UFR de Musique et Musicologie
Licence de Musicologie
Parcours enseignement à distance (EAD)
Histoire de la musique
Licence 1 – Semestre 1
Introduction à l’histoire de la musique :
La périodisation
Muriel Boulan
Travailler en parallèle avec le devoir
autocorrectif qui propose un sujet de
dissertation centré sur la question de la
périodisation autour du rapport
rupture/continuité en histoire.
Pourquoi la périodisation ?
Pourquoi la périodisation ?
Préalable : constitution de la chronologie
Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 342 :
« Il n’y a pas d’histoire dans dates ; pour s’en convaincre, il suffit de
considérer comment un élève parvient à apprendre l’histoire : il la réduit
à un corps décharné dont les dates forment le squelette. On sans raison,
on a réagi contre cette méthode desséchante, mais en tombant souvent
dans l’excès inverse. Si les dates ne sont pas tout l’histoire, ni le plus
intéressant dans l’histoire, elles sont ce à défaut de quoi l’histoire elle-
même s’évanouirait, puisque toute son originalité et sa spécificité sont
dans l’appréhension du rapport de l’avant et de l’après, qui serait voué à
se dissoudre si, au moins virtuellement, ses termes ne pouvaient être
datés.
Or, le codage chronologique dissimule une nature beaucoup plus
complexe qu’on ne l’imagine, quand on conçoit les dates de l’histoire
sous la forme d’une simple série linéaire. »
Pourquoi la périodisation ?
Antoine Prost
Nécessité pratique : « on ne peut embrasser la totalité sans
la diviser » (Prost)
Olivier Lévy-Dumoulin, « Périodisation », Encyclopedia
Universalis
« La périodisation segmente le cours de l’histoire pour
rendre les faits pensables. Ce découpage est la base de
toute interprétation historique. »
Pourquoi la périodisation ?
Jacques Le Goff (1924-2014) – historien
médiéviste
l’histoire en tranches
Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches ?, Seuil, 2014
Pourquoi la périodisation ?
Antoine Prost
Nécessité pratique : « on ne peut embrasser la totalité sans la
diviser »
1. Identifier des ensembles cohérents
« la période […] signale que la simultanéité dans le temps n’est
pas juxtaposition accidentelle, mais relation entre des faits
d’ordres divers. Les différents éléments d’une période sont plus
ou moins étroitement interdépendants. […] Ils s’expliquent les
uns par les autres. Le tout rend compte des parties. »
Pourquoi la périodisation ?
Jean-Jacques Nattiez (« Histoire ou histoires… »)
Nécessité pratique : « on ne peut embrasser la totalité sans la
diviser »
1. Identifier des ensembles cohérents
« Pour construire l’autonomie de chacune de ces périodes, on
peut se fonder sur des critères internes à la musique, en
s’appuyant notamment sur des aspects stylistiques, formels,
harmoniques, etc., qui y sont constants, ou des critères externes
comme des traits considérés comme caractéristiques des modes
de pensée et d’action d’une génération, des événements
historiques marquants […] ou des périodes déjà découpées dans
d’autres domaines, en particulier dans l’histoire de l’art. »
Pourquoi la périodisation ?
Antoine Prost
Nécessité pratique : « on ne peut embrasser la totalité sans la
diviser »
1. Identifier des ensembles cohérents
2. Trouver des articulations pertinentes
« découper l’histoire en périodes, c’est […] substituer à la
continuité insaisissable du temps une structure signifiante. »
3. « articuler ce qui change et ce qui subsiste ».
→ accès facile aux sources (classification dans les
bibliothèques, archives, ouvrages)
Pourquoi la périodisation ?
Antoine Prost
« La périodisation permet de penser à la fois la continuité et la rupture.
Elle affecte d’abord l’une et l’autre à des moments différents : continuité
à l’intérieur des périodes, ruptures entre elles. Les périodes se suivent
et ne se ressemblent pas ; périodiser, c’est donc identifier des
ruptures, prendre parti sur ce qui change, dater le changement et
en donner une première définition. Mais, à l’intérieur d’une période,
l’homogénéité prévaut. L’analyse va même plus loin. Le découpage
périodique comporte toujours une part d’arbitraire. En un sens,
toutes les périodes sont des « périodes de transition ». L’historien qui
souligne un changement en définissant deux périodes distinctes est obligé
de dire sous quelques aspects elles diffèrent, et, au moins en creux, de
façon implicite, plus souvent explicitement, sous quels aspects elles se
ressemblent. La périodisation identifie continuités et ruptures. Elle ouvre
la voie à l’interprétation. Elle rend l’histoire sinon déjà intelligible, du
moins pensable. »
Problèmes de la périodisation
Problèmes de la périodisation
1. Période : danger d’un cadre arbitraire et caricatural,
détaché des périodes qui l’entourent
Antoine Prost :
« La période prend l’allure d’un cadre arbitraire et
contraignant, d’un carcan qui déforme la réalité. »
« L’enseignement […] vise la clarté et la simplicité, il donne
aux périodes une sorte d’évidence qu’elles ne comportent
pas. »
> Se méfier de « la période toute faite, refroidie », celle
pourtant pédagogiquement bien utile ! Viser la
« périodisation vive », celle de l’historien en action.
Problèmes de la périodisation
2. Période : entité close
Antoine Prost
« la clôture de la période sur elle-même interdit d’en saisir
l’originalité. »
« La période prend l’allure d’un cadre arbitraire et contraignant,
d’un carcan qui déforme la réalité. C’est qu’une fois l’objet
historique « période » construit, il fonctionne inévitablement
de façon autonome. »
Néanmoins « Le propre du temps historique est précisément de
pouvoir se parcourir en tous sens, vers l’amont comme vers l’aval,
et à partir de tout point. »
« … toutes les périodes sont des « périodes de transition. » » [entre
deux autres périodes qui ne peuvent disparaître de la réflexion]
Problèmes de la périodisation
3. Unité artificielle
« En second lieu, on reproche à la période de créer une
unité factice entre des éléments hétérogènes. »
Les éléments observés n’en sont pas tous au même stade
« d’évolution » au même moment : « tous les éléments
contemporains ne sont pas contemporains. »
Problèmes de la périodisation
1. Cadre arbitraire
2. Période : entité close
3. Unité artificielle
4. Période vs notion
Paul Veyne, L’inventaire des différences, Paris, Seuil, 1976, p. 49 :
« Les faits historiques ne s’organisent pas par périodes et par
peuples mais par notions ; ils n’ont pas à être replacés en leur
temps, mais sous leur concept. »
Musique / Histoire
Histoire sociale / Histoire politique
Histoire de la musique religieuse / Histoire de la musique de
chambre
Problèmes de la périodisation
1. Cadre arbitraire
2. Période : entité close
3. Unité artificielle
4. Période vs notion
5. Pluralité des temps / pluralité des périodisations
« chaque objet historique a sa périodisation propre. » - A. Prost
Les éléments observés n’en sont pas tous au même stade
« d’évolution » au même moment : « tous les éléments
contemporains ne sont pas contemporains. » - Antoine Prost
> Temporalités parallèles
Ex. : évolution de l’opéra ; évolution de la musique religieuse
Problèmes de la périodisation
Pour aller plus loin :
Fernand Braudel, Écrits sur l’histoire (1969) – 3 temporalités
- temps long : structures géographique et matérielles, l’homme
dans ses rapports avec le milieu qui l’entoure, histoire « quasi
immobile »
- temps intermédiaire : cycles économiques et conjoncture
- temps court : politique et événements, l’histoire traditionnelle
« L’important est de tenir compte de la temporalité propre à
chaque série de phénomènes dans la recherche de leur
articulation. Les diverses séries de phénomènes n’évoluent pas au
même pas. Chacune a son allure propre, son rythme spécifique
qui la caractérise en lien avec d’autres traits caractéristiques. Il est
essentiel, pour comprendre leur combinaison, de hiérarchiser ces
temporalités inégales. » - Antoine Prost
Quelle(s) périodisation(s) ?
Quelle(s) périodisation(s) ?
La périodisation usuelle en histoire de la
musique
• (Préhistoire)
• Antiquité
• Moyen Âge
• Renaissance
• Baroque
• Classicisme (Attention justement !)
• Romantisme
• Musique moderne
• Musique contemporaine
Quelle(s) périodisation(s) ?
La périodisation usuelle en histoire de la
musique
Emprunte à différents champs
• Histoire générale : Antiquité, Moyen Âge
• Histoire des Arts : Baroque – barroco (perle irrégulière)
(L’impressionnisme et la musique, Fayard)
• Histoire culturelle plus large : Renaissance, Romantisme
Champs spécifiquement musical
• Classicisme <> période qui ne correspond pas au champ
littéraire, architectural…
• Post-romantisme
Quelle(s) périodisation(s) ?
La périodisation usuelle en histoire de la
musique
Problème des bornes chronologiques à ces périodes
Limites historiques ? Limites musicales ? stylistiques ? Remise
en cause permanente de toute façon
476 - 1492 : histoire générale (mais 395 ? ; 1453 ? > Orient ;
1452 : Gutenberg ; 1483 ? Mort de Louis XI)
Et en musique ?
Le XVe siècle est-il inclus dans la Renaissance ? Oui
maintenant avec génération Dufay, apparition de la tierce
1501 : Harmonices musices Odhecaton (O. Petrucci, Venise)
Passage de la transmission orale à la transmission écrite :
rupture fondamentale avec les neumes (IXe siècle)
Rupture également avec l’opposition monodie/polyphonie
Quelle(s) périodisation(s) ?
La périodisation usuelle en histoire de la
musique
Problème des bornes chronologiques à ces périodes
Limites historiques ? Limites musicales ? stylistiques ? Remise
en cause permanente
1600 comme charnière Renaissance-Baroque ?
Baroque comme expression des passions et musique liée aux
paroles : 1580 en Italie (cf. Claude Palisca)
Baroque comme ère de la basse continue : Monteverdi, 5e
livre de Madrigaux, 1605
Évolution différente selon les pays
Quelle(s) périodisation(s) ?
La périodisation usuelle en histoire de la
musique
Problème des bornes chronologiques à ces périodes
Limites historiques ? Limites musicales ?
1789 : Révolution française comme rupture ?
- Oui pour la musique religieuse (bouleversement lié à la
dissolution des maîtrises des cathédrales)
- Non pour l’opéra
1800 : 1re symphonie de Beethoven
1810 ?
1830 ?
Quelle(s) périodisation(s) ?
La périodisation usuelle en histoire de la
musique
Problème des bornes chronologiques à ces périodes
Limites historiques ? Limites musicales ?
Problèmes de termes et de contenus
• Baroque musical : difficilement accepté dans
l’historiographie française (siècle de Louis XIV = classique
!)
Terme perçu comme péjoratif, cf. Rousseau, Dictionnaire de musique
« Une musique baroque est celle dont l’harmonie est confuse, chargée de
modulations et dissonances, le chant dur et peu naturel, l’intonation
difficile, et le mouvement contraint. Il y a bien de l’apparence que ce
terme vient du baroco des logiciens. »
Quelle(s) périodisation(s) ?
La périodisation usuelle en histoire de la
musique
Problème des bornes chronologiques à ces périodes
Limites historiques ? Limites musicales ?
Problèmes de termes et de contenus
• Musique classique : problème avec la littérature + terme
générique pour la musique « savante ». Définition du Larousse :
- Ensemble de tendances et de théories, en particulier littéraires, qui se manifestent en
France au XVIIe s., surtout sous le règne de Louis XIV.
- Ensemble de la production littéraire et artistique se recommandant de cette doctrine.
- Tendance artistique qui se caractérise par le sens des proportions, le goût des
compositions équilibrées et stables, la recherche de l’harmonie des formes, une
volonté de pudeur dans l’expression.
- Caractère de ce qui est conforme au goût traditionnel.
Quelle(s) périodisation(s) ?
La périodisation usuelle en histoire de la
musique
Problème des bornes chronologiques à ces périodes
Limites historiques ? Limites musicales ?
Problèmes de termes et de contenus
• Musique classique : problème avec la littérature + terme
générique pour la musique « savante ». Définition du Larousse :
Classicisme par opposition au Romantisme
Johann Nikolaus Forkel (1749-1818) : Bach est classique
Simplicité, clarté, équilibre, ordre, symétrie, sens des proportions et des formes…
Style galant : oui
Classicisme viennois : oui
Musique du dernier quart du XVIIIe siècle
Quelle(s) périodisation(s) ?
La périodisation usuelle en histoire de la
musique
Problème des bornes chronologiques à ces périodes
Les limites doivent-elles / peuvent-elles être historiques ?
musicales ?
Problèmes de termes et de contenus
• Musique moderne / Musique contemporaine => XXe
siècle)
vs
• Histoire moderne => fin du Moyen Âge - Révolution
française) / Histoire contemporaine
Quelle(s) périodisation(s) ?
RIEMANN, Hugo, Dictionnaire de musique, traduction française, 1899.
Antiquité
Moyen Âge
I. Modes ecclésiastiques
II. Débuts de la musique polyphonique & recherche d’une
notation musicale parfaite (IXe-XIIe s.)
III. Déchant et développement de la notation
proportionnelle. Musique profane (XIIe-XIVe s.)
IV. Période d'efflorescence du contrepoint (XIVe-XVIe s.)
Époque moderne
I. Époque des réformes musicales (1600-1700)
II. Apogée. Période des classiques : Bach, Haendel, Gluck,
Haydn, Mozart, Beethoven
III. XIXe s. : Période romantique
Quelle(s) périodisation(s) ?
Autres périodisations possibles ?
• Découpage par siècles. Arbitraire, mais commode
Prost : La notion de « siècle » naît avec la Révolution, comme
rupture majeure à proximité d’un tournant de siècle.
Plasticité de ces « siècles » des historiens, comme le
XIXe siècle qui se termine en 1914.
Spécialistes du XVIe siècle, du XIXe siècle…
Tournants de siècles comme des ruptures ?
Cf. Brigitte François-Sappey : La Musique au tournant des siècles, Paris,
Fayard, 2015.
Quelle(s) périodisation(s) ?
Autres périodisations possibles ?
• Découpage par siècles. Arbitraire, mais commode
• Événements politiques majeurs
• « Générations ». Autour de figures marquantes
Génération Bach : Bach, Haendel, Rameau, D. Scarlatti
Génération 1810 : Chopin, Schumann, Mendelssohn (1809),
Liszt (1811)
Au-delà des périodes, évacuer la question : histoire d’un
genre, d’un style, d’une institution, d’un compositeur etc.
Le temps / les temps de l’histoire
Contre la pensée de l’histoire comme une succession de
causes et d’effets – rejet d’une pensée téléologique…
et retour à une périodisation nécessaire comme simple trame
de la pensée, comme outil de l’historien
Antoine Prost
« Le va-et vient permanent entre le passé et le présent, et
entre les différents moments du passé, est l’opération même
de l’histoire. Elle façonne une temporalité propre, familière,
un peu comme un itinéraire sans cesse parcouru dans une
forêt, avec ses repères, ses passages délicats ou faciles.
L’historien, qui est lui-même dans le temps, le met en
quelque sorte à distance de travail et il le jalonne pour ses
recherches, il le marque de ses repères, il lui donne une
structure. »