8 Bordeaux Les Métamorphoses Dune Ville
8 Bordeaux Les Métamorphoses Dune Ville
a ville est un organisme vivant et, Bordeaux, un palimp- sément vivant. « Rien n’a bougé depuis l’époque de la fondation,
Les piliers
de Tutelle
Q
uand Bordeaux est- capitale de grandes cités romaines en tangle allongé autour d’un péri-
elle née ? A quand De l’aQuitaine Gaule, Burdigala ne possède pas mètre d’une petite trentaine d’hec- Démolis en 1677 sur ordre de Louis XIV, les vestiges
donc remonte l’ins- avant la construction encore de remparts, elle est libre tares. La surface de Burdigala de cet exceptionnel monument ont longtemps
tallation de l’homme des remparts, de toute limite. Au total, quelque diminue ainsi considérablement, fait partie du paysage familier des Bordelais.
Q
uelle ville magni- sionné ! » En réalité, le visage de leurs vins les enrichit considéra-
fique ! Avec ses fières Bordeaux a commencé à changer au début blement. A l’étroit dans ses rem-
murailles hérissées au milieu de l’époque médiévale : du xive siècle, parts, la ville repousse une nouvelle
de 46 tours, les hautes peu à peu, il s’étend vers le sud, la ville repousse fois ses murs: au début du xive siècle,
flèches de Saint-André au-delà du rempart romain, le quar- une nouvelle fois une troisième protection est en
qui dominent les clochers des nom- tier de la Rousselle (Saint-Eloi) se ses murs et une effet construite, qui va de Sainte-
breuses églises s’élançant vers les forme. Puis un nouveau bourg troisième protection Croix à Trompeyt (Chapeau-Rouge)
cieux et ces dizaines de bateaux apparaît autour de Saint-Michel… est construite. et reste aujourd’hui encore maté-
qui sillonnent la Garonne, Bordeaux A ces extensions une explication : rialisée par le tracé des cours installés
est, en cette fin de Moyen Age, à au début du xie siècle, les ducs au xviiie siècle à la place des anciens
l’apogée de sa puissance. Oubliés d’Aquitaine ont abandonné leur fossés. Les noms de rues apparais-
les temps obscurs qui ont suivi la palais de Saint-Projet pour se rap- sent et les grands axes portent les
chute de l’Empire romain ; oubliées procher du fleuve – cœur battant appellations qu’on leur connaît
les invasions des viiie et ixe siècles de l’activité économique. aujourd’hui. Dès lors, la structure
ainsi que l’an mil où la cité semblait urbaine ne va plus guère évoluer,
prostrée… «Ces remparts semblent Ouverture du marché anglais la ville s’équipe et s’organise de
dire au monde : Fuyez, étrangers ! aux vins de Bordeaux EN CHIFFRES l’intérieur : le palais de l’Ombrière
Je suis un coffre-fort imprenable », En 1152, le mariage d’Aliénor avec s’agrandit, les couvents se multi-
s’amuse Pierre Régaldo-Saint
Blancard, archéologue du service
régional de l’archéologie d’Aquitaine.
Henri ii, futur roi d’Angleterre,
place le duché sous domination
anglaise, pour le plus grand profit
146
hectares
plient, les travaux de construction
du clocher de Saint-Michel com-
mencent, avec l’ambition de dépas-
Avant de préciser : « D’ailleurs, au de l’économie locale. Les Bordelais, ser celui de Pey-Berland. La rivalité
milieu du xiiie siècle, même le roi
de Castille et de Tolède, en arrivant
regroupés en communes, obtien-
nent des privilèges exorbitants, et 25 000 est bien là, mais la fièvre de bâtir
a déserté Bordeaux. Momentané-
devant la ville, a été très impres- l’ouverture du marché anglais à haBitants ment. ● M. S.
‹ Tour de la grosse
Le palais de l’Ombrière cloche, aquarelle
d’auguste bordes,
Saint-Seurin
1845.
Le Palais de l’Ombrière la façade
(1415), aquarelle occidentale
b. rakotomanga/archives municipales de bordeaux
La porte
Saint-Eloi
Des six portes principales que compte
l’enceinte du bourg, Saint-Eloi demeure
indéniablement la plus majestueuse.
C’est l’entrée principale de la ville, celle
qu’empruntent les processions, celle que
« Ah, si on pouvait ouvrir les trottoirs autour du vieux palais ! L’archéologue Pierre Régaldo-Saint l’on pavoise lorsque des visiteurs importants L’antique basilique fondée au VIe siècle connaît un nouvel essor au Moyen Age.
Blancard rêverait de fouiller le sous-sol autour de l’Ombrière. Il y a forcément des vestiges enfouis viennent à Bordeaux, celle qui accueille Bien que située en dehors des remparts, elle attire de nombreux pèlerins, qui viennent
et nous savons si peu de choses… Seuls les plans dressés au XVIIIe siècle nous éclairent sur l’organisation les têtes grimaçantes des condamnés. vénérer le bâton de saint Pierre, déposé par saint Martial, ainsi que le cor de Roland.
interne. » Ce vaste ensemble qui englobait tout le pâté de maisons autour de l’actuelle place du Palais Protégée par un pont-levis qui enjambe Enfin, des générations de jeunes Bordelais ont usé leur fonds de culottes à Saint-Seurin :
a finalement été peu habité et a surtout servi, à l’époque moderne, de centre administratif. Vendu au un fossé, elle a été conçue (en 1356) autant poser les tout-petits sur la pierre tombale de saint Fort, installée dans la crypte,
moment de la Révolution, il fut démoli, puis loti. Les rues alentour conservent ainsi leur mystère. ● pour défendre que pour impressionner. ● assurait vigueur et force. Une croyance qui a perduré jusqu’à une période récente. ●
VI I l’express l’express I VII
spécial RÉGIONS
‹ la porte cailhau,
bâtie en l’honneur
de charles viii,
était la principale
Château Trompette et fort du Hâ
entrée dans la ville.
› Reconstitution
du château
b. rakotomanga/archives municipales de bordeaux
et le pont sur
La porte l’ancien Peugue
(1750). gravure
de léo drouyn,
Cailhau 1893.
‹ la place royale,
au xviiie siècle.
Grandes artères
permet de stocker les épices, les
plantes tinctoriales et les oléagineux
produits dans les colonies et réex-
portés vers l’Europe du Nord par
les négociants bordelais… « Toutes
ces mutations ont été possibles
grâce à la vitalité de l’économie
analyse Sylvain Schoonbaert his- son assise et se densifie à nou- et quartiers chics bordelaise, souligne Sylvain Schoon-
torien, architecte et urbaniste (1) veau », conclut Sylvain Schoon- Enfin, dernière transformation : baert. A partir de 1815, la bourgeoisie
auprès de la ville. Premier chan- baert. Deuxième changement la densification du tissu urbain, a repris la main, soutenue par la
gement majeur : ce grand boule- d’importance visible sur ce plan avec le développement de ces banque de Bordeaux, qui a permis
vard qui contourne la ville sur la colorisé : le développement de la échoppes, maisons basses typiques le financement d’infrastructures
rive gauche, concrétisation d’un Bastide – jusque-là dévolue à la auxquelles les Bordelais sont tant phares comme l’entrepôt Lainé ou
vieux souhait de la plupart des culture de la vigne – et l’arrivée attachés, la naissance de quartiers le pont de Pierre. »
édiles de limiter la croissance du chemin de fer. Le 20 septembre chics (Saint-Seurin, Saint-Genès, La cité lumière du xviiie siècle
désordonnée de l’agglomération. 1852, la gare d’Orléans, située tout EN CHIFFRES Sacré-Cœur…),la création de grandes est devenue une agglomération
En 1782, déjà, l’intendant Dupré près du pont de Pierre, accueille percées (cours Alsace-Lorraine, moderne, qui a su préserver son
de Saint-Maure avait réfléchi au
creusement d’un grand canal afin
de créer une première frontière ;
le premier train venu de Paris.
Les voyageurs doivent encore
emprunter barges et barques pour
4 217
hectares
rue vital-Carles…) qui facilitent la
circulation et aèrent un peu plus
la ville, etc. Au chapitre des construc-
centre ancien et a conquis sa péri-
phérie. Et le port de la Lune savoure
encore la douceur de vivre d’une
en 1807, l’ingénieur Pierrugues se rendre sur la rive gauche, et ce, tions notables : la place des Quin- ville provinciale. ● M. S.
imagine à son tour une ceinture, jusqu’à la construction de la pas- conces, venant remplacer l’encom-
assez proche de la ligne des cours. serelle Eiffel, en 1860. Troisième 260 000 brant château Trompette – dont
(1) Auteur de La Voirie bordelaise
au XIXe siècle, Presses universitaires
Mais, ce n’est qu’en 1853 que le mutation : le déplacement de l’ac- haBitants l’onéreuse démolition a été maintes de Paris-Sorbonne, 2007, 45 €.
premier pont
sur la Garonne,
il est construit sur
Percement du cours
ordre de napoléon.
Alsace-et-Lorraine
‹ la cathédrale
archives municipales de bordeaux
saint-andré,
› le quai louis-xviii,
face aux quinconces.
dr
Pont de Pierre
Jusqu’à la construction du pont de Pierre, seuls deux bacs
permettaient de rejoindre le quartier de la Bastide
à Sainte-Croix, et les deux rives restèrent longtemps ignorantes
L’esplanade des Quinconces
l’une de l’autre. En 1810, la création de ce pont fut décidée C’est au prix de quelque 200 expropriations et de la démolition du couvent Plusieurs idées furent proposées pour occuper l’immense esplanade sobre et vide, annoncée par deux colonnes
par Napoléon, qui avait rencontré des difficultés Saint-André que se fera le percement du cours Alsace-et-Lorraine, espace laissé vacant par la destruction, en 1818, du château aux allures de phare, garnies de proues de navire
pour acheminer ses troupes vers l’Espagne. devant relier la place Pey-Berland à la Garonne. En 1865, la destruction Trompette, notamment un somptueux projet de place et d’ancres marines supportant les allégories du Commerce
Le 25 août 1821, l’ouvrage, de 490 mètres de longueur, de cet édifice moyenâgeux suscita un grand émoi parmi les érudits bordelais, semi-circulaire, signé Victor Louis. Les édiles optèrent et de la Navigation. En 1902, le monument à la gloire
fut inauguré lors d’une cérémonie grandiose. ● et la colère de Victor Hugo. ● pour une réalisation diamétralement opposée : une grande des Girondins fut érigé à l’autre extrémité de l’esplanade. ●
XII I l’express l’express I XIII
spécial RÉGIONS
p. almasy/akg
XXe siècle La modernité
Deux autres opérations urbaines
marquent également durablement
l’ère Chaban : la refonte du quartier
Mériadeck
Mériadeck, et la création d’un sec- C’est l’archevêque de Bordeaux Maximilien-Ferdinand
Le réveil
de la belle endormie
Mais à la fin du xxe siècle, la ville
le vieux Mériadeck a fait place à un ensemble sur dalle,
froid et en hauteur, signé par l’architecte Jean Royer.
Conçu pour rassembler habitations, infrastructures
et bureaux, ce quartier a toujours peiné à trouver
un souffle. ●
p. blot/epicureans
‹ le complexe sportif conçu par
raoul jourde et jacques d’Welles.
Les échoppes
Destinées à abriter une population ouvrière,
ces maisons basses, construites de plain-pied
sur la rue et avec un petit jardin à l’arrière,
se sont massivement développées entre la fin
du XIXe siècle et le premier quart du XXe siècle,
notamment entre cours et boulevards. Aujourd’hui
très prisées des Bordelais, elles se négocient
discrètement entre eux. Au point de tomber rarement
entre les mains de promoteurs immobiliers. ●
d. schneider/urba images server
p. blot/epicureans
XXe siècle (suite)
labriet/photononstop/afp
Le tramway
Inauguré en 2003, le tramway a été conçu autour de trois lignes, 90 stations en 1995, c’est alain juppé
sur 44 kilomètres – une quatrième ligne de 33 kilomètres devant être mise qui lança le projet de tramway
en service dans quelques années. Presque débordé par son succès pour sa ville.
(350 000 passagers par jour et des périodes de saturation), il est sorti de terre
douloureusement – au terme de cinq années de travaux, qui ont balafré
le centre-ville. Selon Elizabeth Touton, adjointe (UMP) au maire, chargée
de l’aménagement urbain, du logement et des transports, la mise en place
du tramway aurait permis une baisse de 30 % de la circulation en centre-ville. ●
Le pont Jacques-Chaban-Delmas
g. bonnaud/photopqr/SUD-OUEST
Inauguré dans quelques semaines, cet ouvrage d’art aura nécessité quinze ans de le 1er janvier 2013, près
gestation et trois années de travaux. Long de 433 mètres, doté d’une travée centrale de 38 000 personnes sont venues
permettant le passage des plus hauts navires, il viendra boucler la ceinture se promener sur le pont.
des boulevards périphériques. Si l’opposition n’a jamais nié la nécessité d’un
franchissement, elle a d’emblée pointé le risque que ce pont expose les quartiers
de la Bastide aux nuisances d’une importante circulation. Elle a aussi regretté
son nom. « Chaban-Delmas est déjà partout, déplore Matthieu Rouveyre,
conseiller municipal (PS) et conseiller général. Nous avions proposé le nom
de Toussaint Bonaventure. Mais Alain Juppé n’en fait qu’à sa tête ! » ●
XVI I l’express