Graphisme de couverture : ©
© Armand Colin, 2017
Armand Colin est une marque de Dunod Éditeur, 11 rue Paul Bert,
92240 Malakoff
ISBN : 978-2-200-61849-0
Ce livre est dédié à mes ami(e)s Mesdames
Patricia Jego et Dominique Eloudy, Jean
Verdun et Pierre Simon (†), Philippe
Deschamps, Jacques Caulin et Christian
Hervé.
Je remercie Sylvie Chiousse pour ses conseils
et sa relecture.
Table
Couverture
Page de titre
Copyright
Dédicace
Introduction : 33 clés pour se glisser dans le secret des loges
1. L’été 1717 ou l’histoire des origines
2. Les textes fondateurs
3. La querelle du Grand Architecte
4. Le combat des franc-maçonnes
5. Les cinq principales obédiences françaises
6. Comment fonctionnent les obédiences ?
7. La loge, cellule vivante de la maçonnerie
8. Le secret au cœur de la franc-maçonnerie
9. Pourquoi et comment devenir franc-maçon ?
10. L’initiation, sur la voie des mystères
11. La planche et autres travaux maçonniques
12. Les « carrières » maçonniques
13. Sacrifice et espaces sacrés
14. Les symboles et la construction du temple
15. Équerre, compas et autres symboles
16. Les rituels
17. La parole et le silence
18. Musique et franc-maçonnerie
19. La fraternité, une obligation morale
20. La vengeance et le pardon
21. Les francs-maçons face aux Lumières
22. Jusqu’où respecter la tradition ?
23. L’universalité maçonnique en question
24. La franc-maçonnerie au risque des sciences humaines ?
25. La réflexion éthique, pilier de la franc-maçonnerie
26. Quelques francs-maçons célèbres
27. La franc-maçonnerie a-t-elle joué un rôle dans les avancées
sociales ?
28. Pourquoi l’Église catholique s'acharne-t-elle contre la franc-
maçonnerie ?
29. Les attaques de l’extrême droite
30. L’antimaçonnisme au XXe siècle
31. La franc-maçonnerie est-elle une secte ?
32. Le marronnier médiatique
33. Quel avenir pour la franc-maçonnerie ?
Postface
Pour en savoir plus
Introduction
33 clés pour se glisser dans le secret
des loges
Un demi-siècle après la fin des guerres des Trois Royaumes qui viennent
d’ensanglanter les Îles britanniques, la franc-maçonnerie voit le jour à
Londres en 1717. Elle a l’ambition d’être une sorte de religion qui mette
tous les hommes d’accord. Elle espère ainsi construire une société tolérante
et fraternelle qui ne se déchirera plus pour des motifs religieux.
La franc-maçonnerie apparait dans les corporations de compagnons
bâtisseurs de cathédrales qui accueillent progressivement des gentlemen
masons.
Les Constitutions d’Anderson commencées en 1721 et publiées en 1722
sont le document fondateur de la franc-maçonnerie moderne. Les références
chrétiennes et plus particulièrement christiques y sont importantes,
notamment celles qui gravitent autour du sacrifice, une notion au cœur de
certains rituels de passage. Cependant, pour éviter les conflits religieux, la
franc-maçonnerie se réfère à un Grand Architecte de l’Univers plutôt qu’à
un dieu ou à une vision particulière de Dieu dont il est interdit de parler en
son sein. Elle revendique également des origines mythiques qui n’ont
aucune validité historique en ce qui la concerne : Adam, Noé, Hiram Abif,
les bâtisseurs de pyramides, les philosophes grecs, les templiers, etc.
Depuis son origine, la franc-maçonnerie prétend jouer un rôle social dont
la pertinence est cependant discutée, notamment en ce qui concerne son rôle
pendant la Révolution française. Mais pour de nombreux maçons, elle a
essentiellement pour but d’accompagner ses membres sur une voie
« initiatique » censée les conduire progressivement, par degrés successifs,
de l’ignorance à la connaissance, « des ténèbres à la lumière » en langage
métaphorique. Cette dimension lui confère une spécificité qui la distingue
nettement de nombreuses autres associations philanthropiques.
Institution discrète plus que secrète, la franc-maçonnerie fascine et
inquiète à la fois. Elle est un inépuisable marronnier médiatique. Elle est
fréquemment diabolisée et inspire toutes sortes de théories
conspirationnistes.
En France, on compte 150 000 franc-maçonnes et francs-maçons répartis
dans un nombre important d’institutions maçonniques (une vingtaine). Cette
diversité est une particularité très française. Cependant, si on décide de les
classer en fonction du nombre de membres, cinq organisations se
distinguent : le Grand Orient de France, la Grande Loge de France, la
Grande Loge Nationale Française, la Grande Loge Féminine de France et le
Droit Humain. Chaque institution ou obédience maçonnique se définit selon
des critères qui, au-delà des différences, font appel à des valeurs communes.
Le Grand Orient de France, numériquement la plus importante, se définit
comme une « institution essentiellement philanthropique, philosophique et
progressive, qui a pour objet la recherche de la vérité, l’étude de la morale
et la pratique de la solidarité […] » ; la Grande Loge Nationale Française
qui ne reconnaît pas les autres « puissances » maçonniques, se définit
comme « une libre association d’hommes indépendants, ne relevant que de
leur conscience, qui s’engagent à mettre en pratique un idéal de paix,
d’amour et de fraternité », etc.
Cet ouvrage vous propose trente-trois clés pour ouvrir les portes derrières
lesquelles se cachent les secrets de la franc-maçonnerie : autant
d’opportunités d’aller voir au-delà des innombrables idées reçues qui
entourent d’un halo de mystère cette « vénérable » institution vieille de trois
siècles.
Ce livre reflète les prises de position de son auteur qui sera
inévitablement critiqué. Et c’est tant mieux !
1
L’été 1717 ou l’histoire des origines
La naissance de la franc-maçonnerie date de la fin du XVIIe siècle, début XVIIIe,
elle est liée à l’émancipation de loges du métier de bâtisseur qui se
détachent progressivement des corporations compagnonniques pour se
construire autour d’un certain nombre de valeurs. Sa création officielle date
de 1717.
Petite histoire de la franc-maçonnerie
Dès les années 1670, des loges de compagnons bâtisseurs accueillent
gentilshommes et bourgeois, principalement en Écosse. Progressivement,
mais sans que les historiens puissent précisément décrire pourquoi et
comment, des loges s’éloignent du métier de bâtisseur pour devenir
purement symboliques, c’est-à-dire « spéculatives » en jargon maçonnique.
Ces organisations s’inspirent directement du mode de fonctionnement des
loges de compagnons établi par William Shaw, organisateur de la profession
à la demande du roi Jacques VI d’Écosse. La plus ancienne loge totalement
distincte de la corporation compagnonnique locale est celle de Mary’s
Chapel fondée en 1599 à Édimbourg.
Ces premières loges pratiquent l’ancienne cérémonie d’admission connue
sous le nom de « Rite des Anciens Devoirs » ou, à partir des années 1630,
en milieu presbytérien, un rituel d’initiation parfois désigné sous le nom de
« Rite du mot de maçon » qui consiste en l’échange d’une poignée de main
rituelle et de deux mots de passe. On compte également une trentaine de
loges en Angleterre avant la fin du XVIIe siècle. Des personnalités
intellectuelles et savantes y sont alors initiées, telles que Robert Moray et
Elias Ashmore, fondateurs de la Royal Society. Ces loges essentiellement
philanthropiques entraident les « frères » malades ou dans le besoin,
participent aux frais d’obsèques et assistent les veuves ou les orphelins
nécessiteux. Personne ne sait pourquoi, ni comment, ces loges se sont
séparées des loges de métier, et surtout comment elles sont passées d’un
système d’entraide à une institution défendant progressivement un certain
nombre de valeurs.
La franc-maçonnerie verra finalement le jour à Londres, lors de la Saint-
Jean d’été, en l’an 1717. Elle est fondée par quatre loges londoniennes qui
décident de s’unir pour créer la Grande Loge de Londres.
Plus tard, en 1722, lorsque la Grande Loge de Londres adopte les
Constitutions d’Anderson, les principes auxquels toutes les organisations
maçonniques se réfèrent sont établis.
Les valeurs qui ont inspiré les fondateurs
La première grande valeur maçonnique est la tolérance, elle est adoptée en
réaction aux luttes politiques et religieuses de l’Angleterre des XVIIe et
XVIII siècles. Beaucoup pensent que la maçonnerie a été conçue pour être
e
une « religion » destinée à mettre tous les hommes d’accord. Ainsi, l’article
premier des Constitutions d’Anderson dispose :
« Un maçon est tenu par son état d’obéir à la Loi Morale, et s’il entend bien l’art, il ne sera
jamais un athée stupide ni un libertin irréligieux. Mais tandis que dans les anciens temps, les
maçons étaient obligés en chaque pays d’être de la religion, quelle qu’elle fut, de ce pays ou
de cette nation, on juge aujourd’hui plus à-propos de ne les astreindre qu’à cette religion sur
laquelle s’accordent tous les hommes, en laissant à chacun ses opinions particulières : savoir,
à être hommes de bien et loyaux, hommes d’honneur et droits, quelles que soient les
dénominations ou confessions qui puissent les distinguer ; par quoi la maçonnerie devient le
“Centre de l’Union”, le moyen d’établir une amitié vraie entre personnes qui sans elle
demeureraient à jamais étrangères. »
La tolérance, difficile à vivre, est l’ennemie des idéologies et des dogmes
qui ne se discutent pas. Elle doit se cultiver longuement et patiemment, ce
que permet la pratique maçonnique, tant les idées des uns et des autres
peuvent être différentes. Cependant, elle se heurte à une contradiction
insoluble, fréquemment abordée en loge : peut-on tolérer l’intolérance ?
La deuxième valeur, pour un franc-maçon, est le travail. Une loge est
symboliquement représentée par le temple de Salomon qui ne sera jamais
achevé, mais que les francs-maçons s’acharnent à bâtir.
La solidarité qui était la valeur dominante des premières loges
spéculatives, reste d’actualité et doit s’étendre à l’ensemble de l’humanité.
L’amour et la fraternité sont également des valeurs maçonniques que l’on
retrouve dans la première Déclaration des droits (United States Bill of
Right) écrite par George Mason (qui ne l’était probablement pas. Ça ne
s’invente pas !). Adoptée par la Convention de Virginie en 1776, elle a
largement inspiré Thomas Jefferson, pour la Déclaration des droits humains
incluse dans la Déclaration d’indépendance des États-Unis du 4 juillet 1776,
mais aussi l’Assemblée française, pour la Déclaration française des droits
de l’homme et du citoyen de 1789. Jefferson n’était pas franc-maçon, à
l’inverse de George Washington ou Benjamin Franklin, mais ils
partageaient les mêmes idéaux qui sont, depuis les Constitutions
d’Anderson, des valeurs que défend la franc-maçonnerie.
En un mot…
Les origines historiques de la franc-maçonnerie moderne sont
incertaines. Sur le plan des valeurs, il est probable qu’elle ait été créée
pour être une « religion » qui mette tous les hommes d’accord. Dès
l’origine, elle a défendu la tolérance, le travail et, excusez cet
anachronisme, les droits de l’homme qui ont été promulgués plus de
cinq décennies après sa naissance.
2
Les textes fondateurs
Les principes de la franc-maçonnerie trouvent leur origine à la fois dans un
corpus de textes anciens hérités de la maçonnerie des métiers, et dans des
écrits plus récents qui fondent la franc-maçonnerie moderne.
Les Old Charges
Les Old Charges, ou Anciens Devoirs, des maçons de métier comportent
généralement une histoire légendaire du métier et l’énumération des devoirs
moraux et professionnels.
Le Regius, le plus ancien de ces textes, est un poème en vers écrit en latin
datant de 1390. C’est le plus ancien code professionnel et moral qui
réglemente le fonctionnement du métier de maçon. Il organise la
concurrence et les modalités d’embauche et de rémunération des tailleurs de
pierre selon leur grade : apprentis, compagnons et maîtres. Il promeut
l’exigence technique, le secret, la transmission du savoir, la fraternité,
l’entraide, la recherche des vertus, le sens de la justice et de l’équité. Il
précise les conditions d’exclusion de ceux qui transgresseraient les règles. Il
exclut les serfs, les handicapés et les enfants illégitimes. Sa troisième partie
contient des prescriptions religieuses.
Le manuscrit Cooke, poème écrit en latin et en prose lors de la première
décennie du XVe siècle, est une reprise du Regius. Il accorde une place
importante au système médiéval des sept arts libéraux. Selon lui, le métier
de maçon aurait transité par la France avant d’être importé en Angleterre.
Le manuscrit Grand Lodge no 1 écrit en 1583, reprend de façon plus
concise le fond médiéval des textes précédents. Après avoir rassemblé
l’ensemble des témoignages disponibles sur la fondation du métier de
maçon, le fils du roi d’Angleterre décide que ce recueil des Old Charges
doit désormais être lu lors de la réception de tout nouveau maçon, afin qu’il
connaisse l’étendue de ses engagements, en apposant sa main sur le livre
pendant la lecture.
Les Statuts Schaw, deux textes rédigés en 1598-1599 par le maître des
travaux du roi Jacques VI d’Écosse, sont souvent considérés comme
préfigurant l’organisation de la franc-maçonnerie telle qu’on la connait. La
réglementation de la profession de maçon fait apparaitre une organisation
hiérarchique ternaire : apprentis, compagnons avec un seul et unique
surveillant de la loge. Ces nouvelles modalités de fonctionnement ont des
conséquences importantes sur la stabilisation géographique des loges et des
rituels. Ils instituent notamment la fonction de secrétaire qui tient un
registre, celui-ci est la mémoire de la loge. Ces documents confirment pour
la première fois l’existence de loges de francs-maçons qui ne pratiquent pas
le métier de bâtisseur.
Les textes fondateurs de la franc-maçonnerie moderne
Les francs-maçons, malgré l’impératif du secret et la pratique de la
transmission orale, ont eu avec l’écrit une relation de référence, dès le début
du XVIIIe siècle.
Les Constitutions d’Anderson, intitulées Constitution, histoire, lois,
obligations, ordonnances, règlements et usages de la très respectable
confrérie des francs-maçons acceptés, sont l’acte de naissance de la franc-
maçonnerie spéculative. Elles ont été rédigées en 1721 par le pasteur
presbytérien écossais James Anderson sous la direction de Jean-Théophile
Desaguliers et Georges Payne pour organiser les pratiques et les
comportements de la Grande Loge de Londres créée en 1717. Cette
première version, issue d’une compilation des archives et usages anciens, a
ensuite fait l’objet d’une relecture par une commission composée de
quatorze membres. Le texte fut approuvé en 1722 et publié en 1723.
Les Constitutions d’Anderson sont structurées en quatre parties :
l’histoire légendaire du métier de maçon ; les obligations qui comportent les
principales modalités du travail des initiés ; les règlements généraux qui
organisent le fonctionnement de la fédération des loges ; puis elles se
terminent par plusieurs chants maçonniques. Le fond du texte valorise
l’humanisme, la tolérance, l’universalisme, les vertus morales, la liberté
d’opinion, le relativisme religieux, le respect des pouvoirs civils, la
fraternité. Cette charte, qui a subi diverses modifications, reste le fondement
des grands principes de la franc-maçonnerie.
Le Discours de Ramsay aurait été prononcé en 1736 pour accueillir de
nouveaux initiés. Le chevalier de Ramsay (1686-1743) espère que la franc-
maçonnerie naissante pourra faire une synthèse entre l’esprit des Lumières
et les diverses traditions spirituelles de l’humanité. Il tente de démontrer un
lien de filiation entre la chevalerie, les croisades et la franc-maçonnerie. Il
s’agit par conséquent d’un texte à la fois progressiste et conservateur,
opposant la science de son époque à la connaissance ésotérique
caractéristique de la pensée analogique. C’est ce en quoi il reste d’actualité
pour la franc-maçonnerie, société initiatique traditionnelle, dans son rapport
dialectique entre science et connaissance.
On retrouve ces deux tendances dans de nombreux travaux maçonniques
actuels. Selon Ramsay, les quatre qualités fondamentales d’un franc-maçon
sont la philanthropie sage, la morale pure, le secret inviolable et le goût des
beaux-arts. Il reprend les idées humanistes des Constitutions d’Anderson :
l’importance de la tradition chrétienne, la tolérance, la paix entre les
peuples, la morale, la philanthropie, la transmission et l’inviolabilité du
secret. Ramsay remania son texte pour tenter de convaincre, sans y
parvenir, le cardinal Fleury. Il en existe aujourd’hui plusieurs versions. Ce
discours a exercé une influence immédiate et durable, surtout en France où
il est considéré comme l’acte fondateur des « Hauts Grades ».
En un mot…
Les Old Charges ou Anciens devoirs des corporations de bâtisseurs du
Moyen Âge ont inspiré les francs-maçons qui les ont ensuite reprises
dans leurs textes fondateurs. Les filiations anciennes, égyptiennes,
bibliques, grecques, templières, chevaleresques sont plus que
discutables sur le plan historique, mais parfaitement légitimes sur le
plan symbolique. Les textes fondateurs tentent une synthèse entre la
science de leur temps, issue des Lumières, et les traditions anciennes,
ésotériques.
Les francs-maçons continuent, encore aujourd’hui, à se référer aux
mythes et connaissances anciennes. C’est ce qui fait l’originalité de
leur démarche. Mais ils se situent également à la pointe des
connaissances scientifiques actuelles, selon leur sensibilité, la loge et
l’obédience plus ou moins symbolique qu’ils fréquentent, dans un
esprit de tolérance.
3
La querelle du Grand Architecte
Depuis les origines de la franc-maçonnerie, la question de Dieu est centrale
et suscite de nombreuses polémiques. Elle a pris une tournure très
particulière en Belgique et en France.
Des conflits internes à l’excommunication
Selon les Constitutions d’Anderson, pour être franc-maçon, il suffit de ne
pas être un « athée stupide ou un libertin irréligieux ». De ce fait, une guerre
opposant les anciens attachés à la religion et les modernes se déclare
aussitôt. En 1739, des loges catholiques irlandaises se réunissent en une
« Très Honorable Fraternité des Maçons libres et acceptés » plus connue
sous le nom de Grande Loge des Anciens. La Constitution des Anciens, dite
Ahiman Rezon, rédigée par Laurence Dermott, parait en 1753 ; elle
dispose : « Un franc-maçon est obligé, par sa tenure, de croire fermement et
d’adorer fidèlement le Dieu éternel, aussi bien que les enseignements
consacrés par les dignitaires de l’Église et les pères de l’Église […]. » Le
conflit tourne à l’avantage des gardiens du temple qui l’emportent grâce à
une habile politique expansionniste vers les colonies et l’Amérique,
renforcée par la peur de la Révolution française. En 1813, la Grande Loge
Unie d’Angleterre, autoproclamée « Loge Mère du Monde », est créée.
L’article 1er de la troisième édition des Constitutions d’Anderson affirme
l’obligation de croire en Dieu :
« […] Quelles que soient la religion d’un homme et sa manière d’adorer, il ne sera pas exclu
de l’ordre pourvu qu’il croie au Glorieux Architecte du Ciel et de la Terre […]. »
En 1875, le Convent de Lausanne qui réunit les représentants de onze
puissances initiatiques du Rite écossais ancien et accepté adopte cette
déclaration de principes : « La franc-maçonnerie proclame, comme elle a
toujours proclamé, l’existence d’un Principe Créateur, sous le nom de
Grand Architecte de l’Univers », qui permet d’accepter les déistes en son
sein. Les anglo-saxons et la quasi-totalité de la maçonnerie mondiale
refusent cette évolution.
En 1877, deux ans plus tard, le Grand Orient de France abolit toute
référence au Grand Architecte, en raison notamment de l’opposition
acharnée de l’Église catholique à la politique libérale de la Troisième
République soutenue par la franc-maçonnerie :
« La franc-maçonnerie, institution essentiellement philanthropique, philosophique et
progressive, a pour objet la recherche de la vérité, l’étude de la morale universelle, des
sciences et des arts et l’exercice de la bienfaisance. Elle a pour principes la liberté absolue de
conscience et la solidarité humaine. Elle n’exclut personne pour ses croyances. Elle a pour
devise : “Liberté, Égalité, Fraternité.” »
C’est ainsi que deux maçonneries vont désormais coexister, notamment
en France : celle qui reste fidèle à l’invocation du Grand Architecte, et celle
qui autorise de s’en dispenser. On appelle la première franc-maçonnerie
« régulière » et la seconde franc-maçonnerie « libérale ».
Déjà condamnés par Clément XII en 1738 et à diverses reprises ensuite,
les francs-maçons sont excommuniés une nouvelle fois le 20 avril 1883, par
le pape Léon XIII :
« À notre époque, les fauteurs du mal paraissent s’être coalisés dans un immense effort, sous
l’impulsion et avec l’aide d’une société répandue en un grand nombre de lieux et fortement
organisée, la société des francs-maçons. Ceux-ci, en effet, ne prennent plus la peine de
dissimuler leurs intentions, et ils rivalisent d’audace entre eux contre l’auguste majesté de
Dieu. C’est publiquement, à ciel ouvert, qu’ils entreprennent de ruiner la Sainte Église, afin
d’arriver, si c’était possible, à dépouiller complètement les nations chrétiennes des bienfaits
dont elles sont redevables au Sauveur Jésus-Christ. »
Le Grand Architecte est-il un dieu révélé ?
Pour les francs-maçons les plus spiritualistes, le Grand Architecte, qui est
représenté par le symbole du Delta lumineux, est un dieu révélé. Cependant,
un dieu révélé sans nom n’a aucun sens. La première chose que Moïse
demande au Créateur sur le Sinaï n’est-elle pas précisément son nom ?
« […] Mais s’ils me disent : “Quel est son nom, que leur dirai-je ?” Dieu dit à Moïse : “Je suis
celui qui est.” Et Il dit : “Voici ce que tu diras aux Israélites : Je suis m’a envoyé vers vous.”
Dieu dit encore à Moïse : “Tu parleras ainsi aux Israélites : Yahvé, le Dieu de vos pères,
le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob m’a envoyé vers vous. C’est mon
nom pour toujours, c’est ainsi que l’on m’invoquera de génération en génération […] (Ex
3,13-15).” »
YHWH n’est pas tout à fait Elohim. Il n’est pas Dieu-le-Père des
évangiles. Il n’est pas Allah… Il n’est pas le dieu unique des hindous qui se
manifesterait de trois façons différentes et dont les multiples avatars
signifieraient la complexité du divin. YHWH est un dieu qui se construit
dans une histoire particulière dont la Torah est le récit inspiré, un dieu père
et mère qui finit toujours par céder aux caprices de sa créature qui lui
impose un temple, un roi, etc. Dieu-le-Père, lui, est un dieu d’amour à ce
point infini qu’il s’incarne pour partager le sort de sa créature. Et Allah est
un dieu très lointain qui envoie Djibrail dicter sa loi à un homme qui ne sait
ni lire ni écrire : on ne peut négocier avec Lui ou avec le Coran. Au-delà
des idées reçues, ces trois dieux n’ont pas grand-chose à voir les uns avec
les autres, comme le démontre Jacques Ellul notamment.
On comprend qu’il soit interdit de parler de religion à l’intérieur de la
franc-maçonnerie, parce que dès qu’il est question d’un dieu particulier, il
faut nécessairement le nommer. Et gare, de vives oppositions viennent
aussitôt se mêler au débat ! C’est probablement pour cette raison que la
franc-maçonnerie s’est finalement construite autour de l’interdiction de
parler de religion.
Le Grand Architecte est-il un « dieu » symbolique ?
Pour de nombreux francs-maçons, le Grand Architecte est le symbole de la
tradition, parce que toutes les sociétés croient ou ont cru en un ou des
dieu(x).
Pour les francs-maçons déistes, il est un Être suprême qu’ils
appréhendent par intuition ou déduction à la manière de Pascal, par
exemple, de Voltaire qui l’aurait au besoin inventé, ou d’Einstein qui ne
concevait pas que Dieu puisse jouer aux dés.
Pour d’autres, il est le symbole de ce qui dépasse l’entendement humain,
une quête de spiritualité qui peut être l’humanisme ou tout autre chose,
pourvu qu’il s’accorde avec une symbolique de construction dans une
aspiration ascendante au sacré. Pour Pierre Simon par exemple, Grand
Maître de la Loge de France, le Temps est le Grand Architecte.
Les francs-maçons tirent généralement les leçons de l’histoire qui
démontre à profusion que le renoncement au divin risque de laisser place à
une idéologie plus redoutable qu’une religion traditionnelle « adoucie » par
une longue tradition. C’est pourquoi la majorité d’entre eux invoquent le
Grand Architecte de l’Univers. Ils constatent que les systèmes de pensée
qui rompent trop brutalement avec la tradition ont été et restent porteurs de
violence et d’intolérance dogmatique. Les Nazis ou les sectes totalitaires
rêvent de faire tabula rasa du passé pour construire un monde nouveau.
Ces critiques paraissent pertinentes, mais elles ne signifient pas que la
tradition est universelle, comme le pensent certains francs-maçons, ou
forcément bonne, et qu’elle ne doit pas évoluer. La franc-maçonnerie
proclame la liberté absolue de conscience et une recherche de la vérité qui
ne connaît pas de limite.
En un mot…
La querelle autour du Grand Architecte divise la franc-maçonnerie
depuis son origine. Elle est la cause de son éclatement en diverses
obédiences. Cependant, dans toutes les obédiences, coexistent
chrétiens, musulmans, juifs, bouddhistes, déistes ou athées. Seuls les
adeptes des idéologies totalitaires ou sectaires ne sont pas admis dans
la franc-maçonnerie.
4
Le combat des franc-maçonnes
Les femmes ont pendant longtemps été exclues de la franc-maçonnerie en
raison de l’exclusive prononcée par Anderson dans les Constitutions de
1722 :
« Les personnes admises membres d’une loge doivent être hommes de bien et loyaux, nés
libres et d’âge mur et discret, ni esclaves, ni femmes, ni hommes immoraux et scandaleux,
mais de bonne réputation. »
Les loges d’adoption
Au milieu du XVIIIe siècle, des aristocrates et des bourgeoises fortunées sont
initiées au Grand Orient de France, mais les autorités maçonniques
l’interdisent aussitôt. Elles acceptent, en 1774, de promulguer un rite dit
d’Adoption régissant les loges éponymes qui sont désormais les seules à
pouvoir recevoir des femmes qui ne sont pas reconnues comme
d’authentiques francs-maçons. Les rituels d’adoption ne sont pas basés sur
la construction du temple de Salomon mais sur des thèmes issus de la
Genèse : Tour de Babel, Jardin d’Éden et Déluge. Ainsi, les symboles sont
l’Arbre de la connaissance, l’Arche de Noé et l’Échelle de Jacob que l’on
trouve sur les tabliers maçonniques.
L’entrée fracassante des femmes en franc-maçonnerie
L’histoire de la franc-maçonnerie féminine moderne se confond avec la
brève histoire de la Grande Loge Symbolique Écossaise (1880-1911).
D’orientation libertaire, elle est à l’origine de l’entrée des femmes en franc-
maçonnerie. Maria Deraismes, Madeleine Pelletier, Louise Michel, Nelly
Roussel se font les relais des caractéristiques principales de la Grande Loge
Symbolique Écossaise : lutte sociale, anarchisme, démocratie, néo-
malthusianisme, libération de la femme sur les plans politique, social et
familial, droit des femmes à disposer de leur corps, avortement, plaisir
sexuel des femmes, etc. La première femme belge initiée est Isabelle Gatti
de Gamond à la loge « Diderot », vers 1903. Elle meurt deux ans plus tard.
Madeleine Pelletier ornée des insignes maçonniques prononce son éloge
funèbre au nom de la loge « Diderot ».
La Grande Loge Symbolique Écossaise devient mixte en 1901,
provoquant l’éclatement de la loge La Jérusalem Écossaise : une partie
rejoint le Grand Orient de France, une autre rejoint la Grande Loge de
France et la Nouvelle Jérusalem reste dans l’obédience. Madeleine Pelletier
qui a rejoint la Nouvelle Jérusalem y est condamnée en 1906 parce qu’elle
aurait, selon des rumeurs que nous n’avons pu vérifier, tiré sur un frère
pendant une réunion symbolique. Après cet épisode, la Nouvelle Jérusalem
rejoint la Grande Loge et crée une loge d’adoption éponyme qui jouera un
rôle majeur dans la création de la Grande Loge Féminine, dont elle est
actuellement la loge no 2 dans l’ordre de l’obédience.
Les pionnières de la Grande Loge Symbolique Écossaise
Maria Deraismes
Née en 1828, Maria Deraismes est initiée par la loge les Libres Penseurs du
Pecq en 1882. Cette initiation scandalise la franc-maçonnerie française. Sa
loge est suspendue puis réintégrée dans la Grande Loge Symbolique
Écossaise après que son nom ait été rayé de la liste de ses membres.
Elle est la cofondatrice du Droit Humain en 1901, trois ans avant son
décès. Issue d’une famille bourgeoise qui lui permet d’être financièrement
indépendante, elle est élevée dans un climat anticlérical. Elle fait de solides
études et s’intéresse à la philosophie des Lumières. Libre penseuse, elle
estime que l’Église catholique retarde l’émancipation des femmes.
Journaliste engagée, oratrice convaincante et féministe militante, elle lutte
pour l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, contre les
violences faites aux femmes et contre la prostitution analysée comme un
instrument de domination masculine.
Elle considère que les stéréotypes de genre sont des constructions
sociales entretenues par l’éducation, la religion, la littérature et les arts. Son
engagement politique se fait du côté des Républicains, dont elle dénonce
cependant le sexisme. Elle espère une évolution progressive de la société
plutôt qu’une révolution et donne des conférences remarquées dans les
locaux du Grand Orient sur la morale, l’éducation, le plaisir, la vie privée,
le pacifisme, les droits de l’enfant, le suffrage universel, etc. Elle est
fondatrice de plusieurs associations féministes dont, en 1876, la Société
pour l’amélioration du sort de la femme avec Hubertine Auclert. Elle
soutient Louise Michel, dans sa lutte pour la scolarisation et l’éducation des
femmes. En 1878, elle organise avec Léon Richer le Congrès international
du droit des femmes.
Madeleine Pelletier
Née à Paris en 1874 dans une famille pauvre, Madeleine Pelletier passe le
baccalauréat en candidate libre et devient la première femme interniste
(psychiatre) française. Elle défend une virginité militante, la contraception
et l’avortement. En 1906, elle devient secrétaire de l’association La
Solidarité des femmes, une des plus engagées de son temps. Elle représente
cette association lors des manifestations des suffragettes londoniennes en
1908. De 1905 à 1914, elle est membre du Conseil national de la Section
française de l’Internationale ouvrière. Elle est députée lors de nombreux
congrès internationaux socialistes. Pendant la Grande guerre, elle travaille
pour la Croix-Rouge. Elle est l’auteur de nombreux articles, livres, et essais
concernant l’émancipation des femmes : La femme en lutte pour ses droits
(1908), Idéologie d’hier : Dieu, la morale, la patrie (1910), L’émancipation
sexuelle de la femme (1911), Le Droit à l’avortement (1913), L’éducation
féministe des filles (1914). Elle décède en 1922, à l’hôpital Perray-Vaucluse,
où elle est internée sous contrainte pour avoir pratiqué des avortements.
Louise Michel
Née en 1830 dans une famille modeste, Louise Michel fait des études qui
lui permettent de devenir institutrice. Féministe et anarchiste, la « Vierge
rouge » s’engage en politique auprès de Jules Vallès et Auguste Blanqui.
Elle se bat contre les Versaillais pendant la Commune et arbore le drapeau
noir. Elle est condamnée en 1871 à la déportation en Nouvelle-Calédonie où
elle soutient les Kanaks. Elle revient en métropole en 1880 et, malgré
plusieurs condamnations à des peines d’emprisonnement, reprend ses
activités militantes en faveur des prolétaires. En 1896, elle assiste à Londres
au Congrès international socialiste des travailleurs et des chambres
syndicales ouvrières. Son œuvre littéraire comporte essentiellement des
poèmes, des légendes et des contes. Probablement grâce à Madeleine
Pelletier, elle est initiée en 1904 dans une loge de la Grande Loge
Symbolique Écossaise. Elle décède un an plus tard en 1905.
Nelly Roussel
Initiée elle aussi à la Grande Loge Symbolique Écossaise, Nelly Roussel,
née en 1878, est une féministe anarchiste. Elle revendique le droit des
femmes à disposer de leurs corps. Néomalthusienne, elle pense
classiquement que les ressources de la Terre ne sont pas inépuisables, mais
elle est surtout antinataliste pour ne pas produire de la chair à canon, de la
chair à travail pour la bourgeoisie possédante ou pire de la chair à plaisir.
Elle est la première femme à se déclarer favorable à la contraception.
Comme Madeleine Pelletier, elle milite pour l’éducation sexuelle des filles.
Elle écrit dans la presse libertaire et libre-penseuse. On peut encore se
référer à quelques conférences et œuvres disponibles comme L’Éternelle
sacrifiée, Quelques lances rompues pour nos libertés et Trois conférences
dont l’une sur la femme et la libre-pensée. Elle décède en 1922.
En un mot…
À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, la Grande Loge Symbolique
Écossaise a accepté que des femmes deviennent d’authentiques franc-
maçonnes. De grandes figures du féminisme et de la gauche la plus
radicale y ont été initiées. Leur action préfigure la lente émancipation
des femmes vers une égalité en droits et devoirs, laquelle débutera
bien plus tard, surtout après les années 1970. Cependant, certaines
obédiences refusent d’initier des femmes ou même de recevoir les
franc-maçonnes qui souhaiteraient leur rendre visite.
5
Les cinq principales obédiences
françaises
Le public et beaucoup de francs-maçons ne comprennent pas que la franc-
maçonnerie ne soit pas unie. En effet, son idéal de tolérance n’a pu dépasser
les querelles et rivalités entre un courant dit « spiritualiste » et un autre dit
« a-dogmatique » ou libéral.
Nous parlerons des cinq principales obédiences françaises selon leur
importance numérique, mais la France présente la particularité de compter
une multitude d’obédiences maçonniques toutes dignes d’intérêt.
Qu’est-ce qu’une obédience maçonnique ?
Une obédience peut être une fédération de loges placée sous une juridiction
commune qui organise son fonctionnement administratif et initiatique ou,
au contraire, un ordre très hiérarchisé. La Grande Loge Nationale Française
considère, par exemple, que le terme d’« obédience » désigne l’ensemble de
la franc-maçonnerie traditionnelle.
Les deux tendances dominantes
Depuis sa création en 1717, certains francs-maçons privilégient les
Lumières, d’autres, la tradition chrétienne. Le discours de Ramsay tente un
rapprochement entre ces deux tendances qui coexistent depuis toujours dans
de nombreuses loges, y compris dans les obédiences libérales, dans la
mesure où les loges se construisent par cooptation. C’est ainsi qu’au Grand
Orient de France, il y a une loge Pierre Dac, très peu spiritualiste, et des
loges qui observent scrupuleusement les rituels.
En France, dès l’origine, les deux courants coexistent.On observe alors
de multiples rebondissements entre le Grand Orient de France et la Grande
Loge de France. Peu après la Belgique en 1872, le Grand Orient de France
abolit l’obligation de croire que le Grand Architecte est un dieu révélé. À
partir de 1877, l’article premier de sa constitution dispose : « Elle a pour
principes la liberté absolue de conscience et la solidarité humaine. Elle
n’exclut personne pour ses croyances […]. »
Cette modification entraîne une scission immédiate avec la franc-
maçonnerie anglo-saxonne et toutes les obédiences traditionnelles.
En 1929, la Grande Loge Unie d’Angleterre, autoproclamée Loge-Mère
du Monde, décide de formaliser les critères de la « régularité maçonnique »
qui sont, selon elle :
1. la régularité de l’origine de chaque grande loge ;
2. la croyance dans le Grand Architecte de l’Univers et en sa volonté
révélée ;
3. le serment maçonnique prêté sur le Livre de la loi sacrée, expression
de la volonté divine, liant indéfectiblement l’initié ;
4. la présence de membres exclusivement masculins ne pouvant
entretenir de rapports maçonniques avec des obédiences mixtes ou
féminines ;
5. des pouvoirs de juridiction souverains sur les loges placées sous son
autorité ;
6. des travaux se déroulant en présence des trois grandes lumières : le
Livre de la loi sacrée, l’équerre et le compas ;
7. l’interdiction de toutes discussions religieuses et politiques ;
8. le respect des anciens landmarks, les principes fondamentaux dont
la définition varie cependant selon les obédiences.
On peut y ajouter la règle de la juridiction territoriale exclusive d’une
seule grande loge « régulière » par État.
Le Grand Orient de France n’a jamais accepté le principe de
« régularité ». Ainsi, existe-t-il une seule et unique grande loge « régulière »
en France, laquelle ne reconnaît aucune légitimité aux autres obédiences.
Les principales obédiences françaises
Grand Orient de France
Le Grand Orient de France est une fédération de loges créée en 1773. Il
rallie la noblesse éclairée et la bourgeoisie provinciale quand les
conservateurs restent fidèles à la Grande Loge de France. Le Grand Orient
de France, sans jamais renoncer au socle traditionnel de la franc-
maçonnerie, a toujours privilégié les principes philosophiques issus des
Lumières. D’orientation républicaine, beaucoup de ses membres ont
activement participé à tous les mouvements sociaux depuis sa création.
Depuis 1877, le Grand Orient est la figure dominante de la maçonnerie
« progressiste ». Depuis 1945, beaucoup de loges orientent leurs travaux
autant vers le symbolisme que vers l’action sociale, mais l’ancrage à gauche
reste une donnée identitaire très forte. Le Grand Orient fédère 1 269 loges
dans le monde, avec près de 53 000 membres, dont plus de 2 000 femmes
qui l’ont rejoint ou ont été depuis peu initiées en son sein.
Grande Loge de France
La Grande Loge de France est l’héritière des premières loges parisiennes
des années 1728-1738 regroupées sous cette appellation.
Une Grande Loge Générale Écossaise est créée en 1804 puis une Grande
Loge Centrale Écossaise en 1821 qui devient la Grande Loge Symbolique
Écossaise en 1894. Les querelles et réconciliations successives entre ces
loges et le Grand Orient de France, ainsi que le problème de la mixité,
débouchent sur la création de la Grande Loge de France actuelle qui
reprend, un quart de siècle plus tard, la déclaration de principes
controversée du Convent de Lausanne de 1875 et notamment :
« La franc-maçonnerie proclame, comme elle a toujours proclamé, l’existence d’un Principe
Créateur, sous le nom de Grand Architecte de l’Univers. »
La Grande Loge de France est une obédience maçonnique indépendante
et souveraine, strictement masculine, dépositaire du Rite écossais ancien
accepté. Elle est un ordre initiatique pratiquant la tradition et
l’universalisme, qui a pour objectif le perfectionnement de l’humanité. Elle
réaffirme le caractère fondamental de l’initiation comme seul phénomène
susceptible de permettre l’accès à la connaissance de soi-même. Fortement
attirée par l’étude du symbolisme sans pour autant refuser l’analyse des
évolutions de la société, la Grande Loge de France laisse cependant
prédominer en son sein un courant spiritualiste et moral très affirmé. Elle
dispose de près de 30 000 membres répartis dans plus de 700 loges.
Grande Loge Nationale Française
La Grande Loge Nationale Française est issue d’une scission du Grand
Orient de France puis de la Grande Loge de France. En 1913, Édouard de
Ribaucourt et ses amis, estimant que le Grand Orient dévie de la voie
maçonnique traditionnelle par une politisation trop grande et par l’abandon
de la référence au Grand Architecte de l’Univers qui entraîne son isolement
international, fondent une Grande Loge Indépendante pour la France et les
colonies françaises immédiatement reconnue par la Grande Loge Unie
d’Angleterre.
En 1963, le rapprochement du Grand Orient de France et de la Grande
Loge de France provoque une crise identitaire. Près de 1 000 francs-maçons
quittent la Grande Loge pour la Grande Loge Nationale Française. La
Grande Loge Nationale, seule obédience « régulière » française, fonde sa
légitimité sur les principes séculaires, immuables et intangibles de la franc-
maçonnerie traditionnelle chrétienne, considérée par la Grande Loge Unie
d’Angleterre et toutes les obédiences maçonniques « régulières » comme la
seule vraie franc-maçonnerie.
Elle impose la foi en un Être suprême, révélé, créateur du monde, le
Grand Architecte de l’Univers. Aucune discussion sur le fonctionnement de
l’obédience, la vie politique ou le domaine social, n’est autorisée en son
sein. Elle est la seule grande obédience française dont la devise n’est pas
« Liberté, Égalité, Fraternité ». La Grande Loge Nationale est parvenue à
retrouver la « régularité » qu’elle avait perdue à la suite d’une crise qu’elle
a surmontée. Elle comptait 43 500 membres en 2010. Il n’en restait que
26 000 en mars 2013.
Droit Humain
La Grande Loge Symbolique Écossaise Mixte de France fondée en 1893,
devient l’Ordre Maçonnique Mixte International, puis le Droit Humain en
1901. Fondé par Maria Deraismes et le sénateur Georges Martin, il est un
ordre initiatique mixte, philosophique, philanthropique et laïc. Ses membres
sont incités à s’engager dans la société afin d’y répandre leurs idées. Il
préfère l’action sociale à l’action politique. Depuis la fin de la Seconde
Guerre mondiale, le Droit Humain a fait un effort considérable pour
moderniser les rituels jugés inadaptés au monde actuel sans pour autant les
éloigner de la tradition maçonnique. Il compte environ 15 000 membres en
France et le double dans plus de 60 pays.
Grande Loge Féminine de France
L’aventure de ce qui deviendra la Grande Loge Féminine de France
commence lorsque la Grande Loge Symbolique Écossaise accepte la mixité
en 1901. Certaines loges refusent la mixité. Parmi elles, la Jérusalem
Écossaise qui se scinde en trois loges dont la Nouvelle Jérusalem qui crée
une loge d’adoption éponyme lorsqu’elle rejoint la Grande Loge de France
en 1907. Les loges d’adoption étaient adossées à des loges masculines
dûment consacrées pour permettre que des femmes se livrent à des activités
de type maçonnique selon des rites dits d’adoption. La Nouvelle Jérusalem,
toujours active, a compté dans ses rangs plusieurs femmes dont Madeleine
Pelletier. La Nouvelle Jérusalem Féminine porte le numéro 2 dans l’ordre
de l’obédience. En 1936, des loges d’adoption se réunissent en assemblée
générale – un « Convent » en langage maçonnique – mais la guerre et les
persécutions nazies interrompent le processus de création d’une obédience
strictement féminine.
L’Union maçonnique féminine de France est finalement fondée après-
guerre en 1946. Elle devient Grande Loge Féminine de France en 1952.
Elle se développe rapidement et octroie des patentes à de nombreuses loges
étrangères, en Europe et dans le monde. Elle recommande le travail sur soi
afin de diffuser ses idéaux dans un monde plus juste, plus solidaire,
équitable envers le genre féminin. Très pointilleuse sur l’observation des
rituels, elle est attachée à la tradition initiatique. Elle défend également les
grands principes de la franc-maçonnerie libérale dont le respect tolérant de
la laïcité et l’absence de limite à la recherche de la vérité. Elle est
aujourd’hui la première obédience féminine au monde, comptant près de
14 000 membres répartis en 400 loges.
En un mot…
La future franc-maçonne a le choix en France entre une obédience
strictement féminine et plusieurs obédiences mixtes, dont le Droit
humain et le Grand Orient de France. Le futur franc-maçon peut
choisir entre une obédience libérale ou la Grande Loge Nationale
Française, seule obédience régulière.
Le tableau suivant résume, de façon parfaitement subjective, les
caractéristiques des cinq principales obédiences françaises : Grand
Orient de France, Grande Loge de France, Grande Loge Nationale
Française, Droit Humain, Grande Loge Féminine de France.
GODF GLF GLNF GLFF DH
Régularité +
Symbolisme + +++ +++ ++ +++
Implication sociale +++ ++ + +++ ++
Implication politique +++ + – ± ±
Implication religieuse – – +++ – –
Droit de visite inter-obédientiel +++ +++ – +++ ++
Initiation des femmes ++ – – +++ +++
Extériorisation +++ ++ + ++ ++
Mais bien souvent, le postulant est guidé par un parrain qui oriente
son choix, éventuellement vers une autre obédience maçonnique. La
plupart s’agrègent dans une loge, sans se préoccuper des orientations
de l’obédience.
6
Comment fonctionnent les obédiences ?
Les obédiences maçonniques sont des organisations à la fois administratives
et initiatiques qui regroupent en leur sein plusieurs loges. Sur le plan
formel, en France, ce sont des associations régies par la loi de 1901. À titre
d’exemple, nous décrivons succinctement l’organisation administrative et
initiatique de deux obédiences très différentes, le Grand Orient de France et
la Grande Loge Nationale Française.
L’organisation administrative
Au Grand Orient de France, le conseil d’administration, présidé par le
Grand Maître, est appelé « Conseil de l’Ordre ». Il est composé de 35
membres représentant toutes les régions. Dirigé par le Grand Maître assisté
de trois Grands Maîtres adjoints et de Grands Officiers, il gère les intérêts
matériels de l’obédience et applique les mandats que lui confie l’assemblée
générale appelé « Convent ».
Le « Convent », qui se réunit annuellement, est constitué par les délégués
de chaque loge et contrôle l’exercice du « Conseil de l’ordre ». Il est seul
habilité à modifier la constitution et le règlement général. Il décide
également de tout ce qui a trait à la gestion financière, à la solidarité, au
patrimoine ainsi qu’aux questions à l’étude des loges. Il élit le Grand Maître
et les membres du Conseil de l’ordre.
Le conseil d’administration de la Grande Loge Nationale Française
présidé par le Grand Maître, est le Souverain Grand Comité. Il est composé
de membres de droit : le Grand Maître, des membres à vie, des membres du
Grand collège actif et des représentants des loges et des provinces, soit
400 personnes environ.
L’assemblée générale appelée « Tenue solennelle » se réunit tous les ans
pour présentation et vote du rapport d’activité. Une « assemblée
maçonnique triennale » procède au vote du Grand Maître et des Grands
Officiers qui l’assistent, lesquels sont présentés par le Souverain Grand
Comité. Depuis 2014, ce dernier dispose d’un droit de destitution du Grand
Maître, sur proposition d’un conseil indépendant, le Conseil National des
Sages.
La Grande Loge Nationale a adopté un découpage territorial proche du
découpage administratif français. Chaque entité administrative est dirigée
par un Grand Maître provincial, un député Grand Maître provincial, des
assistants Grands Maîtres provinciaux et un collège d’officiers provinciaux.
Le Grand Maître provincial est nommé par le Grand Maître de l’obédience.
L’organisation initiatique
Chaque obédience dispose d’un règlement général comme l’autorise la loi
de 1901, lequel définit notamment la répartition entre l’organisation
administrative et l’organisation initiatique.
Depuis 1998, le Grand Orient délègue la gestion des « Ordres de
Sagesse » ou des « Hauts Grades maçonniques » à cinq juridictions
représentant chacune un des rites pratiqués en son sein. Ces structures ont
pour seule et unique mission d’administrer les ateliers des « Hauts Grades »
et d’être les gardiennes des rites pratiqués au sein de leurs juridictions
respectives.
La Grande Loge Nationale Française confie la gestion des ateliers
supérieurs ou « Loges de perfection », à des structures indépendantes
garantes du corpus « spirituel » de chacun des rites pratiqués en son sein. Il
s’agit du Suprême Conseil pour le Rite écossais ancien accepté, le Grand
Prieuré rectifié de France, le Grand Chapitre français, ainsi que d’autres
juridictions maçonniques.
En un mot…
Sur le plan administratif, les obédiences maçonniques françaises sont
des associations loi 1901 avec un règlement intérieur qui précise leurs
modalités de fonctionnement. Sur le plan symbolique, elles sont
régies par des structures indépendantes, représentant chacune un rite
particulier.
7
La loge, cellule vivante de la maçonnerie
Selon l’article 3 des Constitutions d’Anderson : « Une loge est un lieu où
des maçons s’assemblent et travaillent. » Mais qu’est-ce qu’une loge ?
Comment se crée-t-elle ? Enfin, comment fonctionne-t-elle ?
Qu’est-ce qu’une loge ?
La franc-maçonnerie s’est inspirée de l’exemple de la maçonnerie dite
« opérative ». La loge, ou atelier, était l’endroit où les ouvriers travaillant
sur un même chantier, se réunissaient et rangeaient leurs outils.
Sur le plan administratif, la loge est souveraine et se gouverne librement
au Grand Orient de France ; il en est de même à la Grande Loge Nationale
Française « sous réserve du respect du règlement général (Section 3,
article 111) ». Elle porte un titre distinctif, son nom, un numéro d’ordre au
sein de l’obédience et se voit attribuer un Orient c’est-à-dire une
implantation géographique.
Sur le plan symbolique, la loge ou atelier est l’unité fonctionnelle de base
de la franc-maçonnerie, là où les francs-maçons se réunissent pour
travailler. La désignation de cette unité de base comme étant une loge ou un
atelier où l’on se réunit pour bâtir un temple, est riche de significations
symboliques qui prêtent à des interprétations diverses. Les ateliers des trois
premiers degrés (apprenti, compagnon et maître) sont appelés « loges
symboliques » ou « loges bleues ». Elles seules disposent du pouvoir
d’initier de nouveaux membres pour qui elles deviennent la « loge mère ».
Les loges dites de perfectionnement confèrent les degrés correspondants
aux « Hauts Grades » des différents rites maçonniques.
Comment une loge est-elle créée ?
La création d’une nouvelle loge est principalement motivée par deux
circonstances : l’essaimage d’une partie de la loge devenue pléthorique ou
de membres en opposition philosophique ou symbolique avec la loge.
La création d’une loge doit être conforme aux dispositions prévues par le
règlement général de son obédience.
Comment fonctionne une loge ?
Une loge est dirigée par un président élu pour une durée limitée à l’issue de
laquelle il devient le concierge de l’atelier. Il est assisté par deux
surveillants chargés de faire régner la discipline mais surtout d’instruire les
apprentis, pour l’un, et les compagnons, pour l’autre. Deux frères
« éclairent » la loge : l’orateur, gardien de la constitution et de la tradition,
est également chargé de résumer les travaux ; le secrétaire, mémoire de la
loge, est chargé des tâches administratives. Les deux derniers « officiers »
indispensables au bon fonctionnement d’une loge sont le trésorier et
l’hospitalier qui assiste moralement et parfois matériellement les « frères »
absents ou qui rencontrent des difficultés physiques ou morales. Trois autres
officiers sont élus pour assurer des fonctions rituéliques.
Que se passe-t-il dans une loge ?
Une tenue de loge est une réunion rituelle strictement codifiée. Une loge se
réunit en « tenue » d’obligation, une à deux fois par mois. Il existe des
tenues particulières : tenues funèbres en cas de décès d’un membre de la
loge, tenues de banquet pour les fêtes de la Saint-Jean d’hiver et d’été. Les
loges peuvent recevoir des francs-maçons de leur obédience ou d’autres
obédiences selon des dispositions prévues par convention entre les
différentes obédiences. La loge peut tenir des tenues « blanches » avec un
conférencier franc-maçon ou profane, « ouvertes » à d’autres profanes, ou
« fermées » c’est-à-dire réservées aux maçons.
En un mot…
La loge est l’endroit où les francs-maçons se rassemblent pour
travailler. Les obédiences sont des fédérations de loges. Les ateliers
des trois premiers degrés sont appelés « loges symboliques » ou «
loges bleues ». Elles seules disposent du pouvoir d’initier de
nouveaux membres. Les loges dites « de perfectionnement »
confèrent les degrés correspondants aux « Hauts Grades » des
différents rites maçonniques.
8
Le secret au cœur de la franc-maçonnerie
Si l’initiation maçonnique est un long cheminement censé conduire un
profane des ténèbres vers la lumière, on conçoit mal comment un franc-
maçon pourrait dévoiler un secret qui commence à se vivre plus qu’à se voir
après que le bandeau lui ait été ôté. Il ne pourra que laborieusement
approcher les « secrets » et « mystères » de la franc-maçonnerie s’il
persévère. Le secret maçonnique est par conséquent intransmissible : il faut
le vivre. De nombreux maçons déclarent que le véritable secret maçonnique
c’est qu’il n’y en a pas ! Mais si le secret maçonnique n’en est pas un, ses
conséquences fâcheuses pour l’image de la franc-maçonnerie sont, elles, bel
et bien réelles.
Les origines du secret maçonnique
Les compagnons originels, bâtisseurs de cathédrales, conservaient
jalousement les secrets du métier qu’ils se transmettaient au cours de
cérémonies d’initiation comme le font encore de nos jours les compagnons
du devoir. Les francs-maçons qui se disent leurs successeurs ont conservé
cette tradition. La maçonnerie devenue spéculative, c’est-à-dire symbolique
plus que philosophique au sens actuel, exige que ses membres gardent le
secret sur tout ce qu’ils ont vu et entendu dans les loges. Les francs-maçons
font notamment le serment de ne pas dévoiler les signes de reconnaissance
qui se traduisent par des gestes, paroles et « attouchements ». Cependant,
tout le monde connaît la fameuse poignée de main maçonnique et peut
surfer sur Internet où tout est explicité sans la moindre retenue.
Néanmoins, si un franc-maçon est libre de divulguer sa propre
appartenance à une obédience, il ne peut en aucun cas révéler l’identité d’un
autre franc-maçon. Ceci surtout dans les pays où la franc-maçonnerie a subi
des persécutions. C’est beaucoup moins vrai dans les pays anglo-saxons où
la franc-maçonnerie est moins discrète. Le très visible George Washington
Masonic National Memorial a été bâti à Alexandria « pour inspirer
l’humanité à travers l’éducation, à imiter et promouvoir les vertus, le
caractère et la vision de George Washington, l’homme, le maçon et le père
de notre pays ».
Selon certains francs-maçons « spiritualistes » de la fin du XIXe siècle, le
véritable secret maçonnique ne serait pas celui qui est largement accessible
dans les diverses divulgations, livres et rapports de police. Il resterait ignoré
de la plupart des francs-maçons eux-mêmes. Selon eux, la tradition
primordiale, transmise par différents rituels, non seulement maçonniques,
ne serait accessible qu’aux très rares « grands initiés » que sont Confucius,
Moise, Socrate, Jésus, le prophète Mohammed, et à d’exceptionnels francs-
maçons qui empruntent la voie des « Hauts Grades » initiatiques.
Les controverses antimaçonniques
Depuis l’implantation de la franc-maçonnerie en France, la peur du secret a
entrainé l’hostilité. Les francs-maçons sont accusés entre autres, par
l’Église catholique, d’être des ivrognes « sodomites ». Cette condamnation
se fonde en partie sur le secret maçonnique. Benoît XIV (1675-1758), le
pape dit « des Lumières », lui reproche le serment du secret qui serait
suspect par nature, comme le veut le sens commun qui, comme le dit
Descartes, « est la chose du monde la mieux partagée parce que chacun
pense en être si bien pourvu, que même ceux qui sont les plus difficiles à
contenter en toute autre chose, n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils
en ont ».
Les adversaires de la franc-maçonnerie dénoncent un complot
maçonnique qui aurait pour but de noyauter les institutions politico-
judiciaires et de diffuser ses idéaux dans l’opinion publique au seul profit de
ses membres. Par exemple, selon Louis d’Alencourt, catholique
traditionnaliste se désignant comme « futur apôtre des temps derniers », la
pyramide tronquée du billet d’un dollar aurait été créée en 1782 par des
francs-maçons de « haut niveau », probablement initiés à d’importants
secrets auxquels seules quelques sectes lucifériennes auraient accès. Selon
lui, la pyramide est le symbole des Illuminati qui dirigeraient les nations.
Dans ce contexte « conspirationniste » particulier, un « Nouvel ordre
mondial » aux mains de la finance et des hautes instances maçonniques,
sous la férule des États-Unis, constitue une théorie du complot
particulièrement prospère.
En un mot…
Bien qu’il soit symbolique et intransmissible, le secret maçonnique
entraîne une hostilité souvent irrationnelle de la part des conservateurs
les plus traditionnalistes. Pourtant, les différentes obédiences
maçonniques françaises sont régies par la loi de 1901 et dûment
déclarées en préfecture. La franc-maçonnerie est « un Ordre auquel ne
peuvent appartenir que des hommes libres et respectables (de bonnes
mœurs disent les anciens textes) qui s’engagent à mettre en pratique
un idéal de paix, d’amour et de fraternité » pour la Grande Loge
Nationale Française ; « un ordre initiatique traditionnel et universel
fondé sur la fraternité » pour la Grande Loge de France.
9
Pourquoi et comment devenir franc-
maçon ?
Bien qu’il existe autant d’aspirations possibles que de personnes, on peut
identifier quelques motivations communes qui incitent à vouloir devenir
franc-maçon. L’entrée en franc-maçonnerie se fait, par ailleurs, selon un
schéma spécifique.
Les motivations du postulant franc-maçon
Certains prétendants le désirent par tradition familiale. Ils suivent le chemin
que leurs parents ont emprunté avant eux. Parfois, ils ont trouvé un décor ou
un écrit maçonnique dans un placard ou au fond d’une malle dans le grenier
familial.
D’autres frappent à la porte d’une obédience par curiosité après avoir lu
un marronnier dans un hebdomadaire ou été séduit par l’orateur d’une
émission, sur France Culture par exemple. Ils ont peut-être assisté à une
conférence publique, comme en font toutes les obédiences, ou se sont
plongés dans la lecture d’un des nombreux ouvrages de vulgarisation
comme La Réalité maçonnique de Jean Verdun ou La Franc-maçonnerie
pour les nuls. Peut-être se sont-ils également renseignés sur Internet.
Certains, en recherche de sens dans un monde matérialiste, en quête de
spiritualité, à l’issue de recherches infructueuses parfois, espèrent que la
franc-maçonnerie leur permettra de cheminer vers une meilleure
connaissance de soi. Cependant, la maçonnerie n’est pas faite pour
« soigner » un malaise existentiel ou entreprendre une « psychothérapie ».
D’autres peuvent être séduits par l’idée de rejoindre une société réputée
philanthropique et progressiste qui s’engage à mettre en pratique un idéal de
paix, d’amour et de fraternité, en se soumettant aux lois et en respectant les
autorités constituées.
Un certain nombre d’impétrants se tournent à tort vers la franc-
maçonnerie pour intégrer un cercle de réflexions philosophiques ou
politiques. Il existe des universités, des partis politiques, des associations,
des églises dont c’est précisément le but. Ils apprendront rapidement qu’ils
se sont trompés.
Certains, enfin, veulent devenir francs-maçons par intérêt ou ambition
personnelle. Ils imaginent qu’ils intégreront une société discrète, voire
secrète, dotée d’un puissant réseau d’influence. Gageons là encore qu’ils se
trompent, même si des dérives sont possibles comme dans toute société
humaine. Ainsi, un président de la République demanda à être directement
initié au grade de maître ! Ce qui lui fut très naturellement refusé. La franc-
maçonnerie est une institution où un général de corps d’armée peut être
l’humble apprenti d’un sergent. C’était fréquemment le cas dans les loges
militaires du Premier Empire.
Comment devient-on franc-maçon ?
Le plus souvent, le postulant est approché par un franc-maçon avec qui il
entretient une relation de confiance. Petit à petit, ce dernier se dévoile et lui
parle de son engagement maçonnique. Il lui conseille des lectures ou
l’invite à participer à une « sortie familiale » comme en organisent
traditionnellement les loges. Il pourra à cette occasion rencontrer des
membres d’une loge dans une ambiance conviviale.
Si l’impétrant manifeste un intérêt pour la franc-maçonnerie, son mentor
devient son parrain et le guide dans sa démarche. Les loges fonctionnent par
cooptation, ce qui crée parfois une uniformité préjudiciable au brassage des
idées. La maçonnerie veille cependant à admettre toutes les catégories
socioprofessionnelles dans ses rangs.
« Frappez et on vous ouvrira (Mt 7,7) » : il serait conforme au rituel
maçonnique, mais assez inhabituel, qu’un impétrant frappe lui-même à la
porte du temple. Si la demande parait digne d’intérêt, il sera pris en charge
par un maçon confirmé qui deviendra son parrain. Il peut également
adresser sa demande sur le site Internet d’une obédience.
Certaines loges pratiquent « une première attache » : le postulant doit
adresser une lettre de motivation au président de la loge, laquelle est l’objet
d’un vote.
Plus souvent, le parrain présente son filleul au président de la loge qui le
reçoit pour évaluer ses motivations et répondre à toutes ses questions. Si le
président estime que le candidat serait plus à l’aise dans une autre
obédience, il l’oriente vers celle-ci.
Cette première étape franchie, le président demande au profane de
remplir un dossier d’admission comprenant notamment des renseignements
d’état-civil et une notice autobiographique personnelle et professionnelle
accompagnée d’un extrait de casier judiciaire récent. Le président présente
ainsi le dossier du candidat aux membres de la loge qui votent sur la
poursuite de la procédure.
Le président de la loge désigne trois « enquêteurs » qui ne doivent pas se
concerter, pour approfondir la personnalité et les motivations du candidat.
Ils l’interrogent sur ses origines familiales, ses études, son parcours
professionnel, ses engagements sociaux, ses opinions politiques, etc. Les
enquêteurs rédigent un compte-rendu signé, qui restera anonyme jusqu’au
vote, lequel contient un avis sur l’admissibilité du candidat. La lecture des
enquêtes est soumise à un vote qui permet la poursuite du processus
d’admission.
Avant d’être initié, l’impétrant passe sous le bandeau. C’est la première
épreuve imposée à tous les francs-maçons. Soutenu par des bras
bienveillants, le candidat est introduit dans la loge les yeux bandés. Il
répond à un flot de questions posées avec tact et bienveillance. Il se trouve
dans un état d’extrême vulnérabilité et peut demander à tout moment à
interrompre l’épreuve qui est faite pour qu’il révèle, autant que faire ce
peut, sa personnalité. Il doit faire preuve d’humilité et de sincérité.
L’impétrant est ensuite raccompagné hors de la loge, le bandeau sur les
yeux. Il restera dans les ténèbres du monde « profane » jusqu’à ce qu’il soit
initié pour devenir un « fils de la lumière », comme l’écrit Roger Peyrefitte
décrivant le parcours maçonnique de Charles Hernu, si toutefois le dernier
vote des membres de la loge lui est favorable.
En un mot…
Il n’est pas simple d’être admis en franc-maçonnerie, à l’issue d’un
processus démocratique. Le postulant franc-maçon, quelles que soient
ses aspirations, s’engage sur un long chemin censé le conduire vers la
Lumière. Il pourra quitter la franc-maçonnerie sans la moindre
difficulté, à tout moment. Ces deux points, entre autres, la
différencient nettement d’une secte totalitaire où il est facile d’être
admis et difficile d’en sortir.
10
L’initiation, sur la voie des mystères
L’initiation maçonnique doit faire progresser celui qui la reçoit par niveaux
successifs. De simple apprenti, il devient compagnon, puis maître maçon.
Le franc-maçon s’engage ainsi dans un long processus évolutif d’éveil à la
conscience, supposé lui permettre de se réaliser pleinement par
l’enseignement et la méthode symbolique.
Aux sources de l’initiation maçonnique
La franc-maçonnerie puise ses sources dans diverses traditions : l’initiation
spirituelle qui permet d’accéder à des « mystères » par évolution intérieure ;
l’initiation religieuse ou sacerdotale qui assure la transmission de
connaissances secrètes et permet de devenir membre d’une société ou d’une
confrérie secrète ; l’initiation de métier qui permet de transmettre les secrets
de la profession ; ou encore l’initiation chevaleresque. Certains rituels
maçonniques s’inspirent également de traditions plus anciennes, comme
celles d’une École des Mystères dédiée à Dionysos, Orphée, Isis, Osiris ou
Eleusis
Les invariants qui caractérisent les rites d’initiation, notamment
maçonniques, sont le cycle mort-renaissance, le passage d’un état antérieur
à un autre censé lui être supérieur, la pratique du secret, la transmission
assurée par un maître, un fort sentiment d’appartenance groupale, ce dernier
constituant une motivation essentielle pour certains postulants francs-
maçons qui souhaitent briser leur isolement intellectuel ou spirituel en
rejoignant une société initiatique porteuse de hautes valeurs morales.
Les étapes de l’initiation maçonnique
La première cérémonie d’initiation est la plus importante. Elle permet
d’accéder au grade d’apprenti, premier degré de la franc-maçonnerie. Le
postulant est invité à se débarrasser de ses connaissances anciennes avant
d’écrire son testament philosophique lors de l’épreuve de la terre qui se
réfère au cycle mort-renaissance. Les yeux bandés, il entreprend trois
voyages lors desquels il affronte les antiques épreuves de l’air, de l’eau et
du feu. Après avoir prêté un serment solennel et accompli un premier travail
symbolique de construction, il est « créé, reçu et constitué », on pourrait
dire adouber, apprenti franc-maçon. Il reçoit alors les instructions et les
signes de reconnaissance correspondant à son degré.
Cette cérémonie solennelle est vécue de façon très différente selon la
personnalité de l’impétrant, sa « philosophie », ses croyances, le rite que
pratique sa loge, son obédience, ou encore la force symbolique de la
cérémonie. D’autres cérémonies permettront d’accéder à des niveaux
supérieurs.
À l’origine, en 1717, il n’existait que deux degrés : apprenti et
compagnon. Un quart de siècle plus tard, sans que personne ne sache
comment, les compagnons francs-maçons accèdent à un troisième degré
initiatique, la maîtrise, bientôt suivi par des degrés de perfectionnement
désignés par le terme de « Hauts Grades », allant de 7 à 99 selon les
différents rites.
Certains francs-maçons, plus traditionnalistes qu’il n’y parait, regrettent
que la maçonnerie ait créé un grade permanent de maître. D’autres se
contentent d’une maçonnerie à trois degrés. Certains enfin empruntent la
voie des « Hauts Grades » sans laquelle, selon eux, nul ne saurait être
véritablement initié…
Ces divergences démontrent que le franc-maçon reste un homme libre,
qui se forge sa propre opinion qu’il peut exprimer sans limite dans un esprit
de tolérance mutuelle, mais à condition de rester dans une dynamique de
construction et de perfectionnement.
Critiques maçonniques des initiations sauvages
ou criminelles
Les francs-maçons déplorent qu’il ne subsiste, au sein de la société, que très
peu d’authentiques rites d’initiation tels qu’ils les pratiquent. Ils considèrent
que la quasi-disparition des rites initiatiques et que la perte de la force
symbolique des rites de passage traditionnels constituent une atteinte
identitaire préjudiciable à laquelle ils proposent une alternative. Ils
dénoncent les pratiques pseudo « initiatiques » ou les rites de passage de
substitution. Ces « initiations » sauvages ou criminelles ne sont évidemment
pas empreintes de la dimension philanthropique et spirituelle et de
l’engagement solennel à respecter des lois sociales qui caractérisent la
franc-maçonnerie, mais elles la discréditent parfois aux yeux de ceux qui la
combattent.
En un mot…
L’initiation est indispensable pour devenir franc-maçon. La
description que nous en avons faite est délibérément succincte, car
l’initiation doit avant tout être vécue pour être comprise. Commence
alors pour le franc-maçon un long travail de maturation individuelle
qui passe par différentes étapes ou degrés symboliques.
11
La planche et autres travaux maçonniques
Les francs-maçons sont des « tailleurs de pierres » qui s’acharnent à
construire un temple symbolique, avec des outils symboliques. Comment
s’y prennent-ils ?
Les travaux symboliques
L’oralité est traditionnellement privilégiée mais, le plus souvent, les francs-
maçons « tracent » des « planches écrites » (c’est-à-dire qu’ils rédigent des
exposés sur un thème choisi ou imposé) qui sont alors considérées comme
des « morceaux d’architecture ». L’exposé est généralement suivi par une
discussion destinée à l’enrichir en respectant les règles rituéliques de
circulation de la parole notamment. Certains rituels interdisent toute
intervention pour ne pas risquer d’indisposer l’orateur. D’autres se limitent
au déploiement d’un rituel appris par cœur pour que les participants s’en
imprègnent à chaque fois davantage.
Une planche maçonnique n’est pas une dissertation. Les francs-maçons
ne sont pour la plupart ni des philosophes ni des symbolistes. S’ils le sont
dans la société « profane », ils doivent s’efforcer de laisser leurs
connaissances à la porte du temple. Il est particulièrement inapproprié de
traiter de sujets ou de citer des auteurs qui, malgré leur intérêt,
appartiennent à d’autres univers culturels que celui de la franc-maçonnerie.
Les maçons ne se réunissent pas pour parler de philosophie, de politique, de
mystique soufie ou de théologie, mais pour travailler avec leurs propres
outils. Ils s’engagent d’ailleurs à laisser leurs connaissances à la porte du
Temple.
Une planche s’organise autour des outils et des valeurs de construction
qui caractérisent la franc-maçonnerie. Elle est idéalement personnelle et
reflète la personnalité de l’orateur, souvent à son insu. Elle doit être brève
pour respecter les possibilités d’attention humaine qui dépassent rarement la
demi-heure. La présentation est importante : la théâtralité chère à Jean
Verdun (auteur de livres sur la franc-maçonnerie) et la solennité sont
indispensables dans une enceinte consacrée.
L’extériorisation des travaux
Toutes les obédiences entreprennent des actions publiques pour faire
connaître leur point de vue sur des sujets de société. Certaines obédiences
libérales comme le Grand Orient de France ou la Grande Loge de France
consacrent une partie de leurs travaux à répondre collectivement à des
« Questions à l’étude des loges » sur des sujets symboliques et sociétaux.
Toutes les grandes obédiences se relaient sur France culture dans
l’émission « Divers aspects de la pensée contemporaine » le troisième
dimanche de chaque mois.
Le Grand Orient de France a fait le choix d’une politique
d’extériorisation destinée à faire connaître son point de vue et à faire reculer
l’antimaçonnisme. Il édite plusieurs revues dont Humanisme consacrée aux
sujets historiques et aux analyses sociétales, et La Chaîne d’union au
symbolisme. Il organise des conférences destinées au grand public. Le
Convent du Grand Orient de France sur proposition des loges adopte
annuellement cinq « Questions à l’étude des loges » dont par exemple, pour
l’année maçonnique 2015-2016 : « Entre liberté et sécurité, quelle société
s’offre à nous ? », « La franc-maçonnerie a-t-elle vocation à refléter
l’ensemble de la société ? »
La Grande Loge de France publie une revue trimestrielle, Points de vue
initiatiques, dont chaque numéro est centré sur un thème particulier, parfois
spécifiquement maçonnique, parfois plutôt destiné au grand public. Elle
organise des colloques et des conférences publiques. Certaines de ses
commissions internes publient également le résultat de leurs travaux,
notamment sur le site web de l’obédience. C’est le cas en particulier de sa
commission des droits de l’homme et du citoyen et de son groupe de
réflexion éthique. Elle publie également sur son site web les synthèses de
certaines de ses « Questions à l’étude des loges ».
La Grande Loge Nationale Française, obédience dite régulière, a choisi la
discrétion. Elle est présente sur Internet où elle diffuse ses actions et
conférences dont certaines sont ouvertes au public, mais ne pratique pas
l’exercice des « Questions à l’étude des loges ». Pour l’essentiel, elle estime
que les francs-maçons doivent diffuser la lumière qu’ils ont entrevue dans
le temple.
En un mot…
Une partie du travail du franc-maçon consiste en la rédaction de
« planches » qu’il présente oralement en loge. Ces planches peuvent
être vues comme des contributions sur un thème donné pourvu qu’il
soit en rapport avec une symbolique de construction.
Par ailleurs, les francs-maçons sont engagés dans une politique de
diffusion, dans l’espace public, de leurs analyses et de leur regard sur
la société contemporaine.
12
Les « carrières » maçonniques
La démarche maçonnique est personnelle et intime, mais un franc-maçon
doit accepter de remplir certaines tâches administratives. Certains font des
carrières « initiatiques » discrètes quand d’autres collectionnent les grades.
La trajectoire d’un franc-maçon n’est pas dépourvue de pièges qui peuvent
le détourner de son idéal.
S’impliquer dans le fonctionnement de la loge
ou de l’obédience
Un franc-maçon est tenu d’être au service de ses « frères » et doit accepter
avec humilité de remplir certaines tâches parfois contraignantes pour
assurer la bonne marche de sa loge, conformément au règlement général.
Certains frères doivent également s’impliquer pour assurer la bonne
marche de l’obédience. Un ou plusieurs membres de chaque loge sont élus
pour la représenter aux assemblées générales de l’obédience. Pour devenir
membre du conseil d’administration, il faut être reconnu, présenter un
projet et être élu par l’assemblée générale. Le président de l’obédience, le
Grand Maître, est désigné ou élu selon les dispositions prévues par le
règlement général.
Ceux qui s’engagent dans le processus de gestion démocratique d’une
loge ou d’une obédience savent qu’ils ne seront pas épargnés par de
possibles rivalités de personnes, voire soumis à des tractations bien peu
symboliques.
D’autres cherchent dans des fonctions électives une position qu’ils n’ont
pas obtenue dans la société civile. Ils collectionnent les titres et les
décorations étincelantes et ont droit à des marques d’honneur et de respect
dans les loges ou pendant les cérémonies maçonniques, signes évidents
qu’il leur reste beaucoup de travail personnel à accomplir.
S’impliquer dans le fonctionnement des institutions
initiatiques
Un franc-maçon peut choisir de vivre toute son aventure maçonnique dans
sa loge symbolique. Certains, mais ils sont rares, regrettent l’instauration du
grade de maître qui a été inventé avec une légende qui rappelle le meurtre
symbolique du père. Des compagnons impatients auraient en effet tué le
maître d’œuvre pour prendre sa place. Cette légende est probablement due
au fait que les francs-maçons élus pour diriger les loges ne pouvaient se
résigner à redevenir de simples compagnons une fois leur mandat terminé.
Ils critiquent cette idée que les maîtres seraient passés au-delà du miroir des
illusions.
Beaucoup estiment que les trois premiers degrés contiennent tout le
capital symbolique nécessaire pour se réaliser pleinement. Ceux qui
s’engagent par cooptation dans les ateliers supérieurs ou de
perfectionnement qui confèrent des « Hauts Grades » estiment que cette
démarche est indispensable pour parfaire leur parcours initiatique.
L’instrumentalisation sociale de la franc-maçonnerie
Il est indéniable que certains postulants attendent de la franc-maçonnerie
qu’elle leur donne un carnet d’adresses favorable à leur promotion sociale.
Gageons qu’ils se trompent. On voit fréquemment des maçons promus à de
hautes fonctions sociales quitter la franc-maçonnerie parce qu’ils ont atteint
un niveau où leur appartenance maçonnique ne peut plus leur être utile,
voire pourrait leur être nuisible en raison d’une possible instrumentalisation
politique ou médiatique. Ils craignent aussi d’être sollicités dans des buts
utilitaires parfois assez futiles comme l’obtention d’une décoration
républicaine par exemple.
La franc-maçonnerie est composée d’hommes avec leurs faiblesses.
Beaucoup ne tirent pas les bénéfices espérés d’une démarche en aucun cas
initiatique parce qu’elle n’est pas parvenue à les aider à « raboter »
suffisamment leur ego.
En un mot…
Un des objectifs de l’initiation maçonnique est de conférer l’humilité.
C’est dans cet esprit qu’un franc-maçon peut faire une « carrière »
obédientielle dans l’ordre administratif à la demande de ses « frères ».
Il peut également désirer accéder à des degrés de perfectionnement
supérieur. La franc-maçonnerie est une institution avec ses travers,
composée d’hommes qui ne parviennent pas toujours à dominer leurs
passions, mais l’immense majorité chemine avec humilité dans une
loge sans avoir d’autre ambition que progresser.
13
Sacrifice et espaces sacrés
Les francs-maçons réenchantent le monde à leur façon en sacralisant les
loges où ils se réunissent pour se soustraire aux préoccupations du monde
profane :
« Nous ne sommes plus dans le monde profane, nous avons laissé nos métaux à la porte du
temple, que nos regards se tournent vers la lumière », dit un rituel d’ouverture des travaux.
Étymologiquement, « temple » et « temps » dérivent de la même racine
et désignent une façon de se séparer du monde naturel en sacralisant un
espace et un moment particuliers.
La solennité des rituels maçonniques est propre à faciliter l’irruption du
sacré dans un univers profane. Cette disposition psychologique d’être saisi
par le sacré, appelée hiérophanie, serait le propre de l’homo religiosus de
Mircea Eliade. Elle est censée élever le niveau des débats en les reliant à
une dimension supérieure sans jamais commettre de « sacrilège » vis-à-vis
des valeurs défendues par la franc-maçonnerie.
Les symboles maçonniques qui se rapportent au sacré sont nombreux : la
Lumière, le Livre de la loi sacrée, l’Étoile flamboyante, le « G », le Delta
lumineux, etc.
La question du sacrifice
Le sacré est étymologiquement une valeur pour laquelle un maçon devrait
se sacrifier, c’est-à-dire donner volontairement sa vie pour la défendre
comme le lui prescrivent les rituels maçonniques auxquels il fait le serment
d’obéir.
La question du sacrifice, omniprésente dans les rituels maçonniques,
s’inspire de légendes se référant au vieux mythe du meurtre du père par ses
fils impatients. C’est une saine incitation à la progression patiente, mais
cela relie le sacré à la violence comme l’explique René Girard1. Cette
légende interroge les maçons qui souhaitent que la franc-maçonnerie soit
une institution pacifique et tolérante.
Un point de vue maçonnique sur la désacralisation du monde
Les francs-maçons constatent que la société occidentale relativise toujours
davantage l’importance des mythes et des rituels. Ils déplorent que le sacré
perde son importance sociale traditionnelle et s’exprime de plus en plus à
travers des formes profanes, comme des hommes politiques, des idoles
médiatiques, des stars, ou des formes institutionnelles plus nobles comme la
patrie, etc. Est-ce une des raisons du retour en force des religions avec de
possibles dérives intégristes qui rappellent les circonstances historiques qui
ont présidé à la fondation de la franc-maçonnerie ?
La franc-maçonnerie respecte scrupuleusement le principe de laïcité dans
le domaine public et dans les loges où il est interdit d’aborder les questions
religieuses.
En un mot…
Le sacré est un concept fondateur de la franc-maçonnerie. La manière
dont il est abordé est un vif sujet de discussion entre les francs-
maçons et les différentes obédiences. Les débats sur le sacré et la
laïcité sont loin d’être clos dans les loges maçonniques. Qu’importe
dans la mesure où la franc-maçonnerie ne met aucune limite à la
recherche de la « vérité » et ne prétend surtout pas la posséder ou
l’imposer. Consciente que les humains ne peuvent se passer d’idéaux
qui les transcendent, elle est une institution qui s’efforce d’aider ses
membres à réfléchir au sens de la vie.
14
Les symboles et la construction du temple
Le symbolisme est de toute première importance en franc-maçonnerie. On
entend fréquemment que tout y est symbole.
Dans la Grèce antique, un sumbolon était constitué par l’assemblage
parfait des deux morceaux d’un objet volontairement brisé. Cet assemblage
donne la preuve de leur origine commune. Dans cette perspective, un
symbole est la partie d’un tout qui ne prend sens que lorsqu’il est mis en
présence du ou des morceaux manquants.
Sur le plan maçonnique, les symboles matériels sont des clés qui
permettent d’ouvrir des portes menant à la dimension spirituelle.
La symbolique maçonnique
L’initié franc-maçon reçoit une méthode symbolique censée l’aider à
dépasser l’aspect profane des choses pour accéder à des réalités cachées,
ésotériques. Cette méthode se fait par intuition, selon la théorie
traditionnelle des « correspondances ». La phrase « Connais-toi toi-même et
tu connaitras l’Univers et les dieux », figurant sur le fronton du temple
d’Apollon à Delphes, en est l’une des expressions les plus accomplies.
Ainsi, la connaissance du microcosme que constitue un être humain
permettrait, par analogie, d’appréhender le macrocosme dans son ensemble.
Le symbole rassemble et la maçonnerie a l’ambition de rassembler ce qui
est épars. Elle utilise des symboles dont les plus connus, sans trahir le
« secret maçonnique », sont l’équerre et le compas, deux instruments de
base qu’utilise un bon compagnon maçon pour construire un édifice. La
symbolique maçonnique est une symbolique de construction. Mais au-delà
des outils qu’ils représentent, l’équerre et le compas signifient bien autre
chose pour un franc-maçon. Et ils n’ont pas forcément le même sens pour
les uns et les autres.
Certains francs-maçons pensent, à tort, que le champ d’interprétation
d’un symbole est quasiment infini. Dans la logique maçonnique,
l’interprétation doit rester dans les limites d’une logique de construction et
non de destruction. Ces symboles de construction sont en étroite relation les
uns avec les autres pour enrichir, mais aussi limiter, le champ des
significations possibles. L’équerre n’est pas grand-chose sans le compas, et
eux-mêmes que seraient-ils sans les autres outils de construction qui font
partie des symboles maçonniques ?
Limites du symbolisme maçonnique
La compréhension des symboles a beaucoup évolué à partir de la
Renaissance. Les scientifiques ont peu à peu renoncé au raisonnement
analogique. Ils ont mesuré, comparé, classé. La constellation du Poisson n’a
désormais plus rien à voir avec la baleine, le poisson rouge ou une personne
dont le signe zodiacal est le poisson. L’astrologie est devenue astronomie et
même astrophysique.
Actuellement, on parle d’arbitraire du signe. Le mot devient un symbole
dont le sens échappe en grande partie au locuteur comme en témoigne le
lapsus, par exemple. Cette dimension échappe le plus souvent aux francs-
maçons dont les discours et déclarations personnelles, apparemment très
rationalistes, font régulièrement l’impasse sur l’Inconscient.
Comme on l’a dit, c’est bien souvent la logique traditionnelle, celle des
correspondances, vieille théorie désuète sur le plan scientifique, qui est à
l’œuvre dans la symbolique maçonnique. Une société initiatique privilégie,
en effet, la connaissance plutôt que la science. Ainsi, les francs-maçons
s’intéressent peu à la chimie, et préfèrent étudier l’alchimie sur le plan
symbolique. L’occultisme, la magie, le spiritisme, la gnose, inspirent encore
certains francs-maçons spiritualistes quand d’autres regrettent que l’on
trouve les livres qui traitent de la franc-maçonnerie au rayon « Ésotérisme »
des librairies.
En un mot…
La théorie du symbole a beaucoup évolué à partir de la Renaissance.
Depuis, la pensée scientifique a définitivement abandonné le
raisonnement analogique. Cependant, la maçonnerie y reste en partie
fidèle parce qu’elle est une société initiatique traditionnelle. Sa
symbolique s’inscrit par conséquent dans un rapport dialectique,
souvent instable, de construction entre un temple intérieur et un
temple symbolique au service de la société comme en témoignent les
réalisations de la franc-maçonnerie, pendant la Révolution américaine
ou la Troisième République française, par exemple.
15
Équerre, compas et autres symboles
Nous décrivons quelques symboles parmi les plus connus pour illustrer ce
qui constitue la « démarche » maçonnique.
On distingue deux catégories de symboles maçonniques. Les symboles
« opératifs » renvoient à des outils de construction, quand d’autres se
rapportent à la dimension symbolico-philosophique, dite « spéculative ».
Ces deux dimensions s’articulent dans un rapport dialectique.
Quelques symboles « opératifs »
Les plus connus sont l’équerre qui représente la matière, et le compas qui
symbolise l’esprit. Les travaux en loge s’effectuent toujours en leur
présence.
Le fil à plomb et le niveau permettent de vérifier la verticalité d’un mur
en construction et l’horizontalité d’une surface. Le fil à plomb relie
symboliquement le ciel et la Terre ; il représente la droiture, l’équilibre, et
la nécessité de se connaître soi-même pour connaître l’Univers et les dieux.
Le maillet et le ciseau sont des outils complémentaires pour tailler la
pierre, le travail fondamental de l’apprenti franc-maçon. Le maillet en bois
à deux têtes représente la force nécessaire à l’action, il est également le
symbole de l’autorité et du commandement. Le ciseau, qui sert à polir la
pierre, symbolise le discernement nécessaire pour réaliser cette tâche.
Le port du tablier et des gants est obligatoire pour pénétrer en loge.
Héritage de la maçonnerie de métier, le tablier est le symbole du travail. Les
gants sont blancs pour symboliser la pureté morale.
Les deux colonnes, placées à l’entrée et à l’intérieur du temple,
représentent les deux colonnes du temple de Salomon. Signes de soutien
d’un édifice, ils représentent également les travées de sièges où s’installent
les maçons. Ces derniers représentent les piliers de la loge.
L’apprenti franc-maçon symbolisé par la pierre brute s’acharne à devenir
une pierre taillée, cubique, destinée à s’incorporer dans l’édifice que
construisent les maçons. Cependant, avec des pierres cubiques on ne peut
bâtir que des murs droits qui se coupent à angle droit. Le maçon doit par
conséquent lutter contre tout conformisme au risque d’être exclu de
l’institution.
Quelques symboles « spéculatifs »
Le Livre de la loi sacrée représente la tradition. Il est la Bible dans les
obédiences régulières, mais il peut être un autre livre sacré selon les
orientations de l’obédience à laquelle la loge est affiliée.
Le nombre trois est un symbole très répandu, de première importance en
maçonnerie. Les fameux « frères trois points » (expression qui désigne les
francs-maçons) agrémentent leur signature de trois points en signe de
reconnaissance. Il représente traditionnellement l’équilibre. On le retrouve
constamment : trois degrés (apprenti, compagnon, maître), trois grandes
lumières (compas, équerre et livre sacré), trois coups pour frapper à la porte
du temple, trois piliers (sagesse, force et beauté), trois fenêtres, trois
marches, trois voyages, circulation triangulaire de la parole, rythme à trois
temps dans la musique maçonnique, etc.
Le Delta lumineux représente traditionnellement Dieu ou le Grand
Architecte de l’Univers, mais il peut représenter le triptyque républicain
« Liberté, Égalité, Fraternité » selon l’orientation « philosophique » de
l’obédience ou du franc-maçon.
Le Soleil et la Lune sont immuablement associés. Le Soleil représente la
lumière vers laquelle se dirige un initié qui sort des ténèbres. La lune,
passive, ne fait que refléter la lumière du Soleil. Ils symbolisent par
analogie, le caractère cyclique de la vie et de la mort, des jours et des
saisons.
La voûte étoilée, figurant sur le plafond de la loge, indique que le temple
que s’acharnent à édifier les francs-maçons ne sera jamais achevé.
Le pavé mosaïque, constitué par une alternance de carreaux noirs et
blancs, est implanté au centre du temple et parfois sur tout le sol. Il est un
espace inviolable, sur lequel on ne doit jamais se déplacer. Le pavé
mosaïque est parfois interprété comme étant le symbole de la logique
mathématique, placé au centre de la loge, sur la terre ferme. Les deux
couleurs sont le symbole de l’alternance de la lumière et de l’obscurité et,
au-delà, du bien et du mal. Les Asiatiques n’ont pas une telle vision
dichotomique comme l’illustre le « taiji tu », le symbole du Yin et du Yang.
La corde a nœuds ou houppe dentelée figure dans les loges. C’est un outil
de construction, mais elle symbolise surtout la chaîne d’union et la
fraternité qui devrait régner parmi les hommes, qu’ils soient ou non francs-
maçons. Elle est ouverte vers l’extérieur du temple pour accueillir les
postulants.
Le pavé mosaïque est parfois interprété comme étant le symbole de la
logique mathématique. Est-ce pour cela qu’il est placé au centre de la loge,
sur la terre ferme ?
Le miroir est un outil symbolique rarement cité mais de première
importance. Lors de l’initiation, il révèle le pire ennemi du récipiendaire
dans l’image inversée qu’il perçoit de lui-même. Le maître maçon passerait
au-delà du miroir des illusions, ce que peu de maçons sinon aucun ne
parvient à réaliser.
L’acacia, bois imputrescible, est le symbole de l’immortalité et par
conséquent de la renaissance que confère traditionnellement l’initiation. Il
est représenté sur des bijoux ou de nombreux décors maçonniques sous la
forme d’une branche d’acacia, parfois porté à la boutonnière comme signe
visible, ou peut être trop voyant, de reconnaissance.
En un mot…
La franc-maçonnerie met à disposition de ses membres des symboles
matériels, outils, gestes, signes divers, qui leur permettent de
travailler sans relâche pour édifier un temple intérieur qui est
également au service de l’humanité tout entière. Ce temple de
Salomon ne sera jamais achevé, dans la mesure où il ne repose que
sur trois piliers et que les plans nécessaires à son édification ont été
égarés dans des circonstances que le secret maçonnique, fut-il
dérisoire, nous interdit ici de dévoiler.
16
Les rituels
L’accoutrement des francs-maçons, leur gestuelle, les noms pompeux dont
ils s’affublent (« Vénérable Maître », « Chevalier Rose-Croix », « Chevalier
Kadosh », etc.) sont perçus comme ridicules voire répulsifs, même par les
personnes les plus bienveillantes qui ne comprennent pas leur raison d’être.
Les fondements symboliques des rituels maçonniques
Un rituel est la mise en acte d’une symbolique qui porte les savoirs, les
savoir-faire et les comportements, acquis et transmis, qui caractérisent un
groupe humain comme la franc-maçonnerie. Les rituels sociaux, nombreux,
servent à policer la vie sociale. Leur respect est fondamental bien que
souvent ils aient perdu leur fonction première. Ainsi un franc-maçon
gaucher salue-t-il un comparse en lui tendant conventionnellement la main
droite, mais cela ne l’empêcherait pas de l’embrocher, parce que cette
convention est faite pour que les droitiers ne dégainent pas l’épée.
Les rituels maçonniques possèdent plusieurs fonctions : l’intégration, la
sécurisation, la cohésion du groupe, la pédagogie par le rappel des valeurs
et des objectifs communs, le bon fonctionnement des travaux, la référence à
la symbolique maçonnique de construction dans la perspective initiatique
qui la caractérise.
Le fonctionnement rituélique des travaux
Les nombreux rituels auxquels se réfèrent les francs-maçons permettent un
fonctionnement qui favorise le contrôle des passions, le respect des valeurs
maçonniques, la circulation triangulaire de la parole, la concorde, la
tolérance. La « sacralisation » de la loge, au-delà de toute référence
symbolique, crée une solennité qui favorise le travail de réflexion. Les
rituels empêchent de couper la parole à un orateur qui s’exprime dans le
silence absolu ; ils évitent la confrontation directe entre maçons parce que
les questions et les observations ne peuvent s’exprimer que par
l’intermédiaire d’un tiers. Dans certaines loges, aucune discussion n’est
permise pour ne pas indisposer l’orateur.
Les références symboliques
Tous les rituels maçonniques se réfèrent à une symbolique de construction,
généralement au temple de Salomon, parfois à l’Égypte ancienne. Certains
rites, très spiritualistes voire ésotériques, sont essentiellement tournés vers
la construction du temple intérieur. D’autres se réfèrent davantage à la
construction d’une société fraternelle et tolérante. Nous ne décrirons que
trois des principaux rites comme illustration du rôle fondamental qu’ils
jouent en franc-maçonnerie.
Le Rite français, dominant au Grand Orient de France, est animé du désir
de s’adapter aux évolutions sociales. Il a subi beaucoup de transformations,
mais il conserve les mêmes caractéristiques : recherche de la vertu,
confiance dans la science et le progrès, opposition aux superstitions
religieuses, priorité à la morale et à la raison comme sources du travail de
perfectionnement de l’homme, de son émancipation et de son cheminement
initiatique vers la sagesse.
Le Rite écossais ancien et accepté pratiqué à titre exclusif à la Grande
Loge de France, et dans de nombreuses autres obédiences, est souvent
considéré comme une sorte de « conservatoire » de traditions ésotériques
anciennes, hermétiques et chevaleresques. Spiritualiste, il se réfère à
l’invocation du Grand Architecte de l’Univers qui n’est plus nommé depuis
la Déclaration de Genève (mai 2005) que ne reconnaissent pas les
juridictions symboliques des obédiences dites régulières. Ses valeurs sont la
tolérance, la recherche illimitée de la vérité, l’ouverture sans exception à
tous les sujets de sexe exclusivement masculin pourvu qu’ils soient « libres
et de bonnes mœurs », l’interdiction des discussions d’ordres politique ou
religieux.
Le Rite émulation a été constitué par la Grande Loge Unie d’Angleterre
en 1813-1816 pour dépasser la querelle des « Anciens » et des « Modernes
». Il est le rite de référence de la Grande Loge Unie d’Angleterre.
Entièrement oral, il exige d’être appris par cœur. Il se réfère aux valeurs
universelles du métier, excluant toute idée de discours qui valoriserait
certains « frères ». Il ne connaît pas la pratique des « Hauts Grades ».
Cependant, au Royaume-Uni et dans ses satellites, certains frères peuvent
accéder au chapitre de l’Ordre suprême de la Sainte Arche royale qui leur
transmet le degré de « maçon de l’arc royal ». En France, ils peuvent
s’orienter vers les chapitres de l’Arche royale qui sont considérés comme «
le parfait et harmonieux complément » du Rite émulation.
Les rituels peuvent-ils évoluer ?
Les francs-maçons traditionnalistes, « intégristes », vilipendent les sciences
humaines et notamment tout relativisme culturel. Selon eux, les rituels
maçonniques ne serviraient qu’à transmettre les valeurs d’une tradition
primordiale, universelle, quasiment inaccessible, comme le pensaient
Édouard Schuré ou René Guénon qui en chercha les sources en Orient et
dans le soufisme.
D’autres francs-maçons, peu sensibles à ces théories, préféreraient
adapter les rituels aux nécessités de l’évolution des idées. Là encore, la
franc-maçonnerie démontre qu’elle est une institution où les idées des uns
et des autres peuvent s’exprimer sans restriction avec une méthode qui
limite les risques d’affrontement entre des hommes de sensibilités souvent
très différentes.
En un mot…
Les rituels maçonniques permettent le fonctionnement harmonieux du
travail en loge, mais ils se réfèrent essentiellement à une symbolique
variable selon les rites. La description détaillée des rites est inutile
dans la mesure où ils ne peuvent être compris que par immersion.
17
La parole et le silence
La parole et le silence sont les principaux vecteurs de la communication
maçonnique. Ils jouent par conséquent un rôle fondamental autant sur le
déroulement des cérémonies que pour leur incomparable portée
symbolique.
La tradition voudrait que l’oralité et la gestuelle rituélique soient les
uniques modes de communication maçonnique. Or, ce n’est pas le cas, les
francs-maçons rédigent leurs travaux qu’ils lisent avec solennité.
La symbolique du silence en franc-maçonnerie
Le silence est une forme de communication qui oscille entre le respect et le
mépris. Les rituels maçonniques permettent au maçon de s’exprimer dans le
silence le plus absolu.
L’apprenti franc-maçon observe une longue période de silence qui lui
permet d’apprendre à ne prendre rituellement la parole qu’à bon escient et
après mûre réflexion. Les rituels maçonniques permettent de dépassionner
les débats en limitant le nombre de questions et surtout en faisant circuler
les demandes de parole par plusieurs tiers avant d’être accordées à celui qui
en est à l’origine.
Les francs-maçons ont perdu les plans du temple qu’ils bâtissent, ce qui
renvoie symboliquement au mythe évangélique de la « Parole perdue »
écrite par Jésus sur le sable. Cette perte les incite à travailler sans relâche,
collectivement, pour construire tant bien que mal un temple pour l’humanité
tout entière et pour eux-mêmes sur la voie initiatique qu’ils sont censés
emprunter, ce qu’ils appellent le « temple intérieur ».
La musique agrémente souvent le silence et renforce la solennité des
cérémonies maçonniques.
En un mot…
La gestion de la parole par triangulation permet une communication
de grande qualité, tandis que le mythe de la « Parole perdue » contient
une forte portée symbolique pour les francs-maçons.
18
Musique et franc-maçonnerie1
La musique participe au cérémonial maçonnique. À ce propos, de
nombreux ouvrages ont été écrits sur la musique maçonnique. Mais peu
d’entre eux l’ont été sur les rapports entre musique et franc-maçonnerie. Il
suffit d’aller à une cérémonie maçonnique (puisque certaines sont ouvertes
aux profanes) pour se rendre compte que la musique qu’on entend n’est pas
toujours systématiquement une musique écrite par un compositeur franc-
maçon dans le but d’être interprétée en loge. Ainsi, des morceaux composés
par des musiciens profanes sont joués en loge parce qu’ils dégagent un
caractère ésotérique en accord avec la réunion maçonnique. Par ailleurs, il
existe des musiques écrites spécifiquement par des compositeurs francs-
maçons afin qu’elles soient jouées lors de cérémonies maçonniques.
Qui sont les compositeurs francs-maçons ? Comment reconnaître un
morceau de musique maçonnique ?
Les musiciens francs-maçons
Depuis sa création en 1717, et surtout à partir des Constitutions d’Anderson
de 1723, les compositeurs furent nombreux à rejoindre la fraternité des
loges maçonniques : Wolfgang-Amadeus Mozart, Haydn, Léopold Mozart,
Liszt, Jean-Chrétien Bach (fils de Jean-Sébastien), Hummel, Boieldieu,
Spontini, Gossec, et parmi les plus anciens, Clérambault et Geminiani.
Citons également Pleyel, Méhul, Cherubini et Meyerbeer, ainsi que
Kreutzer qui fait penser à Beethoven (dont l’appartenance à la franc-
maçonnerie ne peut être établie avec certitude). Et puis, il y a John Philip
Sousa, Sibelius et Gershwin ; ou encore certains jazzmen américains tels
que Duke Ellington, Kenny Clarke, Nat King Cole, « Count » Basie et
« Cab » Calloway.
Parmi ceux qui ne furent jamais francs-maçons tout en tentant de le
devenir, il faut citer Richard Wagner.
La musique maçonnique
Quand on parle de musique maçonnique, il faut distinguer deux sortes de
musiques : celles écrites par des compositeurs francs-maçons et destinées à
être interprétées exclusivement en loge lors de cérémonies maçonniques, et
la musique à caractère maçonnique pouvant être jouée à l’extérieur des
temples, mais dont le caractère reste purement maçonnique.
Les musiques à usage strictement maçonnique sont très variées. Utilisées
en loge, elles tendent avec le temps à être connues à l’extérieur. En voici
quelques exemples : Marche des Francs-Maçons et Marche de la Grande
Loge Maçonnique de Naudot ; Les Francs-Maçons, une cantate de
Clérambault.
En outre, il est à noter que certains concerts présentant des œuvres de
compositeurs francs-maçons étaient joués exclusivement pour des francs-
maçons. C’est le cas des « Concerts de la Loge Olympique », une institution
qui vit le jour en 1779. Y furent jouées les symphonies de Haydn no 82 à 87
et la cantate Amphion de Cherubini. Au XXe siècle, le compositeur finnois
Sibelius composera une Marche maçonnique.
Mais c’est avec Mozart que ces œuvres purement maçonniques prirent
une importance autant par la qualité que par la quantité des œuvres
composées pour les travaux en loge, telles que Gesellenreise, Die Ihr in
einem neuen Grade K. 468, Die Maurerfreude, Kantate Sehen, wie dem
starren Forscherauge, Lied Zerfliesset heut’ geliebte Brüder K. 483, etc. La
plus célèbre étant La flûte enchantée.
La musique structurellement maçonnique
Pour avoir un aperçu d’une structure musicale typiquement maçonnique
prenons comme exemple l’Adagio et Fugue pour cordes en ut mineur de
Mozart, K. 546.
Le début de la Fugue commence par un motif musical très simple : sol –
sol – do (à la quinte inférieure, c’est-à-dire vers le bas).
Sur la partition musicale, les notes dessinent une équerre qui correspond
également à un signe que fait tout apprenti franc-maçon, et ceci quel que
soit le rite, ou la région du globe où il se trouve.
On observe ainsi une similitude des mouvements entre les notes « sol –
sol – do » et le mouvement exécuté « gorge – épaule droite – main le long
du corps » par l’apprenti en loge. Ces deux mouvements ont en commun de
tracer une équerre aussi bien dans les sons que dans l’espace. De plus, la
gorge et l’épaule droite sont au même niveau, c’est pourquoi elles sont
simulées par deux notes identiques, le sol.
Cet exemple tout simple nécessite du génie de la part de celui qui le crée.
Or, personne n’ira discuter du génie de Mozart.
Plusieurs exemples semblables traversent l’œuvre de Mozart. Par la suite,
d’autres musiciens francs-maçons ont composé des œuvres qui peuvent être
écoutées comme œuvres profanes ou bien reconnues comme œuvres
maçonniques. Tout dépend de l’auditeur.
Quoi qu’il en soit, ces musiques sont universelles.
19
La fraternité, une obligation morale
Les francs-maçons constituent une fraternité, celle des fameux « Frères trois
points ». Mais de quoi s’agit-il ?
La franc-maçonnerie est constituée par un ensemble de personnes qui
partagent des valeurs communes : la solidarité, la bienveillance, la
tolérance, la foi dans les vertus d’une pratique initiatique, etc. C’est le sens
de la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » reprise par certaines obédiences
maçonniques, ou de l’article premier de la Déclaration universelle des droits
de l’homme (1948) : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en
dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir
les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » Elle tend vers une
unité qui dépasse l’ego de ceux qui l’expérimentent par l’exercice
d’obligations morales. La fraternité maçonnique est symbolisée par la
chaîne d’union et la corde à nœuds du maçon ouverte vers l’extérieur du
temple pour accueillir les postulants.
Entre unité et rivalités fraternelles
La fraternité est absolument centrale dans la doctrine judéo-chrétienne où la
franc-maçonnerie trouve sa source. Les humains sont les descendants
d’Adam et Ève. Les évangiles mettent fréquemment le mot « frère » dans la
bouche de Jésus, et notamment dans ce logion inouï rapporté par Mathieu
l’évangéliste qu’il serait curieux d’entendre dans la bouche du Pape : « Pour
vous, ne vous faites pas appeler maître : car vous n’avez qu’un maître et
tous vous êtes des frères. N’appelez personne votre Père sur la Terre ; car
vous n’avez qu’un Père céleste (Mt 23, 8-9). »
A contrario, de nombreux mythes fondateurs qui inspirent la franc-
maçonnerie font état de rivalités fraternelles : Abel et Caïn, Joseph, Esaü, le
fils prodigue, Romulus et Remus ; etc., qui montrent combien il est difficile
de s’entendre entre sœurs et frères. La franc-maçonnerie en constitue une
parfaite illustration. Car si les « frères » le sont par obligation morale, ils ne
sont pas toujours de bons amis. Il en est de même pour les obédiences qui
ne se reconnaissent pas mutuellement comme faisant partie de la même
fratrie…
Enfin, beaucoup de francs-maçons se comportent comme des « maîtres »,
certes bienveillants envers leurs « fils », mais en totale contradiction avec le
logion de Jésus plus haut cité. Car, au-delà d’une question d’ego, ils se
méfient des fils qui pourraient bien tuer le père.
Un dernier mot sur les « fraternelles » maçonniques qui regroupent, hors
ateliers, des maçons de différentes obédiences qui occupent les mêmes
fonctions ou professions (avocats, médecins, juges, parlementaires, etc.)
dans un but de solidarité et d’amélioration des pratiques. Elles sont souvent
considérées comme des lobbys affairistes et alimentent l’antimaçonnisme.
En un mot…
La fraternité est une valeur cardinale des différentes franc-
maçonneries. Elle est une obligation pour les maçons entre eux et au-
delà envers l’humanité tout entière, mais elle parait bien difficile à
mettre en œuvre. Elle se confond avec l’amour, thème maçonnique
récurrent.
20
La vengeance et le pardon
La franc-maçonnerie a été fondée au XVIIIe siècle sur des valeurs chrétiennes
parmi lesquelles le pardon occupe une place cardinale. Cependant, la
vengeance est constamment convoquée dans les rituels maçonniques. Les
maçons vouent en effet aux gémonies ceux d’entre eux qui,
symboliquement, à la suite d’exactions, ont perdu les plans de l’édifice
qu’ils s’évertuent à construire, les laissant dans un profond désarroi. Ils font
le serment de se venger.
C’est également au péril de sa vie que l’apprenti franc-maçon jure
solennellement le soir de son initiation de ne révéler aucun des secrets qui
lui sont transmis au risque d’encourir la vengeance de ses « frères ». Ceci
est d’autant plus surprenant qu’un postulant franc-maçon qui se déclarerait
ouvertement favorable à la peine de mort ne pourrait en aucun cas être
initié. La franc-maçonnerie n’est pas à une incohérence près.
« Papus », un médecin ésotériste de la fin du XIXe siècle, aurait quitté la
franc-maçonnerie pour fonder l’Ordre martinisme, une société initiatique,
notamment parce qu’il n’admettait pas les injonctions maçonniques de
vengeance.
Cependant, progressivement, les valeurs maçonniques et les étapes de la
progression initiatique (préparation dans le silence, voyages, deuil du
Maître architecte, drame de la perte de la Parole, désir de vengeance, amour
de l’humanité, adoubement de Chevalier, etc.) permettent de dépasser le
sentiment de vengeance pour défendre la justice, malgré ses imperfections
humaines. Le franc-maçon apprend que rien n’est pire que la justice sans
amour.
En un mot…
La franc-maçonnerie, bien que fondée sur des valeurs chrétiennes, ne
fait pas grand cas du pardon dont fait preuve une dernière fois Jésus-
Christ avant d’expirer sur la Croix et que rappelle quotidiennement,
aux pratiquants, la prière du Pater Noster : « Pardonne-nous nos
offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés
(Lc 11, 1-4, Mt 6, 9-13). » La société chrétienne, dans la lignée de
cette morale, est la première à avoir aboli la peine de mort.
Les injonctions maçonniques de vengeance, purement symboliques,
sont incohérentes dans la mesure où la franc-maçonnerie est
résolument opposée à cette sanction qui trouve sa validité dans des
rituels traditionnels anciens qu’il est difficile de faire évoluer, mais
que rien n’empêche de critiquer.
21
Les francs-maçons face aux Lumières
Bien qu’ancrée dans les traditions, la franc-maçonnerie est
incontestablement influencée par le rationalisme et la notion de progrès
scientifique issus de la philosophie des Lumières.
La maçonnerie des Lumières
Le mouvement des Lumières, à la fois culturel, philosophique, littéraire et
intellectuel, émerge avec Baruch Spinoza, Pierre Bayle, Isaac Newton au
milieu du XVIIe siècle ; Nicolas de Condorcet, Denis Diderot, Montesquieu,
Voltaire, Buffon, John Locke, David Hume, Adam Smith, James Watt,
Emmanuel Kant, Gottfried Leibniz, Benjamin Franklin, Thomas Jefferson,
George Washington, Cesare Beccaria, Carlo Goldoni au XVIIIe siècle.
Beaucoup sont francs-maçons. Tous combattent les oppressions religieuses
et politiques, l’irrationnel, l’obscurantisme et la superstition. Leur influence
est déterminante dans les grands bouleversements de la fin du XVIIIe siècle
que sont la Déclaration d’indépendance des États-Unis et la Révolution
française. Les Lumières constituent le triomphe de la raison sur la foi, de la
bourgeoisie sur la noblesse et le clergé.
Cependant, dès 1717, la franc-maçonnerie donne une place importante à
une dimension traditionnelle, religieuse et mystico-ésotérique. La synthèse
entre ces deux positions n’est pas toujours aisée et nécessite une forte dose
de tolérance qui est une, sinon la principale, valeur de la maçonnerie avec la
fraternité, sa voisine.
L’héritage maçonnique des Lumières
Selon Michel Foucault, la pensée analogique traditionnelle disparait à la
Renaissance. On l’a évoqué précédemment, la chose est désormais
envisagée pour elle-même et non plus comme une partie du cosmos en
correspondance avec l’infiniment grand et l’infiniment petit. Dans l’œuvre
de Miguel de Cervantès, Sancho Panza symbolise parfaitement ce
changement de paradigme intellectuel. Il se moque ainsi de Don Quichotte
dépeint comme un « analogiste caricatural » qui vit ses lectures comme des
réalités.
Au siècle des Lumières, les fondements épistémologiques de la pensée
scientifique classique deviennent classificatoires (taxinomiques) : Linné et
Buffon en sont de parfaites illustrations. La science des Lumières est une
science de la représentation : mesurer, comparer, classer.
À la même époque, le sujet, absent jusqu’alors, fait une entrée
fracassante sur la scène philosophique. Le cogito cartésien en fait un être
responsable par la dialectique de la volonté et de l’entendement. Les
écrivains du XVIIIe siècle s’évertuent à diffuser les Lumières, avec une
énergie extraordinaire, et dans tous les domaines, comme en témoigne
l’Encyclopédie.
Forts de ces enseignements, les francs-maçons rationalistes critiquent
l’archaïsme de la pensée analogique, du symbolisme ou pire du mysticisme.
Fille des Lumières, la franc-maçonnerie a-dogmatique privilégie la raison.
Elle se fonde sur les Constitutions d’Anderson qui précisent qu’Adam est le
premier géomètre, citent Pythagore et Euclide et affirment que la géométrie
est le fondement de toute la maçonnerie. Pour elle, le symbolisme et les
symboles ne sont qu’un moyen, un outil, et non une fin en soi. La
réalisation de l’humaine condition ne lui parait pas principalement
spirituelle. Elle a une foi inébranlable dans le progrès des sciences et des
connaissances et promeut le progrès social et économique. C’est pourquoi
les francs-maçons, du Grand Orient de France notamment, s’impliquent
dans des associations ou des partis politiques, généralement considérés
comme progressistes.
En un mot…
Bien que la science ait subi à la fin du XIXe siècle un nouveau
bouleversement qui relativise l’importance de la raison triomphante
des Lumières, celle-ci reste une orientation fondamentale de la franc-
maçonnerie. Elle est largement privilégiée par les obédiences
adogmatiques, et principalement le Grand Orient de France qui
critique les obédiences traditionnelles « spiritualistes ». Ainsi, chacun
peut choisir une obédience selon ses convictions philosophiques
personnelles, quand bien même s’engage-t-on à les « laisser à la porte
du temple » lorsque l’on devient franc-maçon.
22
Jusqu’où respecter la tradition ?
La tradition est un vecteur identitaire fondamental pour une communauté
humaine comme la franc-maçonnerie. Dans le langage courant, le mot
tradition désigne un usage consacré par une longue pratique sociale. Mais il
serait plus approprié, dans le cas de la franc-maçonnerie, de parler de
coutumes, lesquelles sont destinées à reproduire et conserver des pratiques
en respectant scrupuleusement des rituels : « Nous allons ouvrir les travaux
selon la forme accoutumée », énonce un rituel.
Il existe plusieurs attitudes maçonniques face à la tradition. Les francs-
maçons traditionalistes manifestent une volonté de retour aux valeurs
traditionnelles. Les conservateurs ont la volonté de laisser les choses en
l’état. Les progressistes considèrent que les traditions doivent évoluer.
Sur le plan individuel, chaque maçon, selon son tempérament, son
histoire familiale, ses acquis, l’obédience qu’il a choisie, peut être plus ou
moins conservateur ou progressiste. Les francs-maçons ésotéristes les plus
traditionnalistes refusent les acquis scientifiques. Ils pensent que la
connaissance est purement intuitive et cherchent la signification profonde
des symboles et des rituels. Ils parlent d’une tradition primordiale qui ne
serait accessible qu’à quelques rares initiés…
Les progressistes font remarquer qu’il est nécessaire d’évoluer. Faut-il
justifier l’esclavage ou la prostitution sous prétexte qu’ils existent
traditionnellement dans toutes les sociétés ? Doit-on maintenir le genre
féminin sous domination masculine ? À cet égard, n’est-il pas surprenant
qu’au XXIe siècle, certaines obédiences refusent d’initier des femmes, au
mépris des lois sociales qu’ils jurent de respecter scrupuleusement, au nom
d’une tradition héritée des Old Charges. Ils refusent, par exemple, que des
femmes portent l’épée héritée de la symbolique chevaleresque. Quand
d’autres ont probablement peur de l’attraction qu’exercent les femmes sur
des hommes qui prétendent pour la plupart être passé au-delà du miroir.
Alors que Mozart, lui, envisageait déjà l’initiation des femmes en 1791 avec
le personnage de Pamina dans la Flûte enchantée. Le Coran qui peut être le
livre sacré, une des trois grandes lumières de la franc-maçonnerie, dans
certains pays à majorité musulmane comme le Maroc, est réputé immuable
dans la mesure où il serait la volonté de Dieu dictée par l’archange Djibril.
Pourtant, il contient dans sa deuxième sourate, « La Vache », le fameux
verset 106 qui ouvre la voie à des changements possibles : « Si Nous
abrogeons un verset quelconque ou que Nous le fassions oublier, Nous le
remplaçons par un meilleur ou un semblable. »
En un mot…
Les discussions sur la tradition, le conservatisme, le progressisme,
sont un thème récurrent constamment abordé dans les loges et au
niveau des obédiences qui ne se reconnaissent plus mutuellement au
nom du respect de certaines traditions. La franc-maçonnerie n’est
décidément pas monolithique et chaque postulant peut trouver une
obédience qui correspond à ses aspirations.
23
L’universalité maçonnique en question
La franc-maçonnerie se veut universelle alors qu’elle est le pur produit des
cultures hellènes et judéo-chrétiennes. En cela, elle adopte un système de
représentation du monde spécifique qui diverge de ceux que l’on retrouve
en Asie ou en Afrique.
L’Occident qui a donné naissance à la franc-maçonnerie, a
majoritairement choisi de privilégier la raison au détriment d’autres types
de pensée. Le Logos, la logique aristotélicienne du tiers exclu, a
progressivement triomphé de la Révélation judéo-chrétienne qui, sur le plan
de la logique, contient tout et son contraire. Pour Aristote, à l’inverse, ce
qui est blanc ne peut être noir. Les mythes cosmogoniques occidentaux sont
issus des religions monothéistes. Dieu a créé le monde qui a un début et une
fin, ce qui abolit la conception cyclique du temps… Les Occidentaux sont
les fils de Dieu. Ce sont des individus qui portent en eux une parcelle divine
qui fonde leur inaltérable dignité. La soumission à Dieu ou à l’État qui l’a
en partie remplacée, est le mode de résolution des conflits expliquant la
prééminence du droit et par conséquent des divers instruments
internationaux qui nous paraissent universels.
La franc-maçonnerie n’a pas été créée en Orient où elle n’est pratiquée
que par des Occidentaux dans d’anciennes colonies. Pour les Asiatiques par
exemple, l’Univers est une infinité de mondes en perpétuel mouvement. Le
temps est cyclique. Il convient de tenter de concilier les contraires, le Yin et
le Yang en Chine par exemple. L’ordonnancement parfait du pavé mosaïque,
un symbole maçonnique, serait déprécié en Chine comparé au « taiji tu », le
symbole du Yin et du Yang. L’idéogramme Yin (阴) est associé à la Lune et
la glace (月) qui symbolisent la part féminine de la nature ; le Yang (阳) est
associé au Soleil et au feu (日), sa part masculine. Les intérêts du groupe
l’emportent sur l’individu. La conciliation est également privilégiée pour la
résolution des conflits. Demander à un juge de trancher un conflit confine à
la barbarie pour un Chinois.
Les cosmogonies africaines ou mélanésiennes conçoivent l’Univers
comme étant une création fragile où l’ordre n’est jamais sûr de triompher
du Chaos. Il convient de concilier les puissances bénéfiques contre les
puissances maléfiques, la sorcellerie expliquant toutes les calamités. Le
groupe est privilégié. Tout est organisé pour éviter la compétition sociale,
chacun étant immuablement à sa place. Les conflits sont réglés par la
conciliation, la palabre et les rituels d’exorcisme. Cependant, les Africains
et les Mélanésiens, très nombreux en franc-maçonnerie, sont
particulièrement à l’aise avec le maniement des symboles qui reste leur
mode de compréhension privilégié du monde.
En un mot…
La franc-maçonnerie qui voudrait être le « centre de l’union » est un
pur produit de la civilisation occidentale dans un rapport dialectique
complexe entre le logos, la logique aristotélicienne, et la spiritualité
monothéiste judéo-chrétienne. Elle ne peut par conséquent pas
prétendre être universelle. Si le logos, la science, tend
progressivement à s’imposer dans toutes les civilisations, il n’en est
pas de même pour les valeurs spirituelles.
Ceci démontre que le symbolique occupe une place que la raison ne
parvient pas à éliminer. C’est la position des francs-maçons
spiritualistes, cependant analysée ici avec les arguments typiquement
scientifiques du relativisme qui promeut l’égalité des cultures.
24
La maçonnerie au risque des sciences
humaines ?
La pensée analogique est prisée par les francs-maçons spiritualistes, tandis
que la foi dans le progrès scientifique est chère aux francs-maçons
rationalistes. Mais qu’en est-il des acquis des sciences humaines issues de
la « troisième révolution épistémologique » à la fin du XIXe siècle ? Quelle
est la position de la franc-maçonnerie à l’égard de l’évolution de ces
disciplines ?
La troisième révolution épistémologique
À partir de la fin du XIXe siècle, les scientifiques s’intéressent au
fonctionnement intime des choses. Selon Michel Foucault, le rapport entre
le mot et la chose qu’il désigne est totalement arbitraire, c’est-à-dire sans
aucun rapport analogique l’un avec l’autre.
De nombreux francs-maçons ignorent cette mutation qui est la
conséquence de l’irruption de l’irrationalité (l’Inconscient freudien) dans le
champ de la connaissance. La psychanalyse freudienne est le premier
modèle explicatif complet, mais cependant métaphorique, de la
psychologie. De façon beaucoup plus radicale encore, certains linguistes,
anthropologues, psychologues, sociologues, historiens, écrivains (Lévi-
Strauss, Lacan, Althusser, Foucault) qui se reconnaissent structuralistes,
bouleversent les sciences humaines en introduisant une dimension nouvelle
(le symbolique défini selon leur point de vue). Chacun dans leur domaine,
les structuralistes tirent les conséquences du décalage grandissant entre les
mots et les choses. Ils construisent des structures logiques qui transforment
l’homme en une sorte de marionnette mue par des fils qu’il ne contrôle pas.
Les Anglo-saxons, qui ont une longue tradition empirique, ont, les
premiers, critiqué l’impérialisme de la psychanalyse et du structuralisme
conformément à la perspective empirique, pragmatique et socialement utile
qui les caractérisent.
Conséquences maçonniques de la découverte
de l’Inconscient
Les francs-maçons spiritualistes du début du XXe siècle, comme René
Guénon, alias cheikh Abdel Wahid Yahia, vouaient aux gémonies la
psychanalyse pour qui Dieu et les dieux ne sont que des projections de nos
désirs inconscients.
Les choses ont évolué, mais les francs-maçons en tirent rarement les
conséquences. Quelles que soient leurs convictions, ils estiment qu’ils se
sont engagés dans une voie initiatique qui, à l’aide de symboles, va très
progressivement, par degrés, grâce au travail sur soi, leur permettre
d’atteindre une connaissance approfondie d’eux-mêmes et conséquemment
du monde. Je laisse le lecteur libre d’interpréter les affirmations solennelles
des francs-maçons qui estiment se connaître en faisant l’économie d’un
« véritable » travail personnel. Quoi qu’il en soit, il faut décourager les
postulants qui espèrent régler des problèmes personnels en frappant à la
porte du temple. Ils se trompent. Il est cependant incontestable que le travail
en loge est une sorte de « thérapie » de groupe qui finit, par identification
aux valeurs du groupe et de la franc-maçonnerie, à créer une uniformité, un
conformisme frappant chez certains francs-maçons qui fréquentent cette
institution depuis de nombreuses années.
En un mot…
Une grande majorité de francs-maçons rationalistes font l’économie
de la découverte de l’Inconscient dans les sciences humaines, ce qui
pourrait bien limiter cette idée que l’initiation est une voie qui permet
d’atteindre un haut degré de connaissance de soi.
25
La réflexion éthique, pilier de la franc-
maçonnerie
Les francs-maçons partagent un certain nombre de valeurs qui fonderaient
une éthique spécifiquement maçonnique. Qu’en est-il ?
La force éthique des valeurs maçonniques
La plupart des maçons défendent des valeurs qui ont une grande portée
éthique. La tolérance, par exemple, est une vertu qui s’acquiert
progressivement en travaillant sur soi-même au sein d’une loge où
s’expriment des opinions diverses. Elle ne peut s’accommoder du principe
d’autorité et de prises de position dogmatiques qu’on ne pourrait discuter.
La pratique de la tolérance porte naturellement vers une éthique de la
discussion.
La solidarité est une autre valeur que partagent les francs-maçons qui
s’engagent à œuvrer pour construire un temple pour le bien de l’humanité
dans son ensemble ou plus modestement pour la société dans laquelle ils
vivent, en travaillant avec acharnement, de façon altruiste, idéalement au-
delà de leur intérêt personnel et de tous liens d’intérêt.
Comment les francs-maçons participent-ils aux grands
débats éthiques actuels ?
Les valeurs maçonniques précédemment décrites guident les francs-maçons
lorsqu’ils font partie d’un comité d’éthique ou lorsqu’ils participent à un
groupe de réflexion. Ils s’efforcent d’écouter les autres sans les interrompre
comme les rituels maçonniques les y entrainent. Ils tolèrent les consensus
qui se dégagent de discussions où se confrontent les opinions extrêmement
divergentes des scientifiques, des membres de la société civile, des
religieux. Il en ressort des consensus « mous » certes, mais qui paraissent
préférables aux prises de position définitives qui empêchent toute évolution
possible.
Les francs-maçons s’invitent régulièrement dans les grands débats
éthiques relatifs aux pratiques sociales, dans des domaines tels que la
laïcité, la santé, la consommation, l’économie, la finance, la justice positive,
l’informatique, l’écologie, le développement durable, etc. Ils interviennent
généralement avec les valeurs qu’ils ont appris à maîtriser en loge.
Cependant, les francs-maçons les plus savants sortent du domaine des
compétences acquises en franc-maçonnerie. Ils se réfèrent à tort aux auteurs
qui font autorité dans un domaine spécifique, d’Aristote à Descartes, de
Rawls à Habermas. Parmi eux, de nombreux philosophes chrétiens, très
prisés des francs-maçons, ont repris en le compliquant jusqu’à le rendre
quasiment inintelligible ce logion lumineux attribué à Jésus qui résume le
principe de responsabilité des actions humaines : « Ainsi, tout ce que vous
voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pour eux : voilà la Loi et
les prophètes (Mt 7,12). » Ils envisagent la réflexion éthique de plusieurs
façons. On peut espérer qu’ils ne se fondent pas sur des arguments
d’autorité ou pire encore sur l’interprétation simpliste du contenu d’un
rituel maçonnique. D’autres adoptent un point de vue utilitariste. Ils tentent
d’évaluer les buts et les finalités d’une décision ou d’un acte à l’issue d’un
bilan des risques et profits. Beaucoup œuvrent pour la réalisation
raisonnable de besoins sociaux s’opposant à la morale « traditionnelle » au
terme d’un consensus social qui est une synthèse d’opinions souvent
divergentes a priori difficilement conciliables. On parle à ce sujet d’une
éthique de la discussion que les valeurs maçonniques encouragent.
En un mot…
Les valeurs maçonniques et plus spécialement la tolérance et la
solidarité humaniste guident la réflexion éthique des francs-maçons.
C’est ainsi qu’Henri Caillavet et Pierre Simon ont participé à
l’élaboration des lois autorisant l’avortement et la contraception. Les
francs-maçons sont à la pointe de la réflexion et partagent des
positions progressistes concernant les greffes d’organes, l’euthanasie,
l’acharnement thérapeutique, le droit de mourir dans la dignité.
26
Quelques francs- maçons célèbres
Les francs-maçons célèbres sont tellement nombreux que nous nous
limiterons à en énumérer quelques-uns parmi les fondateurs, les hommes
politiques ou les artistes.
Fondateurs
James Anderson (1684-1739), Jean-Théophile Désaguliers (1683-1744) et
André Michel de Ramsay (1686-1743) sont les principaux fondateurs de la
franc-maçonnerie.
Hommes politiques
Les hommes politiques francs-maçons sont nombreux, ils sont le plus
souvent progressistes. On compte également nombre de militaires qui ont
fondé des loges, notamment sous le Premier Empire.
George Washington (1732- Juan José de San Martin (1778-
1799) 1850)
Marquis De La Fayette (1757- Simon Bolivar (1783-1830)
1834) Adolphe Crémieux (1796-
Horatio Nelson (1758-1805) 1880)
Georges Jacques Danton (1759- Victor Schoelcher (1804-1893)
1794) Winston Churchill (1874-1965)
Giuseppe Garibaldi (1807- Mustapha Kemal Ataturk
1882) (1881-1938)
Émir Abd el-Kader (1808- Vincent Auriol (1884-1966)
1883) Roger Salengro (1890-1936)
Louis Blanc (1811-1882) Jean Zay (1904-1944)
Camillo Cavour (1810-1861) Pierre Mendès-France (1907-
Mikhaïl Bakounine (1814- 1982)
1876) Peter Benenson (1921-2005)
Jules Ferry (1832-1893) Salvador Allende (1908-1973)
Emile Combes (1835-1921) Henri Caillavet (1914-2013)
Léon Gambetta (1838-1882) Pierre Simon (1925-2008)
Joseph Joffre (1852-1921)
Léon Bourgeois (1851-1925)
Léon Blum (1872-1950)
On préfère en général ne pas citer les maçons qui ne font pas honneur à la
franc-maçonnerie. On évite ainsi de citer le général Augusto Pinochet ou le
président Omar Bongo qui étaient francs-maçons. À l’inverse, on préfère
envisager, sans preuve certaine, qu’Henri Dunant était franc-maçon. Nous
rencontrerons d’autres hommes politiques francs-maçons qui ont joué un
rôle important dans le chapitre concernant les acquis sociaux de la franc-
maçonnerie.
Scientifiques, écrivains et philosophes
Les romanciers, dramaturges, philosophes, théoriciens, scientifiques francs-
maçons sont légions : cette liste bien que réduite en témoigne.
Jonathan Swift (1667-1745) Johann Wolfgang von Goethe
Voltaire (1694-1778) (1749-1832)
Montesquieu (1689-1755) Joseph de Maistre (1753-1821)
Benjamin Franklin (1706-1790)
Giacomo Casanova (1725- Jean Antoine Chaptal (1756-
1798) 1832)
Marquis de Sade (1740-1814) Maine de Biran (1766-1824)
Chamfort (1741-1794) Walter Scott (1771-1832)
Choderlos de Laclos (1741- Stendhal (1783-1842)
1803) François Vincent Raspail
Gaspard Monge (1746-1818) (1794-1878)
Pierre Simon Laplace (1749- Pouchkine (1799-1837)
1827) Émile Littré (1801-1881)
Edward Jenner (1749-1823) Pierre-Joseph Proudhon (1809-
Élisée Reclus (1830-1905) 1865)
Louise Michel (1830-1905) Marcellin Berthelot (1827-
Mark Twain (1835-1910) 1907)
Jules Vallès (1832-1885) Aristide Quillet (1880-1945).
Oscar Wilde (1854-1900) Alexander Fleming (1881-
1955)
Rudyard Kipling (1865-1936)
Pierre Dac (1893-1975)
Arthur Conan Doyle (1859-
1930) Henri Vincenot (1912-1985)
Jean Verdun (1931-)
Michel Maffesoli (1944-)
Plasticiens
Antoine Houdon (1741-1828), Juan Gris (1887-1927), Jef Banc (1930).
Cinéastes
Louis et Auguste Lumière, inventeurs du cinéma en 1895, étaient francs-
maçons. David W. Griffith, Cecil B. de Mille, Frank Capra, John Ford
également, ainsi que de nombreux réalisateurs et acteurs.
En un mot…
Les francs-maçons sont présents dans tous les domaines. Leur talent a
souvent apporté plus à la franc-maçonnerie que l’inverse, mais tous
furent des francs-maçons convaincus et certaines de leurs œuvres sont
imprégnées de valeurs maçonniques.
27
La franc-maçonnerie a-t-elle joué un rôle
dans les avancées sociales ?
« Français, encore un effort si vous voulez être républicains ! », écrivait en
1705 le marquis de Sade, franc-maçon. Son vœu s’est progressivement
réalisé, du moins dans les loges.
Le XVIIIe siècle
L’influence des Lumières est déterminante dans les grands bouleversements
de la fin du XVIIIe siècle que sont la très maçonnique Déclaration
d’indépendance des États-Unis et la Révolution française. Les Lumières
constituent le triomphe de la raison sur la foi, de la bourgeoisie sur la
noblesse et le clergé. Cependant si la franc-maçonnerie joue un rôle
déterminant outre-Atlantique, son rôle pendant la Révolution française ne
parait pas évident.
Le XIXe siècle
Tout au long du XIXe siècle, la maçonnerie française se caractérise par
l’acceptation progressive de l’idée républicaine. Beaucoup de ses membres
participent activement à la Révolution de 1830. On les retrouve dans les
gouvernements de la Seconde République qui vote l’abolition de
l’esclavage (Victor Schoelcher, 1848). Ils jouent un rôle important pendant
la Commune de Paris en 1871. Les instances maçonniques sont plutôt du
côté versaillais. Cependant, les loges, toutes tendances confondues,
déplorent la violence et adhèrent aux valeurs républicaines : liberté
politique et associative, justice sociale, laïcité, éducation. Des francs-
maçons parisiens s’engagent très courageusement pour exiger que les
combattants se réconcilient. Ils défilent en tenue rituelle derrière leurs
bannières. Se heurtant à l’intransigeance obstinée de Thiers, ils prennent
massivement les armes contre les Versaillais. La commune étant défaite, ils
seront fusillés.
Le XXe siècle
La franc-maçonnerie contribue activement à la politique de laïcisation et à
l’instauration des grandes lois républicaines des années 1880-1914 : liberté
de la presse (1881) ; lois « Jules Ferry » : école gratuite (1881), éducation
obligatoire et enseignement public laïc (1882) ; légalisation des syndicats
(1884) ; liberté d’association (1901) ; séparation des Églises et de l’État
préparée par Émile Combes (1905). Le Grand Orient joue un rôle
déterminant dans la formation du Parti Républicain (1901).
Pendant l’entre-deux-guerres, en 1936, le gouvernement de Léon Blum,
lui-même franc-maçon, signe les Accords de Matignon : conventions
collectives, semaine de 40 heures et congés payés.
Après la Seconde Guerre mondiale, la franc-maçonnerie soutient
quelques avancées sociales.
Peter Berenson fonde Amnesty International en 1961.
Henri Caillavet du Grand Orient de France participe à l’élaboration de
projets de loi concernant l’interruption volontaire de grossesse, le divorce
par consentement mutuel, les greffes d’organes, le tribunal de
l’informatique, l’euthanasie, l’acharnement thérapeutique, la création de la
Commission nationale informatique et liberté. Il a présidé l’Association
pour le droit de mourir dans la dignité.
Par un curieux caprice de l’histoire, la loge « Nouvelle Jérusalem » qui
avait compté Madeleine Pelletier dans ses rangs, semble jouer un rôle
important dans la préparation de la loi Neuwirth autorisant la contraception
(1967) puis dans l’élaboration de la loi Veil dépénalisant l’avortement
(1972) selon un des ses membres décédé en 2008, le Dr Pierre Simon, deux
fois Grand Maître de la Grande Loge de France, lequel est
« symboliquement » le descendant direct de Madeleine Pelletier.
Autre exemple, en 1988, la guerre civile menace en Nouvelle-Calédonie.
Le Premier ministre Michel Rocard envoie sur place une délégation qui
compte parmi ses membres Roger Leray, passé Grand Maître du Grand
Orient de France. Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, tous deux francs-
maçons, acceptent de se rencontrer pour la première fois depuis cinq ans.
Des négociations s’ouvrent et aboutissent aux Accords de Matignon. La
base militante du mouvement kanak refusant les accords, Tjibaou est
assassiné un an plus tard.
En un mot…
Le période glorieuse de la Troisième République parait loin derrière la
franc-maçonnerie dont l’influence politique décroît, probablement
pour son bien. Les maçons du Grand Orient de France ajoutent à leur
devise : « Liberté, Égalité, Fraternité », « À bas la calotte ! » en
souvenir des luttes menées pour la laïcité.
28
Pourquoi l’Église catholique s’acharne-t-
elle contre la franc-maçonnerie ?
La condamnation de la franc-maçonnerie par l’Église catholique a des
motifs à la fois religieux et politiques.
Motivations religieuses
L’opposition de l’Église date des origines de la franc-maçonnerie parce que
le Vatican réprouve le relativisme maçonnique en matière religieuse. En
1738, une bulle de Clément XII condamne la franc-maçonnerie. Cette
condamnation sera régulièrement confirmée par les papes. En 1917, le droit
canonique déclare que l’appartenance à une loge maçonnique entraîne
automatiquement l’excommunication.
Dans les années 1960, à l’époque du Concile Vatican 2, une tentative de
rapprochement est entreprise. Dans les années 1970, particulièrement en
France, on assiste à des tentatives de réconciliation entre l’Église et la
franc-maçonnerie. Le Code canonique révisé de 1983 ne la cite plus parmi
les sociétés secrètes condamnées. Cependant, la même année, la
« Congrégation pour la doctrine de la foi » dirigée par Joseph Ratzinger
réaffirme l’interdiction faite aux catholiques de rejoindre la maçonnerie. En
2007, Monseigneur Gianfranco Girotti enfonce le clou. Il dénonce la
conception mystique de la franc-maçonnerie, le naturalisme rationaliste qui
l’inspire et son anticléricalisme, tout en mettant en garde contre le climat de
secret qui la caractérise. Les francs-maçons s’exposent, selon lui, à devenir
les instruments d’une stratégie dont ils ignorent la finalité. Il rappelle à cette
occasion que les francs-maçons ne peuvent recevoir l’eucharistie.
Motivations politiques
La ferme opposition de l’Église catholique à la franc-maçonnerie s’explique
rationnellement par le soutien de cette dernière à la Troisième République
qui se mobilisa en faveur de la laïcisation de l’enseignement et de la
séparation de l’Église et de l’État en 1905. En Italie, le rôle important joué
par les francs-maçons, notamment Garibaldi, dans l’annexion des États
pontificaux a considérablement renforcé l’opposition de l’Église.
L’antimaçonnisme d’origine catholique et nationaliste, né à la fin du
XIX siècle et dans l’entre-deux-guerres s’est organisé sous l’égide de
e
diverses associations et publications telles que le Conseil antimaçonnique
de France, devenu La France antimaçonnique dont le dernier numéro date
de 1914, la Ligue franc-catholique fondée en 1922, etc.
D’une façon générale, l’action politique et antimaçonnique des milieux
néo-conservateurs et catholiques traditionalistes flambe lorsque les
gouvernements initient certaines lois sociales, comme les lois sur
l’avortement ou sur le mariage pour tous.
En un mot…
L’opposition de l’Église à l’encontre de la franc-maçonnerie répond à
des raisons religieuses et politiques. Cependant, on trouve beaucoup
de catholiques dans les obédiences maçonniques et parfois des prêtres
qui sont contraints de se cacher ou même de faire un choix entre leur
ministère et leur engagement maçonnique. Pascal Vesin, curé de
Megève fut par exemple destitué par l’évêque d’Annecy parce qu’il
refusait de quitter le Grand Orient de France où il avait été initié en
2001.
29
Les attaques de l’extrême droite
L’extrême droite est un courant politique de pensée et d’action français. Il
se caractérise par son opposition à des valeurs républicaines soutenues voire
inspirées par la franc-maçonnerie.
Les doctrines d’extrême droite, extrêmement hétérogènes, évoluent au
gré des événements et des problèmes sociaux qui se posent à une époque
particulière. Citons le boulangisme, le nationalisme, le « populisme ».
Les doctrines d’extrême droite se caractérisent par la volonté de fonder
un « ordre nouveau » politique, social, économique, culturel et religieux, en
totale opposition avec les valeurs maçonniques. Rappelons que la franc-
maçonnerie interdit de parler politique et religion en son sein et qu’elle
rejette les éventuels postulants d’extrême droite.
L’antimaçonnisme d’extrême droite française repose sur des arguments
souvent irrationnels qui ont fleuri dès son origine.
L’abbé Barruel
Dès 1797, l’abbé Augustin Barruel publie un ouvrage, Mémoires pour
servir à l’histoire du jacobinisme, où il défend la thèse selon laquelle la
Révolution française résulte d’un complot fomenté contre l’Église et la
royauté par des philosophes athées, des francs-maçons, des « illuminés » et
des jacobins. Cette thèse devient progressivement une doctrine qui se
développe dans les milieux catholiques ultraconservateurs. Elle est la
première pierre posée pour dénoncer un « complot judéo-maçonnique » et
ce d’autant plus que les juifs sont rapidement admis dans les loges et que
les rituels maçonniques utilisent des mots hébreux.
Le « complot judéo-maçonnique » et l’affaire Dreyfus
On doit l’expression « complot judéo-maçonnique » au célèbre pamphlet
antisémite intitulé les Protocoles des Sages de Sion, un faux rédigé en 1901
à Paris par un informateur de la police secrète russe.
Cependant, la naissance de l’amalgame « judéo-maçonnique » se situe en
1871, un an après que les décrets Crémieux, qui est juif et franc-maçon,
accordent la nationalité française aux juifs d’Algérie.
L’antisémitisme atteint son apogée avec l’affaire Dreyfus (1894) qui
divise profondément la France.
En 1885, Léo Taxil se répand contre la franc-maçonnerie dont il vient
d’être exclu. Il se convertit au catholicisme à grand renfort de publicité et
fonde le journal La France chrétienne – Jeanne d’Arc (déjà…). Il accuse la
franc-maçonnerie d’encourager les pires bassesses morales, le vice et même
le meurtre. Il la décrit comme une secte vouant un culte à Baphomet, dans
des loges où le chef suprême reçoit directement ses ordres de Lucifer. Lors
d’une conférence de presse le 19 avril 1897, il dévoile sa supercherie, mais
ses écrits exerceront une influence durable dans les milieux catholiques
traditionalistes, nationalistes et antidreyfusards.
Les attaques actuelles
L’antimaçonnisme ne faiblit pas. Certains actes de vandalisme et des
attaques haineuses sont motivés par la répulsion qu’inspirent les valeurs
défendues par la franc-maçonnerie. On ne compte plus les pamphlets et
publications dénonçant une soi-disant collusion politico-judiciaire entre
l’État et la franc-maçonnerie ainsi que les rassemblements contre la laïcité,
la contraception, l’avortement, le mariage pour tous, etc. À titre d’exemple,
en 2014, plusieurs « arbres de la laïcité » plantés en 2011 et 2012 par des
maires socialistes francs-maçons pour commémorer la loi de 1905 de
séparation des Églises et de l’État ont été sciés par les membres de
l’organisation Combattre la franc-maçonnerie. À côté de l’arbre scié et
laissé sur place à Bordeaux, était inscrit à la bombe aérosol « France
catholique. »
En un mot…
La franc-maçonnerie, malgré sa grande diversité, a globalement
soutenu les valeurs républicaines que combattent, depuis la
Révolution, les différentes et très hétérogènes doctrines de l’extrême
droite antirépublicaine qui s’acharnent à la déconsidérer par de
multiples attaques irrationnelles.
30
L’antimaçonnisme au XXe siècle
Au XXe siècle, l’antimaçonnisme s’est développé aussi bien à gauche au sein
d’organisations et de mouvements d’inspiration marxiste que dans les
régimes totalitaires où les francs-maçons ont été victimes de persécutions.
L’antimaçonnisme marxiste
Au XXe siècle, la franc-maçonnerie est jugée contre-révolutionnaire par
l’Internationale communiste qui l’interdit à ses partisans. Fidèle à cette
défiance, Pierre Monatte, syndicaliste, responsable de la Confédération
générale du travail (CGT), fondateur de la revue La Vie ouvrière, écrit au
début du XXe siècle :
« Beaucoup de fonctionnaires syndicaux se laissaient attirer par la franc-maçonnerie. Or, s’il
est une organisation de collaboration de classes, c’est bien elle. Jusqu’alors elle avait pénétré
surtout les milieux de fonctionnaires, particulièrement chez les postiers et les instituteurs.
Voilà qu’elle gagnait les militants ouvriers. Le déraillement de pas mal d’entre eux en
août 1914 ne vient-il pas de là ? »
En 1920, la « vingt-deuxième » condition de Moscou réservée aux
dirigeants de l’Internationale communiste, interdit la double appartenance.
Pour Léon Trotski, les temples maçonniques favorisent la collaboration de
classes qu’il juge nécessairement contre-révolutionnaire : « La franc-
maçonnerie est une plaie sur le corps du communisme français, qu’il faut
brûler au fer rouge. » Il demande à la direction du Parti communiste
français de donner l’ordre à ses adhérents maçons de quitter leurs loges :
« La dissimulation par quiconque de son appartenance à la franc-
maçonnerie sera considérée comme une pénétration dans le parti d’un agent
de l’ennemi et flétrira l’individu en cause d’une tache d’ignominie devant le
prolétariat. » Marcel Cachin et André Marty, membre du Bureau politique
du Parti Communiste Français, quittent le Grand Orient de France en 1922.
En 1955, La Heroldo, revue officielle de la Ligue internationale des
francs-maçons, signale que « le congrès annuel du Parti travailliste
britannique s’est prononcé contre la franc-maçonnerie, parce qu’il est
impossible d’adhérer en même temps à une fraternité irréelle et au
socialisme ». Les mouvements contemporains se présentant comme
communistes ou de gauche radicale, perçoivent généralement la franc-
maçonnerie comme issue de la classe bourgeoise dont l’idéologie et les
intérêts sont contraires au prolétariat. En 2005, après l’exclusion de l’un de
ses militants, le Courant communiste international estime « nécessaire de
rappeler le combat sans merci mené depuis plus d’un siècle par les
révolutionnaires contre la franc-maçonnerie et les sociétés secrètes qu’ils
considéraient comme des instruments au service de la classe bourgeoise. »
Il existe par conséquent un net clivage entre les mouvements de la gauche
radicale et les sociaux-démocrates.
Les francs-maçons sont nombreux dans les obédiences maçonniques qui
prospèrent dans les pays démocratiques et plus spécialement dans les
obédiences de la maçonnerie libérale. Les francs-maçons du Grand Orient
de France se considèrent comme les gardiens de la République.
Par ailleurs, Marc Blondel, secrétaire général de Force Ouvrière, ne
cachait pas son appartenance maçonnique, pas plus que Jean-Luc
Mélenchon aujourd’hui.
La Seconde Guerre mondiale et les persécutions nazies
En période de crise, quand plus personne, par définition, ne parvient à
trouver une solution pour la résoudre, un « sauveur providentiel » apporte
généralement des solutions simplistes et désigne invariablement des boucs
émissaires. Ce fut le cas de l’Allemagne nazie, de l’Union soviétique et de
tous les régimes totalitaires du siècle dernier qui ont souvent désigné, parmi
leurs boucs émissaires, les francs-maçons. Selon les archives du Bureau du
haut commandement des services de sécurité allemand, le nombre de
francs-maçons tués à l’époque nazie est estimé entre 80 000 et 200 000,
mais selon certains historiens, c’est plus pour leur appartenance aux
groupes opprimés (juifs, homosexuels, etc.) ou leur participation aux
mouvements de résistance qu’ils furent envoyés dans les camps de la mort.
La loge clandestine belge « Liberté chérie » fut fondée à l’intérieur du camp
de concentration d’Esterwegen. En 1948, le myosotis, appelé
« Vergissmeinnicht » (« Ne m’oublie pas » en langue allemande…) fut
adopté comme emblème de la Grande Loge Unie des francs-maçons
d’Allemagne en mémoire des francs-maçons persécutés pendant la période
nazie.
En un mot…
La franc-maçonnerie est une organisation a-dogmatique qui proclame
qu’il n’y a aucune limite à la recherche de la Vérité. Elle est
incompatible avec les idéologies totalitaires ou sectaires contre
lesquelles elle a toujours lutté.
31
La franc-maçonnerie est-elle une secte ?
Il est souvent provocateur et toujours hasardeux de comparer la franc-
maçonnerie au Rotary International ou à une secte totalitaire.
Le Rotary International
Le Rotary est fondé à Chicago en 1905. À l’idée originelle qui est de
promouvoir la solidarité entre hommes d’affaires, se greffe rapidement
l’action humanitaire. De nombreux maçons sont immédiatement attirés par
cet idéal philanthropique, ainsi que par la discrétion et la cooptation des
membres du Rotary qui rappellent les pratiques maçonniques.
Dès 1909, la Grande Loge Unie d’Angleterre enregistre une première
loge rotarienne, suivie par d’autres, tandis que sont créés des clubs rotariens
réservés aux francs-maçons.
Cette dérive est combattue par le Rotary International qui y met un terme
dans les années 1930. Ces actions sont exclusivement humanitaires :
programme « PolioPlus » en partenariat avec l’UNICEF et l’OMS, bourses
d’études, groupes d’études, « Centres du Rotary pour études internationales
sur la paix et la résolution des conflits », échanges scolaires, échanges
familiaux d’été, etc. Par ailleurs, il n’y a aucune dimension de
développement personnel au sein du Rotary, aucune référence symbolique
ou initiatique, ce qui le distingue radicalement de la franc-maçonnerie.
Les sectes totalitaires
La franc-maçonnerie est l’exact inverse d’une secte totalitaire : elle cherche
symboliquement mais n’impose aucune vérité ; elle est dirigée par des
membres démocratiquement élus ; elle ne fait pas de prosélytisme, bien au
contraire, elle exige des garanties pour y être admis ; aucune pression n’est
faite si un de ses membres désire la quitter ; elle exclut celui qui a commis
un crime ou un délit ; elle exige une cotisation raisonnable et ne reçoit de
don d’aucun de ses membres. D’ailleurs, le rapport de Alain Vivien : Les
sectes en France expression de la liberté morale ou facteurs de
manipulations ? (1983) ainsi que le rapport de la commission d’enquête sur
les sectes (1996) ont été établis par des commissions comprenant de très
nombreux francs-maçons du Grand Orient de France que nous ne pouvons
citer, bien qu’il s’agisse d’un secret de polichinelle.
En un mot…
On ne peut en aucun cas comparer le franc-maçonnerie à une
association caritative comme les très respectables Rotary ou Lions
Club, ou pire à une secte totalitaire ne serait-ce que parce qu’il est
relativement difficile d’être admis dans ses rangs et, au contraire, très
facile d’en partir.
32
Le marronnier médiatique
La franc-maçonnerie est un marronnier médiatique inépuisable bien qu’usé
jusqu’à la moelle. Tous les grands hebdomadaires continuent pourtant de lui
consacrer un numéro annuel, tandis qu’Internet n’est pas en reste.
Les ingrédients du succès
Comme l’écrit une journaliste de Marianne :
« Il n’y a pas plus de mystère dans la franc-maçonnerie que de beurre en broche. C’est
une distrayante comédie humaine, habillée de rites enfantins, qui se déroule dans des
bâtiments laids à faire peur, ornés de symboles de Prisunic. Le ridicule des vanités le dispute
à la clownerie ampoulée du cérémonial. Ici l’on fait semblant de croire que l’on appartient à
la catégorie des Maîtres du monde ! Chacun se distrait comme il peut. »
Les conseillers en communication expliquent que l’essentiel est que l’on
parle d’un sujet. Peu importe si ce sont les habituels fantasmes
antimaçonniques qui sont mis en avant. En fait, la franc-maçonnerie est un
sujet juteux au même titre que les régimes alimentaires, le palmarès des
hôpitaux ou des lycées, le prix de l’immobilier, etc.
Les réseaux sociaux, qui propagent les fantasmes antimaçonniques
ordinaires, ne sont pas en reste. À titre d’exemple, le prédicateur Omar
Abdelkaffy, invité à livrer une conférence pour donner une bonne image
à l’Union des Organisations Islamiques de France, explique que les juifs,
les francs-maçons et les Illuminati dirigent le monde comme autant
d’incitations à la haine. Les blogs dénonçant un Nouvel ordre mondial qui
transformerait progressivement les pays démocratiques en régimes
totalitaires par la prise de contrôle de l’économie mondiale par les élites
dirigeantes avec le soutien de la franc-maçonnerie participent à cette
fantasmagorie entretenue par le Secret maçonnique et les pratiques
ésotériques qui paraissent totalement farfelues par ceux qui ne les vivent
pas. Autre exemple, le « Cercle des Volontaires » dénonce un réseau de
francs-maçons dans un article très documenté intitulé « Du proxénétisme à
la franc-maçonnerie : le réseau DSK, rouages d’un système hors
d’atteinte », l’affairisme maçonnique est un sujet récurrent lui aussi.
En un mot…
Bien que le Secret maçonnique soit un secret de polichinelle, la franc-
maçonnerie est une source d’inspiration et de revenus inépuisables
pour la presse. Dans les réseaux sociaux, de nombreux fantasmes
conspirationnistes s’expriment, notamment dans les sites
traditionnalistes qui cherchent habituellement un ennemi de l’intérieur
pour prospérer : la franc-maçonnerie est depuis l’origine un bouc
émissaire idéal.
33
Quel avenir pour la franc-maçonnerie ?
En 2005, Alain Bauer publiait Le Crépuscule des frères, la fin de la franc-
maçonnerie ?, alors même qu’il venait claquer la porte du Grand Orient de
France… qu’il avait présidé.
Qu’en est-il ?
Un bilan social en berne
Selon une légende probablement exagérée, la franc-maçonnerie française a
façonné notre pays pendant plusieurs siècles en participant intensément à sa
vie culturelle, économique et politique. Cependant, son âge d’or sous la
Troisième République est loin, et elle semble à court d’idées et de
réalisations concrètes depuis les années 1960 quand Henri Caillavet
élaborait des lois et quand Pierre Simon contribuait activement à la
libération des femmes en participant à l’élaboration de la loi Neuwirth
(1967) puis de la loi Veil (1972), combat qu’avaient mené avant lui les
femmes initiées à la Grande Loge Symbolique Écossaise un siècle plus tôt.
Pourtant, certaines obédiences refusent toujours d’initier voire de recevoir
des femmes au nom de la tradition, se passant de cette moitié de l’humanité
qui réussit mieux que les hommes dans les écoles et les universités. Certes,
les obédiences libérales étudient laborieusement des « questions à l’étude
des loges », de médiocres synthèses qui valent moins qu’un rapport
ministériel de circonstance qui dort au fond d’un tiroir. On trouve encore
beaucoup de maçons à des postes de responsabilité, mais pour leurs qualités
ou ambitions personnelles même s’ils ont parfois, c’est indéniable, utilisé la
franc-maçonnerie comme tremplin social plus que comme source
d’inspiration.
Quels remèdes ?
Il semble que la franc-maçonnerie soit plus que jamais placée devant son
dilemme entre la « voie » initiatique, le temple intérieur, et ses aspirations
sociales. Dans un monde matérialiste elle pourrait privilégier une quête de
sens, une spiritualité laïque ou a-dogmatique, face aux autorités religieuses
passéistes qui la pourfendent et aux multiples dérives ésotérico-sectaires qui
fleurissent. L’autre voie serait un engagement résolu et réfléchi, longuement
mûri dans la sagesse des temples pour faire valoir ses valeurs sur des sujets
qui engagent l’avenir de la planète. C’est ainsi que la Grande Loge
Nationale Française et le Grand Orient de France, malgré leurs différences,
ont décidé récemment de se rapprocher pour défendre les valeurs
humanistes qu’ils partagent au-delà de leurs différences et en toute
indépendance. Il faudrait en effet que la franc-maçonnerie investisse la
bioéthique, l’écologie, la lutte contre les violences et les inégalités, bref
l’économie et le social, dans l’esprit de solidarité et de responsabilité qui
constitue son idéal.
En un mot…
Quel sera l’avenir de la franc-maçonnerie ? Saura-t-elle s’unir,
dépasser ses querelles pour choisir sa voie ? Deviendra-t-elle une
institution initiatique capable de donner un sens à un monde
matérialiste qui se cherche ? Parviendra-t-elle à promouvoir ses
valeurs sur le plan social pour construire un monde plus fraternel ? Se
contentera-t-elle d’espérer que les francs-maçons diffusent dans le
monde la Lumière que finalement peu d’entre eux ont entrevue dans
les loges ?
Postface
Répondre à la question « Qu’est-ce la maçonnerie ? » est particulièrement
risqué. En effet, il y a autant de réponses que de maçons initiés. Les
recherches en sciences humaines d’ailleurs infirment souvent des vérités
que l’on croit posséder, d’où le risque de tenter une telle expérience !
Je connais l’auteur depuis près de trente ans et j’avoue qu’il a réussi par
sa volonté de réunir celles et ceux qui se relient à cette confrérie initiatique
et qui expriment, dans des formes diverses il est vrai, sa richesse.
Vouloir répondre à cette question requiert la certitude qu’il est possible –
d’autres diront nécessaire – de relier les hommes qui le désirent entre eux –
faire des ponts – pour donner corps à des aspects peu développés dans notre
société, laquelle a pris pour mythe la vitesse et la jeunesse… Je fais
référence ici à une femme, Simone Plourde1, laquelle exprimait en référence
à Emmanuel Levinas la précarité de l’aventure humaine, lors d’un colloque
organisé par l’Institut international de recherche en éthique biomédicale sur
un thème que notre auteur ne renierait aucunement.
Aussi, m’invite-t-il à faire une préface. Je l’avoue dès à présent : j’aurais
personnellement composé autrement ce livre si j’avais voulu répondre à une
telle question. Pourquoi l’auteur m’a-t-il demandé ce travail ? Lequel, en
raison de l’amitié et du respect qui nous lient, devient un grand honneur en
cette période de commémoration du tricentenaire de la franc-maçonnerie.
Pour exprimer ma légitimité dans cette rédaction, je suppose qu’il s’agit
d’une part de l’exigence éthique qui est faite à tout franc-maçon, dans ses
paroles, ses comportements et dans ses actes, si bien que l’on peut les
« reconnaitre » dans la vie de tous les jours, les appelant maçons même
« sans tablier » quand ils n’ont pas été (ou pas encore) initiés et se
conduisent comme tels ; d’autre part, de l’obligation d’incarner des valeurs
qui sont communes à tous les hommes dès lors qu’ils font référence au
respect dû à chacun, à la personne humaine et son inaltérable dignité,
d’adaptation à toutes les cultures dans un universalisme qui exclue tous les
extrémismes. Et il est vrai que je m’occupe d’éthique à l’université. Il est
vrai également que du Grand Orient de France, dans lequel j’ai passé vingt
années de ma vie – dont une bonne dizaine à exercer des responsabilités
intra-obédientielles –, puis vingt nouvelles années dans une autre où je
poursuis (et non oppose) mon parcours initiatique. Mon témoignage
correspond totalement à l’entreprise à laquelle s’est livré, avec courage,
l’auteur de ce livre. On y retrouve les mêmes ambitions qu’il met dans sa
démarche en franc-maçonnerie.
En fait, ce livre répond à la question de la transmission aux générations
futures des acquis que le monde occidental a péniblement élaborés. Par sa
philosophie qui transforme les adeptes (on peut les appeler les « mystes ») à
force de travail et d’imagination, le but des francs-maçons est alors de
former des hommes et des femmes prenant en compte leurs responsabilités
vis-à-vis d’eux-mêmes et de l’image qu’ils construisent dans leur vie
individuelle et qu’ils renvoient aux autres dans un lien social toujours à
affermir. Ils sont disponibles en fraternité dès lors qu’une vulnérabilité
mettrait en péril la conception de dignité de tout homme et que l’atteinte à
ses droits serait probante dès lors qu’il tiendrait compte de ses devoirs de
participant à l’œuvre humaine et à une Cité plus juste et meilleure. La
progressivité de la démarche en franc-maçonnerie induit la transmission
intergénérationnelle qui amène au secret maçonnique, et le devoir que tout
franc-maçon s’impose dans sa démarche de vie en société qui véritablement
transmute des individus profanes en personnes capables de vivre comme un
autre2. Il décide d’incarner des comportements dont les valeurs sont
ascrites, c’est-à-dire non accomplies par simple devoir ou assistance
convenue mais par le respect même de ce qu’il est et de la vision qu’il a de
qualité de franc-maçon.
Bien évidemment, nous sommes ici au niveau des crêtes, car de tels
comportements – que j’appellerais sans référence religieuse à de la sainteté
– expriment l’indicible de la vie, de son mystère tant dans sa production que
dans la mort de cette dernière, et ce que nous sommes mêmes. Voilà
pourquoi j’incite ceux qui n’ont pas le bonheur d’avoir emprunté cette voie
spirituelle et qui, par quête, sont intéressés à ce long et sublime parcours
qu’est l’initiation maçonnique, à lire voire à dévorer ce livre qui sous-tend
de nombreuses postures de francs-maçons qui ont construit notre société
occidentale aujourd’hui en péril, justement par des extrémismes de toutes
natures que combat la maçonnerie.
Christian Hervé
Pour en savoir plus
Ouvrages maçonniques
CAVAIGNAC F., 50 fiches pour comprendre la franc-maçonnerie, Bréal, 2012
CHEVALIER J., GHEERBRANT A., Dictionnaire des symboles, Seghers, 1974
DACHEZ R., Histoire de la franc-maçonnerie française, PUF, coll. « Que
sais-je ? », 2011
HODAPP C., BENHAMOU P., La Franc-maçonnerie pour les nuls, First-Gründ,
2008
LIGOU D., (dir.), Dictionnaire de la franc-maçonnerie, PUF, 2004
MAINGUY I., La Symbolique maçonnique du troisième millénaire, Dervy,
2011
MOURGUES J., La Pensée maçonnique. Une sagesse pour l’Occident, PUF,
1999
SAUNIER L., (dir.), Encyclopédie de la franc-maçonnerie, Le livre de
poche, 2000
TORT-NOUGUÈS H., L’idée maçonnique, Trédaniel, 1996
VERDUN J., La Réalité maçonnique, Flammarion, 1982 (nombreuses
rééditions)
Quelques ouvrages cités dans le texte
ARENDT H., Le Système totalitaire, Paris, Le Seuil, 1992
BALMARY M., Le Sacrifice interdit, Paris, Grasset, 1986
ELLUL J., Islam et judéo-christianisme, PUF, 2004
FOUCAULT M., Les Mots et les Choses. Une archéologie des sciences
humaines, Gallimard, 1966
GIRARD R., Le Bouc émissaire, Paris, Le livre de poche, 1986
GUÉNON R., Symboles de la science sacrée, Gallimard, 2010
MIRCÉA E., Le Sacré et le profane, Gallimard, coll. « Folio », 1987
PEYREFITTE R., Les Fils de la Lumière, Flammarion, 1961
SCHURE E., Les Grands initiés, 1889
1. GIRARD R., Des choses cachées depuis la fondation du monde, Paris, Grasse
1978.
1. Article rédigé par Jacques Caulin.
1. PLOURDE S., « Emmanuel Levinas et la précarité de l’aventure humaine », i
HERVÉ C. et STANTON-JEAN M. (Eds.), Violence sur le corps de la femme, aspec
juridiques, culturels et éthiques, Paris, Dalloz, 2012 : 15-26
2. RICŒUR P., Soi-même comme un autre, Paris, Le Cerf, 1990.