Journal des savants
La magie dans l'Égypte antique
François Lexa. La Magie dans l'Égypte antique de l'Ancien Empire, jusqu'à
l'époque copte
Jules Toutain
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Toutain Jules. La magie dans l'Égypte antique. In: Journal des savants, Mars 1929. pp. 126-134;
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126 . J. TOUT AIN
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LA MAGIE DANS L'EGYPTE ANTIQUE
François Lexa. La Magie dans V Egypte antique de V Ancien Empire,
jusqu'à V époque copte; t. 1, Exposé; t. II, Les textes magiques ; t. III,
Atlas (LXXI planches hors texte). Un vol. in-4ô. Paris, Librairie
orientaliste Paul Geuthner, 1925.
Dans la conclusion, très éloquente, par laquelle se termine la seconde
édition de son grand ouvrage, Le Rameau d'Or, sir James Frazer a écrit :
« Si nous considérons que, d'une part, les désirs les plus vifs de l'homme
sont toujours et partout semblables, et que, d'autre part, les procédés mis
en œuvre pour les satisfaire ont été profondément différents suivant les
Gherardini au duc de Nevers, de Visdelou à Jourdan, de Boissy à Jourdan, de Pechberty et
Deu à la Compagnie des Indes orientales (nous le savons pour ces dernières par un post-scrip-
tum du 24 février). Dans ses Relations curieuses, 295-296, Lagrange fournit une version assez
étrange de l'envoi de Sabrevois en France. La Roque, de plus en plus violent, avait donné à
Lagrange l'ordre d'arrêter les directeurs de la Compagnie dans leur maison; mais ceux-ci
s'armèrent avec leurs ouvriers et leurs domestiques, et Lagrange fut heureux d'avoir ainsi
une excuse pour rentrer à bord sans rien faire. Sur quoi les directeurs, les jésuites et
quelques-uns des ofticiers n'appartenant pas à la marine royale firent une ordonnance au nom
du roi et de la Compagnie de la Chine par laquelle ils ôtaient son commandement au chevalier
de La Roque et nommaient en sa place le premier capitaine en second Géraldin, bien qu'il
n'eût « nul grade dans le corps de la marine». Mais l'esprit de corps des officiers de la marine
royale reprit ses droits devant cette ordonnance « monstrueuse » ; La Roque, vieux routier,
sut manœuvrer et reprendre le dessus ; il cassa Géraldin et envoya Sabrevois se plaindre à la
Cour de« l'attentat des directeurs et autres sujets qui s'étaient bandés contre lui ». Les
directeurs, « appuyés du suffrage des jésuites », écrivirent de leur côté à la Compagnie des lettres
très vives pour se plaindre de M. de La Roque et envoyèrent en France un de leurs commis.
Mais Lagrange, après 44 ans, paraît ici confondre les faits et les dates. Dans leur lettre du
17 février 1699, les commis de la Compagnie des Indes, Pechberty et Deu, tout en
reconnais ant qu'on leur avait dit La Roque fort violent et qu' « en certaines rencontres nous en avons
même connu quelque chose », ajoutent que, vis-à-vis des directeurs de la Compagnie de
Jourdan, « suivant ce que nous avons vu et les rapports qui nous ont été faits, il a eu jusqu'à
présent beaucoup de modération ». Ils ne s'exprimeraient pas ainsi si les incidents narrés par
Lagrange s'étaient déjà produits à cette date. On ne peut pas davantage les placer entre le
17 janvier et le 1er mars. En effet, dans sa Relation de 1700 adressée à Pontchartrain, Lagrange
raconte avec détails le départ de Sabrevois le 1er mars, mais c'est seulement le 9 août qu'il
place la scène où La Roque casse Géraldin, pour des motifs « qu'il dit ne dire qu'à la Cour
et que personne ne sait ». Lagrange a donc amalgamé après coup des faits qu'il a connus sur
place avec d'autres dont il n'a eu le détail qu'après le voyage, et son souvenir a brouillé l'ordre
des événements ; c'est un des cas où il ne devait plus avoir en 1740 et 1743 certaines de ses
notes de 1698-1700. La lettre de Visdelou à Jourdan laisse néanmoins entendre que, dès février
1699, il s'était produit des difficultés qui ne sont sans doute pas étrangères à la mission de
Sabrevois.
LA MAGIE DANS L'EGYPTE ANTIQUE 127
époques, nous serons peut-être amenés à conclure que la pensée humaine,
dans la mesure où nous pouvons retracer ses progrès, a passé en général de
la magie à la religion et de la religion à la science. Dans la magie, l'homme
croit à sa propre puissance pour lutter contre les difficultés et les dangers
qui le menacent de toutes parts. Il pense qu'il y a dans la nature un ordre
établi, ordre sur lequel il peut sûrement compter et sur lequel aussi il peut
agir en vue de ses propres fins. Lorsqu'il découvre son erreur, lorsqu'il
reconnaît tristement que cet ordre naturel et l'action qu'il croit exercer sur
lui sont purement imaginaires, il cesse d'avoir confiance dans sa propre
intelligence et dans ses seuls efforts ; il se jette humblement sous la
protection de certains êtres invisibles et puissants, cachés derrière le voile de la
nature, auxquels il attribue dès lors tousles pouvoirs qu'il croyait posséder
lui-même. Ainsi, à mesure que l'esprit humain s'aiguise, la magie fait gra-^
duellement place à la religion, qui explique la succession des phénomènes
naturels par la volonté, la passion ou le caprice d'êtres spirituels semblables
à l'homme, mais dont la puissance est bien supérieure àia sienne1 ».
S'il est possible, même vraisemblable, que la magie ait précédé la religion
dans l'évolution de la pensée humaine, il ne faudrait pas en conclure qu'elle
a disparu partout, lorsque les hommes ont commencé de croire que la
religion pouvait satisfaire tous les désirs. Jusque dans les temps modernes,
la magie a survécu, malgré la lutte vigoureuse que certaines religions ont
entreprise contre elle. A plus forte raison, dans l'antiquité, les progrès du
sentiment religieux, de la croyance à l'existence d'êtres divins, n'ont réussi
nulle part à éliminer la magie des préoccupations humaines; les opérations
et les procédés magiques ont coexisté auprès des rites vraiment religieux ;.
souvent il est difficile de les distinguer les uns des autres; il est arrivé que
les humains ont voulu agir sur la divinité par de telles opérations et de tels
procédés.
Un'est pas, dans le monde antique, de pays qui offre à cet égard un champ
d'observation plus étendu et plus fécond que l'Egypte. Le grand ouvrage
de M. François Lexa, professeur à l'Université de Prague, nous fournit
l'occasion de mettre en lumière l'importance et le caractère de la magie dans la
vallée du Nil, depuis les temps lointains de l'Ancien Empire jusqu'aux
premiers siècles du christianisme.
L'origine de la magie, tout au moins de la magie égyptienne, doit être
cherchée, d'après M. Lexa, dans la double conception qu'avaient les Égyp-
i. Le Rameau d'or, trad, franc., par R. Stiébel et J. Toutain, t. III, p. 547 et suiv.
128 , J. TOUTAIN
tiens de ce que nous appelons la loi de causalité. « Les anciens Égyptiens
connaissaient bien la différence entre les phénomènes naturels et magiques
et entre des médecines naturelles et magiques. Selon leur opinion,
un phénomène naturel était l'effet d'une force naturelle, un phénomène
magique, d'une vertu magique. Outre la loi de la causalité naturelle, ils
connaissaient encore la loi de la causalité magique. La médecine, d'après
la Ioide la causalité naturelle, guérissait la maladie; la formule magique
prononcée pendant la fabrication du médicament d'après la loi de la
causalité magique et au moment où on le prenait, faisait son effet plus fort et plus
vite1. » La magie peut donc se définir : un mode d'activité tendant à
produire certains effets dont l'esprit humain ne saurait expliquer l'apparition
par la loi de causalité naturelle. Qu'un médicament absorbé par un malade
le guérisse ou le soulage, c'est là un fait d'ordre en quelque manière
physique, donc naturel ; mais que l'on attende le même résultat de la
prononciation de mots souvent incohérents ou du contact de certains objets dits
amulettes ou fétiches, c'est là une idée qui relève de la magie.
Lors donc que l'Égyptien constatait ou croyait que son désir ne pouvait
pas être réalisé par un mode d'action normal, que l'effet souhaité ne pouvait
pas être obtenu par une cause naturelle, il avait recours à la magie. « Tous
les hommes de tous les temps ont désiré avoir santé, amour, victoire sur
l'ennemi : de là les médicaments magiques, les philtres d'amour, les
sorcelleries pour affaiblir ou exterminer l'ennemi chez toutes les nations de
l'antiquité comme du moyen âge et des temps modernes-. » Chez les Égyptiens,
les procédés magiques étaient appliqués dans maintes circonstances qui
ne relevaient ni de la maladie, ni de l'amour, ni de la lutte entre les
hommes : par exemple, pour se défendre et pour défendre les animaux
domestiques contre les bêtes fauves de la terre, de l'eau et des airs, serpents,
scorpions, crocodiles, oiseaux de proie; — pour mettre les provisions de
bouche à l'abri des souris; — pour protéger les maisons contre les mouches ;
— pour éviter les accidents qui pouvaient se produire sur l'eau; — pour
produire la crue du Nil, condition indispensable àia vie du pays, pour
l'arrêter quand elle menaçait d'être trop forte, pour faire rentrer le fleuve dans
son lit normal; — pour détourner l'orage avant qu'il n'éclatât ou pour le
calmer, quand il avait éclaté, etc.
Ce n'était pas seulement pour les besoins et les vicissitudes de la vie ter-
1. P. 17.
2. P. 23. .
LA MAGIE DANS L'EGYPTE ANTIQUE 129
restre que l'Égyptien usait de la magie. On sait qu'il attribuait à la vie
d'outre-tombe une importance plus considérable qu'à l'existence humaine ;
celle-ci en effet lui paraissait courte et éphémère ; celle-là, éternelle. Il jugeait
donc nécessaire de prendre des précautions minutieuses pour écarter tout
danger de son avenir posthume; ces précautions consistaient principalement
en sortilèges, capables de lui procurer la nourriture nécessaire, de lui
assurer un voyage et un séjour tranquille dans l'empire d'Osiris, de le
protéger contre les monstres fabuleux qui pouvaient le menacer dans l'au-delà.
Enfin il n'était pas jusqu'aux relations des êtres humains avec les dieux
et avec les esprits des morts qui ne fussent l'objet d'opérations magiques,
pour évoquer et interroger ceux qu'on jugeait bienfaisants, pour écarter
ceux dont on redoutait l'approche et le contact. « C'est le désir d'apprendre
les choses cachées ou futures, de confier aux dieux et aux esprits des
messages et de leur donner des ordres, qui était le plus souvent le but pour
lequel on les évoquait. Quand le dieu ou l'esprit a répondu aux questions
ou quand il a fait ce qu'on lui demandait, îe magicien le laisse s'en aller.
Avec les démons on ne plaisantait pas ; le mieux était de les repousser sur
le champ, dès qu'ils s'approchaient de l'homme. Quand on n'y réussissait
pas, ils entraient dans le corps, et alors il fallait les éloigner, ce qui causait
parfois de grandes difficultés même aux sorciers les plus expérimentés1. »
Les dieux eux-mêmes ne dédaignaient pas, dans des circonstances graves,
de faire appel à la magie. En voici deux exemples, qui se rattachent à la
puissance du vrai nom, le seul à l'aide duquel il était possible d'exercer
une action vraiment efficace sur la divinité. « La déesse Isis se décida à
apprendre le vrai nom du dieu Ra. Le dieu Ra l'apprit lors de la naissance
de son père et de sa mère et le tenait secret dans son cœur pour que
personne ne pût l'apprendre et forcer Ra à l'obéissance. Isis fabriqua un
serpent avec de la salive de Ra mêlée à de l'argile et le mit sur le chemin de
Ra qui fut piqué. Tourmenté par la douleur, il demanda à Isis de venir à
son secours. Isis le lui promit à condition qu'il lui dise son nom, sans la
connaissance duquel elle ne pouvait le guérir. Ra dit à Isis beaucoup de
ses noms; mais son vrai nom ne se trouva pas parmi eux, et c'est pourquoi
le poison continua à le tourmenter. Enfin poussé à bout, Ra dit à Isis son
vrai nom, et Isis aussitôt expulsa le poison par une formule magique.
« Dans une autre formule, le frère du dieu Hor, piqué, crie au secours
d'Hor, mais quand celui-ci demande qu'il fasse savoir son vrai nom, parce
1. P. 42.
SAVANTS. 17
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qu'il ne peut lui aider sans connaissance de ce nom, le frère piqué le rebute
par des noms faux. Il dit son vrai nom, quand il voit qu'il ne peut pas
tromper Hor; alors Hor prononce les mots magiques par lesquels il rend la
santé à son frère1. » '
Ainsi pour l'Égyptien la magie imprégnait toute existence humaine, d'outre-
tombe, divine. Si l'on a pu dire qu'aux yeux des Grecs le monde était
rempli de dieux, on peut affirmer, avec non moins d'exactitude, qu'aux yeux
des Égyptiens la magie était nécessaire partout.
Gomment, par quels moyens, s'exerçait l'action magique? Le mode
d'action, qui paraît avoir été le plus fréquemment employé dans la magie
égyptienne, c'est le langage même, usant de formules spéciales. Les formules
magiques de l'Egypte ancienne ont été classées en catégories diverses par
M. Alan H. Gardiner dans son article Magic (Egyptian) dé la Hastings
Encyclopaedia of Religion and Ethics, et M. F. Lexa s'est servi de cette
classification pour distinguer les principales espèces de formules. Ge sont
d'abord des ordres ou des défenses : ordre aux scorpions et aux crocodiles
de se tenir tranquilles et de ne pas piquer; ordre au poison de sortir du corps
de l'homme empoisonné et de ne lui faire aucun mal; défense à, un esprit
de s'approcher d'un enfant et de le rendre malade en le touchant. Ge sont
aussi des invitations ou des menaces; les invitations peuvent s'adresser à un
dieu., à une déesse, et elles sont alors plutôt des prières que de vrais
artifices magiques ; mais on trouve aussi des invitations comme celle que le
sorcier adresse à l'huile pour guérir un homme qui a été piqué par un
scorpion. Ces invitations sont parfois accompagnées de promesses, plus souvent
de menaces; ainsi un sorcier prévient le serpent, qu'un esprit lui tranchera
la tête s'il ose sortir de terre, que même il l'écrasera de sa main ou lui
broiera la tête. La suggestion est aussi un procédé mis en œuvre; le sorcier
affirme ou décrit le résultat qu'il souhaite, la défaite de l'ennemi, la santé
du malade, etc. Des allusions mythologiques, même des inventions de
mythes imaginaires sont encore des moyens magiques : dans les mythes
ainsi invoqués, « un des dieux se trouve dans la même situation que celui
au profit duquel le sorcier exerce la magie. La mention du mythe doit donc
éveiller en celui dont il s'agit l'espérance d'être délivré de sa situation
comme ce dieu en a été délivré jadis2... » II arrive aussi que le magicien
identifie la personne pour laquelle il agit ou s'identifie lui-même avec un
1. P. 11H-H4.
2. P. 54.
LA MAGIE DANS L'EGYPTE ANTIQUE 131
dieu. Pour guérir un enfant malade, on affirmera que l'enfant estHor; pour
faciliter un accouchement, on proclamera que la patiente est la déesse Isis
enfantant le dieu Hor. Ou bien le sorcier se donnera pour Thot, pour Hor,
etc. Signalons enfin des formules incompréhensibles, parfois composées de
mots appartenante une langue étrangère, parfois aussi simplement
incohérentes. Souvent les sorciers égyptiens employaient des formules composées,
dont les divers éléments appartenaient à plusieurs des catégories précitées.
Les remèdes magiques n'étaient pas moins usités en Egypte que les
formules. Il n'est pas toujours facile de découvrir le rapport imaginé entre
l'emploi du remède et le résultat qu'on espère. Voici pourtant quelques
cas assez clairs cités par M. Lexa. « Pour prévenir le grisonnement des
cheveux, les Égyptiens employaient l'onguent fabriqué avec du sang de
veau noir ou du sang sorti de la corne d'un taureau noir, présumant que
toutes les qualités de l'individu étaient contenues dans son sang et que le
sang pouvait les transférer sur d'autres objets et les leur communiquer. Le
goutteux se guérissait en se liant sur ses pieds une amulette de peau de
cerf. Il s'imaginait que la peau des pieds alertes et sains du cerf devait
transférer leur agilité à ses pieds malades *. » Pour guérir une blessure de la
tête, il faut la frotter avec de l'huile dans laquelle ont été placées des
serres de faucon et une carapace de tortue ; la dureté de ces matières
doit se communiquer à l'os du crâne blessé.
Aux formules et aux remèdes, s'ajoutaient et se coordonnaient, pour
ainsi dire, les amulettes. « Les amulettes étaient des objets qui, selon la
loi des anciens Égyptiens, protégeaient celui qui en était porteur2.» On en
distingue trois classes principales : les amulettes réelles ; les amulettes
écrites; les amulettes nouées. Les amulettes réelles étaient : des images de
divinités soit en pied, soit réduites à la tête ou au principal symbole du
dieu ou de la déesse ; des images d'objets ou d'emblèmes de caractère
religieux, tels que la table aux offrandes, la tête de serpent, la couronne
blanche de Haute-Egypte, la couronne rouge de Basse-Egypte, l'uraeus ou
naja, etc.; des signes et des groupes de signes hiéroglyphiques; l'œil divin
d'Hor ; le scarabée. Parmi les amulettes réelles, il en est qui paraissent énig-
matiques ; l'image du crocodile, la figure de la main, les doigts repliés, le
pouce passé entre l'index et le doigt du milieu, etc. La matière dont chaque
amulette était fabriquée n'était pas arbitraire, elle était imposée par la
tradition.
1. P. 70.
2. P. 80.
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Les amulettes écrites consistaient en formules magiques écrites sur du
papyrus ou de la toile quand elles devaient être portées par les vivants,
gravées sur des tables de pierre quand elles étaient destinées à des morts
et déposées dans des tombeaux.
Les amulettes nouées étaient faites de rubans, de ficelles ou de bandes
d'étoffes, à l'aide desquels on avait composé des nœuds simples ou
compliqués dans lesquels étaient cachés certains objets. Il est probable que la
valeur de l'amulette dépendait dans une certaine mesure de la nature
de l'objet enfermé dans le nœud ; mais le nœud lui-même avait, sans
aucun doute, une valeur magique. S. James Frazera consacré à cette
question plusieurs pages du Rameau d'or {. Le nœud agissait comme un
empêchement, comme un obstacle à l'action visée ; son influence était bonne
ou mauvaise suivant que l'action, à laquelle il était opposé, était
malfaisante ou bienfaisante.
L'usage des artifices et moyens magiques était réglé par des prescriptions,
dont l'ensemble peut être considéré comme un véritable rituel. Les
formules magiques devaient être prononcées par telle ou telle personne dans
telle ou telle circonstance ; les conditions de lieu et de temps, la répétition
des formules trois, quatre, sept ou neuf fois suivant les cas et suivant
les époques ; la propreté physique des sorciers, la propreté matérielle
des objets qui servent à l'opération magique ; l'emploi de certains parfums,
de fumigations ou d'odeurs spéciales ; la représentation du personnage
que l'on vise par une statuette de cire, par un dessin tracé sur une
feuille neuve de papyrus, même par une image faite dans le sable; le
recours à l'hypnotisme et à la suggestion, l'évocation des dieux et des
esprits ; toutes ces prescriptions, en quelque manière extérieures, tous ces
procédés préliminaires et préparatoires à l'acte magique lui-même, étaient
minutieusement déterminés ; l'observation rigoureuse en était nécessaire
pour que l'acte fût efficace. f
La magie égyptienne faisait très bon ménage avec la religion. M. F. Lexa
donne le nom de magie officielle à la magie qui s'exerçait sous les auspices
et dans le cadre même du culte. « C'est ainsi, écrit-il après avoir montré
que pour les Égyptiens la force magique était alliée au caractère des dieux,
que se développe la magie officielle à côté de la magie populaire. Toutes
deux avaient, certes, leurs tâches particulières et poursuivaient leur chemin
propre, mais toutes deux se basaient sur les mêmes idées ou pensées
1. Trad. fr. R. Stiébel et J. Toutain, t. I, p. 319-330.
LA MAGIE DANS L'EGYPTE ANTIQUE 133
directrices, et les prêtres-sorciers n'avaienl pas, pour l'exécution de leurs
tâches, d'autres moyens que ceux dont se servaient les sorciers
populaires *.» Il y avait, dans les bibliothèques des temples égyptiens, des
livres magiques comme des lfvres proprement religieux, tels : Le livre
'pour éloigner le mauvais œil; Le livre pour repousser le crocodile ; Le
livre pour repousser les reptiles, etc. Les deux magies, l'officielle et la
populaire, n'étaient d'ailleurs pas séparées. Les prêtres magiciens «
transportaient les idées et rites religieux dans la magie officielle, où les
empruntaient ensuite les magiciens populaires; et inversement, l'activité des
Kherihebs (prêtres magiciens) transportaient les idées des magiciens
populaires dans la magie officielle 2. »
II n'y avait pas non plus, dans l'Egypte antique, d?hostilité, d'opposition
ni même de cloison étanche entre la magie et la science. La médecine, en
particulier, s'accommodait fort bien de procédés magiques. « Si le
traitement d'un patient doit réussir, il faut que le médicament s'accompagne
d'une formule, et la formule d'un médicament... Le médecin accompagnait
de formules magiques toute son activité... Il s'ensuivit que les limites
déjà incertaines entre la médecine et la magie devinrent encore plus
incertaines. Les anciens livres de médecine égyptiens contiennent des
prescriptions et formules magiques qui n'ont rien de commun avec la médecine ;
les grimoires de leur côté renfermaient des prescriptions de médecine 3.»
De même encore la magie et les opérations magiques tenaient une place
eminente dans la littérature, tout spécialement dans les contes.
L'importance considérable de la magie danâ tous les domaines de la vie
égyptienne explique qu'elle ait survécu et gardé toute sa puissance à l'époque
gréco-romaine et jusque dans les premiers temps du christianisme.
Que la magie ait continué d'être pratiquée et populaire en Egypte sous
les Ptolémées et sous l'empire romain, il n'y a là rien qui doive
surprendre, car les Grecs et les Romains n'y avaient pas moins recours que
les Égyptiens eux-mêmes. Ce qu'il faut ici retenir, c'est qu'en Egypte la
magie gréco-romaine a fortement subi l'influence de l'antique magie
égyptienne. Lors même que dans les formules magiques apparaissent des noms
de. dieux grecs, comme Ajiollon et Hermès, il n'est point douteux que la
formule elle-même et les idées qu'elle exprime soient de source égyptienne.
D'après M. F. Lexa, le grimoire démotique de Londres et de Leyde, que
1. P. 124.
2. P. 126.
3. P. 132-133.
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134 J. TOUTAIN
Ton a supposé n'être qu'une traduction d'un original grec, est au contraire
de provenance égyptienne, si l'on examine son contenu ; même en
admettant que le texte démotique soit traduit du grec, ce texte grec avait été
d'abord traduit de l'égyptien.
Ce qui est plus remarquable, c'est que la magie ait conservé sa
popularité chez les chrétiens égyptiens, les Coptes, Malgré la lutte que le
christianisme engagea contre elle, malgré les persécutions dirigées contre
l'antique paganisme égyptien et gréco-égyptien tout imprégné de magie,
malgré la pénurie" de monuments littéraires païens datant des premiers temps
du christianisme égyptien, « il ressort des textes conservés, écrit M. F. Lexa,
que les Coptes avaient recours aux charmes, de même que les Egyptiens,
quand leurs forces naturelles ne leur suffisaient point l ». C'était
principalement de formules magiques qu'usaient les sorciers coptes. Mais les
amulettes continuaient d'être employées ; celles qui avaient le plus de vogue,
c'étaient la croix et le poisson, symboles d'un incontestable christianisme.
La littérature chrétienne des Coptes fourmille de récits de miracles qui
rappellent étrangement les exploits magiques des sorciers païens. « Les
moyens à l'aide desquels les saints pères et les moines exécutaient des
miracles ne différaient pas de ceux à l'aide desquels les sorciers exerçaient
leurs sorcelleries dans l'Egypte ancienne ?. »
L'ouvrage de M. F. Lexa, par l'abondance de ses exemples et de sa
documentation, confirme une fois de plus, en ce qui concerne l'antique,
Egypte, l'assertion de Pline l'Ancien : « In tantum fastidii adolevit (are
magica), ut hodie etiam in magna parte gentium praevaleai 3 ».
J. ïoutain.
1. P. 141.
2. P. 152.
3. Nat. Hist., xxx, 1.