Discours d’accueil de Madame la Directrice de l’ENM Nathalie Roret
pour les auditeurs de justice de la promotion 2021
Mardi 6 avril 2021
Mesdames et Messieurs,
Chers élèves magistrats de la promotion 2021,
Aujourd’hui c’est votre premier jour. Et pour moi, c’est la première rentrée.
Je regrette que nous ne puissions pas nous retrouver tous ensemble à Bordeaux, alors
que cette semaine qui débute est un grand moment pour nous toutes et tous. Mais
c’est aussi une semaine éprouvante pour notre pays, qui connait de nouvelles
restrictions sanitaires. Nous devons en prendre notre part, ce qui explique le format
particulier et, je dois le dire, difficile de cette rentrée.
Aujourd’hui, vous êtes seuls devant vos écrans ; mais dans votre École, à Bordeaux
comme à Paris, vous ne serez jamais seuls.
Être magistrat, aujourd’hui comme demain, c’est un savoir-être qui doit se conjuguer
au pluriel. Nécessairement. On n’est pas magistrat sans les autres : sans les
justiciables, sans les avocats, sans les partenaires et les fonctionnaires de justice,
sans le “tribunal médiatique”. Sans la société qui remue, bouge, reflue, doute. Sans
l’environnement social, culturel, économique.
Lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation, il y a à peine trois mois, Madame
la première présidente Chantal ARENS disait ceci : « Le juge de demain est un juge
ouvert sur le monde. »
La société dans laquelle nous vivons est versatile, et vous devrez vous y faire, vous y
adapter. Cette société a un immense besoin de droit. Mais elle remet aussi en cause
tous les pouvoirs et toutes les autorités. Vous n’échapperez pas à son jugement. Vous
devrez répondre à ce besoin de justice et dans le même temps à cette mise en cause
permanente de ce que vous serez, vous, magistrats.
Comme l’évoquait Monsieur le procureur général François MOLINS, devant la
promotion qui vous a précédé, il ne faut jamais négliger l’écoute attentive de la société.
En tant qu’avocate, j’ai ressenti chez les justiciables la même urgence de justice,
parfois aussi la même défiance envers ce que je représentais, envers ce que j’étais,
envers ce que je savais.
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Magistrats et avocats ont bien sûr des rôles différents. Mais magistrats comme
avocats, tous sont confrontés à un même défi : relever la justice. A chacun d’entre
nous, avec ses spécificités et ses responsabilités, d’apporter sa contribution à cette
œuvre collective d’intérêt général.
Ma présence dans cette École, en tant que directrice, est aussi une invitation au
dialogue, à l’ouverture, à l’altérité qui se trouve à la source de l’œuvre de justice.
Au dialogue renforcé avec les acteurs de la justice,
Au dialogue poursuivi entre l’École et son environnement institutionnel,
Au dialogue assumé avec la société française.
Cette société française dont vous êtes issus; à laquelle vous ressemblez.
Parmi les 335 élèves magistrats que comporte votre promotion, 41,4% sont en
reconversion professionnelle. Vous avez été, auparavant, juriste, notaire, avocat,
greffier ou directeur des services de greffe, éducateur ou policier, journaliste, médecin,
enseignant ou chercheur, inspecteur des finances publiques… Certains d’entre vous
travaillaient au quotidien avec les magistrats, d’autres non.
Pour la majorité d’entre vous, vous êtes récemment diplômés de l’Université. Mais
même parmi vous, nombreux sont ceux qui, grâce à des stages, ont déjà eu un premier
regard sur la Justice, ou vu d’autres cadres professionnels.
Parmi vous également, certains sont issus des classes préparatoires égalité des
chances. Je suis très attachée à ces préparations pour accéder à l’École, et je compte
les développer en ayant le souci d’un plus grand maillage territorial. Nous y travaillons
avec le conseil d’administration de l’École et j’espère être en mesure de vous annoncer
de bonnes nouvelles sur ce sujet dans les jours qui viennent.
D’où que vous veniez, chérissez votre passé, votre parcours, votre singularité. Il ne
s’agit pas de cases dans lesquelles vous seriez enfermés. Voyez-les comme des
richesses à partager. Désormais, avant d’être d’anciens étudiants, d’anciens
fonctionnaires, d’anciens avocats, ou autres, vous êtes, tous, de futurs magistrats,
avec votre personnalité qui vous distingue.
Je voudrais vous citer une phrase de Serge PORTELLI, ancien magistrat, désormais
avocat. Une phrase dans laquelle nous pouvons nous retrouver, et que je vous invite
à méditer : « Il est si facile de se convaincre que nous ressemblons à nos actes, qu’ils
nous définissent une bonne fois pour toutes, et que notre identité tient à leur
répétition ».
Mon prédécesseur, Olivier LEURENT, comparait les concours d’accès à un « long
marathon ». Ce marathon, cette année, vous l’aurez couru de nuit, sous la pluie, en
forêt et en montagne. Crise sanitaire oblige.
Malgré cela, vous voilà ici, aujourd’hui. Cela en dit beaucoup, de votre force de
caractère, de votre volonté, de votre capacité d’adaptation. Je vous en félicite.
Votre scolarité, elle aussi, sera marquée par le contexte sanitaire. Vous le savez déjà,
la durée de votre formation a été réduite de 31 à 29 mois, en conséquence du report
des épreuves des concours 2020, et donc de la rentrée.
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Mais l’adaptation fondamentale concerne le format de vos enseignements, comme
vous pouvez l’observer dès cette semaine ; format distanciel, hybride, mixte et je
l’espère aussi vite que possible en présentiel : l’ENM s’adapte aux contraintes
sanitaires qui s’imposent.
Je tiens à saluer et remercier les coordonnateurs de formation et l’ensemble des
équipes de la sous-direction de la formation initiale, présents comme vous à distance,
et qui sont les acteurs quotidiens et indispensables de votre formation. Ils seront, sous
la direction de Samuel LAINÉ, à votre écoute pour vous accompagner durant votre
formation.
Si votre formation est commune, votre exercice professionnel sera pluriel. Vous
découvrirez dès cette semaine les compétences qui sont attendues d’un magistrat, et
qui servent de matrice à toute vos formations.
Ces compétences comportent bien sûr des connaissances juridiques appliquées. Mais
être un magistrat, vous l’avez compris, c’est bien plus qu’être un technicien de
l’audience et de la décision. Vous développerez ainsi d’autres compétences
fondamentales : la capacité à prendre en compte l’environnement institutionnel
national ou international, la capacité à comprendre les controverses qui peuvent
traverser la société française, sur des sujets sur lesquels vous pouvez être amenés à
rendre des décisions, la capacité à travailler au sein d’un collectif, la capacité à
concilier.
L’ambition de la formation que vous débutez aujourd’hui est de vous transmettre les
fondements qui vous permettront de vous intégrer dans le collectif du travail judiciaire.
Parce que l’œuvre de justice est une œuvre commune. Vous allez apprendre pendant
des temps d’échange, des stages, des exercices communs, et des formations croisées
avec les professionnels qui entourent le magistrat au quotidien, et ceux avec qui il
interagit plus ponctuellement : les greffiers ou les assistants de justice, bien sûr, mais
également les délégués du procureur, les fonctionnaires de police, les juges non
professionnels…
Je tiens aussi, et cela ne vous étonnera pas, à amplifier les interactions avec la
profession d’avocat. Il y a urgence à créer des passerelles plutôt qu’à remonter les
ponts-levis. C’est l’objet du stage avocat en cabinet que vous effectuerez bientôt. C’est
aussi pourquoi l’ENM accueillera en stage des élèves avocats en plus grand nombre.
Grâce à leur immersion complète dans votre formation, vous ferez ensemble
l’apprentissage du travail interprofessionnel qui donne vie aux indispensables
échanges entre membres de la communauté judiciaire.
Afin de faire de vous des magistrats pleinement conscients de leurs responsabilités,
vous allez, pendant votre formation, bénéficier d’enseignements très précis sur la
déontologie du magistrat.
J’ai exercé, pendant dix ans, diverses fonctions au sein des instances ordinales de ma
profession. J’en ai acquis la conviction que déontologie et formation sont intimement
liées. Elles concourent ensemble à la confiance de ceux qui nous font face, et à la
confiance dans la Justice.
L’École nationale de la magistrature se situe au carrefour de plusieurs mondes :
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- elle est, en quelque sorte, la matrice de la magistrature : elle fait naître magistrat
en assurant formation initiale et continue ; pour cette mission formative, l’École
s’appuie majoritairement sur des magistrats détachés, qui transmettent ainsi
leur vision et leur expérience ;
- elle reçoit d’autres acteurs de la Justice, qu’elle accueille de diverses manières :
comme intervenants de formation, comme public « cibles » qu’elle forme, ou
comme publics « invités » ;
- elle échange également avec le monde universitaire et la recherche.
Il me semble que nous devons capitaliser sur cela pour inscrire plus encore la réflexion
éthique et prospective au sein de la formation des magistrats, non pas dans un pur
exercice d’autocritique, mais dans un dialogue entre pairs, éclairé par d’autres
pratiques professionnelles et ouvert à l’analyse et au contradictoire
Il y a quelques semaines, lors de la présentation de la plateforme des bonnes
pratiques, ici, à Bordeaux, le Garde des Sceaux a eu cette phrase, qui résume
beaucoup de choses : « Avant d’être ministre, j’ai vu ce qui dysfonctionnait dans la
Justice mais aussi ce qu’elle pouvait faire de fantastique grâce à la bonne volonté et à
l’ingéniosité de celles et ceux qui la servent. ».
Je suis persuadée, comme lui, que la première source de formation et de progression,
c’est l’échange, le partage, l’inspiration mutuelle.
Écouter les autres, c’est aussi savoir échanger avec l’ensemble des acteurs publics,
même en dehors de la chaîne judiciaire.
C’est tout l’intérêt de la réflexion sur un tronc commun de formation des écoles de
service public, à laquelle l’ENM participe actuellement. Il ne s’agit pas de nier la
particularité de chaque corps. Nous y sommes d’ailleurs très vigilants, car juger, ce
n’est pas administrer. Cette réflexion vise surtout à mutualiser ce qui peut être commun
aux élèves des différentes écoles, dans leurs futures fonctions.
Les séquences communes qui sont en cours de conception, notamment avec l’ENA et
l’École des officiers de gendarmerie, seront donc une source d’enrichissement et de
dialogue entre les élèves des différentes écoles du service public.
Écouter et réfléchir ensemble, c’est aussi l’enjeu de la réflexion, plus interne à l’ENM,
que j’ai décidé d’engager dès ma prise de fonction. L’équipe en charge de cette
réflexion est en train d’entendre la parole de chacune des composantes de l’ENM,
formateurs comme élèves, magistrats comme non magistrats, et de ses partenaires
institutionnels, judiciaires, universitaires… À l’issue de ces travaux, nous proposerons
ensemble une stratégie globale pour l’avenir de l’École.
Le statu quo, même s’il peut paraître confortable, fragilise toutes les institutions. Il y a
une attente de justice, forte comme jamais. À nous de nous mettre en mouvement, à
notre échelle, pour répondre à ces aspirations.
À nous d’ouvrir plus encore l’ENM. De construire un nouvel outil de créativité, un outil
collectif au service de l’ensemble du service public de la Justice, et au soutien de la
confiance des Français dans leur justice et ses acteurs.
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Ces trois mots de confiance, de collectif et de créativité, vous les entendrez beaucoup
à l’ENM ces trois prochaines années. Je ne les ai pas choisis au hasard : ils sont pour
moi ce qui doit animer, au quotidien, celui qui veut transmettre, et celui qui apprend.
C’est donc quelque chose que nous avons en commun, vous et moi, malgré nos
différences d’âge, de carrières, de positions.
Nous avons autre chose en commun : il y a environ 30 ans, j’ai prêté un serment. Pas
le même que celui que vous allez prêter. Mais ce jour-là, j’ai été accueillie dans la
profession par ses plus hautes autorités, et j’ai fait mienne ses valeurs. Les conditions
sanitaires nous imposent cette année une prestation de serment écrite. Mais cela n’en
change ni le sens, ni la portée. Nous réfléchissons déjà pour organiser ultérieurement
une cérémonie solennelle qui marquerait votre entrée dans le corps judiciaire.
J’ai hâte de vous rencontrer « en vrai », même si les mots que je vous ai dits
aujourd’hui, à distance, venaient profondément du cœur.
Merci pour votre écoute.