Quest-Ce Que Le Theatre Africain
Quest-Ce Que Le Theatre Africain
132-145
This article gives the broad outlines of our thesis entitled: The African theatre and its character-
istics. Analysis of some defining criteria through the urban kikongophone theatre". We will give
more information about the problem statement and the methodology used to write this thesis.
This thesis is a contribution to the theorization and conceptualization of African aesthetics, more
in particular African theatre."
Key words : theater, african, theorization, conceptualization, criteria
Cet article reprend les grandes lignes de notre thèse intitulé « Le théâtre africain et ses caractéris-
tiques. Analyse de quelques critères définitoires à travers le théâtre urbain kikongophone ». Nous
y avons repris les grandes articulations qui constituent l’ossature de cette thèse en précisant le
problème posé, en articulant notre position et en définissant la méthode que nous avons suivie
pour rédiger cette thèse qui constitue une plus – value dans la théorisation et la conceptualisation
de l’esthétique africaine notamment du théâtre.
Mots clés : théâtre africain, théorisation, conceptualisation, critères
Introduction
Cet article fait suite à notre thèse de doctorat intitulé « Le théâtre africain et ses
caractéristiques. Analyse de quelques critères classificatoires à travers le théâtre urbain
kikongophone ». Thèse soutenue à l’Université Libre de Bruxelles en cotutelle avec l’Uni-
versité de Gand. Cette thèse constitue une tentative de réponse au séminaire que nous
avons présenté en 2010 au Musée Royal de l’Afrique Centrale : « le théâtre africain à la
recherche de la catégorisation ». Nous avons analysé dans cette thèse un corpus de huit
pièces de théâtre récoltées auprès de la troupe théâtrale Schecania dans la ville de Boma,
province du Bas-Congo en République démocratique du Congo. Ce corpus que nous
avons considéré comme genre de la littérature africaine moderne notamment du théâtre
moderne sur la base des critères que nous énonçons plus bas, nous a permis de démar-
quer ce type (théâtre moderne) des autres types de théâtre africain : traditionnel, importé.
En plus, il nous a permis de clarifier la question de l’existence ou non du théâtre africain :
fondamental. Nous reprenons donc ici les grandes articulations de cette thèse suivant le
1 Travail de thèse de doctorat soutenu à l'Université de Gand sous la supervision des professeurs Koen Bostoen,
Xavier Luffin et Jacky Maniacky.
plan ci-après :
– Le problème
– Notre position
– La méthodologie
– Conclusion
Le problème
La qualification et la catégorisation du théâtre africain posent problème chez plus
d’un chercheur. Une problématique sans cesse renouvelée par des réflexions parfois très
tranchées, parfois moins approfondies. Certains pensent que l’Afrique ne connaît pas de
théâtre pour des raisons que nous évoquerons plus bas; c’est plutôt l’Occident qui aurait
apporté ce genre en Afrique à travers la colonisation. C’est le cas par exemple de Ricard
(1998, 1986) ou de Hussein (1991). D’autres pensent que l’Afrique connaît bien son théâ-
tre avant l’arrivée du colonisateur. C’est le cas par exemple de Traoré (1958), Ngugi wa
Thiong’o (1986) Sony Labou Tansi (1986), Zumthor (1983), Ruocco (2007). Nous avons
cherché à pénétrer le problème en faisant le débat sur la question de l’existence ou non
du théâtre africain en critiquant dans tous le sens les critères qui font soutenir ces genres
de position. D’abord en cherchant à décortiquer les critères qui disqualifient l’existence
du théâtre en Afrique, en vue de construire solidement notre argumentaire par rapport à
la question. Notre lecture a pu ainsi établir l’existence des postulats ci – après au regard
du débat quotidien sur la question :
a) Le théâtre n’est pas africain à cause de l’absence des textes écrits selon que cela
s’expliquent dans les propos des auteurs comme Ricard (1986 :32) qui défend que
le théâtre s’inscrit tout entier dans l’univers de l’écriture, dans la construction poé-
tique; ou Mulongo (2003 :87) qui écrit :
Une faiblesse majeure : l’absence de textes rigoureusement écrits et édités.
D’où la difficulté (l’impossibilité) de reproduction scénique d’une pièce par
d’autres troupes. Et par voie de conséquence, l’émergence des auteurs (et donc
de la littérature) en langues nationales est sans cesse repoussée. L’on pourrait
également y ajouter le problème de la langue employée : le travail de la langue.
La langue du peuple est-elle condamnée à trop de simplicité, trop de légèreté
dans la trame discursive? A l’absence de rigueur dans l’observance des règles
linguistiques?
b) Les genres considérés comme théâtraux par certains classiques (Zumthor, Bau-
mgart, Lamko, Banham, Cornevin…) ne remplissent pas le critère à cause de l’ab-
sence en ces derniers (mythe, conte, palabre, chant traditionnel, rite...) de jeu et le
non-respect de la mise à distance ;
c) l’absence d’une architecture théâtrale appropriée selon les termes de Ricard et aussi
l’expression théâtrale est le produit d’une élaboration poétique propre à certains
groupes sociaux, l’Occident en l’occurrence (Ricard)
d) L’inexistence dans ces genres d’une démarcation nette entre l’esthétique et l’expé-
rience pratique de la vie politique et religieuse.
Notre position
Enonciation
Au regard des arguments et de contre – arguments ci –haut énoncés, nous avons pu
établir qu’il a bien existé en Afrique, avant la colonisation, des formes de représentations
spectaculaires similaires au théâtre sous d’autres cieux. Les Africains en étaient et en sont
conscients et le reconnaissent comme discours parmi tant d’autres. Ainsi par exemple,
les Bakongo désignent, tout l’arsenal des genres qui rentrent dans ce discours par le
terme ntshaka : jeu. Les Adioukrou de Côte-d’Ivoire désignent ce théâtre par le terme
« esgbêgbl » qui signifie jeu. La rencontre avec l’Occident a transformé ce théâtre et a donné
lieu à ce que nous appelons le théâtre moderne. Nous avons proposé d’ailleurs dans le
cadre kongo de désigner carrément le genre théâtral par le terme local ntshaka qui traduit
mieux la manière de considérer cet art par ce peuple. Ainsi avons-nous proposé pour le
théâtre africain la typologie suivante :
Le théâtre traditionnel : Nous avons rangé dans ce type de théâtre, quelques genres
de la littérature orale africaine : conte, épopée, mythe, chant traditionnel… La littérature
orale africaine est d’abord une performance théâtrale. Une soirée au village est un phé-
nomène artistique total intégrant dans la même structure tous les éléments de la géomé-
trie scénique, des ressources linguistiques et ludiques, avec participation collective de
la communauté tout entière. Zumthor (1983 : 198, 55) pense qu’en Afrique où les contes
se miment, certains –chez les Ewé, les Yoruba etc. – se distinguent à peine de ce que se-
rait pour les Occidentaux un théâtre. D’ailleurs, il pense que le théâtre apparaît de façon
complexe, mais toujours prépondérante, comme une écriture du corps : intégrant la voix
porteuse de langage à un graphisme tracé par la présence d’un être humain, dans l’épa-
nouissement de ce qui le fait tel.
De ce point de vue, nous sommes en parfaite harmonie avec Baumgardt (2008 :50)
qui énonce que « La spécificité du texte de littérature orale relève justement du fait que
le texte n’est pas seul mais qu’il est entouré, qu’il est tributaire de la performance, qu’il
C’est même là que réside la différence entre théâtre et littérature, comme le dit David
(1997 : 97) « A la différence de la littérature, le théâtre représente une langue en action. Il
met en scène des personnes qui parlent. Que ce soit à d’autres personnages ou au public
n’a ici que peu d’importance. Le simple fait de parler est ce qui compte, en ce sens, la
dramaturgie est d’abord un acte de parole ». C’est de cette manière que Patrini (1998 :301)
propose une autre manière d’analyser le discours du conte, ainsi énonce-t-il qu’
A partir de cette exigence particulière qu’exige le discours du conteur, il faut
considérer d’une autre manière les instruments de l’analyse littéraire tradition-
nelle fréquemment utilisés. Ces instruments sont déficients parce qu’ils pré-
supposent un texte silencieux seulement parcouru des yeux; le texte du conteur
sera toujours performant, les conteurs sont les réalisateurs d’une théâtralité
vivante.
Nous relayons ainsi dans ce sens le point de vue des auteurs comme Struyf (1936),
Traoré (1958), Izevbaye (1975), Labou Tansi (1983), Lamko (2006) ou Pairault (1970 :16)
qui pense qu’
[…] il serait naïf de tirer une preuve en faveur de l’inexistence du théâtre dans
les cultures traditionnelles d’Afrique noire. Ce qu’on peut avancer à titre d’hy-
pothèse, c’est que le genre dramatique ne se présente pas dans ces cultures
selon les formes canonisées par le nom même de théâtre. […] Le terme drame
signifie une action. Un drame c’est une action typique qui mérite d’être repré-
sentée, parce qu’elle résume d’une manière ou d’une autre la condition hu-
maine. Comme vous le savez, dans le Faust de Goethe qu’on peut lire : « Au
commencement était l’action ». Mais dans les cultures africaines, cette phrase
qui n’est pas écrite [les cultures africaines traditionnelles ne sont pas écrites]
se vit et se dit comme une évidence à rappeler, à réitérer. Coutumièrement, elle
se vit dans les mythes et elle se vit dans les rites, et les uns et les autres ont à
être répétés, parce qu’en eux se présente l’action qui fait le sens de l’existence
humaine.
Le théâtre moderne africain est donc une rupture et une évolution par rapport au
théâtre traditionnel. « Il y a là une mise en abîme du travail même de l’écriture, qui montre
l’interdépendance des deux formes de théâtrales : celle du terroir, réactivée dans celle d’im-
portation5 » (Kazi Tani, 1995 :115). Kesteloot (1970 :51) montre aussi que le théâtre africain
moderne est né pendant la colonisation et il est tout naturel qu’il en porte les stigmates ».
Rubin (1997 :14,15) définit aussi ce théâtre comme la symbiose du traditionnel africain et
de l’occidental :
[…] Yet these differences must be articulated and recognized if one is to begin
to grasp the nature of theatre in African culture. To do so, one must be open
to larger definitions of the word than are normally found in western tradition,
alternative definitions. This is part of what our two African volume editors are
suggesting when they make distinctions between traditional and modern thea-
tre in their introduction to this volume. […] : “Obviously, if one is only inter-
ested in spoken drama one will not be able to understand the essence of contemporary
African theatre, the rich fusions that are being made now even by traditional artists or those
who, trained in western dramatic form, are beginning to reintroduce into their work.”6
Cette rupture et cette évolution, nous l’avons situé à trois niveaux : de la langue, des
personnages, et de l’espace. Du point de vue de la langue, nous assistons à la mixité de
la langue, qui met ensemble des parlers locaux et les langues occidentales avec une forte
inclination au code-switching. Ambassa. Betoko (2010) parle du théâtre francophone au
Cameroun comme une nouvelle forme de littérature orale née de la rencontre du français
et des langues camerounaises. Mulongo (2003) explique ce qu’il appelle « un nouveau
Le théâtre importé : c’est le théâtre occidental qui a été importé en Afrique et qui
continue à se jouer jusqu’à ce jour. L’interprétation et/ou l’adaptation des classiques occi-
dentaux tels que Shakespeare, Molière, Racine, Victor Hugo…
Les deux derniers types constituent ce que nous appelons dans notre typologie, le
théâtre contemporain.
Démonstration
Notre argumentaire à ce sujet a été construit sur la base d’une orientation théorique
énoncée par les auteurs comme Bourdier8, Grawitz (1993), Calame Griaule (1977). Ana-
lysant l’histoire comparée des représentations du monde social, Bourdier montre que
la construction du monde social n’est ainsi pas séparable des représentations que s’en
font ses propres acteurs et celles-ci s’imposent donc bien comme l’un des objectifs spé-
cifiques de l’histoire sociale. Grawitz (1993) expliquant la démarche phénoménologique
montre que celle–ci consiste à savoir comment se situe l’individu par rapport à cet objet
vécu? Il sera la conscience intentionnelle, « le rayon qui éclaire la chose », écrit Picon
(1965 :55). En effet, « le sujet face à la transcendance de l’objet est conscient de l’acte par
lequel il donne à celui–ci une signification » (Grawitz, 1993 :10). Calame Griaule explique
la relation entre l’homme, le milieu et les désignations. Ainsi démontre-t-elle le rôle de la
langue dans l’expression de la relation entre l’homme et son milieu, naturel ou culturel.
Car l’ethnoscience, selon ses termes, ne consiste pas seulement à décrire la relation entre
l’homme et son milieu sous l’angle du rôle tenu, par exemple, par les espèces animales
ou végétales dans un écosystème, bien que cet aspect soit de toute évidence important. Il
faut aussi découvrir comment un groupe donné perçoit cette relation et l’exprime, entre
autres, à travers sa langue. En effet, « Une condition idéale d’observation est celle d’éta-
blir un espace de communication plus ou moins permanent avec les communautés et
leurs modes de vie, leurs rituels quotidiens. » (Magieri, 2013 :77). Suivant cette orien-
tation, il nous était question de situer le phénomène théâtre dans une situation contex-
tuelle bien déterminée : l’Afrique. Comment les Africains perçoivent-ils cette notion et
quel sens lui donnent-ils ; car comme l’ont bien souligné Helbo et Butor (1979 :13), « On
ne peut pas poser la question < Qu’est – ce que l’art ? > Sans y ajouter les questions <
Quand ? Où ? Et Comment ? > Car, « Il n’y a pas d’art sans authenticité » (Kesteloot, 1965).
Ensuite il nous fallait situer le phénomène théâtre dans une approche universelle pour
déduire de la rationalité des positions prises, c’est-à-dire, il convenait de définir les pré-
alables d’un genre théâtral pour vérifier, dans un premier sens, si les arguments niant
l’existence du théâtre en Afrique avaient vérifié lesdits préalables, et dans l’autre sens
si les arguments reconnaissant cette existence tenaient compte de ces préalables. Nous
avons donc pu comprendre avec les auteurs comme Helbo, Naugrette, Lamko, Biet et
Triau que le théâtre comme le cinéma est un art de la complexité. Il ne se définit pas suf-
fisamment par rapport à un élément, mais il se définit par rapport à certaines variables
reconnues comme essentielles et pertinentes. C’est à partir de ces variables que nous
avons construit la grille admettant l’existence d’un théâtre en Afrique. Lamko (2006 :9)
face à cette problématique du théâtre africain se pose des questions fondamentales :
En effet, que faut-il pour qu’il y ait théâtre ou plutôt que suffit-il pour qu’il y
ait théâtre? De quoi se constitue l’élément pertinent qui enracine l’expérience
théâtrale et légitime : le texte d’auteur écrit, fixé ou le texte prétexte collectif
improvisé? Le lieu théâtral conventionnel ou le lieu accidentel investi? Le pu-
blic spectateur qui paie à l’entrée de la salle ou le public “spect’acteur” impli-
qué dans la construction de l’événement théâtral et qui investit les lieux non
conventionnels? L’acteur consacré issu d’un institut d’art dramatique, d’un
conservatoire ou l’acteur amateur événementiel adepte d’une saison?
La méthodologie
Notre démarche dans la rédaction de cette thèse était critique et analytique. Du début
à la fin de cette thèse, nous avons essayé de critiquer certains points de vue, de manière
à proposer, de façon transversale notre propos. Dans cette critique générale, nous avons
forgé ce que nous avons appelé la méthode interactive. La méthode interactive est une
méthode de complexité visant à explorer des phénomènes complexes, en vue de saisir les
principes qui fondent leur appréhension unique. C’est une démarche interdisciplinaire
qui cherche à expliciter la totalité d’un phénomène. La totalité d’un phénomène comme
l’explique Château (2005) n’est autre chose que la pluralité considérée comme unité.
Ainsi face à cette multitude d’éléments que nous proposait notre corpus, cette méthode
nous indiquait une interaction disciplinaire. Cette manière interactive de saisir l’unité à
travers la complexité de l’objet étudié correspond à l’explication que Lesne (2009) donne
d’un système complexe : Mais pour moi, souligne Lesne, la principale caractéristique
d’un système complexe est sa causalité circulaire, en termes plus explicites l’existence
des rétroactions des comportements collectifs et des propriétés émergentes (macrosco-
piques) sur le comportement des éléments (microscopiques). Les éléments vont collec-
tivement modifier leur environnement, qui en retour va les contraindre et modifier leurs
états ou comportements possibles. Dans un système complexe, connaître les proprié-
tés et le comportement des éléments isolés n’est pas suffisant pour prédire le compor-
tement global du système. Le théâtre dans sa complexité n’est nullement réductible à
une démarche. Comment résoudre une problématique aussi complexe si on s’enferme
dans une même et unique démarche, surtout dans le cadre des études comme celle -ci où
l’objet est ambivalent. En effet, Pradier (2013 :49) démontre que l’interdisciplinarité est
une pluridisciplinarité en dialogue critique. Elle permet d’invalider les approches singu-
lières, de les corriger, de les compléter ou d’en montrer les limites. Parfois, l’interdisci-
plinarité est à même de mettre en œuvre de nouvelles disciplines : psycholinguistique,
sociolinguistique, psychobiologie, économie politique, biologie moléculaire etc. Reswe-
ber (1981) insiste pour qu’on ne voie pas dans ce paradigme un simple dénominateur
commun, mais plutôt la symbolisation d’un non-dit ou d’un impensé vers lequel font
signe les discours des disciplines. Nous avons rangé notre corpus aussi et surtout comme
art du spectacle vivant, de cette manière nous avons considéré la terminologie classique
de Hjelmslev (1971) qui pense qu’une œuvre d’art scénique et des arts vivants peut être
considérée comme une sémiotique multiplanaire non conforme entre les plans constitu-
tifs. […] Le texte d’arts vivants se produit et se déplace diachroniquement et synchroni-
quement en assemblant et désassemblant des unités de diverses magnitudes, substances
et consistances de codes.
Au regard de ce qui précède et considérant le caractère dialogique des pièces de
théâtre, nous avons interrogé la sociolinguistique interactive notamment suivant l’ap-
proche fonctionnelle ou situationnelle de Gumperz (1982) [dont l’objet est d’analyser
les effets du contact de langues, et d’étudier les fonctions conversationnelles et pragma-
tiques des alternances de codes comme éléments modulateurs du discours] et à ce qu’il
est convenu de considérer comme l’approche conversationnelle; sur la théorie du « jeu
1990 :76). Ainsi que l’on peut s’en apercevoir, cette approche nous a aidé notamment à
prendre en compte le contexte de l’énonciation pour déterminer le sens de tout énoncé.
L’idée force de cette approche est de considérer que l’objet de l’investigation, ce ne sont
pas des phrases abstraites, mais des énoncés actualisés dans des situations communica-
tives particulières. (Kerbrat, 1990).
Nous avons considéré nos matériaux oraux comme signe dont le sens ne peut être
compris que dans le contexte Kongo. Ainsi, pour essayer de pénétrer les différentes infor-
mations qu’ils renferment, il nous fallait le décoder suivant la compréhension locale. En
cela une démarche herméneutique avec l’exploration du symbolique surdéterminé (poly-
sémie) de l’univers kongo s’en est mêlée. En effet, « L’exigence de la relation au contenu
découle très clairement d’une compréhension précise de la tâche de l’herméneutique, et
– préalablement – d’une compréhension précise de la structure du texte, à savoir la nature
du passage et ce qui le rend obscur » (Szondi, 1989).
Nous avons cherché à retrouver, dans la mesure du possible, les intentions de sens
dont sont porteuses les pièces de théâtre [ceci implique la prise en compte des compor-
tements spontanés et sollicités des personnages, et la connaissance de la culture appuyée
par des investigations sur place auprès d’autres informateurs autochtones compétents]
à débobiner le fil des investissements sémantiques analogiques en s’appuyant sur cer-
taines techniques et concepts fondamentaux de la littérature, communication, philoso-
phie du langage, sémiotique, la sociolinguistique ou la pragmatique et de l’intertextua-
lité, comme nous venons de l’expliquer ci-dessus.
Enfin, nous avons recouru à l’anthropologie du spectacle ; parce que nous avons
considéré les pièces analysées comme du spectacle ancré dans la culture et donc l’inter-
prétation doit tenir compte, comme le dit Helbo (2007) du cadre social et de la relation
univers du texte dramatique. En effet, comme le dit Leveratto (2013) Réintégrer l’usage
conscient de son corps que fait le spectateur à travers les situations de consommation
culturelle quotidienne, soit toute la dimension de la gestion des émotions suscitées par
les objets culturels qu’il rencontre dans le cadre de son loisir, c’est reconnaître la culture
du spectacle, au sens à la fois du savoir et de l’action de cultiver sa sensibilité et son juge-
ment, qu’il possède. Il s’agit de réintroduire dans l’observation non seulement le savoir
qu’apporte au spectateur sa familiarité avec des objets artistiques, mais celui qui résulte
de son engagement personnel ici et maintenant dans le spectacle, au sens d’un agence-
ment à la fois social et technique.
Conclusion
Notre objectif en écrivant cette thèse était de revisiter le débat sur l’existence ou non
du théâtre africain, de manière à filtrer les différents arguments et à insérer, de façon
transversale, notre point de vue, issu de cette confrontation argumentaire. L’apport
méthodologique de cette démarche, ce n’est pas d’avoir pris parti pour une position ou
pour l’autre ; mais plutôt d’avoir profité de cette tension pour apporter une masse d’in-
formations visant doublement l’approfondissement de cette question : d’un point de vue
théorique et d’un point de vue conceptuel. Avec une telle démarche, nous pensons avoir
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