0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
109 vues87 pages

Cours

Vautrin tente de persuader Rastignac que la seule façon de réussir dans la société est d'agir de manière immorale et sans scrupules. Il analyse les ambitions du jeune homme et tourne en dérision le travail honnête. Il présente la compétition sociale comme une jungle où il faut se comporter comme des prédateurs pour s'approprier une destinée exceptionnelle.

Transféré par

Imade Aissou
Copyright
© © All Rights Reserved
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
109 vues87 pages

Cours

Vautrin tente de persuader Rastignac que la seule façon de réussir dans la société est d'agir de manière immorale et sans scrupules. Il analyse les ambitions du jeune homme et tourne en dérision le travail honnête. Il présente la compétition sociale comme une jungle où il faut se comporter comme des prédateurs pour s'approprier une destinée exceptionnelle.

Transféré par

Imade Aissou
Copyright
© © All Rights Reserved
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
Vous êtes sur la page 1/ 87

COURS DE FRANÇAIS

Classe de première

2021 - 2022

GUNTHER JEREMY

TPAA
Le baccalauréat, un rite de passage
Code couleur :

Jaune = figure de style

Vert = champs lexicaux

Bleu clair = grammaire

Violet = ponctuation

Rouge = conjugaison

Gris = rythme

Vert foncé = 5 sens

Bleu canard = procédés liés à l’objet d’étude.

1
La princesse de Clèves : le dilemme de la
passion
I) Parcours : individu, morale et société

A)Le discours de Vautrin, Le père Goriot, Balzac


a) Le texte

1 Voilà le carrefour de la vie, jeune homme, choisissez. Vous avez déjà choisi : vous êtes
2 allé chez notre cousine de Bauséant, et vous y avez flairé le luxe. Vous êtes allé chez madame
3 de Restaud, la fille du père Goriot, et vous y avez flairé la Parisienne. Ce jour-là vous êtes
4 revenu avec un mot écrit sur votre front, et que j'ai bien su lire Parvenir ! Parvenir à tout prix.
5 Bravo ! ai-je dit, voilà un gaillard qui me va. Il vous a fallu de l'argent. Où en prendre ? Vous
6 avez saigné vos sœurs. Tous les frères flouent plus ou moins leurs sœurs. Vos quinze cents
7 francs arrachés, Dieu sait comme ! Dans un pays où l'on trouve plus de châtaignes que de pièces
8 de cent sous, vont filer comme des soldats à la maraude. Après, que ferez-vous ? Vous
9 travaillerez ? Le travail, compris comme vous le comprenez en ce moment, donne, dans les
10 vieux jours, un appartement chez maman Vauquer, à des gars de la force de Poiret. Une rapide
11 fortune est le problème que se proposent de résoudre en ce moment cinquante mille jeunes gens
12 qui se trouvent tous dans votre position. Vous êtes une unité de ce nombre-là. Jugez des efforts
13 que vous avez à faire et de l'acharnement du combat. Il faut vous manger les uns les autres
14 comme des araignées dans un pot, attendu qu'il n'y a pas cinquante mille bonnes places. Savez-
15 vous comment on fait son chemin ici ? Par l'éclat du génie ou par l'adresse de la corruption. Il
16 faut entrer dans cette masse d'hommes comme un boulet de canon, ou s'y glisser comme une
17 peste. L'honnêteté ne sert à rien.

Honoré de Balzac, Le Père Goriot

2
b) Commentaire

i) Introduction

Etape 1 : Informations sur l’auteur

Balzac est un des principaux auteurs du début du 19e siècle, particulièrement connu pour sa Comédie Humaine, grande œuvre littéraire
composée de 92 ouvrages. Parmi les romans, nouvelles, contes et essais qui la composent, se distinguent ses « études de mœurs » qui explorent les
milieux sociaux et régions de la France. En effet, le projet de Balzac est celui du réalisme : peindre l’homme et la société tels qu’ils sont vraiment.
Observateur de génie, Balzac excelle dans la fabrication de personnages salissant de réalisme tels que Rastignac le jeune provincial ambitieux ou
Vautrin le hors-la-loi aux identités multiples.

Etape 2 : L’œuvre

Ces deux personnages sont issus du Père Goriot publié en 1835. Cette œuvre aborde le thème de l'amour paternel poussé jusqu'à la déraison.
Il donne aussi une vision globale de la société parisienne sous la Restauration et de toutes ses couches sociales, depuis les plus démunies jusqu'aux
plus élevées. Balzac décrit ainsi la maison Vauquer, pauvre pension parisienne où se côtoient les différents personnages. Notamment Rastignac le
jeune étudiant ambitieux, le pauvre Père Goriot ruiné par ses filles ingrates et le mystérieux Vautrin.

Etape 3 : Situation du passage et caractéristiques du texte.

Vautrin, l’un des personnages les plus imposants de La comédie humaine est un bagnard évadé qui se cache chez madame Vauquer, en se
faisant passer pour un négociant. Il se prend d’amitié pour Rastignac, dont il a compris l’ambition, mais aussi les doutes. En effet, plusieurs voies
s’offrent au jeune homme pour réussir. Sa mère lui recommande de poursuivre, avec patience et résignation ses études afin d’accéder à une situation
modeste mais sûre. Madame de Bauséant lui conseille d’entrer dans le grand monde par l’intermédiaire des femmes et de jouer sans scrupules la
comédie sociale. Vautrin tout en livrant sa conception de la société va lui proposer une troisième solution au sein d’un discours puissant, marqué
d’injonctions et de considérations polémiques.

Etape 4 : Problématique et plan

Comment Vautrin persuade-t-il Rastignac que l’immoralité est la seule solution pour réussir dans sa société ?

ii) Commentaire

Voilà le carrefour de la vie, Par quels procédés Vautrin dévoile-t-il les ambitions du jeune Rastignac ?
jeune homme, choisissez.
Vous avez déjà choisi : vous - Métaphore comparant la vie à un chemin, elle révèle les hésitations de Rastignac : il doit choisir comment
êtes allé chez notre cousine continuer sa vie.
de Bauséant, et vous y avez - L’impératif qui laisse planer le doute est annulé par le passé composé juste après : Rastignac par ses
flairé le luxe. Vous êtes allé actions a déjà fait un choix
chez madame de Restaud, la - Rappel en deux phrases parallèles des actions de Rastignac. « Vous êtes allé… vous êtes allé ».
fille du père Goriot, et vous - L’emploi du déterminant possessif « notre » montre que Vautrin s’associe à la démarche, impliquant qu’il
y avez flairé la Parisienne. aurait agi de la même manière que lui.
Ce jour-là vous êtes revenu
avec un mot écrit sur votre

1
front, et que j'ai bien su lire - Métaphore par « flairé » qui démarre le fil conducteur de la jungle social ; Rastignac a vu le grand luxe de
Parvenir ! Parvenir à tout Paris et s’est mis dans la posture d’un fauve qui tourne autour de ses proies. La proie étant « la Parisienne »
prix. Bravo ! ai-je dit, voilà qui n’est pas une individu mais un type interchangeable presque décrite comme une espèce animale.
un gaillard qui me va - Cette étude des motivations de Rastignac aboutit à un diagnostic sûr : il possède la rage de réussir.
« Parvenir ! Parvenir à tout prix. » Souligne l’ambition du jeune homme, l’usage de l’italique et du point
d’exclamation représente le caractère obsessionnel de l’ambition. L’utilisation de « à tout prix » annonce
la détermination farouche et sans scrupules.
- Cette énergie prête à tout pour arriver à ses fins choque la morale commune, soucieuse normalement de
ne pas nuire à la liberté d’autrui, mais elle provoque chez Vautrin l’approbation comme le montre son
exclamation « Bravo ! ». Il en profite pour déculpabiliser Rastignac et le mettre en confiance.

Il vous a fallu de l'argent. Où Comment Vautrin met-il en relief le besoin d’argent de Rastignac et comment tourne-t-il en dérision
en prendre ? Vous avez le travail honnête ?
saigné vos sœurs. Tous les
frères flouent plus ou moins - Grâce à de courtes phrases, Vautrin exprime les besoins d’argents de Rastignac. Il prend le risque de le
leurs sœurs. Vos quinze blesser par la métaphore « saigner » transformant le frère en un boucher égoïste et ingrat.
cents francs arrachés, Dieu - Cette brutalité est aussitôt atténuée en présentant cette exploitation familiale comme un phénomène naturel
sait comme ! Dans un pays par le présent de vérité générale, l’emploie de l’argot « flouent » plutôt que voler adoucit le propos, si
où l'on trouve plus de Vautrin parle des sœurs, il se garde bien d’évoquer la mère qui est pourtant la principale source de revenus
châtaignes que de pièces de de Rastignac.

2
cent sous, vont filer comme - Vautrin sait que ce peu d’argent ne suffit pas aux besoins d’un arriviste, il en décrit la fin rapide de manière
des soldats à la maraude. ironique, grâce à une comparaison avec des soldats à la maraude. Il se moque des origines de Rastignac,
Après, que ferez-vous ? la Charente, où les châtaignes sont généralement l’aliment des pauvres. L’image des soldats volant pour
Vous travaillerez ? Le se nourrir introduit le thème du combat social.
travail, compris comme vous - Les questions rhétoriques de Vautrin se moquent du travail honnête, idéal bourgeois permettant un
le comprenez en ce moment, bonheur simple mais sûr.
donne, dans les vieux jours, - L’antiphrase prend pour exemple Poiret afin de montrer ce que risque Rastignac s’il suit les conseils de
un appartement chez maman sa mère : finir ses études et suivre un travail honnête.
Vauquer, à des gars de la
force de Poiret.

Une rapide fortune est le Comment Vautrin présente-t-il la compétition qui a lieu dans cette société ?
problème que se proposent
de résoudre en ce moment - Afin de débarrasser Rastignac de ses derniers scrupules moraux, Vautrin brosse un tableau décourageant
cinquante mille jeunes gens de sa situation, insistant sur le nombre d’ambitieux et de l’insignifiance de sa situation grâce à l’antithèse
qui se trouvent tous dans entre « cinquante mille jeunes gens » et « unité ». Ainsi, il lui fait comprendre que pour s’approprier un
votre position. Vous êtes une destin exceptionnel, il devra utiliser des moyens exceptionnels
unité de ce nombre-là. Jugez - A travers Rastignac, Balzac dépeint les jeunes gens issus de la Restauration, privés des idéaux de la
des efforts que vous avez à Révolution et de l’Empire ils sont condamnés à un individualisme forcené, comme le montre la métaphore
faire et de l'acharnement du guerrière « l’acharnement du combat ». Cela donne une dimension épique aux ambitions du jeune homme.
combat. Il faut vous manger

3
les uns les autres comme des - Car ce combat n’est nullement héroïque, bien au contraire, il est sauvage et sans pitié car l’injonction « il
araignées dans un pot, faut vous manger les uns les autres » sorte de parodie de la parole christique « aimez-vous les uns les
attendu qu'il n'y a pas autres » appuie sur la violence sociale du combat. L’expression participe au champ lexical de la jungle
cinquante mille bonnes présent dans l’ensemble du passage.
places - La comparaison apporte un sens angoissant et répugnant au procédé, le pot suggérant un huis-clos
impitoyable. L’ambitieux est un cannibale qui se nourrit de ses rivaux.
- Cette donnée est soulignée par la sécheresse du vocabulaire mathématique avec « résoudre », « unité »,
nombre » etc. dans ce passage qui accentue la rigueur de la démonstration

Savez-vous comment on fait Toute l’argumentation de Vautrin tendait vers ce but : quelle méthode propose-t-il à Rastignac ?
son chemin ici ? Par l'éclat
du génie ou par l'adresse de - Vautrin tire les conclusions en filant la métaphore de la première ligne et propose sa méthode personnelle.
la corruption. Il faut entrer - Sa philosophie se présente sous une alternative cynique : « l’éclat du génie » ou « l’adresse de la
dans cette masse d'hommes corruption » excluant toute autre possibilité. Vautrin croit à l’existence du génie tel que Napoléon a pu
comme un boulet de canon, l’incarner mais reconnaît qu’il est rare. Ainsi, pour l’ambitieux dénué de génie seul reste la corruption.
ou s'y glisser comme une - L’alternative est répétée grâce à une double métaphore. L’image du boulet de canon fait référence au motif
peste. L'honnêteté ne sert à guerrier plus tôt ainsi qu’à l’épopée napoléonienne très présente dans les esprits de l’époque. L’image du
rien. serpent par le verbe « glisser » fait référence au motif animal de ce discours et rappelle le côté immoral de
la démarche. De plus, l’évocation de la peste compare l’ambition à une maladie contaminant le corps
social.

4
- Conclusion de ce raisonnement en présent de vérité générale : « L’honnêteté ne sert à rien », affirmant
cette fois avec force que la réussite n’est possible que par l’immoralité.

iii) Conclusion

Héros d’une envergure exceptionnelle, tentateur diabolique, Vautrin expose dans un langage alliant la gouaille du forçat à la précision du
dialecticien*, une méthode pour réussir qui repose sur une philosophie cynique* et immoraliste. Dans la position du maitre et du mentor, il va
résolument dans le sens de l’arrivisme de Rastignac* parce qu’il veut faire de lui un disciple et prendre à travers lui une nouvelle revanche contre
l’ordre social. Il incarne aussi, avec le romantisme des grands révoltés, la beauté du mal (FAIRE LE LIEN AVEC LA SEQUENCE 3
BAUDELAIRE).

Ce texte nous a permis de voir que la société se fait tentatrice, et que les personnages doivent résister ou céder à cette tentation. Ici, ce n’est pas
le personnage qui fait son choix mais le choix découle d’une certaine vision de la société : celle de Vautrin. Dans celle-ci, l’immoralité semble être
la seule porte de sortie, la seule voix de l’excellence à la portée de Rastignac. Pourtant, cela ne s’arrête pas là. Le personnage possède une capacité
de choix qu’il doit exercer pour définir qui il sera. La littérature de Balzac et celle de Madame de Lafayette à sa manière révèlent les normes de la
société qui agissent comme des tentations ou des limites par le biais de normes morales.

5
II) Princesse de Clèves
Problématique : Comment Mme de Lafayette présente-t-il le déchirement entre moral et désir
de son Héroïne ? Comment l’auteure montre l’influence de Cour ?

A)LL2/20, LL1/3 de la princesse de Clèves, l’arrivée à


la cour
a) Le texte

1 Il parut alors une beauté à la cour, qui attira les yeux de tout le monde, et l’on doit croire que c’était
2 une beauté parfaite, puisqu’elle donna de l’admiration dans un lieu où l’on était si accoutumé à voir
3 de belles personnes. Elle était de la même maison que le vidame de Chartres, et une des plus grandes
4 héritières de France. Son père était mort jeune, et l’avait laissée sous la conduite de madame de
5 Chartres, sa femme, dont le bien, la vertu et le mérite étaient extraordinaires. Après avoir perdu son
6 mari, elle avait passé plusieurs années sans revenir à la cour. Pendant cette absence, elle avait donné
7 ses soins à l’éducation de sa fille ; mais elle ne travailla pas seulement à cultiver son esprit et sa
8 beauté, elle songea aussi à lui donner de la vertu et à la lui rendre aimable. La plupart des mères
9 s’imaginent qu’il suffit de ne parler jamais de galanterie devant les jeunes personnes pour les en
10 éloigner : Madame de Chartres avait une opinion opposée ; elle faisait souvent à sa fille des
11 peintures de l’amour ; elle lui montrait ce qu’il a d’agréable, pour la persuader plus aisément sur ce
12 qu’elle lui en apprenait de dangereux ; elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs
13 tromperies et leur infidélité ; les malheurs domestiques où plongent les engagements ; et elle lui
14 faisait voir, d’un autre côté, quelle tranquillité suivait la vie d’une honnête femme, et combien la
15 vertu donnait d’éclat et d’élévation à une personne qui avait de la beauté et de la naissance ; mais
16 elle lui faisait voir aussi combien il était difficile de conserver cette vertu, que par une extrême
17 défiance de soi-même, et par un grand soin de s’attacher à ce qui seul peut faire le bonheur d’une
18 femme, qui est d’aimer son mari et d’en être aimée.

19 Cette héritière était alors un des grands partis qu’il y eût en France ; et, quoiqu’elle fût dans une
20 extrême jeunesse, l’on avait déjà proposé plusieurs mariages. Madame de Chartres, qui était
21 extrêmement glorieuse, ne trouvait presque rien digne de sa fille. La voyant dans sa seizième année,
22 elle voulut la mener à la cour. Lorsqu’elle arriva, le vidame alla au-devant d’elle ; il fut surpris de
23 la grande beauté de mademoiselle de Chartres, et il en fut surpris avec raison : la blancheur de son
24 teint et ses cheveux blonds lui donnaient un éclat que l’on n’a jamais vu qu’à elle ; tous ses traits
25 étaient réguliers, et son visage et sa personne étaient pleins de grâce et de charmes.
b) Le commentaire
i) Introduction

Etape 1 : L’auteur

Madame de Lafayette entretient une certaine proximité avec le courant janséniste par ses fréquentations. C’est notamment chez les Du
Plessis-Guénégaud qu’elle rencontre des artistes imprégnés de ce courant tel que Madame de Sévigné ou son ami La Rochefoucault. Le jansénisme
est une doctrine théologique influencée par les thèses de Saint Augustin (on parle parfois d’ailleurs d’augustinisme). Il a pour principe directeur un
accès au salut réservé à une élite morale, capable de s’astreindre à une vie stricte qu’illustre notamment la dernière retraite de la princesse.

Etape 2 : L’œuvre

L’histoire de la princesse de Clèves est intimement liée à ce courant. Tout au long de l’œuvre, la chute dans le péché menace sans répit.
Celui-ci est discrètement figuré par l’interprétation pessimiste de « l’inclination » et par la crainte de Mme de Chartres de voir sa fille « tomber
comme les autres femmes ». Sa mère incarne une sorte de conscience de ses menaces qui accompagnera la princesse jusque dans son renoncement
au monde, ultime solution pour atteindre la grâce divine et se sortir des « abîmes » et « précipices ».

Etape 3 : Situation et caractéristiques de l’extrait

Le roman s’ouvre sur un tableau de la cour de France sous le règne d’Henry 2, qui est marqué par les fêtes et la vie mondaine. C’est dans
ce cadre aux mœurs incertaines que la princesse doit s’inscrire. Ce texte présente au lecteur l’héroïne éponyme, sa perfection physique et
l’importance de son rang, mais aussi l’éducation morale, teintée d’augustinisme qu’elle a reçue de sa mère. Cette femme possède un amour de la
vertu autant qu’un amour de la gloire, c’est par cette contradiction qu’est présentée sa fille au lecteur dont le portrait reste en retrait derrière celui
de cette mère.
ii) Commentaire

Il parut alors une beauté à la cour, qui attira les yeux de Une figure parfaite d’héritière à marier
tout le monde, et l’on doit croire que c’était une beauté - Antéposition du verbe : apparition éblouissante
parfaite, puisqu’elle donna de l’admiration dans un lieu - Métonymie : cela efface la réalité de la personne au bénéfice de ses qualités. Sa
où l’on était si accoutumé à voir de belles personnes.
beauté s’impose comme une évidence unanimement reconnue. Cela suggère
Elle était de la même maison que le vidame de Chartres,
également de la curiosité chez le lecteur : quel sera son mariage ? quelle place la
et une des plus grandes héritières de France.
galanterie jouera-t-elle dans sa vie ?
- Présent de vérité générale : narratrice impose un argument d’autorité, elle se fait
experte en « belles personnes ». D’autant que la Cour est avare de leur
« admiration », l’héroïne est idéalisée et magnifiée.

Son père était mort jeune, et l’avait laissée sous la L’éloignement de la cour
conduite de madame de Chartres, sa femme, dont le
bien, la vertu et le mérite étaient extraordinaires. Après
avoir perdu son mari, elle avait passé plusieurs années - Rythme ternaire : bien matériel mais également moral.
sans revenir à la cour. Pendant cette absence, elle avait - Superlatif : une mère directrice de conscience entièrement dévouée à « la conduite »
donné ses soins à l’éducation de sa fille ; mais elle ne de sa fille et « aux soins » (c’est-à-dire au souci) de son éducation
travailla pas seulement à cultiver son esprit et sa beauté, - « Seulement et aussi » : double finalité, d’abord mondaine « l’esprit et la beauté »
elle songea aussi à lui donner de la vertu et à la lui rendre pour briller en société puis morale, ce qui ne va pas de soi dans le monde
aimable.
aristocratique.

1
La plupart des mères s’imaginent qu’il suffit de ne Une éducation plus sévère que mondaine
parler jamais de galanterie devant les jeunes personnes
- Mme de Chartres se distingue de « la plupart des autres mère » parce qu’elle préfère
pour les en éloigner : Madame de Chartres avait une
la force de l’exemple et la lucidité à la stratégie d’évitement communément adoptée
opinion opposée ; elle faisait souvent à sa fille des
qui consiste à « ne jamais parler de galanterie »
peintures de l’amour ; elle lui montrait ce qu’il a
d’agréable, pour la persuader plus aisément sur ce - Mode hyperbolique + discours indirect : Mme de Chartre présente une vision

qu’elle lui en apprenait de dangereux ; elle lui contait le pessimiste de l’amour, des dangers qui lui sont liés. Multiplication des
peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur modalisations péjoratives ou mélioratives.
infidélité ; les malheurs domestiques où plongent les - Antithèse : l’amour se définit par cette antithèse
engagements ; et elle lui faisait voir, d’un autre côté, - Accumulation et gradation : insiste sur les vices masculins. Mme de Chartre oppose
quelle tranquillité suivait la vie d’une honnête femme, la galanterie et ses dangers au repos exprimé par les mots « tranquillité/vertu ».
et combien la vertu donnait d’éclat et d’élévation à une - Discours indirect recourt à une séquence de trois propositions subordonnées
personne qui avait de la beauté et de la naissance ; mais
complétives introduites par des termes interrogatifs exclamatifs : Mme de Chartre
elle lui faisait voir aussi combien il était difficile de
démontre par-là les bienfaits de la vie d’« honnête femme ». Il y a bien sûr une
conserver cette vertu, que par une extrême défiance de
forme d’exagération qui suggère une légère ironie quand on sait combien les cours
soi-même, et par un grand soin de s’attacher à ce qui
de Louis 14 et d’Henry 2 témoigne peu de cette attitude vertueuse.
seul peut faire le bonheur d’une femme, qui est d’aimer
son mari et d’en être aimée. - Molière déclare : « la naissance n’est rien où la vertu n’est pas ». La revendication
de vertu est un lieu commun des courants moralistes de l’époque.
- Une injonction superlative : la difficulté est annoncée, le cheminement vers l’idéal
d’honnête femme sera d’une grande difficulté. D’où les conflits internes que subira
la princesse.

2
Cette héritière était alors un des grands partis qu’il y eût Une obligation mondaine : le mariage
en France ; et, quoiqu’elle fût dans une extrême
- Un superlatif péjoratif : cette mère exemplaire ne résiste pas aux tentations de
jeunesse, l’on avait déjà proposé plusieurs mariages.
l’amour propre puisqu’elle est « extrêmement glorieuse ».
Madame de Chartres, qui était extrêmement glorieuse,
- La princesse représente un intérêt financier et mondain cautionné par son oncle.
ne trouvait presque rien digne de sa fille. La voyant dans
sa seizième année, elle voulut la mener à la cour. Mme de Chartre introduit sa fille sur ce marché matrimonial de la Cour.
- Deux rythmes binaires : tous les attributs de la réussite sont là, beauté conforme aux
canons de l’époque.
Lorsqu’elle arriva, le vidame alla au-devant d’elle ; il
fut surpris de la grande beauté de mademoiselle de
Chartres, et il en fut surpris avec raison : la blancheur de
son teint et ses cheveux blonds lui donnaient un éclat
que l’on n’a jamais vu qu’à elle ; tous ses traits étaient
réguliers, et son visage et sa personne étaient pleins de
grâce et de charmes.

3
B) LL3/20, l’examen de conscience

a) Le texte

1 Après qu'on eut envoyé la lettre à Mme la dauphine, M. de Clèves et M. de Nemours s'en
2 allèrent. Mme de Clèves demeura seule, et sitôt qu'elle ne fut plus soutenue par cette joie que
3 donne la présence de ce que l'on aime, elle revint comme d'un songe ; elle regarda avec
4 étonnement la prodigieuse différence de l'état où elle était le soir d'avec celui où elle se
5 trouvait alors ; elle se remit devant les yeux l'aigreur et la froideur qu'elle avait fait paraître
6 à M. de Nemours, tant qu'elle avait cru que la lettre de Mme de Thémines s'adressait à lui,
7 quel calme et quelle douceur avaient succédé à cette aigreur, sitôt qu'il l'avait persuadée que
8 cette lettre ne le regardait pas. Quand elle pensait qu'elle s'était reproché comme un crime,
9 le jour précédent, de lui avoir donné des marques de sensibilité que la seule compassion
10 pouvait avoir fait naître, et que, par son aigreur, elle lui avait fait paraître des sentiments de
11 jalousie qui étaient des preuves certaines de passion, elle ne se reconnaissait plus elle-même.
12 Quand elle pensait encore que M. de Nemours voyait bien qu'elle connaissait son amour,
13 qu'il voyait bien aussi que, malgré cette connaissance, elle ne l'en traitait pas plus mal en
14 présence même de son mari, qu'au contraire elle ne l'avait jamais regardé si favorablement,
15 qu'elle était cause que M. de Clèves l'avait envoyé quérir et qu'ils venaient de passer une
16 après-dînée ensemble en particulier, elle trouvait qu'elle était d'intelligence avec M. de
17 Nemours, qu'elle trompait le mari du monde qui méritait le moins d'être trompé, et elle était
18 honteuse de paraître si peu digne d'estime aux yeux même de son amant. Mais, ce qu'elle
19 pouvait moins supporter que tout le reste, était le souvenir de l'état où elle avait passé la nuit,
20 et les cuisantes douleurs que lui avait causées la pensée que M. de Nemours aimait ailleurs
21 et qu'elle était trompée.

22
b) Le commentaire
i) Introduction

Etape 1 : Auteur

Autour de Madame de Lafayette coexistent deux visions du monde : Bossuet, Racine et Boileau qui considèrent la misère humaine
comme une fatalité sans issue, que seule la grâce divine viendra peut-être sauver. Moins hostiles à la société : La Rochefoucauld, Madame
de Sévigné, Molière, La Fontaine et le vieux Corneille intègrent leur pessimisme à une morale de l’honnêteté. Ces deux visions inspirent
Madame de Lafayette qui propose dans son œuvre une synthèse faite de fatalité et d’honnêteté.

Etape 2 : Œuvre

Cette synthèse s’opère au cours de soliloques intérieurs dans lesquels l’héroïne est victime de sa passion, s’imposant à elle comme
une fatalité dont elle cherche à se soustraire par l’introspection. La princesse de Clèves est en cela une œuvre fondatrice, le récit intègre à
l’action la réflexion du personnage principal qui vit sa passion et l’analyse, sous le regard du narrateur et de celui du lecteur.

Etape 3 : Texte et problématique

Dans ce texte, Madame de Clèves fait le bilan de l’après-midi qu’elle a passé à écrire la fausse lettre destinée à abuser la reine. La
lettre enfin envoyée, elle reste seule, et comme dégrisée, elle examine ce qui vient de se passer. Dans ce long soliloque, elle porte un bilan
sans complaisance sur l’événement passé et formule une série de résolutions et d’anticipations volontariste de l’avenir. La narration de ce
texte est également originale, oscillant entre l’omniscience et la formulation directe des pensées de l’héroïne, opérant une sorte de fusion
du « elle » et du « je »
ii) Commentaire

Après qu'on eut envoyé la lettre à Mme la dauphine, Des circonstances propices à la méditation
M. de Clèves et M. de Nemours s'en allèrent. Mme de
- La première phrase courte, à l’instar de la dernière, encadre la longue introspection de la
Clèves demeura seule, et sitôt qu'elle ne fut plus
princesse.
soutenue par cette joie que donne la présence de ce
- Le passage commence par une série de passés simples, qui énoncent les circonstances propices
que l'on aime, elle revint comme d'un songe ; elle
à la méditation « demeura seule ».
regarda avec étonnement la prodigieuse différence
- La solitude favorise un retour au réel, dont la brutalité est mise en valeur par trois passés
de l'état où elle était le soir d'avec celui où elle se
simples : « revient », « regarda » et « se remit »
trouvait alors ; elle se remit devant les yeux l'aigreur
- L’imparfait devient ensuite le seul temps utilisé, cela jusqu’à la fin du récit. Il traduit ici le
et la froideur qu'elle avait fait paraître à M. de
bilan quelle fait de cette journée.
Nemours, tant qu'elle avait cru que la lettre de
- Le discours paraît être de l’indirect libre : il y a une absence de verbe de parole introducteur
Mme de Thémines s'adressait à lui, quel calme et
pour les interrogatives indirectes. Le narrateur se mélange à la princesse, elle se remémore
quelle douceur avaient succédé à cette aigreur, sitôt
l’échange qu’elle à eu avec l’objet de sa passion.
qu'il l'avait persuadée que cette lettre ne le regardait
- Le Démonstratif « cette » renforce cette interprétation. Il rappelle l’objet la douleur ressentie
pas.
par la princesse à sa lecture, le démonstratif sonne comme un rejet.

Quand elle pensait qu'elle s'était reproché comme un La princesse démêle ses sentiments
crime, le jour précédent, de lui avoir donné des
- Le récit commence à la 3e personne, avec un narrateur omniscient qui entre dans la conscience
marques de sensibilité que la seule compassion
de Mme de Clèves. Philippe Sellier parle de « transparence intérieure » à propos de cette
pouvait avoir fait naître, et que, par son aigreur, elle
narration.
lui avait fait paraître des sentiments de jalousie qui
étaient des preuves certaines de passion, elle ne se

1
reconnaissait plus elle-même. Quand elle pensait - Les verbes à l’imparfait remplacent ceux au passé simple. Leur statut n’est pas sans ambiguïté,
encore que M. de Nemours voyait bien qu'elle soit ils sont l’interprétation du narrateur qui rend compte de tout ce que pense l’héroïne, soit
connaissait son amour, qu'il voyait bien aussi que, ils sont la marque du style direct.
malgré cette connaissance, elle ne l'en traitait pas - L’attaque de la phrase suggère que la princesse est prise sur le vif, la tournure rappelle
plus mal en présence même de son mari, qu'au l’expression « quand je pense que ».
contraire elle ne l'avait jamais regardé si - Répétitions de « pensait », « voyait » « fait paraître » et « aigreur » traduisent le ressassement
favorablement, qu'elle était cause que M. de Clèves qui s’installe dans cette âme profondément bouleversée, comme si la monotonie du lexique
l'avait envoyé quérir et qu'ils venaient de passer une imitait le processus des pensées intimes
après-dînée ensemble en particulier, elle trouvait - Vagues successives de subordonnées amène chaque fois une surprise que résume la formule
qu'elle était d'intelligence avec M. de Nemours, « ne se reconnaissait plus elle-même »
qu'elle trompait le mari du monde qui méritait le - Les concessions/oppositions traduisent la « prodigieuse différence » entre les états successifs
moins d'être trompé, et elle était honteuse de paraître de Mme de Clèves, le désordre dans lequel elle se débat, le combat intérieur qu’elle mène et,
si peu digne d'estime aux yeux même de son amant. à cette étape, la constatation que la passion exerce sur elle une emprise profonde.

2
- Le déroulement de la phrase reproduit le défilé des pensées qui s’engendre les unes les autres
dans la conscience tourmentée de Mme de Clèves, mais la conclusion surprenante, à laquelle
aboutit la fin de la phrase, sape l’analyse tout entière : c’est auprès de M. de Nemours qu’elle
ne veut pas démériter.

Mais, ce qu’elle pouvait moins supporter que tout le Une conclusion « désespérante »
reste, était le souvenir de l’état où elle avait passé la
- Le superlatif : exprime la jalousie ressentie par la princesse. Celle-ci lui a révélé l’étendu de sa
nuit, et les cuisantes douleurs que lui avait causées la
passion.
pensée que M. de Nemours aimait ailleurs et qu’elle
- Le texte s’achève sur une pensée destinée à M. de Nemours, cette impuissance de la vertu sur
était trompée.
la passion suggère la fatalité dans laquelle la princesse est prise.

3
- Philippe Sellier parle « d’intensité méditative » de la princesse c’est-à-dire d’une analyse
scrupuleuse des replis du cœur, des détours infinis de la réflexion.

4
A)LL2/20, LL1/3 de la princesse de Clèves, l’arrivée à
la cour
a) Le texte

1 —Je veux vous parler encore avec la même sincérité que j'ai déjà commencé, reprit-elle, et je
2 vais passer par-dessus toute la retenue et toutes les délicatesses que je devrais avoir dans une
3 première conversation, mais je vous conjure de m'écouter sans m'interrompre.

4 «Je crois devoir à votre attachement la faible récompense de ne vous cacher aucun de mes
5 sentiments, et de vous les laisser voir tels qu'ils sont. Ce sera apparemment la seule fois de ma
6 vie que je me donnerai la liberté de vous les faire paraître; néanmoins je ne saurais vous avouer,
7 sans honte, que la certitude de n'être plus aimée de vous, comme je le suis, me paraît un si
8 horrible malheur, que, quand je n'aurais point des raisons de devoir insurmontables, je doute si
9 je pourrais me résoudre à m'exposer à ce malheur. Je sais que vous êtes libre, que je le suis, et
10 que les choses sont d'une sorte que le public n'aurait peut-être pas sujet de vous blâmer, ni moi
11 non plus, quand nous nous engagerions ensemble pour jamais. Mais les hommes conservent-ils
12 de la passion dans ces engagements éternels? Dois-je espérer un miracle en ma faveur et puis-
13 je me mettre en état de voir certainement finir cette passion dont je ferais toute ma félicité?
14 Monsieur de Clèves était peut-être l'unique homme du monde capable de conserver de l'amour
15 dans le mariage. Ma destinée n'a pas voulu que j'aie pu profiter de ce bonheur; peut-être aussi
16 que sa passion n'avait subsisté que parce qu'il n'en aurait pas trouvé en moi. Mais je n'aurais pas
17 le même moyen de conserver la vôtre: je crois même que les obstacles ont fait votre constance.
18 Vous en avez assez trouvé pour vous animer à vaincre; et mes actions involontaires, ou les
19 choses que le hasard vous a apprises, vous ont donné assez d'espérance pour ne vous pas rebuter.

20

21
b) Commentaire

Etape 1 : L’auteur

Etape 2 L’œuvre :

L’aveu de Mme de Clèves à son mari a mis en marche en engrenage fatal qui a provoqué la mort de M. de Clèves. La princesse, plongée dans une
grande affliction s’est retirée de la Cour et reçoit, quelques mois après, la visite du duc de Nemours. Il aura donc fallu attendre la fin du roman pour
que les deux personnages puissent enfin se parler sincèrement.

Etape 3 Le texte :

Dans cet extrait, la Princesse de Clèves, loin des regards inquisiteurs de la Cour, avoue donc ses sentiments au duc mais argumente aussi, avec
raison, les choix de son renoncement.

Etape 4 : problématique

En quoi cette scène d’aveu confirme-t-elle l’héroïsme de la princesse ?


-Je veux vous parler encore avec la même Un aveu sincère
sincérité que j’ai déjà commencé, reprit-
- Le temps des verbes montre la détermination sans faille.
elle, etje vais passer par-dessus toute la
- La princesse est dans une position de supériorité, elle est et le sujet de chacune de ces
retenue et toutes les délicatesses que je
phrases d’introduction, alors que de Nemours est maintenu dans une position d’objet
devrais avoir dans une première
(COD)
conversation, mais je vous conjure de
- La pensée et la parole se déroulent en un flot ininterrompu, c’est un moment presque
m’écouter sans m’interrompre.
cathartique pour la princesse.
« Je crois devoir à votre attachement la faible - Une conversation intime est retranscrite par le discours direct, rare dans le roman.
récompense de ne vous cacher aucun de mes - La princesse insiste sur l’originalité de sa démarche en totale opposition aux codes de
sentiments, et de vous les laisser voir tels bienséance de l’époque avec une formulation hyperbolique
qu’ils sont. - L’évocation du devoir s’oppose au lexique amoureux des sentiments et renvoie à
l’obligation morale ainsi qu’à son éducation vertueuse. Son discours est motivé par la
raison, et non par la passion.

Ce sera apparemment la seule fois de ma vie Les raisons de son renoncement : La passion n’est pas éternelle
que je me donnerai la liberté de vous les faire - L’adjectif « seule » a valeur de modalisateur qui marque sa force morale ainsi que le
paraître ; néanmoins je ne saurais vous caractère exceptionnel de ce moment : la princesse qui a passé tout le roman à cacher ses
avouer, sans honte, que la certitude de n’être sentiments se donne la liberté de les laisser apparaître.
plus aimée de vous, comme je le suis, me - L’adverbe d’opposition « néanmoins » marque le tournant dans le discours.
paraît un si horrible malheur, que, quand je - La princesse adopte désormais une expression plus pudique, avec l’usage d’une litote.
n’aurais point des raisons de devoir

1
insurmontables, je doute si je pourrais me - C’est avant tout parce qu’elle craint que le duc arrête de l’aimer qu’elle ne veut pas donner
résoudre à m’exposer à ce malheur. Je sais suite à cet amour, et ce serait uniquement par le mariage (« devoirs insurmontables »)
que vous êtes libre, que je le suis, et que les qu’elle pourrait surmonter cette épreuve.
choses sont d’une sorte que le public n’aurait - En effet, l’idée qu’il cesse de l’aimer est évoquer par un lexique hyperbolique et tragique
peut-être pas sujet de vous blâmer, ni moi non - L’héroïne admet qu’il est socialement possible qu’ils s’épousent, par une périphrase
plus, quand nous nous engagerions ensemble décrivant le mariage, mais c’est pour aussitôt attaquer à nouveau la pérennité des
pour jamais. Mais les hommes conservent-ils sentiments amoureux.
de la passion dans ces engagements éternels - Questions rhétoriques rappelant l’inconstance de l’amour des hommes, comme le lui a
? Dois-je espérer un miracle en ma faveur et appris sa mère.
puis-je me mettre en état de voir certainement - La princesse expose ici un idéal exigeant : celui d’un amour éternel, quasiment divin
finir cette passion dont je ferais toute ma évoqué par un champ lexical religieux.
félicité ?

Monsieur de Clèves était peut-être Parallèle avec le mari défunt et analyse des mécanismes du désir
l’unique homme du monde capable de - Phrase élogieuse et hyperbolique servant à comparer et effacer le duc de Nemours.
conserver de l’amour dans le mariage. Ma - L’éloge est toutefois mise en doute par le modalisateur « peut-être » et l’emploi du
destinée n’a pas voulu que j’aie pu profiter conditionnel passé renforçant la méfiance que la princesse entretient envers les sentiments
de ce bonheur ; peut-être aussi que sa des hommes.
passion n’avait subsisté que parce qu’il - L’utilisation du mot « destinée » évoque le registre tragique et participe à l’analyse du
n’en aurait pas trouvé en moi. Mais je
désir. La princesse de Clèves est une héroïne tragique, ses sentiments pour le duc sont
n’aurais pas le même moyen de conserver

2
la vôtre : je crois même que les obstacles hors de son contrôle, l’ont empêchée de vivre heureuse son mariage, et ont causé la mort
ont fait votre constance. Vous en avez de son mari. La passion est une fatalité.
assez trouvé pour vous animer à vaincre ; - Une fine analyse des mécanismes de la passion et du désir est exprimée ici : ce serait
et mes actions involontaires, ou les choses précisément parce que le prince de Clèves n’était pas aimé en retour que son amour
que le hasard vous a apprises, vous ont demeurait intact. Le désir disparaît une fois satisfait.
donné assez d’espérance pour ne vous pas - Ainsi, c’est justement parce qu’elle aime le duc qu’elle ne peut accepter une relation, elle
rebuter. est trop sûre que les sentiments du duc seront temporaires, que ce sont les « obstacles »
qui ont alimenté cet amour.
- Elle insiste sur son innocence grâce à un lexique qui la dédouane. La princesse n’est pas
coupable, elle est au contraire victime de ses sentiments.

Conclusion

Ainsi cet extrait confirme bien le caractère héroïque et exceptionnel de la princesse. C’est en raison d’un idéal amoureux (supérieur à
l’amour proprement humain) qu’elle renonce à Nemours, plus peut-être que par devoir et par vertu. De plus, elle a atteint une lucidité et
une capacité d’analyse particulièrement aiguës, qui sont en fait finalement sa seule force et sa seule liberté : renonçant à l’amour, elle
renonce aussi à la vie mais aucune alternative n’était possible car céder à l’amour était aussi renoncer à vivre en paix ; seule la libère sa
clairvoyance, qui est une sorte de révolte face à cette tragédie de l’existence.

3
Juste la fin du monde : raconter l’indicible,
ou la lutte pour dire

I) Parcours : crise familiale, crise personnelle

A) La colère de Thésée, Phèdre, Acte 4 scène 2


a) Le texte
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

THÉSÉE

Perfide, oses-tu bien te montrer devant moi ?


1045 Monstre, qu'a trop longtemps épargné le tonnerre,
Reste impur des brigands dont j'ai purgé la terre,
Après que le transport d'un amour plein d'horreur
Jusqu'au lit de ton père a porté sa fureur,
Tu m'oses présenter une tête ennemie !
1050 Tu parais dans des lieux pleins de ton infamie,
Et ne vas pas chercher, sous un ciel inconnu,
Des pays où mon nom ne soit point parvenu !
Fuis, traître ! Ne viens point braver ici ma haine,
Et tenter un courroux que je retiens à peine.
1055 C'est bien assez pour moi de l'opprobre éternel
D'avoir pu mettre au jour un fils si criminel,
Sans que ta mort encor, honteuse à ma mémoire,
De mes nobles travaux vienne souiller la gloire.
Fuis ; et si tu ne veux qu'un châtiment soudain
1060 T'ajoute aux scélérats qu'a punis cette main,
Prends garde que jamais l'astre qui nous éclaire
Ne te voie en ces lieux mettre un pied téméraire.
Fuis, dis-je ; et sans retour précipitant tes pas,
De ton horrible aspect purge tous mes États.
1065 Et toi, Neptune, et toi, si jadis mon courage
D'infâmes assassins nettoya ton rivage,
Souviens-toi que pour prix de mes efforts heureux
Tu promis d'exaucer le premier de mes vœux.
Dans les longues rigueurs d'une prison cruelle
1070 Je n'ai point imploré ta puissance immortelle.
Avare du secours que j'attends de tes soins,
Mes vœux t'ont réservé pour de plus grands besoins :
Je t'implore aujourd'hui. Venge un malheureux père.
J'abandonne ce traître à toute ta colère ;
1075 Étouffe dans son sang ses désirs effrontés :
Thésée à tes fureurs connaîtra tes bontés
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

b) Commentaire

Alors qu’on le croyait mort, Thésée revient dans son palais. Oenone a su le persuader
qu’Hippolyte aimait Phèdre d’un « amour criminel » v1030. C’est à ce moment qu’Hippolyte,
ignorant tout, vient à la rencontre de son père. Tandis qu’il s’avance, le père et le fis s’observent.
Thésée est impressionné par le « noble maintient » v1035 de celui qu’il croit coupable ;
Hippolyte est surpris par le sombre visage du roi.

Dans ce texte Thésée prend les positions de roi, de père et de juge. Après avoir établi la
culpabilité de celui qu’il ne nomme plus son fils, il l’exhorte de fuir pour finalement le
condamner à la mort. Cette mort devant les dieux scelle le destin d’Hippolyte et fatalement ceux
de Phèdre, Aricie et Thésée lui-même.

Comment cette scène constitue-t-elle une crise tragique entre Thésée et Hippolyte qui vient
sceller leur destin ?

Le texte peut se découper en deux parties :

Thésée juge son fils vers 1044 au vers 1064

La peine d’Hippolyte est aggravée des vers 1065 à 1076.

B) La colère d’un père et roi, jugeant son fils


coupable v 1044 – 1064
a) Le rappel du crime vers 1044 à 1050

Le père hors de lui désigne son fils par « monstre » v 1045 ou « perfide » v 1044. La culpabilité
de son fils ne fait aucun doute. Au vers suivant Hippolyte est comparé aux « brigands » que son
père a puni de mort « dont j’ai purgé la terre ». Cette référence rappelle les exploits de Thésée
face à des malfaiteurs mettant en danger la sécurité de Trézène.

Les deux apostrophes « perfide » puis « monstre » renvoient aux deux fautes d’Hyppolite. Sa
première est de chercher à cacher sa faute, son père admire son « noble maintien » v 1035. Pour
Thésée cela est la preuve de la trahison de son fils. Sa seconde faute, la plus grave est l’inceste
désigné par le « lit » vers 1048. La métonymie du lit (on substitue ici un objet concret le lit à la
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

femme prétendument aimée Phèdre) évite à Thésée de prononcer le nom de sa femme, il la


garde à distance de l’inceste.

Le roi fait allusion à ce crime par le mot « transport » (mouvement violent) et surtout la rime
« horreur/fureur » exprimant le dégout ressenti devant le caractère monstrueux du crime.

b) La sentence du roi des vers 1051 à 1064.

Dans une suite d’injonctions Thésée annonce à son fils sa peine : l’exile. « ne vas pas
chercher », v1051 « Fuis, traître ! » v1053. Cet ordre est rappelé à deux autres reprises aux vers
1059, et 1063. L’impératif monosyllabique, placé chaque fois en tête de vers, sonne comme un
cri de rage. Ici Thésée incarne l’Hybris grecque : c’est-à-dire la démesure.

Or cette démesure va trouver son paroxysme dans la seconde partie de cette tirade.

C) Le roi s’adresse à Neptune vers 1065 au vers


1076

a) Thésée apostrophe Neptune des vers 1065 à 1071 …

Ce passage est un moment essentiel pour la logique de l’action. Racine y montre une nouvelle
facette du danger des passions, à savoir ici de la colère. La fureur amène Thésée à une sort de
folie meurtrière. Il adresse à Neptune une prière terrible. Dès lors, tout va s’enchainer car la
prière sera entendue : le dénouement tragique devient inévitable.

A partir de vers 1065, le roi met de côté son fils, à ses yeux Hippolyte n’existe plus et sans
transition il s’adresse à Neptune. Il lui adresse une prière pour que le malheur fonde sur le
coupable. Malgré le changement d’interlocuteur cette imprécation (malédiction) est intimement
liée à ce qui la précède : elle est construite sur les mêmes tournures.

Elle débute par une apostrophe vigoureuse, renforcée par les pronoms d’insistance « Et toi,
Neptune, et toi » v 1065, et se développe à partir de trois impératifs « Souviens toi » V 1067,
« Venge un malheureux père » v 1073 « Etouffe dans son sang » V 1075. Notons que les trois
verbes formes une gradation ; de plus en plus précise, de plus en plus concrètes.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

b) …Pour condamner son fils à mort v 1071 jusqu’à la fin

La formule « je t’implore aujourd’hui » v 1073 tempère à peine l’âpreté du ton. Parvenu au


dernier degré de la fureur, Thésée exige la mort de son fils avec une véhémence qui ne peut
manquer d’être exaucée.

Au vers 1074 Thésée, qu’on aurait pu croire s’en tenir à l’exile, ne cherche plus à se retenir. Il
cède et « abandonne » le châtiment à Neptune.

Au vers 1075 Thésée rappelle l’inceste de son fils : « désirs effrontés », encore une fois dans le
registre des passions, le désir désignant la dimension amoureuse et charnelle. Thésée, est un
père outragé mais également un homme touché dans sa « virilité ».

De plus, le thème du « sang » apparait au vers 1075, il annonce l’horrible massacre de l’acte V.
Le futur du dernier vers (« connaîtra ») traduit la certitude d’être exaucé. L’impressionnante
antithèse « fureurs »/ « bontés » au vers 1076 sonnant à la fin des deux hémistiches porte une
charge de menace grandiose : Thésée a ébranlé une force désormais irréversible. Le sort
d’Hippolyte est scellé. A vous de rédiger la conclusion et l’ouverture !

Conclusion : A vous de jouer. Aidez des tableau ci-dessous pour la rédiger.


Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

Triomphe de Neptune, debout sur un char tiré par deux chevaux marins (hippocampes).
Mosaïque d'Hadrumète (Sousse) du milieu du IIIe siècle ap. J.-C. Musée archéologique de
Sousse.

Goya, Saturne dévorant son fils


Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

II) Parcours Juste la fin du monde


Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

A) LL 1, Le prologue
a) Le texte
LOUIS
1 — Plus tard, l’année d’après
2 – j’allais mourir à mon tour –
3 j’ai près de trente-quatre ans maintenant et c’est à cet âge que je mourrai,
4 l’année d’après,
5 de nombreux mois déjà que j’attendais à ne rien faire, à tricher, à ne plus savoir,
6 de nombreux mois que j’attendais d’en avoir fini,
7 l’année d’après,
8 comme on ose bouger parfois,
9 à peine,
10 devant un danger extrême, imperceptiblement, sans vouloir faire de bruit ou commettre un geste trop violent qui
11 réveillerait l’ennemi et vous détruirait aussitôt,
12 l’année d’après,
13 malgré tout,
14 la peur,
15 prenant ce risque et sans espoir jamais de survivre,
16 malgré tout,
17 l’année d’après,
18 je décidai de retourner les voir, revenir sur mes pas, aller sur mes traces et faire le
19 voyage,
20 pour annoncer, lentement, avec soin, avec soin et précision
21 – ce que je crois –
22 lentement, calmement, d’une manière posée
23 – et n’ai-je pas toujours été pour les autres et eux, tout précisément, n’ai-je pas toujours été un homme posé ?,
24 pour annoncer,
25 dire,
26 seulement dire,
27 ma mort prochaine et irrémédiable,
28 l’annoncer moi-même, en être l’unique messager,
29 et paraître
30 – peut-être ce que j’ai toujours voulu, voulu et décidé, en toutes circonstances et depuis le plus loin que j’ose me
31 souvenir –
32 et paraître pouvoir là encore décider,
33 me donner et donner aux autres, et à eux, tout précisément, toi, vous, elle, ceux-là
34 encore que je ne connais pas (trop tard et tant pis),
35 me donner et donner aux autres une dernière fois l’illusion d’être responsable de moi-
36 même et d’être, jusqu’à cette extrémité, mon propre maî
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

B) Soliloque de Suzanne
a) Le texte

1 Je ne pars pas, je reste,


2 je vis où j’ai toujours vécu mais je ne suis pas mal.
3 Peut-être
4 (est-ce qu’on peut deviner ces choses-là ?)
5 peut-être que ma vie sera toujours ainsi, on doit se résigner, bon,
6 il y a des gens et ils sont le plus grand nombre,
7 il y a des gens qui passent toute leur existence là où ils sont nés
8 et où sont nés avant eux leurs parents,
9 ils ne sont pas malheureux,
10 on doit se contenter,
11 ou du moins ils ne sont pas malheureux à cause de ça, on ne peut pas le dire,
12 et c’est peut-être mon sort, ce mot-là, ma destinée, cette vie.
13 Je vis au second étage, j’ai ma chambre, je l’ai gardée,
14 et aussi la chambre d’Antoine
15 et la tienne encore si je veux,
16 mais celle-là, nous n’en faisons rien,
17 c’est comme un débarras, ce n’est pas méchanceté, on y met les vieilleries qui ne
18 servent plus mais qu’on n’ose pas jeter,
19 et d’une certaine manière,
20 c’est beaucoup mieux,
21 ce qu’ils disent tous lorsqu’ils se mettent contre moi,
22 beaucoup mieux que ce que je pourrais trouver avec l’argent que je gagne si je partais.
23 C’est comme une sorte d’appartement.
24 C’est comme une sorte d’appartement, mais, et ensuite j’arrête,
25 mais ce n’est pas ma maison, c’est la maison de mes parents,
26 ce n’est pas pareil,
27 tu dois pouvoir comprendre cela.
28
29 J’ai aussi des choses qui m’appartiennent, les choses ménagères,
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

30 tout ça, la télévision et les appareils pour entendre la musique


31 et il y a plus chez moi, là-haut,
32 je te montrerai
33 (toujours Antoine),
34 Il y a plus de confort qu’il n’y en a ici-bas
35 non, pas « ici-bas », ne te moque pas de moi,
36 qu’il n’y en a ici.
37 Toutes ces choses m’appartiennent,
38 Je ne les ai pas toutes payées, ce n’est pas fini,
39 mais elles m’appartiennent
40 et c’est à moi, directement,
41 qu’on viendrait les reprendre si je ne les payais pas.
42
43 Et quoi d’autre encore ?
44 Je parle trop mais ce n’est pas vrai,
45 je parle beaucoup quand il y a quelqu’un, mais le reste du
46 temps, non,
47 sur la durée cela compense,
48 je suis proportionnellement plutôt silencieuse.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

b) Le commentaire

Texte :

Après avoir décrit le pavillon où vivent Antoine et Catherine, Suzanne évoque sa vie
dans la maison familiale. Parvenue à la fin d’un long soliloque face à son frère mutique,
Suzanne affirme qu’elle est d’ordinaire silencieuse. Tout au long de l’extrait elle ne cesse de
parler en empruntant les mots des autres. Cela transmet le désir de Suzanne de dire quelque,
d’affirmer à son frère son identité et en même temps son incapacité par la parole à s’émanciper
des mots des autres.

Problématique :

Comment la crise du langage de Langage révèle sa crise personnelle ?

Ou

En quoi le soliloque de Suzanne révèle-t-il sa solitude et sa difficulté à affirmer son identité


propre ?
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

Une réflexion générale sur le gens


Je ne pars pas, je reste,
je vis où j’ai toujours vécu mais je ne suis pas mal. - Suzanne parle avec les mots d’un autre, qui ne servent qu’à recouvrir sa « crise
Peut-être personnelle » d’une illusion de bonheur. En effet la formule « je n’y suis pas mal » est
celle que son frère lui assène avant cet extrait : « Il dit que je ne suis pas mal ». La
(est-ce qu’on peut deviner ces choses-là ?)
répétition de cette tournure suggère qu’elle cherche à s’en convaincre.
peut-être que ma vie sera toujours ainsi, on doit se résigner,
bon, - Le « je » domine dans l’extrait, mais la brièveté des énoncés (quatre à deux syllabes), leur
il y a des gens et ils sont le plus grand nombre, caractère répétitif et l’utilisation des mots d’Antoine démontrent qu’en dépit de
l’omniprésence du « je », aucune parole authentiquement personnelle n’apparaît.
il y a des gens qui passent toute leur existence là où ils sont
nés
- On tombe immédiatement dans l’impersonnalité, comme le montrent les présentatifs
et où sont nés avant eux leurs parents, (mots ou des locutions servant à présenter), les pronoms pluriels « ils » et singulier neutre
ils ne sont pas malheureux, « on » et le recours au présent gnomique (Qui exprime des vérités morales sous forme de
proverbes ou de maximes). En s’effaçant dans cette impersonnalité, Suzanne exprime de
on doit se contenter,
façon allusive ses craintes : être condamnée à rester, à faire partie de ceux qui ne sont « pas
ou du moins ils ne sont pas malheureux à cause de ça, on ne heureux ».
peut pas le dire,
et c’est peut-être mon sort, ce mot-là, ma destinée, cette vie.
- La double négation de l’adverbe « pas » et du préfixe « mal » exprime la résignation : ne
pas être malheureux est le mieux qu’on puisse espérer quand on n’a pas le droit d’être
heureux.
Description des lieux qu’elle occupe
Je vis au second étage, j’ai ma chambre, je l’ai gardée,
et aussi la chambre d’Antoine - Le second étage comporte une dimension symbolique. C’est par l’intermédiaire de la
et la tienne encore si je veux, description que Suzanne va parvenir à exprimer sa « crise personnelle ».

mais celle-là, nous n’en faisons rien,


c’est comme un débarras, ce n’est pas méchanceté, on y met - Les verbes « avoir » et « garder » suggèrent que Suzanne a « gardé » les chambres de ses
les vieilleries qui ne frères, alors qu’elle ne les occupe pas. Se dégage ici l’image de Suzanne tentant de
conserver une famille unie, de « garder » ensemble les trois enfants, comme autrefois,
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

dans ce passé idéalisé qu’elle n’a jamais connu, du fait de la différence d’âge avec ses
servent plus mais qu’on n’ose pas jeter,
frères.
et d’une certaine manière,
c’est beaucoup mieux, - La chambre de Louis devenue « débarras » est également le symbole du vide laissé par
ce qu’ils disent tous lorsqu’ils se mettent contre moi, son départ dont Suzanne essaye de combler l’absence par des objets représentants le passé
auxquels on s’accroche alors qu’il est révolu.
beaucoup mieux que ce que je pourrais trouver avec l’argent
que je gagne si je partais.
- Or bien qu’ici, Suzanne révèle implicitement ses sentiments intimes, l’impersonnalité
C’est comme une sorte d’appartement. rejaillit par l’utilisation des mots de la famille. Ici encore, la résignation face à la situation
C’est comme une sorte d’appartement, mais, et ensuite se fait par le truchement d’une parole étrangère qui atténue la réalité.
j’arrête,
mais ce n’est pas ma maison, c’est la maison de mes parents, - L’anaphore « c’est comme une sorte d’appartement » laisse penser qu’il s’agit d’une
parole personnelle, mais le connecteur d’opposition « mais » immédiatement après
ce n’est pas pareil,
suggère qu’il s’agit encore une fois d’une parole empruntée. Cela marque l’opposition de
tu dois pouvoir comprendre cela. Suzanne à tous ces discours qui se veulent apaisants mais qui sont, au fond, mensongers.

- Suzanne quitte son introspection pour s’adresser à Louis (2e personne du singulier), car il
a réussi à quitter la maison parentale, à se fabriquer une vie individuelle et autonome.
Concentration sur les objets qu’elle possède
J’ai aussi des choses qui m’appartiennent, les choses
ménagères,
- Les termes « choses » et « appartiennent » reviennent à plusieurs reprises, comme si
tout ça, la télévision et les appareils pour entendre la posséder un objet lui permettait d’affirmer son existence et de forger son identité. Pourtant
musique le caractère très vague du mot « choses » répété dans l’expression « chose ménagères »,
et il y a plus chez moi, là-haut, suffit à montrer que cette identité réduite à la possession matérielle reste confuse.

je te montrerai
- Encore une fois, le jugement qu’elle émet n’est pas le sien, quand elle dit qu’ « il y a plus
(toujours Antoine), de confort » ici, ce n’est pas elle qui parle mais une nouvelle fois son frère : « toujours
Il y a plus de confort qu’il n’y en a ici-bas Antoine » (indiqué entre parenthèses).
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

non, pas « ici-bas », ne te moque pas de moi,


- En outre Suzanne commet un lapsus en disant « ici-bas » au lieu d’ « ici », ce qui l’amène
qu’il n’y en a ici.
à se rectifier en protestant « ne te moque pas de moi ». Son discours reprend celui de son
Toutes ces choses m’appartiennent, frère mais il est comme contrôlé par son frère Louis, qui en tant qu’écrivain, constitue une
Je ne les ai pas toutes payées, ce n’est pas fini, norme linguistique à laquelle Suzanne tâche de se conformer.

mais elles m’appartiennent


- Finalement elle possède « ces choses » mais elle ne possède pas ses mots puisque son
et c’est à moi, directement, discours est en réalité celui de ses deux frères.
qu’on viendrait les reprendre si je ne les payais pas.

Commentaire à propos de la longueur de son soliloque.


Et quoi d’autre encore ?
Je parle trop mais ce n’est pas vrai, - L’interrogation permet à Suzanne d’introduire une sorte de bilan et de commentaire de
je parle beaucoup quand il y a quelqu’un, mais le reste du son propre soliloque.

temps, non,
- La proposition « je parle trop » est un discours direct dont le verbe introducteur est omis.
sur la durée cela compense, On peut le déduire par le connecteur d’opposition « mais » qui montre qu’elle objecte ce
je suis proportionnellement plutôt silencieuse reproche qui a pu lui être fait. Pourtant, l’absence de verbe de parole suggère que ce
discours a été complétement assimilé par Suzanne.

- Sous la forme d’une démonstration qui semble relever de la froide logique ou du calcul
mathématique, Suzanne indique ainsi qu’elle n’a personne à qui parler. L’excès de parole,
qui apparaît d’abord comme un défaut ou un travers faisant l’objet d’une distance
satirique, apparaît ensuite comme la conséquence de la solitude profonde du personnage.
Ce soliloque qui semble un flot de parole est en fait un long silence rempli par les mots
des autres.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

Conclusion :

Ce soliloque témoigne d’une profonde crise personnelle. D’une part, Suzanne cherche à s’émanciper des paroles des autres par ses propres
paroles mais sans réellement y parvenir. Elle reste dans la maison familiale et intériorise les paroles de ses proches. D’autre part, sa construction
en tant qu’individu passe par des biens matériels qui renforcent encore l’extrême solitude qu’elle révèle à la fin de ce soliloque.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

C) Ll3, le soliloque d’Antoine

a) Le texte

1 Rien en toi n’est jamais atteint,


2 il fallait des années peut-être pour que je le sache,
3 mais rien en toi n’est jamais atteint,
4 tu n’as pas mal
5 -si tu avais mal, tu ne le dirais pas, j’ai appris cela à mon tour-
6 et tout ton malheur n’est qu’une façon de répondre,
7 une façon que tu as de répondre,
8 d’être là devant les autres et ne pas les laisser entrer.
9 C’est ta manière à toi, ton allure,
10 le malheur sur le visage comme d’autres un air de crétinerie satisfaite,
11 tu as choisi ça et cela t’a servi et tu l’as conservé.
12
13 Et nous, nous nous sommes fait du mal notre tour,
14 chacun n’avait rien à se reprocher
15 et ce ne pouvait être que les autres qui te nuisaient et nous rendaient responsables tous
16 ensemble,
17 moi, eux,
18 et peu à peu, c’était de ma faute, ce ne pouvait être que de ma faute.
19 On devait m’aimer trop puisque on ne t’aimait pas assez et on voulut me reprendre
20 alors ce qu’on ne me donnait pas,
21 et on ne me donna plus rien,
22 et j’étais là, couvert de bonté sans intérêt à ne jamais devoir me plaindre,
23 à sourire, à jouer,
24 à être satisfait, comblé,
25 tiens, le mot, comblé,
26 alors que toi ,toujours, inexplicablement, tu suais le malheur
27 dont rien ni personne, malgré tous ces efforts, n’aurait su te distraire et te sauver.
28
29 Et lorsque tu es parti, lorsque tu nous as quittés, lorsque tu nous abandonnas,
30 je ne sais plus quel mot définitif tu nous jeta à la tête,
31 je dus encore être le responsable,
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

32 être silencieux et admettre la fatalité, et te plaindre aussi,


33 m’inquiéter de toi à distance
34 et ne plus jamais oser dire un mot contre toi, toi, ne plus jamais même oser penser un
35 mot contre toi,
36 rester là, comme un benêt, à t’attendre.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

b) Le commentaire

Introduction :

Auteur :

Œuvre :

Texte : Dans cette deuxième partie de la pièce, nous voyons Antoine devenir de plus en plus violent, à mesure qu’on lui reproche d’être désagréable ou brutal. La
violence éclate dans la scène 2, allant jusqu’à la menace physique. Après une ellipse, on retrouve les mêmes personnages dans la scène 3. Cette fois, Antoine,
dans une longue tirade, répond à Louis qui prétend qu’on ne l’a jamais aimé, en lui répliquant que son malheur n’a été qu’un malheur soi-disant dont il a fini par
convaincre tout le monde.

Problématique : Comment le discours d’Antoine montre que le langage est au cœur de la crise ?

Plan : trois parties qui suivent l’organisation en paragraphe. Ligne 1 à 11, Antoine renverse l’accusation contre son frère, Ligne 13 à 27, Le discours se porte sur
la famille et Antoine explique logiquement et méticuleusement pourquoi on a cessé de l’aimer. Enfin, ligne 29 à 36, on revient sur le départ de Louis et
l’accentuation de l’accusation.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

Rien en toi n’est jamais atteint, Comment Antoine nie-t-il la réalité du malheur de Louis ?

il fallait des années peut-être pour que je le sache,


- La répétition de la négation fait apparaître le thème principal de l’extrait : renverser
mais rien en toi n’est jamais atteint, l’accusation, montrer qu’il n’est pas celui qui est désagréable et brutal.
tu n’as pas mal
-si tu avais mal, tu ne le dirais pas, j’ai appris cela à - Antoine accuse Louis de jouer la comédie, de faire semblant de souffrir par cet
mon tour- énoncé en 4 syllabes cinglant.
et tout ton malheur n’est qu’une façon de répondre,
- Cette partie du texte est rédigée presque entièrement au présent pour deux raisons :
une façon que tu as de répondre,
d’abord un présent de vérité général dans une recherche de rationalité mais aussi
d’être là devant les autres et ne pas les laisser entrer. en opposition aux évènements passés afin de montrer que les évènements passés
C’est ta manière à toi, ton allure, ont causé et causent une douleur toujours présente. C’est un discours quasiment
le malheur sur le visage comme d’autres un air de judiciaire de la part d’Antoine qui fait le procès de son frère, en se basant sur des
crétinerie satisfaite, faits.
tu as choisi ça et cela t’a servi et tu l’as conservé.
- Tentative de fonder un raisonnement logique à partir d’hypothèse et de déduction
grâce à une proposition subordonnée circonstancielle de condition et sa proposition
principale qui participe à rationaliser le discours. C’est aussi un moyen de faire le
lien entre souffrance et silence, de faire ressortir l’enjeu tragique du silence de
Louis.

- Louis a utilisé le silence comme une arme, il ne se dévoile devant personne, ne


laisse personne comprendre ce qu’il pense véritablement.

- Accumulation résumant le mode de vie de Louis, rien n’a changé depuis l’enfance
mais cette fois Antoine peut s’exprimer.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

Et nous, nous nous sommes fait du mal notre tour, En quoi les membres de la famille ont-ils commencé à s’accuser mutuellement les
uns les autres ? Comment Antoine rend-il compte des causes qui ont conduit à ne
chacun n’avait rien à se reprocher
plus l’aimer ?
et ce ne pouvait être que les autres qui te nuisaient et
nous rendaient responsables tous ensemble, - Avec la volonté de produire un discours rationnel, Antoine adopte aussi un
moi, eux, vocabulaire proche du registre pathétique, évoquant la souffrance que son frère
et peu à peu, c’était de ma faute, ce ne pouvait être que provoque chez tous les membres de sa famille par son comportement. C’est aussi
de ma faute. un des registres principaux du discours judiciaire.
On devait m’aimer trop puisque on ne t’aimait pas assez
et on voulut me reprendre alors ce qu’on ne me donnait - Le procès continue cependant, Antoine établit que Louis est l’unique responsable
pas, de son malheur, s’il y a injustice, c’est parce que les innocents souffrent.
et on ne me donna plus rien,
et j’étais là, couvert de bonté sans intérêt à ne jamais - La répétition produit un effet d’insistance, Antoine se sent accablé par l’injustice.
devoir me plaindre, L’ajout de la négation restrictive produit un effet d’accumulation, l’attitude de
Louis provoque de la culpabilité chez ses proches.
à sourire, à jouer,
à être satisfait, comblé, - Parallélisme avec antithèses résumant la relation entre Antoine et Louis : la fausse
tiens, le mot, comblé, souffrance de ce dernier eut comme conséquence qu’Antoine se sentait délaissé.
alors que toi ,toujours, inexplicablement, tu suais le C’est toute la charge émotionnelle du discours qui est résumé ici, bien que frère, ils
malheur eurent une enfance et vie très différente.
dont rien ni personne, malgré tous ces efforts, n’aurait
su te distraire et te sauver. - Le même procédé juste après illustre le registre pathétique et élégiaque, Antoine
exprime enfin sa souffrance.

- Le motif du silence réapparaît ici, dans la description des activités de l’enfance.


Tous les verbes à l’infinitif qui suivent dessinent l’image d’une enfance parfaite
cachant une douleur muette.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

- Ironie sur le mot comblé presque comme une antiphrase, ce sont les autres qui
décrivent Antoine comme tel, ce mot est mensonger et source de malheur. Cela
explique en partie pourquoi il se méfie des mots, en particulier ceux de son frère.

- Adverbe renforçant le motif de l’incommunicabilité.


Et lorsque tu es parti, lorsque tu nous as quittés, lorsque L’accusation d’être parti
tu nous abandonnas,
- Gradation des verbes qui insiste sur la violence du départ de Louis.
je ne sais plus quel mot définitif tu nous jetas à la tête,
je dus encore être le responsable, - Le mot, unité minimale du langage devient l’enjeu central de cette dernière partie,
être silencieux et admettre la fatalité, et te plaindre illustrant à chaque fois la puissance du langage ou la souffrance due à son absence.
aussi,
m’inquiéter de toi à distance - Emploi de l’ironie pour insister sur l’acharnement dont il est victime.
et ne plus jamais oser dire un mot contre toi, toi, ne plus
jamais même oser penser un mot contre toi, - Cruel renvoi à la situation de Louis, qui participe à montrer les similitudes entre les
rester là, comme un benêt, à t’attendre. deux frères.

- A nouveau, répétition produisant l’insistance mais avec l’ajout de modalisateurs


qui marquent une oppression de plus en plus intériorisée. On note aussi la
progression du verbe « dire » vers le verbe « penser ».

Conclusion

Le long discours d’Antoine, dans sa dimension rhétorique aussi bien que pathétique, paraît un moyen de rompre le silence accumulé depuis des
années, d’oser enfin parler et se plaindre. En ce sens, Antoine est un véritable miroir de Louis aussi bien que de Suzanne. Tous ont eu dans leur
enfance, et encore au moment de la pièce, à affronter la parole et le silence, à se confronter aux mots aliénants d’autrui. Mais seul Antoine parvient
à faire des mots un outil libérateur. En ce sens, il est peut-être le vrai personnage principal de la pièce.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

Fleurs du mal

A) Tableaux parisiens, « A une passante » LL1/4


Introduction :

Auteur : Baudelaire est un poète du XIXe siècle, héritier du romantisme il est aussi contemporain de ceux qui s’y opposent et prônent un retour à la rigueur
formel. S’il se retrouve par certains aspects dans chacun de ces deux courants, Baudelaire n’adhère entièrement à aucun des deux. Il fait de l’espace poétique un
champ d’expérimentation et s’efforce d’inventer de nouveaux rapports entre l’émotion et le travail de la langue, inaugurant la « modernité » en poésie.

Œuvre : Les fleurs du mal dont ce poème est issu, est un recueil construit sur une opposition dont le titre, qui allie la beauté et le mal, dit tout. L’originalité de
l’œuvre tient surtout à la poétique de Baudelaire qui cherche à faire de la poésie un moyen d’atteindre, grâce au verbe, ce qui est a priori éloigné, séparé, différent.
Au-delà de ses thèmes, elle a aussi un retentissement esthétique immense et se fait annonciatrice du symbolisme.

Texte : Ce sonnet aborde le thème de la rencontre propre à cette section des Fleurs du Mal. Cette rencontre est fascinante pour le poète, une passante incarne
l’idéal de la Beauté dans une allégorie et illustre son caractère éphémère en opposition à l’idéal philosophique.

Problématique : Comment ce texte illustre le mouvement de l’idéal vers le spleen ?

Plan : Quatre parties qui suivent presque les quatre strophes. Dans un premier temps, l’apparition et la description de la passante du vers 1 à 5. Ensuite, s’exprime
les contrastes de la poésie baudelairienne des vers 6 à 8. Dans un troisième temps, le caractère éphémère de cette apparition et ce qu’elle symbolise du vers 9 au
vers 11. Enfin, le spleen comme réponse à l’idéal aux vers 12 à 14.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

La rue assourdissante autour de moi hurlait. L’apparition de la beauté


Longue, mince, en grand deuil, douleur
- Décors des « tableaux parisiens », c’est le Paris moderne, affairé et bruyant, le verbe évoque la dissonance
majestueuse,
et l’agitation. Tout paraît hostile à la rêverie.
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ; - La trame phonique de ce premier vers en (u, our, our, u) recueille l’écho d’un brouhaha ponctué de
stridences.
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
- La cacophonie urbaine s’efface par l’apparition d’une femme, allégorie de la Beauté, créant un contraste.
- La passante est beauté, harmonie, et sa démarche est une plénitude rythmique qui s’illustre dans les vers
2 à 5, la beauté est en mouvement.
- La référence explicite au malheur participe à l’idée de l’auteur sur la tristesse qui accompagne
nécessairement la beauté.
- On suit le regard du poète qui décrit la passante comme un tableau. Une référence aristocratique l’associe
à la richesse, tout comme les rimes riches des vers 2 et 3. La mode en 1850 était aux grandes robes à
crinoline qui nécessitait de balancer son pas pour éviter qu’elles ne balayent le sol. On retrouve le motif
du mouvement féminin ample et balancé comme dans « le beau navire ».
- Le vers 4 est rythmé par 4 groupes de mots de 3 syllabes chacun qui servent la recherche de l’élégance
dans le rythme.
- Enjambement de la phrase sur le second quatrain qui vient conclure le portrait d’une majesté gracieuse.
C’est une idéalisation esthétique faite par le vocabulaire de cette description et la référence à la sculpture.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant, Les contrastes de la poésie Baudelairienne
Dans son œil, ciel livide où germe l'ouragan,
- Le pronom est détaché et isolé au début du vers, qui symbolise la stupeur fascinée du poète, il est intimidé,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
il respecte le deuil de la passante.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

- La réaction du poète face à l’incarnation de cet idéal est fortement émotionnelle et ingouvernable par la
raison, comme le laisse entendre la comparaison.
- Le verbe dénote une pulsion avide, alors que l’adjectif forme comme une antithèse qui indique la paralysie
de l’initiative. Nous avons là, face à la femme, une attitude à la fois passionnelle et nouée, fréquente chez
Baudelaire.
- Baudelaire joue sur le motif du regard par une métaphore qui agrandit l’œil à la dimension d’un ciel
d’orage, frère des « ciels brouillés » par les larmes de l’aimée dans le poème « l’invitation au voyage ».
L’œil de la passante de couleur bleu-gris comme le suggère le terme livide (étymologie) contient à la fois
la menace de la violence par « ouragan » et la tendresse charmeuse de la « douceur qui fascine ». Cet
équilibre de concepts contraires résume les composantes de l’amour baudelairien.
- Le lien consonantique de « douceur », « fascine » et « plaisir » en « s » et « z » assure une continuité
facile, glissante aussitôt interrompue par les consonnes occlusives « k » et « t » de « qui tue ». Cette
recherche dans les sons est une nouvelle illustration du contraste entre douceur et danger.

Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté Une apparition éphémère symbole de l’inaccessibilité de l’idéal
Dont le regard m'a fait soudainement renaître, - Le poète offre une image antithétique où se révèle la valeur symbolique de la rencontre. L’éclair, symbole
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ? de l’illumination de l’être par la vision de la Beauté n’est qu’éphémère et l’homme se retrouve seul et en
détresse dans la nuit.
- De fait, la rencontre appartient désormais au passé et la femme, disparue, est l’objet d’une sorte de
contemplation dans un futur mystique. La forme interro-négative suggère ici une réponse positive, donc
un espoir.
- La femme a permis d’apercevoir l’idéal de beauté, elle a une dimension métaphysique ; et comme dans la
doctrine de Platon, l’âme a soudain été revivifiée par cette incarnation de l’absolu. Aussi la passante est-
elle décrite comme « fugitive beauté » expression qui désigne simultanément la femme particulière, « une
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

beauté » qui passe rapidement son chemin, et l’idée de Beauté devant laquelle elle a fait passer un instant
le poète.

Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être L’idéal impossible et le spleen
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, - Ce second tercet voit s’affaiblir puis s’éteindre l’espérance mystique. L’idéal ne peut être défini, ni pensé,
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! pas plus que « l’éternité ». L’accumulation de locutions adverbiales de lieu et de temps renforce
l’éloignement de l’idéal.
- L’adverbe « peut-être » corrige faiblement le poids fatal mis en relief par l’italique de « jamais ». La triple
exclamation scande les étapes de la réalisation que la lucidité et la conscience du réel ruinent l’exigence
d’absolu.
- Le vers 13 tire sa puissance d’un paradoxe. Dans la forme on est frappé par la construction en chiasme
qui s’établit entre les pronoms personnels en opposition à un parallélisme des verbes. Cette apparente
similitude de leurs destins ne fait que souligner leur éloignement : deux destins, unis dans la fatalité de
l’éloignement.
- Dans ce dernier vers on peut remarquer un crescendo du lyrisme, c’est un appel voué à ne pas être entendu,
une invocation à la fois triste et tendre. A nouveau un paradoxe : le subjonctif passé rejette tout
accomplissement dans l’irréel, mais le verbe lui-même exprime une certitude, celle de l’amour. Le second
hémistiche concentre tout le mystère de la rencontre et toute l’amertume du poète. La passante s’est-elle
retournée par indifférence, par pudeur, par fierté, par cruauté ? Baudelaire a exprimé ici le drame de
l’incompréhension entre l’homme et la femme, essentiel dans les fleurs du mal.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

B) Une charogne

a) Le texte
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

1 Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,


2 Une ébauche lente à venir,
3 Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
4 Seulement par le souvenir.

5 Derrière les rochers une chienne inquiète


6 Nous regardait d'un oeil fâché,
7 Epiant le moment de reprendre au squelette
8 Le morceau qu'elle avait lâché.

9 - Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,


10 A cette horrible infection,
11 Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
12 Vous, mon ange et ma passion !

13 Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,


14 Après les derniers sacrements,
15 Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
16 Moisir parmi les ossements.

17 Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine


18 Qui vous mangera de baisers,
19 Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
20 De mes amours décomposés !
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

b) Le commentaire

Texte :

Baudelaire revisite le topos de la promenade romantique en faisant la description d’une charogne au milieu du chemin. Cette découverte est l’occasion pour
Baudelaire d’appliquer les principes de son art poétique. Effectivement, la richesse de l’alexandrin, l’usage des images, des rimes et autres sonorités permettent
à Baudelaire d’opérer une alchimie poétique et de révéler l’essence de la charogne.

Problématique : Comment Baudelaire parvient-il à révéler l’essence de la charogne par la richesse des images et sonorités ?
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve, 1) La description de la charogne


Une ébauche lente à venir, A)La peinture et l'évasion du réel
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève - Champ lexical de la peinture témoigne du caractère picturale de la charogne.
Seulement par le souvenir.
- On peut parler ici de mise en abyme de ce que fait ici le poète reprenant l’adage d’Horace issu de son
Art Poétique : Ut pictura poesis. Il s’agit d’une expression latine qui signifie littéralement « comme la
peinture, la poésie », c'est-à-dire « la poésie ressemble à la peinture ».

- Les nombreuses figures (comparaisons, métaphores, hyperboles, synesthésies …) sont le recours du


poète pour imager et reconstruire « le souvenir » comme le ferait un peintre avec ses pinceaux et sa
palette.

- Les déterminants démonstratifs disparaissent pour laisser place à des articles indéfinis. Baudelaire
opère transfiguration poétique la réalité devient floue et imprécise.

- Le champ lexical de la disparition du réel, montre que la réalité devient rêve ou souvenir. On passe de
la description du réel à la composition poétique. C’est par la saisie du réel et par le travail de mémoire
que s’opère l’alchimie poétique et qu’il y a passage de l'objet réel a l'objet artistique. C'est comme si
dans cette strophe, le poète signait sa toile, qui est achevée

Derrière les rochers une chienne inquiète B) Un dernier détail au tableau


Nous regardait d'un œil fâché,
Epiant le moment de reprendre au squelette - Le quatrain suivant opère un retour à la description réaliste et à la réalité de la scène : le couple est
Le morceau qu'elle avait lâché. en promenade et rencontre une « chienne » dissimulée.

- Le poète précise le décor par le complément circonstanciel de lieu antéposé. Cette précision renforce
encore le réalisme.

- A cela s’ajoute le pronom personnel qui rappelle la présence du couple.

- La présence de la chienne semble être un détail incongru qui s’éloigne du sujet qu’était la charogne.
Or, cela renforce la projet Baudelairien de description du réel dans sa réalité. Pour lui, « Celui qui n’est
pas capable de tout peindre depuis le visible jusqu’à l’invisible, depuis le ciel jusqu’à l’enfer, celui-là,
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

dis-je, n’est vraiment pas poète dans l’immense étendue du mot ». Ainsi, Baudelaire embrasse la réalité
avec des termes précis.

- Alors que la charogne apparait comme une vanité rappelant le memento mori, la chienne avide
pourrait-elle suggérait le carpe diem autre adage de la poésie du 16e siècle.

- Le participe présent et l’infinitif montre l’appétit de l’animal. La chienne attirée par le cadavre est un
miroir de l’homme qui est comme dit Baudelaire animé d’une « force irrépressible » pour ce qui est
rebutant, il désigne cette attirance comme « une force primitive, irrésistible, [c’]est la Perversité
naturelle ».

II. Le memento mori


- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure, A) Après la description de la charogne, basculement dans un discours argumentatif
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature, - Le poète s’adresse à nouveau directement à sa destinataire, comme le montre le tiret, marque de
Vous, mon ange et ma passion ! dialogisme, et l’emploi du pronom personnel « vous » au vers 37.

- L’adverbe suggère que la femme avait manifesté un désaccord par rapport à la beauté du spectacle.
Cela rappelle d’ailleurs le poème « Le crapaud » de Corbière.

- Le nouveau temps utilisé à partir du vers 37 est le futur de l’indicatif : « vous serez ». Le poète passe
donc de la remémoration à la prédiction, en une analogie implacable entre le cadavre et la
décomposition future de la femme aimée.

- Les vers 37 et 38 comparent la femme aimée au cadavre tandis que les vers 39 et 40 respectent l’adresse
amoureuse galante avec les métaphores clichés « Étoile de mes yeux, soleil de ma nature » et « ange ».
Se mêlent ainsi lyrisme amoureux et cynisme cruel.

- Le pronom personnel « vous » au début renforce l’adresse faite à la femme. Baudelaire lui assène la
leçon, celle du Memento mori. En latin, "memento mori" est une locution signifiant "souviens-toi que
tu vas mourir". Cette formule du christianisme médiéval exprime la vanité de la vie terrestre et induit
une éthique du détachement, de l'ascèse. La vanité est un style pictural dans lequel les objets représentés
sont des motifs se rapportant à la fragilité et à la brièveté de la vie, au temps qui passe, à la mort. Parmi
tous ces objets symboliques, le crâne humain, signe convenu de la mort, est l’un des plus courants.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

- L’exclamation montre que le poète donne la leçon sur le ton de la provocation.

Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces, B) Insistance, martellement de la leçon
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses, - le poète insiste, martèle la leçon par adverbe « oui » a la forme exclamative. De même, il poursuit sa
Moisir parmi les ossements. comparaison.

- L’apostrophe emphatique et hyperbolique « o la reine des grâces », qui insiste sur l'extrême beauté de
la femme et ce qui ne fera aucune différence face à la mort comme le suggère la rime
ironique/paronomase avec « grasses » (qui désigne les floraisons sur les tombes, qui se nourrissent des
cadavres).

- Le CC Temps euphémisme désigne la mort : connotation religieuse, aspect solennel qui renvoie a
l'importance de ce moment de leçon dans le poème.

- Au contraire, aux vers suivants il n’y pas d'euphémisme ! La proposition subordonnée circonstancielle
de temps, avec futur simple de certitude et l’infinitif « moisir » renforcent la dimension inévitable
de cette mort et comme le montre CC Lieu ≪ sous l'herbe et les floraisons grasses » cette
transformation en une charogne, d'où renaitra la vie (croissance des végétaux et cycle naturel).
c

- La dernière image de la charogne est celle d’une décomposition achevée par le temps. La leçon est
cruelle pour la femme : toute belle et amoureuse qu'elle est, reste vouée a mourir et a devenir une
charogne, ce qui est visible dans la structure même du poème :
§1 vie, jeunesse, amour
§4 évanouissement, disparition qui préfigure …
§10-12 … une mort certaine
C) La morale du poème et le travail du poète
Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine - Ce dernier quatrain entremêle l’amour et la mort. À la « beauté » du premier hémistiche du vers 45
De mes amours décomposés ! répond la « vermine » du second hémistiche, en un parallèle saisissant. Le vers 46 réunit l’action
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

amoureuse de l’amant et l’action prédatrice des insectes en une métaphore habituelle mais ici très
cruelle : « mangera de baisers », car ce seront bien les insectes qui la dévoreront au sens propre et non
le poète qui la couvrira de baisers au sens figuré.

- Ce poème s’apparente à une fable dont l’adverbe « alors » annonce la morale. Encore une fois, il
s’adresse à cette femme avec la fermeté de l’exclamation. On peut également voir qu’il s’adresse à elle
par l’apostrophe empathique « o ma beauté » et l’impératif « dites » le poète semble alors avoir repris
le dessus.

- Face à cette décomposition inéluctable du cadavre, le poète oppose dans les deux derniers vers la
résistance d’une évocation. La femme devient les « amours décomposés » tandis que le corps devient
une « forme » et une « essence divine ». Ce GN montre qu’il ne garde que la quintessence des choses
en en extrayant la beauté. Grâce à l’alchimie poétique, et en toute immodestie, le poète transcende la
mort. Ne joue-t-il d’ailleurs pas implicitement sur l’homophonie entre les vers dévoreurs du cadavre et
ses propres vers ?

- Le poète est celui qui recompose par l'art, et qui rend même éternel par l'acte de re-creation

Conclusion

Ent
re memento mori et déclaration d’amour, entre cynisme et lyrisme, « Une charogne » est un poème redoutable. Baudelaire ne cesse de procéder par ruptures de
ton et par retours, mouvements de va-et-vient entre la description et le discours, la réalité et sa sublimation, tenant le lecteur en haleine. Baudelaire transforme la
femme aimée avec une cruauté particulière.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

C) Spleen, « quand le ciel bas et lourd »

a) Le texte
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

1 Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle

2 Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,

3 Et que de l'horizon embrassant tout le cercle

4 Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;

6 Quand la terre est changée en un cachot humide,

7 Où l'Espérance, comme une chauve-souris,

8 S'en va battant les murs de son aile timide

9 Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;

10

11 Quand la pluie étalant ses immenses traînées

12 D'une vaste prison imite les barreaux,

13 Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées

14 Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

15

16 Des cloches tout à coup sautent avec furie

17 Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,

18 Ainsi que des esprits errants et sans patrie

19 Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

20

21 - Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,

22 Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir,

23 Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,

24 Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.


Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

b) Le commentaire

Dernier dans la série des quatre poèmes à porter le titre « Spleen », ce texte évoque une phase aigüe du mal-être baudelairien. Certes, il s’agit bien, comme
dans d’autres « spleen », de tristesse, d’abdication de l’Espérance, e lente mort spirituelle. Mais ici, tout l’effort esthétique du poète a porté sur l’organisation
dramatique de cette crise en trois temps, on dirait volontiers : en trois actes.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle - La montée de la crise s’effectue dans les trois premières strophes comme le révèle les trois
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis, propositions temporelles introduites par la conjonction « quand ». Cette répétition est au service d’un
effet d’accumulation, l’atmosphère psychologique étant de plus en plus angoissante.
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ; - Les éléments du paysage (le ciel, la terre, la pluie) sont l’un après l’autre affectés d’images qui
interdisent tout échappée. Dans cette première strophe il s’agit du ciel.

- Les thèmes de l’oppression, puis de la claustration apparaissent à travers les adjectifs « bas et lourd »,
le verbe « pèse » et le substantif « couvercle ». Ils suggèrent, avec une intensité croissante, l’idée
d’écrasement physique et d’étouffement moral.

- La conscience (« l’esprit ») devient passive : le participe présent « gémissant » signale à la fois la


souffrance endurée et l’absence d’énergie pour la surmonter. L’esprit subit donc à la fois l’oppression
extérieure et le malaise intérieur comme le marque l’expression « en proie aux longs ennuis ».
L’ennui est ici synonyme de dégout de la vie, de nausée existentielle.
Quand la terre est changée en un cachot humide, - Après l’horizon c’est la terre qui
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées


D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie - Isolée par un triet, la dernière strophe est celle de l’égarement de
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,


Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

Conclusion

Ce poème de Baudelaire, célèbre entre tous, tire sa puissance suggestive de l’utilisation exclusive d’images concrètes pour exprimer un drame spirituel,
psychologique, donc tout intérieur. Le poète explore ses abîmes et extrait la beauté des souffrances, de son âme et de son cerveau malades : « fleurs » extraites
du mal. Par un beau paradoxe, l’élan brisé de l’Espoir, s’exprime dans un texte où le souffle de l’originalité ne faiblit pas un instant
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

D)Une charogne

a) Le texte
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

LL1, DDFC

1 Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d'être constituées
2 en Assemblée nationale. Considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de la
3 femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont
4 résolu d'exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels inaliénables et sacrés de la
5 femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social,
6 leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes,
7 et ceux du pouvoir des hommes, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute
8 institution politique, en soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées
9 désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la
10 Constitution, des bonnes mœurs, et au bonheur de tous.

11 En conséquence, le sexe supérieur, en beauté comme en courage, dans les souffrances


12 maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Être suprême, les Droits
13 suivants de la Femme et de la Citoyenne.

14 Article premier.

15 La Femme naît libre et demeure égale à l'homme en droits. Les distinctions sociales ne
16 peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

17 Article 2.

18 Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et


19 imprescriptibles de la Femme et de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté,
20 et surtout la résistance à l'oppression.

21 Article 3.

22 Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation, qui n'est que la
23 réunion de la Femme et de l'Homme : nul corps, nul individu, ne peut exercer d'autorité qui n'en
24 émane expressément.

25 Article 4.

26 La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ; ainsi l'exercice
27 des droits naturels de la femme n'a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l'homme lui
28 oppose ; ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison.

29
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

a) Le commentaire

Introduction :

Auteur :

Œuvre :

Texte :

Problématique :

Plan :
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de - Début de l’entreprise de féminisation du texte, pour mettre en valeur celles qui ont été oubliées dans
la nation, demandent d'être constituées en Assemblée la DDHC.
nationale. Considérant que l'ignorance, l'oubli ou le - Enumération et pluriel soulignent les liens qui unissent (ou doivent unir) les femmes, l’énumération
mépris des droits de la femme, sont les seules causes des les met en position de force. Olympe de Gouges se veut le porte-parole de toutes les femmes qui,
malheurs publics et de la corruption des gouvernements, unies, parviendront à faire entendre leur voix souligne aussi les liens avec les hommes montrant que
ont résolu d'exposer dans une déclaration solennelle, les les hommes et les femmes sont associés - on remarque l’absence du nom « épouse » qui induirait une
relation de soumission par rapport aux hommes
droits naturels inaliénables et sacrés de la femme, afin
que cette déclaration, constamment présente à tous les - Le verbe annonce une première revendication : les femmes veulent être reconnues comme des êtres
membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs politiques et ne plus être cantonnées à la sphère domestique.
droits et leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des
- Le connecteur logique introduisant un complément circonstanciel de cause donne l’impression d’un
femmes, et ceux du pouvoir des hommes, pouvant être à discours rationnel et donc convaincant. Il s’agit également d’une reprise de la structure de la DDHC.
chaque instant comparés avec le but de toute institution
politique, en soient plus respectés, afin que les - L’emploi d’un CL péjoratif pour sa réécriture rend le propos hyperbolique et polémique :Olympe de
réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des Gouges met en valeur le fait que la DDHC n’a rien changé aux droits des femmes et insiste sur les
conséquences catastrophiques de cet oubli pour la société. (Elle donne l’impression que l’oubli et le
principes simples et incontestables, tournent toujours au mépris des droits des hommes ne causerait par contre en rien le malheur de la société : c’est un excès
maintien de la Constitution, des bonnes mœurs, et au de langage qui sert à mettre en valeur les femmes.)
bonheur de tous.
- Le ton est solennel, Olympe de Gouges utilise un vocabulaire juridique d’habitude réservé aux
hommes (les femmes n’ayant pas accès à la politique) et c’est déjà un premier droit à la parole
qu’Olympe de Gouges s’octroie.
- Avec l’adjectif qualificatif « naturel » Olympe de Gouges s’appuie sur la nature pour justifier des
droits de la femme égaux à ceux des hommes. On peut se rappeler que dans l’adresse aux hommes
qui précède la DDFC, elle expliquait que les exemples dans la nature prouvaient que les êtres
féminins et les êtres masculins étaient égaux et devaient collaborer. L’observation de la nature est
revendiquée par les philosophes des Lumières pour établir leur théorie. Il est habile de reprendre cet
adjectif pour montrer que les hommes et les femmes sont à l’origine égaux.
- Connecteur logique répété trois fois introduisant un complément circonstanciel de but donne
l’impression d’un discours rationnel et donc convaincant. Il s’agit également d’une reprise de la
structure de la DDHC,
- Le parallélisme insiste sur l’égalité de droits et devoirs entre les hommes et les femmes qu’Olympe
de Gouges compte défendre dans les articles qui vont suivre. Olympe de Gouges lutte pour la
collaboration entre les hommes et les femmes.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

- En plus des buts visés par la DDHC en faveur d’une plus grande égalité entre les hommes d’un point
de vue politique et juridique, Olympe de Gouges ajoute que le respect du droit des femmes permettra
de maintenir « les bonnes moeurs », les femmes sont les garantes, selon elle, du respect de la morale.
En conséquence, le sexe supérieur, en beauté comme en - Rédigée par les femmes pour les femmes elle montre la singularité des femmes en faisant l’usage
courage, dans les souffrances maternelles, reconnaît et d’un adjectif provocant.
déclare, en présence et sous les auspices de l'Être - Alors que les hommes s’illustrent par la force, les femmes s’illustrent par leur résistance aux
suprême, les Droits suivants de la Femme et de la souffrances maternelles (mises au pluriel) et leur beauté physique.
Citoyenne.
- Le style juridique d’Olympe de Gouges est marqué par le connecteur logique et les rythmes binaires.
Les verbes « reconnaître » et « déclare » donnent un caractère formel et austère à la déclaration.

- Olympe de Gouges prend à parti « l’Être suprême ». Alors que la supériorité de l’homme est justifiée
par une plus grande force naturelle et donc sur la biologie, ici l’auteure justifie la supériorité et la
validité des droits de la femme par un principe supérieur.
Article premier. - Hypotexte : texte d’origine. (Ici la DDHC)
La Femme naît libre et demeure égale à l'homme - Hypertexte : nouveau texte. (Ici la DDHF)
en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être - Le groupe nominal vient singulariser la femme par opposition à l’hypotexte qui dissout la femme dans
fondées que sur l'utilité commune. l’homme par le pluriel « les hommes ». Ici de Gouges montre que la nation est la réunion de l’homme
Article 2. et de la femme c’est-à-dire de différences complémentaires. Il faut rétablir la présence singulière de la
Le but de toute association politique est la femme pour effacer son oubli dans le terme général « d’hommes » de l’hypotexte.
conservation des droits naturels et imprescriptibles de la
Femme et de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la - Elle reprend toutefois l’idée d’abolition des privilèges de naissance. La négation restrictive montre que
l’esprit révolutionnaire ne cherche par l’égalitarisme mais des inégalités obtenues par le mérite et non
propriété, la sûreté, et surtout la résistance à l'oppression. par le sang, c’est-à-dire par le métier et la fonction. (art 1)

- Bien qu’il n’y ait pas de privilège de naissance, de Gouges use du verbe « naître » pour montrer que
les droits de naissances sont les mêmes pour tous : liberté et égalité. (art 1)

- L’énumération définit le modèle et les valeurs de cette nouvelle société : le droit à la propriété, le droit
à la sécurité, le droit à la liberté. Ici l’hypertexte de de Gouges ne fait que remplacer « les hommes »
par « la femme et l’homme » plaçant « la femme » en premier.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

- Le style reste juridique : phrases courtes, juxtaposées, présent de vérité générale, des formes
déclaratives affirmatives ou négatives sans ambiguïté et un vocabulaire emprunté au droit
« imprescriptibles ».

Article 3. - Par rapport à la DDHC de Gouges rajoute la relative : « qui n'est que la réunion de la Femme et de
Le principe de toute souveraineté réside l'Homme ». Elle définit la nation comme un couple à grande échelle. Elle réintroduit la femme
essentiellement dans la Nation, qui n'est que la réunion dans le corps social et rappelle que le pouvoir ne saurait être exclusivement masculin. Art 3
de la Femme et de l'Homme : nul corps, nul individu, ne - L’article 4 s’inscrit dans une tonalité plus polémique. Contrairement à l’hypotexte qui emploie le terme
peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément. de « membre », Olympe de Gouges utilise le groupe nominal « la tyrannie perpétuelle » suivie de la
Article 4. subornée relative « que l’homme lui oppose ». Elle cible la domination masculine comme le ferment
de la division et de l’arbitraire. Il n’y a pas de justice ni de liberté si la tyrannie de l’homme s’exerce
La liberté et la justice consistent à rendre tout ce sur la femme. L’auteure reprend l’idée développée par Montesquieu d’une séparation des pouvoirs :
qui appartient à autrui ; ainsi l'exercice des droits tout homme (masculin) qui a du pouvoir est porté à en abuser. Il faut donc le limiter en le répartissant
naturels de la femme n'a de bornes que la tyrannie entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire mais également entre le féminin et le masculin.
perpétuelle que l'homme lui oppose ; ces bornes doivent
être réformées par les lois de la nature et de la raison - Le dernier ajout de OdG au texte initial est le suivant « la nature et de la raison ». Cette mention
l’inscrit dans la pensée des lumières dont la volonté est de dépasser le relatif de la loi pour en
proposer une version universelle. D’abord parce qu’elle est un produit de la nature, c’est-à-
dire une loi intrinsèquement liée à la nature même de l’humain et de la raison qui est partagée
entre tous les hommes. Cette mention montre que sa volonté d’émancipation s’étend au de la
des femmes aux esclaves et à toutes les marges de la société.

Conclusion

Ce premier texte est marquant par son style juridique et l’usage qu’OdG fait de la DDHC. Le ton est sérieux et provocateur. Les premiers articles montrent
comment on passe « des hommes » à « la femme » puis de « le Nation » à « la réunion de la femme et de l’homme ». Les suivants feront de la femme une
citoyenne et, après lui avoir conféré des droits naturels, lui octroieront des droits politiques. Tout un programme…
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

LL2, DDFC,

1 Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu
2 ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire
3 d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le créateur dans sa
4 sagesse ; parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te
5 rapprocher, et donne-moi, si tu l’oses, l’exemple de cet empire tyrannique.

6 Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux, jette enfin un
7 coup d’œil sur toutes les modifications de la matière organisée ; et rends-toi à
8 l’évidence quand je t’en offre les moyens ; cherche, fouille et distingue, si tu peux,
9 les sexes dans l’administration de la nature. Partout tu les trouveras confondus,
10 partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d’œuvre immortel.

11 L’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle,


12 boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans
13 l’ignorance la plus crasse, il veut commander en despote sur un sexe qui a reçu
14 toutes les facultés intellectuelles ; il prétend jouir de la Révolution, et réclamer
15 ses droits à l’égalité, pour ne rien dire de plus.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

Introduction :

Texte : Le passage se situe entre l'épître adressée à Marie- Antoinette et la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Ce passage intitulé « Les droits
de la femme » adopte un ton véhément et accuse sans détour le responsable des maux de la femme : l'homme. Avant d'emprunter les tournures juridiques de la
récente Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il s'agit de rédiger un discours qui prend l'homme à parti.

Ce passage est constitué de trois paragraphes qui cherchent à démontrer que le pouvoir tyrannique que l'homme exerce sur la femme est illégitime. Olympe de
Gouges s'appuie ainsi sur la nature, constatant que la différence entre les sexes est une spécificité de l'espèce humaine.

Problématique : On pourra se demander par quels moyens le texte d'Olympe de Gouges se montre à la fois convaincant et persuasif.

Plan : Les différents paragraphes du texte constitueront les trois mouvements de l'explication. Dans un premier temps, l'adresse directe à l'homme conduit fautrice
à le mettre en accusation. Dans le deuxième paragraphe, le discours se fonde sur un raisonnement par analogie poussant l'homme à se comparer aux autres espèces
pro- duites par la nature. Le troisième paragraphe énonce le constat implacable d'une spécificité de l'espèce humaine au sein de la nature : le traitement entre les
sexes y est inégal et donc injuste, alors même que la Révolution a donné l'espoir d'une société plus égalitaire.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est L'adresse directe à l'homme conduit fautrice à le mettre en accusation

une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui - Le texte s'ouvre sur une apostrophe, « Homme » qui permet de mettre en accusation le
responsable de la situation des femmes. Le nom « homme » est employé au singulier : il a le sens
ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui
de tout homme en général. Il s'oppose au nom « femme » de la deuxième phrase, accompagné
t’a donné le souverain empire d’opprimer
d'un déterminant défini, « une ». Face à l'homme en général, une femme en particulier se dresse
mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe pour demander justice : Olympe de Gouges. Celle-ci utilise le tutoiement qui peut être interprété
le créateur dans sa sagesse ; parcours la comme une façon de se placer sur le même pied d'égalité que celui qu'elle accuse, voire sur un
nature dans toute sa grandeur, dont tu plan supérieur.

sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, - Une série de cinq questions se concentre sur les premières lignes du texte : elles permettent une
mise en accusation forte de l'homme, acculé à répondre par l'insistance de ces interrogations,
si tu l’oses, l’exemple de cet empire
d'autant qu'il est incité à parler avec le verbe de parole dans la question « Dis-moi ? ». Celle-ci a
tyrannique.
valeur d'injonction. Par ailleurs, les questions rhétoriques contiennent implicitement les réponses
qui apparaissent comme autant d'actes d'accusation.

- La question d'ouverture qui cherche à déterminer si l'homme est juste trouve nécessairement sa
réponse dans le constat de « l’empire » exercé par l’homme. Le nom apparaît deux fois dans le
texte et se trouve, dans les deux cas, associé à des expressions péjoratives qui rendent le pouvoir
de l'homme sur la femme illégitime et injuste. C'est d'ailleurs bien la question de la légitimité qui
est posée, « Qui t'a donné », et par l'adjectif « souverain ». Ce que l'homme a considéré comme
une évidence demande à être remis en cause.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

- Les questions « Ta force ? Tes talents ? » sont censées suggérer des réponses possibles, mais
elles sont teintées de l'ironie de l’autrice.

- Des verbes à l’impératif présent donnent un ton injonctif au texte et contribue à la véhémence du
texte.
- L'homme est présenté comme l'opposé du « créateur » et de la « nature ». Quand la « sagesse »
de l'un et la « grandeur » de l'autre sont données en exemple, l'homme paraît incapable d'accéder
à ces vertus.
- L'insertion de la proposition « si tu l'oses » permet à l'autrice de lancer un défi présenté d'emblée
comme impossible à relever : ainsi, l'homme ne pourra pas trouver dans la nature d'équivalent à
son comportement auprès des femmes.

Remonte aux animaux, consulte les éléments, Le discours se fonde sur un raisonnement par analogie poussant l'homme à se comparer

étudie les végétaux, jette enfin un coup d’œil aux autres espèces produites par la nature
- Le deuxième mouvement est dominé par des verbes conjugués au présent : ils exhortent l'homme
sur toutes les modifications de la matière
à sonder la nature pour justifier la légitimité de son emprise sur les femmes.
organisée ; et rends-toi à l’évidence quand je
- Ces verbes relèvent du champ lexical de l'observation. Le simple constat du fonctionnement de
t’en offre les moyens ; cherche, fouille et la nature doit apporter une preuve irréfutable de l'injustice exercée contre les femmes.
distingue, si tu peux, les sexes dans - Toutes les dimension de la nature sont prises en compte par une énumération. L'étendue du
l’administration de la nature. Partout tu les champ d'investigation doit démontrer à l'homme qu'Olympe de Gouges à raison. Cette étendue

trouveras confondus, partout ils coopèrent est résumée dans la dernière phrase du paragraphe par l'adverbe « partout »qui ouvre deux
propositions juxtaposées comme pour signaler que la recherche de l'homme est vaine la nature
avec un ensemble harmonieux à ce chef-
exclut bien le mode de domination exercé par l'homme sur la femme.
d’œuvre immortel.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

- L'autrice recourt une nouvelle fois à l'insertion d'une proposition circonstancielle à valeur
d'hypothèse, «si tu peux ». De même que dans le premier paragraphe, elle lance un défi à l'homme
qu'il ne saura pas relever.
- Le vocabulaire de l’union montre que la nature tend à favoriser l’égalité entre les sexes.

L’homme seul s’est fagoté un principe de Le constat implacable d'une spécificité de l'espèce humaine au sein de la nature : le

cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé traitement entre les sexes y est inégal et donc injuste, alors même que la Révolution a
donné l'espoir d'une société plus égalitaire
de sciences et dégénéré, dans ce siècle de
lumières et de sagacité, dans l’ignorance la
- Dans ce troisième paragraphe, l’autrice change de mode d'énonciation et quitte le tutoiement
plus crasse, il veut commander en despote sur accusateur pour passer à un texte rédigé à la troisième personne. « L'homme » qui ouvre ce
un sexe qui a reçu toutes les facultés passage fait écho à « Homme » situé au début du texte. L'adjonction d'un déterminant indéfini
intellectuelles ; il prétend jouir de la ramène l'homme à une espèce parmi d'autres espèces dans la nature.

Révolution, et réclamer ses droits à l’égalité, - L'adjectif « seul » et le nom « exception » montrent combien l'espèce humaine agit à contre-
courant du reste de la nature en matière d'égalité entre les sexes.
pour ne rien dire de plus
- Le verbe « se fagoter » est péjoratif : il suggère que c'est l'homme qui a eu le mauvais goût
d'endosser un rôle qui n'était pas le sien.
- La deuxième phrase est fondée sur une énumération pour qualifier l'homme ; on pourra ajouter
le nom « despote » qui figure plus loin.
- L'époque des Lumières est mise en avant par le rappel de ce contexte favorable à la circulation
des idées. Ce « siècle » associé au nom mélioratif « sagacité » s'oppose à « l'ignorance la plus
crasse » et permet de présenter l'homme dans toutes les situations. Invariablement, l'idée selon
laquelle il serait supérieur à la femme est une constante chez lui.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

- La périphrase qui désigne les femmes en faisant mention de leurs facultés intellectuelles met en
valeur les qualités de réflexion de ces dernières alors que l'homme est capable d'être « aveugle »
bien que « boursouflé de sciences ».
- L'usage du verbe « prétend » dans la dernière phrase prouve combien l'homme s'illusionne sur la
manière dont il a mené la Révolution. À l'heure où Olympe de Gouges s'apprête à prendre la
parole dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, elle achève son texte sur le
silence de l'homme qui ne sait « rien dire de plus ».

Conclusion : Ainsi, c'est par son ton véhément et par .sa stratégie argumentative qu'Olympe de Gouges parvient à introduire sa Déclaration des droits de la femme
et de la citoyenne, Elle y place l'homme dans la position d'un accusé qui ne saurait trouver aucun moyen de défense valide.

Grammaire : Vous analyserez la proposition « si tu roses » dans ta phrase suivante « Observe le créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans toute sa grandeur,
dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, l'exemple de cet empire tyrannique. »

Il s'agit d'une proposition introduite par une conjonction de subordination « si ». On constate que cette proposition est suppressible sans que l'on altère la qualité
de la syntaxe : « et donne-moi l'exemple de cet empire tyrannique. ». Par ailleurs, on remarque que l'on peut déplacer cette même proposition comme dans les
deux exemples suivants :

« Et, si tu l’oses, donne moi l’exemple de cet empire tyrannique. » ou bien « et donne-moi l’exemple de cet empire tyrannique si tu l’oses »

Par ces tets effectués sur cette proposition, nous avons démontré qu’il s’agissait d’une prop sub circonstancielle, qui est suppressible et déplaçable. Elle a le sens
d’une hypothèse et contribue à mettre à lancer un défi à l’homme.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

LL3, DDFC, Postambule

Femme, réveille-toi ! Le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes
5 droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de
superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et
de l’usurpation. L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes
pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes !
Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez
10 recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles
de corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit ; que
vous reste-t-il donc ? La conviction des injustices de l’homme. La réclamation de votre
patrimoine fondée sur les sages décrets de la nature ! Qu’auriez-vous à redouter pour une si
belle entreprise ? Le bon mot du Législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos
15 Législateurs français, correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la
politique, mais qui n’est plus de saison, ne vous répètent : « Femmes, qu’y a-t-il de commun
entre vous et nous ? » — Tout, auriez-vous à répondre. S’ils s’obstinaient, dans leur faiblesse,
à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs principes ; opposez courageusement
la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de
20 la philosophie ; déployez toute l’énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces
orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les
trésors de l’Être Suprême. Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre
pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

Texte :

Cet extrait se situe au début du postambule qu'olympe de Gouges place sitôt après les articles de sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Il s'agit
ici pour l'autrice de montrer aux femmes qu'elles peuvent être maîtresses de leur destin en unissant leurs forces.

Ce passage est constitué de trois mouvements distincts. Dans un premier temps, l'autrice dresse le constat d'une époque qui a changé sous l'influence des Lumières
qui éclairent le siècle. Dans le deuxième mouvement, une série de questions vient remettre en cause les avantages que les femmes pensent avoir acquis lors de la
Révolution française. Enfin, le troisième mouvement est un véritable appel au soulèvement des femmes.

Problématique :

Nous étudierons les moyens par lesquels Olympe de Gouges tente de créer une prise de conscience forte dans l'esprit des femmes, quitte à les mettre en position
d'accusées. Plan de l'explication

Plan :

La première partie consistera à mettre en valeur la manière dont l'autrice invective les femmes en leur rappelant la situation historique. Il s'agira ensuite de pousser
les femmes jusque dans leurs derniers retranchements : en les accusant d'être elles-mêmes responsables de leur propre malheur, Olympe de Gouges compte bien
provoquer une prise de conscience efficace. Enfin, nous verrons la manière dont elle invite les femmes à se soulever contre les hommes en leur rappelant combien
elles pourraient devenir maîtresses de leur destin.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

Femme, réveille-toi ! Le tocsin La manière dont l'autrice invective les femmes en leur rappelant la situation historique
de la raison se fait entendre - Le texte s'ouvre sur une apostrophe : la femme est directement prise à parti, avec d'autant plus d'engouement que le
dans tout l’univers ; reconnais verbe qui suit est conjugué à l'impératif présent. Cette injonction fait écho à la manière dont Olympe de Gouges
tes droits. Le puissant empire de s'adresse à l'homme dans le texte précédant la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Le mot « femme
la nature n’est plus environné » prend ici un sens général. La demande formulée, « réveille-toi » suggère une critique dans le comportement des
de préjugés, de fanatisme, de femmes qui ont une part de responsabilité dans leur situation.
superstition et de mensonges. - La troisième proposition est bâtie autour d'un autre verbe à l'impératif présent, « reconnais tes droits ». Il s'agit de
Le flambeau de la vérité a signaler que l'injonction faite aux femmes est légitime. Le mot « droits » se trouve ainsi mis en opposition avec le
dissipé tous les nuages de la terme « usurpation » utilisé dans la phrase suivante.
sottise et de l’usurpation. - On note l’usage d’une métaphore « le tocsin de la raison [se fait entendre] ». L'époque dans laquelle vit la femme est
L’homme esclave a multiplié ainsi environnée du bruit du changement, bruit suffisamment puissant pour permettre le réveil de la femme.
ses forces, a eu besoin de - On peut relever des mots ou expressions qui montrent que l’époque dans laquelle vit OdG est une époque avancée le
recourir aux tiennes pour briser
domaine des connaissances. L'usage de l'adverbe de négation « plus » (« n'est plus environné ») montre que l'époque
ses fers. Devenu libre, il est ancienne est révolue et que le changement s'est imposé à toute la société. L'hyperbole « dans tout l'univers » permet
devenu injuste envers sa de donner à ce changement une portée qui dépasse les frontières mêmes de la France. Ainsi, l'appel de fautrice doit
compagne. pouvoir concerner les femmes du monde entier.
- Un ensemble de termes péjoratifs caractérise l'époque désormais révolue des temps qui ont précédé la Révolution «
préjugés », « fanatisme », « superstition », « mensonges », « sottise » et « usurpation ». Certains mots, comme «
fanatisme » et « superstition » constituent peut-être des attaques contre l'Église.
- Olympe de Gouges rappelle combien le changement de situation de l'homme est en lien avec l'action de la femme.
Ainsi « l'homme esclave » a pu atteindre la liberté en unissant les forces de tous, mais aussi de toutes. Olympe de
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

Gouges insiste bien sur le rôle de la femme dans l'accession à la liberté. L'expression « avoir besoin » montre combien
l'homme est redevable à la femme.
- La dernière phrase de ce premier mouvement est fondée sur un parallélisme de construction qui met en évidence
l'opposition entre les mots « libre » et « injuste ». Ce parallélisme dévoile combien le rapport de cause à effet est
immédiat : la liberté se trouve ainsi associée à la pratique de l'injustice. On retrouve donc ici un acte d'accusation
adressé directement à l'homme.

Ô femmes ! Femmes, quand Pousser les femmes jusque dans leurs derniers retranchements : en les accusant d'être elles-mêmes responsables de
cesserez-vous d’être aveugles ? leur propre malheur, Olympe de Gouges compte bien provoquer une prise de conscience efficace
Quels sont les avantages que
vous avez recueillis dans la
- On remarque d'emblée la ponctuation forte utilisée dans ce passage. Il s'agit essentiellement de phrases interrogatives,
révolution ? Un mépris plus
souvent oratoires. On conclura à la manifestation d'une très forte expressivité dans un texte qui a tout d'un discours
marqué, un dédain plus signalé.
oral au ton vif.
Dans les siècles de corruption
- Ce deuxième mouvement débute par une interjection, « O », souvent utilisée en poésie et qui donne au texte un ton
vous n’avez régné que sur la
emphatique. Les femmes ainsi apostrophées retrouvent, comme au tout début du texte, une place d'accusées. Cette
faiblesse des hommes. Votre
fois, l'autrice utilise le pluriel, d'autant plus marqué que le mot « femmes » est répété.
empire est détruit ; que vous
- L'accusation d'aveuglement rappelle le reproche formulé dans le premier mouvement : dans les deux cas, il s'agit de
reste-t-il donc ? La conviction
mettre l'accent sur les yeux clos des femmes qui n'ont pas su œuvrer suffisamment à l'amélioration de leur condition.
des injustices de l’homme. La
- Bien que la question « quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la Révolution » soit oratoire, Olympe
réclamation de votre patrimoine
de Gouges propose deux réponses, peu flatteuses à l'égard des femmes construites sur deux groupes nominaux qui se
fondée sur les sages décrets de
répondent par leur parallélisme de construction. On pourra remarquer que le « mépris » et le « dédain » sont des
la nature ! Qu’auriez-vous à
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

redouter pour une si belle termes de sens proche : mieux que deux éléments de réponse, Olympe de Gouges a voulu insister sur la place de la
entreprise ? Le bon mot du femme dans la société, et ce, même après le grand bouleversement que représente la Révolution.
Législateur des noces de Cana ? - On trouve ensuite , mais cette position qui aurait pu sembler avantageuse se trouve réduite à néant par le milieu sur
Craignez-vous que nos lequel règne la femme puisqu'il s'agit d'un monde de « corruption », caractérisé par la « faiblesse des hommes ». La
Législateurs français, négation exceptive souligne davantage l'insignifiance de cet « empire ».
correcteurs de cette morale, - La succession de questions met en valeur l'infériorité de la position des femmes subissant les « injustices de l'homme"
longtemps accrochée aux qui passent entre autres par l'impossibilité pour elles de jouir de leur « patrimoine ».
branches de la politique, mais - L'allusion à l'épisode de la vie du Christ lors des noces de Cana est reprise par la question finale qui serait posée par
qui n’est plus de saison, ne vous les « législateurs «qu'y a-t-il de commun entre vous et nous ? ». Il s'agit ici d'une interprétation des paroles du Christ
répètent : « Femmes, qu’y a-t-il qui aurait déclaré à sa mère Marie qu’il était de nature divine quand elle n’était qu’humaine. Olympe de Gouges
de commun entre vous et affiche peut-être là son esprit anticlérical en concluant à l’expression d’un mépris du Christ pour les femmes.
nous ? » — Tout, auriez-vous à - On notera aussi l’ironie avec laquelle l’autrice désigne la parle du Christ, par une périphrase construite sur une
répondre. antiphrase.
- Olympe de Gouges souligne une nouvelle fois que la période que vivent les femmes est une période de changement :
la Révolution marque l'abandon des temps révolus comme le montre la remarque « mais qui n'est plus de saison ».
- La réponse à la dernière question est formulée explicitement par l’autrice. La brièveté de celle-ci s'oppose à la
longueur de la phrase précédente dans un souci d'insistance. Le conditionnel présent (« auriez-vous ») montre combien
cette réponse reste hypothétique. Pour que tout » soit commun entre l'homme et la femme, l'autrice suggère que la
femme doit prendre son avenir en main.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

S’ils s’obstinaient, dans leur OdG invite les femmes à se soulever contre les hommes en leur rappelant combien elles pourraient devenir
faiblesse, à mettre cette maîtresses de leur destin.
inconséquence en contradiction - De nombreuses expressions associées aux hommes sont péjoratives. Alors qu’ils pensent occuper une position
avec leurs principes ; opposez supérieure, les hommes apparaissent ici comme des êtres faibles et soumis.
courageusement la force de la - Olympe de Gouges rappelle que les hommes, auteurs de la Révolution, ne sauraient aller à l'encontre des intérêts des
raison aux vaines prétentions de femmes sans être « en contradiction avec leurs principes ». Faibles, les hommes seraient en outre incapables de
supériorité ; réunissez-vous respecter leur propre parole.
sous les étendards de la - On trouve des verbes conjugués à l'impératif présent : ils incitent les femmes à se soulever ensemble.
philosophie ; déployez toute - L'esprit des Lumières semble dominer ce passage : tandis que les hommes pourraient renoncer à l'idéal d'une société
l’énergie de votre caractère, et vraiment juste, les femmes doivent faire appel à des armes intellectuelles : « la force de la raison » et « les étendards
vous verrez bientôt ces de la philosophie » (on notera que la philosophie est présentée ici comme une allégorie).
orgueilleux, non serviles - Les conséquences d'un tel soulèvement se trouvent formulées au milieu de ce troisième mouvement : « vous verrez
adorateurs rampants à vos
bientôt ces orgueilleux, nos serviles adorateurs rampant à vos pieds ». Ainsi, l'union des femmes suffirait à renverser
pieds, mais fiers de partager la position de chacun dans la société.
avec vous les trésors de l’Être - Tandis que l'ensemble du texte marque régulièrement une franche séparation entre les hommes et les femmes, l'autrice
Suprême. Quelles que soient les montre que l'autre conséquence attendue serait une union des deux sexes. Le verbe « partager » montre combien
barrières que l’on vous oppose, l'avantage est grand pour tous d'adopter jusqu'au bout les principes de la Révolution.
il est en votre pouvoir de les - La périphrase « Être suprême » désignant Dieu rappelle une nouvelle fois les idées révolutionnaires d'Olympe de
affranchir ; vous n’avez qu’à le Gouges sur la question de Dieu et de l'Église.
vouloir. - Les verbes « pouvoir » et, « vouloir » se font écho dans la dernière phrase sur le plan sonore. Cela montre combien
ces deux verbes sont liés à une même action. Par ailleurs, Olympe de Gouges minimise l'ampleur de la tâche que
représente ce soulèvement des femmes avec le tour négatif « vous n'avez qu'à le vouloir ».
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

Conclusion :

Le début de ce postambule appelle avec force les femmes à se soulever. Mais, loin de considérer que les femmes ne sont que les victimes des hommes oppresseurs,
Olympe de Gouges signale aussi avec force la grande part de responsabilité des femmes dans leur propre situation. En les plaçant du côté des accusées, fautrice
doit « réveiller » les consciences pour obtenir le mouvement de révolte qui aboutira à une société vraiment idéale, dans laquelle les deux sexes finiront par
conclure au « partage ».

Question de grammaire : Vous analyserez les deux questions présentes dans les phrases suivantes « Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d'être aveugles ?
Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la Révolution »

La première question est introduite par l'adverbe interrogatif « quand ». Il permet de faire porter la question sur une circonstance. La question est ici directe
puisqu'il n'y a pas de proposition subordonnée.

La seconde question est, elle aussi, directe. Elle est introduite par le mot interrogatif « que s » dont on remarque qu'il s'accorde en genre et en nombre avec le
nom « avantages ». Il permet de faire porter l'interrogation sur l'attribut du sujet, « les avantages ».

Le fait de privilégier dans ce texte des questions directes donne au texte d'olympe de Gouges son caractère véhément.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

Théroigne de Méricourt, Discours prononcé


à la Société fraternelle des minimes (1792)

1 Françaises, je vous le répète encore, élevons-nous à la hauteur de nos destinées, brisons


2 nos fers. Il est temps enfin que les femmes sortent de leur honteuse nullité où l’ignorance,
3 l’orgueil et l’injustice des hommes les tiennent asservies depuis si longtemps ; replaçons-nous
4 au temps où nos mères, les Gauloises et les fières Germaines, délibéraient dans les assemblées
5 publiques, combattaient à côté de leurs époux pour repousser les ennemis de la liberté.
6 Françaises, le même sang coule toujours dans nos veines ; ce que nous avons fait à Beauvais, à
7 Versailles, les 5 et 6 octobre, et dans plusieurs autres circonstances importantes et décisives,
8 prouve que nous ne sommes pas étrangères aux sentiments magnanimes. Reprenons donc notre
9 énergie ; car si nous voulons conserver notre liberté, il faut que nous nous préparions à faire les
10 choses les plus sublimes. Dans le moment actuel, à cause de la corruption des mœurs, elles nous
11 paraitront extraordinaires, peut-être même impossibles ; mais bientôt par l'effet des progrès de
12 l'esprit public et des lumières, elles ne seront plus pour nous que simples et faciles. Citoyennes,
13 pourquoi n'entrerions-nous pas en concurrence avec les hommes ? Prétendent-ils seuls avoir
14 des droits à la gloire ? Non, non... Et nous aussi nous voulons mériter une couronne civique, et
15 briguer l'honneur de mourir pour une liberté qui nous est peut-être plus chère qu'à eux, puisque
16 les efforts du despotisme s'appesantissaient encore plus durement sur nos têtes que sur les leurs.

17 Oui... généreuses citoyennes, vous toutes qui m'entendez, armons-nous, allons-nous


18 exercer deux ou trois fois par semaine aux Champs-Élysées, ou au Champ de la
19 Fédération ; ouvrons une liste d'Amazones françaises; et que toutes celles qui aiment
20 véritablement leur patrie, viennent s'y inscrire [...].
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

Présentation de l’auteur/du contexte d’écriture :

Militante active lors de la Révolution, Théroigne de Méricourt a participé à la prise de la Bastille puis à la marche des femmes à Versailles en
octobre 1789. Assidue aux débats à l’Assemblée, elle réclame en 1792 la création d’une « phalange d’Amazones», sorte de garde nationale
féminine, pour défendre la patrie menacée par les puissances européennes.

Présentation de l’oeuvre et de l’extrait :

Dans ce discours véhément, l’auteure interpelle les femmes pour les inviter au combat dans une volonté d’émancipation.

Problématique : Comment, dans ce discours,, Théroigne de Méricourt encourage-t-elle les femmes à se battre comme les hommes ?

Plan : De la ligne 1 à 3 : Théroigne de Méricourt apostrophe avec énergie les femmes .

De la ligne 3 « replaçons-nous… » à 7 « magnanimes » : T. de Méricourt s’appuie sur des exemples passés pour montrer que les femmes sont
capables de se battre .

De la ligne 7 à la fin : Elle appelle concrètement les femmes à prendre les armes pour défendre la patrie menacée
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

Françaises, je vous le répète encore, élevons-nous à la hauteur de T. de Méricourt Apostrophe avec énergie les femmes
nos destinées, brisons nos fers. Il est temps enfin que les femmes
sortent de leur honteuse nullité où l’ignorance, l’orgueil et - Les Apostrophes et répétitions rendent le propos énergique. T.de Méricourt veut faire
l’injustice des hommes les tiennent asservies depuis si longtemps émerger un sentiment d’union patriotique dans le cœur des femmes.
- Verbes à l’impératif présent à la 1e personne du pluriel Nouveaux procédés oratoires
qui dynamisent le propos. La première personne du pluriel doit donner une
impression d’unité : T. de Méricourt cherche à fédérer les femmes autour d’elle.
- Avec le champ lexical de l’élévation elle s’appuie sur des termes concrets, visuels,
pour rendre visible aux femmes la place qui leur est due dans la société.
- Métaphore + groupe nominal péjoratifs. Cherche à susciter l’indignation des femmes
et la révolte contre l’état de soumission qu’elles ont jusqu’ici accepté, c’est-à-dire :
laisser aux hommes seuls le droit de combattre.
- Accumulations de termes péjoratifs en gradation : Doit susciter l’indignation et la
rébellion contre les hommes qui refusent que les femmes leur soient égales
remplaçons-nous au temps où nos mères, les Gauloises et les T. de Méricourt s’appuie sur des exemples passés pour montrer que les femmes sont
fières Germaines, délibéraient dans les assemblées publiques,
combattaient à côté de leurs époux pour repousser les ennemis capables de se battre.
de la liberté. Françaises, le même sang coule toujours dans nos - Par des arguments issus de l’expérience, T. de Méricourt se fonde sur l’observation de faits
veines ; ce que nous avons fait à Beauvais, à Versailles, les 5 et historiques pour montrer que les femmes ont déjà été capables de prendre les armes durant
6 octobre, et dans plusieurs autres circonstances importantes et l’Antiquité. De fait, les femmes gauloises portent pantalon — des braies attachées à la
décisives, prouve que nous ne sommes pas étrangères aux chaussure — et suivent en chariot avec leurs enfants les hommes en expédition, elles sont
sentiments magnanimes. admises à délibérer avec les hommes sur la paix et la guerre. Certaines images les montrent
en travailleuses des champs, d’autres à cheval, sans selle ni bride, en guerrières. T. de
Méricourt valorise ce passé guerrier pour inciter les femmes à combattre
- Par la périphrase, T. de Méricourt se réfère à une actualité récente pour montrer que les
femmes sont capables de se battre. La marche des femmes a été marquée par des violences
guerrières : les femmes étaient armées de piques, les grilles du château de Versailles ont été
forcées et des gardes massacrés. Les femmes ont obtenu le retour du roi aux Tuileries.
Théroigne valorise cette violence pour inciter les femmes à s’unir en armée.
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

- Les adjectifs qualificatifs mélioratifs permettent l’éloge des actions passées qui doivent
inspirer les actions à venir. Les qualités énoncées sont traditionnellement associées aux
hommes, ici elles sont accolées aux femmes pour montrer qu’elles aussi sont capables de
briller au combat.

Théroigne de Méricourt appelle les femmes à prendre les armes pour défendre la patrie
Reprenons donc notre énergie ; car si nous voulons
menacée.
conserver notre liberté, il faut que nous nous préparions à faire
les choses les plus sublimes. Dans le moment actuel, à cause de
A) Elle explique quelles valeurs elles défendront en combattant.
la corruption des mœurs, elles nous paraitront extraordinaires,
peut-être même impossibles ; mais bientôt par l'effet des progrès
- Connecteur logique, souligne le raisonnement logique de T. de Méricourt, il faut
de l'esprit public et des lumières, elles ne seront plus pour nous
s’appuyer sur le passé glorieux pour agir dans le présent.
que simples et faciles. Citoyennes, pourquoi n'entrerions-nous
pas en concurrence avec les hommes ? Prétendent-ils seuls avoir
- Théroigne, comme Olympe de Gouges, soulignent que la société oppose de
des droits à la gloire ? Non, non... Et nous aussi nous voulons
nombreuses résistances à leur tentative d’émancipation. On peut noter les moqueries
mériter une couronne civique, et briguer l'honneur de mourir
dont Théroigne de Méricourt et son armée feront l’objet de la part du journaliste
pour une liberté qui nous est peut-être plus chère qu'à eux,
puisque les efforts du despotisme s'appesantissaient encore plus
durement sur nos têtes que sur les leurs. - Comme Olympe de Gouges, Théroigne défend son espoir en l’avenir par la
Oui... généreuses citoyennes, vous toutes qui m'entendez, conjonction de coordination « mais » et nom commun « lumières »: la société va
armons-nous, allons-nous exercer deux ou trois fois par évoluer et finir par reconnaître le droit pour les femmes de combattre comme les
semaine aux Champs-Élysées, ou au Champ de la Fédération ; hommes… On verra d’ailleurs des femmes intégrées dans l’armée française à partir
ouvrons une liste d'Amazones françaises; et que toutes celles qui de 1946.
aiment véritablement leur patrie, viennent s'y inscrire [...].
- Question rhétorique et l’adverbe de négation répétés Soulignent la véhémence du
discours

- Conjonction de subordination soulignant la causalité montre que les femmes sont


d’autant plus disposées à se battre pour la liberté qu’elles en seraient plus fortement
Cours de français | Lucas LEFEBVRE – Jérémy GUNTHER

privées si la monarchie revenait : sous l’ancien régime, les femmes souffraient plus
que les hommes et étaient bien moins libres qu’eux.

B) T. de Méricourt explique concrètement comment doit s’organiser l’armée des


femmes

- Accumulation de verbe d’action à la première personne du pluriel donne une


puissance oratoire au propos

- Les compléments circonstanciels de lieu donnent des détails précis sur les lieux
d’entraînement de l’armée des femmes.

- Le GN suscite une image persuasive dans la tête de son auditoire, les Amazones sont
de femmes mythologiques. Il est valorisant d’être associées à de telles héroïnes, cela
doit donc achever de persuader les femmes et les faire adhérer à l’armée de
Théroigne.

Vous aimerez peut-être aussi