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Toponymie Locale

Ce document décrit des recherches sur la toponymie, en particulier dans le nord de la France. Il présente différents travaux sur les influences germaniques, les hydronymes, et l'importance des dialectes locaux pour comprendre les noms de lieux.

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Ce document décrit des recherches sur la toponymie, en particulier dans le nord de la France. Il présente différents travaux sur les influences germaniques, les hydronymes, et l'importance des dialectes locaux pour comprendre les noms de lieux.

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Actes des colloques de la Société

française d'onomastique

Lieux-dits du Nord à forte coloration dialectale


Claude Deparis

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Deparis Claude. Lieux-dits du Nord à forte coloration dialectale. In: Onomastique - Dialectologie. Actes du colloque
d’onomastique de Loches (mai 1978) Paris : Société française d'onomastique, 1980. pp. 58-64. (Actes des colloques de la
Société française d'onomastique, 1);

https://www.persee.fr/doc/acsfo_0000-0000_1980_act_1_1_859

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- 58 -

Claude DEPARIS

Lieux-dits du Nord

à forte coloration dialectale

Nous irons sur le terrain et nous interrogerons le passé pour


mieux déchiffrer les signes. Auparavant, brossons un rapide portrait des
recherches toponymiques . Dans le nord de la France, il était naturel
qu’on s’intéressât d'abord au grand conflit qui opposa si longtemps
les langues germaniques au monde roman. Les déferlements de la germa¬
nisation, les points de résistance, les lignes de repli, les tetes-de-
pont, tout cela a été admirablement décrit par Maurits Gysseling. Mieux
que le vocabulaire dialectal, les noms de lieux témoignent de l’influence
germanique et de ses poussées convulsives (excellent article d’Elisée
Legros sur la question). Récemment, Schmittlein s'est efforcé de re¬
mettre en cause des données qui paraissaient acquises. Quel sujet iné¬
puisable que ce contact des langues ! Les doublets existent, il suffit
d’une promenade en Belgique ou en Flandre maritime pour s’en convaincre :
Lille/Rij ssel, Mons/Bergen, le Thil/Lynde ... En Wallonie, M. Devleeschouwer
a meme repéré des triplets : celtique Tournai/roman Hod ion/germanique
Barges. Parmi les travaux récents, moins ambitieux d'ailleurs, nous ci¬
terons ceux de Van Halteren, de J-A. de Foucault, de J. Martel, de R.
Berger. M. Baudot s'est intéressé à 1 ' hydronymie du Pas-de-Calais jus¬
qu’à la Somme. A ce propos, rappelons que, si le Samarobriva de César
désigne Amiens, le Saint-Quentinois Charles de Bovelles (XVIe s.) se
59 -

prétend natif de Samarobr>yùna3 toujours sur la Somme. La mine et ses topo-


nymes ont retenu l’attention de mon maître Jean Babin et font, aujour¬
d’hui, l’objet de recherches systématiques.
Il arrive que des étudiants, trop rarement, hélas ! consacrent
leur mémoire de maîtrise au parler d’une commune ; ils réservent, bien
entendu, un chapitre aux lieux dits qu’ils interprètent d'après la pro¬
nonciation locale. Vers les années 1941-42, M. Loriot, directeur de
l’Atlas Linguistique Picard, avait lancé une enquête toponymique auprès
des instituteurs des départements "picards" ; la plupart des dossiers
reposent aux Archives départementales du Pas-de-Calais. Raymond Dubois
a délimité le domaine picard en se fondant sur le traitement de c + a
dans les toponymes : cavée picard / ohevêe français / tchêvèe wallon,
par exemple ; dans les cas difficiles, recours à la prononciation locale.
C’est aux graphies anciennes (en distinguant original et copie)
que P. Pietresson de Saint-Aubin s’est intéressé : il a élaboré un fi¬
chier topographique très sur qu’on peut consulter aux Archives départe¬
mentales du Nord. Ce dépôt renferme également un répertoire de lieux-
dits commune par commune, utile, mais qui n'offre pas les mêmes garanties ;
sur certains terroirs, on dispose de renseignements abondants (Commission
historique du Nord). Au sens strict du terme, le département n'a pas de
dictionnaire topographique. Quelques arrondissements seulement en sont
pourvus ; encore faut-il consulter ces ouvrages avec prudence ! Des re¬
levés limités, comme celui de Robert Machut à Fenain, méritent plus de
confiance.
Il m'est particulièrement agréable d’évoquer l'oeuvre de deux
chercheurs qui m'honorent de leur amitié et qui ont largement mérité du
monde savant, je veux parler de Dom Jean Boutry et de M. Désiré Mathieu.
Jean Boutry, moine bénédictin de Wisques, à la faveur de recherches
systématiques sur les mottes féodales, a constitué un fichier que je
qualifierai de moderne, riche et divers, ouvert à toutes les curiosités.
Historien original, M. Désiré Mathieu a dépouillé d’innombrables docu¬
ments d'archives pour élaborer d'incomparables recueils de lieux-dits
(une vingtaine de communes, des forets, des chaussées). J'ai mis à con¬
tribution les répertoires de M. Mathieu et, en d'autres occasions, le
fichier du Père Boutry : je tiens à leur exprimer ma gratitude et mon estime.
60 -

Les hydronymes

L ' Essai_dinventaire_de_l_|_arrondissement_d_|_Avesnes ( 1 948 )


consacre six pages à la liste des cours d’eau ; elle / a été dressée,
commune par commune, et s’appuie essentiellement sur les données cadas¬
trales. Le moindre ruisseau a son nom ! Mais, en quelques kilomètres, il
peut en changer ! Les gens du pays ignorent, le plus souvent, les déno¬
minations officielles. Ne suffit-il point de distinguer entre la ri¬
vière, le ruisseau, le fossé ? Pour le paysan, la rivière commence à
exister quand il y a fieu (crue) . Sur un même cadastre, rivus est repré¬
senté par Riot de jument (ou Pisselotte) 3 Rieux d'Aire3 Rieux du Grand
Ry ! Ces appellatifs sont rarement conformes à l’usage réel.
A la frontière entre le Nord et l'Aisne, la ligne des partage
des eaux (vers la Mer du Nord ou vers la Manche) est si peu accusée que
des échanges ont eu lieu. L'histoire de la Sambre, de la Fausse Sambre,
de la Sambrette, du Sambreton, de la Riviérette, du Robiseul, du Rieu
de France n'est pas encore écrite. Travaux de canalisation, tarissement
des eaux, retrait des sources, ... que de bouleversements ! Les noms
de cours d'eau ont un caractère artificiel et momentané. Science diffi¬
cile que l'hydronymie ...La Sambre9 mais le pont de Sambre 3 ou encore,
on va nangi à Sampe , "on va nager dans la Sambre". La Lys (Leie) s'est
appelée la rivière du Lys (XVII0 s.). La Meuse change de genre entre
Huy et Liège ! Que d'identités le Danube n'emprunte-t-il pas !

Le milieu dialectal

Au coeur des villes, y compris Lille-Roubaix-Tourcoing, on


sent la présence rassurante du dialecte : l'Epi de Soile, l'auberge
de la Funquée, la rue à Fiens, le Vert-Baudet. L'Epeule, à Roubaix,
rappelle, selon toute vraisemblance, la bobine de navette dont se
servent les tisserands. Dans les Nerveil les_de_Rigomer , quand Lancelot
admoneste le chevalier Gauvain, il emploie le mot, que les éditeurs
n'ont pas reconnu :
Alés vos ent et si tissiés
En cele sale la aval
Si descendés de vo ceval !
61

Jou voi raout bien a vostre afaire,


Tempres saurés espieles faire . . .

Il fut un temps, - Pierre Legrand en témoigne, le peuple


continuait d’appeler rue des Banseliers, la rue dite des Manneliers,
à Lille. Les choix sont plus restreints aujourd'hui ! Le Tourquennois
Jean Christophe signale qu’on rebaptisa "Parmentier”, en 1897, la rue
des Molles Briques. A Rumilly-en-Cambrésis, on pronconce encore à chés
tiotés quate le lieu-dit cadastral Les Tiotes Quate.
Les autochtones qui prononcent fertière (fougère et assimilées)
ne peuvent identifier le lieu-dit Flequière, bien attesté du XV0 au
XVII° en bordure de la forêt de Mormal . L’évolution phonétique creuse
le fossé entre le paysan et "ses" lieux-dits. Combien de formes figées
et quasi étrangères ! En revanche, le villageois reconnaîtra facilement
une forme officielle Campeau qu’on prononce ici 1e Canrpi.au et, plus à
l’est, le tohanrpiau. L’arbitraire d’une forme écrite ne peut contrarier
le succès d’un nom qui garde son plein usage.

Microtoponymie et dialectologie

Sur ce chapitre, on connaît les fines analyses de Jacques


Chaurand. Nous nous contenterons de quelques observations. Un rapide
coup d’oeil au cadastre peut aider l’enquêteur à repérer des mots en
voie de disparition ou déjà sortis de l’usage. L’informateur ne se sou¬
vient pas toujours des termes qui évoquent des buttes, des talus Churêes3
termes 3 terniaux) 3 des terrains plus ou moins incultes (trieu3 triyé3
tri; reget ; warêchaix 3 wattines , warennes) > des mesures anciennes. Il
est bon de connaître à l'avance l’éventail des voies de communication :
cauchie 3 pavê3 cavêe> piessente3 voyette ; pire 3 pierge 3 cache ...).
Certaines formes archaïques peuvent échapper à l’enquête, par
exemple sur le thème du regain : pâture à wayin3 pré à wain3 pré des
waimiaux . Dans les zones très francisées, des mentions comme le Trou
à gades ou la Gadelière revêtent une grande importance quand il s’agit
d'apprécier la répartition de types lexicaux (maguette3 cahre3 gâde) .
Si le cadastre signale la Lumerette ou la Furole 3 la conversation sur
les feux follets devient tout de suite plus intéressante.
- 62 -

Un grand nombre de mentions cadastrales n'ont plus qu'un inté¬


rêt historique : chemins des BalloteurSj des Blatiers 3 des Beutiers 3 des
Brandeviniers ... D'autres n'ont jamais eu de vie réelle. Inversement,
chaque famille paysanne, chaque génération dispose de son propre réper¬
toire de dénominations, purement orales. Ces appellatifs à usage interne
sont simples et précis : pâture d'en face3 seconde pâture 3 grande pâture 3
petit prés pâture de t'grande fosse ... Un nom de personne y est parfois
accolé, qui survit miraculeusement. Toujours la part du hasard ou, peut-
être, une logique qui nous échappe.

La toponymie et ses méthodes

Pour interpréter valablement les lieux-dits, il est indispen¬


sable de consulter le plan cadastral de chacune des communes d'une vaste
région. Des thèmes apparaissent ainsi, des formes se répondent, physio¬
nomie et mentalités se révèlent. Mais le cadastre n'offre, le plus sou¬
vent, que des noms simplifiés, en principe plus intelligibles, des noms
déjà interprétés et dans le sens d'une certaine étymologie populaire !
La prononciation locale et les graphies anciennes aident à
retrouver le mot initial. Une rue des Eaux cache peut-être une ancienne
rue des awes/auwes (prairies humides) ; des graphies intermédiaires mon¬
trent un croisement toujours possible avec l'ancien français oue3 "oie".
"Pour une piece de terre as auwettez qui fu Willame le Carlier arentee a
Jake le Sellier" -Comptes de la Terre d'Avesnes-1397 - (B.M. Lille - ms
1305) : si le terrain est particulièrement humide, le toponymiste verrait
volontiers des auwettes là où cadastre et indigènes préfèrent voir des
alouettes . A Prisches, La Biette a toutes les chances de représenter une
"abbayette" (dépendance de l'abbaye de Maroilles), dans un secteur où
existe encore un Bos dl'Abbie.
L'étymologie populaire suppose une homophonie. Mieux vaut
connaître la prononciation locale d'un mot comme sort. Le blason popu¬
laire des habitants de Preux-au-Sart (Bavaisis) : les Sots de Preux ;
il vient probablement d'un jeu de mots car on prononce Preux-au-Sau .
A Tempi euve-en-Pévèle, le lieu-dit Hauts Cotzats représente un ancien
Hauconsart ! Par un cheminement tout à fait aberrant, à Fenain, Bruhier
- 63

Fuch (XIII° s.) est devenu Fontaine Buripus (1600) puis Fontaine d'Oribus
(XVIII° s.)» La graphie de 1600 traduit encore une évolution normale ;
la fantaisie d'un scribe a fait le reste ! En présence de tels monstres,
le toponymiste s'exténue à retrouver le sens premier, le signe initial.

Les solutions faciles

Le cadastre de Prisches écrit La Gace ce qui se dit et se


comprend l’ Agache, "la pie" ; un oiseau aussi répandu peut-il attacher
son nom à un coin de terroir ? peut-il même figurer sur une enseigne
de cabaret ?? Nous ne croyons pas à ce thème. La Calandre , Les Calennes
(Maretz) évoquent peut-être l'alouette ou le charançon, mais, plus vrai¬
semblablement, la presse utilisée pour les étoffes, les toiles, les ro¬
seaux. M. Mathieu a relevé, à Etroeungt, le prêt a le chuine (1391), a
le chuynne (1403) ; la cigogne que ces noms de lieux évoquent est sans
doute une sorte de "bic-bac", un appareil à bascule servant à puiser
de l'eau.
La végétation est à l'origine d'un très grand nombre de lieux-
dits. A Floyon, le lieu-dit as aunes (XVI° s.) s'est scindé en Haute
Zone et Basse Zone (cadastre 1813) ; à Boulogne-sur-Helpe, La Zone
brûlée. Contrairement à Mlle Morlet - To2onymie_de_l a_Thiér ache , p. 101,—
nous ne trouvons rien d' urticant à L1 ortie qui devait être primitivement
un orteil, "jardin" ; le mot aurait-il mal supporté l'encombrant voisina¬
ge de courtil ?
Un affluent de l'Helpe Mineure porte le nom de ruisseau du
Conroy, Pour Le Conroy, lieu-dit de Cartignies, D. Mathieu consigne de
nombreuses mentions, dont celles-ci : entre le coroit et le chemin (1422),
le voie du colroit (1432), le ruyelle du conroit (1455), ou coulroit
(1513), le rue du couroix (1455). Obsédé par la présence de l'arbre dans
la toponymie de l'Avesnois (Les Etoquies, Soyères , Futoy, Hayettes, Buis¬
son Moreau, etc ...), nous avions d'abord songé à voir dans le Conroy
une coudraie ; nous nous rangeons à l'interprétation plus raisonnable
que notre ami Gérard Taverdet nous propose : il s'agit de terre glaise
(F,E.W, -697b- reps ) ; ici, à cause de ses usages domestiques.
64 -

Si la toponymie est affaire de spécialistes, la micro-toponymie


est lfaffaire de tous : dialectologues, géologues, historiens, archéolo¬
gues, employés du cadastre, paysans . . . Ceux-ci détiennent sur les lieux-
dits des vérités que l’enquêteur ne peut trouver ailleurs (site, nature
du sol, caractéristiques diverses, histoire, propriétaires et leurs so¬
briquets . ..). Us ont le sens du terroir. Malheureusement, ils n'ont
pas reçu la moindre formation linguistique. Que peuvent-ils savoir de l'o¬
rigine du français ? Quelles fausses idées ne leur a-t-on pas inculquées
sur le patois ? N'ont-ils point un respect quasi religieux pour tout ce
qui est imprimé (y compris pour les mentions cadastrales et les inter¬
prétations proposées par la monographie locale) ? Le paysan tombe dans
tous les pièges (étymologie populaire, origines espagnoles, onomatopées,
origines légendaires, souvenirs de combats, etc ...).

S'il avait reçu ne serait-ce qu'un semblant d'initiation, que


ne nous apprendrait-il pas ! A coup sur, il nous mettrait en garde con¬
tre les interprétations hâtives et les étymologies en chambre. Et il
se prendrait de passion pour ce trésor de lieux-dits qu'on a trop long¬
temps négligé et qu'on néglige encore. Comme les monuments historiques,
les lieux-dits méritent d'être classés. Ils sont la mémoire ... de notre
petit monde.

Nous remercions très vivement M. L'abbé Guy Villette pour toutes


les suggestions qu'il a bien voulu nous faire ; nous en avons retenu plu¬
sieurs.

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