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Descartes. Meditations (AT IX-1)

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uh BIBLIOTECA DicItaL — M. Dannoux, de TAcadémie des Sciences, dopen honoraire de la Faculté des Sciences de Université de Paris, et M. Bovrroux, de Académie “des "Sciences Morales . Poliques, professeur @ ‘a Philosophie moderne & la Sorbonne, directeur de inetd Thiers, ont sated Timpression de cele publication en qualité de commistaires responsables. La mise & joar du présent volume a été confiée a M. Bernard Rector, doctetr éetettres OEUVRES DESCARTES PUBLIFES Cuartes ADAM & Pau TANNERY MEDITATIONS TRADUCTION PRANGAISE K-4 NOUVELUR PRESENTATION, BN CO-EDITION AVEC PARIS LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN| 6, Place de I Sorbonne, Ve 1982 BIBLIOTECA yepiigTg GE BLES. ECULES ids fabs 2. ec MCS er a) MEDITATIONS © Librairie Philosophique J. VRIN, 1982 ISBN 2-7116-0190-0 (Edition complete) ISBN 2-7116-0200-1 (tome 9-1) Note pour la nouvelle édition Lesastérisques placés en appels” renvoient & l'appendice sous le numéro de la page correspondante. ve AVERTISSEMENT La traduction francaise des Méditations eut, au xvut sitcle, trois éditions, aux dates de 1647, 1661 et 1673. Laquelle des trois devons-nous stivre dans cette édition nouvelle des Gawres de Descartes, et pour quelles raisons? La troisitme semble tout d’abord se recommander particu- figrement. Dans la Vie de Monsieur Des-Cartes, publiée par ‘Adrien Baillet en 1691, on lit au tome II, 1. vit, c. 13, p. 324: « Nous n’en avons pas de plus parfaite & de plus utile que la » troifiéme, qui parut en la méme forme que les précédentes » 4Paris I'an 1673. Les Méditations y font divifées par ‘articles, » avec des fommaires fort exaéts & célé, outre des renvois fort commodes des articles aux objedlions, & des objedtions aux réponfes, pour donner aux Leéteurs la facilité de les conférer & de mieux comprendre les unes’ & les autres. Il n’eft pas jufte que le Public ignore & qui il et redevable de cette troifiéme édition, C'eft & M. Fédé (en marge : René Fédé natif de Chateau-Dun), Dofteur en Médecine de la Faculté a’Angers, dont le mérite ne peut étre inconnu qu’a ceux qui n'ont pas ouy parler de fon zéle pour la Philofophie Carté~ fienne. » Les termes soulignés sont ceux du titre méme, que Baillet ne fait que reproduire ; ildonne en méme temps le nom aésigné seulement par les initiales R. F. Mais ce qui fait la nouveauté et aussi l'utilité de cette troisitme édition, & savoir Ja division en articles; les sommaires et les renvois, est préci- sément pour nous une raison de ne pas la suivre, Ce sont la, en effet, des additions, d'une autre main que celle de Descartes ee vl AVERTISSEMENT. ou méme de Clorselier, son traducteur; et comme effes sont de 1673, elles n'ont pas pu étre connues du philosophe, mort en 1650. Répondent~elles exactement & sa pensée, et les aurait-il admises sans difficulté? Nul ne le sait, et il est fort possible que, soit pour le fond, soit’ pour la forme, it y ett trouvé beaucoup & redire. Elles n'ont done aucun titre & prendre place dans une édition ol tout doit etre de Descartes ins avoir été approuvé par lui. lui-méme, ou du moi La troisitme édit seconde, celle de 1661? A part la division en articles, et les sommaires et renvois, qui n'apparaissent qu'en 1673, ce sont Jes mémes textes, mis dans le méme ordre; la pagination est aussi la méme. Mais le titre annonce une particularité impor- tante : « Seconde édition », dit-il, « augmentée de la verfion » d'yne Lettre de Mt Des-Cartes au R. P. Dinet, & de celle » des feptiefmes Objedtions & de leurs Refponfes. » En effet, ces deux piéces manquent Lune et autre dans la premiére traduction de 1647 comme dans la premiére édition latine, Paris, 1641. Ce n'est que plus tard, en vue de la seconde Edition frangaise de 1661, que Clerselier les traduisit, pour compléter la premiére*. Mais Descartes, qui était mort depuis dix ans, ne put avoir connaissance de ces deux pitces now- velles en francais. Il ne vit et ne corrigea que la premigre traduction, qui s'en tenait aux Objections et Réponses pu bliges en 1642. Seules celles-ci peuvent donc paraitre dans ‘une édition de ses ceuvres, et on ne saurait admettre, sous, son autorité et sa garantie, les deux additions de I’édition francaise de 1661. La premiére traduction elle-méme, celle de 1647, peut-elle étre reproduite intégralement? Il ne le semble pas. Sans doute Descartes eut communication des pidces déja traduites, lors de a. En 1645, lorsqu'il se décida 8 laisser imprimer une traduction de ses Meditations, Descartes, réconcilié avec le P. Bourdin, ne pouvait désirer ee complément, Au reste, A ce moment, comme on va le voir, Clerselier Grait loin d'avoir terminé sa version du texte de la premitre édition laine, AVERTISSEMENT. vir sow voyage en France de 1644; mais Ia traducteur, Glerselier, nren était qu'aux quatriémes Objections, et Descartes le pria expressément d’omettre les cinquiémes, celles de Gassend, ainsi que ses propres réponses, et de ne pas prendre ta peine de les traduire. C’est lui-méme qui le déclare, dans un « Aver- tissement de auteur », imprimé page 340 de la premiére édi- tion; et Clerselier confirme cette déclaration dans un « Aver~ tissement di traducteur », imprimé page 393. De fait, dans cette premiére édition, on trouve, aprés les Réponses aux qua- trigmes Objections, et & Ia place des cinquiémes qui devraient venir ensuite, 'Avertissement de Descartes, puis tout aussitét les sixiémes Objections avec leurs Réponses. Le volume aurait a finir JA, Mais Clerselier eut un scrupule : pourquoi priver Je lecteur de 1a traduction des Objections de Gassend et des Réponses de Descartes & ces Objections? Il traduisit donc les ‘unes et les autres quand méme, et obtint de Descartes qu’elles figureraient dans l'édition, non plus & leur place, entre les quatridmes et les sixidmes, mais aprés les sixiémes et comme derniére partie du volume. C’est ce que lui-méme explique dans son « Avertissement du traducteur ». Mais Descartes, qui navait pag vu cette traduction avec les autres en 1644, par la raison qu’elle n’était point faite encore, et qu'il ne voulait pas qu'on la fit, n’en prit point davantage connaissance en 1645~ 1646. Elle ne saurait done figurer dans une édition de ses (Euvres, parmi des pigces revues et corrigées par lui, et qui ont obtenu son epprobation, Pourtant Gassend ayant voulu répliquer aux Réponses de Descartes & ses Objections, et ayant publié celleseci avec de nombreuses « Instances », sous le titre de Disquisitio metaphysica, Descartes parcourut ce volume, qu'il trouva trop gros; on lui en fit un court extrait, auquel il répondit par une lettre en francais & Clerselier, du 12 janvier 1646. Celui-ci ne mangua point de la joindre & sa traduction des cinguidmes Objections et Réponses, tout a la fin de I’édition de 1647. Nous donnerons done, dans le présent volume, & ta place de la traduction des cinquitmes Objections et Réponses, vu AVERTISSEMENT. dont Descartes ne rouluitpointy les trois-piteos_ouivantos + Avertissement de Descartes, Avertissement de Clerselier, et Letire de Descartes @ Clerselier, au sujet de ces Objections et des Instances qui y furent faites. Viendront ensuite les sixiémes Objections avec les Réponses, que le philosophe n’avait aucun motif d’évincer, et dont il dut méme voir aussi !a traduction, puisquil les laissa imprimer aprés les quatritmes Objections dans V'édition de 16473 celle-ci aurait de 1a sorte formé un volume (sans les cinquiémes) tel qu'il ett désiré d’un bout & Yautre, et entigrement approuvé de sa main. Ainsi les mémes raisons qui nous ont fait écarter Ia troisitme édi« tion, puis Ia seconde, nous font écarter encore une notable partie de la premiére; et cest toujours par le méme souci de ne donner comme traduction, soit latine soit francaise, des ouvrages de Descartes, que ce quia été revu et corrigé par lui. La premitre édition des Méditations en francais, dans la partic que nous en retenons, c'est-A-dire environ les deux tiers du volume; nous servira également de guide pour le texte. Ce n'est pas qu'il n'y ait, cependant, de notables différences, au point de vue du texte, entre cette premiére édition et Ia seconde, ou Ia troisiéme. Le titre méme de Ia seconde en avertit dailleurs : « reueué & corrigée par le traduéteur ». Crest Clerselier qui s'exprime ainsi, au singulier, comme s'il était désormais seul traducteur, tandis que la premigre édition fen désigne deux par leurs initiales, un pour les Méditations, «Mle D. D. L. N.S. » (Monsieur le Duc De LuyNeS), un autre pour les Objections et Réponses, « M' C. L. R. » (Mone sieur ClerseLieR). Clerselier n’était point satisfait sans doute de son premier travail, pour les Objections et Réponses; il youlut donc le revoir, avant de le publier une seconde fois en 1661. Mais il était encore moins satisfait, ce semble, du travail de M. Je duc de Luynes pour les Méditations; il faut dire que lui-méme les avait aussi traduites, de son cété, en méme temps que les Objections et Réponses, comme il le’ déclare AVERTISSEMENT. x dans con Avertiteement »*, et quia, comparant sa propre traduction avec celle du jeune duc, il préférait naturellement la sienne. De 1a de nombreuses variantes, de la premiére édi- tion & la seconde, plus nombreuses, et cela se comprend, pour Jes Méditations que pour les Objections et Réponses : dans le premier cas, Clerselier corrigeait le duc de Luynes; dans le second, il se corrigeait lui-méme. Mais, et c'est ld Vessentiel pour la présente édition, Descartes n'eut pas A se prononcer sur ces corrections de Clerselier : elles sont, en effet, posté~ rieures & la traduction publige en 1647, la seule dont le phi- osophe ait eu au préalable entre les mains une copie manus- crite. C'est donc bien celle-ci seulement qui doit faire autorité, Peu importe que Clerselier Pait jugée ensuite imparfaite, et Tait remanige ! Peu importe que nous-mémes aujourd’hui nous y relevions bien des négligences ou des erreurs! Elle garde sur les éditions suivantes, de 1661 et de 1673, lavantage avoir é&é vue par Descartes, et acceptée et agréée par lui. Diailleurs n’est-il pas intéressant de voir quelle est la tra~ duction dont s'est contenté le philosophe, et qui lui a paru suffisante? Les remaniements de Clerselier peuvent avoir leur intérét, mais, par exemple, dans une étude sur Cler~ selier lui-méme, considéré comme traducteur de Des- cartes, ou bien encore pour l'histoire du cartésianisme aprés Descartes; ils ne nous intéressent en tien, pour I'établisse~ ment du texte tel que le philosophe I’ jugé bon, ce qui est la seule chose que nous devons avoir ici en vue. Conclusion : nous donnerons, dans le présent volume, pour toutes les piéces dont nous retenons Ia traduction, le texte de la pre« a. Voie chapets, p 200, 1.5. — Clest sans doute ce qui aft dice 2 ead Feds la itace de a woe eon, on 1673 s+ La Tex BGhalion-ct la mefme qui a para lufguestey ; elle ae fort approuuée, 2 Gil Rrsie malate fen dooner vne elleure & vne pls fille ufc TESS att en fave porter vn ingement avantageux, qu'elle aefé 2 See Gar Monteur Des- Cartes, & quelle eff prefque toute de Monfewr 2 Gerfiter sa fat, Tédition de 1673 nepporte que de tis légers Changements au texte dela seconde. x AVERTISSEMENT. mitre édition (1647), sans nous mettre en peine des variantes que peuvent offrir les deux suivantes, celles de 1661 et de 1673. Ce n'est pas ici le lieu de faire historique de la traduction du duc de Luynes ot de Clerselier ; on le trouvera tout au long, comme un chapitre & part, dans la Vie de Descartes, D'ailleurs tes éléments en sont épars dans 1a Correspondance : lettres & Picot, 11 sept. 1644 et 9 févr. 1645; & Clerselier, 10 avril et 20 dé. 1645, 12 janv., 23 févr. et g nov. 1645; & Picot encore, 8 juin 1647 (voir tome IV de la présente édition, pages 138-139, 176, 192-195, 338-339, 357-358, 362, 563-564, et tome V, page 64). Nous ajouterons, comme appendice & cet Avertissement, le fac-similé de chacun des titres de la premiére, de Ia seconde ct de la troisiéme édition de la traduction frangaise des Médi- tations. cA Naney, 31 décembre 1903. LE-S MEDITATIONS METAPHYSIQVES DE RENE’ DES-CARTES TOVCHANT LA PREMIERE PHILOSOPHIE, dans e(quelles 'eniftence de Dieu,& la dftinétion réclleentre Tame &{ecorps de thomme, font demonftrées. Traduites ds Latin de Auteur par M’ le D.D.L.N.S. Ex les ObjeGtions faites contre ces Meditations par diuerfes petfonnes tres-doétes, auec les réponfes de l’Auteur. i Traduites par MA’ C.LR. A PARIS, Chez la Veuue LEAN CAMVSAT, ET PIERRE LE PETIT, Imprimeurordinaire duRoy, mé S.lacques,3 la Toyfon d'Or. ! M. DC. XLVII. | AVEC PRIVILEGE DV RO?. ee LES MEDITATIONS METAPHYSIQVES DE RENE DESCARTES TOVCHANT LA PREMIERE PHILOSOPHIE. SECONDE EDITION. Reueué & corrigee par le Traduéteur; ET AVGMENTEE DE LA VERSION D'VNE Lettre de M' Des-Cartes au R. P. Dinet; & de celle des feptiefmes Objections, & de leurs Refpontes. A PARIS, Chez HENRY LE GRAS, au troifidme Pillier de Ja Grand’ Salle du Palais, 2 L. couronnée. M Dc. LXL LES MEDITATIONS METAPHYSIQVES DE RENE’ DES-CARTES, TOVCHANT LA PREMIERE PHILOSOPHIE. DEDIEEBS A MESSIEVRS DE SORBONE NOVVELLEMENT DIVISE'ES PAR ARTICLES auec des Sommaires 4 cofté, & auec des Renuois des Ar- ticles aux Objettions, & des Objedtions aux Refponfes. Pour en faciliter Ia ledture &el'intelligence. ParR. F. TROISIEME EDITION. Reveud & corrigée. aed a Hee aK A PARIS, Chez MICHEL BOBIN & NICOLAS LE GRAS, av troiligme, Pilier de la Grand’ Salle da Palais, 4 !'Efperance 4 L, couronnée. M. DC. LXXII AVEC PRIVILEGE DV ROY. MEDITATIONS OBJECTIONS & REPONSES LE LIBRAIRE AV LECTEVR* « La fetisfa@ion que ie puis promettre & toutes les perfonnes d'efprit dans la ledure de ce Liure, pour ce qui regarde Auteur & les Traduéteurs, m’oblige & prendre garde plus foigneufement a contenter aulfi le Lefteur de ma part, de peur que toute fa difgrace ne tombe fur moy feul. Te tafche donc & le fatisfaire, & par mon foin dans toute cette impreffion, & par ce petit éclair~ ciffement, dans lequel ie le dois icy auertir de trois chofes, qui font de ma connciffence particuliere, & qui feruiront & la leur. La premiere eft, quel a efté le deffein de l'Auteur, lors qu'il a publié eét owurage en Latin. La feconde, comment & pourquoy_ il paroift aujourd'auy traduit en Francois, Et a troifieime, quelle eft Ia qualité de cette verfion. » J, Lors que I’Auteur, aprés auoir conceu ces Meditations dans fon efprit, refolut d’en faire part au public, ce fut autant parla crainte d'étouffer la voix de la verité, qu’d deffein de la fou- mettre a l’épreuue de tous les dodtes. A cét effet il leur voulut parler en leur langue, & a leur mode, & renferma toutes {es penfées dans le Latin,& les termes'de I'Efcole. Son intention n’a point eft fruftrée, & fon Liure a efté mis a la queftion dans tous les Tribunaux de la Philofophie. Les Objections iointes a ces Meditations Je témoignent affez, & monftrent bien que les {¢ tuans du fiecle fe | font donné la peine d’examiner fes propofitions auec tigueur. Ce n’eft pas & moy de iuger auec quel fuccez, puifque c'eft moy qui les prefente aux autres pour les en faire iuges. Il me fufitde croire pour moy, & d'affurer les autres, que » tant de grands hommes n'ont peu fe choquer fans produire » beaucoup de lumiere. » a. Avis imprimé, sans pagination, dans la premitre Edition (1647) et dans la seconde (1661). Il est remplacé dans Ja troisitme (1673) par une note «Au Lecteur» di nouvel éditeur, René Fédé, Dans la premiére édi- tion, ect Avis se trouve aussit6t apres I'Epistre aux « Doyen et Docteurs » de la Faculté de Théologie de Paris. Dans la seconde, il ne vient qu’au troisitme rang, aprés la méme Episire et la Preface de U'Autheur au Lecteur, — La premiéze édition ayant écé publiée «A Paris, chez ia Veuue > Tran Caxvsat, et Pres Lz Pzrrr, Imprimeur ordinaire du Roy » le ‘ Libraire » qui s'adresse ici eau Lecteur » est sans doute Pierre Le Petit? ® O&uvres pe Descartes. « H_Copendant co Liure_paife dec Vniuerfiter dans les Palais » des Grands, & tombe entre les mains d'vne perfonne d'vne » condition treseeminente*. Aprés en auoir leu les Meditations, & » les auoir iugées dignes de fa memoire, il prit la peine de les » traduire en Francois : foit que par ce moyen il fe voulut rendre » plus propres & plus familieres ces notions affez nowuelles, foit » quill n'euft autre deffein que @’honorer I'Auteur par vne fi bonne » marque de fon eftime. Depuis vne autre perfonne auifi de merite” » n'a pas voululaiffer imparfait cét ouurage fi parfait, & marchant » fur les traces de ce Seigneur, a mis en noftre langue les Objec- » tions qui fuiuent les Meditations, auec les Réponfes qui les » accompagnent; iugeant bien que, pour plufieurs perfonnes, le » Francois ne rendroit pas ces Meditations plus intelligibles que le » Latin, fi elles n'eftoient accompagnées des Objeétions & de » leur(s} Réponfes, qui en font comme les Commentaires. L’Auteur » ayant eflé auerty de la bonne fortune des ynes & des autres, a » non feulement confenty, mais auifi defiré, & prié ces Mefficurs » de trouuer bon que leurs verfions fuffent imprimées ; parce qu'il auoit remarqué que fes Meditations auoient efté accueillies & eceuts auec quelque fatis|faétion par vn plus grand nombre de ‘ceux qui ne s'appliquent point & la Philofophie de I'Efcole, que de ceux qui s'y apliquent. Aini, comme il auoit donné fa pre- miere impreffion Latine au defir de trouuer des contredifens, il acreu deuoir cette feconde Frangoife au fauorable accueil de tant de perfonnes qui, gouttant defia fes nowuelles pentées, fembloient defirer qu’on leur ofta la langue & le gout de I'Efeole, pour les accommoder au leur. » « III. On trouuera partout cette verfion affez iufte, & fi relix gieufe, que iamais elle ne s'eftefcartée du fens de l'Auteur. Ie le pourrois a(furer fur la feule connoiffance que i'ay de Ia lumiere de Vefprit des traduéteurs, qui facilement n'auront pas pris le change. Mais i'en ay encore vne autre certitude plus authentique, qui eft quills ont (comme il eftoit iufte) referué & Auteur le droit de reueut & de corredtion. Il en a vie mais pour fe corriger plutoft qureux, & pour éclaircir feulement fes propres penfées. Ie veux dire que, trouuant quelques endroits ot il luy a femblé quill ne les auoit pas renduts affez claires dans le Latin pour toutes fortes de perfonnes, il les a voulu icy éclsircir par ‘a, Louis Charles d’Albert Due de Luynes. b. Claude Clerselier. Meprrarioxs. 3 quelque_petit_changement, ave Yon teconnoiftra bien toft en conferant le Francois auec le Latin, Ce qui a donné le plus de peine aux Traduéteurs dans tout cét ouurage, a efté la rencontre Ge quentité de mots de I'Art, qui, eflant rudes & barbares dans Te Latin mefime, le font beaucoup plus dans le Frangois, qui eft moins libre, moins hardy, & moins accouftumé & ces termes de|lEfcole. Ils n'ont ofé pourtant les obmettres parce qu'il ceut fallu changer le fens, ce que leur defendoit la qualité @'In- terpretes qu’ils auoient prile. D'autre part, lors que cette verfion a palfé fous les yeux de l'Auteur, it Ya trouuée fi bonne, quiil n'en a iamais voulu changer le ftyle, & s'en eft touGiours defendy par fa modeftie, & Ieftime qu'il fait de fes Tradu@eurs; de forte que, par vne deference reciproque} perfonne ne les ayant oftez, ils font demeurez dans cét ouurage. » « Tadjoufterois maintenant, s'il m’eftoit permis, que ce Liure contenant des Meditations fort libres, & qui peuuent mefme fembler extrauogantes & ceux qui ne font pas accouftumez aux Speculations de la Metaphyfique, il ne fera ny vile, ny egreable tux Leéteurs qui ne pourront apliquer leur efprit auec beaucoup @attention a ce quills lifent, ny s'abftenir d’en iuger auant que de lauoir affez examiné? Mais i'ay peur qu’on ne me reproche fque ie paffe les bornes de mon mefier, ou plutoft que ie ne le flay guere,de mettre vn fi grand obftacle au debit de mon Liure, par cette large exception de tant de perfonnes & quiie ne 'etime pas propre. le me tais donc, & n'effarouche plus le monde, Mais Eupareuant, ie me fens encore obligé d'auertir les Leéteurs Gaporter beaucoup d'équité & de docilité a la le€ture de ce re; car sil y Viennent auec cette mauuaife humeur & cét cefprit contrariant de quantité de perfonnes qui ne lifent que pour difputer, & qui, faifans profellion de chercher la verité, femblent auoir peur de la trouver, puifqu’au mefme | moment qu'il leur fen paroit quelque ombre, ils tafchent de la combattre & de le détruire, ils n’en feront iamais ny profit, ny iugement raifon~ nable. Ii le faut lire fans préuention, fans precipitation, & & deffein de stinftruire; donnant d'abord & fon Auteur V'efprit @Eleolier, pour prendre par aprés celuy de Cenfeur. Cette me~ thode eft fi neceffaire pour cette leGture, que ie la puis nommer Ja clef du Liure, fans laquelle perfonne ne le fgauroit bien en- tendre. » 0 6 A MESSIEURS LES DOYEN & DOCTEURS DE LA SACREE FACULTE DE THEOLOGIE DE PARIS®, Messirurs, La raifon qui me porte & vous prefenter cét ouurage eft fi iufte, &, quand vous en connoiftrez le deffein, ie m’affeure que vous en aurez aufli vne fi iuite de le prendre en vottre protettion, que ie penfe ne pouuoir mieux faire, pour vous le rendre en quelque forte recommandable, qu’en vous difant en peu de mots ce que ie m'y fais propofé, T'ay todjours eftimé que ces deux queftions, de Dieu & de V'ame, eftofent les principales de |celles qui doiuent pluto eftre demonttrées par les raifons de la Philofophie que de la Theo- logie : car bien quill nous fufffe, 4 nous autres qui fommes fideles, [de croire par la Foy qu'ily a vn Dieu, & que lame humaine ne ‘meurt point auec le corps, certainement il ne femble pas pofible de pouuoir jamais perfuader aux Infideles aucune Religion, ny qu mefme aucune vertu Morale, fi premierement on ne leur prowue ces deux chofes par raifon naturelle, Et d’autant qu'on propofe Touuent en cette vie de plus grandes recompenfes pour les vices que pour les vertus, peu de perfonnes prefereroient le iufte & I'tile, fi elles n'efloient retenuts, ny par la crainte de Dieu, ny par Mattente d'vne autre vie, Et quoy quill foit abfolument vray, qu'il faut croire quil y a vn Dieu, parce qu'il eft ainfi enfeigné dans les Saintes Eferitures, & d’autre part qu'il faut croire les Saintes Eferitures, parce qu’clles viennent de Dieu; & cela pource que, la Foy eftant yn don de Dieu, celuy-la mefme qui donne la grace pour faire croire les autres chofes, la peut auffi donner pour nous faire croire qu'il a. Cette Epistre, placée en tte du volume dans les trois premitres Editions, n'est point paginée. Les numéros en marge, entre parenthdses, indiquent les pages de la premitre édition. Les numéros en haut des pages renvoient celles du texte latin (t. VII de cette Edition); les lignes verti~ cales, d'un trait plus fort, correspondent & ces dernitres. 2 Meprrarions. — EpistRe. ‘ exifte :.on_ne_feaurcit neantmoins propofer cela aux Infidelles, qui pourroient s'imaginer que I'on commettroit en cecy Ia faute que Jes Logiciens nomment vn Cercle*. Et de vray, jay pris garde que | vous autres, Meffieurs, auec tous les Theologiens, n’sfleuriez pas feulement que l'exiftence de Diew fe peut prouuer par raifon naturelle, mais aufli que l'on infere de la Sainte Eferiture, que fa connoiffance eft beaucoup plus claire que celle que I'on a de plufieurs chofes creées, & qu’en effet elle eft fi facile, que ceux qui ne I'ont point font coupables. Comme il paroift par ces paroles de la Sageffe, chapitre 13, ou il eft dit que leur ignorance n'eft point pardonnable; car fi leur efprit a penetré fi auant dans la connoiffance des chofes du monde, comment ¢f-il pofible quils n'en ayent poixt trouué plus facilement le fouuerain Seigneur ? Et aux Romains, chapitre premier, il eft dit qu’ils font inexcujables, Et encore, au mefme endroit, par ces paroles : Ce qui gf connu de Dieu, eft manifefe dans eux, il femble que nous foyons aduertis,que tout ce qui fe peut fgauoir de Dieu peut eftre monttré par des. raifons qu'il n'elt pas befoin de chercher ailleurs que dans nous- mefmes, & que noftre efprit feul eft capable de nous fournir. C’eft pourquoy i’ay penié qu'il ne feroit point hors de propos, que ie fille voir icy par quels moyens cela fe peut faire, & quelle voye il faut tenir, pour arriver ala connoiffance de Dieu auec plus de fcilité & de certitude que nous ne connoiffons les | chofes de ce monde*. Et pour ce qui regarde l’Ame, quoy que plufieurs ayent creu qu'il n'eft pas ayfé d’en connoifre la nature, }& que quelques-vns ayent mefme ofé dire que les raifons humaines nous perfuadoient qu'elle mouroit aues le corps, & qu'il n'y auoit que la feule Foy qui nous enfeignaft le contraire, neantmoins, d’autant que le Concile de Latran, tenu fous Leon X, en la Seffion 8, les condamne, & qu'il ordonne expreffément aux Philofophes Chreftiens de refpondre & leurs argumens, & d’employer toutes les forces de leur efprit pour faire connoiftre la verité, 'ay bien ofé lentreprendre dans cét efcrit. Davantage, fgachant que la principale raifon, qui fait que plufcurs impies ne veulent point croire quiily a va Dieu, & que Tame hu- maine eft diftin&e cu corps, eft quills difent que perfonne jufques icy n'a peu demonfirer ces deux chofes; quoy que ie ne fois point de leur opinion, mais qu'au contraire ie tienne que prefque toutes les raifons qui ont e&é aportées par tant de grands perfonneges, a. Non Ala ligne. b, Idem. 6 Ofuvres pe DescarTes. 34 touchant ces deux-quettions, font autont de demon(trations, quand. elles font bien entendues, & qu'il foit prefque impofible d’en uenterde nouuelles: fi et-ce que ie croy qu’on ne fgauroit rien faire de plus viile en la Philofophie, que d’en rechercher vne fois curieu- fement & auec foin | les meilleures & plus folides, & les difpofer en vn ordre fi clair & fi exaét, quill foit conftant deformais & tout le monde, que ce font de veritables demonftrations. Et enfin, d’autant que plufieurs perfonnes ont defiré cela de moy, qui ont connoiffance que i’ay cultiué yne certaine methode pour refoudre toutes fortes de dificultez dans les fciences; methode qui de vray n’eft pas nou- uelle, n'y ayant rien de plus ancien que la verité, mais de lequelle ils fgauent que ie me fuis feruy affer. heureufement en d'autres ren- contres; ay penfé qu'il eftoit de mon deuoir de tenter quelque chofe fur ce fujet [Or i'ey trauaillé de tout mon poffible pour comprendre dans ce ‘Traité tout ce qui s'en peut dire. Ce n'eft pas que aye icy ramatfé toutes les diuerfes raifons qu'on pourroit alleguer pour feruir de preuue & noftre fujet : car ie n’ay iamais creu que cela futt ne- ceflaire, finon lors qu'il n'y en a aucune qui foit certaine; mais feulement i'ay traité les premieres & principales d'vne telle ma niere, que i'ofe bien les propofer pour de tres-euidentes & tres-cer~ taines demonftrations. Et ie diray de plus qu’elles font telles, que ne penfe pas qi aucune voye par of lefprit humain en puiffe iamais découutir de meilleures ; car Pimportance de l'affeire, & la gloire de Diewa laquelle tout cecy fe raporte, me contraignent deparler icy vn peu plus librement de moy que ie n’ay de couftume. Neantmoins, quelque certitude & evidence que ie trouue en mes, raifons, ie ne puis pas me perfuader que tout le monde foit capable de les entendre. Mais, tout ainfi que dans la Geometrie il y en a plufieurs qui nous ont eté laiffées par Archimede, par Apollonius, par Peppus, & par pluficurs autres, qui font recenés de tout le monde pour tres-certaines & tres-euidentes, parce qu’elles ne con tiennent rien qui, confideré feparément, ne foit tres-facile & con noiftre, & qu'il n'y a point d’endroit of les confequences ne qua~ rent & ne conuiennent fort bien auec les antecedans ; neantmoins, parce qu’elles font vn peu longues, & qu’elles demandent va efprit tout entier, elles ne font comprifes & entenduts que de fort peu de perfonnes : de mefme, encore que ireftime que celles dont ie me fers icy, égalent, voire mefme furpaffent en certitude & euidence les a, Non la ligne. + Meprravions. — EpistRe. 7 demonttratlons de Geomerrle, Paprehende-meantascins-qu’elles-ne puiffent pas eftre alfez fufifamment entendués de pluieurs, tant parce qu'elles font aui vn peu longues, & dependantes les vnes des autres, que principalement parce qu'elles demandent vn efprit en- tierement libre de teus préjugez & qui fe puiffe ayfément | détacher du commerce des fens. Et en verité, il ne s'en trouue pas tant dans Ie monde qui foient propres pour les Speculations Metaphyfiques, que pour celles de Geometric. Et] de plus il y a encore cette diffe- rence que, dans la Geometrie chacun eftant preuenu de opinion, qu'il ne s'y auance rien qui n'ait yne demonttration certaine, ceux qui n'y font pas entierement verfez, pechent bien plus fouuent en approuuant de faulfes demonftrations, pour faire croire quills les entendent, qu’en refutant les veritables. I! nen eft pas de mefme dans Ia Philofophie, ol, chacun croyant que toutes fes propofitions font problematiques, peu de perfonnes s'addonnent a Ia recherche de la verité; & meime beaucoup, fe voulant acquerir Ia reputation de forts efprits, ne s'étudient 2 autre chofe qu’ combattre arro- gamment les veriter les plus apparentes*, Creft pourquoy, Mnssicuns, quelque force que puiffent auoir mes raifons, parce qu’elles apartiennent a la Philofophie, ie n'efpere pas qu'elles faffent yn grand effort * fur les efprits, fi vous ne les prenez en voftre protettion. Mais leftime que tout le monde fait de vortre Compagnie eftant i grande, & le nom de Sorbonne d'vne telle authorité, que non feulement en ce qui regarde la Foy, aprés les facrez Conciles, on n'a iamais tant défferé au iugement d'aucune autre Compagnie, mais auffi en ce qui regarde 'humaine PI fophie, chacun crovant qu'il n'ett pas poffible de trouuer ailleurs plus de folidité & de connoiffance, ny plus de prudence & d'inte- stité pour donner fon iugement: ie ne doute point, fi vous daignez prendre tant de foin de cét efcrit, que de vouloir premierement le corriger: car ayant connoilfance non feulement de mon infirmité, ‘mais auffi de mon ignorance, ie n’oferois pas affurer qu'il n'y ait aucunes erreurs ; puis aprés y adjouter les chofes qui y manquent, acheuer celles qui re font pas parfaites, & prendre yous-mefmes la peine de donner vne explication plus ample & celles qui en ont befoin, ou du moins de m’en auertir afin que i'y treuaille, & enfin, aprés que les raifors par lefquelles ie prouue qu'il y a vn Dieu; & que Vame humaine differe d'auee le corps, auront efté portées a. Non la ligne. bb. Effort, sic (1%, effebt? o ® 8 O&uvres pe Descartes. 34. fufques-au-polnt-de-clarté & d'euldence; oft te-maffure qu'on les peut conduire, Jqu'elles deuront eftre tenuts pour de tres-exattes demonfirations, vouloir declarer cela mefme, & le témoigner pu Dliquement: ie ne doute point, dis-ie, que, fi cela fe fait, toutes les erreurs & fauffes opinions qui ont iamais efté touchant ces deux queftions, ne foient bien-toft efacées de l'efprit des hommes. Car |la verité fera que tous les doétes & gens d'efprit fouferiront & voftre iugement; & voilre autorité, que les Athées, qui font pour Vor- dinaire plus arrogans que dottes & iudicieux, fe dépouilleront de leur efprit de contradiion, ou que peut-eltre ils fottiendront eux- mefmes les raifons qu’ils verront eftre receués par toutes les pere fonnes d'efprit pour des demonftrations, de peur quills ne pax roiffent n'en auoir «pas T'intelligence; & enfin tous les autres fe rendront ayfément & tant de témoignages, & il n'y aura plus per~ fonne qui ofe douter de Iexiftence de Dieu, & de la diftin@ion réelle & veritable de lame humaine d'auec le corps”. ‘Creft A vous maintenant & iuger du fruit qui reuiendroit de cette creance, fielle eftoit vne fois bien eftablie, qui voyez les defordres que fon doute produit; mais ie n’aurois pas icy bonne grace de recommander dauantage la caufe de Dieu & de la Religion, & ceux qui en ont toufiours efté les plus fermes Colonne: 4, Non la ligne. . La traduction frangaise de In Prarfatio de Descartes (t- VIL, p. 7-11) ‘manque dans la premitre édition; nous ne la publions done pas, pour les taisons données dans notre Introduction. Cette traduction ne se trouve que dansla seconde édition, sous ce titre: Preface de l'Autheur au Lecteur, entre 'Episire la Sorbonne (ci-avant,p. 4-8) et PAvis intitulé : Le Libre ‘au Lecteur (p. 1-3). Dans la troisitme édition, elie vient également aprés PEpistre et avant le nouvel avis Au Lecteur (voir p. 1, note). ABREGE DES SIX MEDITATIONS SVIVANTES* Dans la premiere, ie mets en auant les raifons pour lefquelles nous ‘pouuons douter generalement de toutes cho/es, & particulierement dee chofes materielles, au moins tant que nous n'aurons point d'autres fondemens dans les jeiences que ceux que nous auons eu jufqu’a pre “Fent. Or, bien que 'vilité d’sn doute f general ne paroiffe pas d’abord, ‘lle of toutesfois en cela tresegrande, qu'il nous déliure de toutes fortes de préjuges, & nous prepare sm chemin tres-facile pour accofitumer noftre efprit a fe deiacker des fens, & enfin, en ce qu'il fait quil n’eft pas pofible que nous puiffions plus auoir aucun doute, de ce que nous découurirons aprés gfe veritable. Dans la feconde, Vefprit, qui, xfant de fa propre liberté, fuppofe que toutes les chofes ne font point, de Vexifience defguelles il a le moindre doute, reccnnojft qu'il eft abfolument | impofible que cepen- dant il wexifte pas luy-mefme. Ce qui eft aufi d'one tres-grande vi lité, d’autant que par ce moyen il fait aifement ditin@ion des chofes quiluy appartiennent, c'ef a dire d la nature intelle@uelle, & de celles appartiennent ax corps. Mais parce qu'il peut arriuer que quel- ques-ons atlendent de moy en ce lieu-la des raifons pour prouuer V'im- mortalité de Vame,|j'eftime les deuoir maintenant auertir, qu’ayant tafché de ne rien efsrire dans ce traitté, dont ie n’euffe des demon- Arations tres-exaties, ic me fuis veu obligé de Juiure vn ordre fem- Blable & celuy dont fe feruent les Geometres, jauoir et, d'auancer toutes les chofes defquelles dépend la propoftion que Von cherche, auant que d’en rien conclure. Or la premiere & principale chofe qui ef requife, auant que de con- nojftre Vimmortalitt de ame, eft d’en former vne conception claire 1. La pagination ne commence, dans la premitre édition, qu’avee cet Abregé, qui est Ia traduction francaise de 1a Synopsis (t. Vil, p. 12-16). Il figure & la fois dans la premidre Edition et dans Ia seconde, mais dis- parait de la troisidme, ob il est remplacé par une Table des Articles des Meditations Metaphiziques, cquvre du nouvel éditeur R. F. (René Fédé). 10 Okuvres pe Descartes. 14 G netic, & enticremént diftindte de toutes les conceptions que T'on pout auoir du corps ce qui a oft fait en ce liewla. Il eft requis, outre cela, de frauvir que toutes les chofes que nous conceuons clairement & difin&ement font vrayes, felon que nous les conceuons: ce qui n'a ple efre prowué auant la quatriéme Meditation. De plus, il faut avoir syne conception diftinéte de la nature corporelle, laquelle fe forme, partie dans cette feconde, & partie dans la cinguiéme & fixiéme Medi- tation. Et enfin, Yon doit conclure de tout cela que les chofes que Y’on congoit clairement & diftinfement eftre des fubftances diferentes, comme Von congoit 'Efprit & le Corps, font en effet des Jubjtances diuerfes, & réellement diftindtes les umes d'auec les autres: € cept ce que Von conclut dans la fxiéme Meditation. Et en ta| mefme aufi cela feconfirme, de ce que nous ne conceuons aucun corps que comme diui~ ‘file, au liew que Vefprit, ou ame de Pomme, ne fe peut conceuoir que ‘comme indiuifble : car, en effet, nous ne pouuons concewoir la moitié aucune ame, comme nous pouuons faire du plus petit de tous les corps; en forte que leurs natures ne font pas feulement reconnues diuerjes, mais mefme en quelque fagon contraires, Or il faut qu'ils frachent que ie ne me fuis pas engagé d’en rien dire dauantage en ce traitté-y, tant parce gue cela fufit pour monjtrer affe clairement que de la corruption du corps la mort de Vame ne senfuit pas, & ainf pour donner aux hommes Vefperance d'yne feconde vie aprés la mort comme aufi parce que les premiffes de/quelles on peut conclure Vim mortalité de ame, dépendent de Vexplication de toute la Physfique : Premierement, |afin de feauoir que generalement toutes les fubftances, Cet a dire les chofes quine pewuent exifler fans eftre creées de Dieu, font de leur nature incorruptibles, & ne peuuent iamais ceffer aefire, fi elles ne font reduites au neant par ce mefme Dieu qui leur selille denier fon concours ordinaire, Et enfuite, afin que Yon re- marque que le corps, pris en general, ¢f yne fubjlance, ef pourquoy uff il ne perit point ; mais que le corps humain, en: tant qu'il differe des autres corps, n'eft formé & compofé que d'yne certaine configura- tion de membres, & d'autres femblables accidens; & ame humaine, a contraire, 'ef point ainficompoféed’aucuns accidens, mais eft »ne pure fubftance. Car encore que tous fes accidens Je changent, par exemple, (qu'elle congoiue de certaines chofes, qu'elle en veiille d’autres, qu'elle enfente d'autres, &c., eft pourtant toufiours la | mefme ame ; au liew que le corps humain nef plus le meme, de cela feul que la figure de quelgues-ones de fet parties fe trowue changée. Doi il s'enjuit que le corps humain peut facilement perir, mais que Uefprit, ou lame de homme (ce que ie ne diftingue point), ef immortelle de fa nature, ats. Meprrations. — ABREGE. ur Dans_la troifiéme Meditation, il me femhle que vay expliqué alle au long le principal argument dont ie me fers pour prouuer Vexi- fence de Diew. Touterfois, afin que Vefprit du Lefeur fe pit plus ‘aifement abjtraire des fens, ie vay point voulu me feruir en ce lieu-la @aucunes comparaifors tirces des chofes corporelles, i bien que peut- hire ily eft demeuré beaucoup d’obfeuriter, lefquelles, comme i'ef- ere, Jeront entieremsnt éclaircies dans les réponfes que i'ay faites ‘aux objections qui mont depuis efé propofées. Comme, par exemple, il eft affez difficile dentendre comment Fidée d's efire fouueraine- ment parfait, laguelle fe trouve en nous, contient tant de realité ob- jeAiue, eft d dire participe par reprefentation a tant de degres d'etre 6 de perfedion, qu’elie doiue neceffairement venir d'yne caufe fouue- rainement parfaite. Mais ie Vay éclaircy dans ces réponfes, par lacom- ‘paraifon d'one machine fort artificille, dont Tidée fe rencontre dans Vefprit de quelque ouvrier ; car, comme Vartifice objedif de cette idée doit avoir quelque caufe, & fcauoir la feience de Vouurier, ou de quelque autre duguel il Vait aprife,de mefme | ile impoffble que Vidée de Dieu, qui eft en nous, nait pas Diew mefme pour fa cauje. Dans la quatriéme, il eff prowué que les chofes que nous concewons “fort clairement & for! diftinGement font toutes vrayes; & enfemble eft ‘expliqué en quoy conf la rai [fon de erreur ou fauffete : ce qui doit neceffairement efire feeu, tant pour confirmer les verites precedentes, que pour mieux enieadre celles qui fuiuent. Mais cependant il eft & remarquer, que ie ne traitte nullement en ce lieu-la du pecké, eft & dire de Ferreur qui fe comet dans la pourfuite du bien & du mal, mais feulement de celle qui arriue dans Te iugement & le difeernement du vray & du faux; & que ie n’entens point y parler des chofes qui appartiennent & la fay, ou & la conduite de la vie, mais feulement de celles qui regardent les verites fpeculatiues & connues par Vayde de la feule lumiere naturelle. Dans la cinguiéme, outre que la nature corporelle prife en general _y oft expliquée, Vexiflence de Diewy eft encore demonftrée par de nou- elles raifons, dans lefguelles toutesfois il fe peut rencontrer quelques dificultes, mais qui feront refoluts dans les réponfes aux objedions gui m’ont efté faites} & auffion y découure de quelle forte il eft veri- table, que la certitude mefme des demonftrations Geometrigues dépend de la connoiffance d'sn Dieu. Engin, dans la fxitme, ie diftingue Pa@ion de Ventendement Fauec celle de limagination; les marques de cette diftinion y font décrites, Try monjtre que Vame de Vhomme of réellement diftindle du corps, & toutesfois quielle luy @ft fi eftroitement conjointe & wie, qu'elle ne 3 12 OEuvres DE Descartes. 1516, compofe que comme vn meyme choje auecque tuy. Towle tes erreurs ‘qui procedent des fens y font expofées, auec les moyens de les euiter. Et enfin, 'y apporte ioutes les raifons defquelles on peut conclure Fexiftence des chofes materielles : non que ie les iuge fort otiles pour prouer ce qu\elles prouuent, & fealuoir, qu'il y avi Monde, que les hommes ont des corps, & autres chofes Jemblables, qui n‘ont iam efté mifes en doute par aucun homme de bon fens; mais parce qu'en Tes confderant de prés, Yon vient & connoiftre qu’elles ne Jont pas fi _fermes ny fi euidentes, que celles qui nous conduifent & la connoiffance ide Dieu & de nojtre ame; en forte que celles-cy font les plus certaines & les plus euidentes qui puifent tomber en la connoiffance de V'efprit humain. Et cept tout ce que ‘ay eu deffein de prouuer dans ces fix Meditations ; ce qui fait que Vobmets icy beaucoup d'autres questions, dont ay aufi parld par occafion dans ce traitté. | MEDITATIONS LA PREMIERE PHILOSOPHIE DANS LESQUELLES LEXISTENCE DE DIEU ET LA DISTINCTION REELLE ENTRE LAME ET LE CORPS DE L'HOMME SONT DEMONSTREES Pamureaz Mepitarion. Des chofes que ton peut reuoguer en doute. Ty a defia quelque temps que ie me fais apperceu que, dés mes premieres années, ('auois receu quantité de faulfes opinions pour veritables, & que ct que i'ay depuis fondé fur des principes fi mal affurez, ne pouuoit eftre que fort douteux & incertain; de fagon [quill me falloit entreprendre ferieufement vne fois en ma vie de me defaire de toutes Tes opinions que 'auois receués Tulqués alors en ‘macreance, & commencet tout de nouueau dés les fondemens, ie voulois eftablir quelque chofe de ferme & de conftant dans les fciences. Mais cette entreprife me femblant eftre fort grande, ‘ay attendu que i'eulfe atteint vn age qui fuit fi meur, que ie n'en peuife efperer d'autre aprés luy, auquel ie fulfe plus propre & l'exee cuter; ce qui m’a frit differer filong-temps, que deformais ie croi- rois commettre vne faute, fi 'employois encore & deliberer le temps qui me refte pour agir. ‘Maintenant done que mon efprit eft libre de tous foins, | & que ie me fuis procuré yn repos alfuré dans vne paifible folitude, ie apliqueray ferieufement & auec liberté a deftruire generalement -doutes_mes anciennes opinions. Or il ne fera pas neceffaire, pour arriuer a ce deffein, de prouuer qu’elles font toutes fauffes, de quoy 14 Ofvvres vz Descartes. eas peut-eltre ie ne viendrois iamais @ bout; mais, d'aurant-que te raifon me perfuade def-ja que ie ne dois pes moins foigneufement m'emipefcher de donner creance aux chofes qui ne font pas entie- rement cettaines & indubitables, qu’a celles qui nous paroiffent ‘manifeftement eftre faulfes, le moindre fujet de douter que i'y trouueray, fuffira pour me les faire toutes rejetter. Et pour cela il niet pas befoin que ie les examine chacune en particulier, ce qui feroit d'vn trauail infiny ; mais, parce | que la ruine des fondemens entraine neceffairement auec foy tout le refte de I'edifce, ie m'at- taqueray d'abord aux principes. fur lefquels toutes mes anciennes opinions eftoient appuyées. Tout ce que jay recen iufqu'a prefent pour le plus vray & affuré, ie 'ay appris des fens, ou par les fens : or i'ay quelquefois éprouué que ces fens eftoient trompeurs, & il eft de la prudence de ne fe fier iamais entierement & ceux qui nous ont vne fois trompez. ‘Mais, encore que les fens nous trompent quelquefois, touchant les chofes peu fenfibles & fort éloignées, il s'en rencontre peut-eftre beaucoup d'autres, defquelles on ne peut pas raifonnablement douter, quoy que nous les connoiffions par leur moyen : par exemple, que ie fois icy, affis auprés du feu, veltu d'vne robe de chambre, ayant ce papier entre les mains, & autres chofes de cette nature. Et comment eft-ce que ie pourrois nier que ces mains & ce corpsecy foient & moy? fice n'eft peut-eftre que ie me com- pare a ces infenfez, | de qui le cerueau eft tellement troublé & offufqué par les noires vapeurs de la bile, qu'ils affurent conftam- ment quills font des roys, lorfqu'ils font tres-pawures; qu'ils font veftus d'or & de pourpre, lorfqu’ils font tout nuds ; ou s‘imaginent effre des cruches, ou auoir yn corps de verre, Mais quoy? ce font des fous, & ie ne ferois pas moins extrauagant, fiie me reglois fur leurs exemple: | Toutesfois iay icy & confiderer que ie fuis homme, & par confe« quent que 'ay coatume de dormir & de me reprefenter en mes fonges les memes chofes, ou quelquefois de moins vray-fem- blables, que ces infenfez, lors quills veillent. Combien de fois m’eftil arriué de fonger, la nuit, que i'eftois en ce lieu, que ieRois habillé, que ‘eftois auprés du feu, quoy que ie fuffe tout nud de- dans mon li€7 Il me femble bien A prefent que ce n'eft point auec, des yeux endormis que ie regorde ce papier; que cette tee que ie remut n'et point alfoupie; que ceft auec deffein & de propos deliberé que i'eftens cette main, & que ie Ia fens : ce qui arrive dans le fommeil ne femble point & clair ny fi diftin@ que tout cecy. ee Meprrarions. — PREMIERE. 5 ‘Mais, en y-penfant foigneufement, ie me reffonniens d'aunir_ site fouuent trompé, lors que ie dormois, par de femblables illufions. Er m’arreftant fur cette penfée, ie voy fi manifeftement qu'll n'y a point d'indices coneluans, ny de marques offez certaines per 08 Tron puiffe diftinguer nettement la veille d'auec le fommeil, que n fuis tout eftonné; & mon eftonnement eft tl, qu'il eft prefque capable de me perfuader que ie dors. Suppofons done maintenant que nous fommes endormis, & que toutes ces particularitez-ey, & {cauoir, que nous owurons les yeux, que nous remuons 'a tefte, que nous eftendons les mains, & chofes femblables, ne font que de faulfes illufions; & penfons que peut- feftre nos mains, ny tout nofire corps, ne | font pas tels que nous les voyons, Toutes‘ois il faut au moins auoter que les chofes qui nous font reprefentées dans le fommeil, font comme des tableaux & des peintures, qui ne peuuent eftre formées qu’a la reffemblance de quelque chofe de réel & de veritable; & qu’ainfi, pour le moins, ces chofes generales, a fcauoir, des yeux, vne tefte, des mains, & tout le refte du corps, ne font pas chofes imaginsires, mais vrayes & exiftantes. Car de vray les peintres, lors mefime| qu'ils s'eftudient auec le plus d'artifice & reprefenter des Syrenes & des Satyres par des formes bijarres & extraordinaires, ne leur peuuent pas tou tesfois attribuer des formes & des natures entierement nouuelles, mais font feulement va certain mélange & compofition des membres de diuers animaux; ou bien, fi peut-eftre leur imagination ft alfer extrauagante pour inuenter quelque chofe de fi novueau, que iamais nous n’syons rien veu de femblable, & qu’ainfi leur ou- turage nous reprefente vae chofe purement feinte & abfolutment faulle, certes & tout le moins les couleurs dont ils le compofent dojuent-elles eftre veritables. Et par la mefme raifon, encore que ces chofes generales, & {ca uois, des yeux, vne tefte, des mains, & autres femblables, peuifent fire imaginaires, il faut toutesfois auouer quiil y a des chofes encore plus fimples & plus vniuerfelles, qui font vrayes & exi- fantes, du mélange defquelles, ne plus ne moins que de celuy de quelques veritables couleurs, toutes ces | images des chofes qui refident en noftre penfée, foit vrayes & réelles, foit feintes & fan- taftiques, font formées. De ce genre de chofes eft Ia nature corpo relle en general, & fon eftendué; enfemble la figure des choles eftendués, leur quantité ou grandeur, & leur nombre; comme uff le liew of elles font, le temps qui mefure leur durée, & autres femblables. 4 “ 16 Ofuvres pe Descartes. toa « Ch panrquoy peut-efire que de lk nous ne conclurens pas mal, fi nous difons que la Phyfique, l'Aftronomie, la Medecine, & toutes les auttes fciences qui dépendent de la confideration des chofes compofées, font fort douteufes & incertaines; mais que I’Arithme- tique, Ia Geometrie, & les autres feiences de cette nature, qui ne traittent que de chofes fort fimples & fort generales, fans fe mettre beaucoup en peine fi elles font dans la nature, ou fi elles n'y font pas, contiennent quelque chofe de certain & d'indubitable. Car, foit que ie veille ou que ie dorme, deux & trois joints enfemble formeront todjours le nombre de cing, & le quarré n'aura iamais plus de quatre coftez; & il ne femble pes poflible que des veritez fi aparentes puiffent eftre foupconnées d’aucune faulfeté ou d'in- certitude. [Toutesfois il y a long-temps que i'ay dans mon efprit vne cer- taine opinion, qu’il y avn Dieu qui peut tout, & par qui fay ef creé & produit tel que ie fuis, Or qui me peut auoir affuré que ce Dieu n'sit point fait qu’il n'y sit aucune terre, aucun Ciel, aucun corps effendu, aucune figure, aucune grandeur, | aucun lieu, & que neantmoins faye les fentimens de toutes ces chofes, & que tout cela ne me femble point exifter autrement que ie le voy? Et mefme, comme ie iuge quelquefois que les autres fe méprennent, mefme dans les chofes qu'lls penfent {cauoir auec le plus de certi- tude, il fe peut faire qu’il ait voulu que ie me trompe toutes les fois que ie fais addition de deux & de trois, ou que ie nombre les coftez d'vn quarré, ou que ie iuge de quelque chofe encore plus facile, fi Yon fe peut imaginer rien de plus facile que cela. Mais peut-eftre que Diew n'a pas voulu que ie fuife deceu de le forte, car il eft dit fouuerainement bon. Toutesfois, fi cela repu= gneroit a fa bonté, de m’auoir fait tel que ie me trompatfe toufiours, cela fembleroit aulli luy eftre aucunement contraire, de permettre que ie me trompe quelquefois, & neantmoins ie ne puis douter qu'il ne le permette. Hy aura peut-eftre icy des perfonnes qui aymeront mieux nier Vexiftence d’yn Dieu fi puitfant, que de croire que toutes les autres chofes font incertaines. Mais ne leur refitons pas pour le prefent, & fuppofons, en leur faueur, que tout ce qui eft dit icy d'vn Diew fit vne fable. Toutesfois, de quelque fagon qu’ils fuppofent que ie fois paruenu & V'eRtat & a I'etre que ie poffede, foit quills Va tribuent a quelque deftin ou fatalité, foit qu’ils le referent au hazard, foit qu’ils vevillent que ce foit par vne continuelle fuite & liaifon des chofes, il eft certain que, | puifque failir & fe tromper 2. Meprrarions. — PREMIERE. 17 eft vne efpece d'imgerfeétion, d’autant moins puitfant fera auteur quills attributront 1 mon origine, d'autant plas fera-til probable {que je fuis tellement imparfait que ie me trompe todjours. Aut quelles raifons ie n’ey certes rien & répondre, mais ie fuis contraint d'auover que, de toutes les opinions que i'auiois autrefois receuts en ma creance pour veritables, il n'y en a pas vne de laquelle ie ne puitfe maintenant douter, non par aucune inconfideration ou lege- reté, mais pour des raifons tresfortes & meurement confiderées : de forte quill eft necelfaire que i'arrefte & fufpende deformais mon jugement fur ces pentées,] & que ie ne leur donne pas plus de creance, que ie fercis & des chofes qui me paroiftroient euidem- ment fauffes, fi ie defire trouuer quelque chofe de conftant & @alfeuré dans les feiences. Mais il ne fafhit pas d’auoir fait ces remarques, il faut encore que ie prenne foin de m'en fouuenir; car ces anciennes & ordi- naires opinions me reuiennent encore fouuent en Ie penfée, le long & familier vfage qu'elles ont eu avec moy leur donnant droit @ocupper mon efprit contre mon gré, & de fe rendre prefque mai~ fireffes de ma creance. Et ie ne me defaccoutumeray iamais d'y acquiefcer, & de prendre confiance en elles, tant que ie les confide- reray telles qu’elles font en effet, cet & fGauoir en quelque fagon douteufes, comme ie viens de monftrer, & toutesfois fort probables, fen forte que l'on a deaucoup | plus de raifon de les croite que de les nier. C'eft pourquoy ie penfe que i'en vieray plus prudemment, fi, prenant vn party contraire, employe tous mes foins & me tromper moy-mefme, feignant que toutes ces penfées font fauifes & imaginaires ; iufgues & ce qu'ayant tellement balancé mes pre~ jugez, quills ne puilfent faire pancher mon aduis plus d’vn cofté que d'vn autre, mon iugement ne foit plus deformais maiftrifé par de mauuais viages & détourné du droit chemin qui le peut con- duire & la connoiffence de la verité. Car ie fuis affeuré que cepen- dant il ne peut y auoir de peril ny d'erreur en cette voye, & que ie ne faurois aujourd'huy trop accorder & ma defiance, puifqu’il n'eft pas maintenant queftion d'agir, mais feulement de mediter & de connoiftre. Te fuppoferay done qu'il y a, non point vn vray Dieu, qui eft la fouuersine fource de verité, mais vn certain mauuais genie, non moins rufé & tcompeur que puilfant, qui a employé toute fon induftrie A me tromper. Te penferay que le Ciel, lair, Ia terre, les couleurs, les figures, les fons & toutes les chofes exterieures que nous voyons, ne font que des illufions & tromperies, dont il fe 5 18 Ouvres pe Descartes. 234 fert pour furprendre ma credulité. Is me confidereray|moy-mefme comme nayant point de mains, point d'yeux, point de chair, point-de fang, comme n’ayant aticuns fens, mais croyant fauife- ment auoir toutes ces chofes, Te demeureray obitinément attaché A cette pentée; & fi, par ce moyen, il n’eft pas en mon pouuoir de paruenir | la connoiffance d'aucune verité, & tout le moins il eft en ma puiffance de fafpendre mon iugement, C’eft pourquoy ie prendray garde foigneufement de ne point receuoir en ma eroyance aucune faufferé, & prepareray fi bien mon efprit a toutes les rufes de ce grand trompeur, que, pour puilfant & rufé qu'il foit, it ne me pourra iamais rien impoter. Mais ce deffein eft penible & laborieux, & vne certaine pareffe m'entraine infenfiblement dans le train de ma vie ordinaire. Et tout de mefme gu’vn efelaue qui joviffoit dans le fommeil d'vne liberté imaginaire, lorfqu’il commence a foupgonner que {a liberté net qu'vn fonge, craint d'eftre réueillé, & conlpire auec ces illu fions agreables pour en eftre plus longuement abufé, sinfi ie re tombe infenfiblement de moy-mefme dans mes anciennes opinions, & apprehende de me réueiller de cét affoupitfement, de peur que les veilles aborieufes qui fuccederoient & la tranquillité de ce repos, ‘au lieu de m'apporter quelque iour & quelque lumiere dans la connoiffance de la verité, ne fulfent pas fufifantes pour éclaircir toutes.les tenebres des difficultez qui viennent d’eftre agitées. |Meprranion scone. De la nature de PEfprit humain ; & qu'il ef plus ayfé & connoiftre que le Corps. La Meditation que ie fis hier m'a remply lefprit de tant de doutes, qu'il n'eft plus deformais en ma puiffance de les oublier. Et cependant ie ne voy pas de quelle facon ie les pouray refoudre ; & comme fi] tout & coup i'eftois tombé dans vne eau tres-profonde, ie fuis tellement furpris, que iene puis ny affeurer mes pieds dans le fond, ny nager pour me foutenir au deffus. Ie m’efforceray neant= moins, & fuiurey derechef la mefme voye ob i‘ettois entré hier, en midloignant de tout ce en quoy ie pouray imaginer le moindre doute, tout de mefme que fi ie connoiffois que cela futt abfolument ry Meprrations. — Seconne. 19 faux; & ie continutray toufiours dans ce chemin, | iufqu’a ce que aye rencontré quelque chofe de certain, ou du moins, it 1e ne puts autre chofe, iufqu'a ce que i'aye apris certainement, qu'il n'y a rien au monde de certain, ‘Archimedes, pour tirer le Globe terrettre de fa place & le tranf- porter en vn autre lieu, ne demandoit rien qu'vn point qui futt fixe & afuré. Ainfy Vauray droit de conceuoir de hautes efpe- ances, fiie fuis affez heureux pour trouuer feulement yne chofe qui foit certaine & indubitable. Te fuppofe done que toutes les chofes que ie voy font fauifes; ie me perfuade que rien n'a iamais eff de tout ce que ma memoire remplie de menfonges me reprefente; ie penfe n'auoir aucun fens; ie croy que le corps, la figure, létendut, le mouuement & le lieu ne font que des fons de mon efprit. Qu’eftice done qui poura eftre eftimé veritable ? Peut-eftre rien autre chole, finon qu'il n'y a rien au monde de certain, Mais que feay-ie sil n'y a point quelque autre chofe differente de celles que ie viens de iuger incertaines, de laquelle on ne puitle auoir le moindre doute ? N'y a-t-il point quelque Dieu, ou quelque autre puilfance, quime met en V’efprit ces penfées? Cela n'eft pas ne~ ceffaire ; car peuteetre que ie fuis capable de les produire de moy- mefme. Moy done 2 tout le moins ne fuis-ie pas quelque chofe?Mais itay def-ja nié que feuffe aucun fens ny aucun corps. Ie hefite neant- moins, car que s'enfuit-il | dela? Suis-ie tellement dépendant du comps & des fens, que ie ne puiffe ere | fans eux? Mais ie me fuis, perfuadé qu'il n'y auoit rien du tout dans le monde, qu'il n'y auoit aucun ciel, aucune terre, aucuns efprits, ny aucuns corps; ne me fais-ie done pas auffi perfuadé que ie n’eftois point? Non certes ; iteftois fans doute, fiie me fuis perfuadé, ou feulement fi i'ay penfé quelque chofe. Mais il y 2 vn ie ne feay quel trompeur tres-puife fant & tres-rufé, qui employe toute fon induftrie & me tromper toul- jours. TI n'y a done point de doute que ie fuis, s'il me trompe; & qu'il me trompe tant qu'il voudra, il ne ffauroit iamais faire que ie ne fois rien, tant que ie penferay eftre quelque chofe. De forte qu'apres y avoir bien penté, & auoir foigneufement examiné toutes chofes, enfin il fau: conclure, & tenir pour conftant que cette propo fition : Ie fuis, Fexifte eft neceifeirement vraye, toutes les fois que ie I prononce, ou que ic la congoy en mon elprit. Mais ie ne connois pas encore alfez clairement ce que ie fuis, may ‘qui fais certain que ie fuis; de forte que deformais il faut que ie prenne foigneufement garde de ne prendre pas imprudemment 20 OEuvres pe Descartes. 2546. quelque autre chofe pour may, & ainfi.de ne me point méprendre dans cette connoilfance, que ie foutiens eftre plus certaine & plus euidegte que toutes celles que i'ay euts auparauant. Creft pourquoy ie confidereray derechef ce que ie croyois eftre auant que entraffe dans ces dernieres penfées; & de mes anciennes opinions ie retrancheray tout ce qui peut eftre combatu par les rai fons que i'ay | tantoft alleguées, en forte qu'il ne demeure preci fement rien que ce qui eft entierement indubitable. Qu'eft-ce done que Way creu eftre cy-deuant? Sans difficulté, ay penfé que feftois, yn homme, Mais qu’eft-ce qu’vn homme? Diray-ie que ceft vn animal raifonnable? Non certes : car il faudroit par epres ree chercher ce que c'eft qu’animal, & ce que c'eft que raifonnable, & ainf d'vne feule quetion nous tomberions infenfiblement en yne infinité d'autres plus diffciles & embarafiées, & ie ne voudrois pas abufer du peu de temps & de loifir qui me rete, en 'em- ployant & démefler de femblables fubsilitez. Mais ie’ m‘arrete- ray pluttoft & confiderer icy les penfées qui naiffoient cy-deuant @elles-mefmes en mon efprit, | & qui ne m’efloient infpirées que de ma feule nature, lorfque ie m’apliquois 4 la confideration de mon eftre, Te me confiderois, premierement, comme ayant vn vifage, des mains, des bras, & toute cette machine compofée d’os & de chair, telle qu'elle paroift en vn cadavre, laquelle ie defignois par le nom de corps. Te confiderois, outre cela, que ie me nouriffois, que ie marchois, que ie fentois & que ie penfois, & ie raportois toutes ces ations a ame; mais ie ne m'arreftois point & penfer ce que c'eftoit que cette ame, ou bien, fi ie m’y arreftois, i7imaginois qu'elle eftoit quelque chofe extremement rare & fubtile, comme va vent, vne flame ou vn air tres-delié, qui eftoit infinué & repandu dans mes plus groflieres parties, Pour ce qui efloit du corps, ie ne doutois rullement de fa nature ; car | ie penfois la connoiftre fort diftingte- ment, & fi ie leulfe voulu expliquer fuiuant les notions que i'en auois, ie leuffe décrite en cette forte : Par le corps, ientens tout ce qui peut efi terminé par quelque figure ; qui peut eftre compris fen quelque lieu, & remplir vn efpace en telle forte que tout autre corps en foit exclus; qui peut eftre fenty, ou par l'ettouchement, ou par la veue, ou par l'ouye, ou par le gouft, ou par Vodorat; qui peut eftre meu en pluffeurs fagons, non par luy-mefme, mais par quelque chofe d'étranger duquel il foit touché & dont il regoiue Vimprefion, Car d'auoir en foy la puiffance de fe mouuoir, de fentir & de penfer, ie ne croyois aucunement que l'on deuftattribuer ces auantages & la nature corporelle ; au contraire, ie m'eftonnois plu a7. Meprrations. — Seconve. 20 inftcie voir qne_de femblables facultez fe rencontroient en certains qui fuis-ie, maintenant que ie fupofe qu'il y a quel~ gu'vn qui eft extremement puiffant &, fi ie V'ofe dire, malicieux & rufé, qui employe toutes fes forces & toute fon induftrie & me tromper? Puis-ie maffurer d'auoit la moindre de toutes les chofes que iy attribue cyedeffus & la nature corporelle? | Ye m'arefte & y penfer auec attention, ie patfe & repaffe toutes ces chofes en mon efprit, & ie nen rercontre aucune que ie puiffe dire eftre en moy. Il neft pas befoin que ie m’arrefte a les denombrer. Paffons done faux attributs de I'Ame, & voyons s'il y en a quelques-vns qui foient en moy. Les premiers font de me nourir & de marcher; mais s'il eft vray que ie n’ay point de | corps, il eft vray aulfi que iene puis marcher ny me noutir. Va autre eft de fentir; mais on ne peut auf fentir fans le corps outre que i'ey penté fentir autrefois plufieurs chofes pendant le fommeil, que i’ay reconnu & mon reueil n'auoir point en effet fenties. Vn autre eft de penfer; & ie trouue icy que la penfée eft vn attribut qui m'appartient : elle feule ne peut eftre détachée de moy. Ie uis, Fexifte : cela eft certain ; mais combien de temps? A feauoir, autant de temps que ie penfe; car peut-eftre fe pouroit-il faire, fi ie ceffois de penfer, que ie celferois en mefme temps d'etre ou d'exifter. Je n'admets maintenant rien qui ne foit neceffairement vray : ie ne fis donc, precifement parlant, qu'vne chofe qui prnfe, cet & dire vn efprit, vn entendement ou yne raifon, qui font des termes dont la fignification mieftoit au- parauant inconnué. Or ie fuis vne chofe vraye, & vrayment exi- ftante; mais quelle chofe? Ie lay dit : vne chofe qui penfe. Et quoy davantage? Iexciteray encore mon imagination, pour chercher fie ne fuis point quelque chofe de plus. Te ne fuis point cét alfem- lage de membres, que l'on appelle le corps humain; ie ne fuis point vn air delié & penetrant, répandu dans tous ces membres; ie ne fais point vn veat, vn foulfle, vne vapeur, ny rien de tout ce que ie puis feindre & imaginer, puifgue ay fupofé que tout cela n'etoit rien, & que, fans changer cette fupofition, ie trouue que ie ne Jaffe pas d'eftre certain cue ie fuis quelque chofe. Mais aufli peut-il arriuer que ces mefmes chofes, | que ie fuppofe niefire point, parce qu’elles me font inconnués, ne font point en effet diferentes de moy, que ie connois? Te n'en fay rien; ie ne difpute pas maintenant de cela, ie ne puis donner mon jugement que des chofes qui me font connués : i'ay reconnu que i'eftois, & ie cherche quel ie fuis, moy que i'ay reconnu eftre, Or il eft tres~ 22 Ofvvrss ve Descartes. arg. certain que certe norton & connolffence de moy-mefine; aint preci fement prife, ne depend point des chofes dont ['exiftence ne m'eft as encore connut ; ny par confequent, & & plus forte raifon, d'au- cunes de celles qui font feintes & inuentées par l'imagination, Et mefme ces termes de feindre & d'imaginer m'auertiflent de mon erreur; car ic feindrois en effet, f ‘imaginois eftre quelque chofe, puifque imaginer n'eft autre chofe que contempler la figure ou image d'vne chofe corporelle. Or ie feay des-ja certainement que ie fuis, & que tout enfemble il fe peut faire que toutes ces images- Ji, & generalement toutes les chofes que Yon rapporte a la nature du corps, ne foient que des fonges ou des chimeres. En fuitte de quoy ie voy clairement que i‘aurois aulfi peu de raifon en difan Fexciteray mon imagination pour connoiftre plus diftingtement qui ie fuis, que fi ie difois : ie fuis maintenant éucillé, & iapergoy quelque chofe de réel & de veritable ; mais, parce que ie ne Maper- soy pas encore alfer nettement, ie m'endormiray tout exprés, afin que mes fonges me reprefentent cela mefme auec plus de verité & deuidence, Et ainG, ie reconnois certainement que rien de tout ce que ie puis com|prendre par le moyen de I'imagination, n'apartient A cette connoiffance que i'ay de moy-mefme, & qu’il eft befoin de rapeller & détourner fon efprit de cette fagon de conceuoir, afin qu'il puiffe luy-mefme reconnoifire bien diftingtement fa nature. Mais qu’eft-ce done que ie fuis? Vne chofe qui penfe. Qu'eft-ce qu'vne chofe qui penfe? Creft a dire vne chofe qui doute, qui con- soit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine auf, & qui fent. Certes ce n’eft pas pew fi toutes ces chofes apartien- nent & ma nature. Mais pourquoy n'y apartiendroient-elles pas? Ne fuis-ie pas encore ce mefme qui doute prefque de tout, qui neant- moins entens & congoy certaines chofes, qui affure & affirme celles-a feules eftre veritables, qui nie toutes les autres, qui veux & defie d'en connoiftre davantage, qui ne veux pas eftre trompé, qui agine beaucoup de chofes, mefme quelquefois en dépit que i'en aye, & qui en fens aufli beaucoup, comme par l'entremile des or- ganes du corps? ¥ e-t-il rien de tout cela qui ne foit auffi veritable quill eft certain que ie fuis, & que exifte, quand melme |e dormi- rois todjours, & queceluy quim’a donné Veltre fe feruiroitde toutes fes forces pour m'abufer? Y a-til euffi aucun de ces attributs qui puiffe etre diflingué de ma penfée, ou qu'on puilfe dire eftre feparé de moy-mefme? Car il eft de foy fieuident que c’eft moy qui doute, qui entens, & qui defire, qu'il n'eft pos icy befoin de rien adjoufter pour Vexpliquer. Et ay auifi certainement la puilfance d'imaginer 5 a Meprrarions. — Szconve. 23 ear [encore quit pulfe arriuer {comme ay fupoft auparauant) que Jes chofes que imagine ne foient pas vrayes, neantmoins cette puiffance d'imaginer ne laiffe pas d’ettre réellement en moy, & fait partie de ma penfée. Enfin ie fuis le mefme qui fens, cet & dire qui egoy & connois les chofes comme par les organes des fens, puit- qu’en effet ie voy la lumiere, oy le bruit, ie reffens la chaleur. Mais l'on me dira que ces apparences font fautfes & que ie dors. Quil (oit ainfi; toutesfois, & tout le moins, il eft tres-certain qu'il re femble que ie vey, que Voy, & que ie m’échautfe; & ceft propre~ ment ce qui en moy s'apelle fentir, & cela, pris ainfi precifement, n'eft rien autre chofe que penfer. Dot ie commence & connoiftre {quel ie fuis, auec vn peu plus de lumiere & de diftindtion que ¢y- deuant. “Mais ie ne me puis empefcher de croire que les chofes corporelles, dont les images fe forment par ma penfée, & qui tombent fous les fens, ne fojent plus diftingtement connuts que cette ie ne feay quelle partie de moy-mefme qui ne tombe point fous l'imegination : quoy quien effet ce foit vne chofe bien étrange, que des chofes que ie trouue douteufes & éloignées, foient plus clairement & plus facile ‘ment connués de moy, que celles qui font veritables & certaines, & ‘qui appartiennent 2 ma propre nature. Mais ie voy bien ee que cet: mon efprit fe plaift de s’égarer, & ne fe peut encore contenir dans les iuftes bornes de la verité, Relachons-luy done encore vne fois Ia I bride, [afin que, venant cy-apres a la retirer doucement & & pro pos, nous le puitfions plus facilement regler & conduire. ‘Commencons pat la confideration des chofes les plas communes, que nous croyons comprendre le plus diftinétement, & feauoir les corps que nous touchons & que nous voyons. Ie n'entens pas parler des corps en general, car ces notions generales font d’ordinaire plus confufes, mais de quelqu'vn en particulier. Prenons pour exemple ce morceau de cire qui vient d'eftre tiré de 1a ruche: il n'a pas encore perdu la douceur du miel qu'il contenoit, il retient encore quelque chofe de l'odeur des fleurs dont il a efté recueilly; fa cou- leur, fa figure, fa grandeur, font apparentes; il eft dur, il eft froid, on le touche, & fi vous le frappez, il rendra quelque fon. Enfin toutes les chofes qui peauent diftinélement faire connoifize vn corps, fe rencontrent en celuy-cy. ‘Mais voicy que, cependant que ie parle, on I'aproche du few: ce qui y retoit de {eueur s'exale, Vodeur s'éuanouit, fa couleur fe change, fa figure fe perd, fa grandeur augmente, il deuient liquide, il s'échauffe, & peine le peut-on toucher, & quoy qu'on le frappe, il % 24 Okvvres pE DescarTEs. 30-31, ne rendra plus aucun fon. La mefme cite demeure-telle aprés ce changement? Il faut auotier qu'elle demeure; & perfonne ne le peut niet. Qu'eft-ce done que l'on connoilfoit en ce morceau de cire auec tant de diftindlion ? Certes ce ne peut eftre rien de tout ce que i'y ay remarqué par Ventremife des fens, puifque | toutes.les chofes qui tomboient fous le gouft, ou l'odorat, ou la veue, ou l'attouche- ‘ment, ou Houye, fe trouuent changées, & cependant la mefme cire demeure. Peutceftre eftoitece ce que ie penfe maintenant, & {cauoir que la cire n’eftoit pas ny cette douceur du miel, ny cette’ agreable odeur des fleurs, ay cette blancheur, ny cette figure, ny ce fon, ‘mais feulement vn corps qui vn peu auparavant me paraiffoit fous ces formes, & qui maintenant fe fait remarquer fous d'autres. Mais qu'ef-ce, precifément parlant, que ‘imagine, lorfque ic la congoy en cette forte? Confiderons-le| attentiuement, & éloignant toutes les chofes qui n'appartiennent point & Ia cire, voyons ce qui rete, Certes il ne demeure rien que quelque chofe d'eftendu. de flexible & de muable. Or qu'eft-ce que cela: flexible & muable? N'eft-ce ppas que i'imagine que cette cire eftant ronde eft capable de deue- ir quarrée, & se palfer du quarré en vne figure triangulaire ? Non certes, ce net pas cela, puilque ie Ia congoy capable de receuoir vne infinité de femblables changemens, & ie ne feaurois neantmoins parcourir cette infinité par mon imagination, & par confequent cette conception que fay de Ia cire ne s'accomplit pas par la faculté dimaginer. Qu’eil-ce maintenant que cette extenfion? N'eftelle pas autli inconnué, puifque dans la cire qui fe fond elle augmente, & fe trowue encore plus grande quand elle eft entierement fondue, & beaucoup plus encore quand la chaleur augmente dauantage? Et ie ne con|ceurois pas clairement & felon Ia verité ce que c'eft que la cire, fi ie ne penfois qu'elle eft capable de receuoir plus de varietez felon lextenfion, que ie n'en ay iamais imaging. Il faut done que ie tombe d'accord, que ie ne feaurois pas mefme conceuoir par I'imegi- nation ce que ceft que cette cire, & quill n'y a que mon entende~ ment feul qui le congoiue; ie dis ce morceau de cire en particulier, car pour la cire en general, il eft encore plus euident. Or quelle eft cette cire, qui ne peut eftre conceué que par I'entendement ou lef prit? Certes cleft la mefme que ie voy, que ie touche, que fima- gine, & la meime que ie connoilfois dés le commencement, Mais ce qui eft & remarquer, fa perception, ou bien l'aétion par laquelle on Vapergoit, n’eft point vne vifion, ny vn attouchement, ny vne imagi- nation, & nel'aiamais efté, quoy qu'il le femblaft ainfi auparauant, ses, Meprrarions. — Szconne. 25 mats feutement yne Infpettion de t'efprit, taquelte peur eftre- Impar~ faite & confule, comme elle eftoit auparauant, ou bien claire & diftinée, comme elle eft & prefent, felon que mon attention fe porte plus ou moins aux chofes qui font en elle, & dont elle eft compofée. Cependant ie ne me fcaurois trop étonner, quand ie conlidere combien mon efprit a de foibleffe, & de pente qui le porte infenfi- blement dans Merreur. Car encore que fans parler ie confidere tout cela en moy-mefme, les paroles toutesfois m'arreftent, & ie fuis prefque trompé par les termes du langage ordinaire; car nous di- fons que nous voyons la mefme cire, fi on | nous la prefente, & non pas que nous iugeons que c'eft la mefme, dece qu’elle a mefme cou= leur & meime figure : d'oit ie voudrois prefque conclure, que l'on connoift la cire par la vifion des yeux, & non parle feule infpeétion de lefprit, fi par hezard ie ne regardois d’vne feneftre des hommes qui paffent dans la -ug, & la veut defquels iene manque pas de dire que ie voy des hommes, tout de mefme que ie dis que ie voy de la cire; Et cependant que voy-je de cette fenefire, finon des chapeaux & des manteaus, qui peauent couurir des fpetires ou des hommes feints qui ne fe remuent que par reffors? Mais ie iuge que ce font de vrais hommes; & ainfi ie comprens, par la feule puiffance de iuger qui refide en mon efprit,ce que ie croyois voir de mes yeux. Va homme qui tafche d’éleuer fa connoiffance au dela du com- mun, doit auoir honte de tirer des occafions de douter des formes & des termes de parler du vulgeire ; i'ayme mieux paffer outre, & confiderer fi ie conceuois auec plus d’euidence & de perfeétion ce queftoit la cire, lorique ie lay d'abord apperceut, & que i'ay ereu Ja connoiftre par le moyen des fens exterieurs, of & tout le moins du fens commun, sinfi qu'ils appellent, c’eft & dire de la puiffance imaginative, que iene la concoy & prefent, aprés auoir plus exatte- ment examiné ce qu'elle eff, & de quelle facon elle peut eftre con- ue. Certes il feroit ridicule de mettre cela en doute. Car, qu'y auoit-il dans cette premiere perception qui fut diftin€ & éuident, & | qui ne pouroit pas tomber en mefme forte dans le fens du moindre des animaux? Mais quand ie diftingue la cire d’auec fes formes exte- rieures, & que, tout de mefme que fi ie luy auois ofté fes velte= mens, ie la confidere toute nut, certes, quoy qu'il fe puiffe encore rencontrer quelque erreur dans mon iugement, ie ne la puis con ceuoir de cette forte fans vn efprit humain. [Mais enfin que diray-ie de cét efprit, cet a dire de moy-mefme? Gar iufques icy ie n'admets en moy autre chofe qu’vn efprit. Que prononeeray-je, disje, de moy qui femble conceuoir auec tant de M 26 CBuvres ve Descartes. aye netteté & de diftin@ion ce morceau de cire? Ne me connois-je pes moy-mefme, non feulement auec bien plus de verité & de certitude, mais encore auec beaucoup plus de diftindtion & de netteté ? Car f ie iuge que la cire eft, ou exifte, de ce que ie la voy, certes il fuit bien plus euidemment que ie fuis, ou que ‘exifte moy-mefme, de ca que ie Ia voy. Car il fe peut faire que ce que ie voy ne foit pas en effet de la cire; il peut auf arriuer que ie n’aye pas mefime des yeux pour voir aucune chofe; mais il ne fe peut pas faire que, Torfque ie voy, ou (ce que ie ne diftingue plus) lorfque ie pente voir, que moy qui penfe ne fois quelque chofe. De mefme, fie iuge que la cire exifte, de ce que ie la touche, il s'enfuiura encore la mefine chofe, a ffauoir que ie fuis ; & fi ie le iuge de ce que mon imagination me le perfuade, ou de quelque autre caufe que ce foit, ie concluray toufiours la mefme chofe, Et ce que ay relmarque icy dela cire, fe peut apliquer a toutes les autres choles qui me font exterieures, & qui fe rencontrent hors de moy. Or fila notion & le connoitfance de 1a cire femble eftre plus nette & plus diftine, aprés qu’elle a efté découuerte non feulement par Ja veu ou par l'attouchement, mais encore par beaucoup d'autres caufes, auec ‘combien plus d’euidence, de diftindtion & de netteté, me dois-je connoiftre moy-mefme, puifque toutes les raifons qui feruent & connoiftre & conceuoir la nature de la cire, ou de quelque autre corps, prouuent beaucoup plus facilement & plus euidem- ment la nature de mon efprit? Et il fe rencontre encore tant aautres chofes en Vefprit mefme, qui peauent contribuer & l'éclair~ ciffement de fa nature, que celles qui dependent du corps, comme celles-cy, ne meritent quali pas d’eftre nombrées. Mais enfin me voicy infenfiblement reuenu oi | ie voulois ; car, puifque c'eft vne chofe qui m'eft & prefent connué, qu’a proprement parler nous ne conceuons les corps que par Ia faculté d'entendre qui eft en nous, & non point par imagination ny par les fens, & que nous ne les connoiffons pas de ce que nous les voyons, ou que nous les touchons, mais feulement de ce que nous les conceuons par la penfée, ie connois euidemment qu'il n'y a rien qui me foit plus facile & connoiftre que mon efprit. Mais, parce qu'il eft prefque impofible de fe detfire fi promptement d'vne encienne opinion, il fera bon! que ie m'arrefle vn peu en cét endroit, afin que, par la longueur de ma meditation, 'imprime plus profondement en ma memoire cette nowuelle connoiffance, 435, Meprrattons, — TRoistéMe. 27 |Maprration TRotsifus. De Dieu; quiil exif. Je fermeray maintenant les yeux, i¢ boucheray mes oreilles, ie détourneray tous mes fens, ielfaceray melme de ma penfée toutes les images des chofes corporelles, ou du moins, parce qu’a peine cela fe peutil faire, ie les reputeray comme vaines & comme fausfes; & ainfi m'entretenant feulement moy-mefme, & confiderant ‘mon interieur, ie taicheray de me rendre peu & peu plus connu & plus familier & moy-mefme. Ie fuis yne chofe qui penfe, c'eft & dire qui doute, qui affirme, qui nie, qui connoift peu de chofes, qui en ignore beaucoup, qui ayme, qui hait, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine auf, & qui fent, Car, ainfi que i'ay remarqué cy-deuant, quoy que les chofes que ie fens & que i'imagine ne foient peut-eftre rien du | tout hors de moy & en elles-mefmes, ie fuis neantmoins affuré que ces fagons de penfer, que i'appelle fentimens & imagi- nations,|en tant feulement qu’elles font des facons de penfer, re- fident & fe rencontrent certainement en moy. Et dans ce peu que ie viens de dire, ie eroy auoir rapporté tout ce que ie {cay veritable- ment, ou du moins tout ce que iufques icy i'ay remarqué que ie frauois. ‘Maintenant ie confidereray plus exaétement & peuteeftre il ne fe retrouue point en moy d'autres connoiffances que ie n’aye pas encore apperceuts. Je fais certain que ie fois vne chofe qui penfe; mais ne fgay-je donc pas aufli ce qui eft requis pour me rendre cer tain de quelque chofe? Dans cette premiere connoiffance, il ne fe rencontre rien qu'vre claire & diflindte perception de ce que ie con- ois; laquelle de vray ne feroit pas fufffante pour m’affurer qu'elle eft vraye, s'il pouuoit iamais arriuer qu'vne chofe que ie conceurois, tinfi clairement & diftin€ement fe trouuatt fauffe, Et partant il me femble que des-ja ie puis eftablir pour regle generale, que toutes les, chofes que nous conceuons fort clairement & fort diftinétement, font toutes vrayes. Toutesfois i'ay receu & admis cy-deuant pluteurs chofes comme tres-certaines & tes-manifeftes, lefquelles neantmoins ay re~ connu par apres eftre douteufes & incertaines. Quelles eftoient done ces chofesela? Crefoit Ia Terre, le Ciel, les Aftres, & toutes les autres chofes que fapperceuois par I'entremife de mes|fens. Or 28 Okvvres pz Descartes. 35.36, qurettece que te conceuols crairement& diftinctement em elles? Certes rien autre chofe finon que les idées ou les pentées de ces choles fe prefentoient & mon efprit. Et encore a prefent ie ne nie pas que ces, idées ne fe rencontrent en moy. Mais il y auoit encore ne autre chofe que affurois, & qu’ caufe de I'habitude que i'auois & la croire, ie penfois apperceuoir tres-clairement, quoy que veritable~ ment ie ne l'apperceulle point, & (cauoir qu'il y auoit des chofes hors de moy, d’od procedoient ces idées, & au(quelles elles eftoient tout & fait femblables. Et c'eftoit en cela que ie me trompois; ou, ft peut-eftre ie iugeois felon la verité, ce n’eftoit aucune connoiffance que Meuffe, qui futt caufe de la verité de mon iugement. Mais lorfque ie confiderois quelque chofe de fort fimple & de fort facile touchant I'Arithmetique & la Geomettie, | par exemple que deux & trois joints enfemble produifent le nombre de cing, & autres choles femblables, ne les conceuois-je pas au moins affez clairement pour affurer qu’elles eftoient vrayes? Certes fii'ay ingé depuis qu'on pouuoit douter de ces chofes, ce n'a point efté pour autre raifon, que parce qu'il me venoit en l'efprit, que peut= eftre quelque Dieu auoit pi me donner yne telle nature, que ie me trompa(fé meime touchant les chofes qui me femblent les plus manifeftes, Mais toutes les fois que cette opinion cy-devant conceut de la fouueraine puiffance d'vn Dieu fe prefente & ma penfée, ie fuis contraint d’auotier | qu'il luy eft facile, s'il le veut, de faire en forte que ie m'abufe, mefme dans les choles que ie croy connoifire auec vyne euidence tres-grande, Et au contraire toutes les fois que ie me tourne vers les chofes que ie penfe conceuoir fort clairement, ie fuis tellement perfuadé par elles, que de moy-mefme ie me laiffe em- porter a ces paroles: Me trompe qui poura, fi eft-ce qu'il ne ffau- roit jamais faire que ie ne fois rien, tandis que ie penferay eftre quelque chofe; ou que quelque four il foit vray que ie n'aye iamais efté, eftant vray maintenant que ie fuis; ou bien que deux & trois, joints enfemble faffent plus ny moins que cing, ou chofes fem= Dlables, que ie voy clairement ne pouuoir eftre d’autre fagon que ie les congoy. Et certes, puifque ie n’ay aucune raifon de croire qu'il y ait quelque Diew qui foit trompeur, & mefme que ie n’ay pas encore confideré celles qui prouuent qu'il y a vn Dieu, la raifon de douter qui dépend feulement de cette opinion, eft bien legere, & pour ainfi dire Metaphyfique. Mais afin de la pouuoir tout a fait ofter, ie dois examiner s'il y a vn Dieu, fitoft que l'occafion s'en prefentera; & fi ie trouue quill y en ait vn, ie dois auii examiner s'il peut eftre 6a, Meprrations, — Tros®me. 29 srompeur; car fun fe vonnoiffance de-ces deux verites, io ne voy pas que ie puiffe iemais eftre certain d'aucune chofe. Et afin que ie puiffe auoir occafion d'examiner cela fans interrompre ordre de mediter que ie me fuis propofé, qui eft de palfer par degrez des no- tions que ie trowueray les premieres en mon efprit teelles que i'y pouray | trouuer par aprés, [il faut icy que ie divife toutes mes pen- fées en certains genres, & que ie confidere dans lefquels de ces genres ily a proprement de la verité ou de erreur. Entre mes penfies, quelques-vnes font comme les images des chofes, & c'eft A celles-Ia feules que conuient proprement le nom diidée: comme lorque ie me reprefente vn homme, ou vne Chi- mere, ou le Ciel, ou vn Ange, ou Dieu mefme. D'autres, outre cela, ont quelques autres formes : comme, lorfque ie veux, que ie erains, que iaffirme ou que ie nie, ie concoy bien alors quelque chofe comme le fuet de l'aétion de mon efprit, mais i'adjoufte aufli quelque autre chofe par cette aétion a l'idée que i'ay de cette chofe- 1h; & de ce genre de penfées, les vnes font appellées volontez ou affeftions, & les au:res iugemens, Maintenant, pou: ce qui concerne les idées, fi on les confidere feulement en elles-metmes, & qu'on ne les rapporte point 4 quelque autre chofe, elles ne peuuent, 2 proprement parler, eftre faufles; car foit que imagine vne Chevre ou vne Chimere, il n'eft pas moins vray que i'imagine 'vne que l'autre. Tine far pes erindre sl qu'il fe pie reneontrer de la faueré dans les affefions ou volontez; car encore que ie puilfe defirer des choles mauuaifes, ou mefme qui ne furent jamais, toutesfois il n'elt nas pour cela moins vray que ie les defire. Pe Tar i ne rete plus qos les feulsiugemens, don lefgute ie dos prendre garde foigneufement de ne me | point tromper. Or la prin cipale erreur & la plus ordinaire qui s'y puiffe rencontrer, confifle ence que ie iuge que les idées qui font en moy, font femblables, ou conformes & des chofes qui font hors de moy; car certainement, fi je confiderois feulement les idées comme de certains modes ou fa~ cons de ma penfée, fans les vouloir rapporter & quelque autre chofe Gexterieur, & peine me pouroient-elles donner occafion de faillir. ‘Orde ces idées les vnes me femblent eftre nées auec moy, les autres eftre étrangeres & venir de dehors, | & les autres eftre faites & inuentées par moy-melme. Car,que Vaye la faculté de conceuoir ce que cet qu'on nomme en general yne chofe, ou vne verité, ou vyne penfée, il me femble que ie ne tiens point cela d'ailleurs que de ma nature propre; mais fi oy maintenant quelque bruit, 38 Sa “0 30 OEvvaes pe Descanres. 339 voy le Goleil, @ ie fens de le chaleur, iufgula cette heure Fay loge que ¢¢s fentimens procedoient de quelques chofes qui exiftent hors de moy; & enfin il me femble que les Syrenes, les Hypogrifes & toutes les autres femblables Chimeres font des fitions & inventions de mon efprit. Mais aufi peut-eftre me puis-je perfuader que toutes ces idées font du genre de celles que i'apelle étrangeres, & qui viennent de dehors, ou bien qu’elles font toutes nées auec moy, ou bien qu'elles ont toutes efté faites par moy ; car ie n'ay point encore clairement découuert leur veritable origine. Et ce que i'ay prine palement a faire en cét endroit, eft de confiderer, touchant celles qui me femblent venir de quelques objets qui font hors de] moy, quelles font les raifons qui m’obligent a les croire femblables & ces objets. La premiere de ces raifons eft qu'il me femble que cela m’eft en- feigné par la nature; & la feconde, que i'experimente en moy-meime que ces idées ne dépendent point de ma volonté; car fouuent elles fe prefentent a moy malgré moy, comme maintenant, foit que ie le vetille, foit que ie ne le veuille pas, ie fens de la chaleur, & pour cette caufe ie me perfuade que ce fentiment ou bien cette idée de la chaleur eft pfoduite en moy par vne chofe differente de moy, & feauoir par la cheleur du feu auprés duquel ie me rencontre. Et ie ne voy rien qui me femble plus raifonnable, que de iuger que cette chofe étrangere enuoye & imprime en moy fa reffemblance pluftott quiaucune autre chofe. Maintenant il faut que ie voye fi ces raifons font aflez fortes & conuaincantes. Quand ie dis qu'il me femble que cela m'eft en« feigné par la nature, i'entens feulement par ce mot de nature vne certaine inclination qui me porte & croire cette chofe, & non pas ‘yne lumiere naturelle qui me face connoiftre qu'elle eft vraye. Or ces deux chofes different beaucoup entrelles; car ie ne feaurois rien reuoquer en doute de ce que Ja lumiere naturelle, me fait voir fice vray, ainfi qu'elle m’a tantolt fait voir que, de e¢ que ie dou tois, ie pouuois conclure que i'eftois. Ex ie n'ay en moy aucune autre faculté, ou puitfance, pour diftinguer le vray du faux, qui me puiffe enfeigner que ce que cette lumiere me monftre comme vray ne Pelt pas, & Aqui ie me | puifle tant fier qua elle. | Mais, pour ce qui eft des inclinations qui me femblent aufii m'eftre naturelles, fay fouuent remarqué, lorfqu'il a efté queftion de faire choix entre les vertus & les vices, qu’elles ne m'ont pas moins porté au mal qu'au bien; cet pourquoy ie n’ay pas fajet de les fuiure non plus en ce qui regarde le vray & le faux. sown Muprrations. — TRorsiéMe. 3 Et pour 'antre_saifon, qni eft qne.ces idées doivent venir 4” leurs, puifqu'elles nz dépendent pas de ma volonté, ie ne la trouue zon plus conuaincante, Car tout de mefme que ces inclinations, dont ie parlois tout maintenant, fe trouuent en moy, nonobftant quelles ne s'accordent pas toufiours auec ma volonté, ainfi peut- eftre qu'il y & en moy quelque faculté ou puiffance propre & pro- duire ces idées fans l'ayde d'aucunes chofes exterieures, bien qu'elle ne me foit pas encore connué; comme en effet il m'a toufiours femblé infques icy que, lorfque ie dors, elles fe forment ainfi en moy fans l'ayde des objets qu’elles reprefentent. Et enfin, encore que ie demeuraffe d’accord qu’elles font caufées pat ces objets, ce niet pas vne confequence neceffaire qu’elles doiuent leur eftre femblables, Au costraire, ‘'ay fouxent remarqué, en beaucoup dexemples, quill y auoit vne grande difference entre l'objet & fon idée. Comme, par exemple, ie trouue dans mon efprit deux idées du Soleil toutes diverfes : I'mne tire fon origine des fens, & doit fire placée dans le genre de celles que i'ay dit cy-deffus venir de dehors, par laquelle il me paroift extremement petit; l'autre eft | prife des raifons de 'Aftronomie, c'eft dire de certaines notions nées auec moy, ou enfin eft formée par moy-mefme de quelque forte que ce puilfe eftre, par laquelle il me paroitt plufieurs fois plus grand que toute la terre. Certes, ces devx idées que ie congoy du Soleil, ne peauent pas eftre toutes deux femblables au mefime Soleil; & Ia raifon me fait croire que celle qui vient immediatement de fon appearence, eft celle qui luy eft le plus diffemblable. Tout cela me faitaffez connoiftre que iufques & cette heure ce n's point efté| par vn iugement certain & prémedité, mais feulement par yne aueugle & temeraire impulfion, que jay creu qu'il y auoit des chofes hors de moy, & differentes de mon eftre, qui, par les organes de mes fens, ou par quelque autre moyen que ce puiffe eftre, enuoyoient en moy leurs idées ou images, & y imprimoient leurs reflemblances. Mais il fe preferte encore vne autre voye pour rechercher fi, entre les chofes dont i'ay en moy les idées, il y en a quelques-vnes, qui exiftent hors de moy. A fgauoir, fi ces idées font prifes en tant feulement que ce font de-certaines facons de penfer, ie ne recon~ nois entrelles aucune difference ou inegalité, & toutes femblent proceder de moy d’vne mefme forte; mais, les confiderant comme des images, dont les vnes reprefentent vne chofe & les autres vae autre, il eft evident qu’elles font fort differentes les vnes des autres. Car, en eflst, celles qui me reprefentent des fubttances, a“ 4“ OEuvres pe Descartes. eH doute quslaus chofe de plus, & coptisnnent | en foy. (pour ain parler) plus de realité objedtive, ceft & dire participent por .reprefentation & plus de degrez d’eflre ou de perfection, que celles qui me reprefentent feulement des modes ou accidens. De plus, celle par laquelle ie congoy vn Diew fouuerain, eternel, infni, immuable, tout connoiffant, tout puiffant, & Greateur vniuerfel de toutes les chofes qui font hors de luy; celled, dis-je, a certai- nement en foy plus de realité objeétive, que celles par qui les fabftances finies me font reprefentées. Maintenant c'eft yne chofe manifefte par la lumiere naturelle, quill doit y auoir pour le moins autant de realité dans la caufe efficente & totale que dans fon effeét : car d’oit eft-ce que Veffett peut tirer fa realité, finon de fa caufe? & comment cette caufe la uy pouroit-elle communiquer, fi elle ne l'auoit en elle-mefime? Et de ld il fuit, non feulement que le neant ne feauroit produire aucune chofe, mais aufli que ce qui eft plus parfait, ceft a dire qui contient en foy plus de realité, [ne peut eftre yne fuite & vne dé pendance du moins parfait. Et cette verité n’eft pas feulement claire & euidente dans les effets qui ont cette realité que les Philo= fophes appellent actuelle ou formelle, mais auifi dans les idées of Von coniidere feulément la realité qu’ils nomment objeétiue : par exemple, la pierre qui n'a point encore efté, non feulement ne peut pas maintenant commencer d'eftre, fi elle n’eft produitte par vne chofe qui poffede en foy formellement, ou emilnemment, tout ce qui entre en la compofition de la pierre, cet & dire qui contienne en foy les mefmes chofes ou d'autres plus excellentes que celles qui font dans la pierre; & la chaleur ne peut eftre produite dans va fujet qui en eftoit auparavant priué, fi ce n’eft par vne chole qui foit d'vn ordre, d'vn degré ou d'vn genre au moins auffi parfait que Ja chaleur, & ainfi des autres. Mais encore, outre cela, Midée de la chaleur, ou de la pierre, ne peut pas eftre en moy, fi elle n'ya efté rife par quelque caufe, qui contienne en foy pour le moins autant de realité, que i'en congoy dans la chaleur ou dans Ia pierre. Car encore que cette caufe-ld ne tranfmette en mon idée aucune chofe de fe realité atuelle ou formelle, on ne doit pas pour cela s‘ima- giner que cette caufe doiue eftre moins réelle; mais on doit feauoir Gue toute idée eflant vo ouurage de Vefprit, fa nature eft elle qu'elle ne demande de foy aucune autre realité formelie, que eelle quielle regoit & emprunte de le penfée ou de Vefprit, dont elle eft feulement vn mode, c’efl & dire yne maniere ou fagon de penfer. Or, afin qu'vne idée contienne vne telle realité objediue plutoft ae. Meprrations. — TRoisiéae. 3 qu'vne autre, elle doit fans doute auoir cela de quelque caufe, dans Iaquetie te rencontre pour te molns aurant de Tealisé forselle que cette idée contient de realité objedtiue. Car fi nous fapofons qu'il fe trouue quelque chofe dans Vidée, qui ne fe rencontre pas dans fa caufe, il faut donc qu'elle tienne cela du neant; mais, pour impar- faite que foit cette fagon d'eftre, par laquelle vne chofe eft objett uement | ou par reprefentation dans l'entendement par fon idée, certes on ne peut pis neantmoins dire qué cette fagon & maniere- Ia ne foit rien, ny par confequent que cette idée tire fon ori gine du neant, Te ae dois pas aufhi douter qu'il ne foit neceffaire [aque Ia realité foit formellement dans les caufes de mes idées, ‘quoy que la realité que ie confidere dans ces idées foit Seulement objediue, ay penfer qu’il fufit que cette realité fe rencontre obieGti- uuement dans leur(s) caufes; car, tout ainfi que cette maniere d'eftre obieGiuement appartient aux idées, de leur propre nature, de mefme auffi la maniere ou la facon d'eftre formellement appertient aux caules de ces idées (8 tout le moins aux premieres & princi- pales) de leur propre nature, Et encore qu'il puilfe arriuer qu'vne idée donne Ia naiffance & vne autre idée, cela ne peut pas toutes fois eftre & l'infiny, mais il faut & la fin paruenit & yne premiere idée, dont 1a caufe foit comme yn patron ou vn original, dans lequel toute la realité ou perfeion foit contenut formellement & en effet, qui fe rencontre feulement obiedivement ou par repre~ fentation dans ces idées. En. forte que la lumiere naturelle me fait connoiftre euidemment, que les idées font en moy comme des tableaux, ou des images, qui peuuent & la verité facilement déchoir de la perfetion des chofes dont elles ont efté tirées, mais qui ne peuuent iamais rien contenir de plus grand ou de plus parfait. Et d'autant plus longuement & foigneufement i'examine toutes ces chofes, d'autant plus clairement & dilftinement ie connois quielles font vrayes. Mais enfin que concluray-je de tout cela? C’eft A feauoir que, fi lc realité obiedtiue de quelqu'vne de mes idées eft telle, que ie connoiffe clairement qu'elle n’eft point en moy, ny formellement, ay eminemment, & que par confequent ie ne pi pas moy-mefme en eftre la caule, il fuit de la neceffairement que ie ne fuis pas feul dans le monde, mais quiily a encore quelque autre chofe qui exifte, & qui eft la caule de cette idée; au lieu que, s'il ne fe rencontre point en moy de telle idée, ie n'auray aucun argu- ment qui me puilfe conuaincre & rendre certain de V'exiftence aucune autre chofe que de moy-mefme; car ie les ay tous foi- “ ro 6 a 4 Ofvvags = Descartes. ow peufcinent recherches, & ie nen ay pou trouver aucun autre iufgu’a prefent. Orentre ces idées, outre celle qui me reprefente & moy-mefme, de laquelle il ne peut y auoir icy aucune difficuleé, il y en a vne autre qui me reprefente vn Dieu, d'autres des chofes corporelles & inanimées, d'autres des anges, d'autres des animaux, & d'autres enfin qui me reprefentent des hommes femblables & moy. Mais pour ce qui regarde les idées qui me reprefentent d'autres hommes, fou des animaux, ou des anges, ie concoy fecilement qu'elles peuuent eftre formées par le mélange & la compofition des autres idées que i’ay des chofes corporelles & de Dieu, encores que hors de moy i n'y euft point d'autres hommes dans le monde ny aucuns animaux, ny aucuns anges. Et pour ce qui regerde les idées des chofes corporelles, ie n'y reconnois rien de fi grand ny de fi excel~ lent, qui ne me femJble pouuoie venir de moy-mefme ; car, fi ie les coniidere de plus prés, & fi ie les examine de la mefme fagon que examinay hier Vidée de la cire, ie trouue quill ne s'y rencontre que fort peu de chofe que ie concoiue clairement & diftin@ement: 4 fgauoir, la grandeur ou bien I'extenfion en longueur, largeur & profondeur; lx figure qui eft formée par les termes & les bornes de cette extenfion;]a fituation que les corps diuerfement figurez gardent entr'eux; & le mouuement ou le changement de cette fituation ; aufquelles on peut adjouter la fubftance, la durée, &,le nombre. Quant aux autres chofes, comme la lumiere, les couleurs, les fons, les odeurs, les faueurs, la chaleur, le froid, & les autres qualitez qui tombent fous [attouchement, elles fe rencontrent dans ma pentée auec tant d'obfeurité & de confulion, que ignore mefme & elles font veritables, ou fauffes & feulement apparentes, c'eft& dire files idées que ie concoy de ces qualitez, font en effet les idées de quelques chofes réelles, ou bien fi elles ne me reprefentent que des fires chymeriques, qui ne peuuent exifter. Car, encore que ‘aye remarqué ey-deuant, quill n'y a que dans les iugemens que fe puiffe rencontrer la vraye & formelle faufeté il fe peut neantmoins trouuer dans les idées vne certaine faulfeté materielle, & {eauoir, lorfgu’elles reprefentent ce qui n'eft rien comme fi ceftoit quelque chofe, Par exemple, les idées que ay du froid & de la chaleur font fipeu claires & fi peu diftindes, | que par leur moyen ie ne puis pas difcerner fi le froid eft feulement vne privation de la | chaleur, ou Ja chaleur vne priuation du ftoid, ou bien fi I'vne & l'autre font des qualitez réelles, ou fi elles ne le font pas ; & d'autant que, les idées eftant comme des images, il n'y en peut auoir aucune qui ne 5. Mrorrations. — Troistéme. rH nous femble reprefenter quelque chofe, s'il eft vray_de dire que le froid ne foit autre chofe qu'vne priuation de la chaleur, V'idée qui ime le reprefente comme quelque chofe de réel & de poftif, ne fera pas mal & propos appeliée fauffe,& ainfi des autres femblables idées; aufquelles certes il n'et pas neceffaire que i‘attribut dautre a theur que moy-melme. Car, fi elles font fautfes, c'eft & dire fi elles reprefentent des chofes qui ne font point, la lumiere naturelle me fait connoiftre qu’elles procedent du neant, cett & dire qu'elles ne font en moy, que parce qu'il manque quelque chofe & ma nature, & qu'elle n’eft pas toute parfaite. Et fi ces idées font vrayes, neant- moins, parce qu’elles me font paroiftre fi peu de reslité, que mefme ie ne puis pas netiement difcerner Ia chofe reprefentée d'auec le non eftre, ie ne voy point de raifon pourquoy elles ne puilfent eftre Produites par moy-mefme, & que ie n’en puiffe eftre 'auteur. Quant aux idées claires & diftinétes que i'ay des chofes corpo- relles, il y en.a quelques-vnes qu'il femble que i'aye pO tirer de Vidée’ que Yay de moy-mefme, comme celle que i'ay de la fub- ftance, de la durée, du nombre, & d'autres chofes femblables. Car, lorfque ie penfe que la pierre eft vne fubitance, ou bien vne chofe qui de foy eft capable d'exifer, puis que ie fuis | yne fubftance, quoy que ie concoiue bien que ie fuis vne chofe qui penfe & non Gtendué, & que la pierre au contraire eft yne chofe étendut & qui ne penfe point, & qu'ainGi entre ces deux conceptions il fe ren~ contre vne notable difference, toutesfois elles femblent conuenit en ce qu’elles reprefentent des fubftances. De mefme, quand ie penfe que ie fuis maintenant, & que ie me reffouuiens outre cela G'auoir efté avtresfois, & que ie concoy plufieurs diuerfes penfées dont ie connois le nombre, alors itacquiers en moy [les idées de la durée & du nombre, lefquelles, par eprés, ie puis transferer & toutes les autres chofes que ie voudray. Pour ce qui eft des autres qualitez dont les idées des chofes corporelles font compofées, & feauoir I'étendut, le figure, la fitua- tion, & le mouuement de lieu, il eft vray qu’elles ne font point formellement en moy, puifque ie ne fuis qu'vne chofe qiti penfe; mais parce que ce font feulement de certains modes de la fub- ftance, & comme les veftemens fous lefquels le fubftance corporelle nous paroift, & que ie fuis autli moy-mefme vne fubttance, il femble quielles puiffent eftre contenuts en moy eminemment. Pertant il ne refte que la feule idée de Dieu, dans laquelle il faut confiderer s'il y a cuelque chofe qui n’ait pa venir de moy-mefme. Par le nom de Dieu i'entens vne fubftance infinie, eternelle, “ » 36 Oftvnes pe Descarres. Bs muable, indenendante, tonte_connoiffante, rome puiffants, & par laquelle moy-mefme, & toutes les autres chofes qui font (s'il eft vray quill y en ait qui eritent) ont efté creées | & produites. Or ces auantages font fi grands & fi eminens, que plus attentiuement ie les confidere, & moins ie me perfuade que l'idée que i'en ay puitle tirer fon origine de moy feul. Et par confequent il faut necetfai- rement conclure de tout ce que i'ay dit auparauant, que Diew exifte; car, encore que l'idée de Ia fubftance foit en moy, de cela mefme que ie fuis vne fubftance, ie n’aurois pas neantmoins V'idée d'vne fabftance infinie, moy qui fuis vn eftre finy, fi elle n'auoit efté mife en moy par quelque fubttance qui ful veritablement infinie, Et ie ne me dois pas imaginer que ie ne consoy pas T'infiny par vne veritable idée, mais feulement par la negation de ce qui eft finy, de mefme que ie comprens le repos & les tenebres par la negation du mouuement & de la lumiere : puifqu'au contraire ie voy manix feflement qu'il fe rencontre plus de realité dans la fubftance infinie, que dans la fubftance finie, & partant que ‘ay en quelque facon premierement en moy Ia notion de linfiny, que du finy, eft & dire de Diew, que.de moy-mefme. Car comment feroit-il pofible que ie peufle connoiftre que ie doute & que| ie defire, c'eft a dire qu'il me manque quelque chofe & que ie ne fuis pas tout parfait, fiie n'auois en moy aucune idée d'vn eftre plus parfait que le mien, pat la com- paraifon duquel ie connoiftrois les defauts de ma nature? Et Ion ne peut pas dire que peut-eltre cette idée de Dieu ef ma- teriellement fauffe, & que par con|fequent ie la puis tenir du neant, Celt & dire qu'elle peut eftre en moy pource que comme i'ay dit cy-deuant des idées de la chaleur autres chofes femblables : car, au contraire, cette idée eftant fort claire & fort diftindte, & contenant en foy plus de realité obiedtiue quiaucune autre, il n'y en a point qui foit de foy plus vraye, ny qui Puille efire moins foupconnée d’erreur & de fauffeté Liidée, diseje, de cét eflre fouuerainement parfait & infiny ef entierement vraye; car, encore que peut-eftre l'on puilfe feindre gu'vn tel eftre n’exite point, on ne peut pas feindre neantmoins que fon idée ne me reprefente rien de réel, comme i'ay tantoft dit de Vide du froid, Cette mefine idée eft auffi fort claire & fort diftine, puifque tout ce que mon efprit concoit clairement & diftinétement de réel & de vray, & qui contient en foy quelque perfedtion, eft contenu & renfermé tout entier dans cette idée. en. Msprrarions. — TROIstéME. 7 Ex sesy ne life pas d’efire vray, encore que ie ne comprenne pas Tees mefime qu'il fe Te ncotfve en Dieu vne infinite de chofes ue ie ne puis comprendre, ny peutetire auf atteindre aucune- witot par ta penfée’ car il eft de la nature de V'infny, que ma nature, qui elt fnie & bornée, ne le puiffe comprende; &il fait que fe congoiue bien cela, & que ie juge que toutes les chofes que Fe congoy clairemert, & dans lefgueles fe {gay quil y a quellque perfeGion, & peut-efire auf yne infinite d'autres que ignore, font Pr Diew formellement ou eminemment, afin que Vidée que en ay foit la plus veaye, ia plus claire & la plus difindle de toutes celles qui font en mon efprt. ; Mare peutetire auf que ie fuis quelque chofe de plus que ie ne riimagine, & que tovtes les perfeftions que iattribué la nature Tivn Dieu, font en cvelque fagon en moy en puilfance, quoy qu’ells Sele produifent pas encore, | & ne fe facent point paroifire par leurs Raione, En effet Texperimente defia que ma connoiffance s'aug- snente & fe perfeGionne peu & ped, & ie ne voy rien qui le puilfe Cmpefcher de s'augmenter de plus en plus fufgues a Vinny; puis, Stet aint acerevé & perfedtionnée, fe ne voy rien qui empetche he ie ne pulfe mfacqueric par fon moyen toutes es autres per- Bajions dela nature Divine j & enfin il femble que la puldance que fay pour Pacguiftion de ces perfeétons, f-elle ef en moy, peut Tiecopable dy imprimer & d'yintroduire leurs idées, Toutesfois, gnvy regardant vn peu de pret, ie reconnols que cela ne peut eft; Sa premiefement, encore qu'il fof vray que ma connoiffance ae- uiafrous les fours de nouveaux degrez de perfeton, & quily eut sae nature beeucoup de. chofes en puifance, qui n'y font pas cre aduellement, toutesfois tous ces auantages n'appartiennent Eswapprochent er aucune forte de Vidée que Vay de la Divine Saas Ruelle ren ne | fe rencontre feulement en puilfance, mai Cane yeh afuellement & en effet. Et mefie n'ft-ce pas vn argue seendiafailible & tres-certain dimperfeBion en ma connoiffance, soos quielle s'aceroif peu a peo, & qu'elle saugmente par degrez? Dasantages encore que ma connoiffance s'eugmentatt de plus en plus, nesrtmoins fe ne lale pas de conceacir qu'elle ne feauroit Pine’ cdlucllement infnie, puifq’elle arriuera iamais a vn fi haut aint Ge pevfetion, quelle ne foit encore capable d'acquerir edlque plus grand accroiflement. Mais ie consoy Diew aftuelle sovetay enven ihaut degré, quil ne fe pent rien adioufter& lz saent aime perfefion qu'll poffede, Et enfin ie comprens fort bien one feline objebif dae idée ne peut elie produit par vn efie qui ue 38 Obvvres pe Descartes. a. exitte feulement en puittance, tequet a proprement parter nett rien mais feulement par vn eftre formel ou a€tuel, Et eertes ie ne voy rien en tout ce que ie viens de dire, qui ne foit tres-aifé & connoiftre par la lumiere naturelle & tous ceux qui voudronty penfer foigneufement ; mais lorfque ie relache quelque chofe de mon attention, mon efprit fe trouuant obfeurey & comme aueuglé par les images des chofes fenfibles, ne fe reffouuient pas facilement de la raifon pourquoy l'idée que i'ay d’'vn eftre plus par- fait que le mien, doit neceflairement auoir efté mife en moy par vn eftre qui foit en effet plus parfait. 1Crett pourquoy ie veux icy paffer outre, & confiderer | fi moy- mefme, qui ay cette idée de Dieu, ie pourrois eftre, en cas quill n'y eft point de Dieu. Et ie demande, de qui aurois-je mon exiflence? Peut-eftre de moy-mefme, ou de mes parens, ou bien de quelques autres caufes moins parfaites que Dieu; car on ne fe peut rien ima giner de plus parfait, ni mefme d’égal 8 luy. Or, fi eftois independant de tout autre, & que ie fulle moy- mefme auteur de mon eftre, certes ie ne douterois d'aucune chole, ie ne conceurois plus de defirs, & enfin il ne me manqueroit au- ccune perfeétion ; car ie me ferois donné moy-mefme toutes celles dont fay en moy quelque idée, & ainfi ie ferois Dieu. Et ie ne me dois point imaginer que les chofes qui me manquent font peuteftre plus diffciles 8 acquerir, que celles dont ie fuis defia fen poffeffion ; car au contraite il eft tres-certain, qu'il a efté beau~ coup plus difficile, que moy, t'eft& dire vne chofe ou vne fubftance qui penfe, fois forty du neant, qu'il ne me feroit d'acquerir les lumieres & les connoiffances de plufieurs chofes que i'ignore, & qui ne font que des accidens de cette fubftance. Et ainfi fans diff- culté, fi ie m'eflois moy-mefme donné ce plus que ie viens de dire, eeft A dire fii'eftois I'auteur de ma naiffance & de mon exiftence, ie ne me ferois pas privé au moins des chofes qui font de plus facile acquifition, & fcavoir, de beaucoup de connoiffances dont ma nature eft denuée; ie ne me ferois pas | privé non plus d’aucune des chofes qui font contenuts dans lidée que ie concoy de Dieu, parce qu'il n'y en a aucune qui me femble de plus difficile acquifition; & s'il y enauoit quelqu'vne, certes elle me paroiftroit telle (fuppofé que eulfe de moy toutes les autres chofes que ie polfede), puifque iexperimenterois que ma puiffance s'y termineroit, & ne {eroit pas capable d'y arriuer. Et encore que ie puitfe fuppofer que peut-eftre i'ay toulours efté comme ie fuis maintenant, ie ne {Gaurois pas pour cela euiterla force B50 Meprrations. — TRoIsIEME. 39 de ce-ralfonnement, & ne falffe pas de-conuviftre qu'il eft-necel faire que Dieu foit Fauteur de mon exiftence. Car tout le temps de ma vie | peut eftre diuifé en yne infinité de parties, chacune def- quelles ne depend en aucune facon des autres; & ainf, de ce qu'va peu auparauant i'ay eft, il ne s'enfuit pas que ie doiue maintenant eftre, fi ce n'eft qu’ea ce moment quelque’caufe me produife & me crée, pour ainfi dire, derechef, c'eft& dire me conferue. En effet ceft vne chofe bien claire & bien euidente (A tous ceux qui confidereront auec attention Ia nature du temps), qu'vne fub- flance, pour eftre conferuée dans tous les momens qu'elle dure, « befoin du mefme pounoir & de Ia mefme a8ion, qui feroit neceffaire pour la produire & Ia eréer tout de nowueau, fi elle n’eftoit point encore. En forte que la lumiere naturelle nous fait voir clairement, que le conferuation & a creation ne different qu'au regard | de noftre fagon de penfer, & non point en effet, Il faut donc feulement icy que ie minterroge moy-mefme, pour fgauoir fie poffede quelque pouuoir & quelque vertu, qui foit capable de faire en forte que moy, qui fais maintenant, fois encor & I'auenir: car, puifque ie ne fuis rien qu'vne chofe qui penfe (ou du moins puifqu'il ne s'agit encor jufques icy precifement que de cette pattie-la de moy-mefme), fi vne telle puiffance refidoit en moy, certes ie deurois & tout le moins Ie penfer, & en auoir connoiffance; mais ien’en reffens aucune dans moy, & pat.la ie connois euidemment que ie dépens de quelque eftre different de moy. Peut-eftre aufli que cét eftre-la, duquel ie dépens, n’eft pas ce que Vappelle Dieu, & que ie fuis produit, ou par mes parens, ou par quelques autres caufes moins parfaites que luy? Tant s'en faut, cela ne peut eftre ainfi. Car, comme Yay defia dit auparauant, ceft vyne chofe tres-euidente qu'il doit y auoir au moins autant de realité dans la caufe que dans fon effet. Et partént, puifque ie fais vne chofe qui penfe, & qui ay en moy quelque idée de Dieu, quelle que foit enfin la caufe que l'on attribué a ma nature, il faut neceffaire= ment auster qu'elle doit parcillement eftre vne chofe qui penfe, & poffeder en foy l'idée de toutes les perfeftions que iattribué a la nature Diuine. Puls l'on peut derechef rechercher fi cette eaufe tient fon origine & fon exiftence de foy-mefme, ou de quelque autre chofe, Car fielle la tient de | foy-mefme, il s'enfuit, par les raifons que fay cy-deuant alleguées, qu’elle-mefine doit eftre Diew; puif= qu'fayant la vertudleftre & d’exitter par foy, elle doit suffi oir fans doute la puilfance de poffeder aétuellement toutes les perfedtions dont elle congoit les idées, c’eft & dire toutes celles que ie congoy " 40 Ofuvres pe DESCARTES. Sot. eftre-en Dicus Que fi ele teat fon'exi@enee do quelque autre conte que de foy, on demandera derechef, par In mefme raifon, de cette fecoride caufe, fi elle eft par foy, ou par autruy, iufques ace que de degrez en degrez on paruienne enfin A vne derniere eaufe qui fe trouuera eftre Dieu. Et il eft tres-manifefte qu’en cela il ne peut y auoit de progrez & Vinfiny, veu qu'il ne s'agit pas tant icy de la caufe qui m’a produit autresfois, comme de celle qui me conferue prefentement™. (On né peut pas feindre aufli que peut-eftre plufieurs eaufes ont ‘enfemble concouru en partie & ma produdion, & que de I'vne i'ay receu V'idée d'vne des perfections que ‘attribue & Dieu, & d'vne autre Vidée de quelque autre, en forte que toutes ces perfeétions fe trouuent bien a la verité quelque part dans I'Vniuers, mais ne fe rencontrent pas toutes jointes & affemblées dans vne feule qui foit Dieu. Car, au contraize, I'vnité, le fimplicité, ou Vinfeparabilité de routes les chofes qui font en Dieu, eft vne des principales per- feétions que ie congoy eftre en luy; & certes lidée de cette vnité & affemblage de toutes les perfeétions de Dieu, n'a peu etre mife en moy par qucune’caufe, de qui ie n’aye point aufii receu | les idées de toutes les autres perfedtions. Car elle ne peut pas me les avoir fait comprendre enfemblement iointes & infeparables, fans auoir fait en forte en mefme temps que ie fceulfe ce qu’elles floient, & que ie les connuffe toutes en quelque fagon. Pour ce qui regarde mes parens, defquels il femble que ie tire ma naiffance, encore que tout ce que i'en ay iamais peu croire foit veritable, cela ne fait pas toutesfois que ce foit eux qui me con- fervent, ny qui m'ayent fair & produit en tant que ic fuis vne chofe qui penfe, puifqu'ils ont feulement mis quelques difpofitions dans cette matiere, en laquelle ie iuge que moy, c'eft & dire mon efprit, Tequel feul ie prens maintenant pour moy-mefme, | fe trouue ren- fermé; & partant il ne peut y auoir icy a leur égard aucune diffi- culté, mais il faut neceffairement conclure que, de cela feul que iexitle, & que I'idée d'vn eftre fouuerainement parfait (cet & dire de Dieu) eft en moy, l'exiftence de Diew eft tres-euidemment de- monftrée. lme refte feulement & examiner de quelle fagon i‘ay acquis cette idée, Car ie ne l'ay pas recent par les fens, & iamais elle ne s'eft offerte & moy contre mon attente, ainfi que font les idées des chofes fenfibles, lorfque ces chofes fe prefentent ou femblent fe prefenter ‘a, Non a la ligne. S182, Meprrations. — TroistéMe. 4L aus organs extericurs de mes fens. Elle n'eft pas aut vne pure produétion ou fiétion de mon efprit; car il n'eft pas en mon pou- uoir d’y diminuer ny d’y adioufter aucune chofe. Et par confequent il ne refte plus autre chofe & dire, finon que, comme l'idée de moy- |mefme, elle eft née & produite auec moy dés lors que i'ay efté creé. Et certes on ne doit pas trouuer eftrange que Dieu, en me ceréant, ait mis en moy cette idée pour eftre comme la marque de Vouurier emprainte far fon owurage; & il n’ef pas auifi neceffaire que cette marque foit quelque chofe de different de ce mefme owurage. Mais de cela feul que Dieu m’a creé, il eft fort croyable ‘qu'il m'a en quelque facon produit a fon image & femblance, & que ie congoy cette reffemblance (dans laquelle V'idée de Diew fe trouue contenut) par la mefme faculté par laquelle ie me congoy moy-meime; ceft & dire que, lorfque ie fais reflexion fur moy, non feulement ie connois que ie fuis'vne chofe imparfaite, incomplete, & dependante daurruy, qui tend & qui afpire fans ceffe a quelque chofe de meilleur & de plus grand que ie ne fuis, mais ie connois aulfi, en mefme temps, que celuy duquel ie dépens, poffede en foy toutes ces grandes chofes aufquelles i'afpire, & dont ie trowue en moy les idées, non pas indefiniment & feulement en puiffance, mais quiil en iouit en effeft, a€uellement & infiniment, & ain quill eft Dieu. Et toute la force de Vargument dont iay iey wie pour prouuer Vexiftence de Dieu, confifte en ce que ie reconnois quill ne feroit pas pofible | que ma nature fufttelle qu'elle eft, c'et a dire que i'eulfe en moy Vidée d'vn Dieu, fi Diew n'exiftoit verita- Dlement; ce mefme Dieu, dif-je, duquel I'idée eft en moy, ceft & dire qui poffede toutes ces | hautes perfeétions, dont noftre efprit peut bien auoir quelque idée fans pourtant les comprendre toutes, qui n’eft fujet A aucuns deffauts, & qui n'a rien de toutes les chofes qui marquent quelque imperfeétion. Dioi il et afer euident qu'il ne peut eftre trompeur, puifque la lumiere naturelle nous enfeigne que la tromperie depend neceffa rement de quelque deffat ‘Mais, auparauant que ‘examine cela plus foigneufement, & que ie paffe & la confideration des autres veritez que Von en peut re- cuilliz, il me femble tres a propos de m'arrefter quelque temps & la contemplation de ce Dieu tout parfait, de pefer tout a loifir fes metueilleux attributs, de confiderer, d'admirer & d'adorer Vineom- parable beauté de cette immenfe lumiere, au moins autant que la force de mon efprit, qui en demeure en quelque forte éblouy, me le poura permettre,

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