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BOURGUIBA

par
André Pautard
© Les Editions Media, 1977.
59, rue de Maubeuge - 75009 Paris - Tél. 285.82.00
Tous droits réservés
André Pautard

BOURGUIBA

EDITIONS MÉDIA
ISBN - 2-85841-118-2
Avant-propos
Tout livre nait d'une rencontre. Celui-ci procède de la décou-
verte d'un pays, de son peuple et de son chef. Arrivant pour la pre-
mière fois en Tunisie, il y a maintenant plus de dix ans, je fus saisi
par la beauté et le charme de ses sites, la gentillesse spontanée de
ses habitants et la courtoise amitié de ses dirigeants. Restait à con-
naître la personnalité de son chef, le Président Habib Bourguiba :
plusieurs entretiens devaient me permettre de mieux comprendre
une politique et une action dont la notoriété, depuis longtemps dé-
jà, avait franchi les frontières de la Tunisie et rayonnait dans le
monde. Au point de devenir une tactique, le « bourguibisme », qui
restera parmi les plus originales et les plus efficaces méthodes de
négociation. L'observation directe des rapports entre le « Combat-
tant Suprême » et ses concitoyens devait, par la suite, enrichir cette
connaissance sur l'exercice du pouvoir en Tunisie.
Si tentant qu'en était le projet, ce n'est pas un essai sur l'his-
toire contemporaine tunisienne qu'on trouvera ici, mais une sorte
de « profil » du Président Habib Bourguiba. Plusieurs ouvrages ont
été consacrés à la Tunisie, qui relatent les étapes de sa lutte natio-
nale et les premiers pas de son indépendance. Le Président Bour-
guiba lui-même a rassemblé en un épais volume (1) les textes qui
jalonnent les longues années de son combat : j'y ai effectué, on le
verra, de très larges emprunts, m'autorisant du fait qu'on ne sau-
rait mieux trouver l'expression de la pensée d'un homme que dans
ses écrits. Et les péripéties de sa vie dans ses souvenirs.
Au travers des rencontres, des entretiens, des confidences, ce
que j'ai voulu, ici, c'est, en quelque sorte, essayer de saisir les re-
flets de la personnalité, tenter de brosser le portrait psychologique

d uqu'ilchef
sût être toujours
de l'Etat exact aux
tunisien. De rendez-vous
cet homme que
dontluidefixa l'Histoire,
Gaulle disait
Le procédé n'a pas de règles absolues : c'est l'impression pro-
duite par le leader, et les réflexions qu'elle suscite qu'on trouvera
donc, plus qu'une biographie appliquée et figée, ou une relation
progressive et exhaustive de tous les événements qui ont tissé la vie
de Bourguiba.
A deux reprises, pourtant, on trouvera dans ce petit livre de
longs passages de récit. C'est la transcription fidèle d'une série
d'entretiens que m'avait accordés le Président Bourguiba. L'un
rappelle les difficultés du leader du mouvement national tunisien
au moment le plus crucial de l'histoire contemporaine, pendant la
seconde guerre mondiale. L'autre, enfin, relate les péripéties hale-
tantes de son voyage clandestin en Orient.
Pourquoi ces citations ? Pour mieux servir ce portrait psycho-
(1) La Tunisie et la France - Maison tunisienne de l'Édition.
!
logique du « Combattant suprême » que j'ai tenté de dessiner, à
larges traits presque impressionnistes. Car à certains moments,
pour mieux comprendre de quelle pâte se modèle le personnage, il
faut lui laisser la parole, lorsqu'on a la possibilité de le faire.
L'écouter. Sur le ton banal de la conversation, s'expriment les pen-
sées et les réflexions qui ont orienté et nourri son action. C'est la
raison pour laquelle, s'agissant d'évoquer les « années noires » de
la guerre, j'ai préféré laisser le Président Bourguiba parler seul...
Et j'ai choisi, également, de le faire en écoutant le récit pica-
resque de sa fuite en Egypte. Le journaliste que je suis ne pouvait
rester insensible au déroulement rapide, souligné de souvenirs
d'une précision extrême, de ce voyage de proscrit. A chaque phrase
rapide, les images fusent. Symboliques, plaisantes, inattendues. Il
eut été malheureux de les effacer. Et malhonnête de me les appro-
prier en les glissant sous ma plume...

Ce livre doit beaucoup à de très nombreux Tunisiens dont


l'amitié, depuis longtemps, me réconforte à chacun de mes voyages
dans leur pays. L'occasion m'est donnée, aujourd'hui, de leur ex-
primer cette sincère gratitude dont je me sens redevable depuis tant
d'années. Les autorités tunisiennes ont bien voulu faciliter la ré-
daction de cet ouvrage en nourrissant mes dossiers d'une abondan-
te et riche documentation. Je tiens à remercier M. Mohamed Sa-
yah, Ministre délégué, M. Chedly Klibi, Ministre-Directeur du Ca-
binet présidentiel, M. Habib Chatty, Ministre des Affaires Etran-
gères, M. Tahar Belkhodja, Ministre de l'Intérieur et son collabo-
rateur M. Abdelkrim Moussa, M. Mustapha Masmoudi, Secrétai-
re d'Etat à l'information, et les collaborateurs de ce département,
parmi lesquels, tout particulièrement, MM. Mohammed Fourati,
Moncef Meddeb et Ben Salem.
A Paris, l'aide amicale de l'Ambassadeur de Tunisie, M. Hedi
Mabrouk, et de son conseiller, M. Mohammed Gherib, m'a
été particulièrement précieuse. Fidèle collaboratrice, Melle Gene-
viève Boulay voudra bien, enfin, trouver ici l'hommage d'une vive
reconnaissance.

A.P.
Tunisie, Tunisies.
Pour faire le portrait d'un oiseau, recommande Prévert,
peindre d'abord le ciel bleu, puis la branche... Sous les apparences
d'une aimable mystification, il y a là une vérité profonde : le por-
trait. d'un homme, c'est tout d'abord celui de son pays. Sur les
traits de l'individu, se lisent les reflets du paysage qui l'entoure. Et
dans son caractère, transparaissent toujours quelques-unes de ces
manifestations par lesquelles l'esprit tente, plus ou moins harmo-
nieusement, de s'apparenter à la matière, au terroir.
Pourrait-on comprendre Heine et, à travers lui, le phénomène
tout entier du romantisme sans connaître, fut-ce par l'image, le
majestueux Rhin allemand qui coule dans ses veines ? Et de Gaul-
le, se l'imaginerait-on autre que le personnage que l'Histoire pétri-
fie, c'est-à-dire un homme issu d'un vieux, grand, sage 'et solide
pays dont il tirait tout à la fois sa placidité têtue et ses spectaculai-
res orages géniaux ?
Au moment d'aborder la figure, la carrière et le destin du pré-
sident Habib Bourguiba, il convient donc de considérer ce que fut
et ce qu'est cette Tunisie où il naquit voici quelque soixante qua-
torze ans. En conservant présent à l'esprit ce fait — assez rare —
que le pays le marque tout autant que, par la suite, lui-même
devait y imprimer le sceau de sa personnalité.
Tunisie : une corne de terre en sentinelle d'un continent, l'ar-
che ténue d'un pont qui enjambe la Méditerranée, l'avant-garde
d'un Islam raffiné ... Tunisie ou Tunisies ?
L'Afrique et l'Europe, l'Islam et le Christiannisme, l'Orient et
l'Occident se donneront, ici, quelques rendez-vous singuliers dont
l'Histoire retentit encore. Et dont la trace, pour toujours, s'inscrit
dans le paysage. Ruines marines d'Amilcar, encore bruissantes du
grand choc des armées de Rome et de Carthage ; canaux envasés
où relachaient les lourdes barques puniques, temples, amphithéâ-
tres, fûts et frontons où la fuite des siècles et le souffle des vents ont
ajouté, en creux usés, d'inattendues et d'anarchiques guirlandes...
Voici Tunis, qui dévale vers son lac bleu où, l'automne venu,
insoucieux de sa pestilence, tournoient lentement des vols de fla-
mands roses. A la Tunis moderne, gauche caricature de sous-
préfecture, il faut préférer la ville haute, la médina, parcourue de
souks fermés et odorants. De loin, ainsi étagée, la voici, semblable
aux plis blancs et cassés du sefsari, ce long voile de haïk dont les
femmes s'enveloppent et qui les dissimule imparfaitement, révèlant
seulement l'éclat d'un regard malicieux, l'éclair d'une jambe ten-
due... Voici la Goulette, alanguie entre son port flambant neuf et
son petit chemin de fer archaïque. Les soirs d'été emplissent de
foule les rues et de lourdes matrones, assises sur des chaises tirées
au seuil des maisons, poursuivent là, on ne sait quels rêves ances-
traux. Blanc et bleu des façades, fraîches couleurs des poissons hu-
mides arrivant au port. Masse rousse des remparts de la Citadelle
qu'élèva Charles Quint et d'où Cervantès vit un jour se déployer les
galères espagnoles partant pour la bataille de Lépante.
Chateaubriand aborda ici, étape dans son itinéraire de Paris à
Jérusalem, ultime contact avec cet « Orient compliqué »... Et un
siècle plus tard, regardant se mirer dans l'eau lisse du golfe, le
blanc étagement des maisons de la ville, Klee fixa à jamais sur sa
toile ces flous miroitements. Ceux-là même que Julien Benda, prié
un jour par Gide à sa terrasse de Sidi Bou Saïd, refusa d'admirer,
préférant ses rêves, « j'imagine, j'imagine... » dit-il. Et il resta
dans l'automobile. -
Nord de Tunis, que ses habitants appellent banlieue, comme
pour désacraliser ce site où, à l'endroit de leur baignade, se prome-
naient des Dieux. Au sud, un aqueduc fonce dans la plaine, tout
droit vers Zaghouan. Plus loin, poudroie, ocre et blanche, Kai-
rouan, la ville sainte, corsetée dans ses murailles, érigée de mina-
rets, dense et solennelle — une ville qui ressemble à ces prières de
l'Islam, lentes, familières, lourdes de sens et de promesses.
Entre la mer chaude et la montagne âpre, le Sahel. Terre de
l'olivier, qui est ici, soigné comme rarement pourrait l'être l'animal
domestique des campagnes occidentales. Dans le Sahel, l'on mesu-
re son avoir non pas à l'étendue de la terre possédée, mais au
nombre des oliviers.
Des biens — très modestes, pauvres même — que lui laisse
son père, Habib Bourguiba note seulement qu'ils consistaient en
une centaine d'oliviers — cent onze, très exactement — qu'il ven-
dit, en 1945, avant de partir pour son aventureux pèlerinage politi-
que au Caire, afin d'en laisser le produit aux siens, comme un via-
tique pour les temps du malheur.
Tunisie, Tunisies. La trace du navigateur crétois, du négo-
ciant phénicien, des suivantes de Didon, des soldats de Rome, des
guerriers des invasions arabes se juxtaposent. Ce tatouage bleu sur
une peau brunie, est-ce le poisson de Tanit, l'étoile de David, la
croix chrétienne, ou bien les trois confondus ? De grandes ombres
passent. Celle de Jugurtha, nourrissant jusqu'à sa fin un grand rê-
ve libérateur. De Sidi Oqba qui mouilla le pied de ses chevaux dans
les vagues de l'Atlantique ; de la Kahena, cette « Deborah berbè-
re » dont la légende court encore. Celle de Saint-Louis, qui mourut
ici pendant une croisade. Il assiégeait Tunis lorsqu'il succomba à
la maladie. Une légende encore veut qu'ayant dressé son camp près
du rocher de Sidi Bou Saïd, ce promontoire sec qui veille sur l'anse
arrondie de la baie de Carthage, il se soit pris de passion pour ce
pays où il portait le fer. Et que saisi à la fois de remords et
d'amour, il ait voulu, quittant son armée, se faire ermite en ce lieu.
Plaisante légende. Mais l'histoire, ici, se vêt souvent des
atours merveilleux du légendaire. Sortant de Tunis par le sud, on
voit, à quelques kilomètres, une masse informe de ruines. C'est un
palais, la Mohammedia. Ahmed-bey le fit construire, qui avait
d'un voyage officiel à Paris, en 1824, rapporté le souvenir ébloui
des fastes bourgeois de la monarchie de juillet. D'où son dessein de
s'offrir quelque chose qui ressemblât à la fois aux Tuileries et à
Saint-Cloud. Le « Versailles » tunisien — ainsi le baptise-t-on —
ne résista pas à une tempête et s'écroula avant de naître tout à fait.
Du règne de ce souverain il reste, sinon un palais, du moins un sty-
le : le Louis Philippe oriental, où la grâce un peu sèche des commo-
des et des secretaires s'adorne de marquetteries inattendues éclai-
rant le sombre acajou d'étoiles et de croissants en nacre irisée. Il
avait vu Toulon et voulait aussi son arsenal jeté, puis oublié, dans
la lagune de Porto Farina...
Plus oppressants et moins gracieux sont les repères de temps
proches où l'occident colonisateur s'installa ici. Avec, cependant,
d'aimables explosions de fantaisie. Mais à côté de ces pâtisseries
architecturales qui paraissent en sucre candi et évoquent quelque
principauté d'opérette, que de banalités, lourdes et pesantes. Ah !
ces quartiers français où transpire la consternante convention des
pavillons coquets, le style La-Garenne-Colombes, suprême ambi-
tion du petit fonctionnaire qui déplace ses rêves comme le gouver-
nement ses armées et le pays ses lois.
Gratte-papiers et sous-officiers sont partis, laissant derrière
eux, comme la mer qui se retire abandonne les bois morts de ses
épaves, le bric à brac de ce qu'il faut, hélas, appeler une civilisa-
tion. Fausse faïence bretonne et vrai mobilier Dufayel, navrants
vestiges des temps abolis...
Seul va demeurer l'esprit des lois que la Tunisie indépendante
saura intégrer aux textes coutumiers de l'Islam pour se donner une
législation à certains égards révolutionnaire — surtout lorsqu'elle
régit le statut personnel. Mais n'anticipons pas sur l'Histoire. Ob-
servons-la, plutôt. Observons le grouillement des faits, des hom-
mes, des influences qui se sont, ici, d'âge en âge, succédés et qui
forment un passé riche de profondes couches sédimentaires, dis-
tinctes et cependant mêlées...
Voici un pays dont le passé historique s'égrène depuis quelque
trois mille ans. Héritage considérable et qui aurait dû réduire à
néant les arguties avancées par les colonisateurs du XIXè siècle.
Lesquels mettaient volontiers en avant l'inexistence de sociétés or-
ganisées dans les pays dont ils convoitaient la possession. C'est en
effet plus de dix siècles avant la naissance du Christ que s'instal-
lent, sur les rivages tunisiens, les premiers comptoirs phéniciens.
Ils annoncent déjà Carthage, que la reine Didon — infelix Dido —
exilée de Tyr fondera deux cents ans après. Fabuleuse puissance,
dont l'influence, plus tard, n'aura d'égale que celle de la richissime
République de Venise. Et qui, comme elle, succombera aux coups
des envieux. Les longues guerres puniques dureront plus d'un siè-
cle. Il faudra que Rome s'y prenne à trois fois avant d'abattre —
littéralement — cette opulente et orgueilleuse Carthage qui dépê-
chait ses envoyés jusqu'aux confins du continent, s'organisait et
modifiait la terre. L'enrichissait. S'enrichissait... Carthage à peine
détruite, Rome va relever ses ruines pour en faire la capitale de son
Africa vassale — l'antique Ifriqya. Il ne s'agit plus cette fois, de
gloire militaire, de renom intellectuel : la puissance de l'Empire ro-
main exige de chaque pays soumis une contribution. Les procon-
suls romains vont donc, à leur tour, remodeler le pays. On multi-
pliera les olivaies, on bâtira des aqueducs, des barrages, des routes
: tout un réseau d'œuvres publiques dont les vestiges affleurent en-
core. L'Africa deviendra très vite le plus important producteur de
blé et d'huile des terres contrôlées par l'Empire...
Mais le déclin de Rome se précise. Byzance lui succède. L'Em-
pire chrétien, ici, affrontera d'abord les Vandales dont les souve-
rains règneront, pendant un siècle, sur quelques lambeaux du litto-
ral tunisien. Ils donneront à ce pays, une vocation maritime dès
lors jamais oubliée. Peu avant le VIIè siècle, l'ex-empire romain cè-
dera enfin aux coups des Arabes. La chute de la Carthage chrétien-
ne annonce, déjà, celle de Constantinople, quatre siècles plus tard.
Seconde et définitive disparition de Carthage. Une autre capi-
tale lui succède, Kairouan, ancien camp retranché de Sidi Oqba
qui bâtit la ville autour du reliquaire abritant un cheveu du pro-
phète Mohammed. De Kairouan, ville de guerre et de prière, il lan-
çait ses troupes vers les cités romaines. Derrière les remparts de
Kairouan, il résistait aux assauts des tribus locales, aux confuses
origines judéo-chrétiennes, qu'animait la « Deborah berbère », la
légendaire Kahena...
Voici les Arabes maîtres du pays. La première dynastie tuni-
sienne - les Aghlabides - va faire de Kairouan un centre de rayon-
nement religieux et intellectuel. Les dynasties suivantes, les Fatimi-
des et les Zirides, cèderont aux attraits de la mer et renoueront
avec la tradition d'échanges du pays. Leur succèdent les Almoha-

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