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Les Indiens D'equateur Ne Résistent Pas À L'idée de Progrès 23 Octobre 2017: Alessandro Pignocchi

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Les Indiens d’Equateur ne résistent pas à l’idée

de progrès
23 octobre 2017 / Alessandro Pignocchi

Les promesses de l’arrivée au pouvoir de Rafael Correa en Équateur se sont


transformées en une soumission à l’idée simpliste de progrès, explique l’auteur
de cette tribune. Les Achuar, membres du groupe jivaro, ont en partie échappé
à cette marche uniformisante. Pour l’instant.

Alessandro Pignocchi est chercheur en sciences cognitives et philosophie de l’art, illustrateur et auteur de
bandes dessinées. Il a publié Anent - Nouvelles des Indiens jivaros, préfacé par Philippe Descola, chez
Steinkis. Il anime aussi un blog dont il a tiré une bande dessinée, Petit traité d’écologie sauvage, publié
chez le même éditeur.
Loin de sortir l’Équateur de sa dépendance à l’exportation de matières premières, les dix années du
gouvernement de Rafael Correa l’ont au contraire renforcée. À ses débuts, pour penser les voies de
développement alternatives capables d’extraire l’Équateur du trajet que dessine pour lui la division
internationale du travail, le gouvernement de Correa pouvait compter sur la collaboration des mouvements
sociaux et des acteurs locaux, notamment écologistes et représentants indigènes, qui ont grandement
contribué à le porter au pouvoir. Malheureusement, le dialogue avec cette base a rapidement été rompu.
Le gouvernement a fait le choix de la répression violente et d’une stratégie de criminalisation systématique
de tout mouvement de contestation. Par ailleurs, cette base n’avait pas de réelle cohérence idéologique et
s’est dispersée dès qu’il s’est agi de former une opposition à Correa. De nombreux Équatoriens, s’ils
reconnaissent volontiers les transformations spectaculaires de leur pays sous le gouvernement Correa,
expliquent avec ironie qu’ils sont aujourd’hui « un peuple qui consomme davantage ». Cette soumission a
une notion simpliste de « progrès » a eu les conséquences les plus dramatiques en Amazonie, la région qui
aurait justement nécessité la plus grande originalité.

Les Shuar ne sont pas des parangons de protection de la nature

Motivé entre autre par la chute des cours du pétrole, le gouvernement Correa a choisi de développer
l’extraction minière. Plusieurs mines de cuivre à ciel ouvert sont en cours d’ouverture dans le sud du pays
par l’entreprise chinoise ECSA. Celle de San Carlos-Panantza s’implante sur un territoire revendiqué par les
Indiens d’Amazonie Shuar, le groupe le plus nombreux (environ 120.000 personnes, réparties entre
l’Équateur et le Pérou) de l’ensemble linguistique jivaro. Les mouvements de résistance des Shuar autour
de cette mine et d’autres projets du même ordre ont dès leur origine donné lieu à une répression violente.
Trois leaders shuar ont été tués, de nombreux autres sont aujourd’hui incarcérés ou activement
recherchés. La mort d’un policier sur le site de la mine a ensuite permis au gouvernement de décréter l’état
d’exception et de déployer une intervention militaire particulièrement lourde. Aujourd’hui, les
manifestations et autres actes de résistance de Shuar et de paysans métis sont réguliers [1].

Pointer du doigt la gestion autoritaire des conflits sociaux et environnementaux par le gouvernement de
Correa ne doit pas inciter à imaginer en face de lui une opposition cohérente, écologiste et en rangs serrés
derrière le concept du « bien vivre ». En particulier, il ne faudrait pas idéaliser les mouvements indigènes
en y plaquant nos critères, ce qui reviendrait à verser dans la même ignorance des spécificités locales que
celle dont fait preuve le gouvernement.
Les Shuar ne sont en effet pas des parangons de protection de la nature. Ils l’étaient peut-être, sans le
savoir, à l’époque où, justement, la nature n’existait pas pour eux ; les plantes et les animaux étaient alors
considérés comme des partenaires sociaux [2]. Mais depuis, les missionnaires, les routes et la modernité en
général sont passés par là [3]. Aujourd’hui, de nombreux Shuar pratiquent l’élevage bovin (ils y ont été
poussés entre autres pour avoir le droit de conserver leur terre, à partir des années 1950), font commerce
du bois, louent leur terrain pour l’extraction minière légale et illégale, ou parfois la pratiquent eux-mêmes
avec des méthodes artisanales qu’ils qualifient volontiers de traditionnelles. Le discours que leurs leaders
ont construit autour de la protection de la forêt et de leurs terres ancestrales sacrées est principalement
stratégique.

Une opération hautement syncrétique

D’ailleurs, la notion de « terre ancestrale sacrée » n’aurait eu aucun sens dans les cosmologies jivaros,
dénuées de toute forme de culte des ancêtres ou des lieux. Il en va de même lorsqu’ils proclament leur
attachement à la Pachamama, la « Terre-Mère », une notion d’origine andine sans équivalent dans les
cultures amazoniennes. Il ne s’agit pas de dire que la réappropriation de ces concepts soit une mauvaise
idée, ni qu’elle est nécessairement de mauvaise foi ; il est simplement utile de savoir qu’elle relève d’une
opération hautement syncrétique.

Kaar Atamaint, un jeune Shuar d’une famille militante, étudiant en anthropologie, fan de Philippe Descola et
de Viveiros de Castro [4], explique que le moteur de la résistance n’est pas tant l’environnement, ni même
la préservation de la culture, que la souveraineté [5]. « Si l’entreprise qui exploite le pétrole et le cuivre sur
nos terres s’appelait PetroShuar, et n’était gérée que par des Shuar, je suis à peu près sûr que mon peuple
se prononcerait à une vaste majorité en faveur de l’extraction. Les Achuar peut-être pas, ajoute-t-il, ils sont
plus fermes sur ces questions… pour l’instant. »
Les Achuar sont un autre groupe de l’ensemble jivaro, que je fréquente depuis plusieurs années [6]. Ils sont
beaucoup moins nombreux et plus isolés que les Shuar et correspondent un peu mieux au cliché occidental
du bon Indien — pour l’instant. En conséquence, chez eux l’inadéquation des programmes
gouvernementaux se donne à voir de façon plus transparente encore. Même les programmes de santé et
de scolarisation, en l’absence de prise en compte des spécificités locales, ont systématiquement des effets
secondaires néfastes, aboutissant à la prolétarisation des Indiens beaucoup plus qu’à leur émancipation.

Une même notion naïve et uniformisante de progrès

Anecdotiques, mais représentatif, cette année même, les communautés les plus isolées ont reçu par
avionnette des cartons de briques de lait sucré et aromatisé pour les enfants — dans un des endroits du
monde où il est le plus facile de se procurer une nourriture aussi diversifiée qu’abondante et où,
accessoirement, on digère mal le lactose et on ne sait pas ce qu’est une brosse à dents. Grâce à ces
programmes de « réduction de la pauvreté », le concept de pauvreté va bientôt faire une entrée
fracassante dans des zones où il était jusqu’à maintenant inconnu [7].

Qu’elle soit employée de bonne ou de mauvaise foi, que l’on se situe du côté des initiateurs ou des
destinataires des programmes de développement, on retrouve une même notion naïve et uniformisante de
progrès. Son succès dans les esprits est d’autant plus triste que, comme l’écrit Romain Gary à la fin de
Chien blanc, pour échapper à son oppresseur, encore faut-il ne pas essayer de lui ressembler.

Cette tribune prolonge celle publiée ici.

[1] Terra incognita (no 105, edicion especial Cordillera del condor, la guerra del cobre). Voir aussi le site
Camara-Shuar.
[2] Philippe Descola, Par-delà nature et culture (Gallimard, 2005).

[3] Parler des Shuar comme d’un groupe homogène est bien sûr simpliste. Voir l’article de Deshoullière
pour une analyse des transformations des modes de vie shuar au cours de la seconde moitié du XXe siècle.

[4] Viveiros de Castro est un anthropologue brésilien qui a beaucoup influencé Descola.

[5] Les « villes du millénium », ces nouveaux villages amazoniens à la modernité de pacotille dont je parle
dans le premier volet de cet article, avaient d’ailleurs comme objectif caché de faire oublier l’initiative Alian
Petrol, un projet d’extraction gérée par une association de différents organismes de représentation
indigène (notamment shuar). Voir La selva de los elefantes blanco (éditions Abya Yala, 2017).

[6] Voir ma bande dessinée documentaire Anent. Nouvelles des Indiens jivaros (Steinkis).

[7] Pour une formulation différente d’un propos similaire, voir mon post de blog sur la communauté Achuar
de Napurak.

Lire aussi : En Équateur, le « progrès » extractiviste détruit le « bien vivre » indigène

Source : Courriel à Reporterre

- Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la
rédaction.
- Titre, chapô et intertitres sont de la rédaction.

Photos :
. chapô : DR
. dessins : © Alessandro Pignocchi

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