, U.R. n’hé-


site pas à décréter Bucard N.R., tandis que pour le P.C.N. le seul regard historique viable situe le
nationalisme-révolutionnaire de Niekisch jusqu’à lui.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 233

française, et retrouve un autre ensemble lexical. Pour le N.S.D.A.P., le


« Système » allait conjointement avec le « Kulturbolschewismus » (bolchevisme
culturel). Rosenberg vit en lui l’élément désintégrant l’âme du peuple, et
si pour Hitler ces agents sont les juifs voulant faire perdre aux Allemands
leurs « racines », pour Goebbels il s’agissait des cosmopolites. Ces concepts
se sont revivifiés et se sont hybridés, via les reproductions volontaires mais
bien plus involontaires, grâce à un comportement politique plus post-
moderne que dogmatique, ainsi que par la circulation des champs lexicaux
propagandistes extrémistes au sein du système politique. Ce processus
témoigne qu’il existe une Weltanschauung du champ, de la Révolution
conservatrice aux N.R., en passant par des personnalités telles que Binet,
Yockey, etc.
La thématique de l’ennemi principal a alors largement puisé aux
sources d’imaginaire offertes par le négationnisme. Elle permet, cela est
essentiel, de transformer des militants « nationaux » en « nationalistes » non
récupérables idéologiquement par la droite modérée. Le même thème n’a
eu de cesse d’être redéfini : serait organisée une destruction biologique et
culturelle de l’Europe par les binômes impérialistes susdits. Y sont pointés
du doigt les maîtres d’œuvres « sionistes » de cette politique « mondialiste »,
depuis la thématique du « pacte de Yalta » jusqu’à celle de la colonisation
de l’Europe par un « gouvernement d’occupation sioniste ».
Les N.R., s’inspirant dès lors de la propagande maoïste, se voient tels
les « Nouveaux Résistants » en lutte contre le « Système », totalitarisme qui
veut imposer son paradigme matérialiste cosmopolite grâce à ses « collabos »
qui favoriseraient l’immigration. Le « One world » s’imposerait grâce à
celle-ci, détruisant le substrat ethno-culturel indo-européen, selon un plan
rendu possible par « le mythe de la Shoah ». Celui-ci inhiberait la réaction
populaire raciste et permettrait aux « sionistes » d’imposer leur ordre – les
N.R. reprennent dès 1967 la propagande soviétique assimilant sionisme et
nazisme. La revendication de la filiation avec Niekisch ou Valois permet,
dans ce cadre, de se présenter comme l’immuable combattant du « nazisme
génocidaire », de se démarquer de l’icône marginalisante entre toutes qu’est
le nazisme, en même temps que sont avancés mixophobie, antisémitisme
et antisionisme radical5. Recréant d’une part le passé continental, d’autre
part l’Histoire des peuples, celle des migrations et cultures, l’idée N.R.,
qui affirme vouloir chercher en ces racines (terme fondamental de son

5 En ce sens, le choix de la rétorsion du champ lexical relatif à la Seconde guerre mondiale contre
les gauches et contre les groupuscules nationalistes concurrents témoigne aussi à quel point il n’est
plus de place sociale pour qui ne s’inscrit pas dans la représentation de l’anti-nazisme. Il démontre
l’échec absolu de la lutte contre le paradigme « résistancialiste ».
234 NICOLAS LEBOURG

éristique) les principes de l’édification de son Ordre nouveau, effectue


cette sortie du temps qui serait typique du « système totalitaire ».
La réflexion sur l’Europe comme mode de résurrection du nationalisme
dépasse le strict milieu qui se dit N.R., puisqu’elle suit directement
l’écroulement de l’Axe. Binet fonde son Combattant européen en 1946,
Mosley envisage l’Europe comme une nation avec la fondation de l’Union
Movement en 1948, ex-collaborationnistes et ex-Waffen S.S. jettent
ensemble les bases du M.S.E. en 1951. Les idées qui sont ici avancées sont
ensuite reformulées après 1968 par la nébuleuse issue d’Europe-Action qui
se qualifie de « socialiste-européenne », avec une exigence ethnorégionaliste
dans la constitution de l’Europe. Ainsi, les prototypes des discours N.R.,
quels qu’en soient le sujet, ne se trouvent ni à Jeune Nation ni à Occident,
même si ce sont de ces lieux que proviennent les premiers cadres N.R.,
mais dans Socialisme européen, Pour une jeune Europe ou Réalités Socialistes
européennes. Le nationalisme-révolutionnaire est un fascisme conséquent
puisqu’il lie tout ensemble ce souhait de révolution géopolitique et celui
d’une révolution culturelle, puisqu’il est plus soucieux d’une révolution
ontologique que socio-économique. Ce néo-fascisme a pour trait distinctif
saillant de prôner l’Europe organique par collaboration des nationalistes
anti-impérialistes constituant l’avant-garde de leurs nations prolétaires, ce
qui a été parfois interprété comme le signe d’un mouvement sinistriste de
l’extrême droite, quand il s’inscrit dans un mouvement en soi du fascisme.
En effet, l’idéologie et la pratique européistes du néo-fascisme ne peuvent
être disjoints de l’histoire du Nouvel ordre européen bâti par le IIIe Reich.
Ayant récusé les options anti-occidentales et d’orientation à l’Est,
défendues par la Révolution Conservatrice ou par O. Strasser, le IIIe Reich
s’est converti à un européisme de façade, par la nécessité de réorienter
la guerre face aux difficultés du front de l’Est, transformant la Waffen
S.S. en une armée pléthorique aux allures de tour de Babel – la « grande
armée européenne » dans le discours d’U.R. Le virage européiste de la
propagande nazie, le programme de la République Sociale Italienne, et le
collaborationnisme ont en fait donné forme à un néo-fascisme qui ne naît
donc pas après la guerre mais durant celle-ci, marqué par la composition
désormais ethno-nationale de la Waffen S.S. et son utopie néo-impériale
dirigée contre le mythe du judéo-américano-bolchevisme. Cette vision
fasciste européiste du monde est ensuite redéployée sur le mythe de «Yalta»
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 235

et sur celui du complot mondialiste6.


La volonté de construire une Europe qui serait la forteresse des
« hommes différenciés » est la conséquence géopolitique du refus de
participer à un monde dominé par le « Système ». Cette « Révolte contre
le monde moderne » parcourt l’histoire de l’extrême droite, depuis que
la Révolution industrielle a provoqué un ample mouvement contre la
modernité (Drumont, Maurras), avec ce que Z. Sternhell a analysé comme
une « droite révolutionnaire », dont une branche devait évoluer de manière
radicale, par exemple avec la fondation du Cercle Proudhon ou de la
revue L’Ordre nouveau. Le discours N.R. est dès lors une perpétuation du
«reactionary modernism» inscrite dans le schéma utopiste, i.e. celui d’une
« résistance à la modernité (…) qui se marque par son refus de l’hubris et
de l’illimitation, et par le résidu du monde ancien (pré-moderne) qu’[il]
transporte7 », d’où le poids des références à Evola et à la Révolution
Conservatrice allemande (nation comme colonie de l’Occident, orientation
à l’Est, union des «peuples opprimés» et «nations prolétaires», etc.).
L’idéologie N.R. surgit donc de la rencontre du champ lexical
propagandiste d’un champ politique mis en forme par l’histoire-discipline
(la Révolution Conservatrice) avec la négation comme idéologie politico-
historique : le nationalisme-révolutionnaire est sans doute autant une
histoire qu’il en a une. C’est dans cette même optique que se situe l’obsession
pour la géopolitique : une reformulation dogmatique mais surtout un
évitement. En effet, plus que de géopolitique, il faudrait évoquer une «géo-
idéologie», tant il s’agit toujours de déplacements spatiaux de doctrines
sur des espaces, d’un déplacement spatial du politique, conditionné par
la fixation sur le clivage ami-ennemi. L’utopie déduite vient ainsi offrir
un monde «en plein» où se réunifient espace, temps et communauté du
peuple. La « vision globale du monde » est aussi une « vision du Monde ».
Elle se constitue et évolue en montrant qu’elle est une culture rhizome,
apte à tenir compte des travaux politologiques et historiques, se saisissant
d’éléments en diverses nations, témoignant ainsi que son «internationalisme
anti-cosmopolite» est autant une doxa qu’une praxis.

6 Bardèche écrivait : « Le rêve des puissances fascistes d’avant-guerre de constituer un Empire


Européen, qu’il ait été sincère ou non, est une nécessité grave et pressante de notre temps. Nos
nations ne peuvent plus retrouver la puissance qu’elles ont définitivement perdue en 1945 qu’au
sein de cet Empire d’Europe qui peut seul leur assurer les moyens de leur défense et de leur véri-
table liberté. Les doctrinaires du néo-fascisme sont donc résolument européens. Ils ont reporté sur
l’Europe les rêves de grandeur et de prestige qu’ils avaient autrefois pour leur patrie » (M.Bardèche,
1961, p.110).
7 R. Redeker, « La Vraie puissance de l’utopie », Le Débat, mai 2003, p.111.
236 NICOLAS LEBOURG

Elle est bel et bien non révolutionnaire mais révolutionnaire


conservatrice, au sens où elle s’accorde avec Moeller van den Bruck sur
l’idée que la révolution n’est qu’un « détour révolutionnaire » dont le
but reste le retour à l’Ordre. Toutefois, il ne fait pas de doute que, si la
Révolution conservatrice allemande représente une source idéologique
prioritaire, la tradition du socialisme utopique français ne doit pas être
mésestimée. Blanqui et Proudhon sont constamment cités en référence, et
il ne s’agit pas d’un de ces détournements dont les gauches se plaignent de
la part des extrêmes droites. Par l’étude des géopolitologues allemands, des
nationalistes arabes, viennent se régénérer les réflexions sur l’organisation
du monde, par ces penseurs du XIXe siècle sont en place les grandes thèmes
du socialisme tel que l’envisagent les N.R. C’était d’ailleurs le legs du
socialisme français qui mena Déat du socialisme national au socialisme
européen aspirant à une Europe fédérée aux dimensions eurasiatiques – mais
celle-ci était aussi un mode de légitimation et de théorisation nationales du
Nouvel ordre européen naissant sous les bottes S.S.8 Ainsi, se dessine un
objet qui éclaire les problématiques des échanges internationaux de biens
culturels, de la construction du fascisme français, et de la transformation
en Europe du nationalisme en nationalisme-européen.
En outre, le nationalisme-révolutionnaire ne se limite pas à une
dynamique mais se doit aussi d’être perçu dans sa structure interne.
L’espace de ce nationalisme est celui d’une nébuleuse d’interconnexions.
Qu’il s’agisse de l’idéologie ou des structures militantes, dont la fonction
n’est résolument pas l’émission d’« idées » mais la production d’une
énonciation politiquement opératoire, il apparaît que l’analyse nécessite
l’usage méthodologique des notions de champ, de rhizome, d’idéal-type
et de gestaltthéorie. Il ne s’agit pas de générer une thèse conceptualiste à
propos d’une essence supra-historique d’un phénomène, mais de travailler
à une analyse historique des faits, i.e. une analyse des faits dans un espace-
temps donné qui, parce qu’elle est multi-causale, se doit aussi d’être pluri-
conceptuelle.
L’absence du « parti fasciste » a été d’abord interprété en France comme
celle du fascisme (René Rémond), puis la découverte d’idées pré-fascistes
à la charnière des deux précédents siècles a entraîné une réévaluation du
phénomène (Zeev Sternhell) pouvant, dans une phase hystérique, voire
manipulatrice, du « Syndrome de Vichy » (Henry Rousso), mener jusqu’à

8 Cette conception alla de l’utopie au déni du réel : les Alliés à quelques kilomètres de Paris, Déat
rêvait d’un nouveau pacte germano-soviétique propre à vaincre les Anglo-américains… derrière
l’anecdote c’est un fait qui transparaît : l’idéologie est une vision du monde qui sert aussi à rendre
supportable le vécu de ses adeptes.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 237

l’idée que « l’idéologie française » serait celle d’un autoritarisme antisémite


confondu dans le même mouvement avec le fascisme. Cette dernière
conception a été amplement diffusée dans les masses de par la tendance
sociologique des faiseurs d’opinion à puiser au second marché intellectuel,
la production culturelle devenant un élément d’éloignement du réel.
Ce n’est pas parce que l’avant-garde fasciste française du premier
XXe siècle provient de l’Action Française que celle-ci devient pour autant
un mouvement « fasciste » – c’est là transformer la chronologie en causalité.
Valois, Brasillach ou Drieu La Rochelle sont fascistes parce qu’ils rompent
avec la pensée de Maurras, non car ils en proviennent. Que dit Valois
lorsqu’il demande que les fascistes français restent fidèles à leurs sources,
arguant que les « Jacobins ont forgé la notion de l’Etat totalitaire » ? Que
dit Doriot quand il s’écrie que « nous n’avons pas attendu la victoire de la
l’Allemagne sur la France pour découvrir le national-socialisme, et pour
proposer des solutions nationales-sociales à notre pays » ? Ils se légitiment
en produisant un ensemble de signes où s’entremêlent input d’éléments
extra-nationaux et affirmation d’une tradition nationale spécifique, au
cours plus long que celui des modèles italien et allemand. Les traditions
sont faites pour être inventées selon les nécessités politiques de l’instant
présent, et Valois est bien l’homme qui, tout à la fois, affirme que le
fascisme était idéologiquement entier dans la France de l’avant Première
Guerre mondiale et qui considère que c’est l’expérience de cette guerre qui
a fait des fascistes ce qu’ils sont9. C’est-à-dire que, puisque le fascisme est
empirisme, ses adeptes français sont résolument libres de composer leurs
discours en puisant des signes selon leurs desiderata, dans un axe qui est
plus celui d’une esthétique que d’un programme.
Quelles que soient les diverses définitions données du fascisme par
les historiens, l’évidence première reste qu’« on cherche en vain le livre du
fascisme : cette Bible n’existe pas »10. Puisque le fascisme est empirisme
d’abord, il se reconnaît par ses éléments constituants perçus sous l’angle
de la gestaltthéorie. Lorsque Valois le définit selon la formule arithmétique
« nationalisme + socialisme = fascisme », il ne convainc pas, car le
phénomène ne peut être ramené à ses seules composantes additionnées :
ce sont les nœuds qui connectent entre eux ses signes et leur donnent une
nouvelle forme générale qui constituent ce que l’on reconnaît alors comme

Si Valois reconnaît à l’Italie d’avoir donné son nom et ses manières au fascisme il ne cesse jamais
d’affirmer que cette idéologie c’est celle du nationalisme fin de siècle en France et que son fondateur
c’est Barrès, socialiste nationaliste républicain et antiparlementaire ayant su regrouper autour de lui
des hommes de gauche et de droite.
10 M. Bardèche, 1962, p.87.
238 NICOLAS LEBOURG

« fascisme ». Cette forme générale se caractérise pourtant par une plasticité


certaine tant dans le domaine des divers thèmes programmatiques avancés
par les fascistes que dans celui de leurs alliances et références.
Si, durant l’entre-deux-guerres, la France connaît un puissant
phénomène d’antilibéralisme qui repose amplement sur son histoire
nationale, les faits fascistes y demeurent somme toute de l’ordre des
groupuscules et de l’acculturation d’éléments étrangers sur le substrat
du nationalisme fin de siècle. Ainsi, les non-conformistes ne sont-ils
pas des fascistes, mais ils contribuent à « l’esprit des années trente » et à
« l’imprégnation fasciste » (Raoul Girardet). Divisés en groupes, chapelles,
journaux, ils ne s’en reconnaissent pas moins tous un lien de parenté entre
eux et, avant que 1934 ne réarrange chacun dans le clivage droite-gauche,
ils évoquent un « Front commun » constitué par les groupes épars de la
jeunesse opposée à la démocratie bourgeoise – L’Ordre Nouveau en tête,
de même qu’il s’intéresse particulièrement à l’international, aux anarcho-
syndicalistes espagnols comme aux nazis de «gauche» allemands, porte son
regard sur l’Italie fasciste puis sur les Soviets11. Sous Vichy, le refus de
Pétain de mettre en place un parti unique, les rivalités entre groupes et
personnalités, ont abouti au tableau peint par Pierre-Antoine Cousteau
dans le numéro de Je suis partout du 17 septembre 1943 :

Le fascisme français, cela existe. Ce n’est pas un parti (c’est, si


l’on veut, une poussière de partis), mais c’est surtout un état d’esprit,
un ensemble de réflexes, une manière héroïque de concevoir la vie,
c’est beaucoup de dureté et beaucoup d’exigence, c’est une constante
volonté de grandeur et de pureté, c’est l’acception de l’Europe sans
renoncement national, c’est le socialisme sans les juifs, c’est la raison
et c’est la foi 12.

Quel mot pourrait-on enlever pour décrire l’objet de la présente


étude ? Le fascisme en France est constitué d’une pléthore de groupes aux
maigres effectifs (le parti de Doriot lui-même n’est pas un réel parti de
masse et conserve une imprégnation contre-révolutionnaire, il est plus
une organisation-référence de son espace que «le parti fasciste français»). P.
Burrin le souligne, « même en y incluant le mouvement de La Rocque, ce
qui reste problématique, les troupes de ce fascisme avoisineraient la barre du
million d’adhérents, soit bien moins que 5% de la population adulte13 ».

11 J-L. Loubet del Bayle, 2001, pp.108-111 et pp.183-192.


12 Cité in J-L. Maisonneuve, L’Extrême droite sur le divan, Imago, Paris, 1991, p.31.
13 P. Burrin, 2001, p.261.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 239

Non seulement le fascisme français ne se reconnaît pas un élément aussi


important qu’un Guide, mais cet aspect a même été théorisé par les
hommes de la Cagoule, de Deloncle arguant en 1941 que « des sociétés
secrètes convenablement morcelées, séparées les unes les autres : [c’est là]
le point capital », au Mouvement Social Républicain de la fin de Vichy,
considérant que le fascisme est « une «nouvelle chevalerie», mais sans chef,
ce qui doit favoriser le regroupement des forces collaborationnistes14 ».
Ce fascisme français tente, pour se construire et développer, de se
nourrir d’éléments de langage, de pratiques, correspondant à des réussites
étrangères. Il est un ensemble diffus, avec ses groupuscules et media qui
peuvent chercher à s’interconnecter pour aboutir à un tout supérieur à
la somme des éléments joints, comme dans le cas des créations du Front
Révolutionnaire National et de la Légion des Volontaires Français contre
le bolchevisme. Balayé avec la Libération, il trouve refuge dans une
micro-société underground, tels les groupuscules de Binet et Bardèche. Il
n’entame sa revitalisation qu’avec le contre-coup de la déroute de l’O.A.S.
Les jeunes de la Fédération des Etudiants Nationalistes qui rompent avec
Pierre Sidos rompent également avec un néo-pétainisme dont le fichier
racine idéologique, malgré une admiration certaine pour les phénomènes
fascistes, demeurait le nationalisme-intégral.
Ces jeunes gens qui donnent jour au nationalisme-révolutionnaire et
à la Nouvelle droite se nourrissent certes des écrits de l’avant-garde fasciste
du premier XXe siècle, mais la formulation de leurs thèses, ils la génèrent
en puisant d’abord chez Binet ou Yockey. Ceux-ci ont été, n’importe la
nullité de leur importance en termes de «parti fasciste», des passeurs de
la vision fasciste du monde entre les deux moitiés du XXe siècle. C’est
par le jeu de greffes d’éléments disséminés, provenant d’un spenglérien
américain ex-adepte de Coughlin, d’un Waffen S.S. français strasserien
et ex-trotskyste, que s’amorce un élément de rénovation du champ des
extrêmes droites... Grâce à cet effort, les jeunes militants ont pu aller de
l’avant vers des thèses toujours plus en rupture avec la physionomie du
nationalisme-intégral, vers celles de Thiriart, un ancien socialiste puis
collaborationniste belge, vers celles de Saint-Loup, un ancien socialiste
puis Waffen S.S. français mystique, vers celles, enfin, de la Révolution
Conservatrice allemande ou du bouillonnement néo-fasciste italien. Ici
aussi se retrouvent acculturation, hybridations, bricolage idéologique,
transmission de ce qui est jugé l’élément premier : la Weltanschauung du

14 Cités in P. Burrin, 1995, p. 421 ; D.G.S.N., Partis et groupements politiques d’extrême droite…,
daté janvier 1956, p.4 (A.N. F7/15591).
240 NICOLAS LEBOURG

fascisme et non ses chemises et ses bottes. Ce procédé de rhizome culturel


n’est pas neuf, il fut donc en partie celui de leurs aînés dans leur rupture
avec Maurras au profit du choix de la voie fasciste.
Or, l’expérience de la Grande Guerre et le contre-coup de la
Révolution russe furent la matrice de la forme classique du fascisme et de
la manière dont il se rêve, débouchant sur la constitution d’un Parti de
masse hiérarchisé et militarisé appelé à réaliser une osmose avec la société
et l’Etat. Mais ce n’est donc pas cette forme qu’il a épousé en France
durant le premier XXe siècle, et ce qui caractérise l’histoire des étudiants
nationalistes sous la IVe République, c’est, précisément, « la constitution
de réseaux15 ». Ensuite, la volonté de renverser l’Etat a radicalisé ce trait :
« les groupes d’action sont extrêmement compartimentés, séparés par des
cloisons étanches » note un rapport policier dédié à la surveillance des
préparatifs de la tentative de putsch. Suite à l’échec de celle-ci, un autre
rapport précise :

Le calme absolu dont fit preuve la Métropole au cours des


évènements du 24 janvier 1960 fit comprendre aux animateurs des
organisations ultras que la formule d’une minorité agissante, organisée
rationnellement, en réseaux et cellules et assurés du concours de
l’armée, était la seule viable pour préparer avec des chances de succès un
véritable coup d’Etat, dont l’initiative devrait, comme précédemment,
être prise à Alger, mais cette fois-ci par des militaires et non par des
civils16.

De l’O.A.S., les nationalistes ont retenu, comme le signale leur


document fondateur Pour une Critique positive, que le combat de « noyaux »
avait été plus important et rentable que celui de «l’organisation». Le trait
va ainsi s’accentuant, l’extrême droite radicale épousant une forme de
rhizome et non de « parti-milice ». Ces groupes basistes, ils les veulent
intégrés à un espace social ou géographique circonscrit et composés de
révolutionnaires professionnels ; ils ne les envisagent pas déstabiliser ce
que, comme la Révolution Conservatrice, ils nomment le « Système »,
autrement que par des réseaux, à l’échelle nationale (franc-maçonnerie
d’extrême droite, clubs, etc. composant le « Mouvement » en sus du « Parti
révolutionnaire »), et internationale. C’est, là aussi, l’héritage de l’O.A.S.,

15 O. Dard, 1997, p.262.


16 Renseignements Généraux, « Le Complot contre la Ve République », 9 décembre 1960, p.3 ;
Direction des Renseignements Généraux, Sûreté Nationale, « La Rébellion en Métropole », s.d.,
p.2 (A.N.F7/15646).
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 241

comme le précise D. Venner, en reprenant la terminologie de Thiriart,


symptôme du poids qu’ont pris les contacts avec la Belgique : les activistes
français ont trouvé hors de leurs frontières des « poumons extérieurs » les
soutenant et jetant les bases de la « Jeune Europe »17. Thiriart aussi passe
au premier plan de l’action transnationale suite à son engagement dans
le soutien à l’O.A.S., et sa rencontre avec le néo-fascisme international
à Venise. Que font les militants les plus conscients lorsque s’écroule la
nébuleuse qu’est Europe-Action (avec ses deux syndicats, ses deux partis
«unitaires», ses deux revues nationales et sa presse locale) ? Ils fondent
une multitude de petits groupes qui se disent « socialistes-européens », ne
présentent aucun lien entre eux, comme s’ils étaient autant d’initiatives
locales de militants neufs en politique, et cherchent à créer des connexions
avec les milieux de gauche18.
Comme le parti de masse fasciste avec ses uniformes et son guide était
redevable à l’expérience de la mobilisation militaire de la Grande Guerre,
les «nouveaux nationalistes» qui émergent adoptent la structure de réseaux
invisibles constitués de noyaux, telle qu’ils l’avaient connue dans leur lutte
pour l’Algérie française. Ils les veulent dotés de ce qu’ils affirment avoir
manqué à l’O.A.S. par la faute des « nationaux » : une stratégie et une
idéologie révolutionnaire – à défaut, d’une Weltanschauung. Ils le font
sans mythe du Guide et du Sauveur, sans porte-parole établi, à la base.
Cela ne signifie pas pour autant un consensus, car le champ des extrêmes
droites françaises est, dans le domaine de ses contradictions internes,
marqué par ses luttes de pouvoir (souvent hâtivement qualifiées de lutte
de tendances) et son fonctionnement autiste. L’imitation fonctionne
bien mieux dans l’international que dans le local – ainsi quand les N.R.
français reprennent via les N.R. allemands des éléments qui proviennent
de la Nouvelle droite française. Ce mimétisme international permet une
bien plus facile homogénéisation entre nationalistes, et donc de construire
des réseaux internationaux. En effet, il est plus facile à deux groupes
français de s’entendre avec des formations qui ne les concurrencent pas
et permettent, bien au contraire, de les valoriser en surjouant le thème de

17 Pour une Critique positive, s.p. Les extrêmes droites peuvent s’adonner à la constitution de ces
réseaux avec une mythomanie typique. L’Esprit public annonce ainsi sur toute sa quatrième de
couverture la naissance d’un « organisme de liaison secret » de… journalistes, créé… en avril 1964
(L’Esprit public, décembre 1964).
18 Ce qui est traduit dans le discours émis par cette formule de Socialisme européen qui affirme se
situer dans le sillon « de la jeune gauche française dans le cadre de clubs aux structures souples »
censément mieux adaptés à la vie démocratique que les vieux partis monolithes (Socialisme européen,
n°1, 1967).
242 NICOLAS LEBOURG

«l’Internationale» (des réseaux et simples contacts en fait, dans presque


tous les cas), que de tirer un trait sur leur spécificité, i.e. sur une autonomie
assurant la préservation du capital social symbolique de leur encadrement.
Le rhizome fasciste français de l’avant-guerre n’était peut-être pas
pleinement adapté à l’époque industrielle, mais il se fortifie et se développe
avec l’ère post-industrielle. Il en épouse plus naturellement les contours,
tant les cartes territoriales du politique sont reconstruites dans cette phase.
D’une soixantaine d’Etats en 1939, le monde passe à 118 en 1963 et 196
en 200019. Les économies nationales n’existent plus, effacées au profit
de marchés connectés tandis qu’un nouvel ordre politique émerge par la
croissance exponentielle du nombre d’organismes intergouvernementaux
et d’organisations non-gouvernementales. En fait, selon Eric Hobsbawm,
« nous traversons une curieuse combinaison de technologies de la fin
du XXe siècle, de libre-échange du XIXe et de renaissance des centres
interstitiels du type de ceux qui caractérisaient le commerce mondial
au Moyen-Age20 ». La Guerre froide, en plaçant face à face les réseaux
secrets de déstabilisation de deux seuls camps idéologiques, encourage sans
doute aucun le phénomène de rhizomes extrémistes (que l’on songe aux
manipulations de vrais-faux terroristes néo-nazis par l’Est ou à la stratégie
de la tension à l’Ouest). La décolonisation mène à l’éclosion d’un concept
comme la francophonie – le mot naît en 1959 – autrement dit de l’idée
d’un espace fluide commun basé sur une unité de culture produite par une
unité de langage21.
En ce contexte, le monolithisme national apparaît de manière
croissante comme un anachronisme, une butte-témoin enkystée dans la
révolution mondialiste. La Nouvelle droite et les N.R. suivent l’évolution
en travaillant non plus tant à des internationales léninistes qu’à des réseaux
européens regroupant ceux qui partagent une culture politique commune –
et, moins que pour une nation, ils combattent pour une vision qui puisse
donner sa cohérence à la dialectique entre le local et l’international.
Il s’avère que, selon le modèle analytique de R. Griffin, l’existence de
groupes infra-groupusculaires, mais inter-connectés, actifs hors du cadre
d’une sous-culture politique nationale, a constitué un champ d’énergie
idéologique à l’intensité supérieure à celle de chacun de ses différents
nœuds. Sans centralisation, sans chef, pourquoi pas sans militant – mais

19 P. Rosanvallon, 2003, p.40.


20 E. Hobsbawm, Nations et nationalisme depuis 1780 : programme, mythe, réalité, Gallimard,
Paris, 1992, pp.231-232 et p.249.
21 L’apparition du thème de la francophonie n’est peut-être pas étrangère à celle du « francisme »
et de la « francité », de même que le nationalisme-européen est lié à la perte de l’Algérie française.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 243

non sans volonté, avec hétérogénéité et éclectisme idéologiques – telle est


la forme adoptée internationalement par le néo-fascisme22.
Le cas français s’inscrit dans ce schéma global avec une physionomie
particulière. Entre l’idée de l’allergie au fascisme et celle, ô combien
excessive, d’une « idéologie française » d’autant plus tout en fascisme(s)
que la moindre notion d’exaltation de l’Etat, du peuple et de la nation, se
voit rapportée à ce phénomène, figure une troisième voie. Celle-ci s’inscrit
d’ailleurs dans la continuité de l’analogie réalisée par Pierre Milza entre
la société française des années trente, avec sa « contamination, par zones
concentriques plus ou moins fortement imprégnées d’idéologie fasciste
ou fascisante, et qui reste au demeurant minoritaire », et l’imprégnation
national-populiste de cette société à compter de l’éclosion du F.N.23 Le
statut de parti-lobby du F.N., dont le rapport entre masse électorale et
nombre de militants est extrêmement faible, n’est rien d’autre que la
conséquence de cet état.
Le fascisme français ne correspond ni à la morphologie du Fascisme
(Parti mobilisant les masses), ni à l’ensemble de ses signes (absence
d’impérialisme belliqueux) mais jouit d’une forme générale qui lui est
propre. Sur les bases du nationalisme des nationalistes, le fascisme français se
produit, de 1919 au temps présent, par hybridation de signes, globalement
extra-nationaux, dans un processus de rhizome culturel qui correspond à
sa structure de rhizome d’organisations de faible densité quantitative et
sans réelle figure du Guide, inséré dans le champ des extrêmes droites. Le
second XXe siècle voit l’accentuation de cette structuration sous l’effet des
contre-coups de l’Epuration, des formes basistes du combat de l’O.A.S.24,
puis de son échec, de la révolution mondialiste (multiplication des Etats,
perte de pans de leur souveraineté, marché mondial) par la dialectique entre
la superstructure nationaliste et les infrastructures (au sens marxiste de ces
formules). Le phénomène de rhizome s’internationalise conformément
à l’évolution néo-fasciste générale et à cette révolution mondialiste. Le
déplacement du parti national-populiste sur des positions idéologiques
proches de celles des néo-fascistes (1995-1998) se réalise en faisant de lui
l’élément axial du rhizome néo-fasciste par absorption de ses structures, de
ses cadres, mais sans que ceux-ci abandonnassent un seul instant le travail
en rhizome ou ne se convertissent à la figure du Sauveur.
In fine, après la Seconde Guerre mondiale, le fascisme français s’est

22 R. Griffin, « The Incredible shrinking ism : the survival of fascism in the post-fascist era », R. Grif-
fin dir., 2002, pp.4-5.
23 P. Milza, 1987, p.59.
24 Cf. O. Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, Paris, 2005.
244 NICOLAS LEBOURG

réfugié dans la transmission de sa Weltanschauung – une révolte moderne


contre le monde moderne, une « révolution conservatrice » dont la
philosophie politique est un « naturisme radical »25 et le but idéal-typique
une palingénésie communautariste26. Les références et clins d’œil ont
d’ailleurs beau être permanents dans la presse néo-fasciste, c’est toujours
plus de l’éternelle Sparte dont les N.R. sont en quête que d’un succédané
de la Rome ou du Berlin fascistes — Umberto Eco parlerait d’Ur-
fascisme. C’est sans doute cet enfouissement idéel dans un underground
social qui aboutit d’une part à la prégnance de l’histoire des idées sur le
renouvellement idéologique du fascisme, d’autre part à la capacité de
reformation permanente du phénomène néo-fasciste. Au début du XXIe
siècle, le fascisme en tant que substrat idéologique a survécu, mais il a
perdu tout ce qui en était les signes patents, qui ne furent in fine que des
concepts adjacents, une forme relative à l’ère industrielle. D’où peut-être,
en un ultime paradoxe, l’échec même de la rénovation du fascisme par
l’adoption des mœurs et idées d’un national-bolchevisme qui était avant
tout « un romantisme politique pour la société industrielle27 ».
Le néo-fascisme qui naît en 1942 n’a ainsi pas réalisé de rupture
complète avec le fascisme mais, par rapport à celui-ci, il privilégie la société
à l’Etat, l’Europe aux anciennes nations. Cette physionomie n’est pas
dissociable de l’évolution des contextes sociaux, politiques et économiques,
pas plus que de l’histoire des marges dans la dialectique interne du fascisme
durant sa première période (1919-1941). Le rejet de l’Etat au profit de
la société durant la post-modernité est un trait saillant qui renvoie à ce
temps mais aussi, sans doute, aux jeux de miroir avec les extrêmes gauches,
Emilio Gentile ayant souligné que si le fascisme avait été l’anti-thèse du
communisme c’était car le premier était une « idéologie de l’Etat » quant le
second s’avérait être une « idéologie de la société28 ».
Mus par une pensée historique et une pratique historiographique,
les N.R., malgré leur manque de prise sur le réel, ne doutent pas qu’ils
participent à un flux de l’histoire. De ces groupuscules innombrables qui
sont la réalité militante du néo-fascisme français, Bardèche avait imaginé,
dès 1961, non leur succès mais l’intérêt qu’ils pourraient provoquer :
« l’histoire de ces groupes tentera sans doute quelque jour un curieux. Il
y trouvera des exemples d’énergie, de dévouement, de désintéressement,

25 Cf. Pascal Ory, 2003.


26 Cf. R. Griffin, « Interregnum or Endgame ? Radical Right Thought in the ‘Post-fascist’ Era », The
Journal of Political Ideologies, vol 5. n°2, 2000, p. 163-178.
27 L. Dupeux, 1979, p.542.
28 E. Gentile, Qu’est ce que le fascisme ?, Gallimard, Paris, 2004, p.136.
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 245

de courage obstiné dans la pauvreté la plus totale. Qu’il ne s’étonne pas,


ce sont les qualités du fanatisme29 ». Le curieux survenu aime à parfois
relire la « Généalogie du fanatisme » de Cioran ; il s’y arrête à d’autres
conclusions.

29 M. Bardèche, 1961, p.101.


Index
Abellio, Raymond : 200
Abetz, Otto : 29
Action Directe : 215
Action Française : 7, 59, 237
Action Nationaliste : 103
Aflaq, Michel : 150
Aktion Neue Rechte : 120, 187
Aktion Widerstand : 119, 120
Albertini, Georges : 39, 104
Allard, Jean-Pierre : 101
Alliance marxiste-révolutionnaire : 139
Almirante, Giorgio : 146
Alternativa Europea : 71, 110
American Nazi Party : 106, 194
Anpilov, Victor : 93
Arafat, Yasser : 36
Arctogaïa : 91
Armée rouge japonaise : 145, 154
Association des Amis du Grand Reich Allemand : 8, 27
Aubron, Joëlle : 215
Avanguardia Nazionale : 104
B’nai B’rith : 174, 190
Ba’th : 150-152
Baader, Andreas : 37, 53, 85, 145
Badinter, Robert : 166
Baillet, Philippe : 50, 91
Bakounine, Michel : 223
Balladur, Edouard : 86, 166
Bardèche, Maurice : 20-21, 39, 94, 100, 104, 126, 143, 148-149, 172-173, 175, 183,
188, 205, 235, 237, 239, 244.
Barrès, Maurice : 53, 237
Barrientos Ortuño, René : 34
Barthélémy, Victor : 162
Barzach, Michèle : 152
Bastide, Jacques : 175
Bataille, Yves : 39, 44, 47, 104, 151, 164, 198, 200, 207-208
Battara, Marco : 93
Bauer, Otto : 73
Baumann, Jean : 104
Baumgardner, John : 134
248 NICOLAS LEBOURG

Béaur, Fabrice : 82
Beck, André-Yves : 84, 124
Ben Bella, Ahmed : 32
Ben Laden, Oussama : 154, 157
Benoist Alain de : 8-9, 24, 47, 50-54, 56, 59-60, 64-66, 83-84, 87, 93, 109, 111, 128,
131, 179, 191-192, 198, 201, 206, 214-216
Bensaïd, Daniel : 205
Berdiaev, Nicolas : 103
Bergson, Henri : 103
Besse, Georges : 215
Binet, René : 18-22, 24, 43, 45, 81, 86, 95, 100-101, 105, 126, 128, 141, 173, 175,
188-189, 212, 234, 239
Black Panther Party : 87, 134
Blanqui, Louis-Auguste : 80, 218, 236
Bloc Antibolchevique des Nations : 28
Blot, Yvan : 152
Blum, Léon : 18, 174
Bodolis, Gaël : 72
Bombacci, Nicolas : 70-71
Borde, Jacques : 198
Bordes, Gérard : 32, 36
Borghese, Junio Valerio : 104
Bormann, Martin : 118
Borth, Fred : 28
Bouchet, Christian : 14, 52, 68-69, 74, 76-79, 84-85, 88, 93-94, 134, 145, 154, 182
Bourdieu, Pierre : 88
Bourgeois, Léon : 103
Bousquet, Pierre : 18
Bové, José : 205
Brasillach, Robert : 99, 237
Brière, Jean : 83-84, 87
Brigades Rouges : 37, 53, 70-71
Brigneau, François (Allot, Emmanuel, dit) : 160
British National Party : 194
British Union of Fascists : 8
Brunerie, Maxime : 191
Brzezinski, Zbigniew : 198-199, 207
Bucard, Marcel : 18, 24, 32, 232
Bush, George Walker : 204
Bush, George Herbert Walker : 83, 152
Capotondi, Nino : 104
Carlos (Ramirez Sanchez, Illich, dit) : 154
Carter, Jimmy : 174
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 249

Castrillo, Jean : 18
Castro, Fidel : 34
Cau, Jean : 53
Central Intelligence Agency : 104
Centre d’Etudes Doctrinales Julius Evola : 50, 215
Centre d’Initiative Progressiste Européen : 47
Centre de Documentation Politique et Universitaire : 38, 41, 47
Comité National Français : 21
Centre d’Etudes Politiques et Sociales Européennes : 33
Cercle Copernic : 57
Cercle Louis Rossel : 215
Cercle Proudhon : 60
Cercle Vilfredo Pareto : 51
Chavez, Hugo : 154
Che Guevara, (Guevara, Ernesto dit) : 34, 53
Chevènement, Jean-Pierre : 67, 204, 207
Chirac, Jacques : 59, 77, 166, 191
Choukeiry, Ahmed : 36
Churchill, Winston : 99
Ciano, Galeazzo : 125
Clausewitz, Carl von : 64
Clémenti, Pierre : 194
Clermont-Tonnerre, Stanislas de : 129
Club de l’Horloge : 53, 57-59, 182, 189-190, 207
Codreanu, Corneliu : 40
Cohen, Marc : 89
Collectif d’Etudes pour le Monde Contemporain : 57
Cologne, Daniel : 50
Comité Anti-Sioniste : 93
Comité d’Action et de Défense des Belges d’Afrique : 27
Comité de Coordination des Forces Nationales : 21
Comité de Liaison Européen Révolutionnaire : 39
Comité de Liaison des Nationalistes-Révolutionnaires : 110
Comité pour une Ligue Nationaliste-Révolutionnaire : 110
Comités d’Action Républicaine : 59
Comités Tixier-Vignancour : 31
Confédération Générale du Travail : 87, 138
Conseil central pour un solidarisme européen : 103
Conseil Représentatif des Institutions juives de France : 205
Corradini, Enrico : 42, 177
Coston, Henry : 145-146, 174, 186
Coudroy, Roger : 184
Coudenhove-Kalergi, Richard : 124
250 NICOLAS LEBOURG

Coughlin, Charles : 21, 239


Cousteau, Pierre-Antoine : 238
Couteaux, Paul-Marie : 179
Cresson, Edith : 166
Crowley, Aleister : 94
Cukierman, Roger : 205
Culbert, Charles : 21, 119
Cuncolta : 214
Curcio, Renato : 37
Daeninckx, Didier : 88
Darnand, Joseph : 18
Daye, Pierre : 118, 124
Déat, Marcel : 18-19, 30, 44, 102, 236
Debbaudt, Jean-Robert : 104
Debord, Guy : 51, 90, 221
Debray, Régis : 90, 179
Degrelle, Léon : 64, 152
Delaporte, André : 101
Deleuze, Gilles : 90
Delle Chiaie, Stefano : 104
Deloncle, Eugène : 239
Del Valle (Alexandre ; D’Anna Marc dit) : 197-200, 203-206, 208
Département Protection et Sécurité : 58
Deutsche Reichspartei : 28
Deutsche Soziale Union : 40
Dick, Phlip K. : 115
Didier, Edouard : 29
Didier, Lucienne : 29
Dior, Françoise : 145
Djemal, Heïdar : 93
Domenach, Jean-Marie : 89
Doriot, Jacques : 18, 39, 81, 87, 162, 237-238
Dostoïevski, Fedor : 231
Drieu La Rochelle, Pierre : 39, 44, 157, 212, 238
Drumont, Edouard : 53, 60, 80, 123, 147, 235
Dugin, Alexandre : 87-94, 98, 130-131, 195, 199, 206, 217
Dumézil, Georges : 64, 200
Dun, Robert : 185
Duprat, François : 13, 21, 23-24, 38, 40, 43, 45, 48, 52, 58, 71, 81, 86, 98, 101, 103,
106, 115, 121, 134, 139, 141-143, 145, 147-148, 150-151, 154, 160-165, 167, 176,
178, 185, 191, 226, 232
Dupuis, René : 29
Eco, Umberto : 88, 244
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 251

Ecolo-J : 84, 179


Ehrhardt, Arthur : 104
Eichberg, Henning : 40
Eichmann, Adolf : 137, 196
El Bakr, Ahmed : 36
Eltsine, Boris : 92
Eltzbacher, Paul : 221
Emilanu, Ion : 28
Engdahl, Per : 104
Etudes, Recherches et Orientations Européennes : 57
Eurafrika : 28
Eurasia : 130
Europa Civiltà : 103
Europa Riezel : 213, 215
Europafront : 28, 107
Europe-Action : 7, 9, 19, 22-24, 26, 30-31, 34, 39-40, 51, 80, 101-102, 105, 111-112,
121, 127, 160-161, 194, 200, 205, 213, 241
European Liberation Front : 100, 108, 173
Euskadi Ta Askatasuna : 213
Evola, Julius : 30, 35, 38-40, 46-48, 50-52, 64-67, 90-91, 156, 159, 188, 200, 210,
219-220, 235
Faci, Michel : 23
Farrakan, Louis : 134
Fatah : 14 3, 145, 154-155, 188
Faye, Guillaume : 50-55, 57-58, 60, 64-65, 68, 92, 111, 188, 195-196, 198, 200-203,
206, 208, 214
Fédération d’Action Nationaliste et Européenne : 19, 31, 63, 145, 175, 214
Fédération d’Action Républicaine : 59
Fédération de la Gauche Démocrate et Socialiste : 9
Fédération des Etudiants Nationalistes : 23, 25-26, 31, 40, 102, 160, 239
Fédération Générale des Etudiants européens : 31
Ferreira, Zarco : 104
Fersan, Henri de (Picard, Christophe, dit) : 194
Fichte, Johann Gottlieb : 55
Fontaine, Pierre : 141, 160
Forces Nouvelles : 56-57, 63
Ford, Henri : 40
Forum Provence : 64
Forza Nuova : 50
Fouéré, Yann : 213, 222
Frachon, Benoït : 138
Fraction Hexagone : 72
Francolini, Bruno : 30
252 NICOLAS LEBOURG

Freda, Franco (dit Giorgio) : 23, 38, 40-42, 48-50, 53, 63-64, 89, 92, 133, 145-146, 187
Fredriksen, Marc : 145
Freson, Pierre : 57
Froissard, Michel : 55
Front de la Jeunesse : 63
Front de Libération de l’Europe de l’Est : 103
Front de Libération de la Bretagne : 215
Front de Libération National Corse : 133, 214-215
Front de Libération Nationale : 33
Front Européen de Libération : 41, 82, 84-85, 89, 92-94, 96-97, 107-112, 130, 179,
197, 221
Front Islamique du Salut : 133
Front National : 13, 23, 49, 56-59, 61, 66, 68-69, 73-79, 83, 87-89, 94, 97, 110, 123,
151-153, 160-171, 189-191, 202, 222-223, 230, 243
Front National Bolchevik : 93
Front National-Européen : 32
Front National de la Jeunesse : 58, 72, 77, 122
Front National de Salut : 90, 92
Front Nationaliste : 57, 63
Front Noir : 93, 100
Front Noir International : 100, 101
Front Noir-Rouge-Vert : 82, 109, 205
Front Populaire de Libération de la Palestine : 133, 145, 154, 204
Front Révolutionnaire National : 19, 239
Front Uni Antisioniste : 145
Gallois, Pierre-Marie : 198, 206, 207
Garaudy, Roger : 84, 214
Garde de Fer : 28
Garvey, Marcus : 133
Gauche Marxiste : 139
Gauche Prolétarienne : 87, 140, 154
Gelli, Licio : 104
Genoud, François : 118
Giovane Europa : 28-29
Giovane Nazione : 41
Giscard d’Estaing, Valéry : 59, 166
Gobineau, Arthur de : 40
Goebbels Joseph : 6, 42, 44, 105, 131, 178, 232-233
Gofman, Patrick : 85, 87
Gondinet, Georges : 50
Gorbatchev, Mikaïl : 83
Gramsci, Antonio : 220
Griotteray, Alain : 58
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 253

Groupe Collaboration : 18-19


Groupe Union-Droit (puis Groupe Union et Défense) : 58, 76, 98, 157, 206, 214
Groupement de Recherche et d’Etudes pour la Civilisation Européenne : 7, 19, 22, 28,
31, 45, 48, 50-54, 56-61, 64, 67-68, 70, 84, 87, 90, 101, 109, 121, 130, 133-134, 159,
177-179, 194, 197-198, 200-202, 215-216
Groupes Nationalistes-Révolutionnaires (de Base) : 10, 12, 43, 50, 97, 148, 164-165,
175, 178
Grünen : 82, 85
Guénon, René : 156
Guiano, Henri : 131
Guillaume, Pierre : 85, 215
Günther, Hans Friedrich Karl : 64, 215
Habache, Georges : 145, 155
Halimi, Gisèle : 83
Hallier, Jean-Edern : 86-87
Halter, Marek : 152
Hamas : 155, 157, 204
Haushofer, Karl : 63, 118, 130, 199
Heidegger, Martin : 64
Herder, Johann Gottfried : 55, 114, 201
Hervé, Gustave : 108
Hess, Rudolf : 63
Himmler, Heinrich : 196
Hitler, Adolf : 6, 12, 27, 41, 44, 72, 93, 114, 118-119, 125, 134-135, 141, 143, 152,
176, 181, 233
Hitlerjugend : 43, 104
Hoxha, Enver : 64
Huntington, Samuel : 198
Hussein, Saddam : 152-153, 156
International Third Position : 41, 49-50
Irish Republican Army : 133
Izetbegovic, Alija : 207
Jacquard, Jean-Claude : 32
Jeanne, Yves : 19, 105, 126, 185
Jeunes de l’Esprit Public : 32
Jeunes de l’Europe Nouvelle : 19, 30, 43, 214
Jeune Europe : 28-33, 46, 63, 103, 106-107, 111, 150
Jeune Garde : 58
Jeune Garde Socialiste : 27
Jeune Nation : 13, 24-27, 102, 194, 234
Jeunesses Identitaires : 206
Jirinovski, Vladimir : 92-93
Jong Europa : 28
254 NICOLAS LEBOURG

Jünger, Ernst : 9, 48, 54, 62, 70-71, 90, 154, 196, 213
Junges Europa : 28
Junges Forum : 102
Juntas de Ofensiva Nacional Sindicalista : 211
Kadhafi, Mouammar : 40, 49, 64, 148
Kelist, Peter : 28
Kérensky, Alexandre : 72
Khomeyni,Rouhollah : 49-50
Knobel, Marc : 203-204
Kommunist Partei Deutschlands : 6, 12, 40, 82
Krebs, Pierre : 60
Ku Klux Klan : 152
La Rocque, François : 238
La Tour du Pin, René : 52
Lacoste, Yves : 206, 208
Lagrange, Léo : 18
Lasalle, Ferdinand : 82
Le Bon, Gustave : 117, 180
Le Chevallier, Cendrine : 82
Le Gallou, Jean-Yves : 51, 58
Le Pen, Jean-Marie : 58-59, 78-79, 87, 101, 131, 151, 163-164, 166-167, 169-170, 172,
194, 202, 205, 215
Lecerf, Emile : 30-31, 34, 63, 176-177, 190
Ledesma Ramos, Ramiro : 108
Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme : 19-20, 239
Legion Europa : 28
Légion Nationale : 27
Lénine (Oulianov, Vladimir Ilitch, dit) : 7, 14, 32, 40, 64, 72-73, 130, 173, 193
Lévy, Bernard-Henry : 152
Ligatchev, Egor : 93
Ligue Communiste (puis Ligue Communiste Révolutionnaire) : 138-139
Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme : 165
Ligue Nordique : 64, 111
Likoud : 203
Limonov, Edouard : 93, 154
Loge P.2. : 104
Longuet, Gérard : 166
Lorenz, Konrad : 61
Lotta di Popolo : 39, 41, 44-45
Luca, Charles : 102, 136
Lutte Ouvrière : 73, 140, 180
Luyt, Guillaume : 79
Mabire, Jean : 18, 22-24, 32, 53, 105, 136, 143, 198, 212, 214, 216
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 255

Machiavel, Nicolas : 32, 65


Mackinder, Halford John : 199-200
Madole, James Hartung : 126, 134
Mahler, Horst : 85
Maistre, Joseph de : 65
Malet, André : 206, 208
Malliarakis, Jean-Gilles : 51, 53, 57, 60, 68, 87, 89, 122, 132, 166-168, 179-180, 216
Man, Henri de : 29
Mao, Zedong : 32, 41, 64, 193
Marc, Alexandre : 222
Marchais, Georges : 166
Maréchal, Samuel : 58, 77
Marie, Romain (Antony, Bernard dit) : 185
Marsan, Eddy : 78
Marx, Karl : 218
Mathieu, Olivier : 215
Maurras, Charles : 7, 177, 184, 220, 235, 237, 240
Mazzini, Giuseppe : 29-30
Mégret, Bruno : 58-59, 77-79, 97, 154, 164, 166, 169-170, 190, 194, 198, 202
Meunier, Gilles : 36, 184
Michel, Luc : 37, 62-64, 82, 93, 107
Milice : 19-20, 25, 152, 160
Milosevic, Slobodan : 198
Mishima, Yukio : 157
Mitterrand, François : 9, 86, 151
Moch, Jules : 81
Moeller vand den Bruck, Arthur : 9, 48, 59, 90, 114, 148, 211, 231-232, 236
Mohler, Armin : 9, 47, 67, 80, 231
Monroe, James : 117
Mordrel, Olier (Mordrelle, Olivier, dit) : 213
Mordrel, Trystan : 214
Mosley, Oswald : 8, 100, 102, 104, 125, 128, 234
Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et pour la Paix (puis Mouvement contre
le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples) : 78, 165, 184
Mouvement d’Action Civique : 27, 28, 102
Mouvement du Peuple Européen : 104
Mouvement du Peuple Français : 101
Mouvement Ecologique Indépendant : 84
Mouvement Jeune Révolution : 103
Mouvement National Républicain : 77-78, 97, 196, 202
Mouvement Nationaliste Révolutionnaire : 10, 49, 51-52, 54, 56, 58, 60, 87, 122-123,
132, 148, 167, 178, 180, 182, 217-218
Mouvement Populaire Européen : 21, 101, 108
256 NICOLAS LEBOURG

Mouvement Populaire Français : 101


Mouvement Social Européen : 19, 21-22, 104, 111, 148-149, 234
Mouvement Social Républicain : 239
Mouvement Socialiste d’Unité Française : 81, 95-96
Mouvement Socialiste Populaire : 63
Mouvement Solidariste Français : 103
Movimiento Social Republicano : 110, 112
Movimento Sociale Italiano : 21, 49, 102-104
Movimiento Sociale Italiano-Fiamma Tricolore : 50
Mudry, Thierry : 64, 90
Mussolini, Benito : 5, 29, 66, 93, 152, 203
Mutti, Claudio : 33, 41, 49
Narodno Trudovoï Soyouz : 103
Nasser, Gamal Abdel : 32, 142, 151
Nation Europa : 56, 104
Nation of Islam : 133-134
National Alliance : 194
National Front : 49, 56, 161-162, 165, 194
National Renaissance Party : 62, 126
Nationaldemokratische Partei Deutschlands : 28, 118-120, 194
Nationalrevolutionäre Aufbauorganisation- Sache des Volkes : 39, 71, 82, 85, 120
National-Socialist White People’s Party : 194
National-Sozialistische Deutsche Arbeiter Partei Auslands-Organisation : 105
National-Sozialistische Deutsche Arbeiter Partei : 23, 40, 63, 81, 100, 114, 125, 131, 156,
180, 221, 233
Naumann, Werner : 105
Niekisch, Ernst : 5, 40, 54, 56, 62, 64, 67, 70-71,119, 211, 232-233
Nouvel Ordre Européen : 22, 28, 30, 43, 85, 101, 104-105, 111, 116, 125-126, 128
Nouvelle Résistance : 10, 40-41, 49, 52, 60, 68-76, 83-84, 87-91, 95-96, 100, 107-110,
123, 132, 134-135, 148, 156, 179, 187, 191, 195, 216-218, 220-223, 229
Nouvelle Résistance Populaire : 187
Occident 2000 : 63
Occident, Mouvement : 25, 31, 39, 102, 115, 145, 214, 234
Okamoto, Kazo : 145
Ordine Nuovo : 39, 104
Ordre Nouveau : 13, 25, 39, 58, 115, 145-147, 162-163, 169, 214, 222, 224
Organisation Communiste Internationaliste : 85
Organisation Communiste Libertaire : 139
Organisation Révolutionnaire Marxiste : 139
Organisation de l’Armée Secrète : 8, 23, 26-28, 35, 103-104, 111, 148, 191, 239-241,
243
Organisation de Libération de la Palestine : 36, 138, 140, 148, 153
Organisation Lutte du Peuple : 9, 39, 44-48, 65, 90, 104, 120-121, 140, 164, 226
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 257

Oriach, Frédéric : 215


Ortega y Gasset, José : 30
Pablo (Raptis, Michel) dit : 43
Paetel, Karl Otto : 221
Pamiat : 90, 131
Pan-African International Movement : 133-134
Pan-Europe : 124
Pareto, Vilfredo : 51, 64, 67
Parti Communautaire Européen : 33-37
Parti Communautaire National-européen : 30, 47, 64, 82-83, 85, 123, 148, 152, 205,
207, 232
Parti Communiste de la Fédération de Russie : 92
Parti Communiste Français : 20, 54, 66, 73, 81, 87- 90, 92-93, 120, 162-164, 166, 170,
175, 182, 187
Parti Communiste Internationaliste : 81
Parti Communiste Ouvrier de Russie : 93
Parti Européen : 63
Parti Français National-Communautaire : 19
Parti franciste : 24-25
Parti Indépendant National-Socialiste d’Allemagne : 81
Parti National Breton : 213
Parti National-Européen : 102
Parti National Fasciste : 42
Parti National Patriotique : 89
Parti National Radical : 93
Parti National-Socialiste de Californie : 141
Parti National-Socialiste Syrien : 143
Parti Nationaliste Français et Européen : 60, 72
Parti Populaire Français : 19-20, 25, 152, 162, 180
Parti Populaire Syrien : 143
Parti Prolétarien National-Socialiste : 116
Parti Républicain : 58
Parti Républicain d’Unité Populaire : 81
Parti Socialiste : 166
Parti de la Renaissance Islamique du Tadjikistan : 93
Parti des Forces Nouvelles : 58-59
Patin, Jean-Pierre : 64
Parvulesco, Jean : 53, 200
Pearson, Roger : 111
Peltier, Martin : 166
Pennaod, Goulven (Pinault,Georges, dit) : 214
Penz, Lothar : 28
Perón, Juan : 154, 158
258 NICOLAS LEBOURG

Pétain, Philippe : 213, 238


Phalange : 33
Phalange française : 101-102, 136, 143, 176, 188
Pierce, William : 194
Pinochet, Augusto : 104
Pol-Droit, Roger : 88
Pol Pot (Saloth, Sar, dit) : 64
Polícia Internacional e de Defesa do Estado : 33, 36
Popper, Karl : 91
Poutine, Vladimir : 130
Powell, Enoch : 161, 193
Proudhon, Pierre-Joseph : 80, 82, 213, 222-223, 236
Quatrième Internationale : 43, 108, 111
Raoult, Eric : 166
Rassemblement de l’Esprit Public : 23
Rassemblement Européen de la Liberté : 101
Rassemblement pour la Libération de la Palestine : 143
Rassemblement Pour la République : 61, 109, 166, 190
Rassemblement Socialiste Européen : 31
Rassemblement Travailliste Français : 81
Rassinier, Paul : 141
Rauti, Pino : 50, 104
Rebatet, Lucien : 144
Rebelles Européens : 72
Recours aux forêts : 85
Reichspartei : 102
Résistance Verte-Earth First ! : 85
Revolutionary Klan : 133
Rex : 29
Rex National : 57
Ribbentrop, Joachim von : 27, 30
Rivière, Jean-Claude : 101
Robert, Fabrice : 72, 76-77, 79, 84, 202
Rockwell, Lincoln : 106
Romains, Jules : 210
Roosevelt, Franklin Delano : 122, 144, 183
Roosevelt, Théodore : 117
Roques, Henri : 101, 215
Rosenberg, Alfred : 143, 181, 195, 233
Rossel, Louis : 218
Rossi, Jean-Michel : 213
Rote Armee Fraktion : 37, 53, 85, 154
Saint Loup (Augier, Marc dit) : 18-19, 22, 39, 47, 144, 188, 194, 212, 239
LE MONDE VU DE LA PLUS EXTRÊME DROITE 259

Sarkozy, Nicolas : 131


Sauveur, Yannick : 47, 210
Schirach, Baldur von : 196
Schmetz, Georges : 26
Schmitt, Carl : 9, 16, 21, 34, 48, 65, 70, 90, 118, 195, 199
Schmitt, Matthias : 30
Schneider, Michel : 88, 93
Section Carrément Anti-Le Pen : 74
Sérant, Paul : 198
Sergent, Pierre : 151
Servan-Schreiber, Jean-Jacques : 152
Sharon, Ariel : 204
Sidos, Pierre : 24, 25, 145, 239
Sieyès, Emmanuel-Joseph : 128
Sinn Fein : 133
Smahi, Farid : 202
Sorel, Georges : 16, 82, 180, 203
Sorman, Guy : 185
S.O.S. Identité : 60
Southgate, Troy : 110-111
Sozialistiche Reichpartei : 100
Spengler, Oswald : 9, 21, 48, 56, 90, 114, 117, 201, 211, 213
Staline, Joseph (Vissarionovitch Djougachvili, Joseph dit) : 91, 93, 99, 113, 174, 200
Steuckers, Robert : 53, 55, 57, 60, 64, 67, 88, 90, 93, 109, 159, 197, 203, 215, 230
Stoleru, Lionel : 165
Strasser, Gregor : 6, 62, 232
Strasser, Otto : 6, 40, 64, 71-72, 80, 93, 100-101,108, 145, 173, 188, 211, 232, 234
Sturn Abteilungen : 72
Synergies européennes : 41, 47, 101, 109, 197-198, 200, 203, 205-206
Taguieff, Pierre-André : 88, 91
Tandler, Nicolas : 39
Tarchi, Mario : 60
Terraciano, Carlo : 93
Terre et Peuple : 79, 194-197, 202-203, 231
Terza Posizione : 41, 49-50, 56, 70
Thion, Serge : 85
Thiriart, Jean-François : 8, 26-39, 47- 48, 51, 53, 56-57, 60-67, 70, 73, 90-95, 101, 103,
107-108, 116-118, 120, 125, 128-130, 144, 148, 154, 179-180, 183, 200, 206, 211,
239, 241
Thorez, Maurice : 87
Tillenon, Yann-Ber (Jean-Pierre, dit) : 215
Tito (Broz, Josip, dit) : 32, 81
Tönnies, Ferdinand : 6, 55
260 NICOLAS LEBOURG

Troisième Voie : 10, 31, 49, 56-60, 67-73, 83, 87, 108, 132, 148, 152-153, 178, 192,
216, 218
Tsahal : 136-137, 144, 152
Tupamaros : 37, 70
Union Jeune Europe : 29
Union Movement : 8, 100, 102, 234
Union Nationale des Etudiants Arabes : 72
Union Nationale des Etudiants de France : 25
Union pour la Défense de la République : 120
Union pour la Démocratie Française : 61, 189, 190
Union pour une Majorité Populaire : 204
Unité Radicale : 10, 25, 52, 58, 69, 73, 76-79, 85, 94-95, 97-98, 110-112, 115, 124,
148, 154, 157, 169, 181, 191-193, 196-197, 202-203, 205-206, 216, 218, 221, 229,
231-232, 234
Vacher de Lapouge, Georges : 12
Vallat, Xavier : 144
Vallières, Xavier : 53, 217
Valois, Georges : 108, 233, 237
Veil, Simone : 152, 185
Venner, Dominique : 7-9, 24-25, 94, 143, 241
Vergés, Jacques : 87
Vernant, Jean-Pierre : 88
Verts : 73, 83-84, 155
Vial, Pierre : 24, 51-54, 56, 60, 67-68, 79, 194-196, 198, 200
Villiers, Philippe de : 207
Vincent-Vidal Serge : 43
Vlaams Blok : 109
Vlaams Militanten Orde : 63
Waechter, Antoine : 84
Waffen S.S. : 6, 9, 18-21, 28, 30, 43, 45, 47, 80, 99, 104-105, 126, 136, 142, 144, 147,
152, 173, 185, 189, 195, 212, 214, 225, 234, 236, 239
Walcker, Michael : 60
Wallace, George : 193-194
Wanderwögel : 196
Wiesel, Elie : 152
World Anti-Communist League : 111
World Union of National-Socialists : 105-107, 111
Yockey, Francis-Parker : 21-22, 57, 62, 100, 108, 116, 119, 126, 173-174, 180, 188,
194, 201, 206, 233, 239
Young European Legion : 104
Zhou, Enlai : 35
Zind, Pierre : 101
Zuganov, Guennadi : 92-93, 207
Table des matières

Introduction : construire le nationalisme-révolutionnaire ......... 5

Première partie : Oscillations ...................................... 17

1. Les Décombres ................................................... 18


2. Oxymores........................................................... 37
3. Troisième voie .................................................... 47
4. Fins de siècle ...................................................... 61
5. Le mythe du fer à cheval .................................... 80

Deuxième partie : Internationalisations .................... 99

6. Internationales fascistes ...................................... 100


7. Le mythe de Yalta ............................................... 114
8. Races et espaces .................................................. 124
9. A l’école de l’antisionisme................................... 135
10. Exemplarités arabo-musulmanes ......................... 146

Troisième partie : Orientations ................................ 159

11. Rejets de l’immigration ...................................... 159


12. Anti-mondialisme .............................................. 172
13. Le mythe de l’Ennemi ........................................ 184
14. Guerre de civilisations ........................................ 197
15. L’Europe totale ................................................... 210

Conclusion : déconstruire le fascisme ........................................ 225

Index .......................................................................................... 247


ACH EV É D ’I MPRI MER
EN NOV EMB RE 2010
D ANS L ES ATEL I ERS
DES PRESSES LITTÉRAIRES
À SAINT-ESTÈVE – 66240

D.L. : 4e TRIMESTRE 2010


N° D’IMPRIMEUR : 21693
Imprimé en France
Dès l’origine, les mouvements fascistes connaissent une marge qui se
veut européenne et socialiste. N’ayant pu jouir du pouvoir, ayant souvent été
éliminée, elle a toutefois su inventer des discours et des idées pour la construction
d’une Europe nationaliste. Ceux-ci ont largement contribué à la formation de la
propagande des Etats fascistes après 1942, mettant en exergue l’édification d’un
« Nouvel ordre européen ». Après la Seconde Guerre mondiale, et particulièrement
avec la phase de décolonisation, puis post-1968, le néo-fascisme a redéployé
ces éléments dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler le nationalisme-
révolutionnaire.

Ayant placé l’unité européenne en horizon d’attente, ces fascistes œuvrent


à la constitution d’une action et d’une idéologie internationales. Ils participent
dès lors à de nombreux champs politiques, nationaux et internationaux, et y
entreprennent des tactiques différentes de l’un à l’autre. Leurs idées européistes les
entraînent ainsi non seulement dans une élaboration post-moderne du politique,
n’hésitant pas à puiser aussi bien dans les signes gauchistes que moyen-orientaux,
mais les poussent à des réorientations géopolitiques éclairant l’évolution du
monde des lendemains de la Première guerre mondiale à ceux du 11 septembre.
De là, ce sont l’histoire et la nature du phénomène fasciste qui sont revisitées.

Cet ouvrage s’appuie avant tout sur une documentation inédite :


les archives internes des mouvements néo-fascistes et des documents des
services de police, essentiellement des Renseignements Généraux. Il reprend
des éléments d’une thèse d’histoire contemporaine soutenue à l’Université
de Perpignan-Via Domitia (directeur : Jean-Marcel Goger, Université
de Perpignan-Via Domitia ; rapporteurs : Pascal Ory, Université Paris I
Panthéon-Sorbonne et Roger Griffin, Université d’Oxford Brookes ; Michel
Cadé, U.P.V.D. ; Olivier Dard, Université de Metz).

ISBN: 978-2-35412-075-7

-:HSMDPE=VWU\Z\: Prix France TTC : 20 e

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