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Les Addictions Au Maroc État Des Lieux Article 2020

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REGARD FRANCOPHONE

Pr Ismail Rammouz*, Dr Soumaya Rachidi**, Dr Zouhair Sidki**, Pr Rachid Aalouane***


* Directeur du Laboratoire de recherche en sciences de la santé, Professeur à la Faculté de médecine d’Agadir, Université Ibn Zohr,
Agadir, Maroc. Courriel : [email protected]
** Direction de l’épidémiologie et de lutte contre les maladies (DELM), Ministère de la santé, Rabat, Maroc
*** Professeur à la Faculté de médecine de Fès, Université Sidi Mohamed Ben Abdellah, Fès, Maroc
Reçu octobre 2019, accepté janvier 2020

Les addictions au Maroc :


état des lieux

Résumé Summary
Le Maroc se situe dans la moyenne mondiale d’usage de Addictions in Morocco: state of play
drogues, avec une prévalence sur la vie entière d’usage de Morocco is in the world average for drug use, with a lifetime
substances psychoactives de 4,1 %. Les instances ministérielles prevalence of psychoactive substances use of 4.1%. The minis-
marocaines se sont impliquées tôt dans le mouvement mondial terial authorities in Morocco got involved early in the world
dans la lutte contre les drogues, et il y a eu une participation movement in the fight against drugs, and there was a fairly
assez importante dans l’élaboration des enquêtes épidémiolo- significant participation in the preparation of epidemiological
giques dans la population générale et chez les jeunes, et aussi surveys in the general population and among young people,
dans la création des services de soins ambulatoires et résiden- and also in the creation ambulatory and residential care ser-
tiels. Ces derniers, quoiqu’ils soient peu nombreux, ont com- vices. The latter, although few in number, began their activities
mencé leurs activités depuis la fin des années 1990. Le Maroc since the late 1990s. Morocco was the third Muslim country to
a été le troisième pays musulman à adopter la politique de adopt the harm reduction policy among people who inject
réduction des risques parmi les personnes qui s’injectent des drugs in 2007 and to introduce opioid agonist treatment in
drogues en 2007 et à introduire le traitement par agonistes 2010. A comprehensive and integrated policy involving both
opioïdes en 2010. Une politique globale et intégrée a impliqué healthcare professionals and civil society organizations in the
aussi bien les professionnels de soins que les organisations treatment of addictive disorders and the combined prevention
de la société civile dans le processus de prise en charge des of the risks of infections from AIDS, hepatitis C and tuberculo-
troubles addictifs et de la prévention combinée des risques sis. He was also able to set up university addictology training
d’infection au sida, à l’hépatite C et à la tuberculose. Des for- and capacity-building programs for thematic associations and
mations universitaires d’addictologie et des programmes de peer helpers. Shortcomings are still well noted, in terms of
renforcement des capacités des associations thématiques et qualified human resources, the generalization of health care
des pairs aidants ont également pu être instaurées. Des insuf- structures throughout Morocco or to certain well-targeted
fisances sont encore bien notées, sur les plans des ressources vulnerable populations such as women, young people, priso-
humaines qualifiées, de la généralisation des structures de ners and migrants... The national strategic plan for the pre-
soins sur tout le territoire marocain ou à certaines populations vention and management of addictive disorders, adopted on
bien ciblées vulnérables telles que les femmes, les jeunes, les January 18, 2018 by the directorate of epidemiology and fight
détenus et les migrants... Le plan stratégique national de pré- against diseases of the Ministry of Health, came to address
vention et de prise en charge des troubles addictifs, adopté these shortcomings and draw up a plan working in the treat-
le 18 janvier 2018 par la Direction de l’épidémiologie et de ment and prevention of addictions in Morocco.
la lutte contre les maladies du Ministère de la santé, est venu
pour répondre à ces insuffisances et dresser un plan de travail
dans le traitement et la prévention des addictions au Maroc.

Mots-clés Key words


Addiction – Maroc – Épidémiologie – Ministère de la santé. Addiction – Morocco – Epidemiology – Ministry of health.

Alcoologie et Addictologie. 2020 ; 42 (1) : 28-33 28


Maroc. Addictions

V u la situation géographique du Maroc, connue


comme une aire de routes de trafic, l’existence
d’une connexion territoriale avec l’Espagne à 14 km
drogues et des troubles sanitaires qui y sont liés, ainsi que
la production d’informations utiles à la prise de décision
en matière de drogues et de toxicomanies dans le pays.
au Nord du Maroc, en plus de la migration sud-nord,
le sujet de la prise en charge des addictions est devenu Actuellement, le Maroc compte 18 centres de soins,
l’une des priorités de la politique de la santé publique dont trois sont résidentiels universitaires (Salé, Casa-
au Maroc (1). blanca et Fès) et 15 centres ambulatoires, grâce au par-
tenariat entre le Ministère de la santé et la Fondation
Compte tenu de la production et la consommation Mohammed V pour la solidarité. Depuis 2009, 120
traditionnelles de cannabis, ainsi que de la résidence à médecins généralistes et psychiatres ont été formés en
l’étranger de Marocains par lesquels de nouvelles subs- addictologie dans le cadre des formations diplômantes,
tances et types de consommations peuvent apparaître instaurées dans trois universités à Rabat et à Casablanca
sur le territoire national (1), le Maroc s’est impliqué (1). Ainsi, un nombre non négligeable de médecins
très tôt dans le mouvement de lutte contre les drogues, généralistes formés en addictologie travaillent dans des
comme en témoigne le Dahir de 1974 relatif à “la centres ambulatoires de soins et de prévention relevant
répression et à la prévention des toxicomanies”. du Ministère de la santé, alors que jusqu’à maintenant
l’addictologie n’est pas encore reconnue comme une
Un texte de loi jugé à la fois moderne et adapté aux réa- discipline spécialisée par les instances universitaires et
lités, qui sanctionne mais qui offre une alternative aux le Ministère de la santé.
“toxicomanes’’ en leur proposant une injonction théra-
peutique (2). En parallèle, en 1977, le Maroc a instauré
la Commission nationale des stupéfiants, composée de Épidémiologie
tous les départements ministériels concernés par la pro-
blématique de lutte contre les drogues et les addictions. Les seuls chiffres de la prévalence d’usage de drogues
et d’alcool en population générale proviennent des
Le Maroc a porté un intérêt précoce, aussi bien poli- résultats de l’enquête nationale du Ministère de la santé,
tique qu’académique et associatif, à la problématique réalisée en 2003 sur un échantillon de 6 000 personnes
de l’usage de drogues. Dès les années 1990, la première âgées de 15 ans et plus (5), et qui a révélé une préva-
enquête importante a été conduite sous la direction lence sur vie entière d’usage de substances psychoactives
du Pr Mehdi Paes (3). En 1999, le premier Centre de 4,1 %, l’abus de substances étant de 3,3 %, alors que
national de référence pour désintoxication a été créé la dépendance à une substance est de 2,8 %, plus par-
au sein de l’Hôpital universitaire psychiatrique de Salé. ticulièrement, l’abus d’alcool de 2 %, et la dépendance
Et dès 2006, le Maroc a été parmi les premiers pays alcoolique de 1,4 %.
d’Afrique du Nord à adhérer officiellement au réseau
MedNet du Groupe Pompidou du Conseil de l’Europe Le tabac est la drogue la plus consommée au Maroc,
(4). Le Maroc a en effet joué un rôle important pour le suivie du cannabis, de l’alcool, des benzodiazépines
développement du réseau MedNet et continue à jouer détournées de leur usage médical, de la cocaïne, de
son rôle fédérateur au sein de la région de l’Afrique du l’héroïne, des solvants et autres colles, puis des amphé-
Nord pour le développement de la coopération sud-sud tamines (6). L’utilisation des solvants et des colles est
et sud-nord en matière d’échanges d’expertises et de l’apanage des enfants vivant dans les rues.
connaissances au sein de ce réseau. Par son adhésion
au Groupe Pompidou en 2011, le Maroc se distingue La consommation de drogues et les dépendances
actuellement au sein des pays de la région de l’Afrique concernent, de plus en plus, des populations jeunes.
du Nord et du Proche Orient par le fait qu’il est le seul Il existe plusieurs enquêtes au sein des populations
pays arabe membre à la fois du Groupe Pompidou et en milieu scolaire. L’enquête épidémiologique la plus
du réseau MedNet. importante est celle de MedSPAD (Mediterranean
School Project on Alcohol and other Drugs), une
Par ailleurs, le Maroc s’est doté en 2013 d’une instance adaptation marocaine de l’enquête européenne ESPAD
spécialisée, l’Observatoire marocain des drogues et des (European School Survey Project on Alcohol and other
addictions (OMDA) qui a pour vocation le suivi des Drugs) et qui objective la surveillance de l’évolution de
évolutions et des tendances de la consommation des la consommation des drogues chez les jeunes (7-10).

Alcoologie et Addictologie. 2020 ; 42 (1) : 28-33 29


Maroc. Addictions

À travers les résultats de MedSPAD (tableau I), la pré- Les comorbidités psychiatriques
valence augmente avec l’âge, les garçons sont plus tou-
chés que les filles, et les premiers usages commencent
vers 11 ans, alors que la tranche d’âge des 15-17 ans L’étude de l’équipe universitaire de Rabat, évaluant
constitue l’âge charnière entre un usage expérimental et l’usage de cannabis au sein d’une population de 77
régulier. Pour la même tranche d’âge, une légère aug- sujets atteints de schizophrénie ou de troubles schizo-
mentation des chiffres de prévalence est observée entre affectifs, a montré que 35  % des patients présentaient
l’enquête MedSPAD 2013 et MedSPAD 2017, pour le un abus et/ou une dépendance au cannabis, 66 % pré-
tabac, l’alcool, le cannabis et les somnifères. Les chiffres sentaient un usage quotidien de tabac, 4 % des patients
de prévalence concernant les psychotropes paraissent étaient dépendants de l’alcool et 1,3  % consommaient
augmentés par rapport à ceux trouvés en 2009, princi- de la cocaïne, alors qu’aucun cas d’usage d’opiacés ou
palement pour les filles (10-12). d’amphétamines n’a été noté (13).

Une autre étude du CHU de Fès a réalisé le screening


toxicologique urinaire chez 403 patients atteints de
schizophrénie et a montré une prévalence biologique
Tableau I : Évolution des prévalences de la consommation des diffé-
rentes substances psychoactives dans le milieu des lycéens au Maroc d’usage de cannabis de 49  % et une corrélation entre
selon les enquêtes MedSPAD entre 2006 et 2017 l’usage de cannabis chez les patients psychotiques et le
2006 2009 2013 2017
sexe masculin, une mauvaise observance thérapeutique
Produit / prévalence N = 2 139 N = 6 314 N = 5 707 N = 7 055 et les antécédents judiciaires (14). Cette étude est la
Tabac / un an 18,5 % G 14,7 % G 10,6 % G 12,6 % G première au Maroc qui a fait le screening toxicologique
  4,9 % F   5,1 % F   1,8 % F   2,2 % F urinaire du cannabis chez les patients ayant une schi-
Tabac / vie entière _ 27,7 % G   6,4 % G _ zophrénie, et non seulement par des entretiens dont les
10,4 % F   0,7 % F
résultats pourraient être subjectifs.
Alcool / un an   9,2 % G   6,9 % G   3,9 % G   6,9 % G
  2,5 % F   1,9 % F   1,2 % F   1,0 % F

Alcool / vie entière 16,6 % G


  4,7 % F
11,8 % G
  4,2 % F
  7,6 %G
  2,8 % F
10,7 % G
  2,2 % F
Le nord du Maroc
Cannabis / un an   9,2 % G   8,5 % G   6,4 % G 12,0 % G
  0,7 % F   1,3 % F   0,7 % F   1,2 % F Dans les villes du nord du Maroc, l’usage des drogues
Cannabis / vie entière 12,5 % G 12,9 % G   9,5 % G 17,6 % G par voie injectable est plus important que le reste du
  1,5 % F   2,5 % F   2,1 % F   1,9 % F
territoire du royaume. La prévalence de l’usage de
Psychotropes / un an   4,5 % G   2,7 %G   3,1 % G   3,3 % G l’héroïne est de 0,02 % et de 0,05 % pour la cocaïne, et
  3,7 % F   1,7 % F   2,9 % F   1,8 % F
cela est associé à des risques d’expansion de l’épidémie
Psychotropes / vie   9,5 % G   4,8 % G   4,4 % G   4,8 % G du virus de l’immunodéficience humain (VIH), des
entière   8,4 % F   3,8 % F   4,1 % F   3,7 % F
hépatites virales (C et B) et de la tuberculose, à côté
Cocaïne / un an _   1,1 % G   0,8 % G   1,2 % G
  0,4 % F   0,2 % F   0,4 % F
des conséquences sociales (marginalisation, discrimi-
nation, isolement...) et légales (délinquance, violences,
Cocaïne / vie entière _   2,0 %G   1,5 % G   2,0 % G
  0,5 % F   0,2 % F   0,8 % F criminalité..) (13). La moitié des usagers d’héroïne, par
Crack / 1 an _   0,7 % G   0,6 % G   1,0 % G
voie injectable, est porteuse de VIH ou d’hépatite C
  0,1 % F   0,2 % F   0,2 % F (VHC) (6).
Crack / vie entière _   1,1 % G   1,4 % G   1,4 % G
  0,3 % F   1,0 % F   0,2 % F Sur la base des études bio-comportementales intégrées
Héroïne / un an _ _ 0,0 %   1,3 % G (IBBS) menées auprès des personnes qui s’injectent des
  0,1 % F
drogues (PID) et les dernières estimations de taille de
Héroïne / vie entière _ _ 1,0 %   1,4 % G cette population utilisant les panels d’experts en 2016, la
  0,2 % F
population totale des personnes injectrices d’héroïne au
Ecstasy / vie entière _ _ _ 3,3 % Maroc est estimée à 1 200 personnes, les non-injecteurs
Expérimentation au _ 32,0 % 31,4 % 29,3 % avoisinant les 4 000 personnes (cf. Étude IBBS, Tanger,
moins un seul produit
Tétouan et Nador, 2011, 2015, 2016, 2017, mais aussi
G : garçons. F : filles. Plan national du MS, 2018-2022).

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Maroc. Addictions

En 2009, 26 000 personnes étaient touchées par le 134 000 hectares en 2003, c’est-à-dire sur 1,48  % des
VIH/sida au Maroc et 1 200 en étaient décédées (6). terres cultivables du pays. Quelque 3 070 tonnes de
La prévalence du VIH en population générale est de haschich auraient été produites cette année là à partir
0,14 % (cf. PN de lutte contre le sida), alors que parmi de la récolte de cannabis. Mais, depuis, les cultures de
les personnes qui utilisent des drogues injectables, cannabis ont baissé  : 72 500 hectares en 2005 (1 066
les prévalences rapportées par les dernières études tonnes de haschich), après éradication de 15 160 hec-
conduites par le Ministère de la santé dans les sites tares par les autorités marocaines, puis par la suite la
touchés par cette problématique sont de 1,3 % à Tanger, superficie a baissé jusqu’à 37 000 hectares en 2016, et le
de 6 % à Tétouan et de 14 % à Nador. La prévalence du Maroc est passé au deuxième rang des pays producteurs
VHC est très élevée parmi cette population. Elle est de après l’Afghanistan (15, 16).
45,4 % à Tanger, 54,5 % à Tétouan et atteint 76,8 % à
Nador (1). Les programmes de prévention et de traitement de la
dépendance au cannabis, comme première substance
L’expérience du Maroc, depuis 2007, en matière de illégale consommée au Maroc, restent en dessous des
réduction des risques parmi les personnes qui s’injectent attentes de la part des professionnels de la santé et de
des drogues opioïdes (notamment l’héroïne) et l’intro- la société civile, et ils n’ont pas bénéficié d’un intérêt de
duction en 2010 de la méthadone comme traitement la coopération internationale ou d’une aide financière
agoniste aux opioïdes (TAO) placent le Maroc comme et logistique comme pour la dépendance aux opiacés.
premier parmi les pays arabes et de l’Afrique franco-
phone à mettre en place le TAO à côté des autres com- Trois modes de consommation sont répandus au Maroc,
posantes de la réduction des risques, telles que le pro- le haschich, sous forme de joints fumés, le kif – feuille
gramme d’échange de seringues (PES), la distribution de cannabis, fumé et banalisé essentiellement dans le
des préservatifs comme outils de prévention des conta- nord, surtout chez les plus âgés – et plus, rarement, le
minations au VIH et au VHC, ainsi que des activités maajoune.
d’appui psychosocial et d’auto-support au bénéfice des
personnes qui s’injectent des drogues. Le programme Ce dernier est une pâte présentée sous forme de gâteaux
méthadone a démarré dans trois sites pilotes et, à ce et préparée localement à base de résine de cannabis, au-
jour, ce sont sept centres qui délivrent de la méthadone, quel sont ajoutées des plantes atropiniques à propriétés
auxquels s’ajoutent des centres de réduction des risques, hallucinogènes et, de façon inconstante, des graines de
en plus de la mise en place de dix unités de soins en pavot et des psychotropes. Le maajoune est consommé
addictologie dont cinq unités assurant la continuité du occasionnellement par les jeunes, garçons et filles, en
traitement de substitution par la méthadone en milieu milieu festif.
carcéral (1).

La file active des bénéficiaires du programme métha- Législation


done est passée de 293 personnes en 2012 à 2 327 en
2018, dont 180 femmes. Aujourd’hui, la lutte contre les drogues sous ses diffé-
rentes facettes (réduction de la demande et de l’offre)
a connu des avancées très notables au vu des efforts
Le cannabis déployées par le Maroc. Elle se caractérise par la
consolidation de l’arsenal juridique et le renforcement
La culture cannabis au Maroc est illégale, ainsi que sa des opérations de démantèlement des réseaux de tra-
consommation depuis l’indépendance en 1956, et cela fiquants. L’approche sanitaire prônée par le Maroc,
a été réaffirmé par une autre interdiction en 1974, mais traduite dans le plan de santé 2025, se veut respectueuse
il est partiellement toléré dans le nord du pays, où il a de la dimension durable des droits de l’Homme (6) .
été cultivé pendant des siècles (14).
Le Maroc a ratifié la convention de 1961 et autres
Selon l’Office des nations unies contre la drogue et le conventions onusiennes relatives aux drogues. Le Dahir
crime (UNODC), le Maroc était le premier producteur de 1974 (cadre légal concernant les drogues illicites)
et exportateur de haschich au monde. La récolte maro- relatif à “la répression et à la prévention des toxicomanies”
caine de cannabis aurait été faite, selon l’UNODC, sur a proposé l’injonction thérapeutique à la place d’une

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Maroc. Addictions

sanction pénale sévère et un suivi, pendant toute la Des faiblesses ont été bien répertoriées dans le texte du
durée que requiert le traitement, ainsi qu’une cure de plan stratégique national de prévention et de prise en
désintoxication dans un établissement thérapeutique. charge des troubles addictifs, et elles ont été synthéti-
sées dans les points suivants :
Au Maroc, il existe un cadre légal de vente et de consom- - La couverture territoriale sanitaire n’est pas homogène,
mation d’alcool qui régule et interdit sa consommation et la cohérence entre les différents secteurs publics,
(substance licite pour les étrangers et illicites pour les universitaires, soins de santé de base, santé scolaire et
musulmans) et qui interdit sa vente et sa consommation services ambulatoires d’addictologie fait encore défaut.
pour les mineurs. - L’offre de soins et la prise en charge restent univoques
dans les centres, et les données sur l’usage de drogues
Il existe aussi un cadre légal de vente et de consom- sur tout le territoire du Maroc sont encore manquantes.
mation de tabac interdisant l’accès des mineurs (6). - Un manque de formation et un manque de consulta-
Le Maroc a signé la Convention cadre de lutte contre tions spécifiques pour certaines addictions : les produits
le tabac en 2004, mais elle n’est pas encore ratifiée. Le de synthèse, les addictions comportementales.
seul dispositif juridique de lutte anti-tabac existant à - Les femmes usagères de drogues sont victimes d’une
ce jour au Maroc est le Dahir N° 1-91-112 du 26 juin double stigmatisation, et les protocoles thérapeutiques
1995 portant promulgation de la Loi N° 15-91 relative pour la grossesse et la maternité ne sont pas pris en
à l’interdiction de fumer et de faire de la publicité et de compte.
la propagande en faveur du tabac dans certains lieux. - La prise en charge et la continuité des soins en milieu
Votée en 1991, cette disposition n’a été publiée au Bul- carcéral des personnes souffrant de troubles addictifs
letin officiel que le 2 août 1995, et elle ne sera mise en sont encore à leurs débuts.
œuvre qu’à partir du 3 février 1996. La Chambre des - Une législation encore trop pénalisante pour l’usager
représentants a adopté, en juillet 2008 et à l’unanimité, de drogues en possession de produits de consommation
une proposition de loi modifiant et complétant la Loi personnelle.
N° 15-91 relative à l’interdiction de la consommation - La quasi-inexistence de services d’hospitalisation en
du tabac et de la publicité pour le tabac dans les lieux addictologie au sein des hôpitaux psychiatriques en
publics, ainsi que sa vente aux mineurs. Ce texte vise à dehors de Rabat, Casablanca et Fès, et l’inexistence de
renforcer les dispositions légales en la matière, ainsi que réseaux organisés pour la prise en charge de personnes
la prévention du tabagisme, à combler certains vides ju- porteuses de comorbidités psychiatriques.
ridiques et notamment l’absence de sanctions, à limiter - L’absence des équipes de liaison en addictologie dans
les effets néfastes du tabagisme, à générer des ressources les services de soins de médecine et de chirurgie.
financières supplémentaires et à réduire la publicité du - Le manque de structures de postcure et/ou des com-
tabac, mais l’application de ces lois n’est pas la règle munautés thérapeutiques et des programmes de préven-
dans la règle dans la plupart des endroits publics. Les tion et de prévention de la rechute. De même, la mise
défis résident dans l’adoption, la mise en œuvre et en place des formations sur les thérapies cognitivo-
l’application d’une législation anti-tabac efficace. comportementales et sur les interventions psychothéra-
piques brèves et familiales reste limitée.
- Le volet de la recherche reste très timide, ainsi que
Constatations globales les ressources matérielles limitées dans le domaine de
la recherche.
Le Maroc s’est doté, sous l’égide du Ministère de la - Les procédures législatives permettant l’injonction
santé, d’un plan stratégique national de prévention et thérapeutique pour les usagers manquent de clarté et
de prise en charge des troubles addictifs 2018-2022, qui sont rarement utilisées.
a défini sept axes thématiques de travail : la promotion - L’effet stigma autour de l’usage de drogues reste
de la santé mentale, la prévention et la détection pré- encore assez présent, affectant négativement l’accès au
coce des addictions, la thérapie et les offre de soins, la traitement.
réduction des risques, le renforcement des compétences, - La culture, certes beaucoup plus basse qu’auparavant,
le suivi-évaluation et la surveillance des tendances, ainsi de cannabis dans la région du Nord, mais la production
que la réduction de la discrimination et de la stigmati- est toujours présente avec accès facile et exposition
sation des usagers de drogues (1). importante des jeunes à cette substance.

Alcoologie et Addictologie. 2020 ; 42 (1) : 28-33 32


Maroc. Addictions

- Une politique timide et ambivalente vis-à-vis du I. Rammouz, S. Rachidi, Z. Sidki, R. Aalouane


Les addictions au Maroc : état des lieux
tabac, première drogue d’usage dans le Monde et pre- Alcoologie et Addictologie. 2020 ; 42 (1) : 28-33
mière cause de mortalité.

Conclusion Références bibliographiques


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Liens d’intérêt. – Les auteurs déclarent l’absence de


tout lien d’intérêt.

Alcoologie et Addictologie. 2020 ; 42 (1) : 28-33 33

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