LE SENS DU MOUVEMENT
Alain Berthoz,
Editions Odile Jacob, Paris, 1997.
« No início era a ação », diz Fausto. Este livro é um elogio do movimento e uma
apologia do corpo sensível. Nós pensamos com nosso corpo! Esta idéia de poeta
é agora uma proposição científica.
Nosso cérebro não é um computador prudente que nos adapta ao mundo, é um
simulador prodígio que inventa hipóteses, modelisa e encontra soluções que ele
projeta sobre o mundo. Esta intuição de filosofia se apresenta aqui como uma
propriedade fisiológica.
Compreender estes mecanismos é compreender como o sentido do movimento
antecipa a orientação de um olhar, a trajetória de uma bala ou a perda de
equiííbrio. É ainda compreender porque nós temos vertigem, porque uma certa
arquitetura moderna nos rebute e porque os pintores da Pedra Lascada nos
fascinam.
A aposta deste livro é também nos explicar como nossas percepções podem ser
manipuladas, com o risco de nos precipitar no ódio e na destruição do outro.
Rencontre avec Alain BERTHOZ (23 février 2000)
JT : Comment as-tu rencontré l’ergonomie, alors que dans les années 60 elle
en était à ses débuts en France ? Nous te posons cette question, non parce
que nous voulons te faire contribuer à une histoire de l’ergonomie, mais
plutôt pour que l’ergonome, jeune ou moins jeune, qui te lira tire tout le
bénéfice réflexif de la comparaison de sa propre histoire avec la tienne.
Alain Berthoz : J’étais à l’Ecole des Mines de Nancy et mon objectif, ce n’était
pas de devenir ingénieur, c’était en réalité, aussi bizarre que cela puisse
apparaître, de devenir médecin. Pour me rapprocher de cet objectif, j’ai donc fait
des études de psychologie parallèlement à mes études d’ingénieur. En même
temps, je m’intéressais au monde du travail. J’ai donc cherché à rentrer en contact
avec des gens qui étudiaient le travail et j’ai rencontré Jacques Leplat chez qui j’ai
fait un très court stage. Il faut dire que, dans le cadre de l’Ecole des Mines j’avais
déjà fait des stages ouvriers. En effet, j’ai participé à une période extraordinaire de
cette Ecole d’ingénieurs. Bertrand Schwartz, son directeur d’alors, avait fait la
révolution dans les Grandes Ecoles, puisqu’il nous envoyait en stage dans les
usines, comme ouvriers pendant 4 mois la première année, comme contremaîtres
la deuxième année, comme ingénieurs la troisième année. Donc, en fait, mes
mémoires pendant ces trois ans d’étude à l’Ecole n’ont pas été des mémoires
scientifiques mais déjà des mémoires d’analyse du travail.
A la sortie des Mines, en 1963, j’ai contacté Jacques Leplat, pensant rentrer dans
son laboratoire de psychologie du travail, qui n’était pas encore à l’EPHE. Mais
l’approche psychologique ne me satisfaisait pas. Je voulais faire de la physiologie,
étudier les bases physiologiques de la dégradation de la santé. Je suis donc entré
dans le Laboratoire de Physiologie du Travail de Scherrer, dont Alain Wisner était
alors le sous-directeur. C’était à l’époque de la création de l’ergonomie. Il y avait là
Alain Wisner, Jacques Monod, Simon Bouisset, Suzanne Pacaud. Ils m’ont fait
entrer au CNRS sur un programme de recherche sur les effets des vibrations
mécaniques chez l’Homme. J’ai mené ce programme pendant 10 ans et fait ainsi
une thèse de biomécanique. Nous avons construit des dispositifs expérimentaux et
fait des travaux sur le terrain, dans les usines, aussi bien en faisant des voyages
clandestins sur les trains, pour voir les conditions de travail des conducteurs de
trains, que dans le cadre de contrats de recherche, comme en 1973 à Usinor
Dunkerque, avec Antoine Laville, François Guérin, Jean Foret et toi Jacques, pour
étudier les conditions de travail de l’ébarbage au marteau piqueur.
Au Laboratoire de Physiologie du Travail de la rue Gay-Lussac, j’ai maintenu
toujours une double vie, puisque je faisais des études d’ergonomie sur les effets
des vibrations chez l’Homme, mais que, très vite, j’ai été intéressé par les bases
neurales de l’oscillation du tronc à 4 Hz et voulu comprendre pourquoi le thorax
oscillait à cette fréquence. J’ai donc monté des expériences, d’une part à la
Salpétrière avec des neurologues pour essayer de comprendre l’origine de ces
tremblements, d’autre part rue Gay-Lussac sur des lapins ou des chats, grâce à
l’immense ouverture d’esprit d’Alain Wisner, pour essayer de comprendre le
fonctionnement des fuseaux neuro-musculaires (parce que j’avais l’idée que
l’oscillation n’était peut-être pas un problème mécanique mais une oscillation
centrale). J’ai fait alors une seconde thèse, de neurosciences, sous la direction de
Buzer et de mes maîtres aux USA où je suis partis quelques temps, C. Terzuolo et
R. Llinas, pour essayer de comprendre les bases neurales de ces oscillations
musculaires. Au fond, durant cette période, j’ai développé en parallèle un travail
d’application et des recherches fondamentales sur les mécanismes des effets des
vibrations chez l’Homme.
J.T. : Cette double vie, n’était-ce pas le grand écart? Etait-elle tenable
longtemps ?
AB : En réalité, très vite, au bout d’un an ou deux, en ayant intégré la communauté
internationale qui s’occupait des effets des vibrations sur l’Homme, je me suis
aperçu qu’on pourrait éventuellement faire quelque chose sur les symptômes, par
exemple concevoir des sièges d’engins de chantier un peu meilleurs, mais qu’on
ne progresserait jamais en physiologie du travail si l’on ne comprenait pas les
mécanismes en jeu. Ce n’était donc pas ce que tu appelles un grand écart, c’était
naturel pour un scientifique de mener de front la description sur le terrain
(l’étiologie) des conditions dans lesquelles apparaissaient éventuellement des
pathologies liées aux vibrations et d’essayer de comprendre où en était la
physiologie. C’était d’autant plus important que je me suis aperçu très vite que la
Médecine du Travail était en réalité une médecine complètement inféodée aux
entreprises et que le travailleur qui était atteint d’une pathologie changeait
complètement de statut une fois qu’il passait à l’hôpital. Dans l’hôpital, on soignait
un malade sans s’intéresser à l’étiologie. Dans l’usine, on ne s’y intéressait pas
non plus. C’était donc bien notre rôle social de chercheurs en physiologie du travail
et ergonomie de monter des recherches basées sur l’observation de la réalité mais
qui devaient nécessairement être articulées avec des recherches fondamentales
sur l’Homme qui n’étaient faites par personne, ni dans l’usine ni dans l’hôpital. Ce
que je regrette aujourd’hui très vivement, c’est qu’à mon avis cette approche
intégrée de la physiologie, du muscle jusqu’à la cognition — qui était aussi le projet
de Scherrer, Wisner, Bouisset, Metz, donc des fondateurs de l’ergonomie, et à
certains égards de Paillard - ait disparue.
J’ai essayé de développer cette approche intégrée et cela a marché pendant un
temps: tout en restant dans le Laboratoire de Physiologie du Travail & d’Ergonomie
de la rue Gay-Lussac et en continuant à entretenir des relations avec l’ergonomie,
mon équipe a eu les meilleurs neuro-biologistes internationaux. Il y a eu grand
écart quand je me suis aperçu, à un moment donné, que les mondes étaient
devenus complètement distincts, que je ne pouvais pas à la fois passer mes nuits
à « enregistrer des neurones » et aller sur le terrain. A partir des années 74-75, j’ai
dû choisir. Nous nous sommes alors retrouvés à quatre, Jean Foret, qui continuait
à travailler sur les problèmes du sommeil dans une perspective relativement
appliquée, Paolo Viviani, qui n’était pas intéressé par l’ergonomie et travaillait sur
le mouvement, Dominique Rostolland qui continuait à travailler sur les problèmes
d’acoustique, et moi qui menait des recherches de plus en plus fondamentales,
plus quelques chercheurs plus jeunes. En ce qui me concerne, j’ai profité de mon
séjour aux USA pour apprendre la physiologie vestibulaire et la physiologie de
l’oculomotricité, du contrôle de l’équilibre et j’ai créé un laboratoire où l’on étudiait
ces problèmes depuis leurs bases neurales jusqu’aux aspects cognitifs. Cette
approche multiniveau et multisensorielle était très nouvelle pour l’époque où tout
était cloisonné.
Pour approfondir un mécanisme, on doit opérer une réduction, s’éloigner de la
complexité. Les détours pour comprendre un mécanisme peuvent prendre 20 ans,
30 ans. Par exemple, ma décision d’aller examiner les bases neurales des
mécanismes du regard, du mouvement des yeux, m’a éloigné totalement mais non
définitivement du monde de l’application. Nos contrats avec l’industrie portent
toujours sur des questions très en amont de la réalité industrielle. Par exemple, la
NASA m’a demandé d’étudier le mal de l’espace et j’ai toujours refusé parce que
c’est un syndrome très complexe, multi-factoriel et que je savais que je ne pourrai
pas donner de recettes. A terme, les recherches faites dans le laboratoire sur les
conflits sensoriels, les interactions visio-vestibulaires, la neuro-biologie du système
vestibulaire et la physiologie de l’adaptation, vont conduire à une explication du
syndrome qui sera peut-être intéressante.
J.T. : Du temps de la rue Gay-Lussac, tu menais un jeu entre poser des
bonnes questions à partir des réalités complexes, opérer les réductions
nécessaires, les étudier et revenir, plus ou moins vite, selon les détours
nécessaires, sur le complexe. Est-ce que, depuis ton éloignement de la
complexité, il y a toujours quelque chose qui vient de la complexité des
situations et quelque chose qui y retourne ?
AB : Quand nous avons créé un laboratoire propre du CNRS, nous avons marqué
la rupture puisque nous l’avons appelé « Laboratoire de Physiologie Neuro-
sensorielle ». Nous n’avions aucun projet de type ergonomique, mais nous avions
encore des projets qu’on pourrait appeler de physiologie du travail, puisqu’il y avait
le projet de Foret sur le sommeil et le projet de Rostolland sur l’acoustique, les
projets que j’avais sur l’équilibration, le maintien de l’équilibre, les effets des
accélérations. Nous avions donc encore des projets qui correspondaient à ce que
tu dis, qui étaient destinés à faire retourner vers la médecine du travail un certain
nombre de résultats de recherches et réciproquement d’aller éventuellement
s’alimenter dans la réalité pour formuler de nouvelles questions, etc.. C’était dans
notre projet. Cette attitude reste la nôtre puisque nous avons toujours eu ici, et
encore maintenant, à la fois des recherches fondamentales complètement
coupées de toute application, et des programmes de recherche construits en
collaboration avec des industriels. Toutefois, nous n’avons jamais engagé ici de
coopérations avec les industriels et avec les organismes de recherche qui
porteraient sur des situations complexes. Nous avons effectivement limité nos
interfaces à des problèmes très ponctuels et très réduits qui concernent la
perception, le mouvement, etc.. Par exemple, nous avons avec la société
ESSILOR depuis 10 ans une coopération sur les problèmes de la vision. Par
exemple, nous avons avec Renault depuis 2 ans une coopération sur le problème
de la construction d’un simulateur de conduite intégrant la « réalité virtuelle » et
une plate-forme mobile. Cette dernière coopération fait partie d’un projet EUREKA
dans lequel sont engagés six industriels de divers pays. Nous sommes les
physiologistes de ce projet. Nous faisons du conseil pendant le projet sur les
grands problèmes de perception et nous allons faire la validation en fin de course.
Mais tout cela est très loin de la réalité des ateliers.
FJ : Sur ce problème de conception de simulateur, ne retrouve-t-on pas le
problème de la multi-factorialité que justement vous voulez réduire ?
AB : Oui, bien sûr. De toute façon, toute étude du cerveau est multi-factorielle, se
trouve face à de la complexité, comme vous l’êtes lorsque vous allez dans une
usine. Chacun a ses outils d’analyse. On choisit ses outils pour traiter de la
complexité à un certain niveau et, éventuellement, pour le reste, on coopère avec
d’autres. Notre laboratoire est exceptionnel, car on y étudie le système nerveux
depuis le niveau de la cellule — pas de la biologie cellulaire mais de
l’électrophysiologie du neurone — jusqu’à des études dans l’industrie. Mais nous
avons fixé nos limites: nous ne faisons pas de biologie moléculaire; nous ne
faisons pas de génétique, pas de biologie cellulaire; en mathématiques nous
faisons de la modélisation, mais nous n’avons pas dans le laboratoire des gens qui
font des thèses de mathématiques. Du côté du monde du travail et de l’ergonomie,
nous restons en quelque sorte des consultants, nous n’allons pas sur le terrain
regarder la réalité et travailler avec des ergonomes.
F.J. : Vous n’entretenez pas de relations avec d’autres centres de recherche
qui pourraient jouer un rôle d’interface, être en deuxième ligne relativement à
un centre de recherche en ergonomie qui chercherait à prendre le problème
globalement ?
AB : C’est pour moi la question centrale de l’ergonomie en France. Bien sûr, nous
avons gardé des contacts, mais avec les organismes qui avaient envie d’en avoir
avec nous. Nous avons mené des recherches en commun, durant de longues
années, avec l’Institut de Recherche sur les Transports et l’ONSER qui
s’intéressaient à la conduite automobile. C’est au fond ce qu’on a fait aussi avec le
centre de recherches d’ESSILOR et avec le CNET à Lannion. Mais nous sommes
restés dans notre fonction, c’est-à-dire que, lorsqu’ils avaient une « manip » qu’ils
ne savaient pas faire et dans laquelle nous pouvions, nous, étudier une question
scientifique, nous faisions cette « manip », chez nous ou chez eux. Le problème
est que cette collaboration avec les grands organismes de ce genre n’est pas
assez courante. Avec l’INRS, nous n’avons jamais assez travaillé, avec l’Institut de
Bioclimatique de Strasbourg il s’est fait peu de choses. Et pourtant nous avons
souvent des lignes de recherche qui pourraient intéresser les industriels. Par
exemple, les problèmes robotiques de manipulation, de retour d’effort, sont des
problèmes majeurs, et je cherche depuis maintenant quatre ans une coopération
avec les départements concernés du CEA, des grandes entreprises, des
avionneurs, etc., et des médecins intéressés par la rééducation fonctionnelle. Mais
c’est très difficile. Autrement dit, je suis de l’autre côté de la barrière et j’ai
beaucoup de mal à établir ces coopérations. Mais, de temps en temps, comme
avec Renault, cela marche.
Autre exemple: actuellement, nous avons une coopération avec EDF qui est
passionnante sur des problèmes de formation du personnel par la réalité virtuelle,
d’une part à des visites de lieux nucléaires où il est difficile d’aller, d’autre part au
travail sur les poteaux électriques. Ils rencontrent des difficultés sur des problèmes
de référentiel, de présentation d’images. Mais nous avons pour métier de relier ces
problèmes avec des questions fondamentales que je pose actuellement qui
concernent la façon dont le cerveau se représente l’espace. Je pense que les
ergonomes ne peuvent pas travailler en même temps en amont sur des questions
fondamentales (ce ne sont pas les mêmes journaux, les mêmes constantes de
temps, les mêmes étudiants, les mêmes contraintes), mais qu’il y a de
nombreuses possibilités d’interfaces possibles sinon réalisées. Il y a une réflexion
nationale à développer en France concernant cette interface.
J.T. : Notre dernière question est : Qu’as-tu appris loin de l’ergonomie —
mais, comme on l’a vu, pas si loin que cela — et qui d’après toi concerne
directement l’ergonomie, la conception de l’homme au travail, la façon
d’étudier ce dernier et d’améliorer sa situation?
AB : A mon avis, les sciences du cerveau provoquent une révolution complète de
la vision de l’homme au travail. Celle-ci devrait intéresser les personnes qui
travaillent en ergonomie. Il y a, depuis une dizaine d’année, une évolution dans la
façon dont on voit le fonctionnement du cerveau de l’homme. C’est cela que j’ai
abordé modestement et en partie seulement dans mon livre « Le sens du
mouvement ». J’y raconte d’une certaine manière mon parcours. Cette révolution
est la suivante : on est passé en physiologie d’une physiologie de la réaction - une
réflexologie — à une physiologie de l’action, c’est-à-dire qu’on est passé d’une
physiologie dans laquelle on donne des stimuli pour étudier des réponses, à une
physiologie dans laquelle on étudie l’action produite de façon endogène par un
animal ou un homme en fonction d’un but. Cela a été rendu possible par des
efforts méthodologiques. Pendant 50 ans, on a travaillé sur des animaux
anesthésiés en leur envoyant des stimulations et en enregistrant des réflexes. On
est passé d’une réflexologie à une physiologie de l’anticipation, du projet, de
l’action, dans laquelle l’action et la perception sont indissociables, dans laquelle il
n’y a pas de perception sans action. Autrement dit, le cerveau n’est pas un
transformateur d’informations sensorielles passives en reconstructions d’objets du
monde. Le cerveau pré-spécifie les objets qu’il veut analyser, construit le monde à
partir de ses hypothèses. Ces mots recouvrent dans la neuro-physiologie et la
psychologie expérimentale et cognitive modernes une réalité biologique.
On est en train de vivre aussi une autre révolution, c’est la « réincarnation » de la
cognition, c’est-à-dire le fait sur lequel j’insiste dans mon livre et sur lequel insiste
aussi Varela avec une approche très différente et d’autres. On sort d’une époque
où il y avait d’un côté l’énergétique musculaire, l’homme comme machine, de
l’autre une étude de la cognition qui était très formelle. La conception que l’on avait
de la cognition était très formelle, avec un fondement logique comme en
mathématique, les théories de Hilbert et des mathématiciens formalistes,
dominaient sur celles de Poincaré et des intuitionnistes, qui avaient basé les
mathématiques sur le corps, l’intuition. Les émotions étaient complètement
dissociées de l’intelligence, alors que toute la physiologie que nous faisons
maintenant incarne la décision. Toutes les théories sur la prise de décision seront
sans doute à revoir à partir du fonctionnement réel du système nerveux qui intègre
les émotions, car les modèles actuels sont des modèles très formels basés sur la
logique. On n’en est qu’au début.
JT : Moi aussi, j’ai appris cela, mais en ergonomie !
AB: Mais ce n’est pas toi qui es interviewé (rires ! !) Pour accompagner ces
changements d’idées nous avons dû développer de nouvelles approches. Nous
sommes actuellement en train d’étudier de nouveaux paradigmes. Chez l’animal,
on travaille avec des animaux qui courent. On étudie la mémoire chez des rats qui
courent d’un « bistrot » à l’autre. Nous savons que les neurones dans le cortex
visuel ont des activités complètement différentes selon la tâche à laquelle se
consacre l’animal. La réflexion qui est en train de se produire dans le domaine des
neurosciences devrait rejoindre les réflexions des ergonomes. Je pense que ce
lien n’est pas fait et c’est dommage. Il faut biologiser les modèles de l’ergonomie
dans la mesure où les biologistes avancent un peu.
JT : On pourrait tout aussi bien dire qu’il faut socialiser les modèles de
l’ergonomie, les culturaliser, dans la mesure où les sociologues et
anthropologues, dans l’approche des complexités situationnelles, sociales et
culturelles, avancent aussi !
AB : Oui, effectivement, mais cela n’est pas ce que j’ai appris, c’est ce que je
pense qu’il faut qu’on fasse. On fait des progrès actuellement sur les mécanismes
de la perception, de l’action, de l’émotion chez l’individu isolé. L’étape suivante va
être de construire une physiologie, des neurosciences, une psychologie
expérimentale des interactions. Les connaissances qui sont actuellement
accumulées par les physiologistes concernent un singe tout seul, un rat tout seul,
un chat tout seul, un homme tout seul et c’est déjà difficile. On commence à voir
des études transdisciplinaires sur les relations, par exemple sur le regard de
l’autre, sur les neurones qui ne codent pas seulement ce que je fais quand j’attrape
un objet mais également ce que fait l’expérimentateur (les neurones miroirs dont je
parle dans mon livre). Cela veut dire que le cerveau code les actions. On va ainsi
commencer à comprendre certains des mécanismes neuronaux des interactions. Il
y a là une physiologie nouvelle qui va se développer. Cela ne va prendre que 250
ans, on n’est pas pressé. C’est ce qu’on va essayer de promouvoir avec le
nouveau Programme Cognitique dans lequel des ergonomes devraient s’impliquer.
On va chercher à ce que certaines dimensions sociales, anthropologiques, soient
prises en compte par les neuro-scientifiques.
Propos recueillis par Jacques Theureau & François Jeffroy