C. LE PEN, P.
LÉVY
PRÉFACE
L’évaluation médico-économique s’est imposée ces dernières années,
en France comme dans beaucoup d’autres pays, comme une dimension
incontournable des politiques de santé. Il n’est guère de recommandations
portant sur tel ou tel bien de santé ou, plus généralement, sur telle ou telle
stratégie médicale à visée préventive ou thérapeutique, qui n’envisage sa
dimension médico-économique, à des fins de décision ou d’information.
En 2008 en France, la Loi a élargi les missions de la Haute Autorité
de Santé (HAS) en y intégrant la possibilité « de publier des recommandations
et avis médico-économiques sur les stratégies de soins, de prescription ou de prise en
charge les plus efficientes » alors que celle-ci avait été explicitement exclue trois
ans plus tôt, à la création de l’Agence. Des dispositions du même ordre ont
été prises dans beaucoup d’autres pays, même si cela survient dans des
contextes nationaux différents.
L’ajout de la dimension économique à l’évaluation médicale n’est
guère fortuit. Il correspond à la nécessité de faire face à l’inéluctable crois-
sance des dépenses de santé qui, dans beaucoup de pays développés, absor-
bent environ 10 % de leur richesse nationale, voire davantage. Rechercher
des « gains d’efficience », c’est-à-dire trouver les stratégies et techniques
médicales les plus économiques pour atteindre un objectif sanitaire et social
donné, est devenu un impératif quasi universel. Dans les pays où existent
des budgets fermés – ou quasi fermés – des dépenses de santé, la recherche
de l’efficience permet d’optimiser l’usage de ces ressources et d’obtenir, sous
cette contrainte, les meilleurs résultats collectifs possibles en termes de santé
publique.
Au-delà des aspects de politique de santé, l’émergence et le succès
des approches médico-économiques correspondent à une vraie révolution
conceptuelle, philosophique, éthique dans un monde de la santé qui n’a
jamais fait bon ménage avec l’argent et le marché et pour qui le terme de
« médico-économique » est presque un oxymore.
Or, cette nouvelle discipline académique qu’est devenue l’analyse
médico-économique, avec ses méthodes, ses références, ses congrès, ses
5
PRÉFACE
revues scientifiques et ses enseignements, reste relativement mal connue des
professionnels de santé en dehors des cercles spécialisés, au demeurant assez
restreints.
L’objectif poursuivi dans cet ouvrage est de donner au non spécialiste
– professionnel de la santé ou non, économiste ou non – un aperçu des
concepts et méthodes qu’elle utilise.
Issu d’un enseignement à l’Université Paris-Dauphine où les auteurs
ont exercé ou exercent encore, cet ouvrage se veut pédagogique et illustratif
de la démarche d’évaluation médico-économique. Il ambitionne non seule-
ment de décrire les outils mais aussi de donner des clés de compréhension
quant à leur développement, leur portée, leurs implications.
Cet ouvrage n’est ni un ouvrage de recherche – il s’efforce de rester
dans les limites imposées par l’état reconnu de la discipline – ni un guide
méthodologique à destination des praticiens comme peuvent l’être les gui-
delines de la HAS en France ou du NICE au Royaume-Uni ; ceux-ci sont,
en effet, souvent plus prescriptifs et normatifs qu’explicatifs.
Le projet était de concevoir un manuel relativement simple s’efforçant
toutefois d’aller au-delà de la simple initiation. Certains chapitres sont néces-
sairement et naturellement plus techniques que d’autres, par exemple ceux
relatifs à la modélisation ou aux analyses de sensibilité, mais nous nous
sommes efforcés de rester le plus pédagogique possible, tout en donnant au
lecteur un aperçu de la réalité de la discipline et des débats qu’elle suscite.
Nous n’avons pas non plus esquivé les questions éthiques que peu-
vent parfois soulever certains choix méthodologiques, voire la démarche
médico-économique en elle-même.
Enfin, nous avons fait en sorte que chaque chapitre puisse être lu
indépendamment des autres, serait-ce au prix de quelques redondances.
Aller chercher ici et là des éléments d’information ou de compréhension à
propos d’un terme, d’un concept, d’une méthodologie, est peut-être la meil-
leure façon d’entrer dans l’ouvrage.
Claude Le Pen & Pierre Lévy
6
C. LE PEN, P. LÉVY
Chapitre 1
L’ évaluation médico-économique :
Pourquoi ? Pour qui ?
Qu’est-ce que l’évaluation médico-économique ?
Le principe de l’évaluation médico-économique (EME) est simple : il s’agit
d’établir le bilan des coûts et des avantages de différents produits, services
ou programmes de santé, sur une période de temps donnée, de manière à
orienter la décision publique vers les options qui entrainent le plus grand
bénéfice collectif dans un monde soumis à une contrainte de rareté des
ressources.
Il s’agit donc d’établir la « rentabilité » d’une intervention publique
en santé, sans que celle-ci ne soit considérée sous un angle exclusivement
financier : les avantages peuvent s’exprimer sous la forme de bénéfices non
monétaires (diminution de la morbi-mortalité, augmentation de l’espérance
de vie, de la qualité de vie, etc.) et ces derniers incluent des dimensions
comme l’accès aux soins ou l’équité.
Le fait de confronter les coûts et avantages d’un choix de consom-
mation ou d’investissement constitue une démarche qu’effectuent sponta-
nément – et le plus souvent de manière implicite – tous les agents économi-
ques en économie de marché. N’ayant que des conséquences privées, cette
démarche peut rester informelle. Dès lors toutefois qu’il s’agit de choix
publics, pris par des décideurs au nom de la collectivité, mobilisant des res-
sources publiques et entrainant des conséquences collectives, l’explicitation
des termes du choix apparait comme une exigence démocratique.
Il est important de souligner que le bénéfice recherché est un bénéficie
collectif, mesuré à l’échelle du système de santé, et non un bénéfice indivi-
duel, mesuré à celle d’un patient donné. Comme la santé publique ou comme
l’épidémiologie, l’EME s’intéresse à des populations de patients et non à
7
L’ÉVALUATION MÉDICO-ÉCONOMIQUE : POURQUOI ? POUR QUI ?
des individus. Le bénéfice et les coûts sont toujours statistiques. C’est au
praticien qu’il revient la tâche délicate de passer de la règle générale au cas
particulier d’un patient donné, dans un environnement médical, social et
économique donné.
La nature des produits et services susceptibles d’être soumise à l’EME
est très variée. Elle comprend en tout premier lieu les biens de santé (médi-
caments et dispositifs médicaux) pour lesquels la Loi impose, dans certaines
conditions, une évaluation économique obligatoire par la Haute Autorité de
Santé (HAS) pour la prise en charge par l’assurance-maladie et la
tarification 1.
Mais cela peut être des politiques de santé publique (coûts et béné-
fices d’un dépistage organisé du cancer de sein), des schémas organisation-
nels (coûts et avantages de la chirurgicale ambulatoire), des institutions
(coûts et avantages des hôpitaux locaux en zone rurale).
Enfin, il faut insister sur le fait que l’EME n’est pas un dispositif de
maitrise des coûts de la santé. Une évaluation médico-économique peut jus-
tifier la mise en œuvre d’une intervention augmentant les dépenses de santé
si cette augmentation-ci est compensée par un bénéfice collectif significati-
vement supérieur. L’EME vise à rendre le système de santé plus « efficient »
et pas nécessairement moins coûteux.
Une mise en œuvre délicate
Simple dans sa définition, l’EME l’est beaucoup moins dans sa mise en
œuvre. Ni la définition ni la mesure des « avantages » (monétaires et non
monétaires, immédiats et différés, médicaux ou non médicaux, attendus ou
réels, etc.) ne vont de soi. Et il en va de même des coûts qui ne peuvent être
appréciés que dans une « perspective » (un coût pour un agent peut être une
recette pour une autre) ce qui nécessite parfois de distinguer entre prix et
tarifs ou entre coûts proprement dits et transferts, les premiers mesurant une
consommation de ressources matérielles, les seconds étant des paiements
compensatoires sans contrepartie (par exemple les indemnités journalières
en cas d’arrêt de travail).
À ces difficultés de base s’ajoutent celles, très discutées au sein de la
profession des économistes, tenant à la prise en compte du temps (un paie-
ment demain n’est pas équivalent au paiement de la même somme
1 On désigne parfois sous le nom de « pharmaco-économie », l’application de l’EME aux
innovations pharmaceutiques. Mais cela ne vise que l’objet analysé et n’implique aucune
spécificité méthodologique ou conceptuelle.
8
C. LE PEN, P. LÉVY
aujourd’hui) et de l’incertitude (un résultat clinique est toujours entaché
d’une dose d’aléas) !
Enfin, la confrontation des coûts et des avantages passe souvent par
la construction de « modèles » qui constituent des cadres de cohérence ordon-
nançant les différentes informations, médicales, épidémiologiques, institu-
tionnelles, économiques, et permettant, par exemple, de tester différentes
hypothèses ou niveaux d’intervention.
Au-delà de toutes ces questions techniques, l’EME n’échappe pas à
des interrogations éthiques et morales, en raison notamment de ses effets
redistributifs (entre « jeunes » et « vieux » par exemple) ou plus fondamenta-
lement encore, en raison de la légitimité même du calcul économique dans
un domaine, la santé, où, pour beaucoup, ne devraient prévaloir que des
considérations fondées sur un impérieux devoir de solidarité, en dehors de
tout calcul économique « rationnel ».
Tous ces aspects, techniques ou non, sont traités dans cet ouvrage.
Une branche sectorielle du « calcul économique »
L’EME constitue l’application à la santé de ce que les économistes appellent
le « calcul économique », c’est-à-dire l’ensemble des concepts et techniques
permettant à un agent économique rationnel d’optimiser ses décisions quand
diverses options d’allocation de ressources rares lui sont offertes. Dans la
santé comme dans d’autres domaines, les choix les plus fréquents sont des
choix d’investissements et de tarification, mais tout choix peut faire l’objet
d’un « calcul économique » 2 pour en mesurer l’impact et en évaluer la
pertinence.
La plupart des questions posées ci-dessus, par exemple la définition
des coûts, la prise en compte du temps et de l’incertitude ont été traitées,
ont reçu des solutions générales, généralement dans des domaines d’intérêt
collectif, avant d’être adaptées au cas de la santé.
Le « calcul économique » pour les choix publics ou collectifs a une
longue histoire notamment en France où il a été porté par des générations
d’« ingénieurs économistes », issus pour la plupart des grandes écoles d’ingé-
nieurs (Polytechnique, Ponts et Chaussées, Mines, ENSAE). À la tête de
grandes entreprises (SNCF, EDF) ou d’institutions publiques (Ministère des
transports, Commissariat Général du Plan) ils ont eu très tôt recours, souvent
2 Pour une excellente introduction cf. Bernard Walliser : Le calcul économique, La Décou-
verte, 1991.
9
L’ÉVALUATION MÉDICO-ÉCONOMIQUE : POURQUOI ? POUR QUI ?
de manière créative 3, à ces techniques pour optimiser les activités dont ils
avaient la charge, essentiellement le transport et l’énergie – plus rarement la
défense 4.
L’application à la santé a été plus tardive. En France, un élément
fondateur a été le premier « Plan Périnatalité » en 1971, élaboré conjointe-
ment par le Commissariat général du plan et la « Mission R.C.B. » du Minis-
tère de la santé 5 et qui comportait un objectif chiffré de réduction de 50 %
de la prématurité et de la mortalité périnatale. Les mesures prises, essentiel-
lement des mesures de suivi des grossesses et d’amélioration des conditions
d’accouchement, avaient été sélectionnées sur la base d’une analyse coût-
bénéfice très détaillée compte tenu des sources d’information alors
disponibles.
Bien que ce plan fût un succès (le taux de « grands » et de « très
grands » prématurés, moins de 32 semaines d’aménorrhée, est ainsi passé de
1,6 % des naissances vivantes en 1971 à 0,5 % en 1991, ce qui situe la France
dans le « top 10 » du palmarès des nations 6), le calcul économique en santé
n’a guère prospéré, pas plus que dans d’autres domaines de l’action publique,
jusqu’à son renouveau à partir de la toute fin du siècle dernier.
La crise de 1974, la volatilité accrue des marchés et de la conjoncture,
l’internationalisation et la complexification des mécanismes économiques,
l’échec des économies planifiées, les interrogations sur la notion « d’intérêt
général » expliquent sans doute l’effacement d’une doctrine qui visait à l’effi-
cacité de l’action publique à une époque où la légitimité même de cette
dernière était mise en question au profit de politiques de dérégulation et de
privatisation.
3 Certains ont marqué l’histoire de la science économique comme Augustin Cournot
(1801-1877), Jules Dupuit (1804-1866), Léon Walras, (1834-1910), Clément Colson
(1853-1939), René Roy (1894-1977), Pierre Massé (1898-1987), Marcel Boiteux (1922-),
Edmond Malinvaud (1923-2015), Jacques Lesourne (1928-). Les deux prix Nobel d’éco-
nomie français Maurice Allais (1911-2010) et Jean Tirole (1953-) s’y rattachent également.
4 Nous n’envisageons ici que le calcul économique public, sachant qu’en économie de
marché, chaque agent fait individuellement et de manière décentralisée, parfois sans le savoir,
un « calcul économique », dès lors qu’il est confronté à un choix économique sous contrainte
budgétaire, qui peut être implicite et informel (dans la vie courante) ou explicite et formel
(dans le mode des affaires).
5 La « Rationalisation des choix budgétaires » (RCB) était la démarche administrative qui a
porté l’introduction du calcul économique dans les choix publics à la fin des années 60.
6 Deux autres plans « périnatalité 1994 » et « périnatalité 2005 » ont été depuis lancés pour
reprendre une progression qui s’était stabilisée et pour traiter de « nouveaux » risques négligés
jusqu’alors comme la morbidité psycho-parentale.
10
C. LE PEN, P. LÉVY
Le Royaume-Uni pionnier de l’EME
Pour différentes raisons institutionnelles et philosophiques, l’Angleterre, qui
paradoxalement a été un des pays d’Europe qui a le plus dérégulé ses services
publics, a développé et maintenu une large pratique de l’évaluation écono-
mique en santé, à la fois au plan théorique et pratique.
C’est d’Angleterre que sont venus, au tout début des années 80, les
premiers travaux appliquant les techniques du calcul économique aux choix
thérapeutiques, avec notamment l’article séminal de Anthony Culyer et de
Alan Maynard montrant qu’un traitement par la cimétidine était plus « coût-
efficace » que la chirurgie dans le traitement de l’ulcère gastroduodénal 7.
C’est en Angleterre qu’ont été popularisés – sinon inventés 8 – des concepts
qui allaient faire référence comme celui de QALY (« quality adjusted life
years »). C’est en Angleterre qu’a été créé, dès 1999, la toute première agence
à vocation médico-économique, le National Institute for Clinical Excellence
(NICE), dont les recommandations ont défini le « gold standard » de l’EME
et dont le modèle a inspiré les agences de même nature créées par la suite
en France (la HAS, en 2004) et en Allemagne (l’Institute für Qualität und
Wirtschaftlichkeit in Gesundheitswesen, IQWIG, en 2004 également).
Plusieurs raisons expliquent cette antériorité britannique. La nature
même du NHS, qui fonctionne dans une logique de service public (et non
dans une logique assurantielle comme en Allemagne ou en France), une
tradition planificatrice remontant aux origines mêmes du NHS, la philoso-
phie utilitariste et « welfariste » qui domine la sphère sociale en Grande-
Bretagne, la longue et forte liaison entre le NHS et les milieux académiques,
avec notamment l’Université de York, d’où sont issus de nombreux auteurs
ayant contribué à l’élaboration doctrinale et pratique de l’EME (Alan
Maynard, Alan Williams, Michael Drummond, Anthony Culyer).
Au-delà du cas britannique, l’EME s’est développée à partir des
années 90 dans beaucoup de pays développés, y compris ceux où étaient mis
en place dans d’autres secteurs, des politiques de dérégulation. La raison en
est la croissance forte et continue des dépenses publiques de santé qu’ont
connue ces pays et le défi que cette croissance posait au financement public.
Il est apparu qu’il était possible d’optimiser dans une large mesure les
7 AJ Culyer, AK Maynard. Treating ulcers with cimetidine can be more cost-effective than
surgery. Medeconomics 1980, 1, 12-14 et AJ Culyer, AK Maynard : Cost-effectiveness of duo-
denal ulcer treatment, Social Science and Medicine, 5C, 3-11, 1981.
8 Milton C. Weinstein est souvent crédité de l’invention des QALYs (Cf. Weinstein MC,
Stason WB. Foundations of cost-effectiveness analysis for health and medical practices. N
Engl J Med 1977 ; 296 : 716-21).
11
L’ÉVALUATION MÉDICO-ÉCONOMIQUE : POURQUOI ? POUR QUI ?
dépenses en sélectionnant ou en recommandant les interventions médicales
les plus « efficientes ».
Un concept-clé : l’efficience
Le concept « d’efficience » est le concept clé de l’EME. Il désigne le rapport
entre les résultats et les coûts d’une intervention médicale ; on montre en
théorie – mais cela est assez intuitif – que la sélection des interventions les
plus efficientes permet d’obtenir un bénéfice collectif maximal à partir d’un
engagement donné de ressources. Plus d’avantages avec un montant donné
de ressources ou moins de ressources pour un avantage donné.
L’efficience n’est pas l’efficacité : une intervention efficace médicale-
ment peut ne pas être « efficiente » si son coût apparaît prohibitif. Inverse-
ment une intervention efficiente peut ne pas être très efficace : donner à un
patient le conseil d’arrêter de fumer est une intervention dont le coût est
pratiquement nul et il suffit qu’un tout petit nombre de patients le suive
pour que le rapport résultats/coût soit pratiquement infini.
L’efficience ne garantit pas non plus la solvabilité du financeur face
à une intervention médicale. Ces dernières années ont vu apparaitre des
innovations pharmaceutiques offrant la triple caractéristique d’être beaucoup
plus efficaces que le « standard of care », de coûter beaucoup plus cher et de
concerner un très grand nombre de patients 9. Quoique le rapport coût/
bénéfices (mesuré en termes de coût par année de vie sauvée) de ces inter-
ventions soit généralement considéré comme tout à fait acceptable, les
sommes à engager pour généraliser le traitement à la population cible peu-
vent apparaitre excessives au regard des ressources disponibles.
En tant que rapport entre deux grandeurs, l’efficience est en effet un
concept sans dimension. Comme un pourcentage est indépendant du
nombre auquel il s’applique, une intervention médicale peut être efficiente
sans considération du nombre de patients concernés.
C’est la raison pour laquelle l’EME tend de plus à traiter conjointe-
ment les questions d’efficience avec des modèles de type coût-efficacité et
de solvabilité avec des études d’impacts budgétaires de manière à capturer
les deux aspects de l’efficience et de la solvabilité. Nous y reviendrions dans
le cours de cet ouvrage.
9 On pense bien entendu aux antiviraux d’action directe dans l’indication de l’hépatite C.
12
C. LE PEN, P. LÉVY
D’une discipline académique à une pratique administrative
L’EME offre cette caractéristique d’être simultanément une discipline aca-
démique et une pratique administrative. De ce point de vue, elle ne se dis-
tingue guère de la recherche clinique où ces deux dimensions sont également
présentes.
Scientifiquement, l’EME s’est développée à partir des années 80, en
une véritable discipline académique qui s’est progressivement autonomisée
au sein même de l’économie de la santé, avec ses spécialistes, ses enseigne-
ments, ses congrès nationaux et internationaux, ses revues scientifiques à
comité de lecture...
Administrativement, la production d’une étude d’évaluation écono-
mique est devenue une condition pour l’accès au marché des biens de santé
dans beaucoup de pays développés (Royaume-Uni, Pays-Bas, Suède, Écosse,
Australie, Canada, Italie, France...). Souvent produites par les producteurs
de soins, ces études dont le statut varie selon les pays, sont analysées de
manière critique par les agences d’évaluation des technologies médicales
(« Heath Technology Assessement ») et peuvent servir de base à des décisions
publiques.
Cette dimension administrative a entrainé un travail de normalisation
et de standardisation des méthodologies. La HAS a ainsi publié plusieurs
guides méthodologiques aussi bien pour les études coût-efficacité que pour
les études d’impact budgétaire. L’objectif de cette normalisation est d’assurer
un bon niveau de qualité et de comparabilité entre les différents travaux.
Les trois usages administratifs de l’EME
Si les travaux menés dans une perspective scientifique n’ont généralement
d’autre but que d’apporter des informations et des connaissances nouvelles,
ceux qui sont soumis aux agences d’évaluation, soit dans le cadre d’une
démarche spontanée, soit dans celui d’une obligation administrative, obéis-
sent à des objectifs bien précis mais variables selon les pays.
Très schématiquement, l’EME obéit en pratique à trois usages prin-
cipaux, de rationnement, de tarification, et d’optimisation.
Le premier consiste à conditionner l’usage d’un bien ou service
médical, voire même son accès au marché, à une condition d’efficience mini-
male. On sait que le NICE britannique a édicté une norme de coût minimal
par année de vie sauvée (pondérée par la qualité) de l’ordre de £ 30.000.
Le financement d’un bien ou d’un service médical dont le ratio cout-effica-
cité dépasse nettement cette norme est considéré comme un gaspillage de
13
L’ÉVALUATION MÉDICO-ÉCONOMIQUE : POURQUOI ? POUR QUI ?
ressources publiques. Cet usage très radical de l’EME est toutefois assez peu
répandu dans le monde en dehors du cas emblématique du Royaume-Uni
et de pays comme l’Australie ou l’Écosse.
Dans beaucoup de pays, dont la France et dans une certaine mesure
l’Allemagne, l’EME est utilisée dans la négociation des prix régulés qui inter-
vient entre les producteurs et les autorités publiques soit au moment de la
mise sur le marché des biens et services concernés (en France) soit quelques
mois plus tard (en Allemagne). Le but des autorités publiques est alors de
s’assurer que le prix octroyé est proche « d’un prix d’efficience » jugé accep-
table au regard des pratiques existantes, sans que soit défini un seuil d’effi-
cience, sans non plus que la condition d’efficience ne soit impérative. Cela
entre dans le cadre du principe de « value based pricing » qui veut que le prix
d’un bien ou d’un service reflète sa valeur thérapeutique.
Enfin, il existe un troisième usage administratif de l’EME consistant
à l’utiliser pour définir les conditions d’emploi des produits, par exemple à
définir les populations cibles pour lesquels le produit concerné apportera à
la collectivité un gain d’efficience.
14
C. LE PEN, P. LÉVY
Chapitre 2
L es principes de base de l’évaluation
économique en santé
L’évaluation économique des technologies de santé est spécifique du fait qu’elle
porte sur des interventions dont les effets s’exercent sur la santé des individus qui,
outre les aspects humains et éthiques qui peuvent leur être associés, ne sont pas
faciles à mesurer. Pour autant, du fait du financement largement socialisé des
dépenses de santé, cette démarche trouve ses racines dans l’économie publique
qui a développé un cadre d’analyse pour l’évaluation économique des politiques
publiques dans la lignée du calcul économique appliqué 1. Le principe fonda-
mental est ainsi d’utiliser la rationalité économique pour éclairer les choix publics.
L’évaluation économique en santé :
une évaluation bi-dimensionnelle
La rationalité économique s’exprime par la recherche d’une adéquation entre
les objectifs ou les effets d’une action et les moyens qu’elle mobilise, dans le
1 Pour une présentation extensive des bases du calcul économique et de leur application à
la santé, on peut se reporter à différents ouvrages, notamment :
–Brent R. Cost-Benefit analysis and health care evaluations. Edward Elgar, 2003.
–McIntosh E, Clarke P, Frew E, Louviere J (editors). Applied Methods of Cost-Benefit Analysis
in Health Care. Oxford University Press, 2010.
Il existe également quelques manuels de référence sur l’évaluation économique des stratégies
de santé. On citera en particulier :
–Drummond M, Sculpher M, Claxton K, Stoddart G, Torrance G . Methods for the economic
evaluation of health care programmes. 4th edition, Oxford University Press, 2015.
–Drummond M, McGuire A. (Eds). Economic evaluation in health care. Oxford University
Press, 2001.
–Annemans L. L’économie de la santé pour non économistes – une introduction aux notions, aux
méthodes, et aux écueils de l’évaluation économique en santé. Academia Press, 2008.
–Kobelt G. Health economics: an introduction to economic evaluation. 3rd edition, Office of
Health Economics, 2013.
15
LES PRINCIPES DE BASE DE L’ÉVALUATION ÉCONOMIQUE EN SANTÉ
but de faire le meilleur usage possible des ressources disponibles, par hypo-
thèse limitées. Pour s’assurer de l’usage optimal de ces ressources, on met
donc en relation le montant des ressources utilisées et les effets obtenus de
façon à mesurer le degré d’efficience d’une intervention. La finalité de cette
démarche est d’éclairer un choix possible entre plusieurs actions qui mobi-
liseraient les mêmes ressources dans des proportions variables, en identifiant
celle qui, à coût donné, permet d’obtenir la plus grande quantité d’effet ou,
alternativement, celle qui permet d’atteindre un niveau d’efficacité donné à
moindre coût.
Bien évidemment, l’efficience n’est que l’un des critères à partir des-
quels on peut évaluer une action de santé :
• Dans une perspective sociétale, le critère de l’équité s’intéresse aux éven-
tuelles disparités entre les patients, qu’il s’agisse de l’accès aux soins, de
la couverture assurantielle et de la participation au financement par le
reste à charge, ou de l’état de santé par exemple.
• Dans une perspective clinique, l’accent est plutôt mis sur l’efficacité qui
se focalise sur les effets obtenus par différentes interventions médicales.
• Dans une perspective économique, l’efficience (efficiency) considère le
coût nécessaire pour atteindre une certaine efficacité. Cette combinaison
des aspects de coût et d’efficacité donne une nature bi-dimensionnelle à
l’évaluation économique qui est donc du type « coût-efficacité ».
L’efficience de toute intervention de santé doit, de ce fait, être appréhendée
en rapportant ses effets au coût des ressources qu’elle utilise. L’évaluation
médico-économique consiste bien à développer une analyse de type « coût-
efficacité » des différentes actions de santé possibles pour en estimer le degré
d’efficience respectif, voire effectuer un classement en fonction de la perfor-
mance des interventions possibles sur ce critère de l’efficience. Une défini-
tion formelle pourrait en être que l’évaluation économique des programmes
de santé est une analyse comparative des coûts et des conséquences de stra-
tégies thérapeutiques alternatives.
Cette définition souligne les deux conditions sine qua non de l’évalua-
tion économique :
• D’une part, il est nécessaire d’organiser une comparaison entre des stra-
tégies concurrentes dans une perspective de choix et d’aide à la décision,
puisque décider c’est choisir. Il peut s’agir soit d’interventions alterna-
tives pour traiter ou prévenir la même maladie ou facteur de risque qui
sont donc exclusives les unes des autres, soit de programmes de santé
indépendants car concernant des affections et des patients différents mais
qui peuvent entrer en compétition sur les mêmes ressources.
16
C. LE PEN, P. LÉVY
• D’autre part, il faut prendre en compte simultanément les coûts et les
conséquences des traitements pour caractériser l’efficience économique.
Cette mise en relation entre les effets obtenus et les moyens employés
par les différents usages des ressources disponibles est une façon de
mesurer le rendement social de différents investissements possibles d’un
j:\2000\image\192076\ch2\1
budget collectif. La mesure des coûts donne le montant de l’investisse-
ment à réaliser et l’estimation des effets fournit une indication du béné-
fice sanitaire obtenu en contrepartie.
Figure 1. Structure type de l’évaluation médico-économique.
Une représentation graphique permet d’illustrer les aspects essentiels de cette
définition (figure 1). La plupart du temps, cette approche est mise en œuvre
pour déterminer l’efficience relative d’une innovation thérapeutique, la stra-
tégie B ici, par rapport à la pratique courante, la stratégie A. Pour instrumen-
taliser cette notion d’efficience relative, il faut mesurer dans un premier temps
les coûts attachés respectivement à la stratégie A et à la stratégie B, soit CA
et CB, ainsi que leurs effets respectifs EA et EB. On peut dans un second temps
former le ratio différentiel coût-résultat (RDCR) à partir du différentiel de
coût ∆C (soit CB – CA) et du différentiel d’effet ∆E (soit EB – EA) :
RDCR = ∆C
∆E
Il reste à dire que la formation de ce ratio suppose qu’on spécifie
d’une part les modalités de mesure des coûts, et d’autre part le choix d’une
17
LES PRINCIPES DE BASE DE L’ÉVALUATION ÉCONOMIQUE EN SANTÉ
mesure des bénéfices thérapeutiques compte tenu de la diversité des mesures
de résultats, ce que nous ferons un peu plus loin.
Précisons que, si cette représentation graphique permet d’illustrer la
structure fondamentale de l’évaluation médico-économique, elle pourrait
laisser croire que la comparaison doit nécessairement être menée deux à
deux. Il n’en est rien et, comme nous le verrons plus en détails au chapitre 7,
cette démarche peut tout à fait être mise en œuvre pour comparer, de façon
généralisée, un nombre quelconque de stratégies alternatives.
Le champ d’application de l’évaluation économique
La démarche de l’évaluation médico-économique s’applique à de très nom-
breux types d’actions dans le domaine de la santé, et on utilise de façon
synonyme les termes de programmes de santé, stratégies médicales, interven-
tions sanitaires, technologies de santé, ou d’autres, sans que cela en modifie
les caractéristiques. Elle peut ainsi être mobilisée dans les cas suivants :
• Toute intervention de santé, qu’elle soit préventive ou curative, médicale
ou chirurgicale. Et il est tout à fait possible de comparer une stratégie
de prévention à une stratégie purement curative, une approche médicale
à une approche chirurgicale.
• Tous les produits de santé peuvent être candidats à cette approche, en
particulier les médicaments mais aussi les dispositifs médicaux. À cet
égard, il convient de souligner que si des produits de santé peuvent être
réglementairement soumis à une évaluation économique pour leur accès
ou leur maintien sur le marché, on n’évalue jamais des produits en tant
que tels. Il s’agit en fait de stratégies thérapeutiques qui utilisent des
produits de santé selon certaines modalités de telle sorte qu’on peut sou-
vent définir plusieurs stratégies recourant au même produit 2.
• Toute technique médicale, qu’il s’agisse d’imagerie médicale (IRM),
d’un plateau technique de greffe, ou de différents usages de la
télémédecine.
2 On peut par exemple évaluer une stratégie médicamenteuse consistant à ajouter un médicament
adjuvant à la thérapie standard (dans l’insuffisance cardiaque, l’ajout d’un bêta-bloquant au trai-
tement standard, soit IEC, diurétique ± digitalique), ou différentes stratégies vaccinales utilisant le
même vaccin selon que l’on injecte trois doses aux nourrissons ou une seule dose aux jeunes
enfants. De façon similaire, on peut définir pour certains anti-cancéreux différentes stratégies selon
qu’on les administre d’emblée à tous les patients ou qu’on teste ces patients par certains marqueurs
pour ne traiter que les répondeurs compte tenu d’une signature génétique particulière.
18
C. LE PEN, P. LÉVY
• Toute action d’information, de dépistage, de prévention, de traitement
ou de prise en charge organisée dans un parcours de soins peuvent faire
l’objet d’une évaluation économique.
Dans les faits, l’évaluation médico-économique a plus fréquemment concerné
les produits pharmaceutiques, conduisant à parler de « pharmaco-économie »
pour désigner l’évaluation économique des médicaments. Mais il n’y a pas
de différences fondamentales avec les autres sujets d’application et l’usage de
ce terme peut être étendu sans dommage à tous les programmes de santé.
Le choix du comparateur
Dans tous les cas, il s’agit d’évaluer l’efficience d’une ou plusieurs stratégies
particulières en les comparant entre elles ou par rapport à une stratégie de
référence. Et le caractère comparatif de la démarche n’est pas limitatif car il
existe toujours au moins un comparateur à toute innovation thérapeutique
qui est la stratégie « ne rien faire » correspondant en réalité aux soins de sup-
port. En revanche, lorsqu’il existe déjà des alternatives thérapeutiques à une
stratégie qu’on veut évaluer, l’un des problèmes à résoudre concerne le choix
du comparateur, dans la mesure où celui-ci influence bien sûr les résultats de
l’évaluation. Par rapport à une intervention coûteuse et peu efficace, il sera
plus facile d’obtenir des résultats favorables à une innovation thérapeutique.
On pourrait de la sorte introduire un biais dans la comparaison et
ceci explique qu’il existe assez souvent des recommandations quant au choix
des stratégies à comparer. Il est souvent recommandé d’inclure parmi les
stratégies évaluées une stratégie de référence, correspondant si possible à la
pratique courante. En effet, si l’on est dans une logique d’accès au marché
d’une technologie innovante, il est pertinent, notamment du point de vue
du payeur, d’estimer si la généralisation de cette innovation serait un choix
efficient ou pas. Nous verrons plus en détail au chapitre 7 comment on peut
passer de l’évaluation à la décision.
La diversité des types d’études
Si, sur le plan des principes, l’évaluation médico-économique se ramène de
façon assez simple à rapporter le différentiel de coûts entre deux stratégies
médicales alternatives à leur différentiel d’effets, cette démarche peut se
décliner de multiples manières compte tenu des choix méthodologiques qui
doivent être faits pour réaliser une telle étude. Sans chercher ici à faire la
liste exhaustive des options possibles, on peut néanmoins souligner quelques
aspects essentiels de cette diversification de la démarche.
19
LES PRINCIPES DE BASE DE L’ÉVALUATION ÉCONOMIQUE EN SANTÉ
Nous présenterons en détail au chapitre 4 toutes les considérations
utiles à la mesure des coûts dans une étude d’évaluation médico-écono-
mique. Disons simplement ici que la comparaison de différentes études entre
elles peut être rendue délicate si elles ont été établies sur la base de choix
différents quant aux coûts considérés.
En effet, on peut, par exemple, faire le choix de retenir des types de
coût de nature différente, en ne considérant que des coûts médicaux ou en
incluant des coûts correspondant à une consommation de ressources non
médicales (aide sociale, transport). De même, le périmètre des coûts peut
varier selon l’ampleur choisie en restreignant l’évaluation aux coûts hospita-
liers pendant la phase aigüe d’une maladie ou en tenant compte des coûts
ambulatoires subséquents. Enfin, comme on le précisera plus loin, la pers-
pective adoptée pour mesurer les coûts en modifie le montant, en particulier
selon qu’on ne considère que le point du vue du « payeur » (l’assurance
maladie) ou qu’on opte pour une approche plus collective, incluant le reste
à charge des patients.
La diversité de la mesure des effets
Si la mesure des coûts laisse ouverte plusieurs options introduisant une cer-
taine variabilité, la diversification de l’évaluation économique en santé tient
pour l’essentiel aux choix possibles pour mesurer les effets des stratégies
prises en compte. De ce point de vue, il est usuel de distinguer trois types
d’évaluation qui ont chacun leurs spécificités :
• L’approche coût-efficacité (ACE) prend en compte un indicateur de
résultat qui exprime dans une métrique naturelle l’effet physique de
chaque intervention. Il peut s’agir d’un indicateur pharmacologique, bio-
logique ou d’évènements cliniques relevant de la morbi-mortalité (la fré-
quence de complications précisées ou la durée de la survie par exemple).
Souvent utilisée dans le passé car pouvant puiser la mesure de l’efficacité
aux sources de l’Evidence-Based Medicine, elle est considérée dorénavant
comme limitée par le fait qu’elle ne peut prendre en compte qu’une seule
dimension d’effet.
• L’approche coût-utilité (ACU) est plus sophistiquée que la précédente
en ce qu’elle cherche à mesurer l’effet des interventions sur le bien-être
des patients, à travers un indicateur composite qui appréhende à la fois
la quantité de la survie et la qualité de cette survie. On peut dire que
l’ACU va au-delà de l’ACE du fait qu’elle pondère la survie gagnée grâce
à une innovation thérapeutique par la qualité de vie associée. Alternati-
vement, elle permet de tenir compte, à travers la même métrique, d’un
20
C. LE PEN, P. LÉVY
éventuel différentiel de survie et/ou de qualité de vie entre stratégies alter-
natives, combinant ainsi une mesure objective et une mesure subjective
de résultat. Le QALY (Quality-Adjusted Life-Year), qui est un équivalent
en années de vie en bonne santé, est l’indicateur de référence en la
matière. Et si le coût par année de vie gagnée est l’expression type d’une
ACE, le coût par QALY gagné est l’expression de l’ACU.
• L’approche coût-bénéfice (ACB) vise également à appréhender dans une
seule métrique l’ensemble des effets d’actions de santé alternatives. Mais
ici, il s’agit de transcrire ces effets en équivalent monétaire, autrement
dit de ramener des bénéfices sanitaires à des bénéfices pécuniaires.
Comme les coûts et les effets sont mesurés dans la même métrique moné-
taire, le résultat de l’évaluation peut être exprimé dans le même format
de ratio que l’ACE et l’ACU, mais aussi de différentes façons alterna-
tives. Par exemple en inversant le ratio pour rapporter le différentiel de
bénéfices monétisés au différentiel de coût, ce qui fournit une sorte de
taux de rendement de l’investissement public. Mais, plutôt qu’un ratio,
on peut aussi former une différence entre le différentiel de coût et le
différentiel de bénéfices, de façon à obtenir le coût net ou le bénéfice net
de l’intervention envisagée. L’ACB est peu utilisée dans le domaine de
la santé du fait de difficultés réelles ou présumées à pouvoir valoriser en
termes monétaires des modifications touchant à la santé des individus.
Pour autant, il faut dire qu’elle est fréquemment mise en œuvre dans
d’autres domaines, comme l’économie de l’environnement ou de la sécu-
rité routière, pour orienter des choix, en recourant pour cela à des notions
comme la disposition à payer (willingness to pay) pour valoriser l’impact
de différentes mesures possibles 3.
On peut ajouter que, contrairement à l’ACE qui prend en compte l’efficacité
telle qu’elle résulte d’indicateurs physiques, l’ACU et l’ACB procèdent, cha-
cune à leur manière, à une valorisation de ces effets, la première en termes
de bien-être ou d’utilité, la seconde en termes monétaires. Elles sont donc
à la fois plus sophistiquées et moins parlantes pour les non-économistes,
d’où la nécessité de préciser davantage la démarche sous-jacente 4.
3 Par ailleurs, l’ACB est normalement le cadre de référence du point de vue de la théorie
économique, lorsqu’il s’agit de procéder à l’évaluation des politiques publiques ou des choix
collectifs. Et un débat existe pour déterminer si, ou à quelles conditions, l’ACU peut être
considérée comme fondée sur la théorie économique et, à ce titre, acceptable comme un
substitut à l’ACB. Mais nous ne détaillerons pas davantage ces controverses académiques.
4 La question de la mesure des bénéfices de santé est traitée de façon complète dans l’ouvrage
de Brazier J, Ratcliffe J, Salomon J et Tsuchiya A. Measuring and valuing health benefits for
economic evaluation. Oxford University Press, 2007.
21
LES PRINCIPES DE BASE DE L’ÉVALUATION ÉCONOMIQUE EN SANTÉ
Les études coût-efficacité
L’approche coût-efficacité se présente donc comme la plus simple à mettre
en œuvre du fait qu’elle se focalise sur une mesure des effets des actions de
santé selon un indicateur en unités physiques sans transformation dans une
métrique non naturelle. Ceci explique en partie qu’elle a été la plus fréquem-
ment utilisée dans le passé, d’autant plus qu’elle est en fait un point de
passage obligé lorsqu’on veut développer une ACU ou une ACB.
Plusieurs raisons expliquent son usage fréquent, à commencer par le
fait qu’elle peut être documentée pour la mesure des effets à partir de la
bibliothèque des indicateurs élaborés dans le cadre de l’Evidence-Based Medi-
cine (l’EBM). Le développement de l’EBM a permis d’élargir le choix des
mesures possibles qui sont des indicateurs quantifiés, objectivement évalués.
En outre, ils sont pertinents du point de vue clinique, faciles à comprendre
pour le décideur, aisés à mettre en œuvre car documentés par la littérature
clinique. Enfin, ils permettent d’éviter la question controversée de la valori-
sation de l’efficacité clinique en termes de bien-être pour l’ACU ou de béné-
fices monétaires pour l’ACB.
L’ACE est cependant limitée du fait qu’elle contraint l’évaluation à
ne prendre en compte qu’une seule dimension d’efficacité alors que des stra-
tégies alternatives peuvent avoir des effets différenciés sur plusieurs dimen-
sions, par exemple en prolongeant la survie mais en dégradant la qualité de
vie. Le choix de l’indicateur d’efficacité est donc primordial pour assurer la
pertinence de l’évaluation.
Dans l’éventail des options ouvertes, on peut distinguer différentes
dimensions sur lesquelles faire porter la mesure de l’efficacité :
• On peut vouloir mettre l’accent sur un paramètre pharmacologique ou
biologique, comme l’efficacité microbiologique, la densité minérale
osseuse, le taux de LDL-cholestérol, le niveau de l’hémoglobine glyquée,
etc.
• Alternativement, on peut choisir une mesure faisant référence à une
variable clinique, qu’il s’agisse du nombre de jours sans symptômes
(d’asthme ou d’épilepsie), de la capacité de marche (dans l’insuffisance
cardiaque), du délai avant retour à activité normale (après intervention
chirurgicale selon différentes techniques), du nombre de personnes
immunisées (suivant la stratégie vaccinale).
• Enfin, une dernière solution consiste à choisir une mesure de morbidité
ou de mortalité, par exemple les complications de l’hyperlipidémie, la
fréquence des décès, ou le nombre d’années de vie associées à chaque
stratégie.
22
C. LE PEN, P. LÉVY
Ce choix dépend bien sûr d’un certain nombre de paramètres, notamment
la disponibilité de données de qualité. Mais il recouvre aussi d’autres enjeux.
Les différentes notions d’efficacité
Il faut mentionner ici au moins deux différenciations possibles de la notion
générale d’efficacité. On peut distinguer d’une part les indicateurs d’effica-
cité intermédiaire des indicateurs d’efficacité finale. D’autre part, il faut sou-
ligner l’écart existant entre l’efficacité théorique (efficacy) et l’efficacité pra-
tique (effectiveness).
Ainsi, une possibilité consiste à recourir à un indicateur spécifique
d’une certaine maladie pour comparer l’efficacité de traitements alterna-
tifs. Ce peut être par exemple, dans le cas de la prise en charge de l’hyper-
lipidémie, le taux de cholestérol total (ou de LDL-cholestérol) atteint avec
différents traitements hypolipémiants. Dans le cas de l’épilepsie, ce pour-
rait être le nombre de journées sans crise ou la proportion de patients
obtenant une réduction d’au moins 50 % de la fréquence des crises. Ou
le délai avant progression de la maladie dans plusieurs affections (cancers,
insuffisance rénale). Il s’agit dans tous ces cas d’un indicateur d’efficacité
intermédiaire.
Ils se différencient des indicateurs génériques qui consistent à recourir
à la mesure d’un évènement qui peut survenir dans la plupart des aires thé-
rapeutiques. Il peut s’agir du nombre de cas de guérison par exemple ou,
préférentiellement, d’une mesure de la mortalité exprimée soit par la fré-
quence des décès, la survie globale ou l’espérance de vie. Dans le cas de
l’hyperlipidémie, on peut ainsi opter pour une mesure de la mortalité toutes
causes, ou de la mortalité cardiovasculaire, pour comparer l’efficacité de
traitements alternatifs. Dans tous les cas, ces indicateurs expriment l’efficacité
finale des stratégies thérapeutiques.
La question du choix entre un indicateur d’efficacité intermédiaire ou
d’efficacité finale renvoie à un arbitrage entre plusieurs critères. D’un côté,
la pertinence de la mesure pour une pathologie donnée et sa sensibilité pour
faire apparaître des différences entre stratégies alternatives militent en faveur
de l’efficacité intermédiaire. À cela s’ajoute le fait que ces indicateurs sont la
plupart du temps bien plus faciles à documenter sur la base d’essais cliniques
qui recourent à de telles mesures de résultats 5. À l’inverse, il est souvent
5 Et ceci est d’autant plus souvent le cas que les industriels ont tendance à vouloir lancer
leurs produits de plus en plus précocement sur la base d’une démonstration reposant sur des
données non matures.
23
LES PRINCIPES DE BASE DE L’ÉVALUATION ÉCONOMIQUE EN SANTÉ
difficile, voire périlleux, de vouloir recourir à une mesure d’efficacité finale
portant sur la mortalité lorsque le décès des patients a lieu longtemps après
les interventions concernées. Dans le cas de maladies chroniques par exemple,
comme l’hyperlipidémie ou le diabète, la mesure de l’efficacité de différents
médicaments sur l’espérance de vie repose la plupart du temps sur le recours
à différents outils de bio-statistiques pour développer une modélisation et une
extrapolation permettant de passer d’un indicateur d’efficacité intermédiaire
(le taux de LDL-cholestérol ou le taux d’hémoglobine glyquée) à l’efficacité
finale. L’exercice reposant sur un certain nombre d’hypothèses (sur l’évolu-
tion à long terme de l’efficacité des produits, l’apparition d’effets secondaires,
la fréquence des arrêts de traitements, etc.), le problème est celui du niveau
de preuve et de la vraisemblance des résultats pris en compte.
Néanmoins, sauf s’il s’agit d’éclairer des choix de prescription dans
une maladie donnée ou de gérer un budget par pathologie, on voit bien les
limites d’une approche fondée sur un indicateur spécifique qui ne permet
de faire de comparaisons que sur une aire thérapeutique restreinte. C’est
pourquoi les recommandations et la pratique la plus courante mettent
l’accent sur le choix d’un indicateur d’efficacité finale qui permet d’assurer
une comparabilité des résultats au-delà d’une pathologie. Si le Gold standard
en la matière est la mesure des années de vie gagnées (Life-Years Gained)
c’est bien parce qu’elle autorise une comparaison sur l’ensemble des straté-
gies thérapeutiques (pour autant que le mortalité soit en jeu) et que,
combinée à la mesure des coûts, elle permet d’exprimer l’analyse coût-effi-
cacité sous la forme d’un ratio du coût par année de vie gagnée qui peut être
parlant même au non-spécialiste.
Efficacy versus effectiveness
Par ailleurs, il est usuel de distinguer l’efficacité théorique (efficacy en anglais)
qui donne une estimation des bénéfices thérapeutiques en environnement
contrôlé de façon à neutraliser tous les facteurs confondants (typiquement
un essai clinique randomisé), et l’efficacité pratique (effectiveness en anglais)
qui en donne la mesure en situation réelle 6.
6 En général, l’efficacité théorique est supérieure à l’efficacité pratique du fait des multiples
imperfections de la vie réelle qui font que le traitement est mal prescrit par les médecins
(dosage, durée, indication) ou mal suivi par les patients (c’est le problème de l’adhésion des
patients). On peut noter néanmoins que, dans le cas de certains vaccins, l’effectiveness est
supérieure à l’efficacy lorsque l’effet de groupe (la herd immunity) permet de protéger indirec-
tement les individus non vaccinés.
24
C. LE PEN, P. LÉVY
Parce qu’elle fournit une mesure de résultat en situation idéale ou
expérimentale à travers les données issues d’un essai clinique, l’efficacité
théorique donne un niveau de preuve élevé. Mais, dans la mesure où les
essais cliniques sont généralement menés dans des conditions éloignées de
la pratique clinique usuelle, leurs résultats ont une pertinence réduite par
rapport à la mise en œuvre de ces stratégies en pratique courante. À l’inverse,
la mesure en environnement réel que fournit l’efficacité pratique est plus
pertinente parce qu’elle permet de prendre en compte l’effet de phénomènes
non observables dans le cadre d’essais cliniques, que ce soit l’effet du produit
à des doses prescrites différentes des recommandations, ou de la prescription
à des patients ayant un profil différent de celui des essais cliniques, ou de
l’observance imparfaite des patients. Mais une telle mesure suppose le
recours à des types d’études, observationnelles ou autre, de moindre qualité
méthodologique que les essais cliniques notamment parce qu’elles ne peu-
vent neutraliser le biais éventuel de facteurs confondants. Au total, le choix
entre l’efficacy et l’effectiveness est délicat car fondé sur un arbitrage entre
qualité et pertinence de la preuve.
Suivant l’environnement dans lequel on mesure les bénéfices théra-
peutiques des actions de santé, l’analyse sera donc de type « cost-efficacy » ou
« cost-effectiveness », étant entendu que cette dernière est généralement pré-
férée lorsqu’elle est possible car plus représentative de la réalité. À cet égard,
on peut souligner l’importance accordée aux données de vie réelle pour ren-
seigner à la fois sur les coûts et les effets des stratégies thérapeutiques étu-
diées, comme on le verra plus en détail au chapitre 10. Mais bien évidem-
ment, au lancement d’un nouveau produit de santé, on ne peut en général
se référer qu’à son efficacité théorique pour autant qu’il n’a pas encore été
prescrit à des patients.
Les études coût-utilité
Si les études coût-efficacité ont constitué le cadre d’analyse prédominant
pendant un certain temps, elles sont dorénavant supplantées par les études
coût-utilité qui correspondent aujourd’hui au format préférentiel, quoique
non exclusif, de l’évaluation économique des technologies de santé. En effet,
si plusieurs raisons expliquent la préférence initiale pour l’approche coût-
efficacité, notamment la possibilité de recourir à des indicateurs de résultats
validés et documentés par l’EBM, elle présente des limites de différents
ordres.
Sur le plan pragmatique, l’une des principales limites de l’ACE tient
au fait qu’elle conduit à focaliser la comparaison des stratégies sur un résultat
25
LES PRINCIPES DE BASE DE L’ÉVALUATION ÉCONOMIQUE EN SANTÉ
unidimensionnel d’efficacité, qu’il s’agisse du taux de pression artérielle ou de
l’espérance de vie. Or, il se peut que les résultats des traitements ne se limitent
pas à un seul effet commun. En comparaison de la stratégie thérapeutique
courante, un traitement innovant peut, par exemple, améliorer la survie mais
accroître la douleur ou réduire la mobilité des patients, ou freiner la progression
de la maladie au prix d’effets secondaires importants. Selon qu’on choisisse
comme indicateur d’efficacité la survie ou la qualité de vie, on voit bien que
l’efficacité comparative de l’innovation thérapeutique sera positive ou négative.
À travers cet exemple, on voit que, bien souvent, une évaluation de
type coût-efficacité risque de biaiser la comparaison en ne prenant en compte
qu’une partie des effets des traitements alternatifs. Il est en effet très fréquent
que les options étudiées affectent différemment la morbidité et la mortalité
des patients, l’effet portant alors à la fois sur la qualité de vie et sur la durée
(la quantité) de vie.
On peut ajouter que, d’un point de vue théorique, l’approche coût-
efficacité n’est pas clairement reliée à la théorie économique du Bien-Être
qui voudrait que les actions publiques soient évaluées dans le cadre de
l’approche coût-bénéfice. Elle devrait donc être rejetée car ne reposant pas
sur une mesure adéquate des résultats des actions entreprises.
Les QALYs et autres HALYs
Si pour les théoriciens, l’approche coût-utilité doit elle-même faire la
démonstration de son enracinement dans la théorie économique du Bien-
Être, elle peut y prétendre en mettant l’accent sur une mesure de résultat
composite qui veut appréhender simultanément l’effet des stratégies théra-
peutiques sur la qualité de vie (dont il reste à prouver qu’elle correspond au
concept d’utilité de la théorie économique) et sur la durée de vie.
D’une manière générale, il s’agit donc de capturer dans une seule et
même mesure l’espérance de vie, mesurée en années de vie, et la qualité de
cette survie. Ceci nous renvoie au concept fondamental de HALYs, l’acro-
nyme de Health-Adjusted Life Years en anglais, c’est-à-dire à la notion d’années
de vie ajustées sur le niveau de santé. Si ce concept de HALYs peut être
décliné de différentes façons, l’idée de base est bien de combiner un indica-
teur subjectif de qualité de vie associé à la santé (HRQoL ou Health-Related
Quality of Life en anglais) avec une mesure objective de durée de la survie.
Il existe au moins deux façons de mettre en œuvre le concept de
HALYs : les QALYs (Quality-Adjusted Life Years) et les DALYs (Disability-
Adjusted Life Years). Sans entrer dans le détail ici puisque ces aspects seront
traités dans les chapitres 5 et 6, on peut dire que, historiquement, les DALYs
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C. LE PEN, P. LÉVY
ont été développés dans une perspective de santé publique par l’OMS pour
donner une mesure du fardeau que font peser les maladies et les facteurs de
risque sur la population de tous les pays de la planète. Il s’agit ainsi de cap-
turer l’effet de ces affections à la fois sur la mortalité prématurée et sur le
handicap qu’elles peuvent engendrer. En mesurant les années de vie sans
incapacité perdues du fait de la maladie, il est donc question de donner une
estimation des effets du « fardeau global de la maladie » (global burden of
disease) au niveau populationnel par rapport à une situation idéale sans
maladie.
Sur des bases différentes, les QALYs ont été développés par les éco-
nomistes pour mesurer l’équivalent des années de vie en bonne santé qui
pouvaient être gagnées grâce à des interventions sanitaires. Si de ce point de
vue, on pourrait penser à une certaine complémentarité entre QALYs
(gagnés) et DALYs (perdus), le facteur d’ajustement n’est ni de même nature
(la qualité de vie dans le premier cas, le handicap ou l’incapacité dans le
second), ni obtenus par les mêmes méthodes, même si l’OMS a récemment
modifié la méthodologie d’estimation des DALYs.
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