Séance : lecture linéaire 3, extrait du Postambule : « Sous l’Ancien Régime… »
Sous l’Ancien Régime, tout était vicieux, tout était coupable ; mais ne pourrait-on pas apercevoir
l’amélioration des choses dans la substance même des vices ? Une femme n’avait besoin que d’être belle
ou aimable ; quand elle possédait ces deux avantages, elle voyait cent fortunes à ses pieds. Si elle n’en
profitait pas, elle avait un caractère bizarre, ou une philosophie peu commune, qui la portait au mépris des
richesses ; alors elle n’était plus considérée que comme une mauvaise tête ; la plus indécente se faisait
respecter avec de l’or ; le commerce des femmes était une espèce d’industrie reçue dans la première
classe, qui, désormais, n’aura plus de crédit. [S’il en avait encore, la Révolution serait perdue, et sous de
nouveaux rapports, nous serions toujours corrompus ; cependant la raison peut-elle se dissimuler que tout
autre chemin à la fortune est fermé à la femme que l’homme achète, comme l’esclave sur les côtes
d’Afrique.] La différence est grande ; on le sait. L’esclave commande au maître ; mais si le maître lui donne
la liberté sans récompense, et à un âge où l’esclave a perdu tous ses charmes, que devient cette
infortunée ? Le jouet du mépris ; les portes même de la bienfaisance lui seront fermées ; elle est pauvre et
vieille, dit-on ; pourquoi n’a-t-elle pas su faire fortune ? D’autres exemples encore plus touchants s’offrent
à la raison. Une jeune personne sans expérience, séduite par un homme qu’elle aime, abandonnera ses
parents pour le suivre ; l’ingrat la laissera après quelques années, et plus elle aura vieilli avec lui, plus son
inconstance sera inhumaine ; si elle a des enfants, il l’abandonnera de même. S’il est riche, il se croira
dispensé de partager sa fortune avec ses nobles victimes. Si quelque engagement le lie à ses devoirs, il en
violera la puissance en espérant tout des lois. S’il est marié, tout autre engagement perd ses droits. Quelles
lois reste-t-il donc à faire pour extirper le vice jusque dans la racine ? Celle du partage des fortunes entre
les hommes et les femmes, et de l’administration publique.
Situation du texte : dans le postambule de DDFC, après avoir apostrophé les femmes pour qu’elles revendiquent
leurs droits ; ODG a aussi démontré comment la femme sous l’Ancien Régime, pour trouver sa place dans la société,
était à la fois « méprisable » par les actions coupables auxquelles elle devait se livrer (assassinats, prostitution,
espionnage), et « respectée » (par les puissants, ces actions se faisant au profit de ceux-là mêmes).
Le texte : ODG poursuit sa dénonciation de la situation de la femme sous l’Ancien Régime et dans le mariage, en
faisant une comparaison marquante avec l’esclavage.
Problématique : Quel rôle ce constat sur la situation de la femme sous l’Ancien régime et dans le mariage joue-t-il
dans la stratégie argumentative d’ODG ?
Mouvements de l’extrait :
- Du début à « (…) Afrique » : la corruption de la femme sous l’AR + phrase de transition
- De « La différence (…) » à « (…) perd ses droits » : l’esclavage dans le mariage et hors du mariage
- De « Quelles lois (…) ? » à la fin : proposition révolutionnaire…
1/ La femme sous l’Ancien régime
Dans ce premier mvt, ODG poursuit sa description de la
situation de la femme sous l’AR pour imposer l’idée qu’une
évolution est possible.
Ouverture par un rythme ternaire, parallélisme et
Sous l’Ancien Régime, tout était vicieux, tout était hyperboles négatives qui mettent en évidence la
coupable ; mais ne pourrait-on pas apercevoir dénonciation de l’AR, époque révolue que l’on repère
l’amélioration des choses dans la substance même avec les imparfaits.
des vices ?
Question rhétorique qui s’oppose à la remarque
précédente, au conditionnel , et qui propose au lecteur
l’idée d’un changement par l’observation même des
défauts de la société (ici, le fait que la femme est vue
comme un objet) ; plus posée que dans son apostrophe à
l’homme, ODG suggère par l’utilisation du pronom
indéfini « on » que chacun est susceptible de faire
l’observation et le raisonnement qui suivent.
Phrase restrictive qui précise avec ironie les « besoins »
Une femme n’avait besoin que d’être belle ou
d’une femme, la beauté et l’amabilité, qu’elle associe à
aimable ; quand elle possédait ces deux avantages,
elle voyait cent fortunes à ses pieds. Si elle n’en des valeurs pécuniaires dans une première sub.
profitait pas, elle avait un caractère bizarre, ou une d’hypothèse (« quand ») et qu’elle reprend quelques
philosophie peu commune, qui la portait au mépris lignes plus tard; on peut remarquer l’antithèse entre
des richesses ; alors elle n’était plus considérée que « deux » et « cent » (→ il en fallait peu à une femme pour
comme une mauvaise tête ; la plus indécente se faire fortune). ODG dans cette partie insiste sur
faisait respecter avec de l’or ; l’inversion des valeurs sous l’AG : c’est l’argent qui
prime, non la morale, comme l’indique la 2e sub.
d’hypothèse (« si elle n’en profitait pas…), d’où « la plus
indécente se faisait respecter » (noter l’antithèse entre
« indécente » et « respecter ») qui doit choquer le
lecteur. Puis la fréquentation (« le commerce ») des
femmes est ravalée à une vague pratique marchande
(« espèce d’industrie » qui choséfie ou réifie la femme)
le commerce des femmes était une espèce s’opérant au sein du pouvoir, de la noblesse de cour (« la
d’industrie reçue dans la première classe, qui, première classe »).
désormais, n’aura plus de crédit. S’il en avait encore, ODG affirme au futur simple que cette pratique va
la Révolution serait perdue, et sous de nouveaux disparaître puisque la révolution a aboli les privilèges ;
rapports, nous serions toujours corrompus ; elle impose cette idée encore dans la phrase suivante, qui
contient un prop.sub. d’hypothèse et sa conséquence, et
qui est mise en valeur par un jeu de rimes croisées ; elle
indique par des termes négatifs forts (« perdue »,
corrompus ») que les révolutionnaires dont elle fait
partie (« nous ») ne peuvent pas envisager la poursuite
des pratiques de l’AR, s’ils ont compris sa démarche.
Phrase de transition
Connecteur d’opposition qui nuance l’espoir suscité par la
Cependant la raison peut-elle se dissimuler que tout phrase précédente. Par une personnification (« la raison peut-
autre chemin à la fortune est fermé à la femme que
elle »), ODG s’adresse implicitement aux révolutionnaires
l’homme achète, comme l’esclave sur les côtes
héritiers des Lumières et dresse le constat que la femme est
d’Afrique.
toujours présentée comme un objet (« que l’homme achète »),
et choque – volontairement- par la comparaison avec l’esclave,
puisque la femme est, comme l’esclave, réifiée, et qu’elle est
privée de toute possibilité d’acquérir des biens, et de toute
liberté.
2/ L’esclavage dans le mariage
En effet, Révolution n’a pas encore aboli tous les anciens
usages qui font de la femme un objet. Le mariage en est la
preuve.
La différence est grande ; on le sait. L’esclave Elle nuance cependant sa comparaison dans la phrase suivante
commande au maître ; mais si le maître lui donne la en admettant que « la différence est grande », mais insiste et file
liberté sans récompense, et à un âge où l’esclave a malgré tout la métaphore puisque l’esclave dont elle parle est
perdu tous ses charmes, que devient cette bien la femme, et le maître le mari. Elle installe alors un registre
infortunée ? Le jouet du mépris ; les portes même pathétique (ne pas oublier que ce postambule s’adresse aux
de la bienfaisance lui seront fermées ; elle est femmes : il s’agit de les faire réagir !) qui montre la femme
pauvre et vieille, dit-on ; pourquoi n’a-t-elle pas su comme une victime du système et des hommes. Un premier
faire fortune ?
exemple montre l’état lamentable dans lequel une femme peut
se trouver : le divorce à un âge avancé où la femme a perdu ses
charmes. Comme dans le 1er mvt, ODG met en évidence
l’inversion des valeurs, puisqu’une femme qui a vécu
vertueusement (qui « n’a pas su faire fortune ») est condamnée à
la misère. A nouveau on note une réification dans la métaphore :
« le jouet du mépris ».
S’ensuit une série de propositions subordonnées d’hypothèse qui
D’autres exemples encore plus touchants s’offrent à révèlent les multiples cas où la femme, cette fois-ci plus jeune, se
la raison. Une jeune personne sans expérience, trouve condamnée du seul fait d’être mariée et qui doivent
séduite par un homme qu’elle aime, abandonnera
toucher l’homme éclairé (« la raison »): l’abandon ; le refus de
ses parents pour le suivre ; l’ingrat la laissera après
quelques années, et plus elle aura vieilli avec lui,
laisser un héritage; le recours du mari à la loi pour annuler un
plus son inconstance sera inhumaine ; si elle a des contrat qui l’obligerait à verser une pension ; l’adultère qui
enfants, il l’abandonnera de même. S’il est riche, il évidemment ne procure aucun soutien aux femmes (maîtresses).
se croira dispensé de partager sa fortune avec ses Dans cette énumération ou accumulation, ODG souligne
nobles victimes. Si quelque engagement le lie à ses l’absence de scrupule des hommes (« l’ingrat », le champ lexical
devoirs, il en violera la puissance en espérant tout de l’abandon), leur immoralité (« inhumaine »« se croira
des lois. S’il est marié, tout autre engagement perd dispensé», « violera ») mais aussi l’immoralité des lois qui
ses droits. défendent avant tout l’homme.
3/ La proposition d’ODG
Ayant dressé le constat que même sous la Révolution, la femme
mariée est entièrement soumise à l’homme, corrompu lui-
même par ces mœurs de l’ancien temps, l’autrice conclut qu’il
faut changer et propose des mesures.
Quelles lois reste-t-il donc à faire pour extirper le L’interrogative reprend celle du début du premier mouvement
vice jusque dans la racine ? Celle du partage des mais en précise la finalité : faire de nouvelles lois. La tâche
fortunes entre les hommes et les femmes, et de s’annonce ardue car les mœurs sont difficiles à changer
l’administration publique. (métaphore : « extirper le vice jusqu’à la racine »). Il s’agit
d’établir une répartition égale des biens au sein du mariage
entre l’homme et la femme (« partage ») et donner l’accès aux
femmes (surtout les plus pauvres, voir suite du texte) aux postes
de l’administration. (voir articles 13 et 14 de la DDFC)
Conclusion : extrait dont le raisonnement repose sur une double comparaison : celle de la femme mariée sous la
Révolution et celle de la femme sous l’AR ; celle de la femme mariée à l’esclave. La progression du texte et le registre
pathétique montrent la volonté d’ODG de sensibiliser son lecteur à la condition féminine qui n’a pas évolué et
d’amener ses collègues révolutionnaires, et surtout les députés, à prendre des mesures en faveur des femmes.
Femme révoltée, Olympe de Gouges est aussi une femme politique capable de proposer des mesures progressistes à
la société.
Ouverture : 1ère partie du texte : Mme de Merteuil dans Les Liaisons dangereuses. 2e : articles XIII et XIV de la
DDFC, la forme du contrat social de l’homme et de la femme, L’Ecole de Femmes, Les femmes savantes…
ou phrase montrant que ce texte porte en germe la dénonciation de l’esclavage (voir LL 3 par exemple, ou un
texte du parcours associé).
Séance 4 : lecture linéaire 2
Sous l’ancien régime, tout était vicieux, tout était coupable ; mais ne pourrait-on pas
apercevoir l’amélioration des choses dans la substance même des vices ? Une femme
n’avait besoin que d’être belle ou aimable ; quand elle possédait ces deux avantages, elle
voyait cent fortunes à ses pieds. Si elle n’en profitait pas, elle avait un caractère bizarre, ou
une philosophie peu commune, qui la portait au mépris des richesses ; alors elle n’était plus
considérée que comme une mauvaise tête : la plus indécente se faisait respecter avec de
l’or ; le commerce des femmes était une espèce d’industrie reçue dans la première classe,
qui, désormais, n’aura plus de crédit. S’il en avait encore, la révolution serait perdue, et
sous de nouveaux rapports, nous serions toujours corrompus ; cependant la raison peut-
elle se dissimuler que tout autre chemin à la fortune est fermé à la femme que l’homme
achète, comme l’esclave sur les côtes d’Afrique. La différence est grande ; on le sait.
L’esclave commande au maître ; mais si le maître lui donne la liberté sans récompense, et à
un âge où l’esclave a perdu tous ses charmes, que devient cette infortunée ? Le jouet du
mépris ; les portes même de la bienfaisance lui seront fermées ; elle est pauvre et vieille,
dit-on ; pourquoi n’a-t-elle pas su faire fortune ? D’autres exemples encore plus touchants
s’offrent à la raison. Une jeune personne sans expérience, séduite par un homme qu’elle
aime, abandonnera ses parents pour le suivre ; l’ingrat la laissera après quelques années, et
plus elle aura vieilli avec lui, plus son inconstance sera inhumaine ; si elle a des enfants, il
l’abandonnera de même. S’il est riche, il se croira dispensé de partager sa fortune avec ses
nobles victimes. Si quelque engagement le lie à des devoirs, il en violera la puissance en
espérant tout des lois. S’il est marié, tout autre engagement perd ses droits. Quelles lois
reste-t-il donc à faire pour extirper le vice jusque dans la racine ? Celle du partage des
fortunes entre les hommes et les femmes, et de l’administration publique.