Les Addictions Au Maroc État Des Lieux Article 2020
Les Addictions Au Maroc État Des Lieux Article 2020
Résumé Summary
Le Maroc se situe dans la moyenne mondiale d’usage de Addictions in Morocco: state of play
drogues, avec une prévalence sur la vie entière d’usage de Morocco is in the world average for drug use, with a lifetime
substances psychoactives de 4,1 %. Les instances ministérielles prevalence of psychoactive substances use of 4.1%. The minis-
marocaines se sont impliquées tôt dans le mouvement mondial terial authorities in Morocco got involved early in the world
dans la lutte contre les drogues, et il y a eu une participation movement in the fight against drugs, and there was a fairly
assez importante dans l’élaboration des enquêtes épidémiolo- significant participation in the preparation of epidemiological
giques dans la population générale et chez les jeunes, et aussi surveys in the general population and among young people,
dans la création des services de soins ambulatoires et résiden- and also in the creation ambulatory and residential care ser-
tiels. Ces derniers, quoiqu’ils soient peu nombreux, ont com- vices. The latter, although few in number, began their activities
mencé leurs activités depuis la fin des années 1990. Le Maroc since the late 1990s. Morocco was the third Muslim country to
a été le troisième pays musulman à adopter la politique de adopt the harm reduction policy among people who inject
réduction des risques parmi les personnes qui s’injectent des drugs in 2007 and to introduce opioid agonist treatment in
drogues en 2007 et à introduire le traitement par agonistes 2010. A comprehensive and integrated policy involving both
opioïdes en 2010. Une politique globale et intégrée a impliqué healthcare professionals and civil society organizations in the
aussi bien les professionnels de soins que les organisations treatment of addictive disorders and the combined prevention
de la société civile dans le processus de prise en charge des of the risks of infections from AIDS, hepatitis C and tuberculo-
troubles addictifs et de la prévention combinée des risques sis. He was also able to set up university addictology training
d’infection au sida, à l’hépatite C et à la tuberculose. Des for- and capacity-building programs for thematic associations and
mations universitaires d’addictologie et des programmes de peer helpers. Shortcomings are still well noted, in terms of
renforcement des capacités des associations thématiques et qualified human resources, the generalization of health care
des pairs aidants ont également pu être instaurées. Des insuf- structures throughout Morocco or to certain well-targeted
fisances sont encore bien notées, sur les plans des ressources vulnerable populations such as women, young people, priso-
humaines qualifiées, de la généralisation des structures de ners and migrants... The national strategic plan for the pre-
soins sur tout le territoire marocain ou à certaines populations vention and management of addictive disorders, adopted on
bien ciblées vulnérables telles que les femmes, les jeunes, les January 18, 2018 by the directorate of epidemiology and fight
détenus et les migrants... Le plan stratégique national de pré- against diseases of the Ministry of Health, came to address
vention et de prise en charge des troubles addictifs, adopté these shortcomings and draw up a plan working in the treat-
le 18 janvier 2018 par la Direction de l’épidémiologie et de ment and prevention of addictions in Morocco.
la lutte contre les maladies du Ministère de la santé, est venu
pour répondre à ces insuffisances et dresser un plan de travail
dans le traitement et la prévention des addictions au Maroc.
À travers les résultats de MedSPAD (tableau I), la pré- Les comorbidités psychiatriques
valence augmente avec l’âge, les garçons sont plus tou-
chés que les filles, et les premiers usages commencent
vers 11 ans, alors que la tranche d’âge des 15-17 ans L’étude de l’équipe universitaire de Rabat, évaluant
constitue l’âge charnière entre un usage expérimental et l’usage de cannabis au sein d’une population de 77
régulier. Pour la même tranche d’âge, une légère aug- sujets atteints de schizophrénie ou de troubles schizo-
mentation des chiffres de prévalence est observée entre affectifs, a montré que 35 % des patients présentaient
l’enquête MedSPAD 2013 et MedSPAD 2017, pour le un abus et/ou une dépendance au cannabis, 66 % pré-
tabac, l’alcool, le cannabis et les somnifères. Les chiffres sentaient un usage quotidien de tabac, 4 % des patients
de prévalence concernant les psychotropes paraissent étaient dépendants de l’alcool et 1,3 % consommaient
augmentés par rapport à ceux trouvés en 2009, princi- de la cocaïne, alors qu’aucun cas d’usage d’opiacés ou
palement pour les filles (10-12). d’amphétamines n’a été noté (13).
En 2009, 26 000 personnes étaient touchées par le 134 000 hectares en 2003, c’est-à-dire sur 1,48 % des
VIH/sida au Maroc et 1 200 en étaient décédées (6). terres cultivables du pays. Quelque 3 070 tonnes de
La prévalence du VIH en population générale est de haschich auraient été produites cette année là à partir
0,14 % (cf. PN de lutte contre le sida), alors que parmi de la récolte de cannabis. Mais, depuis, les cultures de
les personnes qui utilisent des drogues injectables, cannabis ont baissé : 72 500 hectares en 2005 (1 066
les prévalences rapportées par les dernières études tonnes de haschich), après éradication de 15 160 hec-
conduites par le Ministère de la santé dans les sites tares par les autorités marocaines, puis par la suite la
touchés par cette problématique sont de 1,3 % à Tanger, superficie a baissé jusqu’à 37 000 hectares en 2016, et le
de 6 % à Tétouan et de 14 % à Nador. La prévalence du Maroc est passé au deuxième rang des pays producteurs
VHC est très élevée parmi cette population. Elle est de après l’Afghanistan (15, 16).
45,4 % à Tanger, 54,5 % à Tétouan et atteint 76,8 % à
Nador (1). Les programmes de prévention et de traitement de la
dépendance au cannabis, comme première substance
L’expérience du Maroc, depuis 2007, en matière de illégale consommée au Maroc, restent en dessous des
réduction des risques parmi les personnes qui s’injectent attentes de la part des professionnels de la santé et de
des drogues opioïdes (notamment l’héroïne) et l’intro- la société civile, et ils n’ont pas bénéficié d’un intérêt de
duction en 2010 de la méthadone comme traitement la coopération internationale ou d’une aide financière
agoniste aux opioïdes (TAO) placent le Maroc comme et logistique comme pour la dépendance aux opiacés.
premier parmi les pays arabes et de l’Afrique franco-
phone à mettre en place le TAO à côté des autres com- Trois modes de consommation sont répandus au Maroc,
posantes de la réduction des risques, telles que le pro- le haschich, sous forme de joints fumés, le kif – feuille
gramme d’échange de seringues (PES), la distribution de cannabis, fumé et banalisé essentiellement dans le
des préservatifs comme outils de prévention des conta- nord, surtout chez les plus âgés – et plus, rarement, le
minations au VIH et au VHC, ainsi que des activités maajoune.
d’appui psychosocial et d’auto-support au bénéfice des
personnes qui s’injectent des drogues. Le programme Ce dernier est une pâte présentée sous forme de gâteaux
méthadone a démarré dans trois sites pilotes et, à ce et préparée localement à base de résine de cannabis, au-
jour, ce sont sept centres qui délivrent de la méthadone, quel sont ajoutées des plantes atropiniques à propriétés
auxquels s’ajoutent des centres de réduction des risques, hallucinogènes et, de façon inconstante, des graines de
en plus de la mise en place de dix unités de soins en pavot et des psychotropes. Le maajoune est consommé
addictologie dont cinq unités assurant la continuité du occasionnellement par les jeunes, garçons et filles, en
traitement de substitution par la méthadone en milieu milieu festif.
carcéral (1).
sanction pénale sévère et un suivi, pendant toute la Des faiblesses ont été bien répertoriées dans le texte du
durée que requiert le traitement, ainsi qu’une cure de plan stratégique national de prévention et de prise en
désintoxication dans un établissement thérapeutique. charge des troubles addictifs, et elles ont été synthéti-
sées dans les points suivants :
Au Maroc, il existe un cadre légal de vente et de consom- - La couverture territoriale sanitaire n’est pas homogène,
mation d’alcool qui régule et interdit sa consommation et la cohérence entre les différents secteurs publics,
(substance licite pour les étrangers et illicites pour les universitaires, soins de santé de base, santé scolaire et
musulmans) et qui interdit sa vente et sa consommation services ambulatoires d’addictologie fait encore défaut.
pour les mineurs. - L’offre de soins et la prise en charge restent univoques
dans les centres, et les données sur l’usage de drogues
Il existe aussi un cadre légal de vente et de consom- sur tout le territoire du Maroc sont encore manquantes.
mation de tabac interdisant l’accès des mineurs (6). - Un manque de formation et un manque de consulta-
Le Maroc a signé la Convention cadre de lutte contre tions spécifiques pour certaines addictions : les produits
le tabac en 2004, mais elle n’est pas encore ratifiée. Le de synthèse, les addictions comportementales.
seul dispositif juridique de lutte anti-tabac existant à - Les femmes usagères de drogues sont victimes d’une
ce jour au Maroc est le Dahir N° 1-91-112 du 26 juin double stigmatisation, et les protocoles thérapeutiques
1995 portant promulgation de la Loi N° 15-91 relative pour la grossesse et la maternité ne sont pas pris en
à l’interdiction de fumer et de faire de la publicité et de compte.
la propagande en faveur du tabac dans certains lieux. - La prise en charge et la continuité des soins en milieu
Votée en 1991, cette disposition n’a été publiée au Bul- carcéral des personnes souffrant de troubles addictifs
letin officiel que le 2 août 1995, et elle ne sera mise en sont encore à leurs débuts.
œuvre qu’à partir du 3 février 1996. La Chambre des - Une législation encore trop pénalisante pour l’usager
représentants a adopté, en juillet 2008 et à l’unanimité, de drogues en possession de produits de consommation
une proposition de loi modifiant et complétant la Loi personnelle.
N° 15-91 relative à l’interdiction de la consommation - La quasi-inexistence de services d’hospitalisation en
du tabac et de la publicité pour le tabac dans les lieux addictologie au sein des hôpitaux psychiatriques en
publics, ainsi que sa vente aux mineurs. Ce texte vise à dehors de Rabat, Casablanca et Fès, et l’inexistence de
renforcer les dispositions légales en la matière, ainsi que réseaux organisés pour la prise en charge de personnes
la prévention du tabagisme, à combler certains vides ju- porteuses de comorbidités psychiatriques.
ridiques et notamment l’absence de sanctions, à limiter - L’absence des équipes de liaison en addictologie dans
les effets néfastes du tabagisme, à générer des ressources les services de soins de médecine et de chirurgie.
financières supplémentaires et à réduire la publicité du - Le manque de structures de postcure et/ou des com-
tabac, mais l’application de ces lois n’est pas la règle munautés thérapeutiques et des programmes de préven-
dans la règle dans la plupart des endroits publics. Les tion et de prévention de la rechute. De même, la mise
défis résident dans l’adoption, la mise en œuvre et en place des formations sur les thérapies cognitivo-
l’application d’une législation anti-tabac efficace. comportementales et sur les interventions psychothéra-
piques brèves et familiales reste limitée.
- Le volet de la recherche reste très timide, ainsi que
Constatations globales les ressources matérielles limitées dans le domaine de
la recherche.
Le Maroc s’est doté, sous l’égide du Ministère de la - Les procédures législatives permettant l’injonction
santé, d’un plan stratégique national de prévention et thérapeutique pour les usagers manquent de clarté et
de prise en charge des troubles addictifs 2018-2022, qui sont rarement utilisées.
a défini sept axes thématiques de travail : la promotion - L’effet stigma autour de l’usage de drogues reste
de la santé mentale, la prévention et la détection pré- encore assez présent, affectant négativement l’accès au
coce des addictions, la thérapie et les offre de soins, la traitement.
réduction des risques, le renforcement des compétences, - La culture, certes beaucoup plus basse qu’auparavant,
le suivi-évaluation et la surveillance des tendances, ainsi de cannabis dans la région du Nord, mais la production
que la réduction de la discrimination et de la stigmati- est toujours présente avec accès facile et exposition
sation des usagers de drogues (1). importante des jeunes à cette substance.