Papa Floresse 1
Papa Floresse 1
Moktar ADAMOU
Il y a environ un demi-siècle, une grande figure alertait les juristes. Dans son manuel de Sociologie
juridique, le doyen Carbonnier observait que « l’évolution des mœurs et des techniques donne matière à
de nouvelles formes de délinquance » (Carbonnier J., Sociologie juridique, Puf, 2004 ; v. aussi,
Djogbenou J., Cybercriminalité : enjeux et défis pour le Bénin, CAPOD, juin 2010, p. 1). Aujourd’hui,
cette observation résonne toujours avec autant de virilité et de gravité. Indéniablement, le numérique a
changé radicalement notre civilisation. En effet, la plupart des grandes découvertes technologiques ont
presque toujours engendré, à côté des progrès économiques qu'elles procurent à l'humanité, des
retombées négatives (Lebert M.-F., De l'imprimé à Internet, thèse, EPHE, 1999) parmi lesquelles figure
en bonne place l'avènement de nouvelles formes de criminalité (Rosé C. et Lamère J-M., Menaces sur
les autoroutes de l'information, L'Harmattan, 2000). Le numérique n'échappe pas à cette loi sociologique
du développement (Gassin R., Le droit pénal de l'informatique, D. 1986, chron., p. 35).
L’ère numérique ignore désormais toutes les frontières. Elle permet l’accès à la culture et à la
connaissance, favorise les échanges entre les personnes. Elle rend possible la constitution d’une
économie en ligne et rapproche le citoyen de son administration. Les technologies numériques sont
porteuses d’innovation et de croissance, en même temps qu’elles peuvent aider ou accélérer le
développement des pays émergents. Mais ses capacités suscitent aussi des craintes, à la fois des
citoyens et des régulateurs (Frison-Roche M.-A., La responsabilité, mode de régulation d’Internet, The
journal of regulation, 20 juin 2016). En tant que moyen de communication, le numérique favorise de
façon exponentielle le développement des activités illicites "traditionnelles" comme le trafic de
stupéfiants ou encore l’escroquerie, et accroît le nombre de leurs victimes. Selon le général d’Armée
Watin-Augouard, « lorsque le développement économique se limitait au secteur primaire agricole,
l’insécurité se résumait aux atteintes contre les personnes. Le secteur secondaire a vu l’apparition de la
production de biens manufacturés et donc de vols, destructions, dégradations. Le développement du
secteur tertiaire des services a inspiré les infractions dites "intelligentes" » (Watin-Augouard M., préface
de Quéméner M. et Ferry J., Cybercriminalité Défi mondial, Economica, 2e éd., 2009, p. 7). Avec
l’apparition d’un secteur quaternaire de l’économie, celui où l’information est devenue source de
richesse, la cybercriminalité est devenue désormais une réalité. Elle se joue des frontières entre les
États, rapproche la victime de son agresseur mais éloigne le délinquant de son juge.
L’on peut se poser quelques questions légitimes. Comment le droit positif béninois, par le truchement du
Code du numérique et du Code pénal, appréhende-t-il ces phénomènes ? Dispose-t-il d’armes
efficaces ? Autrement dit, a-t-il su s’adapter à la « révolution numérique » ? Ces différents
comportements sont autant de défis pour le droit pénal, défis qui touchent aussi bien à l’incrimination
des comportements répréhensibles en la matière, qu’à la mise en œuvre de la répression pénale.
Le terme infraction, n’étant pas défini par le Code pénal béninois, revêt un double sens. On désigne
souvent par ce mot le comportement d'une personne déterminée contraire à la loi pénale (Dana A.-C.,
Essai sur la notion d’infraction pénale, LGDJ, 1982). Mais, dans une seconde acception, plus juridique,
l'infraction s'entend du comportement interdit sous la menace d'une peine tel qu'il est défini de manière
générale et impersonnelle par la loi pénale (Desportes F., Le Guenehec F., Le nouveau droit pénal, t 1,
7e éd., Economica, 2000, p. 10). En ce sens, l'infraction comporte deux éléments : d'une part
l'incrimination, c'est-à-dire la description des divers éléments constitutifs du comportement interdit, et,
d'autre part, la peine qui le sanctionne.
Le numérique (sur ce sujet, v. Doueihi M., Qu’est-ce que le numérique ?, PUF, 2013) est un mot qui est
passé rapidement dans notre vocabulaire. Mais que désigne-t-il à proprement parler ? Comment
comprendre et définir cet objet, ce phénomène qui semble destiné à transformer notre quotidien et à
reconfigurer notre réalité ?
Le Code du numérique béninois omet curieusement (sans doute volontairement) de définir l’expression
en son article premier (consacré aux définitions). Cette omission est incompréhensible, surtout que le
« numérique » est l’essence de ce Code. Les dictionnaires restent un peu perplexes devant le
numérique, et leurs définitions ne renvoient souvent qu’à l’aspect étymologique et technique (Raymond
E., Le Cyberlexis : Dictionnaire du jargon informatique, Dunod, 1997) – un secteur associé au calcul, au
nombre – et surtout aux dispositifs opposés à l’analogique. Le numérique, nous semble-t-il, soulève une
difficulté particulière inédite mais une difficulté éclairante car elle est capable de permettre à mieux
cerner cette complexité. Une difficulté à la fois épistémologique, institutionnelle et sociale, voire
économique et politique (presque tous les secteurs, publics ou privés, institutions culturelles, etc., sont
concernés).
Il va de soi que notre intention n’est pas de proposer une quelconque définition programmatique du
numérique. Par contre, il nous semble que la notion qualifie une représentation de l'information par un
nombre fini de valeurs discrètes, par opposition à l’analogie.
Les progrès des technologies de l'information et de la communication reposent pour l'essentiel sur une
innovation technique fondamentale : la numérisation. Dans les systèmes traditionnels - dits analogiques
- les signaux (radio, télévisions, etc.) sont véhiculés sous la forme d'ondes électriques continues. Avec
la numérisation, ces signaux sont codés comme des suites de nombres, eux-mêmes souvent
représentés en système binaire par des groupes de 0 et de 1. Le signal se compose alors d'un
ensemble discontinu de nombres : il est devenu un fichier de nature informatique.
Ce passage de l’analogique au numérique annonce en réalité l’avènement d’un nouvel âge et d’une
véritable « révolution numérique » qui n’a pas manqué de changer profondément la physionomie de la
société traditionnelle qui s’est très vite transformée en une société de l’information où le bien
informationnel est devenu un enjeu stratégique très convoité.
L'utilisation à grande échelle du numérique a rendu certains domaines de la vie moderne tributaires de
l'informatique. Le commerce, la banque, les transports, les archives publiques, les sources d'énergie
nucléaire et les procédés automatisés de fabrication ne constituent que quelques exemples de
domaines vitaux dans lesquels les systèmes informatiques jouent un rôle important. Dans de nombreux
cas, tels que le contrôle du trafic aérien et appareils de traitements médicaux sophistiqués, la protection
des ordinateurs est directement liée à la protection de la vie humaine. Sur la vie économique par
exemple, la quantité de transactions et échanges menés par l’intermédiaire de ce canal (v. Hafner K.,
Where wizards stay up late : the origins of the internet, 1996, p. 12 ; Naughton J., a brief history of the
future: from radio days to internet years in a lifetime, WoodStock, 1999, p. 140 ; Briggs A., a social
history of the media : from Gutenberg to the internet, Polity Press , 2002, p 311 et s.) est en
spectaculaire progression (Reverdy P.-M., La matière pénale à l’épreuve des nouvelles technologies,
thèse, univ. Toulouse I, 2005, p. 79). Si ces nouvelles technologies participent de manière positive au
développement de la vie économique, elles présentent aussi de nouveaux moyens de commettre des
infractions d’affaires. En effet, grâce au numérique, il s’est développé une certaine capacité de
commettre des infractions tout en étant caché derrière un écran et à distance (Ifrah L., Les nouvelles
menaces criminelles numériques, cahiers de la sécurité, n° 6, p. 59 et s.) ; ce qui permet l’ubiquité du
délinquant dans le temps et dans l’espace. C’est cette délinquance informatique qui porte le nom
d’infractions à caractère numérique.
Le mot « délinquant » renvoie étymologiquement au terme latin « delinquere » signifiant commettre une
faute (Casile J.-F, Le Code pénal à l’épreuve de la délinquance informatique, thèse, univ. Aix-Marseille,
2002, p. 17). En droit pénal, le délinquant est défini comme « l’auteur d’une infraction pénale, qui peut
faire l’objet d’une poursuite de ce chef » (Guinchard S. et alii, Lexique des termes juridiques, Dalloz,
2001). Dans ce sens, le délinquant informatique serait la personne qui commet un délit informatique
(Casile J.-F., op. cit., p. 17). Certains auteurs (v. Rosé P., La criminalité informatique, PUF, 1987 ;
Parker D.-B., combattre la criminalité informatique, Oros, 1985, p. 18), écartent la notion de délinquant
informatique, au profit de celle de criminel informatique ou de fraudeur informatique. De son côté, M.
Lucas préfère le terme « délinquance informatique » au terme de « fraude informatique », du fait de
l’harmonie qui s’opère entre le sens littéral du mot délinquant et son sens juridique (Lucas A., Le droit de
l’informatique, PUF, 1987, n° 413). La connaissance de la délinquance informatique demeure très
difficile, à cause de son hétérogénéité. Au vu de certaines études effectuées (Champy G., La fraude
informatique, thèse, univ. Aix-Marseille, 1990 ; Frydlender A., La fraude informatique, étude
phénoménologique et typologique appliquée au contexte français, thèse, univ. Paris-Dauphine, 1985 ;
JerraI S., La fraude informatique, thèse, univ. Montpellier, 1986) la délinquance informatique se diffère
de la délinquance classique. Elle « se compose de délinquants spécialisés jeunes par hypothèse,
considérés comme employés modèles occupant un poste de confiance dans la direction d’une
entreprise. Généralement motivés par le caractère du jeu et du défi qu’apporte l’idée de tromper
l’ordinateur » (Jerrai S., op. cit., p. 18).
Pour les auteurs, les délinquants en informatique sont insensibles aux valeurs qui n’ont pas d’incidences
matérielles. L’éclatement de la relation binaire « auteur-victime » engendre l’absence de scrupule. La
délinquance informatique étant peu violente, elle n’épouvante pas les victimes. Dans cette optique, M.
Rose distingue :
— l’utilisateur qui recherche le profit d’un capital financier ;
— les destructeurs qui composent une frustration professionnelle ou personnelle et qui ne commettent
que dans le but de nuire aux entreprises ou aux organisations ;
— l’entrepreneur qui vise l’activité ludique et le défi des agressifs qui compensent une frustration
personnelle ou professionnelle (Rose P., Menaces sur les autoroutes de l’information, L’Harmattan,
1996, p. 15).
Dans la présente réflexion, les infractions à caractère numérique sont entendues dans un sens large
comme désignant toute infraction qui, d’une manière ou d’une autre, implique l’utilisation des
technologies informatiques. Quelle qu’en soit l’appellation (Chawki M., Essai sur la notion de
cybercriminalité, IEHEI, 2006, p. 6), le numérique est devenue aujourd’hui le moyen de réalisation
d’activités délictuelles (v. Diouf N., Infraction en relation avec les nouvelles technologies de l’information
et procédure pénale : l’inadaptation des réponses nationales face à un phénomène de dimension
internationale, Afrilex, n° 4, 2004), voire criminelles dont internet constitue désormais un vecteur
privilégié de propagation. Internet n’est plus le réseau libre et ouvert, tourné vers le partage du savoir,
dont certains de ses concepteurs avaient rêvé.
Il est maintenant devenu le moyen d’expression d’une nouvelle forme de criminalité numérique (Manier
D., Les dix plaies d’internet, Dunod, 2008). Au Bénin, cette pratique que l'on croyait propre au Nigéria et
qui a débuté dans les années 2000, s’est très tôt généralisée, au fil des ans dans la couche juvénile. Il
est en effet noté, au niveau des internautes, un usage sophistiqué et novateur d’Internet qui englobe les
différentes sphères d’activités avec une orientation privilégiée dans la criminalité numérique.
Escroqueries de toutes sortes, mensonges « de grande dimension », piratage de systèmes
informatiques (Lucas A., Le droit de l'informatique, PUF, 2001) privés ou étatiques, sont autant de
crimes pratiqués par les cyberdélinquants qui font perdre au numérique son « innocence ». Le
développement de la société de l’information s’est accompagné mécaniquement d’une augmentation
des actes de délinquance dans le cyberespace (Lalam N., La délinquance électronique, Doc. fr., n° 953,
oct. 2008, p. 15).
L’examen de la législation pénale béninoise, jusqu’à un passé récent, a permis de constater son
inadaptation par rapport aux spécificités de la délinquance à caractère numérique, aussi bien en droit
substantiel qu’en droit procédural (Djogbenou J., Cybercriminalité : enjeux et défis pour le Bénin, Capod,
juin 2010, loc. cit.).
En droit pénal substantiel, l’audit de la législation béninoise a révélé des situations juridiques dans
lesquelles les systèmes informatiques, les données informatisées, les réseaux informatiques sont la
cible d’agissements cybercriminels. Il a également mis en évidence d’autres situations d’inadaptation
juridique constatées dans les hypothèses où les technologies de l'information et de la communication,
notamment l’internet, sont utilisées comme moyens aux fins d’agissements répréhensibles.
En procédure pénale, le constat est celui de l’inadéquation des normes devant organiser le procès du
cyber délinquant dans toutes les étapes de la procédure (enquête, poursuites, instruction et jugement).
D'une manière générale, s'agissant tant du droit pénal général que du droit pénal spécial, l'efficacité
répressive du Code pénal Bouvenet était devenue insuffisante face aux formes modernes de
délinquance, comme la criminalité à caractère numérique. L’absence au Bénin, d’une loi spéciale
réprimant ce qu’on pourrait appeler « infraction du siècle » semble donner carte blanche à ces
faussaires qui opèrent en toute quiétude et à visage découvert. Les autorités chargées de l’enquête sont
strictement liées par leur compétence territoriale nationale et par le principe de souveraineté (Sagheer
G., L’internet et le droit pénal, Dar El Nahda El Arabia, 2002, p. 50 et s. ; Huet J., Le Droit applicable
dans les réseaux numériques, in Chatillon G., Le droit international de l’internet, Bruylant, 2002). Le droit
est cependant, et nécessairement, influencé par les données, qui lui sont extérieures. Il est appelé à
régir. Les faits transforment toujours le droit (le Tourneau Ph., Contrats informatiques et électroniques,
D., 2e éd., 2002, n° 0.15).
Sur ce fondement, chaque législateur essaie soit de se protéger sur son territoire, soit d’abdiquer sa
compétence législative face à ces actes illicites, soit d’observer et de légiférer aussi peu que possible,
ce qui constituer une solution efficace (v. Gauthraud N., Internet, le Législateur et le Juge, Gaz. Pal.,
1996). On comprend dès lors, la pertinence des deux outils cardinaux : le Code du numérique
(instrument catégoriel) et le Code pénal (instrument général), deux instruments intervenus en l’espace
d’un an (2017 pour le premier et juin 2018 pour le second, avec la précision que contrairement au
premier, le second instrument est en attente de promulgation).
Bien avant le Bénin, le Sénégal, avait adopté en 2008 une loi sur la cybercriminalité (L. sénégalaise
n° 2008-11, 25 janv. 2008, Sur la cybercriminalité). Le Code du numérique béninois contient 647 articles
distribués en sept livres. Le livre sixième est intitulé : « Cybercriminalité et cybersécurité ». Les
dispositions de ce livre fixent les règles et les modalités de lutte contre la cybercriminalité en République
du Bénin. Elles fixent également le cadre institutionnel, les règles et les modalités d’utilisation de la
cryptologie en République du Bénin (C. num. béninois, art. 491 à 639). C’est donc en réalité le livre
sixième qui concerne les infractions en lien avec le sujet. D’ailleurs pour rendre plus accessibles les
dispositions de la loi portant Code du numérique, le parquet, après le tribunal de première instance de
première classe de Cotonou, a lancé le 20 juillet dernier un ouvrage de 355 pages. Il est intitulé « Un
outil processuel dans l'univers numérique du Bénin ». Quant au nouveau Code pénal adopté le 5 juin
2018, il contient 1 008 articles répartis en quatre livres.
Mais il faut préciser que bien avant ces deux instruments, les lois n° 2011-20 du 12 octobre 2011 du 12
octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes puis n° 2015-07 du 22
janvier 2015 portant Code de l’information et de la communication en République du Bénin,
comportaient déjà des dispositions sur le numérique. Certaines dispositions de ces lois ont été
reconduites sans fard, dans les deux grands codes (à titre d’exemple, les articles 263, 264 et 265 de la
loi de 2015 sont identiques aux articles 454, 455 et 456 du nouveau Code pénal).
En filigrane, et c’est ce qui vient spontanément à l’esprit, l’innovation technologique rend nécessaire une
adaptation permanente de la loi pénale aux évolutions techniques qu’imposent tant le principe de
légalité édicté par l’article 3 Code pénal que celui d’interprétation stricte de la loi pénale, dont il constitue
le prolongement naturel, tel qu’il est énoncé à l’article 4 du Code pénal.
Pour satisfaire ces deux principes, le législateur veille régulièrement à traduire tant dans la loi pénale,
que dans les règles de procédure, à des fins qui peuvent être très diverses, les conséquences
prévisibles du numérique. La présente réflexion se limite à présenter, de façon simplifiée, la
nomenclature (I) puis la poursuite (II) de ces infractions à caractère numérique.
L’étude des deux codes révèle plus d’une centaine d’infractions en lien avec le numérique. L’ouvrage
« outil processuel dans l'univers numérique du Bénin » lancé en juillet dernier par certains magistrats du
tribunal de première instance de première classe de Cotonou indique 115 infractions. En effet, les
cyberdélinquants utilisent le numérique pour porter atteinte soit à leur personne (A), soit à leurs biens
(B).
Mais curieusement, les deux instruments envisagent différemment les sanctions. Par exemple, l’article
455 du Code pénal dispose « Ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article précédent, ont
directement provoqué soit le vol, soit les crimes de meurtre, d’assassinat, de pillage et d’incendie, de
destructions volontaires d’édifices, d’habitations, de magasins, de digues, de chaussées, de véhicules,
de ponts, de voies publiques ou privées, et d’une façon générale, de tous objets mobiliers ou
immobiliers, soit l’un des crimes et délits contre la sûreté de l’État, sont punis, dans le cas où cette
provocation n’aurait pas été suivie d’effet, de deux (02) ans à cinq (05) ans d’emprisonnement et de un
01 million (1.000.000) de francs CFA à dix millions (10.000.000) de francs CFA d’amende.
Sont punis des mêmes peines ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 454 ont fait l’apologie
des crimes et délits prévues à l’alinéa précédent.
Tous cris ou chants séditieux proférés contre les pouvoirs légalement établis dans les lieux ou réunions
publics, sont punis d’un emprisonnement de six (6) mois à deux (02) ans et d’une amende de deux cent
mille (200.000) francs CFA à deux millions (2.000.000) de francs CFA ».
La cohérence entre la sévérité des sanctions et la gravité des infractions n'apparaît pas toujours
clairement, dans la mesure où la gravité des sanctions selon la nature et la gravité des infractions fait
trop souvent défaut. Des infractions de gravité similaire sont punies de peines sans commune mesure
entre elles. L'échelle des sanctions ne reflète donc plus celle des valeurs. Par ailleurs, en intervenant
dans des domaines techniques, le droit pénal perd beaucoup de sa fonction expressive.
On peut revenir sur ce débat qui semble clos mais qui en réalité ne manque pas de pertinence.
Certaines infractions à caractère numérique ne portent-elles pas indirectement atteinte à l’intégrité
physique ?
La réponse semble délicate. Théoriquement, les infractions à caractère numérique ne peuvent pas
directement porter atteinte à l’intégrité physique d’une personne. Mais l’article 458 du Code pénal relatif
aux pratiques de sorcellerie et de magie, quoique discutable, permet d’y penser dans un contexte
africain où parfois la science juridique, rationnelle et rigoureuse, se confronte de plus en plus à ce
domaine qui, par définition, échappe à la logique et au bon sens. Cet article prévoit qu’il « est puni de la
réclusion criminelle de dix (10) ans à vingt (20) ans, quiconque s’est livré ou a participé à des pratiques
de sorcellerie, de magie ou de charlatanisme, susceptibles de troubler l’ordre public ou de porter atteinte
aux personnes et aux biens ».
En dehors de cette hypothèse marginale, le numérique peut être un outil efficace pour affecter l’intégrité
physique d’une personne par le biais d’une atteinte à son intégrité psychique. Le législateur béninois l’a
si bien compris en incriminant plusieurs comportements (provocation et menace) commis par le biais du
numérique.
L’intégrité physique touche le corps. Le corps rend la personne concrète. La personne ne se réduit pas
à cet aspect physique mais elle suppose un corps et l’action d’autrui sur son corps peut être de nature à
l’affecter directement. Cependant, certaines atteintes psychiques ont pour effet d’affecter indirectement
la personne dans son corps. Ce lien très étroit entre la personne et son corps explique que le droit pénal
ait, très tôt, voulu conférer une protection quasiment absolue à l’intégrité physique. La protection pénale
n’a rien de subsidiaire en l’espèce. La protection des aptitudes physiques confère à l’individu la maîtrise
de son corps et toute atteinte indirecte est susceptible d’être sanctionnée. Le droit à l’intégrité physique
est donc un droit fondamental prévu non seulement par la constitution béninoise du 11 décembre 1990
(Const. Bénin, art. 8) mais aussi par le Code civil applicable au Bénin (C. civ., art. 9) : chacun a droit au
respect de son corps.
Le principal intérêt juridique protégé par le droit pénal au regard du numérique est traditionnellement la
liberté et la sécurité de l’individu (Piatti M., Les libertés individuelles à l’épreuve des NTIC, PUF, 2001)
mais aussi l’intégrité psychique, bien entendu, dans une perspective spécifique. C’est dans ce
prolongement que s’inscrit la répression de toute atteinte à l’intégrité morale.
La protection par le droit pénal de l’intégrité morale des personnes est révélatrice de l’existence d’une
société développée dans laquelle le droit répressif n’a plus pour seul objet de protéger des valeurs
primordiales telles que la vie ou encore l’intégrité physique. Cette protection par le droit pénal de
l’intégrité morale des personnes est en expansion constante et est rendue nécessaire en particulier par
le développement des nouvelles technologies. Ces dernières, dévoyées dans leur utilisation, exposent
la population à de nouvelles menaces.
Les exemples d’atteintes à l’intégrité morale sont nombreux. Certains sont anciens comme la violation
du secret des correspondances par les particuliers ou par l’autorité publique. D’autres sont très récents
tels que le nouveau délit d’usurpation d’identité. La protection de l’intégrité morale des personnes
semble trouver sa place dans nombre de domaines. Elle intervient dans des champs aussi variés que le
droit pénal spécial du Code pénal et du Code du numérique (par ex. atteintes à la dignité et à la
personnalité (v. Strugal A. C., La protection de la personnalité à l'épreuve du numérique, RLDI 2010/66,
n° 2182, harcèlement, protection des mineurs) ou encore le droit pénal de la presse (Conte P., Les
outrages aux bonnes mœurs : Liberté de la presse et droit pénal, PUAM, 1994) avec la diffamation,
l’injure, la présomption d’innocence, etc. Face à ce champ d’étude particulièrement vaste, il s’agit de
déterminer ce que recouvre la protection de l’intégrité morale face aux infractions à caractère
numérique. L’étude de ces infractions à des fins de théorisation donnera d’ailleurs l’occasion d’établir le
cas échéant des ponts avec le droit civil. Seules les infractions les plus récurrentes sont étudiées.
La notion de « vie privée » est très large. Il en découle les différentes formes que peuvent prendre
l’atteinte à la vie privée. L’atteinte à la vie privée désigne tous les actes qui visent à rendre public des
informations ou des éléments de la vie privée d’autrui, sans son consentement : des emails, des
courriers, des propos tenus en privé, des informations relatives au domicile, à la situation familiale, à la
santé d’autrui, etc. La personne victime d’une atteinte à la vie privée est en droit de porter plainte pour
obtenir réparation (sous la forme de dommages et intérêts notamment). Des sanctions pénales sont
également prévues. Les affaires judiciaires dans le cadre desquelles les atteintes portées à cette
"capsule" protectionniste de la personne ne cessent de s’accroître sous l’effet du développement du
numérique.
Les deux codes protègent, le droit individuel de décider quelles sont les informations que l’on souhaite
protéger (par exemple, un droit individuel de décider librement par exemple, de la gestion des
informations à caractère individuel, de l’étendue et du type de données révélées sur l’individu), telles
que le droit constitutionnellement garanti à la protection de la vie privée et au secret des
communications). L’article 575 du Code numérique renvoyant la sanction au Code pénal, réprime
l’atteinte au secret des correspondances commises sur internet : « Le fait, commis de mauvaise foi,
d'ouvrir, de supprimer, de retarder ou de détourner des correspondances émises, transmises ou reçues
par la voie électronique arrivées ou non à destination et adressées à des tiers, ou d'en prendre
frauduleusement connaissance, est puni des mêmes peines que celles prévues dans les dispositions du
Code pénal relatives au secret des correspondances. Est puni des mêmes peines, le fait de procéder à
l'installation d'appareils de nature à permettre la réalisation de telles interceptions ». (C. pén. béninois,
art. 621 à 622). L’emprisonnement est de six (06) mois à cinq (05) ans l’amende de cent mille (100.000)
francs CFA à cinq cent mille (500.000) francs CFA.
Une fois de plus, les deux codes sanctionnent, parfois différemment, l’atteinte à la vie privée. L’article
608 du Code pénal prévoit un emprisonnement de six (06) mois à cinq (05) ans et d’une amende de
cent mille (100.000) francs CFA à deux millions (2.000.000) francs CFA, quiconque, par quelque moyen
quelconque, a volontairement porté atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui. En revanche la même
atteinte est lourdement sanctionnée par le Code du numérique lorsqu’elle est commise sur internet :
« Est puni de cinq (5) ans d'emprisonnement et de vingt-cinq millions (25 000 000) de francs CFA
d'amende, le fait, au moyen d’un ou sur un réseau de communication électronique ou un système
informatique, de volontairement porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui :
1- en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles
prononcées à titre privé ou confidentiel ;
2- en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se
trouvant dans un lieu privé. Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et
au su des intéressés sans qu'ils s'y soient opposés, alors qu'ils étaient en mesure de le faire, le
consentement de ceux-ci est présumé » (C. num. béninois, art. 574). C’est vrai que les deux textes
posent un problème d’articulation, d’autant plus que dans le Code pénal, internet fait partie des moyens
susceptibles de trouver une place dans l’application de l’article 608 du Code pénal.
• La pornographie et la pédopornographie
Le Code pénal réprime la pornographie (C. pén. béninois, art. 580 et s.). Cependant, elles sont
aujourd’hui la plupart du temps transmise et diffusée de façon numérique ; c’est la raison pour laquelle
certains systèmes juridiques ont introduit des dispositions pénales spécifiques relative à la
cyberpornographie. C’est dans cet esprit que l’article 518 du Code numérique incrimine la
pédopornographie : « Quiconque aura par le biais d’un système informatique, intentionnellement et sans
droit, exposé, produit pour lui-même ou pour autrui, vendu, offert, loué, distribué, transmis, diffusé,
publié ou mis à la disposition des emblèmes, objets, films, photos, diapositives ou autres supports
visuels qui représentent des positions ou des actes sexuels à caractère pornographique, impliquant ou
présentant des mineurs ou les aura, en vue du commerce ou de la distribution, la diffusion, fabriqués,
détenus, importés ou fait importer, remis à un agent de transport ou de distribution, est puni de la
réclusion de deux (02) ans à sept (7) ans et d’une amende de vingt millions (20 000 000) à cent millions
(100 000 000) de francs CFA ».
Lorsque les auteurs d’infractions utilisent les réseaux sociaux pour établir le contact avec leurs victimes
potentielles d’infractions sexuelles, en particulier, les enfants, nous franchissons déjà la ligne qui sépare
les infractions traditionnelles de celles qui nécessitent l’existence d’internet. L’utilisation de services de
rencontre en ligne par des adultes cherchant à séduire des mineurs en vue de commettre des abus
sexuels a déjà été définie comme une infraction dans beaucoup de systèmes juridiques.
Enfin, le fait de publier sur internet, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec les paroles ou
l'image d'une personne sans son consentement, s'il n'apparaît pas à l'évidence qu'il s'agit d'un montage
ou s'il n'en est pas expressément fait mention, est puni de cinq (5) ans d'emprisonnement et de vingt-
cinq millions (25 000 000) de francs CFA d'amende (art. 576).
En dehors des atteintes contre les personnes, il y a des atteintes contre les biens.