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Eureka Ou Essai Sur L Univers Matériel

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NYPL RESEARCH LIBRARIES

3 3433 07023776 7
yco

Poe
EUREKA

PAR

EDGAR POE
1074

TRADUIT PAR

CHARLES BAUDELAIRE

r
i
b

PARIS
MICHEL LÉVY , FRÈRES , LIBRAIRES ÉDITEURS
RUE VIVIENNE , 2 BIS , ET BOULEVARD DES ITALIENS , 15
A LA LIBRAIRIE NOUVELLE
-
1864

Tous droits réservés


THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY

152726B
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1941 L
R
EXTRAIT DE LA BIOGRAPHIE

D'EDGAR POE

PAR RUFUS GRISWOLD

Pendant près d'un an , M. Poe ne se mani-

festa que rarement au public ; mais il était

peut-être plus actif qu'il n'avait été en aucun


temps ; et, au commencement de 1848 , ilfit

annoncer son intention de donner quelques

lectures, dans le but de gagner une somme

d'argent suffisante pour fonder ce fameux ma-

gazine mensuel qu'il rêvait depuis si longtemps .


a
II EXTRAIT DE LA BIOGRAPHIE

Sa première lecture , qui fut aussi la seule qu'il

donna à cette époque , eut lieu à la Society Li-

brary, à New-York, le 9 février , et avait pour

sujet la Cosmogonie Universelle ; elle fut écou-

tée par un auditoire éminemment intellectuel ,

et occupa environ deux heures et demie. C'é-

tait ce qu'il publia plus tard sous ce titre : Eu-

reka, poëme en prose.

Il avait employé dans la composition de cet

ouvrage ses plus subtiles et ses plus hautes fa-

cultés , dans leur plus parfait développement .


Commençant par nier que les arcanes de l'uni-

vers puissent être explorés par la pure induc-

tion , mais armant son imagination des divers

résultats de la science, il entra avec une har-


-
diesse imperturbée, quoique sans aucun autre

guide que l'instinct divin , que ce sens de beauté

où notre grand Edwards prétend retrouver l'é-

panouissement de toute vérité , - dans l'océan

de la spéculation , et il y bâtit , avec les lois


D'EDGAR POE III

concordantes et leurs phénomènes , sa théorie

de la Nature , comme sous l'influence d'une in-

spiration scientifique . Je n'entreprendrai pas la

tâche difficile de condenser ici ses propositions .

— que nous nommons Gra-


« La Loi , — dit-il ,

vitation, existe en raison de ce que la Matière

a été , à son origine , irradiée atomiquement ,

dans une sphère limitée d'espace , d'une Par-

ticule Propre , unique , individuelle , incondi-

tionnelle, indépendante et absolue , selon le

seul mode qui pouvait satisfaire à la fois aux


deux conditions d'irradiation et de distribution

généralement égales à travers la sphère ,

c'est-à-dire par une force variant en proportion

directe des carrés des distances comprises en-

tre chacun des atomes irradiés et le centre spé-


cial d'Irradiation . >>

Poe était entièrement persuadé qu'il avait


découvert le grand secret ; que les propositions

d'Eureka étaient vraies ; il avait coutume de


IV EXTRAIT DE LA BIOGRAPHIE

parler de ce sujet avec un enthousiasme su-

blime et électrisant, que n'ont pu oublier ceux

qui étaient liés avec lui à l'époque de sa publi-

cation . Il sentait qu'un auteur , connu seule-

ment par ses aventures dans la littérature

légère , jetant le gant aux docteurs de la

science, ne pouvait s'attendre à une complète

équité, et qu'il n'avait d'espoir que dans des


discussions présidées par la sagesse et la bonne

foi . Comme il me rencontrait, il me dit : «


< Avez-

vous lu Eureka ? » Je lui répondis : «< Pas en-

core; tout à l'heure je jetais un coup d'œil sur

le compte-rendu qu'en a fait Willis , qui pense

que l'ouvrage ne contient pas plus de réalité


que d'imagination , et je vois avec peine , si

la chose est vraie , - qu'il insinue qu'Eureka


ressemble par le ton à ce ramas de prétendues

et surannées hypothèses , à l'adresse des rê-

veurs novices , qui s'appelle les Vestiges de la

Création ; et notre excellent et sage ami Bush,


D'EDGAR POE

que vous reconnaîtrez sans doute , parmi tous

les professeurs , pour l'esprit le plus habituelle-

ment équitable , pense que , bien que vous ayez

en effet conjecturé avec beaucoup de sagacité ,

il ne serait cependant pas malaisé d'entraver

par maintes difficultés la marche de votre doc-


— -
trine . >> << Il n'est pas du tout généreux , -

me répliqua Poe , d'insinuer qu'il y a des

difficultés et de ne pas expliquer de quelles dif-

ficultés il s'agit . Je réclame moi- même une

vérification de toutes les propositions du livre .

Je nie qu'il y ait une difficulté quelconque au-

devant de laquelle je ne sois pas allé et que je

n'aie surmontée . On me fait outrage par l'ap-

plication du mot conjecturer . Rien n'a été gra-

tuitement supposé par moi , et tout a élé

prouvé . >>

Dans sa préface , il disait : « A ceux-là , si

rares , qui m'aiment et que j'aime ; à ceux qui

sentent plutôt qu'à ceux qui pensent ; aux rê-


VI EXTRAIT DE LA BIOGRAPHIE

veurs et à ceux qui ont mis leur foi dans les

rêves comme dans les seules réalités , j'offre ce

livre de Vérités , non pas seulement pour son

caractère Véridique , mais à cause de la Beauté

qui abonde dans sa Vérité , et qui confirme son

caractère véridique . A ceux- là je présente cette

composition simplement comme un objet

d'art ; disons : comme un Roman ; ou , si

ma prétention n'est pas jugée trop haute,

comme un Poëme . Ce que j'avance ici est vrai;

donc , cela ne peut pas mourir ; ou si , par

quelque accident , cela se trouve , aujourd'hui ,

écrasé au point d'en mourir , cela ressuscitera


dans la vie éternelle . »

Quand je lis Eureka , je ne puis m'empêcher

de considérer cet ouvrage comme immensé-

ment supérieur aux Vestiges de la Création et

comme révélant un bien autre génie ; et de

même que j'admire le poëme ( en exceptant

toutefois cette malheureuse tentative de gouail-


D'EDGAR POE VII

lerie humouristique incluse dans ce que l'au-

teur nous donne comme une lettre trouvée

dans une bouteille flottant sur le Mare tenebra-

rum) , de même aussi j'y vois avec chagrin le

panthéisme dominant , lequel , d'ailleurs , n'é-

tait pas nécessaire à son dessein principal . A

quelques-unes des critiques faites sur le livre,

il répondit en ces termes , dans une lettre

adressée à M. C. F. Hoffman , alors éditeur

du Literary World.

<< Cher monsieur , dans votre numéro du

29 juillet, je trouve quelques commentaires

sur Eureka, un livre récent de moi ; et je vous

connais trop bien pour vous supposer un seul

instant capable de me dénier le privilége d'une

brève réponse . Je sens même que je pourrais à

coup sûr réclamer de M. Hoffman le droit que

possède tout auteur de répliquer à son critique


ton pour ton, ―― c'est-à-dire de renvoyer à

votre correspondant plaisanterie pour plaisan-


1

VIII EXTRAIT DE LA BIOGRAPHIE

terie et raillerie pour raillerie ; mais , en pre-

mier lieu , je ne désire pas faire honte au Li-

terary World, et, ensuite , je sens que si , dans

le cas présent, je commençais à railler , je n'en

finirais jamais . Lamartine blâme Voltaire pour

l'usage que celui-ci fit souvent de la super-

cherie et de la calomnie dans ses attaques con-

tre les prêtres ; mais nos jeunes étudiants en

théologie ne semblent pas se douter que, quand

ils entreprennent la défense ou ce qu'ils

croient être la défense du christianisme , il y

ait une sorte de péché dans certaines légè-

retés mondaines , comme celle, par exemple ,

qui consiste à altérer délibérément le texte


d'un auteur , pour ne rien dire ici de l'in-

convenance moindre de rendre compte d'un

livre sans l'avoir lu et sans avoir le plus léger

soupçon des questions qui y sont agitées .

<< Vous comprenez que c'est simplement aux

falsifications de la critique en question que j'ai


D'EDGAR POE IX

la prétention de répondre , les opinions de

l'auteur ne pouvant avoir , en elles- mêmes ,

aucune importance pour moi , et n'en pouvant

avoir, j'imagine , qu'une très-petite pour lui-

même, — si toutefois il se connaît personnel-

lement aussi bien que j'ai , moi , l'honneur de

le connaître . La première altération est conte-

nue dans cette phrase : « Cette lettre est une

sanglante bouffonnerie contre les méthodes

préconisées par Aristote et Bacon pour recon-

naître la Vérité ; l'auteur les ridiculise et les

méprise également , et il se lance, en proie à

une sorte d'extase divagante , dans la glorifica-

tion d'un troisième mode , le noble art de con-

jecturer. » Voici , en réalité , ce que j'ai dit :

<<< Il n'existe pas de certitude absolue , pas plus

dans la méthode d'Aristote que dans celle de

Bacon ; donc , aucune des deux philosophies

n'est si profonde qu'elle se l'imagine , et au-

cune n'a le droit de se moquer de ce procédé


X EXTRAIT DE LA BIOGRAPHIE

en apparence imaginatif qu'on appelle Intui-

tion (par lequel procédé le grand Képler a

trouvé ses fameuses lois) , puisque l'Intuition

n'est, en somme , que la conviction naissant

d'inductions ou de déductions dont la marche

a été assez mystérieuse pour échapper à notre

conscience , se soustraire à notre raison , ou dé-

fier notre puissance d'expression . >>

<< La seconde altération est formulée en ces

termes : « Le développement de l'électricité et

la formation des étoiles et des soleils , lumi-

neux et non lumineux , lunes et planètes , avec

leurs anneaux , etc. , est déduit , en presque

complète accordance avec la théorie cosmogo-

nique de Laplace, du principe proposé précé-

demment . » Or , l'étudiant en théologie veut

évidemment ici frapper l'esprit du lecteur de

cette idée , que m'a théorie , si parfaite en soi

qu'elle puisse être , ne contient rien de plus

que celle de Laplace , sauf quelques modifica-


D'EDGAR POE XI

tions que lui , l'étudiant en théologie , consi-

dère comme insignifiantes . Je dirai simple-

ment qu'aucun homme d'honneur ne peut

m'accuser de la mauvaise foi dont on me sup-

pose ici capable ; d'autant que , ayant d'abord

marché, appuyé sur ma seule théorie , jusqu'au

point où elle se rencontre , avec celle de La-

place, je reproduis alors complétement la théo-

rie de Laplace, en exprimant ma ferme convic-

tion qu'elle est absolument vraie en tous points .

L'espace embrassé par le grand astronome

français est à celui embrassé par ma théorie ,

comme une bulle est à l'océan sur lequel elle

flotte , et il ne fait pas , lui , Laplace , la plus légère

allusion au principe proposé précédemment,

c'est-à-dire au principe de l'Unité pris comme

source de tous les êtres , le principe de la

Gravitation n'étant que la Réaction de l'Acte

Divin par lequel tous les êtres ont été irradiés

de l'Unité . En somme , Laplace n'a pas même


XII EXTRAIT DE LA BIOGRAPHIE

fait allusion à un seul des points de ma

théorie .

« Je ne crois pas nécessaire de parler ici du

savoir astronomique manifesté par l'étudiant

en théologie dans ces seuls mots : « des étoiles

et des soleils , » ni d'insinuer qu'il eût été

plus grammatical de dire « le développe-

ment et la formation sont... » au lieu de : « le

développement et la formation est...


1 »

« La troisième falsification se trouve dans

une note au bas d'une page , où le critique dit :

<< Bien mieux encore , M. Poe prétend qu'il

peut rendre compte de l'existence de tous les

êtres organisés, y compris l'homme , simple-

ment par les mêmes principes qui servent à

expliquer l'origine et l'apparence actuelle des

soleils et des mondes ; mais cette prétention

doit être rejetée comme une pure et plate as-

sertion , sans une parcelle d'évidence . C'est, en


d'autres termes, ce que nous pouvons appeler
D'EDGAR POE XIII

une franche blague. » Ici la falsification gît

dans une fausse application volontaire du mot

principe. Je dis volontaire , parce que , à la

page 105 , j'ai pris un soin particulier d'éta-


blir une distinction entre les principes pro-

prement dits , Attraction et Répulsion , et ces

sous-principes, purs résultats des premiers ,

qui régissent l'univers dans le détail . C'est à

ces sous-principes, agissant sous l'influence

spirituelle immédiate de la Divinité , que j'at-

tribue , sans examen , tout ce dont , selon la

très-leste assertion de l'étudiant en théologie,

j'expliquerais l'existence par les principes qui

expliquent la constitution des soleils , etc.

<<< Dans la troisième colonne de son article ,

le critique dit : « Il affirme que chaque âme

est son propre Dieu , son propre Créateur . » Ge

que j'affirme , c'est que chaque âme est , partiel-

lement , son propre Dieu , son propre Créateur . »

Un peu plus loin le critique dit : « Après


XIV EXTRAIT DE LA BIOGRAPHIE

toutes ces propositions contradictoires relatives

à Dieu , nous lui rappellerions volontiers ce

qu'il a établi lui- même à la page 43 : « Rela-

tivement à cette Divinité , considérée en elle-

-même , celui-là seul n'est pas un imbécile ,

celui-là seul n'est pas un impie , qui n'affirme

absolument rien . » Un homme qui se déclare

lui-même , d'une manière si décisive , coupable


d'imbécillité et d'impiété, n'a pas droit à une

plus longue réfutation . »

«
< Or, la phrase , comme je l'ai écrite , et

comme je la trouve imprimée à cette même

page invoquée par le critique , et qu'il devait

avoir sous les yeux , pendant qu'il citait mes

paroles , se présente ainsi : « Relativement à

cette Divinité , considérée en elle-même , celui-

là seul n'est pas un imbécile , etc ……, qui n'af-


firme absolument rien . » Par l'emploi des

italiques , comme le critique le sait parfaite-

ment, j'ai l'intention de distinguer les deux


D'EDGAR POE XV

possibilités , celle d'une connaissance de

Dieu par ses ouvrages et celle d'une connais-

sance de Dieu dans sa nature essentielle . La

Divinité, en elle-même, est distinguée de la

Divinité observée dans ses effets. Mais notre

critique est possédé de zèle . De plus, comme

il est théologien , il est honnête , candide . Il est

de son devoir de pervertir le sens de ma phrase ,

en omettant mes italiques, - juste comme

dans la phrase citée plus haut il considérait


comme étant son devoir de chrétien de falsi-

fier mon argument en supprimant le mot :

partiellement , dont dépend toute la force et

même toute l'intelligibilité de ma propo-


sition .

« Si ces altérations (est-ce bien le mot dont

il faut les nommer?) étaient faites dans un but

moins sérieux que de flétrir mon livre comme

impie, et de me flétrir moi- même comme pan-

théiste, polytheiste , païen , ou Dieu sait quoi


XVI EXTRAIT DE LA BIOGRAPHIE

encore ( ct , en vérité , je ne m'en inquiète

guère, pourvu que ce ne soit pas comme élu-

diant en théologie) , j'aurais laissé passer cette

déloyauté sans réclamations , par pur mépris

pour la puérilité et la janoterie qui la ca-

ractérisent ; mais , dans le cas actuel , vous

me pardonnerez , M. l'éditeur , d'avoir , con-

traint comme je l'étais , fait justice d'un

critique qui, retranché dans sa courageuse

anonymosité, profite de mon absence de cette

ville pour me calomnier et me vilipender no-

minativement.

« EDGAR A. POE .

« Fordham, 20 septembre 1848. »


A ceux-là , si rares , qui m'aiment et que j'aime; - à ceux
qui sentent plutôt qu'à ceux qui pensent; -- aux rêveurs et à
ceux qui ont mis leur foi dans les rêves comme dans les seules
réalités, — j'offre ce Livre de Vérités, non pas spécialement
pour son caractère Véridique , mais à cause de la Beauté qui
abonde dans sa Vérité , et qui confirme son caractère véridique.
A ceux-là je présente cette composition simplement comme un
objet d'Art ; disons comme un Roman, ou , si ma prétention
n'est pas jugée trop haute , comme un Poëme.
Ce que j'avance ici est vrai ; donc cela ne peut pas
1
2

mourir; - ou, par quelque accident cela se trouve, aujour-


d'hui, écrasé au point d'en mourir, cela ressuscitera dans la
Vie Éternelle.
Néanmoins c'est simplement comme Poëme que je désire que
cet ouvrage soit jugé, alors que je ne serai plus .

E. P.
EUREKA

OU

ESSAI SUR L'UNIVERS

MATÉRIEL ET SPIRITUEL

C'est avec une humilité non affectée , - c'est

même avec un sentiment d'effroi , ― que j'écris la

phrase d'ouverture de cet ouvrage ; car de tous les


sujets imaginables , celui que j'offre au lecteur est le

le plus solennel , le plus vaste , le plus difficile , le plus


auguste .
Quels termes saurai - je trouver, suffisamment
- suffisamment su-
simples dans leur sublimité ,
blimes dans leur simplicité , pour la simple
énonciation de mon thème ?
4 EUREKA

Je me suis imposé la tâche de parler de l'Univers


Physique, Métaphysique et Mathématique, - Ma-

tériel et Spirituel : de son Essence , de son Ori-


gine, de sa Création , de sa Condition présente et
de sa Destinée. Je serai , de plus , assez hardi pour
contredire les conclusions et conséquemment pour

mettre en doute la sagacité des hommes les plus

grands et les plus justement respectés .


Qu'il me soit permis , en commençant , d'annon-

cer, non pas le théorème que j'espère démontrer


(car, quoi que puissent affirmer les mathémati-

ciens , la chose qu'on appelle démonstration n'existe


pas , en ce monde du moins) , mais l'idée dominante
que, dans le cours de cet ouvrage , je m'efforcerai

sans cesse de suggérer .


Donc , ma proposition générale est celle- ci : Dans

l'Unité Originelle de l'Être Premier est contenue la


Cause Secondaire de Tous les Êtres , ainsi que le
Germe de leur inévitable Destruction .

Pour élucider cette idée , je me propose d'embras-

ser l'Univers dans un seul coup d'œil, de telle sorte

que l'esprit puisse en recevoir et en percevoir une


EUREKA

impression condensée , comme d'un simple in-


dividu .

Celui qui du sommet de l'Etna promène à loisir


ses yeux autour de lui , est principalement affecté
par l'étendue et par la diversité du tableau , Ce ne

serait qu'en pirouettant rapidement sur son talon


qu'il pourrait se flatter de saisir le panorama dans

sa sublime unité. Mais comme , sur le sommet de

l'Etna , aucun homme ne s'est avisé de pirouetter

sur son talon , aucun homme non plus n'a jamais

absorbé dans son cerveau la parfaite unité de cette


perspective , et conséquemment toutes les considé-

rations qui peuvent être impliquées dans cette unité

n'ont pas d'existence positive pour l'humanité .


Je ne connais pas un seul traité qui nous donne

cette levée du plan de l'Univers (je me sers de ce


terme dans son acception la plus large et la seule
légitime ) ; et c'est ici l'occasion de remarquer que

par le mot Univers , toutes les fois qu'il sera employé

dans cet essai sans qualificatif , j'entends désigner la


quantité d'espace la plus vaste que l'esprit puisse

concevoir , avec tous les êtres , spirituels et maté-


EUREKA

riels, qu'il peut imaginer existant dans les limites

de cet espace. Pour désigner ce qui est ordinaire-

ment impliqué dans l'expression univers , je me ser-

virai d'une phrase qui en limite le sens : l'Univers

astral. On verra par la suite pourquoi je considère


cette distinction comme nécessaire .

Mais, même parmi les traités qui ont pour objet


l'Univers des étoiles , réellement limité , bien qu'il

soit toujours considéré comme illimité, je n'en

connais pas un seul dans lequel un aperçu s'offre


de telle facon que les déductions en soient ga-
ranties par l'individualité même de cet Univers
limité. La tentative qui se rapproche le plus
d'un pareil ouvrage a été faite dans le Cosmos

d'Alexander von Humboldt . Il présente le sujet,

toutefois , non dans son individualité , mais dans sa


généralité . Son thème, en résultat final , c'est la loi

de chaque partie de l'Univers purement physique ,

selon que cette loi est apparentée avec les lois de

toute autre partie de cet Univers purement physi-

que . Son dessein est simplement synérétique . En un


mot, il analyse l'universalité des rapports matériels ,
EUREKA 7

et dévoile aux yeux de la Philosophie toutes les con-

séquences qui étaient restées , jusqu'à présent , ca-


chées derrière cette universalité . Mais quelque ad-
mirable que soit la brièveté avec laquelle il a traité

chaque point particulier de son sujet , la multipli-


cité de ces points suffit pour créer une masse de

détails et, nécessairement , une complication d'idées


qui exclut toute impression d'individualité.
Il me semble que, pour obtenir l'effet en ques-

tion, ainsi que les conséquences , les conclusions ,


les suggestions , les spéculations , ou , pour mettre
les choses au pire , les simples conjectures qui en

peuvent résulter , nous aurions besoin d'opérer une


espèce de pirouette mentale sur le talon . Il faut

que tous les êtres exécutent autour du point de vue


central une révolution assez rapide pour que les
détails s'évanouissent absolument et que les objets

même plus importants se fondent en un seul . Parmi


les détails annihilés dans une contemplation de cette
nature doivent se trouver toutes les matières exclu-

sivement terrestres . La Terre ne pourrait être con-


sidérée que dans ses rapports planétaires . De ce
8 EUREKA

point de vue , un homme devient l'humanité ; et

l'humanité , un membre de la famille cosmique des


Intelligences.
II

Et maintenant, avant d'entrer positivement dans


notre sujet, qu'il me soit permis d'appeler l'atten-
tion du lecteur sur un ou deux extraits d'une lettre

passablement curieuse, qu'on dit avoir été trouvée

dans une bouteille bouchée , pendant qu'elle flottait


sur le Mare Tenebrarum , - océan fort bien décrit

par Ptolémée Héphestion , le géographe nubien , mais


bien peu fréquenté dans les temps modernes , si ce

n'est par les transcendantalistes et autres chercheurs


d'idées creuses .

La date de cette lettre me cause , je l'avoue , en-


1.
10 EUREKA

core plus de surprise que son contenu ; car elle


semble avoir été écrite en l'an deux mil huit cent

quarante-huit . Quant aux passages que je vais


transcrire, je présume qu'ils parleront suffisam-
ment par eux-mêmes :

« Savez-vous , mon cher ami , » dit l'écrivain ,


s'adressant évidemment à un de ses contemporains ,

<< savez-vous qu'il n'y a guère plus de huit ou neuf

cents ans que les métaphysiciens ont consenti pour


la première fois à délivrer le peuple de cette étrange

idée : qu'il n'existait que deux routes praticables


conduisant à la Vérité ? Croyez cela , si vous le

pouvez ! Il paraît cependant que dans un temps


ancien, très-ancien , au fond de la nuit du temps ,
vivait un philosophe turc nommé Aries et sur-
nommé Tottle. » (Peut-être bien l'auteur de la
lettre veut-il dire Aristote ; les meilleurs noms , au

bout de deux ou trois mille ans , sont déplorable-

ment altérés . ) « La réputation de ce grand homme

reposait principalement sur l'autorité avec laquelle


il démontrait que l'éternument était une prévoyance
de la nature , au moyen de laquelle les penseurs
EUREKA 11

trop profonds pouvaient chasser par le nez le su-


perflu de leurs idées ; mais il obtint une célébrité
presque aussi grande comme fondateur , ou tout au

moins comme principal vulgarisateur de ce qu'on

nommait philosophie déductive ou à priori . Il par-


tait de ce qu'il affirmait être des axiomes, ou véri-
tés évidentes par elles - mêmes ; - et ce fait , mainte-

nant bien constaté qu'il n'y a pas de vérités évidentes

par elles-mêmes n'infirme en aucune façon ses spé-


culations ; il suffisait pour son dessein que les vérités
en question fussent, en quelque façon , évidentes .

De ces axiomes il descendait , logiquement, aux con-

séquences . Ses plus célèbres disciples furent un cer-


tain Tuclide , géomètre » (il veut dire Euclide) , « et
un nommé Kant, un Allemand , inventeur de cette

espèce de transcendantalisme qui aujourd'hui porte


encore son nom , sauf la substitution du C au K¹ .

« Or , Aries Tottle prospéra sans rival jusqu'à

l'apparition d'un certain Hog , surnommé le berger


d'Ettrick, qui prêcha un système entièrement diffé-

1 Cant.
2 Pourceau.
12 EUREKA

rentt,, qu'il appelait méthode inductive ou à posteriori .

Son plan se rapportait entièrement à la sensation . Il


procédait par l'observation , analysant et classant

des faits (instantiæ Naturæ, comme on les désignait


assez pédantesquement) , et les transformant en lois

générales . En un mot, pendant que la méthode

d'Aries reposait sur les noumena , celle de Hog dé-


pendait des phainomena ; et l'admiration excitéc

par ce dernier système fut si grande que , dès sa


première apparition , Aries tomba dans un discrédit

général. A la fin cependant , il reconquit du terrain ,

et il lui fut permis de partager l'empire de la phi-


losophie avec son moderne rival ; ---- les savants se

contentant de proscrire tous autres compétiteurs ,


passes , présents et à venir, et mettant fin à toute

controverse sur ce sujet par la promulgation d'une


loi médique, en vertu de laquelle les routes Aristo-
télienne et Baconienne étaient, et de plein droit
devaient être les seules voies possibles pour attein-
dre la connaissance . Baconienne , il faut que

vous sachiez cela , mon cher ami , - ajoute ici


l'auteur de la lettre , était un adjectif inventé
EUREKA 13

comme équivalent à Hoguienne, et considéré en

même temps comme plus noble et plus eupho-

nique.
« Maintenant, je vous affirme très-positivement ,
continue l'épître , -- que je vous expose les

choses d'une manière véridique ; et vous pouvez


comprendre sans peine combien des restrictions

aussi impudemment absurdes ont dû nuire , dans


ces époques , au progrès de la véritable Science , la-

quelle ne fait ses plus importantes étapes que par


bonds, et ne procède , comme nous le montre toute
l'Histoire, que par une apparente intuition . Les
idées anciennes condamnaient l'investigateur à se

traîner ; et je n'ai pas besoin de vous faire observer


que ce genre de marche, parmi les modes variés de

locomotion , est certainement en lui-même très-

estimable ; mais parce que la tortue a le pied sûr ,

est-ce une raison pour couper les ailes de l'aigle ?

Pendant plusieurs siècles , l'engouement fut si

grand , particulièrement pour Hog , qu'un empêche-


ment invincible s'opposa à tout ce qui peut propre-

ment s'appeler la pensée . Aucun homme n'osait


14 EUREKA

proférer une vérité , s'il sentait qu'il ne la devait


qu'à la seule puissance de son âme . Il importait
fort peu que la vérité fût philosophiquement vraie ;

car les philosophes dogmatiseurs de cette époque


s'inquiétaient seulement de la route avouée qui
avait été suivie pour y atteindre. Le résultat, pour

eux , était un point sans aucun intérêt . << Les moyens !


- vociféraient -ils , -voyons
— voyons les moyens ! »>> - et si,

par l'examen desdits moyens , on découvrait qu'ils

ne rentraient ni dans la catégorie Hog, ni dans la


catégorie Aries (qui veut dire bélier) , oh ! alors les

savants ne voulaient pas aller plus loin , mais , trai-


tant le penseur de fou et le stigmatisant du nom de

théoricien, refusaient à tout jamais d'avoir affaire


avec lui ou avec sa vérité.
« Or , mon cher ami , --- continue l'auteur de la

lettre, - il est inadmissible que par la méthode

rampante, exclusivement pratiquée, les hommes

eussent pu atteindre au maximum de vérité , même

après une série indéfinie de temps ; car la répression

de l'imagination était un vice que n'aurait même


pas compensé l'absolue certitude de cette marche de
EUREKA 15

colimaçon . Mais cette certitude était bien loin


d'être absolue . L'erreur de nos ancêtres était tout à

fait analogue à celle du faux sage qui croit qu'il


verra un objet d'autant plus distinctement qu'il le

tiendra plus près de ses yeux . Ainsi ils s'aveu-

glaient eux-mêmes avec l'impalpable et titillante


poudre du détail, comme avec du tabac à priser ; et
conséquemment les faits si vantés de ces braves

Hoguiens n'étaient pas toujours des faits ; point qui


ne tire son importance que de cette supposition , qui
les faisait toujours accepter comme tels . Quoi qu'il

en soit , l'infection principale du Baconianisme , sa


plus déplorable source d'erreurs , consistait dans

cette tendance à jeter le pouvoir et la considération


entre les mains des hommes de pure perception , --

animalcules de la science, savants microscopiques ,


--
fouilleurs et colporteurs de petits faits , tirés

pour la plupart des sciences physiques , faits qu'ils


vendaient tous en détail et au même prix sur la

voie publique ; leur valeur dépendant , à ce qu'il

paraît, de ce simple fait que c'étaient des faits , et


nullement de leur parenté ou de leur non-parenté
EUREKA

avec le développement de ces faits primitifs , les


seuls légitimes, qui s'appellent la Loi .
« Il n'exista jamais sur la face de la terre ,
continue l'audacieuse lettre , - une plus intolé-

rante, une plus intolérable classe de fanatiques et


de tyrans que ces individus , élevés soudainement

par la philosophie de Hog à un rang pour lequel ils


n'étaient pas faits , transportés ainsi de la cuisine
dans le salon de la Science , et de l'office dans la

chaire. Leur crédo , leur texte, leur sermon consis-

taient en un seul mot les faits ! Mais la plupart


d'entre eux , de ce mot unique ne connaissaient
même pas le sens. Quant à ceux qui s'avisaient de

déranger leurs faits dans le but de les mettre en


ordre et d'en tirer utilité, les disciples de Hog les
traitaient sans merci . Tous les essais de généralisa-

tion étaient accueillis par les mots : « Théorique !


Théorie ! Théoricien ! » Toute pensée , en un mot ,

était ressentie par eux comme un outrage per-

sonnel. Cultivant les sciences naturelles , à l'exclu-

sion de la métaphysique , des mathématiques et de

la logique, beaucoup de ces philosophes , d'engeance


EUREKA 17

baconienne, avec leur idée unique, leur parti pris

unique et leur marche de boiteux , étaient plus miséra-


blement impuissants , plus tristement ignorants , en

face de tous les objets compréhensibles de connais-


sance , que le plus illettré des rustres qui , en avouant

qu'il ne sait absolument rien , prouve qu'il sait au


moins quelque chose.
<< Nos ancêtres n'avaient pas plus qualité pour

parler de certitude , quand ils suivaient , avec une

confiance aveugle, la route à priori des axiomes ,


celle du Bélier . En des points innombrables , cette

route n'était guère plus droite qu'une corne de bé-


lier. La vérité pure est que les Aristotéliens éle-
vaient leurs châteaux sur une base aussi peu solide

que l'air ; car ces choses qu'on appelle axiomes

n'ont jamais existé et ne peuvent pas exister . Il


faut qu'ils aient été bien aveugles pour ne pas voir

cela, ou du moins pour ne pas le soupçonner ; car,


même de leur temps , plusieurs de leurs axiomes de
vieille date avaient été abandonnés : Ex nihilo nihil

fit, par exemple, et : Un être ne peut pas agir là


où il n'est pas, et Il ne peut pas exister d'anti-
18 EUREKA

podes , et : Les ténèbres ne peuvent pas venir de la


lumière . Ces propositions et autres semblables , pri-

mitivement acceptées comme axiomes , ou vérités

incontestables , étaient, même à l'époque dont je


parle, considérées comme absolument insoute-

nables ; combien ces gens étaient donc absurdes de

vouloir toujours s'appuyer sur une base , dite im-


muable, dont l'instabilité s'était si fréquemment
manifestée !

«< Mais , même par le témoignage qu'ils apportent


<
contre eux-mêmes, il est aisé de convaincre ces rai-
sonneurs à priori de l'énorme déraison , - il est

aisé de leur montrer la futilité , l'impalpabilité gé-


nérale de leurs axiomes . J'ai maintenant sous les

yeux, » observez que c'est toujours la lettre qui

parle, « j'ai maintenant sous les yeux un livre im-


primé il y a environ mille ans . Pundit m'assure que

c'est positivement le meilleur des onvrages anciens


traitant de la matière , qui est la Logique . L'auteur,

qui fut très-estimé dans son temps , était un certain


Miller ou Mill ; et l'histoire nous apprend , comme

chose digne de mémoire , qu'il montait habituelle-


EUREKA 19

ment un cheval de manége auquel il donnait le nom


de Jérémie Bentham ; -- mais jetons un coup d'œil
sur le livre .

<
< Ah ! voilà : La faculté de comprendre ou l'im-
«

possibilité de comprendre , dit fort judicieusement

M. Mill, ne peut , dans aucun cas , être considérée


comme un critérium de Vérité axiomatique. Or,

que ceci soit une vérité banale , aucun homme ,


jouissant de son bon sens , ne sera tenté de le nier.

Ne pas admettre la proposition équivaudrait à


porter une accusation d'inconstance contre la Vé-
rité elle-même, dont le nom seul est synonyme

d'immutabilité . Si l'aptitude à comprendre était


prise pour critérium de la Vérité , ce qui est vérité

pour David Hume serait très-rarement vérité pour


Joe ; et sur la terre il serait facile de démontrer la

fausseté des quatre-vingt-dix-neuf centièmes de ce

qui est certitude dans le ciel. La proposition de


M. Mill est donc appuyée . Je n'accorde pas que ce
soit un axiome, et cela simplement parce que je
suis en train de montrer qu'il n'existe pas d'axiomes ;

mais , usant d'une distinction subtile qui ne pour-


20 EUREKA

rait pas être contestée par M. Mill lui-même , je suis

prêt à reconnaître que, si jamais axiome exista , la


proposition que je cite a tous les droits d'être con-
sidérée comme telle, qu'il n'y a pas d'axiome

plus absolu, et, conséquemment , que toute pro-


position ultérieure qui entrera en conflit avec celle-

là , primitivement émise, doit être une fausseté ,


c'est-à-dire le contraire d'un axiome , ou , s'il faut

l'admettre comme axiomatique, devra du même


coup s'annihiler elle-même et détruire sa devan-
cière.

« Et maintenant , par la logique même de l'auteur

de la proposition , cherchons à vérifier n'importe


quel axiome proposé . Faisons beau jeu à M. Mill .

Nous dédaignons un résultat trop facile et trop

vulgaire . Nous ne choisirons pas pour notre vérifi- .


cation un axiome banal , un axiome de cette classe

qu'il définit , avec une autorité et un sans - gêne ab-


surdes , classe secondaire d'axiomes , comme si

une vérité définie positive pouvait être diminuée


et devenir , à volonté , plus ou moins positive ;
nous ne choisirons pas , dis-je , un axiome d'une
EUREKA 21

certitude passablement contestable, comme on en

peut trouver dans Euclide. Nous ne parlerons pas ,


par exemple , de propositions comme celle - ci : Deux

lignes droites ne peuvent pas limiter un espace , -

ou celle-ci : Le tout est plus grand qu'une de ses


parties quelconque . Nous donnerons à notre lo-
gicien tous les avantages . Nous irons tout droit à

une proposition qu'il regarde comme l'apogée de


la certitude , comme la quintessence de l'irrécusable
axiomatique . La voici : « Deux contradictoires ne

peuvent être vraies à la fois , c'est-à-dire ne peuvent


coexister dans la nature . » M. Mill veut dire ici ,

pour prendre un exemple, - et je choisis l'exemple


le plus vigoureux et le plus intelligible, - qu'un
arbre doit être un arbre ou ne pas l'être ; qu'il ne

peut pas, en même temps , être un arbre et ne pas


l'être ; cela est parfaitement raisonnable en soi

et remplit fort bien les conditions d'un axiome ,


tant que nous ne le confronterons pas avec l'axiome

proclamé antérieurement ; en d'autres termes , ter-


mes dont nous nous sommes déjà servis , tant que

nous ne le vérifierons pas par la logique même de


76
22 EUREKA

l'auteur de la proposition . Il faut qu'un arbre , af-


firme M. Mill , soit ou ne soit pas un arbre . Fort
bien ; et maintenant qu'il me soit permis de lui de-

mander pourquoi . A cette petite question il n'a


qu'une réponse à faire ; je défie tout homme vivant
d'en inventer une autre . Cette seule réponse pos-

sible, c'est : Parce que nous sentons qu'il est im-


possible de comprendre qu'un arbre puisse être
autre chose qu'un arbre ou un non-arbre . Voilà

donc, je le répète , la seule réponse de M. Mill ; il

ne prétendra pas en inventer une autre ; et cepen-


dant, d'après sa propre démonstration , sa réponse
évidemment n'est pas une réponse ; car ne nous

a-t- il pas déjà sommés d'admettre , comme un

axiome, que la possibilité ou l'impossibilité de


comprendre ne doit, en aucun cas, être considérée

comme critérium de vérité axiomatique? Ainsi son


argumentation tout entière fait naufrage . Qu'on

ne prétende pas qu'une exception à la règle géné


rale puisse avoir lieu dans des cas où l'impossibilité

de comprendre est aussi manifeste qu'en celui-ci,


où nous sommes invités à concevoir un arbre qui
EUREKA 25

soit et ne soit pas un arbre. Qu'on n'essaye pas ,

dis-je, d'avancer une pareille stupidité ; car , d'a-

bord , il n'y a pas de degrés dans l'impossibilité , et ,

une conception impossible ne peut pas être plus

particulièrement impossible que toute autre con-


ception impossible ; ensuite, M. Mill lui-même , sans
doute après mûre délibération , a , très-distinctement
et très-rationnellement , exclu toute opportunité

d'exception par l'énergie de sa proposition , à savoir

que, dans aucun cas , la possibilité ou l'impossibilité

de comprendre ne doit être prise comme critérium


de vérité axiomatique ; troisièmement , même en

supposant quelques exceptions admissibles , il res-


terait à montrer comment ce peut être ici le cas

d'en admettre une . Qu'un arbre puisse être et n'être

pas un arbre, c'est là une idée que les anges ou les

· démons pourraient peut-être concevoir ; mais sur la


terre il n'y a que les habitants de Bedlam ou

les transcendantalistes qui réussissent à la com-


prendre.

« Or, si je cherche querelle à ces anciens , -con-


tinue l'auteur de la lettre, ce n'est pas tant à
24 EUREKA

cause de l'inconsistance et de la frivolité de leur o-

gique, qui , pour parler net , était sans fondement,

sans valeur et absolument fantastique , qu'à cause

de cette tyrannique et orgueilleuse interdiction de

toutes les routes qui peuvent conduire à la Vérité ,


toutes , excepté les deux étroites et tortues, celle où
il faut se traîner et celle où il faut ramper , dans les-

quelles leur ignorante perversité avait osé confiner


l'Ame , - l'Ame qui n'aime rien tant que planer

dans ces régions de l'illimitable intuition où ce


qu'on appelle une route est chose absolument in-
connue.

« Par parenthèse , mon cher ami , ne voyez-vous


pas une preuve de la servitude spirituelle im-

posée à ces pauvres fanatiques par leurs Hogs

et leurs Rams¹ , dans ce fait qu'aucun d'eux n'a


jamais , en dépit de l'éternel radotage de leurs

savants sur les routes qui conduisent à la Vérité , —


découvert, même par accident, ce qui nous apparaît

maintenant comme la plus large , la plus droite et la

1 Aries, Ram, bélier .


25
EUREKA 25

plus commode de toutes les routes , la grande ave-


nue, la majestueuse route royale de la Consistance ?

N'est-il pas surprenant qu'ils n'aient pas su tirer des


ouvrages de Dieu cette considération d'une impor-

tance vitale , qu'une parfaite consistance ne peut

être qu'une vérité absolue ? Combien , depuis l'avé-

nement de cette proposition , notre progrès fut facile ,


combien il fut rapide ! Grâce à elle , la fonction de la
recherche a été arrachée à ces taupes , et confiée,

comme un devoir plutôt que comme une tâche , aux


vrais, aux seuls vrais penseurs , aux hommes d'une
éducation générale et d'une imagination ardente.
Ces derniers , nos Kepler et nos Laplace , s'adonnent à
la spéculation et à la théorie; c'est le mot; vous ima-

ginez-vous avec quelle risée ce mot serait accueilli par

nos ancêtres s'ils pouvaient , par- dessus mon épaule ,

regarder ce que j'écris? Les Kepler , je le répète , pen-


sent spéculativement et théoriquement ; et leurs théo-

ries sont simplement corrigées, tamisées , clarifiées ,


débarrassées peu à peu de toutes les pailles et matières

étrangères qui nuisent à leur cohésion , jusqu'à ce

qu'enfin apparaisse, dans sa solidité et sa pureté, la


2
26 EUREKA

parfaite consistance , consistance que les plus stu-


pides sont forcés d'admettre, parce qu'elle est la
consistance, c'est-à- dire une absolue et incontestable
vérité.

« J'ai souvent pensé, mon ami , que c'eût été


chose bien embarrassante pour ces dogmatiseurs

des siècles passés de déterminer par laquelle de

leurs deux fameuses routes le cryptographe arrive à


la solution des chiffres les plus compliqués, ou par

laquelle Champollion a conduit l'humanité vers ces


importantes et innombrables vérités qui sont restées

enfouies pendant tant de siècles dans les hiérogly-


phes phonétiques de l'Égypte . Ces fanatiques n'au-
raient-ils pas eu surtout quelque peine à déterminer
par laquelle de leurs deux routes avait été atteinte

la plus importante et la plus sublime de toutes leurs

vérités, c'est-à-dire le fait de la gravitation ? Cette

vérité, Newton l'avait tirée des lois de Kepler . Ces


lois dont l'étude découvrit au plus grand des astro-

nomes anglais ce principe qui est la base de tout

principe physique actuellement existant , et au delà


duquel nous entrons tout de suite dans le royaume
EUREKA 27

ténébreux de la métaphysique, Kepler reconnaissait


qu'il les avait devinées . Oui ! ces lois vitales , Kepler
les a devinées; disons même qu'il les a imaginées .

S'il avait été prié d'indiquer par quelle voie , d'induc-


tion ou de déduction , il était parvenu à cette décou-
verte , il aurait pu répondre : « Je ne sais rien de
« vos routes, mais je connais la machine de l'Uni-

<« vers . Telle elle est . Je m'en suis emparé avec mon
« âme; je l'ai obtenue par la simple force de l'in-
« tuition . » Hélas ! pauvre vieil ignorant ! Quelque

métaphysicien lui aurait peut-être répondu que ce


qu'il appelait intuition n'était que la certitude ré-
sultant de déductions ou d'inductions dont le déve-

loppement avait été assez obscur pour échapper à

sa conscience, pour se soustraire aux yeux de sa

raison ou pour défier sa puissance d'expression .


Quel malhenr que quelque professeur de philosophie
ne l'ait pas éclairé sur toutes ces choses ! Comme

cela l'eût réconforté sur son lit de mort, d'appren-


dre que, loin d'avoir marché intuitivement et scan-

daleusement, il avait , en réalité , cheminé suivant la

méthode honnête et légitime, c'est- à-dire à la ma-


28 EUREKA

nière du Hog, ou au moins à la manière du Ram ,


vers le mystérieux palais où gisent , confinés , étin-
celants dans l'ombre, non gardés , purs encore de

tout regard mortel , vierges de tout attouchement

humain , les impérissables et inappréciables secrets


de l'Univers !

« Oui , Kepler était essentiellement théoricien ;

mais ce titre, qui comporte aujourd'hui quelque


chose de sacré , était dans ces temps anciens une

épithète d'un suprême mépris . C'est aujourd'hui


seulement que les hommes commencent à ap-
précier le vieux homme divin, à sympathiser avec

l'inspiration poétique et prophétique de ses indes-


tructibles paroles. Pour ma part, ― continue le

correspondant inconnu , - il me suffit d'y penser

pour que je brûle d'un feu sacré , et je sens que je

ne serai jamais fatigué de les entendre répéter ; en


terminant cette lettre, permettez-moi de jouir du
plaisir de les transcrire une fois encore :

« Il m'importe peu que mon ouvrage soit lu

maintenant ou par la postérité. Je puis bien atten-


dre un siècle pour trouver quelques lecteurs , puisque
EUREKA 29

Dieu lui-même a attendu un observateur six mille

ans. Je triomphe! J'ai volé le secret d'or des Égyp-


tiens ! Je veux m'abandonner à mon ivresse sacrée! »

Je termine ici mes citations de cette épître si

étrange et même passablement impertinente ; peut-


être y aurait- il folie à commenter d'une façon quel-

conque les imaginations chimériques , pour ne pas


dire révolutionnaires , de son auteur , quel qu'il

puisse être , - imaginations qui contredisent si ra-

dicalement les opinions les plus considérées et les


mieux établies de ce siècle . Retournons donc à notre

thèse légitime l'Univers .

2.
III

Cette thèse admet deux modes de discussion entre

lesquels nous avons à choisir. Nous pouvons monter

ou descendre . Prenant pour point de départ notre

point de vue, c'est-à-dire la Terre où nous sommes,


nous pouvons de là nous diriger vers les autres pla-
nètes de notre système , de là vers le Soleil , de là

vers notre système considéré collectivement; de là

enfin nous pouvons nous élancer vers d'autres sys-


tèmes, indéfiniment et de plus en plus au large . Ou
bien , commençant par un point distant, aussi défini
que nous le pouvons concevoir , nous descendrons
EUREKA 31

graduellement vers l'habitation de l'Homme . Dans

les essais ordinaires sur l'Astronomie, la première

de ces méthodes est , sauf quelques réserves , géné-

ralement adoptée , et cela pour cette raison évidente

que les faits et les causes astronomiques étant l'uni-


que but de ces recherches , ce but est infiniment

plus facile à atteindre en s'avançant graduellement


du connu, qui est auprès de nous, vers le point où
toute certitude se perd dans l'éloignement . Toute-
fois , pour mon dessein actuel, qui est de donner à
l'esprit le moyen de saisir, comme de loin et d'un

seul coup d'œil, une conception de l'Univers consi

déré comme individu , il est clair que descendre du

grand vers le petit, du centre , si'nous pouvons éta-


blir un centre, vers les extrémités , du commence-

ment, si nous pouvons concevoir un commencement,

vers la fin, serait la marche préférable , si ce n'était

la difficulté , pour ne pas dire l'impossibilité , de pré-


senter ainsi aux personnes qui ne sont pas astrono-

mes un tableau intelligible relativement à tout ce qui

est impliqué dans l'idée quantité, c'est- à- dire relati-


vement au nombre , à la grandeur et à la distance .
32 EUREKA

Or, la clarté , l'intelligibilité est , à tous égards, un


des caractères essentiels de mon plan général . Il est

des points importants sur lesquels il vaut mieux se


montrer trop prolixe que même légèrement obscur.

Mais la qualité abstruse n'est pas une qualité qui,

par elle- même , appartienne à aucun sujet . Toutes


choses sont également faciles à comprendre pour

celui qui s'en approche à pas convenablement gra-


dués . Si le calcul différentiel n'est pas une chose

` absolument aussi simple qu'un sonnet de M. Solo-


mon Seesaw, c'est uniquement parce que dans cette

route ardue quelque marchepied ou quelque éche-


lon a été, çà et là , étourdiment oublié.

Donc, pour détruire toute chance de malentendu ,

je juge convenable de procéder comme si les faits


les plus évidents de l'Astronomie étaient inconnus au
lecteur . En combinant les deux modes de discussion

que j'ai indiqués , je pourrai profiter des avantages

particuliers de chacun d'eux , spécialement de la

réitération en détail qui sera la conséquence inévi-

table du plan . Je commence par descendre , et je


réserve pour mon retour ascensionnel ces considéra-
EUREKA
35

tions indispensables de quantité dont j'ai déjà fait


mention .

Commençons donc tout de suite par le mot le plus

simple, l'Infini . Le mot infini , comme les mots

Dieu, esprit et quelques autres expressions , dont


les équivalents existent dans toutes les langues , est,

non pas l'expression d'une idée , mais l'expression


d'un effort vers une idée . Il représente une tentative

possible vers une conception impossible. L'homme


avait besoin d'un terme pour marquer la direction

de cet effort, le nuage derrière lequel est situé , à


jamais invisible , l'objet de cet effort . Un mot enfin

était nécessaire , au moyen duquel un être humain

pût se mettre tout d'abord en rapport avec un autre


être humain et avec une certaine tendance de l'intel-

ligence humaine . De cette nécessité est résulté le

mot Infini, qui ne représente ainsi que la pensée


d'une pensée .
Relativement à cet infini dont nous nous occupons

actuellement, l'infini de l'espace , nous avons en-

tendu dire souvent que « si l'esprit admettait cette

idée, acquiesçait à cette idée, la voulait concevoir,


34 EUREKA

c'était surtout à cause de la difficulté encore plus

grande qui s'oppose à la conception d'une limite

quelconque . » Mais ceci est simplement une de ces

phrases par lesquelles les penseurs , même profonds ,

prennent plaisir, depuis un temps immémorial , à se

tromper eux-mêmes . C'est dans le mot difficulté que


se cache l'argutie . L'esprit, nous dit- on, accepte
l'idée d'un espace illimité à cause de la difficulté
plus grande qu'il trouve à concevoir celle d'un es-

pace limité . Or , si la proposition était posée loyale-


ment, l'absurdité en deviendrait immédiatement

évidente. Pour parler net, dans le cas en question ,

il n'y a pas simplement difficulté . L'assertion pro-


posée , si elle était présentée sous des termes con-

formes à l'intention , et sans sophistiquerie, serait

exprimée ainsi : « L'esprit admet l'idée d'un espace

illimité à cause de l'impossibilité plus grande de


concevoir celle d'un espace limité . »

On voit au premier coup d'œil qu'il n'est pas ici


question d'établir un parallèle entre deux crédibi-

lités, entre deux arguments , sur la validité respec-

tive desquels la raison est appelée à décider ;


EUREKA 35

s'agit de deux conceptions , directement contradic-

toires , toutes deux d'une impossibilité avouée , dont

l'une , nous dit-on , peut cependant être acceptée


par l'intelligence , en raison de la plus grande im-

possibilité qui empêche d'accepter la seconde . L'al-


ternative n'est pas entre deux difficultés ; on sup-
pose simplement que nous choisissons entre deux

impossibilités . Or , la première admet des degrés ;


mais la seconde n'en admet aucun ; c'est justement

le cas suggéré par l'auteur de l'impertinente épître


que nous avons citée . Une tâche est plus ou moins
difficile ; mais elle ne peut être que possible ou im-

possible ; il n'y a pas de milieu . Il serait peut-être


plus difficile de renverser la chaîne des Andes

qu'une fourmilière ; mais il est tout aussi impossible


d'anéantir la matière de l'une que la matière de

l'autre. Un homme peut sauter dix pieds moins

difficilement que vingt : mais il tombe sous le sens


que pour lui l'impossibilité de sauter jusqu'à la

Lune n'est pas moindre que de sauter jusqu'à l'étoile


du Chien.

Puisque tout ceci est irréfutable , puisque le


36 EUREKA

choix permis à l'esprit ne peut avoir lieu qu'entre

deux conceptions impossibles, puisqu'une impossi-

bilité ne peut pas être plus grande qu'une autre , et


ne peut conséquemment lui ètre préférée, les phi-
losophes qui non -seulement affirment, en se basant
sur le raisonnement précité, l'idée humaine de

l'infini , mais aussi , en se basant sur cette idée hy-

pothétique, l'Infini lui-même, s'engagent évidem-


ment à prouver qu'une chose impossible devient

possible quand on peut montrer qu'une autre chose ,


elle aussi , est impossible . Ceci , dira- t-on , est un
non-sens ; peut-être bien ; je crois vraiment que
c'est un parfait non -sens , mais je n'ai nullement la

prétention de le réclamer comme étant de mon


fait.

Toutefois , la méthode la plus prompte pour


montrer la fausseté de l'argument philosophique en

question est simplement de considérer un fait qui


jusqu'à présent a été négligé, à savoir que l'argu-
ment énoncé contient à la fois sa preuve et sa né-

gation . « L'esprit , disent les théologiens et autres ,


est induit à admettre une cause première par la
EUREKA 57 .

difficulté plus grande qu'il éprouve à concevoir une


série infinie de causes . » L'argutie gît , comme pré-

cédemment, dans le mot difficulté; mais ici à quelle

fin est employé ce mot ? A soutenir l'idée de Cause

Première . Et qu'est- ce qu'une Cause Première ? C'est


une limite extrême de toutes les causes . Et qu'est- ce

qu'une limite extrême de toutes les causes ? C'est


le Fini . Ainsi , la même argutie, dans les deux cas ,
est employée , par combien de philosophes , Dieu
le sait ! pour soutenir tantôt le Fini et tantôt

l'Infini ; ne pourrait-elle pas être utilisée pour sou-


tenir encore quelque autre chose ? Quant aux argu-

ties, elles sont généralement , de leur nature , insou-

tenables ; mais , en les jetant de côté , constatons

que ce qu'elles prouvent dans un cas est identique


à ce qu'elles démontrent dans un autre , c'est-à -dire
à rien .

Personne , évidemment , ne supposera que je

lutte ici pour établir l'absolue impossibilité de ce que

nous essayons de faire entendre par le mot Infini .


Mon but est seulement de montrer quelle folie c'est

de vouloir prouver l'Infini , ou même notre con-


3
38 EUREKA

ception de l'Infini , par un raisonnement aussi


maladroit que celui qui est généralement employé .

Néanmoins il m'est permis , en tant qu'individu ,


de dire que je ne puis pas concevoir l'Infini , et
`que je suis convaincu qu'aucun être humain ne le

peut davantage . Un esprit , qui n'a pas une entière

conscience de lui-même , qui n'est pas habitué à


faire une analyse intérieure de ses propres opéra-

tions, pourra , il est vrai , devenir souvent sa pro-


pre dupe et croire qu'il a conçu l'idée dont je

parle. Dans nos efforts pour la concevoir , nous


procédons pas à pas ; nous imaginons toujours un

degré derrière un degré ; et aussi longtemps que

nous continuons l'effort, on peut dire avec raison


que nous tendons vers la conception de l'idée en
vue ; mais la force de l'impression que nous parve-

nons, ou que nous sommes parvenus à créer , est en

raison de la période de temps durant lequel nous


maintenons cet effort intellectuel . Or, c'est par le

fait de l'interruption de l'effort, c'est en para-

chevant (nous le croyons du moins) l'idée postulée ,


- c'est en donnant , comme nous nous le figurons,
EUREKA 39

la touche finale à la conception , --que nous anéan-

tissons d'un seul coup toute cette fabrique de notre

imagination ; bref, il faut que nous nous repo-

sions sur quelque point suprême et conséquem-


ment défini . Toutefois , si nous n'apercevons pas ce
fait , c'est en raison de l'absolue coïncidence entre
cette pause définitive et la cessation de notre pensée .

En essayant, d'autre part, de former en nous l'idée

d'un espace limité , nous inversons simplement le

procédé , impliquant toujours la même impossibilité .


Nous croyons à un Dieu . Nous pouvons ou nous

ne pouvons pas croire à un espace fini ou infini ;

mais notre croyance , en de pareils cas, est plus


proprement appelée foi , et elle est une chose tout à

fait distincte de cette croyance particulière , de cette

croyance intellectuelle, qui présuppose une con-


ception mentale .

Le fait est que, sur la simple énonciation d'un de

ces termes à la classe desquels appartient le mot

Infini , classe qui représente des pensées de pensées,

celui qui a le droit de se dire un peu penseur se

sent appelé, non pas à former une conception, mais


40 EUREKA

simplement à diriger sa vision mentale vers un


point donné du firmament intellectuel , vers une
nébuleuse qui ne sera jamais résolue . Il ne fait ,
pour la résoudre, aucun effort ; car avec un in-

stinct rapide il comprend , non pas seulement


l'impossibilité, mais , en ce qui concerne l'inté-

rêt humain , le caractère essentiellement étran-

ger de cette solution . Il comprend que la Divinité


n'a pas marqué ce mystère pour être résolu. Il voit

tout de suite que cette solution est située hors du

cerveau de l'homme , et même comment, si ce n'est

exactement pourquoi, elle gît hors de lui. Il y a des


gens, je le sais, qui , s'employant en vains efforts

pour atteindre l'impossible, acquièrent aisément ,

grâce à leur seul jargon , une sorte de réputation

de profondeur parmi leurs complices les pseudo-


penseurs , pour qui obscurité et profondeur sont

synonymes. Mais la plus belle qualité de la pensée

est d'avoir conscience d'elle-même , et l'on peut

dire , sans faire une métaphore paradoxale , qu'il


n'y a pas de brouillard d'esprit plus épais que celui
qui , s'étendant jusqu'aux limites du domaine in-
EUREKA 41

tellectuel, dérobe ces frontières elles- mêmes à la


vue de l'intelligence .

Maintenant on comprendra que , quand je me sers

de ce terme, l'Infini de l'Espace, je ne veux pas


contraindre le lecteur à former la conception im-

possible d'un. infini absolu . Je prétends simplement

faire entendre la plus grande étendue concevable


d'espace, domaine ténébreux et élastique , tantôt

se rétrécissant, tantôt s'agrandissant , selon la force


irrégulière de l'imagination .

Jusqu'a présent , l'Univers sidéral a été considéré

commcoïncidant avec l'Univers proprement dit ,


tel . Relat'ai défini au commencement de ce dis-

cours . a toujours , directement ou indirectement ,


admis , - au moins depuis la première aube de
l'Astronomie intelligible , ― que, s'il nous était

possible d'atteindre un point donné quelconque de

l'espace, nous trouverions toujours , de tous côtés ,


autour de nous , une interminable succession d'é

toiles. C'était l'idée insoutenable de Pascal , quand

il faisait l'effort , le plus heureux peut-être qui ait

jamais été fait, pour périphraser la conception que


42 EUREKA

nous essayons d'exprimer par le mot Univers .

« C'est une sphère , dit-il, dont le centre est partout ,

et la circonférence nulle part . » Mais , bien que cette


intention de définition ne définisse pas du tout, en

fait, l'Univers sidéral , nous pouvons l'accepter , avec

quelque réserve mentale , comme une définition


(suffisamment rigoureuse pour l'utilité pratique)

de l'Univers proprement dit , c'est-à-dire de l'Univers


considéré comme espace. Ce dernier, prenons-le

donc pour une sphère dont le centre est partout , et

la circonférence nulle part . Dans le fait , s'il nous


est impossible de nous figurer une fin de space,
un
ains ef
nous n'éprouvons aucune difficulté à inains
commencement quelconque parmi une série infinie
de commencements .
IV

Comme point de départ , adoptons donc la Divi-


nité. Relativement à cette Divinité , considérée en

elle-même, celui-là seul n'est pas un imbécile , ce-

lui-là seul n'est pas un impie , qui n'affirme absolu-


ment rien. « Nous ne connaissons rien, dit le baron

de Bielfeld , nous ne connaissons rien de la nature


ou de l'essence de Dieu ; pour savoir ce qu'il est,
il faut être Dieu même . >>

« Il faut être Dieu même ! » Malgré cette

phrase effrayante , vibrant encore dans mon oreille,

j'ose toutefois demander si notre ignorance actuelle


44 EUREKA.

de la Divinité est une ignorance à laquelle l'âme est


éternellement condamnée.

Enfin, contentons- nous aujourd'hui de supposer

que c'est Lui , — Lui , l'Incompréhensible ( pour le


présent du moins) , -Lui , que nous considérerons

comme Esprit, c'est-à -dire comme non - Matière (dis-

tinction qui , pour tout ce que nous voulons attein-


dre, suppléera parfaitement à une définition) , —Lui ,

existant comme Esprit , qui nous a créés , ou faits de


Rien, par la force de sa Volonté, - dans un certain

point de l'Espace que nous prendrons comme centre,


à une certaine époque dont nous n'avons pas la
prétention de nous enquérir, mais en tout cas im-
mensément éloignée ; GRE supposons , dis-je , que
-
c'est lui qui nous a faits , mais faits ... quoi ?
Ceci est , dans nos considérations , un point d'une

importance vitale. Qu'étions-nous , que pouvons-


nous supposer légitimement avoir été , quand nous

fûmes créés, nous , univers, primitivement et indi-


viduellement?

Nous sommes arrivés à un point où l'Intuition

seule peut venir à notre aide . Mais qu'il me soit per-


EUREKA 45

mis de rappeler l'idée que j'ai déjà suggérée comme

la seule qui puisse convenablement définir l'intui-


tion . Elle n'est que la conviction naissant de cer-
taines inductions ou déductions dont la marche a été

assez secrète pour échapper à notre conscience , élu-


der notre raison, ou défier notre puissance d'ex-

pression . Ceci étant entendu , j'affirme qu'une


intuition absolument irrésistible, quoique indéfinis-

sable, me pousse à conclure que Dieu a originai-


rement créé , ― que cette Matière qu'il a , par la

force de sa Volonté , tirée de son Esprit, ou de Rien,


ne peut avoir été autre chose que la Matière dans

son état le plus pur, le plus parfait , de.... de quoi?


de Simplicité.

Ce sera là la seule supposition absolue dans mon


discours . Je me sers du mot supposition dans son

sens ordinaire ; cependant je maintiens que ma pro-


position primordiale , ainsi formulée , est loin , bien

loin d'être une pure supposition . Rien n'a été , en effet ,


plus régulièrement, plus rigoureureusement déduit;

- aucune conclusion humaine n'a été , en effet , plus

régulièrement, plus rigoureusement déduite;


3.
46 EUREKA
*
mais , hélas ! le procédé de cette déduction échappe
à l'analyse humaine ; en tout cas , il se dérobe

à la puissance expressive de toute langue humaine .

Efforçons -nous maintenant de concevoir ce qu'a


pu et ce qu'a dû être la Matière dans sa condition

absolue de simplicité . Ici , la Raison vole d'un seul


coup vers l'Imparticularité , - vers une particule,

— une particule unique, une particule une dans


son espèce , - une dans son caractère , - une dans
- une par son volume , --- une par
sa nature,
sa forme , - une particule qui soit particule à tous

égards , donc , une particule amorphe et idéale ,

particule absolument unique , individuelle , non


divisée , mais non pas indivisible , simplement
parce que Celui qui la créa par la force de sa Vo-

lonté peut très - naturellement la diviser par un


exercice infiniment moins énergique de la même
Volonté.

Donc , l'Unité est tout ce que j'affirme de la Ma-


tière originairement créée ; mais je me propose de

démontrer que cette Unité est un principe large-

ment suffisant pour expliquer la constitution , les


EUREKA 47

phénomènes actuels et l'anéantissement absolument


inévitable au moins de l'Univers matériel.

Le Vouloir spontané, ayant pris corps dans la

particule primordiale , a complété l'acte , ou , plus


proprement , la conception de la Création . Nous nous

dirigerons maintenant vers le but final pour lequel


nous supposons que cette particule a été créée; ---

quand je dis but final , je veux dire tout ce que nos


considérations jusqu'ici nous permettent d'en saisir ,

-à savoir, la constitution de l'Univers tirée de cette


Particule unique .

Cette constitution s'est effectuée par la transfor-

mation forcée de l'Unité , originelle et normale , en


Pluralité , condition anormale . Une action de cette
nature implique réaction . Une diffusion de l'Unité

n'a lieu que conditionnellement , c'est- à - dire qu'elle


-
implique une tendance au retour vers l'Unité ,

tendance indestructible jusqu'à parfaite satisfaction .


Mais je m'étendrai par la suite plus amplement sur

ce sujet .
La supposition de l'Unité absolue dans la Parti

cule primordiale renferme celle de la divisibilité


48 EUREKA

infinie . Concevons donc simplement la Particule

comme non absolument épuisée par sa diffusion


à travers l'Espace . De cette Particule considérée

comme centre, supposons , irradié sphériquement,


dans toutes les directions , à des distances non me-

surables, mais cependant définies , dans l'espace vide

jusqu'alors , un certain nombre innombrable , quoi-


que limité , d'atomes inconcevablement mais non
infiniment petits .

Or, de ces atomes, ainsi éparpillés ou à l'état de


diffusion , que nous est- il permis , non pas de sup-

poser, mais de conclure , en considérant la source

d'où ils émanent et le but apparent de leur diffusion ?


L'Unité étant leur source , et la différence d'avec

l'Unité le caractère du but manifesté par leur diffu-


sion , nous avons tout droit de supposer que ce ca-

ractère persiste généralement dans toute l'étendue

du plan et forme une partie du plan lui-même ;


c'est-à-dire que nous avons tout droit de concevoir

des différences continues , sur tous les points , d'avec


l'unité et la simplicité du point originel . Mais , pour

ces raisons , sommes - nous autorisés à imaginer les


EUREKA 49

atomes comme hétérogènes , dissemblables , inégaux

et inégalement distants ? Pour parler plus explicite-


ment , devons -nous croire qu'il n'y a pas eu , au mo-

ment de leur diffusion, deux atomes de même na-


ture, de même forme ou de même grosseur? et que,

leur diffusion étant opérée à travers l'Espace, ils


doivent être tous , sans exception , inégalement
distants l'un de l'autre ? Un pareil arrangement ,

dans de telles conditions , nous permet de conce-

voir aisément , immédiatement , le procédé d'opé

ration le plus exécutable pour un dessein tel que


celui dont j'ai parlé, - le dessein de tirer la

variété de l'unité, -
— la diversité de la similarité, —
- la complexité
l'hétérogénéité de l'homogénéité ,
de la simplicité, - en un mot , la plus grande mul-

tiplicité possible de rapports de l'Unité expressé-


ment absolue . Incontestablement nous aurions le

droit de supposer tout ce que j'ai dit , si nous n'é-


tions pas arrêtés par deux réflexions ; - la première ,

c'est que la superfluité et la surérogation ne sont


jamais admissibles dans l'Action Divine ; et la se-

conde, c'est que le but poursuivi apparaît comme


50 EUREKA

tout aussi facile à atteindre quand quelques-unes des

conditions requises sont obtenues dans le principe ,


que quand toutes existent visiblement et immédia-

tement . Je veux dire que celles-ci sont contenues

dans les autres , ou qu'elles en sont une conséquence

si instantanée , que la distinction devient inappré-


ciable . La différence de grosseur, par exemple , sera

tout de suite créée par la tendance d'un atome vers

un second atome , de préférence à un troisième , en

raison d'une inégalité particulière de distance ;

inégalité particulière de distance entre des centres

de quantité, dans des atomes voisins de différente


forme, - phénomène qui ne contredit en rien la

distribution généralement égale des atomes . La dif-


férence d'espèce, nous la concevons aussi très-aisé-
ment comme résultant de différences dans la grosseur

et dans la forme, supposées plus ou moins con-


jointes; - en effet, puisque l'Unité de la Particule

proprement dite implique homogénéité absolue ,


nous ne pouvons pas supposer que les atomes , au
moment de leur diffusion , diffèrent en espèce , sans

imaginer en même temps une opération spéciale de


EUREKA 51

la Volonté Divine , agissant à l'émission de chaque


atome, dans le but d'effectuer en chacun une trans-
formation de sa nature essentielle ; et nous devons

d'autant plus repousser une idée aussi fantastique ,


que l'objet en vue peut parfaitement bien être at-
teint sans une aussi minutiense et laborieuse inter-

vention . Nous comprenons donc , avant tout , qu'il

eût été surérogatoire , et conséquemment anti-philo-


sophique, d'attribuer aux atomes , en vue de leurs
destinations respectives , autre chose qu'une diffé-

rence de forme au moment de leur dispersion , et


postérieurement une inégalité particulière de dis-
tance , - toutes les autres différences naissant en-

semble des premières , dès les premiers pas que la


masse a faits vers sa constitution . Nous établissons

donc l'Univers sur une base purement géométrique .


Il va sans dire qu'il n'est pas du tout nécessaire de

supposer une absolue différence , même de forme ,


entre tous les atomes irradiés ; nous nous con-

tentons de supposer une inégalité générale de dis-

tance de l'un à l'autre . Nous sommes tenus simple-

ment d'admettre qu'il n'y a pas d'atomes voisins de


52 EUREKA

forme similaire, qu'il n'y a pas d'atomes qui

puissent jamais se rapprocher , excepté lors de leur


inévitable réunion finale .

Quoique la tendance, immédiate et perpétuelle,

des atomes dispersés à retourner vers leur Unité nor-


nale soit impliquée , comme je l'ai dit, dans leur
diffusion anormale, toutefois il est clair que cette
tendance doit être sans résultat , - qu'elle doit

rester une tendance et rien de plus , —- jusqu'à ce


que la force d'expansion , cessant d'opérer , donne à
cette tendance toute liberté de se satisfaire . L'Action

Divine , toutefois , étant considérée comme détermi-

née, et interrompue après l'opération primitive de


la diffusion , nous concevons tout de suite une

réaction , en d'autres termes une tendance, qui


pourra être satisfaite , de tous les atomes désunis à
retourner vers l'Unité.

Mais la force de diffusion étant retirée , et la réac-

tion ayant commencé pour favoriser le dessein final,

celui de créer la plus grande somme de rapports


possible, ce dessein est maintenant en danger

d'être frustré dans le détail, par suite de cette ten-


EUREKA 53
33
dance rétroactive qui a pour but son accomplisse-

ment total . La multiplicité est l'objet ; mais rien

n'empêche les atomes voisins de se précipiter tout


de suite l'un vers l'autre, grâce à leur tendance

maintenant libre , avant l'accomplissement de tous

les buts multiples , -et de se fondre tous en une unité


- rien ne fait obstacle à l'agrégation
compacte;
de diverses masses , isolées jusque-là , sur différents
points de l'espace ; -en d'autres termes , rien ne

s'oppose à l'accumulation de diverses masses , cha-


cune faisant une Unité absolue.
V

Pour l'accomplissement efficace et complet du


plan général , nous devinons maintenant la nécessité

d'une force répulsive limitée , - de quelque chose


qui serve à séparer, et qui , lors de la cessation de la

Volition diffusive , puisse en même temps permettre

le rapprochement et empêcher la jonction des


atomes ; qui leur permette de se rapprocher infini-
ment, et leur défende de se mettre en contact positif;

quelque chose, en un mot, qui ait puissance , jusqu'à

une certaine époque, de prévenir leur fusion , mais


non de contredire à aucun égard ni à aucun degré
EUREKA 55

leur tendance à se réunir . La force répulsive , déjà

considérée comme si particulièrement limitée à d'au-

tres égards, peut , je le répète , être prise comme une


puissance destinée à empêcher l'absolue cohésion ,

seulement jusqu'à une certaine époque . A moins


que nous ne concevions l'appétition des atomes pour
l'Unité comme condamnée à n'être jamais satisfaite,
-
à moins que nous n'admettions que ce qui a eu
un commencement ne doive pas avoir de fin, ―― idée

qui est réellement inadmissible, quelque nombreux


que soient ceux d'entre nous qui rêvent et bavardent
*
sur ce thème , nous sommes forcés de conclure

que l'influence répulsive supposée devra finalement ,


- sous la pression de l'Uni-tendance agissant col-
lectivement, mais agissant seulement alors que, pour

l'accomplissement des plans de la Divinité , cette


action collective devra se faire naturellement ,

céder à une force qui , à cette époque finale , sera

la force supérieure , poussée juste au degré néces-


saire, et permettre ainsi le tassement universel des

choses en Unité, unité inévitable parce qu'elle est


originelle et conséquemment normale . Il est en vé
56 EUREKA

rité fort difficile de concilier toutes ces conditions ;

nous ne pouvons même pas comprendre la possi-


bilité de cette conciliation ; - néanmoins cette im-

possibilité apparente est féconde en suggestions bril


lantes .

Que cette répulsion existe positivement, nous le


voyons. L'homme n'emploie et ne connaît aucune
aucune force suffisante pour fondre deux atomes

en un . Je n'avance ici que la thèse bien reconnue

de l'impénétrabilité de la matière . Toute l'Expé-


-
rience la prouve , toute la Philosophie l'admet.

J'ai essayé de démontrer le but de la répulsion

et la nécessité de son existence ; mais je me suis


religieusement abstenu de toute tentative pour en
pénétrer la nature ; et cela , à cause d'une conviction

intuitive qui me dit que le principe en question est


strictement spirituel , - gît dans une profondeur

impénétrable à notre intelligence présente , — est

impliqué dans une considération relative à ce qui


maintenant, dans notre condition humaine, ne peut
être l'objet d'aucun examen, dans une con-

sidération de l'Esprit en lui-même . Je sens, en un


EUREKA 57

mot , qu'ici , et ici seulement , Dieu s'est interposé ,


parce qu'ici , et seulement ici, le nœud demandait

l'interposition de Dieu .

Dans le fait, pendant que dans cette tendance


des atomes vers l'Unité on reconnaîtra tout d'abord

le principe de la Gravitation Newtonienne , ce que

j'ai dit d'une force répulsive , servant à mettre des


limites à la satisfaction immédiate , peut être entendu

de ce que nous avons jusqu'à présent désigné


tantôt comme chaleur, tantôt comme magnétisme ,

tantôt comme électricité ; montrant ainsi , dans les


vacillations de la phraséologie par laquelle nous es-

sayons de le définir , l'ignorance où nous sommes de

son caractère mystérieux et terrible .


Le nommant donc, pour le présent seulement ,

électricité , nous savons que toute analyse expéri-


mentale de l'électricité a donné, pour résultat final ,

le principe, réel ou apparent, de l'hétérogénéité.


Seulement là où les choses diffèrent , l'électricité se

manifeste ; et il est présumable qu'elles ne diffèrent

jamais là où l'électricité n'est pas développée ,


sinon apparente. Or , ce résultat est dans le plus
58 EUREKA

parfait accord avec celui où je suis parvenu par


une autre voie que par l'expérience . J'ai affirmé

que l'utilité de la force répulsive était d'empêcher


les atomes disséminés de retourner à l'Unité immé-

diate ; et ces atomes sont représentés comme diffé-


rant les uns des autres . La différence est leur
caractère , - leur essentialité , juste comme la
non- différence était le caractère essentiel de leur

mouvement. Donc, quand nous disons qu'une tenta-


tive pour mettre en contact deux de ces atomes doit

amener un effort de l'influence répulsive pour em-


pêcher cette union , nous pouvons aussi bien nous

servir d'une phrase absolument équivalente , à savoir,


qu'une tentative pour mettre en contact deux dif-
férences amènera comme résultat un développement

d'électricité . Tous les corps existants sont composés

de ces atomes en contact immédiat, et peuvent con-

séquemment être considérés comme de simples


assemblages de différences plus ou moins nom-
breuses ; et la résistance faite par l'esprit de répul-

sion, si nous mettions en contact deux de ces as-


semblages quelconques , serait en raison des deux
EUREKA. 59

sommes de différences contenues dans chacun ; ex-

pression qui peut être réduite à celle-ci , équivalente :

La somme d'électricité développée par le contact

de deux corps est proportionnée à la différence


entre les sommes respectives d'atomes dont les

corps sont composés .

Qu'il n'existe pas deux corps absolument sem-


blables, c'est un simple corollaire qui résulte de

tout ce que nous avons dit . Donc l'électricité ,

toujours existante , se développe par le contact de

corps quelconques , mais ne se manifeste que


par le contact de corps d'une différence appré-
ciable.
A l'électricité, pour nous servir encore de

cette désignation , nous pouvons à bon droit

rapporter les divers phénomènes physiques de lu-

mière , de chaleur et de magnétisme ; mais nous


sommes bien mieux autorisés encore à attribuer à

ce principe strictement spirituel les phénomènes


plus importants de vitalité , de conscience et de

Pensée. A ce sujet, toutefois , qu'il me soit permis


de faire une pause et de noter que ces phénomènes ,
60 EUREKA

observés dans leur généralité ou dans leurs détails ,

semblent procéder au moins en raison de l'hétéro-

généité.
Écartons maintenant les deux termes équivoques ,

gravitation et électricité, et adoptons les expressions


plus définies d'attraction et de répulsion . La pre-
mière, c'est le corps ; la seconde, c'est l'âme; l'une

est le principe matériel , l'autre le principe spirituel


de l'Univers. Il n'existe pas d'autres principes.
Tous les phénomènes doivent être attribués à l'un
ou à l'autre, ou à tous les deux combinés. Il est si

rigoureusement vrai , il est si parfaitement rationnel

que l'attraction et la répulsion sont les seules pro-


-
priétés par lesquelles nous percevons l'Univers,

en d'autres termes , par lesquelles la Matière se ma-


nifeste à l'Esprit , que nous avons pleinement le

droit de supposer que la matière n'existe que comme


attraction et répulsion, que l'attraction et la

répulsion sont matière , nous servant de cette

hypothèse comme d'un moyen de faciliter l'argu-


mentation ; car il est impossible de concevoir un

cas où nous ne puissions employer à notre gré le


EUREKA 61

mot matière et les termes attraction et répulsion ,

pris ensemble , comme expressions de logique équi-


valentes et convertibles .
VI

Je disais tout à l'heure que ce que j'ai nommé la


tendance des atomes disséminés à retourner à leur

unité originelle devait être pris pour le principe de

la loi newtonienne de la gravitation ; et en effet on


n'aura pas grande peine à entendre la chose ainsi ,

si l'on considère la gravitation newtonienne sous un

aspect purement général , comme une force qui


pousse la matière à chercher la matière ; c'est-à-dire

si nous voulons ne pas attacher notre attention au


modus operandi connu de la force newtonienne . La
coïncidence générale nous satisfait ; mais , en regar-
EUREKA 63

dant de plus près , nous voyons dans le détail beau-

coup de choses qui paraissent non-coïncidentes, et

beaucoup d'autres où la coïncidence ne paraît pas


du moins suffisamment établie . Un exemple la
gravitation newtonienne , si nous la considérons dans

certains modes , ne nous apparaît pas du tout


comme une tendance vers l'Unité ; elle nous semble

plutôt une tendance de tous les corps dans toutes


les directions , phrase qui semble exprimer la ten-
dance à la diffusion . Ici donc il y a non-coïncidence .

Un autre exemple : quand nous réfléchissons surla loi

mathématique qui gouverne la tendance newto-


nienne, nous voyons clairement que nous ne pou-

vons pas obtenir la coïncidence , - relativement , du


moins, au modus operandi, - entre la gravitation,

telle que nous la connaissons , et cette tendance ,


simple et directe en apparence , que j'ai supposée .

En effet, je suis arrivé à un point où il serait bon


de renforcer ma position en inversant mon procédé .

Jusqu'à présent , nous avons procédé à priori ,


d'une considération abstraite de la Simplicité, prise

comme la qualité qui a dû le plus vraisembla-


64 EUREKA

blement caractériser l'action originelle de Dieu .

Voyons maintenant si les faits établis de la Gravi-


tation newtonienne peuvent nous fournir, à poste-

riori , quelques inductions légitimes .


Que déclare la loi newtonienne ? que tous les
corps s'attirent l'un l'autre avec des forces propor-
tionnées aux carrés de leurs distances . C'est à

dessein que je donne d'abord la version vulgaire

de la loi ; et je confesse que dans celle-ci , comme

dans la plupart des traductions vulgaires de grandes

vérités, je ne trouve pas une qualité très-suggestive .


Adoptons donc une phraséologie plus philosophique :

Chaque atome de chaque corps attire chaque

autre atome, soit appartenant au même corps, soit


appartenant à chaque autre corps, avec une force
variant en raison inverse des carrés des distances

entre l'atome attirant et l'atome attiré . Ici , pour

le coup , un flot de suggestions jaillit aux yeux de


l'esprit .
Mais voyons distinctement la chose que Newton
a prouvée , - selon la définition grossièrement ir-

rationnelle de la preuve prescrite par les écoles de


EUREKA 65

métaphysique. Il fut obligé de se contenter de mon-


trer que les mouvements d'un Univers imaginaire ,
composé d'atomes attirants et attirés obéissant à la

loi qu'il annonçait , coïncidaient parfaitement avec


les mouvements de l'Univers existant réellement,

autant du moins qu'il tombe sous notre observa-


tion . Telle fut la somme de sa démonstration , selon

le jargon conventionnel des philosophies . Les suc-


cès qui la confirmèrent ajoutèrent preuve sur

preuve, - des preuves telles que les admet toute


intelligence saine , mais la démonstration de la

loi elle-même , selon les métaphysiciens , n'avait été


confirmée en aucune façon . Cependant la preuve

oculaire, physique , de l'attraction , ici même , sur


cette Terre, fut enfin trouvée, en parfait accord

avec la théorie newtonienne , et à la grande satis-


faction de quelques-uns de ces reptiles intellec-
tuels . Cette preuve jaillit, indirectement et inci-

demment ( comme jaillirent presque toutes les

vérités importantes ) , d'une tentative faite pour


mesurer la densité moyenne de la Terre . Dans

les fameuses expériences que Maskelyne, Cavendish


14.
66 EUREKA

et Bailly firent dans ce but, il fut découvert, vé-


rifié et mathématiquement démontré que l'attrac-

tion de la masse d'une montagne était en accord


exact avec l'immortelle théorie de l'astronome

anglais .
Mais, en dépit de cette confirmation d'une vérité

qui n'en avait aucun besoin , en dépit de la pré-


tendue corroboration de la théorie par la prétendue

preuve oculaire et physique, en dépit du carac-

tère de cette corroboration , - les idées que les

vrais philosophes eux-mêmes ne peuvent s'empêcher

d'accepter relativement à la gravitation , et parti-


culièrement les idées acceptées et complaisamment

maintenues par les hommes vulgaires , ont été évi-

demment tirées , pour la plus grande partie, d'une


considération du principe , tel qu'ils le trouvent
simplement développé sur la planète à laquelle ils
sont attachés .

Or , où tend une considération aussi amoindrie ?


A quelle espèce d'erreur donne-t-elle naissance ?

Sur la Terre nous voyons , nous sentons simplement

que la gravitation chasse tous les corps vers le


EUREKA 67

centre de la Terre . Aucun homme, dans le domaine


ordinaire de la vie, ne peut voir ni sentir autrement ,

ne peut s'empêcher de percevoir que toute chose ,

partout , a une tendance gravitante , perpétuelle,


vers le centre de la Terre, et pas ailleurs ; cepen-

dant (sauf une exception qui sera spécifiée posté-


rieurement) il est certain que chaque chose terrestre
(pour ne pas parler maintenant de toutes les choses

célestes ) a une tendance non-seulement vers le


centre de la Terre , mais en outre vers toute espèce
de direction possible .

Or , quoique les hommes de philosophie ne puis-


sent pas être accusés de se tromper avec le vulgaire

dans cette matière , ils se laissent toutefois influen-

cer , à leur insu , par l'idée vulgaire agissant comme

sentiment. Quoique personne n'ait foi dans les


fables du Paganisme, - dit Bryant dans sa très- sa-
vante Mythologie, - cependant nous nous oublions

sans cesse au point d'en tirer des inductions comme


de réalités existantes. - Je veux dire que la per-

ception purement sensitive de la gravitation , telle


que nous la connaissons sur la Terre, induit l'huma-
68 EUREKA

nité en fantaisie et la fait croire à une concentralisa-

tion, à une sorte de spécialité terrestre; — qu'elle a

toujours incliné vers cette fantaisie les intelligences


même les plus puissantes , -- les détournant perpé-
tuellement, quoique imperceptiblement , de la carac-

téristique réelle du principe ; les ayant empêchées


jusqu'à l'époque présente de saisir même un aperçu

de cette vérité vitale qui se trouve dans une direc-


tion diamétralement opposée, ― derrière les carac-

téristiques essentielles du principe , qui sont , non pas

la concentralisation ou la spécialité , mais l'universa-

lité et la diffusion . Cette vérité vitale est l'Unité ,

prise comme source du phénomène .


Permettez -moi de répéter la définition de la gra-

vitation : Chaque atome, dans chaque corps, altire

chaque autre atome, appartenant au même corps ou


appartenant à tout autre corps, avec une force qui
varie en raison inverse des carrés des distances de
l'atome attirant et de l'atome attiré .

Que le lecteur s'arrête ici un moment avec moi


pour contempler la miraculeuse , ineffable et abso-

lument inimaginable complexité de rapports impli-


EUREKA 69

quée dans ce fait, que chaque atome attire chaque


autre atome, - impliquée seulement dans ce fait de

l'altraction , étant écartée la question de la loi ou


du mode suivant lesquels l'attraction se manifeste , -

impliquée dans ce fait unique que chaque atome

attire plus ou moins chaque autre atome, dans une


immensité d'atomes telle , que toutes les étoiles qui

entrent dans la constitution de l'Univers peuvent


être à peu près comparées pour le nombre aux

alomes qui entrent dans la composition d'un boulet


de canon.

Eussions-nous simplement découvert que chaque


atome tendait vers un point favori , vers quelque

atome particulièrement attractif, nous serions en-


core tombés sur une découverte qui , en elle-même,

aurait suffi pour accabler notre esprit; mais

quelle est cette vérité que nous sommes actuellement

appelés à comprendre ? C'est que chaque atome at-


tire chaque autre atome, sympathise avec ses plus
délicats mouvements , avec chaque atome et avec

tous, toujours , incessamment, suivant une loi dé-


terminée dont la complexité, même considérée seu-
70 EUREKA

lement en elle-même , dépasse absolument les forces

de l'imagination humaine . Si je me propose de me-


surer l'influence d'un seul atome sur l'atome son

voisin dans un rayon solaire , je ne puis pas accom-

plir mon dessein sans d'abord compter et peser tous


les atomes de l'Univers et définir la position précise

de chacun à un moment particulier de la durée . Si


je m'avise de déplacer , ne fût- ce que de la trillio-

nième partie d'un pouce, le grain microscopique de


poussière posé maintenant sur le bout de mon doigt,

quel est le caractère de l'action que j'ai eu la har-


diesse de commettre ? J'ai accompli un acte qui

ébranle la Lune dans sa marche , qui contraint le So-

leil à n'être plus le soleil , et qui altère pour toujours


la destinée des innombrables myriades d'étoiles qui

roulent et flamboient devant la majesté de leur Créa-


teur.

De telles idées , de telles conceptions , pensées

monstrueuses qui ne sont plus des pensées , rêveries


de l'âme plutôt que raisonnements ou même consi-
dérations de l'intellect , de telles idées, je le ré-

pète, sont les seules que nous puissions réussir à


EUREKA 71

créer en nous dans tous nos efforts pour saisir le


grand principe de l'Attraction .

Mais maintenant , avec de telles idées , avec une

telle vision , franchement acceptée , de la merveil-

leuse complexité de l'Attraction , que toute personne ,


capable de réfléchir sur de pareilles matières, s'ap-

plique à imaginer un principe adaptable aux phe-


nomènes observés , ou la condition qui leur a
donné naissance .

Une si évidente fraternité des atomes n'indique-

t-elle pas une extraction commune? Une sympathie si


victorieuse, si indestructible, si absolument indé-

pendante, ne suggère-t- elle pas l'idée d'une source ,

d'une paternité commune ? Un extrême ne pousse-


t-il pas la raison vers l'extrême son contraire ? L'in-

fini dans la division ne se rapporte-t- il pas à l'absolu

dans l'individualité ? Le superlatif de la complexité

ne fait-il pas deviner la perfection dans la simplicité?


Je veux dire , non pas seulement que les atomes ,
comme nous les voyons , sont divisés ou qu'ils sont

complexes dans leurs rapports , mais surtout qu'ils

sont inconcevablement divisés et inexprimablement


142
72 EUREKA

complexes; c'est de l'extrême des conditions que je


veux parler maintenant , plutôt que des conditions
elles-mêmes . En un mot, n'est- ce pas parce que les

atomes étaient , à une certaine époque très-ancienne ,

quelque chose de plus même qu'un assemblage,


n'est-ce pas parce que, originellement , donc norma-

lement , ils étaient Un , que maintenant , en toutes


circonstances , sur tous les points , dans toutes les

directions , par tous les modes de rapprochement ,


dans tous les rapports et à travers toutes les condi-
tions , ils s'efforcent de retourner vers cette unité

absolue, indépendante et inconditionnelle ?

Ici , quelqu'un demandera peut-être : « Pourquoi ,


puisque c'est vers l'Unité que ces atomes s'efforcent

de retourner, ne jugeons-nous pas et ne définissons-

nous pas l'Attraction une simple tendance générale


vers un centre? Pourquoi, particulièrement, vos

atomes, les atomes que vous nous donnez comme


ayant été irradiés d'un centre, ne retournent-ils pas

tous à la fois, en ligne droite , vers le point central


de leur origine ? »

Je réponds qu'ils le font , ainsi que je le montrerai


EUREKA 73

clairement; mais que la cause qui les y pousse est

tout à fait indépendante du centre considéré comme


tel. Ils tendent tous en ligne droite vers un centre,

à cause de la sphéricité selon laquelle ils ont été


lancés dans l'espace . Chaque atome , formant une

partie d'un globe généralement uniforme d'atomes ,


trouve naturellement plus d'atomes dans la direction

du centre que dans toute autre direction ; c'est donc


dans ce sens qu'il est poussé, mais il n'y est pas

poussé parce que le centre est le point de son ori-

gine. Il n'est pas de point auquel les atomes se ral-


lient . Il n'est pas de lieu, soit dans le concret , soit

dans l'abstrait, auquel je les suppose attachés . Rien

de ce qui peut s'appeler localité ne doit être conçu


comme étant leur origine . Leur source est dans le

principe Unité . C'est là le père qu'ils ont perdu .


C'est là ce qu'ils cherchent toujours , immédiatement ,
dans toutes les directions , partout où ils peuvent le

trouver, même partiellement ; apaisant ainsi , dans


une certaine mesure , leur indestructible tendance ,
tout en faisant route vers leur absolue satisfaction

finale .
5
74 EJUREKA

Il suit de tout ceci que tout principe qui sera suf-


fisant pour expliquer en général la loi , ou modus

operandi, de la force attractive , devra aussi expli-


- c'est- à-dire
quer cette loi dans le particulier ;
que tout principe qui montrera pourquoi les atomes

doivent tendre vers leur centre général d'irradia-

tion , avec des forces variant en proportion inverse


des carrés des distances , expliquera d'une manière
satisfaisante la tendance, conforme à la même loi ,
qui pousse l'atome vers l'atome; -car la tendance

vers le centre est simplement la tendance de chacun

vers chacun , et non pas une tendance vers un centre


considéré comme tel .

On voit en même temps que l'établissement de


mes propositions n'implique aucune nécessité
de modifier les termes de la définition newto-
nienne de la Gravitation , laquelle déclare que cha-

que atome attire chaque autre atome , dans une in-

finie réciprocité, et ne déclare que cela ; mais ( en


supposant toutefois que ce que je propose sera fina-

lement admis ) il me semble évident que , dans les

futures opérations de la Science , on pourrait éviter


EUREKA 75

quelque erreur occasionnelle, si l'on adoptait une


phraséologie plus ample, telle que celle - ci : - Cha-

que atome tend vers chaque autre atome, etc. , avec

une force, etc .; le résultat général étant une ten-

dance de tous les atomes ,. avec une force semblable,


vers un centre général.

En reprenant notre route à l'inverse, nous som-


mes arrivés à un résultat identique ; mais , dans l'un

des cas, l'Intuition était le point de départ , dans


l'autre, elle était le but . En commençant mon pre-

mier voyage , je pouvais dire seulement que je sen-


tais , par une irrésistible intuition , que la Simplicité

avait été la caractéristique de l'action originelle de


Dieu; - en finissant mon second voyage , je puis

seulement déclarer que je perçois , par une irrésis-

tible intuition , que l'Unité a été la source des phé-


nomènes de la gravitation newtonienne observés
jusqu'à présent . Ainsi , selon les écoles , je ne prouve
rien. Soit. Je n'ai pas d'autre ambition que de sug-
- et de convaincre par la suggestion . J'ai
gérer ,

l'orgueilleuse conviction qu'il existe des intelligences


humaines profondes, douées d'un prudent discerne:
75 EUREKA

ment, qui ne pourront pas s'empêcher d'être large-


ment satisfaites de mes simples suggestions . Pour
ces intelligences , comme pour la mienne , - il

n'est pas de démonstration mathématique qui puisse


apporter la moindre vraie preuve additionnelle à la

grande Vérité que j'ai avancée , à savoir que l'Unité


Originelle est la source, le principe des Phéno-
mènes Universels . Pour ma part, je ne suis pas

aussi sûr que je parle et que je vois ; je ne suis


pas aussi sûr que mon cœur bat et que mon âme
vit; que le soleil se lèvera demain matin , proba-

bilité qui git encore dans le Futúr , je ne prétends


pas du tout en être aussi sûr que je le suis de ce

Fait irréparablement passé , que Tous les Êtres et


Toutes les Pensées des Êtres, avec toute leur inef-

fable Multiciplicité de Rapports , ont jailli à la fois


à l'existence de la primordiale et indépendante
Unité.
Relativement à la Gravitation newtonienne , le

Docteur Nichol , l'éloquent auteur de l'Architecture

des Cieux, dit : « En vérité , nous n'avons aucune

raison de supposer que cette grande Loi , telle


EUREKA 77

qu'elle nous est aujourd'hui connue , soit la formule

suprême ou la plus simple, conséquemment uni-

verselle et omnicompréhensive, d'une grande Or-


donnance . Le mode suivant lequel son intensité
diminue avec l'élément de la distance n'a pas l'as-

pect d'un principe suprême , lequel principe com-


porte toujours la simplicité de ces axiomes , évidents
par eux-mêmes , qui constituent la base de la Géo-
métrie . »

Il est absolument vrai que les principes suprêmes,


selon le sens usuel des termes, comportent tou-

jours la simplicité des axiomes géométriques (quant


aux choses évidentes par elles-mêmes, il n'en existe

pas) ; — >>> mais ces principes ne sont pas clairement


suprêmes; en d'autres termes , les choses que nous
avons l'habitude de qualifier principes ne sont pas ,

à proprement parler , des principes , puisqu'il

ne peut exister qu'un principe , qui est la Volition


Divine . Nous n'avons donc aucun droit de supposer,

d'après ce que nous observons dans les règles qu'il

nous plaît follement d'appeler principes , quoi que

ce soit qui ressemble aux caractéristiques d'un


78 EUREKA

principe proprement dit . Les principes suprêmes,


dont le Docteur Nichol parle comme comportant la

simplicité géométrique, peuvent avoir et ont en


effet cet aspect géométrique, puisqu'ils sont une

partie intégrante d'un vaste système géométrique,


c'est-à - dire d'un système de simplicité, dans

lequel toutefois le principe vraiment suprême est ,

comme nous le savons , le maximum du complexe,

autrement dit , de l'inintelligible ; - car n'est- ce


pas la Capacité Spirituelle de Dieu ?

Cependant j'ai cité la remarque du docteur Ni-

chol , non pas tant pour infirmer sa philosophie

que pour attirer l'attention sur ce fait, que, malgré

que tous les hommes aient admis un certain prin-


cipe comme existant au delà de la loi de la Gravita-

tion , aucune tentative n'a été faite pour définir ce


qu'est particulièrement ce principe ; si nous ex-

ceptons peut-être quelques visées fantastiques qui


le transportent dans le Magnétisme, dans le Mes-

mérisme , dans le Swedenborgianisme , ou dans le


Transcendantalisme, ou dans tout autre délicieux

isme de la même espèce, invariablement favorisé


EUREKA 79

par une seule et même espèce de gens . Le grand


esprit de Newton , tout en saisissant hardiment la

Loi elle-même, a reculé devant le principe de la Loi.


Plus active , plus compréhensive au moins , sinon

plus patiente et plus profonde, la sagacité de La-


place n'eut pas le courage de s'y attaquer . Mais
l'hésitation de la part de ces astronomes n'est pas

si difficile à comprendre. Eux aussi, comme d'ail-


leurs tous les mathématiciens de la première classe,

ils étaient purement mathématiciens ; leur intelli-


gence du moins était marquée d'un caractère ma-

thématico-physique vigoureusement prononcé . Tout


ce qui n'était pas distinctement situé dans le do-

maine de la Physique ou des Mathématiques leur


apparaissait eomme des Non-Entités ou des Ombres.

Néanmoins, nous pouvons bien nous étonner que

Leibnitz , qui fut une exception remarquable à cette

règle générale, et dont le tempérament spirituel


était un singulier mélange du mathématique avec
le physico-métaphysique , n'ait pas d'abord recher-

ché et défini le point en litige . Newton et Laplace ,

cherchant un principe , et n'en découvrant aucun


80 EUREKA

physique, devaient humblement et tranquillement


s'arrêter à cette conclusion , qu'il n'en existait abso-

lument aucun ; mais il est presque impossible de


concevoir que Leibnitz , ayant épuisé dans ses re-
cherches les domaines de la physique , n'ait pas

marché droit, plein de hardiesse et de confiance , à

travers ce vieux labyrinthe du royaume de la Méta-


physique qui lui était si familier . Il est évident qu'il
a dû s'aventurer à la recherche du trésor ; - s'il

ne l'a pas trouvé, c'est peut-être , après tout , parce

que sa merveilleuse conductrice , son Imagination ,


n'était pas suffisamment adulte ou assez bien édu-

quée pour le diriger dans la bonne route .

J'observais tout à l'heure qu'il avait été fait de


vagues tentatives pour attribuer la Gravitation à de

certaines forces très-douteuses , dont le nom affecte


la désinence isme. Mais ces tentatives , quoique con-

sidérées très -justement comme hardies , n'ont pas

visé plus loin qu'à la généralité, à la pure généra-


lité de la Loi newtonienne . Aucun effort d'explica

tion , aucun effort heureux , à ma connaissance, n'a


été fait relativement à son modus operandi . C'est
EUREKA 81

donc avec une crainte bien légitime d'être pris pour

un fou , dès le début , et avant d'avoir pu porter


mes propositions sous l'œil de ceux-là qui seuls

sont compétents pour décider sur leur valeur , que

je déclare ici que le modus operandi de la Loi de la


Gravitation est une chose excessivement simple et

parfaitement appréciable , à la condition que nous


nous approchions du problème selon une juste gra-
dation et dans la bonne route , - c'est-à-dire si

nous le considérons du point de vue convenable .


VII

Soit que nous arrivions à l'idée d'absolue Unité,


source présumée de Tous les Êtres, par une considé-

ration de la Simplicité prise pour la caractéristique la


plus probable de l'action originelle de Dieu ; - soit

que nous y parvenions par l'examen de l'universa-

lité de rapports dans les phénomènes de la gravita-


tion ; ou soit enfin que nous aboutissions à cette

idée comme au résultat de la corroboration réci-


-
proque des deux procédés , toujours est-il que

l'idée , une fois acceptée , est inséparablement con-


nexe d'une autre idée, celle de la condition de l'Uni-
EUREKA 83

vers sidéral, tel que nous le voyons maintenant,


c'est- à-dire d'une incommensurable diffusion à

travers l'espace . Or , une connexion entre ces idées,


- unité et diffusion , ne peut pas être admis-

sible sans une troisième idée , celle de l'irradiation.


L'Unité Absolue étant prise comme centre, l'Univers
sidéral existant est le résultat d'une irradiation par-
tant de ce centre.

Or , les lois de l'irradiation sont connues . Elles

sont partie intégrante de la sphère . Elles appar-


tiennent à la classe des propriétés géométriques
incontestables . Nous disons d'elles : elles sont

vraies , elles sont évidentes . Demander pourquoi elles

sont vraies , ce serait demander pourquoi sont vrais


les axiomes sur lesquels s'appuie la démonstration
de ces lois . Il n'y a rien de démontrable , pour par-

ler strictement ; mais s'il y a quelque chose de dé-

montrable, les propriétés et les lois en question


sont démontrées .

Mais ces lois , que déclarent- elles ? Comment, par

quels degrés l'irradiation procède-t- elle du centre


vers l'espace?
84 EUREKA

D'un centre lumineux la Lumière émane par

irradiation , et les quantités de lumière reçues par

un plan quelconque, que nous supposerons chan-


geant de position , de manière à se trouver tantôt

plus près , tantôt plus loin du centre , diminueront

dans la même proportion que s'accroîtront les car-


rés des distances entre le plan et le corps lumineux ,

et s'accroîtront dans la même proportion que dimi-


nueront les carrés .

L'expression de la loi peut être ainsi généralisée :


- Le nombre de molécules lumineuses, ou , si l'on

préfère d'autres termes , le nombre d'impressions


Jumineuses , reçues par le plan mobile , sera en pro-

portion inverse des carrés des distances où sera


situé le plan. Et pour généraliser encore , nous pou-

vons dire que la diffusion , l'éparpillement , l'irra-

diation , en un mot, est en proportion directe des


carrés des distances .

Par exemple à la distance B , du centre lumi-


neux A, un certain nombre de particules est épar-

pillé, de manière à occuper la surface B. Donc à la


distance double , c'est-à -dire à C , ces particules se
EUREKA 83

trouveront d'autant plus éparpillées qu'elles occu-


peront quatre surfaces semblables ; à la distance

triple, ou à D, elles seront d'autant plus séparées


les unes des autres qu'elles occuperont neuf sur-

faces semblables ; à une distance quadruple, ou à E,


elles seront tellement diffuses qu'elles s'étendront
sur seize surfaces semblables ; - et ainsi de suite à

l'infini.

B C E

Généralement, en disant que l'irradiation procède

en raison proportionnelle directe des carrés des


distances, nous nous servons du terme irradiation

pour exprimer le degré de diffusion à mesure que


nous nous éloignons du centre . Inversant la propo-

sition , et employant le mot concentralisation pour


86 EUREKA

exprimer le degré d'attraction générale à mesure

que nous nous rapprochons du centre , nous pou-


vons dire que la concentralisation procède en raison
inverse des carrés des distances . En d'autres ter-

mes, nous sommes arrivés à cette conclusion , que ,

dans l'hypothèse que la matière ait été originelle-


ment irradiée d'un centre , et soit maintenant en

train d'y retourner , la concentralisation , ou action

de retour, procède exactement comme nous savons


que procède la force de gravitation .
Or , s'il nous était permis de supposer que la

concentralisation représente exactement la force de

la tendance vers le centre , -- que l'une est en exacte


proportion avec l'autre , et que les deux procèdent
simultanément , nous aurions démontré tout ce qui
était à démontrer . La seule difficulté ici consiste

donc à établir une proportion directe entre la con-


centralisation et la force de concentralisation ; et

nous pouvons considérer la chose comme faite si

nous établissons une proportion semblable entre

l'irradiation et la force d'irradiation .


Une rapide inspection des Cieux suffit pour nous
EUREKA 87

montrer que les étoiles sont distribuées avec une


certaine uniformité générale et à une certaine éga-
lité de distance à travers la région de l'espace où

elles sont groupées , affectant dans leur ensemble une


forme approximativement sphérique ; cette es-

pèce d'égalité, générale plutôt qu'absolue , ne con-


tredisant en rien ma déduction sur l'inégalité de

distances , dans de certaines limites , entre les atomes

originellement irradiés, et représentant un corol

laire du système évident d'infinie complexité de


rapports tirée de l'unité absolue . Je suis parti , on
se le rappelle , de l'idée d'une distribution généra-

lement uniforme , mais particulièrement inégale ,


-
des atomes ; idée confirmée, je le répète , par
une inspection des étoiles , telles qu'elles existent
actuellement .

Mais même dans l'égalité générale de distribu-

tion, en ce qui regarde les atomes , apparaît une


difficulté qui , sans aucun doute , s'est déjà présentée
à ceux de mes lecteurs qui croient que je suppose

cette égalité de distribution effectuée par l'irradia-


tion partant d'un centre. Au premier coup d'œil ,
88 EUREKA

l'idée de l'irradiation nous force à accepter cette

autre idée, jusqu'à présent non séparée et en appa-


rence inséparable , d'une agglomération autour d'un

centre , et d'une dispersion à mesure qu'on s'en


éloigne, l'idée, en un mot , d'inégalité de distri-
bution relativement à la matière irradiée.
Or, j'ai fait observer ailleurs ' que si la Raison , à

la recherche du Vrai , peut jamais trouver sa route,

c'est par des difficultés telles que celle actuellement

en question , par une telle inégalité , par de telles

particularités, par de telles saillies sur le plan ordi-


naire des choses . Grâce à la difficulté, à la particu-

larité qui se présente ici , je bondis d'un seul coup


vers le secret , -secret que je n'aurais jamais pu

atteindre sans la particularité et les inductions

qu'elle me fournit par son pur caractère de parti-


cularité.

La marche de ma pensée , arrivée à ce point , peut


être grossièrement dessinée de la manière suivante :

Double assassinat dans la rue Morgue, - Histoires


extraordinaires .
EUREKA 89

Je me dis « l'Unité, comme je l'ai expliquée ,


est une vérité ; ― je le sens . La Diffusion est une

vérité ; je le vois . L'Irradiation, par laquelle seule


ces deux vérités sont conciliées, est conséquemment

une vérité ; je le perçois . L'égalité de diffusion ,


d'abord déduite à priori et ensuite confirmée par
l'inspection des phénomènes , est aussi une vérité ;

je l'admets pleinement . Jusqu'ici tout est clair
autour de moi ; - il n'y a pas de nuages derrière

lesquels puisse se cacher le secret , le grand secret


du modus operandi de la gravitation ; mais ce

secret est quelque part aux environs , très-certaine-

ment, et n'y eût- il qu'un seul nuage en vue , je serais

tenu de soupçonner ce nuage. » Et justement ,


comme je me dis cela , voilà qu'un nuage apparaît .
Ce nuage est l'impossibilité apparente de concilier

ma vérité, irradiation avec mon autre vérité, éga-


lité de diffusion . Je me dis alors : « Derrière celte

impossibilité apparente doit se trouver ce que je


cherche . » Je ne dis pas : impossibilité réelle ; car
une invincible foi dans mes vérités me confirme

qu'il n'y a là , après tout , qu'une simple difficulté ;


90 EUREKA

mais je vais jusqu'à dire , avec une confiance opi-

niâtre, que, quand cette difficulté sera résolue , nous

trouverons, enveloppée dans le procédé de solution ,


la clef du secret que nous cherchons . De plus , je
sens que nous ne découvrirons qu'une seule solution

possible de la difficulté , et cela , pour cette raison


que, s'il y en avait deux, l'une des deux serait su-

perflue, sans utilité, vide , ne contenant aucune


clef, puisqu'il n'est pas besoin d'une double clef

pour ouvrir un secret quelconque de la nature .


Et maintenant examinons : les notions ordi-

naires , les notions distinctes que nous pouvons avoir

de l'irradiation , sont tirées du mode tel que nous le


voyons appliqué dans le cas de la Lumière . Là nous
trouvons une effusion continue de courants lumi-

neux, avec une force que nous n'avons aucun droit

de supposer variable . Or, dans n'importe quelle ir-


radiation de cette nature, continue et d'une force
invariable , les régions voisines du centre doivent

être inévitablement plus remplies que les régions


éloignées . Mais je n'ai supposé aucune irradiation

telle que celle-là . Je n'ai pas supposé une irradiation.


EUREKA 91

continue; par la simple raison qu'une telle supposition

impliquerait d'abord la nécessité d'adopter une con-


ception que l'homme, ainsi que je l'ai montré , ne
peut pas adopter , et que l'examen du firmament ré-

fute, ainsi que je le démontrerai plus amplement, -


la conception d'un Univers sidéral absolument infini ,
-
et impliquerait, en second lieu , l'impossibilité
de comprendre une réaction , c'est- à - dire la gravita-

tion, telle qu'elle existe maintenant , puisque, tant

qu'une action se continue, aucune réaction , natu-

rellement, ne peut avoir lieu . Donc , ma supposi-


tion , ou plutôt l'inévitable déduction tirée des justes.

prémisses , était celle d'une irradiation déterminée,


d'une irradiation finalement discontinuée .

Qu'il me soit permis maintenant de décrire le seul

mode possible selon lequel nous pouvons com-


prendre que la matière ait été répandue à travers

l'espace, de manière à remplir à la fois les con-


ditions d'irradiation et de distribution généralement

égale .
Par commodité d'illustration , imaginons d'abord
une sphère creuse, de verre ou d'autre matière,
92 EUREKA

occupant l'espace à travers lequel la matière univer-

selle a été également éparpillée , par le moyen de

l'irradiation , de la particule absolue , indépendante ,

inconditionnelle , placée au centre de la sphère .


Un certain effort de la puissance expansive (que
nous présumons être la Volonté Divine) , - en d'au-

tres termes, une certaine force, dont la mesure est la


quantité de matière , c'est- à- dire le nombre des

atomes, - a émis , émet , par irradiation , ce nombre


d'atomes , les chassant hors du centre dans toutes

les directions, leur proximité réciproque diminuant

à mesure qu'ils s'éloignent de ce centre , jusqu'à


ce que finalement ils se trouvent éparpillés sur la
surface intérieure de la sphère .

Quand les atomes ont atteint cette position , ou

pendant qu'ils tendaient à l'atteindre , un second


exercice inférieur de la même force, une seconde
.
force inférieure de la même nature, émet de la

même manière , par irradiation , une seconde couche


d'atomes qui va se déposer sur la première ; le
nombre d'atomes , dans ce cas comme dans le pre-

mier, étant la mesure de la force qui les a émis ,


EUREKA 93

en d'autres termes , la force étant précisément appro-

priée au dessein qu'elle accomplit , la force et le

nombre d'atomes envoyés par cette force étant di-


rectement proportionnels .
Quand cette seconde couche a atteint sa destina-

tion ou pendant qu'elle s'en approche , un troisième


exercice inférieur de la même force, ou une troi-
sième force inférieure de même nature , le

nombre des atomes émis étant dans tous les cas la

mesure de la force, - dépose une troisième couche

sur la seconde , et ainsi de suite, jusqu'à ce que

ces couches concentriques , devenant de moins en


moins vastes, atteignent finalement le point cen-
tral ; et alors la matière diffusible, en même temps

que la force diffusive , se trouve épuisée .


Notre sphère est maintenant remplie, par le

moyen de l'irradiation , d'atomes également répartis .

Les deux conditions nécessaires , celles de l'irradia-


tion et d'une diffusion égale, sont accomplies par le

seul mode qui permette de concevoir la possibilité


de leur accomplissement simultané . C'est pour cette

raison que j'ai l'espérance de trouver maintenant,


96 EUREKA

loi probable , ou modus operandi , pour l'action de


retour, ne peut pas ne pas arriver à cette conclusion

que la loi de retour doit être précisément la réci-


proque de la loi d'émission . Chacun du moins aura

parfaitement le droit de considérer la chose comme

démontrée , jusqu'à ce que quelqu'un donne une


raison plausible qui affirme le contraire , jusqu'à ce
qu'une autre loi de retour soit imaginée que l'intel-

ligence puisse adopter comme préférable .


Donc, la matière irradiée dans l'espace, avec une

force qui varie comme les carrés des distances ,

pourrait à priori être supposée retourner vers son


centre d'irradiation avec une force variant en raison

inverse des carrés des distances ; et j'ai déjà montré

que tout principe qui expliquera pourquoi les


atomes tendent , en raison d'une loi quelconque,

vers le centre général, doit être admis comme ex-


pliquant en même temps , d'une manière suffisante,
pourquoi , en raison de la même loi, ils tendent l'un

vers l'autre . Car, en fait, la tendance vers le centre

général n'est pas une tendance vers un centre po-


sitif; elle a lieu vers ce point, seulement parce que
EUREKA 95

couche quelconque, est en proportion directe du


carré de la distance qui sépare cette couche du
centre.

Mais le nombre des atomes dans une couche

quelconque est la mesure de la force qui a émis

cette couche , c'est -à-dire qu'elle est en proportion


directe de la force.

Donc la force qui a irradié chaque couche est en


proportion directe du carré de la distance entre

cette couche et le centre, ou , pour généraliser, la

force de l'irradiation a eu lieu en proportion directe


des carrés des distances.

Or, la Réaction, autant que nous en pouvons con-

naître , c'est l'Action inversée. Le principe général


de la Gravitation étant, en premier lieu , entendu
comme la réaction d'un acte, comme l'expression

d'un désir de la part de la Matière , existant à l'état


de diffusion , de retourner à l'Unité d'où elle est

issue , et en second lieu , l'esprit étant obligé de dé-


terminer le caractère de ce désir, la manière selon
·
laquelle il doit naturellement se manifester, --

étant, en d'autres termes , obligé de concevoir une


96 EUREKA

loi probable, ou modus operandi , pour l'action de


retour, ne peut pas ne pas arriver à cette conclusion

que la loi de retour doit être précisément la réci-


proque de la loi d'émission . Chacun du moins aura

parfaitement le droit de considérer la chose comme

démontrée, jusqu'à ce que quelqu'un donne une

raison plausible qui affirme le contraire, jusqu'à ce


qu'une autre loi de retour soit imaginée que l'intel-

ligence puisse adopter comme préférable .


Donc, la matière irradiée dans l'espace , avec une

force qui varie comme les carrés des distances ,

pourrait à priori être supposée retourner vers son


centre d'irradiation avec une force variant en raison

inverse des carrés des distances ; et j'ai déjà montré

que tout principe qui expliquera pourquoi les

atomes tendent, en raison d'une loi quelconque ,


vers le centre général, doit être admis comme ex-

pliquant en même temps , d'une manière suffisante ,


pourquoi , en raison de la même loi , ils tendent l'un

vers l'autre . Car , en fait , la tendance vers le centre


général n'est pas une tendance vers un centre po-
sitif; elle a lieu vers ce point, seulement parce que
EUREKA 97

clique atome, en se dirigeant vers un tel point , s'a-


chemine directement vers son centre réel et essentiel,

qui est l'Unité, ― l'Union absolue et finale de toutes


choses.

Cette considération ne présente à mon esprit

aucune difficulté ; mais cela ne m'aveugle pas sur

son obscurité possible pour les esprits moins habi-


tués à manier des abstractions , et en somme il serait

peut-être bon de considérer la proposition d'un ou


deux autres points de vue.

La molécule absolue, indépendante , originelle-


ment créée par la Volition Divine, doit avoir été dans

une condition de normalité positive ou de perfec-


tion ; --
car toute imperfection implique rapport. Le
bien est positif; le mal est négatif; il n'est que la

négation du bien, comme le froid est la négation de

la chaleur , l'obscurité, de la lumière . Pour qu'une


chose soit mauvaise , il faut qu'il y ait quelque autre

chose qui soit comparable à ce qui est mauvais ; —


une condition à laquelle cette chose mauvaise ne

satisfait pas ; une loi qu'elle viole ; un être qu'elle


offense. Si cet être, cette loi, cette condition, rela-
6
98 EUREKA

tivement auxquels la chose est mauvaise , n'existent


pas, ou si , pour parler plus strictement, il n'existe

ni êtres, ni lois, ni conditions , alors la chose ne peut

pas être mauvaise et devra conséquemment être


bonne . Toute déviation de la normalité implique
une tendance au retour . Une différence d'avec ce

qui est normal , droit , juste , ne peut avoir été créée


que par la nécessité de vaincre une difficulté. Et si la

force qui surmonte cette difficulté n'est pas infini-


ment continuée, la tendance indestructible à ce re-

tour pourra à la longue agir dans le sens de sa satis-

faction . La force retirée, la tendance agit . C'est le


principe de réaction , comme conséquence inévitable
d'une action finie . Pour employer une phraseologic

dont on pardonnera l'affectation apparente à cause


de son énergie, nous pouvons dire que la Réaction
est le retour de ce qui est et ne devrait pas être vers

ce qui était originellement , et conséquemment de-


---
vrait être; et j'ajoute que l'on trouverait toujours
la force absolue de la Réaction en proportion di-

recte avec la réalité , la vérité , l'absolu du principe


-
originel, s'il était possible de mesurer celui-ci ;
EUREKA 99

et conséquemment la plus grande de toutes les réac-


tions concevables doit être celle produite par la ten-
dance dont il est question ici , la tendance à

retourner vers l'absolu originel, vers le suprême

primitif. La gravitation doit donc être la plus éner-


gique de toutes les forces, - idée obtenue à priori

et largement confirmée par l'induction . Quel usage


je ferai de cette idée , on le verra par la suite .

Les atomes, ayant été répandus hors de leur con-


dition normale d'Unité , cherchent à retourner

vers quoi ? Non pas , certainement, vers aucun point


particulier ; car il est clair que si , au moment de la

diffusion , tout l'Univers matériel avait été pro-

jeté collectivement à une certaine distance du point


d'irradiation, la tendance atomique vers le centre
de la sphère n'aurait pas été troublée le moins du

monde ; les atomes n'auraient pas cherché le point

de l'espace absolu dont ils étaient originairement


Issus. C'est simplement la condition , et non le point
ou le lieu où cette condition a pris naissance , que les
atomes cherchent à rétablir ; ce qu'ils désirent ,

c'est simplement cette condition qui est leur norma-

152726B
100 EUREKA

lité. « Mais ils cherchent un centre, - dira-t-on ,


--
et un centre est un point. » C'est vrai ; mais ils
cherchent ce point, non dans son caractère de point

(car si toute la sphère changeait de position , ils


chercheraient également le centre , et le centre serait
alors un autre point) , mais parce que, en raison de

la forme dans laquelle ils existent collectivement


(qui est celle de la sphère) , c'est seulement par le

point en question, qui est le centre de la sphère ,


qu'ils peuvent atteindre leur véritable but , l'Unité .
Dans la direction du centre , chaque atome perçoit

plus d'atomes que dans toute autre direction . Chaque


atome est poussé vers le centre , parce que sur la

ligne droite, qui s'étend de lui au centre et qui con-


tinue au delà jusqu'à la circonférence , se trouve un

plus grand nombre d'atomes que sur toute autre


ligne droite, un plus grand nombre d'objets qui
le cherchent, lui, atome individuel , - un plus

grand nombre de satisfactions pour sa propre ten-


dance à l'Unité , en un mot, parce que dans la
direction du centre se trouve la plus grande possi-

bilité de satisfaction générale pour son appétit in-


EUREKA 101

dividuel. Pour parler brièvement, la condition de


l'Unité est en réalité ce que cherchent les atomes,
et s'ils semblent chercher le centre de la sphère , ce

n'est qu'implicitement, parce que le centre impli-


que , contient, enveloppe le seul centre essentiel,

l'Unité . Mais , en raison de ce caractère double et


implicite, il est impossible de séparer pratiquement
la tendance vers l'Unité abstraite de la tendance vers

le centre concret. Ainsi la tendance des atomes vers

le centre général est , à tous égards , pratique et


logique, la tendance de chacun vers chacun , et

cette tendance réciproque universelle est la tendance

vers le centre ; l'une peut être prise pour l'autre ;


tout ce qui s'applique à l'une doit s'appliquer à

l'autre, et enfin tout principe qui expliquera suffi-

samment l'une est une explication indubitable de


l'autre.

Je regarde soigneusement autour de moi pour

trouver une objection rationnelle contre ce que j'ai

avancé , et je n'en puis découvrir aucune ; mais


parmi cette classe d'objections généralement pré-

sentées par les douteurs de profession , les amoureux


6.
102 EUREKA

du Doute, j'en aperçois très-aisément trois , et je


vais les examiner successivement .

On dira peut- être d'abord : « La preuve que la


force d'irradiation (dans le cas en question) est en

proportion directe des carrés des distances repose

sur cette supposition gratuite que le nombre des


atomes dans chaque couche est la mesure de la force
par laquelle ils ont été émis . »

Je réponds que non-seulement j'ai parfaitement


le droit de faire une telle supposition , mais que je
n'aurais aucun droit d'en faire une autre . Ce que je

suppose est simplement qu'un effet sert de mesure

à la cause qui le produit , que tout exercice de la


Volonté Divine sera proportionnel au but qui ré-

clame cet exercice , B et que les moyens de l'Omni-


potence, ou de l'Omniscience , seront exactement
appropriés à ses desseins . Le déficit ou l'excès dans

la cause ne peuvent engendrer aucun effet. Si la

force qui a irradié chaque couche dans la position

qu'elle occupe avait été moins ou plus grande qu'il


n'était nécessaire , c'est- à-dire , si elle n'avait pas été

en proportion directe avec le but, alors cette couche


EUREKA 103

n'aurait pas pu être irradiée à sa juste position . Si

la force qui, en vue d'une égalité générale de distri-


bution , a émis le nombre juste d'atomes pour cha-

que couche, n'avait pas été en proportion directe


avec le nombre, alors ce nombre n'aurait pas été le
nombre demandé pour une égale distribution .

La seconde objection supposable a de meilleurs


droits à une réponse .

C'est un principe admis en dynamique que tout

corps, recevant une impulsion , une disposition à se


mouvoir, se meut en ligne droite dans la direction

donnée par la force impulsive , jusqu'à ce qu'il soit


détourné ou arrêté par quelque autre force . Com-
ment donc, demandera-t - on peut-être , ma première

couche , la couche extérieure d'atomes peut- elle


arrêter son mouvement à la surface de la sphère de
verre imaginaire, quand une seconde force , d'un
caractère non imaginaire , ne se manifeste pas , pour
expliquer cette interruption dans le mouvement?

Je réponds que l'objection prend naissance ici

dans une supposition tout à fait gratuite de la part


du critique , - la supposition d'un principe dyna-
104 EUREKA

mique à une époque où il n'existait pas de principes,


en quoi que ce soit ; - je me sers naturellement du

mot principe dans le sens même que le critique at-


tribue à ce mot.

Au commencement des choses , nous ne pouvons

admettre , nous ne pouvons comprendre qu'une


Première Cause, le Principe vraiment suprême, la
Volonté de Dieu . L'action primitive , c'est- à-dire l'Ir-
radiation de l'Unité , doit avoir été indépendante de
tout ce que le monde appelle principe , parce que ce
que nous désignons sous ce terme n'est qu'une con-

séquence de la réaction de cette action primitive ;


je dis action primitive; car la création de la molé-
cule matérielle absolue doit être considérée comme

une conception plutôt que comme une action dans


le sens ordinaire du mot. Ainsi nous regarderons

l'action primitive comme une action tendant à l'éta-


blissement de ce que nous appelons maintenant

principes . Mais cette action primitive elle-même


doit être entendue comme une Volition continue.

La Pensée de Dieu doit être comprise comme don-


nant naissance à la Diffusion , comme l'accompa-
EUREKA 105

gnant, comme la régularisant , et finalement comme

se retirant d'elle après son accomplissement . Alors

commence la Réaction , et par la Réaction , le prin-


cipe, dans le sens où nous employons le mot . Il se-
rait prudent, toutefois , de limiter l'application de ce
mot aux deux résultats immédiats de la cessation de

la Volition Divine , c'est-à-dire aux deux agents , At-

traction et Répulsion . Chaque autre agent naturel

dérive , plus ou moins immédiatement , de ces deux-

là et serait en conséquence plus convenablement

désigné sous le nom de sous - principe .


On peut objecter en troisième lieu que le mode
particulier de distribution des atomes que j'ai ex-
posé est une hypothèse et rien de plus.
Or, je sais que le mot hypothèse est une lourde
massue , empoignée immédiatement , sinon soule-

vée, par tous les petits penseurs , à la première ap-


parence d'une proposition portant , plus ou moins ,
le costume d'une théorie. Mais il n'y a ici aucune

bonne raison pour jouer de ce terrible marteau de

l'hypothèse, même pour ceux qui sont capables de


le soulever , géants ou mirmidons .
106 EUREKA

Je maintiens d'abord que le mode tel que je l'ai

décrit est le seul par lequel nous puissions conce-


voir que la Matière ait été répandue de manière à

satisfaire à la fois aux deux conditions d'irradiation

et de distribution généralement égale . J'affirme en-

suite que ces conditions elles-mêmes se sont impo-


sées à ma pensée comme résultats inévitables d'un

raisonnement aussi logique que celui sur lequel


repose n'importe quelle démonstration d'Euclide ;

et j'affirme, en troisième lieu , que, quand même


l'accusation d'hypothèse serait aussi bien appuyée
qu'elle est, en fait , vaine et insoutenable , la validité
et l'infaillibilité de mon résultat n'en serait ce-

pendant pas infirmée , même dans le plus petit


détail.

Je m'explique : - la Gravitation newtonienne ,

loi de la Nature , loi dont l'existence ne peut être


mise en question qu'à Bedlam, loi qui , une fois ad-
mise, nous donne le moyen d'expliquer les neuf
dixièmes des phénomènes de l'Univers , - loi que
nous sommes, à cause de cela même , et sans en ré-

férer à aucune autre considération , disposés à admet-


EUREKA 107

tre et que nous ne pouvons nous empêcher de recon-

naître comme loi , mais loi dont ni le principe


ni le modus operandi du principe n'ont été jusqu'à
présent décalqués par l'analyse humaine , -— loi enfin

qui n'a été trouvée susceptible d'aucune explication ,


ni dans son détail , ni dans sa généralité , - se mon-

tre décidément explicable et expliquée sur tous les


points , pourvu seulement que nous donnions notre

assentiment à... à quoi ? A une hypothèse ? Mais si

une hypothèse, si la plus pure hypothèse , une


.
hypothèse à l'appui de laquelle , comme dans le cas
de la Loi newtonienne , pure hypothèse elle- même ,

ne se présente pas l'ombre d'une raison à priori,


- si une hypothèse , même aussi absolue que tout
ce que celle-ci comporte, nous permet d'assigner

un principe à la Loi newtonienne , nous permet

de considérer comme remplies des conditions si


miraculeusement , si ineffablement complexes et en

apparence inconciliables , comme celles impliquées


dans les rapports que nous révèle la Gravitation ,

quel être rationnel poussera la sottise jusqu'à appe-


ler plus longtemps « hypothèse , » même cette ab-
108 EUREKA
-
solue hypothèse , à moins qu'il ne persiste ainsi
en sous-entendant que c'est simplement par pur
amour pour l'irrévocabilité des mols ?

Mais quel est actuellement le véritable état de la

question ? Quel est le fait ? Non- seulement ce n'est

pas une hypothèse que nous sommes priés d'adop-


ter, pour expliquer le principe en question , mais

c'est une conclusion logique que nous sommes invi-


tés, non pas à adopter si nous pouvons nous en

dispenser, mais simplement à nier si cela nous est


possible; une conclusion d'une logique si exacte
que la discuter , douter de sa validité, serait un
effort au-dessus de nos forces ; une conclusion à

laquelle nous ne voyons pas le moyen d'échapper ,


de quelque côté que nous nous tournions ; un ré-
sultat que nous trouvons toujours en face de nous ,

soit que l'induction nous ait promenés à travers les


phénomènes de la dite Loi , soit que nous redescen-
dions, avec la déduction , de la plus rigoureusement
simple de toutes les suppositions , en un mot, de

la supposition de la Simplicité elle-même .


Et si maintenant, par pur amour de la chicane ,
EUREKA 109

on objecte que , bien que mon point de départ soit,


comme je l'affirme, la supposition de l'absolue Sim-

plicité, cependant la Simplicité , considérée en elle-

même, n'est point un axiome, et que les déductions


tirées des axiomes sont les seules incontestables,

alors je répondrai :

Toute autre science que la Logique est une science


de certains rapports concrets. L'Arithmétique , par
-
exemple , est la science des rapports de nombre,
la Géométrie , des rapports de forme, - les Mathé-

matiques en général , des rapports de quantité en

général , de tout ce qui peut être augmenté ou di-


minué . Mais la Logique est la science du Rapport
dans l'abstrait , du Rapport absolu , du Rapport con-

sidéré en lui-même . Ainsi , dans toute science autre

que la Logique, un axiome est une proposition pro-


clamant certains rapports concrets qui semblent
trop évidents pour être discutés , comme quand nous

disons , par exemple , que le tout est plus grand que


sa partie ; - et le principe de l'axiome Logique à

son tour, ou dans d'autres termes , le principe d'un

axiome dans l'abstrait, est simplement l'évidence de


7
110 EUREKA

rapport. Or , il est clair , d'abord , que ce qui est


évident pour un esprit peut n'être pas évident pour

un autre ; ensuite , que ce qui est évident pour un


esprit à une époque peut n'être pas du tout évident

à une autre époque pour le même esprit. Il est clair ,

de plus, que ce qui est évident aujourd'hui pour la

majorité de l'humanité ou pour la majorité des


meilleurs esprits humains , peut demain , pour ces

mêmes majorités , être plus ou moins évident, ou

même n'être plus évident du tout . On voit donc que

le principe axiomatique lui-même est susceptible de


variation, et que naturellement les axiomes sont

susceptibles d'un semblable changement . Puisqu'ils


sont variables , les vérités, auxquelles ils donnent

naissance , sont aussi nécessairement variables , ou ,

en d'autres termes , sont telles , qu'il ne faut jamais


s'y fier absolument , puisque la Vérité et l'Immu-
tabilité ne font qu'un .

Or , il est facile de comprendre qu'aucune idée


axiomatique , aucune idée fondée sur le principe
flottant de l'évidence de rapport, ne peut fournir ,

pour une construction quelconque de la Raison , une


EUREKA 111

base aussi sûre, aussi solide , que cette idée (quelle


qu'elle soit, n'importe où nous la puissions trou-
ver, et si toutefois il est possible de la trouver quel-

que part) , qui sera absolument indépendante , qui

non - seulement ne présentera à l'esprit aucune évi-


dence de rapport, grande ou petite , mais encore

lui imposera la nécessité de n'en voir aucune . Si une

telle idée n'est pas ce que nous appelons étourdi-


ment un axiome, elle est au moins préférable ,

comme base logique, à tout axiome qui ait jamais


été avancé, ou à tous les axiomes imaginables réu-

nis ; — et telle est précisément l'idée par laquelle

commence mon procédé de déduction , que l'in-


duction corrobore si parfaitement . Ma particule

propre n'est que l'absolue Indépendance . Pour ré-

sumer ce que j'ai avancé , je suis parti de ce point


que j'ai considéré comme évident , à savoir que le

Commencement n'avait rien derrière lui ni devant

lui, — qu'il y avait eu en fait un Commencement,


--
que c'était un commencement et rien autre

chose qu'un commencement, - bref que ce Com-


mencement était... ce qu'il était . Si l'on veut que
112 EUREKA

ce soit là une pure supposition , j'y consens .


Pour finir cette partie de mon sujet , je suis plei-
nement autorisé à déclarer que la Loi, que nous

nommons habituellement Gravitation , existe en


raison de ce que la Matière a été, à son origine,

irradiée atomiquement , dans une sphère limitée¹

d'Espace, d'une Particule Propre , unique, indivi-

duelle, inconditionnelle , indépendante et absolue,


selon le seul mode qui pouvait satisfaire à la fois
aux deux conditions d'irradiation et de distribution

généralement égale à travers la sphère, — c'est-à-


dire par une force variant en proportion directe des

carrés des distances comprises entre chacun des


atomes irradiés et le centre spécial d'Irradiation .

J'ai déjà dit pour quelles raisons je présumais que

la Matière avait été éparpillée par une force déter-


minée, plutôt que par une force continue ou infini-

ment continuée. D'abord, en supposant une force

continue, nous ne pourrions comprendre aucune

¹ Une sphère est nécessairement limitée; mais je préfère la


tautologie au danger de n'être pas compris. E. P.
EUREKA 113

espèce de réaction ; et ensuite nous serions obligés


d'accepter l'idée inadmissible d'une extension infi-

nie de Matière . Sans nous appesantir sur l'impossi-


bilité de cette conception , remarquons que l'exten-

sion infinie de la Matière est une idée qui , si elle


n'est pas positivement contredite , du moins n'est

pas du tout confirmée par les observations télesco-


--
piques ; c'est un point à éclaircir plus tard ; et

cette raison empirique qui nous fait croire que la


Matière est originellement finie se trouve confirmée
d'une manière non empirique . Ainsi , par exemple ,

en admettant, pour le moment, la possibilité de


comprendre l'Espace rempli par les atomes irra-
diés, c'est-à- dire en admettant, autant que nous le
pouvons , que la succession des atomes irradiés

n'ait absolument pas de fin , il est suffisamment clair


que, même après que la Volonté Divine s'est retirée

d'eux et que la tendance à retourner vers l'Unité

a eu , d'une manière abstraite, permission de se


satisfaire, cette permission aurait été futile et inef-

ficace, sans valeur pratique et sans effet quelconque.


Aucune Réaction n'aurait pu avoir lieu ; aucun
114 EUREKA

mouvement vers l'Unité n'aurait pu se faire; au-

cune loi de Gravitation n'aurait pu s'établir .

Expliquons mieux la chose . Accordez que la ten-


dance abstraite d'un atome quelconque vers un

autre atome quelconque est le résultat inévitable de


la diffusion de l'Unité normale, ou ce qui est la

même chose , admettez qu'un atome donné quel-


conque se propose de se mouvoir dans une direc-

tion donnée quelconque, il est clair que, s'il y a

une infinité d'atomes de tous les côtés de l'atome qui

se propose de se mouvoir, il ne pourra jamais se


mouvoir , dans la direction donnée, vers la satisfac-

tion de sa tendance , en raison d'une tendance préci-


sément égale et contre- balançante dans la direction
diamétralement opposée . En d'autres termes, il y a

exactement autant de tendances derrière que devant


l'atome hésitant ; car c'est une pure sottise de dire

qu'une ligne infinie est plus longue ou plus courte


qu'une autre ligne infinie , ou qu'un nombre infini

est plus gros ou plus petit qu'un autre nombre in-

fini . Ainsi l'atome en question doit rester station-

naire à jamais . Dans les conditions impossibles que


EUREKA 115

nous nous sommes efforcés de concevoir , simple-


ment pour l'amour de la discussion , il n'y aurait eu

aucune aggrégation de Matière , ni étoiles, ni


mondes , - rien qu'un Univers éternellement ato-

mique et illogique . En effet , de quelque façon que


vous considériez la chose, l'idée d'une Matière illi-

mitée est non-seulement insoutenable, mais impos-


sible et pertubatrice de tout ordre.

En nous figurant les atomes compris dans une


sphère, nous concevons tout de suite une satisfac-

tion possible pour la tendance à la réunion . Le ré-

sultat général de la tendance de chacun vers chacun


étant une tendance de tous vers le centre , la mar-

che générale de la condensation , ou le rapproche-


ment, commence immédiatement, par un mouve-
ment commun et simultané , avec la retraite de la

Volition Divine ; les rapprochements individuels


ou coalescences -- non pas fusions - d'atome à

atome étant sujets à des variations presque infinies

dans le temps , le degré et la condition , en raison de


l'excessive multiplicité de rapports produite par les

différences de forme qui caractérisaient les atomes


116 EUREKA

au moment où ils se séparaient de la Particule Pro-

pre ; produite également par l'inégalité particulière


et subséquente de distance de chacun à chacun .

Ce que je désire faire entrer dans l'esprit du lec-

teur , c'est la certitude que , tout d'abord (la force


diffusive ou Volition Divine s'étant retirée), de la

condition des atomes telle que je l'ai décrite , ont

dû , sur d'innombrables points à travers la sphère


Universelle, naître d'innombrables agglomérations ,

caractérisées par d'innombrables différences spéci-


fiques de forme , de grosseur , de nature essentielle ,
et de distance réciproque. Le développement de la
Répulsion ( Électricité) doit naturellement avoir
commencé avec les premiers efforts particuliers vers
l'Unité, et avoir marché constamment en raison de
la Coalescence , --- c'est-à-dire de la Condensation ,

ou, conséquemment, de l'Hétérogénéité .

Ainsi les deux Principes proprement dits , l'At-


traction et la Répulsion , le Matériel et le Spirituel,

s'acompagnent l'un l'autre dans la plus étroite


confraternité. Ainsi le Corps et l'Ame marchent de
concert.
VIII

Si maintenant, en imagination , nous choisissons ,

à travers la sphère Universelle , une quelconque de


ces agglomérations considérées dans leurs phases

primaires, et si nous supposons que cette agglomé-


ration commençante a eu lieu sur ce point où existe.
le centre de notre Soleil , ou plutôt où il existait

originellement (car le Soleil change perpétuellement


de position) , nous nous rencontrerons infaillible-

ment avec la plus magnifique des théories, et , pen-

dant un certain temps au moins, nous avancerons


7.
118 EUREKA

avec elle, - je veux dire avec la Cosmogonie de


Laplace ; quoique Cosmogonie soit un terme
trop compréhensif pour l'objet dont l'auteur traite

en réalité, qui est seulement la constitution de notre

système solaire , c'est-à-dire d'un système parmi la

myriade de systèmes analogues qui composent l'U-


nivers proprement dit , cette sphère Universelle ,

cet omni-compréhensif et absolu Kosmos qui forme

le sujet de mon présent discours .

Laplace, se confinant dans une région évidemment


limitée; celle de notre système solaire, avec son entou-

rage comparativement immédiat, et supposant pure-

ment, c'est-à-dire sans établir aucune base quelcon-

que, par induction ou par déduction , une grande

partie de ce que j'essayais tout à l'heure de fixer sur


une base plus solide qu'une pure hypothèse ; -sup-

posant, par exemple , la matière répandue (sans pré-


tendre expliquer cette diffusion) à travers l'espace

occupé par notre système, et même un peu au delà ;

répandue à l'état de nébulosité hétérogène et obéis-


sant à la loi toute-puissante de la Gravitation ,
dont il ne s'avise pas de conjecturer le principe ;

1444
EUREKA 119

supposant toutes ces choses (qui sont parfai-


tement vraies , bien qu'il n'eût pas logiquement le

droit de les supposer) , Laplace , dis-je , a montré ,


dynamiquement et mathématiquement , que les

résultats naissant forcément de telles circonstances

sont ceux , et ceux-là seuls , que nous voyons mani-


festés dans la condition actuelle du système solaire.

Je m'explique. Supposons que cette agglomé-

ration particulière dont nous avons parlé , celle qui a


eu lieu au point marqué par le centre de notre So-

leil, ait continué jusqu'à ce qu'une vaste quantité de


matière nébuleuse y ait pris une forme à peu près

sphérique; son centre coïncidant évidemment avec

le centre actuel ou plutôt le centre originel de notre



Soleil, et sa périphérie s'étendant au delà de l'orbite

de Neptune , la plus éloignée de nos planètes ; en

d'autres termes , supposons que le diamètre de cette


sphère grossière ait été d'environ six mille millions
de milles . Pendant des siècles , cette masse de ma-

tière a été se condensant, tant qu'à la longue elle a


été réduite au volume que nous imaginons , ayant

procédé graduellement depuis son état atomique et


120 EUREKA

imperceptible jusqu'à ce que nous entendons par


une nébulosité visible , palpable , ou appréciable
d'une manière quelconque .

Or, la condition de cette masse implique une ro-


tation autour d'un axe imaginaire, - rotation , qui ,

commençant avec les premiers symptômes d'aggré-


gation , a depuis lors toujours acquis de la vélocité .

Les deux premiers atomes qui se sont rencon-


trés , partant de points non diamétralement op-

posés , ont dû , se précipitant un peu au delà l'un


de l'autre, former un noyau pour le mouvement ro-
tatoire en question . Comment ce mouvement a aug-

menté en vélocité, on le voit aisément . Les deux

atomes sont rejoints par d'autres ; une agréga-


tion est formée . La masse continue à tourner tout
en se condensant. Mais tout atome situé à la circon-

férence subit naturellement un mouvement plus

rapide qu'un atome placé plus près du centre . Néan-


moins l'atome éloigné, avec sa vélocité supérieure ,

se rapproche du centre, portant avec lui cette vé-

locité supérieure à mesure qu'il avance . Ainsi


chaque atome marchant vers le centre , et s'attachant
EUREKA 121

finalement au centre de la condensation , ajoute

quelque chose à la vélocité originelle de ce centre ,


c'est-à-dire accroît le mouvement rotatoire de la
masse.

Supposons maintenant cette masse condensée

à ce point qu'elle occupe précisément l'espace cir-

conscrit par l'orbite de Neptune , et que la vélocité

avec laquelle se meut , dans la rotation générale , la


surface de la masse , soit précisément celle avec la-
quelle Neptune accomplit maintenant sa révolution

autour du Soleil . A cette époque déterminée , nous


comprenons que la force centrifuge constamment

croissante, l'emportant sur la force centripète non

croissante, a dû faire se dégager et se séparer les


couches extérieures les moins condensées , à l'équa-

teur de la sphère, là où prédominait la vélocité tan-


gentielle; de sorte que ces couches ont formé autour

du corps principal un anneau indépendant circon-

venant les régions équatoriales ; juste comme la

partie extérieure d'une meule, chassée par une exces-


sive vélocité de rotation , formerait un anneau au-

tour de la meule, si la solidité de la superficie n'y


122 EUREKA

faisait obstacle; mais si cette matière était du caout-

chouc, ou toute autre d'une consistance à peu près

semblable , le phénomène en question se manifeste-


rait infailliblement .

L'anneau , chassé ainsi par la masse nébuleuse , a


dû naturellement accomplir sa révolution , comme

anneau individuel, juste avec la même vélocité qui


le faisait tourner comme surface de la masse . En

même temps, la condensation continuant toujours ,


l'intervalle entre l'anneau projeté et le corps prin-

cipal a dû s'accroître sans cesse, tant qu'à la fin


le premier s'est trouvé à une vaste distance du
dernier .

Or, en admettant que l'anneau ait possédé , par

quelque arrangement en apparence accidentel de


ses éléments hétérogènes , une constitution presque

uniforme , cet anneau , dans ces conditions , n'aurait


jamais cessé de tourner autour du corps principal ;

mais , comme on pouvait s'y attendre , il paraît qu'il

y a eu dans la disposition de ses éléments assez


d'irrégularité pour les faire se grouper autour de

centres d'une solidité supérieure ; et ainsi la forme


EUREKA 123

annulaire a été détruite . Sans aucun doute , la

bande a été bientôt rompue en plusieurs morceaux ,

et l'un de ces morceaux , d'un volume plus considé-

rable , a absorbé les autres en lui ; le tout s'est tassé ,


sphériquement, en une planète . Que ce dernier

corps ait continué , comme planète , le mouvement

de révolution qui le caractérisait quand il était an - `


neau , cela est suffisamment évident ; et l'on voit

aussi facilement qu'il a dû , de sa nouvelle condition

de sphère , tirer un mouvement additionnel. Si nous


considérons l'anneau comme n'étant pas encore

rompu, nous voyons que sa partie extérieure, pen-


dant que la totalité tourne autour du corps généra-

teur , se meut avec plus de rapidité que sa partie in-

térieure. Donc , quand la rupture s'est faite , une

partie dans chaque fragment a dû se mouvoir avec

1 Laplace a supposé sa nébulosité hétérogène, simplement


parce que cela lui permettait d'expliquer le morcellement de
anneaux ; car si la nébulosité avait été homogène, ils ne se se
raient pas brisés. J'arrive au même résultat (hétérogénéité des
masses secondaires résultant immédiatement des atomes) sim-
plement par une considération a priori de leur but général ,
qui est le Relatif. E. P.
124 EUREKA

plus de vélocité que les autres . Le mouvement su-

périeur prédominant a dû faire tourner chaque frag-


ment sur lui-même, c'est-à -dire lui imprimer une
rotation ; et le sens de cette rotation a été naturel-

lement le sens de la révolution d'où elle avait pris


naissance . Tous les fragments ayant subi ladite ro-
tation l'ont , en se réunissant, forcément commu-

niquée à la planète formée par leur cohésion .


Cette planète fut Neptune . Ses éléments continuant

à se condenser , et la force centrifuge produite dans


sa rotation l'emportant à la longue sur la force cen-

tripète, comme nous l'avons vu dans le cas du globe

générateur, un anneau a été également projeté de

la surface équatoriale de cette planète ; cet anneau ,

presque uniforme dans sa constitution , a été rompu ,


et ses divers fragments , absorbés par le plus massi
de tous, ont été collectivement sphérifiés en une
June. Le phénomène répété une seconde fois a donné
pour résultat une seconde lune. Ainsi nous trouvons

expliquée la planète Neptune avec les deux satellites

qui l'accompagnent.

En projetant de son équateur un anneau , le So-


EUREKA 125

leil avait rétabli entre ses deux forces , centripète et

centrifuge, l'équilibre rompu par le progrès de la


condensation ; mais cette condensation continuant

toujours , l'équilibre fut de nouveau troublé par


suite de l'accroissement de la rotation . Pendant que

la masse s'était rétrécie au point de n'occuper que

juste l'espace sphérique circonscrit par l'orbite


d'Uranus, la force centrifuge , cela se comprend ,

avait pris une influence assez grande pour nécessiter


un nouveau soulagement . Conséquemment, une se-
conde bande équatoriale fut lancée , qui, n'étant pas
d'une constitution uniforme, a été brisée, comme

dans le cas précédent de Neptune ; les fragments

tassés sont devenus la planète Uranus ; et la vélocité


de sa révolution actuelle autour du Soleil nous
donne évidemment la mesure de la vitesse rotatoire

de la surface équatoriale du Soleil au moment de la


séparation . Uranus , tirant sa rotation des rotations

combinées des fragments auxquels il devait sa nais-

sance, comme nous l'avons expliqué pour le cas


précédent, projeta alors successivement des an-
neaux, dont chacun , se brisant, se modela en lune .
124 EUREKA

, furent formées
plus de vélocité que les autr
périeur prédominant a d^ et la sphérification
cts non uniformes dans
ment sur lui-même, ‹
rotation ; et le sens
cil se réduisait à n'occuper
lement le sens de pon
naissance . Tous conscrit par l'orbite de Saturne,
r
se nce entre ses deux
tation l'ont , po r que la bala

niquée à et centrifuge, avait été dérangée


se oire ltat e
m ent de la vites rotat , résu d
Cette pla
o n n t e s s iter -
à se co rati , au poi de néc un troi
bre
uili ne ande -
sa ro¹ efter vers l'éq , et qu'u b annu
n t s
e éde
trip coemnmt dans les deux cast préc e , fut con-
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1 rmité e es arties e consre
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unifo d s n e p , s è potu a de ord
è t e u r e
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la plan Sat . Cet pro d'a
s e e s
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,] un acci
nt m e
app
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, ass u et ass s p n
r nir c u ne a s ion t u re s i i-
fo u au occ de rup ; aus ils cont
EUREKA 127

ner sous la forme d'anneaux . Je dis

ent; car pour un accident dans le

aire, il n'y en eut évidemment aucun ; le


ici s'applique simplement au résultat d'une
‹ indiscernable ou que nous ne pouvons pas im-
médiatement étudier.

Se réduisant toujours de plus en plus , jusqu'à

n'occuper que l'espace circonscrit par l'orbite de


Jupiter , le Soleil éprouva bientôt le besoin d'un
nouvel effort pour restaurer l'équilibre de ses deux

forces , perpétuellement dérangé par l'accroissement


continu de la vitesse de rotation . En conséquence

Jupiter fut lancé hors du Soleil , passant de la con-


dition annulaire à l'état planétaire , et , arrivé à ce

second état, projeta à son tour , à quatre époques

différentes , quatre anneaux , qui finalement se trans-


formèrent en autant de lunes .

Se rétrécissant toujours , jusqu'à ce que sa sphère

n'occupât que juste l'espace défini par l'orbite des


Astéroïdes , le Soleil se déchargea d'un anneau qui

paraît avoir eu huit centres de solidité supérieure ,

et en se brisant, avoir produit huit fragments , dont


126 EUREKA

Trois lunes , à différentes époques, furent formées


de cette façon par la rupture et la sphérification
d'autant d'anneaux distincts non uniformes dans

leur constitution .
Pendant que le Soleil se réduisait à n'occuper

que juste l'espace circonscrit par l'orbite de Saturne ,


nous devons supposer que la balance entre ses deux

forces, centripète et centrifuge, avait été dérangée


par l'accroissement de la vitesse rotatoire, résultat de

la condensation , au point de nécessiter un troi-


sième effort vers l'équilibre , et qu'une bande annu-

laire, comme dans les deux cas précédents, fut con-


séquemment lancée , qui , bientôt rompue par la non-
uniformité de ses parties , se consolida pour devenir

la planète Saturne . Cette dernière projeta d'abord

sept bandes , qui , après s'être rompues , se sphéri-


fièrent en autant de lunes ; mais elle paraît s'ètre

subséquemment déchargée, à trois époques dis-

tinctes et peu éloignées l'une de l'autre , de trois an-


neaux dont la constitution se trouva , par un accident

apparent, assez uniforme et assez solide pour ne

fournir aucune occasion de rupture ; aussi ils conti-


EUREKA 127

nuent à tourner sous la forme d'anneaux . Je dis

accident apparent ; car pour un accident dans le

sens ordinaire , il n'y en eut évidemment aucun ; le


terme ici s'applique simplement au résultat d'une
loi indiscernable ou que nous ne pouvons pas im-
médiatement étudier .

Se réduisant toujours de plus en plus , jusqu'à


n'occuper que l'espace circonscrit par l'orbite de

Jupiter, le Soleil éprouva bientôt le besoin d'un

nouvel effort pour restaurer l'équilibre de ses deux


forces , perpétuellement dérangé par l'accroissement
continu de la vitesse de rotation . En conséquence

Jupiter fut lancé hors du Soleil, passant de la con-


dition annulaire à l'état planétaire , et , arrivé à ce

second état, projeta à son tour, à quatre époques


différentes , quatre anneaux , qui finalement se trans-
formèrent en autant de lunes .

Se rétrécissant toujours , jusqu'à ce que sa sphère


n'occupât que juste l'espace défini par l'orbite des

Astéroïdes , le Soleil se déchargea d'un anneau qui

paraît avoir eu huit centres de solidité supérieure ,


et en se brisant, avoir produit huit fragments , dont
128 EUREKA

pas un ne possédait une masse assez considérable

pour absorber les autres . Tous conséquemment ,


comme planètes distinctes , mais comparativement
petites, se mirent à tourner dans des orbites dont les

distances respectives peuvent être , jusqu'à un certain


point, considérées comme la mesure de la force qui
les a séparés ; - toutes les orbites néanmoins se

trouvant assez rapprochées pour nous permettre de


les considérer comme une , en comparaison des

autres orbites planétaires .


Le Soleil, se réduisant toujours et ne remplissant
plus que juste l'orbite de Mars , se déchargea alors

de cette planète par le mode déjà si souvent


décrit . Toutefois , puisqu'il n'a pas de lune , Mars

n'a pas pu engendrer d'anneau . En fait, une phase


se produisait dans la carrière du corps généra-

teur , centre de tout le système . La décroissance


de sa nébulosité , qui était en même temps l'ac-
croissement de sa condensation , duquel résultait la

constante rupture de l'équilibre , a dû , à partir de


cette époque , atteindre un point où les efforts pour
le rétablissement de cet équilibre ont été de plus
EUREKA 129

en plus inefficaces , juste à mesure qu'ils étaient


moins fréquemment nécessaires . Ainsi les phéno-
mènes dont nous avons parlé ont dû donner partout
des signes d'épuisement, - dans les planètes d'a-

bord, et ensuite dans la masse génératrice . Ne tom-


bons pas dans cette erreur qui suppose que le dé-

croissement d'intervalle observé entre les planètes ,


à mesure qu'elles se rapprochent du Soleil, est en
quelque sorte un indice de fréquence croissante dans

les crises qui leur ont donné naissance . C'est juste-


ment l'inverse qui doit être supposé . Le plus long

intervalle de temps a dû séparer les émissions des


deux planètes intérieures , et le plus court la nais-
sance des deux extérieures . Mais la diminution

d'espace est la mesure de la densité du Soleil , et en

même temps elle est en raison inverse de son apti-


tude à la condensation dans tout le cours des phé-
nomènes dont nous avons fait l'histoire.

Cependant , s'étant réduit jusqu'à ne plus remplir

que l'orbite de notre Terre , la sphère-mère a chassé


hors d'elle- même encore un autre corps , - la Terre ,
G dans une condition de nébulosité qui a permis à
130 EUREKA

ce corps de se décharger à son tour d'un autre corps

qui est notre Lune. Mais là se sont arrêtées les for-


mations lunaires.

Finalement , se confinant aux orbites , d'abord de


Vénus et ensuite de Mercure , le Soleil a lancé ces
deux planètes intérieures ; ni l'une ni l'autre n'a

engendré de lune.

Ainsi, de son volume originel , ou , pour parler

plus exactement, de la condition sous laquelle nous


l'avons d'abord considéré, c'est-à - dire d'une masse

nébuleuse à peu près sphérique possédant certaine-

ment un diamètre de plus de cinq mille six cents


millions de milles , le grand astre central , origine de

notre système solaire-planétaire -lunaire, s'est gra-


duellement réduit , obéissant à la loi de la Gravita-

tion , à un globe d'un diamètre de huit cent quatre-

vingt-deux mille milles seulement ; mais il ne


s'ensuit pas du tout que sa condensation soit abso-
lument complète , ou qu'il ne possède plus la puis-

sance de projeter encore une planète .


· · IX

Je viens de donner , avec son contour général


seulement, mais aussi avec tout le détail nécessaire

pour l'intelligence , un tableau de la Théorie cosmo-

gonique de Laplace telle que son auteur lui -même

l'a conçue. De quelque point de vue que nous la con-


sidérions, nous la trouvons magnifiquement vraie.
Elle est immensément trop belle pour ne pas con-

tenir la Vérité comme caractère essentiel ; et en

disant cela je suis profondément sérieux . Dans la


révolution des satellites d'Uranus apparaît quelque

chose qui semble contredire les hypothèses de La-


132 EUREKA

place ; mais que cette unique inconsistance puisse


infirmer une théorie construite avec un million de

consistances intimement reliées entre elles , c'est là

une idée qui n'est bonne que pour les esprits fan-
tasques . En prophétisant audacieusement que l'ano-

malie apparente dont je parle deviendra , tôt ou


tard , une des confirmations les plus fortes possibles
de l'hypothèse générale , je ne prétends à aucun don

spécial de divination ; car, au contraire , ce qui serait


vraiment difficile , ce serait de ne pas pressentir cette
découverte ¹.

Les corps projetés par le mode en question ont


dû , comme on l'a vu, transformer la rotation super-

ficielle des globes , d'où ils tiraient leur origine , en

une révolution d'une vélocité égale autour de ces


globes devenus centres distants ; et la révolution

ainsi engendrée continuera tant que la force cen-


tripète, qui est celle par laquelle le corps projeté

gravite vers son générateur, ne sera ni plus ni moins

1 Je suis prêt à démontrer que la révolution anormale des


satellites d'Uranus est simplement une anomalie perspective
provenant de l'inclinaison de l'axe de la planète. E. P.
EUREKA 133

grande que la force par laquelle il a été projeté ,


c'est-à-dire la vélocité centrifuge , ou , plus propre-

ment, tangentielle . Cependant , par l'unité d'origine

de ces deux forces, nous pouvions deyiner ce


qu'elles sont en effet, - l'une contre- balançant
exactement l'autre . En réalité , n'avons-nous pas dé-

montré que le fait de la projection du corps n'avait

eu lieu que pour la conservation de l'équilibre ?


Toutefois , après avoir rapporté la force centri-

pète à la loi toute-puissante de la Gravitation , il a


été d'usage , dans les traités astronomiques , de cher-
cher au delà des limites de la pure Nature , c'est-à-
dire au delà d'une cause secondaire , l'explication .

du phénomène de la vélocité tangentielle . On at-


tribue directement cette dernière à une Cause Pre-

mière, à Dieu lui-même . La force qui emporte un

corps stellaire autour de la planète principale tire,

nous dit-on , son origine d'une impulsion donnée


immédiatement par le doigt de la Divinité elle-même ;
car telle est la phraséologie enfantine usitée dans ce

cas. A ce point de vue , les planètes , parfaitement

formées, ont été lancées par la main de Dieu , vers


134 EUREKA

une position voisine des soleils , avec une force ma-

thématiquement proportionnée à la masse ou puis-


sance attractive des soleils eux -mêmes . Une idée si

grossière, si antiphilosophique , et pourtant si tran-


quillement adoptée , n'a pu naître que de la diffi-
culté de rendre autrement compte de la proportion

exacte qui existe entre deux forces en apparence in-

dépendantes l'une de l'autre , la force centripète et


la force centrifuge . Mais on devrait se rappeler que

pendant un long temps la coïncidence de la rota-

tion de la Lune avec sa révolution sidérale , deux

choses en apparence bien plus indépendantes l'une



de l'autre que celles maintenant en question , a été

considérée comme un fait positivement miraculeux ;

et qu'il y avait, même parmi les astronomes , une


singulière disposition à attribuer cette merveille à

l'agence directe et continue de Dieu , qui dans ce


cas , disait-on , avait jugé nécessaire d'intercaler , à

travers ses lois générales , une série de règles sub-

sidiaires , dans le but de cacher à tout jamais aux

yeux des mortels la splendeur , ou peut- être l'hor-


reur de l'autre côté de la Lune, de ce mysté-
EUREKA 135

rieux hémisphère qui a toujours évité et doit tou-

jours éviter la curiosité télescopique de l'homme .

Les progrès de la Science, toutefois, ont bientôt


démontré , - ce qui pour l'instinct philosophique

n'avait pas besoin de démonstration , - que l'un des

deux mouvements n'est qu'une partie de l'autre ,

-ce qui est mieux encore qu'une conséquence .

Pour ma part, je me sens irrité par des concep-


tions à la fois aussi timides , aussi vaines et aussi
fantasques . Elles viennent d'une absolue couardise
de pensée . Que la Nature et que le Dieu de la Nature

soient distincts, aucun être pensant n'en peut long-


temps douter. Par la Nature nous entendons simple-
ment les lois de Dieu . Mais dans l'idée de Dieu , avec

son omnipotence et son omniscience, nous faisons

entrer aussi l'idée de l'infaillibilité de ses lois . Pour

Lui, il n'y a ni Passé ni Futur ; pour Lui , tout est


Présent; donc, ne l'insultons-nous pas en suppo-

sant que ses lois puissent n'être pas faites en pré-


vision de toutes les contingences possibles ? Ou plu-
tôt, quelle idée pouvons-nous avoir d'une contin-
gence possible quelconque, qui ne soit à la fois le ré-
136 EUREKA

sultat et la manifestation de ses lois ? Celui qui , se

dépouillant de tout préjugé , aura le rare courage de


penser absolument par lui -même ne pourra pas ne
pas arriver à la finale condensation des lois en une
Loi,-ne pourra pas ne pas aboutir à cette conclusion :

que chaque loi de la Nature dépend en tous points


de toutes les autres lois , et que toutes ne sont que

les conséquences d'un exercice primitif de la Vo-


lonté Divine . Tel est le principe de la Cosmogonie
que j'essaye, avec toute la déférence nécessaire , de

suggérer et de soutenir ici .

D'après ce point de vue , chassant , comme frivole

et même comme impie , cette idée , que la force tan-


gentielle a pu être communiquée directement aux

planètes par le doigt de Dieu , je considère cette force


comme naissant de la rotation des astres ; - cette

rotation comme amenée par l'impétuosité des atomes

primitifs se précipitant vers leurs centres respectifs


d'aggrégation ; - cette impétuosité comme la con-
séquence de la loi de la Gravitation ; - cette loi

comme le mode par lequel devait nécessairement


se manifester la tendance des atomes à retourner à
EUREKA 137

la non-particularité ; ―― cette tendance au retour

comme la réaction inévitable de l'Acte premier, le

plus sublime de tous , celui par lequel un Dieu , exis-

tant par lui-même et existant seul , est devenu , par


la force de sa volonté, tous les êtres à la fois , pen-

dant que tous les êtres devenaient ainsi une partie


de Dieu .

Les hypothèses fondamentales de ce traité im-

pliquent nécessairement certaines modifications im-

portantes de la Théorie telle qu'elle nous est pré-

sentée par Laplace . J'ai considéré la force répulsive


comme ayant pour but de prévenir le contact entre
les atomes , et comme se produisant en raison du
rapprochement, c'est-à-dire en raison de la conden-
sation . En d'autres termes , l'Électricité, avec ses

phénomènes compliqués , chaleur , lumière et ma-


gnétisme , doit procéder commé procède la con-
densation , et , naturellement, en raison inverse de

la destinée , c'est-à-dire la cessation de la condensa-

tion . Ainsi le Soleil, dans le cours de son aggréga-

tion , a dû , la répulsion se développant , devenir

excessivement chaud , — incandescent peut-être ; et


8.
138 EUREKA

nous comprenons comment l'émission de ses an-

neaux a dû être matériellement facilitée par la

légère incrustation de sa surface , résultat du re-


froidissement . Mainte expérience vulgaire nous

montre comme une croûte analogue se détache

facilement, par suite de l'hétérogénéité , de la masse

intérieure . Mais , à chaque émission successive de


surface durcie, la nouvelle surface apparaîtrait in-

candescente comme auparavant ; et l'époque où elle


se serait de nouveau suffisamment durcie pour se

détacher et s'éloigner facilement peut être consi-


dérée comme coïncidant exactement avec celle où
la masse entière aurait besoin d'un nouvel effort

pour rétablir l'équilibre de ses deux forces , dé-

rangé par la condensation . En d'autres termes ,

quand l'influence électrique (la Répulsion) a défi-

nitivement préparé la surface à se détacher , l'in-


fluence de la Gravitation (l'Attraction) s'est trouvée

prête à la rejeter. Ici donc, comme toujours , comme


partout, nous voyons que le Corps et l'Ame mar-
chent de concert.

Ces idées sont confirmées en tous points par l'ex-


EUREKA 139

périence. Puisque la condensation ne peut jamais ,


dans aucun corps, être considérée comme absolu-

ment finie, nous pouvons prévoir que toutes les fois

qu'il nous sera permis de vérifier le cas , nous trou-


verons des indices de luminosité dans tous les corps

stellaires , dans les lunes et les planètes aussi bien


que dans les soleils . Que notre Lune soit fortement
lumineuse par elle -même , nous le voyons à chaque

éclipse totale, alors qu'elle devrait disparaître s'il


n'en était pas ainsi . Sur la partie sombre du satellite

nous observons aussi , pendant ses phases , des


traînées de lumière comme nos propres Aurores ;

et il est évident que celles-ci , avec tous nos phéno-


mènes divers proprement dits électriques , sans par-

ler d'aucune clarté plus constante, doivent donner

à notre Terre , pour un habitant de la Lune , une


certaine apparence de luminosité . En réalité , nous
devons considérer tous les phénomènes en question

comme de simples manifestations , différentes en


modes et en degrés , d'une condensation de la Terre
faiblement continuée .

Si mes vues sont justes, attendons -nous à trou-


140 EUREKA
- c'est-à-dire celles
ver les planètes plus récentes ,
qui sont plus près du Soleil , plus lumineuses que

celles qui sont plus éloignées et d'une origine plus


ancienne . L'éclat excessif de Vénus (qui , durant ses
phases , laisse voir sur ses parties sombres de fré-

quentes Aurores ) ne semble pas suffisamment ex-


pliqué par sa proximité de l'astre central . Cette

planète est, sans doute, vivement lumineuse par

elle-même, bien qu'elle le soit moins que Mercure ,

pendant que la luminosité de Neptune se trouve


comparativement réduite à rien .

Mes idées étant admises, il est clair que du mo-


ment où le Soleil s'est déchargé d'un anneau , il a
dû subir une diminution continue de lumière et

de chaleur en raison de l'incrustation continue de

sa surface ; et qu'une époque a dû venir, époque

précédant immédiatement une nouvelle décharge,


où la diminution de la lumière et de la chaleur a
été matériellement très-sensible . Or nous . savons

qu'il est resté de ces changements des traces faciles.


à reconnaître . Sur les iles Melville , pour ne prendre

qu'un exemple entre cent, nous trouvons des témoi-


EUREKA 141

gnages d'une végétation plus que tropicale , des traces

de plantes qui n'auraient jamais pu fleurir sans une


chaleur et une lumière immensément plus grandes
que celles que notre Soleil peut actuellement donner

à aucune partie de la Terre . Devons - nous rappor-


ter cette végétation à l'époque qui a suivi immédia-

tement l'émission de la planète Vénus ? A cette

époque a dû se produire pour nous la plus grande


somme d'influence solaire , et cette influence a dû ,
dans le fait , atteindre alors son maximum ; naturel-

lement nous négligeons la période de l'émission de

la Terre, qui fut sa période de simple organisation .


D'autre part, nous savons qu'il existe des soleils

non lumineux, c'est-à -dire des soleils dont nous

déterminons l'existence par les mouvements des


autres , mais dont la luminosité n'est pas suffisante
pour agir sur nous . Ces soleils sont-ils invisibles

simplement à cause de la longueur de temps écoulé

depuis qu'ils ont produit une planète ? Et en re-


vanche, ne pouvons-nous pas, au moins dans de

certains cas, expliquer les apparitions soudaines de


soleils sur des points où nous n'en avions pas jus-
142 EUREKA

qu'à présent soupçonné l'existence , en supposant

qu'ayant tourné avec des surfaces durcies pendant

les quelques milliers d'années qui composent notre

histoire astronomique, ils ont pu enfin, après avoir


produit un nouvel astre secondaire , déployer les

splendeurs de leur partie intérieure toujours incan-


descente? Quant au fait bien certain de l'accroisse-

ment proportionnel de chaleur à mesure que nous


pénétrons dans l'intérieur de la Terre , il suffit de le
rappeler en passant, et il sert à corroborer aussi

fortement que possible tout ce que j'ai dit sur le


sujet actuellement en question .

En parlant de l'influence répulsive ou électrique,

je faisais observer tout à l'heure que les phénomènes


importants de vitalité, de conscience et de pensée ,
étudiés soit dans leur généralité, soit dans leur

détail , semblaient procéder en raison de l'hété-

rogénéité. Je disais aussi que je reviendrais sur

cette idée ; et c'est ici , je crois , le moment de le


faire. Si nous regardons d'abord la chose dans le
détail , nous voyons que ce n'est pas seulement la
manifestation de la vitalité, mais aussi son impor-
EUREKA 143

tance, ses conséquences et l'élévation de son carac-

tère, qui sont en parfait accord avec l'hétérogénéité ,


ou complexité, de la structure animale . Si nous

examinons maintenant la question dans sa généra-

lité, et si nous en référons aux premiers mouve-


ments des atomes vers une constitution massive ,

nous voyons que l'hétérogénéité est toujours en

proportion de la condensation , par qui elle a été


directement amenée . Nous arrivons ainsi à cette

proposition , que l'importance du développement de

la vitalité terrestre procède en raison égale de la


condensation terrestre .

Or ceci est en accord précis avec ce que nous


savons de la succession des animaux sur la Terre .

A mesure que celle- ci s'est condensée, des races de


plus en plus perfectionnées ont appáru . Est - il im-

possible que les révolutions géologiques successives

qui ont accompagné , si elles ne les ont pas immé-


diatement causées , ces élévations successives du
caractère de vitalité, est-il improbable que ces
révolutions elles-mêmes aient été produites par les

décharges planétaires successives du Soleil , en


144 EUREKA

d'autres termes , par les variations successives de


l'influence du Soleil sur la Terre? Si cette idée paraît

juste, il n'est pas déraisonnable de supposer que

la décharge d'une nouvelle planète , plus proche du

centre que Mercure , puisse amener une nouvelle


modification de la surface terrestre, modification

d'où tirerait sa naissance une race matériellement

et spirituellement supérieure à l'Homme . Ces pen-

sées me frappent avec toute la force de la vérité ,


mais je ne les émets ici qu'en tant que pures sug-

gestions .
La Théorie de Laplace a reçu récemment , par les

mains du philosophe Comte, une confirmation plus


forte encore qu'il n'était nécessaire . Ainsi ces deux

savants ensemble ont montré, non pas , certai-

nement , que la Matière ait positivement existé, à


une époque quelconque , à l'état de diffusion nébu-

leuse , tel que nous l'avons décrit , ---- mais que , si

l'on veut bien admettre qu'elle ait ainsi existé dans

tout l'espace et bien au delà de l'espace occupé


maintenant par notre système solaire , et qu'elle ait
commencé un mouvement vers un centre, ils ont
EUREKA . 145

démontré, dis-je, que dans ce cas elle a dû adopter

les formes variées et les mouvements que nous

voyons maintenant se développer dans ce système.


Une démonstration telle que celle-ci, dynamique et

mathématique, aussi complète qu'une démonstra-

tion peut l'être , incontestable et incontestée , ex-


cepté peut-être par la secte impuissante et pitoyable
des douteurs de profession , simples fous qui nient
la loi newtonienne de la Gravitation , sur laquelle

sont basés les résultats des mathématiciens français ,


- une démonstration telle que celle -là doit , pour

beaucoup d'intelligences (et pour la mienne il en est

ainsi), confirmer l'hypothèse cosmique sur laquelle


elle s'appuie.

Que la démonstration ne prouve pas l'hypothèse,


selon le sens ordinaire attribué au mot preuve , na-

turellement je l'admets . Montrer que certains résul-

tats existants , que certains faits reconnus peuvent


être , même mathématiquement , expliqués par une
certaine hypothèse , ce n'est pas établir l'hypothèse
elle-même. En d'autres termes, montrer que cer-

taines données ont pu et même ont dû engendrer


9
144 EUREKA

d'autres termes , par les variations succes

dis-je,
l'influence du Soleil sur la Terre ? Si cette

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avait été renversée . Cette imagination est

a compte rendu de certaines observations

entes faites , à l'aide du grand télescope de Cin-


cinnati et du célèbre instrument de lord Rosse, dans

ces parties du ciel qui ont été jusqu'à ce jour appe-


lées nébuleuses . Certaines taches du firmament , qui

présentaient, même dans les plus puissants de nos


vieux télescopes , une apparence de nébulosité ou de
146 EUREKA

certain résultat existant, n'est pas suffisant pour

prouver que ce résultat est la conséquence des don-

nées en question ; il faut encore démontrer qu'il


n'existe pas et qu'il ne peut pas exister d'autres
données capables de donner naissance au même ré-
sultat. Mais dans le cas actuellement en discussion ,
bien que tout le monde doive reconnaître l'absence

de ce que nous avons l'habitude d'appeler preuve,


il y a cependant beaucoup d'esprits , et ceux-là de

l'ordre le plus élevé, pour qui aucune preuve n'ajou-


terait un iota de certitude . Sans entrer dans des

détails qui touchent au domaine nuageux de la mé-

taphysique, je puis faire observer que dans des cas


semblables la force de conviction sera toujours , pour

les véritables penseurs , proportionnée à la somme

de complexité comprise entre l'hypothèse et le ré-


sultat . Soyons moins abstrait : - la quantité de

complexité reconnue dans les conditions cosmiques ,


en augmentant proportionnellement la difficulté
d'expliquer toutes ces conditions , fortifie en même

temps , et dans la même proportion , notre confiance


dans l'hypothèse qui nous sert à nous en rendre
EUREKA 147

compte d'une manière satisfaisante ; - et comme

on ne peut pas concevoir une complexité plus


grande que celle des conditions astronomiques, de

même il ne peut pas exister de conviction plus forte ,


pour mon esprit du moins, que celle fournie par
une hypothèse qui, non-seulement concilie ces con-

ditions avec une exactitude mathématique et les


réduit en un tout consistant et intelligible , mais
encore se trouve être la seule hypothèse au moyen

de laquelle l'esprit humain ait jamais pu s'en rendre


compte.

Une opinion très-mal fondée a récemment pris


cours dans le monde et même dans les cercles

scientifiques , à savoir que ladite Théorie Cosmo-

gonique avait été renversée . Cette imagination est


née du compte , rendu de certaines observations

récentes faites , à l'aide du grand télescope de Cin-


cinnati et du célèbre instrument de lord Rosse, dans

ces parties du ciel qui ont été jusqu'à ce jour appe-


lées nébuleuses . Certaines taches du firmament , qui

présentaient , même dans les plus puissants de nos


vieux télescopes , une apparence de nébulosité ou de
148 EUREKA

brume, avaient été regardées pendant longtemps


comme une confirmation de la théorie de Laplace .

On les prenait pour des étoiles subissant cette con-


densation dont j'ai essayé de décrire les modes .
Ainsi on supposait que nous possédions la preuve
oculaire de la vérité de l'hypothèse , - preuve qui,

pour le dire en passant, s'est toujours trouvée su-

jette à controverse ; et quoique , de temps à autre,


certains perfectionnements télescopiques nous per-
missent de voir qu'une tache , çà et là , que nous

avions classée parmi les nébuleuses , n'était en réa-

lité qu'un groupe d'étoiles tirant simplement son


caractère nébuleux de l'immensité de la distance ,

toutefois on ne pensait pas qu'un doute pût exister


relativement à la nébulosité positive d'autres masses

nombreuses, véritables places-fortes des nébulistes ,

qui semblaient défier tout effort de ségrégation . De

ces dernières , la plus intéressante était la grande


nébuleuse dans la constellation d'Orion ; mais celle-

ci , examinée à travers les magnifiques télescopes


modernes , se trouva résolue en une simple collec-

tion d'étoiles . Or , ce fait fut généralement accepté


EUREKA 149

comme concluant contre l'Hypothèse Cosmique de


Laplace; et à l'annonce des découvertes en question ,

le défenseur le plus enthousiaste, le vulgarisateur

le plus éloquent de la théorie , le docteur Nichol ,

alla jusqu'à admettre la nécessité d'abandonner une

idée qui avait fait la matière de son plus honorable


livre¹.

Plusieurs de mes lecteurs seront sans doute por-

tés à dire que le résultat de ces nouvelles investi-

gations a au moins une forte tendance à renverser


l'hypothèse , tandis que d'autres , plus réfléchis, in-

sinueront seulement que, bien que la théorie ne soit

nullement détruite par la ségrégation desdites né-

buleuses, cependant l'impossibilité d'opérer cette

1 Tableau de l'Architecture des Cieux. -- Une lettre attri-


buée au docteur Nichol , écrivant à un ami d'Amérique, a fait le
tour de nos journaux , il y a environ deux ans, qui admettait
la nécessité à laquelle je fais allusion . Dans une lecture posté-
rieure, M. Nichol semble toutefois avoir triomphé en quelque
sorte de la nécessité, et ne renonce pas absolument à la théorie,
bien qu'il ait l'air de s'en moquer un peu comme d'une pure
hypothèse. Avant les expériences de Maskelyne, qu'était donc
la Loi de Gravitation ? Une hypothèse . Et qui mettait en question
cette loi, même alors?
150 EUREKA

ségrégation , même avec de si puissants instruments ,


aurait servi à corroborer triomphalement la théorie ;

et ces derniers seront peut-être surpris de m'en-

tendre dire que je n'adopte même pas leur opinion .


Si les propositions de ce discours ont été bien com-

prises, on verra qu'à mon point de vue l'impossi-

bilité d'opérer la ségrégation aurait servi à réfuter

plutôt qu'à confirmer l'Hypothèse cosmique.


Je m'explique — Nous pouvons considérer
comme démontrée la Loi newtonienne de la Gravita-

tion. Cette loi , on s'en souvient, je l'ai attribuée à la


réaction du premier Acte divin , à une réaction

dans l'exercice de la Volition Divine , ayant à surmon-

ter temporairement une difficulté . Cette difficulté ,


c'était de transformer forcément le normal en anor-

mal, - de contraindre ce qui, dans sa condition ori-

ginelle et légitime , était Un à se soumettre à la con-


dition vicieuse de Pluralité . C'est seulement en

supposant la difficulté temporairement vaincue que


nous pouvons comprendre une réaction . Il n'y au-

rait eu aucune réaction , si l'acte avait été infiniment


continué . Tant que l'acte a duré, aucune réaction ,
EUREKA 151

évidemment , n'a pu commencer ; en d'autres


termes, aucune gravitation n'a pu avoir lieu ; -
car nous avons admis que l'une n'était que la mani-

festation de l'autre . Mais la gravitation a eu lieu ;


donc l'acte de la Création avait cessé; et, la gravita-

tion s'étant manifestée depuis un long temps, il faut

en conclure que l'acte de la Création a cessé aussi de-

puis un long temps . Nous ne pouvons donc pas es-

pérer l'occasion d'observer les procédés primitifs


de la Création ; et la condition de nébulosité, comme

nous l'avons expliqué , fait partie de ces procédés


primitifs .
De ce que nous savons de la marche de la lumière

nous tirons la preuve directe que les étoiles les plus


éloignées existent, sous leur forme actuellement
visible , depuis un nombre inconcevable d'années .

Il faut donc remonter dans le passé au moins jus-


qu'à la période où ces étoiles subirent la condensa-

tion , pour marquer l'époque où commença l'opéra-

tion qui a constitué les masses . Si, d'un côté , nous


concevons cette opération comme continuant encore

dans le cas de certaines nébuleuses , de l'autre ,


152 EUREKA

nous voyons qu'en beaucoup d'autres cas elle est

complétement finie , et c'est ce qui nous jette forcé-


ment dans des hypothèses pour lesquelles aucune
base réelle ne nous est offerte ; - nous sommes

obligés d'imposer à la Raison révoltée l'idée blas-


--- de sup-
phématoire d'une interposition spéciale;
poser que, dans les cas particuliers de ces nébu-

leuses, un Dieu infaillible a jugé nécessaire d'intro-

duire certains réglements supplémentaires , certains

perfectionnements de la loi générale, certaines re-


touches et corrections , en un mot , qui ont eu pour
effet de reculer l'achèvement de ces étoiles particu-

lières , pendant des siècles innombrables , au delà de

l'ère qui avait suffi non-seulement pour parfaire la

constitution des autres corps stellaires, mais même

pour les doter d'une vieillesse chenue et déjà inex-

primable.
Sans doute on peut objecter immédiatement que,

puisque la lumière grâce à laquelle nous percevons

ces nébuleuses est simplement celle qui s'est déta-


chée de leur surface depuis un nombre immense

d'années , les progrès de création observés actuelle-


EUREKA 153

ment, ou que nous supposons observés actuelle-

ment , ne sont pas en réalité des progrès actuels ,


mais les fantômes des progrès accomplis dans un
passé déjà lointain ; ce qui est un raisonnement

absolument semblable à celui que j'ai affirmé relati-


vement à tous les progrès tendant à la constitution
des autres masses .

A ceci je réponds que la condition actuellement


observée des corps condensés n'est pas non plus

leur condition actuelle , mais une déjà obtenue dans


le passé; de sorte que mon argument tiré de la con-
dition relative des étoiles et des nébuleuses n'est

en aucune manière infirmé. En outre , ceux qui af-


firment l'existence des nébuleuses ne placent pas la
nébulosité à une extrême distance; ils déclarent que
c'est une nébulosité réelle et non pas perspective .

Si nous concevons qu'une masse nébuleuse puisse


être, en quelque façon , visible , nous devons la con-
cevoir comme placée très -près de nous , en compa-
raison des étoiles solidifiées que les télescopes mo-

dernes présentent à notre vue . Affirmer que les

apparences en question sont de réelles nébuleuses ,


9.
154 EUREKA

c'est affirmer, pour notre point de vue , leur proxi-


mité relative. Donc leur condition , telle qu'elle se

montre maintenant à nous , doit être rapportée à

une époque bien moins éloignée que celle à laquelle


nous rapportons la condition actuellement obser-

vée de la majorité au moins des étoiles . - Pour

finir en un mot , si l'Astronomie pouvait démontrer


l'existence d'une nébuleuse, dans le sens qu'on
donne présentement à ce terme, je considérerais la

Théorie Cosmogonique, non pas comme fortifiée

par cette démonstration , mais comme irréparable-


ment renversée .

Cependant, pour ne rendre à César que juste ce


qui appartient à César , qu'il me soit permis de faire

observer que l'hypothèse qui a conduit Laplace à un

si glorieux résultat semble lui avoir été, en grande

partie, suggérée par une fausse conception , — par


cette même fausse conception dont nous venons de
parler, par la méprise générale relative au carac-

tère des prétendues nébuleuses . Lui aussi , il sup-

posait qu'elles étaient en réalité ce qu'implique leur


désignation . Le fait est que ce grand homme avait ,

1
EUREKA 155

très-justement , une foi médiocre dans ses propres


facultés de perception . Ainsi , relativement à l'exis-

tence positive des nébuleuses , existence si pré-


somptueusement affirmée par les astronomes ses

contemporains , il s'appuyait bien moins sur ce qu'il


voyait que sur ce qu'il entendait dire.

On verra que les seules objections valables qu'on


puisse opposer à sa théorie sont celles faites à l'hy-

pothèse prise en elle-même , à ce qui l'a suggérée et

non à ce qu'elle suggère , aux propositions qui l'ac-


compagnent plutôt qu'à ses résultats . La supposi-

tion la moins justifiée de Laplace consiste à donner


aux atomes un mouvement vers un centre, malgré
qu'il comprenne évidemment les atomes comme
s'étendant, dans une succession illimitée, à travers

l'espace universel . J'ai déjà montré qu'avec de telles

données aucun mouvement n'aurait pu avoir lieu ;

ainsi Laplace , pour supposer un mouvement , se

place sur une base aussi peu philosophique qu'elle


est inutile pour établir ce qu'il voulait établir.

Son idée originale semble avoir été un composé

des vrais atomes d'Épicure et des pseudo- nébuleuses


156 EUREKA

de ses contemporains ; et ainsi sa théorie se présente


à nous avec la singulière anomalie d'une vérité ab-

solue, déduite , comme résultat mathématique , d'une

création hybride de l'imagination antique mariée

au sens obtus moderne. La force réelle de Laplace


consistait, en somme, dans un instinct mathéma-

tique presque miraculeux ; c'était là-dessus qu'il

s'appuyait ; jamais cet instinct ne lui a manqué;


jamais il ne l'a trompé. Dans le cas de la Cosmo-

gonie, il l'a conduit , les yeux bandés , à travers un


labyrinthe d'Erreur , vers un des plus lumineux et

des plus prodigieux temples de Vérité .


X

Imaginons , pour le moment, que l'anneau pro-


jeté le premier par le Soleil , c'est -à-dire l'anneau

qui, en se brisant, a constitué Neptune , ne se soit


brisé que lors de la projection de l'anneau qui a

donné naissance à Uranus ; que ce dernier anneau ,

de son côté, soit resté intact jusqu'à l'émission de


celui dont est né Saturne ; que ce dernier, à son

tour , ait gardé sa forme entière jusqu'à l'émission

de celui qui a été l'origine de Jupiter, et ainsi de


suite. Imaginons , en un mot , qu'aucune rupture

n'ait eu lieu parmi les anneaux jusqu'à la projec-


158 EUREKA

tion finale de celui qui a donné naissance à Mercure .

Nous créons ainsi pour l'œil de l'esprit une série de


cercles concentriques coexistants , et les considé-

rant en eux - mêmes aussi bien que dans le mode

suivant lequel , selon l'hypothèse de Laplace , ils ont


été engendrés , nous apercevons tout d'abord une

très-singulière analogie entre les couches atomiques


et le mode d'irradiation originelle tel que je l'ai

décrit . Est-il impossible , en mesurant les forces res-

pectives qui ont projeté successivement chaque cercle

planétaire, c'est-à-dire en mesurant la force excé-

dante successive de rotation par rapport à la force de

gravitation , laquelle a occasionné les éruptions suc-


cessives , de trouver l'analogie en question plus dé-
cidément confirmée? Est-il improbable que nous

découvrions que ces forces ont varié, — comme dans


l'irradiation originelle , - proportionnellement
avec les carrés des distances?

Notre système solaire, consistant principalement


en un Soleil, avec seize planètes à coup sûr , et peut-
être un peu plus , qui roulent autour de lui à des

distances variées, et qui sont accompagnées certai-


EUREKA 159

nement de dix-sept lunes, mais très-probablement


de quelques autres , doit être maintenant considéré

comme un des types de ces agglomérations in-

nombrables qui ont commencé à se produire à tra-


vers la Sphère Universelle , lorsque s'est retirée la

Volonté Divine. Je veux dire que nous avons à con-


sidérer notre système solaire comme fournissant un

cas générique de ces agglomérations , ou , plus cor-


rectement, des conditions ultérieures auxquelles
elles sont parvenues. Si nous fixons notre attention

sur l'idée qui a présidé au dessein du Tout -Puissant,


à savoir la plus grande somme possible de rap-
ports et la précaution prise pour atteindre le but

avec la différence de formes dans les atomes origi-

nels et l'inégalité particulière de distance , nous

verrons qu'il est impossible de supposer même une


minute que deux seulement de ces agglomérations

commençantes soient arrivées à la fin précisément

au même résultat . Nous serons plutôt inclinés à


penser qu'il n'y a pas dans tout l'Univers deux corps

stellaires , soleils , planètes ou lunes , qui soient sem-


blables dans le particulier, malgré que tous le
160 EUREKA

soient dans le général . Encore moins pouvons-nous

imaginer que deux assemblages de tels corps, deux

systèmes quelconques , puissent avoir une ressem-


blance plus que générale¹ . Nos télescopes , sur ce
point, confirment parfaitement nos déductions . Pre-
nant donc notre système solaire comme type appro-

chant ou général de tous les autres , nous sommes


arrivés assez avant dans notre thème pour considé-

rer l'Univers sous l'aspect d'un espace sphérique à

travers lequel , disséminée avec une égalité purement

générale, existe une certaine quantité de systèmes


ayant entre eux une ressemblance purement gé-
nérale.

Élargissant maintenant nos conceptions, regar-

dons chacun de ces systèmes comme étant en lui-

même un atome, ce qu'il est en réalité, quand

Il n'est pas impossible que quelque perfectionnement im-


prévu d'optique nous révèle, parmi les innombrables variétés
de systèmes, un soleil lumineux , entouré d'anneaux lumineux
et non lumineux , en dedans, en dehors desquels, et entre les-
quels roulent des planètes lumineuses et non lumineuses, ac-
compagnées de lunes ayant leurs lunes, et mêmes ces dernières
possédant également leurs lunes particulières.
EUREKA 161

nous ne le considérons que comme une des in-

nombrables myriades de systèmes qui constituent


l'Univers . Les prenant donc tous pour des atomes
colossaux , chacun étant doué de la même indes-

tructible tendance à l'Unité qui caractérise les


atomes réels dont il est composé , nous entrons tout
de suite dans un ordre nouveau d'agrégations .

Les plus petits systèmes , placés dans le voisinage


d'un plus grand, devront inévitablement s'en rap-
procher de plus en plus . Ici il s'en rassemblera un

millier, là un million ; ici peut-être un trillion ,


laissant ainsi autour d'eux d'incommensurables

vides dans l'espace. Et si maintenant on demande

pourquoi , dans le cas de ces systèmes , de ces véri-

tables atomes titaniques (je parle simplement d'un


assemblage , et non , comme dans le cas des atomes

positifs , d'une agglomération plus ou moins conso-


lidée) , si on demande pourquoi je ne pousse pas ma

suggestion jusqu'à sa conclusion légitime, pourquoi


je ne décris pas ces assemblages de systèmes-atomes
se précipitant et se consolidant en sphères , se con-
densant chacun en un magnifique soleil , je réponds
162 EUREKA

que ce sont là de simples mellonta, et que je ne fais


que m'arrêter un instant sur le seuil terrifiant du Fu-

tur . Pour le présent , nous appelons ces assemblages


des groupes, et nous les voyons dans leur état com-

mençant de consolidation . Leur consolidation abso-

lue est encore à venir.

Nous voici arrivés à un point d'où nous contem-

plons l'Univers comme un espace sphérique , par-

semé inégalement de groupes . Observez que je pré-


fère ici l'adverbe inégalement à cette phrase déjà

employée : «< avec une égalité purement générale . »


Il est évident en fait que l'égalité de distribution
diminuera en raison du progrès de l'agglomération ,

c'est-à -dire à mesure que les choses diminueront en


nombre . Ainsi l'accroissement de l'inégalité, ac-

croissement qui devra continuer jusqu'à une époque

plus ou moins lointaine , où la plus grosse agglomé-


ration absorbera toutes les autres , ne peut être

considéré que comme un symptôme confirmatif de la


tendance à l'Unité.

Enfin ici il peut paraître bon de s'enquérir si les


faits acquis de l'Astronomie confirment l'arrange-
EUREKA 163

ment général que j'ai , par déduction , imposé aux


mondes célestes . Or , cela est confirmé, et entière-

ment. L'observation télescopique , guidée par les

lois de la perspective, nous permet de voir que


l'Univers perceptible existe comme un groupe de

groupes irrégulièrement disposés.


XI

Les groupes dont est composé cet universel

groupe de groupes sont simplement ce que nous

avons coutume de nommer nébuleuses, et parmi ces


nébuleuses il en est une qui est pour l'humanité

d'un intérêt suprême . Je veux parler de la Galaxie


ou Voie Lactée. Elle nous intéresse , d'abord et évi-

demment, en raison de sa grande supériorité , par

son volume apparent , non- seulement sur tout autre


groupe du firmament , mais même sur tous les autres

groupes pris ensemble. Le plus grand de ces der-

niers n'occupe comparativement qu'un point dans


EUREKA 165

l'espace et ne se laisse voir distinctement qu'à l'aide


du télescope . La Galaxie traverse tout le ciel et se
montre brillante à l'œil nu . Mais elle intéresse

l'homme particulièrement, quoique moins immé-


diatement, en ce qu'elle fait partie de la région où

il est situé ; de la région de la Terre sur laquelle il


vit, de la région du Soleil autour duquel tourne

cette Terre, de la région de tout le système d'astres

dont le Soleil est le centre et l'astre principal , la


Terre, un des seize secondaires ou une des planètes ,
la Lune, un des dix-sept tertiaires ou satellites. La

Galaxie, je le répète, n'est qu'un des groupes dont


j'ai parlé, une de ces prétendues nébuleuses , qui ne
se révèlent à nous quelquefois qu'à l'aide du téles-
cope , et comme de faibles taches brumeuses dans

différentes parties du ciel . Nous n'avons aucune rai-


son de supposer que la Voie Lactée soit en réalité

plus vaste que la moindre de ces nébuleuses . Sa

grande supériorité de volume n'est qu'apparente , et

vient de sa position relativement à nous , c'est-à-

dire de notre position à nous qui en occupons le


milieu . Quelque étrange que cette assertion puisse
166 EUREKA

paraître tout d'abord à ceux qui ne sont pas versés


dans l'Astronomie, l'astronome , lui , n'hésite pas à

affirmer que nous sommes placés au milieu de cette


inconcevable multitude d'étoiles, de soleils , de sys-

tèmes qui constituent la Galaxie . En outre , non-


seulement nous avons, non-seulement notre Soleil

a le droit de revendiquer la Galaxie comme étant


son groupe spécial ; mais on peut dire, avec une
légère réserve, que toutes les étoiles distinctement
visibles du firmament, toutes les étoiles visibles à

l'œil nu, ont le droit de s'en réclamer également .

Une idée bien fausse a été conçue relativement à


la forme de la Galaxie, de laquelle il est dit, dans
presque tous nos traités astronomiques , qu'elle res-
semble à celle d'un Y capital . En réalité, le groupe

en question a une certaine ressemblance générale,


très-générale, avec la planète Saturne , enfermée

dans son triple anneau . Au lieu du globe solide de


cette planète , nous devons toutefois nous figurer
une île stellaire ou collection lenticulaire d'étoiles ;

notre Soleil étant placé excentriquement , près du

bord de l'île , du côté qui est le plus rapproché de la


EUREKA 167

constellation de la Croix et le plus éloigné de celle de

Cassiopée. L'anneau qui l'entoure, dans la partie

qui avoisine notre position, est marqué d'une en-


taille longitudinale qui , en effet, lui donne, aperçu

de notre région , l'apparence vague d'un Y capital .


Cependant il ne faut pas que nous tombions dans

cette erreur , de concevoir cette ceinture , peu définie

d'ailleurs , comme tout à fait séparée , comparative-


ment parlant, du groupe lenticulaire également in-

défini qu'elle entoure ; et ainsi , pour rendre notre

explication plus claire, nous pouvons dire de notre


Soleil qu'il est positivement situé sur le point de l'Y
où se rencontrent les trois lignes qui le composent ,

et, nous figurant cette lettre comme douée d'une cer-

taine solidité , d'une certaine épaisseur , très-minime

en comparaison de sa longueur , nous pouvons dire


que notre position est dans le milieu de cette épais-

seur .En nous figurant que nous sommes placés ainsi,


nous n'éprouverons plus aucune peine à nous rendre

compte des phénomènes en question , qui sont uni-

quement des phénomènes de perspective . Quand


nous regardons en haut ou en bas , c'est-à- dire
168 EUREKA

quand nous jetons les yeux dans le sens de l'épais-


seur de la lettre , notre regard rencontre un moins

grand nombre d'étoiles que lorsque nous jetons les


yeux dans le sens de sa longueur , ou le long d'une

des trois lignes qui la composent . Naturellement ,


les étoiles , dans le premier cas, apparaissent comme
éparpillées, et , dans le second , comme accumulées .

Renversons, s'il vous plaît, l'explication : un habi-


tant de la Terre qui regarde la Galaxie , comme nous
disons ordinairement, la considère alors dans un
des sens de sa longueur ; - il regarde le long des

lignes de l'Y; mais quand , regardant dans le Ciel


général, il détourne ses yeux de la Galaxie , il la voit

alors dans le sens de l'épaisseur de la lettre ; et c'est


pour cela que les étoiles lui semblent clair-semées ,

quoique , en réalité, elles soient aussi rapprochées ,


en moyenne, que dans la partie massive du groupe.
Il n'y a pas de considération qui soit mieux faite

pour donner une idée de l'effrayante étendue de ce


groupe .

Si, avec un télescope d'une profonde puissance ,


nous examinons soigneusement le firmament, nous
EUREKA 169

découvrirons une ceinture de groupes , faite de ce

que nous avons jusqu'à présent nommé des nébu-

leuses , - une bande, d'une largeur variable , s'éten-


dant d'un horizon à l'autre , et coupant à angle droit

la direction générale de la Voie Lactée . Cette bande


est le dernier groupe de groupes. Cette ceinture est

l'Univers . Notre Galaxie n'est qu'un des groupes , un

des moindres peut-être, qui entrent dans la compo-

sition de cette suprême bande ou ceinture univer-

selle. L'aspect de bande ou de ceinture , que prend à


nos yeux ce groupe de groupes , n'est qu'un phéno-

mène de perspective, analogue à celui qui nous fait


aussi voir notre propre groupe grossièrement sphé-
rique, la Galaxie , sous la forme d'une ceinture tra-

versant les Cieux et coupant le groupe universel à


angles droits . Naturellement la forme du groupe qui
enferme tous les autres est, en général , celle de

chaque groupe individuel qui y est contenu . De

même que les étoiles clair-semées que nous voyons


dans le Ciel général, quand nous détournons nos

regards de la Galaxie , ne sont , en réalité, qu'une par-


tie de la Galaxie elle-même, aussi intimement mêlées
10
170 EUREKA

à elle qu'en aucun autre point où le télescope nous


les montre à l'état le plus dense , de même les

nébuleuses éparpillées , que nous apercevons sur

tous les points du firmament quand nous détour-


nons nos yeux de la ceinture Universelle , doivent

être considérées comme éparpillées seulement par

la perspective et comme faisant partie intégrante de


l'unique Sphère suprême et Universelle .

Il n'y a pas d'erreur astronomique plus insoute-

nable, et il n'y en a pas qui ait obtenu une plus opi


niâtre adhésion que celle qui consiste à se figurer
l'Univers sidéral comme absolument illimité. Il me

semble que les raisons qui nous le font croire li-

mité, telles que je les ai énoncées a priori , sont ir-


réfutables ; mais, pour n'en plus parler , l'observa-

tion seule nous montre qu'il y a , dans de nom-


breuses directions autour de nous , si ce n'est dans

toutes, une limite positive ; ou , tout au moins , elle


ne nous fournit aucun motif pour penser autrement .

Si la succession des étoiles était illimitée, l'arrière

plan du ciel nous offrirait une luminosité uniforme,

comme celle déployée par la Galaxie, puisqu'il n'y


EUREKA 171

aurait absolument aucun point , dans tout cet ar-


rière-plan, où n'existât une étoile . Donc , dans de

telles conditions , la seule manière de rendre compte

des vides que trouvent nos télescopes dans d'innom-


brables directions est de supposer cet arrière-plan

invisible placé à une distance si prodigieuse qu'au-

cun rayon n'ait jamais pu parvenir jusqu'à nous .


Qu'il en puisse être ainsi , qui oserait s'aviser de le

nier ? Je maintiens simplement que nous n'avons

pas même l'ombre d'une raison pour croire qu'il en


est ainsi.

En parlant de la propension vulgaire à considérer


tous les corps de la Terre comme tendant seulement

vers le centre de la Terre , je faisais observer que


<< sauf certaines exceptions dont il serait fait mention

plus tard , chaque corps de la Terre tendait , non-


seulement vers le centre de la Terre , mais encore
vers toute autre direction concevable . » Le mot

exceptions avait trait à ces vides fréquents dans le


Ciel , où l'examen le plus minutieux non-seulement
ne découvre pas de corps stellaires , mais ne trouve
même pas d'indices quelconques de leur existence .
172 EUREKA

Là , des gouffres béants , plus noirs que l'Érèbe , nous


apparaissent comme des échappées ouvertes , à tra-
vers les murs limitrophes de l'Univers Sidéral , sur
l'Univers illimité du Vide . Or , tout corps existant

sur la Terre est exposé , soit par son mouvement


propre, soit par celui de la Terre , à traverser ou à

longer un de ces vides ou abîmes cosmiques , et il est


évident qu'en ce moment il cesse d'être attiré dans
la direction du Vide et qu'il est conséquemment

plus lourd qu'à aucune autre époque , soit avant ,


soit après . Indépendamment, toutefois , de la consi-
dération de ces vides , et ne nous occupant que de la

distribution généralement inégale des étoiles , nous

voyons que la tendance absolue des corps de la


Terre vers le centre de la Terre est dans un état de

variation perpétuelle .
Nous comprenons donc l'insulation de notre Uni-

vers . Nous percevons l'isolement de l'Univers , c'est-

à-dire de tout ce que nos sens peuvent saisir . Nous


savons qu'il existe un groupe de groupes, une agglo-

mération autour de laquelle , de tous côtés , s'étend


un incommensurable Espace désert fermé à toute
EUREKA 173

perception humaine. Mais , parce que nous sommes


obligés de nous arrêter sur les confins de cet Uni-

vers Sidéral, nos sens ne pouvant plus nous fournir


de témoignage , est-il juste de conclure qu'en réalité
il n'existe pas de point matériel au delà de celui

qu'il nous a été permis d'atteindre ? Avons-nous , ou


n'avons-nous pas le droit analogique d'inférer que
cet Univers sensible , que ce groupe de groupes ,

n'est qu'un morceau d'une série de groupes de


groupes, dont les autres nous restent invisibles à

cause de la distance, -soit parce que la diffusion de

leur lumière , avant qu'elle parvienne jusqu'à nous ,

est si excessive qu'elle ne peut produire sur notre


rétine aucune impression lumineuse , soit parce qu'il

n'existe aucune espèce d'émanation lumineuse dans

ces mondes inexprimablement distants , ou enfin

parce que l'intervalle qui nous en sépare est si vaste


que, depuis des myriades d'années écoulées , leurs

effluves électriques n'ont pas encore pu le franchir ?

Avons-nous quelques droits à faire de telles sup-


positions, avons -nous quelque motif pour accepter
de telles visions ? Si nous avons ce droit à un degré
10.
174 EUREKA

quelconque, nous avons aussi le droit de leur don-


ner une extension infinie.

Le cerveau humain a évidemment un penchant


vers l'Infini et caresse volontiers ce fantôme d'idée .

Il semble aspirer vers cette conception impossible

avec une ferveur passionnée , avec l'espérance d'y


croire intellectuellement aussitôt qu'il l'a conçue. Ce

qui est général parmi toute la race humaine , aucun


individu n'a sans doute le droit de le considérer

comme anormal ; néanmoins, il peut exister une


classe d'intelligences supérieures pour qui ce tour

d'esprit populaire porte tout le caractère d'une mo-


nomanie.

Ma question, cependant , n'a pas encore trouvé sa


réponse : - Avons-nous le droit de supposer , ou

plutôt d'imaginer une succession interminable de

groupes de groupes ou d'Univers plus ou moins


semblables ?

Je réponds que le droit, dans un cas tel que ce-


lui- ci , dépend absolument de la hardiesse de l'ima-

gination qui s'avise d'y prétendre . Qu'il me soit


permis seulement de déclarer que je me sens , pour
EUREKA 175

mon compte personnel , porté à imaginer (je n'ose


pas me servir d'un terme plus affirmatif) qu'il existe
réellement une succession illimitée d'Univers, plus
ou moins semblables à celui dont nous avons con-

naissance, à celui -là seul dont nous aurons ja-


mais connaissance , - du moins jusqu'au mo-

ment où notre Univers particulier rentrera dans


l'Unité . Cependant , si de tels groupes de groupes

existent, ➖ et ils existent, - il est suffisamment


clair que, n'ayant pas de participation dans notre

origine, ils ne participent pas à nos lois . Ils ne nous


attirent pas et nous ne les attirons pas . Leur matière ,

leur esprit ne sont pas les nôtres, ne sont pas ce qui

agit, influe dans une partie quelconque de notre


Univers . Ils ne pourraient impressionner ni nos
sens ni nos âmes . Entre eux et nous, les considérant

tous pour un moment collectivement, il n'y a pas


d'influences communes . Chacun existe , à part et

indépendant, dans le sein de son Dieu propre et


particulier.
XII

Dans la conduite de ce Discours , je vise moins à

l'ordre physique qu'au métaphysique . La clarté

avec laquelle les phénomènes, même matériels , sont


présentés à l'intelligence dépend très- peu , il y a

longtemps que j'en ai acquis l'expérience , d'un ar-

rangement purement naturel , et naît presque entiè-


rement de l'arrangement moral . Si donc j'ai l'air de
m'abandonner à des digressions et de sauter trop

vite d'un point à un autre de mon sujet , qu'il me

soit permis de dire qu'en faisant ainsi j'ai l'espoir de


mieux conserver , sans la rompre, cette chaîne d'im-
EUREKA 177

pressions graduées , par laquelle seule l'intelligence

de l'Homme peut embrasser les grandeurs dont je

parle et les comprendre dans leur majestueuse to-


talité.

Jusqu'à présent , notre attention s'est dirigée

presque exclusivement vers un groupement général


et relatif des corps stellaires dans l'espace . De spé-
cification, nous n'en avons fait que très-peu ; et les

quelques idées relatives à la quantité, c'est-à-dire au


nombre, à la grandeur et à la distance , que nous

avons émises , ont été amenées accessoirement et en

manière de préparation pour des conceptions plus

définitives. Essayons maintenant d'atteindre à ces


dernières .

Notre système solaire, comme nous l'avons déjà

dit, consiste principalement en un soleil et seize

planètes au moins , auxquelles , très -probablement ,


s'ajoutent quelques autres , qui tournent autour de
lui comme centre , accompagnées de dix-sept lunes

connues et peut-être de quelques autres que nous ne

connaissons pas encore . Ces divers corps ne sont

pas de véritables sphères , mais des sphéroïdes


178 EUREKA

aplatis , des sphères comprimées dans la région des

pôles de l'axe imaginaire autour duquel elles tour-


nent, l'aplatissement étant une conséquence de la
rotation . Le Soleil n'est pas absolument le centre du

système ; car le Soleil lui-même, avec toutes les

planètes, roule autour d'un point de l'espacè perpé-


tuellement variable, qui est le centre général de

gravité du système. Nous ne devons pas non plus


considérer les lignes sur lesquelles se meuvent ces
différents sphéroïdes , les lunes autour des pla-

nètes, les planètes autour du Soleil, ou le Soleil au-


tour du centre commun , - comme des cercles dans

le sens exact du mot. Ce sont, en réalité , des ellipses,

l'un des foyers étant le point autour duquel se fait

la révolution . Une ellipse est une courbe retour-

nant sur elle-même, qui a un de ses diamètres plus


long que l'autre . Sur le diamètre le plus long sont

deux points , également distants du milieu de la


ligne, et, d'ailleurs, situés de telle façon que si ,

à partir de chacun d'eux , on tire une ligne droite

vers un point quelconque de la courbe , la somme des

deux lignes réunies sera égale au plus grand des


EUREKA 179

diamètres. Concevons donc une ellipse de cette na-

ture. A l'un des points en question , qui sont les


foyers, fixons une orange . Par un fil élastique unis-
sons cette orange à un pois , et plaçons ce dernier

sur la circonférence de l'ellipse. Le fil élastique , na-


turellement, varie en longueur à mesure que nous
faisons mouvoir le pois , et forme ce que nous appe-

lons en géométrie un radius vector. Or , si l'orange

est prise pour le Soleil et le pois pour une planète


tournant autour de lui , la révolution devra se faire

avec une vitesse variable plus ou moins grande,


mais telle que le radius vector franchira des aires
égales en temps égaux . La marche du pois sera donc

ou , en d'autres termes , la marche de la planète est

lente à proportion de son éloignement du Soleil,

rapide à proportion de sa proximité . Ces planètes ,


en outre , se meuvent d'autant plus lentement

qu'elles sont situées plus loin du Soleil ; les carrés

de leurs périodes de révolution étant entre eux dans


la même proportion que les cubes de leurs distances
moyennes du Soleil.

On comprend que les lois terriblement complexes


180 EUREKA

de révolution que nous décrivons ici ne règnent pas

seulement dans notre système . Elles dominent par-


tout où domine l'Attraction . Elles régissent l'Uni-
vers . Chaque point brillant du firmament est sans

doute un Soleil lumineux, ressemblant au nôtre , au


moins dans son caractère général , et accompagné

d'une plus ou moins grande quantité de planètes


plus ou moins grosses , dont la luminosité encore

attardée ne peut pas se manifester à nous à une si


grande distance , mais qui , néanmoins , roulent, es-
cortées de leurs lunes , autour de leurs centres sidé-

raux , obéissant aux principes que nous avons con-


statés, obéissant aux trois lois absolues de révolution ,

aux trois immortelles lois devinées par l'esprit ima-

ginatif de Kepler et subséquemment expliquées et


démontrées par l'esprit patient et mathématiqne de
Newton. Dans une certaine tribu de philosophes , qui

font vanité de ne s'appuyer que sur les faits posi-


tifs, il est beaucoup trop à la mode de se moquer
de toute spéculation et de la flétrir de la vague et

élastique appellation d'œuvre conjecturale. La va-


leur de celui qui conjecture, tel est le point à exa-
EUREKA 181

miner. En conjecturant de temps à autre avec Pla- *


ton , nous dépenserons notre temps avec plus d'u-

tilité qu'en écoutant une démonstration d'Alc-


mæon.

Dans maint ouvrage d'astronomie, je vois qu'il

est nettement établi que les lois de Képler sont la


base du grand principe de la Gravitation . Cette idée

a dû naître de ce fait , que la divination de ces lois


par Kepler et sa démonstration postérieure de leur

existence positive ont poussé Newton à les expliquer


par l'hypothèse de la Gravitation et, finalement, à
les démontrer à priori , comme conséquences né-

cessaires du principe hypothétique . Ainsi , bien loin


d'être la base de la Gravitation , les lois de Kepler

ont la Gravitation pour base , et il en est de même ,


d'ailleurs, de toutes les lois de l'Univers matériel

qui ne se rapportent pas uniquement à la Répul-


sion.

La distance moyenne de la Terre à la Lune , c'est-

à-dire la distance qui nous sépare du corps céleste le


plus voisin de nous , est de 237,000 milles . Mercure,

la planète la plus proche du Soleil , est éloignée de


11
182 EUREKA

lui de 37 millions de milles . Vénus, qui vient après ,


tourne à une distance de 68 millions de milles ; la
Terre, à son tour , à une distance de 95 millions ;

Mars , à la distance de 144 millions . Puis viennent les

huit Astéroïdes (Cérès, Junon , Vesta , Pallas , Astrée ,

Flore , Iris et Hébé), à une distance moyenne d'en-


viron 250 millions . Puis nous trouvons Jupiter, dis-

tant de 490 millions ; puis Saturne , de 900 mil-


lions ; puis Uranus, de 1,900 millions ; finalement.

Neptune, récemment découvert et tournant à une


distance de 2,800 millions . Laissant Neptune de

còté, sur qui nous n'avons pas jusqu'à présent des


documents très-exacts , et qui est peut-être une pla-

nète appartenant à un système d'Astéroïdes , on


peut voir que, dans de certaines limites, il existe
entre les planètes un ordre d'intervalles . Pour par-

er d'une manière approximative , nous pouvons dire

que chaque planète est, relativement au Soleil, si-


tuée à une distance double de celle qui la précède .

L'ordre en question , que nous exposons ici , — la loi

de Bode, -- ne pourrait-il pas être déduit de l'exa-

men de l'analogie existant, ainsi que je l'ai suggéré,


EUREKA. 183

entre la décharge solaire des anneaux et le mode


de l'irradiation atomique ?

Quant aux nombres cités à la hâte dans cette table


sommaire des distances, il y aurait folie à essayer

de les comprendre , excepté au point de vue des faits


arithmétiques abstraits . Ces nombres ne sont pas

pratiquement appréciables . Ils ne comportent pas


d'idées précises. J'ai dit que Neptune , la planète la
plus éloignée , tournait autour du Soleil à une dis-

tance de 2,800 millions de milles . Jusqu'ici rien


de mieux ; j'ai établi un fait mathématique ; et , sans

comprendre ce fait le moins du monde , nous pou-

vons le poser pour nous en servir mathématique-


ment. Mais même en indiquant que la Lune tourne

autour de la Terre à la distance comparativement


mesquine de 257,000 milles , je n'ai nullement l'es-

pérance de faire comprendre à qui que ce soit,


de lui faire apprécier , — de lui faire sentir à quelle
distance la Lune se trouve positivement de la terre .
237,000 milles ! Parmi mes lecteurs, il y en a peut-
être bien peu qui n'aient pas traversé l'Océan Allan-

tique ; et, cependant , combien d'entre eux ont une


184 EUREKA

idée distincte même des 3,000 milles qui séparent les

deux rivages ? Je doute , en vérité , qu'il existe un


homme qui puisse faire entrer dans son cerveau la
plus vague conception de l'intervalle compris entre

une borne milliaire et sa plus proche voisine . Cepen-

dant, nous trouvons quelque facilité pour apprécier


la distance en combinant l'idée de l'espace avec l'idée

de vélocité qui la suit naturellement. Le son parcourt

un espace de 1,100 pieds en une seconde . Or, s'il


était possible à un habitant de la Terre de voir l'é-

clair d'un coup de canon tiré dans la Lune et d'en

entendre la détonation , il lui faudrait attendre treize

jours entiers , à partir du moment où il aurait aperçu


le premier, pour recevoir un indice de la seconde .

Quelque faible que soit l'appréciation obtenue


par ce moyen de la réelle distance de la Lune à la

Terre, elle aura néanmoins cette utilité de nous faire

mieux comprendre la folie de vouloir saisir par la

pensée des distances telles que les 2,800 millions


de milles qui séparent Neptune de notre Soleil ; ou

même les 95 millions de milles compris entre le So-


leil et la Terre que nous habitons . Un boulet de ca-
EUREKA 185

non , se mouvant avec la rapidité la plus grande qui

ait jamais été communiquée à un boulet , ne pour-


rait pas traverser ce dernier intervalle en moins de

20 ans; pour le premier espace, il faudrait 590 ans .

Le diamètre réel de notre Lune est de 2,160 mil-

les ; cependant, elle est un objet comparativement

si petit qu'il faudrait environ cinquante globes


semblables pour en composer un aussi gros que
la Terre.

Le diamètre de notre propre globe est de


7,912 milles ; - mais de l'énonciation de ces nom-

bres quelle idée positive prétendons - nous tirer ?


Si nous montons au sommet d'une montagne

ordinaire et si nous regardons autour de nous , nous


apercevons un paysage qui s'étend à 40 milles dans

toutes les directions, formant un cercle de 250 milles

de circonférence et enfermant un espace de 5,000

milles carrés . Mais comme les portions d'une sem-

blable perspective ne se présentent nécessairement à

notre vue que l'une après l'autre , nous n'en pouvons

apprécier l'étendue que faiblement et partiellement ;


cependant le panorama tout entier ne représente
186 EUREKA

que la quarante millième partie de la surface de

notre globe. Si à ce panorama succédait , au bout


d'une heure, un autre panorama d'égale étendue ; à
ce second, au bout d'une heure, un troisième ; à ce

troisième, au bout d'une heure, un quatrième , et


ainsi de suite , jusqu'à ce que tous les décors de

la Terre fussent épuisés, et si nous étions invités à


examiner ces divers panoramas pendant douze

heures par jour, il ne nous faudrait pas moins de

neuf ans et quarante-huit jours pour achever l'exa-


men de la collection .

Mais si la simple surface de la Terre se refuse à


l'étreinte de notre imagination , que penserons - nous

de sa contenance évaluée par cubes ? Elle embrasse

une masse de matière équivalente au moins à un


poids de deux undécillions et deux cents nonillions
de tonnes . Supposons cette masse à l'état de repos ,

et essayons de concevoir une force mécanique suf-


fisante pour la mettre en mouvement ! La force de

toutes les myriades d'êtres dont notre imagination

peut peupler les mondes planétaires de notre sys-


tème, la force physique combinée de tous ces êtres,
EUREKA 187

même en les supposant plus puissants que l'homme,

ne pourrait réussir à déplacer d'un seul pouce cette


masse prodigieuse .

Que devons-nous donc penser de la force néces-


saire , dans de semblables conditions, pour remuer

la plus grosse de nos planètes , Jupiter ? Elle a un


diamètre de 86,000 milles , et pourrait contenir

dans sa périphérie plus de mille globes de la gran-

deur du nôtre . Cependant ce corps monstrueux vole


positivement autour du Soleil avec une vitesse de

29,000 milles par heure , c'est-à-dire avec une


rapidité quarante fois plus grande que celle d'un
boulet de canon ! On ne peut même pas dire que l'i-

dée d'un tel phénomène fait tressaillir l'esprit , elle

l'épouvante, elle le paralyse . Nous avons plus d'une

fois occupé notre imagination à nous peindre les


facultés d'un ange . Figurons - nous , à une distance
d'environ 100 milles de Jupiter, un pareil être , as-
sistant ainsi, témoin oculaire très- rapproché , à la

révolution annuelle de cette planète . Or , pouvons-


nous , je le demande , nous faire une idée assez

haute, assez immense de la puissance spirituelle de


188 EUREKA

cet être idéal pour concevoir qu'à la vue de cette


incommensurable masse, pirouettant juste sous ses

yeux avec une vélocité tellement inexprimable ,

l'ange lui - même , si angélique qu'il soit , puisse ne


pas être écrasé, anéanti ?

Ici , toutefois, il me paraît bon de faire observer

qu'en réalité.nous n'avons encore parlé que d'objets


comparativement insignifiants . Notre Soleil , l'astre

central et dirigeant du système auquel appartient

Jupiter , est non- seulement plus gros que Jupiter,

mais aussi beaucoup plus gros que toutes les pla-

nètes du système prises ensemble . Ce fait est vrai-


ment une condition essentielle de la stabilité du

système lui-même . Le diamètre de Jupiter est ,


avons-nous dit, de 86,000 milles ! Celui du Soleil

est de 882,000 milles . Un habitant de ce dernier,

parcourant 90 milles par jour, mettrait plus de

quatre-vingts ans à faire le tour de sa plus grande


circonférence . I occupe un espace cubique de

681 septillions et 472 quintillions de milles . La Lune,


ainsi qu'il a été établi , tourne autour de la Terre, à
une distance de 237,000 milles , sur une orbite qui
EUREKA 189

est conséquemment de près d'un million et demi

de milles . Or , si le Soleil était placé sur la Terre ,


les deux centres coïncidant , le volume du Soleil

s'étendrait, en tout sens , non- seulement jusqu'à


l'orbite de la Lune, mais encore à une distance de
200,000 milles au delà .

Et ici, une fois encore , observons que nous n'a-


vons , jusqu'à présent, parlé que de bagatelles . On

a évalué la distance qui sépare Neptune du Soleil ;


elle est de 2,800 millions de milles ; la circonfé-
rence de son orbite est donc de 17 trillions environ .

Gardons d'oublier cela quand nous portonsnos regards

sur quelqu'une des étoiles les plus brillantes . Entre

cette étoile et l'astre central de notre système , le So-

leil, il y a un gouffre d'espace tel que, pour en don-

ner l'idée , il faudrait la langue d'un archange . Donc,

l'étoile que nous regardons est un être aussi séparé

que possible de notre système , de notre Soleil , ou ,


si l'on veut, de notre étoile ; cependant, supposons-

la un moment placée sur notre Soleil , le centre de


l'une coïncidant avec celui de l'autre , de même que

nous avons supposé le Soleil lui-même placé sur la


11.
190 EUREKA

Terre . Figurons-nous maintenant l'étoile particu-


. lière que nous avons choisie s'étendant , dans tous les

sens, au delà de l'orbite de Mercure, — de Vénus ,


-de la Terre , --- et puis au delà de l'orbite de

Mars, --- de Jupiter , d'Uranus , jusqu'à ce que,

finalement , notre imagination ait rempli le cercle


de 17 trillions de milles de circonférence , que dé-

crit dans sa révolution la planète de Leverrier .

En admettant que nous soyons parvenus à concevoir


tant d'énormité , nous n'aurions pas créé une idée
extravagante . Nous avons les meilleures raisons

pour croire qu'il y a bien des étoiles beaucoup plus

grosses que celle que nous avons supposée . Je

veux dire que pour une telle croyance nous possé-

dons la meilleure base expérimentale ; et qu'en rc-

portant notre regard vers la disposition atomique


originelle, ayant pour but la diversité, que nous
avons considérée comme étant une partie du plan
divin dans la constitution de l'Univers , il nous de-

viendra facile de comprendre et d'admettre des dis-


proportions , dans la grosseur des corps célestes,

infiniment plus vastes qu'aucune de celles dont j'ai


EUREKA 191

parlé jusqu'à présent . Naturellement nous devons


nous attendre à trouver les corps les plus gros rou-

lant à travers les vides les plus grands de l'Es-

pace .
Je disais tout à l'heure que, pour nous donner

une idée juste de l'intervalle qui sépare notre Soleil

d'une quelconque des autres étoiles , il faudrait l'é-

loquence d'un archange . En parlant ainsi , je ne


puis pas être accusé d'exagération ; car c'est la vé-

rité pure qu'en de certains sujets il n'est pas pos-

sible d'exagérer . Mais tâchons de poser la matière


plus distinctement sous les yeux de l'esprit.
D'abord nous pouvons atteindre une conception.

générale, relative , de l'intervalle en question , en le


comparant avec les espaces interplanétaires connus .
Supposons , par exemple , que la Terre qui est , en

réalité, à 95 millions de milles du Soleil , ne soit

distante de ce flambeau que d'un pied seulement ;


Neptune se trouverait alors à une distance de qua-

rante pieds; et l'étoile Alpha Lyræ à une distance de

cent cinquante-neuf au moins .


Or, je présume que peu de mes lecteurs ont re-
192 EUREKA

marqué, dans la conclusion de ma dernière phrase ,


quelque chose de spécialement inadmissible , de

particulièrement faux . J'ai dit que la distance de la

Terre au Soleil étant supposée d'un pied , la dis-

tance de Neptune serait de quarante pieds , et celle


d'Alpha Lyræ de cent cinquante-neuf. La propor-

tion entre un pied et cent cinquante-neuf a peut-


être semblé suffisante pour donner une impression

distincte de la proportion entre les deux distances,


celle de la Terre au Soleil et celle d'Alpha Lyræ au

même astre. Mais mon calcul , en réalité , aurait dû

se formuler ainsi : En supposant que la distance de


la Terre au Soleil soit d'un pied , la distance de Nep-

tune serait de quarante pieds , et celle d'Alpha Lyræ

de cent cinquante-neuf... milles ; c'est - à-dire que ,

dans mon premier calcul , je n'ai assigné à Alpha


Lyræ que la cinq mille deux cent quatre-vingtième
partie de la distance qui est la plus petite possible

où cette étoile puisse être réellement située .


Poursuivons . - A quelque distance que soit une

simple planète , cependant , quand nous l'examinons


à travers un télescope , nous la voyons sous une
EUREKA 193

certaine forme , nous la trouvons d'une certaine

grosseur appréciable . Or , j'ai déjà dit quelques


mots de la grosseur probable de plusieurs étoiles ;

néanmoins , quand nous en examinons une quel-


conque, même à travers le télescope le plus puissant ,
elle se présente à nous sans aucune forme , et , con-
séquemment , sans aucune dimension . Nous la

voyons comme un point , et rien de plus .

Maintenant, supposons que nous voyagions la


nuit, sur une grande route. Dans un champ , d'un des

côtés de la route , se trouve une file de vastes objets

de toute dimension , d'arbres , par exemple , dont la


figure se détache distinctement sur le fond du ciel .

Cette ligne s'étend à angle droit de la route jusqu'à


l'horizon . Or , à mesure que nous avançons le long
de la route , nous voyons ces arbres changer leurs

positions respectives relativement à un certain point

fixe dans cette partie du firmament qui forme le fond


-
du tableau . Supposons que ce point fixe , — suffisam-
ment fixe pour notre démonstration, - soit la lune

qui se lève . Nous voyons tout d'abord que , pendant

que l'arbre le plus proche de nous change de position


194 EUREKA

relativement à la lune , et si fortement qu'il a l'air

de fuir derrière nous, l'arbre qui est à la distance

extrême n'a pour ainsi dire pas bougé de la place


qu'il occupe relativement au satellite , Nous conti-

nuons à observer que plus les objets sont éloignés


de nous , moins ils s'éloignent de leur position , et
réciproquement. Nous commençons alors, à notre

insu , à apprécier la distance de chaque arbre par la

plus ou moins grande altération de sa position rela-


tive . Finalement nous arrivons à comprendre com-

ment on pourrait vérifier la distance positive d'un


arbre quelconque de cette rangée en se servant de
la quantité d'altération relative comme d'une base

dans un simple problème géométrique . Or , cette al-


tération relative est ce que nous appelons parallaxe ;

et c'est par la parallaxe que nous calculons les dis-

tances des corps célestes . Appliquant le principe aux


arbres en question , nous serions naturellement fort
embarrassés pour calculer la distance d'un arbre,

qui , si loin que nous nous avancions sur la route ,

ne nous donnerait aucune parallaxe . Ceci , dans


l'exemple que nous avons supposé, est une chose
EUREKA 195

impossible ; impossible simplement parce que toutes


les distances sur notre Terre sont véritablement in-

signifiantes ; si nous les comparons avec les vastes

quantités cosmiques , nous pouvons dire qu'elles se


réduisent absolument à néant .

Or, supposons que l'étoile Alpha Lyra soit juste


au-dessus de nos têtes ; et imaginons qu'au lieu d'être
sur la Terre , nous soyons placés à l'un des bouts

d'une ligne droite s'étendant à travers l'espace jus-


qu'à une distance égale au diamètre de l'orbite de

la Terre, c'est - à -dire une distance de cent quatre-

vingt-dix millions de milles . Ayant observé , au


moyen des instruments micrométriques les plus
délicats, la position exacte de l'étoile, marchons le

long de cette inconcevable route, jusqu'à ce que


nous ayons atteint l'autre extrémité. Ici , examinons

une seconde fois l'étoile . Elle est précisément où nous


l'avons laissée . Nos instruments, si délicats qu'ils

soient , nous affirment que sa position relative est

absolument , identiquement la même qu'au commen-


cement de notre incommensurable voyage . Nous n'a-

vons trouvé aucune parallaxe , absolument aucune .


196 EUREKA

Le fait est que , relativement à la distance des

étoiles fixes , d'un quelconque de ces innombrables

soleils qui scintillent de l'autre côté de ce terrible


abîme par lequel notre système est séparé des sys-
tèmes ses frères , dans le groupe auquel il appar-

tient, la science astronomique jusqu'à ces derniers

temps n'a pu parler qu'avec une certitude négative .


Considérant les plus brillantes comme les plus rap - ´

prochées, nous pouvions seulement dire , même de

celles-là , que la limite en dedans de laquelle elles


ne peuvent pas être situées, est à une certaine dis-

tance incommensurable ; - à quelle distance au

delà de cette limite sont- elles situées , nous n'avions

jamais pu le calculer . Nous comprenions , par


exemple, qu'Alpha Lyræ ne peut pas être à une dis-
tance moindre de dix-neuf quintillions et deux cents
trillions de milles ; mais , de tout ce que nous savions

et de tout ce que nous savons maintenant , nous

pouvons induire qu'il est peut-être à la distance re-

présentée par le carré , le cube , ou toute autre puis-


sance du nombre précité . Cependant , au moyen
d'observations singulièrement sagaces et minutieu-
EUREKA 197

ses , continuées avec des instruments nouveaux pen-

dant plusieurs laborieuses années , Bessel, qui est


mort récemment , avait dans les derniers temps
réussi à déterminer la distance de six ou sept étoiles ;

entre autres celle qui est désignée par le chiffre 61

dans la constellation du Cygne . La distance calculée


dans ce dernier cas est six cent soixante-dix mille fois

plus grande que celle du Soleil ; laquelle, il est bon

de le rappeler , est de quatre-vingt - quinze millions

de milles. L'étoile 61 du Cygne est donc éloignée de

nous de presque soixante - quatre quintillions de

milles, ou de plus de trois fois la distance la plus pe-

tite possible attribuée à Alpha Lyræ.


Si nous essayons d'apprécier cette distance à l'aide
de considérations tirées de la vitesse , comme nous

avons fait pour apprécier la distance de la Lune , il

nous faut perdre absolument de vue des vitesses


aussi insignifiantes que celles du boulet de canon ou
du son . La lumière , toutefois , suivant les derniers
calculs de Struve , marche avec une vitesse de cent

soixante-sept mille milles par seconde . La pensée


elle-même ne pourrait pas franchir cet intervalle
198 EUREKA

plus rapidement, en supposant que la pensée puisse

même le parcourir . Or, malgré cette inconcevable


vélocité , la lumière , pour venir de l'étoile 61 du

Cygne jusqu'à nous , a besoin de plus de dix ans ;


et conséquemment , si cette étoile était en ce moment

effacée de l'Univers , elle continuerait encore pendant


dix ans à briller pour nous et à verser à nos yeux

sa gloire paradoxale .
Tout en gardant présente à l'esprit la conception ,

si faible qu'elle soit , que nous avons pu nous faire

de l'intervalle qui sépare notre Soleil de l'étoile 61

du Cygne , souvenons- nous aussi que cet intervalle,


quoique inexprimablement vaste , peut être consi-

déré comme la simple distance moyenne entre les in-


nombrables multitudes d'étoiles composant le groupe,

ou nébuleuse , auquel appartient notre système ,


ainsi que l'étoile 61 du Cygne . En vérité , j'établis

le calcul avec une grande modération ; nous avons


d'excellentes raisons pour croire que l'étoile 61 du

Cygne est l'une des étoiles les plus rapprochées, et


pour en conclure que sa distance , relativement à

nous , est moindre que la distance moyenne d'étoile


EUREKA 199

à étoile dans le magnifique groupe de la Voie Lactée .


Et ici, une fois encore et définitivement , il me
semble bon d'observer que jusqu'à présent nous

n'avons parlé que de quantités insignifiantes . Ces-


sons de nous émerveiller de l'espace qui sépare les

étoiles dans notre propre groupe ou dans tout autre

groupe particulier ; tournons plutôt nos pensées


vers les espaces qui séparent les groupes eux - mêmes

dans le groupe omnicompréhensif de l'Univers.

J'ai déjà dit que la lumière marche avec une


vitesse de cent soixante-sept mille milles par se-

conde , c'est-à-dire de dix millions de milles par

minute, ou d'environ six cent millions de milles par


heure ; et cependant il est des nébuleuses qui

sont tellement éloignées de nous que la lumière de

ces mystérieuses régions, quoique marchant avec

une telle vélocité, ne peut pas arriver jusqu'ici en


moins de trois millions d'années . Ce calcul , d'ail-

leurs, a été fait par Herschell l'aîné , et n'a trait qu'à


ces groupes comparativement rapprochés qui se

trouvaient à la portée de son propre télescope .

Mais il y a des nébuleuses , qui, par le tube magique


200 EUREKA

de lord Rosse , nous communiquent en cet instant


même l'écho des secrets qui datent d'un million de
siècles . En un mot les phénomènes que nous con-
templons en ce moment, dans ces mondes lointains ,

sont les mêmes phénomènes qui intéressaient leurs

habitants il y a dix fois cent mille siècles . Dans des


intervalles , dans des distances , tels que cette sug-

gestion en impose à notre âme, -


— plutôt qu'à notre
esprit , nous trouvons enfin une échelle conve-

nable où toutes nos mesquines considérations anté-

rieures de quantité peuvent figurer comme de sim-


ples degrés .
XIII

L'imagination ainsi pleine de distances cosmi-

ques, profitons de l'occasion pour parler de la dif-

ficulté que nous avons si souvent éprouvée, quand


nous poursuivions le chemin battu de la pensée
astronomique, à rendre compte de ces vides incom-

mensurables , à expliquer pourquoi des gouffres,


si totalement inoccupés et si inutiles en apparence ,

se sont produits entre les étoiles , - entre les grou-


- bref, à trouver une raison suffisante de
pes ,
l'échelle titanique , sur laquelle , quant à l'espace

seulement, l'Univers paraît avoir été construit . J'af-


202 EUREKA

firme que l'Astronomie a fait visiblement défaut

dans cette question et n'a pas su attribuer à ce


phénomène une cause rationnelle ; - mais les con-

sidérations qui, dans cet Essai , nous ont conduit pas


à pas, nous permettent de comprendre clairement

et immédiatement que l'Espace et la Durée ne sont

qu'un. Pour que l'Univers pût durer pendant une

ère proportionnée à la grandeur de ses parties maté-


rielles constitutives et à la haute majesté de ses des-
tinées spirituelles, il était nécessaire que la diffusion

atomique originelle se fit dans une étendue aussi

prodigieusement vaste qu'elle pouvait l'être sans


être infinie. Il fallait , en un mot , que les étoiles pas-
sassent de l'état de nébulosité invisible à l'état de

solidité visible , et veillissent en donnant successive-

ment la naissance et la mort à des variétés inexpri-


mablement nombreuses et complexes du dévelop-

pement de la vitalité ; - il fallait que les étoiles

accomplissent tout cela , trouvassent le temps suffi-

sant pour accomplir toutes ces intentions divines ,

durant la période dans laquelle toutes choses vont


effectuant leur retour vers l'Unité avec une vélocité

1
EUREKA 203

qui progresse en raison inverse des carrés des dis-

tances , au bout desquelles est placé l'inévitable But .

Grâce à toutes ces considérations , nous n'avons


aucune peine à comprendre l'absolue exactitude de

l'appropriation divine . La densité respective des


étoiles augmente, naturellement , à mesure que leur
condensation diminue : la condensation et l'hétéro-

généité marchent de pair ; et par cette dernière ,

qui est l'indice de la première, nous pouvons estimer

le développement vital et spirituel . Ainsi , par la


densité des globes , nous obtenons la mesure dans

laquelle leurs destinées sont remplies . A mesure

qu'augmente la densité et que s'accomplissent les

intentions divines, à mesure que diminue ce qui


reste à accomplir , nous voyons augmenter , dans
la même proportion , la vitesse qui précipite les
choses vers la Fin . Et ainsi l'esprit philosophique

comprendra sans peine que les intentions divines ,


dans la constitution des étoiles , avancent mathé-
matiquement vers leur accomplissement ; - il

comprendra plus encore ; il donnera à ce progrès

une expression mathématique ; il affirmera que ce


EUREKA

progrès est en proportion inverse des carrés des


distances où toutes les choses créées se trouvent

relativement à ce qui est à la fois le point de départ


et le but de leur création .

Non- seulement cette appropriation de Dieu est

mathématiquement exacte , mais il y a en elle une


estampille divine, qui la distingue de tous les ou-
vrages de construction purement humaine . Je veux

parler de la complète réciprocité d'appropriation .


Ainsi dans les constructions humaines une cause

particulière engendre un effet particulier ; une in-

tention particulière amène un résultat particulier ;


mais c'est tout ; nous ne voyons pas de réciprocité .

L'effet ne réagit pas sur la cause ; l'intention ne


change pas son rapport avec l'objet . Dans les com-
binaisons de Dieu , l'objet est tour à tour dessein

ou objet , selon la façon dont il nous plaît de le re-


garder, et nous pouvons prendre en tout temps une

cause pour un effet , et réciproquement , de sorte


que nous ne pouvons jamais , d'une manière abso-

lue, distinguer l'un de l'autre .

Prenons un exemple . Dans les climats polaires,


EUREKA 205

la machine humaine, pour maintenir sa chaleur

animale, et pour la combustion dans le système


capillaire , réclame une abondante provision de
nourriture fortement azotée, telle que l'huile de

poisson . D'autre part, nous voyons que dans les


climats polaires l'huile des nombreux phoques et

baleines est presque la seule nourriture que la


nature fournisse à l'homme . Et maintenant dirons-

nous que l'huile est mise à la portée de l'homme


parce qu'elle est impérieusement réclamée , ou

dirons -nous qu'elle est la seule chose réclamée


parce qu'elle est la seule qu'il puisse obtenir ? Il

est impossible de décider la question . Il y a là une


absolue réciprocité d'appropriation .
Le plaisir que nous tirons de toute manifestation

du génie humain est en raison du plus ou moins de


ressemblance avec cette espèce de réciprocité . Ainsi ,

dans la construction du plan d'une fiction littéraire,

nous devrions nous efforcer d'arranger les incidents

de telle façon qu'il fût impossible de déterminer si

un quelconque d'entre eux dépend d'un autre quel-

conque ou lui sert d'appui . Prise dans ce sens, la


12
206 EUREKA

perfection du plan est , dans la réalité , dans la pra-


tique, impossible à atteindre, simplement parce que

la construction dont il s'agit est l'œuvre d'une in-

telligence finie . Les plans de Dieu sont parfaits .


L'Univers est un plan de Dieu.

Nous sommes maintenant arrivés à un point où


l'intelligence est forcée de lutter contre sa propen-
sion à la déduction analogique , contre cette mono-

manie qui la pousse, à vouloir saisir l'infini . Nous

avons vu les lunes tourner autour des planètes ; les

planètes autour des étoiles ; et l'instinct poétique de


l'humanité , son instinct de la symétrie , en tant

que la symétrie ne soit qu'une symétrie de surface , -


cet instinct , que l'Ame non - seulement de l'Homme
mais de tous les êtres créés, a tiré au commence-

ment de la base géométrique de l'irradiation uni-


-
verselle , nous pousse à imaginer une extension
sans fin de ce système de cycles . Fermant également
nos yeux à la déduction et à l'induction , nous nous
obstinons à concevoir une révolution de tous les

corps qui composent la Galaxie autour de quelque


globe gigantesque que nous intitulons pivot central
EUREKA 207

du tout. On se figure chaque groupe , dans le grand


groupe de groupes , pourvu et construit d'une ma-

nière similaire ; et en même temps , pour que l'ana-

logie soit complète et ne fasse défaut en aucun

point, on va jusqu'à concevoir tous ces groupes


eux-mêmes comme tournant autour de quelque
sphère encore plus auguste ; - cette dernière à son

tour, avec tous les groupes qui lui forment une cein-

ture, on croit qu'elle n'est qu'un des membres d'une


série encore plus magnifique d'agglomérations , évo-
luant autour d'un autre globe qui lui sert de centre ,

-quelque globe encore plus ineffablement sublime ,

quelque globe, disons mieux , d'une infinie sublimité ,

incessamment multipliée par l'infiniment sublime .


Telles sont les conditions, continuées à perpétuité ,

que la tyrannie d'une fausse analogie impose à l'Ima-

gination et que la Raison est invitée à contempler ,


sans se montrer, s'il est possible, trop mécontente
du tableau . Tel est , en général , le système d'inter-
minables révolutions s'engendrant les unes les au-

tres , que la Philosophie nous a habitués à compren

dre et à expliquer , en s'y prenant du moins aussi


208 EUREKA

adroitement qu'elle a pu . De temps à autre cepen-

dant , un véritable philosophe, dont la frénésie

prend un tour très- déterminé , dont le génie, pour


parler plus honnêtement , a , comme les blanchis-
seuses , l'habitude fortement prononcée de ne couler
les choses qu'à la douzaine , nous fait voir le point
précis, qui avait été perdu de vue, où s'arrête et où
doit nécessairement s'arrêter cette série de révolu-
tions .

Les rêveries de Fourier ne valent peut-être pas la

peine que nous nous en moquions ; mais on a

beaucoup parlé , dans ces derniers temps , de l'hypo-


-
thèse de Madler , — à savoir qu'il existe , au centre

de la Galaxie , un globe prodigieux , autour duquel


tournent tous les systèmes du groupe . La période de

révolution pour notre propre système a même été


évaluée à 117 millions d'années .

On a longtemps soupçonné que notre Soleil opé-


rait un mouvement dans l'espace , indépendamment
de sa rotation , et une révolution autour du centre de

gravité du système . Ce mouvement , en admettant


qu'il existe, devrait se manifester par la perspec-
EUREKA 209

tive . Les étoiles , dans cette partie du firmament que


nous sommes censés avoir laissée derrière nous , de-

vraient, pendant une longue série d'années , s'accu-

muler en foule ; celles comprises dans le côté opposé

devraient avoir l'air de s'éparpiller . Or , par l'his-


toire de l'Astronomie, nous apprenons d'une ma-

nière vague que quelques - uns de ces phénomènes se

sont manifestés . A ce sujet on a déclaré que notre


système se mouvait vers un point du ciel diamétra-
lement opposé à l'étoile Zèta Herculis ; mais

c'est là peut - être le maximum de ce que nous


avons logiquement le droit de conclure en cette

matière . Madler , néanmoins, est allé jusqu'à dé-


signer une étoile particulière, Alcyone , l'une
des Pléiades , - comme marquant juste , ou à peu

de chose près , ic point autour duquel s'accompli-


rait une révolution générale .

Or , puisque c'est l'analogie qui nous a tout


d'abord entraînés vers ces rèves, il est naturel et
convenable de nous servir de la même analogie pour

en poursuivre le développement ; et cette analogie

qui nous a suggéré l'idée de révolution nous suggère


12.
210 EUREKA

en même temps l'idée d'un vaste globe central autour

duquel elle devrait s'accomplir ; - jusque-là le rai-


sonnement de l'astronome est logique . Dynamique-

ment, il faudrait toutefois que cet astre central fut


plus gros que tous les astres réunis qui l'entourent .

Or , ils sont au nombre de 100 millions environ .

« Pourquoi donc , » a-t-on demandé très-naturelle-

ment, « ne voyons-nous pas ce vaste soleil central,

au moins égal par sa masse à 100 millions de soleils


semblables au nôtre? Pourquoi ne le voyons-nous

pas, nous particulièrement, qui occupons la région


moyenne du groupe, - le lieu même près duquel ,

en tout cas, doit être situé cet astre incomparable ? »


On répondit prestement : « Il faut qu'il soit non lu-

mineux comme sont nos planètes . » Ici , pour s'ac-


commoder au but , l'analogie se laissait torturer .

On pouvait dire : « Nous savons qu'il existe positi-


' vement des soleils non lumineux , mais non pas

dans de telles conditions . » Il est vrai que nous


avons quelque raison d'en supposer de tels , mais

nous n'avons certainement aucune raison pour sup-


qu'il y a des soleils non lumineux entourés de
EUREKA 211

soleils lumineux , ces derniers étant à leur tour envi-

ronnés de planètes non lumineuses ; tout cela est


précisément ce dont Madler est sommé de trouver

l'analogue dans les cieux ; car il imagine tout cela


justement à propos de la Galaxie . En admettant que
la chose soit telle qu'il le dit , nous ne pouvons

nous empêcher de penser combien cette question :


« Pourquoi les choses sont-elles ainsi ? » serait

cruellement embarrassante pour les philosophes à

priori.

Mais si , en dépit de l'analogie et de toute autre


raison , nous reconnaissons la non-luminosité de ce

grand astre central, nous pouvons toujours deman-

der comment ce globe si énorme n'est pas rendu


visible, grâce à cette effusion de lumière versée sur

lui par les 100 millions de splendides soleils qui


brillent dans tous les sens autour de lui . Devant

cette embarrassante question , l'idée d'un soleil cen-

tral positivement solide semble avoir été jusqu'à un


certain point abandonnée ; et l'esprit spéculatif s'est
contenté d'affirmer que les systèmes du groupe

accomplissaient leurs révolutions autour d'un centre


212 EUREKA

immatériel de gravité qui leur était commun à tous .

Ici encore , l'analogie a fait fausse route, pour se

prêter à une théorie . Les planètes de notre système


tournent , il est vrai , autour d'un centre commun

de gravité ; mais elles agissent ainsi conjointement


avec un soleil matériel qui les entraîne , et dont la

masse fait plus que contrebalancer le reste du sys-


tème .

La circonférence mathématique est une courbe


composée d'une infinité de lignes droites . Mais cette
idée de la circonférence , idée qui , au point de vue

de toute la géométrie ordinaire , n'en est que l'idée


purement mathématique, mise en opposition de l'i-
dée pratique , est aussi , en stricte réalité, la seule

conception pratique que nous puissions façonner à


notre usage pour l'intelligence de cette circonfé-

rence majestueuse à laquelle nous avons affaire , au


moins en imagination , quand nous supposons notre

système tournant autour d'un point situé au cen-


tre de la Galaxie. Que l'imagination la plus vigou-

reuse essaye seulement de faire un pas , un seul ,


vers la compréhension d'une courbe aussi inexpri-
EUREKA 213

mable ! Sans commettre un paradoxe, on pourrait

dire qu'un éclair même , qui suivrait éternellement


la circonférence de cet inexprimable cercle , ne fe-

rait que parcourir éternellement une ligne droite .

Qu'en décrivant une telle orbite , notre Soleil pût se-


lon une appréciation humaine, dévier de la ligne
droite à un degré quelconque , si petit qu'on le sup-

pose, c'est là une idée inadmissible ; cependant


nous sommes priés de croire qu'une courbure est

devenue apparente pendant la très - courte période


de notre histoire astronomique , durant ce simple

point, durant ce parfait néant de deux ou trois


mille ans .

On pourrait dire que Madler a réellement vérifié


une courbure dans le sens de la marche , maintenant

bien tracée , de notre système à travers l'Espace .

Admettant, s'il le faut, que ce fait soit réel , je main-


tiens qu'il n'y a dans ce cas , qu'un seul fait démon-
tré, c'est la réalité d'une courbure . Pour l'entière
vérification du fait, il faudrait des siècles , et quand

même elle serait faite, elle ne servirait qu'à indiquer

un rapport binaire ou tout autre rapport multiple


212 EUREKA

immatériel de gravité qui leur était commun à tous .

Ici encore , l'analogie a fait fausse route, pour se

prêter à une théorie. Les planètes de notre système


tournent , il est vrai , autour d'un centre commun

de gravité ; mais elles agissent ainsi conjointement


avec un soleil matériel qui les entraîne, et dont la

masse fait plus que contrebalancer le reste du sys-


tème .

La circonférence mathématique est une courbe


composée d'une infinité de lignes droites . Mais cette

idée de la circonférence , idée qui , au point de vue

de toute la géométrie ordinaire , n'en est que l'idée


purement mathématique, mise en opposition de l'i-

dée pratique , est aussi , en stricte réalité , la seule

conception pratique que nous puissions façonner à


notre usage pour l'intelligence de cette circonfé-

rence majestueuse à laquelle nous avons affaire, au


moins en imagination , quand nous supposons notre

système tournant autour d'un point situé au cen-


tre de la Galaxie . Que l'imagination la plus vigou-

reuse essaye seulement de faire un pas , un seul ,

vers la compréhension d'une courbe aussi inexpri-


EUREKA 213

mable ! Sans commettre un paradoxe, on pourrait

dire qu'un éclair même , qui suivrait éternellement

la circonférence de cet inexprimable cercle , ne fe-


rait que parcourir éternellement une ligne droite .

Qu'en décrivant une telle orbite , notre Soleil pût se-


lon une appréciation humaine, dévier de la ligne

droite à un degré quelconque , si petit qu'on le sup-

pose, c'est là une idée inadmissible ; cependant


nous sommes priés de croire qu'une courbure est

devenue apparente pendant la très - courte période


de notre histoire astronomique , durant ce simple
point, durant ce parfait néant de deux ou trois
mille ans .

On pourrait dire que Madler a réellement vérifié

une courbure dans le sens de la marche, maintenant

bien tracée , de notre système à travers l'Espace .


Admettant, s'il le faut, que ce fait soit réel, je main-
tiens qu'il n'y a dans ce cas, qu'un seul fait démon-
tré, c'est la réalité d'une courbure . Pour l'entière

vérification du fait, il faudrait des siècles , et quand


1
même elle serait faite , elle ne servirait qu'à indiquer

un rapport binaire ou tout autre rapport multiple


214 EUREKA

quelconque entre notre Soleil et une ou plusieurs


des étoiles les plus rapprochées. Quoi qu'il en soit , je
ne hasarde rien en prédisant qu'après une période

de plusieurs siècles , tous les efforts pour déterminer


la marche de notre Soleil à travers l'Espace seront
abandonnés comme vains et inutiles . Cela est facile

à concevoir quand nous considérons l'infinité de


perturbations que cette marche doit subir , par suite

du changement perpétuel des rapports du Soleil

avec les autres astres , pendant ce rapprochement


simultané de tous vers le noyau de la Galaxie .
Mais, en examinant d'autres nébuleuses que la

Voie Lactée , en considérant dans leur généralité les


groupes dont est parsemé le firmament , trouvons-

nous , oui ou non , une confirmation de l'hypothèse

de Madler ? Nous ne la trouvons pas . Les formes des


groupes sont excessivement variées quand on les

regarde accidentellement ; mais par un examen plus


minutieux , à travers de puissants télescopes , nous
reconnaissons très-distinctement que la sphère est

la forme dont ils se rapprochent le plus , - leur


constitution étant en général en désaccord avec
EUREKA 215

l'idée d'une révolution autour d'un centre com-

mun .

« Il est difficile , dit sir John Herschell , de

former une conception quelconque de l'état dy-

namique de tels systèmes. D'un côté , sans un


mouvement rotatoire et une force centrifuge , il
est presque impossible de ne pas les considérer

comme soumis à une condition de rapprochement

progressif; d'un autre côté, en admettant un tel

mouvement et une telle force, nous ne trouvons

pas moins difficile de concilier leurs formes avec


la rotation de tout le système (il veut dire groupe)

autour d'un seul axe , sans lequel une collision in-


térieure nous apparaît comme chose inévitable. >>

Quelques observations sur les nébuleuses , récem-

ment faites par le docteur Nichol , quoique faites à


un point de vue cosmique absolument différent de

tous ceux adoptés dans le présent Discours , s'ap-

pliquent d'une manière très-particulière au point

qui est actuellement en question . Il dit :


« Quand nous dirigeons sur les nébuleuses nos

plus grands télescopes, nous voyons que celles


216 EUREKA

que nous avions d'abord considérées comme irré-

gulières ne le sont réellement pas ; elles se rap-

prochent plutôt de la forme d'un globe. Il y en a une

qui semblait ovale ; mais le télescope de lord Rosse


l'a transformée pour nous en un cercle ... Or , il se

présente une très-remarquable circonstance rela-

tivement à ces masses circulaires de nébuleuses qui


semblent , par comparaison , douées de mouvement .

Nous découvrons qu'elle ne sont pas absolument


circulaires, mais que , bien au contraire , tout autour

d'elles et de tous côtés, il y a des colonnes d'étoiles ,

qui semblent s'étendre au loin comme si elles se


précipitaient vers une grande masse centrale en

vertu de quelque énorme puissance . ¹ »


Si j'avais à décrire , à ma guise , la condition ac-
tuelle nécessaire des nébuleuses , dans l'hypothèse,
suggérée par moi , que toute matière s'achemine

1 On doit comprendre que ce que je nie spécialement dans


l'hypothèse de Madler, c'est la partie qui concerne le mouve-
ment circulaire. S'il n'existe pas maintenant dans notre groupe
un grand globe central, naturellement il en existera un plus
tard . Dans quelque temps qu'il existe , il sera simplement le
noyau de la consolidation.
EUREKA 217

vers l'Unité originelle, je copierais simplement, et

presque mot à mot , le langage qu'a employé le doc-


teur Nichol sans soupçonner le moins du monde

cette prodigieuse vérité, qui est la clef de tous les


phénomènes relatifs aux nébuleuses .

Et qu'il me soit permis ici de fortifier ma position

par le témoignage de quelqu'un qui est plus grand


que Madler , de quelqu'un pour qui toutes les

données de Madler étaient depuis longtemps choses

familières , soigneusement et entièrement examinées .


Relativement aux calculs minutieux d'Argelander ,

lesquels forment la base de l'idée de Madler, Hum-


boldt, dont la faculté généralisatrice n'a peut-être
jamais été égalée, fait l'observation suivante :

« Quand nous considérons le mouvement propre ,

réel et non perspectif des étoiles, nous voyons plu-


sieurs groupes marchant dans des directions oppo-
sées ; et les données que nous avons acquises jusqu'à

présent ne nous forcent pas à imaginer que les sys-


tèmes composant la Voie Lactée , ou les groupes
composant généralement l'Univers , tournent autour

de quelque centre inconnu , lumineux ou non lumi-


15
218 EUREKA

neux . Ce n'est que le désir propre à l'Homme de


posséder une Cause Première fondamentale, qui per-
suade à son intelligence et à son imagination d'adop-

ter une telle hypothèse . »

Le phénomène dont il est ici question , c'est-


à-dire de plusieurs groupes se dirigeant dans des
sens opposés , est tout à fait inexplicable dans

l'hypothèse de Madler, mais surgit comme consé-

quence nécessaire de l'idée qui forme la base de ce


Discours . En même temps que la direction purement

générale de chaque atome , de chaque lune, pla-


nète , étoile ou groupe, serait , dans mon hypothèse,
absolument rectiligne ; en même temps que la

route générale suivie par tous les corps serait une

ligne droite conduisant au centre de tout , il est


clair que cette direction rectiligne serait composée
de ce que nous pouvons appeler , sans exagéra-
tion , une infinité de courbes particulières, résul-

tat des différences continuelles de position relative

parmi ces masses innombrables, à mesure que


chacune progresse dans son pèlerinage vers l'Unité
finale.
EUREKA 219

Je citais tout à l'heure le passage suivant de Sir

John Herschell , appliqué aux groupes : « D'un côté ,


sans un mouvement rotatoire et une force centri-

fuge , il est presque impossible de ne pas les consi-


dérer comme soumis à une condition de rappro-

chement progressif. » Le fait est qu'en examinant


les nébuleuses avec un télescope très-puissant , il

est absolument impossible , quand une fois on a

conçu cette idée de rapprochement , de ne pas


ramasser de tous les côtés des témoignages qui la
confirment. Il y a toujours un noyau apparent dans

la direction duquel les étoiles semblent se préci-

piter, et ces noyaux ne peuvent pas être pris pour

de purs phénomènes de perspective ; les groupes

sont réellement plus denses vers le centre, plus


clairs vers les régions extrêmes . En un mot, nous
voyons toutes choses comme nous les verrions si un

rapprochement universel avait lieu ; mais , en géné-

ral , je crois que s'il est naturel , quand nous exami-


nons ces groupes , d'accueillir l'idée d'un mouvement

orbitaire autour d'un centre, ce n'est qu'à la con-

'dition d'admettre l'existence possible , dans les


220 EUREKA

domaines lointains de l'espace, de lois dynamiques.


qui nous seraient totalement inconnues.

De la part d'Herschell, il y a évidemment répu-


gnance à supposer que les nébuleuses soient dans

un état de rapprochement progressif. Mais si les faits,


si même les apparences justifient cette supposition ,

pourquoi, demandera-t-on peut-être , répugne-t-il à

l'admettre ? Simplement à cause d'un préjugé ; sim-


plement parce que cette supposition contredit une
idée préconçue et absolument sans base , celle

de l'étendue infinie et de l'éternelle stabilité de


l'Univers .
XIV

Si les propositions de ce Discours sont logique-


ment déduites , cette condition de rapprochement

progressif est précisément la seule dans laquelle


nous puissions légitimement considérer toutes les

choses de la création ; et je confesse ici , avec une

parfaite humilité , que, pour ma part , il m'est im-


possible de comprendre comment toute autre inter-

prétation de la condition actuelle des choses a jamais


pa se glisser dans un cerveau humain . La tendance

au rapprochement et l'attraction de la gravitation

sont deux termes réciproquement convertibles . En


222 EUREKA

nous servant de l'un ou de l'autre , nous voulons

parler de la réaction de l'Acte primordial . Il nè fut

jamais rien de si inutile que de supposer la Matière

pénétrée d'une qualité indestructible faisant partie


de son essence , - qualité ou instinct à jamais

inséparable d'elle,. principe inaliénable en vertu

duquel chaque atome est perpétuellement poussé


à rechercher l'atome son semblable. Jamais il

n'y eut rien de moins nécessaire que d'adopter


cette idée antiphilosophique . Allant au delà de la

pensée vulgaire , il faut que nous comprenions ,


métaphysiquement , que le principe de la gravitation
n'appartient à la matière que temporairement , pen-

dant qu'elle est éparpillée ; — pendant qu'elle existe


sous la forme de la Pluralité au lieu d'exister sous

celle de l'Unité ; lui appartient seulement en vertu


de son état d'irradiation ; - appartient , en un mot,

non pas à la matière elle-même le moins du monde,


mais uniquement à la condition actuelle où elle se

trouve. D'après cette idée, quand l'irradiation sera

retournée vers sa source , quand la réaction sera


devenue complète , le principe de la gravitation
EUREKA 225

aura cessé d'exister . Et , en fait , bien que les astro-

nomes ne soient jamais arrivés à l'idée que nous


émettons ici , il semble toutefois qu'ils s'en soient

rapprochés en affirmant que s'il n'y avait qu'un seul

corps dans l'Univers, il serait impossible de com-

prendre comment le principe de la gravitation


pourrait s'établir; c'est-à-dire qu'en considérant la

matière telle qu'elle se présente à leurs yeux , ils en


tirent la conclusion à laquelle je suis arrivé par

voie de déduction . Qu'une suggestion aussi féconde

soit restée si longtemps sans porter ses fruits , c'est

là un mystère que je ne saurais approfondir.

C'est peut-être, en grande partie , notre tendance


naturelle vers l'idée de perpétuité , vers l'analogie ,

et plus particulièrement, dans le cas présent , vers

· la symétrie , qui nous a entraînés dans une fausse


route . En réalité , le sentiment de la symétrie est
un instinct qui repose sur une confiance presque

aveugle . C'est l'essence poétique de l'Univers , de cet


Univers qui , dans la perfection de sa symétrie , est

simplement le plus sublime des poëmes . Or symċ-


trie et consistance sont des termes réciproquement
224 EUREKA

convertibles ; ainsi la Poésie et la Vérité ne font

qu'un. Une chose est consistante en raison de sa


vérité, - vraie en raison de sa consistance. Une

parfaite consistance , je le répète , ne peut être qu'une


absolue vérité. Nous admettrons donc que l'Homme

ne peut pas rester longtemps dans l'erreur , ni se

tromper de beaucoup , s'il se laisse guider par son

instinct poétique, instinct de symétrie, et consé-


quemment véridique , comme je l'ai affirmé . Cepen-

dant il doit prendre garde qu'en poursuivant à

l'étourdie une symétrie superficielle de formes et de


mouvements , il ne perde de vue la réelle et essen-

tielle symétrie des principes qui les déterminent et


les gouvernent.
Que tous les corps stellaires doivent finalement se
fondre en un seul , que toutes choses doivent enfin •

grossir la substance d'un prodigieux globe central


déjà existant, - c'est là une idée qui , depuis quel ·

que temps déjà , semble d'une manière vague , indé-

terminée, avoir pris possession de l'imagination


humaine. De fait , cette idée appartient à la classe
des choses excessivement évidentes . Elle naît in-
EUREKA 225

stantanément de l'observation , même superficielle,


des mouvements circulaires et en apparence gira ·

toires ou tourbillonnants de ces portions de l'Univers

qui, très-rapprochées de nous , s'offrent immédiate-


ment à notre attention . Il n'existe peut-être pas un

seul homme , d'une éducation ordinaire et d'une


faculté de méditation moyenne, à qui , dans une cer-

taine mesure , l'idée en question ne se soit présen-


tée , comme spontanée , instinctive , et portant tout
le caractère d'une conception profonde et origi-

nale. Toutefois , cette conception , si généralement

répandue, n'est jamais née, à ma connaissance , du


moins , d'une série de considérations abstraites . Au

contraire, elle a toujours été suggérée , comme je


l'ai dit, par les mouvements tourbillonnant autour

des centres, et c'est dans le même ordre de faits ,


c'est-à -dire dans ces mêmes mouvements circulaires ,

que naturellement on a cherché une raison qui ex-

pliquât cette idée, une cause qui pût amener cette


agglomération de tous les globes en un seul , lequel

était déjà supposé existant .

Ainsi quand on proclama la diminution , progres-


13.
226 EUREKA

sive et régulière, observée dans l'orbite de la comète

d'Encke, à chacune de ses révolutions autour de


notre Soleil , les astronomes furent presque una-

nimes pour dire que la cause en question était


trouvée, -- qu'un principe était découvert, suffi-
sant pour expliquer, physiquement , cette finale et

universelle agglomération , à laquelle , déterminé

par son instinct analogique , symétrique ou poé-


tique , l'homme avait donné créance plus qu'à une

simple hypothèse.

On affirma que cette cause , cette raison suffi-


sante de l'agglomération finale , existait dans un

agent intermédiaire , excessivement rare , mais

cependant matériel , qui pénétrait tout l'espace ;


lequel, en retardant la marche de la comète, affai-

blissait perpétuellement sa force tangentielle et aug-


mentait en même temps la force centripète , qui

naturellement rapprochait davantage la comète à


chaque révolution et devait finalement la précipiter
sur le Soleil.

Tout cela était strictement logique , une fois qu'on


avait admis ce médium ou cet éther ; mais il n'y
EUREKA 227

avait aucune raison d'admettre l'éther, si ce n'est


qu'on n'avait pu découvrir aucun autre moyen
d'expliquer la diminution observée dans l'orbite de la

comète ; — comme si de l'impossibilité de trouver


un autre mode d'explication il s'ensuivait qu'il n'en
existât réellement pas d'autre. Il est clair que d'in-

nombrables causes combinées pouvaient amener la


diminution de l'orbite, sans que nous pussions

même en découvrir une seule. D'ailleurs , on n'avait

jamais bien démontré pourquoi le retard occasionné


par les bords extrêmes de l'atmosphère du Soleil ,
à travers lesquels la comète passe à son périhélie ,

ne suffit pas pour expliquer le phénomène . Que


la comète d'Encke sera absorbée par le Soleil ,

c'est probable ; que toutes les comètes du système

seront absorbées , c'est plus que possible ; mais ,

dans un tel cas, le principe de l'absorption doit


être cherché dans l'excentricité de l'orbite des

comètes et dans leur rapprochement extrême du


Soleil à leur périhélie ; et ce n'est pas un principe
qui puisse affecter les lourdes et solides sphères qui
doivent être considérées comme les vrais matériaux
228 EUREKA

constituants de l'Univers . Relativement aux comè-

tes en général , permettez-moi de dire en passant

que nous avons le droit de les considérer comme les


éclairs du Ciel cosmique.
L'idée d'un éther ralentissant et servant à ame-

ner l'agglomération finale de toutes choses nous a

semblé une seule fois confirmée par une diminution

positive observée dans l'orbite de la lune . Si nous


en référons aux éclipses enregistrées il y a -2,500 ans ,
nous voyons que la vélocité de la révolution du sa-

tellite était alors bien moindre qu'elle n'est aujour-

d'hui et que, en supposant que son mouvement dans


son orbite soit en accord constant avec la loi de Ké-

pler , et ait été alors , il y a 2,500 ans , soigneuse-


ment déterminé, elle est aujourd'hui , relativement

à la position qu'elle devrait occuper , en avance de


9,000 milles environ . L'accroissement de vélocité

prouvait , naturellement , une diminution de l'orbite,


et les astronomes inclinaient fortement à croire à

l'existence d'un éther , quand Lagrange vint à la


rescousse. Il démontra que , grâce à la configuration
des sphéroïdes, le petit axe de leur ellipse est sujet
EUREKA 229

à varier de longueur, tandis que le grand axe reste


le même, et que cette variation est continue et vi-

bratoire, de sorte que chaque orbite est dans un état

de transition, soit du cercle à l'ellipse , soit de l'el-

lipse au cercle . Le petit axe de la lune étant dans sa

période de décroissance , l'orbite passe du cercle à


l'ellipse et, conséquemment , décroît aussi ; mais ,
après une longue série de siècles , l'excentricité ex-

trême sera atteinte ; alors le petit axe commencera


à augmenter jusqu'à ce que l'orbite se transforme en

un cercle ; puis la période de raccourcissement


aura lieu de nouveau , - et ainsi de suite à tour de

rôle . Dans le cas de la Terre, l'orbite va se transfor-


mant d'ellipse en cercle. Les faits ainsi démontrés

ont naturellement détruit la prétendue nécessité de


supposer un éther et toute appréhension relative à

l'instabilité du système , laquelle était attribuéc à


l'éther.

On se souvient que j'ai moi-même supposé quel-

que chose d'analogue et que nous pouvons appeler


un éther. J'ai parlé d'une influence subtile accom-
1
pagnant partout la matière, bien qu'elle ne se ma-
230 EUREKA

nifeste que par l'hétérogénéité de la matière . A

cette influence, dont je ne veux ni ne puis en

aucune façon définir la mystérieuse et terrible na-


ture, j'ai attribué les phénomènes variés d'électri-
cité, de chaleur , de magnétisme , et même de vita-
lité, de conscience. et de pensée , en un mot, de

spiritualité. On voit tout de suite que l'éther, com-


pris de cette façon , est radicalement distinct de l'é-

ther des astronomes ; le leur est matière et le mien


ne l'est pas .

L'abolition de l'éther matériel semble impliquer

aussi la disparition absolue de cette idée d'agglo-


mération universelle , si longtemps préconçue par

l'imagination poétique de l'humanité ; - agglomé-


ration à laquelle une sage Philosophie aurait pu lé-

gitimement prêter créance , au moins jusqu'à un


certain point , si elle avait été préconçue uniquement

par cette imagination poétique , sans aucune autre


raison déterminante . Mais, jusqu'à présent , l'As-

tronomie et la Physique n'ont rien su trouver


qui permette d'assigner une fin à l'Univers . Quand
même on eût pu, par une cause aussi accessoire et
EUREKA 231

indirecte que l'éther , démontrer cette fin , l'instinct

qui révèle à l'Homme la Puissance Divine d'adapta-


tion se serait révolté contre cette démonstration .

Nous eussions été forcés de regarder l'Univers avec

ce sentiment d'insatisfaction que nous éprouvons en


contemplant un ouvrage d'art humain inutilement

compliqué. La création nous aurait affectés comme

un plan imparfait dans un roman , où le dénoue- ,


ment est gauchement amené par l'interposition d'in-
cidents externes et étrangers au sujet principal , au

lieu de jaillir du fond même du thème, du cœur .

de l'idée dominante ; - au lieu de naître comme

résultat de la proposition première , comme partie

intégrante, inséparable et inévitable , de la concep-


tion fondamentale du livre .

On comprendra maintenant plus clairement ce

que j'entends par symétrie purement superficielle .


C'est simplement la séduction de cette symétrie qui

nous a induits à accepter cette idée générale dont


l'hypothèse de Madler n'est qu'une partie , — l'idée
de l'attraction tourbillonnante des globes . Si nous

écartons cette conception trop crûment physique , la


232 EUREKA

véritable symétrie de principe nous fait voir la fin de

toutes choses métaphysiquement impliquée dans


l'idée d'un commencement, nous fait chercher et

trouver dans cette origine de toutes choses les ru-


diments de cette fin, et enfin concevoir l'impiété

qu'il y aurait à supposer que cette fin pût être ame-

née moins simplement , moins directement, moins

clairement, moins artistiquement que par la réac-


tion de l'Acte originel et créateur.
XV

Remontons donc vers une de nos suggestions an-

técédentes et concevons les systèmes , concevons

chaque soleil , avec ses planètes- satellites , comme


un simple atome titanique existant dans l'espace
avec la même inclination vers l'Unité , qui

caractérisait , au commencement , les véritables

atomes après leur irradiation à travers la Sphère


universelle. De même que ces atomes originels
se précipitaient l'un vers l'autre selon des lignes gé-
néralement droites, de même nous pouvons conce-

voir comme généralement rectilignes les chemins


234 EUREKA

qui conduisent les systèmes -atomes vers leurs cen-


tres respectifs d'aggrégation ; — et dans cette attrac-
tion directe , qui rassemble les systèmes en groupes,

et dans celle, analogue et simultanée , qui rassemble

les groupes eux-mêmes , à mesure que s'opère la


consolidation , nous trouvons enfin le grand Main-
tenant , le terrible Présent, -- la condition actuel-
lement existante de l'Univers .

Une analogie rationnelle peut nous aider à former

une hypothèse relativement à l'Avenir , encore plus

effrayant. L'équilibre entre les forces , centripète et


centrifuge, de chaque système , étant nécessairement

détruit quand il arrive à se rapprocher, jusqu'à un

certain point, du noyau du groupe auquel il appar-

tient, il en doit résulter , un jour , une précipitation


chaotique, ou telle en apparence, des lunes sur les
planètes , des planètes sur les soleils , et des soleils

sur les noyaux ; et le résultat général de cette pré-

cipitation doit être l'agglomération des myriades


d'étoiles, existant actuellement dans le firmament,

en un nombre presque infiniment moindre de sphè


res presque infiniment plus vastes. En devenant im-
EUREKA 235

mensément moins nombreux , les mondes de cette

époque seront devenus immensément plus gros que


ceux de la nôtre . Alors , parmi d'incommensurables

abîmes, brilleront des soleils inimaginables . Mais

tout cela ne sera qu'une magnificence climatérique


présageant la grande Fin . La nouvelle genèse indi-

quée ne peut être qu'une des étapes vers cette Fin , un


des ajournements encore nombreux . Par ce travail

d'agglomération , les groupes eux-mêmes , avec une

vitesse effroyablement croissante, se sont précipités


vers leur centre général , —et bientôt , avec une vélo-

cité mille fois plus grande , une vélocité électrique,


proportionnée à leur grosseur matérielle et à la vé-

hémence spirituelle de leur appétit pour l'Unité , les


majestueux survivants de la race des Étoiles s'élan-
cent enfin dans un commun embrassement . Nous

touchons enfin à la catastrophe inévitable .

Mais cette catastrophe , quelle peut - elle être?


Nous avons vu s'accomplir la conglomération , la
moisson des mondes . Désormais , devrons-nous con-

sidérer ce globe des globes , ce globe matériel uni-


que, comme constituant et remplissant l'Univers ?
236 EUREKA

Une telle idée serait en contradiction complête avec

toutes les propositions émises dans ce Discours .

J'ai déjà parlé de cette absolue réciprocité d'a-


daptation qui est la grande caractéristique de l'Art

divin , - qui est la Signature divine . Arrivé à ce

point de nos réflexions , nous avons regardé l'in-


fluence électrique comme une force répulsive qui
seule rendait la Matière capable d'exister dans cet
état de diffusion nécessaire à l'accomplissement de

ses destinées ; - là , en un mot , nous avons consi-

déré l'influence en question comme instituée pour

le salut de la Matière , pour sauvegarder les buts de


toute matérialité . Réciproquement , il nous est per-
mis de considérer la Matière comme créée seule-

ment pour le salut de cette influence , uniquement

pour sauvegarder le but et l'objet de cet Éther spi-


rituel. Par le moyen , par l'intermédiaire , par l'a-

gence de la Matière , et par la force de son hétérogé-


néité , cet Éther a pu se manifester , — l'Esprit a
été individualisé. C'est uniquement dans le dévelop-

pement de cet Éther, par l'hétérogénéité , que des


masses particulières de Matière sont devenues ani-
EUREKA 237

mées , sensibles , et en proportion de leur hétérogé-


néité ; quelques-unes atteignant un degré de sensibi-

lité qui implique ce que nous appelons Pensée , et


montant ainsi jusqu'à l'Intelligence Consciente .
A ce point de vue , nous pouvons regarder la Ma-

tière comme un Moyen , et non comme une Fin . Son

utilité et son but étaient compris dans sa diffusion ,

et , avec le retour vers l'Unité , sa destinée est accom-


plie . Ce globe des globes absolument consolidé se-

rait sans but et sans objet ; conséquemment il ne


pourrait continuer à exister un seul instant. La Ma-

tière , créée dans un but, ne peut incontestablement,

ce but étant rempli, être plus longtemps Matière .


Efforçons-nous de comprendre qu'elle aspire à dis-
paraître, et que Dieu seul doit rester tout entier,

unique et complet .
Chaque œuvre née de la conception Divine doit

coexister et coexpirer avec le but qui lui est assigné;


cela me semble évident , et je ne doute pas que la
plupart de mes lecteurs , en voyant l'inutilité de ce

dernier globe de globes , acceptent ma conclu-

sion : « Donc, il ne peut pas continuer d'exister . »


238 EUREKA

Cependant, comme l'idée saisissante de sa dispa-


rition instantanée est de nature à ne pas être

agréée facilement, présentée d'une manière aussi

radicalement abstraite, par l'esprit même le plus

vigoureux , appliquons-nous à la considérer d'un

autre point de vue un peu plus ordinaire ; —


examinons comment elle peut être entièrement et
magnifiquement corroborée par une considération

à posteriori de la Matière, telle que nous la voyons


actuellement.

J'ai déjà dit que « l'Attraction et la Répulsion


étant incontestablement les seules propriétés par

lesquelles la Matière se manifeste à l'Esprit, nous


avons le droit de supposer que la Matière n'existe
que comme Attraction et Répulsion ; - en d'autres

termes , que l'Attraction et la Répulsion sont Ma-

tière ; puisqu'il n'existe pas de cas où nous ne puis-

sions employer, ou le terme Matière , ou , ensemble,


les termes Attraction et Répulsion , comme expres-

sions de logique équivalentes et conséquemment


convertibles. >>

Or, la définition même de l'Attraction implique


EUREKA 239

la particularité, l'existence de parties , de parti-
cules, d'atomes ; car nous la définissons ainsi : ten-

dance de chaque atome vers chaque autre atome,


selon une certaine loi . Évidemment, là où il n'y a

pas de parties , là est l'absolue Unité ; là où la ten-


dance vers l'Unité est satisfaite , il ne peut plus
exister d'Attraction ; -- ceci a été parfaitement dé-

montré , et toute la Philosophie l'admet . Donc ,

quand , son but accompli , la Matière sera revenue


à sa condition première d'Unité , -condition qui

présuppose l'expulsion de l'Éther séparatif, dont la

fonction consiste simplement à maintenir les ato-

mes à part les uns des autres jusqu'au grand jour


où, cet éther n'étant plus nécessaire , la pression
victorieuse de la collective et finale Attraction vien-

dra prédominer dans la mesure voulue pour l'ex-


pulser ; — quand , dis-je , la Matière , excluant l'É-

ther , sera retournée à l'Unité absolue , la Matière


(pour parler d'une manière paradoxale ) existera

alors sans Attraction et sans Répulsion ; en d'autres



termes, la Matière sans la Matière, ou l'absence de

Matière . En plongeant dans l'Unité , elle plongera en


240 EUREKA

même temps dans ce Non-Etre, qui, pour toute


-
Perception Finie , doit être identique à l'Unité , ·
dans ce Néant Matériel du fond duquel nous savons
qu'elle a été évoquée, - avec lequel seul elle a été

créée par la Volition de Dieu .

Je répète donc Efforçons-nous de comprendre


que ce dernier globe , fait de tous les globes, dispa-
raîtra instantanément , et que Dieu seul restera , tout
entier , suprême résidu des choses .

1
XVI

Mais devons-nous nous arrêter ici ? Non pas . De

cette universelle agglomération et de cette dissolu-

tion peut résulter , nous le concevons aisément , une


nouvelle série , toute différente peut-être , de condi-
tions , - une autre création , -- une autre irradia-
tion retournant aussi sur elle - même , une autre

action , avec réaction , de la Volonté Divine . Soumet-


tons notre imagination à la loi suprême , à la loi

des lois , la loi de périodicité ; et nous sommes plus

qu'autorisés à accepter cette croyance, disons plus ,


14
242 EUREKA

à nous complaire dans cette espérance, que les phé-


nomènes progressifs que nous avons osé contempler
seront renouvelés encore, encore , et éternellement ;

qu'un nouvel Univers fera explosion dans l'existence ,


et s'abîmera à son tour dans le non -être, à chaque

soupir du Cœur de la Divinité .

Et maintenant , ce Cœur Divin , -- quel est-il?

C'est notre propre cœur .

Que l'irrévérence apparente de cette idée n'effa-

rouche pas nos âmes et ne les détourne pas du


froid exercice de la conscience, de cette profonde

tranquillité dans l'analyse de soi-mêine , par les-


nt s er
quels sculeme nous pouvon espérer d'arriv jus-
e pler
qu'à la plus sublim des vérités , et la contem
à loisir , face à face .

Les phénomènes dont dépendent, à partir de ce

point, nos conclusions, sont des ombres purement


spirituelles, mais qui n'en sont pas moins entiè-
rement substantielles .

Nous marchons , à travers les destinées de notre

existence mondaine , environnés de Souvenirs , obs-

curcis mais toujours présents , d'une Destinée plus


EUREKA 245

vaste, -- qui remonte loin, bien loin dans le passé,

et qui est infiniment imposante.

La Jeunesse que nous vivons est particulièrement


hantée par de tels rêves, -que cependant nous ne
prenons jamais pour des rèves . Nous les reconnais-

sons comme Souvenirs . Pendant notre jeunesse ,

nous faisons trop clairement la distinction pour


nous méprendre un seul instant.
Tant que dure cette Jeunesse , ce sentiment de

notre existence personnelle est le plus naturel de


tous les sentiments . Nous le sentons très -pleinement ,

entièrement . Qu'il y ait eu une époque où nous


n'existions pas, - ou qu'il puisse se faire que nous

n'ayons jamais existé , ce sont là des considérations

que, pendant cette jeunesse , nous ne comprenons

que très-difficilement . Pourquoi nous pouvions ne

pas exister , c'est là , jusqu'à l'époque de notre Viri-


lité, de toutes les questions , celle à laquelle il nous

serait le plus impossible de répondre. L'existence ,


l'existence personnelle , l'existence de tout Temps et

pour toute l'Éternité , nous semble, jusqu'à l'épo-


que de notre Virilité, une condition normale et in-
244 EUREKA

contestable ; - cela nous semble, parce que cela


est.

Mais vient une période pendant laquelle la Raison


conventionnelle du monde nous éveille pour l'erreur

et nous arrache à la vérité de nos rêves . Le Doute,


la Surprise et l'Incompréhensibilité arrivent au

même moment . Ils disent : « Vous vivez , et il fut un


temps où vous ne viviez pas . Vous avez été créé. Il

existe une Intelligence plus grande que la vôtre , et

c'est seulement grâce à cette Intelligence que vous

vivez tant soit peu . » Nous nous efforçons de com-

prendre ces choses et nous ne le pouvons pas ;


nous ne le pouvons pas , parce que ces choses , n'é-

tant pas vraies , sont nécessairement incompréhen-


sibles.

Il n'existe pas un être pensant , qui, à un certain


point lumineux de sa vie intellectuelle , ne se soit
senti perdu dans un chaos de vains efforts pour

comprendre ou pour croire qu'il existe quelque


chose de plus grand que son âme personnelle . L'ab-
solue impossibilité pour une àme de se sentir infé-
rieure à une autre ; l'intense, l'insupportable ma-
EUREKA 245

laise et la rébellion qui sont le résultat d'une

pareille idée, et puis les irrépressibles aspirations


vers la perfection , ne sont que les efforts spirituels ,
coïncidant avec les matériels , pour retourner à l'U-

nité primitive , et constituent , pour mon esprit

du moins , une espèce de preuve , dépassant de beau-


coup ce que l'Homme appelle une démonstration ,
-
qu'il n'y a pas d'âme inférieure à une autre , - que

rien n'est et ne peut être supérieur à une âme quel-


conque, que chaque âme est , partiellement , son
propre Dieu, son propre Créateur ; -- en un mot ,

que Dieu , le Dieu matériel et spirituel , n'existe main-


tenant que dans la Matière diffuse et l'Esprit diffus

de l'Univers ; et que la concentration de cette Ma-

tière et de cet Esprit pourra seule reconstituer le


Dieu purement Spirituel et Individuel .
De ce point de vue, et de celui-là seulement , il

nous est donné de comprendre les énigmes de l'In-


justice Divine, - de l'Inexorable Destin . De ce point

de vue seul , l'existence du Mal devient intelligible ,

mais de ce point de vue , il devient mieux qu'intelli-

gible, il devient tolérable . Nos âmes ne peuvent


14.
246 EUREKA

plus se révolter contre une Douleur que nous nous

sommes imposée nous - mêmes , pour l'accomplisse-


-
ment de nos propres desseins , dans le but, quel-

quefois futile, d'agrandir le cercle de notre propre


Joie.

J'ai parlé de Souvenirs qui nous hantaient pen-


dant notre jeunesse . Ils nous poursuivent quelque-
fois même dans notre Virilité ; -ils prennent gra-
duellement des formes de moins en moins vagues ;
--
de temps à autre ils nous parlent à voix basse ,
et disent :

<
«< Il fut une époque dans la Nuit du Temps , où
existait un Être éternel, - composé d'un nombre

absolument infini d'Êtres semblables qui peuplent


l'infini domaine de l'espace infini . Il n'était pas et il

n'est pas au pouvoir de cet Être , - pas plus qu'en


ton pouvoir propre, -d'étendre et d'accroître , d'une

quantité positive, la joie de son Existence ; mais , de

même qu'il est en ta puissance d'étendre ou de con-


centrer tes plaisirs (la somme absolue de bonheur

restant toujours la même) , ainsi une faculté ana-


logue a appartenu et appartient à cet Être Divin ,
EUREKA 247

qui ainsi passe son Eternité dans une perpétuelle al-


ternation du Moi concentré à une Diffusion presque

infinie de Soi-même. Ce que tu appelles l'Univers


n'est que l'expansion présente de son existence . Il

sent maintenant sa propre vie par une infinité de


plaisirs imparfaits, les plaisirs partiels et entre-

mêlés de peine de ces êtres prodigieusement nom-

breux que tu nommes ses créatures , mais qui ne


sont réellement que d'innombrables individualisa-
tions de Lui-même. Toutes ces créatures, toutes,
celles que tu déclares sensibles , aussi bien que celles

dont tu nies la vie pour la simple raison que tu ne


surprends pas cette vie dans ses opérations , -- tou-

tes ces créatures ont , à un degré plus ou moins vif,


la faculté d'éprouver le plaisir ou la peine ; mais

la somme générale de leurs sensations est juste le


total du Bonheur qui appartient de droit à l'Être

Divin quand il est concentré en Lui-même. Toutes


ces créatures sont aussi des Intelligences plus ou

moins conscientes ; conscientes , d'abord , de leur


propre identité ; conscientes ensuite , par faibles
éclairs , de leur identité avec l'Être Divin dont nous
248 EUREKA

parlons , de leur identité avec Dieu . De ces deux


espèces de consciences , suppose que la première

s'affaiblisse graduellement , et que la seconde se for-

tifie, pendant la longue succession des siècles qui


doivent s'écouler avant que ces myriades d'Intelli-

gences individuelles s'effacent et se confondent ,

en même temps que les brillantes étoiles ,


en Une seule suprême . Imagine que le sens de
l'identité individuelle se noie peu à peu dans la con-
science générale , que l'Homme , par exemple,

cessant, par gradations imperceptibles , de se sentir

Homme, atteigne à la longue cette triomphante et

imposante époque où il reconnaîtra dans sa propre


existence celle de Jéhovah. En même temps, sou.

viens-toi que tout est Vie , - que tout est la Vie ,


la Vie dans la Vie , -- la moindre dans la plus ་

grande , et toutes dans l'Esprit de Dieu . »

Y
FIN
NOTE DU TRADUCTEUR

Les dernières pages du livre indiquent au lecteur le sens


qu'il doit attribuer au mot Vie Eternelle, qui est employé
dans les dernières lignes de la préface .
Le mot est pris dans un sens panthéistique, et non pas dans
le sens religieux qu'il comporte généralement . La Vie Eter-
nelle signifie donc ici : la série indéterminée des existences
de Dieu, soit à l'état de concentration , soit à l'état de dissé-
mination.
TABLE

EXTRAIT DE LA BIographie d'Edgar poe, par Rufus Griswold. 1


PREFACE . 1
EUREKA . . 5
NOTE DU TRADUCTEUR. 249

PARIS. IMP. SIMON RACON ET COMP . , RUE D'ERFURTH . 1.


1
244 EUREKA

contestable ; cela nous semble, parce que cela


est.

Mais vient une période pendant laquelle la Raison


conventionnelle du monde nous éveille pour l'erreur

et nous arrache1 à la vérité de nos rêves. Le Doute,


la Surprise et l'Incompréhensibilité arrivent au

même moment . Ils disent : « Vous vivez , et il fut un


temps où vous ne viviez pas. Vous avez été créé . Il

existe une Intelligence plus grande que la vôtre , et

c'est seulement grâce à cette Intelligence que vous

vivez tant soit peu . » Nous nous efforçons de com-

prendre ces choses et nous ne le pouvons pas ;


nous ne le pouvons pas , parce que ces choses , n'é-

tant pas vraies , sont nécessairement incompréhen-


sibles.

Il n'existe pas un être pensant , qui , à un certain


point lumineux de sa vie intellectuelle , ne se soit

senti perdu dans un chaos de vains efforts pour

comprendre ou pour croire qu'il existe quelque

chose de plus grand que son âme personnelle . L'ab-


solue impossibilité pour une âme de se sentir infé-
rieure à une autre ; l'intense , l'insupportable ma-
EUREKA 245

laise et la rébellion qui sont le résultat d'une

pareille idée, et puis les irrépressibles aspirations


vers la perfection , ne sont que les efforts spirituels ,
coïncidant avec les matériels , pour retourner à l'U-
nité primitive , - et constituent, pour mon esprit

du moins, une espèce de preuve, dépassant de beau-


coup ce que l'Homme appelle une démonstration ,

qu'il n'y a pas d'âme inférieure à une autre, — que


rien n'est et ne peut être supérieur à une âme quel-
conque, - que chaque âme est, partiellement , son
propre Dieu, son propre Créateur : -- en un mot ,

que Dieu , le Dieu matériel et spirituel , n'existe main-


tenant que dans la Matière diffuse et l'Esprit diffus.

de l'Univers ; et que la concentration de cette Ma-

tière et de cet Esprit pourra seule reconstituer le


Dieu purement Spirituel et Individuel .
De ce point de vue , et de celui-là seulement , il

nous est donné de comprendre les énigmes de l'In-

justice Divine, de l'Inexorable Destin . De ce point

de vue seul , l'existence du Mal devient intelligible ,

mais de ce point de vue, il devient mieux qu'intelli-

gible, il devient tolérable . Nos âmes ne peuvent


14.
246 EUREKA

plus se révolter contre une Douleur que nous nous

sommes imposée nous - mêmes , pour l'accomplisse-

ment de nos propres desseins , - dans le but, quel-

quefois futile, d'agrandir le cercle de notre propre


Joie.

J'ai parlé de Souvenirs qui nous hantaient pen-

dant notre jeunesse . Ils nous poursuivent quelque-


fois même dans notre Virilité ; -ils prennent gra-
duellement des formes de moins en moins vagues ;

de temps à autre ils nous parlent à voix basse ,


et disent :

<«< Il fut une époque dans la Nuit du Temps , où


existait un Être éternel, ― composé d'un nombre
absolument infini d'Êtres semblables qui peuplent

l'infini domaine de l'espace infini . Il n'était pas et il

n'est pas au pouvoir de cet Être, - pas plus qu'en


ton pouvoirpropre, -d'étendre et d'accroître , d'une

quantité positive , la joie de son Existence ; mais , de

même qu'il est en ta puissance d'étendre ou de con-


centrer tes plaisirs ( la somme absolue de bonheur

restant toujours la même) , ainsi une faculté ana-


logue a appartenu et appartient à cet Être Divin ,
EUREKA 247

qui ainsi passe son Éternité dans une perpétuelle al-


ternation du Moi concentré à une Diffusion presque

infinie de Soi-même. Ce que tu appelles l'Univers

n'est que l'expansion présente de son existence. Il

sent maintenant sa propre vie par une infinité de


-
plaisirs imparfaits , les plaisirs partiels et entre-
mêlés de peine de ces êtres prodigieusement nom-

breux que tu nommes ses créatures , mais qui ne


sont réellement que d'innombrables individualisa-
tions de Lui-même . Toutes ces créatures , toutes,

celles que tu déclares sensibles , aussi bien que celles

dont
1 tu nies la vie pour la simple raison que tu ne

surprends pas cette vie dans ses opérations , — tou-


tes ces créatures ont , à un degré plus ou moins vif,
la faculté d'éprouver le plaisir ou la peine ; - mais

la somme générale de leurs sensations est juste le


total du Bonheur qui appartient de droit à l'Être

Divin quand il est concentré en Lui-même . Toules


ces créatures sont aussi des Intelligences plus ou

moins conscientes ; conscientes , d'abord , de leur

propre identité ; conscientes ensuite , par faibles


éclairs , de leur identité avec l'Être Divin dont nous
DIRTIA

TH*WIS... wiew Jose Dieu. De ces deux

islets de rosteness , suppose que la première


• afiadisse grannelament , et que la seconde se for-

si pencari Jongne saression des siècles qui


ÖÐVAIL S RODIDAT F” gar es myriades d'Intelli-

pences indvodneões sedlarent et se confondent ,


en même temps que les brilantes étoiles ,

-et The seat sugee. Imagine que le sens de


Videntite intimisele se nije peu à peu dans la con-
science pecerale, — que l'Homme, par exemple ,

cessant, par gradations imperceptibles , de se sentir

Homme, atteigne à la longue cette triomphante et


imposante époque où il reconnaitra dans sa propre
existence celle de Jehovah . En même temps, sou-

viens-toi que tout est Vie, - que tout est la Vie , -

la Vie dans la Vie , — la moindre dans la plus


grande , et toutes dans l'Esprit de Dieu . »

FIN
NOTE DU TRADUCTEUR

Les dernières pages du livre indiquent au lecteur le sens


qu'il doit attribuer au mot Vie Éternelle, qui est employé
dans les dernières lignes de la préface.
Le mot est pris dans un sens panthéistique, et non pas dans
le sens religieux qu'il comporte généralement, La Vie Éter-
nelle signifie donc ici : la série indéterminée des existences
de Dieu, soit à l'état de concentration, soit à l'état de dissé-
mination.
TABLE

EXTRAIT DE LA BIOGRAPHIE D'EDGAR POE, PAR RUFUS GRISWOLD. 1


PRÉFACE. . · 1
EUREKA . 5
NOTE DU TRAducteur. 249

PARIS. -IMP. SIMON RAÇON ET COMP. , RUE D'ERFURTH , 1 ,


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‫التالية‬
JUN 2 9 1943
JUN 29 1943

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